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  • CHRONIQUES DE POURPRE 242 : KR'TNT ! 362 : Mr AIRPLANE MAN / THE GOON MAT & LORD BENARDO / VELLOCET / THE ATOMICS / THE FOUR ACES / AMHELL & THE CRACK-UPS / JALLIES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 362

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    22 / 02 / 2018

    Mr AIRPLANE MAN / THE GOON MAT & LORD BENARDO

    VELLOCET / THE ATOMICS / THE FOUR ACES /

    AMHELL & THE CRACK-UPS / JALLIES

    Hey Mr Airplane Man play a song for me - Part Two

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    Rien qu’avec un nom de groupe comme celui-là, la partie est gagnée d’avance : Mr Airplane Man, en l’honneur de Wolf. D’ailleurs, dès qu’on prononce le nom de Wolf, Margaret jette les bras au ciel et fait Ahhh ! Margeret et Tara ont eu le bon goût ce choisir le bon nom, comme le fit jadis Brian Jones pour les Rolling Stones, en hommage à l’autre géant du coin, Muddy. Et la partie est encore plus gagnée d’avance dès lors qu’elles tapent quasiment en début de set dans The Unapproachable Pathos Burns d’«Asked For Water».

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    Elles féminisent l’inféminisable, elles brassent le brut, elles oum-kalsoument le loup, elles rawent dans les brancards, elles rallument d’antiques brasiers, elles jouent avec le feu, oui, c’est exactement ça, elles fuckent le fake, elles charment le souvenir du vieux dieu noir et l’ancrent dans notre pauvre actualité deux-mille-dix-huitarde, elles shootent le blues dans le cul d’un temps qui n’en finit plus de rendre gorge, Margaret le chante de tout l’interior de son Luxe de fan, elle l’ondule du genou, elle le fouette en demi-teintes de demi-caisse, elle le plaint et le geint à la bonne mesure, elle ahoooooote sans la ramener, elle fâche deux ou trois accents, mais se prélasse dans le groove d’un blues magique et Tara le bat si soft, si mesuré, si juste qu’on s’en effare à chaque mesure, il faut la voir compter le temps du blues avec les épaules, elle offre un spectacle fascinant à elle toute seule, elle tient le beat de Wolf en laisse, elle chaloupe plus qu’elle ne bat, elle incarne le cœur du blues comme seuls des cracks de la trempe de Sam Lay ou Ted Harvey savaient le faire, et quand Margaret se rapproche de Tara pour communier, alors elles mangent le corps du blues.

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    Elles transmutent le plomb de la Gasoline en galantine d’organdi. Et lorsqu’elles tapent dans un registre plus architectural, elles poppisent l’ambiance, «Not Living At All» relève d’une certaine admirabilité des choses, Margaret le chauffe d’une voix chargée de sortilèges, elle pose son regard clair sur le monde et gratte doucement sa grosse guitare noire. Elle s’échappe par des petites pointes d’aho-ahooo, et Tara la soutient dans les affres de la plus fine complicité.

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    Et comme si réveiller le fantôme de Wolf ne suffisait pas, voilà qu’elles réveillent celui d’Hooky avec «Up In Her Room», aw yeah, Margaret ramène la transe du deep ole niggah dans le champ des blancs, une vibe qui remonte à la nuit des temps et que l’électricité modernise à outrance, c’est le son le plus rock qui se puisse imaginer, un seul accord et des petits riffs insalubres, pas la peine d’aller chercher midi à quatorze heures, tout est là, et cette diablesse de Margaret envoie quelques giclées de bottleneck, histoire de rouler le raw dans la farine, shake it to the one, elle chante à pleine voix et sa langue chuinte dans la croyance primitive. Elles n’en finissent plus d’y croire dur comme fer. Elles hantent si bien leur «Let It Go» qu’on se croirait dans une cabane du bayou encerclée par les alligators au yeux fluorescents.

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    Ou pour aller chercher une image un peu moins tintinesque, on pourrait dire qu’on se croirait dans le juke-joint de Junior Kimbrough, car c’est exactement la même lancinance, celle qui monte au cerveau et qui retourne les yeux au fil de la transe. Elles ressortent le vieux «Black Cat Bone» histoire d’envoyer une nouvelle giclée de jus dans l’œil du cyclone. Bienvenue dans l’enfer du paradis de la slide impavide, Margaret y va de bon cœur, elle n’est pas avare comme le sont les Cauchois, elle rajoute des tournées de sliding à gogo et comme Cochise elle décoche dans la caucherie tout le chaud des champs, cette violence qui date d’un temps où on forçait les nègres à travailler de l’aube jusqu’à la nuit. Alors, sors ton black cat bone, niggah, et maudis le patron blanc. Quand on écoute ça, on comprend que la colère, la seule qui compte et qui consiste à s’élever contre l’injustice, a enfanté des merveilles : le blues d’un côté et l’Internationale de l’autre. Personne ne peut rester insensible au charme des deux, pas même un porc. Elles repartent en mode North Mississippi Hill Country Blues avec «I’m In Love» monté sur un beau riff enroulé et Margaret l’emmène directement au firmament de la rockalama de Rocamadour, ça ne fait pas un pli, Tara nous bat ça des épaules, avec cette espèce de puissance contrôlée qui fait d’elle une batteuse de rêve. C’est si bon que Margaret glousse, on patauge dans l’excellence, hank you so much, elles n’en finissent plus de remercier le public, il règne dans la salle une stupéfiante ambiance de connivence et elles terminent leur set avec un «Travelin’» signé Greg Cartwright, the Memphis connection, histoire de boucler la boucle. Tara bat ça au tambourin, Margaret l’harangue à la volée, ça balance à la java, elles jivent le contexte du travlin’, muent leurs voix en une seule feinte, tous les beats du monde sont dans l’air, Margaret et Tara atteignent à l’universalité.

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    Comme le nouvel album tarde à paraître, on doit se contenter de l’existant, mais quel existant, baby ! Tiens, par exemple The Lost Tapes, un album mis en circulation voici trois ans et qui propose une cassette perdue et retrouvée par Margaret dans sa cave. Cette cassette remonte à leurs débuts.

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    En vraies fans de blues, elles tapent dans le vieux Fred McDowell avec «Sun Sinkin’ Low». Elles enchaînent avec Wolf et «Commit A Crime» qu’on retrouvera sur l’album Moanin’ paru en 2002. Le texte de Tara fait tout le charme de ce disque, car elle raconte les circonstances de leur rencontre avec Matthew Johnson, le boss de Fat Possum : le soir de leur arrivée, il leur fit un petit plan hitchcockien. Il les fit asseoir devant son bureau et il se mit à nettoyer son flingue devant elles. Tara raconte aussi une nuit d’aventures à la Nouvelle Orleans et la rencontre d’un trafiquant d’alcool qui leur vendit une bouteille d’absinthe. Sur cet album, elles tapent aussi dans le Gun Club avec «Love Of Ivy». Margaret s’en sort avec les honneurs, car elle cherche en permanence l’effet de bottleneck enragé. Alors elle gratte comme une folle et secoue ses genoux, comme si elle twistait à Saint-Tropez. La bombe se trouve en fin de B : «Hanging On A Thread», du pur garage avec Bruce Watson aux maracas. C’est enregistré dans son trailer, comme le précise Tara, et dans des conditions extrêmes, puisqu’ils viennent de siffler la fameuse bouteille d’absinthe - C’mon C’mon ! - C’est solide et bardé de viande, ça ferraille dans la déglingue. Elles shootent dans leur boogie du diable toute l’hypno de bastringue du North Mississippi Hill Country Blues, sans doute la meilleur du monde avec celui des Soufis du Riff marocain. Elles ont ça dans la peau. Bruce Watson joue le thème à l’orgue, à la vie à la mort. Rien d’aussi demented.

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    L’autre petite merveille disponible se trouve sur le bandcamp des filles. Cadeau du Professor. Ça s’appelle Bits And Pieces, une collection d’outakes de leurs albums parus sur Sympathy. Dès «Foxtrot», on sent le souffle, celui du riff de notes binaires. Margaret joue ses vagues de trash, mais à volonté. Même principe qu’un buffet de restaurant chinois. On pourrait appeler ça un instro Salvadeur de Salvador. Allende, bien sûr ! Elles tapent dans le vieux «Lil’ Red Riding Hood» de Sam The Sham, idole considérable chez les connaisseurs d’Amérique et elles en font du gluant de petite vertu, un vrai régurgitage de mini-jupe. Et paf, voilà «Over That Hill», tiré d’une session avec Greg Cartwright, un heavy blues explosif chanté à l’ingénue libertine, complètement dyslexé au trash de distorse, on vendrait son père et sa mère pour un son pareil. Rien d’aussi énorme sur cette pauvre terre. Elles tapent ensuite dans le «Blue Lite» de Mazzy Star, Margaret fait sa Hope et ça sandovale à gogo, mais c’est «Back To The Room» qui emporte la bouche et tous les suffrages, oui, car voilà le boogie du raw to the bone, clair à en pleurer, impérissable et magistral. Terminus avec «Slippering», un heavy blues de rock démentoïde. Margaret chante à peine au dessus du bordel, c’est tellement plein de son que le spectacle devient visuel. Le cut se noie dans le trash, help ! et une voix répond Yeah ah ooow, ça paraît con, écrit comme ça, mais c’est exactement ce qui se passe sous nos yeux globuleux. Margaret y va tant qu’elle peut, comme si elle jouait son ultime va-tout, son raout de la fin des haricots, burn baby burn alors oui, elle burn.

    Signé : Cazengler, Mr Planplan Man

    Mr. Airplane Man. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 8 février 2018

    Mr Airplane Man. The Lost Tapes. Moaning Records 2015

    Mr Airplane Man. Bits & Pieces. Bandcamp delights

     

    Goon Mat the Hoople

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    Aussitôt après le set, the Goon Mat installait son mersch. Comme il parlait français, ça fluidifiait les échanges.

    — On vous a entendu à la radio !

    — Ah bon ?

    — Au Dig It Radio Show !

    Il ne connaissait pas.

    — Le morceau s’appelait «Little Girl», je crois...

    — Non, c’est pas «Little Girl», c’est «Lil’ Girl»

    La conversation prenait une tournure bizarre.

    — D’où venez-vous ?

    — De Liège, en Belgique.

    Le savoir belge, ça détendit aussitôt l’atmosphère.

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    Sur scène, ce mec jouait le blues comme un dieu. Le privilège de l’âge renforçait encore son imposante stature, comme si le fait de porter une belle barbe blanche conférait une sorte d’autorité divine. Comme son mentor Beat-Man, ce vétéran de toutes les guerres jouait de la guitare assis derrière un bass-drum. Il dégageait tellement d’énergie qu’il aurait pu chauffer tout un immeuble. Il jouait ses riffs sur des guitares vintage, réunissait toutes les conditions du régularisme gras et swinguait le beat des deux jambes. Ce blues-rock dude sortait tout droit d’un monde magique, celui du North Mississippi Hill Country Blues. Il avait ce qu’on met parfois une vie à chercher : un son. Cet authentique fan de blues voyageait de ville en ville pour porter la bonne parole, comme jadis les troubadours. Et diable, comme cette parole pouvait se révéler vitale, en ces temps de peste et de médiocrité rampante. Il ne forçait jamais, le blues hypnotique de Rural Burnside et de John Lee Hooker coulait de lui comme de source.

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    — Tu le vends combien l’album ?

    — Vingt !

    — Oh, il est sur Voudou Rythme !

    — Oui, on est sur Voodoo Ryzem !

    S’ensuivit un interminable hommage à tous les géants ressuscités par Fat Possum, T-Model Ford, Rural Burnside, puis the Goon Mat indiqua que Beat-Man l’avait dirigé sur Jim Diamond, d’où le son de l’album, et quel album !

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    Il s’appelle Take Off Your Clothes. Attention, ça mord dès «Because Of You» : sens du beat parfait, voix nichée dans le meilleur écho du temps, ce mec a tout bon. Lord Benardo chevauche side by side, il accumule toutes les virulences, à la meilleure mode d’alerte rouge, il nous refait la pétaudière à Walter Daniels qui refaisait déjà la pétaudière du grand Little Walter Jacobs. On sent le son de la meilleure désaille et dans un genre aussi difficile, ça devient un véritable exploit.

    C’est exactement ce qui se passait sur scène : Lord Benardo instillait des crises de demented harp dans l’hypno tentaculaire du Goon Mat. Quel ballet ! Lord Benardo se transformait en une sorte de tempête à deux pattes pendant que the Goon Mat se dressait comme un phare dans la nuit. Extraordinaire complémentarité. Un ying et un yang d’électrons libres. Tout le bien qu’on peut vous souhaiter est de pouvoir choper ces deux mecs sur scène.

    The Goon Mat cite The Legendary Tiger Man parmi ses chouchous, mais curieusement, il ne connaît pas Chicken Diamond.

    — Pourtant, il a trois albums sur Beast !

    — ...

    — Mais si, un mec de Thionville !

    — ...

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    C’est en lisant la track-list au dos de la pochette que la lumière se fit : le cut entendu à la radio s’appelle «Lille Girl» et non «Lil’ Girl». Ce n’est tout de même pas la même chose. On a là une véritable pépite de trash-punk blues pulsée de l’intérieur du menton et activée à coups de yeah avec une magnanime relance de beat au deuxième couplet. Ce mec a un talent fou. Il sonne si juste qu’on peine à le croire blanc. S’ensuit un «Babe» joué à l’heavyness prévalente. The Goon Mat harangue le petit peuple pendant que Lord Benardo aligne de savantes tortillettes d’harp no more. C’est absolument troublant de justesse.

    The Goon Mat indique qu’il va évoluer sur un son plus «actuel», avec des samples. C’est d’ailleurs ce qu’avait réussi à faire Rural Burnside en son temps, il avait réussi à ramener des machines dans son groove d’hypno pur jus et ça marchait. Au fond, chacun sait que la vraie modernité vient de gens comme Fred McDowell et Rural Burnside, comme elle vient de Miles Davis, de Monk et de Coltrane.

    Toute l’A de Take Off Your Clothes est somptueuse. Avec «Get Down With You», ils restent au niveau d’alerte symptomatique, c’est-à-dire éminent et incendiaire, avec une parfaite aisance et un choix d’angle parafait. De cut en cut, l’album devient passionnant. C’est tellement rare qu’il faut le dire quand ça arrive. Ils se livrent à une petite confession bon enfant avec «Conception Of The Blues». The Goon Mat monte ça sur un vieux riff d’Hooky et le chante à l’accent roulant des festifs liégeois - Oh the bluez - On assiste à de jolies montées en température, bien vibrillonnées par ce diable de Benardo. Comme Sisyphe, ils montent leurs bluez jusqu’en haut de la montagne. Heureusement certains cuts sont un peu moins intenses, ce qui permet au lapin blanc de reprendre son souffle dans la lande.

    Sur scène, the Goon Mat relança son grand beat à deux jambes pour embarquer le morceau titre de l’album au paradis. Il sonnait comme un big band de harp blues à lui tout seul, tout en affichant une sorte de calme olympien. Pas de rivière de smokin’ sweat comme chez Beat-Man, tout l’art du Goon Mat reposait sur un contrôle subtil des éléments. Chacun de ses départs de beat n’en finissait plus d’épater, on le voyait tenir le cap du beat droit sur l’horizon et filer les nœuds comme le plus léger des brigantins.

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    D’autres merveilles guettent l’amateur de blues en B, notamment «Dance With Me», bien hypno, un honey dance witte me en hommage à Rural Burnside, d’une justesse de ton imparable. Ces deux mecs ont repris le flambeau, avec une sorte de classe qui en dit long sur leur passion. Avec Cedric Burnside, Left Lane Cruiser, the North Mississippi Allstars et les deux Liégeois, la relève est assurée.

    Signé : Cazengler, the good mite

    The Goon Mat & Lord Benardo. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 31 janvier 2018

    The Goon Mat & Lord Benardo. Take Off Your Clothes. Voodoo Rhythm 2018

    BEHIND THE BLACK DOOR

    A ROCK'N'ROLL SESSION

    VELLOCET

    Le rock'n'roll tel qu'en lui-même. Réduit à l'essentiel. Quatre gars, un groupe : Eric Colère ( chant ), Christian Verrechia ( basse ), Hervé Gusmini ( batterie ), Bruno Labbe ( guitare ). Enregistré et mixé en deux jours à la maison. Pas encore artefacté, seulement disponible sur plate-formes, demandez le lien à emarechal9@yahoo.com. Au final un album splendide. Envoûtant. Une musique qui se colle à vous et dont vous ne pouvez vous défaire. Noire et brillante. Sans effet particulier. Si ce n'est cette éblouissance qu'apporte une formation qui joue ensemble, chacun se fondant dans le son collectivisé. Pas d'esbroufe, mais une présence instrumentale indéniable. J'ai écouté trois fois le ''disque'' rien que pour la frappe goûteuse Gusmini sur ses cymbales, des éclats de soleil noir qui trouent la nuit, et ce travail de basse de Verrechia, une menace sourde omni-présente, à vous faire regarder sous le lit et entre les draps le soir avant de vous coucher. Fleur du mal empoisonnée. Quant à Labbe l'a la guitare ensorcelante, pas véritablement de riffs, une longue phrase d'une flexibilité étonnante, faites gaffe, du genre à vous passer le nœud du coulant autour du coup sans que vous vous en aperceviez. Colère, en anglais et en français. Timbre expressif. Vous fout le coup de tampon nécessaire à l'envol des morceaux. Vol de corbeaux sur les toiles de Gauguin. Indispensable.

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    La haine : un serpent noir glisse sur le plancher, ayez peur, l'est-là pour vous, se love sur vos genoux, vous apporte le plus merveilleux des cadeaux celui qui exclut tous les autres : la mort. Un des titres les plus vénéneux du rock français. Rythmique lourde, guitare ensorcelante, vous emmène jusqu'au bout du tunnel. La voix métaphysique d'Eric pose la question essentielle, celle de la finitude humaine. N'oubliez pas qu'il est des interrogations qui sont des réponses. Musique noire, visqueuse, tâche de cambouis excédentaire, marée noire sur votre âme. Cette lèpre insidieuse rigidifie votre cadavre. Vous n'auriez jamais dû passer le seuil de cette porte. Loosing you : vous croyiez avoir traversé l'épreuve suprême, ce qui vous attend est encore plus inquiétant. Cette guitare vous démantibule morceau par morceau. Délitement. Pire que la mort qui est une totalité, le manque, la perte de l'intégrité essentielle, une batterie aussi lourde et solennelle que le Crépuscule des Dieux à elle toute seule, et ce que je n'avais jamais entendu encore, la voix d'Eric qui grogne s'enroule sur elle-même et vous tient le rôle du solo de guitare, les autres autour comme les flammes de l'enfer qui jouent aux papillotes avec la douleur du corps qui se tord sur le bûcher de la souffrance intérieure. Des caillots de basse comme une procession funéraire, et ces coups de cymbales qui vous tailladent la chair sans rémission. Au nom de Dieu : seule la colère, la rage et la révolte permettent de vivre. Vellocet à fond la caisse. Un trait de feu. L'homme ne sera libre qu'une fois qu'il aura égorgé les dieux. Ouragan revendicataire, tout emporter, tout bazarder, bélier de bronze contre les contraintes carcérales des croyances. Coup de pied dans la fourmilière des idées fausses. Vellocet nettoie votre cerveau. Karcher monstrueux dans vos synapses. Si vous l'avez oublié, Vellocet vous le rappelle : le rock'n'roll est une musique violente. Alerte noire : Zone Dangereuse. Au-delà de cette tornade, vous serez livré à vous-même. Monday morning blues : blues vicieusement vitaminé, ça tangue comme une mer qui furieuse précipite la coquille de noix de votre individualité sur les récifs, pas le temps de réfléchir, le mouvement s'accélère, guitare tranchante, basse de fond, batterie implacable, le vocal d'Eric clame la catastrophe annoncée, l'est comme l'écume blanche qui indique le lieu du naufrage. Bloody Monday. Mona Lisa : une basse qui sonne comme les ondes du désir fou qui court sous la peau des hommes. Une batterie qui hache la chair, la guitare klaxonne pour vous avertir du danger. La beauté tue plus sûrement qu'une balle qui vous traverse la tête. Faut entendre Eric répéter le nom de Mona Lisa, l'on dirait qu'il mâche le chewing gum du rut. Le morceau se termine par un rugissement collectif de fureur. Femme, ultime épreuve. De satiété. Sex and rock'n'roll valent autant qu'amour et poésie. Shotgun House : le combo rebondit comme une balle de squash sur le mur des prisons internes. Sept balles dans votre cœur de cible. Un morceau sans pitié. Deux minutes vingt sept secondes de malheur. Et de foudre. Aurions-nous supporter une seconde de plus ? Sniper définitif. Macho : le reptile du mentir-vrai s'insinue vers elle, Vellocet plus visqueux que jamais, sédition de la séduction, Vellocet déroule des anneaux de promesse de stupre paradisiaque, consentement et contentement sont chacun d'un côté de la barrière des relations humaines, la musique s'alourdit et s'arrondit, elle épouse les courbes de la perfide tentation de la voix du Serpent qui tendit la pomme à Eve. Refus ou acceptation. Inutile de se plaindre après. Laisse-moi : plénitude du rêve et sentiment de déperdition. Homme partagé. Blues et idéal aurait dit Baudelaire. Déchirements intimes. La musique de Vellocet embrase la douceur majestueuse des fleuves qui roulent des flots d'une puissance extraordinaire.

