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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 701 : KR'TNT ! 701 : BLACK SABBATH / TÖ YÖ / WILD BILLY CHILDISH / ZEMENT / WHEELS / SNAKES IN THE BOOTS / MISS CALYPSO / THE CORALS / GENE VINCENT+ WANDA JACKSON

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 701

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    05 / 09 / 2025

     

     

    BLACK SABBATH / TÖ YÖ

    WILD BILLY CHILDISH / ZEMENT

    WHEELS / SNAKES IN THE BOOTS

    MISS CALYPSO / THE CORALS 

        GENE VINCENT + WANDA JACKSON

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 701

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Sabbath tous les records

    (Part One) 

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             On se doutait bien que l’histoire d’Ozz allait mal finir, mais la nouvelle de son cassage de pipe en bois nous a tout de même surpris. C’est arrivé quelques jours après l’ultime concert de reformation de Sab à Birmingham. Encore une page d’histoire qui se tourne. On va bientôt se retrouver seuls. Ils seront tous partis. Rien n’est pire que de voir partir ses amis et de se retrouver seul.

             On a tous été fans de Sabbath, sans doute parce qu’ils étaient fans des Beatles. Il ne faut jamais perdre ceci de vue : dans les années 60 et 70, les Beatles furent au cœur de la vie de tous les kids anglais : ils ont eu cette chance extraordinaire d’avoir eu comme modèle un groupe parfait. En France, on proposait aux kids un autre genre de modèle : Johnny Hallyday. C’est pas la même chose.  

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             Dans Mojo, Keith Cameron assiste pour nous aux préparatifs de l’ultime concert de Sabbath, prévu le 5 juillet 2025 au stade Villa Park de Birmingham, à côté duquel les quatre Sab ont grandi - We all lived around that Villa ground - Le concert porte le doux nom de ‘Back to the beginning’. L’Ozz a 76 ans. Il ne tient plus debout. Parkinson. Son dernier concert date de 2018. Un Ozzfest à Los Angeles.

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             Puis l’idée d’un concert d’adieu a commencé à germer dans les vieilles cervelles vermoulues des quatre Sab. L’Ozz a donné son accord et il a repris l’entraînement avec son équipe d’assistants : respiration, altères, on imagine le travail. L’obsession de l’Ozz est de dire adieu à tout le monde avec un seul big show. Sharon Osbourne : «Well why don’t we just do one big show and you can thank everybody? So we’ve been working on it for nearly two years. You know, Birmingham has given Ozzy so much, he’s so proud of where he was born. He’s working his little old arse off to get there.»

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             Ça n’a pas été simple de rassembler les quatre Sab originaux, surtout Bill Ward, qui avait quitté le groupe depuis belle lurette. Geez indique qu’Ozz l’a appelé pour lui proposer de «finir là où tout avait commencé», et Geez lui a répondu qu’il était d’accord si Tony et Bill donnaient eux aussi leur accord. Alors l’Ozz appelle Bill et lui propose le deal - I’m gonna do one last time. Do you want to come and play? - Bill accepte, mais Tony Io n’est pas très chaud. Il commence par dire non - To be honest, when it was first mentioned to me, I said no - Tony Io se demande surtout si les quatre Sab sont encore en état de monter sur scène, myself included - We need to be good. We’ve got a good legacy, and I didn’t want to destroy it by everything not being right - Et voilà, c’est the end of the End, comme il dit. Tony Io n’est pas beaucoup plus frais qu’Ozz : il s’est tapé un petit cancer, et fait pas mal d’allers et retours à l’hosto. C’est l’âge. 77 ans, la zone de tous les dangers. On vient de lui retirer un gros truc dans la gorge et crack, il s’est coincé un nerf dans le cou - When you get to our age, things just go wrong - Il craint surtout qu’un des quatre Sab ne se casse la gueule sur scène après deux cuts. C’est le risque qui pend au nez des vieux crabes quand ils montent sur scène à l’âge de 77 ans. Faut savoir ce qu’on veut dans la vie.

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             Geez n’est pas beaucoup plus frais. En 2022, il était trop malade pour grimper sur scène avec l’Ozz et Tony Io. Et comme dit Cameron, «he’s currently working hard on his flexibility». Il a des crampes dans les mains. Il craint que ça ne lui arrive sur scène. Devant les fans, il aurait l’air d’un con avec ses cramps. Quant à Bill, il fait du fitness avec son drum crew. Ils ont tous des crews. Ils ne parlent que de crews. C’est l’apanage des vieilles superstars. Un crew sinon rien ! Bill bosse son leg power pour driver «Sabbath’s massive double bass drum attack.» Vazy Bill, drive ! À son âge, Bill a encore des choses à prouver. Il a lui aussi 77 ans - that’s a whole other world, 77 and playing 26-inch bass drums. One could call it lunacy - Tu l’as dit, Billy !   

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             Justement, Bill donne une grosse interview dans Uncut. Dans son introduction, John Robinson parle d’une «incredible unity of purpose». C’est bien vu. Bill rappelle qu’il a fait une petite crise cardiaque en 2017, et donc, il a dû mettre la pédale douce. Et surtout retrouver la forme, grâce à son crew. Puis il raconte la formation de Sabbath à Birmingham et leurs premiers cuts, «Wicked World» et «Black Sabbath». Ils répètent chez Tony - We wrote it and we played it - Puis ce sont les tournées en Europe, le Star Club d’Hambourg, les putes, le premier album, et patati et patata. Puis Robinson le branche sur les farces de Sab : c’est vrai Bill qu’ils mettaient le feu à ta barbe ? - They were pranks - C’est Tony qui avait le briquet. Bill n’a pas grand-chose à raconter, mais il fait un petit retour sur la pochette de Sabotage. C’est lui qui porte les collants rouges de sa femme sur la pochette. Comme il ne porte rien en dessous, on voit ses balls, alors il demande à l’Ozz de lui prêter son calbut, «which he more than happily did». C’est pourquoi l’Ozz porte une robe.  

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             Luke la main froide n’en finit plus de loucher sur la pochette de Sabotage, «the most psychologically damaged record (just look at the sleeve)». Et il ajoute, emporté par son élan : «Le Midland death trip d’Ozzy culmine en 1975 avec l’album Sabotage qui depuis la pochette jusqu’au contenu est l’un des albums de rock les plus étranges jamais enregistrés. Les paroles sont pour la plupart signées by Brummie shaman Terry ‘Geezer’ Butler.» C’est l’album chouchou des fans de Sab, à cause de cette énormité qu’est «Hole In The Sky», un nouveau modèle de riff anglais sorti du cerveau de Tony Io. Il fabrique du Sab en permanence, et quand l’Ozz ramène son chat perché, ça fait l’identité de Sab, avec en plus derrière les deux cavemen qui allument sec. C’est dans «Symptom Of The Universe» qu’on entend cracher les haut-fourneaux de Birmingham. Dommage que les petits épisodes prog viennent perturber le bel équilibre. Il semble que Tony Io ne gratte que des séquences mythiques, comme ces espagnolades de fin de parcours. Et puis avec «Megalomania», ils se rapprochent du premier album, ils sont si heavy et si présents ! Ils disposent d’une science inégalée en matière de redémarrage en côte et se payent en plus le luxe d’un final épouvantable aux lueurs du génie sabbatique. L’autre hit de Sabotage est le dernier cut de la B, «The Writ», un heavy blues chanté au chat perché d’Ozz, sans doute le perché le plus perçant de tous. Ils ont du panache, le monde entier le sait, on ne fait pas l’impasse sur le Sab, on les connaît par cœur, ces beaux cuts de Sabotage, sans doute les a-t-on trop écoutés. Avec «Am I Going Insane», ils sonnent comme Syd Barrett. Tout est beau et puissant sur cet album. Tony Io fait exploser des bouquets fatals sur «The Thrill Of It All», il soigne ses fins de loup. «Supertzar» est le cut qui a dû impressionner le plus la main froide, car on y entend des voix surgies du passé. On se croirait dans un film d’Eisenstein, c’est exactement la même ampleur catégorielle.

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             Dans sa colonne infernale, Luke la main froide avait raison de se prosterner devant les six premiers Sabbath de la période Vertigo - Without doubt some of the greatest rock’n’roll ever made. These records fucking swing, man - Ils font partie des albums fondateurs de l’empire du rock anglais. Tony Io est l’un des grands guitaristes classiques du rock anglais, il fait partie de ceux qui ont tout inventé. Ah comme on a pu adorer ce Black Sabbath paru en 1970 ! Chaque fois qu’on le réécoute, il fonctionne comme une machine à remonter le temps. Tous les cuts de l’album sonnent comme des classiques, cette belle et étrange musicalité s’installe avec «Behind The Wall Of Sleep». Rien à voir avec l’hard-rock, c’est de l’heavy pop dotée d’une mélodie chant d’une indicible qualité. Le génie riffeur de Tony Io prend forme avec «NIB» et l’Ozz entre dans l’histoire avec son fameux Oh yeah ! Fabuleuse énergie ! Très beaux longings de Tony Io, il est fabuleux d’à-propos. Ils ouvrent leur bal de B avec «Evil Woman Don’t Play Your Games With Me», monté sur un riff classique bien contrebalancé par le bassmatic du Geez. Ces quatre Brummies fabriquent du rock classique, et cette fois c’est le Geez qui vole le show. Ils finissent en beauté avec «Warning» et l’Ozz revient au chant après une longue absence, une si longue absence.  

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             Paranoid paraît la même année. On imagine l’ado Luke dans sa cave, secouant ses petits cheveux blonds au son de «War Pigs». Heavy, baby ! Voilà d’où vient toute cette culture heavy. Ils jouent à la respiration interrompue, c’est un peu emprunté, mais c’est Sab, alors respect. Ils réussissent l’exploit de créer un monde à partir d’un riff, puis ça part en virée seventies. Voici venu le temps des classiques avec «Paranoid» et «Iron Man». Le riff de Parano est tellement classique qu’on dirait du Led Zep. Bravo Tony Io ! Stop to fuck my brain, gueule l’Ozz et pendant ce temps, Geez fait un carnage. «Iron Man» est aussi monté sur un riff classique, et Tony Io le ralentit pour l’alourdir. Tout l’heavy métal vient de là, de l’Iron. Et cette manie qu’ils ont de partir en virée ! En B, on trouve deux autres pièces palpitantes : «Electric Funeral», d’abord, plus tarabiscoté, même si c’est monté sur un riff funéraire du grand Tony Io, un riff d’une portée universelle, c’est dire la grandeur de sa hauteur. Puis voilà «Fairies Wear Boots», un titre qui a dû beaucoup plaire à la main froide, mais ça se présente comme une jam, with no direction home, perdue dans la pampa, avec une succession de thèmes impies, et l’Ozz entre dans l’ass de la danse à l’impromptu, il s’installe dans l’ambiance du power Sab, c’est très fairy witchy, il raconte son histoire d’une voix étrangement perçante.

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             Paru l’année suivante, Master Of Reality a dû mettre la jeune main froide sur la paille. On retrouve notre cher heavy Sab dès «Sweet Leaf». Tony Io joue du gras double, ils sont dans leur élément, c’est saturé d’heavyness ralentie, mais après un moment, ça se barre en vrille prog, et ils reviennent on ne sait comment en mode rouleau compresseur. Le Geez fait vrombir sa basse. Sur toute l’A, le Sab se montre déterminé à vaincre, il fait même du boogie rock anglais avec «Children Of The Grave». Pas d’hit sur cet album, mais une constance sabbatique, comme le montre encore «Lord Of The World», ils restent dans leur formule, pas de surprise, Tony Io se place en embuscade et malgré les apparences, le son reste très linéaire. Ils reviennent au big sound avec «Into The Void». Chez Sab, ce n’est pas le gros popotin, mais le gros patapouf qui a le vent en poupe. Il est tellement gros, le patapouf, qu’il a du mal à respirer... Si on cherche des aventures, il faut aller voir ailleurs. Les kids adorent le gros patapouf de Tony Io.

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             La jeune main froide a dû beaucoup admirer la pochette du Black Sabbath Vol. 4. Quel rocking artwork ! Et hop ça démarre avec du classic Sab monté sur une nouvelle trouvaille Ionique. Pas question de s’énerver, il joue son riff en retenue et miraculeusement, on échappe cette fois au petit développement prog de mi-parcours. Tous les cuts de Sab sont montés sur un riff de Tony Io. Alors pour l’Ozz, c’est du gâtö. Il peut enfourcher son canasson et chanter «Tomorrow’s Dream» au chat perché. Tony Io remplit le son à ras-bord. Il lui donne de l’ampleur. «Changes» pourrait être un balladif de Croz, car c’est assez océanique. Peut-être s’agit-il du meilleur sob de Sab. Pour boucler l’A, Tony Io charge la barque de «Supernaut». Il est l’un des plus gros démolisseurs d’Angleterre et l’Ozz s’élance comme un loup à l’assaut de la caravane, ça joue pour de vrai. Tony Io a plus de son qu’avant, on voit qu’ils enregistrent à Los Angeles. La B se tient bien elle aussi, «Snowblind» reste du classic Sab. L’Ozz ne change rien à sa méthode, il va droit sur son petit chat perché. Tony Io boucle ce valeureux Snowblind à l’embrasée de Birmingham. «Laguna Sunrise» montre qu’ils sont capables de climat lumineux et d’espagnolades, et ce gros mélange de riffing et d’orientalisme qu’est «St Vitus Dance» montre qu’ils adorent danser avec Saint-Guy. Cet album surprenant s’achève avec «Under The Sun», classic package de Sab monté comme un millefeuille, bien bourré de crème au beurre et concassé à tous les instants comme le corps d’un malheureux soumis au supplice de la roue.

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             Paru en 1973, Sabbath Bloody Sabbath n’est pas le meilleur Sab. C’est du classic Sab, bourré de climats, de cocotes et de chat perché. L’Ozz se veut criard, mais il n’est pas toujours juste. Ils amènent l’«A National Acrobat» au heavy Sab, mais ça vire troubled troubadour un peu proggy.  Tony Io a du mal à renouveler le cheptel. Ses compos peinent à jouir. C’est encore dans la délicatesse diaphane qu’il excelle le mieux («Fluff»). Il revient à son pré-carré et à ses vieilles racines de mandragore avec «Sabbra Cadabra», on se croirait sur le premier Sab, tellement c’est bien foutu. C’est même l’hit de ce bloody album. Le «Killing Yourself To Live» qui ouvre le bal de la B semble lui aussi sortir du premier Sab. Merci Tony Io de ce retour aux sources. L’Ozz s’en donne à cœur joie. Ils font de la petite pop bien intentionnée avec «Looking For Today» et pour «Spiral Architect», Tony Io pompe les accords des Who dans Tommy. Cette fois, ils tombent dans le n’importe quoi, et ça finit par devenir trop poli pour être honnête. 

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             Pourquoi diable a-t-on ramassé Paranoid: Black Days With Sabbath & Other Horror Stories chez Smith il y a plus de vingt ans ? Certainement pas à cause de la couve et de ce mélange visuel complètement sabbatique de croix et de seringue (attention, le book est reparu avec une couve encore pire : une cuillère pleine de poudre et une seringue). Certainement pas à cause du nom de l’auteur : on savait que Mick Wall drivait Kerrang!, cet hebdo ou bi-hebdo metal qu’on n’approchait qu’avec des pincettes (c’était le seul canard anglais qui consacrait des pages aux Wildhearts). Et pourtant on a fini par lire ce book de Mick Wall. Et on l’a adoré. Pour deux raisons : Mick Wall écrit comme un cake. Et son book est un fantastique hommage à l’Ozz. Et pour saluer le départ de l’Ozz, on l’a relu, car le souvenir du bon moment était un peu fané et les notes de lecture ne semblaient pas trop fiables. Dans ces cas-là, on relit.

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             Alors attention, ce n’est pas exactement un book sur Sabbath. Mick Wall raconte ses années de junkie et ça démarre comme ça : «J’ai pris la seringue et l’ai plantée right in my arm. Habituellement, on ne pique pas une veine du premier coup, mais cette fois ça a marché. La chance était avec moi et je vis, fasciné, le petite nuage de sang remplir la seringue.» Mick Wall écrit dans un style direct, et comme Nick Kent, il s’est forgé un langage : «We called our works ‘guns’. I slowly squeezed the trigger on mine and waited for the bullet to hit. ‘Go on you slag!’.»  Il donne absolument tous les détails, dans un style à l’emporte-pièce, il traîne son addiction pendant un bon bail puis finit par décrocher pour pouvoir faire ce qui l’intéresse : écrire. C’est donc l’autobio d’un pur écrivain rock. Dans Apathy For The Devil, Nick Kent raconte qu’il est passé par les mêmes travers. Ça faisait semble-t-il partie du jeu.

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             Wall vit en coloc avec un certain Mandy - Like Mandy, I loved heroin. As drugs go, it was the best. Booze, coke, dope, even acid, they were social drugs, party tricks, something you shared with a crowded room. La différence entre le trip à l’acide et le trip on smack était comme celle qui existe entre le dernier blockbuster d’Hollywood et un small art-house movie from Europe. (...) Smack was for the conoisseurs of the anti-social, the solo artists and mavericks who stood for nothing - Et il ajoute ça qui permet de comprendre la suite : «Smack was not a recreational drug, it was a vocation.» Puis il décrit le glissement de l’addiction, car le smack cesse d’être un «personal statement and becomes purely a matter of day-to-day survival.» Ça se passe entre 1979 et 1980, endless junk summer. Il associe le smack au jazz - Willfully perverse, unashamedly self-absorbed, insistently élisist (il met un é), jazz was the perfect junk soundtrack. Like punk and speed, reggae and dope, Hendrix and acid.

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             Mandy prétend que ce n’est pas l’hero qui tue les gens, c’est la télé - Every fix we took was like a big, beautiful fuck-off to the world - Wall et Mandy voient le rite de l’hero comme le summum de l’anticonformisme. Plus loin, il rend hommage à Lou Reed et à «Heroin», «because when the smack begins to flow, it’s true, you really don’t care any more. There was no science to it. It was pure and simple. Smack was just the baddest and the best. Total white-out.» Comme il est écrivain, il peut sortir ça : «Smack was whaterver you wanted it to be.» Les mots n’ont plus d’importance. Il donne aussi pas mal de détails sur la marchandise : «Strickly Iranian brown was our mainman. Après la chute du Shah, by the end of 1980, London was awash with cheap, strong Iranian smack.» Mandy et lui bossent dans le music biz à Londres, et chaque jour, Wall raconte qu’il disparaît un moment dans les gogues pour se faire un fix - One fix at a time - Il va bien sûr se faire repérer et se faire virer. Il donne pas mal d’autres détails, comme par exemple la constipation - Not shitting for weeks on end becomes the norm - Il explique qu’il faut s’accroupir et s’aider soi-même avec les doigts. Mais le pire, c’est l’aspect financier. On vend tout ce qu’on a, même ses disques rares. En une semaine, il a refourgué ses 200 albums collectionnés pendant trois ans. Puis il vend sa machine à écrire, sa montre, ses bagues, son tourne-disques, sa télé, sa radio, et tous ses books.

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    Mick Wall

             Ce qui rend Mick Wall infiniment crédible, c’est bien sûr la qualité de son style. Quand on lui propose une grosse ligne de coke, Wall s’extasie ainsi : «Just go with the flow, baby! Chop ‘em out, Charlie! I was the Jean Genie, letting myself go...», et bien sûr t’entends sonner les accords de Ronno. C’est ça, l’écriture rock, ça sonne. Et quand il n’aime pas quelqu’un, il devient une sorte de Léon Bloy rock. Il évoque le Live Aid et pouf, qui arrive dans son viseur ?, «Geldorf himself. Who would remember Bob now, oher than as the big-headed, mouthy twat from the crappy Boomtown Rats.» Et puisqu’il est en plein dans la daube de Live Aid, il cible U2, «particulary in America, where Bono’s down-on-one-knee histrionics went down a storm.» Quand il devient célèbre grâce à Kerrang!, il ne se rate pas : «I was a cover story writer now, the fattest fat frog in the murky green pond.»

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             Lorsqu’il vit à Los Angeles et qu’il devient riche et célèbre, Mick Wall s’aperçoit qu’il ne bande plus beaucoup, alors il s’en explique très bien : «Il y avait des nuits when I could no longer get it up, que ce soit mentalement ou physiquement. Somewhere along the line, I’d lost a few steps. Pas à cause du smack - pas besoin d’être un junkie pour être fatigué de la chasse. Too much sun and not enough time, that was my excuse.» Et plus loin, il précise : «D’une certaine façon, j’avais de nouveau atteint ce point. Pas à travers l’hero cette fois, mais à travers une drogue plus puissante que le junk. I was high on life, man. And it was slowly killing me. J’ai essayé d’arrêter ça plusieurs fois, mais je n’avais plus d’énergie. À partir d’un certain point, même l’argent n’a plus d’intérêt. Je savais que je ne deviendrais jamais un millionnaire, mais une fois le loyer payé, à quoi peut-on bien penser ?»

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             Ailleurs, il vole dans les plumes des années 80, «the most stupid decade since the ‘50s. Les gens, me semblait-il, étaient prêts à payer pour n’importe quoi, aussi longtemps que c’était bien habillé. And the more stupid, the better. Look at Duran Duran. Look at Bowie and ‘Let’s Dance’. Look at JR and Joan Collins and Margaret Thatcher and Ronald Reagan... What a vulgar, unconvincing bunch of arse-sucking stupidity.» Pourtant, ailleurs, il rend hommage à Bowie qu’il rencontre pour une interview - What a great interview he gave, too - sharp, witty, full of fun, full of stories (...) He was just on it like a motherfucker. He was an interview-killing machine - Wall rappelle qu’«après Ozzy, Ziggy was my mainman. Il venait du futur et j’ai grandi en pensant que Diamond Dogs and David Live were the greatest, most underrated albums of the ‘70s.»

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             En attendant, il rencontre pas mal de gens, dont bien sûr toute la faune de Kerrang!, les Motley Crüe, les Guns N’ Roses et tous ces machins là. Il rencontre aussi David Crosby qui s’apprête à partir au ballon pour 5 piges et qui a le look of the condemned man. Puis Jimmy Page, avec lequel il a un échange intéressant. Wall lui demande pourquoi il est gentil avec lui, alors que tout le monde raconte qu’ils se conduit comme un «complete bastard», et Jimmy lui répond que cette gentillesse «is the other side of the coin. C’est comme la guitare électrique et la guitare acoustique, les gens veulent entendre le bruit le plus fort, alors que d’autres veulent entendre the more gentle acoustic side out. You’ve only ever seen the acoustic side of me.» Wall est tellement impressionné par la classe de Jimmy Page qu’ils vont rester amis. Et bien sûr, Wall va consacrer à Led Zep ce chef-d’œuvre mémorable qu’est When Giants Walked the Earth: A Biography of Led Zeppelin.

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             L’autre géant que Wall salue dans Paranoia est bien sûr Phil Lynott : «Tall as a vampire and dressed from head to foot in black leather, his fingers, wrists anf throat wrapped in a cluter of expansive bejewelled baubles, his dark afro framing his long, sly face like a publicity shot, Philip Lynott played the most convincing rock star I ever met.» Et bien sûr, il le compare à Jimi Hendrix - Maybe Hendrix was the original and the best, but Jimi wasn’t around any more - Quand Wall lui demande pourquoi il porte sa basse si haut, si c’est pour mieux jouer, Phil grommelle : «Naw. It’s so’s da girlies can gedda good look at me bollocks.» Wall rappelle que les punks respectaient Lizzy et que les Pistols se trouvaient backstage aux Lizzy gigs. Un soir, Phil Lynott propose à Mick Wall du Fleetwood Mac. Wall ne pige pas. Alors Phil précise : smack. Ils se font un petit snort ensemble. Et là t’as deux pages absolument magnifiques de rock writing.

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             Autre chapitre déterminant : Dave Brock. Un Dave Brock qui prend l’histoire d’Hawkwind très au sérieux. Voici comment Mick Wall l’épingle : «Alors que certaines pop stars - Phil Collins, say - vous font penser à des chauffeurs de bus, something about the greasy unwashed hair, the stringy beard, the decade-old jeans and rancid-looking fingerless leather gloves always made me think of Dave Brock as a dustman. Chaque fois que je voyais Dave, c’est comme si je le voyais jeter des sacs poubelles à l’arrière d’un big truck.» Mick Wall accompagne Hawkwind en tournée et un matin, au lobby de l’hôtel, histoire de briser la glace, Mick lance à Dave : «The bins are around the back, mate.» - Je m’attendais à le voir rire, ou au moins sourire, mais il me regarda, «his expression as inscrutable as the cosmos his music purported to explore» - La chute ne fit pas attendre. «You’re fired», he said and walked off.

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             On croise aussi des pages extraordinairement captivantes sur les rock critics - À quelques exceptions près, la plupart des journalistes rock que j’ai rencontrés étaient des gens ordinaires et décevants, generally of less-than-average intelligence - Et il ajoute ça qui tue les mouches : «None of them seemed to have much idea of what rock’n’roll might actually be about.» Eh oui, c’est bien ça le problème, même dans la presse anglaise. Il n’en sauve qu’un, Nick Kent - The dark prince. What hadn’t he written, done, been, said, thought, lost, won that wasn’t great? Nothing I could think of. Tall, rakishly handsome in a thin, permanently stoned way, his black raven’s hair cut like Keef’s and streaked with cat-piss yellow, paint-chipped fingernails, badly applied make-up, chandelier earring, the whole bit, Nick Kent was the man who invented the term ‘elegantly wasted’, not just on the page but in real life - Après Bowie, Phil Lynott et Jimmy Page, c’est le quatrième grand hommage du book, juste avant l’Ozz. 

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             L’Ozz, c’est pour ça qu’on est là. Mais encore une fois, ce book n’est pas Ozzé à 100%. Mick Wall brasse assez large, et c’est ce brassage qui à l’époque nous intéressait. Et c’est la raison pour laquelle on a décidé de suivre l’auteur à la trace, même si ensuite, il proposait des monographies, au sens plus strict du terme, mais quelles monographies ! Led Zep, Hendrix, Lou Reed, Lemmy, John Peel, les Doors, des books qui sont devenus, mine de rien, des ouvrages de référence, et dont on a bien sûr causé, soit ici-même (Doors, Lou Reed, Peely, Hendrix), soit dans les Cent Contes Rock (Led Zep). On reviendra plus tard sur son Lemmy et son Sabbath.

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             En 1980, Wall est embauché comme agent de presse de Sabbath et accompagne le groupe en tournée américaine. L’Ozz n’est plus dans le groupe, il s’est fait virer 18 mois plus tôt par Tony Io qui en avait marre de ses ‘antics’. Ils ont embauché Ronnie James Dio pour le remplacer. Wall s’amuse bien avec les Sab qui ne volent pas haut. Voilà ce qu’il dit de Bill Ward : «Dark panda-eyes, hair like a Christmas tree, full alky beard, big beer belly hanging over his spangly rock star belt.» Wall ne sait rien des drogues que prennent les Sab, à cette époque. Ils n’en parlaient jamais ouvertement - I suspected Tony was a coke man - Ils prenaient de tout dans les années 60 et 70, «but by 1980, in the aftermath of Ozzy’s dismissal for being too out of it, anything like that which still went on was kept strickly under wrap.» Ils ne touchaient plus à rien. Mais pour Wall, le Sab a perdu tout son charme - They were the most miserable and difficult bunch of bastards I’d ever had to deal with. Tetchy uncommunicative, grim; Truly Sabbath were an enigma for me - Il les voit comme des middle-aged men qui ont une upside-down cross to bear.

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    Sharon + Ozzy

             Avec l’Ozz, c’est une autre histoire. Mick Wall aura même une relation privilégiée avec lui - J’avais découvert qu’au-delà du masque de sad clown, Ozzy était l’une des très rares rock stars qui disait toujours exactement ce qu’il pensait - L’Ozz se confie à Mick et lui raconte qu’après sa détox d’alcool, il a encore un bar à la maison, «except it’s got no booze in it.» Diet coke. Et ça l’afflige. C’est comme d’avoir une table de billard sans les boules. Puis il reconnaît qu’il n’est ni un grand songwriter ni un grand chanteur - With me, it’s all the orher stuff, the mad fucking stuff - mais l’Ozz n’est pas dupe. Il sait ce que les gens pensent de lui et il fait avec. Il dit aussi qu’il a eu du mal à s’extraire «of that fuckin’ mess with Sabbath». Quand Mick Wall le rencontre, l’Ozz vit dans un seedy, second-string hotel de West Hollywood, «working his way through the ninety thousand dollars the band had given him when they told him to fuck off.» C’est bien que ce soit Mick Wall qui le dise. Dans la foulée, Wall rencontre Sharon qui explique pourquoi elle s’est attachée à l’Ozz : «Ozzy had always bugged me. Because he was lazy, he was insecure and... dumb!»

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             Wall revient sur ses premières amours : «I still loved my old Sabbath albums lile Paranoid and Master Of Reality the way I would always love The Man Who Sold The World and the first New York Dolls album.» Il rappelle aussi que Diary Od A Madman: The Uncensored Memoirs Of Rock’s Greatest Rogue fut son «first little success», comme il dit - Some of the worst writing I ever did was in this book - Il y collectionne en effet les anecdotes : l’Ozz qui pisse sur Alamo, l’Ozz qui trippe à l’acide et qui raconte qu’«il entre dans un pré and started talking to this horse. That was all right. Then the horse started talking back to me and I knew I was in trouble.» Ah la rigolade ! Et Wall de conclure : «The only rock star I could really relate to was Ozzy. Not just because he was funny, but because he was real. He was the only one I’d ever known who really felt his luck.»

             C’est avec cette image qu’on referme une page d’histoire nommé Ozzy Osbourne. Merci Ozz d’avoir enchanté nos adolescences.

    Signé : Cazengler, Black Savate

    Ozzy Osbourne. Disparu le 22 juillet 2025

    Black Sabbath. Black Sabbath. Vertigo 1970

    Black Sabbath. Paranoid. Vertigo 1970

    Black Sabbath. Master Of Reality. Vertigo 1971

    Black Sabbath. Vol 4. Vertigo 1972

    Black Sabbath. Sabbath Bloody Sabbath. Vertigo 1973

    Black Sabbath. Sabotage. Vertigo 1975

    Mick Wall. Paranoid: Black Days With Sabbath & Other Horror Stories. Mainstream 1999

    John Robinson : After forever (Bill Ward gets heavy). Uncut # 340 - July 325

    Keith Cameron : Into The Void? Mojo # 381 - August 2025

     

     

    L’avenir du rock

    - Pas trop Tö, Yö

    (Part Two)

     

             Boule et Bill observent l’avenir du rock du coin de l’œil.

             — On te voit venir, avenir du froc, avec tes Tö Yö...

             — On t’a vu faire tes petites photottes de branleur...

             — Tu vas même nous refourguer l’illusse que t’as déjà utilisée y’a un an !

             — Tu vas encore nous torcher une kro à la mormoille, comme d’hab’ !

             — T’es d’un prévisible qui fout la trouille...

             — Tout le monde s’en branle de tes Tö Yö...

             — À voir ta gueule, on sait qu’t’es en train d’chercher ton titre...

             — Ouais, t’as la gueule d’une poule qu’a trouvé un couteau !

             — Comme on est gentils, on va t’donner un coup de main, avenir du broc !

             — Tö Yö Tä pas cent balles ? Quesse-t’en penses ? Pas mal hein ?

             — Tö Yö ! Tö Yö ! Ferme ta gueule répondit l’écho !

             — Et ça : Thirty Seconds Over Tö Yö !

             — Et pis ça : Tö Yö Yö Stuff !

             — Et ça : Tö Yä Yä Twist !

             — Et pis ça : c’est ton destin, Yö Yö !

             — Et ça : Tö Yö La Tengö !

             — Et pis ça : Tö Tö Yö Lariflette !

             — Et ça : Tö Yö Kö Onö !

             — Et pis ça : Tö Yä Kä faire ci Tö Yä Kä faire ça !

     

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             L’avenir du rock les laisse parler. À l’heure où tu lis ces quelques lignes, ils y sont encore.  Passons aux choses sérieuses.

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             Tö Yö ? Tyva ! Ou plutôt t’y retournes. T’y come back (baby come back). Sont déjà venus dans la cave. En juin, l’an passé. Comme déjà dit, ce fut un set psyché aux frontières de l’exotisme et des japoniaiseries chères à Mallarmé. Sont les quatre mêmes, mais le son n’est plus le même. Tö Yö chevauche désormais un dragon. Et là, amigo, si tu veux voyager dans le cosmos, c’est l’occasion en or. Pas besoin de te schtroumpher, le son te monte droit au cerveau, par vagues, les vagues d’Hokusai, celles qui s’élèvent dans l’éternité graphique d’un artiste visionnaire. Ça prend même parfois la dimension extravagante d’une tempête au Cap Horn, telle qu’on se l’imagine, t’as l’impression que la cave tangue, tellement ces quatre Japonais sont puissants. En fait, c’est ta pauvre cervelle qui tangue, mais t’aime bien l’idée du Cap Horn. Ils reprennent les choses exactement là où Dave Brock les a laissées voici 50 ans avec Space Ritual, et ils vont plus loin, beaucoup plus loin. Ils font ce que des tas de groupes ne savent pas faire : mettre la virtuosité au service du dragon. Car leur

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    son, c’est le dragon. Quand les deux guitaristes grattent leurs gammes avec une infinie délicatesse, le dragon crache des flammes, le dragon crame les colonnes du temple, le dragon embrase ton imaginaire, soudain, la vraie dimension est à portée de main, tu peux toucher le dragon, t’en reviens pas de voir ruisseler cette pluie de feu sonique, t’en reviens pas de voir ces deux guitaristes lever des tempêtes comme d’autres ramassent des betteraves, t’en reviens pas de voir ce batteur fouetter la peau des fesses psychédéliques avec une vélocité criante de swing véracitaire, t’en

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    reviens pas de voir ce bassiste remonter les flots à contre-courant sur sa cinq cordes, barrant des accords en forme de barrage contre le Pacifique, t’en reviens pas de tous ce blasting flash et de toutes ces interactions entre les deux virtuoses, t’as l’impression de voir le rock renaître de ses cendres à chaque instant, t’es sidéré de toute cette affabulation lysergique précipitée dans l’écume d’Hokusai, ces mecs redonnent vie à un genre qu’on croyait éculé par tant d’abus, et du coup, le psyché remonte à la pointe du progrès, plein de vie, gorgé de sens, hallucinant, en avance

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    sur tous les peine-à-jouir, loin devant, t’as pas idée. Rarement un groupe aura autant fasciné la cave, ils n’ont même pas besoin de chanter, le dragon suffit, on attend juste qu’il se manifeste, et on va le voir cracher du feu jusqu’au bout du set. Il fait une chaleur à crever et t’es complètement flabbergasted. Pas d’autre mot possible.

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             Tu ramasses leur nouvel album au merch, Yosuieiho - Tö Yö Live At Shindaita Fever. T’auras pas exactement le dragon sur ce live, mais un simili-dragon, c’est déjà pas mal. Deux longs cuts sur chaque face. Leur «Jam» monte lentement, comme toutes les bonnes jams. Ils se la jouent délicate, en attendant le passage du Cap Horn. C’est très dedicated to the followers of the hollow.   Les Japonais jamment dans la soie, puis ça vire Krakatoa au Cap Horn, et là tu dis quoi ? Tu dis oui, mille fois oui, car ça valse dans les bastingages, le psyché krakatoate à gogo, ça Tö-Yöte dans les tuyaux, t’en as pour ton billet de trente. S’ensuit la très belle tension psyché d’«Untitled #1». Dans leur genre, ce sont des cracks, ils bouffent le psyché tout cru, ça croque de l’électron. Ah comme elles sont belles, ces interactions de poux, nos deux gratteurs s’en donnent à cœur joie, ils génèrent de longues giclées éjaculatoires. Tu veilles, tu penses à tout rien, tu écris des vers de la prose, tu dois trafiquer quelque chose en attendant le jour qui vient, sachant bien que près du passé luisant, demain est incolore. Ils attaquent leur B avec la belle exotica de l’«Untitled #2», un Untitled un brin Kill Bill, doux et floconneux comme la Seine sous le Pont Mirabelle. Puis avec «Li Ma Li», ils s’en vont brasser l’écume des jours à gestes larges, ça bassmatique aux galères, sur un beat lourd et lent, il n’existe rien de plus psyché sur cette terre que cet Untitled, c’est même du psyché limande dont la platitude s’étend à l’infini. Puis, sans prévenir, ça vire thermonucléaire avec une plongée en abysse, t’as le meilleur psyché du coin, ça bouillonne d’énergie avec un beat rebondi qui n’en finit plus de t’uppercuter sous le menton, les spasmes chevauchent les vagues qui percutent les storms de plein fouet. Cette affaire-là va très loin. 

    Signé : Cazengler, Tö Tö l’haricöt.

    Tö Yö. Le Trois Pièces. Rouen (76). 16 juillet 2025

    Tö Yö. Yosuieiho - Tö Yö Live At Shindaita Fever. Not On Label 2025

    Concert Braincrushing

     

     

    Wizards & True Stars

    - Le rock à Billy

    (Part Seven)

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             Après l’épisode Headcoats, Wild Billy Chidish repart de plus belle avec les Buff Medways, c’est-à-dire Johnny Barker et Wolf Howard. Ils virent les casquettes Sherlock et revêtent des uniformes anglais de la guerre de 14. On verra même Wolf porter un casque à pointe, histoire de bien rigoler avec la paraphernalia militaire. Buff Medways, c’est 5 albums, entre 2001 et 2005. Big Billy entre avec Buff Medways dans sa période Who/Hendrix.

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             This Is This est sans le moindre doute le plus hendrixien des albums de Big Billy. «Cross Lines» est une fabuleuse resucée de «Crosstown Traffic». Il recrée littéralement le mythe. Il monte aussi «Don’t Hold Me Back» sur les accords de «Fire». Même fin en soi à coups de let me stand by your fire, et t’as même la plongée en enfer. Ils sont encore en pleine hendrixité des choses avec «Till The End Of Time» et ils font monter plus loin «Don’t Give Up On Love» à l’hendrixienne, les chorus sont du pur jus d’Are You Experienced. Dans «Till It’s Over», tu crois aussi entendre dans les ponts des échos de let me stand by your fire. C’est un son très chargé, Big Billy y case tous les riffs hendrixiens qu’il a pu choper. Et puis rien n’est plus in the face que ce «No Mercy» d’ouverture de bal. C’est du mayhem ultime. Itou pour «This Won’t Change», attaqué au riff de basse sixties, un véritable chef d’œuvre d’attaque frontale. Et dans le morceau titre qui boucle le bouclard, Big Billy réussit l’exploit de sonner comme Richard Hell dans Dim Stars.

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             On sent une nette poussée vers les Who dans Steady The Buffs. Ils reprennent d’ailleurs «Ivor», qui n’est autre qu’Ivor The Engine Driver, qu’on entend via The Ox dans «A Quick One While He’s Away». Alors Big Billy tape en plein dans l’œil de la cocarde, avec des chœurs de folles, de l’énergie foutraque, et le moonisme de Wolf, tout y est ! Summum du genre ! Encore plus Whoish que les Who - You are/ Forgiving - Explosif ! Encore du killer Whoish avec «Strood Lights». Big Billy a fait ça toute sa vie, alors pas de problème. Il tape ensuite le «Misty Water» des Kinks en mode Buzzcocks. Rien ne peut arrêter Big Billy sur le chemin de la grandeur marmoréenne. Son «Well Well» n’est autre que le vieux «Baby Please Don’t Go» et il s’adonne à la suite à l’une de ses spécialités, le super-blast, avec «You Piss Me Off». Et le «Toubled Mind» qui ouvre la balda n’est autre que le vieux «Trouble Times». Il le recycle. C’est de bonne guerre. Il ne rate pas l’occasion de pousser l’un des plus beaux wouahhhhh de l’histoire du rock, histoire d’introduire un killer solo flash d’antho à Toto. Johnny Barker bombarde tout ça de bassmatic impénitent. «Archive From 1959» est purement autobiographique - Started school/ In nineteen/ Sixty five - Punk rock baby ! Et puis «Sally Sensation» va t’en boucher un coin. Les Buff Medways sont alors le plus puissant power-trio britannique.

