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  • CHRONIQUES DE POURPRE 589: KR'TNT 589 : LUSH / THE CULT / LEE FIELDS / ELIZABETH KING / MUD / THUMOS / DOORS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 589

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    23 / 02 / 2023

    LUSH / THE CULT / LEE FIELDS

    ELIZABETH KING / MUD

    THUMOS   / DOORS

    Sur ce site : livraisons 318 – 589

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    The Miki way

     

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             Quand on croisait Miki Berenyi dans les pages du NME ou du Melody Maker, on la prenait volontiers pour une Pakistanaise, une Paki comme on dit à Londres. Avec ses cheveux rouges et son heavy make-up, elle dégageait quelque chose d’extrêmement exotique. On ne faisait même pas l’effort de mémoriser son nom. De toute façon, le son de Lush - dont elle était la chanteuse - ne nous plaisait pas plus que ça. Lush et quelques autres groupes, comme Slowdive, My Bloody Valentine, Moose, Ride ou Chapterhouse, incarnèrent un courant musical, baptisé Shoegazing par la toute puissante presse anglaise de l’époque, un courant qu’on considère, à tort ou à raison, comme l’un des points bas de l’histoire du rock anglais. Un journaliste du Melody Maker qualifiait les shoegazers de STCI (The Scene That Celebrates Itself). Ces groupes proposaient en effet une pop ambiante extrêmement statique qui finissait par générer un bel ennui. Dans les concerts, on bâillait aux corneilles, surtout ceux qui plus jeunes, avaient tété les mamelles du real deal, c’est-à-dire Jerry Lee et les Stooges. On se retrouvait dans ces concerts à cause des buzz que lançaient les journalistes anglais. La crainte de rater le passage d’un bon groupe nous incitait parfois à faire n’importe quoi.

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             Il s’est produit exactement la même chose qu’avec l’autobio de Stuart Braithwaite, le guitariste de Mogwai : dans la presse anglaise, un journaliste pond une chronique élogieuse de l’autobio de Miki Berenyi, et pouf, rapatriement. Cette fois, c’est la crainte de rater un bon book qui déclenche le passage à l’acte. Fingers Crossed: How Music Saved Me From Success arrive 48 h plus tard sous la forme d’un bel objet, bien dodu, sous une jaquette dans les tons pourpres qui s’harmonisent divinement bien avec l’écarlate des cheveux de Miki, un peu plus de 350 pages imprimées sur un bouffant plaisant, avec des choix typo de fonte et d’interligne qui rendent la lecture délicieusement agréable, et plouf, on y plonge. Plonger dans la lecture d’un book, c’est exactement la même chose que plonger dans l’eau du lagon d’argent : tu en éprouves un pur plaisir, tu goûtes à ce que Gide appelait autrefois Les Nourritures Terrestres - ce fantastique texte en prose en forme de chant d’amour, dans lequel il s’adresse à Nathanaël pour le former à la beauté du monde : «Que l’importance soit dans ton regard, non dans la chose regardée.» - Plonger dans un livre inconnu, c’est une façon de partir à la découverte d’un personnage, d’entendre une voix nouvelle, une façon de voir comment les autres vivent leur vie, voir aussi de quelle façon ils s’accomplissent ou se détruisent. Chaque vie se résume à un destin, parfois tout entier contenu dans un livre. C’est à la fois l’aspect dérisoire d’une vie, mais aussi sa grandeur, dès lors que l’auteur abandonne toute pudeur pour s’offrir aux regards extérieurs. Les grands livres sont parfois comparables à des courtisanes impudiques, celles qui te font bander.

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             L’autobio de Miki présente les deux aspects : dérision et grandeur. L’absence totale de pudeur et un langage de punkette rebelle en font la grandeur. La deuxième partie qui est consacrée à l’histoire de Lush paraît par contre totalement dérisoire, car cette tranche de vie (cinq ans)  se résume à quelques souvenirs de concerts, de tournées et de sessions d’enregistrement. Miki se débat avec les anecdotes, essaye d’éviter les pièges du name dropping et tenter d’éclairer le mieux possible les lecteurs de son book qui sont de toute évidence les anciens fans de Lush.

             L’éclairage le plus important est celui qu’elle donne sur elle-même. Paki ? Pas du tout ! Père hongrois (Ivan) et mère japonaise (Yasuko). Comme Ivan est un womaniser, ce qu’on appelle ici un coureur de jupons, Yasuko se fait la cerise vite fait, et c’est là que Miki entre dans la période trash de sa vie de gamine. Ivan lui apprend très jeune à se débrouiller seule et à se défendre. Elle vit à Londres dans une baraque toute pourrie avec Ivan et la grand-mère hongroise Nora, qui est une malédiction. Miki explique sans détour qu’elle doit dormir avec Nora qui abuse d’elle. Elle apprendra un peu plus tard que Nora a aussi abusé d’Ivan - Coincées  dans notre lit, elle me lit des contes hongrois, mais elle s’endort au milieu des phrases et le livre de contes s’écroule sur la bouse de ses nibards étalés (on the cowpat spread of her breasts). Parfois, quand elle ronfle, j’observe sa bouche ouverte, qui est complètement édentée, et je crève d’envie d’y enfoncer mon poing jusqu’à ce qu’elle en crève - Miki hait Nora qui lui fait chaque soir sa toilette et qui passe un temps infini à lui tripoter l’entre-jambe. Nora hérite même du surnom de Noracula, «qui fait référence à ses origines transylvaniennes mais qui hélas ne couvre pas toute l’étendue de sa nature monstrueuse.» C’est vrai qu’en voyant la photo de Nora dans les pages du cahier central, on comprend tout : une vraie gueule d’empeigne. Et puis il n’y a pas que Nora. Il y a aussi Uncle Sam, un copain d’Ivan, qui dès qu’Ivan ou Nora ont le dos tourné, met la main au panier de Miki. La gamine ne dit rien. Elle croit que c’est normal. Jusqu’au jour où elle en a un peu marre des saloperies d’Uncle Sam et lui dit qu’elle va en toucher un mot à Dad. Alors Uncle Sam disparaît de la circulation.

             Miki finit par comprendre pourquoi Ivan éprouve tellement de difficultés à entretenir des relations suivies avec les femmes : «Fils unique abandonné par son père et abusé par sa mère, il n’avait aucune idée de ce que pouvait être une relation normale. Comme il savait qu’une relation sentimentale pouvait tourner court à chaque instant, il préférait la contrôler plutôt que d’en être la victime. Plutôt quitter que d’être quitté.» Quand il approche de la fin et que Miki lui demande ce qu’il préfère entre le crématoire et le trou au cimetière, Ivan est pris d’un fou rire. Il dit de mettre ses cendres dans un seau «and flush me down the toilet», c’est-à-dire tire la chasse. «What the fuck will I care ?» Il a raison Ivan, ça change quoi, quand on a cassé sa pipe en bois ? Miki ajoute qu’Ivan aimait trop la vie pour se soucier de la mort - It was only ever life - not its aftermath - that engaged him. Miki écrit remarquablement bien. Elle sait restituer l’épaisseur humaine de ses personnages.

             Elle écrit dans un style très direct, qu’on pourrait, pour simplifier les choses, qualifier de punk. Elle n’est pas genre à traîner en chemin. Chez elle, les bollocks et le fuck sont monnaie courante. Nevermind ! Elle perd vite patience avec les cons, ce qui la rend éminemment sympathique.

             Quand dans l’intro, elle évoque la notion de groupe, elle évoque aussi sa naïveté d’antan,  quand elle croyait qu’un groupe pouvait être une famille - I know that’s all bollocks - I know that now - mais à l’époque ça ressemblait à un rêve qui pouvait devenir réalité - Elle parle très bien de l’espoir que génère le fait de monter un groupe : «Le miracle de la musique, c’est de pouvoir fabriquer quelque chose à partir de rien. Assembler des notes, ajouter de la profondeur avec des paroles, insuffler la vie dans une chanson en la jouant avec un groupe, l’enregistrer, puis la partager avec un public, répandre toutes ces émotions et toute cette joie - tout cela étant issu d’une chambre, d’une guitare et d’une voix. Transformer la tristesse en bonheur, sortir de la solitude et du loserdom, s’évader d’une bad place et rejoindre un monde meilleur.» C’est sa façon de dire qu’elle y croyait dur comme fer, et comme cette confession apparaît dans le chapitre d’intro, alors on décide de la suivre et même plus, si affinités. On peut par exemple envisager de réécouter les quatre albums de Lush.

             Comme elle est ado à Londres, elle peut se goinfrer de concerts : 90 en 1983, 150 en 1984. Elle tient sa comptabilité dans un journal intime. Elle baise tant qu’elle peut, elle privilégie ce qu’elle appelle the sex without love - Can be enormous fun when liberated from the hope that it’s the beginning of something bigger. In other words, if you approach it like a man - Miki comprend vite que le sentimalisme n’est pas vraiment l’apanage des mecs, alors elle opte pour la liberté à tout va. Elle opte pour les plans cul, comme on dit aujourd’hui, c’est-à-dire les relations non suivies. Elle dit qu’elle possède «un radar pour repérer les mecs libres et elle ne peut pas l’éteindre». Elle cherche un mec «who’s only after a bit of fun. That way no one gets hurt.» Elle applique la philosophie d’Ivan.

             Sur son tableau de chasse figure Billy Childish, à l’époque des Milkshakes. Il a sept ans de plus qu’elle, mais elle s’accroche à lui, parce qu’il a un groupe, qu’il peint et qu’il écrit des poèmes - I fuck him in the staiwell of Clanricarde Gardens, waiting until my flatmates have gone to bed before sneaking him into my bedrom overnight - Ses phrases sonnent souvent comme des paroles de chanson. Miki est une écrivaine extrêmement rock’n’roll. Elle rend un ultime hommage à Billy avant de le perdre : «Still Billy is an artist, uncompromising in his determination to write the truth. His truth, at least, which I suppose is what’s expected of an artist.»

             Elle avoue aussi perdre patience rapidement - I am belligerent with people I can’t stomach - Elle a raison, c’est une façon de gagner du temps. 

             L’idée d’un groupe commence à germer dans la tête de Miki et dans celle de sa copine Emma. Elles branchent leurs deux guitares dans la stéréo d’Emma et elles se mettent à gratouiller leurs poux. Elles montent Lush avec Chris au beurre et Meriel au chant. C’est Emma qui trouve le nom du groupe. Lush veut dire luxuriant. Puis elles recrutent Steve Rippon pour jouer de la basse. Premier gig au Falcon, à Camden, en mars 1988. Puis Emma veut virer Meriel, trop statique sur scène, alors Miki se charge de la besogne. Lush n’a plus de chanteuse, alors Emma passe une annonce dans le Melody Maker, citant Blondie et de Hüsker Dü comme influences. Chou blanc. En désespoir de cause, Miki est promue chanteuse de Lush. Comme elle n’est pas à l’aise, elle s’envoie des verres de cidre avant de monter sur scène. À la fin du set, Emma la coince pour lui dire : «Don’t you EVER get pissed again before a gig!». Tout au long de son récit, Miki évoque cette relation extrêmement tendue avec Emma. Elles jouent dans le même groupe, mais ne sont pas copines. Emma ne veut pas de l’amitié que lui offre Miki.

             Lush fait un grand bond en avant en signant avec 4AD, contre l’avis d’Howard Cough, l’un des responsables du label qui traite Lush de «worst band I’ve ever seen». Mais Ivo le boss veut Lush et pouf c’est parti. À l’époque, 4AD est un label indé prestigieux. Dans son roster, on trouve les Pixies, Cocteau Twins, Throwing Muses et Bauhaus. John Peel invite Lush une fois, car leur cover d’Abba («Hey Hey Helen») l’amuse bien, mais ce sera la première et la dernière fois. Lush n’est pas la tasse de thé de Peely. Ça n’empêche pas Lush d’aller dérouler son petit parcours de groupe indé, juste avant l’éclosion de la fameuse vague Britpop. Quand Steve Rippon quitte le groupe, c’est Phil King qui le remplace temporairement. Un Phil King qui est déjà un vétéran de toutes les guerres puisqu’il a joué dans Felt, les Servants, Biff Bang Pow, et on le verra beaucoup plus tard à Paris jouer au Trianon avec les Mary Chain.

             Le principal épisode de la vie de Lush, c’est le Lollapalooza de 1991. Lush joue en première partie de Jane’s Addiction qui sont en tournée de promo - A year-long enormodrome tour - pour le double-platinum Ritual De Lo Habitual. Il y a en tout sept groupes à l’affiche de la tournée : Red Hot Chilli Pepers, Ministry, Ice Cube, Soundgarden, les Mary Chain et Pearl Jam. Les seules gonzesses dans le tas, c’est Lush. Elles se retrouvent dans un monde «that agreesively radiated muscle and testosterone», les Peppers et Ice Cube étant les pires. Miki en profite pour se régaler tous les soirs du set des mighty Mary Chain. Elle rend aussi un hommage virulent à Ministry - La seule réponse possible au set de Ministry, c’est l’awe-struck submission. The cacophony of industrial pounding, pile-driving guitars and Al Jourgensen scream-growling like Beelzebuth over nerve-shredding samples is like being crushed by the Apolcalypse - Sa description est criante de véracité. En plein milieu de la tournée, Miki voit débarquer Gibby Haynes, le chanteur des Butthole Surfers. Il vient duetter avec Ministry sur «Jesus Built My Hot Rod». Miki est fan des Botthole et de leur visceral chaos, mais elle n’arrive pas à engager la conversation avec Gibby - All I get for my effort is a yeah-whatever eye-roll and the cut-to-the-chase line: ‘How about we just go up to your hotel room - you can suck my cock while I lick your pussy - Fin de la conversation. Pour l’anecdote, Miki relate tous les excès d’Al Jourgensen dans les hôtels, il y en a deux pages pleines, c’est du mayhem à l’américaine avec des amplis qui passent pas la fenêtre et tout ce qu’on sait déjà. Elle raconte tout ça très bien. Miki est tellement défoncée qu’un soir, elle veut jouer au moshpit et se lance dans le public d’une scène beaucoup trop haute. Les gens s’écartent et elle se retrouve à l’hosto, miraculeusement vivante.

             Mais à Londres, des gens n’aiment pas Lush. Miki rapporte pas mal d’incidents. Un bloke s’adresse à elle : «Are you that bird out of Lush ?», elle opine du chef et le bloke lui dit : «Your band’s fucking shit.» Un autre lui demande un autographe, elle le signe, alors le mec fout le papier dans sa bouche, le mâche et le crache sur les godasses de Miki avec un air de dégoût.

             Une tournée américaine a lieu en 1996 avec Gin Blossoms et les Goo Goo Dolls.  C’est un plan monté par leur manager. Miki et Emma savent qu’elles vont au casse-pipe, car Lush n’est pas fait pour ce type d’affiche. Miki parle d’un complete mismatch. Le seul bon souvenir qu’elle conserve, c’est Imperial Teen - great band and old-school friendly - Elle raconte aussi que Ian Astbury monte sur scène chanter «Ciao!» avec Lush - Mais il y a un léger malentendu, pendant la répète, l’Astbu leur dit qu’«it’s a bit skiffle, isn’t it?», il croit que c’est une cover de l’«Eddie (Ciao Baby)» du Cult. Chris is laughing so hard he can barely play the drum - Elle traîne aussi à cette époque dans les parages de Primal Scream - Bobby Gillespie, high as a kit at some do, me fait taire en me mettant directement la main au panier et me fixe dans le blanc des yeux tout en se pourléchant les babines - Alors elle accepte ce type de comportement, puisque c’est un moyen d’être admise dans le sérail. Mais elle s’aperçoit très vite qu’elle n’est pas faite pour jouer la carefree 24-hour party person. Elle n’est pas de taille pour ce type d’exploit sportif. C’est l’époque de l’ecstasy et ses amis en font une consommation gargantuesque. Elle finit souvent la soirée assise dans un coin, «too far gone to move», incapable de bouger.

             Parmi les groupes qu’elle croise dans les tournées, elle flashe sur Babes In Toyland, «cathartic and compelling on stage, earthy and friendly off.» Miki ajoute qu’après leur set, les Babes picolent sec et tiennent mieux l’alcool que les mecs - they drink enveryone under the table - Et puis bien sûr, nous avons droit à un petit panorama de la scène indé, Miki nous sort les noms des Cranberries, de Belly et de Moose, un Moose qui d’ailleurs va devenir son compagnon et le père de ses deux gosses. Puis arrive la Britpop avec Suede, Blur, the Madchester bands - comme elle les appelle - Elastica, S*M*A*S*H, These Animal Men et Pulp. Au début, cette vague lui plaisait bien - a familiar and friendly environment where I feel comfortably at home - Puis le succès de Blur et d’Oasis change la donne, ces deux groupes cultivent «a new mood of swagger, flag-wavingly British in defiance to American ‘grunge’», le fameux Cool Britania. Miki va voir tous ces groupes sur scène et va même traîner dans tous ces backstages avec, énumère-t-elle, «Suede, Pulp, Oasis, Blur, Elastica, Echobelly, Boo Radleys, Salad, Powder, Menwear and all the rest of it. I can’t get away from these fucking bands. Britpop is happening.» D’autres anecdote encore : «Liam Gallagher circles me, wondering aloud when I’ll be ready to fuck him in the toilets.» Bien sûr, Miki s’offusque - Look, je sais que je ne suis pas Mary Poppins, mais ce n’est pas du flirt, c’est du harcèlement. Et derrière ça, il y a un truc dégueu : ça implique que suis demandeuse, pas lui - Comme elle porte des robes très courtes, elle est constamment sollicitée. Pour elle, c’est la façon qu’ont les mecs de vouloir dire : «Si tu veux avoir la paix, fringue-toi comme une bonne sœur.» Miki n’a qu’une réponse à ça : fuck it !

             Mais la Britpop dégénère assez vite. Miki voit cette scène hijacked by elitist dickheads. Elle finit par ne plus pouvoir supporter cette daube, ni les gens ni les groupes - So sorry for being a party pooper, c’est-à-dire une casseuse d’ambiance, je sais que bon nombre d’entre vous had a blast, but I fucking hate Britpop and I’m glad the whole sorry shit-list ended up imploding. I just wish it hadn’t done so munch damage white it lasted.  

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             Lush on les a vu une fois, peut-être deux, avec les Pale Saints. Grands souvenirs des Pale Saints. Lush ? Pas grand-chose. Miki et ses cheveux rouges. Trop punk anglaise pour un Français. Leur premier album s’appelle Scar et paraît sur le tard en 1989. En fait, c’est un mini-album. Il vaut mieux éviter de le réécouter trente ans plus tard, car c’est un son qui vieillit atrocement mal. Miki amène son «Baby Talk» au fast heavy pop-punk mal chanté, ça se noie dans une sauce de sortilèges, toutes les histoires de Nora et d’Ivan rejaillissant dans ce mix de puberté poubelleuse. Avec «Though Forms», les filles de Lush prennent vraiment les gens pour des cons. Ce n’est pas du rock, c’est de la vapeur. Les voix se perdent dans la buée. Miki taille sa route avec «Bitter», elle gratte à la va-vite, mais c’est Chris qui sauve la mise, au beurre. La pauvre Miki ne chante pas très bien, ça se barre en solo d’infraction prostatique, elle parie sur l’énergie punk. On sent bien l’odeur du trash. Ça se termine avec «Etheriel», une petite pop d’ouate. Rien que du son pour du son. Des cuts qui n’en sont pas. Comme chez Mogwai. Même genre de néant paradoxal.

             À cause de sa dégaine provocante, Miki se fait pas mal choper aux douanes, lorsqu’elle descend d’avion. Elle dit avoir rencontré pas mal de douaniers «fermes mais polis, qui font simplement leur job. Mais j’ai aussi rencontré une sacrée ribambelle de power-abusing cunts et je leur réserve a front row of panoramic-view seats on the kamikaze flight into the mountainside of my vengeful imagination.» C’est bien dit, Miki. Mort aux vaches !

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             Deux ans plus tard paraît Spooky. Ambiance très spooky, très pop anglaise d’époque, hétéro-éthérette, un «Nothing Natural» chanté à la féminine accrochée au plafond, mais pas de truc en plume, juste de l’ouate, un ruisseau d’ouate. Petit son indé ridicule, pubère et drainé, parfois plombé, pas beau, presque féministe. Elles amènent d’ailleurs «Ocean» au petit océan féministe, c’est gorgé de féminité au point que ça ne passe pas, chant trop Lushy, pénible, humide, ridiculous. So ridiculous ! Spooky peine à jouir. L’hyper-féminisme tue la pop dans l’œuf, même si «For Love» remonte le courant, wild as fuck. Joli titre que ce «Superblast». Les filles l’honorent, elles sortent le fast blow avec des voix d’écho et ça devient une pure merveille. Elles peuvent se montrer terrifiques, avec ces voix d’entre deux eaux, c’est l’apanage du Lush-moi-là, énorme tension, ça redevient presque sexuel tellement c’est humide et chaud. Et puis d’autres cuts naviguent dans les méduses, Miki et sa copine Emma traînent dans les eaux troubles de la mauvaise pop d’époque, de la fast pop gorgée d’indie scum, cocktail périlleux de grosses attaques et de voix de femmes. Ça finit par insupporter. Album produit par Robin Guthrie, ceci expliquant cela.

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             Quand Split paraît en 1994, Miki sent bien que Lush est en décalage avec la scène grunge et Oasis - Split est trop fragile et introverti pour rivaliser avec les nouvelles tendances (out of step with the times) - Pourtant l’album est excellent, Miki t’embarque dès «Kiss Chase» avec du big heavy sound. On peut même parler de wall of sound, avec de somptueuses palanquées d’accords, il y a des grattes partout, all over the rainbow, le son vibre de toutes ses fibres. L’autre gros shoot de wall of sound s’appelle «Undertow», amené au bassmatic demented de Phil King, il télescope la gratte de Miki, ça taille à la serpe, le cut sonne comme la marée du siècle, Miki et Emma te plombent ça aux grattes des enfers, elles font un placard total de wall of sound. Et puis tu as une petite triplette de coups de génie, à commencer par le bien nommé «Blackout». Ah comme elles sont bonnes ! C’est explosif et allumé aux voix éthérées, et ce batteur dément qu’est Chris bat tout à la vie à la mort. Elles sont encore dans une énergie considérable pour «Hypocrite», Miki te court sur l’haricot, elle te pèle le jonc, elle te trashe tout l’UK, oh Miki, the wild chick ever ! Elle t’enflamme le British Beat, là tu halètes car elle te le fait avec la langue de feu, c’est du wild punk so far out, cet «Hypocrite» est tellement bon qu’on finit par dire n’importe quoi. Split un album fantastique dont on n’a pas idée tant qu’on ne l’a pas écouté. «Lovelife» est encore du big biz. La Miki, tu lui colles au cul, tu ne la lâches plus. Avec elle, l’incroyable se produit, c’est-à-dire la renaissance des grattes, les pluies de poux, les proliférations de tombées somptueuses, on la suit, la Miki, elle étale ses draps au grand jour. Encore un cut accueilli à bras ouverts : «The Invisible Man». Elle file sous le vent, elle taille sa route à la serpe. C’est un album qu’on écoute jusqu’à plus soif. Et puis tiens, voilà encore un sacré coup de génie : «Lit Up». Allumé direct. Trente-six chandelles. Encore un festival de big fat wild as fuck. Elle parvient à se hisser au sommet du lard fumant, elle te claque les meilleurs accords d’Angleterre, elle injecte un gros shoot d’overdrive, elle maîtrise le placage et finit par te hanter. Te voilà transformé en château d’Écosse. Merci Miki !

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             Le quatrième et dernier album de Lush s’appelle Lovelife et c’est encore un very big album. Miki devient ta reine d’un soir. Gros son dès «Ladykillers» - My attempt at writing a hit - elle chante à la petite retorse, c’est très anglais, très inspiré, bien solidifié au ciment de voix de femmes. Elles injectent des couches de power en dessous du chant. Dans son book, Miki dit que «Ladykillers» «was my one concious effort to give the rabble what they seemed to be asking for.» Ça devient extrêmement impubère avec «500», presque Brill, tellement c’est sucré. Encore de la belle pop candy avec «I’ve Been Here Before». Cette pop est d’une qualité insolente. Miki chante à l’ingénue libertine. Tout est sexué à l’extrême sur cet album. Avec «Single Girl», elles sonnent comme les Pixies, même genre de ferveur, c’est très riche, gorgé de Gorgones. Attention, ce genre d’album devient vite tentaculaire : il te prend tout ton temps. Back to the wild side avec «Runaway». Elles savent lever des vagues de heavy pop, c’est une pure énormité, grattée serrée. Dans leur élan, elles tapent «The Childcatcher» en mode fast London pop, elles jouent au rebondi avec une belle féminité et une incroyable énergie. Le son est là, juste derrière et toujours ce chant impubère d’ingénue libertine. Elles referment la marche avec «Olympia» et une flûte de Pan. Ah quelle belle pop de Brill ! Elles savent guider le candy dans la vulve du Brill, c’est une vocation. Elles distillent des harmonies vocales d’une pureté extrême.

             Miki sent venir le déclin de Lush. La scène a changé depuis les grandes heures de Lollapalooza et de Jane’s Addiction. Pour le public américain, Lush était à l’époque un groupe exotique - an unfamiliar new band - Mais cinq ans ont passé. Pour elle, un macho element s’est installé, les Américains ne réagissent plus qu’aux groupes qui leur parlent et ils ne tolèrent plus de voir deux «sappy English girls qui ne font même pas l’effort d’être sexy». Cette dernière tournée américaine avec Mojave 3 est une catastrophe. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase et Emma annonce qu’elle jette l’éponge. Elle a très bien compris que le temps de Lush est révolu et que le groupe n’aura jamais de succès aux États-Unis. L’obsession des deux managers successifs à vouloir forcer le marché américain a fini par avoir la peau du groupe. Pour calmer le jeu, Emma indique que Lush peut continuer sans elle. Elle cite l’exemple de Suede qui a redémarré sans Bernard Butler. Mais Miki n’est pas d’accord : «No Emma, no Lush.»

             C’est la mort de Chris qui aura la peau du groupe. Chris déprime depuis que sa poule l’a quitté et il tente de retrouver le moral en allant se ressourcer chez ses parents à la campagne. C’est là, dans une grange, qu’on le retrouve pendu - Out of sight and hard to find - Son père, inquiet de ne pas le voir revenir de sa promenade, a fini par découvrir le corps de Chris pendu.

             La chute du book est vertigineuse. Miki n’en finit plus de dire que Chris était son préféré. Au commencement de Lush, ils ont vécu un moment ensemble et sont restés très proches après leur séparation - La famille de Chris espère que nous continuerons avec Lush, ils nous donnent leur bénédiction. Mais j’ai su à la seconde où j’ai appris la nouvelle de sa mort qu’il n’y avait aucun avenir. No future. Tout ce temps passé à supporter les crises d’Emma, tout simplement parce que j’avais besoin d’elle. Mais j’avais encore plus besoin de Chris. He was the happy soul of Lush et sans lui, ça n’a plus aucun sens.

             Miki n’est pas si vieille. Elle n’a que 56 ans. Et deux enfants. Elle termine là-dessus. Après la mort de Chris, la vie a repris ses droits. Merci Miki, enchanté d’avoir fait ta connaissance.

    Signé : Cazengler, Louche

    Lush. Scar. 4AD 1989

    Lush. Spooky. 4AD 1991

    Lush. Split. 4AD 1994

    Lush. Lovelife. 4AD 1996

    Miki Berenyi. Fingers Crossed: How Music Saved Me From Success. Nine Eight Books 2022

     

     

    Le feu au Cult - Part Two

     

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             Quand Ian Astbury s’exprime dans la presse, on aurait tendance à ne pas trop le prendre au sérieux. Il vaut mieux le lire après l’avoir écouté, car c’est là qu’on commence à le prendre au sérieux. Ainsi, quand il déclare : «Individually we’ve been through a hell of a lot. It shines in our music», on comprend ce qu’il veut dire. The Cult est un groupe capable d’aligner une série d’albums extrêmement impressionnants, tous chargés de climats délétères et de démesure, quelque part entre Killing Joke et les Afghan Wigs. Deux autres points de repères : Rick Rubin les produit et l’Astbu est obsédé par le shamanisme des Indiens d’Amérique. Le décor est vite planté. On dit d’eux qu’ils transcendent les genres. Pour transcender les genres, il faut une voix et un son. Pas de problème. L’Astbu fournit la voix, Billy Duffy/Rick Rubin le son. «Towering guitar riffs» et «songs to match their bravado», nous dit Vive Le Rock. L’Astbu et Billy Duffy ont des racines : Southern Death Cult pour le premier et Theatre Of Hate pour le second.

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             Ce sont les mecs de Crass qui orientent le jeune Astbu fraîchement débarqué en Angleterre sur les pratiques religieuses des Indiens d’Amérique. Il se souvient même du livre qu’on lui a prêté dans le squat de Crass : Black Elk Speaks, de John Neihardt, un ouvrage sur les rites sacrés des Sioux Ogala. Quant à Billy Duffy, il en pince pour les Gretsch White Falcon.  

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             Paru en 1984, Dreamtime est un album qui ne marche pas. Déjà, la pochette fout la trouille. Le prêtre aux joues scarifiées te fixe d’un regard mauvais. Il manque sur cet album le souffle qu’on va trouver sur les albums suivants. C’est, disons-le, petitement produit. Rien n’explose dans Dreamtime. L’Astbu cherche le spirit des shamans dans «SpiritWalker», il a raison, il invoque le mythe du body spiritwalker, il chante tout ce qu’il peut, mais la prod n’est pas au rendez-vous, et le Cult sans prod, ça ne marche pas. Encore un cut de heavy singer avec «Butterflies» et il chante «Go West» comme s’il s’en foutait. Il attend des vagues de son qui ne viennent pas. Go West young man ! L’Astbu reste pourtant le seul maître à bord. Il pèse de tout son poids sur toutes les décisions - Everything - Tu te régales de l’écouter chanter, l’Astbu de tous les abus. Mon royaume pour un cheval de son ! Ils attaquent «Gimmick» à l’attaque, l’Astbu ne sait faire que ça dans la vie, attaquer. Alors il attaque. Pas de halte. Droit devant. Tagada tagada voilà l’Astbu. La force de l’album, c’est la pochette.

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             The Cult, c’est avant toute chose l’histoire d’une voix, celle d’Astbury. Sur Love qui date de 1985, «Nirvana» et le morceau titre sont là pour la révéler. One two three four ! Power-chordage all over et un Astbury qui remonte péniblement à la surface de cette mer de son. Sa voix fait partie de celles qu’on n’oublie pas. Il est élancé, fougueux, fumant. Un étalon ! Il va chercher ses effets là-haut sur la montagne. L’Astbu sait chanter. Le gros Cult amène «Love» au stomp de riff raff. De toute évidence, ces mecs en pincent pour la heavyness. Ils jouent dans les règles du gros lard et l’Astbu se bat avec le stomp. Reconnaissons qu’il existe un esprit Cult. S’ensuit un sombre «Brother Wolf». Il est vite dans le décor, l’Astbu. C’est un rôdeur né. Il se fond dans l’ombre, il rôde comme un dieu de l’antiquité. Voilà qu’il pleut des accords dans «Rain». Ça ne surprendra personne. L’Astbu arrive sous un parapluie pour chanter - I’ve been waiting for her - Il s’engage à fond, c’est une ultraïque de la posologie, un concerné de la 25e heure. Les coups de wah qu’on entend dans «Phoenix» sont ceux des Stooges. Ah oui, aussi incroyable que ça puisse paraître ! Tu as là toute la wah de Ron, ça rougeoie, ça joue dans la nuit ! Fire ! Fire ! C’est à partir de ce genre d’épisode que tu décides de suivre un groupe. Il ne faut pas croire ce que les canards de rock français ont pu raconter sur The Cult, qui n’a jamais été un groupe de hard rock. Non seulement les gens étiquettent, mais ils étiquettent mal. L’Astbu est un titan, il jette tout son poids dans la balance, il a le power et l’élégance. La basse est au-devant du mix dans «She Sells Sanctuary». L’Astbu chante de manière extrêmement agressive et pop en même temps. He can sing anything.

             Ils deviennent alors énormes et s’envolent pour une tournée mondiale de neuf mois. C’est à cette époque qu’ils entrent en contact avec Rick Rubin.    

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             Sur Electric, tu trouveras l’imparable cover de «Born To Be Wild» qu’Astbu chante aux charbons ardents. Pur génie. L’Astbu se l’approprie, alors évidemment, Billy Duffy en rajoute, mais ce n’est pas du meilleur effet. La seule valeur ajoutée est le chant de motor running d’Astbu, il enfonce son clou in the highway à coups de marteau sacré, comme le ferait Thor. Alors Electric devient un très grand album. Encore un coup de Jarnac avec «Love Removal Machine» monté sur les accords de «Start Me Up». Ça donne un combat de titans, Jag versus l’Astbu, alors l’Astbu jette tout son corps dans le combat. C’est quand même gonflé de la part du gros Cult que d’aller pomper aussi ouvertement. Mais ça passe, vu qu’Astbu ramène du gusto à la tonne. Même chose dans le «Wildflower» d’ouverture de bal, il force la mesure aussitôt entré en lice, il chante d’une voix d’ouïe de poisse-caille agonisante et il devient tétanique. On reste dans l’énormité avec «Peace Dog», il sculpte son chant dans la glaise du sonic boom, il bosse avec ses pognes, il s’accroche à la matière avec une niaque extravagante, ya yah ! il est le power-shaker ultime, il ne sait faire qu’une seule chose : entrer dans le chou du lard avec tout le gusto de l’undergut. Et dès qu’il peut, il allume, comme le montre encore «Aphrodisiac Jacket», aocch ! C’est vite noyé de son, il chante sous un déluge d’accords terrifiques, cette fois Duffy vole le show, ses descentes d’arpèges sont un chef-d’œuvre, il faut suivre un groupe comme le gros Cult, car ils n’en finissent pas de réserver de bonnes surprises. Sur «Electric Ocean», l’Oh yeah d’Astbu est si pur qu’on l’accueille à bras ouverts, il cultive les clichés, mais il le fait vraiment bien. Leur «King Contrary Men» est un gros boogie-rock digne de Mountain qu’Astbu chante à fond de train, avec un Duffy en embuscade qui s’arrange toujours pour qu’on ne l’oublie pas. Duffy est un vrai renard dont le défaut serait d’être trop bavard. Ils terminent cet album superbe avec «Memphis Hip Shake» qu’Astbu ultra-chante. Il appuie sur la moindre syllabe, yeah-eh et donne des consignes : shake the world.

             Mais le groupe tire trop sur la ficelle. Billy Duffy décide de quitter Londres pour s’installer à Los Angeles et l’Astbu s’installe à Toronto. C’est là qu’ils vont enregistrer Sonic Temple avec Bob Rock, un producteur inexpérimenté.

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             Avec cet album, le gros Cult continue son inexorable progression. Pas de coups de génie sur Sonic Temple, mais des belles énormités, à commencer par le «Sun King» d’ouverture de bal, avec un Astbu qui secoue le cocotier du rock dès son entrée en lice - I’m a sun king baby - Il sait de quoi il parle. L’Astbu ne recule devant aucun excès. Ils font du simili Led Zep avec le «Medecine Train» final. Duffy repart dans le vieux boxing day de big bad strut de Medecine Train et les chœurs font le train. La SNCF devrait prendre le «Medecine Train» comme gimmick pour les annonces dans les gares. Autre coup de semonce : le «Soldier Blue» de Buffy Sainte-Marie qu’ils stompent en mode Gary Glitter. Voilà Buffy au palace glam. Curieux mélange. Quoi que fasse le gros Cult, c’est toujours sur les rails, même si, comme c’est le cas avec «American Horse», on se demande si c’est du lard ou du cochon. Ils ont une notion du son qui nous dépasse complètement. L’Astbu monte bien «Sweet Soul Sister» en neige, mais c’est avec «Soul Asylum» qu’il rafle la mise. La heavyness est son pré carré, il amène ça au so many times et plonge dans un chaudron de sweet soul asylum. Ils tapent ensuite «New York City» avec Iggy en backing vocals, et «Automatic Blues» sonne exactement comme le «Rock’n’Roll» de Led Zep. Même jeu de dupes, avec toute la grandeur élégiaque qu’on peut imaginer.

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             Malgré sa pochette un peu putassière à la U2, Ceremony est un bon album. On vendrait son père et sa mère pour «Heart Of Soul», c’est joué à la surface d’un gratté d’acou et la voix d’Astbu crawle comme le Crawling King Snake, ses écailles luisent dans l’ombre, il se développe dans l’ovaire du rock et devient tentaculaire. Cet homme est une bête fantastique, il chante sous un déluge d’accords, il t’accompagne dans la démesure jusqu’à la fin, il vise le non-retour de big city, tu as peu de choses dans l’histoire du rock qui vont aussi loin. «Full Tilt» vaut aussi le déplacement, ne serait-ce que pour son fabuleux claqué d’accords anglais, c’est même l’une des intros du siècle dernier, avec celles de la Stonesy. Le gros Cult vise en permanence l’éclat mythologique, avec l’Astbu qui tient fabuleusement bien la baraque. Encore une grosse dégelée de heavyness avec «Bangkok Rain». On voit rarement d’aussi belles heavynasseries, surtout lorsqu’elles sont serties d’un Astbu à l’éclate. Il monte toujours par-dessus, même quand c’est noyé de wah. On reste dans la heavyness avec le morceau titre d’ouverture de bal. L’Astbu avance dans le son avec des pieds d’éléphant. On pourrait qualifier ce qu’on entend ici de heavy boogie blues d’ultra rock, mais un heavy boogie blues d’ultra rock ravagé par des vinaigres de disto. Ça te sonne bien les cloches, en attendant. L’Astbu démarre son «Wild Hearted Son» aux chants de guerre indiens. Bel hommage, mais ça ne sert que de prétexte. Les blancs reprennent vite le pouvoir sur les rouges. Tu n’es pas chez Buffy, cette fois, tu es chez le gros Cult. L’Astbu qui est au-devant du mix hurle comme dix. On admire au passage les vents de folie. Dans «Earth Mojo», l’Astbu pousse des petits cris de bête, on le voit monter tout seul en température et pour corser l’affaire, Duffy passe un wild killer solo, alors l’Astbu peut encore pousser des petits cris de bête. Ah on peut dire que les deux font la paire ! Non seulement ils cultivent la démesure, mais ils sont incompressibles. Le destin des cuts se dénoue chaque fois dans un Big Atmospherix avec un Duffy qui pique des crises. Et bien sûr, l’Astbu veille à rester un chanteur hors normes. Il semble conduite l’«If» comme un attelage de char, yeahhh ! On le voit aussi écraser son champignon dans «Sweet Salvation». Comme il est ce qu’on appelle une force de la nature, il peut chanter torse nu au sommet de la montagne. C’est bien pire que de chanter par-dessus les toits. Il vise les vrais sommets, il court les aventures, il tartine tout ce qu’il peut, il est le grand tartineur devant l’éternel. Heavy as hell.

