CHRONIQUES
DE
POUPRE
UNE VISION IMPERIEUSE DES HOMMES & DES OEUVRES
Revue Polycontemporaine / Interventions Litteraires
/ N° 009 / Novembre 2016
CAUSE DU PEUPLE
LES NOUVEAUX PARTISANS
HISTOIRE DE LA GAUCHE PROLETARIENNE
Par des Militants de Base
( Editions Al Dante / documents )
L’est des silences significatifs. Celui qui entoure depuis près d’un demi-siècle l’aventure de la Gauche Prolétarienne n’est pas dû au hasard. La radicalité révolutionnaire n’est plus à l’ordre du jour. L’option ne fait plus partie du logiciel démocratico-capitaliste en vigueur qui a contaminé les organisations progressistes jusqu’à la moelle. Un véritable sida mental pour lequel il n’existe pas de trithérapie efficiente. Les canons à neige d'un oubli savamment entretenu ont enseveli la geste révolutionnaire de ce groupe politique qui, s'il enflamma les esprits de toute une jeunesse indocile et des pans entiers de la société française, attisa encore plus les craintes les plus vives chez les possédants.
Des militants de base. Par la force logique des choses. La GP n'a pas échappé au destin commun : le poisson pourrit par la tête. C'est une des lois de la lutte des classes. Toute organisation de combat révolutionnaire doit se méfier des tendances mortifères d'usures bureaucratiques qui sous couvert d'une meilleure organisation tactique permettent à une fraction de prendre le pouvoir et de pervertir les orientations originelles qui suscitèrent son apparition.
La GP était bicéphale, une direction en grande partie composée de fils de la bourgeoisie biberonnés dans les grandes écoles et dévoyés par l'idéologie marxo-communiste, et une foule de militants exaltés et excités par l'échec de mai 1968 qui n' attendaient qu'un signe pour recommencer la grande sauterie. Un groupuscule comme tant d'autres qui se démarqua très vite de ses semblables. L'on n'a rien sans rien. Aux forces policières du Capital, la GP opposa la violence des masses. Cocktails molotovs, barres de fer, manifestations sauvages, affrontements avec les gardiens de l'ordre musclé, séquestration des patrons et des cadres, sabotages, occupations des usines, enlèvements, la liste des méfaits de la GP est aussi longue que tonitruante...
De 1968 à 1974, les faits d'armes s'enchaînèrent sans discontinuer. Après la mort du militant Pierre Overney assassiné devant les usines Renault, la GP oscilla : fallait-il passer à la lutte armée ? Ce fut ce saut qualitatif que la direction refusa de franchir. Ses membres repentis s'en retournèrent dans leur milieu d'origine. Le système les récupéra et leur offrit en compensations émolumentaires les strapontins médiatiques. Devinrent des enfumeurs de service et, en peu d'années, les serviles chiens de garde idéologiques du libéralisme...
Les militants de base dégoûtés, désorientés, se retrouvèrent gros jean comme devant. En quelques années les organisations de masse – comités de lutte des usines, comités Palestine, comités de quartier, Secours Rouge, Groupement Information Prison... se délitèrent et finirent par mourir de leur moche mort. Des cendres dispersées de la GP, mais aussi d'autres fractions anarchisantes partisanes de l'action directe, naquit la mouvance autonome, mais ceci est une autre Histoire.
Des militants de base. Pas d'anciens combattants qui se remémorent avec nostalgie les frasques et les coups d'éclat d'une jeunesse évaporée. Privilégient les faits – exposés chronologiquement – et les analyses. Ne prennent que très peu la parole et ne la gardent pas longtemps. A tel point qu'il aurait été peut-être plus logique - au lieu d'en fractionner le déploiement - de donner in extenso et comme en introduction l'ensemble des textes contenus dans les Cahiers Prolétariens qui furent les outils de réflexion théorique suscitée par les actions passées et à venir.
