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  • CHRONIQUES DE POURPRE 639: KR'TNT 639 : ANDREW LAUDER / MUDDY GURDY / D'ANGELO / GRUFF RHYS / BILL CALLAHAN / LIKE WIRES / PENITENCE ONIRIQUE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 639

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    04 / 04 / 2024

     

     ANDREW LAUDER / MUDDY GORDY

    D’ANGELO / GRUFF RHIS / BILL CALLAHAN

    LIKE WIRES / PENITENCE ONIRIQUE

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 639

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    Wizards & True Stars

     - Lauder de sainteté

     (Part One)

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             Admirable ! Chez Andrew Lauder, tout est admirable : son autobio, ses choix, son comportement en tant qu’A&R et surtout sa discrétion. Pas ou peu de photos de lui, ce sont les artistes qui priment. L’histoire d’Andrew Lauder est celle d’un âge d’or du rock anglais qui démarre dans les sixties, et donc celle d’un fan qui parce qu’il n’est pas dans un groupe opte pour le music biz. C’est la même chose. Andrew Lauder va fréquenter des gens qui comptent parmi les plus intéressants de son temps : Guy Stevens, Tony McPhee, Hawkwind, les Groovies, Feelgood. Il a pour particularité d’avoir trempé dans la scène pré-punk qu’on appelait aussi le pub rock, avec Man, Brinsley Schwarz et Dave Edmunds, mais aussi, hélas, Costello, ce mec qui ose s’appeler Elvis. Lauder l’appelle aussi Elvis tout court dans les passages qu’il lui consacre, Elvis par ci, Elvis pas là, c’est agaçant. Quand on a une tronche comme celle de Costello, la première chose qu’on fait est d’éviter de se faire appeler Elvis. Ça n’a pas de sens et, plus grave, ça frise le manque de respect. Mais Lauder est un mec gentil, il ne se rend pas compte. C’est son seul défaut. Il aurait peut-être dû conseiller à Costello de choisir un autre prénom, André ou Albert. Ça allait mieux avec les lunettes.

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             Au départ, Lauder a tout bon : il flashe sur Wolf et «Smokestack Lightning» qu’il qualifie de «greatest thing of all time». Well done, Andrew ! Dans l’intro du big book, Richard Williams cite les hits qui illustrent le parcours de Lauder : «Silver Machine» d’Hawkwind, «Vitamin C» de Can, «Surrender To The Rhythm» de Brinsley Schwarz, «She Does It Right» de Feelgood, «My Flamingo» de Nick Kent, «Is Vic There» de Depatment S, «Lipstick Sunset» de John Hiatt, «King Strut» de Peter Blegvad et «Fools Gold» des Stone Roses. Pas mal, très underground et hautement qualitatif.

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             Comme tout le monde, le jeune Andrew commence par ramasser des singles de Little Richard et de Lerry Lee, c’est le point de départ, l’origine des abscisses et des ordonnées, sans oublier Elvis, le vrai, le Sun. Il flashe aussi comme tout le monde sur Buddy Holly. Puis les Rolling Stones, qui tapent un «Not Fade Away» qu’Andrew connaît bien. Il prend modèle sur un autre Andrew, le Loog, qui en 1964 mène les Stones vers la gloire à coups d’«It’s All Over Now» et de «Little Red Rooster». Andrew se dit : «I can do that. I can follow in Andrew’s footsteps.» Mais il ne sait pas comment s’y prendre. Il flashe comme un fou sur le premier album des Stones, et comme c’est un album de covers, il fait comme tout le monde, il va piocher dans les originaux : «Willie Dixon, Muddy Waters, Slim Harpo, Jimmy Reed and Rufus Thomas», une ribambelle explosive à laquelle il rajoute les blazes de Chucky Chuckah et de Bo Diddley. Il a raison, l’Andrew, car là tu as déjà tout le rock et tout le roll. Puis il voit les groupes anglais fondre comme des aigles sur les mêmes belettes noires : les Kinks, les Animals, Manfred Mann, Them et les Pretties. Ça grouille de partout. Dans la confusion, les joues rouges, le jeune Andrew comprend une chose fondamentale : il est in the right place at the right time. Quand on est fan de rock, c’est l’époque qu’il faut vivre. Les décades suivantes ne seront qu’un long déclin de l’empire romain du rock, si l’on considère qu’Elvis (le vrai, pas l’autre), Dylan, Brian Jones, Lou Reed, Iggy, Totor, Sly Stone, John Lydon, John Lennon, James Brown, Isaac le prophète, Tonton Leon, Frank Black, Marvin Gaye et quelques autres sont les empereurs successifs de cet empire.

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             Comme le jeune Andrew met le nez dans les affaires du blues via Elmores James, Wolf, Little Walter et tous les autres, il croise fatalement la piste de Guy Stevens qui est alors la tête pensante du blues à Londres, et la tête de pont d’un label déjà mythique, Sue Records. Pantelant, l’Andrew revient sur «Smokestack Lightning» qu’il qualifie cette fois de «greatest achievement of all time», en quoi il rejoint Uncle Sam qui considérait Wolf comme le meilleur. Le plus drôle c’est qu’Andrew essaye d’imiter Wolf et il s’en arrache les cordes vocales - I was up in my room howling - Puis il flashe comme un caribou dans les phares d’un truck sur les Pretties - The roughest and the hairiest of the  lot - Alors il décide de se laisser pousser les cheveux pour ressembler à Phil May. Il est vraiment très bien, le jeune Andrew, jusque là, il a tout bon. Cette autobio est un régal, pour peu qu’on appartienne à la même famille de pensée. Andrew voit les Pretties à la télé, ils passent dans Ready Steady Go et son père qui est assis à côté dans son fauteuil s’écrie horrifié : «What in God’s name is that?». On a tous vécu ça, le paternel qui gueule devant la télé des trucs du genre «c’est quoi cette musique de singes ?», alors que la séquence est cruciale. Ces vieux abrutis ne comprenaient rien. Fuck ‘em !

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             L’Andrew nous raconte donc son Éducation Sentimentale. Il se prépare pour entrer dans «la vie active». Il décroche un premier job dans une boîte de sheet music qui s’appelle Southern Music - No. 8 Denmark Street - Il y fait le petit gratte-papier qui comptabilise les ventes de partitions et voit débarquer des gens comme Donovan et les Artwoods. Alors il papote avec eux. C’est facile, car il est fan, et ces mecs-là aussi. Donovan lui dit qu’il va bientôt sortir un single, «Catch The Wind». Et comme il bosse sur Denmark Street, l’Andrew en herbe voit passer des tas de gens qui vont enregistrer au Regent Sound - No 4 Denmark Street - Les Stones y ont enregistré leur premier album et les Kinks «You Really Got Me». Larry Page a son bureau au No. 25 Denmark Street. Les Troggs enregistrent aussi «Wild Thing» au Regent Sound. Il n’existe pas d’endroit plus mythique à Londres que Denmark Street. À côté de Southern Music se trouve le fameux Giaconda, où on mange des spaghettis bolognaise. Il y voit manger Keith, Bill & Charlie, il papote avec Mitch Mitchell (very chatty) et Noel Redding. Mitch raconte au jeune Andrew qu’il vient tout juste d’auditionner pour un job de batteur dans un trio «with an unknown guitarist called Jimi Hendrix.» The right place in the right time. On ne peut pas faire mieux. On est assis à la table voisine et on suit l’affaire de près. De très près.

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             L’Andrew en herbe découvre Buddy Guy sur scène et comprend soudain d’où vient Jimi Hendrix. 25 ans plus tard, il aura la chance de fréquenter Buddy Guy qui lui expliquera qu’il doit tout à Guitar Slim - It was all part of a tradition where each new player added their own unique brand of showmanship - Voilà, c’est exactement ce qu’il faut comprendre : une tradition et donc une lignée. Jimi Hendrix hérite de Buddy Guy qui lui-même héritait de Guitar Slim, mais il développe l’héritage et le sublime. «Hey Joe» vient d’entrer au hit-parade. L’Andrew en herbe voit Jimi Hendrix sur scène. Il pense bien sûr à Buddy Guy «but Hendrix brought something new.» Il comprend qu’Hendrix invente un style et qu’il joue «ferociously loud». L’Andrew comprend ça et s’en émerveille. Dans le même ordre d’idée, il découvre avec stupeur Larry Williams et Johnny Guitar Watson - Another outrageous showman - Ça se passe encore au Flamingo. La deuxième fois qu’il y va, il tombe sur Sugar Pie DeSanto - «Soulful Dress» was a real mods’ favourite - Il parle de «crazy dancing and even back flips». Et comme tout le monde à Londres à l’époque, il prend les Who en pleine poire - They completely blew my socks off - Boom ! «Can’t Explain» ! Il tombe en pâmoison devant «Anyway Anyhow Anywhere» - Avant de voir les Who, je pensais que les Pretty Things incarnaient the sound of disrespectful youth, but the Who upped the ante - Oui, ils montaient d’un cran, et même d’un sacré cran - «Anyway Anyhow Anywhere» ? «One of the most innovatory singles ever.» Là, l’Andrew est obligé de faire une pause. Il a le souffle court et les joues rouges : «Après trois mois de gigs-going, seeing the Who and Buddy Guy had me hooked for life.» Il comprend aussi que d’aller voir des concerts devient une «occupational necessity». Bienvenue au club, Andrew. Pas de pot, il n’arrive pas à choper les Pretties sur scène, mais il chope les Small Faces en 1966, avec un McLagan fraîchement enrôlé. Il voit aussi The Graham Bond Organisation au 100 Club et dit le plus grand bien  de The Sound Of 65. C’est incroyable comme le jeune Andrew peut avoir tout bon. Jusque-là, c’est un parcours sans faute.

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             Puis il décroche un job chez Liberty Records, un label américain qui a une antenne à Londres. L’artiste phare du label n’est autre qu’Eddie Cochran. L’Andrew rappelle que Liberty a avalé Imperial et Minit, des labels qu’il connaît bien, car il est friand de Fatsy et d’Allen Toussaint, d’Irma Thomas, et d’Aaron Neville. Si Liberty ouvre une antenne à Londres, c’est pour signer des groupes anglais. L’Andrew bosse aussi sur la promotion des artistes Liberty en Angleterre - the Ventures, Bobby Vee et Johnny Rivers - mais il préfère, et de loin, Jackie De Shannon. Hélas, pas de promo pour elle, car elle est considérée comme songwriteuse. Puis comme tout le monde, l’Andrew se met à flasher like airplane lights sur la scène de San Francisco, et plus particulièrement sur les Charlatans. Comme par hasard - They had peaked up too early, been horribly screwed on a lousy deal and split up - C’est admirablement bien résumé. Arrivés trop tôt, baisés par un mauvais contrat et pouf, le split. L’Andrew va se passionner pour cette scène et développer une petite obsession, au point de décorer son bureau comme le Red Dog Saloon de Virginia City où jouèrent les Charlatans durant l’été 1965.

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             Comme Liberty veut profiter de la manne des groupes anglais, le boss de l’antenne Ray Williams passe une annonce en 1967 dans le New Musical Express : «LIBERTY WANTS TALENT». Alors les TALENT ramènent leurs fraises : Idle Race, Family et The Bonzo Dog Doo-Dah Band. Il y a aussi le futur Elton John, mais on va le mettre dans le même sac que le faux Elvis. John Peel chouchoute aussitôt Idle Race. Nous aussi d’ailleurs. Jeff Lyne allait ensuite rejoindre les Move. Et bien sûr les Bonzos - Their live act was hysterical - L’Andrew rappelle qu’avec Gorilla, les Bonzos furent énormes en Angleterre et qu’il comptaient parmi les groupes les mieux payés sans avoir de hit-single. Il fait surtout l’éloge de l’excellent Doughnut In Granny’s Greenhouse - much more of a rock album than Gorilla - L’Andrew dit qu’on les comparait aux Mothers alors que ça n’avait rien à voir.

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             Il passe ensuite à un épisode qu’il faut bien qualifier de mythique : Hapshash & The Coloured Coat en 1967. Pourquoi mythique ? Parce que Guy Stevens. Un Stevens qui se pointe avec un projet enregistré avec les «ultra-hip underground artists Nigel Weymouth and Michael English», des mecs qui dessinent des posters pour l’UFO et qui sont à l’origine de Granny Takes A Trip on Kings Road. L’Andrew rencontre enfin Guy Stevens qu’il qualifie de «real mover and shaker in that mod in-crowd». C’est Chris Blackwell qui lui demande en 1964 de s’occuper de la distribution du catalogue Sue en Angleterre, puis qui le nomme A&R d’Island Records, avec le succès que l’on sait (Spooky Tooth, Free, Mott The Hoople and co). L’Hapshash qu’il amène chez Liberty est selon l’Andrew «a psychedelic, bongo freak-out jam» featuring the Human Hits and the heavy Metal Kids qui ne sont rien de moins qu’Art, c’est-à-dire les VIPs qui vont devenir Spooky Tooth.  

             Sur Liberty on trouve aussi Canned Heat - The most important act I picked up in those early months as a product manager - L’Andrew rappelle qu’il fait la promo des artistes signés sur Liberty aux États-Unis - Le département A&R américain avait enfin signé un groupe qui m’excitait - Il s’exclame : «Canned Heat became my cause célèbre», qu’il écrit en italique avec les accents. Il les fait tourner en Angleterre et les accueille à l’aéroport. Il voit Henry Vestine débarquer avec une boîte contenant ses 45 tours préférés qu’il emmène partout. Puis voilà Al Wilson qui, avec John Fahey, a redécouvert Son House en 1964. Pour l’anecdote, Son House avait oublié toutes ses vieilles chansons et Al Wilson, qui les connaissait bien, les lui a ré-apprises. Plus loin dans le book, l’Andrew revient sur l’excellent Hooker ‘N Heat, enregistré par Hooky et Canned Heat sur United Artists. Alors l’occasion est trop belle de le sortir de l’étagère.