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             La pochette de The Cult paru en 1994 préfigure celle de Choice Of Weapon : figure barbare sur fond blanc. Cette fois, c’est un bouc à quatre cornes. L’album propose en outre un coup de génie et une stoogerie. Par quoi on commence ? La stoogerie ? Elle s’appelle «Be Free». C’est en plein dans l’œuf de Pâques, ce sont les accords de «TV Eye», l’Astbu arrive, sec comme un feu, il se jette à l’assaut comme un guerrier indien, et là tu as tout, la violence du chant et la violence du son, mais l’Astbu ramène en plus ses c’mon c’mon et tout son power barbare. Le coup de génie se trouve vers la fin : «Universal You». L’Astbu monte à l’extrême assaut, on ne peut pas imaginer pire assaut. Sonic genius ! Une vraie marée. Encore une vraie dégelée avec «Emperor’s New Horse», même choc esthétique avec le fabuleux confessionnal qu’est «Saints Are Down». Il redevient le chanteur énorme que l’on sait avec «Sacred Life» - Hey sister/ What is sacred in your life - Il est l’un de ces grands chanteurs qui se savent se confronter aux réalités. «Gone» sonne comme une pluie d’acier, c’est un son qui relève de l’extrême et l’Astbu rôde dans le chaos. C’est sa spécialité. Il tombe sur le râble de sa dégelée. Personne ne peut le battre à ce petit jeu. On le voit encore remonter à la surface de «Coming Down (Drug Tongue)», il surplombe sa propre profondeur, sa voix ouvre des gouffres et cette façon qu’il a de monter au sommet de l’Ararat n’est pas si banale. Il charge bien la barque de son «Black Sun», c’est d’une grande portée, mais pas un coup de génie. Le gros Cult tape parfois dans la prévisibilité sans nom des abysses lovecraftiennes et finit par sacrifier l’émotivité sur l’autel de la Trinité. Duffy pompe les accords de «Cold Turkey» pour «Joy» et retour aux choses sérieuses avec «Star». Quelque chose de monstrueux y prend forme et l’Astbu entre là-dedans au believe in freedom. Il est violemment bon et ça tourne vite à l’insurrection. Il shoote tellement que ça s’auto-télescope dans des chaos de guitares. 

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             L’Astbu et Billy Duffy finissent par se fâcher en 1995. Alors l’Astbu monte les Holy Barbarians et enregistre un seul album Cream. Rrrroooarrr, l’Astbu rugit de plus belle dès «Brother Fights». Si tu as besoin de son, il est là, à profusion. L’Astbu sera un rock’n’roll animal ou ne sera pas. C’est encore une fois du big rockalama extrêmement chanté, percuté d’accords dans l’enfer de l’excelsior. Le guitariste s’appelle Patrick Suggs. L’Astbu ramène tout le power de son autorité, il navigue au niveau des géants comme les Doors ou Led Zep. Et comme tous les géants, il s’accorde un havre de paix, le morceau titre, que Scuggs survole comme un vampire. Retour au power avec «Blind», dans un whirlwind de guitares, l’Astbu chante à l’héroïque homérique, il redevient considérable. Avec «Opium» il tape dans l’opium du peuple et son «Space Junkie» te tombe sur le râble, l’Astbu se montre lourd de conséquences, aw my Gawd comme c’est bon, il t’encadre l’énormité comme seul peut le faire un grand shouter, il est l’égal de Jimbo. Encore plus stupéfiant, voilà «You Are There» qu’il attaque à la force tranquille de François Mitterrand, il module sa mélodie sur le toit du monde, c’est un grimpeur, le cut devient magique tellement il est bien balancé, joué aux accords de rêve, cette fois l’Astbu rejoint les Screamin’ Trees de Dust, même vibe ! Avec un mec comme lui, il ne faut plus s’étonner de rien. Il termine avec une entreprise de démolition, «Bodhisattva», il monte à l’assaut car c’est un vainqueur et comme il n’a rien perdu de ses réflexes, il passe à travers les murailles.

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             Puis il enregistre un album solo, Spirit/Light/Speed. On se doutait bien qu’il s’agissait d’un big album. L’Astbu ne sait faire que ça dans la vie. Des big albums. Il ramène tout de suite du son, dès «Back On Earth», il lance l’assaut très vite, c’est sa raison d’être. Il tape toujours dans le même registre : King Kong, c’est moi le plus fort ! Il est déjà all over tous les autres, rien qu’au chant. On entend des machines dans «High Time Amplifier», mais ça ne l’empêche pas de chanter au tranchant, il chante au génie pur, il passe en force, il en rajoute, il est là pour toi, et ça continue avec «Devil’ Mouth» et «Tonight (Illuminated)», c’est défoncé, alors tu es défoncé, ça devient logique, ça explose sans prévenir, il rôde dans le présent du rock, son ombre plane sur nous et puis voilà «The Witch (Sit Return)» attaqué au riff de fuzz, c’est un push, il peut te balancer le pire heavy fuzz box in the face, oh yeah yeah, voilà même le pire gaga Cult de l’univers. Le pire du pire. On se croirait à l’âge d’or du Cult. Il est chaque fois en plein dans le mille. Encore du fantastique power d’évocation avec «El Ché/Wild Like A Horse». Il monte là-haut sur la montagne, yeah you/ You’re wild as a horse, le chant s’enlace au guitaring, c’est exultant d’and you ! Te voilà encore avec un big album sur les bras.

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             L’Astbu et Billy Duffy se rabibochent en 1999 pour enregistrer un nouvel album : Beyond Good And Evil. Force est de constater qu’il s’agit une fois encore d’un very big album. Au moins deux coups de génie : «Take The Power» et «My Bridge Burn». Avec Power, ils se noient dans le son, tout est submergé de son, l’Astbu a encore des réflexes de niaque, il parvient à survivre à cet enfer, c’est allumé sous le feu, ce cut est au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, avec un Astbu qui parvient à chanter au-dessus de cette immense fournaise. Il attaque «My Bridge Burn» de front. Voilà encore une fabuleuse dégelée, le son est comme gorgé de retours de manivelle et de coups de wah, les coups de manivelle sont ceux de Ron Asheton et Duffy part en maraude comme un requin, celui des Dents De La Mer. Tout est beau comme un incendie urbain sur cet album, tiens comme cet «Ashes & Ghosts», un vrai blast, cette façon qu’il a de hurler dans la tempête fait de l’Astbu un génie, il blaste de plein fouet le Wall of Sound. Puisqu’on en parle, on le retrouve dans «War (The Process)», le Wall of Sound t’écrabouille d’entrée de jeu et tu as là la pire bass fuzz de l’histoire du rock, avec en plus un Astbu qui screame dans la soupe, woh-oh-oh, les vagues de son te submergent, tout explose. The Cult ! Wall of Sound encore dans «Speed Of Light», bien tartiné à la main lourde, woof, ça s’abat sur toi comme un énorme cataplasme de son, ces mecs sont d’épouvantables diables cornus, ils truffent le chou du lard de tous raffinements de l’enfer et Duffy asticote le brasier à la wah. C’est d’une rare violence sonique. Et comme d’habitude, l’Astbu chante au-dessus de tout ce bordel. On a aussi un «Shape The Sky» surchargé de son, d’accords et de drumbeat, de chant et de ressac de chant, et balayé par les vents de Duffy. Avec «The Saint», l’Astbu tape dans l’heavy brutalité du son, ces mecs naviguent hors des normes, bien au-delà du bien et du mal, comme l’indique le titre de l’album. L’Astbu s’en va chanter à la pointe du Raz, tout est monté en mayo pourrie, tout ici tue les mouches. Leur «Rise» se raye des cadres à coups d’accords, ils continuent de flirter avec le pouvoir absolu. L’écoute en soi est une expérience, tout est démesuré, tout tangue dans la cambuse. Sur «Nico», l’Astbu chante un peu comme Bono, c’est pas terrible, mais soudain, le cut prend feu, oui, le feu au Cult - Hey Nico stay strong in this world/ My girl - Rien d’aussi grandiose - I watched your spirit fly/ Across the velvet sky - et ça plonge dans le straight to hell. Seul l’Astbu peut monter un coup pareil

             Comme leur relation avec Atlantic se détériore, l’Astbu reprend son vol, c’est-à-dire son indépendance et rejoint Kreiger et Manzarek dans Riders On The Storm. Mais le projet est vite ratatiné par la famille de Jimbo d’un côté, et John Densmore de l’autre.

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             C’est Youth de Killing Joke qui va produire Born Into This. Avec cet album, l’Astbu n’en finit plus d’évoluer. Il envoie des déluges dès le morceau titre, il chante au sommet des désastres, c’mon, il ne tient plus la rampe qui s’est écroulée avec l’immeuble, mais le son tient bien la rampe. L’Astbu ramène même des chœurs de Dolls pour faire bonne mesure. On reste dans la destruction avec l’un des trois coups de génie de l’album, «Sound Of Destruction». Il entre en lice avec une niaque unique au monde, il est wild as fuck, le wild king of the Cult, cette façon qu’il a d’awiter est vraiment unique. «Diamonds» ? Okay, c’est du big heavy rock inspiré - She got diamond here - Tout chez le gros Cult relève d’une puissance inexorable. L’Astbu rebondit dans la vie et se passe volontiers des commentaires. Encore un coup de génie avec «Citizens», pas de problème, puisque l’Astbu bénéficie de l’un des meilleurs sons de la galaxie. Il se goinfre de cette masse en fusion et chante comme un dieu. Prod exemplaire. L’Astbu ramène du power jusqu’au bout du Citizen. Et voilà «Dirty Little Rockstar» attaqué à la basse de Néandertal, t’es foutu d’avance. Puis il éclate un pauvre balladif, «Holy Mountain». Il l’éclate à la classe pure. Il chante son gut out. Comme l’indique son nom, «Illuminated» est joué aux accords lumineux. L’Astbu passe en overdrive et lance son shine on. Power absolu ! Avec «Savages», il transplante son art dans l’épaisseur du son. Born Into This s’adjoint un mini-LP quatre titres. Tu dois te débrouiller, car tu as zéro info, pas de track-list, pas de rien. L’Astbu refait des siennes avec «Stand Alone». Il se projette aussitôt au sommet des possibilités. Il balaye tout son spectre. On l’admire. Impossible de faire autrement. «War Pony Destroyer» est le son des heavy exécuteurs. On entend glisser les lames. Mais ce qui frappe le plus, c’est le gusto de l’Astbu. Il entraîne son cut à travers une mer de flammes. On trouve une nouvelle mouture d’«I Assasin» - Me & my darkness/ Alone oh-ohh - Il remonte à contre-courant du son malade, comme un baron de l’An Mil, il festoie seul à sa table, avec des clameurs qui font peur. Nouvelle version de «Sound Of Destruction» où il sonne comme Iggy, mais avec son propre style. Il monte vite dans l’excès - I don’t feel anymore - Il s’éclate bien dans les vagues et ce n’est qu’une démo ! On tombe ensuite sur la full version de «Savages», l’Astbu reste un shouter exceptionnel, un pusher de push, n’allez pas prendre le gros Cult pour un groupe de série B.

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             Croisée du regard dans un bac de Gibert, la pochette de Choice Of Weapon ne laissait pas indifférent. Ce fut même le coup de foudre. Avec une pochette pareille, l’album ne pouvait être que bon. C’est un raisonnement qu’on a souvent tenu au fil du temps. Parfois ça marche, parfois ça ne marche pas. Dans ce cas, on peut dire que ça a marché. L’Astbu s’est déguisé en sachem indien, de ceux qui font vraiment peur et qu’on n’aurait pas aimé rencontrer au coin du bois à une certaine époque. Mais ce qui fait vraiment peur, c’est la suite de l’image à l’intérieur du gatefold : l’Astbu bandit un couteau de chasse indien. Ce n’est pas un opinel. D’ailleurs le cut d’ouverture de balda s’appelle «Honey For A Knife» et on sent tout de suite la présence de ce chanteur impressionnant. Il dispose d’une fantastique énergie du chant. Avec ce Knife, le Cult vise l’absolu cultissime, le power des tribus primitives d’Amérique. L’Astbu finit par avoir des faux accents de Screaming Trees. Il est le seul à pouvoir approcher cet art suprême. Il se bat pied à pied avec les vertiges, il vise l’immensément épique tout ici est porté par le chant. Avec «Life Death», il s’en va chanter là-haut sur la montagne, il en devient élégiaque. On entend encore les accords des Screaming Trees dans «For Animals». Incroyable consanguinité. Astbu chante le wild des prairies et des montagnes sauvages, il est le dernier mountain man de notre époque, comme le montre la pochette. Tout sur cet album est aussi épais qu’ambiancier, comme sculpté dans l’argile. C’est une masse. Avec «Lucifer» en B, l’Astbu durcit encore le tom, il va chercher des accents de plus en plus profonds, you are my Lucifer, il ne rigole plus, il nous entraîne dans des abîmes de perdition, on savait qu’il ne fallait pas lui faire confiance. «A Pale Horse» est une histoire de combat, you don’t stand a chance et il redevient l’un des plus grands hurleurs devant l’éternel avec «The Night In The City Forever». On trouve un deuxième disk dans le gatefold, c’est un EP quatre titres et le côté Screaming Trees revient avec «Every Man And A Woman Is A Star». S’ensuit le magnifique «Embers» et ses clameurs souveraines, c’est incroyablement drivé sous le heavy boisseau des légendes anciennes. Si on en pince pour la grandiloquence, alors le Cult est le groupe idéal. Il devient impressionnant à force de grandiloquence. Le côté élégiaque reprend le dessus avec «Siberia», ce qui paraît logique, vue l’étendue du territoire. 

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             Attention à Hidden City. C’est l’un des plus brillants albums de ce début de XXIe siècle.  Tu prends n’importe quel cut au hasard et tu es content du voyage. Tiens, on va prendre par exemple «Deepley Ordered Chaos». Ces mecs te tombent tout de suite dessus et tu ne peux rien faire. Tu entres en saturation comme d’autres entrent en religion, le gros Cult ne fait plus du rock mais du concassage extraordinaire avec un Astbu coulé dans la craie, il pèse de tout son poids sur cette fantastique débauche de plâtras, les accords sont beaux comme des haches qui s’abattent, tu ne peux pas échapper à ce carrousel d’extrême violence, l’Astbu est partout dans le ciel, il sonne comme un fléau biblique et Duffy abat ses haches d’accords avec une régularité qui fout la trouille, cette façon qu’il a de filocher à travers le son est unique au monde, tu passes sous les fourches Caudines du gros Cult, alors tiens-toi bien ! Un autre exemple avec «Hinterland». Hey ! Il rentre dans le chou du lard comme une épée. C’est à la fois une épée et une explosion. Te voilà suspendu dans les arcanes du son, et l’Astbu chante comme un beau diable, il amène des dimensions qu’on croit connaître, mais non, il crée un monde, il prend son temps, il chante par en dessous et soudain il tape dans l’Hinterland et ça dégringole de partout, tu as là l’un des plus beaux shakages de l’univers, with you/ Forever with you, il s’exacerbe, c’est un cut plein d’épisodes, il remonte à la surface des nuées avec des remugles plein la bouche, ça explose dans une soupe infâme de solos morts-nés, dans un océan d’avanie larvaire, Duffy fait tout ce qu’il peut pour survivre, c’est overwhelming et terrific, l’Astbu continue de monter son with you dans l’Hinterland, son poignant with you my love, c’est du génie pur, vibré comme du béton dans la gueule de Moloch. Et puis tu as «Birds Of Paradise» et sa belle profondeur de champ, beaucoup d’espace, idéal pour un déclameur hugolien comme l’Astbu. Il répand son souffle, il pose son chant comme s’il posait ses conditions et ça devient l’enfer sur la terre. C’est parce qu’il chante le Paradise que ça devient génial. Des chœurs des Dolls accompagnent cette descente aux enfers du Paradise. On descend littéralement dans la cave du Cult, mais l’Astbu veut la lumière du Paradise, alors il explose comme Lucifer, c’est d’une beauté tétanique. Il incarne l’ange déchu et fait glisser les accords dans la lumière, et là-bas, au loin, les chœurs qu’on entend ne sont pas ceux des anges, mais ceux des Dolls. L’Astbu pose sa voix sur l’acier en fusion. Des arpèges le transpercent, on sent le souffle de sa voix au dessus du brasier et là tu as certainement l’un des plus beaux cuts de l’histoire du rock. L’Astbu crée l’émotion des précipices. Et le redémarrage est une merveille unique au monde. Rien qu’avec ces trois cuts («Hinterland», «Birds Of Paradise» et «Deepley Ordered Chaos»), on est gavé. Pourtant, on trouve d’autre briseurs de noix sur cet album, comme par exemple «No Love Lost». L’Astbu y est le Chanteur Contre Le Pacifique. C’est le seul mec à savoir le faire. Son power dépasse celui des mots, comme chez Duras. Il pleut du feu. Alors tu te prosternes. Le «Dark Energy» d’ouverture de bal est aussi un passage obligé, car wild as fuck, avec un Astbu debout sous une pluie d’accords. Comme il est avant toute chose un seigneur, il se relève dans les décombres, c’est son numéro préféré, il sait faire le phénix du rock, le voilà dressé au beau milieu des décombres pour chanter. Et puis tu as encore «Dance The Night», visité par la grâce barbare, ce démon d’Astbu bénéficie de toutes les largesses de l’apocalypse. C’est encore une fois noyé de son. Il monte toujours à la rencontre d’un cut comme un sous-marin, et le plus souvent, il le torpille, mais c’est pour son bien. Tu vas tomber de ta chaise en écoutant le heavy sludge de «GOAT» et avec «Lilies», tu verras l’Astbu monter son chant par dessus la muraille de Chine d’un Wall of Sound, c’est gorgé de climats, terriblement texturé, taillé dans l’albâtre sonique. Encore de l’inexorable avec «Heathens». Ça te frise les moustaches. Sa voix vibre, jusque dans le cœur de l’atome. On note que Bob Rock produit tous ces albums géniaux.  

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             Sur Pure Cult. The Singles 1984-1995, on croise pas mal de vieilles connaissances, comme par exemple «Star», tiré de Choice Of Weapon et saturé de son, ou «Love Removal Machine», tiré d’Electric et saturé de Stonesy, ou encore «Heart Of Soul», tiré de Ceremony, ou encore «Wild Hearted Son», tiré lui aussi de Ceremony, et puis aussi «Sun King» dont on a déjà dit tout le bien qu’il faut en penser, au moment de Sonic Temple. L’Astbu propose en permanence un mélange de pleasant et d’unpleasant, il a des réflexes de wild rocker, comme Iggy Pop ou Roy Loney. Ce sont des gens qui savent chevaucher un wild beat. Le gros Cult sort du lot comme les Doors sortaient du lot, par la seule aura du chanteur. Ian Astbury est le prince des clameurs. Cette compile de Singles est très bien faite, elle permet de faire le tour du propriétaire et d’écrémer la crème de la crème. Le gros Cult mise tout sur le heavy sound. C’est un autre monde. Ils amènent «The Witch» à la basse fuzz. Une bénédiction !  L’Astbu explose «In The Clouds» au pur power d’hardcore king. Il se fond ensuite dans le bad ass groove de «Coming Down», c’est du sérieux et ça bascule une fois encore dans le limon de tes rêves inavouables. Il emmène «Wild Flower» au sommet du lard fumant, il monte vite sur ses grands chevaux et ça atteint une fois encore le sommet du lard fumant.

    Signé : Cazengler, peigne-Cult

    The Cult. Dreamtime. Beggars Banquet 1984

    The Cult. Love. Beggars Banquet 1985    

    The Cult. Electric. Beggars Banquet 1987   

    The Cult. Sonic Temple. Beggars Banquet 1989

    The Cult. Ceremony. Beggars Banquet 1991

    The Cult. The Cult. Beggars Banquet 1994  

    The Cult. Beyond Good And Evil. Atlantic 2001

    The Cult. Born Into This. Roadrunner Records 2007

    The Cult. Choice Of Weapon. Mystic Production 2012

    The Cult. Hidden City. Cooking Vinyl 2016  

    The Cult. Pure Cult. The Singles 1984-1995. Beggars Banquet 2000

    Holy Barbarians. Cream. Beggars Banquet 1996

    Ian Astbury. Spirit/Light/Speed. Beggars Banquet 1999

    Lee Powell & Duncan Seaman : All glory/ Electric. Vive Le Rock # 91 - 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Battle Fields (Part Four)

     

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             Il se pourrait fort bien que Lee Fields soit la dernière superstar de la Soul américaine, ce qu’Ahmet Ertegun appelait autrefois the original black American music. Dès que Lee Fields arrive sur scène, tu réalises qu’il est l’héritier direct de James Brown. Bootsy booty. Une vraie bête de Gévaudan. Chaque fois qu’il revient en France, il donne l’impression d’être encore plus vorace. Son secret ? Le wild as fuck, c’est-à-dire le raw de la Soul. Comme Sharon Jones, il concentre tous les pouvoirs, à commencer par le Black Power. Il vient en direct de l’I’m Black and I’m Proud, des poings levés de Tommie Smith et John Carlos à Mexico, du Doctor King et de Malcolm X, de Solomon et de Wicked Pickett, de Sly Stone et de Sam & Dave, du prophète Isaac et d’Aretha, il hérite de la spacio-génétique de Funkadelic, il dit et redit, pour les ceusses qui ne l’auraient pas encore compris, la grandeur du peuple noir, une grandeur qui passe par le pont des arts. La Soul est l’art nègre par excellence.

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             Lee ramène tout le saint-frusquin : la revue, les pas de danse, l’hot sax, les boots, les screams, la sueur, le juju, le mojo, les Flames, le funk, le feel, le fool, le fame, le feu, l’Afro, Lee t’enlise, Lee te lie à lui, Lee te lilipute, Lee luit dans les spots, Lee boit le calice jusqu’à la lie, Lee creuse le lit de la Soul, Lee voit loin, Lee ne pâlit pas, Lee verse des larmes, Lee te donne la lune, Lee Lady Lay, Lee lime, Lee t’élit, Lee t’allume, Lee t’allonge, Lee t’ilote, et soudain, Lee te ramène aux réalités avec un numéro de funk digne des grandes heures de son mentor, Jaaaaaaaames Brown :

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    il bloque le funk dans ses starting-blocks, le doigt sur la couture du pantalon, alors la gratte tinguelite et déclenche l’enfer du funk sur la terre avec «Money I$ King», Brother ! Il te harangue et te harponne - sad sad world where money is king - alors la nef des fous bascule dans l’enfer du paradis. What the hell ! Hey, t’auras jamais ça ailleurs. Il sort aussi le vieux «Standing By Your Side» d’Emma Jean pour rocker sa Soul, cette Soul progressiste qui te marche dessus comme une armée de l’antiquité lancée à la conquête des continents, c’est à ça et à vraiment ça qu’on mesure l’immense power de Lee Fields, c’est son côté mitterrandien, cette merveilleuse force tranquille black qui n’en finit plus de résonner sous ton crâne de mort, ça bat comme un pouls, ça bat comme un cœur.

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    Le fameux heartbeat d’Eric Burdon, tu l’entendras chez Lee de la terre. Et tu ne t’en lasseras jamais. Encore un numéro de cirque avec «Two Jobs», tiré du nouvel album, il raconte son histoire et la revue se met en ordre de marche, c’mon babe, diable comme ces mecs sont bons, rien que des petits culs blancs, mais des bons, bassman hocheur de tête, gratteux sobre mais claquemureur, sax man wild and frantic, beurreman milord-l’arsouille, shuffleman à la Georgie Fame, et Lee ergote comme un funkster, han ! sa femme lui dit Lee ramène du blé et Lee tape two jobs, joli prétexte à groover cette nef qui valse dans les grasses Sargasses de la Soul, Lee égrène les heures d’o’clock, c’mon baby, si tu veux danser sur le beat, c’est là que ça se passe.

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    Et puis, la cerise sur le gâtö, c’est bien sûr le coup du lapin : «Honey Dove» en rappel et là Lee te tue, mais tu meurs de bonheur, il revient en gilet jaune et tape dans le dur de sa Dove, l’un des plus grands hits des temps modernes - My baby love/ My honey dove - Lee la tire à l’infini, sa Dove - You’re hurting me honey/ Right down to the bone - il en rajoute des minutes et des minutes qui sonnent comme des minutes de Sable Mémoriel, il multiplie les faux adieux et n’en finit de demander à la foule si elle est heureuse, alors la foule rugit bien, Lee veut l’entendre encore rugir, alors la foule fait yeah yeah, Ooh, baby My baby love, tu en veux encore ?, tiens en voilà encore, il part mais ne part pas, il fait son cirque jusqu’au bout de ses forces, profite bien du bout de ses forces, car t’es pas près d’en voir d’autres des bouts de ses forces pareils, Lee t’en vas pas, mais il faut bien qu’elle aille au lit, notre True Star. Eh oui, mon gars, Lee a 72 balais. Vénérable. C’est pour ça qu’on le vénère. 

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             Alors qu’on le croyait un peu usé par le temps, il refait la une de l’actu avec un album superbe, Sentimental Fool. D’où cette tournée de promo.

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    Sur la pochette, il pose au milieu des cocotiers et il casse aussitôt la baraque avec «Save Your Tears For Someone New». Comme il vient de confier son destin à Daptone, il ne pouvait espérer de meilleur catchin’ up. Les Dap-Kings soignent Lee jusqu’au délire, le Save Your Tears sonne comme une merveille apocalyptique, c’est l’accumulation des forces qui rend le cut surnaturel : genius de Lee + genius de Daptone, ça donne de l’extraballe gorgée de power sous-jacent. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Without A Heart», un vrai shoot de Daptone shuffle. Lee grimpe à cheval et part à la conquête de l’Ouest. Il est rompu à tous les arts, surtout celui du wild as fuck. Les Dap-Kings drivent ça bien, tu as encore le génie de Lee Fields qui court sur la crête - Summer rain in my heart - Rien de plus expressif, de plus pressant, ça roule avec des percus de caboche et un extraordinaire relentless de shuffle d’orgue. Absolument demented ! Avec «Forever», il est tout de suite en selle, il va droit sur la Soul intense et moite. On est là pour ça et Lee Fields ne te déçoit jamais. Il faut aussi comprendre que cette heavy Soul ne parle pas à tout le monde. Son concert en Normandie n’affiche pas complet. Lee Fields fait de la heavy Soul, écrasée comme une prune sous le soleil exactement. Ça commence à groover sérieusement avec «Two Jobs», sur fond de shuffle d’orgue, et Lee ramène sa voix de James Brown, alors il t’éclate le Sénégal et tape un fantastique shoot de jive. Puis il te plonge dans le chaudron de la pire Soul de froti avec «Just Give Me Your Time». On n’avait pas vu un tel chaudron depuis le temps de «Please Please Please». Derrière, ça joue fabuleusement, aux notes déliées, don’t worry baby. Prod magique, comme d’habitude chez Daptone. Encore une merveille avec «The Door», les violons te happent, don’t leave me, c’est du big biz claqué derrière dans le mix. Ça se joue à un autre niveau, avec des couches supérieures et des effets de claquettes. Il fait encore merveille dans «Ordinary Lives», il fait du heavy Lee, il plante ses crocs dans la Soul, c’est un vrai scorcher, une fantastique présence, il incendie son crépuscule. Il passe au plus dansant avec «Your Face Before My Eyes», Lee est un vétéran, il sait mener un bal, il sait allumer la belle Soul de Daptone au plus haut point. Et puis cette fantastique aventure s’achève avec «Extraordinary Man», il fait sa prière, il n’est pas celui qu’elle croit, c’est bien plombé. Cet homme admirable se plie aux aléas du destin et c’est orchestré rubis sur l’ongle.

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             Oh et puis le voilà en couve de Soul Bag. Et six pages à l’intérieur. Dans l’interview, il parle bien sûr de son retour chez Daptone, après la fin de son contrat chez Big Crown. Gabe Roth  ? Il le connaît depuis belle lurette et s’entend bien avec lui. Pas de problème. Lee explique que Gabe lui présente des chansons, et il choisit. Lee confirme que Sentimental Fool a été enregistré au nouveau studio Daptone de Riverside, en Californie. Il évoque bien sûr ses vieux souvenirs de l’early Daptone en 1996, il évoque aussi ses vieux amis Sharon Jones et Charles Bradley. Mais au fond Lee n’a pas grand-chose à dire. Ce n’est pas un baratineur.

    Signé : Cazengler, Lee figue, Lee raisin

    Lee Fields. Le 106. Rouen (76). Le 11 février 2023

    Lee Fields. Sentimental Fool. Daptone Records 2022

     

    L’avenir du rock - La reine Elizabeth

     

             Pour se changer les idées, l’avenir du rock décide d’aller faire un tour à dos de chameau dans la Vallée des Rois. Avec sa chéchia, son nez courbe, sa barbe miteuse et son accent arabe, le guide est tellement caricatural qu’il semble avoir été dessiné par Hergé. Il précède l’avenir du rock de quelques mètres, juché sur un petit âne dont il bourre les flancs de coups de talons pour le faire avancer.

             — Li glande pylamide qué tu chouffle, sahib, ci celle du BiBi Kingue !

             — Diable, elle est deux fois plus grosse que les autres !

             — Les plêtles d’Anoubis pas ligoler avé Bibi Kingue, sahib ! Lui guitaliste pléfélé du gland Osilis.

             — J’aurais jamais cru que les dieux avaient aussi bon goût. Et la plus petite, à côté ?

             — Ci la pylamide dé Fleddie Kingue, sahib ! Lui guitaliste pléfélé du gland Holus.

             — Franchement, Mohammed, cette Vallée des Rois est du meilleur goût ! J’imagine que la pyramide suivante qui ressemble à une grosse glace fondue est celle d’Albert King...

             — Blavo Sahib ! Ci bien la pylamide d’Albelle Kingue, lé loi de la blouse-loque ! Lété fondu passe qui lé le pléfélé du gland Lâ. Tlop chauffé la caboche, hi hi hi !

             — Et toutes ces petites pyramides qu’on voit alignées par derrière ?

             — Cille là, Sahib, ci la pylamide du gland Eal Kingue di la Nivelle Ourlian, et a coti, ti as la pylamide du gland Ben I-Kingue, les pléfélés d’Anoubis.

             — Et celle qui est en construction, là bas ?

             — Ci celle d’Ilizibite Kingue, mais les ouvliers sont lentlés au village.

             — Pourquoi donc ?

             — Y faut attendle qu’Ilizibite casse la pipe, Sahib ! Ilizibite elle chante encole dans son village. Si tou veux Sahib, yé peu te vendle son delnié alboumme. Ci pas cher !

     

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             L’avenir du rock n’en revient toujours pas d’avoir trouvé le nouvel album d’Elizabeth King dans le désert. Il l’a eu en plus pour pas cher.

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    Il s’appelle I Got A Love, et sort sur Bible & Tire Recording Co., un label qu’on a salué ici-même voici quelques mois. Cette fois, la Reine Elizabeth opte pour une pochette psychédélique. On croit tenir dans les pattes un bootleg californien de Captain Beefheart, mais rassurons-nous, c’est bien elle, et elle attaque au fast heavy groove de Bible & Tire avec «What You Gotta Do». Si on aime le heavy gospel, on est servi. Elle enchaîne avec un pur r’n’b, «Stand By Me», elle te drive ça droit dans le mille, elle chante à la clameur du oh no de stand by me, le beat est d’une rare violence et ça bascule dans la folie cavalante. Il secoue les colonnes du temple. S’ensuit «I Got A Love», le truc de Jimbo Mathus, d’une rare intensité, ça sent bon la mainmise - Like a haunting stroll through the dark Memphis streets/ With a desperate cry of love and affection - Elle passe sans crier gare au gospel rock avec «I Need The Lord». Elle t’allume ça dans la lucarne au heavy gospel batching ball et Will Sexton gratte ses poux. On retrouve sur cet album la même équipe que sur l’album précédent, avec Sexton, tu as Mark Edgar Stuart (bass), George Stuppick (beurre) et Matt Ross-Spang, (second guitar). Le Master of Ceremony reste bien sûr Pastor Juan D. Shipp, personnage de légende dans le monde du gospel local. «My Robe» dégage bien les bronches, oh my robe ! , elle te monte ça vite fait en neige, oh my robe !, elle le danse dans l’entre-deux, aw, la classe de la Reine Elizabeth, elle le perpétue jusqu’à la fin des temps, oh my robe !, te voilà arrivé dans l’art sacré. Avec «I Know I’ve Been Changed» elle remercie Jésus de l’avoir changée. Et ça se termine en heavy loco de gospel des seventies avec «My Time Ain’t Long», une divine apocalypse. 

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             Lors de leur passage en Normandie, les Como Mamas avaient tellement marqué les cervelles au fer rouge qu’on est resté sur le qui-vive. Dès que paraît un Bible & Tire Recording, on lui saute dessus. Tiens justement, en voilà un de taille : The D-Vine Spiritual Recordings. Les liners nous indiquent qu’Elizabeth King est restée 33 ans avec ses Gospel Souls et qu’elle a élevé 15 gosses. The D-Vine Spiritual Recordings est une compile de Memphis Gospel batch, mais à l’ancienne. Ça démarre avec un «I Heard The Voice» enregistré en 1972, fantastique alliage de sensibilité et de power qui fut, nous dit le producteur Juan D. Shipp, un gros succès. Il avait demandé à Elizabeth King de chanter comme si elle faisait l’amour à Dieu - Nobody could sing like the original - Puis comme sait si bien le faire le gospel, ça explose avec «Wait On The Lord». Le coup de génie de l’album s’appelle «Here Waiting». Elle allume la gueule du gospel et ça tourne à la magie pure, elle détient le power d’Aretha - I find in Him sweet rest - Elle explose le batch, le gang joue heavy et les Gospel Souls chantent à la criée avec tout le jus du doo wop. Elle profite de «Jesus Is My Captain» pour amener Jésus en feulant dans la nef des fous de l’église en bois. Elle chante ça sous le boisseau de l’autel, elle rampe un temps pour mieux rejaillir et éclater dans la rosace d’une cathédrale imaginaire. Quel boulot ! On est encore plus effaré par «I Found Him» : c’est la classe du gospel croon de Broadway in Memphis, elle se barre en heavy groove de gospel jazz - I found him to be my hellbound chaser/ I found him to be my midnight rider - Incroyable tension du batch. Tout est beau sur cet album miraculé. La reine Elizabeth fait de la Soul de gospel, elle chante à la vie à la mort, comme une lionne, elle est l’Aretha des pauvres, la Soul Queen de Memphis, même si on sait qu’Aretha est elle aussi originaire de Memphis. Elle fait du r’n’b primitivo-spirituel. 

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             En 2021, la reine Elizabeth est devenue une vieille dame quand elle enregistre Living In The Last Days. Elle n’a plus la même voix. L’album décolle avec «He Touched Me». Les Vaughn Sisters font les chœurs, c’est très fin, quasi-chirurgical, tellement précis, à l’ozone près. Elle enfile une série de gospels classiques (gospel d’orgue avec «Living In The Last Days», Memphis beat avec «Mighty Good God» et heavy shuffle avec «A Long Journey»). Puis ça se met à rocker avec «Reach Out And Touch», monté sur un beau bassmatic ballochard. Avec «Walk With Me», elle demande beaucoup à Lawd - Lawd be my friend/ Don’t leave me alone - Elle attaque «Cal On Him» à la Sam Cooke. La reine Elizabeth termine cet album attachant avec l’a capella de «Blessed Be The Name Of The Lord», la voilà pure et dure, et elle enchaîne sur le plus beau des hommages : «You’ve Got To Move», le vieux classique de Mississippi Fred McDowell. Mister Jag et tous les repreneurs, prenez des notes.  

    Signé : Cazengler, Elizabête comme ses pieds

    Elizabeth King. Living In The Last Days. Bible & Tire Recording Co. 2021

    Elizabeth King & The Gospel Souls. The D-Vine Spiritual Recordings. Bible & Tire Recording Co. 2019

    Elizabeth King. I Got A Love. Bible & Tire Recording Co. 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - In the Mud for love

     

             Personne n’aurait pu dire ce que Mad avait au fond du crâne. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé de comprendre. Pendant des années, nous avons chevauché ensemble, mais il demeurait impénétrable, même lorsqu’il affichait son prodigieux sourire de gamin. Il ne parlait jamais de lui, sauf pour indiquer qu’il avait toujours eu les cheveux blancs, depuis sa plus tendre enfance. Lors des bivouacs, il grattait sa guitare à la folie, il torturait à n’en plus finir des thèmes de flamenco et nous avions beau lui répéter qu’il fallait garder le silence pour des raisons de sécurité, rien n’y faisait. Il grattait deux fois plus fort. On devait nous entendre à des kilomètres à la ronde et c’est un miracle que les chasseurs de primes ne nous soient pas tombés dessus. Mad ne craignait pas la mort, il avait déjà traversé le miroir. Il semblait observer les vivants comme on observe des curiosités. On se méfait un peu de lui, car il pouvait avoir un côté très dangereux. On l’avait vu à l’œuvre dans des saloons, il provoquait des rixes pour un rien. Il ne sortait son six coups que pour tuer à coup sûr, et souvent pour des prétextes bénins, du genre un malencontreux échange de regard ou simplement une tête qui ne lui revenait pas. Un vrai crotale. Il valait mieux être son ami que son ennemi. Mais personne dans le gang n’était vraiment sûr de lui à cent pour cent. Il chevauchait avec nous, c’est tout. Nous avions besoin d’hommes de sa trempe pour monter des coups sur les villes de la frontière, et peu de gens osaient encore risquer leur peau pour un sac d’or. L’or n’intéressait même pas Mad. Il nous laissait sa part et retournait gratter sa gratte. Quand il ne grattait pas, il fabriquait de l’alcool de cactus. Il en trimballait toujours des bidons accrochés en travers de sa selle et nous en offrait de grandes lampées lorsqu’on fêtait la réussite d’un casse. Son alcool de cactus montait droit au cerveau et pouvait assommer un bœuf. Mad pouvait en boire de grandes lampées au goulot de son bidon et rester de marbre. Un matin, on s’est réveillés et Mad avait disparu. Avait-il seulement existé ?

