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CHRONIQUES DE POURPRE N° 10

CHRONIQUES

DE POUPRE

UNE VISION IMPERIEUSE DES HOMMES & DES OEUVRES

Revue Polycontemporaine / Interventions Litteraires

/ N° 010 / Novembre 2016

SAINT-JOHN PERSE

 

HAINE DE SAINT-JOHN PERSE

Il est des signes qui ne trompent pas sur le profil d'une époque. Nos temps ne sont pas voués à la grandeur. Nous le savions déjà, mais la médiocre petitesse de nos contemporains ne cesse de nous surprendre. Nous avons à plusieurs reprises attiré l'attention de nos lecteurs sur la droslatrique haine dont est poursuivie depuis une trentaine d'années l'oeuvre de Saint-John Perse. Nous n'aurions toutefois jamais pensé qu'un universitaire n'eût pas mieux à faire qu'à dépenser trois années de son incertaine existence littéraire à médire sur la figure d'un de nos plus grands poëtes. Il est vrai qu'Erasthostène incendia le temple d'Ephèse à seule fin de participer, à sa piètre manière, de la gloire immarcescible de la marmoréenne beauté de la déesse. Gageons que notre folliculaire n'ait hélas songé un quart de seconde à emprunter les sentiers d'une telle démesure métaphysique ! Gravats et crachats ne sont en rien philosophie à coups de marteau ! Peu de chance que cette entreprise de démolition systématique soit le signe annonciateur de la naissance d'un futur Alexandre. Puisque les temps ne sont plus aux travaux d'Hercule contentons-nous de crever de ce cure-dents distrait l'oeil baveux de notre cyclope nain à courte vue.

ALEXIS LEGER

DIT SAINT-JOHN PERSE.

RENAUD MELTZ

Grandes Biographies / FAYARD / 2008

Nous sommes à même d'entendre que l'on ne puisse priser la poésie de Saint-John Perse. Que chacun se débrouille avec ses seuls instruments d'appréhension littéraire et en juge à l'aune de ses propres lectures. Nous irons jusqu'à dire que des millions de personnes ont vécu et vivent encore sans avoir lu la moindre ligne de Saint-John Perse et ne s'en portent pas plus mal pour cela. Peut-être même s'en trouveraient-elles moins bien si d'aventure quelques versets de notre poëte croisaient par un hasard quelconque leur attention. L'art suprême de la poésie n'est pas sans danger pour l'impétrant occasionnel qui se saisirait par inadvertance de ses armes.

Reconnaissons à Renaud Meltz une certaine honnêteté foncière à parler plutôt de ce qu'il connaît que de ce dont apparemment il ignore tout. Le nom ( vendeur ) de Saint-John Perse a beau se détacher en gros rouge sur la couverture, son oeuvre n'est pas le véritable sujet de cette biographie. Renaud Meltz braque les projecteurs sur ce qui lui ressemble le plus, la commune humanité d'Alexis Léger.

Il y aurait certainement beaucoup à dire sur l'hétéronymie persienne. Voici un poëte qui a vécu deux vies. Celle d'un aède inspiré et celle d'un haut haut-fonctionnaire. Non pas à horaires bureaucratiques fixes, mais par périodes. Un parallèle s'imposerait avec Rimbaud qui abandonna la poésie pour le commerce en Abyssinie, et qui s'en revint si stupidement mourir si tôt que l'on épiloguera sans fin pour décider si son retour à la maison maternelle aurait coïncidé en une nouvelle alliance avec les muses.

Mais Renaud Meltz n'est pas biographe à explorer de telles pistes. Songez que sur les huit cents pages de son ouvrage il ne consacrera même pas quinze lignes à la rencontre de Saint-John Perse avec Victor Segalen. Les enjeux poétiques d'une telle conjonction ne relèvent pas des arpentages naturels de notre auteur. Ainsi jamais nous n'aurons droit à l'analyse intra versos d'un seul recueil du poëte. Certains recueils mêmes ne sont mentionnés que par leur titre ! Quand on connaît la minceur volumique de cette oeuvre l'on peut tout de même s'interroger sur les motifs de cette cossarde désinvolture !

Si dans la première partie de son livre Renaud Meltz reste relativement déférent quant à Eloges et Anabase, il ne se retient plus de hargne pour Exil, Vents, Amers et les derniers poèmes. Jugements à l'emporte-pièce, dénigrements systématiques, l'on sent que Renaud Meltz se retient – c'est là son moindre défaut – pour les qualifier de nullités absolues. Il n'hésite pas à les traiter de vieilleries poétiques surannées et obsolètes. Contentons-nous de remarquer qu'en ces haineuses condamnations Renaud Meltz ne se démarque point du goût douteux de nos contemporains qui élisent de préférence Prévert et Ponge avant Mallarmé. Saint François Coppée, priez pour eux ! A l'impossible nul n'est tenu.

Poëte éliminé ! Reste Alexis Léger. Qu'avec condescendance Renaud Meltz se permet de nommer en toute simplicité Alexis. Avis aux lecteurs : vous allez en bouffer du Alexis. Et Alexis par-ci et Alexis par-là. Attention de la première à la dernière page, rien ne lui sera pardonné. Tous ses actes et tous ses gestes, sans exception seront instruits à charge. Tout ce qu'il a fait et non fait, dit et non dit, écrit et non écrit, sera retenu contre lui.

Nous sommes les premiers à penser que notre héros ne fut pas aussi blanc dans sa vie que dans la neige de ses recueils ! Alexis Léger porte en lui les afférents défauts de sa classe de haute-bourgeoisie. Comme ses pairs nés d'un humble et improbable coït humain, notre diplomate se crut sorti de la cuisse de Jupiter et en appela à l'obtention jugée naturelle de privilèges de naissance indus.

