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  • CHRONIQUES DE POURPRE 457 : KR'TNT ! 457 : LORDS OF ATLAMONT / JACKIE McAULEY + FRIENDS / POGO CAR CRASH CONTROL / CRASHBIRDS / MARIE DESJARDINS + FRIENDS / JOHNNY & THE HURRICANES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    LIVRAISON 457

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    26 / 03 / 2020

     

    LORDS OF ATLAMONT

    JACKIE McAULEY + FRIENDS

    POGO CAR CRASH CONTROL / CRASHBIRDS

    MARIE DESJARDINS + FRIENDS

    JOHNNY & THE HURRICANES

     

    Altamont là-dessus et tu verras Montmartre

    Part Three

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    D’un simple point vue objectif, les Lords Of Altamont gagnent à tous les coups. Rien qu’en grimpant sur scène, c’est dans la poche. On peut les voir pour la énième fois, leur truc marche à tous les coups. Aucun effort à fournir pour entrer dans leur cirque. Même pas besoin de se pincer. Même pas besoin de réfléchir ni même d’analyser le pourquoi du comment, les Lords coulent de source. Comme si rien n’avait changé depuis 1965 : quelques accords de guitare électrique, deux ou trois petites nappes de Farfisa ici et là, un bon drumbeat bien primaire par derrière et un bassmatic bien monté en épingle, des cheveux longs, un peu de cuir noir, des tatouages, des chansons très simples qui traitent de vitesse, de voitures, de mort sur le highway, de gonzesses et du diable, et voilà, ça suffit. Rien qu’avec ça, les Lords ont de quoi rendre un homme heureux. Just for one day.

    Avec Nashville Pussy, Jim Jones, les BellRays et les Morlocks, les Lords font partie de cette poignée de groupes anglo-américains qui continuent de sillonner l’Europe vaille que vaille. Pour eux, pas question de lâcher l’affaire. Les gens disent que le rock est mort, les Lords affirment le contraire. Le rock ne s’est jamais aussi bien porté. Il sourit de ses trente-deux dents. Il suffit de le jouer pour de vrai et de ne pas prendre les gens pour des cons.

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    Pas de retour en arrière possible pour Jake Cavaliere, depuis qu’il s’est fait tatouer un aigle dans le cou. Il va devoir chanter avec les Lords jusqu’à la fin de ses jours. C’est une façon de s’engager, le même genre d’engagement que prend celui ou celle qui entre dans la fonction publique : c’est pour la vie, avec pour corollaire la savoureuse garantie de la sécurité de l’emploi. Jake Cavaliere jouit du même privilège : il ne perdra jamais son job dans les Lords. Et c’est même encore mieux, car au fond il s’en branle. Il s’en contre-branle. C’est ce qui fait sa force et sa supériorité. Son job ne tient que par son talent, ce qui lui vaut l’intégralité de notre modeste considération. Les compétences sont à la portée du commun des mortels, pas le talent.

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    Et si on se trompait, en prenant le spectacle des Lords au premier degré ? Et si au lieu de n’être qu’un brave petit fantassin de l’armée du rock, Jake Caveliere se prenait pour une rock star ? Il en a travaillé les poses et les impacts, les déhanchés et les rictus, il recycle à sa façon toute la gestuelle mythologique, celle de Jim Morrison, celle de Sky Saxon, et ça va encore plus loin car il y a aussi en lui du Kip Tyler, l’un des mythes les plus brillants et les plus obscurs du rock californien, mais on détectera aussi chez Jake Caveliere un fort relent de Peter Wolf, car «Death On The Highway» vaut bien «Born To Be Wild», les Lords sont dans cette esthétique du biker rock californien, et s’ils reprennent «Slow Death», ce n’est pas non plus un hasard, mon petit Balthazar, car les Groovies font partie de cet ensemble extraordinairement greasy du rock californien, la face cachée du West coasting.

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    Par sa haute silhouette filiforme, Jake Caveliere renvoie aussi au Lord Of Garbage, Kim Fowley. Et par le choix du nom de son groupe, Jake Caveliere établit bien sûr une filiation directe avec les Stones d’Altamont, le cœur de ce que les mythologues avertis appellent the Californian Hell, c’est-dire le jusqu’au-boutisme démonologique poussé dans ses retranchements, l’envers du paradis sous le soleil de Satan. L’autre filiation est bien sûr celle des Cramps dont Jake Caveliere fut le roadie et non, comme il a été dit lors de l’interview, le manager. Les cheveux noir de jais, les lunettes noires, le sens aigu du show, tout ça renvoie incidemment aux Cramps. Les Lords cultivent un petit pré carré extraordinairement fertile. On y trouve aussi Johnny Baker, le Wild One des origines, celui de Laslo Benedek. Si Hunter S. Thompson était encore en vie, aurait-il consacré un ouvrage aux exploits du wild biker Jake Caveliere ? Et Sonny Barger lui aurait-il offert les couleurs du chapitre d’Oakland en gage de considération ? Les Lords voyagent-il en moto de ville en ville avec leurs guitares accrochées dans le dos ? Captain America, Dennis Hopper et Jack Nicholson auraient-ils invité Jake Caveliere à s’asseoir avec eux autour d’un bivouac ? Pourquoi ne voit-on pas Jake Caveliere dans The Sons Of Anarchy ? Et pourquoi Davie Allan & the Arrows ne font jamais la première partie des Lords ? On n’en finirait plus de se poser les bonnes questions, avec ces mecs-là. Ils s’investissent tellement dans leur cirque qu’on ne sait plus où s’arrête le réalisme et où commence l’hypothétisme hypodermique.

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    Le principal, c’est qu’ils jouent. Ah pour jouer, ils jouent ! Vingt ans de métier. Une grosse heure de rock vroom vroom. On est là pour ça. Les Lords t’en donnent pour ton billet de vingt. On voit des têtes bouger dans le public. Les Lords savent travailler la couenne d’une salle. Jake Caveliere fait encore pas mal de pyrotechnics avec son petit Farfisa. Il adore offrir son clavier en pâture aux idolâtres du premier rang. Quand on le voit éclater de rire en faisant le pitre avec son collègue guitariste, on réalise qu’au fond, ils ne se prennent pas vraiment au sérieux. C’est comme au cirque : as-tu déjà vu un clown se prendre au sérieux ? Non, car d’un simple point de vue cartésien, c’est impossible. Un clown triste, oui, mais pas un clown sérieux. Par contre, le clown va faire son job avec le plus grand sérieux du monde, car rien n’est plus difficile que le métier de clown. Ce n’est pas donné à tout le monde de réussir dans cette branche. S’offrir en spectacle demande certaines dispositions, la première étant d’apprendre à être sûr de soi. Le mieux possible. Tu crois que c’est facile de monter sur scène et de faire le con dans un groupe de rock ?

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    À part les Groovies, les Lords tirent aussi un joli coup de chapeau à Wolf, dont ils reprennent «Evil (Is Going On)». Bien sûr, Jake Caveliere n’a pas la voix, mais l’idée l’honore. Ils font leur petit mix habituel en puisant dans tous leurs albums, sauf Lords Take Altamont où se trouvent toutes leurs fabuleuses reprises des Stones. Bizarre, aucune trace de ce big deal dans leur set. C’est bien sûr le dernier album qui est à l’honneur, The Wild Sounds Of The Lords Of Altamont, évoqué en long, en large et en travers dans un récent Part Two. Mais ils mixent savamment les époques, en ouvrant par exemple avec «Live Fast» et en fermant avec l’implacable «Cyclone», tous les deux tirés de Lords Have Mercy, leur deuxième (et excellent) album paru voici quinze ans. Eh oui, quinze ans déjà, tout ce temps qui, comme le dit Erik Satie, passe et ne repasse pas.

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    Signé : Cazengler, Lord of t’as quelle heure al ta montre ?

    Lords Of Altamont. Le 106. Rouen (76). 4 mars 2020

    From Cazengler, wuthering monts :

    Lords of Atlamont : on Chroniques de pourpre : Kn'tnt ! 213 du 11 / 12 / 2014

    Lords of Atlamont : on Chroniques de pourpre : Kr'tnt ! 344 du 19 / 10 / 2017

    Pas d’olé olé chez McAuley

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    Regardez bien la pochette du EP «Gloria» paru en 1965 sur Decca : le petit mec qui se déhanche au fond avec les bras croisés et la mèche sur les yeux s’appelle Jackie McAuley. Il est le keyboard player des Them et son frère Pat, deuxième en partant de la gauche, y bat le beurre. À cette époque, il était aussi vital de connaître les noms des musiciens que de comprendre les paroles des chansons.

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    McAuley ? Un nom quasiment inconnu du grand public. Après la désintégration des Them, les fans de Kim Fowley retrouvèrent sa trace dans les Belfast Gypsies, puis en 1970, il fit un brin de psych-folk avec l’ex-Fairport Judy Dyble dans Trader Horne. C’est à peu près tout. Pas de quoi en faire un fromage. Mais si.

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    L’an passé, on recroisait son nom dans la rubrique ‘On The Shelf’ d’Ugly Things. Tiens tiens, McAuley publie ses mémoires... À compte d’auteur, bien entendu. Les souvenirs d’une cinquième roue du carrosse n’intéressent pas les éditeurs, tout le monde le sait. Le titre ? I Sideman. Il ne s’est pas foulé. Mais bon. Si tu veux choper ce livre, il faut aller sur le site de l’auteur, jackiemcauley.com. I Sideman coûte un billet de vingt et deux clics. Qu’est-ce qu’un billet de vingt comparé à l’univers ? Rien.

    Quand on lit des choses publiées à compte d’auteur, il ne faut surtout pas s’attendre à des miracles. Mais si on part du principe qu’il n’existe quasiment pas de littérature consacrée aux Them, on peut très bien tenter le diable en consacrant une vingtaine d’heures à la lecture d’un livre, aussi mal barré soit-il. Qu’est-ce qu’une vingtaine d’heures comparée à l’éternité ? Rien.

    Contre toute attente, Sideman avale son lecteur comme la baleine avale Jonas. Gloups ! T’as voulu voir Vesoul et t’as vu McAuley ! Il nous chante sa chanson de naguère, celle du temps où il s’appelait Jackie. Grand et bon à la fois. On se cabre. Trop facile ! Mais oui, c’est facile quand on a keyboardé dans un groupe aussi capital que les Them.

    Est-il bien utile de rappeler que l’EP des Them provoqua le plus grand schisme du XXe siècle ? En termes de conséquences, l’impact de «Gloria» équivaut à celui qui fracassa le christianisme en deux blocs, catholiques et protestants, ou encore l’Islam, dont les chiites et les sunnites se disputent encore le dogme. En 1965, la jeunesse américaine dut choisir son camp, non pas entre les Beatles et les Rolling Stones comme voulaient nous le faire croire les médias de l’époque, mais entre les Them et les Beatles. D’un côté, vous aviez les popsters (Beach Boys, Byrds, Monkees, Lovin’ Spoonful et tous les preux shouters d’harmonies vocales) et de l’autre les gueules d’empeignes qui collaient leurs crottes de nez sur leurs guitares : les garage-punksters (Shadows Of Knight, Standells et toute cette faune interlope condamnée à fréquenter les araignées, oui, tous ces groupes improbables qu’on croise sur les Back From The Grave de Tim Warren).

    McAuley ne nous le dit pas expressément, mais les Them ne pouvaient être qu’irlandais. Dans The Commitments, Jimmy Rabitte s’exclame : «Les Irlandais sont les nègres de l’Europe !». C’est d’autant plus criant dans le cas de McAuley qu’il naît pauvre dans une famille nombreuse. L’expression consacrée en langue anglaise est dirt poor. La famille McAuley vit à Belfast et petit, Jackie entend sa mère dire à son père : «My God, on est condamnés à vivre dans ce ghetto pour toujours !» Pas de viande aux repas. Les seuls souvenirs que Jackie garde de sa petite enfance sont le froid et la faim. Du carton dans les chaussures trouées. Pas de manteau en hiver et une paire de chaussettes en guise de gants. Jackie ne lésine pas sur les détails, mais il le fait avec cette dignité dont seuls sont capables les pauvres. Qu’on se rassure, McAuley ne se prend pas pour Zola. Ce n’est que l’histoire de sa vie. Son sens de l’humilité va loin car il explique que ses frères et lui ne demandaient jamais rien à Mom and Dad, car ils savaient qu’ils n’avaient rien. Du coup, ils ne se sentaient pas privés, puisqu’ils n’attendaient rien. L’extrême pauvreté leur semblait ‘naturelle’. Comme Mom and Dad sont musiciens et qu’ils n’ont pas d’autre métier, ils vivent d’expédients. C’est à la fois le malheur et la chance de Jackie, de Pat et des autres qui par la force des choses deviennent multi-instrumentistes dès leur plus jeune âge. Rien à bouffer dans le taudis, alors ils jouent avec le banjo et le piano. Cling cling ! Oh ! Clong clong ! Wow ! Alors que les autres gosses jouent dans la rue, les McAuley jouent avec leur mère. Jackie va quand même à l’école, St Comgalls Catholic School, pour être précis. Il y apprend les deux clés de la survie en Irlande : «Baisse la tête» et «Ferme ta gueule». C’est tout ce qui lui reste de sa scolarité.

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    En 1960, Jackie découvre Lonnie Donegan. Il a quatorze ans. À travers Donegan, il découvre Leadbelly et Woody Guthrie. Alors c’est parti. Pat lui dit un jour qu’un groupe dément joue au Maritime, une espèce de grand hall tout en longueur avec une scène au fond - Who are Them ? What are Them ? - Grâce aux Them, le Maritime devient la Mecque du r’n’b. Les wild shows des Them entrent dans la légende. Van Morrison saute partout, tombe à genoux, jette son tambourin et ses pompes dans la foule qui devient folle - It was just that crazy - Quand Eric Wrixton, le premier keyboardist des Them quitte le groupe parce qu’il est mineur et que ses parents le forcent à finir ses études, Billy Harrison recrute Pat McAuley pour le remplacer, puis quand le batteur Ronnie Millings quitte le groupe à son tour pour bosser et trouver de quoi nourrir ses trois gosses, Pat passe derrière les fûts pour le remplacer. Billy lui demande s’il connaît un organiste et Pat dit yes. Jackie entre dans le groupe en 1964. Il n’a que dix-sept ans. Fier comme un pape. Les Them storment l’Angleterre, raw and hard-hitting - S’il fallait résumer le groupe en un seul mot, ce serait ‘dynamic’ - Les seuls capables de rivaliser de sauvagerie avec les Irlandais, ce sont bien sûr les Pretties.

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    Ça c’est le bon côté des choses. Les hits des Them resteront les modèles du genre jusqu’à la fin des temps, mais l’histoire du groupe atteint un niveau de réalité sordide rarement égalé.

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    La première chose que Jackie remarque au moment où il rejoint le groupe, c’est l’état physique et mental des autres : crevés et fauchés, like penniless beggars, hagards comme des clochards. Bon, Pat et Jackie ont de l’entraînement, mais passé le cap de la vanne, ils ont du mal à piger pourquoi l’un des fleurons du fameux ‘British Boom Beat’ n’a pas de blé. La réponse s’appelle les Solomon. Deux frères connus comme le loup blanc à Belfast. Ils ont commencé par lancer les Bachelors puis voyant les Them casser la baraque au Maritime, ils ont alerté Dick Rowe, le boss de Decca, oui, celui qui a laissé passer la chance de sa vie en hésitant à signer les Beatles. Dans les pattes des Solomon, les Them sont baisés. Signe là, mon gars, oui, là, sur les pointillés. Van signe et les autres aussi. Ils font confiance. Grave erreur. Plan classique à l’époque. Les Solomon empochent tout le blé des ventes et des tournées. Ils expliquent aux Them médusés que leur blé est stocké sur un compte en banque, ‘pour plus tard’. En attendant, ils distribuent un peu d’argent de poche, juste de quoi manger. Et encore. Les Them sont faits comme des rats, comme le furent les Walker Brothers dans les pattes de Maurice King ou Badfinger dans celles de Stan Polley. Ça va loin, car les Them ont signé directement avec les Solomon et non avec Decca, ça veut dire que tout ce qui porte le nom de Them appartient aux Solomon, qui eux ont signé avec Decca. Jackie apprendra plus tard que le père et l’oncle des Solomon sont en plus actionnaires de Decca. En français, ce montage ‘juridique’ porte un joli nom : arnaque légale.

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    Jackie et Pat retrouvent souvent Van dans un petit café proche du City Hall de Belfast. Mais ils n’ont pas assez de blé pour se payer une tasse. Billy Harrison se souvient d’avoir crevé de faim à l’époque. Mon pauvre Billy, c’est d’une banalité ! Il raconte par exemple qu’un jour en tournée, Van chope la grippe et Pat se tape une grosse crise d’asthme. Alors les autres fouillent au fond de leur poches et trouvent de quoi se cotiser pour financer une chambre d’hôtel. Les deux malades peuvent dormir au chaud, alors que Billy et Alan grelottent de froid toute la nuit dans le van. Essayez de dormir dans une bagnole en plein hiver, vous verrez si c’est facile. Ça se termine généralement avec des engelures aux pieds. Billy ajoute qu’ils crèvent tellement la dalle qu’ils finissent par chourer les bouteilles de lait sur les doorsteps, en plein Swingin’ London, à l’époque où on les invite à Ready Steady Go.

    Ils débarquent un jour en studio à Londres, mais l’exaltation de dure pas longtemps car des gros bras de Decca virent Jackie et les autres pour les remplacer par des session men. «Baisse la tête» et «Ferme ta gueule». Jackie et Pat ont bien appris leur leçon. La vraie raison n’est pas liée aux compétences des musiciens, car Jackie et Pat valent largement Bobby Graham et Jimmy Page. Non, c’est pire que tout ce qu’on peut imaginer : Solomon paye les session men, comme ça il ne doit rien aux Them.

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    Écœuré par toutes ces pratiques, Van Morrison réglera ses comptes plus tard dans une fantastique chanson appelée «Big Time Operators» - They were vicious and they were mean/ They were big time operators/ Baby/ On the music business scene - Il décrit ce cauchemar avec tout le génie vocal qu’on peut imaginer.

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    Quand «Baby Please Don’t Go» explose la gueule des pauvres charts anglais, les Them réclament un van plus confortable pour les tournées, par exemple un Mercedes. Non, hurle Solomon. «Je suis juif, il est hors de question d’acheter un produit allemand !» C’est tout ce qu’il trouve comme excuse pour financer à la place d’un van confortable un mini-van Ford d’occase complètement inadapté aux tournées d’un groupe devenu célèbre : deux places devant et les autres derrière, au sol avec le matos. Petite cerise sur le gâteau : le mec qui supervise les tournées en Angleterre n’est autre que Maurice King. Un King qui se régale des pleurnicheries des Irlandais et qui leur répond : «Mais les rockers ne mangent pas ! Ils ne dorment pas non plus !» Manger au restau ? Dormir à l’hôtel ? Pffffff ! Momo adore se foutre de leur gueule. Il les traite de «thick fuckin’ paddies». Jackie ne peut pas encadrer ce sale bonhomme. D’autant qu’il le voit emplâtrer les recettes des concerts. Le pire est que Solomon et King mettent la pression et bookent des concerts sans arrêt partout en Angleterre. La vie des Them commence à ressembler étrangement à celle d’un cotton picker nègre de l’âge d’or de l’agriculture esclavagiste : tu bosses tous les jours de l’aube à la tombée de la nuit pour des nèfles. C’est comme ça. Les Them jouent tous les soirs, travelling up and down without a break. On n’a pas idée de la rapacité des gens du business à cette époque. Elle vaut largement celle des patrons blancs de plantations. Un jour Jackie tombe sur un bel écriteau à la porte d’un Bed & Breakfast : «No blacks, no Irish, no Jews, no Dogs». Il ne savait pas à quel point les Britanniques pouvaient haïr les Irlandais. Au moins comme ça les choses sont claires. Les Them sont souvent obligés de rentrer à Londres pour trouver un endroit où dormir. Et c’est là qu’ils se mettent aux amphètes, juste pour pouvoir tenir. Marche ou crève. Un matin, Jackie ne se réveille pas, et le groupe reprend la route sans lui. Viré.

    Le deuxième à lâcher prise, c’est Pat. Il comprend vite que personne ne récupérera jamais le blé que doit Solomon au groupe. Puis Billy Harrison jette l’éponge à son tour. Van et Alan Henderson tentent de continuer, mais les Them sont morts.

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    Revenons un instant sur la fameuse pochette du EP «Gloria» : on voit dans l’ordre Alan Henderson (bassman cravaté), Pat, Van Morrison et juste derrière lui se tient Billy Harrison, le heavy guitar-slinger de «Baby Please Don’t Go» qu’a longuement interviewé Richie Unterberger dans Ugly Things. Deux fois quinze pages ! Damn it ! Billy ne lésine pas sur les détails. Il nous rappelle qu’à l’origine, Van joue du sax et se passionne pour le blues. Il tape dans la collection de son père qui collectionne les disques des bluesmen les plus obscurs. Avant de rejoindre les Gamblers (Billy, Alan Henderson et Ronnie Millings), Van a déjà roulé sa bosse et joué dans des showbands de tous styles, rock’n’roll, jazz ou country. Mais il ne chante pas. Puis les Gamblers deviennent les Them - Who are Them ? - Ils optent aussitôt pour le raw to the bone - The Rolling Stones, the Pretty Things, the Yardbirds ? Them were ahead of them, We were playing something they hadn’t reached - Billy affirme que les Them avaient une belle longueur d’avance sur les autres groupes, en matière de rawness. Selon lui, les Stones détestaient les Them car ils les voyaient comme une menace. Excepté Brian Jones qui appréciait beaucoup Billy. Les Them jouaient une cover du fameux «Turn On Your Lovelight» de Bobby Blue Bland qui durait une demi-heure, avec laquelle ils transformaient le Maritime en madhouse. Puis Billy se met à foutre des grands coups de pompes dans la fourmilière du mythe : il rappelle qu’il a composé «Gloria» chez sa mère, dans le salon, avec Van et Alan - I made the sound, the riff and the whole thing - Billy s’énerve tout seul - Again it’s that I said : Van was Van, but I was Them. I made the sound of Them - Billy revendique la paternité du son des Them. Et quand Unterberger lui parle des groupes qui ont repris «Gloria», Billy hennit comme l’étalon de Zorro - Non, non non ! Cause they all play these three chords E, D and A and they play ‘em all jerky, it doesn’t roll like that at all - Il a raison Billy de s’énerver, des centaines de groupes ont massacré «Gloria» en jouant bêtement les trois accords - There’s a lot more to it than the three chords. It’s what I used to call three chords and four tricks - Trois accords et quatre trucs. Billy explique que le roll traverse tout le cut. La seule version de «Gloria» qu’il accepte de citer est celle de Van avec John Lee Hooker. Mais tout le reste, non, «cause you don’t have my guitar and you don’t have Van’s voice. Game over.» Il revient aussi sur les changements de line-up et le départ du batteur Ronnie Millings qui était aussi le chauffeur du vieux van. Ronnie parti, qui veut conduire ? Personne n’a son permis. Alors Billy se dévoue. Pas de permis, pas d’assurance, no nothing, et voilà les Them en route pour l’aventure on the mainland, comme ils l’appellent, la Grande-Bretagne - We gotta go and do the gigs - Fin 64, ils font leurs premières télés à quatre, juste avant l’arrivée de Jackie.

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    Ils reviennent en session à Londres en 1965 avec le producteur américain Bert Berns pour enregistrer «Baby Please Don’t Go» et «Here Comes The Night». Billy rend hommage à ce génie du son, un Bert Berns qui harangue le groupe à coups de «Let’s get this cooking, guys !» En studio, Berns crée l’atmosphère, comme il le fit auparavant avec Solomon Burke et Garnet Mimms. Billy explique que son «Baby Please Don’t Go» sort d’un vieil album de Big Joe Williams entendu chez le père de Van, mais l’idée était d’en faire un truc très différent. Something différent... Ça ne vous rappelle rien ? La vieille obsession de Sam Phillips lui aussi en quête du something different. C’est-à-dire le Graal. Billy Harrison cherche exactement la même chose. Il précise que deux batteurs jouent sur «Baby Please Don’t Go» : Bobby Graham et Ronnie. Jimmy Page ? Yes, il gratte sa gratte en rythmique. Billy ne l’aime pas. Il n’a pas besoin de lui. Et Jimmy Page ne l’aime pas non plus. Billy est furieux. Il dit à Berns qu’il n’a pas besoin de ce mec-là pour jouer sur «Baby Please Don’t Go». Il n’y a qu’un seul accord en sol - On and off a G on the bass string - En jouant l’accord sur sa guitare, Page dit qu’il donne du volume au drone. Billy ne réussit pas à le faire virer du studio. Unterberger joue un peu avec le feu quand il demande à Billy ce qu’il pense de cette rumeur qui a longtemps couru : Jimmy Page aurait joué le riff de «Baby Please Don’t Go». Billy saute en l’air. Fuck it ! Ça le met hors de lui qu’un mec comme Page n’ait jamais démenti de lui-même cette rumeur - Fuck ‘im ! He still can’t play it ! - On ne marche pas sur les pieds d’un mec comme Billy.

    Par contre, il n’est pas très tendre avec Jackie - Not that great - C’est vraiment pas gentil. Viré, comme on l’a dit et remplacé par Peter Bardens pour l’enregistrement de The Angry Young Them. Billy affirme que le line-up de ce premier album est le vrai line-up des Them : Van, Alan, Pat, Bardens et lui. Puis le groupe commence à se désintégrer. Ça va très vite, comme toujours. Billy considère les Them comme son groupe, alors il en devient le porte-parole. Il demande à Phil Solomon où passe le blé. En guise de réponse, Solomon menace de renvoyer le groupe en Irlande et de les rayer de la carte. Billy constate ensuite qu’en tournée, Van commence à voyager seul, sans les autres. Jusqu’au jour où il apprend incidemment que Van auditionne des musiciens en douce. C’est là qu’il arrête les frais. Il ne faut pas prendre Billy Harrison pour un con - I just blew the fuck up - Simple as that. Le groupe repart sans lui. Il reçoit une lettre le lendemain. Viré.

    Quand Billy retrouve son calme, la lumière se fait dans sa tête. Il comprend que Solomon voulait se débarrasser de lui. À vouloir défendre les intérêts de ses copains, Billy était devenu le troublemaker qui osait demander des comptes ! Il comprend aussi l’arnaque des crédits de chansons. Comme par hasard, tout est signé Morrison. Facile à comprendre : Van signe les cuts et Solomon le protège. Diviser pour mieux régner. Pratique courante à cette époque. Comme les frères Chess à Chicago, Solomon vit principalement des droits des chansons, ce que les Anglais appellent le publishing. C’est aussi sordide que ça. Étant donné que Billy ne signe pas les compos, il ne vaut pas un clou. Et pourtant il compose. Il fait confiance. Van est un pote. Le résultat de tout ça, c’est que Billy finit par travailler à la Poste. Comme il le dit lui même, il passe du statut de star à celui d’asshole, qu’on peut traduire par moins que rien, si on veut rester poli. Pour couronner le tout, il affirme qu’il n’a jamais vu un seul penny de royalties. Du coup, il se remet en colère. Il est d’autant plus vert de rage qu’il s’est battu comme un délégué CGT au nom des autres qui écrasaient leur banane devant Solomon. On aurait dit des nègres devant le patron blanc. Le même genre de peur bleue. Billy s’étrangle de rage - Solomon ruined a potentially big big group, he really did - Il donne un violent coup de poing sur la table. Cette fois c’est Unterberger qui saute en l’air.

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    L’interview d’Unterberger est capital, car il met en lumière l’importance de Billy Harrison dans l’histoire des Them, ce que ne fait pas Jackie dans son livre. Jackie ne s’étend pas non plus sur un autre épisode capital : la rencontre avec Kim Fowley et la formation des Belfast Gyspsies dont l’album vaut aux yeux des spécialistes tout l’or du monde et pour une fois, c’est vrai. Pat décide de relancer les Them et bombarde Jackie chanteur. Kim Fowley surgit de nulle part, pareil au comte Dracula, nous dit Jackie, et propose de manager le groupe. Jackie ne veut plus du nom des Them, alors Kim Fowley propose les Belfast Gyspsies et leur décroche un deal chez Sonet Records, un label suédois. L’album est aussi indispensable à toute collection qui se respecte que peuvent l’être les albums des Standells ou encore ceux de Pretties. Ne serait-ce que pour «Gloria’s Dream», ce hit parfait qu’on vit renaître récemment sur scène grâce aux mighty Cynics. Jackie chante quasiment comme Van, il lâche un feel alrite dégoulinant de proto-punkitude, il faut voir sa gueule sur la pochette, c’est celui de gauche et Pat se trouve à droite. Il bat le funky night comme un guerrier africain. Ce cut pue l’adrénaline et l’ombre de Kim Fowley plane sur ce festin de délinquance. L’incroyable de la chose est que tout l’album est bon, même leur «Aria», qui est humide et sombre comme un caveau mortuaire. Ils sortent aussi un «Midnight Train» digne de Bo Diddley et des Yardbirds, Jackie y fait sa Mona avec le meilleur snarl d’Angleterre. Nouveau coup d’éclat avec «People Let’s Freak Out» monté au pire Diddley Beat de l’époque. Jackie démolit plus loin un «Boom Boom» que vient jazzer Pat sur ses fûts. Ils font aussi une version de «Hey Gyp (Dig The Slowness)» digne de celle des Animals. Jackie buy you the Chevrolet et le sugar cube comme Eric Burdon, mais en plus ténébreux. Ça joue à la sourdine malsaine, c’est bardé de réverb et ils finissent en beauté avec le freakout de «Secret Police», ivre de ce génie punkoïde qu’on retrouve sur l’I’m Bad de Kim Fowley. Jackie s’y livre à ses ultimes exactions de garage-punkster. Dommage qu’il n’ait pas continué avec les Belfast Gyspies. Personne n’est mieux placé que Kim Fowley pour saluer Jackie McAuley : «Tu aurais voulu que Van Morrison ait la tête de McAuley. Quand tu entendais sa voix, c’était la même que celle de Van Morrison. Mais Jackie ressemblait à Jack Palence Jr. He had a great rock’n’roll look. Il était la version Elvis d’un Jack Palence à l’Irlandaise. Il avait la fibre d’une rock star, the mysterious dark vibe avec la voix de Van Morrison (...) Ils avaient la même voix. L’un avait une dégaine de rock star et l’autre ressemblait à un clerc de notaire.»

