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CHRONIQUES DE POURPRE N° 22

 

CHRONIQUES

DE POUPRE

UNE VISION IMPERIEUSE DES HOMMES & DES OEUVRES

Revue Polycontemporaine / Interventions Litteraires

/ N° 022 / Decembre 2016

CONSTELLATION MALLARME

LA HANTISE DU PTYX

UN ESSAI DE CRITIQUE EN VERS

YVES BONNEFOY

( William Blake & Co. Edit. / 2011 )

Difficile de ne pas remarquer l'absence du ptyx sur les crédences du salon vide quand on s'appelle Yves Bonnefoy. Le ptyx intrigue, le ptyx interroge. Inconnue d'une équation meurtrière difficile à résoudre. Le mystère de la chambre noire ouverte de l'intérieur. Encore faut-il trouver la porte de sortie. Bonnefoy s'en sort par le haut. Apparemment se range ainsi dans la stricte orthodoxie critico-mallarméenne. Le cadavre identifié, nixe défunte et nue, ne retient guère l'attention de notre policier poétique. Normal puisqu'il ne reste d'elle qu'un reflet dans un miroir. Quant aux licornes qu'elle aurait aperçues et qui se seraient révoltées contre le mystère de sa virginité, sans doute convient-il de les ranger dans les phantasmes hérodiadéens qui peuplèrent sa supposée agonie. Dans un crime ce qui compte, c'est la signature des empreintes digitales : Ses purs ongles très haut dédiant leur onyx, la trace de l'assassin est à rechercher dans le ciel, l'a signé son crime d'un brillant septuor.

Reste le mobile, ce fameux ptyx qui a disparu. Le graal de la poésie que tout le monde recherche et sur qui personne ne parvient à remettre la main. Horripilante énigme ! Le mystère de la reine du château ! Un peu comme le trésor des templiers, identifié une dernière fois dans la bonne ville de Provins et dont la trace se perd... Mais l'on en possède une description quelque peu informative, une espèce de négatif photographique, ce seul objet dont le néant s'honore. Le criminel a emprunté l'escalier de service igiturien qui descend vers le fleuve stygien. Celui des morts. Ce qui relance l'hypothèse de l'identification du meurtrier qui ne serait autre que la victime elle-même. Avec cette étonnante conjonction du féminin et du masculin, le couple royal de la françoise grammatologie, mariés à tout jamais, unis comme les jumeaux alchimiques, fiancés comme le frère et la soeur pharaoniques. Un secret qui ne sortira pas de la famille. Viol sororal absolument nécessaire pour parfaire la croisée hasardeuse des lignées dont il convient de faire disparaître les traces. Qui équivaudrait le ptyx au coquillage vulvaire du pli nymphique.

C'est bien beau que le susdit objet ait disparu. Mais d'où sort-il ce fameux ptyx ? Sur quel étalage de brocanteur le poëte l'a-t-il déniché ? Un de nos plus fins limiers a retrouvé le numéro de patente de ce receleur de l'absolu, l'on possède son nom et son année de naissance grâce à Mme Anne-Marie Franc qui nous fait part dans un rapport circonstancié ( Europe, Spécial Mallarmé, 1998 ) de sa découverte. L'auteur du délit se nomme Joseph Planche auteur d'un dictionnaire de grec classique en usage dans les années où l'élève Mallarmé poursuivait rêveusement ses humanités. Une faute d'impression : le mot ptynx qui signifie oiseau aurait perdu une aile, en l'ocurrence la lettre N(égative) et donc écrit ptyx. Le vain plumage d'Igitur proviendrait-il de là ? Peut-être. En tout cas, les malheureux qui confondraient le ptyx du sonnet avec un malheureux corbeau empaillé nous semble faire preuve d'une imagination outrancière. Imagine-t-on le maître de céans descendant aux enfers en serrant le volatile ( tant soit peu déplumé ) sur son coeur. Et pourquoi pas le perroquet de Flaubert tant qu'on est dans le bazar des curiosités littéraires ? Encore que ne revient-il pas des rivages plutoniens le corvidé poesque ?

