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  • CHRONIQUES DE POURPRE 620 : KR'TNT 620 : DWIGHT TWILLEY / BRUCE IGLAUER / VINCE MANNIMO / CIEL / DOROTHY MOORE / SUN Q / ERIC CaLASSOU / JALLIES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 620

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 11 / 2023

     

    DWIGHT TWILLEY / BRUCE IGLAUER

    VINCE MANNIMO / CIEL / DOROTHY MOORE

    SUN Q / ERIC CALASSOU / JALLIES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 620

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le Dwight dans l’œil

    (Part One) 

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             Dwight Twilley vient de casser sa pipe en bois. Parmi nous, nombreux furent ceux qui flashèrent en 1976 sur son premier album, Sincerely, et qui ont depuis lors toujours considéré Dwight Twilley comme une star, même s’il n’a connu qu’un succès d’estime, comme d’ailleurs Alex Chilton ou encore Alejandro Escovedo. Nous allons donc lui rendre hommage avec un texte tiré du volume 2 des Cent Contes Rock à paraître.

             Que fait-on pour se distraire quand on est teenager en 1967 et qu’on vit dans le trou du cul du monde, c’est-à-dire à Tulsa, dans l’Oklahoma ? On va au cinéma.

             Ça tombe bien, car les Beatles sont à l’affiche avec A Hard Day’s Night. Comme des millions de kids américains, Dwight Twilley a succombé au charme des Fab Four. Il se grise de la fraîcheur de leurs pop-songs et de la pureté de leurs harmonies vocales. La beatlemania fait tellement de ravages dans la cervelle du jeune Dwight qu’il commence à bricoler des chansons sur sa guitare.

             Lorsque la séance de projection s’achève, Dwight rejoint la buvette. Il frissonne encore. Il commande un énorme gobelet de pop-corn et un Coca. À côté de lui, accoudé au comptoir, un kid chantonne un couplet des Beatles, cigarette au bec : « C’était au soir d’une ru-uuude journée, j’avais traaa-aavaillé comme un chien... »

             — Pas mal le film, hein ?, lance Dwight pour engager la conversation.

             — Pour sûr !

             — T’es fan des Beatles ?

             — Foutrement...

             — Moi aussi. J’ai tous leurs disques... J’m’appelle Dwight, et toi ?

             — Phil Seymour.

             Phil et Dwight n’ont que seize ans. Ils rayonnent déjà. En plus de leur passion pour les Beatles, ils ont un autre point commun : le charme physique. Il se dégage d’eux une grâce naturelle, empreinte d’innocence et de candeur. Ils semblent se compléter. Phil a le regard clair et le cheveu cendré, alors que les prunelles et l’abondante chevelure de Dwight tirent sur le brun foncé. Avant même d’ouvrir le bec pour commencer à chanter, ils créent déjà l’harmonie.

             Leur décision est prise. Ils montent un duo, le baptisent Oister, et composent quelques chansons. Dwight maîtrise le piano et la guitare. Phil joue les parties de basse et de batterie. Ils chantent tous les deux et s’égosillent à vouloir rejoindre John, Paul, George et Ringo au firmament. Ils parviennent à ficeler une dizaine de chansons qu’ils enregistrent sur un petit magnétophone à bandes. Ils se réjouissent de la qualité de leurs compos. Mais le plus dur reste à faire.

             — Phil, si nous voulons entendre nos chansons à la radio, nous devons absolument trouver une maison de disques...

             — Ben oui, mais elles se trouvent toutes à New York ou à Los Angeles... Tu sais bien qu’on n’a pas un rond... Je ne peux pas redemander d’argent à mon père, déjà qu’il gueulait comme un peau-rouge sur le sentier de la guerre quand il a reçu la facture du marchand de musique pour l’ampli basse...

             — J’ai entendu dire qu’il existait des maisons de disques à Memphis...

             — Quoi ? À Memphis ? Tu plaisantes ? Ils sont encore plus pouilleux que nous, là-bas, avec leurs champs de coton et leurs tracteurs !

             — C’est pas des conneries, Phil. L’autre jour, le type du magasin de musique m’a dit : vas là-bas, à Memphis, c’est bourré de studios, de labels et de Cadillacs. À tous les coins de rues... Il a même ajouté que certains studios acceptaient les nègres. On a juste assez de ronds pour faire le trajet. On traverse l’Arkansas, c’est tout.   

             Phil n’en revient pas. Pour la première fois, il regarde son copain d’un air suspicieux.

             Le lendemain, les deux compères grimpent à bord d’un vieux break Chevrolet et prennent la route. Dwight conduit, le regard rivé sur l’avenir. Phil sort des bouteilles de Coca de la glacière et les décapsule avec son briquet. Pour tromper la monotonie du trajet, ils s’entraînent à parfaire certaines de leurs harmonies vocales.

             — Je me rappelle du sentiment de libertééééééééé... Maintenant je sais que ça ne pourrait pas être moiiiiiiiii... Parce que je crache le feuuuu-euuuu.... Yeah, je crache le feuuuu-euuuu, awhh !

             Ils entrent dans Memphis et se retrouvent par hasard sur Union Avenue.

             — Phil, regarde-moi ça ! Une maison de disques ! Oh qu’elle est belle ! Tu vois, le type du magasin de musique ne racontait pas de bobards !

             Ils se garent devant le petit bâtiment. L’enseigne indique Sun Records. Ils entrent et tombent sur une secrétaire.

             — Bonjour m’dame ! Est-ce qu’on pourrait voir le big boss ?

             — C’est à quel sujet, jeunes gens ?

             — Voilà. On vient d’enregistrer des chansons et on cherche une maison de disques...

             — Quel genre de chansons ?

             — Ben, du rock !

             — Oui oui, mais quel genre de rock ?

             — Du rock harmonique, en duo.

             — Tout le monde fait du rock harmonique. Elvis, Billy Lee Riley, Johnny Cash... Essayez d’être plus précis.

             — Du rock harmonique un peu comme celui des Beatles, vous voyez ? Mais on compose nos propres chansons...

             Et Phil ajoute :

             — En plus, elles sont pas mal !

             Un sourire éclaire enfin le visage de la secrétaire. Elle se lève.

             — Attendez-moi une seconde, je vais voir si monsieur Phillips est libre.

             Elle revient trois secondes plus tard :

             — Passez dans son bureau. Il va vous recevoir.

             Phil et Dwight entrent dans le bureau. Ils peinent à dissimuler leur déception. Ils s’attendaient à tomber sur un gros magnat fumant le cigare. C’est un type assez jeune et d’allure joviale qui les accueille :

             — Bonjour, je suis Jerry Phillips, le fils de Sam. Asseyez-vous, je vous en prie.

             Il sort du petit frigo installé derrière lui une grosse bouteille de Coca et leur sert deux verres bien remplis. Il poursuit :

             — Alors, vous venez d’où, les gars ?

             — De Tulsa, Oklahoma. Notre duo s’appelle Oister. Voici une K7. Nous avons mis dessus une dizaine de chansons originales qui sonnent vraiment comme des tubes, vous zallez voir !

             — Vous connaissez la réputation de Sun Records, bien sûr...

             — Euh non, pas du tout. On s’est arrêté devant chez vous parce qu’on cherchait une maison de disques.

             Un léger malaise s’installe. Jerry Phillips réalise que les deux jeunes gens ne connaissent ni Sun ni Sam. Il passe outre et insère la K7 dans le lecteur. «I’m On Fire» jaillit des enceintes :

             — Je me rappelle du sentiment de libertééééééééé... Maintenant je sais que ça ne pourrait pas être moiiiiiiiii... Parce que je crache le feuuuu-euuuu.... Yeah, je crache le feuuuu-euuuu, awhh !

             — Vous faites de la pop, hein ? C’est pas mauvais, mais ça manque un peu de substance. Vous devriez muscler un peu votre son et surtout travailler vos voix...

             Phil et Dwight échangent un regard de stupeur.

             — Écoutez, les gars. Je vais rester franc avec vous... Disons que vous m’êtes sympathiques. Je vous donne l’adresse de Ray Harris. Allez le trouver de ma part. Il vous aidera. Vous sortez de Memphis par le Sud, vous traversez la frontière de l’état du Mississippi et vous poussez jusqu’à Tupelo. Vous trouverez Ray et son studio à cette adresse. Ray Harris est un vétéran, l’un des pionniers du rockab, un authentique artiste Sun. Il en connaît un rayon. Si vous cliquez bien avec Ray, vous deviendrez probablement des stars.

             — Mais monsieur Chillips, on ne peut pas se permettre de faire un tel crochet. Il nous reste juste assez d’essence pour rentrer à Tulsa.

             — Pas Chillips ! Phillips, reprend Jerry avec un sourire compatissant. Phillips, comme mon père, Sam. Tenez, prenez ce billet de cinq dollars. Vous me le rendrez quand vous serez riches et célèbres !

             — Promis, monsieur Phillix ! Merci, monsieur Phillix !

             — À la revoyure, monsieur Phinix !

             Phil et Dwight sortent enchantés de leur rendez-vous. Ils cherchent la sortie Sud de Memphis, s’arrêtent à la pompe pour faire cinq dollars de fuel et foncent à tombeau ouvert en direction de l’état du Mississippi.  

             Ils trouvent la maison de Ray sans trop de difficultés. Ils se garent devant. Un homme d’une bonne cinquantaine d’années tond la pelouse. Il porte un stetson et une grosse moustache grisonnante. Il ne semble pas très commode.

             — Mister Harrix ? demande Dwight d’un ton joyeux.

             — Yep. Quic’ vous voulez, les mioches ?

             — C’est monsieur Philliste qui nous envoie...

             — Connais pas c’gars-là !

             — Mais si, le monsieur Philliste de Sam Records à Memphis. On l’a rencontré hier...

             Ray arrête sa tondeuse qui faisait un boucan d’enfer et examine les deux jeunes gens des pieds à la tête.

             — Attendez, vous voulez dire Sun Records ?

             — Oui, c’est ça, Son Records, à Memphis !

             — Et y vous envoie pour quoi, au juste ?

             — On compose des chansons, on les interprète et on voudrait enregistrer un disque. Monsieur Phillic nous a donné votre adresse. Il nous a promis que vous feriez de nous des stars...

             — Bah dis donc... On n’est pas sortis d’l’auberge...

             Ray fait entrer les deux candidats au succès dans sa maison. Un immense drapeau confédéré orne le mur principal. 

             — Vous voulez-t-y boire un p’tit godet ?

             — Avec plaisir, monsieur Horris...

             Ray leur sert deux grands verres de Four Roses. Phil et Dwight n’osent rien dire.

             — Y sont où vos chansons ?

             — Tenez, sur cette K7. Monsieur Phillisse les a trouvées vraiment chouettes... Excusez-moi, monsieur Horrix, vous n’auriez pas des glaçons pour diluer un peu le whisky ?

             — Quoi ? Des glaçons dans l’bourbon ? Mais vous sortez d’où, vous deux ?

             — Tulsa, Oklahoma...

             — Ah bah ça m’étonne pas ! Vous m’avez l’air d’une sacrée paire de branquignoles !

             Ray insère la K7 dans le lecteur. «I’m On Fire» jaillit à nouveau des enceintes. Ray fronce les sourcils.

             — Y’a d’l’idée, pour sûr, mais vous chantez vraiment comme des tarlouzes ! Qu’est-ce que c’est qu’ce travail ! On croirait entendre ces pédales yankees, là, les Simon et Gorefuckell ! Bon, j’veux bien m’occuper d’vous, mais va falloir vous bouger l’cul et tout r’prendre à zéro. J’vais vous apprendre à bosser un vrai son et surtout à chanter. Vous allez marner dans mon studio, tous les jours, jusqu’à c’que ça r’ssemble à queck’chose. On commence demain matin à six heures pétantes, pigé ? Bon, l’est quelle heure ? Oh, shit, déjà quatre heures ! Puisque vous êtes là, vous allez v’nir avec moi tuer l’cochon, là, derrière. J’ai b’soin d’un coup d’main pour lui t’nir les pattes ! Allez hop !

             L’un des murs du studio est couvert de quarante-cinq tours Sun. Dans un coin trône une contrebasse. Phil teste la batterie. Dwight branche sa guitare sur un ampli Fender.

             Ils commencent par retravailler «I’m On Fire». Ray trouve la mélodie chant bien foutue, mais il demande à Phil de soutenir le beat et à Dwight d’éclairer au maximum le son de sa guitare.

             — Enroule ton gimmick sur l’beat, gamin, et sur le re-re, tu entrelaceras un second phrasé, différent du premier, t’as pigé ?

             — Pigé, Roy !

             «I’m On Fire» prend une nouvelle tournure. En quelques semaines, il prend même l’allure d’un hit pop parfait, emmené sur un mid-tempo altier. Comme tonifié par le beat vitaminé, le son des guitares scintille. Ray en connaît un rayon. Lorsqu’il travaillait pour Hi Records, à Memphis, il produisait des stars comme Charlie Rich, Ike & Tina Turner, Bobby Blue Bland ou encore Slim Harpo.

             Pendant un an, Ray fait travailler les deux gosses. Il les trouve doués, mais il se cache bien de le leur dire. Ray part du principe que les chansons sont bonnes. Il suffit de trouver un son. On en revient toujours au même point de départ : le son. Phil et Dwight progressent rapidement. Ils attaquent «Could Be Love» sur un driving-beat pulsé à l’orgue. Ça sent le hit à plein nez. Ray fait une suggestion :

             — Là-d’ssus, gamin, tu devrais ahaner...

             — A quoi ?

             — A-ha-ner, comme on l’faisait dans l’temps, Charlie Feathers et moi.

             — C’est qui Charlie Vizer ?

             — Bon laisse tomber... Tu fais ça : a-ha, a-houu, et tu reprends le chant normalement. T’as pigé ?

             Dwight reprend le couplet et ahane au moment où Ray lui fait signe.

             — Alors, pas mal, hein ?

             — Pour sûr, Roy ! Ça donne un sacré jus ! Vous en avez d’autres des combines comme celle-là ?

             — C’est pas d’la combine, gamin. Si t’es doué pour le métier d’rockab, ça t’vient naturellement.

             Le soir, Ray leur passe des 78 tours Sun et Meteor sur son vieux pick-up. Dwight et Phil découvrent un univers musical dont ils ne soupçonnaient pas l’existence. Le lendemain, Dwight démarre sur une idée. Le morceau s’appelle «TV». Ray tend l’oreille. Voilà que les gamins se mettent à sonner rockab... Dwight tortille son chant :

             — TeeVee... c’est une super-bonne... com-pagnie !

             — Plus hargneux, le chant ! Et pis, sur ta gratte, pique tes notes comme si tu pinçais l’cul d’ta poule. Et toi Phil, tend le beat, mais r’lâche tes épaules et déconnecte tes quat’ membres ! Joue plus sec, faut qu’ça claque, nom de dieu !

             Malgré la nouvelle influence du rockab, Phil et Dwight restent attirés par les morceaux lents. Ils semblent compter sur les balades sirupeuses pour se faire connaître et entrer dans les charts. Ray les aide à construire des harmonies vocales, juste pour leur éviter de sombrer dans la gabegie où s’est noyé Elvis. Après deux essais infructueux, «You Were So Warm» et «I’m Losing You», Dwight propose «Baby Let’s Cruise» qui sonne, là encore, comme un monster hit, digne de ceux signés Brian Wilson. Pourtant peu exposé aux ravages de la sensiblerie, Ray sent le miel de la mélodie lui couler dans le dos. Dwight laisse fuir ses roucoulades vers un horizon saturé de lumière jaune. D’incroyables vibrations altèrent la pureté de sa voix. La chanson s’éteint, victime d’une overdose de beauté.

             — J’en ai encore une, Roy, elle s’appelle «England»...

             Phil qui retient bien les leçons pulse un gros beat nerveux. Dwight pousse un Ouh ! de boxeur. Wow, quel punch ! Ray sent que les gamins sont au point.

             Le lendemain, Phil et Dwight font leurs adieux. Ils serrent Ray dans leurs bras.

             — Oh merci Roy ! Merci pour tout. T’es un type fantastique.

             — Donnez-moi d’vos nouvelles, les gosses. Et j’vous préviens, si vous faites un disque et qu’y l’est mauvais, j’vous botterai l’’cul, parole d’homme ! Maint’nant, tirez-vous !

             Dans la voiture qui s’éloigne, Dwight serre les dents. Il veut surmonter son émotion. Plus déterminés que jamais, les deux compères parviennent à financer un voyage à Los Angeles et finissent par rencontrer Denny Cordell, un Anglais qui vient de monter Shelter Records avec Leon Russell. En écoutant les démos retravaillées du duo, Cordell flaire le gros coup. Producteur indépendant, c’est l’homme qui a lancé les Moody Blues avec «Go Now», Procol Harum avec «A Whiter Shade Of Pale», et qui a ramené Tony Visconti à Londres pour superviser les sessions d’enregistrement des Move. Et comme si cela ne suffisait pas, il compte en plus à son actif la découverte et le lancement de la carrière de Joe Cocker.

             — Bravo, les gars, il y a au moins cinq tubes planétaires dans le tas. Croyez-moi, je m’y connais ! Au fait, comment s’appelle votre duo ?

             — Oister !

             — Non, non, non ! Ça ne va pas ! Qu’est-ce que c’est que ce nom à la con ? Il faut trouver un nom plus flashy !

             — Mussel !

             — Vous vous foutez de ma gueule ?

             — Mais non, monsieur Cardell ! On dit les trucs qui nous viennent à l’esprit !

             — Vous êtes vraiment pénibles tous les deux ! Puisqu’il faut avancer, je vais décider pour vous. Vous allez vous appeler Dwight Twilley Band... Ça sonne bien, non ?

             — Wow, fait Dwight en sautant sur sa chaise, super !

             Phil lance un regard oblique à son partenaire.

             — Voilà ma stratégie, mes petits amis. On va sortir «I’m On Fire» pour lancer la machine. Les ventes du single financeront l’enregistrement du premier album. Vous irez donc à Londres enregistrer avec Robin Cable que je connais bien. Si tout va comme prévu, d’ici quelques mois, vous passerez à la télé et vous pourrez vous acheter des costumes en satin. Je ne veux plus voir ces chemises à carreaux. Maintenant, je vais vous présenter mon associé, Leon Russell.

             Cordell décroche son combiné et demande à sa secrétaire de faire venir Tonton Leon.

             Un type aux cheveux très longs et coiffé d’un haut de forme entre dans le bureau.

             — Mes cocos, je vous présente Tonton Leon, le meilleur session-man des États-Unis d’Amérique. Il les a tous accompagnés, Jerry Lee, les Byrds, Badfinger, Glen Campbell, j’en passe et des meilleurs, hé hé hé... 

             Dwight et Phil échangent un regard où règne l’effarement.

             — Monsieur Rossell, vous êtes de Tulsa, n’est-ce pas ? demande Dwight d’une voix blanche.

             — Pour sûr, kiddie boy. J’y ai même monté un studio. Mais la plupart du temps, je bosse ici, à L.A.         

             Dwight et Phil se souviennent d’avoir aperçu cette silhouette étrange dans les rues de Tulsa. La coïncidence les frappe tellement qu’ils en restent bouche bée.

             Cordell relance la conversation :

             — Ils viennent eux aussi de Tulsa, Tonton... Tu les connais ?

             — Non, je ne crois pas...

             — Écoute ça, Tonton, c’est la démo de leur premier single.

             Une version superbement ficelée jaillit des enceintes du bureau. Tonton Leon se fend d’un sifflement d’admiration.

             — Pas croyable ! Wow, quel son ! Avec une vraie production, ça aura encore plus de ju-ju... Ah ça, mes petits Okikis, vous allez faire un drôle de carton ! Quelle wanita patata ! On dirait Buddy Holly accompagné par George Harrison ! C’est vraiment excitant... Jamais entendu un truc aussi bon. Vous me filez la trique ! Et il se met claquer des doigts et à chanter le refrain en chœur :

             — Parce que je crache le feuuuu-euuuu.... Yeah, je crache le feuuuu-euuuu, awhh !

             Denny Cordell sort une feuille dactylographiée d’un tiroir et la pose devant ses deux nouvelles recrues :

             — Tenez, mes petits amis, signez là. Je m’occupe de tout. Comme dirait mon ami Don Arden, la tranquillité, ça n’a pas de prix....

             Sincerely, Le premier album du Dwight Twilley Band, sortira en 1976, soit deux ans plus tard, suivi, un an plus tard de l’encore plus spectaculaire Twilley Don’t Mind, un album bourré de hits percutant et juteux, vivaces et lumineux, fruités et gorgés d’électricité.

             Ces deux albums rivaliseront de panache avec les deux grands albums des Beatles, Rubber Soul et Revolver, parus dix ans plus tôt, avec toutefois une petite cerise sur le gâtö : une énergie purement américaine. 

             Aucun des deux albums ne grimpera au somment des charts, comme le prévoyait l’infaillible Denny Cordell. Le mystère de cet échec reste, avec la malédiction du tombeau de Toutankamon, l’une des énigmes majeures de l’histoire de l’humanité.     

    Signé : Cazengler, Dwight Eiso-nowhere

    Dwight Twilley. Disparu le 18 octobre 2023

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    Attention pour mémoire : le volume 1 des Cent Contes Rock de Patrick Cazengler.

     

    Dans l’igloo d’Iglauer

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             Contrairement à ce que raconte le titre, Bruce Iglauer n’est pas un Esquimau. On a les titres que l’on peut. Et les manies que l’on peut taussi. Le taussi est important, au moins autant que l’igloo d’Iglauer. Et l’Esquimau encore plus, en souvenir de Rrose Sélavy, laquelle, t’en souvient-il, prônait d’esquiver les ecchymoses des esquimaux aux mots exquis.

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             Trêve de balivernes ! Bruce Iglauer n’a rien de Dada, même si le titre de son autobio joue un peu avec les mots. Comme son label s’appelle Alligator, il se dit «mordu par le blues». Question style, Bruce Iglauer n’a rien de particulièrement mordant. Il écrit bien à ras des pâquerettes. C’est un homme extrêmement ordonné, son livre est bien rangé, Iglauer s’exprime sans détour, il ne prétend à aucun moment être écrivain, il se contente de rassembler ses souvenirs et surtout de rendre hommage à tous les artistes qui lui ont accordé leur confiance. Bitten By The Blues - The Alligator Records Story est ce qu’on appelle un bon book, le genre de book sympa qui mérite l’accolade et même une bonne tape fraternelle dans le dos. C’est le genre de book qui te virilise la cervelle, tu n’hésites pas un seul instant à avouer ta fierté de l’avoir lu. Pour un peu tu te laisserais pousser la barbe.

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             Un bon book. Oui, et même un brave book. À l’image de Bruce qui est un brave mec. Il se situe aux antipodes d’Allan Klein et de Leonard le renard : il ne plume pas les nègres pour s’enrichir, il les respecte. Toute sa carrière de label boss repose sur une seule valeur : l’honnêteté. Et donc le respect. Il n’a qu’une seule passion : le blues - I’ve built a business based on the music I love. J’ai appris à survivre in the ridiculously competitive and ever-changing world of the record business - L’autre point fort d’Iglauer est son catalogue : Alligator couvre toute l’histoire du blues électrique, beaucoup plus massivement que l’a fait Chess. Iglauer a rencontré et enregistré tellement d’artistes fascinants qu’il en oublie de parler de lui. Son autobio est un fabuleux catalogue d’artistes majeurs et mineurs, noirs pour la plupart, à quelques exceptions près, et quelles exceptions, my friend : Johnny Winter, Lonnie Mack et Roy Buchanan !

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             Bizarrement, on a toujours vu Alligator comme un label de zone B. Le graphisme des pochettes ne percutait pas toujours, le carton était plus mou, c’était du Chicago blues, donc un blues un peu plan-plan, tragiquement prévisible, et puis il y avait trop d’Alligators. Iglauer saturait le marché d’albums qui pour la plupart n’avaient rien d’indispensable. On complétait sa série d’albums de Johnny Winter avec les trois Alligators, on faisait l’effort d’écouter les Albert Collins et le Fess d’Alligator, mais il fallait vraiment rester sélectif. Dommage, car Iglauer a commencé avec un coup de maître : Hound Dog Taylor. Il a ensuite passé toute sa vie à essayer de rééditer ce coup de maître, mais en dépit de la qualité de tous les artistes qu’il a signés par la suite, il n’y est jamais parvenu. Pourquoi ? Parce qu’il n’existe qu’un seul Hound Dog Taylor. Et comme on l’a dit récemment ici-même, les trois Alligators d’Hound Dog Taylor sont des albums magiques.

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             Iglauer nous ramène chez Florence’s : «Je crois que personne dans l’audience n’appréciait autant la musique que les trois mecs qui la jouaient. Ce jour-là, je suis tombé amoureux d’Hound Dog Taylor & The HouseRockers. Les soirées que j’avais passées dans les clubs de blues de Chicago m’avaient fait découvrir un univers parallèle, une autre Amérique, une Amérique noire avec sa propre culture et sa fabuleuse musique.» Iglauer n’en finit plus de décrire Hound Dog sur scène : «Hound Dog se penchait sur le micro et chantait d’une voix perçante. Chaque fois qu’il claquait une note aiguë sur sa gratte, il jetait sa tête en arrière et fermait les yeux. Avec son stomping feet, flying slide and comic facial expression, il fascinait. Chaque fois qu’on lui réclamait une chanson, il répondait avec un immense sourire : ‘I’m wit’ you, baby, I’m wit you.’» Merci Iglauer de nous faire partager ces moments extraordinaires. Bien sûr, il évoque aussi Brewer Phillips qui martèle son bassmatic «sur une Tele débraillée, as he danced to the music» et Ted Harvey who banged son beurre en mâchant un chewing-gum. Iglauer rappelle aussi qu’Hound Dog picolait et qu’il se versait un double shot de Canadian Club dans son café du matin. Chaque soir, il était complètement rôti. Iglauer adore aussi ses souvenirs de tournées avec Hound Dog, Brewer et Levi Warren. Il devait conduire la plupart du temps, car les trois autres picolaient trop.

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             Le destin d’Alligator s’articule merveilleusement : Iglauer flashe sur Hound Dog chez Florence’s, il monte un label pour lui, le paye et Hound Dog entre dans la légende. Iglauer a fait avec Hound Dog ce qu’Uncle Sam a fait avec Elvis : il lui a donné des ailes. Si Hound Dog et Elvis nous ont accompagné pendant toute notre vie, c’est grâce à Uncle Sam et Iglauer. On ne leur en sera jamais assez reconnaissants.

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             Iglauer revient sur le genèse d’Alligator : l’arrivée à Chicago et le job chez Jazz Record Mart, at 7 West grand Avenue. Il bosse pour Bob Koester, qui est aussi boss de Delmark Records, le grand label de Chicago blues originel. Charlie Musselwhite bosse aussi chez Jazz Record Mart, mais il est viré après avoir échangé des coups de poings avec Koester. Entre 1970 et 1971, Iglauer apprend avec Bob Koester à enregistrer et à produire des bluesmen. Koester enregistre des très grands classiques du Chicago blues : l’Hoodoo Man Blues de Junior Wells, le West Side Soul et le Black Magic de Magic Sam et l’Hawk Squat de J.B. Hutto. Iglauer évoque même la possibilité d’une relation très forte entre son boss et lui. Il pense que Koester a commencé à le voir comme son fils spirituel, de la même façon que lui, Iglauer, le considère comme son père spirituel. Iglauer admire Koester car il le voit prendre des risques dans sa façon de produire les artistes. Il n’impose jamais rien. Mais Koester ne flashe pas sur Hound Dog Taylor. Iglauer va devoir se débrouiller tout seul. Il commence par découvrir que le job de producteur n’est pas seulement technique : il faut surtout savoir manager les personnalités. Première grande leçon. Deuxième grande leçon : la distribution. Une fois qu’il a enregistré Houng Dog, il faut distribuer le disque ! Alors Iglauer se prend par la main et va de ville en ville faire la tournée des stations de radio, puis des distributeurs locaux. Il apprend son métier de label boss. Trouver les artistes est une chose, les vendre en est une autre. Pendant trois semaines, il va de ville en ville pour vendre Hound Dog Taylor & The HouseRockers. Pendant 14 ans, le bureau d’Alligator est sa chambre - a one-room appartment - Iglauer n’a pas une tune, mais il sort des disques. Quand ça commence à marcher, il passe au two-room appartment, puis, il a presque honte de le dire, a small house. Le small est essentiel. Iglauer est l’honnête homme par excellence : «Selon les rapports de l’industrie du disque, la grande majorité des ventes d’albums ne couvrent pas les frais d’enregistrement. Et les artistes ne reçoivent jamais de royalties sur les ventes. Nous, on a couvert les frais d’enregistrement sur la plupart des Alligators et on a pu verser des royalties sur les ventes aux artistes. Le versement des royalties est le poste budgétaire le plus important chez Alligator. I’m very proud of that.» Prenez des notes, les gars.

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             En fait, c’est Mississippi Fred McDowell qui lui cause un premier choc émotionnel, en 1966 dans un annual folk festival - His music seemed more honest, more direct and more authentic than anything I’d ever heard - Il sait qu’il s’agit du North Mississippi Hill Country Blues. Alors il commande l’album Mississippi Delta Blues paru sur Aroolhie et il l’attend pendant 6 mois, car le disquaire n’arrive pas à trouver une copie. Iglauer tombe raide dingue de l’album - I listened to it almost every day - Puis il flashe sur le Paul Butterfiled Blues Band - gritty, powerful and more grown up than any of the rock’n’roll miusic I was hearing on the radio - Eh oui, il a raison, Iglauer, Butter était largement en avance sur son temps. Il flashe ensuite sur J.B. Hutto, qui enregistre sur Delmark - C’était un merveilleux chanteur with a huge voice qui pouvait monter des notes comme s’il chantait des work songs in a cotton field. A raw guitar player - Et puis voilà Junior Wells, lui aussi sur Delmark avec l’excellent Hoodoo Man Blues, «un petit homme qui aimait les bijoux flashy, les costards de couleurs vives et les expansive shoes.» C’est Buddy Guy qui accompagne Junior Wells sur Hoodoo Man Blues, mais sous le pseudo ‘Friendly Chap’, parce qu’il est sous contrat chez Chess. Iglauer fait un portrait fascinant de ce badass, qui ne sortait jamais sans son flingue et un rasoir, mais nous dit Iglauer, «si tu étais son ami, c’était pour la vie.»

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             Il fait ce que font tous les autres : il essaye de se développer pour survivre. Mais il se vautre. Il finance deux albums qui ne marchent pas, un Big Walter Horton et un Son Seals. Il croyait pourvoir atteindre un marché plus vaste, mais c’est la douche froide. Koko Taylor et Lonnie Brooks seront les artistes qu’il va suivre le plus longtemps. Il manage Koko de 1975 jusqu’au cassage de sa pipe en bois, en 2009, et Lonnie de 1978 à son départ en retraite, en 2012 - They were our friends and parts of our daily lives - Il a raison de préciser tout ceci, car c’est là où Alligator fait la différence. Iglauer voit le label comme une famille - Les commissions qu’on prenait sur leurs concerts couvraient tout juste les salaires de Nora et Matt. For decades, management was one of Alligator’s essential jobs - Iglauer veut dire à travers ça qu’il prenait ses artistes en charge à 100 %. Cet homme est décidément irréprochable. Il est content quand il voit que les albums de Koko (The Earthshaker), de Son Seals et d’Albert Collins marchent bien. Il est surtout content pour eux. Il passe un accord en Europe avec Sonet pour la distribution, et c’est la raison pour laquelle la plupart des Alligators qu’on trouve ici en France sont sur Sonet. Du coup, Alligator devient un label international. Iglauer souffle un peu : il peut prendre des risques et se vautrer dans couler la baraque.

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             Après avoir chanté les louanges d’Hound Dog Taylor, il chante celles de Son Seals - If I had ever had the talent to be a bluesman, the one I would have been chosen to be is Son - C’est le blues de Son qui lui parle le plus. Il pense que Son a libéré beaucoup de colère à travers sa musique. Son a grandi à Osceola, en Arkansas, «the most racist town in the Delta». Selon Iglauer, Son «plays with slash-and-burn physical intensity, avec une disto que seule permet la cheap guitar.» Et il ajoute qu’à la différence du blues d’Hound Dog «which was such great fun et de celui de Big Walter which was subtle and multilayered, le blues de Son was a brash, bold slap in the face.» Son portait un cowboy hat et se prenait pour le John Wayne du blues, a man of few words. Son style repose sur une attaque agressive, il a ses licks, comme Albert King. Le blues de Son n’a rien à voir avec la technique. Pour Iglauer, c’est une question de touche - he played every note though it was the most important note he was ever going to play - Les deux grosses influences de Son sont Albert King (certains disaient que Son jouait comme Albert King on speed) et Little Milton pour le chant. Il adorait aussi Junior Parker. Son sort «an ultra-raw guitar tone» sur une Norma guitar, «a cheap brand sold by Montgomery Ward», précise Iglauer. Sa relation avec Son Seals allait durer plus de trente ans et Son allait sortir «eight memorable albums» sur Alligator. On en reparle.

