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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 642: KR'TNT 642: DAMO SUZUKI / CHIP TAYLOR / BILLY VALENTINE / JALEN NGONDA / RICH JONES / GABRIEL DALAR / DANYEL GERARD / RICHARD ANTHONY / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 642

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    25 / 04 / 2024

     

    DAMO SUZUKI / CHIP TAYLOR

    BILLY VALENTINE / JALEN NGONDA

     RICH JONES / GABRIEL DALAR

    DANYEL GERARD / RICHARD ANTHONY

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 642

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    Le Can dira-t-on

    - Part Two 

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             Damo Suzuki vient de casser sa pipe en bois. Comme un coup de dés jamais n’abolira le hasard, paraissait au moment même où Damo rendait son dernier souffle un Live In Paris 1973

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    Un gigantesque double album que Kris Needs gratifie de 5 étoiles dans Record Collector. Rarissime ! Il fout aussitôt la charrue avant les bœufs en qualifiant Can de «truly magic band in full flight», et la Krissmania s’ébranle sur une demi-page. Il se rappelle d’un «life-changing» concert de Can vieux de 50 ans à Aylesbury’s Friars. Et c’est parti au roaring Krissboom de «stunning impact, shapeshifting musical significance and lifelong resonance», de «supernova catharsis of that extraordinary night», il parle d’un groupe qui file comme un «express train to the outer limits, driven by supernatural telepathy, innate virtuosity and fearless spirit.» Kriss Needs n’a jamais été aussi dithyrambique ! Il l’est mille fois plus qu’Andrew Lauder, qui dans son autobio chante les louanges de Monster Movie  - Je n’ai pas le souvenir de beaucoup d’albums qui m’aient autant excité à la première écoute - Bon d’accord, c’est pas Damo qui chante sur Monster, mais Malcolm Mooney - Le seul équivalent de Monster Movie est le Velvet Underground, mais c’est une comparaison superficielle. La musique de Can had broader perimeters - Il n’empêche que l’énergie est la même. Kriss Needs indique qu’à l’époque où il les vit sur scène, Can venait de sortir Ege Bamyasi. Pour lui, ce Live In Paris 1973 est la preuve qu’il n’avait pas rêvé à l’époque. Il y a 5 cuts sur ce live, numérotés de 1 à 5 en allemand. Comme le rappelait Lauder, Can jouait sans set-list et chaque concert était différent, complètement libre, improvisé à partir des thèmes des cuts enregistrés. Can veillait à rester «an underground cult band». Ça ne pouvait que plaire à Needy, grand amateur de Funkadelic et de Sun Ra. Il rend hommage à chacun des 5 Can, «Liebezeit’s jazz infected funky drum tattoos, Holger Czukay’s minimal James Brown-simple propulsion, Schmidt’s synthetised nightclub icicles, Karoli’s liquid guitar snakes and Damo’s other worldly vocalising». Il parle encore d’une «thermonuclear cavalry charge» et il donne le coup de grâce en comparant le jeu de Michael Karoli à «un monstrueux jet de dentifrice radioactif pressé par le fantôme de Jimi Hendrix.» Sa prose est encore plus fantastique que l’orgie sonique de Can. On ne connaissait pas le coup du dentifrice. Il a raison, c’est exactement ce qui se passe. Schlofffffff !  

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             Dès «Eins», le monstrueux dentifrice surgit. Can est un groupe qui s’ébranle et qui va ensuite son petit bonhomme de chemin, avec un Damo qui s’embobine autour du beat. Il a raison d’être torse nu, car c’est du boulot. T’as voulu voir Maubeuge et tu vois du Can, avec un Jaki qui te bat ça si sec et un Czukay qui hoquette au bassmatic errant, et les deux autres complètement le fourniment de la surenchère métabolique. Can c’est spécial, ça dure longtemps, all nite long, prends tes précautions avant d’enter là-dedans. Depuis Can, il faut bien dire qu’on a jamais fait mieux en matière d’hypno teutonique.

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             Le mec qui signe les liners de ce Live atomique est le roi des nonchalants vorticistes. Il s‘appelle Wyndham Wallace. Il commence par t’informer que tu vas être déçu, car il n’a aucune info à transmettre, à part la date : 12 mai 1973 à L’Olympia. Il indique aussi que Damo allait quitter Can peu après ce concert. Il profite de l’occasion pour rappeler les pedigrees des autres cocos de Can, Schmidt et Czukay, «Stockhausen pupils», et Jaki Leibezeit «who’d turned his back on free jazz to become their so-called half-man half-machine drummer.» Et il ajoute, laconique comme pas deux : «Voilà c’est tout. That’s your lot. Luckily, it’s all you need to know.»

             Il a raison, le bougre. Qu’a-t-on besoin de savoir de plus ? Autant s’immerger dans le Can insidieux de «Zwei», qui se met en place comme un gros scarabée. Jaki Liebezeit l’articule. On reconnaît bien l’attaque excédée de Damo le démon. Ils forment tous les 5 un scarabée sacré compact et bien plombé. On l’adore, comme on adorait autrefois les divinités. C’est un son allemand, très primitif, pré-teutonique, tu ne sais pas ce que tu fous là, mais t’es content d’être là. C’est un son libre qui palpite d’une façon bizarre, et tu entres dans leur jeu. Villon et Céline auraient adoré Can, c’est évident, car le son balance comme un pendu de Montfaucon et la gouaille vaut bien celle des tranchées de la putréfaction.

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             Wyndham Wallace se rappelle à ton bon souvenir en indiquant que Schmidt eut l’idée de monter Can lors qu’un trip new-yorkais. Wallace est content : à une époque dit-il où l’information qu’on cherche «is rarely more than a click away», le concert parisien de Can reste plongé dans le plus épais mystère - That’s precisely how I prefer my Can - C’est le côté mystérieux de Can qu’il préfère. Il continue de filer son coton vorticiste en indiquant qu’au moment où paraissait Monster Movie, il n’était lui-même pas encore paru. Il allait naître deux ans après. En grandissant, il se mit à lire les «weekly music papers» et découvrit que les artistes qu’il admirait le plus, Julian Cope et Mark Hollis citaient Can en référence - Par conséquent, alors que je sortais de l’adolescence, je crevais d’envie de découvrir le groupe qui avait su galvaniser mes héros - Il cite encore trois noms de gens qu’il admire, et pas des moindres : Lee Hazlewood, Tim Buckley et Scott Walker.

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             Le disk 2 démarre sur «Drei». Pur Babaluma d’Holger & Jaki. Damo ramène son Spoon dans la soupe. On retrouve le Can de rêve, puissant, hypno, libre. Ils luisent dans les éclairs de l’hypno. Ils développent une extraordinaire énergie propulsive et filent droit dans le néant sonique. Damo est balayé, il ne sert plus à rien dans cette tourmente, mais il va revenir, et le Karoli se met à sonner comme une chauve-souris devenue folle.

             Wallace rappelle aussi qu’il en bavé avec Can, car zéro info dans le NME, zéro info dans le Melody Maker, zéro book on the shelves, zéro disk dans ses boutiques habituelles, et zéro K7 de ses copains. Et bien sûr zéro Can à la radio - Boney M after all didn’t count. On pensait tous que Can était un groupe américain et que Kraftwerk... well they were robots - Et pour couronner le tout, l’Angleterre voyait plutôt le krautrock d’un sale œil, et tout ce qui était allemand s’apparentait au nazisme. Alors le jeune Wallace s’est mis à imaginer Can - And in the hands of a teenage boy, imagination is a powerful tool.

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             Et hop, les Cannois tapent «Veir» sous le boisseau, ils grésillent le souffle, le Karoli fout le feu au boisseau. C’est à cet endroit précis que Kriss Needs devient fou : «Vier carriers into motorik overdrive, Schmidt setting his Pandora’s box  keyboards to screaming flying saucer freak-out mode, detonating one of Can’s infamous ‘Godzilla’ meltdowns as their rampant kinetic energy erupts into mutual meltdown.» C’est du rock-writing de très haut vol. «The evocative killer punch comes with Schmidt’s luminescent baroque melody lathered by Karoli into 13 delirious minutes of Vitamin C. rhythm section flashing red before the tape cuts mid-flight.» Oui, ça coupe sec. Sans prévenir. Kriss Needs parle encore d’«untouchable alchemy», alors que ce Live se dirige vers la sortie avec un «Funf» confus et brouté de la motte. Encore du pur Can, ça grouille dans la barbouille. Toujours très entreprenant. En prise directe sur ta vie, c’est comme planté dans ta jugulaire, c’est ça, Can, ça te boit. Damo le démon chante sa supplique et ça se termine en forme de chou-fleur épileptique.

    Signé : Cazengler, Con

    Damo Suzuki. Disparu le 9 février 2024

    Can. Live In Paris 1973. Spoon Records 2024

     

     

    Wizards & True Stars

    - My Chip Taylor is rich

    (Part One) 

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                Grâce à «Wild Thing» et à la belle version qu’en firent les Troggs, tout le monde connaît le nom de Chip Taylor. Mais attention, «Wild Thing» n’est pas très représentatif du génie composital du chap Chip. Comparé à l’Any Way That You Want Me d’Evie Sands, un album produit par Al Gorgoni et Chip, «Wild Thing» n’est que menu fretin. Any Way That You Want Me fait partie des œuvres majeures parues en 1970, et on en dit grand bien inside the goldmine. Bien sûr, les Troggs ont aussi tapé leur version d’«Any Way That You Want Me», mais sans vouloir manquer de respect à Reg Presley, la version d’Evie fait beaucoup envie. Après, chacun fait comme il veut ou comme il peut.

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             Chip Taylor est aujourd’hui une vieux crabe de 83 balais. Il ne s’appelle pas Taylor, mais Voight, et il est le frangin du Midnight Cowboy Jon Voight. Il doit donc sa réputation à l’extrême qualité de ses compos et de ses fréquentations : Al Gorgoni, Jerry Ragovoy ou encore Billy Vera. Alors on a deux moyens d’entrer dans son œuvre : soit par le dernier album qui vient de paraître, The Craddle Of All Living Things, soit par une petite compile de devinez-qui ? Oui une compile des gens d’Ace de Saint-Jean d’Ace, Wild Thing The Songs Of Chip Taylor, parue en 2009 dans la prestigieuse ‘Songwriters Series’, la collection du bout du monde. Tu ne peux pas aller plus loin.

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             Commençons si vous le voulez bien par le dernier album. On l’écoute surtout par curiosité, histoire de voir ce qu’un vieux crabe comme Chip a encore dans le ventre. The Craddle Of All Living Things sonne un peu comme l’album de la fin des haricots. C’est très exactement l’ambiance du dernier album de Johnny Cash. Chip chante à l’agonie, mais avec du souffle. Son morceau titre d’ouverture de balda est très chippy. On voit bien que le vieux a du métier. Mais  en même temps, on le sent aux portes de la mort. Fin de la rigolade. «Animals On The Beach» est à la fois funèbre et beau. Pour la jeunesse et la modernité, il faudra repasser un autre jour. Il chante parfois d’une voix brisée, exactement comme Cash. Chip fait son Cash. Que fallait-il espérer ? De la belle ouvrage ? Il faut attendre «Sofia» pour voir un peu de viande. Il a une basse derrière et donc ça donne du doom de Chip. Ce mec compose jusqu’à la fin, c’est brillant et crépusculaire à la fois. Quel gros pâté de pathos ! Mais il sait reconnaître les ravages de la vieillesse - Twenty years ago/ I was an old man - Mais attention, le vieux crabe est encore capable de beauté, comme le montre «Talking About Yourself» qu’il vient chanter dans le creux de ton cou, on l’entend soupirer, c’est très vivant, on entend le moindre souffle, c’est étincelant de beauté mourante, on se croirait au bazar de la Charité avec une marionnette de Cagliostro, oh c’mon here/ Put your head on my shoulder/ Don’t say a word, et il ajoute, dans un dernier râle : «You’re better off/ Not saying a word.» Il va composer jusqu’à la fin, il a des chansons plein les poches, on se passionne encore pour «The Good & The Bad», il gratte encore son fonds de commerce tout crouni, il fait son vieux Cash, mais son luxe et son avantage sur Cash est de pouvoir composer. Il a du monde derrière lui sur «Closing Time», ça swingue, idéal pour un vieux crabe aussi légendaire - You are my closing time - Et comme c’est un double album, ça repart de plus belle avec la heavy country de «Give Her Away Jonny», il continue de pousser le bouchon du Cash assez loin. Il chante «That’s What I Like About The Sky», d’une voix de mineur du Kentucky en phase finale de cancer du poumon, mais il a un petit regain romantique - I miss you/ She says: hey you/ I miss you too - C’est le côté américain des vieux branleurs, ça n’aura jamais l’élégance de «La Javanaise». Puis on voit le vieux Chip s’engluer dans sa mare aux canards avec «Planetary Scheme Of Things». Il continue de viser l’harmonie viscérale. On le voit encore rôder dans sa vieille country poussiéreuse de vieux pépère baveux («One More Dream To Go»), et il s’amuse encore à son âge à balancer des chansons parfaites de baby I love you («I Don’t Know Much»). Et puis voilà la merveille tant espérée : «Someone To Live For», qu’il semble chanter dans un dernier souffle, c’est le romantisme des grabataires, ils veulent tous avoir une poule près d’eux au cas où ils feraient un malaise. Chip chante à la vieille émotion et c’est secrètement violonné. Il n’en finit plus de se vautrer dans l’excellence compositale. On ne s’ennuie pas un seul instant.    

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             Sur la pochette de Wild Thing The Songs Of Chip Taylor, on voit le Chip tout jeune, debout près d’Al Gorgoni qui est assis au piano. Bien évidemment, les gens d’Ace ouvrent leur bon bal avec l’imbattable «Wild Thing» des Troggs, c’mon hold me tight. On retrouve aussi Evie Sands à deux reprises, avec «I Can’t Let Go» et «Run Home To Your Mama» : là tu as tout, l’Evie et l’envie d’Evie, elle est franchement énorme. Evie vit sa vie. Tu y vas les yeux fermés. Dans les liners, Chip dit l’avoir découverte au Brill, lorsqu’elle montait au 8e étage, au bureau de Teddy Vann. Evie avait alors 15 ans. Chip la repère à sa voix, wow this girl can sing ! En plus, il la trouve attractive. Il lui propose de lui écrire des chansons, alors Evie s’émoustille. Elle dit adorer bosser avec Al et Chip. Elle fait même craquer Leiber & Stoller. Mais Jackie Ross et les Hollies vont enregistrer ses hits et lui damer le pion. Evie n’aura pas le succès escompté. Ce qui frappe le plus dans cette compile, c’est la qualité des interprètes féminines : Lorraine Ellsion, Tina Mason, Merrilee Rush, Madeline Bell, Aretha et Dusty chérie, rien que des reines de Nubie. Lorraine Ellison tape «Try (A Little Bit Harder)», elle t’éclate vite fait le Bit Harder. C’est tiré de l’album Stay With Me qui, dirons-nous, est l’un des plus grands albums de Soul de tous les temps. Chip raconte qu’il a composé ce hit avec Jerry Ragovoy pour Garnet Mimms, mais Jerry lui a demandé de l’adapter pour Lorraine et bien sûr, c’est Janis qui va le populariser. Puis tu tombes sur l’«Angel In The Morning» qui donne son titre à l’album de Merrilee Rush, la chouchoute de Chips. Te voilà au cœur du mythe d’American. «Angel In The Morning» aurait dû être un hit pour Evie, mais Chips et Tommy Cogbill l’ont prise de vitesse. Le seul hit qu’Evie aura avec une compo de Chip sera «Any Way That You Want Me», qui n’est pas sur la compile : c’est la version de Tina Mason qu’ont choisie les gens d’Ace. Madeline Bell tape un fantastique «Picture Me Gone» et entre dans la légende. C’est tiré de son premier album, Bell’s A Poppin’. Pur genius encore avec Aretha et «I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face». Aretha t’explose le Chip au Sénégal, elle te groove ça vite fait entre tes reins. Chip co-signe cette merveille avec Jerry Ragovoy, et indique, précision importante, que ça date de la période Aretha pré-Atlantic - One of the best of her pre-Atlantic sides - Billy Vera compose aussi avec Chip. Ensemble, ils pondent «Make Me Belong To You» que chante Barbara Lewis. Elle tape ça au heavy groove supérieur d’open your heart/ It’s up to you. Chip adore Billy Vera - He had that R&B thing to him and a pop-ish thing in his writing - Billy Vera duette deux fois sur la compile, avec Judy Clay pour «Country Girl-City Man», et avec Nona Hendryx pour «Storybook Children». Le duo Billy/Nona est fantastique. Ils sont les rois de la soirée. Dusty chérie explose «Don’t Say It Baby», avec son pâté de foi, elle fait tout de suite autorité, et Little Eva, qui vient à la suite avec «Wake Up John», est fabuleusement américaine. Côté découvertes, on est bien servi, à commencer par The Pozo-Seco Singers de Don Williams et «I Can Make It With You», quasi spectorish, wild big pop d’époque. Chip dit l’avoir composé pour Jackie DeShannon.

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             Alors on va jeter un œil du côté des Pozo-Seco Singers, ça ne mange pas de pain. Deux albums, Time, paru en 1966, et I Can Make It With You, paru l’année suivante. Alors attention, ce sont deux très beaux albums de folk-rock à l’ancienne, produits par Bob Johnston, le mec qui produisit Dylan à ses débuts. Sur Time, il faut attendre le «Come A Little Closer» de fin de balda pour frémir un bon coup : belle country infestée des sales petites incursions de Russell Thornberry. Susan Taylor est fabuleusement sincère, douce et féminine dans «If I Fell», et puis on s’incline devant la beauté de «Tomorrow Is A Long Time», chanté aux trois voix de concorde et à la bonne franquette d’entente cordiale. Il est important de préciser que Don Williams, Susan Taylor et Russell Thornberry sont texans. Ils finissent cet épatant balda avec une cover de «Gantanamera» dévorée de baisers d’espagnolades. Ah comme ils sont fins, les Pozo ! En B, on trouve une superbe cover d’«You’ve Lost That Lovin’ Feelin’». Ils tapent dans le dur avec un feeling extravagant. C’est Don Williams, qu’on surnommait the Gentle Giant, qui mène la danse au groove masculin de who-oohh that lovin’ feelin’ - It just makes me feel like crazy/ Baby - Ils sont encore plus fins que les Righteous et ils montent à l’assaut du baby baby, à coups d’If you love me/ Love me/ Like you used to doooo, et ça monte au don’t/ Don’t/ Don’t let it slip away, ils ne montent pas complètement là-haut comme Bobby Hatfield, mais ils groovent le bring it back to me, woo-oooh. Magie pure.

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             C’est donc sur I Can Make It With You qu’on retrouve l’hit du même nom signé Chip Taylor et la belle prod Spectorish de Bob Johnston. Un vrai hit d’époque. Bizarre que les Pozo-Seco soient passés à la trappe. On se régale plus loin de «Mary Jenkins», un fast country strut attaqué comme une diligence, solide, ventre à terre, pur jus de dirt road. Le reste du balda est très friendly, très chaleureux, mais rien de notable. On retrouve l’énorme prod de Bob Johnston en B avec «Look What You’ve Done», monté comme un hit des Righteous. Mêmes dynamiques. Impressionnant ! C’est Susan Taylor qui chante «Almost Persuaded» et franchement, elle vaut toutes les reines du genre. Le coup de génie se planque au bout de la B des cochons : «Blue Eyes». Prod énorme + Russell Thornberry, ça ne peut faire que des étincelles. Il gratte ses poux en quinconce, et sonne comme une trompette mariachi. Génie sonique pur, il y va à l’espagnolade invertie et derrière, ça bat le beurre de la joie de vivre. Ce «Blue Eyes» est un cas unique dans l’histoire de la pop US : un manège enchanté. Encore merci à Ace d’avoir déterré ce fabuleux trio, via Chip Taylor.   

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             Nouveau choc émotionnel avec Walter Jackson et «Welcome Home», big voice de Welcome home my baby, c’est littéralement renversant de power. Ce blackos qui ressemble à Bo Diddley est un OKeh guy. C’est l’une des Soul balads préférées de Chip qui dit aussi adorer la version de Dusty chérie. Chip regrette de ne pas avoir rencontré Walter Jackson. Il était marié et père de famille à l’époque, il composait ses hits et rentrait vite fait à la maison. Le «My Johnny Doesn’t Come Around Anymore» de Debbie Rollins sonne comme un hit des Ronettes. Une petite black, 3 singles et puis s’en va. C’est d’un kitsch à toute épreuve. Heureusement qu’Ace est là pour nous ramener toutes ces merveilles, car elles disparaîtraient à jamais. Qui aurait l’idée d’aller déterrer un single de Debbie Rollins ?

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             Chip profite de son commentaire sur Little Eva pour rappeler que le Brill était en fait un ensemble de trois buildings : 1650 Btoadway, où il bossait, 1619 Broadway qui était le vrai Brill Building, et down one block, on the East side, se trouvait Screen Gem Music où bossaient Carole King et Gerry Goffin. Et puis tu as Stoney Edwards et «Blackbird (Hold Your Head High)», oh l’incroyable profondeur du deepy deep ! On croise rarement un cut de country Soul aussi capiteux. Cette belle aventure se termine avec Chip et «(I Want) The Real Thing» tiré de Chip Taylor’s Last Chance. Il te tape ça au nez pincé. Il a du swagger plein la bouche. Ce démon fait le yodell de real thing, un real deal de real voice, il est tellement à l’aise à Memphis Tennessee, tu le vois à l’œuvre et oh yeah !

             Tony Rounce et Mick Patrick qui conduisent l’attelage des liners concluent ainsi : «One of the greatest singer-songwriters of the past 50 years. You want the real thing? Here’s Chip Taylor.»

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             Il n’existe pas à proprement parler de littérature sur Chip. Raison pour laquelle les booklets des gens d’Ace sont tellement précieux. Le seul Chip book qu’on pourra se mettre sous la dent est son «journal de voyage», Songs From A Dutch Tour, publié en 2008. Comme il est célèbre aux Pays-Bas, et qu’il y tourne intensément, il décide d’en faire le thème d’un petit book graphique. Il est aisément rapatriable, aussi le rapatrie-t-on vite fait. Lorsqu’il arrive, on se frotte les mains. L’objet se présente bien : brave petit A5 de moins de 200 pages imprimées sur un satimat bien kaoliné. L’ensemble se veut haut en couleurs. Le graphiste devait avoir carte blanche, car il a la main lourde sur les effets de croc-en-jambes et les doubles à ressorts bruyants. Il peut même se montrer vindicatif, il trafique des photos à la recherche d’effets et joue avec la titraille comme le chat avec la souris. On se croirait parfois dans un magazine à la mode des années 90, du type The Face ou Arena, en plus ramassé. Le miam miam d’accueil laisse place à un léger désenchantement et on commence à se méfier. Cette exubérance graphique est probablement l’arbre qui cache la misère. On attaque donc la lecture avec circonspection. Comme le texte n’est pas très dense, on évalue le temps de lecture à quatre ou cinq heures, ce qui comparé à l’éternité, n’est pas grand-chose.

             Chip commence par raconter son histoire, rappelant qu’à 16 ans, il était le lead singer d’un groupe qui s’appelait The Town & Country Brothers et jouait de la country et du rockab deux fois par semaine dans les Irish bars de Yonkers, à New York. On voit aussi une fantastique photo de Chip gamin avec ses frères aussi blonds que lui et que son père, un Daddy Voight qui a des allures de dandy new-yorkais. Puis il attaque sur son alter ego Chip Taylor the gambler. On entre alors au Casino de Martin Scorsese. Chip se dit aussi obsédé par le jeu que par la musique. Gamin, il accompagne son père to his late night gin rummy games. Son père n’était pas mauvais joueur, mais Chip indique que le retour à la maison était plus joyeux quand il avait gagné. Alors il a décidé à cette époque de sa vie qu’il serait du côté des winners. C’est à peu près la seule confession qu’il nous livre.

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             Même quand il commence à gagner du blé avec ses compos, il continue chaque jour de jouer aux courses. Il séjourne parfois plusieurs semaines d’affilée au Casino d’Atlantic City, New Jersey. Il est dingue de blackjack. Il enregistre deux albums avec Trade Martin et Al Gorgoni, et en 1970, il enregistre son premier album solo, Gasoline. Quand il enregistre Last Chance pour Warners Bros, les mecs du label sont bien embêtés : «That’s a wonderful album, Chip - but it’s a country album - and we dont have a country division.»

             Quand il en a marre de subir la tyrannie des labels, il décide d’arrêter la musique pour se consacrer uniquement au jeu - I was enjoying and doing well with my gambling and I just started spending all my time on it - Mais comme il est repéré par De Niro comme «compteur de cartes», il est viré du Casino. Alors il se contente de jouer aux courses - So it was all horses for me - Mais la passion pour la musique le reprend et il veut ré-éprouver les feelings qu’il éprouvait en 1975 quand il jouait pour dit-il the wonderful Dutch people. Alors il arrête le gambling pour de bon.

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             Puis il attaque le chapitre Carrie Rodriguez avec laquelle il duette sur trois albums. Carrie joue du violon, elle accompagne Chip sur scène au Texas, il la repère et il lui demande si elle sait chanter. Elle répond qu’elle veut bien essayer quelques harmonies vocales. Chip va la former. Il adore chanter avec elle. Il sent le gros truc. Elle est très jeune et Chip a déjà des cheveux blancs. Le book grouille de photos du couple. Il la fait chanter sur «Storybook Children», ce hit énorme qu’il composa jadis avec Billy Vera et qu’on retrouve sur l’excellent album que Billy a enregistré avec Judy Clay. Chip et Carrie tournent aux États-Unis et le public les ovationne. C’est le début du duo Chip Taylor & Carrie Rodriguez. Chip ajuste les chansons pour elle et ils enregistrent l’album Let’s Leave This Town. Et paf, te voilà une fois de plus avec un big album sur les bras ! Ça grouille de duos d’enfer, de coups de génie, de country strut, de Beautiful Songs et de grosses compos. Le meilleur exemple de grosse compo est l’«You Are Danger» qu’on trouve vers la fin, un heavy balladif dramaturgique - You are trouble - il se méfie d’elle. Et sur d’autres cuts comme «Was That For Me», il chante dans ton cou, avec cet incroyable power de la proximité. Chip Taylor a du génie, ça on le sait. Mais c’est encore plus criant quand il ramène Carrie Rodriguez en studio avec lui. Il en fait une country-star en devenir. Dans le giron de Chip, elle brille d’un éclat certain. Il suffit d’écouter le morceau titre : Chip déboule et elle arrive aussitôt après. L’album démarre avec une fast-country de bonne aubaine, «Sweet Tequila Blues». Elle y va au petit sucre androgyne, la Carrie. On comprend que Chip ait craqué, et elle ramène son Texas fiddle. «Extra» sonne plus manouche, c’est elle qui attaque, suivie par un solo de jazz guitar, Chip rentre sur le tard. Cet «Extra» est d’une grandeur imparable. Ils passent à l’heavy country avec «There’s A Hole In The Midnight». Pure magie ! Carrie te fend le cœur et Chip reste d’une justesse incroyable - Girl it’s no good without you - Et voilà le coup de génie : «Storybook Children». Carrie le prend à bras le corps et ça bascule dans la magie pure. Chip arrondit les angles de la mélodie pour mieux te fasciner. Carrie est encore merveilleuse d’à-propos avec «Do You Part» - Do you part/ Don’t sing that song no more - Elle rentre bien dans le chou du lard. Toutes ses attaques sont d’une pureté sublime, comme le montre encore «His Eyes», elle arrive avec de la lumière dans la voix, c’est elle qui attaque «Say Little Darlin’» au violon country, c’est plein de vie, géré au petit tatapoum de cul serré, elle y va au sucré avarié de country star en devenir, et Chip vient faire son chaud mentor sur le tard du cut. Elle te violone encore «Midnight On The Water» comme une Tzigane du Texas, mélange parfait des saveurs avec la délicatesse des coups d’acou.

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             Le duo devient, nous dit Chip, «the top duet team in the U.S. alt-country arena.» Ils font encore deux albums ensemble : The Trouble With Humans et Red Dog Tracks. The Trouble est un petit peu moins dense que l’album précédent, mais bon, on ne va pas cracher dans la soupe. Les duos d’enfer et les coups de génie sont au rendez-vous, tiens, comme cette fast country de «Laredo», avec le souffle du violon dans la foulée, on sent le Chip de choc, le mec très abouti. Tous les deux, ils deviennent faramineux. Même topo avec «Dirty Little Texas Story», duo d’enfer enluminé par le mécanisme country de Carrie, elle chante à l’accent traînant, presque perçant. Ils font de l’art. Leur mariage de voix est sexy, plein de jus. Ils se marient encore si bien avec «We Come Up Shining», pure magie spirituelle de we come up shining yes we do. Ils s’amusent bien à mêler leurs baves. Sur «All The Rain», ils passent à la hard country dansante, grosse énergie avec Carrie et son violon virevoltant en tête de gondole. Et cette merveilleuse country titube avec «Curves & Things». Violon mal ajusté et beat country, quelle superbe déshérence !   

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             Et voilà Red Dog Tracks qui vient encore culminer au sommet de l’art country, et ce dès «Must Be The Whiskey», joli duo de rêve, le souffle chaud de Chip et le sucre éhonté de la belle Carrie. Carrie on ! Et ça explose encore à la suite avec «Keep Your Hat On Jenny», Carrie l’attaque  au violon country avec une prodigieuse énergie et elle croasse dans le brouet. Alors tu cries au loup, ça reste du très grand art. Ils bourrent bien le mou de l’intimisme avec «Oh Set A Light». Très chippy. Fantastique développé des deux voix. Chip Taylor a du génie et Carrie aussi. «Private Thoughts» est plus groovy. Le chap Chip crée encore une fois de la magie, il est même spécialiste des tours de magie, comme Mandrake. Back to the heavy country power avec «My Bucket Got A Hole In it», duetté à la peau des fesses avec un banjo in tow. Et ça peut devenir très sexuel comme le montre «I Can’t Help It (If I’m Still In Love With You)». C’est le duo country le plus romantique et le plus sensuel de l’histoire des duo country romantiques. Ils saturent le cut de romantica, ah il faut les voir mêler leurs baves. «Son Of Man» sonne comme du stuff de staff, bien propulsé au banjo ravageur. Carrie ramène sa fraise sur le tard et Chip fait des aveux - I am the son of man - elle le reprend aux chœurs et Chip se fend d’un Jesus/ He died for me.

             Chip est très mystérieux sur la nature de leur relation - When I heard her voice hit mine for the first time in Texas, she had the magic - Il précise que sa voix lui donnait des frissons. Ça ressemble donc à une relation platonique. Il dit plus loin qu’il a appris à maîtriser ses émotions pour vivre «this complicated but beautiful relationship». On n’en saura pas davantage. Puis elle va enregistrer un album solo et ira voler de ses propres ailes.

             Chip attaque ensuite le journal de voyage proprement dit et ça devient compliqué, car il passe son temps à décrire les hôtels, les restaus et à dire que tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil au Dutchland. Ces pages sont d’une effarante platitude. Elles font penser aux gens qui photographient leur breakfast à Glasgow pour «le mettre sur FaceBook».

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             Le CD encarté dans la troisième de couve du Chip book est plus appétissant. Chip documente son voyage en Hollande musicalement et ce grand artiste nous réchauffe bien les portugaises, et ce dès «Red Sidewalk» et sa fantastique allure de country strut. On ne peut que se prosterner devant l’indéniable présence de big time Chip. C’est à la fois puissant, beau et raffiné, chanté au gras du menton, aw yeah. S’ensuit une Beautiful Song : «Rose Of Arnhem Town», qu’il prend à la dylanesque et avec une extraordinaire profondeur de champ. Alors tu suis Chip à la trace. Sur quelques cuts («Down By Law» et «Jack Of Diamonds/Queen of Hearts»), il sonne exactement comme le vieux Cash. Il trempe dans la même intimité de vieil homme confronté à la mort qui rôde. Alors pour se remonter le moral, il passe au boogie avec «Dorine Dorine» - You’re a big shot girl - Chaque cut accroche, par la qualité du chant et par la nature profondément sincère du songscraft. Comme Dylan, il chante ses rencontres («Song For A Dutch Girl») et te réchauffe encore avec «Mema I Miss You From Here», il chante dans ton cou et il repart en père peinard sur la grand-mare des canards avec «Faded Blue» - You broke my heat in two/ And now my skies are faded blue - Country de rêve, c’est évident. Artiste de rêve, c’est encore plus évident.

    Signé : Cazengler, Chip à l’ancienne

    Chip Taylor. The Songs Of Chip Taylor. Ace Records 2009

    Chip Taylor. The Craddle Of All Living Things. Train Wreck Records 2023

    The Pozo-Seco Singers. Time. Columbia 1966

    The Pozo-Seco Singers. I Can Make It With You. Columbia 1967

    Chip Taylor & Carrie Rodriguez. Let’s Leave This Town. Train Wreck Records 2002

    Chip Taylor & Carrie Rodriguez. The Trouble With Humans. Train Wreck Records 2003

    Chip Taylor & Carrie Rodriguez. Red Dog Tracks. Train Wreck Records 2005

    Chip Taylor. Songs From A Dutch Tour. Train Wreck Records-Ambo Anthos Publ. 2008

     

     

    L’avenir du rock

    - La Saint Valentine

             Chaque année, l’avenir du rock fuit les fêtes. Il ne supporte pas l’idée des beuveries programmées et la vue du moindre sapin de Noël lui donne de l’urticaire. Oh et puis ces cadeaux que s’offrent les gens par obligation ! L’hypocrisie sociale atteint alors son sommet. La dernière fois qu’il s’est retrouvé piégé dans un réveillon, il est allé vomir discrètement. Le bal des simagrées lui donnait la nausée. Alors pour éviter de revivre des horreurs pareilles, il prend un billet d’avion et traverse la Méditerranée pour aller marcher dans le désert. Au moins, personne n’ira l’importuner avec une invitation à réveillonner. Il se rend généralement à Ouarzazate. Dépaysement total garanti. Au lieu d’avoir à supporter la vue d’une grosse femme vulgaire dévorant des biscottes tartinées de foie gras, il jouira pleinement du spectacle de très belles femmes berbères aux visages tatoués. Comme Brian Jones, l’avenir du rock est fasciné par ces femmes qu’on dit légères. Elles seraient à ce qu’on dit tatouées sur tout le corps. Alors il se renseigne auprès du guide qui doit l’emmener dans le désert. Celui-ci s’empresse de confirmer les rumeurs :

             — Oh oui, Sidi avenil, li joulies gazelles al portent di tatouages sul tout le corl, tooooout le corl, mais si tou veux voil li tatouazes sul toooout le corl, faut donner beaucoup dilhams.

             Cette information pique la curiosité de l’avenir du rock. Le Baudelairien qui sommeille en lui s’éveille.

             — Bon c’est d’accord. Mais je reviendrai au mois de février avec un bouquet de roses blanches.

             La perplexité qui fige le visage du guide amuse beaucoup l’avenir du rock.

             — Ne fais pas cette tête-là Omar ! Chez nous, on fait la cour aux femmes avec des roses, pas avec des dirhams. C’est pourquoi je reviendra à la Saint-Valentine.

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             L’avenir du rock fait coup double : il rend à la fois hommage au romantisme baudelairien et au last dandy on earth, Billy Valentine.

             La parution du nouvel album de Billy Valentine est un autre coup double : retour d’un vétéran du groove avec un album produit par Bob Thiele Jr, fils du fondateur de Flying Dutchman, label légendaire qui du coup refait surface, associé à l’aussi légendaire Acid Jazz. Sur Flying Dutchman, on trouvait autrefois des géants du groove du calibre de Leon Thomas et de Gil Scott-Heron.