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             Encore un wild wild wild album des Buff Medways : 1914. Triple hommage aux Who avec «Unable To See The Good» (pas de pire explosivité ! Coup de génie faramineux), «Just 15» (monté sur un bassmatic exubérant) et «Saucy Jack» qui n’est autre qu’«Happy Jack». Avec ça, t’es calé, mais il y a encore de la viande à avaler, comme par exemple ce vieux «All My Feelings Denied» qui date des Headcoats, monté sur une carcasse des Sonics. Big Billy indique qu’«Evidence Against Myself» est recorded live in the front room - The song is about my nature: I find a speck of dirt in my heart and hold it up for all the world to see - Et puis t’as «Nurse Julie» - Nurse Julie/ please talk to me - Complètement dévastateur, avec un killer solo tranché dans le vif, puis dans le riff. Tu tombes plus loin sur «Barbara Wire», un shoot d’heavy British Punk, très Buzzcocks. Avec «You Are All Phoneys», il dénonce tout le bordel - Rock stars/ Are phoneys - Il se paye un killer solo d’étranglement convulsif sur «Caroline». C’est sa grande spécialité. Sur l’encart, Big Billy indique qu’il enregistre avec deux micros - We don’t hide behind volume or celebrity - Et il déclare ceci qui vaut son poids d’or du Rhin : «We are not a rock group, we are not an garage rock group, we just play rock n roll in the tradition of Link Wray, British r’n’b and early punk.» À quoi il ajoute : «We are just happy to be good at what we do, we don’t need celebrity or all that junk. The Buff’s don’t go to parties et ne fréquentent pas les gens qui pourraient nous aider, on ne veut pas que nos chansons soient utilisées pour la publicité de bagnoles inutiles ou de marques de fringues qui font travailler les gosses with no piss break. We’re anti cool and plan to remain nobodies. Go and tell your friends that you’ve heard a real rock n roll group. May all beings be happy.» L’anti-star Big Billy signe ça en 2003.

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             Medway Wheelers est encore plus Whoish que 1914. Le solo d’«A Distant Figure Of Jon» est du pur Pete Townshend, et le bassmatic dévorant du pur John Entwistle. Big Billy attaque «Medway Wheelers» à la pure Whoisherie, c’est complètement enroulé dans «Substitute» et Graham Day te bassmatique ça en profondeur. Ils attaquent «Private View» aux chœurs des Who, c’est réellement explosé de chœurs et de Wolfmania : Wolf bat exactement le même beurre que Moonie. Rrrraplaplapla Rrrataplac ! En fait, Big Billy mélange les Who avec des stances à la Johnny Rotten. Il recycle aussi son vieux «The Man I Am» et l’attaque cette fois au riff proto. Big Billy n’en démord plus. C’est le roi de l’attaque frontale. Avec «Karen With A C», on voit bien que Wolf bat comme Moonie. Rrrraplaplapla Rrrataplac ! Big Billy chante son «22 Weeks» comme un vieux punk qui aurait trop écouté les Who. C’est bien enfoncé du clou ! On entend les accords de «My Generation» dans «Dustbin Mod». Graham Day fait encore des étincelles en B avec «You’re Out The Band Sunshine». On croit entendre la basse des Equals. Il te cloue bien la chouette à la porte du beat. Et puis tu vas te pourlécher les babines de ce «Poundland Poets» monté sur le beat du fondamental «Last White Christmas» des Basement Five. Que peux-tu attendre de plus d’un album de rock ? Rien.  

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             Pas question de faire l’impasse sur The Xfm Sessions. Tu sais pourquoi ? Parce que tu y trouves la seuls version enregistrée du «Fire» de Jimi Hendrix, que Big Billy joua au temps d’avant au Nouveau Casino. C’est l’une des covers définitives de l’histoire des covers, comme si l’élève dépassait le maître, et quel maître ! Cet album live est complètement Whoish, tu y retrouves «Strood Lites» que lance Johnny Barker au big bass drive, t’as aussi une cover d’«ATV», Action!/ Time!/ And vison !, il s’amuse bien le vieux Billy ! Wolf te bat sec le vieux «Troubled Mind», et Graham Day prend la basse pour bombarder «What You Got» et ramener des chœurs Whoish. C’est encore lui qui bassmatique «David Wise» et «Fire». Ce concert au Nouveau Casino fait partie des meilleurs souvenirs de concerts, avec ceux des Who à la fête de l’Huma et des Heartbreakers au Bataclan.

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             Nouvel épisode de la saga childishienne avec les Spartan Dreggs. Big Billy garde Wolf dans l’équipe et s’adjoint les services de Nurse Juju et de l’excellent Neil Palmer, qui du coup prend le lead, chant et guitare. Big Billy passe à la basse. Alors autant le dire tout de suite : les quatre albums des Spartan Dreggs sont un fantastique hommage aux Who. 

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             Sur Forensic R’n’b, t’as 7 cuts qui pourraient figurer sur un album des early Who. Ça commence avec le morceau titre en ouverture de balda. Ça a le mérite d’être clair : en plein dans le full blown Whoish, les Dreggs poussent l’art des Who dans les orties, même les chœurs sont purs. Et derrière, tas le bassmatic de Big Billy qui pétarade comme ce n’est pas permis. Palmer qui baigne les golfes clairs passe un petit solo inverti dans «The Ocean River Runs Around The Edge» et ça repart en mode infiniment Whoish avec «Tower Block» - My baby lives in a crumbling tower block - Neil Palmer est un puissant leader. «The Fishing Tameraire» est le Temeraire des Singing Loins. Ça joue de partout. Neil Palmer is all over. Et ça ré-explose de plus belle avec «Our Strange Power Of Speech», éclatant d’attaque frontale, avec des rosaces de solace, Maximum Forensic R’n’B ! Fais gaffe, la B va t’envoyer au tapis. Boom dès «Intertidal Marshland». Un mec siffle à l’intro comme chez les Dolls et ça part en mode power-blast. Retour aux Who avec «The Charcoal Burners Lament», ils raccordent les cocotes de Ricken avec des solaces étiolées. C’est glorieux. On reste dans l’éclat des Who avec «Scout-A-Boo» et de fantastiques montées aux chœurs. Ils font du rock Quadrophoniaque. «Are You A Wally?» sonne comme un hit de 1965 : Maximum R’n’B au Marquee ! Wolf a l’intelligence du beurre de Moonie, il recrée toutes les dynamiques explosives et Big Billy, via son tugboat bass, recrée le ramdam de The Ox. Alors le tour est joué. 

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             Hélas, Deggradation n’est pas aussi bon que le Forensic R’n’B. Ils sont dans un trip plus héroïque. Don Craine des Downliners Sect signe un petit texte au dos de la pochette, histoire de rappeler l’importance des Tales of the heroic age - From the Iliad to the Irish Mythological Cycle 1 - Le son s’en ressent. Big Billy fait du prog héroïque et ça coince, même si on retrouve le power pur dans «Grimen Mire». Big Billy rentre dans le chou de l’heavy heroic prog. On sauve encore «The Goose Girl» en B, mais pour le reste, ceinture. Palmer chante tout à la surface des golfes pas très clairs, comme dirait Bashung.

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             Histoire de bien brouiller les pistes, Big Billy fout un avion sur la pochette de Coastal Command. Encore quatre hommages aux Who : «A Shropshire Lad» (bardé d’éclats étoilés), «Punk Before Chips» (Punk before chips/ On Radio Six/ We’re the Spartan Dreggs!), «Transcending Utter Deggradation» (en plein dans le mille de la cocarde) et «We’ve Written Our Song (And Done Our Duty)», avec tout le power et les chœurs de lads des Who. Les Spartan Dreggs sont sans doute le groupe le plus entreprenant de Big Billy. Il défonce les annales d’«Eli The Baker» à la basse fuzz. Power incommensurable ! Et en B, t’as le morceau titre qui fracasse le freakbeat, ça claque dans tous les coins, Big Billy n’a jamais été aussi flamboyant !  

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             Dernier spasme des Spartan Dreggs : Archaeopteryx Vs Coelacanth. Album complètement Whoish, et ce dès «The Fen Raft Spider», où Wolf ramène tout le ramdam de Moonie et t’as en prime tout l’éclat des chœurs de lads des Who. Pareil avec «The Drawing Down Of The Blinds», très Who Sell Out, puis «A Romance British Song» et «The Insulted Choir», pure pop de frustration sexuelle et de gros pif boutonneux à la Townshend. C’est délicieusement imparable. Sur «Oak» Nurse Juju fait de belles harmonies vocales par derrière. Cut confus, bien brouillé de la piste. «Cure Of Love» qui est plus Downliners opère un beau retour aux sources. 

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             Il existe un autre album des Spartan Dreggs, Tablets Of Linear B, mais il fallait découper les coupons de deux autres pochettes des Dreggs pour l’avoir, alors laisse tomber.

    Signé : Cazengler, Bluff mais ouais

    Buff Medways.

    This Is This. Vinyl JapanJapan2001                                                                          

    Buff Medways. Steady The Buffs. Transcopic 2002

    Buff Medways. 1914. Transcopic 2002

    Wild Billy Childish & The Buff Medways. Medway Wheelers. Damaged Goods 2005

    Wild Billy Childish & The Buff Medways. The Xfm Sessions. Damaged Goods 2007

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Forensic R’n’b. Damaged Goods 2011

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Deggregation. Damaged Goods 2012 

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Coastal Command. Damaged Goods 2012

    Wild Billy Childish & The Spartan Dreggs. Archaeopteryx Vs Coelacanth. Squoodge Records 2015

     

     

    L’avenir du rock

     - Zement c’est dément

             L’avenir du rock s’est encore fait ramasser par la Gestapo. Ces ordures ont tout essayé sur lui, mais rien n’a marché, ni les coups de barre à mine sur la bite, ni l’arrachage des ongles à la pince becro, ni le rat lâché dans sa culotte, ni les pieds plongés dans la friteuse, ni l’accrochage au plafond par les oreilles, ni l’obligation de manger le caca de l’Oberführer avec du ketchup, rien ! On ne parle même pas de la baignoire, du chalumeau ou des prélèvements de peau au scalpel, soi-disant pour lui fabriquer un abat-jour en souvenir. Chaque fois qu’on lui demande s’il connaît le chef de la Résistance, l’avenir du rock dit non, alors l’Oberführer lui dit qu’il ment, et comme l’avenir du rock déteste se faire traiter de menteur, il glapit :

             — Zement pas !

             Alors les brutes redoublent d’ingéniosité. Ils lui tatouent des croix gammées sur le front, ils le marquent au fer rouge sur les joues, ils lui greffent des boulons rouillés sous la peau.

             — Zement pas !

             Ça finit par les écœurer. Si vous souhaitez écœurer des bourreaux, suivez la recette de l’avenir du rock :

             — Zement pas !

             Ils finiront par en avoir marre avant vous.

             Ils essayent une dernière fois. Ils font venir un taureau pour sodomiser l’avenir du rock, puis ils l’enferment à poil dans un congélateur pendant une nuit entière et le réveillent en lui balançant l’huile bouillante de la friteuse dans la gueule, puis ils lui cousent une fermeture éclair sur la bouche pour qu’il la ferme quand il dit «Zement pas», puis ils tentent de lui greffer des nibards pour faire honte à sa masculinité, mais rien n’y fait.

             — Zement pas ! 

     

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             Tout le monde l’a bien compris : l’avenir du rock est prêt à faire n’importe quoi pour assurer la postérité d’un groupe dément comme Zement.

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             C’est une soirée à la cave qui va te remonter le moral, après le désastre binicole : Zement, en première partie des petites coquines argentines de Fin Del Mundo. Nous les saluerons un peu plus tard. En attendant, parlons un peu de Zement : des Kraut allemands, deux Johnny casquettes et un gros bassiste qui joue très peu. Celui qui gratte ses poux derrière un immense synthé germanique s’appelle Philipp, et comme on dit, l’habit ne fait pas le moine. Quand il arrive sur scène derrière son gros synthé et sous sa casquette, tu ne lui accordes pas la moindre chance. Tu te dis chouette, on va aller siffler une jupi vite fait au bar. Te voilà pris une fois encore en flagrant délit d’apriorisme, car Philipp est un crack : (long) cut après (long) cut, il réinvente un

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    genre qu’on prend difficilement au sérieux, le kraut de bic, sauf quand c’est Can the Can. Quand il est bien joué, le kraut de bic peut te monter au cerveau, et dans le cas de Zement, c’est exactement ce qui se passe. C’est le genre musical le plus insidieux de tous. Tu ne te méfies pas et soudain te voilà baisé. C’est exactement la même chose lorsque tu traînes avec une nympho : tu ne fais pas gaffe et soudain, tu t’aperçois qu’elle a mis la main dans ta culotte. Et il est trop tard. Zement t’engloutit, Zement te laboure, Zement t’assimile, Zement t’éclate au Sénégal, Zement te colonise, Zement t’asservit, Zement t’embarque pour un aller simple, Zement crée son monde, ce mec Philipp devient a hero just for one day, il gratte des poux qui prennent feu, il tellurique ta mère, il fait des grimaces d’un hérétique qu’on charcute au tison, et à sa droite, son pote Christian Budel bat une sorte de beurre de jazz somptueusement désarticulé, qui prend une tournure hallucinante lorsque Philipp embouche un sax pour Coltraner son kraut de bic, et franchement, tu te demandes vraiment ce que font ces deux superstars, ici, au fond d’une cave, en plein mois d’août. Ce qui t’affole le plus, c’est de voir que très peu de gens profitent de tout ce talent. On doit être une

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    petite vingtaine d’happy few, alors que t’avais des milliers de personnes qui assistaient à l’étalage de la daube binicole. Par ici, on appelle ça le monde à l’envers. C’est la même chose que de faire passer Kim Salmon AVANT Cash Savage, au Petit Bain. On vit aujourd’hui dans ce monde. Le plus difficile est de s’habituer à cette idée du monde à l’envers. Pour certains, ça ne sera pas possible.

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             En attendant, écoutons le Passenger que Philipp était tellement fier de vendre l’autre soir. Une fois passé le cap des deux premiers cuts, t’arrives au paradis de Philipp : «Making A Living» sonne comme de l’exotica germanique, ça monte doucement en pression hypnotique. L’hypno, ça marche toujours. Philipp est un fieffé musicologue, il ramène du sax sans sa soupe. Il exhorte au take off dans «Journeys To A Beautiful Nowhere». C’est vraiment très insistant, il gratte ses poux derrière ses machines, il installe un Wall of Sound derrière les spoutnicks. Puis il se fâche avec «Back To My Looping Cave». Il gratte les poux du diable et là ça devint sérieux, il se révèle tel qu’on l’a vu sur scène, un vrai killer, il en fait des kilos et bascule dans l’hyper violence, avec toute la dynamique du back to/ My looping cave, et ses poux prennent feu. Là ça devient extrêmement sérieux, Philipp fout le feu au Kraut, ça prend une tournure apocalyptique, l’effarant Christian Budel pulse tout ça au beat hypnotique. C’est avec «The Night We Saw The Holy Ghost» qu’il sort le sax d’Ornette et derrière, Christian bat le beat désarticulé avec la classe d’un squelette des catacombes. C’est du free à la dérive astrale. Diable, comme ce mec est brillant, il lance sa machine et fait haleter le sax, il a tout compris. Ça respire intensément, en free form, il se laisse complètement aller et t’as le vrai truc, au-delà du kraut de bic et des étiquettes à la mormoille. Il monte son free form en neige et comme Ornette, il te drive ça dans la nuit.

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             Intrigué au plus haut point, tu fous le grappin sur l’album précédent, Rohstoff, paru en 2021. C’est un pur album d’hypno. Mise en bouche avec «Goa», Christian Budel te bat ça dru, alors Philipp développe sa petite ambiance ambivalente. Le Goa s’accroche à toi comme un gros cancrelat hypnotique. T’as un beau drive de basse sur le «Soil» qui suit. Wow, ça zoue chez Zement, Philipp agrémente son hypno d’ambiances synthétiques extrêmement persuasives. Tout se tient sur Rohstoff, «Seine» aussi. Tout s’aboutit en toute logique, l’hypno t’obsède, tout s’absout, tout s’étire, tout s’admet, tout s’y met, tout s’omet et tout s’amène. Ils font du bon Can dira-t-on avec «Entzucken». Même power hypno, c’est subtil et bien pensé. Il ne se passe rien en surface, tout se trame dans l’attitude de la latitude, pas facile à expliquer. C’est du big bersek. Philipp sait monter son hypno en neige. Il regagne la sortie avec «Atem», une belle petite cavalcade. Tout est bien sérié, bien calibré, bien en avant toutes, tout est soigneusement délibéré, bien à dada sur le bidet, bien sanglé de frais, libre de toute contrainte, enclin à l’enclume. La claquemure est totale.

    Signé : Cazengler, Zement comme un arracheur de dents

    Zement. Le Trois Pièces. Rouen (76). 5 août 2025

    Zement. Rohstoff. Crazysane Records 2021

    Zement. Passengen. Crazysane Records 2025   

    Concert Braincrushing

     

    Inside the goldmine

     - Wheels on fire

             Will était ce qu’on appelle un surexcité. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Il semblait écumer en parlant. De grosses veines saillaient dans son cou. Il répétait plusieurs fois la même phrase, et souvent, il claquait la table du plat de la main pour appuyer le dernier mot, avant de repartir dans une autre diatribe. Il avait les manies d’un speed-freak, mais ces sautes d’humeur répétitives semblaient naturelles, chez lui. Il avait ce qu’on appelait autrefois un tempérament sanguin, mais avec quelque chose de profondément malsain en plus. Tu te demandais parfois s’il n’allait pas te frapper. Ses mains volaient en permanence et il te fixait d’un regard noir. Comme tu fréquentais sa belle-sœur, il indiquait d’un ton menaçant à peine voilé qu’il valait mieux «que ça se passe bien avec elle», t’avais presque envie de rigoler, mais en même temps, tu sentais qu’il valait mieux éviter, car il était tellement imprévisible qu’il pouvait mal le prendre. Pour bien compliquer les choses, il avait pris la fâcheuse habitude de se pointer en pleine nuit. Quand on entendait tambouriner à la porte, on savait que c’était lui. Il savait qu’on était là car il avait vu la bagnole en bas. Il entrait, allait directement dans la cuisine chercher des bières et s’installait dans le canapé. Tu savais que tu n’allais pas pouvoir retourner te coucher. Il valait mieux essayer de prendre les choses du bon côté et faire semblant de s’intéresser à ses vitupérations intempestives. Et pour corser l’affaire, il guettait le moindre signe de malaise chez les autres, histoire de balancer un truc du genre : «Vazy, dis-le si ma gueule te revient pas !», ce qu’il fallait bien sûr éviter, car l’agressivité montait d’un cran et on le voyait serrer les poings, ce qui n’était pas bon signe. Il ne cherchait qu’une chose, en réalité : un prétexte pour frapper les gens qu’il n’aimait pas. Et à part lui-même, il n’aimait personne.

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             Avoir Will dans ton salon peut poser un problème. C’est tout le contraire avec Wheels. Will et Wheels n’ont qu’un seul point commun : l’art de créer de la tension, mais pour le reste, c’est le jour et la nuit : on accueille Wheels à bras ouvert, alors qu’on pousse un soupir de soulagement lorsque Will quitte les lieux.

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             Si tu veux écouter les Wheels, le mieux est de rapatrier la compile Big Beat sortie en 2012, Road Block. L’album fait partie des passages obligés, c’est-à-dire des albums indispensables, si tu en pinces pour le raw. Au dos du Big Beat, Grant Forbes amène quelques infos datées de 1966 (?) sur les Wheels. Il rappelle que le groupe vient du même endroit que les Them, Belfast. Puis ils sont allés s’installer à Bristol pour tourner dans le Nord de l’Angleterre. Les Wheels doivent leur réputation sulfureuse à Rod Demick et à sa «fantastic blues voice». Le mec au crâne rasé sur la pochette est l’organiste Brian Rossi, qui voulait se distinguer des «hordes of would-be

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    long-hairs». Les Wheels signent sur Columbia et sortent un premier single qui est une cover de «Gloria». C’est dirons-nous la cover des Athéniens qui s’atteignirent. Ils sont en plein dedans ! Leur deuxième single sera «Road Block» qui donne son titre au Big Beat. Tu y retrouves la tension des Them et le big bass sound, c’est du hot as hell. De l’autre côté de ce deuxième single, t’as «Bad Little Woman», un chef-

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    d’œuvre protozozo inspiré par la transe de Gloria. C’est de la pure folie d’its alriiiiite. Forbes indique que le single circula aux États-Unis et qu’il tomba dans les pattes des Shadows Of Knight qui s’empressèrent de le reprendre sur Back Door

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    Men. Et pour leur troisième et dernier single, les Wheels tapent une cover du «Kicks» signé Mann & Weil et popularisé par Paul Revere & The Raiders. Bizarrement, les Wheels en font un version poppy popette. Sur le Big Beat, tu croises une autre horreur, l’«Im Leaving» d’Hooky, et ça retombe en plein dans les Them, le Rod y va au that’s my home !, avec un final en mode Them apocalyptique, c’est du pur proto-punk digne de «Crawdaddy Simone». Déterré aussi, voilà «Send Me Your Pillow» un shoot de British beat chauffé à coups d’harp. Ce Big Beat est un vrai must ! On y croise aussi une mouture poppy du «Call My Name» de James Royal. Quatre bombes, c’est déjà pas mal pour un Big Beat.  

    Signé : Cazengler, Vil

    Wheels. Road Block. Big Beat Records 2012

     

    *

    Je ne pouvais pas rater ce concert. Jusqu’à ce que n’apparaisse son affiche j’ignorais jusqu’à l’existence de ce groupe, mais son seul nom raviva en moi un souvenir frémissant de lecture, une scène sise en Le Spectre aux balles d’Or, la suite de La Mine de l’Allemand Perdu, le douzième épisode des aventures du Lieutenant Blueberry, un scénario qui aurait été inspiré à Jean-Michel Charlier et Jean Giraud par le film L’or de MacKenna, un beau western (1969), je vous recommande la version française (Part 1 & Part 2) du générique, chantée par Johnny Hallyday, l’un de ses meilleurs titres.  Autre source d’inspiration  Les Chasseurs de Loups et Les Chasseurs  d’or de James Oliver Curwood. Tant que l’on cause de Curwood, allez faire aussi un tour sur son chef d’œuvre : Le Piège d’Or.

    Je vous résume succinctement la scène : un crotale criminellement introduit au fond d’une botte… Vous ne vous étonnerez donc pas si le groupe se nomme :

    SNAKES IN THE BOOTS

    3B

    (Troyes - 08 / 08 / 2025)

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    Sont trois, placidement alignés au fond du bar, z’ont de l’espace, vu la chaleur quasi-caniculaire l’on se dit qu’ils ont de la chance, un de plus z’auraient été serrés comme dans une cocote minute. En fait c’est nous qui avons eu de la veine, un vrai filon d’or, mais comme ils n’avaient pas encore joué une note, on ne le savait pas. Guitare, rythmique, contrebasse. Chanteur ? Vous voulez rire. D’abord ils n’en ont pas besoin. Ensuite tout le monde sait que le rockabilly ne se chante pas. Ne commettez pas un raisonnement stupide, non ce n’est pas un groupe instrumental. Le rockabilly a juste besoin d’un interprète. Ils en ont un. S’appelle Thibaud Lefaix. En trois titres l’a mis les pendules du rockab à l’heure. L’on en a oublié que ses doigts couraient sur la rythmique. Idem pour ses deux acolytes qui le flanquaient, un sur sa droite, un sur sa gauche. Ne vous inquiétez pas, ils s’occuperont de nous tout à l’heure.

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    Le rockabilly man ne cherche pas à chanter, tout réside en la parfaite adéquation entre la voix et la volonté de cette voix qui ne s’enkyste  pas  dans la recherche stérilement abusive de  la note juste – ce qui ne veut pas dire que l’on se doit de rechercher la fausse.  Il s’agit de mimer non pas le sens des paroles mais de maintenir l’intention explosive de l’exposition du récit de ce qui est en train de fondre sur l’auditeur. Lefay ne chante pas, il monte, il descend, il dégringole, il tranche, il rassure, il entre en transe, il clapote, il serpente, il minaude, il gronde, il galope, il stoppe, il winchesterise, ii rebelote, il séminole, il vérolise, il bêle, il blatère, il baraque, bien plus encore, et tout cela chrono en main en deux minutes. Vous avez reçu entre les deux oreilles, un film d’action trépidant, un dessin animé déjanté, mais maintenant c’est fini. N’en demandez pas plus. D’ailleurs le groupe ne vous fait pas le coup de faire briller l’enjoliveur de la malle arrière. C’est fini, alors ils arrêtent de jouer. Vous surprennent à tous les coups. En moins d’une seconde l’instrumentation se met en grève. Plus rien. C’est ça le rockabilly, le petit Chaperon rouge n’a pas le temps de se promener, le méchant loup sort du bois et la croque illico sur un tapis de coquelicots. Pas le temps de vous remettre de vos émotions ou de pleurnicher, c’est Barbe Bleue qui prend la suite et trucide sa septième épouse d’un coup de poignard intrusif et définitif.

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    A la fin du deuxième morceau, l’on demande à Stéphane Ferlay de monter le son de sa double bass. On n’aurait pas dû, fairplay il s’exécute. C’était introduire le renard dans le poulailler, l’a maintenant a quadruplex bass entre les pognes. Quel boxeur ! Quel swingueur ! Quel tapageur ! Stéphane il ne picore pas, il chicore. Ouragan sur le Caine non-stop !  Les hordes d’Attila sont lâchées, là où elles passent les poils de vos oreilles ne repoussent pas, mais quel régal ! A lui tout seul il est les Percussions de Strasbourg. Il doit confondre les cordes de son instrument de douce torture avec celles qui délimitent les rings de boxe. Il tonne, attention il n’en fait pas des tonnes, il ne joue jamais au matou-vu perché sur le toit de l’église en feu, l’est tout comme Zeus tout en haut de l’Olympe, il domine le monde. Silence, le morceau est terminé. Oui mais lui il n’a pas fini. Non il ne touche plus à sa contrebasse. Celle qui tabasse. Alors il vous achève, de deux mots qui tuent. De rire. La réflexion qui flexionne vos zigomatiques. Un pince-sans-rire qui ne le vous fait pas dire. Géant débonnaire désopilant.

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    ( Photos : Régis Laine)

    Suite aux propos précédents, il semblerait que Mathieu  Clairvoy en soit réduit à la portion congrue. Pourtant l’on n’entend que lui. Et sa guitare d’or. Une midasienne, tout ce qu’elle touche elle le transforme en or sonore le plus pur. Pas le gars qui tire la couverture à lui. Toutefois il ne se passe pas deux secondes sans qu’il n’intervienne. Avec un tel à propos que ça ressemble à une intervention d’urgence. D’orgence devrais-je dire si vous acceptez ce  très mauvais jeu de mot. Je passerai sous silence ces soli au maximum de quinze secondes. Comment peut-il bouter le feu à la forêt hercynienne de nos sensations en si peu de temps ! C’est la stricte loi du rockab. Ou vous vous y pliez ou vous adoptez un autre style de musique. L’a un truc en plus. Les fioritures irremplaçables, la chantilly  à l’arsenic sur la glace aux marrons, ou la bouteille de champagne emplie de nitroglycérine pour baptiser le destroyer, l’a les doigts qui patinent dans le platine et les tubulures du cerveau qui carburent aux hydrocarbures de l’inventivité la plus pure, le mec vous fait pousser à la queue-leu-leu  des bao(rock)abs soniques dans votre ouïe, des clinquances fabuleuses, des ronronnements de dinosaure, des feulements de tigre mangeur d’hommes, méfiez-vous vous appartenez à cette triste espèce de bipèdes en voie de disparition, un styliste, pas de brouillon, aucune rature, en plus il vous sert la pâture sans esbrouffe, sans esclandre, à croire qu’il ne s’est pas aperçu de l’uppercut qu’il vient d’envoyer au public.

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    Trois sets. Le premier vous n’avez jamais entendu cela de votre vivant. Ou alors c’est que vous avez une belle collection sur vos étagères, du Johnny Burnette, du Don Woody, du Carl Perkins, du Sony Fischer, du Buddy Holly, pas du revival à la Stray Cats, pas à la revisitation Cramps, proximité authentique, mais rien de mortifère, d’académique, de naphtalinaire, ils ont saisi l’esprit et la racine, n’érigent pas de mausolée, insufflent de la vie, de l’entrain, de la joie, l’on sent qu’ils aiment ça, ne jouent pas au papier calque, ni du papier calcre. Pas de triche. Fontaine de jouvence.

    Deuxième set un peu similaire au premier, cependant une imperceptible différence, mais c’est en écoutant le troisième que l’on comprendra ce qu’il préfigurait. Poétiquement parlant, sont passés de l’octosyllabe à l’alexandrin.  N’ont pas chevillé des rallonges à la tablature, mais les résultantes harmoniques sont différentes. En mentant un max l’on dirait : ce fut un set instrumental. Bien sûr il n’en fut rien, du rockabilly sans voix c’est comme un baiser sans noire moustache et même plus grave sans Cadillac rouge. Simplement z’ont laissé les aller les abrupts chemins de traverse du rockab dans quelques sinuosités instrumentales, rien à voir avec les longueurs d’une symphonie, simplement laisser couler le flot torrentiel sur son aire pour jouir de la vitesse pure de son impétuosité natale.

    Bref une soirée d’autant plus inoubliable que les connaisseurs étaient nombreux dans le public. Béatrice la patronne sait choisir les serpents les plus sauvages. Faut avoir déjà été mordu pour apprécier les morsures à leur  démesure.

    Viennent de Bretagne. Géographiquement le renseignement est bon. Mais z’ont dû être transfusés avec de l’ADN des Appalaches.

    SNAKES IN THE BOOTS

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    Brown Eyed Handsome Man : c’est par ce morceau de Chuck Berry qu’ils ont débuté leur show au 3B, n’avaient pas le piano de Johnnie Johnson, alors ils ont plutôt regardé du côté de Buddy Holly et son magistral saupoudrage de guitare, oui les pionniers c’est bien bon, mais faut parfois les booster pour les adopter à notre époque trépidante qui fonce vers sa propre autodestruction. Alors ils vous envoient un missile qui se dirige vers vous et vous fait exploser le palpitant. Devaient avoir un rendez-vous après la séance studio car ils sont pressés. Rien de mieux qu’une bonne baffée de gifles pour vous réveiller et vous avertir que vous n’avez pas vu passer le premier titre de cet EP dévastateur. You’re Barking Up The Wrong Tree : l’existe une compilation de Don Woody chez Bear Family, le titre est sorti en sorti en 1957, oui mais depuis les chiens aboient plus fort : si vous mettez en doute mes assertions éthologiques sur le comportement animal écoutez ce morceau, une espèce de piétinements de mille loups affamés qui foncent sur vous, et le meneur de la horde qui aboie à la lune qu’ils viennent de croquer. How come it : sur ce titre George Jones tangue salement comme un navire que l’océan submerge, nos serpents quittent leurs bottes et jouent au Léviathan, détruisent tout sur leur passage, ‘’hystérie collective incompréhensible toutefois fortement répréhensible dans un studio’’ a dû noter le commissaire alerté par les voisins sur son rapport. Red Ants in my Pants : Un original, apparemment des reptiles dans leurs pantoufles ne leur suffisaient pas, nous racontent un beau bobard qu’ils auraient des fourmis rouges (turgescentes ?) dans leur pantalon, perso aux bruits juteux (néanmoins délicieux) qu’ils émettent j’opterais pour un troupeau de brontosaures dans leurs salles de bain. Wild Wild Lover : un bel hommage à Benny Joy rockabillyman hyper doué, qui aurait pu, qui aurait dû… Dernière malchance, la camarde peu camarade ne lui a pas permis de profiter de la reconnaissance qui a pointé son nez à l’aube des années 80 : les Snakes en font une version torride, mais l’aspect gloomy de l’original aura votre préférence.

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             Un EP sauvage. Abattez sans sommation toute personne qui s’approchera de votre exemplaire à moins de douze mètres. Il est des plaisirs égoïstes qui ne se partagent pas.

    Damie Chad.

    P.S. : les deux derniers titres sont aussi disponibles sur le 45 t Snakes In The Boots sur Spare Time Records (FRS 011)sorti en mai 2023.

     

    *

             La vie de Maya Angelou (1928 – 2014) est un long fleuve torrentueux. Elle en décrit le parcours dans son autobiographie de sept volumes. Elle fut une activiste, une militante pour les droits civiques, sa vie mouvementée croisa celle de Malcolm X, de Luther King, de James Baldwin… des noms que nous avons déjà rencontrés à plusieurs reprises dans nos livraisons.

             Née pauvre et noire elle connut misère et petits boulots, prête à saisir toutes les occasions pour survivre. Notamment entraîneuse, danseuse et, détail qui nous intéresse particulièrement, chanteuse. Dans cette chronique nous nous pencherons sur le tome de son autobiographie qui conte cette période de son existence mais aussi sur les circonstances qui conduisirent plus tard au seul album musical qu’elle ait enregistré.

    CHANTER, SWINGUER, FAIRE LA BRINGUE

    COMME A NOËL

    MAYA ANGELOU

    (Noir sur Blanc Editions / 2024)

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             Le titre est attirant, avis aux amateurs de livres grivois il ne correspond ni aux saturnales, ni aux bacchanales qu’il semble nous promettre. Les amateurs de rock’n’roll se jetteront sur le QR code final ajouté par l’éditeur qui vous renvoie à une centaine de titres cités dans le bouquin, je ne cite que deux noms Wynonie Harris, John Lee Hooker, beaucoup de jazz aussi…

             Au début du livre Maya se voit proposé du travail par la patronne d’un magasin de disques. Bien sûr, défile toute une série d’albums que vous aimeriez posséder, mais là n’est pas la problématique. Elle est noire et son employeuse blanche. Qui fait preuve d’une attitude très déstabilisante. Tout dans ses actes démontre qu’elle est indifférente à la couleur de peau des clients et de sa vendeuse. Elle ne s’intéresse qu’aux individus. Voilà de quoi déconcerter une très jeune fille noire déjà mère d’un enfant.

             Toute la problématique des noirs américains, nous sommes à l’orée des années cinquante, vous saute à la figure.  Aujourd’hui nous dirions que les noirs se sentent racisés, ce qui ne veut rien dire car si les noirs sont racisés les blancs par simple contre-coup le sont aussi. Angelou se contente de décrire les stratégies des noirs vis-à-vis des blancs. Le passif de l’esclavage, OK ! Le poids de la ségrégation OK ! Mais malgré la lourdeur de l'handicap, les noirs subissent la dominance sociale des blancs mais en compensation ils exercent à l’encontre de leur monde clôturé une  indifférence totale. L’apartheid du pauvre en quelque sorte.

             Maya Angelou possède sa base-arrière de résistance mentale. Sa famille sa grand-mère, et sa mère qui lui ont transmis les rudiments d’une bonne conduite : l’on ne rencontre pas de problème dans son existence, si quelque chose vous pose problème, le problème c’est vous. Qui ne savez pas vous en dépatouiller.  En d’autres termes plus cruellement réalistes : affrontez les difficultés sans vous plaindre ou pleurnicher. Corollaire de ce conseil : Nécessité fait loi.

             Maya Angelou rêve d’un amant, mais aussi d’un mari. Elle en trouve un. Parmi la clientèle. Un blanc. Non, un grec. Sachez faire la différence. Un homme sérieux, qui travaille, qui s’occupe de son gosse qui bientôt l’appelle papa. Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pas tout à fait. Elle finit par s’ennuyer dans son rôle de mère au foyer. Elle cherche un réconfort. Elle finit par le trouver. Non, pas un amant, Dieu en personne. Elle commence par fréquenter en cachette les diverses paroisses de son quartier. Une guerre idéologique couve dans le couple. Notre grec est athée. Pour elle retourner à l’Eglise, c’est retrouver une collectivité, du bruit, de la musique, du chant… mais surtout réintégrer l’ossature de la rédemption spirituelle du peuple noir. Les esclaves se sont assimilés au peuple hébreu de la Bible, prisonniers du pharaon ils n’ont pu traverser les aléas historiques que grâce à une fidélité exemplaire, à leur Dieu… Ce retour à la religion est d’autant plus curieux et symptomatique que Maya nous fait part de ses doutes quant à cette étrange mansuétude divine qui permet l’oppression de son peuple aimé…

             Une fois séparée de son mari la cellule familiale récupère le gamin pour qu’elle puisse travailler. Ce sera dans un cabaret, le Purple Onion, qui propose à sa clientèle des numéros chantés de striptease suggestif non intégral. Elle évitera ce genre d’attraction en proposant un numéro de danse. La direction insiste, en dehors de son passage sur scène elle devra se plier au rôle d’entraineuse. Question rémunération elle ne se plaint pas, toutefois pour un contrat en bonne et due forme elle devra adjoindre le chant à son attraction. Elle chante comme tout le monde mais ne sait pas placer sa voix, évidemment elle ne sait pas lire la musique… Le seul genre de musique sur laquelle  elle se sent capable, grâce à sa rythmique, de danser et de chanter lui paraît être le calypso. Elle sera présentée sous le nom de Miss Calypso.

             Le Purple Onion peut accueillir deux cents personnes. Elle parviendra à faire salle comble durant des mois… Nous devrions arrêter notre rapide résumé ici, car ensuite sa carrière se diversifie. On lui propose un rôle à New York dans une pièce de Truman Capote. Elle est acceptée mais elle refusera car elle est retenue pour la tournée européenne de Porgy and Bess l’opéra de George Gershwin (créé en 1935), la deuxième moitié du livre est consacrée à cette aventure intercontinentale, lecture passionnante pour tous ceux qui s’intéressent à la Musique américaine.

             La tournée s’achève, elle rompt son contrat avant les dernières représentations alertée par une lettre familiale : son fils âgé de neuf ans est gravement malade. Elle accourt à son chevet, maladie psychologique due à l’absence de sa mère. Elle lui promet de l’emmener partout avec lui. Le livre s’achève sur un contrat (très bien payé) qui spécifie un hébergement pour elle et son fils  à Hawaï. A croire que Maya Angelou est une vedette.

             Maya Angelou, est un véritable écrivain. Son récit est captivant. Peut-être en rajoute-t-elle un peu et en retranche-t-elle beaucoup… Mais en littérature tous les coups sont permis. Il suffit qu’ils soient exécutés avec style.

             Plus tard dans son existence elle partira en Afrique à la recherche des racines noires des noirs américains. Elle en reviendra dépitée mais convaincue que  la problématique du peuple noir des Etats-Unis ne pourra être surmontée que par le peuple noir d’Amérique, qui n’a plus trop rien à voir avec la situation des peuples noirs africains…

    MISS CALYPSO

    MAYA ANGELOU

    (Liberty  / 1956)

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             Soyons précis : Maya Angelou n’a-t-elle enregistré qu’un seul disque ? Oui et non. Parce qu’il existe une dizaine d’albums dans lesquels Maya Angelou lit ses poèmes. Elle est reconnue comme une des plus grandes poétesses d’Amérique.

