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  • CHRONIQUES DE POURPRE 433 : KR'TNT ! 433 : GINGER BAKER / WAYNE KRAMER / WEIRD BRAINZ / TIGERLEECH / MISSILES OF OCTOBER / CRITTERS / VOLK / LONG CHRIS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 433

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    10 / 10 / 2019

     

    GINGER BAKER / WAYNE KRAMER

    WEIRD BRAINZ / TIGERLEECH

    MISSILES OF OCTOBER / CRITTERS

    VOLK / LONG CHRIS

     

    Stup Baker - Part Two

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    Adieu Ginger Baker. Content d’avoir fait tout ce bout de chemin avec toi. Merci pour Cream et tous les autres grands disques. Merci pour la démesure et les drogues, pour le panache et les ruades. Qui est mieux placée que Nettie Baker pour lui rendre hommage ? Personne. Elle vient justement de consacrer un recueil de souvenirs à son père : Tales Of A Rock Star’s Daughter. Avec ce titre, on sait où on met les pied. L’ouvrage tombe à pic.

    Pour Nettie, c’est facile d’écrire un livre. Son père a défrayé la chronique pendant cinquante ans. Dans un Part One, on chantait les louanges de Ginger Baker, ce crazy cat auréolé de cheveux rouges. C’est à présent le tour de sa fille d’ajouter un chapitre à la geste du preux prince des batteurs junkoïdes britanniques, une lignée qui remonte à Phil Seaman, jazzman amateur de rythmes africains.

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    Mais cette chipie de Nettie aurait tendance à profiter du renom de son père pour parler d’elle et de ses aventures adolescentes. Si on attend de ce livre qu’il fourmille de détails sur la vie quotidienne de Ginger Baker, il faut le remettre tout de suite à sa place dans l’étagère du libraire. Nettie n’évoque son père que de temps en temps, juste pour nous rappeler qu’il est réellement le crazy hellraiser que l’on sait.

    Elle écrit dans un style très enroulé, très commère du quartier, assez franc du collier, une sorte de faconde teintée de ce brillant humour trash qui ne peut être que génétique. Comme tous les ados qui grandissent dans des milieux musicaux, elle se forge sa propre identité musicale. Elle va plus sur Elton John que sur Cream, qui pour elle est le son de ses parents. Elle ramène par exemple chez elle des albums de Neil Young. Son père qui entend ça dit que poor Neil Young sound pathetic and weedy, une formulation qu’on pourrait traduire par ‘branleur pathétique’. C’est vrai que c’est l’époque chèvre de Neil Young et Ginger avait d’autres chats à fouetter. Quand Nettie a des problèmes à l’école, Dad vient trouver la Headmistress pour la traiter de frustrated old lesbian. Nettie livre tout de même quelques anecdotes assez croustillantes, comme ce retour au bercail après une party un peu trop alcoolisée : en arrivant, Dad encastre sa Jensen dans la Range Rover garée devant la maison. Il ne fait jamais les choses à moitié. Il bousille deux bagnoles d’un coup. En réalité, Ginger Baker possède deux Jensen, il adore bombarder sur la route, flashing along at high speed. Il passe son temps à doubler ce qu’il appelle the ‘worms’, c’est-à-dire les files de bagnoles qui n’avancent pas. Nettie adore tout ce qu’adore son père : la vitesse, la boisson et le chaos.

    Pendant des vacances au Maroc en 1970, un riche marchand de Marrakech caresse les cheveux de Nettie et propose 600 chameaux à Ginger pour l’épouser, mais le batteur de Cream répond que ce n’est pas possible, car son jardin n’est pas assez grand pour contenir 600 chameaux. Par contre, il aurait certainement accepté 600 chevaux, car c’est avec sa passion pour le polo qu’il va ruiner la famille Baker. Et quand plus tard, Nettie vit avec un mec qu’elle appelle the Bell (la cloche), et qu’elle hésite à s’inscrire à l’aide publique (the dole), son père se met en pétard : «J’ai payé plus d’impôts que la plupart des gens en payent dans toute une vie, alors inscris-toi et récupère une partie de ce blé !»

    Ado, Nettie traîne dans un pub appelé The Towers of Flanagans. Elle s’amourache d’un nommé Johnny Gale qui porte du kohl autour des yeux, ce qui, à l’époque est encore extrêmement osé. C’est la finesse de certaines observations qui peut rendre ce récit passionnant. Nettie explique qu’on commence à voir des gens maquillés à Top of the Pops, the Sweet, en l’occurrence, mais c’est la télé. Dans la rue, c’est très perturbant. Elle parle d’un disturbingly androgynous effect. Elle cite aussi Roy Wood, Bowie et Marc Bolan, bien sûr, mais elle explique que ces maquillages les faisaient rire, elle ses copines, ‘nerveusement’. Elle cite aussi Rob Davis de Mud qui portait des boules de sapin de Noël accrochées aux oreilles. Pourquoi elle ses copines riaient-elles nerveusement ? Tout bêtement parce qu’elle ne comprenaient ce que cet androgynous effect pouvait signifier.

    Elle évoque aussi certaines de ces grandes fêtes auxquelles sa famille était conviée, notamment chez Clapton qui vivait alors avec l’ex de George Harrison, Pattie Boyd. Parmi les invités se trouvaient aussi Harrison et sa girlfriend, mais encore d’autres gens comme Elton John, Paul McCartney, Jeff Beck, Ringo Starr. Elle voit Jagger et le trouve sexy. Elle boit du Bacardi and coke. Ses parents la laissent tranquille. Elle a le droit de picoler tout ce qu’elle veut. Elle voit aussi la dope circuler, mais elle précise que c’est toujours in a clean and moneyed environment, quasiment au grand jour. Privilège aristocratique.

    Elle en déduit toutefois que la sainte trinité dope/infidélité/problèmes financiers a fini par avoir la peau du mariage de ses parents. Elle sait que son père prend de l’héro depuis qu’elle est née, mais c’est à l’adolescence qu’elle peut mesurer les dégâts que la dope opèrent sur Dad. Il l’emmène souvent manger au restau et il lui arrive de s’écrouler la gueule dans son assiette - He had nodded off into his soup and this was the very least embarrassing if nothing else - Elle trouve la situation ‘pour le moins’ embarrassante. Nettie raconte aussi que son père a toujours eu des poules à droite et à gauche, mais elle n’y voyait rien de mal. Ce qui n’était pas le cas de sa mère. Nettie a toujours vu ses parents se battre, s’envoyer des coups dans la gueule, avec une violence terrible. Un jour, elle voit son père sortir du sac sa tenue de polo et sur toute la hauteur du pantalon blanc est écrit le mot ‘CUNT’, c’est-à-dire gros con. Un jour, alors qu’ils sont tous les trois - le père, la mère et la fille - à bord de la silver Jensen en route pour une party, ils tombent en panne. Sa mère commence à gueuler : «Cette bagnole, c’est n’importe quoi ! Tu savais bien qu’elle déconnait !» et Ginger lui répond : «Shut the fuck up - Ferme ta gueule, you silly old bag or I’m going to kill you !»

    Les parents finissent par divorcer. Ginger Baker quitte sa femme et ses enfants pour vivre avec une gonzesse âgée de vingt ans que Nettie appelle ‘Number Two’. Nettie a un petit frère et une petite sœur et bien sûr leur mère interdit formellement à Ginger et à Number Two de les approcher. Mais Nettie les amène en cachette à son père, jusqu’au moment où sa mère l’apprend. Alors elle devient folle, débarque chez Ginger et saute sur Number Two pour l’étrangler. Ginger la décroche du cou de Number Two et la frappe. Résultat : deux côtes cassées. Quand Nettie appelle la police pour demander du secours, le flicard lui répond : «We don’t deal with domestics.»

    Comme une grande majorité d’ados britanniques, Nettie flirte avec les drogues. Elle en parle plutôt bien, avec une sorte de petite gouaille charmante. Dans une party, on lui tend une bouteille d’Amyl Nitrate. «Snif it hard», lui dit-on. Elle sniffe hard and my head flew off into outer space and I nearly had a heart attack (sa tête s’envole dans l’espace et elle frise la crise cardiaque). Plan classique. Ça amuse beaucoup ses copains. Un jour, Ginger récupère some extremely strong Nigerian grass, une herbe nigérienne particulièrement forte et Number Two en fait des cookies. Au bout de dix minutes, toute la famille devient complètement cinglée - We all became gigling maniacs after about ten minutes - Ginger sent qu’il faut calmer le jeu et il s’installe avec Number Two à Denham. L’idée est de s’éloigner un peu du circuit londonien des drogues. Ils font le choix d’un mode de vie au calme. Ginger débarque un jour dans la ferme voisine pour acheter des œufs et il tombe sur un hippie, qui est le fils du fermier : «Hello Ginger, fancy a toot ?» Il faut savoir qu’un toot est un snort d’héro. En fait, Ginger est tombé par inadvertance sur le plus gros trafiquant local d’héro - a veritable hive of smack heads.

    Dad finit par quitter l’Angleterre pour s’installer en Italie avec Number Two. Trop de problèmes, notamment avec le service des impôts britannique. Ginger Baker est ruiné. Il se fâche avec tout le monde, y compris Nettie qui reçoit une lettre contenant une pièce de cinq Lires, lettre dans laquelle il lui annonce qu’il la déshérite et qu’elle ferait mieux de retourner sous la pierre d’où elle est sortie. Ginger va ignorer sa fille pendant une éternité, ce qui, nous dit Nettie, lui permet de souffler un peu.

    Signé : Cazengler, Ginger Barquette

    Ginger Baker. Disparu le 6 octobre 2019

    Nettie Baker. Tales Of A Rock Star’s Daughter. Wymer Publishing 2018

     

    Kramer tune - Part Two

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    N’allez pas croire qu’après nous avoir servi la fulgurante triplette d’albums du MC5, Brother Wayne allait baisser les bras. Oh que non ! Très exactement vingt ans après High Time, il allait revenir aux affaires, soutenu par Mick Farren et Don Was, avec un album étonnant intitulé Death Tongue.

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    Il y tape une cover de «McArthur Park» digne de Syd Barrett et riffée à la Steve Jones. Il va chercher le recipe alors que le Park is melting in the dark et quand il explose ses again, ça devient très spectaculaire. Il en fait une version littéralement punkoïde et son génie se déploie lorsqu’il part en solo et que s’ouvrent les portes de l’enfer. Cette barbarie suprême en rappelle une autre, celle des Saints qui envoyèrent «River Deep Mountain High» rouler par mots et par vaux. Pendant ces quelques minutes, Brother Wayne redevient le roi du monde. Dans le morceau titre, Mick Farren ramone l’ambiance à coups de strange sensations in the danger zone et avec «Leather Skull» Brother Wayne donne sa version metallic KO du funk-rock. Il cherche des voies impénétrables pendant qu’une fille duette avec lui. Par contre, «Take Your Clothes Off» sonne comme de la pop de juke, mais avec beaucoup de swagger et des excavations de son qui évoquent le Spector Sound. S’il joue «Spike Heels», c’est à l’alerte rouge. Brother Wayne fouette sa crème au beurre dans le cake de Don Was.

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    Avec The Hard Stuff, Brother Wayne entre dans sa grosse période Epitaph, qu’on peut qualifier de Renaissance et même de temps des Lumières. Au moins quatre énormités là-dedans, à commencer par «Crack In The Universe». Le génie électrique de Brother Wayne s’y exprime dès les premières mesures. Non seulement il riffe comme un bâtisseur d’empire, mais il glisse en plus des tortillettes dignes de Michel-Ange. Il allie le muscle à l’ingéniosité. Aplomb d’acier. Voilà le véritable hit de the universe. Les coups d’harmo pleuvent sur le refrain. On le voit même prendre un solo de crabe à reculons. Il devient spécifique, il ne semble vivre que pour l’exaction. Suite du festin avec «Bad Seed», joué au pur maximalisme. Brother Wayne ne mégote pas sur la marchandise. Tu en as pour ton argent. Il devient même le riffeur le plus rapide de l’Ouest, il file comme l’éclair, descend des pentes vertigineuses et glisse un solo en douce sous le tapis, histoire de foutre le feu à la baraque. Le diable qui joue de la basse s’appelle Bradbury. Troisième coup de Jarnac avec «Realm Of Pirate Kings», pas loin d’All Along The Watchtower. Brother Wayne gratte ça aux mêmes accords et part en solax furax. Il chante sa soif de liberté et charge la barque à outrance. La quatrième raison de se réjouir s’appelle «Edge Of The Switchblade», un cut enflammé amené au riff de Motor City. C’est encore du grand Kramer, ses riffs rebondissent, c’est battu hard stuff. Son solo dégouline de mauvais jus. Il glougloute, il fait la pluie et le beau temps. Ce mec offre une sorte de spectacle, rien qu’en jouant. Il faut aussi l’entendre partir en solo dans «Pillar And Fire». Il est né pour ça. Il noie tout dans le son et s’y fore des passages. Encore de l’ultra-joué avec «Sharkskin Suit», descendu au riff malsain et battu sans remords. On a parfois l’impression qu’il joue tous les riffs du monde. Il tape «Poison» au heavy blues rock de Motor City. C’est tellement solide que ça rend les mots inutiles. Et cet enfoiré part en vrille à la première occasion. Si on aime la guitare électrique, c’est là que ça se passe.

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    Nouveau shoot de Detroit rock dans Dangerous Madness, et ce, dès le morceau titre. Brock Avery bat ça sec. Dès qu’il peut, Brother Wayne repart en vrille opiniâtre et lance des ponts somptueux. Tout aussi explosif, voilà un «Take Exit 97» qui gicle littéralement, c’est dégueulasse, tellement sexuel et pulsif as hell. Il passe d’un style à l’autre avec une aisance déconcertante, car après le heavy wah-wah riffing d’«It’s Never Enough», il part à l’aventure avec «Threats Of Illusion», mais au maximalus cubitus, rapide comme un requin blanc. Le hit de l’album s’appelle «Something Broken In The Promised Land», un balladif politique dans lequel Brother Wayne règle ses comptes avec le rêve américain - And Chuck Berry lied about the promised land - Il ramène pour l’occasion des chœurs explosifs.

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    Si on apprécie les coups de génie kramériens, alors il faut écouter Citizen Wayne. On en trouve trois, à commencer par «Stranger In The House». Brother Wayne attaque ça au pilon des forges. C’est révélateur d’un certain état d’esprit. Il profite de l’occasion pour nous rappeler qu’il est l’un des rois de la wah. Le deuxième s’appelle «Down On The Ground». Pur jus de MC5. Brother Wayne peut encore exploser le fion du rock quand il veut, il sort des tortillettes qui ravalent la façade des annales - I play my guitar/ And the beat comes down/ On a beautiful cosmic siren sound/ No one’s laughing there is no joy/ Down here on the ground - Il fait aussi du rap blanc dans «Back When Dogs Could Talk» et du funk avec «Dope For Democracy». Il tente de conjurer les sorts et joue à la circonvolution. En l’écoutant, on a l’impression de vivre un moment historique. Autre hit pharaonique : «Snatched Defeat». Brother Wayne raconte l’épouvantable débâcle de Gang War - While I was looking for life/ Trouble was looking for me - Il fait équipe avec Captain Jolly, Milky and Junkie the laughing clown. Et soudain, éclate l’un des plus beaux refrains de l’histoire du rock - We snatched defreat from the jaws of victory/ With holes in our arms for the whole wide world to see/ And the scandals would never end/ As the candle was burning at both ends - Huitième merveille du monde, car vécu jusqu’à la dernière goutte de son. Il raconte l’épisode du vol de la caisse du club où Gang War devait jouer et comme il était en liberté surveillée, il ne pouvait pas se permettre de repasser devant un juge pour vol - The last thing I needed/ Was a petty thieving case/ My whole life flashed before my eyes/ As I tried to flee that place. Sans doute est-ce là le cut qu’il faut retenir de la période solo du grand Wayne Kramer. Au moins aussi mythique que «Motor City’s Burning».

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    L’album live LLMF paraît en 1998 et rassemble tous les gros hits des trois premiers albums, avec bien sûr, «Kick Out The Jams» en guise de cerise sur le gâteau. Live, des cuts comme «Bad Seed» ou «Crack Of The Universe» arrachent les chambranles. Brother Wayne multiplie les prouesses et part volontiers en solo. Dans cette orgie de riffs, on trinque à la santé de Sénèque. Très belle version de «Something Broken In The Promised Land». Brother Wyane gratte son pathos miraculeux aux accords rougeoyants. Il joue avec aménité, en vrai petit soldat du rock. Il cocote et il chatoie. Mais comment fait-il pour chatoyer autant ? On se posera encore la question dans deux mille ans. Il part en solo smooth et la transition se fait en douceur - And the shit is real here/ In the promised land/ And Chuck Berry lied ‘bout the promised land - Il chatoie jusqu’au bout des ongles. Il multiplie les retours de manivelle dans «Down On The Ground» et se montre encore plus démonstratif dans «Poison». Il descend les escaliers en roulant. Il se prend pour une boule de feu. Mais c’est bien sûr avec Kick Out qu’il bat tous les records d’explosivité. Il sort une version encore plus explosive qu’au temps béni du Grande Ballroom, comme si c’était possible. Cette façon qu’il a d’attraper le train au vol !

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    Invité à venir jouer à Londres en 1979 par Mick Farren, Brother Wayne donne un concert devenu légendaire au Dingwalls. Les Pink Fairies l’accompagnent, et on peut entendre tout ça sur l’A de Cocaine Blues, paru en l’an 2000. Deux versions sautent à la gueule, le «Heavy Music» de Bob Seger et bien sûr l’inévitable «Kick Out The Jams». Brother Wayne fout littéralement le feu à Bob. Entre Detroiters, c’est de bonne guerre, pas vrai ? Cette façon qu’il a d’enflammer le son est unique au monde - Down there/ We don’t talk/ We do the camel walk - Et son Kick Out est au moins aussi inflammatoire que l’original enregistré au Grande Ballroom. Brother Wayne le passe à la moulinette imputrescible, le riff sonne comme le souffle d’un gigantesque incendie et le départ en solo bat tous les records olympiques. En B se trouvent des démos de type «The Harder They Come» ou «Do You Love Me». Ça se termine avec le fameux «Ramblin’ Rose» qu’il prend à la hurlette exacerbée - Diamond rings & a Cadillac car - Puis Brother Wayne s’en va glou-glouter goulûment - I wanna fuck you darling - On trouve quelques cuts en plus sur le Live At Dingwalls 1979 paru la même année, comme cette belle reprise de «Some Kind Of Wonderful» de Goffin & King : accouplement parfait entre the London Underground & the Detroit Scene. Très bel hommage à Chickah Chuck avec «Back In The USA» et pour finir, Brother Wayne déclare : «I used to play in a band called the MC5.» Looking at you babe ! Pure démence ! On est au sommet du rock blanc. Il joue son solo légendaire - Doin’ alrite/ Doin’ alrite - et il part à la chasse. Il n’existe rien de plus mythique que cette version jouée à la vie à la mort- And remember, my name is Peter Frampton, and I will be back !

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    Fin de l’épisode Epitaph. Brother Wayne enregistre désormais sur son label MuscleTone et Adult World parait en 2002. Il maintient sa tradition de cuts très écrits avec l’excellent «Great Big Amp» qui en fait est une bombe atomique - I got a great big amp/ It’s got a great big sound - Avec son gros ampli, il rêve de ruler the world et de winner the girls - With my great big amp/ I will liquify/ And I will melt away/ And I will touch the sky/ I’ll be free at last/ I will rise above/ I will know the peace/ And find eternal love/ With my great big amp - Il atteint le cœur du mythe rock, l’ange déchu renaît dans la lumière, il a tout le son du monde, I’ll be alone, ça sonne comme la voix de Dieu. C’est un hit incommensurable, l’un des plus spectaculaires de l’histoire du rock, tous mots bien pesés. Avec «The Red Arrow», Brother Wayne devient fou. Il rend hommage à Red Rodney, un trompettiste de jazz qu’il a rencontré pendant qu’il était au trou à Lexington. C’est explosé d’intro. Il nous fait le coup du couplet calme, the red arrow could play anything, avant de basculer dans la folie kramerienne. L’explosion échappe à l’entendement. Brother Wayne est l’un des seuls à pouvoir générer un tel chaos - The Red Arrow’s blowing be-bop from New York to LA - et ça explose, mais il ne s’agit pas de n’importe quelle explosion, c’est un phénomène sous-cutané d’excellence mortifico-hendrixienne. Il va loin au-delà des frontières du réel. Wayne Kramer a du génie et le déluge de son continue jusqu’à la fin, et là, tu n’as plus que tes yeux pour pleurer - And to me he was a father/ A giant of a man - Quel hommage ! On a aussi du pur jus d’Hellacopters avec «Talkin’ Outta School» et du talking jive avec «Nelson Algreen Stepped By». Brother Wayne en profite pour passer au groove de jazz, solide mélange d’accords secrets et de rap de Detroit. Il renoue avec les énergies ancestrales, Dizzy Gillespie, Down here on the ground et il rend hommage au Castor - She’s a whore/ She’s not Simone de Beauvoir - Tout est extrêmement inspiré sur cet album inespéré. L’un des sommets du rock américain.

    On voyait assez régulièrement Wayne Kramer à une époque à Paris. En 2004, il proposait une espèce de reformation du MC5, le DTK MC5, à l’Élysée Montmartre : les survivors Michael Davis et Dennis Thompson l’accompagnaient, avec en plus Mark Arm au chant et Lisa Kekaula en renfort.

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    En novembre dernier, il revenait avec une autre équipe pour fêter les 50 ans de cet album qui a marqué tellement de gens, Kick Out The Jams, enregistré live en 1968 au Grande Ballroom de Detroit. On pourrait reprocher à Brother Wayne de vouloir encore monter sur scène après avoir passé l’âge. Soixante-dix balais, c’est un peu limite, non ? Seulement, Wayne Kramer sort vraiment de l’ordinaire. Il ne fait pas ses soixante-dix balais. Dans son cas, on peut dire que le rock et la dope conservent bien. C’est même un bonheur que de le voir sautiller sur scène. En claquant simplement un accord, il balaye toutes les critiques. Rien qu’en apparaissant, il affirme sa légitimité. Il est tout bêtement entré dans la légende et on est vraiment content qu’il soit encore en vie et qu’il vienne pousser sa vieille hurlette de «Ramblin’ Rose», même si sa voix a muté. Alors bien sûr, le son du groupe qui l’accompagne peut poser un problème. La section rythmique sonne un peu hardcore, ces deux mecs viennent d’une autre scène (Fugazi et Faith No More) et le mec qui remplace Fred Sonic Smith sort de Soundgarden. Ce n’est pas la même chose. L’ancrage dans le son du MC5 va se faire via l’afro de Marcus Durant qui fut on s’en souvient l’excellent frontman de Zen Guerilla, l’un des fleurons du revival garage des années quatre-vingt dix. Pour fêter dignement cet anniversaire,

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    Brother Wayne entreprend de jouer sur scène l’intégralité de l’album paru en 1969, et comme c’est un peu court, il complète avec des petits blasters tirés des deux albums suivants, du style «Call Me Animal» et «Looking At You». Inutile de dire qu’on en a pour son argent. Même si on connaît tout ça par cœur, l’émotion se fond dans l’osmose de la comatose. On a pu remarquer au fil des ans que le petit jeu des reformations ressemble à une loterie. Celle des Pistols nous fit bien rigoler, celle des Stooges en fit bander plus d’un et celle du MC5 méritait bien son coup de chapeau, encore fallait-il en porter un.

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    Grâce au recul que donne le privilège d’avoir découvert le MC5 en 1969, l’apparition de Wayne Kramer sur scène provoque un sentiment étrange. Disons qu’on voit se tourner une page d’histoire. Pas n’importe quelle histoire, celle d’un certain rock. En 1969, Wayne Kramer annonçait l’avènement d’un son apocalyptique qu’on allait surnommer le Detroit Sound. Il en fête à présent les 50 ans et l’intronise, en quelque sorte, dans une espèce de Hall of Flammes illusoire. Tout se déroule dans sa tête et dans la nôtre. On espère seulement qu’il réussira à mourir sur scène comme le fit son meilleur ami, Mick Farren. Tout ça sent bon la fin des haricots et ce sont des haricots qui sentent bon.

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    Signé : Cazengler, Wayne Kramerde

    MC50. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 14 novembre 2018

    Wayne Kramer. Death Tongue. Progressive International 1991

    Wayne Kramer. The Hard Stuff. Epitaph 1995

    Wayne Kramer. Dangerous Madness. Epitaph 1996

    Wayne Kramer. Citizen Wayne. Epitaph 1997

    Wayne Kramer. LLMF. Epitaph 1998

    Wayne Kramer & The Pink Fairies. Cocaine Blues. Captain Trip Records 2000

    Wayne Kramer. Live At Dingwalls 1979. Captain Trip Records 2000

    Wayne Kramer. Adult World. MuscleTone Records 2002

    O4 / 10 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    WEIRD BRAINZ / TIGERLLECH

     

    L'on raconte que les filles ont parfois, vers deux heures du matin, des envies subites de fraises. On les excuse, parce qu'elles sont alors en des états que l'on dits intéressants. Moi ça m'a pris à 17 heures trente, dans une situation aussi innocente, je le jure, que la Sainte Vierge avant que le Saint-Esprit ne s'introduisît en elle. Non je n'ai eu envie ni de tagadas, ni de naturels tubercules roses estampillés bio, normal je suis un mec, me faut des émotions plus fortes, la dégustation des fragaria je laisse cela aux gamines, non simplement le subit et subtil besoin viril de caresser un tigre. Au zoo de Vincennes, ils ont décrété que j'étais toqué, c'est alors que je me suis souvenu que justement à la Comedia passait Tigerleech, je n'ignore pas que cela signifie la sangsue du tigre, mais j'ai pensé que la sangsue du tigre devait se trouver normalement sur le tigre.

    Arrivé à la Comedia, j'ai eu comme un doute, certes le tigre et sa sangsue étaient en train de faire leur balance, mais ce que j'entendais n'avait rien à voir avec la marche souple et féline du tigre royal du Bengale, capable de se couler au travers d'une forêt de bambous aussi serrés qu'un plant de persil, sans faire bouger une seule feuille. J'avais imaginé une musique svelte et légère, un peu folâtre comme le générique de la pink panther, mais non là, j'avais l'impression d'un lourd troupeau d'éléphants piétinants les récoltes du village d'indigènes promis à une future famine. Caresser le tigre serait-il une tâche moins facile que je ne le supposasse ? Je me suis promis d'attendre sagement leur set avant de réaliser mon projet et en attendant me suis préparé à écouter Weird Brainz.

