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CHRONIQUES DE POURPRE N° 46

CHRONIQUES

DE POURPRE

UNE VISION IMPERIEUSE DES HOMMES & DES OEUVRES

Revue Polycontemporaine / Interventions Litteraires

/ N° 046 / FEVRIER 2017

THEOLOGIE DU FEMINISME

 

LE VIOL D’EUROPE, OU LE FEMININ BAFOUE.

FRANCOISE GANGE.

232 p. Janvier 2007. ALPHEE.

www.editions-alphee.com

 

Nous nous demandions dernièrement comment il se faisait que les théories de Robert Graves exposées dans La Déesse Blanche et ses Mythes Grecs n’aient pas été exploitées à leur juste valeur par les mouvements féministes. Il aura donc fallu plus de trente années pour qu’une jonction d’évidence se réalise. Il est vrai que pour le féminisme hyper militant de la décennie soixante-dix Robert Graves présentait deux énormes défauts : premièrement il était un homme, deuxièmement sa pensée était à dix mille lieues du marxisme dominant.

Quant à la psychanalyse qui en ces époques-là a été la seule à tenter quelques excursions dans le domaine mythologique elle était encore trop imprégnée de l’ombre tutélaire de grand-papa Sigmund et de sa weltanschauung judéo-chrétienne pour oser remettre en cause les fondements monothéiques de la pensée freudienne. Françoise Gange en est d’ailleurs un exemple d’autant plus magnifique qu’elle dénonce avec une assez grande violence cet état de fait.

Le Viol d’Europe, ou le Féminin bafoué nous est présenté comme l’ultime volet d’une trilogie. Nous n’avons pas lu les deux premiers tomes mais les intitulés sont assez significatifs pour que nous nous permettions d’en dire quelques mots. Avant les Dieux, la Mère Universelle, le titre est à lui seul tout un programme et parle de lui-même. Pas la peine d’être sorcière pour comprendre que sont en cet opuscule repris les principales articulations de la pensée gravienne : à savoir qu’en grattant avec un peu d’attention le contenu des mythes indo-européens ou sémites, il est relativement aisé si on les met en relation avec les connaissances historiques en notre possession, de démontrer que derrière les généalogiques aventures des principaux Dieux de notre culture se cache le récit d’une terrible usurpation : celle des Dieux mâles sur la Déesse femelle originelle. Phénomène mythologique qui historiquement correspond en Grèce plus néolithique qu’antique aux invasions des tribus doriennes et achéennes qui imposèrent leur patriarcales coutumes aux autochtones qui vivaient selon us et préceptes matriarcaux.

Le Viol d’Europe, ou le Féminin bafoué reprend de larges extraits de cette thèse en s’appuyant sur de nombreux exemples connus de tout un chacun. Ainsi l’existence des Amazones, dévêtue de ses oripeaux les plus utopiques comme de ses sous-entendus graveleux, est présentée comme les derniers îlots de résistance désespérée menée par les prêtresses de l’ancien culte appelé à disparaître.

Nous serons plus que circonspect quant au contenu du deuxième opus. Le titre déjà nous a fait tiquer : Jésus et les Femmes. Depuis Renan et son admirable phrase sur Jésus qui fut plus aimé des femmes qu’il ne les aima, il est une tradition qui veut que Jésus ait été non pas le premier des communistes mais le premier féministe. Françoise Gange prend soin d’opposer le Jésus de l’Eglise officielle, triste avatar mysoginique du paternel Seigneur, au Jésus gnostique des sectes philosophico-religieuses.