Ne nous égarons pas, l'inspecteur Bonnefoy délaisse cette piste. Préfère l'envol. Vers les cieux supérieurs. Le mot ptyx colligé dans le texte, comme preuve de par son incompréhensible signification d'une métalangue au-dessus de nos vils idiomes purement humain. La langue des oiseaux ? Que nenni, notre agent se défie des ésotérismes douteux, une structure dont nous ne soupçonnerions point l'existence si par hasard un mot de cette superlangue n'avait percé le plafond de notre sabir ( tel un de ces grands oiseaux qui font des trous méchants dans la suie de nos ignorances ) un peu comme si l'azur primordial nous faisait l'aumône d'une pointilleuse apparition des plus intrigantes. La lumière bleue d'un phare signalant l'atterrissage inatteignable d'une réalité supérieure interdite à nos obtuses comprenettes.

En résumé, le ciel platonicien de l'absente de tous bouquets. Cet antérieur originel que notre âme aperçoit, immortelle, lorsqu'elle remonte contempler les belles Idées, l'on comprend mieux pourquoi le maître se serait précipité vers les funéraires zones infernales. Le commissaire Arsène Dupin classe en toute bonne foi l'affaire. Pas de meurtre. Un simple suicide rituel. Un de ces poètes à la cervelle légèrement détraquée qui se complaît à devancer l'heure de la mort.

N'empêche que quand l'on relit le dossier, que l'on déplie scrupuleusement toutes les minutes des procès-verbaux savamment répertoriés l'on reste sceptique. La solution esquissée sent un peu trop l'époque qui l'exuda. Ces années soixante -dix durant lesquelles la poésie fut jivaroniquement réduite à une simple question d'écriture. Notre Modernité ne s'emballe plus trop pour l'empyrée platonicienne, l'a remplacée par la notion de méta-langage linguistique qui englobe tout idiome fonctionnel de communication. Cette lecture coïncide approximativement avec le vocabulaire mallarméen, ces éléments de discours communs deviennent dépositaires du sens à donner aux poèmes. Circulez, il n'y a plus rien à voir. Enigme déchiffrée. C'est la notion de poésie qui est morte et du coup le personnage élocutoire du poëte. Pas un véritable drame. N'ont jamais réellement existé autrement que dans la fiction. La preuve l'urne est vide. D'ailleurs l'amphore funéraire est un mythe ptyxique. Le mot qui désigne ce qui n'a jamais eu lieu. Le lieu chambrique mais pas la formule. L'ici mais pas le maintenant. La restriction mais pas l'action. Le sonnet est une maison vide. Ouverte à tous vents. Chacun la peuple de ce qu'il apporte. Une auberge espagnole de l'intellect. Exit l'acte poétique qui n'existe pas. Excite tout de même. Jusqu'à faire réapparaître le vieux fantôme de Dieu qui de tout là-haut fait signe. Etrange quand l'on a écrit l'Anti-Platon ! Lorsque le serpent de la présence ne se mord pas la queue, c'est que l'on est passé à côté de ses propres prolégomènes. En toute Bonnefoy.

André Murcie. ( 29 / 11 / 2016 )



RIEN QU'UN BATTEMENT AUX CIEUX...

 

L'EVENTAIL DANS LE MONDE DE STEPHANE MALLARME

 

MUSEE MALLARME.

DU 19 SEPTEMBRE AU 21 DECEMBRE 2009.

4, Promenade Stéphane Mallarmé / 77 870 Vulaines-Sur-Seine.

 

L'on ne va pas très loin avec un éventail, ou un autre, que tous deux soient de Mademoiselle Mallarmé, ou de Madame, ou d'une autre, trois coups d'éventail ne font pas une exposition. Mais décidément le Musée Mallarmé n'a peur de rien, et même pas de presque rien, ni de trois fois rien. Après la chambre noire d'Igitur, voici venir le tour de l'aile blanche, haletante. Chatoyante aussi parfois, de pinceaux de rapins complices.