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    Si les épisodes Them (quelques mois dans sa vie) et Belfast Gypsies (quelques mois aussi) relèvent de la fugacité, ses relations d’amitié s’inscrivent par contre dans la durée. Celle d’une vie entière et le récit ne s’en porte que mieux car les amis de Jackie ne sont pas n’importe qui. Il croise pas mal de gens intéressants pendant sa vie de Londonien (John Peel et Lemmy, par exemple), mais c’est avec Gus et Henry McCullough qu’il fraternise. On reconnaît souvent la qualité des gens aux qualités de leurs amis. Gus ? Mais oui, Johnny Gustafson, disparu récemment, un mec de Liverpool qui jouait dans The Big Three - l’ultra-mythic power trio de Liverpool - puis avec l’encore plus mythique John Du Cann. Gus fut aussi bassman pour Roxy Music, on le retrouve ensuite dans l’effarant Quatermass et bien sûr dans les Pirates, aux côtés de Mick Green, certainement l’un des meilleurs guitaristes anglais avec Dick Taylor et Eddie Phillips. Jackie rencontre Gus à Tin Pan Alley, l’endroit où les musiciens de session viennent chercher du travail pour survivre. Les sidemen, justement. Jackie aime bien Gus parce qu’il prend toujours les choses du bon côté - If Dazit, Dazit - telle est sa philosophie. Dans la liste des remerciements, à la fin du livre, Jackie dit de Gus : «My best ever friend», suivi de près par «my hero Henry McCullough». Des millions de gens ont vu McCullough miauler des chœurs de rêve derrière Joe Cocker à Woodstock, pendant la fameuse reprise de «With A Little Help From My Friends». À une époque, Henry veut monter un groupe avec Jackie, mais Jackie hésite. Alors chacun poursuit sa route. Henry monte Eire Apparent et sort un album produit par Jimi Hendrix. Puis il décolle avec le Grease Band et finit par rejoindre McCartney dans Wings. Mais la gloriole ne l’intéresse pas. Il préfère la fréquentation des mecs comme Jackie ou Ronnie Lane. Le voilà dans Slim Chance. Retour à la bohème. Tous les fans de Ronnie Lane qui ont vu le docu The Passing Show savent de quoi est capable cet effarant guitariste qu’est Henry McCullough : dans les bonus, on le voit jouer «Kuschty Rye» en picking demented, façon Delivrance.

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    L’autre sujet de fierté de Jackie, c’est la confiance de Lonnie Donagan, son premier héros, qui lui confie le leadership de son backing band. Tiens, encore une fascinante connexion : Badfinger. Jackie fréquente à une époque Tom Evans, le bassman de ce groupe jadis chaperonné par les Beatles. Pete Ham comme on le sait s’est pendu dans son garage, incapable de supporter l’idée de s’être fait plumer par Stan Polley. Jackie et Tom se voient régulièrement pendant cette période sombre, et bien sûr, Tom ne parle que d’une chose : le suicide de Pete. C’est même obsessionnel. Il se demande comment on fait pour trouver le courage de se pendre. Pour faire le nœud et écrire une lettre. Comment fait-on ? Et il ajoute : «Mais si le cou ne se casse pas ? Tu t’étrangles ?» Il épluche tellement tous les détails qu’il fout les chocottes à tout le monde. Bien entendu, Tom Evans va finir par se pendre. Pas dans son garage, mais dans son jardin, à la branche d’un arbre. C’est un peu moins glauque.

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    Cette autobio est un vrai carnet d’adresses. Après les deux pendus, on tombe sur le roi des excentriques britanniques. Ginger Baker ? Keith Moon ? Non, Vivian Stanshall. Un Stanshall que Ronnie Lane engage comme Master of Ceremony pour son Passing Show, mais un jour, en montant dans la roulotte de Kevin Westlake, Ronnie tombe sur un étrange spectacle : Stanshall, un verre à la main et le pantalon sur les chevilles, demande : «Ya got any toilet paper, old bean ?» (T’as pas du papier cul? ). Viré le lendemain. Ce n’est pas que Ronnie Lane n’ait pas d’humour, mais Stanshall pousse le bouchon beaucoup trop loin. Il en a fait un métier et peu de gens peuvent suivre. Jackie est assez fier de faire partie des gens qui suivent.

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    Un jour, Stanshall l’appelle car il cherche un guitariste pour l’accompagner sur scène. Jackie arrive chez lui. Il tombe sur un Merlin à barbe rouge, enveloppé d’une robe de chambre sans rien en dessous. Dans le salon trônent de grands aquariums. Quelques serpents, des tortues carnivores et des poissecailles. Stanshall s’agenouille et regarde sous la banquette. Jackie lui demande s’il cherche quelque chose. Oui un serpent, lui répond laconiquement son hôte. Ils échangent quelques banalités et Stanshall demande à Jackie d’aller lui chercher un petit sac en plastique dans le frigidaire. Oui, oui, là-bas, dans la cuisine. En ouvrant la porte du frigo, Jackie pousse un cri d’horreur. C’est bourré de sacs de souris crevées. Il ramène le sac et Stanshall balance la souris dans un aquarium. Piranhas ! Puis avec un accent châtié à la Oscar Wilde, il demande à son invité : «Would you like a drink ? Some cider perhaps ?» (Vous prendrez bien quelque chose, un peu de cidre ?). Après avoir essuyé un refus poli, Stanshall propose de commencer à travailler sur ses chansons, l’objet réel du rendez-vous. Jackie se dit à la fois traumatisé et émerveillé.

    En réalité, Viv Stanshall fait le coup du serpent évadé et des piranhas à tous ses visiteurs. Ça lui permet de tester la résistance des matériaux. Certains craquent et s’en vont aussi sec. Ne restent que les plus solides, comme Jackie, dont la curiosité reprend le dessus. Et puis, il faut bien reconnaître que Vivian Stanshall dégage un charme extraordinaire.

    Ils vont jouer tous les deux dans des pubs. Il faut savoir qu’en Angleterre, les gens vénéraient les Bonzos et Vivian Stanshall en particulier. L’équivalent français pourrait être l’immense Professeur Choron, un géant de l’excès, barbare et raffiné à la fois, la bite à l’air et le fume-cigarette au coin des lèvres. Le duo Stanshall/McAuley s’appelle Vic Stanshall’s Vivarium. Stanshall joue de l’ukulélé et des instruments de sa fabrication, et Jackie l’accompagne à la guitare. Sideman. La clientèle des pubs raffole de leurs numéros baroques. Comme celui-ci : une longue sangle élastique, Viv en tient un bout entre ses dents pour avoir les mains libres et Jackie l’autre bout des deux mains. Ils reculent de quelques pas chacun de leur côté pour tendre la sangle au maximum. Viv bat des bras comme un oiseau et Jackie lance : «Ladies and gentlemen, the amazing Viv Stansh...» et à ce moment précis, il lâche la sangle - ça fait partie du numéro - et Viv la prend en pleine gueule, schpounz ! Au tapis ! Le numéro le plus absurde qui ait jamais été imaginé, nous dit Jackie, qui en meurt de rire à chaque fois - In fact it was stupid but Viv thought it was hilarious - Numéro stupide que Viv trouvait hilarant. Bienvenue au royaume wonderfully insane de Vivian Stanshall. Mais comme Keith Moon, Viv ne pouvait plus faire autrement que d’être un Viv de tous les instants. Passé un certain cap, on ne peut plus revenir en arrière.

    Dans l’excellent Ginger Geezer, Lucian Randall et Chris Welch rappellent à quel point Moonie et Viv savaient se marrer. Ils entrent un jour chez un marchand de fringues à la mode.

    — Que désirez-vous messieurs ?

    Moonie et Viv répondent en chœur :

    — Strong trousers !

    Un pantalon solide ? Le mec ramène un beau pantalon en mohair. Viv prend une jambe et Moonie l’autre. Ils tirent chacun de leur côté. Crac ! Ils déchirent le pantalon en deux morceaux. Alors ils crient au scandale :

    — Vous appelez ça des strong trousers ?

    Le vendeur ne comprend pas. Ce type d’événement se situe hors de sa portée. Soudain, un complice unijambiste entre dans le magasin et vient droit sur les deux morceaux de pantalon :

    — Oh my God, c’est exactement ce que je cherchais ! J’en prendrai deux paires !

    Vivian Stanshall collectionne les coupures de presse dans un classeur qu’il appelle The Book Of Madness. L’une de ses préférées : «Un homme accusé d’avoir abattu son copain comparaît au tribunal de Lagos et dit qu’il a tiré par erreur : il l’a confondu avec un gorille.» L’histoire de Vivian Stanshall est une infernale partie de rigolade qui ne prend fin qu’avec sa mort - Viv had lost his greatest battle - against himself. Si vous tenez vraiment savoir comment Stanshall est mort, sachez qu’il a cramé dans l’incendie de sa chambre, avec toutes ses possessions, comme un roi Viking à bord de son drakkar en flammes. On trouve cette scène dans le film de Richard Fleischer avec Kirk Douglas qui fascinait tant Stanshall.

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    Unterberger profite aussi de la parution du livre de Jackie pour l’interviewer dans Ugly Things. Quand il lui demande pourquoi il publie à compte d’auteur, Jackie se marre. Il met les éditeurs dans le même panier que les gens du showbiz et pour lui, publier à compte d’auteur, c’est un moyen de ne pas se faire arnaquer. On comprend qu’il soit chatouilleux sur la question. Quand Unterberger revient sur l’arnaque Solomon, Jackie sort ça : «The band was basically ripped up big time.» Dans la presse anglaise, le seul reproche qu’on ait fait à l’auteur est de ne pas avoir donné plus de détails sur les Belfast Gypsies. Alors Unterberger saute sur l’occasion. Jackie brosse un portrait de Kim Fowley superbe, «un homme maigre et très grand, avec les bras constamment en l’air, presque comique. Un homme very strange (...) On écrivait les chansons avec lui.» Jackie lui fait confiance. Comme il voit qu’Unterberger commence à baver, Jackie ajoute : «On bossait dur. Mais il n’y a rien de spécial à raconter.» Quelques concerts au Danemark, pas de blé, à quatre dans une chambre d’hôtel, toujours la même histoire. En fin d’interview, Jackie avoue qu’il n’avait pas non plus assez de blé pour financer la publication de son livre. Alors ses frères se sont cotisés. Vieux réflexe irlandais.

    Pas de livre sur le rock à Belfast sans référence à la violence et à ce qu’on appelle ‘the Troubles’. Mais à la différence des Stiff Little Fingers qui les évoquent si bien, Jackie n’a pas vécu en direct cette guerre civile qui a déchiré l’Irlande du Nord pendant trente ans, opposant les républicains catholiques aux unionistes protestants pro-britanniques. Coup de pot, Mom & Dad McAuley réussirent à quitter Belfast au moment où ça commençait à devenir très dangereux de sortir dans la rue. Mais tout le monde n’a pas eu cette chance-là. Jackie consacre tout son chapitre 10 à son ami Steve Travers et au groupe Miami dont personne n’a jamais entendu parler pour une raison bien simple : on les a transformés en passoires au bord d’une route par une belle nuit d’été.

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    En 1975, Steve devient bassman de Miami, un Irish showband qui a le vent en poupe. Ils jouent partout en Irlande à guichets fermés. Le chanteur s’appelle Fran O’Toole, le guitariste Tony Geraghty. Le trompettiste Brian McCoy conduit le minibus Volskwagen bleu qui ramène le groupe à Belfast après un hot set au Castle Ballroom de Banbridge, de l’autre côté de la frontière. Ils écoutent une cassette d’Edgar Winter et chantent en chœur «Tobacco Road». Un peu plus loin sur la route, les forces spéciales de l’armée britannique ont installé un check-point. Contrôle de sécurité. On fait généralement sortir les gens du véhicule pour les aligner et chacun doit dire son nom et son adresse. Pas de problème, les Irlandais sont habitués. «Baisse la tête» et «Ferme ta gueule». Le problème est que des miliciens de l’UVF se joignent aux soldats britanniques. Leur plan est simple : faire passer les musiciens pour des gens de l’IRA transportant des armes dans leur minibus. Pendant qu’on leur demande leur nom et leur adresse, on charge discrètement une bombe et des armes dans le minibus. Ne cherchez pas de sens dans cette histoire, car il n’y en a pas. Tout repose sur l’exercice pur et dur de la haine, comme dans toute guerre civile. Quand ils arrivent au check-point, les Miami ne sont pas surpris. Mettez-vous en rang ! Le problème est qu’on leur demande en plus de mettre les mains sur la tête. What ? Ça sent l’embrouille. Soudain, le mini-bus explose et le souffle projette les musiciens dans le champ. Les soldats commencent à canarder dans le noir. Steve Travers sent qu’une balle le traverse. Gravement blessé, il les entend arriver et comprend qu’ils viennent finir le boulot. Ils commencent par descendre Brian McCoy à bout portant. Steve ne peut pas bouger. Il sent soudain des mains le prendre sous les bras pour le soulever. Tony et Fran risquent leur peau pour le sauver. Mais courir en transportant un blessé n’est pas l’idéal quand il faut fuir. Ils lâchent Steve et détalent, mais c’est trop tard. Neuf balles pour Tony vingt-et-une pour Fran. Si Steve Travers a survécu, c’est uniquement parce qu’on le croyait mort. Il va même réussir à survivre miraculeusement au passage d’une balle dum dum à travers son corps. Voilà pourquoi Jackie McAuley tenait à consacrer un chapitre à ces mecs-là : il craignait qu’on ne les oublie.

    Signé : Cazengler, Jacky soupe au lait

    Jackie McAuley. I Sideman. Publié à compte d’auteur 2017. jackiemcauley.com

    Richie Unterberger interview with Billy Harrison. Part One. Ugly Things # 31/Spring 2011 & Part Two. Ugly Things # 32/Fall Winter 2011

    Belfast Gypsies. Them Belfast Gypsies. Sonet 1967

    Richie Unterberger interview with Jackie McAuley. Ugly Things # 48 - Summer/Fall 2018

    Lucian Randall & Chris Welch. Ginger Geezer. The Life Of Vivian Stanshall. Fourth Estate 2001

    TêTE BLÊME

    POGO CAR CRASH CONTOL

    ( Clip )

     

    Le problème n'a jamais été de vivre mais de survivre à soi-même. Ou alors se répéter inutilement. Deuxième album de Pogo Car Crash Control à paraître ce quinze mai. Comme d'habitude Baptiste Groazil a déjà desquamé son artwork. Travaillé au grésil. Exactement au Crésyl, ce produit en vente dans toutes les bonnes drogueries, dont on se sert pour nettoyer les chiottes publiques. A croire que notre monde est en attente d'un désinfectant à toute épreuve pour se porter mieux.

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    En attendant la date fatidique du grand oral Pogo nous donne un os à ronger. Pas n'importe lequel, le crâne. En un autre siècle les romantiques se plaisaient à faire flamber leur punch dans ces cratères à ciel ouvert, au moins en buvant on pouvait regarder la mort les yeux dans les yeux. Nous n'en sommes peut-être pas encore là puisque apparemment il subsiste de la chair, le clip ne s'intitule-t-il pas Tête Blême. On a du pot, il reste de la peau.

    Ça commence tout doux. Avec les Pogo cela veut dire qu'il n'y a pas de musique. C'est l'équipe de Contrefaçon un music-vidéo-band qui s'est chargée de la réalisation et d'introduire la bête. Une mise en scène de la vie quotidienne. De ceux qui n'ont pas de compte-banque assez florissant pour s'acheter une berline hybride made in Germany. Tant pis pour eux. On ne va pas s'apitoyer sur les pauvres, d'autant plus que très vite on rit jaune.

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    Pas du tout un jaune serein. D'ailleurs tout de suite on est en zone rouge. Y aurait comme un clin d'œil prophétique à l'actualité. Combinaison de protection coronaphobique ? C'est très vache cet humour noir, surtout que l'on est dans une ferme. Va-t-il falloir faire étable rase ? A l'image suivante c'est l'herbe d'un champ qui est rasibus. Avec les Pogo au milieu en pleine transe. Il y a de beaux basculements d'images, comme ces feuilles d'esquisses barbouillées qu'un peintre rejette, évidemment tout est dans le montage, et dans le démontage, les images s'emmêlent et s'interpénètrent, défilent à toute vitesse, mais certaines, comme cette silhouette d'arbre éclairée par la hagarde pupille d'une lune de cimetière, sont de véritables engrammes. Le clip s'arrête bêtement parce qu'il est terminé. Aucune logique intérieure qui voudrait que l'on sorte du marasme de cette tête blême. On aimerait une chute. Qu'on la coupe, qu'on la repeigne en bleu et en vert. Mais non, c'est fini. On abandonne les Pogo et leur matos en pleine campagne, dans un champ indéterminé. On ne peut plus rien pour eux. Ni eux pour nous. Peut-être qu'ils feront du stop pour rentrer chez eux, mais la seule bagnole du film est en panne sèche.

    Enfin ce n'est pas notre problème. Il y a plus grave au monde. Suffit parfois d'un mot pour bouleverser une situation pré-établie. Ici il déboule vite dès qu'ils entament les lyrics. On aurait parié qu'ils ne le connaissaient pas. Ou alors qu'ils l'avaient rayé de leur vocabulaire. Expulsé du dictionnaire. Ramené à la frontière de leur univers. N'essayez pas de trouver, c'est aimer. Oui, le verbe aimer, même pas à la forme négative. Les Pogo ont besoin d'amour. Qu'un esclave aime sa servitude, on veut bien l'admettre, mais que les Pogo aient envie d'aimer, alors que leur précédent album s'appelait Déprime Hostile, c'est à n'y rien comprendre !

    Toutefois on se doit d'essayer. Les Pogo ont tout ratiboisé devant eux. Là où ils passaient vos illusions ne repoussaient pas. Z'avaient des lyrics ravageurs, des paroles à l'emporte-pièce. Leur mot de désordre, c'était après moi le nihilisme. Une batterie fracassante et des guitares en folie. Des shows orgasmiques. On était contents, avec ces zèbres au moins, la boussole indiquait le néant. C'était rassurant. On savait où on allait. Nulle part.

    Mais ce n'était pas assez. Se sont réunis. Ont trastégé grave. Un défi impossible à relever : comment faire toujours plus dans le moins absolu. Z'ont vu le fond du trou dans lequel il ne fallait pas tomber. C'était déjà fait. Alors maintenant ils apportent quelque chose. Parce que le moins que moins c'est au moins un tout petit truc. Autant vous le dire ce n'est pas grand-chose. A tel point que certains risquent de ne pas le remarquer. Ce n'est pas la bougie au bout du tunnel, c'est simplement l'existence du tunnel. La voix davantage devant et le grabuge derrière qui n'arrive pas d'un coup mais sous forme de grosses vagues qui reviennent plusieurs fois à l'assaut.

    Certains diront que le groupe s'est assagi, d'autres qu'ils ont gagné en maturité, c'est oublié qu'après le pogo le car et le crash, le control est programmé depuis le début. Tout le monde peut être méchant, mais méchant et intelligent, ce n'est pas que ce soit plus difficile, c'est que c'est davantage subtil.

    Damie Chad.

    EX-VOTO CRASHBIRDS

     

    Pas de concert à chroniquer. Quand on ne peut pas tenir la proie, on se contente de l'ombre. Attention chez Kr'tnt on ne vous refile pas une ombre toute noire de désespoir, mais toute colorée d'un arrière-fond rouge feu vital, ne dites pas que ça n'existe pas, relisez plutôt le Traité des Couleurs de Joan Wolfgang Goethe, bref au lieu de vous emmener au dernier concert des Crashbirds – il y en aura d'autres, ces maudits volatiles sont des durs à cui-cuire - nous vous offrons, faute de mieux, le flyer de leur prestation. Si vous n'êtes pas un vil mécréant vous le rangerez soigneusement dans le deuxième tiroir de la commode, sous les chaussettes sales, dans le lieu sacré où vous avez relégué l'image pieuse de votre première communion.

    Certains crieront au favoritisme, pourquoi les Crashbirds et pas un autre groupe. Premièrement parce que les flyers des Crashbirds sont particulièrement beaux, collectionneurs, lors des concerts dans leur merchandising vous pouvez vous en procurer format-affiche plastifié. C'est Pierre Lehoulier qui se charge de leur confection, il n'a aucun mérite puisque en sus d'être guitariste il est dessinateur. Les curieux qui veulent tout voir n'ont qu'à faire un tour sur leur FB, ou alors lire dans notre livraison 351 du 07 / 12 / 2017 le seul article au monde qui ait été consacré à ces miniatures crashbirdéennes. Il y a une deuxième raison, plus spécifique, celui-ci est particulièrement réussi. Lorsque je l'ai montré à des amis, je me suis aperçu qu'il accrochait diantrement l'attention, surtout ceux qui aiment peindre et dessiner. Z'alors j'ai voulu en savoir plus. En voir davantage.

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    Un truc évident, quand vous jetez un coup d'œil, l'est certain que vous vous sentez devenir le taureau dans l'arène obnubilé par le chiffon qu'agite sous son mufle un torero assassin, un rouge pétant, entre alizarine et vermillon, soyons synesthésistes, plongez-y votre langue pour vous régaler de cette cerise écrasée, vous m'en direz des nouvelles, oui, il est indubitable que cette griotte en compote a aussi un goût de banane. Il y a du jaune au fond de ce rouge. Grâce à cet apport velvetien nous obtenons de l'orange, ni abricot ni mandarine, soyons précis, tangerine. Bref ça claque au vent comme la cape de L'Imperator sanglant sur le ciel enflammé du sonnet Soir de bataille de José-Maria de Heredia.

    Bon ce n'est pas tout. Cet artwork n'est pas un monochrome. L'est même très figuratif. Pierre Lehoulier possède sa propre héraldique. Tout un vocabulaire, toute une grammaire. La figure centrale de ces blasons flyeriques réside en le signe composite dit des deux cui-cui. Généralement ils sont noirs, d'un noir aussi maléfique que le corbeau d'Edgar Poe, mais adorables, avec toutefois ce regard torve, un en-dessous hypocrite qui franchement vous veut du mal. Des espèces de bébés-vautours au plumage charbonneux qu'ils arborent comme s'ils avaient déjà revêtus les habits de deuil qu'ils porteront le jour de votre mort imminente.

    Mais cette fois, Lehoulier ne les a pas teints de leur habituelle houille noirâtre, il les a peints d'une magnifique teinte jaune-poussin. Nos cui-cui ont l'air de sortir de l'œuf, de ravissantes peluches innocentes, éloignez vos enfants, ils ne résisteront pas à l'envie de les prendre, de les serrer contre eux, de les couvrir de mille bisous, soyez-sûrs que les cruels cui-cui en profiteront pour leur crever les yeux.

    Vous ne me croyez pas, vous pensez que j'exagère, qu'ils ressemblent à deux pauvres canaris, enfermés dans une cage, qui s'ennuient sur leur perchoir. Insensés qui vous voilez la face devant le mal ! Regardez sur quoi reposent leur pattes, sur le canon d'une winchester, ils en ont même deux autres en surplus alignées sur leur flanc, n'ont qu'à étendre l'aile pour s'en saisir et vous expédier en enfer. Z'ont l'air d'attendre le passage des bartavelles, mais ce coup-ci les bartavelles c'est vous. Se moquent de vous avec leur bec en biais. Et leurs lunettes d'aviateur aveugle. L'est vrai que vous êtes stupides, c'est écrit en gros au bas de l'affiche, rue de sille, en d'autres mots rue de la raillerie, se foutent carrément de votre gueule, et ils en rajoutent encore, Loiseau de la Ferme, Loiseau parce qu'ils sont chez eux, de la ferme, vous voulez une précision, de la ferme... d'abattage.

    Voilà, maintenant quand vous irez à un concert des Crashbirds, vous savez à quoi vous attendre avec leur Dirty Rock'n'Blues. C'est simple, Delphine Viane et Pierre Lehoulier sont les Bonnie Parker et Clyde Barrrow du rock'n'roll.

    PIERRE LEHOULIER

    Vous avez failli ne jamais voir la profonde analyse sémiotique précédente. Une seconde de plus et je l'éjectais de la livraison. J'étais content, j'étais heureux, lorsque de bon matin, FB m'a averti, ''Pierre Lehoulier vous a envoyé une photo sur laquelle vous apparaissez''. Un vrai poteau ce Pierre, dès l'aube naissante il pense à moi, se lève du lit sans bruit pour ne pas déranger Delphine et le chat enfouis dans leurs rêves, s'extirpe de ses chaudes couvertures à l'aurore juste pour m'envoyer une photo, de mon immodeste personne assistant à un concert des Crashbirds, ce mec c'est un bon copain, un pur ami, un véritable frère, que dis-je un père tutélaire, je me dépêche de cliquer sur ce document iconographique d'une importance capitale pour l'histoire du rock'n'roll, hélas, septante-sept fois hélas, je manque de mourir de saisissement, ah! oh ! le traître, le malfaisant, le pervers, la vermine, je n'y crois pas mais c'est écrit en grosses lettres...

    LE RETOUR DE SUPER GROS CON !

    Calme-toi Damie, me dis-je, avant de sauter dans la teuf-teuf pour partir, illico presto subito expresso bongo, trucider cet ignoble individu, ce dégénéré impavide, ce rebut de l'humanité, pense à la manière dont tu le priveras de sa misérable vie de cloporte, il est nécessaire qu'il souffre un max dans son agonie, c'est à ce moment que je réalise en jetant un coup d'œil à l'image, juste dessous le bandeau calomniateur ma funeste erreur, non je ne suis pas un super gros con, il ne parle pas de moi Pierre, mais de sa nouvelle bande-dessinée qui est sur le point de sortir. Promis je vous la chronique dès que je l'aurai, à ceci près qu'ici la poste ne livre plus le courrier, droit de retrait. En attendant je vous file la photo de Pierre Lehoulier avec son book. Quand on n'a pas la proie, on prend l'ombre !

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    Damie Chad.

     

    PORTRAITS ROCK

    MARIE DESJARDINS

     

    Marie Desjardins n'écrit pas que des romans, nous avons chroniqué dernièrement La voie de l'innocence ( Livraison : 449 du 30 / 01 / 20 ), Ellesmere ( 447 – 16 / 01 / 20 ), SylvieJohnny ( 442 – 12 / 12 / 19 ), Ambassador Hôtel ( 440 – 28 / 11 / 19 ), elle sème aussi dans diverses revues des articles-rock, vous pouvez en trouver quelques exemples sur son FB Marie Desjardins Portraits rock.

    LE ROCK DE GEORGE MARTIN

    Avec cette nomination passe-partout, l'on s'interroge, certes il y a plus d'un âne qui s'appelle Martin mais cet équidé-là est aussi célèbre que L'Âne d'or d'Apulée. Quand de ces petites menottes il approchait des manettes il en tirait des bruits paradisiaques. Les gens exagèrent toujours. D'abord je suis un mécréant et de toutes les manières je préfère les Rolling Stones. Vous l'avez deviné, nous parlons de George Martin le cinquième Beatles, le sorcier du 16-pistes. Mais cette fois nous suivons George Martin en villégiature. Désolé mais il ne se contentait pas d'un deux pièces-cuisine dans une banlieue populaire de Londres.

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    Avait jeté son dévolu sur l'île de Montserrat. Pas très loin de l'ile Saint-Barthélémy où repose Johnny Hallyday, repère insurpassable pour un français qui ignore la géographie. N'imaginez point un trip à la Robinson Crusoé, juste une villa de rêve et question de ne pas s'ennuyer, Sir George fit bâtir Air, un studio d'enregistrement. C'était comme ouvrir un pot de confiture à côté d'une ruche, toutes les rock stars de la old England et de la new-America vinrent y bosser, à tout seigneur tout honneur nous citerons par ordre de préséance les Rolling Stones qui y concoctèrent Steel Wheel – non ce n'est pas leur meilleur – Linda et Paul McCartney, Sting et Police ( tout le monde la déteste ) et même Black Sabbath – mais que venait donc faire ce démon noir dans ce paradis... bref près de soixante-dix albums y furent enregistrés.

    La Bible nous l'a enseigné, l'éden, même celui des milliardaires du rock, ne saurait durer longtemps, un vent mauvais – ainsi les qualifiait Verlaine – plus prosaïquement les météorologistes usent du mot ouragan, s'en vint en l'an de disgrâce 1989 transformer Air en un tas de tôles brinquebalantes, mais quand le Dieu jaloux de la Genèse ( peut-être était-il comme Eric Clapton amoureux de Linda ) est en colère, il ne lésine pas sur les moyens, refit quelques années plus tard à Montserrat ( la montagne sûre ! ) le coup de Sodome et Gomorrhe, une nuée ardente s'en vint détruire les deux-tiers des habitations.

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    Croyez-vous que ce soit le genre de désagrément qui puisse intimider Marie Desjardins. Non, elle y est allée, et a tout visité, a enquêté, non plus de rock-star à séduire, mais des souvenirs, photos, disques et surtout Danny Sweeney roi de la planche à voile qui connut bien des aventures avec toutes ces stars du rock... Marie Desjardins ne nous rapporte qu'un petit échantillon des confidences de Sweeney... De quoi s'évader en ces jours de confinement...

    JIMI L'ETERNEL

    ( paru le 18 / 09 / 2016 sur le site Pop Rock 2. 0 )

    Ce n'est pas un article de plus sur Jimi. Une évocation. Qui touche à la poésie. Je n'en dirai rien de plus. Cela serait inutile. L'on n'ajoute pas à l'émotion. On la ressent. Ceux qui veulent la partager n'ont qu'à lire.

    JIM ZELLER EN JETTE PLUS QUE JAMAIS

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    Cette fois Marie Dejardins est au Canada. Normal, elle est canadienne. Nous emmène au Rosewood à Montréal. En France, moins à cheval sur la langue française, nous appelons ce genre de soirée une release party, avec son orchestre il présente son dernier disque Blues from an another planet. Le nom de Jim Zeller ne vous dit peut-être pas grand-chose, c'est un natif du Quebec, mais toutefois il vous semble que... sans doute l'avez-vous aperçu dans Renaldo et Clara le film de Bob Dylan avec entre autres Ronnie Hawkins, Jack Elliot, Roger McGuinn et Joni Mitchell la somptueuse... Exerce une louable profession. Un souffleur de verre bleu. Un virtuose de l'harmonica. Un bluesman, un vrai, a poussé la réalité jusqu'à faire deux ans de prison à Rikker Island, l'Alcatraz new-yorkais... Depuis l'est devenu une figure légendaire de Montréal, l'a joué avec tout le monde, n'est jamais en rade d'un bar pour l'inviter à cornemuser, lui, sa compagne choriste Bella Godmer et son guitariste Jimmy Jamers, trio extrême blues. Vous ne le connaissez pas, Marie Desjardins nous campe un personnage, vous ne l'avez jamais entendu, vous l'aimez déjà. Magie des mots et du style.