Ce genre d’argumentation ne bénéficie point de notre indulgence. La gnose est un escalier qui nous ramène au christianisme. Pour les esprits mystiques la gnose joue un rôle identique à celui qu’endosse le panthéisme pour les sensibilités agnostiques. Ce sont des routes qui semblent s’écarter du christianisme pour mieux vous y ramener. Chaque fois que l’Eglise se sent faible, elle lâche du lest manière de donner un peu de mou au grappin qui vous tient beaucoup plus solidement qu’il n’y paraît. Le concept d’Âme du Monde est peut-être une hypostase plotinicienne de l’Unique mais pas une représentation de la Grande Déesse. Voir en le Catharisme une résurgence de la religion originelle ne nous semble pas sérieux. Les Cathares sont une préfiguration de la Réforme qui cherche à renouer avec une certaine rusticité biblique et judaïque. C’est-là une des tentations intérieures et cycliques du catholicisme. Le salut par les Juifs en quelque sorte comme le claironnera tout fort Léon Bloy.

Et si la civilisation occitane a réservé un sort plus enviable aux femmes que les puissantes baronnies septentrionales, c’est uniquement dû à la persistance de structures sociétales de l’antique fond gallo-romaine qui n’a pas été arasé avec une aussi grande férocité dans le Sud de la France que dans le Nord. Toute la différence qui exista entre l’occupation wisigothe et la brutalité de l’implantation franque.

Reste maintenant à analyser la thèse centrale du Viol d’Europe ou le Féminin bafoué qui n’est pas l’analyse du mythe d’Europe enlevée par Zeus, qui n’a d’autre intérêt que purement anecdotique pour ce qui nous occupe. Les sociétés matriarcales réduites à merci étaient-elles meilleures que les peuples patriarcaux qui les ont remplacées ?

Si l’on s’en réfère au seul critère d’efficience survivale, force nous est obligé de répondre non. Si haut que puisse être le degré de culture à laquelle un groupement humain réussit à atteindre, ce dernier est obligatoirement défectueux s’il n’assure pas sa propre sécurité. Nous ne savons pas si comme l’affirmait Lénine le capitalisme vendra à ses fossoyeurs la corde avec laquelle il devrait être pendu, mais l’Occident moderne inonde les pays du tiers-monde de machine-outils avec lesquelles ces derniers fabriquent des produits desquels il devient de jour en jour plus dépendant. Entre les délices de Capoue et l’austère discipline romaine nos contemporains ne balanceraient pas un instant. Entre Sparte et Sybaris, il était certainement plus agréable de vivre en Italie du Sud. Ce furent pourtant les murailles de Sybaris qui s’écroulèrent.

Gloire à Gaïa ! Cela ne nous empêche point de nous proclamer les fils d’Apollon. L’Europe naquit du viol d’Europe. Et Rome de l’assassinat de Rémus. Que ce soit un meurtre de femme ou d’homme, la différence ne nous paraît point, du point de vue de la victime, significative. Françoise Gange s’indigne des prêtresses de la Grande Déesse qui furent systématiquement violées par les sectateurs des Dieux ouraniens , pour le Roi qui était égorgé chaque année après avoir eu l’insigne privilège d’être le transitoire bourdon de la Reine, elle ne semble parcourue d’aucun frisson de pitié. Plus pragmatique, mais cela le touchait peut-être de plus près dans son imaginaire symbolique, Robert Graves explique aussi que parfois il n’était point besoin d’attendre les barbares ou les achéens pour instaurer un régime patriarcal. Le futur préposé au sacrifice organisait une révolution de palais avant de passer à la casserole. Pour la guerre des classes nous ne savons pas, mais les tribus matriarcales n’étaient pas épargnées par la guerre des sexes !

Mais venons-en au présent. Quand je vois l’état mental de mes coreligionnaires femmes qui m’entourent je n’aperçois aucun élément qui me déciderait à remettre le pouvoir décisionnel entre leurs mains. Je les trouve aussi lâches, veules et stupides que mes collègues masculins. S’il existe une égalité des sexes elle doit être fondée sur la bêtise humaine.