Certes cela se déploie, et s'étale, comme roue de paon et pan sur la joue et la lèvre, papillon mutin mutant dans son immobilité exposée. Comme toile et voile, attendant l'attente de cette vie évanouie, cette vis sans fin épanouie du battement retenu, dans leurs vitrines de coléoptères épinglés, tels, déjà morts. Eternels.

Elytres irisés de peintres et pattes de mouche de poëtes, chacun laisse les traces qu'il peut. Indélébiles souvenirs répertoriés dans les livres, envolés en-dehors de débiles supports. Les pagnes d'Espagne et les chiffons du Japon, voici la mode dernière et le futur phénomène. Entre les deux notre coeur bat, vacille et tout bas oscille.

Cocteau y vint plus tard, ailes de Gabrielle Hérold jouèrent leur rôle, chacun de l'armada symboliste y survint, Régnier qu'on appelle à régner, Lorrain qui ne s'en dédit s'y perdit, comme plumes et fanfreluches à la gomme, Rops délire de sa lyre, la pub s'affiche et se fiche, l'éventail fut dans le vent, ouvrant et fermant le vantail du rêve, avant que rêvant, il ne s'achève dans une trêve d'Eve.

Trois salles, dans la pénombre, le cru vert de Degas et le grêle rose de Madeleine proustienne Lemaire tranchent l'absence de lumière. Les oeuvres sont fragiles, poussière de phalène d'un monde suranné qui palpite. Il suffirait d'un souffle pour que les perroquets claquent au vent, comme voilures de frégates au plus près. Mais les cacatois resteront muets, musiciens d'un silence feutré, même si le public s'extasie. L'Ibels point bleu et partout les sargasses d'herbes tentaculaires, tels les serpents de Méduse qui folâtrent sur l'âtre éteint de l'astre qui ne clignote plus. Et l'autre, peut-être plus mallarméen que tous, Vierge. Sans rien dessus, pas plus que dedans. Le vide et rien.

Eventuellement, il se pourrait que le Musée Mallarmé se vante de son exposition. Avec déraison, comme d'une matérialisation de la poésie. Qui aurait hissé le tissu blanc du souci de la reddition aventureuse. Une réussite. Parfaite.

 

*

 

RIEN QU'UN BATTEMENT AUX CIEUX...

 

LE CATALOGUE. LIENART EDITIONS

120 Pages. Septembre 2009.

 

HERVE JOUBEAUX. HELENE PILLU-OLBIN

ANNE FERRETTE. BERTRAND MARCHAL.

MUSEE STEPHANE MALLARME

 

Une exposition sur les éventails, fussent-ils trempés d'un mallarméen rêve, se devait d'avoir deux faces, et pour une fois l'envers vaut l'avers. Le Conseil Général n'a pas chipoté sur la brochure. Le concept d'objet poétique aurait-il enfin été accessible à la comprenette des gestionnaires de l'argent public ? Nous en doutons, mais le presque coffret incrusté d'imitation nacrée de la couverture, doré à l'or fin sur tranche, avec l'Autre éventail de Mademoiselle Mallarmé éployant sa blanche armature sur un fond noir de sable goudronneux, nous oblige à ravaler notre persiflage. Mallarmé aurait aimé.

A l'intérieur, tout ce que vous n'avez jamais voulu savoir sur les éventails, depuis cinq mille ans Avant Jean-Claude jusqu'aux dernières décennies, dame Ferrette très férue en la question ne vous épargne guère. Bertrand Marchal s'interdit de si lointaines envolées et replie son érudition sur le rôle de l'éventail auprès des proches milieux de Mallarmé, en quelque sorte entre l'entre-deux-guerres, 1871- 1914.