    VIC VOGEL

    Vic Vogel ( prononcez Voguel ) est un personnage qui s'inscrit dans la même lignée que Jim Zeller. Enfin c'est juste le contraire, Zeller est né au début des années soixante, il pose ses pas dans la grande tradition, blues, rock, country, punk, Vogel près de trente ans avant, né en 1935 comme Gene Vincent, mais ce n'est pas un rocker, provient d'un autre courant celui du jazz. Je ne le connaissais pas, il est une sommité en son pays. Pour le situer selon un paysage très français, nous reconnaissons que les entrées sont rares, il fut en 1961 au piano l'accompagnateur du trio vocal les Double-six.

    FAMILLE ROCK PLEURE AVEC FAMILLE JAZZ

    ( 26 septembre 2019 )

    Encore un article où il n'y a rien à dire. L'on arrive trop tard, Vic Vogel est mort. Marie Desjardins relate son enterrement ( 23 / 09 / 2019 ) pour Pop rocK. CA. Des mots qui sonnent juste. Forte charge émotive. Photos de Léo Giguère.

    LA VIE DEVANT SOI !

    MARIE DESJARDINS

    CHEZ LES SOUVERAINS ANONYMES

    ( Janvier 2014 )

    ( You Tube )

    Qu'est-ce que ces souverains anonymes ? Marie Desjardins ferait-elle partie de ces neuf Supérieurs Inconnus censés régenter le monde ? Entre nous soit dit, les résultats obtenus ne sont guère brillants, mais il est inutile de s'appesantir sur les débats qui divisent depuis plus d'un siècle les milieux hermétistes. Pour ceux qui voudraient en savoir plus, nous vous indiquons chez Baglis TV, l'intervention de Philippe Pissier : Crowley et les Supérieurs Inconnus. Nous avons chroniqué à plusieurs reprises les traductions d'Aleister Crowley établies par Philippe Pissier, pour les amateurs de rock nous rappelons que : qui dit Crowley dit Jimmy Page, et qui dit Page dit Led Zeppelin. Mais ici nous empruntons une fausse piste, il ne s'agit pas de rock mais de jazz.

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    Quand je vous aurai susurré à l'oreille que Les Souverains Anonymes n'est qu'une émission de radio, et que Marie Desjardins a fait paraître une biographie intitulée : Vic Vogel, une vie de jazz en 2013, vous croirez avoir tout compris : ben oui, Marie Desjardins est interviewée pour parler à la radio de son denier bouquin. Elémentaire mes chers Watson, mais vous êtes comme ces chasseurs qui tuent la mouche, mais ratent l'éléphant sur lequel elle était posée. Désolé mais vous êtes passés à côté de l'essentiel.

    Apportons quelques précisions. Encore une fois nous arrivons trop tard, l'émission est censée s'arrêter au mois de mars 2009. Elle a débuté en 1989. Mohammed Lotfi en est le concepteur et le présentateur. Elle est enregistrée à Bordeaux. Au Canada. Non je plaisante. Pour ne pas pleurer. Ce n'est pas à Bordeaux, mais à la prison de Bordeaux. Sise à Montréal. Au début, vous avez droit à une vingtaine de gars assis face à face, au fond un tam-tameur et c'est parti pour cinq minutes d'un chant syncopé à saveur africaine. Se lèvent tous et font une haie d'honneur comme devant les églises pour la sortie des mariés, mais c'est Marie Desjardins qui passe sous cet arc de triomphe frémissant.

    L'est jeune, toute belle, à l'aise, pas intimidée, du moins en donne-t-elle l'apparence, mais elle a un sourire rayonnant qui embellit le monde et qui peut-être fausse votre appréhension de la situation. S'assoit sur la causeuse vis-à-vis de son interviewer et commence à répondre aux questions. Tout ronronne, oui elle a côtoyé très régulièrement durant trois ans Vic Vogel, bien sûr qu'il est devenu son ami. Certes il lui a donné le droit d'écrire ce qu'elle veut, ce ne sera pas une autobiographie autorisée, cette liberté est un bon point en sa faveur, sans cet accord indispensable elle n'aurait pas fait le livre, mais ce qui la retient chez cet homme de plus de soixante-dix ans c'est son intransigeance. Un homme tout d'une pièce. Qui ne négociait pas ses exigences. Si vous n'étiez pas d'accord avec lui, vous n'aviez plus qu'à vous retirer. Tant pis pour vous. Tant mieux pour lui. Ne s'est jamais écarté de son chemin. L'a connu le succès, l'a connu les échecs, l'oubli, et une reconnaissance tardive. En sourit. Ses proches, ses musiciens sont là pour témoigner de sa droiture, de sa rigueur, de son honnêteté intellectuelle et musicale. Un maître reconnu et accepté. Le gars qui refusait les concessions, mais on l'adorait.

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    Il ne s'est pas fait tout seul. Ici l'émission prend un virage, mais si vous n'êtes pas un auditeur familier, vous ne vous en apercevez pas. Il n'était pas né avec une cuillère d'argent dans la bouche. Fils d'une famille d'immigrés polonais. Mais son père lui donnera un trésor. Certes il mangera à sa faim, certes il sera aimé, même si gamin il se sent délaissé par rapport à son frère malade qui accapare l'attention de ses parents, mais tout cela n'est rien : son père lui offre la liberté. Peut courir et venir à sa guise, ce qui ne veut pas dire qu'il peut faire n'importe quoi, son père lui transmet une certaine éthique toute simple, tout ce que tu auras c'est parce que tu l'auras conquis par toi-même. Marie Desjardins ne répond pas aux questions à la va-vite, celles-ci d'ailleurs poussent à la réflexion, incitent à l'auto-questionnement, l'on sent qu'ici l'on n'est pas en promotion, que l'on n'attend pas des réponses convenues, et Marie est la première à soulever les écailles du serpent pour faire apparaître ce qu'il y a dessous. On la sent passionnée et sereine. Elle n'est pas venue pour vendre un bouquin mais pour parler d'un homme entier.

    L'émission pourrait se terminer là. Vous en ressortiriez satisfait. Même si vos détestez le jazz, vous sentez que vous venez de rencontrer une pointure. Quelqu'un qui sort de l'ordinaire. Mais le plus beau reste à venir. Martin, Youssef, Pascal, prennent successivement la place de l'interviewer, ils ne sont pas là pour poser des questions. Mais dire ce qu'ils ont ressenti en lisant le livre. Ce sont des prisonniers, d'âge et de culture différents. Le rapport au livre n'est pas toujours facile. Ils veulent approfondir leur rapport à Vic Vogel, ce n'est pas Vic qu'ils veulent connaître, inutile de leur refiler sa discographie complète, mais leur propre vie, mieux comprendre leur vécu, mesurer leur manquement et leurs efforts par rapport à la manière dont Vic a mené son existence, ils ne sont pas venus les mains vides, que ce soit un poème de leurs propres mains, un dessin ou une récitation, ô cette récitation du Vaisseau d'or d'Emile Nelligan, cet Hölderlin canadien foudroyé, jamais je ne l'avais reçu avec une telle force. Je ne sais pas comment j'aurais réagi - sûrement avec balourdise - à la place de Marie, mais non Marie est à l'écoute, attentive, rassurante, l'on sent que si ses hommes se dévoilent si intensément, c'est parce qu'elle est là, que ses gestes, ses acquiescements, ses sourires de miel discret inspirent confiance et confidences existentielles. Quand elle sortira, tous viennent la remercier et lui serrer la main. Les derniers de la file sont les plus malins, ils lui font la bise, n'allaient pas laisser partir une jolie fille comme ça, et puis cette heure a été follement émotionnante...

    Marie Desjardins donne cette impression de se comporter dans la vie comme avec ses personnages dans ses livres. Elle accompagne les êtres de chair ou de papier, et les éclaire de son sourire radieux. Pas plus. Ni moins. Ariane au fil tendu sur les abîmes intérieurs.

    Damie Chad.

    JOHNNY AND THE HURRICANES

    ROCK 'N' ROLL FOREVER

    ( Coffret / CD 13 / 2002 )

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    On retrouvait toujours un ou deux titres de Johnny And The Hurricanes à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix, sur les anthologies old-rock'n'roll, on écoutait une fois, et quand on y revenait on sautait le morceau pour aller au plus vite au gros Domino ou ia tornade Jerry Lou. C'est un peu injuste – mais le monde est rempli d'injustices. L'on ne peut pas dire que Johnny Paris le leader des Hurricanes n'ait pas été persévérant, s'est battu jusqu'au bout de 1957 à 2005. Pas étonnant que Johnny soit mort le jour de la fête des travailleurs en 2006. Question longévité, dans leur catégorie font jeu égal avec les Shadows qui levèrent le pied en 2009...

    Les Hurricanes ont un peu triché, certes il y eut des changements chez les Shadows, mais Johnny Paris a vu passer, près - ou plus - de trois cents musiciens dans sa formation. Evidemment comme pour nombre de groupes, ce sont les débuts qui sont les plus intéressants. Difficile pour un groupe musical de se renouveler, les Hurricanes finiront par enregistrer à leur manière des reprises de succès déjà connu d'un vaste public. Mais en leur commencement aidés par leur manager ils proposèrent quelques compositions de leur cru.

    Les Hurricanes eurent leur titre de gloire. A posteriori. Non pas d'avoir accompagné sous le nom de The Orbit le chanteur de rockabilly Mack Vickery - ses compos furent reprises par Jerry Lee Lewis, Waylon Jennings, George Jones, Johnny Cash – mais lorsque le succès décrut ( très vite ) aux USA, nos petits gars de Toledo ( Ohio ), visitèrent l'Europe et eurent en première partie de leur show au Star Club de Hambourg : les Beatles !

    Ce cd n'est en rien un original, l'est toutefois sorti sous licence Charly, il fait partie d'un coffret dit économique de 21 CD's, le vingt-et-unième reprenant un titre des vingt premiers...

    Johnny Paris : saxophone / Paul Tesluk : orgue / Dave Yorko : guitare / Lionel Mattice : guitare / Tony Kaye ou Bill Savich : batterie.

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    Red river rock : ( 1959 ) : si dans les premières secondes l'on peut se dire, diable ils ont un bon son électrique, l'on a l'oreille squattée par une espèce de cristallerie adjacente, un peu guillerette c'est l'orgue de Paul Tesluk, à l'époque c'était nouveau, aujourd'hui cela fait un tantinet vieillot, ça sonne un peu comme un synthétiseur, et ça prend de l'espace que l'on préfèrerait occupé par le saxo de Johnny Paris. Malgré la ''modernité'' du son, cela évoque les grands espaces américains, tout à fait normal, cette rivière rock prend sa source dans une vieille chanson de cowboy intitulée : Red River Valley. En tout cas il y a de beaux solos de guitare introduits par des espèces de concrétions sonores rétractatrices. Beatnick fly : ( 1959 ) : ne vous croyez pas à l'époque des beatniks, faut remonter dans le temps des Minstrels, vers 1848 la chanson s'appelait alors Jimmy Crack Corn, ça commence tout doux, elle fut souvent utilisée comme berceuse, ici elle dégommerait bien, si ce n'est que les tralala-tralalères de l'orgue sont embêtants mais la guitare et le sax se répondent super bien. Reveille : ( 1959 ) : l'on est un peu interloqué, l'on aimerait que ce morceau soit une diatribe musicale contre l'armée américaine, mais non, vraisemblablement un plan commercial : ni plus ni moins que la reprise des notes du réveil des soldats au petit matin dans leur chambrée, après le boum-boum de la batterie ce sempiternel et maudit clavierclaironne dans nos têtes, les guitares s'en donnent à cœur joie, Bill Savich à la batterie mène bien l'assaut. Crossfire : ( 1960 ) : superbe, cette fois l'orgue est totalement supplanté par le saxophone et nous voici enfin en plein rock, les guitares crachent joliment leur venin, splendide. Quand on écoute cela, on comprend pourquoi ils ont plus tard repris Misirlou de Dick Dale. Rockin' Goose : ( 1964 ) : ce qu'il y a de bien c'est que vous voyez comment ils se sont partagés le travail, le sax imite le cri de l'oie et pendant ce temps l'orgue bat des ailes, et quand le volatile s'arrête de voler, ils rockinent tous à fond. En poésie on appelle cela de l'harmonie imitative. Là c'est tellement bien fait que vous n'avez pas envie d'abattre la bestiole d'un coup de fusil. Money Honey : ( 1960 ) : l'argent a toujours fait courir les hommes, eux ils galopent, la fameuse syncope du morceau ils vous l'expédient au sprint, une course d'équipe. Remportent la coupe aisément. Se permettent même de gueuler Money Honey, sûrs qu'ils sont de passer la ligne en tête. La vitesse et le style. Applaudissements. Down yonder : ( 1961 ) : se sont tous ligués contre l'orgue, mais celui-ci n'en finit pas de rouler sur son chemin comme le petit bonhomme de pain d'épice, le sax lui fait la nique, la batterie essaie de l'écraser à coups redoublés de grosses caisse, les guitares lui démontrent qu'elles font mieux que lui, mais non rien ne l'arrête, le chiendent repousse toujours. Ja – Da : ( 1961 ) : vieux standard de jazz de Bob Carleton, un truc facile à jouer que les musicos envoyaient quand l'attention du public se relâchaient, genre rythmique obsédante qui vous rentre dans la tête pour ne pas en sortir. Un peu insipide, par contre quand les guitares s'amusent à briser le rythme ça ressemble méchamment à Tequila des Champs sortie en 1958... High voltage : ( 1959 ) : pour la haute tension c'est un peu raté, faut attendre le milieu du morceau, un superbe passage, un truc à devenir fou d'amour, mais la sottise envahissante reprend au bout de vingt secondes. Minnesota fats : ( 1962 ) : Minnesota Fats fut un célèbre joueur de billard, et là on s'y croirait, tout y est, la fièvre, le suspense, les paris, la mafia et ses tueurs... la mort qui rôde à pas de chat velouté sur le tapis vert. Old smokie : ( 1961 ) : si vous êtes condamné à mourir à petit feu sur la chaise électrique, ne demandez pas comme dernière volonté que l'on vous passe ce morceau pendant votre supplice, il vous importunerait grave, vous auriez l'impression que ça n'en finit jamais, super beau solo de sax, mais l'orgue sautillant vous nargue grave. Revival : ( 1960 ) : un peu le même que le précédent. Vous commencez à vous ennuyer. Un trottinement rythmique tellement insupportable que l'orgue est obligé d'improviser un petit solo presque agréable. Salvation : ( 1961 ) : un peu militaire, c''est quand même mieux que la fanfare de l'armée du salut surtout ce solo de guitare qui semble s'être trompé de décennie, sonne ultra seventies. Whatever happens to baby Jane : ( 1962 ) : qu'est-il arrivé à Baby Jane, faut regarder le film pour le savoir, vous traite le thème sous forme de gospel, avec chœur féminin, ma foi le solo d'orgue manque d'amplitude religieuse. You are my sunshine : ( 1960 ) : l'on dit que c'est le morceau qui a été le plus repris, une belle chanson d'amour, ils vous la passent à la moulinette du twist. Vaut tout de même mieux écouter la version de Johnny Cash. Farewell, farewell : ( 1961 ) : dans le traitement du son vous ne pouvez pas ne pas penser à Duane Eddy, un bel écho sur le sax, mais une fois de plus l'orgue vient casser l'ambiance. Ce piano cybernétique a peut-être apporté une note d'originalité en son temps mais il a aussi empêché les Ouragans de souffler plus fort. Une marque de fabrique qui a stérilisé l'imagination et qui s'est transformée en gimmick redondant. L'on sent que le groupe n'a pas exploré toutes ses possibilité. Des gars hyper-doués qui se sont enfermés en une formule. A écouter non pas pas comme le passage de témoin mais le chaînon auto-sabordé entre Bill Haley et la prégnance électrique d'Eddie Cochran, mais sans doute venaient-ils trop tard, ou alors ils n'ont pas senti le sens du vent de l'Histoire...

    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE 456 : KR'TNT ! 456 : MYSTERY LIGHTS / RON ASHETON / AMHELL & HER BACKDOOR MEN / ROBERT JOHNSON + GREGOIRE HERVIER / VINCE TAYLOR + OLIVIER LORQUIN / TONY MARLOW / JUKEBOX + HALLYDAY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 456

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    19 / 03 / 2020

     

    MYSTERY LIGHTS / RON ASHETON

    AMHELL & HER BACKDOOR MEN

    ROBERT JOHNSON + GREGOIRE HERVIEUX

    VINCE TAYLOR + OLIVIER LORQUIN

    TONY MARLOW / JUKEBOX + HALLYDAY

     

    Magical Mystery Lights tour

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    The Mystery Lights ? Attention à Too Much Tension, cet album paru sur un sous-label de Daptone en 2019. C’est mastérisé par Gabe Roth, mais Roth qui est un orfèvre en matière de Soul n’y connaît rien en matière de garage. Pour aggraver encore les choses, Mike Brandon chante bizarrement. Il dispose d’une espèce de voix juvénile à la mormoille, mais elle ne fait pas bon ménage avec cette volonté de garage sixties clairement affichée. De toute évidence, ils cherchent un style. On se demande ce que ça peut valoir sur scène.

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    Les cuts paraissent si faibles. Ils multiplient les essais de petite pop inerte. Avec «Wish That She’d Come Back», ils s’enlisent dans une sorte de médiocrité latente. Ils vont même tenter le coup du post-punk avec «Thick Skin». C’est affreusement pauvre. Ils bardent leur morceau titre de spoutnicks en forme de cache-misère. Cet album fait mal au cœur. Ils n’ont rien dans le ventre, rien dans les mains, rien dans la culasse. Quand on arrive au cut numéro 11, on se tire une balle dans la tête.

    Pour les voir sur scène, c’est encore plus compliqué : il faut attendre que les usines arrêtent d’exploser. Ils étaient programmé une première fois au moment où l’usine du coin a explosé, alors tout a été annulé. Les voilà re-programmés dans les Nuits de l’Alligator, alors c’est l’occasion de se faire une idée précise sur la valeur de ce groupe dont la presse anglo-saxonne dit si grand bien. Mais l’écoute préalable de leur dernier album, Too Much Tension, fait entrevoir la possibilité d’un concert pénible. Dommage que l’album soit raté. Rien de pire que d’aller voir un concert avec un mauvais a-priori. C’est comme une punition. Mais aller voir un groupe au pif sans rien connaître, c’est encore pire. Il est mille fois préférable d’entrer dans l’univers d’un groupe inconnu avant de le voir jouer, car ça aiguise les sens. Et ça donne quelques repères.

    Bon alors ?

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    Eh bien, sur scène, ces New-yorkais d’adoption s’en sortent avec les honneurs. Ils sont mille fois et même dix mille fois meilleurs sur scène qu’en studio. Rien à voir. C’est le jour et la nuit. Inespéré ! De les voir sauver la soirée, ça remonte le moral. Ah comme ces mecs sont bons sur scène, surtout le chanteur guitariste, Mike Brandon, un petit mec exubérant qui saute partout et qui semble même se retrouver en compétition avec Pat Beers des Schizophonics. Ah pour sauter, il saute, il bondit et il rebondit, il shebamme, il powe, il bloppe et il wizze dans tous les coins de la scène, prenant à peine le temps de revenir au micro pour chanter un couplet.

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    À sa façon, il donne une leçon de tenue de scène, il montre qu’on peut arpenter des dizaines de kilomètres sur scène en une heure de concert, il va et il vient entre tes reins, il file au vent mauvais du garage d’automne et danse la javanaise des démons, c’est un fantastique embraseur d’imaginations, il fait son business en rigolant, pas les doigts dans le nez parce qu’il gratte sa gratte, mais s’il le pouvait, il le ferait, car pour lui, c’est enfantin d’exploser la scène d’une salle rouennaise, pour le plus grand bonheur des amateurs d’Alligators. Quand on voit jouer un mec comme Mike Brandon, il faut bien en profiter et ne pas en perdre une miette, car ce genre d’asticot bondissant ne court pas les rues. Réussir un tel tour requiert plusieurs critères : un corps léger, des baskets au pieds (ça permet de rebondir plus facilement), une technique de guitare bien au point (essaye de sauter en l’air en grattant des accords, tu vas voir si c’est facile !), une bonne chevelure (car l’esthétique est reine en ce domaine), une foi dans le garage forcément inébranlable et, petite cerise sur le gâteau, un brin de charisme, car c’est lui, le charisme, qui permet de faire passer tout l’ensemble plus facilement. C’est comme un suppositoire : ça agit immédiatement. Ce mec dispose de tout l’arsenal de la jeune rock star, il est extrêmement présent et immensément sympathique, on le sent ravi d’être sur scène, il sourit en permanence et semble se préoccuper du bien-être de son public, ce qui ne court pas non plus les rues. On a vu trop de groupes qui s’en battaient l’œil assez ostensiblement.

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    Mike Brandon est l’âme la plus charitable du garage américain contemporain, enfin quand on dit garage, ce n’est pas tout à fait exact. Ils sont dans un son sixties et privilégient les accents psyché, notamment dans les solos et les ambiances. Mike Brandon joue avec sa guitare sanglée haut sur la poitrine et par moment, on jurerait voir Jorma Kaukonen. Il en a le look et la posture. Peut-être pas la technique, il ne faut pas exagérer, quoique par moments Brandon claque des choses assez fines sur sa demi-caisse sanglée bien haut.

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    Pas facile de sortir un cut du lot. Les Mystery Lights n’ont pas à proprement parler de chansons, ils ont de quoi tenir une bonne heure sur scène, mais ils n’ont pas encore de hits comme pourraient en avoir des groupes comme les Schizo ou les Cynics. La force du set repose uniquement sur le charisme de Mike Brandon. Il porte ce groupe à bouts de bras et fait le show.

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    Bon batteur, oui, une fille aux claviers qui fait un peu pot de fleurs, un mec bien tatoué à la basse et un petit bras-droit sur une Vox Teardrop qui bricole des ambiances bien pysché à coups de réverb, mais rien de très différent de tout ce qu’on a déjà vu mille et mille fois. Un groupe garage ressemblera toujours désespérément à un autre groupe garage. Le seul truc qui fera la différence, c’est un mec comme Mike Brandon. On pourra dire exactement la même chose de Pat Beers pour les Schizo ou de Michael Kastelic pour les Cynics. C’est le charisme qui décide de tout et principalement du destin d’un groupe. Mike Brandon est d’autant plus balèze à ce petit jeu qu’il doit faire oublier les souvenirs de ses deux albums ratés. Alors bravo !

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    L’auto-titré Mystery Lights date déjà de 2016. On sent très vite chez eux un goût prononcé pour la bonne bourre. «Follow Me Home» coupe assez bien la chique, avec sa mise en place et ses éléments déterminants. Il suffit d’un waouuh placé au bon endroit pour emporter la partie. Ils tapent dans le mille avec leur «I saw you walking/ Walking down the street». Avec leur petit garage, on sent qu’ils cherchent à s’introduire dans le monde des géants de la terre. Mais ce n’est pas facile. «Too Many Girls» accroche bien, car chanté à la glotte désespérée.

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    Ces New-yorkais finissent par créer leur petite sensation. Ils tapent «Candle Light» au heavy groove gorgé de réverb et d’orgue. D’un point de vue caractériel, c’est une approche très sixties. Ça flatte les bas instincts. Mais en même temps, ils ne prétendent pas réinventer le fil à couper le beurre. Ils s’affirment un peu plus avec «Before My Own», un cut plus heavy teinté de fines herbes et de psychedelia. Ils terminent cet album laborieux avec «What Happens When You Turn The Devil Down». C’est trop sixties, trop ancré dans un temps révolu. Les groupes de garage commettent souvent cette erreur. Ils ne cherchent pas à moderniser leur son. Même avec la meilleure volonté du monde, ils ne parviennent pas à déclencher l’enfer sur la terre. Les bonnes intentions ne suffisent pas. C’est plein de son et d’effets à l’ancienne, mais l’extension du domaine de la turlutte, ça se mérite.

    Signé : Cazengler, mystery larve

    Mystery Lights. Les Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 15 février 2020

    Mystery Lights. Mystery Lights. Wick Records 2016

    Mystery Lights. Too Much Tension. Wick Records 2019

     

    Voir Ron et mourir

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    John Wombat mérite largement le qualificatif de bec fin. Après s’être entiché de Bryan Gregory au point de lui consacrer un livruscule, voilà qu’il récidive avec Ron Asheton. Bon, c’est vrai, on vénère tellement Ron Asheton qu’on accueillerait n’importe quelle publication le concernant à bras ouverts, mais The Stooges, Destroy All Monsters & Beyond n’est pas n’importe quelle publication. C’est même le contraire du pensum officiel. John Wombat a réussi l’exploit de publier un book qui, vu d’avion, offre la consistance d’un book de référence, mais qui est en réalité bricolé avec les moyens du bord. Wombat a ramassé toutes sortes de clopinettes, du bric et du broc, des bouts d’interviews, des coupures de presse et des photos tirées de la collection personnelle de Niagara et du Colonel Galaxy. Cette étrange démarche flirte dangereusement avec l’amateurisme, et c’est probablement cette absence de ton qui sonne juste, si l’on part du principe que Ron Asheton sut rester toute sa vie un mec singulièrement ordinaire. C’est en tous les cas le message que veut faire passer Wombat dans sa conclusion : «Warm, caring and generous nature», c’est-à-dire un homme de nature chaleureuse, attentionnée et généreuse, qui proposait une musique «unorthodox, creative and down to earth», ce qui veut dire ce que ça veut dire. Rien n’est plus down to earth que le son des Stooges. Comme si la source de cet immense fleuve qu’est la culture rock remontait à Ron Asheton et Muddy Waters. Ou à Scotty Moore et Chuck Berry, c’est comme vous préférez.

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    La pertinence de cet ‘ouvrage’ tient dans le fourmillement de petites informations, de celles dont on se nourrit dans les cas d’adorations compulsives. Wombat profite d’un raid éclair dans les années d’enfance du guitariste des Stooges pour faire la lumière sur une espèce de gros malentendu : Ron a huit ans quand il regarde à la télé avec son père des séries documentaires consacrées à la Deuxième Guerre Mondiale. Le côté complètement barré des discours d’Hitler capte aussitôt son imagination. Crazy motherfucker ! Ce n’est pas tout : le kid Ron est frappé par l’élégance des uniformes allemands, exactement de la même façon que le fut le kid Lemmy en Angleterre. Flash esthétique. D’où le gros malentendu : Lemmy et Ron seront ensuite obligés d’expliquer aux journalistes qui ne comprennent rien que l’idéologie ne les intéressent pas. Ron s’en branle. Sa came, c’est l’esthétique et les crazy motherfuckers. Peut-on imaginer un Ron Asheton sans croix de fer ? Non.

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    Deuxième point fondamental de la genèse ashetonienne : Ron a dix ans quand son père lui offre une guitare. Pas n’importe quelle guitare, une Martin. Il alterne les leçons d’accordéon et de guitare. Son chemin semble tout tracé. Troisième point fondamental de la genèse ashetonienne : il tombe en pâmoison devant un feuilleton comique télévisé qui s’appelle The Three Stooges. Les conneries des Trois Stooges exacerbent chez lui un sens de l’humour déjà très développé. Il les vénère au point de devenir président de leur fan club. Il raffole de leur madcap antics et connaît toutes leurs répliques par cœur. Un peu comme nous autres Français avec Coluche. Donc voilà la triple racine de la mandragore mythique : uniforms, guitar & comedy act. Magnifique et tellement américain ! Et tout ceci se déroule à Ann Arbor, un patelin situé à 90 km à l’Ouest de Detroit, en plein cœur du Middle West. Une sorte de trou du cul du monde.

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    Le premier copain d’enfance de Ron s’appelle Scott Morgan. À l’école, Scott voit des gamins écraser un œuf sur la tête de Ron, alors il vole à son secours et leur fout une raclée. Puis il emmène Ron au lavabo pour le nettoyer. Bien des années passent. L’ado Ron et son poto Dave Alexander décident d’aller passer quatre semaines en Angleterre. C’est le premier grand épisode de la légende ashetonienne. Ron se coiffe alors comme Brian Jones, porte un levis et des mocassins blancs, oui, comme ceux qu’on peut voir à l’intérieur de la pochette de Fun House. À Londres, Dave et Ron ont de la veine : ils voient jouer les Yardbirds et les Who. C’est le Colonel Galaxy qui raconte cette histoire, telle que la lui a racontée Ron. Après le concert des Who, tout le monde se retrouve dans un pub. Ron et Dave aperçoivent les Stones dans un coin. Dave demande s’ils peuvent s’asseoir près d’eux et Keef répond : «Sure, where are you guys from ?» Vous venez d’où les mecs ? Ils répondent qu’ils viennent des States. Quand Pete Townshend demande ce que les friends from the States veulent boire, Ron et Dave répondent en chœur : «Ice cold Red Stripe !» Ce qui fait éclater de rire toute l’assemblée. Dans le pub, on ne sert que de la Guinness tiède. Pour les Anglais, la Red Stripe c’est du piss water. Jagger s’assoit à côté de Ron et met le pied de sa chaise sur celui de Ron. Ron s’écarte. Ça recommence une deuxième fois. Au bout de trois fois, Ron comprend que ce n’est pas accidentel. Il se dit : «Waow, c’est dingue, il y a ici le même genre d’enculés que chez nous !» Pendant ce temps, Dave discute le bout de gras avec Bill Wyman et charmé par Bill, il prend la décision d’arrêter la guitare pour passer à la basse. Playing bass could be cool ! En rentrant chez eux, Ron et Dave prennent une autre décision : ils vont se consacrer au rock. C’est définitif ! No turning back. On monte un groupe ! Bye bye normal world. Ils montent les Dirty Shames, avec Scott (le petit frère de Ron), et un mec nommé Bill Chetham. Ils tapent dans les Byrds («The Bells Of Rhymney») et le Sir Douglas Quintet («She’s About A Mover»).

