Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

CHRONIQUES DE POURPRE N°3

 

CHRONIQUES

DE

POUPRE

UNE VISION IMPERIEUSE DES HOMMES & DES OEUVRES

Revue Polycontemporaine / Interventions Litteraires

/ N° 003 / Novembre 2016

 

CONSTELLATION STEPHANE MALLARME

IGITUR. NOTULE AMETAPHYSIQUE.

1

L'on a souvent glosé d'Igitur comme le conte dont il serait l'unique héros d'un homme seul. Encore que cette dernière nomination soit de trop. Plutôt un adolescent qui ne soit pas accompli. Du moins pas totalement puisque le texte compterait justement le récit de ce manque à gagner, certes dérisoire puisque résolu en la mort du jeune homme héroïque, comme s'il lui avait été interdit de jamais grandir et s'accroître tout à fait.

L'argument est connu et la mise en scène adéquate. Le phare ou la tour - ci gît la tour - comme la bougie de l'être et la descente intérieure. Retour au néant de la race. Autre nom de l'origine. Peu d'ustensiles, un livre qu'il ne sera pas besoin d'écrire, une fiole qui est à la folie ce que la potion est à la notion, et rien d'autre que la descente dans le noir.

L'on aimerait la décrire interminable, mais il n'en est rien. Les histoires les plus courtes sont les meilleures, et ce n'est pas parce que notre prince de Minuit avance à tâtons dans l'obscurité que le drame ne doit point s'achever en des délais raisonnables impartis par la fiction littéraire.

Le malheur c'est qu'Igitur n'est point seul. A peine est-il rentré dans sa nuit comme l'escargot en sa coquille qu'il est victime d'une hallucination cognitive. Plus tard, trente longues années, lorsque le jeune Hamlet - l'on ne dira jamais assez comment Igitur, puisqu'il ne se rappelle même plus qu'elle ait existé, s'est définitivement débarrassé d'Ophélie, bien avant le dernier acte parodique de sa comédie personnelle – aura cédé le rôle à un vieillard chenu – l'on n'ose penser qu'il l'aurait jetée à la mer – il n'en sera plus question. Peut-être le Maître l'a-t-il déjà relâchée et qu'il s'en est parti pour ne plus revenir – aux rivages de la nuit plutonienne – lorsque commence le poème, mais sa présence reste indubitable sitôt notre jeune ami a-t-il clos sur lui les portes de la nuit.

Est-ce celui de l'épaule d'Odin qui s'en retourne vers son passé, comme Igitur vers l'antique présence de ses ancêtres relégués en leur mortuaire caveau – celui du futur, inutile, n'ayant pas été prié d'entrer, peut-être coassant sinistre aux battants de la porte refermée à toujours – toujours est-il que le battement d'ailes et les attouchements d'un corps velu – Ophélie ayant d'eau fait lit noyé son chagrin d'enfant qui refuse à se survivre - en dénoncent clairement en la nuit si noire le vol d'un hypothétique volatile, que dans une lettre peut-être à Henri Cazalis, Mallarmé avait reconnu en tant que «le vain plumage de dieu ».

Des palpitations d'ailes qui s'assimileront à l'émotion répétée du coeur de notre héros battant la chamade, mais que la proximité sémantique d'un buste, laisse entrevoir comme le célèbre corbeau d'Edgar Poe. Il y aura même une lueur qui nous condamne à une immobilité infinie. Sans doute – l'expression est des plus méritoires pour évoquer Igitur – le grotesque autruchon – qui ne veut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier – ne fait-il que passer, même s'il sera la première victime à disparaître de cette sombre et absurde histoire. Empoisonnée, ou tuée à coups de dès.

Qu'il est inutile de tirer, puisque l'horloge océane et célestiale de par sa symbolique temporalité s'en est déjà chargé dès le début de la séquence exaltant à minuit pile sur leurs deux faces un double six. N'en jetez plus, le compte est bon. Difficile de faire mieux la fois suivante. Le texte s'achèverait-il à minuit douze que nous n'en serions pas étonnés. Régression ad libitem. Comme un fragment de temps zénonien totalement isolé. Ce n'est que bien plus tard que Mallarmé s'interrogera sur le sens orphique de l'indifférenciation du fragment par rapport au tout.