L'éventail s'agite beaucoup en ces fastes époques, auprès de ces dames, dans le beau-monde de la haute-bourgeoisie et les salons de l'aristocratie déclinante. Le bibelot est aussi futile que les préoccupations de ces coquettes de haut-vol. Mais qu'importe les circonstances pourvu que l'on ait l'ivresse poétique. Mallarmé aime ce tangage, cette hyperbole asymptotique de ce battement qui s'annule sitôt qu'il s'avance...

Enfin, le descriptif des soixante-huit pièces réunies, souvent rehaussé de photographies ou d'illustrations couleur. Un monde disparu qui revient en coup de vent. Commentaires et ajouts permettent de mieux entrevoir l'éloignement furtif de tout ce passé révolu. Il fut ainsi un temps, un lieu ou une époque où l'on put élitairement s'intéresser à de tels tremblements de tissus ou de papier.

Quelques meubles, peu de paravents, de rares livres, un jeu de gravures, des vues de revues pleines pages et des éventails partout. De celle-ci ou de celle-là. Mais de la féminine gente. Frappés du sceau de peintres célèbres, estampillés d'écritures diverses. Le catalogue permet de mieux voir. Le format des reproductions est du bouton de rose mais vous l'arrosez de lumière à volonté. L'éventail se décrypte souvent dans un va-et-vient fort érotique.

Sexe de femme ouvert, ou d'homme turgescent contenu, l'éventail est bien et mâle la figure du désir entrevu. Et perdu, sitôt le bouquin refermé.

 

André Murcie.

 

*

Monsieur,

Votre commentaire sur mon texte rédigé pour le catalogue de l'exposition sur les éventails autour de Mallarmé en 2009 m'étonne. Il n'y a pas de dualité entre M. Marchal et moi, pas de besoin de faire mieux. J'ai voulu simplement rédigé un texte scientifique. M’appeler madame serait plus correct, moins sexiste. De plus, je ne crois pas que cette exposition aurait vu le jour sans ma contribution pour rechercher des pièces. Je suis spécialisée dans l'art de l'éventail non dans l'analyse poétique. C'était dans l'approche de l'exposition une nouveauté.
Cordialement

Anne Ferrette.

 

Madame,

 

puisque de Dame nous devons rétrograder à la très phallocratique et indue assertion du possessif ma, sachez que nous ne doutons point de votre apport irremplaçable quant à la documentation de cette exposition mallarméenne.

Etablir une quelconque rivalité entre votre personne et M. Marchal n'est pas de mise, vos deux contributions ne recouvrant pas le même champ de recherche.

Pour votre prétention à rédiger un texte scientifique nous vous en laissons seule juge, selon des critères universitaires qui ne sont pas les nôtres. La scienticité textuelle des chercheurs actuels en le vaste champ des sciences humaines nous semble relever du phantasme post-chrétien de l'idée platonicienne de vérité que nous ne portons point en notre coeur. Ce qui n'enlève rien à la qualité intrinsèque de vos travaux.

Enfin pour orienter les débats aux confins de l'Art Poétique et de l'Art de l'Eventail, la leçon mallarméenne est d'une simplicité absolue, d'une simple question de circonstances. Et l'un n'est pas à mettre au-dessus de l'autre, pour la seule raison qu'ils sont alternés, chacun à leur tour, vers le bas ou le haut, le proche ou le lointain, l'absolu ou la circonstance. Chance ou malchance, saisir l'instant et le Kaïros n'est pas donné à tout le monde.

Il ne me semble que j'aurais induit une préférence envers M. Marchal... j'aurais déjà signifié par ailleurs et à plusieurs reprises quelques réserves à l'encontre de sa récente édition des oeuvres du grand Stéphane, que cela ne m'étonnerait point.

Nous vous remercions de vous être intéressée à Alyteraturi, qui ne dévoilera ses véritables capacités de nuisance littéraire que dans quelques semaines.

Très cordialement,

FRAGMENCES D'EMPIRE

 

HIPPIAS

In LES ECOLES PRESOCRATIQUES.

Edition établie par JEAN-PAUL DUMONT.