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    Et là on entre dans un nouveau chapitre de la genèse des Stooges : les visions. Celles d’Iggy et bien sûr celles de Ron. Comme chacun sait, Iggy commence par battre le beurre dans un collège band dont il parle très bien dans Total Chaos : The Iguanas. Iggy comprend très vite que d’autres gens battront toujours mieux que lui. Il part à Chicago jouer dans des groupes de blues et un jour il s’assoit au bord du fleuve avec un joint pour réfléchir - I had a brainstorm - «Et j’ai pensé que je pourrais prendre les mêmes thèmes, les mêmes attitudes, le même sens de l’espace pour en faire une musique urbaine blanche et délinquante.» Ce type de brainstorm en solitaire porte un nom : on appelle ça une vision. Il continue son brainstorm et se pose la question : «Avec qui pourrais-je bien partager cette vision ?» Il pense immédiatement aux frères Asheton qu’il connaît - Je voulais monter mon truc, et les deux seules personnes qui pouvaient me suivre étaient ces délicieux délinquants. Des school dropouts. Ils ont perdu leur père. Aucune discipline. Mais ils adorent la musique et ont du charisme - L’histoire a prouvé qu’Iggy voyait juste. Plus tard, au moment de Fun House, il aura une autre vision, telle que la rapporte Don Galucci : «C’est un album enregistré avec une approche qui n’était pas du tout conventionnelle à cette époque. Ils ne recherchaient pas le son produit, mais la restitution du son qu’ils avaient sur scène. Ils dégagèrent tout ce qui était lié aux techniques d’enregistrement, les panneaux d’isolation et tout ça, pour ramener leurs amplis face à face. Iggy ne voulait pas du son de studio qu’il avait sur le premier album. Pour éviter tout problème, il utilisa sa propre sono chant. Il eut aussi l’idée de ramener Steve MacKay pour donner encore plus de volume au son. Iggy prenait à l’époque du LSD quotidiennement et se montrait incroyablement créatif.»

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    L’anecdote la plus marrante à propos de Fun House est sans doute celle des Doors, qui au même moment enregistraient Soft Parade, leur quatrième album, au même endroit. Jim Morrison épiait Ron qui traversait la rue pour aller acheter une bouteille de bourbon dans l’épicerie d’en face. Ron l’apprit lorsque l’épicier lui raconta le jour suivant que Jim Morrison était venu lui demander quelle marque de bourbon il avait achetée. C’est le genre de détail qui fait marrer Ron Asheton. Il apprit aussi que le miroir du studio était une glace sans tain et que Jim Morrison s’en servait pour épier les Stooges. «Alors que je perçais mes boutons, le roi Lézard me voyait, de l’autre côté du miroir ! God knows what he thought !»

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    Ron cultivait lui aussi des vues intéressantes. The Psychedelic Stooges, c’est lui. Il demande l’autorisation à Moe Howard des Three Stooges d’utiliser le nom. No problemo - Yeah ! Use the name as long as you don’t have a comedy group or something - Ron allait aussi rendre visite à Larry Fine, un autre Stooge. Il lui amenait des cigares et du whisky. Raw Power ? Ron ne s’étend pas trop sur ce chapitre un peu trop compliqué. Pour lui, c’est le premier album solo d’Iggy. On n’est plus dans les Stooges - I didn’t play guitar. It belongs to James and Iggy - Quand après la fin des Stooges, Ron songeait à revenir dans le circuit, il joua un moment avec l’idée de monter un Stooges/MC5 hybrid avec Wayne Kramer, mais son plan échoua car en 1975, Brother Wayne se fit coffrer pour trafic de dope.

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    En 1977, Ron occupait un appart à Los Angeles. Pas un rond. Pas de groupe. Il cherchait désespérément à redémarrer. Comme Iggy roulait sur trois pattes, on ne pouvait plus compter sur lui. Alors Ron mena l’enquête pour retrouver la trace de Jimmy Recca qui avait été le dernier bassiste des Stooges et il fit venir à Los Angeles l’ex-batteur du MC5 Dennis Thompson qui se rongeait le cul à la vinaigrette dans le Michigan. Ron exultait, il disposait d’une section rythmique explosive - A dynamite rhythm section ! - Ils se mirent à répéter, répéter, répéter. Bon les gars il faut trouver un nom. Pouf ! The New Order ! Bon, les gars, il faut trouver un chanteur. Pouf, des annonces ! Un petit mec se présenta, un certain Jeff Spry. Bonne voix. Ron jubilait. Good guy ! C’est lui qu’on entend sur l’A de The New Order paru en 1977 sur un label français. «Declaration Of War» et «Hollywood Holiday» sonnent bien le tocsin, mais c’est Jimmy Recca qui vole le show. Il faut l’entendre voyager dans le son. Wow, un vrai gamme-boy ! Mais Ron n’allait pas jubiler longtemps : Jeff se fit poirer au volant avec un gros nez rouge et des drogues dans le sang. Direction le ballon. Ron dut tout reprendre à zéro avec un autre chanteur, Dave Gilbert. C’est lui qu’on entend sur la B de The New Order. Pas du tout la même voix. «Rock’n’Roll Soldiers» est typique de ce rock des seventies mal chanté qu’on entendait sur des tas de disques de prog anglais, même si Ron veille à la densité du son. «Of Another World» flirte un moment avec le prog et soudain, ça décolle : voilà typiquement le genre de cut dont on ne se méfie pas et qui vient percuter l’occiput de l’undergut. Ron Asheton redevient le maître d’œuvre que l’on sait, il développe de beaux accents harmoniques chargés de captivants regains dramatiques. Eh oui, ce diable de Ron profite de cette occase en or pour jouer la carte de la mélasse.

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    Bon les gars, faut qu’on se bouge le cul ! Pouf, la tournée ! Ron misait sur les références Stooges et MC5 pour attirer du monde, mais ça ne lui suffisait pas. Il voulait en plus du trash et il eut l’idée de monter un plan killer : il engagea un faux tueur qui après une altercation allait abattre le groupe sur scène. Calibre chargé à blanc et poches de sang. Pour faire bonne mesure, Ron rajouta un fausse cervelle, histoire d’horrifier les gonzesses du premier rang. Après l’échange d’insultes prévu - Motherfuckers ! - le killer fit feu, pif paf, Ron et les autres s’écoulèrent avec de la cervelle partout, panique générale dans le club et descente de flics. Ron se pâmait de rire, mais pas les flics. La réputation du groupe commença à enfler sérieusement et Kim Fowley vint proposer le jackpot à Ron en faisant venir lors d’un prochain concert son contact chez Mercury et un gros tourneur américain. Le concert eut lieu au Starwood, à Los Angeles, en présence du showbiz. Sold out ! Dave Gilbert arriva sur scène, bwwaarg, bwwaarg, incapable de se souvenir des paroles. What the hell ! Can’t sing ! Viré ! Fin du jackpot. End of the New Order. Ron rentra à Detroit la queue entre les jambes. Comme il avait emprunté du blé à un usurier, il avait tout perdu : ses disques, ses fringues, ses guitares et des objets nazis. À poil. Mais comme il le dit si bien, from bad comes good : cette sublime déconfiture allait lui permettre de rencontrer Niagara.

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    Il existe un album de démos de New Order qui s’intitule Victim Of Circumstances. On entend Dave Gilbert ruiner le morceau titre avec son chat perché. Mais dans «Sex Drive», Ron s’amuse comme un fou. Il semble même s’accommoder de l’horrible chat perché du pauvre Gilbert. Pendant qu’on va pisser un coup, Ron passe une petite vrille en loucedé. C’est encore Jimmy Recca qui fait le show sur «1975 No Taboos». Dommage que Gilbert chante si mal. Ron améliore l’ordinaire comme il peut. Il faut le voir noyer «Sidewinder» dans les clameurs et partir en maraude. C’est un guitariste extraordinairement inventif et mobile, il déboîte toujours sans prévenir.

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    Au début des années quatre-vingt, Ron part jouer an Australie avec Dennis Thompson et les mecs de Radio Birdman. Ils baptisent leur conglomérat New Race et un album live paraît en 1982 : The First And The Last. Tous les stoogés du ciboulot se sont jetés dessus, bien sûr. Mais ils se sont très vite aperçus que les compos de Tek ne fonctionnaient pas. Trop prétentieuses, tout le contraire de Ron. Forcément ça coince. «Gotta Keep Movin’» sonne très MC5, mais il faut se farcir des cuts comme «Breaks My Heart» ou pire encore «Sad TV», ce mauvais rock qui a coulé tant d’albums dans les années quatre-vingt. Et puis soudain, la vie reprend tout son sens avec «Loose». Ron sonne le glas et fait la différence, lookout ! Le pauvre Rob Younger doit faire son Iggy, mais il lui manque l’essentiel : la voix. On est down under, poor Rob tente le tout pour le tout, et derrière, Ron se marre, le deep inside n’est pas bon, alors que fait Ron ? Il part en vrille miséricordieuse pour cacher la misère et Dieu nous est témoin que ça gicle dans tous les coins. Ron enchaîne avec «November 22 1963», un cut composé en souvenir du killing de Kennedy et qu’on retrouvera dans Destroy All Monsters. Assis à l’arrière de la décapotable, Kennedy prend une balle en pleine tête, avec une Jackie all over his brains. Très ashetonien comme formulation et en prime, ça swingue. Comme Ron a de la suite dans les idées, il revient à l’un de ses vieux fantasmes : combiner les Stooges avec le MC5, alors wham bam ! Voilà «Looking At You». Pour rendre hommage à Brother Wayne, Ron nous plonge dans la friteuse du MC5. L’album se termine avec «Columbia». On y voit Ron monter un mur du son à mains nues. «Columbia», «Loose» et «Looking At You» sont les trois raisons d’écouter cet album. Tek qui est alors dans l’armée offre à Ron les fameuses tenues de camouflage qu’il continuera à porter jusqu’à la fin, à la ville comme à la scène.

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    Autre petite parenthèse : en 1992, Ron revient jouer à Los Angeles avec The Empty Set. Aux yeux de Len Fagan, Ron réanime tout simplement le spirit des Stooges, quinze ans après la fin du groupe. L’album Tim Slim & None/Flunkie en témoigne. Fagan se demande même ce que serait devenu le monde si Ron avait pu donner une suite aux deux premiers albums des Stooges. Michael Davis fait partie de l’aventure et dès «Roman Holiday», Ron voyage dans le son, il balaye tous les doutes. On le voit sauver les meubles de «Same Boat» à coups de démesure. Il passe par derrière les cuts et leur rectifie le portrait, un par un. Dommage que Ron Devore chante si mal. Ron doit jouer en suspension pour contrebalancer l’absence d’iguane. Il plane comme un vautour sur le medley «Don’t Know/1969», il redevient le son du son, c’est-à-dire le fils du dieu Son, il file dans l’au-delà de la disto, il liquéfie l’oh mind ouh ouh et envoie tout balader dans le cosmos. Sur la partie live de l’album (Flunkie), Ron attaque son vieux «TV Eye» avec une violence terrible. C’est ce qu’on appelle dans les bas fonds une version au vitriol, l’une des versions définitives.

    Ron passe les années quatre-vingt dix dans deux groupes, Dark Carnival et Destroy All Monsters. L’ex-bassman du MC5 Michael Davis fera encore partie de l’aventure. Profitons de cet épisode pour tracer un parallèle entre John Lennon et Ron : Lennon se maque avec Yoko Ono et Ron avec Niagara. Ce qui nous donne deux couples éminemment destructo-créatifs.

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    En imposant la présence de Yoko Ono dans le cercle magique des Beatles, John Lennon provoqua une belle catastrophe. Il suffit de voir Yoko chanter dans le Rock’n’Roll Circus des Stones, tourné en 1968 et commercialisé trente ans plus tard. Les Stones avaient invité la crème de la crème du gratin dauphinois, Lennon, Clapton, Taj Mahal, les Who, l’early Jethro Tull. Tout allait bien jusqu’au moment où Yoko Ono apparut, accompagnée de Lennon, de Clapton et du violoniste Ivry Gitlis, pour, comment dire, pas chanter, mais crier un truc débile qui s’appelle «Whole Lotta Yoko». «Ferme ta gueule !», criaient les gens devant leur télé, mais elle n’entendait pas. Son cri est tellement strident qu’il fait mal aux oreilles. C’est une simple provocation. Cette séquence permet d’imaginer ce qu’ont pu endurer les trois autres Beatles. Yoko traînait en permanence dans le studio. Ils ne pouvaient plus la schmoquer. Lennon voulait sans doute trancher avec l’aspect commercial de la beatlemania. Il s’intéressait de près au trash arty, celui de l’art moderne et des happenings dont Yoko Ono s’était fait une spécialité dans les galeries d’art londoniennes.

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    Et c’est là où le parallèle avec Ron Asheton saute aux yeux. Comme Yoko, Niagara vient du monde de l’art moderne. Elle s’est taillée une réputation d’artiste scénique dans le milieu universitaire de Detroit, elle fait des performances, elle peint et publie des choses très graphiques. Le portrait de Ron en couverture du livre de Wombat, c’est elle. Elle œuvre au sein d’un collectif. Elle monte sur scène avec des musiciens. Évidemment, elle chante comme une casserole. Mais c’est pas grave. Ron Asheton débarque un jour dans le collectif. La démarche arty du collectif l’intéresse. Il aura éventuellement une liaison avec Niagara qui est plutôt sexy. Elle n’hésite pas à se produire sur scène dans des tenues suggestives : lingerie noire, bas résilles et cuissardes. Le book de Wombat regorge d’images de Niagara en petite tenue. Qu’elle chante comme une casserole, ça ne gêne pas Ron. Au contraire, ça semble même l’amuser. D’autant plus qu’il vient de se séparer du meilleur chanteur de rock de l’époque, Iggy Pop. Comme Ron a toujours eu un faible pour le trash et les crazy motherfuckers, accompagner Niagara sur scène lui convient parfaitement. Le contraste est terrible. Les fans des Stooges qui le suivaient à la trace ne comprenaient plus rien. C’était le monde à l’envers.

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    Leur groupe s’appelle Dark Carnival. Ils commencent par sortir un album live qui en a tétanisé plus d’un à l’époque, parce qu’il propose deux reprises des Stooges complètement massacrées et deux reprises des Dead Boys chantées par Cheetah Chrome d’une voix de soudard ébranlé de la cervelle, cette voix blanche qui fait rire dans les films comiques, et qui fout les jetons dans les bars mal fréquentés. Franchement, ce live n’est pas celui qu’on emporte sur l’île déserte. Pourtant, le premier morceau est intéressant. «Here It Comes» sonne comme une stoogerie d’ambiance funeste. Puis Ron envoie gicler ses rivières de notes dans «Price Of Admission». Le morceau accroche bien. Pourquoi ? Parce que Niagara ne chante pas. C’est aussi bête que ça. Mais les choses se corsent avec une petite série de compos Niagara/Asheton : elle arrive en gueulant. Si on aime le trash, ça va. Si on ne supporte pas d’entendre une gonzesse chanter faux, alors ça devient horriblement compliqué. Niagara fait sa lionne de train fantôme. Elle chante avec des éclats rouges. La reprise de «Wanna Be Your Dog» dépasse l’entendement et bat tous les records de trash, y compris ceux de John Waters. Ron tente alors de calmer le jeu en attaquant délicatement «TV Eye». Derrière lui, ça joue. Niagara entre là-dedans comme dans du beurre et ça devient atrocement déviant. Elle chante tellement faux ! Ron se venge. Il met le turbo. Il n’a jamais aussi bien joué. Tous les fans de Ron Asheton doivent écouter cette version de «TV Eye». Derrière lui roule un bassman énorme nommé Joe Hayden. Toujours ce gros son sur «My Best Friend». Niagara arrive là-dedans comme Babar dans un jeu de quilles. S’ensuivent les reprises des Dead Boys. Niagara se jette dans «Ain’t Nothing To Do». Ça donne un trash qui dépasse les bornes du trash, atroce et juteux, à l’image du jus qui coule du fruit trop mûr qu’on écrase dans sa main. Ron remet le turbo. Il se marre. La pire chanteuse après le meilleur chanteur du monde, il fallait oser ! Ron envoie deux fois plus de purée qu’à l’ordinaire et les choses prennent une tournure monstrueuse. Autre reprise diabolique : «I’m Loose». Niagara plonge dans le fleuve de lave que vomit la guitare de Ron. Elle hurle tout ce qu’elle peut. C’est tellement atroce qu’on en pleure. Et Cheetah Chrome vient achever ce Welcome To Show Business Live comme on achève un fusillé, d’une double balle dans la nuque : deux reprises des Dead Boys dont on peut largement se passer.

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    Ron ne se dégonfle pas. Il continue son Dark Carnival. Tous les fans le suivent comme des petits chiens, Ron va par là, alors on va par là. Ouaf Ouaf ! Oh, il va aussi par là ? Alors on y va aussi. Ouaf Ouaf ! Le deuxième album de Dark Carnival s’appelle The Greatest Show In Detroit. Il remonte bien le moral des petits chiens. Album superbe. On s’est hélas habitué à la présence de Niagara et Ron semble en pleine forme. D’ailleurs ça démarre avec une fantastique reprise du hit de Robert Calvert, «The Right Stuff», mais sans Niagara. La voici de retour avec un «Anyone Can Fuck Her» qu’elle prend au chat perché. C’est son truc. Comme elle va chercher ses accents très haut, Ron vole à son secours. Preux chevalier. Globalement, leur fourbi tient bien la route. Niagara crée une ambiance de voûte céleste trash. Elle revient à la charge avec un «Party Girl» bordé par Ron et par la basse funk de Joe Hayden. Scott Rock Action bat le beurre. Drôle de mix : du Ron, du funk et de la folle. Bien vu. Art Lyzack chante deux de ses cuts, «Streets Of No Return» et «Just Another Mystery». Il s’en sort avec les honneurs, car c’est du rock de Detroit solide comme une emboutisseuse de General Motors. S’ensuit une version du «No Right» des Stooges qui entre directement dans la postérité, grâce au bronze que coule Ron. Les grosses pièces se trouvent en B. D’abord un «Wanna Be Your Dog» que Niagara prend à l’exacerbée. Elle vise la grandeur tutélaire. Puis on tombe sur un «These Boots Are Made For Walking» en forme de coup de Trafalgar. Ron nous stooge ça jusqu’à l’os du crotch, il sort le Grand Jeu, il repeint la mine du roi Salomon, il tire à boulets rouges et démâte tous les vaisseaux de l’amirauté, il dévaste tout, absolument tout. Si on n’a pas encore compris qu’il était le plus grand guitariste d’Amérique, c’est qu’on a rien compris du tout. Avec le fatal «TV Eye» qui suit, on assiste à un phénomène extraordinaire : l’envol des Stooges sans Iggy. Scott bat comme un dieu viking. Apparemment, c’est Art Lyzak qui chante. Encore une bombe avec «Bomb For Whitey». Section rythmique de rêve. Les trois mamelles du Carnival : le beat de Scott Asheton, la basse de Joe Hayden et la rythmique de Ron. Ô puissances des ténèbres ! Ron boucle son bouclard avec un extravagant solo amazonien.

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    The Last Great Ride n’a plus grand chose à voir avec les Stooges, hormis deux titres qui nous réconcilient avec la vie puisque Ron les riffe : d’abord «Cop’s Eyes», pur stomp stoogien de la première heure, groove unique au monde, digne du down in the street et du real cool time, binaire à souhait, dumbé jusqu’à l’os et wahté à la perfection, dans l’esprit du maybe call mom on the telephone. Puis «Bang», stompé sans pitié, tapé au beat mortel de la mortadelle, celui qui fit la grandeur des Stooges. Cette pièce s’ajoute au crédit du débit. Ron nous ramène au cra-cra de garage. LJ Steele bat comme un beau diable, d’une frappe bien lourde. On admire le big bassmatic de Peter Bankert. Pour Ron, c’est du gâteau. Rien ne vaut une bonne section rythmique. Niagara prend ses accents canaille, et pour une fois, on se régale. Quant au reste de l’album, c’est un peu lugubre. Niagara essaie pourtant de lui donner un certain élan. L’album est dédié à la mémoire de Lester Bangs. Long Gone John veille au grain, car The Last Great Ride sort sur Sympathy For The Record Industry, gage de qualité. Ron wahte «I Died 1000 Times» comme un fou. Il explore des contrées lointaines. Il se prend pour Marco Polo. Voyageur intrépide, il ne craint ni la mort ni le diable. Il relève les défis. Dommage que Niagara ait une voix si ingrate.

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    Ron et Niag ont un autre groupe qui s’appelle Destroy All Monsters. Ils s’entourent d’autres musiciens et se consacrent à une musique plus expérimentale. Ron fait venir Michael Davis qui est au chômage technique. L’album Bored propose quelques cuts entreprenants. Hélas, la voix de Niagara ne s’arrange pas. On peut même dire que ça dégénère. Mais elle se bat. Elle sait que tous les fans des Stooges l’écoutent, alors elle se surpasse. On aurait aimé savoir comment l’aider à l’époque. Et puis soudain, un cut sauve l’album : «Meet The Creeper», monté sur un tempo stoogien. Ron scande «Meet the creeper», ça prend la tournure d’un hit planétaire, mais quand Niagara ramène sa fraise, tout s’écroule. Alors Ron reprend : «Meet the creeper ! Meet the creeper !» Il veut sauver son Creeper. En vain. Niagara n’en finit plus de ruiner ses efforts. Ça devient un jeu - Do me a favor.

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    Pas la peine de suivre Destroy All Monster à la trace. Leur parti-pris est celui d’un projet expérimental. Ils font de l’anti-rock, un mélange d’arts graphiques, de vidéos et de bruitisme. Dans ces cas-là, il vaut mieux aller faire un tour ailleurs. C’est un peu comme si on visionnait un film expérimental sans les images. Il faut se débrouiller avec une espèce de bande-son, comme c’est le cas avec Silver Wedding Anniversary, le live du Reunion Tour de 1995, mais sans Ron Asheton. Niagara se retrouve entourée de trois mecs (Mike Kelley, Cary Laren et Jim Shaw). Pour paraphraser le Professeur Choron, on s’y fait chier comme un rat mort. Niagara harangue le public, elle fait sa folle primitive, mais ça ne marche plus. Le seul morceau écoutable de ce disque pourtant sorti sur Sympathy est «That’s My Ideal», chanté trash par l’un des mecs du groupe et on se fout de savoir qui c’est. Abandonnons Niagara à son destin et félicitons-la d’avoir partagé l’intimité de Ron Asheton. Comme Yoko Ono, elle a réussi à se faire un nom dans l’histoire du rock, peut-être pas de la façon la plus orthodoxe qui soit, mais en ayant partagé la vie d’un géant, elle mérite sa part de légende.

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    Rebondissement spectaculaire : Munster sort en 2015 un fantastique coffret blanc intitulé Destroy All Monsters. Une vraie bombe ! On y retrouve les deux époques du groupe, avant et pendant Ron Asheton. L’avant Ron est un peu difficile, comme le montrent «I Want To Live» ou «Magic Bag», shoots de garage en forme de visites de mondes perdus, que la pauvre Niagara chante atrocement mal. «The Queen» est même monté sur les accords de «Gloria». Mais à partir du moment où Ron arrive, ça devient fascinant. Il joue «You’re Gonna Die» à la note tirée et revient sur le killing de Kennedy avec «November 22, 1963». On retrouve aussi l’excellent «Meet The Creeper». Le creeper, c’est Ron - Creeper/ Meet the creeper - Et il le solote all nite long. Avec «What Do I Get», tout s’électrise. Michael Davis pousse à la basse. Ils repartent du bon pied avec «Nobody Knows». Niagara chante comme une casserole, mais Ron joue killer comme au temps des Stooges. Il n’a rien perdu de sa stupéfiante hardiesse. Avec «These Boots Are Made For Walking», Ron augmente la mise. Il tape dans l’extatique. La pauvre Niagara chante si mal qu’elle ne se rend plus compte de rien. Ron explose tout au riffage et il part en vrille comme ce Stuka que vient d’abattre la DCA anglaise. Zwwwwwwwawkkk ! Une stoogerie de plus. Tiens, encore une : «Anyone Can Fuck Her». Pour une fois, Niagara ne chante pas trop faux. Ron fait les chœurs. Riffs d’Ann Arbor. Il est LE son. Puis il embarque «Enough Is Enough» pour Cythère en solotant comme un crazy motherfucker. Pur Detroit Sound ! Dommage que Niagara ne soit pas aussi douée qu’Iggy. Mais ça fait partie du jeu. Ron se marre. Nouveau festival avec «I Just Wanna Be Sleepy» ! Ron casse la baraque dès l’intro. Il crée les conditions de l’exaction. Dans les tranchées, Ron ne fait pas de prisonniers. Il les grille tous comme des saucisses. On entend même Ron et Michael Davis se battre à coups de basse et power-chords. Avec «Bored», ils nous offrent l’une des intros du siècle. Ils vont au-delà de tout ce qu’on peut imaginer. C’est bom-bar-dé de son. Le MC5 rivalise de sauvagerie avec le Stooge. Ron repart en vrille, c’est plus fort que lui. Il est certainement le plus beau killer de l’histoire du rock, et ça, on le savait dès le premier album des Stooges. L’énorme «Party Girl» qu’on entend là est enregistré live à San Diego. Michael Davis joue en solo, et derrière, Ron lâche sa purée, tout ça sur fond de chœurs malades. Ces gens-là brûlent tout sur leur passage. Ron part en solo sur un tapis de rave de basse. Le son ! Good Lord, le son ! Ron repart à l’aventure, il ne vit que pour ça. Beautiful beast ! Un riff définitif emporte «Little Boyfriend». Ça monte vite, très vite en température. L’über-Ron y veille. Il claque tout à l’accord lance-flamme. Retour au legendary stuff avec «The Right Stuff». Ron défonce la rondelle de cette énormité à coup de solo pulvérisateur. Lui et Michael Davis drivent ça aux pulsions fondamentales. Ils ne génèrent que de la fournaise. Ron joue ce cut à la dementia carabinatus. Pendant qu’il part dans son délire de vrille, le pouls du cut continue de battre comme si de rien n’était. Alors Ron monte au chant avec Niagara et les voilà en transe ! Ce «Right Stuff» est avec celle de Monster Magnet la version définitive.

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    Ron et Niagara vont vivre ensemble un certain temps, puis elle finira par se marier avec le Colonel Galaxy, l’ex-pilote automobile qui manage le groupe. Comme il a encore des connexions dans le monde automobile, il branche Ron sur un boulot bien payé : livrer des Porsches et d’autres bagnoles de sport à travers les États-Unis pour le compte d’une boîte. C’est payé 125 $ par jour et tous les frais sont pris en charge. Tous les frais ? T’es sûr ? Oui, trois repas par jour, dans les restos de ton choix. Ce sont les restos qui intéressent Ron. Alors le Colonel et Ron deviennent the Gallopping Gourmets, une sorte de gang trash. Ron aime la bonne gamelle et s’en met plein la panse. Il s’arrête dans les meilleurs gastos d’Amérique. En partant de Detroit, il faut compter quarante heures de route pour atteindre Los Angeles. Quinze heures pour atteindre New York. Il fait ça pendant deux ans, de 1987 à 1989.

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    Ron fait aussi du cinéma. Et là ça devient assez drôle car il peut renouer avec ses racines, the crazy motherfucker & The Three Stooges. Il commence par jouer dans Frostbiter - Wrath Of The Wendigo, un film d’horreur underground. L’action se déroule dans les bois du Michigan où rôde justement Wendigo, l’esprit des bois. Ron et les autres personnages vivent dans une caravane. Ce sont des vacanciers. Une nuit, Ron aperçoit Wendigo rôder dans les bois. Il revient à la caravane et déclare : «It’s big, man, real big !» Ce qui plaît infiniment au réalisateur Tom Chaney, sensible au génie trash de Ron. Dans Hellmaster de Douglas Shulze, Ron joue le rôle d’une nonne diabolique baptisée Mama Jones. Schulze pense que cet insane role ne peut convenir qu’à une insane rock’n’roll guitar legend, et il ne se trompe pas. Ron a du charisme. En plus, il ne la ramène pas. Il sait rester low key. Ça plaît beaucoup aux gens du cinéma. Tom Chaney refait appel à lui pour Mosquito. Ron y joue le rôle du Park Ranger Hendricks. Des moustiques ont sucé le sang d’un extra-terrestre mort et s’en vont semer la terreur, ce que les Anglais appellent un gory rampage. Ron joue ensuite dans Legion Of The Night de Matt Jaissle. Un certain Professor Bloom travaille sur la régénération des tissus des morts et bien sûr, il crée des super Zombie Killers. Dans ce film, Ron joue le rôle de Russell, l’assistant du Professor Bloom, cousin éloigné du Professor Von Bee.

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    Côté musique, c’est le calme plat. Appelons ça le calme avant la tempête. En 2001, J. Mascis monte the Stooges Project avec Mike Watt et les frères Asheton. Ils tournent pas mal aux États-Unis et embauchent chaque soir un nouveau chanteur. Quand Iggy entend parler de ce Stooges Project, il reprend contact avec Ron. Il l’appelle pour lui demander si ça l’intéresse de venir jouer sur son album Skull Ring. Pas si simple. Ron n’a pas vu Iggy depuis 25 ans. Mais bon, Ron n’est pas rancunier, c’est même un gentil mec et il descend voir Iggy chez lui en Floride - I was a little nervous - Ron est un peu nerveux, Iggy le sent et le met tout de suite à l’aise. En quelques minutes, tout rentre dans l’ordre. Le cauchemar de Raw Power est oublié. Skull Ring fait le carton que l’on sait. Paru en 2003, Skull Ring pourrait bien être l’un des meilleurs albums d’Iggy, car c’est une sorte de retour aux sources, c’est-à-dire aux Stooges. Le festival commence avec «Little Electric Chair». Iggy y pousse des cris de jouissance. Ron et Scott l’accompagnent et ça claque des mains comme au bon vieux temps de «No Fun». Iggy renoue avec ses yeahhhh d’antho à Toto. Ron semble jouer son va-tout. Il dote aussi le morceau titre d’un solo magistral. On se croirait dans un film de Tarantino. C’est un cut frénétique, monté sur le riff ultime. On retrouve les Stooges dans «Loser». Iggy dit qu’il ne peut plus continuer à vivre. Ron joue comme un démon, en suspension. Il prend un solo oblique qui entre dans le cut comme dans du beurre. Par contre ce sont les Trolls qui accompagnent Iggy sur «Perverts In The Sun», une belle pièce de dementia à la Raw Power, puis sur «Whatever», une espèce de grosse pop épaisse chargée de bonnes doses de destruction massive. Iggy l’éclate aux cris d’orfraie. Il renoue avec le magistère définitif. Ce sont aussi les Trolls qui accompagnent Iggy sur «Blood On Your Cool», mais ils foirent tous les ponts.

