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CHRONIQUES DE POURPRE N° 23

CHRONIQUES

DE POUPRE

UNE VISION IMPERIEUSE DES HOMMES & DES OEUVRES

Revue Polycontemporaine / Interventions Litteraires

/ N° 023 / Decembre 2016

SOULET RUINES D'APAMEE

 

HISTOIRE ET ARCHEOLOGIE D'APAMIA.

JEAN-JACQUES SOULET.

Antiquité et Moyen-Age du Pays de Pamiers. (Ariège).

206 pp. Février 2002. Editions LACOUR.

 

J'aime les livres. Particulièrement ( j'ai failli écrire exclusivement, mais ma légendaire modestie m'en a empêché ) ceux qui parlent de moi. Non, chers lecteurs, je ne cède point à un délire monomaniaque aggravé, ma misérable personne ne représente qu'une des infimes parcelles de l'agrégat humain séculaire dont il est question dans ce livre. Ne le cachons point : mes ennemis auraient le droit de me dénier de toute appartenance originaire à l'essaim embryonnaire ici étudié. Je dois l'avouer, je ne suis qu'une misérable branche rapportée, un étranger venu d'ailleurs que les aléas de l'Histoire ont planté dans cette terre qui me fut natale.

Encore que je m'interroge. Le droit du sol me satisfait aussi peu que le droit du sang. L'on n'est pas ce que l'on naît. L'on est ce que l'on veut devenir. Tout se passe dans la tête. La plupart de nos semblables dépourvus de la moindre imagination, ou cédant trop facilement à la loi multi-généralisée du moindre effort, se contentent de revêtir les oripeaux qu'ils trouvent sur les lieux de leur naissance et s'en prévalent comme d'un droit et d'une identité inaliénables, innéliénables pourrait-on dire.

L'on ne compte plus les millions d'imbéciles qui se proclament français par le simple fait qu'ils soient nés en France. Mais il est des esprits pervers qui finassent : français de nationalité mais auvergnats de coeur. Certains poussent le vice jusqu'à se revendiquer de l'ETA basque. A jouer avec les nationalités, les ethnies et les origines la situation devient vite explosive ! Nous touchons à un des rouages essentiels de la grande politique : se définir c'est déjà se séparer. Cette formule peut aussi s'énoncer autrement. Diviser pour régner, par exemple. Ainsi César passe davantage la majeure partie de son De Bello Gallica à dénombrer les différentes peuplades gauloises qu'à raconter ses exploits militaires. Et pourtant le divin Jules n'a jamais revendiqué le titre d'ethnographe. Ne cherchez pas l'erreur !

L'étymologie est une science merveilleuse. Elle ne répond pas à toutes les questions. Surtout aux plus insidieuses. Si l'on écoute une tradition communément admise, la commune de Pamiers, charmante bourgade de 15 000 habitants sise à 60 kilomètres au sud-est de Toulouse à quelques encablures du piémont pyrénéen, tirerait son nom de l'unification de quatre à cinq pams, comprenez ce vocable pré-occitan comme l'équivalent du mot quartiers, en une seule et unique Cité d'Apamée, aux temps obscurs du premier moyen-âge que certains s'obstinent à appeler antiquité tardive...

De Pams à Pamiers, il n'y a qu'un pas que la raison raisonnante franchit allègrement. A ceci près que depuis toujours les habitants de Pamiers furent certifiés apaméens. Préfixe enquiquinant. L'on trouva une explication : de retour de croisade le Comte de Foix eut la fantaisie de nommer la bourgade de Frédélas empêtrée à 18 kilomètres de son château dans le lit marécageux de l'Ariège , du nom grandiose d'Apamée en souvenir de l'Apaméa syriaque en laquelle l'on suppose qu'il aurait fendu le crâne de milliers de Maures peu réceptifs au message d'amour christique.

Pesé et emballé. Tout le monde s'est contenté durant des siècles de cette mouture. Cela aurait pu continuer jusqu'à aujourd'hui. Mais non il a fallu qu'un certain Jean-Jacques Soulet s'en vienne faire des siennes et bousculer des incertitudes établies depuis des lustres par les sociétés savantes du canton et les instances supérieures de la recherche universitaire. Le problème avec les éléphants qui rentrent dans les magasins de porcelaine, c'est qu'ils n'y vont pas avec le dos de la cuillère. Pour Jean-Jacques Soulet, ce serait plutôt avec la pelleteuse tout terrain.