FOLIO ESSAIS N° 152. 1991.

 

Dans une très intelligente notule Jean-Paul Dumont le présente comme l'anti-socrate par excellence. Et il n'a pas tort. Remarquons que deux dialogues de Platon portent son nom. Même si l'attribution de l'un des deux a été parfois controversée, il est impossible de ne pas y voir l'importance que ce personnage a revêtu pour les Grecs des cinquième et quatrième siècles. Sa figure sera d'ailleurs évoquée dans d'autres ouvrages de Platon, et comme l'on ne prête qu'aux riches, il est aussi d'un des participants obligés, en chair et en os si nous osons dire, du Protagoras qui comme nul ne l'ignore réunit la fine fleur de la sophistique.

L'homme semble avoir été pétri d'orgueil. Ce qui lui donne un petit côté déplaisant. Notre sensibilité toute démocratique n'apprécie guère les têtes qui dépassent. Aussi quand celui qui la porte se permet de remarquer à voix haute qu'il surpasse et de loin par son intelligence et son savoir-faire tous ses contemporains, l'on peut comprendre la plumitive irritation du prince de l'Académie.

Mais il ne faut pas se fier aux apparences. C'est le premier précepte philosophique que les apprentis en la matière se doivent de retenir. Une fierté mal placée équivaut à une imposture, la revendication avérée d'une supériorité admise par l'entourage n'est jamais troublante sauf si elle a trait à la morale de celui qui se revendique de sa propre glorification. Bien sûr, nous ne visons particulièrement personne, sauf peut-être une seule. Socrate comme par hasard.

C'est que face à la mémoire inépuisable d'Hippias d'Elis, notre athénien qui se vantait de ne rien savoir, devait se trouver quelque peu penaud. La détention de la vérité peut se révéler être un bagage un peu maigre face à la totalité du savoir humain. D'autant plus que la notion de totalité comporte tout de même l'idée qu'en une de ses parties l'on doit aussi trouver la vérité en tant que partie du tout.

L'on peut évidemment se consoler en se rappelant qu'elle peut gésir, en un recoin reculé du cerveau, et avoir été classée sous une vague détermination qui ne prendrait nullement en compte sa véritable nature de vérité en tant que vérité. Consolation du pauvre quand on se définit comme celui qui ne sait qu'une chose, qui ne sait qu'il ne sait rien. A tout prendre lorsque l'on a soif de vérité ne vaut-il pas mieux une bouteille à moitié vide qu'une bouteille à moitié pleine ? En le sens où l'on en aurait déjà bu une bonne gorgée.

Sinon, l'on proclame à tous vents que l'on préfère une tête bien faite, à une tête bien pleine. Le problème c'est que celle d'Hippias était si bien constituée qu'il se servait toujours à bon escient du contenu pléthorique de ses rayons. Ne nions pas, que cela ne lui donna point l'apparence d'un camelot, toujours en train de faire de la relance à d'hypothétiques clients. Socrate qui finançait sa philosophique oisiveté par la pratique de l'usure pouvait se permettre de ne pas imposer ses disciples. Hippias n'hésitait pas à prendre l'argent là où il était : chez les riches. Cela en faisait-il un allié objectif de la classe possédante, ou un franc tireur vivant sur les dépouilles de l'ennemi ? Sempiternelle problématique de l'artiste dépendant ! Sans cesse oscillant entre bouffonnerie et piraterie. Incertaine frontière entre la prédation et la servitude !

Hippias donnant à chacun selon sa mesure ! Scandale socratique de la relativité de la vérité, le maître ne dit pas à chacun la même chose ! Hippias arrondissait les angles, l'expression lui va comme un gant, lui qui parvenait à entrer les quatre coins du carré dans la surface du cercle correspondant.

