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  • CHRONIQUES DE POURPRE 613 : KR'TNT 613 : TEMPLES / BEACHWOOD SPARKS / JOE MEEK / THE LAISSEZ FAIRS / VICKY ANDERSON / WILD DEUCES / BIG DADDY'S BREAKFAST VOODOO / MANUEL MARTINEZ / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 613

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    28 / 09 / 2023

     

    TEMPLES / BEACHWOOD SPARKS

    JOE MEEK / THE LAISSEZ FAIRS

    VICKY ANDERSON / WILD DEUCES

    DADDY’S BREAKFAST VOODOO

    MANUEL MARTINEZ / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Dans l’air du Temples

    - Part Two

     

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             Dans Shindig!, James Bagshaw papote avec Jon Mojo Mills, le redac chef. Le cœur de la discussion concerne Sean Lennon avec lequel Bagshaw s’entend à merveille. Les Temples sont allés finir Exotico chez Sean, in upstate New York - Exotico sounds like Temples, but Temples with a newfound confidence - Une nouvelle confiance... Mojo Mills y va de bon cœur : «Late 70s and early 80s synths meet heavy guitars, dreamy texture redolent of Steve Hillage creep in, proving that prog and psych still matter, and there’s a lot of sprightly pop.» 

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             Alors justement, Exotico, parlons-en ! Quelle arnaque ! On sent bien dès «Liquid Air» qu’il n’y a rien à en dire. Ce pauvre petit groove revisité par Sean Lennon sonne comme une belle perte de temps. Et comme si cela ne suffisait pas, voilà qu’ils ramènent les synthés dans «Gamma Rays». S’ils veulent couler leur réputation, c’est le meilleur moyen. En plus, la compo est toute pourrie. Bagshaw se prend pour un compositeur. On prend vite ces m’as-tu-vu en grippe. On attend d’eux des miracles, mais il faudra repasser un autre jour, les gars. Bagshaw chante son morceau titre comme une mijaurée, et du coup ça redevient intéressant. Mais le reste de l’album se traîne lamentablement. Ils ont perdu le psych. Ils font désormais de l’electro-pop diskoïdale à la mormoille. On aimerait bien retrouver la paix après toutes ces horreurs. Ils vont en Orient pour «Crystal Hall», mais ça ne peut pas fonctionner. Ça tourne à l’ignominie de faux psych, et pourtant tu les écoutes jusqu’au bout, en souvenir des grands albums. Ils renouent un tout petit peu avec le psych dans «Head In The Clouds», mais un tout petit, qu’on n’aille pas s’imaginer des choses. La suite est lamentable. Rien ne passe la rampe, le faux orientalisme d’«Inner Space» est malencontreux, puis ils renouent avec l’horreur diskoïdale dans «Meet Your Maker». Là tu peux aller cracher sur leur tombe. Les pauvres Temples n’ont même plus de Temple. Ils sont en pleine déroute, dans une Berezina de la mormoille, au moins celle de Napoléon avait de l’allure, mais pas celle des Temples. Qui va aller écouter cet album ? Et ça continue avec «Time Is A Light», monté sur un beat electro foutu d’avance. C’est douloureux de voir un groupe si prometteur se vautrer dans la daube. Bagshaw revient en traître avec la pop de «Fading Actor», mais le son est pourri. Ils tentent le coup de la pop sur un beat electro, décidément, toutes les idées sont pourries. Ils ont perdu leur psych légendaire de loud guitars. C’est une catastrophe nationale.

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    Tout de même, ça semble curieux qu’un mec aussi fin que Bagshaw ne se soit pas rendu compte que Sean Lennon lui coulait son album, et pire encore, qu’il aille se vanter de cette collaboration dans Shindig!, qui est pourtant un canard assez raffiné.

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             Bon, on décide quand même d’aller les voir en concert, même si on sait qu’ils tournent pour la promo d’Exotico-le-maudit. Avec un peu de chance, ils vont jouer quelques cuts du premier album, Sun Structures-le-mirifique. Tu l’as sans doute toi aussi remarqué : quand tu t’engages dans une mauvaise passe, tu comptes beaucoup sur la chance. C’est une façon de se donner le courage que l’on n’a pas. Bon enfin, bref, te voilà vautré sur la barrière pour deux ou trois heures.  C’est bien la barrière, tu peux t’appuyer. On pense à tout à rien en attendant le jour qui vient, comme le scandait si bien Aragon. Pour faire écho à leur campagne de presse, les Temples font installer des cocotiers en plastique derrière les amplis. Avec une lumière tamisée venue du sol, ça fait très Exotico.

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    Pouf, ils arrivent et ça ne rate pas, il tapent directement dans «Liquid Air», le cut d’ouverture d’Exotico-le-maudit. On le déteste tellement ce Liquid Air qu’on le reconnaît. Si tu veux torturer des gens soupçonnés de terrorisme pour les faire avouer, fais-leur écouter Liquid Air. Ils osent jouer sur scène cette petite pop dansante à la mormoille, et bien sûr, Adam Smith pianote sur son petit clavier d’electro-chochotte. Quel gâchis quand on voit ces deux belles guitares. Le pire c’est qu’ils s’imaginent que ça plaît aux gens, et le pire du pire, c’est que tu as des gonzesses qui te dansent dans le dos.

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             On reste dans l’horreur avec deux autres cuts tirés d’Exotico-le-maudit, et là on commence à envisager un décrochage pour aller siffler une mousse au bar. Ça s’arrange un peu avec l’«Holy Horses» échappé d’Hot Motion-l’excellent, ils rétablissent enfin les équilibres fondamentaux de l’ordre des Temples, ça joue à deux grattes bien tempérées et le set reprend vraiment du sens avec «Keep In The Dark», un hit glam tiré de Sun Structures-le-mirifique. Et là oui, c’est comme de voir Gyasi à Binic. Quand il est bien fait, un shoot de glam te réconcilie avec la vie. On voit Adam Smith gratter son mi sur sa Gibson Firebird bien mécaniquement. Un seul accord, avec en plus le stomp du batteur maquillé, là-bas au fond, penché comme un gigantesque vautour sur son kit. On n’avait pas vu un beurre-man aussi classieux depuis longtemps.

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    Et James Bagshaw fait illusion : avec sa crinière bouclée et son petite costard beige, il rend hommage à cette immense star que fut en Angleterre Marc Bolan. Fantastique pression du stomp, dommage qu’ils ne tapent pas dans les autres hits glam de Sun Structures-le-mirifique. Ils enchaînent avec le morceau titre d’Hot Motion-l’excellent, une pop d’une sidérante ambition, typique de celle de Todd Rundgren, montée sur d’extravagantes couches de gratté de poux. Il faut voir le cirque du petit bassman, Thomas Warmsley, un vrai bassman Tingueley, c’est-à-dire en mouvement perpétuel, il saute sur toutes les occasions pour s’arc-bouter et lever la patte comme une danseuse du Moulin Rouge. Il amène des dynamiques indispensables, car il faut bien dire que les deux autres, Smith et Bagshaw, sont un peu statiques, mais à la fin du set, James Bagshaw va piquer une belle crise, et pour ça, il doit retaper dans Sun Structures-le-mirifique : d’abord avec l’incompressible «Shelter Song» qui à l’époque nous avait bien estomaqué, ce cut sonnait comme une tempête sous le vent et leur bouquet garni de chœurs donnait le vertige. Ils en font une version héroïque et rejoignent ainsi les hauteurs shindigiennes qu’ils n’auraient jamais dû quitter. Sur l’album, «Shelter Song» est spectaculaire, mais sur scène, c’est bien pire. Tu ne regrettes plus d’être venu, bien au contraire. D’autant qu’en rappel, ils vont taper un autre pusher psyché tiré lui aussi de Sun Structures-le-mirifique : «Mesmerise». Sur l’album, ça sonne comme une petite pop entreprenante, mais sur scène, avec les cocotiers balayés par les stroboscopes et la puissance du son, ça prend une tournure à la Méricourt, d’autant que Bagshaw se met à cavaler dans tous les sens comme un poulet décapité.

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    Signé : Cazengler, carotte du Temple

    Temples. Le 106. Rouen (76). 16 septembre 2023

    Temples. Exotico. ATO Records 2023

    Jon Mojo Mills : Phantom Islands. Shindig! # 137 - March 2023

     

     

    Biche ô ma Beachwood

     

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             À leur façon, les Beachwood Sparks offrent une espèce de suite logique à la légende dorée de la scène californienne qui jadis berça nos cœurs de langueurs monotones, via les Byrds et Gram Parsons. Trois petits mecs constituent le noyau dur des Beachwood Sparks : Chris Gunst (guitare chant), Brent Rademaker (bass & boss du label Curation) et Farmer Dave Scher (lap steel maestro), et comme tous leurs prédécesseurs, ils proposent un bel historique de ramifications : on peut facilement s’y perdre, Brent Rademaker et son frère Darren ont joué dans Further tout au long des nineties, et Brent Rademaker sans son frère joue aujourd’hui dans GospelbeacH, les albums abondent et ça crée des tentations, car oui, la galaxie Beachwood, ce n’est pas de la tarte. 

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             Le premier album des Beachwood Sparks date de l’an 2000 et n’a pas de nom. Farmer Dave dit qu’il y a du sunlight dedans. Brent Rademaker parle de bubblegum country à propos de «Something I Don’t Recognize», mais Farmer Dave veille au psychedelic side.

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    Dans Shindig!, Phillipson établit un parallèle avec The Notorious Byrds Brothers. Brent Rademaker : «We wanted some of these psychedelic touches.» On les voit flirter avec le vieux mythe de la cosmic americana dans «Silver Morning After». Ils inspirent confiance avec cette country lumineuse et intrinsèque. Ils sortent le son dont rêvait Gram de coke. Ils proposent aussi une petite énormité nommée «Sister Rose». Ils développent la même attaque que Moby Grape. Le chant et les coups de slide sont lumineux, envenimés au rattlesnake d’écho purpurin. C’est avec «Sister Rose» qu’ils prennent position. Leur «Desert Sky» d’ouverture de bal  sonne comme un cut des Kinks à la sauce armoricaine, comme le homard. C’est très visité par la grâce, mais vraiment visité. Avec ces mecs-là, on se sent richement doté. En fait, tout se passe entre Farmer Dave Scher et Brent Rademaker. Ils font un peu de country d’huîtres chaudes avec «The Calming Seas» et créent une source de lumière avec «Something I Don’t Recognize». Ils dotent ce cut cousu de fil blanc comme neige d’un final explosif. Le plus marrant de toute cette histoire, c’est qu’ils s’amusent à exploser par endroits. Très bizarre. Et pour finir, on se croirait chez John Lennon avec « See Oh Three» tellement c’est fin et bien chanté.     

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             Leur deuxième album s’intitule Once We Were Tress et semble beaucoup plus solide. Ils l’enregistrent à l’home studio de J. Mascis. Mais la viande se concentre vers la fin, à partir de «The Hustler», chanté dans une clameur d’extrême onction et noyé d’orgue. Ils visent de toute évidence le coup d’éclat. Ce cut essentiel et généreux renvoie bien sûr à Teenage Fanclub. J. Mascis fait un numéro de cirque dans «Yer Selfish Ways». Quelle belle dégelée ! Il s’en donne à cœur joie. Mais il y a trop de son. Ça donne le tournis. Ils passent en mode blow out avec «Jugglers Revenge». Quelle folie ! C’est une vison de l’enfer du paradis. Hot stuff. On s’effare aussi du morceau titre qui referme la marche, cette petite pop fraîche paraît claquée au poney fringuant, ils créent du son-image très indien et ça s’excite tout seul. Il semble que tous les incendies de la country se soient donné rendez-vous dans ce cut. Magnifique illustration de ce qu’on appelle le retour de manivelle country. Avec ces guitares d’une grande clarté, ces mecs ramonent les cheminées du firmament. Ils semblent vouloir distiller de l’essence virginale et se jouer des éclairs délétères. Ils amènent «Let It Run» au heavy groove de space, ils prennent leur temps et ça devient assez grandiose. C’est vraiment à l’image du Grand Canyon, avec des coups d’harmo dans l’azur immaculé. Quand ils prennent le parti d’«Old Manatee», c’est pour te bercer l’âme de langueurs doolidoo. Ils font aussi du Mercury Rev avec «By Your Side». Ce mec chante comme un demi-dieu. Les Beachwood sont extrêmement doués et enregistrent avec parcimonie, ce qui est tout à leur honneur.

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             Et puis comme d’habitude, les tournées finissent par esquinter le groupe et le batteur Aaron Speske se barre. Ça bat de l’aile chez les Beachwood qui réussissent néanmoins à enregistrer l’excellent EP Make The Cowboy Robots Cry. Phillipson ne tarit plus déloges sur «Ponce De Leon Blues» - If anything in Beachwood Sparks’ catalogue is deserving of extra attention for me it has to be «Ponce De Leon Blues’ - C’est vrai qu’avec Ponce, ils sortent du nucléus, ils vont voir si la rose est éclose, c’est un son extrêmement drugged, ça titube dans le désert, les rosaces d’accords forcent l’admiration, mais à ce petite jeu incertain, Neil Young est bien meilleur. Quant au reste de l’EP, c’est encore plus incertain. Ils jouent du psyché au ralenti, c’est un peu liquide, ils mettent trop d’eau dans la soupe au chou de «Drinkswater», rrrrrrru, rrrrrrru, alors ça échappe aux critères. L’«Hibernation» qui suit est parfaitement inutile. Comme tout le reste d’ailleurs. C’est très mou du genou.

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             The Tarnished Gold paraît 11 ans plus tard, toujours sur Sub Pop. Ces mecs adorent le grand air, comme le montre «Water From The Well». Ils savent créer les conditions de leur son, c’est assez énorme, pas très loin de ce que faisait Mercury Rev à une autre époque, mais plus transparent. Même chose pour «The Orange Grass Special». Ils ne veulent surtout pas réinventer le fil à couper le beurre, ça ne servirait à rien. Ils cultivent un goût certain pour l’Americana. Avec «Earl Jean», ils tapent dans le folk-rock de flowers in your hair, ils mettent Les Enfants Du Paradis à la sauce californienne. Il faut attendre que les cuts décollent et donc n’oubliez pas leur donner leur chance. «Forget The Song» sent bon la pop confortable. Ces Californiens créent les conditions de leur confort, et donc du nôtre. Ils sont aussi accessibles que Fred Neil, bienveillants et dans le haut de gamme. Leur musicalité est à la fois bienvenue et à toute épreuve. Ils rassemblent toutes les conditions de la perfection. «Sparks Fly Again» fonctionne à l’énergie californienne pure. Quant à «Mollusk», voilà un cut qui s’illustre par une fantastique profondeur d’attaque de folk-rock. Ces mecs sont des bêtes, capables de redémarrer en côte, même dans une ornière. Ils passent à la country de feu de bois avec «Talk About Lonesome» et se prennent pour Doug Sahm avec «No Queremos Oro».

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             Mais c’est avec Desert Skies paru sur Alive en 2013 que la Beachwooderie prend tout son sens. Pas compliqué : sur cet album, tous les cuts sont bons, à commencer par le morceau titre, resucée du premier album. Quelle belle rasade d’arpèges éclairés ! Ils recréent le barrage de chant des Hollies et des Associations, ils affrontent la colère des dieux qui n’acceptent pas qu’on les défie. Et puis on a même un solo de rêve, alors t’as qu’à voir. Il n’existe pas grand-chose qui soit du niveau de ce «Desert Skies». Dans sa rétrospective, Ben Phillipson rappelle que «Desert Skies» est le premier single de Beachwood Sparks, paru à l’époque sur Bomp!. Les Beachwood  étaient alors au nombre de six : Brent Rademaker, Chris Gunst, Farmer Dave, Josh Schwartz, drummer Tom Sandorg et tambourine man Pete Kinne. Phillipson ajoute que les Beachwood étaient dans leur heavier guitar-based direction. Puis il indique que Pete Kinne et Josh Schawartz ont cassé leur pipe en bois et que Tom Sanford joue aujourd’hui dans GispelbeacH avec Brent Rademaker. Et le Desert Skies d’Alive repart de plus belle avec «Time», qui bénéficie d’une sorte d’élongation productiviste. Ces mecs visent l’avenir, rien d’autre, ils vont loin, vraiment loin. Pour «Watering Moonlight», ils visent la profondeur de champ, mais avec une sorte de retenue par l’élastique du pantalon. C’est un power cacochyme qui ne veut pas tousser, moonlight in the face, c’est un énorme mic-mac de stomp, de revienzy et de tiguili. Même les cuts plus ordinaires comme «This Is Like It Feels Like» passent comme des lettres à la poste. Ils s’offrent un final d’explosion nucléaire. Encore plus stupéfiant, voilà «Sweet July Ann» qui s’amène avec une allure de hit psyché chanté en travers de la gorge. C’est un chef-d’œuvre d’aménité bien amené qui se révèle très vite terrifiant de psycho power. Ça explose en contre-bas du contrefort, le son exulte littéralement, ils se prennent à leur propre jeu et deviennent insurmontables. Back to the cosmic Americana avec «Canyon Ride». Il ne manque plus que Gram de coke, mais c’est reculer pour mieux sauter, car voici le big biz de «Midsummer Daydream», avec un claqué d’accord qui restera un modèle du genre. C’est gorgé d’adrénaline, les accords éclatent comme des noix. Tout cet album sonne comme une aubaine. Si on en pince pour les harmonies vocales et le soleil rasant d’Arizona, c’est là qu’ils se trouvent. Cet album est complètement explosé de beauté sonique. À certains moments, on se croirait sur le Bandwagonesque de Teenage Fanclub, et les guitares hantent le son comme celle de Grasshopper, à l’âge d’or de Mercury Rev.

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             Ils ne sont pas si vieux et pourtant ils commencent déjà à taper dans leurs archives. En 2020 paraît un Beachwood Deluxe annoncé à grand renfort de tambours et trompettes. C’est le Beachwood des origines, lorsqu’ils sont 6. Autour de Josh Schwartz, on trouve Aaron Sperske, Pete Kinne et le futur noyau dur, Chris Gunst, Farmer Dave Scher et Brent Rademaker. Ils font leur petit boniment de country-rock au clinquant de guitares et au pah-pah-pah des Beatles. Ils sonnent un peu comme les rois de leur monde, ils n’ont aucun souci, les guitares comme des langues se délient délicieusement. Ils s’engagent résolument dans le vent du canyon. Leur psychedelia fait illusion pendant quelques cuts. Ils s’amusent bien avec les empty skies de «Canyon Ride», ils jouent dans les règles du lard séché, pas idéal pour les dents fragiles. Bon, au bout d’un moment, ça lasse un peu. Et puis ça devient intéressant avec «Windows ‘65», une espèce de heavy country-rock psychédélique, dans l’esprit des Byrds, bien sûr, mais avec des guitares prégnantes à la surface du son, ils jouent à l’arpège claironnant et surpasseraient presque les Byrds. Ces mecs ont tout en magasin. Ils jouent «Mid Summer Daydream» aux riffs acérés et d’une certaine façon foutent le feu à la Cosmic Americana. Le ciel s’éclaire. Ils allument le rock californien de la même façon qu’Oasis allumait le rock anglais, avec le même genre de gusto anthemic et les chorus qui prennent feu. Pour la première fois, on voit la Cosmic prendre feu ! La deuxième partie de l’album est un live et on découvre que sur scène, ils sont assez aléatoires. Leur petite soupe claire ne nourrit pas son homme. Mais comme c’est un public captif, ils en profitent. Ils finissent par cumuler les problèmes : mauvaises pioches et mollesse. Ils n’ont pas de jus, c’est assez catastrophique.

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             Brent Rademaker n’est pas du genre à se laisser abattre. Il monte vite fait GospelbeacH avec Neal Casal et des copains, et enregistre l’excellent Pacific Surf Line en 2015. C’est embarqué vite faite, au big Americancore de fast drive, ou si tu préfères, à la bonne franquette américaine. Trois guitares, une basse et un bon beat : l’idéal. Brent s’éclate bien au Sénégal. Toutes les guitares sont en alerte. L’air de rien, ces mecs disposent du real power. Leur son flirte avec l’Americana de canyon à la con, ils taillent leur route dans cette esthétique canyonesque qui date d’une autre époque et ça devient vite magique, les notes de slide rappellent des souvenirs enfouis. Ils naviguent à vue dans cet univers de coups d’acou et de notes fantômes. Brent Rademaker a un charme fou. Il amène son «Come Down» au mieux du come down - I know you so well - Ils flirtent avec l’osmose de la métempsychose et un solo motorpsycho vient affoler le feu du funk. Et Brent rattrape sa compo à la volée, hey hey. Il se passe des choses extraordinaires sur cet album, comme le montre encore «Southern Girl». Ils ramènent tellement de son que ça explose, surtout à la fin. Cet album rayonne comme une apparition de la Vierge. Même quand ils tapent dans la pop-rock d’«Out Of My Mind (On Cope And Reed)», ils sont bons, surtout qu’il y coule un solo liquide du meilleur effet. Leur fantastique aisance finit par frapper. «Alone» gagne directement les régions reculées du cerveau. Cette pop exceptionnelle est un vrai dream-come-true. Ils ont des réserves de son immenses et ça prend des proportions totémiques. Ils bouclent avec l’excellent «Damsel In Distress». On y sent flotter le spirit du Kaukonen de la première époque, c’est une merveille prodigieuse, sertie d’un solo d’eau claire. On ne croise ça qu’ici, chez GospelbeacH.

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             Fantastique album que cet Another Summer Of Love qui date de 2017. Un festin de son, dès l’«In the Desert». Comme s’il déposaient des offrandes aux pieds des dieux du rock californien. Un son beau, lumineux, précieux, électrique, tenu, bien vu, enfilé comme une perle, fils de, bleu comme l’azur. Avec en prime un solo fantôme. Et ça continue avec «Hanging On», même chose, power & lumière, bien drivé et chanté au soleil, c’est du rock qui respire bien. «California Fantasy» montre que ces mecs sont capables de tout, mais dans la joie et la bonne humeur, c’est joué au real power, celui du Calfornian hell, ils filent à dada à travers la plaine ensoleillée, «You’re Already Home» est une nouvelle merveille de fière allure. Alors forcément on craque. Nouvelle dégelée de son avec «Strange Days», c’est joué heavy on the rush, au power pur, strange days, baby, c’est inespéré, brillant, I know, avec des descentes d’accords et le départ en solo short mais wild, et il revient au chant, comme un dieu vivant. Les solos se brûlent les ailes au soleil de la fuzz. Nouveau coup de génie avec «Sad Country Boy», big heavy rock des familles, tout est puissant, ici, tu es sur Alive, ces mecs n’ont aucun problème, ils allument tous leurs cuts un par un, c’est du haut niveau d’un bout à l’autre de l’album. Brent Rademaker allume encore «I Don’t Wanna Lose You», il a le génie du son, il darde de mille feux - Don’t wanna lose you/ That’s all I know - et il termine vite fait bien fait avec «Runnin’ Blind», pur jus d’adrenalin-country rock de runnin’ blind.

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             Il ne faut pas prendre GospelbeacH pour des brêles. C’est en tous les cas ce que tendrait à monter l’Another Winter Alive paru en 2018. On s’y goinfre du merveilleux shaking de GospelbeacH. Dans le genre, on ne saurait espérer mieux. Ils nappent leur canyon folk-rock d’orgue et de bonnes intentions. On les voit tous les trois à l’intérieur du digi, Brent, Jonny Neiman et Jason Soda, avec leurs gueules de Quicksilver. Attention à cette triplette de Belleville : «Runnin’ Blind», «Change Of Heart» et «Dreamin’». Ils prennent un peu leurs distances avec le California dreamin’ de Beachwood Sparks, ce démon de Brent Rademaker vise le power, il saque bien son rock, il va vite en besogne. Ils frisent parfois le rock FM, mais le fond est bon. Belle section rythmique, en tous les cas. Ils s’enfoncent dans l’épaisseur de leur Dreamin’ et veillent à rester irréprochables. On les sent concernés. Voilà encore un album visité par la grâce. On entend un solo de lumière dans «Miller Lite» et ils terminent leur petit biz à la bonne franquette d’«You’re Already Home». On demande du rab.

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             Avec l’album Let It Burn, GospelbeacH bénéficie d’un buzz dans la presse anglaise, mais c’est encore une fois un buzz qui se mord la queue. Brent Rademaker fait une sorte de heavy pop-viens-par-là, à la fois bien tirée par les cheveux et poussée par de forts vents d’Ouest, une pop qui couine comme une vieille girouette, une sorte de veille good time music de coudes usés. Chez eux, le délire des guitares fait loi. Ces mecs rêvent tout simplement d’Americana. Leur «Dark Angel» est très bien organisé, mais avec ce beat en caoutchouc, ça frise un peu le rock MTV. C’est un son qu’on a déjà entendu mille fois. On aime bien ces mecs, mais il n’y a pas de miracle. Tout le monde n’est pas Drugdealer. Ils grattent leur «Fighter» à l’ancienne, avec un son qui date d’une époque sérieusement révolue. On capte de vieux échos de Stonesy et ça développe lentement. Mais bon. La belle pop de «Good Kid» peine à se déterminer. On note une belle puissance de revienzy dans «Nothing Ever Changes». Cut idéal quand on a envie de frémir. Ils font leur petit boogie. «Let It Burn» sonne comme de la grosse déveine de pop superbe. Ils travaillent leur côté passe-partout avec une abnégation qui impressionne. Avec ce genre de mecs, on n’en finirait plus de raconter des conneries. Chez eux, le problème est qu’ils travaillent tout au mieux des possibilités. Ils terminent avec le heavy boogie de «Hoarer». Ils sortent leur meilleur son pour finir. Dommage qu’ils ne l’aient pas sorti au départ. C’est spatial et épais à la fois, gosh, quelles belles rasades ! «Hoarer» est un cut sauveur d’album en désarroi.

    Signé : Cazengler, Beachwhore

    Beachwood Sparks. Beachwood Sparks. Sub Pop 2000  

    Beachwood Sparks. Once We Were Tress. Sub Pop 2001  

    Beachwood  Sparks. Make The Cowboy Robits Cry. Sub Pop 2002

    Beachwood Sparks. The Tarnished Gold. Sub Pop 2012

    Beachwood Sparks. Desert Skies. Alive Records 2013

    Beachwood  Sparks. Beachwood Deluxe. Curation Records 2020

    GospelbeacH. Pacific Surf Line. Alive Records 2015

    GospelbeacH. Another Summer Of Love. Alive Records 2017

    GospelbeacH. Another Winter Alive. Alive Naturalsound Records 2018

    GospelbeacH. Let It Burn. Alive Naturalsound Records 201

    Ben Phillipson : Ballad of the brotherhood. Shindig! # 110 - December 2020

     

     

    Wizards & True Stars –

    Meek mac

    (Part One)

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             En matière de mythologie avertie, Joe Meek reste pour beaucoup d’entre-nous l’œil du cyclone. Pas n’importe cyclone. Le cyclone du rock anglais. Peu de gens ont su créer un monde en si peu de temps, avec si peu de moyens : Holloway Road et une paire d’oreilles, c’est à peu près tout. Avec comme cerise sur le gâtö, une sacrée dose d’excentricité et de parano. Joe Meek est complètement dingue. S’il n’était pas complètement dingue, il ne serait pas Joe Meek. Alors c’est pas la peine d’aller couper les cheveux en quatre. Le grand chœur des pisse-froid prétend que folie et génie s’équivalent, mais Joe Meek leur pisse à la raie. Il n’a que son nom et se fout du qu’en-dira-t-on comme de l’an quarante. L’histoire du rock est seule juge. Elle retiendra son nom sur la foi de quelques enregistrements somptueux, à commencer par «Telstar» et jusqu’à «Crawdaddy Simone», en passant par une myriade d’autres merveilles que des compileurs fous ont réussi à exhumer. C’est en mettant le nez là-dedans qu’on pige tout ce qu’il y a à piger.

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             Il faut aussi mettre le nez dans l’excellente bio de John Repsch, The Legendary Joe Meek: The Telstar Man. Oui, car wow ! Dès la couve ! Tu vois tout de suite qu’il y a un problème. La gueule du Meeky Meek ! Il est complètement allumé. Les yeux fixes, il voit des trucs, et il pince son affreuse petite bouche d’extraverti. On comprend immédiatement que Meeky Meek s’adresse aux amateurs de sensations fortes. C’est toute son histoire. L’histoire d’un son. Une histoire unique en Angleterre.  

             John Repsch passe un temps fou à décrire le génie sonique de Meeky Meek qui en fait est un chercheur. Meeky Meek démarre en 1950 avec deux magnétos. Il overdubbe un son par dessus l’autre. Il peut répéter l’opération douze fois. Il utilise des limiteurs et des compresseurs qui lui donnent un signal sonore plus fort. Il est passionné d’électronique et teste des idées en permanence. Il est surtout fasciné par l’écho, alors il en rajoute dans ses prises de son, il sait installer un micro près d’un instrument et sait contrôler la prise de son. Il en joue comme le peintre joue des nuances. Il fait du lard à partir du lard. Il construit une mystérieuse chambre d’écho chez lui à Holloway Road. Il utilise aussi la salle de bain pour la qualité de l’écho. Mais sa passion pour le rock va beaucoup plus loin : il veut contrôler tous les aspects du biz : découvrir les artistes, composer les chansons, manager ses poulains, enregistrer et produire leurs disques, les distribuer sur son propre label et en prime, leur servir le thé et les biscuits. Il fait exactement ce que fait Totor aux États-Unis. L’un de ses premiers coups fumants est le «With This Kiss» de la jazzeuse Yolanda : tout est déjà là : «heavy beat, angelic choir, piano, strings and tons of echo.»

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             Meeky Meek ne se plaint que d’une chose : il n’atteint jamais la perfection qu’il recherche, mais chaque fois qu’il écoute l’un de ses disques pour la première fois, il ressent une grande excitation. John Repsch épingle un autre trait de caractère fondamental chez Meeky Meek : «Aussi étrange que ça puisse paraître, il a fini par se convaincre que le monde entier s’était ligué contre lui et que le seul moyen de survivre était de se battre et de montrer à quel point il était brillant et à quel point ses ennemis étaient stupides.» On appelle ça de la mégalomanie, mais dans le cas de Meeky Meek, c’est autre chose. On est dans le domaine de l’art, et ces énergies sont sacrées, car même si elles sont considérées comme des tares, elles alimentent un précieux moteur : la créativité. Si tu n’es pas complètement dingue, tu ne peux pas comprendre ce que ça signifie. Autrement dit, ça vaut le coup d’être complètement dingue. Pendant un temps, Meeky Meek réussit à canaliser cette prodigieuse énergie de la surchauffe. Par contre, c’est souvent compliqué pour les groupes qui viennent enregistrer à Holloway Road : comment va-t-il réagir ? Va-t-il plaisanter ou tout détruire en pleine session ? Meeky Meek se bagarre souvent avec ses branchements et il prend des coups de jus, ce qui fait rigoler les gens présents. 

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             Personne d’autre que Meeky Meek ne pouvait enregistrer «Night Of The Vampire» avec les Moontrekkers. Un hit bien sûr banni par la BBC - as unsuitable for people of a nervous disposition - Et c’est avec Screaming Lord Sutch que le génie de Meeky Meek va exploser à la face du monde. Lord Sutch, nous rappelle John Repsch, démarre en 1958, à l’époque où tous les beaux gosses d’Angleterre prennent comme modèles «Elvis, Buddy Holly and the fresh-faced wave of American idols», alors pour faire la différence, Lord Sutch a pris comme modèle «the American horror man Screamin’ Jay Hawkins», avec tout le saint-fruquin, le cercueil et le crâne - He was giving British audiences their first taste of rock’n’blood. It was the most macabre act Britain had seen and Joe loved it - Et bien sûr, Meeky Meek veut l’enregistrer. Boom ! «‘Til The Following Night», «a gruesome graveyard piece, totally outrageous for its day.» C’est la rencontre de deux génies, de deux visionnaires pareillement excentriques. John Repsch ajoute qu’à l’origine, le cut s’appelait  «My Big Black Coffin», mais les distributeurs grelottaient de peur, alors il a fallu revenir à un titre moins craignos. Avec Lord Sutch, on est au cœur du Meeky mythe. Il faut entendre l’intro de «Jack The Ripper». C’est du pur Meeky Meek, bruits de pas sur les pavés, la respiration d’une femme et soudain le cri et les rires de Jack. Comme Meeky Meek, Lord Sutch bouillonne d’idées, il fonde le National Teenage Party, qui demande le vote à 18 ans. S’il ne récupère que 208 voix, nous dit Repsch, c’est parce que les jeunes qu’il représente n’ont pas le droit de vote. Meeky Meek a une autre idée. Comme le Ministère de la Guerre vend les sous-marins qui ne servent plus à rien, Meeky Meek propose à Lord Sutch d’en acheter un, de remonter la Tamise «and treathen to blow up the House of Parliament» - It’ll get publicity, even if it sinks! - Le manque d’argent coule ce beau projet. Cette association d’excentriques n’est possible qu’en Angleterre. Meeky Meek hait profondément les gens conventionnels et c’est la raison pour laquelle il finit par se fâcher avec Dick Rowe, Major Banks, Robert Stigwood et Larry Parnes.

             Meeky Meek est fier de son studio. Il a le meilleur équipement - Mon studio était à l’origine une grande chambre dans laquelle j’ai enregistré beaucoup de hit records - Il est obligé d’expliquer ça car un gros malin critique dans la presse le principe du home recording : pas sérieux, comparé aux studios professionnels. Alors Meeky Meek indique que bon nombre de studios étaient à l’origine des caves ou des chambres dans des maisons - My studio is just that - Et comme il est en colère et qu’il ne supporte pas les cons, il ajoute : «J’enregistre des disques pour divertir le public, certainement pas pour des square connoisseurs, c’est-à-dire des beaufs, qui n’y connaissent rien.»

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             John Repsch revient longuement sur la genèse de «Telstar», «his gratest work», précise-t-il. Une nuit, Meeky Meek entend des sons venus de l’espace. Ça le réveille, alors il se lève et descend au studio à l’étage en dessous. Il la-la-la-la-late l’air qu’il a en tête et l’enregistre. Puis pendant une heure, il le triture dans un cathedral-like echo et le colle sur une mélodie qu’il avait commencé à travailler avec Geoff Goddard, loo-oo-la-da-dee-da-deedle-ah, John Repsch s’amuse bien, on est assis avec lui, juste à côté de Meekey Meek en pyjama, en train de bidouiller l’un des plus grands hits du siècle dernier. Comme l’air lui vient d’un satellite, il baptise le cut «The Theme Of Telstar». Au breakfast, il traduit son idée musicale à la clavioline. Puis c’est la séance d’enregistrement avec Clem Cattini. Pour lui donner plus de punch, Meeky Meek speede son enregistrement d’un demi-ton, puis il ajoute des effets de son invention pour interloquer l’auditeur. Il fait un acétate et va le faire écouter à l’un de ses clients distributeurs, Roy Berry, chez Ivy Music. Berry trouve que le titre est trop long. Il propose «Telstar» - Meeky Meek trouve que ce n’est pas une mauvaise idée. Puis il va faire écouter «Telstar» à Dick Rowe, chez Decca, qui adore. On connaît la suite de l’histoire - He had put together a classic which nowadays ranks as one of the finest pop records ever made - À 33 ans, Meeky Meek est un producteur et un ingé-son sans égal en Angleterre. Et il le sait, ajoute Repsch. Il le sait depuis des années - There was no one in Britain to touch him - Ce qui fait sa force, c’est qu’il peut créer un son immédiatement identifiable et original qui ne coûte rien  car enregistré dans un «dirty hole over a leather bag shop» - Comment pourraient-ils faire la même chose avec leurs studios coûteux ? Impossible, nous dit John Repsch. Meeky Meek a ses secrets - No rotten pig could thieve them off him - Il appelle ses ennemis les rotten pigs.

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             Puis Repsch fait un petit comparatif entre Totor et Meeky Meek : point commun, thick and meaty records, mais Totor utilise moins de compression, car il joue sur les contrastes entre le calme et la tempête. Meeky Meek place ses micros tout près alors que Totor éloigne les siens, ce qui lui donne, avec l’écho, un bigger sound. Totor prépare tout minutieusement, alors que Meeky Meek superpose les couches et n’en finit plus d’expérimenter ad infinitum. Il peut se le permettre, en tant qu’ingé-son, ce que n’est pas Totor. Deux autres points communs : leur complexe de persécution et le fait d’être un one-man-army : ils dénichent les talents, choisissent les cuts ou les composent, supervisent les arrangements, ils font de la direction d’artistes et supervisent tout le processus d’enregistrement. Pas besoin des gros labels. Ils sont autonomes. C’est leur vision du son qui va faire le succès des artistes qu’ils prennent tous les deux en charge. Pour Meeky Meek, comme pour Totor, les chanteurs et les chanteuses sont interchangeables. Ils savent tous les deux ce qu’ils veulent. Aux yeux de Meeky Meek, Totor est la réponse américaine à lui-même. Pour lui, le Wall of Sound de Totor n’est qu’une variation du sien. Il reconnaît les effets qu’utilise Totor. C’est pourquoi il éteint la radio chaque fois qu’il entend un Totor hit. Repsch poursuit le comparatif : en trois ans et demi, Totor a produit 24 singles sur son label, alors que pendant la même période, Meeky Meek a produit 141 singles, dont 25 British Top Forty hits. Vroom vroom !     

             La seule faute que commet Repsch est d’attaquer son book par la fin, c’est-à-dire le jour où Meeky Meek perd les pédales, tire un coup de fusil dans le dos de sa logeuse et se tire ensuite une balle dans la tête. Son assistant Patrick Pink assiste à la scène et décrit tout le tremblement. C’est un peu la même histoire que celle de la piscine de Brian Jones : on ne voit plus qu’elle et on oublie ce qui est important. On appelle ça une distorsion du réel.

             Un jour, alors qu’il cherche un endroit où s’installer, Meeky Meek flashe sur le 304 Holloway Road, a three floor flat au loyer modéré. Il installe son studio dans la pièce la plus grande, au deuxième étage. On y accède par un escalier étroit, pas l’idéal quand il faut monter une batterie. Au premier étage, c’est l’accueil, avec une kitchinette. Meeky Meek y reçoit ses invités et leur sert le thé. Le sol du studio est recouvert d’un fouillis inextricable de câbles. Meeky Meek est le seul à pouvoir s’y retrouver. Avec sa technologie dernier cri et sa passion pour l’ingénierie, il pense qu’il est «the best A&R man in the world» - That’ll show ‘em. I’m still the bloody governor! - Les gens bien informés savent qu’il est très en avance sur son temps. Il rêve cependant d’un endroit plus spacieux - J’aimerais bien avoir un grand studio en rez-de-chaussée, de sorte que les artistes ne soient pas obligés de monter et descendre des escaliers. But then again, I like it here. Meeky Meek enregistre chez lui et vend ses productions sous licence à des gros labels : d’abord Decca, puis Pye.

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             Il enregistre son premier hit «Bad Penny Blues» en 1956, «the first jazz record to hit the Top Twenty in Britain», nous dit Repsch. C’est la première fois qu’il utilise un compresseur. Il enregistre aussi le «Green Door» de Frankie Vaughan. Quand il s’installe à son compte à Holloway Road, il reçoit pas mal de petites vedettes : Petula Clark, Lonnie Donegan et Johnny Duncan & The Blues Grass Boys qui enregistrent l’excellent «Last Train To San Fernando». Dans une interview, Meeky Meek indique que ses artistes préférés sont «Judy Garland, Les Paul & Mary Ford, some of Ella’s work and modern jazz.»

             Meeky Meek est un homme très coquet. Il passe son temps à se repeigner et se rase au moins douze fois par jour pour garder la peau lisse. Et il se poudre le nez pour lui éviter de briller.  On le dit efféminé. C’est vrai qu’il a une drôle d’allure. Mais il s’agit de Meeky Meek, after all. Son trait de caractère le plus saillant est son manque de patience. Il pique des crises à tout bout de champ. Repsch en dévoile une belle collection. Si tu lui dis un truc qui ne lui plaît pas, Meeky Meek attrape le premier objet qui lui tombe la main et te le balance en pleine gueule. Le guitariste des Outlaws Bill Kuy vient lui réclamer des sous, alors Meeky Meek attrape des ciseaux et lui court après. La colère transfigure Meeky Meek, les yeux lui sortent de la tête, il écume de rage, les gens ont peur de lui. Il peut jeter un gros carton de bandes enregistrées à travers la pièce. La rage, nous dit Repsch, décuple ses forces. Cliff Bennet évoque lui aussi ses crises. Un jour, ils sont à Holloway Road pour une session et Meeky Meek leur chante un truc, dee-dee-dee-dee, mais il chante si bizarrement - that terrible strangulated way - que ça fait rigoler les Rebel Rousers. Vexé, Meeky Meek dit qu’il ne supportera pas longtemps ces rires stupides et quitte la pièce en claquant la porte. Il descend se faire un thé et remonte une demi-heure plus tard. Il demande aux Rebel Rousers s’ils sont calmés et leur rechante son dee-dee-dee-dee. Les Rousers font des efforts surhumains pour ne pas exploser de rire. Ils fixent le mur en tentant de penser à autre chose. Mais ils explosent de rire, de ce rire qui finit par faire mal au ventre. Angry Meek les observe. Et plus il est en colère, plus les Rousers se marrent. L’hilarant de l’histoire, c’est que Meeky Meek finit lui aussi par se marrer. Au bout de vingt minutes, ils retrouvent le calme, mais Meeky Meek annule la session : «You might as well go home now. You’re a real bunch of bastards.» Repsch évoque aussi une petite shoote avec Dave Dee, Dozy, Beaky, Mick & Tich. Meeky Meek ne supporte pas l’attitude rebelle de Tich et lui balance le plateau avec les tasses pleines dans la gueule, alors Dozy attrape un pied de micro et menace de lui péter les couilles, comme on dit en France chez les habitués du PMU, alors Meeky Meek sort de la pièce en claquant la porte, ce qui met fin à la session d’enregistrement. Il ne faut pas lui courir sur l’haricot.

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             L’un des grands talents de Meeky Meek est de savoir flairer des talents et fabriquer des artistes. Premier coup d’essai avec John Leyton, un acteur âgé de 21 ans. La voix compte, bien sûr, mais aussi et surtout le physique - Good looks - La voix, ça se travaille, Meeky Meek peut rajouter des effets dessus, si besoin est. Repsch indique que l’album The Two Sides Of John Leyton «is one of the best things Joe ever did.» John Leyton décroche un hit avec «Johnny Remember Me» - half a million sales - Bingo !  Il tente aussi de lancer Ricky Wayne, un futur Monsieur Monde qui fait du bodybuilding. Il conseille à ses poulains de porter des chaussures légères, des mocassins, des pantalons serrés, and no underwear - Joe was a punk, dit Ricky. Meeky Meek tente aussi de lancer Michael Cox, un protégé de Jack Good. Bonne voix, mais pas de chansons. Dans un Part Two, on reviendra sur tous ces artistes enregistrés par Meeky Meek. Il y a à boire et à manger. Pour lancer les Outlaws, il leur fait conduire une diligence dans Londres - Publicity stunt, the Western image -  Puis c’est «Night Of The Vampire» avec les Moontrekkers et Screaming Lord Sutch dans la foulée. Il commence à se méfier de Stigwood qui lui barbote ses artistes un par un, comme par exemple Billie Davis ou Mike Berry. Meeky Meek déteste cette fourbasse de Stigwood qui fait ses coups par derrière. À Holloway Road, il reçoit aussi Tom Jones et louche sur ses tight pants, lui fait des avances, mais le Gallois l’envoie se faire voir chez les Grecs, alors Meeky Meek sort un flingue et tire sur Tom Jones qui se croit mort. C’est un pistolet d’alarme ! Quand il commence à bosser avec Pye, Meeky Meek tente de lancer la nouvelle sensation, Tony Dangerfield. Il jouait de la basse dans le groupe de Lord Sutch, the Savages. Repsch en fait une belle tartine : «Impressionné par sa Black Country arrogance et ses fringues en cuir, ses cowboy boots et se cheveux teints avec des mèches vertes et roses, Joe started grooming him for the big time.» Puis il tente de lancer The Riot Squad, les Honeycombs, les Cryin’ Shames, tous ces groupes intéressants qu’on retrouve sur les volumes de The Joe Meek Story - The Pye Years. Meeky Meek a eu dans son studio des gens qui ont contribué largement à la légende du rock anglais : Chas Hodges, du «cockney singalong duo Chas & Dave», Clem Cattini, le batteur des Tornados, «one of Britain’s top session drummers», le pianiste Roger LaVern, et bien sûr, Richie Blackmore qui jouait avec Tony Dangerfield dans les Savages. 