     

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             De la même façon que Mad, Mud fait partie des compagnons de route qui sont aussi des anomalies, et c’est justement parce qu’ils sont des anomalies qu’on se souvient d’eux avec autant de précision. Dans le courant des early seventies, les champions du glam savaient défrayer la chronique, mais d’une certaine façon, Mud raflait la mise. Ils intriguaient. Leurs pochettes ne laissaient pas indifférent. Ils flirtaient avec le pastiche, comme d’ailleurs les Rubettes, mais ils excellaient dans un genre purement britannique : le hit glam. Dans Vive Le Rock, le bassman Ray Stiles raconte l’histoire de Mud. Oh, cette histoire n’apporte rien de plus que les autres histoires, elle est celle de tous les groupes anglais qui rament pendant des années, qui jouent dans le circuit des cabarets et qui décident un jour de passer pros. En 1968, ils vont tourner en Suède, ils enregistrent deux ou trois singles qui ne marchent pas et se retrouvent au point de départ. Mickie Most les repère, leur conseille de changer de nom, leur propose Hot Chocolate, une idée soufflée par John Lennon, et leur dit de revenir le voir quand ils auront cassé le contrat qui les lie à leur agence. Retour au point de départ. Tournées en Angleterre. Mais comme tout le monde parle de Mud, Mickie Most dresse l’oreille. Il les signe en 1973 et les met dans les pattes de Chinnichap, le duo de compositeurs maison qui bosse pour RAK et qui fournit des hits à Sweet et à Suzi Quatro. Et pouf c’est parti !

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             En 1974, Mud fait sensation avec Mud Rock, paru sur RAK. Les Mud boys démarrent avec un hit signé Chinnichap, «Rocket», bien glissé sous le boisseau. C’mon now ! Son de rêve. Ils tapent ensuite une double cover «Do You Love Me/Sha La La La Lee» dans une fantastique ambiance. Big glam sound encore avec «Running Bear», le plus beau son de glam de l’an de grâce 1974. On retrouve cette grâce glammy en B avec «Dyna-Mite/The Cat Crept In/Tiger Feet», un véritable chef-d’œuvre. Ray Stiles indique que Sweet n’a pas voulu de «Dyna-Mite». Le reste de l’album tourne bizarrement en eau de boudin. Mais bon, à l’époque, l’amateur de glam savait se satisfaire de trois hits. C’est au moment de l’enregistrement de ce premier album que les Mud boys se posent la question du look. Comme son oncle est un Ted, Ray Stiles propose le look Ted, mais Rob Davis l’arrange à son goût. Le résultat de leurs cogitations se trouve sur la pochette de Mud Rock.

             Ray Stiles précise en outre que dans le duo Chinnichap, Mike Chapman était le real deal. Il était en studio avec les groupes. Nicky Chinn était plus un hustler, il négociait des coups, notamment les passages à Top Of The Pops. «Nicky pour le business, Mike pour la musique, ils s’entendaient bien», nous dit Stiles.

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             Il faudrait accrocher quelque part un écriteau disant : «Merci de ne pas prendre Mud pour des clowns». C’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute du Mud Rock Vol. 2 paru en 1975. «Living Doll» est du pur glam rock de Chinnichap. Ils tentent l’Elvisserie avec «One Night» et c’est du solide. Tout est solide chez Mud, le chant, le solo de Rob Davis. Ils font aussi une belle cover de «Tallahassee Lassie». Power pur ! C’est la prod RAK, bien rik et rak, c’mon baby ! Mais le chef-d’œuvre de l’album est la cover d’«Oh Boy» en B, une gospel cover de Buddy Holly, un suprême hommage, tapé à la perfection harmonique, when you’re with me Oh boy ! Ces gens-là sont des démons. Tous ceux qui ont entendu cette version d’«Oh Boy» à l’époque en sont restés marqués. Ils terminent avec une version kitschy kitschy de «Diana» et Rob Davis ulule dans le son avec des notes grasses et sirupeuses.

             Puis ils font une grosse connerie : il quittent RAK et Chinnichap, car Private Stock leur propose un gros paquet de blé. Quatre fois plus que Chinnichap, nous dit Ray Stiles.

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             Leur premier album pour Private Stock s’appelle Use Your Imagination. En ce temps-là, on savait faire des pochettes. Ah il faut voir leurs dégaines dans leurs costards bleus, ce sont de vrais glamsters. Ils démarrent l’album sur le pur glam d’«R.U. Man Enough», c’est-à-dire «Are You Man Enough», mais il faut attendre «Hair Of The Dog» pour renouer avec le vrai glam anglais : énergie, chaleur des chœurs, tout est là. Et la pulsion du beurre ! Ils tentent aussi le diable avec «Don’t Knock It», ça reste altier, pas trop maniéré et joué avec maestria. Ils font aussi des pastiches de rock’n’roll, comme ce «43792» monté sur le riff de «Something Else». Avec l’«L’L’Lucy» qui ouvre le bal de la B, ils sonnent comme Ziggy. C’est encore une fois excellent, plein de jus, battu sec et net. C’est avec le morceau titre qu’ils créent la surprise : ils tapent dans un groove de pop de très haut niveau, ce groove de good time music semble tomber du ciel. Beau comme un cœur. Ils virent plus poppy avec «Under The Moon Of Love». Rien de surprenant car c’est signé Tommy Boyce. Si tu es assez fan de Mud pour aller rapatrier la Mud Box sortie chez Cherry Red, tu vas tomber sur des bonus extraordinaires : «My Love Is Your Love» (une étonnante smooth pop, et là Mud devient un groupe passionnant qui sait se fondre dans le fondu) et «Don’t You Know» (Pop de charme, pure magie).

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             Depuis qu’ils ont quitté RAK, ils perdent de l’altitude. Ils rencontrent le même problème que les Monkees : en voulant leur indépendance, les Monkees se sont coupés de Don Kirshner et de Boyce & Hart, donc d’une source inépuisable de hits. It’s Better Than Working est un album nettement moins dense, et la pochette n’est pas du meilleur goût. Une sortie d’usine n’est pas un objet de plaisanterie. Tu trouveras un peu de glam en B avec «Note Of The Tiles», mais ils le jouent un peu trop vite et finalement, le compte n’y est pas. Puis ils basculent dans la putasserie avec «How Many Times» et «Don’t Talk To Me». Leurs atroces kitscheries n’ont aucun avenir. Dommage, car l’«It Don’t Mean A Thing» s’annonçait bien, aux frontières de la pop et du glam. C’est encore le son de l’Angleterre heureuse, juste avant Thatcher. Mais on remarque très vite une grave carence compositale. Ray Stiles & Rob Davis, ce n’est pas la même chose que Chinnichap. Ray Stiles & Rob Davis se lancent à l’assaut des charts et ça ne marche pas. Ils tentent de revenir au glam pur avec «Blagging Boogie Blues», mais ça bascule vite fait dans le fast n’importe quoi. Même remarque que précédemment : tu vas trouver dans les bonus de le Mud Box un «Time & Again» digne des Beatles de «Rocky Racoon». Et comme le dit si bien Phil Hendricks, Mud perd avec cet album ce sense of fun and bonhomie qui les caractérisait si bien, à quoi Les Gray ajoute : «I think we got too big for our boots. We were thinking we were Steely Dan.»

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             Retour au glam sur Rock On avec deux cuts : «Who You Gonna Love» et en ouverture de bal de B, «Careless Love». C’est le heavy boogie down d’Angleterre, bien porté par un bassmatic chevrotant. Les Gray chante «Careless Love» au tremblé émotif, porté par l’excellent stomping ground de Mud, et Rob Davis tire son solo à quatre épingles, oh c’mon, le son est tellement parfait ! On retrouve le Mud qui pondait jadis des hits glam intemporels. Cet album pourrait bien être le grand retour de Rob Davis qui éclaire «Burn On Marlon» d’un solo luminescent et «Let Me Get (Close To You)» d’un solo d’urgence claquante. Le reste des cuts n’est pas très convaincant. Dommage qu’ils n’aient pas capitalisé sur leur stock de glam attitude. Ils terminent l’album avec un gros clin d’œil à Eddie Cochran : ils reviennent au rock’n’roll avec une belle version de «Cut Across Shorty». Ils devraient le faire plus souvent, ils amènent leurs couplets aux clap-hands, dans leur environnement glam et ça redevient étonnant. Côté Mud Box et bonus, on se doit de saluer «Let Me Out», un puissant instro. Avec Rob Davis, c’est forcément du tout cuit. Ils font aussi une cover du «Just Try (A Little Tenderness)» d’Otis, mais en mode glam, it’s over/ tonite, c’est très bon esprit.          

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            Et puis voilà la chant du cygne : As You Like It, qui sort en 1979 avec une pochette voluptueusement illustrée. Ça part en mode diskö-pop avec «Dream Lover» et on est un peu triste, car Mud restait un groupe à fort potentiel. Ils se sont épuisés. On sauve «1-2 Love» sur cet album, qui bascule dans le glam après un mauvais départ. Ils font même du funk avec «As You Like It», puis du reggae avec «You’ll Like It», puis du gospel avec «So Fine». C’est toujours très solide au niveau son, et même assez beau. Ils font aussi de la pop incertaine avec «Right Between The Eyes». Ils sont parfaitement à l’aise dans tous les styles, puisqu’ils finissent l’album avec du doo-wah-doo-wah des fifties, une belle reprise du «Why Do Fools Fall In Love / Book Of Love» de Frankie Lymon. On salue une dernière fois Rob Davis et son «Roly Pin», planqué dans les bonus, car il crée autant de magie que Peter Green.

             Mud splitte en 1979. Les Gray monte Les Gray’s Mud, Rob Davis joue dans les Darts et Ray Stiles rejoint les Hollies en 1985.

    Signé : Cazengler, Mud alors !

    Mud. Mud Rock. RAK 1974

    Mud. Use Your Imagination. Private Stock 1975

    Mud .Mud Rock Vol. 2. RAK 1975  

    Mud. It’s Better Than Working. Private Stock 1976

    Mud. Rock On. RCA Victor 1978                    

    Mud. As You Like It. RCA Victor 1979 

    Mark McStea : Tiger feet. Vive Le Rock # 91 - 2022

     

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    Lorsque Thumos a annoncé vers la mi-juillet que son prochain opus serait Symposium, j’étais encore sous le choc esthétique de Course of the Empire, voir la chronique in Kr’tnt ! 562 du 07 / 07 2022, je n’ai pas eu le réflexe de ramener ce nouveau titre aux antérieures réalisations du groupe. A Course of Empire est une série de toiles du peintre américain Thomas Cole sur le sujet du destin de tout empire, il n’est pas interdit d’y voir une préfiguration pessimiste de la destinée des Etats-Unis… La version metallo-symphonique de l’œuvre de Thomas Cole opérée par Thumos peut ouvrir le champ à de similaires inquiétudes… J’ai passé tout l’été en me demandant à quel évènement, nommé Symposium, de l’histoire des States ce nouveau projet était consacré. Evidemment je m’étais enlisé dans une fausse piste. Je plaide coupable, je n’ai pour toute excuse que celui d’être français, car par chez nous il est très rare de nommer le Symposium selon son vocable original, il répond à un titre nettement plus évocateur : Le Banquet. Non pas le Beggars Banquet des Rolling Stones, mais de celui dont les abeilles de l’Hymette venaient butiner le miel de ses lèvres, j’ai nommé Le Banquet de Platon. En France tout le monde connaît ce titre sans même l’avoir lu, personne n’ignore, notre vieux fond gaulois attaché à la gaudriole aidant, que Le Banquet de Platon parle de l’amour. Evidemment c’est un agréable raccourci, peut-être convient-il avant d’écouter le Symposium de Thumos de nous attarder quelque peu sur le Symposium de Platon.

    LE BANQUET DE PLATON

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    Rappelons que Thumos a attiré l’attention de moult amateurs de musique rock par son adaptation – nous reviendrons sur ce terme peu précis – de La République de Platon (voir notre chronique 541 du 10 / 02 / 2022 ). Ces deux dialogues sont dissemblables : comparé au Banquet, La République est beaucoup plus austère, elle évoque un sujet que l’on qualifiera de théorique et que l’on définira grossièrement par la question suivante : quelle sorte de gouvernement pour une Cité idéale ? Selon les catégories platoniciennes du juste et du bon Le Banquet s’intéresse au Beau, qui dit beau pense à beauté et qui dit beauté pense au désir et à l’amour. Tout lecteur se sent directement interpellé…alors que les ratiocinations sur le meilleur des régimes politiques suscite davantage de méfiance et de scepticisme, surtout par nos temps troublés…

    Un banquet était composé de deux parties, l’on mangeait dans la première, l’on buvait dans la seconde nommée Symposium. Le banquet dont il est question dans le dialogue de Platon est terminé depuis plusieurs années lorsque débute l’œuvre. Nous n’y assistons pas en direct si l’on nous passe l’expression. Mais il est resté célèbre non parce que la boisson et les libations aux Dieux se succédant il aurait dégénéré, disons en orgie romaine, mais pour les discours qui y avaient été prononcés. Rappelons que si nous vénérons les textes de la Grèce Antique, l’enseignement était avant tout oral. Le savoir était transmis directement du maître aux disciples. Par exemple beaucoup de textes d’Aristote qui nous sont parvenus sont à l’origine des cours dispensés en salle de classe ou en marchant, une fois la leçon terminée les élèves se retiraient et notaient les paroles du professeur. Ecouter et mémoriser était primordial. L’on ne s’étonnera donc pas qu’Apollodore le narrateur puisse de tête reproduire les longs discours, ou du moins l’essentiel, qui avaient été tenus par les principaux convives tels que les lui avaient révélés Aristodème qui lui avait assisté à ces agapes intellectuelles et duquel la justesse des propos furent plus tard confirmés à Apollodore par Socrate lui-même…

             Pour la petite histoire Apollodore fut un élève de Socrate, il tentera de convaincre Socrate de plaider coupable et de payer une amende dont il se portait caution. Xénophon raconte qu’Apollodore assista à la fameuse scène de Socrate buvant la cigüe mais qu’il fut incapable de retenir ses pleurs… preuve ô combien évidente qu’il n’avait pas encore intégré l’enseignement de son maître…

             Le banquet est donné par Agathon pour fêter sa victoire au concours dramatique en l’honneur des fêtes Lénéennes (fin janvier-début février) dédiés à Dionysos, à Athènes. Après le repas proprement dit vint le moment de boire. Les convives sont fatigués, la veille Agathon a déjà offert à ses amis et invités une grande fête très arrosée… la proposition d’Eryximaque de boire modérément mais d’égayer la soirée en demandant aux participants de prononcer chacun à leur tour un éloge au Dieu Eros est acceptée par tous. 

    Sept discours se succèderont durant cette soirée mémorable. Ce n’est pas un hasard si le Symposium de Thumos comporte huit morceaux.  Pour les personnages évoqués par Thumos nous utiliserons la transcription française de leur nom.

              Un dernier avertissement à l’auditeur qui ne lève pas la nuit pour relire quelques pages de Platon :  malgré le sujet nous ne sommes pas en présence d’un ouvrage joyeux, laissons de côté les représentations romaines du Dieu Eros sous les traits d’un enfant facétieux qui s’amuse à vous percer le cœur de ses flèches redoutables qui peuvent vous rendre heureux ou malheureux si votre amour est, ou n’est pas, exaucé par la personne vers qui se porte vos désirs… Que le lecteur ne soit donc pas surpris par la tonalité grave ou dramatique de cette œuvre.

    SYMPOSIUM

    THUMOS

    ( Snowwolf records / 14 – 02 – 23 )

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    Thumos a découpé en huit parties le dialogue de Platon en suivant l’ordre de son déroulement chronologique, il faut avoir écouté l’œuvre en son entier pour en saisir l’unité organique, elle n’est pas composée de huit morceaux indépendants les uns des autres, elle est parcourue de la même tension qui ordonne l’enchaînement des discours successifs, l’on suit une gradation  qui par paliers emmène l’auditeur du plus simple au plus complexe, de l’évidence à l’idée, nous empruntons une courbe élémentale qui nous permet de gravir les échelons qui de la zone terrestre nous conduisent à l’espace éthéré. L’éther est le cinquième élément réservé aux Dieux, c’est son inconnaissance qui influe sur le destin des hommes et le transforme en déclin.  Le Banquet n'est compréhensible que si on le lit selon l’enseignement parménidien du double chemin, celui de la vérité et celui de l’erreur, pour employer des termes plus subtils celui de celui de l’être et celui du non-être. Sans doute Le Banquet doit-il être considéré comme la réponse de Platon à ce que l’on surnomme de nos jours le Traité du Non-être de Gorgias.

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    Phaedrus :  ce n’est pas un hasard si Eryximaque a proposé de parler d’Eros, il ne cache pas que ce sujet intéresse au plus haut point Phèdre, celui-ci est un féru de mythologie, les Dieux l’interrogent, il fut toutefois accusé d’avoir participé aux mutilations des statues d’Hermès et à une parodie des Mystères d’Eleusis, toute l’ambiguïté grecque envers les Dieux dans cette dichotomie intellectuelle et comportementale, les Dieux fascinent et révulsent… Plus prosaïquement le procès qui fut intenté aux coupables de ces deux crimes religieux (relevant de la peine de mort) est aussi la résultante d’un féroce combat politique entre les clans politiques qui se disputent le pouvoir, mais ceci est une autre histoire entre démagogie et tyrannie… Mais que déclare Phèdre dans son discours :   il est important de faire l’éloge du dieu Eros proclame-t-il car il est un des premiers Dieux qui soient apparus, ce qui prouve qu’il est un dieu fondamental… Mais pour en revenir aux hommes Eros oblige l’amant et l’aimé à se bien conduire, comment commettre une action honteuse dont on aurait à rougir devant son aimé ou son amant. Eros oblige à se surpasser et même à mourir non pas spécialement pour sauver celui qui survivra mais pour démontrer aux yeux de tous que l’Eros vous a donné le courage de de vous sacrifier pour être exemplaire aux yeux du survivant. Ce raisonnement se comprend parfaitement si l’on se souvient que la société grecque antique provenait de tribus guerrières doriennes dont la guerre était la modalité sine qua non de leur existence. Choisissons deux exemples parmi ceux proposés par Phèdre : après sa mort les Dieux accueillent Achille dans l’île des Bienheureux, il ne s’est pas écroulé après la mort de Patrocle son aimé, non seulement il l’ a vengé en tuant Hector mais par la suite il  a continué à se battre contre les troyens, rien à voir avec Orphée le pleurnicheur qui descend aux Enfers pour qu’on lui rende son Eurydice chérie, les Dieux ne lui permettent pas de la ramener, honte suprême il sera plus tard tuer par des femelles en rut…   Ecoutons maintenant comment Thumos évoque ce discours : l’auditeur à l’âme naïve et fleur bleue sera surpris par la gravité de ce début, l’amour n’est pas un tendre sentiment, la violence de la batterie digne des coups d’épée sur les boucliers de bronze démontrent à l’excès que l’éros est une affaire d’hommes et des plus graves, le morceau dépasse à peine cinq minutes mais la charge lyrique s’amplifie à chaque seconde, pour rester sur une image antique nous avons l’impression d’être au premier rang d’une phalange qui cède et plie sous la poussée ennemie, l’instant crucial où tout, défaite out victoire, est encore possible mais demande un surcroît de courage et d’engagement total de son être. Ne pas confondre éros et amourette. Pausanius : nous savons peu de choses de Pausanias sinon qu’il connaissait Prodicos, sophiste réputé pour sa réflexion sur le langage dont Socrate aurait suivi les enseignements et qu’il fut l’amant d’Agathon celui qui offre le banquet : Ecoutons Pausanias : son discours pourrait être qualifié de plus réaliste, il ne prend pas à témoin les héros de la haute antiquité, il s’intéresse aux hommes de son temps. Il y a Eros et Eros tout comme il existe deux Aphrodites. L’une céleste et l’autre vulgaire. Ceux qui aiment les femmes relèvent de la seconde, ceux qui aiment les hommes pour la simple jouissance de leurs corps aussi. Ceux qui suivent l’Aphrodite céleste sont les amants et les aimés qui entretiennent des rapports non pour une simple jouissance physique mais pour se comporter vertueusement chacun selon son rôle défini par la société. Il entre dans les détails, l’aimé doit être jeune ( et passif ) l’amant plus âgé ( et actif ) , le premier ne cède que pour progresser dans sa manière d’être un bon citoyen, le deuxième pour que son désir ait une action pour ainsi dire pédagogique et sur l’ami et sur lui-même… le rapport aimé-amant ne doit pas ressembler à la domination qui soumet l’esclave à son propriétaire, car ces soumissions sont celles des sociétés barbares et des cités commandées par un tyran. L’arrière-plan politique des représentations amoureuses apparaît nettement dans ce discours. Ecoutons Thumos : le rythme se ralentit mais très vite l’ampleur sonore reprend son incessante intumescence, nous ne sommes plus dans une société guerrière mais dans une cité policée, les jeux de la guerre cèdent la place aux préceptes sociétaux, aux lois, aux règlements, aux usages, à la manière dont sont perçus les bonnes actions et les mauvais comportements, tout se complique, le déploiement de l’influx instrumental devient luxuriant, ce n’est plus les épées et la force qui prédominent mais les regards de tous qui sont peut-être encore plus pesants et inquisiteurs que le choc du bronze et de l’airain, subitement la pression disparaît comme si au total en y réfléchissant tout  ne dépendait que de notre seule bonne conduite individuelle, un simple leurre, une illusion chassée par le doute, ce serait trop facile, la musique devient plus forte, l’on ne plie plus sous la poussée de ses ennemis mais sous le poids de sa propre responsabilité écrasante. Eryximachus : médecin de son état, ami de Phèdre : Lisons l’ordonnance du docteur Eryximaque : commence par critiquer le discours de Pausanias par trop schématique et incomplet. Il n’y a pas d’un côté la bonne Aphrodite et de l’autre la mauvaise, en toutes choses, en toutes sciences, l’on retrouve un mélange des deux Aphrodites, l’art du médecin est de rétablir l’équilibre des contraires entre ce qui dans le corps est en bonne santé et ce qui est malade. L’art du musicien sera de rétablir l’équilibre entre ce qui est trop aigu et ce qui est trop grave. C’est cet équilibre réalisé qui est la marque de l’Eros. L’Eros est comme le remède universel capable de réguler toutes choses, les humaines comme les divines. Eryximaque parle en praticien mais il offre à l’éros la première place, celle de premier régulateur du monde. Comment les praticiens musicaux de Thumos vont-ils ils mettre en pratique l’ordonnance d’Eryximaque ? : en offrant à Eryximaque un background musical d’une plénitude extraordinaire, font comme si Aristote avait décrété que le moteur immobile qui met en mouvement le monde était la musique, Thumos touche en ce morceau au grandiose en le sens où tout est là et rient n’est en trop ni en moins, si ce n’était l’amplitude enthousiasmante de ce court morceau spécifiquement humaine l’on pourrait dire que l’on atteint au domaine souverain des Idées. Aristophanes : l’on ne présente pas ce bouffon prodigieux que fut Aristophane, il n’a jamais rien respecté dans ses comédies, pour ce qui nous concerne, ni Agathon qu’il ne se gênera pas dans ce même dialogue de traiter d’inverti, comprenons de mâle passif, ni Socrate dont dans Les Nuées il trace un portrait à charge corrosif… Pour une fois Aristophane ne nous fera pas rire, ses propos ont fait rêver bien des générations : Aristophane raconte ce que nous nommons le mythe de l’Androgyne. Ces êtres humains primitifs qui possédaient soit un sexe soit les deux sexes, mâle et femelle, que Zeus coupa en deux, si bien qu’au travers de nos amours nous recherchons la moitié perdue… Comment Thumos a-t-il transcrit ce mythe ? : remarquons d’abord que les propos d’Aristophane sont en totale contradiction avec ceux d’Eryximaque qui affirmait que l’on retrouvait en toutes choses la présence de l’Eros alors qu’Aristophane déplore son absence en le lieu que nous privilégions par excellence : nous-mêmes. L’on pourrait accroire que le morceau souffrirait d’une quelconque disparité, qu’il serait comme boiteux, c’est bien ce qui arrive en ses débuts, mais ce vide va prendre une ampleur si démesurée qu’il devient aussi important que la plénitude précédente, mais là où ça sonnait plein, ici ça résonne creux, la musique semble cheminer sur une jambe, tantôt elle court et se hâte comme si elle avait aperçu sa chère moitié pas très loin mais elle a beau presser le pas, gagner en assurance, la voici encore une fois qui claudique, cahin-caha, le son se tortille telle une torpille qui ne sait plus où aller, elle marche comme un clown désespéré, toutefois le désespoir n’est pas sans atteindre à  une certaine grandeur humaine.  

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    ( Agathon )

    Agathon : aimé de Pausanias, élève de Prodicos et de Gorgias, sophiste envers lequel Socrate marque quelque déférence, chose rare chez lui, rappelons que c’est Agathon qui offre le banquet. Il passera les dernières années de sa vie à la cour du roi de Macédoine Archélaos, ce qui est le signe d’un engagement peu démocratique… Agathon parle moins des hommes que d’Eros : exactement de sa nature, c’est le Dieu le plus jeune, qui est venu après le règne de la Nécessité qui pendant longtemps soumit les Dieux à ses terribles lois qui engendrèrent conflits et violences entre les Dieux qui se disputèrent le pouvoir. Eros est le plus beau de tous, il fréquente les jeunes hommes qui sont à son image, il est le plus fort sans avoir besoin d’user de sa force,   il triomphe des hommes et des Dieux, il se glisse dans le cœur et l’esprit des hommes et des Dieux et aucun ne le chasse, tous l’accueillent avec plaisir. Il est le véritable guide des hommes. Autour de Thumos de transcrire le panégyrique d’Eros prononcé par Agathon : notes scintillantes de vives couleurs en introduction pour évoquer l’Eros d’Agathon, après les quatre premiers morceaux tempétueux pour la première fois Thumos nous livre un espace de grâce quasi virgilienne, mais cet instant de calme ne dure pas, la musique s’alourdit, certes elle reste éclatante mais elle se doit de montrer la puissance de ce Dieu hyper persuasif à qui personne ne songerait à s’opposer, un Dieu qui n’apporte que plaisir et volupté, ne le regrettons-nous pas lorsqu’il nous quitte, la musique se déploie telle une teinture de pourpre qui nous donne l’illusion d’être investi de la tranquillité et du rire des olympiens, en se glissant en nous, ne nous apporte-t-il pas l’intime conviction que nous vivons dans un monde de beauté et que nous tutoyons les Dieux, l’Eros est un songe que nous refusons de quitter. Thumos nous offre la plénitude du bonheur. Socrates : encre un que l’on ne présente pas. Le super héros qui a toujours raison, quoique vous ayez dit puisqu’il arrive à vous mettre en contradiction avec vous-même. Méfiez-vous s’il commence par vous couvrir de compliments. Ainsi commence Socrate : avouant qu’il est subjugué par la beauté du discours d’Agathon, lui trousse même un fameux compliment puisqu’il le compare aux paroles que prononce ou écrit habituellement Gorgias ( dont il admire l’aisance mais déteste la suffisance, ajoutons-nous).  Socrate ne se livre pas à proprement parler à un discours, il met en marche sa machine à concassage tous azimuts qu’il dirige contre Agathon. Par un jeu de questions-réponses habilement mené il le met en contradiction avec lui-même : Eros ne peut pas être amoureux de lui-même, donc Eros souffre de l’absence de ce qu’il est, de sa beauté et de sa bonté, donc Eros n’est ni bon ni beau. CQFD ! Gros challenge à relever pour Thumos : comme une dissonance en introduction et quelques chuintements de mauvais augure, coups de boutoirs de pelles mécaniques qui s’abattent sur des murs, écrasement total, avance incoercible de rouleaux compresseurs qui réduisent les débris en miettes, immédiatement suivis de tractopelles qui déblaient le terrain comme s’ils repoussaient des jouets d’enfants, mise en œuvre d’une puissance incoercible à laquelle rien ne saurait s’opposer, la musique baisse d’un cran le temps que les auditeurs prennent conscience de la victoire de Socrates sur la branlante faiblesse de tous ceux qui l’ont précédé. Les dernières notes comme le signe de désolation qui s’est emparé des adversaires convaincus de la supériorité éminente de leur adversaire.

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    ( Socrate recevant l'enseignement de Diotime )

    Diotima : Socrate ne se vante guère de sa victoire, il ne sait pas (l’hypocrite) s’il sera capable de faire mieux que ceux qui l’ont précédé, il prononce tout de même son discours, mais ce n’est pas le sien, il avertit qu’il ne fera que rapporter un discours qu’il a entendu de la bouche d’une prêtresse de Mantinée qui se nomme Diotima. Evidemment   c’est la Diotima du Banquet qui donnera son nom à l’héroïne du roman Hyperion d’Hölderlin. (Voir notre chronique suivante sur Les Doors.). L’enseignement de Diotima : Diotima tire les conclusions de la démonstration de Socrate qu’elle partage, si Eros n’est ni beau, ni bon il n’est pas un Dieu car les Dieux sont naturellement beaux et bons, il n’est pas un homme, il n’est pas un Dieu, il est mortel et immortel, il est un Démon, ces êtres qui servent d’intercesseur entre les Dieux et les hommes. Eros est pauvre, laid, et peu savant, tel est-il, sans quoi il serait un Dieu, mais de par sa nature il recherche le beau qu’il ne possède pas et nous devons l’imiter. Si nous trouvons l’être aimé nous atteignons un faux bonheur puisque tout être est mortel. Si l’être que nous aimons est beau, il faut s’apercevoir que d’autres jeunes gens aussi sont beaux et comprendre que puisque ces jeunes mortels sont beaux nous nous devons de rechercher  la beauté en tant que telle, dont nos jeunes gens ne présentent que des reflets, nous devons chercher à tomber en contemplation amoureuse à l’intérieur de nous de l’idée de la Beauté… Il est un aspect du discours de Diotime que nous avons occulté, ce qui unit la création poétique à l’immortalité, nous laissons à Thumos le soin de se charger de cette tâche : ce n’est pas la musique des sphères qu’ils nous offrent, se placent  à la fin du discours de Diotime, ce moment absolu où toute tension est abolie, puisque l’Idée apparaît, nous ne voyons pas l’Idée mais ils décrivent la sensation de calme, de quiétude et d’extase libératoire qui vous saisit, ils ne dévoilent pas l’Idée mais la musique claironne brusquement, un éclat de feu inonde nos oreilles, nous n’avons jamais été aussi proches des Dieux.

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    ( Entrée d'Alcibiade )

    ( Tableau d'Anselm Feuerbach : Le Banquet de Platon - 1873 )

    Alcibiades : si l’on omet les penseurs et les poëtes de la Grèce antique, les deux personnages historiaux les plus fascinants que les Grecs nous aient laissés sont Alexandre et Alcibiade. Ce dernier est moins connu du grand public, si les Dieux ont poussé Alexandre pour reprendre une citation célèbre sur la pente fatale de la victoire, ils ont jeté Alcibiade sur le toboggan du scandale. Il était beau, jeune et riche, tout lui souriait, il fut un stratège redoutable et sur terre et sur mer, mais il se joua des hommes, de sa patrie et des Dieux sans vergogne. Ne fut-il pas, entre autres, lui aussi impliqué dans le scandale de la mutilation des Hermès… Le voici qui débarque totalement ivre chez Agathon, heureux et horrifié de rencontrer Socrate, il n’hésite pas une seconde à se risquer dans un discours : il ne se lance pas dans un éloge à Eros mais à Socrate : Athènes compte de grands orateurs mais le seul qui retienne son attention c’est Socrate, il aime à l’entendre discuter, Socrate parle vrai et juste, Alcibiade reconnaît qu’au lieu d’avoir de grandes visées politiques il ferait mieux de rester assis à ses côtés pour suivre son enseignement. Alcibiade avoue qu’il est amoureux de Socrate et qu’il aurait volontiers été son aimé, à plusieurs reprises il aura tenté de faire en sorte que Socrate cède à ses avances (très) rapprochées, mais rien ne se passa comme il le voulut. Ces déconvenues érotiques ne l’empêchent pas de décrire l’imperturbable courage, la vaillance et la modestie de Socrate lors des campagnes militaires, et de souligner qu’il n’est pas différent sous les armes que dans les rues d’Athènes… L’on peut se demander si dans ce dernier titre Thumos se laissera séduire par la brillante franchise de d’Alcibiade ou par le panégyrique de Socrate : l’on est surpris par l’intensité sonore et la tension dramatique du morceau, les dernières pages du Banquet ne déparerait  pas dans une scène de comédie ( si Platon est un grand philosophe, il est aussi un littérateur émérite ), par ce final grandiose d’une force extraordinaire Thumos entend sans doute nous avertir de ne pas prendre Le Banquet pour une œuvre légère, mais une œuvre écrite au plus près de tout individu qui se sent envahir par une énergie et un désir si absolus que les Grecs ne pouvaient se résoudre à expliciter son surgissement en notre corps et notre esprit seulement par notre animalité primordiale, dont ils préféraient dire que seuls les Dieux en étaient les dispensateurs originels.

             L’on peut évidemment écouter Symposium en tant que simple œuvre musicale. Les amateurs de Metal n’en sortiront pas déçus. Loin de là ! Toutefois ce serait passé à côté du projet si particulier de Thumos. Stéphane Mallarmé, évoquant Richard Wagner, affirmait que la musique avait volé son bien à la poésie, commencerait-elle grâce à Thumos à voler son bien à la philosophie…

    Damie Chad.

     

     

    THE DOORS

    PHILIPPE MARGOTIN

    (H.S. Collection Rock & Folk N° 24 / Février 2023)

     

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    Philippe Margotin s’est chargé à lui tout seul du Hors-Série Rock & Folk sur les Doors. L’a l’habitude, l’a déjà signé un gros tas de monographies aux grands noms, disons gros vendeurs du rock, en vrac : U2, Amy Winehouse, Rolling Stones, Muse, Radio Head, Police, AC/DC, Pink Floyd, Lennon, Elvis Presley, Clapton, et j’en passe… L’est aussi directeur de collections, notamment de ces gros pavés, La Totale, en compagnie de Jean-Michel Guesdon, qui propose l’intégrale des morceaux de Dylan, de Led Zeppelin, des Beatles, et autres monstres du même acabit… bref pas tout à fait un public de niche, plutôt de chenil… les chiens perdus sans collier du rock ‘n’roll, ce n’est pas son truc.

    Que penser de ce dernier opus, les admirateurs des Doors qui ne sont pas nés du dernier orage sur Los Angeles n’apprendront pas grand-chose, les néophytes y trouveront pitance roborative. Margotin fait preuve d’honnêteté intellectuelle, il produit un magazine, comme son titre l’indique, sur les Doors et non pas sur JIM MORRISON et les Doors. Bien sûr il ne néglige ni ne cache la personnalité hors-norme de Jim, mais il ne réduit pas ses partenaires à la portion congrue. Ils sont quatre en tout et il partage le gâteau en quatre. Il analyse les six albums studio du groupe, titre par titre, n’oublie personne, chacun est crédité et loué pour son apport. Donne même envie de réécouter tel ou tel titre pour se focaliser sur telle ou telle partie de l’instrumentation à laquelle l’on n’aura prêté qu’une maigre attention. Ne rate ainsi jamais pour relever dans le blues-rock fondamental qui forme le terreau des Doors les relents de jazz et de musique classique. L’on ne crée pas à partir de rien. Mais de tout ce qui a précédé. Imitation et rupture sont les deux mamelles de toute action créatrice.

    Son principal mérite est d’analyser l’œuvre du groupe, et principalement cet aspect : l’on a dû couper la moitié, j’exagère seulement le quart, de la forêt amazonienne pour produire le papier consacré au procès qui sera mené contre Jim pour exhibition de ses parties sexuelles lors du  concert du 1er mars 1969 à Miami… Margotin mégote un max, pas plus de trente lignes, car ce qui l’intéresse c’est juste la musique, car music is your only friend til the end… Idem, il donne en moins de cinquante lignes les deux versions de la mort de Jim sans embaucher un cabinet de détectives privés pour reconstituer la scène finale.

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    Bien sûr Margotin replace la formation du groupe dans son contexte, les années soixante sont celles d’une explosion culturelle, les vieux codes issus du puritanisme chrétien qui régissaient les corps et les esprits volent en éclats, augmentation des consciences et libération sexuelle marchent de pair avec un désir anarchisant de liberté et le refus des violences institutionnelles et étatiques… Le rock‘n’roll est le principal véhicule de cette nouvelle sensibilité. Car davantage que d’autres pratiques artistiques c’est en lui et par lui que la jeunesse reconnaît l’expression signifiante de son mal-être intime et sociétal. N’en ratons pas pour autant l’occasion de parler de Jim Morrison.

    C’est dans ce chaudron en ébullition que va se jouer le destin de Jim Morrison. Il en est, de par sa place de meneur charismatique d’un des plus importants groupes de rock du moment, l’un des leaders reconnus. Il fait partie intégrante de cette réalité donnée, mais à l’intérieur de celle-ci il se sent totalement étranger. Il a tout compris, mais il se sait incapable d’y apporter la moindre remédiation. L’est comme un extra-terrestre qui du haut de sa soucoupe volante comprendrait les errements de l’espèce humaine, qui saurait comment les contradictions qui agitent ces animalcules pourraient être unifiées, mais qui doit d’abord se préoccuper de résoudre les siennes.