    WEIRD BRAINZ

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    Sont jeunes et pleins d'avenir. Sofiane Omari, un garçon qui porte, sous ses cheveux en coupe afro-dreads, un T-shirt sur lequel Johnny Cash tend à nos figures de trous du cul son énorme doigt d'honneur, ne peut pas être entièrement mauvais, il nous en administre tout de suite la preuve en caressant sauvagement sa guitare sur l'ampli pour trois minutes de tonitruances bienvenues, il est évident que Weird Brainz entend livrer nos tristes méninges à un traitement de faveur, rien de tel qu'un bon électrochoc pour vous remettre les idées à l'envers, sans doute le meilleur moyen de porter un regard osmosique en accord avec notre monde avarié. Nous pouvons immédiatement apporter la preuve de ce dérèglement, ce soir Weird Brainz devait nous offrir tout chaud, tout brûlant, son premier EP, hélas les délais de livraison ne l'ont pas permis. Dommage, ce n'est que realease party remise, et en lot de consolation nous avons le groupe en chair bruiteuse et en os grondants devant nous. Léo, un air furieusement appliqué, penché sur sa batterie tel un élève sur sa version latine – n'a rejoint ce poste que depuis quatre jours - jette toute sa hargne sur la batterie qu'il maltraite fort joliment.

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    A la basse officie Martin Musy, un grand gars, un faux-calme, genre de guy à la mine innocente qui vous jette un bidon d'essence sur le camion des pompiers en train de tenter d'éteindre un incendie de forêt dévastateur qu'il a précédemment allumé. Pour compléter le tableau, nous rajouterons que Sofiane possède une belle voix, avec ce grain granuleux qui fait toute la différence, et qui vous gratouille agréablement le cortex. L'en profite pour nous interpeller Hey You, et nous intimer l'ordre de nous remuer, Jerk Yourself.

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    Rien de tel que la jeunesse pour vous filer un coup de pied sur votre auguste le postérieur. Sofiane ne ménage ni sa peine ni sa guitare. La pauvre enfant en a les plats-bords tout écorchés, pas besoin de vous faire un dessin, la jette violemment sur l'ampli, l'envoie par terre, où il la laisse vagir désespérément tel une baleine bistre échouée sur une plage inhospitalière, tourne les boutons de ses delays avec une minutie sadique la reprend pour vous écorcher de quelques riffs ninjas qu'à l'instant Martin soutient sans faille et le long manche de sa basse dépasse de la scène comme l'encolure de ces chevaux qui tentent de s'enfuir du camion qui les conduit à l'abattoir. Sur ce Léo se voûte sur les drums pour les taper encore plus fort, manière d'emmener sa quote-part au tumulte ambiant. Vous pouvez respirer entre les morceaux, car Sofiane se doit de réaccorder son instrument à chaque fois, avec cette sollicitude d'un père de famille qui offre un carambar à son enfant qu'il vient de défenestrer du troisième étage pour lui apprendre que la vie n'est pas facile et qu'il faut s'endurcir. Puis il nous fait le coup, qui marche toujours, de l'annonce du slow, immédiatement suivi d'une avalanche sonore sans précédent. Guilty, Diprozone, Energizer, Bloody Molly déboulent et se ressemblent à la manière de ces taureaux furieux qui lâchés dans l'arène vous encornent fort salement les toreros sur les planches et vous les laissent palpitants dans leur habit de lumière éteinte à la manière de ces papillons épinglés sur leur planchette qui agitent spasmodiquement une dernière fois leurs ailes diaprées de souffrance et de mort. Le pire c'est que le public de la Comedia apprécie hautement ces outrances sonores.

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    Des connaisseurs enthousiastes qui jerkent sans rémission et se tamponnent allègrement, se livrant à un brainztorming des plus jubilatoires. Finissent par deux coups d'éclats un Ghost Town à vous faire frémir d'horreur et un kicked out apocalyptique où la guitare de Sofiane abandonnée à son triste sort agonise sans fin sur les lattes de la scène, l'est sûr que ces jeunes gens ont toutes les qualités requises pour dans les années qui viennent alimenter notre provision de cauchemar tentaculaires.

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    TIGERLEECH

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    Le tigre nous a sautés dessus dès la première seconde, personne n'a eu le temps de tenter de le caresser, l'a commencé par nous balafrer d'une méchante escarre à l'image de l'écriture escarpée de son nom, puis il a déchiré notre cervelle en petits morceaux et les a jetés dans la poubelle comme de vulgaires confettis. Des sauvages. Sont comme les quatre pattes du tigre, il n'y en pas une qui puisse sortir ses griffes, toute seule dans son coin. Sont salement coordonnées. Toutes ensemble. Tâchons toutefois d'y voir un peu plus clair. Vous entrent sans férir dans le lard et c'est difficile de distinguer qui fait quoi. Commençons par Sheby, il est au chant, enfin plutôt aux chiens, la meute entière, avez-vous déjà entendu une cinquantaine de hound dogs sur les jarrets d'un pauvre cerf, certes c'est cruel, mais quelle musique délicieuse, vous êtes dans une quadriphonie de jappements infinie, aucun sorcier du son n'est parvenu à traduire cette onctuosité de cruauté ensauvagée dans aucun de leurs enregistrements, et ça n'en finit pas jusqu'à la fin, Sheby l'est comme cela, une voix féroce, le gars vous attrape le vocal et y plante ses crocs dedans, n'en démordra plus, on ne l'arrête plus. L'a toujours un grondement de fin du monde à ajouter, tire sur ses cordes vocales comme sur les chaînes d'un puits sans fond, ramenant à chaque traction un seau d'or liquide en fusion qu'il vous crache à la gueule sans plus de façon.

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    L'a une excuse. Derrière lui Olivier est partie pour une chevauchée fantastique sur sa batterie. Le même fonctionnement de base, 1 : je tape sans arrêt, 2 : je n'arrête jamais, de la folie brute, les bras qui tournent en ailes de moulins affrontés à une tornade. Don Quichotte peut aller se rhabiller, ici les géants sont les branches d'Olivier.

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    Cabor est à la basse. La confond certainement avec un baril de pétrole, l'en extrait une espèce de matière noire, une gluance noirâtre sans nom qui s'infiltre partout, à la vitesse de la marée du Mont Saint Michel, inutile de courir, elle vous submerge et vous oléagine en moins de deux, flexible comme un mamba noir, et tordue comme des pattes de mygales empoisonnées. Faite attention ça rampe par terre et puis ça vous ligote sans que vous ayez eu le temps de crier.

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    Vous étiez trop occupés à vous régaler des riffs nitroglycérites de Fabien. Fabien fait mal. L'a la guitare qui grogne et fuzze, vous creuse des galeries dans le magma granitique vomi par ses camarades, l'est la taupe dinosaure qui remonte à la surface de la terre pour procéder à l'extinction finale de sa propre espèce.

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    Ce qu'il y a de terrible avec Tigerleech, c'est qu'ils font pour ainsi dire leurs coups en douce. Pas un pour jouer plus fort que l'autre, mais vous êtes emportés dans un torrent sonologique dragonesque. Une machine à tuer. Un moteur d'une puissance prodigieuse, pas une ratée, pas un temps mort, pas une reprise asthmatique, pas un seul cafouillement malencontreux, un bulldozer lancé à toute vitesse qui vous aplanit les pus gros rochers avec la même facilité que l'éponge que vous passez sur la nappe cirée pour retirer les miettes. Vous alignent les titres comme des ogives nucléaires, et vous les font exploser à l'intérieur In my vein, Sexe dur, Burn Inside, ou au dehors Sandstorm, Acid Gang, Decline, vous font vivre une Experience que vous n'oublierez pas. Stoner hardcore, qu'ils disent, s'ils veulent pourquoi pas, ce qui est important c'est cet étrange délire collectif qu'ils sécrètent et qui s'empare de vous, vous enferme dans une bulle qui possède une dimension quasi-mystique par laquelle ils vous hypnotisent pour que vous puissiez libérer vos refoulement culturels et venir avec eux dans une Jungle Punk en folie jodorowskienne. Je préfère ne pas vous décrire l'état de l'assistance, en transe décalquée d'elle-même. Lorsqu'ils ont fini, l'on redemande une petite faveur. Nous font deux minutes un truc rapide, une queue de comète et puis arrêtent tout. Ils ont raison, ils ont déjà tout donné et l'on a déjà tout pris. Ils sont le tigre et nous la sangsue.

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    Damie Chad.

    ( Photos : Mélisa Benarda  : on FB  : Shoots and Drafts  + FB des artistes )

    O4 / 10 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    MISSILES OF OCTOBER / CRITTERS

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    C'est bête mais l'on retourne toujours à la Comedia dès que l''envie vous prend d'écouter de la musique un peu sauvage. Et puis nous qui avons tant aimé The December's Children des Rolling Stones pourquoi ne pas essayer, puisque moi j'aime l'émoi des mois, les Missiles of October, un nom qui équivaut à une douce promesse de menace, et de toutes les manière après il y a les Critters, donc fouette Teuf Teuf et c'est reparti, car contrairement à ce que conseille les Evangiles, à la bonne herbe les rockers préfèrent l'ivresse de l'ivraie givrée.

    WHO'll STOP THE RAIN

    Je ne sais pas si vous l'avez remarqué mais depuis quelques temps il pleut de plus en plus de missiles sur notre terre. Je ne parle pas ici des scuds que sont les disques de Missiles of October, mais des vrais qui s'abattent en rafales sur des pays pas très éloignés du nôtre, de l'autre côté de la Méditerranée en Syrie, par exemple. Les mauvais esprits n'en finissent pas de maugréer, Premièrement affirment-ils ces bestioles ont la mauvaise habitude de viser principalement les civils, les enfants, les hôpitaux. Quelle terrible malchance ! Deuxièmement, vu le prix exorbitant de ces engins l'on pourrait à leur place construire des dispensaires, des écoles, des universités et des Comedia un peu partout pour que les gens vivent mieux. Dans les années soixante, nos glorieuses sixties, le rock s'élevait bruyamment contre la guerre au Vietnam, aujourd'hui c'est moins évident, l'état du monde a empiré, mais le rock parle moins fort aux oreilles de nos concitoyens. Peut-être parce qu'il ne crie pas assez fort. Heureusement ce soir nous avons les Missiles Of October.

    MISSILES OF OCTOBER

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    Avalanche bruitiste. Comment trois gars à eux seuls peuvent-ils déclencher un tel armagueddon sonore. Et surtout avec cette précision instrumentale. Pouvez suivre à l'oreille le moindre déplacement d'un doigt sur une corde, avec cette netteté du chant de l'alouette dans le radieux silence d'une aube nouvelle. Ils possèdent le sens de l'humour noir, commencent par Do you hear that noise ? Évidemment vous êtes submergé par le déluge sonore, mais il n'est de pires sourds que ceux qui ne veulent pas voir que cette musique n'est que le reflet de notre monde. Bob Seytor est au rotor. Terrible force de frappe. Les bras tourmentent la vitesse de Sleipnir la monture à huit pattes folles d'Odin qui vous emporte sur les terres brumeuses de Hel, la patrie des morts. Avec cette légère différence, que de nos jours l'enfer a pris résidence sur la terre. Bob nous distribue un fameux be-bob, nous martèle les drums dans le crâne, nous entatoue la peau à l'encre indélébile. Rouge sang giclant et noir de mort. De part et d'autre Lionel Beyet à la basse, et Mathias Salas à la lead. De véritables statues hurlantes. Pas de chant. Ils crient, ils screament, ils criment et châtiments, ouvrent le gosier comme des fournaises ardentes, s'en échappent des flammes, évoquez le Dieu Baal, sa gueule quémandeuse, grand-ouverte, béante fournaise, dans laquelle les carthaginois jetaient les nouveaux-nés en offrandes votives.

    Evidemment une telle masse sonique se suffit à elle-même, les musicos ne sont pas ici pour se faire voir et quêter votre approbation en se livrant leurs plus jolis soli. Pas de démonstration artistique et solitaire. Les morceaux sont constitués de courtes séquences rapidement enchaînées. Se suivent et ne se ressemblent pas. Des peintres qui déposent de larges aplats au couteau, et s'en vont tout de suite chercher sur leurs palettes un brou de noir encore plus sombre, un bleu métal d'un acier encore plus tranchant, un rubis encore plus sanguinolent. Faut voir Lionel et Mathias arquer leurs corps, leurs phalanges répétitives crispées sur un accord juste pour marquer leur désaccord avec le monde. Mais l'ennemi est plus fort qu'eux, il enfonce la porte contre laquelle ils se pressaient dans le but d'en empêcher la brisure, et celle-ci réalisée, nos guerriers de l'impossible et du rêve se replient aussitôt derrière un autre portail, mais l'on pressent que les chaînes de fer qu'ils entrecroisent seront à leur tour emportées comme des fétus de paille.

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    Tout de suite alors, Bob le stentor opère un break drumique, une espèce de chute, de salto-arrière avec rétablissement immédiat, You know, there is something strange, something dirt, et contre cela l'établissement d'une nouvelle ligne de défense, une muraille d'acier, Not a good idea, I'm nauseous, Dead bodies, une cause perdue d'avance, un rempart mouvant qu'il faudra sans cesse rebâtir et ériger, car le roseau pensant qu'est l'être humain plie mais n'abandonne jamais la lutte, surtout lorsqu'elle est désespérée et paraît inutile. Ne s'agit pas de jouer à la colibri-rock, mais de crier sans fin son dégoût du monde actuel, d'organiser le tumulte afin de l'anéantir sous le tumulus de sa stupide inanité.

    Colossal ! Missiles of October quittent la scène sans mot dire. Pas de rappel, inutile, après une telle démonstration le public a compris d'instinct n'y a rien à demander, rien à ajouter.

    CRITTERS

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    Tels qu'en eux-mêmes. Tranquilles comme Baptiste. Passer après Missiles of October ne doit pas être facile augurez-vous. Même pas peur. Sont des adeptes du trash punk, ils en ont vu d'autres. Se regardent tous les matins dans la glace, et ils ont beau insister ils n'arrivent pas à rougir d'eux-mêmes. Possèdent eux-aussi une philosophie de la vie. Jugeront la formule trop prétentieuse mais leurs lyrics, ils chantent en français, ne trompent pas. Portent un regard sans illusion - La mort en marche, Hybride TV-Net - sur la réalité sociale de notre vécu. Celui des human beings mais aussi des animals tout aussi beings que nous. Notre organisation sociale n'est point tendre, ni avec les uns, ni avec les autres.

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    Ne sont pas bêtes, mettent le plus fort devant. Un corps de rêve. Les filles, calmez-vous. Une musculature impressionnante. L'arrive même à arborer un modèle d'iroquoise qui n'appartient qu'à lui. Certes il est tout calme mais s'il vous allonge sa basse sur la tête vous êtes mort. En retrait, ils ont disposé les deux guitaristes, le brun sur notre gauche, le blond à droite. Ne pensez pas à des plantes grasses devant les portes de réception des hôtels, une fois que vous les aurez entendus étendre leurs doigts sur leur cordage, vous comprendrez qu'ils en usent des riffs comme ces cacte qui lancent leurs dards empoisonnés sur toute personne qui passe un peu trop près de leur zone de protection. En plus ils doivent être davantage trash que punk puisqu'ils arborent de conséquentes chevelures. Ne doivent pas aimer leur batteur parce qu'ils font bien attention à le cacher à nos regards en se mettant systématiquement devant lui. Doivent juger qu'il fait trop de bruit. Ce qui est vrai mais c'est un peu l'hôpital qui se fout de la charité.

    Car quand ils commencent que vous apercevez que vous avez intérêt à être Sans Illusion. Sont des gars qui ne ménagent pas vos tympans. Oh ! C'est bien fait, n'économisent pas leurs peines pour vous faire tomber dans leur piège. Vous transforment en ces fines guêpes qui foncent droit dedans vers ces récipients remplis de liquide confituré, une fois dedans impossible d'en ressortir. Z'ont aménagé leur musique en bel appartement, meublé avec goût et avec soin. Vous vous sentez chez vous, mais très vite vous comprenez que vous vous êtes fait avoir. Ce n'est pas qu'ils vous empêchent de quitter les lieux, laissent la porte grande-ouverte, mais vous vous apercevez que vous avez élu domicile dans un T 5 de luxe hélas totalement kaotique. La structure des pièces ne cessent de changer. Vous vous installez dans un fauteuil, plank ! une cloison s'abat sur vous, vous vous allongez sur le lit, blink ! le plafond s'abaisse brutalement avec la manifeste intention de vous écraser, vous êtes dans de beaux draps, vous vous mettez à l'abri dans la salle de bain, plunk ! plunk ! le pommeau de la douche vous prend pour un punching ball, en désespoir de cause vous vous réfugiez dans le frigidaire, krinchk ! il se transforme en grille-pain. Tout ce qui se précède pour vous faire entendre comment fonctionne la musique des Critters. Au début tout semble carré, un monde ordonné et efficace, mais c'est un faux-semblant, sont les adeptes des glissements de terrains sans préavis, des bombes explosent sous vos pas, des jungles luxuriantes envahissent les jardins, les soirs de Pleine lune vous vous métamorphosez en loup-garou, le lotissement se mue en labyrinthe, vous êtes perdu, vous craignez pour votre vie. Mais le pire c'est que vous y prenez goût, que cela vous change de votre train-train mortuaire, les Critters vous permettent enfin de vivre intensément.

    Les Critters réalisent ce miracle de vous engluer en un long générique de film anamorphosant, à partir d'une musique des plus primaires – rock'n'roll punk – ils vous jettent dans un monde d'effrayante complexité. De quoi nous laisser perplexe. Une musique aussi compacte qu'un iceberg mais qui dessine sur vos verreries intérieures des friselis aussi subtils que les cristaux de givre sur les carreaux des fenêtres en hiver. Oui mais comme ces gars-là sont aussi des responsables par leurs sets surchauffés du réchauffement climatique, notre automne s'avère de braises brûlantes. Pas étonnant qu'après leur prestation l'assistance était trempée de sueur.

    Damie Chad.

     

    BETTER DAYS

    MISSILES OF OCTOBER

    ( Pogo Records 075 / 2016 )

     

    Lionel Beyet : bass & scream / Bob Seytor : drums / Mathias Salas : guitar & scream.

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    Artwork : Sisca Locca. C'est elle qui se charge d'illustrer les couvertures des disques de Missiles of October. Si pour le premier album Don't Panic elle a opté pour une image choc, un fusil mitrailleur qui vous tire carrément dans les yeux, ici si vous apercevez ce Better Days dans un présentoir quelconque, vous risquez de le confondre avec un album de chansons pour enfants. Ces trois têtes de chats qui semblent jouer du pipeau – regardez de plus près, il s'agit de bombe – n'est pas sans évoquer le matou-vu Hercule, plus bête que méchant mais somme toute sympathique, qui sert de faire valoir à Pif Le Chien dans la célèbre bande dessinée de José Cabrero Arnal. Le fond jaune pâle du motif ne dément en rien l'impression première. C'est un peu une constante chez de nombreux dessinateurs issus de la mouvance punk de privilégier le rire grinçant et le comique sardonique pour mettre en images notre réalité. En tout cas la pochette cartonnée à trois volets est une belle réussite acidulée. Vous retrouvez Sisca Locca sur son FB, ensuite laissez-vous guider.

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    State of crisis : le sound quelque peu domestiqué si l'on pense au concert. Play loud, dirty and angry, svp. Par contre le vocal est mis en avant comme si le message primait sur son enveloppe ce qui change la perspective d'écoute. Mais pas d'inquiétude le turbo-sound est là, vous ratiboise vos illusions sans encombre pour les décombres. Compressé et arasif. Gigantesque hachoir mécanique. No brain, no headache : le début explose, les fusées de guitare giclent de tous côtés, un délire metallique qui réussit le défi de ressembler à un début d'émission de TV américaine qui vous vante les bienfaits du dernier médicament à la mode. Bientôt vous sombrez dans un informe cliquetis avant d'être écrasé par le rouleau-compresseur sonique. Abattage de bûcheron final. Satisfaction in nothing : rythme pimpant pour voix mortuaire, des clous de guitare, des trombes de batterie, they can't get no satisfaction eux aussi, mais ce coup-ci la révolte est totale et métaphysique, l'on n'est pas dans un petit malaise existentiel de bobo dépressif, le morceau finit par agoniser comme un python privé de son maître qui préfère se laisser crever que ramper dans les tuyaux du cloaque humain. Better days : il y a des jours où l'on hait le monde entier, sans doute sont-ce les meilleurs car l'on peut hurler à foison, foncer à 180 /km sur ses guitares et frapper de toutes vos forces sur le couvercle du pot de confiture où vous renfermez les cervelles de vos voisins. Ce violent morceau s'arrête trop tôt, c'est normal les horreurs les plus courtes en paraissent encore plus horribles. Everyday : lourdeur désespérée de votre quotidien, le morceau se traîne comme le serpent du blues, ces écailles cliquettent comme des cymbales, hurlement de ceux qui l'aperçoivent, mais comme dans les tragédies grecques, vous n'échapperez pas à votre destin et il ne vous reste plus qu'à implorer la mort de se porter à votre secours. Vous n'auriez pas dû, vous ressemblez à ces cochons que l'on égorgeait dans les cours de ferme. Couinements infernaux. Final pompéïen, le volcan explose, la lave brûlante vous engloutit. Sale bête, vous mettez du temps à crever, faut vous achever à la barre à mine. Loser : ( + guitar : Ralf Jock ) : les guitares relancent le moteur cacochyme les premières secondes, mais après ça tourne comme un moteur d'hydravion qui ne trouve ni fleuve, ni mer, ni lac, pour se poser. Ce n'est pas de votre faute, ni de votre gloire, vous êtes un perdant pas du tout magnifique. C'est clair le monde entier et cette guitare maintenant guillerette se moquent de vous. Chainsaw : dans la série je vous découpe à la tronçonneuse parce j'en ai assez, tout ce qui bouge subira le même sort. Zut je me suis tranché la tête, le morceau s'arrête plus vite que prévu, j'étais un peu trop énervé. Problems : les problèmes vous prennent la tête. Inutile de courir, c'est dans votre cerveau qu'ils klaxonnent, même docteur Freud ne s'y retrouvera pas dans ce nœud de serpents complexés, alors galopez comme si le diable était à vos trousses. Pas de panique il y a déjà longtemps qu'il squatte votre cervelle. Blah Blah Blah : le rythme s'accélère encore, font vraiment beaucoup de bruit pour ce rien qui tourne en boucle dans votre esprit volatile. A la batterie Bob casse du baobab alors Lionel et Mathias vrombissent comme s'ils avaient des ailes de fer aux talons. Effort inutile, ils ne tarderont pas à s'écraser. Two feet in sludge : rythmique pesante et collante, vous pataugez dans la boue de votre existence, la musique comme une ventouse de marécage qui vous attire inexorablement vers le fond vaseux. Ailleurs l'herbe des cercueils n'est pas plus verte. Enfoncez-vous les clous de la boite funèbre dans votre tête. Musique et voix s'affolent. Et puis s'arrêtent. Vérifiez si vous êtes encore vivant.

    Félicitations à Ralf Jock et Guido Lucas qui ont présidé à l'enregistrement et au mixage. ( Sthor Sound Studio / Germany ). Rares sont les enregistrements de groupes de metal qui parviennent à une telle netteté, à un tel profil sonore.

    Damie Chad.

    VOLK

    AVERAGE AMERICAN BAND

    ( Romanus Recods / Novembre 2017 )

     

    Christopher Lowe : vocals, guitar / Eleot Reich : : vocals drums.

    Plus que temps de chroniquer ce sophomore – mot typiquement américain qui désigne les étudiants de deuxième année - EP de Volk qui avait estomaqué la Comedia, lors de leur concert du 23 septembre dernier ( voir KR'TNT ! 431 du 26 / 09 / 2019 ). Ah cette version de Summetime Blues qui tinte encore dans nos oreilles ! Depuis ils sont retourné aux Etats-Unis où ils enchaînent les dates..

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    Lorsque vous retirez le disque de son plastique, vous vous apercevez que la pochette papier rigide n'est fermée que sur un seul côté. L'or de l'initiale V – qui tranche joliment sur le fond noir – jure quelque peu avec la galette rose bonbon et son étiquette centrale blanche. C'est un peu la spécialité de Romanus Records les tirages qui vous arrachent l'œil ! Allez faire un tour sur leur FB. Vous remarquerez l'anamorphose du V de Volk qui se change en tête de vache ! Mais comme un disque se regarde aussi avec les oreilles, posons soigneusement le pink object sur la platine.

    Hat & boots : ça déchire aux premières notes, la guitare qui klaxonne – ce n'est pas une métaphore – la batterie qui fout un potin de tous les diables et la voix d'Eleot qui vous présente la garde-robe. J'ai bien peur qu'on ne l'embauche pas dans une boutique Chanel mais dans un groupe de rock c'est parfait, elle vous crie dans les oreilles comme une mégère désapprivoisée et vous a de ces trémolos terminatifs bouleversants. Rajoutez que par-dessous Christopher vous glisse sans avertissements quelques éclats de guitare aussi sympathiquement que s'il vous balafrait le visage avec un tesson de bouteille. La réserve personnelle du patron en plus. Land of toys : ah ces ricains, sortent d'une bagarre dans un bar pour entrer dans une église. Reprenez vos esprits en écoutant les doux sons de l'harmonium. Le Seigneur en personne doit avoir quelque chose contre nous, Eleot caquette comme trois cents poules qui viennent de s'apercevoir que le renard est entré dans le poulailler. Brave gars, Christopher se précipite pour rétablir la situation, se sert de ses riffs comme d'un balai géant pour écraser les malheureuses gallinacées qui du coup piaillent encore plus fort. Ça se termine bien, les jouets montent dans une fusée transplanétaire qui démarre aussi sec et une somptueuse musique de générique les emporte vers une nouvelle guerre des étoiles. Respirez le cauchemar est fini. January : Eleot minaude de sa voix pointue, elle n'en n'oublie pas pour autant de poinçonner des parpaings en béton précontraint sur sa batterie, le genre de passe-temps qui n'a pas l'air de plonger Christopher en dépression. Vous donne l'impression qu'il prend un plaisir fou à lui tirer des rafales de guitares à balles réelles. D'ailleurs le morceau est assez court. L'année commence mal, il a dû la tuer. Honey bee : ( + Chris Banta : vocals ) : à voir la manière dont ses cordes dansent une monstrueuse gigue de joie, Christopher doit être satisfait de ce ce qu'il a fait, mais non the gal is en pleine forme, il se prend le délire verbal en plein dans les esgourdes, en plus elle s'énerve salement sur sa caisse claire qu'elle pilonne avec des envies de meurtre, Christopher essaye de baisser le son, mais non ça ne sert à rien, elle en profite pour prendre toute la place, alors il remet les gaz et c'est reparti pour l'enfer. Elle vous hache à l'ultra-rapide la batterie à coups de batte de baseball, et lui s'envole avec sa guitare en imitant le bruit d'une fusée qui démarre sur Cap Canaveral. Ouf, le calme revient dans votre appartement. Vous avez survécu. Mais expliquez-moi pourquoi vous vous précipitez pour la dix-septième fois de suite pour le réécouter.