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             Et puis voilà Koko Taylor, avec son «tradermark powerful, growling vocal style». Elle avait déjà un hit chez Chess avec «Wang Dang Doodle», produit par son mentor Willie Dixon, mais quand Chess disparaît avec le cassage de pipe de Leonard le renard, Koko doit rebosser pour vivre et elle fait la femme de ménage pour les familles blanches des quartiers chics. Koko tourne autour d’Iglauer. Elle aimerait refaire un disque, mais au début, Iglauer ne moufte pas. Et puis elle n’a pas de groupe. Pas de répertoire. Bof. Elle insiste. Elle forme un groupe. Elle verse un acompte pour un van de tournée. Iglauer est impressionné par sa ténacité. Alors il lui booke des dates à droite et à gauche. Koko vient d’un milieu très pauvre du Tennessee, comme tous les autres. Iglauer s’intéresse à elle, à son histoire. Il en parle dans son book. Pour lui, la connaissance du contexte sociologique est aussi importante que la musique. Elle est arrivée en bus à Chicago en 1951. Elle a bossé comme domestique et pris des cours du soir, par pure fierté, car elle ne supportait pas d’être illettrée. Elle a appris la grammaire, l’élocution et un peu de mathématiques - She did it out of pride - La façon dont en parle Iglauer est merveilleuse. Koko devient une héroïne. Elle fait tout à la force du poignet. Elle enregistre son premier Alligator en 1975 : I Got What It Takes. Iglauer lui propose des cuts, elle en choisit 6, Elmore James, Ruth Brown, Magic Sam et Bonnie Bombshell Lee. Willie Dixon lui donne un cut, «Be What You Want To Be». Elle fait aussi son «Voodoo Woman» et propose de reprendre des cuts de Jimmy Reed, d’Otis Spann et de Denise LaSalle. C’est avec The Earthshaker qu’elle devient en 1978 the Queen of the blues. Iglauer la manage et Koko va tourner dans le monde entier jusqu’à l’âge de 80 balais, «never losing the ability to pitch a wang dang doodle». Elle fait 9 Alligators et conclut en affirmant qu’elle et Alligator vont ensemble «like red beans and rice». Là, on sent monter une émotion très forte sous la plume d’Iglauer. On détecte clairement cet esprit en lui qu’on pourrait qualifier d’humanité du blues. La musique n’est rien sans la dimension humaine. Il est sans doute l’un des seuls à l’avoir pigé. Plus on avance dans son book, et plus on mesure la grandeur de cet homme.  

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             Il a l’idée de lancer des bluesmen inconnus dans le cadre d’une collection qu’il baptise ‘Living Chicago Blues’. Iglauer crée son monde. Grâce à lui, Carey Bell, Eddie Shaw et Billy Branch surgissent du néant. Mais le grand lauréat de ‘Living Chicago Blues’ est Lonnie Brooks, «one of the most popular musician on the West side» (of Chicago).  Puis il récupère Albert Collins qui est déjà une sorte de superstar des clubs de blues. C’est son premier non-Chicago artist, «known as the Master of the Telecaster, a Texas-born electric guitar hero, whose stinging, ultra-percusive, echo-laden style had been dubbed ‘The cool sound’.» Iglauer était tombé en pâmoison devant The Cool Sounds Of Albert Collins, un album d’instros paru en 1965. Quand il s’en va le rencontrer pour la première fois, il s’attend à tomber sur un géant, et pouf, il rencontre un petit homme à la voix douce. Mais, ajoute-t-il, Albert joue de tout son corps, «comme Freddie King ou Luther Allison» - Il fait des grimaces, saute partout et se jette dans sa musique - Il finit trempé de sueur. Iglauer est fasciné par le petit Albert. En 1978, Ice Pickin’ sort sur Alligator et du coup, Albert devient encore plus populaire que Son Seals et Koko Taylor qui sont les têtes de gondole d’Alligator.

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              Iglauer va voir jouer Fess pour la première fois au Tipitina, à la Nouvelle Orleans. Sortir un album de Fess sur Alligator, c’est pour Iglauer un rêve qui devient réalité. Il l’enregistre à Sea-Saint, le studio d’Allen Toussaint (Sea pour Marshall Sehorn et Saint pour Allen Toussaint) - We wanted something special. Dr John was on top of that - À la fin de la session, Fess dit que c’est sa session la plus heureuse de toutes celles qu’il a connues. Iglauer en rigole de bonheur : «Des gens voient le Crawfish Fiesta de Professor Longhair comme le meilleur album sorti sur Alligator.» Mais le jour de sa parution, le 31 janvier 1980, Fess casse sa pipe en bois. Des tas de gens se pointent à ses funérailles, et parmi eux Jerry Wexler. Allen Toussaint et Art Neville y chantent pour rendre hommage à Fess. Bien des années plus tard, Allen Toussaint dira à Iglauer : «Fess is with me every day.» «Me too, Allen», écrit à la suite Iglauer. Et comme il voit des tas de gens disparaître, Iglauer se dit soudain qu’il y a urgence à les enregistrer avant que cette culture ne disparaisse avec eux. Il se sent investi d’une mission pour le blues, de la même façon que Jacques Lanzmann se sentit investi d’une mission pour la Shoah.

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             Après Fess, Iglauer passe à un autre géant : Johnny Otis, «a Renaissance man of R&B». Iglauer en brosse un portrait sommaire, rappelant qu’il a commencé comme batteur avant de devenir «a piano and vibraphone player, songwriter, talent scout, producer, bandleader, newspaper columnist, author, preacher, DJ, television host et bien qu’il ne fut pas né African-American, porte-parole de l’African-American community de Los Angeles.» Eh oui, les gars, Johnny Otis n’est pas black mais grec. C’est un grec à la peau sombre. Mais il se sent noir. En tournée dans le Sud pendant les années 50 et 60, il a pris la ségrégation en pleine gueule, pas de restaus, pas de gogues, pas d’hôtels pour les sales nègres. Vert de rage, Johnny Otis en est devenu doublement noir - Si tu le traitais de blanc, il prenait ça comme une insulte et te frappait - À l’âge de 30 ans, Johnny Otis avait déjà probablement été en studio un millier de fois. «Il avait découvert Little Esther (Phillips), Big Mama Thornton, les Robins qui allaient devenir les Coasters et des douzaines d’autres artistes.» Bizarre qu’Iglauer oublie de citer Etta James et Sugar Pie DeSanto. Johnny Otis avait installé une chapelle chez lui et il y prêchait. En 1983, Iglauer propose à Johnny Otis d’enregistrer un Alligator. Comme Johnny Otis n’est pas sous contrat, c’est assez simple. L’Alligator s’appelle The New Johnny Otis Show With Shuggie Otis. Mais ça floppe : trop R&B pour les gueules à blues. Il n’empêche que c’est du big time de Johnny Otis. Et ce n’est pas un hasard, Balthazar, si Ace a réédité TOUT Johnny Otis. On en reparle. 

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             En 1979, Iglauer commet une petite erreur : il dit non à Stevie Ray Vaughan. Il aurait pu l’avoir pour un one-album deal, mais Stevie ne l’impressionnait pas assez. Iglauer le prend pour un imitateur d’Albert King. Tinsley Ellsi dit un jour à Iglauer : «La seule chose qui soit pire qu’un monde rempli d’imitateurs de Stevie Ray Vaughan est un monde sans imitateurs de Stevie Ray Vaughan», à quoi Iglauer ajoute : «ce qui est exactement le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.» C’est pourquoi Iglauer a maintenu pendant tant d’années son rythme convulsif de parutions : pour enrayer la paupérisation artistique qui menace le monde moderne.   

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             En 1984, il achète un vieil immeuble de trois étages pour en faire ses bureaux. Le staff d’Alligator compte alors 12 personnes. Iglauer fait gaffe : il veut leur assurer un minimum de sécurité et de confort. Pour monter d’un cran, il signe trois cracks blancs, Johnny Winter, Lonnie Mack et Roy Buchanan. L’idée est de consolider l’assise financière d’Alligator. Iglauer rencontre Johnny Winter qui est alors une superstar et ils échangent leurs numéros de téléphone. Iglauer se dit charmé par l’albinos qui, justement, vient de produire l’Hard Again de Muddy Waters. Johnny confie aussi à Iglauer qu’il était dingue des Gulf Coast records de Guitar Junior. Ça tombe bien, rétorque Iglauer, Guitar Junior est sur Alligator et s’appelle désormais Lonnie Brooks. Johnny accepte finalement d’enregistrer sur Alligator parce qu’il veut revenir à ses racines : le blues - He saw the label as home of pure, noncommercial blues - Iglauer casse sa tirelire et offre une avance de 10 000 $ à Johnny. Pour lui, c’est une somme énorme, il n’avait pu verser que 1 000 $ à Albert Collins. Mais bon, tu veux la star, alors tu payes. Johnny est sous méthadone, il n’est vaillant et créatif qu’en fin de journée. En studio, il fume de l’herbe et picole sec. Ils enregistrent 17 cuts en quatre nuits et vont faire au total 3 Alligators ensemble. Mais la relation se détériore - By the time we finished with Serious Business, he was tired of me and I was tired of him. Iglauer ne rentre pas trop dans les détails.

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             Pas grave, il passe ensuite à Lonnie Mack, un autre géant de cette terre - the first blues-rock guitar-hero - Iglauer charge bien la barcasse : «His powerful guitar solos - including unexpected, soaring octave jumps, driving rhythm figures, and fast string bending using the tremolo bar on his signature Gibson Flying V guitar - were all his own.» Iglauer ajoute que le guitariste préféré de Lonnie Mack était Robert Ward, un black de Georgie qui jouait dans les Ohio Untouchables, futurs Ohio Players. Ses chanteurs préférés étaient Bobby Blue Bland et George Jones. Pour Lonnie, il n’existait pas de frontières entre le blues, la country, le R&B et le rock’n’roll. Il naviguait en père peinard sur la grand-mare des braquemards et allait d’un genre à l’autre sans crier gare. Iglauer ajoute que Lonnie venait d’un milieu campagnard très pauvre de l’Indiana, qu’il roulait ses clopes, qu’il buvait sec et qu’il adorait les armes. Pendant des années, il a tourné bourré d’amphètes et d’alcool au volant de sa Cadillac, avec une remorque derrière. Pour Iglauer, Lonnie était l’un des meilleurs - His recordings from the mid-1960s are astounding - Iglauer raconte qu’il est allé le voir jouer dans un club de Covington, Kentucky - Je le connaissais assez pour être invité par lui à aller faire un tour sur le parking et sniffer un rail de coke sur la lame de son énorme couteau de chasse - Au début, ça n’intéresse pas Lonnie de faire un Alligator, puis il finit par accepter. Iglauer le rejoint à Cedar Creek, un studio d’Austin, Texas - a funky, oddly wired place with rattlesnakes living in the tall grass around the building - Lonnie va faire deux Alligator - Two of the most compelling albums in the Alligator calatog - Lonnie a fini sa vie seul dans une cabane en bois paumée au fond des bois et a cassé sa pipe elle aussi en bois en avril 2016, et l’occasion fut trop belle de lui rendre hommage ici-même.

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             Iglauer ne s’arrête pas en si bon chemin : après Johnny et Lonnie, il récupère Roy Buchanan, a secret guitar genius - he called himself an Arkansas gully-jumper - Comme Roy avait reçu une éducation extrêmement religieuse, il était sûr qu’il allait rôtir en enfer, and he was serious. Ado, il s’est tiré de chez lui pour aller à Los Angeles. Il a joué pendant un temps avec Johnny Otis, puis a tourné et enregistré avec Dale Hawkins - Il fut bientôt réputé pour sa technique incomparable, son imagination musicale et sa personnalité excentrique - Iglauer dit sa fascination pour Roy : «He was a master at the difficult technique of playing harmonics.» La preuve ? «The Messiah Will Surely Come Again», un instro mélodique faramineux qu’on trouve sur son premier Polydor paru en 1972. En 1988, il est arrêté à cause d’une shoote avec sa femme. Puis on le retrouve pendu en cellule avec sa propre chemise. On a parlé d’un suicide, mais rien n’est moins sûr. Les cops l’auraient buté et maquillé ça en suicide. Iglauer n’est pas non plus convaincu par la thèse du suicide - So I believe that either explanation could be true - Pour les preuves, il faudra repasser un autre jour.

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             Comme tous ses contemporains, Iglauer voit le marché du disque s’effondrer : «À mes yeux, il était clair que la culture sociale et musicale qui avait amené Hound Dog Taylor, Koko Taylor, Son Seals et Fenton Robinson, et de nouveaux artistes comme Lil’ Ed, était en train de disparaître.» À partir du milieu des années 80, Iglauer peine à trouver de nouveaux bluesmen noirs ancrés dans la tradition du blues électrique. Mais il s’acharne, et le catalogue continue d’enfler : «Koko Taylor, Saffire - The Uppity Blues Women - Lil’ Ed & The Blues Imperials, Little Charlie & The Nightcats and Shemekia Copeland. On a signé des artistes qui enregistraient pour d’autres labels, like Texas roadhouse piano queen Marcia Ball, the gloriously gospel-tinged R&B trio The Holmes Brothers, and Albert Collins’s protégé Coco Montoya, a soulful vocalist and the most elegantly lyrical of blues-rock guitar heroes.» Malgré l’érosion du marché, l’enthousiasme d’Iglauer reste intact. Il n’y va pas de main morte. JJ Grey : 5 albums ! Coco Montoya, 6 albums ! The Holmes Brothers, 6 albums ! impossible de suivre un label comme Alligator. Le seul défaut d’Iglauer serait d’être boulimique. Mais il fait comprendre que c’est la condition de sa survie. Grossir pour ne pas crever.

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             Il est constamment à la recherche de nouveaux talents. Il découvre Lil’ Ed & The Imperials et les signe on the spot. Allez hop en studio ! 13 cuts enregistrés entre 9 h et minuit, one take ! - It was a magical night - Il titre l’album Roughhousin’, «because it was the closest thing I could think of Houserockin’.» Retour au point de départ ! Iglauer ne cache pas sa joie d’avoir découvert Lil’ Ed : «Ils représentent the heart and soul of Alligator’s Guenine Houserockin’ Music spirit.» Et dans son élan charismatique, il ajoute : «Quand on me demande qui est le plus authentique, le plus pur musicien de blues sur le label, la réponse est toujours Lil’ Ed.»

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             Iglauer réussit aussi à récupérer Charlie Musselwhite pour trois albums, Ace Of Harps, Signature et In My Time. Précision capitale : sur deux cuts d’In My Time, il est accompagné par The Blind Boys of Alabama, sur lesquels nous reviendrons aussi.

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             Iglauer est épuisant : il n’arrête jamais. Lui ce n’est pas all nite long, c’est all book long. Il n’en finit plus de lancer de nouveaux artistes, comme par exemple Katie Webster, «known as the Swamp Boogie Queen, the second blues woman signed by Alligator.» Iglauer parle d’elle en termes de soulful voice straight out of church et de real deal blues piano player. Wow, quelle apologie ! Allez hop, trois Alligators. On y reviendra. Il récupère à la suite Marcia Ball, une blanche qui va devenir l’une des «Alligator’s most popular and best-selling artists.» Iglauer est dithyrambique, il parle de world-class blues, et d’une voix qui sonne «comme celle d’Irma Thomas with a Texas twang». Il sait vendre ses disques. Iglauer trouve aussi dans le piano playing de Marcia l’influence de Fess. Mais elle ne veut pas d’Iglauer comme producteur. Elle décide de tout : du studio, du choix des cuts et du producteur. Son premier Alligator est Presumed Innocent, paru en l’an 2000. On a à peine le temps d’écouter Marcia Ball qu’Iglauer nous branche déjà sur Shemekia Copeland, la fille du grand Johnny Copeland. À ses yeux, Shemekia ne chante pas comme Koko, mais «elle utilise le vibrato des best gospel singers». Iglauer annonce qu’il lance «a young female blues singer» et son premier Alligator Turn The Heat Up fait sensation dans le monde du blues. Dr John produit le troisième Alligator de Shemekia, Talking To Strangers, et Steve Cropper le quatrième, The Soul Truth. Iglauer n’en finit plus de bourrer la dinde d’Alligator. Pour lui, Shemekia est le real deal : elle a grandi à Harlem a appris le blues avec son père l’excellent Johnny Copeland. On y reviendra, aussi bien sur la fille que sur le père.

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             Au rayon découvertes, ça continue de pulser. Iglauer fait surgir du néant un certain Michael Hill, un New-Yorkais fan de Jimi Hendrix (comme, se hâte-t-il de préciser, the future Alligator artists Selvyn Brirchwood et Toronzo Cannon). Puis il déterre JJ Grey & Mofro en Floride et sort Country Ghetto en 2007, suivi de 5 autres Alligators. Il se prosterne devant JJ Grey & Mofro,  «Alligator’s best selling albums of the 2000s». Ces albums permettent à Alligator de toucher une audience plus jeune, «a younger rock-jam band audience», précise l’inépuisable Iglauer.

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             Tu approches de la fin du book et tu crois qu’il va se calmer ? Tu te fous le doigt dans l’œil. Il repart de plus belle avec Michael Burks, qui a grandi «immergé dans la blues culture, comme Hound Dog Taylor, Son Seals et Penton Robinson avant lui.» Aux yeux d’Iglauer, Burks est un pur - I doubt that another musician will come to the label so deeply rooted in the traditional blues way of life - Bon allez, nous dit Iglauer, un petit dernier pour la route ! Ce sera Toronzo Cannon, avec The Chicago Way, un Alligator de 2016, salué par Mojo à sa parution - Comme j’en rêvais pour Michael Burks, Toronzo Cannnon devient one of the blues icons of his generation - Et là Iglauer enfonce un sacré clou dans la paume du mythe qui dit aïe ! : «J’espère que des artistes comme Toronzo feront leurs preuves et qu’ils seront capables de perpétuer la tradition du Chicago Blues sans répéter ce qui a déjà été fait.» Car c’est bien là le cœur du problème, quand on parle de Chicago blues. Comment survit-on et surtout comment innove-t-on ? Le seul moyen de le savoir est d’écouter les disques.    

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             En 2018, Iglauer se dit fier de son roster : «Marcia Ball, Tommy Castro, Elvin Bishop, Coco Montoya, Shemekia Copeland, Lil’ Ed & The Blues Imperials, Roomful Of Blues, Curtis Salgado, Corky Siegel, Ric Estrin & The Nightcats and Eric Lindell, along with rising artists like Selwyn Birchwood, Toronzo Cannon and the recently signed Cash Box Kings, Nick Moss Band Featuring Dennis Gruenling and singer/drummer Lindsay Beaver.» Iglauer avait tort de s’inquiéter : la relève est assurée. Bien sûr, il revient sur le passé et sur tous les grands disparus, mais il garde l’œil rivé sur l’avenir - Alligator has created a great legacy, but my focus is always on the future - Il est tordant, Iglauer, car il fabrique de l’avenir avec une musique ancrée dans le passé. C’est toute son ambiguïté. Il continue de chercher des gens «with depth and mudical integrity, like JJ Grey and Anders Osborne.» À la fin du book, il dit pouvoir enfin respirer un peu, avec un catalogue de 300 titres et 46 ans d’existence. Alligator a survécu à toutes les mouvances et tendances, à toutes les turpides et toutes mutations. Mais au plan quotidien, ça reste un combat. Le marché évolue, les disques ne se vendent plus, alors il doit muter vers le numérique et vendre des fucking fichiers. D’autres labels spécialisés dans le blues comme Rounder et Concord ont jeté l’éponge. «Arhoolie Records - founded by my hero Chris Strachwitz - a été revendu to the Smithsonian Institution.» Fin d’une époque. 

    Signé : Cazengler, Bruce Idioert

    Bruce Iglauer. Bitten By The Blues - The Alligator Records Story. The University Of Chicago Press 2018

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

    - Part Eight

     

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             Vince Mannino arrive en couve de Rockabilly Generation. Tapis rouge à l’intérieur, avec 8 pages d’interview et la photo centrale. Occasion en or de découvrir un très bel artiste. Vince n’est pas né à Memphis, mais en Sicile, à la campagne. Son premier disco est un Elvis, The Rocking Elvis. Il se fait photographier avec. Bon, il ne dit pas grand-chose de ses autres discos et pas grand-chose non plus sur Dale Rocka. Il cite rapidement Carl Perkins, Roland Janes et Grady Martin, car il est surtout guitariste. Dommage qu’il ne s’étende pas davantage sur Dale Rocka, car les albums qu’ils ont enregistrés ensemble sont fantastiques.

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             C’est en 2014 que Dale Rocka & The Volcanoes éruptent, avec The Midnight Ball. Quel album ! Vince Mannino gratte ses poux derrière Dale Rockab. Big ball dès le morceau titre, wild rockab, tu as là the best Sicilian slice of rockab. Fabuleuse incursion en territoire du bop ! Et puis ça va très vite monter en température et on va se retrouver confronté non pas à des coups du sort, mais à des coups de génie, comme par exemple «Go & Go», two three four, ce démon de Dale te rocke ça vite fait, il en fait un vrai monster bash, les Volcanoes crachent tout leur dévolu dans la balance qui du coup valse dans les décors. Ils sont tout simplement foudroyants de power et leur «Bad Blood» est explosé directement dans la viande par le pire wild killer solo flash qui soit ici bas. Nouveau coup du sort génial avec «Mama Bring Back (My Blue Suede Shoes)», c’est puissant et claqué dans l’ass du boisseau, ils t’explosent même la mafia et tout le vieux saint-frusquin sicilien, Dale chante à la véracité maximale. Leur son devrait faire baver les Américains, Dale chante bille en tête, même avec leur «Quick Kiss», ils swinguent comme des démons et grand retour dans le heavy sludge de rockab avec «That’s Why I Tell You», c’est gorgé de power volcanique, allumé au riff raff sicilien, tu crois rêver tellement c’est bon. Il faut encore les voir rentrer dans le chou de «Remember Last Night», c’est wild et primitif à la fois, avec les voix des Rivingtons dans le coin de swing. Et tout bascule dans la crazyness avec «Hot Rockin’ Baby», une véritable horreur comminatoire, les voilà dans le crazy pur, le wild à tous les vents avec un solo jeté en l’air et le Krakatoa des Volcanoes t’explose à la figure. Vince aurait dû s’appeler Vince Krakatoa.

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             Vince Mannino roule avec un autre gang, Vince & The Sun Boppers. Départ en trombe en 2017 avec Gone For Lovin’. Ça te saute au paf dès «Bad Boy Rock», ah le Vince est bon, il te rocke son rockab dans le lard de la matière et un solo s’en va claquer le dentier du slap. Belle démonstration du génie rockab ! Les Sun Boppers pratiquent la Méricourt du rockab avec un art consommé. Le coup de génie de l’album s’appelle «Black Haired Woman», traîné dans la boue magique du heavy groove aventurier, celui qui fit les grandes heures de Dale Hawkins. Même fête au village avec Vince, il est stupéfiant de véracité boppy boppah. Même sur des structures classiques («Dance With Sally»), les Sun Boppers sont bons. Encore une belle dégelée avec «Devil Eyes». Ils te claquent le cut comme des cracks de la craze. Ils te boppent le beat bien bas. Si tu veux résumer l’art des Sun Boppers, un seul mot possible : easy. Encore un coup de Jarnac avec le morceau titre, assez merveilleux de lovin’ you. Vince chante d’une voix appuyée, un peu piquante, et les Sun Boppers te claquent le meilleur beignet de Sun Boppin’. Tu te régales avec ces mecs-là, ils boppent à la régulière. «It’s You’» est à la fois une belle coque de Sun et une vraie noix de Sicile, les voilà qui te boppent la bobine et qui t’allument le coquillard. Il règne dans tout l’album une fantastique tension de la véracité. Tout l’album est bon, solidement bâti, battu sec et boppé au nec. Ils bouclent avec le fabuleux «You Gotta Be Mine», un nouveau modèle du genre. Vince Mannino ne rate aucune occasion d’afficher son génie rockab.

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             La même année, Vince & The Sun Boppers enregistrent Spinnin’ Around. Heureusement, l’album est un peu moins dense. Il faut se ménager quand on a le cœur fragile. Spinnin’ Around est plus classique, mais on note l’excellence du swagger. On les sent contents de jouer, ce sont de vrais cats à la carbonara. On entend même des échos de fête populaire ici et là. Ça jive dans la nuit d’été, avec une agréable fraîcheur. «Get A Feeling For You» reste classique, mais en même temps très franc du collier. Vince ramène tous les réflexes du bop. Ça joue à la petite clairette. On sent que le rockab est couché au panier. L’album est plus pépère que le précédent. Ils attaquent «One Love» au allez hop, avec la petite cocotte rockab. Et soudain, le volcan des Sun Boppers se réveille : «Red Headed Mama» te saute enfin au paf, il était temps ! Les Sun Boppers se fâchent ! Ouf ! Ça fait du bien. Leur morceau titre est quasi Kiddy, pas loin de «Please Don’t Touch» et ils rendent un fier hommage à Bo Diddley avec «Gal Of Mine», mais dans le pur esprit rockab. Vince embraye sur le heavy swing à la Charlie Feathers avec «Real Gone Papa», aw Gawd comme ce cat est bon, et ils reviennent enfin se lover dans le giron du real deal avec «Don’t Give Up With Love». Ils perpétuent le vieil art du rockab, ils entrent dans les godasses de tous les géants du bop, à commencer par Charlie Feathers et Carl Perkins. C’est magnifique ! 

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             Il existe un troisième album de Vince & The Sun Boppers : By Request. On ne perd pas son temps à l’écouter, bien au contraire. On est tout de suite frappé par la présence de Vince. Aucun accent sicilien. Il chante comme un crack, avec derrière lui tout le swagger d’Axel Praefcke. Ils traînent «King Of Fools» dans la boue magique, avec un talent fou. Ils passent au fast jive avec «Wait A Minute Baby». Vince sait sauter sur l’occase et il te claque un jazz solo dans la foulée. On se croirait à Memphis avec «The One To Blame». Pur jus. Le hit de l’album est le «Long Time Gone» de fin. Heavy rockab de don’t you leave me alone. Clin d’œil à Charlie Feathers - I’m a long gone daddy/ I’m a long time gone - Pur genius.

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             Nouvelle éruption de Dale Rocka & The Volcanoes cette année avec Keep On Rockin’. Ouverture de balda sur l’incroyable élégance du that’s all for me de «Goodbye That’s All». Dale chante au Rocka tranchant et enchaîne avec un autre cut de fantastique allure, «My Mamma Don’t Like Her». Dale Rockab est parfaitement à l’aise dans le mid tempo. Il swingue les deux doigts dans le nez. Puis on perd un peu la magie rockab pour aller sur des choses plus rock et le slappeur Andrea Amico fait des siennes dans le bluesy «Stop Shake Your Hips». Et quand les Volcanoes tapent «No Letter From You», on se croirait à la Nouvelle Orleans. Ils attaquent la B des cochons avec «Rip It Up Hip It Down» et un sens aigu du groove rockab. Tout est bien équilibré dans le cratère du Volcano. Ils sont capables d’aller sur la country, comme le montre «Rusty Moon», mais diable comme ça swingue !

    Signé : Cazengler, Dale Roquet (ouaf ouaf)

    Dale Rocka & The Volcanoes. The Midnight Ball. Rhythm Bomb Records 2014

    Dale Rocka & The Volcanoes. Keep On Rockin’. Bulleye 2023

    Vince & The Sun Boppers. Gone For Lovin’. Rhythm Bomb Records 2017

    Vince & The Sun Boppers. Spinnin’ Around. Rhythm Bomb Records 2017

    Vince & The Sun Boppers. By request. Rhythm Bomb Records 2018

    Rockabilly Generation # 27 - Octobre Novembre Décembre 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Ciel mon mari !

             Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’avenir du rock rêve de monter au Ciel, mais il ne s’agit pas du ciel qu’on fait miroiter aux gens ordinaires. Pendant des siècles, on leur a fait croire qu’en se repentant de leurs péchés et en purifiant leur âme, ils pouvaient espérer grapiller une place au paradis. C’est précisément cette idée qui laisse l’avenir du rock extrêmement perplexe. Manipulés par les cancrelats ecclésiastiques, les gens ordinaires ont fini par voir le paradis comme un terrain de camping : il suffisait d’aller à la messe chaque dimanche pour réserver un emplacement au paradis, alors qu’en réalité pend au nez de tout un chacun une bonne vieille séance de décomposition. Putréfie-toi, mon fils, et tu seras dissout ! Pour en savourer l’avant-goût, on peut relire Une Charogne de Charles Baudelaire - La puanteur était si forte/ Que sur l’herbe vous crûtes vous évanouir - Baudelaire écrase sa puanteur dans le creuset du vers, et fait craquer son crûtes sous la dent. Baudelaire dit vrai, car c’est là que tout se passe, dans les jus, dans les bataillons de larves, il charbonne bien le trait, l’avant-goût qu’il donne devient vertigineux de puanteur poétique - Et pourtant vous serez semblable à cette ordure/ À cette horrible infection/ Étoile de mes yeux, soleil de ma nature/ Vous mon ange et ma passion - il traîne sa gluante persistance à longueur de vers - Alors ô ma beauté, dites à la vermine/ Qui vous mangera de baisers/ Que j’ai gardé la forme et l’essence divine/ De mes amours décomposés - Quand on lit ça, il faut détacher les syllabes de dé com po sés, comme la hyène détache les membres d’une charogne. La décomposition n’a de sens que baudelairienne et l’avenir du rock se réjouit de ce fulgurant trait de réalisme poétique. Affamé de totémisme, il se prélasse dans les poisons toxiques et les noires exhalaisons de la vision baudelairienne, des cuisses ouvertes de sa Charogne jaillit l’éclair d’une absolue perfection poétique, l’avenir du rock s’y abreuve, il se vautre dans cette mare des jus de putréfaction où flottent, soufflées par le vent, les images d’Épinal de l’enfer et du paradis. Alors que les religions sont depuis longtemps entrées elles aussi en décomposition, le rock survit à toutes les avanies et framboises, à toutes les mamelles du destin, de la même façon qu’Avanie et mamelle sont les framboises du festin, mais l’avenir du rock, qui n’est jamais avare d’un coup d’avance, n’hésitera jamais à clamer haut et fort qu’il espère bien monter au Ciel.  

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             Il parle bien sûr du Ciel de Michelle.

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             Rien qu’à la voir arriver sur scène, c’est dans la poche. Après le concert, au merch, on apprendra qu’elle s’appelle Michelle (ma belle) et qu’elle tombe du ciel, puisque son groupe s’appelle Ciel. Brune, cheveux mi longs, yeux clairs, lunettée, fantastique sourire, maigreur sexy, elle chante, bassmatique et ondule comme une authentique rockstar en devenir. Ah il faut l’avoir vue onduler avec sa grande basse blanche, elle fait partie de celles qui savent merveilleusement se fondre dans le groove. Elle y croit dur comme fer. Son trip, c’est d’être sur scène.

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    Elle chante d’une voix perchée et bien fine qui n’est pas sans rappeler celles de Kim Deal, et de Miki Berenyi, au temps de Lush. Elle chante à l’éther pur, avec un joli brin de power. Au début du set, on ne la prend pas vraiment au sérieux, comme c’est souvent le cas avec les premières parties, elle est sexy, c’est vrai, mais on attend de voir ce que ça va donner au plan artistique. Et puis, cut après cut, elle fait son petit bonhomme de chemin, elle avance à la force de son petit poignet et finit par conquérir la ville. Pas de problème, elle va même voler le show.

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             Ciel nous vient de Brighton. Derrière elle, un mec bat le beurre, et un Espagnol aux cheveux teints en blond et nommé Jimenez gratte sur une vieille Jaguar qui en a vu d’autres. Comme on ne connaît pas les cuts du Ciel, alors on boit les paroles. Ils ont un son très indy, mais un peu avant la fin du set, on note la présence d’un gigantesque hit pop. Coup de pot, il figure sur l’un des EPs que Michelle vend au merch : «Baby Don’t You Know». Elle est dedans, et franchement, on est au Ciel avec elle. Straight to the sun ! Elle remonte le courant pop à la seule force de son petit génie sexy et là, bravo, car c’est explosif.  

