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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 710 : KR'TNT ! 710 : RAMONES / WILD BILLY CHILDISH / CLARENCE EDWARDS / 5.6.7.8's / KELLY FINNIGAN / AEPHANEMER / FARYA FARAJI

     

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 710

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 11 / 2025

     

    RAMONES / WILD BILLY CHILDISH

    CLARENCE EDWARDS / 5.6.7.8’s.

    KELLY FINNIGAN  / AEPHANEMER

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 710

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Les Ramones la ramènent

     (Part Two)

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             Oui, c’est sûr, t’avais quelque chose dans les Ramones. Kris Needs en fait douze pages dans Record Collector, avec en double d’ouverture une image qui dit tout des Ramones : wild on stage, perfectos, jeans éclatés aux genoux, out of their minds, cheveux au vent, punk new-yorkais, un modèle éternel. Toutes les images des Ramones disent le rock. Needs parle de suburban outcasts et d’une «chemical imbalance that helped catalyse a revolution.» Tout est dit, mais t’as encore dix pages à lire. Comme si la lecture s’accommodait mal du ventre-à-terre des Ramones. One two three four !

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             Needy Needs connaît bien son métier : il fait sortir les Brudders d’un ascenseur anglais en juillet 1976 : les Ramones sont à Londres pour deux concerts, Roundhouse et Dingwalls, «the UK punk movement first real show of strength», il parle même d’un «much copied (if ever equalled) blueprint». Et, magnanime, il ajoute ça : «Two gigs considered pivotal in lightning the fuse for UK punk». Comme c’est bien dit, Needy ! Il les décrit un par un au sortir de l’ascenseur, Dee Dee et son «New York street punk demeanour», Joey qui sort de la douche avec ses cheveux mouillés - This is my Bay City Rollers look! - Tommy, qui semble être «the most normal of the four Ramones», et Johnny, «dressed for work in black leather jacket».  

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             Needy Needs plonge dans les détails biographiques, avec l’Hongrie de Tommy qui débarque à Forest Hills en 1956, puis Needy passe le Johnny de Long Island au peigne fin, fils d’un «hard-drinking Irish father» et sa vie de petit délinquant change quand il voit les Stones sur scène en 1964 à New York. Johnny hait les hippies, mais il va voir les Doors dix fois sur scène. Il voit aussi Jimi Hendrix en 1967, nous dit Needy qui a lu Commando. Et en 1969, Johnny flashe sur les Stooges, au point de se coiffer comme eux - They looked tough - Ça tombe bien, son pote Dee Dee est lui aussi fan des Stooges. Dans Lobotomy: Surviving The Ramones, Dee Dee raconte sa saison en enfer, c’est-à-dire son adolescence - a catalogue of domestic hell, substance abuse and early addiction - C’est lui, le Dee Dee, qui découvre que McCartney se fait appeler Paul Ramon dans les hôtels, alors il décide de s’appeler Dee Dee Ramone. C’est lui la cheville ouvrière des Ramones, ne l’oublions pas. Puis il voit les Stones, les Who, les Kinks et les Troggs. Une pure éducation sentimentale ! Quand sa mère quitte l’hard-drinking Irish father et s’installe à Forest Hills, Dee Dee devient dealer d’hero pour financer sa conso perso. I’m living on Chinese Rocks ! Needy Needs qualifie Dee Dee de «commited teenage degenerate». Si on cherche les formules les plus rolling et les plus rocking, les formules qui ronflent sous le capot, c’est là, chez Needy Needs, the work-out king. Et si, dit-il, Dee Dee clique avec Johnny, Joey et Tommy, c’est parce qu’ils étaient «the obvious creeps of the neighbourhood». On se croirait dans une chanson des Ramones. Cet article est un exploit de mimétisme intrinsèque.

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             Et puis voilà Joey avec ses problèmes de santé dont on se contrefout, il y va le Needy, il donne tous les détails, par contre, il se rattrape en nous rappelant que Joey est fan des Who, des girl-groups de Totor et des Herman’s Hermits. Puis c’est le Love It To Death d’Alice Cooper qui va obséder notre Joey préféré, particulièrement «The Ballad Of Dwight Prye», ce qui le conduit tout naturellement dans les bras de Bowie et de «Rock’n’Roll Suicide» en particulier. Suite à ça, il va voir les Stooges sur scène à l’Electric Circus avec son nouveau poto Dee Dee. Les Stooges sont leur nouvelle obsession, de la même façon qu’elle devint la nôtre, la même année. 

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             Et voilà le grand déclic : les Dolls en 1972 au Mercer Arts Center. Les quatre futurs Ramones y ramènent leurs fraises. Lenny Kaye dit que les Dolls plaisaient beaucoup grâce à leur «bringing back to basics». Johnny nous dit Needy voit les Dolls vingt fois. Dee Dee commence à écrire des cuts, du genre «I Don’t Wanna Go Down To The Basement» et «Now I Wanna Sniff Some Glue» - Everything I write is autobiographical and very real - Dee Dee et Johnny s’achètent des guitares chez Manny’s Music shop on 48th Street : une Danelectro pour Dee Dee et Johnny claque 54 dollars dans une blue Mosrite Ventures II. Tommy incite Johnny à monter un groupe, et Johnny finit par accepter. Joey bat le beurre. L’idée du Dee Dee d’appeler le groupe Ramones plait beaucoup aux autres. Premier concert en mars 1974. Dee Dee chante et gratte ses poux, mais c’est compliqué pour lui de tout faire à la fois. Alors Tommy propose que Joey chante, car Joey a déjà chanté dans un groupe glam et il a une vraie voix. Ils cherchent un batteur, mais n’en trouvent pas. Alors Tommy dit fuck it et décide de battre le beurre. Craig Leon : «The whole Ramones things was very much like a conceptual art piece.» Tout sort du cerveau de Tommy, comme Roxy est sorti du cerveau de Ferry boat. Tommy dit aux autres ce qu’ils doivent faire. Leur look vient de Marlon Brando dans The Wild One, mais s’inspire aussi de celui des Dictators, déjà dans le circuit, de Brian Jones et des garage bands - We concocted a unique style and sound, se vante Joey qui a raison de se vanter - Puis c’est le premier set de 15 minutes au CBGB, en 1974, en première partie du pre-Blondie incarnation, Angel & The Snake. Ils laissent un mauvais souvenir au boss du CBGB, Hilly Kristal - They’d start and they’d stop, everything was screetching. They couldn’t get through a song, they were yelling at each other onstage - Les gens se foutent de leur gueule, surtout Alan Vega. Mais il les trouve géniaux et dit que c’est ce qu’il a vu de mieux sur scène depuis les Stooges. Kristal se montre charitable envers eux : «Nobody’s gonna like you guys so I’ll have you back.» Comme quoi, le destin d’un groupe tient vraiment à peu de choses. Les Ramones nous dit Needy jouent 24 fois au CBGB en 1974. Au début, ils jouent devant 5 personnes. Six mois plus tard, devant 30 personnes. Puis Lisa Robinson flashe sur eux. L’un de leurs premiers fans n’est autre qu’Arturo Vega, qui fera le light show des Ramones jusqu’à la fin. Needy Needs indique qu’Arturo a vu les Ramones 2263 fois sur scène en 22 ans. Ce sont des chiffres qui parlent. C’est Arturo qui dessine le logo des Ramones, basé sur le sceau présidentiel américain. 

             Tommy fait une démo de 15 titres et tente de la fourguer au former New York Dolls manager Marty Thau - who didn’t want to babysit another band - mais il donne un coup de main pour le premier single, «Judy Is A Punk».

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             Le modèle des Ramones s’impose. Pas de solos. Johnny : «The chords are doing everything.» Ils enchaînent tous les cuts - We don’t do any stopping - Un set ne doit pas durer plus de 30 minutes. Comme Craig Leon est l’A&R de Sire, il parvient à convaincre Seymour Stein de signer les Ramones. Coup de pot, son épouse Linda est une fan des Ramones. Danny Fields aussi. Il va même devenir leur manager. Il les qualifie de «perfect band». Pas mal pour un mec qui a signé les Stooges et le MC5 sur Elektra.

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             Les Ramones enregistrent leur premier album en 1974 - The studio bill was an astonishing $6,400 - Needy Needs se marre comme une baleine. Il ajoute que c’est enregistré live, chacun dans une pièce, «like early Beatles records». Et puis il y a la photo de Roberta Bayley sur la pochette, où ils sont like a gang gone punk. Quand l’album arrive en Angleterre, Nick Kent s’agenouille respectueusement : «If you love hard-ass retard rock, you’ll bathe in every groove.» John Peel flashe lui aussi sur le premier album : «The songs are all the same, but they’re all different, if you know what I mean.»

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             Et quand on écoutait ce premier album en 1976, on criait tous au loup ! Whoooo-ooooh ! Ramones est l’un des albums phares du siècle passé. T’es tout de suite frappé par la fraîcheur du bombing de «Blitzkrieg Pop», t’as aussitôt de wall de Johnny et le chant perçant de Joey qui traverse les blindages. Joey est le roi du oh yeah oh-oh, ça n’a pas l’air comme ça, mais c’est capital. Tu réécoutes cet album 50 ans plus tard, et ça n’a pas pris une seule ride ! «Judy Is A Punk» sonne comme l’archétype définitif du punk-rock new-yorkais. Ça éclate le firmament. «Chainsaw» est so fast de ventre-à-terre ! Et voilà Oh Daddy-o et «I Don’t Wanna Go To The Basement», c’est la Ramona pure et dure. Dee Dee te sous-tend ça à merveille. Ils créent encore un monde avec «Loudmouth». Offensive en règle. Et toujours le wall of sound. Encore de la pression avec «Havana Affair». Quand t’écoutais cet album à l’époque, tu sentais que c’était l’album de rock parfait. One two three four ! «Listen To My Heart». Tout y est : le drive de basse et le buzz. Refrain printanier dans «53rd & 3rd», avec une prod de génie bien à ras des pâquerettes. Et ça se termine en beauté avec «Today Your Love Tomorrow The World». Fantastique élan !

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             À ce stade des opérations, il paraît essentiel de se plonger dans la lecture de Commando, l’autobio de Johnny Ramone. La première de couve est à l’image du personnage : puissante. Johnny Ramone subit un traitement graphique innervé, strié dans la matière. Il implose et dégage des rayons. Le book, en tant qu’objet, est lui aussi puissant : l’éditeur Abrams a contrecollé deux plats de couve massifs (5 mil d’épaisseur) sur la une et la quatre de couve, et brutalement massicoté l’ensemble dans la fleur de l’âge, sans débord. T’as dans les pattes un bel objet d’art moderne, à l’image des Ramones. Quel joli coup ! Ces deux plats de couve enserrent les 180 pages du book comme deux serre-livres à socles de marbre. On ne pouvait pas rendre plus bel hommage à cette force de la nature réactionnaire que fut Johnny Ramone. On était presque fier de ramasser ce book chez Smith en 2012 : l’étiquette de prix W H Smith est encore collée au dos. EUR 27.20. Cadeau !

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             Sacré Johnny. Il avoue volontiers avoir frappé Dee Dee - I had to smack him a couple of time to get him into the van - Oui, Dee Dee n’en faisait qu’à sa tête, Johnny l’aimait bien, «but I think he just liked to be difficult». Et tu ne fais pas le difficult avec Johnny Ramone. Pour Johnny, le plan est simple : une fois que les Ramones sont sur les rails, ça doit tourner. Pas question de tout faire foirer. Il prévoit d’économiser assez de dollars pour pouvoir prendre sa retraite quand l’âge de monter sur scène sera passé. L’autre tête de turc des Ramones, c’est Joey. Johnny dit qu’il a essayé de l’apprécier, de lui parler, mais ça n’a pas marché - He was a fucking pain in the ass. So I gave up -  Johnny nous explique dans l’intro qu’il était entouré de «dysfunctional people, and I was the one who ran the business end, aside from our managers. Everybody else was a mess.» L’enfer, c’était le van. T’en avais toujours un qui voulait s’arrêter, et si on s’était arrêté toutes les dix minutes, nous dit Johnny, on ne serait jamais arrivés à destination. On voit bien le topo. Mais ça valait le coup : «The Ramones were fun, and the more intense the better.»

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             Il raconte son adolescence à Forest Hills en 1964. Il fait la connaissance de Tommy à l’école. Ils sont fans des Stooges. Johnny en pince aussi pour Grand Funk et se hâte de préciser que Mark Farner n’était pas un hippie - I hated the hippies and never liked that peace and love shit - Ado, il sombre dans la petite délinquance - I was just bad, every minute of the day - Sa mère trouve de l’hero dans le tiroir de sa table de nuit. Il arrache les sacs à main des grand-mères, il tabasse des gosses pour leur barboter du blé, puis un jour il décide d’arrêter les conneries.

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             Son premier concert ? Les Rolling Stones au Carnegie Hall en juin 1964. Puis il voit les Who, les Beatles au Shea Stadium, Black Sabbath sur leur première tournée américaine, il voit les Doors dix fois, les Amboy Dukes deux fois. Il adore le MC5. Il achète le premier album des Stooges sur la seule foi de la pochette - I just liked the way they looked: tough - Et la musique le rend dingue - I was crazy for it - Il voit les Stooges à l’Electric Circus on St. Marks Place. Il voit Ron Asheton avec son nazi stuff faire un discours en allemand. Mais ceux qui jouaient plus fort que tous les autres, c’était Grand Funk, at the Stony Brook University - That was probably the loudest show I ever saw - Il les revoit au Shea Stadium avec Humble Pie en première partie. D’où l’avantage d’être américain.

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             Et bam, on tombe fatalement sur les Dolls - The New York Dolls really did it for me - Il les voit over and over, twenty times in all, depuis le Mercer Arts Center en 1972 jusqu’au Conventry Club in Queens en 1974. Il indique qu’il notait tous ces détails in little notebooks. Il voit Kiss mais ne les trouve pas cool - Kiss wasn’t cool. The New York Dolls were cool - Il trouve aussi Wayne County «too perverse» - There was this uglyness to that - Il préfère la faune des Dolls, les filles sont jolies et Johnny Thunders looked good. Il aime bien les Dolls parce qu’ils sont comme les Ramones, assez limités, «but they knew what to do with what they had». C’est là que Johnny comprend que le rock’n’roll peut être une option - I can do this too, just as good - Mais il va lui falloir deux ans pour prendre la décision de monter les Ramones avec Dee Dee.

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             Il achète sa gratte en janvier 1974 chez Manny’s, on 48th Street and Broadway. Il paye sa Mosrite 50 dollars. Pourquoi une Mosrite ? Because of The Ventures et Fred Sonic Smith. Elle est bleue. Comme il n’a pas assez pour s’acheter un étui, il la met dans un sac en plastique. Dee Dee et lui démarrent le groupe en répétant dans son appart de Forest Hills. Ils grattent tous les deux leurs grattes. Joey bat le beurre et Dee Dee chante. Ils ont un pote nommé Richie à la basse mais Johnny le vire car ça ne va pas du tout. Dee Dee prend la basse et ça devient un trio. Mais Dee Dee ne peut pas jouer et chanter en même temps. Joey fait n’importe quoi au beurre. It was bad. Johnny veut virer Joey mais Tommy dit qu’il peut chanter. Comme Johnny a confiance en Tommy, il accepte. Alors ils auditionnent des batteurs. Finalement, c’est Tommy qui s’assoit derrière les fûts - He’d never played drums before, but it was working - Et ils se mettent à répéter sérieusement. Comme ils se savent limités, leurs cuts sont simples - They had to be simple - Ils jouent pour la première fois au CBGB en août 1974. Ils torchent 6 ou 7 cuts devant 10 personnes. Johnny est encore le seul des quatre à porter le perfecto. Puis ils reviennent jouer chaque semaine et font payer un dollar à l’entrée. Ils ont en moyenne une quinzaine de personnes.

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             Puis au, fil du temps, tout le monde vient les voir jouer, à commencer par Lou Reed. Johnny ne voit qu’un seul groupe concurrent : les Heartbreakers. Mais comme ce sont des junkies, Johnny sait qu’ils ne vont pas durer longtemps. Il voit Blondie comme un «lightweight pop band». Il voit aussi les Talking Heads comme something very different - It wasn’t really rock and roll, it was something else - Comme ça au moins, les choses sont claires. Il a même une petite altercation avec Debbie Harry, quand les Ramones jouent au Mothers avec Blondie en première partie. L’Harry veut un 50/50 split à l’entrée et Johnny la recadre : «‘No one is here to see you guys. Everyone is here to see us.’ We split the door 70-30 and she was mad. I never really got along with her.» Quand ils partent en tournée européenne en avril 1977, Johnny a deux raisons de flipper : les Talking Heads jouent en première partie, et l’Europe qu’il ne supporte pas - Europe was a horrible place. I hated the hotels - Pas de téléphones dans les chambres, rien à la télé, le bouffe toute pourrie - all this boiled shit or curry - Et t’as les Talking Heads qui sont des intellos qui s’écoutent parler - Tina Weymouth was unbereable - Quand Johnny dit à son roadie d’aller chercher sa guitare, elle interpelle Johnny lui dit d’aller la chercher lui-même. De quoi elle se mêle cette conne ? Johnny ne leur adresse pas la parole. Mais c’est en Europe que ça marche le mieux pour les Ramones, aussi reviennent-ils en tournée. Ils enregistrent It’s Alive le 31 décembre 1977 au Rainbow Theater de Londres - I think that’s our greatest moment as a band - C’est vrai que ce double live est une bombe atomique qui démarre en trombe avec «Rockaway Beach». Joey lance : «Hey we’re the Ramones!» et Dee Dee fait one two three four!, et c’est parti pour un set de folie Méricourt, «Blitzkrieg Bop», l’hymne du XXe siècle, avec «I Wanna Be Well»,  les Ramones deviennent le groupe de rock par excellence, Joey ramène tout son sucre magique, l’heavy beat d’«I Don’t Care» leur va comme un gant, «Sheena Is A Punk Rocker» sonne comme the perfect Ramona, «Havana Affair» déboule pour de vrai, ils expurgent «Surfin’ Bird», et en C, ça repart de plus belle avec «Listen To My Heart», puis «California Sun» explose, toute la vie du rock est là, «Chainsaw» sonne aussi comme un hymne, leur formule est terriblement au point. Cohérence ultime encore en D avec «Judy Is A Punk». Les Ramones sont un phénomène unique, «Let’s Dance» sonne wild as punk. Tu sors de là à quatre pattes.

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             London 1977, ça ne te rappelle rien ? Oui, les punks ! En décembre 1977, Johnny voit les Pistols sur scène et quand Johnny Rotten demande à Johnny Ramone ce qu’il pense des Pistols, le Ramone lui répond qu’ils puent - I told him I thought they stunk.

             Johnny fait régner la discipline : pas de booze avant le concert. Mais «Joey always had a drinking problem, he was hanging out with everybody. Tommy was fine, he had no vices except cigarettes. Dee Dee... whatever.»

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             Rocket To Russia sort en 1977. Johnny : «This was the best Ramones album, with the classics on it. That band had reached its peak both in the studio and live. This one has one great song after another.» «Cretin Hop» ouvre le bal et boom, beat inimitable, sucre inimitable, énergie inimitable, buzzsaw inimitable. C’est là qu’on trouve la version studio de «Rockaway Beach», one two three four!, Dee Dee fidèle au poste ! Et toujours ce Tom-Tom Tommy beat à la surface ! Il faut ensuite attendre «I Don’t Care» pour sauter en l’air. Fantastique buzzsaw, suivi de «Sheena Is A Punk Rocker» qui sonne comme un hit des Beach Boys. Ils déboulent sur la plage avec exactement le même power. Et en B ça repart en mode punch in the face avec «Teenage Lobotomy», belle flambée de violence ramonesque. Personne ne bat les Ramones à la course du Lobotomy. Nouvel hommage aux Beach Boys avec «Do You Wanna Dance» - Dee-Dee Dee/ Wanna dance - Ils grimpent au sommet de la power pop avec «I Wanna Be Well» et puis boom !, voilà la version studio de «Surfin’ Bird» - Well everybody saiz/ About the bird ! - Bel hommage aux Cramps.

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             Quand ils s’apprêtent à enregistrer Road To Ruin, Tommy jette l’éponge. Johnny embauche Marc Bell qui devient Marky Ramone. On a cité les  noms de Johnny Blitz (Dead Boys) et Paul Cook - We tried one drummer, Mark, and that was it - Marc jouait dans les Voidoids. Johnny ajoute que Marc pouvait manger n’importe quoi, des boîtes de dog food et des cafards. Johnny : «The production on this is the best of all of them.» Et plus loin, il ajoute : «This was the last of the great Ramones albums until Too Tough To Die.» C’est encore Stasium et Tommy qui co-produisent cet album bardé de Johnny power. Ils sonnent comme les Heartbreakers sur «I Just Want To Have Something To Do» et sur «I Don’t Want You». T’y retrouves la cisaille des Heartbreakers. «I’m Against It» et «Go Mental» sont du pur New York City Sound. Johnny sait chaque fois ce qu’il doit faire : riffer à la vie à la mort. Quel déballage ! Ils te noient «She’s The One» de son. Les Ramones sont une vraie machine. Ils claquent la plus reluisante des power-pop, montée sur l’incroyable cisaille de Johnny. Riffer, il n’y a que ça qui l’intéresse. Le coup de génie de l’album n’est autre qu’«I Wanna Be Sedated». Ramona classique, une vraie perfection de riffalama fa fa fa et de chant sucré. Joey titille bien ses petits refrains.

             Et crack : Johnny aborde l’épisode Totor. Quand ils jouent la première fois à Los Angeles, en 1977, Totor les voit et dit qu’il veut les produire. Il voulait produire Rocket To Russia et Road To Ruin mais Tommy produisait. Par contre, Johnny préfère cent fois Daniel Rey qui va produire le dernier album des Ramones, Adios Amigos

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    ( 1995 )

             Donc Totor leur court après, mais les Ramones n’en veulent pas. En même temps, ils savent qu’ils ont besoin d’un hit. Sire monte le coup avec Totor pour enregistrer End Of The Century. Johnny sent dès le départ que c’est pas bon - Right from the start, he was abusive to everybody around him, except us - Totor insulte les gens. En plus, il est très long. Hors de question pour Johnny de passer deux mois sur un album. Il voit Toror gueuler sur Larry Levine, l’ingé-son. Totor ne dort pas. Totor ne mange rien. Johnny le suspecte de tourner à la coke. Et il n’a pas une très haute opinion de ce «little guy with lifts in his shoes, a wig on his head, four guns - two in his boots and one each side of his chest - and two bodyguards.» Johnny pense que si Totor avait dû descendre l’un des Ramones, c’était forcément Dee Dee - Dee Dee drove him crazy and Dee Dee didn’t like Phil either - Quelle ambiance ! Johnny et Dee Dee finissent par se casser et Joey reste seul avec Totor pour enregistrer «Baby I Love You». Aucun autre Ramone ne joue sur cette cover. Puis Johnny évoque la pochette et l’absence des perfectos. Le photographe piège les Ramones en leur expliquant que ce serait bien de changer un peu, mais Johnny se doutait bien qu’il ne fallait pas poser sans les perfectos. Dee Dee et Joey votent pour la pochette sans perfectos. Johnny est baisé. La majorité l’empote. Puis Dee Dee et Joey prennent l’habitude de voter contre Johnny, ce qui le stresse - They were voting against me on everything artistic - Il pense que c’est la fin des Ramones, car les choix musicaux ne lui plaisent pas - I would never have put out something like a hit song just to have a hit if it wasn’t our style - Pour Johnny, la compromission est impossible. Il dit qu’il ne pourrait même pas se regarder dans un miroir. Plus loin, il explique que les Ramones n’étaient pas contre les gens, ils étaient contre ce que devenait le rock’n’roll - We wanted to save rock’n’roll - Il croyait que les Ramones, les Pistols et les Clash allaient devenir des major bands, comme le furent les Beatles et les Stones avant eux. Mais même avec Totor, ils ne passent toujours pas à la radio.  

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             Et l’album ? Une merveille. End Of The Century est l’un des très grands albums de cette époque. Coup de génie dès «Danny Says». Totor le développe doucement, Danny says we gotta go, et ça monte admirablement en neige, et soudain il pleut du son comme vache qui pisse. Voilà l’hit impérissable des Ramones. Puis on passe au mythe avec «Chinese Rock» : Heartbreakers + Ramones + Totor, tu vois un peu le travail ? Mythe encore en B avec le «Baby I Love You» des Ronettes somptueusement contrebalancé, Joey te chante ça jusqu’à l’oss de l’ass, et ce visionnaire de Totor fait littéralement swinguer les violons ! T’as jamais entendu ailleurs. Et t’en as qui vont cracher sur l’album ! Et pour finir la B, ça part en classic Ramona avec «This Ain’t Havana», puis «Rock’nRoll High School», Totor a bien compris la logique du beat serré des Ramones, et ça file encore ventre à terre avec «All The Way». Totor sublime les Ramones.

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             Quand Leave Home est sorti en 1977, nous fûmes tous frappés par la qualité du son de Stasium. Dès «Glad To See You Go», t’as le Wall of Sound, avec la voix de Joey qui résonne dans l’écho du temps. Et ça continue en mode Wall of Sound avec «Gimme Gimme Shock Treatment», avant de passer en mode power pop avec «I Remember You». Ils enfilent les hits comme des perles.  Joey arrache tous les cuts du sol. Dans «Oh Oh I Love Her So», on entend les chœurs des Dolls. C’est puissant, très new-yorkais. «Carbona Not Glue» situe bien l’époque. On sait où on est. Quel punch ! C’est encore la foire à la saucisse du power avec «Suzy Is A Headbanger». Un vrai ras-de-marrée ! La formule est au point. Ils sont à cheval sur la candeur et le rouleau compresseur. Ils portent «Swallow My Pride» au sommet du rock américain. Tout est laminé par la machine Johnny/Dee Dee, et le beat de Tommy bat comme un cœur. Fantastique cover de «California Sun». Un vrai brasier ! Les Ramones ont un son unique, une méthode bien établie. Tu les connais par cœur et tu leur accordes tout le crédit du monde. Ils sont fabuleusement cousus de fil blanc, mais tu ne t’en lasses pas. Avec la red de Leave Home, t’as un Live au Roxy en 1976 : une vraie bombe atomique, parce que «Loudmouth», one two three four ! Dee Dee is on fire, parce que «Beat On The Brat», ooh yeah oh-oh, parce que «Blitzkrieg Pop», hey ho let’s go, parce que «Glad To See You Go», parce que le wild punk d’«Havana Affair», parce que le génie punk de «California Sun», parce que «Judy Is A Punk», parce que «Now I Wanna Sniff Some Glue». Ça n’arrête pas.

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             Côté collègues, Johnny a ses chouchous, comme Johnny Thunders. Il n’aime pas Tom Verlaine, il hait Mink DeVille. Il aime bien les Dictators, mais ne traîne pas avec eux. Il aime bien Richard Hell et les Dead Boys. Et puis les Cramps - I became friends with Lux and Ivy from the Cramps too. They’ve always stayed true to what they were doing. We’re still friends to this day - Il évoque rapidement l’épisode Richie Ramone, qui a quitté le groupe en pleine tournée. Plus jamais de nouvelles - Last I heard, he was a golf caddie - Quand Richie quitte le groupe, ils testent Clem Burke en remplacement. Il allait devenir Elvis Ramone. Il a duré deux shows, «and it was awful».

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             Puis Dee Dee en a marre de la basse. Il est crédité sur trois albums sur lesquels il ne joue pas. Il est en studio, mais il ne joue pas. Il laisse Daniel Rey et d’autres jouer à sa place - Dee Dee was getting crazier and crazier and it wasn’t just drugs - Il va quitter le groupe en 1989 pour faire du rap, «which was everything we hated». L’arrivée de C.J. en remplacement de Dee Dee rallonge la durée de vie des Ramones de 7 ans. En 1988, Johnny a déjà 200 000 dollars à la banque. Pour arrêter le groupe, il lui faut un million de dollars.

             Son point de vue sur le vie de rocker est passionnant : «Le rock’n’roll n’est pas un mode de vie très sain. On a trop de liberté. Pas de patron, on peut faire ce qu’on veut. You can play stoned. Personne ne peut avoir un real job stoned.» Il ajoute que les hauts et les bas sont tellement violents qu’on finit par se droguer pour les supporter. «I didn’t. I went back to my room with milk and cookies.» Et puis ça qui vaut son pesant d’or du Rhin : «I owe my personal success to hard work, intelligence and luck, as well as knowing how to handle that luck. There’s also a certain amount of talent that I’ve developed. But most of all, it’s the fans. The fans are the biggest reason for the band to stick together and play all those years. Tout ce que je possède, je le dois aux fans.» Johnny est un cake captivant.

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             Il atteint son objectif du million de dollars au début des années 90. En 1995, il propose aux autres d’enregistrer un dernier album et d’arrêter. «And there was no resistance. None.» Il ajoute ça qui est poilant : «I thought we were becoming dinosaurs, which is why you see the dinosaurs on the cover of Adios Amigos.» Les Ramones terminent leur dernier concert au Palace de Los Angles en 1996 avec une cover du Dave Clark Five, «Any Way You Want It» - I said nothing to the other guys. I just walked out - Fin des Ramones. I tried not to feel anything.

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             Dans son avant-dernier chapitre, il dit quand même avoir espéré une reformation - In my head it was never officially over until Joey died in april 2001. There was no more Ramones without Joey - Puis c’est Dee Dee qui casse sa pipe en bois en juin 2002 - Here’s the most influential punk rock bassist of all time - He could be a problem, but I was really thrown by his death - Johnny termine avec un chapitre sur son cancer.  

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             C’est peut-être le moment idéal de voir ou revoir End Of The Century - The Story Of The Ramones. C’est du double concentré d’émotion. Dee Dee nous rappelle vite fait qu’au départ, les Ramones sont fans des Stooges et des Dolls. Ça ancre bien un groupe. Le premier cut qu’ils pondent est «Judy Is A Punk» et Tommy trouve que c’est du brillant stuff. C’est même something completely new. One two three four ! Leur premier fan est Alan Vega. Hey daddy-o ! Puis Danny Fields devient leur manager. Les voilà qui débarquent en Angleterre en 1976. Les Clash les copient avec «White Riot». On est frappé par les plans scéniques et le dévolu de Johnny & Dee Dee : ils font de l’art total. Johnny voulait que les Ramones portent l’«uniforme», pas question de se fringuer comme les Heartbreakers ! Puis Tommy en a marre - I’m losing my mind - Alors Marc Bell devient Marky Ramone. Danny Fields va se faire virer après l’épisode Totor.

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             On en arrive aux histoires de cul : Johnny pique la copine de Joey, la fameuse Linda. C’est le split entre Joey et Johnny, mais Joey ne quitte pas le groupe. Ils restent ensemble mais ils se haïssent. D’où «The KKK Took My Baby Away». Quand Marky dit a Johnny qu’il a déconné en barbotant la poule de Joey, il se fait virer. Richie devient le nouveau batteur pour 5 ans, avant de se faire virer, pour une question de merch : Richie voulait sa part. Pas question ! Alors Marky qui a réussi à stopper la picole revient. Dee Dee veut faire du rap, alors il se barre et C.J. le remplace. C’est vrai que Joey aurait pu se barrer depuis longtemps, but he needed a fix, and the fix was the Ramones. Ils arrêtent les frais avec Adios Amigos - On a fait ça pendant 21 ans - Dernier concert en 1996 et Joey casse sa pipe en bois en 2001. Il n’a que 49 ans. Santé précaire, disent les proches. 

    Signé : Cazengler, Ramone sa fraise

    Ramones. Ramones. Sire 1976

    Ramones. Leave Home. Sire 1977

    Ramones. Rocket To Russia. Sire 1977

    Ramones. Road To Ruin. Sire 1978

    Ramones. End Of The Century. Sire 1979

    Ramones. It’s Alive. Sire 1979

    Kris Needs : The Forest Hills are alive! Record Collector # 572 - July 2025

    Commando: The Autobiography of Johnny Ramone. Abrams 2012

    End Of The Century - The Story Of The Ramones. DVD Rhino 2005

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

     (Part Nine)

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             En plus des albums enregistrés avec Sexton Ming (salués bien bas la semaine dernière) et ceux enregistrés avec Russ Wilkins dans les Milkshakes (salués encore plus bas auparavant), t’as une belle ribambelle d’albums solos et au moins deux compiles rétrospectives qui valent cent fois tout l’Or du Rhin. Et même mille fois. Le panorama reste assez vertigineux.

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             Dans les années 90, tu ramassais tout ce qui portait le nom de Childish, à commencer par  I’ve Got Everything Indeed, son premier album solo. Pochette childishienne ornée de bois gravés et du punk Big Billy, et au dos, son état civil. On apprend qu’il est né à Chatham en 1953 et que l’album est produit par Stanley Arthur Jefferson, la cover signée Guy Hamper, et l’art direction est de William Loveday, autant de pseudos qu’il va réutiliser plus tard. C’est du fait-maison à 100%. Il enregistre déjà à Rochester et l’album sort sur son label Hangman, dont le logo est le bois gravé d’une potence. En 1986, tout l’univers est déjà là. Et puis t’as l’interview du Doctor X sur le côté. Big Billy commence par accuser Elvis Costello et Bowie de faire un dishonest buck avec de la fake culture. Alors pour échapper à ça, dit-il, tu fais ton art local, «qu’on appelle le punk rock», et quand le punk rock a été corrompu, «we moved on, not upwards but sideways, like a crab, to avoid it.» Puis il dit qu’il vend ses books à son comptoir, «that’s my bisniss (sic)» et il ajoute ça qui est terrible : «I put my money where my mouth is, I’m not Pete Townshend, I don’t weedle my way into Faber and Faber.» Quand Doctor X le branche sur Morrisey et Paul Weller, Big Billy se fout en pétard : «That Morrisey bloke, I’ve seen him on his videos crawling round on his ass singing to a bunch of flowers», et il ajoute plus loin : «The angry young man of modern rock?  He’s more interested in his haircut and clothes... the same goes for Paul Weller.» Il attaque l’album avec une cover primitive d’«Oh Yeah» qu’il gratte à coups d’acou. Puis il reprend le riff d’«Oh Yeah» pour gratter son «Troubled Thoughts (Resting On My Mind)». T’as vraiment intérêt à écouter Wild Billy Childish : il sait tout faire et fait tout bien. Il tape encore une version primitive de «Bright Lights Big City» avec des clap-hands. C’est enregistré dans la cuisine. En B, il gratte les accords de Bo sur «Strange Words» et passe au proto-punk avec «Get Out Of Here Pretty Girl». Il gratte son riff raff comme un démon. Plus loin, il claque un fast boogie blues primitif, «Coming Upside Your Head». Il est dans doute l’artiste le plus complet d’Angleterre. Et le plus fascinant.

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             Belle pochette hideuse pour I Remember, mais quel primitivisme ! Il gratte tout dans sa cabane de jardin à Chatham. On croise la première version de «Why Don’t You Try My Love» qu’on retrouvera plus tard dans les autres projets. Même le killer solo de «Come Love» est primitif. Tout sent bon la cabane branlante. En B, ils gratte son «Burn & Blind Me» à l’enroulée. C’est magnifique. Au dos de la pochette, il met la photo d’un homme qu’on pend dans la rue pendant la deuxième Guerre Mondiale.

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             Il apparaît en compagnie de sa poule Tracey Enim que la pochette de The 1982 Cassettes. Et au dos, il te prévient : «You most likely won’t like this record». Il colle en plus une photo de lui avec les dents pourries et un sourire de psychopathe. Il reste dans l’ultra-primitif avec «Col’ Col’ Chillen» et il accentue bien ses accents primitifs. Il déclare au bas d’un texte tapé à la machine : «no alls ain’t gonna sit down for an hour and listen to something that’s gonna burn your soul.» Cet album est l’artefact du primitivisme. Avec «Monkey Bisniss», il tape la cover la plus primitive du Monkey Biz. En B, il fait un peu l’Hasil à l’asile avec «Todays Menu» et il trashe complètement sa cover de «Little Queenie».

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             Rien de plus punkish que la pochette de 50 Albums Great. Il a peint son costard. Il sort un son cru et on l’entend cracher dans son micro. C’est sur cet album qu’on trouve les premières versions fabuleusement raw d’«I Don’ Like The Man I Am» et «Rusty Hook» qu’il reprendra beaucoup plus tard avec The William Loveday Intention. Il s’amuse aussi avec «Miss Ludella Black» - Miss Black/ Miss Black/ I’m in love with you girl - Au dos, il explique que cet album «is something like my 50th, it is a celebration of never having a producer», et signe Jack Ketch, un pseudo qu’il reprendra sur un seul album.  