Autant dire que nous ne nous sommes jamais fourni d'illusions sur la vie de notre grand commis d'état. Et Alexis Léger se serait-il contenté d'être le Secrétaire Général du ministère des affaires étrangères durant sept années historiquement cruciales que ce titre de gloire ne provoquerait chez nous aucune admiration particulière. Nous savons le nombre de courbettes mentales et de flagorneries morales qu'il faut endurer et prodiguer avant d'accéder à de telles responsabilités. Nous ne le jugerions pas mieux que ces crachats de mépris que nous expectorons sur l'ensemble du personnel politique qui depuis trois lustres hoquette leurs démagogiques messages sur nos ondes nationales.

Il ne nous dérangerait guère donc que Renaud Meltz s'adonnât à une impitoyable critique du rôle et des manquements politiques d'Alexis Léger. Briand, Berthelot, Laval, Léger et quatre-vingt dix neuf pour cent de tous les autres nous semblent issus du même tonneau d'eau tiède que nos socialistes actuels. De l'eau de vaisselle impropre à laver les pissotières publiques.

Alexis Léger possédait toutes les qualités requises par son emploi. Enjôleur, perfide, cynique, intelligent, malin, charmeur, il savait se tirer de toutes les situations. Avait-il tort ? Il vous démontrait qu'il avait raison. Avait-il déclaré bleu la veille qu'il vous prouvait dès le lendemain qu'il avait dit jaune ! Ses notes et rapports étaient écrits avec une telle dextérité qu'à simple relecture ils épousaient les aléas de nouvelles circonstances. Alexis Léger était bien un esprit supérieur. Un politicard ? Un sophiste ? Regrettons-le, mais des hommes d'une telle plasticité intellectuelle sont rares. Ce n'est pas un hasard s'il fut très vite remarqué pour son aisance par ses pairs.

Il est dommageable qu'il ait été doté d'une telle métis. Nous l'aurions préféré davantage ancré en ses nécroses psychologiques. Peut-être aurait-il alors choisi l'impérieuse voie poétique. Mais il fut d'une génération littéraire advenue au monde après les destins de Verlaine, Cros, Rimbaud, Villiers de l'Isle-Adam, et qui refusa de s'aventurer en les mêmes sacrifices existentiels que ces aînés maudits. Gide, Claudel, Perse... de grands artistes certes mais qui firent montre d'une cauteleuse prudence et d'une respectabilité petite-bourgeoise bien peu romantique...

Alexis Léger fut la dupe de ses propres rêves de puissance sociale. Il dirigea la diplomatie de la France mais sous la houlette d'une ribambelle de ministres qui ne le valaient pas. Ce qui ne signifie pas qu'à leur place il aurait mieux fait qu'eux. Mais de là à lui reprocher – même lorsqu'il les approuva - les théories diplomatiques successives qui conduisirent à l'effondrement de la France, c'est un peu exagéré ! Malgré les fortes insistances de Renaud Meltz nous ne pensons pas qu'il fût coupable à lui tout seul d'avoir corrompu le pays entier. Il existe des rapports de force politico-économiques gigantesques qui délimitent les actions individuelles.

Et puis, il y a l'art et la manière ! Accuser Alexis Léger de tous les maux, pourquoi pas. C'est de bonne guerre ! Encore faudrait-il savoir ce que Renaud Meltz lui reproche. Car notre procureur ne prend jamais le risque de présenter ni ses attendus ni son réquisitoire. Tous les actes de Léger sont mauvais. Toujours à contre-temps, trop pacifiste quand il fut pacifiste, trop belliciste quand il était urgent d'être belliciste, mais pas une seule fois, il ne se permet une franche remontrance pour nous dire ce qu'il aurait fallu faire. Jouer l'Italie contre l'Allemagne ? Intervenir au plus vite ? Peu nous chaut que l'historien se retranche derrière une neutralité descriptive, il faut avoir le courage de ses aversions. Aurait-il titré son ouvrage Imprécation contre Saint-John Perse que nous louerions Renaud Meltz, ses tours de passe-passe, sa mauvaise foi, son obstination, ses silences... Tout cela relèverait de l'art du pamphlet et nous amuserait. Mais nous n'aimons pas ceux qui s'avancent sous le masque de la fausse objectivité.

L'on devrait se méfier des effets miroirs. Plus on avance dans le livre, plus le néfaste portrait de Saint-John Perse que Renaud Meltz nous tend ressemble à l'autoportrait d'un écrivain qui serait en train de confondre son propre égo avec celui de son sujet d'étude. Seuls les arcanes de la psychanalyse seraient à même de nous expliciter l'étrange dégoût de soi-même que l'auteur éprouve et qu'il sublime en le transférant sur l'innocente et symbolique personnalité d'un grand poëte du siècle précédent. A moins que nous n'ayons affaire à une espèce de maladive fixation paranoïaque, mais la gravité de ce cas dépasse nos capacités analytiques.

Réfugié, peu glorieusement, aux Etats-Unis, Alexis Léger s'opposera à de Gaulle. Haine tenace et insoluble. Le général rebelle avait réussi à incarner ce que lui-même, (m)orgueilleux fonctionnaire aux ordres régaliens, n'avait osé. Ecrire Anabase et ne pas savoir être Alexandre ! Trente années après la blessure n'était pas cicatrisée.

Le rejet de de Gaulle ne fut pas non plus une grossière erreur d'analyse politique. Léger avait intégré le proximal déclin européen, il fut l'un des premiers atlantistes. Un précurseur de Giscard, Mitterrand et Sarkozy en quelque sorte. Venu trop tôt.