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             C’est l’Hooky qui ouvre le bal d’Hooker ‘N Heat. Il t’embarque ça vite fait au hey hey look what you did/ Got my money babe. Quelle présence ! On l’entend claquer sa corde basse à l’ongle sec sur «Send Me Your Pillow». Il est tout seul. Sur «Sittin’ Here Thinkin’», il y va au lookin’ through my window pane, avec une baby gone with another man. Il tape du pied sur la planche. Superbe artiste ! En B, il tape un «Drifter» en suspension et Al Wilson passe des coups d’harp. Mais au moment où paraît l’album, Al a cassé sa pipe en bois, et on voit son portrait accroché au mur. Ça continue au deep boogie blues d’Hooky le cake avec «You Talk Too Much», puis c’est l’hypno voodoo de «Burning Hell» - When I’ll die/ Nobody knows where I’m going - Il n’y a que lui qui puisse chanter ça. En C, l’Al gratte le boogie africain avec l’Hooky sur «I Got My Eyes On You». Et la grosse machine de Canned Heat se met en route sur «Whiskey & Wimen». Fabuleux heavy boogie, avec le bassmatic dévorant de Larry Taylor. On n’en finira jamais d’adorer cet album. En D, Hooky monte «Let’s Make It» sur le riff raff de Boom Boom Boom, Aw aw aw aw ! Et tu as en prime tout le power de Canned Heat. Stupéfiant ! L’Hooky a du pot d’avoir ces mecs-là derrière lui. «Peavine» est gorgé de son, d’énergie et de passion. Canned Heat accompagne un dieu vivant. Ils terminent avec «Boogie Chillen No 2» chauffé à blanc et Henry Vestine part en vrille amphétaminée. C’est bien que cet album extraordinaire soit sur le label d’Andrew Lauder.

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             Le voilà encore chez les Wizards & True Stars avec Captain Beefheart. Comme Strictly Personnal floppe aux États-Unis, l’Andrew part en croisade pour laver l’honneur du bon Captain. Il trouve l’album «still very Delta blues based», mais avec des tendances avant-gardistes et psychédéliques. L’Andrew s’avoue profondément déçu «car il n’a pu rencontrer the great man qui n’est pas venu faire la promotion de l’album en Angleterre after all.» Il passe directement à un autre Wizard, Tony McPhee - So the Groundhogs were my first bona fide signing and quite a bargain at £52 - Il sort Scratching The Surface, «a pure British blues album». Selon l’Andrew, Tony McPhee s’inspire directement d’Hooky et de Buddy Guy «who Tony would always say was the first to really investigate feedback.» Mais le breakthrough album sera Thank Christ For The Bomb. McPhee y dit adieu aux sixties. John Peel n’aimait pas leurs deux premiers albums qu’il trouvait boring, mais il raffole de Thank Christ et, nous dit l’Andrew, de «Soldier» qu’il passait en boucle. Toujours sur sa lancée, l’Andrew rappelle un truc essentiel : les Groundhogs jouaient très fort - Pre-Motörhead, the Groundhogs were as loud as anything I’d ever heard - Il évoque un Top Of The Pops où les Groundhogs jouaient «Cherry Red», un épisode dont les gens parlent encore. Pour l’Andrew ça ne faisait aucun doute : «the Groundhogs were going to be a truly mega band.» Le meilleur publiciste du groupe fut sans doute Kurt Cobain, comme le rappelle l’Andrew un peu plus loin, les voilà élus précurseurs du grunge, comme ils furent dix ans avant élus précurseurs du punk. Ils sont aussi vénérés par The Fall, Steven Malkmus, Captain Sensible et Julian Cope. Et comme sur cerise sur le gâtö, nous avons Split, l’un des plus beaux albums de l’histoire du rock anglais. 

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             Chez Liberty, puis United Artist, il est aussi en charge de Creedence pour l’Europe. Et ce joli bouquet de gros bonnets éclot avec Hawkwind, qui est sans doute le point culminant de la carrière d’Andrew. Le soir où il découvre Group X à l’All Saints Hall, Peely est là aussi, et c’est lui qui indique que Group X va devenir énorme et qu’il faut les signer. Les deux moteurs du groupe sont Dave Brock et Nik Turner. Dick Taylor produit leur premier album. Il vient de quitter les Pretties après SF Sorrow et veut faire autre chose, alors il devient producteur. L’Andrew revient sur l’extraordinaire saga d’Hawkwind, il évoque tous ces personnages abracadabrants, Robert Calvert, Michael Moorcock, Barney Bubbles et puis bien sûr Lemmy qui avait été auparavant roadie pour The Nice et Jimi Hendrix. Il n’avait jamais joué de basse avant son premier gig avec Hawkwind, il grattait des accords comme au temps de Rockin’ Vicars. L’Andrew remet les pendules à l’heure : «On a jamais considéré Hawkwind comme des innovateurs, mais qui a réussi à sonner comme eux ? Ils ont aussi préfiguré Roxy Music.» Il en rajoute une belle louche deux pages plus loin : «Même s’ils partaient loin dans l’espace, ils avaient bien les pieds sur terre et ils ont parcouru un sacré bout de chemin depuis les concerts gratuits sous les arcades du Westway à Notting Hill.» Seul Andrew Lauder peut se permettre un tel éloge, car ce n’est pas sans raison qu’il a protégé le groupe et sorti leurs albums : «Il n’y avait rien de flashy dans le drug-fuelled space rock d’Hawkwind, pas de frime non plus, et il n’y avait avait rien de prévisible chez eux, ce qui n’était pas le cas du groupe qu’était devenu Pink Floyd.» Et aux États-Unis, nous dit Andrew, il n’existait aucun groupe qui sonnait comme Hawkwind. C’est sans doute la plus belle des louanges. Quand Lemmy fut viré du groupe, l’Andrew dit que son enthousiasme pour le groupe a baissé d’un cran. Pour lui, Hawkwind commettait une grosse erreur. Puis le groupe va quitter United Artists, puis une guerre éclate entre Dave Brock et Nik Turner, mais l’Andrew s’en lave les mains. Aux yeux d’Andrew, Hawkwind reste l’antithèse du glam et du prog. Ils font partie du proto-punk anglais. John Lydon était fan, les Pistols tenteront même de reprendre «Silver Machine». D’où la grande fierté d’Andrew Lauder.

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             Quand il met le nez dans le rock allemand, il ne fait pas semblant : Amon Düül, Can et Neu!. Pardonnez du peu. Il sort Phallus Dei en 1969 - and it totally complemented High Tide and probable signings Hawkwind - Car oui, il a déjà High Tide (on y reviendra). Pour lui, Amon Düül est le plus «psychedelic and most shambolic» des groupes kraut. Il est encore plus dithyrambique sur Can  - Je n’ai pas le souvenir de beaucoup d’albums qui m’aient autant excité à la première écoute - Il parle de Monster Movie. Malcolm Mooney, black déserteur américain, n’avait jamais chanté avant Monster Movie - Le seul équivalent de Monster Movie est le Velvet Underground, mais c’est une comparaison superficielle. La musique de Can had broader perimeters - L’Andrew titille son parallélisme en rappelant qu’Irmin Schmidt avec étudié avec Stockhausen, et John Cale avec John Cage et La Monte Young, puis il salue la section rythmique d’Holger Czukay et de Jaki Liebezeit, puissants maîtres de l’hypno cannoise. L’Andrew rappelle aussi que Can n’a jamais eu de set-list et n’a jamais fait de concerts «de promo du dernier album». Rien à cirer ! Fuck it ! Sur scène, ils improvisent. Ils recyclent les thèmes des cuts connus dans l’impro. L’Andrew aime aussi à rappeler que les Buzzcocks ont signé avec lui «because of my involment with Can». Attends, c’est pas fini : l’Andrew cite dans la foulée le fameux éloge d’Eno - Le premier album du Velvet ne s’est vendu qu’à 10 000 exemplaires, mais tous ceux qui l’ont acheté ont formé des groupes - Selon l’Andrew, cette formule s’applique encore plus à Can. Parmi les fans de Can, il cite les noms de John Lydon, Mark E. Smith, Julian Cope, Pete Shelley and Jesus & Mary Chain. Jolie brochette ! Alors on sort Monster Movie de l’étagère.

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             On est tout de suite frappé par «Father Cannot Yell», bien pulsé du beat. Unique pour l’époque, c’est âcre et solide, sans répit, loin des mots, loin du cœur, mais au cœur du mythe. L’Andrew a pris ça en pleine poire, comme tout le monde. Black Mooney au micro. Les dissonances sont directement inspirées de «Sister Ray». Ils bouclent leur fier balda avec «Outside My Door». Heavy beat cannois mais à rebrousse poil, avec Mooney en tête de gondole. Ah cette façon qu’ils ont de développer en tirant l’overdrive, en transparence et sans à-coup ! Mooney dévore vivante la fin apocalyptique. Par contre, rien à dire de la B, à part bof. 

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             L’Andrew embraye aussi sec sur Neu! - J’ai adoré le premier Neu! dès la première écoute - Il flashe particulièrement sur «Hallogallo». Il n’en finit plus de flasher. Flish flash flosh, 36 chandelles ! Son book est un book de flashman. Une flash bible ! Il donne tous les détails de l’histoire de Neu!. On savait l’Andrew passionné, mais avec le temps, ça ne va pas en s’arrangeant. Plus on vieillit et plus on s’excite, c’est logique. Bon après il se vautre lamentablement avec Tangerine Dream. Au fond, c’est une bonne chose qu’un mec comme Andrew Lauder ait des défauts. Ça rassure.

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             Côté copines, l’Andrew en a une belle : Maureen, une Américaine qui a bossé pour Morris Levy chez Roulette, pour Florence Greenberg chez Scepter, et qui est bien pote avec Juggy Murray Jones de Sue Records. Et puis il y a le fameux fiasco du concert new-yorkais de Brinsley Schwarz au Fillmore, avec 140 journalistes anglais invités, nourris et logés, l’Andrew donne tous les détails. De toute façon, Brinsley Schwarz n’a jamais marché nulle part. L’autre fiasco est celui des Groovies qu’il réussit à faire venir à Londres. L’Andrew est fan de leurs albums sortis sur Epic et Kama Sutra. En tant que fan inconditionnel des Charlatans, il est aussi en contact avec Mike Wilhelm, il connaît Loose Gravel et ça le botte bien l’Andrew que Chris Wilson soit désormais dans les Groovies. Il fait d’abord venir Cyril Jordan à Londres. Maureen et lui l’accueillent dans leur appart à Queensgate. Mais c’est compliqué d’avoir un lascar comme Cyril Jordan à la maison, il sort le soir, rentre à des heures impossibles et fout la musique à fond, réveillant Maureen et Andrew. Ah ça par exemple ! En plus, il n’écoute qu’un seul cut, le Cyril, «Tumbling Dice» qui vient de sortir. Sous leurs bonnets de nuit, Maureen et Andrew sont consternés - We felt like parents with a troublesome teenager at home - C’est drôle, Marc Z disait exactement la même chose du Cyril : gâté-pourri, insupportable, auto-centré, ma gueule, rien que ma gueule, wouah ma gueule. Puis l’Andrew fait venir le reste des Groovies à Londres. Il les installe dans une ferme à Chingford, dans l’Essex et ils commencent à tourner en Angleterre et en France. 60 dates environ en 7 mois, nous dit l’Andrew, et non 250 comme l’affirme le Cyril - Which mathematically was a complete impossibility - Ils enregistrent à Rockfield et s’y plaisent tellement qu’ils envisagent de titrer leur album Bucket Of Brains, d’après la «Welsh local beer, Brain’s beer». Pour l’Andrew, l’épisode Groovies tourne au cauchemar. Ils lui prennent trop de temps. Trop de problèmes qu’ils pourraient régler eux-mêmes. L’Andrew réussit à sortir deux singles magiques, «Slow Death», puis la cover du «Married Woman» de Frankie Lee Sims, mais il ne peut plus prendre le groupe en charge. Shake Some Action ne sortira pas sur United Artists mais sur Sire - They hadn’t made the impact I expected - L’Andrew finance leur voyage de retour à San Francisco et coupe le cordon ombilical. Il leur file les cuts enregistrés à Rockfield, car ça n’intéresse personne en Angleterre. Par contre, Greg Shaw saute dessus. L’Andrew l’autorise à sortir «You Tore Me Down» sur Bomp!. Et c’est grâce à Greg Shaw que les Groovies signent sur Sire en 1975 - Shake Some Action avait tout pour décrocher le pompon, mais les Ramones et Talking Heads sont arrivés. Alors les Groovies se sont retrouvés le bec dans l’eau, incapables d’entrer dans la danse du punk - Fabuleuse chute du Niagara. Rien n’est plus vrai que cette épouvantable tragédie. Marc Z dit aussi avoir tout fait pour les aider et qu’en retour, rien, nada. Nada aussi pour l’Andrew. On sent à travers ces pages remonter un gros relent d’amertume. Par contre, il garde de bons souvenirs de Rockfield qui dit-il était entre 1971 et 1976 «a second home». Il y enregistrait Hawkwind, Brinsley Schwarz, Help Yourself, Motörhead, les Groovies, Feelgood, Del Shannon et plus tard les Stone Roses.

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             L’autre groupe chouchou, c’est Man - this tight, free-flowing jamming band with that classic West coast dual guitar sound - Il compare Micky & Deke à John Cipollina et Gary Duncan. Des cuts de 20 minutes. C’est ça le problème. Le ventre mou du rock anglais à cette époque. On ne gardait pas les albums, ni ceux de Man et encore moins ceux de Brinsley Schwarz. L’Andrew fait l’éloge de Rhinos Winos & Lunatics. Cipollina viendra même tourner avec eux en Angleterre en 1975. L’Andrew enregistre les concerts et sort Maximum Darkness. Il soutient le groupe tant qu’il peut. Ils s’allument avec de tonnes de dope et du serious drinking. Sur scène, Micky lance : «We may not be the best band in the world but we smoke the most dope.» «That’s a pretty fiffing epitaph», ajoute l’Andrew, «et parfois, il m’arrivait de penser qu’ils étaient le meilleur groupe du monde. They could be so good, it was scary.» Ces pages sur Man sont palpitantes. On sent bien le fan qui tartine son miel. 

