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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 709 : KR'TNT ! 709 : REVEREND BEAT-MAN / SEXTON MING / MAGIC SHOPPE / THEE HEADCOATES / FIVE ROYALES / MAATISFET / CELINE RENOUX / JOHN REECE + GENE VINCENT / JACKIE FRISCO

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 709

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 11 / 2025

     

     

    REVEREND BEAT-MAN / SEXTON MING

    MAGIC SHOPPE / THEE HEADCOATEES

     FIVE ROYALES

    MAATISFET / CELINE RENOUX

    JOHN REECE + GENE VINCENT

    JACKIE FRISCO

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 709

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Monsters class/The Beat-Man way

    (Part Four)

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             Beat-Man sur scène ? C’est Attila, l’Hun de la une, l’u-nique ta mère, le Rev de rêve, l’empereur romain-lourde du Blues Trash, c’est écrit dessus comme sur le port-salut, il est aussi le Léon Bloy du raw, l’hacheur du punk, le Gévaudan du stomp, ah il faut le voir stomper sa viande des deux pieds et gratter ses accords inversés, Beat-Man est le diable en personne, le meilleur ami de l’homme moderne, le P’tit Quinquin devenu street-punk, ah si seulement Bruno Dumont pouvait voir ça ! On a vu le Petit Bain tanguer ces derniers temps, mais jamais aussi violemment que ce soir-là. Ça avoisinait l’Apocalypse que décrivit Saint-Jean. Un set des Monsters bat

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    tous les records de trash-punk, mais un set du Rev, c’est encore pire, car plus concentré, plus viscéral, comme s’il rassemblait en lui tout ce qui définit la sauvagerie extrême du rock : le scream, la sueur, le beat tribal, le rut, la rate, il n’oublie rien. Il porte tout au paroxysme. Beat-Man est un double concentré de Méricourt, il peut hurler dans la montagne, il peut gronder comme le tonnerre, il peut pulser le pire beat de l’histoire du beat, il y a quelque chose de surhumain en lui. Quelque chose d’absolu et de définitif. Et donc de sacré. On sent bien qu’il est à

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    la fois humain (car drôle) et surhumain (car trop puissant). C’est l’un des héritiers directs de Dionysos. Il est la rock star de l’underground dont t’as toujours rêvé depuis Captain Beefheart et Jerry Lott. Impossible d’imaginer un crack plus boom-hue, un trash-boomer plus pur, un être plus libre et plus sauvage. Beat-Man, c’est Dada au pays du Blues Trash, il nous réinvente la littérature et le rock, il partage sa vision avec toi, il écrit des vers, de la prose derrière sa grosse caisse, c’est Picabia avec une guitare électrique, c’est Artaud qui décide d’en finir avec le Jugement de Dieu, tu vois l’artiste à l’œuvre et tu frémis des deux naseaux ! Oumphhhhh ! Il est

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    imparable et sublime, il est l’incarnation de la pire authenticité, t’avais Elvis 54 et maintenant t’as Beat-Man. T’avais Aleister Crowley et maintenant t’as Beat-Man. T’avais Vince Taylor et maintenant t’as Beat-Man. T’avais tout ce que tu veux, et maintenant t’as Beat-Man. Et chaque fois, qu’on le voit, il empire, au bon sens du terme. On sent qu’il prend un petit coup de vieux, mais son corps massif dégage une énergie encore une fois surhumaine, alors pas de souci, tant qu’il continuera de monter sur scène, on sera là. Car Beat-Man est l’un des derniers à pouvoir te

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    démanteler ta clavicule, mon petit Salomon, à t’expatrier sur la lune, mon petit lunatique, à t’écarteler le cartel, à te recartographier la cartomancie, à te névroser tes pauvres petites névralgies, à te récurer toutes tes récurrences, Beat-Man te remet les angles au carré, il te donne la mer à boire, il t’astique tes stocks et te carapate ta rate. Beat-Man est le roi du tagada, le poète du pouet-pouet. Personne ne peut sortir indemne d’un concert du Reverend Beat-Man.  

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             Nos deux cocos jouent sur scène leur nouvel album, Death Crossed The Street.

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    T’y retrouves  les stomps du diable et cette façon qu’a Beat-Man de lancer le stomp d’un Ouh !. Alors oui, Ouh ! Et t’as l’enfer sur la terre. Il stompe tout ce qu’il peut des deux pieds. Absolute beginner de la guerre. T’as tout le trash-punk concentré dans la gorge pantelante de Beat-Man. Il tape «I Found Out» avec encore plus de férocité. C’est bombardé de Beat-Man Way - I found out she was cheating on me ! - Puis il insulte Jesus dans «Fuck You Jesus» - Fuck you Jesus/ Fuck you Lord/ Fuck you - Ouh ! Le stomp du diable est de retour en B avec «Feed My Brain». Ouh ! Puis il se met en rogne avec «Shut Up» - Shut the fuck up !, et pouf, il remet son enfer en branle. T’as ça nulle part ailleurs, pas le peine de chercher. Beat-Man et Milan Slick démarrent «Junkie Child» comme le firent jadis les Sweet avec Are you ready Andy ? Ouh ! Et ça part au rumble du Beat-Man Way.

    Signé : Cazengler, Munster

    Reverend Beat-Man & Milan Slick. Petit Bain (Paris XIIIe). 21 octobre 2025

    Reverend Beat-Man & Milan Slick. Death Crossed The Street. Voodoo Rhythm 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - La dynastie du Ming

     

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             Alors, tu débarques chez Born Bad dans les années 90, et tu plonges directement dans les deux bacs garage à droite en entrant. Arf ! Tu farfouilles là-dedans et tu sors un Big Hangman de Billy Childish & Sexton Ming, Arf Arf ! Wow quel titre ! Plump Prizes & Little Gems ! Wouuuah les punks sur la pochette ! Pas cher en plus ! Tu vois d’ici le petit coup d’enfer sur la terre que tu vas te payer en arrivant au bercail, une belle séance de gaga primitif ! Arf !

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             Bon alors t’arrive dans tes pénates, tu fais chauffer l’ampli, tu sors la rondelle de sa belle pochette underground et tu fais rouler le manège. Arf ! Dommage qu’un poto n’ait pas été là pour photographier ta bobine. T’es consterné ! Pas consterné parce que c’est mauvais, mais consterné parce que, coup de bol, t’es tombé par le plus grand hasard mallarméen sur un album Dada, pas gaga. C’est la consternation que tu préfères dans la vie, celle qui te prend au débotté, mais ça va encore beaucoup plus loin que ça : Sexton Ming, okay, mais aucune chance. Tu ne le sors pas du bac si tu ne lis pas le nom de Billy Childish sur la pochette, et ça veut dire quoi ? Ça veut dire que Wild Billy Childish dispose d’une grandeur d’âme qui lui permet de «protéger» Sexton Ming et de préserver sa liberté artistique, comme le fit en son temps Andy Warhol avec le Velvet : c’est exactement la même démarche. Wild Billy Childish fait le meilleur gaga d’Angleterre, mais il fait aussi du pur Dada avec son ami et protégé Sexton Ming. Et là, t’as dans les pattes un chef-d’œuvre artistique digne de ceux qu’on produisait au temps de Picabia et de Tristan Tzara. «Ain’t Gonna See Kansas No More» est du pur Dada-rock. Rien à voir avec le Kansas. Sur «Here On My Knee», Billy sort la disto pour taper une belle resucée du «Train Kept A Rollin’». Tu montes encore au paradis Dada avec «Fry-Up» - If you can’t cook my eggs baby/ I’m gonna find somebody else - On imagine qu’ils devaient bien se marrer tous les deux en enregistrant cette infâme merveille de Dada-blues. Ils terminent en tapant le «Dearest» de Mickey Baker, c’est gratté par derrière. Ailleurs, ils tapent un autre Mickey, «Love Is Strange». Au dos, tu as des félicitation d’Ivor Cutler pour Which Dead Donkey Daddy qui est paru juste avant - c’est hallucinant de dadaïsme cutlerien : «You, (+Mr. Ming, I presume) belong to a rare breed of instinctive commposers (sic), who, by stultifiying their intellects, are enabled to communicate in a most profundly satisfying way.» Tout est dit.

             Bien sûr, Sexton Ming n’a aucune chance en France. Il fait partie de ces excentriques britanniques très populaires chez eux, mais certainement pas outre-Manche. On avait découvert Ivor Cutler et Vivian Stanshall grâce au radio show de John Peel sur Radio One. Ces trois personnages font partie des derniers héritiers de Dada. Si Picabia et Tzara avaient vécu à notre époque, ils seraient certainement allés à Rochester dans le Kent enregistrer avec Wild Billy Childish. Un Childish qui en plus de «protéger» Sexton Ming, fait des bois gravés pour les pochettes d’Hangman, son label.

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             C’est lui qui grave le visuel de Which Dead Donkey Daddy, paru la même année que Plump Prizes & Little Gems, en 1987. Attention, c’est encore un pur Dada-album. Tzara n’aurait jamais osé ce shoot de Dada-Weirdy Weird qu’est «Mission Mulch». Ming va très loin, il échappe aux frontières. Encore un coup de maître avec «Big Beatle Mumma» - Big Beatle Mumma walking down the street - et il plonge définitivement dans l’underground avec «Trixy The Jolly Dustmen».   Billy et Sexton duettent à l’absurde dans «The Arthur Young Workbench». C’est ce qu’on appelle un duo d’enfer underground qui vaut tout l’or du Rhin. Ils terminent cet album qui échappe aux normes avec un pur Dada-goodbye, «Go To Sleep» - my baby.

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             Dans un vieux Dig It! de 1995, Sexton Ming accordait une interview à Philippe Migrenne, dans laquelle il se racontait brièvement et où il citait ses influences - Kevin Coyne, Leo Kottle, Blue Cheer, Love, Beefheart, les Mothers, Gong, John Fahey, Hawkwind, Motörhead, Slaughter & The Dogs, les Saints, Alice Cooper, Hindersmith, Erik Satie et Johnny Ray - Quel éclairage ! Il dit aussi avoir quitté l’Angleterre en 1989 à cause des «cons thatchérisants» pour aller vivre en France, «mais au bout de quatre ans, écœuré par les Français, je suis revenu en Angleterre pour y former les Diamond Gussets.» Alors attention, c’est la chute qui vaut le coup d’œil : «Je pourrais continuer mais je ne suis pas payé pour écrire tout ça donc je vous emmerde. Allez tous vous faire foutre, vous et votre rédacteur, votre traducteur, votre imprimeur, vos putains de lecteurs, votre mère et vos moutards. Fuck you all’!». Philippe ajoute qu’à l’époque des gens chez Dig It! étaient choqués. N’est pas Dada qui veut. 

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             Sexton Ming va ensuite attaquer une série d’albums solo sur Hangman, toujours accompagné par son poto Billy. Magnifique pochette encore que celle d’Old Horse Of The Nation, bien gravée dans le bois par le poto Billy. On y retrouve d’ailleurs le donkey de Which Dead Donkey Daddy. Au dos, on peut lire : «Hangman production. Specialists in North Kent literature.» Oui, car en plus des disks, nos ceux coco publient des Hangman books. Le Ming fait le God Of Hell Fire d’Arthur Brown dans «I Am Your God» et du pur Beefheart dans «Hot Red Man» : même raw de la démesure du so far out. Il enchaîne avec un fantastique balladif primitif, «Many Years Ago», magnifique expression d’un pur génie underground. En B, il embarque «You Can’t Polish A Turd» sur le jive du «Can’t Judge A Book By The Cover» et il monte son «Rumbing Man» sur le modèle du «Rumble» de Link Wray. Et voilà le aw aw aw d’Hooky dans «Votory of The Lotus Sutra». Encore un fantastique coup de génie underground ! Dans «Duff You», c’est lui le Ming qui gratte la disto d’I’m gonna duff you baby. Retour à Hooky avec «Old Horse Of The Nation 2». Il s’esclaffe - Old horse of the nation/ I’m in love with you !

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             La fête continue avec 6 More Miles To The Graveyard, un album encore plus excentrique que les précédents. Il gratte son «Octopus Weeps For You» en piqué, comme s’il allait s’écraser au sol. On entend aussi Kyra là-dedans. C’est elle qui chante ensuite «Smash Your Face In». Le Ming fait son lugubre en B avec le morceau titre qui s’y prête bien, et il finit en mode boogie blues avec «Bored Depressed & Lonely».

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             Re-belle pochette pour Birds With Teeth, l’Hangman de service, hyper-graphique. On croit voir Alfred Jarry sur la pochette. C’est encore un album très Ming. Il met ses poèmes en musique et avec «Lutennat Ohura 90», il refait une cover du «Love Is Strange» de Mikey Baker.  

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             Gros retour en force de Dada dans Master Of Gibberish. Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, le Gibberish est la version anglaise du charabia. Alors bienvenue chez ce brillant Master of charabia. Il te gratte «Hide In The Cellar» aux beaux accords insidieux - Here comes a very strange virus - Le Ming fait planer la menace et te conseille d’aller te planquer - So hide in the cellar/ Or the attic - Quelle rigolade ! Il explose tous les records de Dada avec «We Hate You Byped Bastards» - Supermarket trollys ! - En B, ça repart de plus belle avec «Plegged To Die - Aumhh yum dum Diddley dum - et dans «The Cows Are Strong», on entend forcément meugler les vaches. Il te gratte plus loin «I Hate The Youth» au wild gaga-Dada de Medway - I’m normally a passive kind of guy but - et il profite de cette giclée paranormale pour saluer Oscar Wild (sic).

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             Le couple Billy/Sexton se reforme pour The Cheeky Cheese. Ils déboulent sur la pochette en petite tenue. Au dos tu peux lire : «Buy this record & listen to it before you die.» Trois Dada-shoots imparables cueillent le visiteur au menton, à commencer par «Insects In Your Stars», suivi plus loin de «Birds & Shoots», une belle pop artisanale et envoûtante - See the snail eating tweets - En B, tu vois le Ming attaquer «Mussel Horse In Holland» d’une voix de vieux marin aviné et il annonce «Curious Old Woman» ainsi : «Music by Billy Childishhhhh and sang by Sextôn Meng !».

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             T’as vraiment intérêt à voir la photo de Billy et Sexton au dos de la pochette d’Here Come The Fleece Geese : ils sont au jardin, avec des chapeaux de paille et des fourches, Billy en short des années trente et Sexton habillé en noir. Cette fois, Billy joue de l’orgue de barbarie sur le morceau titre - The flow to the North/ They flow to the East - Quelle rigolade ! Le Ming gratte bien quand ça l’arrange («Old Horse Of The Nation Tea Party»). Leur «Arnie Ice Cream Sargent» est aussi barré que l’Ice Cream For Crow de Captain Beefheart. «Honk Honk Gray Gooze» est du Dada complet, itou pour «They Call Me Mr. Tibbs» - They don’t call me Pussycat/ They call me Mister Tibbs - Puis on assiste au retour des oies dans le morceau titre qui ferme la boucle. Coin coin.

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             Dernière aventure en date : Dung Beetle Rolls Again. Comme chacun sait, le Beetle est non seulement à l’origine des Beatles, mais c’est aussi un scarabée. C’est le plus bel album Dada du duo. On retrouve au dos la photo de Which Dead Donkey Daddy, qui date de 1980. Ils démarrent avec le morceau titre, un gros Dada-boogie digne de Captain Beefheart, et enchaînent avec une autre performance Dada, «Slap Up Breakfast» - Slap up breakfas/ For me/ For me - Mais le chef-d’œuvre imputrescible de ce Dada-disk surgit soudain sous tes yeux ronds : «The Giggling Sausages», c’est-à-dire les saucisses qui se marrent. Typical Ming - Cook ‘em up !/ In the fryin’ pan ! - Il ramène ses saucisses en B dans «Arnie & The Meat Factory» et Billy ressort son orgue de barbarie pour jiver ce fabuleux Dada-gaga qu’est «Turd Mites». Et ça se termine en Dada-blast avec «Darcey Liver» - Kick out the jams motherfuckers !

    Signé : Cazengler, Sex-toy Ming

    Billy Childish & Sexton Ming. Which Dead Donkey Daddy. Hangman Records 1987

    Billy Childish & Sexton Ming. Plump Prizes & Little Gems. Hangman Records 1987

    Sexton Ming. Old Horse Of The Nation. Hangman Records 1987

    Sexton Ming. 6 More Miles To The Graveyard. Hangman Records 1988

    Sexton Ming. Birds With Teeth. Hangman Records 1990

    Sexton Ming. Master Of Gibberish. Tom Product 1996

    Billy Childish & Sexton Ming. The Cheeky Cheese. Damaged Goods 1999

    Billy Childish & Sexton Ming. Here Come The Fleece Geese. Damaged Goods 2002

    Billy Childish & Sexton Ming. Dung Beetle Rolls Again. Damaged Goods 2011

    Philippe Migrenne. Sexton Ming. Dig It! # 6 - Mai 1995

     

     

    L’avenir du rock

     - Magic carpet ride

    Comme tout un chacun, l’avenir du rock adore les bals costumés. Il arrive tout guilleret au bar et se fait servir un verre de champagne rosé. Accoudé à deux mètres, le Fantôme du Bengale l’interpelle :

             — Hé dis donc, toi, tu sais que c’est un bal costumé ? Tu ne respectes pas les règles ! T’es déguisé en quoi ?

             — En concept !

             — Mais c’est pas un déguisement ! Je vais te casser la gueule et t’imprimer ma tête de mort indélébile sur la joue, tu vas voir !

             Au moment où le Fantôme du Bengale lève son bras gainé de lycra rouge pour frapper l’avenir du rock, une main noire le bloque. C’est la main de Lothar, le valet de Mandrake le Magicien. Lequel Mandrake s’interpose, lève son haut de forme, salue l’avenir du rock, et s’adresse aussi sec au Fantôme du Bengale :

             — Hé dis donc, Ombre Qui Marche, t’es devenu complètement con ou quoi ? Ne sais-tu pas qu’il est interdit de frapper un concept ?

             Écumant de rage, le Fantôme du Bengale arrache la main de Lothar de son bras et lance d’une voix sifflante :

             — Mais un concept, c’est un con, Mandrake ! Tu vois bien qu’il a une tête de con et qu’il appartient à l’Empire du Mal ! Les cons sont partout, je dois les exterminer !

             Et il se prépare de nouveau à frapper l’avenir du rock. Alors Mandrake lève la main :

             — Tu l’auras voulu, Ombre Qui Marche ! Abracadabra !!!

             Et il transforme le Fantôme du Bengale en bongo.

             — Maintenant, tu seras le Fantôme du Bongo !

             L’avenir du rock pousse un sifflement d’admiration.

             — Je savais que vous étiez un crack, Mandrake, mais pas à ce point ! C’est vous qui avez inventé Magic Shoppe ?

     

             C’est normal que l’avenir du rock se pose la question, car Magic Shoppe semble tomber du ciel. Ou mieux encore : sortir du chapeau d’un magicien.

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             Il fallait s’en douter : le cerveau de Magic Shoppe, c’est lui. Lui qui ? Josiah Webb. On le voit gratter ses poux et poser sur le maigre public un regard indolent, alors on comprend immédiatement qu’on a sous les yeux l’une de ces petites superstars dont l’underground est tellement friand. Magic Shoppe est un groupe,

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    mais Magic Shoppe c’est lui. Sobrement vêtu d’une veste noire, réajustant de temps à autre une mèche par ci et une mèche pas là, et grattant ses poux dans une mélasse d’overwhelming permanent, il mène la danse. Ces quatre petits mecs de Boston saturent le spectre avec une certaine élégance, ils montent tout de suite à l’assaut de ton attention et t’embarquent dans leur monde avec une irrésistible maestria. Ils offrent un curieux mélange de déjà-vu et de fraîcheur, tu sens à la fois que ça tourne en rond mais t’as besoin d’en savoir plus, alors tu tends et tu retends l’oreille, et tu

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    finis par tomber sous le charme de ce mec Josiah Webb, tu le vois gratter ses killer solos dévoyés au tiguili hermétique, il sort un son noyé d’écho et de good vibes. Certaines clameurs évoquent celle de Swervedriver. On leur colle l’étiquette shoegaze, mais ils se situent bien au-delà des étiquetages, ils créent leur monde, comme Anton Newcombe crée le sien, et même si ce monde t’en rappelle un autre, tu le prends comme il est parce que ça finit par devenir brillant. Extrêmement brillant. Une fois que tu es entré, tu ne veux plus en sortir.

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             Tu ramasses leur dernier EP au merch, l’excellent Resurrection Machine, et tu retrouves ce son bien creusé dans le bâti de l’enfer sonique, ce son écorché vif, très

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    Bloody, comme dirait cette pouffe de Valentine, et quand tu lis les notes au dos, tu découvres que Josiah Webb est tout seul sur l’EP. Il est l’homme à tout faire de son petit empire, et ça tient bien la route. On retrouve le «Space Cadet» tapé sur scène, bien vivant derrière son heartbeat, avec ses guitares voraces d’Horace ta race. Josiah Webb est bien dans son monde, rien ne l’en fera sortir. Il se donne les moyens de ses ambitions, son «Oh No» sonne merveilleusement bien, c’est à la fois touffu et spacey. Bon t’as déjà entendu ça mille fois, mais ça te parle. L’Oh No est assez violent, t’en savoures la clameur, l’esprit de tempête dans un verre d’eau. En B, tu retrouves «Everything Sounds Better When You’re Dead», ce cut qui paraît immense car très répandu à la surface, Josiah Webb tartine son monde en long et en large et ça sonne glorieusement, même si ça reste très lancinant, très expat, très tiré par les cheveux. T’as de quoi faire, pour peu que tu sois un peu curieux.

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             Si t’en veux encore, il faut sortir les gros billets. Josiah Webb t’a pas attendu pour enregistrer des albums, ça fait 15 ans qu’il enregistre des albums à Boston et curieusement, son groupe est devenu culte. Ses sept albums coûtent très cher, quand ils ne sont pas épuisés. La vie est plus facile pour les riches. Le plus accessible est son dernier album, Down The Wych Elm. C’est un album de big time out qu’on croirait calqué sur les anciens exploits soniques de Swervedriver. T’as au moins trois cuts qui sonnent ceux des Swerve, «The Field Where I Died», «Something Hollow» et «Needle In Your Eye». Ce sont des belles dégelées d’oraison Swervy, tu retrouves exactement la même tentation océanique, le même boisseau d’argent, la même urgence d’alarme rouge, avec cette classe inhérente au Brian Jonestown Massacre. Josiah Webb ouvre son balda avec un véritable coup de génie sonique, «Have You Seen Bella?», c’est bardé à outrance de tout le vieux barda du monde. Josiah Webb est un bon, il connaît le secret des tempêtes soniques. Il multiplie encore les rafales dans «Whore». Quel Wall of Sound ! Il monte encore d’un cran dans l’art de la dégelée avec «An Empty Cartridge», il atteint la clameur d’alerte nucléaire, le beat bat comme un cœur trop gros, ça pulse au cataclysmic ! Il boucle sa B avec un «Coda» monté sur un heartbeat monstrueux. On retrouve la lancinance du bassmatic scénique.       

    Signé : Cazengler, Shoppe la crève

    Magic Shoppe. Le Trois Pièces. Rouen (76). 15 octobre 2025

    Magic Shoppe. Down The Wych Elm. Little Cloud Records 2024

    Magic Shoppe. Resurrection Machine. Little Cloud Records 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Cotise avec Thee Headcoatees

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             Sous l’égide rigide de Wild Billy Childish, les Headcoatees ont pendant dix ans ravagé l’Angleterre. Pour big Billy, premier punk-rocker d’Angleterre, c’était un jeu d’enfant que de propulser ses pouliches au firmament du garage-punk. Il multipliait déjà les projets, alors un de plus ou un de moins, quelle différence ? Pour garantir leur succès, il leur écrivait des hits à la pelle et produisait leurs albums. Puis il les emmenait en tournée, et les filles cassaient la baraque en sa compagnie.

             Thee Headcoatees sont un véritable vivier de talents : Holly Golightly, Bongo Debbie, Miss Ludella Black et Kyra LaRubia sont toutes entrées dans l’histoire. Elles se répartissaient les morceaux au chant. Tout au long des années 90, elles ont pondu des albums exemplaires, souvent hirsutes, inspirés et poilants. Au-dessus d’elles planait en permanence l’ombre tutélaire d’un big Billy au visage aussi sec qu’un olivier abandonné de Dieu.

             Comme les Headcoats, elles portaient des casquettes de Sherlock. Comme les Headcoats elles se plaçaient sous la haute autorité de Bo Diddley. Elles devinrent les reines du garage punk britannique. Elles savaient mettre un classique à feu et à sang, elles savaient battre tous les records de délinquance juvénile. Les Anglaises ont cette élégance transgressive que n’ont pas les autres.

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             Un charmant petit book raconte leur histoire : Girlsville - The Story Of The Delmonas & Thee Headcoatees. Recommandé par un ami. L’auteuse s’appelle Saskia Holling. Les gros veinards qui ont pu voir Russell Wilkins et Lord Rochester sur scène la connaissent : elle y joue de la basse. Elle est aujourd’hui la compagne de Russell, qui a un pedigree aussi long que celui de son vieux partner big Billy. Dans sa petite intro, Saskia raconte qu’elle a rencontré Russell à l’époque où elle jouait dans Sally Skull.

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    Saskia

             Charmant petit book ? Oui, car pas prétentieux. Saskia n’est pas une styliste, elle se contente de témoigner et de faire témoigner. Elle cite abondamment. Elle regroupe les Delmonas et Thee Headcoatees dans le même book car les histoires de ces deux groupes sont liées : Sarah/Miss Ludella Black a fait partie des deux groupes, et big Billy les a mentorés tous les deux. Autre point commun : ce sont les girlfriends des Milkshakes puis des Headcoats qui constituent les Delmonas et les Headcoatees. Contrairement à ce que montraient certaines pochettes, ni les Delmonas ni les Headcoatees ne jouaient d’instruments. Ce sont les Milkshakes et les Headcoats qui assuraient le backing. Et quel backing, baby !

             Dans les Delmonas, t’as Hilary, Louise et Sarah/Ludella.

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             Hilary est à l’époque le poule de Russell, bassman des Milkshakes. Elle est aussi la mère de ses deux fils. Pour élever ses enfants, Russell va quitter les Milkshakes en 1983. Louise est la poule de Bruce Brand. Ils se sont mariés en 1986. Puis ils vont se séparer. Dans leurs longues interviews, Hilary et Louise restent très pudiques sur les fins de leurs relations respectives. Sarah est la poule de Mickey Hampshire qui fut membre des Milkshakes. Aujourd’hui, Sarah et Mick sont toujours ensemble. C’est le seul couple qui a survécu. Dans son interview, Sarah indique qu’elle a mal vécu la fin des Headcoatees, qui furent toute sa vie pendant dix ans, et soudain, plus rien. Elle réussira néanmoins à démarrer une carrière solo, avec deux fantastiques albums qu’on ira saluer ailleurs.

             Saskia prend soin de rappeler qu’en 1982, Hilary, Louise et Sarah se sont installées à Medway - South of London and north of Canterbury, Medway regroupe 5 villes : Strood, Rochester, Chatham, Gillingham et Rainham, toutes situées le long de la rivière Medway - Medway désigne aussi une scène, dont la figure tutélaire est bien sûr Wild Billy Childish.

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             Bruce et Rusell se connaissent depuis le début, ils jouaient ados dans des groupes de prog, puis ils sont passés au punk et ont rencontré le local lad Billy Childish, pour former les Pop Rivets. Big Billy ne pouvait pas espérer meilleurs partners. Le groupe va tenir trois ans, de 1977 à 1980. Et quand leur batteur Little Russ Lax les lâche, big Billy monte les Milkshakes avec Mickey Hampshire. Bruce passe au beurre et Russell bassmatique tout ça tout cru. Les Pop Rivets sonnaient punk, et les Milkshakes vont sonner plus rock’n’roll pour évoluer vers un garage primitif. Saskia : «Billy, Mick, Bruce and Russell had youth, arrogance, foul mouths and agression.» Ils s’inspiraient de Bo Diddley, de Link Wray, des Kinks et des Beatles.

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    Sarah / Ludella

             Hilary, Louise et Sarah/Ludella fréquentaient donc des superstars de l’underground ! Les Milkshakes furent à l’époque ce qui pouvait arriver de mieux à l’Angleterre. Leur manager n’était autre que Nick Garrard. Puis Mickey Hampshire va faire une overdose de Milkshakes et quitter le groupe. Sarah : «He didn’t want to do it anymore.» Mickey a cessé de jouer pendant 15 ans - He had had enough. He’d burnt himself out very quickly with The Milkshakes and was desillusioned by the whole thing - Mickey va renaître des ses cendres pour monter les Masonics, avec Bruce au beurre et Johnny Barker on bass. Premier album en 1991, sur Hangman. On y revient prochainement. 

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             C’est big Billy qui baptise le girlfriend group Delmonas. Sarah devient Miss Ludella Black et Hilary devient Ida Red. Mais elle n’aime pas son surnom - That was another decision made for me -Le groupe répète chez Hilary et Russell. On ne va pas revenir sur les albums, on en parlait assez longuement inside the goldmine en 2024. Comme ceux des Headcoatees, les quatre albums des Delmonas sont assez explosifs et chaudement recommandés. En 1985, Louise quitte le groupe. Big Billy explique qu’il s’est engueulé avec elle. Puis Bruce quitte le groupe aussitôt après Louise. Les Delmonas ne sont plus que deux : Sarah et Hilary. Le groupe devient  Delmonas 5 avec Johnny Gawen au beurre, Russell on bass et big Billy à la gratte. Saskia juge bon de rappeler qu’à l’époque, big Billy jouait avec Thee Mighty Caesars, et Russell avec le Len Bright Combo.  Et quand Hilary met au monde son deuxième fils, elle commence à prendre ses distances avec la musique. Elle part s’installer avec Russell au sud de l’Écosse. 

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    Hilary, Sarah, Louise,

             Fin des Milkshakes ? Pas de problème, big Billy monte Thee Headcoats, avec Bruce au beurre et Allan Crockford des Prisoners on bass. En hommage à Don Craine, ils portent les casquettes de Sherlock - Don had started wearing a deerstalker for photos and gigs back in 1964 -  Puis big Billy pose la question à Sarah qui chantait dans les Delmonas : on remonte un girlfriend group ? - I said yeah great - love to! - Naissance des Headcoatees. La nouvelle girlfriend de Bruce s’appelle Holly Smith, celle qui va devenir Holly Golightly. Et Kyra est la girlfriend de big Billy. Quand Allan Crockford quitte les Headcoats, il est remplacé par Johnny Johnson. Autre petit détail d’importance : lors d’une tournée scandinave, Bruce se fait porter pâle et big Billy fait appel à Wolf Howard qui bat le beurre dans d’autres groupes de Medway, The Daggermen, The Prime Movers et The James Taylor Quartet.

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             Les Headcoatees sont quatre. Holly Golightly, la poule de Bruce, qui était auparavant avec Louise. Holly tire bien sûr son pseudonyme de Breakfast At Tiffany’s. Sarah, on la connaît déjà. Ensuite, t’as Kyra qui est la petite poule belge de big Billy. Saskia : «Kyra is the one that is good at performing.» On la retrouvera ensuite dans les A-Lines avec Julie Hamper. Elle dit même dans l’interview que les A-Lines devaient enregistrer un deuxième album. Elle évoque aussi les Shall-I-Say-Quois, avec Julie et Sarah. La quatrième Headcoatee s’appelle Bongo Debbie, qui fut la poule de Johnny Johnson. Elle se mariera ensuite avec Ian Greensmith, le batteur des Armitage Shanks. Elle va aussi jouer dans les A-Lines et les Buffets. Tout cela est documenté par des albums fantastiques.

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             Le premier album des Headcoatees sort en 1991 : Girlsville. On les voit avec des instruments, mais elles n’en jouent pas. Elles ouvrent le bal avec une jolie pétaudière, « Wild Man », un cut des Tamrons chanté en mode Chrissie Hynde. Ça t’explose en pleine gueule. Elles deviennent des graines de violence avec « Round Every Corner » - Round every corner/Looking for your face - Les filles ne plaisantent pas. « Give It To Me » est une sorte de sale petit garage mal famé. Kyra pend ça en main, elle uppercute, la petite garce. Le garage le plus dégueulasse d’Angleterre, c’est là. Cris de folles - Yeeeeeeehhhhh - solo de dingue signé Big Billy, pure jute de génie garage, voilà l’explosion tant attendue. Les filles ont tout compris - Give it to me/ All your love ! - Puis elles passent à l’heavy rock avec « Boysville ». Elles sifflent comme les New York Dolls ! Et pour finir, elles explosent « Money ». 

             Les Headcoats et les Headcoatees vont aller trois fois au Japon, en 1991 avec Mudhoney, en 1994 avec les Phantom Surfers, et en 1998 avec les Flaming Stars. Billy et Bruce décident de tout : du choix des cuts, du design des pochettes, des set-lists. Holly dit qu’elles n’avaient aucun rôle dans les décisions - If you ask: ‘How much control did you have?’, It has to come out, none, none at all, by design - Sarah : «Billy wanted to be in control of the situation and the songs.» Holly propose ses chansons, mais Billy les trouve trop complexes pour les Headcoatees.

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             Le morceau titre de leur deuxième album Have Love Will Travel surpasse tout. Elles claquent ce classique avec tout le chien de Baskerville dont elles sont capables. Au dos de la pochette, Don Craine des Downliners Sect les salue : « Hey-oh Hey-ah ! » On entre dans le nec plus ultra du garage des bas-fonds avec « Don’t Try And Tell Me », épouvantable déballage de malveillance. On a du scream de folle et de la fuzz à la tonne. Pour l’amateur de garage, c’est le paradis sur terre. Elles chantent vraiment comme des traînées. Pire encore avec l’abominable « Mess Of Pottage ». Elles chantent ça comme si elles volaient une mobylette. Big Billy n’en finit plus de leur fournir des classiques imparables, comme ce « Tear It To Pieces », claqué aux accords de Dave Davies. Elles féminisent à outrance leur version de « Big Boss Man » et finissent cet album faramineux avec une reprise d’« I’m Gonna Make You Mine » qu’elles font sonner comme l’hymne des coursives d’un council flat.

             En trois ans, les relations sentimentales vont se détériorer. Debbie et Johnny, c’est fini. Les couples Bruce & Holly et Billy & Kyra vont traverser de sacrées zones de turbulences.

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             On monte d’un cran dans la violence délinquante avec Ballad Of Insolent Pup. Pour la pochette, elles prennent le thé dans la forêt. Ça part en mode fuzz avec « This Heart ». Hyper crade ! Ce sale garage puant relève du génie. Miss Ludella nous drive ça d’une main de fer. Waooouhh ! Elle pousse un cri de folle échappée de l’asile et big Billy descend aux enfers avec son killer solo. Encore pire : « Pretend » sonne comme un hit lent de Totor et chanté limite faux par cette teigne de Miss Ludella. Puis t’as cette sale teigne de Kyra qui attaque le morceau titre à coups de menton. Elle fait sa vicieuse et roule des accents allemands. Elle bat tous les records de délinquance, dopée par la fuzz des Troggs. Killer solo flash, et ça part en vrille avec des cris et des jappements, des hip et des wouap, franchement, on n’avait encore jamais entendu un tel bordel. Tout est survolté sur cet album. Garage sec et scream de folle dans « All My Feelings Denied ». Sur « It’s Bad », big Billy recycle les accords de « Gloria ». En B se planque une bombe atomique : « Now Is Not The Best Time ». Elles nous chantent ça à la ramasse. Encore plus monstrueux : « I Was Led To Believe ». Elles tapent ça avec une hargne inégalable.

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             Attention à Punk Girls, l’album sorti sur Sympathy For The Record Industry. Il se pourrait bien que ce soit l’un des albums du siècle. Il suffit simplement d’écouter le morceau titre pour s’en convaincre. Kyra chante ça avec toute la violence dont elle est capable. Elle enfonce ses clous dans la paume du diable. Elle pousse des cris de pinson électrocuté. C’est poinçonné aux Lilas. Kyra fait sa Méricourt de Gévaudan. Quelle atroce violence ! Et tout l’album est sur ce registre, dirty sound et coups de chaîne de moto. Hommage au patron avec « Billy B Childish ». Bongo Debbie bongote dans un mould tortillé à l’harmo névrotique. Son à la Pretties, fumace et inventif - Billy B poor and Billy B rich - et quand Billy entre dans la danse, ça devient insupportable de génie. Cover ultra-violente du « Teenage Kicks » des Undertones. Elles envoient les hussards. Bongo Debbie chauffe la soupe, c’est une version effarante de déviance, awite, et solo mortel. Normalement, rien qu’avec ces trois morceaux, t’es au tapis. Mais la fête continue. Kyra revient claquer le « Pinhead » des Ramones. Elle semble complètement butée. C’est la punk la plus sale, la plus méchante de toutes. C’mon ! Les Headcoatees ont un truc que les mecs n’auront jamais, cette petite niaque de folles qui vient du ventre. Ludella chante « Cara Lin », un stomp de glam complètement dément. Voilà qu’elles se mettent à défoncer la rondelle du glam. Big Billy claque le thème à la fuzz et c’est littéralement bardé de clichés bon esprit, c’est du Suzi Quatro sauvagement schtroumphé, dans une immense clameur de destruction massive. Kyra tape « Zig Zag » et en fait le punk-rock le plus dégueulasse d’Angleterre. Elle bat sa coulpe avec une outrecuidance qui dépasse l’entendement et t’imprègne la cervelle d’une fabuleuse émulsion punkoïde de bas étage. Messieurs les punk-rockers, prenez des notes.