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    Tiens, puisqu’on est dans les retrouvailles, Scott Morgan invite Ron à venir jouer dans Powertrane et un superbe Ann Arbor Revival Meeting paru en 2002 (et tout juste réédité) témoigne de ces retrouvailles bénies de dieux. Ron Asheton glisse 5 jetons dans la fente : «1969», «Wanna Be Your Dog», «Down In The Street», «No Fun» et «TV Eye». Ron match. Boom ! Scott fait son Iggy et il le fait bien. Ron joue sa meilleure carte, celle du génie imputrescible. This is the Ron stuff. Le cocktail Ron/Powertrane est aussi explosif que celui du Sonic’s Rendezvous. Mais on peut aussi écouter les autres cuts : Scott tape un «Ready To Ball» écrasant de supériorité. On admire l’extraordinaire architecture du smashing dévastatoire, c’est riffé à la féroce et gueulé par dessus les toits. Un guitariste nommé Robert Gillespie incendie la ville d’un coup de killer solo flash. Lost in Ann Arbor with the Detroit Blues again. «Blood From A Stone» démet quelques vertèbres. Ces mecs jouent à outrance. S’ensuit un «Taboo» qu’on va retrouver sur l’autre album de Powertrane, un blast de white hot Soul. Ils tapent aussi dans le répertoire du Sonic’s Rendezvous avec «Earthy», un cut qui ravale la façade du rock, qui la nettoie au chalumeau. Tout est très dynamique sur cet album. Scott repart toujours fièrement au combat et il semble que sur scène, le son soit encore plus explosif qu’en studio. Il tape aussi une magistrale version de «Love & Learn» et donne l’extrême onction à «What Gives». Ils jouent ça à la nowhere man de no limit. Scott s’en revient hanter les remparts de «Dangerous», tel un héros du moyen-âge risquant sa vie à chaque seconde. Mais dans l’underground, la vie d’un héros ne compte que pour du beurre.

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    Comme un parfum de reformation des Stooges flotte dans l’air, les renards du désert quittent leurs terriers pour partir en chasse. Les organisateurs du festival de Coachella contactent le bureau d’Iggy et proposent une grosse valise de billets pour UN concert de reformation des Stooges. Okay. Pose la valise ici. Iggy fait confiance, il ouvre jette un coup d’œil sur les billets. The deal is done. Mais le soir du concert, Ron a l’impression de monter à la potence. C’est risqué. Les Stooges n’ont plus vingt ans - It was either going to glory or hell - Quitte ou double ! Mais comme ils jouent tous leurs classiques, c’est-à-dire les deux premiers albums, ils passent comme des lettres à la poste. Iggy réalise que le groupe n’a jamais été aussi bon et dans la foulée de Coachella, il propose à Ron et Scott de reformer les Stooges pour de bon. Mais attention, Ron veut que ça soit à parts égales. Il ne veut pas revivre le cauchemar de Raw Power, lorsque les frères Asheton étaient payés pour accompagner Iggy. Pour Ron, il s’agit des Stooges et non d’Iggy & the Stooges. C’est bien clair ?

    L’incroyable de toute cette histoire, c’est que Ron et Scott ont vécu quasiment toute leur vie dans une forme de précarité. Ron n’est pas dépensier, donc il a su maintenir un train de vie minimaliste qui lui a permis d’éviter de se lever le matin pour aller bosser. Par contre, Scott a une famille à nourrir, donc il doit aller au chagrin, le plus souvent comme chauffeur de taxi. Alors bien sûr, quand le blé de la reformation des Stooges arrive, c’est l’Amérique ! Ils n’ont jamais palpé autant d’oseille ! Pour la première fois de sa vie, Ron peut s’acheter une bagnole. Le Colonel Galaxy raconte qu’il passe des week-ends au bord du lac avec Ron. Ils pique-niquent en se payant du pain et des fromages qui coûtent la peau des fesses, il s’offrent les meilleures bouteilles de vodka et de whisky. Avec la reformation des Stooges, Ron empoche 100 000 $ par concert. Avant ça, il se faisait péniblement 10 000 $ dans l’année. De la même façon que Lemmy, Ron commence à se payer de vrais objets nazis de collection. Il vit encore là où il a toujours vécu, sur High Lake Avenue, mais il achète à sa poule Dara une maison dans le voisinage. Il s’achète aussi une cabane de plage à Lake Huron, où il peut se planquer pour guetter Wendigo.

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    C’est l’époque des shows du grand retour dans le monde entier, avec en France un Bol d’Or et surtout un Zénith qui va rester aux yeux des fans l’équivalent de ce que fut la découverte du Graal pour les chevaliers de la Table Ronde. Petite cerise sur le gâteau, Skydog sort Telluric Chaos, en écho au Metallic KO d’antan. C’est enregistré au Japon et ça part sur les coups de cymbales de Scott. Aw look out ! Baaam, «Loose» ! Ron entre dans la danse. C’est resté intact. Ron part en maraude de wah. Il redevient le pape des kids et joue avec d’antiques férocités. Ces démons enchaînent avec «Down In The Street» - No wall ! No wall ! - Ça n’a pas pris une seule ride. Ron is on the run. Il attaque «1969» à la wah - Awite ! - Iggy salue les kids de 1969 all over the USA, bien épaulé par le bassmatic de Watt. Wow ! Ron krakatoate dans un ciel rouge de wah. Iggy annonce alors a fucking animal song : «Wanna Be Your Dog». Idéal pour faire chanter quelques dizaines de milliers de Japonais. Ce double album fonctionne comme un roman d’aventures. À peine est-on sorti du tome 1 qu’on se jette sur le tome 2 pour savourer la fantastique riffalama de «TV Eyes». Tout repose sur le Ron way qui est une authentique diabolisation des choses et sur l’attitude fabuleusement punkoïde d’Iggy. Il se fond merveilleusement bien dans cette mélasse mirifique. Power & style, comme dans le cas des Heartbreakers, avec le poids des antécédents en prime. Pour déconner avec les métaphores, les Stooges pourraient incarner une machine de guerre du moyen-âge, haute et lourde, en bois clouté, qui avance en couinant (la wah) au rythme des tambours de guerre (Scott), that’s right, «Real Cool Time», la légendaire B-side de «1969», come over tonite ! S’ensuit le hit parfait, encore plus parfait que les précédents, «No Fun», taillé pour traverser les siècles. Quand on sera tous enterrés, des kids danseront encore sur «No Fun», with nobody else. Les Stooges sautent d’un an dans leur calendrier pour «1970». Ron ouvre les digues. Pure folie. Il libère cette stoogerie qui déferle sur le Japon et Iggy qui ne craint pas la mort se jette dedans. Il est avec Jerry Lee et Lux Interior le plus beau specimen de hellraiser américain. Steve MacKay porte la stoogerie à ébullition. C’est du feel alrite de fin du monde. Le tome 3 s’ouvre sur «Fun House» - Ouh ! Watt : Ouh ! MacKay : Ouh ! Iggy tente d’ériger «Skull Ring» au rang de classique imputrescible à coups de Skull ring/ Fast cars/ Hot chicks/ Money et tout se casse la gueule avec «Rock Star». Ron ne peut pas passer sa vie à faire des miracles. Il essaye aussi de sauver «Electric Chair» en grattant des atonalités métaboliques. Mais ça ne décolle pas. Trop lourd. Ils explosent le dernier tome avec le heavy groove de «Little Doll», l’un des grooves les plus heavy de l’histoire des heavy grooves. Ils retapent dans «Wanna Be Your Dog» pour récupérer la clameur de la ville et finissent avec «Not Right». Il faut tendre l’oreille car c’est le dernier grand solo d’un géant des temps modernes. Ron wahte pour l’éternité.

    Comme le fait de son côté Marc Zermati, Ron rappelle qu’Iggy doit absolument tout au public européen - Europe has always been Iggy’s bread and butter - «Oh boy, les Européens, spécialement les Français, sure love the Stooges.» Et il ajoute avec cette candeur extraordinaire qui le caractérise : «C’est génial de jouer pour des gens qui connaissent les paroles des chansons. Quand Iggy chante ‘Now I wanna’, il tend le micro au public qui répond ‘Be your dog’. Très poilant !»

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    Dernier chapitre de la genèse des Stooges : il enregistrent en 2007 The Weirdness. Ce nouvel album ne plait pas aux fans. Le Colonel indique que les cuts sont ceux que Niagara ne voulait pas enregistrer avec Dark Carnival. Selon lui, il s’agit des épluchures de patates. C’est vrai que dans l’ensemble, The Weirdness sonne comme un album solo d’Iggy Pop raté. Les frères Asheton ont beau batailler sur «Trollin’», le cut ne passe pas. C’est même très mauvais. Même chose avec «You Can’t Have Friends». Rien à voir avec les Stooges. C’est même assez catastrophique. Bad Pop stuff. Il faut attendre «My Idea Of Fun» pour retrouver un peu de ce son qui fit la grandeur des Stooges. C’est tiré par les cheveux, mais la grandeur revient. Ron recrée enfin les conditions de la stoogerie. Le grand shaman du sonic trash est enfin de retour. Il part même en vrille. L’autre miracle s’appelle «Greedy Awful People», claqué au clap-handy shot. Pur jus de stoogerie abdominale, Iggy s’enveloppe dans la cape de Saint-Martin et Ron balance l’un de ses meilleurs coups de wah. On voit Iggy tenter de recréer l’ambiance d’American Caesar avec «The End Of Christianity», mais ça foire complètement. On note aussi l’intervention de Steve MacKay dans «Passing Cloud», comme s’il volait au secours des Stooges en désarroi. Mais ni Ron ni Steve MacKay ne peuvent sauver un cut aussi foireux. Bye bye myth.

    Ron n’en revient pas de voir les gens bouder The Weirdness. Ça lui coupe la chique. Il demande au Colonel :

    — Mais que veulent les gens ? Ils veulent Fun House ?

    — Ben oui !

    Il n’aura pas le temps de refaire Fun House. Son cœur s’arrête de battre en 2009.

    Signé : Rond Micheton

    John Wombat. Ron Asheton. The Stooges, Destroy All Monsters & Beyond. 2019

    Iggy Pop. Skull Ring. Virgin 2003

    Stooges. Telluric Chaos. Skydog 2005

    Stooges. The Weirdness. Virgin 2007

    New Order. The New Order. Fun Records 1977

    Ron Asheton’s New Order. Victim Of Circumstances. Revenge Records 1989

    New Race. The First And The Last. WEA 1982

    Dark Carnival. Welcome To Show Business Live. Revenge Records 1990

    Dark Carnival. Greatest Show In Detroit. Revenge Records 1991

    Empty Set. Tim Slim & None/Flunkie. Flipout Gramophone Foundation 1996

    Destroy All Monsters. Silver Wedding Anniversary. Sympathy For The Record Industry 1996

    Dark Carnival. The Last Great Ride. Sympathy For The Record Industry 1997

    Destroy All Monsters. Bored. Cherry Red Records 1999

    Destroy All Monsters. Destroy All Monsters. Munster 2015

    Scott Morgan’s Powertrane. Ann Arbor Revival Meeting. Real O Mind Records 2002

    ET POUR QUELQUES STOOGERIES DE PLUS !

    DU MÊME AUTEUR :

    Voir Ron Asheton et mourir : livraison 160 : 23 – 10 - 2017 ( sur krtnt.hautetfort.com )

    Pop Art : Iggy Pop : livraison 313 : 26 – 01 - 2017

    Film : Gimme Danger : livraison 316 du 15 – 02 – 2017

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    TROYES / 14 – 03 – 2020

    3 B

    AMHELL & HER BACKDOOR MEN

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    La journée avait terriblement mal commencé. Une ignominie. Trois filles qui me posent un lapin. A 11 heures du matin, c'était OK ! '' Oui Damie, on tient nos promesses, on t'avait promis de venir exprès pour toi en Seine & Marne. Ce n'est pas un vilain corona virus qui nous empêchera de te voir'', mais deux heures plus tard, je pleurais à chaudes larmes ( de crocodile ), ''nous sommes désolées mais le concert est annulé !'' Maudit conard virus ! Combien de jours me faudra-t-il encore attendre pour entendre The Jinets, groupe fastueux qui regroupe les trois plus jolies filles du 77. En l'occurrence, Ady, Emilie et Vaness, que les lecteurs de Kr'tnt ! connaissent bien ! En plus elles n'étaient pas seules, elles emmenaient dans leurs bagages tout un lot de big boys, The Swinging Dices et le One Dollar Quartet.

    Soyons un peu stratège me dis-je, si la route de l'ouest est bouchée, prenons celle de l'est. Bref le soir j'arrivais tout pimpant au 3 B, dans tous les cas il faut faire confiance à Béatrice la patronne, elle se débrouille toujours pour vous proposer des combos de qualité. Je ne croyais pas si bien dire.

    AMHELL & HER BACKDOOR MEN

    Une fille et quatre mecs. Je vous parlerais d'abord des four boys. Pour la simple raison que le set débute par un instrumental et que Amheel se tient sagement sur le côté. Et là franchement, c'est l'horreur horrible. Ce n'est pas du rockabilly ! Au mieux c'est du swing. Au pire c'est du jazz. Et vous savez dans ce bas-monde le pire est toujours certain.

    Soyons juste, ne nous laissons pas emporter par la déception et le ressentiment. Ils ont un sax. Et un saxophone dans un orchestre c'est comme une lumière dans la nuit, une île salvatrice pour le radeau du naufragé... C'est rassurant. Ça vous met du baume sur le cœur déçu des rockers. Souffle un peu doux, Arnaud, non ce n'est pas l'aboiement rauque du rock'n'roll, mais cela s'écoute bien, à tel point que l'on oublie ses trois congénères...

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    Et puis tout change. En fait tout continue comme avant. A la différence près que Amhell toute pétulante se plante devant le micro. L'évidence vous saute aux yeux. L'est comme chez elle. Aussi à l'aise dans cet univers impitoyable de rockers que dans son jardin mollement étendue sur une chaise longue à l'ombre d'un cerisier japonais en fleurs. Se moque un peu de vous, pour le début une chanson un peu jazz parce que nous on fait un peu de tout, du swing, du blues, du rhythm'n'bues mais pas vraiment de rock'n'roll - avec ce sourire qui signifie bande de macaques mal dégrossis – mais elle est déjà à moitié pardonnée.

    Elle le sera tout à fait lorsqu'elle aura fini ses deux premiers morceaux, Till the well runs dry et Such a cutie. Apparemment deux chansonnettes aussi inoubliables que vos premières savonettes. En fait deux petites merveilles de Vynona Carr et de Big Maybelle - elle enregistra Whole shakin' on avant Jerry Lou – mais elle nous en offre des versions bien trop alanguies, exprès j'en suis sûr, vous connaissez ces espèces de blanchitudes déplorables de l'american entertainment, z'oui mais avec ce timbre de petite fille capricieuse, craquante, irrésistible, qui n'en fait qu'à sa tête, qui se joue de tout, de vous, de ses boys et d'elle-même. Et puis ce jeu, de poser sa voix où elle veut, un peu n'importe où, en équilibre, sur une terminaison instrumentale, et ce sourire espiègle, coucou je vous ai eu, tant pis pour vous, il faut suivre.

    Alors comme vous êtes un peu récalcitrant à ce jazz de supermarché et que vous êtes tout de même séduit, même si vous ne voulez pas tout à fait vous l'avouer, vous la regardez. Robe noire, talons noirs, cheveux noirs, tout est noir chez elle, sauf cette blanche protubérance charnelle des seins engoncés dans leur corsage surmontée de la neige de ses épaules d'autant plus nues que pimentées de tatous colorés, vive, joyeuse, amitieuse, complice, pétillante, comédienne naturelle.

    Les deux titres suivants allument le feu, She 'll be gone de Betty O'Brien, parce que les filles aiment leur liberté et King Size Papa de Julia Lee parce que les filles aiment les beaux mecs ( comme ceux qui essaient de me ressemler ). C'est-là qu'on s'aperçoit qu'elle a de sacrées pointures derrière elle. Je ne sais pas d'où elle sort ces musicos, mais ce n'était certainement pas des articles avariés en solde, alors Amhell la mutine badine, avec sa voix sucrée de profitérole elle en profite, elle jongle avec les lyrics, vous donne l'impression de les jeter au hasard, de s'en débarrasser au plus vite, s'amuse comme une petite folle, et plof pile-poil au bon moment, l'armoire à pharmacie est impeccablement rangée quand elle termine, alors elle éclate de rire, une cascade de notes aussi délicieuses que son ramage de merle moqueur.

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    L'enchaîne sur un standard de Georgia Gibbs Silent Lips, et l'on se dit que l'on a de la chance, que ces lèvres ne vont pas rester silencieuses durant un bon bout de temps, eh bien non, elle nous sourit et nous annonce que l'on va avoir droit à un instrumental. Sont beaux ses accompagnateurs, avec leurs fringues impeccables, leurs cheveux bien peignés et parfois même une cravate, mais enfin... bon, on les écoute, juste pour lui faire plaisir.

    Pour le nôtre aussi. Diable de guys, prenez par exemple Pascal avec sa grosse guitare, imprévisible le gars, pour le spectateur car lui il sait très bien ce qu'il fait, brutalement il vous balance une trille de notes, une poignée de louis d'or qui giclent de sa main de prince fastueux sur la table de la misérable auberge qui ne lui a offert qu'un vieux quignon de pain moisi, vous aimeriez qu'il répète ce geste de grand seigneur à l'infini, mais non subitement il se fait tout petit et rentre dans le background communautaire de l'orchestre, ces insupportables passages à vide du jazz où l'on pédale dans la choucroute... C'est alors qu'il faut prêter l'oreille à la contrebasse de Xavier. Non il ne slappe pas comme un sauvage des Appalaches, chaque fois qu'il tire sur une corde c'est comme s'il déchirait les pointillés qui séparent les timbres dans leur carnet, minutieux et rapide, une dent à chaque fois, mais avec une dextérité et une célérité étonnante. C'est lui qui impulse la sourdine diabolique, l'homme de l'ombre qui manipule l'élastique du swing sans remords.

    Dans toute société vous avez toujours des saboteurs. Ici il s'appelle David. Son rôle n'est certainement pas d'entretenir la béchamel. Au début, vous n'y faites pas gaffe. Un fieffé filou. Ne sort jamais la grosse batterie – son set est d'ailleurs chichement fourni – des effets spéciaux, style largage abominable de bombes atomiques, pour lui c'est effets spécieux, minimum de moyens, maximum de rendements. Joue le rôle du petit caillou qui dévie l'avalanche, un coup sur le rebord de la caisse claire et un tintement de cymbale sont amplement suffisants pour casser le rythme. Pas besoin de faire sauter le barrage, une légère charge de plastic sur le bon pylône et la ville est privée d'électricité. Un virtuose du billard rythmique à douze bandes. Vous avez beau tirer la chevillette des hypothèses vous n'arrivez pas à prévoir le moment fatidique où la cassure cherra. Ce qu'il y a de fabuleux, c'est qu'avec sa frappe économique il parvient à faire du bruit. Pas du vacarme, non mais chaque coup porté retentit admirablement, l'a compris que si vous voulez vous faire entendre faut d'abord vous taire, que le moindre tapotement ou coup sourd de grosse caisse prend ainsi une ampleur titanesque. La collision inopinée de voiture qui bascule dans le ravin et bouscule votre week end.

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    La diva revient. Amhell expédie Jeopardy et Scorched, d'une telle manière bondissante que vous avez envie d'aller sur le champ faire tinter les cloches de Notre-Dame, hélas c'est impossible d'y mettre le feu, c'est déjà fait, alors on suit Amhell les yeux fermés (ce dernier adjectif est un véritable mensonge, vous n'êtes pas obligés de croire tout ce que je dis ) elle nous emmène là où l'on ne pose jamais nos santiags, exemple à Stompin' at the Savoy, avec sa voix brut de pomme et de pétillance de champagne, son minois mignon d'enfant gâté qui vous tient par la barbichette et vous file une tapette mentale d'une petite phrase goguenarde. Les Backdoor Men – little girls understand - prennent la clef des champs et la poudre d'escampette interprétative, à chacun son petit solo, se repassent le bébé stylé dans la plus pure tradition jazzistique, je montre ce que je sais faire et laisse pressentir que j'ai encore des réserves. Si vous êtes sages, vous aurez une nouvelle distribution, mais ça se mérite. Le pire c'est que toute l'assistance commence à prendre goût à celle huile de foie de morue, et en redemande. En plus entre chaque titre ils entretiennent une étrange parlotte entre sketch désopilant et conciliabule de conspirateur pour savoir s'ils vont le jouer en fa ou en la.

    Trois sets, la dose coutumière du 3 B. Mais ce sont des tricheurs, vous servent de ces tord-boyaux du temps de la prohibition, vous avez le cerveau qui cuit dans son jus à vous inscrire dans un cours de jiu-jitsu, beaucoup esquissent des pas de l'ours plus ou moins balourds, voire des lindy hop frénétiques. Y a des filles comme cela, elles vous tiennent dans les doigts de leur menotte, mais Amhell elle a une poigne de fer, vous domestiquerait un doberman enragé rien qu'en entrouvrant l'exquise framboise de ses lèvres. Les gars se rapprochent d'elle lui susurrent des choses dans la rose de ses oreilles, et alors même qu'elle est en train de chanter, elle sourit gentiment et les éloigne sans problème d'un geste de la main à peine esquissé, fiers comme Artaban, subjugués de n'avoir pas été renvoyés comme des chiens battus alors qu'ils n'ont rien obtenu. Elle va même réussir le miracle auquel aucun groupe – plus d'une centaine à ce jour – n'est parvenu, détacher les gars qui tiennent le bar – c'est alors que l'on s'aperçoit que par miracle il tient tout seul – pour les emmener devant l'orchestre. Amhell est un crockronar virus, une tarentule méphitophélesque, elle prend votre âme et pour la retrouver vous êtes contraints de la suivre.

    robert johnson + grégoire hervier

    Ambiance survoltée. Le saxophone d'Arnaud n'est pas aphone, il flamboie sur tous les morceaux comme le pelage des biches qui se tiennent à l'orée des forêts pour absorber la dorure bienfaisante des soleils matinaux. Sait trompéter pour sonner la cavalcade du swing, mais ce qu'il préfère ce sont les interventions obliques, ces stratégies oblongues qui vous détournent le courant principal d'un fleuve tranquille pour le jeter dans des déclinaisons torrentueuses. Possède cette douceur traître qui vous entraîne sur les mauvaises pentes. Au bas desquelles se rejoignent étrangement les marlous du jazz et les matous du rock.

    La fin du troisième set approche. Amhell qui nous a incité toute la soirée à combattre le mal viral et coronaire par des lampées de franches boissons alcoolisées nous prévient : attention David va surgir de derrière le rideau noir. Non ce n'est pas David le batteur, mais David le régisseur, qui jaillit en tenant avec une agilité diabolique un plateau et de l'autre une bouteille au contenu safrané, passe et offre – les volontaires n'ont qu'à tendre la main - un verre à goutte débordant d'une boisson magique. Du rhum ! Avec un goût prononcé de revenez-y, délectable, un moonshine strasbourgeois qui vous fait immédiatement aimer l'Alsace. L'on finit tous en chœur en chantant à l'unisson Ding Dong Daddy qui remonte à la nuit des temps. L'on s'en moque, ce soir we saw the light, elle s'appelle Amhell.

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    Sûr on a un peu honte parce qu'elle durant trois heures nous avons oublié jusqu'à l'existence du rockabilly. Mais l'on s'en fout. Tous touchés par la grâce.

    LOST PARADISE

    Ne rêvons plus. Retournons à la dure réalité. N'oubliez pas de réviser votre leçon d'anglais : je rappelle : I am hell, you 're hell, She 's hell. Inutile d'aller plus loin. Maintenant qu'elle est partie, c'est ainsi qu'est devenue votre vie !

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot )

     

    DARK WAS THE NIGHT

    GREGOIRE HERVIER

    ( Au Diable Vauvert / Février 2020 )

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    Au Diable Vauvert est une des maisons d'éditions les plus innovantes de l'hexagone, son catalogue vaut le détour. Nous avions chroniqué dans notre livraison 336 du 06 / 07 / 2017 un des romans de Grégoire Hervier, Vintage. La figure mythique de Robert Johnson apparaissait déjà dans ce livre, au titre un peu racoleur mais à l'intrigue mouvementée. Dark was the night repose un peu sur le même schéma. Celui de la recherche de l'arche perdue du rock'n'roll, dans Vintage c'était La Moderne, la guitare de Gibson mise au point en 1957 qui ne fut jamais commercialisée. C'est un peu comme le mystère du Graal de Montségur, vous connaissez l'emplacement, vous n'avez qu'à creuser la montagne pour le retrouver... Cette fois-ci ce n'est pas un instrument que l'on recherche, mais un enregistrement, pas du premier venu, de Robert Johnson, n'insistez pas, vous possédez le coffret intégral, mais il s'agit du trentième morceau, que vous n'avez pas... Moi je sais où il se trouve. C'est explicitement expliqué à la fin de la nouvelle. C'est bête mais à cause du confinement actuel dû au virus mortel je ne peux aller le récupérer. Si vous voulez savoir et tenter votre chance vous n'avez qu'à vous procurer le bouquin. Entre nous soit dit sans vouloir me moquer de vous, à vue d'œil, je ne vous crois pas assez débrouillards pour cette tâche. N'y a que les terrestres extra comme moi qui réussiront. Ce n'est pas de ma faute si vous n'êtes pas naturellement doués.

    Un lot de consolation vous est offert, Grégoire Hervier nous présente douze morceaux de blues selon lui indispensables. Le premier est : Dark was the night, Cold was the ground de Blind Willie Johson, le douzième : Dark is the night de Ry Cooder. Serait-ce une piste, le titre de ce bouquin n'est-il pas Dark was the night, vous brûlez, vous avez raison, vous avez trouvé ! De toutes les manières on ne prête qu'aux riches... Proverbe malheureux, ni Robert Johnson, ni Blind Willie Johnson, ni Robert Lockwood n'étaient fortunés...

    Par contre Robert Johnson a bien composé Mr Down Child. Qu'il n'a pas enregistré. Ce qu'il y a de bien avec le blues c'est que dès que vous soulevez un lièvre vous trouvez un éléphant, et c'est aussi énormément touffu que le principe d'indétermination d'Heisenberg.

    En tout cas ce mini-bouquin est une très belle introduction au blues. C'est le principal.

    Damie Chad.

    ABRACADABRA ROCK'N'ROLL

    VINCE TAYLOR

    OLIVIER LORQUIN

    ( Visible sur You Tube )

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    Un court-métrage de moins de quinze minutes réalisé en 1976 par Olivier Lorquin. Vince dix ans après la dégringolade, serait-on tenté de sous-titrer. L'occasion bien sûr de voir quelques d'images d'archives – les fameux fauteuils renversés du Palais des Sports – et d'entendre Eddie Barclay donner sa propre version, un artiste incomparable, mais un garçon peu sérieux, qui s'y croyait, rien à voir avec ce bosseur de Johnny Hallyday... Le patron n'a surtout pas envie de se remettre en cause, l'est sûr que l'on ne gère pas Vince Taylor comme les petits français issus de Belleville. Il prononce pourtant la phrase la plus significative du film '' Ce qui est intéressant c'était la façon dont on a fait la promotion de Vince, auprès des gens de la haute société. '' l'on aimerait savoir comment, mais cela a sauté au montage, et quelques secondes après lorsque l'on revient à la suite de l'interview, il est en train de parler des concerts de rock qui parfois dégénéraient en émeute... L'idée ne lui vient pas de se demander s'il n'y a pas eu maldonne dès le début dans la gestion de la carrière de Vince Taylor, si l''on n'a pas laissé à Vince le temps de se tailler un public rock à sa mesure au lieu de l'enfermer dans une cage dorée. Vince a été lancé comme un produit, un coup publicitaire qui a mal tourné. L'on a offert à l'intelligentsia artistique un phénomène de foire, venez voir le grand méchant loup du rock'n'roll, approchez, approchez, n'hésitez pas à le caresser, il n'est pas méchant, mais il peut mordre, frissonnez et rassurez-vous, nous le tenons fortement par sa chaîne. Manque de chance l'adoption de Vince par les blousons noirs a brouillé le calcul promotionnel...

    Les plus beaux moments du film sont ceux où Lorquin et Marc Zermati donnent la parole à Vince, certes Vince est un peu perdu en lui-même, enfermé dans la tour d'ivoire d'une mythologie rock, mais ses propos si l'on y prête attention sont emplis d'une cohérence logique à toute épreuve. Que l'on rapprochera des textes superficiellement les plus énigmatiques d'Alfred Jarry. Et puis quand il chante, c'est monstrueux, tout est là, sans effort, une espèce de désinvolture sérieuse, Vince donne l'impression qu'il se cite lui-même, je l'ai fait, je peux le refaire, et je le referai, n'importe où, n'importe quand, n'importe comment... En prime, une très belle prestation de Moustique.

    OLIVIER LORQUIN ET LA CONNEXION MARSEILLAISE

    Olivier Lorquin né en 1949 n'est autre que le fils de Dina Vierny qui fut la dernière modèle du sculpteur Maillol. Très logiquement il s'occupe du Musée Maillol. Mais ce n'est pas cet aspect de sa personnalité que nous tenons à couvrir. Entre 1980 et 1982 Olivier Lorquin a enregistré quatre quarante-cinq tours avec La Connexion Marseillaise. Ils valent le détour. Les collectionneurs de belles pochettes se jetteront dessus, elles sont dessinées, recto et verso par Franck Margerin. L'écoute est loin d'en être désagréable. Je ne sais pas pourquoi mais musicalement cela m'a rappelé au niveau de l'impact Larry Martin Factory – peut-être par association d'idées parce que Larry a travaillé pour Vince Taylor – mais avec un petit côté nettement plus typiquement frenchy vraisemblablement dû aux paroles qui nous plongent dans cet univers rock très symptomatique de l'imagerie nationale – filles, motos, dèche, fric et flambe - telle qu'elle fut constituée de break et de brock dans les années soixante et qui perdure encore dans l'inconscient collectif. Lorquin est au chant et se débrouille bien, réussit ce miracle de balancer sans bouffer les mots, un peu à la Lucky Blondo, mais nettement plus vigoureux et énergique.