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             Retour du fan en fanfare avec Feelgood ! Il commence par dire que «Wilco ne faisait pas confiance aux record companies, et il avait bien raison.» Alors ils se mettent d’accord sur la méthode d’enregistrement - It was only about the edge - Vic Maile est l’ingé-son, l’Andrew l’a déjà fait bosser sur Hawkwind, Amon Düül et Greasy Truckers. C’est aussi Vic Maile qui a enregistré le Live At Leeds des Who pour Polydor. Wilko ne veut aucune interférence - We kept it simple - Down By The Jetty sort en 1975, on s’en souvient tous comme si c’était hier. Pochette en noir et blanc, son mono. Pour l’Andrew, Feelgood, c’est le retour du beat boom. Il ne se pose pas de questions, ça va se vendre ou pas ? - J’ai toujours pensé que quelqu’un aimerait ça de la même façon que moi. Et j’ai vite découvert que je n’étais pas seul à aimer ça - Et hop ça s’accélère, la période est chaude, il évoque Stiff avec Barney Bubbles aux graphics, Dave Robinson, Jake Riviera et Nick Lowe, rien que des vieilles connaissances. Boom, le BUY1 de Nick Lowe sort en août 1976, suivi des Pink Fairies, de Roogalator, du Tyla Gang et de Lew Lewis. Le BUY6, c’est «New Rose». Pourquoi Stiff ? Parce que Stiff passe par l’Andrew pour la fab. Et bien sûr, ils ont sa bénédiction. Il rencontre alors McLaren qui lui demande si ça l’intéresse de signer les Pistols - Maybe I’m the person that can handle them - Il vient d’ailleurs de signer les Stranglers. Et comme il a déjà bossé avec Hawkwind et Lemmy, les Pistols ne lui font pas peur. Mais il réfléchit et se dit que ce n’est pas pour lui. Pourquoi ? Parce qu’il a signé les Stranglers et les deux groupes se haïssent profondément. Il rappelle McLaren pour lui dire qu’il décline, et deux jours après, les Pistols sont sur Virgin. Ainsi va la vie.

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             Après United Artists, l’Andrew va monter Edsel et Demon Records. Il commence par sortir le single de Nick Kent & The Subterraneans sur Demon, l’excellent «My Flamingo». Le premier album paru sur Edsel est The Ultimate Action, produit par George Martin. Puis il débarque chez Island, mais il sent qu’il n’a pas les coudées franches. Il explique que les Groundhogs et Hawkwind seraient impossibles chez Island. Blackwell lui demande d’aller voir Vic Goddard sur scène et de lui faire un rapport, et l’Andrew n’y va pas de main morte : «He was trying to be a crooner and simply couldn’t sing.» Pas question de le signer. Blackwell s’intéresse à des choses qui n’intéressent pas l’Andrew : Robert Palmer, Grace Jones, Spandau ballet et Blue Rondo A La Turk, «so-called purveyors of cool jazz pop». Il exprime son désaccord et bien sûr se fait virer. Il y a aussi des pages sur U2 dont on se passerait bien. Il a aussi signé les Meteors sur Island, mais ils se sont fait virer aussi sec. Allez hop, à dégager ! En gros, l’Andrew dit : «On n’est pas du même monde.»

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             Pas grave, il navigue en père peinard avec Edsel et Demon. Premier LP Demon : Dr John Plays Mac Rebennack. C’est le Demon FIEND  1. Puis il sort Clarence Gatemouth Brown, Johnny Copeland, Del Shannon, le Bigger Than Life de Lamont Dozier, et crack, il sort tout l’Hot Wax, c’est-à-dire Freda Payne, Chairmen Of The Board, Laura Lee, puis il entre en contact avec Al Bennett chez Hi pour sortir Al Green, Otis Clay, O.V. Wright et Ann Peebles. Tu vois un peu le niveau d’Andrew Lauder ? Il ressort en Angleterre tout le gratin dauphinois de la meilleure Soul américaine. Puis il sort sur Edsel l’ahurissant Frenzy de Screaming Jay Hawkins, et quand il tape dans le rock anglais, c’est pas triste non plus : The Creation, puis The Merseybeats, The Big Three, The Mojos, The Paramounts, et The Artwoods qu’il avait rencontrés à ses débuts chez Southern. Et ça explose avec le Roger The Engeener des Yardbirds, puis The Larry Williams Show. La liste est longue, il faut lire ces pages, ce sont les pages d’un fan devenu fou, ça tourne au Fantasia de Walt Disney, les balais sont des disks classiques, et ça continue avec Albert King, Major Lance, Clyde McPhatter, Rufus Thomas, Sam & Dave, puis retour en Californie chérie avec Kaleidoscope, Moby Grape, The Beau Brummels, Mad River et Quicksilver Messenger Service, which was our 200th release. Avec un mec comme l’Andrew, tu es en de bonnes mains. Sur Demon, il sort Robert Cray et pour lui les deux albums du grand Robert - Bad Influence et False Accusation - «are amongst the highlights for me at Demon». Et ça continue avec les Long Ryders, The Dream Syndicate, Green On Red et bien sûr The Rain Parade. Wham bam thank you Laud ! 

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              Puis arrive le chapitre Silvertone et donc les Stone Roses - When they were good, they were very good, but at times they were awful - Il aura ensuite le privilège de rater Sonic Boom. Il avait voulu signer Spacemen 3, mais le groupe battait de l’aile à l’époque. L’Andrew réussit toutefois à sortir Spectrum. Puis nouveau label : This Way Up, avec The Tindersticks et puis Redd Kross, c’est dire si l’Andrew a le bec fin. Il sort Phaseshifter en 1993. Pour lui, Redd Kross a dix ans d’avance sur les autres. Wham bam ! Il réussit même à les faire tourner en Angleterre, alors t’as qu’à voir ! Puis il monte Cello Recordings et sort des gens comme Jerry Boogie McCain et Beverley Guitar Watkins, rien que des superstars méconnues. L’Andrew rappelle que Beverley Guitar Watkins, dont on a fait grand cas inside the goldmine, a accompagné Ray Charles et B.B. King. C’est encore l’Andrew qui sort More Oar, l’extraordinaire tribute à Skip Spence. Et sur un nouveau label de red nommé Acadia, il sort une centaine de CDs, dont les Sir Douglas Quintet, Hot Tuna, Jorma Kaukonen, Sons Of Champlin, les Charlatans et bien sûr Kaleidoscope. On en revient toujours à Kaleidoscope. Evangeline, c’est encore lui. Mais comme c’est dur à vendre, il arrête les machines en 2008, quitte le Devon et part s’installer dans le Sud de la France, à Seillans, dans le Var. Il vend du vin et des produits locaux. Il a aussi un petit rack de CDs - Je n’irai pas stocker des choses que je n’aime pas, aussi les clients ne trouveront chez moi que Del Shannon, The Artwoods, Jefferson Airplane ou Howlin’ Wolf». Il a démarré avec Wolf et il finit avec lui.

             Il continue cependant de fouiner : il dit adorer «Jason Isbell, Drive-By Truckers, and Wilco and a lot of harder to find stuff. It’s mostly country that’s rough around the edges and steeped in rock’n’roll.» Il a découvert Turnpike Troubadours et American Aquarium.

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             La chute est spectaculaire, c’est un vieil homme qui s’exprime : il cite le nom de Chris Knight qui était un ami de John Prine - Il sonne comme un vieil homme très en colère. On le décrit comme le dernier d’une lignée mourante. Je m’identifie à ça. Quand on est mordu par la musique, on ne peut plus rien faire. J’étais au départ a music fan et j’ai fini par en vivre. Mais maintenant, ça appartient au passé - Andrew Lauder ! Fascinant personnage. Fascinant book. Fascinante époque. Merci Andrew pour ce big book qui d’une certaine façon te réconcilie avec la vie, enfin ce qu’il en reste.   

    Signé : Cazengler, Andrew Lourdaud

    Andrew Lauder. Happy Trails: Andrew Lauder’s Charmed Life And High Times In The Record Business. White Rabbit 2023

    Can. Monster Movie. Liberty 1970

    Canned Heat & John Lee Hooker. Hooker ‘N Heat. United Artists 1971

     

     

    L’avenir du rock

     - Muddy Gurdy manne

    (Part Three)

             Tout compte fait, l’avenir du rock adore errer dans le désert. Il y hallucine plus que dans la vie normale, alors il ne va pas s’en plaindre. Au contraire. C’est même un luxe que beaucoup de gens lui envieraient, s’ils savaient. Notre erreur dans le désert vient de contourner une grande dune et il tombe soudain sur trois personnes alignées côte à côte, au milieu de nulle part. Pour ajouter à l’incongruité de la scène, ils sont tous les trois étrangement vêtus. Surmontant sa stupéfaction, l’avenir du rock s’approche du plus petit, un moustachu basané aux cheveux crépus, vêtu d’un costume gris anthracite et d’une cravate, et demande :

             — Que faites-vous là ? Vous attendez le déluge ?

             — Non ! Nous attendons li Tigévé Muddy Pylinées di 14 houls 15 !

             Intrigué, l’avenir du rock ne pense même pas à lui demander s’il a quelque chose à boire.

             — Je vous ai déjà vu quelque part !

             — Yé souis Muddy Ben Balka ! Citte crapoule d’Hassan y m’a jité dans li disert !

             — Et lui, à côté... Je connais cette gueule d’empeigne...

             L’homme porte un chapeau et un manteau noir, par soixante degrés à l’ombre. Il fixe l’horizon de ses gros yeux liquides, et de sa bouche ouverte coule un filet de bave. Muddy Ben Barka reprend, mais en chuchotant : 

             — Ci M li Muddy, y vous dila pas un mot. L’est mouet comme oune calpe di l’Oued !

             L’avenir du rock est soufflé de rencontrer Peter Lorre en plein désert. Quant au troisième personnage, c’est encore autre chose : il est assez jeune, coiffé d’une frange épaisse et vêtu d’un costard rouge vif très moulant. L’avenir du rock s’excite soudain :

             — Mais je vous reconnais ! Vous êtes Ronnie Bird !

             Ronnie se met alors à chanter :

             — Vous avez l’air heureux/ Après tout ça m’est bien égal/ On dit qu’entre vous c’est sérieux dans ce muddy journal !

             — Ah Ronnie comme ça fait du bien d’entendre ce Muddy Journal dans le désert ! Hey Ronnie, c’est qui ton groupe préféré ?

             — Les Muddy Blues ! Et toi, avenir du rock ?

             — Muddy Gurdy !

             — Ah c’est des babs ?

             — Non c’est des Bibs !

     

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             Ça fait du bien de voir redébarquer Muddy Gurdy. Comme on connaît tout leur set par cœur, on se contente de savourer chaque seconde de leur présence. L’attention se concentre essentiellement sur Tia. Cette fois encore, on a l’impression qu’elle a «progressé», que sa voix est plus black, plus gospel-black. Quand elle descend dans les profondeurs de «Down In Mississippi», elle réussit à atteindre le fond du désespoir black, tel que l’exprimait J.B. Lenoir. Elle est fabuleusement juste et fascinante d’intégrité, si l’on part du principe que J.B. Lenoir est l’un des artistes les plus purs du cheptel sacré, par la qualité de sa voix et par la force de son engagement : nul mieux que J.B. n’a su chanter le traumatisme causé par le racisme des blancs dégénérés.

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    Ce n’est pas non plus un hasard si Tia tape plus loin dans le «Strange Fruit» de Billie Holiday, elle semble avoir pris fait et cause pour les pauvres nègres que les blancs s’amusaient à pendre haut et court. Plus aucune trace de Jessie Mae Hemphill dans son set, dommage, car Jessie Mae est au cœur de sa mythologie. Dans le petit article que consacre Soul Bag à Jessie Mae, Tia dit avoir récupéré des objets lui ayant appartenu, dont apparemment une guitare. L’occasion ne s’est pas présentée d’en parler avec elle après le concert. Dommage. Sur scène, Tia porte une petite robe noire, qu’elle doit souvent ajuster, car le haut glisse sur sa poitrine. Entre chaque cut, elle parle un peu aux gens, et tripote le gris-gris qu’elle attache au micro. Elle fait son vieux «Black Madonnas» et l’excellent «Boogie/Bourrée» qu’elle base sur une théorie : boogie et bourrée auraient des racines communes, et ce genre de subjectivité plaît infiniment à un public visiblement acquis, puisque constitué essentiellement des fans de la première heure.

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    Tia et ses deux amis parviennent comme chaque fois à faire décoller l’énorme hydravion d’Howard North Mississippi Country Blues, et une fois décollé, la carcasse vrombit de tous ses moteurs, pulsé par les basses de la vielle électrique et allumé en pleine gueule par les plans boogie hérités d’Hooky et de Fred McDowell que Tia gratte sur son Epiphone. Dans ces moments d’extrême power, Muddy Gurdy rivalise de sauvagerie contenue avec les géants du genre, à commencer par les North Mississippi Allstars. L’autre smash n’est autre que le «Skinny Boy» de R.L. Burnide, pareil, boogie down in the face, claqué sévère par Tia et pulsé par les basses de la vielle, dans un savant mélange d’osmose et d’alternance, qui rappelle le freakout du «Snake Drive» des North Mississippi Allstars. Encore un joli coup avec le «Chain Gang» de Sam Cooke où elle sort d’une manche qu’elle n’a pas les meilleurs accents gospel.

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             On en finirait plus de chanter les louanges de Tia Gouttebel. En marge de Muddy Gurdy, elle enregistre de temps en temps des albums solo captivants. Le dernier en date s’appelle Lil’ Bird. Elle y tape quelques covers, dont deux cuts signés Don Cavalli ! Elle monte bien «Black Coal», elle va le chercher pour lui rendre hommage, elle jette toute sa niaque dans la balance et cavale sur l’haricot du Cavalli. Le deuxième s’appelle «No Friend No Love», elle l’épouse au plus près. Ces deux cuts ne sont sur aucun des albums de Don Cavalli, pour la simple et bonne raison qu’il les lui a offerts. Avec «Serial Cooker», elle distille des finesses perchées de kingdom. C’est d’une beauté tutélaire, Tia est une artiste complète, hey sugar, et elle relance ! Elle revient aussi à sa chouchoute, Jessie Mae Hemphill, avec «Lord Help The Poor & Lonely». Une flûte Peule la suit. C’est fabuleux de rising sun. Elle refait tout le boulot de Junior Kimbrough, du Mali au Mississippi. C’est très pur, vraiment chanté à la revoyure, superbement hanté par la flûte et les percus. Elle tape son «Mississippi Scream» d’ouverture de bal au Missip stomp. En plein dans l’esprit. Elle est dessus au pur jus d’esprit pur. Avec son morceau titre, elle charge fantastiquement la barcasse. Elle joue au plus près de la vérité, elle est dans l’authenticité. Le beurre, c’est Francis Arnaud, il bat dans la baratte. Avec «Sweet Lotus Blossom», elle fait son Tav Falco, au cha cha cha de la rue de la Lune. Et comme la polyvalence n’a plus de secret pour elle, elle finit avec l’«El Paso Rock» de Long John Hunter qui fut jadis arraché à l’oubli par Billy Miller, sur Norton. Rien de révolutionnaire, juste du good jiving d’El Paso, un shuffle d’orgue assez manic. Belle démonstration de force. 