              C’est vraisemblablement dans le tome suivant Chanter, swinguer, faire la bringue comme à Noël  qu’elle parle de l’enregistrement de son disque. Toujours est-il que la plupart des titres qu’elle cite lors de ces prestations au Purple Onion correspondent aux morceaux enregistrés sur cet album. Miss Calypso s’inscrit dans la lignée d’Harry Belafonte (né en 1927) surnommé King of Calypso qui sortit son album Calypso en 1956…

             La ressemblance des couvertures du livre et du disque est flagrante, celle du bouquin très classe, l’originale offre un décolleté davantage échancré…

    Maya Angelou : chant  / Al Bello : congas, bongos, drums / Johnny Tedesco : guitar.

    Run Joe : orchestration minimale, en comparant avec l’originale de Louis Jordan vous conviendrez que ce dépouillement permet surtout de mettre en valeur la voix de Maya Angelou mais avant tout de gommer l’aspect burlesque du morceau, certes ce n’est pas un drame shakespearien non plus, mais le vocal nous donne une sensation d’urgence inexistante chez son créateur. Oo-Dla-Ba-Doo : original de Maya, l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même, juste l’envie de dire n’importe quoi, avec des percus derrière qui vous drossent le feu au cul. Scandal in the family : depuis

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    ( Toutes les photos tirées du film Calypso Heat Wawe (1957)

     dans lequel nous retrouvons Maya Angelou)

    l’adaptation française de Sacha Distel l’on ne saurait écouter avec sérieux ce scandale familial. L’original est d’Harry Belafonte. Mambo in the Africa : encore une fois gymnastique vocale, guitare téléguidée en sourdine, et la percu qui percute en douceur, le refrain est expédié sans frein. Since My Man Done Gone and Went : surprenant ça ressemble à un véritable morceau avec un début, un milieu une fin, y a même une intro mémorable (mais pas immémoriale) et un petit pont de guitare-jazzy, Maya  semble nous dire que la chanson n’est pas un simple assemblage syllabique, qu’elle aurait même peut-être un sens. Polymon Bongo : bongo partout, la musique polymorphe est faite pour remuer son arrière-train sur le polygone de tir, un bongo à vous rendre mongolo. Peut-être même bongolo. Neighbour, Neighbour :

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    un soupçon d’espagnolade caribéenne, très belafontien dans l’esprit, un voisin un peu trop entreprenant, rien de plus pour tenir la chandelle du vocal, les papillons de nuit s’y brûleront les ailes. Donkey City : non, ah non, Maya n’anone pas les syllabes, elle chantonne, elle ne tronçonne pas, elle ne hache pas, elle suit une ligne mélodique, à tel point que le morceau atteint presque les trois minutes, les percus filent doux, de la guitare s’échappent en douce quelques trilles de notes. Stone Cold Dead in the Market : attention à la concurrence sur l’original vous avez le combo de Louis Jordan mais celle qui partage le vocal n’est pas n’importe qui, Ella la diva Fitzgerald en personne, l’est vrai que cette dernière, pardon cette première, se met au niveau de Jordan, et non Louis à la hauteur d’Ella, la voix tranchante de Maya surplombe

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    l’original, l’est sûr qu’elle vient de tuer son mari ce qui lui donne du peps. Calypso Blues : de tous les titres précédents c’est le meilleur, emprunté à Nat King Cole, oui mais là où le roi Cole vous colle une chansonnette gentillette (écoutez en contre- exemple Havana Moon de Chuck Berry) Maya abandonne le calypso pour vous faire entendre le blues. Tamo : de quoi qu’elle cause on s’en fout, il y a ce mot Tamo qu’elle prononce de haut gosier, toute la force sur la première syllabe, toute l’énergie sur la seconde, vous n’entendez que lui, vous n’attendez que lui, elle aurait dû bannir tous les autres. Peas and Recel : Maya n’a peur de rien, encore une fois elle se confronte à Ella, qui nous concocte recette de cuisine à la sud-américaine avec trompettes bien embouchées. Celle de Maya est comme épurée, elle lâche ses mots à la manière de petits pois qui rebondissent dans la casserole, je ne prends pas de risque, pas match nul, mais match plein entre nos deux cuisinières au fourneau.

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    Down to Mexico (‘’Flo and Joe’’) : encore un truc volé à Nat King Cole, y’a pas photo, la guitare de Tesdesco enfonce le piano du brave Cole et la voix de Maya moins suave, davantage astringente mérite la palme. Push Ka Pee Shee Pe : Jordan possède sa fanfare, Angelou se contente de sa guitare jazz, Angelou n’a pas de de chœurs, sa voix lui suffit, elle est la trapéziste tournoyante dans les airs suspendue à quinze mètres du sol, Louis fait le clown au bas de la piste pour faire rire les enfants avec ses grosses chaussures rouges rutilantes comme des camions de pompiers…

              Tout compte fait je préfère les morceaux courts du début, genre d’exercice de gymnastique aux barres asymétriques qui essaient de se donner l’air de grandes chansons, même qu’’ils s’avèrent très souvent supérieurs aux originaux. Cet album s’écoute avec plaisir, mais il n’apporte rien de bien novateur.

    Damie Chad.

     

     

    THE COMPLETE RECORDINGS (2)

    THE CORALS

    (Around The ShackRecords 2020)

    THE LAST BUT NOT THE LEAST

             En novembre 1985 les Corals se réunissent pour enregistrer leur deuxième trente-trois tours. Le disque ne verra pas le jour. Il ne porte aucun titre, celui que nous lui attribuons sort tout droit de notre maladive imagination. Les morceaux devaient être réenregistrés, bien que le terme ne soit employé qu’une fois dans le livret ce sont en quelque sorte des démos. De véritables témoignages d’une époque qui s’achève… L’appel du rockabilly sera le plus fort pour Hervé Loison.

    Pierre Picque : lead guitar / Hervé Loison : bass guitar / Michel Francomme : rhythm guitar / Hubert Letombe : drums.

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    Hobo Rock : un soupçon de shuffle, normal, les hoboes sont les vagabonds du rail passagers clandestins des trains qui leur permettaient de traverser à les USA à la recherche de boulots (introuvables) de saisonniers… Ce sont les temps de misère noire, de la Grande Dépression, des luttes menées par les IWW… tout un pan de l’histoire souterraine des Etats-Unis. Le morceau roule tout seul, calibré à la perfection, mais au vu du titre l’on s’attendrait à quelques déraillements. Tribute To The Diggers : historialement un bond de quarante ans, nous voici avec les Diggers d’Emmett Grogan (lire son livre Ringolevio qui rend compte de cette épopée sociale) organisation anarchisante qui multiplia  spectacles, distributions de nourriture, lieux d’échanges dans le but de venir en aide aux populations de jeunes hippies attirées à San Francisco par l’idée d’une vie différente… le morceau jouit de quelques ruptures salvatrices, mais il paraît  bien en deçà de l’esprit de révolte activiste des Diggers. Spanish Guitar : qui dit guitare pense à l’Espagne, une manière pour les Corals de quitter les précédentes évocations sociales pour les vertiges égotiques de l’art pour l’art. Entre nous soit dit la veine espagnole n’est pas vraiment marquée, mais le morceau est de toute beauté. Une réussite qui démontre à l’excès que le groupe maîtrise désormais parfaitement son sujet. Coral’s Theme : vous convaincront de la justesse de notre approbation avec ce morceau de présentation : vous offrent la quintessence de ce que doit être un instrumental : d’abord la résonnance des cordes qui se doit de ne jamais être démentie ne serait-ce que d’un quart de seconde, enfin la présence de la batterie, jamais de prépondérance de m’as-tu-vu, toujours cette délicatesse d’effraction de gentleman-cabrioleur sur son pur-sang. Surfin Days : ici le son équivaut à la beauté du geste du surfer qui chevauche une grosse lame le sourire aux lèvres, la guitare et l’écume, la batterie et le ressac. Quand vous écoutez vous ne pensez plus aux filles aux seins nus sur la plage. Frankeinstein Hop ! : après les jours d’innocence les hurlements des nuits de terreurs, de l’ambiance, de l’adrénaline, des frissons, après le rêve, le cauchemar, ils se sont beaucoup amusés, vous envoient des giclées d’épouvante, un véritable film, vous ne vous plaignez pas de l’absence d’images, la bande-son est amplement suffisante. The Bullfighter : notre taureau de combat trotte allègrement dans les plaines herbacées de la country, la bestiole n’éventre personne, mais prisonnière dans le coral elle donne une impression de force tranquille que vous n’avez nullement envie de déranger. De toutes les manières elle vaque à ses propres affaires, aux coups de reins qu’elle donne doit être en train de saillir un troupeau de longues horns. Twangy Guitar : hé ! dis ! passage obligatoire à la duane quand tu te veux instrumentiste, pas question de rester en deçà de la frontière de la ligne séparation qui sépare les gratteux d’occasion de ceux qui caracolent sur les hauts de gamme, se plient à l’exercice avec imagination, ça twangue un max, mais chacun glisse sa propre lettre à la poste, ne vous laissent pas avec le résonnateur à fond la caisse, l’éloignent de temps en temps de vos tympans pour qu’il revienne en lonely cowboy encore  plus fort. California Road : une route pleine d’inconnu, vous démarrez avec le cœur qui twangue à mort, mais par la suite y a des coups de freins à vomir votre quatre-heures et virages desserrés surprenants. Je ne sais pas ce qu’ils ont fumé mais font preuve d’une imagination peu commune pour un combo purement  instrumental. Space Dreams : encore un incontournable à dépasser, le Telstar des Tornados qui en 1962 imposèrent non pas un son venu de l’’espace mais de l’imagination créatrice de Joe Meek… vous pouvez rêver mais il semble que les Corals aient confondu l’espace interstellaire avec les grands espaces, américains certes, toutefois le morceau le moins novateur de l’album. Coral Power : une belle cavalcade menée par le tambour d’Hubert, bien enlevée mais brève comme un coup de tampon ou un fer brûlant apposé sur la cuisse d’un animal pour lui montrer qui est le maître. Un paraphe de signature pour ceux qui possèderaient une âme sensible. Normalement ce titre devait clôturer cet album. Mac Bouvrie  tenait à écarter deux morceaux qu’il jugeait trop rockabilly. Dans leur infinie mansuétude, les Corals les ont rajoutés pour notre plus grand bonheur. Crazy House Bop : c’est vrai que ce Bop sent un peu trop Gene Vincent et vous avez des effulgences de guitare qui semblent sortir tout droit de Buddy Holly, des cris en sourdine inspirés de Dickie Harrell, et un rythme échevelé qui laisse à penser que nos instrumentistes regardent un peu ailleurs… Superbop ! Hot Foot Boogie : traversent leur boogie à trop grand pas pour être honnêtes. Le morceau dépasse à peine les deux minutes, le dernier tiers est un peu redondant. Peut-être n’ont-ils pas osé passer le Rubicon du rockabilly. Ne vous inquiétez pas, cela viendra bien vite. L’Histoire des Corals s’arrête-là.  

             C’est en octobre 2020 que les Corals se reforment à l’occasion de la mise en piste de ce Complete Recordings. Deux titres seront enregistrés.

    Fantastic Mac : morceau dédié à Mac Bouvrie disparu en 2014, d’autant plus hommagial que la plupart des enregistrements de son label sont malheureusement perdus. Trente-cinq ans plus tard the Corals n’ont pas perdu le son original mais l’est vrai que l’on peut ressentir des bribes de sonorité des premiers Beatles qu’affectionnait Mac Bouvrie. The Corals Bow Out : le dernier feu d’artifice, un peu Shadows, les Apaches sont en embuscade, les Corals tirent leur révérence.

             Nous n’avons fait qu’écouter les disques, si vous pensez avec raison que c’est une manière trop désincarnée, procurez-vous le CD, le livret vous racontera toute l’histoire des Corals. Photos et documents d’époque mais surtout le récit de leurs apparitions publiques avec les rencontres marquantes comme celle de Cavan Grogan

             Notons qu’Hervé Loison n’est pas le seul membre du groupe à avoir continué dans la musique. Hubert Letombe qui possède son propre studio d’enregistrement a particulièrement veillé à la qualité sonore  de ce Complete Recordings.

             Cette démarche est particulièrement importante quand on sait que les enregistrements des premiers groupes français du début des années soixante ne sont guère accessibles en leur intégralité…

    Damie Chad.

     

    *

    Quand j’entends le nom de Wanda Jackson, je ne peux m’empêcher à Phil des Ghost Highway qui l’accompagnèrent sur scène lors de sa dernière tournée en France, et de sa voix émue lorsqu’il me raconta comment elle se confiait et se raccrochait à lui dans cet étrange pays qui est le nôtre…

    The Gene Vincent Files #7: Wanda Jackson talking about the early days of her career and Gene Vincent

    L’on n’attend plus que Wanda, son orchestre fin-prêt sur la scène, on l’annonce, on ne verra pas, mais la voici assise, elle répond aux questions qui sont omises sur la bande-son, pour une américaine elle possède une voix très compréhensible, elle parle sans ostentation, on sent qu’elle a envie d’exprimer clairement ce qu’elle veut nous transmettre.

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    Le rock’n’roll a tout bouleversé. Nous les artistes, avions toujours enregistré des chansons avec l’intention de les vendre aux adultes. Mais à partir de 1955 ou 1954 le cirque a commencé.  Nous avons dû alors  évoluer et commencer à faire des chansons pour les adolescents et les jeunes. Car quand Elvis est arrivé sur scène, ce sont les jeunes filles qui achetaient les disques. Nous avons donc dû suivre le mouvement. C’était une période frénétique et confuse. Les artistes ne savaient pas quoi enregistrer. Nous cherchions à nous adapter. J’étais jeune à l’époque aussi. Tout ce que je sais c’est que c’était si frais et si nouveau. Ces chansons parlaient ou traitaient dans leur contenu de choses auxquelles un teenager devait se confronter. Les choses qui nous préoccupaient, les rendez-vous, les balades en décapotables, tout ce genre de choses, aller au bal de promo, et ainsi nous pouvions nous identifier à ce genre de chanteurs country appelés hillbilly, aucun d’entre nous n’aimait ce terme, mais c’est

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     comme cela qu’on les nommait. Mais quand Elvis jouait de la guitare et faisait ce nouveau style de truc, rien d’autre que du rock’n’roll, on a commencé à comprendre. Donc si vous jouiez de la guitare et chantiez ces chansons, vous étiez rockabilly. Il n’y avait probablement pas une très grande différence entre les morceaux, peut-être juste l’artiste qui les interprétait au début. Puis, bien sûr cela a évolué vers les années 60, les sons de la Motown, dans les groupes  ça a commencé à changer avec des concerts comme le Big D Jamboree à Dallas, puis il y a eu le Louisiana Hayride en Louisiane, le Town Hall Party en Californie, ces spectacles sont encore parmi les plus populaires aujourd’hui. Si vous pouvez mettre la main sur les vidéos, vous adorerez. Ce n’était pas difficile de jouer là-bas parce que j’étais un artiste country et la plupart d’entre nous l’étaient. C’étaient toujours du pur country. J’ajouterais simplement que je chantais Hard Headed Woman ou Let’s have a party. Rockabilly et Country sont comme des cousins germains, on peut difficilement avoir l’un sans l’autre, donc ils se mélangent très bien et je ne crois pas qu’aucun de nous ait eu des problèmes. Elvis Presley et moi avons eu des problèmes avec la grande vieille tradition qui était presque morte dans la région du coton et qui était très différente de ce que nous faisions et donc ce n’était pas une bonne expérience pour aucun de nous au début. J’ai signé avec Decca Records au bout de deux ans. J’étais encore au lycée mais je travaillais beaucoup avec Hank Thompson, je le considérais comme mon idole, il est devenu mon mentor, il était sur Capitol Records, donc pour moi Capitol Records était le plus grand label du monde et donc après que mon contrat

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    avec Decca a expiré j’ai signé, Hank m’a beaucoup aidé à obtenir un contrat, avec Capitol Records, c’était comme la réalisation d’une une utopie. En ce qui concerne les enregistrements de Capitol Records, j’ai enregistré sur la côte Ouest dans la fameuse Tower, puis à Nashville aussi. Du mieux que je m’en souvienne j’étais alors en tournée dans l’Ouest, j’avais besoin d’enregistrer, nous les artistes enregistrions beaucoup à l’époque, parce que nous devions produire  quatre singles et deux albums par an. En fait j’enregistrais à l’endroit où je me trouvais, on n’hésitait pas parce que les studios étaient  aussi bons l’un que l’autre.   Dans les années soixante on a commencé à utiliser davantage Nashville, je l’ai fait parce que le son de Nashville  était davantage apprécié par le public. Toutefois j’enregistrais quand même sur la côte, pour moi c’était un peu égal, mais Ken Nelson doit être le gars le plus gentil du monde, je veux dire qu’à travailler avec lui il pouvait vous apporter tellement ! Je peux dire que tout ce que j’ai appris sur l’enregistrement je l’ai appris de Ken, un grand producteur, je pense que ce que j’aime tant chez Ken, c’est que si je voulais faire une certaine chanson ou un certain type de matériel et qu’il ne comprenait pas pourquoi, il me permettait de le faire, il me disait ‘’si c’est ce que tu veux on va essayer’’, je ne pense pas que beaucoup de producteurs  soient capables d’agir ainsi, non je ne le pense pas. Je me souviens de la première fois où j’ai rencontré Gene Vincent, on était à une convention de disk jockeys, un très gros évènement à Nashville une fois par an, c’était le début de CMA, on l’a appelé ainsi plus tard, c’était une convention de DJ de tout le pays qui venaient rencontrer les artistes pour obtenir leurs disques et tout le reste, on a joué. Donc Capitol Records ainsi que toutes les autres maisons de disques avaient leur stand, toutes les portes étaient ouvertes, on pouvait juste aller et venir, ils offraient des boissons ou peut-être de l’eau, et on pouvait faire des photos. Donc Gene Vincent et moi nous nous sommes retrouvés au stand Capitol, on s’est rencontrés là pour la première fois, il était déjà

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    une grande star et je pense qu’on a fait une photo  je crois celle-ci (qu’elle montre du doigt derrière elle) mais je n’ai jamais eu l’occasion de travailler avec Gene, je suis désolée de ne pas l’avoir fait, mais c’est ainsi, je pense qu’il était comme tout le monde, nous étions de vrais gamins, nous nous amusions comme des fous, on faisait ce qu’on aimait et on devenait  célèbres et populaires, c’était tellement excitant, il était très sympathique, c’était agréable de lui parler, je me souviens, oui je me souviens, tu sais parfois, je ne sais pas comment les histoires commencent, c’est au

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     sujet de Let’s have a party, un mot là-dessus, je suppose que le son rappelait aux gens le groupe de Gene Vincent, les Blue Caps, je ne sais pas pourquoi exactement, tout d’un coup, j’entendais et je lisais des articles selon lesquels j’avais enregistré avec les Blue Caps, mais non c’était avec mon groupe et quelques musiciens de studio, au Capitol Tower que j’ai enregistré, ce n’était pas les Blue Caps. Oui, quand je pense à Gene Vincent je ne peux m’empêcher de penser à la première fois que j’ai fait une tournée en France. Nous avons vu les publications du journal et ils annonçaient que l’ouragan Wanda frapperait la côte ouest de la France pour ma tournée. Par la suite ils me surnommaient ‘’la Gene Vincent féminine’’ dans tous les articles qui me concernaient.  Je me demandais pourquoi. Je n’aurais jamais accepté d’être appelée l’Elvis Presley au féminin, ou quelque chose comme ça. Et voilà c’était imprimé. Mais ensuite j’ai compris grâce aux fans et aux gens avec qui j’ai travaillé. Ils répétaient que c’était le plus grand compliment que l’on puisse recevoir. J’ai dit comment se fait-il que les Français ne se soucient même pas d’Elvis. ni de Little Richard, ni de Chuck Berry ? Pour eux c’est Gene Vincent, donc être comparé à lui était le plus grand compliment qu’ils pouvaient vous faire . Que pensez-vous du fait, que les Européens, je pense que c’est bien connu, ne varient pas très facilement dans leurs habitudes, en tout cas  certainement pas aussi vite que les Américains. Nous, nous sommes tous toujours à la recherche de la prochaine grande nouveauté comme on dit, mais en Europe, ils chérissent ces, comment dire plus les gens sont vieux, plus les bâtiments sont vieux, plus les voitures sont de vieux modèles, ils continuent à aimer encore et encore, ils entretiennent ces vieux bâtiments de 700 ans et tout le reste, nous avons séjourné, dans des hôtels de cent ans toujours entretenus, au moins la structure, donc ils ne sont pas tellement si prompts à laisser partir quelque chose s’ils l’aiment, donc c’est une aubaine pour les artistes de cette époque comme moi parce qu’il n’en reste pas beaucoup, mais ils estiment vraiment ceux qui sont encore là et qui travaillent toujours, Jerry et moi et Sleepy Labeef, et beaucoup d’entre eux

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    parcourent les festivals. Oui quand nous avons appris que Gene Vincent était mort, je me souviens avoir pensé que c’était impossible, c’était que seulement à 35 - 36 ans il ne pouvait pas, ça devait être une erreur, et c’était assez dévastateur, parce que nous avions tous à peu près le même âge, et nous pensions qui si cela pouvait arriver, ça pouvait arriver à n’importe lequel d’entre nous, ce qui d’ailleurs est arrivé à certains, mais ce fut une grande perte pour l’industrie de la musique c’est sûr, cependant il a laissé beaucoup de bons souvenirs à beaucoup de gens et nous a laissé toute cette bonne musique qu’il a faite. 

    Damie Chad.

    Hank Thompson (1925 –2007) chanteur de country, bien qu’il fût admirateur du Western Swing de Bob Wills, il en proposa tout le long de sa carrière (quelques jours avant sa mort il était encore sur scène) une version un peu moins abrupte. Le rock’n’roll doit beaucoup au Western Swing.

    CMA = Country Music Assocciation, aujourd’hui nommé : CMA FEST, festival de musique country.

    Sleepy Labeef (1935 – 2019), chanteur de country et de rock’n’roll, tombé pratiquement dans l’oubli, le rachat des disques Sun par Shelby Singleton lui permit de revenir et de participer plus tard au renouveau du rockabilly.

    Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 700 : KR'TNT ! 700 : HOLLYWOOD BRATS / GLIMMER / HOOVERIII / TERRY REID / COATHANGERS / HOT CHICKENS / THE CORALS / MICHEL LANCELOT / GENE VINCENT+ JOHNNY MEEKS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 700

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 08 / 2025

     

     

    HOLLYWOOD BRATS / GLIMMER

    HOOVERIII / TERRY REID / COATHANGERS

    HOT CHICKENS / THE CORALS 

     MICHEL LANCELOT   

    GENE VINCENT + JOHNNY MEECKS

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 700

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/ 

    Wizards & True Stars

    Wizards & True Stars

    - Hollywood Boulevard

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             Le 1er juin dernier, Andrew Matheson a cassé sa pipe en bois. C’est un nom qui parle à pas grand monde, sauf aux fans des Hollywood Brats. C’est grâce à Lo’Spider, dans l’After Chez Eddy (sur Canal Sud) qu’on a appris la triste nouvelle, en juillet dernier. Pour rendre un dernier hommage à Andrew Matheson avant que l’oubli ne l’avale tout à fait, nous allons ressortir du bocal de formol un texte jadis confié aux bons soins de Gildas (Hello darkness, my old friend) et publié dans Dig It!.

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             Allez ! Tiens, on va dire que l’histoire des Hollywood Brats que raconte Andrew Matheson dans Sick On You est le meilleur rock book de l’histoire des rock books. Meilleur que The Dark Stuff de Nick Kent ? Meilleur que le Gene Vincent de Mick Farren, que l’All The Rage de Ian McLagan, que Stoned et 2Stoned d’Andrew Loog Oldham ? Meilleur que l’Hellfire de Nick Tosches, que No Irish No Blacks No Dogs de John Lydon ? Et on pourrait encore en citer d’autres comme ceux-là, tiens, par exemple les classiques de Mick Wall ou encore ceux de Carole Clerk, et pire encore, toutes les bios de David Ritz. Pourquoi meilleur ? Un, parce que ce livre n’a aucune chance (trop underground) et deux, parce qu’il est écrit par un mec qui est non seulement brillant et drôle, mais qui est aussi un vrai punk, du genre de ceux qu’on aurait adoré fréquenter. Mais attention, on ne parle pas ici des punks du dimanche après-midi : Matheson portait en 1974 les cheveux longs, du rouge à lèvres, du mascara, des fringues de fille et un brassard nazi. Comme Lemmy et Ron Asheton, Matheson adorait choquer le bourgeois. Ron Asheton avait même trouvé un nom pour ça : confrontation tactics.

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             Pour des raisons qu’Andrew Matheson explique très bien dans son recueil de souvenirs, les Hollywood Brats sont passés complètement à la trappe, alors qu’ils auraient dû devenir énormes, au moins en Angleterre. On avait repéré leur nom dans ces rares articles du NME qui évoquaient le fameux proto-punk britannique, et dont les figures de proue étaient bien sûr les Social Deviants de Mick Farren, l’Edgar Broughton Band, les Pink Fairies et les Pretty Things, mais aussi d’autres personnalités moins connues comme Terry Stamp & Mick Avery (Third World War), Jesse Hector (Helter Skelter et Crushed Butler, à cette époque) et les Hollywood Brats dont le mystérieux album paru en 1975 en Norvège demeura inaccessible, jusqu’à sa réédition sur CD dans les années 90. Et là, on comprit immédiatement les raisons du buzz. Cet album intitulé Sick On You est une pure merveille de ramalama, l’un des meilleurs albums de rock jamais enregistrés en Angleterre, tous mots bien pesés.

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    Casino Steel

             Les seuls qui surent détecter l’énorme potentiel des Brats furent Ken Mewis et son ancien patron chez Immediate, Andrew Loog Oldham. Mais ni l’un ni l’autre ne réussirent à décrocher un contrat discographique pour les Brats en Angleterre. Les gens des maisons de disques jugeaient les Brats trop vulgaires - Sick On You - et trop agressifs. Casino Steel qui était d’origine norvégienne et qui jouait des claviers dans les Brats réussit l’exploit de convaincre un mec de Mercury en Norvège, mais il n’y eut aucune promotion et l’album des Brats disparut sans laisser de traces.

             Andrew Matheson ne vivait que pour ça : jouer dans un groupe, enregistrer des disques et vivre de sa musique. Il était tellement convaincu de la grandeur des Brats que l’échec du groupe faillit bien le ratatiner. Il consacre 300 pages à cette histoire fabuleuse qui ne dura que quatre ans : de 1971 à 1974.

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             Cette histoire des Brats est avant tout celle d’une amitié entre deux kids de 20 ans, Andrew débarqué à Londres avec sa guitare pour devenir rock star, et Casino Steel, qu’Andrew appelle son blood brother - a one-off, a classic, the real thing - Ils composent ensemble tous les cuts qu’on retrouve sur leur album, et fonctionnent par télépathie. Quand par exemple un impresario véreux fait glisser sur la table une enveloppe contenant 2000 livres, Andrew la repousse en disant que les Hollywood Brats valent mieux que ça. Il sait d’instinct que Casino assis à côté de lui est d’accord. C’est d’autant plus héroïque qu’une partie des Brats, c’est-à-dire Andrew, le batteur Lou Sparks et le guitariste Brady, vivent dans des taudis et des squats, sans un rond. Pour manger, ils doivent voler, et pour fumer, Lou Sparks ramasse les mégots. Pas un rond. Ceux qui ont vécu ça savent très bien ce que ça veut dire. Avant d’être l’histoire d’un groupe, celle des Brats est aussi une épouvantable histoire de misère noire, de rats et de morbacks, ils se font pas mal d’ennemis dans des pubs et doivent souvent la vie à leurs jambes. Andrew raconte les matins où ils se réveillent frigorifiés, les sachets de thé plusieurs fois ré-utilisés, les crampes à l’estomac quand il est vide et les raids éclairs dans les petits commerces du quartier pour piquer de quoi calmer la faim. Mais l’avantage de vivre dans un squat, c’est qu’on peut y répéter tous les jours. Et les Brats répètent ! Ils savent qu’ils sont bons. Ils ont cette énergie que donne l’arrogance quand elle relève de l’évidence. Johnny Thunders et les Dolls fonctionnaient exactement de la même façon. Tiens, puisqu’on parle des Dolls... Un jour, Casino passe à Andrew un numéro du NME ouvert sur une page précise. Oh no ! Un article sur un nouveau groupe américain qui s’appelle les New York Dolls. On est en 1972. Andrew stupéfait découvre que les Dolls font exactement la même chose que les Brats ! Pire encore, ils donnent pas mal de concerts et ont déjà un contrat chez Mercury ! Et pire encore, ils arrivent en Angleterre ! - My stomach sinks into my boots - Andrew sent l’estomac lui tomber dans les godasses. Un peu plus loin dans le livre, Andrew revient sur les Dolls, au moment de la parution du premier album, en 1973. Les Brats se rassemblent pour examiner la pochette. Ils se fendent la gueule. Ils trouvent que les Dolls ont l’air parfaitement ridicules - They just look plain ridiculous - alors que sur les autres photos, ils avaient plutôt fière allure. Dans son langage extrêmement imagé et musical, Andrew dit qu’ils ont l’air de se retrouver de la neuvième à la treizième place du Hottest Transsexual Contest d’Amérique. Il insiste en expliquant que le chanteur qui ressemblait au début à Jagger ressemble maintenant à la vieille tante de Jagger installée à Palm Springs, et qu’il a eu une permanente - He’s got a perm, a perm, for Christ’s sake - Non, ce n’est pas possible ! Puis les Brats écoutent l’album, avec un mauvais a-priori, car ils n’aiment pas Rundgren. Le verdict tombe sans appel : bon groupe, chansons faibles, production merdique - Good band, weak songs, horrible production - Voilà les Brats dans tout l’éclat de leur splendeur.  

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             Matheson ne fait de cadeaux à personne dans ce livre. Il a le courage de ses opinions plutôt tranchées, et c’est réellement cohérent avec le son du groupe : carré et brillant. Il salue Slade dont il entend «Get Down And Get Down With It» dans une boîte qui s’appelle le New Penny - The best thing I’ve heard for months - Il démolit Alice Cooper qui en 1972 fait sensation - Ils peuvent rocker, mais il y a toujours un côté comédie. C’est parfois drôle. Voilà le problème - Et il ajoute : They drink Budweiser, for Christ’s sake ! - Il salue aussi Michael Des Barres et Silverhead qu’il voit sur scène. Au premier abord, il trouve le petit marquis excellent - Des Barres is the real thing in terms of a front man - mais ça se gâte dès le deuxième cut, car Des Barres transpire abondamment et ruine sa coiffure. Le verdict tombe sans appel : un chanteur pas mauvais mais qui transpire, un groupe ordinaire et des chansons pourries - A not bad, if sweaty, front man, an ordinary band and naff songs. Dreck - Dreck, c’est le bruit du marteau. Quand il rencontre Tony McPhee dans le bureau de Ken Mewis, il remarque une grosse veine qui descend de son never-ending front et donc il le rebaptise Tony McVein. Et quand il voit une photo d’Ozzy Osbourne portant sa veste blanche à franges, il ricane et annonce que le chubby Sabbath singer a l’air de porter ce que Martha ou une autre Vandella mettrait pour aller dîner au Kentucky Fried Chicken

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             Mais le plus drôle est à venir. En 1974, the Hollywood Brats are dead, écrit Andrew, c’est la fin des haricots, la mort de tous ses rêves. Lou Sparks et Brady ont déjà quitté le groupe. Il ne reste plus qu’Andrew et Casino. Un jour deux mecs viennent taper à la porte du squat. Casino descend et leur dit de dégager vite fait. Les deux mecs reviennent le lendemain, et ils insistent. Toc toc toc ! Casino passe la tête par la fenêtre pour leur redire de dégager, mais les deux sangsues brandissent un petit écriteau où est écrit : PLEASE ? Andrew dit à Casino de les faire monter. Ils arrivent déguisés en Hollywood Brats, avec des cheveux longs, du rouge à lèvres, du vernis sur les ongles, du mascara, des bijoux et des foulards. Ils se présentent : Mick Jones et Tony James et ils expliquent qu’un certain Malcolm McLaren veut manager les Hollywood Brats. McLaren... Ce nom rappelle quelque chose à Andrew... Ah oui, le mec qui a managé des New York Dolls assez mal en point et qui les a conduits droit au cercueil. Ah oui, ce mec qui, avec l’aide de l’horrible Vivisect Westwood a réussi l’exploit de transformer les Dolls en Muppet Show. Andrew n’en revient pas. Il demande qu’on le réveille quand c’est fini - Wake me shake me when it’s over - Mais par curiosité, Andrew et Casino décident d’aller voir ce McLaren. Ils passent leurs brassards nazis et débarquent à Demnark Street pour rencontrer le schpountz. Ils entrent et tombent d’abord sur quatre gamins aux allures d’apprentis comptables, assis dans un canapé et dont les yeux s’exorbitent à l’apparition des deux Brats maquillés en brassards. Les quatre arpètes sont les futurs Pistols. Et puis Mick Jones commet l’irréparable. Il ramasse une guitare et lance à Andrew : «Let’s jam man !» Casino et Andrew font déjà demi-tour pour se tirer vite fait quand arrive dans l’escalier un autre asticot : il a le look exact d’une caricature de savant fou, des yeux globuleux et des cheveux rouges bouclés (les cheveux dont personne de voudrait, précise l’impitoyable Andrew). C’est McLaren ! Le stroumpf  leur dit de venir - Come come ! - Eye contact minimal and a handshake like an half-opend tin of sardines - Pas le moindre contact visuel et une poignée de main comme une boîte de sardines à moitié ouverte. C’est mal parti ! Malcolm leur annonce qu’il va aller droit au but : il veut manager les Hollywood Brats. Andrew répond que ça pue dans la pièce. Surpris, McLaren fait : Oh is it ? Et il se lève pour aller ouvrir la fenêtre.

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    Vivisect Westwood

             Andrew et Casino reverront McLaren dans un pub. Cette fois, il est accompagné par sa compagne qu’Andrew surnomme Vivisect Westwood. Et là, l’impitoyable Andrew nous brosse un portrait atrocement drôle de cette femme : «Elle était pâle comme un cadavre et portait un truc en soie orange sur lequel avait dû passer plusieurs fois une tondeuse à gazon. Installée au sommet de sa coiffure se trouvait une toque décorée sur le devant d’une moustiquaire. Elle avait cet air renfrogné qu’ont les gens condamnés à bouffer des chardons jusqu’à la fin de leurs jours. Elle attrapa le crayon bleu qu’elle avait sur l’oreille et d’un air ennuyé, elle se mit à dessiner des robes sur la nappe. Malcolm m’expliqua en regardant à un mètre au-dessus de ma tête que ses honoraires allaient nous coûter cher car il fallait financer les fringues que Vivisect allait designer pour nous. Je lui répondis que je préférais mes fringues, alors Vivisect renifla bruyamment et tourna la tête pour exprimer clairement son dégoût. Paniqué, Malcolm l’implora : Dis-leur ce que tu m’as dit ! Soupirant bruyamment avec l’air de dire que chaque mot qu’elle allait m’adresser était pour elle une colossale perte de temps (ce qui en fait était vrai), elle expliqua que l’avenir de la mode appartenait aux T-shirts et que si on acceptait le programme, on pourrait avoir tous les T-shirts qu’on voulait. Et McLaren ajouta : Ouais, boys, les T-shirts et Sick On You ! C’est l’avenir, boys ! Nous vidâmes nos verres et partîmes avant qu’elle ne nous poignarde d’un coup d’épingle à cheveux.»

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    London SS

             En fait, ce qu’Andrew raconte en 1974, c’est la formation des fameux London SS. Mick Jones et Tony James reviendront chercher Andrew et Casino pour les emmener dans un endroit à Maida Vale où répète déjà l’embryon de cette scène punk : un Norvégien nommé Geir Waade, batterie, Mick Jones, guitare, Tony James, basse, et un certain Matt Dangerfield, guitare (qu’on retrouvera un peu plus tard avec Casino dans les Boys). Ils veulent absolument jouer avec Andrew et Casino. Andrew acceptera de faire un bout d’essai et ne sera un London SS que l’espace de quatorze minutes, le temps de massacrer le «Bad Boy» de Larry Williams : «Ce n’était pas un groupe, mais une insulte aux instruments». Andrew ajoute que le bassiste et le batteur semblaient se haïr et Mick Jones croyait savoir jouer dans l’illusion du volume, mais il jouait comme s’il avait des jambons à la place des doigts. Perfide, Andrew ajoute qu’en fait, il n’avait pas tort de jouer comme ça puisqu’il allait réussir à en faire un fonds de commerce - It was that bad - that hopeless - C’était sans espoir. Andrew Matheson avait une idée tellement haute et pure du rock qu’il ne supportait pas la médiocrité. Il termine l’épisode Mick Jones dans le chapitre de fin qui s’intitule «Que sont-ils devenus ?» : «Il forma les Clash et eut un gros succès commercial, à l’apogée duquel il stupéfia les fans et les critiques en enregistrant cette hilarante comédie qui s’appelle Sandinista. Dans les années quatre-vingt, Mick continua de défrayer la chronique et devenant parfaitement chauve.»

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             Mais ce qui fait le charme toxique de ce livre, ce sont les épisodes franchement hilarants et certains méritent qu’on s’y attarde. Par exemple, lors d’une répète, le guitariste Brady s’électrocute en jouant : «Il y a un gros bang, un éclair et on voit le guitariste décoller du sol puis aller s’écraser contre le mur de briques. Il gît sur le sol, tout tremblant, le visage rouge comme une tomate, les bras blancs et ses doigts encore plus noirs que d’habitude. La Gibson Firebird est en flammes, avec des flammes d’un mètre de haut. Nous explosons tous de rire. On se tortille, en le montrant du doigt et en se tapant dans le dos. Littéralement vidés par cette crise de fou-rire, on finit par se calmer et on se penche sur Brady pour voir s’il respire encore. Pauvre Brady ! Il lui faut un temps fou pour réaliser la chance qu’il a d’avoir pu nous offrir un spectacle aussi tordant - This hilarious slice of entertainment - Il passera la nuit à l’hosto et ses cheveux ne seront plus jamais pareils qu’avant. Il a eu plus de chance que Les Harvey de Stone the Crows. Ce poor fucker a grillé vif sur scène, il y a de cela deux ans.»

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    Leslie Harvey

             Un peu plus tard dans le récit des aventures des Brats, Andrew nous raconte que pour rompre la monotonie de leur vie de squatters, ils décident de louer un bateau pour naviguer sur un canal. Ils embarquent tous les cinq. Une demi-heure plus tard, ils sont tous soûls comme des Polonais - all of us are blind drunk - Et encore une demi-heure après, Casino passe par dessus bord. Plouf ! Alors c’est à nouveau l’hilarité générale. Andrew : «C’est un fait scientifiquement avéré, il est impossible de sortir de l’eau un Norvégien tout habillé et qui panique quand on est pris de fou-rire. On essaie chacun notre tour de l’aider à sortir de l’eau, et on allait vraiment abandonner, histoire de satisfaire le souhait de Casino qui (comme dans les Dolls) voulait un mort dans le groupe. Mais d’un sursaut désespéré, il réussit à se hisser sur le pont et comme un gros thon à l’agonie, il cherchait à retrouver sa respiration.»