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             On a un beau fish-eye hendrixien pour la pochette de Botzstick Haze. Rien qu’à les voir toutes les quatre le nez collé à l’objectif, on se régale. C’est avec cet album qu’on va pouvoir définir leurs caractères respectifs. Quand on entend Kyra chanter « Name Your Own Poison », on comprend qu’elle peut être très vacharde. Elle roule ses r avec un autoritarisme germanique qui glace les sangs. On voit d’ailleurs à sa figure sur la pochette que l’empathie n’est pas son fort. Il vaut mieux l’avoir comme amie que comme ennemie. Ludella prend « I Need Loving » d’une voix mûre. Chez elle, on sent le poids du vécu. Elle sait faire l’infectueuse. En Ludella, quelque chose rassure, mais lorsqu’on pousse l’examen de son regard, on détecte facilement la nature trash de sa complexion. Quant à Bongo Debbie, allez savoir ! Elle chante le petit garage de « Speak To Me » cordialement, mais on sent quelque chose de pernicieux dans le ton de sa voix. Mais il faut rester prudent avec ce genre d’interprétation, car on risque de basculer dans l’approximation délirante dont raffolent les lacaniens. Holly chante « Just Like A Dog » à la manière des Pretties, comme dans « Come See Me ». On est vraiment gâtés car c’est bien vrillé au killer solo flash. Des quatre, Holly pourrait passer pour la préférée, d’une part parce qu’elle est brune, et d’autre part à cause de ce regard voilé qui sent bon les alizés. On retrouve notre petite fouine Kyra en B pour un gros shoot de garage élémentaire, le morceau titre. Puis Debbie fait sa Bo avec « Baby Teeth Marge ». Elles ont vraiment le beat dans la peau. Miss Ludella illustre son côté pervers avec « He’s In Disguise » : elle se force à chanter faux. C’est assez osé. 

             Bongo Debbie finit par en avoir marre de toujours chanter les mêmes cuts sur scène. Puis elle s’engueule avec Holly - a massive fall out - Alors elle quitte le groupe. Et ensuite, tout va partir en eau de boudin : Billy se tape Holly et Kyra vit ça très mal : «I thought Holly hated me, and I didn’t like that she was going out with Billy in front of my nose.» Sarah : «It all went horribly wrong.»

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             Debbie disparaît donc de la pochette d’Here Comes Cessassion. Elles ne sont plus que trois, mais leur rage reste intacte. Elles attaquent avec un gros pâté de gaga sauvage, « You Say That You Love Me », elles te tartinent ça vite fait, c’est du graillon britannique, du couenné sévère, du fort en gueule. Les poules y mettent tout l’allant des suburbs. « All Night Long », c’est du pur Kyra la mauvaise. On la reconnaît aussitôt, à son accent fêlé de petite garce acariâtre. « Hurt Me » est un gros hit lent à la Billy, une vraie réussite mélodique, insistante et incisive. Elles bafouent toutes les Conventions de Genève avec « An Image Of You », on sent bien leur niaque et tout le trash dont elles sont capables. Sur cet album, elles tapent deux classiques de Bo : « Road Runner » et « Keep Your Big Mouth Shut » qu’elles balancent dans le même esprit que la version des Pretties, à la rentre-dedans, dans une belle atmosphère de délinquance. Autre coup de génie : « Is There Any Chance Of You Coming Into My Life », violemment riffé, tapé sur une seule phrase et monté serré sur les culbuteurs. S’il fallait retenir une seule chose de Billy Childish, ce serait ce riff raff de mauvaise vie. 

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             La même année sort une sorte de compile, The Sisters Of Suave (Dedicated to the memory of our dear departed Bongo Debbie). Les trois survivantes sont déguisées en bonnes sœurs et font le pendant des Earls of Suave en s’appelant Sisters Of Suave. Cette compile est un peu explosive. Déjà que les albums sont teigneux, alors on imagine ce que peut donner une compilation de singles et de bricoles enregistrées à droite et à gauche. Elles attaquent avec une reprise du « Davy Crockett » de Billy en mode laid-back - You are the king of the wild frontier who-oh oh oh - Puis elles balancent une tranche de Sonics avec une reprise de « Santa Claus » - Where have you been awho-who-oh - C’est exactement le même plan que Davy Crockett, mais la chose est tellement inspirée qu’on ne s’en offusque pas. Elles tapent l’« I Gotta Move » des Kinks, du coin du menton avec toute la morgue du monde. On a ensuite droit à une version de « Ballad Of The Insolent Pup » embarquée à la fuzz et différente de celle qui figure sur l’album du même nom. Un solo cataclysmique vient balayer tes derniers espoirs. On retrouve la morgue des filles dans « Johnny Jack » - Say yeah yeah/ Say wo wo wo - Elles emmènent ça avec une rare indécence, puis arrive le killer solo habituel. Billy participe aux chœurs, derrière. Ces gens-là regorgeaient d’idées, de talent et d’enthousiasme. Ils incarnaient l’avenir du rock anglais. Les filles tapent aussi dans les Ramones avec une fantastique cover de « Swallow My Pride » qu’on croirait produite par Totor. Et l’A se termine sur un truc terrible : « Spineless Little Shit ». Évidemment, ça s’adresse à un mec - I’ve got something to say to you/ You’re shit ! - On imagine que ce connard l’a bien mérité.

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             Sur la B se nichent d’autres atrocités, comme cet « Evil Thing » qu’on dirait chanté avec un mépris qui s’adresse à la terre entière. Puis elles nous proposent une reprise endiablée du « Strychnine » des Sonics. Elles prennent ça à l’arrache - I like the taste of straight strychnine - La version originale des Sonics reste bien sûr la chouchoute, mais les filles n’ont pas à rougir de la leur. Bien au contraire. D’autant que Billy fait un festival derrière. Sacré Billy. Il veille bien au grain. C’est un chouette type. Sa moustache de sergent major de l’Armée des Indes inspire la plus grande confiance. Et puis voilà « Come Into My Mouth », un titre qu’il faut prendre au premier degré, car chanté avec un hédonisme déterminant - I want to suck you dry - Je veux te sucer jusqu’à la dernière goutte - I want to taste you on my tongue - Je veux sentir ta bite sur ma langue - C’est traité comme un canular mais chanté avec la plus belle sensualité. Billy envoie là-dessus un solo exotique et ça prend l’allure d’un hit sixties. Absolument renversant. On entend rarement des choses pareilles dans un pays aussi prude que l’Angleterre. Elles referment la marche avec « Jackie Chan Does Kung Fu », chinetoqué à l’intro et repris au vieux jerk des bas-fonds de Soho. Le gros beat garage est tellement beau qu’il paraît impossible de faire mieux.    

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             Puis au retour d’une ultime tournée scandinave, Holly ramasse ses affaires et quitte Medway, «alone and for good, because, she said ‘It imploded, totally imploded.’» Après les Headcoatees, Holly ira aux États-Unis avec Dan Melchior que lui a présenté big Billy. Ensemble, ils vont enregistrer l’excellent Desperate Little Town. Elle a aussi monté un groupe à Londres avec Matt Radford et Brian Nevill. Puis elle va s’installer aux États-Unis et monter les Brokeoffs avec son mari Dave, qui a grandi avec un skate et en écoutant du metal, donc une culture radicalement différente, mais comme elle dit, «he was interested in learning to play music properly». Holly est longuement saluée ailleurs sur ce blog avec un Part One, un Part Two et un Part Three.

             Une fois Debbie, Johnny et Holly parties, pas de coming back pour les Headcoatees.

     

    Signé : Cazengler, Headcauteleux

    Thee Headcoatees. Girlsville. Hangman Records 1991

    Thee Headcoatees. Have Love Will Travel. Vinyl Japan 1992

    Thee Headcoatees. Ballad Of The Insolent Pup. Vinyl Japan 1994

    Thee Headcoatees. Punk Girls. Sympathy For The Record Industry 1997

    Thee Headcoatees. Bozstick Haze. Vinyl Japan 1997

    Thee Headcoatees. Here Come Cessation. Vinyl Japan 1999

    The Sisters Of Suave. Damaged Goods 1999

    Saskia Holling. Girlsville - The Story Of The Delmonas & Thee Headcoatees. Spinout Publications 2021

     

     

    Inside the goldmine

     - Majestés Royales

             On l’aimait bien Roya au début. Il avait l’air sympathique et cultivé. Il accepta de nous dépanner. On cherchait un guitariste. Il savait gratter trois accords, mais ça pouvait suffire. Il écoutait à peu près les mêmes disques que nous. Il fallut lui montrer les accords et on fit une première répète de formalité. Ça allait à peu près. Dans les groupes amateurs, on sait se contenter de peu. On l’intégra. Et puis à l’usage, on a commencé à déchanter. Roya ne travaillait pas les cuts chez lui, et chaque fois, lorsqu’il arrivait en répète, il demandait qu’on lui re-montre les accords - Ça commence comment, déjà ? - Ce qui au départ ressemblait à une bonne embauche se transforma en quelques semaines en fiasco à la fois technique et relationnel. Mais le pire était à venir. Les concerts ! Des dates étaient bookées à droite et à gauche et bien sûr, si tu montes sur scène avec un tocard comme Roya, tu cours à la catastrophe. Alors on s’est jetés dans la gueule du loup. On était tellement masos qu’on a adoré ça. Roya grattait n’importe quoi, il ne se souvenait plus des structures, il n’avait même pas l’air de s’en rendre compte. On se rattrapait aux branches, on jouait ce qu’on pouvait. Le chaos était indescriptible ! On était tellement paumés qu’on jouait tous les quatre des cuts différents. Quelle rigolade ! Captain Beefheart n’aurait jamais pensé à ça. On a alors battu tous les records de modernité auto-destructrice. C’est un luxe que tu peux t’offrir si et seulement si tu récupère un super-clampin comme Roya. En plus, il avait l’air fier de lui. On est descendus aussi bas qu’on a pu dans les abysses du nihilisme rock. On est devenus les jusqu’au-boutistes de la nullité. Même les pires groupes de punk-hardcore ne sont pas descendus aussi bas. Grâce à Roya, on a battu tous les records, ceux que personne n’oserait jamais aller battre. 

     

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             Roya n’est là que pour incarner l’antipode des Royales. Autant Roya est nul, autant les Royales sont géniaux.

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             C’est à grâce Steve Cropper qu’on finit par foncer sur les Five Royales. On espère y entendre le fameux guitar hero, Lowman Pauling. C’est pas simple. Tu commences par tester l’album sans titre paru su King en 1960 et heureusement réédité par Sundazed, car le King vaut 150 $. C’est un album de swing. Pas de poux. Juste du sax. Tu sors bredouille du balda. T’entends enfin le guitar hero en B sur «Wonder When Your Love Has Gone». Il est loin derrière, mais assez killer, il faut bien l’avouer.

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             Une fois de plus, c’est Rhino qui nous sauve la mise sur ce coup-là. En 1994, Rhino sortait Monkey Hips & Rice - The «5» Royales Anthology. C’est ce double CD qu’il faut écouter. Ed Ward signe les liners. T’en as pour ton billet. En plus du surdoué Lowman Pauling, t’as deux leads nommés Eugene & Johnny Tanner. Ward est bien renseigné. On se demande où il est allé chercher tout ça. Premier single en 1951. Ils s’appellent encore les Royal Sons et sont basés à Winston-Salem, en Caroline du Nord. Lowman Pauling compose pour le groupe. Ils signent sur King et en 1960, Puis Lawman Pauling quitte le groupe. Les Five Royales vont ensuite s’installer à Memphis pour enregistrer avec Willie Mitchell. Puis le groupe splitte et ils prennent tous des boulots normaux, sauf Lawman Pauling qui reste dans le showbiz et qui va accompagner Ben E King puis Sam & Dave, avant de casser sa pipe en bois en 1974.

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             Dès «Courage To Love» t’entends ces leads fabuleux que sont Eugene et Johnny Tanner. On les sent issus du gospel. Même les heavy jumps sont des merveilles de swing. Ils passent au heavy blues de stature primordiale de miss my pretty baby avec «Help Me Somebody». Éclatant !  Puis c’est une déboulade de jumps de jazz et de swing : «Crazy Crazy Crazy», «Landromat Blues» (Baby I got the best machine/ best machine in town, pur swing, so treat my baby kind/ Treat my baby gentle, tu te lèves et tu sautes en l’air), «All Right», «I Do», et toujours ce swing inespéré de she’s my kind of babe avec «I Like it Like That», et t‘as se sommet du swing de doo-wop : «Monkey Hips & Rice». On commence à entendre Lawman Pauling dans «Women About To Make Me Crazy» et ça rocke le boat à coups de that’s where my baby stays dans «Right Around The Corner». Pur genius, et ça continue avec «Come On & Save Me», et cet absolute beginner qu’est «Get Somebody Out Of It», un hit faramineux bardé de doo-wop explosif. T’es collé au plafond. Si tu veux du Black Power, c’est là.

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             Le festin se poursuit sur le disk 2, et là t’entend Lowman Pauling dès «Just As I Am», «I’d Better Make A Move» et «Say It» : il gratte comme un diable, il claque des intros incisives, il est carrément psychédélique sur «Say It». Laisse tomber Clapton. T’as aussi le swing dément de «Think». «Don’t Be Ashamed» sonne comme un hit des seventies à cause du rentre-dedans de Lowman Pauling. On passe au mythe avec «Dedicated To The One I Love», compo de Lowman Pauling dont les Mamas & The Papas vont faire leurs choux gras. Et là t’as Lowman en embuscade, il joue tout en surplomb. Quel démon ! Comme son nom l’indique, «Do The Cha Cha Cherry» tape dans l’exotica de choc. Puis ils groovent «Double Or Nothing» dans la couenne du doo-wop. On retrouve le génie vocal des Five Royales dans «Tell The Truth». «The Slummer The Slum» sonne comme un cut de Soft Machine et Lowman y gratte des syncopes de congestion. Quelle modernité ! Il faut bien dire que tous les cuts t’estomaquent. Lowman repart en embuscade sur l’heavy blues «Wonder Where Your Love Has Gone», puis ça repart en mode swing du diable avec «My Sugar Sugar» et on regagne la sortie avec une resucée d’«Help Me Somebody» noyée d’orgue. Il réclame de l’aide, avec des chœurs de doo-wop et ça vire swing. Black Power !

    Signé : Cazengler, pâté royal

    Five Royales. The Five Royales. Sundazed Music 2015

    Five Royales. Monkey Hips & Rice. The «5» Royales Anthology. Rhino Records 1999.

     

     

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    Il est des choses qui vous attirent sans que vous sachiez pourquoi. Cette première phrase est évidemment un mensonge. Ce qui vous attire n’est au mieux qu’un reflet de vous-même. Peut-être, au pire, une simple projection de votre propre entité qui s’est séparée de vous-même pour objectiver vos propres phantasmes. Cette fois-ci il y avait plusieurs mots attirants, des gemmes diamantaires qui brillent de dix mille feux. Mais surtout un seul d’entre eux, un des plus mystérieux, un mot lié à la puissance des Dieux latins, au fondement de notre identité inculturelle d’être vivant, dont il vaut mieux se détourner, faire semblant de ne pas être concerné, s’intéresser par exemple à votre numéro de sécurité sociale … Ceux qui se permettent d’évoquer ce genre de malfaisance ne sont pas nombreux. Nous n’avons donc pas affaire à un groupe de rock constitué de plusieurs individus. Simplement une seule individualité.

    NUMINA

    MAATISFET

    (Bandcamp / Octobre 2025)

             Ignorons, plus que cela nous soit possible, le titre de l’album, à première vu le nom de l’artifex est moins kaotique, Maât étant dans le panthéon de la mythologie égyptienne la déesse – nous employons à dessein un mot passe-partout – de l’harmonie universelle, elle est la force qui préside à la stabilité du monde dont elle surveille l’équilibre. Si une plume est son symbole, c’est pour vous avertir que si  un milligramme de plus ou de moins sur un des multiples plateaux de l’univers, tout s’écroule… Voici donc un artiste qui se donne comme le pourvoyeur de l’équilibre du monde, c’est vrai que sur sa photo il ressemble à ces personnages désaxés des romans de Dostoievski. 

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    D’ailleurs la pochette de l’album - que représente-elle au juste - nous semble l’image métaphorique de cet instant fatidique de bascule vers l’anéantissement… à moins qu’elle ne soit la seconde décisive ou après un  frémissement incoercible la plume se redresse fièrement et se tenant droite comme le pivot du monde veille à la pérennité de sa continuité. Examinez-la longuement et tâchez de vous mettre en accord avec vous-même.

     Si vous pensez qu’en se présentant comme le créateur de l’harmonie du monde notre artiste exagère un tantinet, dans un court texte introductif  Daniel Quero, de Barcelone, avoue humblement qu’il travaille depuis 2020 sur les titres de son premier opus, il ajoute que les Dieux et les mythes le fascinent car ils ont été créés par les hommes. Ainsi les Dieux ne seraient que notre reflet, mais pourquoi sont-ils plus beaux que nous…

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    Okeanos : ces chœurs féminins qui ouvrent le morceau sont-ce les filles d’Okeanos qui chantent la gloire de leur père, l’Océan qui entoure et délimite la Terre qui l’engendra, cette vision des premiers temps s’alourdit soniquement, la batterie frappe les coups fracassés d’un destin désarçonné, les guitares s’emplissent d’une nostalgie aigre-douce, nous sommes après les premiers temps de l’Age d’Or, la voix sombre et rauque d’Okeanos s’adresse aux hommes, ils ont troqué l’or des temps heureux contre l’argent compulsif, il fulmine contre cette race honnie qui s’adjuge la première place, le Dieu préfère se taire, le rythme s’accélère, sans doute rêve-t-il que les rouleaux homicides de ses vagues détruisent tous les navires insignifiants de ces ridicules créatures et que ses flots vengeurs engloutissent toutes les Atlandides qu’ils se permettront de créer.  Numen : auditeurs français rien à voir avec votre numéro d’identification sociale, le Dieu s’est tu car seul le silence est grand a dit Alfred de Vigny, il ne roule même plus ses flots, il laisse place à la puissance agissante des Dieux à laquelle personne ne saurait s’opposer, lorsque Thalès indique que la nature est composée à l’origine d’eau élémentale, c’est à cette puissance terrible dans laquelle baigne l’humanité à laquelle il fait allusion… Ce sont ces numina (pluriel latin de numen) des différents dieux qui donnent son titre à l’album. Ce morceau tempétueux, le plus beau et le plus puissant, ne possède qu’un seul défaut, l’on aurait aimé qu’il se poursuivît infiniment comme la mer toujours recommencée. Python : ce troisième morceau clôt le prologue protogonique d’ascendance grecque, Python était le serpent des profondeurs qui veillait sur le temple sacré de Delphes, il reprend la même tessiture instrumentale que le morceau précédent, un vocal éruptif se joint à lui, deux pistes de guitares se chevauchent, une qui alentit le rythme et une autre qui l’accélère, sont-ce les circonvolutions agoniques du serpent blessé par les flèches vengeresses d’Apollon, cet arrêt brutal marque-t-il le moment terminatif par lequel le talon vengeur d’Apollon écrasa l’infâme tête du reptile. Quoi qu’il en soit la fin de Python n’est que le symbole du trépas des hommes. L’île des Bienheureux n’est pas nous. Hugr :  ce rugueux monosyllabique guttural désigne dans la mythologie scandinave cette partie de l’âme que nous appelons âme, cette partie de nous capable de raisonnements et de sentiments, nous changeons de règne nous quittons l’Extérieur pour pénétrer à l’Intérieur. De nous-mêmes. Ce n’est guère mieux. Au-dedans ou au dehors le danger est le même, ne nous laissons pas amollir par ce long passage instrumental qui semble effacer tous les périls, nous avons eu raison d’hurler à pleine voix et maintenant de rugir comme des lions blessés, la mort est partout, ses ailes noires volent en notre tête et opacifient toutes nos volitions de tranquillité. Ungolianthë : ne dites pas que vous l’ignorez, vous l’avez tous rencontrée et vue en film, c’est elle, l’aragne noire du Seigneur des Anneaux, elle ne se situe pas uniquement dans le film, elle avance sans se presser sur son hideuse toile, elle s’approche de vous, elle est en vous, elle est tapie sur l’ouverture de l’abysse intérieur qui n’est qu’une des fissures qui donnent accès au gouffre originel, vocal angoissé porteur des échos criminels et meurtriers de la terre de Lammoth, est-ce pour cela que la fin du morceau ressemble à  une quincaillerie effrayante… doux froufous guitariques, êtes- vous parvenu à entrer dans la nuit primordiale…D(u)at : même douceur que les derniers accords chargés de résonnances qui vous procureront de froids frissons, ce mot en notre langue évoque la dualité, en Egyptien il n’est rien d’autre que l’au-delà cette région ombreuse dans laquelle Ré ferme ses yeux ensoleillés, croyez-vous que ces grands coups de marteaux soient-là par hasard, au bout de la nuit vous ne rencontrez que la mort, pourquoi la musique se fait-elle si belle et ce  vocal à gorge éployée pourquoi se tait-il sur cette ligne de basse à la démarche hésitante, encore un effort, tu accèdes à la cérémonie finale, la plume de Maât t’inclinera-t-elle vers les champs de Ialou, plénitude existentielle, toute proche de la numénité des Dieux, une guitare séduisante chante et déverse ses plus hauts arpèges, ne te fais pas trop d’illusion, malchance souveraine elle est tombée du mauvais côté. N’es-tu pas un être fait pour la mort !

             Un bon disque qui se termine mal. De quoi vous plaignez-vous, c’est bien vous qui avez inventé l’algorithme des Dieux, ne venez pas pleurnicher si maintenant il se joue de vous. Vous avez regardé la couve avec attention, n’avez-vous pas eu l’impression qu’elle ressemblait à une tête de mort en décomposition, et que de facto elle ressemble à un chien.

             Peut-être peut-on reprocher à ce premier opus une certaine monotonie, c’est souvent le défaut des one-man-bands, en tout cas nous serons attentif au prochain opus de Maatisfet.

             J’ai gardé le plus curieux pour la fin, sur son Instagram vous avez l’annonce de la parution, une très courte vidéo, presque rien, juste des lumières se mouvant dans le noir, et une autre avec une mer qui se couvre de noir. Des idées simples mais terriblement efficaces.

    Damie Chad.

     

    *

    Ce n’est pas la première fois que je tombe sur cette invitation. Oui mais nous les rockers si ce n’est pas accompagné d’une Cadillac Rose avec un tapis rouge pour nous accueillir, par principe nous n’y allons pas. Il faut savoir tenir son rang. En plus c’est un peu tordu, je sais bien qu’avec sa formule Ecouter Voir, Paul Claudel est un sérieux atout généalogique pour cette soirée Ecoutons Nos Pochettes. C’eût été ‘’nos pochettes rock’’ j’eusse regardé, sans quoi : méfiance absolue. Sait-on jamais, je clique et je reclique, tiens un exemple proposé : un texte de Céline Renoux sur la   pochette Big Science de Laurie Anderson. Anderson et Lou Reed, cette Céline n’a pas obligatoirement mauvais goût. Elle a marqué un point et même un deuxième puisque c’est joliment écrit.   J’explore un peu son Face Book, illico elle perd douze points, elle ne signale que des trucs qui ne participent pas de mon panorama sonore. Je me prépare à ce que mes santiagues aillent fouler une herbe plus rock lorsqu’un post attire mon regard, attention Céline Renoux n’est pas n’importe qui, elle vient de publier un recueil de poésies. Respect et honneur aux poëtes, en plus le titre est attirant : Mon âme est punk avec une fleur bleue au milieu. Punk et Rock ne sont-ils pas deux tétines qui appartiennent à la même mamelle bleue ! S’impose une lecture immédiate, hélas faut attendre quinze jours avant de recevoir un exemplaire. Le rocker n’est pas patient, c’est là son moindre défaut, avec lui c’est tout, et tout de suite. Conséquence : je cherche et je trouve. Que voulez-vous la réalité se plaît à réaliser les désirs des rockers, sans quoi elle serait inutile.

    TOUTES CES FILLES QUI VIVENT DANS MON CORPS

    CELINE RENOUX / YAN PECHIN

    (CD / Bancamp2013)

    La couve est magnifique. Certes je devrais d’abord rendre hommage au photographe qui a tiré la photo. Oui mais avec une fille si belle il est impossible de faire un mauvais cliché. De surcroît c’est marrant parce que sur son FB vous ne remarquez que le bleu céruléen de ses deux iris myosotis, or sur la pochette ses yeux sont jaunes. Ne dites pas que l’apprenti-photomatique a utilisé un filtre jaune, relisez plutôt La fille aux yeux d’or d’Honoré de Balzac.  

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    Par contre le gars a tout compris, le Yan Péchin qui est pourtant crédité au même titre que la demoiselle-libellule sur  la couve, ben notre artisan pelliculophile ne l’a pas voulu sur la photo. Ce n’est pas parce que le gars à la chevelure broussailleuse qu’il arbore sur les nombreux clichés disponibles sur le net aurait certainement fait un peu tache, nom pas du tout ce n’est pas lui qui chante et ce n’est pas lui qui a composé les textes. Se contente d’accompagner. A la guitare. L’a commencé avec Bashung puis avec plein de chanteurs que je n’aime pas. Toutefois je remarque sur son CV long comme la liste des morts engloutis par l’éruption du Vésuve à Pompéi en 79, qu’il a aussi joué avec Link Wray et Chris Spedding. Excellente caution rock.

    Sachez décrypter le titre, non Céline Renoux ne veut pas nous signifier qu’à elle toute seule elle vaut toutes les filles du monde, mettez-le en parallèle avec la fameuse déclaration de Victor Hugo dans sa préface aux Contemplations ‘’ Ah ! insensé qui crois que je ne suis pas toi !’’ Plus modeste que Victor, Céline Renoux ne s’adresse qu’à la moitié de l’humanité, celles, les femmes, que dans un élan lyrique Mao Tsé Toung a qualifié de ‘’la moitié du ciel’’. Evidemment depuis Hugo et Mao le monde a changé. En déduirions-nous que les textes de ce disque s’inscrivent dans le large mouvement de revendications féministes ?

    Mal recousue comme la bouche : non ce n’est pas chanté, c’est lu, récité, une voix posée, ce n’est pas qu’elle soit sûre d’elle, c’est qu’elle raconte, le Péchin, se débrouille bien, il ne suit pas le texte, il s’en éloigne, juste pour dessiner le drame, l’accompagner, garde bien ses doigts sur ses cordes, ne pas les faire traîner sur le corps de la danseuse, car elle danse, elle raconte, elle parle d’elle-même, de ses quatorze ans et de bien d’autres choses, de la blessure qui trente ans après dure encore et qui sera encore-là dans trente ans, une scène comme tant d’autres, que tout le monde a connue, chacun sur un côté de la blessure, sur une rive une fille et sur l’autre un gars, la ronde du flirt, de la première fois, cent fois répétées au cours de l’existence et toujours la même saignée, la même coupure, l’innocence suintante perdue qui revient à chaque fois, comme une envie de vomir, une libération et un enfermement en soi-même dans le dégoût de l’autre et le désir et la peur de soi. Une des filles qui vit dans mon corps : top départ, attention c’est parti, elle parle plus vite que le son du starter, Péchin fait du bruit, trop de hâte pour faire de la musique, c’est un corps à corps avec soi-même, car peut-être que toutes ces filles au-dedans de moi ne sont que moi seule, pépé Hugo peut aller se rhabiller, ce qui est sûr c’est qu’une fois l’on a été meilleure, bien plus qu’avant, bien plus qu’après, que c’est cette fois-là que l’on voudrait être et avoir été chaque fois, notre moi est-il si morcelé, si déchiré en petits morceaux que l’on voudrait éparpiller afin de ne plus être nos propres ratages, peut-être vaudrait-il mieux se tuer. Avec un pistolet en plastique. Sans retour ni écho : Péchin oragique, une fille regarde une fille prisonnière de sa propre solitude, un drame intime, son attitude suffirait à la trahir, tout le monde s’en fout, elle crie, elle n’en finit plus de crier, Péchin tirebouchonne et envoie des balles à blanc, elle ne crie plus, elle n’existe plus, elle est assise là où les autres ne la rejoindront pas. Celle qui regarde note quelques mots sur son cahier, c’est tout ce qu’il restera d’elle, un écho même pas sonore pour reprendre une expression hugolienne. L’insurrection : Péchin se tait, ensuite il envoie des sons discrets, fait un peu de bruit lorsqu’elle annonce la mort de la poésie, Péchin cacophonique, attention ce n’est pas une révolution qui balaie la rue, comme l’écrivit Daniel Giraud, toute révolution se doit d’être intérieure, l’insurrection est un kaos émotionnel, une révolte, l’envie d’envoyer blackbouler cette absence qui sépare en toute occasion et en fin de compte tout être qui n’arrive pas à se séparer de lui-même. Péchin se tait. Le manque est un pays habité : tiens une voix légère, Péchin nous joue une nuit de Chine câline, enfin pas trop, car il n’est pas là et qu’elle essaie de survivre, elle fait semblant, un semblant de colère, le Péchin nous sort un générique de western, elle s’accroche à son rêve perdu, elle essaie de se retrouver auprès d’autres, mais elle sait qu’elle triche, le Péchin nous sort un son de violoncelle funèbre. Que voulez-vous quand il n’y a plus personne à trucider la fin est un peu triste et manque d’action.

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    Muette et nue contre le colosse : Péchin foufroute, qui s’y frotte s’y pique, le monde au-dehors de nous est une montagne que personne ne saurait bouger et qui ne viendra jamais à vous, Péchin vous casserole le drame, même au milieu de la rencontre la montagne est toujours-là, l’amant et l’amante, même dans le stigmate de l’étreinte amoureuse sont séparés par des murailles de pierres infranchissables. Dragon : l’heure est grave, Péchin dramatise, elle parle, elle tire le bilan, elle règle ses comptes, non c’est lui qui cause, il lui reproche d’être ce qu’elle est, la vie étant ce qu’elle n’est pas l’amour se termine, il est temps de se séparer, son amour était comme le souffle dévastateur du dragon, mieux vaut s’éloigner. La fin du monde a déjà eu lieu : Péchin jazzize, elle a tout perdu, elle parle comme un chef de bureau. Qui dresse le constat d’un échec, non pas celui d’un couple, celui de tous les couples, celui de cette humaine solitude qui ne consent qu’à elle-même, Péchin a abandonné le jazz, donne dans l’industriel, production de masse, toutes les existences sont les mêmes, la comédie est terminée, le drame aussi. C’est ainsi. Accidentelle : la voix seule, nue, Péchin n’existe plus, elle s’intéresse à la tasse du réveil, bientôt elle sera terminée, juste un moment, puis partir dans le matin froid, marcher dans la rue mais surtout en soi, prendre le métro, se mêler aux autres et à sa propre solitude. The dream is over. Se retrouver du mauvais côté de la rive. Redevenir soi. Rien que soi. Le rouge est une matière soluble : Péchin carillonne, est-ce un mariage ou un enterrement, l’on y va, toujours là se recroqueviller sur soi-même et dans les images des jours heureux, Péchin larmoie, c’est fini : rien ne la retiendra. N’est-elle pas revenue dans son innocence. Péchin pose quelques points de suspensions interminables. Mais qui finissent par cesser. Car tout ce qui a eu faim, finira.

             Blues au bout de la nuit de l’incomplétude humaine. Pas spécialement féministe. La solitude de tout être humain. L’on n’est pas loin de L’Enfer de Barbusse. Ne le lisez pas si vous broyez du noir. Félicitations à Yan, n’a pas le beau rôle mais l’a su rester dans l’ombre tout en jouant à la perfection son rôle d’accompagnateur. Céline Renoux est émouvante. Une introspection sans équivoque. Fascinante. On l’écouterait dire toute la nuit. C’est d’ailleurs là où elle nous conduit. Mais l’aurore ne se lève pas.

             A franchement parler c’est beaucoup plus poétique que rock’n’roll. Une Eurydice perdue qui retourne aux Enfers toute seule. Comme une grande.

    Damie Chad.

     

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    John Reece fut le bassiste des Shouts.  Son témoignage est captivant. Les Shouts auraient pu rester avec Gene, mais les disciples se doivent de dépasser le maître. Encore faut-il réussir… Les Shouts ne semblent avoir enregistré qu’un unique 45 ours après leur séparation avec Gene. L’ont-ils regretté ? Tout le long de la vidéo, John Reece feuillette un album de photographies de ces deux années qui ont dû illuminer son existence…

    The Gene Vincent Files #13: John Reece of The Shouts, toured and recorded with Gene for 2 years.

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    Voici une photo des Shouts prise derrière la mairie de Birmingham, et c’est tiré d’un des journaux de Birmingham pour prouver que c’était un groupe de Birmingham qui avait choisi pour accompagner Gene Vincent, et la photo dessous c’est nous tous ensemble dans un des vestiaires de Birmingham. Celui-ci c’est Jem (Field) le saxophoniste, Vincent vous le reconnaissez, Eric (Baker) l’organiste, moi-même avec une belle coupe de cheveux, Victor (Clark) le batteur fou, et voici Tim (Bates) qui fut un grand guitariste. Notre agent nous a demandé si nous nous étions intéressés pour une audition auprès de Gene Vincent. Mais il ajouta ‘’ Vous ne pourrez plus jamais travailler avec moi’’ Vous devrez désormais travailler avec Don Arden  qui  était très connu à Londres. Aussi nous avons répondu que ce serait un magnifique tremplin pour nous, d’avoir accès aux studios et tout le reste. Nous y sommes allés et avons eu une audition. Nous avons joué quelques morceaux de notre set et nous avons réussi. Il a dit : ‘’ très bien, c’est bon’’. Nous avons eu quelques répétitions avec Gene. Nous avons signé  tout de suite pour faire très vite quelques répétitions avec Gene. Il a loué un véritable cinéma  pour répéter, ainsi il pourrait entendre le son sur une scène

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    installée  en un  espace plein de monde où il pourrait se faire une idée de ce à quoi ressemblerait le son avec les Shouts. Ainsi nous avons répété durant plusieurs semaines à Londres. Nous sommes restés à Londres et nous avons répété avec Gene en prévision de gros shows avec Duane Eddy and The Rebels (?) et d’autres gars de cet acabit,  il était impératif d’être à la hauteur sur tous les plans. Voici une photo

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    qui a été prise dans un club en banlieue sud, un de mes amis qui jouait dans un groupe l’a aperçue  punaisée sur le mur du club, il a demandé au gérant s’il pouvait la prendre et il me l’a ramenée. A cette époque je pensais qu’il n’existait qu’une photographie de ce concert mais j’ai découvert récemment un photographe qui possède le négatif. Donc ce n’était pas la seule photographie de cette soirée.  Il doit y en avoir tout un tas. / Oui, j’étais un grand fan de Gene Vincent depuis mes quatorze ans, quelque temps avant que je ne quitte l’école. J’avais entendu quelques disques de Buddy Holly et de la plupart des gars importants de l’époque, mais Gene Vincent c’était quelque chose qui m’a harponné, je pense que c’était surtout le son des Blue Caps. J’ai aimé ce son et je suis devenu fou de cette musique et partout où j’allais j’ai pris l’habitude de collectionner les disques ou de dénicher quelques informations sur Gene et j’ai récupéré ces LP originaux que je possède encore aujourd’hui. Ils ne sont plus en très bon état, mais je les garde encore. J’ai donc récupéré tout un tas d’informations sur Gene.  J’étais un très gros fan. Jamais en 1963 j’aurais cru, ce devait être cinq ans après que j’ai quitté l’école, que je rejoindrais Gene. C’est inexplicable, c’est un peu comme un rêve qui  deviendrait réalité. J’étais vraiment en train de jouer avec cet homme, qu’il soit vraiment là, j’avais l’impression de m’être blessé au dos et aux cordes vocales.  J’adorais d’entendre les chœurs des Blue Caps, j’adorais les Blue Caps qui restent son meilleur groupe. Et ses premiers enregistrements, il n’y a aucun doute là -dessus. N’importe qui qui entende cela, tout le monde ne peut qu’agréer à ce boulot, ce premier boulot avec les Blue Caps, c’est le summum. Vous ne pouvez surpasser ce truc. / Bon voici quelque unes des premières

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    photos avec Gene, en tournée. Il est très intéressant sur ces photos c’est de voir, une jeune dame là, Jackie Frisco, qui était sa petite amie, qu’il a fini par épouser,  je pense qu’il est resté jusqu’à la fin avec Jackie. Gene nous a demandé si Jackie pouvait chanter avec nous. Ainsi nous avons fait quelques titres avec Jackie. C’était vraiment une fille très agréable. Comme vous voyez elle était assez jeune. Voici quelques photos individuelles du groupe. / Non, nous étions sous contrats pour jouer avec Gene. Nous aurions pu accompagner Gene durant dix ans, c’est ainsi que les choses se présentaient.  Gene nous aimait bien et nous nous sentions bien avec  Gene, il a été le seul à nous emmener en studio pour enregistrer un LP avec lui. C’est lui qui nous a poussés à franchir le cap, voyez-vous. Oui nous avons enregistré une suite de quinze, seize morceaux. La plupart d’entre eux sont sur l’album.  Ils ont sorti Private Detective en single, qui me plaisait bien. Ce n’est pas monté jusqu’au top 10 ou top 20, mais ça me plaisait bien. Nous avons fait un Show Granada en 1964. Ça

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    devait être en mars et nous avons fait cela avec Jerry Lee Lewis. Les Animals aussi ont fait une courte apparition qui était vraiment bien. Ils ont fait un morceau qui s’appelait Shout, croyez-le ou pas ! Quoique s’ils ont fait cela pour nous, non je ne le pense pas (il éclate de rire). Voici maintenant des clichés qui ont été pris par un

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    photographe qui nous a suivis au Civic Hall de Wolverampton et nous savions qu’il allait les prendre. Elles sont assez claires, de bonnes photos de nous en train de bosser sur scène avec Gene. Quelques clichés sont découpés sur le journal. Celle-ci est excellente, sur celle-là nous nous produisions au London Auditorium / Lorsque nous sommes venus pour la première fois en France, nous ne savions pas ce qui nous attendait. Et ce qui nous est tombé dessus, c’était phénoménal. C’était comme si nous étions les Beatles parachutés là-bas, parce que Gene avait cinq titres dans le Top ten, C’était joliment merveilleux. Vous vous sentiez comme une star au-dessus de tout. Partout où nous allions nous étions acclamés. Nous jouions et tout ce que vous pouviez entendre c’était du bruit. Vous ne pouviez même pas vous entendre penser, ou jouer, ou tout autre chose, c’était hors de ce monde. Je comprends pourquoi John Lennon a déclaré une fois que le bruit ne s’arrêtait pas, qu’il n’appréciait pas parce que ce n’était pas autre chose que du bruit. Je suis d’accord car si vous ne pouvez pas entendre la musique, vous pouvez porter ce jugement  sévère en fin de compte, mais c’est tellement bon pour votre égo ! En Europe de fut très différent qu’en

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    Angleterre, nous étions comme les Beatles et c’était super bon. J’ai réellement apprécié cette tournée, et nous avons tiré un maximum de publicité et quand nous sommes revenus en Angleterre, nous étions en extase. De retour en Angleterre, ce fut différent, la donne avait changé, car de nouveaux groupes survenaient, et vous vous retrouviez à jouer dans des salles de bal ou sur  des scènes du même genre, ce n’était pas vraiment la même ferveur que ce que nous avions connue en France car Gene n’atteignait pas en Angleterre au même niveau de popularité qui était le sien en France. / Là sur la gauche, la photo en haut, est un cliché du Granada Show que nous avons fait avec Gene. Comme vous pouvez le voir, il y a une haie de motos derrière sur le plateau. Mods and rockers le cul posé sur leurs motos et tout le cirque ! Ce fut un grand show. Ainsi vous pouvez voir que nous avons surtout effectué toute une saison d’été au Pavillon près de la Jetée Nord  de Blackpool. Gene jouait dans une ville un jour et la fois suivante dans une autre ville un autre jour. Mais à cette époque nous jouions pratiquement tous les dimanches à Blackpool ce qui était parfait. J’aime l’aventure et c’était vraiment bien tous ces différents types de publics. Gene aimait cela. / Don Arden  vous le savez avait une réputation de gangster. Il était petit, il avait un tabouret, et il avait un bureau. Gene avait, d’aussi loin que je me

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    souvienne, des hauts et des bas dans ses relations avec Don car Don ne payait pas les salaires ou disparaissait le jour où il était supposé le faire. Chacun devait se rendre au bureau attendre et s’asseoir sur son derrière sur la moquette pour voir Don et dire : ‘’ Te rappelles-tu que tu dois de temps en temps me payer ? Parmi toutes les personnes, le plus souvent vous trouviez the Nashville Teens en train d’attendre Don Arden, et nous-mêmes. Donc nous étions-là assis sur la moquette pour voir Don qui nous laissait attendre pendant assez longtemps pour nous payer. Les relations de Gene étaient à peu près similaires mais il ne s’asseyait pas sur la moquette. Je pense qu’il envoyait son manager récupérer un chèque de temps en temps. Toutefois je ne pense pas que c’était vraiment tendu entre eux. C’était sa façon d’agir. Je veux dire, je sais que Gene avait une réputation, j'en étais plus ou moins conscient quand nous l'avons rejoint, parce qu'il circulait beaucoup d'informations dans les journaux sur Gene, les armes et Dieu sait quoi. Je pense que tout cela s’est tassé un peu quand bien sûr Jackie Frisco est arrivée, elle a beaucoup contribué à apaiser Gene. Et pourquoi vous et The Shouts avez-vous arrêté de l’accompagner ? Nous voulions voler de nos propres ailes, car nous avons réalisé à l'époque, comme vous  vous vous en doutez : il y avait les Beatles, les Searchers et tous les grands groupes, les Rolling

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    Stones et The Shouts. C'était surtout Gene Vincent and The Shouts, et cet état de fait n’aurait jamais cessé à moins que nous prenions la décision de nous séparer de Gene. Nous voulions produire nos propres trucs, et produire ce dont nous nous sentions capables. Aussi avons-nous décidé de prendre notre envol. Nous avons enregistré et sorti She was my baby, un vieux titre de Jerry Lee Lewis sur React Records. Nous sommes restés un groupe stable auprès de Gene. Nous sommes restés une bonne période avec Gene. Je crois vraiment qu’il était heureux de pouvoir compter sur un groupe stable autour de lui. Ainsi il n’avait pas besoin de répéter avec un nouveau groupe, tous les six mois environ, après quoi un nouveau groupe arrivait. Il avait un

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    groupe stable, il nous a lancés, grâce à lui nous avons eu accès aux studios, l’on a participé à des spectacles télévisés, il nous a emmenés en tournée en Europe. On a réalisé tout ça grâce à Gene. Il a pu profiter durant deux ans d’une belle période de stabilité. Je pense que c’était ce que Gene désirait. Il a eu, je pense, l’impression de revivre ses années avec les Blue Caps. Bien qu’il soit impossible de nous comparer aux Blue Caps. Evidemment les Blue Caps sont au-dessus de tout ! Regardez ici, vous n’apercevrez pas grand-chose, l’écriture est toute pâle, il a écrit : ‘’ C’était un plaisir de travailler avec vous’’. C’est Gene qui a  écrit cela juste avant que nous rentrions chez nous.