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             Elle n’a que deux EPs à vendre, the Not In The Sun Not In The Dark EP et le Make It Better EP/ Rather Be Alone EP. «Baby Don’t You Know» se trouve sur le premier. Mais il y a d’autres merveilles sur l’EP, comme par exemple «Back To The Feeling», qu’on entend aussi sur scène. Elle y ramène tout son sucre, elle est exceptionnelle de wild drive juvénile. Ah il faut la voir groover des hanches sur scène, avec sa grosse basse blanche ! Elle fait du rock de Michelle ma belle, these are words that go together well. Elle drive bien le Ciel. «Fine Everything» sonne comme un cut des Breeders, elle fait bien sa Kim Deal. Si tu aimes l’esprit des Breeders, tu vas te régaler avec Michelle ma belle. «Fine Everything» est d’ailleurs le dernier cut du set. Avec «Not In The Sun Not In The Dark», elle replonge dans cet excelsior mirifique de pop humide et si délicieusement féminine. Quelle révélation ! Elle sait monter au front mélodique. Sur scène, elle a vraiment le look d’une égérie, on la boit jusqu’à plus soif, on l’accueille dans le giron, Michelle ma belle est une star en devenir. Elle fait encore du pur Breeders avec «Far Away». Franchement, on ne perd pas son temps à écouter ce genre d’EP. Elle dispense tous ses bienfaits elle est all over son Far Away. Tout est beau sur cet EP tombé du Ciel.

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             L’autre disk est un fat vinyle translucide qui rassemble deux EPs : Make It Better EP/ Rather Be Alone EP. Pareil, on y va les yeux fermés. On retrouve son incroyable fraîcheur de ton dès «Somebody». On peut dire qu’on en raffole, à ce stade des opérations. Elle tape en plein dans le juicy des Pixies au féminin. Elle reste dans l’esprit avec «So Scarred», elle le prend à l’éthérée, avec du gros gratté de poux derrière. Encore du pur jus de Pix Me Up avec «Make It Better». Elle remonte à la surface tout le power des profondeurs de l’underground britannique. C’est bardé du meilleur indie sound d’ici bas. De l’autre côté, ça repart de plus belle avec «Circles», encore plus indy, big sound et petites échappées vocales éthérées. C’est du meilleur effet, même si on connaît ça par cœur. Elle ramène sa poudre d’éther et son big bassmatic dans «Talk». Elle crée une sorte de magie pop, un éther sublimé et lesté de plomb alchimique. Là, elle est en plein dans Lush. Avec «Shut In My Body», elle projette sa poudre de sucre dans l’aveuglante lumière du jour et pulse inlassablement son bassmatic. Ça s’appelle un son. Le son du Ciel. Tout est bien là-haut, même si persiste une impression de déjà vu. Michelle ma belle jette tout son dévolu d’à-valoir dans la balançoire. Au Merch, elle se dit fan des Breeders. Of course !

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             — Why Ciel ?

             — My name is Michelle and my friends call me Celle, and then Ciel, you see ?

             Et elle éclate de ce rire de reine.

    Signé : Cazengler, scié

     

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    Ciel. Le 106. Rouen (76). 5 octobre 2023

    Ciel. Not In The Sun Not In The Dark EP. Not On Label 2022

    Ciel. Make It Better EP/ Rather Be Alone EP. Jazz Life 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - The Moore I see you

     

             Ce n’est pas toujours évident de partager le lit d’une gonzesse. Surtout quand il s’agit d’une super-conne. À sa façon, et sans doute sans le faire exprès, Baby Cloche battait tous les records, même ceux atteints par cette madame Bignolle dont on a parlé ailleurs. Quand, dans les conversations de salon, un attablé demandait à Baby Cloche quelle avait été la nature de ses études, elle répondait sans ciller : «Les arts ménagers.» Un autre qui n’avait pas bien compris ce que ça signifiait lui demanda de préciser. Alors elle précisa. Si on lui demandait plus de détails, elle en donnait. Pour la tirer de ce guêpier, il fallut changer très vite de conversation. Un autre jour, alors que nous étions installés sur une terrasse ensoleillée pour prendre un verre, elle posa une étrange question : «J’ai pas quelque chose dans les cheveux ?» Un rapide coup d’œil permit en effet de constater qu’un piaf s’était soulagé sur elle. Pour ne pas la mettre dans l’embarras, il fallut la rassurer : «Non, il n’y a rien.» La fiente allait sécher rapidement et disparaître. Un moindre mal dans ce genre de quiproquo. La pauvre Baby Cloche collectionnait les infortunes, à commencer par ce visage relativement ingrat que sanctionnait une bouche très moche, en forme de moue, au-dessus duquel proéminait un nez grec un peu trop massif. À cela, il fallait ajouter un cou trop gros. Par contre, elle sauvait les meubles grâce à des très jolis seins, de ceux qu’on aime à soupeser dans les moments de vérité. Nous avions fort heureusement tous les deux des aventures parallèles qui nous permettaient de continuer à nous supporter, mais bien sûr, nous n’en parlions pas. Et puis un jour, pensant l’amuser, je lui racontai comment à la fin d’une fête extrêmement arrosée je m’étais retrouvé seul sur un trottoir, lâchement abandonné par des amis qui étaient censés m’héberger. En ayant vu d’autres, décision fut prise cette nuit-là de prendre le volant pour rentrer au bercail. Oh, ce n’était pas un trajet très important, environ une heure de route et zéro circulation. Dans cet état, tout est toujours jouable. La réaction de Baby Cloche fut inespérée. Avec un air mauvais, elle lança : «Tu sais donc pas que c’est interdit de rouler bourré ?».

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             Un petit côté bourru pourrait à l’extrême limite rapprocher Baby Cloche de Dorothy Moore, mais ça s’arrête là. Baby Cloche vit sa vie dans la région parisienne et Dorothy Moore la sienne dans la légende de Malaco. Ces deux femmes font leur petit biz, chacune à sa façon, ainsi va la vie.

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             Dorothy Moore fut l’une des figures de proue de Malaco. C’est vrai qu’à l’écoute de certains albums, on lui trouve un petit côté bourru, par exemple sur Stay Close To Home, qui date de 1992. Chez une femme, le côté bourru n’est pas un avantage. On l’accepte plus facilement chez Michel Simon. Si Dorothy donne cette impression, c’est parce qu’elle chante à la poigne. Elle est aussi capable de délicatesse, comme le montre le «Blues In The Night» de George Jackson. Elle fait le job. Pas d’excelsior, juste du Dorothy. On attend la magie. Elle peut chanter très haut avec autorité, mais elle ne provoque pas d’émotion. Sa voix est trop sanglée. Le hit de l’album est le morceau titre, un shoot de big r’n’b, puis elle tape dans Sam Dees avec «I Betcha Don’t Know It». Dorothy trouve enfin l’ouverture, elle fond comme neige au soleil, elle s’immole sur le beat de Sam Dees, la magie devient enfin sexuelle, c’est important de la préciser, you’re my sunshine ! Elle reste dans la heavy Soul de Sam Dees avec «It’s Raining On My Side Of The Bed». Dès que Sam Dees entre en lice, ça décolle. Elle reste dans le heavy groove de rude mémère avec «What You Won’t Do For Love». Dès qu’on fait attention à elle, elle rayonne Il faut juste lui prêter attention. Puis elle tape dans George Soule avec «A Woman Without Love», elle implore un mec de l’aimer un peu - Don’t let me be a woman without love - Et elle finit avec «Before I Fall In Love Again», elle connaît le biz, elle se cale sur le chameau.    

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             Sur Misty Blue, elle tape une très belle cover du «Funny How Time Slips Away» de Willie Nelson. Elle monte bien par-dessus les toits de Malaco. Dorothy est une fière Soul Sister pleine de verve et de modestie. Sa cover est une vraie merveille d’interprétation coercitive. Et comme Wardell Quezergue est dans le coup, on a du son. Globalement, le balda est très mélancolique. La viande se planque en B. Première énormité avec «Enough Woman Left (To Be Your Lady)», big r’n’b, bien pulsé par un bassmatic dévorant, le tout arrosé de cuivres et de violons. Encore une belle dégelée de heavy funk avec «Ain’t That A Mother’s Luck». Dorothy fait son Aretha, elle est pleine de jus. Et ça continue avec «Too Much Love». Elle se jette dans la balance, so c’mon, elle est de tous les ébats. Dorothy forever ! Elle finit avec l’«It’s So Good» d’Eddie Floyd. Elle y va de bon cœur au yeah yeah yeah, elle fait plaisir à voir. Ça swingue, chez Malaco, on est content d’être là, on se sent en sécurité sur ce genre d’album, les cocos de Malaco t’accueillent à bras ouverts.  

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             Si d’aventure, on se plonge dans son album sans titre paru sur Malaco en 1977, on se régalera de deux Beautiful Songs, «I Believe You» et «With Pen In Hand». Elle chante son Believe You d’une voix un peu verte, mais c’est une vraie merveille. Avec le Pen, on sent qu’elle est extrêmement concernée par la beauté du geste. Comme sa Soul atteint l’horizon, elle reste fabuleusement juste dans le lointain. Sur les balladifs, elle est fantastique. Elle offre chaque fois un vrai panorama, comme avec «Love me». Elle fait aussi de la diskö Soul («Make It Soon»), mais ça reste très bon esprit. La maison Malaco est une maison sérieuse. Elle fait encore de la Soul de haut rang en B avec «Loving You Is Just An Old Habit», elle l’allume à pleins poumons, avec une verdeur qui l’honore. Elle peut se montrer aussi très pugnace, comme on le voit avec «Daddy’s Eyes», Dorothy est une Soul Sister très fiable et d’une grande intégrité. Elle reste dans la Soul ultra-fouillée, et ultra-chantée pour «For The Old Time’s Sake». Elle réussit un équilibre entre la grande modernité et la facture classique. On l’applaudit à tout rompre.  

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             Dorothy n’est pas jojo sur la pochette d’Once Moore With Feeling, mais elle s’impose dans son balda, avec deux cuts, «With A Little Prayer» et «The Going Up & The Coming Down». Elle tape la Prayer de King Floyd au yeah yeah yeah, dans une ambiance très New Orleans. Puis elle remonte à son niveau, qui est le très haut niveau, avec The Going Up, ah elle sait jiver une Soul de bonne compagnie. On y savoure le balancement du swing harmonique. Elle finit par te tétaniser. Elle ouvre son balda avec un «Special Occasion» signé Sam Dees et enchaîne avec la belle Soul dansante de «What Am I To Do», pur jus de Malaco, tout est beau, ici, la présence de Dorothy, l’orchestration et le petit diskö beat. En B, elle te tartine «Being Alone» avec un aplomb extraordinaire. Cette fantastique shouteuse colle bien au terrain de la Southern Soul.

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             Un joli portrait sensible d’elle orne la pochette de Definitively Dorothy. Il s’agit sans doute de l’un de ses meilleurs albums. Toute la viande se planque en B, à commencer par «Since I Don’t Have You Since I Fell For You». C’est dingue comme la classe de Dorothy te parle. Plus tu l’écoutes, et plus tu réalises qu’elle est souple et belle. «Sleeping Single In A Double Bed» sonne vraiment comme la diskö des jours heureux. Moore is Moore. Elle boucle sa B avec «Mississippi Song» - Mississippi/ This is your song - Grosse compo avec du violon à gogo - It’s been a long time coming/ So Mississippi this one’s for you - Elle le prend bien dans ses bras, le vieux Missip. Dans son balda, elle tape une reprise du «Rain» de Mac Rebennack, elle s’inscrit bien dans le groove, elle a du métier et fait de l’excellent travail. Encore un joli shoot de Soul d’insistance métronomique avec «I Feel The Hurt Coming On», et elle balance avec «Can’t Keep A Good Love Down» un sacré coup de diskö funk. No no no ! Mais si, Dorothy est une Soul Sister tout terrain.

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             Le portrait qui orne la pochette de Talk To Me est un peu trop angélique, mais bon, ça doit bien correspondre à l’idée que Dorothy se fait d’elle même. Voilà encore un bel album de Soul. On s’y sent bien, dès «Talk To Me (Every Beat Of My Heart)». «It’s All In The Game» sonne presque comme une Beautiful Song. Elle chante au doux de sa peau de pêche. Dorothy est une femme subtile et langoureuse. Elle adore danser, comme le montre «There’ll Never Be Another Night Like This», monté sur un soft dancing beat et puis voilà qu’elle rend allégeance au roi George avec «Something In The Way He Smiles». Elle atteint à la perfection de Malaco. C’est le cut idéal pour une gentille géante comme elle - Now I believe it now - C’est la cover de rêve, montée sur un joli beat diskö. Elle termine cet album attachant avec «Lonely», une soft Soul de Malaco arc-boutée sur une diskö beat rebondi. Le mélange est heureux. 

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             Une belle énormité se niche sur Time Out For Me : «Whatever You Can Do». C’est du hard r’n’b bien planté dans la gencive de Volt, elle rocke sa chique avec une bel aplomb, elle peut devenir féroce, elle pousse l’aaoooouuh d’une panthère noire, c’est une fière Soul Sister, I can do better ! Et tu as des funky guitars qui te groovent bien l’oss de l’ass, aaaouuuh, alors elle y va, la mémère, elle pousse son same thang, oh ! Elle attaque l’album avec un heavy balladif, «Walk Through This Pain». Elle adore faire durer le plaisir. On la voit encore se battre pied à pied  avec la très grande Soul orchestrée d’«He May Not Be Mine», bien épaulée par des chœurs féminins. Elle te claque encore un balladif intense et doré sur tranche avec «I Still Get Turned On». Tu peux lui faire confiance, elle te borde ça correctement.

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             Par contre, Winner n’est pas un très bon album. Le côté ingrat de sa voix reprend le dessus. Elle a des côtés chauds sur «Are You Ready» et on en profite pour aller se lover dans son giron. Si tu lis les notes de pochette, tu vas tomber sur le nom d’Andre Williams, mais ce n’est pas le même Andre Williams. Il a une voix trop aiguë. Avec «I Thank You», elle remercie son mec, comme le fait Brenda Holloway dans «You Made Me So Very Happy».

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             Dorothy fait sa grosse mémère langoureuse sur la pochette de Feel The Love, un album pas très dense dont on retiendra trois choses, à commencer par «Be Strong Enough To Hold On». Elle y va doucement, c’est du tout cuit. Elle s’explose les trompes sur le récif de la Soul, à coups d’ouh baby. Elle s’implique énormément. Elle tape «All Night Blue» au deep gluant, au so in love with you. Elle y va, suivie par des chœurs de gospel. La troisième chose est un beau balladif, «Ain’t Nothing Changed». Très froti, en fin de compte. Elle tape aussi deux compos de George Jackson, «Seein’ You Again», où elle se plaint de le revoir, et «Talk To Me», plus diskö. Globalement, Doro se distingue par une voix à part, parfois bourrue, comme déjà dit. Avec elle, tu es chez Malaco, alors c’est assez moite, mais pas trop. Juste un peu.  

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             Son dernier album sur Malaco s’appelle More Moore et date de 1997. Elle sourit, sur la pochette, avec un petit regard en coin qui en dit long. Elle attaque au vieux groove de Malaco chargé de regrets, «You Should Have Been Good To Me». C’est la heavy Soul suprême de Malaco. Elle chante comme une reine. Fantastique présence ! Elle est niaquée jusqu’au bout des ongles. Tous les cuts de l’album font 4 minutes. Ça laisse du temps pour réfléchir. Heavy Soul toujours avec «Knee Deep In A River». Elle jette l’ancre dans le deepy deep avec des chœurs de gospel et cette fois, ça explose. Les chœurs font le power du blast. Elle renoue avec l’intensité dans «Why Is Leaving You So Hard To Do». Elle appuie sur le champignon et fait de la clameur de why. Plus loin, elle frise l’orgasme avec «Stop What You’re Doing To Me» - You’re driving me crazy baby/ I’m out of my mind - Elle y va la garce, c’est Doro, la reine de Nubie.

    Signé : Cazengler, Dorothy Mou

    Dorothy Moore. Misty Blue. Malaco Records 1976 

    Dorothy Moore. Dorothy Moore. Malaco Records 1977 

    Dorothy Moore. Once Moore With Feeling. Malaco Records 1978

    Dorothy Moore. Definitively Dorothy. Malaco Records 1979

    Dorothy Moore. Talk To Me. Malaco Records 1980

    Dorothy Moore. Time Out For Me. Volt 1988 

    Dorothy Moore. Winner. Volt 1989 

    Dorothy Moore. Feel The Love. Malaco Records 1990

    Dorothy Moore. Stay Close To Home. Malaco Records 1992   

    Dorothy Moore. More Moore. Malaco Records 199

     

    *

             Il est des choses qui vous attirent, vous ne savez pas pourquoi. Bien sûr il y a la pochette, ce taureau blanc et ce titre Myth. En plus ce morceau Dionysus, tout ce qui évoque la Grèce antique me fascine, je file sur leur bandcamp, première étrangeté : tiens ils sont turcs ! Etrange, en règle générale les Turcs ne sont pas philhellènes, quant à la photo si elle dérange toutes les idées reçues que l’on peut se faire de la société turque, elle n’est pas spécialement rock, mettons les pieds dans le plat, elle a un petit côté carrément variétoche : sont très beaux tous les deux, elle dans sa robe rouge et lui sous sa casquette et ses cheveux frisés, le look étudié de deux étudiants, enfants sages d’une bourgeoisie aisée, tout pour déplaire, n’empêche que souvent les apparences sont trompeuses, alors on écoute, on essaie de comprendre, on fouille, on cherche. Et l’on trouve.

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             Première trouvaille due à mon incompétence visuelle, ce n’est pas un taureau blanc, c’est pis puisque c’est une vache. S’éclaire ainsi le nom du groupe : Sun Q pour Suzy Queen, comme pour la Suzy Q de Dale Hawkins.

             En farfouillant un peu ils se présentent comme un groupe russe, cette dimension internationale doit avoir été choisie afin de jouir d’une plus grande liberté culturelle de création.

    MYTH

    SUN Q

    Avant d’écouter l’album afin de se mettre dans l’ambiance il convient de regarder le TEASER de présentation que vous trouverez sur le FB du groupe.

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    Attention ce n’est pas très long, je conseillerais presque de l’écouter avant de le regarder, afin de s’apercevoir que le doux fredonnement des premières images se transforme en une sorte de mélopée arabisante qui n’est pas sans rappeler le Zeppelin, l’image n’est ni noire ni blanche, plutôt d’un grisâtre évanescent, sans doute ce parti-pris d’une fluidité incontrôlable est-elle transcription de la lapidaire formule qui tente de définir le projet musical du groupe : If magical realisme was music… un mantra à lire comme un appel au réalisme magique d’un Malcolm de Chazal par exemple. Que chacun regarde et décrypte cette série de visions archétypales selon son monde intérieur, avec si possible activation de votre œil pinéal.

    Lui : Ivan Chalimov. Elle : Elena Tiron. Ils ne sont pas seuls sur cet album, si la base de l’album a été enregistré en Russie, divers musiciens et chœurs ont étoffé les premières pistes, le mixage a été réalisé en Angleterre et masterisé aux USA, un processus complexe supervisé depuis la Turquie et la Moldavie...

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    Jane Doe :  nom donnée aux Etats-Unis aux cadavres féminins dépourvus d’identité, Jane Doe Identity est aussi le titre d’un film d’horreur d’André Ovredal ) : ne vous laissez pas séduire par la beauté du chant d’Elena, ni par le magnifique boulot des musicos, surtout le batteur, à première écoute cela ressemble à un irréprochable morceau avec section de cuivres et harmonium aux mieux de leurs formes, le tout impeccablement mis en forme, pas une seconde d’ennui, rien de bien novateur dans la structure, mais envoûtant, n’y a qu’à suivre, réfléchissez avant de fermer les yeux et de céder au balancement océanique, sachez où vous allez, s’agit d’une traversée des apparences, vous risquez de reprendre pied sur le rivage d’une autre dimension dont le sable serait constitué de la cendre des morts. Children singing : quoi de plus innocent que des enfants qui chantent, l’image qui accompagnait le single sorti en avant-première( juillet 2021 ) est davantage fantomatique, la voix si douce et si pure d’Elena s’élève, elle nous conte une histoire, pas drôle, trois fois rien, ne pas trop s’arrêter au sens des mots, d’ailleurs ils s’arrêtent pour laisser place à un pesant oratorio, une batterie aussi funèbre que le crépuscule des dieux, étaient-ce d’ailleurs des enfants, ou leurs seules voix perdues dans les interstices d’un monde équivoque. Tree : grincements, morceau beaucoup plus torturé que les précédents, elle ne dit pas I’m free mais I’m tree, sachez désapprécier la différence, keyboards en larmes, voix suppliante, traversée des cycles de l’humanité au végétal, unité pythagorienne du monde, le sang se transforme en sève, le chant en rêve cauchemardesque, l’on ne peut s’empêcher de penser à Gatzo le héros d’Henri Bosco recherchant l’âme d’Hyacinthe prisonnière d’un arbre dans la forêt en flammes. Animals : vous avez dans ce morceau l’explication de la pochette, après le règne végétal, le règne animal, orphisme et chamanisme sont plus proches que l’on ne le pense communément, ici ce n’est pas le bestiaire fantastique d’Apollinaire, simplement le cheval, la vache, le chien, trois incarnations, une véritable performance vocale d’Elena, d’une farouche retenue sur un rythme balkanique endiablé. Magnifique. Dionysus : beaucoup plus heavy, l’on change de règne, l’on quitte la sphère terrestre, Dionysus est celui qui meurt pour devenir immortel, qui subit victorieusement l’œuvre au noir, l’on ne reconnaît plus la voix d’Elena, elle vous claque les syllabes à la gueule, les guitares écrasent et forgent le riff, le morceau n’est pas très long, la présence des Dieux est nuisible aux humains corrodés par la mort. I am the sun : voix célestiale, musique rayonnante, la divinité repose en la frange infrangible de sa propre présence, percussions templières, une ampleur irradiante s’empare du morceau, la voix monte haut, elle glisse comme la barque de Ré sur le flanc laiteux de la vache divine. Mythe égyptien de la déesse vache Athor, épouse et mère de Ré, qui possède aussi une face sombre, car chaque soir Ré se meurt… Still searching for the skrulls : joyeuse ballade et balade sur le chemin de la vie, douces vagues, bonheur ineffable d’être êtres charnels dans le mitant de nos existences, au zénith du partage, le ciel est si azurescent qu’il semble infini, pourtant le début ne fut pas paradisiaque et la fin ne sera pas heureuse, l’on sait déjà ce que l’on trouvera au bout du chemin. La voix d’Elena se démultiplie pour cacher la réponse. Guitare et keyboard perdent leur élan lentement comme une bougie qui s’éteint. Elizabeth Siddal : (vous ne connaissez peut-être pas Elizabeth Siddal, mais vous l’avez déjà vue sur le tableau de John Everett Millais qui la choisit pour représenter Ophélie noyée flottant sur les eaux, elle fut l’épouse de Dante Gabriel Rossetti, peintre elle-même, poëtesse, tuberculeuse, addict au laudanum, morte à l’âge de 31 ans, un personnage éminemment décadent et romantique) : retour à la case départ, l’on entrevoit le cheminement en son entier, la mort, que l’on peut assimiler au règne minéral du tombeau, l’exhaussement végétal, la floraison animale, l’asymptotique lieu du divin, puis l’île en vue des morts d’Arnold Böcklin, et maintenant le corps qui s’en va, qui glisse au fil de l’eau clapotante, imperturbable comme ce riff appuyé vite oublié, par cette vie partie mais encore si proche que la voix d’Elena essaie de rappeler, comme s’il valait encore mieux la brûlure des tourments que le rien, elle crie l’on retrouve le motif du teaser allongé d’une funèbre note finale. Crystal doors : il suffit de lire ce dernier titre pour comprendre pourquoi sur l’Instagram de Sun Q vous trouvez une photo de Jim Morrison, dans le même ordre idée vous irez lire les poèmes d’Ossip Mandelstam, d’Euripide et de Joseph Brodsky pour comprendre comment cet album prend sa source en poésie métaphysique. Musique lente et répétitive même si la batterie maintient une rythmique implacable, on n’arrête pas le voyage dans la mort, ces portes de cristal sont proches de celles de corne et d’ivoire de Gérard de Nerval, Elena se tait la musique continue son chemin inlassablement, un satellite détachée de son orbite terrestre qui se perd dans l’espace… l’aventure n’est pas terminée, nous parviennent les échos de la voix d’Elena, semblent se métamorphoser en une sorte d’apothéose mais qui peut dire ce qu’il y a derrière les vantaux transparents de ces portes…

             Très bel album.

             Avant cet opus, Sun Q a livré un EP en 2015, un album neuf titres intitulé Charms en 2018, plus deux ou trois singles isolés. You Tube propose plusieurs vidéos. Nous évoquons dans les lignes qui suivent quatre d’entre elles visibles aussi sur le site du groupe.

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    La première, très courte, est un reportage sur un concert donné en 2021 elle permet d’entrevoir Elena et Ivan (guitare) sur scène mais aussi le batteur, un bassiste et une violoniste. Le plus intéressant reste les vues du public, des étudiants vraisemblablement, des étrangers qui nous ressemblent étrangement. La deuxième : Searching for skulls, beaucoup plus intéressante, un clip qui associe images couleurs ou de ce flou grisâtre qui doit relever d’un choix esthétique, s’entremêlent des passages sur scène, des vues en studio, des feuillets d’écriture, sans oublier les lyrics en une graphie biscornue qui s’affichent très discrètement sur l’écran. Des vidéos de ce genre vous en trouvez des centaines sur YT mais celle-ci est particulièrement agréable à regarder car elle colle à l’esprit du projet, ses plans qui se succèdent donnent l’illusion qu’ils ne sont pas disposés de manière aléatoire. La troisième : Big Fish morceau tiré de leur premier EP, sur scène, très rock, basse, guitare, batterie, bien filmée en plans d’ensemble américains rapprochés, permet de voir Elena, c’est une chose d’enregistrer en studio et une autre de chanter live. Tire son épingle du jeu avec brio. La quatrième Secret Ways Live in SPB ressemble à une longue dérive de blues psychédélique, espace confiné, obscurité mauve et mouvante, public sur le chemin de la transe, Elena en sueur accrochée à son micro, prêtresse vaudou nous emmène jusqu’au bout de la nuit. Ne la regardez pas, sinon vous serez comme moi, encore un concert où vous auriez aimé être. Le temps perdu malgré ce qu’en dit Proust ne se retrouve jamais. In another place, another time comme le chante Jerry Lee Lewis…

    J’ai gardé le meilleur pour la fin, le slogan qu’ils affichent pour la sortie de leur opus :

    SUN Q IS A MYTH

             Que pourrions-nous rajouter ?

    Damie Chad.

     

    *

    Musicien, compositeur, peintre, poëte, photographe, Eric Calassou est un artiste   que nous suivons sur KR’TNT depuis plusieurs années, depuis notre première rencontre lors d’un concert Du groupe Bill Crane groupe de rock’n’roll dont il était et reste le fondateur. Cette fois-ci nous intéressons à son œuvre de plasticien. Ne vaudrait-il pas mieux substituer à cette appellation peu signifiante celle de voyant au sens rimbaldien et révélatif de ce terme ?

             Attention, le lecteur consciencieux  qui désirerait prendre connaissance de l'ouvrage en son entier se reportera à :  Photographique Fantastique Wattpad Livre couverture

    PLASTIC RESURGENCY

    ERIC CALASSOU

    ( WATTPAD ) 

    1

    HÂTIVE CONVERSATION ENTRE SHERLOCK ET WATTSON

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             Drôle d’OTPI, Objet Transmissif Parfaitement Identifié provenant de la planète Wattpad. Le titre ne dit pas grand-chose. Résurgence plastique, serait-ce une allusion écologique aux millions de tonnes de plastique jetés à la mer qui au milieu du Pacifique forment un sixième continent ? Nous ne savons pourquoi : un sixième sens nous détourne de cette hypothèse militante. Pourtant ce cloaque bourbeux noirâtre sur lequel s’inscrit le titre n’est pas sans faire penser à des résidus pétrolifères souillant et polluant la surface de nos océans…

    Soyons logique si ce n’est pas une dénonciation de nos déchets plastifiés, c’est donc une glorification. D’ailleurs ce terme de résurgence n’induirait-il pas une identification avec la résurrection du Christ ? Ne nous perdons pas dans des considérations inconsidérées. Déroulons, la première page. Que voyons-nous ? Rien, c’est tout blanc ! Normal, c’est une page blanche. Abordons la suivante.

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    Que voyons-nous ? Rien, si un trou noir ! Pas d’erreur possible c’est même écrit dessous BLACK HOLE (N° 1). Avouons que c’est troublant. Ne nous prenons pas pieds de la pensée dans le premier trou venu, déroulons le parchemin nettique en son entier, et par la suite trouvons, non pas la réponse, mais la question qui donnera sens à cette œuvre.

    Qu’avons-nous trouvé ? Une suite de 48 photographies, représentant on ne sait trop quoi, peut-être des bouts de plastiques déchirés, des lambeaux informes, de différentes couleurs. Voilà, c’est tout. Ah, si tout en bas une courte notule de trois lignes apportant quelques renseignements sur Eric Calassou.

    2

    DEUXIEME ROUND

    Nous tenons le bon bout. Si nous étions dans une nos habituelles enquêtes criminelles nous dirions que nous avons découvert le coupable.  Nous sommes en présence d’une œuvre d’Eric Calassou. Quarante-huit photographies. Plutôt quarante-huit objets photographiques. Elles ne représentent ni des gens, ni des animaux, ni des maisons, à peine si nous apercevons sur quatre ou cinq d’entre elles des rails, une bouteille, des bananes et une espèce de cadran de réveil, Eric Calassou n’est pas un reporter de la réalité.

    Ces photos ne représentent donc rien ? Ne soyons pas si péremptoires. Déjà elles se représentent elles-mêmes. Elles sont aussi le fruit d’un long travail. D’un long désir. De l’artiste. Il est des tas de programmes informatiques qui permettent de trifouiller à sa guise la moindre photographie. Nous ignorons comment il a opéré, voudrions-nous vraiment le savoir, ce qui compte c’est le résultat obtenu.

    Et si c’était du n’importe quoi ? Si notre artiste comptait sur le hasard pour bien faire ? Le problème c’est que si vous comptez sur le hasard pour parfaire votre résultat vous rendez par ce fait le hasard nécessaire. Ce n’est plus le dé qui s’arrête sur le nombre qu’il décide, c’est vous qui le stoppez dans sa course sur le chiffre qui vous semble le plus adéquat. Cette affaire est plus sérieuse qu’il n’y paraîtrait de prime abord !

    3

    TROISIEME ROUND

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             Comme disait Maurice de Scève, peut-être devrions-nous nous pencher un peu plus sérieusement sur les objets du délit, pas les quarante-huit, n’allons pas très loin, par exemple ce BLACK HOLE (N° 2). Il est indubitable que ce trou n’est pas troué. Un trou sur une surface plane ne peut pas être un trou, nous avons donc affaire à de l’art abstrait. Pas si abstrait que cela, puisque se dessine parfaitement sur la gauche supérieure un animal. Un chat, un chien, un renard. Que chacun décide selon ses propres critères.  Ce n'est pas là l’essentiel.

    Si le trou est noir, il est d’autant plus noir qu’il recèle en son fond deux étamines blanches, et moins évident que cela, toutes les formes que nous devinons ou que nous imaginons sont guidées par d’étranges effets de transparence. Pour être plus clair : noir +transparence = noir. Or nous voyons des choses, ou du moins des formes. Bref, déjà louons cet artiste qui déjoue l’opacité du noir.

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    Comme dirait l’autre, cela me soulage, essayons avec une autre couleur. Tenez ce BAD BLOOD. Du sang rouge, on en boirait, un véritable grenache pour vampires assoiffés, l’on discerne bien des formes, rehaussées par ces transparences cette-fois-ci davantage blanche, mais il est difficile de savoir à quel objet, à quelle substance pour parler comme Descartes, appartiennent ces formes.

    QUATRIEME ROUND

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             Aurions-nous plus de chance avec ce DARK VEINS (N° 3), du vert, du saumon, du jaune, et ces transparences encore plus transparentes, et toujours ces formes qui ne ressemblent à rien. Ou à elles-mêmes si vous préférez. Je préfère à rien. Ah bon ! Oui cela ouvre davantage de perspectives. Le rien n’est que l’autre côté du tout. Ce qui ne ressemble à rien ne ressemble-t-il pas à n’importe quoi ?