Cette interminable vindicte dont Saint-John Perse poursuivra de Gaulle et Reynaud, qui l'avait limogé en mai 40, n'est justement pas sans rappeler l'impitoyable traque opérée par Renaud Meltz dans les 800 pages de sa biographie persienne. Oeuvre baroque en abyme, même si nous nous demandons les obscures raisons de ce safari biographique !

Pour notre part – nous espérons nous tromper - nous les décryptons comme une profonde incompréhension de l'intention – au sens métaphysique du terme – littéraire. Nous n'en voulons pour preuve que l'interminable dénonciation de Renaud Meltz quant à la composition – par le poëte en personne – du volume de ses Oeuvres Complètes dans la prestigieuse collection de La Pléïade.

Evidemment Renaud Meltz ne prend pas la peine de dire un seul mot sur les six cents premières pages. L'on aurait pu, par exemple, s'attendre au minimum à un commentaire judicieux sur cette nouvelle présentation des poésies. Point un seul iota !

Par contre quel déchaînement contre la partie consacrée à la Correspondance. Figurez-vous que le vilain poëte a triché. Il a récrit les textes, les siens et ceux de ses correspondants, il les a caviardés et tripatouillés. A son unique bénéfice ! Quelle bouleversante nouvelle ! Qui l'eût cru ! Pourtant Platon nous a avertis : voici deux bons millénaires qu'il a rejeté les cratyliques poëtes de sa cité idéale ! Eh oui, cher Renaud Meltz, les poëtes s'octroient tous les droits, comme ces peintres qui colorient les chevaux en bleu, ils ne sont même pas requis à la stricte et insipide observance du réel des biographistes, leurs dires ne concernent pas la Vérité, mais la Beauté. Et vu sous cet angle sophistique, le mystère dichotomique du poëte et du fonctionnaire se résout en une seule identité êtrale.

Avant de refermer les persiennes de cet cette chroniques, épinglons une dernière fois la mauvaise foi de notre moraliste de service auto-proclamé qui s'offusque des stratégies mises en oeuvre par le poëte et ses amis pour obtenir le Prix Nobel. A croire qu'il n'y a dans l'histoire du Nobel que la récompense de Saint-John Perse qui ait donné lieu à de telles coteries et basses manoeuvres promotionnelles. Cela nous rassure sur l'état de marche de notre monde.

André Murcie

 

PYTHAGORE. DIOGENE LAËRCE.

In Livre VIII : LES PYTHAGORICIENS

in VIE, DOCTRINE ET SENTENCES

DES PHILOSOPHES ILLUSTRES.

Traduction de CLAUDE GENAILLE.

N° 77. GARNIER FLAMMARION. 1965.

 

Difficile de se faire une idée du Pythagore historique dans ce capharnaüm de citations et de compilations désordonnées, mais infiniment plus grave, le lecteur qui recherche quelques aperçus sommaires de la pensée de Pythagore risque de s'en retourner bredouille. L'on connaît bien plus les pythagoriciens que Pythagore à tel point que notre brave Diogène Laërce dit tout et son contraire sur l'existence d'une personnalité qui nous paraît de plus en plus confuse au fur et à mesure que l'on progresse dans son récit.

La métaphysique de Pythagore est exposée en quelques lignes : «  Le principe des choses est la monade. De la monade est sortie la dyade, matière indéterminée soumise à la monade, qui est une cause. De la monade parfaite et de la dyade indéterminée sont sortis des nombres ; des nombres les points ; des points les lignes ; des lignes les surfaces ; des surfaces des volumes ; des volumes qui tombent sous les sens, et proviennent des quatre éléments : l'eau, le feu, la terre et l'air. Ces éléments se transforment de façons diverses et créent ainsi le monde... » Merveilleuse citation qui porte en elle l'entière problématique de la philosophie grecque !

Il reste seulement, sondez l'ironie de cet adverbe qu'un Platon n'épuisa pas, à s'interroger sur la nature des fameux nombres pythagoriciens sont-ils des intelligibles ou des atomes, ou les deux à la fois, ou certains sont-ils uniquement intelligibles et d'autres exclusivement atomiques ? Au fur et à mesure que nous les avons énoncés le lecteur aura reconnu bien des postulations théoriques afférentes à la déclinaison de l'éventail des différents systèmes philosophiques ultérieurs qui en exploreront les méandres subtils.

En cette chronique nous n'irons guère plus loin que les deux premiers numéros génératifs. La monade pythagoricienne est-elle principielle ou matérielle ? Le mot monade est après Leibnitz chargé de tant substance que nous avons du mal à entrevoir le processus pythagoricien – du moins tel qu'il est rapporté par Diogène Laërce d'après des écrits d'Alexandre – d'indétermination de la dyade. Nous comprenons parfaitement qu'avec l'entrée de la dyade nous sommes en un processus de matérialisation de l'Intelligible, mais nous savons aussi que la la monade pythagoricienne sera aussi appelée dans le cercle étroit – mais essentiel des disciples de Pythagore – l'Un, mais un Un qui sera soumis tout en les générant aux forces organisationnelles du Pair et de l'Impair.

La nomination de l'Un pythagoricien équivaut donc de fait à une exaltation panthéiste de la matière. Mais la matière organique primordiale serait autant constituée d'éléments matériels que divins. Nul n'a mieux exprimé cela que Gérard de Nerval dans le quatorzième vers de son Sonnet intitulé, Vers Dorés :

Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres.

L'histoire du romantisme français serait d'ailleurs d'après nous à récrire selon cette optique parménidienne. Songeons à Hugo et à sa grandiose poétique de la métempsychose, certes entachée de christianisme, mais si proche des déclarations du mage de Samos racontant ses vies antérieures.