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    The Kray Twins ( de sinistre mémoire)

             On atteint des sommets lorsqu’Andrew et Casino sont conviés dans les bureaux de Worldwide Artists, l’agence dont ils dépendent contractuellement, et pour laquelle travaille Ken Mewis, leur manager. Andrew et Casino commencent par découvrir que Worldwide est une agence artistique qui gère des carrières, et non une maison de disques. Et ils ne sont pas au bout de leurs surprises, car ils découvrent ensuite que l’agence est affiliée à la mafia londonienne et aux Kray twins qui, même s’ils sont au placard de sa gracieuse majesté, n’en continuent pas moins de tirer leurs ficelles. Les autres artistes signés par Worldwide sont assez connus : les Groundhogs, Black Sabbath et Stray. Dans la hiérarchie de Worldwide, Ken Mewis dépend d’un truand nommé Wilf Pine, un dur aux mains tatouées : les mots Love et Hate, comme Robert Mitchum. Wilf explique aux deux Brats qu’il faut un single pour négocier avec les maisons de disques - Why can’t you write a fucking single, eh ? - Andrew répond que «Sick On You» est le single parfait. Wilf s’énerve : Cette chanson est dégoûtante ! Joue pas au con avec moi, Andrew, ou je vais t’arracher les tripes. Cette chanson est fucking obscène ! Andrew laisse passer l’orage et répond tranquillement que «Sick On You» est la meilleure chanson des Brats, puis il ajoute que de toute façon, les Brats ne font pas de singles, que c’est même un anathème que de faire des singles. Ana what ? rétorque Wilf qui devient rouge comme une tomate. Ana fucking what ? Et là il se met en pétard pour de bon, fuck you et fuck tes fucking words, espèce de petite merde - you little poofter shite - On veut vous envoyer à Top Of The Pops et il nous faut le single dans deux semaines, t’as compris, branleur ? Et bien sûr Andrew lui répond que les Brats détestent Top Of The Pops. À ce moment névralgique de la conversation, Casino ajoute : We’re like Pan’s People ! Ce que confirme Andrew en ajoutant : True ! Et là, ils voient une grosse veine apparaître sur la figure de Wilf, qui leur rappelle celle de Tony McVein. 

             Pendant un temps, Andrew crut qu’il allait finir avec une balle dans la tête. D’ailleurs, à la fin de ce livre tordant, il remercie Wilf Pine de ne pas l’avoir fait descendre.

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             D’autres épisodes tout aussi hilarants guettent le lecteur imprudent, comme cette cocktail-party chez Cliff Richard, ou encore cette nuit passée au poste après avoir été embarqué par les poulets. Andrew est sous acide et sa tête dodeline. Le flicard lui demande de vider ses poches, portefeuille, clés, the lot. Andrew vide ses poches : une pièce de deux pence et un tube de rouge à lèvres. C’est tout ce qu’il possède. Le flicard est sidéré, il examine les deux objets et ça dure plus de temps qu’il n’en faut. Au bout de ce temps interminable, il lève la tête et demande à Andrew : You cannot be fucking serious ? Andrew dodeline. En dodelinant, il comprend qu’il fait une énorme connerie, car le flic s’énerve, je te pose une question, branleur et tu dodelines ? Andrew s’excuse et dit que c’est tout ce qu’il a dans ses poches. Le flic se lève et s’approche de lui pour lui demander le nom de cette maladie qui le fait dodeliner comme un fucking bird. Andrew répond no no no, alors le flic lui demande pourquoi sa tête dodeline comme un nancy boy in a cubicle in Piccafuckingdilly Circus. Il s’énerve tout seul et Andrew voit arriver le moment où il va prendre des coups, alors qu’il est menotté dans le dos. Alors ce sadique de flicard lui dit : Tu ne vas pas du tout aimer ce qui va t’arriver... Andrew exulte ! Oui oui, monsieur l’officier, dites-moi donc pourquoi je ne serais pas content de me retrouver défoncé sous acide et menotté dans un commissariat à cinq heures du matin ! Par miracle, cet abruti de flicard se calme et se rassoit pour remplir le formulaire. «Je vais parler à voix haute et tu me dis si je me trompe. Premier objet. Nous avons là une pièce de deux pence, c’est exact ?» «Yes !» Puis il examine le tube de rouge à lèvres et d’une voix chargée de mépris, il dit : «Deuxième objet, un tube de lipstick ‘Cherry-Blaze Outdoor Girl, c’est exact ?» «Yes» répond Andrew, et cette ordure ajoute : «You disgust me !» Tout ce qu’Andrew trouve à dire, c’est yes ! C’est tellement bien écrit qu’on se croirait assis à côté, menotté au radiateur.

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             En fait, Andrew raconte qu’une nuit, Lou Sparks et lui ont forcé la serrure d’une épicerie pour voler quelques bouteilles de coca. On les a dénoncés, d’où l’arrestation à l’aube avec la violence policière habituelle et les chiens. Comme c’est un délit, ils doivent passer au tribunal et là, on assiste encore une fois à un épisode digne des Brats. Ils voient arriver dans la salle un juge perruqué qui affiche ostensiblement son dégoût. Andrew n’en revient pas de voir ce qu’il appelle the overkill at work : les témoins qui défilent au prétoire les enfoncent, le flic et puis le propriétaire de l’épicerie qu’il n’a jamais vu. Andrew se tourne vers Lou qui est aussi abasourdi que lui. Andrew demande aux flics qui sont derrière lui : pourquoi on n’a pas d’avocat ? L’un d’eux lui rétorque d’un air mauvais : Shut your fucking cakehole ! Le verdict tombe sans appel : une prune de 25 £ ou un mois au placard, au choix. Évidemment, ils n’ont pas les 25 £ et ne sont pas près de les avoir. Ils sont officiellement condamnés pour avoir privé le propriétaire de la jouissance de trois bouteilles de Coca-Cola - Permanently depriving the landlord of three bottles of Coca-Cola - Le lendemain, en se baladant dans le quartier, Andrew tombe sur la une d’un journal qui titre : Costly Coke, qui veut dire des Cokes qui coûtent cher. Le texte en dessous décrit dans le détail l’exploit hilarant de deux pauvres crétins qui ont au cœur de la nuit forcé la serrure d’un fish’n’chips fermé pour cause de faillite, à seule fin de voler trois bouteilles de Coca-Cola. Puis il tombe sur les noms des deux crétins.

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             Eh oui, la vie d’un groupe ne se résume pas aux disques et aux concerts. Avant d’être des légendes du proto-punk londonien, les Hollywood Brats multipliaient des exploits dignes des Pieds Nickelés, et c’est précisément ce qui les rend attachants. Ils sont tout ce qu’on aime dans le rock, des gros branleurs qui ne pensent qu’à déconner, mais dès qu’ils entrent dans un studio ou qu’ils montent sur scène, ils savent passer aux choses sérieuses. Pour en avoir le cœur net, il suffit simplement d’écouter leur album. Heureuse coïncidence, Cherry Red vient tout juste de le rééditer avec en prime un disque complet de bonus. 15 bonus des Hollywood Brats, croyez-moi, ça vaut tout l’or du monde. Dans cette foire à la saucisse, on tombe sur une version démentoïde d’«I Need You» des Kinks, montée sur une basse dévastatrice et chantée par ce dingue d’Andrew. Leur approche des Kinks est exactement la même que celle des Hammersmith Gorillas, ils tâtent de l’exaction parabolique. Comme le disait Keith Moon le soir de leur concert au Speakeasy : les Brats sont le meilleur groupe d’Angleterre ! Dans «Borgia Street», on entend un solo nasty de Brady qui est toujours en vie. Oui, si vous feuilletez le livret qui accompagne la réédition, vous verrez une photo récente des Brats. Ils traversent la rue, Casino marche devant avec ses cheveux blancs et ses lunettes noires, suivi de Brady coiffé d’un petit chapeau, puis d’un mec nommé Mick Groome, et Andrew, referme la marche, sobrement vêtu d’un petit costard et portant lui aussi des lunettes noires. Dire qu’on est content de les voir en vie serait un euphémisme. Parmi les bonus se trouve une violente version d’«Hootchie Coochie Man», du hot shivering bliss, comme le dit lui-même Andrew, on sent le shuffle du slum, et on voit la basse traverser le cut, ah quelle rigolade ! Leur version de «St Louis Blues» sonne comme un cut des Dolls. Ces mecs vont très vite en besogne, too much too soon. Le parallélisme entre les deux groupes est flagrant. Et puis, il faut avoir entendu au moins une fois dans sa vie l’effarant «Suckin’ On Suzie» pour se faire une idée de la puissance des Brats. Andrew éclate même de rire au chant tellement il sent le pouvoir du rock en lui. C’est embarqué au meilleur beat d’Angleterre et par un chanteur qu’il faut bien qualifier de génial. L’ambition d’Andrew Matheson : un groupe bien habillé qui joue vite et sale - a great looking band dressing sharp, playing fast and nasty - Rien qu’avec ces quelques mots, il résume le phénomène Hollywood Brats. Quand il passe une annonce une annonce dans le Melody Maker pour trouver un guitariste, il écrit : Guitarist wanted/ Great looking/ Drunk on scotch and Keith Richards. N’oublions pas qu’en 1971, le roi d’Angleterre s’appelle pour beaucoup de gens Keith Richards. Poor Brian is dead. Ah encore un détail intéressant : avant de s’appeler les Hollywood Brats, ils s’appelaient the Queen, rêvant de grands titres dans la presse du genre The Queen pukes on arrival in Heathrow, la Reine dégueule en arrivant à Heathrow (ce que ne manquera pas de faire Johnny Thunders). Mais à la même époque un autre groupe s’appelle Queen et un soir au bar du Marquee, Freddy Mercury vient agresser Andrew qui se voit contraint de lui coller son poing dans la gueule. Mercury est à terre, et bon prince, Andrew lui abandonne ce nom de groupe auquel il n’était pas vraiment attaché - Keep the name Queen. You can have it - Andrew tirera le nom des Hollywood Brats d’une chanson de Ray Davies qu’il chantonnait un jour en rentrant de Watford - You can see all the stars as you walk along Hollywood Boulevard - C’est l’occasion de réécouter cette pure merveille qu’est «Celluloid Heroes». 

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             L album des Hollywood Brats donne une idée de ce qui devait se passer sur scène. Andrew voulait ce Slum Kitchen Sound, ce son des taudis dans lesquels ils répétaient - We want control - Ils l’ont, grâce à Ken Mewis, et ça s’entend avec «Chez Maximes». Tout est là, c’est le son des Dolls mais avec en plus la violence des kids anglais. Andrew chante comme un diable trop maquillé. On entend des jolis chœurs de slum et une basse dévorante qui croise dans le lagon comme un requin blanc - Chez Maximes you make your dreams come true - Avec «Nightmare», ils passent au stomp de cave joué à la cloche de bois, c’est noyé de son, mais le côté canaille du chant domine bien la situation. C’est admirable, tout est là ! Ces mecs n’ont pas seulement le sens du son, mais aussi celui de l’Empire romain et de la poigne de fer, celle d’un César qui jette ses légions comme s’il lâchait des rapaces sur la moitié du monde. Avec «Courtesan», ils passent à l’heavy boogie et sonnent comme des Dolls de l’East End - She’s the darling of the Chelsea nights - C’mon, ça ramone salement le bulbe rachidien. Et si on sait apprécier le Slum Kitchen Sound, alors on est grassement servi. Leur coup de génie, c’est sans doute la reprise magistrale de «Then He Kissed Me», car ils la tapent à la sur-puissance catégorielle, ils poussent les pressions jugulaires au maximum des possibilités et ça édifie les édifices. On trouve aussi deux hits que reprendront les Boys un peu plus tard, «Tumble With Me» et le fameux «Sick On You». Tumble, c’est la modernité du rock anglais. Voilà un cut totalement inespéré, l’un des premiers chefs-d’œuvre de ce qu’on appellera plus tard le glam-punk. Les seuls qui savent jouer ça, ce sont les Brats, les Gorillas et les Derellas. Avec Tumble, les Brats tapent dans la fantastique ampleur. We’ve got the action, dit Andrew quand il évoque le souvenir du set des Brats au Speakeasy. Quant à Sick, on a là un fabuleux shoot de pop-rock noyé de fuzz. Ce shoot de folie pure tourne à l’hypnotisme. Et quand on écoute «Zurich 17», on comprend que ce genre de cut infectueux anticipe toute une vague à venir. Les Brats sont beaucoup trop en avance sur leur temps. Ils inventent sans le savoir le far-out bubblegum des bas-fonds de nowhereland. Et puis on ne se lassera jamais de ce «Southern Belles» qui sonne encore une fois comme un hit des Dolls, mais avec quelque chose de terriblement britannique dans le ton. C’mon darling !  

             Et comme l’ont dit Jerry Lee et les Brats à ceux qui osaient monter sur scène après eux : Follow that, pussies !

    Épilogue 1

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             En 1979, Andew enregistra Monterey Shoes, un album de soft rock un peu déroutant. Il semble avoir renoncé au fracas des guitares pour aller sur un son plus soft, mais il est trahi par une absence de production, et ses compos qui se voulaient ambitieuses retombent comme des soufflés. Le seul lien qui rattache cet album à la légende des Brats, c’est Gered Mankowitz. Pour les Brats, Andrew voulait le photographe des early Stones, celui de Between The Buttons. C’est donc lui qui signe la pochette de Monterey Shoes. On y voit Andrew dressé dans le crépuscule, avec le Starfish Cafe et un personnage en sailor suit en contrebas. L’image illustre «St Catherine Wheel», un balladif attachant mais atrocement mal produit, car la voix d’Andrew manque désespérément de profondeur. Dommage, car on le sent influencé par Ray Davies, et c’est criant lorsqu’on écoute «Debbie». Il revient à un tempo plus enlevé avec «Eyes Of Harlem» et retrouve un peu de sa superbe. Il s’y montre même très convainquant. Il fait plus appel aux cuivres qu’aux guitares et on note de légers accents d’«It’s All Over Now Baby Blue» dans son refrain. Une autre compo ambitieuse se niche en B avec un «Johnny Let’s Run» traversé par un solo de sax et «It Only Hurts When I Cry» pourrait presque sonner comme un hit, mais encore une fois, la prod dessert les ambitions du pauvre Andrew qui apparemment s’est fait baiser une fois de plus. 

    Épilogue 2

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             Pas facile de mettre le grappin sur The Night Of The Bastard Moon, l’album solo d’Andrew Matheson paru en 1994. Les rares heureux propriétaires qui le possèdent le vendent très cher. On y trouve deux merveilles dignes de l’âge d’or des Hollywood Brats, «Three Dead Mexicans» et «Postcards From Hollywood». Avec ses Dead Mexicans, Andrew fait du Sympathy For The Devil avec des percus exacerbées. Il renoue avec le gutsy et sonne comme les Stones à l’aube du rock - Shut it up c’mon - C’est fabuleusement drivé aux percus, comme dans Sympathy. Pur génie ambulatoire ! On a même des virées de basse et des yeah yeah yeah qui se perdent dans l’écho du temps. Ça tourne au demented are go. Andrew y renoue avec le génie des Brats. S’il fallait une preuve de sa grandeur, elle est là, dans les Dead Mexicans. Plus loin, il monte son «Poscard From Hollywood» sur le riff de «Jean Genie». Il repart sur les traces de Bowie en mode heavy glam. On peut aussi se pencher sur «Call It A Storm» bien enveloppé, bien touillé, mais ça frise parfois le Springsteen, ce qui ne vaut pas pour un compliment. Le pauvre Andrew y perd un peu de sa superbe. Il nous fait encore du Springsteen avec un «Love Is Stupid» atroce et prétentieux. On assiste à l’écroulement d’un mythe. On peut parler ici de prod cordiale, avec un solo de chais-pas-quoi. Andrew s’installe dans son cloaque springsteenien avec «Red Shoes In Italy». Cette prod cordiale cause bien des ravages. C’est même une malédiction. On voit le pauvre Andrew essayer de faire décoller sa pauvre daube. Quelle horrible tragédie !

    Signé : Cazengler, Hollywood Bric (et Broc)

    Andrew Matheson. Disparu le 1er juin 2025

    Hollywood Brats. Sick On You. The Classic Debut Expanded. Cherry Red Records 2016

    Andrew Matheson. Monterey Shoes. Ariola 1979

    Andrew Matheson. Sick On You. The Disastrous Story Of Britain’s Great Lost Punk Band. Ebury Press 2015

    Andrew Matheson. Night Of The Bastard Moon. MCA Records 1994

     

     

    L’avenir du rock

     - Glimmer twins 

             Chaque année, l’avenir du rock loue un stand au Salon des Désespérés qui se tient au Parc des Expositions de la Porte de Versailles. Les visiteurs s’y rendent par centaines de milliers, en quête d’une lueur d’espoir. Certains exposants proposent des petits discours de réconfort, des tisanes pour arrondir les angles, des onguents pour colmater les fissures, des flacons d’eau bénite pour laver les péchés, des promesses de félicité sur abonnement. Chaque année, l’avenir du rock se régale de tout ce tintouin chamarré. Les visiteurs errent dans les allées comme des âmes en peine et s’arrêtent ici et là. Les exposants rivalisent d’idées saugrenues. Oh, en voici un qui bêle, assis dans la paille de Bethléem, comme l’indique le panneau accroché au-dessus de sa tête. En voici un autre qui s’ouvre les veines au-dessus d’un verre et qui dit au curieux qui s’arrête : «Bois, ceci est mon sang.» Mais la spiritualité à l’ancienne ne fait plus recette. Une autre forme de spiritualité attire le gros des visiteurs : le populisme. Des harangueurs aux trognes porcines proposent la paix de l’âme en échange d’une adhésion à leur parti. On s’attroupe à leur stand. Ils promettent l’éradication de tous les problèmes. «Plus de pluie ! Un ciel bleu au-dessus du pays !» Ils haranguent à tire-larigot : «La fin des angoisses existentielles !» «Le paradis des souches !» Ils promettent encore l’éradication des impôts et la gratuité des transports. Alors les visiteurs se bousculent pour accéder au guichet. Ils veulent tous prendre une carte pour avoir accès au paradis des souches ! Ah le paradis des souches ! Quelle belle fin en soi ! Le spectacle de cet attroupement laisse l’avenir du rock circonspect. Ce n’est pas qu’il mette en doute la véracité éthique de ce que proposent les harangueurs aux trognes porcines, non, d’ailleurs il ne se mêle pas de politique. Il ne sent pas concerné. Par contre, il sait qu’il propose sur son stand une authentique lueur d’espoir, au sens propre comme au figuré : Glimmer.

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             Si tu demandes à Jaye Moore, le drummer blond de Glimmer, ce qu’il écoute, il va te répondre My Bloody Valentine et ça va te mettre sur une mauvaise piste. Ces quatre petits mecs sont des New-Yorkais et ils ne peuvent pas sonner comme My Bloody Valentine, c’est impossible.  Sur scène, Glimmer est pris en sandwich entre deux Jaguars et on peut dire que ça gicle. Ils ont quelques morceaux lents, mais dès

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     qu’ils mettent leur ramshackle en toute, t’as tout le New York City Sound des bas-fonds qui redevient d’actualité. On apprendra plus tard que le simili-Woody Allen aux bras couverts de tatouages s’appelle Jeff et qu’il est le frère de Jaye. Alors attention : Jeff Moore est une rockstar en devenir. Bien évidemment, il ne finira pas à la télé comme tous les rois de la fucking mormoille, mais il va rôder, du moins on l’espère, dans les imaginaires des happy few qui auront le privilège de le voir jouer

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    sur scène. Car oui, Jeff Moore a tout : les good looks, la stature, l’incroyable présence, les compos, la voix, le guitarring, il pue le big bad rock à dix kilomètres à la ronde. Tu ne trouveras pas une rockstar comme celle-là sous le sabot d’un cheval. Non, il faut aller le chercher au fond d’une cave, un jour de chaos urbain, car le fucking Tour de France passe en ville et des tas de rues sont barrées. La ville est paralysée. Mais ils ont réussi à passer avec leur van. Ouf !

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             Tu vois ces quatre New-Yorkais jouer dans la cave et t’en reviens pas de tout ce répondant, de toute cette constance de la prestance, de ces rocking blast intermittents, t’en reviens pas de les voir clouer leur chouette à la porte de la Sonic Church, t’en reviens pas de les voir régner pendant une heure sur l’underground. T’es une fois de plus convaincu que les vrais groupes descendent dans les caves pour honorer le vieux Dionysos, dieu du rock et des pires excès. Derrière ses lunettes, Jeff Moore rocke le boat de la cave comme un Achab qui n’aurait pas basculé dans la folie, il garde les yeux rivés sur l’horizon du prochain cut, il ajuste sa voix grave en permanence et claque des dégelées de power-chords new-yorkais, pendant que de l’autre côté de la scène, son copain fourbit les dissonances. Et quand il ne fourbit ses licks, il passe son temps à se ré-accorder, ce qui finit par devenir agaçant. Surtout qu’on est tout près de lui et qu’on voit sur l’accordeur qu’il n’est pas désaccordé. Sans doute est-il mal à l’aise.

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             À part un flexi («Self Destroyed», deuxième cut du set), ils n’ont rien à proposer au merch. Tu le ramasses. «Self Destroyed» accroche immédiatement, avec sa belle mélodie chant digne d’Adorable. Et t’as des clameurs de rêve. Tu baves d’avance. L’album devrait être énorme, à l’image du set.

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             Leur premier album sortira en october, nous dit Jeff Moore, vraiment ravi de sa soirée à la cave. Miraculeusement, il y avait un peu de monde. Ouf! 

    Signé : Cazengler, Glimmère de tous les vices

    Glimmer. Le Trois Pièces. Rouen (76). 8 juillet 2025

    Glimmer. Self Destroyed. Flexi High Voltage 2023

    Concert Braincrushing

     

     

    L’avenir du rock

     - Hoover sur le monde

             Comme tout le monde, l’avenir du rock a besoin de sous pour manger et payer son loyer. Alors il postule pour un emploi. Un patron obèse, chauve et lunetté le reçoit dans son bureau. Il jette un coup d’œil sur le CV.

             — Vous vous appelez avenir du rock, c’est bien ça ?

             — C’est écrit dessus, comme sur le Port-Salut.

             — Ce n’est pas courant comme nom... Bon, dites-moi, monsieur avenir du rock, quelles sont les limites élastiques de votre flexibilité ?

             — Je sais rester Hoover à toute proposition....

             — Vous venez de gagner un bon point... Résumez-moi en deux mots votre capacité à fédérer...

             — Hoover Ticalité !

             — Encore un bon point pour votre sagacité ! Comment inter-agissez-vous dans un contexte managérial alambiqué ?

             — Très simple : par l’Hoover ture des écoutilles ! Gestion des flux, si vous préférez !

             — Votre aisance à pacifier les contextes m’interpelle, croyez-le bien, aussi vais-je vous demander de quelle façon vous pragmatisez l’approche participative, comprenez-moi bien, je parle ici de l’extension du domaine de l’extraversion, laquelle, j’en suis maintenant persuadé, n’a aucun secret pour vous...

             — C’est très simple : Hooveriii.

             — Pardon ?

             — Hooveriii ! Hoo comme Hoo la la, ver comme vert émeraude, et iii comme iiiiiiii !!! Ou iii comme three, les trois petits cochons, si vous préférez.

     

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             Tu les prononces comme tu veux : Hoover three, Hoover 3, Hoover free, Hoover frit, Hoover III ou Hooveriii, chacun fait comme il veut. Par contre, lui, il s’appelle Bert Hoover, aka Bert le Grand Pied, co-sauveur de festival binicole avec les Bad Bangs. Bert Hoover sait exactement ce qu’il veut. On lit une extrême détermination dans le regard qu’il porte sur le public sinistré agglutiné à ses (grands) pieds. Il porte

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    le regard d’un empereur psyché déterminé à sauver Binic. Alors il sauve Binic avec sa petite Gibson Les Paul Junior. Bert devient le temps d’un show Ali-Bébert au Pays des Merveilles, il fait le Père Noël et arrache des milliers de personnes au désespoir le plus noir. Grâce à Santa Claus Hoover, on échappe au cauchemar du rap blanc australien dont on ne connaissait pas l’existence avant que la dérive programmatoire binicole ne nous l’impose. Soudain, Bert redonne du sens à ce vieux

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    cadre, et là pas besoin de pogo, toute l’énergie reste prodigieusement intrinsèque. Ouf, on échappe enfin à la mainmise australienne et Binic retombe miraculeusement sur ses pattes. T’es là en principe pour découvrir des gros trucs et en voilà un.  Bert au Grand Pied te donne une leçon de modernité psyché, il est extrêmement bien entouré, ses collègues hooveriens hooverisent comme des cracks, et te voilà ENFIN avec un show sous le nez. Ces mecs te rockent des cuts que tu ne connais ni d’Eve ni d’Adam, mais ces cuts te parlent et te montent droit au cerveau. La Californie arrive

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     comme le Septième de Cavalerie, juste au moment où les Mescaleros australiens allaient avoir ta peau. Hoover forever ! Du coup t’es content, ça te fait un slogan pour ta petite rubrique à la mormoille. Tu plains sincèrement tous ceux qui ne sont pas venus se faire piéger dans l’enfer binicole. T’es toujours content de te faire piéger, à condition bien sûr d’être sauvé in extremis par le Septième de Cavalerie de Bert au Grand Pied. Aw comme ce mec est bon, comme il en pince pour le real deal, il joue de toute sa pesanteur en apesanteur, il te rocke la boute, il te rocke la rate, ces cuts t’éclatent au Sénégal avec ta copine de cheval, pas de problème, t’y retrouves tout ton latin, t’y retrouves tous tes fucking repères et toutes les raisons de continuer à vivre cette vie qui ne t’intéresse plus du tout, mais tu te dis que ça valait le coup de tenir jusque-là, Hoover, c’est aussi simple que ça, tu prends au sérieux tout ce que

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    Bert te dit, tu le vois jouer et tu fais : «Ah oui !», t’es content de faire «ah oui !», c’est seulement la deuxième fois en trois jours, et après avoir vu une vingtaine de groupes qui n’ont strictement aucun intérêt. Bon la vie est ainsi faite, personne ne peut lutter contre ce genre de postulat, mais heureusement, t’as Bert qui déboule comme un dénominateur et qui dit halte là au numérateur binicole. Et ça marche, le numérateur ferme sa gueule. Pendant une heure, Bert règne sans partage. Un Américain dirait de Bert qu’il est fucking great. Un Anglais dira de Bert qu’il est fooking great. Un Français dira de Bert qu’il est le grand pied. Chacun fait comme il peut avec ses petits bras et ses petites jambes. En attendant, nous voilà avec un nouveau héros sur les bras.

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             Et là, t’y vas ! Ta soif de connaissance ne connaît plus de limites. T’attaques par leur dernier album, Manhunter. Tu y retrouves les hits du set binicole, notamment «Westside Pavillon Of Dreams» et ses belles dynamiques. On sent les pros. C’est même explosif. Ils décrochent le gros lot avec ce hit, c’est délié et puissant à la fois, et t’as ce refrain magique tapé à la traînasse lennonienne. «The Fly» s’offre un départ grandiose. Ils sont terrifiants d’inventivité. Tu te régales à l’écoute de cet album bourré de dynamiques. T’es encore frappé par la modernité d’«Heaven At The Gates», ses belles crises de frénésie, et ses ravissants petits éclairs de génie. C’est aussi dégourdi qu’un hit des Pixies. Malgré un départ rédhibitoire, Bert Hoover claque un fieffé killer solo sur «Tarentula Eyes». Quelle envolée ! Bert Hoover adore le firmament et les killer solos. Et puis au bout de la B, il fait de la pure Beatlemania avec «Stage», un cut puissant et languide.

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             Toujours émoustillé par ce petit choc révélatoire binicole, tu poursuis tes investigations et tu tombes sur Pointe. Comme t’attends des miracles de ce bon Bert Hoover, tu te dis qu’il va répondre à tes attentes, vu qu’il a du répondant. C’est logique. Alors tu le vois se lancer dans la fast pop de «The Tall Grass» avec une voix de canari impavide. On le voit ensuite chercher sa voie avec «This Rock», son art reste incertain. Pas de psyché là-dedans mais des accents lennoniens. Tu reprends espoir avec la grosse attaque de «Can’t You Hear Me Cathy». Alors tu vois Bert Hoover tordre le cou du cut, il le prend pour une volaille, mais la magie brille par son absence. Ni psyché, ni mélodie. Il ramène un brin de funk dans «The Game», mais ça n’a ni queue ni tête. Ce bon Bert fait n’importe quoi. Alors que tu allais jeter l’éponge, il allume son cut et tu l’entends gratter les poux du diable. Mais c’est limite. Car tu sens bien que ces Californiens font leur truc dans leur coin, sans se préoccuper du besoin de magie qu’on a tous. C’est une bonne raison de leur en vouloir. Comme Beckett qui attend Godot, on attend des miracles de Bert Hoover. Il vaut mieux en attendre de Smokey Robinson. Et puis voilà le cut sauveur d’album : «The Ship That I Sail». T’es encore là à te demander ce que tu fous sous ce casque et soudain le cut se réveille en sursaut, avec un riff dévastateur. Et ça vire coup de génie sur la seule foi de ce riff. La bête que sommeille en Bert Hoover s’éveille et ça prend des proportions considérables, tu prends aussitôt ta carte au parti, t’abjures toutes tes religions pour ne garder que l’Hoover, tu t’aplatis devant ce Ship, tu te sens rudement fier d’être un ver de terre inféodé, chouette, te dis-tu, ce mec Bert est capable de petits coups d’éclat. Dommage que la fin de cut soit si longue et si inutile.  

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             Quand tu envisages de rapatrier Water For The Frogs, tu te poses la question : c’est-y aussi bon que Manhunter ou c’est-y pas ? La pochette commence par te poser un problème, ce graphisme renvoie trop aux seventies. Mais bon, comme d’usage, la curiosité l’emporte sur les a-prioris et le voilà qui débarque chez toi, fier comme un général d’opérette. Il ne te reste plus qu’une seule chose à faire : l’écouter. Bert Hoover proposait déjà en 2021 du classic stuff, mais avec une belle insistance. On sent chez lui une volonté clairement affichée d’arracher son stuff du sol. Cut après cut, l’album s’installe confortablement dans l’inconscient collectif. Il ne casse pas la baraque, mais tu comprends vite que ce n’est pas sa vocation. Water For The Frogs fait son petit bonhomme de chemin. C’est un album pépère. C’est avec «Hang Em’ High» qu’il renoue un petit peu avec la modernité. Disons pour rester magnanime que c’est une belle atteinte à l’intégrité du schéma de pensée conventionnel. Bert au grand pied en profite pour passer un beau solo liquide. Quel fieffé bretteur ! Sa présence et la qualité de ses idées sont indéniables. En B, tu sens nettement une volonté d’en découdre affleurer dans «Erasure», mais c’est dommage, car ça n’aboutit pas. Belle énergie, mais rien de déterminant. Avec «Gone», Bert et ses amis visent l’envolée belle, alors ils s’y collent et ça leur va comme un gant. Voilà, c’est fini. Tu ranges l’LP dans sa pochette et tu te poses la question : au jour d’aujourd’hui, qui va aller investir un billet de trente dans ce type d’album ? Personne, excepté ceux qui ont vu Bert Hoover sauver Binic du naufrage.  

    Signé : Cazengler, Hoover de terre

    Hooveriii. Binic Folk Blues Festival (22). 27  juillet 2025

    Hooveriii. Water For The Frogs. The Reverberation Appreciation Society 2021 

    Hooveriii. Pointe. The Reverberation Appreciation Society 2023     

    Hooveriii. Manhunter. The Reverberation Appreciation Society 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - La terrine à Terry

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             Dans une brève, Shindig! annonçait le grand retour de Terry Reid : une tournée anglaise. Mais elle n’aura pas lieu, car la grande faucheuse l’a fauché dans son élan. Et comme l’extraordinaire Terry Reid ne fera pas la une des magazines, nous allons ici même lui réserver la place d’honneur qui lui revient. 

             C’est vrai qu’il a une bonne bouille. Au fil des ans, la terrine de Terry est restée celle d’un gamin attachant. Quand on examine son visage sur les pochettes de ses albums successifs, on ne voit que de la candeur. L’arrondi de ses arcades et son léger sourire en coin révèlent une sorte de douceur naturelle et un goût pour le calme, ce qui n’est pas très courant chez les superstars.

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             Superstar ? Mais oui, Terry Reid l’était déjà à seize ans, en 1966, année où il participa - avec les Jaywalkers - à la fameuse tournée anglaise des Stones et d’Ike & Tina Turner. Très vite, il fut happé par le tourbillon. Il n’avait que 19 ans quand Mickie Most lui mit le grappin dessus. Il voulait faire de Terry the Next Big Thing aux États-Unis - avec une reprise de Long John Baldry, «Better By Far». En 1968, Terry fit la première partie de la tournée américaine Get Yer Yas Yas Out des Stones. Il joua aussi en première partie de Cream, pendant leur tournée d’adieux de novembre 68 aux États-Unis. Il participa au festival de Glastonbury en 1971. Il faillit aussi se retrouver dans la seconde mouture de Deep Purple. Graham Nash qui était encore dans les Hollies voyait un génie en lui, et Terry n’avait pas vingt ans.

             Il fut donc plongé très jeune dans le chaudron du rock  biz, mais apparemment, il en est ressorti indemne. On imagine qu’il devait avoir assez de maturité pour ne pas céder au chant des sirènes, particulièrement actives à cette époque, dans l’entourage des Stones.

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             Et puis il y a la fameuse histoire de la fondation de Led Zep que tout le monde connaît et qui est rabâchée chaque fois qu’un article sur Led Zep sort dans la presse, c’est-à-dire deux ou trois fois par an. Jimmy Page voulait Terry comme chanteur. Mais Terry avait d’autres engagements. Il indiqua à Jimmy les noms de Robert Plant et de John Bonham, deux mecs qui jouaient dans Band Of Joy, un petit groupe sans avenir. L’embêtant, c’est qu’on ne connaît Terry Reid que pour cette histoire, pas pour ses albums. Tout le monde savait qu’il avait repoussé l’offre de Jimmy Page. Wow, quel prestige ! Et pendant ce temps, ses disques passaient à la trappe.

             On se retrouve confronté exactement au même paradoxe qu’avec Jackie Lomax. Ils sont réputés tous les deux, mais pour des raisons purement anecdotiques. Par contre, quand on connaît leurs albums, on sait qu’ils font partie des personnages les plus prestigieux et les plus doués de l’histoire du rock anglais.

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             Dès Bang Bang You’re Terry Reid, on sent un tempérament inventif et une soif de liberté absolue. Terry a le rock dans la peau. Il tente de moderniser «Bang Bang», le vieux hit de Sonny Bono. Il va chercher le prog à coups d’envolées jazzy et de tintements de cymbales intempestifs. On est aussitôt frappé par la qualité de la voix plaintive de ce jeune coq. Il s’échauffe au second couplet. L’orchestre bascule dans la samba et ça devient bizarre. Terry mène sa barque : on le sent essentiellement préoccupé par le feeling et surtout par les lointaines dérives du feeling. «Tinker Tailor» est monté sur un joli thème de gratte. Dans cet album, on va de surprise de taille en surprise de taille. Par exemple, ce petit mambo sympathique, «Without Expression» (qu’ont bien failli reprendre Crosby Stills & Nash sur leur premier album). Terry va chercher des choses très haut perchées. Il produit des ambiances extrêmement lumineuses. Il donne une ampleur extraordinaire à ses cuts, comme s’il était une sorte de Van Morrison heureux de vivre. «Sweater» préfigure le Led Zep acoustique, et «Something’s Gotten Hold Of My Heart» - compo de Gene Pitney - préfigure les errances mélopiques de Robert Plant. On trouve en B une cover du «Season Of The Witch» de Donovan. Pas mal de versions courent les rues, mais celle de Terry bat tous les records. Il va très haut chercher la déchirure palpitante. Il nous gave de grands passages inspirés. Ces dix minutes échappent définitivement à l’ordinaire. «Writing On The Wall» et «When You Get Home» renvoient directement à Tim Buckley. C’est du très haut de gamme.

             Ce premier album est un coup de maître, mais trop en avance sur son temps, parce que trop aventureux. C’est grâce à ce premier album - uniquement sorti aux États-Unis - que Terry va fidéliser ses admirateurs.

             Le single «Superlungs My Supergirl» nous rendra tous définitivement accros. Pochette superbe. Terry en sépia plaquant l’accord sur le manche de sa Gibson. L’incarnation du rock’n’roll animal, comme l’étaient à l’époque Jeff Beck ou même le Clapton de Cream en pantalon rouge. Superlungs est l’un des plus beaux hits des sixties, ruisselant de feeling, ambitieux et tendu à se rompre. Cinquante-cinq ans après, ce hit monumental fout toujours le frisson. N’oublions pas que «Superlungs My Supergirl» est une compo de Donovan.

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             On retrouve la superbe photo sépia de Terry sur la pochette de son deuxième album, Move Over For... Terry Reid. Il riffe «Marking Time» jusqu’à l’os et le gorge de feeling cramoisi. Terry sait créer l’événement. Il est vocalement beaucoup plus doué, plus chaleureux et coloré que Robert Plant. Ce chanteur puissant screame savamment au détour des montées de gammes. Tour repose sur la richesse de son chant. Il n’existe pas d’équivalent dans ce registre. Il tape aussi une solide reprise d’«Highway 61 Revisited», montée sur une grosse bassline. Il couple ça avec «Friends», et nous embarque dans une jam informelle, dans l’esprit des jams mythiques d’Electric Ladyland. On se régalera aussi de «Speak Now Or Forever Hold Your Peace», un bel heavy rock à l’anglaise, astucieux en diable et bien tempéré. Avec ce chant chaud, Terry irradie le bonheur dans la fraîcheur d’un petit matin d’Essex. Ses éclats de voix rappellent parfois ceux de Noddy Holder. Ambiance admirable teintée d’éclairs glam et nappée de shuffle. Cet album reste l’une des pièces les plus colorées de l’histoire du rock anglais. Et de très loin. Sa version du mythique «Stay With Me Babe» de Lorraine Ellison rivalise de grandeur épique avec celle de Sharon Tandy. Terry en fait quelque chose d’assez explosif, capable de frapper durablement les imaginations.

             Terry n’a que 23 ans et il veut échapper aux griffes de Mickie Most qui l’oblige à enregistrer des tubes romantiques. Le malheureux Terry a signé un contrat pour cinq albums. Il dit à Mickie d’aller se faire voir chez les Grecs. Mickie est d’autant plus fâché que la veille, Donovan lui a dit la même chose. À cause de cet imbroglio juridique, Terry va rester bloqué pendant trois ans. Impossible d’enregistrer à cause de ce fucking contrat. De quoi foutre une carrière en l’air. C’est Ahmet Ertegun, boss d’Atlantic, qui va tirer Terry de ce guêpier. Il débarque chez Mickie Most et lui dit : «Maintenant, ça suffit !»

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             Terry émigre en Californie. Il se retrouve évidemment sur Atlantic. Il enregistre son troisième album, River, considéré comme un album culte. On range généralement River à côté de John Barleycorn Must Die (Traffic), d’Astral Weeks et de Moondance (Van Morrison), d’Happy Sad et de Blue Afternoon (Tim Buckley). Malheureusement, River est un album assez mou du genou et on s’y ennuie comme un rat mort pendant au moins toute une face. On se réveille un peu aux accents bossa-nova du morceau titre. On retrouve le Terry qu’on aime bien, celui qui va chercher le mélopif très loin. «Dream» et «Milestones» ressemblent à des morceaux à la dérive, à de vieux radeaux paumés sur lesquels agonisent les derniers compagnons d’Aguirre.