             Les deux gros morceaux restent cependant Heinz et Billy Fury. Un Billy qu’on situe comme «the nearest thing to Elvis that Britain ever had». Billy est accompagné sur scène par les Tornados, dont le bassman n’est autre qu’Heinz. Le problème c’est que Meeky Meek est le boss des Tornados, et Larry Parnes celui de Billy Fury. Ils ont donc passé un accord. Meeky Meek espère récupérer Billy en studio. C’est la raison pour laquelle il a donné son accord à Parnes. Mais ils vont se fâcher, car Meeky Meek refuse de laisser partir ses Tornados en tournée américaine.

             Meeky Meek s’éprend d’Heinz. Il lui demande de se teindre en blond, en référence au Village Of The Damned et à ses douze enfants blonds. Meeky Meek en pince tellement pour lui qu’il tente de lancer sa carrière. Heinz se retrouve en tournée avec Jerry Lee Lewis et Gene Vincent. Il ne passe pas, il n’est pas assez rock’n’roll. Le public mâle le siffle. Des Teds veulent même lui casser la gueule. Par contre, Gene Vincent lui reconnaît un certain courage pour avoir osé monter sur scène : «You’ve got some bloody guts. I would have walked off after one number.» Un Gene Vincent qui d’ailleurs viendra enregistrer un cut chez Meeky Meek, «Temptation Baby». Mais Gene sera étonné de devoir enregistrer dans une maison au milieu d’un fouillis de câbles inextricable.

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             Meeky Meek tente désespérément de booster la carrière d’Heinz. Il le booke sur des tournées anglaises. Les disques d’Heinz ne se vendent pas. Meeky Meek sait qu’il peut vendre Heinz s’il chope la bonne chanson. Il veut faire d’Heinz une star. Ça tourne à l’obsession. Dommage que  Repsch n’évoque pas l’excellent Tribute To Eddie d’Heinz. Puis Meeky Meek envisage de faire teindre les cheveux d’Heinz en rouge et de le faire entrer sur scène en moto. Heinz finira par se barrer et par fréquenter des gonzesses.

             Côté cul, Meeky Meek aime bien les mecs, mais son infidélité chronique rend impossible toute relation sentimentale. Et puis un jour, il a l’idée de se marier avec l’une de ses pouliches, Glenda Collins. Glenda idolâtre Meeky Meek qui est triste de voir qu’après 8 singles, elle ne perce toujours pas - Sadly they were not in love.

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             L’un des personnages clés de la saga Meek est le compositeur Geoff Goddard. Il est nous dit Repsch très proche de Meeky Meek. Ils composent ensemble et vouent le même culte à Buddy Holly. Et là, on entre dans le cœur battant du mythy Meek. Un soir où il interroge les cartes du tarot, un ami nommé Faud écrit trois choses sur un bout de papier : une date, le 3 février, suivi du nom de Buddy et du mot «dies». La scène se déroule bien sûr un peu avant l’accident d’avion qui va emporter Buddy, Ritchie Valens et The Big Bopper. Buddy arrive en tournée en Angleterre et Meeky Meek réussit à lui dire de se méfier du 3 février. Mais Buddy casse sa pipe un 3 février, l’année suivante. Les cartes n’avaient pas menti. Alors Meeky Meek et Geoff tentent d’entrer en contact avec l’esprit de Buddy, leur idole. Geoff Goddard affirme que Buddy l’a directement inspiré pour composer «Johnny Remember Me». Puis il écrit «Tribute To Buddy Holly» et demande à l’esprit de Buddy ce qu’il en pense. L’esprit de Buddy le remercie de cet honneur et lui dit : «See you in the charts». Pendant les séances de spiritisme, il se produit des phénomènes étranges au 304 Holloway Road : un orgue qui joue tout seul à l’étage, une corde de guitare qui se met à tawnguer.

             Meeky Meek commet aussi la même erreur que Dick Rowe : il décline l’offre que lui fait Brian Epstein d’enregistrer les Beatles - Guitar groups are on the way out, Mr. Epstein - Le pauvre Meeky Meek se fout le doigt dans l’œil. Il n’est d’ailleurs pas le seul. Avec lui et Decca, Pye, Phillips, Columbia et HMV disent non aux Beatles. Néanmoins, Repsch imagine qu’étant donné les caractères de John Lennon et de Meeky Meek, il y aurait eu des étincelles au 304.

             Puis Meeky Meek commence à perdre sérieusement les pédales. Il se croit espionné en permanence, il croit qu’il y a des micros chez lui. Il dit un jour à son assistant Patrick Pink qu’il ne va plus être là très longtemps. Il ajoute qu’il va faire un testament. Patrick Pink se marre. Il ne comprend pas que Meeky Meek est en train de lâcher prise : trop de pression, le biz qui part en sucette. La pire déconvenue vient sans doute de Sir Joseph Lockwood qui pour remplacer George Martin chez EMI avait songé à Meeky Meek - Joe was the man to help fill it - Mais ça signifiait la fin de l’indépendance, et donc, ce n’était pas possible. La perte des pédales est un truc terrible, tu sais que tu ne vas pas t’en sortir, alors c’est une sorte de panique interne, mais il faut essayer de sauver les apparences, et c’est un peu comme si tu avais déjà cassé ta pipe en bois avant de la casser pour de vrai. L’impératif tambourine à la porte : il faut en finir.

             Dans les derniers jours, Meeky Meek n’a plus un rond. C’est Patrick Pink qui ramène de la bouffe qu’il carotte chez sa mère : «du pain, du beurre, des steaks et des tomates». Meeky Meek prend en plus des barbituriques, mais beaucoup trop. Il est obsédé, il croit qu’on l’épie et qu’il y a des micros partout. Il dit enfin à Patrick Pink «qu’il y a quelqu’un en lui et qu’il ne peut pas s’en débarrasser» - Parfois, je sens que je ne suis pas moi. I’m talking but it’s not my voice - Puis ses enregistrements sont rejetés par EMI. Il comptait là-dessus pour se renflouer. Il est baisé. Il craint en plus de se faire virer du 304. Évidemment, il choisit un 3 février pour en finir.

             Vers la fin, Repsch fait le compte des disparus : avec Meeky Meek sont partis tous ses proches, plus les mecs qu’il a croisé, Larry Parnes, Brian Epstein, Dick Rowe, Ivor Raymonde, Sir Joseph Lockwood et même Screaming Lord Sutch dont a pris la pendaison, nous dit Repsch, pour l’un de ses gags publicitaires de mauvais goût, mais en vérité, Lord Sutch n’avait pas surmonté la disparition de sa mère et il s’est pendu chez lui. Bon la mort rôde sur ce book, mais la modernité lui survit. L’incroyable modernité de Meeky Meek.

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             L’un de ses plus grands admirateurs est Liam Watson, le boss de Toe Rag Studios. Il utilise en gros le même matos que celui de Meeky Meek, amplis, speakers, cabinets et aussi «an Altec compressor». Watson joue dans les Bristols qu’il décrit comme «the most Joe Meek sounding band around». D’autres groupes nous dit Repsch revendiquent leur Meeky influence : Stereolab, Teenage Fanclub, St. Etienne et puis il y a pas mal de cuts en hommage à Joe Meek. Repsch en cite une petite palanquée.

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             Si tu entres dans Joe Meek Freakbeat (You’re Holding Me Down), tu n’auras pas froid cet hiver. C’est même l’une des pires compiles Freakbeat jamais imaginées, 30 Joe Meek records, à commencer par l’archétype du proto-punk, le «Crawdaddy Simone» des Syndicats de l’early Steve Howe, l’he’s got no friends, wild as fuck, chaos complet, en plein dans l’œil du cyclope, Meeky Meek all over the forever ! Tu veux encore te goinfrer de proto-punk ? Tiens, voilà David John & The Mood avec «Diggin’ For Gold», le Mood est le roi du proto-punk. David John & The Mood ? Trois singles entre 1964 et 1965, dont une version demented de «Bring It To Jerome», demented et même définitive, ces mecs te bouffent tout cru et Bo avec. Ils ont un troisième cut sur la compile, «I Love To See You Strut», encore du big heavy proto-punk protozoaire, tu as le son des Pretties avec une incarnation du diable, David John. Incroyable que ces mecs soient passés à l’as. L’autre grosse équipe, ce sont les Blues Rondos avec «Baby I Go For You», joué à la va-vite de wild London boys, ils sont bien wild dans leurs petits pantalons serrés et Roger Hall te passe vite fait un joli killer solo flash. On les retrouve plus loin avec «Little Baby», plus poppy, ils entrent en vainqueurs dans le Swingin’ London, ils ont tellement de son, oh merci Meeky Meek ! Quelle prod ! Leur «What Can I Do» vire plus Brill, c’est dire le génie de Meeky Meek ! The London Brill ! Les riffs mordent le trait. Plus connus, tu as les Cryin’ Shames avec un «What’s New Pussycat» dylanex, mais le beat reste heavy, quasi «Maggie’s Farm». Ils tapent aussi un «Let Me In» en mode heavy proto-punk. C’est d’une rare violence, grattée au somment du lard wild, hey hey hey ! On les retrouve une troisième fois dans la mouture Paul & Ritchie & The Cryin’ Shames avec «Come On Back», aussi effarant que tout ce qui précède, en plein dans le mille du freak, avec des voix paumées dans le you-oouuhh yeah. Encore une fois, c’est d’une violence peu banale. Et puis tu as tous les inconnus au bataillon, à commencer par les Puppets avec «Shake With Me», fast pop rock de c’mon joué aux fluorescences de c’mon, avec un guitariste génial en embuscade. Meeky Meek apporte de l’overall dans le son. Même choc tectonique avec The Buzz et «You’re Holding Me Down», extraordinaire giclée de wild frekbeat, mais avec de la profondeur de champ. Infortunate d’unbelievable, ça résonne dans l’écho du temps. Wild as Meek, juste un cran au dessus du wild as fuck. D’où sortent The Saxons ? De nulle part, et pourtant l’«I Ain’t Right» semble tomber du ciel, Meeky Meek le prend par dessus la jambe, il leur donne une énergie démesurée. Tiens voilà Jason Eddie & The Centremen avec «Come On Baby», encore de l’inexpected qui devient du hautement expected dans les pattes de Meeky Meek. C’est eux qui referment la marche avec un «Singing The Blues» bien incendiaire. Meeky Meek n’oublie pas son chouchou, Heinz qui, avec les Wild Boys et «Big Fat Spider», tente de créer la sensation. Pas facile d’être aussi flamboyant que les autres. Meeky met le paquet et tu as tout le son dont tu peux rêver. On retrouve aussi les Tornados 66 avec un «No More You & Me» balayé par le vent du Nord.

    Signé : Cazengler, Jo la mite

    Joe Meek Freakbeat (You’re Holding Me Down). Castle Music 2006

    John Repsch. The Legendary Joe Meek: The Telstar Man . Woodford House Publishing Ltd 1989

     

     

    L’avenir du rock –

     Le loup des Steppes

    (Part Two)

             Comme bon nombre d’adeptes de la paix de l’esprit, l’avenir du rock nourrit pour les débats le plus profond mépris. Il ne supporte tout simplement pas le spectacle d’imbéciles qui s’étripent pour avoir le dernier mot. De nature politique ou «d’idées», ces débats ont lieu pour la plupart dans les médias et nourrissent le limon fertile des cornichons rassemblés devant leurs récepteurs de télévision. L’avenir du rock s’honore de ne pas appartenir à cette catégorie sociale. Malgré toutes ses précautions, il est parfois rattrapé par la réalité. Il recevait l’autre jour Japee et son père, et lorsque le verre de trop eut atteint les cervelles, un bouillant débat enflamma l’atmosphère. Japee reprochait à son médiocre pédagogue de père ses errements catastrophiques et le traitait ouvertement de démon, ce qui faisait hennir le-dit père de rire, un rire dont les stridences perçaient les tympans. Ne pouvant en supporter davantage, l’avenir du rock prit appui sur l’ineffable semelle de sa sagesse et lança d’un ton qu’il voulait bienveillant :

             — Fallon Fallon les enfants, n’avez-vous pas honte de vous comporter ainsi ?

             Hébétés, ils se calmèrent aussitôt et redoublèrent d’efforts pour dissimuler leur honte.    Une autre fois, toujours à table, l’avenir du rock fut confronté à un débat de la pire engeance, le débat rock. Il pensa d’abord s’enfuir pour échapper à ça, mais la curiosité l’emporta sur le risque de vomir. Il assista plus que médusé à l’échange qui opposa Boule et Bill, deux vieux crabes déplumés, qui, comme bon nombre de vieux crabes déplumés, se prenaient pour des aristocrates du rock. Le verre de trop atteignit la cervelle de Boule qui lança à Bill :

             — Les groupes dont tu parles si doctement, les Purple, les Sabbath, tous ces groupes choochootent sur les rails de mon indifférence et s’arrêtent à la gare de mon mépris intersidéral.

             — Môsieur le pauvre con, faites-vous greffer une cervelle, ce qui vous permettra de comprendre qu’on ne fait pas l’impasse sur les architectes du rock britannique des seventies.

             — Ma main ne va pas faire l’impasse sur ta gueule.

             C’est le moment que choisit l’avenir du rock pour intervenir :

             — Fallon Fallon les enfants, croyez-vous que le jeu en vaille la chandelle verte ?

     

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             Bon, il faut bien que le nom de Fallon serve à quelque chose. Le voilà employé à bon escient. John Fallon est un esprit lumineux qui doit apprécier les petits contes immoraux. Qui oserait en douter ?

             Quand on voit le Fallon en photo, on le prendrait presque pour un débutant, avec ses lunettes à verres teintés. Pourtant, c’est un vétéran de toutes les guerres. Il enregistrait déjà des albums superbes dans les années 80 avec les Steppes, dont on a dit dans un Part One, quelque part en 2021, tout le bien qu’il fallait en penser. Après la fin des Steppes, il est passé au step suivant avec The Laissez Fairs, comme s’il suivait le chemin d’une évolution, mais il s’agit d’une évolution sidérale, une sorte d’accélération subsonique qui relève des phénomènes spatiaux inexpliqués. Comment, quarante ans après ses débuts, un homme peut-il développer de tels flash-booms énergétiques ?

             Cette affabulation s’appuie sur deux preuves matérielles : Curiosity Killed The Laissez Fairs? paru en 2021 et Singing In Your Head paru l’année suivante. Dans un cas comme dans l’autre, on peut parler de bingo. Signalons au passage que ces albums fantastiques sont affreusement mal distribués. Si tu veux les choper, lève-toi de bonne heure et compte sur la chance.

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             Quatre coups de semonce sur Curiosity Killed The Laissez Fairs?, à commencer par le terrific «Image», gorgé jusqu’à la nausée d’English freakbeat. Ça t’explose la cervelle en mille morceaux. Tu y entends des accords des early Who et toute la grandeur tentaculaire du freakbeat. Et ça continue avec un «Sunshine Tuff» d’une grandeur à peine croyable, c’est de l’update d’uptown, ça joue au-dessus de tes moyens, c’est tellement noyé de son que tu n’entends plus rien. Et John Fallon taille son solo dans le sucre. Les Laissez Fairs réinventent le son anglais, le son des Who et tout le reste. On ne va pas les énumérer. Et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà le coup du lapin, «Tell You What It Means». John Fallon est un démon qui adore plonger dans les entrailles de l’enfer. En plus, il grouille de puces. Son énergie est un modèle du genre. Et tu as le solo en contrebas, explosif de retenue mal retenue. Comme sabré dans le dos. Quatrième coup du sort : «Drydenseek», un hit monumental éclaté au solo d’arpèges, dressé dans une clameur chatoyante d’ardeur suprématiste. Ça monte tellement que tu as du mal à redescendre. Et puis il reste des tas de choses passionnantes à découvrir sur cet album, la belle fête au village de «Somewhere Man», la fuzz et le chant fatal d’un «Sad Girl Of The High Country» bien claqué du portillon. Dans «Two Sides Of The Same Coin», on ne sait pas comment il fait, mais il y va. John Fallon est un coriace. Il revient au heavy Fallon avec «Everything (I Ever Wanted)». Sa voix chuinte un peu, mais pas sa vision du son. Que d’avenir, my friend, que d’avenir !

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             La pochette de Singing In Your Head ne laisse aucune chance au hasard : tu sais que tu es dans le futur, c’est-à-dire l’avenir du rock. Rien de plus spatial que ce visuel de pochette. D’ailleurs, «Real Good Time In 1969» te met aussitôt au parfum, avec tout le rebondi du heavy Mod craze. C’est pulsé à l’occiput. John Fallon voit les choses ainsi : pulser le beat, avec en embuscade, le solo broyeur de gorge. Il sait rester cohérent. Il en remet une couche avec «Kathleen Coffeine», un shoot de heavy psyché visité par des vents incertains, des grattés de poux demented, ah il faut entendre les entourloupes du loup des steppes, il est le roi des échappées belles, sa Kathleen se fond dans la clameur de Dieu, c’est un instant magique. On retrouve cette clameur insolente dans le dernier cut, «Laughing Boy». Avec «A Wildeforce», il sonne comme les Byrds, il est en plein dedans. Il rend un autre hommage, cette fois au Velvet, avec «Goodbye To Samantha». C’est plombé dans l’or. John Fallon caresse toutes les chimères su rock. Chaque fois, il tape en plein dans le mille. Il maîtrise aussi l’art de la Beautiful Song, comme le montre «Fields Of Yesterday». Il fabrique de la mythologie, il vise la pureté du son, il propose là une chanson parfaite, comme le fit en son temps Lou Reed avec «Pale Blue Eyes». John Fallon connaît toutes les ficelles de l’émotion. Il crée un univers de rêve. Puis il va regorger «Pretty Penny» de clameurs. Il est à la fois spongieux et supérieur. Drôle de mélange diront les sceptiques. Mais comme c’est du pur jus, tu tombes dans ses bas.

    Signé : Cazengler, le loup des stop.

    The Laissez Fairs. Curiosity Killed The Laissez Fairs? RUM BAR Records 2021

    The Laissez Fairs. Singing In Your Head. RUM BAR Records 2022

     

     

    Inside the goldmine

    Veni, vidi, Vicki

             Tout le monde louchait sur les seins de Baby Sof. Elle le savait. Elle arrivait en cours correctement vêtue, mais dès qu’il commençait à faire un peu chaud, elle se mettait à l’aise et se rendait bien compte que son décolleté captait tous les regards. La grande majorité des stagiaires étaient des mecs, alors forcément, Baby Sof en profitait. Il faut ajouter à son crédit qu’elle avait aussi une certaine classe. Elle ne cachait pas ses origines bourgeoises. Brune, lunettée, dans la trentaine, elle avait en outre une bouche qui appelait les baisers les moins platoniques. Dans la cervelle de tous les stagiaires présents dans la salle, elle incarnait certainement l’épouse idéale. Elle intervenait toujours de manière pertinente et bien sûr, lors de l’attribution des places pour ce stage pro qui allait durer un an, elle se retrouva à ma droite. Nous sympathisâmes. Nous eûmes vite fait de former une petite bande pour aller traîner le soir en ville après les cours, deux mecs et deux gonzesses, une sorte de formule idéale. Nous allions casser la croûte dans des restos exotiques de Montmartre. Baby Sof et sa copine eurent un jour l’idée d’un voyage à Amsterdam pour aller admirer La Ronde De Nuit au Musée Rembrandt. Et bien sûr, pour des raisons de budget, nous ne louâmes qu’une seule chambre à deux lits. Baby Sof dormait avec sa copine dans l’un des deux lits. Ce fut une nuit interminable, car bien sûr il ne se passa rien, hormis les chuchotements de Baby Sof et de sa copine jusqu’à l’aube. Une nuit que nous traînions tous les deux en ville, Baby Sof proposa l’hospitalité. L’heure du dernier RER venait de passer. Elle habitait un superbe appartement à Levallois, cadeau d’un précédent mari richissime. En voyant sa fille adolescente, il était facile de comprendre que le père était arabe, probablement originaire des Émirats. Comme sa fille apprenait à jouer de la guitare électrique, il fallut subir la corvée consistant à lui montrer quelques accords. Puis Baby Sof l’envoya se coucher et vint s’installer à ma droite sur le petit canapé. Elle portait un débardeur qui ne cachait plus grand chose de sa poitrine exubérante. La discussion s’éternisa, elle monologua pendant des heures, le jour se leva et un gigantesque ciel d’Île de France embrasa la baie vitrée. Alors que j’essayais de surmonter un mélange de fatigue et d’extrême frustration, Baby Sof m’apparut telle qu’elle était en réalité : elle cultivait le désir jusqu’au délire pour mieux le tuer dans l’œuf.  

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             Vicki Anderson cultive elle aussi le désir jusqu’au délire, mais pas de la même façon. Alors que Baby Sof joue de ses appâts, Vicki chaloupe des hanches et chante le funk. Enfin, il faudrait parler au passé, car elle vient tout juste de casser sa pipe en bois.

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             Autant l’avouer franchement : Hot Pants - I’m Coming Coming Coming de Bobby Byrd & Vicki Anderson est un gros foutoir de funk, mais pas du petit funk, du hard funk d’éjaculation, et ce dès le morceau titre. Fantastique élément perturbateur d’I’m comin’ ! Bobby jouit ! Et ça repart de plus belle avec «Keep On Doin’ What You’re Doin’», du pur jus de JeeBee, joué au squelette de funk. Hard funk toujours avec «I Need Help (I Can’t Do It)» - I need help ! Now ! - Bobby en rajoute, I need to feel it ! Il est encore assez magique avec «If You Got A Love (You Better Hold On To It)», bien gratté aux petites guitares funky métalliques, Bobby passe en force à chaque fois. Puis Vicki chope le micro et fait son show. Elle démarre avec «I’m Too Tough For Mr Big Stuff», elle tape elle aussi dans le heavy funk, elle funke littéralement sa Soul, petite Vicki deviendra grande. Puis elle tape dans l’un des plus beaux hits de l’univers, «In The Land Of Milk And Honey», elle crève le ciel comme d’autres crèvent l’écran, elle chante au pire perçant d’empire persan et puis elle prévient : «Don’t Throw Your Love In The Garbage Can», tout ce qu’elle fait est énorme, elle est supérieure en tout et elle nous fait le coup du duo d’enfer avec «You’re Welcome Stop On By», véritable coup de génie. N’oublions pas de nous prosterner devant «Once You Get Started», car Vicki y bat tous les records de classe.

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             Bien belle anthologie que ce Mother Popcorn (Vicki Anderson Anthology). Si tu aimes le heavy funk, c’est pour ta pomme, et ce dès «The Message From The Soul Sister (1&2)». Elle monte tout de suite au créneau, yeah eh eh, she shakes it hard, elle est dedans, aw my Gawd ! On reste dans le move avec «Super Good (Answer To The Super Bad)», encore du heavy hush, elle appuie là où il faut. On est dans le hard funk de James Brown, wait a minute, James Brown fait les retours d’Hold on, mais sous le boisseau. Undervover Genius avec the Big Funk Sister. Hallucinant ! S’ensuivent quatre coups de génie : «I’m Too Tough For Mr Big Stuff», «Answer To Mother Popcorn», «I Want To Be In The Land Of Milk And Honey» et «If You Don’t Give Me What I Want». Pur funky business. Vicki est une bonne, elle négocie le beat avec un tact unique, yeah open my door. C’est une authentique lady. Et ça continue avec «Answer To Mother Popcorn», back to the heavy groove du funk moite, the real deal, elle s’y love avec une voix de reine de Saba. Elle revient à l’univers magique de James Brown avec «I Want To Be In The Land Of Milk And Honey», power à l’état pur, soutenu par des tempêtes orchestrales. Elle tient bien son rang et shoute comme une folle. Il n’existe pas beaucoup de poules qui te sonnent aussi bien les cloches. Avec «If You Don’t Give Me What I Want», elle lève l’enfer sur la terre, yeah yeah, elle est dans l’excelsior définitif, elle monte son r’n’b au chat perché. Tout est bien sur cette antho, elle prend son «Baby Don’t You Know» sous le boisseau, elle tient le son par la barbichette, elle est exemplaire. Et voilà qu’elle duette avec James Brown sur «Think». Ça tourne à la magie. Il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie si on ne veut pas mourir idiot. Sur «Once You Get Started», elle est littéralement emportée par des vagues de heavy funk. Toutes les funky guitares sont là. C’est encore du funk genius à l’état pur. Elle explose le chant et s’en va screamer au sommet du lard. Elle reduette un coup sur «You’re So Welcome Stop On By», mais pas avec James Brown. Cette fois, elle duette avec Bobby Byrd. Top niveau, évidemment. Bobby monte le niveau très haut. On a là deux artistes exceptionnels avec une prod magique à la Marvin Gaye. Retour au froti avec «I’ll Work It Out» elle le travaille à la grosse arrache, peu de gonzesses s’éclatent autant au froti. Elle revient duetter avec son mentor James Brown sur «You’ve Got The Power». C’est lui qui ouvre la bal d’I need you darling, il pave le chemin de bonnes intentions - Ouuh-ouuh I want you to try me - Elle arrive, et comme elle s’appelle Vicki, elle le remet en place - Oh little darling you’ve got the power - Et ça prend des allures intemporelles - You’ve got the power in your hand/ You’ve got the power to make understand - Et James Brown : «Say it one more time !». C’est une œuvre d’art sexuelle. Elle termine son antho à Toto avec le «What The World Needs Now Is Love» de Burt, elle y va au now sweet love, c’est une combinaison suprême : Burt + Vicki, ça vaut bien le Burt + Dionne la Lionne, même si elle n’est pas aussi racée que Dionne la Lionne, mais Vicki y va avec tout le chien de sa petite chienne et elle t’éclate tout le Sénégal. Stupéfiante Vicki !

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             Avec Wide Awake In A Dream on tient entre les pattes l’un des albums les plus parfaits de l’histoire de la Soul. Vicki shake de toute évidence le meilleur r’n’b de son époque avec «I Love You», elle sait pousser à la roue, elle y revient à chaque couplet, Vicki est une vainqueuse, plus petit gabarit qu’Aretha mais même niveau de niaque. Son «Never Never Let You Go» développe une fantastique énergie, c’est même bien supérieur à Stax, elle est fabuleusement active dans la fournaise et pouf, gros solo de trompette ! T’es content du voyage ! Même quand on la croit calmée, elle pousse des pointes («I Won’t Be Back»). Elle chante ses slowahs à pleine gueule et fait ramper sa Soul quand il le faut («Nobody Cares»). Elle se planque dans l’énormité du son pour aligner «Don’t Mess With Bill», un vrai délire d’excelsior, elle ne connaît qu’une seule chose dans la vie : le power inexorable. Elle est la reine des insistances et un solo de sax vient la couronner de notes de diamant, c’est là où la Soul te monte au cerveau. Elle fait un gros clin d’œil à Martha Reeves avec une cover de «Nowhere To Run». Elle la prend de plein fouet. Vicki forever ! Et pouf, alors qu’on avait du mal à retrouver du souffle, elle duette avec James Brown sur une version de «Think», about the right thing, Vicki hurle tout ce qu’elle peut - Think baby about the right thing - Comme tu es tombé de ta chaise, tu dois vite te relever pour la suite. Elle plonge son «Tears Of Joy» dans le slowah de classe supérieure. Même les nappes de violons s’émancipent, ça violonne encore jusqu’à l’horizon avec «All In My Mind», pur genius, elle allume son cut avec le grain des violons. Bobby Byrd vient duetter avec elle sur «He’s My Everything». Elle redevient la shouteuse exceptionnelle que l’on sait avec «No More Heartaches No More Pain» et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà qu’elle tape dans Burt avec «What The World Needs Now Is Love». Elle navigue exactement au même niveau que Dionne la lionne et Jackie De Shannon, elle est déterminante, belle dans sa grandeur et elle se bat là-haut sur la montagne avec les éléments. Elle est titanesque. Elle reduette avec JeeBee sur «Let It Be Me». JeeBee feule si bien qu’il féminise sa race. Ces deux fantastiques artistes font la paire, let it be me one more time, fait le Godfather, say it ! C’est de la haute voltige, JeeBe fout le feu. Elle revient au heavy groove de r’n’b avec «Don’t Play That Song». Vicki vaincra. Elle est très spectaculaire, une vraie gladiatore. Elle entre dans l’arène et se bat comme Russell Crowe. Mais ce n’est pas fini ! Voilà qu’elle tape une version d’«In The Land Of Milk & Honey», elle chante à l’éperdue infinitésimale, dans une fantastique débauche de moyens glottaux, elle jette ses ovaires par-dessus l’Ararat, alors t’as qu’à voir ! Même un mec blasé comme Moïse est scié. Vicki est la reine des outrances.

    Signé : Cazengler, venu, vidé, vaincu (aka le loser)

    Vicki Anderson. Disparue le 3 juillet 2023

    Bobby Byrd And Vicki Anderson. Hot Pants - I’m Coming Coming Coming. Polydor 1989  

    Vicki Anderson. Mother Popcorn (Vicki Anderson Anthology). Soul Brother Records 2004

    Vicki Anderson. Wide Awake In A Dream. BGP Records 2010

     

    *

    WILD DEUCES

    3 B

    (Troyes - 23 / 10 / 2023)

    Retour aux 3 B. Béatrice la patronne a décidé d’ouvrir un nouveau cycle de concerts rockabilly. Pas de chance pour moi, une avant-première le 7 juillet avec Jacke Calypso, un méga must, hélas de pressantes affaires familiales m’empêchent d’y assister, mais pour ce coup-ci, quitte à produire un milliard de tonnes de carbone j’ai promis que j’y serai. Qu’importe la planète, ne serait-ce pas un honneur pour cette bonne vieille terre de périr pour un concert un rockabilly !

             Une nouvelle formule, un Paf d’entrée de 5 €, et la possibilité de manger ( miam-miam la plancha charcutaille-fromageous ), surprise pour le dessert : The Wild Deuces, venus tout droit de Belgique.

    THE WILD DEUCES

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    Sont quatre, croyez-moi sur parole, la foule est si dense que je n’ai pu entrevoir que fugitivement, le bassman et le cou de girafe de sa big mama qui dépassait. Bart a profité du premier morceau très swing pour installer son velouté. Attention pas un truc tiédasse peu ragoûtant, une saveur onctueuse, un potage crémeux aussi épais qu’une moquette laineuse, aussi dense qu’un épéda multi-spire pour reprendre une ancienne publicité, mais aussi rapide et flexible que le tapis volant d’Aladin, z’avez l’impression d’être au volant d’une luxueuse berline de 400 chevaux montés sur coussins d’air. Pourtant ça vibre à foison, pire ça se colle au rockab le plus sauvage à la manière de vos pieds boueux qui n’arrivent pas à se dépêcher du paillasson à ventouses sur lequel vous avez marché par mégarde.

    Je pressens votre inquiétude, avec un tel turbo-réacteur à ses côtés que peut faire un batteur pour s’imposer ? Moi je donnerais ma démission. Mais là il accomplit sa mission périlleuse sans ciller. Un groupe de rockab sans batteur c’est comme la bataille de Valmy sans les canons. Faut avoir l’œil partout à la fois, tirer au moment précis, réduire sa cible en poussière, recommencer illico, pulvériser et fracasser les oreilles des auditeurs sans les effrayer. Du tact et de la force. Être dans le temps tout en donnant l’impression d’être toujours un tantinet en avance sur les évènements.

    L’est certain qu’avec une section rythmique de cet acabit vous pouvez vous reposer sur vos deux oreilles. Oui mais le Gretschman ne l’entend pas ainsi. Waouh ! Quel guitariste. Une précision redoutable. L’est totalement intégré à la section rythmique, à trois une véritable machine de guerre. Le rockab, c’est quoi ? C’est une musique qui s’arrête au millionième de seconde près, quinze secondes de boucan homérique, et hop plus rien du tout. Pas le temps de souffler qu’une dégelée de notes vous retombent dessus sans vous prévenir, pour dix secondes plus tard s’arrêter sans préavis et hop vous êtes assailli d’une mini-tornade de grêlons sonores gros comme des boulles de pétanque. Tout est dans le son de la guitare. Ou elle vous convainc de l’urgence de la situation ou elle se traîne péniblement dans ses pantoufles, Stevens ne vous laisse aucune chance. Vous tue sans rémission et vous refile la vie tout de suite, chaque fois qu’il touche ses cordes vous revivez, votre cœur bat à cent à l’heure et quand il arrête vous êtes en manque, irrémédiablement perdu pour la société, mais il vous regonfle à bloc aussitôt. J’ai passé le concert à le regarder.

    Maintenant vous oubliez tout. Eclipse totale, la lune occulte les trois soleils derrière elle. Elle : Manon. Dans un long fourreau noir.  Qui descend jusques aux pieds. Qui ne laisse voir que les tatoos de ses épaules. Un tiers blonde. Deux tiers rousse. Une présence indéniable. Elle attire. Elle focalise les regards. Sûre d’elle, tout sourire. Elégante et joueuse. Elle use et abuse de son charme et de sa facilité à établir le contact. Elle parle mal le français, tout le monde la comprend. La reine du show. Se poste devant le micro. C’est parti à l’arrache, un vocal qui bouscule tout sur son passage. Pas de quartier. Pas de pitié. Des morceaux courts qui vous jettent au tapis. Une aisance déconcertante. Comment une voix si rauque peut-elle sortir d’un corps si mince. Entre deux morceaux, elle s’amuse, elle minaude, fait applaudir ses musicos, semble penser à tout autre chose qu’au concert et elle démarre à fond les gamelles sans prévenir, derrière le trio la suit comme le bouchon épouse les caprices de l’onde qui le porte. Elle parle Flamand nous avertit-elle, est-ce l’influence espagnole sur les Flandres, mais voici qu’armée d’un éventail elle se réfugie par trois fois au fond de la scène pour laisser chanter son batteur. Ce dernier tout en continuant à battre frénétiquement le beurre dévoile sa belle voix, pas tout à fait rockab, pas tout à fait Sinatra dans la manière d’articuler mais il recueille un franc succès. Tout comme l’ensemble des Wild Deuces qui joueront leur deuxième set et leurs rappels sous les interjections et les clameurs de la foule dont certains membres malgré la presse n’hésitent pas à danser. Une belle soirée.

    Merci Béatrice.

    Damie Chad.

     

     

    GUMBO CARNIVAL EXTRAVAGANZA

    BIG DADDY’S BREAKFAST VOODOO

                                        (Piste Numérique / Août 2023Bandcamp)     

    Je voulais chroniquer voici longtemps leur album Snake Oil  paru en 2017, puis j’ai flashé sur le suivant Black Cat Bone Spell, sorti en 2020, je n’en ai rien fait alors je ne laisse pas passer le tout nouveau paru en août ! Le groupe s’est formé en 2010 à Amsterdam. La ville devrait m’offrir une rente à vie pour tous les paquets d’Amsterdamer que j’ai fumés, mais ceci est une autre histoire. Sont trois : Mick : guitar, vocal / Peter : bass / Bart : drums.

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    Au titre l’on pourrait se croire à la Nouvelle Orleans, y’a bien un alligator sur la pochette, et maintes allusions aux titres de l’opus que nous allons écouter. En fait la pochette ressemble à son contenu, un joyeux charivari, tout de suite l’on devine que ces trois lurons ne se posent pas de problèmes métaphysiques. Se définissent comme un groupe de blues, et revendiquent des influences stoner,  disons pour faire simple qu’ils ont le désert luxuriant et qu’ils ont exilé tout sentiment de tristesse de leurs racines bleues.

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    Reno : z’ont cassé l’anatole du coquetier et vous servent le jaune de l’œuf avec le croco qui nage dedans, Bart vous refile le rythme, ni exactement binaire, ni justement ternaire, tape entre les coups de queue précipités de la bestiole toute heureuse de voir enfin le monde.  S’y mettent tous les trois autour comme les pieds nikelés préparant un mauvais coup, Peter marche le frein à main de sa basse non enlevé, du coup le moulin de la guitare broute le riff et parfois sur le vocal il nous semble que Mick n’hésite pas à miauler. Soyons franc question paroles ce n’est pas le velouté de Verlaine, sacré tintouin terminal. Parked my car into the water : non ce n’est pas l’histoire de Keith Moon qui bazarde ses voitures dans la piscine, c’est pire, pour nous petit frenchies ça fait penser à J’ai jeté ma clef dans un tonneau de goudron de Mac Kac, pour l’esprit parce que musicalement vous les suivriez jusqu’au bout de la mer quitte à transformer votre chiotte en sous-marin nucléaire, d’ailleurs ça se finit en apocalypse nucléaire, le Bart vous a une voix de supporter de foot, vous conduit son équipe à la victoire les doigts dans le nez et quand c’est fini vous vous rendez compte que vous êtes planté au milieu de la pelouse, avec les vôtres dans le cul. Trip safari : encore une histoire de piscine avec des castors dedans, puis toute une ménagerie, une section rythmique qui vous fout le sbeul, une guitare qui découpe un cuissot d’éléphant avec le couteau électrique de sa grand-mère, un vocal qui pointe sa tête de girafe par-dessus le ramdam et des espèces de chœurs psalmodiés comme jamais vous n’en entendrez dans un disque de gospel. Non, ce n’est pas du prog. Entre nous c’est hyper chiadé. La guitare ronronne, vous avez un tigre royal mangeur d’hommes qui dort sur le canapé de votre salon. I am the broom : rythme insidieux, guitare menaçante, batterie coup de marteaux, fini la plaisanterie, l’on entre dans la sociologie moderne, pas du bon côté, le Bert en oublie presque de chanter, l’articule méchant va exploser, cette fois la guitare vous file une castagne dont vous vous souviendrez, la tension monte, sifflement dans vos oreilles, il explose, il ne se retient plus, il jacte comme un somnambule prêt à passer à l’acte. N’a pas tort, l’en a marre de faire le ménage, le drame se précise, le mec a le blues méchant, on le comprend, on le soutient. Vu la violence terminale on se doute que… Mount Jacobi Shack : en tout cas il ne le dit pas, l’enchaîne directement sur le morceau suivant, à toute blinde, la guitare de Mick pique un sprint, ça pue un peu la cabane du trappeur qui ne s’est pas lavé depuis six mois, jusque-là tout va bien mais le morceau déraille, une vague sauvage sous emporte, ne savent plus où ils sont, dans la chanson ou sur le Mont Jacobi, carburent au kérozène, sont dans un tel état qu’ils vont finir à l’asile. Au moins ils n’auront pas le loyer à payer. Doomed to fail :  la fêlure, ils ont craqué, la guitare pleure à chaudes larmes, l’irrémédiable réalité de leurs existences leur saute aux yeux, échec et mat, ils ont perdu. Sont accablés par le malheur de vivre. Oui mais ils mettent une telle énergie à le proclamer que vous comprenez qu’ils en ont encore sous le pied. Sous le désespoir la lave bouillonne, des gosses punis de récréation qui prendront leur revanche à la fin de la journée. L’instrumentation muselée est en train de broyer sa chaîne avec ses dents. Til the lights go out : que disait-on ! des enfants de chœur, ils agitent la clochette du sacristain, se foutent des paroissiens, vous ont adopté un rythme perversement candide, s’amusent, vont se masturber dans les coins sombres, jolie prouesse vocale de Mick, jamais je n’ai entendu une musique qui ment si sympathiquement, avec eux la nature reprend ses droits, en plus si l’on y réfléchit un peu sont en train de se foutre du blues lui-même, même pas la musique du diable, ni celle du bon dieu, dans les deux cas ce serait de l’hypocrisie heureuse. Netflix Lockdown : pas tout à fait un morceau sur l’addiction à Netflix, ne confondez pas la cause avec la conséquence, ce serait dommage, parfois faut savoir crier au loup pour égarer le chasseur, un régal, un trio parfaitement en place et en classe, une instrumentation équilibré à merveille, tous ensemble et pas un qui marche sur l’autre, un vocal omniprésent qui n’accapare pas la part du lion, une batterie si présente qu’on ne l’entend pas, une basse qui passe en courant d’air, et une guitare qui guette sur la crête. Suis resté bloqué longtemps sur ce Netflix. Black burned cupcake : pour le dernier morceau vous avez droit à un gâteau. Je ne suis pas pâtissier et je ne me prononcerai pas sur la recette, toutefois ce colorant rose me paraît peu écologique et ce mystérieux ingrédient X, c’est peut-être à cause de lui qu’ils jouent si speed. Sur la fin, ils sont carrément en manque, ils se disputeraient presque pour être servis en premier. Il ne faut pas exagérer non plus, à la maternelle au goûter jamais un de mes camarades n’a proclamé qu’il préférait les gâteaux au sexe. Enfin c’est du blues alors on pardonne.

    En tout cas je ne m’attendais pas à que ce soit si bon. Non pas le gâteau. Ni le sexe. Je parle du groupe. Cet opus est une splendeur.

    Damie Chad.

     

    *

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    A plusieurs reprises sur KR’TNT nous avons présenté le travail pictural de Manuel Martinez. L’annonce d’une exposition Avec la peinture et la sculpture à Ostrava, Orchard Gallery, in Tchéquie, du 13 / 09 / 2023 au 10 / 10 / 2023 nous a donné envie de nous pencher encore une fois sur son œuvre foisonnante. Si dans notre chronique Angels in Disguise du 02 / 20 / 2020 nous avions exploré l’aspect mythique de son chemin de peinture, cette fois-ci nous découvrons une autre face de cette œuvre, que nous nommerons :

    LES GENS D’AUJOURD’HUI

    1

    TRANSFERT

    Diptyque - Acryl / Toile 162 x 60 x 2 - ( Août 2023 )

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    La peinture nous regarde davantage que nous la regardons. Nous sommes souvent les derniers à nous en rendre compte. Nous avons été sympas, nous inspirant du titre de carnets graphiques de Manuel Martinez nous aurions pu intituler cet article Nos Contempourris, comme nous sommes les contemporains de nos contemporains, nous n’avons pas osé. Nul besoin de décrire la scène. Inutile de remonter au diptyque Adam et Eve d’Albert Dürer, contentons-nous de suivre les pointillés. Ils ne disent rien mais ils révèlent tout. Dans la vie tout est question de visée. Il suffit de savoir d’où part la flèche et de connaître la cible qu’elle désigne ou rate. Manuel Martinez est gentil, il trace la ligne mathématique (donc imaginaire, songez que ce mot est formé sur image) de son parcours. Remarquons que sur les vêtements aux couleurs uniformes, deux flèches partent en des directions opposées. Les anciens grecs nous expliqueraient qu’Apollon est un archer redoutable.