De même les étranges interdits alimentaires et vestimentaires de Pythagore s'interprètent selon cette affirmation que les dieux sont au-dedans des choses et des êtres vivants. L'on ne peut pas se laisser mourir de faim mais l'on peut s'abstenir de viande et de sang. Il faut voir en ces préceptes autant la reprise de vieilles coutumes religieuses orphiques que le désir de se rassembler et de s'éloigner des hommes.

La position de Pythagore est très ambivalente par rapport à la Cité. Le Sage est désigné par sa sagesse même pour, sinon présider, du moins surveiller et guider de près les destins de la Cité. Mais l'on a l'impression que Pythagore, à chaque fois que fois qu'il entrait en désaccord avec les dirigeants d'une ville, préférait partir s'installer ailleurs qu'entrer dans une lutte politique frontale. Il est sûr que si l'on refuse de verser le sang l'on est très mal armé pour se lancer dans une guerre civile.

Mais revenons au Un pythagoricien qui n'est pas Multiple mais qui s'y résout si vite ! L'on a l'impression que les Nombres sont dans leur écoulement infini comme autant de batailles d'arrière-garde et de retardement pour empêcher une parfaite congruence entre l'Intelligible et la substance. Alors que les Idées platoniciennes sont à entrevoir comme une gradation infinie qui permet par multiples étapes d'opérer la montée du monde sensible au monde intelligible, la métaphysique pythagoricienne suivrait exactement le même mouvement mais en sens inverse. On ne monte pas les escaliers on les descend marche par marche et plus on les descend plus on éloigne le point d'arrivée.

André Murcie

 

L'ENIGME PYTHAGORE.

HENRIETTE CHARDAK.

La vie et l'oeuvre de Pythagore

et de sa femme THEANO.

450 pp. Janvier 2007.

PRESSES DE LA RENAISSANCE.

On ne peut pas dire que j'ai été attiré par le sous-titre et la couverture, une reproduction d'un fragment de tableau de Dante-Gabriel Rossetti que j'adore pourtant, l'ensemble forme une composition kitchlosophique assez répugnante, mais enfin la bibliothèque municipale n'offrant pas pléthore de bouquins sur Pythagore, j'ai résolu de traverser mon champ de fèves, et d'en faire le premier degré de mon initiation pythagoricienne personnelle.

Bien m'en a pris, je n'avais pas lu vingt pages que j'étais décidé d'aller jusqu'au bout. Certes Henriette Chardak n'est pas une spécialiste de la pensée de Pythagore, elle n'est pas du genre tout lu / tout compris / je vous explique. Pour la lecture vous pouvez lui faire confiance, elle est même remontée assez loin et s'est permis de feuilleter des auteurs qu'un docte professeur d'université n'aurait pas cité, Edgar Poe par exemple.

Pour la compréhension, il est clair qu'à l'origine elle n'y a entravé que couic. Heureusement. Car elle a cherché. Elle s'est même livrée à ce genre d'enquête spécifiquement et hérodotiquement grecque d'aller voir par elle-même, et suivant les conseils de Platon de se faire sa petite idée personnelle sur la question. A part qu'avec Pythagore, pour démêler l'imbroglio de la chevelure de la comète, il est difficile de saisir l'écart infime et essentiel entre l'Idée et l'Idole.

Maintenant si vous vous attendez à de fulgurantes révélations sur la pensée du Maître vous pouvez vous recoucher. Heidegger nous a certifié que la lumière libérée par la bombe atomique s'aperçoit pour la première fois dans le poème de Parménide, pour l'inspirateur de l'Eléate il faudra vous contenter de la lueur tremblotante de la lampe à huile que Saint-John Perse revendique pour le poëte. Les reflets d'une clarté trop vive sont parfois aveuglants, une petite lampe de poche portative tenue avec une ténacité maladroite peut dévoiler bien des ombres de la plus obscure caverne.

Henriette Chardak cherche à comprendre. Elle se pose quelques questions simples. Comment Pyhtagore est-il devenu Pythagore, ou pour reprendre une vision heideggerienne quel fut son chemin de pensée ? Quels tours et détours a-t-il accomplis pour parvenir à ce point ultime où il n'apprend plus mais il énonce, par lequel il ne récolte plus les informations mais par lequel il les ordonne. Mais surtout ces deux autres, fondamentales, qu'a-t-il dit au juste et qu'a-t-il voulu dire ?

Pour ce qu'il a dit vous ferez avec ce qui nous reste. Pas de documents directs, ou très peu même si l'on fait semblant de croire que ses Vers dorés sont venus directement de son calame à nous. Pythagore n'écrivait rien sur le tableau noir de l'ignorance. Il parlait les disciples se taisaient, écoutaient et tâchaient de retenir. C'était pour eux la meilleure manière d'ingurgiter la rosée de la science et de la recracher à leur propre sauce après l'avoir transformée à leur propre image. Le Maître n'était pas un gourou. Il n'attendait pas que les disciples ressortent le cours à la virgule près. La dissidence intellectuelle était favorisée.

Henriette Chardak nous présente un chef de secte sympathique, attentionné, ouvert, peu enclin à pontifier, de toute modestie, qui n'exerce aucune autorité dictatoriale sur ses élèves. Une vision peut-être un peu idéale qui colle trop bien à notre mentalité de modernes apeurés par toute formes d'autorité supérieure et naturelle que nous confondons vite avec les relations de pouvoir. De même la secte qui compta jusqu'à trois cents membres dégage l'aspect d'une joyeuse colonie de vacances sans cesse partagée entre de passionnantes heures de travail intellectuel et une vie communautaire des plus agréables.