     

    Un chef d'œuvre absolu.

    Damie Chad.

    17 / 02 / 18TOURNAN-EN-BRIE

    LE 101 . FERME DU PLATEAU

    RIP IT UP / Party 3

    THE FOUR ACES / AMHELL & THE CRACK-UPS

    THE ATOMICS

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    Préfère ne pas compter les années depuis que je n'ai pas mis les pieds à la Ferme du Plateau. Ce doit être depuis le Rip It Up. Party 2. Ne suis pas le seul à entendre les exclamations qui fusent «  Ah, oui, je reconnais la salle ! » … L'on retrouve les murs et bien mieux encore des têtes que l'on n'avait pas vues depuis longtemps. Accueil sympathique, coiffeur spécialisé es-bananes, et disc-jockey pour les amateurs de danse. Pas mon cas.

    THE FOUR ACES

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    Les quatre as. Le grand jeu. A tous les coups vous êtes sûrs de remporter la mise. Le rockab, tel que vous en rêvez la nuit. Le jour aussi. Entre chiens et loups, encore plus. La foi, le feu, la foudre. C'est juste du rock'n'roll, combien tristes ceux qui n'aiment pas ça ! Honey Bun pour commencer la partie. The party. Un régal. Faut voir Laurent. Droit dans sa veste. Guitare en travers. Jeu d'épaule à la Cochran et c'est parti pour cueillir les marguerites au vibromasseur. Le jeu du fou, le sourire du renard, la hargne du chacal qui s'acharne sur les vieux os brisés et inusables du rock'n'roll. Numérotez vos abattis, Thierry Gazel est à la basse bourdonnante. L'a fait japper tant qu'elle peut, n'arrêtera pas de tout le set, se pend à vos frasques et ne lâche plus le morceau. Carlos est au drumin'. D'une seule main. Temps, contre-temps et tout le tintouin, fin sourire aux lèvres et maracas mexicaine dans sa dextre. Vous donne la mesure exacte, celle qui vous permet de comprendre le sentiment de démesure que porte en lui le rockabilly. Marco est à la lead et à la chemise tahitienne. Vous plante les banderilles à l'instant fatal. C'est cela le rockab, l'art fugace de l'instant, vous avez dix secondes de célébrité dans un morceau mais c'est amplement suffisant pour sortir vos griffes. Si vous ne le croyez pas, rentrez dans la cage aux tigres du rockab, et revenez nous donner vos impressions.

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    Laurent est à la fête. Vous sort les mimiques et les simagrées du rockab. Un art plus difficile que le trapèze. Un clin d'œil trop appuyé, un sourire trop épanoui, c'est raté. Totalement râpé. Un art du mime qui ne s'apprend pas. Cela s'acquiert d'instinct, même pas besoin de voir une vidéo ou des photos. La musique seule vous dicte les attitudes. Et Laurent excelle en cette pantomime. Faut aussi la voix. Sans laquelle vous passez par la case sortie de route. Un timbre et des intonations. Et puis se laisser guider, savoir saisir cet instant magique où l'on cesse d'être en représentation pour se laisser aller, se laisser porter et emporter par cette graine de folie qui pousse dans l'herbe folle du rockab.

    Laurent et sa gueule de corsaire. Verbe haut qui contient toutes les balafres, toutes les gerçures de la vie, et cette fureur joyeuse de vivre malgré tout envers et contre tout. Les titres défilent, I'm Crazy About You, When You're Gone, Baby Take Me Back, I'm Commin' Home, drames, comédies et tragédies. Les mettre en scène, de la voix, du geste, d'un mouvement brusque du corps, d'un regard ombrageux ou complice, ne s'agit pas de chanter, mais de créer l'émotion foudroyante à partir de lyrics d'une écriture assez simple, d'atteindre à l'universel des situations existentielles archétypales. Le rockab n'a qu'une cible, le cœur.

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    Et ce soir The Four Aces ont été impériaux. Pas un gramme de graisse en trop. Les nerfs et les tendons tendus à l'extrême. Et pourtant c'était leur dernière danse. Leur dernière prestation. La dernière date. Le dernier rencart avec leur public. Le dernier baiser de feu. Et pas une once de tristesse. Pas une once de nostalgie. Pas de pleurs. Pas de trémolos. La joie pure. Only rockabilly.

    Merci, les Four Aces !

    AMHELL & THE CRACK- UPS

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    Pour une fois je commencerai par la fin. Après le set. Deux écoles se font face. Celle qui n'a entendu qu'Amhell Barefoot, celle qui n'a vu que Pascal Hammann. Pour le batteur, David Giudicci, pas de problème, tout le monde est d'accord. Faut le dire. A part deux ou trois initiés, personne ne connaissait le groupe. Je ne compte pas les tricheurs qui sont allés glanés sur le net. Dans ces cas-là on craint le pire. L'on a eu le meilleur. Un groupe qui sort du lot. Pas tout à fait comme les autres. Des franco-suisses. Pas spécialement pur rockab mais pleinement dedans. Les deux mecs sont spécialement énervants. Réglons son cas à David. Indubitablement vient du jazz. L'est assis modestement devant ses caisses. Pas le genre de gars qui voue la joue à l'épate, aucune fanfaronnade, entre deux battements il donne l'impression de s'ennuyer, de n'avoir plus rien à faire, vous aimeriez l'engueuler, lui dire de se mettre au boulot fissa, mais non, l'a fait son job, l'air de rien, l'a même balayé et passé la serpillère. Irréprochable. Et sa manie de glisser ses bras comme des serpents nonchalants qui ne sont pas pressés de se mettre à l'ombre, un coup d'œil vers Pascal, ça c'est pour toi, une œillade vers Amhell, ne t'inquiète pas, pas de retard dans la livraison, voici ton dû. Pour lui, rien, David accompagne, déroule le tapis pour les copains, l'aplatit et arrange les franges au mieux pour les deux autres, c'est son trip, vous voulez un batteur, en voici un, attention je ne suis pas un bateleur. Bosse pour vous, mais pour ma promo personnelle, je fais confiance à la qualité de mes prestations, pub inutile, et il vous sourit et vient vers vous dans son costume impeccable ( même pas élimé aux manches ).

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    ( Photo FB : Amhell & the Crack-ups )

    Au début j'ai zieuté Amhell – rocker et Amhell sont des mots qui vont très bien ensemble – mais au quatrième morceau, m'a forcé à m'occuper de son cas. Avec sa guitare jazzy aussi épaisse qu'un dictionnaire je l'avais un peu snobé, mais au cinquième titre j'ai dû dire amen à Ammann. Le mec irritant. Enervant. C'est simple, il peut tout faire. Tout. L'a les doigts clef à molettes, vous accroche les cordes à l'endroit idoinement exact et leur fait rendre la note parfaite. Celle dont vous avez besoin. Celle-là et pas une autre. N'imaginez pas un quart de ton au-dessus ou au-dessous, ou un accord davantage ceci et un peu moins que cela. Une facilité déconcertante. Le mec qui court un marathon sans une goutte de sueur, sans un grain de poussière, sans un cheveu déplacé. Le gars qui survole son sujet. Pouvez passer commande, du jazz ; en voici du pas naze, du country : celui-ci n'est pas contrit, du blues : vous offre le choix du roi, du rhythm'n'blues : en rythme et de toutes les couleurs, pour le rock : c'est choc, pour le hillbilly : c'est pas riquiqui, pour le rockab, toujours du rab. Quand il a sorti un solo à la Sonny Cedrone, j'ai déclaré forfait, trop c'est trop. Trop fort.

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    M'en suis allé pleurer dans les jupes de maman Amhell. Bien trop jeune pour être ma mère, mais elle m'a consolé. De sa voix. Je vous épargne les distinguos des copains, ceux qui affirmaient qu'elle avait une attaque plus forte que Wanda Jackson et ceux qui reconnaissaient des réminiscences de Janis Martin. D'abord elle se distingue de ces deux reines car si elle chante, c'est en se jouant de sa contrebasse. Big Mama et True Fine Mama côte à côte, la première en justaucorps de bois vernis et la deuxième dans sa robe blanche ornée de grosses clefs de sol, une magnifique rose tatouée sur son mollet, d'autres qui dépassent un peu partout, vous aimeriez bien cueillir le bouquet entier, mais non les rockers ne sont pas des sagouins. Tout le monde écoute sagement un sourire béat sur les lèvres. L'a la voix ronde comme les notes qu'elle tire de son instrument, perles que les deux guys enchâssent d'un tapis de percale. C'est le trio des facilités. Elle chante comme l'oiseau sur la branche, avec une aisance naturelle, qui vous rend malade de jalousie. Rire roucoulant et chant de gorge comme gouttes de pluie ruisselante. Ondée bienfaisante. Âme plutôt édénique qu'infernale !

    Grosse impression sur le public qui acclame et applaudit à tout rompre.

    THE ATOMICS

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    Flegmatiques, tous les trois. Un, deux, trois, c'est parti ! Le rockab dans sa nudité électrique. Renaud à la contrebasse, Pascal à la batterie, Raph au chant et à la guitare. Raph à la guitare. Une démonstration éblouissante. Nous avons déjà eu le premier de la classe. Mais là, l'on change de catégorie, l'on passe dans la hors-classe. Jusqu'au bout du rock'n'roll. Eblouissant. Fulgurant. Seuls sont les indomptés. Un mur de glace vertigineux, à escalader à mains nues. Six cordes et dix doigts. Derrière, ça suit.

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    Renaud, le grand Renaud, taciturne, légèrement voûté sur sa contrebasse, sourira à peine lorsque Raph signalera que tel ou tel morceau ont été composés par lui. Pascal, au fond, en pointe inversée du triangle, attentif, pas une seule fois pris au dépourvu par les raccourcis chromatiques de Raph. Appelez Renaud et Pascal, une section rythmique si vous le désirez, moi me font l'effet de cette digue jetée dans la mer par les soldats d'Alexandre pour parvenir à prendre pied sur les remparts de Tyr. Une espèce de rouleau compresseur monstrueux qui s'avance sur vous pour vous apporter la mort et pire encore, ce sentiment de la défaite annoncée, ce goût d'amertume de savoir que l'ennemi vous est infiniment supérieur. Un serpent de feu dont rien n'arrêtera l'avancée. Si évident qu'il faut parfois leur prêter une oreille plus qu'attentive pour saisir cette pulsation continue qu'ils insufflent sans cesse, un speedground infini, une trajectoire idéale, droit devant, sans arrêt, sans reprise, sans étape.

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    Un Raph survolté. Rien qu'à sa manière d'entonner les premiers vocaux, vous comprenez qu'il est venu pour cracher toute la hargne du rock'n'roll. Et cette guitare. Une folie. Une tuerie. Aucune recherche d'effets, ne gambade pas, ne batifole pas après les belles sonorités avenantes qui vous sourient, pour les égards et les jeux de séduction, ce sera la grande déception. Raph joue de la guitare, il refuse de s'abaisser aux courbettes et aux politesses démonstratives. La ligne droite est le plus court chemin du rock'n'roll. Ce n'est pas qu'il joue vite, c'est qu'il a éliminé toutes les courbes qui vous éloignent du sujet, même si c'est pour mieux y revenir, directly in the fire, au cœur du brasier, au centre de la fournaise, l'a trouvé la formule algébrique qui fait que les cordes parallèles d'une guitare se rencontrent toujours selon les points les plus chauds de l'incendie intérieur qui embrasent votre pulsion de vie. Le rock'n'roll n'est pas une musique. Mais un art de vivre plus intensément.

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    Les Atomics ne font pas de quartier. Combo hot-rod. Tout et tout de suite. Dans la salle l'on passe de la jouissance pure à la sidération. Jusqu'où iront-ils ? Comment s'arrêteront-ils ? L'aiguille est dans le rouge. Nous avons dépassé le stade de l'extase et un brouhaha de folie s'amplifie, l'on n'arrête pas une fusée comme l'on descend d'une bicyclette, le set est terminé, mais c'est une fausse nouvelle, un fake, une intox, ne parlez même pas de rappel, une exigence partagée par le groupe et le public, les Atomics galvanisés continuent sur leur lancée, poursuivent leur chemin jusqu'au bout du rock'n'roll. Une prestation hallucinante. Le genre d'expérience dont on ne sort pas intact. Un de ces moments-limite qui permet de prendre conscience que nous sommes constitués de la même semence de feu que les étoiles et les Dieux.

    Les Atomics ont tout donné. On a tout pris.

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    Damie Chad.

    (Sauf indication contraire : Photos : Sergio Kazh : Rockabilly Generation News )

    L'EXTRAORDINAIRE AVENTURE

    ( featuring the Jallies )

    Parfois l'Histoire de l'Humanité se précipite. En quelques heures la science effectue de considérables sauts épistémologiques. Au moment où l'on s'y attend le moins. D'improbables conjonctions aléatoires d'évènements sans relations causales produisent dans les cerveaux des plus grands chercheurs des déclics de compréhension foudroyants qui révolutionnent le monde et hâtent la marche du progrès.

    L'on ne voyait que lui. Un géant. Deux mètres quarante. Cent quatre-vingt kilos. Avec sa tignasse rousse il attirait tous les regards. N'empêche qu'il ne la ramenait pas. L'avait un escadron de quinze flics, pistolets aux poings qui le talonnaient. Plus une quarantaine d'autres qui l'attendaient au bout du trottoir. L'était pris au piège. La souricière se refermait sur lui. Vous connaissez les rockers, toujours prêts à aider la veuve et l'orphelin. Je passais par hasard au volant de la teuf-teuf, j'ai pilé, monte ai-je crié, pas eu besoin de le répéter, s'est engouffré par la porte arrière, et j'ai foncé comme un malade sur le macadam.

    Ogeid a passé deux jours chez moi. Le temps que ses acolytes de la Mafia russe viennent le récupérer. Un mec très sympa. A part qu'il a sifflé en quelques heures ma provision annuelle de Jack. M'a serré sur son cœur lorsque l'on s'est quittés. «  Toi Damie sauver moi. Ogeid oublie jamais ami. Envoyer de Russie, cadeau qui te fera grand plaisir ! ».

    Les mois ont passé. Je n'y pensais plus lorsque voici huit jours le facteur sonne à la porte. Monsieur Damie, un colis pour vous, je récupèrerais avec plaisir les timbres pour la collection de ma petite-fille, ceux qui arrivent de Russie sont rares. Les lui ai refilés et j'ai ouvert le paquet. Douze bouteille de vodka, avec un papier scotché dessus : De la bonne ! Un stick de sucre en poudre marqué de l'inscription QUVIR ! en grosses lettres majuscules tracées d'une main énergique au feutre rouge, et un tube de mayonnaise que j'ai séance tenante enfourné dans le frigo, sans prêter attention à la feuille de papier dont il était entouré. Et ma vie a suivi son cours.

     

    C'est que j'avais mieux à faire. Mon cerveau roulait de vastes pensées. J'avais beau relire le tome 38 de L'Encyclopédie de la Reproduction Naturelle du Lézard, et le Frankeinstein de Mary Shelley, je savais que je brûlais, mais il me manquait encore l'intuition fulgurante qui permet d'unifier les données du savoir théorique avec l'expérience conclusive de la preuve indubitable. Des nuits et des nuits de travail, ardu, fastidieux, passionnant... Il devait être six heures du soir lorsque le téléphone sonna.

     

    • Allo Damie, c'est moi Giroflée, tu as oublié la date !

    • Pas du tout, Giroflette, vendredi seize février 2018, ce soir concert des JALLIES, au Younell's Pub à MONTEREAU !

    • Pas celle d'aujourd'hui ! Celle d'avant hier ! Le 14 ! La Saint Valentin, j'attendais un bouquet de fleurs et une invitation au restaurant, mais non rien, alors ce soir j'ai décidé de forcer le destin, dans une demi-heure, je suis chez toi décidé à t'offrir le plus merveilleux des cadeaux.

    • Excuse-moi, Giroflette, mais je travaille, j'en ai encore pour deux heures et après je file au concert, auquel d'ailleurs, je te le rappelle, je ne t'ai pas invitée.

    • Damie, tu n'as pas besoin de t'excuser, je t'aime et ce soir notre amour va se concrétiser d'une manière exceptionnelle ! J'arrive, prépare-nous un festin d'amoureux !

     

    La porte s'est ouverte, et Giroflée est entrée. Une petite moue de dépit est apparue sur son visage quand elle a aperçu le paquet de chips entamé et les deux saucisses de Strasbourg dans l'assiette pas très propre. C'est tout Damie semblait-elle dire. Ah ! oui ai-je pensé, le tube de mayonnaise russe. Me l'a arraché des mains, l'a examiné scrupuleusement, déchiffré longuement la feuille de papier qui l'enveloppait et alors que je m'attendais à une bordée d'insultes, m'a adressé un sourire radieux, m'a vivement posé deux bises sur les joues et s'est exclamée :

     

      • Damie tu es un véritable gentleman, je passe dans la salle de bain, je reviens dans dix minutes...

     

    J'ai récupéré le papelard dactylographié qu'elle avait abandonné sur la table et j'ai lu.

     

    '' Le lézard de Sibérie résiste à des conditions extrêmes, se promène en toute quiétude sur les lacs gelés par moins de soixante degrés centigrades. C'est l'animal le plus résistant de la planète. Les populations autochtones n'ont pas manqué depuis des siècles d'admirer l'extraordinaire vitalité de ce saurien d'une si belle couleur verte. Le soir de leur mariage, les jeunes filles ont coutume de s'enduire le corps d'une crème de sperme de Lézardus Septentrionus, l'on dit que cette onction irise leur peau de reflets verts qui s'accorde à merveille avec leur blonde chevelure. Mais cette crème lézardienne décuple aussi leur vigueur sexuelle et les rend irrésistibles. Jamais l'amant qui aura connu un tel bonheur ne sera infidèle à sa bien-aimée, assure la légende.

    Pour une Saint Valentine réussie

    Rien ne vaut le lézard de Sibérie !

     

    Se conserve au frigidaire. Ne pas dépasser la dose prescrite. Mise en tube par la société Lezardov. Yakoust. Made in République de Sakha''

     

    Logiquement, devrait s'ensuivre une graveleuse partie de jambes en l'air. Je préviens le lecteur. Un incident apparemment insignifiant modifia la prévisibilité du futur, la petite culotte que Giroflée lança par la porte entrouverte de la salle de bain traversa la pièce pour retomber à mes pieds. Sur le moment je n'y fis pas cas, j'entendais Giroflée chantonner, je ne m'y attendais pas, mais en toute modestie je dois le reconnaître, ce linge intime déposé sur le carrelage devant mes innocentes santiags occasionna en moi le même effet que la pomme qui se détacha de l'arbre sur le cerveau de Newton... Comment n'y avais-je pas pensé plus tôt, je possédais tous les éléments pour faire faire à la science moderne un grand pas en avant ! Une véritable révolution copernicienne, digne d'Einstein. Fallait jouer serré. L'occasion ne se représenterait peut-être pas de sitôt.

     

      • Chérie, prends ton temps, je te prépare un petit cocktail, pour que tu sois en pleine forme.

      • Comme c'est gentil Damie, passe-le-moi par la porte, mais ne regarde pas, je veux te faire une surprise.

      • Promis chérie, je ne suis pas un poète voyeur comme Arthur Rimbaud, moi.

      • Hmmm ! C'est bon, mais c'est fort, accorde-moi deux minutes que je le sirote, c'est ultra sucré, c'est savoureux, c'est quoi ?

      • De la vodka avec du quvir !

      • Je ne sais pas ce que c'est, mais c'est délicieux !

      • Ah oui, ils ne le disent pas sur la notice, mais si tu introduis de la mayonnaise dans ton vagin, c'est un parfait lubrifiant.

      • Mon intuition féminine y a déjà pensé, ne t'inquiète pas,

     

    Ogeid m'avait expliqué la nature du quvir. Mis au point dans les laboratoires secrets de l'armée russe. Un APP, un simple accélérateur de particules physiologiques, aux propriétés énergétiques sans précédent. La mafia le revend sous le nom de Drogue des Ecoliers. Donnez-en à un gamin de dix ans qui a du mal à apprendre sa table de multiplication par trois, en quelques minutes il devient capable de faire un cours de science quantique à des étudiants en master 2. Ogeid m'avait prévenu, c'est du quvir pur que je t'enverrai, pour les gamins on y va mollo, on divise la prise par mille, édulcoration totale qui permet de réussir son interro écrite de math sans ouvrir son bouquin à la maison, mais pour toi cadeau, non coupé. AGPPP, Accélérateur Gigantesque de Particules Physiologiques Pur !