             Dans un texte à caractère confessionnel, Terry avoue qu’il adore passer ses journées à observer le cours du fleuve. Il y trouve son inspiration. Il est entré dans une phase contemplative et sa musique s’en ressent. Il est arrivé la même chose à Van Morrison.

             Les délires contemplatifs font généralement des ravages chez les artistes ambitieux. On essaye de les suivre tant qu’on peut, et puis au bout d’un moment, ça devient compliqué. La spiritualité et le rock n’ont jamais fait bon ménage. D’ailleurs, Atlantic s’est vite débarrassé de lui. 

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             En 1976, il enregistre Seed Of Memory. Comme on sort un peu échaudé de l’épisode River, on se méfie. Dès le premier cut («Faith To Arise»), on voit que Terry est passé à la good time music de bord de mer. Il sonne un peu comme Little Feat. C’est le genre de disque qu’on écoute lorsqu’on passe une soirée romantique avec une poule qu’on aime bien. Cette espèce de soft-rock attise quelques vieux réflexes libidineux et on se laisse aller à éprouver une sorte de bien-être existentiel à la noix de coco. «Seed Of Memory» est un morceau lent et flûté. Terry chante comme Crosby & Nash, avec une certaine amertume. D’ailleurs, Nash fait les chœurs. «Brave Awakening» est un country-rock très lent. Terry sait tirer sur ses cordes vocales pour provoquer l’humeur d’un émoi. Quelque chose d’humide suinte de son essence. En dix ans, Terry a beaucoup changé. Il est passé à des choses très soft et adroitement sophistiquées, comme «Ooh Baby», qui va plus sur le Steely Dan. Mais il sait aussi revenir à des sons plus musclés, comme par exemple avec «The Way You Walk». De gros paquets d’accords tombent du ciel et la basse fait le pied de grue sous le déluge. Terry renoue avec l’heavy rock de sa jeunesse flamboyante. On retrouve là l’ampleur avantageuse de son allant d’antan. Avec «The Frame», on a du pur Crosby & Nash, avec les mêmes repères sur l’échelle des valeurs. Tel un géant en fuite, ce disque laisse derrière lui une traînée de suie. 

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             Rogue Waves est un album mille fois plus spectaculaire. D’abord par sa pochette : on y voit Terry le magnifique claquer un accord sur une Gibson SG blanche, la même que celle de Sister Rosetta Tharpe. Sur cet album, il fait deux covers de Totor : «Baby I Love You» et «Then I Kissed Her». Il fait de «Baby I Love You» un heavy slow de carrure planétaire, repris au thème par une guitare bien née. C’est là que se tapit le grand Terry. Il peut allumer autant que Rod Stewart à ses grandes heures. Il a cette science infuse de la beauté formelle. Avec «Then I Kissed Her», il fait son Vanilla Fudge et retapisse un classique intouchable, révélant une nouvelle fois au monde entier l’ampleur de son génie défenestrateur. C’est une véritable bénédiction ! Il fait exploser «Then I Kissed Her» au sommet du riff, comme un champignon atomique multicolore. On retrouve les fulgurantes dynamiques guitare-chant du Jeff Beck Group de Beck Ola et de Truth. Rogue Waves est du pur Terry, une chanson océanique qui s’étend à l’infini et qui scintille à la lumière de la lune. Il règne là-dedans une forte impression de désespérance et de démesure. Terry se plaît à repousser les limites. C’est un pieux rocker, il n’hésite pas à hurler et à égrener les arpèges pour suivre l’infini méandre de sa vision. Belle reprise aussi du «Walk Away Rene(e)» de The Left Banke. Terry en fait une vraie perle de rock têtue comme une bourrique. Il sort aussi de son chapeau un «Believe In The Magic» digne du «Season Of The Witch» qu’on trouve sur la B des fameuses Supersessions de Stephen Stills, Mike Bloomfield et Al Kooper. Admirable de groovitude et plutôt somptueux, il faut bien l’admettre. La chose t’enveloppe, comme le bras d’une fiancée amoureuse. Comme c’est doucement violonné, on sent l’influence du grand Marvin Gaye. Dernière grosse surprise de cet album fabuleux : «Bowang», un morceau digne des Faces. Magistral. Même hérésie de glotte fouillée. Même puissance de feu guitaristique largement sustainée. Terry concurrence directement le Jeff Beck Group. Même enfer et même classe cavalante. Même heaviness lévitative de haut rang.

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             Mais ce sera le dernier grand éclat de Terry Reid. L’album suivant, The Driver, est très beau, mais il manque de relief. Avec «Fith Of July», Terry nous embarque dans un balladif très beau dont se régaleront les âmes sentimentales. Toute ironie mise à part, «Fifth Of July» est un morceau chaudement recommandé aux amateurs de belles chansons. Mais sur les autres cuts, on retrouve le son pompeux des années quatre-vingt-dix, celui des succès commerciaux de Michael Jackson, de U2 et du Rod Stewart californien qui nous faisaient tant hennir quand ça passait à la radio.

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             Apparemment, Terry est toujours en forme. Il donnait un concert au Ronnie Scott Club de Londres en 2010 et un petit malin a eu l’idée d’en faire un double album : Live In London. Terry parle beaucoup avec les gens, il raconte des histoires drôles et plonge dans ses vieux grooves de triangle des Bermudes. On retrouve des versions actualisées de «The Frame» et de «Faith To Arise» qu’il illumine d’envolées de guitare acoustique et qu’il transforme en joyaux de cosmic americana. Absolument parfait, parce que très inspiré. C’est la marque de Terry Reid. Il tisse des mélodies incomparables. Toutes les notes de guitare s’allument comme des étoiles dans le ciel, au-dessus du bivouac. Il cultive la beauté de la frontière, il charme les cactus, un fluctue les sierras, c’est un fabuleux maître chanteur. Terry et les mecs qui l’accompagnent deviennent fous avec leurs guitares. «Too Many People» est un vieux hit prévalent, impartial et directif. C’est un truc radical qui dicte sa loi, rien que par son atonalité. Il nous raréfie l’oxygène dans le cerveau, il est limpide et désarmant de pureté mélodique. On a les yeux qui piquent.

             Sur l’autre disque, il chante «Wee Small Hours» comme Nina Simone. Il fait monter «Night Of The Raging Storm» d’une voix qu’il n’a plus. Il s’écorche la glotte. C’est affreux. Il renoue avec son passé de géant aux pieds palmés. Il nous refait le coup de la superstar à l’anglaise qui s’élève dans la stratosphère et il provoque un véritable délire bienfaisant, il crie yah-yah-yah, un spasme de phase terminale. Il fait le tour du propriétaire et continue de s’écorcher la glotte au sang. Mais comment fait-il pour s’infliger de telles blessures ? Pendant ce temps, nos oreilles se pâment. Il nous balance même un doom psyché labyrinthique des temps anciens, «Rich Kid Blues». On y sent le souffle de Spooky Tooth. Grosse jam informelle et captivante. Il sait plonger la tête d’un cut dans la friteuse.    

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             L’idéal pour entrer dans le monde magique de Terry Reid est de choper une rétrospective bien foutue, Superlungs, parue en 2004, sur laquelle figurent ses deux premiers albums et les morceaux qu’il enregistra avec les Jaywalkers en 1967. Avec la belle pop sucrée d’«It’s Gonna Be Morning», on voit que Terry a le même feeling que Steve Marriott. On croirait même entendre Sam Cooke. Il montre déjà une classe effarante avec un morceau comme «Funny How Time Slips Away», parce qu’il sonne exactement comme Smokey Robinson. Il monte sans cesse d’un cran. Il a déjà du génie à revendre. Les Jaywalkers sonnent comme des géants du jazz. Terry n’en finit plus de pousser son bouchon. Il nous fait le coup du r’n’b hot as hell avec «Just Walk In My Shoes». Il s’y montre monstrueux d’exaction. Il dégage autant d’air autant que Rod The Mod ou Chris Farlowe. Puis les choses se corsent. On lui demande de participer à la foire à la saucisse du Swinging London. Terry ne sait pas ce qui l’attend. Il fait confiance. On le fait entrer dans un studio pour enregistrer

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     «The Hand Don’t Fit The Glove». Catastrophe ! Quand on a un chanteur de cet acabit dans les parages, il vaut mieux lui donner de bonnes chansons. Sur la B-side du single, on trouve une chanson à lui, «This Time». C’est un morceau lent, mais Terry l’interprète comme un crack.

             À l’écoute de ces premiers morceaux, on comprend mieux pourquoi les Stones ont invité Terry a faire les premières parties de leurs tournées. À part le single raté, tout est vraiment excellent. On entre ensuite dans la période Mickie Most, avec un premier single, «Better By Far». C’est Graham Nash qui a mis Mickie Most, producteur de Donovan et des Animals, sur la piste de Terry. Mickie Most cherchait le tube comme d’autres cherchent le Graal. Il était complètement obsédé. Il ne pensait qu’à ça. Il fit sonner «Better By Far» comme un hit de Phil Spector. Il voulait faire de Terry un tombeur de demoiselles. Pas très malin. 

    Signé : Cazengler, Reid dingue de Reid

    Terry Reid. Disparu le 4 août 2025

    Terry Reid. Bang Bang You’re Terry Reid. Epic 1968

    Terry Reid. Move Over For... Terry Reid. Epic 1969

    Terry Reid. River. Atlantic Records 1973

    Terry Reid. Seed Of Memory. ABC Records 1976

    Terry Reid. Rogue Waves. EMI Records 1978

    Terry Reid. The Driver. Warner Brothers Records 1991

    Terry Reid. Live In London. House Of Dreams Music 2012

    Terry Reid. Superlungs (Bang Bang + Terry Reid + bonus). EMI 2004

     

     

     

    Inside the goldmine

     - Coathang on Sloppy

            Introduire Marie Coton dans l’équipe, ce fut la meilleure façon d’introduire le loup dans la bergerie. Avec son allure de petite sainte, douce et docile comme l’agnelle de service, elle inspirait la confiance. Elle posait son regard bleu sur toi et déversait toute l’innocence dont elle était capable. Tu n’attendais qu’une chose, qu’elle te demande un service ou de l’aide. Elle t’inspirait les sentiments les plus nobles, du type de ceux qui animèrent jadis ces abrutis de chevaliers servants. Elle était de petite taille, elle portait les cheveux longs et des robes longues. Elle semblait totalement asexuée, ce qui la rendait encore plus atypique. Tu ne pouvais même pas la soupçonner de jouer un rôle. Elle désamorçait le moindre soupçon. Elle ne dégageait aucune odeur, elle ne semblait cultiver aucune sorte d’arrière-pensée, elle participait aux réunions sans exprimer le moindre sentiment, elle prenait peu de notes, ne posait pas de questions, elle semblait même tout comprendre. On l’observait du coin de l’œil. Quelle part de mystère recelait cette présence insolite ? Quand on lui demandait si elle avait des questions à poser sur la mission qu’on lui confiait, elle répondait «non» avec un sourire en demi-teinte. Elle ne baissait pas les yeux, attendant que son interlocuteur détourne les siens. Elle était capable de fixité, et ça pouvait devenir dérangeant. Au fil des mois, elle ne modifia rien à son comportement. Elle remplissait ses missions avec succès. Elle allait en clientèle et les retours qu’on nous faisait étaient tous singulièrement positifs. Nos clients la qualifiaient de «charmante», d’«attentive», de «sérieuse» et même de «créative». Les événements qui suivirent montrèrent à quel point on s’était tous plantés. La consultante qui faisait équipe avec elle se tua au volant de sa voiture, sur le boulevard circulaire de la Défense. Puis son assistante ne trouva rien de mieux à faire que de se jeter du huitième étage de l’immeuble où elle vivait, à Puteaux. Nous n’étions que douze dans la structure, et bientôt nous ne fûmes plus que deux, Marie Coton et moi. Les autres avaient disparu lors des deux derniers mois, dont plusieurs sans laisser de traces. Ce matin-là, lorsqu’elle entra, ponctuelle, à 9 h dans l’atelier, je fus pris d’un accès de fièvre superstitieuse : et si elle était le diable ? Il était grand temps de la virer.

     

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             Pendant que la Coton fait des ravages, les Coathang en font aussi, mais ce sont des ravages beaucoup plus intéressants. C’est un copain qui te dit : «Tu devrais écouter les Coathangers», alors tu écoutes les Coathangers, parce que d’une part, c’est un bon copain, et d’autre part, le nom du groupe te plaît.  Les cintres. Plus qu’un pied-de-nez : apparemment, c’est une allusion à l’avortement sauvage. Comme le montrent leurs albums, ces trois petites gonzesses d’Atlanta flirtent pas mal avec le post-punk, et ce depuis vingt ans. Autre détail croustillant : la batteuse Rusty Coathanger est couverte de tattoos.

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             Si tu attaques par Scramble, tu risques d’être vite dérouté par leur côté Riottt-Girls, avec une voix rauque pas terrible. Mais elles corrigent vite le tir avec un «Stop Stop Stompin’» plus post-punk et plus sucré. Elles tapent un peu dans le crabe craze à la Fall. Tout espoir de girl-grouping s’évanouit. C’est la modernité qui prend le dessus avec «Bury Me», «Dreamboat» et «Arthritis Six». Elles y vont dare-dare au Bury Me, avec un sucre bien candy et presque un beat de Magic Band, elles te grattent le Dreamboat dans la solace du sucre fondu et l’Arthritis t’envoie une belle giclée de modernité dans l’œil. Dans «Gettin’ Mad & Pumpin’ Iron», le bassmatic se confronte à une cisaille barbare, et posé là-dessus, t’as un chant de sauve-qui-peut-les-rats, mais globalement, ça tient la route. Elles deviennent de plus en plus incoercibles avec «Killdozer», alors que «143» est plus sautillé : elles sont fraîches comme des saucisses de Strasbourg. Elles proposent une grande variété de styles et on sent chez les Coathang une fantastique énergie des idées. Donc on décide de les suivre à la trace.

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             Elles restent dans la Post avec Larceny & Old Lace. C’est Gildas qui appelait le post-punk la Post. Il n’aimait pas ça. Mais cette Post est excellente, comme le montre «Huricane», elles y vont au pousse-toi-de-là que-je-m’y-mette. C’est frais, carré, plein de jus, concassé, exacerbé. Elles voient les choses comme ça, alors il faut s’y faire. Ça re-concasse de plus belle avec «Sicker», ça concasse même du sucre sur le dos de la Post, avec un petit brin d’hypnotisme. Elles sont vraiment à vif («Call To Nothing») et elles se prennent pour Joy Division avec «Jaybird» qui vire hypno. Ça bassmatique dans les règles du lard fumant. C’est la Coathanguette tatouée qui lance «Johnny» au beurre salé. Quelle énergie ! Elle drive bien son beat. C’est mille fois mieux que les Slits.

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             Avec Suck My Shirt, les petites Coathanguettes explorent la profondeur de champ de la Post («Follow Me») avec une énergie phénoménale et un bassmatic en liberté. Encore plus terrific et mieux troussé, voilà que déboule «Springfield Cannonball». Elles regorgent littéralement d’élan vital. Encore de la Post exacerbée avec ce «Dead Battery» en alerte suspensive, monté sur une carcasse âpre et vinaigrée. Elles en pincent pour le sans-pitié-pour-les-canards-boiteux. Ça gratte au riff aigre et tanné. On salue aussi bien bas la Post de «Merry Go Round». La Coathanguette tatouée qui bat le beurre fait des étincelles dans «Love Em & Leave Em». Elles te grattent vite fait le «Derek’s Song». Elles ne font pas dans la dentelle, c’est du fast on the run, il pleut de la Post comme vache qui pisse. Ça explose au final avec «Drive», une véritable merveille de fraîcheur expiatrice, ça jaillit et ça dégouline de joie translucide.

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             Sur la pochette de Nosebleed Weekend, elles ont des allures de superstars. Crook Kid Coathanger a même le pif en sang. Avec «Dumb Baby», elles développent une belle énergie gaga-girly. Ça file bien sous le vent. Elles ne sont jamais loin de leur post-punk chéri. Elles trafiquent de belles ambiances d’étrangeté congénitale («Excuse Me»), mais c’est avec «Burn Me» qu’elles raflent la mise, car c’est bien sabré du goulot et fouetté au bassmatic. Elles savent très bien balancer des hanches («I Don’t Think So», qu’elles éclairent au hello hello), et elles finissent en ramenant un sucre de «Copy Cat» tendancieux. Ce n’est pas leur meilleur album.

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             The Devil You Know est encore un album très post-punk. «5 Farms» bénéficie d’un petit son bien serré. Mais très vite, tu t’aperçois que certains cuts laissent à désirer. «Hey Buddy» est mal chanté, par contre, elles ramènent du sucre dans «Step Back». Tu cèdes à leur charme, ça ne mange pas de pain. En fait, il y a deux chanteuses, la bonne et la mauvaise, la rauque et la candy. Elles sauvent l’album avec le joli post-punk hystérique de «Stasher», et voilà le travail.

    Signé : Cazengler, Coat Coat Codec

    Coathangers. Scramble. Suicide Squeeze 2009

    Coathangers. Larceny & Old Lace. Suicide Squeeze 2011

    Coathangers. Suck My Shirt. Suicide Squeeze 2014

    Coathangers. Nosebleed Weekend. Suicide Squeeze 2016

    Coathangers. The Devil You Know. Suicide Squeeze 2019

     

    *

    Dans notre dernière livraison nous avons eu Jake Calypso en concert, cette fois-ci nous avons Hervé Loison – ne cherchez pas l’erreur, les activistes rock ont parfois plusieurs identités - avec les Hot Chickens. Les poulets torrides sont un groupe essentiel du rock’n’roll dont ils ont su par chez nous, en un quart de siècle, perpétuer et refonder la légende.

    ROCK’N’ROLL VENDETTA

    HOT CHICKENS

    (AroundThe Shack Records / Mai 2025)

    Beau titre pour un album rock, le rock’n’roll n’est-il pas une vendetta métaphysique menée contre le monde entier, l’attaque n’est-elle pas la meilleure des défenses, est-ce pour cela que nos trois rebelles se camouflent derrière leur tricot d’hiver à la mode dans les années 60 et le masque des anonymous, les nouvelles peintures de guerre modernes.

    Hervé Loison : chant, basse harmonica / Christophe Gillet : guitares, chœurs  / Thierry Sellier : batterie, chœurs.

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    See See Rider : existe-t-il un meilleur chemin pour pousser la porte du rock’n’roll qu’un vieux blues de Ma Rainey, j’entrevois des sourcils qui se froncent, ne serait-ce pas un peu trop moaning pour une intro, peut-être mais il en existe une autre version, parmi des centaines, explosive, celle des Animals, c’est vers celle-là que s’orientent nos trois pistoleros,  oui mais faut avoir une sévère réserve de poudre pour s’y aventurer, autant monter l’Annapurna en pantoufles, ne sont pas des perdreaux de l’année, savent que le ridicule peut tuer, alors ils s’y livrent à fond, z’ont des arguments, la guitare de Christophe Gillet qui vous escalade à mains nues les précipices, les baguettes de Thierry Sellier vous entrechoquent les glaçons des parois les plus abruptes, quant à Loison, sa voix survole et se plie à toutes les dépressions exaltantes. Elle burdonne très fort. Magnifique reprise. Mister Jack : un original, yes but what is it, un truc inidentifiable, soyons honnête, un morceau de rock’n’roll vachement bien mis en place, qui swingue un max,  qui sonne et qui résonne comme il faut, avec en plus un vocal magistral de Mister Loison, mais une fois que vous dit tout cela, c’est là où commence la difficulté, à la réflexion ne serait-ce pas un blues déguisé en rock’n’roll, à moins que ce ne soit un rock’n’roll qui se fasse passer pour un blues, vous savez ça chaloupe en rythme mais ça tinte bizarre, l’est vrai que les cachalots se cachent dans l’eau, mais là nous avons affaire à un drôle de mélange, la basse qui bosse de dromadaire, la guitare sans cafard  jamais en retard et le Thierry pas du tout atterré qui vous envoie valser les moustiques qui voudraient se poser sur ses tambours de guerre. Until we die : ce troisième morceau est beaucoup plus franc du collier, sans tergiverser, un rock, un vrai, un authentique, ces trois zigotos finiront par crever s’ils mettent tant de cœur à l’ouvrage, sont partis pour ne jamais s’arrêter, mon passage préféré quand Loison minaude son vocal comme une princesse au petit pois, z’ont la frite et une pêche d’enfer pour le dessert, hélas vous n’aurez pas le temps d’apprécier le café, ils arrêtent les frais trop brutalement. Un bijou ciselé au marteau piqueur de précision. Mortel. In my way : tiens-tiens me suis-je dit après trois overdoses électrique, ils nous font le coup de la ballade à la Gene Vincent, quand Loison pépie du bec si doucement on lui donnerait la confession sans le bon Dieu, mais non dès le premier coup de guitare après l’intro, j’ai reconnu mon erreur et ma honte, non c’est pas Vincent, c’est Presley, j’aurais dû reconnaître c’est dans un de ses films que je préfère, vous y filent une dose d’amphétamine par rapport à l’original, Hervé ne renie pas ses préférences. Fait partie de cette génération que la mort du King a propulsé dans le rock’n’roll. Je ne  laisse pas tomber : l’est vrai que la langue monosyllabique de l’anglais est beaucoup plus flexible que le français qui ne possède que très peu d’accents toniques, bref le rock français est souvent chanté en langue shakespearienne, Hervé casse la soupière des interdits, met les choses au poing, nos poules au pot nationales chanteront désormais en français, quand elles en auront envie, un rock échevelé, un peu dans le style Je suis juste un rock ’n’roller (Sais-tu ce que cela veut dire) des Variations, en plus il s’amuse d’écraser les mots en fin de couplets à la manière d’Eddy Mitchell. Une révolution qui fera jaser en douce France. Goodbye rockin’ Mama : pour ceux qui auraient eu envie de se suicider après la déclaration d’intention précédente, un truc en anglais un peu passe partout, avec un vocabulaire limité que tout le monde peut comprendre. Cadeau de consolation un solo de derrière les fagots de Christophe Gillet.  Rock’n’roll vendetta : cette fois dans rock’n’roll dans le pur style Hot Chickens, sans surprise et terriblement efficace, Gillet démarre en trombe pour écraser le chat qui traverse la rue, et tout le groupe suit, une véritable boucherie, du sang partout sur le pavé glissant, aussi puissant qu’une nouvelle de Prosper Mérimée. J’écoute Eddy : quand on enfonce un clou, faut l’enfoncer jusqu’au bout. Oui les Hot Chickens qui ont rendu hommage à Little Richard, à Gene Vincent, au Rock’n’roll Trio, tressent une couronne de lauriers à Eddy Mitchell. Pas spécialement au rocker, plutôt au crooner, pas l’Eddy que je préfère, mais c’est bien qu’un gars comme Loison remette un peu les pendules du rock français à l’heure. Old black Joe : une bonne version, mais l'interprétation de Jerry Lou sur le même tempo avec en arrière-plan son piano dévastateur occulte toutes les autres que j’ai entendues. L’intro a capella, Loison nasal, est réussie mais la rythmique qui suit manque de légèreté. Ce dernier terme devrait être remplacée par tristesse, lassitude, fatigue, nostalgie… Hard workin’ man : un rock à cuisson lente ce qui n’empêche pas la mixture de monter à haute température, ce pauvre homme vous le laisseriez bosser toute la nuit rien que pour entendre la cadence du marteau  de Thierry Sellier marquer le rythme orphique, tout est parfait dans ce titre, une intrication parfaite entre les chœurs et la guitare de Christophe Gillet, la voix de Loison mène la danse du sabbat. Made in France : le titre est en anglais mais les lyrics sont en français. L’on pourrait supposer que le morceau s’inscrit dans la thématique de l’album, mais il n’en n’est rien et il en est tout. L’album est dédié à la mémoire de DIDIER BOURLON qui fut le guitariste des Hot Chickens de 1999 à 2007. Ce sont d’ailleurs ses lyrics, sa voix et sa guitare que l’on écoute que les Hot ont prélevé dans le titre éponyme du dernier album de Didier Bourlon duquel nous avions chroniqué son passage au 3 B à Troyes. Les Hot ont simplement serti la voix et la guitare de Didier dans leur background. Ecoutez les paroles, c’est un rocker, c’est un être libre qui s’exprime. Respect. Blues letter : nous approchons de la fin, c’est donc le blues qui revient, l’était-là à votre naissance, sera encore là lorsque vous passerez sur l’autre rive, la seule berceuse qui vous éveille à la vie et vous endort à la mort. Les Chickens nous font un merveilleux cadeau d’adieu. A credit et en stéréo : le Loison, l’a de la suite dans les idées, termine l’album sur un morceau de Chuck Berry, officiellement oui, car dans la version (en français) qu’en a donné Eddy Mitchell dans son album Rockin’ in Nashville. Reprend l’ironique phrasé du grand Schmall mais y rajoute le violon d’Ayako Tanaka qui se marie à merveille avec la guitare de Christophe Gillet.

             Un album décisif, dans la réhabilitation du french rock’n’roll.

    Damie Chad.

     

     

    *

             J’avons ramené du concert de Jake Calypso à Troyes le cd:

    THE COMPLETE RECORDINGS  

    THE CORALS

    (ATSR / CD 003)

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     Le premier groupe dans lequel officia Hervé Loison, au total 31 morceaux. Dans cette première kronic nous ne nous occuperons que des morceaux liés aux deux opus du groupe. Dans notre prochaine livraison nous nous pencherons sur les titres enregistrés pour un deuxième album qui  fut  jamais finalisé.

    CRAZY GUITAR

    THE CORALS

    (Mac 121 / 1983)

             Un groupe qui vient de loin. Z’ont trouvé le nom en 1975 dans un train Corail ! Moins original, ils viennent d’Annequin un patelin du nord de la France. Le nord – à cheval sur la France  et la Belgique -   a toujours, historiquement parlant, été une terre rock. Après quelques changements le groupe se stabilisera autour de :

    Pierre Picque : lead guitar / Hervé Loison : bass guitar / Michel Francomme : rhythm guitar / Hubert Letombe : drums.

    Naissance de nos héros dans un mouchoir de poche, 1964 – 1965, juste à  la fin de la période d’éclosion du rock’n’roll français. Certes en 1980 le premier album des Stray Cats déboule en France (et ailleurs) mais eux semblent davantage branchés sur les groupes instrumentaux de par chez nous qui surgirent en 1962 et disparurent en 1965 que par la renaissance rockabilly initiée par nos trois américains. L’est sûr que l’on peut avec passion et patience s’escrimer sur un instrument, par contre l’on ne s’improvise pas chanteur du jour au lendemain… Et puis, raison nécessaire et suffisante Mac Bouvrie patron du label Mac Records recherche un groupe instrumental…

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    Crazy Guitar : certes ils sont au point, mais peu originaux comparés à leurs aînés (j’en écoute beaucoup ces temps-ci) des années soixante. Un gros défaut, le titre ne tient pas ses promesses, il manque la folie annoncée. Un point essentiel, c’est bien un groupe qui joue cohésif, et non pas trois guitares d’un côté et une batterie surnuméraire que l’on intègre tant bien que mal comme un invité surprise que l’on ne sait pas où placer autour de la table.  Coral Rock : c’est d’ailleurs elle qui lance le morceau, les guitares lui emboîtent le pas et s’amusent illico à faire le grand écart autour de la piste, ça poinçonne de tous les côtés et surprise au milieu du morceau vous avez droit à une rafale force 10, elle se calme un peu trop vite, mais elle revient vous claquer la porte au nez sur le final. Perso je pense que  cette face B aurait mérité de s’appeler Crazy Guitar !

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    Seront en cette séance du mois de juillet 82 mis en boite deux autres morceaux qui resteront inédits durant 38 ans :

    Mac’s Boogie : un peu trop la même facture que  Crazy Guitar, mais entre les deux prises ils ont dû  avaler un steak de cheval de course, z’appuient à mort sur leurs instruments et ça s’entend. L’a sans doute été écarté car trop bref. Coral’s Jump : des quatre mousquetaires c’est lui qui mérite le nom de d’Artagnan, chacun à droit à son quart de minutes de célébrité, aucun ne se défile, ça file droit au but, sont au niveau de leurs glorieux aînés. 

    ROCK ! CORALS ROCK !

    (MAC 009 / 1984)

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    Rollin’ Corals Reefs : prennent leur temps, intro battériale, un rythme de stroll et c’est parti, c’est du mignon au point d’Alençon, prenez-en une leçon, l’on secoue la salade doucement, guitare et batterie. Sans sucre ni sel ajouté. Fire for sale : de la guitare comme s’ill en pleuvait. Un peu acoustique, un peu électrique. L’ensemble sonne un peu country. Américain. Ce dernier mot est un compliment. Three steps to rock : le titre n’est pas sans évoquer le Three steps to  heaven d’Eddie Cochran, fausse route le son est assez plaisant, rien de funéraire, dans cette trille maigrelette à l’entrée, pour la suite, ambiance sixties-surf, vacances assurées. L’on ne s’ennuie pas, le groupe vous mène par le bout du nez et vous tient par la barbichette. Southern memories : guitare sombre, changement d’ambiance, un peu de gravité, un soupçon de nostalgie, ces souvenirs se révèlent vite obsédants, ils tourneront longtemps dans votre tête. Devil Coral Blues : le blues s’en vient ronchonner à votre porte, l’heure est grave ? pourtant z’avez aussi une guitare qui ricane ironiquement, le matou bleu a beau faire le gros dos, c’est ce hennissement insidieux de petite souris moqueuse qui clôt le morceau. King of strings : ce coup-ci ils sortent le grand jeu, sont les rois de la gâchette, n’y a pas que les cordes, un orchestre western qui vous dessine une tragédie à OK Corals. Rock ! Corals Rock ! : batterie et basse échangent quelques gifles, ça ne peut pas faire du mal et comme survient une guitare qui jette du sel sur les égratignures, vous ne vous plaignez pas de la tonicité de cette morsure, enfin ces piaillements de garçons vachers pour vous avertir que notre groupe instrumental se lancerait bien dans les vocalises. Question d’envergure, il y a de la toile dans la voilure. Rattling boogie : quand ça ne shake pas, quand ça ne rolle pas ce n’est pas grave puisque c’est obligé que ça rattle un max, depuis quelques titres ils prennent de plus en plus d’assurance, de la vieille musique certes mais entre de jeunes doigts qui ne restent pas inactifs. Walking guitar : des walking deads, à pas feutrés, en chaussettes caoutchoutées, ils ne font pas peur, sont tout mignons, ils vous mèneront en enfer. Et vous penserez : c’est ici qu’on est le mieux.  Spring time rock : rythmique printanière hors de sa tanière, se balade dans la nature que nous qualifierons d’américaine, au début ce sont des sentiers verdoyants mais bientôt c’est presque un entrecroisement d’autoroutes suburbaines. 47Annequion stomp : retour à la maison, une bonne galopade pour revenir chez soi, ils ont un truc à eux, une marque de fabrique, ça leur appartient, on les reconnaît, z’ont le son que les autres n’ont pas. Singulier ! Diamonds Reefs : le meilleur pour la fin, trafiquaient le corail des récifs, désormais ils vous vendent des diamants, bruts ou ciselés, n’y en a pas pour tout le monde, juste pour les plus riches. Parce que les rockers sont tous riches.

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             Ces Corals nous étonnent, vingt ans après, ils ne font pas dans la revoyure, ni dans la copiure. Ils ne cherchent pas, ils trouvent : d’abord jouer ensemble, ensuite rechercher la précision, enfin être eux-mêmes. A suivre.

    Damie Chad.

     

    *

             Si le hasard est improbable, son improbabilité n’est-elle pas probable ? Dans notre livraison 310 du 05 / 01 / 2017 je chroniquais Le Jeune lion dort avec ses dents (1974) de Michel Lancelot, à peine avais-je fini que dans une notule je rajoutais que je venais de trouver un deuxième ouvrage de Michel Lancelot intitulé : Je veux regarder Dieu en face : vie, mort et résurrection des hippies, (1968). Quel splendide hasard m’écriais-je ! Dans les longs jours qui suivirent j’eus le temps de le lire et d’ajouter cette chro à la suite de la précédente.

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             Michel Lancelot (1938- 1984) anima sur Europe 1, l’émission Campus elle commença, juste à temps, le 15 avril 1968 et se termina le 8 septembre 1972, jeunes gens et étudiants perdus dans leurs provinces se hâtèrent d’écouter, Lancelot parlait d’abondance de phénomènes dont les radios n’avaient pas l’habitude de nous entretenir, la contre-culture américaine, la beat generation, le shit, le LSD, les hippies, sans éluder le problème de la non-obéissance, de la révolte, de la violence, et de son corollaire : la non-violence, Lancelot n’était pas un émule de la Bande à Bonnot. Il fut cependant en cette époque un passeur essentiel. Certains soirs l’émission dépassait le million d’auditeurs…

             Voici deux jours, feuilletant l’éphéméride des publications de votre site préféré je tombais par hasard en arrêt sur le nom de Lancelot et les titres de ces deux livres chroniqués, tiens me dis-je si mes souvenirs sont bons il  y  en avait un troisième. Au matin suivant, farfouillant dans une boite à livres je dénichais, quel hasard ce troisième volume ! Je me hâtais de le lire et de le chroniquer :

    JULIEN DES FAUVES

    MICHEL LANCELOT

    (Albin Michel / 1979)

             Si les deux précédents ouvrages relevaient de l’essai, du documentaire, du témoignage, rédigés au cœur de la tourmente tempétueuse qui agitait les esprits en ces années, celui-ci est très différent : un roman que l’on serait tenté de qualifier de politique et de science-fiction s’il n’était pas tout simplement étonnant. Pour ne pas dire déstabilisant.

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    Une nouvelle notule qui a son importance, ce roman n’est pas le troisième ouvrage de Michel Lancelot consacré à ces années tumultueuses. Entre les deux ouvrages susnommés est paru chez Albin Michel en 1971 : Campus : violence ou non-violence. Que je n’ai pas lu mais dont le titre à lui tout seul aide à comprendre la problématique qui structure Julien des Fauves.

    Le roman débute après les évènements de mai 68. Dix ans, vingt ans, cinquante ans après ? Plus ? Moins ? Aucune précision ne permet de désigner une date précise. Ce que l’on comprend, c’est que le grand rêve hippie est terminé. Comme disait Nougaro, une fois la fête terminée ‘’ chacun est rentré dans son automobile’’.

    La secousse a été terrible. L’establishment a été ébranlé en profondeur politique. Nous rappelons que le livre a été publié en 1979, ceci pour démonter la prescience de son auteur. La vieille social-démocratie a été renvoyée par les électeurs qui ont donné le pouvoir aux porteurs de l’idéologie économico-libérale.  S’ouvre une période de pseudo-prospérité qui donne aux populations européennes l’illusion d’un progrès social, les élites ne sont pas convaincues que le calme durera toujours, petit à petit sous couvert de sécurité et de précautions à prendre pour préserver la liberté, s’instaure un ordre des plus coercitifs.

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    Hélas, Mai 68 va renaître de ses cendres. En quelques jours éclate le mouvement des Immatures. De jeunes adolescents, entre treize et dix-sept ans dont le but revendiqué est de détruire la société qu’ils rejettent. Fini les colliers de fleurs, ils sont armés, ils tirent sur tout ce qui s’oppose à leurs mouvements. Ils massacrent allègrement. Faudra l’armée pour les réduire et une longue traque des meneurs qui seront jugés et pendus. Sans pitié. Ces jeunes révoltés ne se revendiquent d’aucune idéologie, si ce n’est bizarrement des premiers chrétiens d’avant la constitution de l’Eglise. L’on se demande alors pourquoi, plus personne en Europe ne se revendique du catholicisme, et les religions sont passés de mode… Le nouveau président de la communauté européenne qui sera porté au pouvoir s’emparera de tous les rouages, il a l’art et la manière d’établir et de maintenir un ordre hégémonique  mais nécessaire, au nom des plus beaux principes et des valeurs de haute culture qui ont permis à la civilisation européenne de dominer du monde… Polices serviles et services secrets ne reculent devant aucun crime : toute tête qui pense différemment est supprimée… Vous saupoudrez le tout d’un taux chômage élevé et tout citoyen sensé n’ose revendiquer une quelconque amélioration… Evidemment l’on désigne un ennemi. Ce seront les Arabes, n’auraient-ils pas les velléités d’augmenter le prix du pétrole. L’on fait semblant de négocier, l’on prépare une bonne guerre…

    Lancelot n’a pas tout inventé, sans doute s’est-il inspiré pour la révolte des Immatures, du film If sorti en 1968, des Khmers rouges cambodgiens (1975) et sur le plan international du premier choc pétrolier de 1973 causé par les pays Arabes. Toutefois toute ressemblance avec notre actualité serait-elle due au hasard ?

    A ce stade-là le roman se trouve dans l’impasse. Question espoir nous sommes en plein vide, dans le No Future des punks. Mais en pire, le mouvement hippie possédait une roue de secours : le christianisme, les hippies ne prônaient-ils pas l’amour universel ? En se réclamant du christianisme les Immatures ont brûlé les vaisseaux de secours de l’idéologie de la non-violence…

    Ne vous inquiétez pas pour le roman. Le héros arrive. Oui, il s’appelle Julien, les lecteurs de Kr’tnt sont perspicaces. C’est surtout Michel Lancelot qui doit se dépatouiller de l’équation qu’il s’est imposée à lui-même. Celle de l’intellectuel qui comprend la nécessité d’un changement violent et qui n’a plus à sa portée théorique le cache-sexe de la non-violence pour se défiler.

    Aujourd’hui Julien se servirait des réseaux sociaux pour toucher la population. Dans les années 70, le média de masse incontournable était la télévision. Julien, le parfait inconnu y accèdera. Grâce à un ami journaliste. Avec la permission, il ne le sait pas, du président dictatorial. Il prononce un discours. Un appel à chacun. Il n’énonce aucune grande vérité.  Que chacun refuse de coopérer avec le Système en place, et s’investisse de sa propre autorité pour ne plus obéir, pour agir selon ce qui lui semble juste. Un peu l’An O1 de Gébé, film de 1973.

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    Oui mais Julien a un truc en plus. Il n’est pas une figure charismatique. Une stature de géant mal-équarrie, un visage sans beauté, pour ne pas dire laid. Oui, mais il dégage. Quoi ? Une certaine force tranquille. D’où provient-elle ? Il n’en comprendra l’origine que trop tard. L’habite un trou perdu. L’a regroupé deux personnes autour de lui. Entre eux, aucune relation de maître à disciple, par hasard se joint à eux une des dernières immatures recherchée par la police. Après son passage à la télévision, du monde arrive, une dizaine, une centaine, mille, cinq mille… Les autorités s’inquiètent. On lui offre une participation à l’émission reine qui attire des millions de spectateurs. C’est un piège. Ses contradicteurs, jouant de son honnêteté intellectuelle, l’acculent non pas dans ses derniers retranchements, mais révèlent qu’il n’a rien de vraiment sensationnel à dire. Flop intégral. La dernière fois où l’on aperçoit il est totalement seul devant l’immeuble de la télévision…

             Et ensuite ? Rien. Lancelot se fout un peu de nous, le méchant-président n’est pas si méchant que cela, il ne déclarera pas la guerre aux Arabes. Tout est bien qui finit aussi mal que l’intrigue avait commencé. Voilà, c’est tout. Circulez, il n’y a plus rien à voir. Si ! entre temps l’on a compris, Julien a pris conscience qu’il est capable d’entrer en contact avec les forces germinatives de la nature. Cette nouvelle intelligence le retranche de son premier message. Voilà, c’est tout. Vous êtes insatisfait. Vous venez de lire 498 pages, et vous vous retrouvez le bec dans l’eau. Vous vous dites que vous aimeriez savoir ce qu’il va faire de son étrange compréhension des forces de la nature. Lancelot, n’en a pas la moindre idée non plus.  Comme le livre compte exactement cinq cents pages, ne lui en reste que deux pour apporter une solution.