Ce club Méditerranée quatre étoiles de la pensée philosophique ne devait pas être aussi éthéré que la lecture d'Henriette Chardak le laisse supposer. Si l'histoire se termine mal par l'assassinat d'une quarantaine de fidèles et la destruction des bâtiments, cela n'est pas dû au seul ressentiment d'un riche rustre vexé d'avoir été évincé des réjouissances habituelles. Les exactions commises envers les Pythagoriciens s'inscrivent dans une réalité politique beaucoup plus complexe. L'auteur délaisse quelque peu cet aspect de la problématique : les luttes d'influences que se livrent en sous-main Athènes et Sparte sont nommées mais pas explicitées.

De même quid de la contradiction, apparemment insoluble entre la pédagogie de la secte envers les enfants de la cité, égalitaire par sa gratuité, révolutionnaire par sa mixité, et le parti-pris élitiste et aristocratique du gouvernement de la ville ? Lutte de classes, pouvoir personnel et démocratique, Crotone n'échappa point aux tumultes qui agitaient les centres urbains de la Grande Grèce. Il se peut que Pythagore ait été dépassé par son utopie philosophique et qu'il n'ait à un moment plus rien maîtrisé du tout. Il est étrange de penser que Platon ne fasse aucune référence explicite aux mésaventures de Pythagore dans sa République. Il est vrai que dans le Sud de la botte italique les Pythagoriciens, même s'ils ont parfois investi les sénats ou assemblées locaux, n'ont pas été directement au pouvoir mais à côté du pouvoir. Ce qui ne signifie pas non plus à ses côtés. Les centres pythagoriciens étaient des espèces de laboratoires expérimentaux en avance sur leur temps, il ne paraît pas qu'ils aient tenté d'aligner les cités sur leur modus vivendi. Point trop n'en faut. Toujours est-il qu'un jour l'équilibre politique fut brisé et le vase de Tantale déborda.

Henriette Chardak est beaucoup plus à l'aise avec l'intime. La vie de famille de Pythagore nous est dévoilée dans ses moindres détails. L'immonde phallocrate qui sommeille en votre cerveau vous aura sevré du souvenir de la féminine présence de Théano auprès de notre philosophe. La voici devant nous, l'autre moitié du ciel de Pythagore. Qui se conduit en parfait gentleman. Roméo et Juliette, Tristan et Iseut sans les dramatiques circonstances qui leur gâchèrent la vie. Un couple idéal, indestructible aussi à l'aise à coucher une équation sur un papyrus qu'à faire l'amour et des enfants avec passion et célérité. Tout ce que vous n'avez jamais osé vivre avec votre unique partenaire, nos deux tourtereaux l'accomplissent sans faillir. Un véritable rêve de militante MLF. Henriette Chardak dore un peu la pilule car à lire entre les lignes l'on a l'impression que c'est Théano qui engendre à elle toute seule le nombre d'or.

Chaque année, rien qu'en France, des dizaines de milliers de collégiens s'initient aux subtilités ( toutes relatives ) du fameux théorème de Pythagore. Nous n'avons guère l'impression que l'ensemble de notre jeunesse ressorte transformée de cette confrontation. Quant à l'apprentissage des tables de multiplication au cours primaire il s'apparente davantage à une suite infinie de séances de tortures mentales qu'à une révélation mystique chez nos puînés.

En quoi Pythagore se trouva-t-il commotionné de sa propre trouvaille ? Qui s'apparente d'ailleurs à une longue recherche. C'est ici qu'Henriette Chardak domine totalement son sujet. Je ne pense point, que pas plus que ma modeste personne le fait de savoir que la somme des deux carrés des deux côtés du triangle soit égal au carré de l'hypoténuse, lui ouvre des horizons illimités. Je subodore même qu'elle a écrit son livre pour comprendre pourquoi toute la vie de Pythagore est restée scotchée à l'énonciation de quelques pertinences arithmétiques, géométriques ou mathématiques du même ordre.

C'est que nous explique-t-elle, pour Pythagore le nombre est la réalité même du spectacle du monde. Sous la matière Platon entrevit l'Eidos, bien avant lui Pythagore y aperçut le nombre. Comme l'inspecteur de police qui cherchait la femme sous le cadavre de chaque crime, Pythagore déchiffrait le nombre de chaque chose, et la complexe relation chiffrée – aujourd'hui nous parlerions d'algorithme – qui relie plusieurs choses entre elles. Si les nombres Pi et Phi sont inachevables, c'est justement parce qu'ils relient un nombre infini de choses ( ou de nombres ) entre elles. Inachevables donc, non pas parce que l'on peut toujours ajouter un à n'importe quel nombre de nombres de choses, mais parce que l'acte même de dénombrer l'algorithme total du monde est le nombre même qui ajoute un objet supplémentaire à la collection qu'il tente d'établir. L'acte d'achever quelque chose inachève la chose puisque clore une chose consiste à nécessiter un autre acte d'achèvement pour combler l'acte d'inachèvement que l'on opère en l'achevant.

Pythagore ne cherche pas à prouver que 1+1 = 2, mais que ce 2 n'existe que parce que l'acte opératoire du 1+1 qui égale deux n'est pas lui-même pris en compte dans l'addition, le résultat est bien 2, mais il reste encore l'opération elle-même qui se retranche et s'exonère du 2, et induit le trois, qui lui-même... et ad libitum. Voilà pourquoi à chaque fois il a besoin de nommer ce que représente le nombre nouveau. Vingt cinq siècles plus tard, Cantor qui essaiera de passer outre l'infini des nombres se retrouvera embarqué dans une nouvelle énumération, car le chiffre qui englobe l'univers contient tout, sauf l'acte qui le produit et le détermine. Face à ce nouvel escalier interminable notre moderne mathématicien sombrera dans la folie.