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             Billy Valentine & The Universal Truth est surtout un album de covers. Billy Valentine ne tape que dans le haut du panier, à commencer par un vieux hit de Curtis Mayfield, «We The People Who Are Darker Than Blue». Tu as tout de suite le deep groove du we the people d’Acid Jazz, et ça tourne très vite à la merveille inexorable, soutenue par une stand-up de round midnite. Tu te cales bien dans le groove et tu flottes. Billy revient au chant suspensif après un solo de sax free d’une rare virulence. Il enchaîne avec l’«Home Is Where The Hatred Is» de Gil Scott-Heron. Il est important de préciser à ce stade des opérations que Billy est un black engagé. Dans une courte interview donnée à Uncut, il dit chanter en mémoire du pauvre George Flyod dont un policier blanc a écrasé la gorge en direct devant les caméras du monde entier, histoire de rappeler que les pigs haïssent toujours autant les niggers. Rien ne changera jamais. Billy tape le Gil en mode heavy groove d’Acid Jazz. Il vise le deepy deep absolu, ca voix résonne dans le fond du groove urbain, c’est à la fois fantastique et plein d’esprit, d’une extrême finesse. Il lève le poing pour attaquer «My People...Hold On» d’Eddie Kendricks, c’est embarqué aux clameurs de gospel, Billy se fond dans l’épaisseur du groove, les chœurs sont là et ça prend une ampleur sidérante. «My People...Hold On» sonne comme un prodigieux appel à l’émeute. Ça groove heavily au tampani - My people ! - Il a raison de rameuter les foules. Retour au calme relatif avec l’«You Haven’t Done Nothin’» de Stevie Wonder. C’est slappé de frais au round midnite. Ce vieux Billy est extrêmement intrinsèque. Comme Bobbie Gentry, il sait entrer sous la peau. Et paf, alors qu’on ne s’y attendait pas, il tape dans l’intapable : «The Creator Has A Master Plan» de Pharoah Sanders et Leon Thomas. Il est le seul avec Jeffrey Lee Pierce à savoir monter un coup pareil. Sa mouture est visitée par la grâce et le slap de Linda May Hang Oh. Pure magie - There is a place/ Where love will always shine - On nage en plein mythe, dans l’excelsior de l’aboutissement, là tu dérives au gré des vagues. Tu as même un solo éclaté dans l’éclat de Jeff Parker. Sax du diable ! Ces mecs te réinventent l’extase. Billy tape ensuite le «Sign Of The Times» de Prince. C’est pas aussi jouissif que le Pharoah. Le Sign sonne trop comme un groove à la mode, il ne dégage pas autant de chaleur que le Creator. See what I mean ? À la mode. Si c’est pas ton monde, c’est pas ton monde. Comme Graham Bond, Billy saute à pieds joints dans le «Wade In The Water». Retour au vieux rootsy de gospel batch. Idéal pour des groovers aussi invétérés. Billy y va doucement. Un solo de jazz illumine la scène. Toujours Jeff Parker. Ce démon de Billy sait driver son Wade. Il termine avec «The World Is A Ghetto», vieux hit politique de War. Billy reste terriblement impliqué.

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             L’actualité fait parfois bien les choses. Voilà que paraît ces jours-ci This Is Flying Dutchman 1969-1975, une brave petite compile BGP, un label qui est, comme chacun sait, une filiale d’Ace. En réalité, cette compile est un festin de roi. Rien qu’avec le «Friends & Neighbours» d’Ornette Coleman, t’es repu. Repu de son et de modernité. Wild urban groove, tapé aux chœurs du quartier. T’es dans le vrai. Ornette le crack chasse les vieux démons. Et puis tu as Leon Thomas, avec «Just In Time To See The Sun», fast groove flanqué d’excellence, bassmatic, sax, piano, tout est enclenché pour le pire du meilleur, tu en avales ta gourme, et puis «Echoes», où Leon ramène sa flûte de Pan, il selle son cheval, yeahhh-hiiiin eh-hiiin ouuuh ! Il tape son groove en père peinard, il yodelle à la surface d’un océan de classe. Quelle merveille ! Leon est un sérieux client, il ne fait pas les choses à moitié. Il s’investit à fond, et là tu as tout : le yodell, le groove, les contretemps pianotés dans l’entre-deux, c’est assez dément et même complètement génial, yeeh ooohh oouhh ! L’autre grosse pointure du Dutchman c’est comme on l’a dit Gil Scott-Heron. On le retrouve avec deux cuts politiques, «The Revolution Will Not Be Televised» et «Withey On The Moon». Il se fout de la gueule des petits culs blancs cosmonautes. Il a raison. Il a aussi raison de penser que  la révolution ne sera pas télévisée. Il parle de son temps, ça ne concerne pas George Flyod. Aujourd’hui, les choses sont plus automatiques. Une flûte suit Gil dans sa diatribe. C’est très seventies, avec un sens aigu du groove et des boots qui a depuis longtemps disparu. L’autre tête de gondole du Dutchman, c’est Lonnie Liston Smith & The Cosmic Echoes. Lui aussi a deux cuts, «Expansions» et «Peaceful Ones». Avec Lonnie, ça monte tout de suite au paradis. Il te fidélise avec un son parfait, beau et groovy. Quelle quiche ! Il joue son «Peaceful Ones» aux notes épaisses et comme suspendues dans l’air, il use et abuse de son charme, on comprend que les gens d’Ace aient flashé sur lui. Avec «Expansions», il sonne comme un universaliste. Il a tous les atouts, il bouillonne de vie, il flûte son élan surnaturel et le pique de percus du diable. Pur genius ! Un vrai voyage au charmant pays du groove. Ça s’écoute comme du petit lait. Et puis tu as des artistes moins connus comme Cesar avec «See Saw Affair», latin jazz funk group de San Francisco, avec une certaine Linda Tellery au chant. Quelle santé ! Itou avec Esther Marrow et «Peaceful Man», une vraie voix, elle ramène un sacré paquet de pathos, Esther a le power ! Le Black Power ! Tu la suis les yeux fermés. Magnifique artiste ! Gato Barbieri est plus connu, Gato est même la cerise sur le gâtö du latin groove, le voilà avec «Bolivia», il te fait l’exotica du diable, il n’a pas son pareil pour t’entourlouper. Si tu l’écoutes, t’es baisé. Nouveau coup de semonce avec Harold Alexander et «Mama Soul». Ce mec est un fou. Il attaque à  la Méricourt de flûtiste. Il souffle dans sa flûte, on croit qu’il chante, non, il groove son biz. Il est un peu barré, il sonne comme Screamin’ Jay, sur fond de beat sec et sérieux. Encore une merveille : le «Soulful Strut» de Steve Allen, monté sur un bassmatic digne d’Archie Bell. Même pulsion. Encore de l’universalisme à la Dutchman. Tu sors de là épuisé. 

    Signé : Cazengler, Valentinette

    Billy Valentine & The Universal Truth. Flying Dutchman/Acid Jazz 2023

    This Is Flying Dutchman 1969-1975. BGP Records 2023

     

     

    Anagonda

     - Part Two

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             D’une certaine façon, on l’attendait comme le messie. Jalen Ngonda est de retour sur la petite scène, accompagnée cette fois par une belle triplette de petits culs blancs.

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    Et c’est vite embarqué pour Cythère, il gratte une Jaguar et place ses parties vocales au sommet d’un art qu’on appelle la Soul. Et lui, il fait déjà partie des géants du genre. Inspiré par Sam Cooke et Marvin Gaye, mais il amène autre chose, une espèce de puissance dans le falsetto. Le petit Jalen de miséricorde est déjà un chanteur accompli. Tout est parfait en lui : sa présence, sa silhouette, sa discrétion vestimentaire, et même une certaine forme d’humilité. Comment un mec aussi gentil peut être aussi doué ? C’est le genre de question qu’on peut se poser, quand on ne sait pas quoi penser. Comment un jeune black sorti de nulle part peut-il éclater ainsi au grand jour ? Une chose est certaine : on assiste à l’avènement d’une authentique superstar. Il dispose de toutes les mamelles du destin, la voix, les compos, la silhouette. Il incarne cet équilibre recherché par tous les apprentis sorciers, celui qui s’établit entre le spirit et le look, c’est-à-dire le talent et la présence. Jeune, il est déjà parfait. Le fait qu’il gratte une gratte ajoute encore à son prestige. Il gratte un son de clairette discret mais présent.

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    Lorsqu’il gratte un barré, deux de ses doigts dépassent du manche. Il attaque son set avec «Rapture», épiphénomène de Soul des jours heureux, et très vite, il va rendre hommage à Eddie Kendricks avec une cover de «Day By Day». C’est à couper le souffle. Puis il va enfiler ses hits comme des perles, «Give Me Another Day», «Come Around And Love Me», «Just Like You Used To» et finir avec «If You You Don’t Want My Love», avant de revenir pour un rappel en forme de cerise sur le gâtö : il va duetter avec MT Jones une version extraordinaire d’un vieux hit d’Aaron Neville, «Tel It Like It Is». Si tu aimes la magie, elle est là. Cut parfait repris par deux voix parfaites qui vont chercher l’unisson du saucisson. Au-dessus, il n’y a plus rien.

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    C’est un peu comme lorsqu’on monte juste au-dessus des nuages : à part l’infini, il n’y a plus rien. C’est en gros ce que propose Jalen Ngonda sur scène, une sorte d’accès à un infini de pureté marmoréenne. Comme l’ont fait avant lui Aaron Neville, Sam Cooke, Marvin Gaye, Eddie Kendricks et quelques autres. 

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             Le voilà lancé, le petit Jalen de miséricorde. Comme son premier album sort sur Daptone, il risque de devenir vite fait une star internationale. Come Around And Love Me s’ouvre en plus sur un coup de génie, le morceau titre, un shoot de fast Soul édifiant. C’est du Sam Cooke propulsé dans le futur, il chante avec une niaque extra-sensorielle, tu crois rêver tellement c’est pur et dur, groové dans l’essence même de la Soul. Le petit Jalen s’enracine dans Sam Cooke et Marvin, mais en plus puissant. Daptone, baby ! «If You Don’t Want My Love» est bourré de son. Il chante comme un dieu black, au registre le plus pur. Il perd la magie pendant deux ou trois cuts et elle revient avec «Just Like You Used To». Te voilà au paradis, caressé par un solo de sax. Pur génie de black groove. «What A Difference She Made» est d’une beauté purpurine. Le petit Jalen est un magicien, il a tout le savoir de Daptone derrière lui, c’est immensément beau. Le frotti du siècle ? Va-t-en savoir. Avec «Give Me Another Day», il tape la Soul des jours heureux, il te colle littéralement au plafond, il faut le voir pulser son give me/ Just one more day ! Il termine cet album somptueux avec «Rapture», un autre shoot de Soul des jours heureux. Il rentre bien dans ses godasses de superstar. Ah il faut entendre ce power, en plus c’est orchestré à outrance, violonné, avec des percus, et le petit Jalen se glisse au centre de cette Soul monstrueuse d’éclat et de beauté. C’est franchement digne de What’s Going On, oui ils sont dans ce trip.

    Signé : Cazengler, ngondale à Venise

    Jalen Ngonda. Le 106. Rouen (76). 25 mars 2024

    Jalen Ngonda. Come Around And Love Me. Daptone Records 2023

     

    Inside the goldmine

    - Rich comme Crésus (Part Two)

             Roch ne portait qu’un seul tatouage : Arzach chevauchant son Ptéroïde, un personnage que dessina jadis Moebius. Il le portait sur l’épaule et le montrait rarement. Seulement s’il t’avait à la bonne. Roch courait chaque jour, il pouvait courir le marathon. Il était beau et aurait pu faire du cinéma. Il était drôle et aurait pu remplir des cabarets. Il aimait surtout pêcher, et par goût du danger plus que par nécessité, il braquait des banques. Commet étions-nous devenus amis ? Par le plus grand des hasards. Un hasard qui se perd dans les minutes du sable mémorial. Toujours est-il qu’on fut pendant un temps inséparables, on papotait jusqu’à l’aube dans ce bar de Montparnasse ouvert toute la nuit, ça allait des aventures hilarantes de Gégé le Glaçon au gros pif de McClure dans Blueberry, des souvenirs du chimiste de la French Connection aux exploits d’un Red Baron recyclé dans la bataille de Midway, et si il évoquait le souvenir de Dan Lavini, alors on s’étranglait de rire, puis pour se calmer, on allait aux gogues rouler l’un de ces gros joints dont il était tellement friand, et alors que le soleil trahissait une aube bien pâle, on se retrouvait tous les deux sur le trottoir à humer le vent pour choisir une direction. On repartait généralement vers Vincennes où se trouvait sa planque. Puis il allait courir dans le bois pendant deux heures, revenait se doucher et on retournait déjeuner en ville. Il sortait d’un sac de sport une grosse liasse qu’il aimait à rouler sous un élastique, comme le font les gangsters de Scorsese. Il achetait des bijoux et du parfum pour sa copine mauricienne qui était aussi call-girl, et on allait s’asseoir à la Fnac des Halles, parmi les gamins, au pied des étagères du rayon BD, pour feuilleter les Passagers du Vent de François Bourgeon, les McCoy de Palacios et toutes ces aventures de Corto Maltese dont on ne se lassait pas et qui semblaient lui servir de modèle. Au point qu’un jour Roch décida de quitter Paris pour les mers du Sud. Nous nous revîmes par le plus grand hasard au bar d’un «hôtel» de Fort-Dauphin, au Sud de Mada. Une barbe hirsute lui dévorait le visage. Son regard était encore plus clair qu’avant. Il était torse nu sous une veste de treillis et portait à la ceinture une machette dans son étui. Un immense sourire lui éclaira le visage et il croassa : «Alors chaumier, Tsi-na-pah vu Mirza ?» 

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             On l’a bien compris, Roch et aussi riche que Rich. Ils ne courent pas le même genre d’aventure, mais au fond, si on y réfléchit bien, c’est tout comme.

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             Rich entra dans le circuit avec le premier album des Black Halos qui date de 1999 et Tsi-na-pah de titre. La boîte est toute noire, comme Mada. «Shooting Stars» plante le décors : niaque canadienne allumée aux lampions. C’est chanté sale. Volonté affichée de déplaire. Ça chante au dégueulis et ça part aux chœurs d’Irish pub, avec des oooh très Dollsy. On voit bien que ces Canadien écoutent les bons disques. C’est assez explosif car Billy Hopeless chante dans la chaudière. C’est vrai que leurs pluies d’accords sont connues comme le loup blanc. À l’époque, ça finissait par devenir ennuyeux, car trop prévisible. Beaucoup de groupes avaient le même son. Tout est chanté au punk puke. C’est un choix politique. Ils finissent par convaincre avec «Sad Boy». Ils sont là pour de vrai. Toutes les envolées sont conditionnées dans les meilleurs termes. Ce Sad Boy finit par te traverser le corps. On s’attache à eux. C’est plein de vie. Ils restent dans leur schéma d’heavy rock allumé avec «Fucked From The Start». C’est solide comme un bastion de Vauban. Leurs cuts sont de vraies forteresses. On assiste à une belle descente au barbu dans «The Ugly Truth». Ils vont vite et bien. Bravo les Halos ! Au final, ils ne sont pas loin des Pistols. Hopeless dégueule bien son ugly truth. Ils attaquent «No Road Of Dreams» à la cisaille et s’embarquent dans un petit hymne romantique de bras tatoués.  

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             The Violent Years paraît en 2001. Ils annoncent la couleur avec trois belles dégelées, «Jane Doe», «Underground» et «No Class Reunion». Ils sont dans un trip de type heavy blast. Il faut bien sûr les encourager. Ils sont assez irréprochables. Ils savent monter un cut en neige, pas de problème. Killer solo flash of course. Tu ne peux pas arrêter «Underground», car c’est battu au heavy beat des Halos. C’est contre-claqué sous le boisseau de Vancouver et ça monte assez vite en température. Ils développent une belle intensité en cœur de cut avec des chœurs de Dolls et de belles envolées. Le «No Class Reunion» de fin de parcours bat bien des records de wild as fuck. C’est plein comme un œuf. Ils maîtrisent aussi le Punk’s not dead comme le montre «Last Of The 1%Ers». Leur tapenade d’heavy blast splurge bien dans la barquette. Ils se servent du one per cent pour lancer l’assaut, one per cent oh oh ! On croit entendre des punks anglais. Ils sont fiables, avec des belles guitares de Vancouver. «Sell Out Love» est vite débloqué. Là tu as tout le Halo. Ils déboulent à perdre haleine. Mais trop vite. Ils collectionnent tous les clichés, mais avec du son. 

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             Rich ne joue pas sur We Are Not Alone, paru en 2008, mais on l’écoute quand même. Deux cuts te sautent dessus dès que tu franchis le portail : «Princess St Princess» et «Migraine». Le Princess est monté sur un riff vainqueur. Ça tend vers la popwer-pop mais avec du Halo plein les mirettes, comme dirait Venetta. Et bien sûr tu as le killer solo flash en prime. «Migraine» bénéficie d’une belle entrée en lice. Ils ont de l’élan à revendre et n’ont donc pas besoin d’en prendre. C’est orienté vers l’avenir avec des zones de slinging radieuses. Saluons aussi «Love & War» qui est monté sur un riff prévalent d’une grande efficacité, et le morceau titre, coiffé par des chœurs de punks anglais, oh-oh-oh ! En B, tu te pencheras sur «Dreamboat», à cause des belles clameurs de chœurs et d’un solo radieux mais tu finiras par te lasser du chant de Billy Hopeless.

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             En 2008, on retrouve Rich dans les Loyalties avec l’ex-Yo-Yo’s et futur Professional Tom Spencer. Déterré dans un bac de Born Bad avec un cri vainqueur, So Much For Soho tient bien ses promesses. Aussitôt le «Jimmy Does» d’ouverture de balda, tu te sens en terrain conquis. Tom Spencer chante bien sous son boisseau de Soho, il a derrière lui des riches grattes de Rich et de Lee Jonez. Les Loyalties tapent dans une sorte d’overall du premier Clash, typique du back alley et du mur de briques, avec un solo à la Thunders in tow. Ils jouent la carte du power à tous les étages en montant chez Kate, «5 Aces» bénéficie d’une belle intro en forme de riff vengeur, c’est très punk anglais, avec une pression continue de chœurs de lads. Encore une grosse intro pour «Soho». Que de son, my son ! «The Girl Upstairs» qui ouvre le bal de B file au drive d’excelsior. Ah comme c’est bon d’avoir deux grattes in tow. Tom Spencer se régale. Ils flirtent avec les Ronettes en intro du «12th Bar Blues» et ça vire inopinément Clash reggae. «Ain’t Love A Drag» sonne comme un hit fabuleux avec son intro de clairette abîmée, puis ça monte dans les vertiges de l’amour.

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             Rich ne joue pas non plus sur le premier album des Yo-Yo’s paru en l’an 2000, mais comme on vient de saluer Tom Spencer, on va écouter ce fantastique album nommé Uppers And Downers. Démarrage en trombe avec un premier coup de génie, «1000 Miles From Me» - Oooooh the mess I’m in - Boom, vrai punk-rock à l’ anglaise avec des vieux relents de Mick Green. Il y a du «Please Don’t Touch» là-dedans, et forcément du Wildhearts, puisque c’est Danny McCormack qui monte le coup. Les Yo-Yo’s sont les rois de la grosse cocote («Time Of Your Life» et «Champagne & Nakedness»), la cocote qui te scie les tibias, et avec «Sunshine Girl», ils t’emmènent faire un tour au Brill. Belle bête de power pop avec des chœurs de Dolls. Mais c’est «Rumble(d)» qui va t’emporter la bouche. Intro de basse McCormique demented : c’est le proto-punk du punk anglais, vingt ans après la bataille. L’«Out Of My Mind» qui ouvre le bal de la B sonne comme un hit sixties d’une fabuleuse ampleur, you got me out of my mind, ils récupèrent tout le power de Sweet. On termine ce petit tour d’horizon avec «Trample In You» chanté à deux voix, comme s’ils étaient à chaque bout de la rue, Tom Spencer d’un côté, et Danny de l’autre. C’est surnaturel de power.

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             Le deuxième album des Yo-Yo’s date de 2005 et s’appelle Given Up Giving Up. On y trouve le trio fatal Rich Jones, Danny McCormack et Tom Spencer. C’est justement Tom Spencer qui chante le morceau titre d’ouverture de bal, un heavy slab de va-pas-bien. On reste au cœur du London punk de black leather, de tattooos et de McCormack, c’est-à-dire les Wildhearts. Les Yo-Yo’s font un fast rock sans incidence, juste joué aux heavy chords de circonstance. Ils se contentent tout simplement d’enfoncer leur clou. Ils ont un beau marteau, c’est sûr. Au fil des cuts, on les voit s’embourber dans un non-disk. Aucune étincelle à l’horizon. Ça sent la soute. Pas d’idées. Rien à voir avec le premier album. On s’en doutait un peu, mais sans trop savoir. «AA Holidays» reste sans espoir. Pas de compo à l’horizon. Ils font leur small jive de London town à la petite semaine. Du son, c’est sûr, mais pas d’éclat. Ils tapent même un balladif à la mormoille («Tattoos Don’t Last Forever») au vieux gratté de cocote underground. Encore une fois, c’est loin d’être la compo du siècle. Ils se contentent de faire leur joby jobah. Et alors qu’on ne s’y attendait plus, voilà enfin une bonne surprise : «The Rock’n’Roll Commandments». Power ! Tom Spencer égrène les commandements, il rappelle toutes les règles de base, play it loud, shoot up, le 5, c’est la guitah, wild affair, le 6, c’est le trash, le rock’n’roll way, ça donne au final un hymne infernal, un hymne à la légende des morts, Jimi Hendrix et tous les autres.

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             Sorry & The Sinatras sont les rois du hell-raising. Avec Highball Roller, ils raisent tout l’hell de l’immaculée conception. Aucun espoir de rédemption. Inutile de venir se plaindre. «Burns City Burns», c’est du blast définitif. Derrière eux, l’herbe ne repousse pas. Rich adore participer à des projets inflammatoires. Sorry est très en colère, mais c’est une colère déjà entendue mille fois. Avec «No Angels», les Sinatras s’élancent par-dessus les falaises. C’est donc gueulé par-dessus la jambe. Belle ampleur, avec des clameurs déflagratoires. Ils prennent soin de rester très Yo-Yo’s, très Wildhearts, très clameur d’Elseneur. Leur heavy power-pop est excellente. Ils jouent «Gimme More» ventre à terre. Mais comment font-ils pour claquer un thème à cette vitesse ? «Hated Heart» pourrait très bien figurer sur un album des Wildhearts. C’est heavy et bien remonté des bretelles. Ces mecs n’ont aucune pitié pour les canards boiteux. Ils brûlent leurs dernières cartouches avec un panache certain. «Junkie» sonne comme un coup de génie - I don’t want to be a fuckin’ junkie anymore - Ils te stoppent ça avec une facilité désarmante et te fondent les chœurs dans la clameur. Ah ça gratte sec ! «So Far From Home» sonne comme du fast punk’s not dead, chanté à l’hot as hell, ça grimpe sur les barricades. Voilà le blast à l’état le plus pur. Un vrai joyau. Ils terminent avec un «She’s So Vaudedeville» bouffé tout cru. Tu ne t’y attends pas. C’est de l’overload d’overlard, aw my Gawd, ils dégoulinent de partout, ils te gavent comme une oie avec leur beat des forges, t’as intérêt à être solide pour écouter ça, ils te punchent les neurones avec des effets pervers de séduction, ils te groovent un savant mélange de caillasses et de charbons ardents.   

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             En 2003, Rich enregistre Bullets For Dreamers avec John Ford. Ils sont quatre. Look perfecto et cheveux noirs de jais. Son d’époque. Assez puissant. Pas des inventeurs. Bons poux. Bon boisseau. Mauvaises intentions. Belle interaction entre poux et bassmatic. Il faut attendre «(Gone Is The) Freedom Train» pour entendre un hit. Chanté à l’aigu rocky. Hit inconnu. Clameur. Qualité du chant. Allant de l’allure. Fil mélodique. Solo constrictor. Manières florentines. Encore un hit : «Roads Ahead». Amené au gratté de glam, à la cocotte de downtown. Clameur viscérale. Rich ne fait JAMAIS n’importe quoi. «Ass Gass Grass» se lance à l’assaut du rock. Wild attack. Ces mecs sont brillants. L’un d’eux chante «How ‘Bout You» avec des accents de Steve Marriott. En plus sucré. Très anglais. Très inspiré. Sucre parfait. Une vraie révélation. Retour du sucre dans la démonologie expansive de «Misery». Niaque épouvantable. Chœurs de Dolls. C’est si Rich ! Ils claquent «Armagideon Time» au big power-poppisme de Vancouver. Excellent. Fin de partie avec «Burn Away», stoogé dans l’oss de l’ass. Retour du petit sucre. Wild energy. À la vie à la mort. Dévasté de part en part. Poux des Stooges. C’mon efflanqués. Break de can you feel it. Ça joue avec le feu. Ça tente le diable, cumon !, il y va le petit sucre, il prépare l’assaut final. One two three four. Explosion ! Burn away ! Ça vaut tout le Raw Power du monde. Le Burn Baby Burn n’a aucun secret pour John Ford.

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             Autre side-project de Rich : Mutation, l’un des groupes de Ginger Wildheart et l’Error 500 sonne comme un passage non obligé. C’est un album d’ultra-hardcore complètement déstructuré et donc déstructurant.

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             Le Dark Black de Mutation III est lui aussi très concassé. Ginger est dans le bain, mais Rich n’y est pas. On peut qualifier le son de wild trashcore. On connaît le goût de Ginger pour l’overblast. «Toxins» est overblasté dans la masse. Avec «Devolution», ils courent ventre à terre sur l’haricot de la clameur d’apocalypse. Ces gens-là n’ont ni dieu ni maître, il faut le savoir. Ils ne respectent rien. Ils ne sont rien d’autre que des sales petits voyous. On sauve le «Skink» d’ouverture du bal de B, car l’ultra-bast est beau comme un dieu de l’Antiquité, Ginger te chante ça dans les clameurs du diable. Genius fumant et rougeoyant. Ginger imprime encore sa marque avec «Hate». Il va par là, alors tu vas par là. C’est un mec que tu suis, quoi qu’il fasse. De toute façon, ses clameurs sont toujours magistrales. Et son «Victim» est épuisant de violence. On croit entendre les orgues de Staline. Les textures de «Dogs» sont d’une infinie richesse. Ginger multiplie les complexités.

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             Rich fait désormais partie du groupe de Michael Monroe, avec Sami Yaffa et Steve Conte. On a déjà dit ailleurs tout le bien qu’on pensait des albums de ce super-groupe. Le dernier s’appelle I Live Too Fast To Die Young et date de 2022. C’est même l’un des grands albums de 2022.  Ils sont capables de fast rentre-dedans comme le montre «Young Drunks & Old Alcoholics». Ils adorent le beat qui rebondit, le son saturé de poux et le bassmatic élastique. Monroe en pince aussi pour les balladifs comme «Derelict Palace». Il est utile de préciser que Rich compose la plupart des cuts. On ne saura jamais qui de Rich ou de Steve Conte prend les solos, mais on s’en fout. On se régale de les voir ensemble. Nouveau shoot de fast gaga-punk signé Rich avec «All Fighter». Jolie pirouette de Conte et ça finit en clameur extraordinaire. Puis avec «Everybody’s Nobody», ça bascule dans le génie. Ça joue à la pure clameur d’Elseneur, avec des power chords liquides - Goodbye Piccadilly/ So  long Leceister Square - Ils ont le liquide du Teenage Fanclub, ils ont cette facilité extraordinaire d’emmener leur refrain par dessus les toits. Encore du pur power avec «Can’t Stop Falling Apart» - Nothing comes from nothing - C’est saturé de poux et de clameur - So I’ll keep on running - Vraiment digne des Heartbreakers. Ça sonne comme un hit inter-galactique chanté à toutes les voix. On le réécoute, tellement c’est puissant, il est rallumé aux carillons. Preuve qu’on peut encore pondre des hits à base de boogie rock - Singing from the heart/ Won’t you pick me up/ Cause I can’t stop falling apart - «Pagan Prayer» est un beau slab de Punk’s Not Dead, leur cœur de métier. Cut de Conte. File ventre à terre. Ils tapent leur morceau titre au heavy power rock. C’est leur dada. Ils s’ébrouent, couplet après couplet, ça décroche dans la montée à coup de killer solo flash. Ils ne savent faire qu’un chose : monter en neige. 

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             Rich file aussi un coup de main à son collègue Sami Yaffa qui décide d’enregistrer un album solo, The Innermost Journey To Your Outermost Mind. On y trouve deux belles énormités, à commencer par l’«Armageddon Together» d’ouverture de bal. Forcément bon car forcément Rich. Poux incendiaires d’un nommé Christian Martucci. Yaffa chante à la surface du lac de lave - Street brawling Jesus - L’autre belle énormité s’appelle «Germinator», un fast gaga arrosé de coups d’harp de Michael Monroe. Rich fait les backing vocals. Fantastique énergie, avec des chœurs de GERMINATE. Yaffa adore le dub. Il en colle un peu partout. Il rappelle qu’il est bassman. «I Can’t Stand It» est une petite merveille de congestion, et il attaque «The Last Time», fast pop bien chargée de la barcasse, avec une allure de petit voyou, mais ça ne marche pas. On ne le prend pas au sérieux. 

    Signé : Cazengler, nouveau Rich

    Black Halos. The Black Halos. Die Yound Stay Pretty Records 1999

    Black Halos. The Violent Years. Sub Pop 2001

    Black Halos. We Are Not Alone. I Used To Fuck People Like You In Prison Records 2008

    Loyalties. So Much For Soho. Devils Jukebox Records 2008

    Yo-Yos. Uppers And Downers. Sub Pop 2000

    Yo-Yos. Given Up Giving Up. Undergroove 2005

    Sorry & The Sinatras. Highball Roller. Undergroove 2009

    John Ford. Bullets For Dreamers. The Bumstead Records Company 2003

    Mutation. Error 500. Ipecac Recordings 2013

    Mutation. Mutation III - Dark Black. Round records 2017 

    Michael Monroe. I Live Too Fast To Die Young. Silver Lining Music 2022

    Sami Yaffa. The Innermost Journey To Your Outermost Mind. Cargo Records 2021

     

    *

    Route Of Rock. Parfois j’ai des remords. Je ne dors plus, j’ai des sueurs froides, j’ai chaud, j’ouvre la fenêtre, je m’impatiente, je m’énerve, je prends mon fusil à lunettes, je tire sur deux ou trois passants innocents qui passent, ils agonisent dans d’atroces souffrances,  ça leur apprendra à vivre, malgré cela lorsque je m’éveille au petit matin la même question me turlupine, si je m’étais trompé dans la dernière chronique, j’ai cru ce que j’ai lu, mais je n’étais pas présent, je dois en avoir le cœur net : quel a été le premier disque de rock français enregistré ? Alors je prends mon trench-coat orange et je pars mes deux limiers fureteurs sur les talons, je farfouille, je mène l’enquête… Oui, je sais il y a peut-être des problèmes plus graves dans le monde, mais en êtes-vous vraiment sûrs ?

             Ne me dites pas que je ne serai pas plus sur les lieux du crime cette livraison-ci que dans la 641 de la semaine dernière, je sais, mais là je ne m’embarque pas sans biscuits, j’ai une liste de trois suspects dans ma poche, arrêtez de me faire perdre du temps, je commence illico. Pour vous éviter une chronique fastidieuse, je me suis limité aux opus sortis en 1958 et 1959.

    GABRIEL DALAR

             Celui-là ce n’est pas un ange. Un passager clandestin du rock français. D’ailleurs il n’est même pas français. Gabriel Uribe est né à Bogota, il possède une double nationalité : colombienne et suisse. L’est né en 1936, comme Claude Piron, un an après Elvis. Un mauvais point pour lui : rôde dans les milieux du jazz parisien. Un personnage assez interlope, la preuve il aggrave son cas : subit la mauvaise influence de Boris Vian, de Michel Legrand et d’Henri Salvador qui ont en 1956 commis le crime inexpiable de produire un 45 tours quatre titres, sous le nom d’Henry Cording… dans le but avoué de se moquer du rock’n’roll ! Un crime ai-je dit, la preuve :  Dieu ne leur pas pardonné, il les a punis, sont tous morts maintenant, ils rocktissent en enfer. 

             Gabriel n’a enregistré que deux disques, attendez l’histoire n’est pas finie.

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    DOCTOR MIRACLE

    GABRIEL DALAR ET SES CHANSONS CHOC

    (460.602 ME / 1958)

    Attention les trois premiers titres étaient déjà sur le deuxième microsillon de Claude Piron sorti en  septembre 58. Par contre pour l’orchestre ils ont fait appel à Alain Goraguer, un complice de Boris Vian, ils ont écrit ensemble La Java des Bombes atomiques et Fais-moi mal Johnny. Musicien classique il se spécialise en piano-jazz. Compositeur, arrangeur, orchestrateur on le retrouve sur un maximum de disques des yéyés, de Gainsbourg et de Bobby Lapointe. S’est aussi adonné à la musique de film… Il a disparu en février 2023.

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    Le recto de la pochette joue sur le dessin d’humour, l’est signé Jean Feldman issu de l’agence Publicis qui deviendra fondateur de l’agence de pub FCA qui trustera un maximum de contrats pour les grandes marques, que je vous conseille de ne pas acheter, le verso a beaucoup de gueule, Gabriel Dalar l’ouvre en grand, indubitablement rock ! Ne vous fatiguez pas les méninges pour tenter de percer l’identité de cet Anatof de Raspail le scribe qui signe le petit texte de présentation passe-partout format timbre-poste. Boris Vian n’aime pas trop que son nom soit mêlé avec cette sous-musique pour dégénérés  qu’est le rock’n’roll.

    Doctor Miracle : pas de miracle, Alain Goraguer n’est pas Jany Guiraud son accompagnement tire-bouchonne gentiment, il ne décapsule pas au sabre d’abordage et malgré la promesse rectale de la photo Dalar n’a pas un organe aussi puissant que celui de Claude Piron. Hé, You-la : le Dalar ne fonce pas dans le lard, chante à l’ancienne, il interprète le texte, l’ensemble n’est pas mauvais, l’attraction Goraguer ne chôme pas, nettement supérieur au morceau précédent, un seul ennui ce n’est pas rock.   Viens : c’est ce que j’appellerai une imitation, pour les premières mesures, ensuite ça se perd, heureusement que de temps en temps vous avez un sax qui vient mettre une giclée de sang vif dans l’omelette. Le Goraguer il met des bibelots partout, c’est mignon mais l’on attend une tempête qui vienne tout casser. Dalar est bien gentil, mais vous comprenez pourquoi l’ouragan ne vient pas. Croque-crâne- creux : pas mal comme titre, l’est de Boris Vian, une adaptation de Sheb Wooley, champion de rodéo, il tournera dans une quarantaine de westerns et pas des moindres : Le train sifflera trois fois, Johnny Guitar, Josey Wales Hors-la-loi, mènera aussi une carrière de chanteur country, l’enregistrera en 1958 Purple People Eater, une parodie rock’n’roll. Le meilleur titre du disque, une bonne imitation de l’original. Z’ont toutefois changé l’épisode rock, notre carnivore venu de l’espace n’imite pas Little Richard mais Claude Luter. Boris n’en rate pas une.

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    (460.607 ME / 1958)

    Cette fois ils ont mis le verso au recto, Dalar l’ouvre encore en plus grand, l’est posé devant un microphone à rubans aussi grand qu’un porte-avions, l’on se demande s’il ne va pas l’avaler. L’envers de la pochette se laisse regarder.

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    O-Chou-Bi-Dou-Bi : l’on apprend tous les jours, à l’origine un morceau de Dizzy Gillespie enregistré en 1952, Joe Carroll au vocal, un conseil n’écoutez pas cette version d’abord because instrumentalement parlant Goraguer n’y arrive pas à la cheville, par contre le Dalar se débrouille comme un chef, minaude sur le bout de sa langue comme un conservateur du musée du Louvres qui transporte sur la pointe des pieds un vase de l’époque Ming afin de ne pas la transformer en poterie Bing, c’est très bien. Très jazz. Etrangement la version de Dizzy et ses boys sonne davantage rock. N’oublie pas : une création de Dalar, l’a des racines jazz notre apprenti rocker ! Se la joue crooner, il n’a pas la voix de Sinatra, et la section cuivre de Goraguer elle joue en rase-mottes de beurre rance. Le truc oubliable. Déjà je ne m’en souviens plus, j’ai oublié. 39 de fièvre : une adaptation de Peggy Lee, signée Boris Vian, l’est pas ridicule le Dalar, passer après Peggy ce n’est pas facile, s’en sort avec les honneurs de la guerre. Goraguer peut remercier son batteur.  Arc-en-ciel : encore un original de Gabriel Dalar. Paroles réussies. Un peu dans le style Saint-Germain-des-prés. Conclusion notre rocker était un jazzman.