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             Joli bois gravé pour la pochette de The Sudden Fart Of Larfter. Tu ramasses ça croyant que c’est un album de garage primitif, mais c’est encore mieux : Big Billy lit ses poèmes - I’m a desperate man/ With desperate hands/ And bad teeth - Au dos, on trouve la première partie de sa bibliographie : 30 books en 10 ans, de 1981 à 1992. En plus des albums. 

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             C’est Little Billy qu’on voit sur la pochette de Made With A Passion. Il a 14 ans. Au dos, il explique qu’il enregistre des démos dans sa cuisine, «as a memory device». Il rappelle qu’il a déjà fait «80 LPs without a producer», mais ajoute-t-il, il y a toujours une manipulation going on, «a dressing up (or dressing down) of the sound, to make it more live, more raw and exciting, or as is more often the case with contemporary studios, more dull...» Il conclut en expliquant que cet album «is a personal notebook that was never intended for release, so it sets out to please no one.» Effectivement, l’album est un peu austère. Mais Sympathy For The Record Industry n’a pas hésité un seul instant à le publier.

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             Et puis t’as ce duo de rêve, Billy Childish & Holly Golightly qui enregistre en 1999 un album de rêve : In Blood. Pochette de rêve et au dos, liners de rêve. Sous le couvert de l’Hangman Bureau of Enquiry, Big Billy déclare : «Three chords are a problem. There’s just too much diversity and choice.» Il s’en explique plus loin : «This album uses one chord and it’s simple and dumb, but really it’s sophisticated beyond the wildest dreams of the poor professional.» Il vole dans les plumes de la Brit-pop et clame que le futur appartient aux glorieux amateurs - One chord, one song, one sound! - Pour illustrer ce brillant slogan, ils tapent un fabuleux boogie down, «Step Out», bien stompé au Billy Boot, avec John Gibbs à la stand-up et Bruce Brand au beurre. En écho à ce fulgurant coup de génie, tu trouves au bout de la B un autre big boogie down de Billy Boot, «Hold Me». Ils roulent-ma-poule à belle allure, bien pulsés par le bop de Gibbs. C’est quasi rockab. Avec le morceau titre, Big Billy reste sur son accord avec derrière un beurre du diable signé Bruce. Ça vire hypno avec «Let Me Know You». C’est ce qu’on appelle une volonté clairement affichée. «Let Me Know You» tape en plein dans l’œil du cyclope, avec les coups d’harp de Johnny Johnson. Et avec son tacatac incessant, Bruce vole le show sur «You Got That Thing». Ils tapent tout «Demolition Girl» sur un riff de destruction massive, pas loin de celui de «Cold Turkey». Ils reviennent aux sources du British Beat avec «You Move Me», en ouverture du bal de B, et la stand-up ramène un brin de rockab dans «It’s A Natural Fact». Early British Beat encore avec «I’m The Robber», Big Billy n’en démord pas, c’est monté sur le groove du «Mama Keep Your Big Mouth Shut» des Pretties. On se régale encore de «Move On Up». Bruce Brand est plus dans le swing, comme Charlie Watts, alors que Wolf, l’autre batteur de prédilection de Big Billy, est plus dans Moonie. Big Billy a toujours eu les meilleurs batteurs d’Angleterre.

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             Ce serait une grave erreur que de faire l’impasse sur les rétrospectives de Big Billy. 25 Years Of Being Childish va te clouer vite fait à la porte de l’église. Cette compile est un peu le royaume du proto : Milkshakes et «Pretty Baby», puis «Please Don’t Tell Me Baby» (wild as proto-fuck, il n’existe pas d’autre mot possible), Mighty Caesars et «You Make Me Die» et «Lie Detector» (proto du diable et killer solo flash convulsif), puis Thee Headcoats et «Smile Now» (Big Billy ramène toute la morve de la fuzz), sans oublier l’enfer sur la terre, c’est-à-dire la cover de «Watcha Gonna Do About It» des Pop Rivets. Ils font passer les Small Faces dans leur laminoir. Le déluge se poursuit sur le disk 2, avec une ribambelle d’hommages : à Jimi Hendrix (Buff Medways et «Fire» claqué direct au uhhhh), hommage encore à Bo (Thee Headcoat Sect et «Deer Stalking Man», Downliners ruckus, incomparable !), hommage aux Pistols (The Blackhands et «Anarchy In The UK» tapé en mode balloche), clin d’œil aux Buzzcocks aussi (Billy Childish with Armitage Shanks et «Shirts Off»), et pur jus Dylanesque (Billy Childish et «Ballad Of Nettie Brown»). Puis t’as cette avalanche de coups de génie : Thee Headcoatees avec «Wild Man» et «Davey Crockett» (Kyra y va à l’oum pah pah oum yeah !, puis ça repart sur Farmer John, what you got in your pocket), et plus loin t’as Thee Headcoats et «The Hurtin’» (fantastique dégelée aérodynamique), Thee Headcoatees et «Hurt Me» (pur génie de montée en température, summum orgasmique), puis retour des Headcoats avec «The Same Tree» (early Stonesy), et t’as une belle cerise sur le gâtö : les Buff Medways avec «Archive From 1959» et «Troubled Mind» (tu retrouves le power des Who dans les Buff, c’est in the face, tout y est : la hargne et la hargne, le chien et la chienne).

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             From Fossilised Cretaceous Seams: A Short History Of His Song And Dance Groups vient de paraître et se présente sous la forme d’un double album bien dodu avec un very early Big Billy en maillot de bain. C’est une sorte de résumé de tout ce qui fait le génie du rock anglais : les Who (Spartan Dreggs et «Headlong Fly The Archaeans», en plein dans l’œil de la cocarde), les Pistols (Musicians Of The British Empire et «Christmas 1979», Big Billy fait son Johnny Rotten avec la scansion d’Anarchy, merry fucking Christmas to you’ll), et Wild Billy Childish himself (CTMF et «Last Punk Standing», heavy proto-punk à rebours de déclaration de pâté de foi). Bon, t’as aussi les Mighty Caesars, les Buff Medways, les Milkshakes, The William Loveday Intention, Thee Headcoats, les Singing Loins, le Guy Hamper Trio avec James Taylor et son Hammond organ, et bien sûr les Delmonas qui chantent «I Feel Like Giving In» en français - J’espère que tu comprends - Et ça continue sur le disque 2, c’est un vrai manège-à-moi-c’est-toi qui te fait tourner la tête Tu retrouves un hommage aux Who avec les Spartan Dreggs et «A Shopshire Lad» (encore plus Whoish que les Who, comme si c’était possible), un hommage à Bob Dylan avec CTMF et «Failure Not Success» (quel souffle !), du Pure Brit Art avec Buff Medways et «Medway Wheelers» (belle basse pouet pouet), du proto-punk avec Thee Headcoats et «The Same Tree» (C’est le son des Pretties, on est en plein protozozo), de la politique avec The Musicians Of The British Empire et «Thatcher’s Children» (The winner can’t win/ Save your own skin/ Everyone’s a loser), et des coups de génie comme s’il en pleuvait : Thee Headcoatees et «Hurt Me» (belle montée féminine), CTMF et «A Song For Kylie Milogue» (People think they know me/ But they don’t know me/ People think they know me but what do they know?) et The Musicians Of The British Empire avec «Joe Strummer’s Grave» (le power de Big Billy n’a jamais été aussi extravagant - Cool Britannia Jesus saves/ Rupert Murdoch rules the waves/ Richard Branson doesn’t shave/ And Joe Strummer’s lying in his grave).

    Signé : Cazengler, débilly

    Billy Childish. I’ve Got Everything Indeed. Hangman Records 1987

    Billy Childish. I Remember. Hangman Records 1988

    Billy Childish. The 1982 Cassettes. Hangman Records 1988

    Billy Childish. 50 Albums Great. Hangman Records 1991  

    Billy Childish. The Sudden Fart Of Larfter. Dog Meat 1992

    Billy Childish. Made With A Passion. Sympathy For The Record Industry 1996

    Billy Childish & Holly Golightly. In Blood. Wabana One Limited 1999

    Billy Childish. 25 Years Of Being Childish. Damaged Goods 2002

    Wild Billy Childish. From Fossilised Cretaceous Seams: A Short History Of His Song And Dance Groups. Damaged Goods 2024

     

     

    Inside the goldmine

    - La prestance de Clarence

             Tu t’enorgueillissais de fréquenter Édouard Clairon. T’avais là un homme fier de ses racines bretonnes, il en avait le bleu de la mer plein les yeux et du celticisme plein la verve. Il se dressait comme un dolmen. Il jonglait avec les prophéties comme d’autres jonglent avec des quilles au cirque. Il offrait l’hallucinant spectacle du prophète en la matière, de messie des data-bases, d’oracle des mutations irrémédiables, on voyait en lui le Grand Prêtre d’un Ra techno, le prédicateur des apocalypses digitales, l’augure d’outrances galvanisantes, la Bernadette Soubirou du Blue Tooth, le canonisateur des souris sans fil, le cartomancien des cartes mères, le devin de la dématérialisation, le visionnaire d’écrans 27 pouces, le vaticinateur du raccourci-clavier vicinal, l’extrapologue de la mémoire cache, l’empêcheur de tourner en rond, le fulmineur du fire-wire, l’annonceur des futures annonces, l’instigateur d’un nouveau domaine de la lutte, le ratificateur du rut numérique, t’en finissais plus de boire les paroles lénifiantes d’Édouard Clairon, son discours coulait en toi comme une rivière de miel, mais dans les abeilles. Alors imagine-toi un instant un tout petit plus primitif que tu ne l’es déjà : nul doute que tu lui aurais léché les bottes, ou bien les Nike, pour être plus précis, mais tu te l’interdisais, car il fallait conserver un minimum de dignité, même si tu soupçonnais Édouard Clairon de n’attendre que ça, qu’on lui lèche les Nike. C’est dire la considération qu’on avait tous pour lui. Et plus il parlait, plus cette considération fermentait dans les cervelles. Comme tous les pronostiqueurs du futur, il exerçait sur les esprits faibles une fascination indiscutable. Il nous rendait vraiment fiers de nos limites.

     

             Édouard Clairon et Clarence Edwards font exactement la même chose : ils te gavent comme une oie. L’un va te gaver de vent, et l’autre de blues. Et quel blues, my friend !

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             Tony Burke raconte que Clarence a appris à gratter le blues à 12 ans, en écoutant des 78 tours de Charley Patton. Clarence a démarré tôt dans les années 50/60, puis il est tombé dans l’oubli. C’est un Anglais, un certain Steve Coleridge, qui l’a redécouvert en 1989. Coleridge s’était installé à Baton Rouge pour bosser sur Slim Harpo. C’est lui qui va sortir Swamps The Word. Coleridge qui est aussi bassman va même accompagner Clarence en tournée. Burke situe Clarence ainsi : «One of the last of the great swamp blues artists in the style of Lonesome Sundown or Lightnin’ Slim.»  

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             Swamps The Word grouille de puces, à commencer par la plus mythique des covers : «The Things I Used To Do» de Guitar Slim. Hommage dément, avec tout le poids du spirit, le drive est pur - I’m gonna send you back to your mother - Il enquille à la suite une cover aussi hot d’«Hi Heel Sneakers». Hot as hell, sur les traces de Jerry Lee. On trouve aussi un hommage fabuleux à Muddy : «Hoochie Coochie Man», la racine du rock. Son of a gun ! Pas aussi raw que Muddy, mais Clarence prend l’Hoochie Coochie à la bonne. Il a tout : le black cat bone et le mojo too. Il prend tous ses cuts d’une voix de black dude des bas-fonds. Il n’en finit plus de charger sa barcasse. Coup de génie avec avec «Rocky Mountains». Il re-sort son énergie du diable pour «Chewing Gum». Il faut le voir swinguer son swagger ! Il reste maître du jeu de gimme some. Avec «I’m Your Slave», il balaye d’un coup tout le british Blues. Laisse tomber les blancs, c’est Clarence qu’il te faut. Il fait une cover démente de «Walking The Dog». Clarence est un punk black, le plus féroce d’entre tous. Il sait encore rocker le blues comme le montre «Still A Fool», sure ‘nuff it is ! Et il plonge dans les abîmes de l’heavy blues avec l’incomparable «Lonesome Bedroom Blues». Rien d’aussi balèze ici-bas, c’est gorgé d’écho. Fantastique justesse du ton ! Encore du panache à gogo avec «Done Got Over It». Et quand t’écoutes «Let Me Love You Baby», tu comprends que le blues et le rock, ça appartient aux blackos. T’as cet incroyable balancement basse/beurre, le black swing. Et t’as la pure diction du swamp rock. Clarence est rompu à tous les lards. Sur cet album, chaque cut est un petit chef-d’œuvre de perfection. Encore de l’heavy blues de rêve avec «Born With The Blues». Clarence mouille bien ses syllabes, il chante à l’accent pur. Il passe au pur piano blues de juke-joint pour taper un sidérant «Coal Black Mare». Bravo Clarence !

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             Tu peux prendre n’importe quel album de Clarence, c’est toujours bien. Et si tu en pinces pour l’Heartbreaking Blues, alors écoute Swampin’. Il attaque avec l’heavy blues cajun de génie, «Lonely Lonely Nights», puis il va enfiler ses heavy blues comme des perles : «Tried So Hard», «Cry Like A Baby» (fantastique balancement, on est là au max des possibilités de l’heavy blues), «Born With The Blues» (I got all them down in my shoes, et ça commence early in the morning/ Sure nff to write down some), «Long Distance Call» (Please call me on the phone/ Sometime, il est infernal, Yes my phone keeps ringing/ Sounds like a long distance call) et «Rocky Mountain» (heavy as hell. Clarence est un géant - That’s a place I like to see). Et puis t’as cette version de «Spoonful» ! C’est pas celle des petits culs blancs comme Cream. C’est le vrai Spoonful joué au beat tape-dur. Il se montre digne de Muddy avec «She Moves Me». Même attaque - She moves me man ! - Et il tape une autre cover mythique, «Will The Circle Be Unbroken». Il sort du cut en vainqueur, avec les accords de la modernité.  

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             Dans le 4 pages de Louisiana Swamp Blues, t’as une fantastique petite interview de Clarence. Il dit avec vécu à Alsen, en Louisiane puis à Thomas Scrap, où il a fait du farmwork. S’il a connu Robert Pete Williams ? Oui, «he used to bring scrap there in his truck, and Slim Harpo too.» Pour une raison X, Clarence n’a jamais enregistré pour Jay Miller «in the heyday of the Crowley blues recordings.» Sur ce fantastique Louisiana Swamp Blues, tu retrouves l’heavy «Cold Black Mare». On a écrit «cold» sur le track listing, alors qu’il s’agir de «coal». Clarence shakes down une belle cover d’«Hi Heel Sneakers» et se montre d’une rare crudité avec «Don’t Play With My Mistakes». Il est à l’aise dans le limon du boogie, il chante à l’accent déviant, c’est un bonheur que d’écouter ce blackos. Nouveau coup de Jarnac avec «Free Will». Ses riffs ne trompent pas. Il est encore extrêmement primitif avec «Up’s & Down’s». Clarence est un artiste complet. Tu peux y aller les yeux fermés.

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             Juste un petit conseil comme ça, en passant : ne fais pas l’impasse sur I Looked Down That Railroad (Till My Eyes Got Red And Sore). Clarence est vieux, mais il n’a jamais été aussi bon. Il tape une heavy cover d’«Highway 61» - I give her all my money - et enchaîne avec un autre Heartbreaking Blues de choc, «Trouble Don’t Last». Il est le prince de l’heavy blues - My father was a preacher And my mother prayed for me everyday day - Il tape dans le mille à chaque fois. Encore un fantastique heavy blues de many many years avec «I’m Your Slave». L’heavy boogie blues d’«I Walked All Night Long» est imbattable - She started screaming murder - et il tape à la suite un autre coup de génie, l’«I Just Wanna Make Love To You» de Big Dix - Love to you ! - C’est balèze et bien gras. Il tape «I Miss You So» au power vocal pur et rend un bel hommage à Fatsy avec la cover du diable : «Blue Monday». Back to the wild boogie avec «When The Weather Gets Cloudy». Clarence rôde dans le beat. Ces mecs jouent en rase-motte incendiaire. Et puis t’as encore un clin d’œil à Bo avec une cover d’«I’m A Man». Clarence t’estomaque.

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             Il attaque Baton Rouge Downhome Blues au pur raw to the bone, avec «Every Night About This Time». T’as le pur gras double de Baton Rouge. Et ça continue avec «Dealin’ From The Bottom Of The Deck», pur crack du boum, et ça solote dans le limon. Il tape ensuite dans la véracité de l’heavy blues avec une sidérante cover de «Crawling King Snake». Clarence Edwards est stupéfiant de power. Il explose l’«All You Love» de Muddy à coups de proto-Baton. Il ne dépasse pas les bornes, il les explose. Il monte sur tous les coups du blues. Tu seras scié par la classe du gimmicking dans «Well I Done Got Over It». Grand retour à l’heavy blues avec «Still A Fool». C’est un heavy blues d’une profondeur extraordinaire. Il bat Wolf et Muddy à la course. Il y va au aw aw sure ‘nuff I’ll do. On reste dans les coups de génie surnaturels avec «Rocky Mountain Blues» - These rocky mountains/ That’s the place I love to see - Il ne fonctionne qu’au pouvoir absolu. Clarence ramène des clameurs froutraques qui n’existent pas dans le Chicago Blues. Il tient encore sa fournaise en laisse dans «Don’t Make Me Pay For His Mistakes». Il tape ensuite un cover ahurissante d’«Hoochie Coochie Man», il y va au ha ha have mercy, et gratte des notes à contre-courant. On n’avait encore jamais vu ça. Il reste au sommet de l’Ararat avec cet «Everybody Has Those Ups & Downs» glorieux comme pas deux. Il n’existe rien de plus heavy sur cette terre. Il passe au mythe pur avec une cover du «Things I Used To Do» de Guitar Slim. Nouvelle descente au barbu avec «Highway 61 Blues». Clarence est le roi de l’heavy doom. Il te claque un beignet vite fait - I gave all my money - Toujours la même histoire. Clarence Edwards a tout le power de Baton Rouge. Il rocke mille fois plus que les blancs, c’est important de le dire. Il cultive une sorte de power intrinsèque, un downhome des enfers.

    Signé : Cazengler, rance tout court

    Clarence Edwards. Swamps The Word. Sidetrack Records 1988

    Clarence Edwards. Swampin’. Fan Club 1991  

    Clarence Edwards. Louisiana Swamp Blues. Wolf Records 1993     

    Clarence Edwards. I Looked Down That Railroad (Till My Eyes Got Red And Sore). Last Call Records 1996 

    Clarence Edwards. Baton Rouge Downhome Blues. Wolf Records 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - Le take five des 5.6.7.8’s

     

             L’avenir du rock ne s’attendait pas à croiser Dee Dee Ramone dans le désert. Ah ça, pour une surprise, c’est une surprise !

             — Dis donc Dee Dee, qu’est-ce tu fous là ?

             — One two three four ! I don’t wanna go down to the basement !

             — T’en fais donc pas Dee Dee, ya pas d’basement dans l’désert !

             Interloqué, Dee Dee reste muet quelques secondes, puis il lance d’une voix rauque :

             — One two three four ! I wanna be sédentaire !

             Agacé par le niveau zéro de la répartie, l’avenir du rock reste de marbre un moment puis il finit par marmonner d’un ton grinçant :

             — Ah bah dis Dee Dee, t’es en pleine surchauffe pondérale !

             Dee Dee encaisse l’insulte et lance d’une voix de fouine délinquante :

             — One two three four ! The KKK took my barda away !

             L’avenir du rock lève les bras au ciel :

             — Te fais donc pas d’bile Dee Dee, t’as pas besoin d’barda ici ! Regarde-moi, Ducon la joie, est-ce que j’ai un barda ?

             Ça laisse Dee Dee interdit. Mais créatif comme pas deux, il repart de plus belle :

             — One two three four ! Judy is a baseball bat !

             L’avenir du rock ne sait plus quoi dire. Il se sent dépassé. Pire encore, il sent qu’il perd son temps. Il déteste pisser dans un violon. Pendant ce temps, l’autre continue :

             — One two three four ! I wanna be your gaufrette !

             — Dis donc mon con joli Dee Dee, ça t’écorcherait la gueule de changer d’disque ?

             — Five six seven eight !

             — Ah bravo, c’est beaucoup mieux...

     

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             The 5.6.7.8’s est un trio de petites Japonaises qui date de Mathusalem. On les voit en effet dans Kill Bill 1 et leur premier album date de 1988, donc on peut faire le compte. Le problème c’est qu’elles sont tellement kitsch qu’on a jamais réussi à les prendre au sérieux. Grave erreur !

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             L’occasion nous est donnée de les voir sur scène en première partie de Gyasi. On arrive avec un a-priori, on renâcle, on rechigne, on renaude, on se souvient d’un son inabouti, d’un girl-group amateur, et puis dès le premier cut, «Hanky Panky», elles raflent la mise. Pourquoi ? Parce qu’elles n’ont aucune prétention. Elles jouent toutes les trois dispersées dans l’immense espace de la grande scène, ce qui équivaut à une sorte de dénuement, alors elles passent en force. Elles s’attaquent à un genre difficile qui est le gaga-kitsch, et seules des Japonaises peuvent réussir un coup pareil. Ronnie Fujiyama gratte ses poux sur une gratte vintage et sort le son clair des

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    origines du gaga-surf. Et derrière elle, t’as l’une des plus belles sections rythmiques de l’underground : Akiko qui swingue ses basslines avec une effarante maestria, et une fabuleuse batteuse de rockabilly, Sachiko, qu’on surnomme Geisha Girl Salad et qui pourrait très bien accompagner Charlie Feathers. Elles tapent à trois un set d’une heure qui ne cède rien ni à l’ennui ni à la médiocrité, c’est tout le contraire, elles subliment ce genre forcément difficile qu’on croit réservé aux dieux du stade, elles se l’approprient pour en faire du pur 5.6.7.8’s sound. Elles enfilent leurs vieux

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    hits comme des perles, «Godzilla», «Woo Hoo», Ronnie Fujuyama envoie parfois un coup de fuzz dans sa dentelle, et c’est du meilleur effet, elle est extraordinairement concentrée. Elle a ce côté vétérante de toutes les guerres qui assoit bien sa légende. Et tu vois cette diablesse d’Akiko tricoter ses lignes de basse athlétiques avec un sourire chargé de mystère. Franchement t’en reviens pas de voir un groupe défier les lois de la physique avec une telle retenue. Plus leur son paraît austère et plus tu les admires, car elles jettent toute leur énergie dans la balance et t’es rudement content d’être là, quasiment prosterné à leurs pieds.  

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             Pour entrer dans le monde magique des 5.6.7.8’s, l’idéal serait d’écouter Bomb The Rocks: Early Days Singles 1989-1996, une compile bourrée à craquer de bombes atomiques. Boom dès «Bomb The Twist», trash-punk de proto-punk, c’est même au-delà de tout proto, elles se jettent dans la bataille avec une vraie sauvagerie. Avais-tu

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    déjà vu un truc pareil ? Non. Elles tapent ensuite dans l’univers des Cramps avec «Jane In The Jungle», paradis de la reverb & du wild raunch.  Elles font encore les Cramps plus loin avec un «Jet Coaster» monté sur le modèle de «Fever». Tu veux de la délinquance juvénile ? Alors écoute «Guitar Date». Ronnie Fujiyama gratte sec. C’est une trash-punk. Elles foncent dans le mur du rock avec «Woo Hoo». Quelle bande de folles ! Leur cœur de métier est le trash, comme le montre «Continental Hop», fabuleusement arraché, ou leur version de «Long Tall Sally», trashée jusqu’à l’oss de l’ass, ou encore «Scream», allumé au scream de dingue, un summum d’insanité. Leur «Boyfriend From Outerspace» défonce les barrages et elles te cisaillent «She Was A MAu MAu» à la base : wild fuzz guitar ! Ronnie Fujiyama devient complètement dingue, elle bat tous les records de sauvagerie vocale. Elles savent aussi dealer du kitsch comme le montre «Bond Girl», elles tapent le thème de James Bond et ça sonne ! Joli shoot de gaga Jap avec «Fruit Bubble Love» et elles envoient un gros clin d’œil aux Shangri-Las avec «Motor City Go Go Go». Extraordinaire power délinquant ! Ronnie Fujiyama gratte des poux de dingue dans «The 5.6.7.8’s», un instro magnifico et tout rebascule dans le génie avec «Edie Is A Sweet Candy» qu’elles tapent à l’énergie fondamentale. Ronnie chante encore comme un monstre à la bouche gluante dans «I Was A Teenage Cave Woman», non seulement c’est hanté, mais t’entends des poux demented, t’as tout, le scream, la Jap, la démesure. Et ça repart dans le trash-bop avec «Ah-So», et du coup elles deviennent tes wild chouchoutes.

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             On retrouve la version originale de «Scream» sur le premier album sans titre des 5.6.7.8’s.  Ça hurle dans les couloirs du château d’Écosse. Whoooooh ! C’est excellent, soutenu par un gratté de poux génial, quasi rockab dans l’essence. Un vrai coup de génie, pour l’époque. Elles deviennent aussi les reines du trash avec «Oriental Rock», qu’elles trash-boom-huent, elles sont aussi pures que les Monsters, et leur version de «Long Tall Sally» en B bat tous les records de trash. Ronnie Fujiyama t’iconoclaste Sally en beauté. Elle sort ensuite sa plus belle fuzz pour «Cat Fight Run», et derrière, ça tatapoume de plus belle. Elles passent au kitschy kitschy petit bikini avec «Highschool Witch». Elles tapent ça à la finesse extrême, avec un beurre rockab. Elles font aussi deux belles covers jap : l’«Arkansas Twist» de Bobby Lee Trammell et elles allument «Tallahassie Lassie» aussi bien que les Groovies.

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             On retrouve le fameux «Scream» sur le Live At Third Man Records paru en 2013, c’mon scream yeah !, et elles tapent une version ultra-wild de «Teenage Mojo Workout». Elles sont tellement énergiques dans la dépenaille que ça devient génial. Par contre, le reste du Live n’est pas si bon. Le son est trop dépouillé, trop fête foraine. C’est même assez aléatoire. On perd la ferveur des early singles. Ça ne fonctionne pas. Elles tentent de sauver le Live avec «Bomb The Twist» et «Barracuda», mais ça se solde par un gros chou blanc.

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             On va donc se remonter le moral avec un album extraordinaire, le Teenage Mojo Workout paru en 2002. Elles te noient dans le trash dès «(I’m Sorry Mama) I’m A Wild One». Elles te jettent dans la friteuse, t’as tout, la folie, le beat, la démesure, le trash pur ! Et ça continue avec un «I’m Blue» stupéfiant de trashitude. Elles rendent un fantastique hommage à Bo avec «Road Runner». Fuzz-out ! Explosif ! Elles foncent dans la nuit avec «Typhoon Girl», un instro en forme d’incroyable déboulade pulsée par le beurre du diable. Et là tu vas tomber sur la triplette de Belleville, trois covers mythiques : «Hanky Panky» (attaqué à la fuzz, terrific), «Harlem Shuffle (elles tapent dans Bob & Earl de plein fouet, à l’arrache japonaise, elles sont héroïques, imbattables, elles atteignent leur sommet) et «Green Onions», amené à la Jap demented, elles le saturent de fuzz. Et puis voilà le morceau titre, d’une rare violence, wild as fuck, monté sur un drive de dingue, l’un des hits gaga du siècle, claqué aux pires accords Jap. Elles atteignent ensuite les somment du boogaloo-trash avec «Let’s Go Boogaloo». Elles te l’explosent dans la stratosphère.

    Signé : Cazengler, 9.10.11.12.13.14.15.16.17.18.19

    The 5.6.7.8’s. The 5.6.7.8’s. Time Bomb Records 1985        

    The 5.6.7.8’s. Live At Third Man Records. Time Bomb Records 2013   

    The 5.6.7.8’s. Teenage Mojo Workout. Time Bomb Records 2002

    The 5.6.7.8’s. Bomb The Rocks: Early Days Singles 1989-1996. Time Bomb Records 2003

     

     

    L’avenir du rock

    - Finnigan’s wake

     (Part Three)

             L’avenir du rock est fier d’appartenir au Cercle des Pouets Disparus. Il retrouve chaque mardi ces fiers barons de l’érudition rock dans un appartement de la rue de Rome dont nous tairons ne numéro pour éviter toute interférence mallarméenne. Le thème de la soirée est le Mono.

             Nick Cunt caresse son jabot et lance d’une voix cristalline de gazelle effilée :

             — Qui Monoterais-tu au radiateur, avenir du rock ?

             — Monoman, sans la moindre hésitation.

             Une rumeur admirative caresse les chevelures des convives.

             Charles Shaar d’Assaut s’écrie du haut de sa supériorité numérique :

             — Tu as toujours eu la glotte habile, avenir du rock. Ébahis-nous une fois encore : sur quel canasson Monomiseras-tu ton petit kopeck ?

             — Monochrome Set, comme je l’ai toujours fait depuis 40 ans ! Et toi Mick Tamère, quel est donc la nature de ton Monopole ?

             — Monoparental. Ma femme s’est barrée. Wouah quelle salope !

             Un vent glacial caresse les chevelures des convives.

             Philippe Panier-Garni s’élance fort héroïquement au secours de la situation :

             — Qui sauvera l’honneur du Cercle des Pouets Disparus ?

             — Il n’existe qu’un seul moyen !, s’écrie magnanimement l’avenir du rock.

             Médusée, la petite assistance attend la suite. Alors l’avenir du rock se hisse sur la table basse et lance du haut de son registre :

             — Back to Mono !

             Une rumeur de stupeur parcourt la petite assemblée. Alors pour river son clou, l’avenir du rock ajoute :

             — Back to Monophonics, bien sûr !

             — Ooooouuuhhhhhh....

     

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             Quand on voit Kelly Finnigan arriver sur scène, c’est un peu comme si on voyait revenir un vieux copain. Il ne va pas se passer grand-chose sur scène, car, fidèle à son habitude, Kelly reste assis derrière ses claviers, se contentant de pousser la chansonnette et de pointer du doigt, pour appuyer ses injonctions le plus souvent d’essence sentimentales. Il met aussi régulièrement la main sur le cœur pour nous assurer de sa bonne foi. On a presque envie de lui dire qu’on n’oserait pas la mettre en doute, mais ce sont des choses qu’on ne dit pas.

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             Alors forcément, cette Soul blanche te colle autant à la peau qu’au premier jour. Kelly est l’un des très grands chanteurs de son époque et il fait le choix de l’underground pour cultiver sa Soul en toute tranquillité, bien peinard sur la grand-mare des canards. Pas question d’aller promener son cul sur les remparts de Varsovie. Il tient trop à son intégrité. Il préfère ne vendre qu’une poignée d’albums à une poignée de fervents amateurs plutôt que d’aller faire la pute dans les émissions de télé à la mode. Et c’est pour ça qu’on le respecte. Avec Dan Penn, Kelly Finnigan est à peu près le seul Soul Brother blanc. On pourrait aussi remonter jusqu’à Eddie Hinton, Mitch Ryder, George Soule, Bobby Hatfield, et parmi les contemporains, épingler l’excellent Nick Waterhouse, ou encore Marcus King, mais Kelly se distingue des autres White Niggers par la qualité et la puissance de sa voix qu’on peut qualifier de grasse et colorée à la fois, de volatile et fruitée. Il est aussi perçant que Percy Sledge et hot qu’Otis. Il communique bien avec le public et n’a qu’un seul mot à la bouche : love. Alors love par ci et love par là. Tu sais pour l’avoir déjà vu à l’œuvre que rien ne va se passer et que tout se passe dans ta perception de la Soul,

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    dans ce que tu en attends. Il faut se souvenir de ce que Dave Godin disait de la Soul, il fallait qu’elle soit (pour lui) slow and fervent. Et passé le premier écueil, tu entrais alors dans le lagon d’argent de la Deep Soul. Kelly Finnigan ne fait que ça, de la Deep Soul slow and fervent, qui peut sembler atrocement austère au premier abord, mais qui est d’une rare qualité artistique. Une Soul d’une extrême pureté. On pourrait parler d’une Soul raffinée à l’extrême, comme ce «Promises», une Soul malade d’elle-même, une Soul huysmanienne, une Soul aux accents dépravés qui achèvent d’irriter ta cervelle ébranlée, une Soul de jazzmatose de la comatose, une Soul belle à pleurer dans ton verre de bière, une Soul fabuleusement privée de dessert, une Soul d’imprécations sur-oxygénées, comme le montre «Say You Love Me», une Soul qui brille parfois de l’éclat de topazes brûlées, la Soul d’une race à bout de sang, une Soul que Kelly colle comme un parement sur de féeriques apothéoses, une Soul charnue et molle qui sent parfois le fauve, comme ce «Warpaint» qu’on croyait pourtant bien connaître, et qui en concert, prend une autre allure. Il semble que sa voix hisse vers la cime de l’art de douloureuses imprécations aux lueurs vitreuses. Il martèle une Soul singulière et incantatoire, comme s’il cultivait le délicieux sortilège de la note rare. «Sage Motel» finit par sonner comme une Soul chimérique. La vague de Finnigan’s wake t’éveille.

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    Signé : Cazengler, Kelly Finigland

    Monophonics. Le 106. Rouen (76). 24 octobre 2025   

       

    *

     Dans notre livraison  705 du 09 / 10 / 2025, nous avons chroniqué les deux premiers titres parus en avant-première de l’album Utopie d’Aephanemer qui vient de sortir.

             La beauté est toujours énigmatique. Elle est un fruit qui ne s’offre pas de lui-même. A portée de main. Mais comme refusé. Il ne faut pas le cueillir, mais le recueillir, comme le logos heideggerien moissonne les mots, les actes, et les intentions. Ces trois attitudes, ces trois altitudes exigent une grande patience. Déjà, que signifie le nom de ce groupe : serait-ce un mot valise qui marierait l’éphémère mouvance porteuse de la grâce fanée des choses qui passent, ou alors selon une étymologie plus subtile, l’air qui resplendit lorsqu’il devient eau, en d’autres termes le symbole, le jeu incessant des métamorphoses élémentales, ailes d’un moulin qu’un vent subtilement éthernel instille dans la concrétude mouvante des choses. Des choses divines, pour reprendre le titre d’un essai aventureux de Paul Valéry.

    UTOPIE

    AEPHANEMER

    (Napalm Records / 31 Octobre 2025)

    La couve est due à Niklas Sundin, guitariste metal et graphiste, auteur de multiples pochettes metal. Il officie dans Dark Tranquility et Laethora. Le non du premier de ces deux groupes définit à merveille son monde intérieur.  Dans son Traité des Couleurs, le grand Goethe, créateur de Méphistophélès, n’explique-t-il pas que tout autant que la lumière, l’obscurité est au fondement de la couleur. Il s’agit de savoir voir.

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    A première vue la pochette de l’album n’offense pas le regard. Un orange lumineux et un vert clair, pas celui de la verte prairie, plutôt l’amandine de la peau de nos lézards qui se chauffent au soleil sur le mur de nos maisons. Peut-être existe-t-il au premier plan des traces de civilisations davantage rugueuses que cette tour élancée, à l‘assaut du ciel, dont nous subodorons qu’elle symbolise, la ville utopique de nos fierté hominiennes. L’illustration se poursuit sur le CD, même ambiance sereine, toutefois la tour semble s’être éloignée et sur notre droite n’est-ce pas un effrayant vortex dans lequel il vaudrait mieux ne pas s’engager…

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    Marion Bascoul : vocal, lyrics / Martin Hamiche : bass, guitars, orchestrations / Mickael Bonnevialle : Drums.