N'en déplaise à Socrate, Hippias même s'il était beau parleur, était loin d'être un perroquet savant ! Son cerveau fonctionnait à merveille, et ses mains étaient aussi agiles que sa langue. Hippias gênait le questionnement socratique. Socrate avait l'habitude de déployer sa maïeutique en affirmant qu'il n'était meilleur ouvrier de chaussures que le cordonnier. Puis il s'enquerrait auprès de vous du maître que vous prendriez pour apprendre à raisonner juste. Si vous cochiez la case « sophiste », vous aviez perdu !

Or voilà que le sophiste Hippias bousculait son raisonnement. Pour Hippias l'homme devait être le confectionneur de toute chose. Il fabriquait lui-même ses chaussures, ses habits, son nécessaire de toilettes et toutes cette foule de menus objets si utiles à notre vie quotidienne. Avec en plus des discours, des poèmes, des dissertations philosophiques pour toute une classe de terminale, professeur compris. Difficile de faire le coup du cordonnier à un tel zigoto qui était son propre maître artisan ! Magasin d'usine à lui tout seul. Avec Hippias la nécessité d'un professeur de vertu s'estompait d'elle-même !

Hippias visait à l'autarcie de l'individu. Cette autonomie intégrale correspond exactement à celle de l'anarchiste qui ne croit pas aux vertus de l'association. Quoiqu'il fît profession d'enseignant, en ces temps troublés et intermédiaires, il aurait pu se réclamer du cri de ralliement des libertaires : ni dieux, ni maîtres. Celui qui se suffit à lui même n'a nul besoin des dieux et encore moins de pédagogues. L'on devine pourquoi Platon ne ménage pas sa verve au proférateur d'une telle programmation métaphysique. Avec Hippias, la cohorte des philosophes était condamnée à plus ou moins brève échéance au chômage technique.

Le gros mot est lâché. Remarquons qu'à deux mille cinq cents ans près c'est encore ce même vocable qui est toujours au centre du débat initié par Heidegger. La technique, au titre de fin dernière de la métaphysique conçue en tant qu'oubli de l'être, est sur la sellette. C'est peut-être une manière comme une autre de ne pas se pencher sur sa propre mise en oeuvre. La technique ne saurait être mauvaise en soi, sans quoi nous retombons sur une diabolisation qui sent à plein nez sa christianisation rampante.

C'est son mode de production qui doit être examiné. En développant l'individuelle autonomie productiviste de la technique, Hippias coupe inconsciemment les ailes à la cité grecque. Une cité qui ne serait plus basée sur la division du travail, et donc par la logique des choses sur une autre répartition des richesses, correspond-elle à l'essence même de la ville grecque composée sur le modèle de l'entraide mutuelle mais inégalitaire ? Quel serait le rôle de l'esclave dans une agrégation humaine fondée sur le principe autarcique ? Hippias n'a sans aucun doute pas mesuré la radicalité révolutionnaire de sa philosophie. Son appétit des honneurs en contradiction avec les prémisses de sa modélisation personnelle était aussi en totale opposition avec les idéales républiques de Platon et ses castes hiérarchisées.

Platon l'a vraisemblablement pressenti beaucoup plus clairement qu'Hippias lui-même. La pensée d'Hippias était un redoutable ferment d'anarchie. Hippias n'a même pas l'idée des Idées, il préfère aller de l'avant, par approximations. Il n'a pas de logique pure préétablie. Il use d'une pragmatique tâtonnante mais ô combien efficiente !

( 2008 / in Hip ! Hip ! Hip ! Hippias )

 

LE PETIT HIPPIAS.

LE GRAND HIPPIAS.

PLATON.

In OEUVRES COMPLETES. PLATON.

Traduction par LEON ROBIN.

1950. LA PLEIADE.

 

Une traduction castalienne qui coule de source. Mais Léon Robin ne s'était pas fatigué pour les notes et la mise en perspective historiale. Voici Platon, débrouillez-vous avec ! A part une introduction passe-partout à ne pas boucher le trou d'une dent, vous avez intérêt à emporter quelques biscuits pour ne pas perdre le nord hyperboréen d'une lecture apollinienne.