             Gabriel Dalar n’a enregistré que deux disques. Le lecteur qui écoutera les réalisations de Claude Piron et de Dalar, remarqueront des ressemblances troublantes dans les paroles des chansons. En voici une autre qui m’a laissé sans voix : Claude Piron s’est transformé en Danny Boy, métamorphose moins connue : Gabriel Dalar est devenu Teddy Raye. Mais ceci est une autre histoire que je vous raconterai une autre fois. Ce qui est sûr c’est que le suspect Gabriel Dalar n’a pas enregistré le premier disque de rock français.

    *

    En visionnant la vidéo : Au revoir les amis, dédiée à Danny Boy, y avait un groupe de gars qui chantaient, mon cœur a fait tilt, mais c’est Memphis Tennessee, la version de Danyel Gérard, d’ailleurs ce mec avec son chapeau, ne serait-ce pas… mais oui c’est lui, un demi-siècle plus tard l’a gardé une silhouette de jeune homme… Ça tombe bien, notre homme est un candidat sérieux pour prétendre au titre de premier disque de rock français !

    J’ai deux souvenirs personnels en relation avec Danyel Gérard. J’étais en cinquième lorsque j’ai vu Danyel Gérard à la télé. Un morceau qui racontait l’histoire d’un drôle de gars qui s’appelait Memphis Tennessee. Pendant des mois je me suis demandé, j’étais jeune et ignorant, si c’était un personnage inventé ou issu d’une légende. L’année suivante en quatrième, en inspectant mon livre d’anglais, me suis aperçu qu’au fond du bouquin, il y avait une grande carte des Etats-Unis, figurez-vous qu’à ma grande surprise une ville répondait au nom de Memphis, sise dans un état qui s’appelait Tennessee…

    L’autre se déroule une dizaine d’années plus tard, une chanson saisie au vol, une fois seulement sur le transistor, dont j’ai toujours ignoré le titre. Je l’ai recherchée, retrouvée et réécoutée pour écrire cette chronique. Question musique ce n’est pas la panacée excepté le premier couplet introductif, par contre les paroles portent en gestation tous les lyrics des groupes de Metal à thématiques mythologiques. En ce temps-là… Monsieur raconte l’histoire d’un gars qui descend les poubelles… pas glorieux, je vous l’accorde, oui mais dans sa tête il rêve qu’il chevauche à la tête des hordes mongoles… hélas sur les refrains au lieu de se livrer à de sanglantes exactions historiales il dresse la liste de toutes les princesses qui l’ont admis dans leur couche… Comme quoi parfois il vaut mieux faire la guerre que l’amour.

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    DANYEL GERARD

    (Barclay / 70 197 / 12 – 1958)

    Sur ses deux premiers 45 Tours Danyel Gérard est accompagné par Jean Bouchéty et son Orchestre. Né en 1920, disparu en 2006. Contrebassiste de jazz et compositeur l’on retrouve le nom de Bouchéty sur les disques d’Hugues Aufray (en 58), d’Eddy Mitchell ( depuis le premier 25 cm des Chaussettes Noires), de Michel Polnareff et de beaucoup d’autres de Brel à Dalida...

    Pochette rouge et noire, couleurs d’insoumission et de révolte, photo de pied de l’artiste, costume noir et chemise blanche, et garanties d’authenticité, grosse guitare en mains et attitude manifestement rock’n’roll.

    When : non ce n’est pas une blague, l’était déjà sur le premier disque de Gabriel Dalard, et le deuxième de Claude Piron. Des trois c’est la meilleure version, Gérard possède une voix flexible qui se plie aux exigences rythmiques, l’arrangement de Bouchéty virevolte à merveille, se démarque des intonations trop jazz, les instrus interviennent sans forfanterie et s’en vont sans se faire prier, léger et entraînant. L’on est déjà dans une orchestration très sixties. Tais-toi : porte la signature de Ralph Bernet et de Danyel Gérard. Pas vraiment une réussite, un mélodrame avec violon et ressentiments dans la voix. D’où reviens-tu Billy boy : le titre était sur le deuxième disque de Claude Piron, bis repetia placent comme l’on disait au temps de Jules César, comme When on le retrouve sur le premier de Gérard. L’interprétation de notre artiste dans la même veine pironienne, aisance et légèreté rehaussée par des chœurs dansants. Prix d’excellence. Le chercheur de diamants : rapide comme un froufrou de robe de jeune fille en train de danser, il sait chanter le bougre, de surcroît le Bouchéty nous en bouche un p’tit coin avec son accompagnement, il dessine des dentelles pour habiller la demoiselle. Une création, un texte original (ce n’est pas Rimbaud non plus).

             Un disque agréable à écouter, plutôt variété de qualité que vraiment rock.

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    (Barclay / 70 236 /  1959)

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    Pochette noir et blanc, elle n’est pas dégueu surtout si l’on regarde l’avant et l’arrière du disque, on n’a pas investi dans une nouvelle séance, on a pris la même que sur la couve du premier disque, les illusions ne sont pas perdues dirait le grand Honoré qui recyclait ses personnages dans ses romans. 

    Tout l’amour : une reprise de Mina Mazzini, chanteuse italienne connue sous le nom de Baby Gate pour son interprétation en anglais de Be Bop A Lula. Mignon tout plein, avec les chœurs féminins qui font ouah ouah, le saxophone qui grince comme les griffes du chat, le Danyel a compris qu’il est en caisse glissante sur une pente savonnée, alors l’embouche le vocal comme si sa vie en dépendait, y met tout son cœur et l’arrive au bas de la pente sans dommage. O pauvre amour : une adaptation de Oh Lonesome de Don Gibson, plus tard Gérard racontera qu’il était en train de l’enregistrer quand Sacha Distel est venu lui rendre visite au studio… Je n’ai jamais aimé ce morceau, mais soyons juste la version ‘’ volée’’ de Sacha ne vaut pas celle de Danyel. Pas la peine de vous tirer une balle dans la boche si vous ne l’avez jamais entendue. Ne lui en veux pas : le slow qui tue lentement. Mais sûrement. Un amour se termine, mais la chanson n’en finit pas.  Inepte roucoulade. Elle n’avait que dix-sept ans : une adaptation du chanteur country Marty Robbins qui s’est tué dans une course de stock cars. J’ai lu que Danyel Gérard s’est vanté d’avoir voulu faire un disque de country pour son deuxième opus. Je veux bien, mais ça fleure bon la chansonnette pour ménagère de cinquante ans qui regrette de ne plus être midinette.

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             Ce deuxième microsillon est bien flagada par rapport au premier. Après lui un trou dans la discographie du chanteur. Barclay pour pallier son absence sortira deux simples qui reprennent les morceaux chroniqués ci-dessus. Au début 1959, Danyel Gérard est appelé sous les drapeaux, guerre d’Algérie oblige. Par la suite beaucoup de groupes français ne survivront pas à ce genre de convocations…

             Ses deux premiers disques ne sont pas vraiment rock, l’est vrai qu’il a commencé avec Claude Luter comme chanteur et guitariste. L’on sent sur ses enregistrements qu’il avait du métier, lui manque la niaque rock. Sa carrière est loin d’être finie !

    *

    Un profil différent des deux précédents et même des trois si l’on rajoute Claude Piron. Un gosse de riche. Sera en pension dans un collège britannique.

    Rentré en France, bac en poche il joue du saxophone dans les clubs de jazz. Sa connaissance de l’anglais lui permet de se lancer de son propre chef dans des traductions de succès anglais et américains.

             Il sera un des piliers de la génération yéyé et de la première mouvance du rock français même s’il fut surnommé par les fans  pour ses prestations scéniques ‘’le pantouflard du blues’’.

    ROCK ‘N’ RICHARD

    RICHARD ANTHONY

    (Columbia / ESRF 1207 / Novembre 1958)

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    Incroyable mais vrai, une pochette qui affiche le mot rock en grosses lettres, Richard n’est pas un bâtard, il annonce la couleur, aujourd’hui l’on dirait qu’il tient un téléphone portable, mais non il pose le clapet de sa main sur son oreille pour ne pas être dérangé par des bruits annexes alors qu’il est en train de chanter, concentration rock maximale ! Au dos de la couve, l’est au volant d’une décapotable, anglaise, avis aux franchouillards qui marchouillent aux soufflets essoufflés d’accordéon.

    Bettie baby : (enregistré le 06 / 11 / 1958 ) : un morceau de Neil Sedaka qui l’a  lui-même enregistré sur son premier 33 tours  intitulé Rock with Sedaka. Neil est né en 1939 et Richard en 1938, Anthony se tient sur la crête de la vague américaine, pas question qu’on lui refile les mêmes rengaines. Pour la petite histoire si Richard a cassé sa pipe en bois ( expression totalement cazenglerienne) en 2015, Neil est toujours en activité… Soyons franc, sa version est loin d’égaler celle de Stupid Cupid, la voix chantonne un peu trop, l’a gardé le solo de sax mais Christian Chevallier qui dirige l’orchestre, à l’origine pianiste de jazz, aurait pu se mettre au clavier pour le solo final, l’a préféré le remplacer par des chœurs masculins aussi nécessaires que trois  mouches noires engluées sur la crème chantilly du gâteau. Sympathique, mais pas 100 % rock. Susie Darling : (enregistré ainsi que les deux suivants le 14 / 11 / 58) : à l’origine de Robin Luke, un mignon péché de jeunesse doucereux pour un simili rocker qui finira professeur d’université en droit des affaires. Soyons raisonnable l’interprétation de notre idole est déplorable, gamin gentillet qui fait tout son possible mais qui ne parviendra même pas à décrocher son certificat d’étude. Le plus triste c’est Chevallier, comment a-t-il fait pour ne pas s’apercevoir que les musicos de Robin avaient entendu parler de Buddy Holly. Là c’est Richard le pantouflard du slow ennuyeux. Tu m’étais destinée : Face B. Espérons que ce sera meilleur. Bon ce n’est pas Paul Anka, mais Richard fera un bon en-cas. Avec Anka vous avez l’impression que le destin s’avance vers vous à pas feutré, oui mais le fatidique malheur tout de même puisque le bonheur qu’il vous octroie vous n’en êtes pas responsable. Rien d’aussi terrible avec Richard, pas de passion, mais le plein de tendresse. Surtout pas de ridicule. Même si ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort. Peggy Sue : enfin un pionnier ! Le bassiste a compris ce que sur la face A le Chevallier gris n’a pas intuité. Inutile de dire que l’on est loin de Buddy, Richard fait des efforts, rate quelques douceurs mais pas les impromptus. L’on sent que l’on est chez un connaisseur.

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             De tous les premiers disques entendus, sans conteste le plus intéressant.

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    (Columbia / ESRF 1214 / Mai 1959)

    Notre rocker a délaissé sa décapotable, un peu trop blouson doré, pose sur une moto, ce n’est pas encore l’équipée sauvage, on s’en rapproche d’une demie-roue.

    La-do-da-da : l’on quitte un pionnier pour un autre pionnier. En  1953 Dale Hawkins fonde un groupe avec James Burton à la guitare et DJ Fontana à la batterie. En 1957 il deviendra l’immortel créateur de Susie Q, dans la lignée duquel s’inscrira en 1958  son La Do Da Da. L’on reste dans la lignée Diddley sound-Budy Holly. Le son est moins brut que chez Hawkins, mais Anthony s’y montre plus entreprenant que sur son Peggy Sue, les angles sont adoucis, les féministes trouveront les paroles insupportablement machistes, pourtant elles apportent un peu de sel, bref cet hymne à une sensualité païenne nous agrée. Bravo Richard. La rue des cœurs perdus : encore un pionnier, Ricky Nelson sur Lonesome Town, Bill Crane en offert une magistrale version voici peu (voir Livraison 640 du 11 / 04 / 2024) : faut du doigté sur ce morceau funèbre, les Angels, ainsi se nomment les chœurs que l’on trouve sur ses disques, monopolisent l’audition, Richard se donne du mal mais il ne sait pas donner le change, n’a jamais dormi à l’hôtel des cœurs brisés, ça s’entend. C’est le jeu : je pensais que l’original était de Cliff Richards, non c’est de Tommy Edwards qui la ré-enregistra en 1958, cette mièvrerie atteignit le numéro 1, parfois l’on se dit que le monde est mal fait. Notre Richard ne sauve pas la chanson, ne la coule pas non plus. Une de ces sucrettes interchangeables et cancérigènes. Chanson magique : ce coup-ci c’est de Cliff et ses Drifters, sorti en 1958, Richard redresse la barre et pour une fois le Chevallier ne vous file pas un ersatz de dix-septième zone, bien sûr les cuivres émettent un relent de jazz, mais on leur pardonne, l’Anthony entonne le chant à pleines dents, mais le vieux françois n’est pas aussi flexible que l’englishe, peut-être pas magique, mais très illusionniste.

             Trois pionniers sur quatre titres, notre Richard, ni Little, ni Keith, gagne en respectabilité.

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    NOUVELLE VAGUE

    (Columbia / ESRF 1237 / Septembre 1959)

    Attention disque important, vous pouvez aimer ou pas, l’Histoire a tranché, première coupure épistémologique dans l’histoire du rock français. A la base c’est une chanson des Coasters, Richard Anthony et Armand Canfora – avec son orchestre il a repris tous les tubes des sixties - ont commis l’adaptation. Je suppose mais je ne peux pas certifier que le titre de l’EP n’est pas sans rapport avec la Nouvelle vague cinématographique… Un détournement, le titre est à comprendre comme la revendication d’une nouvelle jeunesse qui entend briser les carcans et vivre une vie teintée d’hédonisme. Ce n’est pas la fureur de vivre, mais une volonté d’indépendance et de liberté.

    La pochette en est la parfaite illustration : trois garçons, trois filles, une belle voiture, je ne pense pas qu’ils vont passer la journée à relire Aristote. Si vous posez le disque sur votre pick up, ben non, ce n’est pas Nouvelle Vague qui ouvre la face A.

    Personnality : une adaptation de Lloyd Price, rien à dire Anthony tape dans le dur, achtung bicyclette, à la base ce n’est qu’une chansonnette, mais Price vous effleure la surface, la surface de quoi, surtout pas de l’orchestration et des chœurs, eux-mêmes sont comme en retrait du chant. Résultat : Magie ou génie ? Richard Anthony plonge en plein dans la difficulté, chante en anglais. Envie de dire qu’il se débrouille mieux qu’en français. Le Chevallier a pigé, il godille sans godillots, les instruments en espadrilles. L’on en viendrait à regretter que toute l’équipe n’ait pas eu l’idée de se démarquer de l’original.  Pauv’ Jenny : encore an american hit 1959, Anthony n’a peur de rien, tout seul contre les deux Everly Brothers. Soyons juste, ce duo d’amerloques est redoutable, des pistoleros qui tirent derrière vous pour vous tuer par-devant, les Everly sont les rois de l’inflexion, si vous n’y faites pas gaffe vocal et musique coulent de source, si vous écoutez de près, vous vous trouvez devant un exemple parfait de la théorie mathématique des catastrophes, ruptures et tourbillons s’entrecroisent à l’infini, et le pauv’ Gérard  ( ce n’est pas Nerval non plus) il se lance à l’assaut de l’Annapurna en maillot de bain, vous a pondu un truc de bande dessinée, vous êtes saisi par les paroles qui vous racontent une histoire loufoque sans banquise, qui vous tient en haleine. Se sont inspirés des paroles de l’original et vous écoutez comme quand vous regardez un dessin animé. Nouvelle vague :   des Coasters ils ont repris le début du scénario, mais ils ont changé la fin assez piteuse pour nos trois chatons américains, transformée en manifeste générationnel chez Anthony. Inutile de comparer les deux versions, celle de par chez nous se suffit à elle seule. Un des premiers chefs-d’œuvre du rock français. J’ai rêvé : en pleine progression, Anthony vous enfile Dream Lover ( 1958) de Bobby Darin, les doigts dans le nez. Y en a un autre qui a appris, Chevallier vous lance ses sbires dans un trot de cavalcade qui chasse au loin les idées tristes. Pas pharamineux, mais pas pharaminable !

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    (Columbia / ESRF 1261 / 1960)

     (Enregisté les 17 - 18 Décembre 1959)

    Sont réunis dans cet opus des titres sortis en 45 tours simples. Résumé de la couve : Richard Anthony aime les voitures ! Le recto est particulièrement insipide...

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    Jéricho : rien à voir avec le titre de  Dick Rivers, adaptation d’un vieux negro -spiritual, chassez l’esprit, que reste-t-il ? Pas grand-chose. Fausse bonne idée dispensable. Mélodie pour un amour : encore un titre de Tommy Edwards interprétée par Sarah Vaughan, quand vous avez écouté la Diva, vous êtes obligé de reconnaître qu’Anthony n’est pas divin. Chansonnette. Au fond de mon cœur : la première fois que je l’ai entendue je me suis dit, c’est Nougaro, l’a encore la voix un peu jeune, mais les cuivres sont bons, étrange comme Richard Anthony chante comme s’il imitait Nougaro, et le Chevallier l’a mis une armure d’or pur à ses cuivres. Je suis amoureux : là, il fait la-la-la, chante un peu entre Nougaro et Aznavour, hors-sujet comme les profs écrivent en rouge dans les marges des rédactions des élèves qui s’égarent.

             L’impression que ce 45 tours regroupe des morceaux inspirés par Chevallier… Nous nous éloignons du rock… Heureusement que le twist arrêtera les dérives de notre Richard cœur de rock.

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    (Columbia / SCRF 442 / 1960)

             Je ne peux l’affirmer mais ces deux titres font peut-être partie de tous ceux enregistrés les 17-18 décembre 1959. J’en doute, je les mets par acquis de conscience. J’aimerais me tromper car Karting rock et Bisque bisque rage ne sont pas vraiment bons

             De nos trois suspects Richard Anthony mérite le titre de premier rocker français.  L’est celui qui s’est le plus rapproché de la lointaine comète américaine. Mais Claude Piron a mis en boîte son premier titre en 1957. Donc acte.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    Le Chef avait décidé que Géraldine toute blanche et toute tremblante avait besoin d’un remontant, abandonnant le tas de cadavres qu’il comptait et recomptait, il nous avait emmené à deux rues de la scène de tuerie dans un café. Nous nous sommes attablés au calme. Géraldine s’est réfugiée dans mes bras. Molossito s’est installé sur son décolleté. Le Chef a déposé son Rafalos sur la table. Le patron s’est dépêché de venir nous servir. Lorsque le Chef à allumé un Coronado, le brave homme a compris que ce ne serait pas une bonne idée d’envoyer en douce un SMS au commissariat du quartier d’autant plus qu’il était en train de s’apercevoir que son chiffre d’affaires était en train d’emprunter une courbe montante sans pareille à une vitesse vertigineuse. N’y avait que trois lycéennes attablées tout au fond de l’établissement. Trente secondes plus tard en arriva une quinzaine, suivies maintenant d’un flot ininterrompu qui semblait intarissable.

    Les adolescentes virent-elles simplement le Rafalos, elles n’avaient d’yeux que pour Géraldine qui dut commencer à signer des autographes. Elles criaient, elles hurlaient, elle se disputaient le moindre bout de papier, certaines tombèrent en pâmoison, elles furent piétinées sans pitié par leurs camarades. Dans le vacarme je me penchai vers le Chef :

             _ Ne devrions-nous pas nous éclipser discrètement ?

             _ Vous n’y pensez pas, Agent Chad avec tout ce monde autour de nous comment voudriez-vous que la mort puisse se tenir à vos côtés, tant au niveau tactique qu’esthétique nous sommes à l’abri !

    Le Chef avait raison d’autant plus que les jeunes filles s’aperçurent que j’étais le gars sur la photo des journaux sous laquelle l’on me désignait comme l’amour trouvé à Paris par l’actrice. Elles étaient fans de Géraldine, elles aimaient tout ce que leur idole aimait, donc elles m’aimaient. Je dus à mon tour signer des autographes… bientôt dans ma poche droite mon Rafalos fut submergé de petits mots d’amour et de propositions exaltées de rendez-vous… Je peux le dire sans me vanter : l’amour marchait à mes côtés. Enfin presque, d’abord parce que j’étais assis ensuite parce que Géraldine ne fut pas dupe du manège des ses admiratrices. Plus tard j’en conclus que c’était une grosse jalouse, car sans préavis elle laissa tomber Molossito et se leva brusquement : il se fit un silence extraordinaire :

             _ Puisque c’est comme ça, je me tire, qui m’aime me suive !

    Joignant le geste à sa parole elle sortit du café suivie d’un long cortège  de lycéennes. Le patron se précipita vers nous :

             _ Messieurs, je vous offre les consos, ne me remerciez pas j’ai vendu mille trois cent quarante-sept cafés à 10 francs pièces en une heure trente, mais si j’étais vous je partirais, ils viennent d’annoncer à la radio que la police va boucler le quartier. Prenez la petite rue à droite, elle vous permettra très vite de rejoindre les grands boulevards, personne ne vous reconnaîtra, avec vos chiens vous passerez pour de paisibles retraités.

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    Paisible n’est pas le mot. Nous avons gagné les grands boulevards, suis-je bien protégé au milieu de tout ce monde ? L’endroit idéal pour que la mort puisse s’y cacher. Je suis nerveux

             _ Agent Chad je me charge de tout ce qui vient devant, vous surveillerez les arrières, la mort est une grande traîtresse.

    Au début je n’y ai pas cru, je ne savais pas que la mort puisse avoir un tel  aspect physique, au bout d’une demi-heure je me suis résolu à alerter le Chef :

             _ Chef je suis sûr qu’elle nous suit, je ne vous donne aucun renseignement, retournez-vous de temps en temps et communiquez-moi votre sentiment, pendant ce temps je surveille devant nous.

    Il se passe un bon quart d’heure avant que Chef ait fini son analyse.

    _ Agent Chad vous voulez parler de cette personne qui longe le trottoir avec son blouson rouge ?

    _ Mais non Chef, celle qui marche le long des maisons avec un blouson jaune canari !

    Son air surpris me déçut :

    _ Chef, un blouson jaune  du côté des maisons, regardez bien !

    Nous marchons une trentaine de pas, le Chef s’arrête un court instant le temps d’allumer un Coronado.

    _ Oui elle est bien là, elle a dû changer de place, mais son blouson est bien rouge ! C’est bien elle, une jolie petite blonde, ses cheveux ressortent à merveille sur la teinte du vêtement. Si vous ne me croyez pas, vérifiez par vous-même, Agent Chad seriez-vous daltonien !

    Je compte doucement jusqu’à vingt, je jette un coup d’œil, oui c’est elle le long des maisons, son blouson est d’un jaune jonquille étincelant !

             _ Agent Chad vous m’inquiétez, regardez à cent mètres devant nous cette enseigne pour un centre d’ophtalmologie, nous allons séance tenante vous faire examiner, savez-vous Agent Chad que selon les dernières découvertes scientifiques l’on peut décerner les signes de démence précoce en explorant le fond de l’œil.

    _ Chef, moi je pense que la fumée de vos Coronados obscurcit votre vue. Jetez votre cigare tout de suite, le tabac finira par vous tuer.

    Nous nous sommes lancés dans une longue dispute. Nous échangions arguments contre arguments, deux gamins qui se querellent, nous nous disputions pour une couleur alors que la mort marchait peut-être à nos côtés !

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    Non elle n’était pas à nos côtés, elle était derrière nous, elle s’apprêtait à frapper. Et elle frappa. A la manière dont le Chef s’arrêta brutalement je compris que lui aussi avait été choisi comme victime… Ce n’était rien, trois petits coups presque timides entre nos deux omoplates. Instinctivement nous portâmes la main sur notre Rafalos. Une petite voix mal assurée se fit entendre :

    - Messieurs, euh messieurs !

    Nous nous retournâmes d’un bloc :

    • J’avais bien dit jaune !
    • J’avais bien dit rouge !

    Nous éclatâmes de rire, elles étaient deux ! Elles se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. A part que l’une portait un blouson rouge, je vous laisse deviner la couleur de l’autre. ( Test pour vérifier l’attention des lecteurs). Elles éclatèrent de rire :

             _ L’on vous suivait, vous vous retourniez sans arrêt sur nous, nos blousons sont réversibles, l’on s’est amusé, en plus nous sommes jumelles !

    Le Chef prit son air sévère qui n’eut pas l’air de leur faire peur :

    _ Comme ça, vous ressemblez à notre papa !

    _ Que dirait-il s’il vous voyait accoster des adultes dans la rue !

    _ Rien, ils ne sont pas là, ils sont en voyage, ils nous ont laissées seules, ils ont dit qu’on était assez grandes pour nous débrouiller puisque nous venons d’entrer au lycée !

    _ Pourquoi nous suiviez-vous ?

    _ L’on était avec les copines du lycée avec vous dans le café autour de Géraldine, quand elles sont toutes parties, nous avons préféré vous suivre à vous.

    _ Pour quelles raisons ?

    _ Moi je m’appelle Doriane, j’ai toujours pensé qu’un homme doit être fort alors quand j’ai vu votre revolver j’ai su que c’était vous.       

    _ Moi je m’appelle Loriane, j’ai toujours aimé les animaux, nos parents n’ont jamais voulu en prendre un, alors quand j’ai vu leur maître j’ai craqué, il est drôlement habillé mais il a des chiens c’est ce qui compte !

    Molossa et Molossito se précipitèrent vers Loriane qui les couvrit de mille caresses. Je proposai de prendre un pot dans un troquet. Les filles acquiescèrent avec joie. Elles commandèrent six grosses coupes de glace. Les chiens se délectèrent de leur chocolat liégeois. Beaucoup de bruit dans ce bar PMU. Des jeunes qui parlaient fort et les habitués qui venaient parier.

    Le son du grand écran augmenta subitement. C’était la quatrième course, celle des cracks. Les gars encourageaient leurs chevaux préférés à haute et envoyaient des baisers vers l’écran quand leur favori prenait la tête :

    • Attention, attention, nous abordons la dernière ligne droite, Esculape le 17 fonce droit de

    L’image se coupa. Le gars qui apparut à l’écran avait une si mauvaise tête que chacun crut qu’il allait annoncer le début de la troisième guerre mondiale, le silence fut instantané :

             _ Flash d’information spécial : L’actrice Géraldine Loup vient d’être assassinée ! Nous n’avons que peu de détails : elle entrait dans le Ritz lorsque le meurtrier qui en sortait l’a froidement abattue d’une balle dans la tête !

    Il y eut trois secondes de silence avant que n’éclatent les réactions. Seule la voix du Chef se fit entendre :

             _ J’ai tout compris !

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 641: KR'TNT 641 : MUDDY WATERS / SLIFT / EDDIE AND ERNIE / RICH JONES / BILL CALLAHAN / CLAUDE PIRON / THUMOS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 641

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 04 / 2024

     

    MUDDY WATERS / SLIFT / EDDIE AND ERNIE

    RICH JONES / BILL CALLAHAN

    CLAUDE PIRON /  THUMOS 

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 641

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

     - M le Muddy

     

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             Vous pouvez entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters de cinq façons différentes (il en existe certainement bien d’autres, mais pour des raisons pratiques, on se limitera à cinq).

             La première façon d’entrer dans cette vie extraordinaire, c’est par le film de Marc Levin, Godfathers & Sons, sixième épisode de la série de films consacrés au blues, sous l’égide de Martin Scorsese. On y voit Marshall Chess raconter sa vie, depuis son enfance à Chicago jusqu’à l’époque où il vint en Angleterre s’occuper des affaires de Rolling Stones.

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             Marshall est le fils de Leonard le renard. Comme Muddy était toujours fourré dans les pattes  de son père, Marshall a fini par bien le connaître. Voilà comment dans le film (et dans le livre de Robert Gordon - Can’t Be Satisfied - The Life and Times of Muddy Waters) il raconte sa première rencontre avec Muddy Waters : « Je jouais dans le jardin et une grosse voiture s’est garée devant la maison. Le type en est descendu. Il portait un costume brillant vert chartreuse. Puis je vis ses chaussures, elles étaient faites en vraie peau de vache, blanche, avec des taches noires et brunes. J’ai levé la tête et j’ai vu son chapeau à larges bords. J’étais trop petit pour savoir ce qu’était un bluesman. Ça aurait pu être un extra-terrestre. Il avança tranquillement, baissa les yeux sur moi et dit : ‘Tu dois être le fils de Chess. Est-ce que ton daddy est là ?’ » 

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             Tout petit, Marshall le veinard fut plongé dans le monde du blues et des bluesmen noirs de Chicago. C’est la raison pour laquelle il peut se permettre de dire « Le blues, c’est mon ADN ! », comme il fait devant la caméra de Levin. Dans ce film fascinant, Marshall évoque deux grands albums de Muddy Waters : Electric Mud et Fathers And Sons.

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             Electric Mud est la seconde façon d’entrer dans l’histoire de Muddy Waters, car c’est un album d’une modernité fascinante et qui date de l’époque où Marshall, devenu adulte, voulut relancer la carrière des vieux bluemen qui étaient en perte de vitesse. En 1968, les temps étaient durs pour les vétérans du blues. Les disques de blues ne se vendaient plus. Le public américain préférait les groupes de la scène psychédélique californienne, comme l’Airplane, les Byrds, le Dead, Country Joe, Janis et toute la bande. Marshall décida de réagir en créant une filiale de Chess Records - Cadet Concept - et en sortant deux albums de blues psychédélique, l’un avec Muddy Waters, et l’autre avec Wolf (mais apparemment, ni l’un ni l’autre n’ont aimé ces disques - Wolf détestait cet album. On lisait, composé en gros caractères sur la pochette : « This is Howlin’ Wolf new album. He doesn’t like it » et quelque part dans une interview, Muddy traite Electric Mud de « dog shit »). Paradoxalement, ces deux albums remirent à l’époque nos vieux pépères dans le circuit. 

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             Quand on ouvre le gatefold d’Electric Mud, on tombe sur l’une des photos du siècle : Muddy en robe blanche de prêtre, pieds nus dans des sandales en cuir, coiffé d’une extravagante pompadour et tenant une gratte électrique. L’album est à l’avenant, dérangeant, stupéfiant, lourd de conséquences et marqueur de mémoire au fer rouge.

             OK, alors Muddy tapa dans le groove des origines et fit du bourbeux incendiaire. La version de « Let’s Spend The Night Together » qui se trouve là-dessus est une véritable merveille, une sorte de retour à l’envoyeur (les Stones) mais il les passe à la moulinette et sa guitare jute de jus de bout en bout. Le son qui en coule est un son de rêve. « She’s All Right » est un pur jus de blues hendrixien bourbeux en diable et doté d’un bassmatic furibard. C’est l’archétype du blues punk bourbeux à l’affût, le blues bulbax de fait, le blues boulbique à la Taras - Said awite, said awite - Mélasse de rêve, celle qu’on voit couler sur les cuisses du destin, celle qui réchauffe le cœur, celle qui rétablit la suprématie voodoo de la race noire. C’est un alarmisme de fait qui pulse le sang noir des anciens dieux. Muddy plonge l’Afrique dans la friteuse psyché. Imparable et martial. Oh yeahhh ! « I’m A Man » - Everything’s gonna be allright this morning ! - Retour aux sources du Muddy Nil. Voilà le groove le plus épais du monde - I’m a rollin’ stone, I’m a hoochie coochie man - Muddy est le roi des origines. Il est le Mannish Boy de l’éternelle jeunesse du blues des blacks de la bonne bourre. « Herbert Harpers Free Press » est encore plus entreprenant et plus psyché, funkoïde et frappant. Grosse lessive de Chicago Blues à l’ancienne, celle qu’on fait bouillir sur un feu de bois. « Tom Cat » va sur une coloration plus jazz, mais free, joli groove de fin des temps flûté à l’acide et il termine avec « Same Thing » qu’il farcit de grosses guitares dévastatrices. Heavy à souhait, soutenu par des chorus agressifs. Rien de plus coloré que cette énormité cavalante, ce trésor d’ordure liquide, cette avance putréfiée. Muddy chante avec une telle grandeur qu’on se prosterne jusqu’à terre.

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             Un autre album du même acabit suivit de peu : After The Rain. Voilà une nouvelle dose de psyché blues incendiaire. Ouverture de balda avec ce chef-d’œuvre d’heavy blues psychédélique qu’est « I Am The Blues ». Il a le meilleur son de Chicago. Il enchaîne avec un autre heavy blues chanté à la bravado, « Ramblin’ Mind », encore du psyché de haut vol. Son « Rumblin’ And Tumblin’ » bringuebale et il traite « Bottom Of The Sea » à l’admirabilité des choses. On sent le cut qui se déroute, comme livré au hasard. Quelle ivresse ! En B, il traite « Blues And Trouble » au groove décousu. Muddy semble respirer. Le Cadet Concept lui va comme un gant. Le hit du disk pourrait bien être « Screamin’ And Cryin’ » que Muddy avale tout cru. Il n’est jamais aussi bon que lorsqu’il fait l’ogre.

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             Troisième façon d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters : par Johnny Winter, et donc on saute à la décennie suivante. En 1977, Johnny Winter relança une nouvelle fois la carrière de Muddy avec ce fabuleux album qu’est Hard Again, façon ironique pour Muddy qui est alors un vieux pépère de dire qu’il bande encore. Le premier morceau de l’album est une version ahurissante de « Mannish Boy ». C’est le mélange le plus explosif qui soit : le raw de Muddy et la hargne de Johnny. On entend la clameur du studio, c’est du legendary stuff, yeah ! Woooow ! Il règne dans le studio de Dan Hartmann une grosse ambiance junky-jivy de juke joint d’enfer. Magie pure. Voilà le delta de la folie et les forces invisibles des pierres qui roulent et qui n’amassent pas mousse. Que vienne enfin le règne des albinos et des hoochie coochie men ! Il est important de préciser que Muddy Waters était l’idole d’un Johnny Winter qui, las du rock’n’roll et de ses excès, voulait revenir à ses premières amours, le blues, et Muddy Waters. C’est donc un disque de fan qu’on a dans les pattes, comme l’était d’ailleurs Electric Mud. Petite précision : Johnny n’aimais pas Electric Mud, ni d’ailleurs les frères Chess qu’il accusait de s’être enrichis sur le dos de Muddy et de quelques autres.

             La fête continue sur Hard Again avec « Bus Driver », où James Cotton envoie sa belle purée d’harmo. Derrière, le foutre gicle. Muddy, c’est le sexe pur, l’énergie primitive. Grosse ambiance renversée et gondolée, magnifique non-sens ultime de la bouillie du blues orchestrée par le grand maître albinos de l’univers intermédiaire. « Crosseyed Cat » sera monté sur un riff accrocheur et un drumming solide et bien sec comme Johnny les aime.

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             Dans la foulée, Johnny produit I’m Ready, toujours sur Blue Sky, le label monté par Steve Paul pour Johnny Winter, Edgar Winter et Rick Derringer. On retrouve la grosse énergie du blues, la belle épaisseur d’équipe. Ils ont là pour abattre de la mesure avec tout le génie bluesique et mathématique des multiples de douze. Pour Johnny et Muddy, c’est du gâteau. Ils jouent les mêmes vieux coucous depuis la nuit des temps, alors pour eux tout va bien.

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             Le troisième album de Muddy produit par Johnny s’appelle King Bee. On y trouve une version bien déterminée du fameux classique de Slim Harpo. Tout est dit. Muddy reste le maître des ruches. Dès qu’il voit une cuisse, il envoie son crawling king snake s’y glisser. « Forever Lonely » est une fabuleuse pièce de heavy blues. Muddy adore tripoter le good ole heavy blues du delta. Ça lui rappelle le jour où il est monté dans le train à Clarksdale pour se rendre à Chicago, là où l’attendait son destin. « Champagne & Reefer » reste dans le style du heavy blues et ressemble à tous les autres heavy blues, c’en est même troublant. Mais ce n’est pas grave. « Well I’ll stay with my reefer, don’t show me no cocaine. » L’autre merveille de ce disque s’appelle « My Eyes Keep Me In Trouble », joliment wintérisée à la guitare. Johnny suit le chant avec de belles variantes décoratives du meilleur effet. On ne trouvera certainement pas ça ailleurs.  