             Tout est question d’échelle. Nous avons tendance à retrouver ce que nous connaissons déjà. Exemple quand vous avez perdu vos clefs vous retrouvez vos clefs. Quand je suis perdu dans mon monde je retrouve donc le monde.

             Exactement. Or là vous ne le retrouvez pas, ce que vous trouvez, c’est un autre monde. Cet Eric Calassou de malheur, cet Eric Calassou de bonheur, barrez la mention inutile, vous plonge dans l’infiniment grand ou dans l’infiniment petit. Cette photo peut aussi bien être la représentation d’une aurore boréale, que les teintes d’une feuille de pommier, à ceci près que vous êtes sûr qu’ Eric Calassou n’a jamais voulu représenter le rayon vert cher à Jules Verne ou les magnificences automnales d’une feuille.

             Donc chacun y voit ce qu’il veut ? Totalement Oui et parfaitement non.

    Expliquez-vous.

    CINQUIEME ROUND

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             Prenez THE ABYSSAL FOREST N° 1, peut-être y verrez-vous les fûts élancés d’une forêt, perso il est évident que nous assistons à la rencontre de trois corbeaux. C’est mon côté abyssal. Parce que je regarde avec des yeux qui ont été éduqués par Edgar Poe.

             L’auberge espagnole, chacun apporte avec lui ce qu’il veut. Oui mais certains voient davantage que d’autres. Non, ils n’ont pas un imaginaire plus grand que les autres, c’est qu’ils se sentent autorisés à voir ce qu’ils voient. Par qui ? Mais par Eric Calassou.

             Si j’étais vous, j’aimerais que vous m’expliquiez pourquoi au début de son opus Eric Calassou nous montre un trou pour un peu plus tard nous poser devant un abysse. En plus pour les esprits distraits il l’écrit en toutes lettres sous chacune des lames idoines.

             Parce que tel est son plaisir. Un grand trou ou un petit trou n’est-ce pas toujours un trou.

    SIXIEME ROUND

             Vous oubliez que l’insignifiance a le sens de ne pas avoir de sens. Plastic Resurgency, contrairement à ce que vous insinuez n’est pas un acte aléatoire. Certes je reconnais qu’Eric Calassou brouille un peu les cartes. Il vous les étale devant vous sans rien cacher. Mais il ne les a pas mises dans l’ordre. A vous de le retrouver. Une espèce de processus alchimique. Tout dire et ne rien dévoiler. Pensez un peu à toutes ces couleurs, ne correspondraient-elles pas à quelque chose. Mais laissons cela.

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             Je préfère attirer votre attention sur le grand arcane 18. Vous parlez de THE OPENING, je consens à y voir un trou puisque vous semblez y voir un trou, serait-ce une obsession quasi-psychanalytique ? Ne serait-ce pas vous qui verrait des trous partout. The opening ne signifie pas ‘’ trou’’ mais ‘’ ouverture’’. Pensez à Rilke et à sa notion de l’Ouvert, le lieu de passage poétique par excellence.

             Voyez-vous si notre coupable, le dénommé Eric Calassou est coupable de quelque chose, ce n’est pas d’avoir au petit bonheur la chance traficoté des photographies, mais d’avoir en toute intelligence créatrice indiqué la route qui mène à la sente la plus secrète.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Au mois de février 2018, il m’est arrivé une drôle d’aventure, je la relate dans la livraison 362, que les âmes sensibles s’abstiennent de se précipiter pour la lire, les cauchemars les plus déplorables risquent de perturber leur sommeil durant des années, je m’en souviens bien, cela s’est passé un jour où je me rendais à un concert des Jallies. Trois années, entrecoupées du carnavalesque épisode covidique, se sont écoulées avant que je ne retrouve les Jallies le 21 / 04 / 2022 à Fontainebleau. Chance, voici que les Jallies redonnent un concert au Glasgow de Fontainebleau ce jeudi 09 novembre.

    Les lecteurs s’étonneront de cette bizarre obstination à voir les Jallies. Nous les suivions depuis leur début, nous avions dû assister à une dizaine de leurs concerts moi et Alain, parfois surnommé dans nos chroniques Mister B, donc ce soir la voiture fonce vers Fontainebleau. Un trajet sans péripétie, même pas un cycliste à écraser. Ce n’est pas ce qui me rend triste. Tourne dans ma tête le joyeux souvenir de ce vieux dimanche après-midi vers quatorze heures trente lorsque le téléphone a sonné :

    _ Allo Damie ?

    _ Salut Alain !

    _ Qu’est-ce que tu fais ?

    _ Rien de spécial, et toi !

    _ Ben, comme un dimanche après-midi, calme plat. Il n’y a pas de concert ce soir ?

    _ Si, des Jallies !

    _ Tu viens me chercher, comme d’hab, huit heures à la maison !

    _ Impossible !

    _ Tu es pris ?

    _ Non, il faut partir maintenant !

    _ Ah, c’est un concert d’après-midi !

    _ Pas du tout, mais c’est à quatre cents kilomètres au fin-fond du centre de la France, dans un endroit que j’ai du mal à localiser sur la carte.

    _ Tu y vas ?

    _ Si tu viens, oui !

    _ Dans une de mi-heure je suis chez toi, l’on trouvera facilement, j’ai récupéré un GPS !

    Je ne vous raconte pas la suite de l’histoire avec ce GPS si fantaisiste que nous avons fini par remiser sur la banquette arrière à côté de Zeus. Pas le dieu de l’Olympe, ce jour-là il n’avait pas pu venir, tout simplement mon chien. Bien sûr, comme l’on est des rockers, l’on est arrivé à temps…

    C’était le bon temps, hier soir Alain n’est pas venu. Il ne viendra plus jamais voir les Jallies. Ce n’est pas qu’il ne les aime plus. C’est qu’il repose au cimetière…

    JALLIES

    (GLASGOW09 / 11 / 2023)

    FONTAINEBLEAU

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    Les filles se sont installées les premières, mais que peuvent espérer trois pauvres filles sans les garçons pour les protéger. Les voici, sans se presser, ils se saisissent doctement de leurs instruments, la cérémonie peut commencer. Difficile de raconter un concert des Jallies, les filles n’arrêtent de bouger. Comme toutes les filles elles sont interchangeables. Chacune peut faire ce que les deux autres ne sont pas en train de faire. Elles ne se disputent pas, elles se décident sur le vif, à l’instant. Un jeu délicieux. Au bout de trois secondes, elles se sont partagées les ustensiles, caisse claire, micro, guitare, cela doit leur rappeler les cours de récréation quand elles jouaient à papier, pierre, ciseaux.

    Faut être juste. Dès qu’elles ouvrent la bouche vous ne voyez plus qu’elles. Est-ce pour cela que les deux gars derrière font un boucan inimaginable. Vous scotchent contre le mur dont ils ne vous décolleront pas. A tel point que les filles ont inventé une nouvelle stratégie, quand il y en a une qui chante ses deux copines harmonisent à fond à ses côtés, un bourdonnement d’essaim d’abeilles emplit vos oreilles, alors les garçons accélèrent et les filles surenchérissent.

    Derrière ce rideau mouvant de filles vous reconnaissez Tom à son chapeau. Pour sa guitare pas de souci, elle fuse tous azimuts. Un hors-bord lancé à toute vitesse, attention les courbes sont nerveuses, le son prend sans arrêt la tangente, jamais là où il devrait être, vous trousse de ces soli zig-zag vrombissants en moins de six secondes, une féconde imagination au bout des doigts, ramène toujours un grain de sel ou de soufre là où on ne l’attend pas, un ingénieux, aussi rusé que le renard, aussi fourbe que le serpent, aussi insaisissable que le furet, aussi subtil qu’un traité d’Aristote. Mama mia ! quel guitariste ! Le guy qui sait se faire entendre, coupez-lui l’électricité et vous aurez l’idée d’une île sans trésor, d’un océan sans eau.

    Kros use de la technique dite du rhinocéros. Il ne slappe pas, il cogne. Si fort que sa contrebasse noire et tuméfiée essaie en vain d’échapper à ses ramponeaux systématiques en effectuant une volte sur elle-même, avec un tutu elle ressemblerait à une danseuse d’opéra tournoyant sans fin sur ses pointes. Dans un western il endosserait le rôle de la grosse brute sympathique à qui l’on pardonne tout, certes il vous démolit le septième de cavalerie qui s’en est venu arracher des mains des féroces séminoles qui les retiennent prisonnières les trois pauvres orphelines, aucune d’entre elles ne saurait résister à son sourire jovial, à ses cris de guerres stentoriens et à ses adresses hilarantes au public. Kros c’est l’éléphant dans le magasin de porcelaine, mais il vous dégomme les soupières et les bibelots avec une telle adresse que vous applaudissez pour l’encourager.

    Non, je ne les ai pas oubliées, j’ai gardé les trois plus belles pour la fin. Bérénice la brune, Leslie la rousse, Vanessa la blonde. C’est comme au jeu du marchand des couleurs, nommez la teinte que vous préférez, elle s’enfuira si vite que jamais vous ne la rattraperez. Elles n’accaparent pas le micro c’est le micro qui se bat pour être à toutes les trois. Bérénice au chant nerveux, Leslie aux roucoulades insidieuses, Vaness rentre-dedans et bouscule-tout. Toutes ensemble et chacune selon sa personnalité. Un point commun, la vitesse, en accélération constante, une patinoire inclinée à quarante-cinq degrés, pas étonnant qu’elles reprennent Slippin’ and Slidin’ de Little Richard, gazelles gracieuses et galopantes, insaisissables, sourires mutins et voix accrocheuses.

    Question métaphysique : est-ce du swing ou est-ce du rock ‘n’ roll ? Disons que c’est du pur Jallies. Début du deuxième set : mise au clair : cette fois-ci ce sera davantage rock’n’roll. Cela en a tout l’air. Oui mais voilà, les choses ne vont pas se passer tout à fait comme annoncées. Ce sera plus rock qye rock. D’abord un truc sympa, trois fois rien, c’est l’anniversaire de Leslie, soigneusement applaudie. Son interprétation de Funnel of love de Wanda Jackson et ses reprises de Janis Martin, ainsi que sa version de A train Kept A Rollin de Johnny Burnette ( merci pour la dédicace ) ont éveillé une sympathie certaine envers sa personne et par ricochet sur ses copines. L’atmosphère s’est magiquement transformée, prémices de la montée d’une hystérie collective.

    Tiens, Kros emmène sa contrebasse devant, nos trois grâces s’écartent pour lui laisser la place, il ne joue pas, il prend la parole, il annonce son départ, il quitte les Jallies après plusieurs années de bons et loyaux services, il a d’autres projets, un groupe punk et un autre folkly, il remercie ses camarades et le public. Ovations et applaudissements, galvanisé il interprète Hound Dog de Presley  ( oui l’on sait c’est de Big Mama…), à l’emporte-pièce, au chalumeau, au lance-flammes, z’après il rentre dans le rang et nos demoiselles prennent la relève, l’on ne sait pas, l’on ne sait plus, mais elles se mettent à swinguer vertigineusement et à rocker comme des roquettes, Bérénice hisse le grand pavois de sa voix, les danseurs s’élancent, comment dans un espace si confiné parviennent-ils à évoluer ? Ça caracole de tous côtés sans carambole. Vanessa annonce les deux derniers titres. Puis un troisième et un quatrième. Kros se permet la plus mauvaise blague du siècle, un morceau de Queen !

    C’est bien Queen mais pas n’importe laquelle, ni Mary, ni Elizabeth, la Rock’n’roll Queen d’Ady des tout premiers temps du groupe, et c’est la débandade, les filles y jettent tout leur cœur et toute leur hargne, les guys vous font un feu roulant, maintenant l’on sait que c’est parti pour ne plus s’arrêter. Le répertoire Du groupe est repris de fond en comble mais ça ne suffit pas alors en avant toute on tape dans le meilleur, un Stray Cat et Led Zeppelin, un Whole Lotta Love à la caisse claire, un swing-rock déglingué monstrueusement beau et halluciné comme l’iceberg qui s’est rué sur le Titanic. Kros nous bombarde d’un Tutti Frutti épileptique, Tom mange les cordes de sa guitare, la Vaness en pyromane avertie jette l’huile bouillante de sa voix sur le feu, l’on était parti jusqu’au petit matin, hélas les portes du pub sont ouvertes en grand et tout le monde est prié (et poussé) de descendre au plus vite les quelques marches de pierres glissantes et abruptes qui donnent accès à la rue du Coq Gris.… Il est bien connu que dans la nuit tous les cats sont gris.

    Il est pile une heure du matin et c’est l’heure pour les honnêtes citoyens de la bonne ville de Fontainebleau de s’endormir paisiblement dans leur lit douillet…

    Je n’ai pas tout conté de ce concert mirifique, une ambiance unique, une joie indescriptible et une communion extatique du groupe avec son public.

    Damie Chad.

    Post-scriptum : je sais, je ne me suis guère attardé sur nos trois merveilleuses fillettes mais bientôt je vais y être obligé. Le groupe continue, le remplaçant de Kros est même venu lui emprunter pour un morceau sa contrebasse, s’en est sorti comme un chef. Mais Vanessa m’a confié que les filles sont en train de concocter aussi une formule davantage ramassée, uniquement les trois filles sous le nom de Jallies-pocket, je vous tiens au courant, promis, juré, craché si je mens je vais en enfer. Ne me plaignez pas, l’enfer est cette partie du paradis où se retrouvent les rockers.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 551 : KR'TNT 551 : LEON RUSSELL / THE SAINTS / CEDRIC BURNSIDE / LEWIS TAYLOR /JALLIES / HELéH / GUIGNOL'S ROCK / PATRICK GEFFROY YORFFEG

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 551

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    21 / 04 / 2022

     

    LEON RUSSELL / THE SAINTS

    CEDRIC BURNSIDE / LEWIS TAYLOR

    JALLIES / HeléH / GUIGNOL’S ROCK

    PATRICK GEFFROY YORFFEG 

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 551

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Russell & poivre - Part Three

     

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                Tonton Leon a disparu depuis un bon moment, mais il continue de faire l’actu et c’est une bonne chose. Dans sa prestigieuse collection ‘Songwriter Series’, Ace lui consacre un volume sobrement intitulé The Songs Of Leon Russell. Ace qui fait toujours bien les choses a en plus demandé à Kris Needs de tartiner les 20 pages d’un booklet qui du coup prend l’apparence d’un mini-book. Certains objecteront qu’on est loin des 40 pages du booklet de Mick Patrick consacré à Shadow Morton, mais comme le savent ses admirateurs, Kris Needs fait toujours du double concentré de tomates et donc ses 20 pages en valent 40, c’est automatique. 

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             Pour planter son décor, Needs nous ramène au temps de Mad Dogs & Englishmen, lorsque coiffé de son haut de forme et déjà grisonnant, Tonton Leon jouait le maître de cérémonie - ringmaster and musical director - pour le compte de Joe Cocker, lui volant (un peu) le show au passage. C’est Joe qui le dit, pas nous. Joe en conçut même une belle amertume. Après la folie du Mad Dogs & Englismen tour, Tonton Leon va exploser nous dit Needs au sommet du Shelter empire, c’est-à-dire le label qu’il a monté à Los Angeles avec Denny Cordell et sur lequel on va retrouver des géants comme Dwight Twilley et Freddie King. Needs analyse bien les contradictions du personnage : «Même si Russell incarnait les excès de son époque, splendour and panoramic ambition, il avait largement de quoi les assumer, notamment avec son talent d’auteur-compositeur et les classiques qu’il confiait à d’autres interprètes.» Tonton Leon peut monter sur scène avec Dylan et jouer avec les Beatles, pas de problème, nous dit Needs. Il jouait déjà au Gold Star sous la direction de Totor. Et puis vient le calme après la tempête : dans les années 80, Tonton Leon disparaît des écrans. Il continue d’enregistrer des albums, mais dans la plus parfaite discrétion. Il fallait même se lever de bonne heure pour trouver ces mystérieux albums.

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             Needs attribue à Elton John le mérite d’avoir ressuscité la carrière de Tonton Leon, avec un album intitulé The Union. On les voit tous les deux sur la pochette, pareils à deux croque-mitaines. On a snobbé cet album à l’époque à cause d’Elton John qui n’est pas vraiment en odeur de sainteté par ici. Mais comme Needs parle d’une spectacular collaboration, alors on écoute attentivement l’«If It Wasn’t For Bad» qui ouvre le bal de cette compile : si on ne supporte ni la voix ni la personne d’Elton John, c’est vite plié. Suivant !

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             Lorsqu’il replonge dans les éléments biographiques, Needs en tire comme il le fait habituellement la meilleure pulpe. Needs, c’est Tintin reporter, le roi de l’investigation. Tonton Leon est encore ado nous dit Tintin Needs lorsqu’il joue dans les Starlighters à Tulsa, Oklahoma. Voilà que Jerry Lee débarque dans le coin. Il est en tournée, il repère les Starlighters et les engage comme backing band pour repartir à la conquête du pays, car il doit tout reprendre à zéro après la catastrophe d’Heathrow, souviens-toi, lorsque les fouille-merde de la presse anglaise ont découvert que Jerr avait épousé sa cousine de 13 ans. Tonton Leon n’est pas beaucoup plus âgé lorsqu’il débarque à Los Angeles pour y tenter une carrière de pianiste de bar, et pouf, à 17 ans, il enquille sa première session d’enregistrement chez Liberty : il accompagne Johnny Burnette qui tente lui aussi de relancer sa carrière à Los Angeles. Tonton Leon est lancé. On le réclame dans les studios. Il accompagne Jackie DeShannon, Pat Boone, Bobby Blue Bland, Jan & Dean, Bobby Darin, Aretha, les Everly Brothers, puis c’est l’apothéose avec les fausses Crystals, c’est-à-dire Darlene Wright & les Blossoms, au Gold Star, avec Totor et le Wrecking Crew. Attends, c’est pas fini ! En 1964 nous dit Tintin Needs, Tonton Leon se retrouve en studio avec les Beach Boys, Sammy Davis Jr, Dick Dale et Gary Lewis & the Playboys. Justement, la compile propose un cut plus tardif de Gary Lewis & The Playboys, «The Loser (With A Broken Heart)», assez énervé, «Monkees recalling baroque-country pop», monté sur un petit beat de petits mecs, mais il faut se souvenir que Kim Fowley vénérait Gary Lewis & The Playboys. Tintin Needs précise que le Gary en question est le fils de l’acteur soi-disant comique Jerry Lewis. Autre précision de taille : Tonton Leon co-signe ce cut avec Don Nix, et Snuff Garrett, producteur maison de Liberty, supervise l’opération.

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             Tonton Leon est aussi en studio avec les Byrds pour le fameux enregistrement de «Mr Tambourine Man», mais on se souvient que Terry Melcher a viré sa piste de piano pour pousser le bouchon de l’esthétique jingle-jangle. Il n’empêche qu’en 1965, Tonton Leon monte encore sur tous les coups, notamment «the session musician’s dream of playing Frank Sinatra sessions». Puis il accompagne les Beach Boys sur «Help Me Rhonda», Herb Alpert, les Monkees, Bob Lind et Bobby Vee. Oh, Tintin Needs en cite d’autres beaucoup plus obscurs, mais ça, c’est son truc, sa vieille manie d’explorateur de l’underground. Plus c’est obscur et plus ça le fait bicher. Sur la compile, on trouve une cover de «Before You Go» par Bobby Vee. Que faut-il penser ? On ne sait pas.

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             Comme le biz tourne à plein régime, Tonton Leon s’en fout plein les poches et il se paye une belle bicoque sur Skyhill Drive nous dit Tintin Needs. C’est là qu’il héberge ses copains de Tulsa, qu’il ouvre une ère de débauche en mode 24 hour partying et qu’il démarre un projet collaboratif avec Marc Benno, The Asylum Choir, dont on a dit le plus grand bien dans un Part One. C’est à l’organiste Bobby Whitlock que revient l’honneur d’interpréter «Raspberry Rug». Tintin Needs nous rappelle que Whitlock vient de Memphis et qu’il fit ses armes chez Stax sous le mentorat de Steve Cropper, avant de se retrouver keyboardist dans le groupe de Delaney & Bonnie. Il sera d’ailleurs le seul membre resté fidèle à Delaney & Bonnie après que Tonton Leon leur ait barboté leur groupe pour monter la tournée évoquée plus haut de Mad Dogs & Englishmen. Alors bravo Whitlock. La loyauté ne court pas les rues, comme chacun sait. Quant à sa version de «Raspberry Rug», disons qu’elle est assez pop. On croirait entendre les Beatles avec des coups de trombone. Beaucoup plus intéressant, voici la cover de «Groupie (Superstar)». Par Delaney & Bonnie, justement, et la fantastique attaque de Bonnie la géante. N’oublions pas que Bonnie fut une Ikette pour quelques shows, à la demande d’Ike. «Groupie (Superstar)» est aussi l’une des plus belles compos de Tonton Leon. Puisqu’on parle de Stax, il est bon de rappeler que Delaney & Bonnie ont eux aussi commencé sur Stax en 1969, avec l’excellent album Home qui fut nous dit Tintin Needs burried, c’est-à-dire enterré dans la vague du «27-album comeback blitz» imaginée par Al Bell pour relancer le label qui se trouvait alors en difficulté. Pour Tonton Leon, c’est l’album suivant, Accept No Substitute, paru sur Elektra, qui cristallise ses aspirations «in vibrant blue-eyed soul gospel and country». «Groupie (Superstar)» fut enregistré lors d’une session pour Clapton, mais il est beaucoup plus intéressant de savoir que le cut sera repris par les Carpenters. Tintin Needs profite de l’épisode pour se rire des frasques de Delaney Bramlett qui, toujours sous contrat avec Jac Holzman chez Elektra, tenta de signer un contrat avec George Harrison chez Apple, ce qui lui valut d’être viré d’Elektra. Il signa ensuite chez Atlantic mais il fut de nouveau viré après un album.

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             Tintin Needs nous rappelle aussi que Tonton Leon a produit le deuxième album de Joe Cocker, qui fut découvert comme chacun sait par Denny Cordell. Pour illustrer ce passage, la compile propose le «Delta Lady» de Joe Cocker qui d’ailleurs figure sur ce deuxième album sans titre, l’excellent Joe Cocker. Tintin Needs cite une interview de Joe Cocker dans ZigZag, où l’intéressé raconte qu’en entendant Tonton Leon jouer «Delta Lady» au piano, il fut tellement subjugué qu’il tomba de sa chaise. Autre info de taille : Joe Cocker fut enregistré à Hollywood en 1969, lors d’un break aménagé entre deux dates de la première tournée américaine du vieux Joe qu’accompagnait alors le Grease Band. Eh oui, 1969, l’année de Woodstock, où Joe fit des étincelles sur scène avec sa fantastique cover de «With A Little Help From My Friends». Il ne faut pas perdre de vue ce génie que fut le vieux Joe, fils d’un mineur de Sheffield. Tintin Needs est bien d’accord là-dessus puisqu’il parle d’une «life-changing tour-de-force appearance at Woodstock» et d’une «seismic reinterpretation of the Beatles’ With A Little Help From My Friends». Dans son élan, il nous rappelle que Merry Clayton, Bonnie Bramlett, Patrice Holloway, Sherlie Matthews et Rita Coolidge font les chœurs derrière Joe sur «Delta Lady». Il faut d’ailleurs voir le film consacré à la tournée de Mad Dogs & Englismen en 1970, car on les voit sur scène, toutes ces choristes fabuleuses, Rita Coolidge et Claudia Lennear, plus Chris Stainton, Jim Price et Bobby Keys, Don Preston et trois batteurs, Jim Gordon, Jim Keltner et Chuck Blackwell. Et Tonton Leon qui tortille du cul au milieu de cet extravagant manège. C’est là qu’il devient une star in his own right.

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             Tintin Needs nous dit qu’il existe 200 versions d’«A Song For You». Il ne cite pas tous les interprètes, heureusement. Ace choisit la version du «doomed Soul genius» Donny Hathaway, possibly the best of all, surenchérit Tintin Needs qui ne mégote pas sur les surenchères. Il en profite aussi pour retracer le parcours d’Hathaway, découvert par Curtis Mayfield, et ami de Roberta Flack et de Leroy Hutson. Donny chauffe la Song de Tonton Leon à l’haleine chaude, aw comme il l’épouse, comme il la promène, comme il la caresse, comme il la conforme. Tintin Needs profite de l’épisode pour dresser un bel éloge du pauvre Donny qui finira par se jeter de la fenêtre d’un Central Park hotel room en 1979. L’autre grand hit de Tonton Leon, c’est bien sûr «The Masquerade» repris par tout le monde et surtout par George Benson. C’est la version qu’a choisi Ace et qui referme la marche de la compile. Benson y va, il est le grand groover devant l’éternel, sa mouture est absolument imparable. Là tu as l’utter happiness du Benson, les flux mélodiques s’emmêlent les crayons, c’est très spectaculaire. Tintin Needs traite Benson de sensitive genius, il n’est plus à ça près. En plus il a raison. Il a toujours raison.

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             Autre sensitive genius, voici Rumer et sa version de «My Cricket» qu’on trouve sur l’album Boys Don’t Cry. Tintin Needs se régale à rappeler que Burt a invité Rumer chez lui pour faire sa connaissance. Rumer est la reine des temps modernes et Tintin Needs lui taille un costard de reine. Elle est la dernière descendante d’une lignée de très grandes chanteuses américaines, qui va de Jackie DeShannon à Karen Carpenter en passant par Laura Nyro et Lisa Minnelli. En dehors de Tonton Leon, Rumer tape aussi dans Todd Rundgren, Hall & Oates, Terry Reid et Neil Young, excusez du peu. Oh et puis Jimmy Webb dont elle a repris l’excellent «P.F. Sloan». C’est d’ailleurs avec cette reprise qu’il faut bien qualifier de magique qu’on fit connaissance avec Rumer. Ses cinq albums s’inscrivent dans l’avenir du rock.

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             Encore un fabuleux interprète avec José Feliciano qui tape, lui, dans «Me And Baby Jane». Il faut se réjouir de l’entendre chanter, d’autant plus qu’il chante avec tout le feeling du monde. Il faut bien dire que sur cette compile, les interprètes de Tonton Leon sont triés sur le volet. En plus, c’est produit par Steve Cropper, et on retrouve Claudia Lennear dans les backing et Larry Knetchtel aux keys. Tintin Needs nous parle d’une supernaturally powerful voice qui peut transformer n’importe quel cut, tout en unleashing his dzzling virtuosity on Spanish guitar. C’est vrai que José Feliciano est un artiste hors normes qu’on aurait bien tort de prendre à la légère. Tintin Needs dit aussi que José Feliciano est le roi des covers sensitives et cite comme exemple sa cover de «Light My Fire».

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             Et puis Tonton Leon  ramasse tellement de blé qu’il achète une grosse église à Tulsa pour en faire The Church Studio. Il va y abriter Shelter et y accueillir des tas d’artistes, et pas des moindres : Willie Nelson, Dr John, J.J. Cale, Phoebe Snow, Bonnie Raitt et Freddie King. Comme chacun sait, Freddie King a sorti trois album sur Shelter. Don Nix et Tonton Leon sont des inconditionnels de Freddie King. Ils produisent ensemble l’excellent Getting Ready à Chicago. En 1972, big Freddie descend chez Ardent à Memphis pour enregistrer Texas Cannonball avec la crème de la crème : Tonton Leon, Chuck Blackwell, Don Preston, Duck Dunn, Al Jackson, Jim Gordon et Carl Raddle. C’est là que big Freddie enregistre l’«I’d Rather Go Blind» qu’on trouve sur la compile. C’est vite torché, amené au fast drive, farci de tortillettes toutes plus effarantes les unes que les autres, personne ne bat Freddie King à la course. Quatre ans plus tard, à force de tirer sur la corde des tournées, le pauvre Freddie va casser sa pipe en bois.

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             La country est selon Tintin Needs le péché mignon de Tonton Leon. C’est vrai qu’on trouve pas mal d’albums de country dans sa discographie, notamment les quatre volumes d’Hank Wilson avec lesquels nous dit Tintin Needs Tonton Leon s’est tiré une balle dans le pied. C’est-à-dire qu’il a coulé sa carrière mainstream en proposant des albums de pure country. Pour illustrer cet épisode, Ace nous propose une reprise de «Lonesome And A Long Way From Home» par Earl Scruggs & The Earl Scruggs Revue. C’est là où l’Americana se noie dans une mer de notes de banjo. Et puis Tonton Leon s’entend bien avec Willie Nelson, c’est la raison pour laquelle on le voit apparaître avec «You Look Like The Devil». Il y  va le vieux Willie - You look like the devil/ In the morning - Il ne parle pas de sa copine, mais de son batteur. C’est bien vu, mais ça reste de la rengaine country pure et dure, seulement accessible aux fans de country. Pour enfoncer le clou, Tintin Needs cite Tonton Leon qui déclare : «Willie Nelson et moi avons les mêmes racines musicales : Hank Williams, Bob Wills, country black blues.»

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             Tout le monde croit que Randy Crawford est un mec. Pas du tout, c’est une charmante petite blackette et il faut l’entendre interpréter «Time For Love» avec une fraîcheur surnaturelle. Tintin Needs parle d’une distinctive voice. Oui, c’est même une belle entourloupe juvénile, un miracle d’équilibre qui met en valeur l’excellence du groove de Tonton Leon. Randy Crawford vient de Macon en Geogie et a chanté avec George Benson et les Crusaders, donc elle n’est pas née de la dernière pluie. Encore une pure merveille avec Janis Siegel et sa version de «Back To The Islands». Une Janis de rêve, elle est à la fois dessus et dedans. Grâce à Tonton Leon, on découvre d’extraordinaires interprètes.

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             En 1976, Tonton Leon épouse Mary McCreary. Elle chantait dans Little Sister, Sly & the Family Stone’s backing singers. Il existe deux albums de duos de Tonton Leon et Mary McCreary qui sont chaudement recommandés : Wedding Album et Make Love To The Music. C’est Al Jarreau qui tape dans «Rainbow In Your Eyes», le cut d’ouverture du Wedding Album. Al groove sans avoir besoin de chanter et c’est sans doute le meilleur groove de l’univers connu des hommes, avec celui de Marvin Gaye. C’est un super-groupe nommé California qui tape «Love’s Supposed To Be That Way», encore tiré du Wedding Album. Dans California, on retrouve Bruce Johnston, Curt Boettcher et Gary Usher. Puis Maria Muldaur se tape «Make Love To The Music», le morceau titre du deuxième album de Tonton Leon & Mary McCreary. C’est une perle noire, une authentique Beautiful Song, Maria Muldaur y exprime l’explosion du bonheur, c’est dire si les compos de Tonton Leon peuvent être hors normes. Tintin Needs parle de sensual shuffle.

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             Tonton Leon produit en 1979 le seul album de Wornell Jones et ça démarre avec «Something Good Is Gonna Happen To You» qu’on retrouve bien sûr dans la compile : heavy groove, très impressionnant. Tintin Needs parle d’une effortlessly expressive voice that elevates the whole set. Dans les backing, on retrouve Mary McCreary and former Ikette and Gap Band dynamo Maxayn. Comme on le voit, Mary McCreary et Maxayn ne sont pas non plus nées de la dernière pluie.

    Signé : Cazengler, Léon recèle

    The Songs Of Leon Russell. Ace Records 2021

     

     

    Les Saints à l’air - Part One

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             Chris Bailey vient de casser sa pipe en bois. Il occupait un siège au premier rang de l’Académie des princes, à côté d’Iggy et des Stooges, de Johnny Thunders et des Dolls, de Lou Reed et du Velvet. Et puis on voit encore d’autres têtes connues, les Pretties, les Cramps, le Gun Club, Kim Fowley, Jimi Hendrix, Dylan, Syd Barrett, les Stones ou encore les Mary Chain. Les Saints ont énormément compté pour beaucoup de gens en France. Certains ont même monté des groupes pour célébrer leur culte. Les Nuts furent à l’origine un groupe de reprise des Saints. Aussi allons-nous déterrer un conte jadis imaginé en leur honneur. Ce conte constitue la première partie du modeste hommage que nous rendons ici à Chris Bailey.