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    Transcription : Damie Chad.

     Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

     

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    Souvent je termine mes maladroites traductions relatives aux artistes qui ont travaillé avec Gene Vincent par quelques lignes sur un personnage dont le nom apparaît durant l’entretien. Voire un document iconographique sur un lieu nommé dans l’interview. Comme par exemple de mettre une magnifique photo couleur d’une des trois jetées de Blackpool. Je voulais aussi donc dire trois mots sur Jackie Frisco. Mais j’ai trouvé beaucoup mieux.

    WHEN YOU ASK  ABOUT…

    JACKIE FRISCO

    (Rave / 1962)

    Jackie Frisco est née en 1946 en Angleterre. Un an après sa naissance ses parents s’installent en Afrique du Sud. Sa sœur Christina se marie avec Mickie Most le célèbre producteur anglais à qui le rock britannique doit beaucoup. Most décide de faire fortune au pays de son épouse, il fonde Mickie Most and the Playboy. Onze fois numéro 1, il retourne tout de même en Angleterre. Non seulement il a senti d’où viendrait le vent mais il a réfléchi à la manière de le chevaucher. Chanteur c’est bien : producteur c’est mieux. D’abord producteur chez Columbia, il fonde RAK sa compagnie de disques, mais il ne se contentera pas d’enregistrer des artistes, il produit hit sur hit en prenant bien soin de rester propriétaire de ses enregistrements… Autour de lui gravitent les Animals, Jeff Beck, Jimmy Page et  Peter Grant… Il n’en n’oublie pas pour autant l’Afrique du Sud, Rave sera un sous-label de RAK, il enregistrera la petite sœur de Christina, la toute jeune Jacqueline qui par un tour de baguette magique deviendra Jackie Frisco… En 1961,   en tournée en Afrique du Sud Gene rencontre lors d’une soirée Jackie. Qui le rejoindra à Londres en 1964… Durant six ans elle restera avec Gene dont elle sut prendre soin.

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    (en France)

    Ils finirent par se séparer  sans divorcer… Dernières nouvelles ? Etant devenue très pieuse elle aurait tiré un trait sur sa vie d’épouse d’un rocker sulfureux, et se serait opposée, voici plus de dix ans, puisqu’elle en est légalement la ‘’ propriétaire’’, à des fans français qui auraient voulu restaurer la tombe de Gene…

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    When you ask about love : une voix de gamine, la première écoute est un peu pénible, mais quand on insiste, un charme discret opère, ce qui est étrange c’est cette espèce de dissociation entre la piste musicale et la bande vocale, cette dernière ne possède que la voix pour se défendre alors que l’on a l’impression que l’orchestration a toujours un petit truc en plus à proposer  pour monopoliser l’attention  par exemple trois secondes de saxophone et une espèce de piano dulcimérique qui se livre à d’habiles gymnastiques. Rocking horse : petit trot de poney gentillet, la cavalière saute bien les barres, pas plus de trente centimètres, sur le solo la guitare l’imite gentiment. Vous ne pouvez que féliciter la jeune cavalière de son parcours sans faute. Mais sans éclat. Young love : une reprise de Ric Cartey, jeune ‘’rocker’’ d’Atlanta, soyons franc l’interprétation de notre artiste est supérieure à l’original, ce qui n’est pas très difficile, Ric brame comme un cerf sans rut, et Jachie nous fait le coup de la petite fille innocente qui chante une chanson de ‘’grand’’ dont elle n’entrevoit pas tout à fait le sens. You can’t catch me : une simple guitare prédominante, la petite souris fait tout ce qu’elle peut pour attirer le matou mais elle n’est pas assez aguicheuse, l’on ne sent pas l’envie mutine de se faire prendre. Shooldays : virage rock’n’roll, la jeune élève aurait beaucoup à apprendre du vieux Chuck Berry, le guitariste beaucoup plus, l’ensemble reste rudimentaire, étrangement Jackie ne s’en sort pas trop mal. Endless Sleep : la version originale de Jody Reynolds nous a toujours paru supérieure celle de Marty Wilde, devant la charge mélodramatique du morceau la petite Jackie se doit de chanter comme une grande fille. La réussite n’est pas parfaite, surtout sur la fin, mais elle se débrouille pour ne pas être ridicule. Wait a minute : s’il n’y avait pas ces choeurs masculins de cha-cha-cha   d’une ringardise absolue qui perturbent dangereusement l’écoute, ce serait parfait, une instrumentation cavalcade, quant à Jackie elle caracole par-dessus comme une écuyère confirmée. Marty : une voix un tantinet plus alanguie que sur le morceau  précédent, mais la demoiselle maîtrise de plus en plus son sujet, elle donne l’impression de prendre de plus en plus d’assurance quand on avance dans le disque.

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     Lucille : n’a peur de rien, Marty rappelait Buddy Holly et nous voici avec Little Richard, pas question pour elle de screamer, alors elle prend sa petite voix de grande fille responsable, grandement aidée par l’organiste certes, mais elle tire son épingle du jeu avec une étonnante habileté. My dady told me : avec un tel titre l’on redoute le pire, Jackie se tire fort bien de son jeu (pas si) petite fille innocente. Elle vous roule le paternel dans la farine, et l’est assez satisfait de comprendre qu’elle n’est pas aussi niaise qu’il le craignait. I like summer : un petit slow pétillant qui ne crèvera pas de bulle à Wall Street, pas très long mais Jackie va jusqu’au bout. Beaucoup auraient abandonné entre temps ! I’m walking : notre sauterelle n’est pas de taille à se métamorphoser en gros matou débonnaire, c’est en l’entendant que l’on prend conscience de l’art de Fats Domino qui avec sa fausse indolence de renard rusé vous retourne une ritournelle dans la poêle à frire de son vocal pour la transformer en confiture ambroisique.  This little light of mine : elle se débrouille bien mieux sur ce titre de Ray Charles, deux noirs à la suite en Afrique du Sud ne serait-ce pas un peu trop, notre fine mouche a compris le truc, aucune chance de se mesurer avec le maître, alors elle trouve la parade, la seule possible : elle fait du Jackie Frisco. Mine de rien elle crée son propre style. When : la reprise, à elle toute seule, des Kalin  Twins, quelque peu impersonnelle parmi toute celles qui l’ont précédée et suivie...

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    Ce n’est pas le microsillon du siècle mais cela permet de cerner davantage la personnalité de Jackie Frisco et de mieux comprendre ce qui par son expérience de chanteuse a pu la rapprocher de Gene.

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    Deux titres qui se trouvent sur deux simples Decca sortis en 1963 : Sugar Baby : pas mal du tout, bien chanté  mais l’orchestration un peu trop vieillotte. He’s so near : manque un producteur aux idées claires, c’est dommage.

    Je n’ai pas trouvé d’enregistrement de Jackie Frisco en tant que chanteuse du Peter Chester Combo avec lequel elle apparut sur scène en 1962 /63 lors de prestations scéniques en Angleterre. Peter Combo fut batteur du groupe Five Chesternuts dans lequel un certain Hank Marvin tenait la guitare.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 708 : KR'TNT ! 708 : GYASI / SHANGRY-LAS / BRITTANY DAVIS / ROCKABILLY GENERATION NEW / BOB MOSLEY / ALEISTER CROWLEY / OIL BARONS / SPACE CADET

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 708

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    30 / 10 / 2025

     

     

    GYASI / SHANGRI-LAS / BRITTANY DAVIS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BOB MOSLEY / ALEISTER CROWLEY

        OIL BARONS / SPACE CADET

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 708

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Easy Gyasi

     (Part Three)

             Malgré son air con et sa vue basse, l’avenir du rock adore briller dans les conversations mondaines. Un soir, alors qu’il dîne avec ses amis chez Bofinger, la sorcière Crapulax lui fait cette remarque délicieusement acerbe.

             — Avenir du rock chéri, d’où te vient cette manière ascétique de découper ta dorade avec le petit doigt levé ?

             — Oh, sans doute est-ce dû à l’influx superfétatoire du paradigme de l’esthète, dont l’incarnation reste, à mon sens, Michel Gyasi, l’efflanqué coruscant des Jeux de Tokyo.

             Caressant son bouc, Bill Abitbol reprend la balle au bond :

             — On ne t’imaginait pas installé devant un récepteur de télévision, cher avenir du rock...

             — Je vendrais mon âme au diable pour voir un homme courir dans tous les Gyasimuts !

             — Et toi, cours-tu ?, ricocha l’Abitbol...

             — Non, mon bon Bill, mais Gyasi toujours selon ma conscience...

             Fascinée par l’éclat de ses réparties, Marie-Paule Lépaulette interpelle l’avenir du rock :

             — Imagine qu’un matin, tu te réveilles et tu décides de bâtir un empire, avenir du rock chéri... Quel continent choisis-tu d’envahir ?

             — Gyasi mineure, sans la moindre hésitation ! Et comme Alexandre, je repousserai les frontières jusqu’au Gyasimbabwe et bien sûr je réduirai en esclavage tous les Gyasigotos et tous les Gyasigomars et tous les Gyasigouigouis !

             — Et s’ils fomentent des révoltes, très cher avenir du rock ?

             — Je les Gyasigouillerai ! C’est pas des Gyasigounettes qui me feront Gyasigzaguer !

     

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             Maintenant, Gyasi n’a plus qu’à se montrer digne des réparties cinglantes de l’avenir du rock. Il arrive sur scène moulé dans un juste-au-corps bleu clair assorti au fard bleu de ses paupières. Il est magnifique de glitter. Il y a du Ronno et du Ziggy

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     en lui. Il s’empare de sa Les Paul orange pour rocker le boat, et dame, le boat n’en demandait pas tant. Gyasi te le rocke au-delà de toutes tes expectitudes. Il est devenu en peu de temps le maître des Orlok, l’Ansphératu des Amphitryons, l’Abyssal des Abyssino no no, le glimmer twin du Twist & Shout, la réinvention des conventions, le redémarrage en côte du Ziggysme, le Spider from Marche ou crève, le Stardust du lust, il est frais comme un gardon, sexué comme l’enfer de ta bibliothèque, glam dans l’âme, mais on voit bien qu’il pourrait faire du Led Zep ou de l’Humble Pie aussi

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    bien que le Ziggy Bolan-malan dans lequel il s’est jeté tout entier. Gyasi est l’artiste clé de son temps, le hero for one day, il est là pour un soir et dépêche-toi d’en profiter, car comme tout, cette classe est éphémère, il passe d’un genre à l’autre sans crier gare, il stompe son «Cheap High» et plonge son public dans la dramaturgie d’«American Dream», il te bluffe complètement car il réincarne le temps d’un cut ce qui fut en son temps un sommet, le «Rock’n’Roll Suicide» de Ziggy Stardust. Tu

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     frémis autant qu’à l’époque du Suicide, car Gyasi est d’une véracité à toute épreuve. Mélodiquement, le cut se tient et flashe bien dans la nuit. Gyasi a maintenant une belle collection d’hits under the belt, il peut aller conquérir les scènes du monde entier et engranger des dizaines de millions de nouveaux fans, son glam-rock colle bien au papier, ça jerke dans les tibias et derrière il a le guitar slinger idoine, rien ne peut donc plus l’arrêter, oh no no no baby ! Encore du joli stomp de glam avec «Tongue Tied», on a déjà entendu ça à l’époque, mais ça passe comme une lettre à la

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    poste, car cette superstar campe merveilleusement bien son camp. Tu lui fais aveuglément confiance. Ces quelques gouttes de glam dans un monde de brutes sont une bénédiction. T’as les accords du «Jean Genie» sur «Sweet Thing» et ceux de Marc Bolan sur ce «Baby Blue» qui te replonge en plein dans Electric Warrior. Quel magnifique hommage ! Tu ne peux pas réinventer le glam, tu ne peux que le célébrer, comme on célébrait autrefois les dieux de l’Antiquité. Gyasi est le fils de Dionysos.  Et puis, en fin de set, il rend hommage à l’Ozz avec les premières mesures de «War Pigs».

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             On peut se replonger dans ce bel album live, Rock N Roll Sword Fight, paru l’an passé, mais on ne retrouvera pas la ferveur du concert. Gyasi y fait son Ziggy

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    («Godhead»), puis son T. Rex («Baby Blue»). Dans les deux cas, il est confondant de mimétisme. Il sait aller chercher la dramaturgie de Ziggy, et il sait aussi flatter le glam turgescent de Bolan. Il profite même de l’occasion pour transpercer son power glam d’un killer solo flash. Il n’est pas non plus avare de power pur, comme le montre le «Cheap High» d’ouverture de bal. Il te charcute ça à la cocote sévère. Ricky Dover Jr gratte de sacrés poux derrière. S’ensuit un «Tongue Tied» qui bascule bien dans le stomp de glam, ça s’emboîte parfaitement dans la vulve du mythe, et ça joue au gras double d’excelsior. Mais après, on perd un peu le glam. «Fast Love» est monté sur le drive de basse de «Lust For Life». Gyasi a toujours un peu le cul entre deux chaises, celle du glam et celle du rock seventies, dont «Sugar Mama» est l’archétype. 

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             Sorti la même année que le Sword Fight, voici Here Comes The Good Part, un album qui démarre du bon pied avec «Sweet Thing», un fantastique jive de stomp. Gyasi réinvente le stomp des seventies. Il a ça dans la peau. Tout l’album va se révéler bardé de barda. On le voit aussi taper dans ses deux mamelles, Ziggy et T. Rex. Ziggy avec «Snake City» (même esprit que «Rebel Rebel»), puis «American Dream» (il renoue là avec l’extrême dramaturgie du Ziggy au bord de la crise de nerfs, il atteint le stade du power absolu), et plus loin «Star», où il réincarne Ziggy le temps d’un cut, il tape en plein cœur du mythe véracitaire, ça fait plaisir à voir, et en prime, ça Ronnotte dans les brancards. Il va droit sur T. Rex avec «Baby Blue». Encore deux belles énormités avec «Bang Bang (Runaway)» (wild raunch qu’il attaque au Arrrrhhhh et qu’il module en heavy stomp de rêve) et «Cheap High», amené au tape dur, Gyasi adore le killer flash, il raffole de cette belle violence riffique.

    Signé : Cazengler, jaseur

    Gyasi. Le 106. Rouen (76). 18 octobre 2025

    Gyasi. Rock N Roll Sword Fight. Alive Naturalsound Records 2024

    Gyasi. Here Comes The Good Part. Alive Naturalsound Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le chant gris des Shangri-Las

     

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             Curieuse histoire que celle des Shangri-Las, quatre petites gonzesses du Queens réunies dans un studio par un producteur fantôme. On surnommait George Morton « Shadow » parce qu’il lui arrivait de disparaître comme un fantôme. Il est là, et soudain, il n’est plus là. George ? Good Lord, George ! Arrête ton cirque ! Ça ne nous fait pas rire. Mais où est-il passé ? C’est incroyable ! Ho George ! Tu pourrais nous répondre, espèce de malpoli ! 

             Les Shangri-Las étaient ce qu’on appelait à l’époque un quatuor vocal, comme il en existait des milliers à New York. Mais celui-ci était particulier, car constitué de deux paires de sœurs, Betty et Mary Weiss d’un côté, Mary Ann et Marge Ganser de l’autre, deux jumelles. L’autre élément qui les distinguait des autres girl-groups, c’était leur réputation de bad girls. Mary Weiss trimballait un calibre avec elle. Quand les flics du FBI lui demandaient pourquoi elle était armée, elle répondait que c’était réservé au premier bâtard qui allait essayer d’entrer dans sa chambre d’hôtel. Tu veux un dessin, flicard ?

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             La légende des Shangri-Las repose sur deux atouts déterminants : la production géniale de Shadow Morton, et la voix de Mary Weiss. Mais elle doit aussi énormément aux clins d’yeux de fans célèbres comme les Dolls qui reprenaient « Give Him A Great Big Kiss », ou encore les Damned qui démarraient « New Rose » - leur single historique - avec la première phrase de « Leader Of The Pack » : « Is she really goin’ out with him ? ». Beaucoup de gens en 1977 ne savaient pas trop qui étaient les Shangri-Las et puisque Dave Vanian les citait, alors les disques de Shangri-Las sont apparus dans les bacs des disquaires qui n’avaient qu’un seul mot à la bouche : mythique !

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             La discographie des Shangri-Las n’est pas bien épaisse : seulement deux albums et une poignée de singles. Leader Of The Pack est sorti en 1964, et encore, ce n’est qu’une moitié d’album, car les deux paires de sœurs n’avaient alors enregistré qu’une poignée de singles. La B est remplie de morceaux live de mauvaise qualité, ce qui fait que cet album a souffert d’une réputation pour le moins surfaite. De là à dire que c’est une fabuleuse arnaque, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse. Jackie DeShannon ne nous aurait jamais fait un coup pareil.

             Mais c’est vrai, rappelons-nous, les Shangri-Las sont des bad girls. Bien pire, elles sont tombées dans les pattes de gens peu scrupuleux qui ont fait du blé sur leur dos. La pratique était courante à l’époque. Évidemment, les filles, ça les foutait en rogne de voir que leurs disques se vendaient à des millions d’exemplaires et qu’elles ne ramassaient pas un rond.

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             Tous les hits des Shangri-Las se trouvent sur l’A de ce premier album. « Give Him A Great Big Kiss » est de la grande pop shakée aux clap-hands, admirable à tous les égards et on comprend que le jeune Johnny Thunders soit tombé en pâmoison quand il entendait ça à la radio en 1965. Pour composer « Leader Of The Pack », Shadow Morton s’était acoquiné avec Ellie Greenwich, alors évidemment ça ne pouvait que faire des étincelles. Et pour corser l’affaire, Shadow a fait entrer des gros bikers tatoués - avec leurs motos - dans le studio. Il voulait le vrai son. Alors OK. Tu veux le vrai son, amigo ? ‘Coute ça ! Les mecs ont débrayé et mis les gaz, vroaaaaar,  et les filles ont chanté sans tousser, malgré toute la fumée. Mary Weiss miaulait ça très haut perché. La rythmique groovait comme celle de Sonny & Cher. Le génie d’Ellie Greenwich avait encore frappé. Vroarrrrr ! On comprend que Dave Vanian soit tombé dingue de ce morceau qui sortait de son petit transistor alors qu’il creusait une tombe sous la pluie. « Leader Of The Pack » est à la fois un cut d’une profondeur fabuleuse et une chanson affreusement triste. C’est avec ça que Shadow Morton s’est taillé une réputation de producteur légendaire. Plus tard, les Dolls le solliciteront pour produire leur second album, Too Much Too Soon.

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             Son autre coup de maître fut de faire entrer des mouettes dans le studio pour « Remember (Waiting In The Sand) » une mélopée bien sirupeuse, comme les aimaient les gens à l’époque. Vous avez déjà essayé de faire rentrer des mouettes quelque part ? Pas facile. Ces bestioles sont particulièrement bêtes, au moins autant que les poules.

             Malgré le son pourri, on trouve des reprises prometteuses sur la B de Leader Of The Pack, et notamment une version live de « Twist & Shout » chantée très haut perché. Mary et les jumelles arrivaient à sortir des trucs incroyablement sexy et sucrés.

             Quand elles ont démarré, elles étaient encore adolescentes. Mary n’avait que 15 ans et les jumelles 16. Pour partir en tournée avec les Beatles, elles durent quitter l’école et renoncer à l’éducation, ce qui les arrangeait bien, car en bonnes bad girls qui se respectent, elles ne pouvaient pas schmoquer leurs profs. Elles ont donc passé les plus belles années de leur vie à sillonner les États-Unis avec des blanc-becs comme les Rolling Stones, les Animals, Vanilla Fudge et les Sonics, puis elles ont débarqué en Angleterre pour tourner avec des branleurs encore plus boutonneux, du style Herman’s Hermits.

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             Leur deuxième album, Shangri-Las 65, est sorti dans la foulée. Il est beaucoup plus solide que le premier. Avec « Right Now And Not Later », on a ce qu’il faut bien appeler un son de rêve. On se retrouve au cœur d’un shuffle exceptionnel, soutenu aux tambourins, chanté à fond de train. Elles effarent et révèlent une puissance infernale. On trouve sur cet album pas mal de compos d’Ellie Greenwich et notamment « Give Us Your Blessings », une belle pièce de pop élancée qui plonge ses racines dans le gospel et que Mary Weiss chante à la mode californienne. Stupéfiant ! Shadow Morton signe « Sophisticated Boom Boom » que reprend aujourd’hui Kid Congo sur scène. « I’m Blue » est carrément une reprise des fabuleuses Ikettes. C’est groovy en diable et monté sur une belle bassline. L’un de leurs plus gros hits restera sans doute « The Train From Kansas City », une grosse compo signée Ellie Greenwich, une vraie merveille taillée dans l’harmonique. On sent le drive d’Ellie, the beast of the Brill. On comprend que Phil Spector ait voulu travailler avec elle pour River Deep. Ellie avait du génie. Il faut voir comme elle tortille son couplet pour le faire sonner comme un hit planétaire, en plein cœur des sixties qui sont déjà congestionnées par des milliers d’hits planétaires. On reste dans la magie sixties avec « What’s A Girl Supposed To Do », chanté aux voix perchées. Mary Weiss y va de bon cœur - woo oh woo oh yeah - c’est l’époque qui veut ça. Pur jus sixties de chœurs juvéniles. 

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             Puis leur étoile s’éteint et elles replongent dans l’anonymat. Les deux jumelles vont casser leur pipe en bois. Mary et Betty essaieront de revenir en 1977, aidées par Andy Paley, mais le projet d’album restera à l’état de projet. Il faudra attendre 2007 et l’aide de Billy Miller (Norton) pour qu’un album de Mary Weiss apparaisse chez les disquaires. Ce sera le fameux Dangerous Games. Fameux car salué par Shadow Morton qui était alors encore vivant, mastérisé chez Sundazed et doté d’une pochette signée Roberta Bayley - la photographe qui a fait la pochette du premier album des Ramones, et les portraits officiels de Richard Hell, des Dolls (devant Gem Spa) et des Heartbreakers, entre autres. Ce sont les Reigning Sound qui accompagnent Mary Weiss sur cet album. On voit que ce gros coquin de Greg Cartwright est remonté au Nord pour se rapprocher des femmes fatales. On l’a vu sur scène avec Rachel Nagy et ce qui reste des Detroit Cobras. Voilà maintenant qu’il fricote avec Mary Weiss et qu’il lui compose des chansons, souvent très bien foutues. Et dans les chœurs on retrouve Miriam Linna, elle aussi bien pourvue, côté légende. Très vite, on tombe sous le charme de « Nobody Knows (But I Do) » une belle power-pop signée Greg Cartwright. Voilà une grosse pop à la mode new-yorkaise superbement travaillée et lumineuse, dynamique et entêtante. Mary Weiss chante désormais d’une voix de tête très mûre, presqu’ingrate. On tombe ensuite sur une énormité qui s’appelle « Stop And Think It Over », une power-pop d’allure royale signée Greg Cartwright, embarquée à la bassline aérodynamique et dotée d’une grâce presque typique des Oblivians. La chose se veut incroyablement élégante et digne d’une légende comme celle des Shangri-Las. Mary Weiss montre qu’elle peut encore monter très haut, over the rainbow, si elle veut. Les compos des autres copains sont un peu plus faibles. Les seules qui tiennent la route sont celles de Greg Cartwright. On sent que l’animal veut s’inscrire dans la légende. Il récidive en B avec un « Stitch In Time » mélodiquement pur et infernalement bon. Elle fait aussi une reprise des Real Kids, « Tell Me What You Want Me To Do », traitée en tressauté avec des nappes d’orgue à la Blondie. Pur jus de wild pop d’attaque frontale. C’est un audacieux mélange de pop new-yorkaise montée sur le riff de « Venus » des Shocking Blue. D’autant plus surprenant que le solo est quasiment le même, note pour note. Sans doute un clin d’œil. Retour en force d’Ellie Greenwich avec « Heaven Only Knows », la vraie pop du Brill avec des chœurs agonisants. Lorsque Ellie traîne dans les parages, on ne craint pas l’ennui. S’ensuit un « I Don’t Care » qui reste dans la haute volée. Compo soignée de Greg Cartwright, agitée aux tambourins, inspirée et dotée d’une jolie mélodie, comme dirait Charlebois.

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             Et Shadow ? Mais où est-il passé ? Chez Ace on s’est occupé de lui en publiant en 2013 une rétrospective : Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. On y entend les artistes que découvrit ou produisit Shadow Morton : les Shangri-Las, Janis Ian, Blues Project, Vanilla Fudge, Iron Butterfly, Mott The Hoople et les Dolls. Si on ne connaît pas Janis Ian, c’est l’occasion de la découvrir avec « Too Old To Go ‘Way Little Girl », grosse pièce de folk-rock psyché chantée à fond de train, complètement extravagante.

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             La vraie merveille qui se niche sur cette antho à Toto, ce sont les deux titres enregistrés par Ellie Greenwich. Et là, on entre dans la légende, comme si deux esprits supérieurs, Ellie et Shadow, nous conviaient à partager un moment de leur intimité artistique. « Baby » est un hit planétaire. Ellie, c’est la reine de New York, elle embarque son baby-baby et rentre dans le lard du retour de manivelle. Elle a le sens parfait du jerk - So close to my heart ! - C’est une merveille. Elle fait un autre titre moins spectaculaire, « You Don’t Know » qu’elle taille dans la mélodie.

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             Une fois qu’on a bien épluché l’antho, on peut se plonger dans le booklet de 40 pages qui l’accompagne et là, on trouve tout ce qu’on a besoin d’apprendre sur Shadow Morton. Mick Patrick avait entrepris une correspondance par mail avec Shadow et là attention, attachez vos ceintures, car on fonce droit dans la mythologie, la vraie. Shadow raconte ses souvenirs de gamin dans le gang des Red Devils, au sud de Flatbush Avenue, puis il raconte comment il a voulu entrer dans le show-biz en montant au neuvième étage du Brill Building pour proposer une chanson qu’il n’avait pas encore à Ellie Greenwich qui le reçoit bien, mais il y a ce con de Jeff Barry qui le snobbe. Ça ne plaît pas du tout à Morton qui vient de Brooklyn, qui est irlandais et alcoolique. Il ne faut pas trop lui courir sur l’haricot - « You don’t take that attitude with me very long ! » - Et Barry lui demande de quoi il vit, alors Shadow prend ça comme une insulte et lui répond avec morgue - « La même chose que vous, j’écris des chansons » - « Quel genre de chansons ? » - « Des hits ! » - « Alors ramenez-en un ! » - Shadow sort du bureau aussi sec, il attend quelques secondes et il revient dans le bureau avec un grand sourire - « On a oublié de préciser une chose. Un hit rapide ou un hit lent ? » - Barry se marre et lui dit - « Kid, bring me a slow hit ! » - Fantastique démarrage en trombe, complètement à l’esbrouffe. Il a rendez-vous le mardi suivant. Il connaît un nommé George Sterner qui connaît des musiciens. Il connaît aussi quatre filles du Queens, qui accepteraient d’enregistrer une démo dans un studio de bricolo. Il lui manque encore le plus important : la chanson. Il compose « Remember (Walkin In The Sand) » dans sa tête et pouf, c’est parti ! Ce qu’il fait plaît beaucoup à Jerry Leiber qui l’engage comme compositeur et producteur. Quand il touche son premier chèque de royalties, Shadow s’achète une Harley. Et il replonge dans la mythologie de son adolescence, il se souvient de l’énorme gang de bikers au soda shop, et il compose « Leader Of The Pack » ! Petite cerise sur le gâteau, il fait mourir son héros biker. On lui dit que ça ne passera jamais à la radio. Les histoires de voyous en motocyclettes n’intéressent pas les gens. Shadow croit que sa dernière heure est arrivée et qu’il va se faire virer du Brill. Mais « Leader Of The Pack » devient un hit interplanétaire qui dégomme « Baby Love » des Supremes de la tête des charts. Et pour les Shangri-Las, c’est la consécration.

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             C’est l’une des grandes histoires de rêve du rock américain. Ce petit mec de Brooklyn et ces trois filles du Queens ont réussi à monter une belle cabale à partir de rien. Jeff Barry admet que les Shangri-Las étaient avant tout la vision de Shadow Morton - « He was such a dramatic guy » - Et comme « Leader Of The Pack » devient un hit énorme, Shadow offre une Harley à Jeff Barry. C’est certainement cette machine que Barry va piloter pour accompagner son pote Bert Berns en virée dans les Catskills Mountains, au Nord de New York. En fait, Shadow fabrique des petits opéras de quat’ sous avec des effets sonores, et ça plaira beaucoup au public, car les effets favorisent le travail de l’imagination. Fermez les yeux et vous verrez le biker foncer dans un mur.

             C’est George Goldner, patron de Leiber & Stoller, qui surnomme George Morton Shadow, à cause de sa manie de la disparition - « I did the bars on Long Island, shot some pool, made some bets, played some liar’s poker » - Shadow disparaît dans les bars de Long Island, il joue au billard, fait des paris et joue au poker.

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             Ellie Greenwich trouvait les Shangri-Las à la fois dures et vulnérables. Pour elle, Mary Weiss n’était pas une grande chanteuse, mais elle avait exactement ce qu’il fallait pour faire des disques intéressants - « Her whole thing was her look and her sound » - Et elle avait cette voix de nez et cette attitude de fille de la rue - « The best of both worlds » - Puis Shadow découvre Janis Ian, un petit prodige de 15 ans originaire de Manhattan. C’est un nommé Vigola qui ramène Janis un matin dans le bureau de Shadow. Vas-y chante un coup. Elle gratte sa guitare Ovation et chante son truc. Shadow lit un journal, le pieds croisés sur son bureau et marmonne des injures destinées à Vigola, du genre je vais te balancer par la fenêtre. Janis remet sa guitare dans l’étui, sort un briquet de sa poche, met le feu à un papier qui dépasse du bureau et s’en va en claquant la porte. Jeff Barry la rattrape dans l’ascenseur et la ramène chez Shadow qui lui demande de rejouer sa chanson. Puis il appelle Ahmet Ertegun pour lui dire qu’il a une nouvelle artiste et qu’il veut l’enregistrer. Ahmet demande s’il peut l’entendre. Shadow lui dit non. Mais aucun label ne veut d’elle, pas même Atlantic qui fait la fine bouche. C’est MGM qui sort le premier disque de Janis Ian, en même temps qu’une autre énormité de l’époque, Wedding Bell Blues de Laura Nyro. Puis un jour, Shadow reçoit un coup de fil de Leonard Bernstein. Sa secrétaire croit que c’est un gag. Mais non, c’est bien le grand Leonard. Il veut rencontrer Janis. Et pouf, un nouveau mythe prend forme.

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             Atlantic se plaint à un moment de n’avoir que des noirs dans son cheptel. Ahmet demande à Shadow de lui trouver un white soul group. Atlantic perd de l’argent chez les blancs et veut donc un groupe blanc pour reconquérir le marché. Pas de problème, Shadow a repéré les Young Rascals. Puis on lui présente les Pigeons. Shadow n’aime pas le nom du groupe. Mais quand il les voit jouer sur scène, il est complètement fasciné par les quatre compères, Tim Bogert, Vinnie Martell, Mark Stein et Carmine Appice. Il fait une démo avec eux et la balance à Atlantic qui demande à les voir. Shadow dit non. Les Vanilla Fudge sont dans les pattes du producteur idéal. C’est lui qui lance ce groupe monstrueusement doué. Shadow balaie aussi les réticences d’Atlantic qui ne voyait pas de hit single dans le premier album.

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             En 1968, Shadow participe aux sessions d’enregistrement d’Eli And The Testament Confession de Laura Nyro et d’Electric Ladyland de Jimi Hendrix - « I happened to be one of the two who ended up three days in the studio recording with him. We cut about seven or eight sides. » - Puis c’est Ahmet Ertegun qui insiste pour que Shadow produise In-A-Gadda-Da-Vida d’Iron Butterfly. Ils voulaient le Long Island sound.

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             On en arrive au dernier grand épisode de la saga Shadow Morton : les New York Dolls voulaient Jerry Leiber et Mike Stoller comme producteurs, mais Leiber & Stoller se désistèrent. Alors ce fut Shadow. À l’époque, Shadow est fatigué du business et la musique l’ennuie. Il accepte cependant de relever le défi des Dolls - « The Dolls can certainly snap you out of boredom » - Ils travaillent 24 heures sur 24 - « They had an incredible amount of energy. God, I remember the scenes in the studio. The word intense is not intense enough » - Il les laisse faire ce qu’ils font habituellement et se contente de les enregistrer - « I try to capture what they, the artists, do. » 

             Le booklet est en plus bardé d’images fantastiques de Shadow. Sans Ace, que deviendrions-nous ? 

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              On garde le meilleur pour la fin : un book consacré aux Shangri-Las. On se frotte les mains ! Wouahhh, la bête ! 400 pages mythiques ! Le book vert de tes rêves ! L’autrice s’appelle Lisa MacKinney et son book mythique affiche le doux titre de Dressed In Black: The Shangri-Las And Their Recorded Legacy. Wouahhh, la legacy ! Le book sort tout juste des rotatives. Il fume encore. Wouahhh, la classe ! Tu cales ton cul dans ton fauteuil et tu essayes de prendre ton air le moins con pour lire cette somme tombée du ciel. Wouahhh, la chance ! Tu vas lui faire honneur !