Pythagore qui débute dans le métier ne connaîtra point le même découragement. Il imagine bien que la tâche sera ardue mais il pense que lui ou quelque suiveur disciple arrivera au bout de l'énumération. Il s'est aussi gardé une porte de secours, en haut de l'escalier il n'exclut pas de rencontrer les Dieux. Et si par hasard ceux-ci n'étaient pas au rendez-vous, il suffirait d'en prendre acte par un zéro pointé, et de redescendre en courant vers la première marche et de proclamer que le Un originel est le Monos indépassable. Le serpent ne se mord pas la queue, il a un sens puisqu'il a toute sa tête à lui.

Pythagore qui a beaucoup voyagé – et avec Henriette Chardak, nous le suivons partout où la légende symbolique l'a mené – a rencontré le monothéisme religieux. Son coup de force sera de tordre le cou au reptile nauséabond - qui comme le ver de terre qui reprend vie après avoir été coupé en plusieurs morceaux voit ses tronçons se perdre en des directions opposées - et d'infliger à la pauvre bestiole agonisante une cure forcée d'amaigrissement. Au monothéisme religieux il substitue le monothéisme philosophique. C'est beaucoup moins contraignant et beaucoup moins prise de tête. C'est en cela que le pythagorisme se sépare de l'orphisme, ou pour l'énoncer d'une façon plus provocante c'est cette réduction du python apollinien au python philosophique qui constitue le principal apport de Pythagore à l'orphisme.

Nous ne sommes pas sûr que Pythagore lui-même ait tout à fait compris le sens de ses actes. Un peu comme le bébé Héraklès qui depuis son berceau étrangle les deux ophidiens envoyés par Héra. Hercule s'amuse sans comprendre. Mais c'est normal, il est déjà, même tout petit, le dieu qu'il deviendra. Pythagore ne jouit pas d'un tel privilège. Il s'invente bien l'immortalité évanescente à coups redoublés de réincarnations ou de métempsychoses, mais entre nous soit dit, l'apothéose sous forme de poireau ce n'est tout de même pas très classe !

Dans les portraits philosophiques, Pythagore jouit d'une place à part. Il pâtit du rôle du précurseur. Il annonce la prestigieuse lignée qui va suivre mais il n'en fait pas partie. Il est le philosophe désincarné. A tel point que l'on se complaît à le mettre, dans la série des fantômes illustres, en parallèle avec Jésus Christ. Henriette Chardak s'est livrée à un prodigieux travail de réinsertion dans la trame historique de la philosophie. Elle montre à merveille comment les autres philosophes qu'il a connus, croisés, rencontrés, inspirés s'inscrivent à sa suite. L'on oublie qu'il fut le contemporain de Parménide et d'Héraclite, et tout ce que les altières figures d'un Philolaos ou d'un Archytas de Tarente lui doivent.

( 2009 / in A table Pythagore )

LE NOMBRE D'OR. DOM NEROMAN.

248 pp. Collection : LES LIEUX DE LA TRADITION.

DERVY. 2001.

Que ne raconte-t-on sur cet admirable nombre d'or ! La figure géométrique du Parthénon serait inscrite dans son mystérieux rapport. Il serait la clef de la beauté. Platon nous ayant appris que celle-ci n'est que l'autre nom de la vérité, il suffit de pousser le raisonnement jusqu'en ses plus extrêmes limites pour décréter que celui qui comprend les arcanes de ce nombre mirifique détient la formule de la structure absolument divine de l'univers.

Qu'en est-il au juste ? Car en mathématiques c'est la justesse du résultat qui compte. Les professeurs de cette obscure matière ont beau affirmé que ce qui est le plus important c'est la compréhension de la démarche de la démonstration il ne vous en mette pas moins un zéro vengeur si au final vous vous écartez d'un simple chiffre après la virgule. Comme quoi contrairement à ce qu'ils prétendent, ils professent, eux les grands rationalistes, une mystique du résultat, somme toute assez pythagoricienne. Maintenant chers lecteurs ne croyez pas que ce paragraphe soit dû à un vil ressentiment éprouvé à l'encontre de mes anciens maîtres qui ne m'ont dispensé au cours de ma scolarité que des notes extrêmement éloignées de la moyenne ( par défaut ). Nous sommes en ce qui semble un aparté souriant au coeur même de la problématique du nombre d'or.

Nous y reviendrons. Avant de nous lancer dans le vif du sujet, permettons-nous un détour vers Dom Néroman illustre astrologue du vingtième siècle surtout connu pour ses travaux sur la lune noire. L'on sait que Jean Carteret porta à sa zénithale apogée interprétative l'établissement d'un tel concept qu'il déclina sous sa forme poétique. Les mathématiciens modernes renvoient bouler Dom Néroman à ses chères études et à ses prétentions œcuméniques quant aux vertus supposés du Nombre d'Or. Selon eux, le nombre d'or ne serait qu'un irrationnel pas plus remarquable que d'autres objets mathématiques qui n'auraient pas eu la chance d'accéder à une gloire aussi universelle, mais qu'ils mériteraient tout autant, pas plus, ni moins. Accordons-leur confiance. Mais remarquons que lorsqu'ils se mettent à exposer les applications de ce nombre starisé dans l'imaginaire collectif, leurs explications recoupent exactement les développements de Dom Néroman. Nous en déduirons que si nous pouvons nous interroger sur les conclusions philosophiques que notre auteur tire de ses démonstrations mathématiques, celles-ci restent dans la stricte orthodoxie algébrique.

Mais peut-être conviendrait-il de rendre à Pythagore ce qui lui est attribué par une antique tradition. Encore faudrait-il que la personnalité historiale de Pythagore soit plus affirmée. On en a douté, l'on a à plusieurs fois prétendu qu'il ne serait qu'un fantoche symbolique mis au point par la secte métaphysique qui se réclamait de lui... Le fait qu'il se soit refusé à écrire des livres, privilégiant une ésotérique transmission orale à quelques rares disciples astreints à de longues années d'abstruses méditations avant de recevoir de la bouche même du maître les doctes révélations finales, ne nous aide pas à délimiter au mieux et son personnage et sa pensée...