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    Discographie : Olivier Martin et La Connexion Marseillaise : 1980 : Le rock dans l'sang / J'ai un coup de cafard. 1981 : Martine tu déconnes / Coquine. 1981 : J'aime ma grenouille / Je suis un flambeur. 1982 : Le joker / Carnet de chèques.

    Damie Chad.

     

    INTERVIEW TONY MARLOW

    sur RADIO INTEMPORELLE

    14 / 06 / 2019

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    Première fois que j'écoute Radio Intemporelle, disponible sur le net et qui revendique 300 000 auditeurs. Puisque Tony Marlow était dans nos livraisons 454 et 455, aucune raison ne s'oppose à ce qu'il soit présent dans la 456. Cette fois il n'est pas à la guitare aux côtés d'Alicia Fiorucci mais au téléphone pour une interview menée par Patrick Leveille, de près d'une heure, entrecoupée de quelques uns de ses morceaux, que ce soit avec les Rockin'Rebels ou plus tard dans sa carrière.

    Patrick Leveille se révèle vite être un nostalgique des années 80, sans doute cette dilection entraîne-telle le déséquilibre de l'émission dont la moitié est consacrée aux Rockin'Rebels. Certes ce groupe formé par Tony Marlow a beaucoup compté pour sa carrière, notamment grâce à Branche Le Poste titre qui lui a assuré l'accès aux grands médias de masse. Ce qui lui a permis de réunir un carnet d'adresses qui a facilité la suite de la carrière lorsque la formation s'est séparée. L'on aurait aimé quelques détails de plus sur ses premiers groupes au lycée, et qu'il puisse s'étendre s'étendre davantage sur ses toutes premières influences, Johnny Hallyday, Eddy Mitchell – c'est Aldo Martinez l'ancien bassiste des Chaussettes Noires qui supervisera l'enregistrement de Branche le poste – Dick Rivers, et le coup de semonce du Come Back d'Elvis en 1969.

    Nous connaissons Tony le guitariste, mais Tony aime à rappeler qu'il fut d'abord batteur et que ce fut la défection du chanteur Rémi Rice des Rockin'Rebels qui finit par le porter derrière le micro. Conséquence de la conséquence : le besoin d'un instrument pour ancrer davantage le chant dans les notes. Il se met donc à la guitare. N'emploie pas par hasard le mot travail, quand on l'entend jouer. Le Marlow il ne gratouille pas à la petite semaine, l'a bossé et étudié, il suffit de lire le Numéro Spécial de JukeBox Magazine consacré à l'analyse des grands guitaristes de la génération des pionniers ( + Brian Setzer, les Rockin' ouvrirent pour la tournée française des Stray Cats ) pour comprendre qu'il sait de quoi il parle et joue. Patrick Leveille nous fait entendre Get Crazy enregistré au Kaiser Studio avec Lucas Trouble à la console, faut écouter les deux fausses fins de ce morceau, le serpent sur lequel vous avez marché et qui vous a déjà piqué, qui se retourne encore deux fois, rien que pour vous faire comprendre qu'il n'est pas content. Un peu plus tard ce sera Hot Rod Special, Tony adore imiter les pétarades des engins à moteurs destinés aux propulsions rapides, je ne sais comment il se débrouille mais il ne se départit nullement d'un fondu mélodique qui ne fait qu'accentuer la tonytruance de sa guitare. C'est un peu pareil dans Week end in Memphis, mais là c'est la voix comme voilée d'ombre qui mélodise le rythme rock'n'roll du morceau. Faudra un jour se pencher sur la façon dont Tony construit ses titres. Vous filent entre les deux oreilles vitesse grand V, et vous adorez, mais c'est comme ces monuments qui s'imposent par leur beauté évidente. Si vous avez un architecte à côté de mieux, vous comprenez davantage 

    la démarche créatrice des concepteurs. Nous sommes en 2019 et il annonce son projet blues-rock pour 2020.

    Tony fait un rapide bilan de son existence, n'est pas mécontent de lui, il a vécu de sa passion, un privilège incomparable. Certes il regrette que les médias ne s'intéressent guère aux artistes qui émargent dans des courants qui ne sont pas mainstream. Il s'inquiète pour ces tas de musiciens ou de chanteurs doués – quel que soit leur style – qui sont dédaignés par les maisons de disques. La situation qui n'était pas non plus florissante dans les années soixante-dix et quatre-vingt s'est encore dégradée. Il a eu la chance de pouvoir enregistrer son premier quarante-cinq tours chez Skydog, le label de Marc Zermati. Comme par hasard nous épinglons le nom de Marc Zermati dans la chronique précédente Et comme le hasard fait bien les choses, Tony a aussi joué avec Vince Taylor. A croire qu'il n'y a pas de hasard dans le monde du rock'n'roll !

    L'émission se termine trop vite avec cette impression d'avoir tout juste entrouvert le coffre au trésor pour le refermer séance tenante.

    Précisions intéressante : les disques de Tony Marlow sont chez Rock Paradise de Patrick Renassia , 42 rue Duraton, 75 015, voir le FB et site de la boutique.

    Damie Chad.

     

    JUKEBOX MAGAZINE

    ( Avril 2020 / N° 400 )

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    J'ai triché. J'ai commencé par la fin. Par la faute d'une fille. Evidemment. Pas n'importe laquelle. Alicia Fiorucci pour la nommer. Je regarde toujours ces chroniques sur les bouquins. Commente la bio de Brigitte Fontaine, de Benoit Mouchart parue au Castor Astral. L'on voit bien ce qui peut attirer Alicia Fiorucci chez Brigitte Fontaine, toutes deux aiment n'en faire qu'à leur tête. Je bois rarement de l'eau à cette Fontaine, mais son dernier titre dédié à notre président est des plus jouissifs.

    J'avais acheté le journal pour la couve, la collection des douze albums de Johnny Hallyday, les plus terribles, d'après la votation de l'équipe du journal. Suis un peu déçu par le traitement de l'article. Je m'attendais à un minimum de deux pages sur chaque album, avec cette précision maladive de maniaque en laquelle consiste l'irrésistible attrait du magazine. 33 ou 25 centimètre n'ont droit qu'à une colonne d'un tiers de page !

    Sont douze, chacun a choisi dans les cinquante albums enregistrés par Johnny. Grand triomphateur avec plus de trente points d'avance sur le suivant : Les Rocks les plus terribles. Et comme par hasard ( voir la chronique précédente ) l'on retrouve Tony Marlow, qui présente la merveille. Profitons bien de cette chronique marlowienne, c'est en effet pratiquement la seule qui se livre à une véritable analyse musicale de son opus maximus preferitus. Perso j'aurais mis en première position le numéro 2, présenté par Jean-Yves Billet, je vous en fiche mon billet - expression favorite de Long John Silvet l'inquiétant pirate de L'île au trésor -  Rivière... ouvre ton lit me semble la pierre angulaire hallydéenne.

    Ce genre de classement est encore plus nocif que l'introduction du Corona Virus, il risque de semer le trouble et la désolation dans les familles françaises. Disputes, amitiés brisées, divorces, meurtres et assassinats menacent de conduire le pays à la guerre civile. A lire les douze contributions, l'on se dit qu'à part Tony Marlow et Jean-William Thoury qui explicitent leurs choix selon un argumentaire musical, tous les autres se laissent entraîner par une passion dévorante. Un peu pour Johnny certes, mais surtout pour eux-mêmes. Ce n'est pas qu'ils sont de purs égotistes qui n'auraient d'yeux que tournés uniquement vers leurs petites personnes, c'est que le disque de Johnny qu'ils ont choisi les ramène aux temps souverains et glorieux de leurs jeunesse, ces jours d'intransigeance passionnée que vous ne sauriez oublier sans vous renier... Johnny est parti en 2017, les douze disques commentés ont été enregistrés entre 1961 et 1975, huit sur douze dans les années soixante. Les statisticiens nomment cela des indices générationnels.

    Bien sûr, il y a un curieux Judas parmi ces douze apôtres : François Jouffa. Les rockers se souviennent avec émotion de L'âge d'or du rock'n'roll qui au tout début de la calamiteuse décennie quatre-vingt indiquait le chemin à suivre. Il passe la première moitié de sa contribution à s'horripiler de l'horribilité de la pochette de Flagrant Délit. A l'en croire, la plupart des fans esthétiquement ébranlés par la laideur de cette horreur ne parviennent pas à écouter le disque en son entier, en style hugolien, la pochette était dans la tombe et les regardait, dans le troisième quart il reconnaît que Oh ! Ma jolie Sarah est un joyau mais il glisse très vite sur un sujet adjacent : les prochains disques de Johnny pris en charge par un unique compositeur.

    L'on regrettera toutefois que Christizan Eudeline ait coupé court à son commentaire de la photo de Insolitudes, une préfiguration de la couve de So Alone de Johnny Thunders parue cinq ans après en 1978, l'était bien parti pour une méditation philosophique.

    Il reste encore beaucoup à lire. Toutefois évitez les pages cinq et six. On se croirait au Père Lachaise, un véritable cimetière, Graeme Allwright, Ralph Danns, guitariste des Gladiators, Hector qui ne réussit jamais à être le Screamin' Jay Hawkins français, et Joey Greco, le flamboyant soliste des Rocks les plus terribles de Johnny, nous ont quittés... Comme dit mon ami Vince Rogers, c'est une génération qui disparaît... et à la page 7 rebelote sur la pelote mortuaire : Crazy Cavan et Kenny Linch... Sale temps pour les rockers !

    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE 455 : KR'TNT ! 455 : ROWLAND S. HOWARD + FRIENDS / GORILLAS / THE UNCLE BIKERS / THE PESTICIDES / CHRIS THEPS / GAST / ALICIA F ! / LAIBACH

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 455

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    12 / 03 / 2020

     

    ROWLAND S. HOWARD + FRIENDS / GORILLAS

    THE UNCLES BIKERS / THE PESTICIDES

    CHRIS THEPS / GAST / ALICIA F ! / LAIBACH

     

    La chanson de Rowland

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    Alors c’est à J.P. Shilo qu’échoit le job de l’ersatz. Et pas n’importe quel ersatz : celui de Rowland S. Howard, certainement l’un des guitaristes les plus originaux de son temps, comme le fut Robert Quine à New York. Pour s’en convaincre définitivement, il suffit de sortir de l’étagère n’importe quel Row disk, qu’il s’agisse de the Birthday Party, These Immortal Souls, Crime & The City Solution, ou bien des albums enregistrés en duo avec Lydia Lunch ou Nikki Sudden, ou encore ses deux albums solo : il s’y passe chaque fois des événements soniques assez uniques dans l’histoire de l’événementiel incriminé. Row fut un sculpteur de son exceptionnel, un authentique tisseur de soies, un Jaguar-man féérique, une espèce de force motrice qui sut, comme le fit Robert Quine avec Richard Hell, porter aux nues un rock ambitieux qui rompait les amarres avec le commun des mortels. Oh bien sûr, on ira pas jusqu’à dire que ce rock est à la portée de tous, mais il comblera d’aise les esprits curieux et enchantera les âmes aventureuses. Car c’est bien de cela dont il s’agit, d’une aventure sonique sans concession. Il ne s’agit plus de pop, ni de rock, il s’agit d’une course folle vers le néant, d’une soif d’inconnu, d’un aller simple pour les limbes. Cette musique sent parfois la mort, mais paradoxalement, son énergie la rend terriblement vivante. Les vampires incarnent eux aussi ce merveilleux paradoxe. Et Row l’incarnait mieux que personne : physiquement, artistiquement. Et J.P. Shilo ? Il fait de son mieux. On sent qu’il est fan, il était déjà là au temps de Pop Crimes, mais sa condition ne lui permet pas d’accéder à l’aristocratie.

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    C’est plus facile pour des invités comme Lydia Lunch ou Bobby Gillespie. Ils sont devenus légendaires et ils entrent dans le show comme s’ils étaient chez eux. Pas de problème, ça marche à tous les coups. Lydia Lunch est certainement la plus attendue. C’est aujourd’hui une vieille dame mais elle a suffisamment de métier pour ramener le focus sur les chansons. Elle sait encore shaker son shit, on l’a vue l’été dernier rendre un hommage spectaculaire à Alan Vega.

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    Cette fois, elle salue la mémoire de Row dont elle fut la compagne avec un «Endless Fall» rocké jusqu’à l’os de l’ass, accompagnée par Mick Harvey à la guitare acide et Harry Howard au chant. Rien de tel qu’une New-yorkaise issue du sérail de la no-wave pour rocker Paname.

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    Elle fait ensuite entrer Bobby Gillespie pour une somptueuse reprise du «Some Velvet Morning» de Lee Hazlewood. On ne sautait espérer meilleur cocktail de légendarité. C’est aussi un hit que Gillespie reprit en duo avec Kate Moss et dont on recommande l’écoute, chaque fois que l’occasion se présente. Lydia Lunch va ensuite reprendre «Still Burning», l’un de ses all times faves, dit-elle.

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    Mais c’est Bobby Gillespie qui va exploser le set un peu plus tard, avec une version demented de «Sleep Alone». Il fait son Jagger, danse le rock comme un dieu, le coule dans le groove infectueux que triture Shilo dans son coin. On croirait entendre Primal Scream, Gillespie shake le set en vieux pro du rock anglais, il ramène tout le saint-frusquin auquel on s’attache depuis cinquante ans. Gillespie fait son asperge, il en a les moyens physiques et spirituels. Encore un beautiful freak. Le tribute tourne à la féerie. C’est un peu comme si tous ces gens-là nous conviaient à un festin de mets délicieusement avariés.

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    L’autre totem de la soirée, c’est bien sûr Harry Howard, le frère de Row, le même genre de beautiful freak, même classe, même présence. Au début su set, il dédie «Marry Me (Lie Lie)» à Epic Soundtracks et le joue sur une basse Ricken rouge. Ce rock extrêmement désespéré ouvre le bal du premier album de These Immortal Souls, dont justement Epic était le batteur. Vers la fin du set, Harry Howard reviendra chanter «The Golden Age Of Bloodshed», l’une de ces chansons désespérantes qui finissent par donner le mal de mer. C’est un son dont il ne faut tout de même pas trop abuser. Ce tribute interminable va quand même durer plus de deux heures. On est content quand ça s’arrête.

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    L’instigateur de cet événement n’est autre que Mick Harvey qu’on voit jouer de tous les instrument, principalement de la batterie. Le voilà devenu entrepreneur conceptuel. C’est aussi lui qui drive le tribute à Gainsbourg et qui s’entoure pour ce faire d’un aréopage de chanteuses nubiles, perpétuant ainsi la légende d’un Gainsbarre qui avait le bec fin en matière de chair fraîche. Mick Harvey gère le tribute à Row de la même manière, en invitant sur scène des petites gonzesses toutes plus roses les unes que les autres, notamment l’excellente Jonnine Standish qui chantait déjà en duo avec Row sur Pop Crimes, en 2009.

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    The Birthday Party ? Si on y revient, c’est à cause de Row. Un album comme Prayers On Fire ne s’écoute pas de la même façon si on l’écoute pour Row. Cave met le paquet mais Row veille au grain de l’ivresse. Il sort un son très particulier, comme s’il imaginait la grande finesse d’un chaos barbare. Il semble se faufiler dans les couches en jouant un funk androïde rusé comme un renard du désert. C’est en tous les cas l’impression que donne «Zoo Music Girl». On le voit ensuite jouer de la scie sur sa gratte pour créer le climax de «Cry», un cut tapé à l’excédée tétanique. Ces mecs n’en finissent plus d’allumer autour du feu et Cave fait le fou. Mais pour une raison qui nous échappe, aucune parenté ne s’établit avec les rois du scuzz-fuzz, les Chrome Cranks. Et pourtant, le Birthday Party vise le même genre de chaos sonique. On tombe plus loin sur un «Nick The Stripper» assez rampant. Ils créent une espèce de mousse de déstructuration. Seul le drive de basse ressemble à quelque chose. Row se promène dans la pampa. Il faut l’entendre gratter à l’intentionnelle ses tiguilis de gratté de poux. C’est un son gorgé de nuances d’inceste, plein d’horribles sous-entendus, un son qui se pervertit en permanence. Row joue en parallèle une suite de chorus des catacombes. Il a comme on dit le physique de l’emploi. On les voit tourner autour du pot avec «Figure Of Fun» et derrière, Row abat un travail considérable, comme s’il décorait la voûte d’une cathédrale. Ils passent à la heavyness avec «King Ink». Heavyness, chez eux, ça veut dire Max la Menace avec un Row en strapontin de résonance. Il ne joue qu’une matière de son et quand Cave arrête de déconner, Row est là. Ils tapent «A Dead Song» en mode rockab de catacombes. Au fond du boyau, fidèle au poste, Row sonne comme un écho moisi. Well this is the end, chaos supérieur stoppé net. Cave en fait trop dans «Yard». Ils reviennent à la grosse matière avec «Dull». C’est un album dont on ne sort pas indemne. Il faut le dire aux autres. Faites gaffe les gars, n’approchez pas trop près de ce truc. Il a peut être des maladies. Bon, Row fait son travail d’habillage habituel et quand ça s’emballe, alors attention aux yeux. En rééditant l’album, 4AD a rajouté deux cuts, «Blundertown» et «Kathy’s Kisses». Row fait des miracles dans «Blundertown». Il s’installe au fond du son et gratte comme un misérable à deux niveaux. Ses petits accords inoffensifs sonnent comme de la paille, et il double avec du ciselé florentin de bloblotte. Il tisse ses trames maladives dans l’air putride d’un mauvais squat. Terminus ! Tout le monde descend avec «Kathy’s Kisses». Il faut voir ce taré de Cave rentrer dans le lard de ce mauvais funk indus. Il fait le show avec une belle hargne. On comprend qu’il ait survécu à toutes ces horreurs.

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    Leur deuxième album s’appelle Junkyard. La pochette illustrée renvoie au garage des années de braise. Ce qui frappe le plus dans le bordel de «Blast Off», ce n’est pas la voix de Cave, mais le son de Row. Il est aussi nécessaire au son qu’un squelette l’est à une tombe. Il shake it hard. Il invente un genre nouveau, le catabeat des catacombes. C’est encore Row qui ramène de la crème dans la culotte de «She’s Hit». Il travaille aussi «Dead Joe» au corps de la matière. Pas vraiment de vision, Row semble lancer des attaques. Il sait qu’il faut surprendre l’ennemi, alors il en rajoute. Il amène des choses terribles. Dans «Hamlet», Cave pousse les cris du diable confronté à un bréviaire, mais «Big Jesus Trash Can» est trop exacerbé pour être honnête. Ils se lancent dans une extraordinaire aventure d’anti-rock. À l’époque, il fallait oser. De cut en cut, Cave continue de faire pas mal de ravages et Row reste derrière, toujours en embuscade. Il fait un excellent travail de couverture. «Kewpie Doll» sonne comme une entreprise de démolition, ils sont beaucoup plus secs et austères que les Chrome Cranks. Ils vont sur quelque chose de plus funéraire.

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    Quand le Birthday Party implose en 1983, Cave et Mick Harvey montent les Bad Seeds, mais sans Row. Probablement à cause de l’hérow. Alors en 1987, Row monte These Immortal Souls avec son frère Harry, Genevieve McGuckin et Epic Soundtracks. Leur premier album s’appelle Get Lost (Don’t Lie). Ils restent dans les big atmospherix avec des cuts comme «Hey Little Child» et «Once In Shadow Once In Sun». Row y va même de bon cœur, il monte vite son swagger de heavy hey en mayo howardienne, avec le festin de notes lunatiques habituelles. L’Once in shadow est même plutôt heavy, tapé dans l’excès, c’est rampé dans un absolu de gutter groove que Row chante à l’écœurette insensible maximaliste. C’est assez puissant. On se repaît de son Once. Ce mec sait de quoi il parle. C’est tentaculaire et impitoyablement drivé dans la tourmente. Quant au reste, ça demeure assez obscur. Si t’es paumé, tu te débrouilles. Tu as voulu faire le con avec ton trip d’acide, alors ne viens pas pleurer si tu n’as plus de repères. Avec Row, telle est la règle. Il envoie ses gerbes de beautiful dégueulis éclabousser le cul du culte. Il a raison de vouloir sanctifier la glorification de l’externalisation. Il sait roamer comme un vieux crocodile épuisé dans la vase, à bout de coke et de daze, ahhh, c’mon. Ce mec te plombe la soirée facilement. Extraordinaire. Disons qu’il poursuit la mission divine de Birthday Party. Il perpétue l’ornière du mec qui ne va pas bien. Il traîne son son comme une serpillière glacée et se prend pour un languide, c’est-à-dire une grosse langue de bœuf à deux pattes.

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    Le deuxième album de These Immortal Souls s’appelle I’m Never Gonna Die Again, et c’est là dessus qu’on trouve l’un des hauts lieux de Row, «The King Of Kalifornia». Tu as tout de suite le son du mec qui ne va pas bien. Ce génie ravagé de Row ravale la façade de son heavy rock déstructuré. On peut même dire qu’il joue à la folie. C’est jeté dans le mur. Ce dégueulis sonique ressemble à s’y méprendre à une œuvre d’art. The space guitar de Row hante ce cauchemar. Mais tout cela n’est rien en comparaison d’«Insomnicide». Row y sonne la charge des éléphants de Salâmbo Bovary, c’est monstrueux, aussi monstrueux qu’un shoot de Weird Omen. Il joue à l’embolie de dégoulinure fatale. On suivrait Row jusqu’en enfer. Il est capable d’exactions extraordinaires, il gonfle ses notes comme des crapauds. Il n’existe rien de comparable sur cette terre, non, rien de comparable à cette pulsion des mille et une nuits. C’est même monté sur un riff des Stooges. Row repeint le génie, avec ce côté anglican qui lui va si bien. C’est un cut fait pour être visité. Il tartine sa pop qui va mal à longueur d’album. En fait Row est influencé par un Cave qui va mal et qui ne veut pas aller bien. Row triture son son à n’en plus finir, il triture comme un maître tourmenteur de l’Inquisition, il pousse le rock dans ses retranchements, pour le forcer à avouer des péchés qu’il n’a pas commis. «Black Milk» ? Impossible ! Le lait ne peut être noir. Mais Row en décide autrement. Il t’empale et te prévient qu’il va t’empaler le crâne si tu le fais chier, alors fais-le pas chier. Ce monde ne nous correspond plus, c’est un monde biaisé. Laisse tomber, tu ne comprendras rien. Avec «Hyperspace», Row navigue à vue. Il laboure aussi à vue. C’est un laboureur suprême, digne des grands laboureurs du Soviet Suprême. Il peut exploser n’importe quel concept quand il veut. C’est titubé et bardé d’accords malencontreux. Tu as peu de cuts qui sonnent ainsi. Row ne s’intéresse qu’au nowhere land. Row claque son cut jusqu’au bout de l’Hyperspace. Quand il chante «All The Money’s Gone», tout s’assombrit. Pas facile d’être le pape de la Tombe Issoire. Et puis voilà, il termine avec «Crowned». Merci Row pour cette partie de plaisir coupable, thank you wonderful freak. Derrière, l’Epic bat ça sec.

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    Row participe aussi à l’aventure de Crime & The City Solution, avec son frère Harry, Epic Soundtracks, Mick Harvey et Simon Bonney. Un premier mini-album, Just South Of Heaven, parait en 1985. On les voit tous les cinq au dos de la pochette, frais émoulus du moulin à café. C’est Browyn Adams qui peint le ciel tourmenté de la pochette, une sorte de Boudin qui ne va pas bien. Boudin ? Eugène, bien sûr, l’empereur des ciels. Alors dès «Rose Blue», on voit que ça ne va pas. Ils sortent un son très caviste, extrêmement pesant. Ça va mal, oh la la. Voilà un disque dont on ne fera pas ses choux gras. Rien n’est au format chanson, Row et ses amis se complaisent dans le dark atmospherix, un monde opaque, sans port d’attache. En B, c’est Harry Rowland qui mène le bal avec son stomp de basse dans «Five Stone Walls» - Going to hate those walls/ Till the day I die - Puis Row fait la pluie et le beau temps dans «Trouble Come This Morning» avec un thème spatio-temporel assez admirable.

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    On retrouve Row sur le deuxième album de Crime & The City Solution, Room Of Lights, paru l’année suivante. On peut parler ici d’un album assez dense. Simon Bonney chante à la vraie voix et «No Money No Honey» renoue avec l’esprit howardien des cauchemars gériatriques. Soudain, Row fout le souk dans la médina avec «Hey Sinkiller». Epic bat le beurre. On retrouve chez Crime la passion du big atmopsherix, et quand Row mène le bal, ça tourne au puissant délire comateux. Simon Bonney ultra-chante son «Six Bells Chime». Ce mec est une force de la nature et les arpèges surnaturels de Row l’excitent au plus haut point. Row sculpte l’espace sonore en permanence et joue des arpèges qui ressemblent à des spectres. Chez eux, tout est chargé de nuages noirs. Simon Bonney plombe d’entrée de jeu «Untouchable» et Row décore le cut de notes rondes comme des boules de sapin de Noël. Il joue ses trucs avec un sens aigu de l’apesanteur et vise de toute évidence l’apocalypse. C’est un spécialiste de la descente aux enfers, ses notes stridentes sentent bon la folie douce. On le voit aussi allumer «Her Room Of Lights», hey hey, il gratte la java des catacombes, avec un son unique au monde, si dense et si proche du rrrrring d’une roulette de dentiste, ce mec rayonne comme un soleil noir, c’est battu à la Bo Diddley et d’une rare densité maladive. Sur la version CD, on trouve des bonus dont l’excellent «Five Stone Walls» monté sur un big bassmatic impérieux. Row revient teinter le clair de la lune dans «The Wailing Wall», il gratte dans l’espace temps, il navigue au niveau qui l’intéresse et ce n’est pas forcément le tien, d’où l’intérêt de la démarche. C’est Row qui décide, comme dans «Trouble Come This Morning». Il peut jouer dans sa résonance et trouver le moyen de sortir un son terrible. Il est partout dans le son, c’est un voyageur, il rôde en permanence, il joue tout ce qu’il peut jouer avec la parcimonie d’un vampire récalcitrant.

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    Nikki Suden et Rowland S. Howard ont enregistré pas mal de choses ensemble, notamment Kiss You Kidnapped Charabanc. C’est un album assez sombre que hante le fantôme Row. Il ne faut rien attendre de ces deux là, ils ne feront aucun effort pour se rendre aimables. Leur «Don’t Explain» est assez désespérant. Ils ne sortent pas de leur routine de coups d’acou. Tout est très plombé, comme privé d’avenir. «Better Blood» est presque une chanson de vampire. Nikki Sudden ne peut pas s’empêcher de faire du Sudden avec son «Debutante Blues». Il semble toujours gratter la même rengaine, avec des faux semblants de Stonesy. Par sa finesse, la partie de slide de Row rappelle celles de Brian Jones. D’ailleurs, Row tâte de tous les instruments, sur cet album, dulcimer, bouzouki, comme le fit jadis Brian Jones. Le cut captivant de l’album s’appelle «Sob Story», du pur jus de Row joué au sonic groove des catacombes.

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    I Knew Buffalo Bill fut longtemps considéré comme un album culte, car on y retrouve un sacré conglomérat : Jeremy Gluck, Nikki Sudden, Rowland S. Howard, Epic Soundtracks et Jeffey Lee Pierce. C’est le weird sound qui domine sur les quatre faces. «Looking For A Place To Fall» file sur un big easy drive de workout Rowlandish. On le sent rôder dans le son, il le gorge de stridences. Avec «Too Long», ils quittent le chemin de Damas et vont plus sur la pop. Tout au long de l’album, Row joue son petit rôle d’efflanqué du son dans les ténèbres, là-bas au fond du studio. Nikki Sudden domine largement l’ensemble avec ces délicatesses d’acou auxquelles il nous a tellement habitués. «Four Seasons Of Trouble» sonne comme du Sudden d’essor mesuré et prend enfin tournure dans un torrent de relentless. Nikki Sudden reste bel et bien le roi des mélancoliques, il n’en finit plus de tartiner sa plainte à la surface du rock anglais, c’est bardé d’ambiances superbes, de basses, de drums et de chœurs fêlés. Puis on voit Row venir hanter «All My Secrets» à la slide du cheval mort. Il est spectral, et certains relents de son renvoient aux Stones de «You Got The Silver». Row hante les corridors du son, il se passe des choses extraordinaires dans les couches du cut, il gratte à double dose. Le thème remonte à la surface après un blanc en forme de suspense. En rééditant l’album, Munster a rajouté un disque entier de démos et d’outtakes. Le «Burning Skulls Rise» rappelle le Brian Jonestown Massacre. Row et Lydia Lunch le reprendront ensuite sur scène. «The Proving Trail» est certainement le hit de l’album. On trouve aussi un «Threw This Away» monté sur la progression d’accords de «Like A Rolling Stone». Il se pourrait que Jeffrey Lee Pierce chante «Prayer Of A Gunman», tellement c’est désespéré. Tout cet album est bardé de son et d’allant.

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    Lydia Lunch & Rowland S. Howard enregistrent Honeymoon In Red en 1987. On y trouve une excellente version de «Some Velvet Morning». Elle duette avec un Row qui chante à la petite dégueulée. Aw my God, il se prend pour un Lee Hazlewood en difficulté et Lydia fait sa Nancy avec un ton atrocement faux de lullabye bye. Ils sont immondes. Ils enterrent vivant l’un des plus baux classiques de la pop américaine. Il ne faut pas s’aventurer trop loin dans les parages de cette femme. Elle cultive une sorte de goût pour la dérive mal intentionnée et l’ancolie sadiste. Avec «Three Kings», elle vient se couler dans un dirty groove de funk punkoïde orchestré par son ami Row. Ah comme ce mec est vénéneux ! Il fait aboyer sa guitare dans la nuit. Il joue le groove des squelettes dans une scène de George A. Romero, il vise le dénaturé implacable, il distille le malencontreux jerk des catacombes. On a encore du Row pur et dur avec «Still Burning». Il chante encore plus mal qu’elle. C’est à la fois mauvais et comique. Quasi-caricatural. Aussi inutile qu’une brebis périmée. Lydia Lunch fait encore des siennes sur «Fields Of Fire». Diable, comme elle chante mal, parfois. Elle tartine plus qu’elle ne chante. On serait presque tenté de plaindre cette pauvre fille. Mais on se régale de «Dead In The Head», balayé par les infernales pluies acides du grand Rowland S. Howard. Il chante derrière elle et gratte sa gratte avec une singulière appétence. C’est mortifère en diable. Il ne vit que pour la ferraille de son. Il frise régulièrement le génie.