    Chez Romanus Records ils ne lésinent pas sur la qualité du vinyle, presque aussi épais qu'un porte-avions. C'est cela les américains question rock, ils savent faire.

    Damie Chad.

     

    LONG CHRIS PARLE

    DE JOHNNY HALLYDAY

    ( sur You tube / Radio-Web-Passion )

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    Un enregistrement émouvant. L'on pourrait s'attendre au pire. L'on connaît la brouille entre les deux hommes suite au mariage de Johnny avec la fille de Chris. Ne se sont plus jamais parlé. Chris opposant un digne silence aux questions oiseuses. Mais là il se livre. L'interview a été réalisée après la disparition du chanteur. Non Chris n'écoutera pas le disque posthume, il n'en a pas envie. Mais il avoue qu'il aurait aimé être de ceux qui portaient le cercueil sur leurs épaules à la Madeleine. On n'enterre pas une amitié quelles que furent les fâcheries qui lui ont mis fin.

    Et le vieux rocker replonge dans sa jeunesse. Les plus belles années de sa vie. La rencontre avec Johnny, le pacte de sang passé entre les deux adolescents, et nous voici au cœur de la légende, racontée non pas par un témoin mais par un de ses activistes. L'écorne quelque peu. Non la bande de la Trinité n'était pas formée de blousons noirs, une dizaine de jeunes gens en cravate qui buvaient du Coca et Johnny, accompagné de Chris et d'un ou deux copains sur un banc, qui proposait aux filles qui passaient de leur chanter une chanson...

    Johnny ne s'est pas fait tout seul. L'a absorbé ce que lui proposait son époque : les poses quasi-métaphysiques de James Dean, le charisme étincelant de Marlon Brando, et le rock'n'roll, les premiers disques de Presley, de Bill Haley, de Gene Vincent. N'étaient pas très nombreux sur Paris à s'intéresser à cette musique. Les bandes de blousons noirs de Bastille et de République certes, mais aussi une autre composante, une jeunesse plus proprette qui se réunissait pour danser en les rares endroits qui passaient ces rythmes nouveaux... Milieux populaires et petits-bourgeois...

    Mais il n'est pas que Johnny au monde. L'itinéraire de Long Chris est aussi des plus intéressants. S'est d'abord intéressé à la musique noire américaine, puis aux chansons de cowboys, pour finir par subir le choc d'Elvis... Long Chris et les Daltons fut le premier groupe '' country-rock'' français. Chris n'en garde guère un bon souvenir. On lui imposait des morceaux qu'il n'aimait pas. L'adversité n'est pas une mauvaise chose en soi, elle n'est que la face visible de la stimulation. Chris décide d'écrire ses propres paroles. L'est un intello, un autodidacte, mais il a lu – Balzac, Zola, Prévert - et lorsque Johnny le presse de composer ce qui deviendra La Génération Perdue, il ne sait pas qu'il est en train de jeter les bases culturelles du rock'n'roll français et par ricochet d'aider Johnny à incarner son propre personnage. Chris s'attarde sur la composition de Voyage au Pays des Vivants, qu'il qualifie d'écriture surréaliste. D'après moi, ce morceau relèverait plutôt d'une esthétique rimbaldienne, mais là n'est pas le sujet... L'on regrettera que le projet du disque sur l'adaptation des Chants de Maldoror ait été abandonné...

    Long Chris ne se contente pas d'écrire pour les amis, il enregistre en 1966 l'album culte Chansons Bizarres Pour Gens Etranges, une espèce d'ovni poético-beatnick égaré sur la planète France, réédité en 2016 chez Rock Paradise Records de Patrick Renassia ( in Kr'tnt ! 344 du 19 / 10 / 2017 ). Le temps passe Chris décroche du métier et devient antiquaire, féru de Napoléon et spécialiste des petits soldats de plomb... Mais les assassins retournent toujours à leur crime initial et Long Chris sort un tome 2 et puis un tome 3 de ces gens étranges. Tout fier d'atteindre les cinq cents exemplaires vendus.

    L'évocation de son livre – un des deux meilleurs sur le sujet - Johnny à la Cour du Roi – chroniqué dans KR'TNT ! 283 du 26 / 05 / 2016 – sera l'occasion de replonger dans les années les plus tumultueuses de la vie de Johnny... Ce Johnny qui n'est plus le rocker des débuts mais qui est devenu un très grand chanteur. Chris est fier d'avoir avec quelques autres contribué aux fondations de cette tour de guerre que fut Johnny. Johnny menteur, Johnny solitaire, Johnny fabuleux, Johnny tel qu'en lui-même il s'est édifié.

    L'ensemble avoisine une heure et demie, mais il aurait pu durer trois fois plus, souvent Chris effleure à peine des domaines sur lesquels on aurait aimé qu'il apporte des précisions, mais en fin de compte ce n'est pas le plus important. A la fin de l'interview l'on ressort bouleversé, par cette fidélité exprimée si simplement, il nous semble que Chris s'est réconcilié avec Johnny mais surtout avec lui-même. Les derniers mots, plus forts que la mort, sont d'une beauté incandescente.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 426 : KR'TNT ! 426 : NASHVILLE PUSSY / CYRIL JORDAN / KEITH RICHARDS / SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS / BENDER / CRITTERS / 404 ERROR / GENE VINCENT

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    LIVRAISON 426

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    04 / 07 / 2019

     

    NASHVILLE PUSSY / CYRIL JORDAN  

    KEITH RICHARDS

    SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS / BENDER /

    CRITTERS / 404 ERROR / GENE VINCENT

     

    LA FABULEUSE EQUIPE DE VOTRE BLOG-ROCK PREFERE PREND DES VACANCES. A CEUX QUI ARRIVERONT A SURVIVRE A CE SEVRAGE INSUPPORTABLE NOUS DONNONS RDV LE 29 / 08 / 2019 POUR UNE NOUVELLE ANNEE DE BRUIT ET DE FUREUR !

    KEEP ROCKIN'TIL NEXT TIME !

     

    What’s new Nashville Pussy cat

    - Part Two

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    Retour en force de Nashville Pussy avec l’album Please To Eat You - Hope you guess my name - Et quand on dit en force, on est encore loin du compte, car il faut entendre la double attaque de guitares dans «She Keeps Me Coming And I Keep Going Back». C’est la vraie attaque, celle du vieux Blaine Cartwright. Tout est là, dans l’exemplarité du Pussy riot. Nashville Pussy fait partie des groupes dont on dit qu’ils font toujours le même album. Ce sont généralement ceux qui n’écoutent pas les disques qui parlent ainsi. On a déjà vu le cas avec les Ramones ou pire encore avec les Cramps.

    — Ah bah ouais, mais c’est toujours les mêmes morceaux !

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    Tous ces groupes ont ce qu’on appelle un son, ils travaillent à l’intérieur de ce son, et c’est toute leur force. Jusqu’au dernier album, les Cramps ont su se renouveler à l’intérieur de leur son, il suffit d’écouter «Fissure Of Rolando». Dans le cas des Nashville Pussy, c’est exactement la même chose : écoute «Hang Tight» et tu vas comprendre que c’est du Nashville inespéré joué au vieux drumbeat de shotgun, pulsé au big bad drive. Voilà de quoi sont capables Blaine, Ruyter et les autres, ils secouent de frissons le boogie d’Hookie et Blaine chante comme un très vieux crocodile. Ça sent bon le génie des marais. Et Ruyter vient clouer le bec du cut à l’hyper incendiaire, comme elle sait si bien le faire. Ce n’est plus un mystère pour personne, Ruyter est la star de Nashville. Attention, cet album fonctionne comme un champ de mines. On avance de cut en cut à ses risques et périls. Voilà un «Just Another Boy» fabuleusement sonné des cloches. Blaine sort son meilleur big boogie et derrière les filles font les jolis chœurs. Tout est joué au maximalus apocalyptus et quand on lit le nom de Daniel Rey sur la pochette, on comprend mieux : Rey est l’un des grands producteurs de rock américain. L’un des plus légendaires, en tous les cas. Ruyter se paye un départ de solo à l’hésitée démoniaque et remonte en saumonade de printemps dans ses bubbles des gammes. Po-wer-ful ! Comme Lemmy, les Nashville transcendent la notion de génie sonique. Ruyter va même aller crucifier le cut au Golgotha. Ils savent aussi taper dans le meilleur glam. La preuve ? «Go Home And Die». Tout un programme. Ils écrasent le chant comme un mégot - Well you talk talk talk/ About everything all the time - Les Nashville nous redonnent du cœur au ventre avec ce brillant «Testify» nappé d’orgue et rentrent dans leur normalité avec «One Bad Mother». Mais la normalité ne dure pas longtemps, car Ruyter redonne vie au chairs du cut, elle redresse la bite molle du rock d’un coup de solo flash exceptionnel. Merci Ruyter. S’ensuit une merveille de boogie blues intitulée «Woke Up This Morning», avec une peau tendue à craquer de heavyness. C’est tout simplement effarant de puissance et de tension. Ruyter part aussi en maraude dans «Drinking My Life Away». Elle cultive l’art du gras double et tape chaque fois dans le mille. Elle plonge dans le shmock avec délectation et des clameurs viennent parfois saluer ses virées. Dans «CCKMP», Blaine déclare : «Cocaine crack killed my brain like a fright train!» et il prévient : «Don’t comme knocking on my door!» Voir Nashville et mourir.

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    C’est exactement ce qu’on fait ce soir-là. Voir Nashville et mourir, oui, mais de bonheur. Du bonheur de voir quatre Américains jouer leur va-tout comme ils le font depuis vingt ans, oh la la, vingt ans déjà. Alors bien sûr, Nashville Pussy ça fait rigoler les esthètes. Les moins féroces diront qu’ils jouent comme des bourrins et que leur trash c’est tout juste bon pour la faune des campings. Les Nashville sont victimes d’un affreux malentendu. Comme tous les malentendus, celui-ci vient directement d’une parfaite méconnaissance des faits. Les Nashville naviguent exactement au même niveau que Motörhead. Chez eux tout repose sur un goût immodéré pour le blast intégral. La réalité de ce prestigieux enfer sonique se mesure plus facilement sur scène, car c’est là très précisément que leur power prend une ampleur qu’il faut bien qualifier de considérable. Et comme souvent dans ces cas-là, les mots peinent à se montrer à la hauteur.

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    En les voyant, on ne peut pas s’empêcher de songer au génie sonique de Motörhead, mais avec cette pouliche frénétique de Ruyter Suys en plus. Ses cheveux passent plus de temps à la verticale que sur ses épaules. Elle est en mouvement permanent, elle trépigne comme un poney apache, elle tape du pied, tend des embuscades de gimmicks délétères, elle ne vit que pour bombarder la terre de power-chords, elle embringue les octaves dans les actifs, climaxe ses crises inflammatoires, elle girouette son giron, ça grésille dans sa résille, toute sa pulpe palpite, elle monte au micro pour des chœurs, gratifie le public de quelques expressions grimacières composites et replonge aussi sec dans sa mégalomanie riffique. Si on veut voir jouer une guitariste américaine, c’est Ruyter Suys qu’il faut voir. Sans la moindre hésitation. Bien plus spectaculaire que la Donita Sparks de L7.

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    Ruyter est unique au monde, redoutablement belle dans le feu de l’action, et mille fois plus crédible que la petite pisseuse d’en face, qui, comme le disait si joliment Brassens, peut bien aller se rhabiller. Eh oui, le vieux George faisait à sa façon l’apologie des fleurs d’automne. Comme la belle dont parle le poète, Ruyter doit payer la gabelle/ Un grain de sel dans ses cheveux, mais diable, quel rayonnement ! Ses longs cheveux bouclés qui tournent dans les faisceaux de lumière constituent l’un des plus beaux symboles d’une féminité conquérante. Si on associe ce spectacle au blast suprême, ça donne Nashville Pussy. Le plus surprenant, c’est qu’ils semblent s’améliorer d’année en année. On pourrait les croire usés par les tournées et l’indifférence grandissante. Au contraire. Ils semblent encore plus explosifs qu’en 2016, lorsqu’ils avaient fait trembler les colonnes du temple, dans ce qu’on appelle ici la grande salle.

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    Du haut de vieille stature légendaire, Blaine Cartwright semble devenu complètement miraud. Mais il porte toujours cette casquette de white-trasher américain et ce blouson rouge et blanc de pilote tellement cra-cra qu’il doit remonter au temps de Nine Pound Hammer, qui, est-il bien utile de le préciser, fut l’un des meilleurs groupes jamais signés par Tim Warren sur Crypt. C’est la raison pour laquelle il faut suivre un mec comme Blaine Cartwright à la trace, aussi fidèlement qu’on suit les Oblivians ou les Gories, qui régénérèrent eux aussi la scène américaine, au temps béni de Crypt. Cartwright sait tenir une scène et poser sa voix juste au dessus du chaos. On sent en lui le vétéran de toutes les guerres. Il sort sa bouteille de Jack quand il a soif . Cet homme semble n’être heureux que sur scène. Il fait sans doute partie des mecs dont la vie se résume à son groupe.

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    Il sait que sa formule blastique tient bien la route et que le public entassé à ses pieds est un public d’inconditionnels. On y voit d’ailleurs très peu de metallers, comme on serait tenté de le croire. Non, les gens qui suivent Nashville sont des amateurs de big bad American Sound et ils savent que l’heure de set va battre des records de chaleur, pour employer la pauvre terminologie des météorologues. Ils tirent les cuts les plus percutants de leur dernier album, notamment «She Keeps Me Coming», «We Want A War» et l’effarant «Low Down Dirty Pig», mais aussi un fantastique shoot de «Why Why Why» tiré de From Hell To Texas, un «Pussy Time» bien gluant tiré du vieux Get Some et deux joli corkers tirés de High As Hell, l’imparable «Piece Of Ass» et le bien nommé «Struttin’ Cock». Blaine Cartwright adore jouer avec les images sexuelles un peu douteuses. C’est son côté farceur. Mais dès qu’on lui met une Les Paul dans les pattes, attention, il ne rigole plus. Ils terminent leur set avec «Go Motherfucker Go», un fabuleux shake hypnotique tiré de leur premier album, Let Them Eat Pussy.

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    C’est l’occasion ou jamais de saluer l’excellente section rythmique composée d’une brune bien grassouillette nommée Bonnie Buitrago et d’un Ben Thomas maigre comme un clou et absolument spectaculaire de présence bombastique. Voir ce mec marteler son beat, franchement, ça réchauffe le cœur. Ben pourrait dire : «Regardez, je suis moi aussi un beau spectacle !», mais il a la grandeur d’âme de le mettre au service de Blaine et de Ruyters, ce qui nous le rend encore plus sympathique.

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    Tous les gens qui jouent dans des groupes le savent : le batteur, c’est la clé de voûte. Sans bon batteur, rien n’est possible, ça s’écroule très vite. Alors, couronnons Ben Simmons, king of Pussy !

    Signé : Cazengler, Nashville poussif.

    Nashville Pussy. Le 106. Rouen (76). 27 juin 2019

    Nashville Pussy. Pleased To Eat You. Ear Music 2018

     

    Monsieur Jordan - Part Four

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    Ils arrivaient des quatre coins de la France pour saluer le retour sur scène de Roy Loney qui fut comme chacun sait LE chanteur des Flamin’ Groovies. L’événement devait se dérouler au Petit Bain, une barcasse ancrée au pied de cette Grande Bibliothèque imaginée jadis par François Miterrand, un homme que tout le monde semble détester aujourd’hui, sans raison particulière. La détestation systématique est entrée dans les mœurs comme les loups dans Paris. Quant aux météorologues, ils avaient annoncé un pic de canicule et ne s’étaient pas vautrés. La file d’attente cuisait comme une longue merguez dégingandée sous un soleil de plomb.

    C’est là qu’une rumeur se mit à circuler et à enfler comme l’ex-tumeur de Wilko Johnson. On chuchotait à voix basse d’une oreille à l’autre.

    — Y paraît qu’y vient pas...

    — Hein ? Qui qui vient pas ?

    — Bah Roy Loney !

    — Ha bah ça !

    La longue merguez bruissait donc de mille chuchotements dans un authentique bain de vapeurs corporelles. La rumeur se glissa ensuite avec la merguez dans la soute du Petit Bain et continua de grossir. Arrivée au frais, la rumeur ne s’en portait que mieux. C’est là qu’un mec apparemment bien informé fit la lumière dans les esprits surchauffés. Il savait pourquoi le pauvre Roy Loney se retrouvait dans la cruelle incapacité de venir ramasser les lauriers qui lui revenaient.

    — Cyril l’a poussé dans l’escalier !

    — Ha bon ?

    — Oui, en arrivant à l’aéroport, pouf ! Cyril l’a fait tomber dans l’escalier qui descend de l’avion.

    Bon après, ça devenait compliqué d’expliquer que Cyril était jaloux de Roy depuis toujours, qu’il lui faisait des croche-pattes dans la rue et qu’il lui collait ses chewing-gums pleins de bave sur son harmo. Normalement, il faut un livre pour entrer dans une litanie de détails, la rumeur n’est pas faite pour porter le poids du monde, comme le disait si bien Peter Handke.

    — Il l’a poussé comme ça, dans l’escalier ?

    — Oui, d’un grand coup d’épaule dans le dos, par pure jalousie. Cyril avait même paraît-il un rictus au coin des lèvres, comme Anthony Perkins dans Psychose.

    — Et Roy, y s’est fait mal ?

    — Oh on l’a embarqué à l’hosto. Et comme il est vieux, ça ne va pas se recoller du premier coup !

    — Aller pousser son copain dans l’escalier, non mais franchement ! C’est vraiment des branleurs ces mecs-là !

    — C’est sûr, ils sont restés bloqués en 1968. Ça leur fait en gros quinze ans d’âge mental. Ce qui n’est déjà pas si mal. Tu as beaucoup de gens qui ont un âge mental beaucoup plus bas.

    — Et si Roy y l’était mort dans l’escalier ?

    — Oh non, Cyril s’arrange toujours pour que ça finisse bien. Il est aussi malin qu’Alfred Hitchcock. Roy a l’hosto, il peut reprendre le micro et chanter son vieux coup de Shake sans personne pour faire ombrage à sa mégalomanie psychédélique...

    — C’est incroyable cette histoire !

    — Oh tu sais, la vie des groupes, ça ne sent pas toujours la rose. Même dans les petits groupes de province. Tu y vois des choses étonnantes. Tu n’en as même pas idée...

    Il fut interrompu par l’entrée sur scène d’un groupe de surf engagé pour la première partie. Ça cloua aussi sec le bec à la rumeur.

    Mais elle reprit de plus belle au terme du set de surf.

    — Et comment tu es courant de cette histoire d’escalier ?

    — Oh, j’ai des infos de première main. C’est un mec de San Francisco. Il racontait qu’un jour Cyril n’arrêtait plus de faire des croche-pattes à Roy qui marchait devant lui dans la rue. À la fin, Roy s’énervait et gueulait : «Stop that !», tu sais avec l’accent garage qu’il prend pour attaquer «Teenage Head», et tu sais ce que Cyril faisait ?

    — Il s’excusait ?

    — Pfffff ! Tu rigoles ou quoi ? Cyril poussait d’affreux petits gloussements de belette psychopathe. Un truc du genre hiiin-hiiiin-hiiiin !

    — C’est dégueulasse ton histoire !

    — Mais non, tu es dans l’univers des comix underground. C’est un humour auquel tu n’auras jamais accès à cause de ton éducation. Avec la gueule que tu as, tes lunettes et ta liquette, on voit bien que tu es cartésien. Donc t’es baisé. Tu passeras toute ta vie à côté. Tiens encore un exemple. Tu sais pourquoi Chris Wilson n’est pas là ?

    — Il l’a aussi poussé dans l’escalier ?

    — Non, pire encore : il l’a envoyé en cure dans un établissement pour vieux Américains ! Eh oui...

    — J’ai vu un reportage à la télé : c’est encore plus sordide que les établissements pour vieux Français. C’est une cure de quoi ?

    — D’amaigrissement.

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    L’arrivée sur scène de Cyril Jordan cloua de nouveau le bec à la rumeur. Il portait les mêmes fringues que lors du dernier set parisien : chemise à motifs, high heel boots et petit fute en vinyle noir. Tiré aux quatre épingles de 1968. On retrouvait aussi les accompagnateurs du set de 2017, Tony Sales, fils prodigue de Hunt & Tony Sales qui firent si bien tinter le Tin Machine, et Chris Von Sneidern, toujours habillé en blanc, mais muté comme un fonctionnaire de la basse à la rythmique.

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    Un nouveau venu avec une gueule de cabochard très sympathique et habillé d’une liquette noire et d’un gros pantalon bordeaux occupait le job de bassman. Les Groovies s’empressèrent de redorer leur blason avec un «Shake Some Action» particulièrement bien sonné, sans chichis ni dentelles d’arpèges. C’est là que le bassman commença à focaliser l’attention. Avec ses gros doigts boudinés, il plaquait à l’implacable les dominantes sur son manche et hochait le beat de la tête avec une ferveur assez peu commune dans sa fonction. Rien qu’avec un coup de Shake, il était en eau.

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    Ses deux mains dégoulinaient de grosses gouttes de sueur. Comme le disaient si bien les ouvriers d’antan, il mouillait sa chemise. C’est une façon de dire qu’il ne faisait pas semblant. On le sentait vraiment investi. Cyril Jordan annonça une chanson des Byrds et nous eûmes droit à une vieille resucée du «Feel A Whole Lot Better» datant de Mathusalem, suivie d’un bond dans le temps avec «Jumpin’ In The Night», qui nous ramenait à l’époque Sire, c’est-à-dire post-Roy Loney, et donc un son moins groovy et plus pop dont on essayait de se contenter à l’époque pour se consoler de l’absence de Roy Loney. Cyril Jordan chantait d’une voix assez gutturale. Vu la qualité des compos, il ne s’en sortait pas si mal. Mais bon, on s’attendait au pire : qui allait se porter volontaire pour massacrer «Teenage Head» ?

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    Le suspense allait durer encore un bon moment avec d’autres régurgitages de la période Sire. Puis Cyril Jordan annonça qu’il allait chanter «Whisky Woman» pour la première fois. Why ? Because the band broke up three months après la sortie de l’album Teenage Head. «Whisky Woman» est toujours resté l’un des cuts préférés des gens qui ont acheté l’album en 1971. Why ? Sans doute parce que rien n’est plus parfait qu’une femme rôtie au whisky. C’est plus élégant - pour une femme - de se piquer la ruche au whisky qu’au vin blanc. En tous les cas, les Groovies savaient le dire en 1971 mieux qu’on ne saura jamais le dire. Et les choses se mirent à vraiment chauffer avec la triplette de Belleville tirée du même album, «High Flyin’ Baby», «Have You Seen My Baby» et un «Yesterday’s Numbers» harnaché du big heavy sound et joué avec une édifiante implication. Le bassman ruisselait comme une vieille serpillière, il arrosait le plancher autour de lui dans un rayon de deux mètres, on voyait la sueur couler dans son gros pantalon bordeaux, et sa basse était tellement gorgée d’humidité qu’elle semblait vermoulue. Ah quel démon ! Il s’offrait même le luxe, dans l’état où il était, de faire des petits bonds en l’air, ce qu’un organisme épuisé refuse normalement de faire. Rien qu’avec le spectaculaire «High Flyin’ Baby», la partie était gagnée. Mais le «Yesterday’s Numbers» aggrava encore les choses, par sa qualité raunchy et déterminée à vaincre un public convaincu d’avance.

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    Mais bon, les groupes agissent souvent sans réfléchir, leur stratégie consiste à foncer dans le tas et à réfléchir plus tard. Le moment tant redouté arriva : Chris Von Sneidern se sacrifia pour chanter «Teenage Head». Ce fut l’horreur, sans doute la pire version jamais offerte en pâture au bon peuple. Dès l’attaque d’I’m a monster, c’était baisé. Il chantait ça d’une petite voix blanche et ridicule et il aggrava encore les choses en ajoutant d’un accent d’hermaphrodite lymphatique un «got a revved up teenage head» qui manquait tellement de crédibilité qu’on en fit la grimace. Ha les choses de la vie !, comme dirait Claude Lelouch. François Miterrand et le Petit Bain eurent droit à un rappel avec «Slow Death», et la rumeur put enfin reprendre.

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    — Le bassiste devrait se méfier. Il est tellement bon qu’il a volé le show ! Tu sais comment il s’appelle ?

    — Ah bah non, chais pas !

    — T’as vu les regards en coin que Cyril lui envoyait ? Ce bassman est bien trop bon pour jouer dans les Groovies. Trop in the face. Il fait trop d’ombre à Cyril. Tu vas voir, il va bientôt tomber dans l’escalier ! Tu vois, le guitariste habillé en blanc ne risque rien. Il est beaucoup plus malin.

    Il fallait absolument savoir comment s’appelait ce bassman héroïque. Comme il venait traîner au mersh, on put lui poser la question. On ne comprit pas grand chose à ce qu’il raconta, hormis le fait qu’il s’appelait Allan ou peut-être Adam et qu’il avait accompagné Link Wray, les Cars, les Tubes et d’autres groupes aux noms incompréhensibles. Nous n’apprîmes son vrai nom que le lendemain : en réalité, il s’appelait Atom Ellis. Si un jour la ville de San Francisco lui dédie une plaque de rue, on pourra y lire : Atom Ellis, mighty sauveur des Flamin’ Groovies.

    Signé : Cazengler, flamin’ crouni

    Flamin’ Groovies. Le Petit Bain. Paris (75). 25 juin 2019

    PS : au fait, où en étions-nous restés des exploits de Monsieur Jordan, le Groovy gentilhomme ? À Seymour Stein qui en 1976 allait relancer la carrière des Groovies avec l’album Shake Some Action. Dans ce Part Three, souvenez-vous, Cyril proposait à Stein d’emmener ses label mates, les Ramones, tourner en Europe. Et on en déduisait que grâce à Cyril, l’Angleterre allait faire une sacrée découverte. Tous les témoins sont formels : c’est en voyant jouer des Ramones pour le première fois que les Londoniens ont découvert le punk, comme un poule qui trouve un couteau.