             C’est toi qui vas tomber des nues. Car quelle arnaque ! La mère machin est une spécialiste du Moyen-Age. T’as 100 pages de notes à la fin du book ! Ça te met la puce à l’oreille. 100 pages en corps 5 ou 6 ! Illisible ! En général, c’est pas bon signe. Avec ce délire de documentariste, t’as dans les pattes l’anti-rock book par excellence. La mère machin n’en finit plus de noyer le poisson et de taper à côté. Dans son chapitre bidon sur le romantisme, elle arrive même à délirer sur Beethoven ! Tu lis ça et tu fumes de colère noire ! Fuck it ! Elle te fait perdre ton temps. T’entends tes dents grincer. Les seules infos intéressantes sont bien sûr celles qu’on connaît déjà, notamment le lien avec les Dolls via «Looking For A Kiss» et la prod de Shadow Morton sur Too Much Too Soon. On savait aussi qu’Andy Paley accompagnait les Shangri-Las reformées au CBGB en 1977.

             T’arrives tout de même à te mettre sous la dent des bouts d’interview de Mary Weiss. Elle raconte qu’au début, le groupe n’avait pas de nom, et en roulant dans Long Island, elles ont vu un restau qui s’appelait the Shangri-La - That’s where we got the name.

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             Tu chopes aussi un bel hommage de Lenny Kaye : «If the Ronettes were the royalty of sixties girl groups, the Crystals their unwilling ladies-in-waiting, the Shangri-Las were the hand-maidens that made good, rising from virtual kitchen scullions to the rank of pop cincerellas.» Comme Johansen et Thunders, Kaye en croquait. Tiens voilà une anecdote pour te remonter la moral. C’est Mary Weiss qui la raconte : James Brown a entendu les Shangri-Las à la radio et il les voulait en première partie d’un show au Texas. Okay. Il arrive au sound-check et n’en revient pas de voir des blanches sur scène ! Il croyait qu’elles étaient black.      

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    (George Goldner)

             La mère machin pioche pas mal dans le booklet de Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story pour évoquer le souvenir de Shadow. Richie Unterberger rappelle lui aussi que le succès de Shadow en tant que producteur était d’autant plus spectaculaire qu’il n’avait quasiment pas d’expérience, et qu’il ne savait jouer d’aucun instrument. C’est lui Shadow qui avait repéré les Shangri-Las, dans le Queens et qui les avait embauchées pour enregistrer une démo. Jeff Barry l’avait mis au défi d’écrire un hit - Kid, bring me a slow hit - Alors Shadow est allé dans un studio du Queens avec les filles pour enregistrer sa démo. Billy Joel est le pianiste de session et il voit Shadow comme une sorte de Totor du Queens, avec des lunettes noires et une cape. C’est la démo de «Remember (Walking In The Sand)». Shadow la ramène au Brill dans le bureau de Jeff Barry et Ellie Greenwich. Ellie raconte qu’elle a écouté  ce «weird little record», elle trouvait la voix de Mary très strange et la chanson intéressante - So we played it for Leiber & Stoller and they said, ‘Go cut it’ - Et voilà, c’est parti. Ça se passe au 1619 Broadway, dans les locaux de Red Bird Records, à l’âge d’or de George Goldner, «the best salesman ever». Leiber & Stoller vont prendre Shadow en charge, comme ils ont pris Totor en charge un peu plus tôt. «Remember (Walking In The Sand)» sera le premier single des Shangri-Las sur Red Bird. Tu ne peux pas faire plus mythique. C’est bien sûr Shadow qui signe ce hit. Il dit l’avoir composé en dix minutes, pour relever le défi de Jeff Barry. Le slow hit.

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             Le problème, c’est que les Shangri-Las avaient déjà fricoté avec Artie Ripp, le boss de Kama Sutra, qui, comme Morris Levy, a des liens avec la mafia new-yorkaise. Donc Ripp veut sa part du gâtö. La mère machin profite de l’occasion pour rappeler que le slang «ripp off» vient d’Artie Ripp. Si tu veux te faire plumer, vas voir Artie Ripp. Évidemment, Morris Levy voulait aussi sa part du gâtö. Il serait un jour entré chez Kama Sutra pour déclarer : «The Shangri-Las, nice kids! Great group! Great songs! They’re mine and I want my cut.»

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    Shadow Morton

             Shadow, Leiber & Stoller, Ellie Greenwich : les Shangri-Las sont tout de même bien entourées. Ellie voit les Shangri-Las comme des «very nice street urchins, street classy... and... tough yet very vulnerable.» Au début, explique-t-elle, elle ne s’entendait pas très bien avec elles, «they were kind of crude», par leur attitude, leur langage, «and chewing the gum, and the stockings ripped up their legs». Ellie leur dit qu’elles ne peuvent pas se balader avec des bas filés et en mâchant du chewing-gum, qu’elles doivent être des ladies, et les Shangri-Las l’envoient promener, «we don’t want to be ladies», alors une grosse engueulade éclate dans le ladies room du Brill, Ellie en pleure de colère, et après, dit-elle, elles sont devenues wonderful. Elles mâchaient moins leur chewing-gum et contrôlaient leur langage. Mary ajoute qu’elle s’achetait ses fringues chez un Men’s Store - I like low rise pants

             Quand elles tournent en Angleterre, les Shangri-Las se retrouvent mêlées à une bataille de bouffe chez Dusty chérie. Quand après la bataille Mary Ann Ganser remet ses boots, elle y trouve du poisson. Alors pour se venger, elle va profiter d’une tournée de Dusty chérie à New York pour aller mettre du poisson dans ses boots. 

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             Et puis t’as les affiches de rêve. Elles montent sur scène au Brooklyn Fox avec les Temptations, les Supremes, puis Jay & The Americans, puis les Contours, puis les Ronettes, puis les Searchers - direct from England - puis Martha & The Vandellas, puis Little Anthony & The Imperials, puis Dusty chérie, puis The Miracles et comme tête d’affiche, Marvin Gaye, «the epitome of cool Soul». Ce sont, nous dit Ronnie Spector, les fameuses Murray the K’s rock and roll revues at the Brooklyn Fox, qui étaient «the highlight of any New York kid’s week in the sixties. Pour deux dollars cinquante, tu pouvais voir at least a dozen acts and these were the top names in rock and roll - from Little Stevie Wonder to Bobby Vee to The Temptations, everybody played these shows.» Mary Weiss qualifiait ces shows de «brutaux». Il fallait descendre plusieurs étages pour aller chanter deux cuts et remonter ensuite dans les loges. Sept fois par jour. Elles font aussi une première partie pour les Beatles en 1964, avec les Tokens, Bobby Goldsboro, The Brothers Four, Jackie DeShannon et Nancy Ames. Le journaliste du New York Times évoque les «3,600 hysterical teenagers» du Paramount Theater. Autre affiche de rêve : en mai 1965, les Shangri-las prennent part à la Dick Clark Caravan of Stars pour un concert à Anaheim, en Californie, avec Del Shannon, les Zombies, Jewel Aken, Tommy Roe, Dee Dee Sharp, Mel Carter, The Ad Libs, The Velvelettes (et pas les Velvettes, comme elle l’écrit), Jimmy Sole, Mike Clifford, The Ikettes, The Executives et Don Wayne. T’en avais pour ton billet. 

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             Ce sont les embrouilles contractuelles qui vont dégommer les Shangri-Las : elles sont sous contrat avec Kama-Sutra, Red Bird puis Mercury. Ça déclenche une guerre juridique. Ils se traînent tous en justice. Mary dit que c’est dur d’entrer dans la record industry et encore plus dur d’en sortir. L’aventure des Shangri-Las n’aura duré que deux ans, de l’été 1964 à l’été 1966. Après la fin des Shangri-Las, on leur interdit d’enregistrer pendant dix ans. Elles se reforment pour un show à Manhattan dans les early seventies, puis en 1977. Elles jouent au CBGB et enregistrent quatre cuts pour Sire avec Andy Paley. Pour une raison qu’Andy ne connaît pas, les quatre cuts ne sortent pas. Apparemment, Mary Weiss trouve qu’ils n’étaient pas assez bons - It just wasn’t right - I welcomed the opportunity from Seymour Stein, but it just didn’t work out.

    Signé : Cazengler, Shangri Laid

    Shangri-Las. Leader Of The Pack. Red Bird Records 1964

    Shangri-Las. Shangri-Las 65. Red Bird Records 1965

    Mary Weiss. Dangerous Game. Norton Records 2007

    Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. Ace Records 2013

    Lisa MacKinney. Dressed In Black: The Shangri-Las And Their Recorded Legacy. Verse Chorus Press 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Grande Brittany

             Tiens voilà encore Stanley ! L’avenir du rock n’en revient pas.

             — Ça fait au moins trois fois qu’on se croise en dix-huit ans ! Je parie cent balles que vous cherchez toujours Livingstone...

             — Ah c’est trop facile de parier comme ça ! Que voulez-vous que je fasse d’autre, à part chercher Livingstone ?

             — Vous pourriez faire un effort et chercher quelque chose de plus original...

             — Vous êtes marrant, vous ! Vous croyez qu’on peut trouver quelque chose à chercher comme ça, en plein désert ?

             — Vous me décevez Stanley. Je vous prenais un homme plein d’esprit, à l’imagination fertile...

             — Vous foutez pas d’ma gueule !

             — Vous devenez irritable... Vous devriez enlever votre casque colonial, il emmagasine la chaleur.

             — Gardez vos conseils et fourrez-vous les dans l’cul !

             — Quel sale caractère !

             — Ah mais j’en ai marre de vos rodomontades ! Oh et puis j’en ai marre de chercher Livingstone ! Vous êtes tous complètement cinglés dans ce désert ! Je veux rentrer chez moi !

             — Ah vous craquez ?

             — Oui, Livingstone peut aller s’faire enculer et vous avec !

             — Vous habitez où, grossier personnage ?

             — Îles Britanniques ! Vous savez par où c’est ?

             — Non, par contre, je connais très bien Brittany Davis.

             — Mon pauvre avenir du rock, la facilité ne vous fait pas peur !

     

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             Formule gagnante et choix gonflé : c’est une façon comme une autre de qualifier la presta de Brittany Davis, une black aveugle assise derrière son piano électrique et accompagnée par un gang de gays particulièrement brillants. Association heureuse et foire au brio. Magnifique mélange de groove et de glitter.

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     C’est l’héritière de Ray Charles accompagnée par Funkadelic. Bon, Brittany a choisi de monter sur scène sans lunettes noires, et lorsqu’elle te «regarde» ça te fout très mal à l’aise car tu vois ce que tu ne dois jamais voir, un regard mort. Mais autour d’elle, ça grouille de vie et quelle vie ! Te voilà aux pieds du plus ambigu des guitar

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    slingers d’Amérique, il s’appelle Vivienne DeMarco, il porte un porte un joli nom, Saturne, mais c’est un dieu fort inquiétant, dirait George Brassens. En plus de son nom, Vivienne porte aussi de fort jolis tatouages, un petit haut noir à l’effigie d’Ace Frehley qui vient tout juste de casser sa pipe en bois, un short en cuir noir qu’on appelle chez les initiés un «moule-burnes», des bas-résille sans jarretelles et des platform boots en vinyle noir qui montent jusqu’aux genoux. Quand il sourit, on voit briller ses deux dents d’acier, il porte ses cheveux blonds assez longs et gratte sa Les Paul comme un dieu, chantant parfois ses longs solos. Il fait du pur Funkadelic !

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    C’est Eddie Hazel en blanc. Car sur scène, Bitanny Davis et son gang de Funka-boys mixent le funk avec le rock pour le meilleur et pour le meilleur, le pire n’ayant pas droit de cité ici, c’est un mariage heureux, comme déjà dit. La formule t’interloque copieusement, même si parfois ça traîne en longueur. Et puis de l’autre côté, t’as un deuxième surdoué sorti lui aussi d’un bar gay de Seattle, il s’appelle Jesse Stern, il porte un beau galure de Rudolph Valentino, un juste-au-corps panthère et joue comme un dieu Booty sur une basse six cordes, alors Brittany peut groover peinarde sur la grand-mare des canards. Le spectacle qu’offre ce groupe de freakout te fascine, et la cerise sur cet immense gâtö-kâdö, c’est Superman derrière sa batterie,

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    un black au crâne rasé qui s’appelle Conrad Real et qui n’en finit plus de battre tous les records du monde de présence scénique, de shuffle de jazz, de booty funky, de comedy act, de jongleries, de grimaces comiques, il multiplie les facéties, never missing a beat dirait un Anglais, il est à la fois Elvin Jones et Tiki Fulwood, il est à la fois Tony Williams et Benny Benjamin, et son solo de batterie est le seul qu’on ait réussi à admirer jusqu’au bout, car c’est un mirobolant chef-d’œuvre d’inventivité. Retiens bien ce nom : Conrad Real. Prions Dieu que tous nous veuille absoudre, et surtout qu’on puisse revoir Conrad Real un jour sur scène. Car là t’as tout : le beurre et l’argent du beurre. Le plus grand batteur du monde ? Sans le moindre doute. T’es content, car tu rentres au bercail avec ta petite révélation. Tu vas même passer des jours et des jours à te demander comment un batteur aussi doué peut rester aussi inconnu. Du même coup, ça te conforte dans l’idée qu’il faut continuer à fureter dans les concerts, car contrairement aux apparences et au sentiment d’un écroulement généralisé des valeurs, l’idée de l’art a la peau dure. Conrad Real en est la preuve. Pur Black Power.

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             Par contre, ce sont d’autres musiciens qui accompagnent Brittany Davis sur Black Thunder, un très beau double album de groove jazzy. On voit de très belles photos du studio où elle enregistre avec deux blacks, Evan Flory-Barnes à la stand-up et D’Vonne Lewis au beurre. Avec «Amid The Blackout Of The Night», elle s’enfonce dans l’intégrité du groove de jazz, c’est une ambiance à la Miles Davis, mais sans trompette. Son magnifique, rien à voir avec le concert. En B, elle profite du morceau titre pour invoquer la deep forest et le black thunder. Elle crée son monde loin des feux de la rampe, elle va deep in the groove avec «Change Me» - Change me quick/ C’mon ! - Encore un groove de jazz bien senti en C avec «Girl Now We Are The Same» - You’re white/ And I’m black/ Is it black?/ No it is brown - Elle roule sur un son de stand-up bien rond. Puis elle s’en va groover son «Mirrors» au chant magnifique. Elle devient assez magique. Elle semble encore monter en puissance avec «Sarah’s Song» en D et vire quasi hypno. Elle regagne ensuite la sortie avec «Sun & Moon» - Dance in the moonlight - Elle jive dans le lard, c’est un groove très tonique, bien soutenu au chant, battu fouillé et rondement slappé dans l’âme. T’as des fabuleuses dynamiques internes et tu sors ravi de l’heure que tu viens de passer à écouter cet album.

    Signé : Cazengler, Abrutinny Avide

    Brittany Davis. Le 106. Rouen (76). 17 octobre 2025

    Brittany Davis. Black Thunder. Loosegroove 2025

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

     - Part Thirteen

     

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             On jette un coup d’œil à la couve du numéro de Rockabilly Generation qui vient d’arriver et le premier nom qui te saute au paf - pardon, au pif - est celui de Vigon. L’interview de Rancurel est intéressante. Ce gros veinard a fréquenté et photographié Vigon a la grande époque. C’est un peu comme s’il avait fréquenté et photographié Elvis à ses débuts. Vigon est du même acabit que l’early Elvis : beau et légendaire. 

             À une époque, on pouvait encore voir Vigon sur scène au Méridien de la Porte Maillot. Au rez-de-chaussée de l’hôtel se trouve le club Lionel Hampton, un endroit chicos dans lequel se produisaient alors pas mal de grosses pointures, du genre Screamin’ Jay Hawkins ou Ike Turner.       

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             Vigon est depuis 1965 l’un des deux géants du rock français (l’autre étant bien sûr Ronnie Bird). Quand on voit Vigon chanter sur scène, on comprend tout. C’est un pur, un type hanté par ses héros. Quand on le voit remuer la tête indépendamment des épaules, on sent la présence de Ray Charles en lui. Il porte les mêmes lunettes noires. La façon dont il bouge le buste et dont il ramène le micro à portée de voix nous renvoie directement à Jaaaaaames Brown. Il fait une version démente d’«I Feel Good». C’est Mister Dynamite. Oui, Vigon est un bon. Oui Vigon sort de ses gonds. Il y a aussi de l’Otis en lui, de l’Ike Turner - il fait le baryton ikien sur une fiévreuse reprise de «Proud Mary» - Il fait aussi du Little Richard, quand il screame Bamalama Bamaloo baby !, l’un de ses vieux chevaux de bataille. Ils sont douze sur scène : section de cuivres complète, deux claviers, un fabuleux batteur, un guitariste qui joue le funk de Stax, et en prime, un soubassophone, qui est une basse à vent. Pouet pouet ! Vigon pilote cette énorme machine, comme s’il pilotait une formule 1, et il donne de violentes impulsions en dansant entre les couplets. Il a complètement intériorisé la magie du r’n’b. Son corps la contient toute entière. Il libère les vieilles énergies qui ont révolutionné les sixties. Il fait ça pour de vrai. Il n’est pas dans la représentation. Il puise dans la perception qu’il a de Mister Dynamite depuis cinquante ans pour trouver le ton exact - ‘nd I feel nice/ lik’ sugar ‘d spice - Il invoque les esprits. Tout le reste n’est qu’intendance. Avec «Knock On Wood» et «Hold On I’m Coming», il rivalise d’authenticité avec les originaux. Sa cover de «My Girl» donne le vertige - I’ve got sunshine/ On a cloudy day - Celle d’«I’ll Go Crazy» tient du miracle, pulsée par un shuffle de soubassophone. C’est gorgé de pulsions primitives. Vigon rappelle qu’«Harlem Shuffle» fut le morceau fétiche qui lui permit de remporter le tremplin du Golf Drouot. Et hop, il nous balance une version de rêve, montée sur le groove du diable. Par contre, aucune trace de Wilson Pickett dans son set. Plus de Mustang ni de Sally, comme au bon vieux temps.

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             En juillet 2004, Vigon participait à une sorte de festival historique. L’Olympia présentait le retour des pionniers du rock français avec une affiche des plus alléchantes : les Pirates, Billy Bridge et les Mustangs, Joey et les Showmen, Vigon et des tas d’autres qui, quarante ans après leur petite heure de gloire, paraissaient toujours prêts à en découdre. Nous n’étions là que pour Vigon, dont on avait un peu perdu la trace. Son impresario croisé dans la file d’attente éclaira nos lanternes en nous expliquant que Vigon s’était replié pendant vingt ans chez lui, à Casablanca, qu’il avait chanté tous les soirs dans un cabaret et mené la grande vie. Mais il était de retour à Paris et on pouvait le voir jouer tous les soirs dans un club situé à deux pas de l’endroit où nous faisions la queue : l’American Dream. Et pouf, il nous refila un flyer.

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             Ce soir-là, l’Olympia était plein comme un œuf. Moyenne d’âge : soixante-dix ans. Il nous fallut du temps pour nous acclimater à ce bal des vampires. On se retrouvait mêlé à une stupéfiante concentration de ventripoteurs à cheveux blancs et de vieillardes agrippées au souvenir de leur jeunesse enfuie. Après une série interminable de sets pathétiques, Vigon arriva sur scène tout de cuir noir vêtu. Il était plus que jamais ce diable marocain qui nous avait embrasé l’imagination au temps jadis. Il balança trois énormes classiques du rhythm’n’ blues coup sur coup : «Midnight Hour», «Hold On I’m Coming» et «Knock On Wood». Vigon était trop bon, presque miraculeux. Le jour et la nuit avec le reste du spectacle. Il incarna ce soir-là Wilson Pickett, Sam & Dave et Eddie Floyd, puis James Brown avec une version complètement allumée d’«I Feel Good». Vigon vitupérait. Vigon virait au vert. Vigon voyait rouge. Avec seulement quatre morceaux, il défonça la rondelle des annales et sauva la soirée du désastre.

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             Sortait en 2008 une curieuse compile intitulée «The End Of Vigon», avec une face lente et une face rapide, selon le modèle des Formidable Rhythm’n’Blues d’Atlantic. La pochette était celle d’un EP de Vigon : on le voit de profil, assis au sol, au sommet d’un escalier public, sur fond de ciel bleu. Il porte un pull orange et un pantalon noir. Dans son interview, Rancurel nous révèle que c’est l’une de ses images, faite au Canal de L’Ourcq. God, comme Vigon est jeune ! Même si on n’aime pas les morceaux lents, il faut faire l’effort d’écouter la face lente. Vigon y est vertigineux de Soul genius. Son animalité ressort mieux dans les slows super-frotteurs que dans les jerks torrides, comme chez Otis, d’ailleurs. Son timbre est d’une justesse remarquable et il prend toute son ampleur dans les morceaux lents comme «It’s All Over» et «Dreams». Les montées en puissance sont absolument fabuleuses, des coulures de kitsch scintillent comme des diamants. Tous les amateurs de Soul devraient écouter ce disque extraordinaire. Il faut entendre Vigon hurler les dernières phrases de «Dreams» dans la plus pure tradition des grands Soul Brothers de Detroit ou de Memphis. Il pousse des petits cris suspects et finit en hurlant comme un singe de Bali. Il est l’égal absolu de Wilson Pickett, de Percy Sledge, de James Brown et d’Eddie Flyod. Il dispose exactement du même registre, de la même classe, de la même énergie et du même génie interprétatif. Sur la B, il entre en éruption. Il déboule dans la cour des grands avec «Pollution», un funk infectieux monté sur un beat toxico. Avec ce funk tendu, Vigon se montre l’égal de George Clinton. Il y a quelque chose de terriblement organique là-dedans. A-t-on déjà entendu funk plus jouissif ? Non. Il embraye sur «Harlem Shuffle». Il est dessus. Aucun doute. Il fait grimper la température, puis il calme le jeu - yeah yeah. Pure magie noire. Vigon crie dans la nuit d’Harlem - Aaaah Aaaah - Prodigieuse fournaise de juke-box ! Franchement, on ne comprend pas que ce demi-dieu marocain soit resté dans l’ombre. Il est beaucoup trop bon. C’est Bou Jeloud ! Il dépasse les normes. Vigon paye le prix fort, enfermé dans sa légende. Il tape ensuite dans Sam & Dave avec «You Don’t Know Like I Know» qu’il mène au pas, sans forcer le destin, et qu’il chauffe à blanc, juste pour rigoler. My Gawd, comme ce mec est doué. Vigon ne craint pas la mort, car il tape dans des cuts déjà parfaits, et il réussit à leur redonner vie. C’est un miracle ! «Baby Your Time Is My Time» sonne comme un hit de Soul urbaine. «Ma chère Épiphanie, ce morceau te percera le cœur», disait le Comte de Lautréamont à sa carafe en cristal. Vigon fait partie de ceux qui ne prennent pas les gens pour des cons en leur faisant croire qu’ils ont du talent. Lui en a pour dix. Il reprend ensuite «The Spoiler» l’unique morceau d’Eddie Purrell enregistré chez Stax et composé par Duck Dunn (après la parution du single, Eddie disparut. Personne n’entendit plus jamais parler de lui). Sur Stax, c’était déjà une vraie bombe. Vigon prend cette monstruosité noyée d’orgue à bras le corps, et la balance dans la stratosphère. C’est un jerk mortel. Comme Eddie Purrell, Vigon y va - I’m a spoiler, ouuh - Monstrueux ! Do the spoil ! Vigon joue son va-tout. C’mon C’mon !

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             On est allé revoir Vigon en 2015 au Méridien. Trois fois une heure de set. Conditions idéales. Il chante à quelques mètres de ta table. Quand on le voit taper «Papa’s Got A Brand New Bag», on comprend qu’il ne fait pas semblant. Il incarne la Soul. Chanter Papa à la perfe, ce doit être à peu près tout ce qu’il sait faire dans la vie. Il n’existe qu’un seul chanteur de Soul en France et c’est lui. Shout, mon vieux Bamalama ! Il connaît tous les hits, de Stax à Atlantic, en passant par Motown, Vee-Jay, Specialty, Imperial, Chess, Duke ou King. Il les chante depuis cinquante ans. Il

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    reste exceptionnel sur scène. Chacun de ses gestes est inspiré. Il swingue la Soul, il sait chauffer un couplet au bon endroit et faire dérailler sa voix le temps d’une syllabe. Et puis il a ce franc sourire de crooner de choc. Lors des ponts musicaux, il danse les poings fermés. Il est, avec Vince Taylor et Ronnie Bird, celui qu’on a le plus admiré à l’aube des temps parisiens. Il fait le «Soul Man» de Sam & Dave à lui tout seul. Il le bouffe tout cru. Cette fois, il tape «Mustang Sally» et le «Twist & Shout» des Isley Brothers. On le voit aussi duetter sur «My Girl» avec Muriel, l’épouse du maître de cérémonie.   

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             On se souvient de vieilles photos de Vigon qui chantait torse nu sur la scène du Golf, dans les pages jaunes des premiers numéros de Rock&Folk. Encore mieux : pour son audition devant Henri Leproux, Ronnie Bird lui avait prêté son backing-band.

             Bon, tu continues de feuilleter ce nouveau numéro de Rockabilly Generation et soudain, tu tombes sur une double en forme de carnet mondain des cracks du boom-hue : Tony Marlow, Didier et son T-Becker Trio, Barny & The Rhythm All Stars, Hot Slap avec un Dédé on fire. Mais il manque le plus important ! Tu tournes la pages et, ouf, il est là : Jake Calypso avec ses Hot Chickens ! Ça remonte bien le moral de voir qu’ils sont tous là.

    Signé : Cazengler, Vicon

    Vigon & the Dominoes. Le Méridien. Paris XVIIe. 19 octobre 2013

    Vigon. Le Méridien. Paris XVIIe. 30 octobre 2015

    Vigon. The End Of Vigon. Barclay 2008

    Rockabilly Generation # 35 - Octobre Novembre Décembre 2025

     

     

    Inside the goldmine

    - Pierre qui roule n’amasse pas Mosley

             Bernard Masley ne payait pas de mine. Franchement, on se demandait comment une femme aussi belle et aussi sensuelle qu’Irène Masley avait pu tomber amoureuse d’un tel épouvantail et lui faire trois enfants. Il est des mystères qui nous dépassent, et plus on s’y penche pour tenter d’y voir clair, plus ils s’épaississent. En plus d’être moche, Bernard Masley était pauvre. Il bossait pourtant dans une grosse boîte, le sous-traitant d’un constructeur automobile, mais il plafonnait dans son parcours professionnel et gagnait à peine de quoi subvenir aux besoins de sa famille. Comment cette reine qu’était Irène Masley pouvait-elle supporter ça ? On la soupçonnait de se fringuer aux Emmaüs. Quand une amie voulait lui offrir des fringues, elle les refusait. Le samedi, Bernard Masley emmenait toute la famille faire les courses au centre commercial. Ils se limitaient au supermarché. Ils entassaient dans le caddy l’alimentaire de la semaine, les fournitures scolaires, les produits d’entretien et deux ou trois bricoles indispensables. Bernard Masley avait une liste et il comptabilisait les achats de tête au fur et à mesure. Lorsqu’il atteignait le montant du budget fixé, il indiquait la direction de la caisse. Irène Masley rêvait de lingerie et d’outils de jardin, mais elle se taisait. On ne pouvait pas dépasser le budget fixé. Ce niveau d’acceptation finissait par inspirer une sorte de respect. Les amis du couple ne leur demandaient jamais s’ils avaient besoin d’aide, c’eût été leur faire injure. Par contre, Bernard Masley pouvait rendre des services considérables. En tant que Référent Qualité, il était en contact avec des décisionnaires de l’industrie automobile, et ces contacts valaient de l’or. Il en fit don à des amis-aventuriers de la com interne qui vendirent au constructeur un plan Zéro Défaut. Autrement dit un budget mirobolant. Bernard Masley ne demanda jamais rien en retour. Moche, pauvre et généreux. 

     

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             Pendant que Masley ramait dans sa banlieue, Mosley ramait dans l’underground. Ils furent tous les deux de fiers rameurs qu’on était content de fréquenter. Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Bob Mosley fut bassiste/chanteur/compositeur dans Moby Grape. Moby Grape fait l’objet d’un chapitre à part. Penchons-nous sur la carrière solo que Bob Mosley entame après avoir quitté Moby Grape en 1969 (et qu’il ré-intégrera en 1971, puis par intermittences, comme le feront Jerry Miller et Peter Lewis).

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             L’album sans titre de Bob Mosley paru en 1972 est un immense classique. Pour au moins sept raisons, la première étant le fulgurant «Squaw Valley Nils (Hocked Soul)», un solide mid-tempo de fière allure. Bob est un bon, il y va au stranger at my table et ça se barre en vrille avec un solo de coyote. Te voilà une fois de plus avec un album culte dans les pattes. Culte encore pour le killer solo qui fusille «Hand In Hand», une sorte de rock Soul à la pointe du progrès, drivé à l’énergie de l’Airplane, et derrière t’as ce mec qui gratte comme un dingue. Frank Smith ou Woodie Berry ? Va-t-en savoir. Le killer solo est d’une rare virulence. Culte encore pour ce «Jocker» d’ouverture de balda, qui tape en plein dans le vif argent de Moby Grape. Bob a les Memphis Horns derrière, c’est ultra-joué, avec une gratte qui envoie d’incroyables giclées de jus. Sur «Gyspsy Wedding», Bob fait son white nigger. Il est infiniment crédible. Il récidive en B avec l’hot «Nothing To Do». Encore une belle énormité avec «Let The Music Play», Bob et son Mill Valley Rhythm Section & Choir te groovent le Moby rock de main de maître, et t’as encore un killer solo de coyote in the flesh. Power pur encore avec «Where Do The Birds Go». Bob mixe le rock avec la Soul. Tu te régales encore de «Gone Fishin’» qu’il chante d’une voix ferme, et de «So Many Troubles» qui se répand dans une brume de chœurs. 

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             Si Never Dreamed est un bon album, c’est sans doute dû à la présence de James Burton. Il faut le voir amener «Dead or Alive» ! Ça sonne comme un hit, et Bob charge bien sa barcasse. Voilà une pop visitée par la grâce et par James Burton. Puis avec le morceau titre, Bob s’impose durablement en chantant à l’accent perçant. Il passe à l’heavy country blues avec «Put It Off Until Tomorrow». Magnifico ! Illuminé par James Burton. Encore de l’heavy country power avec «Louisiana Mama». Bob est un mec très convainquant. Il se montre décidé à se barrer dans «Leavin’ Through The Back Door» - Don’t try to stop me babe !

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             C’est Freddie Steady qui réédite cette petite merveille qu’est le True Blue de Bob Mosley. Petite merveille car «Lazy Me», balladif à la Gene Clark de qualité supérieure. Suprême dérive abdominale. Et puis t’as ce coup de génie, «Rainbows End (Used To Be My Fiend)», un autre balladif de rang princier. T’es frappé par la stupéfiante qualité du cut. Bob adore le boogie, comme le montrent «Come Back Woman» et «Sad & Blue». C’est le boogie de San Pedro, celui qu’on appelle l’heavy boogie down bien sanglé. Tout aussi impressionnant, voici «Never» un heavy balladif circonstanciel. Bob tape ça au pur power vocal. Bob est un bon. L’intensité n’a décidément aucun secret pour lui.

    Signé : Cazengler, bien Amosley

    Bob Mosley. Bob Mosley. Reprise Records 1972

    Bob Mosley. Never Dreamed. Taxim Records 1999

    Bob Mosley. True Blue. SteadyBoy Records 2024

     

    *

    Existe-t-il une harmonie universelle. Au lieu de définir ce que j’entends par ces deux mots je me contenterai de rapporter deux faits. Chacun peut vérifier l’existence du premier. Dans notre dernière livraison 707 de la semaine dernière, celle du 30 / 10 / 2025, dans son article  hommagial à Nico, notre Cat Zengler citait les noms de deux des musiciens, Brian Jones et Jimmy Page qui ont accompagné Nico durant l’enregistrement de I’m not saving. Puis pratiquement incidemment, si l’on en juge par le contenu du paragraphe qui suit son cours, il ajoutait : ‘’ Brian et Jimmy ont un autre point commun : une passion pour Aleister Crowley’’. Nous avons déjà à plusieurs reprises consacré plusieurs chroniques à Aleister Crowley, personnage scandaleusement énigmatique que les Beatles n’ont pas oublié sur la pochette de Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, l’est même en position numéro deux. Perso je le trouve méconnaissable sur la photo.

    Existe-t-il des clins d’œil du hasard. Au lieu de me lancer dans un interminable commentaire sur cette question je me contenterai de rapporter le deuxième fait. A peine en avais-je fini de choisir les illustrations pour illustrer l’article en question, m’octroyant quelques instants de repos, je décide de m’enquérir de ma boîte à lettres. Qu’y avait-il dedans : je vous le donne en mille :

    ALEISTER CROWLEY

    HUIT CONFERENCES SUR LE YOGA

    ET AUTRES TEXTES

    UNE ANTHOLOGIE INTRODUCTIVE

    A L’ŒUVRE

    D’ALEISTER CROWLEY

    VOLUME III

    Traductions de

    PHILIPPE PISSIER & AUDREY MULLER

    (Editions Anima / Octobre 2025)

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    Nous allons suivre la même méthode employée pour les deux volumes précédents, commentant avec plus ou moins de pertinence les différentes parie de l’ouvrage.

    HUIT CONFERENCES SUR LE YOGA

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    Le Yoga pour les yahous : ces quatre premières conférences s’adressent à ceux qui n’y croient pas, à ceux qui restent sceptiques quant à l’utilité de l’idée de se lancer dans le yoga. Crowley y va très cool, un véritable camelot. Le yoga n’est pas difficile. Il signifie, en langue sanscrit, lien, se lier à, (quoi ?). Ce qui est étrange c’est qu’il enchaîne en affirmant qu’il faut d’abord se dé-lier de tout ce  qui n’est pas nous, de toutes ces assertions, ces croyances, ces diktats de la société qui nous intiment de ne pas faire ceci ou cela. La leçon est claire : faites à votre guise. Les philosophes diront : évacuez la Doxa. Premier tour de vis : il faut aussi se délier de soi. Ce qui ne signifie pas qu’il faille tomber sous la coupe des Maîtres. Des charlatans qui restent trois ans sans bouger ni boire ni manger. N’imitez pas, ne vous obstinez pas à tenir la posture du chien, du chat, de l’aigle, de la souris, de l’éléphant, de l’arche de Noé. Trouvez celle qui vous convient le mieux. Inventez-la sans honte ni regret. Attention ça se corse. Un truc qui personnellement me file l’urticaire. Le coup de l’arbre des Séphiroths un emprunt à la qabal. Crowley a dû savoir que j’allais lire ce texte car il se sert de symboles grecs pour expliciter. Tel Dieu grec symbolise telle chose par rapport à lui-même et aux autres Dieux. Cette façon de faire ne me paraît pas du tout grecque mais passons. En fait je suis sur la bonne voie puisque je commence à m’ennuyer. Crowley est d’accord avec moi, on a beau s’être coupé de tout, ce n’est pas le nirvana pour autant, oui vous vous ennuyez, des pensées viennent vous turlupiner et même si vous parvenez à tordre le cou à ces visiteuses impromptues, c’est votre corps qui se réveille, une crampe à la jambe, des picotements sur le coude… continuez sans défaillir, concentrez-vous sur votre respiration, un tiers j’inspire, deux-tiers j’expire, quatrième tiers, ni expiration, ni inspiration, attention c’est une concentration qui doit après des séries et des séries de séances systématiques se métamorphoser, bref un jour vous parvenez à suivre le rythme sans être obligé d’y penser. C’est alors que votre corps auquel vous ne pensez plus, se met à bouger indépendamment de votre volonté. Il s’agite même beaucoup. Vous ressemblez à une grenouille dans une mare qui s’amuse à sauter de feuille de nénuphar en feuille de nénuphar. Continuer sans faillir, bientôt votre corps va se soulever et vous entrez en lévitation. Très honnêtement Crowley avoue qu’il n’est jamais parvenu à ce stade. N’empêche qu’il reste encore quatre conférences.

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    (Tirage de tête)

    Le yoga pour les froussards : le titre de ce cycle de conférences n’est guère engageant, c’est que la donne devient sérieuse, dehors les dilettantes, le yoga exige beaucoup de vous, arrêter de vaquer à vos affaires, il vaudrait mieux que votre vie ne soit pas accaparée par le travail… C’est que nous attaquons au gros morceau, la forteresse qui n’entend pas se rendre : le mental. Nous revenons à la Bible, les mystères du Tétragrammaton, chaque lettre à sa signification : le père, la mère, le fils, et la fille. D’où sort-elle celle-ci, on attendait l’Esprit, cela serait trop chrétien, la  fille représente l’extase, celle qu’ont connu le père et la mère en engendrant le fils, silence dans les rangs, ne pas confondre le yoga avec le kama sutra, tout engendrement se doit d’être conçu comme une séparation, pas un ensemencement, plutôt une éjection. Un peu comme les poubelles que vous sortez le soir. C’est en se défaisant de ce qui nous est inutile que l’on se concentre sur soi-même. Il convient de vider son mental en lui confiant ces tâches précises de désintéressement déjectifs de ces mêmes taches. C’est ainsi que se purifie l’eau de votre mental. Ceci n’est qu’une image. Le mental ne contient pas d’eau, le mental  est un espace vide. Mais cette notion de vide nous emmène à la notion de volume. Volume d’autant plus abstrait qu’il n’occupe pas plus d’espace qu’une idée qui vous traverse la tête. La pratique du yoga vous conduirait-elle à devenir un songe-creux. Attention prenez conscience du plaisir à acquérir cette connaissance qui permet d’être sicut deis. De fait ce n’est pas que vous n’ayez rien trouvé, c’est que vous avez trouvé le rien, or si le rien est tout, le tout existe et si le rien n’est rien, il n’est que le vide dans lequel sont dispersés les points structurant du tout. Nous sommes ici face aux atomes batifolant dans le vide, à part que ce vide plein est en quelque sorte un cinquième élément, un éther qui n’est autre  chose que la pensée du mental en son point d’activité zénithal qui n’est que le repos de votre mental. Tout serait-il du charabia. Crowley s’en réfère à Kant, l’on aurait préféré Nietzsche, Einstein, Riemann, Berkeley, évidemment depuis la science a continuité, n’y a que notre évêque du dix-huitième siècle qui reste stable, nous remarquons que dans les dernières pages de la sixième conférence Crowley revient à partir de la théorie de la relativité, l’idée d’une connaissance circulaire. Qui ressemble à s’y méprendre à un serpent qui se mord la queue. D’où cette question : comment se doit-on d’envisager la matière. Comme une chose, comme un néant, comme une hypothèse, comme un mythe…

             La septième conférence  s’avère déceptive, retour au christianisme, pas tout à fait la version pour les faibles, mais celui des exercices spirituels qui correspondent assez bien au travail intellectuel du yogiman. Nous remarquons que la pensée régresse, nous parlions du mental, nous voici dans notre intellect. Il est évident que l’on ne peut désigner une chose (même conceptuelle) que par des mots qui ne sont pas le vocable qui désigne très précisément la chose, qu’elle soit conceptuelle ou pas. Le mental serait-il un acte de foi ? Il est vrai que son exercice qui permet d’obtenir une vision de l’univers, provoque en l’individu qui parvient à ce stade connaît ce que Crowley exprime par le mot transe, Nietzsche par le mot danse, et plus trivialement Paul Valéry une fête de l’esprit.