Ne vous fiez pas aux premières pages. Si vous croyez tomber dans une oisive et sombre querelle clochemerlesque quant aux circonstances de la réhabilitation des ruines de l'Abbaye Saint-Antonin sur la rive gauche de l'Ariège, préparez-vous à quelques tsunamis historiques...

Inutile de courir jusqu'en Syrie pour découvrir l'antique Apamia. Examinez les rives de l'Ariège... le fleuve capricieux a moulte fois changé de lit. Apamia est là sous les eaux et plusieurs mètres d'alluvions rocailleux. Depuis quand ? Trois siècles après J. C.

Voici un genre de présomptions que les autorités n'aiment guère. La découverte de Jean-Jacques Soulet au début des années 80 fit localement quelque bruit. Elle était argumentée : textes anciens, photos aériennes, vestiges in situ... Le tout se termina par une mise en examen de notre découvreur coupable de ne pas suivre les sentiers battus des Antiquités Historiques.

A peine avez-vous arraché son os au chien qu'il en retrouve un autre encore plus gros et plus malodorant. Jean-Jacques Soulet n'a pas abandonné la partie. Il fouilla plus avant. Et pas n'importe où. Dans le livre culte et fondateur de la nation française. Qui oserait remettre en cause la parole de César ? Certes les chercheurs se battent encore comme des chiffonniers à décrypter les lignes par trop énigmatiques de La Guerre des Gaules. L'herméneutique césarienne reste encore de nos jours conflictuelle.

Notre auteur n'a pas manqué d'y porter avec ses gros sabots d'Ariégeois une main sacrilège. Comme tout un chacun il s'aide des historiens grecs et latins qui précédèrent et suivirent le tombeur de Cléopâtre. Et puis bien sûr la confrontation avec le terrain et l'auxiliariat indispensable de la toponymie.

La moisson est bonne fructifiante. L'Ariège s'en sort avec les honneurs de la guerre. A lire entre les lignes, les textes et les chroniques médiévales, il appert que nos ancêtres les Sotiates, tribu gauloise nichée sur l'antique ville d'Apamée reconstruite, furent les plus glorieux opposants au fondateur de l'Imperium Romanum. Ils s'étaient d'ailleurs déjà illustrés en imposant un honteux traité de paix à Lucius Manlius proconsul de la Narbonnaise en 78...

Un bonheur n'arrive jamais seul. Sous la plume de Jean-Jacques Soulet les Sotiates sortent de l'ombre. Cette peuplade quasi-inconnue se pare des plumes du paon romain. Pardon du Pont Romain. Un bien grand mot pour une sorte de passerelle de briques voûtée qui enjambe l'embêtant Crieu. Une espèce de rivière tellement toujours asséchée que l'on prétend dans le pays qu'il s'agit d'un canal d'irrigation creusé par les Romains.

Jean-Jacques Soulet en remonte le cours et en tant qu'architecte professionnel se livre à d'étranges ruminations. Le Crieu est l'oeuvre des Sotiates. Nos ancêtres avaient poussé l'art de l'aménagement fluvial à un niveau inégalé à leur époque. Le lecteur en apprendra un peu plus en parcourant la chronique adjacente.

André Murcie.

 

LES ARCADES.

JEAN-JACQUES SOULET.

Un pont aqueduc antique méconnu, l'origine de Perpignan.

64 pp. Avril 2006. Auto-édité.

 

Un aqueduc romain de 210 mètres de long, 13, 50 mètres de hauteur, avec le train qui passe sous l'arche principale. Vous ne pouvez pas le manquer. Enfin si, c'est déjà fait. Nous parlons bien du même. Près de Perpignan. Juste un détail. Comme le Pont du Gard. Il n'est pas romain.

Lecteurs, ne m'imputez pas une malheureuse erreur de frappe. Jean-Jacques Soulet est formel. Ces deux monuments n'ont pas été construits par ces fous de romains. Mais par les Sotiates. L'on peut même dire que pour des ouvrages chargés de véhiculer de l'eau, il argumente sec. La dimension des briques au centimètre près et la technique des arches pas perdue pour lui. Avec en plus la relecture des inscriptions oubliées.