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             Quatrième façon d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters : par « Rolling Stone » enregistré au studio Chess de Chicago en 1950. Muddy est tout seul avec Big Crawford à la contrebasse - I weeesh I was a catfish - C’est l’invention du mythe. Muddy Waters est le punk originel. Toute l’histoire du rock vient de là en direct. Et pas seulement les Rolling Stones qui sont nés de ce morceau. Tous les groupes de heavy blues anglais viennent de là, tous sans exception. Avec « Rolling Stone », Muddy le punk du delta avait écrit les tables de la loi et montré le chemin à toute une génération de musiciens, qui n’auront de cesse de recréer cette sauvagerie sans JAMAIS y parvenir. Pour chanter comme ça, mon gars, il faut avoir grandi dans le Deep South où ta vie ne valait pas un clou si t’avais la peau noire. T’étais moins que rien, et les patrons blancs te fouettaient au sang pour se divertir. Muddy et Wolf sont les seuls vrais punks de l’histoire du rock. Il faut arrêter de nous bassiner avec cette cloche de Sid Vicious. À cinq ans, Sid Vicious n’était certainement pas dans un champ de coton, de l’aube jusqu’à la tombée de la nuit.

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             En 1950, tout était déjà en place, chez Muddy. Il suffit d’écouter sa version de « Rollin’ And Tumblin’ » enregistrée le même jour que « Rolling Stone ». Avec le renfort de Little Walter, autre personnage mythique, ils tapent un effarant shuffle qui s’appelle « Evans Shuffle ». Big Crawford tient le slap métronomique. Pour l’anecdote, c’est ce rat de Leonard le renard qu’on entend taper sur un tom bass dans « She Moves Me ». Il est souvent à côté, mais Muddy qui a grandi dans une plantation ne dit rien, car Chess, c’est le patron blanc, celui qui donne le « furnish ». T’as besoin de quelque chose, mon gars ? Tiens voilà cinq dollars. Leonard le renard ne faisait pas signer de contrat. La parole suffisait. Ceux qui avaient besoin d’argent allaient lui en demander. Mais ils n’avaient aucune idée du blé que Chess se faisait sur les ventes. Leonard le renard se défendait en disant que les affaires étaient dures et qu’il prenait des risques chaque fois qu’il sortait un nouveau disque : « Je fais de l’argent sur le dos des nègres et je veux le dépenser sur eux. » L’anecdote concernant le lancement de Chucky Chuckah  est édifiante et même dangereuse pour le mythe Chess, car elle fait apparaître une évidence : les frères Chess n’étaient rien de plus que des boutiquiers polonais arrivés en Amérique pour se faire du blé. Chucky Chuckah  doit tout à Muddy, mais certainement pas à Leonard le renard. C’est Muddy qui envoya le jeune Chucky Chuckah chez Chess - Yeah, vas voir Leonard Chess, yeah Chess Records, c’est à l’angle de Cottage et de la 47e rue - Dans son livre, Robert Gordon montre à quel point le pauvre Leonard pouvait être nul : « Le blues était le fonds de commerce de Leonard. Il savait qu’un single de blues allait se vendre à 20 000 ou 50 000 exemplaires, ce qui lui permettait de financer la suite. ‘Fuck the hits !’ avait-il coutume de dire. Mais avec Chuck Berry, ce n’était plus la même histoire ». Chucky Chuckah enregistra chez Chess une première démo d’« Ida Red » qui devint « Maybellene », mais Leonard le renard restait sceptique. Muddy : « Quand je suis arrivé le lendemain matin, Leonard ne comprenait toujours pas l’intérêt d’un morceau comme ‘Maybellene’. Je lui ai dit de sortir ce disque, car il y avait quelque chose de nouveau là-dedans. » Leonard suivit le conseil de Muddy et « Maybellene » s’est vendu à quelques millions d’exemplaires. Leonard le renard était un drôle de coco. Il traitait tout le monde de motherfucker. C’était sa façon de saluer les gens. Chez Chess, ceux qui n’insultaient pas les autres n’étaient pas pris au sérieux. Muddy se sentit tout de suite à l’aise avec ça, car le patron blanc de la plantation où il avait grandi et s’était «épanoui», le colonel Stovall, se comportait de la même manière.

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             Quand Leonard le renard a cassé sa pipe en bois, Muddy a déclaré : « On s’est rencontrés en 46, et on était devenus très proches. Je pense que s’il vivait encore, je lui dirais ce que je vais dire maintenant : il m’a fait et je l’ai fait. Aussi je perds un bon ami. »

             Wolf, Muddy et Willie Dixon mettront des années et des années à récupérer une partie de ce qui leur était dû. Ils durent intenter des procès contre ce qui restait de l’empire Chess pour récupérer leur blé. Tous ces morceaux qui avaient rapporté des millions de dollars étaient signés McKinley Morganfield - nom de Muddy à l’état civil - et c’est Arc, la société d’édition créée par les frères Chess à New York, qui avait empoché la pluie d’or. Ce sont les frères Chess qui sont devenus millionnaires, pas Muddy, ni Willie. L’histoire de Chess est à la fois une histoire mythique et un véritable scandale. Le seul qui soit resté intraitable sur la question des royalties, c’était Willie Dixon, sans doute parce qu’il avait vu la mort de plus près, étant gosse, dans le Deep South. Quand il en a eu marre de se faire plumer, il est allé voir un avocat. Avant lui, jamais un nègre n’aurait osé s’attaquer au patron blanc. Willie Dixon avait beaucoup de courage.

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             En 1951, Muddy préfigurait Jimi Hendrix avec « Still A Fool ». Muddy fut bel et bien l’inventeur du rock à travers le blues, comme le fut Sister Rosetta Tharpe à travers le gospel. Dans ce classique, on sent la vraie niaque des noirs du Sud, et Muddy chante comme un dieu. Il faut aussi écouter la version originale de « Baby Please Don’t Go », enregistrée en 1953 et rendue célèbre par les Them de Van Morrison. C’est l’origine des sources fondamentales - down in New Orleans I love you so - il faut voir Elgin battre le beurre du diable. « Standing Around Crying » est d’une lenteur inexorable. Certainement le blues le plus lent de l’histoire. Little Walter souffle comme un dingue dans son harmo et Otis Spann frappe comme un sourd sur ses touches de clavier. Mais tout cela n’est rien à côté de la version originale de « Mannish Boy ». On est en 1955, Little Walter, Willie Dixon, le guitariste Jimmy Rogers et le batteur Francis Clay accompagnent Muddy. Ils font littéralement sauter la baraque. C’est le pur génie du delta. Pur sexe. Pure arrogance primitive. On entend des hurlements salvateurs - I’m a rolling stone ! - tu parles Mick ! Et ce sont ces cinq petits Anglais qui sont devenus milliardaires à la place de Muddy ! Sur « Trouble No More », Willie dandine son gros cul et slappe comme un démon. Et cette version de « Rock Me » ! La source du heavy rock, le rock me all night long, le vrai truc - Muddy peut baiser toute la nuit. C’est l’époque où Pat Hare joue de la guitare dans le groupe de Muddy, mais on ne l’entend pas. Dommage, car il traîne une réputation de sauvage de disto king. Tav Falco le cite à trois reprises dans son roman sur Memphis. Par contre, on entend Earl Hooker sur quelques morceaux et là on ne rigole plus. Il joue comme un diable sur « You Shook Me » et fait de merveilleuses incursions dans un « You Need Love » joliment nappé d’orgue. Au fil des ans, Muddy change souvent de guitariste. On retrouve à une certaine époque un certain Luther Tucker qui joue les virtuoses effarants avec un jeu pétrifié à la Stan Webb. On se régalera aussi d’une version plus tardive, toujours sur Chess, de « Good Morning Little Schoolgirl », un morceau tellement repris par les groupes anglais qu’on ne pouvait plus le supporter. Un conseil, écoutez la version originale, swinguée et slappée à la bonne franquette par Willie Dixon. Dans la bouche gourmande de Muddy, la little schoolgirl c’est autre chose, car Muddy, ne l’oublions pas, est un chaud lapin, il adore la cuisse de poulette. Même marié avec Geneva avec des gosses à la maison, il a plusieurs fiancées et des gosses avec elles, et sa chance, c’est que Geneva l’accepte. Visiblement, les blacks sont moins cons que les blancs. Eux savaient d’où ils venaient, et être en vie devait déjà leur sembler miraculeux. Ils n’imaginaient même pas qu’ils auraient un jour une vraie maison en pierres, pas en planches, une voiture et un frigidaire. L’extrême pauvreté, ça rend généralement humble. Cette femme noire Geneva a eu l’intelligence de comprendre que son pauvre miraculé de mari avait besoin de fréquenter d’autres femmes et elle a su l’accepter. Muddy emmenait ses fiancées en tournée, mais une fois la tournée terminée, il rentrait toujours à la maison. Geneva connaissait l’existence de tous les enfants que Muddy avait faits à droite et à gauche. Elle fut toujours à la hauteur de la situation, elle recevait royalement les amis de Muddy et chaque fois, elle leur préparait un festin. C’est elle qui est morte la première, atteinte d’un cancer, et c’est l’une des rares fois où on a vu Muddy pleurer.

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             L’histoire de Muddy Waters n’est pas seulement l’histoire d’un père fondateur du blues électrique, c’est aussi et surtout l’histoire d’un être humain hors du commun qui inspirait autour de lui certainement autant de respect qu’en inspirait Babou Gandhi à ses proches, dans son ashram. Muddy avait acheté une grande maison, et il y logeait spontanément tous les gens qu’il pouvait y loger, des rescapés du Deep South comme lui. Parce qu’ils avaient vécu l’enfer dans leur enfance, ces gens étaient d’une générosité qui nous dépasse complètement.

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             Comme la discrographie de Muddy Waters est aussi impénétrable que la forêt primitive de ses ancêtres, le conseil qu’on pourrait vous donner serait de choper la Chess Box. C’est un bon compromis. Trois disques proposent un choix de morceaux de Muddy par étapes (1947-1953, la plus riche, 1945-1962 et 1963-1972). C’est un très bel objet au format d’un LP, et dedans, on trouve un beau livre avec de grandes photos en noir et blanc du géant Muddy Waters.

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             Blues fantôme à la Skip James, « She’s All Right » ne se trouve pas sur ce coffret, dommage, car c’est l’occasion d’entendre le légendaire Elgin à l’œuvre sur ses fûts.

             Cinquième façon d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters : par le livre de Robert Gordon : Can’t Be Satisfied. The Life And Times Of Muddy Waters. Ce Gordon n’a rien à voir avec l’autre Robert Gordon, le chanteur. Par contre, il est aussi l’auteur d’It Came From Memphis qui est LE livre à lire en priorité si on s’intéresse à Sam Phillips et au Memphis sound.

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             Can’t Be Satisfied grouille d’anecdotes hilarantes, comme le font aussi les bios de Wolf et de Bo Diddley. En voici une : Muddy jouait dans un club de Chicago, au Smitty’s Corner, et des blancs sont entrés dans ce club généralement réservé aux noirs. James Cotton raconte que Muddy était inquiet parce qu’il croyait voir débouler des agents du fisc, alors qu’en réalité, il s’agissait de Paul Butterfield, de Nick Gravenites et d’Elvin Bishop, trois banc-becs pétris d’admiration pour l’immense Muddy Waters.

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             Robert Gordon donne longuement la parole à Muddy, dans son book, et on se régale de l’entendre, sur des tas de sujets variés, comme par exemple le monde du blues à Chicago. Muddy ne perd jamais de vue ses origines : « Je joue le blues des champs de coton, du maïs et du poisson frit. B.B. et Albert jouent un autre blues, un blues de classe supérieure. » À la fin de sa vie, il rigolait quand les journalistes lui parlaient de son succès : « Je n’ai jamais été une célébrité et j’en serai jamais une. Je ne suis que Muddy Waters de Clarksdale, dans le Mississippi. C’est moi qui allais au bureau de Stovall. » Il avait voyagé à travers le monde et il continuait de s’identifier au bureau de la plantation de Stovall, où on lui donnait un peu d’argent pour le coton qu’il avait ramassé. Il faisait comme son père, sa mère, ses frères, ses sœurs, ses cousins, depuis plusieurs générations. Il cueillait le coton sur la terre d’un autre. Pour rien. Et comme tous les gosses de sa condition, il a commencé tôt. À cinq ans, il apportait de l’eau aux cueilleurs qui en réclamaient. Puis à 8 ans, on lui a donné un sac pour le remplir de coton. Quitter la plantation ? « Les personnes âgées comme ma grand-mère ne croyaient pas qu’on pouvait survivre ailleurs, dans une grande ville. Si vous allez dans une grande ville, vous allez mourir de faim. Mais on mourait déjà de faim à la plantation. »

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             Comme la plupart des gosses des plantations, Muddy est imprégné de blues. « Tous les gosses fabriquaient leurs guitares. J’avais fait la mienne avec une boîte et un bout de bois pour le manche. Je ne pouvais pas faire grand-chose avec, mais c’est comme ça qu’on apprend. » Muddy vénérait Charlie Patton, Robert Johnson et surtout Son House qui frappait comme un dingue sur sa guitare en acier et qui avait une présence extraordinaire. Muddy avait 14 ans quand il vit Son House pour la première fois. Le premier guitariste que Muddy vit jouer sur un ampli, ce fut Robert Lockwood. Il faut savoir que Lockwood avait appris à jouer avec Robert Johnson en 1927.

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             Muddy décide de prendre son destin en main. Il a de la famille à Chicago, il a déjà fait un disque avec Lomax pour la bibliothèque du Congrès et il ne veut plus passer son temps à travailler dans les champs pour le compte d’un patron blanc. Il prend le train à Clarskdale. C’est un voyage de 16 heures, avec une étape à Memphis, jusqu’à Chicago. Il se fait héberger, et trouve immédiatement du travail, dans une usine de papeterie. Il n’en revenait pas de gagner autant d’argent : « Dieu tout puissant, tout cet argent ! J’ai cueilli le coton pendant toutes une année et j’ai gagné moins de cent dollars ! »

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    ( Muddy Waters à Chicago : portrait tableau de Miki  de Goodaboom)

             Puis il entame sa carrière de bluesman et enregistre des disques dans le studio de Leonard le renard. Il se produit dans les clubs de blues de Chicago et devient vite une grosse vedette locale. Il faut savoir que dans les années 50 et 60, les groupes de blues comme celui de Muddy Waters jouaient toute la nuit dans les clubs. Ils faisaient plusieurs sets (comme Vigon au Méridien qui enchaîne trois sets d’une heure) et donc ils buvaient comme des trous, pour pouvoir tenir le coup. Muddy commença à pisser le sang par le nez, il avait trop de tension et le médecin le mit en garde : soit il arrêtait l’alcool, soit il cassait sa pipe en bois. Muddy passa naturellement au champagne : « Champagne au petit déjeuner, au repas de midi, au repas de soir et champagne avant d’aller au lit. » Muddy s’amusait comme un gosse dans le monde pourri des blancs.

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             Robert Gordon nous relate dans le détail le fameux épisode qui se déroule dans les toilettes exiguës du Zanzibar : l’énorme Willie Dixon remplit tout l’espace. Il présente l’« Hoochie Coochie Man » qu’il vient de composer à Muddy qui est coincé entre l’évier et le porte-serviette. Encore plus drôle, on  assiste plusieurs fois à des parties de bras de fer en Muddy et Wolf, les deux héros légendaires de Chicago. Quand il débarque à Chicago en 1954, Wolf vient habiter chez Muddy. Wolf avait fait tout le trajet depuis le Sud au volant de son pick-up, fier comme Artaban. Mais Wolf était aussi un type terriblement jaloux. Muddy : « Je sais que les gens croyaient qu’on se détestait. Mais ce n’était pas vrai. Wolf voulait être le meilleur mais je n’avais pas du tout l’intention de le laisser devenir le meilleur. » D’où une petite rivalité. Même si Muddy savait qu’il ne faisait pas le poids face à Wolf. Il repompait les trucs de Wolf, comme par exemple la cannette de coca dans la braguette. Le coup le plus dur qu’il réussit à porter à Wolf fut de soudoyer Hubert Sumlin, le guitariste de Wolf. Il lui envoya un émissaire chargé de lui proposer de tripler son salaire s’il venait jouer dans son orchestre. Hubert accepta et vint jouer chez Muddy mais ça ne se passa pas très bien. Il y eut une bagarre avec Muddy et Otis Spann tenta de le frapper à coups de chaîne. Hubert passa un coup de fil à Wolf qui accepta son retour. Puis Wolf alla trouver Muddy chez lui pour lui dire dans le blanc des yeux : « La prochaine fois que tu me fais ce coup, mec, je vous tue tous les deux. » Qu’on se rassure, Hubert et Muddy sont redevenus amis un an plus tard. Ça faisait partie du petit jeu entre Wolf et Muddy.

             C’est Chris Barber qui fera venir Muddy en Europe et qui le rendra légendaire en Angleterre. Mais Muddy jouait beaucoup trop fort sur scène et le gens étaient choqués. Ils croyaient entendre du blues et Muddy mettait son ampli à fond. Les « funny » people d’Angleterre l’amusaient beaucoup, mais pour la tournée suivante, il tint compte des remarques et gratta des coups d’acou.

             On trouve mille autres détails passionnants dans ce livre. C’est une lecture vivement conseillée, très revigorante, dès lors qu’on s’intéresse au real deal. Petite cerise sur la gâtö : Robert Gordon met en avant cette épaisseur humaine qui fait hélas cruellement défaut aux pitres qui ornent les couvertures de certains magazines de rock.

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             Et puis il faut écouter Fathers And Sons. Muddy s’entoure d’une belle équipe de vétérans de toutes les guerres : Mike Bloomfield, Paul Butterfield, Duck Dunn, et puis Sam Lay au beurre. Ce double album flirte parfois avec l’ennui, car on y retrouve tout ce qui un temps rendait le blues si prévisible, qu’il soit embarqué au rythme du boogie ou joué dans les règles du déchirement. « Mean Disposition » est l’archétype du blues bloomydifié. Mike le soigne aux petits oignons. Pas de surprise. On retrouve cette emphase démonstrative qui fit tellement de mal au blues dans les années soixante-dix. On reste en territoire connu et ça rassure. Muddy fait autorité. Sur « Blow Wild Blow », Bloomy va chercher des notes grasses, comme d’autres fouillent la terre du groin à la recherche des truffes. Dans « Forty Days & Forty Night », Butter donne des coups d’harp de possédé. Mais on reste dans l’heavy blues classique et sans surprise. On notera l’extraordinaire prestation de Buddy Miles dans « I Got My Mojo Working Pt 2 ».

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             Il ne te reste plus qu’à choisir l’une des cinq façons d’entrer dans l’histoire extraordinaire de Muddy Waters. Cet homme fait partie des grands héros du XXe siècle, au même titre que Nelson Mandela, Captain Beefheart, Sam Phillips, Joe Meek, Totor, Francis Picabia et Marcel Duchamp, et il vaut toujours mieux aller se réchauffer dans le giron d’un génie plutôt que de rester planté là à attendre Godot.

    Signé : Cazengler, pouet-pouet muddy

    Muddy Waters. Electric Mud. Cadet Concept Records 1968

    Muddy Waters. After The Rain. Cadet Concept Records 1969

    Muddy Waters. Father And Sons. Chess 1969

    Muddy Waters. Hard Again. Blue Sky 1977

    Muddy Waters. I’m Ready. Blue Sky 1978

    Muddy Waters. King Bee. Blue Sky 1981

    Muddy Waters. Unrealeased In The West. Moon Records 1989

    Muddy Waters. The Chess Box. MCA Records 1989

    Muddy Waters. On Chess Vol. 2 - 1951-1959. Vogue 1984

    Robert Gordon. Can’t Be Satisfied. The Life And Times Of Muddy Waters. Back Bay Books 2002

    Marc Levin. Godfathers And Sons. A Musical Journey Vol 6. DVD 2004

     

     

    Quels sont ces serpents qui Slift sur nos têtes

     - Part Two

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             Slift ? C’est simple. Il s’agit tout simplement de l’automatisme psychique de la purée en dehors de toute chorale concrète ou élastique. Slift ? C’est le va-t-en-guerre des boutons de la fleur au nombril. Slift ? C’est Moloch sous LSD, Saturne en 3D panoramique, Hadès télescopé par des stroboscopes.

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    Slift ? C’est une marmite géante de cassoulet intrinsèque en ébullition. Slift, ça t’emmène et ça oublie de te ramener. Slift c’est un aller simple pour où tu veux, tu peux même choisir ta destination, droit dans un platane ou quelque part dans l’enfer de ta cosmogénie. Slift, ça va vite, t’as à peine le temps de réfléchir, alors réfléchis pas, ça ne sert à rien. Slift, tu perds tes marques et c’est tant mieux, les marques, c’est comme la réflexion, ça ne sert à rien. Slift te lave de tous tes péchés, Slift te redore le plastron, Slift t’exclut des partis, Slift recommande ton âme à Dieu, Slift t’erre dans le désert, Slift te déterre de ta tombe, Slift t’enterre dans tes tares, Slift met un terme à ton bail, Slift t’atterre sur la lune, Slift t’attire dans son thème, Slift t’applique son tarif, après tu peux t’amuser à cataloguer, vazy, psychout so far out du mois d’août, heavy psych qui fait pschittt, drôle de drone ou downhome doom de der, comme la der des der, vazy, catalogue, mais tu vois bien que ça ne sert à rien,

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     Slift échappe à tous les bocaux, Slift glisse entre les doigts des étiqueteurs, Slift file comme une anguille grasse vers le soleil d’un ovaire psychédélique, Slift enfante des cuts en forme de solaces irrémédiables, Slift réinvente le paganisme salvateur des temps modernes, tu ne verras pas de groupe plus faramineux sur scène cette année, pas de groupe plus psychotropiquement libre, pas de groupe plus étalon-sauvage, pas de groupe plus écumant, pas de groupe plus tchernobilien.

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    Pas de superstar plus christique que Jean Fossat, dont la carcasse déjetée traverse l’espace et les siècles du set, arraché et recloué sur sa croix en permanence, Fossat est ivre de liberté et de grandeur, il abandonne son corps et s’y rejette, s’extrait et se projette, l’élance et s’abat, il étreint sa SG blanche comme une sainte relique, il est là et soudain, il n’est plus là, comme d’ailleurs sa musique, elle part, revient et repart, et en chemin, le psychout so far out de Slift croise Jean Fossart éperdu de sainte barbarie, trempé d’anarchie, tendu à se rompre et fouetté par des bourrasques de bassmatic et de beurre, oui, car tout est définitivement torrentiel sur cette scène, tout est joué à

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    l’outrance de la protubérance, sans le moindre respect des mesures ou des lois physiques. Slift t’offre un spectacle hors de temps et hors du rock, comme l’aurait sans doute fait un groupe de rock dans l’antiquité, pour peu qu’il en eût existé, mais ça, on ne se le saura jamais, par contre, on peut l’imaginer, et l’idée que Slift eût pu jouer dans une vie antérieure à la cour du roi Nabuchodonosor, au beau milieu d’une orgie de sexe et de sacrifices rituels, oui, ça tomberait presque sous le sens. Une façon de dire que Slift est trop énorme pour une époque comme la nôtre, une époque qu’il est impossible de prendre au sérieux. Alors on situe Slift dans un contexte plus adapté. Druillet aurait pu dessiner une pochette pour Slift et Flaubert n’aurait pas hésité un seul instant à chanter les louanges de Slift dans Salammbô. Avec des racines qui semblent plonger dans l’imaginaire de l’antiquité et un univers lyrique gorgé de sci-fi spatio-temporelle, Slift campe une fabuleuse incarnation de l’avenir du rock. L’occasion est trop belle de saluer Gildas qui d’une certaine façon fit leur découverte sur la petite scène du Ravelin, à Toulouse. Il ne se fourrait pas le doigt dans l’œil lorsqu’il en disait le plus grand bien dans son mighty Dig It! Radio Show. Et dans son livre, Confessions Of A Garage Cat, il déclare : «Ils sont à fond. Ils vont vraiment devenir énormes. Leur dernier album est un double, avec des morceaux très longs. Ils sont capables d’avoir 40 dates à la suite sans un day off.»

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             Après, tu as les disks. On a épluché Ummon dans un Part One quelque part en 2021. Il existe d’autres belles galettes de blé noir, à commencer par La Planète Inexplorée, découverte en 2018. L’album est reparu sous forme de double album avec l’EP Space Is The Key. Heavy dès «Dominator» et départ en vrille de prog, oh-oooh, c’est du pur jus de Swampland, de l’épique épique et colégram bardé d’écho et d’évasions excuriatrices. Ça pulse à Tooloose ! Et le festin de son continue avec un «Sword» bien secoué du bananier. Tout l’immeuble de Swampland résonne de beat fondamental. Nouvelle surprise avec ce «Sound In My Head» quasi-hendrixien, bien posé sur son assise. Il y va le Fossat, il hendrixifie la ville rose. Nos trois larrons enfilent les auréoles et claquent un boléro boréal. Et puis voilà le hit interplanétaire en B, «The Sleeve», avec des développements spectaculaires lancés au wooouhhhhh de rodéo, et ça se déclenche à la moindre étincelle. C’est pulsé par la loco du beurre. Sur sa SG virginale, Jean Fossat passe par tous les stades de la Méricourt sonique, comme le montre le morceau titre. Il rase motte et il outer space dans les étoiles, wahte dans les platanes et vrille sa trame d’émulsion purpurine. Il va dans tous les coins du drone, il est ric et rock, il sature ses saturnales et repart en diligence au fouette cocher dans la sierra. Ce spectaculaire rocker est un fier voyageur, il annonce l’apocalypse d’un coup de verset, revient dire la bonne aventure et repart dans une direction absurdement opposée, et derrière lui bat le cœur du cassoulet intrinsèque en ébullition. Alors, sa belle voix de Christ efflanqué s’accroche à la voûte de la cathédrale comme une chauve-souris repue de sang virginal.

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             «Heavy Load» lance le carnage de La Planète Inexplorée. Ça part en trombe de tagada proggy, c’est même du proggo-punk, avec le Fossat qui hurle dans le fond du minuscule local de Swampland ! Pure giclée d’heavy psych-out, avec une belle tension hypno à la Can et du revienzy de bassmatic. Tout est gorgé d’énergie barbare sur cet album, il faut les voir reprendre au vol leur «Doppler Ganger» avec des volées de bois vert et de fuzz toulousaine. Pour boucler cet effarant balda, ils filent ventre à terre avec «Ant Skull». Le «Frearless Eye» qui ouvre le bal de la B est plus pop, mais visité par la grâce. Il règne en permanence dans cet album un fort parfum de modernité. Les dynamiques de «Trapezohedron» sont encore une fois imparables, portées par le fantastique shuffle de beurre et tu vois ce bassmatic affamé qui maraude dans le lagon.    

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             Sur ce fabuleux double album que sont les Levitation Sessions, on recroise tous les hits qui font la légende de Slift, à commencer par la wild ride d’«Heavy Load». Jean Fossat va hurler ça au sommet du lard fumant, ils développent exactement la même énergie que Can, avec la hurlette en prime. On recroise aussi la plupart des cuts d’Ummon, dont le morceau titre - là ils mettent le paquet sur le blow - et «It’s Coming», qui sonne comme du pur Can. On croit entendre Damo et Jaki. L’«Hyperion» qui ouvre le bal de la C sort aussi d’Ummon. Quelle niaque ! En matière d’heavy psych so far-out, on ne peut guère faire mieux. Ils développent un power simple, mais considérable. L’«Altitude Lake» sort aussi d’Ummon. On y entend les power chords de la fin du monde. La B sort aussi tout droit de la pétaudière d’Ummon, avec «Thousand Helmets Of Gold» cavalé ventre à terre, fabuleux psyché psycho de basse fosse, et «Citadel On A Satellite». Ah ils sont bien barrés dans leur monde. Ils voyagent énormément. Les cuts sont longs, ça favorise les explorations. En D, on retrouve l’excellent «Lions Tigers & Bears» qui fait encore la joie d’Ummon. C’est vite embarqué en enfer. Jean Fossat et ses collègues ne traînent pas en chemin. Ça pulse dans les artères, avec un bassmatic brouteur de motte. Quelle allure ! Ah il faut voir ça ! Le thème musical sonne comme un hit pop. Ils jouent en trombe,  avec un bassmatic qui amène un second souffle. Ils arrivent au-dessus de Babaluma, qui est un peu leur cœur de métier. Ils tiennent bien la pression dans la durée et puis ça bascule inévitablement dans l’apocalypse. Les trois Toulousains sont les rois de l’attaque viscérale. 

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             Leur dernier album s’appelle Ilion. Encore un double album. C’est Ilion qu’ils jouaient sur scène, l’autre soir. Proggy as hell, mais moins de son qu’à Swampland. Plus lisse, plus monacal. Chanté dans la crypte. Jean Fossat chante comme un apostat pestiféré emmuré dans une crypte. On perd les dynamiques magiques du premier album. On perd «The Sleeve». Quand on entre en B dans «The Words Have Never Been Heard», on comprend que sans le support visuel de la scène, ça ne marche pas. On perd tout le raw de Swampland qui faisait leur force. Et ça continue de tartiner avec «Confluence». Appelle ça l’Ilion et l’Odyssée et tu ne seras pas loin du compte. Ils continuent d’explorer des zones inexplorées, avec l’énergie et le courage qu’il faut aux découvreurs pour accomplir ce genre de mission, que ce soit sur terre, dans l’espace ou dans l’imaginaire. Avec leur «Confluence», ils nous replongent dans les errances de Yes et c’est pas terrible, mais Jean Fossat se fend en bout de B d’un solo apocalyptique qui le lave de tout péché. En C, il s’enfoncent encore  plus loin dans le cérémonial liturgique. Pour entrer là-dedans, il faut se retrousser les manches. On sort définitivement de Swampland et on se dirige tout droit sur Telerama. Et encore, on se demande ce que les Telerameurs vont pouvoir piger à ça. Hey Slift, you’ve lost that lovin’ feelin’. Avec «Uruk», il ne se passe rien de plus que ce que tu sais déjà. C’est un brin mélodie en sous-sol avec un final explosif. La D continue de s’enfoncer dans le cérémonial liturgique. Décidément, c’est une manie. Si on est encore là, c’est uniquement par curiosité. Ils sont entrés dans l’église psychédélique et c’est très bien. Au moins, ils iront au paradis. Les trames interminables qu’ils tissent défilent comme une bande passante, ça joue pour jouer, ils n’ont pas d’autre raison d’être que de jouer et de dérouler sans fin. Tu es content d’être resté jusqu’au bout, car tu assistes éberlué à un final hallucinant en forme de cascade de lumière.

             Tout ceci est bien sûr dédié à Gildas, et à un autre grand laudateur de Slift, my friend Pat Caramba.

    Signé : Cazengler, Shit

    Slift. Le 106. Rouen (76). 16 mars 2024

    Slift. La Planète Inexplorée. Howlin’ Bananas Records 2018

    Slift. Levitation Sessions. The Reverberation Appreciation Society 2022

    Slift. Ilion. Sub Pop 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Hé dis, Eddie, Ernie nie ?

             Rien qu’à le voir, tu lui aurais donné le bon Dieu sans confession. Devenu adulte, Japee conservait dans le regard toute la candeur de son enfance. La qualité du regard est un signe qui ne trompe pas. Et plus tu apprends à le connaître, plus tu t’émerveilles. Le moindre de ses actes, la moindre de ses paroles, le moindre de ses avis entre en cohérence avec l’idée que tu fais de lui. Il fait partie de ces êtres qui avancent dans la vie comme des funambules au-dessus du vide et qui ont la grâce de ne commettre aucun faux pas. Le savoir-vivre naturel peut fasciner. On l’observe souvent dans les romans, notamment chez Proust ou encore chez Drieu, mais assez rarement dans la vie. Si l’occasion se présente, la première chose qu’on fait est de guetter le faux pas, le mot de travers, car on se dit au fond de soi que la perfection n’est pas de ce monde, il va forcément commettre une petite erreur, ce serait même rassurant. Eh bien non. Japee a décidé de ne pas faillir. Il donne à réfléchir. On pourrait presque le jalouser, mais on se connaît trop bien, et de toute façon, les questions de moralité ne sont plus à l’ordre du jour. Il faut donc se résoudre à observer et guetter le faux pas qui ne viendra sans doute jamais. Pour ne pas compliquer les choses, on espace les rencontres. Ce serait tout de même embêtant de voir la perfection se banaliser. Et si tout cela n’était qu’une vue de l’esprit, une fabrication de l’imaginaire ? Ne fabrique-t-on pas inopinément des modèles ? Ne transfère-t-on pas chez d’autres les traits de caractère qui nous font si cruellement défaut ? Et si Japee n’était au fond qu’un imposteur ? Et s’il n’était qu’un personnage de sa composition, un habile manipulateur ? L’idée s’évanouit aussitôt qu’il apparaît en chair et en os. Il est d’un naturel désarmant. Aucune rouerie n’est possible dans ce visage mis à nu, il parle en riant et tout redevient clair comme de l’eau de roche. Alors il ne reste plus qu’à savourer ces moments de félicité. Comme c’est agaçant d’avoir à penser qu’en cet instant la vie reprend son sens. 

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             Japee, Eddie, Ernie ? C’est du pareil au même. Japee ne chante pas, c’est la seule différence avec Eddie & Ernie. Oh et puis la couleur de peau. Japee est un petit cul blanc, mais ça n’enlève rien à ses qualités, oh la la, pas du tout.

             Personne ne peut résister à la photo d’Eddie & Ernie qui orne la devanture de cette fabuleuse compile Kent parue en 2002, Lost Friends. Personne ! Ils sont plus beaux que Little Richard, plus anguleux qu’Ike Turner, plus pompadourés qu’Esquerita, on sent un mélange de grâce et d’animalité qui bat tous les records. En plus ils chantent bien. C’est à David Godin que revient l’honneur de signer les liners. Même s’ils sont composés dans un corps 4 ou 5 qui t’explose les yeux, tu es content de pouvoir lire son baratin.

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             Ils s’appellent Edgar (Eddie) Campbell et Ernest (Ernie) Johnson. Godin les situe à Lubbock, Texas (Ernie) et Phoenix, Arizona (Eddie). Eddie rencontre Ernie à Phoenix et ils se mettent à duetter ensemble. Hadley Murrell prend le duo en charge et le booke à l’Apollo. En 1966, ils entrent en studio avec Richard Gottehrer pour enregistrer 4 titres. Voilà en gros ce que nous raconte Godin. En fait, il n’a pas grand-chose à nous raconter. Puis Eddie & Ernie finissent par se décourager, alors ils quittent New York pour rentrer à Phoenix, où ils sont tous les deux installés. Eddie est un romantique, sa femme lui manque terriblement. Ernie est un alcoolique qui va se choper une petite cirrhose.