    Lancelot jette sa dernière carte. Ce n’est pas le valet de pique. C’est la dame de cœur. Pas de méprise, la demoiselle de cœur, la petite fille d’une des premières révolucides ainsi se nomment les cinq mille personnes qui se sont regroupées autour de lui. Une petite fille avec laquelle il a noué une étrange relation. Pas du tout pédophilique. Nous la retrouvons dans les deux dernières pages. Seule, au milieu du désert, elle gît sur la terre et elle attend. Peut-être est-elle morte, peut-être la mort et la vie ne sont-elles que des variations dues aux agencements de nos éléments constitutifs. Elle n’est plus une petite fille, elle est un mythe, elle est la Femme.

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    Michel Lancelot n’ajoute aucune explication. A chacun d’interpréter à sa guise. Veut-il nous dire avec Aragon que la Femme est l’avenir de l’Homme, perso je ne souscris guère à cette hypothèse. Je ne crois pas plus aux miracles du Christ qu’à ceux de Marie-Madeleine…

    Si l’analyse de la contre-culture américaine initiée dans les deux premiers volumes doit se résoudre dans cette fable aux forts relents christianophiles… il me paraît inutile de s’appesantir davantage.  Par contre la description des modalités du déploiement du pouvoir politique s’avère des plus fines. Prophétiques même, surtout si l’on pense au ralliement inconditionnel à l’idéologie libérale des élites politiques européennes au début des années quatre-vingts.

    Damie Chad.

    S’il fallait  comparer Julien des fauves de Michel Lancelot avec un autre roman ce serait avec L’Evangile du Serpent de Pierre Bordage paru en 2001.

     

    *

    Johnny Meeks, un des guitaristes mythiques des Blue Caps, parle.  Il aurait tant à dire ! Pour ceux qui veulent en savoir davantage, je conseille de lire les pages que lui consacre Tony Marlow dans Rock’n’Roll Guitare Heros  Hors-Série Trimestriel N° 37 d’avril 2017 de Jukebox Magazine. A la lecture de cet ouvrage indispensable vous comprendrez ainsi que Johnny Meeks ne se vante guère, qu’il occulte toute une partie de son travail auprès de Gene Vincent et reste très succinct quant à sa propre carrière…

             Nous sommes plongés dans ce que nous pourrions appeler une Convention de Disques, nous supposons de rock’n’roll, davantage d’animation que dans les vidéos précédentes, peut-être pas l’endroit idéal pour la concentration qu’exigerait une interview de fond, mais lorsqu’un témoin de première importance prend la parole, il convient d’écouter avec attention. Johnny Meeks nous a quittés voici dix ans, le 30 juillet 2015.

    The Gene Vincent Files #5: The Blue Caps guitarist Johnny Meeks in a rare interview.

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     Johnny est en train de signer sur une brochure intitulée JOHNNY un autographe à un admirateur et répond semble-t-il à une question que l’on n’entend pas : un jour j’ai adoré, c’était le rythme des ados, tu sais c’était la nouveauté et j’ai adoré, et c’est ce que j’ai commencé à jouer, avant ça je jouais des chansons de Hank Williams et puis

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    le beat a frappé le tube rock’n’roll et je suis rentré au rez-de-chaussée du Sullivan Show un de mes amis était à Washington DC, ainsi va la vie, il marchait dans la rue, il a vu Gene Vincent, il s’est approché de lui et lui a dit ‘’ N’es-tu pas Gene Vincent’’, il a répondu’’ Oui, je suis à la recherche d’un guitariste rythmique’’ et Paul Peek (il sera guitariste puis clapper boy chez les Blue Caps) a dit ‘’Eh bien je joue de la guitare rythmique’’ , Gene a répondu ‘’ Tu veux un travail de guitariste rythmique ?’’ et Paul l’a rejoint, pour moi ça a bien commencé environ deux jours plus tard. Gene a dit maintenant nous avons besoin d’un guitariste solo, et Paul a répondu : J’en connais un à Greenville en Caroline du Sud, il joue dans un groupe là-bas et ils sont venus de Portsmouth en Virginie à Greenville pour me voir, je jouais sans doute un vendredi soir dans un truc style lycée, ils sont venus me voir et m’ont embauché sur place, alors je suis retourné à Portsmouth en Virginie, nous avons répété un peu et nous sommes partis sur la route. A cette époque je jouais d’une guitare à trois manches, il n’y en avait qu’une de plus dans le monde entier et j’avais la deuxième guitare à

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    trois manches dans le monde et Bubba (surnom de Tommy Facenda lui aussi clapper boy)  a raconté que c’est à cause de cette rareté que Gene m’a embauché et non pour mon jeu. Gene voulait cette guitare à trois manches dans son groupe, je l’ai finalement vendue à Gene et il m’a acheté une toute nouvelle Gretsch pour jouer et je lui ai vendu la guitare à trois manches donc il est devenu le seul propriétaire d’une guitare à trois manches donc c’est comme ça que selon Bubba je suis devenu l’un des Blue Caps. Gene était très généreux, il n’était pas une star du genre Primadonna, il était très terre à terre, mais il avait, j’avais l’impression qu’il était toujours mal, il avait eu un accident de moto et s’était cassé la jambe très gravement, elle n’a jamais guéri correctement, et j’ai l’impression qu’il avait mal, énormément, énormément, pour quelqu’un qui devait avoir mal 24 heures sur 24, j’ai l’impression qu’il s’est plutôt bien débrouillé. Oui, j’ai fait les premiers Blue Caps. Je comprends qu’ils 

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    voulaient  rester à la maison, ils avaient des femmes, des enfants, des boulots et ils n’aimaient pas la route. J’ai adoré parce que ça m’a fait sortir de Greenville, en Caroline du Sud, et nous allions partout dans le monde. Je veux dire, un petit gars en Caroline du Sud, un jour on est à New York, le lendemain à Chicago, le surlendemain à Dallas, le jour suivant dans le Dakota du Nord, c’était très excitant pour moi. Sûr je ne l’aurais échangé pour rien au monde. Mais Roy Orbison, Johnny Cash, Carl Perkins, Jerry Lee Lewis, tous les grands noms de l’époque, c’était en  57, vers Mars ou Avril, en 57, c’était une grande tournée en tête d’affiche, ils appelaient ça des packages shows, il y avait peut-être sept, huit ou dix artistes dans le même show.

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    Celui qui avait le plus gros succès à l’époque était la tête d’affiche du show. Vous savez, Gene avait à peu près le plus gros succès donc nous avons toujours clôturé le show. Gene et les Blue Caps. et  il était difficile de passer après Jerry Lee. Ils lui ont fait ouvrir le spectacle et tous les autres médiocres le suivaient, ça n’a pas vraiment marché, après une semaine ils ont dû réorganiser le modèle et arriver à disons à Furland H ou Sonny James pour ouvrir le spectacle, vous savez et Jerry Lee a dû venir à peu près jusqu’à la fin parce qu’il était si dynamique, vous savez, et puis nous suivions Jerry Lee parce que nous étions un peu plus dynamiques que lui, mais Jerry Lee, peut, oh oui ! jamais, nulle part  il ne sera un second couteau ! Il sait où se trouve sa place. Ainsi en Australie, nous avons joué là-bas pendant deux semaines avec Little Richard, inutile de dire qu’il a dû clôturer le spectacle, vous ne pouvez pas passer après Little Richard, ça s’appelait Send me some Lovin et ça a dû atteindre le numéro 10, ça n’a jamais été aussi gros que Be Bop A Lula, ça a atteint le numéro 10 et c’est comme ça, j’en suis fier et je signe mes autographes et tout ça, si c’est pour

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    une femme, je signe ‘’ beaucoup de semaines d’amour, Johnny’’ maintenant, je ne fais pas nécessairement cela pour les gars, vous savez, mais je suis fier de ça, beaucoup d’amour était le premier disque sur lequel j’ai joué et c’était un gros succès, et j’étais vraiment content de ça. Hollywood Capitol Tower, Hollywood, où je pense que Be Bop A Lula a été gravé, je suis presque sûr que ça a été gravé à Nashville, mais après ça tout a été enregistré à la Capitol Tower, Gene a eu un gros

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    succès grâce à une chanson intitulée Say Mama et j’en ai écrit la moitié moi et un gars nommé Country Earl, nous nous sommes réunis et avons écrit la chanson ensemble, je l’ai jouée pour Gene et nous l’avons enregistrée et elle se vend toujours à ce jour, c’était en 1958 et je reçois toujours dix ou quinze cents tous les six mois, vous savez donc c’est pour ça que je me dis que ça dure une seconde pour être… Quant à  Be Bop A Lula c’est l’un de ses plus gros succès, environ quatre albums et peut-être environ 15 singles, je joue sur la plupart de ses morceaux après Be Bop A Lula. Ils ont gravé Be Bop A Lula puis je pense deux albums, un ou deux albums là-bas, dans une période d’environ cinq mois. Les deux premiers des albums et Be Bop A Lula était la première formation des Blue Caps, c’était Cliff Gallup qui jouait la guitare leader, après ça j’ai joué ( l’on voit Meeks accompagné d’une jeune fille marcher dans

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    les allées) sur presque toute cette période de Gene sur Capitol. Tout le groupe se séparait, tout le monde voulait rentrer à la maison, ce n’était plus tout à fait le même groupe, Dicky le batteur est revenu et est parti et est revenu et est reparti, Bubba et Paul ont fait la même chose, ils sont revenus pour le film, puis sont repartis, ce n’était pas le même groupe, le même lien, ils envoyaient quelqu’un d’autre et il restait un moment et il partait. Donc c’est devenu fatiguant que tout le monde veuille arrêter et rentrer à la maison, et bla-bla-bla, nous étions à Hollywood, il n’y avait aucun moyen que je quitte Hollywood pour retourner à Lauren en Caroline du Sud, donc je suis resté à Hollywood et on m’a proposé un travail avant le jour où nous allions nous séparer, nous enregistrions à Capitol et tout le monde allait finir ça, et rentrer à la maison, donc nous avons terminé l’enregistrement et je suis resté à Hollywood, je n’étais pas prêt de retourner à la maison. Vous savez donc j’ai juste

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    continué à partir de là j’avais un travail que j’ai joué, puis j’ai joué un autre boulot, j’ai joué un autre, joué un autre, puis un autre, j’ai rejoint les Champs, quitté les Champs, et suis allé quelque part, bla-bla-bla, ça dure depuis cinquante ans ce jeu et je n’ai pas encore eu à demander pour un boulot… Gene était programmé en Angleterre, Eddie était programmé en Angleterre, et Gene voulait que j’aille avec eux, sur cette tournée qui a tué Eddie, j’aurais pu être dans le même taxi avec lui, mais j’ai refusé, je n’y suis pas allé, alors Gene a demandé à Eddie de le soutenir sur scène, tu sais maintenant Eddie n’a pas fait tous les anciens morceaux et tout ce qu’on avait fait mais il jouait bien de la guitare, donc il soutenait bien Gene sur Be Bop A Lula et des trucs comme ca, moi j’étais avec les Champs à ce moment-là, des gars qui avaient créé Tequila, je jouais avec les Champs, on était dans un bus, en direction de Cleveland je crois, et ils m’ont réveillé pour me dire que Gene Vincent et Eddie Cochran venaient d’avoir un accident de voiture en Angleterre, ils avaient entendu la nouvelle  à la radio. Ils m’ont réveillé pour me dire de me réveiller, pour me dire sur Gene Vincent et qu’ Eddie Cochran vient d’être tué dans un accident de voiture en Angleterre. Je me suis dit, oh mon Dieu c’est la même tournée que j’aurais pu faire. Lorsqu’il  était à Los Angeles, il a essayé de m’embaucher ou de partir en tournée avec lui, ou quelque chose comme ça. Et je… il n’y était pour rien. je ne voulais tout simplement pas le faire. Je faisais, d’autres choses vous savez et ça n’aurait pas été pareil en aucun cas sans les autres Blue Caps, Vous savez comme je l’ai dit, nous avions un lien particulier qui n’a jamais pu être brisé… L’incrédulité, vous savez quoi ? Gene est mort et j’ai dû entrer dans les détails. Il était revenu d’Angleterre.

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    L’ironie de la chose c’est que j’étais à environ deux ou trois miles. Il était à environ deux ou trois miles de moi, quand il s’est effondré. Je jouais dans une boîte de nuit et il vivait environ à trois ou quatre miles de là. Je jouais dans cette boîte de nuit et il était environ à quatre miles de là mourant d’un ulcère hémorragique. Il ne savait pas que j’étais là et je ne savais pas. Il était là, on était proche pour ainsi dire jusqu’à la toute fin, dans le sens où c’est arrivé en Californie et c’était le lendemain ou quelque chose comme ça avant que ça ne sorte dans le journal, avant que je ne le sache, je ne le savais pas et c’est sorti dans le journal et je dis  qu’à ses funérailles j’étais un Paul Bearer (porteur de cercueil), et c’était triste, très triste, Gene. J’ai vu beaucoup de documentaires et toutes ces choses sur le rock and roll, et ils ne mentionnent que très rarement, voire jamais, Gene. Gene était une grande star à cette époque et ils ne le mentionnent presque jamais, il n’est presque pas reconnu comme je l‘ai dit, et les Blue Caps sont très populaires en Angleterre, mais aux Etats Unis, ici il est très difficile de trouver quoi que ce soit sur Gene Vincent et les Blue Caps, ils mentionnent Jerry Lee, Elvis, Sam Cooke, Jackie Wilson, et Little Richard et jamais Gene, et nous étions tous là, dans le même sac, et j’ai joué comme je l’ai dit dans une centaine de groupes et aucun d’entre eux n’a été aussi proche pour moi. J’ai encore des souvenirs des Blue Caps   ce ne sera jamais pareil, ça ne sortira jamais de ma tête, et je n’ai pas forcément un tel lien avec d’autres groupes, tu sais les Blue Caps étaient uniques en leur genre,

    Say Mama, can I go out tonight?
    Say Mama, will it be alright?
    They got a rockin' party goin' down the street
    Say Mama, can't you hear that beat?

     Dis-moi, maman, je peux sortir ce soir ? Dis-moi, maman, est-ce que ça va aller ? Il y a une super fête dans la rue. Dis-moi, maman, tu n'entends pas ce rythme ?

    Damie Chad.

    Notes :

    Sonny James (1928 – 1983), chanteur de country dont le titre de gloire reste  Young Love paru en 1957.

    Ferland H : vraisemblablement Ferlin Huskin (1925-2011) en contrat avec Capitol Records, son simple Gone paru en 1957 fut classé quatrième au Billboard Top 100.

    Toutes ces vidéos consacrées à Gene Vincent sont à voir   sur la chaîne FB : VanShots - Rocknroll Videos.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 699 : KR'TNT ! 699 : IMMEDIATE / EMBROOKS / BAD BANGS / ESTIVALERIES / GENE CHANDLER / JAKE CALYPSO TRIO / ACROSS THE DIVIDE / PATRICK GEFFROY YORFFEG / GENE VINCENT + JEFF BECK

     

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 699

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    28 / 08 / 2025

     

    IMMEDIATE / EMBROOKS / BAD BANGS

    ESTIVALERIES / GENE CHANDLER

    JAKE CALYPSO TRIO / ACROSS THE DIVIDE

    PATRICK GEFFROY YORFFEG

    GENE VINCENT + JEFF BECK

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 699

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Label bel bel comme le jour

    - L’immédiateté d’Immediate

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             Aux yeux des connaisseurs, Immediate reste le fleuron des labels du Swingin’ London. Parce que P.P. Arnold, parce que les Small Faces, parce que Chris Farlowe, parce que les Fleur De Lys, parce que Twice As Much, parce que Billy Nicholls. Et surtout parce qu’Andrew Loog Oldham. Dix ans avant les gens d’Ace, le Loog élevait son label au rang de mythe. Simon Spence raconte tout ça très bien dans un grand format sobrement intitulé Immediate, paru voici presque vingt ans et réédité depuis, sous une autre couverture. Le book est richement illustré, extrêmement bien documenté. Avec le temps, le jaune du titre et celui de la tranche ont pâli au point d’avoir presque disparu. L’éditeur a pelliculé, alors qu’il aurait dû prévoir un vernis UV. Quand ils ne sont pas protégés, le jaune et le rouge ne supportent pas la lumière crue qui rentre à flots dans la pièce où peut se dresser une bibliothèque.

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             Pour tout fan de rock anglais, ce grand format est un passage obligé. Spence brosse un beau portrait du Loog et de tout son roster. De la même façon que la Factory à New York, Immediate fut une usine à rêves. En 1965, c’est-à-dire au moment où le Loog monte Immediate, il est encore le manager des Stones. Il s’associe avec Tony Calder et décide de tout réinventer. Calder : «Our attitude towards the business in the UK was fuck them all, they were all old men.» Le concept est pur. Le Loog et Calder décident de se ré-approprier ce qui leur appartient : la rock culture. En même temps, le Loog construit sa légende urbaine. Il roule dans Londres à l’arrière d’une Chevrolet Impala bleue décapotée et drivée par le fameux Reg King. Keith Richards : «At a time when you didn’t see that many powder blue Chevys on the street.» Et Spence s’empresse d’ajouter que King et le Loog étaient bien évidemment «out of their heads on speed pills.»

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             Le Loog lance Immadiate avec l’«Hang On Sloopy» des McCoys, sorti aux États-Unis sur le label de Bert Berns, Bang! C’est Seymour Stein qui a présenté le Loog à Bert Berns. Spence décrit une party au Pickwick club de Soho, dont le patron n’est autre que Wolf Mankowitz, père du photographe des Stones, Gered. Parmi les convives se trouvent Linda Stein et Linda Goldner, la fille du fameux George Goldner qui fut l’un des magnats du Brill et l’associé de Leiber & Stollet dans Red Bird Records. Spence profite de l’occasion pour nous rappeler que Seymour Stein avait bossé pour Goldner au Brill. Et Linda avait été l’assistante d’Artie Ripp, boss de Kama Sutra Records, «hippest New York independant label», et, comme Goldner, en lien avec la mafia new-yorkaise. Sont aussi présentes Marianne Faithfull, «and Oldham latest discovery, ice queen Nico» - Faithfull et Nico, along with Oldham’s wife, Sheila, and Keith Richards’s girlfriend, Linda Keith, font tourner les joints de marijuana - Spence cite aussi «a young Steve Marriott who was hitting on Mick Jagger’s girl, Chrissie Shrimpton.» Les Stones et Pete Townshend sont là, bien sûr. La party célèbre la sortie de «Satisfaction» en Angleterre.  

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             Brian Jones avait rencontré Nico après un show des Stones à l’Olympia et avait flashé sur elle. Nico racontera par la suite que Brian la frappait et qu’un jour, il avait essayé de lui épingler une broche sur les lèvres vaginales. Et bien d’autres choses. Mais Nico se servait de Brian Jones pour approcher Oldham, qui connaissait sa réputation et qui savait qu’elle avait tourné pour Fellini dans La Dolce Vita. Le Loog la signa à Los Angeles pendant qu’il enregistrait «Satisfaction» avec les Stones. Il emmena Nico aux gogues pour lui faire sniffer «a line of high-grade speed». On va retrouver Nico et Brian Jones à Monterey. Ils louent une baraque en ville avec le Loog et sa femme Sheila. Brian était là pour présenter des groupes sur scène.

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             Nico enregistre l’«I’m Not Sayin’» de Gordon Lightfoot sur Immediate. Elle a 28 ans et elle est la plus vieille le jour de l’enregistrement au Regent Sound de Denmark Street, là où le Loog a enregistré les premiers hits des Stones. Derrière Nico, on retrouve Brian Jones, Jimmy Page, John Paul Jones et Art Greenslade. Le Loog fait constamment appel à Jimmy Page et John Paul Jones. Puis Brian Jones va présenter Nico à Andy Warhol. Elle lui donne son single Immediate et décroche en retour un job dans le Velvet.

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             Le Loog s’acoquine avec Allen Klein. Il flashe sur son look de gangster. Klein déclare à la presse : «Andrew manages the Rolling Stones and I manage him.» Dans un premier temps, tout se passe très bien : Klein récupère 600 000 £ chez Decca et fait miroiter des millions de £ sur les deux années à venir. Alors le Loog s’achète une black Rolls Royce Phantom 5 pour 19 000 £. Après la Reine et John Lennon, il est le troisième à pouvoir se payer cette caisse de luxe en Angleterre. Mais comme Reg The Butcher King vient de se faire sucrer son permis, c’est un certain Eddie Reed qui va la conduire. Le Loog admire aussi Klein pour son «business brain» : «Allen Klein knows how to convert my ideas into cash. Without his business brain, I would go nowhere.» Comme il se sent bien épaulé, le Loog multiplie les déclarations fracassantes dans la presse : «The Rolling Stones are still social outcasts. We work on the principle that if you are going to kick conformity in the teeth, you may as well use both feet.» Oui, taper des deux pieds dans les dents de la conformité.

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             Parmi les potes du Loog, on retrouve Peter Maeden, le premier manager des Who. Puis Chris Stamp et Kit Lambert lui ont «racheté» les Who et ont installé leur burlingue dans le même immeuble que celui d’Immediate, à Ivor Court. Une rumeur dit que les Who vont signer sur Immediate. Pete Townshend file «Circles» à Immediate et ce sont les Fleur De Lys qui l’enregistrent, avec Jimmy Page sur la fuzz, apparemment. Mais finalement, Townshend va rester avec Lambert & Stamp, qui vont très vite se débarrasser de Shel Talmy. Les Who ont eu du pot de s’en sortir après s’être débarrassé de trois des personnages les plus pointus de l’époque, Peter Maeden, le Loog et Shel Talmy.

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    Brian + Anita

             Puis le Loog va installer ses bureaux au 63-69 New Oxford Street. Après trois ans de tournées incessantes, les Stones font un break pour prendre des vacances : Jagger va au Mexique, Keef reste à New York, Bill va en Floride, Charlie va aux îles grecques et Brian Jones descend avec Anita à Tanger.

             La période 1966-1968 est l’âge d’or d’Immediate. Gered Mankowitz parle de «fantastic creativity» - The music and the energy were fantastic - Le Loog est l’enfant terrible du music biz - We were having hits, making great music - Tout le personnel d’Immediate est jeune. La presse n’en peut plus, le NME titre sa double page : «Oldham: Talented. Insulting. Outrageous.»

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             On lui file «an advance copy» du Pet Sounds à paraître. Le Loog flashe, «listening to it entirely in hotel rooms from Manchester to Stockholm.» Il veut rivaliser avec Pet Sounds et décide de tenter le coup avec Twice As Much. Twice As Much ? Oui, un duo flairé par le Loog. Deux petits mecs, Andrew Skinner et David Rose. Le Loog sait qu’il lui faut des auteurs maison, alors il recrute Billy Nicholls et Twice As Much. Il met le paquet sur le premier Twice, Own Up. L’enregistrement lui coûte 26 000 £. Trois semaines. Grand orchestre. Art Greenslade qui signe les arrangements dit que l’album est directement inspiré par Pet Sounds, qu’il est sorti avant Sgt Pepper, «and I thought it was better.»

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             Alors on vérifie ce que raconte Greenslade. Own Up est un Immediate qui vaut largement le détour. Les Twice y font pas mal de covers : «Help» (joli shoot de Beatlemania, ils y vont au won’t you please, c’est tapé à l’up-tempo bénéfique), «We Can Work It Out» (Beatlemania toujours), «As Tears Go By» (en plein dans l’œil du cyclope) et surtout l’«Is This What I Get For Loving You Baby» de Spector/Goffin/King : c’est l’Immediate Sound du Brill. Big time explosif ! London Brill ! Ça vaut tout le Brill du monde. Prod du Loog. T’as le beat des reins, l’écho des chœurs et les violons. T’es frappé par l’ahurissante qualité de la prod. C’est même digne de Brian Wilson. Encore du London Brill avec «Night Time Girl». Quel haut de gamme ! Cette fois, on frise le Gary Usher. On tombe ensuite sur «Life Is But Nothing», une belle compo des Twice que le Loog a refilé à Del Shannon pour Home & Away. Envol immédiat encore avec «Happy Times». T’as là la Sunshine Pop de London town. Encore une merveille digne de Brian Wilson.          

             Dave Skinner dit qu’il n’a jamais touché un sou sur Own Up, mais il admet volontiers que le Loog était très méticuleux - Own Up was his baby and he put a lot of effort into it - L’album n’a pas aussi bien marché que Pet Sounds, mais des gens comme Steve Marriott l’ont salué.

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             T’as un autre Immediate des Twice : That’s All. C’est quasiment un album hommage à Brian Wilson. Tu retrouves «Do You Wanna Dance» dans un petite medley et ça explose véritablement au grand jour avec «True Story». Ils ne sont pas aussi balèzes que Tony Rivers, mais c’est pas loin. Encore du Beach Boys Sound avec «Simplified» et «Step Out Of Line». Quelle clameur et quelle excellence harmonique ! Ils tapent ensuite dans Burt avec «You’ll Never Go To Heaven» - You’ll never go to heaven/ If you break my heart - Il dit ça avec une telle douceur mélodique qu’elle va craquer. Là, ils te donnent le vertige. Ils terminent avec une cover de Mann & Weil, «The Coldest Night Of The Year». Magnifique mélasse pop - Baby it’s cold out there - T’en reviens pas de tant de brillant Brill Sound et de tant de clameurs wilsoninennes.

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             C’est Gered Mankowitz qui surnomme Pat Arnold ‘PP’. Le plan du Loog était de la lancer comme il avait lancé Chris Farlowe, en demandant à Jagger de la produire et de lui composer des hits. Au début, elle est accompagnée en tournée par «a little four-piece band called the Nice». Le Loog voit P.P. comme un croisement entre Ronnie Spector et Aretha. Il demande aux Small Faces de l’accompagner en studio sur une belle version d’«Angel In The Morning», un hit signé Chip Taylor. 

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             Spence attaque ensuite le cœur du mythe Immediate : les Small Faces. Ça passe bien sûr par Don Arden, qui est alors «the most successful and influential British promoter ever», celui qui a ramené en Angleterre Gene Vincent, Sam Cooke, Jerry Lee, Little richard, Bo Diddley, Chucky Chuckah, Ray Charles et Fatsy. And many many more. Arden dit qu’il a trouvé les Small Faces, qu’il les a enregistrés et qu’il en a fait des Top Ten stars in six weeks - That’s all it took, six weeks - Il paye deux mecs, Brian Potter et Ian Sammy Swamwell 25 £ par semaine pour composer des hits et ça donne «Watcha Gonna Do About It». Quand les Small Faces refusent de continuer à chanter les cuts de Sammy, Arden les traite d’«ungrateful bastards». Marriott & Lane commence à composer pour le Loog et c’est là qu’il commence à les prendre très au sérieux. Il les signe et le premier single sur Immediate sera «Here  Come The Nice» (qui devait d’ailleurs s’appeler «Here Come The Nazz»). C’est aussi le 50e single Immediate.   

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             Puis arrive le drug bust des Stones à Redlands. Libres sous caution, les Stones enregistrent «We Love You», et John Lennon vient faire les chœurs. En attendant de connaître le verdict du tribunal, les Stones enregistrent une vidéo qui doit être diffusée sur Top Of The Pops si on les envoie au ballon. C’est filmé dans une église. Marianne Faithfull, Keef, Jagger et Brian Jones jouent le procès d’Oscar Wilde. Les Stones n’iront pas au ballon, mais la tension entre Jagger et le Loog devient plus que palpable. Jagger prend très mal le fait que le Loog lui refuse un tiers des parts d’Immediate. En plus Jagger ne supporte pas Steve Marriott, qu’il voit comme un rival. Ça s’envenime. Jagger refuse de continuer à bosser avec le Loog. Fin des haricots. Allen Klein rachète le contrat du Loog avec les Stones pour 700 000 £.

             Alors basta. Le Loog reprend le chemin d’Ararat avec Del Shannon. Un Del qui entre en studio avec le Loog et qui déclare : «So for three or four weeks; I had the time of my life with Andrew. He had let us his Rolls, I liked him because he was very adventurous.»

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             L’album qu’ils enregistrent ensemble s’appelle Home & Away. C’est un album de producteur. Del est un bon, mais le Loog est un super-bon. Del swingue son «Mind Over Matter» comme un crack, mais le Loog l’orchestre comme un super-crack. Billy Nicholls compose «Cut & Come Again» et le Loog en fait une belle lampée mélodique. Quelle allure ! C’est orchestré avec des trompettes mariachi. S’ensuit un «My Love Has Gone» hyper-orchestré, du pur jus de silver sixties. Puis Del tape dans une compo de Twice As Much, «Life Is But Nothing». Tout ici est très typé, très Loogué, très orienté sur le Totoring. Quel son ! Quelle profondeur de champ ! Del fout bien le paquet ! Tout est gorgé de remugles de pop anglaise. Et puis voilà la cerise sur le gâtö : «Runaway», le cut qui fascinait tant le Loog, le premier hit de Del qui date de 1961. Le Loog le remet au goût du jour et l’arrose de crème anglaise, et là t’as une prod de génie avec du flamenco à contre-courant, le fleuve t’emporte, c’est d’une rare puissance et Del s’abandonne - I wonder/ I wahwahwah !

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             Mais Liberty, le label américain de Del, ne voit pas l’intérêt d’Home & Away et en interdit la parution ! L’album ne sortira que 20 ans plus tard. Le pauvre Loog collectionne les projets avortés. Après le fiasco de Del Shannon, voilà le fiasco de Billy Nicholls qui a pourtant du monde derrière lui : Steve Marriott, Cat Stevens au piano, Nicky Hopkins, John Paul Jones et Art Greenslade. Mais Would You Believe ne marche pas. Ironiquement, l’album est aujourd’hui devenu l’un des collectors (comme disent les cons) les plus chers. Si tu veux une copie d’époque sur Immediate, sors ton billet.

             Tous les spéculateurs savent bien qui est Billy Nicholls. Et bizarrement, ce n’est pas l’album du siècle. Réputation surfaite ? Va-t-en savoir. Billy propose une pop entreprenante de pah pah pah et piétine un peu les plates-bandes des Small Faces. Alors pourquoi aller mettre un gros billet là-dedans ? Son «Life Is Short» n’est pas celui des Cramps. C’est de la pop aérienne qui finit par devenir magnifique. Tu commences à frémir pour de bon avec «Feeling Easy», une authentique Beautiful Song, fabuleusement orchestrée et ouatée aux chœurs d’artichauts. Billy se spécialise dans l’angélisme. Il navigue à un très haut niveau, comme le montre encore «London Social Degree». Son «Portobello Road» est traité sur le même mode, mais ça manque de magie. Ses cuts sonnent comme des grosses tartes à la crème. Et puis soudain, tu tombes sur deux coups de génie : «Being Happy», la vraie power pop d’Immediate, cette fois ça glisse dans la psychedelia, Billy avance en crabe dans le temps du cut. Et puis à la suite, t’as «Girl From New York» attaqué à l’heavy fuzz. Billy chante dans un coin. C’est puissant et bien fondu dans la fuzz. Billy se prend parfois pour Brian Wilson, mais il est trop anglais pour ça. Billy n’est pas Tony Rivers. Il peut aussi se laisser tenter par la Beatlemania, mais il est trop indépendant pour ça. Il ne vit que pour ses good vibes et pour un son gorgé de coups d’acou.

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             Après Billy Nicholls et Twice As Much, le Loog embauche Mike d’Abo, «another teenage songwriter». Il avait remplacé Paul Jones dans Manfred Mann. «Mighty Quinn», c’est lui. «Build Me Up Buttercup» pour les Foundations, c’est encore lui. Le Loog est convaincu que d’Abo est son Jimmy Webb. Bingo ! Il a du flair, le Loog car il met d’Abo en contact avec deux des plus grands chanteurs anglais, Rod The Mod et Chris Farlowe. Évidemment, Jagger est jaloux de Rod The Mod. Le Loog avait demandé à Jagger de produire un single de Rod sur Immediate, mais Jagger avait dit non. D’Abo compose «Handbags And Gladrags» pour Chris Farlowe et ça devient l’un des plus beaux hits de l’histoire du rock anglais.

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             Tout ça est bien joli, mais le Loog a un problème : il cherche à retrouver le buzz qu’il avait avec les early Stones. Ce sont les Small Faces qui vont le lui donner. Spence souligne l’«unstoppable enthusiasm of Steve Marriott». Le Loog ajoute : «The best of Mick and Keith in one vibrant soul».  C’est Marriott qui redonne au Loog le goût de vivre - Again he was happy to be a part of the industry of human happiness - (qui fut un temps le slogan d’Immediate). Le nouveau single des Small Faces est «Tin Soldier». Marriott : «Tin Soldier is the real us.» Spence évoque ensuite une tournée désastreuse en Australie et en Nouvelle Zélande avec les Who. Les premières failles dans les Small Faces apparaissent au cours de cette funeste tournée. Marriott ne supporte plus Ronnie Lane : «I’m not going on with that arsehole again. I’m not having that cunt nick my money anymore. He’s never written a fucking song, he’s a fucking arsehole, he treats me like a piece of shit and I’m not finishing this fucking tour.» On admirera le langage fleuri du père Marriott. De retour à Londres après cette tournée désastreuse, Pete Townshend a juré de ne jamais retourner en Australie. En dépit des gros billets qu’on lui proposait, il a tenu parole.

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             L’âge d’or d’Immediate, c’est aussi l’âge d’or des Small Faces : «Lazy Sunday», «Itchycoo Park», et n’oublions pas le puissant «Rollin’ Over» en B-side de «Lazy Sunday». Et puis bien sûr Ogden’s Nut Gone Flake, «Europe’s biggest selling and most critically acclaimed album of 1968», mais qui ne se vend pas aux États-Unis. Pourquoi ? Parce que CBS et Clive Davis. Le Loog a fait la connerie de signer un contrat de distribution pour les États-Unis avec Clive Davis et Clive Davis se bat l’œil d’Immediate et du Loog. Rien à cirer. Pas de promo. Pas de rien. Le Loog et les Small Faces commencent à douter d’eux-mêmes. Steve Marriott tombe en panne d’inspiration - Marriott’s  nut really had gone flake - Spence se marre bien. 

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             Nouveau problème avec CBS et Clive Davis qui font zéro promo du Kafunka de P.P. Arnold. Le Loog est obligé de libérer P.P. pour qu’elle aille tenter sa chance ailleurs, sur un autre label. Elle signe sur Atlantic. Puis le Loog est obligé de libérer Chris Farlowe de son contrat. Il signe lui aussi sur Atlantic pour les États-Unis et Polydor pour l’Europe. Alors les rumeurs vont bon train : Immediate est en perte de vitesse ? Le Loog essaye de relancer la machine avec The Nice. Après avoir coulé P.P. Arnorld, Chris Farlowe et Twice As Much aux États-Unis, Clive Davis coule The Nice. Le Loog signe un nouveau «prodige», Duncan Browne, qu’il voit taillé pour le marché américain. Mais ça foire complètement. Give Me Take You se vend seulement à 900 ex aux États-Unis.

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             Et quand on l’écoute, on comprend pourquoi. C’est un bide. Rien qu’en voyant la pochette, t’as envie de te barrer. Mais t’as besoin de savoir ce que le Loog a dans le citron, alors tu l’écoutes. Dès le morceau titre d’ouverture de balda, tu sens que t’es baisé : c’est du médiéval. Puis Duncan Browne se prend pour Nick Drake avec «Ninepence Worth Of Walking». T’es encore plus mal barré. Quand t’écoutes tout ça, tu te dis que t’iras jamais acheter un album de ce mec-là, et pourtant c’est exactement ce que tu viens de faire, alors tu te traites de pauvre con. Tu ne vas sauver que deux cuts sur l’album : «On The Bombshell» (pur jus de Beatlemania, une vraie merveille), et «The Death Of Neil» (vaguement Beatlemaniaque, hanté par des fantômes et des fantastiques chœurs des anges du paradis, et là tu t’enorgueillis de t’être fait avoir).

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    Clive Davis

             Pour le Loog, le contrat de distribution avec CBS est une catastrophe. Il indique que si Clive Davis a planté Ogden, c’est parce que les Small Faces ne voulaient pas tourner aux États-Unis. Le Loog : «It became apparent the CBS policy was recoup and bury. CBS slogan for the time should have been ‘We want it and we’ll bury it’ It was criminal.» Le Loog va trouver Clive Davis à New York. La réunion ne se passe pas très bien. Le Loog accuse Davis et son bras droit Walter Yetnikoff «of not knowing their arse from their elbows.» Le Loog va ensuite chez Davis le menacer de faire sauter le bus qu’il prend pour aller bosser chaque jour. En représailles, Davis fait interdire l’accès des bureaux CBS au Loog. Pouf, terminé. Fin de la discussion.

             Alors que le Loog entrevoit la mort de la pop, Calder essayer de relancer le label avec des compiles de blues. Il est même question pour Immediate de signer Fleetwood Mac. Calder raconte que le Loog est allé déjeuner avec Clifford Davis, le manager de Fleetwood Mac, «he calls me and says: ‘The deal is off. He cuts his roll with the wrong knife. I won’t sign the cheque.’» Évidemment, le Loog a trouvé un prétexte. Il ne voulait pas de Fleetwood Mac sur Immediate.

             Comme il a installé des bureaux Immediate à New York, il y passe beaucoup de temps. Ses principales fréquentations sont la coke et Richard Harris. Il voit aussi son vieux poto Totor.

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             À Londres, Immediate tourne au ralenti, avec notamment Twinkle qui fricote avec Mike d’Abo. Elle ne sort qu’un seul single sur Immediate, «Micky»/«Darby & Joan», qu’on retrouve sur un petite comp RPM, Girl In A million - The Complete Recordings. Hey hey hey, Twinkle arrache bien son Micky du sol, et les chœurs font «Baby I need you !». Elle a encore du son sur «Darby & Joan», mais la pauvre compo n’a rien dans le citron. Pour rester dans le même univers, elle tape aussi une version sucrée de «Sha La La La Lee». Avant d’arriver sur Immediate, elle était sur Decca et elle tire sa réputation de «Terry» : elle s’y prend carrément pour les Shangri-Las. Elle tape pas mal de pop sans conséquence sur l’avenir du genre humain et il faut attendre «Ain’t Nobody But Me» pour danser le jerk - Come on over to my house ! - Elle est tellement sucrée qu’elle en devient conne. Puis elle s’en va friser les Ronettes avec «Tommy». Cette pop est presque belle tellement elle ambitionne de te plaire. Elle fait aussi sa France Gall avec «A Lonbely Singing Doll», une cover du «Poupée De Cire/Poupée De Son» de Gainsbarre. Mais pour le reste, c’est compliqué, car rien n’accroche véritablement. Elle  tente encore le coup du sucre candy avec «Tommy», mais si on cherche une bombe, alors il faut aller farfouiller sur le disk 2. Et là tu tombes sur «Smoochie», un hit pop d’entrain suprême, elle duette avec un mec, et là t’as le groove subliminal du London town des jours heureux. Il faut aussi saluer «Ladyfriend», une compo qui se tient bien à table, richement produite et flûtée jusqu’à l’oss de l’ass. Elle ramène son sucre dans une cover d’«I’m A Believer», mais le coup du sucre ne marche pas systématiquement. Globalement, elle n’avait aucune chance. Elle tente encore le coup de la pop-chaleur humaine avec «Little Piece Of Heaven», mais ça reste plan-plan. Tu ne garderas que deux souvenirs d’elle : «Smoochie» et «Micky». C’est déjà pas si mal. T’en as plein qui ne pourraient pas en dire autant.