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     Echos d’un monde perdu : comme un point de tristesse qui fond du fond de l’espace-temps, il se déploie symphoniquement jusqu’à embrasser l’embrasure d’une plénitude surprenante, roulement, écroulement,  silence, s’élève alors l’écho perdu d’un monde disparu, une vague lointaine et cristalline, comme une plainte qui s’évanouit et disparaît, semble-t-il à tout jamais. Le cimetière marin : un voile qui se déploie, ce ne sont pas les civilisations qui sont mortelles, ce sont les hommes enfouis sous sous les sols qui les emportent avec eux, la voix de Marion Lascoul fouille la terre arable du songe des morts qui poursuivent leurs chemins intérieurs, égorgera-t-on une brebis noire sur leur tombe pour qu’ils reviennent à eux-mêmes se gorger de leurs souvenirs reviviscents, ne nous égarons pas, ce n’est pas parce que la musique l’emporte par amples stases mouvantes sur le vocal qu’il ne faille point tenter de vivre, si la bouche d’un mort s’accroche à l’humus, la morsure des combats qui nous guettent nous presse de vivre. Que seraient les morts si les poëtes ne les inscrivaient pas dans le marbre de leurs vers épars.  La règle du jeu : le vocal embrase l’élan

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    musical, c’est la vie qui se débat avec les morts dont nous sommes les héritiers, les vivants dont nous sommes les commensaux, même si souvent nous renversons la table, une basse funèbre, n’oublions pas que ce mot se partage entre le ‘’fun’’ de de la vie et les ténèbres tapies dans l’ombre mentale qui nous envahissent, ne soyons pas joyeux, sachons en rire, les lumières de la vie ne sont-elles pas un théâtre de décombres, décors et désordres de nos existences entremêlées. Tout cela a-t-il un sens, ou seulement une importance… Par-delà le mur des siècles : une introduction d’une légèreté quasi mozartienne, pour évoquer la vie au-delà de tout destin individuel, de tout hasard personnel, la voix ne chante plus, elle vitupère, se mêlant à l’orchestration comme le venin à la brûlure de la vipère. Que fais-tu de la Hache majuscule de l’Histoire, le spectre sanglant du progrès ne se cache-t-il pas derrière le fer dégoulinant. La batterie taille du petit bois pour le feu du matin suivant, presque un menuet en intermède, même si la flamme sombre d’une guitare nous rappelle que tout drame n’est peut-être qu’une comédie qui tourne, malgré toutes ses arabesques enivrantes, en farce grotesque. Parfois vous avez l’impression que la musique rigole

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    ( Photo : Daniela Adelfinger )

    en douce. Chimère : celle-ci n’est point nervalienne, elle ne traverse qu’une fois l’Achéron car le voyage s’avère sans retour, la trame rythmique est comme concassée, ce sont les remous de l’Histoire qui clapotent sans trop de bruit dans le marais des illusions perdues, la leçon est sans appel, la guerre même victorieuse n’est qu’une défaite, tout rêve de grandeur s’avèrera équivoque voire univoque, il court à sa perte et est appelé à basculer dans le néant informe.  Contrepoint : à quoi ? Au nihilisme du morceau précédent qui nous dit que tout se vaut et que rien ne vaut rien, nous voici place Maubert à Paris en 1646 sur laquelle fut exécuté sur ordre inquisitorial, l’imprimeur et écrivain, jamais nommé, Etienne Dolet, qui fut grand lecteur et intercesseur de Cicéron, le canal romain par qui fut transmis en France le vocabulaire de la philosophie grecque, le morceau pétille, parfois il semble se fondre dans la noirceur des cendres mais il reprend vie et force, une plainte noire émerge, mais elle est comme l’étamine de la pensée libre. La rivière souterraine : long flamboiement instrumental, ce n’est pas un moment de repos, mais la course sans fin

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    ( Photo : Polypycture Vanessa Housieaux )

     de l’Histoire qui coule au travers des siècles… au milieu du morceau s’élève le thème introductif de l’écho du monde perdu qui n’est peut-être pas aussi perdu que l’on pourrait l’accroire, il semblerait qu’en cette rivière se distingue un courant d’eau  plus pure que le limon habituel qu’elle charrie… une cascade pianotique de notes terminales nous laisse entendre que quelque chose fait sens. Utopie (Partie 1) : tristesse absolue de l’orchestration qui prend de l’ampleur telle la voile d’un navire que le vent enfle, le voyage n’est pas sans danger, la musique se ralentit dans les immondes sargasses de l’impuissance… lorsque enfin surgit non pas un allant triomphateur mais la sensation que le navire n’est pas livré au hasard, certes les écueils sont nombreux, les naufrages à tout instant à portée de coques, mais l’on discerne un ruisseau obstiné qui subsiste au milieu des tourbillons, qui se fraie un chemin, par deux fois la piste ténue du son semble s’arrêter, mais la marche reprend, doucement hésitante, la voix de Marion Bascoul grimpe dans la mâture, elle prend alors le commandement, elle discerne et édicte  le chemin parmi les obstacles accumulés, tout semble se terminer sur un beau générique de fin / Solitude, récif, étoile / A n’importe ce qui valut / Le blanc souci de notre toile / dixit le grand Mallarmé, car les eaux du rêve se mêlent à l’hideuse réalité. Utopie (Partie 2) : c’est alors qu’apparaît au loin le mirage de la cité d’or, la merde humaine repose dans les pots de chambre auréifiés, le voyage n'est pas terminé, l’Atlantide des songes s’éloigne au fur et à mesure que l’on s’en approche, toutefois, la musique se fait alors conquérante, le vent qui se lève cingle les voiles, tout paraît si proche que l’enthousiasme nous emporte, ce qui n’empêche point les retombées mortuaires, les eaux mortes qui nous attirent, les mains des morts étreignent la coque et tentent de nous ramener à eux. La voix de Marion Bascoul nous arrache au marasme, à ces infâmes reptilations, elle ne  cache rien, elle crache nos découragements, elle  se marie si bien au rythme porteur de cette rivière clandestine qui ne s’arrête que pour mieux aller de l’avant, désormais nous avons pour guide inaltérable cette aiguille fine et altière qui s’est implantée dans la membrane de notre idée fixe, de minuscules notes pures nous font signe, nous ne craignons ni tempêtes, ni naufrages.

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    ( Photo : Polypycture Vanessa Houseaux )

             This the end beautiful friends. Pas du tout. Pas encore. Tout recommence Aephanemer nous offre la suite orchestrale de son opus.  Etrange démarche murmureront certains. Les neuf pistes d’Utopie se suffisent à elles-mêmes. Le groupe n’a pas voulu retrancher, il a simplement dissocié la poésie de la musique. Etrange démarche orphique. Songeons à Valéry qui s’était opposé à une lecture d’Un Coup De Dés Jamais N’abolira Le Hasard accompagnée de musique. Toutefois Valéry donnera un Amphion, que nous qualifierons de drame lyrique, avec un récitant, le texte n’est pas chanté, chœurs et orchestre. La partition est d’Arthur Honegger… L’œuvre restera ce que l’on appelle une curiosité. L’idée initiale de Valéry était une œuvre totale (chant, danse, décors, musique) inspirée de Wagner. Elle ne sera écrite et réalisée que quarante ans plus tard. Toutes ces références pour montrer que les radicelles de la démarche aephanérienne possède des racines beaucoup plus profondes qu’il n’y paraîtrait de prime abord. Ne surtout pas la prendre comme un caprice surdimensionné d’Amin Hamiche qui est le compositeur de l’album.

    UTOPIE / AEPHANEMER

    Echos  d’un monde perdu, Le cimetière marin, La règle du jeu, Par-delà le mur des siècles, Chimère, Contrepoint, Utopie (Partie 1), Utopie (Partie 2

    Certes l’aspect rugueux du chant de Marion a disparu, il était un parfait contrepoint à la longue suite mélodique qui par un retournement logique pouvait en être perçu comme le contre-chant. Le sens véhiculé par les paroles, rappelons qu’elles sont en français, est-il lui aussi supprimé ? N’écoute-t-on pas Tristan et Isolde de Wagner sans comprendre le livret. N’en est-il pas de même pour le Tommy des Who. Nous avons toutefois des points d’appuis plus ou moins flous, des connaissances fragmentaires ‘’ du quoi que ça cause’’ qui permettent de se frayer un chemin. Pensons aussi à Mallarmé mécontent d’apprendre que Debussy s’est attelé à un poème musical inspiré par son poème  L’après-midi d’un faune. Je croyais déjà l’avoir mis en musique laissera-t-il échapper. Les méditations sont ouvertes.

    Ce qui est sûr c’est que cette suite orchestrale n’est pas ennuyeuse, l’on se laisse facilement emporter. J’en ai même oublié le motif de l’œuvre, me perdant en d’autres thèmes. Bizarrement l’orchestration de La Rivière souterraine m’a paru beaucoup plus rock que lors de la version chantée…

    Si je devais résumer mon écoute en un seul mot, ce n’est ni le thème de la mort ni celui de l’utopie qui me viendrait à l’esprit. C’est le terme de ‘’romantique’’. Ce qui n’est pas étonnant, la musique rock sous ces différentes et multiples formes m’a toujours paru être le dernier avatar du mouvement romantique né à la fin du dix-huitième siècle en Europe.

     Si cet opus d’Aephanemer était seulement un bon disque ce serait déjà très bien. Mais il y a la qualité sans égale  des textes de Marion Bascoul qui puisent aux grandes orgues de la lyrique française sans en être prisonnière. Et puis cet album peut être qualifié de projet. (Au sens Joycien) de ce mot. De projection d’une borne référentielle. En le sens où il me semble être un point de bascule dans la production metal française. Un point de ralliement ou de rejet, il y aura certainement un avant et un après Utopie.

    Damie Chad.

    A DREAM OF WIIDERNESS

    AEPHANEMER

    (Napalm Records / 2021)

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    La pochette de Niklas Sundin est un pur chef d’oeuvre. Non pas par l’habileté du dessin qu’elle a nécessitée, mais parce que par la seule force d’un seul dessin l’artiste est parvenu à rendre une idée. L’on parle du mythe de la caverne de Platon, l’on emploie aussi l’expression ‘’l’image de la caverne’’. L’on pourrait gloser à l’infini sur la signification du mythe platonicien de la caverne, mais une autre tâche tout aussi difficile nous attend : que signifie le terme ‘’ Dream of wilderness’’. Un rêve de sauvagerie tendrait à signifier que l’Homme se doit d’être brutal, sauvage, cruel, rétif à toute pitié, à toute faiblesse… Struggle for life, tout est permis pourvu que l’on survive. Pour ma part par la vitre d’un train j’ai eu la terrible  vision d’une scène lamentable : un cercle d’une vingtaine de chasseurs le fusil pointé sur un sanglier. S’est imposé à moi la célèbre scène de l’Odyssée où la vieille nourrice reconnaît en l’étranger Ulysse grâce à l’ancienne blessure à la jambe causée par la défense d’un sanglier… Les Grecs connaissaient la force brute de la bête. Mais l’homme se devait de l’affronter seul à seul. Un épieu à la main. Niklas Sundin nous raconte cela : la bête dans toute sa puissance mais encadrée de chaque côté par les silhouettes des deux arbres. Destruction et protection entremêlées.  Jeremiah Johnson de Sydney Pollack nous conte la même histoire. A sa manière, selon une autre mythologie, avec des images mouvantes d’une autre époque. Ne nous faisons aucune illusion : nous sommes pétris de cette sauvagerie sans limite, nous sommes des êtres de démesure, l’hybris est consubstantielle à notre sang, mais c’est parce que nous sommes imprégnés de cette force kaotique et élémentale, que nous savons que tout comme le sanglier dans sa bauge protectrice, nous  sommes partie prenante de cette nature naturante en constant devenir, sans cesse remis en cause et mus par le rêve d’une certaine équité que nous qualifions d’olympienne. Car nous sommes les fils de nos propres pensées plus grandes que nous. Qui en même temps préservent notre rêve, et nous recyclent ad infinitum. Durabilité grecque. Sauvagerine et ballerine.

    Marion Bascoul : vocal, lyrics / Martin Hamiche : bass, guitars, orchestrations / Mickael Bonnevialle : Drums / Lucie Woaye Hune : bass.

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     Land of hope : prélude et crépuscules, celui matutinal, celui entre chiens et loups, aurore ou entrée dans la nuit, heures claires ou heures sombres, soleil rayonnant ou lune blafarde, intense gravité et lueur d’espoir.  Antigone : surprenant changement de ton, avec l’intro précédente mais surtout avec ce à quoi l’auditeur s’attend, cris et désespoirs, drames sanglants, le drame d’Antigone est porteur de redoutables noirceurs, rythme enjoué, Maion Bascoul prodigieuse dans son vocal, elle vous hache le parmentier de la situation tragique avec un tel allant, une telle morgue d’analyste méthodique sans âme que l’on est surpris, le rouge pourpre sang des Atrides se teinte de rose printanier enjoué, el la musique se dandine dans cette joyeuse danse des morts, d’autant plus forte que rehaussée d’envolées violoniques et de chœurs féminins virevoltant, ne nous trompons pas ce n’est pas la mort d’une âme pure que l’on pleure, c’est l’acte de refus et de résistance d’une jeune fille que l’on fête, la mort peut-être un pied de nez exemplaire à la barbarie des lois. Ce morceau à rebrousse-poil de souventes lectures pleurnichardes est prodigieux. Un véritable appel à l’insurrection individuelle.  Of volition : les philosophies de la volonté sont souvent employées pour promulguer l’injustice politique coercitive. Le siècle précédent en est un parfait exemple. Celui dans lequel nous vivons fera-t-il mieux ? Une intro d’une gravité dramatique qui jure avec la fin du précédent, la batterie se charge de nous remettre les idées en place, c’est parti pour une charge à la cosaque, Marion Bascoul ne fait pas de prisonniers, elle mène le train à la tête de son vocal à la hussarde, c’est d’autant plus méritoire que le texte qu’elle énonce au grand galop s’apparente à une démonstration philosophique maîtrisée, en trois points : position : notre action  sur le monde ne serait-elle pas guidée par nos passions : ante-position : ne vaudrait-il pas mieux nous abstenir d’agir pour ne pas déclencher par notre native impétuosité éléphantesque un désordre encore plus grand que celui que nous comptions juguler : déposition : aucune possibilité de réaliser une synthèse, heureusement les sophistes nous ont aidé à entrevoir une manière d’agir, il s’agit de compter sur ses propres forces individuelles garantes de notre liberté mais aussi de la situation politique collective en développant notre action au bon moment, ce qui demande une juste analyse des situations. Cette méthode peut aussi être utilisée par nos ennemis mais c’est à nous à être plus adroits qu’eux, de chevaucher la tempête pour atteindre nos buts.  Le radeau de la Méduse : changerions-nous d’époque, non l’homme est de toutes les époques, toujours aussi lâche et égoïste, nous voici embarqués sur le radeau de Méduse, franchement nous n’échangerions notre place avec personne, c’est trop fort, trop puissant, trop excitant, trop rock’n’roll, Marion se transforme en grande prêtresse menant des milliers de fidèles à une mort honnie, le reste se de l’équipage se déchaîne et souque ferme, ce morceau est une épopée hugolienne, nous sommes embarqués pour le pire, mer tempétueuses, bassesses éhontées, fringale de cannibale, rien ne nous est épargnée même pas une salvation miraculeuse. A vous faire annuler vote dernière croisière sur paquebot de loisir touristique déniché sur un prospectus alléchant. Crudité humaine au menu. Roots and leaves : magnifique entrée oratorienne, si vous pensez vous reposer des émotions précédentes pas de chance Aephanemer ne vous procure jamais plus que trente secondes de repos, c’est reparti comme en quatorze, nous voici emportés dans un tourbillon. Modérez votre impatience, certes ça tangue violemment mais nous voici plongés non pas au cœur de l’action mais dans un maelström de réflexion, moins théorique que celles de Of volitions, disons que le groupe vous jette dans la concrétude des situations. Autrement dit les infames compromissions avec les réalités. Les conséquences de nos actes nous dépassent. Nous pensons bien faire, nous produisons une catastrophe. Et si nous réussissons, si dans l’humus des feuilles mortes, petite 

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     graine sans défense nous devenons un arbre majestueux, le pouvoir ne nous transformera-t-il pas en tyran prodigieux. Pensée terriblement incapacitante. A tel point qu’Aephanemer nous ménage une pause belle comme un oratorio classique, mais le ver vainqueur de la réflexion s’attelle à notre détresse et nous incite à l’humilité, perce même le désir d’une vie terne et sans éclat en accord avec la sagesse chrétienne…  Vague à l’âme : instant de rémission, serait-ce un interlude, hélas un manteau de tristesse nous tombe sur les épaules, nous n’en avons pas encore fini avec le poids de nos pensées et la déréliction de notre existence. Strider : lente entrée comme une bête de somme, cheval fourbu n’avance point à la halte, Marion Bascoul conte une histoire exemplaire non pas parce qu’elle est exemplaire et servira de modèle à tout un chacun, mais parce que tout un chacun s’y reconnaîtra, le vocal ne court pas, il galope lourdement surchargé de trop de souffrance, un intermède qui s’abat à terre, certes le vent ondoie la crinière, le conte reprend, celui qui se croyait libre n’est qu’un esclave soumis à une volonté qui n’est pas la sienne, même mort son corps ne lui appartiendra pas davantage, ses atomes seront dissociés et dispersés dans le renouvellement inconscient du recyclage naturel… Ainsi toute vie court à son terme.  Terrible loi du destin existentiel.  Panta Rhei : quel que soit notre destin individuel nous sommes tous voués à la même mort, la voix pourrait se transformer en morne complainte mais la musique est vive et le chant reste impétueux, comment se défaire du carcan de notre disparition, nous ne sommes pas loin de l’hymne à la joie, la solution est individuelle, chacun progresse à pas de pas grand-chose dans sa conscience, mais les petits ruisseaux forment les grandes rivières qui se fondront dans le grand fleuve de la vie, en le champ de l’espèce humaine dont chacun de nous n’est qu’une infime parcelle, mais aussi une cellule agissante. A plusieurs reprises le chant se tait pour nous permettre d’accéder à cette vision qui nous transcende. A dream of wilderness : Et maintenant ? comment répondre à cette question d’une façon positive, Marion Bascoul prend le vocal comme un cheval fou s’empare de son mors, elle résume l’Histoire depuis le début, la symbiose entre les hommes et les Dieux, l’émerveillement devant l’opulence de la nature offerte, le savoir fut le couteau des lois qui divisèrent le monde des hommes en maîtres et serviteurs, maîtres et esclaves, de la justice naquit l’injustice, la religion divisa hommes plus qu’elle ne les relia, c’est alors que certains commencèrent à se séparer des institutions humaines, ils s’en retournèrent, du moins dans leur tête, à l’état de nature, une marche en avant certes mais qui débouche sur des rêveries en totale contradiction avec le monde réel. L’heure est grave, retroussez vos manches, par deux fois le monde a débouché sur des échecs, mais si tout ce qui fut perdu est perdu à jamais, le moment d’exigence d’un nouveau chemin à parcourir est devant nous.

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             Ce dernier morceau est la conclusion de la problématique traitée dans l’album. Qui n’est pas tout à fait terminé. Pour deux raisons. La première est constituée de deux titres. En A nous avons : Old french song : ( Pyotr Ilych Tchaikovsky cover) : toutefois il s’inscrit si bien dans la structure de :  A  dream of Wilderness qu’il pourrait  être considéré comme  le final orchestral de l’album. Pour le compositeur russe il s’agissait d’une œuvre spécialement écrite pour de jeunes pianistes. Tchaikovsky n’a jamais caché qu’en cette démarche propédeutique il s’inscrivait dans la suite initiée par Robert Schumann. La filiation rockmantique d’Aephanemer se confirme. En B : version française de : Le radeau de la Méduse : par patriotisme éhonté je dirais que je préfère la version française, maintenant ce que je retrouve remarquable c’est que Marion Bascoul se débrouille aussi bien en français qu’en anglais, quelle facilité, quelle aisance, quelle chanteuse !

    WILDERNESS / PISTE MUSICALE

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    Antigone, Of volition, Le radeau de la Méduse, Roots and leaves, Strider, Panta Rhei, A dream of widderness :

             C’est donc une volonté affirmée d’Aephanemer d’attirer l’attention sur la partie instrumentale de leur création. Presque une inspiration cubiste du groupe de présenter une même œuvre selon deux aspects différents. La différence entre les deux pistes me paraît ici nettement plus marquée que pour Utopie.  Elle semble dans cet opus davantage légère, plus entraînante, l’on aurait envie de dire plus brillante, davantage virtuose. Davantage détachée du thème de l’album. Pour Utopie nous avons évoqué le rapport poésie et musique, entre chant et musique. Ici, ce n’est pas que la poésie en soit absente, c’est que le discours philosophique se taille la part du lion. Les rapports entre philosophie  et musique de prime abord sont moins évidents, c’est oublier qu’un des textes fondateurs de la philosophie grecque reste le Poème de Parménide. A l’autre bout du spectre l’on pensera à Nietzsche et à son rapport à la notion d’art, qualifions-le de wagnérien pour faire vite, et aux commentaires d’Heidegger sur les poèmes d’Hölderlin par exemple…

             N’empêche qu’avec A Dream of  Wilderness, Aephanemer semble s’assurer une des premières, si ce n’est la première, places dans la une nouvelle catégorie de rock que nous pourrions qualifier de philosophique. Si cet adjectif vous semble trop pompeux employons l’expression méditative, selon l’acception cartésienne de ce mot.

             A l’écoute de cet album nous comprenons mieux Utopie. Aephanemer poursuit une route musicale comme beaucoup de groupes, mais sa démarche épouse aussi un chemin de pensée.

             Un grand groupe.

    Damie Chad.

     

     

     *

    Me faudrait pas grand-chose. Juste un petit truc. Trois fois rien. Non je ne suis pas énervé. Je suis déçu. Cent soixante kilomètres pour voir le plus mauvais concert de ma vie. Oui je suis en rogne. Oui je grogne. Tout à l’heure en rentrant à la maison j’ai cru avoir trouvé la solution. L’était trois heures du mat, j’ai ouvert la fenêtre, et me suis emparé de mon Rafalos. L’idée était simple. J’abats sans sommation tout individu, à peine une douzaine, qui passera sur le trottoir d’en face. Des innocents, pour démontrer à la face du monde que je n’ai rien contre d’inoffensifs passants. Et puis, vous pouvez me croire, ça soulage. Manque de chance : personne. Pas un chat, même pas celui du voisin. Au bout d’une heure, totalement gelé j’ai refermé la fenêtre.

    Je me suis assis sur le divan et me suis perdu en amères réflexions. J’avais tout prévu. Je rentre du concert, j’écris la chro et le matin je poste la 610. C’était réglé comme sur du papier à musique. Oui mais comment infliger à nos lecteurs chéris le récit d’un tel désastre !  Les idées noires ont envahi mon cerveau. Ah, si seulement j’étais un homme pouvoir, il m’aurait suffi d’un bouton pour détruire la moitié de l’Humanité !

    Bon n’exagérons rien, tiens par exemple si seulement j’avais la puissance d’un Empereur Romain, un simple mot à un serviteur fidèle et hop  je n’y penserais plus. Hélas je ne suis pas un Romanus Imperator !

    C’est alors qu’une petite voix, celle de la conscience, a parlé :

    _ Voyons Damie reprends-toi !

    _ J’aimerais te voir à ma place, qu’est-ce que tu ferais toi !

    _ Moi je ferais comme l’Empereur Auguste, tout simplement !

    _ Et qu’est-ce qu’il ferait l’Empereur Auguste à ma place ?

    _ Il enverrait une légion traiter le problème !

    _ Oui mais moi je n’ai pas de légion romaine à disposition !

    _ Damie, si j’étais toi, au lieu de faire la tête, je réfléchirais un peu. Pense à Aristote qui a dit que quand on avait un problème c’est que l’on possédait nécessairement la solution, seulement on l’a oubliée.

    Alors, j’ai réfléchi et je me suis souvenu. Bien sûr tout comme Auguste j’avais une légion. Et l’idée d’une nouvelle chronique !

    LEGIO 5 MACEDONICA

    EPIC ROMAN MUSIC

    FARYA  FARAJI

    (Bandcamp / YT / 2025)

             Farya Faraji d’origine persane vit actuellement à Laval près de Montreal. Quebec. Il est passionné de musique antique et compose des musiques inspirées de l’Antiquité. De l’orbe méditerranéen, sans exclusive, ni époque précise. Grèce, Empire Romain, Byzance, il se joue des siècles et tout comme Alexandre le Grand il pousse jusqu’à l’Inde et comme Alix il ne dédaigne pas la Chine… Sa démarche semblera à certains un tantinet bâtarde, il restitue, il s’inspire, il compose, bref il crée. Il connaît plusieurs langues et manie de nombreux instruments traditionnels.

             Sur le morceau qui nous préoccupe le multi-instrumentiste grec Dimitrios Dallas, résidant à Chicago, joue de la mantoura, flûte grecque assez proche de l’aulos antique. Tambours, cymbales, lyre complètent l’orchestration. Stefanos Krasopoulis, sur lequel je n’ai réussi qu’à récupérer que de très maigres renseignements est un compositeur de musique lui aussi multi-instrumentiste.

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             La cinquième Macedonica participa aux guerres civiles menées par Auguste, elle fut cantonnée fut d’abord en Macédoine, patrie d’Alexandre le Grand. Elle bénéficie donc d’une appellation prestigieuse. Elle servit tout le long du limes romain. Elle fut notamment employée par Trajan en Dacie   et permit à Aurélien de raffermir l’Empire en luttant contre les troupes de Zénobie.  A la fin de l’Empire romain d’Occident elle fut versée dans l’Armée de l’Empire d’Orient. L’on dit qu’elle combattait encore lors des invasions musulmanes…

             Legio 5 Macedonica se présente comme l’hymne de cette légion. Le texte chanté est composé en latin par Guiseppe Regimbeau. L’écoute est surprenante, on aurait tendance à l’accuser de manquer de virilité. Le ton n’est guère martial, le chant passe en revue les campagnes accumulées durant des siècles. Aucun triomphalisme, aucune exaltation guerrière. Faut écouter à plusieurs reprises pour percevoir les variations orchestrales et rythmiques. Aucun instrument ne prend vraiment le dessus sur les autres, nous avons droit à une subtile combinaison d’éléments qui se fondent les uns dans les autres. On a plutôt l’impression d’un chant de marche martelé sans rapidité, mais l’on sent, gare aux centurions, qu’il n’est pas question de lambiner.

             Farya Faraji s’est aussi intéressé aux : Legio 6 Ferrata / Legio 12 Fulminata / Legio 15 Apollinaris. Enfin il a composé un titre générique Hymn  Of The Legio avec utilisation de cuivres qui confèrent à ce morceau l’aspect d’un générique de péplum des années cinquante.  Quand on regarde l’ensemble des morceaux de Faraji, on s’aperçoit qu’il n’a rien d’un idéologue ou d’un va-t-en-guerre. L’étude, extrêmement complexe des légions romaines, est un des chemins les plus instructifs et des plus éloquents pour comprendre le comment (hasard) et le pourquoi (nécessité) de la construction de l’Imperium…

             _ Damie, ce n’est pas tout à fait rock ta cinquième légion !

             _ En effet, mais c’est du folk !

             _ Vu sous cet angle lointain, en effet…

             _ En musique, comme en tout, la question des origines est primordiale, en plus j’ai ma légion, quoique, entre nous soit dit, je préfère la Legio I Adjutrix !

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 709 : KR'TNT ! 709 : REVEREND BEAT-MAN / SEXTON MING / MAGIC SHOPPE / THEE HEADCOATES / FIVE ROYALES / MAATISFET / CELINE RENOUX / JOHN REECE + GENE VINCENT / JACKIE FRISCO

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 709

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    06 / 11 / 2025

     

     

    REVEREND BEAT-MAN / SEXTON MING

    MAGIC SHOPPE / THEE HEADCOATEES

     FIVE ROYALES

    MAATISFET / CELINE RENOUX

    JOHN REECE + GENE VINCENT

    JACKIE FRISCO

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 709

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

    - Monsters class/The Beat-Man way

    (Part Four)

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             Beat-Man sur scène ? C’est Attila, l’Hun de la une, l’u-nique ta mère, le Rev de rêve, l’empereur romain-lourde du Blues Trash, c’est écrit dessus comme sur le port-salut, il est aussi le Léon Bloy du raw, l’hacheur du punk, le Gévaudan du stomp, ah il faut le voir stomper sa viande des deux pieds et gratter ses accords inversés, Beat-Man est le diable en personne, le meilleur ami de l’homme moderne, le P’tit Quinquin devenu street-punk, ah si seulement Bruno Dumont pouvait voir ça ! On a vu le Petit Bain tanguer ces derniers temps, mais jamais aussi violemment que ce soir-là. Ça avoisinait l’Apocalypse que décrivit Saint-Jean. Un set des Monsters bat

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    tous les records de trash-punk, mais un set du Rev, c’est encore pire, car plus concentré, plus viscéral, comme s’il rassemblait en lui tout ce qui définit la sauvagerie extrême du rock : le scream, la sueur, le beat tribal, le rut, la rate, il n’oublie rien. Il porte tout au paroxysme. Beat-Man est un double concentré de Méricourt, il peut hurler dans la montagne, il peut gronder comme le tonnerre, il peut pulser le pire beat de l’histoire du beat, il y a quelque chose de surhumain en lui. Quelque chose d’absolu et de définitif. Et donc de sacré. On sent bien qu’il est à

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    la fois humain (car drôle) et surhumain (car trop puissant). C’est l’un des héritiers directs de Dionysos. Il est la rock star de l’underground dont t’as toujours rêvé depuis Captain Beefheart et Jerry Lott. Impossible d’imaginer un crack plus boom-hue, un trash-boomer plus pur, un être plus libre et plus sauvage. Beat-Man, c’est Dada au pays du Blues Trash, il nous réinvente la littérature et le rock, il partage sa vision avec toi, il écrit des vers, de la prose derrière sa grosse caisse, c’est Picabia avec une guitare électrique, c’est Artaud qui décide d’en finir avec le Jugement de Dieu, tu vois l’artiste à l’œuvre et tu frémis des deux naseaux ! Oumphhhhh ! Il est

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    imparable et sublime, il est l’incarnation de la pire authenticité, t’avais Elvis 54 et maintenant t’as Beat-Man. T’avais Aleister Crowley et maintenant t’as Beat-Man. T’avais Vince Taylor et maintenant t’as Beat-Man. T’avais tout ce que tu veux, et maintenant t’as Beat-Man. Et chaque fois, qu’on le voit, il empire, au bon sens du terme. On sent qu’il prend un petit coup de vieux, mais son corps massif dégage une énergie encore une fois surhumaine, alors pas de souci, tant qu’il continuera de monter sur scène, on sera là. Car Beat-Man est l’un des derniers à pouvoir te

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    démanteler ta clavicule, mon petit Salomon, à t’expatrier sur la lune, mon petit lunatique, à t’écarteler le cartel, à te recartographier la cartomancie, à te névroser tes pauvres petites névralgies, à te récurer toutes tes récurrences, Beat-Man te remet les angles au carré, il te donne la mer à boire, il t’astique tes stocks et te carapate ta rate. Beat-Man est le roi du tagada, le poète du pouet-pouet. Personne ne peut sortir indemne d’un concert du Reverend Beat-Man.  

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             Nos deux cocos jouent sur scène leur nouvel album, Death Crossed The Street.

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    T’y retrouves  les stomps du diable et cette façon qu’a Beat-Man de lancer le stomp d’un Ouh !. Alors oui, Ouh ! Et t’as l’enfer sur la terre. Il stompe tout ce qu’il peut des deux pieds. Absolute beginner de la guerre. T’as tout le trash-punk concentré dans la gorge pantelante de Beat-Man. Il tape «I Found Out» avec encore plus de férocité. C’est bombardé de Beat-Man Way - I found out she was cheating on me ! - Puis il insulte Jesus dans «Fuck You Jesus» - Fuck you Jesus/ Fuck you Lord/ Fuck you - Ouh ! Le stomp du diable est de retour en B avec «Feed My Brain». Ouh ! Puis il se met en rogne avec «Shut Up» - Shut the fuck up !, et pouf, il remet son enfer en branle. T’as ça nulle part ailleurs, pas le peine de chercher. Beat-Man et Milan Slick démarrent «Junkie Child» comme le firent jadis les Sweet avec Are you ready Andy ? Ouh ! Et ça part au rumble du Beat-Man Way.

    Signé : Cazengler, Munster

    Reverend Beat-Man & Milan Slick. Petit Bain (Paris XIIIe). 21 octobre 2025

    Reverend Beat-Man & Milan Slick. Death Crossed The Street. Voodoo Rhythm 2025

     

     

    Wizards & True Stars

     - La dynastie du Ming

     

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             Alors, tu débarques chez Born Bad dans les années 90, et tu plonges directement dans les deux bacs garage à droite en entrant. Arf ! Tu farfouilles là-dedans et tu sors un Big Hangman de Billy Childish & Sexton Ming, Arf Arf ! Wow quel titre ! Plump Prizes & Little Gems ! Wouuuah les punks sur la pochette ! Pas cher en plus ! Tu vois d’ici le petit coup d’enfer sur la terre que tu vas te payer en arrivant au bercail, une belle séance de gaga primitif ! Arf !

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             Bon alors t’arrive dans tes pénates, tu fais chauffer l’ampli, tu sors la rondelle de sa belle pochette underground et tu fais rouler le manège. Arf ! Dommage qu’un poto n’ait pas été là pour photographier ta bobine. T’es consterné ! Pas consterné parce que c’est mauvais, mais consterné parce que, coup de bol, t’es tombé par le plus grand hasard mallarméen sur un album Dada, pas gaga. C’est la consternation que tu préfères dans la vie, celle qui te prend au débotté, mais ça va encore beaucoup plus loin que ça : Sexton Ming, okay, mais aucune chance. Tu ne le sors pas du bac si tu ne lis pas le nom de Billy Childish sur la pochette, et ça veut dire quoi ? Ça veut dire que Wild Billy Childish dispose d’une grandeur d’âme qui lui permet de «protéger» Sexton Ming et de préserver sa liberté artistique, comme le fit en son temps Andy Warhol avec le Velvet : c’est exactement la même démarche. Wild Billy Childish fait le meilleur gaga d’Angleterre, mais il fait aussi du pur Dada avec son ami et protégé Sexton Ming. Et là, t’as dans les pattes un chef-d’œuvre artistique digne de ceux qu’on produisait au temps de Picabia et de Tristan Tzara. «Ain’t Gonna See Kansas No More» est du pur Dada-rock. Rien à voir avec le Kansas. Sur «Here On My Knee», Billy sort la disto pour taper une belle resucée du «Train Kept A Rollin’». Tu montes encore au paradis Dada avec «Fry-Up» - If you can’t cook my eggs baby/ I’m gonna find somebody else - On imagine qu’ils devaient bien se marrer tous les deux en enregistrant cette infâme merveille de Dada-blues. Ils terminent en tapant le «Dearest» de Mickey Baker, c’est gratté par derrière. Ailleurs, ils tapent un autre Mickey, «Love Is Strange». Au dos, tu as des félicitation d’Ivor Cutler pour Which Dead Donkey Daddy qui est paru juste avant - c’est hallucinant de dadaïsme cutlerien : «You, (+Mr. Ming, I presume) belong to a rare breed of instinctive commposers (sic), who, by stultifiying their intellects, are enabled to communicate in a most profundly satisfying way.» Tout est dit.

             Bien sûr, Sexton Ming n’a aucune chance en France. Il fait partie de ces excentriques britanniques très populaires chez eux, mais certainement pas outre-Manche. On avait découvert Ivor Cutler et Vivian Stanshall grâce au radio show de John Peel sur Radio One. Ces trois personnages font partie des derniers héritiers de Dada. Si Picabia et Tzara avaient vécu à notre époque, ils seraient certainement allés à Rochester dans le Kent enregistrer avec Wild Billy Childish. Un Childish qui en plus de «protéger» Sexton Ming, fait des bois gravés pour les pochettes d’Hangman, son label.

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             C’est lui qui grave le visuel de Which Dead Donkey Daddy, paru la même année que Plump Prizes & Little Gems, en 1987. Attention, c’est encore un pur Dada-album. Tzara n’aurait jamais osé ce shoot de Dada-Weirdy Weird qu’est «Mission Mulch». Ming va très loin, il échappe aux frontières. Encore un coup de maître avec «Big Beatle Mumma» - Big Beatle Mumma walking down the street - et il plonge définitivement dans l’underground avec «Trixy The Jolly Dustmen».   Billy et Sexton duettent à l’absurde dans «The Arthur Young Workbench». C’est ce qu’on appelle un duo d’enfer underground qui vaut tout l’or du Rhin. Ils terminent cet album qui échappe aux normes avec un pur Dada-goodbye, «Go To Sleep» - my baby.