    Signé : Cazengler, maudit gourbi

    Muddy Gurdy. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 3 février 2024

    Tia Gouttebel. Lil’ Bird. Not On Label 2017

     

     

    Inside the goldmine

    - D’Angelo Biafra

             Quand on entrait chez Angelou, on avait clairement l’impression d’entrer dans un autre monde, un monde chargé de mystère et de danger. Vue de l’extérieur, cette maison paraissait petite, construite de bric et de broc, mais une fois à l’intérieur, elle paraissait immense. On arrivait dans une espèce de cuisine trash. Sur la gauche se trouvaient deux portes fermées, sans doute des chambres, et sur la droite s’étendait un espace mal éclairé, très bas de plafond, qui semblait très profond. Sur de très longs canapés en simili-cuir gisaient des corps, beaucoup de corps, oh une bonne dizaine. Ces gens dormaient-ils, étaient-ils sous l’emprise de drogues ? On entendait une musique un peu diffuse - Shiny shiny shiny boots of leather - et après avoir fait le tour, le regard revenait se porter sur Angelou qui trônait derrière sa table de cuisine, en compagnie de sa compagne et de quelques adolescents. Angelou devait mesurer deux mètres et peser deux cents kilos. Un buisson de broussailles couvrait sa grosse tête ronde et des lunettes à fines montures lui donnaient l’allure d’un barbare converti au christianisme. Il parlait d’une voix bourrue à la Michel Simon. Il t’indiquait une chaise - Tiens pose ton cul ! - et te remplissait un grand verre à bière d’alcool pur - À ta tienne ! - C’était le verre de bienvenue. Sa façon de t’accepter chez lui. Mais tu devais surveiller tes propos, car tu n’appartenais pas au cercle rapproché. Angelou était le petit frère d’un très bon ami et c’est en tant qu’ami de son frère qu’il m’acceptait. Entrer chez Angelou, c’est la même chose que d’entrer dans un pays en guerre avec un passeport. Tu prends tes risques, personne ne te force à les prendre. La conversation se mit à rouler - Roule ma poule ! - Angelou brandissait sa bouteille - Vide ton verre ! - Il était extraordinairement drôle, il était même irrésistible, mais il fallait se forcer pour rire, car la tension restait palpable. Angelou hébergeait des dealers - Tout ce que tu veux ! - et prenait des commandes de contrats. Les heures passaient. Angelou monologuait. Sa compagne et les ados grignotaient des morceaux de pizza froide et ne disaient rien. La mauvaise ampoule accrochée au-dessus de la table se reflétait dans les verres de ses lunettes. Et au moment où t’y attendais le moins, il te demandait ce que tu voulais. Payable d’avance. Cash. Tu venais du néant, tu croisais Angelou et tu retournais au néant.   

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             À la différence d’Angelou, D’Angelo n’habite pas une petite maison, mais probablement un palais. Et plutôt que de groover le néant, D’Angelo groove la modernité. On le présente généralement comme la tête de pont de la néo Soul. Il se caractérise surtout par une phobie des médias et une discographie assez maigrichonne. Quand les médias voulurent faire de lui le nouveau sex symbol, il disparut pendant quinze ans, un peu à la manière de Sly Stone. Bon, on trouve comme d’habitude tous les détails dans wiki, alors passe le bonjour à wiki. Le plus simple, pour prendre la mesure du génie D’Angelo, c’est encore d’écouter ses trois albums.

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    Et surtout de commencer par le troisième, Black Messiah, car c’est une façon directe de renouer avec la modernité, comme on le faisait au temps où on écoutait Funkadelic ou Sly & The Family Stone. Black Messiah est un chef d’œuvre d’ultra-modernité, tiens commence par sauter sur «The Charade», tu verras D’Angelo partir de biais, c’est son truc, le biais, il réécrit en même temps le dictionnaire des élégances. S’il tape de biais, c’est au power pur, il fait une Soul mal famée qui est, comme chacun sait, l’apanage de la modernité. Il enchaîne avec une autre merveille biaisée, «Sugah Daddy», il va loin, bien au-delà de toute expectitude, il va chercher des noises à la noise avec une dextérité qui laisse pantois, et c’est peu dire. Le festin se poursuit avec «Really Love», gratté à la bloblote manouche, il indique la direction du futur de la Soul, il tape ça de biais, forcément, il plonge la tête de sa Soul dans la baignoire de la modernité. Ce n’est pas fini ! Voici «Back To The Future (Part 1)», just wanna go back/ Baby, il se montre encore une fois incroyablement délicat. Merci de ne pas faire l’impasse sur l’«Ain’t That Easy» d’ouverture de bal, c’est un heavy groove de complication pulmonaire, mais c’est bien, c’est même transgressif, la Soul ne va pas bien, mentalement parlant, elle part à l’envers. Fantastique coup de weird ! «1000 Deaths» entre dans la même catégorie, D’Angelo vise l’experiment du Sound System, c’est merveilleux et incongru à la fois. Tout sur cet album pue la modernité. Gawd, quel est donc ce génie moderniste ? Il invente le biseau du biais, il provoque la surprise en permanence, il faut vite se conformer à sa modernité. Encore une fantastique expression de l’immanence de sa prestance avec «Prayer», on peut même parler de prescience orbitale - Lawd keep me away/ From temptation - D’Angelo repousse les frontières. Il vire jazz avec «Betray My Heart», il jazze dans la java, il vise l’atonalité de l’antithèse et pour finir, il nous plonge dans un stupéfiant groove d’after modernity avec «Another Life», à coups de notes de piano atonales et de chant impubère. Il répand sa lumière sur l’assemblée des apôtres, c’est tordu et tellement beau, bien gluant, avec du sax. On y reviendra. 

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             Son premier album date de 1995. Il s’appelle Brown Sugar et s’est vendu à des millions d’exemplaires, ce qui n’est pas forcément un bon critère, en ce qui nous concerne. Par ici, on se méfie des grosses ventes comme de la peste. Par chance, l’album est bon car il s’y niche une première trace de cette modernité qui va éclore comme la rose dans Black Messiah. Le cut s’appelle «Jonz In My Bonz», D’Angelo l’embarque au groove organique, avec des bulles et des infra basses. C’est violemment beau. Ce mec a beaucoup d’avance sur son époque. Si on en pince pour le groove, alors il faut écouter «Alright», monté sur un heavy bassmatic, D’Andelo pointe du nez, that’s alright, il chante à la diaphane, il crée son monde, avec ce groove bien coloré. Encore du groove de rêve avec «Cruisin’», il va closer & closer oooh babeh dans le velours de l’estomac pour faire du groove renversé, cruisin’ togethah, il se coule dans son caramel. Il tape «Me & Those Dreamin’ Eyes of Mine» à la voix d’ange de miséricorde, il cueille sa Soul au menton avec une douceur surnaturelle, il groove son smooth. Justement, le voilà le «Smooth», il le travaille au son liquide, avec un vague relent de tatapoum, il semble rôder autour de son groove. Ah on peut dire qu’il se passe des choses intéressantes chez D’Angelo. Il faut aussi le voir chanter son morceau titre à l’évaporée. Il tape «When We Get By» à la glotte liquide, ce mec est un grand amateur de fluides. On garde le meilleur pour la fin, un «Higher» qui n’est ni celui d’Yves Adrien, ni celui de Sly, c’est un autre Higher, bien liquide, une fois de plus. Ça peine à s’élever, malgré les chœurs de gospel qui voudraient bien monter au ciel, mais D’Angelo semble vouloir les en empêcher avec ses harmonies tordues. On assiste à ce conflit impuissant. Il continue de titiller sa musique liquide, mais au bout d’un certain temps, ça ne réagit plus. Le groove ressemble à une nouille molle, malgré de spectaculaires relances. Alors il tape un chant d’harmonies de biais et ça donne le gospel moderne. 

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             Effectivement, wiki a raison, 14 ans séparent Voodoo (paru en l’an 2000) de Black Messiah, salué juste au-dessus. Alors Voodoo ? Oui, mille fois oui, rien que pour «Playa Playa», ce pur jus de voodoo trance, le groove d’hard fuck Angelique, un monde à la David Lynch, groove de la mort à la Nouvelle Orleans - Sailor & Lula - petite balade dans l’au-delà, tu flottes un moment dans la mort et tu reviens à la vie alors que tu n’as rien demandé, fuck, D’Angelo, burry me ! Groove liquide, presque nauséeux, l’un des pires de l’histoire du groove. D’Angelo te fond dessus comme l’aigle sur la belette, son «Devil’s Pie» n’est rien d’autre qu’un real deal, heavy as hell et avec «Left & Right», il passe directement à l’apanage du Black Power, et pour ça, il ramène les rappers Method Man et Red Man, du coup, ça vire rap de destruction massive, t’as intérêt à planquer tes abattis, c’est puissant, ça balaye les blancs dégénérés. On le voit ensuite prendre sa voix d’entertainer de miséricorde pour entonner «The Line». Il ooouuuhte sa Soul léchée par des vagues, c’est du groove expurgé, mais dans les pattes de l’Angelo, ça devient du prurit suprême, l’essence même du groove liquide, il te le chante dans la bouche, il va là où personne n’est encore allé. Retour à la modernité avec «Chicken Grease», un groove africain de la meilleure auspice, il en fait du lard moderne avec des chickens vieux comme le monde. Le festival se poursuit avec un «One Mo’ Gin» quasi hendrixien, voodoo baby, pur jus de heavyness hendrixienne, sans doute la suite météorique de «Voodoo Chile», il va chercher du sens, et comme si tout cela ne suffisait pas, il va encore titiller la modernité avec «The Root», une heavy Soul d’incongruité patente, jouée en mode colimaçon, d’où cette impression d’effroyable modernité, perlée d’éclats de voix diaphanes, D’Angelo travaille pour le compte de l’avenir, il allume des petits brasiers de voix ici et là, dans la plaine d’un Sahel de Soul aride. S’il décolle les voix du son, c’est sûrement volontaire. Avec «Feel Like Making Love», il passe à la petite heavy Soul de plainte non formulée. Il chante dans le blanc d’œuf, c’est très éclectique, il prend prétexte du touch me pour chercher la petite bête, mais il veille à rester en suspension d’un bout à l’autre. Il cherche probablement à faire de l’enrobé surnaturel. Il finit cet album extrêmement riche avec «Africa». Il va chercher l’esprit là où il se trouve. Son groove met parfois du temps à trouver ses marques.

    Signé : Cazengler, Dangelopette

    D’Angelo. Brown Sugar. EMI 1995 

    D’Angelo. Voodoo. Virgin 2000

    D’Angelo And The Vangard. Black Messiah. RCA 2014

     

     

    Dans les griffes de Gruff

     - Part Two

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             Dans Mojo, Keith Cameron qualifie les Super Furry Animals de «tank-driving, melancholic-psychedelic-powerpop rave machine». Pour le ceusses qui ne le sauraient pas, les Furry se firent photographier à une époque aux commandes d’un char d’assaut, pour faire la une du NME. Si un groupe sait passer en force, c’est bien les Furry. Avec les Boo, ils sont le plus grand groupe pop anglais de la seconde vague. Pour eux, c’était assez génial d’être signés par Creation, étant donné qu’ils avaient grandi en écoutant les groupes signés sur Creation, notamment les Boo - Creation had the right attitude, dit Gruff Rhys à Jamie Atkins - Les Furry débarquent chez Creation à l’époque où le label devient complètement crazy, à cause d’Oasis. Trop de blé, trop de drogues. À cette époque, l’un des membres du staff de Creation a pour mission d’organiser des parties - It was insane - Surtout pour les Furry qui n’avaient pas de ronds pour se payer un verre et qui tout à coup peuvent boire à volonté. Mais toutes ces insanités hédonistiques restent ancrées dans la musique, et c’est ce qui plaît à Gruff - It was all about the music - Il avoue aussi une énorme frustration : the frustration of not making full futuristic music. Il se trouve trop conventionnel, trop mélodique - I wanna make music and songs that are about progress and the future - Mais bon, ce qu’il fait nous convient très bien.

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             Dès leur premier album paru en 1996, les Super Furry Animals se jettent dans les extravagances. Fuzzy Logic est une mine d’or - A psych-pop wonderland - Impossible de résister à «God Show Me Magic» mené au push des Stooges et des Welsh, assaut frénétique, puis ils enchaînent avec la triplette de Belleville, «Something For The Weekend», «Frisbee» et Hometown Unicorn», avec ça ils recréent la magie de Brian Wilson et des Beatles, Gruff veille à l’énormité du son, ça doit égaler Brian Wilson, alors ça égale, et puis tu as «Frisbee» balayé par des vents de génie rock, il n’existe rien d’aussi explosif en Angleterre, puis la heavy pop de l’Unicorn ravage tout, la magie s’additionne à la magie et on voit s’élever une tour de Babel pareille à celle de Breughel l’Ancien. Gruff chante «If You Don’t Want Me To Destroy You» avec des accents de Ray Davies. Rassure-toi Ray, la relève et assurée. Ils amènent «Bad Behaviour» au big bad bad, c’est un heavy rock à l’Anglaise fouetté dans la tempête des Cornouailles et puis tout explose à nouveau avec «Mario Man» doté d’un killer solo flash. Et comme si tout cela ne suffisait pas, voilà-t-y pas qu’ils éclatent «Hanging With Howard Marks» aux pires power chords d’Angleterre, des blasters encore plus puissants que ceux de Steve Jones, et Gruff arrive là-dessus comme une rock star, ça gratte à la cocote épaisse, c’est congestionné de son. Voilà de quoi sont capables les Furry, de ce type d’extravaganza. Il pleut du son comme vache qui pisse. Gruff fait comme Teenage, mais au lieu d’envoyer les cornemuses, il envoie les guitares et ça donne le même effet dévastateur. Ils terminent avec «For Now And Ever», un heavy slow rock demented. Gruff semble réinventer le rock anglais, en tous les cas, il lui donne une nouvelle dimension, c’est du big stomp d’after glam chanté au ah ah ah ah. Ce n’est rien, vraiment rien, de dire que ces mecs ont du génie. Frappé par l’éclat de cet album, Jamie Atkins parle d’un «kind of screwbal, hopped-up take on psych power-pop with a drop or two of melancholy acid-floating on the surface».