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             Pendant ce temps, le Loog lève le pied. En laissant filer Fleetwood Mac, il montrait à quel point Immediate et le music biz ne l’intéressaient plus. Il est arrivé exactement la même chose à Uncle Sam avec Sun - He lost interest - C’est l’époque Amen Corner et franchement, ça n’intéresse pas du tout le Loog. Ni les Nice. Plus rien à cirer. Pourtant Amen Corner enregistre une cover d’«Hello Susie», un hit signé Roy Wood, avec Shel Talmy. Personne n’est dupe - Privately, Oldham admitted Amen Corner did not excite him. Mis à part Fairweather Low, il ne connaissait pas les noms des autres membres du groupe. «I went to see Amen Corber live in Cardiff after the hit», dit Oldham, «and I thought to myself if this is show business what the fuck am I still doing there.» - En plus, le Loog est fatigué d’auto-financer ses projets avec le blé qu’il a récupéré de la vente de son contrat avec les Stones. Il tente encore un joli coup de Jarnac en essayant de récupérer Scott Walker, mais Scott est un peu trop bizarre pour Calder qui ne comprend rien à ce qu’il raconte. Scott parle de philosophie et de Jacques Brel. Calder pense que Scott Walker aurait pu être bien meilleur que Sinatra. Il fallait cependant racheter un contrat et devant l’énormité du prix demandé, le Loog a préféré laisser tomber. Et la tension est remontée d’un cran entre le Loog et Calder. Le seul sur lequel ils parviennent encore à s’entendre, c’est Steve Marriott.

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             Ça tombe bien : Marriott vient de monter Humble Pie. Tournées américaines. Le Loog perd pied, «burnt out like a light bulb», dit Keef. Immediate finit par se casser la gueule. Le Loog : «I started losing interest in the whole thing about six months after I parted company with the Rolling Stones. By that time, Immediate had proved its point, so it became pretty boring. The last thing I was interested in was Humble Pie.» Et Marriott rend un sacré hommage au Loog, à propos de la liquidation d’Immediate : «Oldham was great about it. He just said, ‘we’re going under, mates’. He warned us all. He said, ‘get out now and sort sourselves out, get other labels because I don’t want any of you going down with the company.’ He was a great bloke, a right old blagger, but underneath all the front he was a very nice man.»

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             Quand plus tard le Loog essaye de récupérer les masters qu’il finança jadis sur ses fonds propres, il traîne en justice les labels qui font du blé avec ses disks, dont Sanctuary et Charly. Sanctuary demande à des gens comme Kenny Jones, Blue Weaver (Amen Corner) et Jerry Shirley de témoigner contre le Loog. Voir cet abruti de Shirley témoigner contre lui l’a profondément choqué. Le Loog dit qu’il n’en revenait pas !  D’autant qu’il lui avait trouvé un super job en Italie après la fin d’Humble Pie. Le chanteur des Poets George Gallagher sera l’un des rares à témoigner en faveur du pauvre Loog. Le punk Gallagher est même choqué de voir comment le juge traite le Loog : «I wish I had had the bottle to just say the old man Pumfrey, ‘you dirty corrupt old bastard it’s a waste of time me being here my friend has no chance.» Non seulement le Loog perd son procès et ne récupère pas ses masters, mais il est condamné par l’old bastard à payer les frais de justice, 370 000 £. L’horreur !  

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             La meilleure illustration musicale de L’Immediate book serait sans doute l’Immediate Mod Box Set parue en 2005, sur, ultime ironie du sort, Sanctuary ! En trois CDs, la box fait le tour du propriétaire. Des trois, le disk 1 est le plus infesté de puces. P.P. Arnold fait bien des ravages avec «Everything’s Gonna Be Alright», qui sonne encore comme le jerk du diable, elle te pulse ça à l’hey hey hey ! Elle reste dans le rentre-dedans avec «Speak To Me», une sorte de nouveau sommet du r’n’b in London town. Autre coup de génie Immédiat : les Fleur De Lys avec «Come On». Les Fleur De Lys sont les rois du Swingin’ London, so come on ! Et puis vers la fin, tu tombes sur Own Gray & Maximum Breed et «Sitting In The Park», un pur miracle productiviste finement teinté de reggae. Autre miracle productiviste : Twinkle avec «Mick». Le Loog sort une prod à la Totor. T’as tout là-dedans, Totor et le sucre de rêve. Autre coup de Jarnac : Sonny Burke Outfit et «All You». Lui, on ne sait pas d’où il sort, mais il est bon. C’est de l’heavy London r’n’b tapé au shuffle d’orgue. Du full blown. On reste dans le full blown avec l’instro des Mockingbirds, «Skit Skat» : fantastique énergie et bassmatic du diable. Restons en enfer avec un duo d’enfer, Rod Stewart & P.P. Arnold et «Come Home Baby» : le meilleur + la meilleure, ça fait des étincelles. C’est Motown in London town. En plus ça rime. Ils parviennent à monter le génie en neige. Et puis tu retrouves la Goldie des Gingerbreads avec «Headline». La prod du Loog lui donne des ailes. N’oublions pas de nous incliner devant les Small Faces avec «Talk To You» et Chris Farlowe avec «The Fool».

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             Un Chris Farlowe qui hante le disk 2 avec «Think» et «Look At Me». Avec lui, c’est vite plié. Ce shouter fou domine toute la basse-cour. Il est même bien plus puissant que Rod The Mod. Et avec la prod du Loog, ça prend des proportions qui te dépassent. Petit shoot de protozozo avec The Poets et «Don’t Do It» : t’as le stomp de Glasgow. Ces mecs savaient rocker un boat. Joey Vine pique sa petite crise dylanesque avec «The Out Of Towner». Nouveau coup de génie avec Twice As Much et «Step Out Of Line». Real deal de London pop. On retrouve la patte du Loog dans la prog. C’est magnifique. Le Loog est tellement fasciné par Totor qu’il réussit à produire des merveilles inexorables du calibre de «Step Out Of Line». On se régale aussi de Cyril Davies & The R&B All Stars et «Someday Baby» : grosse énergie. Ces mecs groovaient comme des démons. Quelle belle leçon de swing ! On croise aussi P.P. Arnold, spectaculaire de Soul Sistery dans «If You See What I Mean», et les Small Faces avec «Feel Much Better» où Stevie Marriott ramène son sucre avarié.

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             Alors, et le disk 3 ? Il réserve sa part de bonnes surprises, à commencer par Outer Limits et «Sweet Freedom». Belle assise. La voix est sûre. Accents Whoish certains. Tu retrouves aussi le chouchou du Loog, Billy Nichols, avec «The Girl From New York City» qu’il tape à la fuzz d’Immediate. Big time out ! Et puis t’as toutes les valeurs sûres : les Fleur De Lys avec «Circles» (ils tapent en plein dans les Who à coups de drag me down, ils font partie des meilleurs de leur temps), les Small Faces avec «Don’t Burst My Bubble» (double attaque aux power chords et au shuffle de Mac, cette fournaise est unique en Angleterre), Chris Farlowe avec «My Way Of Giving» (même lui, il finit par sonner comme les Small Faces, là t’as tout, le hot, l’argent du hot, le shuffle et la classe), et plus loin «Moanin’» (le géant travaille son Moanin’ en technicolor, le Loog lui fait une prod de rêve, même avec du sitar), et puis, comme cerise sur le gâtö, t’as le «Tin Soldier» des Small Faces, un hit qui s’annonce monstrueux dès les premières mesures. P.P. Arnold revient taper un petit coup de Chip Taylor avec «Angel In The Morning» (aussi repris par Evie Sands et Merrilee Rush). Elle le tortille bien entre ses doigts.

    Signé : Cazengler, Immidiot

    Immediate Mod Box Set. Sanctuary Records 2005

    Duncan Browne. Give Me Take You. Immediate 1968

    Twice As Much. Own Up/That’s All. Green Tree Records 1993

    Twinkle. Girl In A Million. The Complete Recordings. RPM Records 2019

    Del Shannon. Home & Away. Zonophone 2006

    Billy Nicholls. Would You Believe. Immediate 1968

    Simon Spence. Immediate. Black Dog Publishing 2008

     

     

    L’avenir du rock

     - Pas d’embrouilles avec les Embrooks

             Le gros avantage d’errer dans le désert, c’est qu’on rencontre des gens qui vous posent toujours la même question : que cherchez-vous ? L’avenir du rock voit se dessiner au loin la silhouette d’un homme. Il approche. L’avenir du rock le reconnaît : Stanley, sous son casque colonial, par 50° à l’ombre, quand il y a de l’ombre... Le voici à quelques mètres. L’avenir du rock lui lance d’une voix guillerette :

             — Vous cherchez toujours Livingstone, I suppose.

             — I do, sir, and you, que cherchez-vous ?

             — Midi à quatorze heures !

             — Good luck ! See you later, sir alligator !

             Et chacun repart dans sa direction. Tiens voilà Sylvain Tintin !

             — Cherchez-vous toujours votre léopard des neiges, cher périgrinateur rimbaldien ?

             — Certes oui ! Plus que jamais ! Et vous avenir du rock, que cherchez-vous dans cette contrée effroyablement désolée ?

             — Oh je cherche la petite bête. L’auriez-vous aperçue, par hasard ?

             — Non, vous savez bien qu’un coup de dé jamais n’emboutira le placard !

             — Alors, à bon entendeur, salut !

             Et chacun repart dans sa direction. Le jour suivant, l’avenir du rock voit arriver une joyeuse équipe guerriers islamistes à bord d’un pick-up Toyota. Un drapeau noir claque au vent. Ils foncent droit sur l’avenir du rock et freinent à quelques centimètres dans un gros nuage de poussière. Le chef du gang descend avec sa grosse kalach et braque l’avenir du rock.

             — Haut les mains, espion américain !

             Le barbu commence à fouiller le suspect, mais il n’a pas grand chose à fouiller, car l’avenir du rock ne porte plus qu’une feuille de vigne jadis offerte par Sylvain Tintin en gage de fraternité erratique. L’avenir du rock profite de l’occasion poser la question rituelle :

             — Vous cherchez quoi ?

             — Les embrouilles, et toi petite bite américaine ?

             — Les Embrooks !

     

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             The Embrooks ? Ha ha, t’en rigoles d’avance ! Non pas du groupe, mais tu rigoles à l’idée des conneries que tu vas pouvoir raconter. Car ce soir-là, t’as sous les yeux, allez, le meilleur groupe du monde. Enfin l’un des meilleurs groupes du monde, mais ce soir c’est LE meilleur groupe du monde, car ça se passe en Angleterre. Et les meilleurs groupes du monde sont toujours meilleurs en Angleterre.

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    The Embrooks ? Sont trois. Mole, Miss Lois Tozer et Alessandro Cozzi Lepri. Font les Who à trois. Trois délicieuses bêtes de Gévaudan. Le mix parfait de passé, de présent et d’avenir du rock. Ils sont hallucinants de qualité. En une heure, ils prennent d’assaut ton hit-parade personnel et deviennent tes héros. Si tu veux voir et entendre un trio puissant, parfait, capable de décoller sans prévenir, c’est eux. Les Embrooks t’embrookent, les Embrooks t’hookent, les Embrooks te désencrootent, ils te toorloopinent, ils te dérootent le cargoo, ils foutent le sook dans ta médina, ils coopent à travers tes champs, ils te rajootent des étages, ils t’égoottent la cervelle, ils te mettent au cloo, ils te flootent la tubercule, ils te moolent le grain, ils t’adoobent la moole, ils te roolent la poole, ils te toochent comme les Who te toochaient jadis, ah il

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    faut voir Mole derrière son micro, en train de chanter comme un dieu et de laboorer inlassablement ses cordes de basse, comme le firent en leur temps John Entwistle ou Jack Bruce. Mole est la rockstar anglaise parfaite, il ne chante que des cuts parfaits, des cuts que zèbre à coups d’éclairs l’effarant Alessandro, un Alessandro qui déborde de power, qui plaque ses accords avec de fabuleuse moues de dépit, il ne couvre mais le son, mais il le nourrit en intraveineuses, il joue sans doute le meilleur

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    freakbeat anglais qu’on ait entendu depuis le temps d’Eddie Phillips et de l’early Pete Townshend. Ça claque, le son est plein, tu sens monter les vagues de violence sonique et c’est beau à pleurer, tout tient incroyablement débout, t’as l’impression d’avoir sous les yeux une énorme machine et en même temps un trio capable d’une infinie délicatesse. Et puis derrière ces deux cracks, t’as Miss Lois au beurre, et elle remet tout au carré, avec une frappe sèche d’une puissance extravagante. Tout est sur-dimensionné chez eux. C’est une Moonie au féminin. Le set dure plus d’une heure, il fait une chaleur à crever, et elle ne montre pas le moindre signe de fatigue.

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             Le plus drôle de toute cette histoire, c’est que t’as vu les Embrooks à Paris voici vingt ans   et que t’en gardais pas un bon souvenir. Tu les trouvais trop pop à l’époque, trop light. D’ailleurs tu le dis à Alessandro qui paraît surpris, mais quand tu lui dis qu’aujourd’hui ils sonnent exactement comme les Who, il est ravi. Il se dit même a bit Pete Townshend. Et ne cache pas son admiration pour les deux premiers albums des Saints.

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             Quand t’écoutes We Who Are, leur dernier album en date, t’es bluffé. En guise d’hors d’œuvre, t’as deux coups de génie, «Going But Not Gone» (fantastique montée en puissance, pur jus d’indéniabilité des choses de la vie, real full bloom, Mole chante très haut dans la voûte), et «Nightmare» (t’es tanké par le drive de basse demented, ça fonce dans la nuit avec un bel éclat freakbeat et t’as toujours ce beurre présent de frappe sèche). Ils tapent une cover des Hollies, «Have You Ever Loved Somebody», mais avec le power des Who : t’as un couplet pop de rêve et l’envolée aux harmonies vocales. C’est explosif de beauté Whoish. En B, ils restent chez les Who avec «Til Tomorrow», avec toute l’énergie sous la peau du beat, et ça continue en mode Whoish avec «I’m Coming Home» et un Alessandro qui tartine, il joue liquide dans l’urgence du freakbeat, ses licks coulent entre deux eaux, effet sidérant. Tu restes au paradis avec «Baby From The South» et là t’as tout : l’attaque foudroyante, le killer solo flash, et ça se barre même en vrille d’apocalypse. En comparaison, les Who font pâle figure. Te voilà encore une fois avec un big album dans les pattes. Tu continues de baver avec «Hang Up» et sa fantastique tension, oh et puis t’as ce killer solo flash qui jaillit et qui te monte droit au cerveau. Ils se dirigent tous les trois vers la sortie avec «You Can If You Want», un nouveau shoot de wild as fuck qui tombe du ciel. C’est un gros mélange d’early freakbeat et de Stonesy, t’entends des échos de «2000 Light Years From Home», c’est leur truc, away from anybody. That’s alright.

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             Une autre bombe : Our New Day. Ils l’attaquent en mode Whoish avec «Standing Upside Down». Power pur et beurre scintillant. Ils sont le plus grand Whoish band d’Angleterre. Ce que vient confirmer le «Bad Flight» d’ouverture de bal de B, qu’Alessandro claque sur les accords des Who, c’est du Whoish blast à l’extrême. Ils font aussi de la Mad Psychedelia avec «Seeing Her». Mole y fait éructer sa basse. Ils restent l’un des plus beaux power trios d’Angleterre, comme le montre encore «You’ve Been Unfair». La frappe sèche et précise de Lois est un vrai régal, elle dynamite un son déjà sur-vitaminé. Et puis t’as tous les coups de génie, à commencer par «Say Those Magic Words», un full blown de Brill pop qui explose au firmament. Pire encore, ce «No Matter What You Say», wild gaga en mode Embrooks, monté sur un drive sur-puissant, le drive sixties par excellence, Mole fonce en roue libre, son bassmatic prend une tournure hallucinante. Et puis voilà le stomp des Embrooks, «Not A Priority», effroyable de tatapoum avec toutes les envolées Whoish. Saluons aussi la wild attack de «Springtime», tapé à la strangulation massive. 

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             Il se pourrait que Yellow Glass Perspections soit l’un des très grands classiques du rock anglais. Il s’agit d’un Munster de 2004. Alessandro nous confiait que Marc Z était sur le coup. Ce Munster est avant toute chose un hommage aux Who. Pas moins de trois cuts Whoish là-dessus, tiens, par exemple ce «Show Me A Little Smile» qui monte, comme ça monte chez les Who. T’as tout le power acidulé avec le bassmatic bien rond. T’es encore pris d’assaut par «Happy Fickle Girl». Mole y va à coups d’I need your love. Ils tapent dans la démesure extra-sensorielle. Who toujours avec ce «Nothing’s Gonna Work» saturé d’énergie, de power pur d’heavy psychedelia - I’ve got plenty of friends now baby/ I’m attractive now baby - oh la violence des beignets ! Mad psychedelia toujours avec «Emilia Burrows» qui part en trombe, ça grouille de vermine luminescente, c’est la Mad craze d’Alessandro ! Un Alessandro qui passe un killer solo flash d’antho à Toto dans «A Note In My Drawer». Stupéfiant ! Encore plus stupéfiant, le Pure Brit Sound de «The Twisted Musing Of Sir Dempster P. Orbiton (Deceased)», authentique merveille, psychedelia d’un éclat rare, presque Huysmanienne, sertie comme la tortue d’un final apocalyptique. Et t’as encore ce psyché d’une rare violence, «The Time Was Wrong», avec les chœurs des Who dans l’extrême onction d’une fournaise divine. C’est dingue ce que les Embrooks sont brillants ! Mais attends, c’est pas fini ! Il reste les covers, et là, c’est du trié sur le volet, à commencer par le «Francis» de Gary Walker & The Rain, real deal de freakbeat anglais. Puis tu tombes plus loin sur le «Feel Like Flying» de John Du Cann, au temps de The Attack. Dévastateur ! Ça balaye les barricades ! Et la cerise sur le gâtö est cette cover du Mike Stuart Span, «Children Of Tomorrow», sans doute l’une des plus grosses clameurs de Mod craze, avec la basse de Mole haute dans le mix, c’est glorieux et imbattable, les notes de basse blossomment, une clameur pareille ça n’existe que chez les Who et les Embrooks, ces trois-là sont des démons, Alessandro n’en finit plus d’exploser l’uppercut du cut, ça cisaille à l’extrême dans la mélasse, ça gicle partout en gerbes jouissives extra-sensorielles  d’Oooh how can it be?

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             Pas question de faire l’impasse sur 45 & High Times. Ce double CD est une vraie caisse de dynamite. Tu retrouves leur incroyable perspicacité psychédélique dès «Fight Fire» qu’ils jouent dans l’écho du temps de Syd. Cover de John Fogerty ! Le disc 1 continue de monter doucement en température avec «If You Let Me Go», pur jus de Mad Psychedelia, «Keep It Quiet», véritable apanage du power trio à l’anglaise, «More Than Ever» (Don’t you know/ I need you more than ever). Ils tapent une cover des Red Square, «Your Can Be My Baby», puis le «No No No No» des Sorrows. Alessandro passe un wild killer solo dans le «Think About It» des Yardbirds. «Jack» sonne tout bêtement comme un coup de génie : ils font les Who à la puissance 1000. Ça joue dans tous les coins. Mais comment fait Miss Lois pour battre tout ça ? S’ensuit ce qu’on appelle par chez nous une cover irrémédiable : le «Dawn Breaks Trough» des Barriers ! Puis on retrouve les hits hors compétition, «A Note In My Drawer» (Alessandro te gratte ça à l’arrache, c’est de la Mad Psychedelia à l’état le plus pur. T’as tout : les thrills, les frills, les la-la-la, la wah et les zones d’ombre), «The Time Was Wrong» (encore en plein dans les Who, monté aux harmonies vocales dévastatrices), et «Children Of Tomorrow», en plein dans la ligne du parti, joué à outrance, oh how can it be !

             Le disc 2 propose un radio show et là tu vas tomber de ta chaise, avec «Standing Upside Down» (c’est les Who !, ils sont furax, surtout Alessandro, surtout Lois), le «Feel Like Flying» des Attack (saturé de disto, ça bat tous les records), «Nothing’s Gonna Work» (wild as fuck et noyé de disto), «Jack» (saturé de power, ils foncent dans la nuit et Lois relance en permanence, c’est le pire freakbeat d’Angleterre), et une petite cover des Small Faces «Me You And Us Too» (Mole fait son Stevie Marriott. Magic !)

    Signé : Cazengler, grosse embrooille

    Embrooks. Beatwave 9. The Pig. Hastings (UK). 18 juillet 2025

    Embrooks. Our New Day. Voxx Records 2000

    Embrooks. Yellow Glass Perspections. Munster Records 2004

    Embrooks. We Who Are. State Records 2018

    Embrooks. 45 & High Times. Munster Records 2005

     

     

    L’avenir du rock

     - Bang Bangs (My baby shot me down)

     

             Une fois de plus, l’avenir du rock s’est fait piéger. Trop magnanime. Le voilà contraint de répondre aux questions d’un journaliste :

             — Quel est pour vous le meilleur big bang de l’histoire du rock, avenir du toc ?

             — Ben Bang !

             — Quoi Bang ?

             — Ben oui, Bang ! Philadelphie, 1969 !

             — Vous êtes sûr ?

             L’avenir du rock se lève pour quitter la salle et le journaliste le supplie de se rasseoir. Il reprend d’un ton plus diplomatique :

             — Soyez cool, avenir du froc, banguez-nous la meilleure rock song de l’histoire du rock !

             — Le Biff Bang Pow des Creation, repris l’autre jour à Hastings par Thee Ac-Shuns !

             — Biff baff boff...

             — Quoi biff baff boff ? Et une baffe dans ta gueule, ça fait bof ou ça fait bang ?

             — Bon d’accord, avenir du rot, ne vous fâchez pas. Vous savez, nos lecteurs sont des gens ordinaires. Vous avez peut-être bien un autre rock en stock ?

             — Oui, «Bang Bang (My Baby Shot Me Down)», la version de Terry Reid qui vient tout juste de casser sa pipe en bois. Comme ça on fait d’une pierre deux coups pour ton torchon, amigo. Bang bang ! Ça te va ?

             — Oh merci, avenir du rut !

             Émoustillé, le journaliste enchaîne :

             — Avec quel rock book calez-vous votre armoire normande ?

             — Lester Bangs, les deux tomes.

             — Et maintenant la question bingo, gringo : quel est le groupe qui vous fait banguer comme un âne en rut ?

             — Bad Bangs !

     

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             Comme Gyasi voici deux ans et les Bury l’an passé, t’as un groupe (ou deux) qui sauve(nt) le festival. Cette année, ce sont les Bad Bangs d’Australie (et Hooveriii de Californie). Elles sauvent Binic du naufrage. En 2025, il faut savoir que Binic propose du rap blanc en guise d’Airplane Man et là, tu dis non. Bon, bref, t’es pas là pour parler de dégénérescence programmatoire. T’es là pour rendre hommage aux Bad Bangs qui t’ont bien remonté le moral. Deux filles aux grattes et deux petits

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    mecs en section rythmique. Et là tu dis oui, car ça joue. La blonde s’appelle Sophia et la brune Shelby. Et elles y vont, elles occupent l’espace, elles tapent une pop-rock fougueuse et bardée d’allure, elles sont fraîches comme des gardons sauvages, elles redonnent du sens à ton imaginaire, aw my Gawd comme ça joue, aw my Gawd comme elles ont tout bien compris, elles tapent des cuts easy, d’une incroyable

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    fluidité, eh oui, amigo, le rock peut rester simple à condition d’être joué par les Bad Bangs, et sur le coup elles deviennent tes idoles. Leur seul défaut serait d’être australiennes. T’aurais voulu qu’elles soient anglaises comme les Chemtrails de Manchester parce qu’elles ont tout simplement un talent fou. Le jour et la nuit avec le reste de la prog, t’en reviens pas de tant de classe, même si les shorts qu’elles

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    portent ne sont pas beaux. Sophia claque des gimmicks d’une effroyable efficacité, elle remonte tout le courant du rock’n’roll, elle développe des vélocités insoupçonnées, tu lui trouves toutes les qualités du monde, joue ma poule, c’est toi la reine du rodéo, elle est surtout la reine de Binic, car à part Bert Hoover, personne ne joue avec autant de classe et autant de froide détermination. T’as sous les yeux une vraie petite reine de rock et elle partage bien sa couronne avec sa copine Shelby qui

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    danse de l’autre côté. Tu ne connais pas les cuts, mais ils sonnent quasiment tous comme des hits et tu sais que la première chose à faire une fois rentré au bercail, c’est de débloquer les crédits en comité restreint pour financer le rapatriement d’urgence de toutes leurs Bangeries.

             Et comme jamais un coup de dés n’abolira l’épinard, voilà qu’on les retrouve à la prog de la cave trois jours plus tard. Inespéré ! On avait vu le nom des Bad Bangs dans la prog de Braincrushing, mais on ne savait pas qui c’était. Après les aventures binicoles, on savait.

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             Alors on les voit et on leur dit qu’elles étaient les best of Binic et ça les fait bien marrer. C’est comme quand tu dis au guitariste des Embrooks que son groupe sonne comme les Who : c’est pas du compliment à la mormoille. Alors après avoir sauvé Binic, elles sauvent la cave. Rien ne les arrête, elles finiront par sauver le rock, tu verras. Et tu les vois remettre leur fabuleux petit cirque en route et tu retombes dans leur panneau, t’adores tomber dans ce genre de panneau, d’ailleurs tu ne vis que pour ça. T’auras passé ta vie à chercher les bons panneaux pour y tomber. Et quand t’y tombes, t’y tombes pour de vrai. Tu t’y jettes. L’incroyable énergie des Bad Bangs est intacte, elles reclaquent tout leur répertoire, elles déclenchent exactement les mêmes petites éruptions de fraîcheur capiteuse, elles tissent exactement les mêmes interactions, elles brûlent exactement la même chandelle par les deux bouts, t’en reviens pas de voir exploser tout ce nirvana sous ton nez, mais dans la cave, c’est mille fois pire, car plus condensé, plus ramassé, plus punchy, t’as un vrai panneau, t’y tombes pendant une petite heure et t’en savoures toutes les miettes. Tu vois ces deux petites gonzesses créer un monde avec deux fois rien, et de les voir à l’œuvre te réconcilie une fois encore avec la vie. Tout n’est pas perdu.

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             Comme l’album est au merch, tu le ramasses. Il s’appelle Out Of Character. Oh quelle surprise ! Mis à part le «Contest» d’ouverture de balda, l’album n’a rien à voir avec le set. Tu ne retrouves le vif argent et la fast pop scénique que dans ce «Contest», un Contest qui file bien sous le vent, que t’es content d’avoir dans ton salon, Sophia étrille son petit gimmick échevelé et derrière, t’as le fringuant Tim Ryles qui te bat ça super sec. En lisant les notes de pochette, on voit que Shelby compose tout. L’autre gros cut de l’album s’appelle «Taste», très pop, mais ça passe comme une lettre à la poste, et tu retrouves leur goût de l’ampleur pop. Ce Taste vibre dans l’azur marmoréen. Et puis la B bascule dans la pop, une pop atmosphérique qui n’a rien à voir avec ce qu’elles font sur scène. «For A Fool» se laisse goûter et nos deux sauveuses conservent leur fraîcheur de ton, même si les dynamiques ont disparu. La B est nettement moins soutenue. Ça se termine avec un «Wild Mess» qui s’étire lentement. Le petit conseil qu’on pourrait leur donner serait de faire paraître un Live At Braincrushing 2025.  

    Signé : Cazengler, bad bunk

    Bad Bangs. Binic Folk Blues Festival (22). 26  juillet 2025

    Bad Bangs. Le Trois Pièces. Rouen (76). 29 juillet 2025

    Bad Bangs. Out Of Character. Blossom Rot Records 2024

    Concert Braincrushing

     

     

    Estivaleries 2025

     - Beaty, Binic & Bouncy

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             The Pig est un pub sur le front de mer, à Hastings, juste après l’Hastings pier. C’est là que se tient le Beatwave, petit festival Surf Beat Garage. Tu entres, t’as le bar à gauche et la scène à droite. Quatre groupes le vendredi et une dizaine le samedi. Et au fond, t’as un beau merch de rêve. Tes billets de 10 £ ne font pas long feu. Les mecs du merch ont tout. Tout Childish et tout le reste. Prix normaux, 20 £. Pas la peine d’aller cavaler chez les disquaires. T’as quelques Français dans le public, dont des connaissances. Tout est sympathique, bon esprit et comme trié sur le volet. T’auras jamais ça en France. Disons que t’auras autre chose.

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             Tête d’affiche du vendredi : The Embrooks. Tête d’affiche du samedi : The Baron Four. L’avenir du rock se les réserve. On va causer du reste. Sacré reste, baby Lemonade !

             Les deux petits chocs révélatoires du vendredi portent les doux noms de Sundae Kups et de Thee Ac-Shuns. Wild surf pour les Kups et Mod craze pour les Shuns, pardon, pour les Ac-Shuns. Et là tu te pinces car tu crois rêver.

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             Un vrai délire de rêve devenu vrai, tiens voilà les Sundae Kups habillés en infirmiers avec au centre une infirmière complètement dingue qui gratte son surf en bousculant les autres du cul, elle claque ses gammes et tombe à genoux, ils jouent tout leur set aux frontières du chaos et passent de sacrés classiques à la casserole ! Wow, ils sont là pour te rappeler que le surf est avec le rockab le genre le plus wild qui soit, à condition de respecter les règles et foncer à 100 à l’heure sans craindre ni la mort ni le diable. Les Kups sont des modèles du genre, ça tient miraculeusement la route, le seul truc qu’ils cassent, c’est une corde, mais tout est là, la Surf craze et tout le chaos de la fin du rock. Même si t’as déjà vu des groupes de garage-surf, il est probable que celui-là soit le plus extrémiste de tous. T’as ta dose. Si t’aimes les dingues, t’es au paradis. Ne perds jamais de vue que le rock est avant toute chose une affaire de chaos. 

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             Avec Thee Ac-Shuns, tu bascules dans l’autre craze, la Mod craze, la vraie, la pure. Sont trois sur scène mais tu n’as d’yeux que pour Zac, coupe early Small Faces, Ricken, fute tartan rouge, boots et classe naturelle, et pouf, t’en reviens pas, démarrage en trombe sur le «Biff Bang Pow» des Creation, il te mouline ça au mieux des possibilités, et chante haut et sec comme Kenny Pickett, et du coup l’oriflamme du rock anglais claque comme jamais dans l’azur immaculé de ton imaginaire. Sur l’instant, tu comprends un peu mieux le truc de base : le rock anglais est ta raison d’être, et Zac l’incarne à la perfection. T’as sous les yeux une rock star parfaite, un Mod anglais qui hérite de tout le Saint-Frusquin des Small Faces et des Creation, le mec a le power et la classe, alors c’est parti pour un heure de dream come true, comme on dit là-bas. Il enfile ses hits inconnus comme des perles, il tape le «Baby What’s Wrong» des Yardbirds, le «Rowed Out» des Eyes, t’en reviens pas d’entendre tout ces cuts magiques qui n’ont jamais pris une ride. L’an passé, Thee Ac-Shuns s’appelaient Thee Shuns. Pas de disk, apparemment. Juste du good clean fun, comme dit Kim. De voir un mec comme Zac sur scène, ça te rassure. The show must go on. Alors tu retournes au bar en attendant la suite.

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             On ne sauve pas grand-chose du Binic 2025. L’avenir du rock se réserve les Bad Bangs et Hooveriii. Il ne reste plus que les Darts et Public House. Évidemment les Darts. Nicole machin a renouvelé tout son cheptel : trois nouvelles collègues en CDD. Comme dirait un bon pote, vu qu’elles tournent pas mal, elles pourraient au moins s’acheter des collants neufs. Bon d’accord, les trous ça fait partie du look, mais quand même. Ceci dit, rien de nouveau sous le soleil des Darts depuis leur dernière escale au Petit Bain, ça reste le gaga d’orgue qu’on connaît par cœur et qui manque singulièrement d’originalité. S’il ne s’agissait pas de gonzesses, on les qualifierait volontiers d’has been. Mais l’originalité n’est pas le propos de Nicole machin. Son propos c’est la gymnastique, elle court sur place et elle essaye même de faire courir Binic sur place. Chou blanc, mais ça aurait pu marcher. Elle fait toujours le même show, un show parfaitement adapté à Binic-gueule-de-bois du début d’après-midi. On ne peut pas imaginer de show plus adapté, plus bon enfant, plus passe partout. Ça pourrait être du cliché, mais c’est bien foutu. Elle fait partie de celles qu’on respecte encore un peu. T’oses pas dire que t’es content de revoir les Darts parce qu’il pourrait y avoir des groupes bien pires. Mais t’inquiète pas, le pire est à venir : on va te servir sur un plateau d’argent du rap blanc, et un mec en casquette qui est «disque du mois» dans Rock&Folk. Et d’autres trucs encore pires. Et là, tu vas te demander ce que tu fous à Binic. Jacques : «Dommage pour Binic. Qu’est-ce qu’ils ont fait à notre festival ?». Eh oui, amigo, il fut un temps où Binic sonnait comme LA référence. Hello Gildas.

             Bon, t’as Left Lane Cuiser, mais pas sur la grande scène ! Ça n’a aucun sens. Dans un bar, mais pas sur cette scène immense. Bon, t’as Civic, mais ça ne fonctionne pas. Pas sur la grande scène, ça n’a aucun sens. Bon t’as Public House avec le mec des Stiff Richards, mais tu t’en fous, ça te fait passer une heure, mais il n’y a rien de plus que ce que tu sais déjà.

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             Bon t’as Killer Kin avec un petit mec en calbut, une brune avec une Flying V et un bassiste en casquette de New York Doll à la petite semaine, t’avais encore jamais vu un tel ramassis de clichés, aussi bien visuels que gimmickaux, mais rassure-toi, t’en as qui vont trouver ça bien. C’est le groupe idéal quand t’es amputé du cerveau.

             Bon t’as les Zombeaches qui se battent pour imposer leur set, mais ils sont loin du compte. Tellement loin... Pour s’imposer, il faut une vraie voix, des compos, un son, sinon, c’est compliqué.

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             La tête d’affiche du dimanche soir ? Les Spoon Benders de Portland, Oregon. Le spot du dimanche soir est habituellement réservé aux cracks. Pas cette année. Bon, ça joue, chez les Benders, ils tirent bien le diable par la queue, mais t’iras pas acheter l’album. T’en as déjà des centaines, voire des milliers, les albums de tous ces groupes que tu ne réécouteras plus jamais et dont tu n’as plus aucun souvenir. Tu les voyais sur scène et quand t’étais pas convaincu, tu te disais qu’il fallait leur donner une chance en écoutant leur album, alors tu ramassais tous ces albums condamnés à l’oubli, tu traînais tes sacs de Binic jusqu’au Cosmic, en passant par le Béthune Rétro, t’écoutais tout ça, et puis tu les entassais, les piles prenaient la poussière et l’oubli finissait bien sûr par tout avaler. Pendant cinquante ans, tu n’as eu qu’une seule obsession : comment faire vivre tout ça ? Il est peut-être temps de laisser tomber. Comme on dit pour plaisanter : la corde est prête, mais le plus dur reste à faire : trouver une poutre. Rien n’est mort que ce qui n’existe pas encore. Apollinaire.

    Signé : Cazengler, Estivalery Ricard Destin

    Beatwave 9. The Pig. Hastings (UK). 18, 19 & 20 juillet 2025

    Binic Folk Blues Festival (22). 25, 26 & 27 juillet 2025

     

     

    Inside the goldmine

    - Chandler mais pas Raymond

             Rien ne peut être pire que de s’appeler Chandeleur. Pourquoi ? Parce qu’on se fait traiter de crêpe tout au long de sa vie. Dès l’école, le pauvre Serge Chandeleur eut à subir les vannes de ses petits copains, Ouh la crê/ pe ! Ouh la crê/ pe !, chantaient-ils à tue-tête dans la cour de récré. Pour éviter de retourner à l’école, Chandeleur ne trouva rien de mieux que d’avaler la mort aux rats que son père disposait dans la cave. Le petit Serge resta alité quelques semaines, puis il se brisa les doigts de pieds d’un bon coup de marteau pour prolonger sa convalescence. Mais ses copains d’école venaient chanter ouh la crê/ pe ! Ouh la crê/ pe ! sous la fenêtre de sa chambre, alors il comprit que pour ne plus les entendre, il devait se crever les tympans, ce qu’il réussit à faire à l’aide d’une aiguille. Quand son père, las lui aussi des moqueries incessantes, finit par se pendre dans le garage, on interna le petit Serge dans un centre spécialisé pour gosses dérangés, et il passa son adolescence sous sédatif et muré dans son silence. Quand les autres ados du centre découvrirent qu’il s’appelait Chandeleur, ils se jetèrent à leur tour sur le malheureux gamin. Ils commencèrent par l’enduire de Nutella, Oh la crê/ pe ! Oh la crê/ pe !, puis la nuit suivante de jus de citron, Oh la crê/ pe ! Oh la crê/ pe !, et le soir suivant, ils l’enduisirent de beurre et de sucre en poudre en poussant d’atroces hurlements de rire. Oh la crê/ pe ! Oh la crê/ pe ! Les infirmiers le passaient au jet le matin et tout rentrait dans l’ordre jusqu’au soir. Et quand la nuit tombait, Chandeleur était terrorisé, car il savait que tout allait recommencer. Ces enfoirés eurent l’idée saugrenue de l’enduire de colle super-glue et de l’envoyer au plafond. Il y resta collé, comme le font parfois les crêpes lancées trop haut. Quand le lendemain matin, les infirmiers le trouvèrent collé au plafond, ils ne purent s’empêcher d’éclater de rire, ben mon pèpère Chandeleur, quesse tu fous là-haut ? Ils eurent un mal fou à le décoller. Voyant la tournure que prenaient les choses, la direction du centre décida de le mettre à l’écart pour le protéger, et il passa le reste de son adolescence sous camisole, enfermé dans une cellule capitonnée. On craignait surtout qu’il ne se crevât les yeux pour ne plus avoir à supporter le spectacle de ses tortionnaires et des infirmiers morts de rire. Comment en vouloir aux infirmiers ? Comment ne pas éclater de rire ?

     

             Tiens voilà un nouveau dicton : dans la vie, il vaut mieux s’appeler Gene Chandler que Serge Chandeleur. Ça te sera très utile si tu veux briller en société.