C'est que l'existence de la GP est riche d'enseignement. Son action fut loin d'être ridicule. Peut-être y avait-il dans la tête des militants le rêve un peu naïf du grand soir, de la grande insurrection apocalyptique, de la prise du pouvoir par les armes, armée du Capital contre armée du Peuple. Souvent les schémas de base exigent afin d'arriver à leurs objectifs initiaux quelques modifications. La GP portait en elle de par sa perméabilité aux luttes sociales la possibilité de telles réactivités correctrices. Notamment de par sa sensibilité anarcho-spontanéiste qui fut une constance du mouvement ouvrier français avant sa confiscation par les états-majors lénino-staliniens. C'est cette adaptabilité aux circonstances qui fit d'elle un point incontournable de cristallisation et de ralliement. D'une partie des éléments les plus lucides et les plus décidés des couches populaires. Mais aussi de toute une fraction de l'intelligentzia. Notamment de ses figures les plus symboliques. La GP fut en quelque sorte gramscienne avant l'heure, suscitant par ses actions énergiques, un glissement culturel des élites vers l'idée toute simple que l'on ne réforme pas le capital de l'intérieur mais que l'on se doit d'instituer à chaque instant, en chaque lieu de sa domination, un rapport de forces intellectuel et physique suffisant à son encontre pour lui interdire toute progression et le forcer à entamer repli et régression.
Quarante ans après, l'histoire de la Gauche Prolétarienne semble relever de la préhistoire. Les idées démocratico-libérale sont devenues les vecteurs axiomatiques indépassables de toute réflexion politique. La droit de refus est perverti en droit de vote, l'exercice de la violence politique en condamnation morale du terrorisme. Tout débat est biaisé. Les forces révolutionnaires de transformation du mode sociétal libéral ont été laminées. Celles qui se revendiquent d'un bouleversement radical de la société sont victimes des contradictions les plus insurpassables et des confusions les plus pitoyables. L'idéologie capitalo-libérale se joue des générosités les plus estimables. Elle a dressé un labyrinthe mental et géopolitique des plus contraignants. Elle ne possède aucune visée à long terme hormis la prolongation infinie d'une totale appropriation des richesses collectives. Pratique à grande échelle le vol, le viol, le pillage. Prend tout et tout de suite. Praxis à court terme, au plus offrant. Se rit et se joue de ses propres contradictions puisqu'elles sont aussi les vôtres puisque, globalité planétaire oblige, vous en êtes traversés, victimes et englobés. A vos corps et esprits défendant. Fait feu de tous bois, de la modernité technologique comme des vieilles lunes religieuses. L'a toujours un dur os à moelle ou un nouvel et tendre cartilage à vous jeter, manière de vous occuper, et de susciter d'intenses controverses avec vos pairs. Ecologie de carton pâte, et surdéveloppement durable, soyez pour, soyez contre, cela n'a aucune importance et ne fait pas sens car il vous manque un point de délimitation stable et intangible.
Ce livre sur la Gauche Prolétarienne vient à point pour démontrer que sans franchir le fil rouge indicateur de la violence révolutionnaire, vous tournerez sans fin en rond dans le cercle de votre impuissance, tel le lion du cirque arpentant sa cage aux barreaux de fer. Le Système l'a bien compris, compte sur les gardiens armés de fusils pour vous ôter toute envie de forcer la grille qui vous emprisonne. Sait se faire comprendre à demi-mots. Nul besoin de tirer. Sauf dans les grandes occasions et les cas désespérés. Comme vous n'êtes pas idiots vous avez intériorisé la menace. Vous jurez que l'on ne vous y prendra pas. D'ailleurs, c'est une des rares fois où vous tenez vos promesses. Comme par hasard. La peur est bonne ou mauvaise conseillère. Tout dépend de l'endroit où vous stationnez le curseur. Souvent vous faites semblant de ne pas comprendre, de ne pas savoir, de ne pas voir. Nous sommes dans l'ère des amalgames analytiques contre-nature et des inconséquences comportementales.
La GP ne fut pas sans défauts, déviances moralinatrices, phagocytation marxo-maoïste contre-productive du discours et de la pensée, organisation hiérarchisante, contribuèrent à sa déliquescence interne comme au dépérissement de son inscription externe dans la conscience des masses. Toutefois comparée aux galimatias organisationnels et idéologiques qui s'ensuivirent elle reste exemplaire. Serait temps d'en tirer et de mettre en pratique sa leçon essentielle : la nécessité élémentaire et élémentale d'un emploi discursif et praxistique de transformation du dialogue actuel de collaboration de classes en physiques et symboliques menées de ruptures opératoires dans les fins de réaliser le rapport de force nécessaire au déploiement de nos propres volitions imperiumiques. Ne l'oublions pas l'Histoire n'est pas un dîner de gala. Nos ennemis le savent. Ne le crient pas sur les toits. Mais n'hésitent jamais à mettre le précepte en pratique sans tergiversation ni faux-semblants dès que cela leur paraît nécessaire. Une grande leçon de choses concrètes à retenir.