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    Et donc, au rythme d’un nouvel épisode du San Francisco Beat dans chaque numéro d’Ugly Things, Cyril retrace les aventures des Flamin’ Groovies, tout en continuant de faire soigneusement l’impasse sur Skydog (Profitons de la parenthèse pour rappeler que sans Skydog, personne en Europe n’aurait entendu parler des Groovies). Nous voici donc en novembre 1975, à Monmouth, au pays de Galles. Quatre heures de route depuis Londres, à bord de deux Rolls financées par Stein. Cyril adore cet endroit et tout particulièrement Little Anchor Farm, un manoir hanté vieux de 700 ans. Il s’entend à merveille avec Dave Edmunds, la gloire locale et ils enregistrent vite fait un hit de Paul Revere & The Raiders, «Sometimes», puis des clins d’yeux appuyés aux Beatles comme «Yes It’s True». Cyril dit aussi donner à sa version du «St Louis Blues» de WC Handy the Liverpool feel, ha ! Il s’intéresse en fait beaucoup plus au manoir hanté de Little Anchor Hill. Pourquoi ? Parce que lui et les autres Groovies ont entendu une femme crier dans le couloir alors qu’aucune femme ne traînait ce jour-là dans les parages. Ha ! Serait-ce un fantôme ? Ils trouvent la clé du mystère dans un livre intitulé Haunted Britain : l’auteur affirme que Little Anchor Hill is the most haunted spot in England, c’est-à-dire l’endroit le plus hanté d’Angleterre. Cyril ajoute qu’il y avait des centaines des millions de mouches à Monmouth. Il n’avait encore jamais vu autant de mouches ! Tons of thousands. Dans l’épisode suivant, Cyril revient sur son cher Shake et rappelle qu’ils jouaient alors lui et James Farrell sur des Gretsch, une Nashville et une Anniversary. Autre détail capital : l’album Shake était très orienté : Stones, Lovin’ Spoonful, Paul Revere & The Raiders et of course les Beatles. Cyril ajoute à toutes fins utiles que le classic era des Stones était celui de Brian Jones. Pour restituer ce son, il dit utiliser les instruments qu’utilisaient les Stones en 1965. Il étaye son propos en citant «Crazy Macy», sur le dernier album des Groovies : eh bien, il joue ça sur une Harmony Meteor et un Vox AC 30, comme le Keef d’«It’s All Over Now» et de «Down The Road Apiece». Il indique aussi qu’«I Saw Her» est inspiré des Charlatans, l’un des groupes qu’il chouchoute le plus.

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    En 1976, les Groovies se préparent à enregistrer leur deuxième album Sire. Comme il songe à taper dans les Byrds avec le fameux «Feel A Whole Lot Better», Cyril sort de l’étui sa douze cordes Rickenbacker stéréo. Il rappelle que «Between The Lines» est un hommage à la coke que tout le monde appelle ‘Charlie’ en Angleterre et que les Groovies, dans leur jargon interne, appellent ‘Whatsit’. Il revient aussi à ses chouchous Paul Revere & the Raiders avec «Ups And Downs». Autre choix marrant : il s’amuse à taper dans les Beatles tapant dans le «Reminiscing» de Buddy Holly. Autre fait marquant : n’oublions pas que l’ex-Charlatan Mike Wilhelm fait son entrée dans le groupe avec Now. Cyril observe enfin que Dave Edmunds s’implique de plus en plus dans le son des Groovies, ce qui n’est pas pour lui déplaire. En fait, il profite des deux pages que lui octroie Mike Stax dans chaque numéro d’Ugly Things pour passer tous ses albums au peigne fin. On le sent vraiment très fier de son œuvre.

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    Cyril et les autres profitent des moments de battement pour aller se balader dans la lande, où rôde dit-il Dieu sait quoi, ghosts and wombats and who knows what else. Un soir, Dave emmène Cyril et Chis dans un pub vieux de 400 ans. Dave conduit sa Mini Cooper très vite, nous dit Cyril, a real speedster, et soudain, dans un virage, Cyril se met à hurler car il voit deux lumières rouges. Dave pile net et ils sortent tous les trois de la Mini pour constater que les deux lumières rouges sont en fait les yeux un chien noir géant ! What ? A giant galloping black dog ! Deux fois plus grand qu’un cheval, précise Cyril dont la mâchoire s’est décrochée et pend comme une lanterne sur sa poitrine ! Ils frissonnent tous les trois de plus belle lorsque le monstre passe près deux au ralenti, comme s’il trottait dans une autre dimension. Qui va aller gober une histoire pareille ? Cyril est un peu triste car aujourd’hui Dave Edmunds nie les faits. No giant black dog ! Sans doute a-t-il peur que ça attire les touristes dans la région. En tous les cas, Cyril reste en cohérence avec sa notion de comix underground. Si on repart de son point de vue, c’est une histoire qui va loin. Comme s’il voulait insinuer que les Groovies existaient dans une autre dimension. Quand on y réfléchit bien, c’est extrêmement intéressant. Encore faut-il savoir prendre le temps de réfléchir à certaines hypothèses, surtout quand elles paraissent saugrenues. Ça n’a l’air de rien dit comme ça, mais ce genre de pirouette est l’une des plus difficiles à réussir. Essayez et vous verrez. Oh, on ne réussit pas du premier coup. On se casse la gueule. Mais ça fait du bien de se casser la gueule.

    Ugly Things # 46

    Ugly Things # 47

    Ugly Things # 48

    (Rien dans le 45 et le 49, donc inutile de les acheter).

     

    Keef Keef bourricot

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    Au fond, c’est une bonne chose qu’un cat comme Keef refasse l’actualité. Depuis cinquante ans, on ne se déshabitue pas vraiment de lui, même si les albums des Stones ont perdu leur pouvoir. Difficile de faire des miracles pendant cinquante ans. Ceux qui font des miracles doivent finir par se lasser. On imagine aisément que Keef ait pu se lasser. Au début ça doit être marrant, «The Last Time», «Jumping Jack Flash», «Satisfaction», ensuite «Gimme Shelter», «Live With Me», «You Got The Silver», «Happy», et puis ça finit par devenir une espèce de routine. Dans le regard de Keef, l’éclat prophétique s’est terni, une sorte de mélancolie propre à ceux qui ont tout vécu semble à présent le voiler. Il est arrivé la même chose à Chuck Berry, victime lui aussi d’une écœurante facilité à faire des miracles. Et ce n’est un hasard, Balthazard, si Keef se sentait intellectuellement apparenté à Chuck Berry. La dimension des génies nous dépasse un peu, nous n’avons d’eux qu’une perception très limitée. Keef, Chuck Berry, Gandhi, Martin Luther King, Victor Hugo, que savons-nous d’eux ? Pas grand chose. Quelques disques, quelques livres, quasiment rien. L’extraordinaire de la chose est qu’on réussit quand même à se goinfrer de ce quasiment rien. Tiens, Keef fait la une de Mojo et ça redevient un événement, comme au temps béni des interviews qu’il accordait au New Musical Express, notamment le fameux «You’re never alone with a Smith & Wesson» qu’on avait lu tellement de fois qu’on connaissait l’ordre des questions et la teneur des réponses. Oui, Keef revient avec ses gros doigts boudinés et un regard souligné au khôl. Il est même bombardé rédacteur en chef du numéro et il rip the joint avec un choix d’articles extrêmement keefy : Muddy Waters, Bobby Keys, Peter Tosh et Norah Jones. Écoutez ce que dit cet homme en page 6, pour présenter la sélection de cuts rassemblés dans la compile jointe au mag : «Just the playing of music is one of the most civilized things I can think of.» Et il fait mettre civilized en ital, pour bien insister sur la notion. Eh oui, Chuck Berry incarnait cette notion de civilisation, son ring ring goes the bell balayait toute la haine des racistes blancs d’Amérique et d’ailleurs. Avec sa guitare, Chuck niquait les rednecks, with their guns up their asses. Et Keef continue de vanter les mérites de la musique, disant que les musiciens sont des mecs bizarres, car une autre conversation se fait pendant qu’ils jouent ensemble. Il appelle ça The other language. Avec bien sûr un accord préalable, ce qu’il appelle un agreement. Pour lui c’est ça, the civilized thing. Les mecs jouent ensemble au lieu de se taper dessus. Dans la compile, on retrouve bien sûr Chickah Chuck, mais aussi Jimmy Reed, Pattie Labelle, Willie Mitchell qui a écrit des arrangement pour Talk Is Cheap, les Coasters, Funkadelic, Dion, pas mal de Rastafaris et Muddy Waters. Keef dit qu’en découvrant Muddy à l’époque, il découvrit la notion de power. The inner power.

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    C’est Robert Gordon qui se charge de l’article sur Muddy. Oh la belle double : on y voit Muddy gratter sa gratte et sa femme Geneva l’enlace. L’image parfaite. Tous ceux qui ont lu la bio de Robert Gordon sur Muddy savent pourquoi cette femme est belle et à quel point elle est vitale dans l’histoire de Muddy et donc du blues et donc des Stones : Geneva eut la grandeur d’âme d’accepter que Muddy ait des fiancées à droite à gauche et des enfants avec ces fiancées. Cette façon de tolérer les choses relève de la plus haute intelligence. Mais cette histoire ne passe pas toujours très bien quand on la raconte, ici ou là. Figurez-vous que des gens ne comprennent pas qu’on puisse tolérer des vies parallèles. Ça permet toutefois de conforter l’idée de base : l’intelligence, c’est comme le manque d’intelligence, ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Dans l’article, on tombe sur une autre image à caractère historique : ça se passe chez Chess et on voit la triplette de Belleville autour de Leonard le renard : Muddy sous sa pompadour, Little Walter soufflant un coup d’harmo et Bo avec ses Gretsch rectangulaire et ses lunettes à montures d’écailles. Que dire d’autre que Wow ? Wow !

    Keef a 75 balais. Quand on lui demande comment il arrive à sauver les apparences (maitain that chic physique), il répond ceci : «I get up. Ummmm. And then, uh, you know, I sit down. I don’t do none of this trotting around, I think it’s bad for you. It’s bad on the joints, especially on concrete. I don’t go with that. It’s just not for me.» Ça nous rassure de savoir que Keef ne fait pas de jogging comme les autres vieux. Il est un peu comme Mick Farren, pas question de lui faire enlever ses boots. Il annonce qu’il a stoppé la booze. Il se contente d’un verre de pinard pendant les repas et d’une Guinness de temps en temps - It’s like heroin, the experiment is over - Mais il ajoute que si tu le croises dans un bar et que tu lui offres un verre, il ne saura pas le refuser - I wouldn’t turn it down. I’m not a puritan on these matters. It’s just that it’s not on the daily menu any more - Ce qui frappe le plus chez Keef et ce depuis toujours, c’est la classe des réparties, l’extrême agilité à tourner des formules tellement anglaises qu’elles en deviennent indécentes d’élégance. En français, on ne penserait jamais à dire «Je ne fais pas le puritain dans ces cas-là.»

    Alors bien sûr arrive sur le tapis l’histoire de la longévité du groupe : Keef et Jagger, 75 balais, Charlie Watts 78 et Ronnie Wood 72. Keef espère continuer - If you give me 80,000 people, I feel right at home - Il ne veut pas décevoir les gens - The smell of the crowd, it gets ya ! - Et nous voilà de retour en 1988, au moment où Jagger fait ses disques et ses tournées solo. Keef le vit mal et après avoir insulté Jagger dans la presse, il change de tactique et commence à bricoler des cuts dans son coin avec Steve Jordan, le powerhouse new-yorkais. Oh, il insiste bien pour dire qu’il ne voulait pas démarrer un autre groupe, car dit-il, the Rolling Stones is a full time job, mais comme il ne se passe rien cette année là, il rassemble quelques amis - Suddenly I realized, God, it’s like I’m at the beginning of the Rolling Stones again - Et pouf, Bobby Keys entre dans la danse. Keef invite Waddy Watchel, un blanc qui a joué avec Linda Ronstadt et Ivan Neville, le fils d’Aaron. Et puis tiens, on va appeler tous ces mecs the Xpensive Winos. «We started to come up with some interesting songs», croasse Keef.

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    Dans les futurs livres d’histoire, les spécialistes diront que Talk Is Cheap est un chef-d’œuvre de l’ère Richardsienne. Ne serait-ce que pour ce règlement de comptes intitulé «You Don’t Move Me» - It’s no longer funny/ It’s bigger than money/ You just don’t move me any more - Jagger s’en prend plein la gueule. C’est Steve Jordan qui bat le beurre dans cette cambuse. Pif paf, il cogne dur et Keef sculpte son monde magique d’une voix de mineur cacochyme. Quelle admirable musicalité, c’est bardé de clameurs démentes. Pour cet album, Keef est allé enregistrer à New York, puis dans le Sud : il voulait Willie Mitchell et les Memphis Horns sur l’album. Mais aussi d’autres légendes à roulettes comme Bootsy Collins, Maceo Parker, Sarah Dash de Labelle et Johnnie Johnson qui en 1953, avait embauché à Saint-Louis un jeune guitariste nommé Chuck Berry. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «How I Wish», c’est le hit universel avec de la mélodie plein la gueule, il n’existe rien d’aussi seigneurial dans l’esprit rock d’Angleterre. Keef chante à la véhémence, comme s’il bramait à la lune dans les causses. Il est pendant quelques minutes le roi du monde, le temps d’une chanson parfaite, il tombe dans un océan de chœurs achalandés et de clameurs grandioses. Steve Jordan mène tout ça à la baguette, sec et net et sans bavures. Il faut aussi écouter «Whip It Up» car Keef l’attaque à la Stonesy et un certain Charley Drayton rentre dans le lard du cut à coup de bassmatic. Voilà LE hit décadent par excellence. Keef est l’Oscar Wilde du rock d’Angleterre, c’mon baby et les filles derrière braillent whip it up. Il faut le voir relancer son hit à la seule force de son intelligence de rocker épouvantablement doué. Keef n’est pas un rêve, brother ! Bobby arrive avec son sax texan à la main et Keef force une voix qu’il n’a pas à coups de baby baby ! Rien d’aussi devastating, whip it up ! Les descentes de basse sèment la confusion dans les rangs. Franchement, c’est très spectaculaire. On retrouve l’un des bassmen favoris de Keef sur deux cuts : Joey Spampinato de NRBQ. Il vient sonner les coches du rumble dans «I Could Have Stood You Up». Et qui joue du piano là-dedans ? Oui, tu l’as deviné : Johnnie Johnson ! Oh boy ! Et Mick Taylor gratte sa gratte. C’est mieux que de gratter ses poux. Ah les brutes ! Le NRBQ joue aussi sur «Rockawhile», encore un cut visité par la grâce. The greatness of the groove according to Keith Richards. C’est aussi rampant qu’un gros reptile. Rockawile ! Rock in style ! On entend Ivan Neville jouer du piano sur «Locked Away», un hit mélodiquement parfait. Ce diable de Keef n’en finira donc jamais de créer l’événement ? Il revient au rumble de groove à retardement avec «It Means A Lot». Le groove qu’il jette dans nos tranchées met du temps à sauter, Keef se situe là, dans la longueur de ce temps, c’est excellent, il chante what does it mean et les autres lui répondent It means a lot, mais dans le décalage du groove de Keef. C’est infernal. Un bassmatic de rêve dévore le cœur du groove. Étonnamment, la magie opère dès le cut d’ouverture, «Big Enough». On sait tout de suite qu’on entre dans un album hors d’âge. Le son saisit. Les Winos jouent au maximum des possibilité du power rock. Keef chante comme il peut mais quel buzz down the road apiece ! Bootsy on bass et Maceo Parker on sax, avec eux soyez certains d’atteindre le cœur d’un mythe qu’on appelle le groove. Steve Jordan y bat le beat du tambour des galères. Retour à la Stonesy pure et dure avec «Take It So Hard». Keef s’étrangle à le chanter. Steve Jordan passe au bassmatic. On a même du shuffle de chœurs. Ce n’est pas un album de tout repos, oh no no no ! On retrouve la même équipe sur «Struggle». Keef a du pot d’avoir ces mecs-là derrière lui. Steve Jordan tape comme un sourd et Keef chante comme une ablette dévoyée, c’est extrêmement rock’n’roll. Keef se prend à son propre jeu. On entend rarement des grooves cognés aussi violemment. Keef duette avec l’immense Sarah Dash sur «Make No Mistake». Elle vient dasher dans les bras de Keef. Fucking sensuality !

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    Dans l’interview, Keef épilogue sur la nature de sa relation avec Jagger. Il évoque un amour fraternel et donc des crises de jalousie. Mais ça n’affecte pas leur mode de fonctionnement - It is a strange relationship, I’ll give it that. Strange, and very long - Pendant l’interview, il fume à la chaîne. L’interviewer lui demande s’il compte arrêter de fumer et Keef lui dit qu’il a essayé mais que ça n’a pas vraiment marché. Keith Cameron cite Lou Reed disant qu’il est plus difficile d’arrêter la fumaga que l’héro et Keef acquiesce : «Arrêter l’héro, c’est l’enfer - it’s hell, but a short hell.» Il ajoute qu’il essaye quand même de réduire sa conso. Et ça marche. Il s’aperçoit qu’il n’en a pas besoin, et c’est exactement comme ça qu’on arrête de fumer. Tout à coup, on trouve que ça ne sert plus à rien de fumer. A useless habit, comme dit Keef. Il avoue aussi être marié depuis 35 ans avec Patti Hansen. Le secret de cette longévité ? - I found somebody that could put up with me, man. You don’t run away from that. Bless her heart - Et quand Keith Cameron lui demande si le fait d’atteindre un âge aussi vénérable que le sien lui apporte une certaine forme de sagesse, Keef croasse : «Je ne pense pas qu’on atteigne cet âge sans rien apprendre.» Et il se penche pour murmurer d’un ton de conspirateur : «J’ai déjà dit ce que j’avais de plus sage à dire lorsque j’étais très jeune, hee heee hee heee.» Mais au fond, il n’aime pas la notion de sagesse. Il préfère parler d’expérience. Puis il ajoute le point essentiel : ne pas rester coincé dans le passé. Aux yeux des tenants de la modernité, il se contredirait presque en avouant un profond mépris pour les réseaux sociaux et les téléphones - I’ve never liked phones, you see - Il explique ça très bien, car quand on devient célèbre à 19 ans, le téléphone sonne tout le temps, et ce sont toujours des gens qui te demandent des trucs. Alors évidemment, les portables, c’est encore pire. Oh no ! Il ajoute que les gens qui le connaissent savent qu’il n’a pas de phone. C’est une élégante façon d’expliquer que la modernité ne passe pas par le smartphone. Au dix-neuvième siècle, on appelait cette tournure d’esprit le dandysme. Keith Cameron conclut l’interview avec un compliment : «You seem a sunny character at heart», ce qu’on pourrait traduire par : «Vous semblez être quelqu’un de très chaleureux.» Et Keef rétorque : «Essentially, yeah !» Bon d’accord, il y a eu des moments difficiles, mais avec un peu d’optimisme, on passe à travers - Nobody said it was easy - C’est du pur Keef.

     

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    La réédition de Talk Is Cheap fait l’actu de Keef. On en profite pour ressortir du placard l’autre chef-d’œuvre de l’ère Richardsienne, Main Offender. On croyait les Stones finis à l’époque. Grave erreur : écoute «Runnin’ Too Deep» et tu retrouveras la Stonesy dans tout son éclat. Et avec l’autre fou de Steve Jordan derrière, ça redevient très sérieux. Keef sait très bien ce qu’il faut faire pour relancer la Stonesy. Back to the basics ! On retrouve ce fou de Steve Jordan sur le «999» d’ouverture. Ivan Neville nous nappe ça sec. On appelle ce genre de mecs des brillants mercenaires. Don’t panic ! Ah ha ! Keef embobine tout le monde. Il claque son rock à la jouissance prévisible, here we go ! Toute sa vie, Keef a gratté sa gratte pour la seule gloire du rock. Quel bâtard de son ! Il faut le voir passer au dub avec «Words Of Wonder». Il sait tiguiliter la note, en plus. Effarant de keefitude céleste ! Encore une belle sinécure avec «Yap Yap» - I hear it’s okay, yeah yeah - Quelle fabuleuse entrée en matière ! Keef joue de la basse. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Yakety yap ! here we go ! Babi Floyd et Bernard Fowler font le Yap Yap dans le groove du grand Keef qui chante à la sourdine mal réveillée, Yap Yap you talk too much. Il reste dans le heavy groove avec «Wicked As It Seems». Charley Drayton fait gronder sa basse à l’ancienne, Keef chante au rauque et Steve Jordan frappe sa caisse claire comme s’il la haïssait. No way out, font les Winos - Why don’t you go/ All over me - Cet album est une nouvelle leçon de choses. Keef obtient ce son sec incroyablement beau. Il se paye ça comme on se paye une bague de pharaon dans le souk du Caire. Retour à la Stonesy avec «Eileeen». Keef sait claquer un accord au coin du bois. Steve Jordan frappe de plus en plus fort. Quel sale mec ! Personne ne lui dit rien. Qui oserait ? Il frappe avec le venin du killer. Il mord la cuisse du beat. Le beat n’a aucune chance d’en réchapper - What do I do - C’est tendu à se rompre. On est dans l’osmose de l’égalité des chances, Keef donne tout le loisir au choix, il le laisse venir à lui. Il ultra chante au souffreteux, c’est encore une fois d’une classe épouvantable. Ah tu parlais d’aristocratie du rock ? On est en plein dedans.

    Signé : Cazengler, Keith Ricard

    Keith Richards. Talk Is Cheap. Virgin 1988

    Keith Richards. Main Offender. Virgin 1992

    Keith Cameron : The right stuff. Mojo # 305 - April 2019

     

    MONTREUIL / 21 – 06 – 2019

    COMEDIA

    SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS

    BENDER / CRITTERS

    Fête de la musique. Gros attroupement Croix de Chavaux, apparemment un groupe à la Pink Floyd, Râoulex King Trio en extérieur à l'Armony, m'arrête pour saluer Raphael Rinaldi qui nous a fait don des photos de Tony Marlow et David Evans voici quinze jours, mais ce soir pour moi c'est la Comedia ou rien, cette goutte de néant qui manque à l'absolu affirmait Stéphane Mallarmé. Comme je n'ai pas réussi à mettre la main sur le rien, me voici à la Comedia. Ici la fête est beaucoup plus existentielle qu'ailleurs. Une ZMAD, zone musicale à défendre.

    SHEITAN & THE PUSSY MAGNETS

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    Nos gens sur scène. Densité maximale. Cinq de Villejuif. Le diable et ses accros de la vulve, rien que cela. Remarquez que c'est plus sain que nos gouvernants qui s'accrochent à leur pouvoir. Z'ont un synthé. On a beau dire mais un orgue dans un groupe c'est comme un ogre dans un conte de fées, ça change tout. Surtout s'il est bien joué, s'il ne bouffe pas le son des acolytes, s'il densifie, s'il ne passe devant que lorsqu'il faut signifier au public que l'instant est important et mérite d'être souligné au fluo rouge. Bref à peine ont-ils démarré qu'ils nous offrent une matière grasse et ondoyante dans laquelle l'on pressent qu'il y aura à donner forme. L'on n'est certainement pas dans un combo punk, mais le diable se niche aussi dans la musique moins sauvage, davantage cuisinée. Le cru et le cuit, raw or cooked, parfois il est bon de se sustenter des deux.

    Rawad pose sa guitare à terre et se saisit de son micro qu'il approche de sa bouche de ses deux mains. Il ne chante pas, il conte, il évoque. L'on ne sait quoi, mais toutes les légendes et toutes les proférations contiennent leur part de sublimité. L'a la voix envoûtante, cela permet à chacun de se raconter ce qui chez lui engendre le rêve. La musique se densifie autour de lui, nous sommes chez des amateurs de ce que je réunirais sous l'appellation incontrôlée de rock anglais poétique, un vaste diagramme qui court des Zombies d'Odessey and Oracles à David Bowie. Que l'on retrouve aussi bien dans les groupes de heavy rock qu'expérimentaux. Une plus grande importance accordée aux paroles et aux gradations musicales. Avec le risque de se perdre dans les arrangements pompiers et les lyrics de carton pâte.

    Mais nos Sheitanistes ont flairé le piège. Alternent les passages lyriques avec des sautes d'humeur dignes des Pretty Things, subitement l'orage tombe sur le pays des merveilles et tout se met à tanguer salement. Dans les jeux de pile du hasard ou face du destin, il suffit de parier sur les deux côtés pour emporter la mise.

    BENDER

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    La balance a déclenché la suspicion. Vous ont envoyé deux fragments de morceaux à raser la moitié de la ville. Dès le début du set ils ont commencé et nous ont démontré de quoi ils étaient capables. Un par un. ( Heureusement ils ne sont que trois ! ). Davy vous écrasé la production mondiale des croquettes en un tour de main sur ses toms. Pulvérisation optimale. S'est arrêté pour laisser la place à Sloog. Rassurant, un bassiste ça doome certes, mais dans les limites du raisonnable. Pas de chance, celui-ci s'est débrouillé avec ses quatre malheureuses cordes pour atteindre le même volume sonore que son confrère batteur, avec en plus le couinement désagréable du goret que l'on égorge. Puis l'a laissé la place libre à Agabawi. Là on pressentait : avec sa chevelure sauvage et sa taille de géant, il ressemblait au chef des barbares qui mène l'attaque contre les légions romaines dans Gladiator, alors quand il a écrabouillé la planète sous son bombardement de riffs, l'on s'est dit que notre dernière heure était proche. Evidemment son petit numéro de dissuasion active terminé, sont partis tous les trois ensemble. Au bout de dix minutes nous bougions encore sous l'éboulement terrifique, faut l'avouer, c'était bon, mais bon pour combien de temps ! Et c'est là que le miracle a eu lieu. En pleine tempête, l'on a entendu une étrange modulation, c'était Agabawi, sur sa guitare, l'alcyon s'est posé sur les flots en colère et la beauté du monde nous est tombée dessus.

    Ne nous ont pas fait le coup de l'arrangement toile arachnéenne qui se balance mollement sous la brise matinale, non c'était épais comme la chape de béton qui recouvre Tchernobyl, du solide, mais aussi immémorial que la frise du Parthénon, Davy a carrément abandonné son poste de drummer fou, s'est saisi du micro et a entonné d'une voix de berceuse affermie un hymne voué à l'on ne sait quel dieu du néant, un chant de remerciement et d'apaisement. Et l'on a senti la respiration régulière du grand cobra endormi. Un étrange sentiment de sereine puissance a inondé les cervelles de l'assistance. Pas de doute on était à l'intérieur du paradis.

    Vous vous en doutez, si les pires choses ont un début, c'est que les meilleures possèdent une fin. Et en moins de temps qu'il n'en faut pour compter jusqu'à 0, 3, l'on s'est retrouvé en enfer, dans le style grand arasement final, Bender a bandé toutes ses forces et nous a ramenés dans l'apocalypse éternelle. Un tourbillon sans fin, une trombe dévastatrice, une onde mortelle qui vous précipite par les fenêtres du vingt-cinquième étage, votre corps éclaté au pied de l'immeuble comme une outre crevée gonflée de sang. Flaque existentielle dans laquelle les sangsues du désespoir viennent se désaltérer.

    Certes le calme est de retour, alors qu'il ne va plus rester une goutte de votre hémoglobine, mais avec plus d'ampleur, Agabawi se lance dans une mélopée, un chant puissant, sorti de ses entrailles de colosse, il clame tel un baryton d'opéra au dernier jour d'un cycle finissant. La mort et la vie étroitement emmêlées dans son gosier. Nous ne savons plus si nous marchons sur des cendres ou parmi un incendie. C'est cela Bender une force qui va droit devant, qui respire fort mais qui n'arrête jamais sa marche. Traverse la chaussée des géants et les clairières heideggeriennes de l'être au pas de course. Partent d'avant le mal et se dirigent au-delà du bien, du néolithique au cosmique. Braconnent le cobra. Recueillent le venin. Vous donnent à boire. Si cela ne vous a pas tué, c'est que cela vous a rendu plus fort. Il vaut mieux que vous n'ayez pas entendu le growlement hideux de Sloog à la fin du dernier morceau. Le crachat qui tue.