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             Dans son autobio, Carl Davis rappelle qu’il a rebaptisé Eugene Dixon ‘Gene Chandler’, d’après le nom du l’acteur Jeff Chandler qui joue le rôle de Cochise dans La Flèche Brisée - A new star was born - «Duke Of Earl» fut un hit en 1962. Pour la promo de son hit, Gene Chandler se baladait en cape, haut de forme et tuxedo, une idée à lui. Carl Davis le trouvait un peu trop sûr de lui, raison pour laquelle ils se sont frités. Puis Carl Davis a demandé à Curtis Mayfield d’écrire des hits pour Chandler. Il existe trois époques Gene Chandler : la première, celle du Duke Of Earl (Vee-Jay & Constellation, le label d’Abe), puis Brunswick et enfin Chi-Sound.            

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            Jetons un petit coup d’œil sur la période Brunswick. En 1967, Carl Davis sort The Girl Don’t Care. T’es très vite écœuré par la qualité de cet album. É-cœu-ré. Gene Chandler flirte avec Motown sur «(I’m Just A) Fool For You». C’est un chef-d’œuvre productiviste. Il fait son crack du boom-hue sur «Gonna Be Good Times». C’est du big time de r’n’b. Encore du big dancing r’n’b avec «Bet You Never Thought», et tu danses encore le jerk pour de vrai avec ce «Buddy Ain’t It A Shame» qui sonne comme un coup de génie. Petite cerise sur le gâtö : il duette avec Barbara Acklin sur «No One Can Love You (Like I Do)». On appelle ça un duo d’enfer.

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             There Was A Time paraît un an plus tard. Le morceau titre est bien sûr la reprise de l’hit de James Brown. Oh la puissance des ténèbres ! Il tape en plein dans la frenzy, il y va le Gene, il a ça dans la peau. Il faut avoir écouté cette cover au moins une fois dans sa vie pour ne pas mourir idiot. Avec ce Brunswick, tu te retrouves une fois encore au cœur de la grande Soul de Chicago, la Soul de Carl Davis. Soul de rêve encore avec «Never Give You Up». T’en titubes de bonheur, t’es dans l’entre-deux de la Soul intercontinentale. Tu ne sais plus quoi faire de tes mots. Quand arrive «(Sweet Sweet Baby) Since You’ve Been Gone», tu te lèves et tu danses. Sweet sweet font les chœurs ! T’as cette incroyable élégance de la musique noire.  Tiens encore un groove de charme irrépressible avec «Fooling Around». Quel crooner ! Il boucle cet album faramineux avec une cover du «Lonely Avenue» de Doc Pomus. Il te groove ça vite fait à la hussarde black. C’est digne de Ray Charles. Même excellence épidermique, superbe surchauffe.

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             The Two Sides of Gene Chandler est le troisième et dernier Brunswick du grand Gene Chandler. Sans doute le meilleur des trois. Parce que «Familiar Footsteps», extraordinaire d’à-propos, il vise l’horizon, il chauffe son Footspets à l’extrême, Gene Chandler est le singer suprêmo. Puis il tape directement dans Burt avec «This Guy’s In Love With You». Il honore Burt, il te jazze le Burt, il y va au I need your love et revient à coups d’I want your love. Et ça continue avec «If You Love Me». Plus loin, il te jazze les Beatles avec une cover d’«Eleanor Rigby», il est précis dans son jazz d’all the lonely people. Quelle classe ! Puis t’as une cover de Nicoletta, «The Sun Died». Il est mort, le soleil. Non, c’est pour rire. Cover de Ray Charles. Encore un coup de génie avec «Honey», un vieux hit pop, repris en France par Nana Mouskouri et ses lunettes. And honey I miss you !

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             Bon alors, si tu veux écouter les duos Gene Chandler/Barbara Acklin, tu peux les choper sur une compile Westside, The Brunswick Years 1966-69. Trois singles au total, but Gawd, ce sont des bombes. T’as le fast r’n’b de «Love Won’t Stare», ils sont délicieux, tous les deux. Barbara est une cracke épouvantable sur «From The Teacher To The Preacher», et avec Gene derrière, ça devient irréel de qualité. Mais le sommet de la dynamite, c’est leur version de «Little Green Apples» : ils basculent tous les deux dans le génie black, ils te groovent l’âme de la Soul et t’as Barbara qui monte au sommet de l’émotion, là où aucune Soul Sister n’est jamais allée, et Gene le crack s’en vient conforter Barbara la cracke. Wow, Barbara Acklin, super angel !

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             Chandler refait surface en 1980 avec ‘80, que sort Carl Davis sur son label. Donc prod Carl Davis, donc gage de qualité. Dans «Does She Has A Friend», Chandler se demande si elle a une symphony. Le point fort du balda n’est autre qu’«All About The Paper», un joli diskö funk de haut rang, oui, car c’est fin, plein d’esprit et de chœurs de petites blackettes. Pur Black Power des jours heureux ! Chandler boucle son balda avec un beau cut de Curtis, «Rainbow ‘80». Beau ou pas beau n’est pas le problème, car ça groove sur le Chi Sound. On sauve un cut en B : «Let Me Make Love To You», une Beautiful Soul de Chi Sound, bien nappée de chœurs et de violons, dans les règles d’une prod magique de Carl Davis. 

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             La pochette d’Here’s To Love paru l’année suivante n’inspire aucune confiance. Et pour cause. C’est très diskoïdal. Pourtant on accueille la slow dancing Soul d’«I’ve Got To Meet You» à bras ouverts. Puis on voit Chandler emmener «Almost All The Way To Love» par dessus les toits.  En B, il tape un cut de Sam Dees, «For The Sake Of The Memories», et comme c’est du Sam, ça se tient merveilleusement bien. Il enchaîne avec le slow dancing d’«Almost Daylight», il y excelle. Le slow dancing pourrait bien être son péché mignon. Dans «God Bless Our Love», il monte son iiii-hi par_dessus les toits et devient un fantastique crooner de God bless our love. Encore de la haute voltige de Soul sophistiquée avec «God Send». Gene Chandler s’élance dans les étoiles, et là, tu le prends vraiment au sérieux

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             C’est Robert Pruter qui signe les liners au dos de 60’s Soul Brother, une fière compile Kent de 1986. Elle te sonne les cloches dès «Bet You Never Thought», une dancing Soul violonnée par Carl Davis. Voilà le real deal du Black Power de Chicago. Tout est classique mais solide sur cette compile. Les gens d’Ace ne font pas n’importe quoi. Gene Chandler chante à l’accent tranchant. «(I’m Just A) Fool For You» est plus Motown, mais monté sur un driving beat. Le Gene est brillant, comme le montre encore l’heavy slowah de «What Now». En B, il tape une cover du «There Was A Time» de James Brown. Mythe pur. «From The Teacher To The Preacher» frôle la pop, mais quelle classe ! Tout est très volontaire chez l’early Gene Chandler, comme le montre encore «Pretty Little Girl», véritable hit de juke.

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             Tu croyais faire une bonne affaire avec Get Down With The Get Down - The Best Of The Chi-Sound Years 1978-83, une petite compile Westside. Hélas, c’est la période diskö. Même si Gene Chandler chante comme un crack, il n’a pas les compos. Il faut attendre «Skate Aka Miss Crazy Legs» pour se lever et danser un petit coup vite fait. Il revient enfin à la Soul des jours heureux avec «Let Me Make Love To You», et il va re-basculer dans le diskoïdal avec «All About The Paper», et de façon plus sensuelle avec «When You’re #1».

    Signé : Cazengler, Chandlair vicié

    Gene Chandler. The Girl Don’t Care. Brunswick 1967

    Gene Chandler. There Was A Time. Brunswick 1968

    Gene Chandler. The Two Sides of Gene Chandler. Brunswick 1969

    Gene Chandler. ‘80. Chi Sounds Records 1980

    Gene Chandler. Here’s To Love. Chi Sounds Records 1981

    Gene Chandler. 60’s Soul Brother. Kent/Ace Records 1986

    Gene Chandler. Get Down With The Get Down. Westside 1999

    Gene Chandler. The Brunswick Years 1966-69. Westside 1999

     

    *

    On ne parle plus beaucoup d’Harry Belafonte, c’est dommage mais je ne m’étendrai pas davantage sur cet artiste, il fut aux USA dans les années 56  - 57 le propagateur de ce rythme de danse aux racines africaines qui naquit dans les années 30 sur l’île de Trinidad, à l’époque les mauvais augures prophétisaient que cette mode allait renvoyer le rock’n’roll dans les poubelles de l’Histoire, desquelles il n’aurait jamais dû sortir. Il n’en fut rien. Entre nous soit dit, je n’ai rien contre le calypso, la preuve : entre cette fin d’après-midi la teuf-teuf roule allègrement pour m’emmener au concert du :

    JAKE CALYPSO TRIO

    3 B

    (Troyes  - 12 / 07 /2025 )

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    Du monde partout, sur la terrasse au petit courant d’air frais très agréable, à l’intérieur je me faufile jusqu’à ma place favorite les jours caniculaires un gros ventilateur infatigable dans mon dos. Devant moi, il y en a trois autres qui ventilent, mais de l’air chaud, employons les termes idoines, le souffle torride du simoun, pas le genre de mollassons à ralentir  sous prétexte que le changement climatique bla-bla-bla, ce qui n’aiment pas le rock’n’roll n’ont qu’à s’enfermer dans leur frigidaire.

    Frère Jake, nous met en garde, attention les fans de rockabilly du 3B, le trio Calypso, c’est un peu différent et sans attendre il envoie la semoule qui roule à perdre la boule, c’est instantané en trois secondes l’on change de lieu et d’époque, c’est comme vous arrivez aux sources du Nil. N’y en a pas qu’une, ça vient de partout, de tous les côtés, ce n’est pas tout à fait le Nil, mais ce n’est pas nihil, non ce n’est pas rien, pas encore du rock’n’roll, mais l’âme du rock en gestation, vous avez tout en une seule fois, le blues et son delta, le country et ses collines, une cavalcade rouge, des linéaments africains, un crocodile du bayou n’y reconnaîtrait ses petits, mais vous avez tout l’ensemble de la musique américaine sur un plateau, tous les ingrédients mélangés, vous tirez un spaghetti et le plat de macaroni déboule dans votre bouche, quel gumbo trop beau, essayons d’y mettre un peu d’ordre. Ne sont que trois mais quel terrible tintouin !

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    ( Image Michel Joubier )

    Jake joue de la guitare. Ce que je viens d’écrire est un mensonge. S’il était cuistot il vous passerait les plats. Comme il est guitariste il vous passe les plans. Imaginez, visualisez une espèce de galopade incessante, un rumble de fond qui ne cesse pas un quart de seconde. Sur cette foutrasie incessante il placarde ses interventions, faut les chopper au mental, jamais plus de quinze secondes, souvent beaucoup moins, mais à chaque fois que ce soit une claire guirlande, un bémol clignotant, une dissonance mirifique, il vous espante, il vous trucide, il vous atchoule, et chaque fois il en rajoute, ce petit haussement d’épaule, ce sourire goguenard, ce petit plus qui vous montre que le monde est plein de surprises, c’est Jake le Cake, il s’amuse comme un gamin devant sa glace avec son balai, en plus il baragouine, il ne chante pas en anglais, il vous sort une espèce de hachis parmentier de génie, aussi sanglant que les abattoirs de Chicago, il bouffe ses mots à merveilles, il roucoule comme le méchant loup au fond du bois qui se pourlèche les babines à l’idée de bouffer tout cru le petit chaperon rouge, la grand-mère et le chasseur. N’oubliez jamais que le blues est rouge comme la vie et noir comme la mort. Z’en plus, se sert d’une arme de déstucturation massive : l’harmonica, à ce mot vous pensez blues, attention il y a blues et blues celui des trilles claro-rifflante des années cinquante, puis l’autre, qui regarde moins vers la luminosité, celui qui germe et pousse dru dans la terre des cimetières du Sud, qui refuse de s’élever vers le soleil mais qui parcourt les sillons des terres de misère.

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    ( Image Rocka Billy )

    N'est pas seul. Sur sa gauche, Ben le Driver, le dos contre le mur, il s’occupe de sa big mama. Il joue serré. Les poings au plus près de cordes. Il rassure, il assure les risques et les périls, les crimes et les châtiments, sans ciller, imperturbable, à la limite vous ne prenez pas garde au roulement caverneux qui sort de son engin bulldozérique, le son entre dans votre cerveau et s’installe comme s’il était chez lui, oui mais quand sans prévenir ses deux acolytes vous font une anacoluthe de silence, vous entendez les quintuples barrissements suprêmes et percussifs de son upright qui vous envoient au tapis sans vous demander la permission. Ben ne slappe pas, il boxe.

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    ( Image Rocka Billy )

    Nous avons vu la basse, voici le sommet dévastateur de l’isocèle qui vous ensorcèle. Thierry Sellier. Petite batterie. Le kit minimum de survie. Mais grand tapage. Tape de la baguette droite mais la gauche est redoutable. Elle survient toujours à bon escient, mais jamais vous ne vous y attendiez. Un coup de semonce. C’est tout, et amplement suffisant. Mallarmé refusait de mettre le troisième point de suspension, il disait que deux  suffisaient. Thierry se contente d’un seul. Mais après cet uppercut vous êtes comme la poule sur le mur qui fait cut-cut codec ! Je vous les présente un par un, mais je ne devrais pas. Jouent ensemble. Z’ont le son, ils se contentent de jouer à saute-mouton par-dessus. Sont si terriblement au point, qu’ils peuvent tout se permettre. Même pas besoin d’un clin d’œil d’avertissement. Réactions psychotiques, chacun intervient, pas à bon ou à mauvais escient, les deux autres réagissent comme ces essaims d’oiseaux qui brusquement sans préavis   virent à gauche ou voltent à droite sans que vous puissiez comprendre comment ils réalisent ces tours de magie…

    Oui ils font des reprises, de Big Mama Thorton par exemple, ou de Johnny Rivers que plus personne ne cite aujourd’hui, et des trucs de leur propre cru. Aucune différence. Ils donnent leurs versions à eux, leur interprétation, leur compréhension de ce qui a lieu, il cinquante ans, il y a un siècle, ils ne copient pas ils créent, ils ne reprennent pas, ils vous filent leur tambouille de cannibales, ils vous font cuire dans leurs propres chaudrons.

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    ( Image Chris Dufeutrelle )

    Un premier set bluesy, un deuxième hillbilly, un troisième rockabilly. Des dominantes. Mais pas du platé-toc. Des pépites issues de leur concession dans leurs robes de quartz ou leurs gangues d’alluvions. Une revisitation de notre musique. Et puis surtout, cette joie, ce plaisir incoercible de ce bouquet de feux d’artifices. Un final extraordinaire, un Thierry hors de ses gonds, métamorphosé en catapulte, un Ben insatiable et Jake qui vous conte l’histoire de Jake Calypso sur un bateau. Aucun des trois ne tombe à l’eau. Qui reste-t-il ? Pardi, sans sourdine : le Jake Calypso Trio !

    La soirée s’achève parce tout s’achève en ce bas monde. Une ambiance de fou. Ils ont tout donné. On a tout pris, on ne vous a rien laissé. Tant pis pour vous.

    Remercions encore une fois Béatrice la patrockne !

    Damie Chad.

     

    *

    Juste quelques mots sur le FB d’Across The Divide, en introduction à une vidéo, pas grand-chose mais de grande résonnance :

    « C'est fini » Un an après l'enregistrement. Rester motivé et productif peut parfois être difficile, mais nous sommes là, conscients. Merci à ceux qui sont encore là, qui nous écoutent et qui entretiennent la flamme.

    Ce n’est pas un adieu définitif, toutefois l’on ne peut s’empêcher de penser que ça y ressemble. Quand l’ombre menaça de la fatale loi Tel vieux rêve, dixit Mallarmé

    Nous les suivions depuis longtemps, dans notre livraison 320 du 22 / 03 / 2017 nous assistions à leur  prestation au Brutal Night, nous avons rendu compte de leurs différentes productions, précédemment dans notre livraison 664 du O7 / 11 / 2024 de leur single Away.

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    Hier après-midi, un détail a attiré mon attention. Tiens, mais pourquoi donc ont-ils changé la couve d’Away, ce fond noir, ce bleu glacial, cette feuille comme congelée, cette goutte de sang, cette nouvelle image jure un max avec l’ancienne vidéo d’obédience romantique, ces arbres géants pétrifiés dans leur beauté séculaire  qui évoquaient la nervalienne forêt de Mortefonaine, pour être précis l’image penchait davantage vers la pérennité de la mort que vers l’idée fontaine vivifiante…

    UNAWARE

    (YT / Avril 2025)

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    Une couve de même typologie que la précédente, les mêmes motifs, les mêmes couleurs froides, le bleu, le noir, mais l’ensemble se présente autrement, un rameau porteur de feuilles mais qui s’offre presque comme une main tendue. A y regarder de près le ciel n’est pas noir mais bleu-noir, l’on distingue un très mince croissant de lune d’où l’envie de recopier le dernier vers du sonnet de Mallarmé : Que s’est d’un astre en fête allumé le génie. Ne présumons pas une victoire abrupte pas, disons le signe d’une germination encore en puissance, cette force inconsciente de la nature, invisible, imperceptible à l’œil nu mais qui s’accroît d’elle-même en elle-même, un rameau de la nuit dirait Henri Bosco dont les efflorescences sont issues de l’ombre la plus noire.

    Vous ne pouvez pas plus simple. Vous ne pouvez pas trouver plus beau. Une ellipse. Une parabole. Un geste. Un acte. Du noir. Et du Blanc. Et c’est tout. Toutefois félicitons Julien Guesdon, cadreur – monteur c’est ainsi qu’il se présente sur son Instagram. Donc Across The Divide sur scène. Pas vraiment. Ce n’est pas un groupe qui nous est présenté. Mais tous les groupes. Du monde et d’ailleurs s’il existe d’autre ailleurs. ce pourrait être n’importe quel groupe et pourtant ce n’est qu’Across The Divide. Je ne joue pas sur les mots. Ce que vous voyez ce n’est pas le groupe mais ce qu’il est en son essence quand il dit qu’il n’est que la traversée du fossé. Du grand fossé. Celui qui sépare le noir du blanc, la mort de la vie. Le chant du cygne. Est-ce pour cela qu’ils portent un T-shirt blanc et que tout le reste est noir. Blanc ou noir c’est toujours le cygne qui fait signe. Le signe insigne. Qui ne peut pas être pris pour un autre.

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    Combien sont-ils ? Ils sont un groupe. Mais vous ne les apercevez jamais ensemble. Chacun séparé des autres par le fossé de la solitude humaine qui n’est que l’autre face de notre plénitude. Une dramaturgie. Ils apparaissent. Une musique qui bourdonne, une ombre blanche qui stabilise une silhouette, puis une autre, puis une autre, êtes-vous sûr d’avoir bien vu, puis le titre en blanc sur l’écran noir écrit en gros, UNAWARE, et le ballet déboule, chacun saisi dans ses propres attitudes, rivé à son instrument, ils bougent, s’entrecroisent mais semblent  ignorer ceux qui font de ne même à leurs côtés, la musique lyrique, la voix qui grogne comme l’ours polaire en colère sur son glaçon, ainsi sommes-nous tous confrontés à nos propres

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    thématiques, dérivant en nous-mêmes si loin de nos semblables,  prisonniers aveugles de cette tour d’ivoire de nos rêves d’existence que nous avons élevées pour être encore au plus près de nos vies menacées par ce grand fossé que nous avons creusé de nos propres mains, pour être encore plus isolés, au plus près de nous-mêmes, la musique devient encore plus violente, plus forte, ils hurlent, ils tapent, veulent-ils briser le cristal métaphysique qui les sépare des autres, être enfin réunis en l’unité d’un groupe enfin agrégé, ou simplement tester la solitude du grand verre dans lequel Marcel Duchamp les aurait renfermés pour faire sourire la Joconde, Lhéritier tient son micro comme s’il implorait des puissances éternelles, Weber s’acharne sur

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    sa caisse sombre et Biodore sourit énigmatiquement, montée exponentielle, les fauves enfermés dans leurs cages rugissent, tourniquets, moulinets, les visages se perdent dans la pénombre, prédomine la blancheur de leurs toges t-shirtiques qui enveloppent leurs torses, parfois l’on croit qu’ils vont s’arrêter mais ils repartent au combat de plus belle, comme s’ils étaient des anges blancs à l’âme teintée de folie noire, l’on ne sait à qui ils s’adressent, contre qui vitupèrent-ils, ils semblent prendre acte de leur impuissance à n’être qu’eux-mêmes, mais ils repartent en pantins désarticulés qui obéissent à des mouvements dont ils auraient perdu la maîtrise.

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    Silence. La musique s’arrête. Les voici décontenancés, surpris, stupéfaits comme si quelque chose  plus forte que leur rage les tenait à sa merci, ils ont perdu, mais la foule gronde, une extraordinaire vague d’acclamations les submerge. Musique céleste. Récompense des Dieux. Alors ils titubent, ils ahanent, ils lancent leurs dernières forces dans la bataille, il pourrait paraître qu’ils s’inclinent comme pour remercier le public. La lumière s’éteint. Comprenez que le noir absolu les a happés. La vidéo est terminée.

    Interprétez la métaphore à votre gré.

    Merveilleux clip de finitude humaine.

    Damie Chad.

     

    *

            Dans notre dernière livraison 698 au tout début de l’été nous chroniquions The Trial of Socrates de Thumos, opus instrumental en relation avec divers dialogues de Platon, philosophie et littérature ont souvent fait bon ménage avec la musique. A l’orée de cette saison 2025 – 2026 voici donc une vidéo de Patric Geffroy Yorffeg évoquant   Edgar Allan Poe.

    LES JOURS DE L’AUTRE

    HOMMAGE A EDGAR ALLAN POE

    PATRICK GEFFROY YORFEGG

    (YT / 04 – 07 – 2025) 

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             Patrick Geffroy Yorffeg, à la trompette, dans son décor habituel, in persons. Notez le ‘’S’’. Musicalement plusieurs, trompette basse et trompettes en  sourdine et synthétiseurs. Et puis surtout l’autre. Convoquez l’aile noire du Corbeau n’est pas sans danger. Ce vieux plumage terrassé, Dieu disait Mallarmé. Car on en est là lorsque l’on évoque la figure tutélaire d’Edgar Poe. Au cœur de la dissonance Sans doute est-ce pour cela que la trompette se dédouble, elle se bat sans merci avec son ombre et avec sa propre absence qui n’est autre que la présence d’une autre trompette qui n’est que le signe d’autre chose, une chose noire et impalpable, chiffon visqueux qui bat de l’aile, peut-être est-elle de cette consistance de l’âme perdue qui reste palpitante à ras de terre mais qui ne peut plus prendre son envol, qui se dérobe à chaque instant mais dont des haillons de tissus accrochés à vos doigts sanglants sont la preuve ineffable que alentour de vous quelque chose a bien eu lieu.

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             Attardez-vous sur cette notion d’instrument. Fût-il de musique, qu’est-ce qu’un instrument instrumente ? Avant de répondre, au fond de l’image fixez vos yeux sur le fauteuil vide. Et si sa vacuité n’était que la marque de l’absence du vide. Ne vous laissez pas emporter par ce frémissement de basse, sans quoi vous finiriez enseveli, l’instru-tourmente le son, il est le fils et le géniteur du désastre sonore, le son se perd dans les insupportable cliquetis du néant qui refuse de se faire passer par du bruit. Ne prêtez pas votre oreille, le désastre l’exige tout entière, comme le don ultime à l’indicible qui se fait nuit dans les cornets indistincts des naufrages, le spectacle du maelström n’est qu’ écume et  fureur pour celui qui se contente de le regarder, mais celui qui s’aventure dans le monstre furieux n’entend plus la pulsation mortifère de son sang qui gargouille dans ses propres veines, car il n’est nul besoin d’aller à la rencontre du gouffre, l’abîme est déjà en vous depuis le premier jour de votre gestation, toute rencontre physique avec l’autre ne réside-t-elle pas en une coagulation métaphysique de chair et de sang, érigée en signe de désespérance comme un récif au milieu de la mer  perdu au milieu de la mer, sur lequel vous finirez par vous fracasser car vous êtes vous-même l’écueil de votre propre existence. De votre inexistence à n’être pas ce que vous désireriez être.

             Patrick Geffroy Yorfegg nous offre une musique vertigineuse qui se perd en son propre vertige. Il souffle pour mieux aspirer à être l’inatteignable. Il est des limites infranchissables qu’il convient de franchir, sans quoi elles reviennent toujours et s’établissent en vous en tant que vos propres limites. Souffler dans une trompette, souffler dans un oratorio de trompettes n’est-ce pas le geste désespéré, l’ultime ressource sourcée au plus profond de vos entrailles qui permettrait  d’envoyer au loin l’obstacle qui vous arrête car il n’est que vous-même.

             En ces six minutes et cinquante-neuf secondes, j’admire celle qui manque, qui fermerait le septuor, Patrick Geffroy Yorffeg va jusqu’au bout de lui-même et jusqu’au bout ultime de la musique, que se passerait-il s’il jetait une  note supplémentaire, briserait-il par ce  murmure le mur de la musique ou celui du silence, dans quoi accèderait-il, si ce n’est peut-être en lui-même, tel que sa propre éternité le changerait. 

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             Dans la barque d’Arthur Gordon Pym, Yorfegg a admis un passager clandestin. Un compagnon de passage, d’ultimité, il ne pouvait s’adjoindre meilleur Capitaine pour explorer les eaux du dessus et les eaux du dessous. Le fantôme d’Edgar Poe tient le cap sans que  la barre ne varie, Yorffeg souque ferme, il souffle et suffoque sous le foc du désir intérieur, au cours de la traversée le flot musical périclite, il se désagrège pour mieux renaître de ses cendres bruiteuses, où nous mène-t-il, certes il nous manque la seconde dernière celle qui ne reviendra pas, tant pis pour nous, mais c’est pour cette dernière, en l’honneur de laquelle, qu’elle apparaisse ou n’apparaisse point, coup narquois d’éventail, qu’il a cérémonieusement noué une cravate noire. Toute musique poussée en ses derniers retranchements n’est-elle pas mortelle.

    Damie Chad.

     

    *

    Vacances terminées nous reprenons notre série documents Gene Vincent. Nous pensons qu’il est inutile de rappeler aux kr’tntreaders le rôle de Jeff Beck dans notre musique…Yardbirds, Jeff Beck’s Group, Beck Bogert and Appice, notre Cat Zengler a évoqué à plusieurs reprises tout ce parcours, plus sa carrière solo en tant que franc-tireur de la guitare.

    The Gene Vincent Files #4 : Jeff Beck talking about Gene

     and his admiration for Cliff Gallup.

    Où sommes-nous, des voitures défilent sur une quatre voies, serions-nous au Palomino Club à Hollywood, ça y ressemble mais aux States, comme ici, les abords des villes sont interchangeables… un panneau lumineux nous apprend que nous sommes au House of Blues – si nous sommes en Californie nous serions donc à Anaheim - en dessous le nom de Jeff Beck est entouré d’ampoules clignotantes, depuis la première image nous l’entendons parler, le voici calé sur une banquette de restaurant ou de pub, T-Shirt blanc, veste en Jeans, cheveux longs, visage découpé au surin.

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    Vous souvenez-vous de la première fois où vous avez entendu pour la première fois Gene Vincent ? Oui c’était autour de 1956 alors que Be Bop A Lula était un grand hit, je pense qu’il était numéro 1 dans les charts américains, ou alors classé très haut, ma sœur qui avait quatre ans de plus que moi possédait un tourne-disques et c’était un des premiers disques qu’elle avait achetés, aussi je le passais et le repassais sans cesse, et je n’avais jamais entendu une sorte de chant aussi  frénétique, mais il ne hurlait pas, mais il y avait cette sorte de tension, presque un chuchotement comme s’il était en train de parler, et il y avait cet écho claquant que je n’avais jamais entendu, et cette guitare incroyable et ces deux solos de guitare dans un 45 tours pop, deux solos brillants que j’ai aussitôt étudiés, des solos de Cliff, des solos de Cliff Gallup, totalement obsessionnels, je ne savais même pas les caractéristiques de la guitare qu’il fallait pour produire un tel son, et finalement j’ai découvert que ce n’était pas Russel Williford dont la photo était sur les affiches du film, mais si vous achetiez un autre album sur la couverture vous aviez Johnny Meeks mais c’était Cliff qui jouait toute cette fournaise qui littéralement me rendit fou, je ne pensais même pas à cette époque que je jouerais de la guitare mais d’écouter Cliff Gallup, d’entendre ce truc, son travail sur ces albums m’a permis de réaliser que toutes ces insultes à l’encontre des rock’n’rollers, qu’ils ne savaient pas jouer de la guitare, je l’ai entendu différemment quand mes oreilles se dressèrent et l’ai commencé à tenter de copier Cliff et quoiqu’il fût difficile d’imiter ce style parce que vous savez la musique que nous avions l’habitude de jouer était plus proche des Ventures, vous savez un style proche de la musique de danse, mais  cette nouvelle sorte de musique s’est greffée dans ma manière de jouer, tu l’entendais si souvent, que toi-même tu devenais Cliff … La première fois que je l’ai vu, c’était je crois en soixante,  la toute première fois que Gene est venu en Angleterre, je pense que c’était en 1960 à Kingston (banlieue de Londres) au Granada (spectacle organisé par la télévision privée du même nom)  il portait un costume vert et c’était le Gene que je connaissais, mais

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    où étaient les Blue Caps, il y avait quelques gars, que je n’ai pas reconnus, et nous étions, moi et un ami, des fanatiques des Blue Caps, nous étions choqués de voir que Gene et ses Blue ne ressemblaient pas aux Blue Caps que nous ne pouvions confondre avec cette formation, mais bien sûr nous sommes restés, c’était incroyable et le combo était aussi bien que possible, mais nous étions désappointés de ne pas voir Cliff, ni   Wee Williams le guitariste rythmique, ni Dickie Harrell, nous étions profondément déçus, ce n’était pas ce que nous attendions, après ce premier concert alors que quelques groupes de filles hurlaient en face de moi proclamant qu’elles partaient à la recherche de Gene pour le rencontrer, je sais que vous n’êtes pas comme moi mais je ne pouvais pas supporter l’idée que n’importe qui puisse rencontrer mon idole, je ne voulais pas m’approcher aussi près, je voulais juste le voir sur scène au Majestic Spotlight, sous les feux de la rampe, comme je l’avais vu dans les films. The Girl Can’t Help It, c’était la meilleure image, non seulement de Vincent mais du rock’n’roll, à coup sûr c’était un grand film, un peu comédie, un peu drame sur la fin quand les gangsters tentent de vous avoir… Tom Miller il me semble, mais quel film, encore maintenant il est fantastique, ce fut pour moi le truc qui a réellement compté, pas seulement d’entendre Be Bop A Lula, ou le tourne-disques de ma sœur, mais d’avoir vu le film avec ma sœur qui m’avait emmené, ô merci soeurette, puis Hot Road Gang que j’ai vu ensuite, Gene était en plus un très  bon acteur, diablement bon, pas du tout embarrassé de sa personne comme vous pourriez l’imaginer, je veux dire ce que Gene incarnait à lui tout seul, comme s’il était prêt à renverser la table, à tel point que par la suite il s’est effondré à la suite de la sortie de Bluejean Bop qui ne fut pas un aussi grand succès, et à partir de là il a été pris dans une spirale descendante, il a allumé le feu à Londres et n’a jamais remonté le courant, quand il est venu en Angleterre, on ne pouvait pas s’en rendre compte, c’est ainsi que moi j’ai pu le voir, il était énormément populaire, il était cornaqué par Jack Good, il n’avait jamais porté de cuir noir ni le médaillon avant que Jack Good ne lui ait dit, tu ne peux pas porter ces vêtements de péquenaud, je pense que Jack

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    Jack Good + Gene vincent

    Good était davantage un dramaturge, un entrepreneur de théâtre qui imposait sa propre vision de  Gene, et ça a marché parce que tout le monde aimait Gene. Je n’ai jamais été particulièrement fasciné par tout cela, vous pouvez facilement décider que Jack a tué Gene ou qu’il l’a créé,  logiquement  cela lui a valu de nombreux passages à la télé qu’il n’aurait jamais eus sans cela, assis devant mon poste je le regardais sur l’écran, je pensais que ce spectacle ne donnait pas à voir  ce qu’était vraiment l’authenticité de Gene, la véritable chose c’était Gene lui-même, dans la grisaille d’une semaine anglaise habituelle ce truc n’arrive jamais, je veux dire qu’il y avait des saxophones frayant leur chemins et des orgues un peu partout, ce n’était pas le rockabilly pur et dur que nous nous aurions aimé entendre, c’était l’habituel divertissement familial et Gene arrivait avec ses gants noirs quelque peu terrifiants, mais c’était un truc de toute manière peu élaboré, ces programmes n’avaient aucun effet sur  moi, il aurait dû me laisser produire cette merde, j’aurais renvoyé les autres à leurs habitudes, et mis les Blue Caps sur scène nous délivrer un spectacle qui aurait cassé la baraque, et je les aurais payés proprement, je les aurais surveillés, je ne les aurais pas au sens médical du mot  quittés des yeux, parce que je les aurais juste laissés à eux-mêmes, ils avaient apparemment un manager qui avait vraiment l’habitude de peser de tout son poids, je ne suis pas en train de lâcher quelques noms mais je sais que ce que je dis est la vérité, vous savez j’ai entendu de toute première main que lorsque les coiffures ont évolué, passant de ces grappes graisseuses sur le front à ces cheveux souples,  du coup Gene a pris un coup de vieux, la mode avait changé du tout au tout,  même si les fans de rockabilly pur et dur, les fans de rock’n’roll n’auraient jamais adopté cette coupe à la scarabée,  prédominaient alors les vents du changement avec Bob Dylan, les Beatles et les Stones,  et Gene était comme d’avant-hier, et même s’il a survécu, et est devenu incontournable dans la mémoire du rockabilly, il a quand même été laissé sur le côté de la route, car datant d’antan  comme vos Johnny Tillotson et Bobby Vee, et tous les autres, ils ont disparu avec l’arrivée des Beatles, c’est incroyable car ils ont quand même surnagé et ils ont acquis et vécut dans ce statut de notoriété de fondateurs, mais le vieux Gene, je veux

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    dire, vous savez c’est aussi la façon de la manière dont il est mort, il ne voulait pas que ses jambes soient correctement soignées, les gens ont eu le réflexe de le qualifier d’ ’’infirme’’ quand ils ont vu qu’il avait une jambe en mauvais état, il n’était pas sexy, vraiment, sur scène il ressemblait juste à un tueur psychopathe. ( question inaudible) Je l’ai aimé à la manière de Peter Grant qui a géré Zeppelin et par la suite moi-même, nous avons eu droit à quelques anecdotes révélatrices à son sujet, il n’était pas facile de travailler avec lui, il était agressif et buvait, et d’autres trucs du même genre, mais il a toujours offert un spectacle de grande qualité, l’une des meilleures paroles est celle de Johnny Meeks, il a dit que quand Gene est mort il n’a même pas pu mourir correctement, il a dit qu’il n’est pas parvenu à tenir ce rôle correctement, sa vie était empêtrée dans une telle tourmente, le truc anglais c’est ce qui l’a probablement tué, le fait qu’il avait juste derrière lui  une carrière et un public pour le soutenir, mais il en était revenu à ses débuts, à jouer dans des pubs et à survivre, je ne pouvais pas supporter de voir son déclin, mais il était reconnu, comme je l’ai dit les Beatles ont tout balayé, à moins qu’il ne fasse un contrat avec Little Richard, vous savez il y a eu le phénomène rétro des années cinquante, mais il a été laissé plus ou moins dans le désert de Londres, de l’Angleterre, puis de l’Allemagne, de la France, la France était grande, il était grand là-bas, enfin le Beatles, pour commencer  ils ont commencé par se faire les dents dans des boîtes de nuit en Allemagne, de vrais taudis, vous savez jouer et se taper dix heures dans le camion et Vincent était là, ils étaient tous complices, ils aimaient tous cette pression, ils aiment Vincent, ils aiment sa mystique, vous savez, la façon dont il délivrait ses chansons, menaçant, rampant sur scène, sa façon dont il balançait son micro, Rod Stewart a chopé le truc, vous savez le moment où il tenait son micro en l’air, c’était tout le truc de Vincent, mais beaucoup de gens, j’en suis sûr, même si vous parlez aujourd’hui à beaucoup de gens qui savent tout sur les Beatles, vous répondront,

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    mais qui diable est ce Vincent, vous savez c’est triste parce qu’il n’y a pas vraiment d’informations approfondies à portée de main, vous savez maintenant vous regardez la télé, il y a 5 600 chaînes de conneries et aucune mention sur quoi que ce soit qui évoque l’histoire du rock’n’roll, non pas que je ne puisse trouver quelqu’un mais parce que je ne vois aucun concert de Cliff, il n’y a pas une seule séquence de film de Cliff Gallup ce qui est incroyable, vous savez pour un gars qui n’a été dans le groupe que neuf mois, il ne reste aucune séquence de tournée, euh c’est quoi le Big Show, Perry Como oui c’est ça, un gars l’a perdue, il l’a juste jetée, un préposé aux archives, il a dit je n’en ai plus besoin maintenant, de toute façon, c’était une sorte d’excuse, un truc pour frimer,  j’en ai entendu parler… C’était aussi le style de Cliff et les Playboys étaient là aussi, ils connaissaient l’ambiance exacte et le son dont nous avions besoin, l’attitude sur la batterie, la contrebasse, at avant que vous vous en rendiez compte nous avions un bon son comme les Blue Caps, les Blue Caps originaux et aussi il me manquait un album, avec ceux-là derrière  moi, je l’ai donc enregistré moi-même, c’était une idée stupide, en double package avec un orchestre

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    original, ils ne pouvaient même pas me sortir un album,  alors je me suis dit, bon ça au moins c’est un album sincère, vous savez il m’a fallu des années et des années pour perfectionner le style, quelqu’un pourrait aussi bien l’entendre dans ce cadre, donc c’était un hommage à Cliff, vraiment il n’y avait personne à qui vous pouviez parler dans l’industrie de la musique, vous connaissez James Burton à cause d’Elvis mais les héros que j’admirais vraiment étaient Cliff Gallup, Paul Burlison qui était sur les premiers disques du Rock’n’Roll Trio, et Johnny Burnette, il n’y avait pas beaucoup de rockers purs et durs à l’époque de Scotty Moore,  il n’y en avait que trois, triste que les gens n’aient pas la capacité d’apprécier ce qui s’est passé auparavant, ils ont en quelque sorte tout aplani au bulldozer comme si cela n’avait jamais existé, dans le but d’assister à quelque chose de nouveau, vous savez que les fans des Beatles ne se seraient pas sentis dépaysés  dans un concert de Vincent, vous savez et je me suis dit, que se passe-t-il avec vous, cela fait partie des éléments constitutifs de la raison pour laquelle nous sommes ici.

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    Damie Chad.

    P. S. : le nom de Johnny Tillotson n’est guère connu par chez nous, il fut une grande vedette aux Etats-Unis et en Angleterre, chanteur et compositeur, son It’s Keep Right On A Hurtin’ fut repris par Elvis. Nous lui consacrerons prochainement une chronique. Bob Dylan dresse dans ses Chroniques un bel hommage à Bobby Vee qu’il accompagna sur scène dans sa jeunesse, auprès duquel il apprit les rudiments du métier. Rappelons qu’après la mort de Buddy Holly, ce fut à Bobby Vee qu’échut la lourde tâche de continuer la tournée en tant que tête d’affiche…

             Dans la dernière partie de son monologue Jeff Beck évoque l’enregistrement de Crazy Legs par Jeff Beck & The Big Town Playboys, que nous chroniquerons quand nous aurons terminé cette série de documents en consultation libre sur la chaîne  YT : VanShots – RocknRoll Videos.