    Le problème de Jim Morrison c’est d’être une pièce essentielle de l’échiquier mais placée sur une mauvaise case. Il possède toutes les caractéristiques d’un musicien, et pas n’importe lequel, lui il joue de l’instrument le plus proche de l’être humain, tous les autres (violons, guitares, tubas, pianos…) ne sont que des béquilles, le sien est directement hanté sur sa chair : la voix.

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    La voix détient cet étrange privilège d’être le vecteur du son et du sens du chant et dire, de la musique et de la poésie. Or Morrison le sait. Il ne provient pas de la musique mais de la poésie. C’est ainsi. C’est son histoire personnelle. Il n’y peut rien, puisqu’il s’est sciemment construit ainsi. Par les coïncidences du hasard affirmeront les uns, par sa propre nécessité intérieure. 

    Reste à savoir comment l’on considère Jim Morrison. Au pire un parolier particulièrement (très) doué au-dessus de la moyenne des producteurs de lyrics rock, mais pas davantage. D’ailleurs son œuvre ne donne-t-elle pas l’impression d’un vaste chantier inachevé ? Il suffit de lire l’Anthologie Jim Morrison parue en octobre 2021 pour en être persuadé.

    Philippe Margotin ne partage pas cet avis, il classe Morrison parmi l’un des poètes les plus importants de l’Amérique. Mais il ne dit pas pourquoi et en quoi.  La réponse à ses questions n’est pas des plus faciles et ne rentre pas dans le champ désigné par le titre du numéro. Essayons d’y voir plus clair.

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    Un poëte américain ? La réponse est évidente. Oui Morrison évoque la réalité de l’Amérique de son époque, oui il s’inscrit dans la continuité de la Beat Generayion, mouvement poétique aux thèmes profondément américains, la route et la frontière, le premier n’étant que la résultante du second, la frontière ne peut aller plus loin que le Pacifique, désormais la route tourne en rond et se mord la queue, l’Amérique est devenue le lieu fermé de la contemplation de sa finitude. En quelque sorte le neuvième cercle de l’enfer de Dante.

    Nous n’avons pas choisi le terme platonicien de contemplation au hasard. Qui regarde au juste ? : celui qui regarde ou ce qui est regardé ? L’Idée, la forme regardée du spectacle du monde physique ou idéel, ne construit-elle pas la vision de celui qui regarde qui ne peut regarder que son propre miroir. Dont il est le reflet.

    Le monde de Morrison est strictement délimité, à un bout le sexe à l’autre bout la mort. Ces deux limites sont intangibles, aucune n’illimite l’autre. Ce ne sont que les deux points cardinaux des catégories qui cernent l’essence de tout ce qui est selon Aristote : production et destruction ou génération et corruption.

    Il existe des moments historiaux lors desquels ces abysses qui bordent toute présence au monde apparaissent plus prégnants… Les années soixante furent de ceux-ci. Certains individus le ressentent plus fortement que d’autres. En d’autres termes le monde n’est plus qu’un champ de ruines entre ce qui s’écroule et ce qui ne parvient pas à être. Vision des plus pessimistes que l’on retrouve par exemple en Europe chez Hölderlin qui nous laisse une œuvre en lambeaux et sa revendication désespérée à fonder ce qui demeure. Margotin insiste notamment sur l’aspect décalé de Morrison par rapport à son époque, à son public, à tous ceux qui se revendiquaient de lui sans rien comprendre à sa démarche.

    Or ce qui fonde ce qui demeure ne peut-être pour Hölderlin que le chant du poëte. Etudiant Hölderlin, Heidegger a longuement réfléchi sur ce qui empêche, hors de toute anecdote historiale, la poésie de remplir cette mission, que lui le philosophe attribuait à la pensée. Dont il reconnaît le même échec de toute tentative d’accomplissement fondamental. Il en vient à souhaiter la mise en place d’une pensée qui ne soit plus pensée mais qui emprunte les modalités de son Dire au Chant de la poésie. Cette position est réversible : le Chant de la poésie se doit d’emprunter les armes du Dire de la pensée. Notons que Morrison fut un grand lecteur de Nietzsche, dont le destin se joua selon la trilogie de la musique, de la poésie et de la pensée. Certes Morrison n’a jamais possédé l’armature intellectuelle de ces trois européens héritiers d’une longue réflexion vieille de plusieurs siècles dont ils ont su devenir les dépositaires. Mais il eut le pressentiment des falaises abîmales au-haut desquelles il se tenait. Il tenta de substituer au Chant et au Dire le Mythe et ainsi de dépasser ses propres contradictions. Penser selon les Dieux – Apollon ou Dionysos - est dangereux. Ce sont des concepts certes opératoires mais qui vous enferment en vos propres limitations. Au lieu de pérorer sur le groupe des 27, il conviendrait plutôt de regretter le temps qui a manqué à Jim Morrison.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 588 : KR'TNT 588 : DAVID CROSBY / WHITE STRIPES / ELVIS PRESLEY / THE CULT / OTIS LEAVIL / THE CONFUSIONAIRES / 4AM NEW YORK EXPERIMENT / CHAOTIC BOUNDS SYSTEMS / ROCKAMBOLESQUES

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    LIVRAISON 588

    A ROCKLIT PRODUCTION

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    16 / 02 / 2023

    DAVID CROSBY / WHITE STRIPES

    THE CULT / ELVIS PRESLEY / OTIS LEAVIL

    THE CONFUSIONAIRES / 4AM NEW YORK EXPERIMENT 

    CHAOTIC BOUND SYSTEMS / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 588

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    Crosbibi Fricotin - Part Two

     

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             S’il est un personnage attachant dans l’histoire du rock, c’est bien David Crosby. Ça doit faire quarante ans qu’on est là à se dire : «Ahhh, comme il est doué, ce Croz !». Il a navigué dans l’histoire du rock à sa façon, sans heurts, entouré de belles femmes et équipé des meilleures drogues. On le retrouve sur des disques qui figurent parmi les grands classiques du rock américain : les premiers albums des Byrds, CS&N, mais aussi ses albums solo. Qui fera le tour du propriétaire s’apercevra qu’il n’y a quasiment pas de déchets dans cette impressionnante série d’albums. Croz est l’hédoniste des temps modernes, au sens où Oscar Wilde l’était en cette fin de XIXe siècle pourtant riche en personnalités extrêmement raffinées.

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             Non seulement les quatre premiers disques des Byrds te rendaient dingue, à l’époque, mais ça prit des proportions encore plus spectaculaires avec le premier album de CS&N et surtout le premier album solo de Croz, If I Could Only Remember My Name, qui reste avec Electric Ladyland l’un des plus grands disques de rock psychédélique de tous les temps. Croz est un grand héros américain, au même titre que Captain Beefheart, J.B. Lenoir, Muddy Waters, Wolf et Jeffrey Lee Pierce. On en prend la mesure en lisant le premier volume de ses mémoires, Long Time Gone. On se délecte de ses récits de rocker et de navigateur, au gouvernail du Mayan, de son apologie des armes et des drogues, mais aussi du récit qu’il fait de ses incarcérations.

             Croz fournit le fil rouge de Long Time Gone, et des témoignages d’amis et de collaborateurs viennent étoffer le récit. Cet ouvrage est certainement l’un des plus passionnants et des plus honnêtes du genre. Au long des 500 pages que compte ce pavé, Croz dit tout de sa passion dévorante pour la dope et donne tous les détails de ses incarcérations successives. 

             Il est arrêté une première fois sur Sunset Boulevard alors qu’il fume une bonne pipe d’herbe au volant. Rangez-vous ! Le bourre ouvre le coffre et trouve un kilo d’herbe et un calibre chargé. Allez hop, au poste ! Croz dit qu’il n’est pas au courant du kilo et du calibre. Ça ne m’appartient pas ! On le relâche. Pendant quelques temps, Croz va jouer avec le feu, en circulant complètement défoncé dans ses voitures de sport et sur ses grosses motos. Il tourne à la freebase. Pour ceux que ça pourrait intéresser, il donne tout le détail de la façon dont on prépare une pipe et du rush que ça provoque. Un soir, sur l’autoroute de San Diego, il perd le contrôle de sa voiture. Les condés le ramassent, comme la première fois, avec tout le matos du parfait camé et un calibre chargé. Il passe la nuit au trou. Le lendemain matin, il est libéré sous caution. On commence à parler de l’affreux camé Crosby dans la presse. Il est arrêté une troisième fois en septembre 1982. La volaille de Culver City le chope à sa sortie de scène. Croz doit encore payer pour sortir des pattes des flics qui veulent sa peau. C’était courant à l’époque : les condés s’acharnaient sur les rock stars qui se rendaient vulnérables en se camant ouvertement. Pour financer sa freebase, Croz revend ses bagnoles (une Ferrari, deux Mercedes, une 6,9 litres et une 6,3 qu’il revend à un dealer pour une livre de coke et quatre mille dollars). Croz passe son temps à disparaître pour aller fumer sa pipe, même en avion, où c’est interdit - By that time, if I didn’t have my drugs, I couldn’t function - Stills excédé lui a jeté un soir un seau d’eau dans la gueule. Croz a réagi en lançant : «If Ray Charles can do it, I can do it. If Coltrane could do it, I can do it !». Croz et sa poule Jan prennent un avion à Kansas City. Ils se font poirer avec deux sacs suspects qui contiennent le matos habituel et les armes de Croz. Jan prend tout sur elle. Chef d’inculpation : piraterie aérienne. Ça commence à chauffer pour de bon. Elle s’en sort en acceptant de suivre un programme de probation. Un soir, alors qu’il roule en Harley, un flic arrête Croz et demande à voir ce que contient le fameux sac à dos qu’il trimballe partout avec lui. Il doit verser 5 000 dollars pour sortir du ballon. Et page après page, il raconte la descente aux enfers classique, les amis qui s’éloignent, les revenus qui se tarissent, la crasse qui s’installe dans la baraque et la transformation physique. Croz à l’époque est complètement bouffi. Jan est encore plus accro que lui. Elle n’est plus que l’ombre d’elle-même. On oblige Croz à se désintoxiquer, mais il fait le mur et prend la fuite. Puis les flics du Texas viennent le chercher à Greenwich Village. Croz écrit tellement bien ses mémoires que son récit fonctionne comme un film d’action. Ils tapent à la porte et disent bonjour. Croz se retrouve au ballon à Dallas et une fois de plus, il réussit à sortir sous caution. Retour à LA. Au bout de 14 ans de régime junk, Croz ressemble à un clochard. Comme sa liberté ne tient plus qu’à un fil, il prend une bagnole et file vers le Nord à la recherche du Mayan, dont il n’a plus de nouvelles depuis longtemps. Il espère lever l’ancre et prendre le large, vers le soleil. Mais il comprend que la rigolade est terminée. Il arrive pieds nus au bureau du FBI de Palm Beach pour se rendre. Et là commence l’extraordinaire récit de son incarcération. Il ne fera qu’une année de placard, mais il dit ne rien regretter de cette expérience. Et forcément, il est désintoxiqué d’office. C’est un Croz bouffi aux cheveux courts et sans moustache qui sortira du Texas Department of Corrections d’Huntsville en août 1986.

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             Il brosse aussi des portraits spectaculaires des gens qu’il admire : John Coltrane (Croz raconte comment il s’est retrouvé avec deux amis - les trois seuls blancs - dans un club noir de Chicago, Coltrane est sur scène avec McCoy Tyner et Elvin Jones, ils prennent des solos à tour de rôle, Coltrane sort de scène, et Croz ne peut pas supporter l’intensité du solo d’Elvin Jones, alors il se réfugie aux gogues, il essaie de reprendre conscience, «when the door went wham and in walks John Coltrane, still playing at top intensity and volume, totally into it», oui, Trane entre et continue à jouer en solo, à fond - he blew me out so bad I slid down the wall - Croz s’écroule. Il pense que Trane ne l’a même pas vu - but he totally turned my mind to Jell-O at that point (Trane lui a réduit la cervelle en bouillie) - Portait de George Harrison - There are people that tell me I turned him on to Indian music (des gens disent que je l’ai branché sur la musique indienne). I know I was turning everybody I met on to Ravi Shankar because I thought Ravi Shankar and John Coltrane were the two greatest melodic creators on the planet and I think I was probably right (Croz poussait tous ceux qu’il rencontrait à écouter Ravi Shankar, car il pensait que lui et Trane étaient les deux plus grands mélodistes du monde) - Encore un sacré portrait, celui de Mama Cass. Elle et Croz étaient très proches et prenaient de l’héro ensemble - We used to get loaded with each other a lot. We loved London because there was pharmaceutical heroin availiable in drugstores (ils adoraient Londres où on pouvait se procurer de l’héro dans les drugstores) - Tiens et puis Joni Mitchell, découverte par Croz. «Guinnevere», qui se trouve sur le premier album de CS&N, est une balade létale dédiée à Joni Mitchell, dont il s’était amouraché et dont il avait produit le premier album avant de la céder à Graham Nash qui voulait absolument la baiser, comme il voulait baiser toutes les poules de ses amis. Joli portrait d’Ahmet Ertegun, le boss d’Atlantic - Sweet man that he is and gentleman that he is, Ahmet loves music - Ce gentleman aime vraiment la musique, ce qui pour Croz est assez rare dans l’industrie musicale. Il ajoute que John Hammond Sr est aussi une exception, puisqu’il a enregistré Billie Holiday ET Bob Dylan. Et puis, comme on l’imagine, il brosse aussi des portraits sensibles de Roger McGuinn, du Nash et de Jerry Garcia.

             Croz n’a pas fait les choses à moitié. Toute sa vie, il n’a fait que tendre vers l’excellence. On dispose de toutes les preuves.

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             Les Byrds font partie d’une autre histoire, aussi va-t-on sauter en 1969, année de parution du miraculeux premier album de CS&N, trois larrons surdoués qui avaient décidé de chanter ensemble pour pousser le bouchons des harmonies à trois voix. Dans son book, Croz n’en finit plus de saluer l’immense talent de Stephen Stills. N’oublie pas que Jimi Hendrix voulait Stills comme bassiste dans son groupe. Quand on écoute ou qu’on réécoute «Suite Judy Blue Eyes», on se régale. C’est du très grand art. Non seulement Stephen Stills fait un festival au chant et à la gratte, mais il en fait un aussi au bassmatic. CS&N nous gratifient d’une fin de morceau absolument démente. Pour Nash et Croz, ce fut de toute évidence un privilège que de chanter sur un cut de Stills. Ahmet Ertegun qui les signa sur Atlantic comprit qu’ils étaient la crème de la crème du rock américain. «Marrakesh Express» est un hit du Nash - All on board on the Marrakesh express ! - Ce fut la musique des jours heureux, t’en souvient-il ? Puis c’est au tour de Croz d’entonner «Guinnevere». Pure magie. La beauté des personnages et la beauté du ciel, le destin leur souriait à pleines dents. En B, tu tombes sur le hit intemporel du trio, «Wooden Ship», co-signé Croz-Stills, l’archétype du rock psychédélique, monté sur une monstrueuse bassline et noyé de guitare liquide. Cut magique, encore une fois - Wooden ships on the water, very free and ea-sy - à bord d’un voilier, libre et riche, cette image allait préfigurer le style de vie de Croz. Ce cut semblait tellement en avance sur son époque. Et puis tu as «Long Time Gone», un groove infernal qui pose vraiment les bases du rock psychédélique, la mélopée court sur un tapis d’harmonies ensorcelantes. «Long Time Gone» va hanter une génération entière. Croz et ses amis ne craignaient plus rien. Ils avaient les chansons. Comme les Beatles. Ils accédaient directement au superstardom.

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             Pour leur second album, Déjà Vu, ils ont incorporé Neil Young, déjà célébré par le public américain pour ses albums solos et vieux compagnon de route de Stills dans Buffalo Springfield. Neil Young arrive dans CSN&Y comme un cheveu dans la soupe. Sa «Country Girl» n’a rien à faire sur cet album, c’est du Neil Young, un style complètement différent. De son côté, le Nash continue de faire sa petite pop anglaise. Ce gros malin a réussi à refourguer «Teach Your Children» à ses copains qui ne disent rien, car ils sont gentils. Mais ça n’arrive évidemment pas à la cheville de «Wooden Ships» ni de «Long Time Gone». Heureusement, Croz veille au grain et ramène «Almost Cut My hair», encore un groove chargé de sens psyché. Il sait tirer sur certaines syllabes, juste ce qu’il faut de fabulosité. Croz est un formidable déchireur de ciels, un explorateur de paradis artificiels. Il donne du temps au temps du groove. L’autre pièce de choix qu’il ramène pour cet album, c’est le morceau titre. Il y recycle son admiration du «Love Supreme» de John Coltrane. Musicalement, Croz est nettement plus évolué que ses collègues. Il navigue à le recherche de passages vers d’autres océans. «Woodstock» est une compo de Joni Mitchell, qui reste un modèle d’harmonies vocales rockées au roll suprême. On l’entend dans le générique de Woodstock, un film qu’on peut revoir chaque année sans jamais s’ennuyer.

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             Croz embarque tous ses copains du Bay area dans l’aventure de l’album rouge, If I Could Only Remember My Name. «Cowboy Movie», qui est monté sur le même genre de groove magique que «Long Time Gone», raconte l’histoire d’un gang de pilleurs de trains et d’une fausse Indienne. Les autres morceaux de l’album fleurent bon le mescal («Tamalpass High (At About 3)»), le mélopique enchanteur («Laughin’»), le très haut niveau - huit miles - («What Are The Names») et la pure mélodie, avec des voix qui pépillent dans la tiédeur des alizés («Song With No Words»). Croz cultive essentiellement une vision du monde très pure.

             Comme il s’entend bien avec son collègue Nash de Manchester, ils font des albums ensemble, sur le même principe que dans CS&N : chacun ramène sa gamelle.

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             C’est là où il faut feuilleter les mémoires de Nash, parues récemment sous le titre Wild Tales - A Rock & Roll Life, car avant d’être un livre consacré à lui-même, c’est d’abord un livre consacré à Croz. À travers le Nash, on comprend que Croz est un être sur-dimensionné qui dévore tout ce qui l’entoure, et une demi-portion comme Nash ne fait évidemment pas le poids. Nash explique que Croz a façonné sa vie et sa carrière, dès leur première rencontre, chez Cass Elliot. Nash n’en finit plus de brosser et de rebrosser le portrait de Croz : «Il était irrévérencieux, amusant, brillant. C’était un hédoniste à l’état le plus pur. Il avait toujours la meilleure herbe, les plus belles femmes, et elles étaient toujours déshabillées. Quand il passait un coup de fil, une fille lui taillait une pipe.» Nash est fasciné par les exploits de Croz le camé. Il raconte comment Croz vend sa Mercedes à un dealer, puis quand Croz apprend que le dealer vient de faire une orverdose, il va récupérer les clés de sa bagnole sur le corps encore tiède du dealer pour aller revendre la Mercedes à un quelqu’un d’autre - Then he had the balls to resell the car to someone else. Like I said : freaky - Nash raconte qu’à la pire époque, Croz et Jan étaient couverts d’escarres, d’ampoules et de brûlures, car ils utilisaient un petit chalumeau pour chauffer leur pipe, même dans les avions où c’était formellement interdit. Nash se souvient d’avoir vu Croz dans une émission CNN en 1983. Il s’agissait d’un reportage et la caméra filmait la salle du tribunal où Croz était jugé pour usage de drogue. Croz s’était endormi et on l’entendait ronfler bruyamment, au grand dam du Président qui était scandalisé et qui parlait de félonie. Nash apprit ensuite que Croz était même allé fumer sa pipe dans les toilettes du tribunal. Alors bien sûr, en comparaison, les aventures de Nash ne font pas le poids. Ce pauvre Nash finit comme la grande majorité des gens pauvres qui deviennent riches : il devient très sensible aux honneurs, surtout quand il est décoré par la Reine d’Angleterre. Avant de refermer cette parenthèse, signalons tout de même qu’on trouve dans les mémoires de Nash de très belles pages sur la Cavern de Liverpool et les Beatles de 1963, sur Cass Elliot, sur Stephen Stills, Joni Mitchell, mais aussi des pages extrêmement embarrassantes où Nash essaye de justifier au mieux la façon dont il s’est comporté avec ses amis d’enfance, les Hollies. Il faut bien parler de trahison, comme dans le cas de Steve Marriott avec les Small Faces. Nash a beau dire que les Hollies n’étaient pas capables d’évoluer musicalement, on ne trahit pas des amis pour une raison aussi futile. Il est si mal à l’aise avec cet épisode qu’il se réjouit pendant des pages entières d’avoir pu se réconcilier avec Allan Clarke et les autres. Mais on sent une certaine forme de puanteur, un peu comme chez Dave Grohl qui lui aussi s’était spécialisé dans l’opportunisme pathologique, n’hésitant jamais à trahir un ami pour avancer. Et voilà, c’est toute la différence entre un mec comme Croz dont l’humanité reste indiscutable et un personnage comme Nash qui porte sur la figure l’ombre shakespearienne de sa félonie. C’est dans son livre. Lit qui peut.

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             Premier album du duo Crosby & Nash en 1972. On fait très vite la différence entre les compos de Nash et celles de Croz. Nash ramène sa petite pop anglaise déracinée et souvent cousue de fil blanc. Croz ramène des compos extrêmement ambitieuses pour l’époque, comme «Whole Cloth», qui sonne comme un groove visionnaire - On what do you base yourself my friend ? Can you see around the bend ? - Digne de «Wooden Ships», avec un solo de Danny Kootch. On sent chez Croz l’ampleur océanique. Sur «Games», Croz laisse planer sa voix. En l’écoutant chanter, on a l’impression de voir un galion dériver dans le golfe du Mexique. On ne sait pas où il veut aller, mais il reste toujours à proximité d’un soleil radieux posé en équilibre sur l’horizon en flammes. Chez Croz, on retrouve invariablement cette vibration d’orange solaire. Encore une belle pièce de groove avec «The Wall Song». Il reste dans la suspension, dans le flic-floc antédiluvien. Jerry Garcia et Phil Lesh du Grateful Dead l’accompagnent, donnant au groove un parfum psychédélique extrêmement capiteux.

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             Le deuxième album du duo, Wind On The Water, sort en 1975. Il s’ouvre sur une compo merveilleuse de Croz, «Carry Me», qui se solde par une spectaculaire explosion d’harmonies vocales. Nos deux asticots s’en donnent à cœur joie. Comme d’habitude, les compos de Nash sont sympa, mais elles restent très anglaises et ne peuvent en aucun cas rivaliser avec ce qui sort de la grosse tête de Croz. Comme par exemple «Bittersweet», une pièce proprement océanique - Oh I need the heat - fabuleux besoin de chaleur monté à l’octave de l’harmonique, un groove jazzé à la Croz et traversé de fulgurances. «Low Down Payment» est encore signé Croz, jazzé dans l’attaque et accidenté de brisures de rythme somptueuses - It’ a low down payment on this pillar/ Pillar of salt - Puissant et ambitieux - If the damn thing just had a heart/ If I had a heart - some kinda heart - Il va rester dans le même esprit pour «Homeward Through The Haze», une drug-song jazzée elle aussi et d’une rare élégance - Cause the blind are leading the blind/ And I am amazed at how they stumble/ Homeward Through The Haze - Il finit avec une chanson sur les baleines dont il parle assez longuement dans son livre.

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             Leur troisième album s’appelle Whistling Down The Wire. Sur la pochette, ils ont l’air drôles. Croz est un peu joufflu, jovial, avec sa moustache en dents d’ours et ses petits yeux de navigateur. En Nash remontent tous les travers de l’Anglais pingre, avec le nez pointu surplombant un balai à chiottes jaunâtre et des petits yeux qui caractérisent si bien l’étriquement moral britannique dans toute son horreur. Tu as du pur Croz avec «Broken Bird», tu retrouves l’éther du premier album de CS&N, avec des nappes d’unisson emportées par le vent du soir, cette musique qui se voulait l’incarnation d’une certaine paix. Encore une mélodie en suspension avec «Time After Time». Croz emmène tout ça au loin. Avec «Dancer», ambitieux comme pas deux, on sent que Croz écoute Sun Ra, Trane et Ravi Shankar. On retrouve des coups de magie unissonique dans «Taken At All», et nos deux larrons s’entendent bien. Ils sont capables de créer un véritable univers chantant et sensible. Croz fait dans l’atonal pour «Foolish Man». Il navigue entre deux eaux, comme poussé et fiévreux. Il a le même genre de vision océanique que Dennis Wilson. Il manie le sous-rythme jazzy à la Charlie Mingus. On retrouve aussi certains accents élégiaques de «Cowboy Movie». Pur génie crépusculaire. Encore une belle dérive avec «Out Of The Darkness», ces mecs adorent se laisser emporter par les courants et se sécher au soleil. 

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             Ils sortent un album live en plein boom punk, en 1977, et seuls les dedicated followers of the Croz-fashion vont aller écouter ça. Ils attaquent «Page 43» à contre-chant et suspendent ce groove aux lèvres argentées d’Ariane. Ici tout n’est que manière forte, excellence des ambiances, compulsion pré-établie de laid-back libératoire, tiédeur jalouse dans les branches d’un temps béni des dieux. Ces mecs savent jouer le groove à la perfection. Peu d’équivalents sur le marché, à part Paul Simon, et, dans un genre plus sombre, Mark Lanegan. On voit le groove de «Foolish Man» fuir vers l’horizon et la version de «Déjà Vu» se détache du rivage.

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             Toujours en 1977, le trio légendaire se reforme pour sortir un album et Croz emmène ses deux collègues à bord du Mayan, comme on peut le voir sur la pochette. Excellent album, mais en 1977, on écoutait autre chose. Avec «Shadow Captain», ils repartent au grand large. On les sent au soleil. Les compos de Stills sont plus classiques, comme «See The Changes», mais on ne sent plus la niaque du premier album. Dans ce contexte, la pop de Manchester que ramène Nash passe de moins en moins bien. L’écart se creuse terriblement. «Fair Game» est un petit mambo du père Stills, bien raffiné, attaqué au chant d’unisson du saucisson. C’est le cut accrocheur par excellence - just relax enjoy the ride - et Stills place un solo acoustique assez dément. On retrouve la voix de rêve de Croz dans «Anything At All». C’est une fabuleuse glissade dans l’intimité de la suspension. Il faut suivre les compos de Stills à la trace, car elles sont souvent intéressantes, comme par exemple ce «Dark Star» qu’il joue lead à l’acoustique. Avec «Just A Song Before I Go», on est rassuré de voir que ce n’est pas Croz qui a trouvé un titre aussi con, mais Nash. Belle pièce que ce «Run From Tears», du pur Stills, avec des chorus perchés dignes du premier album du trio. Stills joue des trucs sévères sur sa guitare - Girl I’m Drowning - Admirable et racé. Croz nous fait le coup de la latence paranormale avec «In My Dreams», il mène la danse des songes. Croz est bel et bien l’âme du rock californien. Stills referme la marche avec un brillant «I Give You Give Blind», ce qui au total, nous fait un album remarquable.

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             On croyait ces mecs finis, on les prenait pour des vieux schnocks de Woodstock. Il était même de bon ton de leur cracher dessus, à une certaine époque. Mais le train de nos insultes s’arrêtait à la gare de leur indifférence. Ils ont continué d’enregistrer des albums, dans la plus totale indifférence, tout au moins en Europe. Dans son book, Croz répète inlassablement qu’il parvenait toujours à générer du cash en concert, aux États-Unis. Beaucoup de cash. Ces mecs étaient devenus des super-stars de plein droit.

             Avec ou sans Neil Young, ils vont encore réussir à enregistrer quatre albums étalés sur vingt ans, sans compter la multitude d’albums solos enregistrés à droite et à gauche par les uns et les autres. Des quatre, le plus discret sera bien sûr Croz.

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             Nouvelle équipée de CS&N en 1982 avec Daylight Again. Ce n’est pas l’album du siècle, mais quand on suit Croz à la trace, on écoute Daylight Again attentivement. Nash consacre une chanson à Croz qui va mal : «Into The Darkness» - Your face is ghostly pale - Croz répond avec une magnifique drug-song, «Delta». Ils attaquent tous les trois - Of fast running rivers of choice and chance - c’est de la pure magie suspensive. Ils sont vraiment très fort. Croz propose un horizon. C’est Stills qui pond et qui joue le morceau titre. Il ne le lâche pas. Il peut tout jouer. Il renoue avec la magie de Woodstock. Oui, car n’en déplaise aux ignares, il y a bien eu de la magie à Woodstock.

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             Neil Young rejoint ses collègues pour l’album American Dream qui sort en 1988. Croz est sorti du ballon. Il est clean. On lui propose d’essayer des trucs, mais il dit non. Pas question de replonger. On retrouve sur cet album les compos classieuses de Stills, comme «Get It Made», très joli groove monté sur un beat soutenu. Croz ne ramène pas grand chose, juste deux morceaux, mais quels morceaux ! «Night Time For Generals» est une sorte de disco colérique que s’en viennent sauver les harmonies vocales. Et «Compass», encore une histoire de navigation. Croz raconte sa sortie des enfers - But like a compass seeking North/ There lives in me a still, sure, spirit part - Mais c’est Stills qui fait quasiment tout l’album, avec sa grosse guitare et ses riffs fatals. Il semble même qu’il se soit endurci en vieillissant.

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             Et comme ça va beaucoup mieux, Croz se remet à enregistrer des albums solo. On le croyait grillé. C’est mal connaître l’animal. Il revient avec un album en forme de clin d’œil malicieux, Oh Yes I Can. Son «Drive My Car» n’a rien à voir avec celui des Beatles. C’est plutôt un gros beat des années 80. Il aménage des petites zones de paix crozbique mais le beat vire salement FM. Cut après cut, il s’enfonce dans un rock FM atroce, jusqu’à «Tracks In The Dust», où on retrouve le vrai groove d’antan, celui qui fit sa légende - I think we’re passing through here kind of fast/ Did you think those tracks in the dust would last ? - Réflexion philosophique sur le côté très éphémère des choses de la vie. Croz met ça en musique pour le bonheur de nos cervelles, et ce cut à lui seul sauve tout l’album. La B est un peu plus solide. Il revient à la magie des ambiances faussement immobiles avec «Lady Of The Harbour». On retrouve sa belle bravoure d’attaque groovy. Il évoque dans «Distances» les distances qui séparent les êtres - Till this distance came in our lives - Fabuleux. On a l’impression qu’il s’agit toujours du même groove à la dérive, mais non, c’est à chaque fois une pièce intrinsèque, très solennelle et unique. Il met en musique le sentiment du beau unique. Voilà comment on pourrait qualifier l’art de Croz. Les ceusses qui apprécient les belles chansons et les mélodies jazzo-groovy devraient écouter Croz et son «Flying Man». Non seulement, il est l’âme du rock californien, mais il se pourrait bien qu’il soit aussi l’âme de CS&N. Malgré le piège de la prod années 80, Croz s’en tire avec tous les honneurs. Rares sont les disques produits dans ces années-là qu’on peut encore écouter aujourd’hui.   

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             CS&N sortent Live It Up en 1990. Pendant trois ou quatre titres, un gros malaise s’installe. Ils sonnent comme les Bee Gees période disco. Il faut attendre «Yours And Mine», co-signé par Croz et Nash pour retrouver la terre ferme. Croz raconte une histoire qui se déroule à Belfast et renoue avec le son original du trio. Le morceau qui sauve cet album s’appelle «Arrows», du pur Croz. Il tortille sa sauce à sa façon, avec un peu de gras dans le vrillé de la voix en suspension. Il reprend le large. Le morceau est destiné à tous ceux qui ne savent pas encore que Croz est un voyageur mythique, comme le fut Ulysse. Il traverse les mers inconnues à bord du Mayan. Il sauve encore un album par sa seule prestance de groover impénitent.   

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             Nouvel album solo en 1993 : Thousand Roads. Belle bête. Jimmy Webb lui a composé «Too Young To Die» et on sent aussitôt l’ambition d’un projet merveilleusement décontracté - Sweet old racing car of mine/ Roarin’ down that broken line - C’est un fabuleux hommage à James Dean et à Steve McQueen - When I die I don’t want to go to heaven/ I just wanna drive my beautiful machine up North on some Semona County road/ With Jimmy Dean and Steve McQueen/ All the boys be singin’ singin’ - C’est de la légende à l’état pur et ça lui va comme un gant. Croz tape aussi une compo avec Joni, «Yvette In English», et c’est encore une fois de la magie pure. On a là la pure élégance de la sensibilité supérieure - Little bit of instant bliss - voix diaphanes, guitare jazz, pureté de l’instant. Voilà encore un groove du paradis signé nounours. Sur «Thousand Roads», c’est Andy Fairweather Low qui joue de la guitare. Pur Californian Hell ! - Threre’s a thousand roads up this mountain/ You can get lost in a minute if you try - Encore un coup de génie. Croz peut rocker quand bon lui semble. Voilà ce qu’il faut retenir de cette histoire. «Natalie» est une chanson d’amour de plus, mais quand ça tombe dans les pattes de Croz, alors ça devient énorme. Rien qu’avec la voix et la vision, il creuse l’écart qui le sépare des autres. Il ne s’intéresse qu’à la portée de sa vision et donc à l’immensité.

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             It’s All Coming Back To Me Now fut enregistré au Whisky A GoGo en 1993. Croz ne proposait rien de moins que de jouer sur scène ses meilleurs cuts. C’est un disque un peu toxique. Croz y enfile ses cuts latents comme des perles. Il vient tout juste d’échapper à la mort. On vient de lui greffer un foie tout neuf, alors il peut poursuivre l’aventure de beauté commencée avec les Byrds et poursuivie avec ses amis Stills & Nash. On attend sa version de «Cowboy Movie» au virage. Le hit du siècle ? Va-t-en savoir. Il en joue la copie conforme - ahhhh yeah - on retrouve ces chutes de couplets extraordinaires. Croz torche son affaire avec une réelle grandeur d’âme. Avec des hits comme «Cowboy Movie», il est à l’abri. Il ne craint plus rien. Croz règne sur l’empire du groove en compagnie de Marvin Gaye et de Bobby Womack. On retrouve ce son classique de groove californien dans «Almost Cut My Hair». Il va chercher du gras dans le fond de son gosier. Il pose les conditions du groove majeur et c’est embarqué aux guitares. Et puis il tape dans ses plus grands hits, comme par exemple «Deja Vu». Graham Nash vient donner un coup de main - And now we’ll all get weird - Retour aux temps bénis du CS&N, avec une grosse dérive à travers le delta du néant et un solo de basse d’Hutch - oh yeah ! C’est une longue dérive primitive et on entend chanter les anges. Avec «Long Time Gone», Croz hisse l’étendard de la légende du rock américain. C’est du pur génie crozbique. Il passe immédiatement au délire des harmonies vocales et retrouve le secret des effarantes dynamiques intérieures. La beauté, c’est tout ce qu’on aime dans le rock, le choc des grooves et l’éclat des notes de guitares électriques, l’invraisemblable légèreté kunderienne des mélodies et l’oisophilie de l’autre, telle que la rêvait Edgar Allan Poe. «Wooden Ships» est encore un hit absolu. On voit se dessiner les coques des vaisseaux et scintiller les armures dans le crépuscule rosi-crozien. L’ami Croz et ses amis embarquent tout le monde dans une interminable version de dix minutes. On n’en demandait pas tant.

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             Nos quatre vieux cocos retournent en studio en 1999 pour enregistrer Looking Forward. Un album qu’on écoute juste pour savoir où ils en sont, comme on l’a fait avec le dernier Rod The Mod ou encore le dernier Dr John. On retrouve le fameux chacun pour sa pomme qui a tellement affaibli les albums précédents. Stills va sur le funky joyeux, Neil Young va sur la gratte au coin du feu et chante comme une chèvre sénile, à l’ancienne mode, Nash retapisse sa petite pop de Manchester qui commence à sentir le moisi. Et Croz ? Oh, il ramène un heavy blues rocky bardé d’accords mortels qu’il semble avoir sorti de la vase d’un marécage psychédélique : «Stand And Be Counted». Renversant ! Comme le pépère Jack Bruce en Angleterre, le pépère Croz peut réveiller les morts. Stills continue d’envoyer ses giclées de vieux, et Neil Young endort les chaumières avec ses morceaux usés et rafistolés par des pièces aux genoux. Croz est gentil de les accueillir dans le studio. Ça dégage tout de suite avec «Dream For Him». On sent le Mayan sous les alizés. On sent le mec qui a navigué. On sent la voix et la crinière au vent. On sent les années de freebase. C’est une vraie compo, pas un gadget de vieux. C’est même un groove exemplaire. Voilà le truc : chez Croz, c’est l’exemplaire. Il a toujours cette voix et ce goût des vraies mélodies, ce goût d’un style qu’il a initié avec «Cowboy Movie». On retrouve même par instants des accents du thème de «Woodstock», c’est dire si l’excellence règne à bord de «Dream For Him». 

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             Croz, nouvel album solo de Croz, paraît en 2014. La première écoute ressemble à un moment historique. Ce n’est pas tous les jours qu’on écoute un nouvel album de Croz. Comme tous les gens distingués, il sait se faire rare. «What’s Broken» est un joli groove panoramique ralenti. On retrouve ses vieilles tendances au trip. Pépère sait encore chanter. Avec «Time I Have», il fait allusion au mal dont on l’accuse - I’m looking to find some peace within me to embrace/ To encourage that smile to find my face/ Sometimes I’m winning - Il en profite pour adresser un clin d’œil à Martin Luther King - I have a dream/ A great man said/ Another man came and shot him in the head - Dans son book, Croz revient longuement sur les violences faites à John Lennon et à Sharon Tate et explique que depuis, il est toujours armé. Retour à la beauté pure avec «Hold On To Nothing», sensible et suspendu - Sunny days can fool you/ They can look wet with the rain - coup de trompette de Wynton Marsalis. Ce sera certainement le morceau qui va le plus coller au palais. Il revient au groove jazzy avec «Slice Of Time», intemporel et suspendu, doté d’un gros solo de cordes tirées. Avec son grand groove électrico-exceptionnel, «Set The Baggage Down» s’impose comme une pièce digne de CS&N. Fabuleux retour de manivelle. Sur la C se niche une autre merveille, «Dangerous Night», un somptueux balladif - I want to believe I can pass happy to my child/ But the truth gets lost and the system runs wild - Il faut profiter encore et encore du trésor de cette voix de légende. 