    Grosse impression.

    CRITTERS

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    Il est des malfrats qui mettent trois ans à préparer le cambriolage du siècle. L'heure fatidique arrive, la veille la combinaison du coffre a été aléatoirement changée par un programme informatique dont ils ignoraient l'existence. Pas du tout la manière de faire des Critters. Eux, sont les adeptes du vite-fait, bien-réussi. Des chevaliers de la vieille pince-monseigneur. Pour les précautionneux qui ont installé une porte blindée, ils ont quelques bâtons de dynamite en réserve. Vous dégoisent vingt appartements en une matinée. Ceci n'est pas juste une image, mais une image juste. Vous alignent les titres comme se succèdent les torpilles dans les tubes-lanceurs des sous-marins. Touché, coulé, vite une autre, et au suivant. Ne vous prennent pas en traître vous annoncent la prochaine chanson, à peine ont-ils terminé la précédente. C'étaient les Critters en théorie.

    Les voici en pratique. J'ignore ce qu'ils ont contre leur batteur, mais ils le cachent. Font le mur avec leur guitare comme au foot pour le pénalty. Posent devant lui le bassiste, des pectoraux d'athlète grec, pour faire phantasmer les filles il les a recouverts d'un filet à mailles larges qui attise le désir de ces fruits juteux en même temps offerts et retranchés. Ne reste plus qu'une solution au bat-man, puisque l'on ne peut le voir, on l'entendra. A l'énergie qu'il dégage doit lui falloir trente-six heures de caisson oxygéné pour se remettre, à la cadence où il tape on les soupçonne de l'avoir remplacé par un robot de la dernière génération, un prototype dernier-cri de l'Intelligence Artificielle. J'ai vérifié, c'est bien un être humain, pas de tricherie, le gars doit avoir le système nerveux qui fonctionne à la fission nucléaire. Impact de grêlons gros comme des œufs d'autruche sur la batterie.

    Très logiquement, si les deux guitaristes veulent se faire entendre doivent trimer comme sur un trimaran. Perso je filerais ma démission. Eux ça les botte, ça leur plaît, ils en rigolent, ils en raffolent, ne pataugent pas dans la colle, ils volent au devant des difficultés, ils échangent des riffs comme s'ils se trucidaient au scalpel, au plus près, un foulard de trente centimètres ente les dents à la manière d'un lien ombilical par qui transite la rage et l'énergie. Critters au cran d'arrêt qui n'arrête pas. Des coups brefs mais font jaillir des geysers de sang et de lymphe à la manière du montage final de La Dernière Horde. C'est que la bêtise du monde contre laquelle ils se battent est une baudruche crevée qui refuse de se dégonfler. Même que peut-être a-t-elle tendance à enfler ces derniers temps. Qu'importe ils rajoutent de la hargne à chaque morceau : Guerre, Crève, Délire, Marche, Mort, Contrôle, vous dessinent le monde en pointillés comme ces tracés sur les fascicules destinés aux enfants. Si notre monde était une rose, les Critters en seraient les épines. Empoisonnées.

    C'est l'Héracles grec qui chante. Le héros est aussi le hérault. Vous jette les mauvaises nouvelles à la figure, l'a le chant saurien, coupe les phonèmes qui dépassent, ne noie pas le poisson dans l'eau douce, vous ébouillante les crustacés, et leurs pinces coupantes en un ultime spasme vous cisaillent vos dernières illusions aux racines. Ecouter les Critters équivaut à danser Au-dessous du Volcan de Malcolm Lowry. Et personne ne s'en prive, vous communiquent la joie vicieuse des révoltés qui n'abdiquent jamais. Trois rappels aussi incandescents que des illuminations rimbaldiennes. C'était une saison en enfer avec les Critters.

    RETOUR

    Devant L'Armony et sur la Croix de Chavaux les concerts se terminent, je ne m'attarde pas, tel un bateau pirate, suis rempli d'or jusqu'aux écoutilles, et je me hâte vers mon repaire. C'étaient les fêtes du rock'n'roll.

    Damie Chad.

     

    THE CENTURION'S SERVANT

    BENDER

    ( 2019 )

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    Rigil Kent : guitars, synthé, vibraphone, vocals / Agabawi : guitars, keyboard, ukelele, vocals / Sloog : bass, vocals / Davy : drums, keyboard, theremin, vocals / + Alexis Noël saxophone.

    The Centurion's Servant : décliné en quatre mouvements : Part I : Enterred Capernaum : bienvenue dans le capharnaüm, rythme entraînant malgré quelques échardes fuzziques, il semble qu'au bout du couloir certaines marches soient plus difficiles à monter ou à descendre, l'on ne sait plus où l'on en est. / Part II : Under my roof : voix fine de chaton qui miaule, puis c'est l'accompagnement orchestral qui se joint à la chorale insipide, d'autant plus inquiétant que beau, dépaysant. Au loin et tout devant un instrument se plaint. / Part III : Sick and ready to die : moane encore longtemps mais le son s'agonise de lui-même. Bientôt remplacé par des hululements synthétiques. Même le blues se vend sous forme de plastique irrécupérable. / Part IV : Tuning to the crowd : retour à la vie, une voix qui s'affermit, et la musique prend de l'ampleur, montée progressive qui s'éteint brutalement. Mercury Signals : tournoiement des hélices du caducée mercurial pour inaugurer un chargement énergétique sans précédent. Living dead cat : pas vraiment un nouveau morceau, une suite qui s'accélère, des chœurs qui fusent de partout comme si l'on écrasait l'accélérateur sur un échangeur d'autoroutes. Cela se termine par un jeu de batterie qui épouserait les ondoiements grandiloquents d'un orchestre symphonique. Mais en accéléré. Et puis des voix innocentes d'enfants qui viennent de faire une grosse bêtise. Ghosts Place : une guitare seule rejointe par des voix peu fantomatiques, sur un nappé d'orchestration qui recouvre les îles du remord, suivies d'une espèce de vocal processionnaire, une marche en avant dans le noir intérieur. What's in your bag? Can we save Iggy ? : une intro nettement plus rock'n'roll, des voix traitées à la mode groupe filles-sixties, la question métaphysique de la salvation du Pop iguanéen se déroule sur des guitares impertinentes qui tirent la langue. S'interrogerait-on sur le destin du rock en se remémorant ses sources ? La réponse est emportée dans le vent joyeux d'une dernière ronde. Est-ce vraiment si important ? Pray the king : apparition majestueuse de l'orgue, comme quand votre cousine était entrée dans l'église le jour de son mariage. Deuxième mouvement : moins de grandiloquence, les festivités commencent. Cobra is missing : changement d'ambiance, au bout du chemin l'on ne trouve pas toujours ce que l'on désirait. Peut-être fallait-il regarder davantage dans le capharnaüm de son cerveau et ne pas croire les promesses qui rendent les fous joyeux. L'absence du cobra n'a pas l'air d'être une catastrophe irrémédiable. The Centurion's Servant : Part V : l'est temps de tirer la leçon de cette épopée qu'il faut bien se résoudre à nommer en fin de compte burlesque. En queue de poison insidieuse. Quand la promesse ne tient pas ses promesses, le plus sage n'est-il pas d'aller se coucher.

    Un disque ambitieux. Pochette énigmatique pour une citation évangélique. Une mer houleuse et romantique, et le serviteur du centurion en maillot de bain. Ce qui est sûr c'est que les légions ne sont pas là. Les rêves de conquête se dissipent-ils à la vitesse d'une vague qui se retire ! Au dos de la pochette la mariée est bien seule. Mariée basse. Après les illusions perdues vivons-nous l'époque des désillusions retrouvées ? Si le cobra est mort, sur quel autre rivage braquer nos désirs ? Ceci n'est qu'une interprétation. Les disques de rock qui font réfléchir sont assez rares sur cette planète. Soyez curieux. Il paraît que cela rend intelligent. Ce dernier trait de caractère est d'une impérieuse nécessité pour ceux qui veulent survivre. Exemple à suivre : Iggy sur la galette qui sort du congélateur.

    Damie Chad.

    HILL'S LIGHT

    BENDER

    ( Octobre 2014 )

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    Pochette vert tendre et dessin naïf. Représente tout de même aussi bien notre planète que l'œuf cosmique originel. Bender est un groupe à surprises. Le disque précédent possède bien quelques accointances avec le concert beaucoup plus rentre dedans, mais ici nous remontons près de cinq ans en arrière et nous voici loin de notre présent rock. L'ambiance est définitivement cosmic trip.

    Sad little bird on the rain : je ne sais pourquoi – en fait si – à la seule lecture des titres j'ai pensé aux Doors, instrumental tout lent avec en fond des roulements de voitures sur une highway de plus en plus prégnants, c'est la pluie qui tombe sur le pauvre petit oiseau tellement triste qu'il est aux abonnés absents. Matchbox : une comptine enfantine sur le destin d'une allumette, mise en scène d'une voix mélodramatique sur une musique qui flambe. Etincelant et fugace comme un feu de paille. The house : une chanson d'amour toute douce qui égrène ses notes sans se presser, la voix qui traîne, un parfum american folk indéniable, mais la pression arrive plus vite que prévue, et tout redescend tout doucement pour repartir à l'assaut du bonheur. Ce coup-ci l'on pense à Neil Young. Jet lag : des paroles à la dérive colorée planétaire à la Hendrix, mais pour les éclats coupants de guitares vous repasserez, quoique à la fin on s'en rapproche un peu. Airplane's starway : la suite de la précédente, ne pleurez pas les disparus, ils sont très loin et très heureux. Arpège de guitare et voix composées. Harmonies rassurantes. A river of stars : pourquoi se faire tant de soucis sur cette terre puisque bientôt ta poussière volera dans les étoiles. Pas très gai tout de même, c'est sans doute pour cela que la musique se fait incisive, la voix plus lyrique pour vous convaincre de la beauté du chemin des étoiles. Serions-nous en pleine philosophie hippie. Fallen angel : plus dure est la chute, les anges tombés du ciel ne m'arracheront pas de cet espace-temps dans lequel je suis englué. Si la musique devient si violente, serait-ce la marque du désespoir. Le roi Cobra : puisque tu ne vas pas à lui, le roi Cobra vient à toi. La joie déborde, la musique danse, les lyrics s'emmêlent et puis s'exaltent. Des guitares tire-bouchonnent. C'est la fête. La grande fête venus des lointains de l'espace. Bender 3000 : musique compressée, elle a voyagé à la vitesse de la lumière, rien de punk, elle vient du futur, vautrez-vous sur vos petites amies et laissez faire le temps. Il arrive. Avenir radieux. Hurlements de joie. Bend the time : message ultime, détache-toi de toi, sois comme moi poussière d'étoiles capable de renaître en d'autres univers. Le mot joker ''amour'' n'est pas prononcé mais c'est ainsi que se construit les attractions merveilleuses. Qui l'entendrait sans rire en ce nouveau siècle. Ce disque sent son San Francisco à plein nez. Décidément chez Bender les disques se succèdent et ne se ressemblent pas.

     

    CHELSEA SIDE

    BENDER

    ( Septembre 2015 )

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    Un an plus tard. Un graphisme de pochette similaire, mais bye-bye l'œuf orphique, l'omelette est moins bonne que prévue, le Grand Cobra est encore présent, l'est au prise avec ce que nous nommerons au plus vite l'ange du mal, ou l'ectoplasme actif de la Cité des hommes. La pauvre bébête n'est pas à la fête, prend des coups, à l'instar de la Statue de la Liberté elle porte une couronne sur la tête, mais elle ne rayonne point, semble plutôt une tiare d'épines christique.

    Sunday morning : le soleil ne brille pas toujours, l'incompréhension s'installe entre les êtres, musique en urgence emballe sec, mais si tu n'es pas capable de survivre c'est moi qui m'éclate. La cervelle contre le mur. Chelsea side : balade fallacieuse en la grosse pomme. L'est remplie de clichés qui correspondent à la réalité. The dream is over. Du côté de Chelsea le quartier artist, c'est sûrement mieux. L'on se réfugie toujours dans ses propres légendes. Se termine par un petit harmonica tout ce qu'il y a de plus country. Song A : en apparence une belle chanson d'amour, avec cette musique qui glougloute au début et puis le rock s'en mêle comme le doute s'insinue en votre esprit. Chanson de rupture, entre ce ce qui part et ce qui revient. Sans doute pas au-même. Le morceau explose en plein vol. Parfois l'on en dit moins pour en sous-entendre plus. Charivari final. Fallen Angel : deuxième version de l'ange aux ailes cassées. Trémolo dans le vocal. Il semble que l'on ait pris conscience de l'ampleur du sinistre. La vie ne fait pas de cadeau. Les médicaments les plus amers sont ceux qui ne vous soignent pas. La musique n'essaie même plus de faire passer la pilule. I love you little N. Y. C. : amour, haine et déception. La pomme est empoisonnée mais l'on aime y mordre encore une fois. La musique chavire entre le bien et le mal. Batterie élastique. Airplane's starway : l'on reprend l'ascenseur ( presque to heaven ) de la galette précédente. Entrée funèbre, et puis les cendres volent et deviennent poussière d'étoile. Etrange on dirait que cette fois l'on y croit moins. Le monde a changé. Le regard que l'on porte sur lui aussi. Moins de confiance. Hangover : le retour du bâton, je vais vous montrer de quelle gueule de bois je me réchauffe. Splendeurs tonales, toute la mélancolie des rêves brisés. Le grand Cobra n'est-il pas le ver solitaire qui me ronge de l'intérieur. Très beau morceau.

    Etranges ces deux disques. Sonnent américains. Je veux signifier par cela qu'ils ont une qualité d'enregistrement exceptionnelle. Surprenante pour un groupe qui vient de Toulon, mais à consulter le site de Vivarium Production, l'on se dit que Bender a trouvé en cette bonne ville méridionale une pépinière créative en pleine action. Les deux disques sont de même facture mais en un an que de progrès et de maturité acquises. Bender, un groupe à suivre et à surveiller.

    Damie Chad.

     

    30 / 06 / 2019MONCEAU-LES-MINES

    ADA III

    404 ERROR

    ADA, rien à voir avec l'Ada ou l'Ardeur de Nabokov. S'agit de l'Assemblée des Assemblées, liée au mouvement des gilets jaunes. Ne pas confondre avec les tuniques bleues. Beaucoup de parlottes sur les bienfaits de la sainte démocratie pendant que l'Etat aiguise ses serres et que les banquiers entassent les billets. Vaudrait mieux un bon Kick Out The Jam préconisé dès 1967 par le MC 5, mais dans la vie il nous échoit souvent plutôt le pire que le meilleur. Bref cherchez l'erreur. J'ai fini par la dénicher, pour une fois le flair légendaire du rocker n'a pas eu à s'exercer, elle est venue toute seule, par la porte d'entrée et de sortie des oreilles.

    Un petit roseau m'a suffi disait Henrier de Régnier, je suis un peu plus exigeant, me faut un bon balancement électrique, bien cadencé, cela m'arrache de ma chaise automatiquement et mes pas m'entraînent vers le corps du délit – peut-être pour échapper à l'irrémédiable éclat de celui de la Délie – en l'occurrence la fameuse 404 Error. Me presse donc, l'on doit être cinq sur l'ère goudronnée, dans mon entrain je dépasse même un gars qui marche devant moi, c'est lorsque je serai appuyé à la barrière que je réaliserai qu'il s'agit du chanteur qui s'en est venu sans doute au fond du cours vérifier le son. Pas de problème, l'orga n'a pas lésiné sur le matos.

    404 ERROR

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    Ne font que des reprises, ce qui est jouissif certes, je le conçois mais qui reste dommage quand on juge de la netteté de leurs épures. Sont plus qu'au point pour apporter leurs petites contributions personnelles aux trésors du rock. Quatre donc. Trois qui jouent, un qui chante. Pa besoin de plus dans la boite à bouillon-cubes. Un défaut tout de même, perdent trop de temps entre les morceaux, et ce d'autant plus regrettable qu'ils connaissent le répertoire sur le bout des doigts et de la langue. Le public, finiront par avoir une bonne centaine de personnes devant eux, n'aura d'ailleurs de cesse de les presser.

    Fine silhouette sombre, ressemble à un coup de pinceau esthétique d'un maitre calligraphe japonais, Juliet, de profil, le visage intermittent, tantôt caché, tantôt dévoilé, par le double flot de ces cheveux de jais, ses doigts épousent les cordes de sa grosse base, elle vous plaque les accords avec la sérénité d'un samouraï pour qui la mort n'existe pas.

    Jean-Mi ne joue pas de la guitare à moitié. Look de brute biker à la barbe fleurie qui casse du bois rien qu'en fermant les yeux. Et ce qui sort de son ampli ce n'est pas de la mouture charançonnée. Un adepte du gros son. A cette particularité près que lui il ne vous déverse pas les tonitruances comme des tombereaux de pierres sur les pieds. Un soigneux. Lui il brode les riffs, à sa manière, l'ajoute son truc en plume d'aigle royal à chaque motif, vous le connaissez comme ça, et comme ceci avec cette échancrure toute en finesse au milieu, qu'en pensez-vous? On est jaloux, on n'aimerait lui reprocher d'être trop perso, mais non, l'on ne peut pas, l'a de l'imagination, mieux que cela de l'inspiration. L'on dirait un pointilliste qui vous colle le minuscule carré magique de couleur qui n'appartient qu'à lui, et le tableau vous prend une ampleur insoupçonnée.

    Le Bob n'a pas intérêt à jeter l'éponge à chaque round. S'active sur ses fourneaux. Pour la cuisson, c'est du rapide, tourné et retourné, vous sert le cuisseau d'alligator tout dégoulinant de sang, même que parfois il remue encore. Vous donne l'impression d'être à chaque instant à la poursuite du break et hop quand vous croyez qu'il va lui échapper, il vous l'azimute d'un dernier coup. Vainqueur par K. O. et tout de suite il se met en quête du suivant avec lequel il a – quel hasard – un compte à régler. Lui apure l'addition finale de bien belle façon. Se fera ovationner plusieurs fois. C'est que ses trois zigomars ils font dans la quinte flush, le truc que vous avez entendu mille fois, ils vous le restituent à l'identique mais de façon totalement différente, l'arrive un moment où il y en un des trois qui vous file un paquet cadeau supplémentaire, Juliet c'est une basse qui démarre à l'amble, avez-vous déjà entendu un dromadaire baraquer dans la nuit au milieu du Sahara, non, alors je suis désolé, je ne puis vous restituer ce bruit si caractéristique, essayez d'imaginer une fin différente à la pièce de Shakespeare, le râle de regret de Roméo agonisant dans les bras de sa bien-aimée, ou alors c'est Jean-Mi qui vous file un solo, une égoïne crissante à la diable, genre le matin quand vous vous vous lavez les dents à la toile émeri pour avoir une bonne haleine fraîche pour le soir embrasser votre petite amie. Le Bob n'est évidemment pas le dernier dans ce genre de facéties monstrueuses, de temps en temps il prend des vacances, vous laisse en suspend, en plein milieu d'une raquellerie monstrueuse, cascade de pièces d'or sur les toms et puis plus rien, une demi-seconde – en rock c'est l'équivalent d'un semi-millénaire – de silence, et au moment où vous commencez à désespérer comme Oreste dans la scène finale d'Andromaque, splash il vous fend le crâne en deux d'un seul coup à la manière du vase de Soisson, et ensuite alors que vous essayez de recoller les morceaux il poursuit son bonhomme de chemin à toute vitesse.

    Mais voici, celui que tout le monde attend. Une horloge sans lézard tourne à vide. Le bon grain sans l'ivraie de la folie est une erreur de la nature. En rock'n'roll si vous n'avez pas un chanteur qui capte l'attention et la tension, vous pouvez aller vous recycler dans la bicyclette sans roue. Nous le certifions Aurel n'a pas été fabriqué avec de la sciure d'isorel perforé. Sait bouger, sait chanter, sait charmer. Pas de stress, si vous le voyez soudain cavaler vers le micro qu'il a posé un peu n'importe où – surtout n'importe où - se débrouille toujours pour le rattraper juste à l'instant critique. Prend de surcroît le temps de s'ébouriffer les cheveux déjà en bataille, et hop il se lance dans le maelström enflammé de ses congénères et tout de suite l'arc-en-ciel vous sourit en pleines pluie diluvienne, ne force jamais sa voix – l'a des facilités comme l'on dit pour excuser les bons élèves d'être trop bons – mais il vous balance les lyrics avec cette justesse et cette conviction qui force le respect. Exemple, sur le Rock'n'roll de Led Zeppe n'essaie pas de se planter sur le plus haut perchoir du poulailler, il le fait en son propre ton sans esquisser une des modulations stratosphériques nécessaires, et ce sera encore plus évident sur le Whole Lotta Love, vous suit les montagnes russes, passant sans encombres des pentes les plus abruptes aux cimes les plus aiguisées.

    Bref un bon concert. Sans surprise, l'on aurait bien encore smoker on the water, un grand moment, en cachette dans les waters, mais vous connaissez la France profonde des couche-tôt, qu'il faut respecter, le concert s'est achevé bien trop tôt. Bref on a eu le meilleur de l'ADA, l'ardeur rock'n'roll !

    DEUX BECASSES D'OR

    attribuées au rigolo qui tenait à interpréter à tout prix J'ai Dix Ans de Souchon, et à la jeune fille qui s'obstinait à monopoliser le micro pour annoncer la dégustation gratuite de choux à la crème à l'autre bout du campus... Il y a des gens qui ne comprendront jamais le sens de la vraie vie ! Kick Out The Jam, motherfuckers !

    Damie Chad.

    GENE VINCENT AND THE BLUE CAPS

    ( in Rock'n'Folk N° 623 / JUII 2019 )

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    Juste pour info et le plaisir de terminer cette année en citant le nom du plus emblématique des rockers. Page 88, du R'N'F 623, vous trouverez une analyse de la pochette du deuxième LP de Gene Vincent due à Patrick Boudet. Pas vraiment un acharné de la sémiotique – ce qui n'est ni un mal en soi, ni un reproche - Patrick Boudet. Je n'en dis pas plus, ayant pour l'année prochaine le projet d'une contribution vincenale dans les cartons. Keep Rockin' Til' Next Time !

    Damie Chad.

    P. S. : dans le même numéro, une page sur les Grys-Grys chroniqués à plusieurs reprises ces deux dernières années dans KR'TNT ! et le nom de Noël Deschamps, un de nos rockers français préférés, cité à la va-vite en dernière page.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 420 : KR'TNT ! 420 : SAM PHILLIPS / MIKE WILHELM / NAKHT / CRITTERS / PANIK LTDC / NAKHT / RAT TAT TAT TAT / DIG IT ! / WASSUP ROCKER ?

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 420

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    23 / 05 / 2019

     

    SAM PHILLIPS / MiIKE WILHELM

    NAKHT / CRITTERS / PANIK LTDC

    RAT TAT TAT TAT / DIG IT ! / WASSUP ROCKER ?

     

    Uncle Sam

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    Quelque part au fond d’une humble cellule cistercienne, le moine Guralnick se livre corps et âme aux affres des vertiges de l’abnégation maximaliste. Il n’est plus que l’ombre de lui-même, mais son esprit ronfle comme le turbo-réacteur d’une centrale atomique. Il a déjà consacré dix années de sa féroce dévotion à Saint-Elvis dont il relate la geste en deux tomes, avec la minutie d’un apothicaire et l’acuité introspective d’un confesseur. Par son côté pénétrant, le verbe du moine Guralnick frise parfois le blasphème. Ses pairs comme ses lecteurs se demandent parfois jusqu’où le moine Guralnick peut aller trop loin.

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    Du haut d’une chaire en bois sculpté, Cowboy Jack Clement déclara un jour : «Si Elvis est une star, alors Sam Phillips est une superstar !» Cette sentence teinta tant et tant aux oreilles du moine Guralnick qu’il décida voici quelques années de se jeter à nouveau corps et âme dans l’étude de la vie d’un Saint. Il s’agissait bien sûr de Saint-Uncle Sam. Ce qui nous vaut un copieux volume, capable de caler la plus branlante des armoires normandes. L’objet vaut le coup d’œil : plus haut que large, râblé, court sur pattes, bien ramassé, aussi orange que le logo d’une entreprise de travaux publics, une vraie bible de sinécure !

    Le moine Guralnick nous brosse dans cette saga le portrait d’un homme qui échappe définitivement aux normes. Il le rencontre pour la première fois lors d’une inondation et le compare à un prophète de l’Ancien Testament, à cause de son aspect et de sa façon de s’exprimer. Le moine Guralnick apprend ensuite que la famille Phillips accueillait sous son toit les nécessiteux. Quoi que vous puissiez désirer, nourriture, vêtements, abri, affection ou amour, les parents d’Uncle Sam vous laissent entrer chez eux. Ils recueillent notamment Silas Payne, un vieux métayer noir devenu aveugle des suites de la syphilis. Le vieillard est un génie du poulailler qui, même aveugle, sait compter les poules sans se tromper. Adopté par la famille, Silas Paye devint Uncle Silas. Il baptise chacune des poules, elles sont des centaines, chante des chansons et raconte au jeune Uncle Sam une Afrique qu’il n’a jamais connue. Il vivra chez les Phillips jusqu’à sa mort. C’est auprès de lui qu’Uncle Sam découvre la liberté émotionnelle et cette incroyable générosité que savent prodiguer les plus pauvres parmi les pauvres. Ces valeurs intéressent au plus haut point l’Uncle Sam en herbe.

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    Dès le début du récit, on voit Sam Phillips enseigner à ses fils Jerry et Knox l’importance de devenir soi-même, la nécessité de devenir rebelle sans basculer dans la marginalité, de toujours choisir l’individualisme plutôt que le conformisme. C’est son crédo : «You don’t need to be an outcast to be a rebel !» Il dit aussi un jour au moine Guralnick : «Ne laissez jamais la célébrité et la richesse interférer avec ce que vous ressentez au fond de vous, moine Peter, si vous vous savez créatif.»

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    À l’aube de l’ère du 706, Uncle Sam en bave des ronds de chapeau. Pas seulement au plan économique. Comme Uncle Sam reçoit des nègres dans son studio, les voisins blancs lui font des remarques perfides - Everybody laughed at me - L’humour trash des rednecks dégénérés peut aller très loin, si loin vers l’horizon : «Oh tu sens bon aujourd’hui, Sam. Comme si t’avais pas traîné avec cette bande de nègres.» Il en faut bien davantage pour détourner Uncle Sam de son objectif. En attendant, il se tape son assistante Marion Keisker qui lui est tellement dévouée qu’elle dit être son esclave, une expression d’usage courant dans cette partie du monde. L’autre personnage clé de cette époque, c’est bien sûr l’immense Dewey Phillips, le prince de l’inconvenance, le faramineux animateur de l’émission Red Hot & Blue que tous les branchouillards éclairés de Memphis écoutent, comme on écoutait le Pop Club au temps de José Arthur.