Ce livre est à lire et à méditer. Tombe dans le discours ambiant comme un aérolithe dans la fondue aux fromages avariés de la réflexion contemporaine. Ne m'étonnerait pas qu'il soit victime d'une conjuration du silence aussi épaisse qu'un fog tatchérien sur l'hiver londonien. Sa grandeur et ses limites résident en son aspect purement historique. Traite simplement de son sujet d'étude. Ne donne pas de leçon pour aujourd'hui. C'est au lecteur d'en définir et tracer les extrapolations nécessaires. Les auteurs restent en cela fidèles à la philosophie qui présida à la formation de la Gauche Prolétarienne. Il ne suffit pas d'analyser, il ne suffit pas de dire, il ne suffit pas d'expliciter, de pérorer ou de vaticiner. Pour empêcher que les paroles les plus attentatoires ne deviennent lettres mortes, il convient de faire.
André Murcie / Août 2015.
FRAGMENCES D'EMPIRE
LA PHILOSOPHIE
A L'EPOQUE TRAGIQUE DES GRECS
FRIEDRICH NIETZSCHE.
243 pp. FOLIO ESSAIS. N° 150. Septembre 1997.
Eblouissant. Soixante-dix pages d'un livre qui devait être le pendant de La Naissance de la Tragédie et que Nietzsche abandonna pour voler vers d'autres préoccupations plus personnelles. A notre grand dam. Mais enfin cela ressemblait trop à un livre de professeur, et pas assez à ce que Nietzscle appelait un philosophe.
L'on y retrouve le jeune Nietzsche, encore tout ébloui de sa lecture de Schopenhauer, et préoccupé du destin des allemands. Car si Nietzsche parle des grecs, c'est avant tout pour proposer des modèles aux allemands. Une philosophie qui ne se donnerait pas comme une intention envers nos propres contemporains, ne présenterait qu'un intérêt des plus circonstanciés.
Mais il est sûr que Nietzsche s'adonne en ce projet à une lecture pro sua domo de la philosophie préplatonicienne. « Thalès, Anaximandre, Héraclite, Parménide, Anaxagore, Empédocle, Démocrite et Socrate », c'est Nietzsche lui-même qui liste les objets de son étude. Précisons tout de même que pour le futur auteur de Zarathoustra, il ne s'agit pas d'objets mais d'exemples. Le philosophe est pour Nietzsche conçu comme un héros.
L'on ne peut que déplorer que les trois dernières figures de la liste n'ait pas été traitées. Même si l'on trouve dans les oeuvres complètes quelques fragments épars qui se rapportent à cette entreprise de remémoration philosophique, desquels nous ne parlerons point en cette chronique.
Nietzsche n'établit pas les cartes d'identité biographiques et critiques de nos présocratiques. L'ouvrage est une introspection du travail de pensée mené par chacun des protagonistes. Nietzsche insiste sur la logique qui préside aux problématiques tour à tour soulevées par nos ouvriers du logos. Chacun hérite du bébé dont le précédent à accouché et s'empresse de le refiler au suivant.
Nous ne sommes pas en face de cinq philosophes qui auraient donné vie à un système de pensée original et de qualité, mais d'une équipe de praticiens qui, l'un après l'autre se poste au chevêt d'une parturience délicate.
La tâche la plus novatrice, et quelque part la plus simple, fut assumée par Thalès. Le monde se résout en dernière analyse en un seul élément, l'eau. Evidemment le verre est à moitié trop plein ou à moitié trop vide.
Mais c'est un premier pas vers l'abstraction qu'Anaximandre va se charger de complexifier. Que ce soit l'eau ou un autre élément, cela n'a aucune importance. Toute chose étant en soi transformable et périssable, Anaximandre rajoute un élément apeironique par nécessité Indéfini sans cesse renouvelé en lui-même, de lui-même, par lui même. Sans quoi le monde mourrait de sa belle mort, ce que l'expérience de sa présence instable mais permanente dément à tout instant.
Héraclite tire la conclusion de ces bouleversements continuels agrémentés d'un renouvèlement incessant. Ce qui devient est Un, un combat incessant pour se maintenir en vie. Struggle for life, métaphysique. L'Un est Multiple et ne se donne à être que dans une dichotomie victorieuse. L'Un est hybride, partagé de lui-même, en lui-même, par lui-même, pour se recomposer de nouveau et à nouveau. Héraclite empruntera la métaphore de la flamme qui s'éteint et se rallume, au dernier moment.