     

    Une tornade m'a subitement submergé, le corps nu de Giroflée s'est collée à moi, je l'entendais gémir Damie, Oh Damie, ses lèvres me dévoraient le visage mais toute mon attention se focalisa sur son ventre qui me semblait se gonfler d'une proéminence excessive, j'y posais la main, foutredieu, elle était enceinte, dans sa démence sensuelle elle ne s'en apercevait pas jusqu'au moment où elle porta ses doigts au bas de son sexe , oh ! J'ai mal, et quelque chose de la taille d'un bébé humain tomba sur le plancher. Elle le ramassa vivement,

     

      • Oh Damie, c'est super, l'on a déjà un beau bébé !

     

    Beau peut-être mais d'une couleur un tantinet verdâtre. D'une apparence un peu bizarre, moitié-homme, moitié-lézard. Se mit à vagir d'une façon désagréable,

     

      • Regarde, le pauvre il a faim, il veut téter, et elle lui tendit son sein.

     

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    Ogeid n'avait pas menti, un terrible accélérateur physiologique. Le bébé glouton assécha les deux mamelles en deux minutes, il me semblait avoir grandi, sauta des bras de sa génitrice, engouffra les deux saucisses de Strasbourg et se mit à ronger la table ! Mesurait déjà deux mètres, il pleurait et hurlait en renversant les meubles, commençait à nous regarder d'un œil vorace, et sa langue n'arrêtait pas d'entrer et de sortir de sa gueule dévoilant une énorme denture de caïman. Je saisis Girofllée par la main et nous dévalâmes l'escalier en courant. Girofllée regimba quelque peu, mais Damie, je suis toute nue ! Nous parvînmes à monter dans la teuf-teuf et à nous enfuir. La bestiole nous courut après. De temps à temps elle remontait à notre hauteur et tambourinait de ses bras sur le toit de la voiture. J'accélérais comme un fou... L'aiguille frôlait les deux cents kilomètres-heure et le monstre suivait sans faiblir.

     

      • Plus vite Damie, il mesure au moins cinq mètres de haut maintenant ! Il y a des clignotants jaunes et bleus derrière lui !

      • Sans doute la police et les pompiers, accroche-toi on entre dans Montereau, ça va tanguer !

     

    La teuf-teuf déboula sur la place du Marché Au Blé, à peine étais-je passé qu'un cordon de tireurs d'élite de la police nationale occupa la chaussée et commença à tirer. Droit au cœur, la bête s'arrêta, elle resta debout un long, très long moment, immobile... J'avais garé la teuf-teuf, nous nous sommes approchés, le monstre qui mesurait maintenant près de huit mètres, vacilla, des larmes coulaient de ses yeux. Plus tard plusieurs témoins affirmèrent qu'ils l'avaient entendu distinctement crier Maman en tendant les bras vers Giroflée. Il y eut une seconde rafale, et l'animal s'effondra inanimé sur le goudron. Une scène très émouvante se produisit, la télé n'en perdit pas une miette et diffusa les images en direct. Je tenais Giroflée par la main, mais brusquement elle fendit la foule et se jeta sur le cadavre de la bête en hurlant : Mon Bébé ! Mon Bébé ! Un cri si déchirant que la France entière en fut émue. Un policier compatissant, jeta une couverture sur sa nudité, et deux infirmiers l'entraînèrent vers une ambulance. Au micro de BFM, un expert-psychiatre expliquait : Nous la conduisons à l'asile, un choc terrible, la peur, la panique, un trauma exceptionnel, je peux déjà dire qu'elle y restera toute sa vie.

     

    Peuh ! Pas de quoi faire rater un concert des Jallies à un rocker, et d'un pas décidé je pénétrai dans le Younell's Pub.

    MONTEREAU / 16 – 02 – 2018

    YOUNELL'S PUB

    THE JALLIES

    Beau bar. Ceci n'est pas un bobard. Comptoir tout au fond, espace Dj dans un coin, bel espace scénique carré pour les groupes, visible de tout le monde, un assemblage hétéroclite et néanmoins harmonieux de sièges et de tables de toutes formes et de toutes dimensions, jusqu'à une grosse barrique, malgré poufs et fauteuils le patron est obligé de sortir les chaises de sa réserve pour juguler l'afflux des clients. Connaissances, bises et exclamations de tous côtés, les Jallies grignotent placidement une pizza, interrompus à chaque bouchée par de nouveaux arrivants qui viennent les saluer... Sont ici dans leur fief.

    JALLIES

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    Sont toutes belles, les tourterelles juchées sur leurs talons hauts, jacassent comme des pies voleuses – ce sont nos âmes qu'elles vont ravir – verres de rouge à leurs pieds, les boys frôlent d'un doigt patient leurs cordages, attendant que les oiselles soient prêtes. Et c'est l'envol subit, sans préavis. Phénix au zénith. Sont-ce là nos Jallies habituelles ? Pas possible, on nous les a changées ! Même caisse claire, même acoustique, même tambourin, même contrebasse, même guitare électrique, mêmes gosiers, mais un son nouveau. A n'y rien comprendre. Z'ont bouleversé l'ordre du répertoire, mais c'est une fausse incidence, faut entendre cette ampleur sonore, qui vous fond dessus telles des bolas de gauchos argentins qui s'enroulent autour des pattes des autruches et vous les renversent à terre sans rémission. Sûr que derrière, les oisons ne sont pas oisifs. Kross sort le grand jeu, virevolte sa grande big mama dans tous les sens, la tourne à toute vitesse sur elle-même, z'avez l'impression de la robe de soirée de la Grande-Duchesse qui tournoyait enivrée de valse folle au grand bal de l'Empereur d'Autriche, mais ce n'est rien, parfois il vous la bloque sec, la ploie en arrière comme une danseuse de tango, l'est penché sur elle, le visage à hauteur du sexe fendu des ouïes et là vous entendez ce vous n'avez jamais ouï dans un groupe de rockabilly, le slap. L'a éliminé toute rondeur, toute vibration, toute harmonique, ne reste que le bruit de la corde raide tendue comme le corps d'un pendu qui rebondit sur la hampe. Un cliquettement phénoménal, un tic-a-tac monstrueux, deux morceaux de bois cognés l'un contre l'autre, la musique réduite au bruit primordial originel, les écailles de deux varans qui s'entremêlent dans la tempête cadencée de l'accouplement, Kross acclamé à chacune de ses interventions. Tom n'a jamais été en reste pour faire vrombir sa six-cordes, une Gitane Testi, vous la pilote à la texane, agrémentée d'une quadruple rangée de mégaphones, à réveiller les morts dans les cimetières, les soirs de pleine lune, mais cela c'est de l'histoire ancienne, l'a remplacée par la machinerie d'un trépan à cônes de quinze tonnes qui s'attaque à de la roche dure. Un bruit d'enfer, une espèce d'obus sonore qui a décidé de pulvériser le magma terrestre afin d'éclater le noyau solide interne et faire exploser la planète, une bonne fois pour toute. Deux galopins qui ont décidé de jouer du tambour jusqu'à quatre heures du matin pour le plaisir d'embêter les voisines du dessus.

    Si vous croyez que ça les dérange... au contraire, nos trois hirondelles ont décidé de caqueter bien plus fort que ces deux coqs de basse-cour de bas étage. Sûr que leur ramage se rapporte à la beauté de leur plumage, elles passent au-dessus de ce brouhaha garçonniers avec le mépris souverain du condor qui d'un seul coup d'aile franchit les neigeux entassements escarpés des Andes, Céline, Vanessa, Leslie, le chœur ensorceleur des anges de l'enfer que Satan nous a envoyés exprès pour nous perdre définitivement. Sans rémission. Pas le temps de respirer. Plus vite et plus fort. Elles ont rockabyllisé leur morceaux à dominante swing et métamorphosé leurs rocks en blessures outrancières, plaies purulentes de plaisir, et hémorragie magiques d'extases, n'ont qu'à ouvrir la bouche pour qu'il vous semble boire l'eau moultement tumultueuse de la fontaine de Barenton. Leslie, sourire canaille et voix de rêve évasif nous envoûte avec son Funnel of Love – et ce vicieux de Tom qui vous prolonge les notes en dards monstrueux d'abeilles qui s'enfoncent sans fin dans les parties les plus secrètes de votre corps – Vanessa met tant d'allant sur la caisse claire qu'elle sème à tous vents les soies de son balai de sorcière, éclate de rire comme Scarbo, le gnome diabolique des poèmes d'Alosyus Bertrand, répandait les louis d'or sur les badauds éblouis, alors pour se venger elle nous éparpille tout azimut un petit Gene Vincent de derrière les fagots en feu. Vous ici, je vous croyais au kazoo psalmodie Céline, et c'est parti pour un Touka au bazooka à ensorceler les toucans dans les volières de la ménagerie du Diable.

    Souvent, elles mêlent leur voix, à deux, à trois, – même que Kross leur prête une ou deux fois son plein-chant funèbre pour les vocalises d'appui et de répulsion – et c'est parti pour des feux d'artifices d'éclaboussures de swing et des copeaux de rock. La salle trépigne, s'hippopotamise d'applaudissements et rhinocérise de joie. C'est la grande exultation. L'énorme tribulation du vendredi soir.

    Hélas, deux sets. Les édiles municipaux ont décidé qu'après minuit-dix le carrosse de nos trois cendrillons se transformait en citrouille silencieuse. Féérie pour une autre fois. Disait Céline.

    Damie Chad.

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    Quand je suis ressorti, il était près de minuit, et des camions-grues se hâtaient d'enlever au plus vite le bébé mort-né de Giroflée. Je ne lui ai même pas jeté un regard. J'avais mieux à faire. J'avais enfin réussi à créer un hybride mi-humain, mi-lézard, je connaissais le processus et étais prêt à le dupliquer de façon industrielle. J'étais le maître du monde. Bientôt avec mes légions d'hommes-lézards je dominerai la planète entière. Peut-être même à leur tête envahirais-je les étoiles lointaines...

    Moi Damie Chad, Empereur Suprême.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 232 : KR'TNT ! 352 : PAUL MAJOR / THE BOOZE BOMBS / JALLIES / COLLECTORS / ROSIE LEDET / ASSOIFFES D'AZUR

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 352

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    14 / 12 / 2017

    PAUL MAJOR ( + FRIENDS ) / THE BOOZE BOMBS

    / JALLIES /COLLECTORS /

    ROSIE LEDET / ASSOIFFES D'AZUR

     

    On ne tient pas les Endless Boogie en laisse

    ( Part Two )

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    Vient de paraître Feel The Music - The Psychedelic Worlds Of Paul Major, un très beau livre consacré à Paul Major, l’un des héros de l’underground, connu des vinyl junkies du monde entier et entré depuis quelques années dans le rond du projecteur avec Endless Boogie. Comme par hasard, c’est Johan Kugelberg qui édite ce bel ouvrage, en même temps que God Save Sex Pistols et Total Chaos. Pas mal, non ?

    Uncut consacrait une petite page à l’événement. On y voit Paul Major fouiner dans un bac et déclarer : «Je dirais que j’ai consacré 90% de ma vie à écouter de l’obscure weirdness.» Il collectionne les disques depuis l’âge de 12 ans. Comme il est né en 1954, faites vous-même le compte. Il se décrit comme un «fanatical vacuum cleaner», il ramasse tous les disques les plus obscurs : «A homemade album of Jackson 5 covers by a bunch of 15 years-olds from Arkansas, or a backwoods Billy Joel wannabe who gets it wonderfully wrong...» (Un album de reprises du Jackson 5 enregistré à la maison par des morpions de 15 ans quelque part en Arkansas, ou un mec sorti des bois qui se prend pour Billy Joel et qui chante délicieusement faux) - Ce cirque dure depuis quarante ans. Il démarre sa carrière à Louisville, Kentucky, fasciné par les disques qu’il déniche dans les bacs à soldes. Paul Major finit par faire un métier de son obsession et à en vivre, créant autour de lui un réseau d’amateurs d’obscurités patentées. On trouve parmi les membres de ce réseau des gens comme Jello Biafra et Stephen Malkmus. Mais depuis l’arrivée des ventes en ligne et de Discogs, Paul Major avoue s’être recentré sur Endless Boogie.

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    Il raconte dans la préface du livre que son premier coup de cœur fut «Psychotic Reaction», qu’il entend à la radio. Il se goinfre de disques obscurs et psychédéliques, puis il découvre la guitare - Once I heard fuzz guitars, I had to have one - À Noël 67, il y avait une petite guitare avec des cordes en nylon au pied du sapin - More a toy than a Telecaster, but I was thrilled - Il commence par la colorier pour en faire une guitare psychédélique, puis il apprend à jouer les riffs de ses morceaux préférés dessus - But I needed fuzz - Il veut une vraie guitare et sa grand-mère lui promet d’en acheter une s’il se fait couper les cheveux - I went for it. Hair grows back, oui, ça repousse. Il se met à acheter des disques d’occase - Bought every far out record I could - Velvet Underground, Silver Apples, Morgen pour 44 cents, still sealed ! What a rush ! Il a 16 ans quand il découvre l’herbe et l’acide à l’high school. Quand il va dans des surboums, il emmène le Velvet, le MC5 et Morgen, mais ça ne plait pas aux autres. Il découvre l’amour physique avec Beard Of Stars et Loaded en fond sonore. Mais il continue d’écouter la radio - Jimi Hendrix one minute, Petula Clark the next. Frank Sinatra followed by the Doors. I loved a good song, no matter what style - Puis dans le chapitre final, il rappelle que son taste was born of grabbing major label failures (il a développé son goût de l’obscur en ramassant les disques qui ne se vendaient pas) since they were plentiful - Et plus le disque semblait éloigné des critères commerciaux, plus il paraissait attirant - Like a glimpse into a lost world - il s’imaginait découvrir un monde perdu. Il se demandait qui étaient les gens derrière ces mystérieux albums. Fantastique profession de foi ! Voilà ce qu’il faut appeler un esprit curieux.

    Et puis des amis témoignent. Paul ceci, Paul cela. Ils s’accordent tous à dire que Paul est un gentil mec, mais surtout un novateur. Le Suédois Stefan Kéris déclare ceci : «Je considère que la prose de Paul dans ses catalogues est du même niveau que celle de Billy Miller et de Miriam Linna dans Kicks.» Car pour vendre ses disques rares et inconnus, Paul écrit des textes qui tournent parfois au délire psychédélique, et c’est là que ça devient très intéressant - Paul opend doors to other forms of music (...) : private-psych, Real people, Exotica, third eye lounge - Il semblerait que le vrai moteur de Paul Major soit la fascination qu’exercent sur lui tous ces disques.

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    Et paf, on entre dans le vif du sujet, c’est-à-dire les classiques du Real People Sound, avec Attic Demonstration de Kenneth Higney - There’s a guy who was trying to make country demos and become famous and it went wrong in the best possible way where it became deep art - Puis il fait l’apologie de Peter Grudzien et de son album The Unicorn - Of all the records I discovered it’s maybe my favorite - Paul Major ne se contente pas de dénicher les disques dans les junk-shops new-yorkais, il mène l’enquête pour retrouver les gens et s’organise pour les rencontrer. Il tente même de faire un film avec Peter Grundzien. On voit les images dans le livre. Puis c’est l’apologie de Fraction, l’un des albums les plus rares au monde, récemment réédité. On voit aussi Paul se prosterner devant Jr And His Soulettes, un petit guitariste black de 11 ans, accompagné de ses sœurs encore plus petites. Paul indique que «Raven Mad Jam» (qui se trouve sur l’album de Raven) is one of the best white trash hard rock jammers ever. Puis il présente Ray Harlowe And The Gyp Fox, l’un de ses albums préférés - I listened to it and I went crazy - Et quand il évoque les bitures du Masked Avenger, ça tourne à l’hilarité. The Masked Avenger est sur le point de dégueuler et ses copains scandent «Come on Masked, in the bucket, in the bucket» - Et Masked dégueule dans le seau. Le disque se termine avec le bruit du dégueulis. Fantastique commentaire du grand Paul Major : «I like a poet who doesn’t take him too seriously» - Puis voilà Darius - One of my favorite blow-dried hair psychedelic dudes - Il évoque aussi Clap dont l’album Have You Reached Yet a été réédité récemment sur le label new-yorkais Sing Sing - This is the greatest garage rock record ever in my estimation - Et il ajoute : «The title track is one of the best songs I’ve ever heard by anybody» - Il salue aussi Saint Anthony’s Fyre - Just the exact thing you wanna hear if you’re into the first Blue Cheer and wanna jack the vibe - Il trouve aussi l’album de Dark à Londres, il demande au vendeur de le passer et le mec lui dit : You really like this shit ? - Et puis tiens voilà Morgen, comme par hasard - One of the greatest psychedelic hard rock records ever made - Et Josefus, good renegade outlaw Texas hard rock on Hookah Records - Et quand gosse, Paul le sort d’un bac, il s’exclame : «This is future for me !» - Lorsqu’un disque lui paraît trop sérieux au plan psychédélique, Paul dit qu’il lui manque l’essentiel, les brains - I don’t smell real brains behind it. Or enough of a lack of brains - Il adore tout ce qui est vraiment amputé du cerveau. Il salue aussi Randy Holden et le fameux Population II - A heavy guitar monster, still devastating today - Et bien sûr les mighty Moving Sidewalks - Always a classic - Mais il sait aussi descendre un album, par exemple Would You Believe, l’album culte de Billy Nichols - It just doesn’t move me.

    Alors bien sûr, quand Jesper Eklow raconte l’histoire d’Endless Boogie, tout s’éclaire. Jesper explique tout simplement qu’Endless Boogie monte sur scène sans set-lit. Ça va même plus loin : ils vont enregistrer en studio sans savoir ce qu’ils vont jouer. Rien n’est préparé - We hate sound checks - Ils ne répètent pratiquement plus - Just plug in and start hacking at it - Et il ajoute que Paul monte sur le groove pour délirer - With Paul going insane on top - Il ajoute : «And the boogie never stops. It should be stopped but it can’t.»

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    Glenn Terry finit par livrer le pot aux roses : les deux initiateurs du concept Endless Boogie sont Jesper Eklow et Johan Kugelberg. Le nom du groupe vient de l’album de John Lee Hooker, évidemment. Glenn explique que Johan et Jesper, nourris par Paul de musiques diverses et variées, eurent l’idée de développer un in-the-moment style of improvisational jamming held together by a solid groove - Ils jouaient chaque mardi soir. Endless Boogie joua la première fois sur scène en première partie des Jicks de Stephen Malkmus (un bon client de Paul) et prit lentement son envol, attirant un public de gens à la fois curieux et très informés. Il y eut un buzz dans la presse et des tournées dans le monde entier. Glenn vous prévient : une fois pris dans leur groove, Endless Boogie will take you on a trip like no other. C’est exactement ce qui se passe quand on les voit sur scène, a trip like no other.

    Et voilà la chute qui vaut son pesant d’or : «Paul ‘Top Dollar’ Major is living proof that you can be a fan, collector and musician, maintaining the ability to come up with new ideas, by sticking to a path determined by a sense of fun and personal exploration.»

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    En même temps que le livre, paraît Vibe Killer, le nouvel album d’Endless Boogie, illustré par une belle éclipse. Attention, c’est du sans surprise. On retrouve dès le morceau titre le gros heavy blues texan d’essence zizique, un son infesté de serpents. Sale coin, pas bien confortable - Desperation, alteration - Paul y va de mauvaise grâce - Darkness, extinction - et ça part en note à note de Majoration effective. La grande force de ce vieux routier est qu’il ne cherchera jamais à réinventer la poudre. Il ressort sa plus belle voix de cromagnon dans «Let It Be Unknown», pour grommeler Gimme a nickel and I’ll show you down records - C’est joué à la petite menace rampante - I wonder when you arrrrhhhhh - Sur cet album, tout se joue sous le boisseau avec des départs mécaniques en note à note de distorse judicieusement maximaliste. C’est indécent de beauté coulante et puante. Paul Major joue son son à la régalade. Le festival de poursuit en B avec «Bishops At Large». Le problème avec ce vétéran de toutes les guerres est qu’on entre dans sa musique comme dans un moulin et forcément, on se met à penser à autre chose. Et on perd le fil. Donc tout va bien, puisque son son sert à ça : perdre le fil. Avec «Back In 74», il évoque un concert de Kiss - Kiss are on stage at the festival/ 20.000 people here/ I wanted to see Kiss - Il y a quelque chose qui relève de l’obsession chez les collectionneurs de disques. Il boucle cet album fumant et prévisible avec «Jefferson Country», un heavy groove dégoulinant de son et de mauvaises intentions. Il semble même que des accords intermédiaires rampent dans le cloaque.