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             Les brochures touristiques nous racontent que Brisbane est une charmante ville côtière de l’Est de l’Australie. Quelle blague ! Chris Bailey et ses copains s’y ennuient à crever. Rien à faire, nulle part où aller. Ils n’ont pas le sou... Ils ont grandi tant bien que mal dans cette ville qu’ils ont baptisé Security City. L’état de Queensland, dont Brisbane est la capitale, tomba voici quelques années aux mains d’ultra-conservateurs catholiques. Prônant l’ordre et la discipline, ils y instaurèrent une sorte d’apartheid. Une police musclée patrouille en ville, matraque en main. S’ils croisent un vagabond ou un type mal rasé, ils l’embarquent aussitôt en camion, direction Punishment Park. Là, un tribunal spécial accusera le suspect d’incitation à l’émeute et d’atteinte à la sûreté de l’État de Queensland. Le malheureux devra alors choisir entre deux châtiments : soit purger une peine de vingt ans au pénitencier fédéral, soit passer trois jours à Punishment Park.

             Étrangement, les condamnés choisissent tous le séjour à Punishment Park. C’est là qu’on leur donne le programme des trois jours : il s’agit de parcourir 85 km dans le désert, sans eau, pour atteindre un mât où flotte le drapeau de Queensland. On leur explique ensuite qu’ils risquent d’être pourchassés par des policiers armés chargés de les stimuler.

             Amis de longue date, Chris Bailey, Ivor Hay et Ed Kuepper se demandent bien comment ils vont pouvoir quitter cet enfer. Comme ils partagent tous les trois un goût commun pour l’anticonformisme, ils sont en danger permanent. Le soir, Chris rentre chez lui en rasant les murs. Il allume son téléviseur. La chaîne australienne diffuse des images de propagande américaine : les puissants B52 déversent des tonnes de bombes sur le Nord-Vietnam. Ce spectacle révolte Chris. C’est un peu comme si le gros cul boursouflé de l’Amérique lâchait des étrons mortels sur un petit pays du tiers-monde. Pire encore, le gouvernement australien qui est ouvertement pro-américain envoie des troupes se battre contre la menace communiste. En Australie, les réfractaires et les antimilitaristes sont envoyés directement à Punishment Park. Chris ne souhaite pas aller crapahuter dans le désert en plein cagnard et sous les balles des tueurs assermentés. Rien que d’y penser, ça lui donne la nausée. Il éteint sa télé et commence à tourner en rond dans la pièce, répétant mécaniquement I’m stranded, I’m stranded, I’m stranded. Il tourne ainsi pendant des heures, comme un condamné dans sa cellule.             

             — I’m stranded, I’m stranded !

             Bien coincé, en effet. Il connaît déjà les tenants et les aboutissants de la frustration adolescente. Il n’a plus rien à apprendre, de ce côté-là. L’ennui le guette comme un vautour. Une seule solution : quitter ce merdier de Security City. Ça tourne à l’obsession. Cette ville maudite n’a rien à offrir, hormis des usines et des flics armés jusqu’aux dents. Descendre dans la rue pour réclamer une amélioration des conditions de vie ? Il vaut mieux abandonner l’idée tout de suite.

             Pendant que Chris tourne en rond dans sa chambre en psalmodiant I’m stranded, Ed s’occupe activement. Il s’est réfugié dans la musique, afin d’échapper à ce que Dylan appelle le cauchemar psychomoteur. Il s’est auto-proclamé explorateur. D’instinct, il fouille du côté des légendes obscures. Il s’effare de la qualité de ses découvertes : il ne jure plus que par Link Wray et Bo Diddley. Et comme tout le monde, il subit un traumatisme le jour où il découvre le premier album du Velvet. Ed joue un peu de guitare, mais il prend garde à ce que ni les voisins ni les patrouilles de police ne l’entendent. Essayez de jouer «Sister Ray» en sourdine et la trouille au ventre, vous verrez, c’est pas facile. Par contre, Chris cultive des goûts plus simples. Il ne jure que par Elvis. Pour payer le loyer de sa chambre, il travaille un peu. Il vend des stylos en faisant du porte à porte, et comme ça ne marche pas très bien, il complète ses maigres revenus en allant travailler aux abattoirs. Et pour ne pas éveiller la suspicion des patrouilles de police, il porte un costume brun et une cravate. Et sa tignasse ? Il la ramasse sous un petit chapeau mou.

             Il s’arrête chez Ed. Toc-toc... toc-toc-toc. Il frappe les cinq coups convenus à la porte. C’est un code. Ed ouvre.

             — Content de te voir, Chris. Rentre vite, j’ai quelque chose à te montrer ! Ils montent au premier. Chris enlève son chapeau et sa cravate. Ed rallume son ampli, met le volume à deux et joue le riff de «Sister Ray». Emballé, Chris commence à chanter d’une voix rocailleuse :

             — Sister Ray... Sister Ray...

             — Chuuuuuuut ! Les voisins vont nous dénoncer !

             Mais Chris continue. Ed sue à grosses gouttes. Il éteint l’ampli. Trop risqué.

             — Tu veux aller faire un tour à Punishment Park, c’est ça, hein ?

             — Ed, on ne peut pas continuer comme ça ! On mène une vie de chiens galeux. On sort dans la rue la peur au ventre et on se chie dessus dès qu’on croise l’une de ces fucking patrouilles... Il faut monter un groupe, c’est le seul moyen de quitter le pays et d’échapper à tout ça !

             Ed opine du chef, tout en s’épongeant le front avec son mouchoir à carreaux.

             — Ed ! j’ai une idée ! On va appeler le groupe Kid Galahad and the Eternals !

             Ed bafouille :

             — C’est joli, Chris, mais d’une part, c’est trop compliqué, et d’autre part, ça fait trop référence à Elvis... J’aime pas trop la musique de vieux...

             Pris d’une crise de rage, Chris s’arrache une touffe de cheveux et beugle :

             — Et ton Bo Diddley, c’est pas un vieux, avec son gros scooter et ses cheveux mal gominés ? Et l’autre là, le Link Wray, le forain, le roi de l’instru ! Tu rigoles, ou quoi ?

             — Tu mélanges tout... Bo et Link ne sont pas allés tourner des films pourris à Hollywood ! Ils ont su conserver leur intégrité. Pourquoi on ne s’appellerait pas les Rumble, ou les Roadrunners... Ou si tu préfères quelque chose de plus drôle comme les Ray du cul...

             Chris hausse les épaules.

             — Occupe-toi de ton cul et de ta guitare. Je m’occupe du reste. On s’appellera les Saints, comme ça, on ne risque rien. Avec un peu de chance, le curé du coin nous prendra sous sa protection.

             Ils commencent alors à réfléchir, comme le font tous les groupes qui se jettent à l’eau. Où répéter ? Jouer quoi ? Ensuite, il faut écrire des chansons, trouver un batteur, puis trouver un endroit pour jouer sur scène. La routine habituelle. Ils décident de s’installer chez Ivor qui vit dans un quartier moins exposé. Il habite une boutique dont la vitrine donne sur une rue peu passante. Chris a déjà écrit une chanson.

             — Elle s’appelle «I’m Stranded». Ed, dépêche-toi de me mettre des accords là-dessus !

             Ed s’assoit et commence à mouliner des accords sur sa guitare. Chris jubile :

             — Wow, pas mal !

             Ivor et Chris secouent la tête en rythme. Ed est lancé. Il ne s’arrêtera que s’il rencontre un mur. Chris s’excite de plus en plus :

             — Ouais vas-y Ed, continue, quel carnage ! Yeah ! Like a snake calling on the phone/ I’ve got no time to be alone/ There is someone coming at me all the time/ Babe I think I’ll lose my mind/ Cause I’m stranded on my own... yeouuuu !

             Ed enchaîne des riffs fulgurants. Chris l’arrête et glapit :

             — Ed, pourrais-tu mettre un peu plus de son ?

             Posté derrière la vitrine, Ivor s’écrie :

             — Attendez les gars, une patrouille arrive au bout de la rue !

             Quelques minutes passent.

             — Ça y est, ils sont partis, vous pouvez y aller !

             Ed monte son ampli à fond et envoie la riffalama fracasser le ciel. Chris se jette dans la mêlée. Il chante le premier couplet d’une voix énorme et désenchantée. Sa voix rentre dans la fournaise riffique comme dans du beurre. Il chante d’une façon aussi abrasive que Van Morrison au temps des Them. Ils sont tous les trois ravis.

             — On en tient un par la barbichette !

             — Un quoi ?

             — Mais un tube, Ed ! C’est un brûlot aussi hargneux et aussi incendiaire que «Kick Out The Jams Motherfucker» !

             — D’accord, mais c’est pas la peine de tenir un brûlot hargneux par la barbichette si on n’a pas de bassiste...

             — Allons voir Kym Bradshaw.

             Affaire conclue. Kym accepte. Les Saints montent un petit répertoire truffé de classiques dévastateurs, comme par exemple cette reprise du fantastique «Wild About You» des Missing Links, ou encore l’excellent «Kissin’ Cousins» d’Elvis. Ils agrémentent le tout de quelques monstruosités rampantes du genre «Demolition Girl», «No Time» et «Nights In Venice». Ils répètent chez Ivor. Ils calfeutrent bien la pièce du bas, mais ils jouent si fort qu’on les entend à plusieurs kilomètres à la ronde. Les voisins lancent des briques dans la vitrine. Les Saints répondent avec des injures. Très vite, les hélicoptères survolent le quartier. Chris et ses amis voient les unités de la garde mobile se déployer de chaque côté de la rue.

             — Et ceux qui sont habillés en noir, c’est qui ?

             — Je crois que ce sont les gars des unités de contrôle d’émeutes urbaines. Ils tirent d’abord et parlementent après. Des tueurs...

             — Abritons-nous au fond de la boutique, les gars. J’ai un plan.

             Dehors, un officier lance les sommations :

             — Vous avez exactement cinq minutes pour sortir les bras en l’air, bande de communistes ! Deux chars sont stationnés devant la porte. Un bon conseil : n’attendez pas le dernier moment...Top chrono, c’est parti !

             — Bon, vaut mieux pas traîner dans le coin. Tant mieux, parce que maintenant, c’est quitte ou double, d’accord les copains ?

             — D’accord !

             — Dépêche-toi, Chris, il ne reste plus que quatre minutes...

             — On enregistre «I’m Stranded» ce week-end, on le presse à cinq cents exemplaires et on l’envoie à tout le monde, journaux, radios, supermarchés, partout où on pourra. D’accord ?

             — D’accord ! Les quatre mains s’empoignent, scellant l’un des plus beaux pactes de l’histoire du rock. Ils sortent de la boutique par derrière et courent jusqu’à la maison où vit Ed. Ils vont s’y cacher quelques jours. Au terme de quelques péripéties dignes des exploits des maquisards de la Résistance, le disque sort des presses. Ils récupèrent nuitamment les deux cartons de quarante-cinq tours chez l’artisan presseur. Chris, Ivor et Ed écrivent eux-mêmes les adresses sur les grosses enveloppes en papier kraft et vont poster les plis par petites quantités, histoire de ne pas éveiller les soupçons. Les jours suivants sont épouvantablement longs. Ils restent planqués dans la chambre d’Ed et se relaient à la fenêtre pour surveiller la rue. Les flics les recherchent activement. Les jours passent. Toujours aucune réponse des journalistes australiens ni des maisons de disques. Chris est à cran.

             — On devrait déjà avoir une réponse, bordel !

             — Tu rêves, mon pauvre. Les gens d’ici en sont encore à écouter «Smoke On The Water».

             Par contre, ce n’est pas du tout la même chose à Londres. EMI vient de signer les Sex Pistols. Justement, le pli des Saints atterrit sur le bureau d’un directeur artistique. Il écoute «I’m Stranded» et crie au loup.

             — Il nous faut les Saints !

             Un matin, Chris trouve la réponse d’EMI dans la boîte aux lettres. Au moment où il remonte l’escalier, une roquette pulvérise la porte d’entrée. Le souffle de l’explosion envoie Chris rouler dans les marches. Il connaît bien le riff incendiaire, aussi n’éprouve-t-il aucune panique. Deux hommes encagoulés se jettent dans l’entrée. Avant qu’ils n’aient eu le temps de se redresser, Chris leur jette à la tête le grand vase Ming qui décore le palier du premier. Les deux hommes s’écroulent, assommés net. Chris se jette dans la chambre alors qu’une seconde roquette pulvérise l’escalier. Il brandit la lettre de la victoire. Il a les cheveux brûlés et le visage tout noir.

             — On passe sur Radio One, les gars !

             Mais où sont-ils ? Chris voit leurs pieds dépasser. Ils sont cachés sous le lit.

             — Sortez de là, bande de trouillards ! Il faut filer d’ici dare-dare ! Ils envoient la troupe !

             On entend des grosses détonations dans l’escalier.

             — Vite, tirons-nous ! EMI nous attend à Londres ! Regardez, bande de veinards, j’ai la convocation !

             Chris pousse un cri de guerre à la Jerry Lee Lewis, yaouuuuuuuh ! Puis il déplace une petite commode. Dessous se trouve une trappe.

             — Vite ! Vite ! Descendez par là, je vous rejoins !

             Ed, Kym et Ivor se jettent dans l’ouverture. Chris arrache l’évier du mur de la chambre et sort sur le palier. Il tombe sur deux encagoulés occupés à recharger leurs gros fusils d’assaut. Il leur jette l’évier à la figure. Les deux hommes tombent du premier. Chris descend à son tour dans l’ouverture et court comme un dératé tout le long du passage secret. Il débouche dans une grotte où l’attendent ses trois amis. Ils sautent en croupe sur leurs kangourous attelés et filent droit sur Sydney, qui se trouve un peu plus au Sud.

    Signé : Cazengler, saint glinglin

    Chris Bailey. Disparu le 9 avril 2022.

     

     

    L’avenir du rock

     - Cedric a la trique (Part Four)

             En feuilletant son livre d’histoire, l’avenir du rock se surprend à rêver. Ah comme il devait faire bon vivre au temps de l’Empire romain ! Pas comme centurion, parce qu’il déteste les armes, ni comme tribun parce que la politique l’agace, mais comme négociant d’esclaves. Ah tous ces beaux esclaves fraîchement capturés dans les provinces de l’Empire et ramenés à Rome dans ces bonne vieilles cages montées sur des roues en bois ! Il les voit très bien, elles sont de la taille d’un wagon, tirées par des attelages de bœufs, elles avancent en grinçant le long de la voie appienne jusqu’au marché qui se trouve au cœur de Rome, au pied du forum. Il se laisser aller à imaginer le grouillement de vie, le choc des civilisations, le tintement des deniers et des sesterces, les langues exotiques, les corps nus exposés à tous les regards. Rien de vénal chez l’avenir du rock, rassurez-vous, il ne voit pas les esclaves comme des gens qu’on fait travailler à l’œil, qu’on brutalise ou qu’on sodomise, non il les voit comme des êtres extraordinaires, surtout les noirs capturés en Nubie par les marchands arabes. Ils sont tous très spectaculaires et conservent leur dignité. Si l’avenir du rock se voit négociant, c’est principalement pour se réserver les esclaves noirs. Pas question de laisser ces êtres magnifiques tomber dans les pattes de tous ces tarés d’aristocrates, ces Caton, ces Cicéron et ces Pompée de malheur ! L’avenir du rock se réserve les esclaves noirs pour les affranchir. Il les mettra à l’abri dans sa superbe villa de Brindisi qu’il vient de faire agrandir en rajoutant une aile spacieuse pour les y loger. Il va ensuite les vêtir et les nourrir correctement, puis leur donner en gage d’amitié des guitares fabriquées spécialement pour lui dans la province d’Ibérie. Il ne leur demandera en échange de toutes ces faveurs qu’une seule chose : chanter et gratter leurs grattes. Une fois leur consentement obtenu, il ouvrira des cabarets dans toutes les grandes cités de l’Empire pour y organiser des concerts et la plèbe pourra entendre ces affranchis africains chanter le blues. Il est même choqué que personne n’y ait pensé avant lui.   

     

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             De toute évidence, l’ancêtre de Cedric Burnside est passé par les pattes d’un marchand d’esclaves. Un Africain sur le sol de États-Unis, ça veut bien dire ce que ça veut dire. L’ancêtre de Cedric Burnside n’a pas eu la chance de rencontrer l’avenir du rock.

             Depuis l’antiquité et l’apogée de la traite des noirs au XVIIIe siècle, les choses se sont un peu «arrangées», du moins dans les apparences. Les noirs ne portent plus de chaînes mais ils sont toujours aussi mal vus, sauf par les amateurs de blues qui les considèrent comme des dieux, ce qu’ils sont d’une certaine façon. Aux yeux des ceusses qui ont eu la chance de voir Cedric Burnside sur scène, ça ne fait aucun doute. 

             Andrew Perry rappelle dans Mojo que Cedric Burnside a enregistré son nouvel album I Be Trying à Memphis, au Royal Studio de Willie Mitchell, avec Lawrence Boo Mitchell, fils de Willie. Un autre fils de légende participe au festin : Luther Dickinson, fils de Jim. Il ramène dans le son de l’electrifying slide guitar. Alors Cedric peut sortir son robust beat qui est à l’épreuve du temps. Perry conclut sa petite chroniquette ainsi : «Bursnside presents as a guenine one-off - a uniquely rooted artist of rare precision and power.»

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             Dans les liners de son album, Cedric Burnside fait preuve d’une humilité qui dépasse les bornes. Il remercie sa femme et ses trois filles d’avoir toujours cru en lui. D’ailleurs, il s’empresse d’ajouter qu’il écrit ses chansons pour elles. Il remercie aussi les mecs du label pour leur aide et leur support, et bien sûr, il n’oublie pas le principal, God - My savior for blessing me with the gift of playing Hill Country Blues - I Be Tryin ne parle que de ça, d’Hill Country Blues qu’il joue au raw de Como, c’mon now, il claque ses notes à la revoyure d’ongle noir. Luther Dickinson arrive pour «Step In» et on a tout le son du monde, ça ratapoume dans le studio de Willie le fantôme. Oh yeah, Cedric Burnside ratapoume dans l’œil du cyclone. Personne ne peut battre le Memphis beat à la course. Reed Watson bat le beurre sur le morceau titre amené à la Kimbrough. C’est une compo nettement plus ambitieuse. Il faut laisser Cedric Burnside déployer ses ailes. C’est lui qui tatapoume sur «You Really Love Me». N’oublions pas qu’il a démarré comme batteur derrière son grand-père Rural. Il frappe sec et net, au pur jus d’on the beat, the heart of the North Mississippi Hill Country Blues. On retrouve les latences de Junior Kimbrough dans «Love Is The Key», c’est là très précisément que l’hypno se nourrit du gospel batch. Luther revient couiner sur «Keep On Pushing», il ramène le wild electric feel de Memphis, c’est-à-dire des vents de folie. Cedric Burnside se veut plus ambitieux avec «Pretty Flowers», une petite éclosion de beats bucoliques greffés sur la complexité d’une étonnante structure. Il adore visiblement partir à l’aventure. Alors on le suit. Il embarque plus loin «Hands Off That Girl» sur un heavy beat de rêve. C’est du vieux Burnside de derrière les fagots de Como. Il charge bien la barque du punk-blues avec «Get Down». Ah c’est tout de même autre chose que les Black Keys. Hey ! Il faut le voir dégringoler ce heavy punk-blues. Quelle puissance ! Si tu veux sonner comme ça, t’as intérêt à être descendant d’esclave ! Il pleut du son comme vache qui pisse dans cet album. Cedric Burnside claque son riff et chante plus fort que le Roquefort. 

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             Stephen Deusner lui accorde une demi-page dans Uncut. Une demi-page, c’est déjà mieux que rien. Cedric rappelle qu’enfant il battait le beurre pour Big Daddy, son grand-père, et quand sur scène Big Daddy virait les musiciens pour attaquer trois cuts en solo, Cedric se mettait sur le côté pour observer son grand-père - I was listening to his rhythms which were so unorthodox, and I was listening to his vocals, how they were so heavy but so beautiful at the same time - Il flashe notamment sur une chanson, «Bird Without A Feather» qu’il reprend sur I Be Trying - It sounded like he just took little pieces of something that wasn’t even done yet but he made them sound whole - Il dit qu’il a répété ce cut pendant des mois, trying to get the rhythm just right - Bravo Cedric, car le résultat est là, c’est en effet un cut d’une grande complexité. Depuis 30 ans nous dit Deusner Cedric s’efforce de maintenir la tradition du North Mississippi Hill Country Blues tout en la faisant évoluer. Il voulait absolument venir enregistrer I Be Trying chez Boo Mitchell qu’il connaît depuis qu’il est ado. Boo qui est un gentil mec dit un moment à Cedric que le micro dans lequel il chante est celui dans lequel chantait Al Green. Cedric vit ça comme un honneur. Deusner dit aussi de Cedric qu’il affronte les temps modernes avec un sens aigu des responsabilités. Il est le porteur d’une tradition et il sait que le blues doit jouer un rôle dans ce monde entré en dégénérescence : «There’s a lot of crap going on right now and the blues has to speak to that too.»

    Signé : Cazengler, la burne

    Cedric Burnside. I Be Trying. Single Lock Records 2021

    Stephen Deusner : Cedric Burnside. Uncut # 290 - July 2021

     

     Inside the goldmine

    - My Lewis Taylor is rich

     

             Il nourrissait à l’égard de M un sentiment particulier. Une affection qui confinait au spirituel. Comme M lui avait sauvé la vie, il était devenu son frère de sang. Nous savons bien que l’expression est tombée en désuétude, car les contextes se sont assagis, mais pas les circonstances, du moins certaines circonstances, qui restent égales à elles-mêmes, qu’on vive au XXe siècle ou au moyen-âge. Avoir dans la vie un frère de sang est un prodigieux privilège, mais un petit inconvénient altérait ce privilège : les retrouvailles se raréfiaient. Pourquoi ? Des circonstances disons exceptionnelles contraignaient M à vivre en dehors de la réalité, dans cet entre-deux mondes qu’on appelle aujourd’hui la clandestinité. M poursuivait sa chimère qui s’appelait l’aventure, qu’il voulait dangereuse et de tous les instants, ce qui rendait les moments de répit basiques, comme par exemple un verre dans un bar ou un repas au restaurant, illusoires. En de rares occasions, M qui était épuisé venait dormir à la maison et au petit matin, il se joignait à la promenade des chiens. M qui était fort bel homme portait en permanence un bonnet et des lunette noires, ce qui était le meilleur moyen de ne pas passer inaperçu.

             — M, tu sais que tout le monde te remarque, attifé comme tu es ?

             — Tu ne comprends rien, poto, je suis l’homme invisible !

             Puis les rencontres s’espacèrent considérablement. M vivait sur des charbons ardents. Il appelait d’une cabine pour demander d’aller chercher «un truc» chez un mec et de le lui apporter dans un endroit qui était toujours le même : un terre-plein entre deux voix rapides, juste en face d’une station service, en grande banlieue. M attendait sur le terre-plein, assis sur sa moto dont il n’avait pas coupé le contact, prêt à filer à la moindre alerte. Il gara sa bagnole derrière la station service et alla trouver M pour lui filer son «truc», un petit paquet dont le poids indiquait clairement qu’il s’agissait d’une arme. M ôta son casque pour claquer une bise. Dans la lumière rasante de ce matin d’hiver, le bleu de son regard et le casque sous le cuir du bras firent soudain de lui un chevalier jailli du passé. 

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             C’est exactement ce qu’on éprouve à la vue de la pochette du Lewis II de Lewis Taylor. Avec son allure de chevalier en chasuble blanc, cet artiste contemporain semble lui aussi jaillir du passé. Même striking évidence. Comme M, il s’est trouvé plongé dans l’entre-deux mondes, celui de l’underground, malgré une poignée d’albums remarquables qui auraient dû le faire éclater au grand jour.

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    Ce Taylor rich propose une Soul de down beat incroyablement troublante, celle d’un blanc qui se prend pour un black, un black trop black pour être honnête. Il fonctionne par paquets de Soul de 5 minutes, il faut savoir tenir la distance. Une wild guitar agite le groove, l’effet est saisissant. En fait, c’est lui, la wild guitar, il jouait dans la reformation de l’Edgar Broughton Band qu’on voit filmée en Allemagne au Rockpalast en 2008. En plus d’être un fabuleux guitar slinger, ce Taylor rich est l’un des grands white niggers d’Angleterre. Avec «My Aching Heart», il se prend pour un gros calibre de la Soul moderne, son groove bascule vite dans la magie. Il fait du sexe pur avec «You Make Me Wanna» et attaque «The Way You Done Me» aux synthés. Il se prend pour le roi de la Philly Soul et s’emblacke jusqu’au bout des ongles. Il dispose d’une incroyable facilité à sonner black. Il faut le voir travailler la Soul de «Satisfied», il fait de la pure Philly Soul, toute trace de Broughton a disparu. Il tape encore une Soul inexorable avec «I’m On The Floor», il travaille l’expression du pré-groove, et descend systématiquement au barbu, yeah yeah, c’est un démon de la black à la peau blanche. Il bat encore des records de véracité avec le morceau titre, il fait du pur Marvin, il crée exactement le même genre d’ouvertures, ce Taylor rich a beaucoup écouté What’s Going On. Il dérive à la bonne mesure. Fantastique Lewis kid ! Il devient encore plus infernal avec «Blue Eyes» car il attaque à la voix d’ange. Il tombe sur le râble du groove et part en dérive océanique de don’t look at me blue eyes et comme il cela ne suffisait pas, il ajoute So I say goodbye-aye-aye/ For the last time.

             Dans la presse anglaise, une toute petite actualité l’arrache enfin à l’oubli. Dans Record Collector, Paul Bowler lui consacre sa rubrique ‘Under The Radar’ et rappelle qu’en 1996, à la sortie de son premier album, des luminaries comme Elton John, Paul Weller et David Bowie s’étaient prosternés devant lui, Bowie allant même jusqu’à déclarer que cet album était «the most exciting sound in contemporary soul music». Mais l’album ne s’est pas vendu. Bowler explique que ce Taylor rich avait amalgamé la Soul, le funk et la psychedelia pour en faire something fresh and new. Et qu’en plus il jouait lui-même tous les instruments dans son home studio. Bowler nous explique ensuite qu’il fut élevé par une music-mad mother et qu’il avait appris le piano très tôt, à l’âge de quatre ans, puis à l’adolescence, il s’est mis à écouter Captain Beefheart, Faust, Syd Barrett et Cecil Taylor. S’ensuit l’épisode Edgar Broughton Band et pouf, il démarre une carrière solo en tant que Sheriff Jack. Dix ans de break et à 30 ans il redémarre en tant que Lewis Taylor. Et c’est là avec le premier album que le miracle se produit. Bowler parle de croisements entre Jim Hendrix et Marvin Gaye, entre Brian Wilson et Shuggie Otis.   

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             Paru en 1996, ce fameux album s’appelle tout bêtement Lewis Taylor. Nouvel hommage à Marvin, et ce dès le «Lucky» d’ouverture de bal. Il va chercher le c’mon all down the line dans une Soul blanche digne de celle de Marvin, c’est une révélation. Il joue ensuite son «Bittersweet» au doux du groove, avec une rondeur d’ouate jazzy et un peu de wah par dessus. Il tartine ses couches et se prend indéniablement pour Marvin. Il chuinte au doux son what you gonna doooo, c’est très sérieux, ce Taylor rich n’est pas un gadget, il est investi de toute la dignité du peuple noir, il monte dans les hauteurs avec son petit chat perché, rien d’aussi pur et dur. Alors forcément, on entre dans cet album comme dans du beurre. Il groove tous ses cuts jusqu’à l’os du jambon, son «Track» est clairement destiné aux amateurs de Soul de haut rang, il saupoudre son lard d’une pincée de magie, il travaille tout à la black. Jamais on aurait pu imaginer qu’un blanc-bec irait aussi loin dans la Soul. Sa «Song» est une merveille, il développe des sons extravagants, il se montre digne des géants, oh darling oh baby !. Avec «Betterlove», il entre dans le territoire des très grands artistes, il se paye des regains de violence, il voudrait se faire passer pour un offender, il vise le modèle dément, accordons-lui le privilège du génie, I said baby I know, son real white niggarism finit par générer de la démesure, ses vagues te portent et te téléportent. Et ça continue avec «How» embarqué au yeah yeah yeah. On savait l’Angleterre bien fournie en matière de white niggers, mais celui-là bat toutes les expectitudes. Il faut le voir rôder dans le groove de «Right» et il devient enfin le roi du monde avec «Dawn». Alors bienvenue dans le royaume du Taylor rich. Le voilà dans les dynamiques de la Soul de velours, il groove comme un démon des Mille et Une Nuits, il rivalise de sweet Soul avec Billy Paul, il te coule dans son moule, c’est hot, my mind,  comment peut-on croire à une telle perfection ? La marée t’emporte dans un final de non-retour. 

             Mais comme ses albums ne se vendent pas, en 2006 il annonce qu’il arrête la musique et il vient s’installer en France comme plombier. Rien pendant dix ans, puis ce Taylor rich annonçait en 2016 sur les réseaux sociaux qu’il re-rentrait en home studio avec sa femme Sabrina. Et Bowler, emphatique, conclut : «One of the most criminally overlooked artists is returning.»

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             Paru en 2004, The Lost Album réclame la plus haute attention. Dès «Listen Here», ce Taylor rich nous épingle. On croit entendre les arpèges suspendus de Michael Chapman et il chante en plus à la voix d’Angel dust. Il vise la Soul terrifique. Il bosse sa dérive abdominale dans l’excellence de basslines éperdues à l’horizon d’un jour nouveau. Avec «Hide Your Heart Away», il repart en longeant la muraille, il fait cette fois de la pop enchantée et débouche dans une Soul psyché ravissante. Ses montées sont dignes de celles des Beach Boys. Il cherche les hauteurs inexplorées. Sans même le vouloir, il tient la dragée haute à Brian Wilson, car avec «The Leader Of The Band», il file droit sur l’excellence de la persévérance. Il nous noie dans la bienveillance de sa magnificence, cet album correspond à l’idée qu’on se fait du paradis, il gouverne vers le soleil, comme Brian et Croz, tous ces mecs sont des accros du paradis. Il drive sa Soul blanche si bien qu’elle devient parfois poppy, comme le montre encore «Please Help Me If You Can» - I’ve been alway a long long time/ Baby/ You have to understand - Il cherche la vérité et propose une Soul de pop stupéfiante. Il tâte encore du Beach Boys sound avec «Let’s Hope Nobody Finds Us» et retourne à la découverte des ambiances supérieures avec «New Morning». Ce mélange de Soul et de Brian Wison ressemble à un aller simple. Encore une fois, ce Taylor rich a du génie. Il impose un retour au clame avec les accords de clavecin de «One More Mystery», il prépare bien ses effets car voilà qu’explose un master stroke, il strike la pétarade, il s’énerve et claque son chou-fleur, il monte en pression, il swingue son last you see et part en mode ouuh ouuh d’Hey Jude pour plonger dans la violence et virer en vrille de wah.

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             Dans Mojo, Jim Irwin salue la réédition du premier album, «an instant classic». Ado, Lewis Taylor fréquentait un disquaire du comté d’Hertfordshire, au Nord de Londres, et c’est là qu’il s’éprit de l’Edgar Broughton Band - À 11 ans, je les connaissais - Et comme son frère aîné bossait pour Edgar, il recommanda Lewis comme guitariste. Le jeune Taylor partit donc en tournée européenne avec son idole, un Edgar qui comme lui, était un taiseux. Irwin explique aussi qu’à l’époque du premier album, Lewis Taylor avait arrêté les drogues pour composer ses cuts et se replonger dans Tim Buckley et Scott Walker. Comme dirait cette vieille quenelle de Queneau, c’est en lisant qu’on devient liseron.

    Signé : Cazengler, Lewis Taylarve

    Lewis Taylor. Lewis Taylor. Island Records 1996 

    Lewis Taylor. Lewis II. Island Records 2000

    Lewis Taylor. The Lost Album. Slow Reality 2004

    Paul Bowler : Under The Radar. Record Collector # 521 - August 2021

    Jim Irwin. Unlucky. Mojo # 334 - September 2021

     

    *

    Question à deux cent mille euros – ou à vingt centimes – tout dépendra des fonds entreposés dans notre tiroir-caisse. Quel est l’artiste rock ou le groupe rock qui a eu droit au plus grand nombre de chroniques live sur notre site. Ceux qui lèvent le doigt et se hâtent de s’égosiller ‘’Dylan, Bob Dylan !’’ sont des kr’tntreaders de la dernière heure, qui nous suivent à peine depuis un mois, leur sagacité leur a permis de remarquer trois articles sur Dylan ces trois dernières semaines, eh bien non ce n’est pas Dylan… ni les Rolling Stones, ni Gene Vincent, ni Fred Neil, encor moins les Beatles, ni Chips Moman, ni… arrêtez de citer vos chouchous, n’en jetez plus, le vainqueur est déjà désigné, je livre fièrement – car il des nôtres – son nom, vous le connaissez, l’illustre Loser, notre émérite  Cat Zengler qui dans une de ses récentes chroniques remarquait que la formation dont on avait chroniqué le plus grand nombre  de prestations live, c’était… roulements de tambours… les Jallies !