Donc sur notre gauche Hippias, le roi des sophistes. A droite, Socrate. Pour le premier round, il y avait un arbitre, Eudicos entre les deux. Mais Platon a préféré s'en débarrasser pour le deuxième tournois. Il ne servait pas à grand chose et n'avait été en rien utile à son champion. Attention, en ces deux Hippias nous ne rencontrons ni le Socrate, ni le Platon de la maturité.

C'est un peu Socrate le jeune, encore vert, qui s'attaque aux poings à un vieux de la vieille qui en a vu d'autres et qui ne rentrera jamais à fond dans le combat. Un Hippias, conciliant, placide, qui ne recherche point l'affrontement et qui se réserve pour des démonstrations publiques bien plus avantageuses que cette prise de bec au fond d'un vestiaire mal éclairé par un poids coq des plus nerveux qui cherche à se faire les dents sur un des poids-lourds de la sophistique.

Mais l'on pressent que l'imprésario a de la suite dans les idées et qu'il a déjà dessiné le plan de carrière de son poulain. Le premier dialogue se nomme Du faux et le deuxième Du Beau. Ce n'est pas encore la triade capitoline du juste, du bon, et du beau, mais voici un cheval qui marche dans ses traces avant d'avoir effectué son premier galop.

Du faux ne traite pas d'esthétique, comme on pourrait l'entendre, mais de la duperie. Celui qui vous égare en toute honnêteté intellectuelle par de fallacieuses paroles n'est pas de la trempe de celui qui vous trompe en toute connaissance de cause. Ce dernier joint à son semblant d'ignorance une horrible perfidie. Surprise ! Cette thèse est avancée par Hippias, le sophiste.

Voici un sophiste des plus raisonnables, pas le genre d'escogriffe à vous bazarder douze paradoxes à la mord-moi-le-noeud, manière de se faire remarquer à tout prix. Quelle déception, l'on s'attendait à tout, sauf à cette pondération sapientiale vaguement teintée de moralisme. Nous nous en apprêtions même à refermer le livre sans nous donner la peine d'achever notre potion d'eau tiède !

Fatale erreur ! Les rôles sont inversés. Socrate a pris le masque du sophiste, il saute, bondit, virevolte, dit tout et n'importe quoi, soutient le contraire pour mieux revenir en arrière, afin de mieux aller de l'avant dans son sophisme transcendantal. Hippias n'en croit ni ses yeux, ni ses oreilles, la tête lui tourne si fort qu'il en attrape le tournis et doit se retenir aux rideaux de la bienséance logique pour ne pas se laisser emporter par un maelström de confusion. Socrate lui-même se perd dans ses propres raisonnements et tout essoufflé de son déchaînement verbal, en vient à avouer à Hippias – on sent ce dernier légèrement inquiet – qu'il ne sait plus trop quoi penser. Est-il vraiment moral d'affirmer que l'ignorance est plus grave que le mensonge ?

Hippias préfère ne pas répondre. Socrate a embrouillé le débat : les deux points de vue sont peut-être antithétiques mais à y réfléchir, l'un n'exclut pas l'autre. Certes Platon veut nous démontrer qu'Hippias marche sur la voie médiane des opinions raisonnables acceptées par tous, et que Socrate côtoie l'abîme des interrogations fondamentales. Hippias est un notable et Socrate cherche à faire vaciller sa statue bouffie d'assurance.

A l'époque de sa parution, l'impertinence de ce premier dialogue a dû plaire. Mais aujourd'hui que nous le lisons en connaissant la fin de l'histoire, nous sommes à moins d'être dupe. Socrate veut renverser la domination intellectuelle d'Hippias pour établir le règne de Platon.

Les deux adversaires se retrouvant K.O. debout, et complètement groggy : il faudra les départager en une nouvelle rencontre. Un peu plus longue, afin que chacun montre un peu ce qu'il a dans le ventre. Socrate se trouve un allié inattendu en la personne d'un clone imaginaire de lui-même censé répliquer à l'argumentation d'Hippias que Socrate aurait faite sienne.