    Dans la période qui précède la création de Sun Records, Uncle Sam doit travailler avec Leonard Chess et les frères Bihari, mais il comprend très vite qu’il ne fonctionne pas de la même façon. Les Bihari jouent un double jeu qui ne lui plaît pas, et Leonard Chess ne tient pas sa parole. Pour Uncle Sam, business et honnêteté sont deux mamelles libidinales indissociables. Pire encore : il découvre que Leonard le renard s’intéresse plus à l’excitment qu’au feel. Uncle Sam ne vit que pour le feel et voilà toute la différence. Tout le Sun System se situe là. Quand il dit au pauvre Malcolm Yelvington venu auditionner que sa country music ne l’intéresse pas, Malcolm lui demande ce qu’il cherche et Uncle Sam lui répond qu’il ne sait pas. Il saura quand il aura trouvé. On appelle ça une démarche intuitive. Il est en outre convaincu que la clé du mystère réside dans la connexion entre les races, il sait qu’il existe une relation spirituelle entre les blancs et les noirs, un héritage culturel qu’ils partagent depuis la nuit des temps du Tennessee. En attendant de trouver ce qu’il cherche, Uncle Sam se morfond dans son petit bouclard du 706 : «Ahhhhh, si seulement je pouvais trouver un blanc qui sonne comme un nègre et qui a le Negro feel, je pourrais devenir millionnaire !» S’il est venu s’installer à Memphis, la raison est simple. Il nourrit une conviction : cette ville regorge de talents qui n’attendent qu’une seule chose. Quoi ? Qu’on les découvre. Oh no no no, ce n’est pas une théorie de tour d’ivoire, c’est the goddamn truth ! Mais il lui faut un capital. Il va réussir à le constituer en vendant le contrat d’Elvis pour 40 000 $. Uncle Sam devient avec ce coup-là le Clausewitz du rock.

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    Quand il commence à travailler avec tous ces petits rockers blancs, il est convaincu qu’il tient la solution. Il a tout essayé auparavant, le hillbilly, le blues, le R&B, mais ça ne vend pas. Sun ne fait que survivre. Pénible situation. Uncle Sam sent bien que cette nouvelle musique que le Billboard qualifie de rockabilly va exploser dans le monde entier - This revolutionary music that combined raw gutbucket feel with an almost apostolic sense of exuberance and joy (Cette musique révolutionnaire qui combine le raw du slap avec une exubérance quasiment apostolique) - Aux yeux d’Uncle Sam, cette musique incarne l’essence du futur, la puissance du progrès, l’ivresse du défi, tout ce en quoi il croit mordicus cubitus. Sun Records devient vite une vraie usine. Tout repose sur la confiance qu’Uncle Sam a en lui. Eh oui, cette écurie de stars n’est en réalité qu’une petite boutique, a one-man operation. Uncle Sam encourage, enregistre, produit, diffuse, vend, promeut, il est partout. Les gens qui le voient parlent non seulement de l’intensité de sa ferveur mais aussi du vif argent de son regard. Uncle Sam est hanté par le wild sound du rockabilly, un mot qu’il déteste. L’intensité de son regard est telle qu’elle fout la trouille aux gens ! Jack Clement, du haut de sa chaire en bois sculpté dit même que «le cœur du génie de Sam était de savoir inciter les artistes à vouloir lui plaire». Ce bon Jack Clement dit aussi qu’Uncle Sam est le mec le plus dynamique qu’il ait jamais croisé dans sa vie. «There’s nobody like Sam. Il fout vraiment la trouille aux gens.»

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    Uncle Sam réalise soudain que le rock’n’roll peut changer le monde, grâce au défi qu’il incarne, grâce à sa liberté émotionnelle, grâce à son essence spirituelle. Il s’enflamme très vite : «Chacun des artistes qui est entré dans mon studio portait un lui une sorte croyance en Dieu, qu’il en fut conscient ou pas, qu’il l’ait exprimée ou pas, mais ils ont tous fini par me la révéler dans la façon dont ils faisaient ce qu’il faisaient.» Eh oui, pour Uncle Sam, tout cela relève de l’essence même de la spiritualité. C’est avec l’explosion de Jerry Lee dans le petit studio du 706 qu’Uncle Sam mesure l’incalculable portée de sa vision, car au commencement était non pas le Verbe, mais un tout petit laboratoire du son qui aurait su mettre le paquet sur la spontanéité plutôt que sur la perfection - A minimum of polish and a maximum of spontaneity.

    Uncle Sam est un mec sérieux. Il s’angoisse facilement et un jour son médecin Henry Moskowitz lui conseille de boire un verre ou deux de temps en temps, juste pour calmer la tension intellectuelle. Relax ! Uncle Sam n’y avait jamais pensé. Il suit le conseil du bon docteur et se met à siffler des verre de whisky avec du lait. Il est ravi de constater que ça le relaxe et il est d’autant plus ravi qu’il se découvre un nouveau rayon d’ouverture d’esprit.

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    Lorsque Carl Perkins et Johnny Cash le trahissent en allant signer en cachette chez Columbia, Uncle Sam encaisse bien le coup. Il commence par éviter de s’apitoyer sur lui-même et se dit que la vie lui va lui réserver d’autres belles surprises. Alors here we go ! Depuis toujours, il croit dur comme fer au pouvoir de la pensée positive - the power of positive thinking - Au fond, il se dit que les pauvres Carl et Cash se font rouler par «a bunch of bullshitters talking big money» (une bande de baratineurs à la mormoille qui promettent monts et merveilles). Même chose avec Roy Orbison, lui aussi attiré par les sirènes de la bonne fortune. Mais avec Roy, c’est encore un autre problème : Roy est un perfectionniste et le perfectionnisme terrifie Uncle Sam.

    Et puis à un moment donné, il finit par perdre confiance dans ses deux mamelles, le business du disque et le défi que constitue la gestion d’un label indépendant. Il voit venir les rouleaux compresseurs. Il voit venir l’emprise du very big business sur le marché du disque et le danger que ça représente pour le processus créatif. Uncle Sam décroche. Il se met à boire. Ça le relaxe. Il adore ça. Avec son gros nez rouge, il s’intéresse à l’actualité et admire Fidel Castro, c’est un héros, un révolutionnaire digne de la Révolution Américaine. L’épisode de la Baie des Cochons le choque par son côté stupide : comment ont-ils osé s’attaquer à un homme comme Castro qui défend les intérêts de son peuple ? Au plan personnel, Uncle Sam fait exactement comme bon lui semble. Il reste marié avec Becky, mais vit avec Sally. Jamais d’explications. C’est comme ça et c’est pas autrement. Si t’es pas content, c’est la même chose. He doesn’t give a fuck, comme on dit dans la région. Il se fout éperdument de ce que pensent les autres. Vers la fin de sa vie, Uncle Sam se met à prêcher des heures entières, avec ses cheveux et sa barbe rouge. Il se livre à ce que Jack Kerouac appelle the spontaneous bop prosody, ce qu’Uncle Sam appelle le free spirit.

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    Il accepte de tourner un docu avec Morgan Neville. Le plan de Morgan est de laisser Sam talk himself out, c’est-à-dire parler jusqu’à plus soif. Mais dans la vie de tous les jours, c’est exactement la même chose. Certains soirs, Uncle Sam convoque la famille, Jerry, Knox, Sally et leur enseigne les aspects psychologiques du business. Jerry n’en peut plus : «Ça devient ridicule, on est assis là pendant dix heures à l’écouter parler.» Uncle Sam place désormais toute sa foi dans le Verbe, non seulement pour modifier la structure des molécules et déplacer des montagnes, mais aussi pour ramener Jésus et le Rock And Roll Hall Of Fame à Memphis. Il s’épuise en vain. Le Hall reste à Cleveland et Uncle Sam ne pardonnera jamais à Ahmet Ertegün d’avoir influé pour le choix de Cleveland alors que de toute évidence, le choix de Memphis s’imposait.

    Le chemin de croix de Saint-Uncle Sam est jalonné de pierres blanches, c’est-à-dire de rencontres toutes plus spectaculaires les unes que les autres. Sans Uncle Sam, pas de rock, pas de rien. On en serait restés à Perry Como. C’est aussi simple que ça. B.B. King est l’un des premiers à entrer dans le studio d’Uncle Sam, mais il joue dans un style trop prévisible, même s’il tape dans le wonderful old Mississippi feel. Mauvaise pioche, car B.B. est le cousin de Bukka White, sans doute plus intéressant. Par contre, l’exubérance de Joe Hill Louis parle plus à Uncle Sam - Let’s go hey Caldonia ! - oui, le pouvoir hypnotique de ce boogie lui plaît infiniment, il dévore des yeux un Joe Hill Louis qui se met en transe - crude, raw, perfect in its imperfection - Uncle Sam envoie l’enregistrement de «Boogie In The Park» à Jules Bihari, mais comme personne n’a signé de contrat, Bihari dit à Uncle Sam qu’il n’y a pas de deal donc il n’y a rien. Uncle Sam est tellement choqué par cette arnaque de bas étage, par cet ignoble degré de bassesse, par l’horreur de cette infamie qu’il songe à monter un label. En attendant de prendre une décision, il découvre Roscoe Gordon qui selon lui, ne joue ni du blues, ni de la pop, ni du rock - So we’re gonna call it Roscoe’s Rhythm, lui dit Uncle Sam, qui hennit d’enthousiasme comme un étalon sauvage.

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    Un beau jour Leonard le renard débarque à Memphis. Il flashe sur Uncle Sam et son studio. Il voit tout de suite le blé qu’il peut tirer d’un partenariat et lui propose un deal à 50/50 à la tope-là mon gars. Le premier cut qu’Uncle Sam lui envoie par la poste, c’est le fameux «Rocket 88» d’Ike Turner, qu’on dit être le premier disque de rock’n’roll. Grâce à ce coup fumant, Leonard le renard va se faire des couilles de veau d’or. Pas Uncle Sam.

    Et donc enter Ike, qui vient de Clarksdale. Ike fait un carton dans le petit studio d’Uncle Sam, debout derrière son Wurlitzer et tapant comme un brute sur ses touches. Et comme l’ampli guitare est crevé, le son sort en fuzz. Dans la cabine de contrôle Uncle Sam exulte. Il saute en l’air. Cet Ike que les gens n’aiment pas va rester l’un des plus grands admirateurs d’Uncle Sam, et ce jusqu’à la fin, comme on peut le voir dans le film de Dick Pearce, On The Road To Memphis. On voit en effet entrer dans le champ un Ike dressed to kill en pantalon jaune et chemise mauve et quand Uncle Sam légèrement déstabilisé par un échange musclé lui demande : «Do you love me ?», Ike lui répond sans ambages : «You know I love you. Ain’t gonna never change.»

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    Après Ike, un autre géant se pointe au 706 : Wolf. Et son guitariste Willie Johnson, cherubic face and haunted eyes, qui semble jouer sur deux guitares à la fois - The dirtiest sound you could ever imagine - Uncle Sam frétille comme un saumon en rut. À ses yeux, Wolf est l’artiste définitif, «he sang with his damn soul». Wolf emprunte son howl au blue yodel de Jimmie Rodgers, mais aussi à Tommy Johnson, le bluesman de Crystal Spings, Mississippi, qui ponctuait son blues de worldless falsetto ululations. Avec Wolf, Uncle Sam trouve enfin ce qu’il cherchait : something different - The most different record I ever heard - Aux yeux d’Uncle Sam, si on ne fait pas quelque chose de différent, on ne fait rien. Quand Wolf part à Chicago en 1954 au volant d’un pick-up de 4 000 $, avec en poche les 3 900 $ tirés de la vente de la ferme que lui avait laissée son grand-père, Uncle Sam verse des larmes de sang - Wolf aurait amené une autre approche du rock’n’roll, l’équivalent d’Elvis - Et il ajoute : «J’ai eu beaucoup de chance, mais je regrette d’avoir perdu Wolf. Ça paraît dingue de dire ça, mais c’est un fait. Personne n’a pris autant de plaisir que moi dans la musique de Wolf.»

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    Puis il flashe comme un psychopathe sur Harmonica Frank, a beautiful hobo, short, fat, very abstract. Uncle Sam dit de lui qu’il avait une extraordinaire largesse d’esprit - He had the greatest mind of his own - Et ajoute que ceux que Kerouac appelait les clochards célestes ont par nature l’esprit beaucoup plus ouvert que la moyenne des gens - and that fascinated me from the beginning - Le problème, c’est qu’Harmonica Frank est dur à vendre. Pourquoi ? Parce qu’il faut le voir jouer. C’est un visual act, il chante avec un harmo dans sa bouche, a very fascinating character et Uncle Sam dit qu’on ne gaspille pas les fascinating characters.

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    Bon, Uncle Sam renâcle à monter son label. Il sait que ça va lui bouffer du temps, alors que seule la partie créative du process l’intéresse. Certainement pas la compta. Un jour Sleepy John Estes débarque au 706. Il est aveugle depuis deux ans et vient de s’acheter un dentier. Il commence à chanter et comme son dentier le gêne, il le jette à travers la pièce. Paf ! Ça frappe beaucoup Uncle Sam qui adore les gens authentiques. Alors il lui demande de ramasser son dentier et lui dit : «Save them teeth, you might have a girlfriend that you want to see» (Ramassez votre dentier, ça peut vous servir pour draguer une copine).» Malheureusement, Uncle Sam ne parvient pas à vendre Sleepy John Estes. Cet enregistrement qu’il considère comme priceless ne sortira que trente ans plus tard, en Angleterre. Voilà où réside le génie d’Uncle Sam : dans le temps qu’il accorde à tous ces artistes extraordinaires. Et c’est loin, très très loin d’être fini. Rufus Thomas passe aussi au 706 pour enregistrer le fameux «Bear Cat», pompé sur le «Hound Dog» de Big Mama Thornton, ce qui vaudra à Uncle Sam un procès intenté par Don Robey, le propriétaire du hit. Ah et puis tiens, voilà Elvis. Première session et découverte d’un son nouveau avec un Uncle Sam qui depuis la cabine lance aux apprentis sorciers : «Try to find a place to, start and do it again !» - Et vlan, c’est «That’s Alright Mama» en une prise, sans studio tricks - There was just the purity of the music - Après cette session qu’il faut bien qualifier d’historique, quand Elvis, Scotty et Bill sont repartis chez eux, Uncle Sam reste seul au 706 pour savourer ce moment. Il vient de découvrir un continent. Mais à la différence de cet abruti de Christophe Colomb, Uncle Sam ne fera pas de mal aux gens, bien au contraire. Le sommet de sa collaboration avec Elvis sera «Mystery Train» : à la fin, on entend Elvis éclater de rire. Il croyait que la prise était finie, mais non, la bande tournait - It was in Sam’s mind the very essence of perfect imperfection (dans l’esprit de Sam, on avait là l’essence de la parfaite imperfection).

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    Uncle Sam vend donc Elvis pour sauver Sun, mais il ne peut pas schmoquer le Colonel. D’ailleurs, il l’appelle Tom, et non Colonel, et n’a absolument aucun respect pour ce porc qui l’a insulté en insinuant qu’Elvis n’aurait jamais connu le succès s’il était resté sur un petit label comme Sun. Uncle Sam a vu en outre Parker phagocyter le pauvre Bob Neal et réussir à récupérer le management d’Elvis. Uncle Sam a une sainte horreur des manigances. Alors on imagine sa tête quand il entend dire, bien des mois avant la vente effective du contrat, qu’Elvis est à vendre. Oh, une simple rumeur ! Mais ça le rend fou, car ça met sa boîte en danger. Alors il tape du poing sur la table et appelle Bob Neal pour lui demander des comptes. Il explique à ce con de Bob que cette rumeur est non seulement en train de couler Sun, mais pire encore, elle met sa vie en danger, you’re messing with my life. Il atteint un niveau de colère homérique : «That has got to stop !» (Il faut arrêter ça immédiatement). Mais c’est trop tard.

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    C’est là qu’il comprend qu’il doit vendre. Il doit passer par cette ordure de Colonel et ça le débecte, il ne supporte pas qu’on l’oblige à agir contre son gré, mais en même temps, la froideur de son intelligence lui commande d’agir et de vendre. Le génie d’Uncle Sam consiste à transformer une situation éminemment périlleuse (les manigances du Colonel dans son dos) en remise à plat financière, celle qui va lui permettre de continuer à découvrir des artistes différents en toute liberté, dans la joie de Sun et dans la bonne humeur du power suprême. Ce dont sont manifestement privés RCA et le Colonel. Quand Uncle Sam entend le premier single d’Elvis sur RCA, le fameux «Heartbreak Hotel», il grommelle - It was just too goddamn slow for a rhythm man - Et ajoute que ça sonne comme a morbid mess. Uncle Sam dit et redit à Steve Sholes, le mec qui a financé le rachat du contrat d’Elvis : «N’essayez pas de transformer Elvis en ce qu’il n’est pas. Ce serait une grave erreur que de vouloir en faire some damn country artist, ou n’importe quoi d’autre, si ça ne lui correspond pas. Just keep it as simple as possible.» Évidemment, ces pommes de terre vont faire tout le contraire et transformer un mec aussi parfait qu’Elvis en baudruche. Bien des années plus tard, Elvis invite Uncle Sam à venir le voir chanter à Las Vegas. Ils se retrouvent après le concert et Uncle Sam lui dit que «Memories» est une chanson qui plombe le set. Mais Elvis lui répond : «Mais Monsieur Phillips, j’adore cette chanson». Et bien sût il va continuer de la chanter. Et quand Uncle Sam déclare qu’Elvis est depuis Jésus le plus grand homme qu’on ait vu marcher sur terre, il est obligé de préciser : «Je ne parle pas de lui en tant qu’individu mais en tant qu’influence.»

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    Et puis voilà Carl Perkins. Uncle Sam entend tout de suite quelque chose dans sa voix There was some real push to the way this old lantern-jaws farm boy played and sang (Il y avait vraiment un truc puissant dans la façon dont jouait et chantait ce plouc à gueule de lanterne) - Il sonnait comme un hopped-up Hank Williams par la façon dont il sautait sur le râble de ses paroles. Mais Uncle Sam est encore plus éberlué par sa façon de gratter sa gratte, par les dancing little fills qu’il place entre deux hoquets spasmatiques, par la façon dont il alterne la chant et la guitare, avec un naturel qu’il n’a encore jamais vu chez les autres hillbillys. Uncle Sam est complètement fasciné par Carl’s coutagiously upbeat, shimmering hop style. Il dit à Carl qui rougit de fierté : «You’re my rocker now !» Sacré compliment, surtout après le départ d’Elvis. «Blue Suede Shoes» explose la boutique Sun. Les ventes atteignent les 865 000 copies durant le deuxième trimestre 1965. Au secours ! Ils ne sont que trois chez Sun, Uncle Sam, Marion et Sally - The world had turned upside down - Ils y passent les jours et les nuits, à faire les cartons, à taper les factures, l’enfer ! Pour Carl, Uncle Sam est un dieu : c’est lui qui lui paye ses premières fringues chez Lanski, puis sa première Cadillac. Mais quand il vient la chercher pour aller enregistrer sa première télé à New York, elle n’est pas prête. En attendant, Mr. Canepari lui propose une Chrysler Imperial huit places de 1953, «built like a railroad car», oui, solide comme un wagon de chemin de fer. Quand Dick Stuart s’endort au volant de la Chrysler, la bagnole fait quatre tonneaux et plonge droit dans un ravin. C’est la solidité de la Chrysler qui sauve la vie de Carl. Merci Mr. Canepari !

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    Mais comme chacun sait, Uncle Sam ne s’entend pas aussi bien avec tout le monde. Exemple, Charlie Feathers, the cream of the crop, un esprit incandescent basé à Shayden, Mississippi, pas loin d’Holy Springs. Un Charlie Feathers élevé au bluegrass de Bill Monroe et au cotton-patch blues, mais doté d’un sale caractère. Il ne croit personne. Il fatigue tout le monde. Uncle Sam n’en veut pas. Trop country.

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    Épisode beaucoup plus épineux : Johnny Cash. Aux yeux d’Uncle Sam, Johnny Cash n’est pas simplement un nouveau bon chanteur, c’est un chanteur différent - a singular one - Uncle Sam le fabrique littéralement. Il en fait une star. Le problème c’est que Johnny Cash se conduit comme la dernière des bordilles. Il signe en cachette un pré-contrat chez Columbia qui prend effet le jour où son contrat Sun s’achève. Méchante connerie. Johnny Cash ne sait même pas comment il va pouvoir annoncer la nouvelle à Monsieur Phillips, un homme auquel il doit tout, absolument tout, sa chemise, sa bagnole et sa femme. Sans Uncle Sam, Cash n’est rien. Sans Uncle Sam, Cash n’est qu’un con. Et ce con réussit l’exploit de lui faire un enfant dans le dos. Ah ils sont forts, les Walk the line ! Évidemment Uncle Sam entend parler de cette histoire de pré-contrat. Mais il refuse d’y croire. La rumeur persiste, véhiculée par les distributeurs. Même genre de rumeur que celle qui annonçait la vente du contrat d’Elvis. Mais si, il a déjà signé chez Columbia ! Uncle Sam n’y croit pas. Il fait confiance. Si c’était vrai, Johnny lui aurait dit. Et si c’est un problème d’argent, une augmentation du pourcentage des royalties, on règle ça d’homme à homme. Hélas, il finit par apprendre la vérité. Il appelle aussi sec ce con de Bob Neal qui est forcément au courant et lui dit qu’il arrive dans cinq minutes et qu’il veut voir Cash. Il voit Cash et lui balance, en le fixant dans le blanc des yeux : «Alors tu as signé avec un autre label ?» Et Cash répond, en fixant le sol : «Oh non, Monsieur Phillips, c’est pas vrai !» Uncle Sam est atterré. Il a des bulles au coin de la bouche. Cash lui ment ouvertement - The man was lying to him to his face - Il ment comme un arracheur de dents. Une authentique sous-merde. La reine des fiottes. Le pire résidu de fausse-couche qui ait jamais existé ici bas. Uncle Sam sait qu’il ment car il a mené l’enquête en se rendant à l’American Federation of Musicians à New York. Il sait que Cash a signé un agreement. Cash continue à nier. La scène est tellement atroce qu’on souffre avec Uncle Sam. L’air devient irrespirable. Le pauvre Uncle Sam rôtit en enfer à cause de cet homme en qui il plaçait toute sa confiance. Plus question d’écouter les disques d’un mec comme Cash.

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    Bien atteint malgré tout le power of positive thinking, Uncle Sam tente de redémarrer avec des gens comme Warren Smith et Sonny Burgess, mais la magie Sun en a pris un coup dans le casque. Bon, Uncle Sam trouve que Warren Smith dispose d’un potentiel illimité pour la country, donc c’est pas sa came. En plus, Smith n’est pas particulièrement bien apprécié par ses musiciens. Uncle Sam ajoute que Smith est le genre de mec qui a besoin d’être adulé. Mec compliqué. Par contre, c’est beaucoup plus simple avec Sonny Burgess qui ramène chez Sun un peu de ce mayhem qu’apprécie tant Uncle Sam. Il enregistre une version pourrie de «Red Headed Woman». Sonny veut la refaire mais Uncle Sam la trouve parfaite. Pareil avec le «Come On Little Mama» de Ray Harris, joué et chanté à la maniacal energy. Les paroles sont incompréhensibles et Uncle Sam adore ce genre de frichti éruptif. Roy Orbison ramène aussi sa fraise au 706 et comme il voit qu’Uncle Sam ne s’intéresse pas assez à lui, il quitte Sun dans la foulée de Carl Perkins et de Johnny Cash. Uncle Sam ne fait rien pour le retenir. Roy est trop parfait. C’est pas sa came. D’ailleurs, il avait confié à son nouveau lieutenant Jack Clement le soin d’enregistrer et de produire Roy Orbison. Clement voulait aussi produire Cash et Carl Perkins, mais Uncle Sam se les réservait.

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    Un beau jour, Jerry Lee débarque chez Sun avec son père Elmo et annonce qu’il est le Chet Atkins du piano. Comme Uncle Sam est en déplacement, c’est Jack Clement qui l’auditionne. C’est même tellement bien qu’il l’enregistre. De retour au bercail, Uncle Sam écoute la bande et s’exclame : «Now I can sell that !» Il veut Jerry Lee au 706 aussi vite que possible. Il s’aperçoit très vite que Jerry Lee est le mec le plus talentueux qu’il ait rencontré. Pas le plus charismatique (c’est Elvis), pas le plus menteur (c’est Cash), pas le plus profond (c’est Wolf), mais le plus musical, celui qui shoote le plus de jus dans sa musique. Un type capable de s’approprier n’importe quelle chanson pour en faire du Jerry Lee. Uncle Sam n’a encore jamais rencontré un type doué d’une telle confiance en lui. Et tout explose avec l’enregistrement de «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On», a breathtakingly iconic moment, J. M. Van Eaton et Roland Janes accompagnent ce démon de Jerry Lee, puis ils enregistrent l’encore plus faramineux «Great Balls Of Fire» composé par un nègre nommé Otis Blackwell. Jerry Lee monte à New York et débarque devant les caméras du Steve Allen Show et à la fin du set, il donne un violent coup de talon dans son banc de pianiste. Comme par réflexe, Steve Allen renvoie le banc d’un coup de pied sur scène. Godness Gracious ! «Whole Lotta» se vend à un million d’exemplaires. Jerry Lee explose Sun à son tour. Puis le scandale éclate à Londres et la carrière du pauvre Jerry Lee bat de l’aile. Uncle Sam fait partie de ceux qui prennent sa défense. Ses cachets passent de 10 000 $ à 250 $. Jerry Lee sait qu’il ne peut rien faire. Se jeter par terre et pleurer ? No way. Il reste Jerry Lee, the only one.

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    Avec Billy Lee Riley, Uncle Sam rencontre le même problème qu’avec Charlie Feathers : temperamental and difficult to work for. Surtout quand il a bu. Et ses disques ne sonnent pas comme des hits aux oreilles d’Uncle Sam, ce qui est bien pire. Mais quand il se rend à Chicago et qu’il voit Chuck Berry en session chez les frères Chess, Uncle Sam voit toute la différence. Pour lui, Chuck a cet abandon. Rien ne peut résister au génie de Chuck. Dernier essai avec Charlie Rich, un pianiste extraordinairement doué et amateur de jazz. Aux yeux de Barbara Pittman, la compagne de Jack Clement, Elvis était mignon, mais Charlie est vraiment un bel homme - Handsome - Uncle Sam voit clairement son potentiel artistique. Charlie Rich amène un autre genre de sex appeal chez Sun, avec ses cheveux grisonnants et sa forte stature.