Pour le moment au fin-fond de lui-même Igitur n'a trouvé que son propre reflet. Eternel retour du même, duquel Igitur ne s'évade pas. La raison pour laquelle Mallarmé n'achèvera pas son manuscrit. Il est l'histoire d'un échec opératoire. Il faudra le sang nuptial d'Hérodiade pour briser la glace du solipsisme poétique. Pluma je écrira-t-il dans les toutes dernières notes de son conte.

2

Avec Igitur, Mallarmé a jeté l'histoire de qu'une mais gardé le Poe de chambre. Qui n'est donc pas de dame. Car l'on n'y épouse pas la notion. Orphélie aurait-elle pu s'appeler. Mais nous sommes ici au bout de l'absence, cette image privée du néant.

Retiré de la vie extérieure Igitur ne peut rentrer qu'en lui-même. Il n'existe aucun autre lieu en lequel il pourrait être après avoir déserté. L'acte en lui-même importe peu qu'il s'agisse d'éteindre le lumignon, de s'empoisonner ou de jouer sa vie à la grande loterie du hasard. Elbehoui ou Elbehnon, le choix n'est pas si étendu que cela. Ce qui meurt c'est la valeur. Ceci tuera cela, dixit Victor Hugo qui ne croyait pas si bien dire. Ceci donc cela, l'un implique l'autre. L'inverse aussi. C'est dans cette équivalence de l'acte à s'accomplir plutôt en qu'en, qu'Igitur touche à la déperdition de toute fiducité.

Impératif catégorique familial pour le vierge héros ! Pas plus de femme que d'hommes ! Pas moins de cloître que de monde ! Se rappeler que certains verront en le coup de dés tenté et retenu un pur exercice d'intellectualité onanisante. L'auteur ne le signe-t-il pas de ces deux initiales S / M. N'y décelons aucune perversion mais la marque des deux mamelles – je pense à l'autre le sein brûlé, cet autre sien - du vingtième siècle où les intellectuels de service ont bu du petit lait : ( p)Sychanalyse et Marxisme. Le p comme l'origine poesque et poésique oubliée, car confondue avec une vision structuraliste des schèmes de pensée amétaphysique.

 

STEPHANE MALLARME

IGITUR OU LA FOLIE D'ELBEHNON

IMAGES. JACQUES DELAFOSSE.

Nunca Editions. 28 pages. Décembre 2008.

Notons que chacun a toujours tenté de lire Igitur en le réduisant à sa propre idée. Alors que Mallarmé n'a cessé de repousser les limites de sa chambre jusqu'à toucher les cloisons du macrocosme. La tentative de Gérard Delafosse d'avoir voulu ajouter au poème nous ravit. Pas tant par son résultat esthétique intrinsèque qui ne nous convainc guère. Mais cette collection d'objets de verre nous séduit en le sens où elle se pose comme un jeu de pièces avec lesquelles il conviendrait d'entamer une partie avec l'univers entier comme partenaire particulier.

L'opuscule ne présente que les photos de cette cristallerie transparente. Le reflet de l'objet ne vaut pas l'objet, mais cette plaquette suffit à nous faire rêver.

André Murcie ( 2008 )

FRAGMENCES D'EMPIRE

LES METAMORPHOSES D'ELEUSIS

ALAIN PAGE

Col. NéO / 716 pp / LE CHERCHE MIDI / Avril 2011 /

 

Alain Page nous surprendra toujours. Après avoir écrit les scénarii de deux films aussi dissemblables que La Piscine et Tchao Pantin, plus une quarantaine de romans policiers et d'espionnage, le voici qui a quatre-vingt ans nous offre un roman de près de huit cents pages, hors-normes, un ovni littéraire tombé d'une planète lointaine et inconnue.