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    Paru en 1991, Shotgun Wedding est le grand album classique de Lydia Lunch & Rowland S. Howard. C’est du Kill Bill avant la lettre. Quel album ! «Burning Skulls» fait partie des cuts qui ne devraient jamais s’arrêter. Sur un tempo bien heavy, Lydia écrase ses syllabes comme des mégots, avec l’insistance d’une prédatrice. Et ce diable de Row joue à la clameur délétère. C’est à la fois superbe, gothique et plombé, embrasé aux alentours et monté sur un beat qu’il faut bien qualifier de royal. Row vole le show. Il lancine atrocement et arrose le cut du meilleur jus d’acide disponible sur le marché. Ils font un duo historique avec «Endless Fall». C’est vrai, ils sonnent comme une bénédiction, Row crée des dynamiques à coups de renvois, people die, et ils relancent à deux. L’autre énormité de l’album s’appelle «Pigeon Town», riffé d’entrée de jeu. Row ne rigole pas avec la marchandise et cette garce de Lydia Lunch chante comme la plus vulgaire des putes. Ah ils sont jolis ! Row n’en finit plus de jouer à l’alerte rouge et se montre d’une incroyable théâtralité. Le son fait foi. Row joue ça jusqu’au trognon. Des mecs comme lui ne courent pas les rues. Tiens, voilà «Cisco Sunset», monté sur un heavy groove de basse. Lydia Lunch s’y glisse humidement. C’est du grand Lunch. Elle chante à la racine du beat, Row concasse ses septièmes d’accords de jazz pendant qu’elle part à la dérive dans le moonshine. Elle chante avec toute la maturité de chipie mal dégrossie dont elle est capable. En guise de clin d’œil à Alice Cooper, Row joue «Black Juju» à la pire clameur de l’univers connu. Cette diablesse de Lydia Lunch tente de calmer le jeu, mais à quoi bon ? Les bites lui échappent des mains, c’est foutu d’avance. Elle profite d’«In My Time Of Dying» pour rivaliser de nullité avec la Wendy O Williams des Plasmatics. Elle n’a aucune présence vocale. Elle bâtit sa réputation sur autre chose. Ils chauffent «Solar Hex» à blanc et tapent «What Is Money» au mood berlinois, avec tout l’undergut d’une femme qui a du vécu à revendre. Row gratte ses puces, il joue au circus géométrique de l’after-punk et Lydia Lunch se vautre dans la mélasse avec sa voix aigre et grasse d’une vétérante de la campagne de Russie. C’est encore du big heavy sound. On peut faire confiance à Row pour ça.

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    On retrouve la plupart de toutes ces merveilles sur un live paru chez Bang et intitulé Siberia. Row et Lydia Lunch jouaient au Paradiso en 1993 et foutaient le souk dans la médina avec «Pigeon Town». Row y multiplie les coups fourrés. Cette femme et cette guitare constituent sans doute l’une des meilleures associations de l’époque : junk new-yorkais + gothique howardien. On y entend un Row jouer dans les dernières convulsions du spasme ultime. Il ne fait que passer des tourmentes solotiques exceptionnelles. Ce mec sort du son à n’en plus finir. Il le monte en chantilly gothique. Encore des fantastiques climats soniques dans «What Is Memory». Lydia Lunch vient touiller ce brasier impérieux, en bonne touilleuse de braise qui se respecte. Elle élève le niveau de l’Atmopsherix à n’en plus finir. On voit bien que Row est lui aussi au sommet de son art tempestueux. Il joue des rafales extraordinaires. Ils bouclent leur bal d’A avec «Still Burning» qu’ils chantent à deux. Row hante le son, et plus la bassline est grasse, plus il est virulent. La B vaut elle aussi le détour, avec cet «Incubator» emmené à la grosse lancinance. Le gang de Row avance à pas d’éléphants et il tisse dans ce bordel d’infernales toiles de venin sonique. Tiens, voilà «Burning Skulls» et son riff de cathédrale. Plombé et magnifique à la fois. C’est leur hit le plus convaincu, il semble luire dans la nuit. Row tisse sa dentelle flamboyante dans le background du cut. Il est étincelant de présence, il irradie son son comme le ferait le soleil noir des légendes barbituriques. Ils terminent avec l’excellent «Black Juju» d’Alice Cooper. C’est visité par des vents terribles. Row est le prince du vent mauvais. Avec sa tête de piaf, il foutrait presque la trouille aux épouvantails. Beau final apocalyptique gratté à l’essaim bourdonnant par un Row en pleine crise mystique. Ah comme c’est puissant !

    Dans Mojo, Andrew Perry décrit bien le style de Row : «He chanelled rock’n’roll through a cyclone of avant-noise.» Oui, c’est exactement ça, un cyclone d’avant-noise, un son unique. Mick Harvey raconte que Row l’appela en 1999 pour lui demander de venir en Australie l’aider à enregistrer son premier album solo. Row suivait un ‘weird’ traitement de détox et pendant deux semaines, dit Harvey, ils enregistrèrent intensively - It was like all the stars were aligned and he made his best record - Brian Hooper des Beasts Of Bourbon vint faire des overdubs de basse sur l’album, mais après. Harvey et Row enregistrèrent donc tous les deux, playing wild and free. Harvey ajoute que Row n’était pas un prolific guy. Il ne composait qu’une ou deux chansons dans l’année. Il soignait particulièrement ses textes et chaque vers tapait en plein dans le mille. Sur son premier album solo, les chansons représentent six ans de travail.

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    Ce premier album solo s’appelle Teenage Stuff Film. Il démarre sur un «Dead Radio» violonné à la grinçante malencontreuse - You’re there for me like cigarettes/ But I havn’t sucked enough on you yet - Voilà, le ton est donné. Il vise comme d’habitude le climatique tourmenté. Il chante son «Breakdown» d’une voix pâteuse très peu zélée - Sweet Jesus/ Ask for Christ - Joli breakdown, en vérité. En fait, Row tartine son miel. Il ne cherche pas à plaire. On est pas chez Stong. Il fait son job de loser patenté, avec des guitares latentes qui renvoient bien sûr au Velvet. On sent qu’«I Burnt Your Clothes» est déterminé à ne pas s’en sortir. C’est monté sur un bassmatic infâme. Row fait du pur Row, il erre comme un Fantôme du Bengale perdu dans la Nuit des Longs Couteaux, sur fond d’heartbeat orloffien. S’ensuit un «Exit Everything» arpenté au kilomètre et peu suivi d’effets. On trouve deux reprises sur l’album, «She Cried» de Jay & The Americans et «White Wedding» de Billy Idol, que Row admirait pour son funny side of rock-star posturing nonsense. Le groove de «Silver Chain» refuse lui aussi d’aller bien, porté par un orgue en point d’orgue. Parfois on écoute Row errer, parfois on passe au cut suivant. Le génie lugubre de Row peut fatiguer l’ouvrier, surtout au soir d’une rude journée de labeur. Il faut imaginer le pauvre ouvrier qui rame pour se payer un disk comme celui-là et qui dégueule de fatigue en écoutant son achat. Row ne se préoccupe pas du confort de la classe ouvrière, mais il n’est pas le seul. On sait que les intellos de gauche ne s’en préoccupent pas non plus. Ils pensent surtout à savonner leur savonnette. Alors que Row, c’est un peu moins pire, il ne songe qu’à rower dans les brancards. Il sort parfois des accords effervescents. «Undone» vaut pour un tour de Row long de 7 minutes. Big Row on the run. Mick Harvey : «Rowland was one of those rare guitar players with a completely distinctive sound and style, and he really cultivated that.» (Row était l’un de ces guitaristes capables de sortir un son très distinctif et il cultivait cette singularité). Et il ajoute : «Mostly he was working inside the song on what his guitar was adding to the atmosphere and how it was playing around the vocals.» (Row travaillait essentiellement à l’intérieur de la chanson, il enrichissait l’atmosphère et rôdait autour du chant).

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    En fait, le tribute à Rowland S. Howard programmé à la Maroquiqui porte le nom de son deuxième et dernier album solo, Pop Crimes, paru en 2009, l’année de sa disparition. Non seulement on y retrouve la plupart des cuts joués sur scène, mais aussi trois des principaux acteurs de la soirée : Mick Harvey, J.P. Shilo et Jonnine Standish qui, justement, se tape la part du lion dans l’album en duettant avec Row sur l’excellent «(I Know) A Girl Called Jonny». Elle chante à la langueur monotone, d’un ton qui colle au palais comme le bonbon colle au papier - I’m a Joan of Arc/ Of teenage lust - C’est excellent. La configuration du tribute est celle de l’album, puisque Mick Harvey bat le beurre et Shilo joue de la basse (et de la strangeness - sic). Row chante son «Shut Me Down» d’une voix incroyablement tentaculaire. Il va chercher les meilleurs effets dévastatoires. Il paraît jouer un son en constant glissement, c’est en tous les cas l’impression que donne «Life’s What You Make It», ces glissements de matières glacées qu’on filme dans les zones du globe inhabitables. Ça va même encore plus loin, puisque le son paraît enveloppé de son. Row ne cherche pas midi à quatorze heures, la clé des Pop Crimes, c’est l’absolu du son, c’est-à-dire le son pour le son. Autrement dit, une ambiance à l’arrêt, mais un arrêt un peu spécial, l’arrêt de mort, avec ses stridences de terminalité afférentes. Ça ne va pas au-delà. Row se montre pourtant assez héroïque. Il tente des virées spectaculaires, mais il faut que le groove s’installe pour qu’il puisse virer. Il y a du Artaud en Row, de toute évidence. Au bassmatic, Shilo fait bien son job de maître groover, il charge même ses lignes d’arrière-pensées, alors Row peut piquer sa crise. Il entre dans le morceau titre avec une étrange ferveur. Ce démon de Row arrose son groove des fièvres habituelles - Nothing good can comme out of this/ But the open hole of the zero/ And the open heart surgery kiss - Tout est moufté dans le son de Row et personne ne moufte. Il faudrait presque être initié pour écouter «Wayward Man» - And when I kiss you darling/ Does it stick in your craw ? - Fantastique shake de gutter shit - Was there a poverty of care/ When I cared for you - C’est explosif. Il faut en profiter tant qu’il est encore temps, car après ça, Row c’est fini. Comme le fit son frère Harry l’autre soir, Row boucle le set avec le lugubre «The Golden Age Of Bloodshed». Big heavy Row de fin de non-recevoir.

    C’est à Mick Harvey que revient le mot de la fin : «Rowland was a very gentle person, and a gentleman, but he was carrying some things with him which were pretty negative as well.» (Row était un homme charmant et même un gentleman, mais il avait aussi des côtés extrêmement négatifs). Harvey rappelle que Row était furieux de voir Harvey et Cave continuer sans lui après Birthday Party, mais comme le précise perfidement Harvey, il n’a jamais compris pourquoi c’était nécessaire.

    Signé : Cazengler, Roland Coward

    Tribute to Rowland S. Howard. La Maroquinerie. Paris XXe. 8 février 2020

    The Birthday Party. Prayers On Fire. Missing Link 1981

    The Birthday Party. Junkyard. Missing Link 1982

    These Immortal Souls. Get Lost (Don’t Lie). Mute 1987

    These Immortal Souls. I’m Never Gonna Die Again. Mute 1992

    Crime & The City Solution. Just South Of Heaven. Mute 1985

    Crime & The City Solution. Room Of Lights. Mute 1986

    Nikki Suden & Rowland S. Howard. Kiss You Kidnapped Charabanc. Creation Records 1987

    Jeremy Gluck, Nikki Sudden & Rowland S. Howard. I Knew Buffalo Bill. Flicknife Records 1987

    Lydia Lunch & Rowland S. Howard. Honeymoon In Red. Widowspeak 1987

    Lydia Lunch & Rowland S. Howard. Shotgun Wedding. Triple X Records 1991

    Rowland S. Howard. Teenage Stuff Film. Relient Records 1999

    Rowland S. Howard. Pop Crimes. Liberation Music 2009

    Lydia Lunch & Rowland S. Howard. Siberia. Bang Records 2017

     

    Gare aux Gorilles - Part Two

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    En 1977, Giovani Damono déclarait dans Sounds : «The Gorillas are unashamesly out to make good-time rock’n’roll pure and simple. They’re the nearest in spirit to early Small Faces, Slade and The Who.» (Les Gorillas ne sont là que pour jouer du rock pur et dur, dans l’esprit des Small Faces, de Slade et des Who). Phillip King ressort cette coupure de presse pour célébrer la parution de Why Wait ‘Till Tomorrow 1974-1981, un double album compilatoire des Hammersmith Gorillas paru sur Just Add Water, ce petit label de San Francisco spécialisé dans la réédition de glam des seventies. Ils rééditent aussi Terry Stamp, Trevor White et les Coloured Balls. Go see their site.

    En 1976, les Hammersmith Gorillas étaient en route pour la gloire. Rien ne pouvait les freiner. Ceux qui les connaissaient n’avaient aucun doute là-dessus. Le plus convaincu était bien sûr Jesse Hector qui décida un jour de se réinventer : «Un jour je me suis mis devant le miroir et j’ai coupé mes cheveux. Je voulais trouver un look that would kill. J’ai coupé court sur le sommet et gardé mes rouflaquettes. J’avais une coupe de skinhead par derrière, mod sur le sommet du crâne, avec des rouflaquettes de rockab et une raie au milieu. J’étais le seul à être coiffé comme ça. J’avais le plus beau look du monde. Mais je ne pouvais pas sortir. Dans la rue, les gens devenaient dingues en me voyant, les bagnoles se rentraient dedans, les chauffeurs livreurs me lorgnaient d’un sale œil. C’était génial. Ça marchait. C’était le commencement du mouvement punk.» Tout le monde trouve les Gorillas superbes, sauf Mickie Most : Jesse Hector et ses deux amis viennent le trouver chez lui à Maida Vale et Most les envoie sur les roses. En bande son de cet épisode tragi-comique, on entend ce fantastique hit mod digne des Small Faces, «I Live In Style In Maida Vale», terrific de délicatesse arty (qui figure d’ailleurs sur le double album compilatoire). Tout ce qui touche à Jesse Hector est d’une classe absolue, le moindre détail, la moindre anecdote tape en plein dans ce mille qu’on adore, qui fut aussi le mille des New York Dolls, des early Stones et tous les groupes qui y croyaient dur comme fer et qui savaient s’en donner les moyens. Dans ces cas qu’on peut qualifier d’extrêmes, il faut comprendre que le rock est une religion. Où comme le dirait Diderot, une vocation religieuse. C’est ça ou rien. Le rien n’est pas possible et dans le ça, tout est possible.

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    Sur scène, Jesse Hector en donne aux gens pour leur argent. Il leur fait du concentré de windmill, une sorte de résumé de Keith Richards et de Pete Townshend, il dynamite les dynamiteurs, c’est-à-dire les Kinks de Really Got Me, heavy bash in the face, dégelée d’Excalibur de barroom de bonne bourre, avec son look-out, son k-k-k-killer solo flash et son plombé de référence. Il redonne aussi au stomp ses lettres de noblesse avec «She’s My Gal». Jesse Hector annonce à Chris Welsh qu’il vont ravager l’Angleterre - We’re going to take the country by storm - et annonce fièrement qu’après l’Angleterre, ce sera le tour de l’Amérique. Et pouf, il préfigure les terribles provocations des frères Reid et des frères Gallagher dans la presse anglaise : «C’est simple. Je suis un mec très spécial. Bientôt les kids m’admireront autant qu’ils ont admiré Jagger, Townshend et Hendrix. Chacun son tour. C’est maintenant le mien !»

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    Dans ses liners d’une extraordinaire densité, Phillip King évoque la filiation Gorillas/Third World War («Hammersmith Guerilla») et les étapes qui ont précédé l’avènement des Gorillas : Crushed Butler (avec Darryl Read et Alan Butler) puis Helter Skelter dont le mini-album est régulièrement réédité. Comme Mickie Most a jeté les Gorillas, Jesse Hector se tourne alors vers Larry Page qui lui conseille de reprendre «You Really Got Me», le mesmerizer définitif qu’on trouve aussi sur le double album compilatoire. Lors de cette session historique avec Larry Page, les Gorillas enregistrèrent en plus «I Live In Style In Maida Vale» et une cover du «Luxury» des Stones - Working so hard/ I’m working for the company/Working so hard/ To keep you in the luxury - et le plus choquant de cette histoire, c’est que ces merveilles vont rester inédites jusqu’en 1999, quand paraît Gorilla Got Me sur Big beat. Histoire incompréhensible !

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    Pour vivre, les Gorillas doivent abandonner leurs rêves de gloire et bosser comme tout le monde. La batteur Gary Anderson travaille chez un imprimeur, alors que Jesse Hector et Alan Butler bossent early in the morning pour des boîtes qui font le ménage dans les bureaux. Jesse prend les choses du bon côté et dit que ça laisse du temps pour répéter dans la journée. Ils tentent plusieurs fois de redémarrer et enregistrent de nouvelles merveilles épouvantables, «Moonshine» et «Shame Shame Shame» qui, une fois de plus, restent inexplicablement lettres mortes. On entend pourtant de vieux relents de cocotage glam dans Shame. Pareil, ces trucs n’apparaîtront que beaucoup plus tard, sur Gorilla Got Me et bien sûr, Just Add Water n’oublie pas de les caser dans son trip compilatoire. C’est drôle, car on connaît tous ces cuts par cœur, mais chaque fois qu’on les recroise, ils produisent un effet particulier, un sorte d’émotion non feinte, comme si ces cuts d’apparence ordinaire frétillaient d’excitation. On retrouve aussi l’excellent «Miss Dynamite» en B, heavy boogie hectorien hanté par des chœurs dignes de ceux des Stones dans «Sympathy For The Devil». C’est un son très anglais, très pur, très proche de celui des Stones de l’âge d’or. Rien qu’avec sa «Miss Dynamite», Jesse Hector avait largement de quoi foutre le souk dans la médina.

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    Foutre le souk ? Nous y voilà. Le souvenir le plus spectaculaire des Gorillas est sans doute celui que Phillip King pointe dans Ugly Things. Comme vous le savez, Cyril Jordan publie dans chaque numéro d’Ugly Things un feuilleton de ses souvenirs intitulé The San Francisco Beat. Dans le numéro de l’été 2016, Cyril Jordan évoque une tournée des Groovies en France avec les Gorillas en première partie. Miam miam. Les voilà au Mans et à 9 h les Gorillas démarrent en trombe de blitz avec «Purple Haze». Cyril Jordan dit qu’ils jouent fort, encore plus fort que the Frost from Ann Arbor Michigan. Et pouf, le courant saute. Plus rien. Plus de lumières dans la salle. Panique générale. Plus de lumières non plus dans la rue, ni dans la ville, ni dans le département. Alerte rouge ! Holy shit ! fait Cyril ! Havoc ! Les gens fuient dans les ténèbres en poussant des hurlements, on entend des sirènes de police comme à Detroit en 1967. Les chars arrivent. Les Gorillas entrent dans la légende : kings of blackout !

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    Pour les ceusses qui ne disposent ni du Gorilla Got Me ni des singles, le double compilatoire que vient de pondre Just Add Water est une véritable aubaine, car tout y est, à commencer par le heavy glam de «Leavin’ ‘Ome» bien cocoté à l’undergut d’Hammersmith, mais aussi ces merveilles héroïques que sont «Gatecrasher», «Gorilla Got Me» et sa belle frenzy, avec un Alan Butler qui mène le bal du bassmatic, et puis cette incroyable dégelée tirée de l’album Message To The World (paru en 1978), «Outta My Brain». C’est joué dans l’urgence des Small Faces, hanté par le bas de manche d’Alan Butler et embarqué dans une sorte de spectaculaire précipitation. Power & style. On trouve aussi ces puissants coups d’épée dans l’eau que sont «I’m Seventeen», modèle absolu de claquemure hectorienne, comme si Jesse Hector donnait rendez-vous à tout ce qui fait la grandeur du rock anglais, et «Move It», dernier single des Gorillas, modèle de stomping ground véracitaire. La seule nouveauté se trouve sur la D : six cuts enregistrés live au Nashville Room en janvier 1997. Bon, le son n’est pas fameux et les Gorillas jouent extrêmement heavy, comme si les piles du magnétophone étaient usées. On sent qu’ils ont du mal à casser la baraque. Ils taillent la route à coupes de «Leavin’ ‘Ome» et de «Gatecrasher». Le «Come On Over» vaut pour une belle incitation à l’émeute des sens.

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    Apparemment, Jesse a plus de chance aujourd’hui qu’avant, car les canards anglais lui déroulent le tapis rouge. Le dernier en date, c’est Vive Le Rock, avec trois pages bien remplies, illustrées par la photo de pochette de l’album Message To The World. En guise de hors-d’œuvre, Jesse réaffirme sa foi inextinguible - I’m gonna die that way - Soixante-douze balais et toujours aussi incapable de se calmer - Rock’n’roll will always be there - Ça fait du bien de lire de telles déclarations. Le bon rock n’a-t-il pas toujours été l’affaire des esprits éclairés ? C’est un point sur lequel on vous laisse méditer. Mais l’embellie ne dure pas longtemps, car Hugh Gulland pose des questions à la con, du genre : «N’êtes-vous pas un pub rock band ?». Jesse est obligé de tout reprendre à zéro. Il rappelle qu’on les a considérés tour à tour comme un pub-rock band, un punk band, un glam band, un mod band ou un heavy metal band. Il est bien obligé de se marrer avec toutes ces conneries. Il se débarrasse du problème en disant que les Gorillas étaient un punk rock’n’roll Soul mod heavy band. What more do you want ? À ce moment là, Guilland comprend qu’il a raté belle une occasion de fermer sa gueule. Jesse affirme que les Gorillas étaient surtout un sixties band féru de Beatles, de Small Faces, de Who et de Jimi Hendrix, git it ? Il ajoute qu’il leur doit tout. Absolument tout. Il a observé leur façon de bouger sur scène, their unique way of moving, il s’en est inspiré en poussant le bouchon un tout petit peu plus loin. Du coup, Guilland s’étonne :

    — Alors ça aurait dû marcher ?

    — Non !

    — Pourquoi ?

    — Parce qu’on a fait les cons en quittant Chiswick et Ted Carroll pour aller chez Raw. Fatale erreur.

    — Pourquoi ?

    — Parce que c’est Ted Carroll qui organisait les tournées en Angleterre.

    Jesse rappelle aussi qu’il a adoré les punks, car il revivait avec eux l’explosion du British Beat et de tous ces groupes ultra-énervés comme les Small Faces et les Who. Jesse n’en finit plus de dire que les punks méritent le respect, rien que pour ça et pour les accents politiques. En 1977, les Gorillas étaient ancrés dans les sixties et jouaient avec les punks, ce qui était assez inconfortable. On appelle ça le cul entre deux chaises.

    — Les Dolls chez Biba ? Oui je les ai vus, mais je ne les ai pas approchés de trop près.

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    Il dit adorer leurs deux albums comme il adore le premier album des Stooges - It was fucking crazy wasn’t it ! Yeah we were with that, all the way through ! - Puis le voilà parti dans les hommages à ses pairs, Third World War et Jook - Look at Jook, their singles are all hits ! They should have gone to number one, all bloody five of them ! (Regarde Jook, tous leurs singles étaient des hits, ils auraient dû être des number one, tous les cinq).

    — Alors pourquoi ça n’a pas marché ?

    — La BBC voit des photos et dit : «Oh they’re hard, we don’t want ‘em». Et pouf terminé, à dégager.

    On en vient enfin au point le plus important : la bonne santé de Jesse et son allure de rock star incroyablement bien préservée. Son secret ? Pas l’alcool ni de clopes ni de dope. Il fait un boulot très physique qui lui permet de s’entretenir et, pour finir, il fait gaffe à ce qu’il avale. Pas de junk food. Que de la bonne came : des crevettes et des coques. Coques en stock, as would say Captain Ad Hoc.

    Signé : Cazengler, Vessie Hectare

    Hammersmith Gorillas. Why Wait ‘Till Tomorrow 1974-1981. Just Add Water 2019

    Hugh Gullang : Gorillas and the myth. Vive Le Rock # 69

     

    BAGNOLET / 06 – 03 – 2020

    ESPACE DENNIS HOPPER

    UNCLES BIKERS / THE PESTICIDES

    CHRIS THEPS / GAST / ALICIA. F !

    rowland s. howard + friends,gorillas,the uncles bikers,the pesticides,chris theps,alicia f !,laibach

    Question épineuse. Rue de L'épine Prolongée. Ma vaste mémoire flanche, moi qui ai durant plusieurs années travaillé à Montreuil, où est-ce au juste ? Mais la Teuf-Teuf rigole et me console, ne fais pas la moue Damie c'est à la Noue, un jeu pour nous, t'inquiète, toutes les bagnoles connaissent Bagnolet, un coup de guignolet dans le réservoir, et hop mon fidèle destrier à quatre roues me dépose sans coup férir et sans GPS devant l'Espace Dennis Hopper. Lieu dédié à toutes les contre-cultures assure son FB. Toutes je ne sais pas, mais ce soir, indéniablement c'est bikers et rock'n'roll. Accueil sympathique et vaste local. Food-truck garé dans un hall immense rempli de véhicules, paddock à motos au fond de la salle à concert, sol cimenté, murs revêtus d'un noir fuligineux, endroit parfait pour des concerts de rock garage !

    Entrée en haut d'un escalier extérieur, sur votre gauche le bar dans une pièce dans laquelle une cinquantaine de personnes tiendraient à l'aise, pour les amateurs de vieux films américains un billard trône dans une espèce d'antichambre, immédiatement suivie d'un incongru salon de vieux fauteuils rococo dépenaillés, décor idéal pour une de ces glauques nouvelles de fantômes dont Jean Lorrain possédait le génie angoissant. En tout cas le lieu oscille entre loft délabré d'artiste new-yorkais et local de MJC des années 70.

    UNCLES BIKERS

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    Rien à dire une galure, ça file de l'allure, ça vous pose un homme. Demandez à Sonny Boy Williamson, le deuxième, pas le premier qui fut assassiné dans une rue de Chicago, mais celui qui venu à l'American Folk Blues Festival refusait de se départir de son chapeau melon. Est-ce pour cela pour que sur la balance le chanteur chapeauté des Uncles Bikers sortit son harmonica pour illustrer de longues trilles le Suzie Q de Dale Hawkins. En tout cas les Uncles Bikers sont plutôt sixties-seventies-road que Delta. Pas de surprise, groupe à reprises. Sixties-seventies. Z'aiment les Stones, cela tombe bien, nous aussi. Nous font un appel du pied avec ce vieux morceau ultra-macho, Under my thumb maintes fois cité dès sa sortie pour mettre en évidence l'irrespectueuse et cynique attitude des Rolling envers la gent féminine. Se débrouillent bien, même si Pascal à la batterie, nous semble marquer les temps forts avec trop de netteté. C'est que la frappe de Charlie Watts est des plus difficiles à imiter, à première oreille rien de plus carré, hélas avec des angles pas très droits, elle est marquée par un déséquilibre perpétuel, une instabilité chronique qui infuse à chaque morceau ce roulement d'avalanche qui reste la marque la plus prononcée du style stonien. Mais le Pascal va vite nous en mettre plein la vue pour quelques ronds de zinc. Au début l'on n'y croit, non ce n'est pas possible, ils n'oseraient jamais, comment peuvent-ils se permettre cette hérésie, certes ce tremblement de guitare, et ces avancées à pas de loups de la basse, indiscutable, c'est Riders on the storm, et l'orgue, ils ont oublié qu'il se taille la part du lion et la peau de la panthère sur ce titre culte des Doors, et c'est là que Pascal, nous azimute, pas besoin d'orgue puisqu'il a des cymbales et il vous trousse la mayonnaise au manganèse, vous installe l'ambiance, un incoercible bruissement de pluie sur la chaussée mouillée, qui aurait pu imaginer que l'on puisse rendre l'ambiance ouatée si particulière de ce chef-d'oeuvre sur une simple batterie. L'est sûr que sur sa basse Hervé ne chôme pas, vous dépose la noirceur du monde sur le bitume de l'âme. Rebel Rebel, ne dites pas bof oui, mais Bowie, un riff un tantinet bébête quand on y pense, un véritable casse-gueule, paraît facile, deux funambules, guitare et vocal, obligés de se croiser sur un fil unique, ne s'agit pas de s'emmêler les pinceaux, chacun à sa place, et que personne ne fasse un pas de trop sur les plates-bandes de l'autre. N'ont pas sorti toute la marchandise en une seule fois. Notamment Jean-Michel qui au début est resté discret, on le prenait presque pour un accompagnateur, et puis il faut réviser son jugement, ne s'est guère étendu dans les premières interventions de pyromane patenté, bien fait, toutefois le minimum syndical, mais à chaque fois il la ramène un peu plus, et bientôt vous vous espérez l'instant où il plante sa guitare dans un rayon de projecteur, et qu'il vous égrène ses soli solides à la lead, oui qu'il prenne son temps, qu'il vous envoûte, que vous puissiez vous délecter, et lui crier chapeau ! On l'avait oublié celui-là, il y a longtemps que maître corbeau s'en est débarrassé, nous apprend que c'est la deuxième fois qu'il joue en public avec le groupe, l'est à l'aise, le gaillard prend du plaisir à se pavaner sur le devant de la scène.