             Premier coup de semonce avec «You Make My Life A Sunny Day», cette fantastique décharge d’heavy Soul, tu as là le big heavy Soul System, c’est à cet endroit précis que l’heavy Soul prend le pas sur le genius. Eddie & Ernie allument au sommet du lard, c’est à la fois puissant et irréversible, ils s’écroulent tous les deux dans des gerbes. Pire encore : «Doggone». Godin est lui aussi sidéré par le power d’Eddie & Ernie : «This is Eddie & Ernie at the very height of their powers and on top of the world. It can make you feel that way too. A true ‘Golden Era’ treasure.» Ils tapent en effet dans l’hot as hell du r’n’b, il n’existe rien de plus puissant, à part Wilson Pickett. S’ensuit l’«Outcast» repris par les Animals sur Animalism - Hey hey hey I’m just an outcast, ces deux blackos te foutent le feu à la compile, il tapent l’heavy popotin du diable, et c’est orchestré à outrance. Rien qu’avec ces trois hits fondamentaux («You Make My Life A Sunny Day», «Doggone» et «Outcast»), t’es repu, et en plus, t’es au paradis. Oh tu peux ajouter «We Try Harder». On se croirait chez Stax, tellement ça percute dans le haut de l’occiput. Ces deux diables chantent ensemble, comme Sam & Dave, et t’explosent tout. Et ce n’est pas fini. On pourrait même dire que ça ne fait que commencer ! Tu tombes plus loin sur la fabuleuse clameur de «Standing At The Crossroads», ils déboulent avec cette énormité digne de Mad Dogs & Englishmen, et c’est divinement explosé aux chœurs de génie. Godin : «A track that is so good it’s breathtaking, and it is worth many times the cost of this whole CD. So there!». Le poêle Godin est encore plus barré que nous. Il est incapable de retenir son enthousiasme. Ils font un duo d’enfer avec «Woman What Do You Do Wrong», ils sont encore plus raw que Sam & Dave, comme si c’était possible ! Et c’est arrosé de sax prévalent, tout éclate au Sénégal, ici, le r’n’b, les grattes, les nappes de cuivres, so baby I’m gonna ask one more time ! Ils enchaînent cette merveille avec une cover de «Lay Lady Lay». Joli clin d’œil à Dylan, ils t’embarquent ça vite fait à l’aw yeah. Ils te tartinent ça en mode fast r’n’b. Quelle rigolade ! - Stay lady stay/ Stay with your man for a while - Ils te bouffent Dylan tout cru ! C’est encore une fois explosif. Ils transforment ce hit en shoot de hard r’n’b. Le poêle Godin raconte qu’il est à l’origine de l’idée de cette cover. Il était alors en contact avec le manager d’Eddie & Ernie, car il sortait des singles sur son label Right On!. Eddie & Ernie étaient en panne de chansons, et comme Godin avait flashé sur l’hommage qu’avait rendu Esther Phillips à Dylan avec «Tonight I’ll Be Staying Here With You», il leur proposa de taper «Lady Lady Lay». Et ça repart de plus belle avec «The Groove She Put Me In», puis «You Turn Me On». Avec Eddie & Ernie, c’est l’enfer sur la terre ! Ils tapent à la suite l’immémorial hit d’Aaron, «Tell It Like It Is», ils travaillent cette merveille à deux voix, ils la biseautent, c’est façonné à l’angle des cuivres, avec tout le balancement dont sont capables ces deux prodigieux requins en sequins, il faut les voir fondre leur Tell Me dans les nappes de cuivres. Et puis tu les vois se diriger vers la sortie avec «It’s A Weak Man That Cries», un heavy groove de fabuleuse occurrence, ils groovent dans l’air de leur temps, à l’unisson de leur saucisson, avec un guitar slinger en embuscade derrière les lignes ennemies, mais le poêle Godin ne nous dit pas qui c’est. Petit cachotier !

    Signé : Cazengler, Ernie discale

    Eddie & Ernie. Lost Friends. Kent Soul 2002

     

     

    L’avenir du rock

     - Rich comme Crésus

     (Part One)

             Contrairement à ce qu’on croit, l’avenir du rock ne roule par sur l’or. Il est même aux abois, c’est-à-dire aux portes de la précarité. Bon, il n’en arrive pas encore au stade où on reprise ses chaussettes, mais il fait gaffe aux dépenses. Il appelle ça des coups de freins. Coup de frein sur la bouffe, coup de frein sur les fringues, et surtout coup de frein sur les vacances. Mais pas de coups de freins sur les lignes budgétaires prioritaires, c’est-à-dire les disques et les concerts. Bon et puis il y a le sac de sport, c’est-à-dire la caisse noire, qui finance les putes et les produits. Il faut bien maintenir un minimum d’équilibre, surtout quand on est un concept aussi à cheval sur l’étiquette. Et finalement tout se passe bien. L’avenir du rock s’est comme qui dirait désurbanisé, plus besoin d’aller foutre les pieds dans ces boutiques de m’as-tu-vus et de claquer des fortunes dans le paraître. Plus besoin d’aller faire le coq dans la basse-cour. De lointains souvenirs de vacances lui restent coincés en travers de la gorge. Quel ennui ! S’allonger sur une plage et y rester des heures illustre parfaitement à ses yeux le comble de l’ennui le plus mortel. L’avenir du rock se demande encore à quoi sert de se faire bronzer. Il préfère le soleil du Brill et les horizons des Byrds, ceux qui nourrissent ton imagination, alors que de voir des grosses rombières réactionnaires déambuler en maillot de bain, ça te la tue, l’imagination. L’avenir du rock conserve encore assez de lucidité pour se savoir coincé dans les rigueurs de son concept, mais il préfère ça mille fois à la brutalité et à la laideur atroce de la réalité du monde extérieur. Depuis des siècles, les artistes font de l’art pour lutter contre cette réalité, mais elle gagne sans cesse du terrain, on assiste même à l’accélération d’une dégradation générale depuis l’avènement du numérique. Alors l’avenir du rock rentre dans son cocon conceptuel, et quand on lui demande si ça va, il répond, bien sûr, puisqu’il est Rich comme Crésus.

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             Le Rich que cite l’avenir du rock ne s’appelle pas Crésus, mais Jones. Rich Jones, ce qui revient au même. Rich est riche d’une brillante carrière de guitar slinger.

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             Dans Vive Le Rock, Phil Singleton lui rend enfin hommage. Le Canadien Rich Jones est l’homme à tout faire du grittiest punk/glam rock. Depuis vingt ans, il écume les planches en compagnie d’une kyrielle d’«icons of the genre» : Michael Monroe, Ginger Wildheart, Tom Spencer (Loyalties & Yo-Yo’s) et bien sûr les Black Halos dont le nouvel album vient de paraître : How The Darkness Doubled.

             Né à Coventry, Rich a grandi à Toronto. Ado, il s’intéresse au metal puis bascule dans les Dolls, les Dead Boys, les Ramones et les Heartbreakers. Le punk new-yorkais va devenir son cœur de métier.  Au début des années 90, il s’installe à Vancouver et démarre les Black Halos. Au même moment, juste de l’autre côté de la frontière, about two hours away, le grunge explose à Seattle. Les Black Halos vont tenir la route jusqu’au début des années 2000. Ils tournent sans arrêt, mais n’ont pas de blé - it was $5 a day - Rich n’est pas riche, alors il quitte les Black Halos et part jouer avec Amen à Los Angeles. Et puis en 2016, un tourneur espagnol propose un gros billet aux Black Halos pour se reformer et venir jouer en Espagne. Ils sont tellement contents de rejouer ensemble qu’ils décident ensuite d’enregistrer un nouvel album, How The Darkness Doubled, dont le titre est tiré d’un cut de Marquee Moon

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             Pourquoi écoute-t-on How The Darkness Doubled en 2022 ? Parce que d’une certaine façon, Rich et ses Halos alimentent la chaudière. Avec cet album, on n’apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà, mais il est difficile de résister au souffle d’une cut comme «Tenement Kids». Billy Hopeless chante comme s’il dégueulait. C’est le même beeeerrrk. Les solos sont beaux, ce sont de vraies gerbes. Les Black Halos restent violemment en place, il remontent sur leur merry-go-round d’antan, même son, même esprit, même niaque tight. On observe même une tentative de mélodie, et globalement, ça reste assez conquérant. Ils pompent goulûment le «Teenage Kicks» des Undertones pour couler le bronze de «Forget Me Not», c’est exactement le même swagger au couplet chant, mais qui va aller le leur reprocher ? Ils sont très en forme, pour des vieux gaga-punksters. En B, ils se moquent de leurs copains avec «All Of My friends Are Like Drugs», et ils se transforment en énorme machine de guerre moyenâgeuse pour «Frankie Came Home». Ils restent bien dans la ligne du parti, avec des chœurs de lads. Le bassmatic de John Kerns dévore tout. Ils bouclent cet album héroïquement classique avec «A Positive Note», belle explosion gaga-punk, extrêmement mélodique, soutenue aux chœurs et battue à la diable.

             Phil Singleton a lui aussi remarqué que Rich comme Crésus avait assidûment fréquenté Tom Spencer, qui, après avoir fait des étincelles avec les Yo-Yo’s puis les Loyalties, en fait maintenant avec la reformation des Professionals. Tom demande à Rich comme Crésus de rejoindre la tournée des Professionals en 2021. Rich dit à Phil qu’il est fier d’avoir pu jouer avec Cookie. Rich précise ensuite que Tom et lui sont potes depuis les années 90, époque où les Black Halos ont joué en même temps que les Yo-Yo’s aux Kerrang! Awards à Londres. Quand Rich est venu s’installer à Londres, Tom lui a demandé de rejoindre les Yo-Yo’s. On l’entend donc sur le deuxième album des Yo-Yo’s dont on va s’occuper dans un Part Two. Rich ajoute que Tom et lui jouent ensemble depuis vingt ans. Pour l’anecdote, Rich raconte qu’ils ont monté ensemble les Loyalties pour aller faire un concert à Venise, sur un bateau.

             En 2012, Rich rejoint Sorry & The Sinatras. Il s’entend bien avec Scott Sorry, ils étaient ensemble dans Amen, we were looking for trouble. Puis l’expérience s’est arrêtée brutalement : «We did some stuff with the Sinatras but unfortunately his personal life stopped him from doing music for a long time.» Il est extrêmement pudique sur cette histoire. Et puis tout un tas d’autres projets, Rich grouille de projets. Il accompagne aussi Ginger sur l’Albion album, juste avant de rejoindre Michael Monroe en 2013. C’est Ginger en quittant le groupe de Michael Monroe qui recommande Rich. Il enregistre Horns & Halos avec Michael Monroe, mais il ne part pas en tournée avec eux car il a trop de casseroles sur le feu. On le retrouve ensuite sur les albums suivants. Rich ajoute qu’il a co-écrit les cuts de l’album solo de Sami Yaffa, The Innermost Journey To Your Outermost Mind. Tu trouveras tous les détails dans un Part Two. 

    Signé : Cazengler, ric et rac  

    Black Halos. How The Darkness Doubled. Stomp Records 2022

    Phil Singleton : Strike it Rich. Vive Le Rock # 92 - 2022

     

     

    Smog on the water

     - Part Three

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             En 2007, Smog devient Bill Callahan avec Woke On A Whaleheart. Au fil des albums, on aura l’impression constante de voir son énorme talent éclore.

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    Il attaque «From The River To The Ocean» à l’accent tranchant barytoné. C’est du pur Bill et il sait en jouer. Il a une voix et des ouvertures, alors c’est facile d’aller enregistrer des albums d’indie rock troublant. Il enchaîne avec «Footprints», un joli shoot de good time Callahan. Il a des chœurs de filles derrière lui, c’est vraiment plein d’esprit. Plus loin, il sature son «Sycamore» pour en faire une sorte de musicologie tourbillonnaire d’une extrême pugnacité. Bill est l’un des très grands artistes de notre époque. Il allie la pression extraordinaire des arpèges et une voix radieuse. Comme s’il envoyait des giclées de lumière dans le ciel. Fabuleuse présence encore avec «The Wheel». Il fait son La Fontaine dans «Day», disant qu’il faut écouter les animaux et les légumes. C’est aussi du Dylan à l’envers : il donne une leçon de choses. Mais il ne sera jamais Bob Dylan. Il arrive trop tard. Le temps des cerises est passé. Bill bourre sa dinde. C’est de bonne guerre. On l’aime bien, alors on le suit. 

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             Pour ses pochettes, il choisit désormais de belles toiles bucoliques, comme s’il recherchait la paix intérieure. La pochette de Sometimes I Wish We Were An Eagle nous montre des chevaux dans un pré. C’est bien de l’avoir au format vinyle, car on peut l’accrocher au mur pour décorer la pièce. On trouve trois pures merveilles sur l’album, à commencer par le «Jim Cain» d’ouverture de balda - Remember the good things - «The Wind & The Dove» vaut aussi le détour, c’est chanté au grain coloré de Callahan, et vertigineux de descentes de Dove. Il termine l’A avec l’excellent «Too Many Birds» - Too many birds in the tree - assez nonchalant, suivi au violon - If you could/ only/ stop/ your/ heart/ beat/ for/ one/ heartbeat - L’album est visité par la grâce. Il s’achève avec un «Faith/Void» monté sur les accords de «Walk On The Wide Side» - It’s time/ To put gun away - Il groove son time au ah ah de time, il a une façon de monter son couplet en neige qui est une pure merveille, il le fait déboucher sur un paysage orchestral de rêve, pas loin de ce que fait Lou Reed avec le tilili tiptilili, and the colored girls go, Bill le fait avec deux fois rien, avec seulement it’s time/ To put gun away, et il monte encore une quatrième fois, alors quel coup de génie ! 

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             Pour Apocalypse, il choisit une montagne. Il vise la pacification bucolique, comme le montre aussi «Baby’s Breath». Il ne fait que du petit intimisme de la vallée. Il s’amuse bien avec sa guitare et ses gentils amis. Il crée son petit monde en permanence comme le montre encore «America» - America/ You’re so grand and golden - Il y rend hommage à Kristofferson, Mickey Newbury et Cash. En B, il vise encore l’apaisement avec «Free’s» - I’m standing in a field/ A field of questions - Il nananate sa descente de couplet, il est parfaitement à l’aise - And the free/ They belong to me.

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             Encore une belle montagne sur la pochette de Dream River. Il reste dans son laid-back de velours tiède et dans l’extrême pureté avec son «Small Plane» - I really am a lucky man/ Flying this small plane - Il est en fait beaucoup plus mélodique qu’au temps de Smog. «Spring» sonne comme un slow groove de the spring is you. Il repart en plus belle en B avec «Ride My Arrow». Il a une façon géniale de rouler son ride my arrow dans la farine. Bill Callahan est un chanteur magnifique. Encore une très belle ambiance dans «Summer Painter». Il est suivi dans les prés enchantés par une flûte bucolique.

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             Comme son nom ne l’indique pas, Have Fun With God est un album de dub, ou plus exactement, une version dub de l’album précédent, Dream River. Le baryton est idéal pour le dub, il attaque «Thank Dub» au dumb dub, il plonge dans l’entre-deux du rien du tout, il tape le dub de l’espace, au point que sa voix s’y perd, comme celle de Major Tom. Tout n’est pas bon, sur ce dub disk. Il faut attendre «Small Dub» pour frétiller. Son petit biz crée la confusion : il fond son baryton dans le gras du dub. C’est encore plus pertinent avec «Summer Dub». Il surmonte son dub le temps qu’il faut. À travers cet exercice de style, il vise bien sûr la modernité. Il ramène pour ça les composantes indispensables : l’énergie et l’incongru. Tu as donc le beurre et l’argent du beurre. Dans «Call I Dub», on le sent par contre dépassé par les événements. Il perd la trace, il flotte, all day. Le groove le charrie comme une âme en peine. C’est d’un effet très spectral, très fantôme d’Écosse en Jamaïque. Encore plus étrange, voilà «Ride My Dub», il descend des escaliers dans les profondeurs du son, il va à la cave du dub. Et son dub n’a plus rien du dub, ça redevient du Bill. Son biz finit par le rendre prévisible. Mais comme il a beaucoup de chance, il se rattrape au vol, ride my/ ride my. Il s’amuse encore à pousser le concept du dub dans «Transforming Dub».  et il revient à son road is dangerous avec «High In The Mid-40s Dub». Impressionnant.

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             Shepherd In A Sheepskin Vest pourrait bien être l’un des meilleurs albums de Bill Smog. Il est en tous les cas chaudement recommandé. Pochette superbe, dessin d’inspiration onirique et rac, et très vite, on tombe sur une authentique Beautiful Song, «Writing». Il approche chacune de ses chansons avec un respect terrifiant, il chante en retrait, il recule dans sa magnificence, il va chercher des résonances on the mountain, il s’interroge, il se demande où sont passées les choses. Avec «The Ballad Of The Hulk», il fait vibrer le sucre de son baryton, il t’éclate doucement l’intimisme au maybe I should know. Il entre encore dans le chou du doux avec «Morning Is My Godmother» - Morning is my godmother/ Loving me like no other - Il semble à certains moments que son excellence nous dépasse. Il cultive ses mélodies à la ramasse de la traînasse. Son baryton devient lumineux sur «Son Of The Sea». Il y berce son fisherman. Avec l’élégie funèbre de «Circles», il sonne comme Nick Drake. Il atteint le sommet de l’apanage du baryton avec «Tugboats & Tumblebleeds», il joue sur toutes les facettes de son diamant noir, c’est-à-dire son baryton - And you/ You’re my tugboat too  !

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             Grand retour de notre barytoneur préféré avec Gold Record en 2020. Dès «Pigeons», il se prend pour Johnny Cash. Même Lanegan ne descend pas aussi loin dans le deepy deep. Bill Smog tape dans le gras du lard, il en abuse, c’est son fonds de commerce. Lanegan en faisait une œuvre d’art. Bill Smog en fait du Callahan. «Another Song» jette l’ancre dans le baryton. Bill Smog fait même du heavy baryton. Il fait son enchanteur poilu au coin du feu. «35» sonne comme un heavy drive de no way-out, et c’est avec «Protest Song» qu’on retourne dans les profondeurs, dans l’abîme d’aw my Gawd, ça s’éclaire au step aside son/ Somebody must die, il gratte dans la darkness extrême. Il en fait un chant de sorcier. Fascinant ! Tout aussi génial, voici «The Mackenzies». Bill Smog revient comme si de rien n’était. Il crée une magie ambiante assez extraordinaire, il te retourne son album comme une crêpe, tu reviens dans la cabane du sorcier, il te chante son cut du fond d’un baryton hitchcockien, it’s okay, son ! Avec «Breakfast», il n’a jamais été aussi heavy - Breakfast is my favourite meal of the day - Puis il rend hommage à Ry Cooder - Ry Cooder/ Is a real straight shooter - Quel hommage - Aw mister Guitah ! Cette belle parabole se termine avec «As I Wander». Bill Smog y crée du rêve. Avec une telle voix, c’est facile. Il y a de la magie de sorcier en lui. Il chante à la moelle maximale, dans l’essence du magic trick, il est là dans l’ombre, avec son baryton à la main, merveilleux sorcier, viril et si sensuel.

    Signé : Cazengler, Bill Callagland

    Bill Callahan. Woke On A Whaleheart. Drag City 2007

    Bill Callahan. Sometimes I Wish We Were An Eagle. Drag City 2009

    Bill Callahan. Apocalypse. Drag City 2011

    Bill Callahan. Dream River. Drag City 2013

    Bill Callahan. Have Fun With God. Drag City 2014

    Bill Callahan. Shepherd In A Sheepskin Vest. Drag City 2019

    Bill Callahan. Gold Record. Drag City 2020

     

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    Routes Of Rock. Les grands esprits se rencontrent toujours. La preuve : le magazine Rockabilly Generation News (N° 29) présente une interview et de superbes photos de Jean-Louis Rancurel consacrée à Danny Boy, je chronique illico dans la livraison 639, piqué par la tarentule de la curiosité et de la veuve noire du regret de cette carrière trop tôt arrêtée notre Cat Zengler préféré, ne cherchez pas les autres il est unique, nous fait un petit topo (livraison 640) sur les morceaux enregistrés par Danny Boy, alors que j’étais en train de méditer une chro sur les premières apparitions discographiques de Danny Boy, sous le nom de Claude Piron. Elle n’est pas restée dans les annales du rock’n’roll français, elle lui a pourtant valu le titre de premier rocker français. La place est prise, vous n’y accèderez jamais.

    CLAUDE PIRON

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    (Ducretet Thompson /460 V 418 / Mai 1958)

    Ce n’est pas encore la beauté des pochettes des super 45 tours des années 60 que le monde entier ( celui des collectionneurs) nous envie, n’empêche que son fond monochromique bleu n’est pas du tout désagréable, et notre Piron avec son nœud de cravate relâché et son col de chemise dégrafé devait apparaître follement débraillé à l’époque, pour vous en convaincre regardez les photos des surréalistes, l’a un abord des plus cool, l’a dû faire craquer plus d’une minette à l’époque, mais voici venu le temps de l’écoute. Je n’ai rien trouvé de bien précis sur Jany Guiraud et son Orchestre, non ce n’est pas un groupe de rock, au mieux imaginons une formation swing.

    Mon cœur bat : il ne bat pas à cent à l’heure, notre pionnier du rock commence par un slow qui ne casse pas les manivelles. Une belle voix, le meilleur c’est encore les cinq secondes d’intro avec la trompette qui fait whoua-whoua ( orthogaphe revendiquée par Molossa) et l’extro avec ses espèces de coups de cloches xylophoniques. C’est un original de George Aber, bientôt il sera le parolier attitré des yéyé, A coups de dents : beaucoup mieux en rythme, pas rock, mais jazz, des paroles du genre j’ai beaucoup vécu vous pouvez m’en croire, sur la fin il déploie une envie de jeune loup, c’est mieux. Pas non plus la hargne d’un blouson noir. Un coup de chapeau à Jany Guiraud, non ce n’est pas Ellington, mais ça s’écoute avec grand plaisir. George Aber est encore aux lyrics. Allez ! Allez : la preuve qu’il est bon, notre Cat Zengler sur sa chro d’une réédition de Danny Logan et ses pénitents lui applique l’adjectif  magnifique. Le jukebox est en panne : une version bien supérieure à l’original de Castel et Casti parue en 1958, faut dire que la voix de Claude Piron et l’orchestre de Jany Guiraud sont bien au-dessus de nos deux amuseurs.

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    (Ducretet Thompson /460 V 429 / Septembre 1958)

    Une pochette en régression, par rapport à la première elle paraît assagie, Piron semble avoir été mis au coin. Fais le beau mec coco, et ferme-là. Seul le fond rouge attire la vue.

    Viens ! : toujours  Jany Guiraud, le jazz band semble beaucoup plus rock que la voix de Piron, sans anicroche elle n’accroche pas, chante trop bien mais trop souveraine, il chante sur l’orchestre mais pas avec, mais il y a le sax et le batteur qui s’en donnent à cœur joie, étrangement le morceau sonne plus rock que l’original des Kalin’Twins plus près du jazz. Très en avance sur les productions des early french sixties, l’est vrai que l’on n’en pas est pas loin. Le docteur miracle : adaptation de Witch Doctor de David Seville and the Chipmunks, le genre de morceau rigolo pour ne pas dire stupide à la Itsi Bikini, Piron s’y jette dessus goulument, sa version est aussi bonne que l’originale en plus on comprend les paroles, non ce n’est pas du Flaubert, mais l’on apprécie encore plus. Hé ! Youla : encore un truc à la mords-moi-le-nœud, cette fois Piron articule les paroles sur la musique, l’orchestre balance à fond, est-ce du rock, est-ce du cha-cha, on s’en fout, on s’amuse, on s’éclate. D’où reviens-tu Billy Boy : une belle adaptation d’un traditionnel, le Piron vous la balance rondement, ça roule et ça tourne-boule, décidément ce deuxième disque de Claude Piron est un petit miracle, certes l’on est loin des Chaussettes Noires et des Chats Sauvages, et trop près des pitreries de Boris Vian et d’Henri Salvador, toutefois en huit morceaux l’on peut s’apercevoir du chemin parcouru. 

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    (Ducretet Thompson /460 V 453 / Mars 1959)

    Quelle pochette ! Pantalon de cuir moulant en premier plan, suggestion : rock ‘n’roll Animal, l’on ne peut pas s’empêcher de penser à Vince Taylor. Autre changement, Jany Guiraud est remplacé par Claude Vasori beaucoup plus connu sous le nom de Caravelli (et son Orchestre). Une de ses créations sera reprise par Frank Sinatra.

    La chanson de Tom Pouce : une niaiserie, Piron prend sa plus petite voix, hélas on le reconnaît, aucune magie fantaisiste n’émane de ce qui voudrait imiter la loufoquerie des nursery’ rhymes, une scie inepte qui ne mord pas dans le bois tendre de l’enfance. Incroyable mais vrai, la mélodie est signée de Peggy Lee. Plus grand : je n’ai pas voulu sur le morceau précédent charger la barque en critiquant l’accompagnement de Caravelli, mais là avec cette lavasse de jazz de prisunic, l’on regrette amèrement Jany Guiraud et son orchestre. Pirock ? : vous voulez rire, Pirogue variété échouée sur une lagune dépourvue du moindre crocodile. Dans la vie : je me suis accroché pour écouter jusqu’au bout. Piron dialogue avec les chœurs, les zamzelles sont enjouées mais l’ensemble sonne vieux, la Caravelli passe, les chiens trépassent. Oui mais plus tard : mais que pourrais-je écrire sur cette bluette insipide ? Rien. Quel contraste avec le précédent avec le disque précédent !

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    (Ducretet Thompson /460 V 459 / 1959)

    Sur la pochette Claude Piron a une mèche qui essaie de ressembler à l’accroche-cœur de Bill Haley, je ne pense pas que ce soit voulu, juste un petit côté négligé pour plaire aux filles qu’il regarde en souriant les manches retroussées et les avant-bras poilus.

    Mon amour oublié : attention à la base c’est des Teddy Bears, groupe monté de toute pièces par Phil Spector, au sommet arasé Claude Piron remplace Annette Kleinbard et ce qui au départ n’est pas un des plus étincelants  bijoux spectoriens devient une mièvrerie insupportable. Préférez la version live de Johnny qui n’est pas une merveille inoubliable non plus. Rock et guitare : le problème c’est qu’il n’y a pas de guitare mais Caravelli et ses boys imitent un peu le Fever de Peggy Lee en intro, se la jouent big band, heureusement que sur la fin les musicos se la donnent un peu. Et même beaucoup. Sing,Sing Sing : Piron a enfin compris que la voix doit danser comme le torero devant le taureau de l’orchestre qui déboule sur lui pour le tuer. Pour une fois le Caravelli a la niaque et joue le jeu des banderilles jusqu’au bout. Le big band bande. Faut dire que c’est une reprise de Louis Prima. Cha-cha-choo-choo : Aïe ! Aïe ! Aïe ! Un mambo qui ment beaucoup, du typique qui ne pique pas. Z’ont oublié d’électrifier la ligne du petit train, quant à la locomotive Piron elle fait ce qu’elle peut pour tirer les wagonnets surchargés de paroles insipides. Dans la série je pose zérok et je ne retiens rien ce microsillon est au haut de la pile.

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    (Ducretet Thompson /460 V 468 / 1959)

    Claude Piron transformé en Rastignac, pose en vainqueur sur les toits de Paris une mise en scène qui manque au Père Goriot de Balzac.

    Carina : l’on s’en doutait malgré l’entrée Big Band l’on tombe vite dans une espanolade très à la mode dans les années cinquante, beau boulot de la section cuivres, un solo de trompette hélas jivaroïsé, des paroles que les féministes d’aujourd’hui pourraient revendiquer, la belle voix de Claude qui surfe sur l’orchestre comme l’écume sur le haut de la vague. Je voudrais retrouver son pardon : une adaptation de Neil Sedaka, Piron aux lyrics, le titre un peu cucu la praline, mais le morceau a de la gueule avec son magnifique solo de trompette digne d’un western, mais non c’est une espèce de gospel-slow improbable, Piron s’en tire comme un chef, fallait oser une prière à la Sainte Vierge. Au final un miracle et une trompette crépusculaire. (On retrouve de temps en temps un vieux fond chrétien dans les lyrics de notre chanteur). Le monde change : l’on ne réussit pas à tous les coups, une énième bluette sans envergure, traduite de l’espagnol, peut-être vérité au-delà des Pyrénées, une erreur de ce côté-ci. Les cheveux roux : se la joue crooner, ni l’orchestre ni Piron n’ont l’air convaincu par cette chevelure bien peu baudelairienne, tiens l’adaptation est de Vline et Buggy qui travailleront pas mal avec Dick Rivers. Vline disparaîtra en 1962. Désormais sa sœur signera : Vline Buggy. Longtemps j’ai cru à une seule personne jusqu’à la lecture d’un article dans la très regretté Jukebox Magazine.

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    (Ducretet Thompson /460 V 481 / Mai 1960)

    Dernier disque sous le nom de Claude Piron. Nous quitte sur une pochette rock, assis sous des micros, une cigarettes à la main. J’ai bien peur que si ce disque soit réédité à l’identique un jour, la fautive cibiche soit remplacée par une fleur ou un morceau de ficelle. Pensez à notre saine jeunesse !

    Marion : question paroles c’est un peu l’antithèse de Carina, l’orchestre tout doux, des chœurs qui jouent les papillons, une chanson tendre, un original français, certes mais Piron malgré son application ne la rend pas inoubliable. Oh Carol : ni Chuck Berry, ni Rolling Stone, mais Neil Sedaka, Claude s’en tire bien, joue à merveille le romantique fatigué par une fille qui se donne trop vite, thème un peu scabreux, à l’époque la sexualité c’est un pas en avant et deux en arrière. C’est mignon, mais l’amour n’est-il pas un plat tonique. Tilt : tilt and twist, dansons devant le jukebox, pour le flot de guitares vous vous contenterez d’un joli solo de trompette, entraînant. Mais à la fin le flipper fait tilt. Mon amour tu me blesses : encore un de ces slows mid-tempo dont apparemment l’on raffola dans les années soixante… Rien de bien original, Piron a participé à la composition, preuve qu’il n’était pas rétif à ce genre qui a pris un sacré coup de vieux.

             Au total, je suis déçu, je pense   que Ducretet et Thompson ont dû freiner de quatre fers le dynamisme de leur chanteur… Faudra le déclic Hallyday pour balayer les miasmes de la variétoche française. Un gros regret : si au moins il avait pu garder la formation de Jany Guiraud, Caravelli a tendance à arrondir les angles de ses arrangements.      

             Pourquoi  Danny Boy spécialement, longtemps j’ai cru que c’était pour faire américain, puis  ayant entendu Johnny Cash chanter sur son album Orang Special Blossom un morceau intitulé Danny Boy, par des dizaines et des dizaine d’artistes  j’ai fini par apprendre que c’est un air que chantait un joueur de violon aveugle en Irlande dans la rue de Limerick auprès duquel une certaine Jane Ross collecta les notes mais oublia de noter le nom du violoneux… La scène se passait en 1851… en 1912 dans le Colorado une certaine Margaret Weatherly l’entend jouer par des immigrants irlandais, elle note la mélodie et l’envoie en Angleterre à son frère Frederick, compositeur qui avait écrit déjà sur une autre de ses mélodies un texte intitulé Danny Boy, le motif est simple et complexe : Danny Boy quand tu reviendras viens réciter une prière sur ma tombe mais qui est mort au juste : Danny Boy ou la personne qui l’attend… Fred Weatherly mettra ses paroles sur l’air envoyé par sa sœur, publié en 1913 le morceau devient un succès mondial… L’air de Danny Boy est aussi connu sous le nom de Londonderry Air.

             Pourquoi change-t-il de nom ? Est-ce la volonté de sa nouvelle maison de disques Ricordi, sise en  Italie, à l’origine il s’agit d’une maison d’édition dont le fils de l’éditeur deviendra compositeur de musique, la maison éditera des partitions, en 1959 le monde culturel bouge, Ricordi fonde Dishi Ricordi en 1959, ils ont senti le vent, leur premier catalogue sonore. Aujourd’hui il me semble que la maison est retournée à ses premières amours : musique classique.

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    A trente-trois ans, Danny Boy jettera l’éponge et reprendra son boulot de poissonnier. Vous avez sur You Tube une vidéo très courte : Interview de Danny Boy, pionnier du rock en France, redevenu poissonnier qui fait mal au cœur, Danny Claude débite ses poissons, il sourit, il reconnaît que la reconversion a été dure, une femme deux enfants, la vraie vie affirmeront certains, je crains qu’il ne soit pas d’accord avec eux.

    Danny reviendra en 2004. Sur la vidéo : Danny Boy ‘’ Au Revoir les Amis’’ de Claude Routhiau le voici sur scène en 2007 à l’Olympia, l’on assiste aux coulisses, aux répètes, à des extraits du film  De la difficulté d’être infidèle, il interprète deux morceaux : C’est tout comme et Danny Boy, l’a les cheveux blancs et un peu grossi, n’a plus la pétulance de sa jeunesse mais il se débrouille bien. Le genre de truc qui ne vous rajeunit pas.

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    Pour les nostalgiques regardez : Hommage à Danny Boy au Cirque Pinder. En 1962 Danny Boy et ses Pénitents donnent plus de trois cents représentations avec le Cirque Pinder, rock et cirque deux arts consanguins. Le 4 décembre 2009 il revient chanter, accompagné par le groupe Guitar' Express en hommage à Roger Lanzac, créateur de l’émission tél& La piste aux étoiles. Du beau monde, Moustique, Vic Laurens, Hector, Joe Zitoune…

    Danny Boy né en 1936, un an après Presley, disparaît au mois d’août 2020, l’aura vécu puis perdu son rêve pour finir par le rattraper, ce qui n’est pas donné à tout le monde.

    Damie Chad.

     

     

    THUMOS / COMMUNIQUE

    ( Fond noir : communiqué de Thumos / Fond bleu notre commentaire)

    Thumos est un groupe de metal instrumental et même d’instrumetal. Nous venons de forger ce mot qui nous semble méritoire. Ce n’est pas un jeu de mot valise pour rappeler bêtement que Thumos est un groupe de metal instrumental, étymologiquement parlant il se doit d’être divisé en trois fractions : instru / meta / l. L’élément ‘’ meta’’ est à prendre comme l’élément grec ‘’meta’’ qui signifie ‘’après’’ et qui a servi à forger le mot grec metaphysis, métaphysique en français, inventé pour désigner l’ensemble des écrits d’Aristote qui traitaient de sujets relatifs à la physique mais qui portaient davantage sur des notions idéelles que sur la concrétude des règnes minéral, botanique, animal… Paul Valéry définissait la poésie comme l’alliance du son (musicalité des mots) et du sens.  Thumos ne s’exprime que par le son. Mais qu’y a-t-il après le son ? Normalement devrait sourdre du sens. Comment ? De quelle manière peut-on l’appréhender ? Certes un son violent peut signifier la colère ou la tempête, et un son tout doux la tendresse, le calme et la tranquillité, mais jugez de la difficulté des compositeurs lorsqu’ une œuvre essentiellement instrumentale se présente comme une évocation d’un dialogue de Platon…

    Nous avons parfois des faux départs en adaptant ces dialogues platoniciens en musique instrumentale. Nous avons toujours su que l’Atlantide serait délicate, car parmi tout ce dont Platon parlait, c’est la seule histoire que tout le monde connaît depuis des millénaires. Il a été adapté d’innombrables fois sur différents supports et même s’il est largement accepté comme étant entièrement inventé, cela n’a jamais empêché les gens de le rechercher pendant des milliers d’années.

    Il est une difficulté particulière, souligne Thumos, lorsque l’on décide d’adapter en musique certains dialogues de Platon, tout le monde a entendu parler de l’Atlantise, cette île mirifique, sur laquelle chacun a comme Platon sa petite idée sur le sujet…  Thumos se propose ainsi d’indiquer quelques nouvelles pistes de réflexions et d’écoutes de certains de ses disques.

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    Notre EP 2023 « Musica Universalis » n’est pas seulement basé sur Johannes Kepler mais aussi une version alternative du dialogue Timaeus. Timée aborde de nombreuses idées scientifiques que Kepler développera plus tard dans certaines de ses œuvres les plus connues telles que Mysterium Cosmographicum, Astronomia Nova et Harmonices Mundi. Et bien sûr, le titre bonus Anima Mundi est l'âme du monde dont Platon parlait dans le Timée.

    Nous avons évoqué dans notre livraison 611 du 14 / 09 / 2023 Musica Universalis, cette notion de version alternative du Timée nous agrée. C’est un des dialogues les plus difficiles, la réputation n’est pas usurpée, de Platon. Si la rencontre Kepler-Platon était un match de foot, nous ne saurions les départager quant à leur niveau de difficulté, autant de buts pour les deux camps et balle au centre. Si Kepler procède de Platon, notre philosophe procède de Pythagore et celui-ci des nombres. Eclaircissons notre abrupte formule : pour l’inspirateur de Platon toute chose procède d’un nombre, disons qu’une chose donnée n’est que la manifestation d’un nombre. Platon nous dira que toute chose est la manifestation d’une idée. Une idée n’étant qu’une forme la tentation est grande de rechercher dans les choses essentielles et élémentales, non pas le nombre dont elles sont l’expression, non pas l’idée (que seule l’âme humaine peut contempler après la mort du corps dans lequel elle était enfermée) mais la forme géométrique que l’esprit peut appréhender mentalement, dessiner et même construire, par exemple avec du bois pour la représenter. Ainsi dans les petites classes l’on vous apprend à construire à l’aide d’une feuille et un tube de colle un cube. Maintenant amusez-vous à construire un isocaèdre qui possède vingt faces, vous vous rendrez compte que les douze sommets de votre isocaèdre touchent à la paroi de la sphère dans lequel vous l’enfermerez. Or Kepler a travaillé sur les planètes sphériques qui tournent autour du soleil à des vitesses différentes. Son travail a consisté à vous expliquer mathématiquement pourquoi… Vous vous dites que tout cela est plutôt complexe et que vous n’arriverez jamais à comprendre la logique de ces démarches. Platon vous rassure, il existe de par le monde une espèce de réseau intelligible qui englobe toute chose qu’il appelle l’âme du monde. Si votre esprit parvient à appréhender un des ‘’ filaments subtils’’ de ce réseau vous n’avez plus qu’à suivre… Il ne vous reste plus qu’à lire le Timée.