    N'ayez pas honte si vous ne les connaissez pas, n’accusez pas notre Cat Zengler de ne pas savoir compter sur ses doigts, d’abord parce que le Cat Zengler a toujours raison, ensuite parce que vous avez ci-dessous la preuve (une de plus) indubitable de ses dires.

    THE JALLIES

    07 / 04 / 2022

    ( Le Glasgow / Fontainebleau)

    Réponse à une question angoissante : pourquoi les Jallies et pas par exemple les Rolling Stones qui ont manifestement plus apporté à l’Histoire du Rock ‘n’ Roll . Parce que ces treize dernières années les Rolling Stones ont très peu tourné en Seine & Marne, alors que les Jallies sont domiciliées dans cet absolument mirifique département de France puisqu’il détient l’insigne honneur d’abriter votre blogue préféré. Bref une proximité géographique évidente. Mais ce n’est pas tout : les trois plus belles filles seinémarnaises sont membres des Jallies. Vous comprenez que cet argument (hyper-féministe) l’emporte sur le dernier, car au demeurant les Jallies sont un très bon groupe.

     

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    Retour au Glasgow, nous y avons déjà vu à plusieurs reprises, entre autres, les Spunyboys et les Jallies. C’était en des heureux temps sans masque (de fer) et sans pass (no pax) vaccinal, donc, confinement oblige et le fait qu’elles ont, en période de rémission, tourné souvent en Bretagne – elles y ont des fans – voici bien trois ans que nous n’avons assisté à un de leurs concerts. Parfois la vie est absurde et cruelle. Petite particularité grammaticale, en toutes logique nous devrions employer le pronom ‘’ ils ‘’ puisque le groupe est composé de deux garçons et de trois filles, or comme en notre douce et docte langue françoise le masculin l’emporte toujours sur le féminin… oui mais on dit ‘’elles’’, parce que les filles relèguent les guys à l’arrière et qu’elles s’arrangent toujours pour les cacher derrière le décor de leurs beaux corps, heureusement on les entend, et puis il faut l’avouer : elles sont si belles qu’on ne voit qu’elles. Bref l’exception qui confirme la règle. Que confirme les règles de trois.

    Attention changement dans la continuité, les trois garces sont toujours trois, mais depuis quelques mois une nouvelle est apparue : Bérénice. Trop jolie, je lui en veux, elle m’oblige à me livrer à un mensonge littéraire en traficotant le célèbre incipit d’Aurélien, le roman de Louis Aragon : La première fois que Damie Chad vit Bérénice il la trouva franchement belle.  Ce n’est pas bien, mais avec son corps souple et sa chevelure bouclée de brunette, je suis prêt à réécrire le bouquin entier pour qu’il réponde à ma vision.

    Le problème avec les Jallies c’est que vous ne savez plus où donner de la tête. Voici Leslie. Le lys qui vous lie dans la vallée aurait écrit Balzac. Pour Vanessa pas d’héroïne littéraire à citer, c’est elle avec son toupet de cheveux blonds et l’éclair décidé de ses yeux qui héroïse votre vie. J’arrête les compliments elles vont finir par s’en croire. D’autant plus qu’il faut en garder pour les garçons.

    Damie, si tu nous parlais de musique. Tout de suite, bande de jaloux. C’est très simple, si je compare aux Jallies d’avant, une phrase me suffira. Quand elles swinguent, c’est beaucoup plus swing, quand elles rockent, c’est davantage rock. C’était déjà très bien avant, maintenant c’est mieux. Plus fort, plus direct, sur scène elles assènent sec. La set-list n’a pas changé du tout au tout, elle s’est amplifiée, deux sets plus un rappel de trois quart d’heures.

    Le rituel de miel habituel. Une à la caisse claire, une au micro, une à la guitare ou au tambourin. Changent sans arrêt de place. Quand l’une chante, les deux autres jolies-cœurs font les chœurs. Pas tout à fait de la même manière que dans leurs temps préhistoriques, les petites sœurs chantonnent en douceur, des harmonies de rêve, de gaze et de zéphir qui vous subtilisent l’âme et l’emportent l’on ne sait pas trop où, dans des pays de cocagne où à tous les coups l’on gagne.

    Par contre question rythmique, ça nique. Quand c’est lancé, c’est envoyé. Ne se refusent rien, ça fuse franco, ça fonce et défonce, entre chasse au renard et steeple-chase, si vous suivez en tapant du pied, z’avez le palpitant souvent soumis au vent d’autan, autant ça cavale, autant ça contrepointe à rebours et à revers, pas le temps de se perdre dans les contre-temps, c’est pas du n’importe quoi, c’est pas du n’importe couac, tombent pile toutes ensemble, au point voulu, tir groupé, saut de parachute et vol libre de précision. Le swing déteste l’à-peu-près, ou c’est juste ou c’est faux, avec nos trois divas ça ne divague pas.

    Le public ne marche pas, il court. Y a des fanas (musiciens) de rockabilly à mes côtés qui connaissent tous les morceaux par cœur et à qui on a intérêt à ne pas servir du trop cuit ou du trop cru. La rocktissoire, pas d’histoire, elle doit rouler et tanguer dans le bon sens.

    Ne croyez pas qu’il n’y a que les filles dans la vie qui soient intéressantes. Les boys, je sais de quoi je parle, valent aussi le détour. Et ce soir y en a deux que l’on voit mal mais qui savent se faire entendre. D’abord Kros, un slappeur fou. Ecoutez-le trois minutes en fermant les yeux. Vous direz, le mec à la batterie il est fortiche, il ne passe pas son temps à trier les pois chiches, un véritable derviche tapeur, un sorcier des baguettes. Tout faux. Maintenant vous savez pourquoi chez Sun il n’y avait pas toujours un batteur dans le studio, une bonne contrebasse suffit. Un bûcheron, tout en finesse, un karateka qui frappe ses cordes comme si sa vie en dépendait, full-contact avec l’ennemi. Le Kros il lui cherche des crosses à la big-mama, lui fait descendre et remonter les escaliers sur les rotules, les genoux craquent et le bois des marches pète sec et rouspète dur.  

             Je ne veux pas dire que Kros a la tâche la plus facile. Dépense une énergie folle. Pire que dans une cour d’école, mais le rythme quand c’est parti, n’y a plus qu’à suivre le mouvement. Alors que le Thomas avec sa guitare, l’est réduit à la concision.  Dans le swing et le rockab, les solistes c’est comme pour le départ des fusées, z’avez une fenêtre de tir, avant c’est trop tôt, après c’est trop tard. Pour une Ariane, vous avez au pire quelques heures, pour Thomas c’est au mieux quinze secondes, dans lesquelles il faut tout donner, pas le temps de réfléchir, pas le temps d’hésiter, tout et tout de suite. Et ce soir, Thomas nous a offert un festival. Quelle inventivité, quelle diabolique précision, quelle habileté, quelle imagination, l’a à chaque fois le gimmick qui tue et la note qui ressuscite, l’a le plan adéquat qui ne vous laisse pas en plan, fourmille d’idées et de dextérité, regardez ses doigts, le gars il ne joue pas le truc qu’il a déjà fait quinze mille fois, il innove, il imagine, il essaye, il expérimente, il tente, il réussit. Ah les tourterelles devant avec leurs chants délicieux vous les emporteriez chez vous pour les mettre en cage et vous délecter de les entendre  jacasser rien que pour vous, mais Thomas non, c’est un guitar-hero et vous n'aurez jamais assez d’or dans votre coffre-fort pour qu’il condescende, dans votre maison, à gratouiller une corde durant trois secondes pour vous faire plaisir.

             Le Kros ne se contente pas de slapper. L’a tout compris de la vie. Les filles c’est bien, mais il ne faudrait pas que les pinsonnes piquent un somme entre deux chansons. Trois secondes de trop dans un changement de place et hop d’une voix de stentor qui ne veut pas de temps mort, il titille et vous houspille le public à coups de torpilles, ça rugit dans la salle et les gamines recommencent - illico les noix de coco et illica les noix de coca - leurs gammes. Parfois il pousse des hurlements et se lance dans un impro à la Ray Charles. Que n’a-t-il dit ! Sur la fin, se plante devant et vous expédie un Tutti Frutti pur jus séminal, et vous décoche un Hound Dog qui vous laisse une encoche dans les neurones et vous embroche les phéromones.

             Remarquons que les fifilles, ne gardent pas leurs billes dans le sac aux bisbilles, pas moins de quatre pépites émérites de Gene Vincent, du Janis Martin, du Stray Cat, du Wanda Jackson, du Nancy Sinatra, du Annisteen Allen, du Henry Thomas, du Burnette Trio… le pire c’est que quand elles tapent dans leur morceau, Takou par exemple, comparé aux bolides précédents c’est pas du tacot, c’est du solide, ça tient la rampe, ça tient la crampe.

    Publicus excitus. Musicos crevos. Concerto excellentissimo.

    Damie Chad. (Qui n’a pas perdu son latin !)

     

    *

     J’ai ricané en apercevant le titre, tiens encore un truc de doom sur l’enfer, si l’on me donnait un euro à chaque fois que le mot Hell est prononcé dans un morceau rock, je serais riche. J’ai plissé les yeux, au juste faut-il lire  lleléll ou heléh, après vérification cette dernière graphie s’avère la bonne. Bizarre, ce ne sonne pas espagnol, le groupe est de Cordoba, région du centre de l’Argentine, ressemble à de l’hébreu, mon traducteur me dit qu’en effet en cette langue il signifie Salut, mais que le mot est emprunté au soudanais. Je veux bien, délaissons les questions étymologiques, simplement remarquons qu’entre le Salut et l’Enfer, il existe un point de concomitance sémantique. Dommage qu’il y ait toutefois cet accent sur le second E, sans lui le mot serait un magnifique palindrome infernal…

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    Autre particularité, ce n’est pas vraiment un groupe. Plutôt un acte artistique. Sont deux : Matias Takaya : guitare et basse, possède aussi le studio d’enregistrement ( AV recording Studio ) dans lequel l’opus fut perpétré. Gonzalo Civita : vocal et couverture. Troisième homme aux drums : Johan π avec son 3,14  l’a un nom  de batterie électronique.

    Sur son FB, Matias Takaya décrit avec une précision d’entomologiste le résultat de son travail : ‘’ Hoy salio este discazo pesado, oscuro, densos, suicida que hicimos con Gonzalo Civita ‘’ soit en la langue de Villiers de l’isle Adam : ‘’ Aujourd’hui est sorti ce disque lourd, sombre, dense, suicidaire que nous avons commis avec Gonzalo Civita ‘’

    Est-il vraiment nécessaire de lire la chronique après une telle déclaration !

    HELEH / HELEH

    ( Avril 2022 / YT – Bandcamp)

    J’ai toujours un doute lorsque j’aborde un disque de rock chanté en espagnol, c’est l’espagnol qui me trouble, m’apparaît comme un truc exotique, une marque folklorique indélébile, je me dis qu’un quidam étranger qui écoute un opus en français doit avoir le même mouvement répulsif, mais pourquoi ne chante-il pas en anglais… souvent quand je tombe sur des spanish groupes qui m’intéressent mais je ne parviens pas à accrocher et je passe à un autre.

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    Réquiem  : oui c’est sombre et lourd, au cas où vous n’auriez pas compris les paroles s’en chargent, sommes en plein dans un enterrement, le cercueil est déjà dans la fosse, et le narrateur vient de lancer sa poignée de terre, une scène de cinéma ou plutôt d’opéra, funeste et grandiose, très beau récitatif de Gonzalo Civitas, vous ne sentez pas, par sa manière d’articuler les mots, de les transformer en chant, l’écran de l’idiome inhabituel, voix et musique ne forment qu’un. La lenteur d’un convoi funèbre, riff de base et de basse ne varietur, si le chant de Gonzalo s’exhausse, se métamorphose en cri d’oiseau qui plane là-haut, là-bas, très loin, la guitare écume et amertume de chagrin incisif qui sourd dans votre chair, tout se passe dans la tête, les regrets éternels, l’inéluctable consommé, il est trop tard pour avoir mieux agi. Il ne fait pas beau, ni au-dedans de soi ni dehors, l’on entend gronder l’orage, s’élèvent des chœurs, ce n’est pas pour rien que le morceau s’appelle réquiem. Existir : le titre semble mal choisi, la musique s’allonge, s’étire, voix mortuaire, qui parle, moi ou la mort, cet existir est une méditation angoissée sur la mort, ne formerait-elle pas un avec l’existence, arrêt brutal, le chant devient cris désespérés, sludge enkysté en chœurs, la mort n’est-elle pas la vie parfaite que l’on clôt lorsque le couvercle du cercueil se referme sur nous, est-ce au moment de la mort que nous prenons conscience de vivre pleinement puisque nous sommes au bout de l’accomplissement du fait d’exister, ou alors basculons-nous pour toujours dans le néant, à moins qu’une fois annihilé nous remettions nos pas dans notre existence, aussi dévolue au trépas que celle que nous venons de quitter, et nous revenions exactement le même toute une éternité de temps ce qui revient à dire que la vie n’est qu’un autre nom de la mort. Pas très gai, mais magnifique, cette basse qui referme le suaire, cette batterie qui enfonce à coups lents les clous et cette guitare qui les suce avec une voluptueuse angoisse de l’intérieur.  Amar : ne vous fiez pas au titre. Qui parle là ? Est-ce depuis le dessus ou le dessous de la terre. Quelle est cette consolation, d’où vient-elle, de celui qui est parti, de celui qui reste, à moins que de l’un à l’autre elle ne vienne que de moi, une fois mort ou vivant, superbe oratorio avec la voix qui mord le récitatif mortuaire, accélération, plissement, ahanements battériaux, la voix s’étrangle d’énoncer des réalités impalpables, la peur de rester enfermé en soi-même ou dans le cercueil, ce qui revient au même. N’a-t-on pas toute l’éternité pour trouver la réponse… Questionable virtud : pas d’affolement, nous sommes vivants, enfermés dans notre chambre close ( ne serait-ce pas une métaphore d’un autre enfermement ) musique lourde et lente, la guitare devient scie, la voix découpe les stases de l’existence pour les réassembler, l’on change le montage du film, silence l’ion entend comme dans les ciné-clubs la roue mobile du projecteur qui se prend pour un ventilateur en roue libre. Hurlements ? est-ce vraiment du courage que de vouloir remodeler sa vie comme si l’on pouvait modifier la mort, comme l’on range sa chambre. Magnifique performance vocale. Canto jondo. Chant d’impuissance. Lo ven ( Mi infierno ) : bruissement de petit moteur, presque ces appareils sur lesquels on vous branche à l’hôpital, gargouilles vocalisées, des voix qui chuchotent au loin, que l’on ne comprend pas, musique lourde et angoissante, borborygmes cafouilleux dans une gorge embrumée de glaires, une guitare voilée prend de l’altitude, est-ce une âme qui monte au paradis, ne craignez rien, qu’elle descende dans l’enfer de l’existence, ou de la mort, de toutes les manières c’est du pareil au même. La caméra n’en finit pas de tourner… Elle s’arrête en bout de piste. Il n’y a plus rien à filmer. Parfois l’on peut couper le film volontairement avant la fin. C’est juste une autre fin qui ne diffère en rien d’une autre fin.

    Pas très gai je vous l’accorde (de pendu) mais d’une beauté noire et splendide.

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    Pour nous changer les idées regardons la couve. Un paysage, une rivière qui coule au fond d’une vallée. Rien de bien original, si ce n’est ces teintes marron-bistre qui rappellent les les photographies de la fin du dix-neuvième siècle. Oui, je sais c’est vieux tout ça, oui ça ne se fait plus, c’est mort ! Vous ne croyez pas si bien dire, cette rivière anonyme ne serait-elle pas une figuration d’une autre davantage léthéenne, qui coule en un autre royaume.

    Damie Chad .

     

     

    *

    Les deux mots m’ont sauté au visage, dans un tout petit texte qui défilait sur FB, ce n’est pas qu’ils étaient difficiles à comprendre, ce n’est pas que qu’ils sont inusités depuis le treizième siècle, c’est que leur proximité est assez rare, un peu comme si dans la notice de montage de votre machine à laver achetée en kit, vous trouviez les termes diplodocus et éclair au chocolat. Là c’est encore plus incongru. Je vous les livre : rock et politique. Pas de panique, examinons la chose de plus près, en gros le gars affirmait que certains lecteurs se sentaient désorientés par l’éditorial politique qui ouvrait leur blogue rock. Tiens, quelqu’un de courageux, facile de l’identifier, c’est écrit, Le blog de Stevie Dixon, Oh ! la ! la ! un bail que je ne me suis pas promené dessus. Vérifions ! Y a ceux qui disent et ceux qui font. Parfois ce ne sont les mêmes. Comme disait l’autre un petit clic et un grand pas pour l’humanité.

    GUIGNOL’S ROCK # 2487

    (moi qui suis tout fier de nos 550 livraisons, je me sens pitoyable)

    Brèves News in Strange Times à Lyon du 1er au 15 / 04 / 2022. 

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    Pas besoin de chercher bien loin, après la belle pochette du premier album des Beths de passage le 08 avril au Périscope. N’y vont pas le mouchoir dans la poche et la queue entre les jambes. Je recopie :

    ‘’ Ouch, on se retrouve en pleine période électorale… Non, on ne va pas vous faire l'affront de vous dire pour qui voter, mais quand même on va suggérer pour qui ne pas voter, c'est bien le moins… Et comme d'habitude, on s'intéressera uniquement ici à l'aspect sanitaire (et non aux autres scandales liés au président actuel qui déboulent nombreux et costauds, mais sont passés sous silence par la presse bien muselée). Quitte pour nous à rabâcher un peu sans doute. Et comme d'hab' aussi, si ça ne vous intéresse pas vous pouvez passer aux brèves News Rock un peu plus bas’’

    Attention c’est clair net et précis, Guignol’s Rock, ce ne sont pas des guignols, en fait si, puisqu’ils sont lyonnais et que la marionnette qui passait son temps à bastonner la maréchaussée défendait le point de vue des classes laborieuses,

    Bref ne se contentent pas de se déclarer rebelles. Le genre de proclamation qui ne mange pas de pain, qui tout de suite vous recouvre d’une aura romantique qui plaît aux filles. Une position métaphysique de principe qui trop souvent est un paravent qui vous dédouane de toute participation active… à des actes de rébellion…

    Non chez Guignol’s Rock on saute à pieds joints dans l’actualité. Ne font pas non plus de la politcaillerie de bas étage à la petite semaine. Ce n’est pas la mouche tsé-tsé qui les a piqués, c’est pourtant un truc qui pique et à plusieurs reprises, la médecine miracle qui devait nous débarrasser du Covid. Le fameux vaccin anti-épidémique. Ne sont pas pour, j’ai même l’impression qu’ils sont contre.

    Pour parler de mon cas personnel, comme des milliers d’autres j’ai senti l’embrouille, dès l’annonce du confinement, l’intuition qu’il y avait trop d’argent en jeu… Mais bon chacun prend ses responsabilités, je n’y suis pas allé. Respecte ceux qui ont tendu le bras. Leur souhaite simplement de n’avoir pas eu la même mauvaise idée de ma mère huit jours après l’injonction, elle est morte. Un cas extrême certes, mais il ne faut pas oublier tous les cancers, tous les accidents cardiaques, tous les urticaires géants et autres babioles peu sympathiques qui se développent depuis quelques mois dans le pays. Cherchez l’effet, vous trouverez la cause Aristoteles dixit.

    Jusques là l’histoire se tenait. Mal, mais elle tenait. Brusquement la mascarade s’est aggravée. En plus de la troisième piquouze, notre président chéri a inventé un super truc, le pass vaccinal. Pas de pass, pas de concerts rock, pas de restos, pas de bars. De toutes la manières les concerts assis avec un masque… Bref comme beaucoup j’ai passé tout l’été à manifester…

    Je sens les objections, tous des rockers, des ignares, des brutes, des ignorants, ne savent pas quoi trastéger pour se faire remarquer. Chez Guignol’s Rock, passé le premier moment de répulsion épidémique que chacun se doit de ressentir lorsque l’on attente à sa liberté, z’ont bossé, ne vous contentez pas du numéro 2487, déroulez le site, visitez les livraisons antérieures, un travail de bénédictins, vous avez des renvois à des dizaines d’articles sortis d’un peu partout. Lisez, écoutez, regardez, réfléchissez. Z’ont des arguments, font des recoupements, cherchent la logique qui prévaut à ce phénomène… Sûr qu’il est plus facile de tendre le bras pour filer au bistrot. Pour ma part, sans pass j’ai continué à fréquenter mon bar habituel, la solidarité et la résistance active ça existe aussi.

    Evidemment, derrière le pass et le vaccin, y a toute une politique de coercition qui se met en place, tout doucement, l’air de rien, à croire que l’on ne veut que notre bien. Evitez de vous enferrer dans les pensées bisounours.

    Changeons de sujet. Guignol’s Rock nous invite à signer une pétition. Suivez mes conseils de prudence, n’apposez pas votre paraphe les yeux fermés, là Guignol’s Rock exagère. S’agit ‘’ pour lutter contre les inégalités de taxer les riches’’. Quelle folie, si l’on taxe les riches ils deviendront pauvres. Quelle erreur ! Quelle horreur ! Dénonçons ce blogue de terroristes qui veulent affamer toute une partie de la population. Des barbares ! Veulent retourner à la préhistoire, aux tribus de chasseurs-cueilleurs ! Quelle régression sociale ! Des fous furieux, veulent un peu plus de justice en ce bas-monde. Des anticapitalistes ! On devrait les dénoncer, les marquer au fer rouge, et punition suprême les piquer contre le Covid ! Vous vous rendez compte ils appellent même à une manif antipass et anti-Macron. Incroyable mais vrai, ils osent faire de la politique dans un blog-rock.

    Des gens très bien.  En somme. Ne soyez pas étonnés, après la thèse vous avez eu l’antithèse, nous entrons dans la synthèse.  Un blog-rock se doit de causer de rock. Donc après nous être longtemps attardés sur the politic side, regards sur the rock’n’roll side.

    Z’ont de la chance à Lyon, capitale des Gaules, des concerts tous les soirs, et en plus ils osent avouer qu’ils en ont certainement oubliés dans leur recension… Suit un petit article sur Ganafoul, un groupe mythique des french seventies, remontent sur scène plus de quarante ans après leur dissolution. Vous ignorez tout sur Ganafoul, pas de panique, une vidéo est à votre disposition. C’est le principe, pour pratiquement chaque sujet abordé vous avez votre cadeau, exemple sur le festival Salaise Blues vous en avez trois, ou alors sur Printemps Indie vous cliquez  sur Marché gare en vert et hop vous avez le programme, sautons Jazz à Vienne, vidéo de 28 minutes d’un concert des Foxy Ladies, attention sortie imminente d’une vieille bande de Killdozer sur Simplex Records, vidéo à l’appui.  Vous en avez pour quelques heures d’écoute interactives. Vous avez compris le principe. Textes informatifs et maximum de documents sonores, l’antithèse – la seule richesse du monde c’est capacité différentielle - de nos Chroniques de pourpre. Et plouf, mon œil s’arrête pile sur une vignette que je connais bien, celle dessinée par le Cat Zengler en tête de nos livraisons, avec z’à côté le petit texte suivant : Des news rock, rock'n'roll même, dans CHRONIQUES DE POURPRE 549 : KR'TNT 549 : Jugez plutôt du sommaire, c'est quand même assez éclectique…: ROCKABILLY GENERATION NEWS (Ricky Nelson, Tony Marlow, etc dans Rockabilly Génération #21) / BOBBY GILLESPIE (sur son livre, Tenement Kid) + PRIMAL SCREAM / PROCOL HARUM / ENDLESS BOOGIE / BABY LOVE / BOB DYLAN / GOATGOD / JIM MORRISON + MARIE DESJARDINS… Vous vous demandez de quoi ça cause exactement, allez donc y voir… Longues dissertations, mais le mec a un certain style et des idées claires… 

    Stevie Dixon et ses acolytes aussi…

    Damie Chad.

     

      

    Poème pour mon ami Kr'tnt Kr'tnt Damie Chad.

     

    Happy Rock and Roll

    dans son rocking-chair

    à tomates farcies,

    à croquer, à niquer,

    à croque- niquer,

    chroniquant des chroniques

    chromatiques d'enfer

    diatonique craquante.

    En Davy Crockett croqueur

    croquant les rockers-rockeuses,

    à nous faire bouillir les méninges,

    sans même nous ménager.

    A nous déménager

    le parquet des évidences

    pour une danse endiablée

    avec le destin.

    A casser les cailloux tristes

    des solitudes vaporeuses,

    vidant de leur sang

    les armoires mortes

    de la raison.

    Pour enfin écrire

    en rond-de-cuir,

    perçant le mur du son.

    Mais donnant

    sans compter,

    juste pour

    nous raconter

    des musiques

    en bas nylon,

    aux beaux rouleaux

    redondants rock and roll .

    A vous rouler dedans

    les mécaniques,

    jusqu'à "cheveuluruser"

    la banane flambée

    en taie d'édredon

    de derrière les fagots.

    Pour allumer le feu

    des jeunesses éternelles,

    et brûler les ailes

    des certitudes,

    à piller

    le pape Pillon,

    à pilonner

    le diapason,

    puis rameuter

    le quartier

    des illusions,

    bref à danser

    le Rock and Roll

    en quadruple

    quatre saisons.

    P.G.Y Patrick Geffroy Yorffeg

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 375 : KR'TNT ! 395 : GARY MOORE / SPIRITUALIZED / THE HILLBILLIES / JALLIES / ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 7 ) / ROCKAMBOLESQUES ( 9 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 395

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    29 / 11 / 2018

     

    GARY MOORE / SPIRITUALIZED / HILLBILLIES /

    JALLIES / ROCKABILLY GENERATION NEWS ( 7 )

    ROCKAMBOLESQUES ( 9 )

     

    Gare à Gary Moore

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    Dans trois mille ans, les Égyptologues s’interrogeront en découvrant l’album de BBM, Around The Next Dream : qui fait la grandeur de l’album ? Ginger Baker, Jack Bruce ou Gary Moore ? En fait, ils seront obligés de raisonner en termes de Cream et de se dire : finalement, ça ne tient que parce qu’ils jouent ensemble. Jack ne tient que par Ginger et Gary Moore ne tient que parce qu’il se prend pour Clapton, même s’il apporte un son plus riche. Dès «Waiting In The Wings», Jack met le brouet en coupe réglée. Il lie la sauce, alors Gary Moore peut partir en virée wah wah. Il devient viral, mais trop viral. Comme on le remarquait déjà dans Cream, le son semble séparé en trois. C’est la partition, comme au temps de la création du Pakistan.

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    L’un des hits de l’album s’appelle «What In The World», heavy balladif à consonance magique et chanté à l’océanique. Jack et Gary Moore trouvent de bons compromis et ne se préoccupent que de puissance imprescriptible. Allez, tiens on passe directement au coup de génie : «Glory Days». Ils se rapprochent ici de l’époque Disraeli. Jack tremble son chant et sa bassline triomphe. Lui et Gary Moore se partagent les tâches ménagères. Tout va bien lorsque soudain, les colonnes des enfers se forment et Jack plombe l’extraordinaire pathos en donnant une suite métabolique à «Brave Ulysses», au son des trompettes. C’est là que s’ouvre la Mer Rouge pour livrer passage aux chars de Gary Moore. Épopée spectaculaire ! Jack explose le cinémascope en technicolor. On assiste à un fantastique shoot d’extrême rock pulsé par deux démons échappés des bréviaires. On se croirait encore sur Disraeli avec «Why Does Love (Have To Go Away)».

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    Rien d’aussi beau, pur jus de We’re going wrong. Jack chante à l’octave menacée, il crée des mondes à n’en plus finir, il élève des tours de Babel par dessus les toits, il joue la carte des relances infinitésimales, il trempe dans l’horreur de la rédemption absolutiste, Jack chante avec une force indescriptible, tout bascule dans l’envers du décors, tout est saturé de ce génie sonique qui caractérise si bien les Cream de Disraeli, et ça prend de l’ampleur à ce point précis, si précis, oh Lord, alors forcément, ce diable de Gary Moore a une veine de pendu, il peut jouer avec des Jack et des Ginger qui sont les membres fondateurs de l’ORB, c’est-à-dire l’Ordre du Rock Britannique - Set yourself free ! - On découvre ici l’intériorité du rock anglais. Avec un mec comme Jack, tu es en sécurité, il va te créer un monde où tu sera heureux. Tu peux te mette à l’aise, Ginger bat aussi pour toi et Gary Moore amène son avoine pour avoir du son et là c’est vrai qu’il outrepasse Clapton, il le dépasse à plates coutures, il joue des milliards de notes pulvérulentes, il fait pleuvoir des déluges pharaoniques, il fait rissoler la rivière Kwai, il ouvre les vannes du barrage contre le Pacifique, il trashboume uh-uh des myriades de dégoulinades et plie le déluge de Dieu à sa volonté. Il faut savoir que les apocalypses orchestrées par Jack se terminent toujours bien.

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    Ils enchaînent avec «Naked Flame», un extraordinaire balladif léthal que Jack chante au crépuscule des dieux. Ils tapent «I Wonder Why ( You Are So Mean To Me)» d’Albert King au british beat des origines. Jack fait chevroter sa basse, comme au temps de Graham Bond. Ils savent rester effarants de véracité. Ils ne relâchent jamais la pression. «City Of Gold» se rapproche de l’esprit Cream. Jack y prend le taureau par les cornes et Ginger bat au débotté. C’est Gary Moore qui chante, mais avec une voix de petite bite, et là, il ne fait rien pour se rendre sympathique, pendant que la basse de Jack pilonne la zone. Ils enchaînent deux heavy blues à la suite, «Can’t Fool The Blues» et «High Cost Of Living». Gary Moore joue au gras double de Leslie West et passe en force. Ses solos coulent comme l’Or du Rhin dans une lumière à la Murnau, loin là-bas à travers la Forêt Noire. Il joue le sur-jeu jusqu’à la nausée d’ad-vitam eternam ad nauseum sanctus, amen. Son Cost of Living sent le cousu-main de maître, il sur-joue une fois de plus à la dégoulinade prodigieuse. Mais Gary Moore n’est pas et ne sera jamais Thomas Moore. Jack chante à fendre le cœur - Oh the more I have to pay - Gary Moore rajoute des couches par-dessus les couches, il sur-navigue et épitomise le solo de blues, il joue à n’en plus finir. On reste dans le heavy blues-rock avec «Danger Zone» - It’s a shame I don’t know which way to go - Solide et beau, gras et heavy, Gary Moore joue à la régalade. Forcément, avec des mecs comme Jack et Ginger derrière, ce genre de cut frise la perfection, d’autant que Jack et Ginger ne le sur-jouent pas, car ce sont des gentlemen. Gary Moore repart sans fin dans les méandres de ses désidératas, il joue à l’éberluante consommée dans une débâcle de vagues de boue sonique, il joue vraiment à la vie à la mort et ça finit par impressionner. On finit même par comprendre pourquoi des mecs comme Jack et Ginger voulaient jouer avec lui. Gary Moore monte sur les barricades et offre sa poitrine au feu des ennemis de la République. Mais personne ne lui tire dessus, tellement il est bon. Ils reviennent au heavy british blues avec «The World Keeps On Turnin’» signé Peter Green. Alors prosternez-vous mes frères, car c’est chanté à la nobody knows the way I feel, ils sont dans le vieux moule, Gary Moore fait son virulent et Jack le suit à la trace dans le courant du fleuve en crue. Suprême et ultra-joué. Ils tapent à la suite leur vieux «Sitting On Top Of The World». Jack le prend par les cornes. On est au cœur du mythe, d’autant plus au cœur que Jack le chante avec passion. Il soutient les effluves de Gary Moore aux pouets de basse et nous plonge dans la stupéfaction. Et toute cette belle aventure s’achève avec l’«I Wonder Why», d’Albert King, fantastique coup de shuffle. Jack et Ginger shakent le shook comme personne, on est dans l’énergie de Big Albert et on assiste là à une virée de tous les diables.

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    Harry Shapiro rappelle dans un très bel article de Classic Rock que de rejoindre Jack Bruce et Ginger Baker fut pour Gary Moore inespéré - A dream come true - Mais le rêve n’allait pas durer longtemps - It was over almost as soon as it began - Comme un rêve. Déjà fini alors que ça vient juste de commencer. Pfffuiittt, plus rien. Back to reality.