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             Les Super Furry Animals resteront un mystère. On ne gardait pas un grand souvenir de Radiator et pourtant c’est un very very very big album, déjà rien que pour ces quatre énormités que sont «Play It Cool», «Torra Fy Ngwallt Yn Hir», «Bass Tuned To Dead» et «Mountain People» - No finer place to visit - Oui, ils sont capables de mettre le power en balancement, comme les Pixies, ils sont de véritables pourvoyeurs de pépites, d’ailleurs avec «Torra Fy Ngwallt Yn Hir», ils sonnent comme les Pixies, mais sans le faire exprès, ils jouent plein vent. Le «Bass Tuned To Dead» qui suit est passionnant, ils jonglent avec les prototypes, ils challengent les modèles et chaque fois, c’est admirable, comme chez les Pixies. Leur «Mountain People» vaut bien Big Star, mais sans prétention. Les Gallois veillent à garder les distances de la grâce. «Mountain People» sonne comme une merveille inexorable. Ils font du Big Atmopherix avec «Down A Different River». C’est amené au doux d’acou. Les Furry sont des génies du son, ils descendent dans l’effet de son, c’est pushé aux wild guitars, mais maîtrisé, il faut imaginer une descente de puissance inexorable, c’est un chef-d’œuvre bien intentionné. Ne perdons pas ces gens-là de vue. Ils sont les rois du climax. Tiens, encore une petite merveille : «The International Language Of Screaming». Quelle énergie ! C’est convaincu d’avance. Il faut les voir claquer leur chique. Ils ne font que des cuts irrépressibles, «Demons», «She’s Got Spies», encore des climats superbes, ils te coupent la chique à chaque instant, ils calment le jeu avant de gerber sur le rock anglais, et les gerbes sont spectaculaires. Ils amènent «Herman VS Pauline» à la big energy, au stomp de règlement de compte. Absolute stomp de beginner, ils jouent avec les idées, ils ont toujours du son. Ils se jettent dans le trash-punk du Pays de Galles avec «Chupacacabras» et rivent encore un clou. 

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             Toujours sur Creation, l’album suivant s’appelle Guerrilla et comme son prédécesseur, il grouille littéralement de coups de génie. Tiens on va en épingler trois : «Do Or Die», «Night Vision» et «The Teacher». Ils sont tous les trois bien claqués du beignet Welsh et tu prends tout de suite le «Do Or Die» en pleine poire, les Furry sont les rois du rock, ils taillent la route et peu de groupes sont capables de rivaliser avec cette violence épique. Tout aussi demented, voilà «Night Vision». C’est puissant et sans retour, comme la rivière du même nom. «Night Vision» est une merveille d’ultra-maximalisme, doté d’un beau retour en enfer. Avec leurs guitares et «The Teacher» ils s’en vont exploser la pop anglaise. C’est exactement ça : explosif. Avec un bouquet faramineux de la la la, mais il faut imaginer un la la la démesuré. Leurs power chords sont les meilleurs d’Angleterre. Aucun groupe n’est capable de produire une telle allégresse. Ils plongent encore dans la pop avec «The Turning Tide». Ils sonnent comme une révélation permanente et ça continue avec l’exotica de «Northern Lites», ils ont en plus cette capacité à déconner. Cette fois, on est obligé de raisonner en termes de musicalité, ils montrent une stupéfiante maîtrise des tenants et des aboutissants. Ils terminent ce bumping ride en fanfare avec «Keep The Cosmic Trigger Happy», mais Gruff le chante à l’heavy pop. Diable, comme ce mec peut être brillant !    

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             Paru en 2001, Rings Around The World est tout bêtement un album hommage à Brian Wilson. Pour au moins deux raisons : «It’s Not The End Of The World» et «Presidential Suite». Gruff amène le premier au wouahhh wouahhh. Ce mec se comporte comme un alchimiste, il transforme tout le plomb de la pop en or, fucking alchimiste, «It’s Not The End Of The World» est l’un des hits que Brian Wilson n’a pas écrit. Gruff le monte au chant d’it’s not, et il redéploie sa connaissance de Brian Wilson dans «Presidential Suite», il tape exactement dans le même univers de pureté évangélique. Dans le fond du son, des trompettes indiquent que la voie est libre, alors cap sur le firmament ! Gruff chante avec bonhomie, il offre là un exercice de mimétisme spectaculaire. Le festin se poursuit avec «Sidewalk Surfer Girl». Gruff s’y connaît en surfer girls, il a écouté tous les bons albumz de Brian et de ses frères. Sa pop coule comme du miel dans la manche. S’ensuit un hommage au Velvet : «(Drawing) Rings Around The World». C’est en plein dedans. C’est exactement la même énergie. On croit rêver. Ils passent à la pop sensitive avec «Respectable». Les Furry sont des surdoués, ils tapent dans tous les genres avec un égal bonheur. Ça ne te rappelle rien ? Oui, bien sûr, le White Album. Ils défraient encore la chronique avec «Juxtapozed With U». Gruff taquine sa muse et se prélasse dans l’effarance de l’excellence. Il groove le juxta/ pozed au mieux du groove paradisiaque qui est en fait la griffe de Gruff. Il fait danser les anges de Juxta. On ne croise pas tous les jours ce genre de merveille immaculée. Il s’abreuve encore à la fontaine de la jouvence pop pour «Run Christian Run». Il fait cette fois du pur Neil Young, un nouvel exercice de mimétisme éblouissant. Rings Around The World aurait dû bouffer la tête des charts, malheureusement sont arrivés en même temps le Strokes (Is This It) et le White Stripes (White Blood Cells). Gruff raconte à Shindig! qu’ils voulaient à l’époque enregistrer un over the top, over-ambitious album. Rings Around The World sera élu album of the year par Mojo en 2001.

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             Le problème avec le Furry c’est qu’ils ne font que des very very very big albums. Inutile de rêver, tu ne trouveras pas un seul mauvais album chez eux. Mwng fait partie de ces bombes dont seuls les Anglais sont capables, full of rustic melancholic beatitude. Tu es balayé dès «Drygioni». Ces Gallois sont bien plus puissants que ne l’ont jamais été les Manic. Leur pop-rock est violente et belle à la fois. Par contre, inutile de vouloir mémoriser les titres des cuts, tout est en Gallois. S’ensuit un «Ymaelodi Â’r Ymylon» bien ravagé par des montées de fièvre. Non seulement ce rock sonne comme un violent pied de nez à l’Angleterre, mais les Furry sont en plus de fiers dadaïstes. Leur booklet est blanc, on ne comprend rien à cette langue, mais la musique est un monde en soi, presque un appel à l’insurrection. C’est pourquoi il faut les écouter. Ils font de la heavy pop sur pieds palmés et elle avance au ouh-ouh-ouh. À la question : les Furry sont-ils solides ?, la réponse est oui. Ils enfilent les hits comme des perles, ils ont un sens de l’énormité qui nous dépasse. Comment peut-on imaginer que des paysans gallois puisent détrôner les rois du rock anglais ? En fait, Gruff ne fait que rendre hommage aux Beatles, mais avec son énergie. Ces mecs ont tellement de son, c’est hallucinant ! Plus on avance dans cet album et plus on s’en effare. On peut parler de violence du génie. Gruff chante d’ailleurs sa folk («Nythod Cacwn») au sommet de son mystérieux génie. Tout est très dense dans cet album, ils avancent dans «Pan Ddaw’r Wawr» à marche forcée, aux chœurs de fraternité. Puis ils attaquent «Ysbeidiau Heulog» à la jugulaire et là les Furry deviennent très violents. Quoi qu’ils fassent, ils restent fascinants, ils tapent dans des registres inconnus, ils naviguent aux frontières d’un Dada gallois. Qualifions ça de big Furry. Ils ont toutes les audaces et ils sonnent juste à chaque fois, c’est du grand art. Encore une violente poussée dans «Sarn Helen», un chef-d’œuvre de Big Atmospherix et ils embouchent la trompette de Miles pour lancer «Gwreiddiau Dwfn». Gruff sait les choses. Il fait de la magie. Il chante d’ailleurs dans une langue de magicien. Merlin est d’origine galloise.

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             Encore une rude épreuve avec Phantom Power, pondu en 2003. Si on cherche les œufs d’or, il faut aller directement sur le 9, «Out Of Control», bim bam boom, on n’avait encore jamais entendu une intro aussi hargneuse, même chez les Stooges. Ils font ici le big pam pam pam du Pays de Galles. Ça grouille encore d’énormités sur cet album, par exemple le power immédiat d’«Hello Sunshine», ou encore cette façon de chanter la pop avec un bonheur inégalé («Liberty Belle»), et puis voilà une vieille dégelée monumentale en forme d’heavy boogie Furry, «Golden Retriever». Plus loin «Father Father #1» décolle tout seul. Gruff a trop écouté les Beatles, sa pop retombe toujours sur ses pattes. Avec chaque cut, il ramène des tonnes de son et d’excellence, les guitares virevoltent dans la mélodie chant («Valet Parking»), les coups de guitare sont des sommets du genre avec un Gruff posé au sommet comme la cerise sur le gâtö. Dans «Slow Life», on entend de faux accents de Martin Carr qui lui même a de vrais accents de Liverpool, une ville qui a de faux accents de John Lennon. Cette lignée d’excellence n’en finira donc jamais ? Gruff déconne avec ses cuts, mais quand il ramène du son, ça redevient le Furry Power, une sorte d’iceberg immergé dans le néant de la modernité. 

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             En 2005, les Furry calment leur fureur avec Love Kraft. Ils se contentent juste de surpasser CS&N avec «Ohio Heat», ils s’américanisent juste comme ça, pour rigoler - Ohio heat/ Sweet as sugar from a beet - Mais ils n’ont rien perdu de leur Super power comme le montre «Atomik Lust». C’est le vrai power de la pop, le grand tentateur, serti d’un solo bien gaga d’effarance. En fait cet album est farci comme une dinde froide de Beatlemania, la musique des Furry reste égale à elle-même, c’est-à-dire une pop d’une richesse extrême montée sur des architectures soniques héroïques. Ils ne lésinent pas sur la grandiloquence, mais diable comme c’est beau. Avec cet album, ils vont plus sur la Beatlemania de la fin. Gruff continue d’abuser de toutes les libertés que permet la construction mélodique («Walk You Home»), il dote son «Frequency» de mélodie chant et de climats sonores exceptionnels - Take another leaflet/ From ths stand - Même les instros ont fière allure («Oi Frango»). Avec «Back On A Roll», Gruff reste dans cette perfection de la pop digne du White Album, histoire de se montrer classique jusqu’au bout des griffes.          

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             Si tu écoutes Hey Venus, mets un casque. Car tu es aussitôt bombardé. Ces mecs sont les rois du bombing. Et voilà qu’ils font du Spector avec «Run-Away». Saluons l’avènement de la heavy pop du Pays de Galles ! C’est même carrément du Brill Spectorish. Ces Gallois ont plus de rémona que n’en ont jamais eu les cadors du Brill. Ils ont le Super Power, ils ont la Furry pop, ils montent même dans des crans insolubles. Et boom, voilà que ça explose avec «Show Your Hand», ils mènent chaque cut à la victoire, chez eux c’est une manie. Ils sont dans l’expression du génie pop. Ils restent dans cette énergie extraordinaire avec «Neo Consumer». Ils ne se connaissent pas de limites. Si on en pince pour la pop, franchement, c’est eux qu’il faut écouter. Gruff part dans tous les sens et chaque fois, il est bon, car il ramène aussi du son. Avec «Into The Night», c’est le bassmatic qui passe en tête et Gruff fait une Soul de haut du panier avec la sauvagerie d’un petit branleur. Il passe même un solo de disto. Et ça continue avec «Baby Ate My Eightball», une nouvelle énormité cavalante, Gruff s’amuse, il plane all over the sound, il mélange le beat r’n’b avec le trash Welsh. Les Furry ne vivent décidément que pour la beauté du geste, comme le montre encore cette merveille, «Suckers», ils développent une fois de plus une ampleur spectaculaire, et on s’inquiète pour les concurrents, car aucun groupe ne peut rivaliser avec un tel faste, en Angleterre. Pas de doute, les Furry sont bien les héritiers des Beatles, la preuve avec «Battersea Odyssey». Ils s’inscrivent dans la lignée du power de John Lennon, c’est la même énergie. Les Furry réinventent en permanence ce vieux mythe qu’est l’excellence de la pop anglaise. Bien sûr, les lyrics sont imprimés en rouge sur un fond bleu primaire pour qu’on ne puisse pas les lire. 

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             Le dernier album des Furry date de 2009 et s’appelle Dark Days/Light Years. Pas de coups de génie là-dessus, mais trois raison d’espérer des jours meilleurs, la première étant «Inconvenience», le glam de Gruff, joué avec une telle énergie que ça dépasse le glam, ça pleut de partout, ça va ça vient entre les reins, sur un beat de rêve. La deuxième raison d’espérer s’appelle «Cardiff In The Sun». Gruff s’y positionne comme l’héritier de Brian Wilson, alors on l’écoute religieusement. T’es vite embarqué avec les guitares. Ce mec Gruff peut déclencher des agapes et transcender le génie pop. Il revient à son penchant pour les vieilles dégelées avec «White Socks/ Flip Flop». Il fait flip-flopper ses white socks et on danse le jerk. Quelle allégresse ! On le voit aussi ramener du stomp dans son Mountain («Mt»), mais pas n’importe quel stomp : le vieux stomp de Carter The Unstoppable Sex Machine. Les Furry sont fiables à 100%. Chaque cut est une aventure, du vrai Jules Verne du Pays de Galles. Ils sont moins virulents qu’au temps des grands albums mais d’une présence indéniable. Tu veux de la pop ? Tiens voilà «Inaugural Trans». Gruff n’est pas avare, il te donne toute la belle pop dont tu peux rêver. Il part toujours au quart de tour comme le montre encore «Where Do You Wanna Go». Ce Big Boss Man ne traîne pas en chemin. Il reste à l’affût. Il mène sa meute de pingouins. Sa pop file toujours droit vers un horizon de carton pâte et il fait tout pour brouiller les pistes. Alors chacun se débrouille pour démêler l’écheveau référentiel.