             Dans la huitième conférence Crowley passe à la concrétude non pas des choses mais de l’action que l’on peut exercer sur elles. Nous avons évoqué l’Ether, cette totalité élémentale Crowley la fragmente en trente. Le Yoga vous apporte la connaissance mais le système Magick de Crowley vous permet d’entrer en relation avec ces trente éthers. Il donne un exemple qui n’est rien d’autre que l’exercice rituellique que l’on pourrait comparer à la messe catholique. L’enchaîne sur la poésie conçue en tant que chant orphique influant sur les éléments terrestres et intersidéraux.

             Ces huit conférences sont agréables à lire, mais à les regarder objectivement l’exercice du Yoga ne nous semble pas très différent d’un habituel chemin de pensée voluptueusement escarpé, que je vous conseille de mener depuis votre canapé, devant votre cheminée, un cigare à la bouche et un verre empli d’un bourbon mordoré à portée de votre main. Crowley n’est pas très loin de Descartes. Ou d’Husserl.

    UN ARTICLE SUR LA QABALE (Liber 58)

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    Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ! La réponse est facile : parce que parfois les textes sacrés se contredisent. L’a donc fallu trouver un processus qui explicitât ces contradictions. Sans quoi il serait raisonnable de rejeter tous ces incohérences verbiagiques. Ce serait du même coup l’arrêt de mort du Dieu. Autant ôter le plancher imaginaire ou mental (adoptez le mot que vous préférez) sur lequel la race humaine repose ses pieds.

    Le principe est simple : il s’agit de prouver que tel mot connote avec un autre (voire plusieurs). Ne pas se fier au sens ce serait trop facile. Il faut une règle qui soit en même temps arbitraire et mathématique. Il suffit de doter chaque mot d’un chiffre obtenu en faisant le total de la valeur de ses lettres ( A=1, B=2, C=3 et ainsi de suite…) Nous avons pris l’alphabet français, évidemment Crowley use de l’alphabet hébreux… La qabale est à l’origine une science d’origine biblique.  Les mots présentant le même total numérique ne sont point bêtement interchangeables disons que comme dans le poème de Baudelaire ces correspondances numérologiques entretiennent des rapports symboliques significatifs.

    Le système  peut être complexifié, l’on peut numéroter des phrases entières, donner une certaine importance aux lettres initiales ou/et finales, voire centrales… Si en notre langue ronsardienne le nom propre Mars avait la même valeur numérique que le mot guerre vous pouvez ainsi sous-entendre que ce n’est pas un hasard si Mars est le Dieu de la guerre. Si vous pensez que cette manière numérologique tient un peu trop de la loterie, mettez-la en relation avec le squash métaphysicio-linguistique par lequel le lecteur français d'Heidegger se doit d'établir des équivalences interprétatives entre les termes grecs-allemand-français afin de parvenir à une compréhension aigüe de la subtilité transmissive de l'herméneutique de vocables héraclitéennement obscurs de par leur nature fondatrice.

    Ainsi en s’attardant longuement sur les premiers mots de la Bible, Crowley démontre à l’excès qu’il n’y a pas de hasard entre ces premiers vocables qui se répondent entre eux comme dans le jeu de cartes des sept familles, sous-entendu une certaine intelligence supérieure préside à ce texte… Soit, nous voulons bien, mais nous aurions aimé de plus amples explications de l’emploi du féminin-pluriel d’Elohim, qui d’après nous correspond davantage à l’historiale fabrication de Yavhé qui à l’origine était une déesse femelle représentée sous forme de colombe…

    En s’attardant sur certains passages de la Bible ou d’autres textes l’on peut leur faire dire ce que l’on veut, ou du moins ce que l’on pense : la qabale ne nous semble qu’un cas particulier du commentaire doxographique et de l’herméneutique littéraire…

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    Le dogme qabalistique : qu’importe la médecine pourvu qu’elle guérisse, encore faut-il savoir l’utiliser. La qabale est complexe mais Crowley tient à nous faire remarquer qu’elle permet à résoudre des problèmes ultra-complexes, en quelque sorte c’est une méthode simplificatrice. N’oublions que les symboles sont réversibles, que ce qui apparaît comme l’expression de la difficulté peut se résorber en celle de la facilité. Il suffit de savoir jongler avec la grille de déchiffrement conçu pour déchiffrer des textes (ou des situations) qui ont été conçus, ou du moins interprétés pour être déchiffrés par une telle grille. Voici un rituel, qu’en pensez-vous ? Rien !  Ce n’est pas qu’il vous échappe, c’est que votre esprit est ainsi constitué de telle manière que vous ne pourrez l’appréhender. Et plouf nous retombons sur les deux jambes de la philosophie classique idéaliste (aucun mépris envers ce dernier mot). Saint Berkeley serait-il le sauveur des athées. En tout cas, en fin de compte, au bout de ces longues et savantes interprétations Crowley met un bouchon d’étoupe  sur le puits sans fond de son érudition en le bouchant avec des mots que tout le monde comprend comme : nature.

    Un essai sur le nombre : Crowley reprend tout depuis le début. Depuis Pythagore, passons sur la deuxième stase, la troisième stase est consacrée au catalogue basique du néoplatonisme. N’oublions pas que celui-ci fut historialement concomitant avec la montée du christianisme. C’est donc le moment de retourner à la deuxième stase, commence par l’œuf cosmique d’Hésiode qui engendre l’éros. Les grecs furent de grands désirants. Mais très vite, la grécité inaugurale de cette deuxième stase se trouva mâtinée par l’influence biblique, l’éros se métamorphose en amour et celui-ci est exprimée selon l’idée freudienne du désir conçu en tant que chose douteuse puisque résultat d’une séparation.  Freud, Crowley, Einstein voici le tiercé gagnant de la modernité. Crowley est au milieu, il est le représentant d’une culture judéo-chrétienne qui ne veut pas mourir dont il est la suprême quintessence de son ultime efflorescence. Crowley est situé entre deux serpents, celui qu’avec raison il ne veut pas voir car Freud est un mécaniste qui rabougrit le monde et celui qui le fascine car Einstein l’illimite en  désemcombrant l’univers de sa partition macro et microscopique.

             Suivent quelques pages durant lesquelles Crowley, s’amuse, un galop littéraire du meilleur effet, la Grande Bête sort le grand jeu, vous en met plein la vue, étale son érudition à pleines couches de confitures rituelliques, toutes les deux lignes une révélation, vous avez droit au moindre détail, évidemment tout cela sort non pas de son imagination mais de son imaginalisation, sans avoir besoin de relire Corbin disons qu’il parle de lui-même pour lui-même. Evidemment il se connaît mieux que personne. Le titre de la Partie II de cet essai sur le nombre est des plus révélateur : L’univers tel que nous cherchons à le faire.  

             Sans doute faut-il méditer sur le titre de cette dernière partie du texte. Un essai sur le nombre est-il une étude sur l’essence du Nombre quel qu’il soit, ou est-il un questionnement sur le nombre qui contiendrait tous les autres nombres, qui vaudrait à lui tout seul tous les autres, qui serait l’essence du nombre en lui-même, qui serait de fait le nombre unique. Pas la peine de se mentir : l’éventail énumératif des nombres n’est-il pas procédé à partir du nombre Un, d’ailleurs n’est-ce pas le monde qui est nommé univers, ou autrement (refermons l’éventail dans son unicité :  retour vers le Un. C’est à cet instant que les ennuis commencent, car le Un ne saurait être le Tout, car le Tout n’est que l’addition de tous les nombres que contient le Un. Les grecs énoncent cela très doctement avec leur formule : l’Un et le Multiple. Platon ajoute que dans ce cas le Multiple est l’Autre ce qui équivaut à la négation du Un. Dès que vous avez Un vous avez sa propre négativité : le moins Un. Hegel dira que moins Un est égal au zéro.

             Déduction de tout cela / comment surmonter, non pas le nihilisme, mais l’athéisme. Crowley définit exotériquement l’athéisme non comme la négation de Dieu mais comme un passage. Vers quoi ? Il ne le dit pas expressément, revient en arrière, tous les calculs qui vous mènent à l’athéisme il est nécessaire de les refaire pour tomber juste, il passe en revue un maximum de numérations qui permettraient d’assumer l’athéisme, car l’assumer c’est ajouter une présence au zéro absolu de l’athéisme, peut-être pas une présence supérieure mais au moins la présence de l’impétrant qui assume cette tâche. Qu’on le veuille ou non : il reste de l’être.

             Petite remarque adjacente : après le mot être, passez aux deux prochains mots écrits en rouge. Dans le long développement que nous venons de commenter Crowley fait référence à la Rose-Croix, c’est un peu le lapin rose sorti du chapeau de magicien car Crowley oublie de noter la dimension littéraire de la vision rosicrucienne que nous considérons comme un surgeon de la grande lyrique française dont le poème Le roman de la Rose serait à considérer comme le point de bouture essentiel.

    L’ontologie : Un essai d’ontologie avec quelques remarques au sujet de magie cérémonielle : cette anthologie est diaboliquement construite, sur la cohérence de la pensée de Crowley, dont le plan de cette troisième anthologie aide à prendre conscience de l’implacable logique d’Aleister. Lorsqu’il reste ne serait qu’un minimum d’être, une réflexion ontologique s’impose. Les grecs considéraient la finitude d’une chose comme parfaite et son infinitude comme imparfaite. Or  les religions définissent le Dieu comme infini. Heidegger a tracé une ligne rouge entre philosophie et religion, notre modernité lui a beaucoup reproché ce crime impardonnable mais ceci est une autre histoire. Arracher la mauvaise herbe de la croyance religieuse du travail de pensée ne saurait être avalisé par Crowley qui frise l’athéisme tout en affirmant en dernier ressort l’apport originel d’une puissance émanatrice. Après examen de trois grandes religions : boudhisme, hindouisme, christianisme, il en arrive à une étrange conclusion : il existe bien une puissance émananatrice originelle mais à plus moins longue échéance celle-ci cessera de vivre.  C’est-là accorder un sursis à Dieu.

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    La louange mariale : le dernier texte de cette anthologie ravira certainement les zélateurs de Péguy et de Claudel. Certes avec Crowley il faut se méfier. Il sait faire l’âne, animal christique par excellence. Il a le sens de l’humour et emploie volontiers le double langage. Si l’on vous donnait à lire ce texte signé par la main d’un Franciscain  vous le recevriez sans hésiter comme une espèce de Rosaire de Marie des plus fidèles, même pas une goutte d’hérésie dogmatique. Tout au plus pourrait-on l’appréhender comme l’annonciation de ces mouvements catholiques qui donne autant d’importance au personnage de Marie-Madeleine qu’au Christ… Ce texte est un recueil de poèmes, de psaumes ou de prières si vous préférez, disons d’invocations pour notifier que Crowley est aussi à sa manière un païen. Notons qu’une lecture toute parvulesquienne de ce texte, particulièrement le livre IV, risque de vous entraîner sur les ombreuses sentes d’un christianisme alchimiquement et politiquement activiste. Mais là n’est pas le problème. Restons dans la problématique heideggerienne selon laquelle, la pensée philosophique ayant été menée à son terme doit céder sa place à une nouvelle pensée qui s’apparenterait à la poésie…

    La joute chymique de FRERE PERARDUA et les sept lances qu’il brisa : texte résolument alchimique, sans doute faut-il le lire ou plutôt l’interpréter, en tant que ligne de fuite heideggerienne. Par-delà la poésie, la mise en œuvre d’un activisme que faute de mieux nous qualifierons de parvulesquien ou mallarméen. Grand écart.

    L’approche graphique : ne pas y voir un carnet d’illustrations diverses. Le lire dans la lignée du texte précédent. Alchimique certes. Liber Mutus, restons bouche cousue.

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    (Editions Anima / La visite du site s'impose)

    Appendice IDeux textes d’Allan Bennett qui fut membre de L’Aube Dorée, peut-être dans le seul but de s’en éloigner. Ces textes Un commentaire sur la Genèse et Le dressage du Mental  sont à lire ne serait-ce que pour comprendre que la pensée de Crowley n’est pas sortie du cerveau d’un illuminé. Crowley est un travailleur et aussi un héritier. Crowley et Bennett se sont croisés, le terme de percutés ne serait-il pas davantage évocateur... Rien qu’aux titres des deux écrits de Bennett les lecteurs de cette trop longue chronique  auront remarqué bien des similarités entre  nos deux démarcheurs, non pas de l’invisible mais du non-visible.

    Appendice II : un court poème de Crowley : Le chant d’amour du Chimiste : qu’intuitivement je mets en relation avec les deux derniers textes de cette Anthologie mais surtout avec Le chant de l’amour et de la mort du cornette Christophe Rilke, de Rilke évidemment, dans les deux cas pour employer une terminologie empruntée à Poe, grotesque Crowleyen et arabesque rilkéenne, deux modalités non sans rapport avec le romantisme et la métaphysique, élémental mon cher Watson !

    Appendice III : un texte exhumé du mensuel Alexandre consacré à une recension de Bereshiht d’Aleister Crowley, note secrète d’un des agents les plus brillants du SSR (Service Secret du Rock’n’roll).

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    ( Sgnature : Audrey Muller et Philippe Pissier )

    Appendice IV : Quatre illustration d’Audrey Muller pour sa traduction de Hail Mary : quatre collages, le liber motus des stances à Marie. La troisième est éloquente pour une image  qui est censée se taire. Je lui donnerais pour titre La Rose sans la Croix.

    Appendice V : Diana Orlow : cinq des derniers poèmes : lire et se taire.

    Avant les parties bibliographiques : une image pieuse d’Anja Bajuk. Cherchez l’Ange. Surtout ne le trouvez pas.

             Si vous n’avez jamais compris la pensée polymorphe d’Alesteir Crowley ce troisième volume de l’Anthologie Introductive à l’Oeuvre d’Aleister Crowley vous mènera tout droit à la base de la Montagne Magicke. Vous avez même le plan des premiers lacets qui ouvrent l’escalade. Vous n’êtes pas obligé de les suivre.

    Merci à Philippe Pissier pour son inépuisable effort à faire connaître Aleisteir Crowley au lectorat français.

    Damie Chad.

            

     

    *

             La semaine dernière nous étions en Chine, encore plus loin que n’est jamais allé Ulysse, puisque vous avez été sages, pas besoin de quitter votre fauteuil, je vous offre une séquence de cinéma, gratuite, et pas n’importe quoi un western, un vrai, grands espaces à vous rendre gaga et cadavres à gogo, en cinémascope, en dolby-stéréo et quadrephonia, tourné aux USA ! Sponsorisé par une grande multinationale pétrolifère californienne. Silence, la séance commence !

    GRANDIOSE

    OIL BARONS

    (Bandcamp / Sept 2025)

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    La couve est de Filippo Masi, doit y avoir une dizaine de Filippo Masi dans chaque ville d’Italie, mais j’ai eu de la chance, à la première image que j’ai aperçue sur un site j’ai reconnu, sa palette, son dessin, son style très psychedelic, il ne se cache pas dans sa très courte biographie de ses  expériences lysergiques. En tout cas c’est bien sa peinture qui m’a donné envie de m’attarder sur le groupe.  Ne la regardez pas longtemps. Juste un coup d’œil. Pas davantage. Surtout ne la fixez pas, elle bouge.  Non je n’ai pas bu. Un exemple comptez le chevaux ou les cheval comme vous voulez. Et puis ce brouillard rose, qui englobe ce tableau, êtes-vous sûr qu’il soit naturel, si vous n’avez pas encore aperçu le caïman et ce sentier qui se transforme en serpent, il est encore temps pour vous de téléphoner à votre percepteur pour vous raccrocher aux réalités sensibles et ennuyantes de la vie réelle. Il revendique un frère jumeau, un double cosmique.

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    Andrew Huber : bass, lead vocals, acoustic, guitar (8) / Lou Aquiler : electric guitar, acoustic guitar (1, 2, 3, 6, 9, 11), flute (1,11), spoken word (2, 9), lead vocals( 4) / Jake Hart : drums, lead vocals (10), backing vocals / Matt Harting : ogan, acoustic guitar (3, 5, 10), lead vocals (5).

    The surrenders : (le western est américain certes, mais comment commencer un western sans un générique d’Ennio Morricone, nos barons sans foi ni loi se sont emparés de d’un titre de la bande sonore du film de Sergio Solima : La Resa Di Conti, mot à mot en notre langue L’épreuve de force, mais un distributeur peu inspiré lui a préféré l’insipide Colorado !  Les américains ont opté pour The Big Gundown. Simple mais au moins l’on sait où l’on met les pieds.  Avis aux amateurs : Lee Van Cliff est au générique). Malgré toute l’admiration que j’éprouve pour la musique composée par Ennio Morricone pour ses westerns je n’hésite pas à la traiter de pompière, selon moi ce terme n’est guère péjoratif, j’apprécie autant les peintres dits pompiers que les impressionnistes, tout dépend de l’angle d’attaque et du but recherché. On peut aimer ou ne pas aimer mais ce genre de point de vue est totalement doxique et même toxique. L’est certain que comparé à un grand orchestre, ses chœurs tapageurs et ses éclats de trompettes aussi grandiloquentes que celles de l’Apocalypse, la flûte et le maigre appareillage  de nos quatre hors-la-loi ne combattent pas armes égales, mais là n’est pas le but, dans cette ouverture, au sens propre du mot, puisque nous sommes tout de suite plongés dans un magnifique paysage plus western que cela tu mérites une balle dans la peau, ce qu’ils nous préparent ce n’est pas l’attente d’une scène choc, ou l’apparition du héros solitaire  campé sur son cheval dans le lointain, non c’est simplement l’introduction de l’instrumentation rock-doom, elle arrive à pas feutrés, façon crotale qui s’approche de vous sans s’annoncer en agitant sa sonnette tel un lépreux figure déliquescente de la Mort qui vous attend en ricanant, et quand elle éclate vous êtes déjà dans le morceau suivant… Wizard : le morceau est

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    accompagnée d’une Official Lyric Vidéo. Un truc à l’économie, pas du tout inoubliable. L’on ne peut même pas parler d’un plan fixe, doit y avoir un ventilo à fond les pales qui  boursouffle la chemise de l’acteur, un sorcier, disons que ce sont les quatre vents de l’esprit qui l’agitent, ne rigolez pas, quelque part l’on n’est pas loin de la scène finale de La Montagne Sacrée d’Alejandro Jodorowsky, en plus elle correspond parfaitement aux quatre mots par lequel le groupe se définit sur son bandcamp : psychedelic western doom rock – tiens-tiens me disais-je si je devais résumer cette formule en deux mots je dirais ; hippie-doom, et dans mon cerveau s’inscrit en lettres d’or (attention ces trois derniers mots ont leur importance) le titre d’un vieux film El Topo. Par acquis de conscience j’opère une rapide vérif et me tombe sous les yeux le nom du réalisateur que j’avais totalement oublié : Alejandro Jodorowsky qui en a aussi écrit la musique – bref sur la vidéo si vous êtes attentif devant le sorcier qui vaticine en agitant les mains vous avez un livre dont dans les lyrics il est dit qu’il est écrit en lettres d’or. Autre détail, le rebord de plateau composés de dalles de roches superposées auquel notre wizard fait face renvoie à la couve de Filippo Masi, il existe donc une espèce d’interdépendances sysnesthésiques entre les différents éléments de cet opus. L’aspect doomique de la musique n’apparaît fortement que dans la dernière partie du morceau, tout le début sonnant indiscutablement westcoast comme l’on disait dans les années 70 pour qualifier la musique californienne. Les paroles ne sont pas sans résonner avec le scénario d’El topo. Gloria : dans tous les crimes il faut chercher la femme. Pas n’importe laquelle.

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    L’égérie du rock’n’roll. La Gloria des Them. Apparemment rien à voir, n’y a pas qu’une ânesse qui s’appelle Martine, il y a une lyric vidéo, encore moins stylisée que la précédente, un gars de dos qui fait la vaisselle. Encore un plan fixe mouvementé car il n’arrête de remuer les mains dans l’évier et son popotin devant votre nez. L’est content parce que Gloria est le soleil de sa vie… ce n’est ni doom ni hippie, encore moins western, vous avez déjà vu un cowboy faire la vaisselle, l’on est plutôt dans une comédie musicale, une parodie puisque le gars s’amuse à épeler les lettres G.L.O.R.I.A, évidemment ce n’est ni l’urgence de Van Morrison, ni l’air, ni la musique. Disons que c’est le repos d’un guerrier de notre modernité. John Brown’s body : passons aux choses sérieuses, y’a un cadavre dans sa tombe. Pas celui de n’importe qui, celui de John Brown, reprennent un traditionnel, profitez-en pour écouter l’interprétation de Pete Seeger, il s’agit d’un hymne anti-esclavagiste en l’honneur de John Brown ( un blanc) qui décida de se battre armes à la main contre la ségrégation aux USA, il fut pendu haut et court, vite fait mal fait… début morbidoom mais très vite le morceau se transforme en une espèce de gospel un peu tragico-foutraque, on a l’impression d’assister au deuxième tableau de la comédie musicale précédente, Shinola : retour au western pur et dur, la ballade du gars qui va se faire buter, la basse à tire-larigot, un vocal tragique à vous infliger des frissons dans la moelle épinière, une belle scène à la Sergio Leone, guitares ferrugineuses, ce coup-ci ce n’est plus de la comédie, du véritable western-doom, vous voyez déjà les ailes noires des vautours tournoyer sur votre cadavre, un plan séquence parfaitement réussi, tout se passe dans la tête du gars, c’est ce qu’on appelle filmer

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    en intérieur. Goddam Horror Show : doom à mort, ça se passe à cheval, mais les guitares pétaradent comme des motos qui se mangent la main dans une course de côte, une sombre histoire d’amour et de fric, avec un tueur impitoyable qui fait crisser les pneus de sa voiture, le son gargouille un maximum et cacophonise au maximum, le mec est un tueur aussi impitoyable que Lee Van Cliff dans Pour Quelques dollars de plus, sur la fin n’y a plus que le vent qui siffle sur un cadavre abandonné dans les sables du désert. . Vivienne : country-slow, encore un drame, vu par le petit côté de la lorgnette du perdant magnifique qui sait que le bonheur n’est pas pour lui, qui ne fait que passer, que la vie est mortelle et ne peut être vécue que de l’autre côté, voix éteinte et musique clapotante. Death hangs : de pire en pire, après le regret, voici l’agonie, juste aux portes de la mort, grandes ouvertes, le vocal se traîne, s’y mettent à deux pour se donner du courage, le constat amer de l’échec, la drumerie bouscule un peu les adieux, plus de temps à perdre, faut assumer, quand on a perdu, on a perdu. Rien à dire. Rien à vivre.  Quetzalacatenango : quezaco, une véritable symphonie rock, un peu comme au temps du mort reconnaissant, les guitares qui farandolent et se tirent la bourre des cartouches soloïques, la galerie galope, attention, nous entrons dans une autre dimension, c’est un peu comme dans Blue Berry, non pas celui de la bande dessinée de Giraud, l’autre celui de Jan Couen, le film psychedelic qui ne montre rien que l’on puisse raccorder à l’aspect rockambolesque des westerns, tout se passe dans la tête du héros à tel point que vous ne voyez plus que les circuits de parallèles entremêlées d’un cerveau sous acide, z’ont pas l’image pour dessiner les circonvolutions géométriques des réseaux inorganisationnels des circuits neuronaux, ce sont les guitares qui se chargent de les figurer, lorsqu’elles éclatent ça dégouline pas mal de tintouin dans cos tympans, nous voici au cœur de la tourmente schizophrénique, zut les temps de repos sont un peu longs, vous savez ces marécages westcoast, vous sortiez sur le pas de la porte pour discuter avec le facteur, venait-il vous livrer un cercueil ou un aspirateur à rêves, normal vous aviez l’impression que les groupes posaient des rallonges à la table du temps, mais l’on préférait John Wayne dans Le dernier des géants lorsqu’il renversait la table pour que ça canarde un max, bien sûr en bout de compte l’on sait très bien que l’on ne fera pas de vieux os, ou du moins qu’ils seront vite éparpillés et disjoints, balayés par les vents du désert. Morning doom : c’est le titre, mais de fait les paroles sont celles de Morning Dew écrites par Bonnie Dobson, après l’explosion nucléaire le dernier homme essaie de convaincre la dernière femme que tout est fini, comme par hasard le morceau a été repris par Grateful Dead, ce n’est pas joyeux, Jake Hart chante tout doux, c’est l’orchestration qui se charge de l’amplification mélodramatique, d’ailleurs elle entraîne la voix à monter haut pour mieux retomber, l’on a un peu peur que l’ensemble ne devienne Waterloo morne plaine, mais non ils y mettent du cœur, ne vont pas laisser passer le dernier coup de bluff artistique, puisque tout est fini autant négliger de pleurer et finir en beauté, hélas ils n’ont plus la force de faire semblant, l’on n’entend presque plus rien, un tambour  tapoté, une voix un tantinet inaudible, une guitare qui fait du goutte à goutte, pourvu qu’elle ouvre le robinet à fond qu’elle se transforme en cataracte crépitante, qu’elle se métamorphose en déluge électrique, elle nous fait attendre mais enfin c’est parti, ça gronde, ça mord, ça morfle, ça griffe, ça se contorsionne un max, si elle continue elle va enfler comme la grenouille qui veut se faire plus grosse qu’un éléphant… et finir en explosion nucléaire, non ils n’osent pas, ils terminent en infâme gargouillement post-nucléaire.  Grandiose : ils enchaînent sur le final, la guitare sonne un peu comme Ajanjuez mon amour, auquel se mêlent des accoups très acouphèniques du   très Ennio Morricone – peut-être parce que la mort y corne, nous refont au milieu du morceau le coup du silence presque imperceptible, heureusement ils se reprennent, ce coup-ci c’est à la violence tapageuse embrumée de ces rafales de sprays ravageurs de  mélancolie dont le  maître de la musique western vous asperge l’âme qu’ils rendent un ultime hommage. Une dernière image spaghetti.

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             Un disque composite, entre reconstitution historique et parodie, entre doom-doux et influences californiennes évidentes, un difficile équilibre à maintenir, toutefois nos Barons de l’Ouest ne nous servent pas de l’huile de foie de morue indigeste, se tirent plutôt bien de leur mikado stylistique. Si parfois  nous sommes entraînés du côté des théâtres de Broadway, l’ensemble résonne comme un le kaléidoscope soundtrackique d’un film jamais tourné ou dont   il ne resterait hélas que la bande-son, un cliché, deux rushes, peut-être retrouvés par des extraterrestres venus visiter notre planète ravagée par un cataclysme irréversible. Sans doute seront-ils surpris et décideront-ils, après une profonde étude des rares vestiges collectés, qu’il y avait dû autrefois exister et se développer sur ces rochers arides une civilisation incompréhensible mais fort tapageuse. Peu recommandable car trop rock’n’roll, ajouteront-ils.

    Damie Chad.

     

    *

    Franchement je n’ai pas aimé, ni la pochette, ni le nom du groupe, mais comme disait Claude l’habit ne fait pas le Mitchell, par acquis de conscience, peut-être sont-ils grecs ou polonais, mais non même pas, bref ils avaient tout pour que je m’en aille, la vie est trop courte pour s’intéresser à n’importe quoi, un scrupule m’a saisi, j’ai ne sais pourquoi, j’ai daigné, un reste de philanthropie peu habituelle chez moi, écouter trente secondes pour me conforter dans mon peu d’appétence pour cette chose musicale. J’ai coupé le son à la trente et unième seconde, indubitablement ce gente de mixture ne réveillait aucune curiosité  en moi. C’était vrai, la vérité pure. M’en suis allé vaquer à d’autres affaires. A tout hasard je suivais une jolie fille dans la rue lorsque mon cerveau reptilien s’en est venu cogner sa tête contre mon cortex : - Damie tu es sur une mauvaise piste, rebrousse chemin ! J’ai essayé de parlementer, l’infâme reptile  n’en a pas démordu : - Damie, un conseil d’ami, laisse cette fille c’est une déconstruite, écoute-moi je te connais tu tireras une plus grande jouissance de cette viande froide sonore dont tu t’es stupidement détourné, fie-toi à mon jugement, ne suis-je pas un sage conseiller ! J’ai hésité, ce n’est pas que je lui fasse énormément confiance, mais cette satanée bestiole habite depuis si longtemps dans ma boîte crânienne que je suis revenu sur mes pas. Le pire c’est qu’elle avait raison !

    QUITE FRANKLY

    SPACE CADET

    (Bandcamp / Sept. 2025 )

             Si je commençais ma chronique par : très franchement je vais vous causer d’un super-groupe me croiriez-vous ? Ne répondez par : ni oui, ni non. Ne jamais croire, toujours penser ! Surtout qu’entre nous je ne connais même pas un minimum vital de survie sur ce groupe. Mes informations sont maigres : sont des Hongrois de Budapest. Z’ont sorti une démo trois titres en 2018. Ensuite un grand trou, et cet album sept titres. Les indices sont maigres, l’enquête sera longue. La couve de cette démo est assez simple : un cosmonaute. Enfin presque : juste le casque, l’on ne voit pas son visage mais sa pensée, ce qui n’est déjà pas mal. Un petit dessin de cosmonaute debout, sans doute à l’intérieur de lui-même perdu sous la voûte étoilée du cosmos. L’on comprend mieux le titre du premier des trois morceaux ‘’ Mother’’ et l’on pige d’autant mieux qu’ils nous refilent l’intégralité des paroles : Oh Mother Take me home to the black City’’, le deuxième n’est guère significatif : Deux Jeudis. Le troisième est beaucoup plus explicatif  332 années dans l’espace.

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             Je n’étais pas plus avancé, alors j’ai cherché, pas eu besoin d’un tiers de millénaire, en 2024 un film Space Cadet, j’ai regardé le synopsis. Inutile de perdre votre temps un film pour pré-ados pré-idiots. Une jeune fille pas très douée qui passe un concours à la Nasa pour une sortie dans l’espace. Un concours d’heureuses circonstances l’aident à être choisie… je vous rassure malgré un quotient intellectuel pas très élevé elle sera l’héroïne de la mission… Entre parenthèse le début de cette comédie-romance me semble sortir tout droit d’une aventure particulièrement désopilante d’un épisode des aventures de Fantômette de George Chaulet.

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             Une piste plus sérieuse, un roman de Robert A Heinlein sorti en 1948, avec en couverture une superbe fusée interplanétaire Hergé a dû s’en inspirer pour On a marché sur la lune, paru en 1953… Je dis ça, mais ne dites pas que c’est moi qui l’ai dit. Bref une histoire de gamin qui rêve depuis tout petit de faire partie de la patrouille de l’espace. Les enfants ont adoré, l’auteur a composé de nombreuses suites…

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             Certes tout cela est bien beau et se perd un peu partout, au moins savons-nous d’où vient l’expression Space Planet. Me reste plus qu’à entrer dans mon scaphandre céleste et à satisfaire ma curiosité en explorant cet espace planétique inconnu. Je vous préviens on n’est pas là pour rigoler.

             La couve. Nos astronautes sont très fiers de leur couve puisque dans leur court paragraphe d’auto-définition ils déclarent fièrement que tous leurs artworks sont signés par Peter Simor. Me suis rendu sur son site. Premier regard : il se moque du monde. Deuxième coup d’œil : un minimaliste. Troisième vision : pas tout à fait un charlatan ce gazier, en fait chacune de ses illustrations – elles sont comme la matière ponctuée de quelques atomes séparés par de mirobolantes immensités vides – lui c’est le fond de la feuille qu’il laisse vide et parsème de quelques traits, voire de quelques taches, le plus surprenant c’est qu’entre sa réalisation et le thème traité la congruence est parfaite. Nous le définirons comme un minimaliste maximaliste.

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             Revenons à la couve : l’exemple parfait de ce que Peter Simor ne réalise pas d’habitude. Pas un millimètre carré de libre. L’a poussé le vice jusqu’à peindre la pochette du disque d’un marron uniforme de papier d’emballage. La rondelle centrale est pleine comme un œuf. Il n’a même pas pensé à laisser un trou  pour que vous puissiez placer la galette sur votre tourne-disque. Nous retrouvons notre spationaute en train d’explorer une nouvelle planète, ce n’est ni la planète bleue, ni la planète rouge, c’est l’orangée, quelques cactus sur le devant et à l’arrière des ruines que nous qualifierons de médiévales. A moins que ce ne soit notre terre bienaimée après la vitrification nucléaire.

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    Silenus : titre piégeux. Apparemment nous sommes dans l’Antiquité Romaine auprès de Silène, ce Dieu à l’estomac aussi rond qu’un tonneau de vin, joyeux drille ivre du matin au soir, entouré d’un cortège bacchique des plus alcoolisés… oui mais la musique ne correspond en rien à ce tableau de pochards pétris d’ébriété. D’abord est-ce de la musique. Batterie, basse guitare, tout ce qu’il faut pour faire  du rock’n’roll, d’ailleurs c’est bien du rock, même si ça n’y ressemble pas. Tassé et compressé, élagué au maximum, un arbre dont il ne reste que le tronc, une poutre massive sur laquelle rien n’accroche, un pilier qui se suffit à lui-même. Le genre d’objet auquel vous ne pouvez rien retrancher ni ajouter. Etrange ça sonne rock mais ça ressemble à de la musique concrète ou alors à la structure de certains morceaux de Miles Davis, oui mais il aurait laissé sa trompette au vestiaire. L’un d’entre eux chante, il vaudrait mieux qu’il se taise, ce n’est pas que c’est mal chanté, ce sont les paroles, pas de n’importe qui : de Heine, Gérard de Nerval l’a traduit, Heine avait la sagesse caustique : ‘’ Il est préférable pour toi de ne pas naître, de ne pas être, de ne rien être, ou de mourir, le plus tôt possible.’’ Mais ça suffit, encore un adage auquel on ne peut rien enlever ou ôter. A l’image de cette musique. Table : ce deuxième morceau paraît plus lyrique, plus emphatique, le chant sans discontinuer, l’ensemble plus violent. Tout compte fait Heine n’est-il pas un révolté, un romantique, le titre ne reste mystérieux que si vous ne la renversez pas, c’est le démon du nihilisme qui s’exprime ici, un kick out the jam définitif, sans passion, sans  haine ni amour. Un truc qui vous remet au niveau de votre caca, n’est-ce pas Artaud qui disait là où il y a de l’être, il y a de la merde, oui mais là où il y a de la musique qu’y a-t-il ? Altalàban : ce mot signifie ‘’en général’’ en langue hongroise. Se moquent un peu de nous car après les deux premiers morceaux qui sont comme des tables de la loi programmatrice d’une destruction nietzschéenne, des partitions théoriques en quelque sorte, l’on aborde les cas particuliers. Dans celui-ci on aborde les méandres du Moi. Que certains haïssent, mais que Space Cadet ne tient pas en grande estime. Résonnances, étrange un petit côté rock sixties, l’on a l’air de s’amuser, non l’on se moque de soi. Ne pas croire en soi. Ne pas penser en soi non plus, ni à soi encore moins. Morceau méchamment endiablé, que voulez-vous là où il y a du moi c’est comme là où il n’y en pas, il y a de l’émoi. C’est pour cela qu’à la fin du morceau ils cassent à coups de batterie et à grands cris le cœur de ce moi insupportable You say : deuxième cas particulier : après le moi : le moi et le toi. Z’y

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    vont tout  doux, c’est ça l’amour, l’aspect sentimental, en la ferblanterie des réciprocités, tu dis quoi, la même chose que moi parce que je ne vaux pas plus que toi, la mort est au bout du chemin, le chant essaie d’être convaincant et le background s’affole, la mort n’est-elle pas le grand soleil des pleurs, les instruments deviennent ingérables, ils se montent dessus, ils s’engueulent, ils creusent leurs trous, l’on ne devrait jamais se rapprocher, deux trains qui se télescopent, danger de mort souhaité et repoussé car une fois qu’on est mort on ne peut plus désirer mourir. La musique s’emmêle les pieds. Sa manière à elle de ne pas danser. Le train s’enfuit à l’horizon. Banquette vides. Néma Gyakorlat : (Exercices périlleux) : pour brider l’exaltation des moines Ignace De Loyola a composé Les Exercices Spirituels. Hélas notre époque se refuse à ses contritions chrétiennes donc Space Cadet se transforme en coach sportif. Attention inutile de lever dix fois la jambe droite, s’agit avant tout d’une gymnastique mentale. Le Yoga du mécréant si vous préférez. Rythme lent, assouplissements bassiques, S’agit de pénétrer au plus profond de soi pour retrouver la sensation de l’extérieur, communiquer avec le monde avec l’œil du dedans, cela est-il en relation avec nos capacités mémorielles, laissez le vocal méandreux s’insinuer en vous comme le serpent dans la genèse de votre personnalité, la guitare vous partage toute son âme, mais avez-vous encore la vôtre pour lui en offrir la moitié. Interrogation insoutenable. Qui mourra à sa propre solitude verra. Suzie : ce n’est pas tout à fait un slow sixties car la  petite Suzie palpite dans votre cœur, la fois précédente ça n’avait pas marché, mais ce coup-ci le garçon sort les grands mots il y met du cœur, la batterie lui file des coups de pied au cul pour qu’il avance plus vite, la musique se fait caressante, plus besoin de parler, laisse-toi porter par la vague.