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    Mais pour bien comprendre qui est Paul Major, le mieux est encore d’écouter les disques qu’il recommande si chaudement, à commencer par l’ineffable Morgen paru en 1969 et considéré à juste titre comme l’un des classiques du psychout américain. Steve Morgen nous embarque dès «Welcome To The Void» dans son monde - Ha ha ha ! - avec un son reconnaissable entre tous, vaguement frénétique, intrinsèquement psyché, sans aucune surenchère. On aimerait que ce soit la bande son du Cri de Munch qui orne la pochette, mais curieusement, il manque le scream. Steve Morgen joue ses cuts au vieux gras liquide. C’est un véritable filet de glisse fuzzy qui s’écoule sous nos yeux et qui file comme une vipère lubrique, mais en sourdine. On parle ici de fantastique présence dyonisienne. En B, on retrouve dans «Purple» cette rythmique en surplomb et le filet de fuzz plus bas dans la vallée. Steve Morgen surveille l’horizon d’un regard d’aigle, mais les délires psychédéliques l’assaillent de toutes parts. Son groove entreprenant ne peut que plaire au petit peuple.

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    On pourrait en dire autant de Fraction dont l’album Moon Blood est ressorti des limbes en 2009. Ces gros Américains y proposent du Christian rock visité par une petite guitare grassouillette. Ils sortent un son assez puissant, force est de le reconnaître. On comprend qu’un tel son ait pu percuter l’oreille de Paul Major. L’«Eyes Of The Hurricane» vaut largement le premier King Crimson, c’est gloomy à souhait - Flames consume the hot blood of Babylon - C’est annonciateur de la substantiation. Mais ils savent aussi prendre leur temps. Encore un disque destiné aux gens qui n’ont que ça à faire. Ils amènent «This Bird» au heavy boogie et nous farcissent tout ça d’intermittences et de petits effets de style psychédéliques. Idéal pour fumer de l’herbe. Le cut part au large, à la drive. Ça se rallume de temps en temps - Then he died for your love - Un semblant de thème ici et là. Ils suivent une sorte de Gulf Stream qui va se perdre dans la notion de Lord - Sky high/ Sure I found the Lord - Nous avons affaire ici à des psychedelic mystics et ça finit même par devenir excellent, car ces gens-là comprennent que pour avancer dans la vie, il faut savoir donner du temps au temps.

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    L’Have You Reached Yet de Clap bénéficie aussi d’une réédition, ce qui permet au profane d’en profiter (sauf si on veut un pressage original, mais dans ce cas, il faut sortir un billet de mille). Ces Californiens sortent une sorte de garage trash joliment approximatif et sans prétention. Ils dégagent une troublante ingénuité. «My Imagination» sent bon la Stonesy, c’est assez fais et bien enlevé. Ils couronnent ça d’un solo de sax ! Une grosse bassline dévore «Middle Of The Road» de l’intérieur et comme dirait Phast Phreddie qui signe les liner notes, c’est cool as fuck. On comprend qu’un tel album ait pu devenir culte. Mais ce n’est pas non plus une raison pour dépenser une fortune. On sent chez ces prétendants au trône une réelle vigueur, et même une extraordinaire santé morale. Tiens, encore un joli coco en B, «Bluff Em All», monté sur un beat popotin et qui s’impose par sa fraîcheur juvénile. La basse chuinte. On a là le garage dans toute son innocence, dans toute son ostentation auto-centrique.

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    z2921zonk.jpgL’album de Saint Anthony’s Fyre paru en 1970 intrigue, d’abord par la pochette : de grosses lettres gothiques s’étalent sur un fond blanc. Et puis on s’y régale d’un son parfois hendrixien («Love Over You»). Ces trois Américains tirent leur nom de groupe du fameux fait divers de Pont Saint-Esprit : un village entier fut accidentellement shooté au LSD par le boulanger. Ça se passait en 1951. Des centaines de gens. Admirable ! Saint Anthony’s Fyre devait signer sur Atlantic, mais le chanteur guitariste Greg Ohm préféra rester loyal à son manager, et le groupe sombra dans l’oubli. Inconsolable, Greg se mit à picoler, mais pour de vrai, à en mourir - He drank himself to death - On entend une énorme bassline dans «Starlight». Et le «Lone Soul Road» qui ouvre le bal de la B vaut pour un heavy rock d’anticipation maximaliste. Ces gens cultivaient un goût sûr pour le heavy rock et excellaient à gérer les épisodes congestionnés. Il bouillonnait en eux une véritable énergie viscérale. Paul Major a bien raison d’affirmer que dans le genre, Saint Anthony’s Fyre compte parmi les plus intéressants.

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    Le Flash des Moving Sidewalks paru en 1968 vieillit plutôt bien. Billy Gibbons y révélait une vraie fascination pour Jimi Hendrix : il pompait les riff de «Fire» pour jouer «Pluto» et chantait exactement comme Hendrix. On retrouvait aussi des traces d’Hendrixité en B dans «Crimson Witch». Comme beaucoup de gens, il avait dû flasher comme des airplane lights sur l’Experience. Avec «Jo Blues», il posait les bases du Zizi sound. On a là le heavy blues texan dans toute sa grandeur, l’un des plus grassouillets du mondo bizarro. Et bien sûr, le «Flashback» qui fait l’ouverture du bal de l’A renvoie au 13th Floor. Pur psyché texan, solide et infectueux comme pas deux. On comprend que Paul Major ait pu adorer ça. Billy jouait quasiment tout au gras double.

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    Par contre, le Round The Edges de Dark et le Dead Man de Josefus vieillissent très mal. Josefus proposait en 1970 un prototype de heavy rock qui manquait tragiquement d’originalité. La version de «Gimme Shelter» qui s’y niche ne fonctionne pas. Josefus sonne comme tous ces groupes américains animés des meilleures intentions, mais privés de réels moyens artistiques. On trouve en B le genre de cut qui ruinait les albums dans les seventies : un «Dead Man» de 17 minutes. Quant à Dark, c’est encore autre chose. On passe carrément à travers. Ces mecs sortent un son qui ressemble à s’y méprendre à celui que produirait une libellule intriguée. Les Anglais vendaient ça une bouchée de pain, à l’époque. Personne n’en voulait. Et pour cause.

    Signé : Cazengler, endless rabougri

    Endless Boogie. Vibe Killer. No Quarter 2017

    Fraction. Moon Blood. Phoenix Records 2009

    Saint Anthony’s Fyre. Zonk Records 1970

    Dark. Round The Edges. Sis 1972

    Morgen. Morgen. Probe 1969

    Josefus. Dead Man. Hookah Records 1970

    Moving Sidewalks. Flash. Tantara 1968

    Clap. Have You Reached Yet. Sing Sing Records 2011

    Feel The Music. The Psychedelic Worlds Of Paul Major. Édité par Johan Kugelberg. Anthology Editions 2017

    TROYES / 10 – 12 – 2017

    3 B

    THE BOOZE BOMBS

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    BAR BEATRICE BERLOT

    Annie Leopardo a du mal à prononcer la lettre B. ''Trois'' sans problème, mais notre ''B'' national la trouble. L'on accourt à son secours, le 3 B bruisse de ''B'' que chacun se complaît à répéter à sa manière. '' B !'', ''B !'', ''B !'', sans bémol, l'on en bégaie, l'on en brait, l'on en bêle... elle y parvient et tout de suite elle nous donne en anglais une définition, des plus justes, du 3 B :  '' It's the house of rock'n'roll''. Difficile de faire plus juste. N'oublions pas que l'antique phonème proto-sinaïque Beth signifie maison, et pour le rock'n'roll, nul doute que le 3 B peut se revendiquer d'un beau palmarès. D'ailleurs ce soir, question B, l'on est gâté, deux B au programme, les Booze Bombs. Atomiques !

    CONCERT

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    Un carré. D'as. Une sphère parmédinienne qui contient la totalité de sa propre plénitude. Rien ne dépasse et rien ne manque. Sound and music. Rien d'autre. Autonomie parfaite. Phénix qui brûle de ses propres cendres. Lucky Steve est à la guitare. Gretsch, pas l'orange cochranique trop moelleuse, trop sucrée, trop juteuse, la duo jet, rouge terreur et noire ténèbres, un son plus métallique, plus strident. Lucky l'a son style. Le riff à trois pointes, celles des coups de poing américains, une pour chaque œil et la troisième pour tout le reste. D'une simplicité extrême. Mais d'un art difficile.

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    Le rockab est une musique de haute précision, ne suffit pas d'émettre, faut placer à l'endroit précis, unique, au millionième de seconde près, un quart de poil avant c'est foutu, un quart de poil après c'est dans le Q ( de Suzie ). Lucke c'est le genre de serial killer qui vous enfonce trois fois son stylet dans le foie. Tchik ! Tchik ! Tchik ! Et au suivant de ces messieurs. Ne vous battez pas, il y en aura pour tout le monde. Structure rockab tripartiste qui aurait enchanté Georges Dumézil. Rockab pointilliste. Le pixel qui tue. Structure le son des Booze Bombs à lui tout seul. Le pire c'est que chaque fois qu'il vous a envoyé la trinité, vous êtes en manque, l'angoisse vous étreint, le prochain shoot d'adrénaline est vital, ne se fait pas attendre, mais durant ce minuscule instant qui le sépare du suivant vous connaissez l'angoisse du vide et du néant.

     

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    Autre particularité de Lucky Steve. L'est toujours présent, mais comme ces soli ne s'étirent jamais ses alcooliques, pardon je voulais écrire ses acolytes, ont le champ libre pour s'exprimer tout à leur guise. En profitent sans exagérer. La sobriété lyrique est une vertu cardinale des Booze Bombs. Rockin' Bende, le batteur, n'est pas derrière. Il est avec. Ne suit pas, n'ordonne pas, réussit ce tour de force d'occuper tout l'espace que chaque interstice pointilleux de Lucky Steve laisse libre, l'a la charley en action constante, charpente le terrain d'un son de base fuyant, jamais en avant, toujours présent, Steve n'est pas seul, et c'est sur cette mer mouvante sans cesse recommencée que Rockin' bâtit ses châteaux de sable catapultés, dur travail, épuisant, de quatre coups de baguettes il construit un édifice qu'il se doit de détruire aussitôt pour rebâtir le suivant, et le remplacer encore une fois. Varie les architectures, voûtes d'ogives nucléaires et glacis à boulets rebondissants. Un travail de titan qu'il effectue avec une placidité remarquable.

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    Sur sa contrebasse Frank Martinez initie un jeu caducéen. Swingue net et stompe fort. L'a comme deux serpents qui s'affairent autour de son upright, l'un qui monte et l'autre qui redescend. A toute vitesse, sans jamais se mordre la queue. Pas question d'empiéter l'un sur l'autre et encore pire de laisser traîner son caudal appendice sur les territoires de Steve et de Rockin'. Faut jouer serré. Chacun respectueux du boulot de ses pairs. L'on colorie sa partie et l'on ne dépasse pas. Imbrication au cordeau. Pas de démonstrationisme ostentatoire. Rigueur classique. Chacun chez soi et le flamant rose du rockabilly sera bien gardé.

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    Vous ai présenté l'épée à l'acier foudroyant. L'excaliburock de tous les combats mais je n'ai encore pas dit un mot de la gemme noire qui irradie la garde de l'arme. Z'avez l'impression que dans l'emboîtement musical de nos trois musiciens vous ne pourriez même pas ajouter le son aigrelet d'un triangle. Vous auriez beau guetter le moment et l'endroit propice où vous pourriez glisser la note discrète de votre isocèle, mais les trois cadors vous ont entassé si parfaitement de tels blocs de pierre qu'entre eux ne passerait même pas un feuillet à cigarette.

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    Et pourtant. Annie Leopardo est au micro. M'attendais à une chevelure germaine des plus blondes, mais non elle est d'un noir méditerranéen les plus sombres. Nous avouera ses origines italiennes entre deux morceaux. Elle ouvre la bouche et vous comprenez le pourquoi du style si resserré des trois boys. Une voix, une musique. Un + Un. Si vous préférez la formule mousquetaire, tous pour une et une pour tous. Parce que parfois miraculeusement Une = Trois. Annie Diva. Leopardo Panthère. Elle chante. Mais elle ne respire pas. Un cas unique. Une excentricité scientifique. Un larynx de bronze. Et surtout l'art de s'immiscer tout naturellement dans le béton sonore de ses compagnons. Elle évolue dans la structuration phonique comme l'engoulevent s'engouffre dans le vent. Aucun effort, pas d'effets, pas de looping vocal, pas de roucoulades exacerbées, mais un phrasé d'une justesse extraordinaire, et d'une facilité déconcertante. La voix cingle comme un fouet, à ras de la peau, vous fouille comme un scalpel de chirurgien sans que vous ayez senti la moindre douleur.

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    Pourrait s'arrêter là. Elle nous aurait comblés, mais non elle est comme Napoléon qui dictait deux lettres à la fois. Elle, elle chante. A la perfection. Mais apparemment cela ne l'intéresse pas. Un geste anodin auquel on ne pense pas tellement il est habituel et naturel, comme quand vous tournez votre petite cuillère dans le café, le matin encore tout embrumés de sommeil. Elle, elle s'intéresse à nous. Ce n'est pas un nous globalisateur et anonyme. L'occulte la moitié du ciel. C'est sur sa face mâle et virile qu'Annie jette son dévolu. Nous les garçons. Nous les Hommes. Œillades, sourires en coin, appels de la main, désignations individuelle du doigt, pas de jaloux, elle sait y faire, la guerre de Troyes n'aura pas lieu, à chacun sa pomme d'or et pas de discorde. Le plus chanceux de tous c'est tout de même Billy qui a dansé le slow – le seul de la soirée - collé à elle comme la moule sur le rocher, et les mains sinon baladeuses du moins promeneuses, mais dans ce bas monde le bonheur a une fin et elle reprend le micro pour terminer le morceau. D'ailleurs l'a ses thèmes de prédilection, l'amour, les boys et les guys. Vous les décline à toutes les sauces, salées Gone Away, Please Just call, ou sucrées I got A Boy, Sweet Love, tour à tour exultante, mutine, désespérée, câline, mais toujours rockin' and boppin'. Reine de la nuit et du rock'n'roll.

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    Trois sets en progression constante. Magnifiquement servis par Fabien Dj Rockin' Cats à la console. Concert explosif. La rigueur et la foudre. Le 3 B, béni des Dieux.

    Damie Chad.

    N. B. : mention spéciale pour Toute la Musique que J'aime, a capella par Jean-François et les chœurs du 3 B ! On a bien essayé de dépasser celle de Johnny, mais on n'y est pas arrivés.

    ( Photos :FB : Fabien Hubert DjRockinCats  )

    ICE COLD WHISKEY

    THE BOOZE BOMBS

     

    ANNIE LEOPARDO : vocals / LUCKY STEVE : guitare / FRANK MARTINEZ : upright Bass / ROCKIN' BENDE : drums.

     

    PART-CD 678.011 /2015 /

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    Yes I know : oui je sais avant d'avoir écouté, un grattellement d'upright bass à la manière d'un rat qui trépigne dans la cloison, puis ils envoient la sauce, d'un coup sec, mais pas trop fort, ce n'est que la première rasade, une mise en train au trot rapide toutefois et Annie qui met vraiment le paquet juste à la fin. Another love : même tempo mais avec la lead qui poinçonne, Annie qui raconte et qui grogne à chaque début de vers et Steve qui nous donne de ces froissés cordiques à vous ôter l'envie d'aller vous faire pendre ailleurs. You got me rockin' : ce coup-ci Annie est avec Marc Valentine, elle prend les choses ( peut-être la chose ) en main et laissez vous dire que ça mousse dur. Duo de choc. Martinez tartine fort sur les drums et tous s'en donnent à coeur joie. Come to my house rockin' : encore une proposition malhonnête, Annie vous a un de ces phrasés accrocheurs – l'en miaule presque - que vous y allez en courant. Vous assène le programme sur une rythmique friponne, sûr que vous n'êtes pas prêt d'oublier l'adresse de la maison, on y rocke trop bien. Pinch your hips : ce coup-ci elle aboie, sûr que vous allez vous remuer surtout avec ce riff qui klaxonne sans arrêt. Y a un certain Dynamite White qui compresse son harmonica d'une bien jolie manière. No other man : attention déclaration en douceur, un petit air jazzy pour une voix qui se fait sensuelle et la lead qui laisse tomber des gouttes d'eau dans le tea for two, un instant de douceur avant de poser une autre bombe. Chilly Willy :la guitare broute à la manière d'un éléphant qui arrache les arbres, l'harmo se promène dans le feuillage, trop vite, trop court, les guys ont laissé Annie sur le quai. My heart is broken : vous ne savez pas comment un cœur cassé peut sourdre de colère et de rage rentrée, ce coup-ci c'est la totale, l'harmo à la manière d'un rabot électrique qui vous arrache la peau, apparemment le combo a le blues brûlant. N'essayez pas d'arrêter le shuffle, n'en finit pas d'accélérer. In the night : surprise Marc Valentine est au vocal, le rockssignol Leopardo lui répond et nous avons droit à un duo romantique, mi-country- mi-sixties, avec la guitare derrière qui vous donne la sérénade. Trop beau, on ne fermera pas les yeux de la nuit. Ice cold Whiskey : un tambour bat l'amble méchamment, rythmique appuyée, jungle alcoolisée, jusqu'à l'écoute de ce morceau je pensais que la glace dans le whisky était un crime contre l'humanité, mais là pas de problème, doit y avoir un ours blanc affamé sur le glaçon. Pazza di te : renaissance italienne. La damzelle vous tord les lasagnes de fort belle manière. Et comme le reste du combo ne s'est pas endormi sur la pizza, l'on se rappelle que les italiens ont renouvelé le western. Set me free : revendication féministe, elle n'a pas le vocal dans la poche et le pistolero à la guitare derrière vous y passe toute la cartouchière. Les cymbales gémissent de bien belle façon, des assiettes qui volent dans une scène de ménage ! Black Cadillac : boogie à fond de train, non seulement elle conduit à toute blinde mais elle hurle à travers la vitre ouverte. Tant pis pour la tôle froissée, les chemins de traverse, les feux rouges, les sens interdits et les piétons. Rock'n'roll tonight : ces gars-là sont obsessionnels à part sauter partout et de crier Rock ! Rock ! Rock ! aux quatre coins de l'horizon l'on se demande ce qu'ils doivent faire le reste du temps. En tout cas ils le turlupinent très bien à la Little Richard, mais c'est l'harmo qui prend le rôle du saxophone, vous pourrit tellement les oreilles que c'en est un délice.

     

    Prenez le temps de réécouter, des petites surprises toutes les trente secondes, de l'imagination et de la finesse, du rythme et de l'énergie. Les Booze Bombs nous proposent un rockabilly des plus enthousiasmants. Le filtrent et l'alambiquent à leur goût. Dégustation de moonshine au sperme de crotale. Un must.

    Damie Chad.

     

    *

    LA NUIT VERTE

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    Des picotements sous la peau. Je connais cette sensation. Maurice Rollinat, l'auteur des Névroses, en parle dans un de ses sonnets les plus secrets écrits en ces heptasyllabes malsains dont il détenait la redoutable puissance invocatoire et dont le grand Verlaine lui-même lui emprunta le modèle :

    Par la fenêtre entrouverte

    S'avance la nuit très verte

     

    Je sais que même la plus haute poésie n'empêchera jamais l'horrible processus en cours. Ce soir la nuit sera verte et personne ne saurait s'y opposer. Déjà je tourne en rond dans ma chambre. Alors je répète mille fois à mi-voix le mantra maudit, la formule propitiatoire aux métamorphoses les plus extraordinaires :

     

    Socrate ne sait rien, Damie le saurien.

     

    Et me voici transformé en lézard d'un vert de vers gélatineux. Une monstrueuse bête gluante de la taille d'un jeune chat de trois mois, à la queue aussi longue que la langue. Par la fenêtre entr'ouverte je me glisse au-dehors. Manque de chance, toutes les rues de FONTAINEBLEAU sont éclairées et la foule se presse aux vitrines de Noël violemment illuminées. Difficile de ne pas se faire remarquer. J'ai ma ruse. Dès que j'entends des pas je m'aplatis sur le trottoir, les pattes sous mon corps essayant de prendre l'aspect d'une chiffon moelleux innocent. Un couple se dirige droit sur moi :

     

    «  Aaah ! Les gens sont dégoûtants, ils auraient quand même pu nettoyer la diarrhée de leur chien, tu as vu la teinte glauque, un excrément cadavérique, ne va pas tarder à clamser le cabot, je téléphone tout de suite à la mairie pour me plaindre ! »

     

    S'éloignent tous les deux tendrement enlacés. Je m'apprête à reprendre mon chemin lorsque des pas se rapprochent brutalement m'obligeant à rester immobile.