Françoise Gange nous assure que tout le mal provient de cette idéologie guerrière occidentale qui s’est répandue sur tous les continents de notre planète et a pollué jusqu’à l’idiosyncrasie féminine… Douce, tendre, rêveuse, amante, inspiratrice, la Femme de Françoise Gange possède toutes les qualités. C’est une véritable Dame troubadourienne parée de toutes les grâces. Nous n’oublions pas l’autre face : l’Hécate des carrefours qui s’en vient hurler à la mort… La Grande Déesse est majestueuse parce qu’elle réunit les aspects les plus lumineux aux plus sombres. Les Dieux sont toujours ambigus. Traîtres et bienveillants.

La Grande Déesse gangienne c’est aussi la face féminine d’un monothéisme totalitaire qui n’ose pas dire son nom. Le polythéisme qui fragmenta l’unicité de sa puissance nous séduit davantage. Il ménage des espaces de liberté, c’est-à-dire de non-croyance, à l’exact endroit des chaotiques brisures.

Vite lu, bien documenté, agrémenté d’une très belle couverture, une reproduction de l’Enlèvement d’Europe de Pierre Bonnard, ce livre a toutes les chances d’orner le chevet de maintes lectrices. Ô prédatrices ! Ô castratrices ! Ô Déesses ! Soyez grandes !

André Murcie.

 

AVANT LES DIEUX, LA MERE UNIVERSELLE.

FRANCOISE GANGE.

442 p. Novembre 2007.

Editions ALPHEE / JEAN-PAUL BERTRAND.

Avant La mère Universelle, il y eut une première édition sous le titre Les Dieux menteurs. Mais que l'on ne s'y méprenne pas, Françoise Gange pose bien la primo-originéité de la Grande Déesse sur les Dieux de tous les panthéons mythologiques. Enfin presque tous, car dans cette étude fouillée nous ne quittons guère l'interland mésopotamique et ses retombées helléno-occidentales.

Sans doute faudrait-il s'interrogers sur l'omni-existence de cultes similaires de la Grande déesse en des contrées aussi lointaines que la Sibérie, la Chine ou le continent sud-américain par exemple. Nous ne sommes pas sûr qu'une telle vision prévaudrait. Nous serions plutôt prêts à parier qu'avant la Grande Déesse néolithique il y eut d'autres adorations cultuelles beaucoup plus centrées sur des représentations symboliques animales. Avant la Femme, l'espèce humaine adora vraisemblablement le Serpent ! Ce n'est certes pas un hasard si celui-ci s'est glissé si rapidement, dans les premières pages de la Genèse.

Françoise Gange l'imite sans retenue. Son livre prend racine dans le Livre ! Nous entrevoyons les nécessités d'une telle démarche. L'Histoire fût-elle des origines, est toujours écrite par les vainqueurs. De même, pour les zones géographiques non sémitiques de sa démonstration elle se réfère d'abondance aux analyses de Robert Graves contenues dans sa célèbre et quelque peu révolutionnaire Mythologie Grecque. Mais nous n'en sommes pas pour cela moins conscient des limites imparties par cette propédeutique.

Qu'elle le veuille ou non, en basant sa cultuelle épistémologie anthropologique sur de tels documents, elle s'enferme dans des a-priori cognitifs engoncés dans un prêt-à-penser culturel qui donne au lecteur l'illusion que la pensée qu'elle expose est à même d'apréhender avec une pertinence des plus objectives la réalité du monde qu'elle s'acharne à décrypter. Mais contrairement à un Fraser qui dans Le Rameau d'or fonde ses démonstrations, avec une systémie boulimique souvent lassante, sur de multiples exemples collectés aux quatre coins protéiformes de la planète, elle oeuvre à l'intérieur d'une bulle intellectuelle amassée et ressassée depuis des siècles, une sphère de connaissances des plus convaincantes, mais qui reste accrochée à l'armature de ses propres schèmes cognitifs. Nous pourrions faire une critique Wittgenstenienne d'une telle pratique qui ne remet jamais en question la validité de ses pré-supposés.