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    Ocean : la morale de l’histoire, disons le fin mot de l’histoire, ce coup-ci c’est la musique qui réfléchit, elle dresse le bilan, ne pas se faire d’illusion non plus, le nihilisme même vaincu renaît toujours de ses cendres, les mots sont des puits sans fond, les pensées se défont aussi vite qu’elles se forment, la musique joue au tortillard, elle se moque de toi, elle emprunte son train de sénateur, elle s’attarde, elle se désagrège, elle repart à cloche-pied, style rien ne m’arrêtera jamais, car subsiste au fond de toi ton égo, il est plus fort que ton désespoir, méfie-toi les wagons s’emboutissent l’un dans l’autre, crois-tu que cela suffira pour que je m’arrête, non, eh bien regarde je m’arrête et je repars, encore plus vite et je ralentis, n’aie pas peur je te soufflerai dans l’oreille ce que j’ai à te dire, le grand secret, la guitare serpentine se lance dans des arabesques orientalisantes, faut bien s’amuser si l’on ne veut pas mourir, écoute-moi bien : l’égo n’est que l’autre nom du nihilisme. Multitude de points finaux, puisque le mouvement ne s’arrêtera jamais. Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum ! Ouf, soufflez, respirez !

    De sacrés musicos ! Savent jouer et penser !

    Ça ressemble à un concerto rock’n’roll. Le premier de son espèce.

    Des novateurs !

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 707 : KR'TNT ! 707 : mclusky / TRUE LOVE / NICO / HOLLAND-DOZIER-HOLLAND / F. J. McMAHON / WICKED TRIP / ATOMIC SAMAN / BEACH CRUISER / GENE VINCENT + KANSAS HOOK

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 707

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 10 / 2025

     

     

     mclusky / TRUE LOVE / NICO 

    HOLLAND – DOZIER – HOLLAND

      F. J. McMAHON / WICKED TRIP  

     ATOMIC SAMAN / BEACH CRUISER

        GENE VINCENT +  KANSAS HOOK

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 707

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

     

    L’avenir du rock

     - Unlucky mclusky

     (Part Two)

             Chaque année, l’avenir du rock réunit ses vieux amis autour d’une bonne gamelle. C’est le repas de la confraternité, qu’il prononce en deux mots, con et fraternité, histoire de ne pas prendre ces choses-là trop au sérieux. Et pour donner du caractère à ce rituel, l’avenir du rock choisit chaque année un thème. Cette fois, il s’agit du dada chouchou. Ils sont tous là : Petrus Boring, Walter Polo, Pat Bolognais et Edmond Pelé.

             — Alors, Petrus, quel est ton dada chouchou ?

             — Le skor !

             Une rumeur d’incertitude s’élève de la petite assemblée. Walter demande des précisions à Petrus qui s’écrie joyeusement :

             — Le skor du foot !

             Une rumeur de dégoût s’élève de la petite assemblée. L’avenir du rock tapote son verre avec le plat du couteau pour réclamer un peu de calme et pose la même question à Edmond qui répond :

             — Le skul !

             Il se lève, ouvre sa braguette, sort sa bite, et lance en rigolant :

             — Elle n’en fait qu’à sa tête ! Elle ne vit que pour les plans skul !

             Une rumeur d’approbation s’élève de la petite assemblée. L’avenir du rock se tourne vers  Walter. Même question.

             — Le ska !

             Silence de plomb. Le ska ? Tout le monde s’en fout...

             — Et toi, Pat ?

             Le Bolognais fait son intelligent et lance d’une voix d’harpie mal embouchée :

             — Le ski !

             Tout le monde éclate de rire.

             — T’as encore perdu une occasion de fermer ta grande gueule, mon pauvre Pat !

             Vexé, le Pat rétorque d’une voix sifflante :

             — Alors et toi, avenir du rock, c’est quoi ton dada de merde ?

             — Lusky !

             — Le qui ?

             — mclusky, pour être plus précis. Mais tu ne connais pas...

     

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             Eh oui, amigo, il ne fallait pas rater le train de mclusky Do Dallas en 2002. Mclusky a splitté en 2004 et les voilà de retour avec un petit article dans Vive Le Rock et un nouvel album, The World Is Still Here And No One Is. Vingt ans de blanc ? Andy Falco Falkous explique brièvement qu’à la fin, les trois mclusky ne se parlaient plus. L’ancien bassman John Chapple est parti en Australie, et pas de nouvelles du drummer Matt Harding. En remplacement, t’as deux nouveaux mclusky, dont le

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     bassman fou Damien Sayell. Tu le vois monter sur scène avec sa coupe Robert Plant et ses Doc Martens. Tu sens qu’il n’est pas là pour rigoler. Et pouf ils attaquent avec leur vieille bombe atomique de mclusky Do Dallas, «Lightsabre Cocksucker Blues», véritable modèle d’insanité, ils jouent au no way out et le Petit Bain se met aussitôt à tanguer. Ça hurle dans le chaos de la fin du monde, ces mecs ont le talent de leur

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    folie. Quelle violence ! T’as le bassman fou qui entre en transe. Le numéro de wild-as-fuck est parfaitement au point. Falco Falkous n’a rien perdu de sa hargne. Pourtant il n’est pas épais. Il tape encore dans une sorte d’hardcore britannique qui doit beaucoup à Kurt Cobain et à Frank Black. Ils n’ont aucun des défauts de l’hardcore américain, mais ils ont toute l’énergie d’un rock anglais jusqu’au-boutiste

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    et c’est ce qui fait leur grandeur. Ils se situent exactement dans l’éclat du «Territorial Pissing» de Nirvana. Ils poussent même le bouchon encore plus loin. C’est extravagant de power destructeur, peu de groupes sont allés aussi loin dans le process de la défenestration. On a rarement un Petit Bain aussi explosé de l’intérieur. Chaque cut fout le feu à la Saint-Barbe. Ils tirent aussi «Collagen Rock» de mclusky Do Dallas. Tu les reconnais ces cuts, car tu les portes dans ton cœur. Ils tapent aussi «Alan is A Cowboy Killer» et «Day Of The Deadringers» et chaque fois tu vois le bassman fou friser l’overdose d’adrénaline. Peu de gens sont aussi edgy sur scène. Il

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     va même descendre dans la fosse et faire monter sur ses épaules une petite gonzesse pendant qu’il gratte sa basse et qu’il chante son bout de gras. Comme mclusky Do Dallas était un album exceptionnellement dense, il paraît logique qu’ils tapent dedans à tire-larigot. T’as aussi «Chases» et vers la fin du set, «Whoyouknow». Flabbergasting ! Overwhelming ! Dans les cas extrêmes, les mots anglais fonctionnent mieux. Tim Warren qualifierait ça de smoking beast. Le bassman fou saute tellement dans les tous les coins qu’il finit par éclater son jean au cul. Les McLusky ne font pas semblant. T’as ton shoot d’adrénaline pour l’hiver. Quelle fête ! Tu te retrouves sur les quais de Seine complètement sonné des cloches. Vibré du béton. Classé sans suite. Avalé de travers. Pas de problème, tu vis pour ça.

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             Quand le nouveau mclusky est sorti au printemps, t’as sauté dessus. The World Is Still Here And No One Is était tellement bien foutu que t’as pris la décision d’aller les voir sur scène à la rentrée. Big album, comme tout ce que fait Andy Falco

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    Falkous. La police, les Pistols, le blast, tout y passe, Falco Falkous ne fait pas de détails. Il redit sa haine de la police dans «Hate The Polis», il claque les heavy chords de «Louie Louie», il jette toute sa heavyness dans la balance qui se casse la gueule. The lusky game est intact : ils ont le même power qu’à leurs débuts. Dès «Unpopular Parts Of A Pig», t’as l’infâme tatapoum. Falco affecte sa voix, comme il l’affecte encore dans «People Person», où il sonne comme Johnny Rotten. Belle extension du domaine de la luskylutte. Il tape son «Battle Of Los Angeles» en mode heavy stomp et le plonge vivant dans sa friteuse. Là tu peux dire que ça fait des bulles. Il danse encore avec les loops dans «The Competent House Thief». Il ondule dangereusement des hanches et on entend les dissonances de Killing Joke. Tout est cavalé cul par dessus tête. Tiens voilà l’heavy blues de Falco : «The Digger You Deep». Ah quel pain in the ass ! Ça vrille bien. Falco campe dans sa démesure. Les baraques s’écroulent. Tu t’émerveilles encore de «Not All Steeplejacks», un cut prodigieusement insidieux - It’s never complicated - Ça rampe entre tes jambes. Il t’enfonce «Chekhov’s Guns» dans la gorge et t’as du mal à respirer. Comme t’es bien maso, tu vas aller voir ce tortionnaire sur scène. Pas question de rater ça !

    Signé : Cazengler, mclèchecul

    mclusky. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 6 octobre 2025

    mclusky. The World Is Still Here And No One Is. Ipecac Recordings 2025

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    Where Are They Now? mclusky. Vive Le Rock # 121 - 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - La vérité des True Loves

             Depuis qu’il a croisé des lascars comme Lawrence d’Arabie et Sylvain Tintin, rien ni personne ne peut plus surprendre l’avenir du rock, surtout pas ce hippie qui apparaît au sommet de la dune et qui approche lentement. Il traîne une énorme croix qu’il a calée sur son épaule. Arrivé à quelques mètres, l’hippie fait un signe de la main : le V du peace and love.  Par politesse, l’avenir du rock l’imite. L’hippie est assez beau. On lui donnerait une petite trentaine. Ses cheveux blonds cendrés tombent sur ses épaules, une belle barbe encadre un visage hâlé et son regard clair exprime une sorte de paix céleste. Il porte une couronne d’épines, une confortable robe en coton écru, et juste au-dessus de son crâne, brille une petite auréole. Intrigué, l’avenir du rock lui demande :

             — Vous allez où avec cette croix ?

             — En vérité, je vous le dis, je vais par là...

             — Voulez-vous un p’tit coup de main pour la porter ?

             — En vérité, je vous le dis, vous êtes bien gentil, mais je dois la porter tout seul.

             — Mais ça n’a pas de sens, vous allez attraper un lumbago !

             — En vérité, je vous le dis, lumbago cat go !

             — Ah vous êtes un p’tit malin, vous avez réponse à tout !

             — En vérité, je vous le dis, je suis la réponse que vous attendiez depuis tout ce temps...

             L’avenir du rock sent qu’il perd patience. Il décide d’abréger la conversation :

             — Vous qui savez tout, est-ce que par hasard vous connaîtriez le chemin pour rentrer au bercail ?

             — En vérité, je vous le dis, je suis le chemin, la vérité de la vie...

             — Vous commencez à me courir sur l’haricot avec vos quat’ vérités. Il n’y a qu’une seule vérité qui compte, la vérité des True Loves ! Sur ce, bon vent et bonjour chez vous !

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             La première chose que tu remarques quand les True Loves arrivent sur scène, c’est la veste à franges de Jimmy James. Tu sais ce que ça signifie. Jimmy James est le seul black du groupe. T’as une belle section de cuivres (trombone, sax baryton et

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     sax ténor, trois cracks du boom-hue), un mec au beurre qui ne prend pas les gens pour des cons, un autre mec qui bassmatique en lunettes noires sur une six cordes, et un Latino nommé Ivan aux percus. Au milieu de tout ça, t’as l’intrépide Jimmy James sur sa vieille demi-caisse. Il n’a qu’une petite pédale au pied, zéro frime, ça fait du bien de voir ça. Ça te repose les yeux. Et quand il se ré-accorde, c’est vite fait à l’oreille. Jimmy James est un fabuleux guitar slinger, il peut jouer sec, claquer le funky booty des ghettos, comme il peut jouer gras, l’overwhelming de Jimi Hendrix, le vrai ! Il y a aussi du Buddy Miles dans sa stature de géant, Jimmy James est un

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    musicien hors du temps et hors compétition, il dégouline littéralement de feeling et chaque note qu’il gratte est une offrande aux dieux du rock. Aw my Gawd, si tu veux voir jouer un guitar slinger black, c’est lui. Quand il joue sec, il groove. Quand il joue gras, il fout le feu, tu le vois s’abandonner et faire les grimaces de Jimi. Il déclenche d’ailleurs un déluge hendrixien sur une Strato blanche et sort un son plus vrai que nature sur le thème de «Sunshine Of Your Love». Il est hallucinant de

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    power véracitaire, t’en savoures chaque seconde, chaque demi-seconde, t’ouvres toutes tes écoutilles pour faire entrer cette magie sonique en toi, il vient en droite ligne de Jimi Hendrix et tu lui accordes tout le crédit dont t’es capable, car sa justesse et sa présence sont absolues. T’es tellement à cran que tu crois par instants assister à un miracle. Jimmy James ne frime pas. Il joue. Il rend hommage. Il est béni des dieux. Jimmy James superstar ! Tous ceux qui l’ont vu jouer sur scène le savent.

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             Tu retrouves de beaux instros du diable sur Sunday Afternoon, un Colour Red de 2021 : «Objects In Mirror» qui tape en plein dans les JB’s, avec le power monstrueux de la rythmique funk, et «Robin’s Revenge», un big ramalama avec un Jimmy James qui gratte les accords de funk dans la fournaise. Il gratte encore du big flash de funk dans la purée fumante de «First Impression». Quelle fabuleuse énergie ! Il faut l’entendre gratter son funk dans l’entre-deux. «Yard Birds» se présente comme la porte ouverte à toutes les dérives de bassmatic. Bryant Moore est un bon, on l’a vu gratter sa six cordes sur scène.

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    Signé : Cazengler, True du cul

    True Loves. Le 106. Rouen (76). 3 octobre 2025

    True Loves. Sunday Afternoon. Colour Red Records 2021

     

     

    Wizards & True Stars

     - Nico teen

     

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             Nico est la déesse la plus complète de l’Olympe du rock. Complète, car elle fédère tous les autres grands mythes de cet Olympe : Dylan, Lou Reed, Calimero, Andy Warhol, Jimbo, Brian Jones, Iggy Pop, et ça s’étend jusqu’à Fellini, Philippe Garrel, Delon et John Cooper Clarke.

             Il existe plusieurs moyens d’entrer dans l’extraordinaire histoire de Nico : le premier album du Velvet, l’excellent book de Richard Witts (Nico - Life And Lies Of An Icon) et deux films, un docu de Susanne Ofteringer (Nico Icon), et un film de Susanna Nicchiarelli (Nico 1988). Chacun choisira sa porte d’entrée.

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             Les gens d’un certain âge ont commencé par écouter The Velvet Underground & Nico dans les early seventies, quand l’album fut disponible en France. Puis au fil de temps, on est entré dans l’histoire du Velvet via des books de base comme le What’s Welsh For Zen de Calimero, mais si on veut revenir à l’essentiel, c’est-à-dire Nico, il vaut mieux lire le Witts book ou voir les deux films pré-cités.

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             Coup de cœur indéniable pour Nico 1988. L’italienne Susanna Nicchiarelli a réussi un coup de maître, en recentrant l’histoire de Nico sur sa dernière tournée européenne, en 1987, juste avant qu’elle ne décide d’arrêter les frais et d’aller s’installer à Ibiza avec Ari, le fils que lui a fait Delon et qu’il n’a jamais voulu reconnaître. L’intérêt de ce film est que la petite actrice Tryne Dyrholm campe une Nico plus vraie que nature, et du coup, elle crée une proximité à laquelle le docu ne donne pas accès. La Nico qu’elle incarne est d’une justesse stupéfiante. Un mec la protège, Alan Wise, qu’incarne John Gordon Sinclair, et c’est lui le véritable génie à la fois du film et de l’époque. Susanna Nicchiarelli réussit là l’exploit surnaturel de recréer dans le personnage d’Alan Wise l’aura du premier ange protecteur de Nico, Andy Warhol. C’est un exploit cinématographique extraordinaire, car c’est à la grandeur de ses protecteurs que tu mesures la force d’un mythe comme celui de Nico. Susanna Nicchiarelli fait d’Alan Wise un héros, à part égale avec Nico, et c’est l’exact reflet d’une réalité qui jusque-là nous échappait. Ces deux personnages qui luttent pour survivre artistiquement sont glorifiés par ce film sans prétention. Nico méritait bien ce genre d’hommage. Alan Wise aussi.

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    (Alan Wise)

             Susanna Nicchiarelli utilise des bouts d’interviews que donnait Nico pour la situer intellectuellement. Elle commence par évoquer Jimbo : «Jim Morrison asked me to write down my dreams.» Elle n’a pas fréquenté n’importe qui. On la voit se faire un shoot d’hero dans la cheville et dire à Alan Wise : «Don’t call me Nico. Call me by my real name, Christa.» Okay, Alan va l’appeler Christa, et en retour, Nico va l’appeler Ricky. Bien sûr, à la fin du film, Alan avouera à Nico qu’il est amoureux d’elle, mais elle botte en touche.

     

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    Susanna Nicchiarelli

             Sur scène, on la voit répéter «All Tomorrow’s Parties» et on sent bien qu’elle est à l’origine de tout, comme l’ont été John Lennon et Elvis. Susanna Nicchiarelli a reconstitué le groupe de Manchester qui l’accompagnait pour cette dernière tournée européenne. Elle les traite d’«energy junkies» - All bad, except the violonist - Et puis les extraits d’interviews sont l’occasion pour elle de résumer sa philosophie de la vie  : «I’ve been on the top. I’ve been in the bottom. Both places are empty.» Plus loin elle dira : «I wasn’t happy when I was beautiful». Elle cultive un fatalisme qu’on appelle aussi le dandysme intellectuel. D’ailleurs, elle choisit son camp : «I Can’t stand that word ‘commercial’». Pas question pour elle d’aller vendre son cul. Susanna Nicchiarelli fait aussi pas mal de plans avec Ari. Il est en convalescence à l’hosto suite à une tentative de suicide, et un peu plus tard, alors qu’il accompagne sa mère en tournée, il se tranche les veines. D’où la décision que prend Nico de l’emmener à Ibiza et de décrocher. En montant dans le taxi et en faisant ses adieux à Alan, elle lui demande de veiller sur Ari si elle venait à casser sa pipe en bois. La tournée européenne passe par la Tchécoslovaquie qui est encore sous contrôle russe et on assiste à un  fabuleux plan scénique. Nico savait rocker un boat.

             Elle explique son projet au mec qui partage sa chambre d’hôtel : «My plan is to be a very elegant old woman. Not an old fat junkie.» Même usée par la vie, Nico reste d’une élégance stupéfiante. On lui fait remarquer qu’elle n’a pas beaucoup de succès, alors elle hausse les épaules : «I don’t need to have anybody to like me. I don’t care.» Tu sors de ce film transi d’admiration.

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             Alan Wise était devenu son manager en 1981. Voilà comment démarre le docu Nico Icon. Durant les sixties, Nico est so beautiful qu’elle en devient un freak act. James Young qui jouait de la basse pour elle et qui a écrit ses souvenirs de tournée avec elle dit qu’elle avait des needles tracks all over et qu’elle paniquait à l’approche des frontières. Puis on revient à Fellini et à La Doce Vita. Alors oui, tu peux revoir le film, c’est l’occasion ou jamais. Nico a deux dialogues avec Marcello. On la voit aussi porter un heaume dans une scène ultérieure. Dommage que le film soit si long et que la fin soit ratée. Fellini aurait dû s’arrêter avec le gros poisson pris dans le filet.

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    Carlos De Maldonado-Bostock

             Carlos De Maldonado-Bostock qui a bien connu Nico et qui la vénère dit que Delon était trop vulgaire pour elle, a butcher - She had a detached relevance - Il la voyait déracinée à New York, alone. Elle ne supportait pas qu’on la touche. Puis on entend Ari chanter : «Je suis le petit chevalier/ Avec la terre dessous mes pieds.» Et pouf, voilà Edit Boulogne, la mère de Delon qui a élevé Ari. Dans une scène bouleversante, elle confesse ses moments de désespoir, lorsque son fils Delon lui dit : «C’est lui (Ari) ou moi.» Elle choisit Ari. Elle ne verra plus Delon. Le docu est tellement bien foutu qu’on voit aussi le clip tourné pour le single de Nico sur Immediate : «I’m Not Saying» - Everyone was fascinated.

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             À l’époque de la Factory, Nico est toujours habillée en blanc ou en noir. Danny Fields rappelle que les mecs avaient la trouille de Nico - Boys were scared of her - Ben Voyons. Et puis voilà les images de Jonas Mekas, l’Exploding Plastic Inevitable, le summum de la modernité. Le docu bascule ensuite dans l’univers hermétique de Philippe Garrel, avec l’Ig qui court dans les champs. Puis c’est au tour de Calimero de crever l’écran, il parle du Marble Index comme d’une «contribution to classical music». D’autres personnages clés témoignent : Tina Aumont, Lutz Ulbrich qui évoque les candles de la Rue de Richelieu et finalement Ari, un copy cat de Delon : «My mother is an artist. Do or die. That’s the way she was thinking.»

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             Le plat de résistance est le Witts book. Witts y enfile les noms comme des perles : Delon, Paris, Rome, Dylan, le Loog, Brian Jones, Andy Warhol, Lou Reed, Calimero, Tom Wilson, Jimbo, Hendrix, Philippe Garrel, l’Ig, Baader et même le punk. C’est une chose. Mais le plus important serait de dire que Witts est un auteur remarquable. On est fixé dès la phrase de Cocteau qu’il met en exergue de son introduction : «J’ai toujours préféré la mythologie à l’Histoire parce que l’Histoire est faite de vérités qui deviennent des mensonges et que la mythologie est faite de mensonges qui deviennent des vérités.» Witts résume le mythe Nico. Elle aura passé sa vie à mentir, ou plutôt à s’arranger avec la réalité. C’est un peu comme si Cocteau avait écrit cet aphorisme pour elle. Nico, «the Chelsea Girl, the High Priestess Of Weird, the Sixties Warhol Superstar who ‘turned fat and became a junkie’, as Warhol noted in his diary.» Plus loin, Witts cite encore : «Nico’s voice had been described in Andy Warhol’s Popism as ‘an IMB computer with a Garbo accent’ and more romantically as ‘a fragile lifeline through an inexpressible plague ridden past’.» Warhol la qualifiait aussi de «new kind of superstar - weird and untalkative.» Dans son intro, Witts indique que Delon, Garrel, Lou Reed et les Päffgen de Cologne ont refusé de participer au book. Et Witts d’ajouter : «I have attempted to chronicle a life that linked Fellini with Warhol, Edie with Jean Seberg, Jackson Browne with Sid Vicious, Ernest Hemingway with Allen Ginsberg, Coco Chanel with Betsey Johnson - without falling into the trap of identifying Nico solely through her name-dropping. As my terribly, terribly close, personal friend Iggy Pop said to me only the other day, ‘Nico would go crazy, man’.»

             Te voilà en appétit. Avec un auteur de la trempe de Witts, tu te sens en sécurité. Tu sais qu’il va respecter son sujet, et donc te respecter. C’est la règle d’or des biographies dignes de ce nom. L’auteur met son intelligence au service de son sujet. Witts n’est pas un pauvre con de moi-je. Witts redonne vie à Nico, voilà le prodige.

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             Il attaque par l’enfance et cite Coleridge en exergue. Ce n’est pas hasard, car Nico citait Coleridge à Alan Wise. Après Coleridge, le mensonge. Witts attaque ainsi : «Nico was born a liar». Et pour l’en excuser, il ajoute un peu plus loin : «She never dared reveal to anyone how completely she needed to deceive the world», c’est-à-dire qu’elle n’a jamais osé avouer à quiconque à quel point elle avait besoin de tromper le monde, ou si tu préfères, de déformer une réalité qui ne lui convenait pas. La réalité de son enfance, c’est l’anéantissement de Berlin. En 1945, elle a 7 ans. Elle est déjà dans le punk berlinois des ruines et des cadavres. Viva, une autre superstar, perce le secret de Nico : «Nico was a spicy combination of insecurity and arrogance. The truth was she was an emotional cripple.» Infirme émotionnelle. À l’écoute des petites histoires berlinoises que lui raconte Nico, Viva comprend qu’elle est salement amochée - I realised how badly it had screwed her up - Elle racontait des tas d’histoires terribles, les juifs dans les wagons, le savon fabriqué à partir d’os humains, l’abat-jour fait d’une peau tatouée, le soldat russe qui est apparu à la fenêtre de sa chambre, le couple de Mongoliens qui aimait la voir pisser, les corps décomposés trouvés dans les ruines de Berlin, la pluie à travers le plafond, les pièces frigorifiées en hiver. Qui ne serait pas traumatisé par tout ça ? Et Christa va essayer toute sa vie de transformer son insécurité en indépendance. C’est ce qu’a perçu Viva. Nico va encore plus loin : elle raconte qu’un sergent noir-américain l’a violée quand elle avait 13 ans et que le sergent fut ensuite pendu. Elle racontait cette histoire quand elle était accusée de racisme et elle ajoutait : «Negroes are not like us.» Mais personne ne sait si l’histoire est vraie. Même pas Witts qui se régale à laisser planer le doute.

             Elle va quand même réussir à vivre des jours heureux - From the New Year of 1966 until Warhol’s near death in the summer of 1968, Nico would live ‘the happiest days of my life - ho, ho, ho... -

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    Nico

             Comment Nico est-elle passée des ruines de Berlin à la Factory d’Andy Warhol ? C’est ce que nous explique Witts dans le détail. Ho ho ho ho. Elle a 16 ans, elle pose pour un photographe de mode nommé Tobias à Berlin. Il l’envoie à Paris poser pour Elle. Nico qui s’appelle encore Christa débarque à Paris et s’installe dans un petit hôtel de la place de la Contrescarpe. «The Bad Samaritan» Tobias la confie aux bons soins du «Good Samaritan» Wilhelm Maywald, un photographe de mode qui bosse pour Christian Dior. C’est aussi Tobias qui baptise Christa Päffgen ‘Nico’, car un modèle doit porter un seul nom, lui explique-t-il, et Christa ne convient pas. Ce sera donc Nico. Nico ? Oui, c’est un nom d’homme, celui qu’aime Tobias, un Grec qui vit à Paris : Nico Papatakis. Witts révèle un élément capital : le mythe se construit dans le mythe, à partir de rien.

             C’est à Paris que Carlos de Maldonado-Bostok la rencontre. Il la trouve singulière - Nobody could touch her. She was unfuckable - Quand Nico ne veut pas répondre à une question, elle s’en sort avec un ho ho ho ho. Il affirme qu’il n’y avait rien  de sexuel en elle - She was asexual - Elle ne supportait pas les gens qui disaient : «Écarte les cuisses.» - She didn’t want anyone to touch her cunt - Mais au bras de Maywald, elle semblait fascinante, elle ne disait rien et si on la branchait, elle faisait ho ho ho ho, et on lui foutait la paix.

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             Elle débarque à Rome pour des photos de mode. Le producteur Dino De Laurentiis donne un gros tas de blé à Fellini pour son prochain film et impose un acteur américain, mais Fellini veut Marcello. Nico se retrouve dans La Dolce Vita. Elle a un merveilleux petit échange avec Marcello qui lui demande :

             —What language are you speaking now?

             — Eskimo. Ho ho ho ho ho ho ho...  

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             C’est sur le tournage du Plein Soleil de René Clément qu’elle rencontre Delon. Coup de foudre ? Pour elle c’est sûr, pour Delon, ça l’est moins. Puis ils retournent à leurs affaires, nous dit Witts, Delon à Rome chez Visconti, et Nico à Paris chez Maywald. Nico ‘tombe’ enceinte, et quand elle dit à ses amis qu’elle va aller présenter le bébé à Delon, on lui recommande de faire gaffe, car il est dangereux. Il ne faut surtout pas le faire chanter. Elle baptise le bébé Christian Aaron, c’est-à-dire Ari. Mais Delon n’en veut pas - Nico was devastated - Elle dira de lui qu’il était «a devil with the face of an angel.» Un fantôme de plus de sa vie. Elle est déjà entourée de fantômes : «Maywald, her phantom father, Papatakis, her phantom husband, Maldonado-Bostok, her phantom lover, Tobias, her phantom brother.» Witts la situe admirablement bien. On peut donc la suivre pas à pas.

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             Elle entre dans le cercle magique du rock avec Dylan. Il est à Paris pour rencontrer Hugues Aufray et un ami lui présente Nico. Ils passent du temps ensemble, Witts reste très pudique, puis ils vont passer quelques jours en Grèce. Dylan lui file une chanson, «I’ll Keep It With Mine». Elle le reverra plus tard dans une party à Londres, c’est le Dylan de Don’t Look Back, la tournée anglaise filmée par D.A. Pennebaker. Elle trouve Bob très changé - Bob was completely drugged-up, and moody and arrogant as ever - Dylan porte sa veste en cuir - He looked like a handyman and he wanted to be a Rolling Stone - Nico entre en studio pour enregistrer «I’ll Keep It With Mine», avec Dylan au piano - One rehearsal, one take - Vite fait bien fait. Witts raconte ensuite que Dylan lui joue sa nouvelle chanson au piano - Whaddaya think? He launched into a song at the piano. Nico replied tartly that it was not as good as her song. He had played her «Like A Rolling Stone».

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             Si Nico fricote avec les Stones, c’est parce qu’elle veut rencontrer Andrew Loog Oldham. Elle a entendu dire qu’il cherchait des «girls to turn into stars», alors ça l’intéresse. Elle le rencontre et lui déballe tout, sa relation avec Dylan, La Dolce Vita. Le Loog est intrigué. Il cherche «the supreme female singer», dans le style de Dionne Warwick, de Dusty chérie ou encore de Cilla Black. Il a déjà essayé de lancer une petite black de 18 ans, Cleo Sylvester. C’est à Los Angeles, où les Stones enregistrent «Satisfaction», que le Loog donne sa chance à Nico. Il trouve la compo de Dylan sympa - It’s a great song, but it’s too downbeat for a debut. It’ll make a good follow-up - Il préfère lancer Nico avec un cut de Gordon Lightfoot, «I’m Not Saying». Il va donc lancer Immediate avec «I’m Not Saying», et le fameux single des McCoys, «Hang On Sloopy». 

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             C’est en traînant dans une party à Londres que Nico fait la connaissance de Brian Jones. Il lui dit : «Let’s meet up again and talk careers.» Nico lui répond du tac au tac : «How about tomorrow?». Et voilà, c’est parti. Il lui dit de venir voir les Stones en concert, ce qu’elle fait à Paris, en avril 1965. Elle va vivre trois mois avec Brian Jones. Elle n’y va pas de main morte : «Jim [Morrison] had the best sex I ever had inside me. But Brian gave the best sex, when he could. He took too many drugs. He was like my little brother, and I had to stop him sometimes from destroying everything, including hismelf. At least that was one thing I could do that Anita Pallenberg couldn’t.» Witts ajoute que Brian avait du métier : à la fin de son adolescence, il avait déjà engendré quatre fils avec quatre différentes gonzesses, et deux d’entre eux s’appelaient Julian en l’honneur de son idole Julian Cannonball Adderley. Comme le rappelle Al Aronowitz, le photographe des Stones, Brian tenait une comptabilité de ses conquêtes et ça pouvait aller jusqu’à 64 en un mois. Nico : «He was sexy. He seduced girls. He was charming, until he locked the door.» Nico avoue au passage une préférence pour l’«anal sex» - She said she liked the Turkish way - Et puis voilà l’histoire de la broche que Brian essaye, while tripping, de piquer sur les lèvres vaginales de Nico. Brian aimait aussi couler la cire des bougies sur les seins de Nico et sur son pubic hair. Selon Brion Gysin, Brian prenait toutes les drogues qu’on lui proposait, «whatever, and he’d just swallow them all.» Et bien sûr, Brian Jones initie Nico aux drogues psychédéliques, LSD et magic mushrooms.

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             «I’m Not Saying» est devenu un single culte parce que Brian Jones et Jimmy Page accompagnent Nico en studio. Brian et Jimmy ont un autre point commun : une passion pour Aleister Crowley. On reste dans le tourbillon mythique avec un nouvel épisode : Brian amène Nico à la Factory, sur East 47th Street. Nico file son single Immediate à Andy Warhol. Ce fut nous dit Witts son ticket d’entrée «to fame as Andy Warhol’ new Superstar and the tag Miss Pop 1966.» Brian et Nico iront aussi ensemble à Monterey, et séjourneront avec le couple Oldham. Nico dit qu’au moment de Monterey, Brian n’allait pas bien et qu’il avait des boutons sur la figure. C’est à Monterey qu’elle flashe sur Jimi Hendrix : «He was the most sexual man I ever saw on stage.» Et quand on a retrouvé Brian au fond de sa piscine, Nico a composé une chanson pour lui, «Janitor Of Lunacy». Elle a même demandé aux Stones si elle pouvait chanter au concert d’adieu d’Hyde Park, okay deux chansons, «but I arrived too late anyway.»  

             Witts nous rappelle que Nico avait déjà rencontré Andy Warhol à Paris, en 1965, chez Castel. Et peu de temps après, Nico va le retrouver à New York à la Factory. Nico se présente à lui, et il ne se souvient pas d’elle. Witts ajoute qu’Andy avait alors 36 ans - Warhol was ageless, just as Nico was ageless - Witts nous fait entrer dans un nouveau cercle magique, le Velvet.

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             C’est Paul Morrissey qui amène Andy au Café Bizarre, dans le West Village. Andy trouve le groupe génial, comme tout ce qu’on lui propose - He always said yes. He just wanted something to happen - Morrissey voit en Nico la solution à son problème : il veut manager le Velvet mais il trouve que le chanteur du groupe n’a pas de personnalité. Lou Reed n’est pas encore très à l’aise sur scène. C’est là que germe dans son esprit l’idée de faire chanter Nico dans le Velvet - The singer with ‘no personality’ was Lou Reed, and the solution was ‘the most beautiful girl in the world’, standing right there in the Factory - Andy et Morrissey l’emmènent voir jouer le groupe et «right away, that sour little Lou Reed bristled. He was hostile to Nico from the start.» Le Lou accepte qu’elle chante à condition qu’elle reste séparée : The Velvet Underground - and Nico. Nico grince des dents : «That’s because I was the girl.» Et très vite s’installe une rivalité entre le Lou et Nico. Le Lou fanfaronne à la Factory, il glousse avec les folles de service, il se montre outrageous - Lou tried to compete. Unfortunately for him, Nico could do it better - Et puis un matin, lors d’une répète du Velvet, Nico arrive en retard. Le Lou lui dit «Hello» et Nico ne dit rien. Un peu plus tard, alors que personne ne s’y attendait, elle balance : «I cannot make love to jews anymore.» Le Lou aura du mal à s’en remettre. Il n’empêche que Nico vit avec le Velvet les jours les plus heureux de sa vie. Le Lou l’accepte sur scène à condition qu’elle ne chante que trois chansons. Et que fait-elle quand elle ne chante pas, demande-t-elle au Lou qui répond : «Nico you can always knit.» I said he could go to hell. He looked around and said, «Well where do you think we are now?» - Sur scène avec le Velvet, Nico reste de marbre. Elle ne bouge pas et ne sourit pas. Elle est la Femme Fatale.

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             Personne ne veut de la démo du premier Velvet. Ni Elektra, ni Atlantic. Andy est choqué : «Other people succeed who have no talent. Here we are with you gorgeous people and we can’t make it.» Jusqu’au moment où un certain Tom Wilson, A&R chez Verve/MGM, flashe sur Nico - I think Nico’s great. I’ll buy the tape off you - C’est Nico qui l’intéresse. Entre le moment où il achète la démo du premier album et sa parution en mars 1967, un an va passer. Tom Wilson veut un single avec Nico. «Sunday Morning» ? Okay. Mais le Lou chante à la place de Nico - He sang it! The little creep - Tom Wilson couldn’t deal with Lou, he just took what came. Mais il va faire revenir Nico en studio pour qu’elle y chante un couplet. Nico ne dira jamais trop de mal du Lou car il lui a écrit trois de ses plus belles chansons, «All Tomorrow’s Parties», «I’ll Be Your Mirror» et «Femme Fatale». Mais elle capte trop l’attention, et le Lou la vire du Velvet - The newspapers came to me all the time. That’s how I got fired - He couldn’t take that anymore. He fired me and then he fired John Cale - Elle aura aussi une aventure avec Calimero.

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             C’est Jac Holzman qui propose à John Cale de produire Nico - The first golden opportunity - Calimero dit qu’il a produit, composé et joué sur quatre de ses albums, dont le premier, Chelsea Girl, produit par Tom Wilson. Fantastique personnage que ce Tom Wilson, qui a déjà produit «Like A Rolling Stone» et qui a rendu célèbres Simon & Garfunkel. Jackson Browne : «He was a very charming man who didn’t seem to take anything seriously.» C’est sur Chelsea Girl qu’on trouve l’«I’ll Keep It Mine» qu’offrit Dylan à Nico. Calimero ajoute que Chelsea Girl est l’album le plus accessible de Nico, et celui sur lequel il n’est pas le plus présent. Calimero n’a composé que «Winter Song» et «Wrap Your Troubles In Dreams», et co-écrit deux cuts avec le Lou et Sterling, «Little Sister» et «It Was A Pleasure Then». Lou et Sterling ont écrit le morceau titre.