     

    «  Bêêêh ! Quelle horreur, encore une vomissure d'ivrogne, un dégueulis sans nom de pochtron, en plus l'idiot s'est cuité à l'Izarra verte, sûr que c'est un basque, j'alerte les flics tout de suite, avec son béret du gâteau pour eux, ils vont le boucler en moins de deux ! »

     

    Ma dignité en est un peu mortifiée. Personne à l'horizon, prudemment je me hâte vers ma destination. Attention trottinement rapide qui se dirige vers moi, je me jette derrière un lampadaire. Tiens un chien, l'est pressé, ne me calcule même pas. Hélas par un instinct atavique en passant près de moi il ne peut s'empêcher de lever la patte et de m'arroser d'un jet de pisse chaude qui me trempe entièrement.

     

    Ô ingratitude humaine et animale ! Me voici transformé en rebut de l'humanité. Monde cruel, n'y aurait-il donc personne pour aimer un pauvre petit lézard innocent ? Lecteurs sachez qu'il ne faut jamais désespérer. Je me hâte de passer en catimini derrière les deux parents, ne peuvent détacher leurs regards de la marionnette du Père Noël qui dans la devanture lève et abaisse sans cesse la main pour les saluer, à leur côté la petite fille baye aux corneilles.

     

    «  Gertrude, mon dieu ! c'est quoi cette horreur que tu tiens ?

    • C'est une peluche Maman, regarde comme elle est mignonne, toute belle, toute verte, je l'ai trouvée par terre, on dirait un vrai lézard, c'est marrant il remue la queue quand je l'embrasse sur la bouche ! »

    •  

    Une poigne solide m'arrache aux câlins douillets et m'envoie valser à quinze mètre de là. Je m'esquive sans demander mon reste, juste le temps d'entendre la mère affolée crier :

     

    «  Chéri, appelle le 15. Le visage de Gertrude se couvre de pustules noirâtres et en plus elle sent l'urine de chien ! »

     

    Ouf ! me voici arrivé sans encombre à la RUE DU COQ QUI GRATTE. Etroite et un peu sombre. Personne ne m'aperçoit lorsque je rase les murs jusqu'au GLASGOW. Je sais que si je parviens à me glisser à l'intérieur du pub aussitôt l'enchantement maléfique cessera et que je reprendrai ma silhouette normale. Les gens ont les yeux fixés sur l'affiche du concert des JALLIES, pour ce soir 27 DECEMBRE, je passe entre leurs jambes sans aucun problème. Revoici ma silhouette fringante et élancée que vous connaissez tout. Je n'ai pas fait trois pas que les trois plus belles filles du monde se précipitent sur moi :

     

    «  Damie, c'est super gentil d'être venues ce soir !

    • Si seulement vous saviez ce que je ferais rien que pour vous voir ! »

       

    Elles éclatent de rire. Elles ne m'ont jamais pris au sérieux. Y a sûrement un lézard quelque part.

     

    CONCERT

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    Ce soir, c'est la soirée sardines, en boîte, Tom et Kross ressemblent à des posters grandeur nature placardés contre le mur, les trois filles bénéficient d'un espace vital de survie minimum, doivent se sentir seules car Vaness nous demande d'avancer encore, total nous sommes à 0,00001 micron des retours, l'est sûr que dans notre dos la porte s'ouvre et des paquets de nouveaux venus s'agglutinent à ce compact compost d'êtres humains. Non ce n'est pas un concert, mais une ambiance, sachez entendre la différence. Ça rugit, ça clame, ça brame de partout. Standing ovation du début à la fin. Les pieds piétinent, les jambes trépignent, l'en est même qui arrivent à danser des rocks endiablés sur place, émulsions de bières et flaques de sang – là j'exagère c'est du vin rouge – sur le plancher.

    Au début les filles papotent entre elles, style salon de thé cosy, s'il te plaît chérie remplis mon verre, tout de suite ma grande, et la bouteille de ja-ja circule entre les verres. Récriminent sur les boys qui attendent sagement depuis cinq minutes, et portent un toast à notre santé. Le public remercie, but please a little bit of music, just to hear yours precious voices, alors Tom vous prend le taureau par les cornes, à la texane, fait vrombir sa guitare comme une escadrille de spitfires et nos trois péronnelles sont bien obligées de se mettre au boulot. Et le Tomitruant ne lâche pas le morceau de toute la soirée. Guitare en leader ship et les filles qui s'entrelacent par dessus. Lui il fonce et elles, elles froncent le tissu, particulièrement swing ce soir nos trois Jallies, goûtez les harmonies, l'on batifole et l'on cabriole dans les herbes folles comme la chèvre de M. Seguin. Kross a choisi le rôle du méchant loup, sa contrebasse halète comme dans un dessin animé de Tex Avery, nous asperge d'arpèges de velours, et nous sature de froissements de satin, tout en douceur mais véloce en diable. Elles ont piqué l'orgueil masculin, z'alors se déchaînent comme le cours de l'or en pleine crise boursière.

    Mais les zamzelles ne sont pas du genre à se laisser mener par le bout du nez, vous font tirer une langue de trois kilomètres au Hound Dog de Presley avant de le transformer en chasse à courre. Les trois belles vous ribambellent les trilles et vous décrochent de ces revers de quadruples croches à vous emporter le filet aux antipodes. Toutes mignonnettes dans leur robes, des furies dès qu'elles entament le moindre morceau. Céline vous fracasse la caisse claire comme vous quand vous tapez sur la tête du précepteur, Leslie vous fait le coup du charme faussement candide, un Funnel of Love des plus plus pernicieux, vous y englue dedans, pas encore que vous ayez envie de voir le bout du tunnel. Quant à Vanessa elle a réuni tous les chiens de l'enfer dans sa voix, les lâche sur le public comme Diane ses meutes sur Actéon.

    Deuxième set. L'est sorti une cinquantaine personnes prendre le frais dix minutes, l'en rentre une centaine, avec la cinquantaine qui est restée sur place, visualisez : l'endroit n'est guère plus grand qu'un studio sans kitchenette. Le deuxième set sera un gigantesque charivari, se permettent tout, Tom nous donne un numéro jazz trad sur La vie en Rose, Kross nous emmène à New York dans un club de jazz pour initiés, on appelle Vincent qui sort son harmonica et c'est parti pour des chorus d 'harmo et de guitare infinis à la cours-plus-vite-que moi-que-je-te-rattrape. Un inconnu surgi du public nous rappelle que toute la musique vient du blues, et cela devient un délire collectif qui a bien dû faire rigoler Johnny sur son Olympe. Et c'est-là que le malheur s'en mêle, juste au début de Stray Cats Strut. Ce n'est pas OSS 117 qui ne répond plus, c'est la contrebasse de Kross qui s'anéantit dans le silence. Un fil cassé ! Parfois la fée électricité se transforme en Carabosse. Kross-road tente de scotcher le filament pendant que Tom fait des prouesses pour jouer les deux partoches en même temps. Les filles miaulent à qui mieux mieux et le public les soutient de ses félines imitations. Kaput la contrebasse ! Tant pis, Kross la jette en contre-bas, se munit d'une électro-acoustique et l'on attaque les trois dernières tranchées à la baïonnette. Es finita la fiesta. Terminado la tempestad. Doux rêveurs vous pensez qu'on arrête un torpilleur en appuyant sur le frein ? Faut encore alimenter le foyer par une série de rocks, le final sera un dernier Gene Vincent, un Jump Giggles and Shout ébouriffant, avec tout le monde à sauter sur place à en faire craquer les solives du plancher. Exultation totale, toute une jeunesse dévergondée se précipite pour papouiller les three gals and the two guys. L'ont bien mérité. Folle soirée.

    Damie Chad.

     

    LA DISCOTHEQUE SECRETE DE

    PHILIPPE MANOEUVRE

    COLLECTOR

    111 TRESSORS CACHES DU ROCK

    ( HUGO / DESINGE / Août 2017 )

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    Comme le monde est bien fait, les marchands ont pensé à vos cadeaux de Noël. Grandes manœuvres sous les sapins cet hiver. Philippe prend soin de vous dans l'introduction. Vous explique la différence entre disques Collector et Culte. Propose un baromètre infaillible. L'épée de l'archange du seigneur qui sépare le bon grain ( à droite ) de l'ivraie ( à gauche ). Pour ceux qui ne sont point des habitués de l'archéologie biblique, je vous fais un résumé. Facile, une galette à la frangipane que vous payez 6000 euros est dite culte. La crêpe à la confiote de fraise faisandée que vous ramassez pour six euros dans le bac à soldes est appelée collector. La majorité de ses lecteurs se situant dans la tribu des bourses plates, l'ancien rédacteur en chef de Rock & Folk nous présente cent onze biscuits collectors qui manquent à votre discothèque et nuisent à votre statut social. Pourquoi croyez-vous que les filles s'enfuient en hurlant dès qu'elles ont mis un pied dans votre chambre ? Attention ne suffit pas de ramasser une rognure d'ongle ou une chiure de mouche à un euro cinquante pour vous enorgueillir de posséder un collector. Malgré son prix modique le collector est un trésor enfoui dans les sables de l'oubli, relève du chef-d'œuvre inconnu, l'atteint au grade de la huitième merveille de mode. Un rocker qui ne possède pas de collectors ressemble à un parachutiste sans parachute. Consolation du pauvre : à défaut de vinyls originaux introuvables, le marché des rééditions vous permet d'entrer en possession de CD pour trois fois rien.

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    Cessons ces considérations bassement économiques pour nous pencher sur l'opus manœuvrien. Grand format, cent onze double-pages dédiées aux cent onze élus. Classés par années ( 1963 – 2015 ) de parution, les seventies trustant à elles seules plus de la moitié des occurrences. Quelques impressions d'ensemble tout d'abord.

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    De visu l'iconographie s'adjuge une part importante de la surface rédactionnelle. L'on à droit aux deux faces de la pochette, verso et recto présenté en deuxième position pour qu'il attire davantage l'œil dés la page précédente tournée. Les textes sont relativement succincts, l'on a fait attention à ne pas fatiguer les nouvelles générations des lecteurs qui ne sont pas des inconditionnels de l'art de lire...

    Aspect triste. Une colonne colorée sur votre droite nous apprend ce que sont devenus les acteurs du disque exploré. La fin est tragique. Il y a toujours un des gars qui s'est débrouillé pour trépasser. Plus vous avancez dans le bouquin, plus vous avez l'étrange sensation de visiter un cimetière. D'éléphants blancs, certes, mais enfin morts de leur belle ( pas toujours ) mort.

    Aspect gai. Qui va vous relever le moral. Beaucoup de ces albums valent leur pesant d'or grâce à l'intervention d'un guitariste exceptionnel. Mais à la longue l'on s'habitue à l'extraordinaire. D'où l'idée qui vous traverse l'esprit, une si nombreuse collection de zicos fantastiques diminue leurs mérites. Tout compte fait, il y en a une telle légion que ce ne doit pas être aussi difficile que vous vous l'étiez imaginé. En bossant dur pendant deux ans, la perspective d'atteindre le niveau juste au-dessous ( un quart de millimètre ) d'Hendrix ou de Jimmy Page n'est plus une utopie. Une possibilité – parmi tant d'autres – qu'un jour ou l'autre – le caprice de votre volonté vous permettra d'atteindre...

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    N'y a pas que des inconnus, Gratefull Dead et Kinks par exemple ont peut-être pu voir un de leurs enregistrements boudés par le monde entier, mais enfin n'exagérons rien. Il y a aussi ceux dont vous connaissez le nom depuis toujours, depuis les pochettes des Stones pour Jack Nitzsche, ou Ginger Baker la crème des batteurs, ou Ray Manzarek un fameux enfonceur de portes entrouvertes, mais l'on aime bien se remémorer les coins les moins évidents de leurs biographies. Des tas de groupes qui sont apparus au firmament du rock – citons par exemple Foghat, Man, Little Feat – et que l'orbite de l'actualité a éloigné de nos regards pour diverses raisons, ceux que vous aimez retrouver parce que ce sont vos chouchous, Variations ou Link Wray pour prendre mon exemple personnel. Mais sur les cent onze, il y en a un qui m'a procuré un plaisir exceptionnel. Longtemps jusqu'à la lecture de ce bouquin m'imaginais le seul à posséder la merveille. De temps en temps j'allais caresser la pochette pour me prouver que ce n'était pas une illusion solipsiste que mon cerveau aurait créée juste pour me distinguer de tous les autres misérables individus qui peuplent de leur petitesse cette planète. D'ailleurs Manœuvre me fait rigoler, l'exhibe la pochette de l'album, lui tresse des dithyrambes, la qualifie de folie, z'oui mais z'ya un blème. Les deux titres auxquels je fais allusion absents sur le 33 Tours sont sur un simple dont il ne pipe mot. Trop sympa vous refile la pochette.

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    C'est un dessin d'une puissance érotique folle. Ne sais pas qui a griffonné cette merveille de suggestion inaccoutumée mais j'aimerais bien connaître son nom pour regarder le reste de son œuvre. Ce Find Yourself Someone To Love a déchiré mon adolescence. Quant au Nobody en Face B, m'a réduit le cerveau en hachis parmentier. Three Dogs Nights le reprit deux ans plus tard.

    Johnny Guitar Watson a traversé toute l'histoire de la musique populaire américaine, l'a débuté dans le blues avec Bobby Bland et bien d'autres, c'est sur son Johnny Guitar Watson ( disque éponyme de 1963) que vous retrouvez Cuttin'It et Sweet Lovin' Mama tous deux enregistrés par Johnny Hallyday qui donne une très belle version du second. A cette époque, en France on le classait parmi les pionniers du rock – l'a aussi produit avec Larry Williams le fabuleux Hurry Sun Down de Little Richard en 1967. Des copains de ma fille ont été très surpris lorsque je leur ai raconté tout cela, z'avaient un blogue rempli de vidéos de Johnny Watson dans sa troisième manière une espèce de mélange disco-funk-rap des plus remuants. Une évolution guère surprenante, Philippe Manœuvre rappelle qu'il est aujourd'hui considéré avec son pote Larry Williams comme l'une des origines clefs du mouvement hip-hop. Mais ce que nos deux acolytes ont le mieux réussi dans leur vie c'est encore leur mort. Sur scène, en plein solo, au Japon pour Johnny. Une idée que Mishima a reprise à sa façon. Une balle dans la nuque, les deux bras menottés pour Larry le proxénète notoire, que la police ( tout le monde la déteste ) a qualifiée de suicide.

    Un petit dernier pour les amateurs de rock'n'roll, une sélection Ricky Nelson... Un livre évocatoire qui fait surgir les ombres d'un passé qui ne veut pas mourir.

    Damie Chad.

     

    *

    Au départ, c'était tout simple, une croix à mettre dans un petit carré, au choix, rock, country, blues, comme la lettre provenait de Daniel Giraud, chanteur de blues, j'ai coché blues. Tiens-tiens, me suis-je dis, j'va hériter d'un vieux bluesman du Delta que personne ne connaît, même pas le Cat Zengler, n'y a plus qu'à guetter la factrice si sympathique sur son vélo électrique... Bref le paquet arrive et les bras m'en tombent des mains, un accordéon en gros plan sur la pochette, j'évite je ne sais comment l'attaque cardiaque foudroyante, what is it cette horreur ! une fille en plus, avec un prénom de grand-mère et un patronyme français, à peine ai-je du bout de mes doigts suspicieux retourné la pochette que le mot Zydeco me mord les paupières, du Zydeco, mais pour qui me prend-on ! pourquoi pas du Zouk tant qu'il y est le Daniel Giraud, la mort dans l'âme je pose la galette sur l'appareil des CD.

     

    COME GET SIDE / ROSIE LEDET

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    Rosie Ledet : vocals, accordion / Andre Nizari : guitars, keyboards, percussions, harmonica, bass, fuzz bass, drums / Chuck Bush : bass / Percy Walker Jr : drums / Damon Dugas : Rubboard.

     

    Les notes de la pochette sont formelles Rosie Ledret n'est pas une embaumeuse. N'est pas de celles qui pensent que pour le zydeco les haricots sont cuits depuis longtemps et dont on ne peut que répéter religieusement la même recette, la fillette ne recule pas devant les adjonctions plus modernes comme le funk, le rock et l'électronique. Vu mon peu d'appétence et de connaissances pour cette musique je me déclare totalement incompétent quant à juger de l'importance et de la pertinence de tels ajouts.

     

    Baby what you do to me : balancé et bien roulé, une fois que c'est parti vous n'arrêtez plus. Vous laisse deviner ce qu'elle veut qu'on lui fasse, ce qui est sûr c'est que l'accompagnement instrumental ronronne de belle façon, les interventions de l'accordéon rivalisent sans effort avec les effulgences des guitares électriques. Pose bien sa voix et l'est sûr que l'on peut parler de phrasé rock. This is gonna take a while : fond d'orgue, un filigrane de rythmique reggae et Rosie vous prend une voix méladramo-country du meilleur effet. Très américain, l'on dépasse le triangle magique d'implantation du zydeco, plus haut que le Texas. Come get some : module bien, quand elle dit come baby come vous regrettez qu'elle ne s'adresse pas à vous directement, l'envie de préparer une valise sans pyjama vous démange, et comme derrière elle l'orchestre s'adonne à un patchwork instrumental des plus juteux, vous sentez que le paradis s'approche de vous, hélas vous ne prêtez aucune attention à ces espèces de sirènes de police qui résonnent en sous-main et le morceau se termine avec une brutalité qui vous laisse sur votre faim. Sexuelle. Incantation voodique de sorcière, vous a jeté un sort. Caffina : tapez dans vos mains et du pied. Piste de danse, remuez-vous un max, prenez quelques pilules speediques car au grand midi vous y serez encore, alternance de voix mutine et d'appuyés d'accordéons. Vous aimeriez que cela ne s'achève jamais. Cette girl Caffina est ensorcelante. Vous n'auriez jamais dû l'inviter. Vous voici pris au piège. For those that like it funky : vous n'êtes plus qu'un pantin désarticulé sur la piste sans fin, Giorgio Moroder doit être aux manettes et notre créole se la joue à la black Diva. Reprenez-vous, n'oubliez pas que vous êtes un rocker, ne cédez pas à ces trémolos allusifs de sirène. Love is gonna find you : ouf, l'on est revenu au pays, un espèce de country déjanté avec la guitare qui miaule comme un chat noir qui n'a pas attrapé de souris depuis quinze mois, surtout n'écoutez pas la diseuse d'aventures, celle qui vous prévoit un merveilleux avenir avec un harmonica qui ricane pour vous avertir de vous méfier. Evidemment vous y croyez dur comme du fer. La faute à cet accordéon qui vous froisse le cervelet. Poison : le flacon vous a une ces belles formes qui vous enivre avant de l'avoir ouvert. L'étiquette vous vante les bienfaits du produit. Vous susurre des mots de rêve à l'oreille, une reine s'adresse à vous et vous montez au dix-huitième ciel du ravissement. Faites gaffe, le background est un peu étouffant, les lianes reptatrices des percussions enserrent votre corps, trop tard vous êtes mort. Saturday in may : renaissance printanière. Ballade au pas de course. Ce n'est pas l'amour juste la germination printanière de la lymphe végétale qui vous émoustille, avec Rosie comme guide dans le bayou vous embrasseriez un alligator sur la bouche. Stop lyin' keep tryin' : avec les filles, l'arrive toujours un moment ou la plus belle des fées se transforme en institutrice à lunettes qui vous met les poins sur les I. Votre pointe ( prononcée ) de masochisme n'est pas insensible à cette fessée morale. Vous opinez de la tête et du corps. Sans vous en apercevoir vous entrez dans une sarabande infernale. Quand le morceau est terminé vous le remettez illico. Keep the faith : la souveraine délivre son message d'espoir. La guitare ricoche sur les remous du fleuve et l'accordéon vous immerge mille fois dans les eaux troubles de vos turpitudes. Qu'importe vous êtes sauvé. Love me like my baby do : la guitare vous poignarde dans le dos et Rosie vous initie aux arcanes du triangle amoureux. Une autre façon d'entrevoir la sainte trinité. L'a pas froid aux yeux, ce que femme veut... Git up on it : dilemme : ou vous focalisez sur le band qui s'en donne à coeur joie ou vous succombez aux propositions ( avantageuses ) de la Dame, l'a le timbre tentateur...

     

    Terminé. Pas vu le temps passer. Accordéon rythmique infatigable et band qui ne débande pas une seconde. D'une oreille distraite cela peut paraître un poil monotone, mais si vous y prêtez un quart de seconde d'attention, c'en est fini de vous. Rosie Ledet vous transforme en zombie zydeco. Z'y décolle à fond. Tant pis pour la tapisserie des certitudes rock'n'roll.

    Damie Chad.