Il est comme cela Soulet. Tout pour les Sotiates, rien pour les Romains. Avant les méchants envahisseurs il existait dans le sud de l'Aquitaine et jusque sur les contreforts de la Narbonaise une civilisation qui n'avait rien à envier à la Rome Républicaine. Aussi ancienne qu'elle, et même plus, et en avance sur bien des points. Espionnage industriel ou récupération du savoir des vaincus, les romains s'y prirent si parfaitement qu'ils ont effacé jusqu'à la mémoire de leurs prédécesseurs...

Est-il besoin de préciser que la capitale des Sotiates se trouvait à Apamia, ville encore aujourd'hui traversée par de nombreux canaux ? En tant que natif de la ville de Pamiers je ne peux que m'esbaudir d'une aussi illustre origine. Pour la grande Histoire il faut encore ajouter que le premier des Capétiens n'est qu'un imposteur hâtivement oint par l'archevêque de Reims qui ne prisait guère l'héritier carolingien sotiate...

Jean-Jacques Soulet n'y va pas de main morte : le coeur originel de l'Europe se trouve bien à Pamiers. Les fondements de notre civilisation européenne ne sont pas à chercher ailleurs que dans cette filiation pro-gauloise et sotiate, anti-romaine et chrétienne. C'en est hélas trop pour nous, pro-romains et anti-chrétiens. Rappelez-vous ce nous avons déclaré en liminaire. Nous sommes ce nous voulons devenir et non ce que nous sommes. L'origine est donc toujours mythologique et politique.

Ce qui n'empêche pas que la construction mythographique de Jean-Jacques Soulet au travers de ces deux livres soit passionnante. Même si nous ne pouvons y souscrire. Ne dites pas : à chacun sa vérité. Ni plutôt à chacun ses mensonges. L'important est de faire sens. Et nous ne pensons point que Jean-Jacques Soulet ait remonté à l'amont de sa pensée. Rien ne sert de creuser le passé si par la même occasion l'on n'en profite pas pour remblayer le présent.

André Murcie.

PS : Pour tout ce qui est de l'étude toponymique de ce livre nous conseillerions d'établir une lecture parallèle avec les chapitres adéquats d'Arsène Lupin, supérieur inconnu de Patrick Ferté. Nous ne pensons pas que JJ Soulet ait lu ce livre de mais toutefois le village de Rennes-le-Château, en territoire sotiate, pourrait être vu comme un point focal d'inspiration druidistique !

 

LES EAUX D’APAMIA…

( La Cité Hellénisique Disparue )

 

JEAN-JACQUES SOULET

( ISBN : 2 - 9524454-3-5 / 2014 )

 

L’est des écrivains qui sont des sorciers. Des magiciens du verbe. Et d’autres des sourciers. Font jaillir des réalités cachées aux yeux du plus grand nombre. Jean-Jacques Soulet s’inscrit parmi ceux-là. Ne sont guère aimés par la science officielle. Souvent leurs dires vont à l’encontre des certitudes inébranlables des institutions savantes. Le premier ouvrage de Jean-Jacques Soulet Histoire et Archéologie d’Apamia ( ED Lacour / Nîmes / 2OO2 ) fut accueilli par des ricanements offusqués et des rires de mépris. Il n’en est pas de même avec ce troisième volume : ce qui au début de ce siècle ressemblait à une théorie tant soit peu fumeuse est devenue une hypothèse des plus sérieuses si solidement étayée qu’elle remet en cause des vulgates établies depuis plus de deux cent ans. Les critiques les plus acerbes des milieux académiques se sont tues, du bout des lèvres l’on admet que les assertions de Jean-Jacques Soulet méritent respect, discussion et confrontations.

Mais de quoi s’agit-il au juste ? Des origines la cité de Pamiers, certes la plus importante ville de l’Ariège mais qui à l’échelle nationale n’est qu’une grosse bourgade de quinze mille âmes… Pas de quoi fouetter un chat diront les esprits pondérés, n’y a-t-il pas dans notre pays d’autres problèmes plus immédiats ? Nous en convenons, mais il est des points de fixation symboliques qui possèdent une portée opératoire bien plus importante qu’il n’y paraitrait de prime abord. Remettre en cause les fondements historiaux de la nation est une entreprise déstabilisante que les relais intellectuels représentatifs des pouvoirs gouvernementaux n’apprécient guère. Celui qui redéfinit - ne serait-ce qu’une parcelle - des présupposés fondamentaux culturels sur lesquels repose l’assentiment global des élites intellectuelles ébranle un des cubes indispensables à l’équilibre de la pyramide. Les batailles politiques les plus décisives se jouent souvent sur les terrains les plus inattendus.