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             «Chelsea Girls» (avec un s, contrairement au titre de l’album) est un ensorcellement, un cut très Velvet dans l’esprit, c’est-à-dire anti-conventionnel, beau mais insolent, et c’est surtout une fabuleuse drug song - Dropout, she’s in a fix/ Amphetamine has made her sick/ White powder in the air/ She’s got no bones and can’t be scared - On sent la patte du Lou et du Walk On The Wild Side. Et puis voilà l’excellent «I’ll Keep It With Mine» gratté à coups d’acou, soutenu par des violons, pur jus Dylanex. Qu’existe-t-il de plus mythique qu’un cadeau de Dylan chanté par Nico ? T’es vraiment content d’avoir cet album dans les pattes. Par contre, elle chante certains cuts à l’accent malade de Berlin («These Days»), mais c’est presque beau, on sent une volonté de beauté virginale. Elle finit par te hanter la calebasse avec le «Little Sister» signé Lou & Cale, même si elle flirte avec l’esprit harmonium qui finira par la rendre insupportable. Elle adore grincer dans les ténèbres. Elle refait du Velvet avec «It Was A Pleasure Then», elle plane comme un vampire sur l’esprit du Velvet, c’est très avant-gardiste, co-écrit par Lou & Cale, très anti-commercial, gorgé de bruits incertains et de feedback. Elle exagère ses graves germaniques. Il est évident que son grain de voix a fasciné Andy, elle est baroque dans l’âme, elle ramène toute la profondeur séculaire des Chevaliers Teutoniques dans sa verve glacée, d’où cette résonance si particulière dans l’univers frivole de la Factory. C’est dingue comme elle est glacée. Diva teutonique  ! Ses accents te glacent les sangs. Dans «Wrap Your Troubles In Dreams», elle est suivie par la flûte de Fellini, pour lequel elle a tourné. C’est un monde étrange d’art total. Elle pose son chant sur l’autel pour le sacrifier. Elle fait bien le lien entre le Velvet et le cinéma. Elle ne te laissera jamais indifférent. Jamais. Par contre, Nico ne supporte pas la flûte qu’a ajouté Tom Wilson sans la prévenir - I cried when I heard the album. I cried because of the flute. I hate it so much.

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              Côté cinéma, Nico tourne The Chelsea Girls avec Andy - The most famous underground movie ever made - un film qui va provoquer autant de réactions que La Dolce Vita. Dans La Dolce Vita, elle rit tout le temps, et dans The Chesea Girls, elle pleure tout le temps - I think that is the only difference.

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    Valérie Solanas

             Witts évoque bien sûr le shooting de Valerie Solanas qui se pointe chez Andy «with two serious guns in her paper bag». Andy est ramené à la vie par un chirurgien et va vivre 19 ans de plus, «but he was never Andy again, he was like a silkscreen of himself.» Witts rappelle aussi qu’Andy et Robert Kennedy ont été dégommés le même jour. Comme elle l’a fait pour Brian Jones, Nico décide d’écrire une chanson pour Andy, «The Falconer», sur laquelle Calimero joue du piano.

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             Quand elle est virée du Velvet, Nico attaque sa «carrière solo», comme on dit. Witts a l’esprit pratique : «If the group could do without her, she could do without the group.» Elle a déjà quelques chansons : une de Dylan, une de Gordon Lightfoot, une de Jimmy Page et quatre de Lou Reed. Pas mal pour un point de départ. Elle chante au Dom, accompagné soit par Sterling Morrison, soit par Calimero. Tim Buckley l’accompagne aussi. Puis Ramblin’ Jack Elliott, Jackson Browne, et Tim Hardin - Poor old Tim, we called him Tim Heroin.

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             En 1967, nous dit Witts, Nico a passé le summer of love «with Jim Morrison, and when she wasn’t with him, with Brian Jones, and when she wasn’t with them, with Andy Warhol making films or with Tom Wilson making records.» Nico déclare qu’elle était comme Jimbo et Brian Jones, une bohémienne - We were Bohemians, not hippies. Do you understand the difference? Bohemians know they are not hippies, but hippies don’t know they are not bohemians - Elle explique ensuite que les hippies cherchent toujours à vendre quelque chose, de la dope, du patchouli ou eux-mêmes. De toute façon, les New-yorkais ne supportaient pas les hippies.

             Nico oublie souvent de se laver. Viva : «She’d smell like a pig farmer sometimes, she washed so little.» Elle porte aussi des grosses bottes espagnoles, des pantalons de cosaque et une cape.

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    Percy Bysshe Shilley

             Elle passe donc le summer of love de 1967 avec Jimbo. C’est Danny Fields qui manigance la rencontre : «Morrison and Nico would be Adam and Eve in the Summer of Love.» Mais ils passent leur temps à se battre. Ils font un sacré ramdam dans leur chambre d’hôtel. Nico appelle Jimbo son Soul brother - I think he was the first man I met who was not afraid of me in some way. We were very similar, like brother and sister. Our spirits are similar - Jimbo initie Nico à William Blake et à Shelley - I preferred Coleridge. In fact, he is my favoured poet of all time. Did you know they were all drug addicts? Coleridge was addicted to opium - Danny Fields est fasciné par ce couple : «They were both icy and mysterious, and charismatic and poetic and deep and sensitive and wonderful.» Nico dit aussi que Jimbo prenait des drogues «because he wanted visions for his poetry.» Ce même été 1967, Nico va de Jimbo à Brian Jones. En fait, cet été-là, elle a fait la tournée des grands ducs : chez Paul McCartney à Londres pour plusieurs semaines, puis à Boston avec Andy et le Velvet Undergound, puis elle est allée rejoindre Brian Jones à San Francisco avant de redescendre retrouver Jimbo à Los Angeles. Conte de fée ! Nico se souvient qu’elle se battait avec Jimbo «because we were drunk and we enjoyed the sensation. We made love in a gentle way, do you know? It was the opposite to Brian Jones.» Elle dit aussi que Jimbo et elle ont échangé du sang - I carry his blood inside me. When he died, I told people that he wasn’t dead, this was my meaning - Elle avoue surtout qu’elle en était amoureuse - But we took too much drink and too many drugs to make it, that was our difficulty. Everything was open to us, there were no rules. We had a too big appetite - C’est aussi l’année où les Doors décollent avec «Light My Fire». Nico passe ses nuits dans le désert «with the nation’s number one pop star», son Soul brother qui l’a initiée à Coleridge, Shelley et Blake et qui a autant de respect pour sa beauté que pour son esprit. Selon Witts, la relation ne dure qu’un mois. Trop intense. Trop de trop. Elle ne reverra Jimbo qu’une seule fois, à Paris, alors qu’elle marche avenue de l’Opéra. Elle voit passer une black car, avec Jimbo assis à l’arrière, mais il ne l’a pas vue. Il va casser sa pipe en bois le soir-même - And then you can say that heroin became my lover.

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    Nico, Philippe Garrel

             L’hero est omniprésente dans ce book. Elle voit les drogues comme «the finest alternative to society.» Elle commence à tester l’hero en 1968 ou 1969 - Heroin is a seduction. It is like loving someone you hate - Elle va commencer à s’enlaidir - I don’t want to be beautiful any more - C’est l’époque Philippe Garrel. Garrel et elle fréquentent des «artistic couples», «from John & Yoko to Pallenberg & Richards» qui les initient au fix. Dans Gentons Plus La Guitarre, Garrel accuse Nico de l’avoir entraîné dans l’enfer de l’addiction. Il s’en est sorti, pas elle. C’est sa version, nous dit Witts. Pour Nico, c’est le début de la fin : «She was dependant on drink, drugs, deceit, and - worst of all - money.»

             En solo, Nico montre un faible pour les bougies et le Moyen-Age. Witts appelle ça the Chapel of St Nico. Elle devient une artiste, elle chante les chansons qu’elle compose - I could be a poet or a songwriter, and I continue as this, in a seditious way. But what other way to do these things? - Leonard Cohen fait partie de ses premiers admirateurs. Witts : «Leonard Cohen the singer owed as much to Nico, as Bob Dylan the singer owed to Woody Guthrie.»

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             Nico enregistre un deuxième album, The Marble Index. Pour être sûre qu’on ne mettra pas de flûte dans ses chansons, elle demande à Calimero de produire l’album. Mais ce n’est pas de tout repos. Calimero dit qu’il passe son temps à se battre avec Nico en studio - We always had fights, physical at times - Et puis à la fin, Nico pleure devant tant de beauté, car certains cuts sont éblouissants - The crying-fighting business happened on every project we did together - C’est grâce à aux arrangements qu’il écrit pour The Marble Index que John Cale va devenir producteur pour le compte d’Elektra et produire l’album des Stooges. Frazier Mohawk supervise l’enregistrement de The Marble Index, Cale signe les arrangements. Bon, l’album reste du Nico, avec un son bien germanique et bien glacial. Un album de Nico, ça s’explore. Quand tu explores, tu trouves parfois des mines d’or («Evening Of Light») et d’autres fois des peaux de banane. Calimero ramène toute son énergie avant-gardiste dans ce prodigieux tas de mormoille. Avec «No One Is There», elle ne fait pas du Velvet, mais de l’anthropologie vénale. C’est violonné à l’aube des temps, elle pousse sa supplique dans un désert glacé. Elle est très teutonique. Ça ne pouvait que plaire à un Gallois. «Ari’s Song» est flûté dans l’esprit de Fellini, noyé dans un brouillage de piste intense, elle y va au sail away my little boy, elle s’égare dans un entre-deux d’infra-sons, c’est trop avant-gardiste. T’as du mal à entrer dans son weirdy weird, Calimero en rajoute une caisse et Frazier Mohawk valide tout. C’est vrai que Jac Holzman s’est lancé dans de drôles d’aventures : Nico, et puis Jobriath qu’il a regretté. Si un violon grince dans «Julius Caesar», il ne peut s’agir que de Calimero. Nico finit par établir une sorte de statu quo entre la beauté et l’étrangeté, et le violon n’en finit plus de tournicoter autour du chant. Nico s’établit quelque part entre le rêve et la réalité. Elle semble planer comme une brume matinale en Sibérie. Tout est figé dans un air glacial. Calimero : «Nico was like a European gargoyle. She really was unique. There was nobody doing that sort of gothic folk stuff. It was like something of another age, or another planet.» Le problème avec Nico, c’est la ponctualité. Calimero lui demande de se pointer au studio à 14 h, elle arrive à 17 h. Ou si elle arrive à 15, h, elle passe deux heures dans la bathroom à se remaquiller. Quand Calimero lui demande si elle a un problème avec le temps, Nico lui répond : «No, when I was in the Actors Studio, Elia Kazan told me to do things in my own time. I took it at his word.» Calimero finit par piger le truc : «On pouvait finir par croire qu’elle n’était pas très professionnelle ou qu’elle se conduisait de manière égocentrique. Not so. The timing of everything was immaculate. It was elegant, and everything that was done was done very beautifully - and very late.» Calimero dit aussi qu’elle avait une horloge interne. Pour les textes, elle suivait le conseil de Jimbo, elle écrivait ses rêves, «often opium-fed like those of Coleridge.» Mais à la fin, Nico est ravie. Elle en pleure de joie. Elle a le sentiment d’avoir fait «something extraordinary». Ils ont cette relation magnifique. Calimero dit que ce sera leur mode de fonctionnement jusqu’au bout : «OK, let’s have a fight  now, then the tears, get it over with while we’re sober... and then get down to the music.»

             Mais les albums solo ne marchent pas très bien. Nico n’a pas de manager. Elle en parle à Calimero qui lui répond : «Nico, how could you sell suicide?»

             Et pourtant, elle garde une vision claire de ce qu’elle veut faire : «My songs are visionary. They are ceremonial. Everything is a ceremony of death, in the end.» Écrit-elle ses textes en lettres gothiques, à la lueur d’une chandelle ? Witts s’amuse bien, tout en la respectant.

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             Pour enregistrer The End à Londres et accompagner Nico, Calimero fait appel à Eno et Phil Manzanera. Quand l’album sort en 1974, the reviews reached rock bottom - Nico, as miserable as ever, titre le Melody Maker.   

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             S’ensuit Desertshore. Tu grelottes encore, malgré le réchauffement climatique. «Janitor Of Lunacy» est bien chargé de glaçons. Calimero se régale. Le joli son de «My Only Child» résonne dans l’écho du temps. Et c’est Ari qui chante «Le Petit Chevalier». On entend bien sûr le violon de Calimero dans «Abschied», et il joue du piano magique dans cette merveille qu’est «Afraid». C’est aussi sur cet album que se trouve «The Falconer», la chanson qu’a écrite Nico en hommage à Andy. Avec «All That Is My Own», Nico plonge dans des temps très reculés. 

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             On retrouve Nico sur l’album live enregistré au Rainbow le 1er juin 1974, avec John Cale, Eno et Kevin Ayers. Sur la pochette, on les voit tous les quatre, dûment agglutinés. Bon, le balda n’est pas terrible, Eno fait son cirque avec «Driving Me Backwards» et «Baby’s On Fire». Il s’en donne à cœur joie et il connaît toutes les ficelles de caleçon. Mais on n’est pas là pour entendre ses conneries, et encore moins celles de John Cale qui vient nous pomper l’air avec son maudit «Heartbreak Hotel». Ça empire encore avec Nico et son harmonium : elle massacre le beau classique des Doors, «The End», accompagnée par Kevin Ayers, Calimero, Eno et Robert Wyatt. Kevin Ayers se tape la B à lui tout seul.

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             Nouvel épisode des aventures de Nico : Philippe Garrel. Sa vieille copine Tina Aumont tourne à Paris dans Le Lit De La Vierge, un film de Philippe Garrel (fils de Maurice Garrel), avec Zouzou et Pierre Clémenti. Garrel a besoin d’une bande son pour son film et comme il a flashé sur The Marble Index, il propose le deal à Nico qui lui refile «The Falconer». C’est là que démarre une relation qui va durer neuf ans, «for good or ill, and mostly ill», ajoute Witts qui ne rate pas une occasion de sonner les cloches du destin. C’est sa force. Il ajoute : «Garrel was three years younger than Nico, but no less weird.»  À 25 ans, Garrel a déjà tourné six films. Un critique dit que «Garrel was more avant-garde than Godard. By that I mean he could be even more boring.» Quand elle amène Garrel à New York, Morrissey est horrifié pat son apparence, elle qui fut si beautiful. À Paris, ils vivent rue de Richelieu, sans meubles, sans électricité, sans gaz, volets fermés, et une montagne de mégots et de paquets de cigarettes vides. Sont-ils un couple ? - It was more an affair of lovers of heroin - Quand Lutz Ulbrich découvre ce désastre, il décide de rentrer à Berlin. Puis les chemins de Nico et de Garrel vont se séparer. Mais quand Nico casse sa pipe en bois, Garrel se rend aux funérailles - One of the few to bother.

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             L’autre True Star qu’elle fréquente c’est bien sûr Iggy Pop. Lorsque Calimero enregistre les Stooges à New York, elle se pointe au studio et s’assoit à côté de lui pour tricoter. Elle ne savait pas trop quoi tricoter, mais elle avait décidé de tricoter un truc en noir. À travers la vitre de la cabine, Iggy voyait Calimero vêtu d’une cape noire et Nico tricoter. Iggy se demande ce qu’il fout là. Mais il flashe sur Nico - She was simply incredible - Ils démarrent une relation de quelques semaines. Nico l’initie à trois choses : L’Enfer de Dante, le Beaujolais et l’oral sex. L’Ig : «One day we were in bed together and she said; ‘Jimmy you can do something for me...’» Puis l’Ig l’emmène dans la baraque qu’occupent les Stooges dans un champ de maïs du Michigan. Elle va y rester trois semaines. Les autres Stooges se mettent à parler avec des accents allemands, histoire de la chambrer. Nico leur fait la cuisine : «You boys need feeding. I will make you a nice rice ratatouille.» Quand ils vont faire des courses dans le patelin voisin, elle demande à l’épicier : «Dooo you haffft Beaujolais?». L’ig avoue aussi que «We Will Fall» est une chanson à propos de Nico. Elle lui joue aussi la chanson qu’elle a composé pour Brian Jones, «Janitor Of Lunacy».    

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    ( Eddie Sedgwick and Andy Warhol)

             En 1970, elle perd quatre membres de sa famille : sa mère, Jimi Hendrix, Edie Sedgwick et Jim Morrison. Puis elle se met à voler de l’argent chez les gens qui l’invitent. Si elle est prise en flag, elle dit que c’est pour rire. A joke. Elle n’a plus un rond. Elle admire aussi Baader. Elle lui consacre une chanson sur The End. Tout cela est extrêmement bien documenté. Witts abat un travail de titan.

             En 1977, elle reprend espoir grâce au Punk - It was like a change of atmosphere. The music was heavy metal - it was the same thing we had heard for nearly ten years, but it was like heavy metal played by the Velvet Underground, kind of amateur - Mais elle ne plaît pas aux punks. Quand Nico joue en première partie de Siouxie à Cardiff, la foule lui gueule «piss off!». Soudain, une canette de bière la percute en pleine gueule. Couverte de crachats, elle se lève et gueule : «If I had a machine gun, I would shoot you all.» Terminé avec le punk.

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             De fil en aiguille, Nico se retrouve à sec : sans manager, sans comptable, sans compte en banque, sans économies, sans bien immobilier, juste un peu de cash pour acheter de la dope. Et pour corser l’affaire, elle vient de se faire virer par Island pour racisme. Elle avait en effet raconté qu’elle n’aimait pas les nègres. L’explication arrive : «Never buy (dope) from black men.» Elle raconte en effet qu’elle s’est souvent fait rouler la gueule en achetant de l’hero qui n’était pas de l’hero à des blackos. Elle va rester sans contrat pendant dix ans. Puis elle entame une relation avec Lutz Ulbrich, qui devient son homme à tout faire - She needed to work in order to buy heroin, she needed heroin in order to work.

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             Elle parvient à décrocher un deal avec CBS pour enregistrer Drama Of Exile avec un groupe. CBS lui demande de se désintoxiquer et d’aller mieux. Elle va mieux puisqu’elle tape deux covers de choc, à commencer par l’«Heroes» de Bowie - Aïe Aïe/ Woud be kaïng/ And you/ You woud be queen - Elle le fait à sa façon. C’est comme si Bowie rejoignait enfin le Velvet. Elle établit la jonction, for ever and ever. Dommage que l’orgue sonne un brin new-wave, mais t’as des belles remontées de basse. Elle donne du poids à l’aspect mythologique des choses. L’autre cover du diable est celle de «Waiting For The Man». Elle le prend à la gorge - Hey white boy/ What you do in our town - New York City sound, énergie fondamentale, comme si tu comprenais tout, le Lou dans son quartier. Elle lui rend un bel hommage. Comme elle est accompagnée par un groupe, elle est moins paumée qu’avant. T’as un guitariste bavard derrière Nico, ça meuble. Elle chante son rock d’une voix de Belphégor. Elle fait du Nico pur avec «Henry Hudson» et ça vire hypno sur une belle boucle d’orgue. Elle brille d’un éclat encore plus sombre dans «Sixty Forty». Franchement, t’es ravi d’écouter cet album.

             Alan Wise est choqué de la trouver dans l’état d’une «40-old year junkie» sans un rond qui dort sur le plancher des gens qui l’hébergent. Elle parle très bien de tout ce bordel : «My mind and my life are two different things. My mind is called Christa. My life is Nico. Christa had made Nico, and now she is bored with Nico because Nico is bored with herself. Nico has been to the top of life and to the bottom. Both places are empty.»

             Alan Wise essaye de l’aider, il la sort de la misère noire, il la fait respirer, marcher, boire, jouer et voyager. Elle donne pas mal de concerts. Mais tout le blé que ramasse Nico repart en hero.

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    ( John Cooper Clarke )

             Elle finira donc par en avoir marre, par oublier les textes de ses chansons. Elle va monter sur scène défoncée à la methadone et à la bière. Quand elle s’installe pour chanter avec son harmonium, on lui tire dessus avec un pistolet à eau. Elle boit comme un trou et se met à enfler - For five years, Nico was a junkie. She lost her son, her money, her record contract, her audiences, her dignity and any sense of direction - Elle partage même ses seringues avec Ari. Le seul qui sera capable de l’aider sera bien sûr Alan Wise qui l’invite au réveillon de Noël 1983 chez ses parents. Elle arrive en retard, et la dinde a brûlé. Elle s’excuse : «I’m sorry I’m late, but I couldn’t find a vein.» Elle vit alors à Brixton, elle roule en vélo et partage un appart avec un autre client d’Alan Wise, John Cooper Clarke. Clarke venait de désintoxiquer, mais ça n’a duré que quelques jours. Avec Nico dans les parages, ça ne pouvait pas durer.

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             Elle enregistre un dernier album, Camera Obscura, produit par John Cale. Tu l’écoutes attentivement, car après, c’est fini. Le balda sonne un peu expérimental, mais c’est logique, vu le profil des deux ex-Velvets. T’as aussi Graham Didds aux percus et James Young aux keys. Nico chante à la surface du néant. Elle travaille toujours la même matière vocale. Avec «Win A Few», elle vise une certaine hypno paumée dans la banquise. Puis elle tape une version complètement décadente de «My Funny Valentine». C’est l’American Songbook revu et corrigé par Belphégor. Ian Carr joue un peu de trompette. Inutile de dire que le cut fascine. La viande se planque en B. Nico arrive sur le tard de «Fearfully In Danger» et ça vire belle hypno, dans l’esprit de Calimero. Graham Didds amène «My Heart Is Empty» au big pounding et ça décolle, Nico est comme transportée. Didds est un bon, il bat dans le dur. Nouvelle surprise avec «Into The Arena», traversé par de violents coups d’indus et là t’as tout ce que tu peux attendre d’un grand cut mythique : les percus, la perdition calimérique et la trompette de Ian Carr. 

             Alan Wise et Lutz Ulbritch se sont occupés des funérailles.

    Signé : Cazengler, (gros) Nicon

    The Velvet Underground - The Velvet Underground & Nico - Verve 1967

    Kevin Ayers, John Cale, Eno, Nico. June 1, 1974. Island Records 1974

    Nico. Chelsea Girl. Verve Records 1967

    Nico. The Marble Index. Elektra 1968

    Nico. Desertshore. Reprise Records 1970

    Nico. Drama of Exile. Aura 1981

    Nico. Camera Obscura. Beggars banquet 1985

    Richard Witts. Nico - Life And Lies Of An Icon. Virgin Books 1993

    Susanna Nicchiarelli. Nico 1988. DVD 2020

    Susanne Ofteringer. Nico Icon. DVD 2001

     

     

    Wizards & True Stars

     - Holland/Dozier  / Holland of 1000 dances

     

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             Les gens d’Ace nous refont le coup de la compile qui tue les mouches avec A Different World: The Holland/Dozier/Holland Songbook. Même si tu voulais l’ignorer, tu ne pourrais pas.

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             Comme d’usage, les gens d’Ace s’adressent aux becs fins, c’est-à-dire aux amateurs de bonnes chansons. On ne demande généralement pas grand-chose, juste de bonnes chansons. C’est à peu près la seule chose qui puisse nous rendre heureux. Ceux qui ont vécu l’âge d’or des radios dans les sixties le savent. Ce sont les bonnes chansons qui te formatent la cervelle. Des gens comme John Lennon, Brian Wilson, Bob Dylan ou encore Syd Barrett furent pour nous autres les ados d’antan ce que les dieux de l’Olympe furent aux Grecs anciens : des obsessions religieuses.

             Les bonnes chansons ne tombent pas du ciel. Il te faut des poules aux œufs d’or. Cot cot ! T’as les cakes de choc, comme ceux déjà cités, et t’as ceux qu’on appelle les dream teams de rêve, comme par exemple Lennon/McCartney, Jagger/Richards, Burt/Hal David, Isaac le Prophète/David Porter, les couples du Brill (Mann & Weil, Goffin & King, Ellie Greenwich & Jeff Barry), Leiber & Stoller et puis le trio le plus puissant de son époque, Holland/Dozier/Holland.

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    Tony Rounce

             C’est exactement la même chose qu’avec la série Black America Sings Lennon/McCartney : t’es au maximum de ce que tu peux attendre d’une compile : qualité des compos et qualité des interprètes. T’as 24 bombes/24, 7 jours sur 7. T’es gavé comme une oie. En plus Tony Rounce signe les liners. Tu t’installes sous ton casque et tu pars en voyage au pays le plus parfait de la terre, celui de la magie pop.

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             Rounce : «For UK devotees, Motown  dictated the soundtrack of our lives.» Jean-Yves l’a toujours dit : les Anglais étaient en avance sur tous les autres, parce qu’ils étaient des spécialistes de la Soul. À l’époque où les kids anglais écoutaient les Miracles et les Who, les Français écoutaient Johnny Hallyday et Sheila. Rounce ajoute qu’Holland/Dozier/Holland étaient très jeunes à l’époque et donc parfaitement habilités à créer «The Sound Of Young America», qui fut le slogan de Motown. Rounce rappelle qu’en outre, la concurrence en matière de songwriting était féroce chez Motown : t’avais Smokey Robinson, Mickey Stevenson & Ivory Jo Hunter, Norman Whitfield et Barrett Srong, et d’autres encore, mais moins connus, comme Harvey Fuqua. Rounce renvoie bien sûr aux deux autobios de base, celle de Lamon Dozier, How Sweet It Is: A Songwriter’s Reflections On Music, Motown And The Mystery Of The Muse, et celle des frères Holland, Come On And Get Those Memories, sur lesquelles on s’est longuement penché, ici même, sur ce bloggy-bloggah. Le dream team de rêve a quitté Motown en 1968 pour lancer Hot Wax et Invictus, deux catalogues de choc sur lesquels on s’est encore plus longuement penché. On finit par passer sa vie à se pencher. Pendant ce temps-là, on ne fait pas de conneries.

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             Rounce attaque avec le maverick Donnie Elbert et sa version spectaculairement spongieuse du «Where Did Our Love Go» des Supremes. Le Donnie vivait alors en Angleterre. Il enregistrait pour All Platinum Records, le label de Joe et Sylvia Robinson. Comme ça a bien marché, l’Elbert a continué de taper dans les hits d’Holland/Dozier/Holland, avec «I Can’t Help Myself». Il faut écouter Donnie Elbert ! Il groove le sucre des syllabes. On croise ensuite Chris Clark avec «Love’s Gone Bad». Pour une blanche, elle s’en tire bien. Elle a tout le Motown power derrière elle. Rounce dit que les Funk Brothers «played out of their skins» sur cette bombe atomique. On a déjà croisé Chris Clark inside the goldmine, bien sûr. Et puis voilà le «Jimmy Mack» de Martha & The Vandellas. Selon l’anecdote bien connue de tout un chacun, Billie Jean Brown, the Motown head of quality control, détestait ce «Jimmy Mack» et avait voté contre. Quand Berry Gordy a demandé à écouter tout le rebut des Vandellas en 1966, il est devenu fou de rage (ballistic) quand il a découvert qu’on avait mis «Jimmy Mack» au placard. Rounce a opté pour la version stéréo qui est nettement moins punchy que la mono, et on perd l’effet sonique qui en fait la grandeur - Can you hear me Jimmy - On attaque à la suite l’âge d’or des duos de Marvin. Il devait duetter avec Mary Wells qui venait de quitter Motown en claquant la porte, alors c’est Kim Weston qui l’a remplacée. Kim était alors la femme de Mickey Stevenson, le producteur de «Baby I Need Your Loving». Marvin & Kim sont des diables de pureté black. Stevenson va lui aussi se fâcher avec Berry Gordy et claquer la porte en embarquant Kim avec lui. Marvin se retrouva seul pour duetter, mais pas longtemps, nous dit Rounce : Tammi Terrell rôdait dans les parages. Et puis voilà Brenda Lee qui, en 1985, chante «How Sweet It Is (To Be Loved By You)» d’une main de fer. Rounce se fourvoie ensuite avec Gloria Gaynor et une cover foireuse de «Reach Out I’ll Be There» - one of Motown’s biggest hits of all time - Et pourtant, ce hit faramineux a failli ne pas survivre au quality control : «Smokey Robinson didn’t like it. Full stop.» Mais Berry Grody trouvait le Reach Out différent et tenta le coup. Ouf !  Et puis on finit par tomber fatalement sur les Supremes, ou plutôt Diana Ross & The Supremes, avec «Heaven Must Have Sent You». C’est le sommet de l’esthétique Motown. Rounce indique que ce fut enregistré en 1967, mais seulement édité 19 ans plus tard, «for reasons only known to Motown.» On tombe ensuite sur une perle rare : Big Al Downing et son «Medley Of Soul (It’s The Same Old Song/Something About you/I Can’t Help Myslef)». Perle rare, car enregistrée à Memphis en 1968 avec les Dixie Flyers ! C’est avec ce genre de coup de Jarnac qu’Ace se rend indispensable. Rounce parle d’un «rough and tasty accompaniment». Pour la petite histoire, Big Al est un black rockab célèbre pour son «Down On The Farm».

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             On passe sur Hot Wax avec Honey Cone et «While You’re Out Looking For Sugar». Pareil, on a croisé les Honey Come inside the goldmine. Elles réinventent tout simplement Motown, avec les mêmes dynamiques. Edna Wright est la sœur de Darlene Love. Rounce parle d’un «no-nosense, up-tempo number». Motown nous dit Rounce va tout faire pour bloquer l’envol de ce hit. On croise aussi les Isley Brothers avec «Take Me In Your Arms», pur Black Power. Les Isleys ne sont pas restés longtemps chez Motown. Et puis voila le fameux «You Keep Me Hanging On» des Vanilla Fudge - Set me free ! - Fabuleuse heavyness !

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             Rounce affirme que Dusty Chérie fut «Motown’s biggest champion in the UK». Elle tape une cover du vieux hit des Vandellas, «A Love Like Yours (Don’t Come Knocking Everyday», qui avait tapé dans l’œil de Totor, puisqu’il en avait enregistré une version avec Tina Turner, puis avec Nilsson et Cher. S’ensuit Bettye Swann avec «This Old Heart Of Mine (Is Weak For You)», un cut nous dit Rounce enregistré par 50 artistes, dont un duo Rod The Mod/Ronald Isley. Enregistré au Criteria de Miami dans les early seventies, ce cut nous dit Rounce devra attendre 30 ans pour voir le jour. Bettye Sawnn aurait dû s’appeler Betty Glotte d’Or, même si parfois, elle en fait un peu trop. Puis Lamont et Brian Holland enregistrent «New Breed Kinda Woman» et ça donne une Soul de génie pur. Rounce qualifie ça de «splendid dancer».

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             En 1969, les frères Holland réussissent à persuader Freda Payne de signer sur Invictus, en lui promettant des hits. Et boom ! Voilà «Band Of Gold». Fabuleuse Freda, elle tape dans le dur du groove black. C’est spectaculaire de gros popotin, effarant de genius ! Et puis voilà le vieux «Leaving Here» d’Eddie Holland, qui date de 1963 et qu’ont repris tous les proto-punks d’Angleterre, des Birds à Lemmy. En ce qui concerne les Four Tops, Rounce par d’un «musical mariage made in heaven», puisque le trio HDH leur pond 12 hits coup sur coup. «In A Different World» est non seulement le Four Tops hit préféré de Rounce mais il est aussi le préféré de Lamont Dozier - I thought it was the greatest song ever written - Eh oui, quand t’entends ça, tu parles en termes de grandeur immémoriale, ou de firmament absolu.

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             En 1973, nous dit Rounce, Warners engage HDH pour pondre et produire des hits destinés à Dionne la lionne. Alors ils pondent «I Think You Need Love». Ça dégage tout de suite, dès qu’elle ouvre le bec. Ce sera donc la dernière fois qu’HDH bosse en trio. Les Miracles ont aussi enregistré de l’HDH : «(Come Round Here) I’m The One You Need». Comme le dit si bien Rounce, ils n’avaient pas besoin d’aller chercher ailleurs, puisqu’ils avaient tout ce qu’il fallait à la maison avec Smokey, mais bon, HDH leur propose un hit, alors zyva. L’éclat du power ! Motown à son max ! «It was a no-brainer» s’exclame Rounce. Il parle même d’un «quantum leap forward». On tombe ensuit sur Barbara Mason et «Come See About Me». La classe de Barbara ! Elle traîne bien la savate ! 

    Signé : Cazengler, fromage de Holland et Dozier complet

    A Different World: The Holland/Dozier/Holland Songbook. Ace Records 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Mahon fait rien d’mal !

             Mahé parlait d’une voix forte. Il s’imposait rien qu’en ouvrant le bec. Il semblait à la fois fier de sa crinière qu’il massait en permanence, et de ses mauvais tatouages qu’il mettait bien évidence : un calvaire avec «à ma mère», un poignard avec un serpent enroulé sur la lame, plusieurs cœurs avec des prénoms féminins, et bien sûr des têtes de mort. C’est la raison pour laquelle il portait un marcel, de mars à septembre. Pour donner un peu de volume à ses tatouages, il faisait un peu de muscu. On voyait dépasser du marcel le mât du navire qu’il s’était fait tatouer sur la poitrine, comme la plupart des voyous malouins qui, à l’époque, se réclamaient de Surcouf. Il ne montrait ce tatouage, nous disait-il, qu’aux «frères de la côte». Sacré Mahé ! Sorti de ses apologies de la Rue de la Soif et des souvenirs de ses 400 coups, il n’avait absolument rien d’intéressant à raconter. Il ne s’intéressait à rien. Absolument rien. Même pas à l’actu. Impossible de converser avec lui. Son regard exprimait le vide total. Il nous faisait de la peine. Il ne s’en rendait même pas compte. Il n’avait pourtant pas l’air idiot. Il vivait comme un petit animal, sifflait sa pinte de Guinness au bar et avalait goulûment son jambon-beurre. Pour rester dans le domaine des besoins organiques, Mahé allait aux putes. Il était le client parfait pour ça. Il tirait son coup vite fait, payait et rentrait chez lui pour s’écrouler sur sa paillasse. On observait Mahé du coin de l’œil. Comment faisait-il pour vivre ainsi ? À quoi servait-il ? Dissimulait-il un secret ? Pourquoi se posait-on toutes ces questions ? Pourquoi Mahé nous intriguait-il ? Et puis, beaucoup plus tard, on a fini par comprendre que Mahé se trouvait très bien comme ça, et qu’il devait s’amuser secrètement de nos tendances inquisitionnelles. Alors qu’on s’interrogeait sur sa vacuité, il s’interrogeait sur la nôtre. 

     

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             Mahé et Mahon ont connu le même destin : chacun d’eux fut victime de l’incompréhension. C’est la raison pour laquelle ils sont restés tous les deux dans l’underground.

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             C’est la compile Wayfaring Strangers qui nous avait alerté sur F.J. McMahon, un Californien parti faire la guerre au Vietnam et rentré au pays avec l’intention de devenir célèbre, mais il n’est pas devenu célèbre. Par chance, son seul album, le cultissime Spirit Of The Golden Juice est réédité. Et par chance, t’as un petit booklet de 8 pages signé Keegan Mills Cooke, un homme bien renseigné. Il sait par exemple que le seul album d’F.J. fut enregistré à Santa-Barbara en 1969 sur un petit label local, Accent, et qu’il était accompagné par le bassman Jon Uzonyl et le batteur Junior Nichols. F.J. grattait ses poux sur une «tiny Guild M20», en attendant de recevoir la Martin D-series qu’il avait commandée à l’usine et qu’il reçut juste à temps pour overdubber les parties de lead guitar pyschédéliques qui hantent le Spirit Of The Golden Juice.

             Côté son, l’F.J. travaille sous le boisseau, un peu à la croisée du chemin de Tony Joe White. F.J. McMahon est surtout un fabuleux guitariste, comme le montre «The Road Back Home», un psychout so far out difficile à situer, mais diablement beau. C’est en B que ça se passe. Il s’accompagne à l’acou psyché fabuleusement inspiré. «Five Year Kansas Blues» sonne comme une aubaine de folk-rock. On sent chez lui une immense musicologie. Il joue encore «Enough It Is Done» sous le boisseau. On pense bien sûr à Croz. S’il gratte «The Learned Man», c’est à la sourde mais il l’éclaire avec du gimmicking de pur Californian Hell - There’s a man on the hill side - Il coule de source à coups d’acou, il remonte des courants mélodiques et te surprend par ses indicibles figures de style. Alors tu fais aw aw aw...  

    Signé : Cazengler, McMahonte

    F.J. McMahon. Spirit Of The Golden Juice. Kamado Records 2017

       

    *

    Quand on y réfléchit bien il n’existe, à part le rock’n’roll et la pensée grecque, que peu de choses intéressantes en ce bas monde si ce n’est l’éros, la mort et la poésie. Remarquez que c’est déjà beaucoup. L’on peut toutefois mêler le rock’n’roll à la pensée grecque, ou à la poésie, mais cette fois-ci nous allons encore nous pencher sur la face ricanante et explosive du jeu morbide du rock’n’roll avec la camarde. Cerise sur la couronne mortuaire vous verrez de par le titre de l’EP que nous ne serons pas loin de la sombre poésie d’Edgar Poe…

    TALES BEYOND THE GRAVE

    WICKED TRIP

    (Bandcamp / Octobre 2025)

    Viennent du Tennessee, terre rock et blues par excellence. Je ne sais rien d’eux si ce n’est d’après leur discographie qui débute en 2021, qu’ils possèdent quelques morceaux fétiches et qu’ils aiment jouer en public.