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             Dans un vieux Dig It! de 1995, Sexton Ming accordait une interview à Philippe Migrenne, dans laquelle il se racontait brièvement et où il citait ses influences - Kevin Coyne, Leo Kottle, Blue Cheer, Love, Beefheart, les Mothers, Gong, John Fahey, Hawkwind, Motörhead, Slaughter & The Dogs, les Saints, Alice Cooper, Hindersmith, Erik Satie et Johnny Ray - Quel éclairage ! Il dit aussi avoir quitté l’Angleterre en 1989 à cause des «cons thatchérisants» pour aller vivre en France, «mais au bout de quatre ans, écœuré par les Français, je suis revenu en Angleterre pour y former les Diamond Gussets.» Alors attention, c’est la chute qui vaut le coup d’œil : «Je pourrais continuer mais je ne suis pas payé pour écrire tout ça donc je vous emmerde. Allez tous vous faire foutre, vous et votre rédacteur, votre traducteur, votre imprimeur, vos putains de lecteurs, votre mère et vos moutards. Fuck you all’!». Philippe ajoute qu’à l’époque des gens chez Dig It! étaient choqués. N’est pas Dada qui veut. 

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             Sexton Ming va ensuite attaquer une série d’albums solo sur Hangman, toujours accompagné par son poto Billy. Magnifique pochette encore que celle d’Old Horse Of The Nation, bien gravée dans le bois par le poto Billy. On y retrouve d’ailleurs le donkey de Which Dead Donkey Daddy. Au dos, on peut lire : «Hangman production. Specialists in North Kent literature.» Oui, car en plus des disks, nos ceux coco publient des Hangman books. Le Ming fait le God Of Hell Fire d’Arthur Brown dans «I Am Your God» et du pur Beefheart dans «Hot Red Man» : même raw de la démesure du so far out. Il enchaîne avec un fantastique balladif primitif, «Many Years Ago», magnifique expression d’un pur génie underground. En B, il embarque «You Can’t Polish A Turd» sur le jive du «Can’t Judge A Book By The Cover» et il monte son «Rumbing Man» sur le modèle du «Rumble» de Link Wray. Et voilà le aw aw aw d’Hooky dans «Votory of The Lotus Sutra». Encore un fantastique coup de génie underground ! Dans «Duff You», c’est lui le Ming qui gratte la disto d’I’m gonna duff you baby. Retour à Hooky avec «Old Horse Of The Nation 2». Il s’esclaffe - Old horse of the nation/ I’m in love with you !

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             La fête continue avec 6 More Miles To The Graveyard, un album encore plus excentrique que les précédents. Il gratte son «Octopus Weeps For You» en piqué, comme s’il allait s’écraser au sol. On entend aussi Kyra là-dedans. C’est elle qui chante ensuite «Smash Your Face In». Le Ming fait son lugubre en B avec le morceau titre qui s’y prête bien, et il finit en mode boogie blues avec «Bored Depressed & Lonely».

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             Re-belle pochette pour Birds With Teeth, l’Hangman de service, hyper-graphique. On croit voir Alfred Jarry sur la pochette. C’est encore un album très Ming. Il met ses poèmes en musique et avec «Lutennat Ohura 90», il refait une cover du «Love Is Strange» de Mikey Baker.  

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             Gros retour en force de Dada dans Master Of Gibberish. Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, le Gibberish est la version anglaise du charabia. Alors bienvenue chez ce brillant Master of charabia. Il te gratte «Hide In The Cellar» aux beaux accords insidieux - Here comes a very strange virus - Le Ming fait planer la menace et te conseille d’aller te planquer - So hide in the cellar/ Or the attic - Quelle rigolade ! Il explose tous les records de Dada avec «We Hate You Byped Bastards» - Supermarket trollys ! - En B, ça repart de plus belle avec «Plegged To Die - Aumhh yum dum Diddley dum - et dans «The Cows Are Strong», on entend forcément meugler les vaches. Il te gratte plus loin «I Hate The Youth» au wild gaga-Dada de Medway - I’m normally a passive kind of guy but - et il profite de cette giclée paranormale pour saluer Oscar Wild (sic).

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             Le couple Billy/Sexton se reforme pour The Cheeky Cheese. Ils déboulent sur la pochette en petite tenue. Au dos tu peux lire : «Buy this record & listen to it before you die.» Trois Dada-shoots imparables cueillent le visiteur au menton, à commencer par «Insects In Your Stars», suivi plus loin de «Birds & Shoots», une belle pop artisanale et envoûtante - See the snail eating tweets - En B, tu vois le Ming attaquer «Mussel Horse In Holland» d’une voix de vieux marin aviné et il annonce «Curious Old Woman» ainsi : «Music by Billy Childishhhhh and sang by Sextôn Meng !».

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             T’as vraiment intérêt à voir la photo de Billy et Sexton au dos de la pochette d’Here Come The Fleece Geese : ils sont au jardin, avec des chapeaux de paille et des fourches, Billy en short des années trente et Sexton habillé en noir. Cette fois, Billy joue de l’orgue de barbarie sur le morceau titre - The flow to the North/ They flow to the East - Quelle rigolade ! Le Ming gratte bien quand ça l’arrange («Old Horse Of The Nation Tea Party»). Leur «Arnie Ice Cream Sargent» est aussi barré que l’Ice Cream For Crow de Captain Beefheart. «Honk Honk Gray Gooze» est du Dada complet, itou pour «They Call Me Mr. Tibbs» - They don’t call me Pussycat/ They call me Mister Tibbs - Puis on assiste au retour des oies dans le morceau titre qui ferme la boucle. Coin coin.

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             Dernière aventure en date : Dung Beetle Rolls Again. Comme chacun sait, le Beetle est non seulement à l’origine des Beatles, mais c’est aussi un scarabée. C’est le plus bel album Dada du duo. On retrouve au dos la photo de Which Dead Donkey Daddy, qui date de 1980. Ils démarrent avec le morceau titre, un gros Dada-boogie digne de Captain Beefheart, et enchaînent avec une autre performance Dada, «Slap Up Breakfast» - Slap up breakfas/ For me/ For me - Mais le chef-d’œuvre imputrescible de ce Dada-disk surgit soudain sous tes yeux ronds : «The Giggling Sausages», c’est-à-dire les saucisses qui se marrent. Typical Ming - Cook ‘em up !/ In the fryin’ pan ! - Il ramène ses saucisses en B dans «Arnie & The Meat Factory» et Billy ressort son orgue de barbarie pour jiver ce fabuleux Dada-gaga qu’est «Turd Mites». Et ça se termine en Dada-blast avec «Darcey Liver» - Kick out the jams motherfuckers !

    Signé : Cazengler, Sex-toy Ming

    Billy Childish & Sexton Ming. Which Dead Donkey Daddy. Hangman Records 1987

    Billy Childish & Sexton Ming. Plump Prizes & Little Gems. Hangman Records 1987

    Sexton Ming. Old Horse Of The Nation. Hangman Records 1987

    Sexton Ming. 6 More Miles To The Graveyard. Hangman Records 1988

    Sexton Ming. Birds With Teeth. Hangman Records 1990

    Sexton Ming. Master Of Gibberish. Tom Product 1996

    Billy Childish & Sexton Ming. The Cheeky Cheese. Damaged Goods 1999

    Billy Childish & Sexton Ming. Here Come The Fleece Geese. Damaged Goods 2002

    Billy Childish & Sexton Ming. Dung Beetle Rolls Again. Damaged Goods 2011

    Philippe Migrenne. Sexton Ming. Dig It! # 6 - Mai 1995

     

     

    L’avenir du rock

     - Magic carpet ride

    Comme tout un chacun, l’avenir du rock adore les bals costumés. Il arrive tout guilleret au bar et se fait servir un verre de champagne rosé. Accoudé à deux mètres, le Fantôme du Bengale l’interpelle :

             — Hé dis donc, toi, tu sais que c’est un bal costumé ? Tu ne respectes pas les règles ! T’es déguisé en quoi ?

             — En concept !

             — Mais c’est pas un déguisement ! Je vais te casser la gueule et t’imprimer ma tête de mort indélébile sur la joue, tu vas voir !

             Au moment où le Fantôme du Bengale lève son bras gainé de lycra rouge pour frapper l’avenir du rock, une main noire le bloque. C’est la main de Lothar, le valet de Mandrake le Magicien. Lequel Mandrake s’interpose, lève son haut de forme, salue l’avenir du rock, et s’adresse aussi sec au Fantôme du Bengale :

             — Hé dis donc, Ombre Qui Marche, t’es devenu complètement con ou quoi ? Ne sais-tu pas qu’il est interdit de frapper un concept ?

             Écumant de rage, le Fantôme du Bengale arrache la main de Lothar de son bras et lance d’une voix sifflante :

             — Mais un concept, c’est un con, Mandrake ! Tu vois bien qu’il a une tête de con et qu’il appartient à l’Empire du Mal ! Les cons sont partout, je dois les exterminer !

             Et il se prépare de nouveau à frapper l’avenir du rock. Alors Mandrake lève la main :

             — Tu l’auras voulu, Ombre Qui Marche ! Abracadabra !!!

             Et il transforme le Fantôme du Bengale en bongo.

             — Maintenant, tu seras le Fantôme du Bongo !

             L’avenir du rock pousse un sifflement d’admiration.

             — Je savais que vous étiez un crack, Mandrake, mais pas à ce point ! C’est vous qui avez inventé Magic Shoppe ?

     

             C’est normal que l’avenir du rock se pose la question, car Magic Shoppe semble tomber du ciel. Ou mieux encore : sortir du chapeau d’un magicien.

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             Il fallait s’en douter : le cerveau de Magic Shoppe, c’est lui. Lui qui ? Josiah Webb. On le voit gratter ses poux et poser sur le maigre public un regard indolent, alors on comprend immédiatement qu’on a sous les yeux l’une de ces petites superstars dont l’underground est tellement friand. Magic Shoppe est un groupe,

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    mais Magic Shoppe c’est lui. Sobrement vêtu d’une veste noire, réajustant de temps à autre une mèche par ci et une mèche pas là, et grattant ses poux dans une mélasse d’overwhelming permanent, il mène la danse. Ces quatre petits mecs de Boston saturent le spectre avec une certaine élégance, ils montent tout de suite à l’assaut de ton attention et t’embarquent dans leur monde avec une irrésistible maestria. Ils offrent un curieux mélange de déjà-vu et de fraîcheur, tu sens à la fois que ça tourne en rond mais t’as besoin d’en savoir plus, alors tu tends et tu retends l’oreille, et tu

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    finis par tomber sous le charme de ce mec Josiah Webb, tu le vois gratter ses killer solos dévoyés au tiguili hermétique, il sort un son noyé d’écho et de good vibes. Certaines clameurs évoquent celle de Swervedriver. On leur colle l’étiquette shoegaze, mais ils se situent bien au-delà des étiquetages, ils créent leur monde, comme Anton Newcombe crée le sien, et même si ce monde t’en rappelle un autre, tu le prends comme il est parce que ça finit par devenir brillant. Extrêmement brillant. Une fois que tu es entré, tu ne veux plus en sortir.

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             Tu ramasses leur dernier EP au merch, l’excellent Resurrection Machine, et tu retrouves ce son bien creusé dans le bâti de l’enfer sonique, ce son écorché vif, très

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    Bloody, comme dirait cette pouffe de Valentine, et quand tu lis les notes au dos, tu découvres que Josiah Webb est tout seul sur l’EP. Il est l’homme à tout faire de son petit empire, et ça tient bien la route. On retrouve le «Space Cadet» tapé sur scène, bien vivant derrière son heartbeat, avec ses guitares voraces d’Horace ta race. Josiah Webb est bien dans son monde, rien ne l’en fera sortir. Il se donne les moyens de ses ambitions, son «Oh No» sonne merveilleusement bien, c’est à la fois touffu et spacey. Bon t’as déjà entendu ça mille fois, mais ça te parle. L’Oh No est assez violent, t’en savoures la clameur, l’esprit de tempête dans un verre d’eau. En B, tu retrouves «Everything Sounds Better When You’re Dead», ce cut qui paraît immense car très répandu à la surface, Josiah Webb tartine son monde en long et en large et ça sonne glorieusement, même si ça reste très lancinant, très expat, très tiré par les cheveux. T’as de quoi faire, pour peu que tu sois un peu curieux.

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             Si t’en veux encore, il faut sortir les gros billets. Josiah Webb t’a pas attendu pour enregistrer des albums, ça fait 15 ans qu’il enregistre des albums à Boston et curieusement, son groupe est devenu culte. Ses sept albums coûtent très cher, quand ils ne sont pas épuisés. La vie est plus facile pour les riches. Le plus accessible est son dernier album, Down The Wych Elm. C’est un album de big time out qu’on croirait calqué sur les anciens exploits soniques de Swervedriver. T’as au moins trois cuts qui sonnent ceux des Swerve, «The Field Where I Died», «Something Hollow» et «Needle In Your Eye». Ce sont des belles dégelées d’oraison Swervy, tu retrouves exactement la même tentation océanique, le même boisseau d’argent, la même urgence d’alarme rouge, avec cette classe inhérente au Brian Jonestown Massacre. Josiah Webb ouvre son balda avec un véritable coup de génie sonique, «Have You Seen Bella?», c’est bardé à outrance de tout le vieux barda du monde. Josiah Webb est un bon, il connaît le secret des tempêtes soniques. Il multiplie encore les rafales dans «Whore». Quel Wall of Sound ! Il monte encore d’un cran dans l’art de la dégelée avec «An Empty Cartridge», il atteint la clameur d’alerte nucléaire, le beat bat comme un cœur trop gros, ça pulse au cataclysmic ! Il boucle sa B avec un «Coda» monté sur un heartbeat monstrueux. On retrouve la lancinance du bassmatic scénique.       

    Signé : Cazengler, Shoppe la crève

    Magic Shoppe. Le Trois Pièces. Rouen (76). 15 octobre 2025

    Magic Shoppe. Down The Wych Elm. Little Cloud Records 2024

    Magic Shoppe. Resurrection Machine. Little Cloud Records 2025

     

     

    Wizards & True Stars

    - Cotise avec Thee Headcoatees

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             Sous l’égide rigide de Wild Billy Childish, les Headcoatees ont pendant dix ans ravagé l’Angleterre. Pour big Billy, premier punk-rocker d’Angleterre, c’était un jeu d’enfant que de propulser ses pouliches au firmament du garage-punk. Il multipliait déjà les projets, alors un de plus ou un de moins, quelle différence ? Pour garantir leur succès, il leur écrivait des hits à la pelle et produisait leurs albums. Puis il les emmenait en tournée, et les filles cassaient la baraque en sa compagnie.

             Thee Headcoatees sont un véritable vivier de talents : Holly Golightly, Bongo Debbie, Miss Ludella Black et Kyra LaRubia sont toutes entrées dans l’histoire. Elles se répartissaient les morceaux au chant. Tout au long des années 90, elles ont pondu des albums exemplaires, souvent hirsutes, inspirés et poilants. Au-dessus d’elles planait en permanence l’ombre tutélaire d’un big Billy au visage aussi sec qu’un olivier abandonné de Dieu.

             Comme les Headcoats, elles portaient des casquettes de Sherlock. Comme les Headcoats elles se plaçaient sous la haute autorité de Bo Diddley. Elles devinrent les reines du garage punk britannique. Elles savaient mettre un classique à feu et à sang, elles savaient battre tous les records de délinquance juvénile. Les Anglaises ont cette élégance transgressive que n’ont pas les autres.

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             Un charmant petit book raconte leur histoire : Girlsville - The Story Of The Delmonas & Thee Headcoatees. Recommandé par un ami. L’auteuse s’appelle Saskia Holling. Les gros veinards qui ont pu voir Russell Wilkins et Lord Rochester sur scène la connaissent : elle y joue de la basse. Elle est aujourd’hui la compagne de Russell, qui a un pedigree aussi long que celui de son vieux partner big Billy. Dans sa petite intro, Saskia raconte qu’elle a rencontré Russell à l’époque où elle jouait dans Sally Skull.

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    Saskia

             Charmant petit book ? Oui, car pas prétentieux. Saskia n’est pas une styliste, elle se contente de témoigner et de faire témoigner. Elle cite abondamment. Elle regroupe les Delmonas et Thee Headcoatees dans le même book car les histoires de ces deux groupes sont liées : Sarah/Miss Ludella Black a fait partie des deux groupes, et big Billy les a mentorés tous les deux. Autre point commun : ce sont les girlfriends des Milkshakes puis des Headcoats qui constituent les Delmonas et les Headcoatees. Contrairement à ce que montraient certaines pochettes, ni les Delmonas ni les Headcoatees ne jouaient d’instruments. Ce sont les Milkshakes et les Headcoats qui assuraient le backing. Et quel backing, baby !

             Dans les Delmonas, t’as Hilary, Louise et Sarah/Ludella.

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             Hilary est à l’époque le poule de Russell, bassman des Milkshakes. Elle est aussi la mère de ses deux fils. Pour élever ses enfants, Russell va quitter les Milkshakes en 1983. Louise est la poule de Bruce Brand. Ils se sont mariés en 1986. Puis ils vont se séparer. Dans leurs longues interviews, Hilary et Louise restent très pudiques sur les fins de leurs relations respectives. Sarah est la poule de Mickey Hampshire qui fut membre des Milkshakes. Aujourd’hui, Sarah et Mick sont toujours ensemble. C’est le seul couple qui a survécu. Dans son interview, Sarah indique qu’elle a mal vécu la fin des Headcoatees, qui furent toute sa vie pendant dix ans, et soudain, plus rien. Elle réussira néanmoins à démarrer une carrière solo, avec deux fantastiques albums qu’on ira saluer ailleurs.

             Saskia prend soin de rappeler qu’en 1982, Hilary, Louise et Sarah se sont installées à Medway - South of London and north of Canterbury, Medway regroupe 5 villes : Strood, Rochester, Chatham, Gillingham et Rainham, toutes situées le long de la rivière Medway - Medway désigne aussi une scène, dont la figure tutélaire est bien sûr Wild Billy Childish.

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             Bruce et Rusell se connaissent depuis le début, ils jouaient ados dans des groupes de prog, puis ils sont passés au punk et ont rencontré le local lad Billy Childish, pour former les Pop Rivets. Big Billy ne pouvait pas espérer meilleurs partners. Le groupe va tenir trois ans, de 1977 à 1980. Et quand leur batteur Little Russ Lax les lâche, big Billy monte les Milkshakes avec Mickey Hampshire. Bruce passe au beurre et Russell bassmatique tout ça tout cru. Les Pop Rivets sonnaient punk, et les Milkshakes vont sonner plus rock’n’roll pour évoluer vers un garage primitif. Saskia : «Billy, Mick, Bruce and Russell had youth, arrogance, foul mouths and agression.» Ils s’inspiraient de Bo Diddley, de Link Wray, des Kinks et des Beatles.

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    Sarah / Ludella

             Hilary, Louise et Sarah/Ludella fréquentaient donc des superstars de l’underground ! Les Milkshakes furent à l’époque ce qui pouvait arriver de mieux à l’Angleterre. Leur manager n’était autre que Nick Garrard. Puis Mickey Hampshire va faire une overdose de Milkshakes et quitter le groupe. Sarah : «He didn’t want to do it anymore.» Mickey a cessé de jouer pendant 15 ans - He had had enough. He’d burnt himself out very quickly with The Milkshakes and was desillusioned by the whole thing - Mickey va renaître des ses cendres pour monter les Masonics, avec Bruce au beurre et Johnny Barker on bass. Premier album en 1991, sur Hangman. On y revient prochainement. 

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             C’est big Billy qui baptise le girlfriend group Delmonas. Sarah devient Miss Ludella Black et Hilary devient Ida Red. Mais elle n’aime pas son surnom - That was another decision made for me -Le groupe répète chez Hilary et Russell. On ne va pas revenir sur les albums, on en parlait assez longuement inside the goldmine en 2024. Comme ceux des Headcoatees, les quatre albums des Delmonas sont assez explosifs et chaudement recommandés. En 1985, Louise quitte le groupe. Big Billy explique qu’il s’est engueulé avec elle. Puis Bruce quitte le groupe aussitôt après Louise. Les Delmonas ne sont plus que deux : Sarah et Hilary. Le groupe devient  Delmonas 5 avec Johnny Gawen au beurre, Russell on bass et big Billy à la gratte. Saskia juge bon de rappeler qu’à l’époque, big Billy jouait avec Thee Mighty Caesars, et Russell avec le Len Bright Combo.  Et quand Hilary met au monde son deuxième fils, elle commence à prendre ses distances avec la musique. Elle part s’installer avec Russell au sud de l’Écosse. 

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    Hilary, Sarah, Louise,

             Fin des Milkshakes ? Pas de problème, big Billy monte Thee Headcoats, avec Bruce au beurre et Allan Crockford des Prisoners on bass. En hommage à Don Craine, ils portent les casquettes de Sherlock - Don had started wearing a deerstalker for photos and gigs back in 1964 -  Puis big Billy pose la question à Sarah qui chantait dans les Delmonas : on remonte un girlfriend group ? - I said yeah great - love to! - Naissance des Headcoatees. La nouvelle girlfriend de Bruce s’appelle Holly Smith, celle qui va devenir Holly Golightly. Et Kyra est la girlfriend de big Billy. Quand Allan Crockford quitte les Headcoats, il est remplacé par Johnny Johnson. Autre petit détail d’importance : lors d’une tournée scandinave, Bruce se fait porter pâle et big Billy fait appel à Wolf Howard qui bat le beurre dans d’autres groupes de Medway, The Daggermen, The Prime Movers et The James Taylor Quartet.

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             Les Headcoatees sont quatre. Holly Golightly, la poule de Bruce, qui était auparavant avec Louise. Holly tire bien sûr son pseudonyme de Breakfast At Tiffany’s. Sarah, on la connaît déjà. Ensuite, t’as Kyra qui est la petite poule belge de big Billy. Saskia : «Kyra is the one that is good at performing.» On la retrouvera ensuite dans les A-Lines avec Julie Hamper. Elle dit même dans l’interview que les A-Lines devaient enregistrer un deuxième album. Elle évoque aussi les Shall-I-Say-Quois, avec Julie et Sarah. La quatrième Headcoatee s’appelle Bongo Debbie, qui fut la poule de Johnny Johnson. Elle se mariera ensuite avec Ian Greensmith, le batteur des Armitage Shanks. Elle va aussi jouer dans les A-Lines et les Buffets. Tout cela est documenté par des albums fantastiques.

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             Le premier album des Headcoatees sort en 1991 : Girlsville. On les voit avec des instruments, mais elles n’en jouent pas. Elles ouvrent le bal avec une jolie pétaudière, « Wild Man », un cut des Tamrons chanté en mode Chrissie Hynde. Ça t’explose en pleine gueule. Elles deviennent des graines de violence avec « Round Every Corner » - Round every corner/Looking for your face - Les filles ne plaisantent pas. « Give It To Me » est une sorte de sale petit garage mal famé. Kyra pend ça en main, elle uppercute, la petite garce. Le garage le plus dégueulasse d’Angleterre, c’est là. Cris de folles - Yeeeeeeehhhhh - solo de dingue signé Big Billy, pure jute de génie garage, voilà l’explosion tant attendue. Les filles ont tout compris - Give it to me/ All your love ! - Puis elles passent à l’heavy rock avec « Boysville ». Elles sifflent comme les New York Dolls ! Et pour finir, elles explosent « Money ». 

             Les Headcoats et les Headcoatees vont aller trois fois au Japon, en 1991 avec Mudhoney, en 1994 avec les Phantom Surfers, et en 1998 avec les Flaming Stars. Billy et Bruce décident de tout : du choix des cuts, du design des pochettes, des set-lists. Holly dit qu’elles n’avaient aucun rôle dans les décisions - If you ask: ‘How much control did you have?’, It has to come out, none, none at all, by design - Sarah : «Billy wanted to be in control of the situation and the songs.» Holly propose ses chansons, mais Billy les trouve trop complexes pour les Headcoatees.

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             Le morceau titre de leur deuxième album Have Love Will Travel surpasse tout. Elles claquent ce classique avec tout le chien de Baskerville dont elles sont capables. Au dos de la pochette, Don Craine des Downliners Sect les salue : « Hey-oh Hey-ah ! » On entre dans le nec plus ultra du garage des bas-fonds avec « Don’t Try And Tell Me », épouvantable déballage de malveillance. On a du scream de folle et de la fuzz à la tonne. Pour l’amateur de garage, c’est le paradis sur terre. Elles chantent vraiment comme des traînées. Pire encore avec l’abominable « Mess Of Pottage ». Elles chantent ça comme si elles volaient une mobylette. Big Billy n’en finit plus de leur fournir des classiques imparables, comme ce « Tear It To Pieces », claqué aux accords de Dave Davies. Elles féminisent à outrance leur version de « Big Boss Man » et finissent cet album faramineux avec une reprise d’« I’m Gonna Make You Mine » qu’elles font sonner comme l’hymne des coursives d’un council flat.

             En trois ans, les relations sentimentales vont se détériorer. Debbie et Johnny, c’est fini. Les couples Bruce & Holly et Billy & Kyra vont traverser de sacrées zones de turbulences.

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             On monte d’un cran dans la violence délinquante avec Ballad Of Insolent Pup. Pour la pochette, elles prennent le thé dans la forêt. Ça part en mode fuzz avec « This Heart ». Hyper crade ! Ce sale garage puant relève du génie. Miss Ludella nous drive ça d’une main de fer. Waooouhh ! Elle pousse un cri de folle échappée de l’asile et big Billy descend aux enfers avec son killer solo. Encore pire : « Pretend » sonne comme un hit lent de Totor et chanté limite faux par cette teigne de Miss Ludella. Puis t’as cette sale teigne de Kyra qui attaque le morceau titre à coups de menton. Elle fait sa vicieuse et roule des accents allemands. Elle bat tous les records de délinquance, dopée par la fuzz des Troggs. Killer solo flash, et ça part en vrille avec des cris et des jappements, des hip et des wouap, franchement, on n’avait encore jamais entendu un tel bordel. Tout est survolté sur cet album. Garage sec et scream de folle dans « All My Feelings Denied ». Sur « It’s Bad », big Billy recycle les accords de « Gloria ». En B se planque une bombe atomique : « Now Is Not The Best Time ». Elles nous chantent ça à la ramasse. Encore plus monstrueux : « I Was Led To Believe ». Elles tapent ça avec une hargne inégalable.

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             Attention à Punk Girls, l’album sorti sur Sympathy For The Record Industry. Il se pourrait bien que ce soit l’un des albums du siècle. Il suffit simplement d’écouter le morceau titre pour s’en convaincre. Kyra chante ça avec toute la violence dont elle est capable. Elle enfonce ses clous dans la paume du diable. Elle pousse des cris de pinson électrocuté. C’est poinçonné aux Lilas. Kyra fait sa Méricourt de Gévaudan. Quelle atroce violence ! Et tout l’album est sur ce registre, dirty sound et coups de chaîne de moto. Hommage au patron avec « Billy B Childish ». Bongo Debbie bongote dans un mould tortillé à l’harmo névrotique. Son à la Pretties, fumace et inventif - Billy B poor and Billy B rich - et quand Billy entre dans la danse, ça devient insupportable de génie. Cover ultra-violente du « Teenage Kicks » des Undertones. Elles envoient les hussards. Bongo Debbie chauffe la soupe, c’est une version effarante de déviance, awite, et solo mortel. Normalement, rien qu’avec ces trois morceaux, t’es au tapis. Mais la fête continue. Kyra revient claquer le « Pinhead » des Ramones. Elle semble complètement butée. C’est la punk la plus sale, la plus méchante de toutes. C’mon ! Les Headcoatees ont un truc que les mecs n’auront jamais, cette petite niaque de folles qui vient du ventre. Ludella chante « Cara Lin », un stomp de glam complètement dément. Voilà qu’elles se mettent à défoncer la rondelle du glam. Big Billy claque le thème à la fuzz et c’est littéralement bardé de clichés bon esprit, c’est du Suzi Quatro sauvagement schtroumphé, dans une immense clameur de destruction massive. Kyra tape « Zig Zag » et en fait le punk-rock le plus dégueulasse d’Angleterre. Elle bat sa coulpe avec une outrecuidance qui dépasse l’entendement et t’imprègne la cervelle d’une fabuleuse émulsion punkoïde de bas étage. Messieurs les punk-rockers, prenez des notes.

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             On a un beau fish-eye hendrixien pour la pochette de Botzstick Haze. Rien qu’à les voir toutes les quatre le nez collé à l’objectif, on se régale. C’est avec cet album qu’on va pouvoir définir leurs caractères respectifs. Quand on entend Kyra chanter « Name Your Own Poison », on comprend qu’elle peut être très vacharde. Elle roule ses r avec un autoritarisme germanique qui glace les sangs. On voit d’ailleurs à sa figure sur la pochette que l’empathie n’est pas son fort. Il vaut mieux l’avoir comme amie que comme ennemie. Ludella prend « I Need Loving » d’une voix mûre. Chez elle, on sent le poids du vécu. Elle sait faire l’infectueuse. En Ludella, quelque chose rassure, mais lorsqu’on pousse l’examen de son regard, on détecte facilement la nature trash de sa complexion. Quant à Bongo Debbie, allez savoir ! Elle chante le petit garage de « Speak To Me » cordialement, mais on sent quelque chose de pernicieux dans le ton de sa voix. Mais il faut rester prudent avec ce genre d’interprétation, car on risque de basculer dans l’approximation délirante dont raffolent les lacaniens. Holly chante « Just Like A Dog » à la manière des Pretties, comme dans « Come See Me ». On est vraiment gâtés car c’est bien vrillé au killer solo flash. Des quatre, Holly pourrait passer pour la préférée, d’une part parce qu’elle est brune, et d’autre part à cause de ce regard voilé qui sent bon les alizés. On retrouve notre petite fouine Kyra en B pour un gros shoot de garage élémentaire, le morceau titre. Puis Debbie fait sa Bo avec « Baby Teeth Marge ». Elles ont vraiment le beat dans la peau. Miss Ludella illustre son côté pervers avec « He’s In Disguise » : elle se force à chanter faux. C’est assez osé. 

             Bongo Debbie finit par en avoir marre de toujours chanter les mêmes cuts sur scène. Puis elle s’engueule avec Holly - a massive fall out - Alors elle quitte le groupe. Et ensuite, tout va partir en eau de boudin : Billy se tape Holly et Kyra vit ça très mal : «I thought Holly hated me, and I didn’t like that she was going out with Billy in front of my nose.» Sarah : «It all went horribly wrong.»

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             Debbie disparaît donc de la pochette d’Here Comes Cessassion. Elles ne sont plus que trois, mais leur rage reste intacte. Elles attaquent avec un gros pâté de gaga sauvage, « You Say That You Love Me », elles te tartinent ça vite fait, c’est du graillon britannique, du couenné sévère, du fort en gueule. Les poules y mettent tout l’allant des suburbs. « All Night Long », c’est du pur Kyra la mauvaise. On la reconnaît aussitôt, à son accent fêlé de petite garce acariâtre. « Hurt Me » est un gros hit lent à la Billy, une vraie réussite mélodique, insistante et incisive. Elles bafouent toutes les Conventions de Genève avec « An Image Of You », on sent bien leur niaque et tout le trash dont elles sont capables. Sur cet album, elles tapent deux classiques de Bo : « Road Runner » et « Keep Your Big Mouth Shut » qu’elles balancent dans le même esprit que la version des Pretties, à la rentre-dedans, dans une belle atmosphère de délinquance. Autre coup de génie : « Is There Any Chance Of You Coming Into My Life », violemment riffé, tapé sur une seule phrase et monté serré sur les culbuteurs. S’il fallait retenir une seule chose de Billy Childish, ce serait ce riff raff de mauvaise vie. 

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             La même année sort une sorte de compile, The Sisters Of Suave (Dedicated to the memory of our dear departed Bongo Debbie). Les trois survivantes sont déguisées en bonnes sœurs et font le pendant des Earls of Suave en s’appelant Sisters Of Suave. Cette compile est un peu explosive. Déjà que les albums sont teigneux, alors on imagine ce que peut donner une compilation de singles et de bricoles enregistrées à droite et à gauche. Elles attaquent avec une reprise du « Davy Crockett » de Billy en mode laid-back - You are the king of the wild frontier who-oh oh oh - Puis elles balancent une tranche de Sonics avec une reprise de « Santa Claus » - Where have you been awho-who-oh - C’est exactement le même plan que Davy Crockett, mais la chose est tellement inspirée qu’on ne s’en offusque pas. Elles tapent l’« I Gotta Move » des Kinks, du coin du menton avec toute la morgue du monde. On a ensuite droit à une version de « Ballad Of The Insolent Pup » embarquée à la fuzz et différente de celle qui figure sur l’album du même nom. Un solo cataclysmique vient balayer tes derniers espoirs. On retrouve la morgue des filles dans « Johnny Jack » - Say yeah yeah/ Say wo wo wo - Elles emmènent ça avec une rare indécence, puis arrive le killer solo habituel. Billy participe aux chœurs, derrière. Ces gens-là regorgeaient d’idées, de talent et d’enthousiasme. Ils incarnaient l’avenir du rock anglais. Les filles tapent aussi dans les Ramones avec une fantastique cover de « Swallow My Pride » qu’on croirait produite par Totor. Et l’A se termine sur un truc terrible : « Spineless Little Shit ». Évidemment, ça s’adresse à un mec - I’ve got something to say to you/ You’re shit ! - On imagine que ce connard l’a bien mérité.

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             Sur la B se nichent d’autres atrocités, comme cet « Evil Thing » qu’on dirait chanté avec un mépris qui s’adresse à la terre entière. Puis elles nous proposent une reprise endiablée du « Strychnine » des Sonics. Elles prennent ça à l’arrache - I like the taste of straight strychnine - La version originale des Sonics reste bien sûr la chouchoute, mais les filles n’ont pas à rougir de la leur. Bien au contraire. D’autant que Billy fait un festival derrière. Sacré Billy. Il veille bien au grain. C’est un chouette type. Sa moustache de sergent major de l’Armée des Indes inspire la plus grande confiance. Et puis voilà « Come Into My Mouth », un titre qu’il faut prendre au premier degré, car chanté avec un hédonisme déterminant - I want to suck you dry - Je veux te sucer jusqu’à la dernière goutte - I want to taste you on my tongue - Je veux sentir ta bite sur ma langue - C’est traité comme un canular mais chanté avec la plus belle sensualité. Billy envoie là-dessus un solo exotique et ça prend l’allure d’un hit sixties. Absolument renversant. On entend rarement des choses pareilles dans un pays aussi prude que l’Angleterre. Elles referment la marche avec « Jackie Chan Does Kung Fu », chinetoqué à l’intro et repris au vieux jerk des bas-fonds de Soho. Le gros beat garage est tellement beau qu’il paraît impossible de faire mieux.    

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             Puis au retour d’une ultime tournée scandinave, Holly ramasse ses affaires et quitte Medway, «alone and for good, because, she said ‘It imploded, totally imploded.’» Après les Headcoatees, Holly ira aux États-Unis avec Dan Melchior que lui a présenté big Billy. Ensemble, ils vont enregistrer l’excellent Desperate Little Town. Elle a aussi monté un groupe à Londres avec Matt Radford et Brian Nevill. Puis elle va s’installer aux États-Unis et monter les Brokeoffs avec son mari Dave, qui a grandi avec un skate et en écoutant du metal, donc une culture radicalement différente, mais comme elle dit, «he was interested in learning to play music properly». Holly est longuement saluée ailleurs sur ce blog avec un Part One, un Part Two et un Part Three.

             Une fois Debbie, Johnny et Holly parties, pas de coming back pour les Headcoatees.

     

    Signé : Cazengler, Headcauteleux

    Thee Headcoatees. Girlsville. Hangman Records 1991

    Thee Headcoatees. Have Love Will Travel. Vinyl Japan 1992

    Thee Headcoatees. Ballad Of The Insolent Pup. Vinyl Japan 1994

    Thee Headcoatees. Punk Girls. Sympathy For The Record Industry 1997

    Thee Headcoatees. Bozstick Haze. Vinyl Japan 1997

    Thee Headcoatees. Here Come Cessation. Vinyl Japan 1999

    The Sisters Of Suave. Damaged Goods 1999

    Saskia Holling. Girlsville - The Story Of The Delmonas & Thee Headcoatees. Spinout Publications 2021

     

     

    Inside the goldmine

     - Majestés Royales

             On l’aimait bien Roya au début. Il avait l’air sympathique et cultivé. Il accepta de nous dépanner. On cherchait un guitariste. Il savait gratter trois accords, mais ça pouvait suffire. Il écoutait à peu près les mêmes disques que nous. Il fallut lui montrer les accords et on fit une première répète de formalité. Ça allait à peu près. Dans les groupes amateurs, on sait se contenter de peu. On l’intégra. Et puis à l’usage, on a commencé à déchanter. Roya ne travaillait pas les cuts chez lui, et chaque fois, lorsqu’il arrivait en répète, il demandait qu’on lui re-montre les accords - Ça commence comment, déjà ? - Ce qui au départ ressemblait à une bonne embauche se transforma en quelques semaines en fiasco à la fois technique et relationnel. Mais le pire était à venir. Les concerts ! Des dates étaient bookées à droite et à gauche et bien sûr, si tu montes sur scène avec un tocard comme Roya, tu cours à la catastrophe. Alors on s’est jetés dans la gueule du loup. On était tellement masos qu’on a adoré ça. Roya grattait n’importe quoi, il ne se souvenait plus des structures, il n’avait même pas l’air de s’en rendre compte. On se rattrapait aux branches, on jouait ce qu’on pouvait. Le chaos était indescriptible ! On était tellement paumés qu’on jouait tous les quatre des cuts différents. Quelle rigolade ! Captain Beefheart n’aurait jamais pensé à ça. On a alors battu tous les records de modernité auto-destructrice. C’est un luxe que tu peux t’offrir si et seulement si tu récupère un super-clampin comme Roya. En plus, il avait l’air fier de lui. On est descendus aussi bas qu’on a pu dans les abysses du nihilisme rock. On est devenus les jusqu’au-boutistes de la nullité. Même les pires groupes de punk-hardcore ne sont pas descendus aussi bas. Grâce à Roya, on a battu tous les records, ceux que personne n’oserait jamais aller battre. 