Il serait facile d’affirmer que ce livre n’offre qu’un intérêt local. Longtemps que j’ai quitté Pamiers, mais en tant qu’appaméen de naissance le livre de Jean-Jacques Soulet me parle de mon enfance. Souvent les lieux qu’il évoque me renvoient à d’innocentes scènes de baignade familiale, mêlées je dois l’avouer, à de criminelles pêches aux têtards. Mais aussi à ces aventureuses pérégrinations dans le lit asséché du Crieu qu’un peu d’imagination transformait rapidement en saga de trappeurs à la recherche du filon aurifère maudit… D’autant plus que le Crieu et son fameux pont « romain » était entouré d’un halo de mystère propre à enflammer les jeunes imaginations. Il se colportait cette étrange histoire de cette rivière qui n’en était pas une, qui serait un canal artificiel creusé par les légions de l’Imperium Romanum. Marcher dans le lit du Crieu c’était déjà revêtir la pourpre impériale, établir un trait d’union avec un passé d’une grandeur incommensurable.

Je suppose que comme bien des générations de jeunes appaméens Jean-Jacques Soulet a dû lui aussi batifoler de ses pieds imaginatifs dans les nombreux cours d’eau appaméens. Peut-être ne les a-t-il jamais quittés, mais ce qui est sûr c’est qu’il y est revenu dévoré d’une inlassable curiosité.

C’est que l’histoire de Pamiers est un peu étrange. La ville se serait d’abord appelée Frédélas - la cité du lac frais - avant de prendre son nom actuel qui proviendrait de l’antique Appamea sise en Syrie. En souvenir d’une participation aux croisades ? De la conquête romaine ? De qui, quand, comment, pourquoi ? Nul n’en sait trop rien, mais reconnaissons que ce genre de légende vous refile d’emblée une noblesse historiale des plus distinguées.

Donc voici Jean-Jaques Soulet en action. Direction rivières et canaux qui irriguent la ville et la plaine de Pamiers. Nous l’imaginons droit dans ses bottes caoutchoutées, muni d’une pioche et d’un double-mètre. Un attirail digne des anciens orpailleurs ariégeois. Mais ce n’est pas tout. Ne part pas sans munitions. Des années qu’il remue le problème dans sa tête. L’a déjà publié deux brochures et deux livres aux contenus surprenants. Un réseau cumulatifs de faits étonnants et d’hypothèses audacieuses. S’agit maintenant d’étayer les arguments en apportant des preuves. L’a aussi son arme secrète, ne s’embarque pas sans biscuits, l’est un architecte de métier. Possède l’œil et les connaissances précises nécessaires à ses investigations.

Explore les berges, depuis le talus surplombant de la rive ou de l’intérieur du cours d’eau. Retrouve des maçonneries oubliées durant des décennies, en découvre d’autres qu’il arrache à la végétation ou à la glaise alluvionnaire. A la limite ce genre de trouvailles est à la portée du premier fureteur venu. Jean-Jacques Soulet ne s’inscrit pas dans la catégorie des farfouilleurs patentés, il lit, il décrypte, il traduit, il donne signifiance à ce qui pour nous resterait courbes de paysage, assemblages de briques, amoncellement aléatoires de pierres. Son intelligence est le produit d’une vision d’ensemble d’une complexité inouïe qui mêle aperçus historiques et géographiques, savoir architectural et dextérité étymologique troublante. Suffit de l’écouter, de suivre le savant entrelacs de ses déductions pour saisir la cohérence absolue de ses raisonnements. Nul besoin d’être un acharné inconditionnel de la région appaméenne pour apprécier la rigueur de la démarche. Nous pourrions la qualifier par opposition à ce travail de dé-construction philosophique entrepris par l’intelligentsia française des années 60 - 70 comme une œuvre de sapience re-constructive.