    2

    TIR TENDU

      Acrylique – toile 120 x 120 (Mars 2020)

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    Parfois la visée est si nette qu’elle se transforme en trajectoire. Si vous voulez un adjectif pour qualifier le jaune du gilet, je propose dramatique ou colérique. Si Transfert est un fait de société, Tir Tendu est un méfait gouvernemental. La peinture est aussi un acte politique. La flèche est tracée sur l’asphalte. Vous ne pouvez y échapper. Le sujet, ici grammaticalement parlant, celui qui subit l’action, ne touche plus le sol, il n’est pas touché en plein vol, c’est la balle qui l’envole, grâce à l’ombre tournoyante de ses bras il devient multiple. Ses bras font signe. II devient symbole. Une seule image suffit pour retracer un destin, collectif. La couleur pour transcrire une colère noire.

    3

    REGLE DE CINQ

    Acrylique – toile 120 x 120

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    Regarder les autres se faire tirer dessus comme des lapins ne veut pas dire que l’on est en-dehors du danger. Ici les pointillés sont évidents. Ils ont grossi, ils sont peinturlurés. Celui qui ne les reconnaît pas devrait se faire des soucis. Reste à expliciter cette mystérieuse règle de cinq, bien plus énigmatique à première vue que la fameuse règle de trois. Il suffit de regarder le tableau pour comprendre. Aucun besoin de connaissances ésotériques. Qui tire au juste ? Le peintre. Qui reçoit les balles ? Le tableau. Ce n’est pas un suicide, le peintre est toujours vivant, juste une projection (révisez vos leçons de sixième sur les couleurs primaires et complémentaires). Vous avez toujours le choix. Mais les conséquences. 

    4

    ULYSSE

      Acrylique – toile 120 x 120

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    Il y en a toujours qui se prennent pour celui qu’ils ne sont pas. Leur désir est si fort qu’il se solidifie, se transforme en lance, et maintenant avec leur costume cravate, leur chemise blanche sans tache, ils se prennent pour Ulysse – bien sûr ils ont la caution de Joyce – ils ne sont que des Tartarins de Tarascon (09), qu’importe ils ont vaincu et transpercé la diabolique tarasque, la bête infâme, la bête infemme pour emprunter la langue des oiseaux. Songez davantage à la langue qu’aux oiseaux. Notre héros l’a clouée sur place. Elle agonise. Petite mort. Elle = Peinture.

    5

    BRUNE EXTRALIGHT

    Acrylique – toile 70 x 70

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    Vous pourriez accuser Manuel Martinez, el picador de la pintura, d’exprimer le désir du mâle blanc de plus de cinquante ans. Tout à fait son portrait. L’est comme Apollon qui a plusieurs flèches dans son carquois, il a plusieurs pinceaux sur sa palette. Beaucoup de jeunes filles sur ses toiles. Des corps adorables, des postures attirantes, des attitudes énigmatiques, c’est oublier que tout se passe dans la tête. Pas nécessairement de celui qui est regardé mais dans le chef de celle qui regarde. Lors des sacrifices antiques la fumée qui montait vers le ciel était la part des Dieux, les chairs qui restaient étaient dévolues aux hommes… Si cette jeune fille fume trop elle n’en pense pas moins. Pour ceux ou celles qui préfèrent les blondes, se reporter dans la même série au tableau Virginia.

    6

    DISTANCIATION

     Acrylique– toile 80 x 80

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    Elle l’a vu. Elle le tient à distance. Peut-être est-ce cette distance qui le tient à elle. Que les pensées sont noires. Nous ne voyons que ses épaules recouvertes de nudité. Sommes-nous au plus près de l’intimité des rêves érotiques. Il n’est qu’une ombre, une marionnette accrochée à la paroi d’un sombre rocher. Peut-être en surgit-il et s’apprête-t-il à l’escalader, peut-être un simple coup d’œil précipitera sa chute. Il est dans le viseur. S’en doute-t-il seulement. Peu importe il n’a pas voix au chapitre.

    7

    MISE EN REGARD

     Acrylique– toile 50 x 50

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    La même scène. La pendule a tourné. C’était la nuit voici le jour. L’œil a accroché un œil à son hameçon oculaire. Souvenons-nos que dans la peinture tout est question de regard. Ici nous n’avons que le regard. Le sujet regardé est hors-champs. Est-il vraiment si important en lui-même. N’est-ce pas le désir qui prime. Son objet ne dépend-il pas de lui. Une autre flèche part en un sens opposé. N’existe-t-il pas une autre possibilité, et pourquoi pas un champ des possibles illimités. Œil de lynx et ruse de sioux, elle regarde de l’autre côté.

    8

    VA SAVOIR

     Acrylique– toile

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    Tout se passe dans la tête. Mais aussi dans un monde réel empli de gravité. Parfois il est difficile de choisir à quelle force de son propre désir on cèdera. La paume des mains levées vers le ciel, c’est ainsi que les grecs invoquaient les Dieux, ici on s’en remettra à la puissance du hasard. A l’aune du désir l’un ne vaut-il pas l’autre, toute chose étant égale, autant que la décision dépende des circonstances, la flèche monte haut vers les étoiles mais c’est à la base de sa trajectoire que tout se décidera. L’arc n’est-il pas aussi nécessaire que la flèche.

    9

    SIGNES

     Acrylique– toile ( 50 x 50)

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    Titre d’une ambiguïté parfaite. Toutefois elle est la cible désignée de la flèche. Le regard suffit-il ? Sous l’œil inquisiteur elle est déjà quelque peu dégrafée, la situation est claire, elle sait que si la flèche la transperce déjà c’est parce que son attitude de proie débusquée et consentante a attiré le regard. Qui a tiré le premier ? Les pensées moites du désir se bousculent dans sa tête. Tout est dit. En quelques virevoltes de pinceau. Les signes ne trompent personne. Même pas elle.

    10

    SUSPENSION

    Acrylique– toile ( 80 x 80)

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    Nous étions dans les états d’âmes, dans les états dames aussi. Dans les observations phénoménologiques quant à l’expression du désir féminin par Manuel Martinez. Nous assistons maintenant à l’irruption de la modernité technologique dans le sentiment amoureux. Encore une histoire de transfert. Le medium s’introduit dans l’histoire. Ne plus parler à l’objet du désir mais au désir de l’objet. Nous terminerons ce commentaire par des points de suspension…

    11

    QUAND ELLE DOUTE

    Acrylique– toile 60 x 50

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    Titre explicite. Ce n’est pas qu’elle doute de quelque chose ou de quelqu’un. Elle doute du doute. Quand la quadrature du cercle prend la tangente. Ceux qui hésitent entre ceci et cela se mentent à eux-mêmes. Tout comme quand vous doutez de vous-même. Le doute est le vecteur. Le doute est le média. Technologique en quelque sorte. La seule manière d’appréhender le monde qui soit à notre portée. La partition est simple. Ou l’on s’ouvre au monde, Ou l’on reste enfermé en soi-même.

    12

    DEVIANCE

    Acrylique– toile 70 x 100

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    Du regard sur le désir féminin, l’on passe au regard masculin. Peut-on entrevoir n’importe lequel de nos regards comme une déviance, vers quelque chose qui n’est pas nous, qui nous est totalement étranger, à tel point qu’il est loisible de penser que ce que nous regardons nous cannibalise, s’installe en nous, nous éjecte de nous-même. Le regard serait-il la matière noire de notre autodestruction. L’ailleurs nous tue-t-il ? Si notre esprit n’est plus d’équerre avec le monde, retournons-nous au stade animalier. Est-ce pour cela qu’une queue s’échappe de notre postérieur. N’avons-nous pas déclenché notre propre folie.

    13

    BLEU SYNCHRO

    Acrylique– toile 70 x 100

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    Merveilleuse toile. Retour à soi-même. Manuel Martinez est peintre. Il se retrouve en lui-même tel que la couleur l’institue. Désormais tout est synchro. Il hisse le grand-pavois bleu. La petite pastille océane des boîtes de peinture à l’eau de l’enfance. La bille de verre des récrés. Les deux pieds plantés sur sa propre terre. L’objectivité du regard intérieur s’équalise à l’extériorité du monde. Il est peintre. Retour à la peinture. Admirez la finesse des motifs du sweat-shirt.

    14

    Acrylique– toile 70 x 100

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    Retour au peintre. C’est de lui que tout est parti. Suivez les lignes, vous remonterez à l’origine, aux pointillés initiaux du pinceau. Le peintre tient son pinceau capable de recréer l’univers à sa propre image. Mentale. Tout dans le geste, tout dans la tête. C’est ainsi que Zeus détient la foudre et Pharaon son sceptre. Artifex.

    15

    A L’ATELIER

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    Manuel Martinez vit en Ariège. Peintre le jour, peintre la nuit ainsi se définit-il. Nous n’avons fait que peinturlurer quelques mots au bas de ses toiles. Pour ceux qui veulent en savoir plus, nous conseillons de passer par son FB : Manuel Martinez Peintre. (Surtout n’oubliez pas ‘’Peintre’’ sans quoi vous aurez l’impression que la moitié de la planète s’appelle Manuel Martinez). Vous aurez ainsi accès à plusieurs centaines de photos de ses œuvres. Nous reviendrons sur d’autres chemins parcourus en de futures livraisons. Manuel Martinez a aussi été chanteur du groupe de rock : Les Maîtres du Monde.

    Damie Chad.

    P. S. : Nous parlerons de Michèle Duchêne qui expose souvent avec Manuel Martinez dans une prochaine livraison.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 40 ( Administratif ) :

    207

    La suite ! La suite ! La suite !

    Sont maintenant plus de cinq cents personnes regroupées autour de nous. Elles se sont assises pour que chaque spectateur puisse voir. Une fois que la Mort a fait signe qu’elle va répondre, s’installe un silence qu’il me faut bien qualifier de mort. Elle est montée sur un tombeau un peu surélevé, il faut avouer qu’elle a une fière allure drapée dans les haillons de sa houppelande rapiécée, de sa main gauche lorsqu’elle a enfoncé sans effort le manche de sa longue faulx d’au moins vingt centimètres dans le granit de la dalle depuis laquelle elle domine le monde un frisson d’incrédulité et de méfiance a parcouru la foule.

              _ Mon enfant puisque tu veux tout savoir, tu sauras !

              _ Merci Madame !

              _ Gabriel, votre femme était ce que l’on appelle une mort vivante. Oecila est morte dans un accident de voiture quelques mois avant votre arrivée en Russie, elle était jeune et jolie, je l’ai prise en pitié, je l’ai laissée rejoindre le monde des vivants, sous le nom d’Ecila, elle vous a rencontré, elle vous a aimé, je l’ai laissée partir avec vous en France, voilà l’histoire est assez simple… Au bout de quelques années je l’ai rappelée sans quoi elle serait devenue immortelle en quelque sorte puisque les morts ne peuvent plus mourir.

               _ Mais cette tombe et ce cercueil dans lequel j’ai ramené la soi-disant dépouille de la sœur de ma femme ?

               _ Ce n’est pas votre femme qui était dans le cercueil mais moi, un moyen de transport très commode, encore plus confortable qu’une couchette de train de nuit. Songez que je dois être partout à la fois, aux quatre coins du monde, dans à peu tous les cimetières de cette planète j’ai un cercueil qui m’attend pour me reposer au moins quelques secondes, un travail de fou, sans aucune rétribution, je suis sûr que dans cette assistance personne ne lèverait la main pour prendre ma place !

    Les applaudissements crépitent. La camarade camarde a remporté un franc succès, d’un geste auguste elle donne congé à la foule :

              _ Je vous donne congé, je n’ai pas le temps de m’occuper de vous aujourd’hui, ce sera pour une autre fois, je vous souhaite une bonne fin de semaine. Au revoir et à bientôt !

    L’assemblée se disperse le sourire aux lèvres conquise par cette comédienne hors-pair et pressée d’aller raconter cette étrange scène à tous les amis qui voudront bien l’écouter. Gabriel et Alice serrés l’un contre l’autre les suivent à petits pas

              _ Tu sais papa ce n’est pas très grave que Maman ait été une mort vivante, regarde, nous avons Alicia et elle est vivante elle !

              _ Tu as raison, nous allons tout de suite lui acheter un collier rose avec son nom gravé dessus et un numéro de téléphone pour ne pas la perdre !

              _ Oui Papa, comme c’est une princesse un collier avec des diamants…

    208

    Le Chef allume un Coronado, Carlos et moi nous nous occupons à refermer le cercueil vide et à remettre la dalle en place. Molossa et Molossito assis côte à côte sages comme des images ne bougent pas, leurs yeux ne quittent pas la Mort comme s’ils ne voulaient pas la laisser partir.

              _ Ces braves chiens sont d’après moi les membres les plus intelligents du SSR, ils ne sont pas comme vous, ils attendent, je ne sais pas quoi, mais ils ne passent pas leur temps à se poser des questions sans réponse.

    Le Chef allume un nouveau cigare.

              _ Chère amie, ne vous méprenez pas, ici seuls les deux chiens et l’Agent Chad ont une dernière question, je vois à leur mine qu’ils n’osent pas, alors je le fais à leur place : l’Agent Chad retrouvera-t-il un jour cette jolie péronnelle qui répond au doux prénom d’Alice ?

              _ Jamais ! Maintenant je vous laisse, il y a tant de gens qui m’attendent pour mourir ! A croire qu’ils sont pressés ! Je vous dis à demain à 9 heures tapantes, j’aurai quelque chose à vous révéler.

    209

    Sur le bureau le Chef a installé une assiette de petits gâteaux pour ma part j’ai posé deux bouteilles de moonschine. Elle n’a même pas frappé, elle est apparue à neuf heures précises sur le fauteuil que j’avais avancé.

              _ Votre exactitude m’enchante Madame, je vois que vous n’avez pas la déplorable attitude de l’Agent Chad d’arriver en retard. J’ose espérer que vous avez passé une bonne nuit.

              _ Pas du tout il a fallu que j’aille mettre un peu d’ordre à Woodstock !

              _ A Woodstock ? Un festival ?

              _ Oui, les morts s’ennuient un peu, alors de temps en temps je leur permets de sortir, pas à tous. Je choisis. Mais là c’était mon chouchou, je lui passe tout ce qu’il veut, de son vivant Edgar Poe est l’être humain qui a le mieux compris le monde de la mort. Je lui en sais gré. Je lui ai permis de continuer à écrire, bref il a réuni près de trois millions d’admirateurs, des morts évidemment, venus l’écouter, il a lu sa dernière nouvelle Souvenirs du Monde des Vivants, une histoire horrible, les morts n’ont pas supporté le rappel des turpitudes qu’ils ont vécues, cela a déclenché une panique générale certains tentaient d’organiser un suicide collectif pour échapper à l’enfer du récit. Bref j’ai dû intervenir pour renvoyer tout le monde se coucher dans son cercueil. Je suis très fière d’avoir pu donner à Edgar Allan Poe dans le monde des morts le succès que le monde des vivants lui a refusé.

              _ Ah ! comme j’aurais aimé y être !

              _ Agent Chad arrêtez de dire des âneries, je pense que Madame est venue nous parler de géopolitique.

              _ En effet, je commencerai par corriger quelque peu ce que ce gros bêta de Gabriel a raconté hier, sa femme Ecila était une agente secrète russe retournée par les français. Les services français voulaient rapatrier des documents explosifs, de véritables bombes sur les agissements de leur gouvernement, ils m’ont demandé de les aider, vous comprenez la suite… Pour la petite histoire j’ajoute que les services russes ont au dernier moment rempli le cercueil d’annuaires téléphoniques… Ecila est restée en France mariée à ce gros benêt de Gabriel. Entre parenthèses sa fille tient de sa mère, à douze ans elle mène son père par le bout du nez, ce pauvre papa a de quoi s’inquiéter…

    Je voulus ajouter mon grain de ciel :

              _ Ainsi donc vous collaborez avec l’Etat français !

              _ Avec tous les états du monde. Les gouvernements sont de gros producteurs de morts, ils ont toujours une petite guerre à faire, je passe des accords avec eux, je trucide quelques opposants politiques, en échange ils activent un petit conflit à l’autre bout du monde. C’est du donnant-donnant, de la bonne politique.

    Le Chef alluma un Coronado, à son air je compris qu’il allait poser une question sensible :

              _ Et parmi les petits services entre amis, on vous a demandé de les débarrasser du SSR ?

              _ Oui, dans leur ensemble les présidents français n’aiment pas le rock’n’roll, ils voudraient même éradiquer le SSR qu’un de leurs lointains prédécesseurs a eu l’imprudence d’instituer pour s’attirer le vote des jeunes, ils jugent que c’est là un ferment d’anarchie et de déliquescence du pays, ils n’ont pas tout à fait tort, vous m’avez prise par surprise lorsque dans un épisode précédent de vos aventures vous avez envoyé un exocet sur la résidence de l’un d’entre eux, ce qui je vous le rappelle lui a ôté la vie. Méfiez-vous ils ne vous lâcheront pas. Voilà j’ai tout dit.

              _ Madame je vous remercie de vos informations, avant de nous quitter l’agent Chad aimerait vous offrir un verre de Moonshine.

    La fin de l’entrevue fut agréable. Nous parlâmes de tout et de rien, je dus rajouter deux bouteilles de Moonshine, la Mort tenait très bien l’alcool, ce whisky au venin de crotale de contrebande à quatre-vingt-quinze degrés, lui plut énormément. Alors qu’elle s’apprêtait à partir je lui en offris deux autres :

              _ Agent Chad je vous remercie de votre prévenance, en échange je vais vous faire un cadeau, non ne rêvez pas je ne vous rendrai pas votre Alice, juste une confidence. Je vous avoue que le rock ‘n’ roll est ma musique préférée, vos chanteurs sont toujours en train de convoquer la mort, ils portent des bagues à tête de mort, l’on en trouve sur pratiquement tous les pochettes. Voilà j’en ai trop dit.

    Elle s’apprêtait à se lever, le Chef ouvrit le tiroir de son bureau et prit la parole :

    • Madame, au nom du Rock’N’Roll je vous remercie, moi aussi Madame je tiens à vous offrir une babiole, je vous en prie restez assise quelques minutes et veuillez accepter ce cigare, un Mortalado N° 4, un délice, croyez-en un connaisseur.

    Et la Mort alluma un Coronado.

    Fin de l’épisode.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 612 : KR'TNT 612 : BRAT FARRAR / GENE CLARK / SYD BARRETT / YO LA TENGO / SHARON RIDLEY / MAMA'S BROKE / WODOROST / RAOUL GALVAN + ERIC CALASSOU / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 612

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    21 / 09 / 2023

     

    BRAT FARRAR / GENE CLARK

    SYD BARRETT / YO LA TENGO / SHARON RIDLEY

    MAMA’S BROKE / WODOROST

     RAOUL GALVAN + ERIC CALASSOU

    ROCKAMBOLESQUES

      

     

    Un Farrar dans la nuit

     

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             Pareil que Cash, Brat jouait tous les jours. Comme Gildas passait Brat dans son Radio Show, alors on est allé voir jouer Brat. Gildas avait du pif. Il savait flairer une piste. D’ailleurs, on lui doit pas mal de découvertes, le Bench Club de Toulouse, The Little Richards de Californie, Timmy’s Organism de Detroit, les Why Oh Whys de Suède, Kurt Baker Combo du Maine, les Psychedelic Speed Freaks du Japon, et l’Aussie Brat Farrar. Diable comme Brat sonnait bien dans son show.

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    Alors tu vas voir Brat gratter ses poux à la Banche et qui trottine à ta droite ? Le fantôme de Gildas. Clopin-clopant. Comme lors de la nuit magique de 2019.

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             Brat s’est coupé la tignasse. Ça le rajeunit. Il a monté un groupe et roule ma poule. Brat et ses trois amis tapent un rock high-energy bien senti. Brat passe tous les solos, il n’est pas avare de petites gestuelles. Il peut aller gratter ses poux dans le dos, comme d’autres avant lui. À son sourire carnassier, on voit qu’il est content de rocker le Binic. Son set tient sacrément bien la route, on s’en régale le premier jour, mais le lendemain, c’est encore mieux. Les virulences n’ont aucun secret pour lui, il combine le blast avec le climaxing, il cultive la dissonance qui électrise la peau, il sait faire dresser l’oreille, il claque un rock extrêmement évolué, bien dressé vers l’avenir, et tous les ceusses qui connaissent ses albums savent ce que ça signifie. Son fonds de commerce reste le vieux gaga-punk cher à Gildas, mais il l’agrémente d’une touche anguleuse qu’on peut bien qualifier de modernité.

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    Brat ne craint pas d’être avalé par le passé, il développe une espèce d’animalité étrange, que contrebalance un sentiment d’austérité, peut-être dû au fait qu’il ne porte que du noir. Va-t-en savoir.

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             À ce stade de conjecture, il est indispensable d’écouter ses quatre albums pour se faire une idée précise. Visuellement, il opte dès le départ pour un graphisme austère, une image traitée avec un filtre trameur Photoshop et barrée d’un gros Brat Farrar en extra-bold condensed. Une façon comme une autre de dire bim bam boom.

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    Deuxième chose : Brat Farrar est un one man band. Il se débrouille tout seul : performing, writing, mixing, mastering, il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Son premier album sans titre est un Off The Hip qui date de 2012. Boom avec «Punk Records», le cut qui clôt chacun de ses sets. Ah il l’aime bien son vieux «Punk Records». Il a raison, car «Punk Records» est bien exacerbé du coconut. Le brave Brat pique de violentes crises. Il enchaîne ça avec une belle énormité, «You Got Me Hanging Around», il y va au wild gaga-punk d’hanging around, il adore ce sourd beat des profondeurs. Avec «Ask The Night Tonight», il sonne comme les Buzzcocks. Et plus globalement, il arrose tous ses cuts avec un beau vent du Nord. La B est moins sexy, il fait parfois un peu la Post, et il faut attendre «Boneyard» pour trouver du bon rampant et une bonne cocote de la mort qui tue.

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             Deux ans plus tard, il récidive avec Brat Farrar II et te claque deux jolis coups de génie enchaînés : «Good By Myself» et «Johnny Sparrow». Max Brat sait monter à la menace du Good et il taille son Sparrow dans la masse, il travaille le trash comme Rodin l’argile, il balance tous les vents du Nord si ça lui chante, il se veut très directif, il gratte des poux qui attaquent comme les oiseaux d’Hitchcock et ça splurge dans le carnage. Il fait de l’Hitch pur. Il n’est pas non plus avare de Punk’s Not Dead, comme le montre «Nothing There». Il réunit son essaim de frelons et repart à l’attaque, au beat pressé de Paul Morand. Il y bat le beurre du diable, il bat ses œufs, il est dépassé par sa neige de blancs d’œufs. Ce sont des choses qui arrivent. Au rayon énormités, il est bien garni, comme le montre ce «Do You Really Wanna Know» atrocement tiré par les cheveux, il connaît le secret des clameurs, il rend son beat violent, avec des poux de Hurlevent en surface. Quel spectacle ! Encore une belle énormité avec «Off To See The World», il jongle avec les ressources inexplorées, le voilà aussi fier que d’Artagnan, mais il impose son rock fier à bras en sourdine, même s’il ramène ses essaims, il gratte en biseau, mais en fait, tu entends plusieurs grattes en biseau qui semblent causer entre elles pendant que le fier à Brat chante ses conneries. Et là, tu adhères au parti, car te voilà convaincu. Voilà un Aussie qui conçoit son album comme une aventure. C’est tout ce qu’il faut retenir de lui.   

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             Dans son radio show Gildas passait l’«On Your Mind» tiré du III, un Kizmiaz de 2017. Il passait aussi «Always You» qui n’est pas sur les albums. Juste un brillant single. Le fier à Brat a choisi une belle photo floue pour la pochette. Ceci dit, l’album est remarquable : deux stoogeries et en plus, un «When I Wake» qui évoque les Pixies. Si tu le cherches, il est planqué en B. Le Brat l’attaque très haut dans le ciel rouge. Il joue exactement comme Joey Santiago, à coups de stridences inconvenantes. Il a vraiment du génie, surtout qu’il fait tout ça tout seul. La première stoogerie s’appelle «On Your Mind», Gildas avait du pif, I wanna be on your mind, le Brat d’honneur a tout bon, c’est stoogé jusqu’à l’oss de l’ass, la tension, les incendies, le heartbeat, l’I wanna be on your mind, tout est là, with a heart full of napalm ! La deuxième stoogerie ouvre le bal de la B : «Downtown». Ses attaques de front sont historiques, il oscille au bord du cratère, il propose une nouvelle fantastique démonstration de force. Sa gratte prend feu. Le Brat bat tous les Aussies, si si, à la course. Il sort vraiment du lot. Il est fin et plein d’idées dégoulinantes de power, comme électrisées. Il tape en A son «Make You Mine» avec une incroyable perversité, son poison coule dans les veines de la vestale verte, il gratte une atroce cocote infectueuse. Sur cet album, tout est bien serré, bien fourni, bien foutu, bien senti. Brat est réellement un Farrar dans la nuit.

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             On est bien content d’avoir sous la main un album comme Adventures In The Skin Trade. Pourquoi ? Parce que chaque fois qu’on le ressort de l’étagère, on peut réécouter le morceau titre qui non seulement ouvre le balda, mais dit tout ce qu’il y a à savoir sur le Brat long. Rien qu’avec ce cut, il devient une quasi-rockstar inconnue. Le Brat connaît tous les secrets du pulsatif. On se croirait chez les Stooges, c’est vrai, il règne dans ce cut un violent parfum de stoogerie, et même d’heavy stoogerie seigneuriale, et petite cerise sur le gâtö, il finit en écrasant sa chique à la manière de Johnny Rotten. Dommage que la suite ne soit pas du même acabit. Bon il y a du son et des incendies dans «Come Back To You» et son «Big Crash» est bien chargé de la barcasse, mais ton cœur ne bat que pour le morceau titre. Il sauve sa B avec «Not Like You», fast & sharp. Il paraît indomptable, c’est un véritable Aussie de Gévaudan, il tortille sa vrille et se prend littéralement pour Ron Asheton. Ce brave Brat a du génie sonique à revendre et tout l’avenir devant lui.

    Signé : Cazengler, Brat Farine

    Brat Farrar. Binic Folk Blues Festival (22). 28/29/30 juillet 2023

    Brat Farrar. Brat Farrar. Off The Hip 2012 

    Brat Farrar. Brat Farrar II. P. Trash records 2014  

    Brat Farrar. III. Kizmiaz Records 2017 

    Brat Farrar. Adventures In The Skin Trade. Beast Records 2020

     

     

    Last train to Clark’s ville

    - Part Three

     

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             Pour bien prendre les choses en dépit du bon sens, on va attaquer ce Part Three avec les trois albums des Byrds, qui furent t’en souvient-il le groupe de Gene Clark, de la même façon que les Rolling Stones furent le groupe de Brian Jones. Et comme on le soulignait quelque part dans le Part One, Geno et Brian Jones s’entendaient très bien, ce qui ne surprendra personne.

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             Tout fan de Geno a commencé sa carrière de fan par Mr. Tambourine Man, un album paru en 1965 et qu’il faut bien qualifier de dément. Le morceau titre d’ouverture de balda te plonge depuis bientôt soixante ans dans la magie des sixties. Tu serres ce gros cartonné Columbia US contre ton cœur, car c’est tout ce qu’il te reste à faire quand éclatent les carillons de l’éternelle jeunesse captés par Terry Melcher. Le «Mr. Tambourine Man» des Byrds, c’est en quelque sorte l’apanage définitif. Geno mettra un point d’honneur à rester digne toute sa vie de ce coup de génie. Les Byrds ont le son, le groove, le poids, le jingle et tout le jangle du monde. Geno entre ensuite en lice avec son premier hit, «I’ll Feel A Whole Lot Better» - When you’re gone - Si ce n’est pas un coup de génie, alors qu’est-ce c’est ? Il signe encore «Spanish Harlem Incident», un fantastique groove californien, et il co-écrit «Here Without You» avec Croz. C’est immédiatement du très haut de gamme. Ils bouclent cette A faramineuse avec un «Bells Of Rhymmey» prodigieusement monté au chant harmonique pyrotechnique. En six coups, ils ont gagné la partie. Et la fête continue en B avec «All I Really Want To Do». Tu t’en abreuves jusqu’à plus soif.

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             Deux coups de génie ouvrent la balda de Turn Turn Turn, paru la même année : le morceau titre - To everything there’s a season - et «It Won’t Be Wrong». Mais le reste de l’album refuse obstinément de décoller. Leur cover du «Lay Down Your Weary Tune» de Dylan sauve les meubles. Il règne une mauvaise ambiance dans le groupe : McGuinn et Croz sont jaloux de Geno qui ramasse plus de blé qu’eux et qui roule en Ferrari. Alors Geno va quitter les Byrds en 1966. Hop terminé.

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             Le nom de Geno apparaît pourtant sur Fifth Dimension. Il co-signe «Eight Miles High» avec McGuinn et Croz, alors qu’en réalité, il a bossé l’idée avec Brian Jones, comme l’indique John Einarson. «Eight Miles High» est l’un des Ararats de la Mad Psychedelia. L’autre Ararat, c’est «I See You», co-signé par McGuinn et Croz, une wild psyché jouée à ras les pâquerettes, un joli ventre à terre d’excellence carabinée. En matière d’excellence au sein des Byrds, c’est Croz qui va prendre la relève, jusqu’à ce qu’il soit viré. L’autre hit des Byrds est bien sûr «Mr. Spaceman», presque pop, mais avec du son. Excellence des excellences. Croz commence à imposer sa marque avec le pur groove de «What’s Happening?». En B, ils trouvent le moyen de massacrer «Hey Joe» et d’enchaîner avec cet épouvantable filler qu’est «Captain Soul». Les Byrds vont commencer à se déplumer ou à se remplumer, en fonction des albums.

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             C’est intéressant d’écouter les Byrds demos de 1964, The Preflyte Sessions, car tout est quasi-Clark, et comme à l’époque Geno en pinçait pour les Beatles, alors il ne faut pas s’étonner de voir les early Byrds sonner comme les Beatles. Le sommet de l’A est ce «Don’t Be Long» qui sonne comme un hit. En B, on tombe sur une belle compo de Croz, «The Airport Song», qui préfigure le Croz à venir. On a aussi une version sèche de «Mr. Tambourine Man» battue à la marche militaire. En C, Croz chante «Willie jean» et «Come Back Baby». Il était déjà dans le groove. C’est lui le plus intéressant, avec Geno. Et puis en D, tu vas trouver une version ahurissante de l’«It’s No Use» signé McGuinn/Geno, et le très beau «Boston» de Geno monté sur un bassmatic joliment électrique.

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             Dans le même esprit, Sundazed sortait en l’an 2000 une petite compile d’early cuts, le premier volume de Sanctuary. Ça démarre sur une version magique de l’«All I Really Want To Do» de Dylan. Les Byrds restent à leur sommet avec «You Won’t Have To Cry». Ils sont aussi puissants que les Beatles. C’est un son unique, porté à son sommet. Encore de la pure Byrdsymania avec «She Don’t Care About Time» et son gratté de poux emblématique, ainsi que son cocktail mortel d’harmonies douceâtres. Dans le même esprit, voilà une version superbe d’«It’s All Over Baby Blue». Après le Dylanex, la grande spécialité des Byrds est la wild psychedelia, et en voilà l’un des emblèmes : «Why». Avec «John Riley», tu vas forcément tomber de ta chaise, car voilà un fabuleux instro de jazz rock fusion. Croz reprend ensuite la main avec l’imparable «Psychodrama City». Ah quelle pureté d’intention ! Il est vraiment sur la brèche du devenir. Il enchaîne avec son «Mind Gardens» et montre qu’avec son orientalisme, il est très en avance sur le roi George. Croz toujours avec «Lady Friend». Belle grandeur. Prod énorme, Gary Usher et ses cuivres. Tu n’en peux plus tellement c’est beau !

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             Dans le même esprit, tu as Never Before, considéré comme «the great lost Byrds album», ou mieux encore, «The great lost Byrds singles». Ils s’agit surtout de ce qu’on appelle les stereo mixes. Et boom, tu tombes très vite sur cette bombe de Geno qui s’appelle «She Has A Way» et qui devait figurer sur le premier album des Byrds : pur jus de mad psychedelia ! Tu as aussi l’«It’s All Over Now Baby Blue» de Dylan enregistré en cachette par les Byrds et Jim Dickson, pendant que Terry Melcher était à la plage à Palm Springs. Belle attaque, la meilleure. Ça s’écoute avec plaisir, même si on connaît tout ça par cœur. S’ensuit «Never Before», la dernière chanson que Geno a composée pour les Byrds, à la fin de l’«Eight Miles High» session. Rien de plus upfront que Never Before. Et puis tu as «Why», signé McGuinn/Croz, une sorte d’apanage du rock californien, avec un big pulsatif underground et transpercé par un solo de McGuinn. «Triad», c’est encore autre chose, Croz le groove à la dérive, il l’étale en plein jour, il descend les escaliers d’I love you too. Ce cut magique qui devait figurer sur The Notorious Byrd Brothers n’y figura pas, car Croz refusa de l’enregistrer avec ses faux frères, et donc c’est resté un single, d’où sa présence sur Never Before - Why can’t we go as three - Croz y prône le ménage à trois. Et puis il y a aussi «Lady Friend», un autre single magique de Croz, véritable coup de génie.  

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             L’album sans titre de reformation des Byrds paru en 1973 vaut le déplacement pour une bonne et simple raison : «Full Circle». Cut de Geno, forcément. Tout de suite magique - Funny how the circle turns around/ First you’re up and the you’re down again - Power du songwriting, c’est lui, Geno, qui ramène tout le power dans les Byrds, il amène de la chaleur et les autres ramènent de la clameur. On voit la différence avec «Sweet Mary», lamentable compo de McGuinn, du heavy médiéval privé d’avenir. Geno ramène ensuite «Changing Heart», un soft country rock bien pépère. Avec Geno, c’est clair comme de l’eau de roche : compo solide et admirable. Ils tapent ensuite dans un cut de Joni, «For Free», un balladif en suspension, superbe groove transverse - He was playing good for free - C’est Croz qui chante. Il va d’ailleurs reprendre ce magic cut sur son dernier album studio, For Free. McGuinn enchaîne avec son «Born To Rock’n’Roll», un joli shoot dylanesque plein de son, bien enraciné dans l’Americana. Ils tapent aussi une version du «Cowgirl In The Sand» de Neil Young - Hello cowgirl in the sand - C’est très fleur bleue. Croz tape ensuite son «Long Live The King», une petite compo énervée avec de contreforts d’harmonies vocales extraordinaires. Croz groove son cut dans le jazz, il te blaste ça vite fait bien fait. Il te plonge à nouveau dans le groove avec «Laughing». Sa voix ne trompe pas. Il est le roi du groove américain, c’est un navigateur qui sait godiller à travers les récifs. Il fait autorité. Bizarrement, ils terminent avec une autre cover de Neil Young, «(See The Sky) About To Rain». Ses compos sonnent parfois comme des tue-l’amour qui s’accrochent aux branches d’un petit thème mélodique.

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             John Einarson signe les liners d’A Trip Though The Rose Garden (The Rose Garden Collection). Inutile de tourner autour du pot : cette compile est un passage obligé. The Rose Garden est un groupe complètement fasciné par les Byrds. Dans les bonus, on trouve un version live de «So You Want To Be A Rock’n’Roll Star» capable de faire pâlir les Byrds. Ils sont en plein dans l’excellence du heavy rumble des Byrds, ils sont peut-être même meilleurs sur ce coup-là. C’est d’ailleurs ce que Geno leur dit un jour : «You do Byrds better than we ever did.» La compile propose l’album A Trip Though The Rose Garden et une quinzaine de bonus d’une qualité extraordinaire. John Nooren gratte une douze Ricken, Jim Groshong gratte aussi ses poux, Bruce Bowdin bat le beurre et l’extraordinaire bassman qu’on entend dévorer les cuts s’appelle Bill Fleming. Ils intègrent aussi la chanteuse Diana De Rose, et les hustlers Greene & Stone les prennent sous contrat. Ces deux-là sont connus à Los Angeles pour avoir découvert Sonny & Cher et Buffalo Springfield. Ils ont aussi une connexion avec Ahmet Ertegun et pouf, The Rose Garden se retrouve sur ATCO. C’est Greene & Stone qui choisissent les cuts de l’album. Geno qui aime bien les Rose propose un coup de main et leur file «Till Today» qu’il vient tout juste de composer. Geno leur montre le cut et on retrouve cette démo dans les bonus. On trouve d’ailleurs trois versions sur la compile, celle de l’album - And I got moved out of my mind - du génie pur, et la démo, dévorée vivante par le walking bass de Bill Fleming, démo suivie d’un remaster spectaculaire. «Till Today» est sans doute l’un des hits du siècle passé, tout est supra-balancé aux harmonies vocales et dévoré par cette walking bass. Sur l’acétate que leur donne Geno, ils choisissent un autre cut, «Long Time». Mais quand leur album paraît, les Rose Garden sont horrifiés par le son. Ils étaient pourtant contents du rough mix du Gold Star, mais Greene & Stone ont embarqué les bandes à New York et ont tout remixé pour en faire du vocal-oriented. Ils ont enterré la gratte de John Nooren. C’est la raison pour laquelle les bonus sont vitaux, car entend bien les grattes et la basse. Bruce pense que Greene & Stone avaient une idée derrière la tête : pousser Diana De Rose au-devant. C’est vrai qu’avec «February Sunshine», ils sonnent exactement comme les Mamas & The Papas. Sur «Coins For Fun», on entend des harmonies vocales et des grattes des Byrds. Encore de la bonne énergie californienne dans «Rider», très bluegrass dans l’essence, plein de roots et d’un tas de choses. Ils rendent ensuite hommage à Dylan avec «She Belongs To Me». Hommage de rêve à un génie, le mec te chante ça à la tremblote divine. Puis on entre dans le jardin d’Eden des bonus avec «If My World Falls Though» qui sonne encore comme les Mamas & The Papas, même son de la marée montante. Ils ont ce power considérable. En B-side de ce single, on trouve l’affolant «Here’s Today», qu’ils font sonner comme un hit des Byrds. On en trouve une version monomix plus loin, sertie d’un solo de basse. Ils enregistrent aussi une cover du «Down The Wire» de Neil Young, un heavy psychout  de Byrdsymania avec tout le power de la nation. Il faut voir comme ces mecs étaient doués. Geno ne s’était pas trompé. Le groupe s’écroule quand Jim et Bruce sont appelés sous les drapeaux. Ils obtiennent le statut d’objecteurs de conscience et se retrouvent dans un camp d’Oregon pour deux ans de service civil. Greene & Stone essayent de lancer Diana De Rose en solo. Mais ce sont les versions live des Rose qui cassent la baraque, à commencer par «Next Plane To London», fabuleusement heavy, rien à voir avec la version studio, c’est suivi du «So You Want To Be A Rock’n’Roll Star» et ils restent dans les Byrds avec «She Don’t Care About Time». Ils n’enfoncent pas le clou des Byrds, ils le défoncent ! The Rose Garden devient une révélation. Ils terminent avec une cover du mighty «You Don’t Love Me» de Willie Cobbs. Aw my Cobbs ! 

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             Ça vaut franchement le coup de rapatrier The Lost Studio Sessions 1964-1982. L’album vaut la peau des fesses, mais on est content de l’avoir sous la main. Ça grouille de puces, ce sont des démos, Geno gratte below et il faut attendre «Back Street Mirror» pour frémir un petit coup, car il fait du pur «Like A Rolling Stone». Plus loin il remonte les bretelles d’«Adrienne» à coups de gimmicky deepy deep, sa sweet Adrienne est une merveille d’intimisme et de chant délicat. Geno est l’artiste parfait. On reste dans la magie avec «Walking Throught His Lifetime», il gratte ses poux à n’en plus finir et «The Sparrow» couronne cette belle triplette de Belleville. Avec Geno, ça valse assez vite. Retour aux Byrds avec «She Darked The Sun» et «She Don’t Care About Me». Tout est beau sur cette compile de démos. On passe à Nyteflyte avec «One Hundred Years From Now» et franchement, on ne se lasse pas de cette classe invraisemblable. Il fait une cover de «The Letter» et passe à la fast country de génie avec «Still Feeling Blue». Au fil des cuts, il retape tout son registre : Byrdsymania à la moulinette, country extra-circonvolutionnaire, avec Geno, c’est vite plié, il a des chansons et il ramène tout le son du monde.

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             On trouve de très belles compos de Geno sur McGuinn Hillman & Clark, le premier album sans titre du conglomérat McGuinn Hillman & Clark, à commencer par l’excellent «Little Mama», c’est tout de suite chaud, chanté, oh-oh, c’est du Geno pur et dur, il t’explose la pop avec un sens aigu de l’universalisme. Il éclaire la réunion, il ramène le cut qui fait foi, il y a de la magie dans son Little Mama, il pousse son bouchon très loin au yeah yeah yeah. Il remonte au front plus loin avec «Backstage Pass». Il t’embobine aussi sec, mais il le fait à l’incidence, sans mauvaise intention, chez lui, c’est naturel, il faut que ça éclate. Il a encore deux cuts en B, «Feeling Higher», il y va doucement pour ne pas froisser McGuinn et Hillman, et «Release Me Girl», un heavy groove dans lequel il se fond au release me girl/ Tonite, sans trop se casser la tête. L’autre moment fort de l’album est une Beautiful Song signée McGuinn, «Bye Bye Baby». Il la prend à la traînasse de la populace. McGuinn taille aussi sa route avec un superbe «You Don’t Wish Her Off».

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             John Einarson nous avait prévenu : Geno ne chante que deux cuts sur City, le deuxième album du conglomérat McGuinn Hillman & Clark. Il tente le coup avec «Won’t Let You Down». Il a du courage, il sait driver son witchcraft. Et en B, il revient avec un petit shoot de heavy rock, «Painted Fire». Il ne se casse pas la tête. C’est avec le morceau titre en A que le conglomérat sauve l’album, on y trouve des vieux relents des Byrds in the heart of the city. McGuinn est malin comme un renard, il parvient toujours à recycler sa vieille magie. Il est d’ailleurs le seul en Amérique à sonner comme ça. Ses descentes de gratté de poux ne pardonnent pas.

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             Full Cirle - A Tribute To Gene Clark ressemble à s’y méprendre à un passage obligé. Non seulement le CD est double, mais il grouille de puces. Tiens, rien que sur le disk 1, tu as deux classiques revisités pas des féroces géants underground : «I’ll Feel A Whole Lot Better» par des Suédois qui s’appellent The Merrymakers, et «Eight Miles High» par Myracle Brah. Les Suédois sortent un brillant ramshakle pour faire honneur à Geno, et les Brah tapent l’Eight Miles High au wild brash out of the fuck-up, c’est bardé de power et de purée démente. Alors tu y reviens encore et encore. Les Lears tapent aussi en plein dans les Byrds avec «The Byrd That Couldn’t Fly». Les gros clients se bousculent au portillon, ça n’en finit plus. Michael Carpenter ouvre le bal avec «That’s Alright By Me», ce mec y va au big Clarky country sound, au big zyva, c’est un pro du pur et dur. Les Retros sonnent exactement comme les Byrds, avec «Long Time». Dévoré et dévorant, noyé de gratté de poux génial. Niveau poux, tu ne peux pas espérer mieux. Le groupe qui tape «She Has A Way» s’appelle The Idea. Ils en font une version lumineuse. Ces mecs sonnent comme des anges du paradis. Les Kennedys entrent à leur tour dans le giron des Byrds avec «Here Without You». Suprême accointance. Mais ces mecs ont trop d’albums au compteur, alors tu n’y mets pas les pieds. Et voilà le frère de Geno, Rick Clark, avec «Del Gato», il chante cette exotica de Mexicano d’une voix forte. Roger & Jim tapent «So You Lost Your Baby» à l’absolute claquage de claqué psyché, mais à fond de cale, avec des grattes qui virevoltent. Sid Griffin entre dans le génie de Geno avec «Why Not Your Baby». Nouvelle surprise avec Einstein’s Sister et «Changing Heart», wild country pop d’une infinie finesse. Pour tous ces gens-là, c’est du gâtö : Geno n’écrivait que des bonnes chansons.