    Signé : Cazengler, David Grosbide

    Crosby, Stills & Nash. Crosby, Stills & Nash. Atlantic Records 1969

    Crosby, Stills, Nash & Young. Déjà Vu. Atlantic Records 1970

    David Crosby. If I Could Only Remeber My Name. Atlantic Records 1971

    Crosby & Nash. Crosby & Nash. Polydor 1972

    Crosby & Nash. Wind On The Water. Polydor 1975

    Crosby & Nash. Wistling Down The Wire. ABC Records 1976

    Crosby, Stills & Nash. CSN. Atlantic Records 1977

    Crosby & Nash. Live. Polydor 1977

    Crosby, Stills & Nash. Daylight Again. Atlantic Records 1982

    Crosby, Stills, Nash & Young. American Dream. Atlantic Records 1988

    David Crosby. Oh Yes I Can. A&M records 1989

    Crosby, Stills & Nash. Live It Up. Atlantic Records 1990

    David Crosby. Thousand Roads. Atlantic Records 1993

    David Crosby. It’s All Coming Back To Me Now. Atlantic Records 1994

    Crosby, Stills, Nash & Young. Looking Forward. Reprise 1999

    David Crosby. Croz. WEA 2014

    David Crosby & Carl Gottlieb. Long Time Gone - The Autobiography. 2007

    Graham Nash. Wild Tales - A Rock & Roll Life. Crown Publishing 2013

     

     

    Riot on Sunset Stripes

     

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             Comme tout le monde, on est allé en 2002 voir les White Stripes sur scène à l’Élysée. Comme tout le monde, on a écouté leurs deux premiers albums parce qu’ils sortaient sur le label de Long Gone John, Sympathy For The Record Industry. Comme tout le monde, on a ouvert les bras pour accueillir le phénomène des duos d’art-punk-fucked-up-blues, Bantam Rooster, Immortal Lee County Killers, Black Diamond Heavies, Left Lane Cruiser, Winnebago Deal et dans une moindre mesure, les Black Keys ou autres Kills à la petite mormoille. Les White Stripes en firent d’ailleurs partie et surent comme d’ailleurs les Black Keys tirer leur épingle du jeu et accéder au fucking mainstream qui allait les détruire.

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             En plus de la couverture, Mojo leur accorde une vaste rétrospective. C’est donc l’occasion de remettre le nez dans l’histoire de ce duo qui avait fini par décevoir ses fans de la première heure. Ils n’étaient pas les premiers et ils ne seront pas les derniers. Dommage, car leur histoire commençait bien, puisque ça se passait à Detroit. Jack épouse Meg en 1996, mais Jack fait croire à tout le monde qu’ils sont frère et sœur. Si Jack dit ça, alors c’est vrai. Pourquoi ça ne serait pas vrai, puisque c’est vrai ? Jack qui s’appelle Gillis décide de s’appeler White, comme Meg. Pourquoi pas ? Après tout, il fait comme il veut. Puis il pond un concept : on s’habille en blanc (innocence), avec du rouge (colère) et on joue du punk-blues à deux. Meg n’a pas le droit de répéter. Elle doit rester imparfaite. Quand Long Gone John chope les deux premiers singles de Jack & Meg, il leur avance 3 000 $ pour enregistrer un premier album chez Jim Diamond, au Ghetto Recorders de Detroit.

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    Et là, crack boom hu-hu ! Ils démarrent avec un «Jimmy The Explorer» chanté d’une voix de fiotte, on ne sait pas si c’est Jack ou Meg, mais ça sent la mini-jupe de cuisses humides. C’est le Stripes de bonne augure, complètement éclaté. Jack ressort sa voix de fiotte pour rendre hommage à Robert Johnson avec «Stop Breaking Down». Il traîne sa voix dans la purée. On se croirait à Memphis. Puis il travaille l’idée du son avec «The Big Three Killed My Baby», jusqu’au moment où on s’aperçoit que sa voix perchée n’est pas bonne. Il tente d’inventer un style («Suzy Lee»), c’est assez courageux et la pauvre Meg bat comme elle peut. Ça sent les bouts de ficelle («Cannon») et ils passent au stomp de Detroit avec «Astro» que Meg tatapoume à la vie à la mort. On les voit encore explorer le minimalisme gaga avec «When I Hear My Name», ils cultivent courageusement leur binarisme, on sent bien le côté expérimental de cet album. Jack ressort sa petite voix de fiotte pour «Screwdriver», il passe des riffs bien cinglants et s’offre un final extraordinaire. Ils sont plutôt bons dans le genre expéditif, comme le montre leur cover de «St James Infimary», mais c’est de l’expéditif à la Savorgnan de Brazza, il faut que ça braze.

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             En 2000, Jack et Meg divorcent. Meg a quitté les White Stripes et Jack joue dans plein de groupes, the Go, the Hentchmen et avec l’excellent Dan John Miller dans 2-Star Tabernacle.  Mais le couple se reforme pour enregistrer un deuxième album, l’étrange De Stijl. On réalise avec stupeur que Jack n’a pas de voix. Il joue sur les effets. «Hello Operator» n’a rien dans la culotte. Il n’a aucune présence vocale sur «I’m Bound To Pack It Up». Dès qu’il force, il est mauvais. Retour au blues avec le «Death Letter» de Son House. Il joue ça au bottleneck, mais c’est mille fois mieux par Son House. L’album est catastrophique. Il est pourtant passé comme une lettre à la poste. «A Boy’s Best Friend» nous ramène à l’Élysée, on voyait bien à ce moment-là que c’était du vent. Et soudain, au moment où on ne s’y attend plus, ils piquent une crise avec «Let’s Build A Home». C’est un rumble des enfers et on regrette que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Ils font une sorte de stomp enroulé à coups de cu’mon, oui, c’est la première fois qu’un mec fait cu’mon. Puis il fait les Pretties avec «Jumble Jumble», c’est du juvénile pur, bien délinquant. Jack White se réveille en fin d’album, il faut le savoir. Dernier shoot de Stripe avec «Why Can’t You Be Nice To Me», du gaga qu’il prend à la voix de fiotte, il est en plein dedans, hey !

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             Alors ils se mettent à tourner et quand Meg voit le blé qu’elle ramasse, elle décide de rester dans le groupe. Et pouf ils deviennent the world’s hottest band ! Ils passent du cult underground au rock stardom et de là au pop-cultural phenomenon. Ils débarquent à Londres et deviennent célèbres en dix jours. Les médias les encensent : the future of rock’n’roll. Perchés au sommet de leur vague de célébrité, ils sortent leur troisième album, White Blood Cells, sur Sympathy. On y trouve un classique gaga, «Fell In Love With A Girl», mais le reste de l’album peine un peu à jouir. Jack se prend pour Free avec «Dead Leaves & Dirty Ground», mais il n’a pas la voix de Paul Rogers. Il se force à mal chanter. Comme d’habitude, il joue sur les effets. Il fait une Americana du pauvre avec «Hotel Yorba». Comme il devient une star, il ne se sent plus pisser. C’est en tous les cas ce qu’inspire l’écoute d’«I’m Finding It Harder To Be A Gentleman». Il fait du grandiloquent de carton-pâte. C’est tout de même incroyable que les White Stripes soient passés à la place des Gories. Mais ce sont les choix des gens du big biz qui visiblement ont misé sur l’image plus que sur le son, comme dans le cas des Bay City Rollers. En gros c’est la même histoire. On crée une mania et on vend des millions de disques, c’est le B-A-BA du biz, un chef-d’œuvre d’enculerie. Jack & Meg n’y sont pour rien. Dans «Expecting», Jack joue la carte du heavy blues-rock à coups de clever et de forever. La heavy pop de «The Same Boy You’ve Always Known» n’a aucune crédibilité. Et pourtant, c’est avec ça qu’il s’en sort le mieux. Sur ce coup-là, il est très anglais. Mais tout dépend de la façon dont on l’écoute. Il est évident qu’il crée son monde et en soi, c’est infiniment respectable. Mais on s’interroge sur la portée du phénomène : autant de retentissement alors que cette pop est d’une affligeante banalité. Sa voix ne passe pas sur «I Can’t Wait» et ça ne pardonne pas. Il peut ramener du son, ça ne sert à rien. Il cherche pourtant des noises à la noise jusqu’à la fin. Globalement, White Blood Cells est un album plein de sous-pentes et de renvois à des choses connues. Il faut l’écouter plusieurs fois. C’est très spécial. Pourquoi Jack White et pas Mick Collins ? White Blood Cells se vend à un million d’exemplaires. 

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             Alors que leur côte n’en finit plus de flamber, ils enregistrent leur meilleur album Elephant. C’est vrai que «Seven Nation Army» sonne comme un hit, monté sur un stomp de basse, et toujours cette petite voix de fausset qui stigmatise si bien le manque de voix. Il pousse bien le bouchon avec «I Just Don’t Know What To Do With Myself». Il impressionne et joue la carte des rafales. C’est Meg qui chante «In The Cold Cold Night» et ils continuent de créer leur monde. Et puis voilà qu’avec «Ball & Biscuit», Jack the lad invente un genre nouveau : le gaga scorch innervé. Il joue au scorch de descente aux enfers. Sur ce coup-là, il est très fort. C’est un très bel album, riche en émotions. Jack revient à son cher stomp avec «The Hardest Button To Button», il gère ça bien et propose une qualité de stomp imparable. Nouvelle surprise avec «Hypnotize». Il s’y montre expert en riffing gaga, il y ramène tous les poncifs avec sa voix en embuscade. C’est battu à la folie et ça sonne comme une expédition sur le Nil. Encore un coup de Jarnac avec «Girl You Have No Faith In Medecine» : il y ramène un vieux riff de heavy boogie rock, il fait les Yardbirds les deux doigts dans le nez.

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             Puis arrivent les ennuis : un punch-up avec le mec des Von Bondies, et voilà Jim Diamond qui réclame ses royalties sur les deux premiers albums. Jack ne peut plus aller traîner en ville. Il est tricard. Personne ne l’approche. Il est temps de quitter Detroit. Jack ne va pas bien. L’album Get Behind Me Satan s’en ressent considérablement. On le voit trafiquer ses combines dans «Blue Orchid». Il chante derrière sa disto comme s’il avait peur de sa voix. Le résultat n’est pas jojo. Des mecs diront oui le son, oui le riff, mais laisse tomber. Zéro présence. «The Nurse» sonne encore comme une arnaque. Au fil des cuts, il perd tout ce qui lui reste de crédibilité. Quelle tragédie. Il est à la mode mais il n’a pas de voix. Le pas-de-voix ne fait pas de cadeau. Si tu veux faire du rock en Amérique, appelle-toi Iggy, Lanegan, Jeffrey Lee ou Greg Dulli, sinon laisse tomber. Les cuts sont mauvais et mal chantés. Et ça empire encore avec «The Denial Twist». On ne sait comment elle fait, mais dans Mojo, Victoria Segal trouve des choses intéressantes à dire sur ce désastre.

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             Jack se carapate vite fait et s’installe à Nashville, se marie et voit naître ses deux kids en 2006 et 2007. Mais les White Stripes sont toujours sous la pression du tiroir-caisse, ils doivent sortir un nouvel album qui va s’appeler Icky Thump. Jack continue à bricoler son pas-de-voix et opte cette fois pour des choses plus expérimentales. Il va même se prendre pour un groupe anglais dans «You Don’t Know What Love Is». Il réussit l’exploit de combiner l’intense à l’inutile dans «300MPH Torrential Outpour Blues». Il joue une fois de plus sur les effets. Il ramène du gaga à gogo dans «None Broke» et des cornemuses dans «Prickly Thorn But Sweetly Worn». On trouvera un peu de stomp un peu plus loin («Little Cream Soda») et il rallume la vieille flamme des White Stripes avec «Rag & Bone» et là ils sont franchement bons, cu’mon ! Mais les réalités reviennent au galop, dès «I’m Slowly Turning Into You». Sa voix ne passe pas quand il veut la forcer, pourtant ça s’écoute. Très bizarre. Il parvient à créer des ambiances avec son pas-de-voix, notamment dans «A Martyr For My Love For You», il chante dans son jus de glaire, il cherche les voies du seigneur sans savoir qu’elles sont impénétrables, mais après tout, il a raison, il s’en sort avec des effets de basse zone, il fait son small biz, alors forcément, on l’écoute car ça intrigue. En fait, il se prend souvent pour McCartney. Voilà son drame.

             Puis le groupe va cesser de jouer en public. Jack cite l’exemple de Beatles. Sauf qu’il n’a pas les chansons des Beatles. Et puis il a mis en route d’autres projets, The Dead Weather et les Raconteurs. C’est en 2011 qu’il annonce la fin des White Stripes.

    Signé : Cazengler, Moite Strip

    White Stripes. The White Stripes. Sympathy For The Record Industry 1999

    White Stripes. De Stijl. Sympathy For The Record Industry 2000

    White Stripes. White Blood Cells. Sympathy For The Record Industry 2001

    White Stripes. Elephant. V2 2003

    White Stripes. Get Behind Me Satan. V2 2005

    White Stripes. Icky Thump. Warner Bros. Records 2007

    Blood & Fire. Mojo # 326 - January 2021

     

     

    Wizards & True Stars

     - Elvis & la vertu (Part Three)

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            Le gros hic d’Elvis, le biopic de Baz Luhrmann consacré à Elvis, c’est que l’acteur censé faire l’Elvis ne ressemble pas du tout à Elvis. Et ça pose un sacré problème qui est celui de la crédibilité, surtout dans un cas pareil. Tout ce qui touche à Elvis relève du sacré, même si les parades de lookalikes à rouflaquettes l’ont un peu caricaturé après sa disparition. L’acteur du biopic s’appelle Austin Butler, et pour correspondre à toutes les époques, Luhrmann le fait maquiller. Mêmes les rouflaquettes de l’époque Vegas sont ridicules. Luhrmann aurait embauché un acteur chinois pour le rôle, le résultat eut été le même. Absence totale de crédibilité. Et ce ne sont pas les costards roses ni les Coupés de Ville qui vont sauver les meubles. Si on veut voir l’Elvis 56, autant voir les vraies images. Elvis est beau, Butler ne l’est pas. Quelque chose cloche dans les traits de son visage. Les yeux trop rapprochés, peut-être. Plus on le voit en gros plan et plus le malaise s’accroît. Ce biopic est encore plus catastrophique que le Great Balls Of Fire de Jim McBride, avec Dennis Quaid dans le rôle de Jerry Lee. À l’époque de sa sortie (1989), Jerry Lee déclarait publiquement qu’il haïssait ce film. Il avait raison de gronder, le killer, car il était tout sauf un clown. Le problème avec Elvis, c’est qu’Elvis n’est plus là pour trancher. Mais aurait-il tranché ? Le biopic n’en finit plus de montrer que le Colonel tranchait pour lui. Ce qui nous conduit naturellement à la conclusion qui s’impose : le personnage principal d’Elvis n’est pas Elvis mais le Colonel. Vieux, gros, cynique, détestable, supra-intelligent, Tom Hanks campe le rôle de sa vie. Il est l’incarnation du showbiz, c’est-à-dire du diable : il est aussi laid que le Louis Cyphre d’Angel Heart est beau, il est tellement réaliste qu’on pense aussi au Woland du Maître Et Marguerite. Tom Hanks est fabuleux de malignité, il n’ouvre la bouche que pour ricaner des paroles de sagesse évangélique - Without me there wouldn’t be no Elvis Presley - Quand on l’accuse d’avoir tué Elvis, de la même façon qu’on accusait Ponce Pilate d’avoir tué Jésus, Tom Hanks répond, comme d’ailleurs a dû le faire Ponce Pilate : «No, no, no I didn’t kill him. I made him.» Ce biopic est un véritable tour de passe-passe : Luhrmann se sert d’Elvis pour dire la grandeur de Tom Hanks. On en oublie presque le Colonel. Dans ce gigantesque foutoir hollywoodien, Tom Hanks est aussi génialement perverti par le personnage qu’il incarne que l’est Philip Seymour Hoffman, dans le rôle de Truman Capote dans In Cold Blood. Hanks est aussi génialement intense que le fut Albert Dieudonné dans le rôle du Napoléon d’Abel Gance. Les mauvaises langues prétendent que Dieudonné n’est jamais redescendu de son cheval.

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             Ces biopics - même ratés - sont de fantastiques terrains de manœuvre pour l’esprit, lorsqu’il est cavaleur. On peut partir dans toutes les directions à la fois. Bien, pas bien, vrai, pas vrai, en fait on regarde et on juge, on regarde et on frémit, on regarde et on recoupe. On voit les petites arnaques une par une, les petits traficotages de la réalité, on devine la cuisine derrière toutes ces scènes qui sonnent plus faux les unes que les autres. Bien sûr, pour avoir une toute petite idée de la vérité, il faut avoir lu les trois tomes de la saga Guralnick, deux consacrés à Elvis (Last Train To Memphis: The Rise Of Elvis Presley et Careless Love: The Unmaking Of Elvis Presley) et le troisième à Sam Phillips (Sam Phillips: The Man Who Invented Rock ‘n’ Roll), un Uncle Sam qui d’ailleurs est complètement évincé du biopic. Les plans Sun sont réduits à portion congrue. Alors que Guralnick s’attarde longuement sur la nature singulièrement charismatique du personnage d’Elvis, le biopic la fait disparaître au profit d’un lissage bizarre : dans les scènes sentimentales, les gros plans sur le faux Elvis ne sont pas sans rappeler certains aspects de Johnny Depp. Bien sûr, un biopic ne peut pas tout dire, mais les entorses à la réalité sont souvent intolérables. Un exemple avec la scène qui se déroule en Allemagne, où Elvis fait son service militaire et où il rencontre Priscilla. Guralnick le confirme : ils passent leurs soirées ensemble, sous la simili-surveillance des parents de Priscilla. Bon, Elvis lui roule une grosse pelle et tout laisse croire qu’ils vont pouvoir tirer un coup vite fait. Mais non. Priscilla en crève d’envie mais, selon Guralnick, Elvis lui dit non. Il lui promet de la baiser le jour de leur mariage. Dans un an. Peut-être que dans un film où tout sonne faux, ce genre de répartie sonnerait faux, mais dans les pattes de Guralnick, ça sonne vrai, car l’Elvis qu’il campe dans ses tomes est extraordinairement bien construit. Guralnik s’attache principalement à la beauté intérieure du personnage. C’est ce qui rend ses trois tomes fascinants. Luhrmann passe complètement à côté de cet aspect fondamental du mythe : la bonté naturelle de l’homme Presley et son immense générosité. Il y avait quelque chose d’infiniment christique dans le Presley que nous restitue Guralnick.

             Grâce à ce biopic, le personnage Presley est dévoré une deuxième fois par les démons d’Hollywood. On appelle ça un destin tragique. Alors que tout en lui tendait vers une sorte de pureté artistique, Elvis s’est retrouvé noyé dans la vulgarité américaine. Le showbiz - et donc Tom Hanks - le métamorphosent en «cleancut all-American boy». Tom Hanks résume bien les trois étapes de la dégringolade de cet immense artiste : «1, Elvis the rebel. 2, Elvis the movie star. 3, Elvis the family entertainer.» Bien sûr, aux yeux de l’Américain moyen, cette carrière passe pour une réussite, car Elvis devient immensément riche, conformément au rêve américain. Mais aux yeux des idéalistes que sont les fans, c’est exactement le contraire. D’ailleurs dans le film, on voit des fans agglutinés devant le portail de Graceland qui brandissent des panneaux réclamant the old Elvis. Ils ne veulent pas de l’Elvis RCA, ils veulent l’Elvis Sun.

             Luhrmann ne l’a sans doute pas fait exprès, mais la vraie vedette de son film n’est peut-être pas Tom Hanks. Tom Hanks s’enracine dans la country d’Hank Snow, une sorte de guimauve parfaitement à l’image du beauf qu’est le blanc moyen et raciste de l’époque. Non, la vraie vedette du biopic est la musique noire. Ce sont les plans les plus réussis : ça commence avec Arthur Big Boy Crudup, on voit ce black punk gratter son black snake crawling et chanter «That’s Alright Mama» au chat perché délinquant. Puis attiré par la clameur du gospel, le jeune Elvis va sous la tente goûter au fruit défendu, la pomme du jardin d’Eden : la transe du gospel batch et là, mon gars, tu piges tout. Tout vient exactement de là, du raw gospel fever, de l’explosion du peuple noir qui sous la tente recycle le fabuleux héritage rythmique des tribus d’Afrique, et ce sont les racines du rock’n’roll. Elvis et Jerry Lee viennent de cet endroit précis. Pas d’Hank Snow, mais du gospel africain. Elvis semble récupérer tout le black power, Luhrmann fait de cette scène une espèce de séance d’initiation, un rituel de magie noire. C’est ce Black Power que ramène Elvis au Louisiana Hayride lorsqu’il tape une version démente de «Baby Let’s Play House» - I wanna play house with you - Luhrmann cadre le jeu de jambes, mais c’est un jeu de jambes emprunté aux blacks. Et pouf, ça enchaîne sur Big Mama Thornton au Handy Club, à l’étage, sur Beale Street, avec «Hound Dog». On voit aussi le jeune B.B. King essayer de remettre Elvis dans le droit chemin, le chemin artistique. Mais ce sont les ligues morales qui vont recadrer Elvis the Rebel, clean up your act, terminé Elvis the Pelvis, on l’oblige à chanter «Hound Dog» à la téloche face à un basset, injure suprême, et pendant qu’on dresse Elvis pour en faire un bon toutou bien docile, Luhrmann ramène Little Richard avec un «Tutti Frutti» explosif et, pire encore, Sister Rosetta Tharpe, et là c’est inespéré, car on voit la vraie pionnière du rock avec son «Strange Things Happening Every Day», wow, et elle te claque un solo d’acou incroyablement sauvage. Ce sont ces grands artistes noirs qui sauvent les meubles du biopic. Un peu plus tard, on va entendre Mahalia Jackson à la radio, et même la voir chanter. Aw my Gawd, on l’avait presque oubliée, celle-là ! Luhrmann se plante plus loin en montrant un Fats Domino qui ne ressemble pas du tout à Fatsy, mais bon, c’est pas grave. Il n’est plus à un détail près.

             Quand Elvis revient de son service militaire en Allemagne, Tom Hanks l’envoie directement à Hollywood. Bon, comme chacun sait, les films d’Elvis ne marchent pas, c’est d’autant plus tragique qu’il rêvait de prendre la suite de James Dean. Mais Tom Hanks veille au grain, au cleancut all-American Boy marié et père de famille. Les sous rentrent, mais l’étoile de la star s’éteint. Jusqu’au jour où Elvis rencontre Steve Binder et Bones Howe. Binder est connu pour avoir réalisé le T.A.M.I. Show, avec notamment les Stones, James Brown, les Beach Boys, Chuck Berry, Jan & Dean, les Supremes et des tas d’autres. Binder n’est pas chaud pour faire un TV Show avec Elvis. Trop has-been. D’ailleurs Elvis demande à Binder ce qu’il pense de sa carrière, et Binder lui répond le fameux «It’s in the toilet, Elvis». Elvis apprécie sa franchise et accepte d’écouter ses conseils. Binder réussit à le convaincre de revenir aux sources, à Elvis the Rebel, alors que Tom Hanks veut un Christmas Show avec Elvis en Père Noël au coin de la cheminée. Alors, Elvis et Binder montent le coup en douce. Contre toute attente, Elvis the Pelvis se pointe en cuir noir devant les caméras et tape un «Heartbreak Hotel» somptueusement sensuel. Tom Hanks est furax. Binder réussit même à faire revenir l’excellent Scotty Moore que Tom Hanks avait réussi à virer. C’est donc le fameux ‘68 Comeback qu’on a tous adoré. Puis Binder & Howe font miroiter à Elvis les avantages d’une tournée mondiale, le grand retour du King, mais Tom Hanks dit non, invoquant les dangers du monde extérieur - Security ! Security ! - Rusé comme un renard, Tom Hanks monte un coup fumant : il se fait hospitaliser à Vegas. Inquiet pour sa santé, Elvis vient le voir. Il tombe dans le panneau. Tom Hanks lui montre alors son avenir par la fenêtre de la chambre d’hosto : le fameux International Hotel. Encore baisé, l’Elvis. Mais il accepte, il veut les Sweet Inspirations de Cissy Houston, et les meilleurs musiciens, dont James Burton. Tom Hanks garde donc le contrôle sur le business - Taking care of business - Nous sommes désormais chez les blancs. Elvis s’habille en blanc. À part des Sweet Inspirations, on ne voit plus aucune bobine de black dans le secteur. Elvis roule des pelles à toutes les blanches du public. La scène est très belle, presque évangélique. Mais encore une fois, les vraies images de Vegas sont nettement meilleures. Car même à Vegas, Elvis reste très beau. Et puis il a des chansons, «Suspicious Minds» (merchi Chips), «Polk Salad Annie» (merci Tony Joe). Tom Hanks joue la carte Vegas à fond, il éponge ses dettes de jeu abyssales et met sa poule aux œufs d’or sous le contrôle pharmaceutique du fameux Dr Nick. Il en profite pour éradiquer définitivement toute idée de tournée mondiale - International tour out of the question - Tu veux voir le monde, Elvis ? Alors le monde entier voit Elvis, via satellite.

             Elvis croit pouvoir virer le Colonel. You’re fired ! On ne vire pas le diable. Le Colonel dresse la liste de tout ce que lui doit Elvis, il a tout noté : au total, ça fait huit millions de dollars. Plane même la menace d’une saisie sur Graceland. Comme Elvis est ruiné, il se voit contraint d’honorer son contrat faustien avec le diable Hanks. Mais comme on est dans une mauvaise comédie dramatique hollywoodienne, cet aspect est mou du genou. Murnau en fait complètement autre chose, il suffit de voir son Faust.

             La fin du biopic est pitoyable. C’est presque une métaphore de la dégringolade artistique d’Elvis. Luhrmann réussit même à nous faire un Elvis bouffi, assis au piano, sur scène à Vegas. Ce n’était pas utile. On attend Luhrmann au virage pour le cassage de pipe en bois. Va-t-il oser ? Miraculeusement, il réussit à éviter la fameuse scène finale des gogues. Ouf ! Luhrmann s’en sort avec un dernier tour de passe-passe en forme de parabole : «Elvis has left the building.»

    Signé : Cazengler, Elvicelard

    Baz Luhrmann. Elvis. DVD 2022

     

     

    L’avenir du rock –

    Le feu au Cult (Part One)

     

             Il fait nuit. L’avenir du rock roule en ville et s’arrête au feu rouge. Personne ? Il avance. Il n’a pas vu les condés planqués sur le côté. L’un d’eux s’approche.

             — Coupez le moteur ! Papiers du véhicule !

             L’avenir du rock sort les papelards.

             — Vous avez brûlé un feu. Avez-vous consommé de l’alcool ?

             — Ah ben non !

             Le condé va chercher un ballon dans la voiture de patrouille :

             — Vous allez souffler là-dedans.

             — Pfffffffffffffffff !

             — Plus fort !

             — PFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFFF !

             L’avenir du rock se retrouve au poste. Il a trois grammes dans le sang. Il a dû laisser sa bagnole au carrefour. Le gradé de service dresse un procès-verbal, avant de l’envoyer en cellule de dégrisement.

             — Nom, prénom, date de naissance !

             — Avenir du rock !

             — Pas de prénom ?

             — Non, et pas de date de naissance, puisque je suis un concept.

             — Vous vous foutez pas d’ma gueule, ça pourrait vous coûter cher, insulte à représentant de l’ordre dans l’exercice de sa fonction, ça va chercher six mois, alors tenez-vous à carreau. Nom et prénom des parents !

             — Disons que mon père spirituel s’appelle Sam Phillips, l’Homme qui inventa le rock’n’roll, et ma mère, disons Bernadette Soubirou, la Femme qui inventa les hallucinations.

             — Quelle est votre adresse actuelle ?

             — Dead End Street, juste derrière Itchycoo Park.

             — Quelle est votre appartenance politique ?

             — J’ai une carte d’adhérant au MAV, c’est tout.

             — Jamais entendu parler du MAV ! C’est quoi, un parti de gauche ? Un syndicat ?

             — Oh c’est un petit groupuscule culturel pas très connu. MAV veut dire Mort Aux Vaches. Meuuhhhh, vous voyez ce que je veux dire ?

             — Quelle est votre appartenance religieuse ?

             — The Cult !

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             Si le condé était un peu moins con, l’avenir du rock lui aurait offert le dernier album du Cult qu’il avait dans sa poche, mais il a préféré s’abstenir, car au fond, il sait que les cons ne méritent pas de jouir des bienfaits d’un culte aussi prestigieux.

             Belle pochette que celle du nouveau Cult, Under The Midnight Sun : tu vois un serpent préhistorique onduler symboliquement sous la demi-lune d’un astre d’or. Pochette merveilleusement graphique. Seul le serpent est verni, pour qu’il brille sous tous les angles. Rien qu’à contempler cette pochette parfaite, on sait que le Cult ne va pas mégoter sur les surprises.

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             Le premier choc se produit avec le «Mirror» d’ouverture de balda : trop de son ! La voix de l’Astbu se noie dans le son. Bad bad bad prod, tout chevrote. Il faut comprendre que ça fait partie du jeu. L’Astbu n’a qu’une seule idée en tête : pousser le bouchon dans le bush. Et ça continue de saturer la saturnale dans «A Cut Inside». Ils y vont au va-t-en savoir du qu’en dira-t-on, sans doute est-ce là un subterfuge pour cacher une certaine misère compositale, il faut bien dire que les compos ne sont pas au rendez-vous. L’Astbu est l’un des grands ultimates du rock, il lui faut des compos. Sans compo, il se désagrège, comme un vampire surpris par le lever du jour. Mais rassure-toi, l’Astbu veille toujours à chanter à la surface des apocalypses.

             Les dévots du Cult devront attendre «Give Me Mercy» pour frémir des deux naseaux. Grosse attaque. Bienvenue dans le Cult. L’Astbu t’emmène jusqu’à l’autel, c’mon, il est le prêtre du Cult et il va t’égorger pour célébrer les dieux du rock. La puissance du Cult n’a jamais disparu, elle sourdait sous la surface, comme une langue de feu, et soudain, le son te saute à la gorge, Billy Duffy envoie des accords de cristal dans le ciel rouge, aw my Gawd quelle pâmoison, il joue son va-tout à la vie à la mort, il pleut du feu, le Cult n’a jamais autant brillé, il pleut des tonnes d’accords et ça monte en neige jusqu’à la fin des haricots. L’Astbu est l’un des derniers prêtres capables d’apaiser le courroux des dieux. Et ça continue avec «Outer Heaven», l’Atsbu remonte au somment de son Ararat, il y domine le son, il y domine le monde, le temps de provoquer une nouvelle apocalypse et c’est terrific, tu sens qu’il te tombe sur le râble, c’est un rock très physique, presque un combat au corps à corps, tu luttes en toi pour le plaisir de lutter, tu reçois les coups et tu tends la joue pour en recevoir d’autres.

             Billy Duffy vole le show dans «Vendetta X», il joue aux accords de contre-plaqué pendant que l’Atsbu trafique sa menace et bascule dans un abîme de tristesse. Alors Billy décide de remonter à la surface du son et, aussi étrange que ça puisse paraître, le ciel s’ouvre. Billy consolide l’ouverture avec des accords de contrefort. On n’avait encore jamais vu un bricolage pareil. Avec «Knife Through The Butterfly Head», l’Astbu plonge dans le mythe du Cult. Il chante comme un dieu, c’est-à-dire comme Jimbo, il se hisse au sommet du summer et tu montes avec lui, tu le vois forcer tous les passages, l’Astbu est le singer absolu, il chante à pleine gorge, c’est d’une puissance de crève-cœur, tout ici est joué à l’extrême heavyness, la pire de toutes. Ils terminent cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec le morceau titre, en forme de panorama de Midnight Sun. C’est tout simplement du Technicolor, mais pas n’importe quel Technicolor, celui du Cult est un Technicolor d’effarance de la pertinence. L’Astbu ne vise que l’extrême Technicolor.

    Signé : Cazengler, tête dans le Cul

    Cult. Under The Midnight Sun. Blackhill Records 2022 

     

     

    Inside the goldmine

    - Evil Leavill

     

             Qui pourrait en vouloir à Piotr d’être ce qu’il est ? Personne, bien évidemment. Des gens qu’on connaît depuis cinquante ans continuent parfois de nous surprendre. Comme s’il voulait brouiller les pistes, le Piotr qu’on croyait gentil et affable sait parfaitement se montrer odieux, surtout quand il fond sur ces proies faciles que sont les serveuses et les serveurs de restaurant. L’un de ses sports favoris consiste à plonger une salle entière dans le malaise, en humiliant à voix haute les gens qui le servent à table. À cause de sa passion pour Bibi Fricotin ou Jo Zette & Jocko, on a longtemps considéré Piotr comme un petit garçon enfermé dans le corps d’un adulte. Nouvelle erreur d’appréciation ! Dans des réunions de travail très techniques, on l’a vu se conduire comme le plus avancé des adultes présents autour de la table, pouvant croiser le fer avec des spécialistes sur les plans juridiques et financiers, et prenant encore une fois un malin plaisir à crucifier en public le malheureux qui ose discuter son point de vue. Dans l’arène, Piotr devenait le gladiateur invincible, une sorte de Russell Crowe devenu chauve, et comme il avait accumulé plus de connaissances que n’en possédaient tous les gens réunis autour de la table, alors il frappait chaque fois à coup sûr, et pour contraster avec la barbarie de ses coups, il usait d’un ton lénifiant, comme celui qu’utilise Marlon Brando dans The Godfather. Les professionnels qui connaissaient Piotr le craignaient. Les femmes le craignaient encore plus. Piotr les collectionnait comme des papillons, il les choisissait comme on les choisit aujourd’hui, sur les ventes de bétail en ligne. Lorsqu’il est à table, il participe distraitement à la conversation tout en faisant ses courses sur son smartphone, likant à la chaîne et chattant avec toutes ces chattes en vente, se vantant avec son étrange sourire presbytérien «de les baiser vite fait sur le capot de sa bagnole». C’est probablement parce qu’il brouille adroitement les pistes et qu’il maîtrise l’art de plonger ses amis dans la consternation qu’on ne s’ennuie jamais en sa compagnie. 

     

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             Piotr n’est pas le seul à savoir plonger les gens dans la consternation. Otis Leavill peut lui aussi se vanter de cet apanage. Si tu veux qu’Otis Leavvill te plonge dans la consternation, c’est facile : il existe une compile qu’il partage avec deux co-locataires, Billy Butler et Major Lance : The Class Of Mayfield High. C’est ce qu’on appelle dans les milieux autorisés une compile magique, car en plus des douze cuts magiques d’Otis Leavill, tu peux entendre ces deux seigneurs de la Soul que sont Billy Butler et Major Lance. Tu sors de là gavé comme une oie. N’ayons pas peur des grands mots : Otis Leavill est un magicien, il fait danser la Soul sur la pointe de sa glotte. C’est lui l’Evil Leavill qui donne les cartes de la Soul. «I Love You» est un coup de génie retentissant. Il chante d’une voix d’ange de miséricorde et ramène une spiritualité charnelle dans sa Soul. On le voit aussi filer à vive allure sur le fast drive de «Why Why Why». Il est si bon qu’il dépasse toutes les attentes, on se croirait chez les Beach Boys, tellement c’est beau, puissant et chanté aux harmonies. Il fait encore battre le petit cœur de la Soul avec «Glad I Met You», il chante tout à la rose éclose, il est le Soul Brother de tous tes rêves inavouables. Il chante «Love Uprising» à l’uprise et provoque un vrai carnage paradisiaque avec «I’m So Jealous». Il transforme tout ce qu’il touche en or du Rhin. Sa Soul brille de mille feux. C’est Otis Leavill qu’il te faut. Cette façon qu’il a d’ânonner sa jalousie est unique au mode. Il chapeaute son «There’s Nothing Better» d’une belle Soul de good time, il chante tout d’une voix aussi grasse qu’une huître fécondée.

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             Dans son booklet, Bill Dahl indique que le fantôme de Curtis Mayfield plane sérieusement sur cette compile magique, d’où le titre, Mayfield High. L’autre clé magique de cette compile magique, c’est bien sûr Carl Davis, le producteur de génie et boss local des labels Brunswick et Dakar. Billy Butler et Major Lance font aussi partie de l’écurie Carl Davis. Grâce à lui, Brunswick/Dakar va devenir l’un des Soul outlets les plus importants de l’époque, rivalisant avec Motown et Stax. Dahl n’oublie pas de rappeler que dans les early sixties, les stars de Brunswick sont Jackie Wilson et Buddy Holly. Et l’impeccable Tyrone Davis, que Carl Davis rendra célèbre.