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    L'est comme le Monsieur Loyal du cirque qui annonce le numéro du trapèze de la mort, ou du tigre mangeur d'hommes, mais c'est lui qui s'y colle sans souci, et il chante avec cette certitude courageuse du dompteur qui plonge sa tête entre les crocs sanguinolents du sauvage félin rayé, et c'est parti pour un Brown Sugar tumultueux qui ravit son monde. De temps en temps il sort son harmo pour glisser deux ou trois maux de plus au malheur bleu -ombre du monde, mais ce qu'il préfère c'est jouer avec la hampe du micro qu'il manipule avec l'adresse diabolique d'un spadassin arrêtant de son hallebarde une charge de cavalerie. Sont vivement applaudis. Pour deux raisons. D'abord ils ont mis le feu, ensuite avec avec leur interprétation, beaucoup plus incisive qu'au sound-check, de Suzie Q ils nous ont convaincu que la donzelle devait avoir un joli petit cul.

    THE PESTICIDES

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    L'est seul. A la guitare. Vissé dans sa vareuse blanche, un look entre Brian Jones et Cyril Jordan. Mais un visage plus ravagé. En lame de couteau, sous des épanchements de cheveux blonds. Les affres de l'artiste maudit. Le génie incompris. Toute la légende dispersée du romantisme rameutée dans cette position de corps cassé en deux, comme penché au-dessus de l'abîme d'un naufrage. A ses pieds, delays et boîte à rythmes. Pas une accumulation. Le strict minimum. La beauté et la pose de l'ange déchu solitaire. Byronien.

    Sont là toutes les deux. Trois pas en arrière. Sur sa gauche. Vous ne voyez qu'elles. Depuis un moment elles attirent tous les regards. Leurs pantalons rouges à carreaux écossais dardent toutes les brûlures. Talons-boots boostent leur silhouette. Le bas est d'amarante, le haut est de sable. Vous aimeriez monter plus haut, mais la blancheur pallide de la coupole de leurs seins qui dépassent un peu de l'échancrure de leur justaucorps noirs vous retient malgré vous. Blancs aussi les bras sous les rémiges alanguies de leur tunique noire, leur lèvres saignent telles les entailles d'une plaie mortelle, les ailes noires de leur longue chevelure encadrent leur visage. Noir, blanc, rouge. Couleurs du grand-œuvre alchimique. Filles charnelles, oui. Âme sœurs, oui. Mais l'une est l'autre. Et l'autre est l'une. Pour le moment immobiles. Sont-elles la vie qui s'offre ou la mort qui se refuse, toute deux en chacune indiciblement mêlées, cygnes blancs qui font signe et cormorans noirs de leurs corps mourant d'opalescence.

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    Le maître de cérémonie allume sur son cordier les zébrures électriques. Alors derrière les ballerines s'animent. Doucement. Elles chantent aussi. Mais pour l'instant vous ne voyez que leurs mouvements à l'unisson, presque saccadés, une pantomime qui se peu à peu se complexifie. Elles sont face à vous mais l'effet de miroir se déroule entre elles côte à côte. Si au début elles ont fait les mêmes gestes ensemble, bientôt ce haussement de la main gauche jusqu'au visage, l'autre l'exécute de la main droite et tout un enchaînement gesticulatif de jeux de psychés dissociés se suivent comme si le geste de l'une était le négatif photographique de l'autre. Vous êtes perdu dans un labyrinthe infini. Est-ce un hasard si ce premier morceau s'intitule Death Circle.

    Mais le jeu se dédouble. Le même principe sera appliqué au chant. Elles alternent, chacune étant tour à tour l'écho de l'autre. Et puis elles se dissocient, chacune dans sa partie. Au début, les voix sont comme étouffées, mais elles prennent force et intensité. Une fission s'opère. Elles se séparent, chacune jouant sa partie, bizarre comme si elles chantaient a capella sur les stridences de la guitare. le sang afflue et gonfle les veines du désir. Elles étaient vestales et les voici lubriques vénustés. Sex Share.

    Elles ont allumé le feu. Et lui qui ne les regarde pas subit cette pression dévorante du désir. Se munit d'un archet pour infliger une fessée à ses cordes, et le doigt ganté d'un bottleneck, pointé droit debout, symbole phallique prêt à appuyer sur le bouton atomique, elles viennent à lui, se collent à lui, l'une l'excite, l'autre l'incite, la guitare mugit comme le taureau de Pasiphaé, Take Me.

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    Il s'éloigne du devant de la scène, la musique hurle toute seule, elles chantent et lui revient, ouvre un cahier et nous restitue la signification des paroles anglaises. Prends moi, Attache-moi, Sois brutal, vous leur auriez donné le bon dieu sans confession et maintenant ce sont elles qui vous offrent leurs confessions de jeunes femelles désirantes, et si vous restez, le bon dieu lui s'est enfui pour ne pas entendre.

    Le musicien de ces damoiselles appariée est revenu, il était vêtu de blanc candide mais il jouait la musique du diable, la musique vrombit, la guitare vous cisaille les oreilles, toutes deux sont déchaînées. Trashy twin girls. Elles engoulent l'appel des goules affamées le soir dans les cimetières, elles vous hélent pour que vous veniez vous joindre à cette nuit walpurgienne, le public s'est dangereusement rapproché, sex and rock'n'roll. Elles quittent la scène sur une dernière sarabande infernale C'mon let's go !

    C'était leur première apparition publique. Un grand pas écologique vient d'être franchi dans votre vie. Vous n'avez plus peur des pesticides.

    CHRIS THEPS

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    L'a une dégaine incroyable Chris Theps, vous donne l'impression que le grand Keith est un de vos potes. Mais ce soir il a encore mieux, un orchestre. Pas symphonique avec violons pleurnichards et harpe doucereuse. Un rock band. Un vrai. Avec des zicos qui savent jouer. Et qui ne s'en privent pas. Si par hasard vous n'aimez pas le rock, décampez avant qu'ils commencent, car sinon le piège se referme sur vous. Imaginez que vous êtes entré par hasard sans le faire exprès dans le Colisée juste à l'heure où l'Empereur Néron avait décidé d'octroyer leur nourriture à cinq ou six fauves affamés, je ne donne pas cher de votre peau. C'est exactement ce qui s'est passé lorsqu'ils ont lancé les hostilités. A la différence près que nous on adore les grandes tourmentes qui fondent sur vous et vous ratiboisent le cerveau en moins de deux.

    Faut répartir les dommages. Au fond vous avez le batteur. Un fou furieux. Doivent le sortir de sa cellule capitonnée de Charenton juste pour les concerts. Un gars qui manque cruellement de vocabulaire, ne sait pas ce que veut dire des verbes tout simples comme s'arrêter ou respirer. N'est pas comme le Vésuve endormi depuis deux mille ans. Lui il vous détruit une Pompéi et un Herculanum systématiquement à chaque morceau. Attention pas une brute, un artiste. L'on se demande pourquoi il a deux mains, tape avec l'une et avec la seconde il s'amuse à imiter les majorettes avec sa baguette. Une frappe infernale, vous passe les breaks à une cadence folle, avec lui les peaux tendues de ses tambours ne chôment pas, ça résonne de partout, vous donne l'impression qu'ils les frappent toutes en même temps, c'est un peu comme les coups de fusil, l'est si rapide que le son claque après que la balle vous a déjà traversé le corps.

    Le guitariste est peut-être encore pire. N'a pas joué un seul solo de toute l'heure. Non il n'était pas en grève. Chris Theps a dû lui dire tu pourrais me faire un petit solo, et le guy il est entré en solo perpétuel. L'a la guitare qui agonise sans arrêt. Nous fait le coup du chant du cygne immortel qui ne parvient pas à mourir. Vous déverse des ribambelles de notes à n'en plus finir. Des traînées de poudre infinies. Guitar super-héros. Un maniaque de la six cordes, avec lui, ce n'est jamais trop. De temps en temps lorsque Chris l'appelle il s'avance et vous vous apercevez qu'il peut jouer encore plus vite, qu'il vous torpille les oreilles avec de notes encore plus aigües et vous avez l'impression que votre tête explose, touchée-coulée.

    Les ennuis volent en escadrille. Vous pensiez que le pire était dans les deux paragraphes précédents. Erreur sur toute la ligne de basse. Il reste encore un criminel. L'a dû lire Il ne fait pas assez noir de Joë Bousquet, si vous comparez les deux artistes à un feu d'artifice, celui-ci est un générateur de nuit. A hautes fréquences. Des ondes scorbutiques qui vous déchaussent les dents. Un pervers. Apparemment il ne fait rien. Mais c'est un exponanteur. La tonitruance fracassante et le flamboiement de ses deux camarades, il a décidé de les rendre encore plus percutantes, plus perçantes. L'a compris que ce sont les obscurités indélébiles de la voûte céleste qui rendent les étoiles filantes encore plus visibles, alors il bouche tous les blancs sonores, vous noircit tout l'espace auditif, ce qui était avalanches d'éboulements il vous le compactise, vous le transforme en aérolithe monstrueux d'une extraordinaire densité qui fonce sur votre planète. Vous comprenez enfin ce qu'ont dû ressentir les dinosaures dans les instants qui ont précédé leur extinction.

    Chris devrait être en crise. Comment voudriez-vous qu'il place un seul mot dans ce magma. Comme si de rien n'était. En plus il se met à votre portée, chante en français, pourquoi choisir la facilité du volapük d'outre-manche quand on sait faire plus compliqué en le vieil idiome des terres françoises. Ce qui est inquiétant avec Chris c'est son aisance. L'est aussi à l'aise parmi cet équipage de pirates que s'il faisait des entrechats pour présenter le gala de charité des petits rats de l'Opéra. L'a une grâce féline instinctive. Le rugissement du tigre aussi. Dès qu'il ouvre la bouche il couvre le vacarme de ses camarades. Attention l'a une science consommée du chant, sait quand il faut porter la voix, en ces moments de kérosène kairosique où il faut glisser la coque de son bateau entre les redoutables masses des icebergs qui s'entrechoquent.

    Une loi innée du rock'n'roll. Si vous avez de bons musiciens c'est bien. Si vous y adjoignez un bon vocaliste c'est mieux. C'est-là que se fait la différence. Les deux parties se transcendent. Avec Chris c'est un régal. Vous invective de toute sa raucité. Vous prend à partie, vous menace. Elle n'est pas Belle la vie ? Commente comment il a écrit Paris en réaction à Charlie ( l'hebdo qui rencontra plus bête et plus méchant que lui ). Des paroles violentes Flinguez mais teintées d'optimisme. Le jour se lève.

    Non je n'ai pas oublié. Sur certains morceaux, il y avait un sax et en plus sur la fin du concert Pascal à l'harmonica. Pas facile pour eux d'intervenir sur cette boule noire de forte compacticité, surtout avec un seul micro pour deux, mais ils ont réussi à dégoupiller quelques grenades dans les tranchées.

    Un set uppercut, un grand moment de rock'n'roll, la force des Faces pour ceux qui connaissent.

    GAST

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    Il aurait mieux valu suivre la programmation prévue. Mais Gast s'est précipité pour squatter la scène et passer avant Alicia F ! Un manque évident de courtoisie, une attitude pas vraiment rock'n'roll d'autant plus que les enjeux étaient minimes... En furent mal récompensés, le public qui déserta et des ennuis systématiques pour lancer les morceaux. Se définissent comme un groupe de Love Rock Metal. Une formule un peu curieuse. D'autant plus qu'ils n'ont guère manifesté d'amour...

    Mi-figue, mi raisin. Pas résolument rock, pas résolument metal. Il semblerait que Gast mise avant tout sur les lyrics. Les titres ne sont pas sans une certaine grandiloquence : Le calme m'emporte, Odyssée, Le sacre de l'homme, d'où cette impression qu'ils veulent installer un certain climat poétique pour les accompagner. Une musique comme immobile, un océan au repos, mais qui couvre les paroles ce qui contrevient quelque peu au projet initial. D'autant plus dommage que les voix trafiquées doivent participer d'un projet dont on a du mal à envisager l'ampleur. Un parti-pris difficile par nature. Soit vous privilégiez le sens des vocables et toute la partie musicale se réduit en musique d'accompagnement – cela est patent sur leur soundcloud – soit vous favorisez l'aspect musical ce qu'ils ont fait sur scène mais alors il faut y aller franco de port. On a envie de leur dire d'écouter comment des groupes comme Yes ( celui des débuts ) ont agi pour réaliser l'équilibre voix /musique.

    Gast possède les ingrédients, notamment Julio un batteur à la frappe très personnelle, un bon guitariste Jeco, mais ils n'ont pas encore la recette. Et puis, bien se rappeler une chose élémentaire : aucun groupe de rock n'est parvenu à sauver le monde.

    ALICIA F !

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    Chez Kr'tnt ! on ne vous fait pas le coup des Vingt ans après à la Alexandre Dumas chez nous c'est carrément la semaine suivante. Vous avez aimé Alicia F ! dans la livraison 454, ce sera bis repetita, Farenheit 455 ! Mais attention ce n'est pas le retour à l'identique. Les circonstances ne sont pas les mêmes, comparée au timbre-poste de l'Holy Holster, la scène de L'Espace Denis Hopper c'est un terrain de foot. Vous savez les garnements plus on leur en donne, plus ils en prennent. Et puis quand ils montent sur scène sont encore un peu remontés, un reste de zeste de mauvaise humeur, personne n'aime qu'on lui subtilise sa place dans la file d'attente du cinéma, sont comme le boa constrictor contrarié.

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    Sont à leur poste en trente secondes. N'y a qu'à regarder Fred Kolinski, d'habitude il ne départit jamais d'une certaine attitude Olympienne au-dessus de la mêlée bassement humaine, mais ce coup-ci il a le visage marqué de la même expression déterminée que Ramsès II, quand lors de la bataille de Qadesh, il s'est saisi des rênes de son char de guerre pour mener la charge sur la cavalerie Hittite, et un et deux, l'a adopté la frappe cataphractaire, celle par laquelle il vous rapproche de votre catafalque mortuaire. Tony Marlow lui a emboîté le pas séance tenante. Pour les fioritures psychédéliques l'on verra la prochaine fois, cette fois il plonge direct dans l'ergonomie rock'n'roll, au plus près du riff, vous plante directement le harpon de la guitare dans le ventre de la baleine blanche, elle se démène comme une tornade, mais Tony la tient ferme, et l'on sait d'avance qui va gagner la partie. Même Fred Lherm en a oublié de sourire, l'en a la basse qui grimace de rage, d'habitude elle est plus coulante, plus détendue, cette fois-ci elle a les sourcils froncés et sur ses lèvres se dessine l'ombre d'un rictus vindicatif... Ce soir le plat de la vengeance sera servie brûlant. Comme par hasard l'assistance qui s'était éclipsée au set précédent rapplique en nombre.

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    Tout ça pour une fille ! C'est que vous n'avez jamais croisé ses yeux verts. Quand elle les pose sur vous vous ressentez les vipères de Cléopâtre qui rampent sur votre torse. Se tient sagement devant vous, une collégienne qui attend le feu vert du professeur pour réciter la leçon d'histoire. Toutefois une tenue un peu provocante d'élève rock'n'roll, sa mini-jupe, sa manière de la porter telle une corolle vénéneuse de pétales noirs, ses bras de nacre nue, ses jambes résillées, ses cheveux de flamme, ses tatous de ceux que l'on retrouve dessinés dans les marges des cahiers j'écris-ton-nom : désir ! Celui fiévreux des drames de Tennessee Williams.

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    Alicia chante rock'n'roll, c'est-à-dire qu'elle utilise aussi bien sa voix que son corps. Sa chair autant que son cœur. En un seul mot, cette quadrature se nomme l'esprit. Elle a une manière d'entrer dans un morceau, que ce soit un vieux classique mille fois repris ou ses propres compositions ( musique : Tony Marlow ), et de s'y impliquer avec une telle force que son interprétation vaut certificat d'authenticité. Elle restitue un héritage, d'instinct elle s'inscrit dans une lignée qui vient de loin, elle projette les mots comme des crachats de cobra du Mozambique, atteignent tous leurs cibles, à l'intérieur de vous, transpercent les nodosités de vos rêves, et pour qu'ils fassent encore plus mal, pour que la plaie purule davantage, elle pousse de temps en temps des cris qui s'enfoncent en vous comme des doigts de chirurgien dans une fracture ouverte.

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    Mais peut-être que ses prestations s'apparentent davantage à de la danse qu'à un tour de chant. Une espèce de ballet solitaire, tel que Mallarmé en a rêvé pour le finale des Noces d'Hérodiade. Juste le corps et le désir. Une espèce d'abstraction mise en scène aux yeux de tous pour exprimer, par les ulcérations du mime, les pulsions animales qui nous construisent et nous détruisent. Juste quelques pas sur Speedrock, l'hymne à son chat, mais cette manière de miauler et de déplacer que vous ne savez plus si c'est la peluche d'une petite fille qui s'anime à la manière d'un dessin animé ou le Seigneur Immémorial des Toits qui rôde à la recherche d'une proie pour sa cruauté de félin en chasse.

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    Vous avez eu le chat. Vous aurez l'autre face. La chienne vicieuse de I wanna be your dog, la voici à terre, sur le ventre, jambes écartées, elle lèche le micro-pénis qu'elle se tend à elle-même, et puis elle s'expose, s'assoit, ramène ses jambes devant vous, les écarte afin de vous montrer les rousseurs de ses dessous, elle vous aveugle de sa féminité, de sa liberté à vous lancer des miettes d'envie comme l'on nourrit les pigeons dans les squares municipaux. Et tout cela dans une vertigineuse retenue, elle ouvre l'abîme pour mieux le refermer. Elle a tout donné en vous empêchant de rien prendre. Alicia ou l'ambiguïté du rock'n'roll.

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    Un set torride. De bout en bout. A bout portant. Ils ont aussi joué I fought the law, et ils ont gagné.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Armando Carvalho )

    P. S. : il restait encore deux groupes à passer, mais très tôt, le matin même, j'avais à faire. Sorry.

     

    LAIBACH

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    Le livre n'arbore aucun titre. Il n'est pas facile à lire. Ce n'est pas que le texte soit d'une complexité inouïe, mais quand vous le tenez il vous brûle les mains. Pas du tout au sens métaphorique. C'est que sa couverture vous ébrèche les doigts, elle est réalisée en papier de verre. Particulièrement épais. D'un noir peu engageant. Celui que vous utilisez lorsque vous grattez la grille de votre portail que vous désirez ( est-ce vraiment un désir ? ) repeindre. En plus elle est agrémentée d'une croix en acier, pas un dessin, un objet, qui évoque quelque peu la croix nazie. Son titre relégué en bas de page de garde – teinte gris souris - intérieure risque de vous sembler énigmatique.

    NSK

    Neue Slowenishe Kunst

    RENDEZ-VOUS GRENOBLE

    ( Editions Kasemate )

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    Les Editions Kasemate n'existent plus depuis décembre 2019. Elles ont été sabordées par leur éditeur-animateur Alexandre Thévenot. Dégoûté du milieu littéraire. Nous ne pouvons que le comprendre. Ce qui nous empêche pas de le regretter. Deux années d'existence auront suffi à faire d'elle un objet littéraire non identifié. Ses tirages minuscules, confectionnés à la main, encres, papiers, matières, formats, finement appariés sont appelés à devenir des objets de collection. Ce qui leur permettra de ne pas se perdre dans la mémoire humaines mais les inscrit d'office dans ces convulsions accapareuses qui motivent trop souvent les adeptes de la bibliophilie davantage intéressés par la valeur marchande d'un produit que par le contenu des idées manifestées dans ces brûlots idéens... Nous avions particulièrement apprécié ces plaquettes dédiées à la littérature symboliste et fin de siècle, par exemple cette réédition de poésies de Georges Rodenbach.

    Ce NSK Rendez-vous Grenoble avait été préparé pour accompagner la semaine du 11 au 14 octobre 2018 consacrée en la cité grenobloise aux activités ( conférences, expositions, films, éditions ), de la NSK.

    IL ETAIT UNE FOIS EN YOUGOSLAVIE

    AURELIE DOS SANTOS

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    Qui se cache derrière les initiales NSK ? Un regroupement d'artistes slovènes. Notamment à partir du groupe Irwin ( voir plus loin ). Les membres du NSK, dont Laibach est un organe des plus importants, entendent promouvoir un art total. Cette volonté fait sans doute référence à l'idée d'art total initiée par Wagner qui entendait allier musique, chant, théâtre, danse, poésie, peinture, sculpture – pensez aux décors pour ces deux derniers ingrédients - dans ses opéras. L'idée de collectif artistique réside en le principe participatif que chacun des membres apporte selon ses moyens d'expression ses créations à l'émergence d'une vision commune. Mais il vaudrait mieux envisager cette notion d'art total en art totalitaire et même en art de dénonciation du totalitarisme politique. L'on aborde vite des terrains mouvants. Il ne s'agit en rien de dénoncer les totalitarismes en opposition aux vertus démocratiques. Ce genre de discours très en vogue de par chez nous sur les médias de masse n'était pas de mise dans la pratique du NSK, né en Tchécoslovaquie au début des années 80, sous le communisme.

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    Cet Art Total joue sur les symboles, ceux des iconographies communistes et fascistes, le but est de montrer que des régimes politiques qui se sont en leurs temps farouchement opposés et qui se sont livrés une guerre sans merci, relèvent d'une même pratique totalitaire. L'idée n'est pas neuve. A tel point que va naître le concept d'art-rétro-futuriste. Le NSK joue avec les représentations graphiques des régimes communistes et fascistes pour en dénoncer l'inanité pornographique représentative. Lorsque la Tchécoslovaquie sera démembrée et que ses différentes parties pourront goûter aux délices du capitalisme démocratique financier, celui-ci sera aussi considéré sous ses aspects totalitaires et aura droit aux mêmes dénonciations.

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    Le NSK se revendique autant du suprématisme que du constructivisme russe, autant de Dada que de l'Internationale Situationniste, autant de Marcel Duchamp que de Guy Débord, le tout en une espèce de dé-constructionisme déleuzienne... qui politiquement se manifestera dans les faits par l'éclatement de la Tchécoslovaquie en plusieurs états nations. L'on touche ici à une certaine contradiction, la dénonciation initiale de l'existence d'un état totalitaire qui se traduit par la création de plusieurs mini-états tout aussi totalitaires. L'on peut ainsi se dire que la partition de la Tchécoslovaquie n'a guère engendré sur le plan politique quelque chose de bien nouveau, et peut-être même en déduire que si la NSK a emprunté les vieilles formes des avant-gardes du début du vingtième siècle c'est qu'elle a été autant incapable de créer de nouvelles formes artistiques que la société tchécoslovaque - dont elle n'était qu'un surgeon et qu'elle voulait transformer - n'a réussi à fomenter de nouvelles esquisses associatives politiques. A tel point que la NSK en est venue à créer un Etat trans-national virtuel, une espèce d'utopie fantôme – si vous voulez rester optimiste vous le qualifierez d'organisme non gouvernemental - qui pour ma part évoque quelque peu la démarche de Robert Musil qui dans son roman L'Homme sans qualité transforme l'Autriche-Hongrie en Cacanie afin de dénoncer d'autant plus librement et vivement la folie des nations européennes en train de se précipiter tête baissée dans la guerre de 14-18, conflit dont l'inanité aura, entre autres, pour conséquences la germination des avant-gardes politiques du vingtième siècle et la naissance des totalitarismes fasciste et communiste... Le serpent se mord la queue mais a du mal à n'en faire qu'une bouchée...

    '' WE COME IN PEACE '' : LAIBACH

    OU L'ART DE LA FUGUE

    FREDERIC CLAISSE

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    La NSK n'est pas sans rappeler l'éclosion du mouvement futuriste en Italie et en URSS. Deux pays comme par hasard dévorés par le fascisme et le communisme. Le futurisme fut un mouvement artistique multiforme dont les tentatives les plus significatives s'exercèrent en peinture et en musique. Question peinture nous renvoyons le lecteur à la troisième partie de cet ouvrage. S'il est une figure oubliée du futurisme, c'est celle du compositeur Luigi Russolo, il est l'auteur d'un manifeste intitulé L'Art des Bruits qui est au fondement de la musique bruitiste, électro-acoustique et industrielle. Il construisit ses propres instruments qu'il cacha dans un grenier parisien – il était réfugié anti-fasciste – mais qu'il ne retrouva pas après la guerre... Les esprits curieux peuvent aller sur You Tube écouter les rares documents sonores ( Serenata per intonarumori e strumenti, par exemple ) qui nous restent.

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    Laibach – ce nom n'a rien à voir avec l'expression américaine laid-back qui désigne une musique facile à écouter, il est le nom de la ville slovène Trbovlje lors de la présence allemande dans la région, ce qui équivalait à une provocation pour le régime communiste de Tchécoslovaque - est vraisemblablement le groupe constitutif du NSK le plus célèbre, il est même une des premières formations industrielles européennes à obtenir une aura internationale.

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    Musicalement Laibach ne me semble pas une réussite. Je ne veux pas dire qu'il joue de la mauvaise musique mais que celle-ci est tellement fidèle à l'idéologie du NSK qu'elle tourne à la parodie. Laibach s'en défend en affirmant que cet aspect est à entrevoir comme une ironie critique au deuxième degré. N'empêche que sa fausse musique pseudo-classique est peu évolutive, écouter un morceau de Laibach c'est un peu les entendre tous. Regarder une vidéo du groupe nous plonge dans la peinture pompière dans le plus mauvais sens de cette expression. Une question vient vite à l'esprit, se moque-ton du nazisme ou du spectateur ? Question stupide car elle en cache une autre ; celle des engrammes encéphalodiens, que veut-on au juste insuffler avec cette mimétique militaro-romanticico-nazie particulièrement cheap ? D'autre part la répétition de cette imagerie ne trahit-elle pas un essoufflement créateur ? Pour ne pas employer le terme d'infertilité incapacitante, celle-ci d'autant plus marquée que le groupe s'est vite adonné aux reprises, que ce soit l'album Let It Be des Beatles ou les hymnes patriotiques européens. Une démarche en quelque sorte idéologique, qui correspond à l'impossibilité actée ou théorisée de toute tentative d'élaboration de formes musicales nouvelles. Remarquons que si l'on compare l'enthousiasme créatrice des années 1920 à l'encéphalogramme artistique du début de nos années 2020, le fléau de la balance ne penche guère en notre faveur. Le rétro-futurisme nous semble beaucoup plus rétro que futuriste. La raison annonciatrice la plus prophétique reste la geste punk : No future !

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    IRWIN

    LE PROGRAMME DU GROUPE IRWIN

    Traduction : MARYLENE DI STEPHANO

    Vous l'avez compris, je suis plus que circonspect quant à la teneur créatrice tant iconographique que musicale, et cela même en dehors de toute position politicienne, de Laibach. J'avoue par contre avoir été atterré par les cinq textes qui forment comme le manifeste du collectif de peintres Irwin. Que lit-on : un succédané de formules empruntées à Hegel. L'idée de Totalité certes, mais une totalité ajoutée pour emprunter une formule à la mode ces temps-ci. Que peut-on ajouter à la Totalité. Rien répondront les esprits simplistes. Que si, se hâtent de répondre nos théoriciens, ce qui est en dehors de la Totalité ! Vous ne voyez rien ? Mais Dieu voyons ! Philosophiquement parlant l'on pourrait arguer qu'ils ont mal lu la Phénoménologie d'Hegel qui au-dernier moment, en un tour de passe-passe tout-à-fait ironique, substitue l'Esprit à Dieu. Chacun fait le ménage a sa manière, multiples sont les coups de balai sur le vain plumage de Dieu dirait Mallarmé. Mais que reste-t-il à l'Homme si Dieu persiste à ne pas être tué. Et plounck ! La solution irwinesque retombe dans le vieux christianisme des familles : la souffrance ! Grand bien nous fasse !

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    L'on me répondra que c'est pour me plonger le nez dans le caca, que dans n'importe quel état terrestre national, nous ne connaîtrons qu'oppression. Que le seul refuge consiste en le NSK State in Time. L'état transnational par excellence qui n'existe pas en tant que Etat car ne reposant sous un aucune surface ou délimitation terrestre. Ce qui entre parenthèses n'abolit pas les Etats existants mais qui se révèle tout autant étatique que tous les autres Etats, certes il est trans-frontalier, une espèce de phalanstère emblématique d'artistes réunis au travers du monde, mais cet Etat in Time est porteur d'une esthétique aussi dirigiste que les élites de nos pays, et qui dit esthétique dit idéologie et qui dit idéologie dit absence de pensée puisque celle-ci est corsetée par des principes manifestes.

    LAIBACH

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    D'autres lectures beaucoup plus libertaires de ce mouvement artistiques peuvent être établies. Nous ne les ignorons pas, mais nous nous en tenons à nos propres vues qui portent davantage sur l'implication philosophique de la démarche que sur ses réalisations objectivales. Cette chronique est à mettre en relation avec celle du livre de Max Ribaric, Blood Axis. Day of Blood. ( in Livraison 452 du 20 / 02 / 2020 ), groupe de Michael Moynihan dont la démarche paraît beaucoup plus authentique et moins artificielle. Tout ce qui sépare la dangerosité du loup solitaire d'une intelligentsia artistique qui joue sur la facticité miroitante de la société du spectacle.

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    Peut-être que Tomaz Hostnik chanteur du premier Laiback – plus proche d'un bruitisme exacerbé que du pompiérisme pseudo-classique que le groupe adopta par la suite - et qui en 1982 se pendit en une sorte de rituel sacrificatoire était-il plus près d'une démarche nationaliste plus radicale similaire à celle entreprise par le jeune adolescent Mickael Moynihan. Hostnik pose par son suicide une question essentielle : la copie à l'identique de l'idéologie fasciste est-elle une dénonciation ou une prise de position pro-nationaliste sincère ? Il semble qu'après la mort de Tomaz Hostnik, Laibach laisse à dessein planer l'ambiguïté laissant à chacun le soin de se positionner. Le groupe agissant comme un révélateur des affects politiques des spectateurs qui assistent à ses concerts soit en reconnaissant en son fort intérieur qu'il est partisan de cette forme d'autoritarisme soit en prenant conscience des dangers d'une société qui s'organiserait sur de telles modalités.

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    Le rock a souvent été décrit comme l'expression d'une révolte anti-sociale. Contre quoi au juste ? Comme tout art, il peut être la proie de manipulations idéologiques de toutes sortes. Il est bon de le savoir. Tout comme de se rendre compte qu'il s'inscrit aussi dans une filiation et des enjeux culturels, pas uniquement musicaux, qui remontent et s'inscrivent en des déploiements politiques dont il convient de ne pas être dupes.

    Damie Chad.