Ainsi Françoise Gange part du principe que les Dieux sont de sinistres imposteurs qui ne reflètent que la part la plus sombre de l'Humanité, son idéologie phallocratique de violence guerrière. Notons qu'elle n'a pas tout à fait tort, et que le premier ennemi de l'Homme reste son propre semblable. L'Homme ne peut pas se voir en peinture dans le miroir de lui-même que la présence de l'autre lui tend. Les byzantines querelles icônoclastiques doivent être entés sur de tels prolégomènes...

Mais avant que nos instincts meurtriers aient pris le dessus en s'incarnant dans les images des Dieux méchants, il y aurait eu une ère de bonheur, de prospérité, un pays baudelairien de luxe, de calme, et de volupté où notre humanité se serait attardé avec délices, et qui aurait été dominée par le culte de la Grande Déesse.

Nous ne voudrions pas remettre en doute l'existence de cette sainte matrone. Les vestiges archéologiques et l'analyse scrupuleuse des textes, témoignent en faveur d'une période protohistorique, dominée par cette Vénus souveraine. Mais si nous adorons Saturne ce n'est pas pour cela, malgré les assurances de Virgile et d'Hésiode, que nous croyons à un Âge d'Or historial.

A suivre Françoise Gange, il y aurait eu une période originelle des plus heureuses : les hommes et les femmes, sous l'égide maternelle, s'adonnèrent en ces temps bénis aux plaisirs de l'érotisme libre... Nous serions les premiers à nous embarquer pour cette Cythère néolithique, mais les rapports de force engendrés par le passage d'une économie de subsistance basée sur la chasse et la cueillette à un mode de vie beaucoup plus sédentarisée pour les nouveaux besoins de l'agriculture n'ont pas dû être vécus une partie de plaisir.

L'Histoire accouche de ses contradictions dans le sang. Caïn tue Abel, et l'indolent Tytire sous son hêtre opulent ne doit sa fortune qu'aux aléas augustéens des guerres civiles... Nous pourrions citer mille autres exemples aussi cruels. D'ailleurs à y regarder d'un peu plus près, le royal amant de la Reine immolé au printemps ne devait trouver le jeu tout à fait à son goût. Françoise Gange peut bien nous exhumer un chant de regret adressé au malheureux promis, si poétique soit-il nous nous permettons de douter de ces effets, laxatifs ou revigorants, sur le moral du futur condamné à mort.

Que le sang ait coulé, en abondance et à gros flots, entre les tenants de l'archaïque religion matrimoniale et les zélateurs des nouveaux Dieux, que des scènes atroces, viols, tortures, massacres, se soient déroulées sans retenue, nous y souscrivons sans peine. Ce que l'on connaît bien plus près de nous des errements barthélémiques de nos modernes guerres de religion ne nous incite guère à un optimisme rétrospectif.

Mais nous refusons d'être dupe d'une vision par trop idyllique des temps de la Grande Déesse. Au nom de celle-ci l'on a dû aussi s'entretuer allègrement. Nos chrétiennes nations européennes se sont entredéchirées durant des siècles au nom d'un même dieu d'amour... nous ne voyons pas par quel miracle les peuples et les tribus néolithiques dépourvues par la sainte grâce de la Vierge suprême de toute animosité n'auraient plus convoité les territoires de leur voisin. L'inquiétante disparition de l'homme de Néandertal aux âges précédents ne laisse aucun doute sur les pratiques guerrières de nos ancêtres. Même polie, méfie-toi de la hache qui te sourit.

Et puis qui pourrait croire que le monothéisme féminin soit préférable au monothéisme masculin ? A part quelques féministes exacerbées ! Les Reines et femmes politiques qui sont parvenues au pouvoir suprême n'ont peut-être pas fait pire que leurs collègues mâles, mais elles n'ont pas non plus fait beaucoup mieux.

La deuxième partie du livre consacrée à l'étude des exploits de Gilgamesh est des plus intéressantes. Même si l'on ne partage pas les a-priori dogmatiques de Françoise Gange, le lecteur apprendra beaucoup. Mais que cela ne nous induise pas en erreur. Gilgamesh n'était peut-être qu'une sombre brute assoiffée de carnage, mais Françoise Gange n'est qu'une parfaite adepte du monothéisme.