             Le disk 2 est aussi dense, sinon pire. Coup de génie des Finkers avec «Radio Song». Ils sonnent comme des démons. The Shazam sont des mecs de Nashville et font un carton avec «Is Yours Is Mine». Ils rentrent dans le lard des Byrds et c’est pas peu dire. Nouvelle révélation avec Buddy Woodward & The Ghost Rockets, ils tapent «With Care From Someone» au boogie de wild ride, avec la mélodie chant en surface. L’hommage est sidérant : mélodie chant + banjo demetend. Pat Buchanan et John Jorgenson rendent aussi un hommage vibrant à Geno avec ce qu’il faut bien appeler une grosse compo : «Set You Free This Time». Ils plongent à leur tour dans le génie de Geno. Bill Lloyd est aussi dans les Byrds jusqu’au cou avec «The World Turns All Around Her», c’est enlevé par le ventre, à la manière des Byrds. Les Mop Tops tapent une cinglante cover de «Christine», et Steve Wynn gratte «Tomorrow Is A Long Way» à la grosse cocote, au plus près du gazon. Encore une belle giclée de Byrdsy sperm avec Walter Egan et «Reason Why». Le Walter est en plein dedans, il fait bien le Geno, c’est tendu et beau à pleurer. Frank Jackson Blake tombe à son tour sur le râble de Geno avec «You Won’t Have To Cry», mais il le fait avec toute la grâce du monde. Et là tu pries Dieu non seulement que tous nous veuille absoudre, mais aussi que ça ne cesse jamais. Pur genius d’you don’t have to cry anymore. Avec les Grip Weeds tu es encore dans le vrai, ils tapent une fantastique mouture de «She Don’t Care About Time». Ils sont dans les Byrds avec une niaque de Weeds. Rich Hopkins a tout le son du monde avec «You’ve Gone». Tout ça pour dire que les compos de Geno ne sont que des smash. C’est Kai, le fils de Geno, qui referme la marche avec «In My Heart». Pas facile de rentrer dans les godasses d’un père comme Geno.

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             On a découvert Starry Eyed And Laughing sur la belle compile Ace, You Showed Me - The Songs Of Gene Clark. Ce sont des Anglais et leur premier album sans titre date de 1974. Starry Eyed And Laughing est une petite merveille ! L’âme du groupe s’appelle Ross McGeeney, un fou du gratté de poux. Il amène une énergie considérable dès «Going Down» en ouverture du balda. Ces mecs descendent directement au barbu du down down down et du singing something et paf, ce génie de McGeeney te claque un wild killer solo flash. Il est encore pire que Clarence White. Ils font ensuite du country classic, mais avec esprit («Money Is No Friend Of Mine») et ils bouclent leur balda avec l’excellent «See Your Face» qui fond comme un bonbon sur la langue. Ils sonnent exactement comme les Byrds. En B, ils tapent ce qu’on appelle un boogie rock enthousiasmant, «Living In London». Une vraie sinécure de fast London rock - Living in London starts to make me crazy yeah - Retour à la belle country lumineuse avec «Never Say Too Late», franchement, tu te régales en compagnie de ces mecs-là. Ils font leurs adieux avec un «Everybody» digne du «Eight Miles High» des Byrds. Fantastique resucée ! On croirait entendre Geno. Même power, même fluidité psychédélique, même énergie atomique de la radiation congénitale.

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             Leur deuxième album s’appelle Thought Talk. Il se présente sous les meilleurs auspices avec «Good Love». Ils ont tellement de son ! Et le mec chante si bien ! C’est une pop pleine d’élan vital, une pop inspirée par les trous de nez. L’autre énormité de l’album s’appelle «Flames In The Rain» et elle se planque en B. Il faut aller la chercher, elle ne viendra pas toute seule. C’est de la big heavy pop de type Dylanex, chantée d’une voix tremblante d’émotion, une pop aérienne et même hantée. Avec le morceau titre qui arrive aussitôt après, ils font du CS&N, même allure, même Déjà Vu, avec un jazz solo liquide, c’est incroyablement bon et chaud, c’est un rock qui te coule dans la manche. On retrouve le Dylanex dans «One Foot In The Boat» et un brin de country rock persistant dans «Since I Lost You», chanté au doux du menton, très californien dans l’esprit. Avec «Believe», ils sonnent exactement comme Midlake, ou plutôt Midlake sonne exactement comme Starry Eyed And Laughing. Ils tapent chaque fois dans le mille. Ces mecs sont beaucoup trop polis pour être honnêtes, trop doués pour être charitables, beaucoup trop diserts pour être éligibles.

    Signé : Cazengler, tête à Clark

    Byrds. Mr. Tambourine Man. Columbia 1965

    Byrds. Turn Turn Turn. Columbia 1965

    Byrds. Fifth Dimension. Columbia 1966

    Byrds. Sanctuary. Sundazed 2000

    Byrds. The Preflyte Sessions. Sundazed 2001

    Byrds. Never Before. Murray Hill Records 1987 

    Byrds. Byrds. Asylum Records 1973

    The Rose Garden. A Trip Though The Rose Garden (The RG Collection). Omnivore Recordings 2018

    Gene Clark. The Lost Studio Sessions 1964-1982. Sierra Records 2016

    McGuinn Hillman & Clark. McGuinn Hillman & Clark. Capitol Records 1979

    McGuinn Hillman & Clark. City. Capitol Records 1980

    Full Cirle - A Tribute To Gene Clark. Not Lame Recordings 2000

    Starry Eyed And Laughing. Starry Eyed And Laughing. CBS 1974

    Starry Eyed And Laughing. Thought Talk. CBS 1975

     

     

    Wizards & True Stars

    Syd Barrett m’était conté

    (Part Two)

     

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             Syd Barrett et Brian Jones partagent le même destin, un destin de brillants précurseurs, et s’il fallait les résumer par une formule, on céderait aisément à quelque infime pulsion poétique en les qualifiant d’élégants ectoplasmes éphémères élus pour l’éternité. 

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             Voici dix ans, Rob Chapman publiait Syd Barrett - A Very Irregular Head, un book gras et rose comme un bourgeois satisfait de sa condition. À la première lecture, on trouvait l’auteur pontifiant, on l’aurait presque traité de pompeux cornichon, pour reprendre une invective chère à Noël Godin, un autre héros. Chapman s’inscrivait à l’exact opposé de Nick Kent, qui, avec ‘The Cracked Ballad of Syd Barrett’, avait su dire tout le bien qu’il fallait penser de l’élégant ectoplasme éphémère élu pour l’éternité.

             Puis, à seule fin d’alimenter la chronique des Wizards & True Stars, l’idée saugrenue vint de ressortir le fat book de l’étagère. À la relecture, le fat book a pris une autre allure. Essayons d’en comprendre la raison.

             Rob Chapman est un coupeur de cheveux en quatre. Il passe un temps infini à dire le pourquoi du comment, il consacre des chapitres entiers à des détails qui ne méritaient qu’un petit paragraphe. Il revient notamment sur le mythe créé par Nick Kent, la fameuse bouillasse de Brylcreem et de Mandrax dont Syd s’était barbouillé la tignasse avant de monter sur scène avec son groupe, le Pink Floyd - Jesus wore a crown of thorns. Sad, mad Syd rubbed some gloop into his scalp - Chapman détruit le mythe, mais il s’empresse d’ajouter que les articles de Nick Kent parus à l’époque sans le NME comptent parmi «the finest in English music journalism.» La parution de ‘The Cracked Ballad’ sonnait déjà presque comme un requiem, précise Chapman dans son introduction. Il ajoute à la suite que Kent fut lui aussi victime de sa passion pour la dope, et comme Syd, il se brûla les ailes, lorsqu’il faillit devenir le guitariste des Sex Pistols. Le parallèle est à la fois indélicat et juste. C’est Chapman. Indélicat et juste. Il faut faire avec. Chapman finit par faire craquer Kent qui lâche le morceau : «Cette histoire (de Mandrax & Brylcreem) est plus ou moins vraie. Elle fait partie d’un ensemble de strange tales, beaucoup sont vraies, d’autres relèvent de la fiction.» Il ajoute : «Ce sont des histoires dont les sources sont à moitié authentiques. Il est plus que probable que la plupart sont des inventions.» Finalement, personne n’est jamais revenu sur ces fables pour les démentir. Du coup, elles sont devenues réalité.

             Voilà le problème : ce fat book démystifie et en même temps, Chapman n’en finit plus d’essayer d’approcher la vérité : au bout de ses 400 pages, on sait à peu près qui est en réalité Syd Barrett. Sous la plume de Chapman, c’est pas jojo. Sex and drugs and rock’n’roll. Ceux qui pensent que le rock est un conte de fées se fourrent le doigt dans l’œil jusqu’au coude.     

             L’immense avantage de cette relecture est qu’elle met en lumière le véritable enjeu de ce travail d’investigation. Chapman démontre que RIEN n’est possible sans terreau culturel. Il fait exactement le même travail d’Hercule que Marcus O’Dair avec Different Every Time: The Authorized Biography Of Robert Wyatt. Il prouve que les esprits modernes, en matière de rock, sont des êtres extraordinairement cultivés qui se nourrissent essentiellement de peintres et d’écrivains. Surtout en Angleterre. D’où la différence entre Syd Barrett et Guns’n’Roses.

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            (Nicolas de Staël)

    Faut-il rappeler qu’avant toute chose, Syd Barrett est peintre. Barry Miles le dit influencé par Nicolas de Staël - qui fut aussi une big influence pour Stu Sutcliffe - Un de Staël lui-même influencé par Soutine. Rien qu’avec ces deux noms, on situe parfaitement Syd, «thick broad paint» pour Soutine, l’anar figuratif par excellence, Soutine et de Staël bossent au couteau, ils t’emplâtrent les châssis d’aplats mirobolants, Syd prend racine dans l’éclat morbide de la décomposition soutinienne, et dans la mirobolante fulgure des glacis de de Staël, qui brouille à jamais les pistes en broyant la figuration dans le jeu de ses plaques tectoniques d’aplats. De Staël suggère monstrueusement, comme va le faire Syd avec sa gratte. Chapman ajoute ceci qui est d’une rare pertinence : «À la différence de Soutine, de Staël était un esprit synthétique, plus attiré par la beauté et l’harmonie que par le chaos, et son influence sur Syd et sur sa perception est indéniable.» C’est le premier d’une longue série d’éclairages. Syd Barrett ne tombe pas du ciel. Chapman illustre le penchant féminin de Syd par une longue évocation de Françoise Sagan. Syd lit She magazine, et la meilleure incarnation du féminisme à l’époque, c’est Sagan qui tire son pseudo d’À La Recherche Du Temps Perdu. Chapman dresse un sacré parallèle entre Syd et Sagan : premier succès en 1954 avec Bonjour Tristesse, elle n’a que 18 ans, elle traîne avec «the Left Bank radical chic, avec Sartre, Godard, Hemingway et Henry Miller» et forme sa bande, la Bande Sagan, avec Juliette Gréco. Le parallèle est osé mais juste. Bravo Chapman ! On vénère autant Sagan que Syd : même sens de l’anticonformisme radical. 

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    ( Chiam Soutine)

             Après Soutine et de Staël, Syd se passionne pour Rauschenberg qui fut formé dans les années 40 par un expat allemand du Bauhaus, Josef Albers. Au Black Mountain College, en Caroline du Nord, Rauschenberg devient pote avec John Cage. Ensemble, ils envisagent de détruire les barrières qui séparent l’art de la vie, et cette philosophie allait avoir des conséquences énormes sur l’art des performances et de la danse moderne. En 1964, Syd va voir l’expo Rauschenberg à la Whitechapel Gallery. Révélation ! On est en plein Duchamp avec Monogram, le bouc et son pneu, et puis les collages, les présidents, l’éclat d’une nouvelle modernité, à la suite de de Staël et de Soutine. Dans ses conversations, Syd cite aussi, Willem De Kooning, influencé par Soutine, et instigateur de l’action painting, de la même façon que Syd sera l’instigateur de l’action acid trip.

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     ( Rauschenberg)

            De de Staël et Rauschenberg au LSD, il n’y a qu’un pas. Le lien est direct. Andrew Rawlinson indique la voie : «Aldous Huxley en a fait une réalité. Tout ce qu’écrit Huxley dans The Doors Of Perception est confirmé par le LSD.» Syd est l’un des pionniers de l’acide à Cambridge, dès 1963. Anthony Stern ajoute que Syd est fasciné par ses découvertes - the colours, the movements, the things spiralling - the constant breaking up and fractal imagery all happening at the same time - Il nous décrit tout simplement The Piper At The Gates Of Dawn.

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             Autre épisode crucial dans l’éclosion de Syd : the Free School en 1966, où débarque l’actrice warholienne Kate Heliczer avec sous le bras «the first demo tapes du Velvet Underground.» Dans l’assistance, il y aussi quatre personnages clés, John Hopkins, Peter Jenner, Andrew King et Joe Boyd. Un Boyd qui vient des États-Unis où il faisait tourner Sleepy John Estes, Jesse Fuller, Sonny Terry & Brownie McGhee, Skip James, Muddy Waters et le Révérend Gary Davis. Il a vu Dylan exploser le Newport Folk Festival en 1965. Il a aussi accompagné The Blues & Gospel Caravan en Europe, en 1964 et 1965, et a emmené en tournée Roland Kirk et Coleman Hawkins, nous rappelle Chapman, inlassablement. Et en 1965, Joe Boyd s’installe à Londres et bosse pour Jac Holzman. Il est l’Elektra-man de London town. Pas de meilleur candidat pour rassembler les têtes de gondole de l’English counter-culture. C’est lui qui emmène le Floyd en studio pour enregistrer «Arnold Layne».  

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     ( Edwar Lear )

            Pete Brown rappelle que les ombres de Lewis Carroll et d’Edward Lear planent aussi sur Syd - Language, lateral thinking, looking at the weirdness of British existence, looking at rural or semi-rural peculiarities - Chapman rajoute les noms de Kenneth Grahame, Charles Dogson et Hillaire Belloc, des auteurs sans lesquels le Syd n’est pas concevable. Chapman s’attarde particulièrement sur Edward Lear qui a créé «une fascinante nonsensical cosmogeny de la vie humaine, animale et végétale, peuplée de créatures étranges, dont la plus connue est The Dong with the Luminous Nose.» - Il a inventé une botanique absurde, des recettes absurdes, des petits poèmes absurdes, des chansons absurdes et un alphabet absurde. John Lennon est dans le monde pop le descendant le plus évident de Lear - Quand Syd écrit des lettres à ses copines, il fait du Lear. Chapman en cite de larges extraits. C’est pour ça qu’il faut lire son fat book. 

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        ( John Latham )

         Chapman dresse encore un somptueux parallèle entre Syd et John Latham : «Latham comme Syd se passionnait pour le cut-up et le collage. Ils partageaient la même fascination pour Kurt Schwitters, Hugo Ball, Tristan Tzara, Robert Rauschenberg, et en matière littéraire, pour James Joyce et Bob Cobbing.» Alors que Latham se rapprochait d’Alexander Trocchi et de William Burroughs, Syd se heurtait à l’incompréhension de ses producteurs qui trouvaient ses «dark nursery rhymes trop weird». On lui réclamait une suite d’«Emily Play». Chapman insiste longuement sur ce parallèle, car à cette époque, Syd commence à taper dans le minimalisme Lathamien : il monte sur scène et ne joue qu’une seule note pendant une heure. Les gens croient que c’est à cause de l’acide. Ils n’ont rien compris. La note unique de Syd fait écho au «one-second painting de Latham qui cherchait à repousser les frontières de l’art conceptuel». Latham peint pendant une seconde avec un spray gun. Quand Syd fait la même chose, une note pendant une heure, on l’accuse de sabotage. Les trois autres Pink Floyd ont les dents qui rayent le parquet. Ils veulent faire carrière. Les conneries de Latham, ça ne les intéresse pas. Ils veulent des millions de dollars et des Ferraris. Ils les auront une fois qu’ils auront viré Syd. Pendant ce temps, Latham continue d’explorer les frontières du Nord. Il essaye de capturer le «zero moment» sur toile. Il est galvanisé quand il ouvre les Carnets de Leonard de Vinci et qu’il tombe sur cette phrase : «Parmi les grandes choses qui se trouvent parmi nous, la plus grande est le Rien.» Latham va loin, il cherche la fin de l’art et la dissolution du corps, comme Klein qui de son côté joue avec les body prints. Syd explore les mêmes zones avec sa gratte - Alors que Latham travaille sur les paramètres de l’art de la vie, on envoie Syd Barrett aux États-Unis jouer au Pat Boone Show.

             Nicolas de Staël, John Latham, Edward Lear, tic tic tic... fait le fat book dans la cervelle de son lecteur. En étalant son terreau culturel, Chapman amène une énergie considérable. Il donne forme à la vraie vie de Syd Barrett. Il galvanise son lecteur. Et donne surtout envie de relire Edward Lear. Et de réécouter The Piper.

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            Un Syd d’une flagrante modernité. Chapman dit ceci : «I never met a single punk who didn’t like Syd Barrett». Les seuls qui trouvèrent grâce aux yeux des punks furent Syd et Phil Lynott. Tous les autres à la fosse ! Chapman fonce ensuite sur le cœur du mythe, le génie de Syd Barrett, on est là pour ça. Andrew Rawlinson voit Syd comme un être béni des dieux : «Il était peintre et musicien, and he was very, very quick. Life worked for Syd. He could make things. And boom it happened. And he was a very good-looking boy of course. The girls loved him.» Une gonzesse le qualifie de glamourous, elle parle de l’intensité de son regard - He was glamour on legs - Ses toiles avaient du panache, very Soutine-ish. Et son côté très féminin frappait tout le monde. Il grandit à Cambridge, une ville remplie d’excentriques en vélo et de très grands intellectuels. Pas un hasard si Daevid Allen s’y établit lorsqu’il débarque en Angleterre. Syd se passionne aussi pour Bo Diddley et Dylan. Il s’intéresse aussi aux bluesmen obscurs, notamment Pink Anderson et Floyd Council. L’un de ses premiers masterstrokes et de former le nom de son groupe à partir de ceux de ces deux bluesmen obscurs. Syd s’appuie sur une impulsion créative purement littéraire, qui nourrit aussi sa peinture. Chapman précise qu’on retrouve la même impulsion dans le cubisme, le surréalisme et le pop art. Un sens inné de la modernité. Syd va d’ailleurs commencer à lâcher Bo Diddley pour se déconstruire et devenir plus abstrait. Il mélange cette impulsion au LSD et aux light-shows de Mike Leonard, et ça donne l’early Pink Floyd révolutionnaire. On est obligé de parler d’une révolution artistique, dont l’instigateur est Syd, certainement pas les trois autres. Mike Leonard est selon Chapman le catalyseur de cette révolution. Grâce au LSD et au light-show, Syd peut improviser. La pop ne l’intéresse pas plus que ça. Il rêve surtout d’art total, mais il sait garder un sens de l’immédiateté. Il dit préférer les Beatles à John Cage. Andrew Rawlinson rappelle que Syd était ouvert à tout, au temps de l’early Pink Floyd - He could pick up on the best quality of popular culture - Bob Klose a une approche du Syd encore plus fine : «Il a réalisé que sa vision musicale et ses limitations le poussaient dans certaines directions. Votre créativité vous pousse alors vers quelque chose de nouveau et d’inexploré.» Il se met à chercher des sons, et en 1963, il commence à gratter ses cordes avec un Zippo. Il en fait une justification conceptuelle. Sur scène, Syd et son groupe bousculent les normes - They were totally new. Personne n’avait entendu un tel son. It was free-form experimental pop, dit Duggie Fields - Syd commence à mettre au point des abstractions atonales et il s’entend bien avec Rick Wright qui joue du Morse sur son clavier et des eerie vibrato squalls dignes de l’avant-garde européenne. Syd ouvre les voies du seigneur avec «Interstellar Overdrive», à coups de relentless pulse et de fragmentation de la ligne mélodique. Anthony Stern dit que ça vire jazz, «it’s just this wonderful hybrid thing where rock’n’roll just lets go to itself and lets its hair down.» Chapman compare «Interstellar Overdrive» à «Sister Ray», ils créent «something enterily new out of ensemble playing» - Insterstellar Overdive fonctionne comme une sorte d’anti-music. C’est le jeu collectif qui produit cet effet, selon Chapman, «they lock into exactly the same kind of primal empathy.» Peter Brown voit Syd comme un être incredibly charismatic. «Malgré ses limitations sur la guitare, il pouvait faire des choses très intéressantes. Il pouvait sortir des textures ou des improvisations linéaires.» Andrew King trace un parallèle osé entre Syd et Picasso - Un mec dit un jour à Picasso : «Je peux faire ça en 5 minutes.» Et Picasso répond : «Bon d’accord, mais ça m’a pris 70 ans et 5 minutes.» C’est la même chose pour les explorations instrumentales de Syd. Elles ne tombent pas du ciel - Andrew Rawlinson pense lui aussi que Syd fonctionne comme Picasso - Je veux dire dans sa méthode de travail. Nous savons tous que Picasso essayait tout - Il conclut sa brillante démonstration en affirmant que Picasso a fait ça toute sa vie. «Syd was the same. Le problème, c’est que sa vie créative n’a pas duré très longtemps.» Barry Miles ajoute : «Syd n’a jamais été un virtuose. He was much better at exploring ideas.»

             Et puis il y a le dandy. «Comme Brian Jones et Jimi Hendrix, il portait des châles et des écharpes, de la soie et du velours, des fringues très colorées» - It was a slightly dandified look, androgynous but never camp - Anthony Stern ajoute que Syd avait en plus une façon de marcher extraordinaire - ‘lolloping’ way of walking, comme s’il était un personnage tiré de Peter Rabbit - Et puis il y a les chansons. Du jamais vu. Robyn Hitchcock : «Barrett absorbait Dylan et Bo Diddley, Hilaire Belloc et Lewis Carroll et Dieu sait quoi pour en faire un style qui lui était propre. Il fit ça très jeune. Je trouve ça impressionnant, car il était parfait. C’était un miracle, il était si parfait et si développé, et puis plus rien. À 25 ans c’était fini.»

             Avant d’évoquer la chute de Syd, il est nécessaire de repasser par le Pink Flyod, épisode passionnant dans un premier temps, puis puant par la suite.

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             Joe Boyd et John Hopkins découvrent en 1966 un Irish ballroom situé sous une salle de cinéma, sur Tottenham Court Road. Ils vont en faire l’UFO, c’est-à-dire l’épicentre de la psychedelia. C’est là que le Pink Floyd devient célèbre - Between 23 December 1966 and its enforced closure at the end of September 1967, it hosted the revolution - On distribuait de l’acide à l’entrée - This was Syd’s creative zenith - Syd est sous acide, noyé dans le light show. Syd se livre à un «minimalist kinetic ballet où chaque geste et chaque génuflexion se transforme en une myriade de possibilités visuelles.» «The whole thing was a form of pop art», s’exclame Pete Brown en extase, et il ajoute : «Ils sont devenus des créatures qui existaient dans un environnement visuel. It was exciting to watch. Syd wasn’t just a rock star in the spotlight.» L’UFO, c’est le même plan que l’Exploding Plastic Inevitable d’Andy Warhol. Chapman en fait des pages historiques, aussi historiques que celles de Joe Boyd dans White Bicycles. C’est l’apogée du British Underground. En décembre 1966, Boyd et Hoppy organisent à la Roundhouse un événement baptisé Psychedelicamania, an all-night rave, avec les Who, les Move et Pink Floyd. À la différence des groupes de Ladbroke Grove, le Pink Floyd s’adresse à des gens qui aiment l’aventure et l’expérimentation, même si dans les deux cas, tout passe par les drogues. L’UFO joue le même rôle que la Cavern de Liverpool et le CBGB, à New York.

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             Syd écrit des chansons magiques. Pete Brown considère qu’«Arnold Layne», «Strawberry Fields Forever» et «Penny Lane» sont «les trois breakthrough British rock songs qui définissent l’Angleterre de manière sociale, poétique et historique.» Avec Pete Brown, Chapman a un fier allié. Ils croisent leurs regards et disent tout ce qu’il y a d’important à dire sur Syd et le rock anglais. Pour Chapman, «See Emily Play» est «le high point of English psychedelia, Pink Floyd’s perfect pop moment. As economical as a haiku, as enigmatic as a Zen koan.» - No other pop song of the period conveyed such crystalline clarity. No other pop song of the period said so much by saying so little - Le Pink Floyd, c’est essentiellement «Arnold Layne» et «See Emily Play», certainement pas la machine à fric que c’est devenu après l’éviction de Syd. C’est dingue que les gens ne l’aient pas compris. C’est «Arnold Layne», nous dit Chapman, qui sort le Pink Floyd «out of the security bubble of the London underground pour le propulser dans le mainstream.» On les envoie tourner en province et ils doivent souvent affronter des publics hostiles qui ne comprennent rien à la psychedelia. Avec «Arnold Layne» et «See Emily Play», ils sont devenus des stars, il naviguent dans la charts en compagnie de «Strange Brew» (Cream), «Paper Sun» (Traffic), «All You Need Is Love» et l’imparable «Whiter Shade Of Pale». 

             Puis ils enregistrent The Piper. Barry Miles pense que Joe Boyd qui avait produit «Arnold Layne» aurait dû produire l’album. Norman Smith en a fait un album de pop commerciale. Pour Barry Miles, «Arnold Layne» sonnait comme le Floyd - That’s exactly what they sounded like. There’s a certain sonic quality there that is not on the album - Joe Boyd avait fait des miracles. Pas Norman Smith.

             Et puis Syd commence à refuser de jouer le jeu. Pas question de singer pour Top Of The Pops. Andrew King : «That’s when he started to get diffucult.» Syd applique à la lettre l’enseignement d’Edward Lear, «to go my own way uncontrolled», refus des routines et des compromissions. Refus de rentrer dans le rang, Syd, nous dit Chapman, met en place son «système des 3 R of anti-stardom : reluctance, récalcitrance et refus, jusqu’au moment où Syd fut exclu, ou s’exclut de lui-même de son propre groupe.»

             Il met le paquet. Pendant la première tournée américaine, il monte sur scène au Fillmore West et ne fait rien. Il reste planté. Il attend. Lors d’un autre concert, il souffle dans un sifflet. On imagine la gueule de Roger Waters. Et celle de Nick Mason qui rêve d’acheter des Ferraris. Sur scène, Syd désaccorde sa guitare. À Londres, c’était toléré et même approuvé - Now it was seen as a symptom of madness. Pink Floyd were trying to break America and Syd was fucking up - Et Chapman pose enfin la bonne question : «Plutôt que de spéculer sur l’état de santé mentale de Syd pendant cette tournée américaine, il aurait mieux valu se poser cette question : what the fuck were Pink Floyd doing on the Pat Boone Show in the first place?». Et Chapman ajoute qu’en refusant de jouer le jeu, Syd était en avance sur son temps. Pas question de se plier aux règles du mainstream. Chapman cite des exemples de groupes qui dirent non au despotisme de la connerie, à commencer par Led Zep - No concession of any kind to these mainstream outlets - Ahead of his time, insiste Chapman, refus de mimer pour la télé, refus de répondre aux questions stupides des journalistes. Syd se transforme physiquement, «regard fixe (this thousand-yard stare), cernes noirs sous les yeux, silencieux, impossible to work with, et violent», dit Ian Moore. Et puis il y a l’épisode Cromwell Road où Syd vit un temps - A major burn-out joint. Definitely acid overload there, précise Mick Rock, le photographe qui signe la pochette de The Madcap Laughs, ainsi que celles de Raw Power et Transformer.  

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             Comme Syd fucks up, les autres font entrer David Gilmour pour le doubler sur scène à la guitare. Fin 1967, les jours de Syd dans le groupe sont comptés. Il aura tenu moins longtemps que Brian Jones, lui aussi viré de son propre groupe. Deux ans. Gilmour monte sur scène avec eux en janvier 1968. Ils vont jouer 4 dates à 5, puis un jour, ils oublient tout simplement de passer prendre Syd pour aller jouer à Southampton. En avril 1968, un communiqué annonce que Syd a quitté le groupe.

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             Quand plus tard on demande à Syd ce qu’il pense de l’évolution du Pink Floyd et «du contraste entre the song-based material and the Floyd’s lenghthy instrumentals» il répond ceci : «Leurs choix musicaux correspondaient à ce qu’ils pensaient en tant qu’étudiants en architecture. Rather unexciting people, I would have thought, primarly.» Chapman ajoute que derrière le sarcasme se planque une vérité fondamentale, dans la façon dont le Floyd a construit sa carrière après s’être débarrassé de son erratic and anarchic founder. «Alors que les albums solo de Syd allaient refléter his fine art philosophy and his pathological resistance to discipline. Waters, Mason, Wright and Gilmour (ça sonne comme le nom d’une firme, pas vrai ?) pratiquaient la prudence, la délibération, l’attention méticuleuse au détail, ils appliquaient des principes formels, suivaient une logique séquentielle, linéaire, alors que Syd cultivait l’immédiateté, la spontanéité, l’abstraction, la multiplicité des perspectives, et l’automatisme.» Eh oui, d’un côté tu as «Money» et de l’autre, tu as «Dominoes». Ça veut bien dire ce que ça veut dire. On est content que Chapman soit du côté de Syd. Car enfin, camarade, il faut choisir ton camp. Pareil, tu choisis entre Brian Jones et Mick Taylor. Le choix est vite fait. 

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             Syd viré. Que devient-il ? Chapman rencontre Alfie qui lui explique que Robert Wyatt a subi le même sort : viré de son propre groupe - Sa confiance en lui et son ‘sense of direction’ étaient tellement esquintés qu’il en a longtemps fait des cauchemars - Chapman aborde le chapitre des deux albums solo et qualifie l’excellent Madcap Laughs d’«épuré, méditatif, séduisant, austère, intime», avec cette photo de Mick Rock et cette gonzesse à poil derrière qui s’appelle Iggy the Eskimo Girl. L’enregistrement est bordélique. Chapman trouve dommage que Soft Machine n’ait pas joué sur tous les cuts. Ça aurait donné un résultat beaucoup plus explosif. Syd n’a que 22 ans quand il attaque sa «carrière solo», et il aura 24 ans quand il arrêtera définitivement d’enregistrer. Chapman dit que la tristesse s’est abattue sur Syd. C’est ce qu’il ressent à l’écoute des deux albums solo. Gilmour prend en mains le deuxième, Barrett, enregistré en 15 sessions, en 1970. L’album contient tous les chefs-d’œuvre que l’on sait, «Dominoes», «Gigolo Aunt», «Baby Lemonade», pas besoin de faire un dessin. C’est la suite directe de «Arnold Layne» et «See Emily Play», un style unique en Angleterre, une pop désinvolte et complètement géniale. Mais Chapman note une baisse chez Syd : «Le 21 juillet 1970, Syd se rendit au studio 3 d’Abbey Road pour enregistrer ses deux ultimes chansons.» Ça sent la fin des haricots. Ces pages sont d’une infinie tristesse.

             Syd commence alors à s’effacer. Pas d’annonce officielle, juste quelques pas en arrière pour se fondre dans l’ombre de l’anonymat. Il passe plus de temps à Cambridge. Chapman tente d’expliquer que le Mandrax lui a fait plus de mal que le LSD, mais on s’en fout. Robyn Hitchcok ramène sa fraise : «C’est toujours la même chose avec ces mecs-là : Les drogues ont démoli leur self-control. Ils sont tous devenus les victimes de leurs minds, which is what happens if you get stoned a lot.» En 1971, Syd s’installe définitivement dans le grenier de la maison de sa mère. Comme Dan Treacy, Chapman donne l’adresse : 183 Hills Road. C’est pas grave, puisque Syd a cassé sa pipe en bois - À 25 ans, Syd est coupé du monde, in retreat from everyone and everything. Il ne peint plus, il gratte du blues sur sa gratte et semble avoir perdu pour de bon son artistic, emotional and spiritual impulse - Et pouf, voilà que Jenny Spires se pointe pour l’épisode Stars. On en fait d’ailleurs un conte dans Cent Contes Rock. Jenny est une ancienne poule de Syd. Elle s’est mariée avec Jack Monck. Monck et Twink qui s’est lui aussi replié à Cambridge proposent à Syd de jammer avec eux. Stars va durer un mois, en janvier 1972. Ils jouent une première fois à Cambridge après Eddie Guitar Burns. Puis c’est le fameux concert au Corn Exchange après Skin Alley et le MC5. Syd & Stars montent sur scène après minuit, la salle est presque vide. Chapman y était, alors il peut en parler - Syd looked fantastic in velvet trousers and snakeskin boots - Syd s’est laissé pousser une barbe et repousser les cheveux. Ils démarrent avec «Octopus». Il ne reste plus que 30 personnes devant la scène et une cinquantaine dans le fond du hall. Chapman enfonce son clou : «Contrairement à ce qu’ont raconté pendant des années les gens qui n’y étaient pas, Syd n’avait aucun problème à se souvenir des paroles.» Il indique clairement que ça n’a plus rien à voir avec l’âge d’or des UFO days - This was Syd regressing into blues runs and insecurity. Enventually, Jack Monck’s bass amp packed up and the set fizzled out soon after - En 1972, Syd refait surface à Londres et traîne avec Steve Took à Ladbroke Grove. Took était venu jouer des congas sur Madcap. Tony Secunda tente de transformer Steve Peregrin Took en underground superstar, mais il y a trop de dope. Beaucoup trop.

             Et puis il y a cette interview extraordinaire qu’il accorde à Mick Rock, chez lui - Syd est en bonne forme, énigmatique (‘I’m full of dust and guitars’), laconique (‘The only work I’ve done the last two years is interviews. I’m very good at it’), mélancolique (‘Je n’ai pas toujours été introverti. Je pense que les jeunes gens doivent s’amuser. Il me semble pourtant que je ne me suis jamais amusé’), et défiant (‘J’ai toute ma tête. Je pense même que je devrais toujours l’avoir’).» C’est dans cet interview qu’il ramène le sous-titre du Chapman book : «I don’t think I’m easy to talk about. I’ve got a very irregular head. And I’m not anything you think I am anyway.» Syd a raison de dire que les gens se font des idées. C’est pour ça que le travail d’un mec comme Rob Chapman est essentiel. L’autre point clé de l’interview avec Mick Rock, c’est qu’il ne parle pas d’un troisième album. Il fait un dernier constat sur son échec : «Hendrix était un guitariste parfait. Gamin, c’est tout ce que je voulais faire, bien jouer de la gratte et sauter partout. Mais trop gens got in the way, trop de gens sont entrés dans la danse. Pour moi, les choses n’avançaient pas assez vite. Jouer. Le rythme des choses. Je veux dire que je vais très vite. I’m a fast sprinter. Le problème vient du fait qu’après avoir joué dans le groupe pendant quelques mois, je ne pouvais pas aller plus vite, I coundn’t reach that point.» Les paroles de Syd sont sacrées. Soudain on comprend tout. Les autres n’étaient pas à la hauteur. Pire encore : les autres n’ont absolument rien compris. Syd indique aussi qu’il a très bien connu Jimi Hendrix, ils ont tourné ensemble. Il raconte qu’Hendrix s’enfermait dans sa chambre with a TV et ne voulait pas en sortir. Mick Rock trouve ça drôle car Syd va faire exactement la même chose. Rock indique enfin que Syd n’a jamais plus eu de girlfriend - Or any kind of friend at all.

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             Quand Syd sort d’Abbey Road une dernière fois en août 1974 après une ultime tentative avortée d’enregistrement, he disappeared into myth. Chapman s’amuse avec les mythes : il y en a à la pelle : le mélange de Mandrax et de Brylcreem, et tous les autres qu’il cite à la queue-leu-leu. L’être Syd Barrett fut complètement éradiqué pour laisser place au mythe. Quand le Pink Floyd enregistre «Shine On You Crazy Diamond» en hommage à Syd, ils se vautrent car le cut est «overblown, overwrought, epic in scale and self-agrandising, c’est-à-dire tout ce que Syd n’est pas.» C’est tout de même dingue que des mecs se soient vautrés à ce point-là. Mais ce qui est pire, c’est qu’ils ont fait du blé sur le dos de Syd, un mec auquel ils doivent tout et qu’ils ont viré. Les Stones ont fait exactement la même chose en lâchant des papillons crevés à Hyde Park, lors de l’hommage à Brian Jones qu’ils avaient humilié de son vivant. Le seul qui réussit à rendre hommage à Syd, c’est Kevin Ayers avec «Oh Wot A Dream» - a song of beguiling simplicity and economy of style which encapsulated Syd’s spirit far better than Waters’ angst-ridden dirge ever could.

             Sa sœur Rosemary indique que Syd a fini par haïr ce surnom que lui avaient donné les scouts quand il était petit. Il ne voulait plus rien devoir à son passé de pop star et redevenir Roger Keith Barrett. Mais des gens se lancent à sa recherche, nous dit Chapman, notamment Bowie qui rêve de le sauver. Puis ce sont Brian Eno et Jimmy Page qui souhaitent le produire. En 1977, Jamie Reid organise un meeting pour proposer à Syd de produire l’album des Pistols. Chou blanc. Les Damned veulent aussi Syd comme producteur. Chou blanc : ils auront Nick Mason à la place. On a vu le résultat. L’un des plus gros fans de Syd sera Robyn Hitchcock au temps des Soft Boys. Il chante comme Syd.

             Fin des années 70, Syd entre dans sa lost-era. Chapman dresse un habile parallèle avec Peter Green qui lui aussi renonce à tout. La seule différence, c’est que Peter Green va revenir. Pas Syd. Quand Syd quitte Londres pour la dernière fois en 1982, il fait la route à pied jusqu’à Cambridge. Sa sœur indique qu’il est arrivé avec de grosses ampoules aux pieds.

             Puis tu as les deux mecs d’Actuel qui viennent l’emmerder chez lui à St Margaret’s Square pour faire leur petit scoop. Ils prennent comme prétexte de lui ramener un sac de linge sale de Londres pour entrer chez lui et l’interviewer. C’est la dernière fois que Syd parle à la presse. Il n’est pas très content. Puis des tas de gens vont venir l’importuner en stationnant devant chez lui dans l’espoir de faire des photos. Dylan parle de cette horreur dans Chronicles, l’horreur de l’intrusion et des gens qui ne respectent rien. Gilmour envoie promener les journalistes qui le questionnent sur Syd. Il conclut sèchement : «Now it’s over», en clair : dégagez.

             Pendant les vingt dernières de sa vie, les gens vont continuer de harceler Syd pour des photos. Souvent quotidiennement. Sa mère casse sa pipe en bois en 1991. Il n’assiste pas à l’enterrement. Il brûle régulièrement ses toiles et ses livres d’art, comme s’il ne voulait rien laisser aux charognards. Il vit de ses droits d’auteur, et il en vit plutôt bien. Chapman indique que Gilmour veille à ce qu’on lui verse ses droits. Syd qui est redevenu Roger Keith Barrett fait du vélo chaque jour, comme ses aïeux excentriques de Cambridge. Il se chope un petit cancer et casse sa pipe en bois chez lui en 2006.  

    Signé : Cazengler, barrette de shyd

    Rob Chapman. Syd Barrett - A Very Irregular Head. Faber & Faber 2020

     

     

    L’avenir du rock - La leçon de Tengo

    (Part Two)

     

             L’avenir du rock adore aller danser la java au Balajo. Toutes ces jolies femmes sont là pour ça. Mais qu’on ne se méprenne pas, l’avenir du rock n’est pas là pour draguer. Il veut surtout danser pour rendre hommage à Serge Reggiani et Simone Signoret qu’on voit tourner au bal musette de Casque D’Or. Il adore aussi danser le mambo du diable, en hommage au Playtime de Jacques Tati, ah comme c’est bon de tortiller du cul au milieu de toutes des jolies femmes qui perdent la boule ! Il aime aussi sautiller la java à la manière de Dutronc, dans le Van Gogh de Pialat. On l’a bien compris, tous les prétextes sont bons. D’ailleurs, la vie n’est rien d’autre qu’une longue série de prétextes à vivre. Respirer n’est qu’un prétexte à vivre, et danser la java un prétexte à s’amuser, et donc à respirer la vie. Virevolter, c’est aussi une façon d’oublier qu’on trouve n’importe quel prétexte pour continuer à vivre, c’est surtout une façon de s’abandonner en abonnant cette culpabilité à trouver des prétextes, alors on s’en va valser sous les lustres de Luchino Visconti pour qu’un vent du vertige s’engouffre par les yeux. L’oubli, rien que l’oubli, c’est probablement ce que doit penser cette jolie femme blottie dans ses bras, se dit l’avenir du rock, cette Viens Fifine en robe moulante de tissu moiré, ah comme le contact de son corps est agréable, comme c’est bon de sentir ce ventre doucement bombé et ces cuisses fermes, C’est si bon/ Ces petites sensations/ Ça vaut mieux qu’un million/ Tellement, tellement c’est bon, comme si le mouvement donnait l’absolution, comme si la vie n’était plus qu’un prétexte à danser, alors dansons, C’est si bon/ De jouer du piano/ Tout le long de son dos/ Tandis que nous dansons, et puis vient la fin de la chanson et l’avenir du rock s’excuse de devenir indiscret en lui demandant son prénom, alors elle rougit et dit qu’elle s’appelle Baby Love. L’avenir du rock n’en revient pas :

             — Oh mais je vous connais, vous aimez vous suicider au jour de l’an. M’accorderez-vous une autre danse ?

             — Avec plaisir...

             — Yo La Tengo ?

     

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             Comme Tav Falco et Pokey LaFarge, l’avenir du rock adore danser le Tengo. De toute éternité. From Hoboken to eternity, surenchérit Jason Anderson dans Uncut.

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    L’Anderson prend huit pages pour préparer les esprits à la parution de This Stupid World, le nouvel album du most enduring cult band, Yo La Tengo. Ira Kaplan est toujours avec Georgia Hubley, après quarante ans de vie commune. James McNew en est à sa 32e année de Tengo. En papotant avec l’Anderson, les Tengo avouent qu’ils ont tellement pris l’habitude de peaufiner leurs démos qu’ils ont fini par comprendre qu’ils n’avaient plus besoin d’aller ailleurs pour les mixer. Ils se contentent de leur special chemistry et cultivent ce qu’ils appellent des drone-based pieces. Et puis bien sûr l’Ira avoue un faible pour les loud guitars. D’ailleurs, une formule résume bien leur son : «Beautiful, simple melodies embedded in a glorious goo of loud guitars.» L’Anderson perce bien leur secret : «Hermetic creative process and self-effacing manner». Les Tengo ne la ramènent pas, c’est pour ça qu’on les vénère. Pour ça et pour les loud guitars de l’Ira. «We’re notoriously private», ajoute l’Ira. Le contraire du m’as-tu-vu. 