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    Notre EP 2021 « Nothing Further Beyond » est une description ancienne de ce que l’on croyait se trouver au-delà du détroit de Gibraltar, alias les piliers d’Hercule. Seulement de l'eau. Cependant, il a également été décrit comme étant l'emplacement général de l'Atlantide. Le titre Nothing Further Beyond ainsi que les deux premiers titres The Ecumene (le monde habitable connu) et The Pillars sont tous des clins d'œil à l'Atlantide. Dans l’ensemble, c’était une première version du dialogue Critias.

    Nous avons pour notre part chroniqué Nothing Further Beyond, ainsi que tous les enregistrements précédents de Thumos et ceux opérés sous le nom de Mono No Aware dans notre livraison 542 du 17 / 02 / 2022. Nous avions bien sûr noté la référence à Atlantis, mais n’avions pas compris explicitement compris qu’il s’agissait d’une première tentative de transcription du Critias. Il s’agit évidemment d’une réflexion sur les limites du monde telles que pouvaient les appréhender un grec du cinquième siècle. Cette notion de limite a obsédé l’antiquité, n’oublions pas la notion de limes consubstantielle à l’étendue de l’Imperium Romanum. Mais je voudrais attirer l’attention sur un auteur espagnol Javier Negrete, il a d’ailleurs écrit (comme par hasard) un roman non traduit en français Atlantida, mais je vous recommande s deux autres de ses livres consacrés au personnage d’Alexandre le Grand, question de repoussage des limites l’élève d’Aristote  fut un spécialiste.  Le premier roman Alexandre et les aigles de Rome ne nous intéresse guère pour notre sujet, quoique si on y pense… par contre le deuxième Le Mythe d’Er, rappelons que la République de Platon se termine sur l’exposition et le développement de ce mythe, est à lire en relation avec ce dialogue et notamment le dernier morceau de Nothing Further Beyond intitulé The Great Best. Le mythe d’Er traite du dernier voyage d’Alexandre Le Grand. Ces deux romans sont publiés aux éditions de L’Atalante. Avec ce dernier mot nous touchons à un autre mythe aussi fascinant que la Cité d’Atlantis, celui de l’Arcadie…

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    Le morceau intitulé He Spake Thus de « Tyrants at the Forum » de 2023 est une citation de la fin de Critias. Cela aurait conduit soit à la conclusion de Critias, soit éventuellement à l'hypothétique dialogue d'Hermocrate.

    Nous avons chroniqué Tyrants at the Forum dans notre livraison 611 du 14 / 09 / 2023. Le thème est beaucoup plus facile à comprendre. De la géométrie dans l’espace nous déclinons sur le plan politique. Atlantis est-elle tombée à cause par la faute de ses dirigeants…Pour Platon une Cité ne peut s’écrouler que par l’impéritie de ses élites. Ou la volonté des Dieux, mais ceci est une autre affaire. Il est nécessaire de comprendre que lorsque Platon cherche à définir les lois d’une République idéale, il pense avant tout à Athènes. Chacun balaie devant sa porte, Thumos n’évoque la fin d’Atlantis ou d’Athènes, mais ne parle que de leur pays souvent défini comme  la plus grande démocratie du monde. Selon Thumos, les Etats Unis sont de plus moins en moins démocratiques et de plus en plus mal dirigés…

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    Pour aller plus loin en 2022, lorsque nous avons discuté pour la première fois avec notre ami spaceseer d’une collaboration, l’idée initiale était de couvrir l’histoire de l’Atlantide. À un moment donné, l'idée s'est transformée en The Course of Empire et a pris une direction légèrement différente, mais l'expérience globale de cet album collaboratif est toujours essentiellement la même histoire que celle d'Atlantis. L'ascension et la chute d'une puissance mondiale.

    Nous avons chroniqué The Course Of Empire dans notre livraison 563 du 25 / 08 / 2022. Peut-être certains de nos lecteurs sont-ils d’irrémédiables optimistes, les USA traversent une mauvaise période mais cette crise passagère s’arrêtera et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes pensent-ils. Thumos ne partage pas cet optimisme indécrottable. Sont au contraire d’un pessimisme absolu. Les USA ne sont pas entrés en une simple récession, la situation est beaucoup plus grave, le pays aborde la pente d’un déclin civilisationnel, si vous n’y croyez pas remémorez-vous la fin de l’Imperium Romanum...

    Voyez où peut conduire la lecture de Platon, ne versez pas des larmes de crocodile sur la grande Amérique, pensez plutôt au destin de la petite Europe…

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    Le cortège s’ébranle doucement. Plus de deux cents micros et caméras de télévision sont tendus vers Géraldine Loup, j’avoue que j’ignore tout d’elle, dans la bousculade je parviens à saisir la question d’un journaliste :

             _ Géraldine, vous avez tourné dix-huit films et tous les dix-huit ont été au numéro 1 au Box-Office, pour le suivant vous comptez faire mieux ?

             _ Oui bien sûr, je pense que le prochain se classera tout devant, en position Zéro !

    Elle n’a pas l’air bête la manzelle, une fûtée, j’aimerais bien la voir de près, les photos des magazines sont souvent menteuses, elles vous transforment un laideron en princesse. Je me suis déjà rapproché un maximum, je suis dans le deuxième cercle, mais un double rempart de gardes du corps reste infranchissable. Dans ma poche, j’ai la main sur mon Rafalos, j’ai calculé que si j’en abattais quatre, j’aurais assez de place pour me glisser auprès d’elle. Oui je sais c’est risqué, et aléatoire car une fois tout près d’elle me regardera-t-elle seulement. J’entends les lecteurs qui crient : ‘’  N’y va pas Damie, reste avec nous, n’oublie pas que la mort marche à tes côtés !’’ . L’est sympathique le lectorat mais si je n’y vais pas il sera le premier déçu si je ne parviens pas à accomplir le plan Z ! J’essaie de garder la tête froide et de supputer mon taux de réussite, je finis par conclure : même avec une seule chance sur mille il faut le tenter.

    Ne me traitez ni de tête brûlée si je fonce, ni de poule mouillée si je n’ose pas. les cabotos décident de trancher dans le vif de ce dilemme cornélien, Molossa appuie deux fois sur mon mollet. Je comprends qu’ils vont passer à l’action, je défais leur laisse je n’ai pas longtemps à attendre. Molossa plante sauvagement dans le bas de la jambe de la première armoire à glace. Fait Aïe ! Aïe ! AïE ! tout le monde s’en fout car bien plus aigüe, et plus forte qu’une sirène d’usine la voix plaintive de Molossito perce le tumulte : Tchik ! Tchik ! Tchik ! l’a dû être acteur de cinéma dans une autre vie, il s’est lestement faufilé entre les pieds d’un barbouze et traîne la patte comme si le gars lui avait écrasé les coussinets. Il couine, il pleure, des voix s’élèvent :

             _ La pauvre bête ! Blessée par cette grosse brute ! Il l’a fait exprès !

    Le groupe scandalisé a cessé d’avancer, Géraldine Loup tend la main, la foule devient muette comme un banc de carpes dans le grand bassin du parc du Château de Fontainebleau, pas très loin de la Cour des Adieux :

             _ Un petit loup estropié ! c’est terrible mettez le pays en alerte rouge ! mais où est le propriétaire !

    Lorsque je me présente Molossito a déjà posé sa tête sur le décolleté de l’actrice. Eblouissante, mille fois plus que sur la couve du magazine Elle, je le reconnais : avec Molossito ou pas, cette fille a du chien ! Molossa s’accroche à la robe de Géraldine en geignant.

             _ La pauvre maman qui avait perdu son fils, ah c’est instinct maternel ! Ils sont adorables !

    J’en profite pour m’immiscer dans la conversation :

             _ J’avoue qu’ils sont gentils, un peu imprudents aussi, ils voulaient à tout prix vous voir, ils vous aiment tant, normal vous êtes si intelligente et si humaine, quand je pense que vous perdez du temps avec ces deux ostrogoths !

             _ C’est rigolo le surnom que vous employez !

    La glace est rompue, nous discutons à tout vat, sans faire attention au remue-ménage autour de nous…

    66

    Bavardant sans cesse nous arrivons toujours à pied, devant le Ritz, nous partîmes cinq-cents et maintenant par des renforts successifs nous sommes bien cinq mille. D’un geste de la main, une nouvelle fois Géraldine obtient le silence la foule :

             _ Je tiens à remercier le peuple de Paris qui m’a si gentiment reçu. Je vais vous quitter, hélas, je suis un peu fatiguée je vous l’avoue, des deux mains elle envoie des bisous, tenez Monsieur je vous rends votre trésor !

    Elle n’a même pas le temps de décoller de son décolleté Molossito qu’il se met à pousser des cris de détresse à fendre une porte de prison.

             _ Je crois qu’il a soif, venez avec moi Monsieur nous allons lui donner à boire, le pauvre petit !

    Pour la remercier Molossito lui lèche le haut du sein. Je trouve qu’il exagère !

    67

    Je peux en témoigner Géraldine Loup aime les animaux. Les chiens ont bu dans deux coupes de cristal, mais elle a décidé qu’ils avaient faim, depuis l’interphone de sa suite elle a demandé qu’on leur porte deux énormes cuissots de biche. Les canidés les ont dévorés jusqu’à l’os qu’ils n’ont même pas la force de croquer. S’endorment tous les deux les quatre pattes en l’air, sur la moquette aussi épaisse que l’herbe bleue du Kentucky.

             _ Vous ne pouvez pas partir maintenant, ils seraient malheureux si par hasard vous n’étiez pas là demain matin à leur réveil. Je vous invite dans ma chambre. Savez-vous Damie que vous êtes le premier homme qui m’ait dit que j’étais intelligente, et puis dès que je vous ai vu, votre costume, votre coiffure, vos rolex, j’ai compris que vous étiez celui que je cherchais depuis toujours.

    68

    J’acquiesce, mais au fond de moi j’hésite je dois être près du Z du plan Z et la mort marche à mes côtés. Un sophisme rassurant balaie mes appréhensions, tant que nous serons couchés elle ne pourra pas marcher à mes côtés. J’aviserai demain matin.

    Géraldine fut délicieuse, une véritable louve. Pour ma part j’ai tâché d’être à la hauteur, sans forfanterie je puis dire qu’elle a apprécié mon pénis elbow, de ma Durandal j’ai fendu à plusieurs reprises, neuf fois comme Victor Hugo le soir de ses noces, le rocher friable de son sexe.

    69

    A peine avions-nous franchi le seuil du Ritz une meute de journalistes se jeta sur nous, une triple haie de gardes du corps dut s’interposer. En passant devant un kiosque à journaux je fus stupéfait toutes les unes affichaient en gros notre photo surmontée de gros titres style : GERALDINE TROUVE L’AMOUR A PARIS…

    Molossito lui avait retrouvé sa place sur le sein de Géraldine… Je ne savais pas au juste où nous allions mais cela m’importait peu. Premièrement j’étais aux côtés de Géraldine ce qui ne me gênait pas, mais de l’autre côté la mort marchait à mes côtés. Le nez de Molossa ne quittait plus mon jarret.  Je n’étais peut-être pas à le lettre Z, mais certainement au Y. Des passants criaient bonjour, sortaient leur portable pour immortaliser l’instant. Il y avait un truc qui me turlupinait, je cherchai dans ma tête, mais je ne trouvais rien. Si un détail. Les gardes du corps avaient changé. Nous entouraient de près, ne nous laissaient pas d’espace, une équipe de bras cassés qui manque d’entregent et d’habitude.

    70

    La voix de Géraldine me tira de mes réflexions :

             _ Damie, tu as senti cette odeur bizarre, c’est quoi ?

    Je sursautai :

             _ Rien, rien, tu sais les poubelles à Paris… Ce n’est rien, ne t’inquiète pas !

    Molossito avait relevé sa tête. Il avait reconnu le délicat fumet du Coronado. Molossa grogna. Vite mon Rafalos ! Je glissai la main dans ma poche, il n’y était plus. Un des gardes du corps se rapprocha et me glissa à l’oreille :

             _ Ne le cherchez pas, c’est moi qui l’ai !

    Ce furent ces dernières paroles, une balle du Chef lui explosa la tête, Molossa récupéra le Rafalos dans la poche de son cadavre qui était tombé à terre, je me plaçais en protection devant Géraldine, le Chef était juste derrière elle. La fusillade ne dura pas plus de trois minutes. Journalistes et fans de Géraldine disparurent, la vingtaine de gardes du corps qui avaient sorti leur pétoire n’étaient pas des as, des demi-sel résuma plus tard le Chef alors qu’il comptait la vingtaine de morts entassés sur la chaussée. Nous n’étions plus que trois, Géraldine pleurait nerveusement entre mes bras.

             _ Chef, je crois bien que nous sommes arrivés au bout du plan Z !

             _ Agent Chad arrêtez de dire n’importe quoi !

             _ Enfin Chef, nous avons gagné !

             _ Agent Chad je vous ai prévenu que la mort marchait à vos côtés, or je ne la vois pas, cette histoire est loin d’être terminée !

    A suivre…

            

  • CHRONIQUES DE POURPRE 640: KR'TNT 640 : BOB CREWE / FLAT DUO JETS / SAY SHE SHE / DANNY BOY ET SES PENITENTS / MIGHTY SAM / GRUFF RHYS / BILL CRANE / BLOUSONS NOIRS / NOMAD / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 640

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 04 / 2024

     

    BOB CREWE / FLAT DUO JETS / SAY SHE SHE

    DANNY BOY ET SES PENITENTS

    MIGHTY SAM / GRUFF RHYS

    BILL CRANE / BLOUSONS NOIRS

     NOMAD / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 640

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

    - Motley Crewe

    (Part One) 

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             Aussi curieux que cela puisse paraître, il existe dans le commerce un très beau livre d’art consacré à Bob Crewe.

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    Comme c’est un Rizzoli, il est imprimé à Hong-Kong. Tu ne bats pas les Hong-Kongais à la course du print. Comme Crewe est un peintre abstrait, un forcené de la matière, comme le fut Dubuffet sur le tard, les printers asiatiques ont sublimé l’art du print et donné la parole aux encrages du kaolinage. Même si ces grandes doubles pages abstraites ne sont pas spécialement ta came, cette matière vivante te parle. Te voilà confronté à un choc esthétique, l’indicible secousse te rappelle les coups portés jadis par Dubuffet ou Andy Warhol à Beaubourg. Tu déambulais, et au coin du bois, un loup te chopait, que ce soit l’Elvis géant de Warhol ou le Leautaud rehaussé au sable de Dubuffet. Tu t’en ravinais la cervelle jusqu’à la nausée. Tu errais hagard, un filet de bave au coin de la bouche ouverte.

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             Bon, alors trêve de balivernes. Si tu chopes cet art book, ce n’est pas pour les beaux yeux de Crewe, ni pour son œuvre abstraite, qui s’en va inexorablement se noyer dans l’océan de l’abstraction, tu le chopes pour lire l’essai qu’Andrew Loog Oldham consacre à Bob Crewe.

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             Pour le situer rapidement, Bob Crewe est un producteur new-yorkais connu et célèbre pour avoir lancé Frankie Valli & The Four Seasons, c’est-à-dire les Beach Boys du New Jersey. Dans l’excellent Jersey Boys tourné par Clint Eastwood en 2014, on croise Bob Crewe dans les couloirs du Brill. Le travail de reconstitution est exemplaire, Clint fait de Crewe un personnage un peu extravagant, bien conforme à la réalité. On voit Tommy DeVito, Frankie Valli et Bob Gaudio frapper aux portes au Brill, et boom sur qui qu’y tombent ? L’ange blond de la fatalitas, Bob Crewe, qui les prend immédiatement sous son aile de wonder boy extraverti. Crewe commence par leur demander de chanter des backing vocals et ne commence à les prendre au sérieux que lorsqu’ils deviennent officiellement les Four Seasons et qu’ils proposent «Sherry». Crewe les enregistre et boom, c’est un hit. Et c’est parti mon kiki !

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             Oldham a connu Bob Crewe. Bizarrement, il ne lui consacre pas de chapitre dans Stone Free. Il profite de cet art book pour combler la lacune. Il commence par rappeler qu’il appréciait Crewe avant de le rencontrer au Dakota. Il explique qu’à 14 ans, alors qu’il vivait encore chez sa mère, il épluchait les crédits des singles qui lui plaisaient, et il cite en exemple le «La Dee Dah» de Jackie Dennis paru en 1958 - A caribbean infected falsetto that appealed to absolute beginners such as me - Oldham rappelle encore qu’avant le succès de Frankie Valli avec «Sherry», Crewe et son complice Frank Slay Jr. collectionnaient déjà les hits : «Silhouettes» par The Rays (1957), «Tallahassee Lassie» par Freddy Cannon (1959) et la version originale de «La Dee Dah» par Billy & Lillie. En matière d’histoire du rock, Oldham est l’homme qu’il faut lire, car il globalise à la manière de Chateaubriand. Il cite ce couple of years entre le moment où Elvis est revenu de l’armée et où les Beatles se préparaient à envahir l’Amérique, «greasers ruled - particularly if they could sing like doo-wop angels.» Il s’agit bien sûr des Four Seasons from New Jersey et de Dion & The Belmonts from the Bronx - New York City was the ‘home of the hits’ - Oldham parle même d’une «intersection between Sex and Song».

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             Et comme il sait si bien le faire, il met le turbo : «Bob Crewe and Phil Spector stand alone at the top of this mountain that made the sixties possible. La réussite de Bob est d’autant plus remarquable qu’après le couronnement des Beatles à l’Ed Sullivan Show, tous les early 1960s vocal groups ont disparu des charts, sauf  les Beach Boys et les Four Seasons. Spector a atteint la grandeur exclusivement via the rhythm and blues side, alors que la créativité protéiforme de Bob lui a permis d’aller jusqu’à Bobby Darin, en lançant un pont par-dessus le flower power, le garage et la disco.» Oldham poursuit ce puissant parallèle : «Alors que Spector avait tendance à se réfugier au fond d’un terrier pour disparaître de la circulation, Bob menait la grande vie au Dakota, une grande vie que lui enviait Andy Warhol.» Oldham enfonce son clou en affirmant que Bob était beaucoup plus qu’un producteur à succès, «he was La Dolce Vita lipsynched by an American blonde. What Bob and Hefner shared with Iggy Pop was a voracious lust for life.» Et puis voilà un autre parallèle révélateur : «He was driven but not obsessive. Like me, Bob had fun getting it done and was ‘happy to be part of the industry of human happiness’ as the song goes.» Oldham ressort ici le vieux slogan d’Immediate Records. Il rappelle à la suite que lorsque les Stones furent number one en 1965 avec «Satisfaction», Bob avait six cuts dans le Top 40 américain, et quatre dans le Top Ten - With artists like Diane Renay and the Bob Crewe Generation, 1964 and 1966 were equally successful years for Bob.

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             Et puis bien sûr, il y a Mitch Ryder. Pour recréer l’«explosive live act» de Mitch Ryder & the Detroit Wheels, Bob, nous dit Oldham, utilisait en studio des session men aguerris. Il faut se souvenir que dans ses mémoires (Devils & Blue Dresses: My Wild Ride as a Rock and Roll Legend), Mitch Ryder n’est pas tendre avec Bob. Un Bob qui essaya d’en faire un artiste solo, une sorte de «rock’nroll to Las Vegas crossover», idée qui déplut profondément au greaser Ryder, qui préféra quitter le navire. La même année, Bob fait «Lady Marmalade» avec Labelle - Showbusiness with a capital $ - Il passe à la diskö avec les Sex-O-Lettes, et Jerry Wexler le supplie d’aller enregistrer un album solo à Muscle Shoals, le fameux Motivation qui sort sur Elektra, en 1977. Roger Hawkins, Barry Beckett et David Hood l’accompagnent. Les background vocals sont overdubbed à Hollywood, avec notamment Curt Boettcher. L’auteur de «Suspicious Minds» Mark James fait aussi partie du projet, puisqu’il co-écrit trois cuts avec Bob, dont le morceau titre et «Another Life».

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             Alors oui, ça vaut vraiment la peine de choper ce Motivation, car Bob est fin au chant. On sent le fils du Brill. Ça prend vite une belle tournure avec «Give It Hell» lancé à l’orgue d’église. Bob évoque son daddy. Il est capable de grosses compos - Till you find love - Il ramène Broadway dans le gospel blanc ! C’est un producteur extraordinaire. Tout ce qu’il entreprend atteint à la démesure. Il rapatrie dans ses cuts les pires violonades de son temps. C’est sur-produit. Il ré-injecte du gospel blanc dans «It Took A Long Time (For The First Time In My Life)», Bob y va de bon cœur avec son génie productiviste, c’est bourré d’énergie, saturé de chœurs, oui, en vérité, Bob est un magicien. Et ça repart de plus belle belle belle en B avec «Mariage Made In Heaven» - Wake me up with the sound of your voice - C’est de la romantica de gorge profonde, Bob mise tout sur la prod et ça devient énorme - Thank God my love/ You’re mine - Le son scintille. Encore jamais vu ça ! La fête continue avec la rumba de «Something Like Nothin’ before», tu te lèves et tu ondules avec ta poule jusqu’à l’aube. Puis il s’embarque tout seul pour Cythère avec «In Another Life». Power vocal indescriptible ! Il faut arrêter de prendre Bob pour une brêle. C’est un puissant bélier et cet Elektra est un must. Bob est un maître du grandiose, une sorte de Cecil B. De Mille de la pop new-yorkaise. Jerry Wexler qualifie Motivation ainsi : «an example of cosmic improbability». Rien de plus vrai. 

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             Il existe un autre Elektra de Bob paru l’année précédente, qui vaut lui aussi le détour : Street Talk. Il enregistre cette fois sous le nom de The Bob Crewe Generation. Après un départ en mode diskö, il recale tout avec «Menage A Trois», un groove de chèvre chaud, bien jivé dans la nuit urbaine - Voulez-vous danser avec moi ce soir - Il fait la diskö des jours heureux. Très intriguant, véritable machine à remonter le temps. On sent clairement l’hédoniste en lui, et même le futuriste. C’est très spectaculaire ! Bob chevauche le dragon de l’heavy diskö new-yorkaise. Il sait exactement ce qu’il fait, avec le morceau titre. Il reprend le chant sur «Welcome To My Life». C’est du très haut niveau. Il vise l’extrapolation orchestrale. Il est l’un des rois américains du son. Il termine cet album étonnant avec «Time For You And Me», un enchantement.

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             Donald Albretch signe le deuxième essai de l’art book : ‘The worlds of Bob Crewe’. Cette fois, l’auteur met le paquet sur la bisexualité de Bob. Comme il est beau et blond, il attire les regards et les convoitises - I began rather rapidly to get the picture. I mean, I was sought after. And I would be aware of it - Bob vient d’un milieu pauvre et il va devenir riche. Il devient mannequin pour l’Hatford Agency, il devient «the ideal all-American boy-next-door in advertisements for Coca-Cola and other popular brands.» Il attaque sa carrière de songwriter en 1953, en collaboration avec Frank Slay Jr. «Silhouettes» par The Rays se vend à un million d’exemplaires et sera repris par les Herman’s Hermits en 1965.

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    Photo d'Otto Fenn par Andy Warhol

             Deux mentors prennent Bob en main : Austin Avery Mitchell et Otto Fenn, qui non seulement développent son talent de chanteur, mais lui font découvrit le monde de l’art. Bob est tout de suite fasciné par Dubuffet, auquel il emprunte la formule «Texturology». Otto Fenn était photographe à l’Hatford Agency. C’est lui qui photographie l’appart de Crewe à New York en 1956 : en se croirait chez un Des Esseintes des temps modernes. Un dandy lit un canard accoudé sur une commode, on pense bien sûr à Robert de Montesquiou, et derrière lui, l’immense mur est couvert d’œuvres d’art de toutes tailles. Otto Fenn est un proche d’Andy Warhol qui est alors en phase de démarrage. Warhol pose pour Fenn. Ce sont les racines de la plus grande révolution artistique new-yorkaise, celle qui allait donner la Factory et le Velvet. Albretch rappelle qu’Otto Fenn a joué dans cet avènement un rôle considérable. 

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             À la fin des sixties, Bob sat on top of the world, nous dit Albretch. Comme tous les gens de sa génération confrontés à la gloire, Bob tape dans la dope, l’alcool et la liberté sexuelle. Après avoir organisé des fêtes somptueuses au Dakota, il s’installe dans un «Fifth Avenue penthouse triplex that he fills with music and a very personal assortment of magnificent loot.»  Il est au summum de la décadence artistique new-yorkaise. Et comme ça ne marche plus trop à New York dans les seventies, il part s’installer à Los Angeles et bosse comme executive producer pour Motown. Il produit notamment Bobby Darin et Frankie Valli. Albretch indique aussi que Jersey Boys rend plus hommage à Bob Gaudio qu’à Bob Crewe, qui est pourtant le père fondateur des Four Seasons. Oui, Gaudio compose, mais le son, c’est Crewe. De la même façon que pour les Ronettes et tout le tremblement, c’est Totor.

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             Dans le booklet de Whatever You Want - Bob Crewe’s 60s Soul Sounds, Ady nous dit que Bob Crewe est surtout connu pour ses productions de Frankie Valli & The Four Seasons, mais aussi de Mitch Ryder & The Detroit Wheels (qu’il avait signés sous contrat). Il a aussi produit des poids lourds de la Soul new-yorkaise, comme Chuck Jackson, Barbara Lewis, Ben E. King et Jerry Butler, ainsi que des starlettes comme Lesley Gore et Ellie Greenwich. Bob Crewe confie ceci à David Ritz : «I was more influenced by rocking rhythm and blues, LaVern Baker, Ivory Joe Hunter, Joe Turner - The soulful sincerity of black music and heavenly harmonies of doo-wop moulded me.» Bob Crewe était surtout un dénicheur de talents et un compositeur/producteur. Ken Charmer rappelle que Crewe avait installé son quartier général au Dakota. Après un break, il est revenu en force dans les seventies en bossant pour Motown, notamment avec Bobby Darin et Frankie Valli. Puis LaBelle. «Lady Marmalade», c’est lui !

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             Deux grosses poissecailles se planquent dans la belle compile Kent, Whatever You Want - Bob Crewe’s 60s Soul Sounds : Frankie Valli et Walter Jackson, un Walter Jackson déjà repéré sur la compile qu’Ace consacre à Chip Taylor. Jackson attaque «Everything Under The Sun» du coin du nez. Superbe Soul Brother d’OKeh. On a tout de suite du son avec Frankie Valli & The Four Seasons et «I’m Gonna Change», puis «(You’re Gonna) Hurt Yourself». Frankie est le killer, il arrive sous le groove, il agit en white nigger. Il est l’un des rois de la Northern Soul, ne l’oublions pas. Parmi les révélations, voilà Lainie Hill et «Time Marches On», pur génie pop, trois singles et puis s’en va. Autre choc esthétique : Billie Dearborn et «You Need Me To Love You». Elle chante à l’accent fêlé et c’est une merveille inexorable. Encore deux énormités : Dey & Knight avec «Sayin’ Something» (ils visent le Totor du Lovin’ Feeling), et Lynne Randell avec «Stranger In My Arms» (heavy pop des enfers de New York City, belle blanche succulente). Plus connue, voilà Dee Dee Sharp avec «Deep Dark Secret», un énorme tatapoum de popotin, bardé de son jusqu’au délire. On croise aussi l’immense Chuck Jackson avec «Another Day»», il a du son et il a du poids. Retrouvailles encore avec Kenny Lynch et «My Own Two Feet», si popy poppah. Bien connu de nos services, voilà Mitch Ryder & The Detroit Wheels avec «You Get Your Kicks», le Detroit Sound de New York City. D’autres luminaries encore, comme Kiki Dee avec «I’m Going Out (The Same Way I Came In)» (elle claque bien son beignet) et James Carr avec «Sock It To Me Baby» (classique, raw Stax). Ken Charmer annonce d’autres Crewe volumes à venir. Miam miam.

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             Pour creuser encore un peu plus le Crewe, il existe une brave petite compile parue en 2007 : Silhouettes. The Warwick Years. Alors attention, c’est de la petite pop qui frise la variette de Broadway. Ça devient parfois de la grande pop, car Bob Crewe dispose de l’atout fatal : la vraie voix. Mais il se plie aux exigences commerciales des early sixties américaines. C’est parfois jazzy («Ain’t That Love»), parfois groovy («Kicks») et encore plus jazzy («The Whiffen Poof Song»). Il peut monter pour groover le jazz, alors on le prend très au sérieux. Même sur des bluettes dégoulinantes comme «Bess You Is My Woman Now». Allez encore un spasme avec «Shakin’ The Blues Away», bien explosé par l’orchestration. Il tape aussi dans le cha cha cha de Broadway avec «Luck To Be A Lady Tonight», pur jive d’extrême onction orchestré à la nausée. À cette époque, Bob est déjà un chanteur extraordinairement accompli, il swingue la pop et fait du grand art avec «Love’s Not For Me» ou encore «Water Boy». Et tu claques des doigts à l’écoute de «Smilin’ Through». À l’aube des temps, Bob navigue déjà au sommet du swing de Broadway.  

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             Si tu pousses un peu le bouchon, tu peux aller écouter the Bob Crewe Orchestra et, par exemple All The Song Hits Of The 4 Seasons, un Phillips US de 1964, mais c’est à tes risques et périls. C’est un album d’instrus et de big American sound, mais il ne s’y passe rien de particulier, en dépit des liners élogieuses d’Andrew Loog Oldham au dos de la pochette. C’est vrai qu’il y a de l’énergie, mais que peux-tu dire de plus ?

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             Par contre, si d’aventure, tu croises le chemin de Music To Watch Girls By, un Dynovoice de 1967, ramasse-le, car tu vas te régaler. Cette fois, Bob pose au milieu de The Bob Crewe Generation, un orchestre de très beaux mecs en chemises rouges. Ils sont tous jeunes et beaux, et dans son costard noir, Bob est encore plus beau. N’oublions jamais qu’il a démarré comme mannequin. Et là tu entres dans le monde magique d’une pop de rêve dès «A Felicidade» et son orchestration machiavéliquement somptueuse, grouillante de vie et de percus du Brésil. Tu voyages en première classe ! C’est gorgé du meilleur son d’Amérique. Bob Crewe est un magicien. Ce que vient confirmer le «Theme From A Man & A Woman», c’est-à-dire le film de Claude Lelouch avec Anouk Aimée et l’immense Trintignant, Bob y injecte toute son énergie de visionnaire, la nostalgie te dévore vivant, pure magie de l’image, les planches du Deauville de ton enfance et le Coupé 504. Le romantisme des temps modernes. Dans «Let’s Hang On», on entend le guitariste du diable, un Django brésilien qui te joue la samba des catacombes. Et pour boucler ce balda faramineux, voilà le morceau titre, un air connu et terriblement bienveillant. C’est tout simplement irréel d’entrain. Il termine sa B des Anges avec un «Winchester Cathedral» en forme de sommet du suave, baigné de l’excellence de la nonchalance.

    Signé : Cazengler, Bob Crouille (marteau)

    Whatever You Want. Bob Crewe’s 60s Soul Sounds. Kent Soul 2022

    The Bob Crewe Orchestra. Street Talk. Elektra 1976

    Bob Crewe. Motivation. Elektra 1977

    Bob Crewe. Silhouettes. The Warwick Years. Warwick 2007  

    The Bob Crewe Orchestra. All The Song Hits Of The 4 Seasons. Phillips 1964 

    The Bob Crewe Generation. Music To Watch Gilrs By. Dynovoice Records 1967

    Donald Albrecht, Jessica May, Andrew Loog Oldham. Bob Crewe: Sight And Sound: Compositions In Art And Music. Rizzoli Electa 2021

    Clint Eastwood. Jersey Boys. DVD 2014

     

     

    Flip flop & Flat 

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             Les Flat Duo Jets doivent leur réputation aux Cramps et à Jim Dickinson. Ce duo de psycho-garage mené à la trique par Dexter Romweber fit en effet la première partie d’une tournée des Cramps à leur âge d’or, c’est-à-dire en 1980. Comme les Stones, les Cramps soignaient leurs affiches. Ils voulaient que tous leurs concerts soient des événements exceptionnels, aussi triaient-ils sur le volet leurs co-listiers. Là où les Stones optaient pour Ike & Tina Turner, les Cramps optaient pour les Flat Duo Jets.

             Qu’ils soient originaires de Caroline du Nord, ça tout le monde s’en fout. Que Dexter Romweber soit beau comme un dieu, là, les filles dressent l’oreille. Mais qu’ils fassent de bons albums, alors là, tout le monde écoute. Puisque Dexter Romweber vient de casser sa pipe en bois, nous allons procéder à un petit hommage funéraire vite fait bien fait, à l’ancienne.

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             Comme pas mal de gens intéressants, Dex et son ami batteur Crow sont allés un jour à Memphis demander à Jim Dickinson de produire leur album. Il s’agissait de leur deuxième album, Go Go Harlem Baby, dont la pochette s’orne d’un joli décolleté en gros plan. Et comme tout ce qui passait dans les pattes de Dickinson, Go Go Harlem Baby brille d’un bel éclat, celui d’une véritable inspiration. L’album ne compte pas moins de seize titres. Au moins t’en avais pour ton argent. On passait de la belle pop d’arrière gorge remontée aux bretelles par des relances de couplets («The Dainty Song») au rockab à l’ancienne («Frog Went A Courtin’»). Eh oui, Dex avait un faux air d’Elvis et il savait bopper son rockab. Il savait aussi jouer le balladif heavy-bluesy et le rendre admirable de véracité guitaristique («I Don’t Know», prodigieusement dickinsonien) et rendre de sacrés hommages : il dédiait «Harlem Nocturne» à Ivy. Il attaquait sa B avec un bel instro («Wild Trip») et revenait au rockab à la sauce de Memphis («Rock House», co-écrit par Sam Phillips & Harold Jenkins). Assis derrière son piano, Dickinson a dû bien se régaler. Dex triait ses reprises sur le volet et nous sortait «Stalkin’», un vieux hit antédiluvien signé Lee Hazlewood/Duane Eddy, rien de moins. Il fallait l’entendre monter au chant de façon incertaine («Don’t Blame Me») et torcher «TV Mama» à la déglingue de son qui n’était pas sans rappeler les heures sombres de Big Star Third. Et Dickinson accompagnait Dex sur «Apple Blossom Time» de manière émouvante.    

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             Le premier Flat Duo Jets n’a pas de titre et date de 1989. On est tout de suite saisi par l’heavy country punk de «My Life My Love». Le Dex sonne comme les géants d’avant, accompagné par une stand-up. Il passe au wild as fuck avec «Please Please Baby» et une incroyable profondeur de chant. Et comme si tout cela ne suffisait pas, le voilà qui tape dans la rockab madness avec «When My Baby Passes By», la craze dans toute sa splendeur. Le Dex s’axe sur le rockab sauvage et les Cramps. On note aussi le principe du zéro-info des pochettes. Il tape à la suite «Madagascar», un shoot d’exotica magique, et tu assistes effaré à une descente de solo demented dans l’écho du temps. On découvre aussi que le Dex est un amateur de romantica sauvage («Chiquita»), une obsession qu’il tient sûrement des Cramps. Chez lui, tout est coloré et plein d’esprit. Lui et Crow ont tous les reflexes du rockab et du Las Vegas Grind. Retour au wild rockab avec un «Wild Wild Love» tendu à se rompre. Dommage que le slap soit enterré au fond du son. Puis il tape un cut qui devrait beaucoup plaire à Damie Chad : «Tribute To Gene». Le Dex y va au Be Bop a Lula avec une profondeur de forêt inexplorée. C’est l’hommage suprême. Il recrée la folie de l’early Gene, il retrouve le secret des clameurs anciennes. Puis il revient à son pré carré, le slowah hanté, avec «Dream Don’t Cost A Thing», il crée de la magie kitsch, un peu à l’italienne, il remonte à contre-courant de la mélodie. Ce qu’il faut comprendre au contact du Dex et de son copain Crow, c’est qu’ils font des disks de fans, exactement comme le firent les Cramps en leur temps.