             Avant d’arriver chez Brunswick/Dakar, Carl Davis bossait pour OKeh et c’est là qu’il commença à lancer la carrière de Major Lance. C’est Curtis Mayfield qui composait pour Lance. Curtis Mayfield était le Smokey Robinson de la scène locale. Selon Dahl, Major Lance incarna mieux que quiconque the innocent charm of Chicago Soul. Dahl rappelle aussi que Major Lance et Otis Leavill ont grandi ensemble à Chicago. Ils sont devenus tous les deux d’excellents danseurs. Ils pouvaient aussi boxer. D’ailleurs, Major Lance se fera disqualifier pour avoir mordu son adversaire. C’est lui qui amène son ami d’enfance Otis Leavill chez Carl Davis. Dans un élan nostalgique, Otis Leavill se souvient de l’âge d’or Brunswick/Dakar sur Michigan Avenue : «We had a family. We had a hell of a family. Carl was the father. He was the head of the family and he kept us all in line.» Major Lance n’a que 6 cuts sur la compile, dont le célèbre «Follow The Leader», fantastique shaking de dance-floor et d’écho du temps d’avant. Major forever ! L’autre hit intemporel est le fameux «Do The Tighten Up». Major Lance est LE jerkeur de choc. Il crée aussi une fantastique tension avec «Sweeter As The Day Goes By». Il parvient à faire des étincelles dans un groove de charme ! Major Lance est bourré de Soul genius. Il dispose à la fois de l’omniscience et du Black Power. Puis il fonce dans la nuit de la Northern Soul, yeah, avec «Shadows Of Memory», il est tendu à l’extrême, il est là sur scène avec sa banane de black, épaulé par des chœurs de Motown. Major Lance est un héros.

             Le troisième larron de la compile n’est pas un enfant de chœur. Billy Butler est lui aussi un crack et dès «Help Yourself», tu danses le jerk avec Billy the crack. C’est énorme ! Ce Billy-là a le diable au corps. Il fait encore du raw r’n’b de sweet darling avec «Sweet Darling» et comme les Four Tops, il va chercher la Bernadette avec «Come Over To My Side». Il déploie les mêmes réserves d’excellence que Levi Stubbs. Billy semble flotter au dessus de la ville, il chante «Careless Heart» avec une maturité de vampire, il est tellement au dessus de la mêlée qu’on finit par s’en émouvoir. Et voilà qu’il tape dans les Tempts avec «I’ll Bet You», il dispose de tous les pouvoirs, il sort une Soul sauvage et bien claquée. Il est absolument parfait. Encore un hit de power pur avec «Burning Torch Of Love», il règne sans partage sur le groove de heavy r’n’b, quelle blague ! T’en rigoles tellement c’est bon. Tu ne bats pas Billy Butler à la course.  

    Signé Cazengler, Otis Débill

    Billy Butler / Major Lance / Otis Leavill. The Class Of Mayfield High. Westside 1999

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 10 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    *

    Le titre de leur album m’a plu. Westernization, voilà qui dénote une certaine réflexion sur le rock ‘n’roll, mais vous n’en saurez pas plus, moi non plus, il ne sortira qu’au mois d’avril. Alors en attendant écoutons leur premier opus car…

    IT’S TIME TO MAKE A MESS WITH…

    THE CONFUSIONAIRES

    ( 2018 )

    Encore un groupe du Canada, nous en profitons pour saluer Marie Desjardins, d’Edmonton capitale de la province d’Alberta, à elle seule plus grande que la France.

    Sont trois : Fat Dave Johnson : guitare et vocal / Jayson  Aschenmonster :  upright bass & vocal / Adam Staric : drums.

    La pochette laisserait à penser qu’ils sont un groupe de rockabilly garage.

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    You know, I’m right : paroles glaçantes, vocal imperturbable, tout va bien, bonne rythmique rock’n’roll, mais pour l’esprit l’on est plus près du country que du rockabilly, vous avez la upright qui monte au septième enfer, une barate qui cogne et une guitare guirlande qui se glisse partout comme un serpent affamé, non ce n’est pas une histoire entre un gars et une fille. Teach me how to write a sad song : une petite merveille, je parle de la musique, s’y donne à fond très sixties, c’est tellement beau qu’ils rallongent l’intro avant d’allonger le vocal. Ce n’est pas qu’il n’est pas bon, c’est qu’il très bon, mais question paroles, ce n’est pas vraiment une philosophie enthousiasmante de la vie, pour une petite histoire d’amour qui a mal tourné, ils vous filent le moral à zéro pour toute la soirée. Pourtant cette voix vindicative est si prenante. Make a little mess : ils ont vraiment le secret des intros qui vous clouent sur place, pour le reste question idée ça commence comme Samedi soir de Johnny Hallyday, mais la guitare est là pour vous prévenir que la soirée annoncée finira mal, et ils y vont franco à toute vitesse, souriez ce n’est pas un drame non plus, et puis qu’importe le grabuge puisque c’est beau. Everybody’s talking ( but nobody’s talking to me ) : un peu de blues, très foncé, n’a jamais fait de mal à personne, ce coup-ci il est très froncé rock’n’roll, z’ont le punch, n'écoutez pas trop les lyrics, vous fileront le cafard, ces gars-là ils ont le perfecto ( je ne sais pas s’ils en portent) très métaphysique, en douze lignes de lyrics ils vous définissent le statut du rebelle révolté à la vitesse d’un TGV, avec en prime une critique sociale d’une grande cruauté. El fango : pour une fois ils sont gentils, pas de paroles pour vous saper le moral, par contre vous serez atteints par les affres de la jalousie, comment font-ils pour jouer si bien, une batterie qui cavale comme si elle était toute seule, une big mama qui lui emboîte le pas parce qu’à deux c’est toujours mieux, et là-dessus vous avez la guitare qui dépose des splendeurs, vous n’entendez plus qu’elle, c’est injuste car les deux autres marnent un max, mais c’est ainsi, superbus comme disent les autocaristes. 1000 songs : c’est idiot, si vous vous écoutez vous n’irez jamais plus loin que l’intro, ce serait une erreur, d’abord la voix comme si elle venait de la salle-de-bain du studio, ce qui permet de prendre son pied sur Les giclées électriques de la six-cordes ou de ne pas croire que c’est elle qui imite le piano jazz, une chanson d’amour, oui mais d’amour pour la guitare. 1958 Chevrolet Del-Ray : avec un tel titre nous allons pouvoir réaliser notre fantasme rockabilly N° 1 sur la banquette arrière, ben non ce sera pour la prochaine fois, z’ont l’art de dégonfler les clichés, vous croyez rouler à 120 miles à l’heure, le rythme est trop flegmatique, un truc encore pire que Sur la route de Memphis du grand Schmoll, une guitare qui égrène les notes comme des épines de cactus, vous rêvez de foudre rockabilly et vous entendez le monde cruel de la country. Save your apologies for when you get caught : un shoot d’instrumental pour vous refiler le moral, de la tonitruance qui confine à de la maltraitance auditive pour ceux qui n’aiment pas vivre à fond la caisse. De champagne ! Walking is much too slow : c’est terrible un groupe de rock qui sonne fort et bien avec des lyrics à la hauteur du son, en plus vous prennent toujours à dépourvu, à contrepoil, vous mènent par le bout du nez là où ils veulent, du grand art, et ne sont pas beaucoup sur le marché à se permettre de tels régals. 6120 : tous les amateurs de Cochran connaissent ce chiffre, pour les paroles pensez à Elle est terrible d’Hallyday + la fin de Génération perdue, sinon ne pensez à rien, écoutez, c’est du rock’n’roll qui parle de rock’n’roll ! Immanquable. Ford Fairlane : (n’avais pas tort quand je parlais de Rockab garage) : en voiture, une balade avec la fille que l’on aime, la poésie du camionneur, une fin à l’emporte-pièce, une guitare qui vous grimpe au septième ciel et des mots qui disent plus qu’ils ne le voudraient. Pour le son une espèce de convoi à la Peckinpah. Mais funéraire. Where I am when I close my arms : encore une de ces intros qui vous mettent du baume au cœur et que vous laissez venir à vous pour le plaisir de vous sentir bien sur cette terre, ensuite vous fermez les yeux et vous suivez les ondées de cette guitare, y a tout de même cette petite musique en sous-main, une pointe de rêvasserie nostalgique, qui vous apporte la gousse d’ail de cynisme nécessaire pour survivre à vous-même. 1000 shots of whiskey : un tintamarre batérial de tribu de cannibales en chasse, ils se dirigent vers vous, pas de panique ils ont seulement soif, vous les rejoignez, z’avez intérêt à courir vite car le solo de guitare ne vous attend pas, soirée biture, pas besoin de piqûre de rappel, conseil identique aux précédents, n’écoutez pas trop les paroles vous risquez d’en ressortir l’oreille pâteuse. Pour le mal de crâne il est fourni gratis avec l’extro. Trop c’est trop !

             Je ressors de ce disque ébloui. Enfin du nouveau dans le monde du rockabilly !

    Damie Chad.

     

     

    *

    Pour une fois ce n’est pas la couve de l’opus qui m’a attiré, ni le nom du groupe. Mais les tags qui l’accompagnaient. Des mots qui pour citer les Beatles ne vont pas très bien ensemble, trois exactement : celui du milieu ‘’ doom’’ ne me pose aucun problème, pas de péril en la doomeure, ce sont les deux autres, celui qui arrive en queue de peloton, ‘’acoustic’’, oui ça existe à portion homéopathique, enfin passons, mais le premier en file de tête du peloton ne cadre pas trop de bicyclette avec doom, jugez-en par vous-mêmes : ‘’jazz’’. Que peut-il sortir d’un tel accouplement digne de Lautréamont, peut-être un monstre hideux, peut-être un mélange sans saveur, peut-être une pure merveille… Là, n’est pas la question. Qui voudra prendre la peine d’écouter entendra. 

    Quant à moi j’aime à découvrir. Je suis curieux de nature. Les marges m’attirent. J’essaie un tant soit peu de suivre les nouveautés, pas pour me tenir au courant, mais la meilleure part d’un combat, soit-il rock ou tout autre, réside en le fait d’être toujours aux avant-postes, sur la brèche de ce qui craque, de ce qui crocke, là où s’ouvrent des perspectives soient-elles déroutantes, exaspérantes, attrayantes, inquiétantes, mortifiantes…

    THE 4AM NEWYORK EXPERIMENT

    (Chargement libre sur Bandcamp / Juin 2023)

    Aucun renseignement sur ce projet et ses promoteurs même si le premier EP est présent sur de nombreuses plateformes de streaming. Au début j’ai benoitement cru qu’ils étaient de la Big Apple, viennent de Zagreb, capitale de la Croatie.

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    Du moins c’est ce qui est marqué. Quand on cherche on trouve. Pas obligatoirement ce que l’on cherche, mais certaines fausses pistes sont révélatrices. De quoi ? Pour le cas qui nous intéresse d’une certaine noirceur, d’une certaine doomeur si nous utilisons un vocabulaire plus précis.  Commençons par le seul indice à notre disposition. La couve pour ainsi dire digitale du disque non objectivé. Pas très claire. Qu’y voit-on ? Un visage de trois-quarts, vraisemblablement ( ? ) d’une personne noire, pas en entier : le nez, un œil, le front, pas de bouche, quelques cheveux sur notre droite, à la place de ceux-ci, une photographie, trois voies d’autoroute (ou de route), deux lampadaires, cinq voitures, phares allumés, c’est la nuit. L’artwork est crédité. Masha Raymers. Instagram, FB, Pexels une photographe ukrainienne, de Lviv, beaucoup de portraits féminins qui suggèrent le désir plutôt qu’ils ne le dévoilent, de belles œuvres d’un érotisme chaste et ardent, qui mériteraient une chronique, mais cette fois nous en élirons une seule photo, une route, un lampadaire éclairant un passage clouté, une voiture phares allumés, une fille dans l’ombre qui marche sur le bas-côté. Nous vous laissons seuls juges.

    Poursuivons notre route ombreuse, sur YT, une merveilleuse occasion de vérifier l’adage selon lequel le retour du même n’est pas le même. Certaines vidéos sur YT sont postées par plusieurs personnes différentes. C’est le cas de celles qui nous intéresse. Pour les vidéos musicales, neuf fois sur dix, l’on retrouve la couve du disque. Tiens sur celle-ci, lui a été substituée une photo de nuit. Une rue étroite, aux voitures l’on date des années cinquante, des silhouettes qui marchent, seules sont visibles les trois grosses lettres du mot Bar. Ambiance film de truands. Qui l’a envoyé ? Jazz Noir Music. Etrange.

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    Qui se ressemble s’attire. Se repousse aussi parfois. Qui est ce Jazz Noir Music ? Suffit de cliquer. Vous pouvez même vous abonner à sa chaîne. Le site n’est pas vieux. Quelques semaines, vous avez une vingtaine de vidéos à regarder. Non Jazz Noir Music n’est ni un groupe, ni un one man band. Un amateur de jazz. Pas vraiment d’Ellington, de Mingus, de Miles – il les aime peut-être – sa prédilection se porte sur un certain style de jazz, le jazz noir, non pas la couleur de peau des musiciens, mais un jazz d’ambiance noire, il propose donc plusieurs artistes apparentés à cette classification. Votre œil exercé de détective privé ne manquera pas de s’attarder sur certains titres, par exemple, Quarantine Doom Jazz vol 4 (Signora Ward Records). Le jazz noir est donc un style de jazz, aussi appelé Ambient Jazz, ou Dark Jazz, ou Doom Jazz, un jazz aux limites du post-metal, de l’électro, de l’ambient, du punk hardcore… Maintenant vous ne remarquez pas la mention : Rubriques intéressantes, pour l’unique raison qu’elle est écrite en russe. Si vous cherchez encore, vous retrouverez sur la plate-forme Boosty notre Jazz Noir Music sous-titré Meditation and Darkness qui débute par le texte suivant :

    ‘’ Tristesse, horreur, solitude, nostalgie, tranquillité et paix, c’est toute la somme d’images qui sont en cohérences avec l’esprit du Dark Jazz.

    Et si vous vous retrouvez dans un splendide isolement un vendredi soir, et que de la fenêtre vous pouvez voir les rues sombres de la ville à l’agitation éternelle, n’oubliez pas d’allumer les compilations présentées ici sur n'oubliez pas d'allumer les compositions présentées ici sur boosty et sur ma chaîne. Un verre de whisky complétera cet agréable passe-temps.’’

    Les enregistrements proposés sont agrémentés de documents iconographiques divers qui tous (photographies, bandes dessinées, cinéma) relèvent de l’esthétique des films noirs des années cinquante. Un dernier petit détail : si vous désirez soutenir financièrement vous pouvez verser la somme que vous voudrez, vous repèrerez facilement l’endroit : les modalités sont en caractères cyrilliques.

    Comme par hasard sous la vidéo que nous allons écouter est recopiée cette phrase   : ‘’ Quelle différence cela fait-il de savoir comment s’appelle l’endroit que vous quittez pour toujours.’’ empruntée au roman La mariée était en noir de William Irish. Un détail qui déjà classe cet auteur de polars : il reçut le Prix Edgar Allan Poe du Meilleur Scénario. L’ombre noire du corbeau ne plane pas au-dessus de n’importe qui.

    Darker than dark : orage dans le lointain, coups de cymbales répétitifs, si monotones, si monochromes que vous n’entendez qu’eux, heureusement que le grondement sonore et continu en arrière-plan prend le dessus car cette clinquance cymbalique est trop frustrante pour être qualifiée d’image sonore de l’inéluctable, une espèce de sifflement un peu semblable aux productions de l’onde Martenot s’avère beaucoup plus important. Ambiance toutefois plus grise que noire, petit jour blême même, le morceau manque d’une cohérence syntaxique puisqu’à un moment il ne se passe plus rien, le son a beau s’amplifier le sentiment d’oppression s’amenuise, se dilue, certes il flotte autour de vous en nappes de brouillard mais ne vous effraie plus depuis longtemps. Et puis il s’arrête brusquement, sans rime ni raison, serait-on tenté de dire. Slowly : plus solennel, plus prenant, ici l’épaisseur du son prédomine, hélas toujours cette cymbale même pas énervante, tout juste enquiquinante, elle vous empêche d’apprécier les sonorités mélodiques, peut-être l’expérimentation consiste-t-elle en cela, à vous mettre les bâtons dans les roues afin que vous ne focalisiez point votre attention sur  la beauté de la musique peut-être pour vous rappeler que c’est ainsi dans la vraie vie, qu’il y a toujours un petit détail qui gâche tout, que l’extase recherchée est un ange aux ailes brisées qui claudique salement, vous n’éprouvez plus de pitié pour lui, d’ailleurs il a compris, il s’éloigne doucement et vous l’avez déjà oublié alors qu’on l’entend encore. Entre nous soit dit, pas très jazz, pas très doom et pas très acoustique. Grosse déception !

    *

    Je n’aime pas être déçu, aussi ai-je choisi sur la chaîne de Jazz Noir Music,  une vidéo dont le graphisme m’a attiré, rien de novateur, mais un beau coup de crayon qui vous pose un univers en une simple image. Elle porte la mention de Madness Returns, de fait il s’agit d’un morceau intitulé Der Gegensatz ( = l’opposé ) sur le premier album de :

    CHAOTIC BOUND SYSTEMS

    One man band, en l’occurrence Andrey Kein, d’Ykaterinburg, une des plus grandes villes de Russie située sur le versant asiatique de l’Oural. L’est impliqué dans de multiples projets : Sol Mortuus, Carved Image of Emptiness, Church Howlin Dog,  Zinc Room, Prognostic Zero

    Le nom de Chaotic Bound Systems est en lui-même une ouverture au rêve. Notons la justesse de l’appellation marquée par la présence du S terminal. Il ne s’agit pas d’un unique ‘’système’’ qui serait chaotique. En ce cas-là le participe passé ‘’Bound’’ n’aurait aucun sens. A quoi d’ailleurs serait lié un système chaotique ? Ce S marque bien qu’Andrey Kein nous parle d’interdépendance universelle. Un système est dit chaotique lorsque l’on ne connaît pas sa position initiale. Celle-ci explique qu’à certains moments le système nous semble dériver étrangement, en fait si nous connaissions parfaitement les données premières de son implantation dans le monde son évolution nous paraîtrait des plus logiques car répondant à un développement commandé, ordonné ( osons le mot) déterminé par sa vectorité initiale. Autrement dit nous qualifions un système de chaotique parce que nous ignorons les modalités de son écoulement temporel. Si nous ne savions pas qu’une graine est programmée pour germer, que sa nature est ainsi, nous apposerions l’étiquette chaotique sur ce phénomène de germination puisque nous ne comprendrions pas pourquoi tout à coup la graine cesse d’être graine pour devenir plante. Nous aurions l’impression qu’elle serait devenue mystérieusement folle ou délirante.

    Pourquoi ne parvenons-nous pas à connaître les conditions exactes de sa naturité initiale, parce qu’aucun système n’est jamais seul – l’on ne peut imaginer un système doté de la pureté formelle de l’Idée platonicienne -  sa propre naissance est déterminée par d’autres systèmes concomitants pour la simple raison que le monde est un ensemble de systèmes entrecroisés avec d’autres systèmes, par écho successifs avec tous les autres systèmes. Valéry n'a-t-il pas dit qu’une goutte de vin suffit à teinter toute la mer ?

    En résumé, le comportement anarchique d’un système est conditionné par l’ensemble de tous les systèmes. La néguentropie ( activation de l’énergie ) se métamorphose en entropie ( désactivation énergétique ), en d’autres termes le désordre chaotique énergétique se stabilise en stabilité ordonnatrice entropique, pour redevenir désordre énergétique sous l’action d’un autre système. 

    En quoi cela concerne-t-il la musique, évidemment vous pouvez répéter du début à la fin du morceau le même riff, le même rythme. Dans ces cas-là vous êtes dans un système clos autosuffisant et ordonné. Dans ces cas-là la plupart du temps les musiciens rajoutent quelques variations épidermiques… Le musicien est alors un système qui influe sur un autre système. Dans le jazz la part de l’improvisation est prépondérante. Pour des raisons commerciales les maisons de disques ont longtemps imposé à leurs artistes de reprendre des airs connus ( voire des chansonnettes ) afin que le titre attirât le client, c’est en jouant, en élastiquant, la structure du morceau, en la passant sur la table de Procuste des différents modes musicaux afin de l’étirer, de la compresser, de la désarticuler, que l’artiste imprimait sa propre marque, bouleversant le système de la chanson  afin de l’ordonner selon la systématisation de sa propre sensibilité.

    Pendant longtemps, la musique a évolué selon des règles constitutionnelles mathématiques, avec l’apparition du free, les jazzmen ont introduit des éléments ‘’ extérieurs’’ aux possibilités mathématiques, l’on n’a pas manqué de les critiquer en leur reprochant de faire n’importe quoi. Ce qui parfois pouvait être vrai, mais c’était oublier que faire n’importe quoi c’est aussi tout simplement faire quelque chose, en modifiant un système donné… L’apparition du bruitisme au début du vingtième siècle, puis du noise, puis des techniques életro et électro-acoustiques a encore changé la donne d’appropriation culturelle de cette ‘’ nouvelle’’ musique par le public. Elle n’est pas aussi sans poser d’interrogation aux musiciens et créateurs.

    Si actuellement surgissent à foison des one man bands, c’est certes parce que les avancées techniques le permettent, c’est certes aussi pour des raisons strictement économiques – exactement à un autre niveau la même problématique des Blue Caps de Gene Vincent abandonnant la contrebasse pour la guitare basse électrique ô combien plus facile à caser dans une seule voiture lors des tournées -  mais surtout parce que l’artiste se retrouve seul face à sa propre musique, débarrassé des interventions ( qu’elles soient heureuses ou malheureuses ) de leurs pairs. L’artiste se sent ainsi davantage maître de sa création, il élimine l’action que l’on pourrait assimiler à l’apport hasardeux ( positif ou négatifs) d’autres systèmes  déstabilisateurs. Imaginez un torero voulant se mesurer seul face au taureau et à la mort refusant l’aide des picadors, des banderillos et de ses aides…

    A notre connaissance Chaotic Bound Systems a réalisé deux albums, No Light ( 2018 ) et Dissonanz ( 2020 ) et un Ep : Dust Demons ( 2022 ). Tous trois : Evil Dead Productions. Distribution : Diabolic Spectrum Records.

    Andrey Kein : sax ténor, saxphon (flûte de bambou), piano, guitare, percussions, bruits de violoncelle.

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    De Gegensatz : ( L’opposé ) : un saxophone qui résonne comme la sirène d’un cargo perdu au milieu de l’océan, cette musique est forte car elle est ponctuée de silence, les notes et les bruits surviennent en un isolement glacial, cette trompe qui mugit et se tait pour laisser la place à d’autres sons, Chaotic Bound Systems ne cherche pas à créer un vortex de sons qui déboulent sur vous pour vous entraîner sans rémission, l’on sent la composition, un esprit qui tente de circonscrire par le son et des sifflements un espace musical qui soit avant tout mental, un tout indissoluble qui contiendrait tous les possibles organiques de son déploiement. L’on est beaucoup plus près du jazz que du noise, les instrus ont l’air de s’affoler, d’essayer de se surpasser pour prouver la nécessité de leur présence, d’expirer, de crever la bouche ouverte afin de magnifier le passage de ce qu’ils ont été dans leur propre présence évaporée afin que leur disparition vibratoire n’ait pas été une anecdote sans signifiance mais la marque même de leur nécessité dans son absence révélatrice, un peu le côté obscur de la force qui ne déclare jamais forclos. Lorsque le morceau s’arrête, rien n’est terminé, vous reste l’impression d’être rassasié, d’avoir entrevu quelque chose de plus grand que vous et surtout totalement étranger à la nature de votre propre êtralité. Quelque chose qui soit à l’opposé de votre intégrité rejetée dans les zones interlopes du néant.

             Jazz Noir Music en offre une autre lecture. Celle d’une bande-dessinée dont il a détaché quelques cases qu’il expose assez longuement, le temps que chacun se crée son propre scénario, un morceau d’histoire glauque, un assassin qui poursuit sa vengeance… En noir et blanc.  Noir, très noir.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 18 ( Château d’If  ) :

    92

    Le Chef ouvrit la porte d’un grand coup de pied. Pendant que je me précipitai dans le bureau il s’arrêta pour allumer un Coronado. Je faillis buter sur le corps d’Alice évanouie sur la moquette, je la relevai et la tenant serrée contre moi je lui prodiguais un rapide lèvres à lèvres qui rapidement lui permit de reprendre ses esprits :

             _ Oh Damie ! c’est affreux !

             _ Mais non, Alice vous êtes toujours aussi belle, je vous le promets !

             _ Agent Chad, modérez l’exaltation de votre âme lamartinienne, recouvrez le sens de la réalité, cette ravissante enfant a raison, ce n’est pas beau à voir, mais alors pas du tout !

    Je portais mon regard sur le bureau où étaient assis Sureau et Lamart. Assis n’est pas le bon mot, ils étaient carrément affalés sur leur table de travail. Ce n’était pas le plus terrible. En moi-même je louai la sagesse du Chef qui avait allumé un Espuantoso avant de rentrer. Comparée à l’horrible puanteur qui se dégageai des corps des deux journalistes, la fumée dégagée faisait office d’une agréable et printanière fragrance de chèvrefeuille. Non seulement Lamart et Sureau étaient morts mais ce n’était pas le plus grave, ils présentaient un état de décomposition avancée, par les trous de leurs vêtements l’on apercevait un infect grouillements de vers, les fameux helminthes, si chers à Baudelaire, accomplissaient leur travail. Seuls les cabotos ne semblaient pas trouver l’odeur désagréable, ils humaient avec délectation les deux cadavres.

              _ Avec l’agitation qui règne dans le hall personne n’a visiblement entendu le cri d’Alice, Agent vous refermerez avec soin la porte, que l’odeur ne se répande pas avant que nous ne nous soyons éclipsés.

    Choquée Alice ne voulut reprendre sa place à l’accueil :

              _ J’aurais trop peur de dormir seule ce soir, je reste avec vous Damie !

              _ Oui Alice, vous avez raison, je vous emmène avec moi à Provins, n’ayez crainte avec les féroces gardiens que sont Molossito et Molossa, rien de désagréable ne pourra vous arriver.

    93

    Nous arrivâmes un peu tard - il était près de midi - au local. Molossa et Molossito ayant squatté toute une partie du couvre-lit, il ne resta que peu de place pour Alice et moi, trop serrés à la manière des sardines à l’huile en boîte nous avions assez mal dormi. Le Chef était d’excellente humeur. Il me tendit aussitôt un exemplaire du Parisien Libéré :

             _ Lisez-moi ce torchon, Agent Chad, cela ne vaut pas la prose veloutée de vos Mémoires d’un GSH, mais cette première page fort instructive vaut le détour. Pendant ce temps je me permettrai d’allumer un Coronado, la journée risque d’être fort belle !

    LE PARISIEN LIBERE

    UNE TRAGIQUE ET DOUBLE DISPARITION

    Nous avons le regret d’annoncer une terrible nouvelle à nos lecteurs : Martin Sureau et Olivier Lamart, nos deux meilleurs journalistes sont décédés hier soir en des circonstances cruelles. Il était l’heure d’envoyer le journal à l’imprimerie et nos deux amis, contrairement à leurs habitudes n’avaient pas encore livré leur article. Il se faisait tard, nous envoyâmes une secrétaire à leur bureau afin de récupérer au plus vite leur travail. Hélas, ils étaient bien assis à leur table de travail, mais ils étaient morts tous les deux. Le Samu est arrivé en des temps record, le diagnostic est tombé très vite, tous deux avaient été terrassés par un arrêt cardiaque au travail. Le cas n’est pas si rare nous a déclaré un statisticien. Des gens soumis à un même stress peuvent succomber au même instant s’ils sont de la même famille, or Le Parisien Libéré est une grande famille et nos deux confrères travaillaient ensemble depuis tant d’années qu’ils étaient comme des frères.

    Nous leur rendrons un grand hommage dès lundi prochain dans notre journal. Les lecteurs se rappelleront que nos deux infatigables reporters étaient présents dans la forêt de Laigues lorsqu’un fulgurant variant du Covid a anéanti plus de deux cents de nos policiers.   Les analyses effectuées par prudence sur leurs prélèvements sanguins apportent la preuve indubitable de leur non-contamination, mais les autorités ont été formelles ils seront portés en terre au plus vite, dès demain après-midi, aujourd’hui pour ceux qui viennent d’acheter ce numéro, nous donnons rendez-vous aux lecteurs qui voudraient leur rendre un dernier hommage, au cimetière de Savigny ( Seine & Marne).

    Communiqué de la Rédaction.

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    Dans la voiture le Chef distribue les rôles :

    • Carlos, il nous avait rejoint au local dès que l’article du Parisien Libéré en devanture d’un kiosque à journaux lui avait sauté aux yeux, il y aura du monde, avec Alice vous rejoindrez la masse des anonymes en queue de peloton, personnellement je me mêlerai à la foule des officiels, dans l’œil de l’ouragan, agent Chad, avec vos deux cabotos vous seriez trop vite repérés, vous suivrez la piste indienne.
    • Mais que faut-il faire et de qui doit-on se méfier au juste, je ne comprends pas grand-chose, minaude Alice.

    Elle est toute belle mais méconnaissable, grosses lunettes noires qui lui mangent la moitié du visage, une robe bon marché et une veste en laine, genre de défroque tricotée par les grand-mères attentionnées déforment sa silhouette. N’empêche que Carlos est aux petits soins avec elle. Galamment le Chef lui répond :

              _ Charmante enfant, en toute logique dans un cimetière l’on ne craint que la mort, c’est pourtant elle que nous devons chercher !

              _ N’ayez crainte Alice, je vous défendrai, lui souffle Carlos au creux de l’oreille, j’ai toujours trois ou quatre Rafalos sur moi, un geste élémentaire de prudence terriblement efficace.

    Alice ne sait pas trop ce que c’est qu’un Rafalos mais la voix de Carlos la rassure. Après les avoir déposés devant l’entrée, j’arrête la voiture assez loin de la grille. J’entrouvre la porte pour laisser passer les molosses, ils ont compris, ils se faufilent entre et sous les véhicules en stationnement, personne ne les aperçoit, il doit bien avoir plusieurs centaines d’individus qui se dirigent vers le lieu de l’inhumation... Je ne me soucie plus d’eux, je sais que si j’ai besoin d’eux, ils seront à mes côtés. Chiens fidèles mais féroces.

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    La cérémonie a commencé depuis un petit moment. Le cimetière est plein comme un de ces œufs de pâques remplis de friture en chocolat que m’offrait ma maman quand j’étais petit. De mon poste d’observation je vois tout. Je ne pouvais pas trouver mieux que la fenêtre de la chambre d’Alice, la lycéenne (essayez de comprendre ou de relire les épisodes précédents), forcer la porte de derrière a été un jeu d’enfant. La tombe de Lamart et de Sureau, une simple fosse, est ouverte, les deux cercueils sont recouverts de gerbes de fleurs, les discours se succèdent, je reconnais le Chef au panache de fumée qui s’élève de son Coronado, depuis trois-quarts d’heure les discours se succèdent, je remarque que la famille est absente, à part un vieux grand-père atteint de démence sénile qui s’agite comme s’il était aussi un adepte de la maladie de Parkinson, quatre gardes du corps s’emploient tant bien que mal à le faire tenir tranquille,  derrière les officiels sont tassés les lecteurs du quotidien, je repère Alice alanguie dans les bras de Carlos. La cérémonie est un peu ennuyante, elle dure et s’éternise…

    J’entrouvre la fenêtre pour saisir quelques mots des allocutions qui sont prononcées à l’aide d’un micro, une brise légère les emporte en une direction opposée et les rend inaudibles. Je tressaille, un aboiement bref et étouffé m’avertit que quelqu’un approche. De quel côté ? Quinze secondes plus tard une espèce de léger couinement le suit. Je reconnais le timbre aigu de Molossito, donc le premier plus grave provient de Molossa. Braves chiens, jamais ils ne se seraient manifestés deux fois s’il n’y avait qu’une seule personne. Pas d’erreur c’est un double danger qui me menace. Deux ennemis se dirigent vers moi. Je me colle au mur, de telle manière que je serai derrière la porte de la chambre si quelqu’un la pousse… Deux minutes de silence absolu. Un léger grattement derrière la maison. Qu’est-ce au juste ? Maintenant j’en suis sûr quelqu’un monte les escaliers en prenant soin de ne pas faire craquer les marches…

    A suivre…

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 587 : KR'TNT 587 : MOGWAY / STAPLES Jr SINGERS / DAVID CROSBY / THOM BELL / URAL THOMAS / EUGENE CHRYSLER / G.O.L.E.M. / FRANCK HELEINE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 587

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    09 / 02 / 2023

    MOGWAY / STAPLES Jr SINGERS

    DAVID CROSBY / THOM BELL 

    URAL THOMAS / EUGENE CHRYSLER   

     G.O.L.E.M. / FRANCK HELEINE   

    ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 587

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

    Smogwai

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             Bienvenue dans le smog des Scots, le smog de Mogwai. Mog qui ? Mogwai not ? Glasgow band, comme les Mary Chain, Primal Scream et les Fannies. Jusque-là tout va bien. Mogwai fut lancé dans les early noughties par un gros buzz NME. What ? Des petits mecs de Glasgow qui ne jurent que par les Stooges ? Trop beau pour être vrai. Tu cours chez ton disquaire, comme le disait jadis Paul Alessandrini dans l’early Rock&Folk. Tagada tagada, zavez le nouveau Mogwai ? Tiens mon gars, le vlà ! Paf, vendu ! Tu revenais chez toi la langue pendante pour écouter le buzz. Ah tu parles d’un buzz !

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    Tu te retrouvais le bec dans l’eau avec un Mogwai Young Team en forme de petite arnaque. Rien qu’avec les onze minutes de «Like Herod», tu mesurais l’étendue de l’enculerie. Onze minutes, c’est pas rien, même si au bout d’un moment, ça s’énerve un peu, même si quand s’élève un petit vent sonique, on commence à mieux comprendre le pourquoi du comment. Mogwai fait du gros zyva, de la noise de doom. Ici s’étend l’empire du doom, semble dire ce «Katrien» qui vient te doomer le bulbe. Ils ont tout en magasin, ils ont même du piano à la Satie dans «Radar Maker». L’eusses-tu cru, Fresh Egg ? Ils ont surtout des cuts inutiles et c’est la raison pour laquelle on décide d’en rester là. Fuck it ! Cette enfilade de cuts est insupportable, paumée, sans horizon. Rien, juste du son pour du son, pas de compo, pas de rien, no nothing. Pas de chanteur. Tu te fais baiser une fois, mais pas deux. Bon d’accord, il y a parfois des vents de sable, mais rien de constitué. Ils aiment bien Satie, ils y retournent («With Portfolio»). Sous prétexte de post-punk, ils font n’importe quoi. On comprend pourquoi Gildas méprisait la post. Ne va jamais là-dessus, car tu vas souffrir, surtout d’en bas. Ils repartent à la fin avec un hommage à Satan qui dure seize minutes, mais bon, écoute qui peut. Après, le plus difficile reste à faire : revendre cette daube épouvantable. Trouver un autre gobier.

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             Et puis, le mois dernier on tombe sur la chronique enthousiaste d’un journaliste anglais qui a lu l’autobio de Stuart Braithwaite, Spaceships Over Glasgow. Le journaliste parle d’un hilarious book. Stuart Braithwaite est le guitariste de Mogwai. La chronique a l’air tellement sincère qu’on décide d’aller y voir de plus près, sait-on jamais. Oh après tout, le risque de se faire enculer une deuxième fois n’est pas si terrible. On gaspillera tout au plus quelques heures de lecture, c’est-à-dire une goutte d’eau dans l’océan des lectures. On envoie les pésétas chez Book Depository et le Mogwai book arrive 48 h plus tard. Ouvrage relié, belle jaquette orange fluo, graphisme ésotérique, belle main du bouffant et beaux choix typo, les conditions semblent rassemblées : la relation de confiance peut se rétablir. 

             Stuart Braithwaite raconte sa vie très simplement. Pas la moindre trace de prétention, chez lui. D’ailleurs les photos du groupe vont dans le même sens : ces mecs sont des anti-rockstars. Aucun danger qu’ils plaisent aux filles. Même leurs fringues sont laides. Bien sûr, Braithwaite raconte l’histoire de Mogwai, un groupe dont on n’a rien à foutre, mais ce qui fait la force de son book, c’est l’aspect flaubertien, une certaine façon de raconter sa rocking Éducation Sentimentale : comment se construit un kid fan de rock dans l’Angleterre des années 80/90. Son book fonctionne comme un catalogue du bon goût. À part deux ou trois faux pas, toutes les références de Braithwaite sont bonnes : ça commence avec les Mary Chain et ça se termine avec Roky Erickson, en passant par les Stooges, le Velvet et des tas d’autres passages obligés. Ça te sécurise un lecteur.

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             Comme il est né en 1976, Stuart arrive un peu après la bataille. Il fait ses premiers pas dans la vie du rock avec Cure et Nirvana. En France, pays extrêmement défavorisé en matière de rock, certains kids s’alimentaient depuis longtemps d’un savant mélange de presse et de fanzines : Shake, Les Rockers de Jean-Claude Berthon, le Rock&Folk d’Yves Adrien, puis le Bomp! de Greg Shaw, le Creem de Dave Marsh, et la sainte trilogie NME/Melody Maker/Sounds - principalement le NME de Nick Kent et de Mick Farren - le Back Door Man de Phast Phreddie Patterson, puis dans les années 80/90 le Spin américain, Vox et Select en Angleterre, et parfois The Face. Tout cela a disparu, emporté par une nouvelle vague, Mojo/ Record Collector/ Classic Rock/ Vive Le Rock/ Uncut/ Shindig!, et toujours des zines, Ugly Things, Dig It!, Rock Hardi, et pour un petit shoot trimestriel de rockab, Rockabilly Generation. Avec tout ça, la dose mensuelle est garantie. Pas de place pour le reste.

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             D’une certaine façon, Stuart va rattraper son retard, dès 11 ans, avec un prof de guitare qui lui apprend à jouer «Heroin». Small Stuart ne sait pas qui est le Velvet - I presumed  that the Velvet Underground were all black - ni ce que sont les drogues, mais le cut lui plaît infiniment. Sa grande sœur écoute les Mary Chain et il comme il adore le son, il veut une guitare électrique. Puis sa frangine entre dans l’univers 4AD, avec les Pixies et les Cocteau, découverte à la suite d’Ultra Vivid Scene - one of the biggest bands on the planet - et puis Cure, qui dit-il, lui entre sous la peau. Et chaque mercredi, bien sûr, il dévore the holy trinity, NME/Melody Maker/Sounds, quelques TV shows comme Snub TV où il découvre les Cramps, Dinosaur Jr, puis les Spacemen 3 et «Revolution», et bien sûr l’inévitable Peely show sur Radio One - a show anything but predictable - Et ça continue avec Loop, Fields Of Nephilim et Silverfish. Vie classique de fan de rock en Écosse, mais Stuart trie sacrément sur le volet. Pas de daube chez lui. Il monte même un groupe avec des copains : Pregnant Nun, clin d’œil aux Mary Chain, dont il apprend les chansons pour pouvoir les massacrer sur sa gratte.