    LES OISEAUX DE PASSAGE

    ASSOIFFES D'AZUR

     

    Zoë Montagu : chant, flûte, triangle / Miguel Gramontain : accordéon, stomp, choeur

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    J'ai raté leur passage. Pas celui des oiseaux, celui des Assoiffés d'azur. Pas de ma faute, à Baulou, village perdu du piémont ariégeois, c'était le 22 juillet 2017, passaient à l'aube, à douze heures exactement. Non ce n'était pas pour la sortie de la messe dominicale mais pour un apéro festif. Miguel Gramontain vous connaissez, c'est lui qui s'était joint avec son accordéon à Juke Joint Band ( voir KR'TNT ! 291 du 25 / 08 /2016 ), le blues ce n'était pas sa musique d'implantation culturelle, mais s'en était très bien tiré, le gars pas rancunier – j'avais promis la veille d'être-là – l'est même allé chercher dans sa voiture le CD qu'il m'a offert. Ce n'est pas du rock m'a-t-il précisé. Certes nul n'est parfait, mais tout le monde a le droit d'exister. Les rockers un peu plus que les autres, mais il ne faut pas le dire.

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    Pour avancer : un beau mariage, le son de l'accordéon et la voix de Zoë, le piano du pauvre avance comme à reculons, l'a l'air de ralentir dans les virages chaque fois que Miguel Gramontain doit le replier sur lui-même et Zoë fonce en avant. Faut refermer les poings sur sa propre histoire, ne plus écouter les antiques antiennes des flammes éteintes, s'arracher aux terres de cendre pour arpenter de nouveaux champs de semence. L'a un peu une voix à la Barbara ( ce qui pour moi n'est pas un compliment ), mais elle a une façon de traîner sur les syllabes tout en les propulsant comme en urgence qui n'est pas sans charme, intermède flûte et bourrade de coups de poings accordéoniques. Fin brutale et reprise en tutti orchestral. Mise à nue : l'on attend Zoë et c'est Miguel qui la-la-lise, et puis Zoë pose sa voix légère et sa nudité d'oiselle face au peintre qui la croque non d'un dard ardent mais du noir dessein de son fusain, grain du papier et de la beauté en éruption intérieure, le viol accepté des regards et le désir ambigu de modeler les formes du dessin. Ambiguïté de l'offre charnelle et de la demande artistique. Introspection ironique d'une situation teintée de déplaisance impudique et d'un subtil érotisme. Une femme se déshabille. Elle a ouvert les portes de la citadelle interdite et vous permet de regarder. Non pas l'extérieur de la féminine silhouette mais l'intérieur de la tête. Joue de sa voix, tour à tour larges à-plats et pointillisme pointu. L'on aimerait que beaucoup de lyrics rock soient entachés d'une même perversité. Ni musette, ni amusette, ni muette. Une fille à voix-nue. Ramage et dommages. Les oiseaux de passage : attention texte. Chanson française. L'amour tiède des bourgeois et les passions sauvages. Oiseaux de basse-cours et envol de migrateurs. La voix se transforme en longs cris pour saluer ces aventuriers au long-cours. Et puis fusent les mots de mépris pour les poulardes engraissées au grain des renonciations intimes. Silence, ça tourne : valse. C'est la tête qui tournoie en-dedans. Le partenaire n'est qu'un piquet mobile. La belle préfèrerait une autre étreinte, quand la danse est terminée, l'on se retrouve encore plus seule. Laissez tourner la musique, l'ivresse tout comme la solitude est intérieure. La belle ivresse : celle de chair, la voix papillonne de pistil en pistil. Qu'importe le flacon pourvu on soit ivrognesse. La flûte tressaute et l'accordéon s'alanguit. Vaut mieux baiser que baisser le rideau de la mélancolie. Petite mort pour survivre au rêve d'une vie plus grande. Sin Saber : en espagnol la vie est plus facile. L'on perd la tête plus facilement sur un air de fiesta. Gramontain y va de sa voix de torero. Rien de tel pour faire succomber les belles. Au plus vite. Ni regret. Ni remords. Au diable le désert, vive le désir.

     

    Vous l'avez compris ce n'est pas du rock'n'roll. S'inscrit dans le filon estampillé chanson française. Mais l'ensemble est agréable. L'accordéon de Gramontain n'est jamais pesant, impulse un rythme imparable et Zoé chantonne de ces ritournelles insidieuses qui étincellent de mille feux. Que voulez-vous quand les diamants se font rare l'on s'habille de bracelets de pacotille. Désenchantement et légèreté. Dans les deux cas, la vie n'est que présence de femme. Assoiffée d'azur et de désir.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 204 = KR'TNT ! 323 : CHUCK BERRY / JALLIES / POETES DU ROCK

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 323

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    06 / 04 / 2017

     

    CHUCK BERRY / JALLIES / POETES DU ROCK

    Cause vacances cette livraison 323

    arrive avec trois jours d'avance.

    La 324 aura deux jours de retard.

     

     

    Chuck chose en son temps

    Chuck Berry fait partie des gens qui meurent mais qui ne disparaîtront jamais. Sa musique est partout depuis soixante-cinq ans. Elle est à l’image d’une vie, à la fois trop longue et trop brève. Il fut un temps où on se plaignait de trop l’entendre, l’époque où les Stones jouaient «Carol» et «Little Queenie», mais depuis deux jours, c’est un peu comme s’il nous manquait. Comme si sa longue histoire n’avait duré que le temps d’une chanson.

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    Si tu veux te payer une petite overdose de Chuck, fais-toi offrir à Noël le coffret Bear paru en 2014, Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear qui ne fait pas les choses à moitié propose avec ce coffret tout Chuck gravé sur seize rondelles, c’est-à-dire TOUS les cuts enregistrés entre 1954 et 1979, et du live à la pelle, environ quatre-vingt titres regroupés sur les quatre dernières rondelles. Tout ça s’écoute avec autant de plaisir que les albums originaux sur Chess, mais attention, ce sont les deux livres emboîtés dans le coffret qui vont t’envoyer directement au tapis. À commencer par le Harry Davis Photos book. Un nommé Bill Greensmith est allé fouiner dans le grenier d’Harry Davis, un cousin photographe de Chuck. On a là quatre-vingt dix pages d’images fan-tas-tiques, celles du Chuck d’avant Chess, déjà prodigieusement photogénique. L’une des images les plus connues est celle d’un Chuck engoncé dans un costard blanc mal taillé et grattant une belle pelle noire. Il sourit comme un ange de miséricorde, la bouche surlignée d’une moustache taillée à la cordelette. On ne trouve pas moins de sept poses de cette image, dont une agenouillée. Ce qui frappe le plus sur ces images magiques, c’est la taille des mains de Chuck. C’est là qu’un parallèle avec Jimi Hendrix s’interpose : les deux hommes avaient énormément de choses en commun, hormis la taille des mains : ils avaient tous les deux du sang indien dans les veines, un appétit sexuel démesuré et l’équipement qui leur permettait de l’assouvir, et le génie qui leur permit à deux époques différentes de façonner le rock à leur image. On tombe aussi dans le Harry Davis Photos book sur des images romantiques de Chuck avec des belles poules noires. En 1948, Chuck n’a que 22 ans et il est aux noirs ce qu’Elvis fut aux blancs à la même époque : une perfection à deux pattes. On tombe à la page suivante sur sa photo de mariage avec Themetta, qui doit elle aussi avoir du sang indien dans les veines, tellement l’aspect sauvage de sa beauté fascine. Harry Davis shoota aussi pas mal d’images dans les clubs de Saint-Louis où se produisait son cousin Chuck. On le voit gratter une Les Paul noire au Cosmopolitan Club en 1954. Et devant lui dansent des couples de blacks. On se dit : Oh les veinards ! Le cousin Harry en profita aussi pour shooter Johnnie Johnson assis devant son piano et le batteur Ebby Hardy fouettant le beat avec ses balais. Ce book fatidique se termine avec quelques images en couleurs. Chuck pose avec sa Gibson crème et tortille un peu les pattes : image après image, il crée sa légende. Ses chansons lui serviront de bande son.

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    L’autre livre donne le vertige, car il résume en images toute l’histoire de Chuck Berry. On a beau se dire qu’on connaît tout ça par cœur, depuis Disco-Revue et tous ces canards qu’on a eu dans les pattes, cette imagerie frénétique impressionne de plus belle. Toutes ces images sont graphiquement parfaites. Quelle que fut l’époque, Chuck Berry s’est toujours débrouillé pour rester un pur rock’n’roll animal. Il a toujours su se donner les moyens de sa légende. Certains personnages ont cette faculté de pouvoir rester conformes à l’image qu’on se fait d’eux. Dylan et Lemmy illustrent eux aussi ce principe de longévité vampirique. D’ailleurs, quand on ouvre ce deuxième volume, on tombe dès la page 4 sur Chuck le vampire ! Il ne prend même pas la peine de dissimuler ses deux crocs. Et le phénomène tourbillonnaire se reproduit : année après année, Chuck pose guitare en main avec la même élégance, le même filiformisme congénital, le visage toujours expressif d’un showman vétéran de toutes les guerres, et puis il multiplie les figures de styles, le duck-walk en costume blanc et le grand écart en pantalon rouge. Photos extraordinaires que celles d’un Chuck en béret au Star Club de Hambourg en 1964, puis les images incroyables de la tournée américaine de 1964 avec les Animals, puis on passe en 1967 avec des images de plus en plus acrobatiques shootées à Manchester, et même quand il commence à se laisser pousser les cheveux en 1972, il incarne le rock’n’roll mieux que quiconque sur cette planète. Il a ce côté gyspsy qu’avait Jimi Hendrix en débarquant à Londres. Souvenez-vous : subjugués par son apparition, les journalistes anglais crurent que Jimi sortait des bois de Bornéo.
    Tous les fans de Chuck Berry entassent des tonnes de souvenirs de concert. Celui qui fut sans doute le plus spectaculaire fut le fameux concert-émeute de la Fête de l’Huma en 1973. Chuck arriva sur scène en pantalon rouge avec sa Gibson ES355 rouge et quelques heures de retard. La section rythmique d’Osibisa l’accompagnait. Tout se passa bien pendant un cut, puis un barbu en Stetson et lunettes noires débarqua sur scène pour dégager le batteur black et prendre sa place. La rumeur courut aussitôt : c’est Jerry Lee ! Et au lieu d’accompagner son vieux rival nègre, Jerry Lee lança ses baguettes en l’air et ruina brutalement le set de Chuck qui posa sa guitare pour quitter la scène. C’est là que la fête bascula dans le chaos. On vit un ciel noir de projectiles et un gang de bikers chargea la foule en brandissant des armes blanches. Panique générale ! Sauve qui peut les rats ! Les gens se levèrent par vagues. Même pas le temps de ramasser les sacs ! On marchait sur ceux qui n’étaient plus en état de se lever. Quelle rigolade ! On ne remerciera jamais assez Jerry Lee d’avoir créé un si beau chaos.

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    D’autres rendez-vous encore, comme ce concert fantastique de Chuck aux Banlieues Bleues à Saint-Denis et ce poto qui n’en finissait plus de glousser : «Gad’ le saucisson !». Chuck portait un pantalon rouge très moulant et on voyait bien qu’il était monté comme un âne. Un Marseillais dirait que sa bite descendait jusqu’au genou. Mais ce qui frappait le plus, c’était sa carrure. On comprenait mieux comment il avait réussi à sortir indemne des taules des blancs : Chuck Berry est bâti comme un géant. C’est ce que Steve Jones appelle la «structure osseuse», et il insiste beaucoup là-dessus dans Lonely Boy, son recueil de souvenirs.
    Alors justement, Steve Jones n’arrive pas là par hasard. Chuck et lui ont quelque chose en commun, un goût prononcé pour la délinquance et le sexe. Comment pourrait-on imaginer les Sex Pistols ou Chuck Berry sans sexe et sans une petite pointe de délinquance ? L’ado Chuck et l’ado Steve débutent leurs carrières d’obsédés sexuels très tôt. Ça titille d’autant plus Chuck que son cousin Harry Davis shoote déjà des pin-ups et arrondit ses fins de mois avec des photos porno. Quand Chuck commence à tripoter les petites gonzesses du voisinage, son père l’apprend et lui colle une belle rouste. L’erreur à ne pas faire ! Alors l’ado entre en rébellion et décide de fuguer avec ses copains Lawrence Hutchinson et James Williams. Ils se carapatent tous les trois à bord d’une vieille Oldsmobile. Direction la Californie. Ils font cinquante bornes et s’arrêtent pour casser une croûte dans un patelin nommé Wentzville (là où Chuck installera plus tard son fameux Berry Park). Comme ils sont noirs, le porc blanc du restau leur dit d’aller chercher leur bouffe derrière, à la fenêtre de la cuisine. En 1944, les noirs n’ont pas le droit d’entrer dans les gastos des blancs. C’est là que l’ado Chuck fait la connaissance de Jim Crow, le fantôme ségrégationniste qui plane sur tout le Deep South. Quand ils arrivent à Kansas City, ils n’ont plus un flèche en poche. Alors Chuck sort son calibre 22 et ils braquent des commerçants. Envoie l’oseille, whitey ! En l’espace de cinq jours, ils en braquent trois, dont un coiffeur. Ça tourne au sac d’embrouilles, aussi décident-ils de rentrer à Saint-Louis. Hélas, la vieille Oldsmobile tombe en carafe à mi-chemin, juste à la sortie de Columbia. Ils font signe aux bagnoles qui passent. Un mec s’arrête. Plutôt que de lui demander gentiment son aide, cette crapule de Chuck lui met son calibre 22 sous le nez et lui dit de calter vite fait. Ils repartent en poussant l’Oldsmobile jusqu’à ce qu’un flic suspicieux les voie passer et les poire. Ils se retrouvent tous les trois au Boone County jail et un juge leur en colle pour dix piges dans la barbe. On est dans le Missouri et à cette époque, on mène la vie dure aux nègres qui sortent du droit chemin, aux antisociaux comme Chuck qui chient sur la règle d’or, le fameux ferme-ta-gueule-et-travaille-pour-le-patron-blanc. Chuck va tirer trois piges à Algoa.
    Quand on le vit arriver sur scène à l’Olympia en 2005, on n’en revenait pas ! Cet homme de quatre-vingt ans déboulait sur scène en rigolant, vêtu d’une chemise bleue pailletée d’or. Et pendant plus d’une heure, il allait aligner la plus belle série de golden hits de tous les temps. En fait, ce qui frappait le plus dans son style, c’était l’économie de moyens. Il jouait une sorte de stripped down rock’n’roll, il ramenait tout à l’essentiel qui était la mélodie chant - Roll over Beetho/ ven/ And tell Tchaikov/ ski/ the news - D’ailleurs, il nous fit ce soir-là le coup de la panne, plus de son dans la guitare, alors il prit la basse pour s’accompagner et continua de chanter son cut comme si de rien n’était. Pour éclairer la lanterne du public, il expliqua qu’il jouait avec un émetteur, et que la pile du relais d’antenne était morte. Puis il éclata de rire : «Avant, on avait des câbles, and it never failed !». Et là-dessus, il embraya directement sur «Carol». Tout ceci pour montrer qu’au fond il n’a jamais eu besoin d’orchestre. Son principal instrument est sa voix. Il n’empêche qu’on se régalait quand même de le voir jouer ses plans de swing sur la Gibson rouge. Personne ne jouait de la guitare avec autant d’élégance. Il pliait les genoux et plaquait tranquillement ses accords dissonants sur son manche. The birth of cool ! Et puis ses textes sont tellement bien écrits qu’ils swinguent naturellement. Ça fait trente ans qu’on entend tous les coqs de basse-cour répéter à qui mieux-mieux que Chuck est le plus grand poète américain. Quelle aberration ! Quand on voit ce vieux pépère hilare sur scène, on comprend qu’il a inventé son rock’n’roll sans le faire exprès. Chez Chuck, la moindre phrase est simplement prétexte à rock. Ce concert de l’Olympia en 2005 fut un exemple parmi tant d’autres. Chuck savait doser ses effets et créer de violentes montées en température. On le vit soudain passer aux choses sérieuses avec «Memphis Tennessee», le fameux Long distance information, l’un des cuts les plus mythiques de l’histoire du rock, et là, à cet instant précis, on sut que Chuck régnait sur la terre comme au ciel. Il jouait des accords si épais qu’ils semblaient charrier des grumeaux de distorse. Il envoyait sa purée avec une sorte de bonhomie du delta. Puis il raconta l’histoire du country boy, un nommé Johnny qui savait jouer de la guitare comme on sonne à la porte. Évidemment, ça a l’air con, dit comme ça, mais le truc est là : il suffit simplement de raconter l’histoire d’un mec qui gratte sa guitare pour créer du mythe.
    On le vit pour la dernière fois à Paris en 2008 en tête d’affiche au Zénith, après Linda Gail et Jerry Lee. Pas mal pour une vieux pépère de 82 ans. Comme Bobby Bland, il portait une casquette blanche d’officier de marine et son fils beefait le son sur une deuxième guitare. Du coup, le groupe sortait un son fabuleusement heavy, qui déroutait un peu, mais des hits comme «Around & Around» filaient comme des torpilles jusqu’à nos cervelles. Baaam ! On sentit ce soir-là qu’une page d’histoire se tournait. La critique s’empressa de massacrer le concert, histoire de redorer le blason de son incurie. Comment peut-on reprocher à Chuck Berry de jouer quelques plans foireux ?

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    La meilleure approche de Chuck Berry se trouve sans doute dans le film de Taylor Hackford, l’excellent Hail Hail Rock’n’Roll financé par Universal en 1986 pour le soixantième anniversaire de notre héros. C’est un film à deux facettes, et si on veut voir les deux, il faut se procurer l’édition spéciale du film parue en 2006 : le disk 1 propose la version originale du film et le disk 2 les interviews des principaux protagonistes, dont la productrice Stephanie Bennett et Taylor Hackford. Pour eux, ce tournage fut un épouvantable cauchemar, ce que ne montre pas du tout le film. Stephanie Bennett explique que Chuck Berry profitait de la moindre occasion pour renégocier son contrat. Si on ne lui apportait pas le blé en cash dans une enveloppe, il restait chez lui. Chaque fois, Stephanie Bennett lui demandait : «Combien ?». Et il fixait la somme. Quand ça tombait sur un samedi ou un dimanche et que les banques étaient fermées, elle devait se débrouiller pour trouver du cash. En plein tournage, Chuck prenait aussi des engagements pour jouer ailleurs. Si Taylor lui disait que ce n’était pas prévu et qu’une journée de tournage coûtait une fortune, Chuck lui répondait qu’il ne pouvait pas cracher sur un cachet de 25 000 $. Stephanie Bennett affirme que Chuck Berry est obsédé par le blé. Elle explique qu’il y avait deux concerts prévus au Fox Theater pour la fin du film et Chuck refusait de jouer le deuxième qui n’était pas prévu dans le contrat si on ne lui versait pas un complément. «Combien ?». Elle trouva le cash et lui balança l’enveloppe en pleine gueule. Elle n’en pouvait plus. Alors combien au total ? Le premier jour, Chuck empocha 25 000 $ en cash, et au final, elle estime qu’il aurait empoché 800 000 $. Chuck Berry a eu bien raison d’étriller ces blancs qui de toute façon allaient encore se faire du blé sur son dos, comme ils l’ont fait au temps de Leonard Chess et de tous les autres qui ont suivi. Dans une séquence du film, on voit Chuck discuter avec Bo Diddley et Little Richard. Bo explique qu’au temps de Chess, on leur donnait un demi-cent par disque vendu. Chuck rappelle qu’un disque se vendait 49 cents et il demande : où sont passés les 48 autres cents ? Mais dans la poche de ces porcs blancs, bien sûr ! On tente de faire passer Chuck pour un sale mec dans ces interviews et dans la presse, mais les sales mecs, c’est ni Chuck, ni Bo, ni Little Richard. On se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude ! Les sales mecs sont tous ces gros porcs blancs qui ont bâti des fortunes sur le dos des nègres, exactement comme à l’âge d’or de l’esclavage et des plantations. Oh les belles demeures de caractère ! Et tous ces pauvres nègres qui ont bossé toute leur vie là-dedans pour des nèfles ? Non mais vous rigolez ou quoi ? Chuck Berry un sale mec ? Chuck, c’est Zorro ! Il leur fait cracher tout leur blé, à ces fils de putes. Il a plus de courage que les autres qui n’osaient pas, ceux de Chicago élevés dans la terreur du patron blanc. Dans le film, on voit Chuck entrer au Fox Theater et raconter qu’il y était venu étant gosse pour y voir un film. Comment l’accueillit la gentille caissière ? Dégage, sale nègre ! Bien sûr, Chuck mettra un point d’honneur à revenir jouer en tête d’affiche dans cette salle où on l’a humilié quand il était petit, mais il profite surtout de cette séquence pour rappeler au monde entier qu’on a vendu ses ascendants à quelques blocs d’ici, sur les marches du tribunal. Sold ! répète-t-il d’une voix sourde. Et il ajoute, avec un drôle de sourire en coin : depuis, les choses ont bien changé, n’est-ce pas ? Autre anecdote croustillante : quand il enregistre «Maybelene», le hit qui va le rendre célèbre dans tout le pays, il voit trois noms crédités sur la rondelle du single : Chuck Berry, Russ Freto et Alan Freed. Chuck demande : «Qui est Russ Freto ?» Pas de réponse. Il découvre un peu plus tard que Russ Freto est un employé de Leonard Chess, ‘est-à-dire un homme de paille. Chuck a beau être délinquant, il découvre que les frères Chess sont bien plus balèzes que lui en matière de délinquance. Ils méritaient d’aller faire un stage dans la taule d’Algoa.
    Alors bien sûr, si on regarde le film, on a l’autre pendant de cette histoire, avec toute la crème de la crème, Keith Richards, Clapton, Robert Cray, c’est à qui va frimer le plus, avec des solos à la mormoille. On voit aussi Jerry Lee rendre hommage à son vieux rival et ses rares apparitions dans le film remontent bien le moral. On revoit aussi avec un bonheur incommensurable la fameuse scène où Chuck fait rejouer trois fois l’intro de «Carol» au vieux Keef. Il dit à Keef : «Si tu veux le faire, il faut le faire bien !». C’est sa façon de régler ses comptes, car les Stones et les Beatles lui ont tout pompé. Chuck Berry n’est jamais devenu aussi énorme que les Beatles et les Stones. On peut comprendre qu’il puise en éprouver une certaine forme de ressentiment. Tiens, encore un coup de charme fatal : il rappelle qu’au temps de sa jeunesse, on n’entendait que des artistes blancs dans les quartiers blancs de Saint-Louis, des gens comme Sinatra ou Pat Booooooone, mais jamais Elmore James, ni Muddy Waters, ni Howlin’ Wolf. Alors il se dit : Pourquoi ne pas écrire de la sweeeeeet music pour entrer chez les white people ? «Alors j’ai écrit «School Days» et ça a marché !» Il faut voir le sourie de Chuck à ce moment-là.