Faut se pencher sur ce livre qui s’apparente à une espèce de nouveau discours de méthode expérimentale qui ne s’appuie sur aucun des pré-supposés théologico-scientifiques en honneur chez la plupart de nos universitaires. Ce sont les faits confrontés à la logique de leur insert artefactique géographico-historial qui guident les tours et détours de la pensée en action. Point le lacet montagnard, mais ici le méandre fluvial.

Attention, Jean-Jacques Soulet bouscule diverses traditions établies par des lignées respectables et séculaires d’érudits antiques et modernes. Nous parle par exemple de Posidonios non pas originaire de l’Appamea antique, mais natif du Royaume d’Apamia, qui resta indépendant jusqu’à son annexion par les troupes de Philippe le Bel… du détournement du cours de l’Ariège en l’an 506... de la préséance temporelle de la supériorité technique des druides gaulois sur les ingénieurs romains quant à la domestication des cours d’eau et aux pratiques d’irrigation… Bref cet ouvrage de cent cinquante pages est une bombe à fragmentation atomique sur tout ce qui relève l’histoire de l’antiquité et du moyen-âge d’un sud-est languedocien qui s’étendrait de Perpignan à Pamiers. Voici du grain à moudre pour les moulins des cervelles contemporaines qui tournent souvent à vide ! Jean-Jacques Soulet bouscule et malmène les certitudes. Détartre les cerveaux, vous oblige à réfléchir. C’est ce véritable crime de lèse-majesté contre la tranquillité de l’esprit satisfait de lui-même qui lui fut dès sa première brochure reproché. Les conjurations du silence s’établissent toujours autour de ceux qui dérangent. Il est sûr que celui qui ne cherche pas, ne trouve pas. Ne pense pas non plus. Ce qui le met en parfait accord avec les renoncements collectivisés de notre époque délétère. Pour ne pas dire, moribonde.

André Murcie.

 

P. S. : un seul regret que les soixante-seize photographies qui accompagnent le déroulement du récit n’aient pu bénéficier d’une surface beaucoup plus grande et de la couleur. La beauté quadrichromique de la couverture avive notre curiosité.

FRAGMENCES D'EMPIRE

 

CYROPEDIE

XENOPHON

Traduction notices et notes de

PIERRE CHAMBRY.

LIBRAIRIE GARNIER FRERES. 1932.

 

La cote de Xénophon décroît lentement mais sûrement. L’on a oublié qu’il fut l’autre disciple de Socrate et qu’il a lui aussi écrit son Apologie et son Banquet. Mais cet intellectuel ne se contenta pas de manier les Idées comme son grand rival. Il se salit les mains dans la réalité de son époque et d’une manière nettement moins idéaliste que Platon à qui l’on pardonne trop facilement, en omettant de s’y attarder trop longtemps, ses déconvenues syracusaines.

Xénophon fut un homme de guerre, et non des moindres puisqu’il dirigea la célèbre expédition des Dix mille. Notre époque qui a posé une croix ( christique ) sur la violence ne saurait tolérer de telles pratiques. Quand on aura ajouté qu’il s’en fut servir sous les ordres du général spartiate Agésilas l’on comprendra mieux la défiance conjurationnelle dont désormais l’on enveloppe cette personnalité aux penchants si peu démocratiques !

La Cyropédie est aujourd’hui entrée dans les limbes de l’oubli. C’est dommage, car il s’agit d’un texte d’une modernité étonnante qui se dévore comme un roman. Pas du tout ennuyant et qui eut un retentissement certain au cours des siècles. Si vous désirez savoir par exemple où Shakespeare a trouvé sa célèbre réplique «  Mon royaume pour un cheval ! » et Louis XIV la théorique nécessité d’inviter la noblesse à Versailles, ne cherchez pas c’est dans la Cyropédie !

Aussi étrange que cela puisse paraître la Cyropédie n’est pas un livre d’Histoire. Nous risquons de faire hurler dans les chaumières mais n’en déplaise à la tradition littéraire ce livre s’apparente davantage à L’Emile de Rousseau qu’à la République de Platon. A part qu’évidemment Emile est un monsieur tout le monde qui n’offre aucun intérêt et Cyrus un prince exceptionnel qui unifiera toute l’Asie autour de la Perse son royaume initial.