    En 1993, Jack Bruce lui passe un coup de fil :

    — I’m in trouble, Gary. Mon guitariste Blues Saraceno vient de me lâcher pour aller jouer avec Poison, et j’ai des dates bookées à Esslingen, en Allemagne. Steve Topping peut jouer le premier soir, mais pas le deuxième. Ça t’intéresse ?

    — Oh oui Jack !

    Le concert d’Esslingen se passe si bien que Gary pose la question fatale à Jack :

    — Je vais enregistrer mon prochain album solo. Ça te dirait Jack de composer des trucs avec moi ?

    — Oh oui Gary !

    Puis Jack fête ses 50 ans sur scène à Cologne et il invite tous ses vieux potes, Dick Heckstall-Smith, Pete Brown, Clem Clempson, Gary Husband et Ginger Baker.

    — Si tu veux venir, tu es le bienvenu, Gary.

    — Oh merci Jack !

    Et il se retrouve dans les godasses d’Eric Clapton à jouer «NSU» sur scène avec Ginger et Jack. Ils enchaînent avec «Sitting On Top Of The World», «Politician», «Spoonful» et «White Room», la crème de la Cream. Boostés par ce concert, Jack et Gary composent d’arrache-pied : «City of Gold», «I’m In The Wings» et «Can’t Fool The Blues». Quand Jack suggère à Gary de faire appel à Ginger pour enregistrer les nouveaux cuts, Gary avale son thé de travers :

    — T’es vraiment sûr, Jack ?

    — Oh oui, Gary !

    Le monde entier connaît la relation d’amour/haine qu’entretiennent Jack et Ginger. Les voir tous les deux monter sur scène un soir, ça passe encore, mais de là à rester plusieurs jours de suite dans un studio, c’est une autre histoire. On ne peut donc plus parler d’album solo de Gary Moore, avec Jack et Ginger dans les parages. Ça devient le projet d’un groupe à part entière, il faut donc un contrat. On peut même parler de super-groupe. Alors, il faut aussi un nom. Ils sortent des trucs comme Rocking Horse, Mega Bite, Herbal Remedy, Piece Of Cake, Thrilled To Bits et Expanding Universe. Ça se termine avec BBM.

    Et curieusement, l’enregistrement se passe bien. Tout le monde trouve ça louche. Quoi ? Pas d’engueulades entre Jack et Ginger ? Comme Gary est un maniaque du timing, il demande à Ginger de jouer avec un click-clack et Ginger l’envoie chier. No way ! Par contre, Ginger se prête sans problème au petit jeu de l’ange, pour la pochette. L’album paraît en 1994 et le groupe part en tournée. Les gens à l’époque considèrent qu’il s’agit d’une reformation de Cream. «Il n’ont pas pu récupérer Clapton, alors ils ont pris Gary.» Des critiques vont même jusqu’à dire que Gary a out-Gibsonned et out-Marshalled Clapton. Et c’est là, en tournée, que les Athéniens vont s’atteignir.

    Premier set au Marquee et Gary n’amène qu’un Marshall 50 W. Jack fait installer ses trois bass rigs et bham ! It nealy blew me from the stage, s’épouvante Gary. On n’entend plus que la basse ! Après le concert, Gary chope Jack pour lui parler. Mais il tombe sur un os.

    — Je n’aime pas parler après les concerts, I have a rule, t’as pigé Gary ?

    — Oh oui Jack !

    Gary tombe ensuite sur Ginger qui fume sa clope sur le trottoir et qui lui sort, d’un ton acerbe :

    — Tu vois Gary, c’est ça qui a ruiné Cream. Jack joue trop fort.

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    Le groupe tourne en Europe et les meilleurs concerts sont ceux donnés en Espagne. Pour Gary, BBM est un magical band. On évoque dans la foulée la possibilité d’une tournée américaine, mais soudain, Gary se plaint d’avoir mal aux oreilles. Ça ne plait pas du tout à Ginger qui a vu Gary mettre son ampli à fond. Quoi ? Il vient ensuite se plaindre d’avoir mal aux oreilles ? Mais c’est n’importe quoi ! Ginger a raison, c’est n’importe quoi. Mais il n’est pas au bout de ses surprises. Voilà que Gary annule le concert du Zénith à Paris car il s’est blessé le doigt avec une agrafe. Ginger est obligé de se marrer. Il est trop con, ce Gary ! Même s’il se marre, Ginger est à cran. Toutes ces conneries lui tapent sur les nerfs. L’épisode suivant est celui du concert de Brixton : Gary veut répéter, mais Ginger ne veut pas. No way ! Ginger se met en pétard. Il rend Jack responsable de tout le bordel : «I’m gonna kill that Jack Bruce.» C’est là que le magical band BBM disparaît sans laisser de trace.

    Signé : Cazengler, Gary Morve

    BBM. Around The Next Dream. Virgin 1994

    Harry Shapiro. The Impossible Dream. Classic Rock # 243. December 2017

    La voie Spiritualized

    Jason Pierce et Sonic Boom occupèrent dans l’underground des années 80-90 sensiblement le même rang que le Gun Club, Gallon Drunk, les Cramps, The Make Up et les Saints, le rang réservé aux groupes influents. On parle bien sûr d’une influence toxique, d’un impact comato-critico cryptique.

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    Après s’être séparé de son compagnon Sonic Boom, Jason Spaceman mit le cap sur une nouvelle orbite, celle du gospel-trash-boom psychout so far out et il allait s’y consacrer corps et âme, avec Spiritualized. Mais il ne parvint jamais à stabiliser le line-up du groupe, pas plus qu’il ne parvint à stabiliser son hépatite. On ne sait pas combien de fois il a échappé à la mort, mais on sait que sa vie ne tient plus qu’à un fil.

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    S’il existait un hit-parade des albums soporifiques, Lazer Guided Melodies arrivait probablement en tête du classement. C’est d’un lymphatique qui dépasse largement les bornes. Notre pauvre Jason s’y traîne comme une larve. Le temps des Argonautes est révolu ! Le seul cut sauvable de l’album s’appelle «I Want You», car Jason y pique une belle crise de Stonesy. On sent chez lui un goût certain pour le groove fuselé, tu sais, celui qui file dans l’espace psychédélique des perversions chimériques. Il concocte aussi un petit spasme intitulé «Run» avec des petits blurps de Run Run Run pompés dans le Velvet. Dans un souci constant de velouter son son, bien sûr. Ah l’ouate ! Que serions-nous devenus sans l’ouate !

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    S’ensuit un Fucked Up Inside live paru en 1993. Très belle pochette. On y voit les pédales d’effets de Jason Spaceman dans un univers de couleurs saturées (Pomme U dans Psd). Comme on le constate à l’écoute de «Take Good Care Of It», ils sont longs à démarrer. On entend même Charles Bronson jouer de l’harmo. C’est vrai, on attend très longtemps l’entrée de la basse. Par contre, les bassistes se régaleront avec la belle version d’«I Want You». On y entend une bonne ligne de basse anglaise classique, jouée aux notes bien rondes sur de jolis escaliers de gammes de manche, plus quelques enroulés adroits et élégants glissés dans le feu de l’action. Et Jason nous rajoute un coup de sax de fusion au cul du cut. Excellent. Il manie avec brio le jeu des ralentissements et des relances de beat flappy. Dans «Medication», on retrouve les zones de torpeur et les molles poussées de fièvre qui lui sont si chères. C’est révélateur d’un état d’esprit et d’une pente fatale à la facilité. Mais les hauts sont beaux et bien tourmentés, car très bossus et bien gras du bulbe. Jason tape dans un vieux coucou des Spacemen 3, «Walking With Jesus», une pop d’allant maximaliste. On a là une très belle psyché bardée de treble de guitare de tripot de tripe de trappe avec un orgue qui sonne comme un appel au calme entre deux giclées de crème anglaise. De l’autre côté, il tape dans «Shine A Light» mais c’est trop long. Il faut être un hippie pour écouter des cuts aussi interminables. L’aventure se termine avec «Smiles». Jason reste bel et bien le roi des poussées de fièvre. Il connaît bien les ressources de la grimpette. Il fait doubler la batterie et envoie l’orgue se fourvoyer chez les nones, c’est-à-dire les cuivres. Il ne lui reste plus alors qu’à se glisser dans la faille. On assiste à une belle escapade dans le flux du son avec un sax de fusion aussi expiatoire que l’écartèlement de Ravaillac.

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    Sur Pure Phase paru en 1995 se niche une pure merveille intitulée «The Blues». Voilà un cut bien balancé au beat de chemises à fleurs et généreusement arrosé de wah-wah. Pur jus de mad psychedelia. On y retrouve le Jason qu’on admire, Jason le tenace. Il embarque son cut aux guitares de la mélasse et des souffleurs de cuivres injectent de grosses nappes de fusion. Admirable ! En Angleterre, personne n’ose s’aventurer dans ces régions avant-gardistes qui mélangent tous les genres. L’autre perle de cet album trop calme s’intitule «Lay Back In The Sun». Jason nous propose là une belle pop anglaise traitée à la sensibilité et pimpante d’accents chantants. Mais c’est la box du CD qui emporte tous les suffrages : on a là un objet véritable objet, un boîtier en ivoire mat poli et à couvercle coulissant, serti de part et d’autre de pastilles de titre argentées.

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    C’est avec Ladies And Gentlemen We Are Floating In Space que Spiritualized décolle. En format CD, l’album se présente sous la forme d’une boîte de médicament : boîtage en carton et à l’intérieur, le moule plastique. Il faut décoller la membrane alu pour accéder au CD-médicament. Le tout bien sûr accompagné de l’inévitable notice laborantine indiquant les effets secondaires. Concept graphique génial. Ce n’est pas tout : on ne trouve pas moins de deux authentiques coups de génie lysergique sur ce disque, à commencer par «Electricity», heavy dose de violence sonique à la Spacemen 3, véritable attaque mortelle de la mortadelle. Ce sacré Jason sait faire exploser le concept du so far out. Tout y est : l’Angleterre, le son, l’attente, les épousailles, l’impossible, les descentes de basse imputrescibles et les relances de roller coaster, toute la grande jute du meilleur rock anglais avec les rebondissements apocalyptiques de basses élastiques, oh yeah, tout est yeah, la folie, l’empattement et le psyché dévolu. L’autre effroyable coup de génie s’intitule «Cool Waves», une énormité qui se met en place dans l’espace d’un bruitisme conséquent. Ça monte par vagues, comme la marée, et ça devient vite excessivement stupéfiant. Toute l’énergie du gospel vient fracasser le psyché des druggies d’Angleterre. Jason fait intervenir des chœurs de cités antiques et des trompettes en or massif. Et puis il y a cette horreur nommée «Cop Shoot Cop» amenée sur un petit groove inoffensif et que Jason Spaceman vient fracasser à coups de rafales de guitare, provoquant des désordres purement hallucinatoires. D’autres cuts comme «Come Together» frappent aussi l’imaginaire, car on sent poindre une réelle violence intentionnelle - C’mon come together - Jason cherche des noises à la noise et attaque au gospel de psychout so far out there. Il embarque aussi «All Of My Thought» dans une tempête qui se calme avant de se réveiller. Jason Spaceman joue avec le feu des tempêtes incongrues. Il va même jusqu’à les zébrer de piano bleu. Il fait donner de la trompette dans «No God Only Religion» pour rendre le son ultra-présent et il chante la beauté du crépuscule des dieux dans «Broken Heart». Ce mec a du génie pour dix.

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    Let It Come Down paraît quatre ans plus tard. Cet album est encore plus spectaculaire que son prédécesseur. On dit que ce malade de la perfection qu’est Jason Spaceman a fait jouer plus de cent musiciens sur cet album. Comme Phil Spector, il passe au rang de culte vivant. Jason attaque avec «On Fire» qui n’est autre qu’une charge frontale de power sludge, une vague d’assaut constituée du beat et de tous les instruments du monde. Il procède par jets salement bienveillants. Il est l’homme des idées brillantes et de la poudre aux yeux. S’ensuit «Do It All Over Again», une pop pleine de jus et baignée d’une incroyable lumière, digne des celle des Zombies de bonus. Jason joue une pop dense et merveilleusement fruitée. Eh oui, ce mec a un saint don d’ouverture. Il va bien plus loin que Belle And Sebastian ou Mansun. Encore de la belle pop insistante avec «Don’t Just Do Something», une pop si éblouissante qu’elle paraît se répandre sur la terre entière. Qui saura dire le génie de Jason l’Argonaute visionnaire ? Il est dans l’orthodoxie des moines grecs et dans l’aube du monde. Il échappe à tout. Avec «Out Of Sight», il invente un nouveau genre musical : l’évanescence panoramique. C’est exceptionnel de son et de vision. Jason travaille ses mélodies à l’extrême brillance de l’idée. On sent l’absolution du monde moderne et la création du delta du Nil, à l’ère des êtres nus. C’est bardé de gerbes d’instrus, noyé de brume électrique et cerclé d’exigence philharmonique. Il revient à un son plus musclé pour «The Twelve Steps» et il redevient terrible, mais à l’Anglaise. Il est digne de ses pairs les plus violents, tous Stones et Pretty Things confondus. Il fait en réalité de la pure Stonesy expéditive. Le son est tellement plein qu’il fait sauter toutes les cambuses une par une et il noie tout ça d’harmonica sauvage. C’est vraiment pulsé à la folie. Sur ce disque, tout est merveilleusement bien amené, comme on le constate à l’écoute d’«I Didn’t Mean To Hurt You». Il chante ça au petit accent cassé - I’m broken down and lonely - et il finit par relancer ses grandes vagues philharmoniques. Il engage aussi «Stop Your Crying’» à l’orchestration fataliste. C’est terrible de puissance. On ne résiste pas à l’assaut d’un hit aussi mélodique. Jason Spaceman serait donc le seigneur le plus puissant d’Angleterre ? Mais oui, car ce qu’il propose dépasse de loin ce que les autres proposent. Jason ne vit que pour la démesure de la beauté formelle. «Anything More» confirme que cet album est visité par la grandeur.

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    Amazing Grace fait aussi partie des très grandes heures de Jason Spaceman. Il met le feu aux poudres dès «This Little Life Of Mine», car voilà une extraordinaire stoogerie. Il baigne toujours dans ses antiques fascinations. Il est avec Sonic Boom le mec le plus stoogien d’Angleterre. Il passe au garage avec «She Kissed Me (It Felt Like A Hit)», mais on retrouve de vieux relents stoogy dans les mess around. Il passe une attaque de solo dévastateur, histoire de rester dans l’esprit éruptif des Stooges. Il ne s’en est jamais vraiment éloigné. Il envoie de sacrées tannées, des grosses nappes de son excuriatrices montées sur un beat têtu comme une mule. Toutes ces révolutions intrinsèques roulent comme les vagues au large du Cap Horn. Encore plus fascinant, voilà «Oh Baby», joué à l’atmosphérique. Jason semble travailler l’océan au corps. Il atteint au grandiose d’exception expatriarcale. La mélodie filtre la clameur d’un au-delà phosphorescent. En fait, ce qu’on entend là, c’est la musique du silence de la mort, la traversée du tunnel de lumière blanche. Nouveau coup de génie avec «Never Goin’ Back», une sorte de vieux garage déversé, gratté à la sévère et suivi à la cloche. Pur garage d’antho, avec tout le son du monde au rendez-vous et un solo en surtension. C’est à la fois lymphatique et rampant, infecté et râpeux, terrifiant et délicieux. Jason ramène ses trompettes en or massif pour «The Power And The Glory» : il y salue le diable et les quatre Cavaliers de l’Apocalypse. Avec «Cheapster», il rend un hommage terrible à Dylan, celui du speed sous expansion acide. C’est du «Maggie’s Farm» sous tempérance dévolue, une horreur, un contre-courant artérien, une folie subliminale, un rejet de greffe terminoïdal. Jason peut faire sauter le pavot de rats beiges et le pavé des rues borgnes. Il finit avec «Lay It Down Slow», un joli balladif qu’il explose à coups de guitare exterminatrice. Il gratte ses notes comme la bête de Gévaudan et chante avec les anges du paradis.

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    Quand Songs In A&E paraît en 2008, Jason Spaceman vient tout juste d’échapper à la mort. La pneumonie a bien failli avoir sa peau. On trouve sur l’album un bel hommage à Dylan intitulé «Yeah Yeah». C’est pulsé à la purulence du Maggie’s farm no more et puissant comme un hit des Dirtbombs. D’ailleurs, ce sont les Dirtbombs qui font les chœurs (Mick Collins, Troy Gregory et Ko Melina). L’autre coup de génie de l’album s’intitule «Soul On Fire», un fantastique balladif chargé de son et finement teinté de Stonesy, celle de «Wild Horses», mais le son de Jason est dix mille fois plus puissant - I got a hurricane inside my veins - Fantastique coup de maître piercien. Si on aime le macabre, alors on se régalera de «Death Take Your Fiddle», car Jason Spaceman demande à la Mort de prendre son violon and to play a song pour lui - I think I’ll drink myself in a coma - Mais il est plus vif que mort, car il enchaîne ça avec «I Gotta Fire», un cut qui sonne un peu comme «Gimme Shelter». Il retrouve sa veine mélodique avec «Baby I’m Just A Fool» et le dote d’un final éblouissant car complètement explosé de fusion cabalistique. Il retrouve aussi son cher gospel pour «The Waves Crash In». Jason y crée les conditions du gospel de la mort. C’est vraiment le son de l’au-delà, il sait de quoi il parle, il est déjà dans l’excellence de la partance, et il ne fait que traduire sa vision, comme le font tous ceux qui sont revenus de la mort.

    Eh oui, Jason Spacemen est un miraculé. D’abord une chimio expérimentale pour traiter l’hépatite - It did work - puis une double pneumonie, avec les deux poumons remplis d’eau, le cœur qui s’arrête deux fois et les agents des pompes funèbres qui défilent dans sa chambre. On le croyait mort. Et Jason Spaceman se voit navré d’apprendre que cette épreuve ne l’a pas beaucoup transformé, comme on le dit généralement - I was the same disappointing person I was when I went in - Il n’est pas sorti grandi de cet épisode.

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    Sweet Heart Sweet Light date de 2012. Jason Spaceman est alors sous traitement pour soigner l’hépatite. En réalité, l’album devait s’appeler Huh?, en écho aux effets du traitement. Jason Spaceman dédie l’album à Jim Dickinson, pas moins. Ça semble logique vu qu’on est avec cet album sur Fat Possum. Jason Spaceman tape «Hey Jane» dans l’esprit de Lou Reed - Get no breaks for your rotten life/ hey when you gonna die ? - C’est d’un lugubre sans nom. On le voit revenir après une fausse sortie. C’est un spécialiste des effets de manche - Sweet Jane on the radio - Il parvient à monter une chantilly extraordinaire. S’ensuit la pop envenimée de «Little Girl» - Sometimes I wish that I was dead/ Cos only the living can feel the pain - et ça s’envole vers le soleil des anciens Égyptiens. Jason Spaceman fond sa voix dans l’aveuglante lumière blanche d’un mysticisme inverti. On retrouve plus loin une belle lampée de psyché avec «Headin’ For The Top Now». Une fantastique ligne de basse traverse la chose - We should be headin’ for the top now little girl/ But I’ve been rotting here for years - Jason évoque certainement sa condition de star condamnée à l’underground. Il sort pour l’occasion une pièce de psyché dansante chargée de belle basse bourdonnante et crée l’une de ces fantastiques ambiances dont il a le secret. En C, on tombe sur «I Am What I Am», co-écrit avec Dr John - I’m the tide that pulls the moon/ I’m the planet that lights the sun - C’est chanté au fantastique groove de gospel de la Nouvelle Orleans - I am what I am/ Get it in my hand/ Hear what I say/ See what I am/ You understand - Groove terrible et presque chamanique hanté par chœurs fantastiques. Les deux ultimes merveilles de Jason le moribond se trouvent sur la dernière face, à commencer par «Life Is A Problem», lugubre à souhait. Franchement, on ne peut pas espérer plus glauque - Jesus please drive me away from my sin - Il fait l’apologie du désir de mort - And I won’t get to heaven/ Won’t be coming home/ Will not see my mother again/ Cos I’m lost and I’m gone/ This life is too long/ And my willpower was never too strong - En fait, c’est une confession d’une intensité exceptionnellement dramatique. Jason avoue tout simplement qu’il n’est pas fait pour vivre aussi longtemps. Il poursuit dans la même veine avec «So Long You Pretty Thing» - Help me Lord/ It’s getting harder cos I made a mess of myself - Et il nous sort un final héroïque - And all your dreams of diamond rings/And all that rock and roll/ Can bring you/ Sail on/ So long - Quelle stupéfiante manière de faire ses adieux après avoir régné sans partage sur l’underground britannique.

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    Au cours d’un papotage avec Piers Martin, Jason Spaceman annonce que son nouvel album And Nothing Hurts pourrait bien être le dernier. Avec un humour typiquement britannique, il ajoute qu’il espérait bien voir la maladie interrompre le processus d’enregistrement de cet album - Only to give me a break - Il est en effet tellement perfectionniste que ça n’en finit jamais. Il lui faut un an pour mixer un album. Il indique que pour lui, un album entier représente trop d’investissement. Et dans un terrible éclair de lucidité, il ajoute : «I don’t know if people want music like that anymore.» Eh oui, qui écoute encore ce genre d’album aujourd’hui ? Puis Piers Martin attaque l’exégèse des lieux communs : Pure Phase serait le résultat du montage de deux mixages différents, péniblement assemblés à la main, mesure par mesure. Vrai, répond Jason Spaceman. 155 musiciens auraient joué sur Let It Come Down. Faux. «Too many I think. There are rules for these things.» Tout le groupe viré après Ladies And Gentlemen. Vrai. «Their demands just became kind of... weird.» Il explique aussi qu’il passe énormément de temps sur son ordi à bricoler ses démos. Il avoue avoir utilisé les 260 pistes de Pro-Tools, mais ça finissait par tourner en rond - It was pathetic.

    Jason Spaceman raconte aussi qu’il avait demandé de l’aide à John Cale et à Tony Visconti pour finir Sweet Heart Sweet Light. Cale pas disponible et Visconti trop cher. Puis il s’est tourné vers Youth, mais ça a tourné au vinaigre. Jason Spaceman ne comprenait pas la méthode de Youth qui consistait à enregistrer des bouts et à les recoller. Stop ! On arrête tout ! Mais pour récupérer les bandes, il fallait payer les sessions. Le cirque dura huit mois. Finalement, Jason Spaceman préféra renoncer à tout. La seule idée de devoir retoucher à ces enregistrements l’indisposait.

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    Évidemment, la conversation bifurque et va droit sur Spaceman 3. On célèbre actuellement le trentième anniversaire de Playing With Fire. Piers Martin raconte qu’on a proposé deux millions de livres à Jason Spaceman pour reformer le groupe. Non. Pourquoi ? Parce que ça n’a pas de sens : «Pourquoi aller faire un truc inférieur à Spiritualized ?»

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    Dans Record Collector, Mark Beaumont revient lui aussi sur Spacemen 3, mais de façon plus travaillée, car il branche Jason Spacemen sur ses racines, alors on entre dans la caverne d’Ali-Baba. Mr. Spaceman achète son premier album chez Rugby’s Boots : Raw Power. Uniquement au vu de la pochette. Il ne savait rien des Stooges. Il voit Iggy in his silver pants et la photo du wild cat au dos. Et quand il écoute l’album, c’est le coup de foudre. Il rencontre ensuite une équipe de like-minded sonic adventurers au Rugby Art College, Pete Kember, Pete Bain, Narry Brooker et ils partagent leur monde fait de Cramps, de Gun Club, de Suicide, de Tav Falco, de T. Rex, de Troggs, de Monks, de Captain Beefheart, de Nuggets et de Staple Singers. Ils creusent encore vers Big Star, le MC5, Sun Ra et les Thirteen Floor Elevators. Ils finissent par monter leur groupe en 1982 - We were born of inhability. Nobody wanted to be better on guitar, nobody wanted to learn how to play faster riffs - Comme les Cramps, ils font une force de leurs carences techniques. Pas question d’apprendre à bien jouer. C’est là que Jason Spaceman prend feu : «Quand tu passes la bandoulière de ta guitare électrique sur ton épaule, elle joue déjà, avant même que tu aies plaqué un accord, et quand tu le plaques et que tu le joues assez longtemps, le son que tu sors devient le truc le plus important du monde.» C’est l’évidence. Le principe de base. Le cœur du mythe. C’est bien que ce soit un vétéran des drogues et du drone qui le dise. Il est l’un des mieux placé pour parler de ça.

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    Avec Spacemen 3, Pete Sonic Boom et Jason Spaceman se positionnent tout de suite en marge des modes de l’époque, comme les Mary Chain, d’ailleurs. Ils enregistrent la série d’hypnotic modern psychedelic albums que l’on sait et jouent des anti-gigs un peu partout en Angleterre, le dos souvent tourné au public. Leur cote monte jusqu’au moment où une shoote éclate entre Jason et Sonic à propos des droits d’auteur et de Kate Radley. Sonic trouve qu’elle influence trop le travail de Jason. Fin des haricots. Ils enregistrent le dernier album Recurring chacun de leur côté, chacun une face. En splittant, les Spaceman 3 rataient ce que les concessionnaires appellent une occasion en or : un label américain leur proposait un contrat de plusieurs millions de dollars. Jason Spaceman rappelle qu’il ne mange pas de ce pain-là - I’ve never made music for a financial gain - On appelle ça l’intégrité. Mais il paye ça cher, car il n’a pas de blé.

    Quand en 1991, il voit les Spacemen 3 se désintégrer, il se voit contraint de monter Spiritualized - I didn’t want to - Je n’ai pas confiance en moi. J’étais bien dans ce groupe car Pete avait de la confiance pour deux. Évidemment, Mark Beaumont veut savoir si Jason Spaceman a stoppé the hedonistic life. No more drugs ? Jason Spaceman répond à l’Anglaise. Il explique qu’à l’époque de la parution de Let It Come Down, il tombait du lit chaque nuit, et sa copine menaçait de le foutre à la porte s’il ne trouvait pas une solution pour arrêter ça. Alors il est allé acheter un matelas pour le mettre au pied du lit. Il se souvient aussi d’avoir oublié une bagnole pendant quatre ans à Abbey Road - I forgot about it. I left it at Abbey Road for the recording of that album for four years because I just wasn’t in a fit state to get it home - Oui, Jason Spaceman n’était absolument pas en état de ramener une bagnole à la maison. Il préférait le spaceship. Il ajoute qu’il a en perdu une autre du côté du studio Strongroom.

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    Et puis voilà que Jason Spaceman débarque à Paris. Inespéré. Pas de première partie. Deux heures de poireautage à l’ancienne, avec le cirque des techniciens qui n’en finissent plus d’accorder des guitares déjà accordées. On a beau se trouver dans l’ambiance magique du Cabaret Sauvage, ce cirque est insupportable. Et soudain, il arrive. Grand, maigre, lunettes noires, T-shirt blanc, jean et silver sneakers. Oh, pas tout seul, trois petites choristes black, deux guitaristes, une brillante section rythmique basse/batterie et un petit mec aux claviers dans un coin. Jason Spaceman s’assoit sur un siège haut face à son micro et attrape une Tele rouge à ouies. Présence immédiate. Derrière lui trône l’ampli marqué Mars (la moitié du logo plastique Marshall). Il attaque avec «Hold On», tiré d’Amazing Grace - The gospel according to Mr. Spaceman. On entre de plain pied dans quelque chose d’immédiatement grandiose qui nous dépasse tous autant que nous sommes, on sent quelque chose d’incroyablement puissant se construire couche par couche, les trois guitares se fondent dans les harmonies vocales. Il semble que Jason Spaceman atteigne à cette idée de l’apothéose jadis imaginée par Alexandre Scriabine, la fameuse mystique de l’extase. Jason Spaceman recrée exactement sur scène ce que Phil Spector créait au Gold Star, un mur du son, quelque chose d’extrêmement spectaculaire et beau à la fois. Il règne dans cette charge musicale une intensité de TOUTES les secondes. Chaque morceau semble construit sur le modèle d’une lente montée d’éléments soniques purement sensoriels destinés à fleurir pour se répandre dans le volume du chapiteau. C’est le principe même du gospel, art mystique par excellence. Jason Spaceman n’invente rien, sauf qu’il injecte dans son art tout le rock’n’roll dont il est capable, et un cut comme «Come Together» n’a jamais aussi bien sonné qu’à cet instant précis. On se sent littéralement convié à partager un moment exceptionnel. Ça va très loin. Une sorte de privilège. On croit même vivre un épisode unique et tellement parfait qu’il semble insurpassable. Il joue tous les cuts du nouvel album, il attaque chaque fois sur des phases de chant mélodique imparables, la beauté se confond dans le doux chaos du space-rock spacemanien. N’allez pas croire que cette énergie soit si différente de celle des Stooges. C’est exactement la même chose, le même genre de power viscéral, mais administré autrement. «Shine A Light» monte au cerveau de la même façon qu’un hit des Stooges ou de Sam Cooke. Bon, c’est vrai, ça prend un tout petit peu plus de temps, mais ça atomise les sens de la même manière, ça awsomise et ça trailblaze, ça wonderfulise et ça strike, si on avait la place pour le faire, on irait même jusqu’à se prosterner jusqu’à terre devant un tel shouter de gospel batch psychédélique.

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    Il ressort même le «Soul On Fire» de Songs In A&E, on peut jurer sur la bible que l’«On The Sunshine» tiré du dernier album compte parmi les plus grands hits de l’histoire du rock, mais celui qu’on retrouve sur l’album n’est rien, strictement rien en comparaison de ce qui se passe sur scène au moment où cette merveille sort de la bouche de Jason Spaceman pour se fondre dans l’apothéose sonique de l’avant-rock spacemanien. Tout est spectaculairement hors normes, il joue tous les cuts d’And Nothing Hurt dans l’ordre à partir d’«A Perfect Miracle» jusqu’à «Sail On Thought» et nous fait chaque fois grimper un échelon dans l’extasy cabalistique. Il revient pour un rappel avec «So Long You Pretty Thing» tiré d’Huh et une version faramineuse de l’intouchable «Oh Happy Day» des Edwin Hawkins Singer. S’il en est un qui peut se permettre ce luxe, c’est bien Jason Spaceman. Sans doute est-il le seul au monde.

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    On retrouve toutes ces merveilles sur vinyle. And Nothing Hurt entre dans la catégorie des très grands albums de rock anglais, ne serait-ce que pour ces deux Beautiful Songs que sont «Here It Comes (The Road) Let’s Go» et «The Prize». La première sonne comme un classique d’Americana délié aux triolettes de guitare - Here comes/ The road let’s go/ The radio/ As far as we can go - Cette façon qu’il a de placer son radio dans le creux de sa diction argentée ! On retrouve un fil mélodique à l’état pur dans «The Prize», qui s’apparente à une véritable atteinte aux mœurs, un coup de génie languissant - And I don’t know/ If love is the prize - Belle apothéose aussi, à la fin d’«On The Sunshine». Jason Spaceman et Sonic Boom ont toujours adoré le grand rock américain, il faut s’en souvenir. Il chante ses around comme Iggy, voilà un slab digne de l’âge d’or des Spacemen 3, foncièrement psychédélique, d’une grande violence - Celebrate your finst/ And the music of the spheres - Ça s’achève dans un tourbillon apocalyptique de chœurs de cathédrale et de chorus de sax. Même chose pour «The Morning After», monté sur un tempo plus soutenu et embarqué vers un final d’exaction cathartique de vibrillons de sax et de matière fusionnelle, un pur jus orgasmique d’élévation pentatonique, le cut n’en finit plus de vomir ce son d’anticipation, c’est un retour aux grandes heures de Ladies And Gentlemen, une fantastique excavation d’évacuation d’urgence. Avec «Damaged» qui ouvre le bal de la B, Jason Spaceman se rapproche de Lou Reed, il s’y montre mélodiquement pur, les syllabes s’écrasent mollement dans le time du temps - Darling I’m lost/ And damaged/ Over you - Vraiment digne de «Pale Blue Eyes». Il shoote une petite dose de Ronnie Lane dans «A Perfect Miracle» et enchante son refrain avec des gratouillis dignes de «Mandoline Wind». Puis il prend «I’m Your Man» au timbre fêlé. Il suffit de voir sa tête sur la pochette intérieure : oh la la, ça va mal ! Il porte avec Dan Penn et Ronnie Barron tout le poids de la Soul blanche sur ses épaules.