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             Comme ses parents sont extraordinairement bienveillants, il peut entrer rapidement dans la seconde phase de son Éducation Sentimentale : les concerts au Barrowland. Initiation avec Cure qui lui est entré sous la peau, notamment l’album Disintegration. Le concert est comme il dit spellbinding. Stuart commence alors à collectionner tout le vocabulaire du fan transi. Pour lui, Cure est le perfect teenage band. Il sort complètement sonné de son premier shoot de Cure au Barrowland. Il en tartine des pages entières. Puis c’est le concert des Mary Chain dont il se dit obsédé. Obsédé de leur fuck-the-world attitude. Époque Psychocandy - To me they epitomised cool - Il les voit comme the coolest band on the planet. Au point où il en était, il aurait pu sortir un truc du genre cool Raoul. Il revoit les Mary Chain au moment d’Honey’s Dead - The place was bedlam - Les Mary Chain sont le fin du fin. L’autre fin du fin, c’est Spacemen 3 covering The 13th Floor Elevators. Il commence à collectionner les guitar heroes. Voilà son trio de tête : J. Mascis, Poison Ivy et Robert Smith. Bizarrement, toutes ces influences n’apparaissent pas dans la musique.

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             Et comme dans toutes les histoires d’addiction, ça monte vite en température. Voilà qu’arrivent les Stooges - Their self-titled album was pretty much my bible - Puis son prof de guitare lui fait écouter Raw Power. Il est captivé par la férocité du son. It was perfect - The Stooges were Year Zero for the music we loved - Tous les misfits d’Écosse vont voir Iggy sur scène. L’«I’ve been dirt and I don’t care» sonne comme un mantra pour tous ces mecs-là. En rappel, Iggy balance son vieux Wanna Be Your Dog, and the place went ballistic, nous dit Stuart, le souffle court - I think it’s the perfect song. Simple, hypnotic, dumb and beautiful - Iggy finit avec «Search And Destroy», a whirlwind of chaos energy, and the crowd going apeshit - tout le vocabulaire de la folie du rock est là, Stuart en fait la collection, comme l’ont fait Baby Gillespie et Kris Needs dans leurs big fat autobios. Le rock est d’abord une affaire de langage, ce qu’ont bien compris ces trois cocos.

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             Et ça repart de plus belle avec Nirvana que Stuart découvre à Reading. «Smell Of Teen Spirit» hit me like a ton of bricks. C’est bien dit. Il succombe au mantra «A denial, a denial, a denial, a denial». Ah les mantras ! Le concert de Nirvana à Reading reste pour lui one of the best performances I’ve ever seen. Il voit aussi Dinosaur Jr exploser Reading avec «Freak Scene», nouveau coup d’apeshit ballistic bedlam. Il n’a plus de mots, il écume. Il louche aussi sur Kim Gordon, the epitome of nonchalance. En France, on a l’épitome de chèvre, en Angleterre, c’est plus raffiné. Reading 1991 est son premier festival. C’est là qu’est tourné l’excellent The Year Punk Broke. Stuart voit aussi les Sisters Of Mercy, Mercury Rev et Teenage Fanclub. Il adore Primal Scream, bien sûr, et l’«Everything Flows» du Teenage Fanclub is pretty much the perfect song, une de plus. En 1993, il voit la reformation du Velvet, puis les Buzzcocks, encore des chouchous, son favorite punk band. Côté disks, Stuart ne chôme pas : Hunky Dory, Lust For Life et Marquee Moon sont ses favoris, l’année où il s’installe à Édimbourg avec des copains. The perfect bands sont The Jimi Hendrix Experience, Nirvana et Motörhead. D’autres chouchous encore : Loop, Spacemen 3, The God Machine et Swervedriver. Toutes ses références sont parfaites.

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             C’est là qu’il monte Mogwai avec son pote Dominic. Il tire le nom du Gremlins de Spielberg : Mogwai est aussi un mot chinois qui veut dire démon. Et pouf c’est parti ! Première tournée avec Urusei Yatsura, un autre gang de Glasgow aujourd’hui oublié, mais qui a connu sa petite heure de gloriole. On propose à Mogwai une tournée américaine avec Ween, mais ils n’ont pas le blé pour partir en voyage. En 1996, ils font leur première Peel Session. Puis leur premier single est chroniqué dans le NME. Ils jouent en première partie de Pavement, dont ils vont rester très proches - We were obsessed with Pavement - Stuart voit Spiritualized sur scène et dit tout le bien qu’il en pense. Puis tournée américaine en première partie de Pavement, puis hommage aux Super Furry Animals - whose music we all loved - et à Arab Strap, hommage encore au Deserter’s Songs de Mercury Rev. À travers son histoire, Stuart fait une sorte de parcours sans faute. Hommage encore à Bardo Pond, «playing super loud, far-out psych-rock». Puis Mogwai fait la couve du numéro spécial No Sell Out du NME, l’un des numéros les plus légendaires de l’histoire du canard, dans lequel on trouve Fugazi et le comédien Bill Hicks. Hommage encore aux Texans d’And You Will Know Us By The Trail of Dead, «more punk rock than Sonic Youth», puis à Billy Duffy, guitariste du Cult : Stuart va le trouver pour lui dire qu’il a appris à jouer de la guitare à cause du solo qu’il passe dans «She Sells Sanctuary». Pixies, aussi, one of my favourite bands. Petites apologies encore d’Arab Strap, de The Twilight Sad et de David Pajo, le mec de Slint. Il n’a oublié personne ?

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             Les drogues ? Les Cramps ? Roky Erickson ? Non, pas d’inquiétude, il ne les oublie pas. Les drogues sont partout dans Mogwai, les Écossais n’arrêtent pas. Stuart dit qu’il a perdu ses cheveux à cause des excès. Il tape dans tout : booze, acid, E’s, pills, coke, tout ce qui traîne - We were a mess - Il jongle avec les expressions de la défonce, comme l’ont fait Baby Gillespie et Kris Needs avant lui, expressway to insanity, out of our fucking minds, continuing to get smashed, c’est exactement la même ambiance que dans Primal Scream qui se vantent d’être continually wasted. Stuart se croit un «hard partier» jusqu’au jour où il monte dans le tour bus d’Elastica - they were on another level - et il ajoute : «things got messy in ways I’d never witnessed before.» Tout monte toujours d’un cran, à mesure qu’on avance dans la vraie histoire d’un groupe. Et ça continue jour et nuit, nuit et jour, dans les festivals en Espagne, everyone was so fucked. Puis il finit par voir les Cramps, one of my favourite ever bands. Il finit en beauté avec Roky qu’il réussit à coincer en studio pour enregistrer «Devil Rides». À Austin, Roky commence par emmener Stuart chez un marchand d’ice cream qui vend un milkshake nommé Roky et qui fait la fierté de Roky. En studio, Stuart doit se pincer pour être sûr que ce n’est pas un rêve : il se retrouve avec son idole Roky qui chante une chanson qu’il a composée pour lui. C’est un bel aboutissement, pas vrai ?

             Mais la vraie merveille de ce book se trouve dans le dernier chapitre. Quand son père casse sa pipe en bois, Stuart voit son monde s’écrouler. Alors il parvient à exprimer sa douleur et c’est la plus belle page de ce book que devraient lire tous les fans de rock : «J’ai beaucoup rêvé de mon père après qu’il soit mort. Et ça continue. Il est toujours là. Pendant toute ma vie d’adulte, mon père est venu me chercher à l’aéroport pour me ramener à la maison. Même quand je vivais à Édimbourg, ce qui représentait pour lui trois heures de route. Il m’attendait à l’arrivée, souriant et toujours content de me revoir. Pendant le trajet en voiture, il me posait des questions sur mon voyage et me disait tout ce qu’il avait pu faire pendant ce temps. Alors après, j’avais du mal à descendre de l’avion et à revenir dans le hall d’arrivée de l’aéroport, sachant qu’il ne serait plus là pour m’accueillir. Ça a duré un bon moment, et puis ça s’est un peu atténué, car j’ai fini par me dire : ‘quelle chance j’ai eu de le voir là pendant toutes ces années’. C’était un wonderful man et j’ai eu la chance de l’avoir comme père.»

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             Du coup, on décide en comité restreint d’aller tester un autre album de Mogwai. Le choix se porte à l’unanimité sur Rock Action, à cause du titre. Même constat qu’auparavant : ils bâtissent leur empire sur du bruit. Franchement, tu n’es pas obligé de trouver ça bien. Tu n’écoutes que par curiosité, mais surtout par sympathie pour Stuart qui est de toute évidence un brave mec. Avec «Take Me Somewhere Nice», ils bricolent une grosse ambiance, mais rien d’autre. Ils tartinent leur heavy tartine avec du chant qui n’est pas du chant. C’est même un peu pénible. On est triste pour eux, car au fond, on les aime bien, puisqu’on écoute les mêmes disques. Quand tu n’as pas de voix, ça ne pardonne pas. Les petits sortilèges soniques ne marchent pas non plus. La voix murmure dans le son et c’est une catastrophe. Cette pauvre voix atone voix reste même au fond du son, complètement inexploitable. On se demande comment un label a pu les soutenir. Ça n’a pas de sens commercial. Stuart et ses copains tapent dans le smog d’outerspace, ils nous enfument, ils n’ont aucune chance de convaincre les pékinois. Il faut attendre «2 Rights Make 1 Wrong» pour que leur sauce prenne, ils font enfin du wild ambiant scottish et ça brûle très vite. Ils sauvent cet album qu’ils auraient dû appeler Boudu Sauvé Des Eaux.  

    Signé : Cazengler, smog on the water (closet)

    Stuart Braithwaite. Spaceships Over Glasgow. White Rabbit 2022

    Mogwai. Young Team. Chemikal Underground 1997

    Mogwai. Rock Action. PIAS Recordings 2001

     

     

    Les Staples ne sont pas les Staple

     

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             Soit on sait, soit on ne sait pas. Pour vraiment profiter du spectacle des Staples Jr Singers, le mieux est de savoir, et pour savoir, il faut avoir écouté When Do We Get Paid, un album miraculé sauvé des eaux par un petit label américain, Luaka Bop. Alors on sait, quand on les voit arriver sur scène, qu’ils vont nous faire du Wilson Pickett. Et ça va même au-delà de toute expectitude.

             Les liners de cet album miraculé sauvé des eaux nous apprennent que les Staples Jr. Singers sont en réalité les Brown d’Aberdeen, Mississippi, et, ajoutent les liners, ils ont commencé de bonne heure : Annie avait 11 ans, Edward 12 et R.C. 13. Ils écumaient les églises et les écoles sur les deux rives de la Tombigbee River. Ça ne s’invente pas, une histoire pareille. Comme ils écoutaient pas mal de secular music à la radio, ils se sont inspirés des Staple Singers pour se baptiser les Staples Jr. Singers. Annie adorait les Staple songs, oh yeah !, «because they had a meaning to them and a different style.» Pour elle, ça ressemblait beaucoup à ce que ses parents écoutaient. Elle rappelle que sa famille vivait dans la pauvreté, mais Daddy veillait toujours à ce qu’il y eût «à manger sur la table, des habits sur notre dos et un toit au-dessus de nos têtes. Alors ces chansons correspondaient à ce que nous vivions.»

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             Quand on écoute cet album miraculé sauvé des eaux, on est frappé par le mélange de primitivisme et de modernité du son. Les Staples Jr couplaient des rough and soul-infected rhythms - ce que le guitariste R.C. appelle «the new style» - avec des paroles qui évoquaient la rude condition des blacks pauvres dans le Deep South - «talking about trouble», dit Annie - Dans le morceau titre, Annie et Edward chantent «When do we get paid/ For the work we’ve done ?». Eh oui, il serait temps de s’en soucier, aux moins deux ou trois siècles de retard de salaires pour quelques millions d’esclaves. Ils tapent ça en mode heavy groove. C’est du pur Gospel Stax, intense et perlé de sueur.

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             Edward insiste beaucoup pour dire que les paroles de leurs chansons sont toutes tirées de leur vécu. Quand ils partaient en tournée, ils achetaient du matériel à crédit chez Mr. Buxton et le chargeaient dans le van que conduisait leur frère aîné, Cleveland. Ils tournaient partout sous la fameuse Bible Belt, «Minnesota, St. Louis, Memphis, Arkansas, Birmingham, all those places.» Ils ont fini par attirer l’attention des fameux Jackson Southernaires qui les firent jouer en première partie. Ils ont enregistré leur premier single en 1974 chez un certain Big John qui avait un studio à Tupelo : «Waiting For The Trumpet To Sound», qu’on retrouve bien sûr sur l’album, un gospel blues d’Ooooh Lawd keep on waiting. Un vrai petit coup de génie. La finesse du guitar slingin effare dans la nuit, et Annie te swingue tout ça à coups de keep on waiting. Leur Waiting passait pas mal à la radio et c’est avec Big John qu’ils enregistrèrent leur album en 1975, au Statue Recording Studio de Tupelo. Annie avait 14 ans, Edward 15 et R.C. 16. Toujours la même chose : une histoire pareille, ça ne s’invente pas.

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    ( Version originale : Brenda Records 1975 )

             Dès le «Get On Board» d’ouverture de bal, on voit que c’est enregistré avec les moyens du bord. Puis ils passent à la vitesse supérieure avec «I Know You’re Going To Miss Me», une vraie dégelée d’amateurs, ils tartinent un vieux gospel de Soul, c’est du raw, mais de l’excellent raw. Annie s’explose la rate à chanter son lead, elle est fantastique, elle en rajoute. Du coup, il règne dans cet album miraculé sauvé des eaux une ambiance extraordinaire. Ah tu te régales, tout est bien chez les Brown, le lead d’Annie, le guitar slinging de R.C. Avec «I’m Going To A City», ils basculent dans le heavy r’n’b amateur, ils y vont au get my ticket, c’est du pur primitif. L’album devient même fascinant, tu t’enfonces avec eux dans une jungle, une sorte de nowhere land inespéré. Encore une merveille imprescriptible avec «Trouble Of The World» et ils font avec «I Feel Good» une Soul d’excelsior. Annie taille bien la route avec «On My Journey Home» et ils finissent en beauté avec «I Got A New Home». Dans les liners, Annie est la première surprise : elle pensait que cet album génial avait disparu.

             Après l’album, les Brown ont continué leur petit bonhomme de chemin et sont passés à autre chose. Dans les années 80, le groupe compte 9 membres et devient The Brown Singers. Puis Annie se marie et elle monte les Caldwell Singers, alors qu’Edward et R.C. continuent avec les Brown Singers.  

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             Et les voilà tous les trois sur scène, Annie, Edward et R.C., le fantastique R.C. et son guitar slinging. Ils sont assis tous les trois, car plus très jeune, Annie pèse bien 200 kg mais elle te harponne une salle comme si elle harponnait un cachalot blanc, woufff !

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    Elle shake mille shooks, elle shoute avec le power du tonnerre, elle te sort des faux airs d’Aretha, quand elle se lève pour haranguer les harengs, elle devient une sorte de déesse africaine, une incarnation parfaite de la statuaire sacrée africaine qui représente la fécondité, et derrière elle, c’est un vrai ramshackle de wild gospel funk, deux guitaristes fabuleusement doués, un beurre-man et THE locomotive-man, un bassman beaucoup plus jeune qui joue comme James Jamerson, en descentes d’accords et en contrecarres de contrefort, c’est irréel de power, alors tu ajoutes ça au cirque que font Annie et Edward et te voilà au paradis du wild r’n’b d’église en bois. C’est carrément du Wilson Pickett servi sur un plateau d’argent.

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    Ils raflent toutes les mises, même les plus inimaginables, tu as là sous les yeux l’un de ces spectacles parfaits que le hasard des programmations rend possibles. Pendant une longue version de «When Do We Get Paid» - for the work we’ve done - la sono tombe en panne et pas de problème, Edward mène le bal a capella, ils ont assez de métier pour affronter les aléas de la technique moderne.

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    Ils font en fait très peu de cuts, mais ils les travaillent dans la durée. Ils mijotent les éruptions, ils groovent sous la cendre. Et puis tout explose avec «I’m Going To A City», Annie fout le feu au cachalot, elle lâche tous les démons de l’Afrique profonde sur l’Occident subjugué, c’est une épouvantable curée, un chaos régénérateur, tout le monde twiste dans la cambuse, Annie et ses frères nous ramènent aux origines du monde. Wild as fuck !

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    Signé : Cazengler, Instable Jr

    Staples Jr Singers. Le 106. Rouen (76). 31 janvier 2023

    Staples Jr Singers. When Do We Get Paid. Luaka Bop 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Crosbibi Fricotin (Part One)

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             Nouveau trou dans l’eau avec la disparition de David Crosby, l’un des vrais héros de ce qu’on appelait autrefois la contre-culture américaine. Croz était un homme libre, un navigateur, un hédoniste invétéré, amateur de jolies femmes et de drogues. Il fait partie de ceux qui n’ont jamais commis de faute de goût en matière artistique et ça va même plus loin : à toutes les époques de sa carrière, sa seule présence rehaussait le prestige de ses collègues, que ce soit dans les Byrds, CS&N ou après, au long cours de sa carrière solo, une carrière qu’il faut bien qualifier de fastueuse et que tous ses fans ont suivie méticuleusement. Quand on connaissait son histoire, on savait qu’il n’allait pas faire long feu, surtout après une greffe du foie. C’est un miracle qu’il ait pu survivre aussi longtemps et continuer d’enregistrer des albums aussi magiques. Car c’est bien de magie dont il s’agit, une magie particulière qu’on appelle aussi le groove.

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             On venait tout juste d’écouter son dernier album, l’excellent For Free, quand la triste nouvelle est tombée. For Free est donc son testament artistique. Sur la pochette, Croz ressemble à l’un de ces vieux cowboys de Sam Peckinpah, il sort tout droit du fabuleux «Cowboy Movie» qui illumina jadis l’album rouge, If I Could Only Remember My Name, un «Cowboy Movie» qui hanta tant l’auteur des Cent Contes Rock qu’il en pondit un œuf. Cot Cot ! Ah il faut voir Croz attaquer «River Rise» à la sauvage de vieux crabe. Il t’embarque aussi sec, avec une énergie considérable. Il te fait une rock-song du meilleur niveau, ça scintille et ça flashe. C’est du Croz en liberté. Si tu cherches le coup de génie, il se trouve juste avant la fin et s’appelle «Shot At Me». Croz chante à l’édentée salivaire et gratte ses poux du limon - I was having coffee in my favorite place - Il voit entrer un fantôme - this haunted guy with a haunted face - et donc il nous fait un cut fantôme, il nous fait du groove indien - Head to the woods and laugh all the way/ Nobody shot at me today - C’est exactement du même niveau d’envoûtement que «Cowboy Movie». On trouve aussi deux Beautiful Songs sur For Free, «The Other Side Of Midnight» et le morceau titre. Il va chercher ses vieux horizons, c’est tout ce qui l’intéresse, ces soudaines montées en charge d’harmonies vocales. On croirait qu’il les a inventées. Il ouvre chaque fois un nouveau chapitre de la très grande pop américaine. Il chante face au soleil - How does love light shine from so high above/ Tell me - Il se connecte sur les anciennes magies de vestes à franges dans le crépuscule californien, c’est là que tu trouves la légende de Croz, il fait un fantastique testament psychédélique, il revient aux flux et aux reflux magiques du Californian Hell. Dans «For Free», il raconte l’histoire d’un musicien des rues - Across the street he stood and he/ Played real good/ On his clarinet for free - C’est un groove de jazz, il tape ça au playing real good for free, dans l’esprit de ce que fait Joni Mitchell - Maybe put on a harmony - C’est ce qu’il fait. Il termine cet album fascinant avec son testament : «I Won’t Stay For Long», joué au piano atonal.

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             En 2016, Croz est revenu au devant de la scène avec un album phare, Lighthouse. Il y redéploie dès l’ouverture sa pop spacieuse et élégante. La paix règne sur cet album, Croz bat doucement les cordes de sa gratte et chante son vieux groove océanique. Il prend «The Us Below» au trémolo de glotte sensible - Why must we be eternally alone - Il se pose de drôles de questions. C’est évident qu’on finit seul, quoi qu’il arrive. Avec «Look In Their Eyes», il va sur un son plus Brazil. On sent chez le vieux Croz un goût certain pour la brise tropicale et l’air parfumé du large. Il renoue aussi avec les accents magiques de CS&N et retrouve sa façon de forcer la note au chant. Le hit de Lighthouse ouvre le balda : oui, «The City» est une absolue merveille, swinguée au beat californien - All you can do is your best to stay in - Il re-développe sa fabuleuse énergie d’antan, like a wind, like a fire, il fait son best to stay in, oh yeah ! Fabuleux ! C’est claqué aux profonds accords d’acou. On sent remonter les vieilles énergies du Pacific qui datent du temps où régnaient sur la West Coast les Mamas & The Papas et CS&N. Il termine cet album phare en duettant avec Michelle Willis sur «By The Light Of Common Day». C’est beau, comme un ciel au-dessus de l’océan.

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             David Crosby éclairera le monde jusqu’à la fin des temps, c’est en tous les cas ce que prouve Sky Trails, paru l’année suivante. Il démarre avec un groove de jazz intitulé «It’s Got To Be Somewhere». Pas de groove plus groovy que celui de Croz. Il sait qu’il a du génie, mais il ne la ramène pas. Il se fond dans le groove, comme il l’a fait toute sa vie. C’est jazzé jusqu’à l’oss de l’ass - The book never lies/ Across the Santa Anna/ To the land of blue skies - La lumière se glisse dans la moelle des harmonies vocales. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Somebody Home», encore un groove jazzé aux neuvièmes diminuées. C’est d’une insondable profondeur. Croz chante à l’haleine chaude du vieux combattant, cette pureté fait la différence avec les autres prétendants au trône - When I look at my face/ I think there’s somebody home - C’est pointé à l’orgue céleste, prodigieusement autobiographique - One of these days/ I’ll get my courage up/ Sit down at your table/ Pour some coffee in my cup/ And I will tell you I love you - On l’entend faire des prodiges avec sa voix - Seen you weak/ but when you - et là il monte de plusieurs octaves - to me/ There’s somebody home - D’autres merveilles se nichent sur cet album béni des dieux, comme par exemple «Sell Me A Diamond». Il revient à l’avant-garde déconstructiviste qu’il affectionne tant. Il faut écouter cet homme attentivement, car il sait qu’il va mourir. Il chante encore ses chansons, comme s’il se trouvait à la fin d’un règne, avant que ne s’éteignent définitivement les spotlights. Il explose «Capitol» aux harmonies vocales, y dénonce la fake democracy et chante «Before Tomorrow Falls On Love» d’une voix de vieil homme, mais avec une âme - In that careless place and time - Extraordinaire ! Puis il s’en va jazzer «Curved Hair» à Bahia - The sky is a cavern open wide - et nous pond un groove de jazz dément. Ici, tout n’est que groove, calme et volupté.

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             Dans l’interview qu’il accorde à Ian Fortman en 2017, Croz revient invariablement sur l’un de ses sujets favoris : la politique. Il a de quoi faire puisque selon lui son pays n’est plus aujourd’hui qu’une bad joke. Et il traite son président d’asshole, ajoutant - Please quote me !  Oui, il veut qu’on le cite. Croz résume tout haut ce que tout le monde pense tout bas : les grosses boîtes investissent des millions de dollars dans le politique et quand les actions sont en baisse, ils demandent aux gens qu’ils ont acheté de déclencher une nice little war ici ou là, histoire de relancer le business - The United States is at best in a lot of trouble - Croz sait qu’il manque aujourd’hui une chanson comme «We Shall Overcome», pour les gens qui sont dans la rue. Quand il est questionné sur le freebasing qui a détruit sa vie et qui l’a conduit au ballon, Croz dit que oui, la progression de la drug culture et la mort de l’idéalisme des sixties étaient liées. Il rappelle qu’au même moment, on butait Kennedy et Martin Luther King. Quant aux guns, Croz rappelle qu’en son temps, on offrait aux kids de 12 ans comme lui des 22 long rifles, ça faisait partie des usages. Rien à voir avec ce qu’est devenu le mythe des guns dans les gangs - The gun itself isn’t the problem, the problem is the operator - Retirer les guns de la circulations aux States ? Tu rigoles, man ? Deux tiers des maisons ont des guns et personne ne voudra les rendre. Et questionné sur le racisme, Croz répond qu’Odetta et Josh White furent ses mentors.  

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             Nouvel album de pépé Croz en 2018, le bien nommé Here If You Listen. Autant le dire tout de suite : l’album renferme une sacrée pépite : une version de «Woodstock», le vieux hit de Joni Mitchell. Croz coule le bronze de la légende dans l’or du temps - We are stardust/ We are golden/ And we got to get ourselves/ Back to the garden - C’est imbattable. On observe aussi un fantastique retour aux harmonies vocales de CS&N dans «Other Half Rule» - Ego is the fever/ Runs hot and make ‘em blind/ Fuel for the fire/ That burns a man alive - Fantastique ferveur d’intimisme mélodique. Il propose aussi un très beau numéro d’équilibriste à plusieurs voix dans «Janet». Comme Scott Walker, tout ce que fait cet homme à l’article de la mort fascine au plus haut point. Il attaque l’A avec «Glory», un balladif océanique. Il y mêle sa voix à celles des filles - Let me be/ A glory in the sky - Ça swingue dans l’ouate. On reste dans une sorte de latence suprême avec «Vagrants Of Venice» et de vieux échos de CS&N viennent hanter «1974». Tout est très pacifique, infiniment doux et beau. Il sait traiter la paix intérieure en profondeur, comme l’indique «Your Own Ride» - It’s a matter of honor/ Having stirred up some light/ To spend my last hours/ Clearing the path for/ Your own ride - Il se montre de plus en plus éthéré avec «I Am No Artist» - I am no artist/ Lonely and supreme/ Needing no hand to touch/ No eyes to smile/ Only your lips - C’est une expérience unique que d’écouter ce vieil homme groover l’éther et remuer un passé si prestigieux. Il fait le show tout seul à l’acou dans «Balanced On A Pin» - This space I’m in - Il semble complètement détaché de la terre - It’s a bubble/ Balanced on a pin/ The space I’m in.

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             Avant de quitter ce monde ingrat, Croz aura su se montrer digne des caméras en acceptant de jouer son rôle dans le film que lui consacre A.J. Eaton. Sorti en 2019, ce film s’intitule Remember My Name. On se rappellera facilement du titre. C’est un vieillard qui apparaît à l’écran pour raconter son histoire favorite : il est dans les gogues d’un club de Chicago, défoncé comme il se doit, lorsque soudain Trane fait irruption en soufflant dans son sax. Brrrrzzzrrrrrzzzz ! Croz saute dans son fauteuil et fait avec ses lèvres le bruit du sax de Trane. Brrrrzzzrrrrrzzzz ! Stupéfait par la violence du son de Trane, Croz raconte qu’il s’affaisse en glissant le long du mur carrelé. Voilà de quelle manière un géant rend hommage à un autre géant. David Crosby salue John Coltrane. On se souvient que Croz fit partie des Byrds. Alors si on aime les Byrds, on se régale car on voit McGuinn raconter comment ils ont arrangé la gueule de «Mr. Tambourine Man» : pam pam pam ! Il donne ensuite la raison pour laquelle lui et Chris Hillman ont un jour pris leurs Porsches pour aller dire à Croz qu’il était viré : Croz faisait trop de politique - Too much politics and not enough music ! - Alors Croz décide d’acheter un voilier pour prendre le large. Il en repère un qui vaut 25 000 $ - Hey Peter Tork, tu peux me prêter 25 000 $ ? - Et Croz ajoute, du haut de sa belle intelligence : «L’océan est tellement réel, contrairement à Hollywood.» Il est tout de même recommandé de lire le volume 1 de son autobio, car il consacre des pages superbes au Mayan, ce fameux voilier. On verra ça dans un Part Two.

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             Croz revient à la caméra pour évoquer l’âge d’or de Laurel Canyon, avec notamment Cass Eliott et surtout Joni Mitchell qu’il considère toujours comme «la meilleure de nous tous». «C’est indéniable», ajoute-t-il d’un ton crozzy. Il rappelle qu’il a produit son premier album. Il en profite pour évoquer le souvenir de ces femmes qu’il adorait, Joni, Cass, Janis, «toutes brillantes, toutes cabossées, toutes solitaires». Il rappelle aussi que Dennis Hopper s’est inspiré de lui pour son personnage de biker cosmique dans Easy Rider. Puis il en arrive naturellement au chapitre des drogues dures. On lit la gourmandise sur son visage, il évoque le premier shoot d’héro, ah les drogues, dit-il, idéales pour «supprimer l’ici et maintenant». Mais les digressions philosophiques n’intéressent pas les gens du cinéma américain. Ils préfèrent les chicaneries à la con, alors Croz se voit contraint d’évoquer les tensions avec Nash. «On ne se parle plus.» Et Neil Young ? «Oh je ne suis pas fâché avec lui. C’est lui qui est fâché avec moi.» On le sent fatigué. On le soupçonne d’être aussi fatigué par les questions stupides des journalistes. Voilà un homme qui aurait beaucoup à nous dire sur l’hédonisme et on l’accule dans une sorte de Clochemerle à la mormoille. Il vaut mieux lire son autobio, l’air y est plus respirable. Le danger avec ce genre de film, c’est que les gens ne vont retenir qu’une seule chose : Croz est fâché avec Neil Young. Ça n’a strictement aucun intérêt. En plus, Eaton ose filmer Croz en train de prendre ses médocs. Mais heureusement, Croz parvient à conserver toute sa dignité. Comme il perd sa voix, il explique qu’il doit annuler des concerts. Ça sent la fin des haricots. On voit quelques extraits de tournée. Sur scène Croz gratte les accords de «Woodstock» sur une strato et forcément, c’est énorme. Avec ce film, il réussit néanmoins à offrir un sacré panorama de sa vie. Dans les dernières images, il regarde assez fixement la caméra et déclare : «Il faut savoir dire au revoir.» Ça n’est jamais facile de jouer son propre rôle.

    Signé : Cazengler, David Grosbide

    David Crosby. Disparu le 19 janvier 2023

    David Crosby. For Free. BMG 2021

    David Crosby. Lighthouse. Verve 2016

    David Crosby. Sky Trails. BMG 2017

    David Crosby. Here If You Listen. BMG 2018

    Ian Fortman : David Crosby Interview. Classic Rock #242 - November 2017

    A.J. Eaton. David Crosby - Remember My Name. 2019

     

     

    Inside the goldmine - Ring my Bell

     

             Sans doute étions-nous copains parce qu’on habitait le même quartier. Il était un peu plus âgé, ne payait pas de mine, il se coiffait comme l’as de pique à une époque où la coiffure devenait pour tous les ados la préoccupation principale, mais ce qui le caractérisait le mieux est qu’il avait ce qu’on appelait alors les pieds plats. On ne comprenait pas ce que ça voulait dire, mais ça s’entendait lorsqu’il nous arrivait d’aller courir sur le Grand Cours : cataplac cataplac. On allait chez lui passer le jeudi après-midi à jouer au jeu du Bac. À la radio, Richard Anthony chantait «Et J’entends Siffler Le Train». Ses parents étaient extraordinairement vieux, le père retraité, et la mère en retrait, tous les deux aussi blancs de cheveux que le Père Noël. La raison de ce copinage n’était pas vraiment Claude Bull, mais sa frangine Martine, une petite brune aux cheveux très raides et qui savait se montrer incroyablement docile quand il le fallait. Martine était sexy, à l’opposé de son frère qui ne l’était pas du tout. L’accès à Martine passait nécessairement par Claude Bull. Il venait de passer son permis et son père lui prêtait la Simca familiale, alors nous allions au bord de la mer, le samedi. Toute une bande, disons cinq, et le jeu consistait évidemment à monter à l’arrière avec Martine. Comme nous étions un peu serrés, il devenait enfantin d’entrer en contact avec elle par les cuisses et les jambes, et jamais elle ne cherchait à se décoller. Claude Bull conduisait prudemment. Nous allions nous baigner et la course vers l’eau était l’occasion d’entendre le fameux cataplac cataplac, mais aussi l’occasion inespérée de voir le joli cul de Martine serré dans un monokini de Prisunic. Pour son âge, elle était déjà bien formée. Elle devait elle aussi ressentir une forme de trouble car elle redoublait d’efforts pour rester de marbre. Claude Bull était déjà un peu gras pour son âge, mais il nageait bien. En Basse Normandie, les plages sont un paradis au mois de juin, et on peut passer des heures dans l’eau. Claude Bull aimait bien s’éloigner à la nage et ce jour-là, il me mit au défi de le suivre, alors que bien sûr, je n’avais qu’une seule idée en tête : retourner m’allonger sur la plage à côté de sa frangine pour voir sa peau hâlée sécher au soleil. T’es pas cap ! Alors nous partîmes au large. Il nageait devant. Lorsque nous fûmes assez éloignés, il se mit sur le dos pour faire la planche et attendit que je le rejoigne. Il passa son bras autour de mon cou et me plongea la tête sous l’eau. Une fois, deux fois, trois fois. Panique ! Puis avec un air que je ne lui connaissais pas, il murmura : «Si tu touches encore à ma sœur, je te tue.»

     

             Pendant que Claude Bull veillait sur sa sœur, Thom Bell veillait sur la Philly Soul. Ce qui finalement revient au même. Martine Bull et la Philly Soul, c’est la même chose, une histoire d’amour adolescente.

             Puisque Thom Bell vient de casser de sa pipe en bois, nous allons nous agenouiller et prier pour le salut de son âme. Il n’est pas très connu, mais gagne à l’être. 

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             Comme nous le rappelle Bob Stanley, l’histoire de Thom Bell est encore une histoire d’enfant prodige, puisqu’à 9 ans, il sait déjà jouer du piano et de la batterie. Il reçoit une éducation musicale classique et ne découvre la radio qu’à l’âge de 17 ans. Il tombe sur le «Tears On My Pillow» de Little Anthony & The Imperials et il se demande : «C’est quoi cette musique ?». Alors il dit à sa mère qu’il ne peut pas devenir pianiste classique et sa mère qui est jamaïquaine lui dit : «Just do what you have to do, whatever your heart say.» Il commence par enregistrer un single avec Kenny Gamble, un copain de lycée de sa frangine Martine.

             Quand il est jeune, Thom Bell admire deux personnages en particulier : Teddy Randazzo, le producteur de Little Anthony, et Burt Bacharach. Puisqu’on en est aux racines, Stanley indique que Dee Dee Sharp, les Orlons et les Delfonics sont à l’origine de ce qu’on appelle The Philly Soul. Gamble & Huff qui bossaient pour Cameo-Parkway décident alors de monter leur propre label, Philadelphia International Records. Thom Bell va énormément bosser avec eux en tant que producteur et arrangeur. Il insiste beaucoup pour dire qu’il ne fait pas de r’n’b mais de la musique - I hear oboes, and bassoons and English horns. But I’m lucky, I cross styles - Il parle surtout d’enthousiasme - I had my own language and I was able to do what I wanted do do. Il rappelle aussi comment il a démarré dans le business, à l’époque où il bossait encore pour Cameo-Parkway : «Motown marchait tellement bien que Bernie Lowe, Kal Mann et Dave Appell qui dirigeaient le label voulaient le même son. Ils avaient découvert que Motown avait son propre house-band, ce qui était nouveau à l’époque. Ils se sont demandé : ‘How can we do this?’. On leur a dit qu’il y avait ce petit black à l’étage en dessous qui savait lire des partitions et jouer du piano. Ils m’ont appelé dans le bureau du président et m’ont dit qu’ils voulaient un house-band comme celui de Motown. Pouvez-vous vous occuper de ça ? Je n’allais pas leur dire non ! Of course I can ! Vous voulez ça pour quand ? Demain ? Et j’ai rassemblé  des gens que je connaissais, Roland Chambers on guitar, Willie Walford on bass, Chester Slim on drums and me on piano.»

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             Très belle compile que ce Ready Or Not (Thom Bell Philly Soul Arrangements & Productions 1965-1978) paru sur Kent/Ace en 2020. La Philly Soul n’est pas aussi populaire en Europe que Motown ou Stax, mais c’est exactement le même genre de vivier de superstars, depuis les O’Jays jusqu’aux Spinners, en passant par Dee Dee Sharp. Justement, Dee Dee est là avec «What Kind Of Lady». Dee Dee tape dans le dur du dur, elle est énorme. Bob Stanley nous rappelle qu’elle a épousé Kenny Gamble et qu’on la rebaptisée Dee Dee Sharp parce qu’elle chantait en D sharp. L’autre smash de la compile, c’est le «You Make Me Feel Brand New» des Stylistics, une vraie bénédiction de precious love, une vraie merveille de sensiblerie explosive et de beauté contenue. Selon Stanley, Thom Bell aurait dit à Russell Thompkins, le lead des Stylistics, de baisser d’un ton, car il attaquait le lead trop haut et trop fort, «you don’t make sense, you just make noise». Alors Thompkins a baissé d’un ton et ils ont commencé à enregistrer ensemble une belle série de hits.  Par sa densité artistique, Ready Or Not rivalise avec les meilleures compiles Ace, ça grouille de géants, tiens comme les Spinners avec «Could It Be I’m Falling In Love», du rêve à l’état pur, les Spinners règnent sur la Soul avec grandeur, et puis tu as aussi Teddy Pendergrass avec «Close The Door», il chante à la voix sourde de vieux baroudeur, elle a intérêt à fermer la porte vite fait car Teddy est en rut, mais en rut de satin jaune, c’mon baby. Il y a aussi des blanches comme Laura Nyro qui duette avec Labelle sur «It’s Gonna Take A Miracle», Laura veut faire la black, elle est un peu maladroite, la Soul n’est pas son truc, alors elle tartine à la force du poignet et derrière, Labelle fait des chœurs de blanche. L’honneur d’ouvrir le bal revient à Archie Bell & The Drells avec «Here I Go Again». Ces mecs ne sont pas là pour rigoler. Tout ce qu’ils proposent est beau : le beat, la voix d’Archie, c’est du big biz. Stanley rappelle qu’après le succès de «Tighten Up» au Texas, Archie Bell & The Drells sont venus s’installer à Philadelphie. Tiens, encore une blanche, Dusty chérie, qui tape «I Wanna Be A Free Girl», elle entre sur la pointe des pieds mais sa voix fait loi. Elle est unique au monde par sa puissance. La révélation cette fois est Ronnie Dyson avec «One Man Band», groove classique mais chaud, avec une Sister derrière, en back-up. Ronnie Dyson est extrêmement féminin, ce qui lui valut pas mal d’ennuis à l’époque. Les Intruders proposent la Soul des jours heureux avec «Do You Remember Yesterday», une merveille. On note aussi l’incroyable stature du beat d’«I’m Doing Fine Now», le groupe s’appelle New York City. C’est une pépite. Encore de la heavy Soul de petite poule blanche avec Lesley Gore et «Look The Other Way», elle y va franco de port, elle est même assez spectaculaire. On se régale aussi du «You’ve Been Untrue» des Delfonics illuminé par une sacrée voix de cocote. C’est Thom Bell qui transforme The Five Guys en un trio qui devient les Delfonics et qui leur colle des violons, du timpani, du manual harpsichord et du piano électrique. En fait, Thom Bell expérimente avec les Delfonics. Encore du full bloom de Soul Sisters avec les Three Degrees et «What I See». On est là en plein Gamble & Huff, c’est chanté à la purée de Sisters.