    Autour d’Uncle Sam gravitent son frère Jud et ses fils Jerry et Knox. Jud s’est mis à boire pour de vrai, il boit en allant se coucher et il boit dès le réveil. Mais il est tellement flamboyant qu’on ne sait jamais s’il a bu ou pas. Jerry commence à se faire tatouer et Uncle Sam s’en aperçoit. Il lui lance : «Man, if you want to be a freak why don’t you just cut your damn arm off ?» (Fils, si tu veux te rendre intéressant, pourquoi ne te coupes-tu pas un bras ?). Une sortie digne des oracles de Delphes qui reste dans la légende de la famille Phillips.

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    Mais au fond de lui, Uncle Sam en a marre. Il songe déjà à vendre Sun. Il voit comment évolue l’industrie musicale et il sent que les jours des labels indépendants sont comptés. Inutile de se raconter des histoires et d’en raconter aux autres, surtout aux artistes sous contrat. Le 1er juillet 1969, il vend Sun à Shelby Singleton. Il faut savoir que Warner Bros. a racheté Atlantic en 1967 pour la coquette somme de 17,5 millions de $ et Leonard le renard a vendu Chess à GRT 6,5 millions de $ en décembre 1968. Le moment est venu de passer à autre chose. Jerry Lee en veut terriblement à Uncle Sam : «Sam Phillips screwed everything up». Après la vente, Uncle Sam décide de se retirer et pendant vingt ans. C’est simple, il disparaît complètement des radars. Il vit de ses rentes et gère des stations de radio. Il se laisse pousser les cheveux et la barbe et teint tout ça d’une couleur qui mettra un peu de temps à se stabiliser. Méchant look ! Pour lui, c’est plus une question d’obligation que de vanité de soigner son look.

    Lorsque le docu de Morgan Neville est présenté à Memphis, on organise à la suite un concert en l’honneur d’Uncle Sam. Fier d’avoir été avec les Jesters le dernier artiste produit par Uncle Sam, Jim Dickinson monte sur scène et claque une violente version de «Cadillac Man». Puis Billy Lee Riley, costard rouge et white hair rocks the house avec son vieux «Red Hot». S’ensuit Ike Turner, aussi jeune de corps et d’esprit qu’Uncle Sam, qui s’en vient stormer Memphis avec «Rocket 88». C’est à Jerry Lee que revient l’honneur de fermer la marche des géants, ce qu’il fait in typical Jerry Lee Lewis fashion, avec un coup de talon dans le banc de pianiste.

    Uncle Sam est un gros veinard. Ses deux femmes, Sally et Becky l’ont adoré jusqu’au bout. En 1993, pour le cinquantième anniversaire de leur mariage, Becky lui écrivit : «Mon très cher Sam. Voici cinquante ans, j’ai offert mon cœur à l’homme de mes rêves. Dès le premier moment où je t’ai vu, ce jour de pluie en septembre, j’ai su que tu serais l’homme que l’allais aimer ma vie entière. C’était un sentiment vraiment surprenant. J’en étais convaincue, sans même y avoir réfléchi. J’éprouvais réellement ce sentiment... alors que je te voyais pour la première fois avec ce vent et cette pluie sur tes cheveux.»

    Signé : Cazengler, Sam Syphilis

    Peter Guralnick. Sam Phillips. The Man Who Invented Rock’n’Roll. Little, Brown 2005

     

    Le dilemme de Wilhelm

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    Un vieux copain d’enfance me disait l’autre jour : « La dernière fois que je t’avais vu dans les années soixante-dix, tu avais l’album de Mike Wilhelm dans les mains. Et quand je t’ai revu trente ans plus tard au salon, tu avais le même disque dans les mains. Bizarre, n’est-ce pas ? »

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    Bizarre en effet. J’avais ramené cet album de Londres en 1976. Mike Wilhelm était entré chez moi par la grande porte avec Loose Gravel et le single « Frisco Band » et il faisait alors partie de la bande des héros, au même titre que les Groovies, les Stooges et Captain Beefheart, Jerry Lee, Wolf et Jesse Hector. Il est vrai qu’à l’époque de la parution du single, nous écoutions « Frisco Band » en boucle. Et cet album ramené de Londres - simplement titré Wilhelm - n’en finissait plus d’épater la galerie. On trouvait sur ce disque des versions imparables de classiques du blues, de type « Dust My Blues », que Mike envoyait dans la barbe d’Elmore, il fallait voir comme. On sentait tout de suite que Mike Wilhelm était un éminent spécialiste du blues. Il sortait un son énorme, avec ce vieux standard. Chris Wilson faisait partie de l’équipe qui jouait « Slow Blues », un blues classique joué dans la meilleure des traditions. On trouvait aussi sur cet album le fameux « Junko Partner » dont parle Dr John dans se mémoires, le chant des taulards d’Angola. Dennis Wilson se trouvait dans les chœurs. Mike Wilhelm tapait aussi dans le folk-rock dylanesque avec « Goin’ To Canada ». Il chantait à la force d’une voix terrible. Et on tombait ensuite sur « Styrofoam », popularisé par Sean Tyla, pur jus de blues-rock monté au gimmick marche-arrêt dans une fantastique ambiance de son clair. Encore plus spectaculaire : « Black Mountain », fouillis de guitares monté sur drumbeat choo-choo train, fantastique épopée et l’harmo fait le sifflement du train round the bend. Puis Mike tape dans une subtile compo de John Phillips, « Me And My Uncle » et en fait un blues de desperado, c’est la vraie voix du blues blanc - Texas cowboys rode into town - Il tape ensuite dans le psyché californien de très haut vol - type Moby Grape - avec « Hear The People ». C’est le grand rock californien pris dans la vélocité des nappes de bottleneck ensoleillées. S’ensuit un fantastique heavy blues, « Bad News », amené au stomp, et on sent la merveilleuse alchimie de la moutarde qui monte au nez. Il termine sur un hommage sidérant à Robert Johnson, « Phonograph Blues », qu’il joue seul. Vous cherchez un grand disque ? En voilà un.

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    Pour ceux qui voudraient écouter « Frisco Band », rien de plus facile : on trouve ce cut magique sur une espèce de compile parue en 1996, « Thanks For The Memories ». Il semble que Loose Gravel ait été enregistré en 1976 dans un café de Frisco. Les morceaux sont exceptionnels. Mike Wilhelm et ses deux collègues jouent une sorte de folk-rock acide, au sens ravageur du terme. Avec « Blue Skies & Sunshine », il tape dans l’atmosphère des bouges. « Can You Do it/ Waiting In Line » est un vieux boogie blues sans espoir. Mike Wilhelm attaque « Frisco Band » au bottleneck et emmène le cut aussi sec à l’autel des dieux du rock. Il chante ça au velouté, avec un léger parfum de gangstérisme - We’re a Frico band in your town - Il enchaîne avec le « Love In Vain » de Robert Johnson et indique que le vieux Robert l’a volé à Mick Jagger en 1936. Hommage stupéfiant. Il fait décoller ce truc et bricole une chute terrible - All my love in vain - Il continue avec du Robert Johnson revu et corrigé par Johnny Cash : « Travelin’ Riverside Blues ». On tombe sur le vieux tagaga des Memphis Three. Mais Mike en fait une horreur de blues rock. Puis c’est « Gravel Rash », boogie blues rock embarqué pour le meilleur et pour le pire - Gravel rash baby ! - et il revient au heavy blues pour « Sittin’ On Top Of The World ». On trouve à la suite des versions superbes de « Styrofoam » et de « Dust My Broom ». Mike chante comme un bandit de grand chemin. Il tape aussi dans le fameux « The Last Time » des Stones pour rigoler. Le riff est là, fidèle au poste. Pour un disque passé inaperçu, c’est pas mal, non ?

    Desperado ? Charlatans ? Loose Gravel ? Avec Mike Wilhelm on entre dans un univers exceptionnellement riche. Il suffit de voir les rares photos de Loose Gravel, ce trio de bikers californiens chevelus qui ressemblaient à de vrais truands. Mike Wilhelm portait les cheveux longs séparés par une raie sur le côté, une longue barbe et du cuir noir. Ses joues étaient creuses et sa mine rébarbative. Sur son site, il fait mention de la piraterie et rappelle qu’il existe un lien entre San Francisco et les pirates, par le simple fait que Robert Louis Stevenson y séjourna. Stevenson ? Oui, l’auteur de L’Ile Au Trésor et donc de la fameuse chanson « The Derelict » qu’on retrouve sur le mini-album « Back On The Barbary Coast » qu’il enregistra avec Chris Wilson - Fifteen men on a dead man’s chest/ Yo ho ho and a bottle of rum ! - Mike et ses frères de la côte - James Ferrel, Danny Mihm et Chris Wilson - trinquaient à la santé du diable avec « The Derelict ». Ils entonnaient cette chanson de pirates avec ferveur et nous donnaient à savourer un pur moment de sauvagerie mythologique.

    Il faut dire que Mike Wilhelm est une force de la nature. Il parle comme Mark Lanegan d’une voix naturellement grave, joue de la guitare comme un virtuose et combine tout ça avec une physionomie d’aventurier, visage taillé à la serpe avec des pommettes hautes et le regard plissé d’un homme qui ne craint ni la mort ni le diable.

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    L’amusant de la situation est qu’il a, comme beaucoup d’artistes cultes, échoué à une époque sur New Rose : on trouvait sur ce label si injustement critiqué des gens comme Bruce Joyner, Jeffrey Lee Pierce, Chris Bailey et Tav Falco, pour ne citer que les plus connus. Mean Ol’ Frico parut sur New Rose en 1985 dans la plus parfaite indifférence, et pourtant, quel album ! Mike y chantait « A Moving Experience » d’une voix de crocodile et attaquait ensuite un boogie blues affolant de tenue et d’intégrité, « Can’t Bank On You ». On trouvait dans son backing band des gens comme John Cipollina et Greg Elmore, de Quicksilver. Cipo passait une fantastique partie de slide dans « Howard Hughes Bughes » et on se retrouvait dans une espèce de Chicago blues à la Butter avec de l’harmo, des cuivres et un joli driving beat. Wow, quel son ils sortaient ! Puis Mike tapait dans une vieille compo de Van Dyke Parks, pur country-rock lumineux qui renvoyait au temps béni des Charlatans. On avait là une vraie chanson au son plein et imprégnée d’esprit intrépide. Mike Wilhelm jouait comme un dieu. Précisons qu’à cette époque, on trouvait très peu de disques de ce niveau. Puis il nous gâtait avec une reprise sublime de « Chimes Of Freedom » et marquait ainsi son allégeance à Bob Dylan. Sur la B, il repassait au son classique californien avec « Jamming In The Park » qui sonnait comme Quicksilver, logique, vu qu’on y retrouvait Cipo, Greg Elmore et le beat de « Mona ». S’ensuivait un « Bead Deal Blues » intense et suivi à la clarinette et Mike revenait à Dylan avec « From A Buick Six » superbe d’embarquement pour Cythère. Pour finir, il rendait deux hommages vibrants : le premier à Muddy avec « All Aboard (Mean Ol Frisco) » chanté dans l’esprit et battu à la diable par Greg Elmore, et le second à Big Bill Broonzy, « Keys To The Highway » qu’il jouait à la décontracte absolue. Ah mais quel fantastique bluesman !

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    Autre album de Mike Wilhelm sur New Rose : Wood And Wire. C’est l’occasion de tirer un coup de chapeau à Patrick Mathé, le boss de New Rose, qui fit paraître un album condamné d’avance. Mike Wilhelm joue ses cuts à l’ongle scintillant et au picking éclairé, avec un son extraordinaire. Avec « Charlie James », on s’ébahit de la virtuosité de ses ongles. Ah il faut l’entendre ramener sa grosse voix de bouc ! Il chante « 500 Miles » comme un punk et joue en picking. Il gratte tous ses trucs à l’ongle sec. Ce picking de cordes claires finit par monter au cerveau. Avec Nob Hillbillies », on voit qu’il en pince de plus en plus pour le picking. Mike Wilhelm pourrait bien être l’orfèvre florentin du bluegrass d’herbe grasse. Il joue « C Street Rag » au coin d’un chariot de la Conquête de l’Ouest. Franchement, le mec de New Rose était courageux de sortir un album aussi âpre - comme le sont tous les albums de puristes, Don Cavalli, John Fahey, etc. - Mike Wilhelm prend « Devil’s Gate » à l’haletante. Il joue des arpèges mystérieux et passe à la virtuosité survoltée. Avec « I Saw Her », on croirait entendre Alexandre Lagoya au coin de feu, dans les ruines d’un ranch isolé. Il a une flèche plantée de la dos et au loin hurlent les coyotes. Il va bientôt s’écrouler dans les braises. Puis il claque « Ghost Train » à l’ongle SNCF et tape « Love Is Strange » à l’arpège cavaleur. Il y a dans cet album un brouet de technicité qu’on ne voit pas couramment.

    Les Charlatans étaient comme les Groovies, un gang à part. Ils s’habillaient avec des costumes « victoriens » et sur pas mal de photos, on les voit porter des armes. C’est l’époque où ils jouaient au Red Dog Saloon, à Virginia, dans le Nebraska. Ils portaient des armes, parce que dans ce patalin, tout le monde en portait. Mike portait un Colt 45 Peacemaker et les autres avaient des Derringers. Il avait aussi un 357 Magnum chargé dans la poche arrière. Michael Ferguson portait en permanence un Beretta. Mike explique qu’il n’y avait que 5 flics dans tout l’état et des rednecks partout. Alors forcément, comme les Charlatans portaient les cheveux longs, ils se mettaient en danger. Les gens disaient à Mike :

    — T’as l’air d’un freak et tu portes une arme ? Alors tu ne dois pas être si con que t’en as l’air.

    À l’époque des Charlatans, Mike est surtout fasciné par Nervous Norvus, Johnny Cash et Carl Perkins qu’il tient pour l’un des plus grands guitaristes de rock. Il écoute aussi John Lee Hooker et B.B. King (« Powerful stuff »). Il rappelle surtout qu’il s’est mis à jouer de la douze cordes à cause de Leadbelly. Sa première douze fut une Dan Electro puis quand il en eut les moyens, il s’offrit une Rickenbacker.

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    L’album officiel des Charlatans sort en 1969. Il s’ouvre sur un énorme classique folk-rock digne des Byrds, « High Coin ». On sent immédiatement la classe dominante. On trouve quatre brillantes compos de Darrell De Vore sur cet album, à commencer par « Easy When I’m Dead » joué avec le brio du brillant. « Time To Get Straight » est digne de figurer sur l’album « Five Dimensions » des Byrds, ainsi que « Doubtful Waltz » et « When The Movies Are Over ». Cette belle pop psyché sonne au velouté du gros cirque californien. Ces morceaux envoûtent littéralement. Mike Wilhelm se réserve la part du lion avec « Folsom Prison Blues ». Il sort sa meilleure vox populi et joue ce cut culte au picking des Appalaches mâtiné de bluegrass d’Orzac. Wow, quelle petite pêche alerte ! Ça grouille de jus. Mike prend son « Wabash Cannonball » au débotté et en fait un sacré rock’n’roll de country-size des collines de la frontière sauvage. Ce mec sait rester altier. Mike Wilhelm fut conçu pour jouer et chanter du rock, ça ne fait aucun doute, il a toutes les incitations, toutes les déclinaisons, toutes les dispositions et toutes les installations pour ça.

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    Deux albums des Charlatans sont sortis dans les années 80 : Alabama Bound et The Autumn Demos. L’un comme l’autre sont hautement recommandables car très joués. C’est la branche swing de la scène de San Francisco. Quand on écoute « Alabama Bound », on voit que ces musiciens sont très sérieusement ancrés dans le son bluegrass d’accords clairs. Ils jouent comme de parfaits démons. Voilà ce qu’il faut bien appeler un jug-band, comme l’étaient les Groovies au temps de Sneakers. De la même façon que Jim Dickinson, ils se passionnent pour le « Codine » de Buffy Sainte-Marie. Le morceau-phare de l’album s’appelle « Devil » - I’d like to be the devil to satisfy my man - Sacrément accrocheur, arpeggié dans l’âme. Et on a ce fabuleux country-rock à la suite, « Long Came A Viper », beau brin de hit dylanesque, avec exactement la même diction. Sur « By Hook Or Crook », ils sonnent carrément comme les Stones d’« Off The Hook » et sur « Baby Won’t You Tell Me », Mike Wilhelm prend un solo à la sauvage incroyablement dédouané. L’A s’achève sur l’excellence ferroviaire de « Side Track ». Ils démarrent la B avec une reprise des Coasters, « The Shadow Knows » et enchaînent avec « 32-20 » de Robert Johnson, emmené à grand train de choo-choo et joué à la dentelle des enfers par l’ami Mike. Ah quel rythme ! Ce mec est beaucoup trop doué. Quant au mimi-LP des Autumn Demos, c’est encore pire. On goûte à l’incroyable vitalité du son dans « The Blues Ain’t Nothing ». Ces gens-là ont le diable dans le corps. En B, on tombe sur « No 1 », une belle pièce de folk-rock qui sonne comme un hit inconnu et qui est une parodie des hits sixties. Quant à « Jack Of Diamonds », c’est joué au tagada, mais pas celui de Johnny Cash, c’est un tagada beaucoup plus soutenu. On est là dans le far-west de saloon. Simple souci cohérence.

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    Mike Wilhelm est toujours d’actualité. En 1997 paraissait Live In Tokyo et bien sûr il attaquait avec « Banzai Boogie », un énorme raid de boogie. Plus loin il présentait « Charlie Jones » : « This is a song I learned from Mance Liscomb, from Texas. It’s called Charlie Jones ! » - Et il nous claquait ça à l’arpège ultime. Puis il annonçait « Stateboro Blues » : « This is by Blind Willie MacTell ! » Et il jouait des milliers de notes claires. Ça devenait particulier, car on entendait beaucoup trop de notes. Même chose avec « Friend Of The Devil », trop chargé de notes claires. Mike nous chantait ça au beau baryton tout en démultipliant ses kyrielles de notes translucides. Puis il allait chercher « Fresno Shuffle », un vieux shuffle des années cinquante. Il swinguait bien son chant, oooh bah doo bee doo wapp ! Il revenait au blues des origines, avec Robert Johnson et son fameux « Come On In My Kitchen » et comme John Hammond, il enchaînait avec « Walking Blues » - My favorite memory of Pigpen playing guitar for the Grateful Dead - Il présentait chaque fois ses chansons d’une manière spéciale. Pour « C Street Rag », il lançait aux Japonais : « That sounded like many pianos pushed down a cliff. This is my attempt to recreate that sound ! » - Et il bouclait son set avec un fantastique « Love Is Strange » joué en duo avec un guitariste japonais - When you get it you never want to quit !

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    En 2002, il sortait « Junko Partner », encore un sacré disque, qui est aussi une sorte de compile, puisqu’on y retrouve pas mal de choses connues de nos services. Elle vaut évidemment d’être traquée et rapatriée, car c’est du double concentré de Mike Wilhelm. On y retrouve le fantastique « Goin’ To Canada », fantastique aventure folk-rock des familles, ainsi que « Styrofoam », vrai punk-rock stratosphérique. Mike revient à l’Americana des Appalaches avec « Black Mountain » et c’est avec une joie non feinte qu’on retrouve sa fabuleuse version du « Me And My Uncle », le folk-blues signé John Phillips. Avec « Slow Blues », on est au cœur du blues à l’état le plus pur et Mike enchaîne avec sa version sauvage de « Dust My Blues ». Merveilleuse pièce que ce « Bad News » heavy-boogie joué à la slide. Puis il sort sa meilleure voix de crocodile pour « A Moving Experience ». Comme tous les grands chanteurs américains, il bouffe tout. Il passe ensuite au heavy blues avec « Can’t Bank On You » et nous gratifie d’une belle dégelée atmosphérique. Et voilà une version magique de « High Coin », l’un des hits de l’album des Charlatans. Rien d’aussi lumineux, Mike l’emmène au paradis du picking enchanté. C’est mélodiquement pur et rehaussé de tortillettes country. Hallucinant ! Pur génie. On voit rarement des cuts aussi effervescents. Puis il explose littéralement le beau « Chimes Of Freedom » de Dylan. Il rejoint son idole à l’angle de la mélodie. Il rend aussi hommage à Bo et à Quicksilver avec « Jammin’ In The Park », puis avec « From A Buick To Six », il devient carrément violent. Ça reste hot jusqu’au bout du disque, avec d’autres merveilles du type « All Aboard » ou « Keys To The Highway » de Big Bill Broonzy. Encore un album dont on sort sur les genoux. Trop de qualité et trop de densité. C’est le genre du disque qu’il faut éviter lorsqu’on sait sa constitution fragile.

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    Live At The Cactus date de 2007. C’est toujours Patrick Mathé qui veille au grain puisque l’album est paru sur Last Call, qui est la suite de New Rose. Ce disque propose un concert enregistré au Cactus, à Rennes, en 1993. Le syndrome Wilhelm se reproduit : trop de virtuosité. Il tape dans les Byrds avec une reprise de « Feel A Whole Lot Better » qu’il pince et qu’il repince à la folie. Puis il passe à Dylan avec « Chimes Of Freedom ». Ce mec joue vraiment comme un démon. Les notes jaillissent de partout. This is a train song, lance-t-il pour présenter « 500 Miles » et le train accélère. Il noie ça dans les arpèges. Il joue à l’effervescence pure. Il claque des vieux accords de blues pour « Slow Blues ». Il chante ça d’une voix de mentor et éclate un nouveau coup de « Devil’s Gate ». Il prend « If You Live » de Mose Allison au boogie blast et claque des vieux coups de night time pour « Night Time Is The Right Time ». Mike Wlihelm est un bouffeur d’écran. Il perd patience et attaque fiévreusement son « Dust My broom ». Il passe ensuite au saint des saints avec une version hallucinante de « Shake Some Action ». Il joue le riff à merveille - I will fly away/ to get to you some day - Et il redescend comme il faut sur le petit passage d’accords du refrain. Il sait aussi jouer le ragtime, comme on le constate à l’écoute de « Make A Pallet On Your Floor ». C’est énorme d’Americana patentée. Le voilà qui s’en prend à « Statesboro Blues » qu’il chante avec force et il met « Johnny B. Goode » en charpie. Il explose tout.

    Aujourd’hui il n’explose plus rien, puisqu’il vient de casser sa pipe en bois. Voilà un autre géant qui disparaît de la surface de la terre, mais ne cédons pas à la tristesse, car Mike Wilhelm ne rêvait que d’une chose : monter au paradis des nègres retrouver tous ces vieux crabes qui le fascinaient, à commencer par Mance Liscomb et Robert Johnson. Il est d’ailleurs l’un des rares blancs avec Jim Dickinson autorisés à entrer là-haut.

    Signé : Cazengler, le Wilhain petit connard

    Mike Wilhelm. Disparu le 14 mai 2019

    Charlatans. The Charlatans. Phillips 1969

    Mike Wilhelm. Wilhelm. United Artists ZigZag 1976

    Mike Wilhelm & The Frisco Jammers. Mean Ol’ Frisco. New Rose Records 1985

    Mike Wilhelm. Wood & Wire. New Rose Records 1993

    Loose Gravel. Thanks For The Memories. Bucketfull Of Brains 1996

    Mike Wilhelm. Live In Tokyo. PSF Records 1997

    Mike Wilhelm. Junko Partner. Mis 2002

    Mike Wilhelm. Live At The Cactus. Last Call 2007

    Charlatans. The Autumn Demos. Line Records 1982

    Charlatans. Alabama Bound. Eva Records 1983

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    Cream Puf War #2. February 1993

    17 / 05 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    KRITTERS / PANIK LTDC

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    La teut-teuf carbure, je suis à la bourre, l'a beau slalomer et griller les feux, elle ne s'appelle pas Marcel Proust, elle ne peut pas rattraper le temps perdu, comble d'énervement la radio ne diffuse que de la daube noire, un truc à pousser les auditeurs sur les rails du premier train qui passe. Bref entubé dans l'embouteillage, j'en viens par désespoir à caler le poste sur Europe 1. C'est ici que se révèle l'influence protectrice que les Dieux de l'ancienne Hellade exercent sur ma modeste personne, depuis le premier jour de mon existence, voire même depuis l'instant originel de ma conception, car de cette position ondine des plus humainement raplapla, naîtra tout à l'heure une de ces coïncidences extraordinaires, qu'André Breton a théorisé sous le concept de hasard objectif. Mais je ne vous en dis pas plus pour le moment. La conjonction suprême s'établira plus tard. En attendant l'animatrice Emilie Mazoyer annonce sans s'y attarder la sortie du nouveau disque de Christophe composé de duos, intitulé Christophe, ETC.

    I'M NOT YOUR ANIMAL

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    Pas du tout une profession de foi personnelle, perso I' wana be your vicious beast si, et uniquement si, vous êtes belle et très riche, c'est le nom du groupe que je n'ai pas vu. Plus exactement à la prestation duquel je n'ai assisté qu'à la toute fin de la prestation, un morceau et demi. Puis toujours me vanter d'avoir vu la queue, renardière, de l'animal enfui. Comme dit Platon, c'était beau, juste et vrai. Mélodie – pas du tout en sous-sol – mais superbement envoyée, du vent portant dans les voiles et une belle allure. De l'americana pur jus, normal puisque Dave Rosane, d'origine américaine, reste impassible sous sa casquette et au vocal, le restant de l'équipage s'active au doigt et à l'œil, et l'ensemble vous a un de ces goûts de revenez-y, un peu comme la boite à gâteaux en fer dans laquelle vous n'arrêtiez pas de puiser toutes les cinq minutes lorsque vous étiez un insupportable gaminos. Bref à revoir in extenso.

    ( Document : FB : Rey Ducul )

    CRITTERS

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    Changement de climat. Proviennent d'un pays dans lequel la mélodie n'existe pas. Vous montent le son comme vous dressez un mur de parpaings devant la porte de votre perception. Esthétique béton armé. Sont les adeptes d'un punk trash citadelle. Autant pour se défendre que pour attaquer, rien de plus jouissif que de faire s'écrouler les murs que l'on vient de construire sur le corps de vos ennemis afin de faire sauter les cadres vermoulus de notre vieux monde. Guitares incisives, batterie broyeuse, voix caninesque, les Critters ont les dents longues, un seul programme déchirer la bêtise ambiante, mastiquer les mastodontes qui nous écrasent. Les Critters produisent le son qui tue, qui vous tombe dessus et vous plaque contre vous-mêmes. Pas moyen de transiger, cette musique est un appel à la résistance totale, sans rémission. Un réservoir d'énergie brute dans lequel il faut prendre des forces, se ressourcer, acquérir une nouvelle vigueur. La set-list est toute une programmatique : Crève, Guerre, Illusion, Contrôle, Marche, Délirium, Mort, Retour, une rage sublunaire, hécatienne, ne vous laissent aucun répit, adoptent la technique du punk bulldozer, là où ils passent les illusions ne repoussent pas. Baptiste, Ben, Raphaël et Dagon – bonjour Lovecraft – nous offrent le punk du non-retour à la situation initiale, sont à vos trousses, vous poussent, et vous mordent cruellement les talons et les tympans pour vous embarquer dans leur croisière destructrice. Rajoutent le zeste empoisonné de l'humour au cyanure, rien de tel pour remplacer le sel que l'on étale sur les blessures que l'on vient d'occasionner. Un set mené tambour-battant qui vous revivifie et vous file l'impression que vous vaincrez un jour ou l'autre.