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    L’autre gros avantage du disque de bonus, c’est qu’on y voit Etta James chanter une version démente d’«Hoochie Coochie Gal», le pendant féminin du fameux «Hoochie Coochie Man». Taylor Hackford rappelle que Chuck ne voulait pas d’Etta dans son film mais Keef réussit à l’imposer. À la fin de la chanson, visiblement ému, Chuck vient serrer Etta dans ses bras. Il dit ne pas la connaître, mais elle lui rappelle qu’au temps de ses débuts chez Chess, elle a fait les backings vocals pour lui sur quatre titres, en compagnie d’Harvey Fuqua des Moonglows et de Minnie Ripperton qui était alors réceptionniste chez Chess. L’autre sommet du bonus disk est l’épisode d’Algoa State County Jail, où Chuck séjourna de 18 à 21 ans. Taylor raconte qu’ils sont entrés dans la taule comme dans un moulin, car Chuck y est un héros. Pas besoin de papelards ! Un petit groupe accompagne Chuck et dans ce petit groupe se trouvent des femmes, dont la fameuse Stephanie Bennett. Ça flippe un peu dans le groupe de visiteurs, car ils doivent traverser la cour à pieds et des centaines de taulards arrivent pour les accompagner. Certains commencent même à mettre la main au panier de Stephanie Bennett pour la mettre à l’aise. My crutch ! Ça fait marrer Chuck ! Hilare, il rappelle que les taulards sont privés de pussy pendant looooongtemps. Puis il donne un concert gratuit pour ses copains taulards. GRATUIT ! Eh oui, tout arrive. Quelle rigolade ! Mais on ne voit hélas pas les images, car Chuck les a confisquées. À la suite de cette séquence pour le moins insolite, Taylor Hackford rappelle que Chuck fit trois séjours au ballon : pendant le premier, il apprit la poésie, pendant le second (suite au Mann Act, une vieille loi raciste qui interdit aux nègres de traverser des frontières d’états en compagnie d’une mineure blanche), il termina ses études, et pendant le troisième (poursuivi par le fisc pour non-déclaration de revenus), il obtint un diplôme de compta, histoire de dire : vous ne me baiserez plus. And he could play guitar like a-ringing a bell. Fabuleux personnage.

    Signé : Cazengler, le chuck des mots, le poids des faux taux

    Chuck Berry. Disparu le 18 mars 2017
    Rock And Roll Music/ Any Old Way You Choose It. Bear Family 2014
    Taylor Hackford. Hail hail Rock’n’Roll. DVD 2006

    REUNION AU SOMMET

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    Le monde se tait. Les papillons arrêtent de voler pour ne pas corrompre du silence de leur vol les vastes pensées que Zeus tonnant tourne infiniment dans son grandiose cerveau. Nul bruit ne se permettrait d'interrompre, les sombres méditations du Maître des Cieux. Il a par hasard jeté un regard sur le monde hagard des hommes. Le désolant spectacle de cette race chétive et débile vient de s'offrir à ses yeux. Heureusement, marmonne-t-il, qu'il existe les rockers pour relever le niveau de cette humanité contingente. Certes l'on trouve sur cette triste planète quelques êtres supérieurs tels le Cat Zengler et le Damie Chad, chaque semaine j'avoue prendre plaisir à la lecture de leurs chroniques, mais quand je les compare à Achille, à Hector, à Ajax, à Ulysse, je me dis que face à ses héros ce ne sont que des poids plume... peut-être devrais-je les soumettre à une terrible épreuve, oui l'idée me semble bonne, tiens je commencerai par ce Damie Chad qui ne se prend pas pour une semi-bouse de vache sacrée...

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    C'est à ce moment précis que les deux battants de la salle du trône s'ouvrent violemment et qu'un sinistre hurlement d'exaspération féminine retentit :
    - AUHUIHUOIAÎ !!! Assez ! J'en ai assez – l'épouse du monarque de l'univers projette violemment sur le sol trois douzaines de poteries grecques dignes de figurer dans les collections du British Museum – Zeus, je t'ordonne de réagir !
    - Ma douce Héra, ma tendre, mon bébé, ma pantoufle, mon nanan, que se passe-t-il ? Que puis-je pour apaiser la fulmination de tes tourments, parle sans crainte ma chérie !
    - Toujours les mêmes, les trois cousines, Athéna, Artémis et Aphrodite qui n'arrêtent pas de se chamailler, et c'est moi la plus belle, mais non c'est moi, non tu mens c'est moi, si tu n'interviens pas, bientôt l'on sera bon pour une nouvelle guerre de Troie, et j'en ai plus qu'assez de leurs criailleries de gamines pourries jusqu'au trognon !
    - Ne t'inquiète pas ma toute bonne, tu m'apportes sur un plateau l'idée à laquelle j'aspirais sans parvenir à la formuler. Calme-toi, prends un peu de repos, retire-toi dans ta chambre mais avant introduis nos trois insupportables péronnelles, que je leur inflige la plus terrible des punitions.

    L'oeil de Zeus étincèle. Les trois donzelles baissent la tête et ne mouftent pas. Zeus décide et décrète :
    - Huit jours que vous importunez Héra par vos stupides enfantillages. Cela suffit. Puisque vous ne savez pas qui est la plus belle, primo : je vous transforme en jeunes femmes, secundo : je vous expédie sur la terre, tertio : je nommerai un juge pour vous départager. Et vous n'avez pas intérêt à venir réclamer par la suite. Exécution immédiate. Ah, non j'oubliai, Hermès c'est bien toi qui as inventé la lyre ?
    - Oui Père !
    - Et toi Apollon, tu sais en jouer ?
    - Oui Père !
    - Vous partirez avec vos soeurs, veillez sur elles comme sur la prunelle de vos yeux, la lubricité humaine est infinie.

    Je dors du sommeil du juste lorsque dans mon songe retentit une voix assourdissante et comminatoire :

    - Réveille-toi Damie, c'est moi Zeus qui vient t'affronter à une cruelle épreuve qui te montrera en quelle estime je te tiens pour te l'avoir imposée.
    - Zeus je suis prêt, commande et j'obéirai.
    - Bien, je savais que tu serais digne de ma confiance. Ce samedi 01 AVRIL 2017, dirige tes pas vers BARBIZON, va jusqu'au BLACKSTONE, là tu trouveras, trois jeunes femmes, attention n'y porte pas la main, ce sont de véritables déesses, elles se présenteront sous le nom de JALLIES, tu les laisseras chanter, tu leur prêteras une grande attention, et à la fin tu éliras... la plus laide !
    - La plus laide Zeus, je demande de l'aide ! Ce jour est à marquer d'une pierre noire, comment oserais-je me montrer si malotru !
    - Tais-toi sombre vermisseau ! C'est là ta mission, ainsi tu assèneras un coup mortel à leur orgueil, et ma digne épouse ne viendra plus hurler à mes oreilles pour que je punisse ces trois calamités bruitistes !

    Je n'en menais pas large lorsque la teuf-teuf me déposa devant le BlackStone. Affirmer à une jeune fille qu'elle n'est qu'un laideron n'est guère élégant. Ce n'est pas dans ma nature, ma maman m'a appris à rester toujours poli avec les dames. En plus s'adresser de cette manière fort discourtoise à des déesses immortelles, comment réagiront-elles ! Imaginez leur colère, moi qui ne suis à leurs yeux qu'un simple mortel aussi insignifiant qu'un moustique sans ailes.

    Je tremblais un peu lorsque j'ai coupé le moteur de la teuf-teuf devant le BlackStone. J'avais pris mes précautions, j'avais emmené le Grand Phil avec moi, me semblait être de toutes mes connaissances l'individu le plus apte à me seconder dans cette périlleuse mission, un gars diplômé en grec ancien, c'est tout de même idéal pour tailler le bout de gras avec des déesses grecques. Nous les avons trouvées, accompagnée de leurs deux chaperons devant un poulet frites, les pauvrettes habituées à l'ambroisie divine ! Mais les voici sur scène !
    Quel ravissant spectacle ! Elles ressemblaient à s'y méprendre aux Jallies habituelles, mais il y a des détails qui ne trompent pas. Plus de rouge, plus de noir, s'étaient revêtues de la couleur de l'Empyrée, ce bleu-azur qui est la teinte des plafonds de l'Olympe. Difficile de savoir qui était au juste Artémis, Aphrodite, Athéna aussi me contenterai-je de les nommer par le prénom des simples mortelles qu'elles incarnaient si radieusement.

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    Par contre pour les boys, n'ai pas eu la moindre hésitation. Apollon se cachait sous l'aspect de Kross. L'a commencé par arriver en retard au début des trois sets. La lenteur est la marque de la grandeur des Dieux, nous a appris Aristote. Habillé tout de noir, une casquette de malfaiteur sur la tête. L'était évident que ce soir ce n'était pas l'Apollon lumineux qui nous regardait, mais l'autre aspect du dieu, le côté obscur de la force, le lycaon, le loup cruel et sans pitié, je puis vous en apporter la preuve, à ma connaissance le seul contrebassiste qui se soit permis de jouer de la contrebasse... en la mordant, et puis ses soli, vous aviez l'impression qu'à chaque fois qu'il touchait une corde il écrasait la tête d'un serpent. A peine a-t-il commencé à jouer que les photographes se sont précipités pour le prendre en photos.

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    Hermès se cachait sous le chapeau et la chemise blanche de Tom, nous a donné un festival de guitare rock, en verve et le sourire aux lèvres le jeune dieu, imaginez Hendrix avec une tronçonneuse, l'a fait ronfler son engin comme un moteur de spitfire en plein combat, l'a survolé les trois sets, vous a piqué de ces soli en rase-mottes à vous donner le tournis, un moulin d'enfer, c'était bien un dieu qui jouait, l'a malmené ses cordes comme les élastiques d'une fronde, et détail qui ne trompe, n'en a même pas cassé une, alors qu'il a les a tirées plus vite que son ombre, plus fort que jamais, à chaque solo l'arrachait des cris d'admiration à la salle...
    S'étaient tous les deux rangés sur le côté droit de la scène afin que les déesses soient en face des spectateurs, n'étaient-elles pas l'enjeu crucial de cette soirée ! Si vous croyez que le train d'enfer mené par leurs chaperons les ait mis ne serait-ce qu'une demi-seconde en danger, vous vous trompez. Elles ont survolé sans effort cette tonitruance impulsée par les mâles, s'en sont amusé comme l'oiseau se laisse emporter par les courants ascendants des cyclones les plus violents.
    Céline, les bras nus, aussi blancs et harmonieux que ceux de Nausicaa qui accueillit Ulysse au royaume d'Alkinoos, l'était le chant et la danse, trilles swing de sa voix, un ascenseur fou qui se perdait dans les ramures vertigineuses de la beauté pour redescendre vers la plasticité condescendante des racines impulsives, un escalator hors de tout contrôle qui vous trimballait des cieux à la terre d'une seconde à l'autre, et puis cette manière d'immobiliser soudain son corps la guitare sur son épaule comme si elle revenait de la fontaine de Castalie une amphore légère délicatement posée sur sa clavicule. Ô Zeus cruel, comment pourrais-je associer la notion de laideur à tant de grâce !
    Leslie, la large échancrure de sa tunique qui dévoilait des épaules de reine, tantôt cachant la droite, tantôt voilant la gauche, comme si nul oeil humain n'aurait pu supporter l'éclat irradiant de ses deux rondeurs ivoirines en un même temps, et sa voix mutine qui enflammait les rocks les plus torrides, des cercles de feu qui vous brûlait l'âme comme les forges volcaniques d'Héphaïstos, cette voix de petite fille égarée et perverse sur Funnel of Love, auriez vous déjà entendu une telle délicatesse empoisonnée ! La souplesse étincelante du serpent alliée à sa morsure la plus dangereuse. Ô Zeus sans coeur, faut-il que tu sois soit pitié pour m'obliger à mêler à cette étincelle de bonheur l'idée de laideur !
    Vanessa, et son clair regard de diamant, suffit que vous vous sentiez le dard pétillant des ses yeux se poser sur vous pour vous sentir meilleur, ses réparties railleuses qui cascadent sur vous comme l'aigle des nuées qui tombe sur vous et vous déchire de ses serres puissante, et sa voix une pluie de grêlons brûlants qui s'abat et vous fracasse la tête, tour à tour Koré printanière du blond soleil et Perséphone des ires infernales, malmène la caisse claire comme si vous étiez l'objet de sa plus cruelle vindicte et puis vous adresse un de ces sourires ensorceleurs qui vous embaume l'esprit. Ô Zeus méchant, en quoi le concept de laideur aurait-il quelque prise sur vision de vie énergisante !

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    Et les trois ensemble, ô dieux, quelle harmonie suprême, un entremêlement de tout ce qu'il y a de plus beau sur cette terre. Comment pourrais-je m'acquitter de cette mission. Mais les dieux aiment à faire durer la souffrance humaine. Ne voilà-t-il pas que la porte s'ouvre au milieu du troisième set et que José, Didier et Ludo, le redoutable trio des Eight Ball se précipite devant la scène. Se sont dépêchés de finir leur concert à Réau pour voir les Jallies à Barbizon, et sur l'invitation de Tom – l'Hermès sardonique – après s'être emparés tour à tour de la contrebasse de Kross avec l'agilité d'un chat – normal les Jallies sont en train de miauler un souverainiste Stray Cats - ils nous offriront un mini set de quatre morceaux qui se terminera par une reprise hommagiale de Johnny B. Goode, mais vous avez raté leurs vacances au pays des vampires, un truc frissonnant d'horreur désopilante.

    Une bien belle soirée avec deux groupes pour le prix d'un, remarquez que comme l'entrée est gratuite... En tout cas, pour moi ce n'est pas fini, le plus dur reste à faire. Zeus m'a fourré - sans chocolat – dans une épineuse affaire. Comment pourrais-je m'en tirer sans offenser ni le maître des Dieux ni les trois plus belles déesses de l'Olympe. Je consulte en douce le Grand Phil qui m'assure qu'à ma place il s'inspirerait non pas de la philosophie de l'Hellade – car quel humain pourrait se vanter d'être plus sage qu'un dieu – mais de la grande sophistique, cette invention typiquement grecque – donc humaine - qui égale par ses perfides argumentations la duplicité des dieux.

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    Toutes les trois devant moi, les yeux baissés attendant que mes lèvres proférassent l'assassine sentence. Elles n'en menaient pas large, ce qui était normal vu l'adorable taille de guêpe de leur divine silhouette. Enfin Céline prit son courage de ses deux menottes si fines :
    - Damie, ô Damie ! Dis-moi, suis-je la plus laide ?
    - Oui Céline, la plus led de toutes, ta grâce est l'ampoule illuminescente qui éclaire le monde et éclipse les soleils de toutes les galaxies !
    - Merci Damie, je ne sais comment te remercier, ah ! si ! Je te ferai une bise au premier de l'an !
    - Quelle merveilleuse manière de commencer l'année, ô déesse !

    C'était au tour de Leslie. Elle n'osait pas, son pied gauche tout mignon tambourina par trois fois le sol, et d'une voix étreinte par l'anxiété, elle demanda :
    - Damie, ô Damie ! Dis-moi, suis-je la plus laide ?
    - Oui Leslie, la plus la laid back de toutes, ta décontraction est cette douce musique qui meut les sphères et permet de maintenir l'équilibre de l'univers !
    - Merci Damie, je ne sais comment te remercier, ah ! si ! Je te ferai une bise pour ton anniversaire !
    - Ce sera l'a-pic vertigineux de mon existence, ô déesse !

    Il ne restait plus que Vanessa. A sa place vous auriez tremblé de peur. Ses deux copines s'en étaient bien tiré, que lui réserverait le sort fatidique ? C'est d'une voix légèrement altérée mais aussi suave que le miel de l'Hymette qu'elle posa la question rituelle :
    Damie, ô Damie ! Dis-moi, suis-je la plus laide ?
    - Oui Vanessa, la plus led Zeppelin de toutes, tu es l'acier brillant dont on forge les armes des Héros et le glaive de justice de Zeus qui commande l'ordonnancement des étoiles !
    - Merci Damie, je ne sais comment te remercier, ah ! si ! Je te ferai une bise pour la Noël !
    - Ce sera le plus inestimable présent que je ne recevrais jamais, ô déesse !

    Et, hop, toute contentes, sans plus me jeter un regard, elles s'envolèrent vers le ciel.

    N'étais pas trop fier de moi lorsque je me suis couché. Comment Zeus allait-il réagir ? Je n'avais pas fermé les yeux qu'il apparut.
    - Damie, ne fais pas semblant de ne pas me voir !
    - Oui Zeus ! J'écoute ta sentence !
    Il y eut un lourd silence, j'eus l'impression qu'il dura au moins deux siècles. Enfin Zeus s'éclaircit la voix :
    - Hum - hum ! Pas très courageux mon petit Damie, même pas l'audace de te payer la tête d'une fille, un conseil, ne te marie jamais, pauvre Damie, sinon tu essuieras la vaisselle matin, midi et soir ! Tu n'arriveras jamais à la cheville d'Achille.
    - Oui Zeus, je l'admets, je suis timide, c'est ma faiblesse, sur le baromètre achilléen je ne ne monte pas plus haut que le talon !
    - Dès que tu as ouvert la bouche j'ai saisi la perfidie de tes paroles à double sens, tu as une langue de reptile venimeux !
    - Je te promets que je ne recommencerai pas, ô Zeus !
    - Ne crains rien, j'ai reconnu en ton verbe ambigu l'ingéniosité trompeuse et les mille détours souverains du subtil Ulysse cher à mon coeur, aussi ne t'en veux-je point !
    - Merci Zeus, mais puis-je te poser une question ?
    - Fais-vite, je suis pressé, l'univers a besoin de moi.
    - Tu viens de me dire que ma parole possède la grâce ondoyante des discours d'Ulysse, mais que penses-tu de ma plume, serait-elle l'égale de celle d'Homère ?
    -Ta plume Damie ? tu peux te la mettre au cul !

    Et le dieu des Dieux s'évanouit en moins d'une seconde. Lorsque je m'éveillai, résonnait encore dans mes oreilles son rire tonitruant.


    Damie Chad

    LES POETES DU ROCK
    JEAN-MICHEL VARENNE


    ( Seghers / 1975 )

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    Attendait sur l'étagère depuis quelque temps, l'ai souvent pris en mains, mais la petitesse du caractère me rebutait. Plus de trois cents pages minuscules... Quatre décennies que je n'y avais jeté un coup d'oeil, n'étais pas pressé, une de plus ou une de moins... Mais enfin l'autre soir n'écoutant que mon devoir je m'y suis collé. N'en ai pas décollé jusqu'à la fin. M'attendais pas à si fort, avais tout oublié – merci cher alzheimer – vous cite quatre lignes de l'introduction :


    «  … Être hanté des nuits entières par le cuir blanc de Gene Vincent, sa jambe droite scellée dans le fer, sa tête balancée le long des épaules glissant jusqu'au ras du sol, levant les yeux fous vers la clarté glauque d'un spot perdu dans la nuit... »


    Du coup suis allé voir sur le net qui était ce Jean-Michel Varenne. N'ai pas trouvé grand-chose. A écrit une trentaine de bouquins – certains d'après moi alimentaires – mais des centres d'intérêt convergents, spiritualité, ésotérisme, alchimie, bref des voies d'accès directes à la poésie, bien plus signifiantes que les dissections sémiotiques universitaires, question rock son intro est le meilleur des passeports.