    Signé : Cazengler, Tom Benne

    Thom Bell. Disparu le 22 décembre 2022

    Thom Bell. Ready Or Not (Thom Bell Philly Soul Arrangements & Productions 1965-1978). Kent Soul 2020

     

     

    L’avenir du rock

    - Tempête sur l’Ural

     

             Heureusement, l’avenir du rock n’a pas que des qualités. Il peut se montrer jaloux. Un concept qui serait jaloux ? Mais ça n’existe pas ! Bon d’accord, mais pour les besoins de la cause, l’avenir du rock doit parfois se résoudre à tricher. S’il veut parvenir à ses fins, il doit parfois tordre le bras à la logique. Tout le monde peut le comprendre et donc l’accepter. Pour corser encore un peu l’affaire, l’avenir du rock n’est pas jaloux d’une femme, comme c’est généralement le cas pour un homme, mais jaloux d’un topographe russe ! Un certain Vladimir Arseniev, chargé au tout début du siècle dernier d’établir les relevés topographiques de territoires inexplorés, non pas en Amazonie ou en Afrique centrale, mais au fond de la Sibérie, dans une vallée qui porte le doux nom d’Oussouri, à la frontière chinoise. Franchement, on se demande ce que l’avenir du rock est allé faire là-bas. Pourquoi n’est-il pas plutôt jaloux de Percy Fawcett ? Fawcett est bien gentil, te dirait l’avenir du rock, mais il n’a pas eu la chance de rencontrer Dersou Ouzala. Voilà donc le pot aux roses ! Eh oui, l’avenir du rock aurait tellement aimé voyager dans les forêts profondes de la Taïga en compagnie du vieux chasseur mongol, il aurait tellement aimé partager la sagesse de ce vieux crabe et éventuellement affronter cette tempête de neige pour voir Dersou construire en hâte l’abri de branches de bois qui allait leur sauver la vie à tous les deux. Rien de plus divin au plan sensoriel que de se faire sauver la vie par un vieux crabe aux yeux bridés. Oui, l’avenir du rock raffole des vieux crabes, c’est dans leur compagnie qu’il préfère s’immerger, car ils combinent d’antiques talents avec toute la sagesse du monde, ils parlent des yeux pour dire la grandeur d’un destin d’artiste, car Dersou est à sa façon un artiste puisque héros d’un cult-movie du grand Kurosawa et tous ceux qui ont cheminé dans les forêts profondes en sa compagnie se souviennent très précisément de lui. Alors chaque nuit, l’avenir du rock s’en va dans la forêt crier «Dersou !, Dersou !». 

     

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             Comme Dersou, Ural Thomas est un très vieux crabe. Ural ne vient pas de l’Oural, mais de l’Oregon. Comme Dersou, il a tout vécu et peut raconter des milliers d’histoires. On lui tend parfois un micro, mais c’est rare. En 1967, il est à Los Angeles et enregistre des bricoles d’une voix, nous dit Nigel Williamson, qui combine le grit d’Otis et le smooth de Smokey. Sur «Can You Dig It», Mary Wells, Merry Clayton et Brenda Holloway font les chœurs. Mais ça ne marche pas, il rentre chez lui à Portland, Oregon, travaille comme bell man dans un hôtel, et quand sa maison crame, il perd tout, alors il dort sous les ponts et lave sa chemise dans la rivière. Il survit pendant trente ans et puis un jour, il entre dans le record shop d’Eric Isaacson qui est aussi le boss du label Mississippi Records. C’est lui qui a réédité les albums de Dead Moon. Ural lui raconte son histoire et Isaacson, fils d’Isaac, tend l’oreille. Il décide de filer un coup de main au vieux crabe en rééditant les singles enregistrés à Los Angeles en 1967. Puis il lui présente un batteur. L’idée est qu’Ural remonte un groupe. Sait-on jamais !

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             Le résultat ne se fait pas attendre. Un premier album, The Right Time, sort en 2018. Alors il faut écouter le morceau titre de cet album enfanté dans la douleur puisqu’Ural appelle son groupe The Pain. Il a du son derrière lui sur «The Right Time», du big shuffle, alors il se jette dans le right time comme d’autres dans le courant du fleuve. Ural est un Soul Brother de la taille de James Brown. Même éclat ! C’est un cut infectueux, incroyablement moderne, traversé par des solos de sax. Son «Slow Down» d’ouverture de bal est aussi une belle bête d’oh yeah. Dommage que tout l’album ne soit pas du même niveau. Il semble faire une Soul éloignée des feux de la rampe. Il vise la good time music avec «Vibrations». Après tant d’années, il se pose. Il peut même faire de la Soul aérienne comme le montre «Smoldering Fire». On entend des belles guitares sixties dans «Time» et de la belle Soul d’Amérique dans «Smile» - What more can I say ?.

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             Et puis voilà Dancing Dimensions, l’un des très grands albums de l’an de grâce 2022. Fais gaffe, Ural va t’envoyer au tapis. Tu es tout de suite frappé par l’énormité du son. La voix d’Ural est la cerise sur le gâtö. Tu rentres dans le lagon du groove uralien avec «Heaven» - Heaven is the place I know - et soudain, avec «Do You Remember The Times We Had», Ural souffle sur l’Oural de la Soul. Il est l’Eole des fariboles, il roule ma poule dans la Soul de Seoul, Ural fait l’orage et l’azur, sometimes you got it/ Sometimes you don’t, et sa voix d’Uranus se fond dans les arrangements de cuivres, voilà que se dresse à l’horizon l’Ural de la Soul, jusqu’au firmament. Il atteint de nouvelles cimes du lard avec «Apple Pie (Oh Me Oh My)», son timbre particulier enchante, quel étrange mélange d’efficacité et d’élégance, et voilà qu’il fait l’Africain avec «Ol Safiya», buka-ah ! et ça swingue, les amis, ça monte comme la marée d’excelsior, petite guitare funk, cette énorme énergie déchire les tissus, ça devient dingoïde, avec des accords qui te restent en travers de la gorge. Cet album est un gisement de black genius à ciel ouvert. Ural devient un héros oral, un ô rage ô des espoirs pour la soif, on le suit comme on suivrait Jésus en Palestine, il est Ural l’oracle, son discours est d’une incroyable pureté d’intention. Et puis regardez la lumière que diffuse son visage ! Avec «Gimme Some Ice Cream», Ural gère la chose comme le fait le Ghost Dog de Jim  Jarmusch. Il est autonome, il est sur le coup, ne te fais pas de soucis pour lui. Ural revient souffler sur l’Oural de la Soul avec «My Favourite Song» et derrière lui, des petites gonzesses répètent tout ce qu’il dit - Let’s make some music, baby/ All nite long - Puis il explose le dream d’only dream avec «Hang Up On My Dream». Il te monte ça en neige de l’Oregon vite fait, il t’explose l’occiput du dream. À l’intérieur du digi, tu vois les petites photos d’Ural et tu comprends mieux les choses. Aucun doute : avec «Promises», il te chante l’avenir de la Soul.

    Signé : Cazengler, Urinal Tomate  

    Ural Thomas & The Pain. The Right Time. Tending Lover Empire 2018

    Ural Thomas & The Pain. Dancing Dimensions. Bella Union 2022

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    Nigel Williamson : No Pain No Gain. Uncut # 301 - June 2022

     

     

    GRAVITATIONAL OBJECTS OF LIGHT, ENERGY AND MYSTICISM

    G.O.L.E.M.

     ( Black Widows Records / Mars 2022 )

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    Ne pas confondre avec G.O.L.E.M., exactement la même graphie, qui réside en Allemagne, ceux qui nous intéressent viennent d’Italie. A regarder la photo vous allez m’accuser d’inadvertance, pas du tout, ce sont bien eux, et pas un ancien groupe des seventies, n’ont pas été congelés durant cinquante ans dans la glace dans le cadre d’une expérience scientifique, sont des jeunes gens de maintenant, même si la date de référence-rock qu’ils affichent haut et fort est 1972.

    Le mythe du golem appartient à la légende juive. A l’origine le golem est l’homme de glaise que Dieu n’a pas encore fini de modeler et qui n’a pas reçu le souffle divin lui octroyant son âme. Cinéma et littérature se sont emparés de cet être le transformant parfois en brute épaisse et assassine… Je suppute que si le groupe a adopté ce nom c’est pour nous rappeler que nous ne sommes que des êtres humains inachevés qui avons besoin d’être éclairés… Z’en ont fait un acronyme signifiant Gravitationel Object of Light, Energy and Mysticism, le titre de ce premier opus. Pour comprendre les trois premiers mots de cette auto-définition il est inutile de penser que ces objets gravitationnels de lumière seraient des engins extra-terrestres, mais tout simplement des photons. Pour faire encore plus simple : des atomes de lumière dépourvus de toute corporéité matérielle. Pour mieux comprendre, pensez à ces nouvelles théories de science physique ouvertes à la supposition d’atomes temporels… Que la lumière soit considérée comme une énergie n’étonne plus personne aujourd’hui, et que cette énergie puisse être entrevue par des esprits peu enclins aux méditations abstruses comme une divinité ou pourquoi pas comme Dieu l’Histoire des religions humaines en offre de multiples exemples, des intelligences davantage subtiles l’entreverront comme un sujet ou objet de réflexion (pensez au miroir qui réfléchit votre image ) permettant d’engager ainsi un dialogue entre l’Individu et l’Univers. Relation mystique puisque n’utilisant aucun des canaux dogmatiques et religieux reconnus. Le lecteur établira de lui-même le rapport avec les sérieuses ou fumeuses (vous barrez en rouge le terme qui ne vous agrée point) théories du New Age très en vogue dans la deuxième moitié des sixties et la première des seventies.

    Paolo Apollo Negri : Hammond organ and Synth / Marco Vincini : vocals / Emil Quatrini : electric piano and mellotron / Marco Zammati : bass guitar / Francesco Lupi : drums.

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    Devil’s Gold : point d’orgue dès la première seconde et développement jusqu’à un vrombissement qui devient orchestral, nous voici subitement projetés un demi-siècle en arrière, l’on se revoit en train d’écouter Deep Purple, ( plutôt Child in time que Smoke on the water ) tiens le morceau est déjà fini, non il ne fait que commencer, un hululement symphonique emplit vos oreilles l’on se croirait dans un générique d’Ennio Moricone, pas des Italiens pour rien, scène de la tentation, celle de l’or du diable, funèbre musique qui se charge de menaces, grand spectacle, l’orgue s’arrondit en queue de poisson. Introduction en toute beauté. Five obsidian suns : bruissement d’orgue, faut en prendre votre parti, dans cet opus il y a autant d’orgue que d’ogres dans les contes d’enfants, certes ce n’est pas un conte, ou alors initiatique, l’or félon est entré en nous, il ne nous reste plus qu’à céder au vertige du regard intérieur, du miroir qui ne reflète que le contenu du cauchemar qui nous habite, l’orgue se teinte de cymbales propitiatoires et maintenant se déroule une longue marche, arrêt brutal, le temps de permettre au vocal de se poser sur ce tapis d’orgalie, tapis de cendres et élévation continue, rupture temporelle, je suis devenu ce j’ai toujours été, celui qui m’habite, le Diable qui est en moi, c’est moi, je règne sur moi-même et sur mes rêves. Chœurs d’églises, liturgie sacrée pour mon couronnement intérieur. The logan stone : a cappella, une ballade acoustique, la musique survient telle une menace, sommes-nous dans un conte pour enfants ou dans un poème d’Edgar Poe, sous la pierre de lumière repose la fille du conteur, un clavier d’une tristesse infinie sonne le glas des illusions, celles de ceux qui croient que la pierre est porteuse de pouvoir, elle n’est que signe de chagrin, et du royaume du néant. A mon humble avis le titre le plus fort de l’opus. The man from the esmeralda mine : des gouttes d’eau et de piano, pas une ritournelle, un drame qui débute, une histoire que l’on se prépare à raconter, vague de claviers, belle voix, l’on regrette que sa parole soit trop souvent coupée par des poinçons synthétiques, l’on préfère lorsque la musique devient vague de submersion, un apologue celui de l’homme venu de loin qui n’a pas trouvé mieux que chez lui, alors l’orgue se déchaîne pour que la leçon pénètre en les lobes les plus profonds de votre cerveau, peut-être appuie-t-il un peu trop fort  mais le vocal se charge de colère, enfoncez-vous cela dans la tête ! L’orgue, tourbillon de glissandi, en rajoute un max au final. Marble eyes : une espèce de piano mécanique, faut jouer fort et faire tinter les oreilles de ceux qui ne veulent pas voir la réalité. Vocal écrasé de stupeur et de désespoir devant les marionnettes humaines qui agissent sans réfléchir, des lampées organiques interrompent ces cliquetis d’orgue de barbarie, la voix se fait lyrique, elle veut convaincre, elle délivre le message de l’espoir et de la délivrance, des temps nouveaux viendront, musique de manège enchanté et deux coups de poings de fin de symphonie pour terminer le morceau. Gravitational object of light, energy and mysticism : entrée solennelle, l’orgue angelus éparpille ses notes dans cette montée révélatrice, rythmique un peu simpliste, l’on attend mieux, le vocal étire les mots peut-être pour que nous comprenions enfin cette vision empédocléenne qu’il énonce et qu’il émonde car il prophétise que les contraires ne se combattront plus, un jour la paix règnera sans fin, autant la musique est belle, autant le message est décevant, une espèce de christianisme dilué homéopathiquement, une remarquable performance vocale, dommage que G.O.L.E.M. n’ait pas supprimé ces moments où le rythme piétine sur lui-même et interrompt l’apothéose musicale.

    De très bons passages, parfois l’on a l’impression qu’ils ont voulu mettre tout ce qu’ils savaient faire dans leur premier opus, quitte à rompre l’unité congénitale de chaque morceau mais l’ensemble reste de très haute tenue et l’on attend le prochain. Avec envie.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( 9 )

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    *

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    C’est comme pour les filles, souvent vous ne savez pas pourquoi elles vous attirent, mais parfois si. C’est alors que ça devient dangereux. Idem pour le rock, et tous ses dérivés. Ainsi Eugene (très Craddock) Chrysler (très sixties), j’ai tout de suite su. L’attrait de la chute. L’image est parlante. Un vieux panneau de bois écaillé destiné aux automobilistes annonçant la proximité d’un parc d’attraction. Je n’aime guère ce genre de lieux, attire-fric et amusements de bas-étages. Mais celui-ci est un peu spécial. En grosses lettres un mot qui poignarde le cœur des rockers, hillbilly, pas de quoi me donner envie de m’y rendre, mais dessous il y a un gars, avec une veste blanche parsemée de grosses notes de musique, le genre de déguisements très Grand Ole Opry, il ne tient pas une guitare mais une contrebasse, l’a une mine sympathique, l’arbore un sourire enjôleur, n’est pas tout jeune mais n’est pas non plus un vieux crouton rassis, le mec qui y croit encore. Et qui y croira encore pendant longtemps. L’autre face de l’attrait de la chute. Ceux qui refusent, qui continuent le combat. Pas des malgré nous, des malgré tout.

    *

    Eugene Chrysler, toujours en activité, a réalisé quatre disques, I saw the light… but itw as neon ( 1994 ),  Hillbilly Shakespeare ( 2006), That’s Right ! nous écouterons dans cette première chronique que nous lui consacrons le dernier qui date de 2017. Hillbilly Fun Park existe réellement, il est situé dans la banlieue de New York près de Fort Ann, rien de spécifiquement hillbilly, simplement un golf miniature, aux pelouses impeccables. L’autre grande activité proposée consiste à choisir votre glace parmi les cinquante parfums proposés…

    HILLBILLY FUN PARK

    EUGENE CHRYSLER

    ( Carclo Records / 2017 )

    Hillbilly Fun Park : étrange, sachant qu’Eugene Chrysler a débuté entre 1979 et 1981 j’ai pensé aux Stray Cats avant même d’écouter, dès les premières mesures résonnent les premières mesures de Stray Cat Strut, et une fois le morceau  lancé plus lointainement et plus justement de Sixteen Tons, le même rythme chaloupé qui marche sur du beurre mou, les chœurs masculins en écho, le baryton de Chrysler magnifiquement en place, surprenant un beau solo de saxophone qui emporte avec lui les feuilles mortes des souvenirs et le temps enfui, vous n’y pensez pas en l’écoutant mais à la dernière note, malgré le rythme entraînant vous avez reçu un beau coup de poing de nostalgie en pleine face. Darlin’ : le morceau chagrin d’amour type du country, la pédal steel guitar larmoie dans l’armoire et pédale dans la choucroute des dernières supplications, oui mais il y a ce chœurs de copains qui sont censés appuyer où ça fait mal et qui en catimini semblent dire une de perdue et dix de retrouvées, dans le premier morceau nous avions la fausse joie du souvenir et dans ce deuxième le faux chagrin des rôles convenus. Eugène conduit sa Chrysler d’une façon ambigüe, appuie sur le champignon et le frein en même temps. Dementia : l’en existe une vidéo-officielle en noir et blanc sur YT, rythme saccadé, l’on quitte le country au costume admirablement repassé avec pli au pantalon amidonné pour quelque chose d’autre, l’on ne sait pas trop quoi au juste, une espèce de générique de film ou plutôt une scène prise en direct, sifflements et voix qui enfle, la basse se taille une belle galopade, le sax agonise, la pédale hulule, assez démentiel. Broke on Bob Wills music : hommage au roi du western swing, une des racines du rock’n’roll, les amateurs de WS n’écouteront pas le reste de l’opus, resteront focalisés sur celui-ci, une voix qui coule sans défaut, une pedal-steel qui se prend pour un violon, la contrebasse qui remplace avantageusement la batterie, un piano tuyère et un sax qui s’en vient danser, tout est parfait, un seul défaut l’envie pressante d’aller écouter Bob Wills. Speed trap : du boulot pour le guitariste, vraisemblablement Bill Kirchen de Commander Cody, pas mal de taf aussi pour le vocaliste, pas question d’avaler les  mots, diction claire jusqu’au bout, course de vitesse des intrus qui klaxonnent à la manière des automobilistes excédés et imitent les sirènes de police, non la pedal n’est pas douce, on accélère encore, la guitare sursaute à la vitesse de la lumière, et la course infernale continue. Tout s’arrête sur un humouristique dernier pouët-pouët. I cannot forget : retour au calme, big mama de velours et voix de bronze mou à faire pleurer les cafetières, la contrebasse se transforme en surfin’ guitar, la pedal pleurniche dans tous les mouchoirs de la terre, la féminine voix de Cindy Cashdollar double par-dessous celle d’Eugene, si vous n’avez pas pleuré, personne ne bramera à votre enterrement. Vous ne le méritez pas.

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    Eugene’s boggie : le morceau de bravoure, Eugene est à la contrebasse, ce n’est pas Blue-jean Bop mais blue-jean boogie, c’est syncopé comme Rip it Up et les chœurs cartonnent au marteau-pilon, le sax fait sa saxrabande, et l’on repart de plus belle. Très rock’n’roll. Uh uh honey : au titre l’on attend un truc dévastateur, mais non l’on se retrouve dans ces bandes de Presley où l’orchestre trotte imperturbablement et c’est la voix du King qui démontre qu’il est le meilleur chanteur du monde, elle donne sa valeur et son originalité à tout ce qu’il touche du bout des lèvres comme s’il avait mieux à faire ailleurs. Belle réussite. I’ve been better : le mec qui joue à l’homme, style je ne me vante pas mais j’ai fait mieux, encore une fois l’influence de Presley est patente, l’instrumentation est nettement meilleure, le sax aboie dans son coin, guitare feu d’artifice, cependant tout repose sur la justesse de cette voix sans faille, souple et accrocheuse. One more One more : un peu jazzy, une voix un peu fatiguée, le sax qui soloïse par-derrière, le piano qui prend ses aises et éparpille ses notes, pulsation noire souterraine, maintenant Eugene chante comme Sinatra pendant que la contrebasse monte les escaliers. Cut me down : mi-Presley-mi-Johnny Cash-totalement Eugene Chrysler, l’est doué et original le zigue, un solo de guitare à briser les béquilles d’un paralytique, le sax  trompette et ronchonne, les musicos sont à la fête, le genre de morceau qui passe tout seul, une écoute très Southern Comfort, à la fin vous êtes saoul comme une barrique. Big bad habit : une chanson de mec pour les mecs, entraînante, le sax infini tire la langue toutes les trois secondes, Eugene s’amuse, des inflexions pleines de sous-entendus que tout le monde comprend, même les filles, ça pétille de joie et étincelle de plaisir, ah ces mauvaises habitudes dont on ne peut se défaire c’est le sel de la vie !  Mr 1-4-5 : un, deux, trois, c’est parti, sur la pointe des pieds, du rythme sans excès mais de temps en temps ça boppe et ça explose, et puis ça rocke et enfin ça marche doucement comme quand vous rentrez chez vous totalement saoul sans vouloir réveiller votre copine et surtout sans faire de bruit en ouvrant le bar pour finir la bouteille de whisky. It is what is it : revenons aux choses sérieuses, enfin presque, Eugene expose sa philosophie de la vie, un classique du style country, les choses sont ce qu’elles sont, pas la peine d’en faire un drame, contrebasse à fond les ballons, pedal-steel souriante voire frétillante, le sax  saute de joie, ainsi tourne le monde,  tant que la cruche de l’existence ne se casse pas, pourquoi s’en faire… Plate glass window : un peu  à la Johnny Cash mais un Cash souriant, un peu le même genre que les trois précédents, le gars n’est pas un born again, n’est pas prêt de changer sa manière de vivre, voix enlevée, instrus en place, très typé country, l’on aurait peut-être aimé un titre différent des trois précédents. Too much coffee : ça commence comme un blues à la gueule de bois, alors le guy prend un café pour se remettre, puis un autre, puis un autre, bref vous voyez le profil le rythme de son cœur s’accélère et celui du morceau aussi, un modèle genre morceau de bravoure, rien n’y fait le gars retourne à sa somnolence bleue, un peu dommage l’on aurait préféré pour finir qu’il devienne épileptique.

             Attention à ce CD, plus vous l’écoutez d’infimes nuances tant instrumentales que vocales apparaissent. Eugene Chrysler en a écrit tous les morceaux, à première écoute l’esprit peut en sembler uniforme, mais c’est comme les couleurs de l’automne, si vous vous contentez d’un regard un tantinet rapide leur éclat vous ravit, toutefois s’y mêle insidieusement un sentiment de tristesse qui finit par prédominer. Les teintes mordorées sont aussi mort dorée. Sans doute existe-t-il aux States plusieurs centaines de chanteurs comme Eugene Chrysler, parler de lui c’est aussi leur rendre un hommage à tous, mais il y a chez Eugene Chrysler une sensibilité d’artiste qui mérite le détour. Nous y reviendrons.

    Damie Chad.

     

     

    MAIS QUE FONT LES AMATEURS DE METAL

    QUAND ILS N’ECOUTENT PAS DU METAL ?

     

    Question extra-musicale en quelque sorte. Les coulisses de l’existence. L’envers de l’histoire contemporaine dixit Honoré de Balzac dans un superbe roman à qui il a donné ce titre.  Pour la petite histoire, cet ouvrage traite des menées ‘’complotistes’’ royalistes, en France durant la Révolution et l’Empire. Si l’on y réfléchit bien l’envers n’est pas très loin de l’endroit…

    Nous sommes tombés sur cette vidéo pas tout à fait par hasard puisqu’ elle s’inscrivait dans une recherche qui n’a pas plus à voir avec le rock’n’roll qu’avec toute autre sorte de musique. 

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    Sont deux, assis à une table, le deuxième attirera l’œil des fans de metal pour une raison évidente, il arbore un T-shirt de Motörhead, le premier est en tenue davantage négligée, en short, il fait chaud la scène se passe en été ( 2020 ), il ne porte pas de T-shirt revendiquant avec ostentation une appartenance à la tribu metallique, à sa dégaine l’on devine toutefois qu’il n’est pas habitué au port du queue de pie. (Moi non plus). Par contre durant sa conférence à plusieurs reprises il se définira comme un amateur de metal.

    Le seul  mot de conférence risque de faire peur. Avec raison. D’abord le sujet n’est pas particulièrement facile, soyons franc il est assez prise de tête. Une deuxième raison, Franck Helaine, même si ce qu’il expose démontre une grande maîtrise de son sujet n’est pas un conférencier professionnel, il manque un peu de pédagogie.  Le lieu octroyé par la municipalité, à l’extérieur devant les portes fermées d’une salle communale ne permet pas une bonne vision des documents présentés.

    Mais comment Franck Helaine en est-il venu à présenter une conférence. Parce que plusieurs années auparavant il s’est retrouvé durant ses vacances coincé durant trois semaines dans un village qui n’offrait guère de distractions. N’avait à sa disposition qu’un seul livre. Mal lui en a pris, il n’y a rien compris. Ne vous moquez pas, d’abord il apporte la preuve que les fans de metal savent lire, deuxièmement son bouquin n’était pas un thriller haletant que l’on dévore en une soirée. Depuis pratiquement deux siècles personne n’a jamais rien compris à ce satané bouquin. Nombreux furent ceux qui s’y sont cassés les dents. Je ne devrais pas employer cet adjectif puisqu’il a été rédigé par un abbé de la sainte Eglise Catholique.

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    Vous ne comprenez ni comment alors que la moitié des groupes de metal sont plutôt obnubilés par Lucifer et l’autre moitié par les mythologies païennes ni pourquoi un fan de Metal passe son temps à lire un livre écrit par un prêtre catholique. Je pourrais vous dire que les voies de Dieu sont impénétrables, mais ce serait une mauvaise réponse.

    C’est que ce raconte notre abbé est totalement insensé, voire carrément idiot : il démontre que toutes les langues celtiques dérivent de l’anglais moderne. Devant de telles assertions vous refermez le bouquin et vous posez un vinyle ( de metal ) sur votre platine. Oui, mais pensons qu’un de nos plus grands poëtes ( français) Oscar Venceslas de Lubicz-Milosz n’en a pas moins écrit Les origines ibériques de peuple juif. (Ceci sera ma contribution personnelle au sujet qui nous préoccupe.)

    Tout le monde a le droit de délirer dans son coin, rétorquerez-vous. Oui mais notre abbé pour parfaire sa démonstration utilise une autre langue : celle des oiseaux. La langue des oiseaux fonctionne à partir de n’importe quelle langue. Elle consiste à lire les mots ou des suites de mots non pas tels qu’ils sont écrits et lus normalement mais de les découper syllabiquement et phonétiquement comme un langage crypté : exemple je viens demain = je vis en deux mains, selon le contexte vous comprenez je vis une double vie, où que vous êtes en de bonnes mains, le message peut paraître aléatoire mais celui qui le code l’adresse à quelqu’un qui sait ou qui découvre ou qui devine que ce texte en apparence d’une grande limpidité possède un autre sens. Pour corser la difficulté dans ce satané, pardon sacré bouquin ce sont des mots anglais qui doivent être décrypté selon une phonétique française. Comme quoi les voies du Seigneur peuvent être difficilement pénétrables… Les linguistes comprendront que la langue des oiseaux fonctionne à la manière des idéogrammes chinois, mais les idéogrammes sont cachés et c’est au lecteur de les trouver, voire de les créer. Ce qui ouvre à de multiples possibilités et aussi à de multiples interprétations, voire d’erreurs…

    Le livre de l’Abbé Boudet : La vraie langue celtique et le Cromlech de Rennes-Le-Bain est longtemps resté rétif à toute interprétation.  Franck Helaine ne l’a pas déchiffré en entier, loin de là, mais il a trouvé une clef qui fonctionne pour la première page, et qui permet d’en entrouvrir bien d’autres dans le reste de l’ouvrage. Il ne cache pas qu’il est conscient de l’immense tâche qui attend les chercheurs. Il lui a fallu presque dix ans pour arriver à un résultat significatif. Entendre qui puisse être objectivement vérifié. L’a su faire preuve d’une grande patience, et d’une grande agilité intellectuelle – l’aide d’un ordinateur ne suffit pas, il faut d’abord établir le principe de codage du décryptage. L’a redoré le blason des fans de metal ! Qui entre nous soit dit n’en n’’avait pas besoin. Le metal est vraisemblablement le genre issu du rock ‘n’roll qui fasse appel à l’imaginaire culturel le plus large.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 18 ( Abdelâtif  ) :

    89

    J’ai passé une mauvaise nuit. La sentence du Chef tournait dans ma tête, autant je sentais confusément qu’elle résumait parfaitement la situation, autant je ne voyais pas en quoi. Après l’avoir prononcé le Chef s’était muré en un silence aussi épais que la fumée dégagée par vingt-mille Coronados dans une pièce exigüe. D’ailleurs lorsque j’ouvris la porte du local je compris que je n’exagérai pas, le bureau était invisible noyé dans un brouillard coronadorien des plus épais, si je n’avais pas eu Molossa et Molossito, chacun accroché à une des jambes de mon pantalon pour me guider je crois que j’aurais mis plus de trois-quarts d’heures avant de trouver une chaise pour m’asseoir face à l’ombre fantomatique du Chef.

    • Heureux de vous revoir enfin agent Chad, j’avais justement besoin de vous poser une question importante pour tester vos connaissances culturelles.
    • Chef, je peux déjà vous dire que Marcel Proust est né en 1871 et mort en 1922 !
    • Agent Chad, soyons sérieux, vous êtes-vous déjà promené dans un cimetière musulman ?
    • Ce n’est pas tout à fait le genre d’endroit que je choisis pour mes promenades, même Rousseau, ne raconte jamais dans ses Promenades d’un promeneur solitaire qu’il visitait ce genre d’entrepôt funéraire, je…
    • Agent Chad, arrêtez de sortir votre culture wilkipedia à chacune de vos réparties ! Dites-moi plutôt pourquoi d’après vous sur les tombes des musulmans l’on trouve souvent un bol rempli d’eau ?
    • Ah, une question blague à Carambar ? c’est facile Chef, une ancienne habitude qui vient du désert, le passant assoiffé qui buvait dans le récipient donnait ainsi au défunt l’occasion de réaliser grâce à son entremise une bonne action qui était portée à son crédit, une espèce de bon point ce qui pouvait lui permettre de gagner le paradis. Les théologiens jugent que cette coutume relève de la pure superstition…
    • Agent Chad, je ne vous ai pas demandé un cours de théologie musulmane, cela ne vous dit rien ?
    • Chef rien du tout, je ne vois pas où vous voulez en venir !
    • Agent Chad, nul n’est parfait, moi-même aussi, figurez-vous qu’en relisant cette nuit toutes les notes que j’ai accumulées sur l’affaire qui nous préoccupe, j’ai trouvé une faute d’orthographe, le genre d’horreur à pousser au suicide mon institutrice de CM1, tenez, essayez de la trouver sur cette page ! Lisez !
    • Oh ! Oh ! Chef, votre institutrice vous aurait pardonné, les noms propres n’ont pas d’orthographe ! Juste un T oublié à la fin de Lamart, rien à voir avec une faute sur les participes passés des verbes pronominaux, je…
    • Agent Chad, je ne parle pas de l’absence de ce malheureux T, une simple étourderie due à la fatigue, non c’est beaucoup plus grave, relisez s’il vous plaît, votre honneur est en jeu et la suite de notre enquête aussi !

    Piqué au vif, concentré au maximum, j’ai relu avec attention le feuillet que m’avait tendu le Chef, j’avais beau me réciter à chaque mot les règles orthographiques d’accord ou d’usage, je dus m’avouer vaincu.

    • A part ce malheureux T à Lamart, Chef je peux vous certifier que cette feuille ne contient aucune faute d’orthographe !
    • Agent Chad, c’est normal que vous ne la repériez pas, dans vos propres notes que je me suis permis de relire, vous commettez exactement la même, à part que moi cette nuit elle m’a sauté aux yeux, j’étais en train d’allumer un Coronado, lorsque l’erreur m’est apparue dans toute son évidence, c’est pour cela que je me suis permis de vous demander pourquoi l’on trouve un récipient rempli d’eau sur certaines tombes musulmane !

    Je poussai un rugissement qu’un tigre de Tasmanie aurait facilement pris pour celui d’un mâle alpha de son espèce.

    • Bon Dieu ! (en réalité je criai Bordel ! mais il ne faut pas donner de mauvaises manières à nos jeunes lecteurs ) ça crève les yeux !

    89 Bis

    Note de l’éditeur : nous sommes certains que les lecteurs de cet ouvrage auront compris beaucoup plus rapidement que ce malheureux Agent Chad l’éblouissante démonstration du Chef. Evidemment les mots récipient d’eau sur les tombes, sont une allusion à Martin Sureau ( eau sur = Sureau ), quant à la faute commune au Chef et à l’agent Chad, nous devons la chercher sur Lamart, ce n’est pas Lamart qu’il faut lire mais Lamort. Nous donnons cette explication à toute fin utile pour les lecteurs pressés qui auraient omis de lire les 88 chapitres précédents.

    90

    Imperturbable le Chef fumait un Coronado. Quant à moi je roulais comme un fou, brûlant les feux rouges, et prenais les sens interdits à grande vitesse.

               _ Voyez-vous Agent Chad, nous faisions fausse route depuis le début, nous avions cru que Lamart et Sureau étaient de véritables journalistes, des supers pointures toujours les premiers arrivés sur tous les coups. Mais hier, ils étaient sur place, à l’intérieur du carambolage, avant nous en quelque sorte, ils s’en sortis vivants, indemnes sans même une bosse sur leur carrosserie pourquoi : parce qu’ils étaient protégés par la Mort, comment ont-ils pu être au courant de l’accident que nous allions provoquer, parce qu’il y allait avoir des morts, donc la Mort l’a pressenti, elle les a prévenus à l’avance… ces deux lascars sont des émissaires stipendiés de notre Dame la Mort, elle les envoie dès que les vivants s’intéressent un peu trop à Elle. Or comme vous lui aviez jeté un défi, elle essaie de nous mettre les bâtons dans les roues en nous les envoyant dans les pattes, c’est par eux qu’elle connaît ce que nous projetons de faire. Une petite entrevue avec ces paltoquets s’impose, c’est l’heure du bouclage, nous les trouverons sans peine dans leur bureau.

    91

    Le hall du Parisien Libéré était empli de monde. Dans une heure l’édition partait pour les rotatives. Des gens affairés couraient de tous les côtés. Personne ne faisait attention à nous, Molossa et Molossito se mirent à aboyer, la demoiselle de l’accueil les entendit et nous fit signe de la rejoindre dans sa cage vitrée :

              _ Je vous en prie messieurs faites taire vos chiens, oh, comme ils sont agréables, ô celui-ci vient de sauter sur mes genoux, qu’il est mignon ! Comment s’appelle-t-il ?

               _ Molossito ! – je pris mon sourire N° 4, surnommé le Ravageur – et vous mademoiselle auriez-vous la bonté de me faire part de votre prénom, je suis sûr qu’il doit être charmant !

             _ Alice ! – je dus rougir car elle ajouta – oh, je vois qu’il produit un certain effet sur vous, que puis-je pour vous ?

              _ Nous voudrions parler à Messieurs Lamart et Sureau !

              _ Impossible Messieurs, nous n’avons pas le droit de les déranger à cette heure-ci.

               _ Alice tentez un coup de fil, c’est urgent, dites que c’est de la part du Service Secret du Rock’n’Roll

    • J’adore le rock’n’roll, vous m’emmèneriez danser un de ces soirs ?
    • L’agent Chad – c’était la voix du Chef - se chargera de cette délicate mission, mais s’il vous plaît c’est urgent !

    L’on ne discute pas une intervention du Chef, Alice décrocha son téléphone échangea quelques mots puis se tournant vers nous.

              _ Vous devez être des gens importants, ils vous attendent dans leur bureau. C’est un peu compliqué je vous accompagne.

    Nous la suivîmes, empruntant force couloirs et escaliers. Elle s’arrêta devant une porte.

             _ Attendez quelques secondes, je vais vous annoncer, apparemment vous êtes des visiteurs de marque !

             _ Alice !

             _ Oui, euh, Agent Chad,

             _ Just call me Damie !

             _ Oui, Damie !

             _ Si vous êtes libre cette soirée peut-être pourrions-nous danser un peu de rock’n’roll ?

             _ Avec plaisir, je vous introduis tout de suite, je reviens vous chercher dans trente secondes ;

    Vive et légère elle disparut derrière la porte qu’elle referma derrière elle, nous n’eûmes pas attendre, un cri horrible retentit…

    A suivre…