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             This Stupid World est leur 17e album. Ça fait tout de même quarante ans que dure leur cirque. Quarante ans qu’ils font une pop expérimentale enracinée dans le Velvet. Premier coup de semonce avec «Sinatra Drive Breakdown». Wild attack de savage Tengo. L’Ira ne s’est jamais autant énervé, il explose tout d’entrée de jeu au big fuzz out de no way back, il ressort les vieilles ficelles d’Electro-Pura, vazy Ira pique ta crise ! Il pousse des pointes, il fait jouir sa gratte, et derrière, tu as le meilleur hypno d’Hoboken. On retrouve le big Tengo. Inutile de dire qu’on est content d’être là. Les cinq premiers cuts de l’albums sont des monster hits. «Fallout» est encore plus dingoïde. L’Ira est un vieux punk qui te claque ça d’entrée de jeu, en pur amateur de mayhem, son cut pulvérise tous les records d’incendies urbains, Hoboken s’écroule dans la fumée, la vieille légende latente s’élève dans le ciel, là oui, Tengo forever. Ces trois-là te jouent l’un des rocks les plus puissants du XXIe siècle. Avec «Tonight’s Episode», ils passent à la folie pure, au radicalisme hypnotique. Tengo Mago ! Tu les suis et tu trembles. Ils marchent devant toi et te disent : «Suis nous !». L’Ira est un prodigieux sorcier du son, il extrapole la parabole de la gondole, il gère l’ingérence d’Hoboken, son visage apparaît et disparaît dans la violence des stroboscopes. Et puis voilà «Aselestine», une Beautiful Song éclairée par un solo lumineux, comme l’est «Pale Blue Eyes». Le festin se poursuit avec «Until It Happens». Tout ce que bidouille l’Ira est beau, même l’entre-deux. James McNew joue justement son bassmatic dans l’entre-deux. Le «Brain Capers» n’est pas celui de Mott. C’est du wild as fuck d’Hoboken. L’Ira en fait une sorte de mollusque punk. C’est à la limite du descriptible. D’où cette image. C’est le Capers de la fin du monde, doté d’une niaque dégueulasse et de dents pouries, et l’Ira passe un solo d’ultra-vinaigre, il ne respecte plus rien, il s’assoit sur les conventions, il laisse sa punkitude éclore au soleil noir de Satan. Ce solo est une horreur d’acid bottom, il n’existe rien de plus punk que ce Tengo, ils jouent largement au-dessus des moyens du punk. Et puis avec le morceau titre, ils tapent l’hypno du dernier Tengo à Paris, ils enfilent le drome du doom avec la motte de beurre. Ça te bat aux tempes. Ça te pulse au so far out. Sans doute a-t-on là l’une des dégelées du siècle. Va-t-en savoir.  

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             Yo La Tengo, c’est déjà de l’histoire ancienne. Après le Part One, on en était resté au groove subliminal de There’s A Riot Going On, paru en 2018. Si on aime le smooth de groove, c’est là, dès «Shades Of Blue». Ils savent encore créer de la chaleur intrinsèque, la qualité de ce groove défie toute concurrence. On va dire la même chose d’«Ashes» en B, oui ashes go away, c’est illustré musicalement par la plus langoureuse des intentions. On pourrait même croire l’Ashes hanté, car joué aux machines et chanté à l’Ira désincarné. «She May She Might» sonne comme une étrangeté divinatoire. N’oublions jamais que Yo La Tengo vient du Velvet, ils sont capables d’explorer les labyrinthes de la douceur de vivre, de fondre l’art comme d’autres fondent des statues pour fabriquer des canons. Ils vont doucement, au meilleur rythme, ça reste très Velvet dans l’esprit. Ils renouent avec les grandes heures d’Electro-Pura dans «For You Too». C’est dingue comme ils savent bien percer les secrets. Leur pop séduit dès les premières mesures, c’est à ça qu’on reconnaît les grandes chansons. Il règne dans «For You Too» une tension et une lumière magnifiques, ça se construit patiemment et ça s’élève par la grâce de Dieu Ira, ah ça Ira, il chante ça au dévoilé d’âme, à l’accord parfait. Comme l’album est double, Ira et ses amis peuvent se livrer à quelques expérimentations, mais bien sûr sans jamais créer d’ennui. Le «Shortwave» qui ouvre le bal de la C se veut quasiment biblique, avec des infra-sons qui remontent du fond des océans. Ils rêvent d’Afrique pour jouer «Above The Sound» dans un fouillis de percus tropicales. Ils donnent leur vision de la petite transe new-yorkaise. Chez eux tout est solide. Cette soft-pop intimiste qu’est «Let’s Do it Wrong» nous fait craquer, et avec ce «What Chance Have I Got» terriblement languide, on soupire d’aise : ces vieux cocos d’Hoboken reviennent aux sources du Velvet, avec tout le velouté de circonstance. On croit même entendre Nico. Et dans «Forever», on retrouve le she-wap she-wap des Flamingos. Sûrement un hommage.        

    Signé : Cazengler, Yo La Twingo

    Yo La Tengo. This Stupid World. Matador 2023

    Yo La Tengo. There’s A Riot Going On. Matador 2018

    Jason Anderson : From Hoboken To Eternity. Uncut # 310 - March 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - Ridley n’a pas pris une ride

     

             Baby Share avait un certain charme : petite, brune, très jolis seins et une gouaille extraordinaire. Sa générosité lui valut le surnom de Baby Share. Elle partageait le peu qu’elle avait, son cul bien sûr, mais aussi sa spiritualité. Son premier cadeau fut un double de ses clés. Elle ne buvait que du champagne et fumait des Gauloises. Elle adorait dîner aux chandelles les seins à l’air. D’étranges scènes se déroulaient dans la pénombre du petit appartement qu’elle occupait rue Laugier. De confession bouddhiste, elle récitait le Nam-myoho-renge-kyo devant un petit autel fleuri. La pratique de ce culte consiste à répéter inlassablement le mantra pendant au moins une heure, et pour donner du caractère à ses incantations, elle se penchait légèrement pour donner libre accès au fondement de son corps. Selon elle, le culte passait aussi par le cul, c’est-à-dire la connexion avec l’organique, et une fois connectée, elle se mettait à parler d’une voix sourde dans des langues inconnues. Les gens croient que ce phénomène n’existe que dans l’Exorciste. Pas du tout, c’est une réalité ! Écartelée entre le spirituel et l’organique, Baby Share était possédée. Ni les Inquisiteurs, ni Huysmans au temps de sa passion pour la démonologie n’auraient imaginé une telle dépravation. Nous répétâmes l’expérience si souvent qu’il fallut bien se rendre à l’évidence : ce phénomène surnaturel n’était pas le fruit de l’imagination. Mais qui était Baby Share ? Le mystère s’épaississait et la fascination prit des allures d’envoûtement. Revenant un soir avec la bouteille de champagne quotidienne et une cartouche des Gauloises, je trouvai l’appartement vide. Pas un mot d’explication. Rien. L’attente dura toute la nuit. À l’aube, il fallut aller bosser. Rien non plus les jours suivants. C’est dans ces moments de vide sidéral qu’on mesure la grandeur d’un attachement. Les fleurs du petit autel étaient fanées. Quelques mois plus tard, repassant dans le quartier, je découvris qu’un nouveau locataire occupait l’appartement. La lumière ne se fit que bien des années plus tard. Nous dînions chez des amis aux Petites Écuries, et dans le fond de la pièce, une télé diffusait ses informations. Soudain, Baby Share apparut dans la télé. Il s’agissait d’un reportage sur les SDF. Baby Share vivait dans une bagnole. Elle accrochait ses fringues à des cintres. Elle répondait en rigolant aux questions des journalistes et leur expliquait que pour dormir l’hiver dans une bagnole, il fallait bien se couvrir. Elle avait réussi à dégringoler tous les échelons sociaux sans jamais demander d’aide.  

     

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             Baby Share et Sharon Ridley ont au moins deux points communs : petites et brunes, mais pour le reste, c’est-à-dire le cul du culte, on ne sait pas. Par contre, Sharon Ridley n’est pas une petite blanche mais une petite black, une petite Soul Sister complètement inconnue, et pour la trouver, il faut aller fouiller sous les jupes de certaines compiles. C’est sur The Sweetest Feeling (A Van McCoy Songbook 1962-1973), une compile Kent consacrée à Van McCoy, qu’on a croisé le chemin de l’excellente Sharon Ridley.

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    Un Van qui d’ailleurs produit son premier album, Stay A While With Me, un album qui semble devenu culte, paru sur Sussex, le label de Clarence Avant, sur lequel se trouvait aussi Rodriguez. Quand on l’écoute, on comprend pourquoi l’album est devenu culte. Pour chanter son morceau titre, elle tape dans l’écho. Elle est tentaculaire ! Elle se répand comme seule la Soul sait se répandre. On passe directement au hit séculaire avec «Where Did You Learn To Make Love The Way You Do». Ce hit qui rivalise de splendeur avec le firmament figure lui aussi sur une deuxième compile Kent, This Is It! (More From The Van McCoy Songbook 1962-1977). C’est la big Soul de Van, orchestrée au-delà de toute mesure, et la petite Shirley grimpe à l’Ararat de la Soul suprême. Van l’envoie exploser au firmament. Elle sonne comme Esther Phillips, les orchestrations frisent la démesure. Si tu veux qualifier la grandeur productiviste de Van, tu ne peux parler que de démesure. Là mon gars, tu goûtes à l’extrême. Elle tente de rééditer l’exploit avec «When A Woman Falls In Love» et il faut bien dire qu’elle a énormément de répondant, la petite mémère. En B, elle repart chercher sa mélodie très haut avec «Where Does That Leave Me», elle ne craint pas le vertige, elle grimpe aussi haut que Dionne la lionne, mais elle sait garder un petit côté sucré. Elle sait swinguer ses notes au sommet du chat perché. Elle est très aérodynamique, comme le montre encore «You Sold Me A One Way Ticket», un cut qui aurait encore tendance à s’envoler. La petite Sharon est merveilleusement à l’aise dans ces virevoltes. Elle ramène un power incommensurable, elle fait du Motown en infiniment plus raw. Elle termine avec le pathos d’«I Foud Him I Loved Him I Lost Him». Elle te brûle le cœur, elle est là, avec la présence d’une fantastique interprète, elle est parfaite de burn out, et les nappes de violons t’achèvent, c’est d’une poignante magnificence.

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             T’auras pas grand chose sur Sharon Ridley. Van McCoy a tout fait pour la lancer, mais ça n’a pas marché. Cette petite black basée à Washington a enregistré ensuite un second album, Full Moon, qui est tout de même un peu moins dense que le premier. Avec le morceau titre, elle jazze le swing. C’est une pure merveille. L’autre hit de l’album s’appelle «Changin’», une Soul des jours heureux, où rien ne compte plus que le bonheur. Car en fait, il ne s’agit que de ça : la quête du bonheur et Sharon incarne cette quête à la perfection. Elle va encore te percer le cœur avec «You Beat Me To The Punch». Quelle niaque de timbre, oh-oh yeah ! La Soul de good time, c’est son péché mignon. On note aussi une extrême proximité de sa féminité («Just You & Me (Walking Along Together»). C’est la Soul humide dont rêvent tous les hommes sensibles. Elle tartine bien son chant aux éclats de voix. Elle est des nôtres. Elle tape aussi une version d’«Ain’t That Peculiar», repris par des tas de gens, dont Marvin et Fanny, le groupe des sœurs Millington. Avec ce hit signé Smokey, elle entre dans le temple des dieux.

    Signé : Cazengler, Sharon ridé

    Sharon Ridley. Stay A While With Me. Sussex 1971

    Sharon Ridley. Full Moon. Tabu Records 1978

     

    *

    Je ne connaissais pas, les ai découvertes par une vidéo que Two Runner ont postée sur leur FB. L’envie d’en savoir plus. Cette chronique ne peut être qu’une première approche. Il n’y a pas de hasard, seulement des réseaux de sensibilités, je m’aperçois que sur leur premier EP elles ont repris Last Kind Words de Geeshie Wiley (voir livraison KR’TNT ! 571 du 20 / 10 / 2022).

    NARROW LINE

    MAMA’S BROKE

    ( Free Dirt Records / Mai 2022 )

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    Elles sont deux, elles sont belles, vous leur donnerez la joie de vivre sans confession, à ceci près, je vais dire un mensonge, qu’elles produisent une musique que je qualifierais de doom-folk. Pour le folk question instrumentation il est difficile de trouver mieux : Amy Lou Keller : vocal, banjo, guitare, violon / Lisa Maria : vocal, fiddle, guitar, mandolin, violoncelle, foot percussion, tap dance. 

    Proviennent de la Nouvelle Ecosse, cette île que vous situerez tout en bas de la côte-Est du Canada. Il semble que dans ce pays elles privilégient deux villes : Halifax et Montréal. Mais ce sont des voyageuses, elles se sont rencontrées en 2014 lors d’un voyage en voiture de dix-sept heures. A l’arrivée le groupe était né. Leurs enregistrements ont été remarqués, ils ont reçu des distinctions, les festivals les invitent… Elles sont déjà venues en Irlande et en Angleterre (elles y seront en tournée in the UK au mois de février 2024), on les a vues jusqu’en Indonésie, il existe partout des cercles d’amateurs de grassroots prêts à les accueillir. Leur musique est difficile à définir, un indéfinissable mélange de traditions européennes, de folk, de country, d’influences arabes, d’americana, de metal, il semble que celui qui les écoute identifie ce qu’il porte en lui. 

    Je ne suis pas le seul à noter la présence musquée de la noire épice doom dans leur musique, ne craignez rien, pas de grosses dérives électriques en leurs productions, c’est avec les paroles qu’elles filent une bonne leçon aux groupes de doom, leurs textes sont d’une noirceur sans équivalence. Elles ne convoquent pas la Grande Faucheuse toutes les cinq secondes, ni ne mettent en scène de sublimes épopées contre les forces du Mal, elles se contentent d’évoquer le vécu de la vie, excusez cette expression redondante, mais comment nommer ce sentiment que tout ce que vous traversez vous échappe et ne vaut pas la peine d’être rattrapé. En quelques mots, elles ont le pouvoir de vous saper le moral pour le reste de l’année qui vient de commencer.

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    La pochette vous donne un avant-goût de ce qui va suivre. Narrow Line, la ligne étroite, même pas une voie, une route, ou un chemin, l’idée d’un sentier rectiligne, le moindre pas en-dehors de ce tracé et c’est la catastrophe. Toutefois vous ne pouvez vous empêcher de penser que de toutes les manières c’est déjà la cata. Z’auraient pu élargir l’illustration à toute la pochette, l’espace est mangé par un cadre d’un vert sombre, vous comprenez d’instinct qu’ailleurs l’herbe ne saurait être plus sombre, par la porte étroite se dessine un paysage agreste, un champ ensemencé, pas vraiment la promesse d’une récole future, l’a plutôt l’aspect d’un désert stérile, les squelettes d’arbres dénudés et ce personnage au premier plan, attitude romantique désabusée, qui ne nous regarde pas, trop préoccupé par on ne sait quelle indicible mélancolie, cette scène inspire un indélébile sentiment de tristesse.

    Just pick one : cordes funèbres ne cesseront de tout le morceau, les deux voix jamais à l’unisson mais entremêlées comme ces deux arbres qui échangent leurs branches et ont uni leurs racines pour pousser côte à côte, quelques notes volatiles, escarboucles qui ne tardent pas à s’éteindre quelques traînées de violon  comme tapis resplendissant de feuilles mortes, même pas une plainte, un constat désabusé, rien ne vaut rien et tu ne sortiras jamais des ornières dans lesquelles tu as déjà marché, ainsi sont les relations humaines intimes, elles se répètent à l’infini, alors choisis-en une, elle ne sera ni meilleure ni pire que les précédentes, certains en seront jaloux, quelle importance, rien ne vaut rien… Oh sun / Pale night / Forgetting reel : une voix pure a capella se répète, non ce n’est pas un hymne gnostique au soleil, juste une prière, non une supplication, le violon s’élève et vous déchire les entrailles, l’intermède musical devient lyrique porteur d’espoir, il s’étend comme s’il refusait l’échec amoureux que l’on prévoit, mais lorsqu’il s’arrête, le morceau est fini, aucune voix ne s’élève, tout a déjà été dit, personne ne reviendra, d’ailleurs lui ou un autre n’est-ce pas la même chose. Le soleil brille sur vos illusions comme sur vos désillusions. Toujours le même film. Between the briar & the rose : motif arabisant, une chanson d’amour, sculptée à coups de cordes identiques à des entailles dans les chairs fraîches, les notes du banjo comme des coups de manche de poignard, pointillent les voiles de gaze du violon, tout va bien mais quelque chose cloche, la voix s’attarde et s’allonge, voudrait-elle retenir ces instants de feu qui ne dureront pas, entre la rose du bien-être et la bruyère de la mort, il est sûr qu’un jour tout sera délié. Constat sans appel. How it’s end : voix vindicatives, étrangement la musique vous a de ces aspects joyeux surprenants, insensiblement bientôt c’est la tristesse qui domine, non elle ne croyait pas à l’amour romantique, c’était le moins pire de tous ceux qui l’avaient précédé, le constat est sans appel, elle a fait semblant de ne pas s’apercevoir des manquements intolérables, elles chantent parfois a capella et leur voix s’enroule autour du cep du désir comme le serpent venimeux de la désillusion, bien sûr malgré les promesses non tenues il partira comme tous les autres avec qui elle aurait mieux fait d’aller. Cruelle amertume, celle que l’on retourne contre soi-même. Quel régal lorsque les voix prennent ce nasillement old style. Narrow line : une assez longue intro, puis la voix qui glace, notes de banjo verglacées accompagnent ce qu’il faut bien appeler un poème, qui ne déparerait en rien dans une anthologie de poésie anglaise, l’antithèse de I walk the line une boutade qui a rendu Johnny Cash célèbre,  ici les dires s’emmêlent à tel point que l’on n’est plus en mesure d’évoquer l’ampleur des thèmes visités, chacun devenant le symbole de tous les autres, des mots qui portent mais qui ne disent pas tout, prononcées à la manière de ces larmes que l’on retient, la voie est insuffisante, elle débouche dans la mort, mais il n’y en a pas d’autre. L’existe aussi une official video sur YT présentée par Free Dirt Records : ce n’est pas une illustration mais une interprétation d’Arash Akhgari un ovni graphique à mi-chemin des encres d’Henri  Michaux et des films d’animation, les images ne proviennent pas des mots mais s’engendrent les unes des autres, un peu comme les enfants sortent du corps de leurs mamans. October’s lament : la musique sonne à la manière d’un quatuor de violoncelles, elle s’arrête, l’une chante et l’autre module par-dessous, un texte noir, Amy raconte son addiction aux drogues et à l’alcool, le texte est très sombre car si une note nous avertit qu’elle s’en est sortie, la chanson est sans appel, c’est l’histoire d’une chute encore plus terrible (et magnifique) que celle du Paradis Perdu de John Milton. Le chant funèbre des pseudo-violoncelles reprend et clôt le morceau sur une note funérale. Il existe sur YT une vidéo présentée par Free Dirt Records, qui ne se commente pas, qui se regarde, une espèce de film d’animation poétique qui rappelle les vues oniriques produites par les lanternes magiques à la fin du dix-neuvième sièclePick the raisin from the paska : intermède instrument hélas trop court, un peu à l’imitation, le titre y invite, du folklore ukrainien, Amy et Maria sont des musiciennes exceptionnelles mais les sombres effluves du chant nous manquent. God’s little boy : nos féministes actuelles remettent en question le patriarcat, Mama’s Broke pousse l’analyse, les bonnes consciences diront le bouchon, un peu loin, jusqu’à Dieu le Père. Fait assez rare dans le bluegrass. Un banjo railleur et une voix sans concession, froide et saignante, les lyrics se résument en deux mots : le sexe et la mort. Je vous laisse seuls juges de l’interprétation du dernier vers du morceau. Ces filles ne respectent rien, elles sont sans pitié. The wreckag done : une balade mortelle, des voix claires et incisives, des cordes qui ont des langueurs d’accordéon et puis qui claquent comme des marteaux, les voix s’empourprent de haine pour les fournisseurs de poison, pour mieux s’apaiser dans une espèce de condamnation cynique contenue devant le corps étendu. Victimes et coupables sont tous coupables. The ones that I live : un art de vivre (et donc de mourir) une espèce de gospel a capella qui ne s’adresse pas à Dieu mais à soi. Elles ne regretteront rien. Ni pardon, ni excuses. Apprenez à assumer vos actes. Pas de regrets. Des voix si belles qu’aux premières auditions l’on ne s’aperçoit pas de l’absence des instruments. A mon goût le morceau le plus fort du disque. Windows : mystérieuse ballade, fragmences d’existences, parfois une voix se fait douce comme si elle était rongée par des regrets de la mélancolie, le rythme est lent comme de l’eau de la mer, toute les fenêtres ne donnent-elles pas sur la mort.  

             Un disque magnifique. Qui flirte ( de très près) avec la poésie.

    Damie Chad.

     

    *

    Je ne sais pas pourquoi, je suis indubitablement attiré par les groupes polonais, Wodorost de Varsovie a déjà sorti un album homonyme que je n’ai pas encore écouté en 2021, ils viennent d’en enregistrer un deuxième qui n’est pas au moment où j’écris ces mots paru, le 31 août ils ont posté en avant-première un des titre une vidéo sur YT qui a fait tilt.

    TEMPLE

    WODOROST

    ( Official Dream Video)

    Anna Zukorwska : percussions / Bartlomiej Glosinski : guitare / Jan Witusinski : guitare.

    brat farrar,gene clark,syd barrett,yo la tengo,sharon ridley,mama's broke,wodorost,raoul galvan + eric calassou,rockambolesques

    Quand j’aurai dit que Wodorost signifie Algue, que From the Depths est le titre de l’album à venir vous comprendrez que la photo du groupe présentée ci-dessus n’est pas due à une idée farfelue qui leur aurait traversé la tête. Ajoutons toutefois que Wodorost se définit comme un groupe de desert rock. N’oublions pas qu’autrefois nos déserts étaient le fond de nos océans !  

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    Dilemme faut-il regarder cette animation aquatique en entendant l’instrumentation ou carrément occulter les images pour écouter la bande-son. Le choix est difficile, je l’admets, dans les deux cas vous en ressortirez insatisfaits lorsque vous aurez tenté les deux expériences. Que serait un rêve sans image, vraisemblablement le même malaise qu’une vidéo-musicale sans son. Nous allons essayer de regarder et d’écouter en le même temps. Glauque et informe paysage, la guitare ne vient pas pour se faire admirer, point de solo héroïque, point de course de vitesse, elle glisse, des a-coups sonores de vagues qui se succèdent sur la grève, celle qui vient emportant le souvenir de la précédente, des algues en motifs de tapisseries elles ont l’air de rester immobiles, une lumière blafarde nous prouve que nous ne sommes pas loin de la surface, maintenant ce sont des rayons solaires qui plongent vers les grand-fonds et qui éclairent de gros récifs noirs posés sur le sable, des silhouettes monumentales apparaissent, bientôt elles cèdent la place à un étrange plongeur trop à l’aise en ses mouvements pour ne s’être encombré de grosses bouteilles d’air comprimé, il descend, est-ce la lourdeur de la basse qui s’arrime à la guitare qui le pousse vers le bas, un ballet de larges folioles aquatiques, ne sont-ce pas des raies d’un beau calibre, apparition de requins débonnaires qui nagent au-dessus de surprenants tombeaux cubiques, myriades de poissons, nombre infini de pierres sur le fonds marins, bastingage d’un navire coulé, et toujours notre plongeur sans masque aussi à l’aise qu’un jeune terrien s’amusant à courir une folle gymnastique sur le plancher des vaches, encore plus bas le long d’une paroi rocheuse, cette fois il n’y a plus de doute un chapiteau au-dessus d’un mur percé d’une porte se dessine, en quelques secondes nous pénétrons dans un temple, un paysage digne de 20 000 lieues sous les mers, nous ne sommes pas le Capitaine Nemo nous n’inscrirons pas le mot Atlantis sur un rocher, nous nous en doutions, Eternal Atlantis n’est-il pas le deuxième moreau de leur premier album, profitons de la visite parmi ces propylées de colonnes doriques pour remarquer que la musique devient plus forte, une espèce de forme conique recouverte de sédiments s’anamorphose durant deux ou trois secondes en un accessoire symbolique de batterie, qui pourrait   tout aussi bien évoquer la forme d’une soucoupe volante,  quelques secondes plus tard ce sera au tour d’un guitariste fantomatique en action sur sa guitare, est-ce cette vision qui nous ferait accroire que le son augmente de volume et accélère son rythme, la visite se poursuit parmi des bâtiments desquels  par le seul fait de les apercevoir quelques secondes nous devinons des édifices colossaux, lumière de spots clignotants, une silhouette féminine (large jupe ?) se profile à l’horizon, le plongeur est là toujours aussi à l’aise que vos mains dans le bac à vaisselle, nous ne sommes plus dans Atlantis mais aux alentours, le paysage d’enceintes sacrées au-dessus desquelles nous nous mouvons nous confirme que son apparence n’est pas naturelle, en une fraction de seconde un espadon se transforme en un étrange appareil d’observation sans doute piloté par des extra-terrestres, des images de ce qui doit être le temple principal d’Atlantis défilent à toute vitesse, étonnamment la trame sonore reste de marbre, sur le même rythme, sur la même épaisseur, est-ce une croix de pierre qui bouge ses bras ou un personnage vivant, tantôt à la surface, tantôt dans les profondeurs, retour du plongeur, les vues que nous avons déjà vues se télescopent en un patchwork formés d’éléments répétitifs, les images cachent plus qu’elles ne montrent, une grosse bulle d’eau semble contenir tout l’océan, le microcosme n’est-il pas identique au macrocosme, sans doute est-ce le temps de songer à Paul Le Cour et sa revue Atlantis dans laquelle il exposa sa théorie du verseau ( verse-eau nous y nageons en plein dedans ! ) à l’origine de bien des théories hippies américains, serions-nous maintenant dans l’étroit passage du double sous-aquatique des colonnes d’Hercule, remontons-nous par l’escalier qui ne mène nulle part, à moins que ce ne soit le stairway to heaven bien connu des fans de Led Zeppelin, ou alors vers cette lumière qui irradie d’un temple aux sculptures qui ne sont pas sans rappeler la statuaire hindou et surprise poussé sur le parvis cet arbre printanier aux feuilles verdissantes,

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    la caméra s’attarde dessus, son feuillage ondoie, retour sur le haut de la cymbale qui ressemble avec un minimum d’imagination à une soucoupe volante, ce qui est en haut n’est-il pas aussi ce qui est en bas, ces eaux glauques n’ont-elles pas la même couleur que la table smaragdine, ne vous prenez pas la tête, gardez vos idées claires et toute votre raison, avez-vous remarqué que la musique ne semble guère s’émouvoir, qu’elle reste imperturbable, nous revoici à l’intérieur du temple, serait-il détruit qu’il se reconstitue à grande vitesse, une nouvelle fois arpentons de vastes vestibules, il y a quelqu’un, non pas un être surnaturel, pas un Dieu, pas un super-héros, même si le temple se réédifie au fur et à mesure qu’il avance, l’eau bouillonne, des chœurs lointains se fondent dans l’élément liquide, il va se passer quelque chose, celui qui marche nous ressemble, un peu vêtu à l’ancienne, on lui donnera facilement la cinquantaine, est-ce un homme ou une femme, quelques secondes ils ont été deux, mais elle a continué  toute seule, les images se télescopent, elle est comme perdue à l’intérieur du temple, elle semble y disparaître à jamais, peut-être vaut-il mieux remonter, pas de problème accrochez-vous à ce fil rouge, il vous tirera à la surface, peut-être aurez-vous raison quand vous affirmerez à vos amis qu’il ressemblait au fil rouge en accordéon d’une guitare électrique.  A moins que ne soit le lien qui vous permette de voyager sans trop de risque dans l’astral !

    Sur Bandcamp Wodorost indique que chacun peut interpréter leur musique comme il veut. Ne vous privez pas de le faire. Si cela ne vous fera pas du bien, ça ne vous fera pas de mal non plus. Tentez l’expérience.

    Damie Chad.

     

    *

    J’avoue que je ne me lève que rarement en pleine nuit pour écouter un disque de guitare classique, sûr qu’il y a des gars balèzes toutefois entre nous soit dit, la plupart du temps le son me paraît bien maigrelet et monotone si l’on compare avec la gamme d’intensités vibratoires auxquelles les guitares électriques nous ont accoutumés. Mais là c’est différent.

    TENAYUCA SUITE

    RAUL GALVAN

     (YT / Vidéo : Alan Silva Nolasco

    Editée par Brian Espinoz Reyes)

    Les lecteurs assidus (je parle de ceux qui apprennent par cœur chaque livraison) se souviendront que dans notre épisode 553 du 05 / 05 /2022 nous avons déjà parlé de Raul Galvan, il interprétait à la guitare Snow Country une composition d’Eric Calassou. Ce dernier était le guitariste chanteur de Bill Crane un des groupes de la mouvance rockabilly française les plus originaux, un peu borderline diront les puristes, mais ô combien novateur et talentueux. Eric Calassou habite désormais en Thaïlande, peut-être qu’un jour il reviendra et reformera Bill Crane, l’important c’est qu’il soit heureux quel que soit l’endroit où il réside. Puisque dans son pays lointain il n’a plus Bill Crane, Eric est revenu à ses premières amours : la composition. Raoul Galvan, un ancien compagnon du Conservatoire lui a dernièrement demandé un morceau dédié à sa ville natale Tenayuca.

    Pour ceux qui l’auraient oublié Tenayuca se situe au Mexique, dans l’état de Mexico. Avant que les Espagnols n’arrivassent pour tout détruire, Tenayuca fut un site important de la civilisation précolombienne. On espère que les deux serpents de pierre qui gardent l’antique pyramide de Tenayuca se réveilleront un jour pour redonner leur fierté aux descendants du peuple de Teneyuca. Pour ceux qui veulent en savoir plus la lecture du roman Le Serpent à Plumes de D. H. Laurence s’impose.

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    Raoul Galvan est assis devant une cheminée de ce qui pourrait être une salle de séjour. Derrière lui deux gros tas de bûches soigneusement rangées attendent l’hiver. Photos de famille ( sur les murs ), sur le rebord de la cheminée un ensemble de figurines de terres cuites colorées assises à une longue table nous regardent, sans aucun doute une représentation de la Sainte Cène, ce qui me semble étrange quand on pense que le christianisme est la religion que les Espagnols inculquèrent aux peuples natifs afin de les déposséder de leur culture originelle… Cheveux poivre et sel, lunettes à monture noires, chemise fourmillements de petits motifs aux contours magenta,  Raul Galvan concentré semble regarder ses doigts s’affairer sur sa guitare de bois, mais sans doute joue-t-il le morceau avant tout dans sa tête pour être au plus près de l’esprit qu’il insuffle à son interprétation.

    Premier mouvement : Xolotl : ( nom du fondateur de la ville ) : c’est pourtant un roi voire un Dieu que Xohotl le fondateur, son pas n’est guère martial, il glisse doucement sur un matelas d’air, Raoul Galvan ne galvanise pas ses cordes, à peine les touche-t-il, a-t-il pour but de faire entendre le silence des courtes séquences qui ne se pressent pas au portillon de la modernité, tout est déjà joué, par deux fois des photos de la pyramide de Tenayuca apparaissent, à croire que le dessein d’Eric Calassou veut nous ramener en arrière, au moment originel, en ce matin d’aube du lever d’un peuple qui imprime sa marque sur la terre, d’autres photos de Raoul Galvan en un autre lieu, peut-être dans une interprétation de l’œuvre en public, soulignent que ce qui a été une fois quelque part, sera pour toujours en n’importe quel autre endroit du monde, d’ailleurs ces bruits de pas légers contre le bois de l’instrument ne sont-ils pas répétés pour signaler quelque d’immémorial qui ne fait que passer, bien plus grand que nous… Quelques notes, quelques caresses de doigts sur les cordes, suffisent pour susciter une démesure qui nous est étrangère mais que nous reconnaissons d’instinct, comme si nous attendions sa présence. Deuxième mouvement : Ahuehuete : village dans lequel Raul Galvan a passé son enfance et où réside encore toute une partie de sa famille. Ahuehuete est aussi le nom d’un arbre symbolique du Mexique aussi nommé Cyprès de Montezuma ) : apparemment il n’y a pas de hiatus entre les deux mouvements, l’on reconnaît des motifs similaires, lorsqu’une photo vue d’avion nous montre la vastitude de la pyramide, elle semble une poule mère entourée des poussins-maisons, encore une fois la grandeur passée pèse de tout son poids écrasant sur les fragiles demeures humaines actuelles, et même si ce deuxième mouvement est qualifié de ‘’lento’’ il est à entendre comme celui d’une grande dégradation, l’on descend les escaliers du monument pour retrouver le plancher humain, l’on a changé de niveau, le roi et le Dieu ne sont plus là, la dernière vue de la pyramide est celle de sa maquette, un artefact à notre échelle de modernes hominiens. Troisième mouvement : Lugar amurallado : ( ce lieu entouré de murailles n’est autre que Tenayuca au temps de sa splendeur antique ) : la musique se précipite, abondances de notes, nous sommes chez nous, même si nous ne voyons pas nos congénères, nous visitons – les photographies du musée local qui s’intercalent nous obligent à employer ce verbe – notre réalité, ces statues mises en évidence, ces schémas explicatifs placardés sur le mur, nous parlent, nous sommes dans notre dimension strictement humaine, maintenant on peut dire que la guitare jacasse parce qu’elle exprime nos émotions, maintenant on peut dire que la guitare fracasse nos rêves de grandeur pour les remplacer par une insidieuse nostalgie qui n’est que l’image de notre impuissance. Elle exhale une foultitude de sentiments incapacitants dans lesquels elle  nous enferme, elle se permet même d’émettre quelque minuscules pépiements admiratifs et la maquette devient une espèce de constructions colorées en Lego habitée par un peuple de play-mobils, nous ne sommes que des enfants turbulents naïvement enthousiasmés par un beau jouet, les notes s’espacent et se meurent, quelques tapotements sur le bois, sont-ce des points de suspension parce que parfois il vaut mieux ne pas dire ce que l’on pense… pour nous rappeler que les Rois et les Dieux mythiques se sont encore éloignés nous laissant seuls dans notre petitesse d’animalcules sans conséquence.

             Un chef-d’œuvre d’écriture d’ Eric Calassou, une interprétation de Raoul Galvan tout en finesse et subtilité. Tous deux me réconcilient avec la guitare classique.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 39 ( Misfit ) :

    203

    Contrairement à son habitude le Chef n’alluma pas un Coronado, il semblait perdu dans ses pensées, instantanément dans la voiture ce fut le silence. Si cela vous étonne c’est que ne vous êtes jamais trouvé en présence d’un GSH (génie supérieur de l’Humanité) en train de penser. Je n’avais pas encore démarré, tout le monde attendait, seuls Molossito et Molossa s’étaient permis de monter sur la lunette arrière pour rejoindre Alicia, la minette ne montra aucune peur et tous trois partageaient mille léchouilles…

    Au bout de dix minutes un sourire illumina la figure du Chef, et il sortit un Coronado de sa poche :

              _ Cette histoire est d’une simplicité désarmante, il suffit d’y réfléchir dix minutes pour tout comprendre.  Le dénouement est proche, je vous avertis que ce sera rock’n’roll, accrochez-vous aux petites branches, je suppute quelques morts et une extraordinaire tension mentale.

           _ Nous devrions tout de même prendre le temps de ramener Alice à la maison, c’est encore une fillette et…

            _ Papa je n’ai pas peur, je reste avec toi, en plus j’ai Alicia avec moi !

            _ Très bien parlé Alice, les parents modernes ont tendance à couver les enfants, une habitude déplorable, une fois notre génération partie, il n’y aura plus personne pour prendre notre place à la tête du SSR, nous devons dès maintenant préparer une relève de fer pour assurer la suite du combat. Alice vous resterez avec nous ! Ce n’est pas un conseil, c’est un ordre !

             _ Oui Chef !

    Gabriel voulut s’interposer mais un geste méprisant du Coronado que le Chef tenait dans sa main, lui cloua le bec.

               _ Passons aux choses sérieuses, Carlos veuillez tout de suite me ramener un cure-dent !

    204

    Carlos ne se le fit pas dire deux fois. Nous assistâmes à la scène d’assez loin. Juste le temps d’arrêter une camionnette de marbrerie qui sortait du cimetière, les trois gars à l’intérieur n’avaient pas l’air d’accord. La discussion fut vite terminée une petite rafale de Rafalos au travers du pare-brise, et les trois gus s’affaissèrent sur la banquette. Déjà Carlos ouvrait les deux portes-arrière et revint vers nous brandissant triomphalement une gigantesque barre à mine.

              _ Bien, nous avons fait le plus facile, j’allume un Coronado, agent Chad, démarrez immédiatement, arrêt au plus près de la tombe d’Oecila !

    205

    Nous y fûmes sans incident, hormis un gardien qui eut la triste idée de nous interdire l’entrée, je l’écrasai sans ménagement, et roulai sans plus d’anicroche vers la tombe d’Oecila. Déjà Carlos s’apprêtait à faire glisser la dalle lorsque Le Chef l’arrêta :

    _ Juste quelques secondes Carlos, voyez-vous Gabriel si la police n’a pas ramené le corps, c’est que personne ne l’a volé, nous allons le retrouver dans quelques instants. Carlos à vous de jouer.

    En moins d’une minute la dalle glissa sur le côté, le cercueil apparut, je me penchai pour aider à dévisser le couvercle.

              _ Terminé, plus une seule vis, Damie tu soulèves le haut et moi le bas, un coup sec, prêt, un, deux, trois, hop !

    Je poussai un hurlement. C’était elle, c’était Alice, le sourire avec lequel elle m’accueillait le matin, les yeux clos, je bafouillai, je ne savais pas quoi dire, je me penchai pour l’embrasser, mais mes bras me devancèrent, je la saisis à bras le corps et la sortis du cercueil, un genou à terre je tenais son buste contre ma poitrine, mon cœur battait prêt à exploser, en ces secondes j’étais l’homme le plus fort du monde, n’avais-je pas tenu ma promesse, n’avais-je pas tué la Mort comme je l’avais promis. La main du Chef effleura mon épaule :

              _ Agent Chad elle est inanimée…

    Juste un détail, s’il le fallait je la garderai avec moi, toute ma vie, contre moi, chaque nuit nous dormirions ensemble jusqu’au jour où je la rejoindrai, mais non j’allai la réveiller, tout de suite, la chaleur de mon corps la réveillerait, je fixai mes yeux sur son visage, et l’appelai à mi-voix : 

              _ Alice, c’est moi Damie, sors de ta torpeur, ouvre les yeux, le soleil brille, pour nous deux…

    Je poussai un second cri encore plus fort. C’était vrai, son visage bougeait, non elle n’avait pas encore ouvert les yeux, mais ses joues s’animaient, parcourues d’étranges frissons. C’était à faire peur, Le Chef n’avait-il pas jeté son Coronado et ses deux mains n’étaient-elles pas refermées sur la crosse de deux Rafalos, Carlos n’avait-il pas ressaisi sa barre à mine, je ne leur en voulais pas, nous étions au lieu d’épouvante de jonction de la vie et de la mort, Alice entrouvrit ces lèvres, non je ne rêvais pas, c’était son corps qui bougeait doucement sur le mien ! Je fermais les yeux pour m’enfermer dans la douceur paradisiaque de ce premier baiser, pour nous abstraire de tout ces témoins que je voulais bannir de notre intimité.

              _ Agent Chad, reprenez-vous, ce n’est que moi !

    La voix était glaçante, persiffleuse, elle reprit :

             _ Arrêtez de jouer au prince charmant, je ne suis pas la Belle au Bois Dorrmant.

    Je rouvris les yeux, je tenais la Mort entre mes bras !

    206

    La voix du Chef s’éleva :

              _ Agent Chad, passez derrière nous et reprenez vos esprits Vous vous êtes fait avoir comme un bleu, croyez-vous que Molossa et Molossito ne se seraient pas précipités si c’était vraiment Alice pour quémander un bocal de friandises !

    Machinalement j’obéis. Quelle ne fut pas ma surprise de réaliser qu’un cercle d’une centaine de personnes nous entouraient. Deux hommes discutaient à voix basse à vingt centimètres de moi :

               _ Magnifique, dommage que les caméras soient absentes !

              _ Sûrement une répétition, quel acteur, je ne le connais pas, un nouveau promis à une belle carrière !

              _ Encore plus vrai que dans la vraie ! Vous vous voyez auprès d’un cercueil à faire des mijaurées de cette manière !

              _ Surtout pas auprès du cercueil de ma femme !

              _ En tout cas ce n’est pas moi qui ramènerais la mienne à la vie !

    Ils éclatèrent de rire, de nombreux ‘’chut !’’ fusèrent de partout, le public entendait écouter la suite… La Mort faisait les cent pas et remuait les bras en guise d’assouplissement :

              _ Encore vous, ce maudit  SSR, à venir me déranger, c’est une manie chez vous, j’étais si bien dans mon caisson de décompression, en plus sans prendre de gant vous déboulonnez mon caisson et cet huluberlu d’Agent Chad qui m’arrache à ma couche et se livre à des attachements douteux sur mon corps, je pense que je vais dès demain porter plainte et informer les mouvements féministes !

    Des applaudissements, et des bravos lancées par de voix féminines s’élèvent de la foule. Hélas ces vertueuses approbations citoyennes sont vite oubliées, gommées par la virulente intervention de Gabriel !

              _ Vous avez un toupet monstre, vous faites rire aux dépens de l’Agent Chad auquel vous avez joué une sinistre comédie, j’aimerais plutôt savoir ce que vous faisiez dans ce cercueil qui je vous le rappelle est celui d’Oecila, la sœur de ma femme ! Par la même occasion où avez-vous mis le corps d’Oecila !

              _ Nulle part, ou plutôt à la même place où il était !

              _ Vous mentez, elle n’est plus en Russie ! C’est moi-même et ma femme qui avons emmené son corps en France, je détiens les papiers officiels signés du gouvernement français et des plus hautes autorités russes !

               _ Je l’admets, vous oubliez de mentionner le sceau de la Mafia russe sur un de vos parchemins !

    La foule est parcourue de mouvements divers, des cris indignés fusent. Des adjectifs peu aimables sont échangés, ils visent les présidents des deux pays, certains défendent l’un ou l’autre, la majorité les admoneste tous les deux vertement. La scène va-t-elle tourner au pugilat, non car une voix aigüe celle d’Alice, perce le brouhaha :

              _ Taisez-vous je veux entendre la suite !

     au prochain numéro !

  • CHRONIQUES DE POURPRE 611 : KR'TNT 611 : LOU REED / DANIEL ROMANO / LESTER CHAMBERS / CASH SAVAGE / JOE HICKS / THUMOS SPACESEER / X RAY CAT TRIO / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 611

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    14 / 09 / 2023

     

    LOU REED / DANIEL ROMANO

    LESTER CHAMBERS / CASH SAVAGE

    JOE HICKS / THUMOS / SPACESEER

    X RAY CAT TRIO

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 611

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Le grand méchant Lou - Part Two

     

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             Le grand méchant Lou renaît de ses cendres en 1972 avec un premier album solo, le tant décrié Lou Reed. Et pourtant quel album ! Enregistré à Londres avec un ramassis de mercenaires, dont deux mecs de Yes, Wakeman et Howe. C’est Richard Robinson qui pousse à la roue et qui a décroché le contrat chez RCA pour un Lou qui ne voulait plus trop sortir du bois. Lou y es-tu ? Grrrrr, répond le Lou, «I Can’t Stand It» ! Il te fait là du pur Velvet de pur genius, il faut bien appeler un Lou un Lou. Ça sonne comme un classique.