C’est du moins ainsi que nous le présente Xénophon. L’on s’est souvent demandé les raisons qui avaient poussé notre auteur à prendre son modèle héroïque chez les barbares. La Grèce ne pouvait-elle pas lui offrir d’aussi glorieux exemples ? Et pourquoi chez les Perses, les ennemis héréditaires des grecs en quelque sorte ?

Il semble qu’il faille répondre. Certes l’Histoire grecque ne manquait pas de caractères admirables, mais il est à craindre que Xénophon possédât un vision politique en avance sur ces contemporains. Quoiqu’on ait pu dire du parallèle entre la Cyropédie et la République, l’intention de Xénophon n’était pas de dresser la constitution de la Cité Idéale. Xénophon a dû ressentir la Grèce des cités comme l’ébauche fragmentale d’une future grande Grèce hégémoniale.

Parler de l’unification de l’Asie autour de la Perse c’était pour Xénophon un moyen des plus simples pour démontrer la puissance de cet encombrant voisin et la nécessité d’unir la Grèce devant une telle menace.

Il serait facile de se moquer du Cyrus xénophonial en soulignant qu’il parle beaucoup plus qu’il n’agit. A peine a-t-il pris une décision qu’il s’oblige d’expliciter à ses commensaux les motivations de son choix. La Cyropédie conte bien la conquête de l’Asie par Cyrus mais l’on assiste à un incessant plaidoyer pro domo du monarque qui s’évertue à démontrer à ses amis et à ses soldats qu’il ne peut s’attirer leur dévouement que s’il parvint à leur prouver qu’il n’accèdera à leur fidélité qu’en se comportant de la manière la plus droite, la plus juste et la plus généreuse envers eux.

Socrate n’est jamais loin. Le disciple Xénophon a bien retenu les leçons du maître sur le souverain bien que l’on se doit de rechercher au travers du moindre de ses actes. Cette manière d’agir devient si systématique chez Cyrus qu’elle se teinte au fur et à mesure que le roi étend son pouvoir d’une espèce d’utilitarisme philosophique totalitaire de moins en moins attractif et de plus en plus coercitif. Ce que l’on pourrait appeler la séparation des pouvoirs administratifs et militaires au sein des satrapies s’apparente de fait à une sorte d’espionnage et de délation généralisée…

Nous ne sommes pas certain que Xénophon ait été dupe de la plénière efficacité d’un telle systémisation. Le chapitre huit et épilogue du livre huitième se termine sur la décadence contemporaine des Perses. L’on y verra certes un discret encouragement aux grecs sur la faiblesse de la Perse et un appel souterrain à la possibilité d’une anabase victorieuse, si par miracle les Hellènes parvenaient à se mettre d’accord sur une invasion programmée, mais aussi une prise de position anti-platonicienne sur la pérennité des constructions théoriques.

Les choses s’usent plus vite que les Idées. Le réel se transforme et nécessite de sempiternelles remédiations. Tout comme Cyrus a dû modifier la structure et améliorer l’armement des chars de combat hérités des antiques techniques de combat troyennes pour les rendre aptes à enfoncer les lignes assyriennes, l’art de gouverner se déclinera d’appréciations eidétiques en approximations pragmatiques.

Plus que la Bible, la Cyropédie fut un écrit prophétique. Il est évident aujourd’hui que le jeune Cyrus est une préfiguration d’Alexandre. Comment une telle prescience fut-elle possible chez Xénophon ? Ce stratège possédait une véritable vision métapolitique qui lui permit de dessiner le futur de la Grèce. Alors que Platon tirait des plans sur la comète, Xénophon inscrivait à même la terre de ses futurs exploits l’orbe étincelant de la fulgurante trajectoire d’Alexandre.

Inutile d’aller quérir en d’oisifs questionnements l’origine des décisions d’Alexandre quant à la nécessité de mêler le sang grec et le sang perse lors des noces de Suse. En rédigeant la Cyropédie, Xénophon nous a apporté la réponse. Les droits du sol et du sang ne sont que des leurres. Ce qui compte c’est l’exigence de l’Idée de la Conquête. Extérieure et intérieure. L’une n’étant que l’image de l’autre. Le monde comme reflet solipsiste de l’exigence.

Et contrairement à Cyrus, Alexandre a su prendre le temps de ne pas vieillir….

( 2008 / in Xénophon à fond )

 

 

 

 

 

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