     

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             Roya n’est là que pour incarner l’antipode des Royales. Autant Roya est nul, autant les Royales sont géniaux.

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             C’est à grâce Steve Cropper qu’on finit par foncer sur les Five Royales. On espère y entendre le fameux guitar hero, Lowman Pauling. C’est pas simple. Tu commences par tester l’album sans titre paru su King en 1960 et heureusement réédité par Sundazed, car le King vaut 150 $. C’est un album de swing. Pas de poux. Juste du sax. Tu sors bredouille du balda. T’entends enfin le guitar hero en B sur «Wonder When Your Love Has Gone». Il est loin derrière, mais assez killer, il faut bien l’avouer.

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             Une fois de plus, c’est Rhino qui nous sauve la mise sur ce coup-là. En 1994, Rhino sortait Monkey Hips & Rice - The «5» Royales Anthology. C’est ce double CD qu’il faut écouter. Ed Ward signe les liners. T’en as pour ton billet. En plus du surdoué Lowman Pauling, t’as deux leads nommés Eugene & Johnny Tanner. Ward est bien renseigné. On se demande où il est allé chercher tout ça. Premier single en 1951. Ils s’appellent encore les Royal Sons et sont basés à Winston-Salem, en Caroline du Nord. Lowman Pauling compose pour le groupe. Ils signent sur King et en 1960, Puis Lawman Pauling quitte le groupe. Les Five Royales vont ensuite s’installer à Memphis pour enregistrer avec Willie Mitchell. Puis le groupe splitte et ils prennent tous des boulots normaux, sauf Lawman Pauling qui reste dans le showbiz et qui va accompagner Ben E King puis Sam & Dave, avant de casser sa pipe en bois en 1974.

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             Dès «Courage To Love» t’entends ces leads fabuleux que sont Eugene et Johnny Tanner. On les sent issus du gospel. Même les heavy jumps sont des merveilles de swing. Ils passent au heavy blues de stature primordiale de miss my pretty baby avec «Help Me Somebody». Éclatant !  Puis c’est une déboulade de jumps de jazz et de swing : «Crazy Crazy Crazy», «Landromat Blues» (Baby I got the best machine/ best machine in town, pur swing, so treat my baby kind/ Treat my baby gentle, tu te lèves et tu sautes en l’air), «All Right», «I Do», et toujours ce swing inespéré de she’s my kind of babe avec «I Like it Like That», et t‘as se sommet du swing de doo-wop : «Monkey Hips & Rice». On commence à entendre Lawman Pauling dans «Women About To Make Me Crazy» et ça rocke le boat à coups de that’s where my baby stays dans «Right Around The Corner». Pur genius, et ça continue avec «Come On & Save Me», et cet absolute beginner qu’est «Get Somebody Out Of It», un hit faramineux bardé de doo-wop explosif. T’es collé au plafond. Si tu veux du Black Power, c’est là.

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             Le festin se poursuit sur le disk 2, et là t’entend Lowman Pauling dès «Just As I Am», «I’d Better Make A Move» et «Say It» : il gratte comme un diable, il claque des intros incisives, il est carrément psychédélique sur «Say It». Laisse tomber Clapton. T’as aussi le swing dément de «Think». «Don’t Be Ashamed» sonne comme un hit des seventies à cause du rentre-dedans de Lowman Pauling. On passe au mythe avec «Dedicated To The One I Love», compo de Lowman Pauling dont les Mamas & The Papas vont faire leurs choux gras. Et là t’as Lowman en embuscade, il joue tout en surplomb. Quel démon ! Comme son nom l’indique, «Do The Cha Cha Cherry» tape dans l’exotica de choc. Puis ils groovent «Double Or Nothing» dans la couenne du doo-wop. On retrouve le génie vocal des Five Royales dans «Tell The Truth». «The Slummer The Slum» sonne comme un cut de Soft Machine et Lowman y gratte des syncopes de congestion. Quelle modernité ! Il faut bien dire que tous les cuts t’estomaquent. Lowman repart en embuscade sur l’heavy blues «Wonder Where Your Love Has Gone», puis ça repart en mode swing du diable avec «My Sugar Sugar» et on regagne la sortie avec une resucée d’«Help Me Somebody» noyée d’orgue. Il réclame de l’aide, avec des chœurs de doo-wop et ça vire swing. Black Power !

    Signé : Cazengler, pâté royal

    Five Royales. The Five Royales. Sundazed Music 2015

    Five Royales. Monkey Hips & Rice. The «5» Royales Anthology. Rhino Records 1999.

     

     

    *

    Il est des choses qui vous attirent sans que vous sachiez pourquoi. Cette première phrase est évidemment un mensonge. Ce qui vous attire n’est au mieux qu’un reflet de vous-même. Peut-être, au pire, une simple projection de votre propre entité qui s’est séparée de vous-même pour objectiver vos propres phantasmes. Cette fois-ci il y avait plusieurs mots attirants, des gemmes diamantaires qui brillent de dix mille feux. Mais surtout un seul d’entre eux, un des plus mystérieux, un mot lié à la puissance des Dieux latins, au fondement de notre identité inculturelle d’être vivant, dont il vaut mieux se détourner, faire semblant de ne pas être concerné, s’intéresser par exemple à votre numéro de sécurité sociale … Ceux qui se permettent d’évoquer ce genre de malfaisance ne sont pas nombreux. Nous n’avons donc pas affaire à un groupe de rock constitué de plusieurs individus. Simplement une seule individualité.

    NUMINA

    MAATISFET

    (Bandcamp / Octobre 2025)

             Ignorons, plus que cela nous soit possible, le titre de l’album, à première vu le nom de l’artifex est moins kaotique, Maât étant dans le panthéon de la mythologie égyptienne la déesse – nous employons à dessein un mot passe-partout – de l’harmonie universelle, elle est la force qui préside à la stabilité du monde dont elle surveille l’équilibre. Si une plume est son symbole, c’est pour vous avertir que si  un milligramme de plus ou de moins sur un des multiples plateaux de l’univers, tout s’écroule… Voici donc un artiste qui se donne comme le pourvoyeur de l’équilibre du monde, c’est vrai que sur sa photo il ressemble à ces personnages désaxés des romans de Dostoievski. 

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    D’ailleurs la pochette de l’album - que représente-elle au juste - nous semble l’image métaphorique de cet instant fatidique de bascule vers l’anéantissement… à moins qu’elle ne soit la seconde décisive ou après un  frémissement incoercible la plume se redresse fièrement et se tenant droite comme le pivot du monde veille à la pérennité de sa continuité. Examinez-la longuement et tâchez de vous mettre en accord avec vous-même.

     Si vous pensez qu’en se présentant comme le créateur de l’harmonie du monde notre artiste exagère un tantinet, dans un court texte introductif  Daniel Quero, de Barcelone, avoue humblement qu’il travaille depuis 2020 sur les titres de son premier opus, il ajoute que les Dieux et les mythes le fascinent car ils ont été créés par les hommes. Ainsi les Dieux ne seraient que notre reflet, mais pourquoi sont-ils plus beaux que nous…

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    Okeanos : ces chœurs féminins qui ouvrent le morceau sont-ce les filles d’Okeanos qui chantent la gloire de leur père, l’Océan qui entoure et délimite la Terre qui l’engendra, cette vision des premiers temps s’alourdit soniquement, la batterie frappe les coups fracassés d’un destin désarçonné, les guitares s’emplissent d’une nostalgie aigre-douce, nous sommes après les premiers temps de l’Age d’Or, la voix sombre et rauque d’Okeanos s’adresse aux hommes, ils ont troqué l’or des temps heureux contre l’argent compulsif, il fulmine contre cette race honnie qui s’adjuge la première place, le Dieu préfère se taire, le rythme s’accélère, sans doute rêve-t-il que les rouleaux homicides de ses vagues détruisent tous les navires insignifiants de ces ridicules créatures et que ses flots vengeurs engloutissent toutes les Atlandides qu’ils se permettront de créer.  Numen : auditeurs français rien à voir avec votre numéro d’identification sociale, le Dieu s’est tu car seul le silence est grand a dit Alfred de Vigny, il ne roule même plus ses flots, il laisse place à la puissance agissante des Dieux à laquelle personne ne saurait s’opposer, lorsque Thalès indique que la nature est composée à l’origine d’eau élémentale, c’est à cette puissance terrible dans laquelle baigne l’humanité à laquelle il fait allusion… Ce sont ces numina (pluriel latin de numen) des différents dieux qui donnent son titre à l’album. Ce morceau tempétueux, le plus beau et le plus puissant, ne possède qu’un seul défaut, l’on aurait aimé qu’il se poursuivît infiniment comme la mer toujours recommencée. Python : ce troisième morceau clôt le prologue protogonique d’ascendance grecque, Python était le serpent des profondeurs qui veillait sur le temple sacré de Delphes, il reprend la même tessiture instrumentale que le morceau précédent, un vocal éruptif se joint à lui, deux pistes de guitares se chevauchent, une qui alentit le rythme et une autre qui l’accélère, sont-ce les circonvolutions agoniques du serpent blessé par les flèches vengeresses d’Apollon, cet arrêt brutal marque-t-il le moment terminatif par lequel le talon vengeur d’Apollon écrasa l’infâme tête du reptile. Quoi qu’il en soit la fin de Python n’est que le symbole du trépas des hommes. L’île des Bienheureux n’est pas nous. Hugr :  ce rugueux monosyllabique guttural désigne dans la mythologie scandinave cette partie de l’âme que nous appelons âme, cette partie de nous capable de raisonnements et de sentiments, nous changeons de règne nous quittons l’Extérieur pour pénétrer à l’Intérieur. De nous-mêmes. Ce n’est guère mieux. Au-dedans ou au dehors le danger est le même, ne nous laissons pas amollir par ce long passage instrumental qui semble effacer tous les périls, nous avons eu raison d’hurler à pleine voix et maintenant de rugir comme des lions blessés, la mort est partout, ses ailes noires volent en notre tête et opacifient toutes nos volitions de tranquillité. Ungolianthë : ne dites pas que vous l’ignorez, vous l’avez tous rencontrée et vue en film, c’est elle, l’aragne noire du Seigneur des Anneaux, elle ne se situe pas uniquement dans le film, elle avance sans se presser sur son hideuse toile, elle s’approche de vous, elle est en vous, elle est tapie sur l’ouverture de l’abysse intérieur qui n’est qu’une des fissures qui donnent accès au gouffre originel, vocal angoissé porteur des échos criminels et meurtriers de la terre de Lammoth, est-ce pour cela que la fin du morceau ressemble à  une quincaillerie effrayante… doux froufous guitariques, êtes- vous parvenu à entrer dans la nuit primordiale…D(u)at : même douceur que les derniers accords chargés de résonnances qui vous procureront de froids frissons, ce mot en notre langue évoque la dualité, en Egyptien il n’est rien d’autre que l’au-delà cette région ombreuse dans laquelle Ré ferme ses yeux ensoleillés, croyez-vous que ces grands coups de marteaux soient-là par hasard, au bout de la nuit vous ne rencontrez que la mort, pourquoi la musique se fait-elle si belle et ce  vocal à gorge éployée pourquoi se tait-il sur cette ligne de basse à la démarche hésitante, encore un effort, tu accèdes à la cérémonie finale, la plume de Maât t’inclinera-t-elle vers les champs de Ialou, plénitude existentielle, toute proche de la numénité des Dieux, une guitare séduisante chante et déverse ses plus hauts arpèges, ne te fais pas trop d’illusion, malchance souveraine elle est tombée du mauvais côté. N’es-tu pas un être fait pour la mort !

             Un bon disque qui se termine mal. De quoi vous plaignez-vous, c’est bien vous qui avez inventé l’algorithme des Dieux, ne venez pas pleurnicher si maintenant il se joue de vous. Vous avez regardé la couve avec attention, n’avez-vous pas eu l’impression qu’elle ressemblait à une tête de mort en décomposition, et que de facto elle ressemble à un chien.

             Peut-être peut-on reprocher à ce premier opus une certaine monotonie, c’est souvent le défaut des one-man-bands, en tout cas nous serons attentif au prochain opus de Maatisfet.

             J’ai gardé le plus curieux pour la fin, sur son Instagram vous avez l’annonce de la parution, une très courte vidéo, presque rien, juste des lumières se mouvant dans le noir, et une autre avec une mer qui se couvre de noir. Des idées simples mais terriblement efficaces.

    Damie Chad.

     

    *

    Ce n’est pas la première fois que je tombe sur cette invitation. Oui mais nous les rockers si ce n’est pas accompagné d’une Cadillac Rose avec un tapis rouge pour nous accueillir, par principe nous n’y allons pas. Il faut savoir tenir son rang. En plus c’est un peu tordu, je sais bien qu’avec sa formule Ecouter Voir, Paul Claudel est un sérieux atout généalogique pour cette soirée Ecoutons Nos Pochettes. C’eût été ‘’nos pochettes rock’’ j’eusse regardé, sans quoi : méfiance absolue. Sait-on jamais, je clique et je reclique, tiens un exemple proposé : un texte de Céline Renoux sur la   pochette Big Science de Laurie Anderson. Anderson et Lou Reed, cette Céline n’a pas obligatoirement mauvais goût. Elle a marqué un point et même un deuxième puisque c’est joliment écrit.   J’explore un peu son Face Book, illico elle perd douze points, elle ne signale que des trucs qui ne participent pas de mon panorama sonore. Je me prépare à ce que mes santiagues aillent fouler une herbe plus rock lorsqu’un post attire mon regard, attention Céline Renoux n’est pas n’importe qui, elle vient de publier un recueil de poésies. Respect et honneur aux poëtes, en plus le titre est attirant : Mon âme est punk avec une fleur bleue au milieu. Punk et Rock ne sont-ils pas deux tétines qui appartiennent à la même mamelle bleue ! S’impose une lecture immédiate, hélas faut attendre quinze jours avant de recevoir un exemplaire. Le rocker n’est pas patient, c’est là son moindre défaut, avec lui c’est tout, et tout de suite. Conséquence : je cherche et je trouve. Que voulez-vous la réalité se plaît à réaliser les désirs des rockers, sans quoi elle serait inutile.

    TOUTES CES FILLES QUI VIVENT DANS MON CORPS

    CELINE RENOUX / YAN PECHIN

    (CD / Bancamp2013)

    La couve est magnifique. Certes je devrais d’abord rendre hommage au photographe qui a tiré la photo. Oui mais avec une fille si belle il est impossible de faire un mauvais cliché. De surcroît c’est marrant parce que sur son FB vous ne remarquez que le bleu céruléen de ses deux iris myosotis, or sur la pochette ses yeux sont jaunes. Ne dites pas que l’apprenti-photomatique a utilisé un filtre jaune, relisez plutôt La fille aux yeux d’or d’Honoré de Balzac.  

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    Par contre le gars a tout compris, le Yan Péchin qui est pourtant crédité au même titre que la demoiselle-libellule sur  la couve, ben notre artisan pelliculophile ne l’a pas voulu sur la photo. Ce n’est pas parce que le gars à la chevelure broussailleuse qu’il arbore sur les nombreux clichés disponibles sur le net aurait certainement fait un peu tache, nom pas du tout ce n’est pas lui qui chante et ce n’est pas lui qui a composé les textes. Se contente d’accompagner. A la guitare. L’a commencé avec Bashung puis avec plein de chanteurs que je n’aime pas. Toutefois je remarque sur son CV long comme la liste des morts engloutis par l’éruption du Vésuve à Pompéi en 79, qu’il a aussi joué avec Link Wray et Chris Spedding. Excellente caution rock.

    Sachez décrypter le titre, non Céline Renoux ne veut pas nous signifier qu’à elle toute seule elle vaut toutes les filles du monde, mettez-le en parallèle avec la fameuse déclaration de Victor Hugo dans sa préface aux Contemplations ‘’ Ah ! insensé qui crois que je ne suis pas toi !’’ Plus modeste que Victor, Céline Renoux ne s’adresse qu’à la moitié de l’humanité, celles, les femmes, que dans un élan lyrique Mao Tsé Toung a qualifié de ‘’la moitié du ciel’’. Evidemment depuis Hugo et Mao le monde a changé. En déduirions-nous que les textes de ce disque s’inscrivent dans le large mouvement de revendications féministes ?

    Mal recousue comme la bouche : non ce n’est pas chanté, c’est lu, récité, une voix posée, ce n’est pas qu’elle soit sûre d’elle, c’est qu’elle raconte, le Péchin, se débrouille bien, il ne suit pas le texte, il s’en éloigne, juste pour dessiner le drame, l’accompagner, garde bien ses doigts sur ses cordes, ne pas les faire traîner sur le corps de la danseuse, car elle danse, elle raconte, elle parle d’elle-même, de ses quatorze ans et de bien d’autres choses, de la blessure qui trente ans après dure encore et qui sera encore-là dans trente ans, une scène comme tant d’autres, que tout le monde a connue, chacun sur un côté de la blessure, sur une rive une fille et sur l’autre un gars, la ronde du flirt, de la première fois, cent fois répétées au cours de l’existence et toujours la même saignée, la même coupure, l’innocence suintante perdue qui revient à chaque fois, comme une envie de vomir, une libération et un enfermement en soi-même dans le dégoût de l’autre et le désir et la peur de soi. Une des filles qui vit dans mon corps : top départ, attention c’est parti, elle parle plus vite que le son du starter, Péchin fait du bruit, trop de hâte pour faire de la musique, c’est un corps à corps avec soi-même, car peut-être que toutes ces filles au-dedans de moi ne sont que moi seule, pépé Hugo peut aller se rhabiller, ce qui est sûr c’est qu’une fois l’on a été meilleure, bien plus qu’avant, bien plus qu’après, que c’est cette fois-là que l’on voudrait être et avoir été chaque fois, notre moi est-il si morcelé, si déchiré en petits morceaux que l’on voudrait éparpiller afin de ne plus être nos propres ratages, peut-être vaudrait-il mieux se tuer. Avec un pistolet en plastique. Sans retour ni écho : Péchin oragique, une fille regarde une fille prisonnière de sa propre solitude, un drame intime, son attitude suffirait à la trahir, tout le monde s’en fout, elle crie, elle n’en finit plus de crier, Péchin tirebouchonne et envoie des balles à blanc, elle ne crie plus, elle n’existe plus, elle est assise là où les autres ne la rejoindront pas. Celle qui regarde note quelques mots sur son cahier, c’est tout ce qu’il restera d’elle, un écho même pas sonore pour reprendre une expression hugolienne. L’insurrection : Péchin se tait, ensuite il envoie des sons discrets, fait un peu de bruit lorsqu’elle annonce la mort de la poésie, Péchin cacophonique, attention ce n’est pas une révolution qui balaie la rue, comme l’écrivit Daniel Giraud, toute révolution se doit d’être intérieure, l’insurrection est un kaos émotionnel, une révolte, l’envie d’envoyer blackbouler cette absence qui sépare en toute occasion et en fin de compte tout être qui n’arrive pas à se séparer de lui-même. Péchin se tait. Le manque est un pays habité : tiens une voix légère, Péchin nous joue une nuit de Chine câline, enfin pas trop, car il n’est pas là et qu’elle essaie de survivre, elle fait semblant, un semblant de colère, le Péchin nous sort un générique de western, elle s’accroche à son rêve perdu, elle essaie de se retrouver auprès d’autres, mais elle sait qu’elle triche, le Péchin nous sort un son de violoncelle funèbre. Que voulez-vous quand il n’y a plus personne à trucider la fin est un peu triste et manque d’action.

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    Muette et nue contre le colosse : Péchin foufroute, qui s’y frotte s’y pique, le monde au-dehors de nous est une montagne que personne ne saurait bouger et qui ne viendra jamais à vous, Péchin vous casserole le drame, même au milieu de la rencontre la montagne est toujours-là, l’amant et l’amante, même dans le stigmate de l’étreinte amoureuse sont séparés par des murailles de pierres infranchissables. Dragon : l’heure est grave, Péchin dramatise, elle parle, elle tire le bilan, elle règle ses comptes, non c’est lui qui cause, il lui reproche d’être ce qu’elle est, la vie étant ce qu’elle n’est pas l’amour se termine, il est temps de se séparer, son amour était comme le souffle dévastateur du dragon, mieux vaut s’éloigner. La fin du monde a déjà eu lieu : Péchin jazzize, elle a tout perdu, elle parle comme un chef de bureau. Qui dresse le constat d’un échec, non pas celui d’un couple, celui de tous les couples, celui de cette humaine solitude qui ne consent qu’à elle-même, Péchin a abandonné le jazz, donne dans l’industriel, production de masse, toutes les existences sont les mêmes, la comédie est terminée, le drame aussi. C’est ainsi. Accidentelle : la voix seule, nue, Péchin n’existe plus, elle s’intéresse à la tasse du réveil, bientôt elle sera terminée, juste un moment, puis partir dans le matin froid, marcher dans la rue mais surtout en soi, prendre le métro, se mêler aux autres et à sa propre solitude. The dream is over. Se retrouver du mauvais côté de la rive. Redevenir soi. Rien que soi. Le rouge est une matière soluble : Péchin carillonne, est-ce un mariage ou un enterrement, l’on y va, toujours là se recroqueviller sur soi-même et dans les images des jours heureux, Péchin larmoie, c’est fini : rien ne la retiendra. N’est-elle pas revenue dans son innocence. Péchin pose quelques points de suspensions interminables. Mais qui finissent par cesser. Car tout ce qui a eu faim, finira.

             Blues au bout de la nuit de l’incomplétude humaine. Pas spécialement féministe. La solitude de tout être humain. L’on n’est pas loin de L’Enfer de Barbusse. Ne le lisez pas si vous broyez du noir. Félicitations à Yan, n’a pas le beau rôle mais l’a su rester dans l’ombre tout en jouant à la perfection son rôle d’accompagnateur. Céline Renoux est émouvante. Une introspection sans équivoque. Fascinante. On l’écouterait dire toute la nuit. C’est d’ailleurs là où elle nous conduit. Mais l’aurore ne se lève pas.

             A franchement parler c’est beaucoup plus poétique que rock’n’roll. Une Eurydice perdue qui retourne aux Enfers toute seule. Comme une grande.

    Damie Chad.

     

    *

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    John Reece fut le bassiste des Shouts.  Son témoignage est captivant. Les Shouts auraient pu rester avec Gene, mais les disciples se doivent de dépasser le maître. Encore faut-il réussir… Les Shouts ne semblent avoir enregistré qu’un unique 45 ours après leur séparation avec Gene. L’ont-ils regretté ? Tout le long de la vidéo, John Reece feuillette un album de photographies de ces deux années qui ont dû illuminer son existence…

    The Gene Vincent Files #13: John Reece of The Shouts, toured and recorded with Gene for 2 years.

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    Voici une photo des Shouts prise derrière la mairie de Birmingham, et c’est tiré d’un des journaux de Birmingham pour prouver que c’était un groupe de Birmingham qui avait choisi pour accompagner Gene Vincent, et la photo dessous c’est nous tous ensemble dans un des vestiaires de Birmingham. Celui-ci c’est Jem (Field) le saxophoniste, Vincent vous le reconnaissez, Eric (Baker) l’organiste, moi-même avec une belle coupe de cheveux, Victor (Clark) le batteur fou, et voici Tim (Bates) qui fut un grand guitariste. Notre agent nous a demandé si nous nous étions intéressés pour une audition auprès de Gene Vincent. Mais il ajouta ‘’ Vous ne pourrez plus jamais travailler avec moi’’ Vous devrez désormais travailler avec Don Arden  qui  était très connu à Londres. Aussi nous avons répondu que ce serait un magnifique tremplin pour nous, d’avoir accès aux studios et tout le reste. Nous y sommes allés et avons eu une audition. Nous avons joué quelques morceaux de notre set et nous avons réussi. Il a dit : ‘’ très bien, c’est bon’’. Nous avons eu quelques répétitions avec Gene. Nous avons signé  tout de suite pour faire très vite quelques répétitions avec Gene. Il a loué un véritable cinéma  pour répéter, ainsi il pourrait entendre le son sur une scène

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    installée  en un  espace plein de monde où il pourrait se faire une idée de ce à quoi ressemblerait le son avec les Shouts. Ainsi nous avons répété durant plusieurs semaines à Londres. Nous sommes restés à Londres et nous avons répété avec Gene en prévision de gros shows avec Duane Eddy and The Rebels (?) et d’autres gars de cet acabit,  il était impératif d’être à la hauteur sur tous les plans. Voici une photo

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    qui a été prise dans un club en banlieue sud, un de mes amis qui jouait dans un groupe l’a aperçue  punaisée sur le mur du club, il a demandé au gérant s’il pouvait la prendre et il me l’a ramenée. A cette époque je pensais qu’il n’existait qu’une photographie de ce concert mais j’ai découvert récemment un photographe qui possède le négatif. Donc ce n’était pas la seule photographie de cette soirée.  Il doit y en avoir tout un tas. / Oui, j’étais un grand fan de Gene Vincent depuis mes quatorze ans, quelque temps avant que je ne quitte l’école. J’avais entendu quelques disques de Buddy Holly et de la plupart des gars importants de l’époque, mais Gene Vincent c’était quelque chose qui m’a harponné, je pense que c’était surtout le son des Blue Caps. J’ai aimé ce son et je suis devenu fou de cette musique et partout où j’allais j’ai pris l’habitude de collectionner les disques ou de dénicher quelques informations sur Gene et j’ai récupéré ces LP originaux que je possède encore aujourd’hui. Ils ne sont plus en très bon état, mais je les garde encore. J’ai donc récupéré tout un tas d’informations sur Gene.  J’étais un très gros fan. Jamais en 1963 j’aurais cru, ce devait être cinq ans après que j’ai quitté l’école, que je rejoindrais Gene. C’est inexplicable, c’est un peu comme un rêve qui  deviendrait réalité. J’étais vraiment en train de jouer avec cet homme, qu’il soit vraiment là, j’avais l’impression de m’être blessé au dos et aux cordes vocales.  J’adorais d’entendre les chœurs des Blue Caps, j’adorais les Blue Caps qui restent son meilleur groupe. Et ses premiers enregistrements, il n’y a aucun doute là -dessus. N’importe qui qui entende cela, tout le monde ne peut qu’agréer à ce boulot, ce premier boulot avec les Blue Caps, c’est le summum. Vous ne pouvez surpasser ce truc. / Bon voici quelque unes des premières

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    photos avec Gene, en tournée. Il est très intéressant sur ces photos c’est de voir, une jeune dame là, Jackie Frisco, qui était sa petite amie, qu’il a fini par épouser,  je pense qu’il est resté jusqu’à la fin avec Jackie. Gene nous a demandé si Jackie pouvait chanter avec nous. Ainsi nous avons fait quelques titres avec Jackie. C’était vraiment une fille très agréable. Comme vous voyez elle était assez jeune. Voici quelques photos individuelles du groupe. / Non, nous étions sous contrats pour jouer avec Gene. Nous aurions pu accompagner Gene durant dix ans, c’est ainsi que les choses se présentaient.  Gene nous aimait bien et nous nous sentions bien avec  Gene, il a été le seul à nous emmener en studio pour enregistrer un LP avec lui. C’est lui qui nous a poussés à franchir le cap, voyez-vous. Oui nous avons enregistré une suite de quinze, seize morceaux. La plupart d’entre eux sont sur l’album.  Ils ont sorti Private Detective en single, qui me plaisait bien. Ce n’est pas monté jusqu’au top 10 ou top 20, mais ça me plaisait bien. Nous avons fait un Show Granada en 1964. Ça

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    devait être en mars et nous avons fait cela avec Jerry Lee Lewis. Les Animals aussi ont fait une courte apparition qui était vraiment bien. Ils ont fait un morceau qui s’appelait Shout, croyez-le ou pas ! Quoique s’ils ont fait cela pour nous, non je ne le pense pas (il éclate de rire). Voici maintenant des clichés qui ont été pris par un

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    photographe qui nous a suivis au Civic Hall de Wolverampton et nous savions qu’il allait les prendre. Elles sont assez claires, de bonnes photos de nous en train de bosser sur scène avec Gene. Quelques clichés sont découpés sur le journal. Celle-ci est excellente, sur celle-là nous nous produisions au London Auditorium / Lorsque nous sommes venus pour la première fois en France, nous ne savions pas ce qui nous attendait. Et ce qui nous est tombé dessus, c’était phénoménal. C’était comme si nous étions les Beatles parachutés là-bas, parce que Gene avait cinq titres dans le Top ten, C’était joliment merveilleux. Vous vous sentiez comme une star au-dessus de tout. Partout où nous allions nous étions acclamés. Nous jouions et tout ce que vous pouviez entendre c’était du bruit. Vous ne pouviez même pas vous entendre penser, ou jouer, ou tout autre chose, c’était hors de ce monde. Je comprends pourquoi John Lennon a déclaré une fois que le bruit ne s’arrêtait pas, qu’il n’appréciait pas parce que ce n’était pas autre chose que du bruit. Je suis d’accord car si vous ne pouvez pas entendre la musique, vous pouvez porter ce jugement  sévère en fin de compte, mais c’est tellement bon pour votre égo ! En Europe de fut très différent qu’en

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    Angleterre, nous étions comme les Beatles et c’était super bon. J’ai réellement apprécié cette tournée, et nous avons tiré un maximum de publicité et quand nous sommes revenus en Angleterre, nous étions en extase. De retour en Angleterre, ce fut différent, la donne avait changé, car de nouveaux groupes survenaient, et vous vous retrouviez à jouer dans des salles de bal ou sur  des scènes du même genre, ce n’était pas vraiment la même ferveur que ce que nous avions connue en France car Gene n’atteignait pas en Angleterre au même niveau de popularité qui était le sien en France. / Là sur la gauche, la photo en haut, est un cliché du Granada Show que nous avons fait avec Gene. Comme vous pouvez le voir, il y a une haie de motos derrière sur le plateau. Mods and rockers le cul posé sur leurs motos et tout le cirque ! Ce fut un grand show. Ainsi vous pouvez voir que nous avons surtout effectué toute une saison d’été au Pavillon près de la Jetée Nord  de Blackpool. Gene jouait dans une ville un jour et la fois suivante dans une autre ville un autre jour. Mais à cette époque nous jouions pratiquement tous les dimanches à Blackpool ce qui était parfait. J’aime l’aventure et c’était vraiment bien tous ces différents types de publics. Gene aimait cela. / Don Arden  vous le savez avait une réputation de gangster. Il était petit, il avait un tabouret, et il avait un bureau. Gene avait, d’aussi loin que je me

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    souvienne, des hauts et des bas dans ses relations avec Don car Don ne payait pas les salaires ou disparaissait le jour où il était supposé le faire. Chacun devait se rendre au bureau attendre et s’asseoir sur son derrière sur la moquette pour voir Don et dire : ‘’ Te rappelles-tu que tu dois de temps en temps me payer ? Parmi toutes les personnes, le plus souvent vous trouviez the Nashville Teens en train d’attendre Don Arden, et nous-mêmes. Donc nous étions-là assis sur la moquette pour voir Don qui nous laissait attendre pendant assez longtemps pour nous payer. Les relations de Gene étaient à peu près similaires mais il ne s’asseyait pas sur la moquette. Je pense qu’il envoyait son manager récupérer un chèque de temps en temps. Toutefois je ne pense pas que c’était vraiment tendu entre eux. C’était sa façon d’agir. Je veux dire, je sais que Gene avait une réputation, j'en étais plus ou moins conscient quand nous l'avons rejoint, parce qu'il circulait beaucoup d'informations dans les journaux sur Gene, les armes et Dieu sait quoi. Je pense que tout cela s’est tassé un peu quand bien sûr Jackie Frisco est arrivée, elle a beaucoup contribué à apaiser Gene. Et pourquoi vous et The Shouts avez-vous arrêté de l’accompagner ? Nous voulions voler de nos propres ailes, car nous avons réalisé à l'époque, comme vous  vous vous en doutez : il y avait les Beatles, les Searchers et tous les grands groupes, les Rolling

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    Stones et The Shouts. C'était surtout Gene Vincent and The Shouts, et cet état de fait n’aurait jamais cessé à moins que nous prenions la décision de nous séparer de Gene. Nous voulions produire nos propres trucs, et produire ce dont nous nous sentions capables. Aussi avons-nous décidé de prendre notre envol. Nous avons enregistré et sorti She was my baby, un vieux titre de Jerry Lee Lewis sur React Records. Nous sommes restés un groupe stable auprès de Gene. Nous sommes restés une bonne période avec Gene. Je crois vraiment qu’il était heureux de pouvoir compter sur un groupe stable autour de lui. Ainsi il n’avait pas besoin de répéter avec un nouveau groupe, tous les six mois environ, après quoi un nouveau groupe arrivait. Il avait un

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    groupe stable, il nous a lancés, grâce à lui nous avons eu accès aux studios, l’on a participé à des spectacles télévisés, il nous a emmenés en tournée en Europe. On a réalisé tout ça grâce à Gene. Il a pu profiter durant deux ans d’une belle période de stabilité. Je pense que c’était ce que Gene désirait. Il a eu, je pense, l’impression de revivre ses années avec les Blue Caps. Bien qu’il soit impossible de nous comparer aux Blue Caps. Evidemment les Blue Caps sont au-dessus de tout ! Regardez ici, vous n’apercevrez pas grand-chose, l’écriture est toute pâle, il a écrit : ‘’ C’était un plaisir de travailler avec vous’’. C’est Gene qui a  écrit cela juste avant que nous rentrions chez nous.

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    Transcription : Damie Chad.

     Cette vidéo, ainsi que beaucoup d’autres, est en accès libre sur la chaîne YT de VanShots – Rocknroll Videos

     

     

    *

    Souvent je termine mes maladroites traductions relatives aux artistes qui ont travaillé avec Gene Vincent par quelques lignes sur un personnage dont le nom apparaît durant l’entretien. Voire un document iconographique sur un lieu nommé dans l’interview. Comme par exemple de mettre une magnifique photo couleur d’une des trois jetées de Blackpool. Je voulais aussi donc dire trois mots sur Jackie Frisco. Mais j’ai trouvé beaucoup mieux.

    WHEN YOU ASK  ABOUT…

    JACKIE FRISCO

    (Rave / 1962)

    Jackie Frisco est née en 1946 en Angleterre. Un an après sa naissance ses parents s’installent en Afrique du Sud. Sa sœur Christina se marie avec Mickie Most le célèbre producteur anglais à qui le rock britannique doit beaucoup. Most décide de faire fortune au pays de son épouse, il fonde Mickie Most and the Playboy. Onze fois numéro 1, il retourne tout de même en Angleterre. Non seulement il a senti d’où viendrait le vent mais il a réfléchi à la manière de le chevaucher. Chanteur c’est bien : producteur c’est mieux. D’abord producteur chez Columbia, il fonde RAK sa compagnie de disques, mais il ne se contentera pas d’enregistrer des artistes, il produit hit sur hit en prenant bien soin de rester propriétaire de ses enregistrements… Autour de lui gravitent les Animals, Jeff Beck, Jimmy Page et  Peter Grant… Il n’en n’oublie pas pour autant l’Afrique du Sud, Rave sera un sous-label de RAK, il enregistrera la petite sœur de Christina, la toute jeune Jacqueline qui par un tour de baguette magique deviendra Jackie Frisco… En 1961,   en tournée en Afrique du Sud Gene rencontre lors d’une soirée Jackie. Qui le rejoindra à Londres en 1964… Durant six ans elle restera avec Gene dont elle sut prendre soin.