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    Il fait aussi de l’ultra-clairette de petit matin blême sur «Walk & Talk It» et boucle son balda avec le mélodiquement pur «Berlin» - You’re right/ And I’m wrong/ You know I’m gonna miss you/ When you’re gone - Et puis voilà qu’en B il réédite l’exploit de «Pale Blue Eyes» avec «I Love You», un chef-d’œuvre de délicatesse chanté à l’accent fêlé. Il passe ensuite au classic Lou avec «Wild Child», une rock-song à la Lou grattée aux accords majeurs, et toujours cette fantastique présence vocale. Toute la teigne est intacte. Encore une bonne surprise avec «Ride Into The Sun», fantastique balladif de la désaille, mais une désaille de haut de gamme, pas accessible à tous.

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             On a déjà chanté les louanges de Transformer. Rechantons-les ! Le son ! Bowie & Ronno, le summum de l’époque. «Vicious» - You do it every hour/ Oh baby you’re so vicious - Klaus ou Herbie on bass. Il existe aussi sur le marché une édition DVD de la série «Classic Albums» consacrée à Transformer. Indispensable, car le Lou sort du bois. Après une belle giclée de footage Velvet, il déclare : «I’ve always known we were the best. And I still doooo.» Il évoque aussi son premier album solo qui n’a pas marché : «The first record was a flop. So let’s do another one.» L’another one est donc Transformer. Back to London with David & Ronno. New stuff. Le Lou rappelle l’origine de «Vicious».

             Andy : «Je veux une chanson vicious».

             Lou : «What kind of vicious ?»

             Andy : «Vicious, you hit me with a flower.

             Lou : «Ahhhh. What a good idea.»

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             Sur Transformer, tu as aussi «Perfect Day» et sa texture parfaite, puis «Hangin’ Round», harsh rock gratté à l’anglaise, le big power du boogie anglais mêlé au Lou, ça donne un mélange divin. C’est Ken Scott qui enregistre. Et puis «Walk On The Wild Side», le groove définitif de New York City. Le mec qui fait le docu interviewe Joe Dalessandro, et Holly Woodlawn qui se plaint de se retrouver dans «Walk On The Wild Side», alors qu’elle ne connaît pas le Lou. Herbie Flowers raconte qu’il touchait 12 £ pour 3 heures, alors pour doubler son cachet, il a proposé de doubler sa piste de bassmatic. C’est de l’humour anglais. En attendant, on voit l’Herbie jouer la bassline à la stand-up - Upright first, with the guitar & the percussions. Puis j’ai demandé à Ken si je pouvais descendre d’une octave et enregistrer la basse électrique en intervalles de dix. Je voulais donner au cut a little bit more atmosphere of character - La classe de l’Herbie ! Ken Scott demande au batteur de jouer avec des balais. Voilà le travail. Le Lou a du mal à comprendre ce que lui dit Ronno : that Hull accent. Ronno apparaît aussi à l’écran, pour évoquer la guitare du Lou, way out of tune. Puis on voit le Lou rendre hommage au Bowie de Satellite - Very few people can do that - Il insiste beaucoup sur la note aiguë qui chante Bowie à la fin. On trouve aussi des chœurs déments sur «I’m So Free» : pur genius combinatoire de chœurs d’artichauts et de heavy chords. Dans le docu, le Lou reprend la parole pour bien situer les choses : «Je n’écris pas pour vous, j’écris pour moi. Et comme vous n’êtes pas si différent de moi, si ça me plait, alors ça peut vous plaire.» Et pouf, il gratte quelques bricoles à coups d’acou, «Waiting For The Man», «Sweet Jane», et il croasse : «It’s only 3 chords. If I can do that, you can do that.»

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              Pour Wally et beaucoup d’autres gens, Berlin «would both become his masterpiece and effectively end his carreer as a major recording star.» Berlin est effectivement a very depressing album - interesting but very depressing, déclare Aynsley Dunbar - I believe Lou was doing heroin, and what came out of it was depression - Dans «The Bed», Jim et Caroline se tranchent les veines dans leur lit. «Alors que Bowie enregistre des crowd-pleasers comme Aladdin Sane, Lou sabote délibérément sa carrière in the name of... what? Art? Arrogance? Disdain? That and more?». Comme d’usage, Wally pose les bonnes questions. Wally ajoute que Berlin fut l’album «le plus profond, au plan émotionnel, le plus challenging au plan musical, et le plus monumentally despised and misunderstood.» Lou devra attendre 20 ans avant de revoir un de ses albums entrer au hit-parade, car bien sûr, Berlin est un énorme flop. Dans Creem, nous dit Wally, Robert Christgrau refuse d’être choqué par Berlin, il disait simplement s’ennuyer. C’est vrai qu’on s’y ennuie. Le Lou y fait de la valse à trois temps à la manière de Jimbo/Kurt Weil («Lazy Day»). On entend le bassmatic pouet pouet de Jack Bruce sur «Caroline Says I» - She’s a German queen -  et Dick Wagner sature «How Do You Think It Feels» de guitare, comme il l’a toujours fait. Ce mec n’arrête jamais. En B, le Lou chante «The Bed» jusqu’à l’extrême délicatesse du feeling, ça donne une dentelle de Calais horriblement macabre. La meilleure chanson de cet album résolument anti-commercial est le «Sad Song» du bout de la B, cut mélodiquement puissant, chargé de tout le pâté du Lou. Il a des chœurs de cathédrale, de l’écho à gogo et le Wagner qui turbine son chocolat. 

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             Les gens ne supportent pas non plus Sally Can’t Dance. «The second-most reviled of his career», c’est-à-dire vilipendé, après Berlin. Lou est au sommet de sa «blond-nazi Lou mania», il y règle des comptes avec du «glam-rock-by-numbers trash». Sally Can’t Dance est, selon Wally, le plus gros hit record qu’il ait jamais eu en Amérique, home of the slave, as Lou saw it. Laugh? He never did more anyway. Avec Transformer, Lou pouvait devenir superstar, mais il en a décidé autrement, «he was out to become the world triple-champion of slamming the door on your own success. Et il allait le faire avec un style que ses fans les plus dévoués n’étaient plus capables d’encaisser.» Tu sauves un cut sur Sally : «Ennui», un très beau mélopif océanique. Donny Weis et Prakash John ramènent du son dans «Kill Your Son», son d’époque avec la basse qui pouette, comme celle de Jack Bruce et «Billy» sonne un peu comme «We’re Gonna Have A Good Time Together», même volonté d’entrain. Mais le Lou n’y est pas. 

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             Au yeux du Lou, Rock N Roll Animal «is still one of the best live recordings ever done». Pour une fois, nous ne sommes pas d’accord avec lui. On s’y ennuie. Les cuts sont tartinés et retartinés par Dick Wagner et Steve Hunter. Défaut d’époque, guitaristes trop bavards. Ils dénaturent l’esprit originel d’«Heroin». L’And I guess I just don’t know devient ennuyeux. On peut même parler de long délire ennuyeux suicidaire. Le Lou chante son «White Light White heat» au gut de vieux Lou de mer.

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              Le Lou Reed Live paru à la suite souffre des mêmes carences. Prakash John vole le show sur «Vicious» avec son bassmatic. Avec «Satellite Of Love», le Lou sonne exactement comme Bowie, même accent, même sens aigu de la décadence. Prakash reste mixé très haut dans le son. Puis ils s’en vont taper «Walk On The Wild Side». Sans Bowie, Ronno et l’Herbie, c’est risqué. Alors Prakash fait son Herbie et les autres font doo dodoo, mais ce n’est pas la même chose. En B, ils tapent «I’m Waiting For The Man», mais on perd complètement l’essence de la version originale. La voix, d’accord, mais pas le backing.

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             Metal Music Machine : pas de paroles, pas de chant, pas d’instruments - A shit-storm of feedback distorsion and high-frequency noise - Un mec d’RCA qualifie la bête de «torture music», mais le Lou reste impassible et indique qu’il y bosse depuis 5 ans. Wally : «Nothing to do with music, but everything to do with Lou Reed wanting to stick it to the man.» Le man c’est RCA et Dennis Katz. L’idée du Lou était qu’avec cet album personne ne puisse être heureux ni faire du blé. RCA retire l’album de la vente au bout de trois semaines, après que les disquaires se soient plaints de trop de «dissatisfied customers». Outragé par les réactions, le Lou piqua une crise, qualifiant Metal Music Machine de ‘giant fuck-you’ «to all those fucking assholes» qui venaient à ses concerts et qui réclamaient «Vicious» et «Walk On The Wild Side». Du pur grand méchant Lou. 

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             Bizarrement, RCA accepte de financer l’album suivant, Coney Island Baby, «the most-listener-friendly collection of post-Velvets songs since Transformer, mais sans les totemeic album touches of musical genius from Bowie and Ronson, of course.» Le Lou compose «Crazy Feeling» pour Rachel, the queen of the scene - And you/ You’re such a queen - Wally compare «Kicks» à «Sister Ray» - the dark, down-at-heel and dangerous to know «Kicks» - Wally a raison de s’extasier sur «Kicks», amené par le plus deepy deep des bassmatics. Le Lou entre en ville conquise. Il est capable de sombres miracles, ‘cause I need kicks ! Ça sort tout droit du Velvet. On retrouve la descente de couplet de «Walk On The Wild Side» et le même type de cha-la-la des coloured girls sur «Charley’s Girl». Le Lou se prend pour un cadeau dans l’«A Gift» - I’m just a gift/ To the women of the world - Puis il monte «Ooohhh Baby» sur les accords de «Sweet Jane». Toujours la même dynamique et la même autorité. Wally rappelle que Mick Rock, l’homme des pochettes iconiques (Transformer et Raw Power) signe la pochette de Coney Island Baby. On l’applaudit bien fort.    

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             En 1976, le Lou signe avec Clive Davis. Début de la période Arista avec Rock And Roll Heart. Bon album, avec la trogne du grand méchant Lou blueté en gros plan. Deux belles énormités sur cet Arista d’aristo : «Banging On My Drum» et «Follow The Leader». Le Banging est très Velvet dans l’esprit. Même son, fast and hard, et belle résonance. Le Leader est plus confus, mais agité par un sax free, c’est vraiment excellent, avec un bassmatic virtuose de Bruce Yaw et le beurre de Suchorsky. Avec «Ladies Pay», la magie du grand méchant Lou opère toujours - Night and day I’m a ladies’ pay - et ses musiciens assurent comme des bêtes de Gévaudan. Environnement idéal. Les lyrics sont fascinants, tiens par exemple ceux du morceau titre - I guess that I’m dumb/ Cause I know I ain’t smart/ But deep down inside/ I got a rock’n’roll heart - Tu ne bats pas ça à la course.  On retrouve l’élan vital du grand méchant Lou en B avec «Senselessly Cruel». Ça sonne comme un classique. Un de plus. Avec «Temporary Thing», on est bien obligé de parler de présence intensive. L’album est excellent. Pourquoi Wally ne l’aime pas ? Mystère et boules de gomme !  

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             Wally décrète que Street Hassle contient «some of the most audacious work for years» et il a raison. Le Lou enregistre les cuts live on stage, because it was more punk - Lou was talking fast again. This had better be good - Le Lou recrache du venin - They’d eat shit and say it tasted good/ If there was some money in it for them - Street Hassle est l’un de ses meilleurs albums, ça grouille de coups de génie, à commencer par «Gimme Some Good Times», heavy Lou System, gimme gimme gimme some good times, il écrase sa tartine à coups de power chords et te précipite dans l’absolu concomitant du pur rock genius. Wow ! C’est d’une rare puissance ! Il gorge son «Dirt» de grosse disto - You’re just dirt - Tu t’en goinfres comme un porc. Et il remet ça en B avec «Shooting Star», rien de plus heavy que ce «Shooting Star» noyé de disto, avec un grand méchant Lou qui navigue à la surface. Son «Real Good Time Together» renoue avec le Velvet, et après le break des chœurs de filles, le cut explose, embarqué par le beurre de Suchorsky. Le morceau titre est un mélopif attachant, aussi attachant que tout ce que peut faire le grand méchant Lou, c’est monté sur un thème insistant et porté par une section de cordes. Un véritable coup de maître. Et puis tu as aussi «I Wanna Be Black», plein comme un œuf, pur New York City Sound. Avec «Leave Me Alone», le grand méchant Lou reste dans l’épaisseur du riff raff métabolique, il te fait là un véritable coup de Jarnac : un stomp new-yorkais primitif doublé au sax. 

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             «Take No Prisoners was the live summation of everything the post-Velvets Lou Reed had been and become over the past near-decade». Lou y provoque le public. Il cite Yeats : «The best lack all conviction while the worst are filled with a passion and intensity. Now you figure out where I am.» Une vraie profession de foi. Il s’en prend nous dit Wally à «fucking Barbra Streisand pour avoir remercié all the little people lors de son discours aux Academy Awards.» Lou : «Fuck short people and tall people, man? I like middle people. People from Wyoming.» Take No Prisoners vaut sacrément le détour. Ça démarre sur les heavy chords de «Sweet Jane». Tu as tout de suite le Lou qui fait son cirque et des cons dans le public font «yeah !». Le Lou y va au fast talk. Tu chopes ce que tu peux. Son Sweet Jane est un prétexte au n’importe quoi. Il fait aussi un «Satellite Of Love», mais il vaut mieux écouter l’original sur Transformer. Bien sûr la voix, bien sûr l’accroche mélodique, mais on perd la magie. On perd la concision. Version pourrie de «Pale Blue Eyes». On perd la pureté. Michael Fonfara er Stuart Heinrich coulent le cut. Le backing est catastrophique. Le pauvre Lou se débat, il flingue sa poule aux œufs d’or, mais il sauve les meubles avec une version démente de «Berlin». Il recouvre les désastres précédents avec une belle couche de trash, il t’explose Berlin au chant du seigneur. Pas de plus beau seigneur de l’An Mil que le Lou. À travers Berlin, il rejoint le Moyen-Age et ses ténèbres. Il a ce pouvoir, il est capable de prodiges et de Sad Café, il remonte son fleuve à la force du chant et finit par devenir lumineux, il devient le temps de ce Berlin-là le plus grand chanteur d’Amérique, il doit être épuisé, un sax le suit comme un chien. L’autre merveille de cet album live est la version de «Coney Island Baby». C’est un orage. Le grand méchant Lou sait provoquer les foudres. Ses hits ne sont que des prétextes à défier les dieux. Il crée du climat à gogo, le Lou sort du bois une fois encore, c’est extravagant, monté en neige, le Lou s’implique à outrance. Il enchaîne avec un «Street Hassle» relentless, idéal pour un ténor du barreau. Il transforme tous ses cuts en grosses tartes à la crème et nous les balance en pleine gueule. Il refait six minutes de «Walk On The Wild Side». Il fait ce qu’il veut, alfter all. Il abuse cependant du street talking. Il attaque «Leave Me Alone» au drone de Velvet. C’est complètement apocalyptique. Il refait «Sister Ray», avec un sax in tow. Même énergie ! Sept minutes d’hot as hell. Bonne pioche. On est content de pouvoir écouter ça. Le Lou fait son Hiroshima Mon Amour.

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             Wally voit The Bells comme «a disjointed jazz-rock mix of songs», et Growing Up In Public comme un «open-hearted if musically underwhelming collaboration with Michael Fonfara». Lester Bangs voit The Bells comme «the only true jazz-rock fusion anybody’s come up with since Miles Davis’s On the Corner.» Deux belles merveilles sur The Bells : «I Want To Boogie With You» et «Families».  le Boogie sonne comme un heavy nonchalama de l’immense Lou de mer. C’est noyé de sax. Et de l’autre côté, tu as «Families» bien contrebalancé par une trompette lancinante et des chœurs de lads désabusés. Pur jus d’hypno, le Lou vise la vieille transe du Velvet. «Disco Mystic» sonne  comme le «Night Clubbing» d’Iggy, en plus lourd. Attention à l’«All Trought The Night» co-écrit avec Don Cherry. On l’entend même souffler dans sa trompette lancinante. Le Lou adore les trompettes lancinantes. Et nous aussi. Et puis tu as le morceau titre. Comme Django Reinhardt, le Lou vise l’absolu de la conservation organique.

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             Growing Up In Public est un album intéressant. Le Lou peut redevenir impérieux comme pas deux avec un cut comme «Keep Away» et il chante «Standing On Ceremony» du haut de sa superbe. C’est excellent, avec un côté Bowie indéniable, mais ce n’est pas un hit. Le hit se planque en B et s’appelle «Smiles». Envoûtement garanti à 100 %. Son Smile se faufile sous la peau. Son Smile est beau comme un Walk On The Wild Side. Il finit d’ailleurs avec une resucée de doo doobe doo doo. Il termine cet album qui-aurait-pu faire-mieux avec un gospel monté sur les accords de «Sweet Jane» : «Teach The Gifted Children» - Take me to the river/ And put me in the water - Le Lou tourne en rond. C’est son problème, pas le nôtre.

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             Un jour, Sylvia Reed emmène le Lou rencontrer Robert Quine, dont elle est l’amie. Robert dit à Lou qu’ils se sont déjà rencontrés à San Francisco, en 1969, au temps du Velvet. Robert Quine avait enregistré le Velvet, et depuis, les Quine Tapes ont été commercialisées. Le Lou et Robert commencent à jammer et ils vont enregistrer The Blue Mask ensemble. Wally estime que «The Blue Mask ranks in the upper echelon of Lou Reed’s greatest works.» Parfaitement d’accord avec Wally, The Blue Mask est une merveille absolue, pour au moins quatre raisons d’acier, à commencer par le morceau titre, une stupéfiante énormité hantée par le Quine, et tu as le Lou qui chante le Blue Mask à la colère rouge. Le Quine te claque encore  des heavy chords sur «Underneath The Bottle», ça devient tentaculaire - Ouuuh ouuuh wee/ Son of a bitch - On voit aussi Fernando Saunders voler sur show sur «My House» avec son bassmatic. Et le Quine carillonner dans «Women». C’est un enchantement de tous les instants. On entend encore le Quine saturer «The Gun» de dissonances, pendant que le grand méchant Lou chante à la menace sourde. Tu ne battras jamais ces deux mecs-là à la course. Encore du heavy Lou en B avec «Waves Of Fear». Le Quine joue comme un dieu, il s’en va inventer des atonalités de sulfure, il joue des vagues d’outer-space, et le Lou renoue enfin avec la grandeur avant-gardiste du Velvet. Il termine cet album génial avec «Heavenly Arms», un puissant balladif hanté par le jingle jangle du Quine. C’est du grand lard fumant.  

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             Sur Legendary Hearts, le Lou explore «the emotional terrain». On le voit avec cette moto dont il est très fier à l’époque, une Suzuque. D’ailleurs il chante ses louanges en B sur «Bottoming Out» - I’m cruising fast on a motorcycle/ Down this windy country road - Excellence du songwriting et du jeu en clair de transparence du Quine. La tension pop est à son maximum. On retrouve le Quine sur le morceau titre qui ouvre la balda. Gros son et grosse compo, tout est là. Les mêmes dynamiques resurgissent dans «Don’t Talk To Me About Work». La période Quine semble aussi féconde que celle du Velvet. Le Quine joue en cisaille de Strato et injecte du venin sonique dans le cul du cut. «Make Up Mind» est encore un exemple de mariage heureux. Le Quine joue en dégradé et le Lou fait le plein. En fait, le Quine multiplie les impertinences. Avec «Home Of The Brave», Bob Quine et Saunders tissent en dentelle infernale, ils s’entrelacent dans le Brave ciel du Lou. C’est d’une musicalité hallucinante.

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             Wally se marre avec New Sensations et son «almost hit single», «I Love You Suzanne», «grown-up Lou sounds like he’s actually faving FUN.» Effectivement, «I Love You Suzanne» te saute au paf. Fernando Saunders fait la pluie et le beau temps chez le Lou, bassmatic plus slap, il devient inexorable. Et puis comme toujours, la voix fait tout. «Turn To Me» a un léger parfum de Stonesy. Saunders entre au deuxième couplet. Que peut-on en dire de plus ? Rien. En B, «Doin’ The Things That We Want To» sonne comme une belle déclaration d’intention et le Lou vire un brin reggae avec «High In The City», soutenu par des jolis chœurs de femmes espiègles et une trompette mariachi, pour faire bonne mesure. 

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             Le Live In Italy est un big one, parce que le Quine y gratte ses poux. On sent que le Quine s’émerveille de gratter derrière son idole, il gratte «Sweet Jane» et «Waiting For The Man» aux accords purs. Il doit être au paradis. Sur «Martial Law», il bâtit un mur du son. Il faut entendre ce ramdam de random. «Satellite Of Love» reste une chanson parfaite, hantée par Fernando Saunders et les arpèges du Quine. En B, il faut entendre le Quine s’extraire de la mélasse de «Kill Your Sons» pour passer un solo mentalement retardé. Pour le Lou, le Quine est le guitariste idéal, aussitôt après Sterling Morrison. Il monte chaque fois un petit mur du son. Ils attaquent la C avec «White Light White Heat». Pour le Quine, c’est la suite du rêve. Tous les guitaristes rêvent ce jouer cet énorme classique. Le Quine gratte tout le Velvet qu’il peut. Ça donne une version explosive. Par contre, ils font un «Some Kinda Love/Sister Ray» un peu popotin. Soudain, le rythme s’emballe et tout bascule dans le chaos de Sister Ray. C’est Saunders qui fait l’Herbie sur «Walk On The Wild Side». Il en a les moyens. Et derrière, ça gratouille sec. 

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             Wally n’a rien à dire de spécial sur Mistrial. Un RCA de 1986, avec un Lou qui gratte ses poux. Il envoie une belle dégelée dans le morceau titre d’ouverture de balda et le Saunders n’est pas en reste. Le Lou est en forme, il fait maintenant des albums de big hard rock. Saunders est omniprésent dans le son. En plus, il produit, alors t’as qu’à voir ! Le Lou reste dans les structures simples du Velvet, mais il a perdu l’avant-garde de Calimero. Il fait du bon vieux story-telling avec «Video Violence». Saunders soigne le son. Pas de batteur, mais une boîte à rythme. Le Lou fait du rap de New York City avec «The Original Wrapper». Diction parfaite. Le Lou est avec Dylan le grand chanteur d’Amérique. Ambiance «Sweet Jane» pour «Mama’s Got A Lover». Le Lou a toujours le même swagger - The essence of urban decay - C’est excellent - I wish she was on the last page

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             C’est John Cale qui passe un coup de fil au Lou «out of the blue» en 1988, pour lui demander s’il veut bien prêter une «oreille critique to his now completed Andy Warhol memorial piece.» Et là Mick Wall exulte : «Lou was more than ready.» Alors il demande poliment à John Cale s’il peut ajouter quelques paroles ici et là. C’est au tour de Calimero d’être soulagé et ravi. Wally utilise le mot «delighted». Toute l’hostilité a disparu et Wally se lâche : «Ils ont de nouveau rassemblé leurs forces pour produire something meaningful.» On n’est pas loin du «something new and even dangerous» des débuts. Songs For Drella est un album prodigieusement littéraire. Calimero y joue ses valses à trois temps et le Lou fait son cirque. Premier coup de génie avec un «Open House» fascinant d’Open House, on y retrouve les pentes de «Walk On The Wild Side», quelques coups de gratte et les notes de piano de Calimero. Dans «Style It Takes», le Lou évoque the Velvet days - You do movie portraits out of the camera - c’est violonné, fantastiquement Velvetty - This is a rock group called The Velvet Underground - Hommage suprême à Andy. Nouvel hommage suprême avec «Trouble With Classiscists» - The trouble with a classicist/ He looks at a tree/ That’s all he sees/ He paints a tree - Même chose avec le sky. Le Lou et Calimero ont le diable au corps, ils indiquent la voie du monde moderne. Cut après cut, l’album devient fascinant. Le Lou attaque «Starlight» à la big disto. Si tu cherches un vrai punk, il est là, c’est le Lou. Lou y es-tu ? Il balaye tout du revers de la main, everybody’s a star. Ils marchent ensuite sur des œufs avec un «Faces & Names» admirable de retenue, et boom, ils te refont le coup du lapin Velvet avec «Images», bien gratté dans la plaie, c’est la spécialité du Lou, il gratte à la sévère, il ramène tout le Velvet dans le son, c’est plein d’accidents, de congestion et de Calimero. Le Lou fait gicler le pus et Calimero travaille sous la peau du son, c’est du Velvet pur, de l’hypno des temps modernes. Le Lou fait encore son vampire dans «It Wasn’t Me» et il s’enfonce dans la mort avec «A Dream». Calimero prend enfin le micro avec «Forever Changed». Il est encore plus exacerbé que le Lou. Cet album somptueux s’achève avec «Hello It’s Me» - I wished to talk to you when you were alive - Le Lou fait ses adieux - I really miss you - Il paraît sincère. Quelle oraison ! On peut parler d’album mythique.

             Alors qu’ils terminent leur messe pour Andy, le 18 juillet 1988, ils reçoivent un coup de fil macabre : Nico s’est cassée la gueule. Accident de vélo à Ibiza. Tombée sur un gros caillou. Kaput.

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             Le grand méchant Lou compose les chansons de New York à la suite de la disparition d’Andy. Il voulait que New York soit «the first big musical statement in years.» L’album reçoit nous dit Wally le même accueil triomphal que les ‘comeback’ albums de Bob Dylan. C’est tout simplement l’un de ses meilleurs albums. Il est déjà très Velvet avec «Romeo & Juliette» et il l’est encore plus avec le «Busload of Faith» qui ouvre le bal de la B des anges. C’est à peu près la même attaque que celle de «Sister Ray» - You can depend on your family/ You can depend on your friends = Doc and Sally inside/ They’re cooking for the down five - c’est exactement le même fabuleux entrain, et il amène son refrain avec un brio inégalable - You need a busload of faith to get by - Il continue de bien gratter ses poux avec «Good Evening Mr. Waldheim», le Lou est en forme, il recrée son vieil hypno tentaculaire. Avec «Sick Of You», il fait du Dylanex à l’état le plus pur. Back to the heavy rockalama avec «There is No Time» battu par Fred Maher. Ça ne rigole pas. Le Lou fait des ravages et il ramène la grosse stand-up de «Walk On The Wild Side» sur «The Last Great American Whale». Et tiens, encore un coup de génie : «Beginning Of A Great Adventure», jazzé à la stand-up. Le Lou te refait le coup du big New York City groove.

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             Avec le «beautiful» Magic And Loss, le Lou rend hommage à deux «dearly departed old friends» : Doc Pomus et Rotten Rita, «the opera-and-speed freak who was always known at the Factory as the Mayor.» Doc Pomus, ça remonte à l’enfance : Lou adorait ses hits. Plus tard, il le fréquentera assidûment, lui rendant visite dans la chambre qu’il occupe à l’hôtel. Le Lou dédie donc Magic And Loss à Doc. On y entend des cuts extraordinaires, à commencer par «Power & Glory» où chante Little Jimmy Scott, l’un des chouchous de Doc. Il y a un Part II de «Power & Glory» que le Lou chante en mode Velvet, c’est noyé de guitares et stupéfiant de grandeur totémique. Avec «Magician» il ramène sa présence inexorable - I want some magic to sweep me away - puis il atteint le cœur du dark avec «Dreamin’» - If I close my eyes I see your face - Il monte «Gassed & Stoked» au sommet du lard, il est probable que ce soit dédié à Doc - This is no longer a working number, baby - Le Lou parle de cendres dispersées sur la mer - You had your ashes scattered at sea - et puis bien sûr le morceau titre, le Lou y va. Lou y es-tu ?

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             Dans Set The Twilight Reeling, le Lou rend cette fois hommage à son vieil ami Sterling Morrison. Et Wally ajoute que l’album est assez gai, car le cœur du Lou bat pour Laurie Anderson. Wally parle carrément de love affair. Mais il doit d’abord divorcer de Sylvia. À 54 ans, le Lou semble avoir trouvé «the perfect-day relationship». Il se pourrait bien que Set The Twilight Reeling soit l’un des meilleurs albums du Lou et comme c’est dédié à Sterling, c’est vite noyé de disto, et ce dès l’affreusement beau «Egg Cream». Wild as Lou. C’est lui qui gratte. Le Lou devient le roi de la purée. Si tu aimes la belle disto, c’est là. Encore un coup fatal avec un «Trade In» complètement désespéré. Sa gratte surmonte le chant, l’idée est fantastique. L’autre coup de génie de l’album est le «Riptide» du bout de la nuit, le Lou plonge dans l’heavy downtown rock des seventies, il atteint un niveau d’intensité assez rare, il retient son cut par l’élastique du pantalon, c’est trop lourd, il éclate dans le rayonnement de ses accords, il grave son génie dans la falaise de marbre, il noie son Riptide dans la purée de disto, c’est très faramineux, le Lou sort du bois une fois encore, il enfonce tous ses clous à la fois, il s’en étrangle, in the riptide, il compte les secondes de son, les secondes de Soul, tu as la mélodie qui fond dans le gratté de poux, c’est quasi-hendrixien. Il rend aussi hommage à New York City avec «NYC Man» qu’il attaque à la Transformer - I’m a NYC man baby ! - La classe de la voix fait tout. Cet album bleu nuit est un so very big album. Le Lou n’en finit plus de faire autorité. Il tape «Sex With Your Parents (Motherfucker) Part II» à l’heavy groove provocateur. Il arrose ça de disto piss off, et ça donne un gros mix de Velvet d’antho à Toto et de NYC rap. Il descend ensuite au barbu avec «Hooky Wooky». Le Lou is on the run, spectacle fascinant. Il n’a pas l’air de s’affoler. Il joue de tous les effets. Sa gratte scintille under the wheels of a car. Il se place encore au-devant du chant avec «Adventurer». Il sonne comme une superstar. C’est l’apanage du Lou que d’être imparable.

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             Pour Wally, il n’y a rien d’étonnant à ce que l’album suivant s’appelle Ecstasy. L’happy Lou vit désormais sur son petit nuage et enregistre un «cool album». Pas moins de quatre coups de génie sur ce cool album, et ce dès «Paranoia Key Of E», énorme ramshackle, avec Fernando derrière. On croirait entendre Larry Graham au temps de Sly. Le Lou brille dans la nuit, Mick Rathke titille dans son coin et Fernando gronde comme le dragon des légendes obscures. Deuxième coup de semonce avec «Modern Dance», quasi-Dylanex dans le gratté de poux. Le Lou va au Van Gogh Museum d’Amsterdam et en fait une merveille - Doin’ a modern dance - Il te titille ça au mieux. Il ramène sa disto dans «Rock Mindset» et son chant du haut du crâne. Il rétablit la continuité avec le Velvet, il reste dans l’impertinence sonique, avec une prodigieuse gourmandise d’anti-conformisme, il noie son Mindset dans la graisse de disto - When you dance to the rock mindset - Et il enchaîne avec «Like A Possum», qu’il tape encore à la disto maximaliste et au chant noyé. C’est là que ça se passe : si tu veux comprendre quelque chose au Lou, alors écoute le Velvet et «Like A Possum». Ce cut est sans doute son testament, il te tient déjà en haleine depuis douze minutes avec de la disto et du chant d’hallali, ça donne l’un des moments rock les plus spectaculaires, tu n’entendras jamais une telle disto ailleurs. C’est du génie sonique à l’état pur. Tu crois que tu vas craquer à mi-chemin et le cut te berce, c’est infernal. Il règne sans partage sur toutes les régions de ta cervelle. Il revient toujours au chant, comme au temps du Velvet, cette fois sans Calimero, comme s’il voulait prouver que Calimero ne servait à rien. «Like A Possum» sonne comme l’extrême apanage du rock américain. Tu as le Lou en odeur de sainteté. En chair et en os. Tu renoues avec l’ampleur mirifique du Velvet. Au bout de 18 minutes, tu y es encore. Le Lou t’écrase sous sa prégnance indéfectible, et tu en voudrais toujours plus. Il descend du cut comme on descend d’un train dans un Western. On se régale encore de «Mystic Child», bien monté en neige. Leur parti-pris est le ramshakle. Rathke part en vrille et Fernando bassmatique au Love Supreme. Le Lou fait la part des choses dans «Tatters» - Some couples live in harmony/ Some do not - et il tape «Future Farmers Of America» au wild rockalama. Le Lou adore remonter au front. C’est sa raison d’être. Il chante sous un déluge de feu. Il déploie toute son envergure. Le Lou reste une artiste passionnant. Il sort une dernière fois du bois pour «Big Sky». Cut conventionnel, mais avec du power. Six minutes de Lou in the big sky. Tu n’apprends rien de plus que ce que te dit le Lou. Sa voix vibre de plaisir. Ce cut ordinaire dégage quelque chose de spécial. Ses amis lui sont très dévoués. Ils reviennent sans fin. C’est dingue ce qu’ils lui sont dévoués. 

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             Il ne reste pas cool très longtemps. Typical Lou. Il passe du septième ciel à Edgar Allan Poe avec The Raven. Un album dédié à Damie Chad - A series of extraordinary musical set-pieces inspirées des nouvelles et des poèmes de son vieux héros littéraire - Le Lou invite Ornette Coleman, David Bowie et bien sûr Laurie Anderson. Prends ton temps, car c’est un double CD. Il lit les poèmes d’Edgar Allan Poe. Il faut attendre «Prologue» pour commencer à claquer des dents. Le Lou descend dans l’émotion poétique - Oh pitiful soul - Il sort son meilleur baryton - The bed of death & the emotional corpses - La poésie de Poe rebondit dans la glotte du Lou. C’est très spectaculaire. Il passe en mode heavy boogie pour «Edgar Allan Poe». Le Lou semble brouiller les pistes, car Poe est tout le contraire du boogie. C’est comme si tu rendais hommage à Baudelaire avec de la diskö. Avec «The City In The Sea/Shadow», Willem Dafoe et Steve Buscemi font de la poésie cinématographique. Et voilà le coup de génie tant attendu : «A Thousand Departed Friends». C’est du Lou travaillé à la serpe, avec Paul Shapiro au sax, c’est à la fois demented et vénéneux, chargé des grattes du diable et tapé à la fanfare du village. Le Lou ramène tout son power et son gratté de poux inexorable. Puis ça devient purement littéraire avec «The Fall Of The Usher House» - And then I had a vision - On se croirait dans Les Tréteaux De La Nuit, tellement c’est bien foutu. Le Lou fait du théâtre, Poe est l’Hugo américain - Music is a projection of our inner self - Il reste au sommet du lard poétique avec «The Raven». Il crache méthodiquement ses syllabes. Tous les amateurs de poésie doivent écouter cet album.

             Le disk 2 est encore plus spectaculaire. C’est un pèlerinage interminable. Le Lou sort du bois avec «Burning Embers». Il choisit d’en faire un cut brutal et tribal. Il chante avec des glaires plein la glotte. Il bave du sang et des nurses volent à son secours. Il dialogue avec une goule dans «Imp Of The Perverse». On se croirait au Théâtre de la Cruauté. Tous les cuts sont longs, aventureux et intellectuels. On perd définitivement le Velvet mais on gagne un Lou qui prend ses distances avec son passé. Il fait de l’experiment littéraire avec «Vanishing Act», il barytonne pendant cinq bonnes minutes - Looking fort a kiss - Il recherche une certaine forme de pureté - With the young lady - Sa quête de modernité semble aboutir avec «Guilty». Ornette Coleman entre en scène et ça change la donne. Tu n’auras jamais mieux que «Guilty» avec Ornette. Il amène l’énergie du free dans le groove du Lou et ça tourne au miracle - Guilty what can I do - et Ornette pulse son free dans le call on my head. Le free fait bon ménage avec le Lou - Don’t do that - Puis le Lou continue de naviguer dans les mystères de la Boîte Oblongue avant de renouer avec l’éternité pour «I Wanna Know (The Pit & The Pendulum)», avec les Blind Boys Of Alabama qui te groovent le Gospel blues. Cette fois, le génie du Lou consiste à donner le micro aux Blind Boys. Puis il invite Bowie sur «Hop Frog» et ça donne en cut encore plus mythique, car c’est une sorte de réconciliation. Nouveau coup de génie avec «Who Am I? (The Tripitena’s Song)». Il plie son cut comme on plie un roseau. Nouveau shoot de Poe Power, le Lou donne toute sa mesure, l’orchestration démultiplie ses injonctions, il jette tout son poids de superstar dans la balance, il n’en finit plus d’écraser son champignon, il n’a jamais été aussi puissant - Who started this ? - Cet album faramineux s’achève avec «Guardian Angel», l’un des cuts les plus émouvants du Lou, un cut qu’il faut associer avec les magnifiques photos de l’album, l’épée, le Poe, le pacte.

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             S’il fallait résumer Animal Serenade en une seule phrase, ce serait : «Lou Reed est un magnifique artiste.» Magnifique dès «Tell It To Your Heart». Le Lou est capable de beauté intrinsèque. Il y va au Tell It. Avec le Lou, tu as la Chanson. Et la Voix. Avec des majuscules. Il t’en fait six minutes sans problème. Derrière, tu as Anthony et Fernando Saunders. Il enchaîne avec une magnifique mouture de «Men Of Good Fortune», puis son «How Do You Think It Feel» vire «Sister Ray», avec un vieux gratté de poux de Mike Rathke, le Lou ramène sa vieille niaque de Velvet craze. Pure émanation de «Sister Ray» ! Le Lou remonte au sommet de son lard fumant avec «Vanishing Act» - I hope you like it/ It must be nice to disappear/ To have a vanishing act - C’est poignant de beauté profonde. On se goinfre encore d’un «Ecstasy» claqué au Brazil du Lou et éclaté par un solo trash de Mike Rathke. Un Rathke qui refait des étincelles dans «Street Hassle», le Lou cite Tennesse Williams and maybe Raymond Chander. Mais quand Fernando Saunders chante («Reviens Cherie»), on perd tout. Le Lou boucle le bouclard du disk 1 avec l’indémodable «Venus In Furs». Profond et magnifique de shiny shiny boots of leather et ça retombe sur ses pattes d’I am tired et d’I could sleep for a thousand years, avec un solo étranglé d’agonie définitive, Anthony vient faire sa Nico, et le Lou claque son hit pour l’éternité. Le disk 2 est encore plus spectaculaire, car voilà «Sunday Morning» et «All Tomorrow’s Parties» qu’il chante à la glotte Velvet. Attaque sérieuse de bille en tête sur Tomorrow’s. On perd le violon de Calimero, c’est autre chose. Le Lou en fait un blast. Il annone plus loin «The Raven» - This is from the great American writer called Edgar Allan Poe and this is The Raven - Pur Poe sound. Groove morbide. Lecture du poème électrique - Some visitor intruding - Le Lou n’en finit plus de sortir du bois. Il attaque «Set The Twilight Reeling» au gratté victorieux, ça devient du big biz, pire encore, du big Lou. C’est Anthony qui chante «Candy Says», alors on perd le Lou. Il sort une dernière fois du bois pour «Heroin» - I - On sait tout de suite. C’est lui - Don’t know - Il revient faire son cirque - Just where I’m going - La foule chante avec lui - I’m gonna try/ For the kingdom/ If I can - Clameur populaire d’I just don’t know, c’est sans doute le hit du siècle dernier, le hit emblématique de toutes les dérives, avec «Like A Rolling Stone». Le Lou t’expédie ça dans l’enfer du paradis. Il connaît son bois par cœur. Il est le maître du guess I Just don’t know. Il joue de tous les climats d’I/ I wish that, il connaît tous les pourtours de l’excellence du when I’m rushing on my run et du when I put the spike into my vein, il combine toutes les dégelées d’Here/ Roin, il est le fabuleux Impersonator d’it’s my wife and it’s my life, il en fait un hit universel, il transcende tous les a-priori, il balaye tous les pères-la-morale, tous les rois de la petite semaine, le Lou sort du bois avec le plus bel art du monde, il est le full bloom de l’apologie des paradis artificiels et du my blood is in my head, le Lou est le Rimbaud du XXe siècle, il est à l’apogée du Just don’t know, à l’apogée d’une sorte de poésie définitive, la poésie rimbaldienne électrique.

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             Avec Hudson River Wind Meditations, Lou propose «an appealing collection of ambiant sound and noise.» Wally n’a encore rencontré personne qui ait réussi à méditer sur ces «collections d’ambiant sound & noise». Bon alors laisse tomber. Tu n’es pas obligé de tout écouter. Surtout pas ce machin-là.

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             Le dernier album du grand méchant Lou s’appelle Lulu, enregistré avec Metallica. Bon, là, il y a du boulot. Un sacré boulot. Pas seulement parce que c’est un double CD, mais parce que le mythe se mord la queue. On va essayer de dire pourquoi. Admettons que le premier soir, on écoute le disk 1. Ça commence bien ou ça commence mal, tout dépend comment on est luné et de ce qu’on s’est déjà mis dans le cornet. Avec «Brandenburg Gate», le Lou plonge dans l’insanité, ce n’est pas lui qui sort du bois, mais le son. Une énorme purée macabre, tu as un environnement funèbre balayé par des mauvaises odeurs - I would cut my leg and tits off/ Thinking of Boris Karloff and Kinski/ In the dark of the moon - Le Lou paraît à son avantage, il gueule par-dessus le chaos. On écoute son testament, il faut en rester conscient. Le Lou chante jusqu’à la dernière goutte de son. Dommage que ce soit avec ces mecs-là. «This View» ? Voilà pourquoi on ne voulait pas écouter cet album à sa parution. Le Lou est traîné dans la boue du metal. C’est la défaite d’un empereur. Commencer avec le Velvet et finir en compagnie de ces mecs atroces, quelle déconfiture ! Le Lou fait son biz, mais c’est trop metal, trop fucking metal, on n’est pas là pour ça - I am the table/ I am the view - Le vieux Lou de mer s’auto-détruit en explosant. «Pumping Blood» est une insulte à l’injury, ça devient blasphématoire. Ce disk 1 s’enfonce dans le metal. Le Lou renie ses racines, il brouille les pistes. Et soudain, alors qu’on commençait à perdre tout espoir, il revient aux trois accords avec «Iced Honey», bien gratté à la cocote malovelante. Derrière lui, les Metallica se prennent pour le Velvet. C’est assez comique. Le Lou mène le bal - If I can’t trap a butterfly or a bee/ If I can’t keep my heart/ When I want it to be - Il tartine son Iced Honey et réussit à domestiquer ces brutes horribles de Metallica. Avec «Cheat On Me», le Lou veut savoir - Why do you cheat on me ? - C’est normal - I have the loves of many men/ But I don’t love any of them - C’mon ! Et les Metallica s’autorisent à chanter, alors ça frôle la catastrophe.