Le set sera plus long, et la partie plus belle. Normal puisque l'on discute du Beau en lui-même. Hippias ne coupe pas en quatre les cheveux d'une vierge au joli minois pour définir la beauté. De tout le dialogue, il ne se départira jamais de cette platitude d'homme mûr assuré que les plus belles années de sa vie sont derrière lui. Pas contrariant pour une obole, il admettra la beauté d'une jument et même d'une marmite. Beautés quelque peu sonnantes lorsqu'on leur tape sur les fesses et le cul, mais aussi trébuchantes lorsque l'on envisage la nature de la Beauté qui les rend belles.

Etrangement Platon est très pré-aristotélicien en ce dialogue des tout débuts, il n'aborde pas la notion de l'essence de la beauté et se laisse tenter par la définition d'une Beauté qui serait la cause que les choses soient belles. Mais il ne poursuit pas ce chemin jusqu'au bout. Le revoici à son point de départ, face à un bel objet. La beauté est le produit d'une sensation. La beauté serait-elle le résultat d'une convention esthétique ou d'une convenance sociale. Si oui, comment se fait-il que deux sujets différents puissent convenir de la beauté d'une chose si cette beauté n'est pas déjà dans la chose !

Hippias a dû mouiller sa tunique. Socrate a mené le débat à fond de train. Il a fait le tour de la question, et maintenant le serpent se mord la queue, partis de la beauté sensible, nos deux compères en goguette sont revenus à leur point de départ devant la beauté sensible du monde, qui leur sourit peut-être un peu plus ironiquement qu'au commencement.

Bon gré, mal gré, Hippias a suivi le jeu de jambes de son outsider ; il aurait préféré s'arrêter à la première vierge accorte, mais Socrate ne lui en a pas laissé le temps. Ses chaussures lui font un peu mal : il ne les a pas confectionnées pour de telles cavalcades. Plutôt pour les lentes processions officielles.

Hippias a dépassé l'âge des enfantillages. Aussi, dès que la preuve est établie que Socrate les a une deuxième fois menés en bateau philosophique, il ne peut retenir ses reproches. Toute cette discussion à bâtons rompus qui ne débouche sur aucune opportunité est d'une vanité inexorable ! Hippias n'hésite pas à accuser Socrate – non pas de corrompre la jeunesse – mais d'émietter le langage ! Notre sophiste a trouvé plus que sophiste que lui !

Platon s'amuse. Tel est pris qui croyait prendre ! Mais peut-être cela pourrait-il nous permettre de réfléchir sur la signification métaphysique de la sophistique. Nous pourrions l'entrevoir a postériori comme une dé-construction quasi-déridienne, mais au travers du comportement d'Hippias grossièrement travesti pour les besoins de sa propre cause par Platon, nous pouvons avoir l'intuition de tout ce qui sépare la sophistique antique de la dé-construction post-moderne. Celle-ci se donne à entendre comme la fin de la philosophie classique, l'achèvement de la métaphysique occidentale pour exprimer la même idée par un concept heideggerien. Mais une fin qui ne saurait être un dépassement. En d'autres termes la dé-construction post-moderniste refuse de sortir de la crise. Elle se complaît en son impuissance, elle se perd dans les sables mouvants du delta infini du nihilisme. La dé-construction derridienne reste en deçà du travail de démolition entrepris par Nietzsche.

Nietzsche est bien un entrepreneur en démolitions mais le post-modernisme d'obédience française ressort beaucoup plus d'une entreprise de pompes funèbres. Quant à cette notion de crise survenue dans les années soixante-dix du vingtième siècle elle est la marque d'une séparation krysique de l'Histoire, d'une certaine déperdition eschato-théologique du christianisme entrant dans un cycle de régression historiale, cumulée avec la montée en puissance de ce cycle d'accroissement impérieux surnommé le retour des Dieux

( 2008 / in Hip ! Hip ! Hip ! Hippias )

 

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