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             La couverture n’est pas s’en rappeler Carrie (au bal du diable) de Brian de Palma, adaptation du premier roman de Stephen King. Question cinéma eux-mêmes se réfèrent explicitement, c’est le titre d’un de leurs album, de Cabin Fever d’Eli Roth réalisé en 2002. Cinq étudiants qui fêtent leur fin d’étude dans une cabane isolée en pleine forêt, je vous laisse imaginer la suite…

    Pour cet EP, ils semblent filer en deux lignes un semblant de scénario :  Déterrés, réimaginés, resuscités. Ils furent enterrés… pas oubliés. De quoi passer une longue nuit chez vous bien au chaud dans votre lit avec les marches de l’escalier qui craquent…

    Sam Daniels : vocals+ lyrics, guitar / Joseph metier : bass / Andrew Crawford : drums

    Hierophant : une guitare qui grince telle une porte noire devant laquelle il ne faudrait jamais se trouver car la tentation de l’ouvrir est trop grande. Ensuite basse et batterie entrent en procession, lente démarche, parfois l’on s’arrête, l’on repart à pas toujours aussi lents, le vocal lointain, des chœurs qui psalmodient, mais qui ouvre cette porte, et dans quel sens pour entrer ou  pour sortir, de quoi vers quoi au juste, en tout cas la guitare semble libérée elle se lance dans un beau solo, ce qui s’appelle terminer en beauté. De toute manière tu n’en sais pas plus maintenant qu’avant, laisse-toi conduire. Coven : basse en avant toute, accélération battériale, la guitare t’emporte, mais n’est-ce pas ta psychose qui s’empare de toi, le chant est aussi lointain, mais c’est une véritable crise de démence, la guitare revient, elle gigotte comme une danseuse espagnole, rock libérateur, le monde est voué à la mort, mais la mort mourra à son tour, jeu de va-et-vient, ping-pong tragique dont tu es la pauvre petite balle blanche, une chose aussi fragile que l’éternité.  Final tomb : grincements, musique émotionnelle, la procession repart, lentement, lourdement, vocal cuit à l’étouffé, qu’est-ce qu’un tombeau final, celui dans lequel on finit par finir ou celui qui comme toute chose a sa propre fin, est-ce le mien ou celui des autres qui me contemplent que suis-je sur cette table de sacrifice, grincements, silence absolu, guitares et batterie prennent feu, de quel côté du couteau suis-je, va-t-il me ramener à la vie ou à la mort, ne suis-je pas dans l’incertitude de ce que je suis et que bientôt je ne suis plus. The black mass : un dialogue, l’on se croirait dans un film, et ces bruits d’outils scieurs, cette perceuse ou cette visseuse, que d’émotions, et ces coups de marteau mélodramatiques, est-ce moi, ou n’est-ce pas moi, que l’on enfermé dans cette tombe, mon cœur résonne, il bat la chamade, un vocal exsude mon angoisse, est-ce moi qui crie, qui suis en proie à une crise de démence, paroxysme, danse-t-on autour de mon tombeau, le bruit s’estompe, il reprend, encore plus violent, provient-il de moi, me suis-je moi-même condamné, ou alors peut-être que maintenant je suis vivant et que c’est dans cet instant précis que l’on m’égorge. Basse narquoise.

             Vous pouvez ne pas aimer. We don’t care !

    Damie Chad.

     

     

    *

    Le hasard existe-t-il, vaste question, essayons de ne pas devenir parano. Je petit déjeune un œil sur mes biscotes au cas où elles auraient la velléité de s’échapper et une oreille sur la radio. On blablate sur la Chine. Le gouvernement du pays des nuits câlines inquiet des évènements violents se déroulant dans quelques pays de notre magnifique planète bleue n’a pas envie que sa jeunesse s’inspire de ces mauvais exemples venus de l’étranger. Très logiquement la décision est prise de veiller – comprendre museler – les réseaux sociaux. Désormais l’on supprimera et bannira toute vision pessimiste   qui aurait la malfaisante incongruité d’apparaître sur ces objets rhizomiques de communication citoyenne dite libre… Trois minutes plus tard mon esprit souverain a opéré son tri sélectif, je n’y pense plus… Au boulot Damie, tu n’as pas encore écrit une seule ligne de la livraison 707. Comme souvent mon regard est attiré par une couve. What is it ?  Incroyable mais vrai, un  groupe chinois ! J’écoute, je ne suis pas emballé, je remarque toutefois que nos musiciens sont prudents, l’album est instrumental, ce courant dépourvu de lyrics existe dans les groupes doom en Europe, aux States et de nombreux autres pays. Je me pose quelques questions, d’où est-ce que ça sort, est-ce vraiment un groupe chinois, je cherche et je vous copie-colle via un traducteur maladroit ce que je trouve sur le site bandcamp de de SloomWeep Productions (Chine) :

    ‘’ En octobre 2011, au   13Club de Pékin, Never Before, a donné son tout premier concert de Stoner Doom en Chine continentale. Au cours de la décennie suivante, des groupes se sont succédé, tels qu'Alpaca, King of Lazy, S.H.A.S., Electric Lady, Ramblin’ Roze, Basement Queen, Banyan River, Rude Gove, DemonEleven Children, HallucinGod, Desert Boogie Dorama et Crater, pour n'en citer que quelques-uns. Tous ont donné des concerts réguliers, certains ayant même sorti de nombreux albums de grande qualité. Parallèlement, de nouveaux groupes émergents étaient en cours de répétition et de production. Le Stoner Rock/Sludge Metal/Doom Metal/Heavy Psych est devenu une scène musicale à la fois distincte et de niche, qui rayonne et rayonne en Chine. Les morceaux de cette compilation sont, au sens large, du Stoner Rock, du Sludge Metal, du Doom Metal et du Heavy Psych, interprétés par des groupes composés de Chinois ou d'expatriés vivant en Chine, ou par des groupes dont les membres sont majoritairement chinois et écrivent en chinois. Certaines œuvres manquent peut-être de maîtrise, mais leur sincérité compense leurs défauts. Ce recueil a pour but de promouvoir et de commémorer. Si quelqu'un trouve la mélodie qui lui parle et le guide vers le groupe, alors notre objectif est atteint.’’

    Laissez-moi exprimer une légitime fierté : votre blogrock préféré n’a-t-il pas chroniqué dans sa livraison 655 su 05 / 09 / 2024 un disque d’un des groupes proposés par cette liste : Demon & Eleven Children, groupe dont la filiation peut être remontée jusqu’au Mountain de Leslie West !

    Le texte recopié se trouve sur une compilation SloomWeep  intitulée : Stonedchine:Chinese Stoner/Sludge/Doom/HeavyPsych Musick Collection Vol.1). Mais commençons par le commencement ;

    SAMAN THE DOOM

    ATOMIC SAMAN

    (CD Sloomweep  / Bandcamp / Septembre 2025)

    Sont de Shanghai. J’ignore le sens du mot Saman, par analogie le pense à Samain et à Shaman, mais avec ces deux mots nous sommes loin de la culture chinoise…

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    La couve montagneuse aux teintes violettes percées d’orange illuminescent, mais cette lumière ne sert-elle pas à assombrir l’atmosphère générale de ce qui doit être  un personnage féminin, une sorcière en train d’exécuter un rituel, les mains au ciel en tant que signe invocatoire à la puissance d’une déité représentée par un effarant totem mordoré … Le troisième morceau du disque paru un peu avant l’album complet bénéficie lui aussi une couve similaire à l’opus final, mêmes coloris, montagnes davantage écrasantes, le feu rougeoie à peine, la sorcière a disparu, de même que le totem, l’emplacement vide est jonché d’ossements éparpillés, une tête de mort gît auprès du foyer éteint, est-elle le témoin, le martyre ou la gardienne des actes sacrificatoires. N’oublions pas que le jour des morts est le point culminant de la saison du Samain. De grands oiseaux noirs déploient leurs ailes, symboliseraient-ils le passage des âmes vers l’autre rive du vivant…  

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    抓女巫大将 : Attrapez Le Général-Sorcier : lecteurs n’ayez crainte ceci  n’est pas un ordre qui vous serait adressé, mais la traduction du nom   du guitariste / gxb : cela voudrait-il dire : girls contre boys, en tout cas cette graphie occidentale désigne le bassiste qui se charge aussi du vocal / 苦瓜 : le traducteur me donne: Momordica Charantia qui pourrait, rien n’est moins sûr signifier: Belle-mère Acide… Faut-il faire un lien avec le personnage russe de la Babayaga…

    Fuzzonaut :pour fuzzer ça fuzze lourd, lent et grave, nos fuzzonautes ne se déplacent pas en fusée, la machine se met en route lentement, un train de sénateurs ventripotents, les pieds dévorés par la goutte, faut l’écouter à plusieurs reprises pour se griser des cinquantes nuances de doom, pas une ne manque, bizarrement c’est la basse la moins funèbre des trois instruments, la Belle-mère vous a  une démarche de marche funèbre, elle tapote joliment avec sa   canne cassée d handicapé moteur, la guitare joue le rôle des roues du fauteuil roulant, sans cesse en mouvement. F. L. Y : mystère résolu pourquoi annonce-t-on un guitariste chanteur sur un opus représenté comme un disque instrumental, il ne chante pas, il cause, en anglais, nous ne retiendrons que sa dernière phrase, le dream is over, pas la peine de le préciser l’est sûr que dans un groupe de domm l’espoir et le dream sont terminés avant la première note, la basse aplanit le terrain, c’est si lourd que gxb se sent l’obligation de chanter cette fois, traîne démesurément sur les mots et la basse tisse des toiles d’araignées, moires lourdes comme des paquebots et noires comme les fumées générées par une explosion atomique, une dernière remarque, le rythme est beaucoup plus bas et la basse toute seule chantonne comme si elle voulait couvrir

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    tous les bruits qui viennent de l’abattoir. Torture Machine : c’est plus une basse c’est une plainte monocorde, du coup le guitariste nous fait part de ses angoisses, il ne peut voir son propre futur, on l’avait compris, entretemps la belle-mère a dû devenir aveugle car elle tâtonne méchant avec sa canne blanche – elle est vraisemblablement repeinte en noir, la guitare broie du brou de noix, en tout cas la machine à torture avance comme une tortue, el cantaor c’est lui qui doit être soumis à une délicate opération, il ne chante plus, il vagit, imaginez un 45 tours de  chant grégorien passé en 33 ! Font semblant d’arrêter, basse et guitare se lancent à tour de rôle, pas du tout dans un solo, se contentent d’accélérer un tantinet, du 33 l’on passe aux 16 tours par minutes, le comble c’est que l’on commence à trouver ça relativement agréable, tout compte fait de toutes les espèces, la nôtre, l’humaine est celle qui possède la prodigieuse capacité de s’adapter à n’importe quelle situation, à n’importe quel marasme. Brain COP : n’exagérons pas non plus, pourrait-on admettre dans notre boite crânienne une cervelle de flic, qu’ouïs-je, quelle est cette ligne mélodique, cette douceur de corde qui subsiste lorsque la guitare vous lâche embardées de fuzz sur enbardée de fuzz, un fuzzible du cerveau ne va pas tarder à péter si ça continue. D’ailleurs ils s’arrêtent. Un quart de seconde, juste pour laisser échaper quelques bouffées d’angoisse, maintenant ils se mettent à imiter une locomotive qui fonce tout droit devant elle sur ses rails, fini la marche funèbre, l’on transbahute la cahute à grande vitesse, victoire ? On a dû dérailler sans s’en apercevoir, vous avez la basse qui compte les cadavres et gxb qui tape sur une cymbale obstinée pour les réveiller, maintenant ce n’est pas le grand orchestre de Pékin, mais ils y mettent toutes leurs forces et toutes leur hargne, un cerveau de flic peut-il partir en cavale, nous nous arrêterons sur cette interrogation métaphysique insoluble, pour le finale ils inventent, ils créent, ils trouvent ce que Baudelaire a recherché toute sa vie : du nouveau, le glas retentit, attention pas le glas glaçant, il est doux comme le drap de soie du suaire que l’on referme sur vous. C’est peut-être ce que l’on appelle un supplice chinois. Octave Mirbeau aurait dû l’inclure comme extase suprême dans Le Jardin des Supplices. Weedsky : (Live in cave) : de quelle herbe s’agit-il, celle des pissenlits que l’on bouffe par la racine, ou ces nuages de fumée qui vous envoient aux septième ciel, attention c’est sombre comme le parfum de Lna Dame en noir, en plus vous avez le corbillard qui fait la course dans l’allée, z’avez peur d’arriver en retard pour la cérémonie, car maintenant ils roulent lentement avec componction, dépêchez-vous tout de même, l’on entend le macchabée dans le cercueil qui s’impatiente, vous pousse des clameurs à fendre l’âme, l’est sûr que la vie ne l’a pas épargnée, jusqu’au bout, même dans les cinq dernières minutes, la batterie vous cloue la boite à grands coups de marteaux moelleux, ne manquerait plus que de le réveiller maintenant qu’il s’est tu, qu’il s’est endormi de son dernier sommeil, deux ou trois coups de maillets, le boulot est terminé, sûr que la musique ne rigole pas, mais l’on sent un certain contentement parmi l’assistance.

             Ne vous contentez pas d’une seule écoute. Elle vous semblera un peu monotone. Faut se laisser envahir par la moire noire, c’est alors que vous réalisez que la pénombre s’éclaire, ils n’y vont pas à tout berzingue à la Black Sabbath, vous confrontent au mystère de l’impassibilité asiate, au premier regard ça n’a l’air de rien, ça ne casse pas trois pattes à un canard laqué, laissez-vous emporter, découvrez les méandres du doom subtil.

    Damie Chad.

     

    *

    Lorsque la photo est apparu je n’y ai jeté qu’un vague coup d’œil, un groupe de rock vautré sur un canapé pas de quoi avoir la révélation du siècle, ce sont mes chiens paisiblement endormis à mes pieds qui, ceci est juste image car ils n’en ont pas une seule, m’ont mis la puce à l’oreille, se sont réveillés et ont posé leurs pattes sur mon pantalon en remuant la queue, semblaient si intensément intéressés qu’alerté par une soudaine intuition j’ai fixé mes yeux sur l’image, bingo Molossa et Molossito ont du flair, sûr les quatre feignasses n’avaient pas soulevé d’un millimètre leur postérieur du sofa, mais comment n’avais-je pas relevé ce détail, ne sont pas quatre, mais cinq, et encore un, bref quatre gus et deux chiens. Deux labradors.

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    Les chiens (les miens) ont commencé à aboyer, j’ai cédé à leur impatience, et j’ai filé sur leur bandcamp, dingo ! pas plus tard que juillet dernier ils ont sorti un single, avec le dessin d’un chien sur la couverture. Les gens qui aiment les bêtes sont réputés être gentils. J’étais à moitié conquis mais que vis-je, un groupe polonais ! J’ai un faible pour les groupes natifs de Pologne, en général z’ont un petit truc en plus, sont inventifs. Ce qui est rare, surtout en ce siècle, comme dans les autres, mais ceci est une autre histoire.

    Devant l’insistance canine, je me suis exécuté.

    PLACE HOLDER

    BEACH CRUISER

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    Je ne commente pas la pochette trop près de Disney à mon goût. Un seul détail intéressant, la moitié de roue de vélo qui surmonte la tête du toutou, je pensais que Beach Cruiser signifiait dragueur de plage, une revisitation de nos Beach Boys qui sévissaient sur les grèves du Pacifique, sans avoir besoin de draguer les filles, heureuses sixties où les filles s’offraient sans effort. C’est ce que l’on racontait. Bref Beach Cruiser se traduit bêtement par vélo de plage. Un vélocipède qui permet de pédaler sans effort. Bref ce n’est pas l’Equipée Sauvage !

             Je m’attendais à an american joke, ou si vous préférez une polski zart, nos quatre gaillards en train d’aboyer tout le long du titre. La longueur du morceau une minute vingt-cinq secondes laissait présager ce genre d’introduction. Point du tout, un avant-goût de ce qu’ils savent faire, peut-être une métaphore sur le changement climatique, car les séquences sonores s’enchaînent à la queue-leu-leu comme des chiens qui se courent après pour se renifler le derrière.  Un échantillon un peu passe-partout, pardon, pisse partout. L’est temps de passer à leur premier opus.

    Łukasz Przybyłowicz : vocals / Łukasz Romanowski : drums / Jacek Węgrzyn : guitar,vocals / Wojciech Węgrzyn : bass

    THUNDERBIRD

    ( Album Numérique / Bandcamp / Octobre 2025)

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    Praise the sky : un chant s’élève, nous sommes loin d’une insouciante randonnée en bicyclette au bord de la plage, nous sommes ailleurs dans le chant des guerriers de Sitting Bull qui chantaient chaque matin car c’est toujours un beau jour pour mourir, ne demandez pas pourquoi toutes ces brisures rythmiques ces guitares enrayées et ce solo pointu comme une flèche qui se plante dans le cœur de l’ennemi. Surprise on croyait se trouver entre de joyeux drilles et  nous sommes dans une autre dimension , mythique, assez proche des Doors, mais ils ne possèdent pas d’orgue pour arrondir les angles, nous sommes aussi sur un autre plan, celui de la vie vécue, un quotidien qui n’a rien à voir avec la fureur apache, mais le film se déroule dans notre tête, nous sommes ici au volant de notre voiture et ailleurs en communication avec  l’immensité du ciel et la grandeur de ces hommes qui n’ont fait que passer, que le temps à dévorés et anéantis mais qui nous ont enseigné à être libres. Ce morceau comme une invocation à la terre nourricière et qui ne nous nourrit plus. Parce que nous ne savons pas manger. Further I fall : guitares froissées, batterie en charge, encore les chants indiens dans la tête, ce morceau est l’apprentissage de la vie sauvage, un vocal martial et désespéré, apprendre à être seul, à ne faire ni cadeau, ni promesse, l’homme libre se doit d’être seul, solitaire en lui-même, les chants indiens encore plus forts, le vocal maîtrise la vitesse, il stoppe et il accélère, il suspend et il écrase, un galop éperdu au bout de soi-même dans le sable des déserts intérieurs, il est nécessaire d’être cruel envers les autres, et encore plus envers soi-même, les portes de la folie ne s’ouvrent pas devant nous, c’est nous qui la portons comme ces avions qui lâchent des bombes. Eagle : musique à ras-de-terre, une bouillie sonore qui ne saurait s’élever, qui donne l’impression de courir après elle-même comme un chien après sa queue, qu’importe d’être courbé somme un chien enfermé dans une cage, l’esprit vole haut, il est un aigle qui plane dans les hauteurs inatteignables, un fil à la patte qui nous relie à la terrer, le son s’effondre la basse compresse, qu’importe n’ayez aucune pitié, je ne boirai jamais de votre eau, je vole, je suis un eagle, un ronronnement de moteur comme si ma métamorphose était un simple avion de tourisme qui rôde dans le ciel au-dessus de la materia primaque nigra de nos préoccupations alchimiques d’homme rouge. Flame is what I am : pilonnage, remuement, ressassement, tout voyage est solitaire, personne d’autre que soi-même, savoir ce que l’on veut équivaut-il à ce que l’on fait, une seule manière : s’élever toujours plus haut, jusqu’à ce que l’on se rende compte que le haut n’est que le bas, zones de gratitudes planantes, l’aigle ne vole plus c’est le vent qui le porte, rendre les choses plus puissantes pour devenir encore soi-même plus puissant, mais que sont ces distorsions ce solo qui s’envole est-ce le moteur de la voiture du quotidien qui crachote et se disloque, ou un élancement d’une fusée interplanétaire aquiline qui s’en va se fondre dans les flammes rougeoyantes du soleil. Autruche et / ou oiseau de feu. Runaway : dichotomie totale, certain évoqueront la folie, la batterie concasse, les guitares grognent, être ici et être ailleurs de l’autre côté de la vitre, de l’autre côté de soi-même, être un, être deux, être deux fois un, où est l’erreur, un n’égale-t-il pas deux si nous ne sommes qu’une des deux parties de nous-mêmes, un tambour écrase l’oeuf dur de la pensée, nous sommes si loin l’un de l’autre, basse venteuse, je suis au loin et je suis aussi tout près, mais quel est celui qui regarde l’autre. Le sable du désert a envahi ma tête, je sais lire les traces mais je ne sais duquel de moi elles sont. Birds of thunder : ressassement battérial, l’aigle dans sa cage s’ennuie, il connaît la légende de l’oiseau de feu, celui qui porte le tonnerre qui vous détruira, qui vous éclatera, le chant devient plus ample, impression qu’en sourdine la rythmique recycle en douce le motif de  Break on Through, la voiture roule dans le désert, mais esprit plane tout en haut, vous êtes le shaman exilé sur cette terre qui enseigne la possibilité de s’envoler, de sortir de soi, de s’évader de ses propres limites, apprenez la folie de ne plus être soi et la sagesse aussi d’être l’autre de soi, comme une halte dans l’élan vertical qui vous emporte. S’insinuer dans la fissure schizophrénique non pas celle dans notre tête, mais celle qui nous unit et nous sépare du monde. Toutes deux n’étant que le reflet de l’autre. The play : once I had a little game, c’est toujours le même jeu, ça plaît ou ça ne plaît pas, alors l’on y va en douceur, une mélodie calmante qui bientôt devient presque patibulaire car le jeu est dangereux, la règle est simple il suffit d’entrer dans l’acceptance de soi-même, le vocal mordille, il tente d’être persuasif, il vous caresse, juste l’épiderme, c’est à vous d’entrer dans votre jeu pas à un autre, les deux versants de la montagne en un même, écrasement de cymbale, la tâche la plus agréable est aussi la plus cruelle, il suffit de se regarder dans le miroir de soi-même et de ne plus se voir puisque l’on est devenu le néant de ce que l’on a été, un solo aigu pour manifester la gravité de l’opération, le son perd de son intensité et s’évanouit, c’est à vous de jouer. Beach Cruise a déjà gagné. A votre tour.

             Je pensais avoir affaire à des bons vivants qui allaient vous enfiler des perles de riff, just for fun. Quelle surprise. Je vous avais prévenu, les groupes polonais ont souvent un petit truc en plus, mais Beach Cruise a tout compris. Cet album est une merveille.

    Damie Chad.

     

     

    *

     Attention : Kansas Hook est le nom d’un groupe anglais qui n’a produit que deux singles en 1970 et 1971. Sont ici interviewés deux de ses membres Bob Moore et Charlie Harrison. Nous ne retrouvons trace de Bob Moore que dans de rares compilations consacrées aux années 1964-1968 de la production de groupes anglais restés dans l’ombre. Par contre l’on retrouve des traces de Charlie Harrison dans de nombreux groupes américains notamment dans Poco. Tous deux ont accompagné Gene Vincent en Angleterre en 1971, deux semaines avant sa mort.

    La vidéo est un montage croisé des deux interviews, celle de Bob Moore  vêtu de noir réalisé à Birminghan, celle de Charlie Harrison, chemise à parements blancs à Memphis Tennessee

    The Gene Vincent Files #12: Kansas Hook was the last band to have toured and recorded with Gene.

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    Bob Moore : en fait on était juste des musiciens de Birminghan, dans le groupe que nous formions nous possédions deux bons auteurs- compositeurs, nous avons enregistré deux simples, l’album n’est jamais sorti pour une raison ou une autre. Nous étions très populaires à Liverpool, on y a joué plus que partout ailleurs, l’on a été élus plusieurs fois  ‘’ groupe de l’année’’, localement parlant. C’était disons un groupe underground de style collège dans une université. Nous avons reçu un appel téléphonique d’un agent nommé George Cooper qui en fait manageait Jo Brand ( ?)  et qui travaillait aussi pour Gene Vincent quand il venait en Angleterre, il lui obtenait des concerts et s’occupait du reste. Comme nous travaillions pour cette agence ils nous ont demandé si nous voulions l’accompagner sur une tournée britannique. Comme nous étions très rock’n’roll, nous nous sommes décidés.

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    Charlie Harrison : en 1971, je crois, j’ai déménagé de Tamworth ma ville natale pour me retrouver dans la région des Midlands où se trouve Birminghan, une fois j’ai joué avec Kansas Hook à Birminghan et je suis devenu ami avec le claviériste David Bailey et aussi de Bob Moore le batteur. Et puis Gene a amené un guitariste américain (Richard Cole) qui était avec lui et m’a demandé si je voulais faire une petite tourné en Angleterre.  Avec Gene Vincent ! bien sûr que j’ai sauté sur l’occasion, absolument, Gene l’original garçon agressif, sûr de sûr que j’allais le faire !

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    Bob Moore : je tiens à préciser que nous avions l’habitude de faire quelques morceaux de Gene Vincent dans notre set avant même de travailler avec lui. De toutes façons nous étions un groupe fondamentalement ancré dans le rock’n’roll du Kansas ( ??), c’était donc génial que l’on nous demande de le faire, nous avions déjà tourné avec quelques autres gars qui n’étaient pas aussi importante que Gene Vincent, c’était génial. La première fois que nous l’avons rencontré, il a été emmené directement de l’aéroport à la salle de répétition par un gars nommé Richard Cole, de fait le manager de Gene à cette époque, il était aussi le guitariste du groupe, oui il le manageait et tenait la guitare. Quand j’ai rencontré Gene cette première fois à la répète, ça m’a paru un peu étrange puisqu’il nous a salués puis il a disparu dans le pub ce qui était déjà assez étrange, puis un gars nommé Lee Tracy qui était un ami de Gene s’est pointé et en fait il s’est chargé de conduire la répétition à la place de Gene, donc au lieu que ce soit Gene qui se charge des lyrics, ce gars connaissait toutes les paroles, Gene était au pub en train de boire, et ce gars-là se chargeait de toutes les paroles… nous avons pensé, bon je n’en dirai rien, de toutes les façons Gene est revenu après avoir passé toute la journée au pub… Il ne s’est vraiment pas bésef impliqué dans cette répétition, Lee Tracy a assuré tous les lyrics. Quand enfin nous avons pu parler à Gene, il nous a paru très distant, mais il avait aussi des moments où il était vraiment drôle et d’autres où il devenait comme inaccessible, c’était très étrange, un moment il était affûté et c’était génial de discuter, d’échanger des blagues et puis en quelques minutes il changeait et était presque de mauvaise humeur, mais j’affirme que la répétition était une imposture puisqu’il n’était pas là.

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    Charlie Harrison ; il n’était pas particulièrement calme mais que vous auriez, que je pourrais éventuellement dire oh ! oui, c’était un gars génial, on parlait de voitures ou d’avions ou de femmes, on s’est mis au travail et on a répété et mon Dieu je jouais avec Gene Vincent, c’était cool, vous savez, il n’y avait pas beaucoup de monde en fin de compte, ce que je ne savais pas c’est que j’allais être le dernier bassiste de la planète à avoir joué avec lui, je ne le savais pas à l’époque mais le seul fait de pouvoir jouer avec Gene, de mettre ça sur mon CV, dans mon book, ça ne pouvait pas être mal ! D’après ce que je me souviens  ce devait être une tournée d’environ trois semaines ce qui impliquait à peu près  seize, dix-sept, dix-huit concerts en Angleterre.

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    Bob Moore : En fait le contrat impliquait de faire une session radio pour la BBC Radio 1 à laquelle nous nous sommes rendus une semaine trop tôt, encore un truc bizarre, ils nous avaient donné une mauvaise date et eux aussi sont venus au rendez-vous une semaine plus tôt. Le gars transportait un gros chargement de fleurs, je ne sais pas d’où il les sortait, il entré dans le studio et l’a placé directement sur le piano ce que j’ai trouvé plutôt bizarre, sur ce le gars s’est retourné et nous a demandé ce que l’on faisait là. Il nous a répondu : ‘’ Vous allez faire une session, mais de fait vous arrivez  en avance d’une une semaine, c’est vraiment une grosse erreur de gestion’’. Nous avons effectué une session pour Granada TV, ce devait être un concert en deux temps, mais les vrais concerts en club, nous les avons faits au Garrik Club à Leeds près de Manchester et l’autre au  Wockie Hollow à Liverpool. Il y avait  d’autres clubs où nous devions jouer mais comme l’état de santé de Gene empirait et qu’il y avait d’autres problèmes avec le procès à Londres avec son ex-femme cela a entraîné que certains concerts ont été annulés, ce qui était un coup dur car l’un d’eux était tout à côté de chez moi, au Belfrey.

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    Charlie Harrison : c’était donc dommage, si je ne me trompe pas voici à peu près tout le truc avec Gene, c’était juste, finissons-en, allons-y ! Je ne me souviens d’aucune situation particulièrement bouleversante ni de situation heureuse, ni de quoi que ce soit entre ces deux extrêmes. C’était à peu près la règle commune à cette époque quand on organisait une tournée : on faisait venir l’artiste, et un autre gars pour régler tous les autres détails, généralement on choisissait un musicien du groupe. C’était une habitude établie, donc l’organisation des choses ne favorisait pas la naissance  de grandes amitiés durant le déroulement, ce dont je me souviens  correspondait à peu près à la norme ; on y va, on fait ces morceaux, on y va. Gene était un gars assez angoissé je ne pense qu’il lui ne restait pas assez de temps pour ces trivialités, disons qu’il était du genre : allons-y, on y va, on y va, on y va, faisons le concert ! Je pense que Gene se pliait à ce qui se passait habituellement  dans le bizness  de la musique de l’époque. Je pense qu’en  fait Gene était vraisemblablement le véritable créateur d’un style, oui il était l’authentique créateur d’un style,  je ne pense pas que Gene ait eu l’intuition  qu’il était trop tard, peut-être qu’à l’époque l’on ne savait pas vraiment si c’était trop tard ou trop tôt, je ne pense pas qu’il avait intégré cela à son mode de raisonnement.

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    Bob Moore : je ne pense pas que Gene ait exercé une influence grâce  aux concerts que nous avons donnés, même si l’on enlève ceux, un ou deux, qui ont été annulés, car ceux que nous avons assurés c’était devant des fans convaincus de Gene Vincent. Je ne pense pas que la musique d’alors ou passée ait exercé une influence, le public était dans son intégralité composé de rockers venus pour voir spécialement Gene Vincent, si vous y tenez incluons quelque curieux. En y réfléchissant ces spectacles se déroulaient dans une sorte d’atmosphère de club, car nous avions joué essentiellement dans des espèces de cabaret-clubs connus pour accueillir des artistes de cabaret, le mouvement hippie était très peu représenté, plutôt des groupes de rock’n’roll genre middle of the road, Il y avait un gars qui partageait le même hôtel que nous, appelé Dave Dee (??) qui a eu beaucoup de succès , avec qui Gene est devenu très copain, c’étaient dans l’ensemble des troupes de danse et des trios, des jongleurs, des magiciens bref des artistes de ce genre. En fait il s’est fait virer du club un soir parce que le bassiste du groupe, il a depuis déménagé aux USA où il a rejoint un groupe appelé Poco, bref il a bien réussi, il était jeune à l’époque, il était en train de chahuter quelques membres des Axes (??), Gene lui a dit de sa calmer, cela l’a bien calmé, c’était drôle car il n’avait que seize ans, mais ce gamin avec sa basse il s’est bien débrouillé. Il a bossé, je m’en souviens encore avec Roger McGuin qui était avec les Byrds, et il a fait des trucs avec Glen Campbell, il a travaillé avec Rod Stewart et beaucoup de monde Frankie Miller, Leo Sayer et beaucoup d’autres, mais il n’était qu’un bébé quand il nous a rejoint et Gene lui a dit de la boucler, Tu n’es qu’un petit garçon idiot, ce sont ses mots exacts.

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    Charlie Harrison : Puisque nous parlons de l’influence que Gene a eu sur ma carrière. Je déteste dire ça mais je ne suis pas vraiment sûr que cette période ait eu une influence sur ma carrière.  J’étais en train de passer de ce que me figurais être un bassiste à m’interroger sérieusement à ce que devait être un vrai bassiste. C’était juste à ce moment où j’ai commencé à travailler très sérieusement. Tous mes héros sont des noirs, vous connaissez, toi Chuck Rainey et toi Gerald Master le meilleur du monde du monde, donc je ne peux honnêtement pas dire pas dire que Gene ait eu une influence massive, ce fut davantage une leçon de vie, j’étais très excité de jouer avec Gene, très excité car j’étais conscient qu’à un moment ou autre cela serait inscrit sur mon CV, mon Dieu je ne savais pas qu’il allait retourner en Amérique, que dans l’espace d’une dizaine de jours il ne serait plus avec nous…

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    Bob Moore : (question : Avez-vous réellement enregistré des morceaux ?) : Nous l’avons fait en effet au moment, la semaine suivante où nous nous sommes  rendus à la BBC à Merale. Je pense que nous avons enregistré cinq morceaux en tout que nous n’avions répété avant. Gene a proposé un  vieux titre de Jim Reeves : Distant Drum, mais tous les autres morceaux étaient des standards du rock’n’roll, beaucoup de fièvre et même sur Say Mama tout le truc de la scène, soudain Gene s’est exclamé : pouvons-nous faire ce morceau de Jim Reeves que nous n’avions jamais joué et nous l’avons fait en une seule prise, il s’est avéré qu’elle était plutôt bonne. (question : pouvez-vous nous parler du dernier show que vous avez donné avec Gene au Wookey Hollow Club ?) : Si je me souviens bien, ce fut un assez bon concert même si la voix de Gene semblait être – il prenait beaucoup de calmants et beaucoup de trucs pour sa gorge – vous pouvez dire que sa performance  n’était pas au top, et son état semblait empirer avec le temps, mais le club était génial, c’est vraiment étrange, très étrange, vous traversiez comme un pont pour débouler sur sçène, le groupe a très bien joué, et Gene a été très bien accueilli par la foule mais vous pouvez dire que Gene s’efforçait de tenir les notes, c’était comme s’il était à bout de souffle pour être honnête  avec sa gorge et ce qui allait avec, plus la boisson et tout ce qui allait avec, je pense que ça commençait à se voir lors des concerts de Gene Vincent vers la fin, vous savez qu’il ne se sentait pas très bien du tout et je pense que ça jouait un grand rôle. En fait nous sommes descendus avec la foule pour le spectacle mais on pouvait voir qu’il torsadait ses notes et des trucs du même genre, il changeait de tonalité et de timbre à mi-chemin du morceau, il ne pouvait pas torsader les notes, il variait la tonalité au fur et à mesure pour que ça colle, on imaginait facilement que de ce point de vue il n’offrait pas vraiment le meilleur des spectacles. Je pense que c’est la scénographie de Gene qui a plu, même s’il était malade, il possédait le charisme d’un grand chanteur grâce à son équipement et tout ce qui allait avec, je pense que ce que lui a permis de se tirer de cette épreuve c’est qu’il a séduit le public davantage  par sa prestation scénique que par ses capacités vocales.

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    Charlie Harrison : pour être honnête si l’on me demandait la différence entre le regarder dans une émission Top of the Pops ou Ready Steady Go et le voir performer sur scène à ses côtés, y avait-il une différence ? Absolument pas, absolument pas, c’était la même chose, nous répondrons à quelqu’un agacé par toujours les mêmes postures, vous savez les jambes, et tout le bataclan, tout ça c’était l’essence de Gene, il ne l’a jamais abandonnée. Une anecdote significative me vient à l’esprit quand je pense à ces journées passées avec Gene. Cela m’attriste vraiment d’y penser, néanmoins c’est ainsi. Nous avons donné le dernier concert. Le lendemain nous nous sommes levés et avons pris le petit déjeuner qui faisait partie du rituel. Vous savez à l’hôtel vous prenez votre petit déjeuner, nous l’avons tous pris sauf Gene Vincent. Le petit déjeuner expédié, j’ignore si les gars sont allés faire leurs valises mais je me souviens d’être sorti et avoir vu Gene assis sur le trottoir, en Angleterre, ses pieds sur la route et les fesses sur le trottoir, il tenait une bouteille de vodka dont probablement il ne restait plus grand-chose, il paraissait joliment ivre, je ne sais si c’était ce jour où il a constaté qu’il était foutu et sur le champ il a bu un max. Toutefois en y réfléchissant je ne suis pas même sûr que Gene était un alcoolique invétéré ou si la cause était due à cette maudite jambe, je suppose qu’il essayait de cacher sa douleur derrière cet état destiné à tromper le jugement de celui qui le regardait, mais si un garçon aussi alcoolisé peut se mentir à lui-même, mais il buvait vraiment beaucoup, il buvait tout le temps…

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    Bob Moore : je ne sais pas exactement au courant de ce qui s’était passé, mais je crois que Gene transportait une âme avec lui parce ce qu’une nuit il avait oublié ses valises à Manchester, nous étions descendus à Birmingham et nous avons dû ouvrir les valises pour y mettre une partie de ses affaires et je suis certain qu’il y avait un pistolet dedans, je ne sais pas s’il avait eu une altercation  avec un homme de loi à propos de son port d’arme, mais je peux vous dire maintenant qu’il en avait certainement un car le lendemain nous avons reçu la valise par un coursier de  Red Star, un service de livraison, le lendemain nous nous en sommes débarrassé en sachant pertinemment qu’il y avait une arme dedans. Je pense qu’il avait eu quelques démêlés avec la loi, sur différents points, toutefois je ne sais pas exactement à quel sujet, peut-être que c’était l’arme, ce n’était sûrement pas une sarbacane.

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    Charlie Harrison : de quoi puis-je me rappeler encore, je me souviens en pensant aujourd’hui à tout cela, que si j’avais pu savoir ce que je sais maintenant, c’est à quel point tout ce scénario était important pour le rock’n’roll. Je veux dire Gene merci beaucoup, tu sais tu es venu faire ce documentaire car c’est une nécessité d’entendre cette histoire, ce n’est pas du tout ce qu’on peut imaginer, je pense qu’il était en grande partie influencé un nombre incroyable de musiciens et certainement aussi de chanteurs. Combien de personne ont copié les postures de Gene, sa mine agressive, sa manière de tenir le micro incliné. Rod Stewart l’a fait, que Dieu bénisse son cœur, qu’il veuille l’admettre ou non, mais ce ne sont pas mes affaires. Vous savez Johnny Rotten l’a fait, Jim Morrison l’a fait, beaucoup de gens l’ont copié, qu’ils le veuillent ou non, même s’ils n’en sont pas conscients !

    Transcription : Damie Chad.

    Notes :

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    Nous retrouvons Lee Tracy & The Tributes sur l’album Battle of the Bands (publié en 1971) sur lequel figurent : I’m Movin’ on et Say Mama, enregistré par Gene Vincent and The Houseshackers.

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    Photo de l’intérieur du   Wockie Hollow de Liverpool.

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    Chuck Rayney : né en 1940 : un beau palmarès : l’a travaillé avec Quincy Jones, Aretha Franklin, Dizzy Gillespie, Steely Dan, Peggy Lee, et quelques autres du même acabit…

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    Gerald Masters : (1955-2007) : surtout producteur.

     

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