             Curieusement, le disk 2 laisse une impression mille fois plus favorable. Les quatre cuts sont superbes ! «Frustration» et «Little Dog» sont dignes de Velvet. Le Lou t’enfonce son Frustration dans la gorge. La clameur metal vire Velvet, c’est très spectaculaire. Le Lou taille sa dernière route. Il la taille incroyablement. Il avance dans l’enfer de la ferveur. Il rétablit les équilibres anciens. Les Metallica fourbissent l’heavy redémarrage de la Frustration, ils fourbissent une authentique fournaise et du coup ça devient génial. Le Lou transforme le plomb du metal en or du Velvet. «Little Dog» est du pur Velvet. C’est travaillé dans un son pas violon électrique, mais c’est autre chose. Le Lou rôde encore. Le Lou travaille son mythe jusqu’au bout. Quand on écoute «Dragon», on comprend pourquoi le Lou a choisi Metallica : pour pouvoir plonger. Il avait besoin de replonger dans du son, comme au temps du Velvet. Le Lou est aux abois, c’est l’hallali du Lou, c’est ainsi qu’il faut l’entendre, il chante comme s’il allait mourir, il balance tout ce qu’il peut avant la fin - Ain’t it another way of dying ? - Solo de Metallica, purée surnaturelle, la purée rebondit ! La purée vit sa vie et le Lou revient dedans, le «Dragon» se noie dans le génie sonique. Ils ont réussi à dépasser les bornes, ça cogne dans les digues, c’est incroyable comme le Lou y revient, ça devient de l’immense intensité du Lou mythique, il chevrote à force de présence et de so rejected, c’est pulsé dans la purée des reins, du coup le Lou se retrouve avec une drôle de fière équipe derrière lui, what a flash et quelle leçon ! Aw my Gawd ! Le «Dragon» est tellement bon que tu le réécoutes dans la foulée. Puis il nous fait ses adieux avec «Junior Dad». Les Metallica travaillent bien les atmosphères, comme s’ils remettaient les compteurs du Velvet à zéro. Et là, tu as un son qui singe le violon de Calimero, c’est assez perturbant. Le Lou sort une dernière fois du bois. Sa voix prévaut dans tous les cas. Même avec Metallica. C’est d’autant Velvet que c’est Metallica. Difficile à expliquer, mais c’est ce qu’on ressent. On finit par comprendre que le Lou sait. Que le Lou fait. Et que ça devient sérieux. Because of Metallica. Pur genius. Tout le poids du Lou est là. Magie pure. 

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             Et pour finir en beauté, un petit coup d’Ace : What Goes On - The Songs Of Lou Reed, une compile parue en 2021 dans la prestigieuse collection ‘Songwriter Series’. Comme si la grandeur du grand méchant Lou ne suffisait pas, Ace te colle en plus la grandeur d’interprètes comme Alenjadro Escovedo, Iggy Pop ou encore les Swervedriver. Escovedo se tape «Pale Blue Eyes», il se risque sur le chemin du sometimes I feel so happy, il est pur, alors il s’y colle, il linger on pale blue eyes. Avec Swervedriver, tu as tout de suite du son. Leur mouture de «Jesus» est à tomber dans les pommes. Ils ont autant de profondeur que Yo La Tengo. Ce fabuleux crocodile qu’est Iggy se tape «We Are The People» - We are the people without land/ We are the people without traditions - Il swingue le poème du Lou - We are the people without rights/ Without a country/ A voice/ Or a mirror - Iggy rend hommage au peuple noir - Beyond emotion - Une sorte de poème définitif. Iggy : «The poem is a statement. Lou Reed’s statement.» C’est l’hommage final. «We Are The People» sort de l’album Free. La version de «Walk On the Wild Side» est celle des Dynamics, «reggae dub from France». Ils sont complètement à côté, mais c’est osé. Le choix d’Ace est judicieux. Ils ont tapé dans une cover aussi éloignée que possible de la perfection. Yo La Tengo a choisi «I’m Set Free». L’Ira sait y faire. Il gratte ça au mieux des possibilités. Il gratte au cœur du mythe, il va là où c’est bien. On retrouve aussi le «Rock’n’Roll» de Detroit, le groupe de Mitch Ryder. Ça baigne dans la graisse. Il rend un hommage greasy au grand méchant Lou. On le connaît par cœur. On a tellement écouté cet album dur comme fer. Mitch Ryder pousse on petit scream. Sacré Mitch. C’est à Beck que revient l’honneur d’ouvrir le bal de la compile avec «I’m Waiting For Thr Man». Écoute plutôt l’original. Laisse tomber le Beck dans l’eau. Bryan Ferry s’en sort mieux avec «What Goes On». Le Bryan sait allumer son Lou. Il sait s’affirmer. C’est dingue comme tous ces mecs à la mode ont pompé le Lou. Bon il y a pas mal de plantards (Lloyd Cole, Kristy McCall & Evan Dando, Tracey Horn, Rachel Sweet), même Nico se plante avec «Wrap Your Troubles In Dreams». Elle est sculpturale et pénible. La compile reprend du poil de la bête avec les Primitives et «I’ll Be Your Mirror». Pure merveille hommagière. Tu as enfin le vrai truc, parfait dosage d’ingénuité et de big sound. On savait les Primitives fameux, mais là, ils rayonnent. Quel shoot de Velveting ! Le «Run Run Run» d’Echo & The Bunnymen est assez balèze, car chanté à la niaque de Liverpool. Autre merveilleux hommage britannique : le «Train Round The Bend» des Soft Boys. Ils te l’aplatissent vite fait. Sans la voix mais avec l’esprit. Les Delmonas font une version délinquante de «Why Don’t You Smile Now». Classic Childism. Rien que du beau monde. 

    Signé : Lou Ridé

    Lou Reed. Lou Reed. RCA Victor 1972

    Lou Reed. Transformer. RCA Victor 1972

    Lou Reed. Berlin. RCA Victor 1973

    Lou Reed. Sally Can’t Dance. RCA Victor 1974

    Lou Reed. Rock N Roll Animal. RCA Victor 1974

    Lou Reed. Lou Reed Live. RCA Victor 1975

    Lou Reed. Coney Island Baby. RCA Victor 1975 

    Lou Reed. Rock And Roll Heart. Arista 1976

    Lou Reed. Take No Prisoners. Arista 1978

    Lou Reed. Street Hassle. Arista 1978

    Lou Reed. The Bells. Arista 1979      

    Lou Reed. Growing Up In Public. Arista 1980

    Lou Reed. The Blue Mask. RCA 1982

    Lou Reed. Legendary Hearts. RCA 1983

    Lou Reed. New Sensations. RCA 1984 

    Lou Reed. Live In Italy. RCA 1984

    Lou Reed. Mistrial. RCA 1986  

    Lou Reed. New York. Sire 1989

    Lou Reed/ John Cale. Songs For Drella. Sire 1990

    Lou Reed. Magic And Loss. Sire 1992

    Lou Reed. Set The Twilight Reeling. Warner Bros Records 1996

    Lou Reed. Ecstasy. Reprise Records 1998

    Lou Reed. The Raven. Sire 2003 

    Lou Reed. Animal Serenade. Sire 2004 

    Lou Reed. Hudson River Wind Meditations. Sounds True 2007

    Lou Reed & Metallica. Lulu. Warner Bros. Records 2011

    What Goes On. The Songs Of Lou Reed. Songwriter Series. Ace Records 2021

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    Mick Wall. Lou Reed: The Life. Orion 2014

    Lou Reed. Transformer. Classic Albums. DVD 2001

     

     

     Romano n’est pas un romanichel

     - Part One

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             Bon alors Daniel Romano devait installer sa roulotte dans le coin, et finalement, il n’est pas venu. Dommage. On peut se consoler avec une poignée d’albums, en attendant son retour.

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             Avec le petit Romano du Canada, on est dans la strong pop et la country d’adoption. Il s’est fait une tête d’Américain du XIXe siècle pour la pochette de Workin’ For The Music Man. Il est bon, il fait son petit storytelling. On se croirait à Nashville. Son «Losing Song» plane comme un coucher de soleil sur la plaine du Far West - It’s so easy to have a losing song - Il chante d’un très beau tranchant. Il y va doucement, alors on le suit. On est là pour ça. Il tourne un peu en rond sur cet album, mais on l’aime bien le petit Romano dans sa roulette. Il nous fait penser à Reda Kateb dans Django. Une ravissante petite gonzesse vient le retrouver dans «On The Night» avec sa petite glotte humide. Même chose dans «So Free», elle arrive comme une prune offerte, elle duette, c’est très sexuel cette affaire-là. Cette folle de sexe continue de duetter avec le petit Romano dans «She Was The World To Me». Ils n’en finissent plus de choquer le bourgeois. Sa complainte est belle comme une langue à la sauce piquante. Et puis soudain, le petit Romano passe au heavy drive avec «Poor Girls Of Ontario». La roulotte danse toute seule. Il a l’orgue de Bob Dylan derrière lui. Puis il va commencer à s’enfoncer dans la routine de la roulotte. Il tape son «Joseph Arthur» au tatapoum des Memphis Three de Cash. Il s’amuse bien le petit Romanao avec ses roots.

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             Rien qu’à voir la pochette de Come Cry With Me, on sait qu’on est dans un album de country pure. Le petit Romano s’est déguisé en cowboy d’opérette. L’album est insupportable de country, une vraie collection de clichés. Et pourtant le petit Romano chante d’une voix dévorante. Le cut Saint-Bernard sauveur d’album s’appelle «Chicken Bill», shoot de wild country, il y va au baryton de desperado. Sinon, le reste est à pleurer de country despair, pleurer dans sa bière, bien sûr. So please take my heart.  

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             Il s’est fait une tête de jeune Tom Waits pour la pochette d’If I’ve Only One Time Askin’. C’est encore un album country qu’il tape à l’accent tranchant. Comme il a une vraie voix, il tartine. Cette fois, il propose de la heavy country avec du son. Il impose son incroyable présence vocale. Il tente de passer en force, à la manière de Geno qui lui ne passait jamais en force. Le petit Romano ramasse ses suffrages à coups de présence vocale intense. Il attaque «Strange Faces» en mode wild country, et c’est passionnant, car très chanté. Il fait même de la country de rêve avec «All The Way Under The Hill». Il dispose d’un son épais et sec, à la Hazlewood. Mais ce type d’album est dur à driver, il s’enfonce de plus en plus dans sa routine country et s’enlise. Heureusement qu’il a du son et une vraie voix, car ça pourrait devenir pénible. Il bourre la heavy country sexuelle de «Learning To Do Without Me» de violons et de larmes de crocodile. Il fait son big Romano avec «Two Word Joe», encore un shoot de heavy country qui passe comme une lettre à la poste. Le petit Romano est bien trop pur. Il t’épuise avec sa country de Canadien mal embouché. Il est encore pire que Gram Parsons.

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             En 2016, il arrête les conneries et passe aux choses extrêmement sérieuses avec Mosey. Il se fait une tête de Dylan 65 et jette sa country aux orties pour passer à la fast pop de fast ride. D’ailleurs son «One Hundred Regrets Avenue» est du Dylanex pur jus, il chante du nez, avec la pince à linge, et s’accompagne au piano. Il est à l’aise, pas de problème. Il profite d’«I Had To Hide Your Poem In A Song» pour se fondre dans le groove avec une voix de crotale, le petit Romano devient un surdoué de la ténèbre. Il est un peu comme Lou Reed, il tartine dans l’underground. Il est intense et incroyablement underground. Il s’en va ensuite groover «Toulouse» au you got me smiling. C’est bardé de son et de swing. Le petit Romano sait driver une diligence, comme le montre encore «Hunger Is A Dream You Die In». Il chante ça au doux du menton, sa pop est monstrueusement bien en place, il chante tout en plein dans le mille. Chaque cut est spectaculairement bon. Encore une énormité avec «Mr. E. Me», cette pop âcre et belle te prend à la gorge. Quel cirque ! Il chante toujours à l’accent tranchant, comme au temps de ses albums country, mais désormais, il vise la cosmic Americana avec «I’m Alone Now». Il profite de «Sorrow (For Leonard Cohen And William)» pour descendre dans sa cave chercher des accents à la Cohen et rendre hommage à Leonard. Il bâtit une sorte de bonne petite mythologie, avec «(Gone Is) All but A Quarry Of Stone» : c’est le cabaret de la cosmic Americana au soleil couchant, juste derrière les cactus. Le petit Romano est un effarant caméléon, un génie du do it all. Il visite le haut de sa toile avec «The Collector», il adore se brûler les ailes. Ici, tout n’est que chant, grosse compo, essai, bon album, il en remplirait des tonnes, et il termine cet album indomptable avec un «Dead Medium» tapé aux heavy chords. Il sait très bien éclater un Sénégal, pas besoin de lui faire un dessin. Il chante toujours à la voix de nez et veille à ce que le son reste énorme. À l’intérieur du digi, on le voit en T-shirt avec les bras couverts de tatouages.         

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            Ça se corse encore avec Modern Pressure. Quel album ! Il revient au Dylanex pur jus avec le morceau titre et «Dancing With Ladies In The Moon». Il pousse le jeu de la pince à linge à fond. Avec «The Pride Of Queens», il tape une country pop de haut vol, bien portée par l’orgue Hammond. Il reste dans le même son pour «Sucking The Old World Dry». Que de son, my son ! Le petit Romano finit par devenir aussi puissant que Geno. C’est un bonheur que de l’écouter chanter son Sucking. Il tape «When I Learned Your Name» en mode fast boogie par-dessus la jambe. Le petit Romanao est un fier à bras. Il enfile les cuts comme des perles, tout est alerte et clean, sur cet album. Son «Ugly Woman Heart Pt 2» sonne sec et net, ce cut se faufile comme une couleuvre de printemps. Le petit Romano remonte le courant du country rock. D’ailleurs, il n’en finit plus de remonter le courant de son album, avec un talent mirobolant. Ce petit veinard a tout : la voix, la liberté, l’horizon, l’underground. Il finit avec une petite merveille de country dylanesque, «What’s Become Of The Meaning Of Love». Il t’en bouche encore un coin, car le cut est assez pur et dur, on peut même parler de Beautiful Country Song, c’est somptueux, enduit de son, gorgé d’excellence, très impressionnant. 

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             Tiens encore un big album : Finally Free. Le Romano n’a que des chansons. Cette fois il prend le parti de chanter d’une voix d’hermaphrodite ajourné, mais belle voix au demeurant, et son «Empty Husk» d’ouverture de bal finit en big schlouff d’exaction météorique. C’est important de le souligner. Cet album fonctionne comme un sortilège, car il propose une pop d’entre-deux, une sorte de Fairport romanichel à la crème anglaise, généreux et foisonnant. Le petit Romano a les coudées franches et les dents longues, il vise la Cosmic Americana avec «The Long Mirror Of Time». Il flirte dangereusement avec la perfection, comme le montre encore «Celestial Manis», il va chercher d’extraordinaires textures anatoliennes, il groove dans les racines du ciel. Son art paraît si ancien. C’est d’une certaine façon l’album des tourbillons inespérés. Avec «Between The Blades of Grass», Romano travaille des climats complètement magiques, il y va à la Lennon, il pose sa voix aux portes du paradis. Finally Free est un album fondateur. Les échos de Beatlemania sont superbes, il les tempère à la spatule. Il orchestre encore de sacrées dérives d’orientalisme psychédélique avec «Gleaming Sects Of Aniram», il tisse des climax richissimes, sa technique consiste à traîner dans la longueur.

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             Il attaque sa période Daniel Romano’s Outfit en 2021 avec Cobra Poems. Il va encore créer la surprise avec deux cuts glam, «Animals Above Our Town» et «Baby If We Stick It Out». L’Animals est même assez wild. Le petit Romano peur provoquer des dégâts considérables. Il passe un solo en roue libre et revient dans sa bonne bourre. Il tape son Stick It Out aux congas de Santana. Il sait ce qu’il fait. Il sait chauffer le cul d’un cut et c’est tellement bon que ça vire glam. Ce cut est une merveille d’évolution intrinsèque, il bascule dans le meilleur glam d’après la bataille. Tu vois très peu de gens capables d’un tel exploit sportif. Le petit Romano charge sa barque à la Méricourt. Il chante encore son «Still Dreaming» au sommet des seventies. Il a du génie, il faut le voir gratter sa fin de «Camera Varda» à la débine. Pur Grevious Angel, d’autant qu’il s’agit d’un hommage à l’Agnès de la rue Daguerre. Nouveau clin d’œil à Dylan avec «Tragic Head». Il s’y coule comme un camembert trop fait. Le petit Romano reste incroyablement véridique, c’est puissant, gorgé d’esprit, en plein Dylan 65. Encore du glam avec «Nocturne Child». Bel exercice de style glam. Après, s’il se fait traiter de caméléon, il l’aura bien cherché. Retour au heavy boogie blues avec «Holy Trumpeteer». Pur jus de seventies sound, quasi Stonesy. C’est Juliana Riolino qui chante «Tears Through A Sunrise». Elle y va la mémère, elle a du monde derrière, alors elle y va au la la la. Quelle belle dérive des continents.    

    Signé : Cazengler, romanichel

    Daniel Romano. Workin’ For The Music Man. You’ve Changed Records 2010

    Daniel Romano. Come Cry With Me. Normaltown Records 2013   

    Daniel Romano. If I’ve Only One Time Askin’. New West Records 2015 

    Daniel Romano. Mosey. New West Records 2016                  

    Daniel Romano. Modern Pressure. You’ve Changed Records 2017

    Daniel Romano. Finally Free. New West Records 2018

    Daniel Romano’s Outfit. Cobra Poems. You’ve Changed Records 2021 

     

     

    Wizards & True Stars –

     Musique de Chambers (Part Two)

     

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             À quoi tient la grandeur de l’histoire d’un groupe ? Parfois à bien peu de chose. Une poignée de souvenirs. Le meilleur exemple est l’histoire des Chambers Brothers qu’éclaire le modeste book que vient de faire paraître, quasiment à compte d’auteur, Lester Chambers, Time Has Come. Revelations Of A Mississippi Hippie. On chope l’info de cette parution dans Mojo qui fait un petit focus sur «Time Has Come Today», et en parcourant ces trois pages, on se pose tout naturellement la question : qui s’intéresse encore aujourd’hui aux Chambers Brothers ?

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             Et pourtant, le diable sait si les Chambers Brothers ont frappé les imaginations en 1968 avec «Time Has Come Today», ce single sorti sur CBS dans la fameuse collection Gemini et qu’on est tous allés barboter au Monoprix du quartier. Toute la réputation du groupe est bâtie sur ce hit superbe, réparti sur les deux faces du single, ponctué par la fameuse cowbell de Lester Chambers. Pour les petits culs blancs de France et de Navarre, les Chambers Brothers s’auréolaient de mystère, on les croyait puissants, primitifs et psychédéliques, ils naviguaient au même niveau que Jimi Hendrix et Sly & The Family Stone. Ils sont restés pendant plus de cinquante ans de mystérieuses superstars dont on ne savait pas grand-chose, et c’était bien comme ça. Dans l’expo consacrée au Velvet, New York Extravaganza, à la Villette, on pouvait voir un plan filmé complètement explosif : les Chambers Brothers sur scène chez Ondine’s. 

             Dans un Part One, quelque part en 2019, on a rendu hommage à George Chambers, l’aîné des Brothers, qui venait de casser sa pipe en bois. L’occasion était trop belle de dresser un autel de fortune pour saluer l’œuvre des Chambers Brothers. Leur discographie reste un don des dieux. Dans son book, Lester Chambers ne s’attarde pas trop sur les albums, il raconte quelques souvenirs, comme le font tous les vieux nègres au soir de leur vie, et ces souvenirs valent tout l’or du Rhin. Lester Chambers n’est pas n’importe qui. On le considère comme un sage. D’ailleurs, il suffit d’examiner la photo qui orne la couve. Lester semble rayonner de sagesse psychédélique.

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             Sa préface est un modèle du genre. Il commence par raconter qu’il a joué devant des centaines de milliers de personnes au festival d’Atlanta et au fameux Newport Folk Festival, histoire de rappeler que les Chambers Brothers étaient durant les sixties un groupe extrêmement populaire aux États-Unis. Il enchaîne aussi sec avec le biz : «J’ai reçu mon premier chèque de royalties en 1994, mais entre 1967 et 1994 : rien. Les music giants avec lesquels j’ai enregistré ne m’ont payé que pour 7 albums, je n’ai jamais reçu un penny pour les 10 autres.» Et il conclut le chapitre biz ainsi : «À 79 ans, j’essayais de vivre avec 1200 $ par mois. Un fond de soutien nommé Sweet Relief m’a donné de quoi vivre. Seulement 1% des artistes peuvent engager des poursuites. I am the 99%.»  

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             À l’origine, Lester, George, Joe et Willie Chambers sont un quatuor de gospel, mais ils sont capables de jouer du folk et surtout du rock, ce qui va les rendre inclassables et terriblement en avance sur leur époque - The Brothers had no home. Ils étaient too Rock for Folk, too secular for Gospel, and too raw, real and passionate for Rock - Robert Darden les classe dans les great Soul shouters, qui selon lui, inclut le plus grand d’entre eux, Archie Brownlee des Blind Boys Of Mississippi. Il ajoute que la musique des Chambers «still confronts listeners», au même titre que celle de Sly & The Family Stone et d’Andrae Crouch & the Disciples. Pete Sears voit Lester Chambers comme un pionnier : «Lester Chambers is the real deal. Il fait partie d’une élite d’artistes comme Otis Redding, Sam Cooke et Curtis Mayfield qui ont cassé le moule et inventé une musique nouvelle qu’on appelle la Soul Music.» 

             Au début était non pas le Verbe, mais une pauvre ferme de Carthage, in Echo Hills, Mississippi. La famille Chambers compte 13 enfants, 8 garçons et 5 filles. L’aîné s’appelle George, comme son père, puis viennent Willie, qui sera le guitariste du groupe, Lester et Joe. Le père George est sharecropper, c’est-à-dire métayer, pour le compte d’un patron blanc, Mr. Doug, qui est aussi Grand Dragon du KKK. Mais il protège ses nègres, car ils bossent pour lui. Comme dans toutes ces histoires-là, le patron blanc vient voir le chef de famille une fois l’an pour lui donner ce qu’il a gagné dans son année aux champs : 50 cents - That’s all you cleared this year, George. Mais réfléchis bien, ta famille a un toit sur la tête et tu sais que tu peux avoir tout ce que tu veux au magasin - Toujours la même histoire, Fred McDowell racontait exactement la même, une vie de travail aux champs pour rien. Endetté à vie. C’est le patron blanc qui s’enrichit et le nègre s’endette, car il doit acheter ses semences, ses engrais et tout le reste. Un jour, Daddy George va en ville faire deux trois courses et des gamins blancs commencent à l’embêter, du genre let’s have some fun with the nigger, mais Daddy George a du métier, il sort son couteau. Il rentre chez lui et dit à toute la famille de se planquer dans la pièce de fond, car les blancs vont rappliquer et ça va chauffer. Ils rappliquent le soir même avec des torches et une corde. Daddy George sort sur le perron avec son flingue et leur dit qu’il va y avoir des morts. Alors les blancs se barrent, car ils n’ont pas d’arme. Voilà en gros ce que Lester raconte de son enfance. Le Mississippi dans les années 40 est un endroit extrêmement dangereux pour les nègres. La vie d’un nègre ne vaut pas cher, sauf dans les champs pour bosser à l’œil.

             Le frère aîné George sera le premier à échapper à cet enfer en s’engageant dans l’armée. À sa démobilisation, il va directement s’installer en Californie. Pas question de revenir dans l’enfer raciste du Mississippi. Avec ses deux beaux-frères, il organise l’évasion de la famille. Les deux beaux-frères dont l’un s’appelle Arthur Lee, embarquent nuitamment Willie, Joe et Lester. Ils font gaffe, car Mr. Doug surveille la ferme. Les parents ne partent pas tout de suite. Daddy George préfère négocier son départ avec Mr. Doug. Comme tous les garçons sont partis, Mr. Doug va finir par lâcher prise. Il trouvera facilement une autre famille de nègres à exploiter dans les champs. En gros, Hound Dog Taylor a vécu la même chose et il est allé vers le Nord. Les Chambers vers l’Ouest.  

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             En Californie, les Chambers Brothers commencent à se produire sur scène et chantent du Gospel. Puis on leur demande d’électriser leur set, alors okay, fait Lester - We like Jimmy Reed. We like Hank Ballard. We like Lightnin’ Hopkins as well as Brownie and Sonny. Alors on a décidé de jouer those slow Blues, speed ‘em up and turn them into Blues rock. So, in my opinion, we invented the genre of Blues Rock and never got credit for it - Ils s’électrifient. Grâce à leur relation avec Barbara Dane qu’ils accompagnent en tournée, ils entrent en contact avec Pete Seeger et se retrouvent au Newport Folk Festival en 1965, devant 54 000 personnes, en remplacement de Josh White qui est malade. Ils font du Jimmy Reed with gospel harmonies. Dylan les voit. C’est l’année où il s’électrifie, lui aussi.

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             Eh oui, Dylan flashe sur les Chambers. Il les fait venir à New York car il les veut comme backing singers sur Highway 61 Revisited. Mais Columbia finit par virer les backing vocals, donc on n’entend pas les Chambers. Pour les entendre, il faut choper un bootleg d’Highway. Après la session, Dylan les emmène chez Ondine où il joue. C’est là qu’ils rencontrent Brian Keenan qui va devenir leur batteur et le «5th Chambers Brother». Puis les Chambers vont devenir pendant six mois the house band at Ondine’s - We became the in thing in New York - Berry Gordy vient les trouver pour leur proposer un deal, mais ils gagnent déjà plus que ce que propose Gordy. Il les fait cependant attendre dans la limousine et quand il ressort du club avec Diana Ross, elle ouvre la porte de la limousine et s’exclame : «Mais qui sont ces nègres in my car ?». Fin de l’épisode Gordy. Pendant qu’ils vivent à Greenwich Village, ils voient beaucoup Jimi Hendrix sur scène, et Jimi vient beaucoup les voir. Alors ils se mettent à papoter et deviennent super friends - We did a lot of hangin’ out, girl chasin’ and catchin’ you know? All that good stuff! - Pas mal, non, pour quatre blackos échappés de l’enfer du Mississippi ? Ils sont potes avec deux des plus grands artistes de leur époque : Dylan et Jimi Hendrix.

             C’est grâce à la Dylan connection qu’ils rencontrent John Hammond Sr. Hammond les signe sur Columbia, l’un de ses derniers «coups» avant la fin de son contrat d’A&R chez Columbia. Mais Lester découvre vite que ce contrat est une nouvelle forme de sharecropping. Columbia les exploite et ne leur verse rien : «On devait financer nos propres enregistrements et les musiciens qui jouaient avec nous.» Ils ont en plus le taux de royalties le plus bas, car on les considère comme des nègres des champs. En prime, ils font peur au staff de Columbia.

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    ( David Rubinson)

             Les Chambers connaissent leur âge d’or avec «Time Has Come Today» - Everything on Time Has Come Today was done in one take. Not the first take, mais une fois qu’on a démarré sur la bonne, on ne s’est plus arrêtés - L’idée de la chanson leur est venue en voyant des tas de jeunes faire du stop sans savoir où ils allaient - The times were very psychedelic. People were taking a lot of acid - C’est grâce à David Rubinson que le hit existe. Le boss de Columbia Clive Davis ne veut pas de «Time Has Come Today», c’est hors de question, alors Rubinson décide de l’enregistrer en cachette. Il propose de l’enregistrer live, pas d’overbud, pas de rien, direct. Clive Davis n’est pas au courant, et quand le single sort, il vire Rubinson qui a une femme et deux enfants. Lester dit aussi que Rubinson a battu le beurre pour eux quand Brian Kennan était malade. Profitons de cette belle parenthèse pour rappeler que David Rubinson aida Skip Spence à enregistrer Oar. C’est aussi lui qui produit les premiers albums légendaires de Taj Mahal, de Moby Grape et de Santana. On retrouve son nom au dos des pochettes d’un paquet d’albums de Taj Mahal et de quasiment tous ceux de Moby Grape. Plus The Voices of East Harlem. Enfin bref, avec des mecs comme lui, on n’en finirait plus.

             Les Chambers se produisent at Steve Paul’s Scene, le club le plus hip de New York, Lester fréquent tout le gratin dauphinois de l’époque - Tu pouvais voir John Lennon ou George Harrison. George Harrison was quite the cat. Not Ringo or Paul. They had a different mindset. Jimi Hendrix, the McCoys, the Winter Brothers, Johnny and Edgar, Tim Leary et Donovan traînaient at the Scene - Lester y découvre aussi l’acide - I believed in living life to the fullest - Il en parle merveilleusement bien - You could do everything you wanted to do. You had to see it at first. You could sit and visualize things - Il dit avoir tellement adoré ça qu’il a pris de l’acide chaque jour pendant trois ans et demi. Un soir, sur scène au Fillmore, il sent qu’il quitte son corps - Je me suis envolé, j’ai plané au-dessus du public et j’ai vu mon corps sur scène - Lester dit qu’il doit tout ça à God. Une nuit, son téléphone sonne. C’est l’une de ses copines du Connecticut. Elle lui demande où il se trouve. Il lui répond qu’il est à Los Angeles. Mais elle lui dit qu’il était là, avec elle - I think we were both astral traveling - Il dit avoir vécu ses plus beaux trips while having sex - It’s a great connection. I give God all the credit. I’m a living miracle - Il va loin : «Life can be extended. I’ve been granted an extension.» Il dit être l’un de hommes les plus heureux sur cette terre. C’est Owsley en personne qui lui donne de l’acide. Avec ses frères, ils organisent des parties et tout le monde est sous acide - It was just so peaceful - Chez Steve Paul, Lester rencontre Andy Warhol et Timothy Leary. Et soudain, la coke arrive - True hippies hated it - Il préfère rester sous acide.

             Puis ils font une expérience malheureuse avec Gamble & Huff - The chemistry wasn’t there - L’album ne sort pas. Et Willie Chambers accuse Gamble & Huff d’avoir pompé les Chambers pour alimenter les O’Jays. Et soudain, le monde des Chambers s’écroule : Columbia les lâche. Ils perdent tout : les bagnoles et les maisons. Ils se retrouvent à la rue.

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             Lester indique aussi que Johnny Otis l’a contacté à une époque pour lui demander de produire son fils Shuggie, mais Lester a décliné, «cuz Shoggie had a problem with taking direction at the time.» Lester dit ailleurs qu’il n’aime pas Wilson Pickett, parce qu’il maltraite ses musiciens. Et puis un soir, après un concert, Lester voit ses musiciens remballer et il leur demande où ils vont : Wicked Pickett «had stolen my whole band». Quand Jimi Hendrix casse sa pipe en bois, Lester n’en croit pas ses oreilles. Pour lui, ce n’est possible : «how could a man so well designed mistakenly take too much medication?». Il n’est pas si loin de la vérité. S’il lisait Two Riders Were Approaching, le book de Mick Wall, il serait effaré de voir à quel point il avait raison de se poser cette question. Lester rend plus loin hommage à Steve Cropper : «Steve Cropper is a genius.» Ils ont joué pas mal de fois ensemble - He plays hard and he lives hard - Lester ajoute que Cropper met le volume de son Twin Reverb à fond - He says that’s the only way he can play - Et hop; il passe à Miles et Betty Davis. Il rappelle qu’il a présenté Betty Malbry à Miles. Il fait une grande apologie de Betty, she was the deal - Un jour elle vient trouver les Chambers pour leur dire qu’elle a composé une chanson pour eux, «Uptown» - I just wrote this song for Lester cuz I know he can sing it - Then she started singing it, «I’m goin’ uptown to Harlem» - Miles la repère et demande à Lester de la lui présenter. «Oh man, I like her. That’s my kind of woman. Who does she belongs to?», et Lester lui répond qu’elle n’appartient à personne, «we’re just good friends.» Miles va l’épouser puis la répudier. Miles veut aussi enregistrer avec Lester. Il veut l’harmo de Lester sur «Red China Blues». Mais sur le crédit, il change le nom de Lester en Wally. Alors Lester lui demande pourquoi il a changé son nom. «Who is Wally?», et Miles lui dit que Wally n’existe pas. Qu’il est rien. Wally ain’t got nothing. Lester le prend mal et lui dit qu’il n’est qu’un cold-blood motherfucker. Il se lève et s’en va. Il ne reverra jamais Miles. Lester a compris beaucoup plus tard : Miles voulait que Lester quitte les Chambers Brothers pour partir en tournée avec lui. Il avait tenté de lui expliquer que ses frères n’étaient pas à son niveau - I need you with me - Mais Lester avait refusé son offre - I can’t do that to my brothers. I am a Chambers Brother - Miles a encore essayé de l’avoir avec un salaire de 50 000 $ par mois, mais ça n’a pas marché. Alors Miles l’a éradiqué. Wally Chambers. 

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             On trouve aussi dans le book une fabuleuse interview de Mike Wilhelm. Il remonte jusqu’en 1963, au temps où Brownie McGhee lui apprenait des licks, et où Sonny Terry enseignait des coups d’harp à Lester. Wilhelm apprend aussi des licks avec Mance Lipscomb qui vient du Texas. Pour lui, Lipscomb descend d’une lignée royale africaine - Amazing skin, I thought this guy’s gotta be descended from African royalty. He had that tremendous dignity about him, ya know? His manner was regal - Puis il indique que les Chambers se sont fait plumer - Well boy, nobody got messed over worse than the Chambers - Il fait bien sûr référence à «Time Has Come Today», the gigantic hit qu’on a mis à toutes les sauces. Et il ajoute pour conclure : «They’re friends of mine.»

             L’un des témoignages fondamentaux rassemblés dans ce book est celui de la superfan Janet Davis. Elle explique qu’elle a toujours eu beaucoup d’admiration pour les quatre frères, et surtout pour Lester. Elle a découvert une grande tolérance chez lui, notamment pour les blancs, une tolérance qui lui vient de son père, car dit-elle, c’est ainsi qu’il les a élevés - Peu importe la façon dont ils avaient été traités, ils savaient que ce n’était pas bien. Mais si vous étiez bons avec eux, alors ils étaient bons avec vous - Janet en veut un peu à Lester de ne pas l’avoir appelée à l’aide quand il avait des problèmes de blé - On l’aurait aidé. Ce qu’on a fait quand on a su - Leur manager les a complètement plumés, ajoute-t-elle.

             Un autre témoignage captivant, celui de Jewel Chambers, l’une des sœurs de Lester. Elle raconte que Daddy George avait du sang indien et qu’il savait soigner les gens avec des herbes. Lui et sa femme ont vécu très vieux, presque 100 ans. Elle dit que selon les registres, Daddy George serait né en 1885, mais il était peut être né avant. Elle raconte aussi qu’au temps de la ferme du Mississippi, la famille était très unie. En rentrant le soir des champs, tout le monde se lavait et mangeait ce qu’il y avait à manger, milk and cornbread, et après manger, toute la famille s’asseyait au coin du feu pour chanter - Sing and harmonize - Willie Chambers raconte qu’il a appris à gratter à l’âge de 4 ans - It’s a funny thang. I never had to learn how to play it. I could already - Il explique ça avec une extraordinaire simplicité. Pas besoin d’apprendre, je savais déjà jouer. Il explique que son frère George a appris à jouer de la basse with a washtub bass, et plus tard, sur une Dan Electro. 

             Lester a des enfants, mais il adopte aussi Andre, surnommé Dre. Dre se souvient qu’ado il marchait dans Manhattan avec Lester, et c’était «comme si la Mer Rouge s’ouvrait devant eux. He was such a big star.» Il décrit Lester portant un grand manteau et un chapeau en cuir noir, des bijoux en or et en turquoise, «et les gens s’inclinaient comme s’il était un dieu». Pour Dre, les Chambers Brothers ont vraiment marqué leur temps. Afin d’illustrer son propos, il rappelle qu’une semaine avant de casser sa pipe en bois, Prince est allé chez un disquaire de Minneapolis acheter ses six derniers albums : Talking Book de Stevie Wonder, Hejira de Joni Mitchell, The Best Of Missing Persons des Missing Persons, Santana IV, Inspirational Classics des Swan Silvertones et The Time Has Come des Chambers Brothers.

             Puis Dylan, le fils de Lester, rappelle que Yoko Ono a fait un don à Lester, via Sweet Relief, pour qu’il puisse payer ses factures d’hôpital. Elle lui a aussi avancé un an de loyer - Dad and John were really great friends back in the day - et Lester ajoute : «God bless you, Yoko.»

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             Dans Mojo, Lester conclut le jeu des questions croisées ainsi : «Il y a eu Arthur Lee & Love, Jimi Hendrix, Sly & The Family Stone, but we did it first.»

    Signé : Cazengler, Chambête comme ses pieds

    Lester Chambers With T. Watts. Time Has Come. Revelations Of A Mississippi Hippie. Amazon 2022

    Lois Wilson : Time Has Come Today. Mojo # 355 - June 2023

     

     

    L’avenir du rock –

    Cash est cash (Part One)

             L’avenir du rock a parfois la folie des grandeurs. Il se pointe dans un magasin et remplit son caddy : une pierre, deux maisons, trois ruines, quatre fossoyeurs, un jardin, des fleurs, un raton laveur, une douzaine d’huîtres, un citron, un pain, un rayon de soleil, une lame de fond, six musiciens, une porte avec son paillasson, un monsieur décoré de la légion d’honneur, un autre raton laveur, un sculpteur qui sculpte des napoléon, la fleur qu’on appelle souci, deux amoureux sur un grand lit, un receveur des contributions, une chaise, trois dindons, un ecclésiastique, un furoncle, une guêpe, un rein flottant, une écurie de courses, un fils indigne, deux frères dominicains, trois sauterelles, un strapontin, deux filles de joie, un oncle Cyprien, une Mater dolorosa, trois papas gâteau, deux chèvres de Monsieur Seguin, un talon Louis XV, un fauteuil Louis XVI, un buffet Henri II, deux buffets Henri III, trois buffets Henri IV, un tiroir dépareillé, une pelote de ficelle, deux épingles de sûreté, un monsieur âgé, une Victoire de Samothrace, un comptable, deux aides comptables, un homme du monde, deux chirurgiens, trois végétariens, un cannibale, une expédition coloniale, un cheval entier, une demi-pinte de bon sang, une mouche tsé-tsé, un homard à l’américaine, un jardin à la française, deux pommes à l’anglaise, un face-à-main, un valet de pied, un orphelin, un poumon d’acier, un jour de gloire, une semaine de bonté, un mois de marie, une année terrible, une minute de silence, une seconde d’inattention, et cinq ou six ratons laveurs, un petit garçon qui entre à l’école en pleurant, un petit garçon qui sort de l’école en riant, une fourmi, deux pierres à briquet, dix-sept éléphants, un juge d’instruction en vacances assis sur un pliant, un paysage avec beaucoup d’herbe verte dedans, une vache, un taureau, deux belles amours, trois grandes orgues, un veau marengo, un soleil d’Austerlitz, un siphon d’eau de Seltz, un vin blanc citron, un Petit Poucet, un grand pardon, un calvaire de pierre, une échelle de corde, deux sœurs latines, trois dimensions, douze apôtres, mille et une nuits, trente-deux positions, six parties du monde, cinq points cardinaux, dix ans de bons et loyaux services, sept péchés capitaux, deux doigts de la main, dix gouttes avant chaque repas, trente jours de prison dont quinze de cellule, cinq minutes d’entracte et plusieurs ratons laveurs.

             Voyant le caddy surchargé, la caissière acariâtre demande d’un ton sec:

             — Comment comptez-vous payer tout ça ?

             — Cash Savage !

     

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             Oh bien sûr, il n’est pas utile de chercher un lien entre Jacques Prévert et Cash Savage. Il n’en existe pas. Prévert sert uniquement de prétexte. Une occasion en or de saluer un vieil ami. L’adoration de Prévert et de son Inventaire remonte à la petite enfance, à peu près en même temps que Tintin & Milou : cadeau d’annive d’un grand-père génial qui vendait des livres d’occasion à la Bastille. Et puis il y a Drôle D’Immeuble. Et puis il y a Gildas qui lui aussi connaissait bien les ratons laveurs.

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             On voit Cash Savage trois jours de suite. Le premier soir, c’est un peu compliqué, car on cherche des gens dans la foule. Mais bon, on entend des échos favorables. Le deuxième jour, on les voit faire leur sound check et soudain, on comprend mieux ce qui fait la particularité de leur son : la violoniste amène une énergie considérable. Deux guitares et un clavier, oui, d’accord, mais c’est le crin-crin qui jette de l’huile sur le feu. On se moquait jadis du violon, jusqu’au jour où on entendit celui de John Cale. Pas de Velvet sans violon électrique. Pas de Cash Savage sans la violoniste sauvage.

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     Pendant le set, dans les temps forts, on la voit danser, comme emportée par le tourbillon, ces gens-là sont de gros cultivateurs de climax, ils donnent du temps au temps et leurs cuts finissent par engendrer une sorte de heavy transe australienne, c’est très particulier. Ils ont beaucoup de mérite, car ils doivent faire oublier la réputation bourre-et-bourre et ratatam du rock australien, surtout le rock des bars de Melbourne, un rock qu’on pourrait appeler le rock-aligot, bien bourratif. Quand tu y plonges ta fourchette, tu as du mal à la retirer. Avec le rock-aligot, tu colmates les fissures dans les murailles d’un donjon. Si tu avales bêtement du rock-aligot au repas de midi et qu’après tu vas te baigner, tu coules à pic, comme si on t’avait scellé les pieds dans une bassine de béton. Mais curieusement, les Cash font décoller le rock-aligot. Et ça marche. C’est un phénomène physique assez fascinant.

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    Et tu as la Cash qui drive tout ça en fixant la foule d’un air mauvais. Certains croient même que c’est un mec, avec ses cheveux courts et ses bras de docker. Rien de féminin chez Cash. Elle est là pour rocker la Bretagne. Alors elle te la rocke de plein fouet. Elle coule son corps dans le groove des Last Drinks. Le deuxième soir, Cash Savage se produit sur la grande scène. Et ça marche encore mieux. La foule les adore. Binic’s burning ! Les revoir une troisième fois ne pose aucun problème, d’autant qu’ils mettent un point d’honneur à proposer des sets différents. L’ambiance reste la même, les deux guitaristes cavalent dans la pampa, la rythmique-turbo-compresseur propulse tout ça entre tes reins et la petite violoniste superstar mène la gigue du rock-aligot, ça prend des proportions faramineuses, ils grimpent au sommet du lard fumant, comme s’ils étaient ivres de popularité. Cash Savage allume la gueule du Folk Blues Festival qui adore ça.    

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             Mais ce n’est pas fini. Jacques a entendu dire qu’il existait un book sur Cash au merch. Alors on s’y rend. Effectivement, ça se passe au fond d’un merch noir de monde. Il faut jouer des coudes pour s’y rendre. L’auteur propose quelques exemplaires d’un petit polar intitulé Dans Les Yeux De Cash Savage. Barbu, petit, Xavier Le Roux est en plus très sympathique. Il se fend de deux belles dédicaces pour les deux ex qu’on lui achète. Très belle dédicace : «Toi qui connaît la musique, on a dû te dire qu’elle adoucissait les mœurs. Vraiment ?». Il propose qu’on aille siffler une bière tous les trois le lendemain, mais on ne retrouvera pas sa trace. Dommage. Il reste le book. Il se lit d’un trait d’un seul. L’auteur réussit un petit coup de maître en situant l’intrigue à Binic, justement, et ce qu’il décrit correspond exactement à ce qui se passe quand on y séjourne et qu’on y fait la fête. La plage, l’alcool, la bonne ambiance et la musique. Le personnage principal s’appelle Niels, et il flashe sur Cash Savage qui se produit sur la grande scène, la Banche. Il s’approche de Cash pour la voir de plus près et retrouve dans son regard celui de sa sœur Paule disparue dans d’étranges circonstances 20 ans plus tôt. Le Roux parle en fait très peu de Cash Savage. Juste deux petites allusions. C’est un polar, pas un rock book. Niels mène l’enquête. Il veut savoir ce qui est arrivé à sa frangine 20 ans plus tôt, chez les punks de Saint-Brieuc. L’ambiance du polar est très punks à chiens, la bande son aussi. Le Roux écoute essentiellement du punk-rock. On n’apprendra rien de particulier sur Cash Savage. Peut-être n’y a-t-il rien de particulier à apprendre. Contentons-nous des concerts et des disks encore disponibles.