A son corps défendant, elle admet du bout des livres qu'il y a bien eu un intermède polythéiste, mais que l'essentiel du fait religieux réside en le changement de sexe de la divinité monothéique. La gentille femelle a été traîtreusement terrassée et remplacée par un très méchant soudard.

Une fois que le Serpent a glissé le bout de sa queue dans le premier testament, il s'y est si bien trouvé qu'il n'en est plus ressorti et qu'il y a engendré maints serpenteaux qui se sont nichés dans les recoins les plus profonds du cerveau humain. Françoise Gange a connu la même mésaventure : sa volition vaginocratique s'est laissée engrossée par l'Esprit Saint. Nous suivrons donc la suite de ses aventures testamentaires dans Jésus et les femmes. Un titre prometteur.

Cet Avant les Dieux, la Mère universelle est, ô vertu ô combien féminine, séduisant. Mais nous ne tomberons pas dans le piège diabolique de l'unique pomme à croquer. Hors des murs du jardin, il existe une réalité luxuriante, touffue et infinie. Pas plus que nous ne voulons rester sous la coupe d'un Dieu unique, nous ne désirons végéter à l'ombre des seins d'une seule Déesse.

La Guerre de Troie aura bien lieu.

André Murcie.

 

JESUS ET LES FEMMES.

FRANCOISE GANGE.

364 p. ALPHEE EDITIONS. Février 2006.

Pour les femmes nous ne ferons pas de problème, nos expériences les plus concrètes nous poussent à subodorer leur existence. Pour Jésus, nous avouons ne point professer la foi de charbonnière de Françoise Gange quant à la réalité historique de son circuit terrestre. François Gange n'y va pas par les quatre branches de la croix, elle y croit. Paroles d'évangiles ! D'ailleurs aux quatre canoniques elle se hâte d'ajouter tous ceux que l'Eglise n'avait pas retenus, avait même interdits et fait brûler selon ses charmantes coutumes inquisitoriales, et que l'on a retrouvés au fond d'un cul de jatte en 1945 près de «la localité de Nag Hammadi, dans le désert d'Egypte ».

Documents d'époques de différentes natures indexales dont elle se hâte soit de dénoncer les immondes traficotages et les honteux caviardages qui prévalurent à leur constitution, soit d'expliciter le sens subtil et révolutionnaire qui décida de leur destruction. Ne soyez pas rebuter par l'hideux bandeau dont on a cru bon d'entourer le volume sur le présentoir des librairies : « Marie-Madeleine, ce que le Da Vinci Code n'a pas révélé », il fallait oser ! L'étude de Françoise Gange mérite mieux que cette stupide réclame.

L'on a déjà tenté mille hypothèses sur Jésus. Je risquerai la mienne, celle d'un personnage mythique, un peu comme le Nasdine Hodja de la littérature arabe, dont on se serait raconté et repassé les histoires, le soir au fond des isbas judéennes, manière bien connue de manifester pour le citoyen de base, taillable et corvéable à merci, son mécontentement populaire face à la morgue impositionnelle des élites pharisiennes... Mais je m'égare, Françoise Gange nous en brosse un portrait qui nous offre l'exact profil de ses propres théories...

Le message d'amour qu'aurait délivré le doux Jésus, serait celui d'un retour aux sources de la religion originelle, comprenez à la grande Déesse Mère, qui fut adorée durant tout le néolithique et même un peu avant, par toute l'oikouméné dispersée sur la face de notre planète. Car selon Françoise Gange au monothéisme douillet de la belle Déesse se serait substitué le cruel monothéisme du Dieu mâle, jaloux et solitaire, méchant comme une teigne et cruel comme un tigre altéré de sang...