    PANIK LTDC

    Pas de panik, les troubadours du chaos sont de retour. Avaient fait leur apparition au début des eighties, enregistré un album en 1983 devenu légendaire, puis s'étaient volatilisés comme un sel de nitroglycérine qui ne supporte pas les états de grande stabilité. Ont dû s'apercevoir qu'ils manquaient à l'équilibre des forces en présence car ils se sont reformés et les voici de nouveau pour continuer le combat rock.

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    Quatre sur scène. Rey Ducul est à la batterie. L'a la haine, ou un amour démesuré – les sages nous ont appris que toute passion est à proscrire – en tout cas cela l'habite et lui file un pêchon inimaginable. L'objet de sa plus grande convoitise ou de son ire dévastatrice, c'est sa caisse claire. La regarde d'un air sombre. Y revient toujours, n'a pas batifolé sur un tom ou sur une cymbale qu'il se retourne vers lui, et en avant la castagne, vous l'azimute salement, l'est pris d'une fureur sacrée, on ne sait pas pourquoi mais en tout cas le résultat est d'une efficacité redoutable, avec un tel élan le combo ne peut que rocker à mort. Train d'enfer et rocket man.

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    Faux flegmatique Denis de Wiz, l'a sa technique à lui pour coller ses lignes de basses sur la cataracte de son drummer, en épouse toutes les secousses avec une facilité déconcertante, un hercule de foire qui vous sinuoïse les barres d'acier suédois sans effort apparent, il vous les ondule comme de vulgaires élastiques, ressemblent aux méandres de la Seine sur la carte de France, vous les sort et vous les tord en style toboggan de la mort. Z'avez intérêt à avoir les oreilles bien accrochées pour suivre le déferlement des vagues tempêtueuses.

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    Dans sa chemise à carreaux et son pantalon noir, avec son air sage et concentré, vous pensez que c'est le seul membre de cet équipage de forbans que Tante Agathe admettrait de recevoir à sa table. Ne l'invitez point, l'est du genre à cacher un explosif dans la soupière fumante. L'a sa manière à lui de poser le riff Papagaz  APoil, ne vous le brosse pas du tout dans le sens indiqué par son surnom, ne l'enveloppe pas dans la gaze, vous fait exploser la bouteille de butane, au moment où vous ne vous y attendiez pas, vous prend par surprise, par traîtrise, et puis il se retourne vers sa guitare comme si c'était un objet des plus anodins. Furie froide.

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    Un trio d'enfer, qui vous charge les canons des deux côtés par la gueule et la culasse. Mais tout cela ce n'est rien. Pouvez avoir le meilleur des bands, mais ce sera la débandade si vous n'avez pas un chanteur, un vrai, qui vous prend les choses en main. Suffit de pas grand-chose, un micro, une voix et l'autorité naturelle du torero qui vous guide le taureau vers la mise à mort sans état d'âme. Christian Panik a tout en magazin. Un look de pirate, crête d'iroquois et tatouages de flibustier, au Louvre vous pourriez étiqueter la réplique en bronze de son chef, tête de gladiateur ou d'empereur, Spartacus ou Commode, en tout cas pas un commode, ne venez pas lui marcher sur les arpions, l'est le punk survivor, mais attention grattez l'écorce, vous trouverez le rocker, cette manière de brandir le micro à la Gene Vincent, ou de s'y plier dessus, comme s'il regardait un cobra entre les yeux... ne chante pas, il éructe, vous assène les mots comme la bôme folle de la voile d'artimon qui s'en vient fracasser les crânes, l'a le verbe haut qui saccage les consciences, les vocables-torpilles qui décanillent les certitudes, les phrases-oriflammes qui s'enflamment et vous marquent le cerveau au fer rouge, l'a l'air terrible du vieux boucanier qui ne fait pas de quartier, pas jeune mais encore vert, met genou à terre, reprend souffle contre un baffle, se relève et repart au combat, avec encore plus de rage.

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    Les Panik sont bien les fils du kaos. Vous tourneboulent la salle comme une serpillère, devant la scène c'est le souk, la chierie chérie des anarchistes, la chienlit, le pandemonium... total Panik !

    Damie Chad.

    ( Photos : IF LEOUF )

    P. S. : non, je n'ai pas oublié ce que je vous ai promis dans l'intro, c'est dans la chro suivante.

    AUJOURD'HUI PLUS QU'HIER...

    PANIK LTDC

    ( 2018 / Combat Rock / CR 095 )

    Guy Benarroch : guitare / Christian Rivi : chant / Guillaume Medard : basse / Reynald Melloni : batterie

    Couverture esthétique minimaliste punk, deux couleurs : noir désespoir et vert cru. Nous ne sommes pas loin de la couverture du disque des Pistols, mais le montage photos trash à l'intérieur se rapproche de l'iconographie de Clash.

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    L.T.D.C. : pure french punk, l'est clair que la voix est posée devant, l'accompagnement derrière, montées et retombées de guitares, le message est privilégié, un hymne à la fidélité à la soi-même, Les Troubadours Du Chaos sont de retour, ne renient rien de leur passé, le monde a peut-être changé, mais le punk est toujours là, la situation a empiré, il y a encore, et plus que hier, besoin de L.T.D. C. Ton existence : ne pas être un convaincu de sa propre insuffisance est un constat de vaincu. A chacun sa responsabilité existentielle. Se faire violence est nécessaire. Ne pas se plaindre, ne pas avoir pitié. Ne pas creuser sa propre tombe, c'est ainsi que l'on apprend à vivre. Juste un vieux punk : ouverture mélodramatique la batterie embraye et les guitares s'embrasent, parfois l'on donne l'image d'une tour de guet délabrée rongée par le lierre mais la fierté est toujours là, la guerre n'est pas terminée, le vieux punk est de retour et son chien a les crocs, étendard d'un slogan et feu nourri de guitares comme un ultime baroud d'honneur. Aujourd'hui plus qu'hier : le chant de la survie et de la renaissance, il est temps de sortir de la chrysalide dans laquelle on s'était laissé enfermé, les guitares se taisent et la voix scande son désir de vivre encore ses rêves au grand jour sur les barricades de la faim du monde, sifflottement de Gavroche final. J'ai pas envie : longue intro musicale, un regain d'adolescence, le refus du monde tel qu'il se présente, simplement être soi contre tous, pas de solution, revendication stirnérienne de sa propre unicité, envers et contre tout. Ne rien vouloir du monde et des autres. Ethique punk. Juste avoir les mots qui cartonnent et détruisent. Je ne suis pas un gourou, juste un accélérateur de particules humaines. Un agrégateur de colères brutes. Superstar : critique sardonique du star system médiatique, à chacun sa voice, dénonciation de l'intérieur, parfois il est nécessaire d'endosser le costume de la médiocrité affligeante pour mieux en dévoiler les insuffisances, entre l'être et le paraître il faut savoir choisir. Ils sont tous là : belle intro pulsative, qui crache sa violence à la gueule du monde, dans la série il vaut mieux être seul que mal accompagné, ne pas céder aux belles promesses, aux sourires enjôleurs, ce sont des plantes carnivores qui te font signe pour mieux t'assimiler, une seule échappatoire : rester dans la tribu des irréductibles. Julia : rien à voir avec une chanson d'amour aussi creuse qu'un arbre mort, mais un refrain d'avertissement, petite le monde n'est pas un conte de fée, la vie est un combat, ne jamais transiger avec ses rêves, vaincre la tentation du néant, la route est dure mais tu en es capable. Ton sourire en est la preuve. La nuit je mens : reprise vitaminée de Bashung, faut du culot pour transformer l'onde crépusculaire en cri de haine et de colère, en sentier de feu, être sa propre murène se mordre les flanc de rage devant l'inconstance du monde et de soi, parfum subtil d'auto-dérision, il ne faut s'en prendre qu'à soi-même. Une relecture décapante, un a-romantisme cruel. Toujours tourner le couteau contre soi-même. Version scalpel. Après le set Cristian Rivi m'apprend que Christophe lui a demandé de partager un de ses duos. La vie que j'aime : c'est ainsi et rien d'autre. Être soi et le crier bien fort. Vivre à fond. Idées et désirs. Délires d'éros et franc-parler. Punk for ever. Never dead.

    Il existe une profonde contradiction entre le nihilisme fondamental du punk et la revendication claire et précise de son éthique. L'anglais monosyllabique bouffe et brouille les mots, les ravale à peine prononcés, dévalue en quelque sorte leur portée ''philosophique'', teinte de dérision toute déclaration de principe. La clarté élocutoire des voyelles françaises interdit ce genre de subterfuge. Panik s'est attaqué à cette gageure, énoncer clairement le message, le revendiquer, l'articuler proprement. La voix de Christian Rivi n'est donc pas noyée dans le fond sonore. Les guitares grondent méchamment et la batterie est une véritable chasse à courre. Mais le chant mixé devant, cette option est d'autant plus accentuée que dans plusieurs morceaux la voix se retrouve seule en première ligne, ou soutenue par les chœurs. Ce parti-pris sera jugé par certains comme une transgression, une dérogation aux lois vocales du chant rock, mais le punk n'est-il pas lui-même une transgression ! L'on peut aimer, ou ne pas aimer, mais cette tentative ne laissera pas l'auditeur indifférent. Risque même de le séduire.

    Damie Chad.

     

    SUDDEN / NAKHT

    ( Vidéo-clip / 2019 )

    Soirée apérock au Chaudron, au Mée-sur-Seine, non il ne s'agit pas d'un concert, mais de la projection du clip du premier single du prochain album de Nakht, l'est déjà sur le net depuis une dizaine de jours, mais ce soir, c'est sur grand écran et le réalisateur et le groupe sont là pour répondre à toutes les questions. C'est aussi une très bonne occasion pour la soixantaine de participants de se rencontrer et de discuter entre amis, connaissances et amateurs...

    Nous ne sommes qu'en partie responsables de nos actes créatifs, écrire un livre, enregistrer un disque, tourner un film, signifie certainement que l'on a envie de dire quelque chose de précis, peut-être pas un message destiné à bouleverser l'humanité entière, mais au moins trouver un écho ( si possible favorable ) chez quelques uns de nos semblables humains, oui mais parfois il vaudrait mieux ne pas savoir comment l'ont interprété, lecteurs, auditeurs, spectateurs... Si l'on savait ce qui se passe dans la tête des gens, l'on risquerait d'être fort surpris. Je prends un cas au hasard, le mien. J'ai vu le clip de Nakht avant cette soirée du 15 mai 2019, je l'ai analysé à ma manière que j'expose ci-après en un premier temps, pour en une seconde temporalité la confronter à la vision de ses géniteurs.

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    VISION 1

    Une chose est sûre l'objet est à la démesure de Nakht, Alain Lebon a su capter et traduire la force et la puissance du groupe. Couleur froide, un bleu blême, seulement percé d'éclats éteints d'un orange blafard, d'un orange d'ange déchu, avec en contrepoint un jeu d'ombres menaçants et de blanc mortel. L'ensemble prend très vite l'apparence d'un film, c'est bien une histoire qui nous est mise en scène, mais découpée en tranches, distribuées en un incessant désordre flashique. Julien Lebon a opté pour un principe simple : le visionnage du clip doit se révéler aussi insupportablement délicieuse, aussi agressivement délictueuse, aux yeux des spectateurs que la musique grondeuse de Nakht à leurs oreilles. S'agit de forcer le barrage mental des cerveaux, d'entrer par effraction, de court-circuiter vos défenses protectives intérieures, et de greffer la violence du monde directement sur la coordination centrale de vos neurones qui régissent vos attitudes face à l'agressivité extérieure. Cela n'a d'autre but que la manipulation de programmation engrammatique de votre sensibilité. Introduire en vous des désirs, des peurs, qui ne vous appartiennent pas.

    Donc une histoire. Un quidam qui se promène sur le Pont des Arts et qui se baisse pour ramasser un truc bizarre qui a attiré son œil, gros plan qui permet de reconnaître les vertes élytres d'un scarabée. Animal sacré par excellence chez les Egyptiens. A partir de cet instant, tout se passe dans la tête, en une autre dimension. Nakht, le groupe joue, vous l'entrevoyez, vous le devinez, toutes les poses hiératiques et rock'n'roll d'un groupe de metal répertoriées à grande vitesse, rien que de très normal, pour les amateurs de base, mais dans ce hachis sonore et visuel, sont entremêlés de très courtes images à rôles subliminaux, profil de savant fou, horloges du temps arrêté, grouillements plastifiées, engouffrement tsunamiques de vagues projetées comme des cris de haine, explosions que l'on pressent atomiques... mais toutes ces calamités ne sont en rien inquiétantes si on les compare à l'entrecroisement des bandes de tissu blanc suspendues au dessus du combo. L'on se croirait dans un hôpital de fortune, qui mettrait à sécher, après les avoir lavées, les pansements retirés aux blessés vraisemblablement morts entre temps ou bandelettes de momies-zombies... la lumière cliquette, des maisons s'écroulent, un palmier agonique que l'on jugerait tout droit échappé de la pochette de Miami du Gun Club s'agite, le monde entre en déliquescence, la silhouette de Danny au micro, enveloppée dans son capuchon noir ressemble de plus en plus à une personnification de la mort et l'on arrive à la scène choc, un bandeau blanc est fixé aux yeux des musiciens, sont maintenant face à des ombres noires, pas le temps de réfléchir, nous revoici avec notre quidam sur le Pont des Arts et la réalité du monde qui se remet en place...

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    L'on en ressort un peu commotionné. La mort serait donc l'unique passage vers l'immortalité symbolisée par le scarabée initiatique de l'antique Egypte et logo de Nakht. L'on a envie de reprendre Le Livre des Morts égyptien, qui raconte les dures épreuves que doit subir l'âme qui quitte le corps pour les champs de Ialou. Explication terriblement mythologique, j'en conviens.

    VU DE NAKHT

    Le dialogue s'engage dès la projection et les applaudissements terminés. L'on débute par les anecdotes du tournage, le producteur qui devait tourner le film qui ne donne plus de nouvelles, Julien Lebon ( le bon choix ) pressenti ex-abrupto quatre jours avant le tournage, les murs du local qu'il faudra repeindre de toute urgence en noir, les gros champignons hallucinogènes qui ornaient les parois n'étant en rien au diapason de l'ambiance pressentie, le drone utilisé pour certaines prises de vue définitivement scratché, le masque de l'alien récupéré par le plus grand des hasards dans des détritus – à la question posée par une jeune fille, je m'aperçois que je ne suis pas le seul a l'avoir identifié comme une gueule de poisson mort, probablement encouragé à cette lecture par la pochette de Trout Mask Replica de Captain Beefheart – l'on passe aux choses sérieuses : que veut signifier cette cascade affolante d'images ?

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    L'on redescend sur terre. Sur notre planète. Qui va mal, très mal. Sans cesse agressée par l'inconscience de l'homme. Le scarabée en exemple de l'extermination des espèces, les images choc représentent des différents outrages que nous occasionnons à la vieille Gaïa. Quant aux bandes blanches, elles sont le symbole de notre refus de voir la situation catastrophique, et les ombres qui regardent – en fait le groupe qui se dédouble et qui se regarde bander les yeux - la pleine conscience de ceux qui savent, et qui ne font rien pour s'opposer à cet état de méfait. Aveuglement écolo-clip-trash en quelque sorte !

    Dans tous les cas, un beau clip, très esthétique, une réussite parfaite, rappelons que Julien Lebon exerce aussi le leadering-vocal dans le groupe Atlantis Chronicles.

    Damie Chad.

     

    12 / 05 / 219 - MONTREUIL

    la grosse marmite

    BAR ZINES 11

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    J'avais prévu d'y passer l'après-midi mais la police – il paraît que tout le monde la déteste - en a décidé autrement. L'a fallu toute la journée soutenir une jeune militante, devant le Commissariat 12° arrondissement, mise en garde à vue pour avoir exprimé son opinion peu favorable, il faut le reconnaître, à notre gouvernement, sur une pancarte. Mise en garde à vue illicite mettant en cause le principe de liberté d'expression qui serait l'un des fondements de cette sacro-sainte démocratie dont on nous rebat et rabat d'autant plus fort les merveilles qu'on ne se gêne guère pour en bafouer les principes de base.

    Beaucoup d'affluence, La Grosse Marmite est pleine comme un chaudron de cannibales en les jours fastes de capture d'un groupe de touristes égarés dans la forêt vierge, difficile de circuler entre les tables d'exposition, ce qui est très bon signe. Pressé par le temps me suis donc contenté d'un tour rapide me fiant à mon fier flair légendaire de rocker pour dénicher les perles de culture fanzinesques rares. Coup triple. Que je vous présente ci-bas, je donne le tiercé dans le désordre, parce que l'ordre n'est pas la première notion conceptuelle qui se rencontre dans le cerveau des créateurs de fanzines underground.

    RAT-TAT-TAT-TAT.

    ( N° 2 / Février 2015 )

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    Je ne l'ai pas prise parce qu'elle se trouvait sur la table de la revue Kronick ( où sévissent entre autres Pierre Lehoulier de Crashbirds et l'infâme papillon sphinx Jokoko ) dont nous avons déjà dénoncé à plusieurs reprises la pestilentielle influence sur les esprits sains et naïfs dans votre blog-rock favori. Non, par atavisme pavlovien. Je n'y peux rien mais c'est ainsi. Parfois j'agis stupidement comme un CRS qui ne peut s'empêcher de tirer quelques rafales de LBD dès qu'il voit un drapeau noir s'agiter au milieu d'une manifestation. Moi les étamines noires du camarade Bakounine ça ne suscite chez moi aucun émoi, par contre dès que j'aperçois un portrait d'Edgar Poe sur une couverture, il me le faut, à tout prix, ferai n'importe quoi pour m'en emparer, s'il le fallait je n'hésiterai pas à pousser une Lénore perdue sous le métro, alors là non seulement il y avait Edgar, mais en plus perché sur son épaule, le satané corbeau malédictif ! N'ai eu à commettre aucun crime, 120 pages pour deux euros, l'on ne peut pas dire que c'est du vol, fût-il de corbeau !

    Soyons franc, à l'intérieur Edgar et son volatile préféré se font remarquer par leur absence. Si ce n'est l'abominable X-Comix for freaks Chewbacrunk & Doctorg Jokoko et DEE-6 qui se débrouillent pour vous refiler au milieu d'un scénario chaotiquement improbable un replay totalement déjanté du Double Assassinat de la Rue Morgue, dans la série la BD ne passera pas, dût-elle me passer sur le core. Grave, très grave. Gavez-vous en, parce qu'après l'on change de registre. La revue est principalement constituée de très longs interviews d'agitateurs punk. De tous pays. Le groupe Shining d'Amsterdam, Xhansolox de Milan, un état des lieux de la scène portugaise du skateboarding, Hondartzako Hondakinak ( groupe basque ), Thierry Alcouffe de Rodez créateur de la mythique revue Rest, Pervers et Truands ( groupe de Saint-Etienne ), Frédéric Flurry dessinateur BD, Abby Portner californian boy et cinéaste. Vous noterez aussi une intéressante réflexion sur le travail qui est censé, d'après certains, libérer l'homme mais que les punks redoutent comme la peste, allez savoir pourquoi.

    J'ai tout lu soigneusement, et je vous livre mes conclusions. D'abord mon ignorance, au minimum cent cinquante noms de groupes, punk, hardcore, grind, etc... que je ne connais pas. Une galaxie à explorer. Deuxièmement un constat aigre-doux, chez la plupart des interviewés, surtout chez les plus âgés qui doivent être dans la tranche des 40-50 ans, les idéaux de jeunesse vivaces au fond du cœur mais raboté par les nécessités, boulots, gamins... L'on y croit un peu moins, mais on persévère tout de même... Ensuite, même chez les plus jeunes, un regard critique porté sur le milieu punk, la distinction à faire entre les faiseurs et les authentiques. Le punk est ( a été, sera ) aussi une mode. Pas très différent en cela en tout autre mouvement qu'il soit underground ou mainstream.

    Malgré ce petit coup de rétro-nostalgie, les interviewés, adeptes du DIY, débordent de fougue et de créativité. N'ont pas l'impression d'avoir perdu leur vie à la vouloir vivre intensément. Beaucoup d'humour et de dérision mais une véritable spectographie géologique d'un mouvement qui dure depuis quarante ans. Une belle carotte analytique. Plus réfléchie qu'elle n'en a l'air. Foutez-vous là dans le cul ! Et ne faites plus chier le monde !

    DIG IT !

    ( N° 74 / Janvier 2019 )

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    Jerry Nolan qui ondule sur la couverture je prends d'office avant même de m'apercevoir qu'il s'agit de Dig it ! - pas vraiment un zine inconnu mais à ne pas confondre avec Now Dig This, revue anglaise consacrée au rock'n'roll des pionniers et aux nombreux revivals qui ont suivi – Dig It ! c'est garage, toutes réparations et cabossages assurés, avec cet immense avantage d'être rédigé en french language. Si vous n'aimez pas lire, dédaignez le trésor, 58 pages en petits caractères mais si vous êtes gourmands d'informations achetez-le les yeux fermés. Rouvrez-les toutefois pour commencer votre lecture.

    Erreur funeste, car mauvais conseil, gardez-les plutôt bien clos pour les huit premières pages de l'allée des supplices et des tentations, la chro alléchante des nouveautés de Lo' Spider, car vous risquez d'en ressortir plus pauvre que lorsque vous y êtes entré. Puisque vous avez su déjouer les perfides tentation du Serpent Maléfique de la Consumération Boulimique. Vous avez droit à la suprême récompense, un article de Loser – je parie que le SSR ( Service Secret du Rock'n'Roll ) n'aurait aucun mal à retrouver l'identité de cet agent expérimenté ) - sur le bouquin de Curt Weiss, Jerry Nolan's Wild Ride. A Tale – difficile de faire plus Edgar Poe – of Drugs, Fashion... Un magnifique portrait de Jerry et au travers de sa manière de vivre la saga des Dolls et des Heartbreakers. Kurt Weiss nous restitue la splendeur kaotique de Jerry, cette énergie dispensée sans retenue, cette appétence de gloire et de dope qui étaient pour lui les moteurs d'appoint du rock'n'roll. Jerry n'eut qu'un véritable défaut, celui d'être musicalement en avance sur son temps. Le genre de chose que les has-been du présent ne comprennent pas, ne tolèrent pas, et les petits malins qui intuitent mieux que le troupeau se hâtent de vous doubler sur votre gauche. Jerry en est arrivé à haïr la terre entière, mais il n'a jamais voulu déroger de ses rêves et de sa vision du monde. Le livre est à l'image de Jerry sans concession, ne fait pas l'impasse sur les travers du héros, certains fans s'en sont émus, mais Jerry était ainsi, pour le meilleur et le pire, de son existence, de sa survie, de sa mort, et du rock'n'roll. Quitte à empiéter quelque peu sur les autres, mais l'on ne fréquente pas les volcans sans risque d'éruption, sachez où vous mettez les pieds. Jerry n'a jamais transigé avec lui-même, et cela peu de monde peut s'en vanter.

    Complément obligatoire, plus loin une présentation du livre de Thierry Saltet, Return to Thunders dans lequel le Loser rend hommage à Marc Zermati, cheville ouvrière du rock français, une couronne de lauriers amplement mérités. Et comme un Loser peut en cacher un autre, reportez-vous au bel article consacré aux Hypnotics. Et tentez de ne pas vous faire écraser avec le petit topo sur les Freaks Of Nature. Du coup vous allez directement à la case Cosmic Trip,

    C'est la corne d'abondance ce machin, Pachuco nous raconte L'Histoire des Septs Filles en Sept jours, autant dire sept de trop, dans la série mythes et légendes du rock'n'roll en en terre Melbournienne Alain Feydri – l'était déjà dans l'aventure Nineteeen - nous fait part de ses aventures au pays des kangourous, bref le Dig It c'est comme le millefeuille, plus vous tournez les pages, plus vous en trouvez, une sacrée revue, je ne vous laisse pas découvrir, vous connaissez déjà !

    Born Toulouse.

    WASSUP ROCKER ?

    ( N° 3 / Novembre 2018 )

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    Beau petit format. Rien à dire, le carré c'est carrément bien. Couverture couleur, papier glacé, belle mise en page. Surtout pour les BD. Fanzine rock un peu décalé. Moins d'information, davantage de réflexion. Quoi de neuf Rocker ? Les questions que tout le monde se pose et auxquelles personne n'a envie de répondre. Du genre quel futur pour le présent du rock'n'roll en notre douce France ? C'est Rat Bat de Diego Pallavas qui s'y colle. Les questions sont orientées. L'on parle bien du groupe mais on l'interroge surtout sur les salles par où il passe. Galères diverses ( toute une armada ), contact avec le public, prix d'entrée, intermittence, professionnalisation, boulots, survie sociale...

    Plus loin vous avez le coup de gueule de Mélie, photographe Rock qui nous parle du bonheur de voir des groupes dans les petites salles suivie d'une interview de membres de SMD et Union Jack qui racontent leur expérience en ces lieux qualifiés de café-concerts comme la Comedia par exemple. Soyons directs, ce n'est pas tant l'existence de ces endroits dont on cause, mais de leur raréfaction, de leurs fermetures administratives, de leurs fragilités municipales... En contre-exemple une mini BD sur le bonheur industriel des grands fêtes festivalières, perso j'ai toujours pensé que le rock et bien des groupes perdent leur âme à participer au jeu de dupe de ces miroirs évènementiels qui vous manipulent et métamorphosent votre rage en sous-produits culturels de consommation de masse... à l'investissement financier, mon hum( hum-hum )ble flair de rocker a sempiternellement privilégié le DIY...

    Arrêtons les idées noires, rions avec Nicopirate et ses icônes pleines pages, ou comment raconter la légende déjantée du rock'n'roll en remontant à ses plus improbables origines qui se situent à Brême comme chacun ne le sait pas. Multiplicité obsidionale de la culture populaire européenne ! Manolo Prolo, décidément un des rouages essentiels du zine, revient au thème du numéro, traite le sujet de deux manières, constat amer des mieux argumentés et mise en image fracassante d'un concert rock standard...

    Un seul regret après avoir achevé le zine, n'avoir pas acquis les deux premiers numéros, je vous refile l'adresse : Wassup Rocker ? ( Rockzine Asso ) 4 rue Saint-Nicolas, F 57100 Thionville. En plus le thème du futur quatrième est alléchant : Le punk, la grande escroquerie du rock'n'roll.

    Damie Chad.