             Le dimanche, on cassait la graine sur le port et qui qu’on voit arriver ? Cash Savage. Alors on lui court après, on la rattrape et on la voit de près. Très beau regard. Fascinant personnage. Elle dédicace le book de Jacques. Moment extrêmement émouvant.

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             Le dernier album de Cash Savage & The Last Drinks s’appelle So This Is Love. Le graphiste a essayé de faire du faux enfantin pour décorer la pochette. Bon enfin bref, on ne va pas épiloguer sur le faux enfantin. Par contre, on va pouvoir épiloguer sur deux sacrés coups de génie : «Push» et «Keep Working At Your Job». C’est un peu comme à Binic, le premier coup, on se force un peu, et le troisième coup, on commence à adorer. Parce que c’est à Binic ? En tous les cas, le «Push» est wild as Cash, elle est dessus, avec une réelle compassion pour la désaille, elle te plonge son Push de Cash dans la bassine d’huile bouillante et en ressort un beignet d’une grandeur marmoréenne, c’est-à-dire démesurée - I’m not feeling too hot today ! Push ! - Elle pousse son Push à la roue. Les Last Drinks tapent dans un registre différent avec «Keep Working At Your Job». Il n’y a rien d’australien dans ce rock, ils se montrent très ambitieux, avec un côté anglais, très têtu. Mid-tempo hypnotique, très combinatoire, capable de conquérir des empires. C’est le genre de cut qu’on réécoute dans la foulée. Cette façon de poser les accords est très anglaise, très get it, très control, c’est chanté de biais, avec des notes frelatées introduites dans la vulve, ça s’envenime, I’m doing my best, ça éclate comme un fruit trop mûr, et là ils raccrochent les wagons et ça prend une tournure à la Méricourt du keep working at his job, il y a des nappes de crème anglaise et du heavy dub de dumb. Le cut percute. L’autre grosse surprise de l’album est un clin d’œil au Velvet : «Everyday Is The Same». Elle enflamme tous ses cuts avec entrain, et cette façon de poser les choses est très Velvet. Avec «So This Is Love», elle joue sur les effets. Ça met du temps à monter et ça monte au pulsatif, les Last Drinks sont les maîtres du pulsatif d’Ararat, rien ne peut entraver leur ascension, la Cash vise le summum du sommet, dans une fantastique clameur d’Elseneur. Tous ces musiciens ne sont pas là pour rien. Et comme le montre «Hold On», on voit tout de suite qu’elle sait descendre dans l’arène. Elle a vraiment un truc. Elle est précise et killeuse. Une vraie Russell Crowe. Elle transforme le big Cash System en fonds de commerce. Globalement, Cash Savage se confronte avec ses cuts. Elle y va et elle est bonne. Son heavy boogie ne laisse jamais indifférent. 

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             On se doutait qu’ils avaient un truc sur scène. Figure-toi que sur Good Citizen, Cash et ses amis ont un «Pack Animals» qui sonne comme un vieux cut des Modern Lovers, rien que ça. Voilà pourquoi ça marche sur scène, il suffit d’avoir les bonnes références. Ce Pack Animal est du pur hypno Velvet, via Pablo Picasso. En plein dedans ! - I’m not being too sensitive - pur Modern Lovers de dot dot dot exploiting me. Elle t’explose ça au everything gonna be right. On se souviendra de son not being too sensitive. L’autre point fort de l’album est l’«Human I Am» d’ouverture de bal. Elle y ramène toute sa morgue de docker. Ça manque de crin-crin mais que de son ! Par contre, la violoniste amène des relents de Velvet dans «Sunday», mais juste des relents, faut pas exagérer. Et Cash repart vite à l’assaut avec «Found You», c’est du gros Last Drinking. Des fois, elle fait un peu mal aux oreilles. Elle tente encore de faire du lard avec «Kings», elle rentre dans le chou du cut avec un voix vibrante et pleine d’avenir, et ça se noie dans de fabuleux éclats de poux. On croit entendre une dérive mal assurée. Elle chante au heavy glissando, devient vaguement maniérée et tape sans le vouloir dans une sorte d’extrême décadentisme. Elle termine cette belle affaire en nous prévenant : the collapse is coming. Elle fait son job, la petite Cash et se barre dans un beau délire de she don’t be afraid/ Dont be afraid of the violence.  

    Signé : Cazengler, coche sauvage

    Cash Savage & The Last Drinks. Binic Folk Blues Festival (22). 28/29/30 juillet 2023

    Cash Savage & The Last Drinks. Good Citizen. Milstetone 2018

    Cash Savage & The Last Drinks. So This Is Love. Glitterhouse Records 2023

    Xavier Le Roux. Dans Les yeux De CashSavage. La Geste 2022

     

     

    Inside the goldmine –

    Hicks Hicks Hourrah !

     

             Nix ne payait pas de mine. Le cheveu rare, le visage mal dessiné, la barbe mangée aux mites, des lunettes de pauvre rafistolées avec du sparadrap rose et un peu sale, il semblait collectionner toutes les avanies physiologiques. Pour un mec qui sortait tout juste de l’adolescence, il offrait le spectacle d’une désolation précoce. Sa maigreur n’arrangeait rien. Il était même déjà légèrement voûté. Il offrait toutes les apparences d’une proie idéale. Il incarnait parfaitement le souffre-douleur tel qu’il a existé dans toutes les écoles, dans toutes les colos, dans tous les collèges et certainement dans toutes les casernes. Quand les vannes commençaient à pleuvoir, Nix était le premier à se marrer. C’était l’occasion pour nous d’apercevoir ses dents pourries. On aurait dit qu’il en faisait exprès d’avoir tout faux. Et il rigolait de bon cœur. Même quand on le traitait de face de cul. Il attendait juste la suite. Il savait qu’après les mots venaient les gestes. La petite bourrade d’épaule, le petit coup de pied au cul. Il connaissait tout ça par cœur. Il alla s’asseoir au soleil sur un banc et posa son sac près de lui. Il en sortit une cannette de bière qu’il décapsula avec ses dernières dents, puis un paquet de tabac gris et un carnet de feuilles. Il commença à rouler sa clope. Il mit un temps infini à la rouler, il la voulait parfaite, il en tortilla l’extrémité avant de la coincer entre ses lèvres. Avant qu’il n’ait eu le temps de sortir son briquet, l’un des houspilleurs s’approcha et lui demanda s’il voulait du feu. Il avança la main et d’une pichenette, il délogea la clope des lèvres de Nix. Éclat de rire général ! Ah qu’il est con ce Nix ! Ah la tâche ! Alors Nix se leva, il retroussa les manches de son gros pull marin. Les rires cessèrent immédiatement. Nix portait sur chaque avant-bras un énorme tatouage. Celui qui couvrait son avant-bras gauche figurait un calvaire, semblable à ceux qu’on voit aux carrefours des routes, dans les campagnes. Autour du calvaire dansaient des crânes horribles et des inscriptions en caractères gothiques. Celui de l’avant-bras droit figurait un immense poignard. Deux serpents s’enlaçaient autour de la lame. Leurs yeux et le manche du poignard étaient colorés en rouge. Avant que les houspilleurs n’aient eu le temps de revenir de leur surprise, Nix leur était tombé dessus. Il commença par en choper un par le col et le frappa dix fois au visage, puis il lui brisa des os. Crack ! Crack ! Il en chopa un deuxième puis un troisième. Tout ça en un éclair ! Les autres s’enfuirent, terrorisés. Nix aurait pu défoncer la porte d’un coffre-fort d’un seul coup de poing. C’est à l’école de la vie qu’on apprend à ne pas se fier aux apparences.  

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             Nix ne paye pas de mine ? Il n’est pas le seul dans ce cas. Joe Hicks ne paye pas de mine non plus. Hicks a des faux airs de rasta et au dos de la pochette de son seul album, on le retrouve assis sous une véranda, avec, semble-t-il, des chaussettes bleues trouées. C’est tout ce qu’on a :  la pochette de cet album. On ne trouvera rien d’autre sur Joe Hicks. Il faut donc se contenter de ce portrait mal éclairé. Mais comme dans le cas de Nix, ce serait commettre une grave erreur que de ne pas prendre Joe Hicks au sérieux.

             Comment croise-t-on la piste de Joe Hicks ? Dans les parages de Sly Stone. Joe Hicks a enregistré un single sur l’éphémère label de Sly Stone, Sun Flower («Life & Death In G&A»), une petite merveille qu’on retrouve d’ailleurs sur l’une des compile qu’Ace consacre à l’early Sly, Listen To The Voices (Sly Stone In The Studio 1965-70), une sorte de passage obligé pour tout amateur de wizards et de true stars. C’est à l’aune de ces compiles qu’on mesure les hauteurs totémiques. On trouve aussi sur cette compile deux autres cuts de Joe Hicks, «I’m Going Home» et «Home Sweet Home».

             Aucun de ces trois cuts produits par Sly Stone ne figure sur le seul album de Joe Hicks, Mighty Joe Hicks, sorti en 1973 sur un sous-label de Stax, Enterprise. Les albums d’Isaac Hayes sont aussi parus Enterprise.

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             Quand on écoute Mighty Joe Hicks, on regrette qu’il n’y ait eu qu’un seul album, car l’Hicks vaut sacrément le déplacement. Dès «The Team», tu tombes sur une énormité rampante. Stax sound, bien sûr, mais on sent l’énorme influence de Sly. Hicks est une bête de Gévaudan. Planquez-vous ! Il tape ensuite «Nobody Knows You When You’re Down And Out» au heavy blues classique mais il sort un beau chat perché bien gras, et il n’hésite pas à pousser le bouchon. On sent chez une lui fantastique liberté d’expression. «Train Of Thought» sonne presque comme un hit, logique car co-écrit par Hicks et Freddy Stone. Jusqu’au bout de son balda, Hicks fait corps avec sa matière, il rentre dans le chou de l’interprétation, il s’en empare pour l’enrichir. Il chante au cœur de lion. En B, il s’en va bouffer le slow blues d’«Allin» tout cru, up and down, il groove exactement comme Stephen Stills dans «Season Of The Witch», même génie interprétatif. Le guitariste s’appelle Ken Khristian. Puis il chante «Water Water» en suspension et clôt l’affaire avec un «Ruby Dream» frelaté aux relents de reggae, ce qui paraît logique vu que Bob Marley et lui se ressemblent comme deux gouttes d’eau.  

    Signé : Cazengler, gros hic

    Joe Hicks. Mighty Joe Hicks. Enterprise 1973

     

    *

    Thumos nous semble un des groupes de post-métal les plus intéressants, une musique forte, une vision intellectuelle du monde, une démarche difficile et osée. Tout pour nous plaire. Voici les deux EP qu’ils ont sortis cet été.

    TYRANTS AT THE FORUM

    THUMOS / SPACESEER

    ( K7 / Bandcamp / 4 Juillet 2023 )

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    La pochette est sans appel. Une photo du forum romain des restes de la basilique Julia. Pour la petite histoire une basilique romaine n’était pas un bâtiment religieux. Ce sont les chrétiens en quête de lieux assez larges pour accueillir une vaste foule venue assister à la messe qui à la fin de l’Empire squattèrent ce genre d’édifice qui offrait de grandes salles dévolues à plusieurs types d’activités, très souvent c’est-là où se déroulaient les procès. La colonnade de la basilique Julia se retrouve dans les guides touristiques vantant la beauté de Rome. Ici c’est un peu raté, la photographie, largement sous-exposée, aux tons quasi-cadavériques, présente un aspect peu engageant.

    Le titre est sans équivoque. Les tyrans gouvernent la cité. Les noms se pressent à nos lèvres, Marius, Sylla, César, Caligula, Commode… Dénoncer les despotes disparus depuis plus de deux mille ans ne mange pas de pain, un passe-temps sans danger, il est des symboles qui ne trompent pas, ce n’est pas un hasard si Tyrants at the forum est sorti le quatre juillet, jour de fête nationale de l’Indépendance Américaine, non les dictateurs ne siègent pas au Sénat Romain, ils résident à la Maison-Blanche. Thumos sort un EP politique.

    Ce n’est pas la première fois. N’avait-il pas déjà le quatre juillet 2022, voici à peine un an, grâce à la sortie de The Course of Empire initié à partir d’une série de tableaux de Thomas Cole une longue réflexion sur le destin des empires de leur naissance à leur écroulement… (Voir notre chronique 562 du 07 / 07 / 2022). Certes l’on pensait à Rome, l’iconographie nous y poussait, aussi un peu aux Etats-Unis car le passé n’a d’importance que par son influence sur le présent, toutefois le propos pouvait être pris sur un plan beaucoup plus général, comme une méditation philosophique sur l’inéluctabilité de la fin de toute chose en ce bas-monde… Mais cette fois les notes de pochette s’avèrent des plus explicites : le déclin des USA se précise, peut-être même se précipite-t-il, la Cour Suprême a défait ou promulgué des lois qui protégeaient minorités marginalisées (LGBTQ), classes sociales inférieures, femmes, personnes racisées… Les divisions sociétales s’accentuent, l’ensemble tient encore   mais pas pour très longtemps si l’on n’y remédie point…  

    The Course of Empire avait été réalisé avec l’aide de Spaceseer. Très naturellement ce disque qui s’inscrit dans la continuation de l’opus regroupe les mêmes participants, cette fois ils ne mêlent pas leur action, chacun bénéficie de deux plages de ce split d’un nouveau genre car il s’agit d’écrire à deux mains des chapitres qui ne n’expriment qu’une seule et même idée.

    Spaceseer : Pseudonomas : le lecteur qui aura lu notre introduction risque d’être surpris, nous lui avons promis un drame et la musique de Spaceseer n’est en rien dramatique. Ceux qui connaissent Spaceseer ou qui auront lu chronique que nous lui avons consacrée (livraison 538 du 29 / 09 / 2022) le seront moins. Spaceseer évoque des univers fabuleux, cette œuvre évoque un conte merveilleux empli de rebondissements qui se déroulerait dans un monde féérique et de songe… Soyons logique, ce morceau se situe avant la catastrophe en gestation avancée. Une musique fluide, légère, allègre qui donne envie de danser, d’exulter, des synthétiseurs coule une eau pure, cristalline, euphorisante, un peu comme la pluie germinative qui tomba sur Woodstock porteuse de promesses non pas de liberté mais de libération, qui indique que le champ des possibles est en train de s’ouvrir… elle semble se transformer en torrent sonore mais la musique glougloute, ne reste plus maintenant que l’eau qui coule, qui ruisselle, porteuse d’espoir encore, mais qui se disperse, s’amenuise, se subdivise en minces filets invisibles, ils disparaissent goutte à goutte… absorbés par le sable de la réalité. Le rêve est terminé, éteint, mort.  Un conseil mettez le son très fort afin que vous puissiez entendre sur la fin les ultimes susurrements agoniques. Thumos : He spake thus : qui parle ? On s’en moque, d’autant plus que Thumos est un groupe instrumental, un tyran parle, ils disent tous la même chose, vous savez avant même qu’ils ouvrent la bouche. Les premières notes raviront ceux qui aiment les sagas grandioses et  les péplums tumultueux, cela vous a de la gueule, ça brille, vous vous calez dans votre fauteuil, vous voulez en prendre plein les oreilles, oui mais ça ne se passe pas comme vous le désirez, peu d’action, le rythme s’appesantit, c’est lourd, c’est noir, le son s’éternise, la batterie vous assomme avec la grâce d’un troupeau de pachydermes claudicants, refusent de disparaître, prennent un malin plaisir à tourner en rond autour de vous, vous comprenez que vous subissez les affres d’un ennui mortel, il tombe sur vous telle une chappe de plomb, mais vous ne saurez tenter de vous échapper, une grande menace plane sur vous et vous oblige à rester aux aguets, à vous méfier, à craindre, est-ce enfin la fin ce rebondissement et ce tintamarre qui vous strie les oreilles, silence, non le son revient, il tinte comme une berceuse funèbre, une nuit nauséeuse vous recouvre lentement. La structure finale de He spake thus est parallèle à celle de Pseudonomas, à une différence près : Spaceseer vous abandonne tout nu au milieu du désert, Thumos vous englue dans un cercueil de goudron. Thumos : Sophrosyne : une guitare davantage onctueuse, point du tout poisseuse, traversée de lumière mais des notes plus fortes viennent s’y greffer, pas destructrices, mais titillantes, inquiétantes, des éclairs, attention ils sont le signe de la foudre dévastatrice, avancez pas à pas, la sagesse n’est pas un acquis sous les lauriers de laquelle vous reposez, elle est une recherche, elle est une quête, une prudente avancée, danger les chausse-trappes et les coups tordus sont partout, surtout en vous-même,  la paix de l’esprit n’est pas pour vous, le voile de la vérité ne se nomme-t-il pas l’erreur,  vous ne triompherez de la grand menace incapacitante qui vous emprisonne que si vous parvenez à discerner ses faiblesses et à entrevoir la manière de la vaincre. N’espérez rien, contentez-vous de vous battre. La fin ressemble aux précédentes. La coupure n’est pas franche. L’entaille saigne. Vous n’êtes pas encore sorti de l’auberge. Ni de la caverne. Dans laquelle votre intelligence est engluée. Spaceseer : Hericium Hephaestus : Le titre peut paraître énigmatique. Il existe un ordre de champignons nommés Hericium. Au mois de janvier de cette année Spaceseer a sorti un opus dont la belle couve de Christopher Robert Andreasen représente un Héricium Crinière de Lion. Cet album numérique s’inscrit dans une suite dont les titres et les couves ne sont pas sans évoquer le monde des champignons : Pleurotos Djamora ( Pink Oyster Mushroom ), Pleurotos Ostreatos ( Blue Oyster Mushroom ), rajoutons Basileus Cerbensus, ces quatre albums content une étrange histoire, celle de deux peuples qui vivent en paix, mais cette entente osmosique résistera-t-elle au développement des mystérieux Colosses… le lecteur cartésien jugera ce récit un tantinet étrange, qu’il se souvienne des hallucinatoires vertus des champignons et qu’il se rende compte que ce conte cramoisi n’est pas sans rapport avec le thème de la désintégration des empires qui nous préoccupe.  A ma connaissance il n’existe pas dans le genre des Hericiaceae un Hericium Hephaestus. De même rien dans les légendes mythologiques consacrés à Héphaïstos ne me semble entretenir un rapport quelconque avec le monde des champignons. Puisque Hericium vient du latin hericius qui signifie qui porte des piquants, voir les formes des champignons qui appartiennent à cet ordre, notre Héphaïstos hérissé nous apparaîtra comme un Dieu contrefait d’autant plus redoutable qu’hérissé de pointes de feu. Intro hélicoïdale, grondements, souffles, un vent capable d’araser la terre, de balayer tout ce qui vit, tout ce qui existe, infiniment inextinguible, par en dessous peut-être une espèce d’écho indéfinissable, un moteur de désarticulation du monde agrémenté d’un sifflement si insidieux qu’il refuse de vous crisser les oreilles, un chaos sonore qui ne fait que passer, l’idée que vous ne pourrez rien bâtir sur cette base mouvante, elle semble maintenant si loin que le son faiblit, qu’elle vous a oublié, qu’elle ne se préoccupe pas de vous, une nuée d’orage, un aquilon insatiable qui vous a dédaigné, qui vous abandonne, qui vous laisse seul, terrible comme vous n’êtes qu’un grain de poussière pour des éléments déchaînés, si Héphaïstos est un habile artisan, la philosophie à coups de marteaux de Nietzsche n’en est pas moins redoutable. Ce n’est pas les dieux qui sont morts, c’est l’Empire qui a disparu emporté dans un tourbillon, identique à la tornade qui emmène Dorothy Gale au pays irréel du Magicien d’Oz. La musique s’arrête pour ne pas continuer indéfiniment. Ce morceau est bâti comme une traîne de queue de comète, à la manière de la coda des trois titres précédents. Des points de suspension qui laissent ouvert le domaine du possible…

    Notre interprétation est des plus pessimistes. Il n’est pas sûr que Thumos et Spaceseer partagent notre analyse. Les américains ne sont-ils pas un peuple fondamentalement optimiste.

     

    MUSICA UNIVERSALIS

    THUMOS

    Initiales grecques du prénom ou du nom des membres de Thumos : Δ ( delta) / Z ( zéta ) / M ( Mu) / Θ ( Théta).

    Quelle pochette disharmonieuse, qu’est-ce que cette cuvette de WC, quelle horreur, ne cédons pas à notre première répulsion, bien sûr tout le monde connaît ce truc innommable, ni plus ni moins qu’une représentation de notre deux pièces-cuisines que nous habitons, comprenez l’univers. Thumos nous surprendra toujours, après un EP politique, en voici un autre que nous qualifierons d’essai métaphysico-scientifico-musical. N’ont peur de rien, puisqu’ils se sont déjà attaqués (avec succès) à Platon pourquoi ne jetteraient-ils pas leur dévolu sur l’illustre astronome Johannes Kepler qui vécut à cheval sur les seizième et dix-septième siècles.

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    Attention il ne s’agit pas d’une biographie musicale, c’eût été facile, ce pauvre gamin rachitique peu aimé de ses parents, qui prétend devenir astronome alors que ses pauvres yeux ne voient pas très bien, c’était le succès assuré, pathétique bio musicale d’un handicapé persévérant qui réussit ce que les autres n’ont même pas pensé à faire, un sujet porteur comme l’on dit dans les rédactions,  non ils ont préféré se pencher sur la pensée de Kepler, ce n’est pas qu’elle n’est pas simple, c’est qu’elle est difficile. Rien que les illustrations de la pochette demandent de sérieuses connaissances pour prétendre la comprendre.  Thumos s’est seulement intéressé à seulement trois ouvrages de Kepler qui en a publié une quarantaine, oui mais les plus complexes.

    Mysterium cosmographycum : ( Le secret du monde, 1596: toute science procède des avancées qui l’ont précédée. Pour Kepler son prédécesseur est encore aujourd’hui célèbre il s’agit de Copernic qui lui-même n’a fait que confirmer par des calculs que oui Galilée avait raison la Terre tourne autour du Soleil et n’est donc plus au centre du monde… Reste à expliciter comment les planètes tournent autour du Soleil. Car apparemment ça ne tourne pas rond ! Kepler réfute la représentation du monde donnée par Ptolémée (deuxième siècle AP JC) basée sur le fait que la Terre était au centre du monde. Dans Le secret du Monde il avance une explication fausse qui ne demande qu’à être affinée… Comment et pourquoi se fait-il que toutes les planètes ne tournent pas sur une même orbite. Kepler ira chercher la réponse dans le Timée de Platon. Vraisemblablement son dialogue le plus difficile. Platon a établi une échelle de supériorité entre les différents solides le meilleur étant celui qui se rapproche le plus de la sphère conçue comme la forme parfaite d’où la gradation suivante : cube, tétraède, dodécaèdre, isocaèdre, octaèdre.

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    Ainsi s’explique l’image de la couverture que nous avons fort impertinemment décrit comme une cuvette de WC, chacun des polyèdres délimite les rapports de distances entre les orbes de deux planètes puisque ces polyèdres s’enchâssent les uns dans les autres. Ce qu’il faut retenir de cette sommaire présentation c’est que l’univers n’est pas soumis au hasard mais répond à des lois géométriques et arithmétiques. Son organisation est la preuve de la grandeur de Dieu… pour la plus grande gloire de l’Eglise catholique. A moins que vous n’y voyiez une preuve du génie de l’Homme capable d’ordonner mentalement l’univers. L’impression d’une équipe de constructeurs au travail, la batterie a ce mouvement incessant de charpentiers qui ne cessent une seconde de taper en cadence, avec derrière une onde majestueuse de recouvrement lent qui prend de plus en plus d’importance au fil du morceau, ruptures, un abattement qui ne dure que très peu de temps, et tout de suite s’établit un autre rythme, plus violent mais tout aussi ordonné, laissons-nous guider par l’image, l’on s’affaire à une étrange charpente, l’un après l’autre l’on s’attaque aux polyèdres de bois que l’on enchâsse dans le suivant, au fur et à mesure l’on tend la toile goudronnée de la voûte céleste que l’on a peinte par-dessus, évidemment ce n’est qu’une image qui représente le travail du cerveau humain qui fabrique et ajuste les concepts les uns aux autres, et exerce ainsi une mentale possession du monde. Musique un peu sèche, une espèce de taylorisme de neurones attelés à une tâche commune qui les obsède et les manipule. Astronomia nova : ( Astronomie nouvelle, 1609) : certes le monde est organisé et chaque planète possède son orbite mais cde quelle manièr au juste. Comment se fait-il qu’à l’observation les planètes semblent ne pas tourner totalement rondement autour du soleil. J’espère que vous êtes plus fort que moi en math pour comprendre comment Kepler formule sa première loi qui démontre que les planètes ne tournent pas en rond autour du Soleil mais qu’elles établissent leur rotation selon une trajectoire elliptique. L’en formule une deuxième : il prouve la régularité de ce mouvement elliptique. Non seulement ce n’est pas le hasard qui commande l’univers mais l’on peut désormais savoir et prévoir tout phénomène observable. Et même inobservable. Gazouillement printanier, qui n’est pas sans rappeler la Vita Nova de Dante, rythme allège, roulement incessant de battements, l’on a peine le temps de saisir l’allégresse triomphale de ce morceau qu’il est terminé, à peine plus d’une minute, pourquoi en rajouter, est-ce la peine, l’Homme grâce à son cerveau s’est donné les outils qui lui permettront de prendre mesure sur l’Univers. Harmonices mundi : ( Harmonie du Monde, 1619 ) : dans cet ouvrage Kepler expose sa troisième loi qui permet de comprendre pourquoi et comment les planètes ne tournent pas à la même vitesse. Pour lui ce n’est pas l’essentiel de son traité qui selon lui réside en cette constatation qu’il existe des similitudes entre ces calculs mathématiques et les lois de la musique. Il ne fait que reprendre le vieux concept de la musique des sphères établie par Pythagore selon lequel il existe une corrélation harmonique entre les intervalles qui séparent les planètes et l’intervalle de silence qui sépare les notes de musique. La silencieuse musique du cosmos que l’on n’entend pas, mais dont le sage est capable d’observer la partition en train de s’écrire dans le ciel, produite par le mouvement des planètes peut être nommée harmonie du monde. Ce concept d’harmonie du monde ne peut pas laisser insensible des musiciens. D’autant plus Thumos dont la musique instrumentale s’efforce de traduire et d’exprimer des pensées abstraites. Mais un tel projet demande un surpassement. Avec ce morceau Thumos nous donne la première véritable symphonie métallifère. Les impressions sont à leur maximum, il semble qu’il est impossible d’ajouter une seule note à ce morceau, tout l’espace sonore est occupée. C’est d’autant plus remarquable que nous sommes dans une espèce de connivence avec la musique spartiate de Mysterium Cosmosgraphycum. Seulement la sécheresse est ici remplacée par une profusion irrémédiable. Ce morceau a toutes les chances d’être écouté par les groupes qui voudront aller de l’avant. Anima Mundi : ce quatrième morceau ne se trouve pas sur l’EP présenté sur Bandcamp, il s’inscrit dans la suite logique de l’opus,  le concept d’âme du monde provient du Timée ( il n’y a pas de hasard ) pour employer un concept davantage moderne nous dirons que l’âme du monde est pour employer une notion chère à Gino Sandri l’égrégore, la force vitale dégagée par l’ensemble des éléments du monde réunis en une espèce de puissance agissante, indépendante du monde dont elle est l’émanation substantielle qui agit sur ce monde même. Fille du monde l’âme du monde est plus forte que le monde, Thumos se doit en quelque sorte obligé de surpasser l’occupation totalitaire de l’espace sonore exercé dans Harmonices Mundi. Imaginez un coureur qui vient de courir les cent mètres en zéro seconde et qui doit courir encore plus vite pour battre ce record insurpassable. Anima Mundi reprend la même amplitude sonore que Harmonices Mundi, mais il ménage dans l’intumescence maximale du flot sonore de brèves ruptures qui peuvent passer pour inaudibles. Ils donnent même au tout début l’impression de vouloir frapper plus fort, mais la problématique n’est pas là : si l’âme du monde est davantage que la totalité du monde, elle ne pourra être signifiée que par son absence, en d’autres termes il leur faut orchestrer la fin du morceau. Exercer sa décroissance, tout comme notre coureur se doit de courir en moins de zéro seconde, de sortir du temps pour battre son record. La gageure consiste maintenant à sortir de la totalité musicale en organisant une lente dégradation. Musique fragmentale qui prône la dissociation de la totalité. Peut-être l’équivalent de la dyade cette notion qui permettait à Platon de passer du Un au Deux. D’ouvrir les chemins du Multiple.

             Thumos vient de créer la musique metalphysique.

    Damie Chad.

     

    *

    Pire que le chat de Shrödringer qui peut être et ne pas être, une variante d’Hamlet que Shakespeare n’avait pas imaginé, celui-ci est bien vivant, il est vrai qu’il est anglais et que depuis les aventures d’Alice nous avons appris qu’il faut se méfier des britanniques matous, l’est apparu depuis près de trois ans, à première vue il semble inoffensif, ne cédez pas à la tentation de le caresser, un véritable réacteur nucléaire ambulant, l’irradiation des neurones que son miaulement provoque est irréversible.

    LIVE AT HOHM

    X RAY CAT TRIO

    ( Numérique Bandcamp / Vidéos YT  / Août 2023 )lou reed,daniel romano,lester chambers,joe hiks,thumos,spaseer,xray cat trio,rockambolesques

    Lied : Attention c’est du spartiate. Un studio, une prise, enregistrement direct sur K7, guitare + chant, basse, batterie. Filmé pour YT. Le trio du chat irradié ne donne pas pour cela dans le minimum syndical, vous les classerez en zone rouge entre garage et rockabilly, question lyrics ils aggravent leur cas, ne donnent pas dans le romantisme, ‘’quand je t’ai dit que je t’aimais j’ai menti’’, c’est le démenti éternel, carré, d’équerre, droit dans ses bottes. OK, la Gretch d’El Nico vous vlangue à la figure, une petite frappe, c’est Ric Howlin, ne perd pas son temps à faire des moulinets, frappe dur et sec, vous êtes déjà grimpé en haut des rideaux, c’est là que l’appartement se met à tanguer salement comme un bateau un jour de tempête, vous identifiez le fautif, Adam Richards, planté comme un if dans un cimetière il porte si haut le manche de sa basse sur son cœur que vous lui ouvrez illico les portes de l’enfer, de lui s’échappent de monstrueux rouleaux qui vous désossent la colonne vertébrale, sous sa moustache gauloise El Nico ne mâchonne pas son vocal, vous faudra réécouter le morceau plusieurs fois pour saisir toutes les subtilités soniques qu’ils vous assènent si rapidement que vous n’y voyez rien, heureusement que vos oreilles ont d’instinct reconnu que la bête malfaisante est aussi fascinante.  Sir Gawan and the Green Knight : aussi fort et violent que le précédent, mais changement d’ambiance. Un instrumental, notre chat triolique fut d’abord renommé pour être un groupe de surf, oui mais ce n’est pas une mince planche de polyuréthane qu’ils font glisser sur les vagues mais un char d’assaut qui crache du feu, lourd comme un cachalot et agile comme un dauphin, Nico a la dalle il vous bouffe Dick Dale tout cru, essayer aussi de choper la mince mimique de satisfaction d’Howlin lorsqu’il réalise sa rupture rythmique en catimini, pas vu pas pris, le pickpocket qui vient de vous chouraver votre portefeuille et qui vous sourit just for fun. Si vous avez déjà lu les aventures de Gauvain et du chevalier vert, dites-vous bien que cette version d’estoc et de taille est d’un vert particulièrement foncé. Morticia : Changement de braquet pour Adam Richards, jusqu’ à lors sa Big Mama était le seul objet du décor, mais rockabilly oblige ! Ne pas confondre avec Rawkabilly.  Ça sautille gentiment, c’est plus poppy que tout ce qui précède, Morticia nous rappelle Peggy Sue et Buddy Holly. Ne pas se fier aux apparences. L’on chantonne les paroles sans y prendre garde, pas tout à fait une bluette, du désir d’amour au désir de mort phonétiquement il n’y a pas une grande distance, c’est tout doux et tout enjoué mais notre Morticia est una noticia funebra. Certains acides qui ne bouillonnent pas sont aussi dangereux que le cyanure, vous avez la mort à vos côtés sur la photo, imitez-la, souriez. En plus avec les espèces d’hoquets ratés terminaux, vous avez l’impression que X Ray Cat Trio vous avertit du mauvais tour qu’ils vous ont joué.

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     Get a long gang :  vous remettent les pendules à l’heure, après la chanson d’amour vicieuse ils s’adonnent à ce qu’ils préfèrent : la chanson de haine, du genre je ne vous l’envoie pas dire, le rythme sautille aussi mais bien plus lourdement, chaque fois qu’ils touchent un instrument ( relativement souvent ) vous recevez une gifle, l’Howlin vous roule sur les pieds sans ménagement et vous enroule si fort  dans ses loopings battériaux  que vous commencez à croire qu’il a envie de casser ses baguettes de bois sur votre dos, vous n’êtes pas contre, à rock sado, fan maso. My mistake : Une reprise des Kingsbees,  l’est des fautes que l’on revendique tout fort, El Nico s’en charge très bien, vous aboie en pleine figure, c’est que, attention dans la vie, parfois les choix sont cruciaux, vous n’allez peut-être pas le croire, trouver la chose irréalisable, mais ils ont jeté leur dévolu sur le rock’n’roll et comptent s’y tenir, n’ont eu besoin de personne pour apprendre, ne regrettent rien et s’en donnent à cœur joie, Adam tape sur sa big mama comme s’il était le dernier des hommes à pouvoir le faire, Les éclats riffiques d’El Nico vous éblouissent et quand il essaie de filer un solo de derrière les fagots Ric prend un sacré plaisir à y taper dessus pour l’aiguiser afin qu’il vous perfore l’âme que vous n’avez pas.

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    Mad man on the loose : deuxième reprise, il me semble que les Flat Duo Jets sont moins mythiques que les Kingsbees ils ont pourtant lancé la vague des groupes à deux musiciens qui subsiste encore de nos jours. Très belle manière de terminer un disque. Profitez-en bien, le morceau ne dure pas deux minutes, c’est envoyé à fond les manettes, un El Nico apocalyptique qui répète les deux courtes lignes du vocal comme s’il récitait à gorge déployée un mantra réservé aux seuls serial-killers, et l’instrumentation qui sonne à la manière d’une batucada épileptique. Tout, tout de suite. Si vous n’aimez ni la défonce ni la déjante, abstenez-vous ce morceau n’est pas pour vous. Votre capacité intellectuelle n’aura jamais la puissance nécessaire pour l’appréhender à sa juste valeur.

    Que voulez-vous, it’s only rock ‘n’ roll !

    But we like it !

    Damie Chad.

    C’est la dernière parution du X Ray Cat Trio, ils en ont commis d’autres sur lesquelles nous reviendrons. N’oubliez pas que dans la nuit du monde tous les chats irradiés sont rock…

     

    ROCKAMBOLESQUES

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    EPISODE 38 ( Paf-Pif ) :

    199

    Le Chef a déclaré qu’il allait fumer un Coronado car il avait besoin de méditer sur les mystérieuses intrications de cette préoccupante affaire.

              _ Agent Chad suivez mon exemple, prenez vos cabotos et promenez-les dans les rues adjacentes. Ces bêtes sont exceptionnellement intelligentes, capables de trouver un chaton abandonné en plein Paris, fiez-vous à leur flair, je suis sûr qu’elles découvriront une piste avant vous !

    Question rues adjacentes le Chef s’était trompé sur toute la ligne, z’ont posé le museau sur le bitume et les bestioles ont filé tout droit à toute vitesse. J’avais un mal fou à les suivre, apparemment elles tenaient une piste alors j’ai cavalé après elles sans trop me poser de question. Brutalement les cabotos se sont arrêtés, se sont assis sur leur derrière et m’ont regardé d’un air attentionné. Les sens en éveil j’ai jeté un regard circonspect autour de moi. L’endroit était des plus banals. Voitures stationnées, trottoir rectilignes, immeubles sans attraits. Etonnamment Molossa et Molossito ne prêtaient aucune attention à ce qui se passait autour d’eux. Leurs yeux restaient fixés sur moi avec obstination. Le danger serait-il derrière moi, je me suis retourné : rien de notable !

             _ Quéquya ?

    Ils n’ont pas répondu, Molossito a posé ses deux pattes sur la poche droite de mon jeans, à l’instant j’ai ressenti la vibration de mon portable, non de Zeus le Chef avait trouvé le chaînon manquant qui permettrait de débrouiller le mystère !

              _ Dix minutes que je vous appelle et vous ne répondez pas !

              _ Euh ! Oui…

              _ C’est moi c’est Alice !

              _ Alice !

              _ Venez me voir, 10 rue Championnet !

    Elle avait déjà raccroché ! Je n’eus pas le temps de vérifier où se trouvait la rue Championnet, les cabots filaient ventre à terre. Ils galopèrent sur deux cents mètres, et s’arrêtèrent inopinément à un croisement, je levais les yeux sur une plaque : Rue Championnet. Les chiens refusèrent d’y poser la patte. Je m’aventurai seul !

    Numéro 10, Tout pour le Matou ! Alice m’attendait à l’entrée de l’animalerie :

              _ Papa m’a donné deux billets de cinquante euros pour que j’achète une panière pour Alicia, c’est le nom du chaton, qui est une fille !

              _ Alice ton papa est un chic type !

              _ Il était trop content !

              _ D’Alicia !

              _ Non, du coup de fil qu’il a reçu ce matin, j’ai tout entendu, c’était la police, ils disaient qu’ils avaient retrouvé le corps de la sœur de Maman et qu’ils le replaceraient dans la tombe à 14 heures. Mais ce n’est pas tout, j’ai aussi entendu parler les employés !

              _ Du cimetière !

              _ Mais non, vous ne comprenez rien, de l’animalerie, ils disaient que hier soir quelqu’un leur a volé un chaton, de la même couleur qu’Alicia, ce serait marrant que ce soit elle ! En tout cas, vous pourriez m’offrir un coca !

    200

    J’ai hélé un taxi pour renter au local le plus vite. Quand le chauffeur a vu les chiens il a refusé de les prendre. Pas de temps à perdre pour discutailler. Je lui envoyé une balle de rafalos dans la tête, je sais ce n’est pas une balle juste, c’est juste une balle, juste pour lui apprendre à vivre, son cadavre éjecté sur la chaussée j’ai rejoint en toute hâte le Chef.

              _ Etrange !

    Le Chef ne partageait pas mon enthousiasme, il alluma un Coronado, puis un deuxième :

              _ Agent Chad, je n’y crois guère, téléphonez à Carlos qu’il passe nous prendre, bien sûr nous monterons la garde, mais croyez-en mon flair cela ne me dit rien qui vaille !

    201

             _ Agent Chad vous restez en faction dans la voiture à l’entrée du cimetière, que les chiens soient tapis à vos pieds, ils sont trop reconnaissables, vous nous prévenez par téléphone si vous remarquez quelque chose d’intéressant. Il n’est pas encore midi, Carlos et moi nous approcherons de l’objectif sans nous faire remarquer.

    Carlos et le Chef étaient méconnaissables. Le noir de leurs chapeaux de feutre jurait avec la blancheur de leur barbe et de leurs favoris, avec leur manteau sombre et le modique bouquet de roses qu’ils serraient contre leur cœur, ces deux petits veufs à la mine inconsolable ne pouvaient qu’arracher un sourire de pitié à quiconque les croiserait. Un par un ils rentrèrent dans le Père Lachaise et pas très loin de la tombe d’Oecila, ils s’abîmèrent dans la contemplation d’une pierre tombale… les rares personnes qui passèrent près d’eux respectant leur chagrin baissèrent la voix pour ne pas rompre leur méditation.

    Il était près de treize heures lorsque je les bipai par trois fois. Le père D’Alice entrait dans le cimetière. Les ordres sont les ordres, mais des ordres ne sont-ils pas aussi désordre, je suis sorti de la voiture et l’ai suivi de loin. Il paraissait nerveux et n’arrêta pas de faire les cent pas devant la pierre d’Oecila. A partir de treize heures trente, il ne manqua pas toutes les cinq minutes de sortir sa montre et de vérifier l’heure… 

    202

    A quatorze heures, il ne se passa rien. Gabriel tournoyait sur lui-même, se tordait le cou au moindre bruit dans l’espoir d’apercevoir un corbillard s’approcher. Quinze heures trente. Toujours rien. Tout dans son attitude trahissait l’incertitude. A plusieurs reprises il avait sorti son téléphone et tenté de rentrer en communication, en vain, ses gestes de dépit et son énervement croissant traduisaient son exaspération.

    Je pensais être invisible tapi entre deux gros tombeaux, il y eut comme de furtifs glissements pas très loin de moi, mon poing se referma sur la crosse de mon Rafalos, quelque chose déboula en silence dans mes jambes, je faillis pousser un cri de surprise : Molossa et Molossito ! Mais le pire ce fut cette main qui se posa sur mon épaule :

              _ N’ayez pas peur, c’est moi Alicia, je leur ai ouvert la porte de la voiture pour vous retrouver !

              _ Alicia, ce n’est pas la place d’une petite fille !

              _ Je n’ai pas peur moi, c’est Papa qui a peur d’Oecila, j’y vais !

    Avant que j’aie pu la retenir et elle courut vers son père :

              _ Papa, Papa, je suis là ! Tu ne crains plus rien maintenant !

    Gabriel se retourna et la saisit vivement dans ses bras :

              _ N’aie pas peur Alicia, il ne se passera plus rien maintenant !

              _ Mais je n’ai pas peur Papa, Maman m’a tout expliqué !

    Il voulut répondre mais il resta abasourdi, du monde qui l’entourait, moi, le Chef, Carlos – ils avaient retrouvé leur apparence habituelle - plus les aboiements sonores de Molossa et Molossito !

              _ C’est super tout le monde  est là, il ne manque plus qu’Alicia, je vais la chercher je l’ai laissée dans la voiture de Damie, j’avais trop peur qu’elle se perde dans le cimetière !

             _ Non Alice, je ne veux pas que tu me quittes, tu restes avec moi !

             _ Mais Papa elle va s’ennuyer si elle reste trop longtemps toute seule, c’est encore un bébé chat !

    Psychologue averti le Chef qui était en train d’allumer un Coronado prit la bonne décision :

             _ Ne vous chamaillez pas, vous avez raison tous les deux, nous partons tous ensemble à la voiture, plus vite nous y serons plus vite tu retrouveras ta minette, et plus vite nous pourrons enfin parler de choses intéressantes avec ton père !

    Toute heureuse Alice gambadait à une quinzaine de mètres devant nous, elle fit un bond pour ouvrir une portière mais elle poussa un cri et revint toute tremblante se jeter dans mes bras en hurlant :

              _ Il y a quelqu’un dans la voiture, à la place du chauffeur !

    Nous nous précipitâmes, il n’y avait personne à l’exception d’Alicia qui dormait sur la lunette arrière.

    A suivre…