    BOB DYLAN

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    L'a placé Bob Dylan à part, en tête de volume, L'Histoire lui a donné raison, le prix Nobel de Littérature est tombé dans son escarcelle sans qu'il ait intrigué pour le percevoir. Perso, j'aurais placé tout devant Jim Morrison. Me semble davantage correspondre à un voleur de foudre que Dylan. Tout sépare les deux hommes, Dylan c'est encore la vieille écriture européenne qui ne s'écarte guère de l'antique imagerie biblique, avec lui l'on n'est jamais très loin de l'Apocalypse christologique de saint Jean. Trimballe dans ses textes torrentueux toute l'arrière-fond du puritanisme américain, un oeil sur le péché et l'autre sur le feu de Sodome et Gomorrhe, le désir dans la tête et la peur au ventre. Morrison est un fils du paganisme, au travers de ses poèmes l'on sent la pulsation de l'animisme primordial, le culte du Serpent originel, son sang noir charrie les cultes orphiques de convocation des esprits et les rituels ophites du vaudou. Présente Dylan comme l'héritier du Harrar, appellation qui correspondrait me semble-t-il davantage à Morrison duquel les écrits entrent beaucoup plus en résonance avec la sauvagerie native et retrouvée des Illuminations de Rimbaud.
    Ceci mis à part, il est temps de louer la méthode de Jean-Michel Varenne. Se livre à chaque fois à une explication de texte qui déborde dans les marges de la biographie sans jamais remettre en question la centralité de l'œuvre. Le texte est là, sans cesse, d'abord dans sa traduction française, immédiatement suivi de l'original – parfait pour améliorer votre anglais – mais enchâssé dans le décryptage entrepris par Jean-Michel Varenne qui resitue et restitue le contexte existentiel qui a généré son écriture. Lecture des plus éclairantes, des plus pertinentes, au milieu des années soixante-dix, ces textes n'étaient généralement accessibles qu'en songbooks pirates, les lire n'était guère facile, l'on se trouvait souvent confronté à une débauche d'images hétéroclites dont la logique qui avait présidé à leur entremêlement s'avérait inatteignable. Nous les jugions gratuites, filles d'un surréalisme éculé, et les plus sévères n'hésitaient pas à parler de facilité d'écriture relâchée, une espèce de sous-littérature largement surévaluée.

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    Donc Dylan dont Jean-Michel Varenne suit le parcours d'album en album. Le prophète de la Nouvelle Gauche américaine, contestation radicale du Système et donneur de leçons de morale. Ecoutez la parole du Grand Folkleux ! Lui faudra du temps pour percevoir l'aspect désagréable de cette bonne conscience. De tout repos et dispensatrice de beaux cadeaux. La célébrité, l'argent, le star system chérit ses bénéficiaires. Devient l'aboyeur appointé du Système, celui qui vous avertit à la porte d'entrée. Pousse des grognements terribles mais peu efficaces, l'est solidement arrimé au cou par une chaîne d'or. De surcroît beaucoup le flattent et lui glissent un sucre entre les dents. L'est enserré dans un anneau étrangleur de contradictions, s'en délivrera à coups d'électricités et de drogues. La liberté chèrement acquise le coupe du monde, s'enfonce en lui-même dans le carnaval qui tourne dans sa tête. L'a des visions. L'aurait pu finir comme un Saint, mais cette ascèse est trop difficile, endossera le rôle du repenti, désormais il portera sans fin la croix de la culpabilisation. Parfois il la dépose dans un coin et nous fait le coup du red neck born again, une vie simple et honnête, la femme aimée et les enfants qui jouent dans le jardin, mais il reprend vite son fardeau, car celui qui faute connaît d'abord les joies de la damnation... Nous avons un avantage sur le bouquin, nous connaissons une grande partie de la suite de l'histoire, se finit en queue de poisson, point christique, simplement cynique. Revenu de tout et de lui-même, Dylan cultive son jardin, n'aime guère que l'on vienne enquêter sur ses plate-bandes. Nous laisse en paix. Se contente de faire régulièrement la tournée des guichets.

    JIMI HENDRIX

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    Entre Dylan et Morrison, Varenne intercale Jimi. Bien joué. Les deux autres ont beau s'agiter, restent avant tout des intellos. Hendrix est l'homme de la pratique. Issu d'un croisement de sang rouge et noir – les deux couleurs fondamentales de l'alchimie – le résultat en a été un bleu sombre, vient des bas-fonds, de ceux qui triment ou chôment dans l'anonymat. Pas question de la leur mettre. Les promesses savent qu'elles s'équivalent au zéro. Veulent du concret. Le rock n'est pas une musique. Certains écrivent de la poésie. D'autres la vivent. Le rock sera une expérience. Un voyage de l'autre côté. Apprendre à percevoir ce qui n'est pas directement accessible. En concomitance avec son époque. Les buvard bleus, les trips qui vous mènent hors de la triste réalité quotidienne. Une démarche cousine de celle des Doors. Au début, c'est magnifique. Aussi beau que le déchaînement des rubans multicolores de la fin d'Odyssée de l'Espace. Mais les chatoyances colorées se révèlent être un feu qui n'éclaire plus. Qui brûle. Dans Electric Ladyland Hendrix recherche le secours de l'eau, l'électricité déguisée en Dame du Lac, pour éteindre les irrémédiables brûlures des drogues qui vous embrument et du sexe qui s'attiédit. Maintenant qu'il a subi toutes les épreuves auto-rituelles qu'il s'est imposées les distances se sont abolies, il n'a jamais été aussi loin et aussi près du passage. Qui peut dire ce qu'il a trouvé. Jean-Michel Varenne nous apprend que les mots d'Hendrix sont aussi importants que ses notes. Une découverte. Ecoutez ce que le vent crie et pleure.

    BEATLES

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    Trop gentillets à mon goût. Varenne s'intéresse avant tout au Sergent Poivre. Ce n'est pas chez moi qu'il recevra le grade de général cinq étoiles. Quant à leur poésie... les Déroulède du psychédélisme. Les trompettes de la renommée qu'ils ont embouchée, je les soupçonne de n'être que de vulgaires tubas asthmatiques. Ou alors d'un hélicon qui se prend pour un hélicoptère. Une fanfare hétéroclite. Beaucoup de bruit pour rien. Jean-Michel Varenne – qui les aime beaucoup – cueillent les fab four à la fin de Revolver. Le disque annonciateur des grands bazars hétéroclites de la modernité musicale. L'on rassemble tout ce qui existe, la musique classique, les gammes orientales, le poivre du rock, le travail stockhauseneriste du studio, l'on touille, et l'on sert chaud. Une fuite en avant. Les Beatles ne gèrent plus leur célébrité. Sont portés par la vague, mais ils ne contrôlent plus rien. Ce n'est pas leur canot de sauvetage pneumatique qui prend l'eau, c'est leur tête. Drogues douces et drogues dures. Au milieu du sandwich une tranche de mortadelle spirituelle. Pas excellent. Finiront par recracher les morceaux. L'équipage se révolte contre lui-même. Pourraient faire sauter la soute à munitions pour finir en beauté. Mais non, pas si fous. Trop sages. Sauve-qui-peut général mais pas de panique. Tout le monde descend au prochain port.

    ROLLING STONES

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    Une autre dimension. Les dandies du mal. Les dignes héritiers d'Oscar Wilde, de Lord Byron, de Thomas de Quincey. Et des nègres. Que voulez-vous rien n'est plus explosif que la poudre noire. Car oui, non contents de se vautrer dans le stupre et la drogue, ils sont les adeptes de la musique noire, le blues. La musique honteuse. Font tout pour se faire mal voir : sales et habillés comme des clodos. La police les guette et le gouvernement les enverrait avec plaisir en prison. Ce n'est pas qu'ils aiment, c'est qu'ils vous haïssent. Se sentent supérieurs, et très vite ils vous méprisent. Et de là, ils se foutent de vous, vous utilisent, vous exploitent, vous rendent soupe de chèvre, vous manipulent sans regret. A chacun sa ration. Super-vitaminée dans les deux cas. Et pour les fans et pour les ennemis. Se foutent de votre gueule et pactisent avec vous. Crachent sur la gentry et rejoignent la Jet-set ! Un parcours diabolique ! Un œil sur Lucifer et l'autre sur le portefeuille. Après Altamont, à l'heure cruciale, ils choisiront le côté du cœur. Jean-Michel Varenne ne les porte pas aux nues. Mais quoiqu'ils fassent ils restent le soleil noir du rock'n'roll.

    JIM MORRISON

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    Nous le présente comme un solitaire. Un ovni égaré échoué sur la planète du rock'n'roll. Qui repartira dégoûté de cette race humaine dégénérée vers d'autres cieux. Qui ne se révélèrent guère plus cléments. Le vaisseau s'écrasera lamentablement. Mais peut-être était-ce la seule manière non pas d'ouvrir la porte sur une autre dimension, mais de la refermer définitivement sur celle-ci. N'a pas eu le public qu'il méritait. Ou plus exactement le plus en âge de flairer la bête et le moins apte à le sentir. Des petites filles, des adolescentes pas du tout attardées, plutôt en avance, dégagées de l'enfance sans avoir encore atteint leur maturité intellectuelle. Morrison a fait avec. Saurien qui prêche dans le désert. Qui tue le père afin de les libérer du carcan de la déglingue civilisatrice. N'appelle pas au retour du bon sauvage rousseauiste, mais met en scène une dramaturgie de la cruauté innocente à la Antonin Artaud. Jim Morrison traverse le rock en passant considérable. Vient d'ailleurs mais ne sait pas exactement où il va. Expérience hendrixienne. Par excellence. Observation de la chute d'un corps équivalente à celle de la chute d'un astre. Parabole. Sinuosités étincelantes du serpent. Ondulations maléfiques des reptiles. Peut tout faire. Mais n'accomplira rien. Pas un exemple. Une trajectoire. Souvent je pense que son existence provient des atomes subtils d'un rêve de Nietzsche qui se serait condensé et coagulé dans la matière de notre monde. Certains nommeront cela un cauchemar ambulant. Gardez-vous d'y tirer dessus. Les balles ricochent sur sa carapace. Vous pourriez vous blesser. La bête morte tue encore. Normal, c'est un poëte.

    LOU REED

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    Lou Reed sort de la dernière exit - est-ce excitant ! - from Brooklin, ne s'est pas sorti tout seul du chapeau du magicien, du chaudron maléfiques des pommes pourries du paradis, un bonimenteur l'en a tiré – vous tire aussi votre portrait et votre argent – s'appelle Andy Warhol le pape du pop art, une variation new yorkaise du Colonel Parker, mais le décor du cirque rentre dans le couvre-chef et touille Loulou, le gentil petit lapin en gibelotte fricassée aux fines herbes. Fausse recette. A la poudre qui n'est pas de perlimpinpin. C'est elle l'héroïne de la comédie inhumaine qui va suivre. Défilé des spectres, cherchent leur dose, maxidose dans les veines, et myxomatose généralisée des comportements. N'y a pas que les yeux qui sont rouges de sang sur les trottoirs de New York. Entrez dan le souterrain de velours et admirez les portraits de cire fondante et vivante. La collection des dépravés. Le sexe comme ultime alimentation. Il suffit de réaliser ses propres fantasmes pour ne pas être plus heureux. Ou plus malheureux. Ce qui peut-être considéré comme un mieux quand on y pense. Lou Reed, l'autre côté des décors du rock'n'roll. Circulez, il y a tout à voir. Prodigieusement ennuyant. Répétitif et traînant en longueur. Le vice monotone.

    TROIS GROUPES ANGLAIS

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    Une introduction qui manifestement a lu le chapitre du Rock Anglais d'Alain Dister ( voir KR'TNT ! 321 du 23 / 03 / 2017 ) – la littérature rock use aussi de l'esthétique du recyclage chère à sa musique – la poésie tipically british. Par ordre d'entrée en scène : Les WHO. Assez bien vu, la ligne de partage des eaux, la furia et la finesse. Live at Leeds, le bruit et la fureur et Tommy, l'intellect rock en action qui demande davantage d'harmonie. D'un côté la révolte adolescence sous forme de tornade, et de l'autre une réflexion sur la société anglaise. Des voyous philosophes d'un genre nouveau. Tombent dans toutes les chausse-trappes de la pensée pompière mais avec un volontarisme et une fougue qui emporte l'adhésion. En deux les Kinks mais un degré en dessous. Du rock sauvage en leurs débuts mais très vite nostalgie et tendresse désabusée sur l'avenir sans futur qui s'annonce sur les petites gens, prolétaires du pays vous allez en prendre plein la gueule. Procol Harum, s'éloignent de la réalité, construisent un monde intérieur merveilleux de chevaliers et licornes hors du temps.

    ACID-TEST

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    Si les anglais semblent s'enfermer dans les fastes d'un passé mythique, l'Amérique ouvre les portes d'un futur prometteur. Hélas, elles seront vite refermées. Un moment capital de l'histoire du rock. Pour faire une équivalence nous dirons que ce qui se passe durant quelques mois à San Francisco et puis à Londres, n'est pas s'en rappeler l'expérience de collectivisation des terres en Aragon durant la guerre d'Espagne. L'apparition des Diggers qui reprend les théories de Kropotkine sur l'économie du tas basée non plus sur l'offre et la demande mais sur le besoin individuel et l'apport au collectif nous montre que notre comparaison n'est pas sans fondement. Varenne ne remonte pas si loin. S'arrête au mouvement beat, cette espèce de coupure épistémologique poétique et littéraire, ce moment où la poésie sort des livres et des bibliothèques pour prendre la route. Une tradition américaine dont Walt Whitman et Jack London sont les promoteurs. En France, Albert Glatigny et Arthur Rimbaud en sont les précurseurs.
    Les beatniks étaient des marginaux, des intellectuels coupés des masses. Des délinquants intellectuels d'un genre nouveau que la société regarde d'un mauvais oeil mais trop peu nombreux pour l'inquiéter sérieusement. Une deuxième génération instantanée, on l'appellera la génération hip, apparaît sur les campus universitaires. Ces nouvelles troupes n'ont pas été séduites par un quelconque éblouissement poétique au cours de leurs études. C'est l'Etat qui met le feu aux poudres en permettant en toute légalité l'expérimentation de l'acide lysergique. Remue-ménage dans les méninges. D'autres perspectives s'offrent à vous. Il existe d'autres urgences que le travail et la reproduction familiale des générations. Faut se tirer de ces carcans. Le mot d'ordre est simple, lâchez prise, drop out généralisé.

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    La Chine était en train de vivre sa révolution culturelle. La Californie aussi, mais très différente. Le rock en est l'étendard. Mais on ne vit pas que d'amour et d'eau fraîche. Toute société repose sur un couple économique de base. Production et distribution des richesses. Pour la répartition le mode de partage sera des plus simples : partage et entraide. Concerts gratuits et comme l'on ne partage que ce que l'on a, ce sera le partage – très christique – des corps et l'amour libre. Les modalités industrielles seront artistiques : dessins, musiques, affiches, light-shows, concerts, sagesses orientales et écologiques, créativité tous azimuts... L'on ne sait comment cela se serait terminé, le mythe des Communautés en était à ses prolégomènes expérimentaux... Lorsque les medias tuèrent la poule aux oeufs d'or avant qu'elle n'arrive en âge de pondre. De magnifiques articles décrivirent cet ordre nouveau en train de s'installer en Californie. Promettez la bouffe gratuite et la baise ouverte à une classe de troisième et vous allez voir comment vos élèves vont prendre des notes et faire leurs devoirs all the night long... des milliers d'adolescents se ruèrent sur la Californie. Déchantèrent vite, mais c'était trop tard.
    Cette armée d'idéalistes emmena dans ses bagages des requins aux dents particulièrement longues armés d'une arme irrésistible : la loi du profit. Musicalement les effets de cette logique pécuniaire se firent vite sentir : fini les love-parade-musicales-gratuites, le festival pop de Monterey sera payant. Les groupes signeront des contrats et seront soumis à des impératifs commerciaux. Les hips cèdent la place aux hippies, un mouvement contrôlé par l'industrie du disque et de l'entertainment. Les deux groupes phares du son calfornien subiront de plein fouet ce remaniement structurel. Le Gratefull Dead résistera du mieux qu'il put, l'avait pour lui le soutien originel de cette communauté d'une centaine de personnes dont il était le noyau constructeur et l'émanation idéologique. Mais les jams interminables sous acide ne correspondaient guère au format des trente-trois tours, fallut s'adapter et arrondir les angles, en 1976 le Dead à bout de force arrêta les frais... Le Jefferson Airplane suivit un autre chemin, celui de la compromission acceptée. La musique plana de moins en moins haut. Les délires aux pays des merveilles d'Alice sous acide laissèrent la place à une idéologie gauchiste va-t-en guère, il ne s'agissait plus d'expérimenter une utopie sociale mais de suivre le goût des générations montantes déçues par les promesses hippies non-tenues qui recherchaient un affrontement beaucoup plus direct avec le système.
    En ésotériste convaincu, Jean-Michel n'aime guère les soubresauts révolutionnaires. La révolution est avant tout intérieure. Partisan des évolutions lentes. Ce n'est pas un hasard s'il passe sous silence dans le reste de son livre MC 5, Stooges, Steppenwolf, Black Panthers et oppositions à la guerre du Vietnam.

    RETOUR AUX POETES

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    Deux âmes torturées. Neil Young et Van Morrison. Cheminements bien analysés mais la bifurcation envisagée n'offre guère de grands espaces à dévorer. Les dépressions de nos deux troubadours électriques ne seraient-elles pas des impasses ? Tout le monde n'est pas Gérard de Nerval. Nos chevaliers de l'apocalypse intérieure ont tout de même une propension régulière à chausser les pantoufles du retrait sécuritaire lorsque les eaux de l'Achéron s'avère par trop tumultueuses...

    RETOUR AU ROCK'N'ROLL


    Entre deux extrêmes, le futur et le passé. The Band, l'ancien groupe de Ronnie Hawkins et le nouveau de Dylan. La dureté du rock et le regard socio-critique du folk. Un monde dur désespéré. Portraits d'individus qui vont jusqu'au bout d'eux-mêmes. Pas bien loin quand on y réfléchit. Cette partie a choisi de mettre l'optimisme novateur en tête de gondole. Les Byrds, la représentation mythiques des grands espaces, intérieurs, géographiques, interstellaires, le tout violemment éclairé à l'électricité. Lumière crue qui accentue surtout les défauts.
    Mieux vaut en rire qu'en pleurer. Zappa ne respecte ni rien ni personne. Regard scrutateur et acerbe. Le rock'n'roll n'échappe pas à la découpe. Le constat est amer. Beaucoup de fric et peu d'imagination. Jeunesse manipulée sans vergogne. Le rock n'est qu'un produit parmi tant d'autres de la société de consommation. Peut-être un peu plus pernicieux car il s'habille encore dans les habits de la rébellion. Attention, c'est cette même toile qui sert à la confection standardisée des linceuls.

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    Quand la mort est si proche, il est urgent de s'en éloigner à toute vitesse et de sauter à pieds joints dans les terres d'origine. Chuck Berry, sa musique oui, mais surtout son amour des grosses voitures et des petites filles. Little queenies, les lieux originels de l'émergence du désir du rock'n'roll. Indépassables. Insurpassables. Eternelle jeunesse.

    DERNIERES POIGNEES DE CENDRES

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    Les idoles oubliées sur le bord du chemin, les rescapés de l'aventure, Syd Barret, John Cale, Nico, qui n'ont même plus envie de raccrocher les wagons. Vivent en autarcie dans les chapelles écroulées, et les cryptes oubliées du tsunami rock'n'roll.
    Et puis les nouveaux venus qui ne sont que les derniers arrivés. David Bowie le plus doué, Bryan Ferry davantage factice. Essaient de recoller les morceaux du joujou rock'n'roll brisé. Font ce qu'ils peuvent. Des faiseurs. Qui recyclent la marchandise périmée. Proviennent d'Europe, la seconde patrie du rock'n'roll, rongée par un insurmontable complexe d'infériorité. La bête n'est pas née chez eux. Ne se résignent pas à l'inscrire sur la liste des espèces disparues. Essaient de créer des clones.

    THE END


    Le livre se termine comme les Fleurs du Mal. Mais en plus désespéré. Le vieux monde n'a plus rien à offrir, n'espère plus à trouver du Nouveau. Marchandise définitivement avariée. Jean-Michel Varenne n'y croit plus. Le livre se termine avant la renaissance punk et sur la plus haute tour de la désillusion Soeur Anne ne voit rien venir à l'horizon. Alors comme cadeau, Varenne nous refile une courte anthologie de textes traduits en extenso. Mais étrangement, nous semblent sonner faux, nous les préférions lorsqu'il ne nous les dispensait fragmentés, sous forme de citations lacunaires, enchâssés dans ses présentations. Et ce sera notre dernier compliment, ils affectent alors un aspect mille fois plus rock'n'roll.


    Damie Chad.