Se paie même le luxe d'écrire la suite – qui n'a pas grand-chose à voir – d'un premier roman bien oublié depuis près de quarante ans Le Secret des Compagnons d'Eleusis réédité ces derniers temps aux Editions du Rocher. Compagnons d'Eleusis qui furent repris en 1975, sous la forme d'un feuilleton télévisé. Un sujet d'actualité à l'époque : les Etats-Unis venaient de blackbouler l'étalon-or, la monnaie dès lors n'étant plus indexée que par le cours du marché. L'on connaît le résultat catastrophique de ces dérives monétaires... Voici donc que la société secrète des Compagnons d'Eleusis, dans le souci méritoire de balancer aux orties la gabegie financière du capitalisme-libéral montant, s'amuse à balancer des centaines de tonnes d'or sur le marché, histoire de faire chuter les cours... Nous sommes dans les années 70, les Compagnons d'Eleusis sortent leur or du trésor des Templiers et de Rennes-le-Château... C'était alors la grande mode, et comme la morale se doit d'être triomphante, le méchant Capital finit par inverser le cours fléchissant des cotations. Tout finit pour le mieux dans le meilleur des mondes, qui est le nôtre.

Tome 2. Les compagnons d'Eleusis nous refont le coup du Monopoly mondial, version poker-menteur. Se sont modernisés. Agissent dans le virtuel. Grâce à l'internet. Existerait un métal fabuleux, encore plus cher que l'or, qu'ils seraient les seuls à posséder et qu'ils entendent distribuer aux particuliers. Auraient dû réfléchir que sur le papier cela avait la couleur de la Société des Egaux chez nos amis les Spartiates qui fut tout de même la cité la plus inégalitaire de l'ancienne Grèce. Mais le but d'Alain Page n'est pas de nous entraîner dans une réflexion théorique. Laisse le Cartel - club très fermé des puissances financières de la planète – se dépatouiller avec le problème. Comptez sur eux pour gérer la crise. Engrangeront sans états d'âme particulier les bénéfices à la fin de la partie.

Théorie du complot. Oui, mais pas celui que l'on croit. Et c'est-là qu'Alain Page fait très fort. Nous entraîne dans une histoire des plus abracadabrantes avec une telle dextérité et un tel naturel, que l'énormité des ficelles ne vous paraît jamais invraisemblable. Rengainez vos diatribes. Non ce sont pas de méchants capitalistes ou d'infâmes traideurs manipulateurs qui sont derrière tout cela.

Vous n'y aviez pas pensé, mais c'est pourtant l'étonnante réalité : vous connaissez les coupables, depuis au moins votre sixième, ni plus ni moins que les Dieux de l'Antique Olympe. Pas si antiques et démodés que cela, se déplacent en 4 / 4, roulent en moto, possèdent des écrans tactiles à vous faire pâlir d'envie, maîtrisent des techniques et des énergies dont vous n'avez pas idée. Ne les idéalisez pas. Sont comme tout le monde. Ont leurs petits ennuis. S'ennuient un peu : l'immortalité est un long fleuve tranquille, et manque de Pô, comme tous dieux qui se respectent ils peuvent mourir et ne résistent guère à une balle de Magnum. Ont quand même la possibilité de renaître à la vie. Heidegger n'y avait pas pensé : n'y a pas que les hommes qui sont arraisonnés par la technique, les Dieux aussi. S'il avait envisagé l'hypothèse aurait-il parié sur le Retour des Dieux, notre philosophe ?

Avec de telles données de base, le lecteur comprendra que l'on ne s'ennuie pas une seconde dans ce gros roman. Eros et Thanatos s'en donnent à coeur joie. A chaque tournant du labyrinthe crétois se cache un minotaure. Exactement celui que vous n'aviez pas prévu. Et ce n'est pas parce que les Dieux de l'ancienne Crète vous jettent à la figure le paradoxe du crétois menteur qui dit la vérité en affirmant qu'il ment que vous êtes sortis d'affaire...

Vous pouvez lire le livre comme un thriller financier teinté de science-fiction, mais il est avant tout une longue méditation sur la Nature non des Choses mais des Dieux. Un traité de métaphysique à l'usage des Immortels, et dans cette optique-là vous êtes bien loin, avec votre petite cervelle d'homminilicule, des misérables Mystères d'Eleusis.

A décoder avec précaution. D'un accès plus difficile qu'il n'y paraît pour le lecteur primesautier qui prise davantage les aventures que la réflexion. Trois Aigles d'Or.

André Murcie.

 

Les commentaires sont fermés.