    Signé : Cazengler, Rhys orangis

    Super Furry Animals. Fuzzy Logic. Creation Records 1996  

    Super Furry Animals. Radiator. Creation Records 1997

    Super Furry Animals. Guerrilla. Creation Records 1999    

    Super Furry Animals. Rings Around The World. Epic 2001

    Super Furry Animals. Mwng. Placid Casual Recording 2000

    Super Furry Animals. Phantom Power. Epic 2003 

    Super Furry Animals. Love Kraft. Epic 2005           

    Super Furry Animals. Hey Venus. Rough Trade 2007 

    Super Furry Animals. Dark Days/Light Years. Rough Trade 2009

     

     

    Smog on the water

     - Part Two

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             Bill Callahan est un gentil roi du laid-back. Il peut être capable de plus profond désespoir comme des plus belles envolées lyriques. Alors on l’écoute album par album, en marchant sur des œufs.

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             Une chaise orne la pochette de Forgotten Foundation. La chaise est un thème qui lui est cher, puisqu’on va la retrouver sur la pochette de l’album suivant, Julius Caesar. Comme on est à l’âge d’or du college rock américain, le jeune Bill se spécialise dans le Weird, comme tant d’autres, de Daniel Johnston à Sebadoh, en passant par Jad Fair. Le Weird ça veut dire quoi ? Ça veut dire le vieux gratté d’arrière-garde d’«Head Of Stone II» et de «Long Gray Hair». Il sait aussi balancer des jolis shoots de disto comme le montre aimablement «Dead River». Globalement le jeune Bill teste des idées. Ses perspectives de disto se vautrent dans l’underground, comme des cochons dans leur auge. Tout est très dévié du but, assez tuberculeux, peu fiable, couvert de tâches, des expériences insalubres, rien de probant, le Smog t’enfume. Rien que des pauvres petits délires qui mettent ta patience à rude épreuve. Ça tombe bien si t’es maso. Il joue «Kiss Your Lips» sur les accords de Dave Davies dans «Really Got Me»

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             Le portrait de Julius Caesar est donc une chaise. Dès qu’on entend grincer le cello dans «Your Wedding», on sait que ça va être douloureux. Bill nous fait du laid-back expérimental un peu barré et gratté au flamenco. Si tu aimes bâiller aux corneilles, ce balda est idéal. Réveil en fanfare en B avec «I Am Star Wars», claqué aux gros accords de Stonesy. Bill pique une crise de délinquance juvénile. Il continue de ramener du très gros son dans «When The Power Goes Out» et «Chose One» ressemble presque à une chanson. Il ramène une guitare vampire dans «What Kind Of Angel», alors forcément, ça te chatouille l’intellect.

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             Sur la pochette de Wild Love, le cadre est vide. Après le portrait de Jules César en forme de chaise, le jeune Bill s’enfonce dans l’irrévérence. De l’irrévérence à Dada, il n’y a qu’un pas, franchi d’un petit bond avec «Limited Capacity». Le jeune Bill est avec Robert Pollard le dernier grand Dadaïste d’Amérique, capable de dérives artistiques réconfortantes. Avec «It’s Rough», il tape une powerful song. Il sait forcer un passage, on l’écoute en rigolant, mais au bout du compte, on s’incline, il devient en quelque sorte le seigneur de l’insistance homérique. Puis il gratte une belle gratte électrique pour s’énerver avec «Sleepy Joe». Les petits coups de piano sont censés évoquer l’apocalypse. Le Smog a un petit côté Swellmaps. Ses albums sont de modestes ouvrages d’art moderne. On y trouve des bonheurs et des prédilections. Son «Prince Alone In The Studio» est un chef d’œuvre de déliquescence. Prince Alone In The Studio, ça veut dire ce que ça veut dire. Pas loin de Procol quant à l’ambiance et quant à l’ampleur, on croit entendre Syd Barrett et l’orgue de Matthew Fisher. Le Smog chante avec la voix d’un bateau qui coule et qui s’en fout de couler, c’est à la fois somptueux et dramatique, Smog crée les conditions extraordinaires de son naufrage artistique. Ça se passe chez Smog, nulle part ailleurs. Encore une petite pincée de Dada avec «Goldfish Bowl» et après ça, le Smog s’en va coucher au panier, jusqu’à l’album suivant.

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             Joli titre et joli voilier pour The Doctor Came At Dawn, paru au siècle dernier, en 1996. Eh oui, passent, passent les siècles, soupire le vampire. Tu veux un joli shoot de primitivisme ? Alors écoute «Whistling Teapot» - Aw who needs you lying on/ Your crummy bed - Il est assez direct. Dans «All Your Woman Things», il reproche à sa poule de s’être barrée en laissant toutes ses affaires - Where you left them/ Scatered round my room - Le roi du baryton en fait une chanson. Chez Bill, rien ne se perd. Mais il se dit détruit surtout par cette conne - Now could I ignore your left breast/ Your right breast - Il parle bien sût de ses seins. Il a aussi pas mal de cuts travaillés au vinaigre de violoncelle. Avec «Somewhere In The Night», il fait du Velvet à l’envers, gratté bien sec. Et puis avec «Lize», il se prend pour Dan Penn. Globalement, Bill ne va pas très bien. Il collectionne les cuts paumés. L’album refuse de décoller, en dépit du beau voilier. Bill vire soudainement country avec «Four Hearts In A Can» - Four hearts in a can/ Speeding through the country side - Magnifique ! - Trying to out-run four thousand problems/ And four thousand girls as fast as they can - Ses cuts sont parfois des petits movies underground à la Easy Rider. On ne perd pas son temps à les écouter.

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             Avec Red Apple Falls paru la même année, Bill Smog continuer de cultiver son groove du va-pas-bien. Il fait une espèce de Lanegan à l’envers, il se focalise sur sa désaille. Trop facile d’aller mal, encore faut-il savoir en faire un art. Les Anglais raffolent de cette daube moite. Avec «Blood Red Bird», il tente de recréer sa magie noire, mais c’est top désespéré. Va-pas-bien, le Bill Smog. C’est compliqué avec des mecs comme lui, il faut juste attendre qu’il aille un peu mieux. Tout est lourd, comme plombé, même ses accords. Il se prend pour Jacques Brel dans «Red Apples», il trimballe une corde pour se pendre. Dommage, car la pochette de l’album est belle. Il passe à la petite pop avec «I Was A Strayer», il fait son Johnny Cash, ce qui n’est pas un compliment. On l’écoute jusqu’à la lie, c’est-à-dire «To Be Of Use», il semble glisser vers la tombe, il ne tient que par un arpège de trois notes. Il passe au heavy va-pas-bien avec le morceau titre. Il développe un incroyable sens du laid-back définitif. Oh ça va mal, tout est plombé, mais beau. Il cultive son petit champ de navets. Il faut attendre les beaux jours. Il se lance dans l’exercice périlleux d’une fast pop de Brill avec «Ex Con». Dès qu’il bouge un peu dans son cercueil, il devient excellent. Ah si Bill Smog n’existait pas, il faudrait l’inventer ! Pour un cadavre purulent, il est superbe, il est même plutôt alerte, avec sa petite voix de Brill. On crève d’envie de le féliciter. Il finit avec un «Finer Days» qu’il gratte au petit taquet. Il s’amuse bien avec ses petits cuts. Un vrai gamin. Il cherche la petite bête, avec son petit gratté de lowdown. Mais à la fin, ça ne passe plus. Ça finit par indisposer, c’est un coup à se rendre malade. Il joue sur une note et se plait à décevoir.

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             Par contre, Knock Knock pourrait bien être le BIG album de Bill Smog, rien qu’avec ce coup de génie intitulé «Hit The Ground Running». Il te fait le Grand Jeu, voix d’outre-tombe, chœurs pré-pubères et heavy riffing. Son cut se met en toute. Le groove s’ébranle. Il te passe sur le corps. Cowboy running. Une aubaine pour l’humanité. Il fait son Lou Reed. Il t’allume au coin du bois - All I know is hit the ground running - Sa façon de relancer le groove est exceptionnelle. Il reste dans l’expression du génie smoggy avec «I Could Drive Forever», il reclaque un coup de magie noire à coups de should have left a long time ago, il sait qu’il aurait dû se barrer depuis longtemps, il te coule son should have left dans le moule d’I could drive forever, il traîne son désespoir all down the road et te cloue comme une chouette à la porte de l’église avec the best idea I ever had. Tiens, encore une hit inter-galactique : «Held», il tape ça au heavy Smog et hop, il monte au créneau du chant, il se rend - I surrender - il dirige sa tourelle vers l’ennemi et passe au takatak, c’est un aiguilleur du ciel, il chante tellement à bride abattue qu’il en devient génial. Il vire glam avec «No Dancing», mais glam épais de va-pas-bien, glam desperate, incroyable mais vrai. Il chante à l’épaisseur assermentée. Il profite de «Teenage Spaceship» pour t’arroser de teenage spatial, c’est du pur Lou Reed, assez merveilleux. Et logiquement, il bascule dans le Velvet avec «Cold Blooded Old Times», mais du Velvet avec en prime le Weirdy Weirdah de Bill Smog. Pas de problème, ce sont les accords du Velvet, mais avec un esprit révélateur, Bill Smog s’interroge, how could I stand, rien de plus Velvet que cette vipère.

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             Dongs Of Sevotion est certainement l’un des plus beaux albums de Bill Smog. C’est là qu’on trouve «Strayed». Il ramène des accents si chaleureux et cultive un intimisme contagieux - Oh I know I’ve strayed - C’est envoûtant, il diffuse une sorte de perfection infectueuse. Alors attention, c’est un double album. Tous les cuts sont saturés de basses, dès «Justice Aversion». Il jette tout son poids dans la balance de «Dress Sexy At My Funeral». Il chante d’une vraie voix de timbre profond, à l’accent cassant - Dress sexy at my funeral/ My good wife/ For the first time in your life - Encore de la fantastique présence en C avec «The Hard Road» - When summer comes/ It’s almost impossible not to have/ Good times/ Out on the hard road - C’est ce qu’on appelle le timbre des profondeurs, Bill Smog est moins gothique que Lanegan, mais ils chantent tous les deux merveilleusement bien. Bill Smog mène son bal aux infra-basses. Il crée avec «Bloodflow» un subtil équilibre entre l’hold on du chant et l’underbeat des infra-basses. C’est un son unique. «Distance» montre encore qu’il sait monter ses œufs en neige. Il joue la carte du big laid-back avec des infra-basses encore plus infra et il se paye le luxe d’une beau développement avec une guitare électrique. Il atteint les tréfonds du désespoir avec «Devotion» et c’est tellement désespéré que ça en devient beau, comme suspendu dans le temps, my dearest friend, immobile, I will protect you until the end.

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             Paru en 2001, Rain On Lens sonne comme l’album de la maturité. Bill Smog est un fabuleux crooner, comme le montre «Natural Decline». Sa façon de pulser le natural decline est unique au monde. Elle te hante vite fait. Bill Smog sait tendre sa toile, il sait rester actif dans les entrelacs, ça donne du vrai rock US, bien secoué des cloches. En plus, il peut te donner des petits conseils, comme le montre «Keep Some Steady Friends Around». Voilà ce qu’on appelle une présence. Avec un mec comme Bill Smog, tu peux y aller, il est assez franc du collier. Il ne te prendra pas pour un con. Il te fait cavaler sur le côté, c’est un chic type, il te met en confiance, car il chante d’une voix ferme et définitive. Il s’entoure de heavy guitars pour «Short Drive». C’est forcément bon. Au beau milieu d’un aréopage de power chords, il chante d’une voix de rêve - I put my hand on your knee - Bill Smog est là avec toi, tout près. Il reste dans la heavyness avec «Life As If Someone’s Always Watching You», il est parfait dans son rôle de Père Fouettard - You know you doooo - Il te chante ça à contre-courant de la mélodie, il se permet tous les excès, c’est spécial, intègre, profond, d’une incroyable modernité. Bill Smog taille bien sa route sous le boisseau. Il s’y connaît en boisseaux. Il chante d’une voix de mille-pattes, imbu de son humidité. Il claque un brin de dark Soul avec «Lazy Rain» et ramène son baryton de vieil alligator dans «Revanchism». Il s’amuse bien avec sa glotte.

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             Encore une anti-pochette avec Supper. Et donc des anti-chansons, bienvenue au paradis du laid-back underground. Bill ramène sa fraise de laid-back avec «Feather By Feather». On note une très grande présence vocale, raison pour laquelle on le suit à la trace. Il rocke son «Morality» avec une certaine fermeté de ton et chante «Ambition» à la voix de son maître. Il est marrant avec sa casquette base-ball. «Vessel In Vain» sonne comme du typical Callahan, romantica désespérée chantée aux accents chauds - My ideal got me on the run/ Towards my connections with everyone - On boit ses paroles. On trouve en B un petit chef-d’œuvre de laid-back mélodique, «Our Anniversary». Les basses vibrent.

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             Le dernier coup de Smog s’appelle A River Ain’t Too Much To Love et date de 2005. Big album pour trois raisons. Un, «I Feel Like The Mother Of The World». Bill joue sur le contraste de son baryton avec la joie du gratté de poux. Il sonne comme le héros du how do I feel dans les éclats florentins d’une authentique excellence sonique. Le contraste est saisissant. Il sait en jouer. C’est hallucinant d’how I feel. Il souffle ici un incroyable vent de liberté. Deux, il fait son Lanegan en tapant dans l’«In The Pines» de Leadbelly. Smog fait sa sauce de low down. C’est exactement le where the sun never shines de Lanegan - Where we shiver when the North wind blows - Trois, il veut voir les flingots dans «Let Me See The Colts». Fantastique allure de lock on the door at dawn. C’est plein d’avenir. À sa façon, il réinvente l’Americana. Il gratte son «Rock Bottom Riser» à coups d’acou et il boit au barrage avec «Drinking At The Dam». Bill ne se sépare jamais de son baryton. Il devient une sorte de cabri agile avec «Running & Loping», mais le baryton s’écroule sur le château de cartes de sa délicatesse. Bill domine néanmoins son sous-continent à coups de my body inside out. Il croasse dans son marécage comme un gentil petit crapaud.