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    (en France)

    Ils finirent par se séparer  sans divorcer… Dernières nouvelles ? Etant devenue très pieuse elle aurait tiré un trait sur sa vie d’épouse d’un rocker sulfureux, et se serait opposée, voici plus de dix ans, puisqu’elle en est légalement la ‘’ propriétaire’’, à des fans français qui auraient voulu restaurer la tombe de Gene…

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    When you ask about love : une voix de gamine, la première écoute est un peu pénible, mais quand on insiste, un charme discret opère, ce qui est étrange c’est cette espèce de dissociation entre la piste musicale et la bande vocale, cette dernière ne possède que la voix pour se défendre alors que l’on a l’impression que l’orchestration a toujours un petit truc en plus à proposer  pour monopoliser l’attention  par exemple trois secondes de saxophone et une espèce de piano dulcimérique qui se livre à d’habiles gymnastiques. Rocking horse : petit trot de poney gentillet, la cavalière saute bien les barres, pas plus de trente centimètres, sur le solo la guitare l’imite gentiment. Vous ne pouvez que féliciter la jeune cavalière de son parcours sans faute. Mais sans éclat. Young love : une reprise de Ric Cartey, jeune ‘’rocker’’ d’Atlanta, soyons franc l’interprétation de notre artiste est supérieure à l’original, ce qui n’est pas très difficile, Ric brame comme un cerf sans rut, et Jachie nous fait le coup de la petite fille innocente qui chante une chanson de ‘’grand’’ dont elle n’entrevoit pas tout à fait le sens. You can’t catch me : une simple guitare prédominante, la petite souris fait tout ce qu’elle peut pour attirer le matou mais elle n’est pas assez aguicheuse, l’on ne sent pas l’envie mutine de se faire prendre. Shooldays : virage rock’n’roll, la jeune élève aurait beaucoup à apprendre du vieux Chuck Berry, le guitariste beaucoup plus, l’ensemble reste rudimentaire, étrangement Jackie ne s’en sort pas trop mal. Endless Sleep : la version originale de Jody Reynolds nous a toujours paru supérieure celle de Marty Wilde, devant la charge mélodramatique du morceau la petite Jackie se doit de chanter comme une grande fille. La réussite n’est pas parfaite, surtout sur la fin, mais elle se débrouille pour ne pas être ridicule. Wait a minute : s’il n’y avait pas ces choeurs masculins de cha-cha-cha   d’une ringardise absolue qui perturbent dangereusement l’écoute, ce serait parfait, une instrumentation cavalcade, quant à Jackie elle caracole par-dessus comme une écuyère confirmée. Marty : une voix un tantinet plus alanguie que sur le morceau  précédent, mais la demoiselle maîtrise de plus en plus son sujet, elle donne l’impression de prendre de plus en plus d’assurance quand on avance dans le disque.

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     Lucille : n’a peur de rien, Marty rappelait Buddy Holly et nous voici avec Little Richard, pas question pour elle de screamer, alors elle prend sa petite voix de grande fille responsable, grandement aidée par l’organiste certes, mais elle tire son épingle du jeu avec une étonnante habileté. My dady told me : avec un tel titre l’on redoute le pire, Jackie se tire fort bien de son jeu (pas si) petite fille innocente. Elle vous roule le paternel dans la farine, et l’est assez satisfait de comprendre qu’elle n’est pas aussi niaise qu’il le craignait. I like summer : un petit slow pétillant qui ne crèvera pas de bulle à Wall Street, pas très long mais Jackie va jusqu’au bout. Beaucoup auraient abandonné entre temps ! I’m walking : notre sauterelle n’est pas de taille à se métamorphoser en gros matou débonnaire, c’est en l’entendant que l’on prend conscience de l’art de Fats Domino qui avec sa fausse indolence de renard rusé vous retourne une ritournelle dans la poêle à frire de son vocal pour la transformer en confiture ambroisique.  This little light of mine : elle se débrouille bien mieux sur ce titre de Ray Charles, deux noirs à la suite en Afrique du Sud ne serait-ce pas un peu trop, notre fine mouche a compris le truc, aucune chance de se mesurer avec le maître, alors elle trouve la parade, la seule possible : elle fait du Jackie Frisco. Mine de rien elle crée son propre style. When : la reprise, à elle toute seule, des Kalin  Twins, quelque peu impersonnelle parmi toute celles qui l’ont précédée et suivie...

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    Ce n’est pas le microsillon du siècle mais cela permet de cerner davantage la personnalité de Jackie Frisco et de mieux comprendre ce qui par son expérience de chanteuse a pu la rapprocher de Gene.

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    Deux titres qui se trouvent sur deux simples Decca sortis en 1963 : Sugar Baby : pas mal du tout, bien chanté  mais l’orchestration un peu trop vieillotte. He’s so near : manque un producteur aux idées claires, c’est dommage.

    Je n’ai pas trouvé d’enregistrement de Jackie Frisco en tant que chanteuse du Peter Chester Combo avec lequel elle apparut sur scène en 1962 /63 lors de prestations scéniques en Angleterre. Peter Combo fut batteur du groupe Five Chesternuts dans lequel un certain Hank Marvin tenait la guitare.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 708 : KR'TNT ! 708 : GYASI / SHANGRY-LAS / BRITTANY DAVIS / ROCKABILLY GENERATION NEW / BOB MOSLEY / ALEISTER CROWLEY / OIL BARONS / SPACE CADET

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 708

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    30 / 10 / 2025

     

     

    GYASI / SHANGRI-LAS / BRITTANY DAVIS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    BOB MOSLEY / ALEISTER CROWLEY

        OIL BARONS / SPACE CADET

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 708

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Easy Gyasi

     (Part Three)

             Malgré son air con et sa vue basse, l’avenir du rock adore briller dans les conversations mondaines. Un soir, alors qu’il dîne avec ses amis chez Bofinger, la sorcière Crapulax lui fait cette remarque délicieusement acerbe.

             — Avenir du rock chéri, d’où te vient cette manière ascétique de découper ta dorade avec le petit doigt levé ?

             — Oh, sans doute est-ce dû à l’influx superfétatoire du paradigme de l’esthète, dont l’incarnation reste, à mon sens, Michel Gyasi, l’efflanqué coruscant des Jeux de Tokyo.

             Caressant son bouc, Bill Abitbol reprend la balle au bond :

             — On ne t’imaginait pas installé devant un récepteur de télévision, cher avenir du rock...

             — Je vendrais mon âme au diable pour voir un homme courir dans tous les Gyasimuts !

             — Et toi, cours-tu ?, ricocha l’Abitbol...

             — Non, mon bon Bill, mais Gyasi toujours selon ma conscience...

             Fascinée par l’éclat de ses réparties, Marie-Paule Lépaulette interpelle l’avenir du rock :

             — Imagine qu’un matin, tu te réveilles et tu décides de bâtir un empire, avenir du rock chéri... Quel continent choisis-tu d’envahir ?

             — Gyasi mineure, sans la moindre hésitation ! Et comme Alexandre, je repousserai les frontières jusqu’au Gyasimbabwe et bien sûr je réduirai en esclavage tous les Gyasigotos et tous les Gyasigomars et tous les Gyasigouigouis !

             — Et s’ils fomentent des révoltes, très cher avenir du rock ?

             — Je les Gyasigouillerai ! C’est pas des Gyasigounettes qui me feront Gyasigzaguer !

     

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             Maintenant, Gyasi n’a plus qu’à se montrer digne des réparties cinglantes de l’avenir du rock. Il arrive sur scène moulé dans un juste-au-corps bleu clair assorti au fard bleu de ses paupières. Il est magnifique de glitter. Il y a du Ronno et du Ziggy

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     en lui. Il s’empare de sa Les Paul orange pour rocker le boat, et dame, le boat n’en demandait pas tant. Gyasi te le rocke au-delà de toutes tes expectitudes. Il est devenu en peu de temps le maître des Orlok, l’Ansphératu des Amphitryons, l’Abyssal des Abyssino no no, le glimmer twin du Twist & Shout, la réinvention des conventions, le redémarrage en côte du Ziggysme, le Spider from Marche ou crève, le Stardust du lust, il est frais comme un gardon, sexué comme l’enfer de ta bibliothèque, glam dans l’âme, mais on voit bien qu’il pourrait faire du Led Zep ou de l’Humble Pie aussi

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    bien que le Ziggy Bolan-malan dans lequel il s’est jeté tout entier. Gyasi est l’artiste clé de son temps, le hero for one day, il est là pour un soir et dépêche-toi d’en profiter, car comme tout, cette classe est éphémère, il passe d’un genre à l’autre sans crier gare, il stompe son «Cheap High» et plonge son public dans la dramaturgie d’«American Dream», il te bluffe complètement car il réincarne le temps d’un cut ce qui fut en son temps un sommet, le «Rock’n’Roll Suicide» de Ziggy Stardust. Tu

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     frémis autant qu’à l’époque du Suicide, car Gyasi est d’une véracité à toute épreuve. Mélodiquement, le cut se tient et flashe bien dans la nuit. Gyasi a maintenant une belle collection d’hits under the belt, il peut aller conquérir les scènes du monde entier et engranger des dizaines de millions de nouveaux fans, son glam-rock colle bien au papier, ça jerke dans les tibias et derrière il a le guitar slinger idoine, rien ne peut donc plus l’arrêter, oh no no no baby ! Encore du joli stomp de glam avec «Tongue Tied», on a déjà entendu ça à l’époque, mais ça passe comme une lettre à la

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    poste, car cette superstar campe merveilleusement bien son camp. Tu lui fais aveuglément confiance. Ces quelques gouttes de glam dans un monde de brutes sont une bénédiction. T’as les accords du «Jean Genie» sur «Sweet Thing» et ceux de Marc Bolan sur ce «Baby Blue» qui te replonge en plein dans Electric Warrior. Quel magnifique hommage ! Tu ne peux pas réinventer le glam, tu ne peux que le célébrer, comme on célébrait autrefois les dieux de l’Antiquité. Gyasi est le fils de Dionysos.  Et puis, en fin de set, il rend hommage à l’Ozz avec les premières mesures de «War Pigs».

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             On peut se replonger dans ce bel album live, Rock N Roll Sword Fight, paru l’an passé, mais on ne retrouvera pas la ferveur du concert. Gyasi y fait son Ziggy

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    («Godhead»), puis son T. Rex («Baby Blue»). Dans les deux cas, il est confondant de mimétisme. Il sait aller chercher la dramaturgie de Ziggy, et il sait aussi flatter le glam turgescent de Bolan. Il profite même de l’occasion pour transpercer son power glam d’un killer solo flash. Il n’est pas non plus avare de power pur, comme le montre le «Cheap High» d’ouverture de bal. Il te charcute ça à la cocote sévère. Ricky Dover Jr gratte de sacrés poux derrière. S’ensuit un «Tongue Tied» qui bascule bien dans le stomp de glam, ça s’emboîte parfaitement dans la vulve du mythe, et ça joue au gras double d’excelsior. Mais après, on perd un peu le glam. «Fast Love» est monté sur le drive de basse de «Lust For Life». Gyasi a toujours un peu le cul entre deux chaises, celle du glam et celle du rock seventies, dont «Sugar Mama» est l’archétype. 

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             Sorti la même année que le Sword Fight, voici Here Comes The Good Part, un album qui démarre du bon pied avec «Sweet Thing», un fantastique jive de stomp. Gyasi réinvente le stomp des seventies. Il a ça dans la peau. Tout l’album va se révéler bardé de barda. On le voit aussi taper dans ses deux mamelles, Ziggy et T. Rex. Ziggy avec «Snake City» (même esprit que «Rebel Rebel»), puis «American Dream» (il renoue là avec l’extrême dramaturgie du Ziggy au bord de la crise de nerfs, il atteint le stade du power absolu), et plus loin «Star», où il réincarne Ziggy le temps d’un cut, il tape en plein cœur du mythe véracitaire, ça fait plaisir à voir, et en prime, ça Ronnotte dans les brancards. Il va droit sur T. Rex avec «Baby Blue». Encore deux belles énormités avec «Bang Bang (Runaway)» (wild raunch qu’il attaque au Arrrrhhhh et qu’il module en heavy stomp de rêve) et «Cheap High», amené au tape dur, Gyasi adore le killer flash, il raffole de cette belle violence riffique.

    Signé : Cazengler, jaseur

    Gyasi. Le 106. Rouen (76). 18 octobre 2025

    Gyasi. Rock N Roll Sword Fight. Alive Naturalsound Records 2024

    Gyasi. Here Comes The Good Part. Alive Naturalsound Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le chant gris des Shangri-Las

     

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             Curieuse histoire que celle des Shangri-Las, quatre petites gonzesses du Queens réunies dans un studio par un producteur fantôme. On surnommait George Morton « Shadow » parce qu’il lui arrivait de disparaître comme un fantôme. Il est là, et soudain, il n’est plus là. George ? Good Lord, George ! Arrête ton cirque ! Ça ne nous fait pas rire. Mais où est-il passé ? C’est incroyable ! Ho George ! Tu pourrais nous répondre, espèce de malpoli ! 

             Les Shangri-Las étaient ce qu’on appelait à l’époque un quatuor vocal, comme il en existait des milliers à New York. Mais celui-ci était particulier, car constitué de deux paires de sœurs, Betty et Mary Weiss d’un côté, Mary Ann et Marge Ganser de l’autre, deux jumelles. L’autre élément qui les distinguait des autres girl-groups, c’était leur réputation de bad girls. Mary Weiss trimballait un calibre avec elle. Quand les flics du FBI lui demandaient pourquoi elle était armée, elle répondait que c’était réservé au premier bâtard qui allait essayer d’entrer dans sa chambre d’hôtel. Tu veux un dessin, flicard ?

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             La légende des Shangri-Las repose sur deux atouts déterminants : la production géniale de Shadow Morton, et la voix de Mary Weiss. Mais elle doit aussi énormément aux clins d’yeux de fans célèbres comme les Dolls qui reprenaient « Give Him A Great Big Kiss », ou encore les Damned qui démarraient « New Rose » - leur single historique - avec la première phrase de « Leader Of The Pack » : « Is she really goin’ out with him ? ». Beaucoup de gens en 1977 ne savaient pas trop qui étaient les Shangri-Las et puisque Dave Vanian les citait, alors les disques de Shangri-Las sont apparus dans les bacs des disquaires qui n’avaient qu’un seul mot à la bouche : mythique !

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             La discographie des Shangri-Las n’est pas bien épaisse : seulement deux albums et une poignée de singles. Leader Of The Pack est sorti en 1964, et encore, ce n’est qu’une moitié d’album, car les deux paires de sœurs n’avaient alors enregistré qu’une poignée de singles. La B est remplie de morceaux live de mauvaise qualité, ce qui fait que cet album a souffert d’une réputation pour le moins surfaite. De là à dire que c’est une fabuleuse arnaque, c’est un pas qu’on franchit avec allégresse. Jackie DeShannon ne nous aurait jamais fait un coup pareil.

             Mais c’est vrai, rappelons-nous, les Shangri-Las sont des bad girls. Bien pire, elles sont tombées dans les pattes de gens peu scrupuleux qui ont fait du blé sur leur dos. La pratique était courante à l’époque. Évidemment, les filles, ça les foutait en rogne de voir que leurs disques se vendaient à des millions d’exemplaires et qu’elles ne ramassaient pas un rond.

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             Tous les hits des Shangri-Las se trouvent sur l’A de ce premier album. « Give Him A Great Big Kiss » est de la grande pop shakée aux clap-hands, admirable à tous les égards et on comprend que le jeune Johnny Thunders soit tombé en pâmoison quand il entendait ça à la radio en 1965. Pour composer « Leader Of The Pack », Shadow Morton s’était acoquiné avec Ellie Greenwich, alors évidemment ça ne pouvait que faire des étincelles. Et pour corser l’affaire, Shadow a fait entrer des gros bikers tatoués - avec leurs motos - dans le studio. Il voulait le vrai son. Alors OK. Tu veux le vrai son, amigo ? ‘Coute ça ! Les mecs ont débrayé et mis les gaz, vroaaaaar,  et les filles ont chanté sans tousser, malgré toute la fumée. Mary Weiss miaulait ça très haut perché. La rythmique groovait comme celle de Sonny & Cher. Le génie d’Ellie Greenwich avait encore frappé. Vroarrrrr ! On comprend que Dave Vanian soit tombé dingue de ce morceau qui sortait de son petit transistor alors qu’il creusait une tombe sous la pluie. « Leader Of The Pack » est à la fois un cut d’une profondeur fabuleuse et une chanson affreusement triste. C’est avec ça que Shadow Morton s’est taillé une réputation de producteur légendaire. Plus tard, les Dolls le solliciteront pour produire leur second album, Too Much Too Soon.

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             Son autre coup de maître fut de faire entrer des mouettes dans le studio pour « Remember (Waiting In The Sand) » une mélopée bien sirupeuse, comme les aimaient les gens à l’époque. Vous avez déjà essayé de faire rentrer des mouettes quelque part ? Pas facile. Ces bestioles sont particulièrement bêtes, au moins autant que les poules.

             Malgré le son pourri, on trouve des reprises prometteuses sur la B de Leader Of The Pack, et notamment une version live de « Twist & Shout » chantée très haut perché. Mary et les jumelles arrivaient à sortir des trucs incroyablement sexy et sucrés.

             Quand elles ont démarré, elles étaient encore adolescentes. Mary n’avait que 15 ans et les jumelles 16. Pour partir en tournée avec les Beatles, elles durent quitter l’école et renoncer à l’éducation, ce qui les arrangeait bien, car en bonnes bad girls qui se respectent, elles ne pouvaient pas schmoquer leurs profs. Elles ont donc passé les plus belles années de leur vie à sillonner les États-Unis avec des blanc-becs comme les Rolling Stones, les Animals, Vanilla Fudge et les Sonics, puis elles ont débarqué en Angleterre pour tourner avec des branleurs encore plus boutonneux, du style Herman’s Hermits.

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             Leur deuxième album, Shangri-Las 65, est sorti dans la foulée. Il est beaucoup plus solide que le premier. Avec « Right Now And Not Later », on a ce qu’il faut bien appeler un son de rêve. On se retrouve au cœur d’un shuffle exceptionnel, soutenu aux tambourins, chanté à fond de train. Elles effarent et révèlent une puissance infernale. On trouve sur cet album pas mal de compos d’Ellie Greenwich et notamment « Give Us Your Blessings », une belle pièce de pop élancée qui plonge ses racines dans le gospel et que Mary Weiss chante à la mode californienne. Stupéfiant ! Shadow Morton signe « Sophisticated Boom Boom » que reprend aujourd’hui Kid Congo sur scène. « I’m Blue » est carrément une reprise des fabuleuses Ikettes. C’est groovy en diable et monté sur une belle bassline. L’un de leurs plus gros hits restera sans doute « The Train From Kansas City », une grosse compo signée Ellie Greenwich, une vraie merveille taillée dans l’harmonique. On sent le drive d’Ellie, the beast of the Brill. On comprend que Phil Spector ait voulu travailler avec elle pour River Deep. Ellie avait du génie. Il faut voir comme elle tortille son couplet pour le faire sonner comme un hit planétaire, en plein cœur des sixties qui sont déjà congestionnées par des milliers d’hits planétaires. On reste dans la magie sixties avec « What’s A Girl Supposed To Do », chanté aux voix perchées. Mary Weiss y va de bon cœur - woo oh woo oh yeah - c’est l’époque qui veut ça. Pur jus sixties de chœurs juvéniles. 

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             Puis leur étoile s’éteint et elles replongent dans l’anonymat. Les deux jumelles vont casser leur pipe en bois. Mary et Betty essaieront de revenir en 1977, aidées par Andy Paley, mais le projet d’album restera à l’état de projet. Il faudra attendre 2007 et l’aide de Billy Miller (Norton) pour qu’un album de Mary Weiss apparaisse chez les disquaires. Ce sera le fameux Dangerous Games. Fameux car salué par Shadow Morton qui était alors encore vivant, mastérisé chez Sundazed et doté d’une pochette signée Roberta Bayley - la photographe qui a fait la pochette du premier album des Ramones, et les portraits officiels de Richard Hell, des Dolls (devant Gem Spa) et des Heartbreakers, entre autres. Ce sont les Reigning Sound qui accompagnent Mary Weiss sur cet album. On voit que ce gros coquin de Greg Cartwright est remonté au Nord pour se rapprocher des femmes fatales. On l’a vu sur scène avec Rachel Nagy et ce qui reste des Detroit Cobras. Voilà maintenant qu’il fricote avec Mary Weiss et qu’il lui compose des chansons, souvent très bien foutues. Et dans les chœurs on retrouve Miriam Linna, elle aussi bien pourvue, côté légende. Très vite, on tombe sous le charme de « Nobody Knows (But I Do) » une belle power-pop signée Greg Cartwright. Voilà une grosse pop à la mode new-yorkaise superbement travaillée et lumineuse, dynamique et entêtante. Mary Weiss chante désormais d’une voix de tête très mûre, presqu’ingrate. On tombe ensuite sur une énormité qui s’appelle « Stop And Think It Over », une power-pop d’allure royale signée Greg Cartwright, embarquée à la bassline aérodynamique et dotée d’une grâce presque typique des Oblivians. La chose se veut incroyablement élégante et digne d’une légende comme celle des Shangri-Las. Mary Weiss montre qu’elle peut encore monter très haut, over the rainbow, si elle veut. Les compos des autres copains sont un peu plus faibles. Les seules qui tiennent la route sont celles de Greg Cartwright. On sent que l’animal veut s’inscrire dans la légende. Il récidive en B avec un « Stitch In Time » mélodiquement pur et infernalement bon. Elle fait aussi une reprise des Real Kids, « Tell Me What You Want Me To Do », traitée en tressauté avec des nappes d’orgue à la Blondie. Pur jus de wild pop d’attaque frontale. C’est un audacieux mélange de pop new-yorkaise montée sur le riff de « Venus » des Shocking Blue. D’autant plus surprenant que le solo est quasiment le même, note pour note. Sans doute un clin d’œil. Retour en force d’Ellie Greenwich avec « Heaven Only Knows », la vraie pop du Brill avec des chœurs agonisants. Lorsque Ellie traîne dans les parages, on ne craint pas l’ennui. S’ensuit un « I Don’t Care » qui reste dans la haute volée. Compo soignée de Greg Cartwright, agitée aux tambourins, inspirée et dotée d’une jolie mélodie, comme dirait Charlebois.

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             Et Shadow ? Mais où est-il passé ? Chez Ace on s’est occupé de lui en publiant en 2013 une rétrospective : Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. On y entend les artistes que découvrit ou produisit Shadow Morton : les Shangri-Las, Janis Ian, Blues Project, Vanilla Fudge, Iron Butterfly, Mott The Hoople et les Dolls. Si on ne connaît pas Janis Ian, c’est l’occasion de la découvrir avec « Too Old To Go ‘Way Little Girl », grosse pièce de folk-rock psyché chantée à fond de train, complètement extravagante.

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             La vraie merveille qui se niche sur cette antho à Toto, ce sont les deux titres enregistrés par Ellie Greenwich. Et là, on entre dans la légende, comme si deux esprits supérieurs, Ellie et Shadow, nous conviaient à partager un moment de leur intimité artistique. « Baby » est un hit planétaire. Ellie, c’est la reine de New York, elle embarque son baby-baby et rentre dans le lard du retour de manivelle. Elle a le sens parfait du jerk - So close to my heart ! - C’est une merveille. Elle fait un autre titre moins spectaculaire, « You Don’t Know » qu’elle taille dans la mélodie.

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             Une fois qu’on a bien épluché l’antho, on peut se plonger dans le booklet de 40 pages qui l’accompagne et là, on trouve tout ce qu’on a besoin d’apprendre sur Shadow Morton. Mick Patrick avait entrepris une correspondance par mail avec Shadow et là attention, attachez vos ceintures, car on fonce droit dans la mythologie, la vraie. Shadow raconte ses souvenirs de gamin dans le gang des Red Devils, au sud de Flatbush Avenue, puis il raconte comment il a voulu entrer dans le show-biz en montant au neuvième étage du Brill Building pour proposer une chanson qu’il n’avait pas encore à Ellie Greenwich qui le reçoit bien, mais il y a ce con de Jeff Barry qui le snobbe. Ça ne plaît pas du tout à Morton qui vient de Brooklyn, qui est irlandais et alcoolique. Il ne faut pas trop lui courir sur l’haricot - « You don’t take that attitude with me very long ! » - Et Barry lui demande de quoi il vit, alors Shadow prend ça comme une insulte et lui répond avec morgue - « La même chose que vous, j’écris des chansons » - « Quel genre de chansons ? » - « Des hits ! » - « Alors ramenez-en un ! » - Shadow sort du bureau aussi sec, il attend quelques secondes et il revient dans le bureau avec un grand sourire - « On a oublié de préciser une chose. Un hit rapide ou un hit lent ? » - Barry se marre et lui dit - « Kid, bring me a slow hit ! » - Fantastique démarrage en trombe, complètement à l’esbrouffe. Il a rendez-vous le mardi suivant. Il connaît un nommé George Sterner qui connaît des musiciens. Il connaît aussi quatre filles du Queens, qui accepteraient d’enregistrer une démo dans un studio de bricolo. Il lui manque encore le plus important : la chanson. Il compose « Remember (Walkin In The Sand) » dans sa tête et pouf, c’est parti ! Ce qu’il fait plaît beaucoup à Jerry Leiber qui l’engage comme compositeur et producteur. Quand il touche son premier chèque de royalties, Shadow s’achète une Harley. Et il replonge dans la mythologie de son adolescence, il se souvient de l’énorme gang de bikers au soda shop, et il compose « Leader Of The Pack » ! Petite cerise sur le gâteau, il fait mourir son héros biker. On lui dit que ça ne passera jamais à la radio. Les histoires de voyous en motocyclettes n’intéressent pas les gens. Shadow croit que sa dernière heure est arrivée et qu’il va se faire virer du Brill. Mais « Leader Of The Pack » devient un hit interplanétaire qui dégomme « Baby Love » des Supremes de la tête des charts. Et pour les Shangri-Las, c’est la consécration.

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             C’est l’une des grandes histoires de rêve du rock américain. Ce petit mec de Brooklyn et ces trois filles du Queens ont réussi à monter une belle cabale à partir de rien. Jeff Barry admet que les Shangri-Las étaient avant tout la vision de Shadow Morton - « He was such a dramatic guy » - Et comme « Leader Of The Pack » devient un hit énorme, Shadow offre une Harley à Jeff Barry. C’est certainement cette machine que Barry va piloter pour accompagner son pote Bert Berns en virée dans les Catskills Mountains, au Nord de New York. En fait, Shadow fabrique des petits opéras de quat’ sous avec des effets sonores, et ça plaira beaucoup au public, car les effets favorisent le travail de l’imagination. Fermez les yeux et vous verrez le biker foncer dans un mur.

             C’est George Goldner, patron de Leiber & Stoller, qui surnomme George Morton Shadow, à cause de sa manie de la disparition - « I did the bars on Long Island, shot some pool, made some bets, played some liar’s poker » - Shadow disparaît dans les bars de Long Island, il joue au billard, fait des paris et joue au poker.

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             Ellie Greenwich trouvait les Shangri-Las à la fois dures et vulnérables. Pour elle, Mary Weiss n’était pas une grande chanteuse, mais elle avait exactement ce qu’il fallait pour faire des disques intéressants - « Her whole thing was her look and her sound » - Et elle avait cette voix de nez et cette attitude de fille de la rue - « The best of both worlds » - Puis Shadow découvre Janis Ian, un petit prodige de 15 ans originaire de Manhattan. C’est un nommé Vigola qui ramène Janis un matin dans le bureau de Shadow. Vas-y chante un coup. Elle gratte sa guitare Ovation et chante son truc. Shadow lit un journal, le pieds croisés sur son bureau et marmonne des injures destinées à Vigola, du genre je vais te balancer par la fenêtre. Janis remet sa guitare dans l’étui, sort un briquet de sa poche, met le feu à un papier qui dépasse du bureau et s’en va en claquant la porte. Jeff Barry la rattrape dans l’ascenseur et la ramène chez Shadow qui lui demande de rejouer sa chanson. Puis il appelle Ahmet Ertegun pour lui dire qu’il a une nouvelle artiste et qu’il veut l’enregistrer. Ahmet demande s’il peut l’entendre. Shadow lui dit non. Mais aucun label ne veut d’elle, pas même Atlantic qui fait la fine bouche. C’est MGM qui sort le premier disque de Janis Ian, en même temps qu’une autre énormité de l’époque, Wedding Bell Blues de Laura Nyro. Puis un jour, Shadow reçoit un coup de fil de Leonard Bernstein. Sa secrétaire croit que c’est un gag. Mais non, c’est bien le grand Leonard. Il veut rencontrer Janis. Et pouf, un nouveau mythe prend forme.

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             Atlantic se plaint à un moment de n’avoir que des noirs dans son cheptel. Ahmet demande à Shadow de lui trouver un white soul group. Atlantic perd de l’argent chez les blancs et veut donc un groupe blanc pour reconquérir le marché. Pas de problème, Shadow a repéré les Young Rascals. Puis on lui présente les Pigeons. Shadow n’aime pas le nom du groupe. Mais quand il les voit jouer sur scène, il est complètement fasciné par les quatre compères, Tim Bogert, Vinnie Martell, Mark Stein et Carmine Appice. Il fait une démo avec eux et la balance à Atlantic qui demande à les voir. Shadow dit non. Les Vanilla Fudge sont dans les pattes du producteur idéal. C’est lui qui lance ce groupe monstrueusement doué. Shadow balaie aussi les réticences d’Atlantic qui ne voyait pas de hit single dans le premier album.

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             En 1968, Shadow participe aux sessions d’enregistrement d’Eli And The Testament Confession de Laura Nyro et d’Electric Ladyland de Jimi Hendrix - « I happened to be one of the two who ended up three days in the studio recording with him. We cut about seven or eight sides. » - Puis c’est Ahmet Ertegun qui insiste pour que Shadow produise In-A-Gadda-Da-Vida d’Iron Butterfly. Ils voulaient le Long Island sound.

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             On en arrive au dernier grand épisode de la saga Shadow Morton : les New York Dolls voulaient Jerry Leiber et Mike Stoller comme producteurs, mais Leiber & Stoller se désistèrent. Alors ce fut Shadow. À l’époque, Shadow est fatigué du business et la musique l’ennuie. Il accepte cependant de relever le défi des Dolls - « The Dolls can certainly snap you out of boredom » - Ils travaillent 24 heures sur 24 - « They had an incredible amount of energy. God, I remember the scenes in the studio. The word intense is not intense enough » - Il les laisse faire ce qu’ils font habituellement et se contente de les enregistrer - « I try to capture what they, the artists, do. » 

             Le booklet est en plus bardé d’images fantastiques de Shadow. Sans Ace, que deviendrions-nous ? 

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              On garde le meilleur pour la fin : un book consacré aux Shangri-Las. On se frotte les mains ! Wouahhh, la bête ! 400 pages mythiques ! Le book vert de tes rêves ! L’autrice s’appelle Lisa MacKinney et son book mythique affiche le doux titre de Dressed In Black: The Shangri-Las And Their Recorded Legacy. Wouahhh, la legacy ! Le book sort tout juste des rotatives. Il fume encore. Wouahhh, la classe ! Tu cales ton cul dans ton fauteuil et tu essayes de prendre ton air le moins con pour lire cette somme tombée du ciel. Wouahhh, la chance ! Tu vas lui faire honneur !

             C’est toi qui vas tomber des nues. Car quelle arnaque ! La mère machin est une spécialiste du Moyen-Age. T’as 100 pages de notes à la fin du book ! Ça te met la puce à l’oreille. 100 pages en corps 5 ou 6 ! Illisible ! En général, c’est pas bon signe. Avec ce délire de documentariste, t’as dans les pattes l’anti-rock book par excellence. La mère machin n’en finit plus de noyer le poisson et de taper à côté. Dans son chapitre bidon sur le romantisme, elle arrive même à délirer sur Beethoven ! Tu lis ça et tu fumes de colère noire ! Fuck it ! Elle te fait perdre ton temps. T’entends tes dents grincer. Les seules infos intéressantes sont bien sûr celles qu’on connaît déjà, notamment le lien avec les Dolls via «Looking For A Kiss» et la prod de Shadow Morton sur Too Much Too Soon. On savait aussi qu’Andy Paley accompagnait les Shangri-Las reformées au CBGB en 1977.

             T’arrives tout de même à te mettre sous la dent des bouts d’interview de Mary Weiss. Elle raconte qu’au début, le groupe n’avait pas de nom, et en roulant dans Long Island, elles ont vu un restau qui s’appelait the Shangri-La - That’s where we got the name.

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             Tu chopes aussi un bel hommage de Lenny Kaye : «If the Ronettes were the royalty of sixties girl groups, the Crystals their unwilling ladies-in-waiting, the Shangri-Las were the hand-maidens that made good, rising from virtual kitchen scullions to the rank of pop cincerellas.» Comme Johansen et Thunders, Kaye en croquait. Tiens voilà une anecdote pour te remonter la moral. C’est Mary Weiss qui la raconte : James Brown a entendu les Shangri-Las à la radio et il les voulait en première partie d’un show au Texas. Okay. Il arrive au sound-check et n’en revient pas de voir des blanches sur scène ! Il croyait qu’elles étaient black.      

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    (George Goldner)

             La mère machin pioche pas mal dans le booklet de Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story pour évoquer le souvenir de Shadow. Richie Unterberger rappelle lui aussi que le succès de Shadow en tant que producteur était d’autant plus spectaculaire qu’il n’avait quasiment pas d’expérience, et qu’il ne savait jouer d’aucun instrument. C’est lui Shadow qui avait repéré les Shangri-Las, dans le Queens et qui les avait embauchées pour enregistrer une démo. Jeff Barry l’avait mis au défi d’écrire un hit - Kid, bring me a slow hit - Alors Shadow est allé dans un studio du Queens avec les filles pour enregistrer sa démo. Billy Joel est le pianiste de session et il voit Shadow comme une sorte de Totor du Queens, avec des lunettes noires et une cape. C’est la démo de «Remember (Walking In The Sand)». Shadow la ramène au Brill dans le bureau de Jeff Barry et Ellie Greenwich. Ellie raconte qu’elle a écouté  ce «weird little record», elle trouvait la voix de Mary très strange et la chanson intéressante - So we played it for Leiber & Stoller and they said, ‘Go cut it’ - Et voilà, c’est parti. Ça se passe au 1619 Broadway, dans les locaux de Red Bird Records, à l’âge d’or de George Goldner, «the best salesman ever». Leiber & Stoller vont prendre Shadow en charge, comme ils ont pris Totor en charge un peu plus tôt. «Remember (Walking In The Sand)» sera le premier single des Shangri-Las sur Red Bird. Tu ne peux pas faire plus mythique. C’est bien sûr Shadow qui signe ce hit. Il dit l’avoir composé en dix minutes, pour relever le défi de Jeff Barry. Le slow hit.

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             Le problème, c’est que les Shangri-Las avaient déjà fricoté avec Artie Ripp, le boss de Kama Sutra, qui, comme Morris Levy, a des liens avec la mafia new-yorkaise. Donc Ripp veut sa part du gâtö. La mère machin profite de l’occasion pour rappeler que le slang «ripp off» vient d’Artie Ripp. Si tu veux te faire plumer, vas voir Artie Ripp. Évidemment, Morris Levy voulait aussi sa part du gâtö. Il serait un jour entré chez Kama Sutra pour déclarer : «The Shangri-Las, nice kids! Great group! Great songs! They’re mine and I want my cut.»

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    Shadow Morton

             Shadow, Leiber & Stoller, Ellie Greenwich : les Shangri-Las sont tout de même bien entourées. Ellie voit les Shangri-Las comme des «very nice street urchins, street classy... and... tough yet very vulnerable.» Au début, explique-t-elle, elle ne s’entendait pas très bien avec elles, «they were kind of crude», par leur attitude, leur langage, «and chewing the gum, and the stockings ripped up their legs». Ellie leur dit qu’elles ne peuvent pas se balader avec des bas filés et en mâchant du chewing-gum, qu’elles doivent être des ladies, et les Shangri-Las l’envoient promener, «we don’t want to be ladies», alors une grosse engueulade éclate dans le ladies room du Brill, Ellie en pleure de colère, et après, dit-elle, elles sont devenues wonderful. Elles mâchaient moins leur chewing-gum et contrôlaient leur langage. Mary ajoute qu’elle s’achetait ses fringues chez un Men’s Store - I like low rise pants

             Quand elles tournent en Angleterre, les Shangri-Las se retrouvent mêlées à une bataille de bouffe chez Dusty chérie. Quand après la bataille Mary Ann Ganser remet ses boots, elle y trouve du poisson. Alors pour se venger, elle va profiter d’une tournée de Dusty chérie à New York pour aller mettre du poisson dans ses boots. 