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             In Stereo est un mini-album six titres, dont deux sont de brillantes covers : «Riot In Cell Block No.9» (version punk-blues définitive de l’hit des Coasters) et «Think It Over» (hommage à Buddy Holly, en plein dans le mille du spirit, avec une énergie punk-blues, ça grésille de Texicali, les Flat sont les rois de la pétarade). Le Dex s’adonne aussi à deux fiers shoots de romantica, «Love Me» et «Raining In My Heart» et le Crow bat un sacré beurre sur «Theme For Dick Fontaine».        

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             Toujours zéro info sur la pochette de White Trees. Débrouille-toi avec la musique. Pas de problème, car ça grouille de puces, à commencer par l’effarant «Where Are You Now», pur jus de wild-catisme, beat du diable et pur génie de la résurgence. Retour aussi au grand art du Las Vegas Grind avec «Tura Satana», le Dex y ondule des hanches. C’est le cœur battant de l’American Underground. On reste dans le génie underground avec «Radioactive Man». Le Dex y développe une énergie de baby look out, c’est dévastateur, rock rock !, il tape dans le dur. Son «Love Cant Be Right» est assez mirifique. Le Dex est un cake de la romantica. Il tâte aussi de l’Americana avec «Rabbit Foot Blues», il groove ses roots, il est aussi pur que Johnny Dowd et Hasil Adkins. En dépit d’une volonté constante d’underground, certains cuts comme «Husband Of A Country Singing Star» le portent aux nues. Puis, en bon wild cat, il revient à ses premières amours, avec «Michelle», ouuh Michelle !, et ce drive du diable, puis «How Long», du vrai de vrai, du criant de véracité, il rôde à la frontière du blues. On a là l’un des plus beaux albums de rootsy rock.   

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             En 1993, ils débarquent sur Norton avec Safari. Alors attention : il existe un gros delta entre la version CD et le vinyle : tu as 30 cuts sur le CD et 19 sur le vinyle. Comme le CD d’ici est tout pourri, on est obligé de se rabattre sur le vinyle. On rate des covers de The Pantom et d’Hasil Adkins, mais ce n’est si grave en fait, car les 19 cuts sont assez représentatifs de ce que voulaient faire le Dex et Billy Miller. On a les covers de George Jones («Rock It») et de Benny Joy («Hey Boss Man»). C’est tapé dans le bat-flanc du mille, pris au raw, le Dex est un wild cat invétéré. Son «Party Kiss» est un real deal de heavy rockab. Le Dex revisite le vieil héritage - Everybody has/ A party kiss - On se damnerait encore pour l’éternité avec son «Cast Iron Arm», un heavy rockab bien tenu en laisse. Safari n’a qu’une seul objet : montrer que le Dex est un puriste.

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            Leur deuxième Norton s’appelle Introducing. Toujours ce mélange détonnant de rockab et de slowahs dévastateurs. Rockab avec «Whoa Blues Baby», et en B, avec «That’s The Way I Love». Ce wild-catisme invétéré te souffle dans les bronches. Il tape aussi un joli boogie down avec «Goin’ To A Town». Retour au balladif vénéneux avec «Is Life Real», toujours aussi hanté, et en bout de la B, il rend l’hommage suprême à Bo avec une cover endiablée de «Pretty Thing».

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             C’est Billy Miller qui prend les rênes de la prod sur Red Tango. Ça tombe bien car Billy est un bec fin, en matière de rockab, et ça dépote aussitôt «Ain’t Goin’ Away», pure furie de nos Wild Cats préférés. Ils visent la pure madness. Le Dex rivalise d’insanité avec les pires sauvages de la frontière. Il tape plus loin dans le «Lonely Wolf» de Ray Harris, bel hommage, cavalé ventre à terre. Le Dex reste prodigue de coups de génie, comme le montre «Baby Are You Hiding From Me», un heavy bim bam boom, il fait même son Elvis au please come back to me. Le Dex recycle le nec plus ultra du Memphis beat. Retour au slowah vénéneux avec «In My Neighborhood», c’est assez rampant, un cut qu’on n’aimerait pas trop rencontrer la nuit au coin du bois. Encore plus weirdy, voilà «Don’t Ask Me Why», et plus loin il tape un balladif encore plus tordu, «Sea Of Flames». Il est parfait dans l’exercice de la fonction impromptue. C’est tellement décalé que ça devient beau. Il termine cet album toxique avec «I Wish I Was Eighteen Again», fantastique exercice de singalong mythique - In the bar room in Memphis/ An old man came in.

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             Encore un grand album avec Lucky Eye. Grand aussi par le nombre de cuts (18) et un fantastique hommage aux Cramps avec «Love Is All Around». Le Dex tape une fois de plus en plein dans le mille. Il fait aussi du Raw To The Bone avec «String Along», un groove gratté à l’oss. Il revient à la pop de David Lynch avec «Go This Way», il excelle dans le Southern Gothic ambivalent. Puis il repart faire son wild cat avec «Dark Night», à dada sur le bidet rockab, il est furieusement bon, complètement enraciné dans la légende. Petit retour au cabaret de David Lynch avec «Lonely Guy», une Beautiful Song qui brille d’un éclat certain, on se croirait vraiment dans Blue Velvet. Puis il adresse un gros clin d’œil appuyé à Joe Meek avec «Creepin’ Invention». Comme on le constate, le Dex ne chôme pas. Il passe au swing avec «Hot Rod Baby». Quelle dextérité ! Il sait swinguer son swing. Nouvelle crise avec «Sharks Flyin’ In», il chante son rockab au raw de l’arrache à coups de sharks flyin’ in from outerspace ! Et son «Boogie Boogie» sonne comme un hommage à Eddie Cochran, il y cultive l’essence du boogaloo primitif. 

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             Two Headed Cow est encore un album qui regorge de rumble. Nouvel hommage aux Cramps avec «Hard Boppin’ Baby», version live avec un faux départ. C’est puissant et comme visité de l’intérieur. On retrouve l’excellent «My Life My Love» du premier album, un heavy boogie de rêve gorgé de délectation morose. Le cut mythique de l’album est la cover de «Rockin’ Bones», il la tape à la menace et pique une jolie crise. Il est encore au cœur de l’univers des Cramps. C’est saisissant de proximité. Deux shoots de pure rockab madness : «Hey Hey» et «Rock House». Il se grise du rockab de Memphis. Autre clin d’œil, cette fois, à Link Wray avec «Rawhide», et ça monte encore en température avec l’«Everybody’s Movin’» de Glen Glen, cover infernale, et même explosive. Le Dex est un dingue comme le montre encore «Frog Went A Coutin’» et «Tidal Wave». Ils jouent à deux et sonnent comme dix. Le Dex repart à l’attaque avec «Mr. Guitar», il fout le feu à la pampa. Il reste dans le pur esprit du Memphis Beat avec «Mary Ann», il gratte loin dans l’écho du temple de Zeus, il joue en full reverb, et la folie continue avec «Torquay», les notes s’étranglent ! Retour à la romantica avec «Golden Strings» et il bourre le mou de ses gammes d’ardeur chromatique. Le Dex est un adepte de Link Wray et des Cramps.

             Il reste surtout l’un des princes de cet underground américain dont on se nourrit depuis 40 ou 50 ans. Dex et ses beaux albums vont nous manquer terriblement. La meilleure épitaphe serait sans doute celle-ci, empruntée à Georges Brassens : «Jamais ô grand jamais/ Son trou dans l’eau n’se refermait/ Cent ans après coquin de sort/ Il manquait encore.»

    Signé : Cazengler, Fat Dumb Jerk

    Dexter Romweber. Disparu le 16 février 2024

    Flat Duo Jets. Flat Duo Jets. Dog Gone 1989

    Flat Duo Jets. Go Go Harlem Baby. Sky Records 1991

    Flat Duo Jets. In Stereo. Sky Records 1992              

    Flat Duo Jets. White Trees. Sky Records 1993  

    Flat Duo Jets. Safari. Norton Records 1993

    Flat Duo Jets. Introducing. Norton Records 1995

    Flat Duo Jets. Red Tango. Norton Records 1996

    Flat Duo Jets. Lucky Eye. Outpost Recordings 1998 

    Flat Duo Jets. Two Headed Cow. Chicken Ranch Records 2008

     

     

    L’avenir du rock

     - Pas de chichis chez Say She She

             L’avenir du rock n’est pas une chochotte et pourtant il a des chouchous qu’il chouchoute depuis des lustres sur fond de Choo Choo Train. Il n’en finit plus de savourer ce vieux cha-cha-cha, il le schwingue au don’t slow down til you see my home town, il en fait ses chou-choux gras depuis mai 1968, rendez-vous compte, ça fait un bail, et il n’est pas près de se calmer, car il faut le voir battre la champagne, c’est un chacharivari sans fin de shoo-shoobedoo, un sempiternel chachabada de chouchouteries, il y va au chaud-chaud devant, au push-toi-d’là que-j’m’y-mette, il y va à la va-comme-je-te-push, il s’amuse même à surgir hors de la nuit, fidèle à sa réputation, l’avenir du rock ne choo-choôme pas, il ne baisse pas les bras, il reste sourd au chant des Shirelles, il est le serpent qui chiffle sur nos têtes, la choo-choossette de l’archi-duchesse archi-chèche, il est chésame d’ouvre-toi, il ne veut surtout pas être une chi-chinécure, hors de question, il a d’ailleurs chi-chigné un pacte faustien avec le diable, et par conséquent il se sert sur un plateau d’argent, il sait aussi se savonner ses propres pentes, il adore larguer ses cha-cha-chamarres, il se veut encore plus célèbre que le Ché-Ché, plus cha-cha-cha qu’un singe savant, plus chy-chyfoné que Typhon Tourneboule, il ne recule plus devant aucune supériorité, devant aucune singularité, il chingle à travers les mers australes, le vent choo-chooffle dans ses voiles d’armiton, il chillonne les mers du Chu-Chud jusqu’au Cheptentrion, il sidère par ses capachi-chités, par l’excellenche de son manche, par la planche de ses prééminenches, et en même temps, il n’est pas homme à faire des chichis, même s’il adore les Say She She.  

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             Comme Shindig! se fend d’un petit buzz autour des Say She She, on va jeter un œil. Jeter un œil, ici, ça veut dire aller les voir sur scène et écouter les disks. Une façon comme une autre de rester à l’affût. Camilla Aisa nous présente les trois She She : la belle Piya Malik, le blonde Sabrina Mileo Cunningham et la black Nya Gazelle Brown.

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    Elles viennent du Lower East Side et du coup, ça devient vite exotique. Elles racontent leur genèse, trois petites gonzesses qui chantent et qui sympathisent. Ça va leur prendre deux ans pour se faire connaître et enregistrer deux albums. Elles disent vouloir embrasser à la fois «a strong psychedelic element» et le «celebratory power of disco». Pya n’y va pas de main morte : «If you don’t like disco then there’s gotta be something wrong with you», et elle n’a pas tout à fait tort. Elles se fendent aussi d’un petit concept : la quatrième voix, c’est-à-dire trois voix différentes en texture et en registre, fondues en une seule.

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             Sur scène, ça marche, et ça marche au-delà de toute attente. Elles disköbolent une solace extravagante de sunshine pop, tu crois rêver, tu tombes dans le panneau, tu écartes les cuisses, tu les accueilles à bras ouvert, elles diffusent et elles rayonnent, elles jerkent et elles jivent, elles jouent et t’enjouent, elles cassent les moules et bousculent les repères, elles retrouvent un passage vers une dancing-pop qu’on croyait à jamais perdue, celle des jours heureux. En fait, leur son intrigue, car on y entend des éléments de diskö, mais surtout des harmonies à trois voix qui te montent droit au cerveau, elles font du dancing CS&N acidulé, comme si elles pressaient leur jus d’octaves pour faire jaillir la plus succulente giclée d’excelsior qui se puisse imaginer ici-bas. On ne peut les comparer à personne, leur son est unique, c’est même une sorte d’essence de magie vocale. Et sur scène, cette essence prend une ampleur considérable

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             Si par curiosité tu as écouté les deux albums avant de venir les voir sur scène, tu vas retrouver tes chouchous. Elles attaquent avec le «Reeling» d’ouverture de bal sur Silver. Incroyable allure, ah il faut les voir chanter en souriant et danser toutes les trois, surtout Piya Malik qui est à gauche, on la sent folle de bonheur d’être sur scène. Elle n’arrête jamais de danser. Elles tapent aussi «C’est Si Bon», gros clin d’œil à Chic c’est Chic, et d’autres merveilles comme «Echo In The Chamber», «Norma», ou encore l’excellent «Forget Me Not» qui clôt le set avant le rappel. Ce qui frappe le plus, c’est sans doute leur modernité de ton.

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             Leur modernité a un nom : Dale Jennings, le bassman. Il faudrait aussi citer le guitah-god rasta qui le jouxte, Sergio Ross, qui est aussi producteur de Neal Francis et des Monophonics, alors attention, on ne rigole plus. Ces deux mecs font en plus un groupe qui s’appelle Orgone. Dale Jennings qu’on croyait anglais est en fait un mec de Los Angeles qui nous dit : «Check Orgone !». Et là tout à coup, ça prend des proportions qui nous dépassant. Il nous explique en plus qu’Orgone et les trois filles sont deux groupes différents et qu’ils font Say She She Ensemble. Ce sont eux, Jennings et Ross, qu’on entend sur les deux albums de Say She She. Et sur scène, c’est un véritable bonheur que de voir jouer ces deux cracks. Jennings est un bassman faramineux. Avec ses cheveux longs, sa moustache blanche, ses yeux clairs et son taille-basse blanc, on l’a pris pour un Anglais, ce qui l’a bien fait marrer. Il claque des riffs diskö avec une espèce de power à la Tim Bogert, il dégage une énergie considérable, et son power-bassmatic ronfle au-devant du mix. C’est lui la loco dans cette histoire.

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    Ross joue avec une surprenante discrétion, il se contente de swinguer en lousdé, mais on sent bien l’affûté. Ils vont profiter d’un break des filles pour faire trembler tous les deux les colonnes du temple, avec un gros délire instro basé sur le «Magnificent Seven» des Clash. Jennings joue la pétarade du riff aux doigts, bam-bala-bam bam, il est comme les filles, il sourit en jouant, il est extravagant de présence scénique et de power-bassmatic. C’est pas demain la veille que tu verras repasser un tel bassman dans le coin. Il faut le ranger juste à côté de Tim Bogert et de Jack Bruce. Exactement du même niveau. Dale Jennings ! Une révélation. «Check Orgone !». Ça te tinte encore aux oreilles.

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             Les filles reviennent après le break dans des petites robes en lamé or et bhaaaam ! «Astral Plane» et là tu prends le Plane en pleine poire, ça te broie le cœur et ça te soulève du sol en même temps, ça te transforme physiologiquement, tu vis de tous les atomes de ton corps un pur moment de bonheur, c’est la jouissance cérébrale que tu passes ta vie à rechercher, et soudain, elle est là, vivante, souriante, apoplectique, réelle et irréelle à la fois, tous ceux qui ont vécu le trip de l’«Astral Plane» le savent : c’est un trip unique, une expression de la beauté formelle, un moment de perfection, une marée sensorielle, et tu as ces voix qui semblent vriller le firmament. Ce mélange de magie vocale et de perfection rythmique est unique. Du coup, l’«Astral Plane» entre au panthéon des cuts magiques.

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             Leur premier album s’appelle Prism. C’est un Karma Chief de 2022. Les premiers cuts déroutent un peu car trop diskoïdes, même si par certains côtés ils préfigurent l’excellent «Astral Plane». Elles ont un son un peu trop à la mode, mais comme Karma Chief est un subsidiary de Colemine, on s’incline et on attend. On a bien fait d’attendre car voilà qu’arrive un cut de rêve, «Same Things». Elles distillent le sucre des étoiles, le cut te fond dans la bouche comme l’Astral Plane à venir. Tu vendrais ton âme au diable en échange de ce fondu de voix. Elles restent au même niveau d’excellence avec «Fortune Teller», elles refondent leurs voix dans une Fortune de rêve. Dans «Apple Of My Eye» on entend des guitares Soukous dans le fond du son. Effarante musicalité, une vraie pluie de lumière ! Elles terminent ce beau Prism avec «Better Man», leurs chœurs superbes résonnent dans une nef de cathédrale, ça monte très haut dans la pureté évangélique à l’ooh oooh yeah, elles y vont les petites She She qui ne font pas de chichis.

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             C’est donc sur Silver qu’on retrouve le mirifique «Astral Plane». Tu t’enfonces dans la mélasse messianique d’Astral Plane, c’est complètement délirant et tortillé aux harmonies vocales. Elles font aussi pas mal de heavy funky business («Entry Level»), leurs harmonies vocales se délitent dans l’entre-deux, c’est pur et assez unique. Elles planent encore avec «Passing Time» et se livrent à un très bel exercice de forget me not avec «Forget Me Not», bien rythmé, bien on the beat. Le bassmatic est systématiquement impressionnant. On l’entend encore dans «The Water», une belle pop soutenue aux Yeah Yeah, mais le stratagème des She She finit par rouler sur les jantes. Au bout d’un moment, ça ne marche plus. Trop de cuts, sans doute. Elles calment le jeu avec «Find A Way» et renouent avec les harmonies vocales fluctuantes. C’est vraiment beau, ça coule comme une rivière de diamants. Et elles terminent ce double album avec le morceau titre, une vraie pop en devenir, une pop qui flirte en permanence avec le génie séraphique. On pense beaucoup à Liz Fraser en écoutant les petites She She.

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             Dans Record Collector, Lois Wilson en fait trois pages et ça y va à coups de glitterball R&B et de post-disco funk. Retour à la genèse, avec Piya qui entend chanter Sabrina à travers le plafond de son petit appart. Rencontre et Piya lance «Let’s start a band !», alors Sabrina lui répond cette phrase historique : «Fuck it, okay.» Lois Wilson va plus loin que Camilla Asia dans la genèse : il apparaît que Sabrina Cunningham a chanté dans des chorales de Rochester, dans l’État de New York, depuis l’âge de 6 ans. Puis elle a chanté dans des groupes et a appris à maîtriser les arrangements vocaux - That’s a big part of Say She She, we just lock in - Quant à Piya Malik, elle a grandi dans le Nord de Londres, nourrie aux Bollywood soundtracks par un oncle producteur. Puis elle passe par Sciences Po à Paris et finit par s’installer à New York. Piya initie Sabrina aux Bollywood soundtracks et au Turkish funk. Elles commencent à se produire sur scène accompagnées par des mecs de Duran Jones & The Indications, d’Antibalas et de Twin Shadow. Puis arrive Gazelle Brown, qui a déjà chanté dans Tomboy, un R&B girl group devenu Phoenix, «but nothing happened.» Tout ça pour dire que les trois Say She She ne tombent pas du ciel. Ce sont déjà des vétérantes de toutes les guerres. Le dernier ingrédient de la genèse, c’est Colemine Records, qui les branche sur Sergio Ross. Alors elles se rendent toutes les trois dans son studio, Killionsound, in North Hollywood. C’est là qu’elles enregistrent leur premier hit, «Forget Me Not». Et dans le studio, on retrouve bien sûr les mecs d’Orgone, dont le fameux Dale Jennings. Elles composent et enregistrent un cut pas jour, et ça va devenir Silver. Record Collector propose alors de les sacrer «queens of soul to Jalen Ngonda’s king», elles sont d’accord. Elles adorent Jalen. Et puis pour finir, Record Collector se fend d’un bel encadré rose intitulé ‘key influences on Say She She’, dans lequel on trouve un peu de tout, Sister Sledge, Tom Tom Club, mais surtout Rotary Connection et l’excellent Hey Love. Du coup, le lien avec Charles Stepney paraît évident.  

    Signé : Cazengler, Say Chichon

    Say She She. Le 106. Rouen (76). 15 mars 2024

    Say She She. Prism. Karma Chief Records 2022

    Say She She. Silver. Karma Chief Records 2023

    Camilla Asia : Finding the fourth voice. Shindig! # 143 - September 2023

    Lois Wilson : Raising elle. Record Collector # 556 - April 2024

     

     

    Talkin ‘Bout My Generation

    - Part Ten 

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             Ah il est bien le petit témoignage que Jean-Louis Rancurel consacre à Danny Boy dans le dernier numéro de Rokabilly Generation. Un Danny Boy qu’il qualifie même de «premier rockeur de France» et à côté duquel nous sommes quasiment tous passés. Voici 15 jours, Damie Chad faisait amende honorable en avouant avoir «fait l’impasse sur lui.» En fait l’explication est simple : on ne l’entendait pas à la radio. On entendait «Twist À Saint-Tropez» et «Dactylo Rock», mais certainement pas l’excellent «Kissin’ Twist». Le pauvre Danny Boy comptait pour du beurre. Dommage, car il était plutôt bon. Il était au rock français qu’on appelait le twist ce que Marty Wilde était au early rock anglais : un talentueux second couteau. La radio préférait diffuser les daubes comme «J’entends Siffler Le Train» et «L’Idole Des Jeunes». N’oublions jamais que le rock est aussi un monde d’injustices. À une autre époque, on célébrait U2 et on méprisait les Spacemen 3. Rien n’a vraiment changé depuis les early sixties.

             Les photos de Rancurel sont magnifiques. Il raconte ses débuts de photographe et comment il va coincer Danny Boy dans sa caravane du cirque Pinder. Les images sont d’un réalisme extrême, c’est tout juste s’il ne photographie Danny Boy à poil en train de se laver dans le lavabo. Rancurel le coince assis en costard blanc, près du lavabo, en train de s’éponger la figure. Il sort de scène, il n’a pas fait semblant, apparemment les Pénitents sont des killers sous leurs cagoules. Rancurel précise aussi qu’il était «en culottes courtes» au moment de cet épisode. Le malheur de Danny Boy nous dit Rancurel est d’être tombé dans le biz au mauvais moment, en pleine vague twist, 1962-1963, et le voilà bombardé «archange du twist», alors qu’il se réclame du rock’n’roll. Disons que Danny Boy avait un goût prononcé pour les «chansons rythmées». Rancurel raconte qu’après une courte carrière et quelques disques, Danny Boy est retourné bosser comme poissonnier sur les marchés, car en 1967, il était déjà passé de mode. Pas de pot.

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             Pour se faire une idée du talent de Danny Boy, il existe sur le marché une compile qu’on peut bien qualifier d’idéale : Danny Boy Et Ses Pénitents. Une belle rétrospective de 28 cuts qui, pour certains, craquent bien sous la dent. Dès «Je Ne Veux Plus Être Un Dragueur», on voit qu’il est solide au chant, c’est un yé-yé, ce mec s’accroche - Ta radio ! - Belle basse, et il trouve l’âme sœur de son cœur. Ah comme les paroles de ces chansons pouvaient être débiles, mais bon, il fait le job. Il tape dans l’early rock au moi fou de toi. Il assure comme une bête. «C’est encore une souris/ Qu’on a mis dans mon lit», s’exclame-t-il dans «C’est Encore Une Souris». C’est quasiment un Wild Cat avant l’heure. D’ailleurs le Wild Cat apparaît clairement dans «Twistez». Jolie craze de Twist Again ! L’énergie est belle. Il a du son. Il arrive juste avant le ras de marée. «Croque la Pomme» montre qu’il sait jeter tout son poids dans la balance. Mais il fait une pop de pomme avec un brin de yodell. Il fait aussi une cover du «Mess Of The Blues» de Doc Pomus, qu’il transforme en «C’est Tout Comme». Pas mal, mais, bon, c’est pas Elvis. Globalement, on se croirait aux camors, au milieu des Chaussettes Noires et des Chats Sauvages. Te voilà en pleine fête foraine. Il fait même des slowahs pour rouler des pelles. Retour à la niaque avec «Dum Dum». Danny Boy est un mec attachant, on le voit s’accrocher à sa niaque comme à une bouée. Son «Stop» est balèze, c’est bardé d’écho des camors. Et dans «Quel Massacre», on entend des chœurs de folles. C’est très en avance sur l’époque. Et puis voilà le blast : «Kissin’ Twist». Plus loin, il fait une petite série de covers, «Locomotion», «Let’s Go», «Bye Bye Love», mais ça reste timoré. Il fait un peu de gospel avec «Répondez-Nous Seigneur» et ça se termine avec un fantastique «Allez Allez» que vient swinguer un xylo. C’est miraculeux de qualité. Tu te demandes vraiment d’où sort une telle merveille. 

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    Signé : Cazengler, Danny Broc (tête de broc)

    Danny Boy Et Ses Pénitents. RDM Editions 2016

    Rockabilly Generation # 29 - Avril Mai Juin 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Mighty Sam wants you

             De toute évidence, Sim fut archevêque dans une vie antérieure, vous savez, l’un des ces archevêques qu’on croise dans les films fantastiques, ces hommes petits et ronds, qui parlent d’une voix sourde et un peu grasse, tout en se frottant les mains, ces êtres qui inspirent une terreur mêlée de respect, devant lesquels on se signe et remerciant Dieu de n’être pas tombé dans leurs griffes. Il en imposait tant qu’on le surnommait Mighty Sim. On l’aimait bien quand même. Mighty Sim faisait partie du comité de rédaction de la revue. Comme il était féru d’histoire, il y puisait le contenu de ses contributions. Son sujet de prédilection était la liberté d’expression. Et bien sûr, Voltaire était l’un de ses maîtres à penser. Il jouait donc un rôle clé dans cet environnement éditorial qui ne jurait que par Dada, l’anarchie et le rock. L’usage voulait qu’en réunion du comité de rédaction, chacun lise tout ou partie sa contribution et qu’on vote la publication à la majorité des mains levées. Le jeu consistait à rafler autant d’accords que possible. Ce qui n’était pas simple, car le comité savait se montrer impitoyable. Quand vint son tour, Mighty Sim se cala au fond de sa chaise et prit un air sombre pour nous raconter l’histoire du malheureux Chevalier de La Barre, qu’on accusa de blasphème en 1766, «pour avoir chanté des chansons impies et refusé de se découvrir au passage d’une procession.» Mighty Sim leva les yeux vers nous pour nous rappeler qu’en ce temps-là, le blasphème était encore puni de mort. «Dénoncé par des témoins oculaires, le Chevalier fut donc condamné à mort par le tribunal d’Abbeville. Il fit appel. Appel rejeté par le Parlement de Paris. Le jour de l’exécution, il fut soumis à la ‘question ordinaire’ pour qu’il reconnaisse ses crimes, mais il perdit connaissance dans les brodequins.» Mighty Sim parlait d’une voix de plus en plus sourde. Il nous glaçait les sangs. «On réanima le Chevalier pour le faire monter sur l’échafaud.» La voix de Mighty Sim n’était plus qu’un murmure. «On lui coupa la langue, puis la tête, on lui cloua le Dictionnaire Philosophique de Voltaire sur le torse et on jeta son corps sur le bûcher.» Mighty Sim ajouta dans un râle que le Chevalier n’avait que vingt ans. Il reprit son souffle pour conclure en indiquant que Voltaire lança une contre-attaque depuis la bourgade suisse où il s’était réfugié, dénonçant dans un article la barbarie de ces gens «qui ordonnèrent, non seulement qu’on lui arrachât la langue, qu’on lui coupât la main, et qu’on brûlât son corps à petit feu ; mais ils l’appliquèrent encore à la torture pour savoir combien de chansons il avait chantées, et combien de processions il avait vu passer, le chapeau sur la tête.»

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             Finalement, tout le monde est bien content que cette époque soit révolue. Seul Mighty Sim pouvait donner à cet épisode tragique le retentissement qu’il mérite. Il existe un autre spécialiste du retentissement, un Mighty tout aussi mighty, l’excellent Mighty Sam, un petit blackos de Louisiane au regard incroyablement triste. 

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             Étrange album que ce Your Perfect Companion paru en 1986, sur Orleans Records, un label de la Nouvelle Orleans, comme son nom l’indique. Étrange, car on n’avait encore jamais vu une pochette aussi foireuse. Le graphiste a voulu faire un effet sur le portrait de Mighty Sam et l’effet est tellement raté que Mighty Sam est tout noir. Au dos, on trouve un portrait classique qui heureusement a échappé au graphiste du diable. L’album est enregistré à Nashville et le son s’en ressent. «Why» sonne comme de la Soul de Nashville. Rien sur les gens. Rien sur Robert. Mighty Sam chante d’une voix chaude et tranchante à la Otis. C’est la B qui rafle la mise avec «Backstreets», un heavy blues classique mais puissant, très Nashville, sans couleur particulière. On sent le poids des grosses pointures. Mighty Sam y va de bon cœur. Puis il tape une belle cover d’«A Change Is Gonna Come». Il attaque son Sam Cooke à l’I was born by the river et chante vraiment du coin du menton.

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             Mine de rien, Mighty Sam fait son petit bonhomme de chemin dans les cercles de la connaissance. Personne n’irait miser un seul kopeck sur la pochette de Nothing But The Truth. Grave erreur ! C’est un excellent album. Côté registre, Mighty Sam n’est pas très loin de Wilson Pickett. Ses slowahs sont très impressionnants, de vraies sangsues, mais des sangsues de haut rang («Sweet Dreams»). Toute la viande se planque en B. Il se met à rugir en fin d’«I’m A Man», un vrai lion du désert ! Il revient au slowah de choc avec «When She Touches Me». Chaque slowah est un combat pied à pied avec les éléments. Mighty Sam est un chanteur extraordinaire. Il fait même de la country Soul avec «I Came To Get My Baby (Out Of Jail)», il tape ça sur l’air de «500 Miles», une chanson traditionnelle qu’adapta Richard Anthony en son temps («J’entends Siffler Le Train»). Et puis avec «Badmouthin», Mighty Sam jette tout son poids dans la balance.

    Signé : Cazengler, Mighty Shame

    Mighty Sam. Your Perfect Companion. Orleans Records 1986

    Mighty Sam. Nothing But The Truth. P-Vine Records 1988

     

     

    Dans les griffes de Gruff

    - Part Three 

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             Gruff a tellement d’idées qu’il décide en 2004 d’entamer une carrière solo. Sur son premier album, l’imprononçable Yr Atal Genhedlleath, il chante en gallois. Comme ça, on est tranquille, aucun effort à fournir pour essayer de comprendre les conneries qu’il raconte.

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    Gruff a des idées. Des idées, oui, mais avec du son. Et quel son ! Gruff a sa griffe. Il s’amuse avec son «Epynt». Il continue de s’amuser avec son «Rhagluniaeth Ysgafn». En fait, il s’amuse avec les croisées des chemins. Mais n’allez pas le prendre pour un clown, il fait l’une des meilleures pop d’Angleterre. Même dans cette langue tellement ingrate, même pas phonétique. Il passe aux machines avec «Caerffosiaeth» et devient une sorte de schtroumphf hip-hop dada, et les chœurs de mecs bizarres ne font que renforcer cette impression d’incongruité. En fait, il dit qu’il chante en gallois, mais il se pourrait bien que ce soit une simple fantaisie linguistique. Son «Ni Yw Y Byd» sort tout droit d’un roman de Lovecraft. Même chose pour le cut qui suit, «Chwarae’n Troi’n Chwerw», voilà le Gruff qui plane comme un vampire au-dessus de sa mélodie. Il passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel et chante à la pointe d’un beau baryton.

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             Comme on décide de bouffer du Gruff, alors on se farcit Candylion. Cet album solo paru en 2007 met un temps fou à décoller. Le morceau titre n’a aucun intérêt, alors fuck it. Les cuts qui suivent ne fonctionnent pas. C’est n’importe quoi. On le voit cavaler ventre à terre avec «Cycle Of Violence». Il cavale au sha la la la, il est marrant et un peu ridicule. Et soudain, il se fond dans un groove de Burt avec «Painting People Blue». Puis il se glisse dans ta poche avec «Beacon In The Darkness». On ne l’écoute que parce que c’est Gruff. Il fait son biz. Il fait sa soupe aux choux, rrru rrrru, d’ailleurs, il dérive dans le «Gyrru Gyrru Gyrru» et la folie l’emporte. Il termine sur un «Skylon» de 14 minutes. Le vieux Gruff a du métier, il reste fabuleusement attachant, il fait sa pop pour de vrai, il reste le roi du groovy rock, sur la durée, il peut rivaliser avec Bob Dylan, il a des couplets à revendre, il gratte ça sur les accords de «Gloria», il raconte sa story. Ah comme l’effarance de la prescience peut être pure au bord du lac de Constance.

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             Gruff propose pas moins de deux Beautiful Songs sur Hotel Shampoo : «Honey All Over» et «If We Were Words». Il attaque l’Honey à la chaleur de ton. Il va chercher la lumière et la trouve. Il trempe dans sa vieille fascination pour les Beatles et Brian Wilson. Cet Honey est d’une absolue perfection. «If We Were Words» se trouve vers la fin de l’album et récompense ceux qui ont été jusqu’au bout. Gruff revient par la bande, il chante à la pure bienveillance, comme un apôtre de la pop moderne, accompagné par une stand-up. Avec «Sensations In The Dark», il va droit sur Cuba, c’est son droit. Il crée l’événement, avec des trompettes et de la rumba dans l’air. On retrouve des échos de Brian Wilson et de Jimmy Webb dans «Take A Sentence» et il drive ensuite la pop de «Conservation Conversation» à l’accent sûr de remote control. Il s’amuse bien avec la pop, on sent nettement le joueur en lui. Il ramène par exemple des atonalités d’Aladin Sane au piano. «Sophie Softly» montre une fois de plus que Gruff reste nickel jusqu’au bout des griffes. Il est pop. Il est immaculé. Il lance des cascades de son dans «At The Heart Of Love». L’influence de Brian Wilson est évidente. On le voit encore s’amuser avec «Phantoms Of Power», il ramène des grosses guitarasses de la rascasse et tout un fourbi demented. Il jongle avec les formats et ça devient parfois très sérieux.       

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             La pochette d’American Interior ne paye pas de mine, mais attention, sous le parapluie se cachent deux coups de génie : «The Whether (Or Not)» et «Iolo». Gruff se situe dans l’abondance, comme Robert Pollard et Frank Black. Toutes ses chansons fonctionnent. Il accroche, quoi qu’il dise. Son Whether est monté sur une basse fuzz et ça devient vite spectaculaire, avec les montées de basse dans le son. Gruff est une espèce de Swamp Dogg en blanc. Il a récupéré tous les plans des Beach Boys, il est complètement euphorique. Il s’amuse encore plus avec «Iolo». Il dispose de cette volonté intellectuelle qui lui permet d’expérimenter. Il balance des violons sur un drumbeat de hard Rhys. Son morceau titre sonne comme une sacrée mainmise sur la pop. Quand on le voit repartir avec «100 Unread Messages» sur la samba galloise, on comprend que sa seule optique est la liberté. Avec «The Last Conquistador», il fait son Neil Young, avec le même genre de power, au chant généreux d’ambition démesurée. Gruff Rhys est une aubaine. Il claque le groove de «Liberty (Is Where We’ll Be)» à la surface de sa qualité. C’est excellent, inspiré par tous les trous, avec cette mystérieuse récurrence des pianotis d’Aladin Sane. Gruff veille au grain de Rhys. Tout est spécial sur cet album, mais en même temps, il existe une sorte de cohérence dans le délire, mais à un point que tu ne peux imaginer si tu ne fais pas l’expérience de l’écoute. C’est en tous les cas le sentiment que donne «The Swamp». Et le festin se poursuit avec «Wild In The Wildreness», il plaque la pop dans son univers comme Andy Warhol couvrait de papier alu les murs de sa Factory. Gruff Rhys impose un profond respect. Il peut décoller comme le fait parfois Brian Wilson. Il se transforme en Saint-Vincent de Paul de la pop pour «Year Of The Dog» et boucle ce brillant épisode avec «Tiger’s Tale». Il drive une fois encore son biz à la qualité supérieure, il ne navigue qu’au sommet du lard fumant, il peut tout se permettre, même cet instro magique.      

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                  Attention : Set Fire To The Stars est la BO d’un film. Impair et passe.