    Signé : Cazengler, Bill Callagland

    Smog. Forgotten Foundation. Drag City 1992

    Smog. Julius Caesar. Drag City 1993  

    Smog. Wild Love. Drag City 1995

    Smog. The Doctor Came At Dawn. Drag City 1996

    Smog. Red Apple Falls. Drag City 1996

    Smog. Knock Knock. Drag City 1997

    Smog. Dongs Of Sevotion. Drag City 2000

    Smog. Rain On Lens. Drag City 2001

    Smog. Supper. Drag City 2003

    Smog. A River Ain’t Too Much To Love. Drag City 2005

     

    *

    Attention, cette chronique ne présente pas deux opus d’un même groupe, mais une Saison 1 et une Saison 2. Rien d’extraordinaire en soi. Si ce n’est qu’entre se sont écoulées une dizaine d’années.

    LIKE WIRES

    ( Dingleberry Records  / 15 -09 - 2015)

    Belle couve de Brian Cougar. Adepte de la sérigraphie, principalement affiches et tissus. L’on regarde, l’on ne voit rien. Dans un deuxième temps apparaît devant nos yeux comme en image subliminale un autre tableau. Puis l’on hausse les épaules, ce peut être celui-là, quoique la composition partagée en deux, zébrée par un éclair… non ce n’est pas la Mélancolie, se superpose alors Le Chevalier, la Mort et le Diable, deux gravures de Dürer, non, le temps que le cerveau reprenne ses esprits c’est Saint Eustache, d’ Albrecht Dürer bien sûr… le bas et le haut de la gravure ont été coupés, le cerf est devenu pratiquement invisible, la partie gauche a été retouchée par notre sérigraphiste, au premier coup d’œil les changements restent invisibles. Du beau travail.

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    Comme l’on se dit qu’il y a fort peu de chance pour qu’à l’encontre du dénommé Eustache le groupe Like Wires ait été touché par la grâce divine et récompensé par une merveilleuse apparition, l’on en déduit que le choix de cette image iconique doit être en relation avec le contenu de l’enregistrement, l’on s’attend donc à un choc sonique. 

    Antoine / Julien / Martin / Matthieu

    Garrot : des intros instrumentales en début d’albums j’en ai écouté des tonnes, toutes plus ou moins semblables, celle-ci est comme toutes les autres avec cette particularité qu’elle est différente de toutes les autres, très courte mais qui prend son temps, un peu comme un bourreau sympathique qui ne précipite pas les choses vous laissant une minute de plus avant de vous occire, ne vous inquiétez pas le gars est consciencieux il fera son boulot jusqu’au bout, et vous allez en profiter à mort, pareil que Like Wires qui se permet de mettre des paroles sur son instrumental, un truc glacial qui vous coupe l’envie de vivre tout en vous conseillant de profiter de la moindre miette qui vous reste ! Blurry : il y a quelque chose de terrible chez Like  Wires, c’est que c’est méchamment beau mais c’est un peu comme ce fil chamarré qui dépasse du mur de cette accueillante chambre d’hôtel, vous le tirez avec gourmandise et curiosité, le problème c’est ce qui vient après, apparaissent très vite les excréments d’une fosse d’aisance, inutile de vous précipiter dans les toilettes, l’abysse excrémentiel se trouve dans toutes les impuissances qui nagent entre les eaux troubles de votre boîte crânienne, toutes vos colères vaines, tous vos désirs refoulés, tous vos errements, et pour finir cette explosion de haine pure, un peu comme les tentacules pustuleux du poulpe de la vengeance qui vous promet de s’en prendre au monde entier, à tel point que le chanteur en oublie de chanter pour se livrer à des imprécations vocales d’une excécrabilité ignominieusement irremplaçable. Merveilleusement beau et irréfragable comme une baïonnette qui s’enfonce dans votre corps. Hierophants : toujours cette guitare ensorcelante et cette batterie que vous suivriez jusqu’au bout du monde, puis ce chanteur qui s’enfuit de sa mélodie pour hurler, l’on comprend mieux cette espèce de dichotomie entre violence et luxuriance, entre assonance et dissonance, entre galop chaotique et ventre à terre sur les vertes et grasses prairies d’herbe tendre, Like Wires n’habite pas un monde ni tout blanc, ni tout noir, sont autant fascinés par les vives couleurs chatoyantes que par ces leurres grisâtres qui les emprisonnent et dont ils essaient de s’extraire, l’envie de tout culbuter, de tout détruire, d’envoyer tout chier, exquisité d’une punkitude pharamineuse portée au dernier degré du nihilisme de la révolte. Convict : tornade sonore, rien de plus terrible que le doute qui s’amalgame aux convictions les plus extrêmes, tout peser mais sans concession, tout casser jusqu’à soi-même, plus le temps de réfléchir, se laisser entraîner, mais mener la course en tête jusqu’au fond du gouffre, pas de répit dans ce morceau qui défile comme une horde de huns assoiffée de meurtres et de crimes, là où passent leurs instruments l’innocence ne repousse pas. Kick out the jam, ni brothers, ni sisters. Resurgence : chant de triomphe, n’en profitez pas pour exulter, crier et chanter, Like Wires est encore dans la fièvre des barricades, profitez de ces guitares qui marchent à l’amble pour relire Lorenzaccio d’Alfred de Musset, faites fissa parce que chez Like Wires la déprime se métamorphose très vite en colère, mais là c’est le moment de la dépression tourmentueuse des sentiments, quand Lorenzaccio s’aperçoit que les conjurés ne valent pas mieux que le tyran qu’ils veulent abattre, ça ne leur a pas coupé le sifflet mais maintenant le screamer  éructe et prêche comme ces prédicateurs fous des westerns qui promettent l’imminence apocalyptique du monde. Drapeau blanc : drapeau en berne oui, batterie mortuaire et guitares aux relents bluesy qui s’évaporent, Like Wires n’est pas au mieux de sa forme, colère et capitulation, heureusement il reste toujours un ennemi à abattre, cela vous donne du punch et de la hargne, facile de le désigner, la batterie appuie méchant pour vous obliger à comprendre que c’est vous-même, le cœur éclaté et la rancœur de soi-même en explosion souveraine, la guitare se traîne comme un oiseau agonisant qui bat de l’aile, quand tout est fini ne reste que le rêve et Like Wires vous repasse le début de l’intro, mais à l’envers, façon de terminer exactement comme ça a commencé, la boucle est bouclée. Que dire de plus. Que faire de moins. Si ce n’est s’enfermer dans l’hallucinatoire désillusion d’un songe angélique qui de lui-même prend la décision de découper avec un grand couteau ses ailes qui ne voleront plus. Jamais plus.

             Un jeune groupe qui s’est très vite dissout. L’on ne sait pas pourquoi. Dissensions, aléas de la vie, l’on pourrait allonger la liste hypothétique à l’infini, mais en filigrane de tout ce qui les a emmenés à splitter devait se trouver dans cette impression consciente ou non consciente, qu’ils avaient tout dit, et peut-être même qu’ils n’avaient plus rien à dire tant ils avaient tout expectoré du premier coup, un premier jet qui avait accouché d’un chef-d’œuvre.  

    Donc dix ans plus tard le groupe de Clermont-Ferrand récidive avec :

    COLD MATTER

    LIKE WIRES

    (Les Disques Bleus Enregistrement / 05 – 04 – 2024)

    Quelle est cette fleur sur la pochette, je ne suis pas un botaniste, il me plaît d’y entrevoir un chardon, la nourriture préférée des ânes que nous sommes, nous nous y ruons dessus pour la dévorer goulument malgré ses épines douloureuses. Avec au fond le cercle rutilant et infini de la vie que nous lapons jusqu’à la dernière goutte comme un nectar revigorant alors qu’il n’est que le poison qui nous tuera. Lentement. Mais sûrement.

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    L’artwork est de Bertrand Blanchard. Ils ne l’ont pas choisi au hasard. Sur son instagram il nous dévoile ses œuvres, un monde froid, figé, angoissant. Un univers qui n’est pas sans relation avec le groupe.

    Quant à cette matière froide, vous la connaissez bien. C’est celle qui nous constitue. Qui nous permet d’entrer en relation, de produire nos propres réseaux de communication avec nos semblables aussi frileux que nous, présences fantomatique errant sans but dans la calotte polaire du monde, inhospitalière et mentale, qui nous englobe.

    Antoine / Bounce / Jean / Yoann. Attention le groupe a changé

    Dark wine : (poème de Bukowski: la poésie a tué beaucoup de monde ce n’est pas une raison pour ne pas en lire. Cette étamine noire, sombre et souterrainement rouge, ainsi hissé au début de ce nouvel opus est-elle un signe au drapeau blanc qui terminait l’opus précédent, en tous les cas un avertissement aux nouveaux auditeurs, chez Like Wires les textes sont fondamentalement importants : le son a changé, plus dur, plus lourd, plus noir, la voix comme un crachat de haine désespérée, mais bientôt tout se calme, juste une guitare en fond de tympan, la batterie qui fait le gros dos mais qui ne vous déchire pas les chairs comme un tigre altéré de sang, pourquoi des poëtes en des temps désespérés demandait Hölderlin, pourquoi pas après tout, sur la bande son Bukowski lit un de ses poème Consummation of  grief, moment de calme sans volupté, maintenant les lyrics anglais du groupe rejoignent le vide vertigineux de la solitude de l’écrivain dépossédé du monde mais en plus sauvages, plus exacerbés, comme quand, enfermés dans vous-même vous vous cognez la tête contre les parois membraneuses de votre cerveau, ainsi vous comprenez d’où proviennent ces filaments de distorsion finale. Olympe : après un chant d’amour désespéré, voici un péan de haine espérée, corps à corps hardcore, un classe contre classe posthardcore les guitares qui brisent, la batterie qui casse, la voix qui prône la révolte et la vengeance, attention baisse de ton mais pas de tonus, juste pour captiver l’auditoire et hurler la revendication ultime, l’appel à la grande moissonneuse, la déglingueuse épidémiqude de têtes, l’émondeuse souveraine.  Waouf ! à vous couper le souffle. Future past : à l’emporte-pièce, est-ce que le lieu du bonheur serait celui du crime, celui du retour, une course éperdue vers la source souveraine, avec ce constat amer que ce qui nous paraissait immense est devenu tout petit, pourtant nous revenons les mains et la tête vides, nostalgie rieuse et regrets éternels, à fond de train, des cymbales qui jouent au cheval emballé, une voix qui vomit l’inaptitude au bonheur de tout être humain, une batterie qui pulvérise le tout, et ces cordes en lesquelles résonne  toute la beauté des illusions perdues.

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    Vice : les mêmes accords nostalgiques sur lesquels nous avons terminé l’écoute du précédent, c’est un peu vice-versa, celui-ci commence sur quoi celui-là se terminait, l’intensité gagne du terrain, la tempête sonore s’annonce de loin, réminiscences vocaliques, éruption laryngée, tout ce que la vie peut apporter de puissance et de tumulte. La vraie vie dirait Arthur le revenant. Tout est consommé, mais l’espoir subsiste, le désir que le chaos vital recommence une fois de plus, une fois encore, til the end. Une balade sur le côté sauvage de la vie. Une saison en enfer illuminative. Magnifique. Shards : levez-vous orages désirés, qui sème le vent des paroles récolte le vent des tempêtes prométhéennes, anti -olympiennes les chaînes que l’on se doit de briser, des glaciers étincelants des cimes les plus extravagantes aux combes glaciales les plus sombres, parmi tous ces fragments épars il s’agit d’avancer, par les hauts et les bas, jusqu’à ce sentiment final de libération suprême.

             L’on reconnaît en ces deux opus, un même esprit, je supposons celui d’Antoine puisqu’il est présent sur les deux artefacts. Une vision du monde et mieux encore une écriture du monde très particulière. L’a des affres âpres, son âme n’est pas un couteau sans lame auquel il manque le manche. Quand il la lance, il vous atteint toujours en plein cœur.

             Espérons que nous n’attendrons pas encore dix ans pour le prochain album !

    Damie Chad.

     

    *

    Il est important de remonter à l’origine des choses, même s’il faut se méfier, Heidegger nous a avertis, l’origine n’est pas nécessairement au début, elle peut être avant ou après, un peu comme l’entéléchie d’Aristote.  Quoi qu’il en soit, voici le premier opus de Pénitence Onirique.

    .........................................V. I. T. R. I. O. L.       .............................

    PENITENCE ONIRIQUE

    ( / Mai 2016)

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    La couve est de Mathieu Voisin, un compagnon de route du groupe, très belle. J’y vois une porte, quelque part et nulle part, dans les terres mouvantes du songe ou sur une autre planète. Une fente kaotique, un lieu de passage. Il ne s’agit pas de savoir où l’on va en l’empruntant mais d’où l’on vient quand on se contente de la regarder. Joue-t-elle le rôle de la lune dans le monde métaphysique aristotélicien, en deçà ou au-delà de l’astre sélénique. Dans les deux cas le mystère reste entier.

    Pas besoin d’être un initié pour comprendre que l’opus traite d’alchimie. Lecteurs avides, ne vous réjouissez pas trop vite, à la fin de l’écoute Pénitence Onirique ne vous aura pas communiqué la recette de la fabrication de l’or. D’abord parce que l’alchimie est un art de longue patience, ensuite parce qu’il ne s’agit pas avant tout d’aider à la lente métamorphose d’un vil morceau tout tordu de plomb en un cube d’or pur, mais de travailler à affiner tant soit peu la masse gélatineuse et neuronale de votre cerveau. Et croyez-moi il y a du travail à faire !

    Bellovesos : all instruments / Diviciados : chant, lyric.