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             Et puis t’as les affiches de rêve. Elles montent sur scène au Brooklyn Fox avec les Temptations, les Supremes, puis Jay & The Americans, puis les Contours, puis les Ronettes, puis les Searchers - direct from England - puis Martha & The Vandellas, puis Little Anthony & The Imperials, puis Dusty chérie, puis The Miracles et comme tête d’affiche, Marvin Gaye, «the epitome of cool Soul». Ce sont, nous dit Ronnie Spector, les fameuses Murray the K’s rock and roll revues at the Brooklyn Fox, qui étaient «the highlight of any New York kid’s week in the sixties. Pour deux dollars cinquante, tu pouvais voir at least a dozen acts and these were the top names in rock and roll - from Little Stevie Wonder to Bobby Vee to The Temptations, everybody played these shows.» Mary Weiss qualifiait ces shows de «brutaux». Il fallait descendre plusieurs étages pour aller chanter deux cuts et remonter ensuite dans les loges. Sept fois par jour. Elles font aussi une première partie pour les Beatles en 1964, avec les Tokens, Bobby Goldsboro, The Brothers Four, Jackie DeShannon et Nancy Ames. Le journaliste du New York Times évoque les «3,600 hysterical teenagers» du Paramount Theater. Autre affiche de rêve : en mai 1965, les Shangri-las prennent part à la Dick Clark Caravan of Stars pour un concert à Anaheim, en Californie, avec Del Shannon, les Zombies, Jewel Aken, Tommy Roe, Dee Dee Sharp, Mel Carter, The Ad Libs, The Velvelettes (et pas les Velvettes, comme elle l’écrit), Jimmy Sole, Mike Clifford, The Ikettes, The Executives et Don Wayne. T’en avais pour ton billet. 

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             Ce sont les embrouilles contractuelles qui vont dégommer les Shangri-Las : elles sont sous contrat avec Kama-Sutra, Red Bird puis Mercury. Ça déclenche une guerre juridique. Ils se traînent tous en justice. Mary dit que c’est dur d’entrer dans la record industry et encore plus dur d’en sortir. L’aventure des Shangri-Las n’aura duré que deux ans, de l’été 1964 à l’été 1966. Après la fin des Shangri-Las, on leur interdit d’enregistrer pendant dix ans. Elles se reforment pour un show à Manhattan dans les early seventies, puis en 1977. Elles jouent au CBGB et enregistrent quatre cuts pour Sire avec Andy Paley. Pour une raison qu’Andy ne connaît pas, les quatre cuts ne sortent pas. Apparemment, Mary Weiss trouve qu’ils n’étaient pas assez bons - It just wasn’t right - I welcomed the opportunity from Seymour Stein, but it just didn’t work out.

    Signé : Cazengler, Shangri Laid

    Shangri-Las. Leader Of The Pack. Red Bird Records 1964

    Shangri-Las. Shangri-Las 65. Red Bird Records 1965

    Mary Weiss. Dangerous Game. Norton Records 2007

    Sophisticated Boom Boom! The Shadow Morton Story. Ace Records 2013

    Lisa MacKinney. Dressed In Black: The Shangri-Las And Their Recorded Legacy. Verse Chorus Press 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Grande Brittany

             Tiens voilà encore Stanley ! L’avenir du rock n’en revient pas.

             — Ça fait au moins trois fois qu’on se croise en dix-huit ans ! Je parie cent balles que vous cherchez toujours Livingstone...

             — Ah c’est trop facile de parier comme ça ! Que voulez-vous que je fasse d’autre, à part chercher Livingstone ?

             — Vous pourriez faire un effort et chercher quelque chose de plus original...

             — Vous êtes marrant, vous ! Vous croyez qu’on peut trouver quelque chose à chercher comme ça, en plein désert ?

             — Vous me décevez Stanley. Je vous prenais un homme plein d’esprit, à l’imagination fertile...

             — Vous foutez pas d’ma gueule !

             — Vous devenez irritable... Vous devriez enlever votre casque colonial, il emmagasine la chaleur.

             — Gardez vos conseils et fourrez-vous les dans l’cul !

             — Quel sale caractère !

             — Ah mais j’en ai marre de vos rodomontades ! Oh et puis j’en ai marre de chercher Livingstone ! Vous êtes tous complètement cinglés dans ce désert ! Je veux rentrer chez moi !

             — Ah vous craquez ?

             — Oui, Livingstone peut aller s’faire enculer et vous avec !

             — Vous habitez où, grossier personnage ?

             — Îles Britanniques ! Vous savez par où c’est ?

             — Non, par contre, je connais très bien Brittany Davis.

             — Mon pauvre avenir du rock, la facilité ne vous fait pas peur !

     

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             Formule gagnante et choix gonflé : c’est une façon comme une autre de qualifier la presta de Brittany Davis, une black aveugle assise derrière son piano électrique et accompagnée par un gang de gays particulièrement brillants. Association heureuse et foire au brio. Magnifique mélange de groove et de glitter.

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     C’est l’héritière de Ray Charles accompagnée par Funkadelic. Bon, Brittany a choisi de monter sur scène sans lunettes noires, et lorsqu’elle te «regarde» ça te fout très mal à l’aise car tu vois ce que tu ne dois jamais voir, un regard mort. Mais autour d’elle, ça grouille de vie et quelle vie ! Te voilà aux pieds du plus ambigu des guitar

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    slingers d’Amérique, il s’appelle Vivienne DeMarco, il porte un porte un joli nom, Saturne, mais c’est un dieu fort inquiétant, dirait George Brassens. En plus de son nom, Vivienne porte aussi de fort jolis tatouages, un petit haut noir à l’effigie d’Ace Frehley qui vient tout juste de casser sa pipe en bois, un short en cuir noir qu’on appelle chez les initiés un «moule-burnes», des bas-résille sans jarretelles et des platform boots en vinyle noir qui montent jusqu’aux genoux. Quand il sourit, on voit briller ses deux dents d’acier, il porte ses cheveux blonds assez longs et gratte sa Les Paul comme un dieu, chantant parfois ses longs solos. Il fait du pur Funkadelic !

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    C’est Eddie Hazel en blanc. Car sur scène, Bitanny Davis et son gang de Funka-boys mixent le funk avec le rock pour le meilleur et pour le meilleur, le pire n’ayant pas droit de cité ici, c’est un mariage heureux, comme déjà dit. La formule t’interloque copieusement, même si parfois ça traîne en longueur. Et puis de l’autre côté, t’as un deuxième surdoué sorti lui aussi d’un bar gay de Seattle, il s’appelle Jesse Stern, il porte un beau galure de Rudolph Valentino, un juste-au-corps panthère et joue comme un dieu Booty sur une basse six cordes, alors Brittany peut groover peinarde sur la grand-mare des canards. Le spectacle qu’offre ce groupe de freakout te fascine, et la cerise sur cet immense gâtö-kâdö, c’est Superman derrière sa batterie,

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    un black au crâne rasé qui s’appelle Conrad Real et qui n’en finit plus de battre tous les records du monde de présence scénique, de shuffle de jazz, de booty funky, de comedy act, de jongleries, de grimaces comiques, il multiplie les facéties, never missing a beat dirait un Anglais, il est à la fois Elvin Jones et Tiki Fulwood, il est à la fois Tony Williams et Benny Benjamin, et son solo de batterie est le seul qu’on ait réussi à admirer jusqu’au bout, car c’est un mirobolant chef-d’œuvre d’inventivité. Retiens bien ce nom : Conrad Real. Prions Dieu que tous nous veuille absoudre, et surtout qu’on puisse revoir Conrad Real un jour sur scène. Car là t’as tout : le beurre et l’argent du beurre. Le plus grand batteur du monde ? Sans le moindre doute. T’es content, car tu rentres au bercail avec ta petite révélation. Tu vas même passer des jours et des jours à te demander comment un batteur aussi doué peut rester aussi inconnu. Du même coup, ça te conforte dans l’idée qu’il faut continuer à fureter dans les concerts, car contrairement aux apparences et au sentiment d’un écroulement généralisé des valeurs, l’idée de l’art a la peau dure. Conrad Real en est la preuve. Pur Black Power.

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             Par contre, ce sont d’autres musiciens qui accompagnent Brittany Davis sur Black Thunder, un très beau double album de groove jazzy. On voit de très belles photos du studio où elle enregistre avec deux blacks, Evan Flory-Barnes à la stand-up et D’Vonne Lewis au beurre. Avec «Amid The Blackout Of The Night», elle s’enfonce dans l’intégrité du groove de jazz, c’est une ambiance à la Miles Davis, mais sans trompette. Son magnifique, rien à voir avec le concert. En B, elle profite du morceau titre pour invoquer la deep forest et le black thunder. Elle crée son monde loin des feux de la rampe, elle va deep in the groove avec «Change Me» - Change me quick/ C’mon ! - Encore un groove de jazz bien senti en C avec «Girl Now We Are The Same» - You’re white/ And I’m black/ Is it black?/ No it is brown - Elle roule sur un son de stand-up bien rond. Puis elle s’en va groover son «Mirrors» au chant magnifique. Elle devient assez magique. Elle semble encore monter en puissance avec «Sarah’s Song» en D et vire quasi hypno. Elle regagne ensuite la sortie avec «Sun & Moon» - Dance in the moonlight - Elle jive dans le lard, c’est un groove très tonique, bien soutenu au chant, battu fouillé et rondement slappé dans l’âme. T’as des fabuleuses dynamiques internes et tu sors ravi de l’heure que tu viens de passer à écouter cet album.

    Signé : Cazengler, Abrutinny Avide

    Brittany Davis. Le 106. Rouen (76). 17 octobre 2025

    Brittany Davis. Black Thunder. Loosegroove 2025

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

     - Part Thirteen

     

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             On jette un coup d’œil à la couve du numéro de Rockabilly Generation qui vient d’arriver et le premier nom qui te saute au paf - pardon, au pif - est celui de Vigon. L’interview de Rancurel est intéressante. Ce gros veinard a fréquenté et photographié Vigon a la grande époque. C’est un peu comme s’il avait fréquenté et photographié Elvis à ses débuts. Vigon est du même acabit que l’early Elvis : beau et légendaire. 

             À une époque, on pouvait encore voir Vigon sur scène au Méridien de la Porte Maillot. Au rez-de-chaussée de l’hôtel se trouve le club Lionel Hampton, un endroit chicos dans lequel se produisaient alors pas mal de grosses pointures, du genre Screamin’ Jay Hawkins ou Ike Turner.       

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             Vigon est depuis 1965 l’un des deux géants du rock français (l’autre étant bien sûr Ronnie Bird). Quand on voit Vigon chanter sur scène, on comprend tout. C’est un pur, un type hanté par ses héros. Quand on le voit remuer la tête indépendamment des épaules, on sent la présence de Ray Charles en lui. Il porte les mêmes lunettes noires. La façon dont il bouge le buste et dont il ramène le micro à portée de voix nous renvoie directement à Jaaaaaames Brown. Il fait une version démente d’«I Feel Good». C’est Mister Dynamite. Oui, Vigon est un bon. Oui Vigon sort de ses gonds. Il y a aussi de l’Otis en lui, de l’Ike Turner - il fait le baryton ikien sur une fiévreuse reprise de «Proud Mary» - Il fait aussi du Little Richard, quand il screame Bamalama Bamaloo baby !, l’un de ses vieux chevaux de bataille. Ils sont douze sur scène : section de cuivres complète, deux claviers, un fabuleux batteur, un guitariste qui joue le funk de Stax, et en prime, un soubassophone, qui est une basse à vent. Pouet pouet ! Vigon pilote cette énorme machine, comme s’il pilotait une formule 1, et il donne de violentes impulsions en dansant entre les couplets. Il a complètement intériorisé la magie du r’n’b. Son corps la contient toute entière. Il libère les vieilles énergies qui ont révolutionné les sixties. Il fait ça pour de vrai. Il n’est pas dans la représentation. Il puise dans la perception qu’il a de Mister Dynamite depuis cinquante ans pour trouver le ton exact - ‘nd I feel nice/ lik’ sugar ‘d spice - Il invoque les esprits. Tout le reste n’est qu’intendance. Avec «Knock On Wood» et «Hold On I’m Coming», il rivalise d’authenticité avec les originaux. Sa cover de «My Girl» donne le vertige - I’ve got sunshine/ On a cloudy day - Celle d’«I’ll Go Crazy» tient du miracle, pulsée par un shuffle de soubassophone. C’est gorgé de pulsions primitives. Vigon rappelle qu’«Harlem Shuffle» fut le morceau fétiche qui lui permit de remporter le tremplin du Golf Drouot. Et hop, il nous balance une version de rêve, montée sur le groove du diable. Par contre, aucune trace de Wilson Pickett dans son set. Plus de Mustang ni de Sally, comme au bon vieux temps.

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             En juillet 2004, Vigon participait à une sorte de festival historique. L’Olympia présentait le retour des pionniers du rock français avec une affiche des plus alléchantes : les Pirates, Billy Bridge et les Mustangs, Joey et les Showmen, Vigon et des tas d’autres qui, quarante ans après leur petite heure de gloire, paraissaient toujours prêts à en découdre. Nous n’étions là que pour Vigon, dont on avait un peu perdu la trace. Son impresario croisé dans la file d’attente éclaira nos lanternes en nous expliquant que Vigon s’était replié pendant vingt ans chez lui, à Casablanca, qu’il avait chanté tous les soirs dans un cabaret et mené la grande vie. Mais il était de retour à Paris et on pouvait le voir jouer tous les soirs dans un club situé à deux pas de l’endroit où nous faisions la queue : l’American Dream. Et pouf, il nous refila un flyer.

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             Ce soir-là, l’Olympia était plein comme un œuf. Moyenne d’âge : soixante-dix ans. Il nous fallut du temps pour nous acclimater à ce bal des vampires. On se retrouvait mêlé à une stupéfiante concentration de ventripoteurs à cheveux blancs et de vieillardes agrippées au souvenir de leur jeunesse enfuie. Après une série interminable de sets pathétiques, Vigon arriva sur scène tout de cuir noir vêtu. Il était plus que jamais ce diable marocain qui nous avait embrasé l’imagination au temps jadis. Il balança trois énormes classiques du rhythm’n’ blues coup sur coup : «Midnight Hour», «Hold On I’m Coming» et «Knock On Wood». Vigon était trop bon, presque miraculeux. Le jour et la nuit avec le reste du spectacle. Il incarna ce soir-là Wilson Pickett, Sam & Dave et Eddie Floyd, puis James Brown avec une version complètement allumée d’«I Feel Good». Vigon vitupérait. Vigon virait au vert. Vigon voyait rouge. Avec seulement quatre morceaux, il défonça la rondelle des annales et sauva la soirée du désastre.

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             Sortait en 2008 une curieuse compile intitulée «The End Of Vigon», avec une face lente et une face rapide, selon le modèle des Formidable Rhythm’n’Blues d’Atlantic. La pochette était celle d’un EP de Vigon : on le voit de profil, assis au sol, au sommet d’un escalier public, sur fond de ciel bleu. Il porte un pull orange et un pantalon noir. Dans son interview, Rancurel nous révèle que c’est l’une de ses images, faite au Canal de L’Ourcq. God, comme Vigon est jeune ! Même si on n’aime pas les morceaux lents, il faut faire l’effort d’écouter la face lente. Vigon y est vertigineux de Soul genius. Son animalité ressort mieux dans les slows super-frotteurs que dans les jerks torrides, comme chez Otis, d’ailleurs. Son timbre est d’une justesse remarquable et il prend toute son ampleur dans les morceaux lents comme «It’s All Over» et «Dreams». Les montées en puissance sont absolument fabuleuses, des coulures de kitsch scintillent comme des diamants. Tous les amateurs de Soul devraient écouter ce disque extraordinaire. Il faut entendre Vigon hurler les dernières phrases de «Dreams» dans la plus pure tradition des grands Soul Brothers de Detroit ou de Memphis. Il pousse des petits cris suspects et finit en hurlant comme un singe de Bali. Il est l’égal absolu de Wilson Pickett, de Percy Sledge, de James Brown et d’Eddie Flyod. Il dispose exactement du même registre, de la même classe, de la même énergie et du même génie interprétatif. Sur la B, il entre en éruption. Il déboule dans la cour des grands avec «Pollution», un funk infectieux monté sur un beat toxico. Avec ce funk tendu, Vigon se montre l’égal de George Clinton. Il y a quelque chose de terriblement organique là-dedans. A-t-on déjà entendu funk plus jouissif ? Non. Il embraye sur «Harlem Shuffle». Il est dessus. Aucun doute. Il fait grimper la température, puis il calme le jeu - yeah yeah. Pure magie noire. Vigon crie dans la nuit d’Harlem - Aaaah Aaaah - Prodigieuse fournaise de juke-box ! Franchement, on ne comprend pas que ce demi-dieu marocain soit resté dans l’ombre. Il est beaucoup trop bon. C’est Bou Jeloud ! Il dépasse les normes. Vigon paye le prix fort, enfermé dans sa légende. Il tape ensuite dans Sam & Dave avec «You Don’t Know Like I Know» qu’il mène au pas, sans forcer le destin, et qu’il chauffe à blanc, juste pour rigoler. My Gawd, comme ce mec est doué. Vigon ne craint pas la mort, car il tape dans des cuts déjà parfaits, et il réussit à leur redonner vie. C’est un miracle ! «Baby Your Time Is My Time» sonne comme un hit de Soul urbaine. «Ma chère Épiphanie, ce morceau te percera le cœur», disait le Comte de Lautréamont à sa carafe en cristal. Vigon fait partie de ceux qui ne prennent pas les gens pour des cons en leur faisant croire qu’ils ont du talent. Lui en a pour dix. Il reprend ensuite «The Spoiler» l’unique morceau d’Eddie Purrell enregistré chez Stax et composé par Duck Dunn (après la parution du single, Eddie disparut. Personne n’entendit plus jamais parler de lui). Sur Stax, c’était déjà une vraie bombe. Vigon prend cette monstruosité noyée d’orgue à bras le corps, et la balance dans la stratosphère. C’est un jerk mortel. Comme Eddie Purrell, Vigon y va - I’m a spoiler, ouuh - Monstrueux ! Do the spoil ! Vigon joue son va-tout. C’mon C’mon !

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             On est allé revoir Vigon en 2015 au Méridien. Trois fois une heure de set. Conditions idéales. Il chante à quelques mètres de ta table. Quand on le voit taper «Papa’s Got A Brand New Bag», on comprend qu’il ne fait pas semblant. Il incarne la Soul. Chanter Papa à la perfe, ce doit être à peu près tout ce qu’il sait faire dans la vie. Il n’existe qu’un seul chanteur de Soul en France et c’est lui. Shout, mon vieux Bamalama ! Il connaît tous les hits, de Stax à Atlantic, en passant par Motown, Vee-Jay, Specialty, Imperial, Chess, Duke ou King. Il les chante depuis cinquante ans. Il

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    reste exceptionnel sur scène. Chacun de ses gestes est inspiré. Il swingue la Soul, il sait chauffer un couplet au bon endroit et faire dérailler sa voix le temps d’une syllabe. Et puis il a ce franc sourire de crooner de choc. Lors des ponts musicaux, il danse les poings fermés. Il est, avec Vince Taylor et Ronnie Bird, celui qu’on a le plus admiré à l’aube des temps parisiens. Il fait le «Soul Man» de Sam & Dave à lui tout seul. Il le bouffe tout cru. Cette fois, il tape «Mustang Sally» et le «Twist & Shout» des Isley Brothers. On le voit aussi duetter sur «My Girl» avec Muriel, l’épouse du maître de cérémonie.   

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             On se souvient de vieilles photos de Vigon qui chantait torse nu sur la scène du Golf, dans les pages jaunes des premiers numéros de Rock&Folk. Encore mieux : pour son audition devant Henri Leproux, Ronnie Bird lui avait prêté son backing-band.

             Bon, tu continues de feuilleter ce nouveau numéro de Rockabilly Generation et soudain, tu tombes sur une double en forme de carnet mondain des cracks du boom-hue : Tony Marlow, Didier et son T-Becker Trio, Barny & The Rhythm All Stars, Hot Slap avec un Dédé on fire. Mais il manque le plus important ! Tu tournes la pages et, ouf, il est là : Jake Calypso avec ses Hot Chickens ! Ça remonte bien le moral de voir qu’ils sont tous là.

    Signé : Cazengler, Vicon

    Vigon & the Dominoes. Le Méridien. Paris XVIIe. 19 octobre 2013

    Vigon. Le Méridien. Paris XVIIe. 30 octobre 2015

    Vigon. The End Of Vigon. Barclay 2008

    Rockabilly Generation # 35 - Octobre Novembre Décembre 2025

     

     

    Inside the goldmine

    - Pierre qui roule n’amasse pas Mosley

             Bernard Masley ne payait pas de mine. Franchement, on se demandait comment une femme aussi belle et aussi sensuelle qu’Irène Masley avait pu tomber amoureuse d’un tel épouvantail et lui faire trois enfants. Il est des mystères qui nous dépassent, et plus on s’y penche pour tenter d’y voir clair, plus ils s’épaississent. En plus d’être moche, Bernard Masley était pauvre. Il bossait pourtant dans une grosse boîte, le sous-traitant d’un constructeur automobile, mais il plafonnait dans son parcours professionnel et gagnait à peine de quoi subvenir aux besoins de sa famille. Comment cette reine qu’était Irène Masley pouvait-elle supporter ça ? On la soupçonnait de se fringuer aux Emmaüs. Quand une amie voulait lui offrir des fringues, elle les refusait. Le samedi, Bernard Masley emmenait toute la famille faire les courses au centre commercial. Ils se limitaient au supermarché. Ils entassaient dans le caddy l’alimentaire de la semaine, les fournitures scolaires, les produits d’entretien et deux ou trois bricoles indispensables. Bernard Masley avait une liste et il comptabilisait les achats de tête au fur et à mesure. Lorsqu’il atteignait le montant du budget fixé, il indiquait la direction de la caisse. Irène Masley rêvait de lingerie et d’outils de jardin, mais elle se taisait. On ne pouvait pas dépasser le budget fixé. Ce niveau d’acceptation finissait par inspirer une sorte de respect. Les amis du couple ne leur demandaient jamais s’ils avaient besoin d’aide, c’eût été leur faire injure. Par contre, Bernard Masley pouvait rendre des services considérables. En tant que Référent Qualité, il était en contact avec des décisionnaires de l’industrie automobile, et ces contacts valaient de l’or. Il en fit don à des amis-aventuriers de la com interne qui vendirent au constructeur un plan Zéro Défaut. Autrement dit un budget mirobolant. Bernard Masley ne demanda jamais rien en retour. Moche, pauvre et généreux. 

     

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             Pendant que Masley ramait dans sa banlieue, Mosley ramait dans l’underground. Ils furent tous les deux de fiers rameurs qu’on était content de fréquenter. Pour les ceusses qui ne le sauraient pas, Bob Mosley fut bassiste/chanteur/compositeur dans Moby Grape. Moby Grape fait l’objet d’un chapitre à part. Penchons-nous sur la carrière solo que Bob Mosley entame après avoir quitté Moby Grape en 1969 (et qu’il ré-intégrera en 1971, puis par intermittences, comme le feront Jerry Miller et Peter Lewis).

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             L’album sans titre de Bob Mosley paru en 1972 est un immense classique. Pour au moins sept raisons, la première étant le fulgurant «Squaw Valley Nils (Hocked Soul)», un solide mid-tempo de fière allure. Bob est un bon, il y va au stranger at my table et ça se barre en vrille avec un solo de coyote. Te voilà une fois de plus avec un album culte dans les pattes. Culte encore pour le killer solo qui fusille «Hand In Hand», une sorte de rock Soul à la pointe du progrès, drivé à l’énergie de l’Airplane, et derrière t’as ce mec qui gratte comme un dingue. Frank Smith ou Woodie Berry ? Va-t-en savoir. Le killer solo est d’une rare virulence. Culte encore pour ce «Jocker» d’ouverture de balda, qui tape en plein dans le vif argent de Moby Grape. Bob a les Memphis Horns derrière, c’est ultra-joué, avec une gratte qui envoie d’incroyables giclées de jus. Sur «Gyspsy Wedding», Bob fait son white nigger. Il est infiniment crédible. Il récidive en B avec l’hot «Nothing To Do». Encore une belle énormité avec «Let The Music Play», Bob et son Mill Valley Rhythm Section & Choir te groovent le Moby rock de main de maître, et t’as encore un killer solo de coyote in the flesh. Power pur encore avec «Where Do The Birds Go». Bob mixe le rock avec la Soul. Tu te régales encore de «Gone Fishin’» qu’il chante d’une voix ferme, et de «So Many Troubles» qui se répand dans une brume de chœurs. 

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             Si Never Dreamed est un bon album, c’est sans doute dû à la présence de James Burton. Il faut le voir amener «Dead or Alive» ! Ça sonne comme un hit, et Bob charge bien sa barcasse. Voilà une pop visitée par la grâce et par James Burton. Puis avec le morceau titre, Bob s’impose durablement en chantant à l’accent perçant. Il passe à l’heavy country blues avec «Put It Off Until Tomorrow». Magnifico ! Illuminé par James Burton. Encore de l’heavy country power avec «Louisiana Mama». Bob est un mec très convainquant. Il se montre décidé à se barrer dans «Leavin’ Through The Back Door» - Don’t try to stop me babe !

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             C’est Freddie Steady qui réédite cette petite merveille qu’est le True Blue de Bob Mosley. Petite merveille car «Lazy Me», balladif à la Gene Clark de qualité supérieure. Suprême dérive abdominale. Et puis t’as ce coup de génie, «Rainbows End (Used To Be My Fiend)», un autre balladif de rang princier. T’es frappé par la stupéfiante qualité du cut. Bob adore le boogie, comme le montrent «Come Back Woman» et «Sad & Blue». C’est le boogie de San Pedro, celui qu’on appelle l’heavy boogie down bien sanglé. Tout aussi impressionnant, voici «Never» un heavy balladif circonstanciel. Bob tape ça au pur power vocal. Bob est un bon. L’intensité n’a décidément aucun secret pour lui.

    Signé : Cazengler, bien Amosley

    Bob Mosley. Bob Mosley. Reprise Records 1972

    Bob Mosley. Never Dreamed. Taxim Records 1999

    Bob Mosley. True Blue. SteadyBoy Records 2024

     

    *

    Existe-t-il une harmonie universelle. Au lieu de définir ce que j’entends par ces deux mots je me contenterai de rapporter deux faits. Chacun peut vérifier l’existence du premier. Dans notre dernière livraison 707 de la semaine dernière, celle du 30 / 10 / 2025, dans son article  hommagial à Nico, notre Cat Zengler citait les noms de deux des musiciens, Brian Jones et Jimmy Page qui ont accompagné Nico durant l’enregistrement de I’m not saving. Puis pratiquement incidemment, si l’on en juge par le contenu du paragraphe qui suit son cours, il ajoutait : ‘’ Brian et Jimmy ont un autre point commun : une passion pour Aleister Crowley’’. Nous avons déjà à plusieurs reprises consacré plusieurs chroniques à Aleister Crowley, personnage scandaleusement énigmatique que les Beatles n’ont pas oublié sur la pochette de Sgt. Pepper's Lonely Hearts Club Band, l’est même en position numéro deux. Perso je le trouve méconnaissable sur la photo.

    Existe-t-il des clins d’œil du hasard. Au lieu de me lancer dans un interminable commentaire sur cette question je me contenterai de rapporter le deuxième fait. A peine en avais-je fini de choisir les illustrations pour illustrer l’article en question, m’octroyant quelques instants de repos, je décide de m’enquérir de ma boîte à lettres. Qu’y avait-il dedans : je vous le donne en mille :

    ALEISTER CROWLEY

    HUIT CONFERENCES SUR LE YOGA

    ET AUTRES TEXTES

    UNE ANTHOLOGIE INTRODUCTIVE

    A L’ŒUVRE

    D’ALEISTER CROWLEY

    VOLUME III

    Traductions de

    PHILIPPE PISSIER & AUDREY MULLER

    (Editions Anima / Octobre 2025)

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    Nous allons suivre la même méthode employée pour les deux volumes précédents, commentant avec plus ou moins de pertinence les différentes parie de l’ouvrage.

    HUIT CONFERENCES SUR LE YOGA

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    Le Yoga pour les yahous : ces quatre premières conférences s’adressent à ceux qui n’y croient pas, à ceux qui restent sceptiques quant à l’utilité de l’idée de se lancer dans le yoga. Crowley y va très cool, un véritable camelot. Le yoga n’est pas difficile. Il signifie, en langue sanscrit, lien, se lier à, (quoi ?). Ce qui est étrange c’est qu’il enchaîne en affirmant qu’il faut d’abord se dé-lier de tout ce  qui n’est pas nous, de toutes ces assertions, ces croyances, ces diktats de la société qui nous intiment de ne pas faire ceci ou cela. La leçon est claire : faites à votre guise. Les philosophes diront : évacuez la Doxa. Premier tour de vis : il faut aussi se délier de soi. Ce qui ne signifie pas qu’il faille tomber sous la coupe des Maîtres. Des charlatans qui restent trois ans sans bouger ni boire ni manger. N’imitez pas, ne vous obstinez pas à tenir la posture du chien, du chat, de l’aigle, de la souris, de l’éléphant, de l’arche de Noé. Trouvez celle qui vous convient le mieux. Inventez-la sans honte ni regret. Attention ça se corse. Un truc qui personnellement me file l’urticaire. Le coup de l’arbre des Séphiroths un emprunt à la qabal. Crowley a dû savoir que j’allais lire ce texte car il se sert de symboles grecs pour expliciter. Tel Dieu grec symbolise telle chose par rapport à lui-même et aux autres Dieux. Cette façon de faire ne me paraît pas du tout grecque mais passons. En fait je suis sur la bonne voie puisque je commence à m’ennuyer. Crowley est d’accord avec moi, on a beau s’être coupé de tout, ce n’est pas le nirvana pour autant, oui vous vous ennuyez, des pensées viennent vous turlupiner et même si vous parvenez à tordre le cou à ces visiteuses impromptues, c’est votre corps qui se réveille, une crampe à la jambe, des picotements sur le coude… continuez sans défaillir, concentrez-vous sur votre respiration, un tiers j’inspire, deux-tiers j’expire, quatrième tiers, ni expiration, ni inspiration, attention c’est une concentration qui doit après des séries et des séries de séances systématiques se métamorphoser, bref un jour vous parvenez à suivre le rythme sans être obligé d’y penser. C’est alors que votre corps auquel vous ne pensez plus, se met à bouger indépendamment de votre volonté. Il s’agite même beaucoup. Vous ressemblez à une grenouille dans une mare qui s’amuse à sauter de feuille de nénuphar en feuille de nénuphar. Continuer sans faillir, bientôt votre corps va se soulever et vous entrez en lévitation. Très honnêtement Crowley avoue qu’il n’est jamais parvenu à ce stade. N’empêche qu’il reste encore quatre conférences.

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    (Tirage de tête)

    Le yoga pour les froussards : le titre de ce cycle de conférences n’est guère engageant, c’est que la donne devient sérieuse, dehors les dilettantes, le yoga exige beaucoup de vous, arrêter de vaquer à vos affaires, il vaudrait mieux que votre vie ne soit pas accaparée par le travail… C’est que nous attaquons au gros morceau, la forteresse qui n’entend pas se rendre : le mental. Nous revenons à la Bible, les mystères du Tétragrammaton, chaque lettre à sa signification : le père, la mère, le fils, et la fille. D’où sort-elle celle-ci, on attendait l’Esprit, cela serait trop chrétien, la  fille représente l’extase, celle qu’ont connu le père et la mère en engendrant le fils, silence dans les rangs, ne pas confondre le yoga avec le kama sutra, tout engendrement se doit d’être conçu comme une séparation, pas un ensemencement, plutôt une éjection. Un peu comme les poubelles que vous sortez le soir. C’est en se défaisant de ce qui nous est inutile que l’on se concentre sur soi-même. Il convient de vider son mental en lui confiant ces tâches précises de désintéressement déjectifs de ces mêmes taches. C’est ainsi que se purifie l’eau de votre mental. Ceci n’est qu’une image. Le mental ne contient pas d’eau, le mental  est un espace vide. Mais cette notion de vide nous emmène à la notion de volume. Volume d’autant plus abstrait qu’il n’occupe pas plus d’espace qu’une idée qui vous traverse la tête. La pratique du yoga vous conduirait-elle à devenir un songe-creux. Attention prenez conscience du plaisir à acquérir cette connaissance qui permet d’être sicut deis. De fait ce n’est pas que vous n’ayez rien trouvé, c’est que vous avez trouvé le rien, or si le rien est tout, le tout existe et si le rien n’est rien, il n’est que le vide dans lequel sont dispersés les points structurant du tout. Nous sommes ici face aux atomes batifolant dans le vide, à part que ce vide plein est en quelque sorte un cinquième élément, un éther qui n’est autre  chose que la pensée du mental en son point d’activité zénithal qui n’est que le repos de votre mental. Tout serait-il du charabia. Crowley s’en réfère à Kant, l’on aurait préféré Nietzsche, Einstein, Riemann, Berkeley, évidemment depuis la science a continuité, n’y a que notre évêque du dix-huitième siècle qui reste stable, nous remarquons que dans les dernières pages de la sixième conférence Crowley revient à partir de la théorie de la relativité, l’idée d’une connaissance circulaire. Qui ressemble à s’y méprendre à un serpent qui se mord la queue. D’où cette question : comment se doit-on d’envisager la matière. Comme une chose, comme un néant, comme une hypothèse, comme un mythe…

             La septième conférence  s’avère déceptive, retour au christianisme, pas tout à fait la version pour les faibles, mais celui des exercices spirituels qui correspondent assez bien au travail intellectuel du yogiman. Nous remarquons que la pensée régresse, nous parlions du mental, nous voici dans notre intellect. Il est évident que l’on ne peut désigner une chose (même conceptuelle) que par des mots qui ne sont pas le vocable qui désigne très précisément la chose, qu’elle soit conceptuelle ou pas. Le mental serait-il un acte de foi ? Il est vrai que son exercice qui permet d’obtenir une vision de l’univers, provoque en l’individu qui parvient à ce stade connaît ce que Crowley exprime par le mot transe, Nietzsche par le mot danse, et plus trivialement Paul Valéry une fête de l’esprit.

             Dans la huitième conférence Crowley passe à la concrétude non pas des choses mais de l’action que l’on peut exercer sur elles. Nous avons évoqué l’Ether, cette totalité élémentale Crowley la fragmente en trente. Le Yoga vous apporte la connaissance mais le système Magick de Crowley vous permet d’entrer en relation avec ces trente éthers. Il donne un exemple qui n’est rien d’autre que l’exercice rituellique que l’on pourrait comparer à la messe catholique. L’enchaîne sur la poésie conçue en tant que chant orphique influant sur les éléments terrestres et intersidéraux.

             Ces huit conférences sont agréables à lire, mais à les regarder objectivement l’exercice du Yoga ne nous semble pas très différent d’un habituel chemin de pensée voluptueusement escarpé, que je vous conseille de mener depuis votre canapé, devant votre cheminée, un cigare à la bouche et un verre empli d’un bourbon mordoré à portée de votre main. Crowley n’est pas très loin de Descartes. Ou d’Husserl.

    UN ARTICLE SUR LA QABALE (Liber 58)

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    Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ! La réponse est facile : parce que parfois les textes sacrés se contredisent. L’a donc fallu trouver un processus qui explicitât ces contradictions. Sans quoi il serait raisonnable de rejeter tous ces incohérences verbiagiques. Ce serait du même coup l’arrêt de mort du Dieu. Autant ôter le plancher imaginaire ou mental (adoptez le mot que vous préférez) sur lequel la race humaine repose ses pieds.

    Le principe est simple : il s’agit de prouver que tel mot connote avec un autre (voire plusieurs). Ne pas se fier au sens ce serait trop facile. Il faut une règle qui soit en même temps arbitraire et mathématique. Il suffit de doter chaque mot d’un chiffre obtenu en faisant le total de la valeur de ses lettres ( A=1, B=2, C=3 et ainsi de suite…) Nous avons pris l’alphabet français, évidemment Crowley use de l’alphabet hébreux… La qabale est à l’origine une science d’origine biblique.  Les mots présentant le même total numérique ne sont point bêtement interchangeables disons que comme dans le poème de Baudelaire ces correspondances numérologiques entretiennent des rapports symboliques significatifs.