Le Christ aurait donc en vérité et en son temps délivré un incompréhensible message en totale opposition avec le consensus biblique qui prévalait voici depuis plus de vingt siècles en Palestine. Sans doute aurait-il mieux fait de se taire car toute une partie de ses disciples ne comprirent jamais le sens profond de ses pieuses paroles. C'est que pour un juif moyen il n'y allait pas avec le dos du chandelier ! Premièrement il ne reconnaissait pas, ô crime impardonnable pour lequel il fut condamné à mort, l'autorité du Temple, deuxièmement aux phallocratiques préceptes yahviques il préférait les soyeuses efféminations de l'antique Déesse Mère, et mettant ses actes en accord avec ses idées, il prêchait la sainteté de l'amour libre et charnel. Attention ne le transformez pas en partouzard furibond, il n'eut qu'une épouse la belle Marie-Madeleine que plus tard l'Eglise baptisa de l'ignoble appellation de prostituée.

Bref le Jésus de Françoise Gange, fut un mec plutôt cool, très respectueux des dames et des demoiselles qui professait une sorte de gnosticisme spirituel de bon aloi. Par quel miracle parvint-il à attirer autour de lui tout un tas plus ou moins hétéroclite d'apprentis imitateurs, nous n'en saurons jamais rien, mais Françoise Gange ne remet en doute, même pas durant un quart de seconde, la véracité de l'existence d'une telle entité...

Après sa mort beaucoup de ses disciples s'en revinrent à leurs premières amours templières et décrétèrent que cet être exceptionnel ne pouvait être que le fils de Yaveh en personne. Quelques autres regroupées autour de son ancienne compagne Marie-Madeleine en tentèrent une approche moins pompière. Ils furent les premiers à parler de Résurrection et d'Apparition mais ils entendaient par ces termes la métaphysique idée d'une renaissance de la personne christique en leur propre esprit. Les disciples étaient parvenus à un sentiment d'éveil et de conscience égal à celui qu'avait atteint Jésus au moment de mourir... A Pierre, Jacques, Paul et Luc qui judaïsèrent l'enseignement christique à outrance s'opposèrent le groupe des gnostiques de Marie-Madeleine, d'Etienne, de Philippe et de quelques autres qui furent peu à peu stigmatisés et, dès que Constantin eut embrassé la religion catholique, pourchassé sur tous les rivages de la Méditerrannée. L'Eglise eut aussi ses propres martyrs !

Ce mouvement gnosttique survécut plusieurs siècles à l'intérieur ou en marge de l'Eglise. Françoise Gange se garde bien de l'articuler avec le mysticisme païen. C'est que pour elle il n'existe pas de paganisme. Le monothéisme masculin a remplacé le monothéisme féminin, en point c'est tout. Le polythéisme n'est que la réplique adjacente et épiphénoménique à un tel bouleversement intellectuel.

Ce Jésus et les femmes est des plus agréables à lire. L'Eglise en prend plein la tête pour pas une sesterce, Jéhovah et le Sanhédrin itou. Françoise Gangé se livre à une exégèse des plus serrées des textes sacrés qu'ils soient schismatiques, officiels ou condamnés. Certes elle accepte les deniers du culte pour argent content, mais l'on comprend pourquoi. Dans son raisonnement binaire l'évidencéïsation de l'historicité de Jésus donne par contre coup un statut historiciste des mieux venus au pré-historique personnage de la même Déesse Mère.

C'est un peu ce qui s'appelle prêcher pour sa propre paroisse ! Mais nous ne lui en voudrons pas, d'autant qu'une telle démarche, crypto-chrétienne en quelque sorte, est des plus intéressantes à observer puisqu'elle nous révèle toute une partie de l'articulation clandestine du mouvement féministe actuel que nous pouvons ainsi entrevoir comme une des formes les plus équivoques du puritanisme catholique à l'oeuvre en notre modernité. Le christianisme se sécularise pour mieux survivre à la disparition programmée de la puissance de l'Eglise.

André Murcie.

 

HERODOTE LE HEROS DOCTE

 

LE JARDIN D’HERODOTE.

SIMONNE JACQUEMARD.