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             Paru en 2018, Badelsberg peine à jouir. Gruff chante une petite pop pressée qui n’accroche pas. Tintin pour la magie. Le filon Furry s’épuise. Sa pop pressée est celle d’un homme volontaire et plein d’idées, comme l’est d’ailleurs Nick Saloman, mais ce n’est pas le même genre d’effervescence. Celle de Nick fonctionne toujours, celle de Gruff s’éteint. «Limited Edition Heart» est une petite pop qui se voudrait enchanteresse et qui ne l’est pas, mais alors pas du tout. Re-Tintin, pour la magie. Il essaye plein de trucs : chanter à la profondeur de ton («Drones In The City»), singer Nick Drake («Negative Vibes»), même s’il coule de source, comme un beau filet de morve. Il réussit même à devenir pénible («Achitecture Of Amnesia»). On est content quand ça s’arrête. Merci Gruff, à bientôt et bonjour chez toi.

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             Bon alors Pang ? To Pang or not to Pang ? Sa pochette à la Magritte n’inspire pas trop confiance. On voit tout de suite qu’il n’a pas de temps à perdre, il embarque son «Pang» aussi sec, du son c’est sûr, vite fait sur le gaz, pas le temps d’épiloguer. On perd vite la magie de la pop. Trop de machines dans les cuts suivants. Gruff paraît paumé. Il est même assez ridicule avec «Ara Deg». Il est en panne. Pauvre Pinocchio. Il cache la misère avec un balladif de bord du fleuve, «Eli Haul». Il n’a plus rien dans la culotte. Tous ces cuts manquent de protéines. Gruff finit par tomber dans le camp des pathétiques. On est inquiet pour lui, et l’inquiétude grandit au fil des cuts, lui qui fut jadis si prodigue. Là, il prend les gens pour des cons, surtout ceux qui continuent d’acheter ses albums. Il tente de sauver Pang avec le Welsh diskö beat d’«Ol Bys/Nodau Clust» et c’est le hit tant attendu. Dommage qu’il perde la main avec le reste. Un seul bon cut sur neuf, c’est pas terrible. Pang Pang cu-cul.            

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           Inutile de dire qu’on attend des merveille de ce Seeking New Gods paru en 2021, et qui va donc faire l’objet d’une tournée au printemps 2022. Il démarre en chantant à la barbe des vieux génies qui ont tout connu avec la pipe au bec et la lippe pendante. Il est marrant, ce mec, il continue de courtiser sa vieille muse éculée par tant d’obus. L’humour gallois de «Mausolum Of My Former Self» nous dépasse. Il retente le coup de la pop toxique avec «Can’t Carry On», mais ce n’est pas évident, malgré ce can’t carry on/ Can’t can’t. Avec le morceau titre, il écrase le champignon comme on presse un abcès, pour que ça gicle mais c’est avec «Hiking In Lightning» qu’il emporte tous les suffrages, car voilà un cut digne des barbares, those animal men, heavy riffing et fast tempo, il taille dans l’épaisseur du son et du coup, il ramène l’un des meilleurs sons d’Angleterre. Il fait ensuite son Todd Rundgren avec «Holiest Of The Holy Man», c’est-à-dire que sa mélodie explose en plein ciel. Le temps d’un cut, il redevient l’égal de Todd Rundgren et de Brian Wilson.

    Signé : Cazengler, Rhys orangis

    Gruff Rhys. Yr Atal Genhedlleath. Placid Casual Recording 2004

    Gruff Rhys. Candylion. Team Love Records 2007           

    Gruff Rhys. Hotel Shampoo. Ovni 2011   

    Gruff Rhys. American Interior. Turnstile 2014               

    Gruff Rhys. Set Fire To The Stars. Twisted Nerve 2016

    Gruff Rhys. Badelsberg. Rough Trade 2018

    Gruff Rhys. Pang. Rough Trade 2019                       

    Gruff Rhys. Seeking New Gods. Rough Trade 2021

     

    *

    Routes Of Rock, reprenons la highway des pionniers, retour à la source, le rock est une matière malléable à l’infini, un peu comme l’or potable des alchimistes. Les pionniers reviennent toujours à la surface, telles les fleurs vénéneuses de Baudelaire, aucun désherbant ne parvient à nous en débarrasser, elles nous narguent, elles nous survivront et nous n’y pouvons pas grand-chose.

    Cette fois-ci la piste maudite nous ramène en Thaïlande, nous y avons déjà rencontré Bill Crane qui a, voici quelques années, quitté la banlieue parisienne pour ce pays d’Asie, il photographie, il écrit, il vit, et depuis quelques mois il a ressorti sa guitare de son étui, dernièrement nous avons dans notre livraison 620 du 16 / 11 / 2023 chroniqué un recueil sous le nom d’Eric Calassou de ses clichés (très peu touristiques, amateurs de vues proprettes vous êtes avertis) et dans notre livraison 627 du 11 / 01 / 2024 son album virtuel Baby Call my name. N’est pas près de s’arrêter en si bon chemin puisqu’il remet le couvert avec :

    COVERS

    BILL CRANE

    ( Album Numérique / Chaîne Bill Crane YT)

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    Maybe baby : de Buddy Holly : l’on a écrit et répété à suffisance que le jour de la disparition de Buddy Holly est celui où la musique est morte, genre de déclaration aussi stupide que celle qui prédisait qu’après la shoah il serait impossible d’écrire de la poésie, c’est là oublier que sur la croûte terrestre l’homme est un insecte obstiné qui jamais ne cesse de vaquer à ses affaires habituelles comme écouter de la musique ou tuer ses semblables. Que serait devenu Buddy Holly si l’ange de la mort ne l’avait ravi en plein ciel un jour de tempête neigeuse, je n’en sais rien, mais ce qui est sûr c’est que ses continuateurs sont devenus célèbres en mélangeant la mélodie au rock’n’roll les Beatles ne faisaient que suivre l’exemple de Buddy qui attifa de chœurs gentillets le jungle sound de Bo Diddley, sur le papier l’alliance reste improbable, dans les faits elle s’avéra une réussite indéniable. S’atteler à une reprise de Buddy avec un micro, une guitare et une boîte à rythme relève du grand art. Bill Crane n’a gardé de l’original que l’épure, les chœurs féminins et leurs bouches en cœur ont été relégués dans les oubliettes. Au final la popperie sucrée de Buddy y a laissé bien des plumes, mais y a gagné sur toute la ligne, la chanson de Buddy nous parle d’un futur proche heureux, la reprise de Bill Crane s’inscrit dans la poignante nostalgie d’une époque révolue, 1957 tambourinait dans les jours heureux de la société de consommation, de 2024  se profilent des jours sombres, la voix de Bill Crane est en équilibre sur le fil tendu entre bonheur et angoisse, quant à sa guitare elle égrène de miraculeuses notes qui roulent entre diamants et larmes. La rythmique inexorable nous rappelle que le train, de tout son train-train, se dirige dans la nuit de l’incertitude qui nous attend. Love me tender : certes Elvis est le roi du rock, mais pourquoi reprendre cette bluette et pas Mystery Train, que manigance Bill Crane, que veut-il signifier par ce choix, n’existe-t-il pas des trucs plus toniques dans le répertoire de l’occupant de Graceland, sans aucun doute, mais là Bill Crane nous sort un véritable chef-d’œuvre, la meilleure interprétation de ce morceau que vous n’entendrez jamais, d’une tristesse infinie, d’un désespoir absolu, vous transforme la chansonnette en drame métaphysique, une tragédie grecque, si vous n’avez jamais compris ce que veut dire Aristote lorsqu’il parle de catharsis pour définir le dénouement d’une crise, écoutez ce Love me Tender c’est la survie catastrockphique que vous vivez tous les jours depuis la naissance du rock,  cette voix grave qui  se superpose à elle-même comme la vague sur le rivage  s’en vient recouvrir celle qui l’a précédée pour subir le même sort dans l’instant suivant sous celle qui s’en vient déferlant sur toutes vos illusions. Chicken walk : coup de maître, qui vaut bien le cou coupé de fin de Zone d’Apollinaire, après nos deux fleuves tranquilles du début Bill Crane nous sort Adkins de l’Hasil, l’est né deux ans après Elvis mais sa musique peut être qualifiée de proto-rock en le sens où elle puise dans la primitivité, non pas la plus pure, mais la plus sale du blues. Encore une fois Bill Crane pousse d’un millimètre le curseur. Vous en donne une version très pionnier du rock, une fois que vous l’aurez écoutée faites le test : retourner au Maybe Baby de Buddy Holly et vous comprendrez pourquoi le chanteur de Lubbock malgré ses mignardises est un rocker authentique. N’ayez crainte Bill Crane vous décapite la poulette proprement, non seulement vous ne souffrirez pas mais votre perversité inavouable se réjouira. Roadrunner : l’on vient de parler de Buddy Holly, voici donc Bo Diddley qui se radine. A toute vitesse. ( Note subsidiaire : si vous voulez savoir d’où les Animals ont tiré leur son écoutez Bo Diddley, l’a autant inspiré le rock anglais qu’américain, el Semental comme disent les espagnols pour désigner l’étalon ). L’on s’attend à un festival de guitare, c’est oublier que le rock des pionniers repose avant tout sur l’inflexion du vocal, alors Bill Crane nous en donne une version à la Buddy Holly, sans les chœurs mais surtout sans le chant, réalise ce prodige que les plus beaux moments du morceau sont lorsqu’il parle, prend la parole, nous file une espèce de talkin’blues désinvolte, car le rock ‘n’ roll n’est pas une musique mais un jeu et vous avez intérêt à connaître toutes les règles de la gamme et du game. Not over. Havana Moon : je vais vous confesser un de mes crimes, mon morceau préféré de Chuck Berry c’est Havana Moon, peut-être parce que l’on entend beaucoup plus sa voix que sa guitare, quel plaisir de retrouver ce morceau dans ce florilège rock !  Evidemment sur ce morceau la guitare de Bill ne crâne pas, elle se fait discrète, faut reconnaître qu’elle est un peu comme ces filles en tenue passe-partout qu’une infime touche de rouge sur les lèvres vous attire irrésistiblement vers elles, une version toute en évanescence, perpétuellement elle se délite mais elle ne meurt jamais, le chant de Berry sent la gouaille friponne, à écouter les murmures de Bill votre foie sécrète de la bile, la sueur froide du trépas passe sur vous, tous ces bruits qui chuchotent vous transportent dans le halo funèbre de la lune noire. Be bop a Lula : ( nous avons déjà chroniqué ce morceau dans notre livraison 628 du 18 / 01 / 2024). L’on a longtemps mythifié sur la version lente de Be Bop A Lula, Bill Crane nous en donne une version tendre, nous la transforme en chanson douce, l’en rabote toutes les articulations syncopiques qui forment l’ossature de l’original, encore marquée de ses influences leberiennes et stolleriennes, s’en dégage une tristesse destinale en totale adéquation avec les dernières années de Gene. Baby please don’t go : Big Joe Williams l’enregistre en 1935 année de naissance de Presley, trente ans plus tard lorsque l’on l’a entendue à la radio l’on a tous cru qu’elle était une création des Them, bien sûr elle venait de bien plus loin, des champs de coton et des chants d’esclaves, et était fortement inspirée par John Lee Hooker,  l’en existe des centaines de version, celle de Bill Crane moanise quelque peu, l’aurait dû supprimer la boîte à rythme  son absence nous aurait aidé à mieux comprendre comment et surtout pourquoi le rock est un enfant perdu du blues, ce n’est pas la fillette qui est partie, c’est le gars qui s’en est allé il ne sait pas où et pourquoi, l’appel sauvage nous souffle Jack London, il marche à pieds sur une highway détrempée et battue par un vent mauvais. Completely sweet : (nous avons déjà chroniqué ce morceau dans notre livraison 628 du 18 / 01 / 2024). Un de ces bonbons à la fraise acidulée voire à l’orange sanguine dont Eddie Cochran était coutumier, le vocal se charge du sucre et la guitare du sulfure. Bill Crane change la recette, une voix caverneuse au timbre chargé de nostalgie et une guitare agite son éventail pour vous ressusciter de votre rêverie léthargique. Et puis ses doux yodels évaporés qu’il enfonce dans la roche des falaises de l’immémoire. Sur l’image qui raccompagnait cette version je n’avais pas tilté sur ce bouquet de roses rouges qui semble avoir été posé sur une tombe, et les stores baissés. Le show must not go on. I wanna be U doll : réouverture du magasin. De nouveaux arrivages. Mais ce ne sont pas des pionniers. Oui, d’accord mais avec les années qui s’accumulent la distance entre 1960 et 169 a tendance à se rétrécir. L’a renvoyé le chien à la niche. Changement de genre. Notre crâneur commence à déblatérer dans un haut-parleur, joue à Monsieur Loyal, le rock’n’roll n’est que l’autre face du cirque. La guitare ne court pas à la déglingue, maintenant le vocal se lamente à la manière d’un coyote arraché à sa verte prairie pour être enfermé dans une cage de la ménagerie. Une basse triste comme la nuit qui tombe, peut l’appeler tant qu’il veut, le chien serait-il une chienne, la bestiole ne viendra pas, c’est peut-être pour cette raison que le maître joue de la guitare comme s’il frappait un gong funèbre. Envoûtant et fascinant. Un iguane a dû s’échapper. Tutti Frutti : ce n’est pas un morceau de rock, Little Richard, c’est une torche que Dieu a allumée pour que partout où elle passe les âmes ne repoussent pas. La torche de Bill Crane c’est celle que l’on éteignait sur le seuil de la maison ou le cortège avait emmené la mariée, plus besoin de flamme, elle était en train d’être consommée, le Bill Crane vous sape le moral, un pneu crevé, petit tu ne sais ce que c’est le rock ‘n’ roll, je vais t’apprendre, si derrière les habits chamarrés tu ne discernes pas la silhouette de la mort, tu n’as rien compris à la vie, en soi ce n’est pas grave, par contre tu n'as rien compris au rock’n’roll, ça c’est rédhibitoire. Alors tais-toi, mets un mouchoir sur tes jérémiades, écoute le frémissement des sycomores. Matchbox : Carl Perkins est-il le plus grand des pionniers. C’est la question que je me pose chaque fois que j’entends un de ces titres. En tout cas le plus authentique, sans un minimum de frime. L’est le lieu où le blues rural copule avec le rockabilly rural. Le rock à Bill Crane a compris toute l’histoire légendaire du rock’n’roll, une interprétation tout en nuance en-dessous juste pour que l’on entende le bruit qui sourd de la terre ensemencée par les esclaves et les pauvres blancs, plus de tristesse, juste le blues du fermier qui travaille pour des queues de citrouille. Lonesome town : l’a un profil de gosse de riche Ricky, et des chœurs qui ressemblent un peu à ceux d’In the ghetto d’Elvis, bref il vous déchire le palpitant en petits morceaux. L’on avait compris que le Bill Crane n’allait pas faire une reprise de Yakety Yak des Coasters, termine sur une chanson automnale, ne la rend pas plus solitaire et triste que l’originale, se contente de la chanter, mais les arbres ont perdu leur couronne d’or, il nous les présente dépouillés. Vous pouvez pleurer, la pluie cachera vos larmes. Havana moon : l’a dû réfléchir Bill Crane, avec le morceau précédent vous filez tout droit prendre une chambre à l’hôtel des cœurs brisés, alors il nous offre un dernier cadeau, une seconde version de Havana Moon, la voix et le cette espèce de grésillement de cigales, tout à l’heure je faisais le mariole en remarquant que sur ce titre ce n’était pas la guitare de Chucky Chucka, comme l’aime à le nommer notre Cat Zengler, qui triomphait, l’a dû avoir la même intuition que moi Bill Crane, mais lui comme il sait en jouer, il se paie le luxe de la laisser au vestiaire, ça se remarque comme l’absence du dinosaure qui a déserté le canapé du salon, quant au résultat, il est terrible, cette voix qui va jusqu’au bout de la nuit comme une lampe à huile qui attend l’aurore pour consentir à fermer les yeux.

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             Les pionniers, parfois leurs cendres sont brûlantes, parfois elles sont froides. Ce Covers de Bill Crane vous aidera à comprendre ce phénomène dichotomique.

             Pour les amoureux du rock‘n’roll.

             Not only.

    Damie Chad.

     

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    LES BLOUSONS NOIRS : LES REBELLES SANS CAUSE

    ALEXIA SAUVAGEON / CHRISTOPHE WEBER

     

    Se nommer Sauvageon lorsque l’on traite du phénomène des Blousons noirs faut le faire, peut-être une indication du destin. Difficile d’être affirmatif : l’aurais-je déjà vu ? L’est remis sur YT par la chaîne Imineo Documentaires spécialisée en vidéos historiques, comme quoi tout peut arriver en ce bas monde, les blousons noirs sont entrés dans l’Histoire. Vous les retrouvez (notifiés) aussi sur la chaîne d’Alexia Sauvageon-Colette qui définit l’exposition de son travail professionnel et ses coups de cœur personnels en trois mots : Storytelling, émotion, impact. Sur le générique final le Copyright attribué à Sunset-Presse date de 2014, société spécialisée depuis trente ans dans la production de films et d’émission pour la télévision. Une grosse boite.

    L’ai-je déjà vu, Sans doute, mais je n’en suis pas sûr. Toutes les images que l’on trouve sur le Net sur les Blousons Noirs proviennent des mêmes sources. Les mêmes documents d’époques, les même rares témoins et acteurs interrogés, les mêmes connaisseurs, les mêmes spécialistes.

    Profitons-en pour rendre hommage à Jean-Paul Bourre disparu le 23 octobre de l’année dernière que l’on voit revenir sur les lieux de sa jeunesse, il fit partie de la bande des Croix Blanches à Issoire, par la suite il écrira de nombreux livres, deviendra animateur de radio sur Ici et Maintenant, l’est un témoin de toutes les dérives underground, officieuses et officielles de sa génération depuis les années soixante à avant-hier…

    Le docu d’une heure est plein comme un œuf, il analyse le mouvement qui ne dura pas longtemps de 1959 à 1963, situation historique, nationale, internationale, le phénomène français, milieu social, violences, bagarres, Marlon Brando, James Dean,  la musique, place centrale accordée à Vince Taylor et à Gene Vincent, rien que pour cela le docu est à voir, et puis l’évaporation du mouvement, la suite c’est  Mai 68, une nouvelle génération, petite-bourgeoise, qui prend non pas le pouvoir mais le devant de la scène, le docu oublie toutefois de préciser que le seul soir où la police fut débordée c’est quand les bandes jusqu’à lors en retrait descendirent au centre de Paris, elles ne se fixèrent pas sur les barricades, points chauds de normalisation délimitoires de l’ennemi, mais se déplacèrent en petits groupes harcelant et désorganisant les flics… ensuite c’est la survie, ceux qui se sont volatilisés ( mariage, boulot, métro) et ceux qui ont continué le rêve à leur manière, Patrick Grenier de la Salle devenu écrivain, son roman Classe Dangereuse est à lire, l’est émouvant avec son perfecto et son badge Eddie Cochran, Gérard  Bricks qui monte son groupe de rock une fois la retraite arrivée...

             C’est tout, le docu expose mais ne va pas plus loin. Nous y reviendrons.

    Damie Chad.

     

     

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    Vous ne saurez jamais tout le mal que l’on se donne, le Cat Zengler et votre very heavy very humle serviteur Damie Chad pour rédiger nos maudites chroniques, ainsi pour celle-ci j’ai dû parfaire mes connaissances en langues kirghise et persane.

    NOMAD

    DARKESTRAH

    (Mars 2024 / Osmose Production)

    Darkesthrah et pas darkesthrash, sachez faire la différence, un groupe de metal certes, un peu différent, d’origine kirghise, même s’il est basé en Allemagne, qui se permet un mélange musical qui pourrait paraître incongru, symphonique et folklorique, mais si j’ajoute qu’il se revendique païen et que le retour aux premières civilisations est aussi un retour vers d’originelles musiques, ce genre de démarche ethno-moderniste vous apparaîtra peut-être s’inscrire dans une certaine logique de production authentiquement artefactique.

            Le Kirzgisthan, ancienne république soviétique est encastré au milieu de l’Asie Centrale entre le Tadjikistan, l’Ouzbékistan et la Chine. L’histoire des Kirghizes n’est pas simple, ils ne sont arrivés dans le Kirzigthan qu’au seizième siècle, d’après ce que j’ai compris ils proviendraient de Sibérie mais des tribus turkmènes se seraient mélangées à leurs troupes, ils se seraient un long moment installés en Mongolie… pas pour rien que le disque s’intitule Nomad ! C’est que l’on appelle une remontée aux racines. Mythiques.

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             La couve nous fait rêver, un guerrier chevauchant une magnifique monture, aussi noire et monumentale que le Bucéphale d’Alexandre le Grand, l’on s’imagine déjà en train de chevaucher avec les hordes mongoles de Gengis Khan, hélas ce dernier est venu au monde quelques siècles après les pérégrinations évoquées par notre rapide survol géographique. Un autre détail qui cloche (nous écrivons cette chronique au jour de Pâques), notre guerrier n’est guère armé, ni lance, ni arc, ni épée, porte un instrument de musique, qu’il joue avec un archet comme Jimmy Page, une espèce de guitare non électrique préhistorique aussi longue qu’un cou de girafe, aussi mal foutu qu’un clou de girofle, qui porte le doux nom de Tar, une précieuse indication pour notre écoute.

    J’avais cité Jimmy Page sans trop y réfléchir, mais à lire le paragraphe précédent l’on ne peut s’empêcher de penser aux expériences de Jimmy et de Robert Plant avec des musiciens marocains et égyptiens.

    Asbath : drums, percussions, si le nom de tenir komuz signifie guimbarde, vieil instrument traditionnel notre batteur est aussi chargé des modernités sampleriques / Resurgimus : guitares, keyboards / Magus : tambour, tar à quatre cordes (je suppose) employé dans les orchestres ‘’ symphoniques’’ orientaux, guimbarde / Cerritus : basse, tambour shamanique / Claruck : vocal, percussion.

    Le groupe est en activité depuis 1999, il a déjà commis six albums, des membres sont partis, de nouveaux venus sont arrivés. Il semble maintenant vouloir reprendre un nouveau départ.

    Journey through blue nothingness : un instrumental si vous voulez, un frémissement venu de loin, vient-il vers vous ou provient-il de vous, est-ce le néant du monde qui s’empare de vous, ou projetez-vous votre néant intérieur sur l’immensité qui vous entoure, une rumeur, un rituel shamanique monocorde,  une remontée vomitoire du fond des âges, du temps des hordes perdues dans l’infinité fuyante du monde qui semble vous aspirer à chacune de vos avancées, vous pensez conquérir la terre, vous n’êtes qu’un insecte perdu sur une surface informe sur laquelle vous ne faites que passer poussé, tiré par des forces incalculables dont vous croyez être le moteur, dont vous n’avez qu’une faible prescience de leur existence. Kök-Oy : sauvés ! ne pénétrons-nous pas dans un morceau qui fleure bon le chaud metal de nos habitudes auditoires, mille chevaux foncent droit devant, goûtez cette joie sauvage qui vous assaille, la voix colérique semble mener l’assaut, que se passe-t-il pourquoi cette rupture, le chant de victoire retentit, vous avez franchi le fleuve bleu, vous êtes rentrés dans le pays de vos espérances, en vous-même là où depuis toujours, depuis le premier jour de votre naissance , rôde la mort, vous n’en sortirez jamais, car nous restons prisonnier de nos pensées, oh ce bourdon insatiable qui résonne derrière la batterie, où que tu diriges tes pas, tu ne sortiras jamais de toi-même, ton esprit est une tombe. Comprends que c’est là l’idée fondamentale qui guide tes pas. Somptueux ! Nomad : galops et hennissements de chevaux, chant de guerre et de destruction, partout où nous avons passé nous avons semé la mort, pillé et brûlé, une épopée victorieuse, partie d’un océan pour arriver à l’autre bout de la terre devant une même mer infranchissable, mais le grand voyage se double d’un autre introspectif, nous avons dominé le monde entier, nous sommes les rois mais nous vieillissons et nous mourrons, la route était simple et toute droite, maintenant nous chantons tous en chœur l’absence de ce pays que nous n’atteindrons jamais, oui les mots ont plus de poids que les armes, oui la poésie est plus brûlante que la guerre. Nostalgie de l’introuvable. Le morceau se déroule comme un immense film tumultueux dont les images vous happent, vous meuvent, vous transportent en un torrent de pensées interdites. Les plus grandes menaces. Sensationnel !

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     Destroyer of obstacles : sabots de chevaux, une voix féminine s’élève, récite-t-elle un mantra prononce-t-elle une imprécation, la musique déboule profonde majestueuse et la voix crache son venin, elle cite Erlik le dieu de la mort toujours à vos côtés, toujours aux côtés des guerriers, toujours à côté de celle qui chante car la mort élimine les obstacles qui se dressent et empêchent de voir au loin, la musique ralentit comme si les chevaux se mettaient au pas pour susciter le calme nécessaire à la shamane, elle est la proie d’un délire, la musique entre dans sa gorge, est-ce pour l’empêcher de révéler les secrets ou pour encore les obscurcir, le rythme s’alentit, l’imprononçable n’est-il pas dit en sa manière imprononçable, maintenant elle chante, elle hurle, elle s’étrangle, vous ne comprendrez pas les dernières paroles, mais que serait le Prince Noir, le grand meneur de hordes, sans le récitant dont ses exploits miment les paroles. Le sang n’est-il pas l’autre face de la poésie. Grandiose ! Pour mieux comprendre, le lecteur français peut se plonger dans la lecture de l’Anabase de Saint-John Perse qui expose une thématique semblable mais selon une culture occidentale et une historiographie méditerranéenne. Quest for the soul : suite tempétueuse du précédent, grandiose et funérale, la batterie cherche son chemin, il ne s’agit plus de s’emparer d’un royaume mais de récupérer une âme pour remplir le vide du monde, nous voici transporté dans une translation shamaniques, les quatre vents de l’esprit dirait Victor Hugo, Victor Segalen arpenteur des immensités chinoises déchiffrera les Stèles orientées au Sud, au Nord, à l’Ests à l’Ouest, et puis l’ultime intérieure, celle qui dévoile le nom qu’il ne faut pas lire, la sorcière n’a pas su, pas pu, pas voulu, nous ne le saurons exactement jamais, les aigles ont crevé ses yeux de voyante, rien n’arrêtera la cruauté du monde sur la face de la terre, le groupe lancé à toute vitesse galope à l’infini, maintenant il fatigue, le rythme marche à l’amble, procession funéraire pour quelqu’un qui n’a pas su mourir, des chœurs lamentueux s’élèvent, parfois la dernière vision est celle de la mort, la plus grande sagesse est-elle peut-être de ne rien dire, et de se taire quoi qu’il vous en coûte, car qui ne connaît pas la fin la cèle. Méditative effrayance. The dream of Kokojah : sonneries aussi ténues que la trame du monde, quel lieu pourrait m’emmener plus loin que le bout du monde, si ce n’est le rêve à condition que ce rêve se remplisse du vide du néant, les dernières paroles du Conquérant, ou du poëte qui supplie qu’on lui prophétise le terme ultime, y aurait-il une image dans son rêve ne serait-ce que celle d’un cri de corbeau qui lui dévorerait le cœur, ne serait-ce pas alors celle de sa mort, musique lente et processionnaire, voix augustéenne, elle épouse la lenteur des Dieux qui ne sont pas au rendez-vous, désespoir absolu, l’on se dirige vers elle depuis le premier jour, l’on est le premier angoissé lorsqu’elle se fond en nous, il nous reste donc encore à mourir. Pour une dernière fois. Puisque nous mourons sans cesse depuis toujours.  Définitive expérience. A dream that omens death : l’opus   finit comme il a commencé, une espèce de cérémonie funèbre, les dernières litanies avant le trépas, le monde est encore là, il est toujours là car il est la mort, car le monde et la mort sont une seule et même chose, les deux faces interchangeables et rigoureusement identiques de la présence de ce qui est. Dark Orchestra.

             L’on ne sort pas indemne de ce disque. L’est comme le bruit, cette saccade ruisselante, cette poignée de terre qui s’éboule sur votre cercueil dans ce cimetière où vous n’êtes plus et où vous êtes pourtant encore là, car tant que durera le monde, durera votre mort.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    Je ne suis pas un chaud partisan d’Andy Warhol, et de ces artistes dont les idées sont plus importantes que leurs réalisations, jusqu’à cet épisode je n’avais pas apporté une grande attention à sa déclaration ‘’tout le monde aura un jour ou l’autre son quart d’heure de célébrité’’, mais je dois avouer maintenant que je l’ai expérimentée qu’elle détient une part de vérité, toutefois je ne tiens pas à vous ennuyer avec mes réflexions sur l’art moderne et je vais donc vous raconter la mise en action de mon plan Z.

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    A peine avais-je posé un pied (le gauche) par terre, que je commençais à appliquer le plan Z.  Une tasse de thé plus (je devrais dire moins) deux biscottes légèrement beurrées et une poignée d’haricots verts cuits à l’eau non salée pour Molossa et Molossito. Je tiens à préciser que durant toute la mise en action du plan Z mes chiens manifestèrent une mauvaise volonté évidente s’efforçant à freiner sa préparation, ainsi après avoir reniflé dans leurs écuelles d’un commun accord ils entreprirent aussi sec une grève de la faim. 

    Ils me firent carrément la gueule (non ce n’est pas une expression triviale, je vous fais remarquer que les chiens n’ont pas de figure mais une gueule) quand ils remontèrent dans la voiture un peu plus tard après une séance chez le toiletteur. Je ne m’étais pourtant pas moqué d’eux, j’avais choisi le plus cher de Paris sans compter les trois mille euros de dédommagement pour passer avant tous les autres clients, entre nous soit dit Molossa avec ses petits nœuds roses sur les pattes et la tête, ça ne cadrait pas trop avec sa personnalité, mais le plan Z c’est le plan Z. Molossito était-il le plus réussi, avec ses petites perles de toutes les couleurs dans lesquelles les quatre opératrices qui s’étaient occupés de lui avaient fait passer des touffes de poils qu’elles avaient torsadées en forme de mini-tresse. Encore entre nous, je trouvais que ça ressemblait à ces coiffures dont les mamans africaines ornent la tête de leurs petites filles, mais avec les quatre pourboires de cinq cents euros que je distribuais aux hôtesses, je n’allais pas me plaindre, et puis le plan Z c’est le plan Z.

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    En bon maître je m’étais d’abord occupé de mes chiens, je pouvais donc m’occuper de moi-même. Coiffure, pédicure, manucure, asséchèrent mes économies.

    Au téléphone le Chef avait l’air inquiet :

             _ Oui Agent Chad je crédite immédiatement votre carte, elle porte maintenant la mention CADPAS (Carte d’Accès Direct Pour Action Spéciale) je certifie qu’avec cette mention vous avez directement accès aux fonds secrets de l’Elysée, ils ne sont pas trop regardants, essayez toutefois de ne pas dépasser le million d’Euros, vous savez qu’en haut lieu ils ne nous aiment pas. Ecoutez-moi bien Agent Chad, sans le connaître je pressens que votre plan Z est dangereux, je reste au bureau, téléphonez-moi si vous avez un problème. Bonne chance Agent Chad. La mort marche à vos côtés.

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    Je ne veux pas faire comme les pauvres qui parlent toujours d’argent, je me contente de vous dire j’ai de très très loin dépassé le million d’Euros. Que voulez-vous ce n’est pas de ma faute, de toutes les manières vous ne comprendriez pas et vous n’avez aucune idée des investissements nécessaires pour un plan Z.

    J’ai fait un détour chez Cartier, j’ai été très bien reçu, ils ont même excusé Molossito qui a fait pipi sur les chaussures d’une cliente :

             _ Ce n’est rien Monsieur, notre assurance dédommagera la dame, c’est bien les cinq Rollex les plus chères serties de diamant que vous prenez, vous avez raison, savez-vous qu’en plus de leurs multiples fonctions, par exemple elles indiquent la hauteur du Machu Pichu au centième de millimètres près, eh bien ces modèles-ci sont capables de vous donner l’heure !

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    Chez Boutik Luxe ils ont éclaté de rire lorsque je leur ai demandé le plus beau et le plus cher des costumes Armani qu’ils avaient.

             _ Monsieur a le sens de la plaisanterie, nous n’habillons ni les sans-abris, ni les indigents. Avec votre Perfecto nous subodorons votre style, sachez que tous les plus grands chanteurs de Metal commandent leur costume de scène chez nous, les tenues les plus étranges et les plus chères de la planète sortent de nos ateliers. En deux heures nous sommes capables de réaliser le moindre de vos désirs vestimentaires.

    Pas des charlatans, Rollex en main, deux heures pile plus tard je ressortis vêtu d’une espèce de peau de serpent lamée de fil de platine, je ne vous parle pas des chaussures en carapace d’ornythorinque, chaque fois que je passais devant une vitrine je ne m’attardais pas, j’avais peur de tomber amoureux de moi-même. Je suis naturellement beau mais là j’étais irrésistible !

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    Mon cerveau fit tilt ! J’étais sur la bonne voie ! Maintenant je me souvenais, Irrésistible c’était le titre de l’article que j’avais lu durant la nuit, j’avais suivi à la lettre les conseils de beauté. Oui OK, d’accord, mais tout cela pour quoi ? J’étais bloqué ! J’ai cherché dans ma tête, je n’ai rien trouvé, j’étais bloqué en plein milieu du Plan Z ! En désespoir de cause j’ai téléphoné au Chef.

             _ Que se passe-t-il Agend Chad ? Je sens que vous êtes en difficulté !

             _ Chef je n’arrive plus à avancer dans mon plan, je me suis rapproché du Z, mais il me reste encore quelques lettres, si vous aviez par hasard une idée, je suis preneur !

             _ Pas d’affolement Agent Chad, cela arrive souvent quand on entreprend un plan Z, d’après moi vous êtes bloqué au bon endroit, n’oubliez pas que le plan Q est une étape nécessaire à la réalisation du plan Z.

             _ Chef je veux bien le croire mais vos propos ne m’aident en rien !

             _ Pas de panique Agent Chad, regardez autour de vous, pensez à la lettre volée d’Edgar Poe qui était posée à la vue de toux ceux qui la cherchaient. Enfin un dernier détail, fiez-vous à mon flair, prenez vos chiens en laisse et dirigez-vous vers l’Elysée. Bonne chance, Agent Chad, je réitère mes recommandations, la mort marche à vos côtés et elle se rapproche.

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    J’ai pris mes chiens et suis parti en direction de l’Elysée, des propos tenus par le Chef, c’était la seule indication fiable que j’avais retenue. Je l’avoue mon esprit pédalait dans la choucroute pendant que j’avançais. Un détail s’imposa à moi : c’était le regard des filles et des femmes que je croisais. Au début je crus que c’était la manière dont Molissito et Molossa étaient attifés qui les faisait sourire. Mais non je dus me rendre à l’évidence. Mon apparence physique produisait une forte attirance sur ma modeste personne. Je n’ai jamais laissé la gent féminine insensible mais là je les sentais prêtes à s’offrir corps et âme à la moindre de mes invitations.

    J’étais perplexe, c’était donc cela le plan Q du Chef, devais-je satisfaire toutes les parisiennes ! Je trouvais la chose flatteuse certes mais un peu grotesque. N’allais-je pas périr de fatigue sous des vagues et des vagues de femmes qui se jetteraient sur moi ? Etait-ce la mort qui se rapprochait de moi !

    Elles étaient déjà une dizaine à me suivre de loin. Le danger se précisait. Je rentrai subitement chez un marchand de journaux. J’avais besoin de réfléchir. Et c’est là que subitement tout s’éclaira. Le plan Z ! l’avait raison le Chef , l’était partout ! Ecrit en grosses lettres sur la couverture du magazine ELLE : La photo de la jeune fille que j’avais remarquée lorsque j’étudiais les documents secrets : il suffisait de lire : MARDI APRES-MIDI L’ACTRICE GERALDINE LOUP RECUE A L’ELYEE !

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    S’agissait pas de la louper ! J’ai couru comme un fou vers L’Elysée, les chiens ne se firent pas prier, je ne sais pas comment mais ils avaient enfin compris qu’ils étaient un élément essentiel de la réussite du plan Z, je pouvais compter sur eux, à dix mille pour cent.

    Nous arrivâmes juste à temps, quelques talons mordillés à bon escient et nous pûmes percer le rideau d’admirateurs, de journalistes et de gorilles qui formaient un énorme arc de cercle devant le portail de l’Elysée. Le Président finissait son baise-main. C’était à moi de jouer. Oui la mort marchait à mes côtés.

    A suivre…