    Le système  peut être complexifié, l’on peut numéroter des phrases entières, donner une certaine importance aux lettres initiales ou/et finales, voire centrales… Si en notre langue ronsardienne le nom propre Mars avait la même valeur numérique que le mot guerre vous pouvez ainsi sous-entendre que ce n’est pas un hasard si Mars est le Dieu de la guerre. Si vous pensez que cette manière numérologique tient un peu trop de la loterie, mettez-la en relation avec le squash métaphysicio-linguistique par lequel le lecteur français d'Heidegger se doit d'établir des équivalences interprétatives entre les termes grecs-allemand-français afin de parvenir à une compréhension aigüe de la subtilité transmissive de l'herméneutique de vocables héraclitéennement obscurs de par leur nature fondatrice.

    Ainsi en s’attardant longuement sur les premiers mots de la Bible, Crowley démontre à l’excès qu’il n’y a pas de hasard entre ces premiers vocables qui se répondent entre eux comme dans le jeu de cartes des sept familles, sous-entendu une certaine intelligence supérieure préside à ce texte… Soit, nous voulons bien, mais nous aurions aimé de plus amples explications de l’emploi du féminin-pluriel d’Elohim, qui d’après nous correspond davantage à l’historiale fabrication de Yavhé qui à l’origine était une déesse femelle représentée sous forme de colombe…

    En s’attardant sur certains passages de la Bible ou d’autres textes l’on peut leur faire dire ce que l’on veut, ou du moins ce que l’on pense : la qabale ne nous semble qu’un cas particulier du commentaire doxographique et de l’herméneutique littéraire…

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    Le dogme qabalistique : qu’importe la médecine pourvu qu’elle guérisse, encore faut-il savoir l’utiliser. La qabale est complexe mais Crowley tient à nous faire remarquer qu’elle permet à résoudre des problèmes ultra-complexes, en quelque sorte c’est une méthode simplificatrice. N’oublions que les symboles sont réversibles, que ce qui apparaît comme l’expression de la difficulté peut se résorber en celle de la facilité. Il suffit de savoir jongler avec la grille de déchiffrement conçu pour déchiffrer des textes (ou des situations) qui ont été conçus, ou du moins interprétés pour être déchiffrés par une telle grille. Voici un rituel, qu’en pensez-vous ? Rien !  Ce n’est pas qu’il vous échappe, c’est que votre esprit est ainsi constitué de telle manière que vous ne pourrez l’appréhender. Et plouf nous retombons sur les deux jambes de la philosophie classique idéaliste (aucun mépris envers ce dernier mot). Saint Berkeley serait-il le sauveur des athées. En tout cas, en fin de compte, au bout de ces longues et savantes interprétations Crowley met un bouchon d’étoupe  sur le puits sans fond de son érudition en le bouchant avec des mots que tout le monde comprend comme : nature.

    Un essai sur le nombre : Crowley reprend tout depuis le début. Depuis Pythagore, passons sur la deuxième stase, la troisième stase est consacrée au catalogue basique du néoplatonisme. N’oublions pas que celui-ci fut historialement concomitant avec la montée du christianisme. C’est donc le moment de retourner à la deuxième stase, commence par l’œuf cosmique d’Hésiode qui engendre l’éros. Les grecs furent de grands désirants. Mais très vite, la grécité inaugurale de cette deuxième stase se trouva mâtinée par l’influence biblique, l’éros se métamorphose en amour et celui-ci est exprimée selon l’idée freudienne du désir conçu en tant que chose douteuse puisque résultat d’une séparation.  Freud, Crowley, Einstein voici le tiercé gagnant de la modernité. Crowley est au milieu, il est le représentant d’une culture judéo-chrétienne qui ne veut pas mourir dont il est la suprême quintessence de son ultime efflorescence. Crowley est situé entre deux serpents, celui qu’avec raison il ne veut pas voir car Freud est un mécaniste qui rabougrit le monde et celui qui le fascine car Einstein l’illimite en  désemcombrant l’univers de sa partition macro et microscopique.

             Suivent quelques pages durant lesquelles Crowley, s’amuse, un galop littéraire du meilleur effet, la Grande Bête sort le grand jeu, vous en met plein la vue, étale son érudition à pleines couches de confitures rituelliques, toutes les deux lignes une révélation, vous avez droit au moindre détail, évidemment tout cela sort non pas de son imagination mais de son imaginalisation, sans avoir besoin de relire Corbin disons qu’il parle de lui-même pour lui-même. Evidemment il se connaît mieux que personne. Le titre de la Partie II de cet essai sur le nombre est des plus révélateur : L’univers tel que nous cherchons à le faire.  

             Sans doute faut-il méditer sur le titre de cette dernière partie du texte. Un essai sur le nombre est-il une étude sur l’essence du Nombre quel qu’il soit, ou est-il un questionnement sur le nombre qui contiendrait tous les autres nombres, qui vaudrait à lui tout seul tous les autres, qui serait l’essence du nombre en lui-même, qui serait de fait le nombre unique. Pas la peine de se mentir : l’éventail énumératif des nombres n’est-il pas procédé à partir du nombre Un, d’ailleurs n’est-ce pas le monde qui est nommé univers, ou autrement (refermons l’éventail dans son unicité :  retour vers le Un. C’est à cet instant que les ennuis commencent, car le Un ne saurait être le Tout, car le Tout n’est que l’addition de tous les nombres que contient le Un. Les grecs énoncent cela très doctement avec leur formule : l’Un et le Multiple. Platon ajoute que dans ce cas le Multiple est l’Autre ce qui équivaut à la négation du Un. Dès que vous avez Un vous avez sa propre négativité : le moins Un. Hegel dira que moins Un est égal au zéro.

             Déduction de tout cela / comment surmonter, non pas le nihilisme, mais l’athéisme. Crowley définit exotériquement l’athéisme non comme la négation de Dieu mais comme un passage. Vers quoi ? Il ne le dit pas expressément, revient en arrière, tous les calculs qui vous mènent à l’athéisme il est nécessaire de les refaire pour tomber juste, il passe en revue un maximum de numérations qui permettraient d’assumer l’athéisme, car l’assumer c’est ajouter une présence au zéro absolu de l’athéisme, peut-être pas une présence supérieure mais au moins la présence de l’impétrant qui assume cette tâche. Qu’on le veuille ou non : il reste de l’être.

             Petite remarque adjacente : après le mot être, passez aux deux prochains mots écrits en rouge. Dans le long développement que nous venons de commenter Crowley fait référence à la Rose-Croix, c’est un peu le lapin rose sorti du chapeau de magicien car Crowley oublie de noter la dimension littéraire de la vision rosicrucienne que nous considérons comme un surgeon de la grande lyrique française dont le poème Le roman de la Rose serait à considérer comme le point de bouture essentiel.

    L’ontologie : Un essai d’ontologie avec quelques remarques au sujet de magie cérémonielle : cette anthologie est diaboliquement construite, sur la cohérence de la pensée de Crowley, dont le plan de cette troisième anthologie aide à prendre conscience de l’implacable logique d’Aleister. Lorsqu’il reste ne serait qu’un minimum d’être, une réflexion ontologique s’impose. Les grecs considéraient la finitude d’une chose comme parfaite et son infinitude comme imparfaite. Or  les religions définissent le Dieu comme infini. Heidegger a tracé une ligne rouge entre philosophie et religion, notre modernité lui a beaucoup reproché ce crime impardonnable mais ceci est une autre histoire. Arracher la mauvaise herbe de la croyance religieuse du travail de pensée ne saurait être avalisé par Crowley qui frise l’athéisme tout en affirmant en dernier ressort l’apport originel d’une puissance émanatrice. Après examen de trois grandes religions : boudhisme, hindouisme, christianisme, il en arrive à une étrange conclusion : il existe bien une puissance émananatrice originelle mais à plus moins longue échéance celle-ci cessera de vivre.  C’est-là accorder un sursis à Dieu.

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    La louange mariale : le dernier texte de cette anthologie ravira certainement les zélateurs de Péguy et de Claudel. Certes avec Crowley il faut se méfier. Il sait faire l’âne, animal christique par excellence. Il a le sens de l’humour et emploie volontiers le double langage. Si l’on vous donnait à lire ce texte signé par la main d’un Franciscain  vous le recevriez sans hésiter comme une espèce de Rosaire de Marie des plus fidèles, même pas une goutte d’hérésie dogmatique. Tout au plus pourrait-on l’appréhender comme l’annonciation de ces mouvements catholiques qui donne autant d’importance au personnage de Marie-Madeleine qu’au Christ… Ce texte est un recueil de poèmes, de psaumes ou de prières si vous préférez, disons d’invocations pour notifier que Crowley est aussi à sa manière un païen. Notons qu’une lecture toute parvulesquienne de ce texte, particulièrement le livre IV, risque de vous entraîner sur les ombreuses sentes d’un christianisme alchimiquement et politiquement activiste. Mais là n’est pas le problème. Restons dans la problématique heideggerienne selon laquelle, la pensée philosophique ayant été menée à son terme doit céder sa place à une nouvelle pensée qui s’apparenterait à la poésie…

    La joute chymique de FRERE PERARDUA et les sept lances qu’il brisa : texte résolument alchimique, sans doute faut-il le lire ou plutôt l’interpréter, en tant que ligne de fuite heideggerienne. Par-delà la poésie, la mise en œuvre d’un activisme que faute de mieux nous qualifierons de parvulesquien ou mallarméen. Grand écart.

    L’approche graphique : ne pas y voir un carnet d’illustrations diverses. Le lire dans la lignée du texte précédent. Alchimique certes. Liber Mutus, restons bouche cousue.

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    (Editions Anima / La visite du site s'impose)

    Appendice IDeux textes d’Allan Bennett qui fut membre de L’Aube Dorée, peut-être dans le seul but de s’en éloigner. Ces textes Un commentaire sur la Genèse et Le dressage du Mental  sont à lire ne serait-ce que pour comprendre que la pensée de Crowley n’est pas sortie du cerveau d’un illuminé. Crowley est un travailleur et aussi un héritier. Crowley et Bennett se sont croisés, le terme de percutés ne serait-il pas davantage évocateur... Rien qu’aux titres des deux écrits de Bennett les lecteurs de cette trop longue chronique  auront remarqué bien des similarités entre  nos deux démarcheurs, non pas de l’invisible mais du non-visible.

    Appendice II : un court poème de Crowley : Le chant d’amour du Chimiste : qu’intuitivement je mets en relation avec les deux derniers textes de cette Anthologie mais surtout avec Le chant de l’amour et de la mort du cornette Christophe Rilke, de Rilke évidemment, dans les deux cas pour employer une terminologie empruntée à Poe, grotesque Crowleyen et arabesque rilkéenne, deux modalités non sans rapport avec le romantisme et la métaphysique, élémental mon cher Watson !

    Appendice III : un texte exhumé du mensuel Alexandre consacré à une recension de Bereshiht d’Aleister Crowley, note secrète d’un des agents les plus brillants du SSR (Service Secret du Rock’n’roll).

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    ( Sgnature : Audrey Muller et Philippe Pissier )

    Appendice IV : Quatre illustration d’Audrey Muller pour sa traduction de Hail Mary : quatre collages, le liber motus des stances à Marie. La troisième est éloquente pour une image  qui est censée se taire. Je lui donnerais pour titre La Rose sans la Croix.

    Appendice V : Diana Orlow : cinq des derniers poèmes : lire et se taire.

    Avant les parties bibliographiques : une image pieuse d’Anja Bajuk. Cherchez l’Ange. Surtout ne le trouvez pas.

             Si vous n’avez jamais compris la pensée polymorphe d’Alesteir Crowley ce troisième volume de l’Anthologie Introductive à l’Oeuvre d’Aleister Crowley vous mènera tout droit à la base de la Montagne Magicke. Vous avez même le plan des premiers lacets qui ouvrent l’escalade. Vous n’êtes pas obligé de les suivre.

    Merci à Philippe Pissier pour son inépuisable effort à faire connaître Aleisteir Crowley au lectorat français.

    Damie Chad.

            

     

    *

             La semaine dernière nous étions en Chine, encore plus loin que n’est jamais allé Ulysse, puisque vous avez été sages, pas besoin de quitter votre fauteuil, je vous offre une séquence de cinéma, gratuite, et pas n’importe quoi un western, un vrai, grands espaces à vous rendre gaga et cadavres à gogo, en cinémascope, en dolby-stéréo et quadrephonia, tourné aux USA ! Sponsorisé par une grande multinationale pétrolifère californienne. Silence, la séance commence !

    GRANDIOSE

    OIL BARONS

    (Bandcamp / Sept 2025)

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    La couve est de Filippo Masi, doit y avoir une dizaine de Filippo Masi dans chaque ville d’Italie, mais j’ai eu de la chance, à la première image que j’ai aperçue sur un site j’ai reconnu, sa palette, son dessin, son style très psychedelic, il ne se cache pas dans sa très courte biographie de ses  expériences lysergiques. En tout cas c’est bien sa peinture qui m’a donné envie de m’attarder sur le groupe.  Ne la regardez pas longtemps. Juste un coup d’œil. Pas davantage. Surtout ne la fixez pas, elle bouge.  Non je n’ai pas bu. Un exemple comptez le chevaux ou les cheval comme vous voulez. Et puis ce brouillard rose, qui englobe ce tableau, êtes-vous sûr qu’il soit naturel, si vous n’avez pas encore aperçu le caïman et ce sentier qui se transforme en serpent, il est encore temps pour vous de téléphoner à votre percepteur pour vous raccrocher aux réalités sensibles et ennuyantes de la vie réelle. Il revendique un frère jumeau, un double cosmique.

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    Andrew Huber : bass, lead vocals, acoustic, guitar (8) / Lou Aquiler : electric guitar, acoustic guitar (1, 2, 3, 6, 9, 11), flute (1,11), spoken word (2, 9), lead vocals( 4) / Jake Hart : drums, lead vocals (10), backing vocals / Matt Harting : ogan, acoustic guitar (3, 5, 10), lead vocals (5).

    The surrenders : (le western est américain certes, mais comment commencer un western sans un générique d’Ennio Morricone, nos barons sans foi ni loi se sont emparés de d’un titre de la bande sonore du film de Sergio Solima : La Resa Di Conti, mot à mot en notre langue L’épreuve de force, mais un distributeur peu inspiré lui a préféré l’insipide Colorado !  Les américains ont opté pour The Big Gundown. Simple mais au moins l’on sait où l’on met les pieds.  Avis aux amateurs : Lee Van Cliff est au générique). Malgré toute l’admiration que j’éprouve pour la musique composée par Ennio Morricone pour ses westerns je n’hésite pas à la traiter de pompière, selon moi ce terme n’est guère péjoratif, j’apprécie autant les peintres dits pompiers que les impressionnistes, tout dépend de l’angle d’attaque et du but recherché. On peut aimer ou ne pas aimer mais ce genre de point de vue est totalement doxique et même toxique. L’est certain que comparé à un grand orchestre, ses chœurs tapageurs et ses éclats de trompettes aussi grandiloquentes que celles de l’Apocalypse, la flûte et le maigre appareillage  de nos quatre hors-la-loi ne combattent pas armes égales, mais là n’est pas le but, dans cette ouverture, au sens propre du mot, puisque nous sommes tout de suite plongés dans un magnifique paysage plus western que cela tu mérites une balle dans la peau, ce qu’ils nous préparent ce n’est pas l’attente d’une scène choc, ou l’apparition du héros solitaire  campé sur son cheval dans le lointain, non c’est simplement l’introduction de l’instrumentation rock-doom, elle arrive à pas feutrés, façon crotale qui s’approche de vous sans s’annoncer en agitant sa sonnette tel un lépreux figure déliquescente de la Mort qui vous attend en ricanant, et quand elle éclate vous êtes déjà dans le morceau suivant… Wizard : le morceau est

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    accompagnée d’une Official Lyric Vidéo. Un truc à l’économie, pas du tout inoubliable. L’on ne peut même pas parler d’un plan fixe, doit y avoir un ventilo à fond les pales qui  boursouffle la chemise de l’acteur, un sorcier, disons que ce sont les quatre vents de l’esprit qui l’agitent, ne rigolez pas, quelque part l’on n’est pas loin de la scène finale de La Montagne Sacrée d’Alejandro Jodorowsky, en plus elle correspond parfaitement aux quatre mots par lequel le groupe se définit sur son bandcamp : psychedelic western doom rock – tiens-tiens me disais-je si je devais résumer cette formule en deux mots je dirais ; hippie-doom, et dans mon cerveau s’inscrit en lettres d’or (attention ces trois derniers mots ont leur importance) le titre d’un vieux film El Topo. Par acquis de conscience j’opère une rapide vérif et me tombe sous les yeux le nom du réalisateur que j’avais totalement oublié : Alejandro Jodorowsky qui en a aussi écrit la musique – bref sur la vidéo si vous êtes attentif devant le sorcier qui vaticine en agitant les mains vous avez un livre dont dans les lyrics il est dit qu’il est écrit en lettres d’or. Autre détail, le rebord de plateau composés de dalles de roches superposées auquel notre wizard fait face renvoie à la couve de Filippo Masi, il existe donc une espèce d’interdépendances sysnesthésiques entre les différents éléments de cet opus. L’aspect doomique de la musique n’apparaît fortement que dans la dernière partie du morceau, tout le début sonnant indiscutablement westcoast comme l’on disait dans les années 70 pour qualifier la musique californienne. Les paroles ne sont pas sans résonner avec le scénario d’El topo. Gloria : dans tous les crimes il faut chercher la femme. Pas n’importe laquelle.

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    L’égérie du rock’n’roll. La Gloria des Them. Apparemment rien à voir, n’y a pas qu’une ânesse qui s’appelle Martine, il y a une lyric vidéo, encore moins stylisée que la précédente, un gars de dos qui fait la vaisselle. Encore un plan fixe mouvementé car il n’arrête de remuer les mains dans l’évier et son popotin devant votre nez. L’est content parce que Gloria est le soleil de sa vie… ce n’est ni doom ni hippie, encore moins western, vous avez déjà vu un cowboy faire la vaisselle, l’on est plutôt dans une comédie musicale, une parodie puisque le gars s’amuse à épeler les lettres G.L.O.R.I.A, évidemment ce n’est ni l’urgence de Van Morrison, ni l’air, ni la musique. Disons que c’est le repos d’un guerrier de notre modernité. John Brown’s body : passons aux choses sérieuses, y’a un cadavre dans sa tombe. Pas celui de n’importe qui, celui de John Brown, reprennent un traditionnel, profitez-en pour écouter l’interprétation de Pete Seeger, il s’agit d’un hymne anti-esclavagiste en l’honneur de John Brown ( un blanc) qui décida de se battre armes à la main contre la ségrégation aux USA, il fut pendu haut et court, vite fait mal fait… début morbidoom mais très vite le morceau se transforme en une espèce de gospel un peu tragico-foutraque, on a l’impression d’assister au deuxième tableau de la comédie musicale précédente, Shinola : retour au western pur et dur, la ballade du gars qui va se faire buter, la basse à tire-larigot, un vocal tragique à vous infliger des frissons dans la moelle épinière, une belle scène à la Sergio Leone, guitares ferrugineuses, ce coup-ci ce n’est plus de la comédie, du véritable western-doom, vous voyez déjà les ailes noires des vautours tournoyer sur votre cadavre, un plan séquence parfaitement réussi, tout se passe dans la tête du gars, c’est ce qu’on appelle filmer

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    en intérieur. Goddam Horror Show : doom à mort, ça se passe à cheval, mais les guitares pétaradent comme des motos qui se mangent la main dans une course de côte, une sombre histoire d’amour et de fric, avec un tueur impitoyable qui fait crisser les pneus de sa voiture, le son gargouille un maximum et cacophonise au maximum, le mec est un tueur aussi impitoyable que Lee Van Cliff dans Pour Quelques dollars de plus, sur la fin n’y a plus que le vent qui siffle sur un cadavre abandonné dans les sables du désert. . Vivienne : country-slow, encore un drame, vu par le petit côté de la lorgnette du perdant magnifique qui sait que le bonheur n’est pas pour lui, qui ne fait que passer, que la vie est mortelle et ne peut être vécue que de l’autre côté, voix éteinte et musique clapotante. Death hangs : de pire en pire, après le regret, voici l’agonie, juste aux portes de la mort, grandes ouvertes, le vocal se traîne, s’y mettent à deux pour se donner du courage, le constat amer de l’échec, la drumerie bouscule un peu les adieux, plus de temps à perdre, faut assumer, quand on a perdu, on a perdu. Rien à dire. Rien à vivre.  Quetzalacatenango : quezaco, une véritable symphonie rock, un peu comme au temps du mort reconnaissant, les guitares qui farandolent et se tirent la bourre des cartouches soloïques, la galerie galope, attention, nous entrons dans une autre dimension, c’est un peu comme dans Blue Berry, non pas celui de la bande dessinée de Giraud, l’autre celui de Jan Couen, le film psychedelic qui ne montre rien que l’on puisse raccorder à l’aspect rockambolesque des westerns, tout se passe dans la tête du héros à tel point que vous ne voyez plus que les circuits de parallèles entremêlées d’un cerveau sous acide, z’ont pas l’image pour dessiner les circonvolutions géométriques des réseaux inorganisationnels des circuits neuronaux, ce sont les guitares qui se chargent de les figurer, lorsqu’elles éclatent ça dégouline pas mal de tintouin dans cos tympans, nous voici au cœur de la tourmente schizophrénique, zut les temps de repos sont un peu longs, vous savez ces marécages westcoast, vous sortiez sur le pas de la porte pour discuter avec le facteur, venait-il vous livrer un cercueil ou un aspirateur à rêves, normal vous aviez l’impression que les groupes posaient des rallonges à la table du temps, mais l’on préférait John Wayne dans Le dernier des géants lorsqu’il renversait la table pour que ça canarde un max, bien sûr en bout de compte l’on sait très bien que l’on ne fera pas de vieux os, ou du moins qu’ils seront vite éparpillés et disjoints, balayés par les vents du désert. Morning doom : c’est le titre, mais de fait les paroles sont celles de Morning Dew écrites par Bonnie Dobson, après l’explosion nucléaire le dernier homme essaie de convaincre la dernière femme que tout est fini, comme par hasard le morceau a été repris par Grateful Dead, ce n’est pas joyeux, Jake Hart chante tout doux, c’est l’orchestration qui se charge de l’amplification mélodramatique, d’ailleurs elle entraîne la voix à monter haut pour mieux retomber, l’on a un peu peur que l’ensemble ne devienne Waterloo morne plaine, mais non ils y mettent du cœur, ne vont pas laisser passer le dernier coup de bluff artistique, puisque tout est fini autant négliger de pleurer et finir en beauté, hélas ils n’ont plus la force de faire semblant, l’on n’entend presque plus rien, un tambour  tapoté, une voix un tantinet inaudible, une guitare qui fait du goutte à goutte, pourvu qu’elle ouvre le robinet à fond qu’elle se transforme en cataracte crépitante, qu’elle se métamorphose en déluge électrique, elle nous fait attendre mais enfin c’est parti, ça gronde, ça mord, ça morfle, ça griffe, ça se contorsionne un max, si elle continue elle va enfler comme la grenouille qui veut se faire plus grosse qu’un éléphant… et finir en explosion nucléaire, non ils n’osent pas, ils terminent en infâme gargouillement post-nucléaire.  Grandiose : ils enchaînent sur le final, la guitare sonne un peu comme Ajanjuez mon amour, auquel se mêlent des accoups très acouphèniques du   très Ennio Morricone – peut-être parce que la mort y corne, nous refont au milieu du morceau le coup du silence presque imperceptible, heureusement ils se reprennent, ce coup-ci c’est à la violence tapageuse embrumée de ces rafales de sprays ravageurs de  mélancolie dont le  maître de la musique western vous asperge l’âme qu’ils rendent un ultime hommage. Une dernière image spaghetti.

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             Un disque composite, entre reconstitution historique et parodie, entre doom-doux et influences californiennes évidentes, un difficile équilibre à maintenir, toutefois nos Barons de l’Ouest ne nous servent pas de l’huile de foie de morue indigeste, se tirent plutôt bien de leur mikado stylistique. Si parfois  nous sommes entraînés du côté des théâtres de Broadway, l’ensemble résonne comme un le kaléidoscope soundtrackique d’un film jamais tourné ou dont   il ne resterait hélas que la bande-son, un cliché, deux rushes, peut-être retrouvés par des extraterrestres venus visiter notre planète ravagée par un cataclysme irréversible. Sans doute seront-ils surpris et décideront-ils, après une profonde étude des rares vestiges collectés, qu’il y avait dû autrefois exister et se développer sur ces rochers arides une civilisation incompréhensible mais fort tapageuse. Peu recommandable car trop rock’n’roll, ajouteront-ils.

    Damie Chad.

     

    *

    Franchement je n’ai pas aimé, ni la pochette, ni le nom du groupe, mais comme disait Claude l’habit ne fait pas le Mitchell, par acquis de conscience, peut-être sont-ils grecs ou polonais, mais non même pas, bref ils avaient tout pour que je m’en aille, la vie est trop courte pour s’intéresser à n’importe quoi, un scrupule m’a saisi, j’ai ne sais pourquoi, j’ai daigné, un reste de philanthropie peu habituelle chez moi, écouter trente secondes pour me conforter dans mon peu d’appétence pour cette chose musicale. J’ai coupé le son à la trente et unième seconde, indubitablement ce gente de mixture ne réveillait aucune curiosité  en moi. C’était vrai, la vérité pure. M’en suis allé vaquer à d’autres affaires. A tout hasard je suivais une jolie fille dans la rue lorsque mon cerveau reptilien s’en est venu cogner sa tête contre mon cortex : - Damie tu es sur une mauvaise piste, rebrousse chemin ! J’ai essayé de parlementer, l’infâme reptile  n’en a pas démordu : - Damie, un conseil d’ami, laisse cette fille c’est une déconstruite, écoute-moi je te connais tu tireras une plus grande jouissance de cette viande froide sonore dont tu t’es stupidement détourné, fie-toi à mon jugement, ne suis-je pas un sage conseiller ! J’ai hésité, ce n’est pas que je lui fasse énormément confiance, mais cette satanée bestiole habite depuis si longtemps dans ma boîte crânienne que je suis revenu sur mes pas. Le pire c’est qu’elle avait raison !

    QUITE FRANKLY

    SPACE CADET

    (Bandcamp / Sept. 2025 )

             Si je commençais ma chronique par : très franchement je vais vous causer d’un super-groupe me croiriez-vous ? Ne répondez par : ni oui, ni non. Ne jamais croire, toujours penser ! Surtout qu’entre nous je ne connais même pas un minimum vital de survie sur ce groupe. Mes informations sont maigres : sont des Hongrois de Budapest. Z’ont sorti une démo trois titres en 2018. Ensuite un grand trou, et cet album sept titres. Les indices sont maigres, l’enquête sera longue. La couve de cette démo est assez simple : un cosmonaute. Enfin presque : juste le casque, l’on ne voit pas son visage mais sa pensée, ce qui n’est déjà pas mal. Un petit dessin de cosmonaute debout, sans doute à l’intérieur de lui-même perdu sous la voûte étoilée du cosmos. L’on comprend mieux le titre du premier des trois morceaux ‘’ Mother’’ et l’on pige d’autant mieux qu’ils nous refilent l’intégralité des paroles : Oh Mother Take me home to the black City’’, le deuxième n’est guère significatif : Deux Jeudis. Le troisième est beaucoup plus explicatif  332 années dans l’espace.

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             Je n’étais pas plus avancé, alors j’ai cherché, pas eu besoin d’un tiers de millénaire, en 2024 un film Space Cadet, j’ai regardé le synopsis. Inutile de perdre votre temps un film pour pré-ados pré-idiots. Une jeune fille pas très douée qui passe un concours à la Nasa pour une sortie dans l’espace. Un concours d’heureuses circonstances l’aident à être choisie… je vous rassure malgré un quotient intellectuel pas très élevé elle sera l’héroïne de la mission… Entre parenthèse le début de cette comédie-romance me semble sortir tout droit d’une aventure particulièrement désopilante d’un épisode des aventures de Fantômette de George Chaulet.

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             Une piste plus sérieuse, un roman de Robert A Heinlein sorti en 1948, avec en couverture une superbe fusée interplanétaire Hergé a dû s’en inspirer pour On a marché sur la lune, paru en 1953… Je dis ça, mais ne dites pas que c’est moi qui l’ai dit. Bref une histoire de gamin qui rêve depuis tout petit de faire partie de la patrouille de l’espace. Les enfants ont adoré, l’auteur a composé de nombreuses suites…

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             Certes tout cela est bien beau et se perd un peu partout, au moins savons-nous d’où vient l’expression Space Planet. Me reste plus qu’à entrer dans mon scaphandre céleste et à satisfaire ma curiosité en explorant cet espace planétique inconnu. Je vous préviens on n’est pas là pour rigoler.

             La couve. Nos astronautes sont très fiers de leur couve puisque dans leur court paragraphe d’auto-définition ils déclarent fièrement que tous leurs artworks sont signés par Peter Simor. Me suis rendu sur son site. Premier regard : il se moque du monde. Deuxième coup d’œil : un minimaliste. Troisième vision : pas tout à fait un charlatan ce gazier, en fait chacune de ses illustrations – elles sont comme la matière ponctuée de quelques atomes séparés par de mirobolantes immensités vides – lui c’est le fond de la feuille qu’il laisse vide et parsème de quelques traits, voire de quelques taches, le plus surprenant c’est qu’entre sa réalisation et le thème traité la congruence est parfaite. Nous le définirons comme un minimaliste maximaliste.

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             Revenons à la couve : l’exemple parfait de ce que Peter Simor ne réalise pas d’habitude. Pas un millimètre carré de libre. L’a poussé le vice jusqu’à peindre la pochette du disque d’un marron uniforme de papier d’emballage. La rondelle centrale est pleine comme un œuf. Il n’a même pas pensé à laisser un trou  pour que vous puissiez placer la galette sur votre tourne-disque. Nous retrouvons notre spationaute en train d’explorer une nouvelle planète, ce n’est ni la planète bleue, ni la planète rouge, c’est l’orangée, quelques cactus sur le devant et à l’arrière des ruines que nous qualifierons de médiévales. A moins que ce ne soit notre terre bienaimée après la vitrification nucléaire.

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    Silenus : titre piégeux. Apparemment nous sommes dans l’Antiquité Romaine auprès de Silène, ce Dieu à l’estomac aussi rond qu’un tonneau de vin, joyeux drille ivre du matin au soir, entouré d’un cortège bacchique des plus alcoolisés… oui mais la musique ne correspond en rien à ce tableau de pochards pétris d’ébriété. D’abord est-ce de la musique. Batterie, basse guitare, tout ce qu’il faut pour faire  du rock’n’roll, d’ailleurs c’est bien du rock, même si ça n’y ressemble pas. Tassé et compressé, élagué au maximum, un arbre dont il ne reste que le tronc, une poutre massive sur laquelle rien n’accroche, un pilier qui se suffit à lui-même. Le genre d’objet auquel vous ne pouvez rien retrancher ni ajouter. Etrange ça sonne rock mais ça ressemble à de la musique concrète ou alors à la structure de certains morceaux de Miles Davis, oui mais il aurait laissé sa trompette au vestiaire. L’un d’entre eux chante, il vaudrait mieux qu’il se taise, ce n’est pas que c’est mal chanté, ce sont les paroles, pas de n’importe qui : de Heine, Gérard de Nerval l’a traduit, Heine avait la sagesse caustique : ‘’ Il est préférable pour toi de ne pas naître, de ne pas être, de ne rien être, ou de mourir, le plus tôt possible.’’ Mais ça suffit, encore un adage auquel on ne peut rien enlever ou ôter. A l’image de cette musique. Table : ce deuxième morceau paraît plus lyrique, plus emphatique, le chant sans discontinuer, l’ensemble plus violent. Tout compte fait Heine n’est-il pas un révolté, un romantique, le titre ne reste mystérieux que si vous ne la renversez pas, c’est le démon du nihilisme qui s’exprime ici, un kick out the jam définitif, sans passion, sans  haine ni amour. Un truc qui vous remet au niveau de votre caca, n’est-ce pas Artaud qui disait là où il y a de l’être, il y a de la merde, oui mais là où il y a de la musique qu’y a-t-il ? Altalàban : ce mot signifie ‘’en général’’ en langue hongroise. Se moquent un peu de nous car après les deux premiers morceaux qui sont comme des tables de la loi programmatrice d’une destruction nietzschéenne, des partitions théoriques en quelque sorte, l’on aborde les cas particuliers. Dans celui-ci on aborde les méandres du Moi. Que certains haïssent, mais que Space Cadet ne tient pas en grande estime. Résonnances, étrange un petit côté rock sixties, l’on a l’air de s’amuser, non l’on se moque de soi. Ne pas croire en soi. Ne pas penser en soi non plus, ni à soi encore moins. Morceau méchamment endiablé, que voulez-vous là où il y a du moi c’est comme là où il n’y en pas, il y a de l’émoi. C’est pour cela qu’à la fin du morceau ils cassent à coups de batterie et à grands cris le cœur de ce moi insupportable You say : deuxième cas particulier : après le moi : le moi et le toi. Z’y

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    vont tout  doux, c’est ça l’amour, l’aspect sentimental, en la ferblanterie des réciprocités, tu dis quoi, la même chose que moi parce que je ne vaux pas plus que toi, la mort est au bout du chemin, le chant essaie d’être convaincant et le background s’affole, la mort n’est-elle pas le grand soleil des pleurs, les instruments deviennent ingérables, ils se montent dessus, ils s’engueulent, ils creusent leurs trous, l’on ne devrait jamais se rapprocher, deux trains qui se télescopent, danger de mort souhaité et repoussé car une fois qu’on est mort on ne peut plus désirer mourir. La musique s’emmêle les pieds. Sa manière à elle de ne pas danser. Le train s’enfuit à l’horizon. Banquette vides. Néma Gyakorlat : (Exercices périlleux) : pour brider l’exaltation des moines Ignace De Loyola a composé Les Exercices Spirituels. Hélas notre époque se refuse à ses contritions chrétiennes donc Space Cadet se transforme en coach sportif. Attention inutile de lever dix fois la jambe droite, s’agit avant tout d’une gymnastique mentale. Le Yoga du mécréant si vous préférez. Rythme lent, assouplissements bassiques, S’agit de pénétrer au plus profond de soi pour retrouver la sensation de l’extérieur, communiquer avec le monde avec l’œil du dedans, cela est-il en relation avec nos capacités mémorielles, laissez le vocal méandreux s’insinuer en vous comme le serpent dans la genèse de votre personnalité, la guitare vous partage toute son âme, mais avez-vous encore la vôtre pour lui en offrir la moitié. Interrogation insoutenable. Qui mourra à sa propre solitude verra. Suzie : ce n’est pas tout à fait un slow sixties car la  petite Suzie palpite dans votre cœur, la fois précédente ça n’avait pas marché, mais ce coup-ci le garçon sort les grands mots il y met du cœur, la batterie lui file des coups de pied au cul pour qu’il avance plus vite, la musique se fait caressante, plus besoin de parler, laisse-toi porter par la vague.

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    Ocean : la morale de l’histoire, disons le fin mot de l’histoire, ce coup-ci c’est la musique qui réfléchit, elle dresse le bilan, ne pas se faire d’illusion non plus, le nihilisme même vaincu renaît toujours de ses cendres, les mots sont des puits sans fond, les pensées se défont aussi vite qu’elles se forment, la musique joue au tortillard, elle se moque de toi, elle emprunte son train de sénateur, elle s’attarde, elle se désagrège, elle repart à cloche-pied, style rien ne m’arrêtera jamais, car subsiste au fond de toi ton égo, il est plus fort que ton désespoir, méfie-toi les wagons s’emboutissent l’un dans l’autre, crois-tu que cela suffira pour que je m’arrête, non, eh bien regarde je m’arrête et je repars, encore plus vite et je ralentis, n’aie pas peur je te soufflerai dans l’oreille ce que j’ai à te dire, le grand secret, la guitare serpentine se lance dans des arabesques orientalisantes, faut bien s’amuser si l’on ne veut pas mourir, écoute-moi bien : l’égo n’est que l’autre nom du nihilisme. Multitude de points finaux, puisque le mouvement ne s’arrêtera jamais. Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum, Ploum ! Ouf, soufflez, respirez !

    De sacrés musicos ! Savent jouer et penser !

    Ça ressemble à un concerto rock’n’roll. Le premier de son espèce.

    Des novateurs !

    Damie Chad.