Parménide survient. Reprenant la leçon anaximandrienne, il couple le monde en deux parties, la deuxième n'étant que l'absence de la première, le limité élémental n'étant que l'absence de l'Illimité. L'Un s'affirme sur la dégradation de l'Autre. L'Autre qui est encore mais qui ne va plus être, une fois que notre philosophe aura transmué les qualités de l'Être sur l'Un. Par la force des choses l'Autre deviendra le Non-Être.
Le Non-Être n'est plus, et un second Parménide voit le jour. Un autre penseur, Xénophane lui glisse ( ce que plus tard Platon qualifiera de bonne ) une idée. L'Être est immobile, et le monde que nous voyons bouger est juste une illusion, un mensonge, une fausse pensée. Car si ce qui Est est, le monde est immobile, car le non-être qui n'est pas ne saurait bouger. Parménide nous enferme dans un labyrinthe sans couloirs dans lesquels nous errons et errerons lamentablement jusqu'à la fin de notre existence.
Zénon viendra verser son grain de sel en nous rappelant qu'il est inutile de suivre la flèche qui indique la sortie, car elle ne mène pas plus loin que le petit bout de son nez de flèche pointue.
Nous ne pouvons plus nous mouvoir dans ce monde, nous pouvons juste le penser. En d'autres mots l'Être et la pensée de l'Être sont identiques. Ce solipsisme parménidien qui nous emprisonne est aussi la fissure de notre liberté future. Si la pensée pense, elle déplace au moins le concept de l'Etre pour dire qu'il est, cela suffit à recréer le mouvement et à faire voler en éclat la cloche de verre parménidienne.
Il n'y a donc pas l'Être mais des milliers d'êtres qu'Anaxagore se hâtera de dénombrer. Une infinité qui se meuvent en un espace illimité. Tous parents et tous différents. Reste que ces millions de petits êtres, nous n'osons pas dire des êtrons, doivent bien se rencontrer un jour ou l'autre, se regrouper, s'empiler, s'arrimer, se séparer, se remettre ensemble, s'entasser... bref se mouvoir comme un gigantesque mécano auto-assemblant.
Evidemment la fragmentation initiale de l'Être parménidien n'est qu'un mythe, un moment constitutif de la pensée grecque et humaine. Nos petits êtrons sont là de toute éternité sagement rangés dans la grande boîte de leur propre présence. Ce qui ne fait pas avancer le schmilblic d'un centimètre. Nous avions un grand Être parménidien, nous voici en une vaste pouponnerie de millions d'êtrons inamovibles. Nous nageons en pleine science-fiction en pleins milieux de millions d'univers parallèles qui ne communiquent pas entre eux et s'ignorent royalement.
Anaxagore débloque la situation, avec esprit. A cette masse amorphe de petits êtrons qui s'emme..., pardon qui s'ennuient, de ne pouvoir rien faire il adjoint une force, aléatoire et intelligente, sans but précis, le Nous, qui tournoyant sur lui-même donnera l'impulsion nécessaire. Pas besoin de vous faire un dessin pour les petites briques qui vont construire planètes, étoiles et notre terre bien-aimée. Ne vous la jouez pas pour autant franc-maçon, le Nous n'est pas le grand architecte de l'univers. Le chaos anaxagorien n'a pas de but. Le monde s'est créé de lui-même, sans l'aide d'un dieu ou de dieux quelconques. Le Nous est arbitraire, notre monde aurait pu être autre, mais il est devenu ce qu'il est par lui-même, de lui-même, en lui-même.
Nous ne sommes pas loin de Démocrite, mais Nietzsche s'arrête là, sur l'évocation historiale d'Anaxagore, à Athènes dans le cercle fermé des dirigeants. Euripide et Périclès furent de ses disciples... Notons que si Wagner trouva son Périclès sous la forme de Louis II de Bavière, Nietzsche restera solitaire et ignoré des grands de ce monde...
La philosophie à l'époque tragique des Grecs est amputée de ses derniers chapitres, mais l'on devine comment les atomes de Démocrite procèdent d'Anaxagore. Idem pour le couple maudit, rejet et attirance, qui meut le système d'Empédocle. Quant à Socrate nous aimerions bien savoir comment Nietzsche aurait pu l'inscrire dans une telle lignée, tout en en faisant le seuil obligé du passage à la philosophie platonicienne...
Cette étude, ne serait-ce que pour montrer pourquoi nous sommes nietzschéens...
André Murcie ( 2008 )