Qu'est-ce que le nombre d'or au juste ? Ce ne serait pas à proprement parler un nombre – bien que nous pouvons l'identifier comme étant d'une valeur approchée de 1, 601803... - mais l'expression d'un rapport, d'une proportion. Son établissement provient de l'irréductible problématique de la pensée grecque à passer du Un au Multiple.

Très naïvement dirions-nous, il suffit de sauter au deux et puis au trois ! Exactement, à part que les grecs auraient plutôt écrit : aux deux, aux trois, aux quatre, car ils concevaient la pluralité du nombre bien plus pluriellement que nous. Symboliquement nous écrirons que le deux n'existe pas en grec, les deux oui. Par une ironique expression de notre langue nous ne possédons que les uns. Les autres aussi d'ailleurs.

L'Un grec n'est pas un nombre. Mais une réalité indivisible qui ne saurait ni se diviser ni se multiplier par scissiparité comme les cellules biologiques. Le nombre suppose la pluralité. L'Un grec en tant qu'il s'oppose à la multiplicité ne saurait être confondue avec celle-ci. L'Un grec, isolé en sa tour d'ivoire, est une blanche dame qui en sa chasteté légendaire se refuse à s'accoupler avec elle-même pour donner le jour à une débauche monstrueuse de piétaille élémentale... L' Un grec est à l'image de la vierge Artémis et non de la prolifique Gaïa.

Pour procéder du Un au Multiple il faut passer par une opération mentale : la dyade. Le(s) deux conçu en tant que départ de l'engendrement de la multiplicité. Un peu comme Socrate qui communiquait avec la sagesse divine par l'entremise de son fameux démon.

Dans la physis, le problématique du Un au Multiple ne pose point trop de problème. Il suffit de ranger la multiplicité des éléments chaotiques dans l'impermanence des choses. Un égale être, deux égale temps, clignerait de l'oeil Heidegger. Pour contrer l'impermanence de ces millions de brins d'herbes qui poussent, croissent, grandissent se fanent et meurent, Platon risquera la forme absolue et intransitoire de l'Herbacée absente de tous bouquets. Avec un H majuscule s'il vous plaît.

Mathématiquement la représentation du passage de l'Un au Multiple aurait pu être géométriquement signifié par le bond épistémologique du point à la ligne. Mais la ligne qui est formée d'une infinité de points n'est-elle pas une simple vue de l'esprit ? Existe-t-elle en tant qu'intelligibilité lorsque je la plaque sur la multiplicité du monde ? La ligne droite qui conduit d'Athènes à Sparte n'est-elle pas qu'une représentation du chemin supposé censé joindre la capitale de l'Attique à celle du Péloponnèse ?

Une vue de l'esprit équivaut-elle à une opérativité en action sur le monde ? Thalès avait déjà répondu oui. Mais l'esprit fureteur et pratique des grecs ne se laissa pas aller à admettre si simplement une telle solution. Dans son calcul de la hauteur pyramidale les grecs furent plus séduits par le calcul proprement dit en tant que gymnastique manipulatoire intellectuelle du monde que par l'appareillage conceptuel qui détermina in abstracto sa réalisation.

Mathématiquement donc l'on matérialisera le passage du Un au Multiple par un segment de droite AB qu'il suffisait de découper en deux par l'adjonction d'un point C. Génie de la simplicité grecque qui donne comme image de la multiplication l'art d'opérer une division ! Mais cette logique est compréhensible : une partie du Multiple ne peut se concevoir qu'en tant que fragmentation d'une totalité.

Se pose alors un problème qui, s'il n'est pas réglé à la manière du glaive d'Alexandre sur le noeud gordien, risque de devenir un imbroglio pharamineux. A quel endroit du segment AB dois-je poser mon point C ? N'importe où ou à un point précis ?

Raisonnons par l'absurde. Si je le plante n'importe où, n'aurais-je pas la malchance de le mettre par un pur hasard sur le seul point précis où il ne fallait pas ! Car il existe bien, pour un grec, un point précis d'intersection sur lequel il est inutile de couper le segment AB en deux. Ce serait un coup pour rien, une balle – pardon une flèche – à blanc. Ce point précis c'est évidemment le milieu. Ce point précis hante le mathématicien grec, car il n'est pas celui de la division ou celui de la multiplication, mais celui de l'identification.

En effet si je coupe le segment AB de telle manière que AC = CB, je ne fais que reculer le problème à l'infini. Je n'obtiens pas deux segments, mais deux segments identiques, un segment AC qui n'est que la reproduction du segment CB, et vice-versa. Une double image d'un segment n'est pas plus un segment qu'une photo en couleur d'une jeune fille dénudée n'est le même délice que la même jeune fille nue dans vos bras. Goûtez la différence et sachez l'apprécier. Zénon exprimera l'absurde d'une telle position qui pourrait très vite tourner à votre désavantage si vous devez vous contenter des seins glacés de la tigresse de papier. Vlan, encore le fameux mais non fumeux apologue de la flèche obligée à chaque instant de couvrir la moitié de la distance qu'elle se doit de parcourir pour atteindre son but. Bref l'image segmentée de l'image segmentée de l'Un se perd dans l'infinité de son propre duplicata qui se confond avec lui-même. Gageons qu'à l'instar de Mallarmé vous risquez de penser davantage «  à l'autre de chair humain et parfumant » !