411 p. Editions FEDEROP. Juillet 1994.

 

De Simonne Jacquemard je ne connais rien si ce n’est, grâce à la bibliographie de fin de volume, qu’elle a obtenu le Prix Renaudot en 1962 pour Le Veilleur de Nuit et puis cette photo sur la quatrième de couverture d’un livre dont j’ai oublié le titre, qui la montre devant sa propriété, un joli petit château, comme beaucoup n’oseraient rêver… Mais enfin il y avait Hérodote dans le titre alors j’ai pris d’office.

Je n’ai pas regretté. C’est un beau roman. Même si vous n’aimez pas l’Antiquité. Quoique le mot roman convienne mal à la réflexion. Une évocation plutôt. Un texte de quatre cent pages qui reprendrait un peu, à un tout autre niveau, la description de la visite de Carthage en construction par Enée, dans l’Enéide comme il se doit. Pour l’intrigue et sa résolution finale, désolé mais il vous faudra faire sans. Pour la bonne raison qu’il n’y en a point.

Je triche, il en existe une, répertoriée dans tous les livres d’Histoire, mais elle s’est déroulée près de mille longues années plus tard et n’influe en rien sur notre ouvrage. Le Jardin d’Hérodote est écrit à l’encre d’une autre temporalité, plus universelle que le cours des siècles, celle de l’éternel retour de toute naissance, de toute renaissance.

La paresse est un vilain défaut. Lorsque vous y ajoutez une certaine indolence volontiers hautaine et une opulence matérielle sans carence, ne vous étonnez point si vous faites des jaloux. Nietzsche aurait mis cela sur le compte du ressentiment, sans aller jusque-là affirmons que les Sybarites se trouvèrent fort pris au dépourvu lorsque la bise crotonoise leur tomba dessus.

De Sybaris ravagée par le feu, il ne resta rien. Les hommes furent tués et les femmes réduites en esclavage. C’était ainsi que les Grecs, ce peuple de la mesure en toutes choses, s’entendaient à résoudre leurs différends politiques. La Grande Grèce n’oublia jamais l’exemplarité des leçons de la mère patrie !

Les rares sybaritains échappés au massacre se taillèrent de belles propriétés sur les terres abandonnées de force et à jamais par leurs malheureux ex-concitoyens. Abondance de bien ne nuisant pas, il leur vint à l’idée d’entretenir une plaintive correspondance avec la Ligue de Délos. Mal leur en pris, cherchant toujours une bonne occasion d’aller mal faire aux quatre coins du monde, l’Athènes de Périklès décida de leur porter secours.

C’est ici que survient Hérodote que Simonne Jacquemard embarque avec poules, veaux, cochons et quelques milliers de colons plus ou moins volontaires, dans le but avoué de fonder la nouvelle cité de Thourioï sur le site même de Sybaris. En ces années-là l’impérialisme athénien avançait ses pions masqué : Thourioï était une cité pan-hellénique. La Grèce entière avait le droit de fournir son contingent. A leur habitude les spartiates ne se donnèrent même pas la peine de refuser. Athènes pave le chemin de la Sicile d’une nouvelle place forte. Le turbulent gamin qui chahute sans fin dans la demeure de Périklès porte un nom destiné à devenir célèbre : Alkibiadès !

Nous voici sur les rivages de la future Thourioï : nos nouveaux venus ont un sacré pain sur la planche. Avant que ne survienne l’hiver les remparts doivent être élevés, les quartiers établis, les maisons prêtes à recevoir leurs occupants… Mais la Cité grecque est avant tout une entité politique, partage des terres, constitution, mode de gouvernance, les principes de base doivent être écrits noir sur blanc, connus de tous, approuvés par chacun.