    Signé : Cazengler, despiritualized

    Spiritualized. Le Cabaret Sauvage. Paris XIXe. 23 septembre 2018

    Spiritualized. Lazer Guided Melodies. Dedicated 1992

    Spiritualized. Fucked Up Inside. Dedicated 1993

    Spiritualized. Pure Phase. Dedicated 1995

    Spiritualized. Ladies And Gentlemen We Are Floating In Space. Dedicated 1997

    Spiritualized. Let It Come Down. Arista 2001

    Spiritualized. Amazing Grace. Sanctuary Records 2003

    Spiritualized. Songs In A&E. Cooperative Music. 2008

    Spiritualized. Sweet Heart Sweet Light. Fat Possum Records 2012

    Spiritualized. And Nothing Hurt. Bella Union 2018

    Piers Martin. The Man Who Fell To Earth. Uncut #257 - October 2018

    Mark Beaumont. Hey Mr. Spaceman. Record Collector #484 - October 2018

    23 / 11 / 2018 – TROYES

    LE 3 B

    THE HILLBILLIES

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    Sale crachin breton sur le pare-brise, des milliers de gouttelettes qui diffractent la lumière des autos que l'on croise à l'aveuglette. Un temps de chien à retourner chez soi, mais l'appel du rock'n'roll triomphe toujours. Pas question de rater le dernier concert de l'année au 3 B, de surcroît les Hillbillies ont une sacrée réputation de jeunes tueurs, alors la teuf-teuf fonce à dans la bouillie de pois-cassés, saluée par les gilets jaunes regroupés depuis huit jours sans faillir sur un terre-plein de Romilly-sur-Seine, petite ville sinistrée de l'Aube...

    THE HILLBILLIES

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    Ne proviennent pas des Appalaches mais de Dijon. La moutarde du rock'n'roll leur monte rapidement dans le nez. N'ont pas commencé depuis quinze secondes que déjà vous avez le son qui tue qui déferle sur vous, le rayon extatique de la petite mort. Ne sont que trois pour se livrer en toute impunité à leurs exactions musicales. Alex, ses favoris en as de carreau lui mangent le visage, est à la contrebasse impeccablement cirée, Dim officie au chant et à la gretsch, d'un vert palmolive inamovible, au fond Maggio derrière sa batterie, l'a un regard d'aigle et d'acier qu'il darde sans arrêt sur ses deux comparses. Les guette à la manière des guerriers Apaches surveillant une troupe de pillards mexicains s'approchant de leur territoire. L'a intérêt à faire gaffe parce que devant ça remue salement.

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    Méfiez-vous des appellations incontrôlées, elles sont souvent trompeuses, les Hillbillies ne font pas spécialement du hillbilly. Pour les senteurs agrestes et campagnardes vous vous adresserez ailleurs. Pur jus rockabilly. Du sauvage, du concentré. Ce qu'il y a d'étonnant et de détonnant avec nos trois moutardiers c'est qu'ils jouent ensemble mais que vous avez l'impression que chacun tout seul se suffit amplement à lui-même. Et qu'à la limite deux sur trois absents l'on ne s'en apercevrait pas. Par contre la sourdine, ils ne connaissent pas, en trois sets, en comptant large, vous avez deux minutes trente durant lesquelles, la big mama et la batterie se sont tapés un petit solo, du genre nous aussi on sait le faire mais c'est encore mieux quand l'on fonce tous ensemble, tous ensemble, tous ensemble...

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    Dim gretsche comme pas un. L'a trouvé un truc qui vous scotche sec. Ne bouge pas les doigts, vous secoue le son comme pas un. Pas de pose à l'artiste inspiré, vous entendez mais vous ne voyez rien. Vous file la preuve avant l'épreuve. Une efficacité de toute éblouissance. L'air de rien, je m'occupe de chanter moi, la guitare c'est une affaire entendue, réglée depuis belle lurette. Pas besoin de convoquer un symposium pour décider de la note qu'il faut jouer. Et vous prenez de ces dégelées dans les oreilles à vous rendre fou. Pas le temps de s'ennuyer, vous plaque les unes après les autres de minuscules séquences sonores qui se succèdent à toute vitesse. Une habileté démoniaque, le gars qui vous croque une fresque de vingt-cinq mètres de long en moins de trois minutes. N'y a que sur le Peggy Sue de Buddy Holly qu'il condescendra à vous répéter l'espèce d'invraisemblable entassement rythmique si particulier du morceau. Sinon, il stride dur. Vous décoche des notes à la façon des carreaux d'arbalète, une dans la pomme posée sur votre tête, l'autre directement dans votre cervelle, parce que le rockabilly est une musique qui s'apprécie avant tout quand elle vous fait du mal.

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    Personne n'aimerait être à la place de Fredo, face à cet énergumène qui trille des oiseaux carnivores de sa guitare toutes les trois secondes, vous diriez qu'il n'y a rien à faire, qu'il se suffit amplement à lui-même, que vous feriez mieux de rédiger votre lettre de démission. Pas Fredo, le genre de mec que vous jetez à la porte de chez vous qu'il est déjà et encore à vos côtés comme s'il n'était jamais sorti. Une sangsue, une ventouse. L'a la big mama imposante. Tchic et tchic et tchac, bisque, bisque, rage, l'est là comme le python articulé de neuf mètres qui s'est enroulé autour de vous et qui vous mord à l'épaule pour vous rappeler qu'il est là tout contre vous au cas ( improbable ) où vous l'auriez oublié. C'est simple se sert de sa double bass comme d'une double batterie. L'est là et n'a aucune envie de décamper. La pustule du rockabilly, il la propulse, vous la catapulte à la manière des fleurs de cactus. En terme plus trivial nous dirions qu'il pousse au cul. Détient une partie du secret énergétique des Hillbillies, le temps perdu se rattrape toujours, suffit de ne jamais le perdre.

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    Donc à la troisième batterie Maggio. Maintenant vous comprenez pourquoi il scrute les deux mescaléros sortis de leur réserve devant lui. Les tambours de guerre c'est justement sa spécialité. La survenue aveuglante de l'éclair et l'ébranlement du tonnerre. S'est institué le point de jonction des deux dératés. Les poursuit, les suit, l'essuie les distance, les dépasse, les devance, tout cela en même temps, faut voir, la prestance impériale dont il se lève brutalement pour clore la charge de chevaux fous, et retenir d'une main une cymbale afin de la murer définitivement dans un silence cyclopéen.

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    Mine de rien Maggio est le chef d'orchestre occulte de ce combo soleil sans pareil. Z'ont trouvé l'épure du rockabilly, z'ont banni le gras, n'ont gardé que le miel, le ciel et le fiel de l'essentiel, sa nervosité, son agilité, sa rapidité. Sa force de frappe, son punch déstabilisateur qui vous envoie valser dans les étoiles. Plus le chant. Le rockabilly n'est pas un film muet. L'est comme les trois mousquetaires, réduit à la portion congrue du rock'n'roll trio, mais agrémenté de l'arme fatale. La flamme sans laquelle le bâton de dynamite n'est qu'une poignée sans valise. Se regardent tous les trois, échangent un sourire complice, Dim le crazy jette un coup d'oeil distrait sur la set list – de Joe Clay à Buddy Holly, de Slim Harpo à Johnny Cash en passant par Carl Perkins et Sonny Burgess – et hop il se jette dans le grand bain depuis le troisième étage du grand plongeoir et dans le temps intemporel de cette chute de l'ange vous avez droit à toutes les figures attendues, les interruptions brusques, les reprises hoquetantes, les inflexions croquignolesques, les exaltations pâmoisantes, les uppercuts glottiques, les inflexions menaçantes, toute la grammaire articulatoire du rockabilly déclinée à folle allure.

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    Les Hillbillies ont enfoncé les convictions. La complicité entre jeunes trentenaires au sommet de leur art et public de connaisseurs s'est installée naturellement. Invitent Alex, puits de science rockabillyenne et habitué du 3 B d'origine dijonnaise, à tenir la basse durant le rappel. S'en acquitte magnifiquement. Terminent sur un de leurs morceaux un blues qui aboie à la manière dont Howlin Wolf hululait les nuits de loup-garou.

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    La saison 2018 du 3 B se termine sur un coup d'éclat. Merci à Fabien pour ses splendides concoctations sonores, et à Béatrice la patronne sans qui rien ne serait possible et qui prépare quelques surprises pour l'année qui vient.

    Damie Chad.

     ( Photos : Béatrice Berlot )

     

    THE HILLBILLIES

    ( Old Rusty Dime Records / 2018 )

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    Crazy Dim : guitar & vocal / Alex Terror : double bass / Maggio : drums / Batman : saxophone.

    Pochette papier classe, glissée dans une pochette plastique transparente : fond noir et lettrage rouge pour le dos agrémenté d'une citation de Jimmie Rodgers, mais le meilleur c'est la couve, un dessin de Ludo, les Hillbillies sur une voie de chemin de fer, ce qui explique la présence de Jimmie Rodgers...

    Satan's train : l'on s'attend à un convoi funèbre qui fonce vers la mort à toute blinde, c'est beaucoup plus rusé que cela. Le Diable vous surprend toujours, n'est pas uniquement le grand cornu dégoûtant, sait avoir la classe, la veste cintrée et le style. Les Hillbillies sont sur les rails, s'ébranlent lentement et soudain le vocal mord le basalte des remblais, la guitare de Dim ne s'arrête jamais dans les gares sinon pour les catastrophes ferroviaires, la big mama de Fredo vous fait le grand écart sur le toit des wagons à l'intérieur des tunnels, la batterie de Maggio se contente de battre le rappel du rock'n'roll. Sober man blues : ( + Flo : chorus / Jimmy : rhythm guitar ) : une promesse d'ivrogne. En tient une bonne couche. Pour le blues vous repasserez. C'est du rockab obstiné qui vous arrive direct sur la gueule comme le crotale qui surgit enfin de la bouteille de Jack dans lequel il était enfermé depuis dix ans. Le pauvre gars l'a avalé tout droit, étonnez-vous ensuite s'il hoquette dans ses socquettes jusqu'à la fin du morceau. Luisant comme ces renards dans lesquels vous pataugiez à la fin d'un bal honky tonk. No title : rumble-surf avec le sax qui s'égosille sans fin. A la fin Dim hurle comme si on lui clouait les arpions sur le plancher. Un truc qui s'écoute tout seul et qui s'écroule comme un tsunami sur votre misérable existence. Roboratif et rotor hâtif.

    Damie Chad.

    TUKA / JALLIES

    ( Tuka-TheJallies-2017 )

    Céline : chant / guitare / caisse claire / percussions / kazoo

    Kross : contrebasse / chant

    Leslie : chant / guitare / caisse claire / percussions

    Thomas : guitra / percussions / chant

    Vanessa : chant / guitare / caisse claire / percussions

    Drame cornélien dans les chaumières. Que choisir ! Vers lequel des deux artefacts se portera votre cœur ! Le vinyle, ou le CD ? Au premier abord une reproduction à l'identique mais miniaturisée. Le premier possède l'avantage de la pochette, le second offre un petit livret en plus. Une seule solution s'impose : les deux. Pas un de plus ( quoique si vous n'avez pas eu la primeur premier CD, vous pouvez vous mettre en chasse car il est détestable de passer pour le blaireau de service ), pas un de moins ( mais un moins qui est un must ).

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    Donc la pochette. Surprise. Z'ont les trois plus belles filles du 77, et pas une sur la couve. Même pas les deux garçons. Par contre, une réussite graphique comme l'on n'en voit peu. Sur fond gris le J majuscule à forme stylisée de fibule romaine avec ce rose princesses aux petits pois blancs. Sur le linéaire du bas, le chat poète qui regarde les étoiles ( les amateurs de Fantômette apprécieront ) plus haut le tampon officiel the Jallies swing'n'roll band, le stigmate distinctif que tous les adorateurs du groupe ont pris l'habitude de se tatouer sur le front à l'encre sympathique en signe de reconnaissance et d'affiliation à une association secrète destinée à dominer le monde, et puis le coup de génie : les lyrics de Turtle Blues de Janis Joplin, car les filles ne sont pas des broutilles, elles ont la langue et la vie bien pendues aussi tranchantes qu'une faucille.

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    Tuka : z'ont des voix qui papillonnent nos princesses, glissent comme emportées par une brise printanière, prennent un peu d'altitude mais pas trop, ont tout de même envie de ne pas s'échapper, elles aiment le risque, sur ce la guitare de Tom se met à miauler comme si elle donnait des coups de pattes, alors faut les entendre avec leurs voix satinées de mijaurées aguichantes, du coup Céline joue du kazoo pour se moquer de vous, et elles vous font enrager toutes en chœur parce que leur cœur à elles il virevolte au soleil. I love you ( but I've chosen rock'n'roll ) : grondements et grincements de guitares, il y a des choses plus importantes que l'amour dans la vie, le rock'n'roll par ( unique ) exemple, Vanessa déclare sa flamme au rock'n'roll et les sœurettes vous font des harmonies pour film emphatiques de série B. Faut l'avouer sur ce morceau les guys vous montrent un peu ce que c'est que le rock. Les gals ont accepté, une fois n'est pas coutume, le rôle d'admiratrices. Elles s'en tirent très bien d'ailleurs. Groupies un jour, Jallies toujours. Du rouge à nos lèvres : rien à voir avec une pub pour les rouges à lèvres, un hymne à Dionysos, tout est vain sauf le vin – remarquez les ronds de verre en filigrane sur la pochette – sont prêtes à tout pour une nuit avec lui, et une fois qu'il a pénétré dans la nacre de leur chair, elles s'animent les pomponnettes un peu pompettes, le kazoo se prend pour une trompette et le tout éclate en une symphonie vocale, mais elles se reprennent toute douces comme si elles soufflaient la chandelle de l'ivresse pour des nuits rouges de désir encore plus longues. Vous avez la permission de rêver. Cry baby : vous n'aurez pas le temps de pleurer. S'amusent comme des petites folles, jusqu'à Kross qui vous tresse des choubidou-scoubidou à grosse voix d'ogre, un véritable dessin animé, le kazoo qui aboie comme un saxophone enragé, la guitare de Tom qui vous enluminure des chinoiseries, et les délurées qui vous font des claquettes sur la caisse claire, et leurs voix entremêlées qui montent et descendent les escaliers de l'impertinence. La vie en rose : au début cela ressemble à une chansonnette d'amour sur des gouttes de contrebasse mais derrière la guitare de Tom se tortille à la Django – normal quand les poulettes au croupion énamouré sont au poulailler le Reinhart n'est pas loin – et en avant la fiesta, le chant s'anime et le monde vous prend des teintes du plus beau rose et les copines joignent leurs timbres les plus suaves, c'est parti pour le bal qui batifole. Paris night : une virée à Paris, attention messieurs nos demoiselles sont des buveuses d'âme. Un véritable drame. Les goules sont de sortie, tant pis pour vous. Parce que pour l'auditeur c'est un régal, une harmonie sans égale entre l'accompagnement et les voix, ensorcelantes, un flot de beauté et de liqueur rouge sang. Rockin' Cats : se la jouent rockeuses, partent à la chasse aux chats. Elles sont la proie et les chasseresses. S'amusent comme des folles, elles ont des voix d'adolescentes perverses, et sourient sans vous regarder. Vous les suivrez jusqu'au bout de la nuit sans avoir à le regretter. Blue drag : une intro de guitare angoissante suivi d'un intermède au kazoo aussi long qu'un gazoduc, les Jallies nous montrent tout ce qu'elles et ce qu'ils peuvent faire, ça défile à toute vitesse, à chacun, à chacune son tour de piste, une démonstration de sport de combat, sans temps mort, en trois minutes un condensé de Jallies le plus pur. Gars efficients, filles scintillantes. Vous ne trouverez pas mieux. Chianteuses attachiantes : autoportrait avec filles. En français pour être sûres que vous comprenez. Se mirent dans les yeux des gars, et puis leur tirent la langue. L'art de la mise en boîte ( aux petits pois ). Un petit air country d'insupportables gamines à la June Carter du temps de ses quatorze ans. Une réussite. Le chat : encore un autoportrait mais déguisé, et avec chat. Les manzelles vous font mille chatteries pour vous annoncer qu'elles vous mènent par le bout du nez, où elles veulent, comme elles veulent, quand elles veulent. A les écouter vous ronronnez de plaisir. Oui, c'est bien chat. The Jallies : on n'est jamais mieux servi que par soir même. Après le dithyrambe à Dionysos, le péan aux trois déesses. L'hymne officiel du Jalliesland. Vous ne pouvez vous empêcher de taper du pied et de le fredonner tout en remplissant votre demande de naturalisation. Les fillettes tirent un feu d'artifice vocal en leur honneur et vous applaudissez à en mourir.

    Non ce n'est pas fini, une dernière pépite. Un dernier verre de rouge pour la route. Le coup de l'étrier. Attention c'est du sérieux. Du lourd. Du grave. Les boys se sont conduits en gentlemen, z'ont mis les filles à l'abri, elles se chargeront des chœurs. Elles font ça très bien ( comme la cuisine et le ménage ). Kross se lancent dans un Tutti Frutti des mieux venus. Avec un solo de dix secondes de Tom pointu comme une aiguille à tricoter qui s'enfonce dans votre œil. Derrière les oiselles piaillent et s'envolent comme si leur vie en dépendait. Revenez-vous vite les tourterelles, sinon l'on va s'ennuyer !

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    Du swing à gogo. Brillance et pétillance. Le groupe arrive à une maturité confondante. Conjugue l'aisance et la joie de vivre. Vigne folle et vendange enivrante. Les Jallies en elles-mêmes telles que nous les aimons. Ce deuxième disque est une rose carnivore qui dévorera votre âme.

    Damie Chad.

    ROCKABILLY GENERATION N° 7

    ( OCTOBRE / NOVEMBRE / DECembre / 2018 )

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    Ils ont osé, ils ont mis une fille en couve. ( Philippe Manoeuvre raconte qu'une gerce en tête de Rock & Folk équivaut à trente pour cent de ventes en moins ). Y en avait déjà une sur le numéro 3, mais ça ne compte qu'à moitié puisqu'elle était avec son boyfriend. Oui mais à voir la plantureuse assurance d'Annie Leopardo, vous comprenez qu'elle n'a besoin de personne pour survivre dans la jungle. Rien qu'à la voir vous zieutez que c'est une bombe à manipuler avec précaution. L'est d'ailleurs la proue chantante des Booze Bombs. Se raconte sans chichi, d'origine sicilienne, née en Allemagne, possède l'assurance tranquille des gens qui ont réussi à faire ce dont ils rêvaient tout petits, pour elle c'était chanteuse. Vous trouverez dans la 352 ième livraison de KR'TNT ! du 14 / 12 / 2017 le compte-rendu du concert explosif de la dame au 3 B...

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    Hommage aux pionniers, cette fois Greg Cattez évoque Buddy Holly. Mort trop tôt. ( Ce qui est déjà mieux que de mourir trop tard. ) Que serait devenu Buddy Holly, comment sa carrière aurait-elle évoluée ? L'eut de grands admirateurs, notamment les Beatles... Buddy portait-il le futur du rock'n'roll ou avait-il simplement une carrière à gérer... n'empêche qu'il avait un son de guitare fabuleux et que son rock relève d'une esthétique très personnelle.

    Suivent un panorama photos, Cavan se taille la part du lion, du Festival Rock a Billy de La Chapelle Serval du mois de juin, un article sur la reformation des Scamps, groupe français des années 80, le gros dossier sur Annie Leopardo, et petit nouveau dans la basse-cour, Dylan Kirk, dix-huit ans, une renommée internationale, et un jeu de pumpin' piano à la Jerry Lou qui accroche les amateurs...

    Page 29, Marlow le marlou, égrène ses souvenirs et se raconte. Pas besoin de poser des questions, n'y a qu'à l'écouter. L'a commencé comme beaucoup par Hendrix et Rolling Stones, mais la commotion c'est Elvis en 1968 – année éruptive – à douze ans d'intervalle le King aura initié deux générations au rock'n'roll, je ne vois pas qui a pu faire mieux ( et même autant )... l'histoire continue avec les Stray Cats en 1981 et la naissance des Rockin'Rebels... Pour ceux qui ne connaîtraient pas, Tony vient de sortir une Anthologie : 1978 – 2018. Je plains les malheureux qui n'ont pas cette merveille dans leur besace.

    Petit détour par la Bretagne, Bourgneuf en Retz début août, 18 ième concentration US & Rock'n'roll Culture avec les Booze Bombs, les Hillbillies ( coucou les revoilou ) et les Naughty Boppers que je n'ai pas encore vus, ce qui est un véritable scandale... Le numéro se termine sur des photos du Béthune Retro.

    Nouvelle maquette plus aérée, le numéro évolue, Sergio Kazh prépare deux nouvelles rubriques pour le 8. En attendant lisez le 7, ne ratez pas l'aventure quand elle est en train de se dérouler. Vous le regretteriez plus tard.

    Damie Chad.

    ( Photo : FB : Sergio Kazh )

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4 Euros + 3,60 de frais de port soit 7, 60 pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 30, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents. Attention N° 1 et N° 2 et N° 3 épuisés.

    ROCKAMBOLESQUES

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

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    EPISODE 9 : PREPARATIFS HÂTIFS

    ( Preparato Estudioso )

    L'on est arrivé au petit matin chez Popol, mais   le Chef et moi  sommes repartis aussitôt accomplir une dernière formalité, me in the teuf-teuf, le Chef dans le fourgon que nous avons jeté dans une gravière de Nogent. Y eut un gros glouglou et puis plus rien, les gravières de Nogent ne rendent jamais leurs carcasses. Durant le retour nous avons quelque peu philosophé :

      • Chef, nous avons les trois cassettes mais nous n'en sommes pas plus avancés, que donc l'Elysée voulait-il en faire ?

      • Agent Chad, votre impatience dénote une personnalité insatisfaite, vous ne savez pas profiter de l'instant présent, apprenez à ne pas vous projeter dans le futur, le sage chinois l'a maintes fois réaffirmé, un Coronado non fumé a autant d'insignifiance qu'un Coronado déjà fumé, mais ce qui est pure jouissance et présence métaphysique de l'Être est le Coronado que l'on est en train de savourer.

    CONSEIL DE GUERRE

    Popol nous offrit un plein verre de moonshine polonais qui nous fit si grand bien que nous en reprîmes quatre ou cinq d'affilée. Assises à une table Darky et Claudine échangeaient des souvenirs, à l'autre bout du comptoir Cruchette et les quatre musiciens – nous les appellerons désormais Eric 1, Eric 2, Eric 3, Eric 4, pour mieux les distinguer, leur prénom danois à consonance gutturale étant difficilement prononçables pour des palais civilisés – s'amusaient follement :

      • Chef, ils sont fous ces nordiques, ils me versent du Moonshine dans la culotte, cela me fait tout drôle !

    Mais nous n'y prenions pas garde, l'heure était aux plus graves décision.

      • Combien de spectateurs avez-vous prévu pour le set de Darky ce soir, s'enquit le Chef.

      • Entre quinze cents et deux mille, pour Darky j'ai fait un effort, ce soir ce sera une soirée open bar, Moonshine Polonais en libre service !

      • Mais Popol, le bar ne contiendra jamais une telle foule, et tu as compté le nombre de bouteilles de Moonshine nécessaires !

    Mais Popol avait tout prévu. L'avait passé un accord – il tenait à en garder pour l'instant les clauses secrètes – avec le cirque ZAVATIPAS qui campait fort opinément à l'entrée de la ville sur un terrain vague. L'arrivée pétaradante de deux gros camions rouges nous convainquit aisément des capacités organisationnelles de Popol. Déjà une équipe de gros bras commençaient à décharger dans la rue de gros madriers qu'ils soulevaient comme des fétus de paille et devant nos yeux émerveillés en trois demi-heures ils eurent tôt fait de monter une longue estrade avec sono et projos... Pendant ce temps, le second poids-lourd cul contre l'entrée du café déchargeait des dizaines de caisses de Moonshine, Popol nous avait demandé de sortir car soutint-il les gars avaient besoin de ne pas être gênés dans leur mouvements pour les entreposer dans la cave...

    A dix heures du matin, tout était prêt. Il n'y avait plus qu'à attendre les réactions des autorités.

    PREMIERE ESCARMOUCHE

    Elles ne se firent pas attendre, quatre gendarmes descendirent d'une estafette et se dirigèrent vers Popol :

      • Monsieur - l'officier avait cette arrogance obséquieuse des fonctionnaires sûr de leur mauvais droit – nous ne doutons pas que vous ayez une autorisation pour installer une estrade aussi extravagante, toutefois la Municipalité nous a fait savoir qu'elle n'en avait délivré aucune.

    Popol sourit avec cet air bête que les commerçants arborent lorsqu'ils présentent une note arnaqueuse au client pigeonné, se contenta de tirer de la poche arrière de son jean une feuille pliée en quatre qu'il tendit au Capitaine. Celui-ci la déplia, entreprit d'y jeter un coup d'œil distrait et désapprobateur, mais eut tout de suite un haut-le-corps, sa face s'empourpra telle une pivoine écarlate, sa main se leva pour un bref salut militaire et d'un pas rapide, suivi par ses sous-fifres silencieux il rejoignit son véhicule réglementaire qui démarra sur les chapeaux de roue. Popol replia soigneusement la feuille et nous sourit :

      • Autorisation préfectorale, mes amis, croyez-vous que je fournisse gratuitement en Moonshine Polonais la préfecture pour les parties fines de ces messieurs censés veiller à la dégradation des mœurs de leurs concitoyens, sans contre-partie ?

    UN REVENANT

    Les amis des animaux trouveront que Molossa ne s'est pas trop montrée depuis deux épisodes, qu'ils ne s'inquiètent point, elle est sous le comptoir devant un grand bol de Moonshine que Popol lui a amoureusement préparé... La vérité historique des faits m'obligent à rapporter qu'elle en a bu de vaste lampées et qu'elle est dans un état semi-comateux. C'est pourtant elle qui poussa le wouaf d'alerte ! Le danger s'approchait, par la glace du café nous ne voyions rien, toutefois au bout de trois minutes, nous entendîmes un léger toc-toc à peine inaudible mais qui allait s'amplifiant... Molossa grogna... il était indubitable que l'ennemi approchait...

    Nous n'en crûmes pas nos yeux, dans l'embrasure de la porte apparut la maigrichonne silhouette de L'Inspecteur Divisionnaire des Douanes, il brandit fièrement sa canne, sa face de cul s'illumina d'un sourire d'extrême jubilation :

      • N'ayez crainte Monsieur Popol, je ne viens pas vous embêter pour quatre malheureuses bouteilles de Moonshine Polonais, une vieille affaire, sur laquelle l'administration des Douanes dans une incompréhensible mansuétude a décidé de passer l'éponge. Toutefois, selon un coup de téléphone d'un informateur secret, en témoignage d'amitié je me permettrai de vous apprendre qu'il s'agit de notre valeureux capitaine de gendarmerie, il paraîtrait qu'un gros camion rouge du cirque ZAVATIPAS – nous nous intéressons depuis quelque temps à ces forains qui se livrent à un étrange va-et-vient de semi-remorques entre la charmante cité de Provins et la lointaine Pologne, mais je m'égare, pourquoi vous livré-je les informations confidentielles de nos services, bref si cela ne vous dérange pas trop Monsieur Popol, j'aimerais visiter, un simple coup d'œil, votre cave, j'espère que vous n'y voyez aucun empêchement ?

    Popol se précipita. Je ne l'avais jamais vu aussi obséquieux, des Monsieur l'Inspecteur Divisionnaire à lécher l'anus d'un bouc dans une cérémonie diabolique, des prévenances à n'en plus finir, des ''je vous ouvre la trappe'' serviles, des ''je vous allume la lumière'' d'une voix chevrotante, des ''attention à la quatrième marche un peu usée'', un esclave qui court chercher le fouet avec lequel le maître lui arrachera la peau du dos... Je ne sais si au dernier moment l'Inspecteur Divisionnaire des Douanes hésita mais lorsqu'il sentit la truffe chaude de Molossa sur son mollet gauche, il descendit prestement les marches, l'on entendit toc-toc-toc-toc-toc-toc-toc-toc et puis plus rien. Au bout du comptoir le Chef alluma un Coronado et Popol se mit à essuyer ses verres en compagnie de Cruchette...

    Une heure s'écoula dans un silence relatif, quatre douaniers en uniforme surgirent brutalement.

      • Nous cherchons Monsieur l'Inspecteur divisionnaire, l'avez-vous vu ?

      • Bien sûr, il est descendu à la cave, il doit y être encore ! Popol était tout sourire...

      • Toutefois il me semble l'avoir vu remonté, j'étais en train d'allumer un Coronado, mais il me semble qu'il est ressorti, laissa échapper le Chef.

    Revenus de leur vérification les quatre uniformes semblaient intrigués :

      • Il n'était pas là, mais nous reviendrons regarder d'un peu plus près ce qui se trouve exactement dans ces centaines de cartons, là nous n'avons pas le temps, mais dès que nous aurons récupéré Monsieur l'Inspecteur Divisionnaire, nous nous livrerons à une visite méthodique.

    Popol leur proposa une tournée mais ils refusèrent, d'un ton rogue, arguant qu'ils étaient en service commandé. A peine étaient-ils sortis qu'il farfouilla dans un placard pour en extraire un vieux Nabuchodonosor vide – je me permets de rappeler au lecteur peu versé en champagne qu'il s'agit d'une bouteille de quinze litres - qu'il entreprit consciencieusement de remplir en y versant quinze litres de Moonshine. Souriait de toutes ses dents le Popol, il rangeait la dive bouteille dans le placard, lorsque Cruchette s'exclama :

      • Vous avez vu dehors !

    L'AVANT-CONCERT

    N'était même pas midi et la rue était déjà noire de monde. Des hordes de punks aux crêtes démentes pactisaient avec des bikers bardés de cuir, toute la faune rock, cats, goths, métalleux, fifties, skins, de la région parisienne s'était donné rendez-vous devant chez Popol. Popol trouva vite de l'aide, dix grands gaillards descendirent avec lui dans la cave et formèrent une chaîne sous les applaudissements déchaînés des assoiffés. Sur la chaussée s'élevaient des pyramides qui atteignaient les étages supérieurs des maisons. L'on avait beau se précipiter pour sortir les bouteilles, il en venait toujours. Popol fut porté en triomphe, les filles se l'arrachaient, l'était couvert de rouge à lèvres des pieds à la tête, faisait le modeste '' Ce n'est rien, un en-cas, j'ai prévu cinquante mille bouteilles, non ce n'est pas beaucoup, je compte sur deux mille participants, un petit Hellffest, une misérable soirée ! Pour ceux qui auraient une petite faim, dans une demi-heure un camion ZAVATIPAS dix tonnes de sandwichs et cinq tonnes de chips !'' Mais il n'était pas seul à connaître la gloire. Lorsque les Eric eurent expliqué en mauvais anglais qu'au Danemark le truc le plus fun consistait à remplir les culottes des filles de tout ce qui vous tombait sous la main, la foule – y avait maintenant près de cinq mille pèlerins - se sentit l'âme danoise, je préfère ne pas vous raconter les scènes de folie érotique qui s'en suivirent, l'on se sentait transporté, dans le Jardin des Délices de Jérôme Bosch, Molossa reçut mille caresses, chacun voulait son selfie avec elle, l'on se disputait pour lui offrir le saucisson des sandwichs, en bonne chienne sage et bien élevée, ne voulant peiner personne, elle s'empiffrait à éclater. L'apparition de Darky provoqua un moment de stupeur. L'on n'avait jamais vu une fille lookée comme cela. Tout de suite elle eut des imitatrices, des filles retiraient leur tampon hygiénique pour décorer leur T-Shirt... une après-midi de rêve. A neuf heures pile les Svart Butterflies montèrent sur scène. L'on comptait déjà quatre ou cinq fan-clubs, devant l'estrade, ils n'avaient pas encore joué une note que c'était une cohue indescriptible, Les Eric ( 1, 2 , 3 ) accordaient leurs guitares, le 4 tapotait doucement la grosse caisse de la fanfare du cirque ZAVATIPAS... C'est à ce moment-là que le Chef me fit signe :

      • Agent Chad, cette nuit va être la plus longue de votre vie !

      • Oui Chef, un concert extraordinaire, la légende du rock'n'roll ! Plus tard, dans les siècles à venir, les lecteurs se précipiteront sur mes Mémoires pour lire un témoignage écrit par un témoin de l'évènement !

      • Agent Chad, ne soyez pas stupide, heureusement que je veille, regardez aux extrémités des deux rues et derrière les vitres des fenêtres des maisons !

    Je jetais un coup d'oeil aux endroits indiqués par le Chef. Mon sang se glaça.

      • Euh ! Chef , si j'étais vous j'allumerai un Coronado !

      • Que croyez-vous que je sois en train de faire, agent Chad !

    ( A suivre ).