Je découperai donc mon segment AB en n'importe où sauf en son milieu ! Echapperais--je ainsi à ma belle ou l'aurais-je échappé belle ? De cette sage décision je déduirai deux déductions. Premièrement l'un de mes deux segments sera obligatoirement plus grand que l'autre. Et deuxièmement cette peur : arriverai-je toujours à tracer un segment plus grand que l'autre ? Est-ce que trompé par mes sens je ne pourrais pas tracer encore par un pur et regrettable hasard deux segments irréprochablement égaux ?

Pour éviter une telle répétition je ne peux que prendre la décision de ne pas renouveler mon erreur : je dois faire en sorte que mon point C soit placé en un endroit tel que sa position entraînera que le rapport de supériorité d'un segment sur l'autre soit d'une évidence intelligible. C'est à penser que mon point A se situe dans l'espace géométrisé de la réalité sub-lunaire et mon point B dans l'éther divin du pur Hélios !

Empiriquement je propose deux solutions : un point C plus près de A ou un autre plus proche de B. Deux solutions que les écoliers transcriraient sous la forme :

AC > CB ou AC < CB

Etrange manière que de procéder du Un au Multiple de deux manières si contradictoirement distinctes. Mais si j'ai deux façons de transiter du Un au Multiple, cela signifie qu'elles sont de fait identiques. Ce qui signifie que ce n'est ni la proximité de A ni la proximité de B qui sont opératoires mais la notion intelligible de proximité elle-même. En clair mes deux annotations s'équivalent :

AC > CB ( équivaut à ) AC < CB

J'ai emprunté une route adéquatoire qui passe exactement en plein milieu de la notion du même. Je suis revenu à mon point de départ dans l'ornière de mon segment divisé en deux moitiés égales. Au moins aurai-je touché du doigt l'aporie de la coïncidence des oppositions qui définit que les extrêmes qui s'attirent se repoussent également.

Si je désire que le problème ne soit pas insoluble, il faut que je le résolve d'une manière qui ne soit pas accidentelle. Le point d'impact C doit s'imposer en toute logique. Pour le moment nous avons tourné autour du pot mêlant en notre démarche logique et épistémologie.

Ne recherchons plus la position précise de C. Qu'importe que ce soit plus prêt de A ou de B : ce que nous devons trouver c'est un rapport d'équilbre entre trois points A, B, C, et donc le rapport algébrique entre leurs segmentisations respectives, ente AB et AC, entre AC et BC et toutes les autres possibilités, jusqu'à ce que soit algébriquement déterminé un rapport de valeur opératoire qui revienne toujours en tant que signe distinctif que quelque chose d'opératoire a eu lieu. Une espèce de constance, un invariant, applicable à toute situation particulière de telle manière que ce signal apparaisse dès que la séparation symbolique du Un et du Multiple soit effectué.

Pour les calculs je vous renvoie à vos chères études, pour les moins doués vous trouverez en trois minutes sur plusieurs sites du net les adéquates démonstrations opératoires d'une limpidité outrageante.

Cet invariant opératoire équivaut à 1, 61603... Sa valeur numéraire nous importe peu, ici. Son existence nous apprend que l'on ne passe pas du Un au Multiple par hasard. Il existe une structure mathématique qui puisse codifier cet acte particulier de portée métaphysique. C'est-à-dire un acte qui se peut accomplir très naturellement, mais que la la tradition philosophique grecque, selon ses propres circonstances historiales a rattaché à ses présupposés pragmato-aporiques.

Quelle est la particularité algébrique de ce nombre ? Pour nous modernes elle est très simple. Enlevez au carré de ce nombre, ce nombre même. Retranchez 1 à votre résultat et vous obtenez 0. En d'autres termes l'opérativité exponentielle de ce nombre s'ajoute à ce nombre et à l'Un, de telle manière que si l'on ôte l'Un il reste zéro. Le nombre d'or est bien le signe de sa propre multiplication exponentielle mais il n'atteint en rien l'unité primordiale de l'Un. Le Multiple est bien fondé en lui-même, en son exponentialité symbolique, en son étant, en toute séparation de l'être.

Le Multiple n'est donc pas le même que l'Un. Nul doute qu'avec Pythagore nous sommes au coeur de la philosophie platonicienne ! Notre zéro algébrique est le signe de la nature de l'autrêlité du Multiple. Eussent-ils connu la notation du zéro, les Grecs se seraient-ils pris pareillement la tête ? Ils auraient transmué les vertus de la monade primordiale dans le zéro et le Un eût été le signe du départ de la numération du Multiple. L'unicité négative du zéro les aurait contraints à la vision d'une théologie monothéique négative alors que la problématique du Multiple à partir du Un initial les a conduits à une théogonie polythéiste.

Dom Néroman salue en le nombre d'or sa faculté foisonnante reproductrice et génératrice. Il entre d'après nous en contradiction avec lui-même, lorsque par la suite après avoir démontré que le nombre d'or est celui de la procréation générationnelle du vivant et des formes de l'Intelligible, il se met à affirmer par une régression tautologique de sa pensée, qu'il tient pour preuve aristotélicienne d'un moteur divin négativement immobile, ces mêmes éléments dont il vient de dénombrer la présence germinative et structurante dans le champ intelligible du réel. Ce genre de pensée qui se dé-pense au fur et à mesure qu'elle se construit est très révélatrice de l'histoire de la pensée occidentale dont le départ préphilosophique typiquement grec sera peu à peu phagocyté par la pensée thélogicio-philosophique du christianisme.

André Murcie.

Les mésaventures de la pensée heideggerienne, ces dernières années mises à l'index pour son retour originel vers la pensée grecque nous rappelle que le combat pour le rétablissement d'une pensée païenne et polythéiste n'est pas encore gagné. Nous initions cette opérativité parce qu'elle nous paraît être l'indispensable concomitance préalable au redéploiement de l'Imperium Romanum.

( 2009 / in A table Pythagore )

 

 

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