La tache est immense, il faudra même donner un coup de main aux esclaves. Simonne Jacquemard nous entraîne dans un tourbillon de problèmes et de personnages. A peine nous avons-nous identifié le héros qu’il s’efface pour laisser place à un autre. Le roman est une mosaïque dont l’unité naît de la juxtaposition de mille fragments disparates. Les murs se montent, les troupeaux rejoignent leurs pâturages, les artisans dressent leur échoppe, l’araire débroussaille les premiers champs, les caractères s’affirment, les intérêts se frottent et se piquent, la vie prend son essor…

Sans doute ne convient-il pas de le dire sans prudence en nos temps de susceptibilité démocratique, mais le legs de la Grèce qui nous importe aujourd’hui reste celui de ses penseurs. Simonne Jacquemard souscrit à notre thèse puisque voici Protagoras d’Abdère, Hippodamos de Milet, Diodôros de Sicile, Sophoclès, dont les destins croisent de près ou de loin les aîtres de Thourioï…

La plus haute figure du roman n’est pas celle d’Hérodote qui de fait incarne la voie médiane de la vie. Mais Celle qui ne fait que passer. Car Hérodote ne voyage plus. Il met au propre ses Enquêtes au travers du monde. Désormais il reste stationnaire, à sa place dans Thourioï. Peut-être en a-t-il assez vu des hommes et du monde. De ceux-ci il ne se fait aucune illusion et n’hésite pas à éliminer physiquement ceux qui gênent le développement harmonieux de la nouvelle cité. Faut-il un maximum de pragmatisme pour préserver un minimum d’utopie ? Les riches Sybaritains qui avaient survécu au raid des armées de Crotone et qui pensaient imposer à la nouvelle Cité un régime oligarchique grâce à l’assistance intéressée des Syracusains le paieront de leur vie.

Quant au monde Hérodote en cultive la quintessence dans son jardin qu’il plante de fleurs et d’arbustes venus de toutes les pays qu’il a avec tant de curiosité visités en sa jeunesse. Sa visée ne dépasse pas son entourage dont il tente d’assurer la survie et le bonheur en employant son pouvoir au risque d’aller à l’encontre de la normalité et des consciences de ses subordonnés. Le jardin d’Hérodote sent aussi bon que celui de Candide. Pas aussi mauvais car Hérodote ne renie pas la politique.

Humain, bien trop humain, susurrera l’altière silhouette d’Empédoklès. Qui ne fait que passer. Trois grands tours et puis s’en va. Thourioï est trop petite pour lui. Le chapitre qui est consacré au philosophe d’Agrigente est le plus beau, le mieux réussi et le plus important du livre. Nous sommes ici, face à l’autre Grèce. Pas celle qui serait apollinienne. Pas celle qui serait Dionysienne. Mais les deux en même temps. La divinité corrode l’humanité d’Empédoklès. Pages merveilleuses dans lesquelles Simonne Jacquemard nous montre Empédoklès, encore avec ses sandales, seul face à la lave rouge du volcan. Il a déjà été ce manteau d’écarlate et d’ordalie. Les cycles se succèdent. D’Orphée à bien plus tard Apollonius de Tyane c’est la même Grécité qui parle, celle du Retour incessant des Dieux.

Paix aux hommes de bonne volonté. Simonne Jacquemard ne cache rien de la férocité de la société grecque. Les riches qui s’empiffrent, les pauvres qui crèvent de faim, les esclaves que l’on tue au travail. Regard sans concession qui accentue l’aspect lumineux des situations pour mieux faire ressortir la noirceur menaçante des ombres du tableau. Mais elle termine sur une notes d’espoir très hugolienne. La petite prostituée à qui la Constitution de Thourioï ne défend pas de fréquenter l’école non mixte des garçons. Il ne faut pas désespérer le lecteur moderne ! Que cet hypocrite se rassure, cette sensibilité, cette sensiblerie anachronique, de Simonne Jacquemard n’altère point sa compréhension, son intuition de la Grèce antique.

Le cœur de la Grèce ne réside ni dans les malheurs de Cosette, ni dans l’humanisme frelaté de notre propre condition d’homme. Nous sommes les fils d’Empédoklès, et nos songes sont plus grands que les Dieux.

André Murcie.

 

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