    L’âme sur les pavés : l’idée musicale d’un long cheminement, étrange maintenant les guitares fusent, la batterie roule monstrueusement, le chant écorché noyé comme s’il était perdu dans un magma gélatineux, en gros malgré un ruissellement dévastateur ça se traîne, non ça ne prend pas son temps, c’est comme s’il y avait une dissociation entre le temps qui fuit et celui intérieur de l’âme humaine, ne croyez pas qu’elle soit différente de l’animale, une longue marche, les pieds nus sont peut-être enveloppés de la peau de l’âme mais ils ne marchent pas sur la terre sacrée, juste sur un résidu noirâtre, une poubelle d’athanor dont vous auriez entrevu la dérive quelque part au nord de votre ignorance, une procession solitaire d’un seul qui marche en lui-même mais face à lui-même comme si l’image de vous arpentant les contrées stériles et désolées que vous renvoie le miroir ne pourrait jamais vous rejoindre et se fondre en vous, sans cesse un décalage infinitésimal qui vous demande de durs calculs d’ajustements mathématiques entre la théorie et la praxis, entre l’échec et la réussite, entre l’éloignement de vous-même et le rapprochement de ce qui est votre absence cristalline au monde. Au bout du bout après bien des étapes opératoires l’on rencontre la mort. N’y voir aucun mal, un acte de désintégration est semblable à un acte d’agrégation, l’Alchimiste se doit de mourir plusieurs fois, lion vert et deuil de la lune noire, pour acquérir l’immortalité. Etymologiquement l’immortalité ne réside-t-elle pas dans ( = in latin ) la mortalité. Le soufre : une flamme qui rampe et s’enflamme, que de temps pour brûler l’édifice de sa propre ossature, une question de principe, le feu brûle mais ne purifie pas, il épure, il est ton meilleur ami et ton meilleur ennemi, toute consumation lente est une préservation, le danger est de se figer en soi-même, la tentation d’habiter ton propre bûcher est grande, l’ardence du feu te communique ton ardeur et tu te crois invincible, tu penses avoir atteint la plus grande subtilité, mais il faut aller encore de l’avant, écarter les tentures du deuil qui obstrue ton chemin, un grand acte de courage que de porter la main sur la matière noire du monde, après tant de noirceur il semble que la musique entonne doucement un péan apollinien, le soleil s’enflamme il disparaît pour que bientôt ne reste plus que sa rougeur, cette pourpre de cinabre dont tu te revêts. L’explosion de ta puissance est encore une désintégration. Le sel : de l’eau qui court, clinquements de vagues qui se heurtent aux falaises pour les mieux abolir, un long morceau, peut-être parce dans le processus alchimique paracelsique  de Pénitence Onirique le sel a dévoré le mercure principiel, car si l’on privilégie l’existence de l’un et l’autre, le couple royal du moi et du soi, du moi et du non-moi, le tiers est exclu,  toute descendance doit mourir, ne pas accéder à l’être, le processus alchimique n’engendre pas,  ils se perpétue dans une solitude onaniste, c’est peut-être pour cela que le vocal grogne comme un lion rouge, pas de descendants, juste des ascendants, le roi est sans royaume, le roi est le seul royaume possible. La solitude est la meilleure conseillère puisqu’elle ne peut t’apporter d’aide que tu ne connaisses déjà. V.I.T.R.I.O.L : ( acronyme latin : Visita Interiora Terrae, Rectificando Invenies  Occultam Lapidem / Visite l’intérieur de terre en rectifiant tu trouveras la pierre cachée ) : cette formule est à méditer comme un résumé opératoire de l’opérativité alchimique : ici elle est employée par Pénitence Onirique pour nous projeter au résultat final, ce qui explique l’introduction un peu solennelle, attention ce n’est pas l’érection musicale triomphale à laquelle l’on pourrait s’attendre, la basse est si lourde qu’elle instille un doute… bientôt se déchaîne un torrent de haine noire, toutes les étapes ont été respectées, l’on s’attarde sur le rappel de l’éclosion finale, cette pureté transparente de l’âme à laquelle on a atteint, mais lorsque l’on porte un regard sur le monde, il a perdu toutes ses couleurs comme si elles avaient été happées par le processus alchimique, qu’importe devant moi n’ai-je pas le joyau rubescent de l’œuvre accomplie, l’incomparable preuve absolue de ma grandeur, je lève les yeux, oculaires pulpeux sur le monde, ce sont les hommes auxquels  je veux m’affronter, je n’aperçois que des regards fuyants. Carapace fantôme vide : (il existe an official video de ce morceau produite par Les Acteurs de l’Ombre, amusons nous à dire que l’on n’voit pas un nombre minimal d’acteur ( comprenez zéro ) et un maximum d’ombre, qui explose sur un blanc luminescent… Non ce n’est pas une représentation de l’œuvre au noir et de l’œuvre au blanc, à la limite nous dirions de l’œuvre au rouge, mais de la couleur d’un feu noir, celui de la désespérance infinie.) : explosion musicale, vocal exacerbé, l’on ne peut haïr fortement que soi-même, l’adepte voulait gagner la partie contre lui-même. Il a gagné mais en même temps il a perdu, il n’avait pas réfléchi que son obscure tâche, sa lente patience, son travail ardu, tous ses efforts, toute sa ténacité l’avaient coupé de l’autre partie de lui-même, celle qui n’est pas nous, celle qui est constituée du décor du monde et surtout de ce qui n’est pas nous, non pas l’autre moi, mais les autres de moi, de la vulgaire humanité pour employer les mots justes. Se retrouve comme un bernard-l’hermite qui n’a pas su construire sa maison et qui en est réduit à habiter ce crâne mortuaire qu’il s’est obstiné à vider de la moitié de son âme. L’est condamné à tourner sans fin, la structure de la musique imite tant  ces spirales entrelacées et confinatoires du poisson rouge dans son bocal qu’elle en devient  oppressante, il hurle son désespoir, il a tenté de se rapprocher de ses frères et sœurs humain, l’on comprend maintenant pourquoi il n’a pas exposé à part entière le principe mercuriel, cet élément féminin, il ne peut plus maintenir auprès du sien un autre corps, il croyait trouver une puissance rayonnante, influente, mais non il s’est si bien retranché que les autres s’écartent de lui. L’est bien puni, il s’est infligé tout seul une dure pénitence onirique. Condamnés à vivre entre les phantasmes de son savoir absolu et les fantômes de l’humanité qui s’échappent de ses bras dès qu’il tente de les saisir et de les retenir.

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    Il existe une vidéo live de ce titre enregistrée le 19 août 2023 au Motocultor, please play loud, six sur scène, habillés de noir,  masqués,  musicalement  à la hauteur du disque, toutefois malgré l’éclairage prodigué, (le spectacle n’est pas nocturne) il manque cette dimension que votre imagination produit lorsque vous écoutez un disque tout seul chez vous, une démesure scénique que l’on retrouve par exemple dans les mises en scène symboliques de la Tétralogie de Wagner à Bayreuth, une traduction évènementielle qui serait comme une projection extérieure des tourments intimes les plus intérieurs.

    Par contre le groupe joue ici la quasi intégralité de l’album, il ne manque que le premier morceau, le Live@ Les Feux de Beltane enregistré le 08 / 07 / 2018, est bien plus agréable à voir, L’obscurité de la nuit confère une certaine magie à la prestation du groupe, cerise sur le gâteau le jeu des caméras et des prises de vue change la donne du tout au tout. Privilégiez cette vidéo, suprême avantage : le son est meilleur. !

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             Inutile de rajouter que cet album est à écouter. C’est le troisième que nous chroniquons, la première chronique (Nature Morte) a été motivée par l’attrait de la nouveauté, précisons ce n‘est parce qu’un opus vient tout juste de paraître que nous le chroniquons automatiquement, la tâche serait titanesque, encore faut-il qu’il nous intéresse.  Les goûts et les couleurs y sont sans doute pour quelque chose mais ne sauraient être totalement significatifs, de fait nous jetons notre dévolu sur ce qui nous ressemble et sur ce qui est le plus éloigné de nous. C’est ainsi que nous délimitons notre angle d’attaque appropriatoire et chroniqueuse.   Pour Vestige nous avons adopté la marche arrière de l’écrevisse, une esthétique relativement proche d’ A Rebours de Huysmans, nous y avons appris pourquoi le groupe a choisi le terme de Pénitence, l’écoute de ce premier enregistrement nous permet de comprendre pourquoi ce mot a été accouplé à l’adjectif onirique. Le langage et la pensée sont les vecteurs de toute déambulation onirique. Ce qui n’est pas dit reste du domaine de l’inconnaissable pour parodier Wittgenstein.

             Un des groupes français les plus originaux et surtout des plus authentiques en le sens où le discours musical colle au plus près des intentions induites par une démarche d’une honnêteté intellectuelle sans faille.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    La grille n’était pas fermée, au haut du perron la porte d’entrée était restée elle aussi ouverte. Le chef s’arrêta :

             _ Agent Chad, rien ne presse, la demeure est vide, laissez passer les chiens d’abord, suivez-les doucement, je prends le temps d’allumer un cigare et je vous rejoins.

    La maison n’était que sommairement meublée. Les chiens entamèrent une partie de trape-trape au travers des pièces. Au bout d’un moment ils disparurent, ils s’amusaient, cela m’agréait, leur flair fureteur était infaillible, j’étais sûr qu’aucune anomalie ne leur échapperait. Quatre larges chambres à l’étage (il n’y en avait qu’un) cuisine, salon, salle-à-manger, une salle que plus tard le Chef baptisera de fumoir. Une vaste cave, aux murs blanchis à la craie, d’une propreté méticuleuse, m’étonna. Totalement vide. Aucun mystère n’émanait de cette demeure. Toutefois la plus exigüe des pièces devaient dépasser les cinquante mètres carrés. Les volets étaient fermés, à la lumière de ma lampe torche je retrouvai le Chef assis sur un divan dans le ‘’ fumoir’’. Je crus qu’il inspectait d’un œil de connaisseur un Coronado. Je me trompai, l’avait comme un collégien les yeux rivés sur son portable.

             _ Voyez-vous agent Chad vous devriez vous économiser, regardez j’ai visité cette baraque sans bouger grâce à mon appli ‘’ Je visite la maison que je veux acheter’’. Entre nous soit-dit, je me demande en quoi elle intéresse la CIA. Les parents des propriétaires sont morts depuis trois ans, les enfants l’ont mise en vente. Du banal de chez banal.

    J’allai répondre lorsque l’on entendit les chiens aboyer. Plus malins que nous ils avaient trouvé quelque chose ! Nous les rejoignîmes à l’étage. Nous les retrouvâmes assis sur leur derrière visiblement captivés par un panneau de tapisserie à fleurs. Il n’y avait rien. Si ce n’est un trou de souris au ras de la plinthe. Je voulus y introduire un doigt, mais le Chef fut plus rapide, il sortit un étui métallique de Coronado de sa poche et l’enfonça. Un déclic se produisit, toute une partie de mur s’avança vers nous d’une vingtaine de centimètre. Derrière le panneau déplacé nous découvrîmes une niche peu profonde, vide. Le Chef grogna :

             _ Hum ! le coffre-fort de la maison, devait contenir deux liasses de billets de 500 euros et le collier de diamants de Madame. Inintéressant au possible ! Allez les cabotos on décampe !

    55

    Durant le trajet du retour, le Chef n’arrêtait pas de tripoter son portable. Ce n’était pas dans ses habitudes. Cela m’intriguait. Nous étions presque arrivés au local lorsqu’enfin il sortit un Coronado de sa poche. A ma grande surprise il ne l’alluma pas.

             _ Chef cette voiture possède un allume cigare !

             _ Merci Agent Chad, je n’en ai pas besoin !

    Hop d’un coup, il appuya sur une touche de son portable. Une flamme jaillit, avec laquelle il alluma son Coronado.

             _ Un portable briquet ! Ils ne savent plus quoi inventer :

             _ Agent Chad, ceci n’est pas un gadget, je me le suis procuré le week-end dernier au Salon de la Panoplie du Parfait Agent Secret, je vous ai d’ailleurs apporté un petit cadeau, montez avec moi au service je vous le donnerai.

    Je n’avais pas fini mon créneau pour me garer que Molossa grogna.

             _ Chef, cette fois je ne crois pas qu’elle a flairé un trou de souris !

             _ Bien sûr Agent Chad nous avons un comité d’accueil qui nous ! Ne bougez pas je m’en occupe !

    Le Chef ouvrit la portière et se dirigea d’un pas distrait vers les trois malabars qui barraient la porte d’entrée de l’immeuble.

             _ Messieurs, je m’excuse de vous déranger, zut, mon Coronado s’est éteint je vais le rallumer !

             _ Si vous voulez, mais ce n’est pas la peine, puisque nous sommes là pour vous tuer !

             _ Pas de problème, toutefois d’abord j’allume mon Coronado.

    Les trois gros éclatèrent de rire, déjà ils sortaient leurs pétoires de leurs poches intérieures. Ils n’eurent pas le temps de les utiliser. Le Chef m’expliqua peu après que c’était la touche chalumeau. Une flamme aveuglante jaillit. Déjà elle leur mordait les yeux. Leur cornée s’embrasa et leurs globes oculaires fondirent comme cornet de glace vanille dans un four à émail. Les malheureux hurlaient de douleur. Ils tentèrent de fuir, par pure compassion le Chef les abattit d’une balle de Rafalos dans le dos.

    La scène s’était déroulée si vite que je n’avais pas eu le temps d’intervenir. Le Chef traversait la rue, visiblement content de lui. Molossito poussa un jappement. Une grosse berline fonçait droit sur le Chef. Le Chef se contenta d’appuyer sur son nouveau portable. Un énorme trait de feu rampa à toute vitesse sur la chaussée, déjà elle s’était emparée de l’habitacle, des cris fusèrent, ils n’eurent même pas le temps d’ouvrir les portières, le véhicule explosa.

    _ Voyez-vous Agent Chad, c’est la touche lance-flamme, une invention des services chinois ! Sont des as de la miniaturisation, il faut le reconnaître. En progrès constant, nos renseignements sont certains que d’ici quelques mois ils auront mis au point la touche lance-missile. Passons aux choses sérieuses, laissons ces cadavres en paix, les services de la voirie les emmèneront dans leurs véhicules. Montez quelques instants avec moi, vous récupèrerez le petit cadeau que je vous ai ramenés, exprès pour vous, non ne me remerciez pas, même pas dix euros, je suis sûr que vous en ferez bon usage, je vous connais Agent Chad, je suis certain que dans votre caboche vous méditez dans votre tête un plan X ou un plan Y. Dès qu’il sera au point, venez me trouver, je vous donne deux jours de congé pour les derniers préparatifs. Je ne veux pas me vanter mais je pense que mon nouveau portable pourra vous être utile.

    56

    Le Chef me connaissait bien, c’était la pure vérité, mais pas tout à fait, lui manquait un presque rien, je ne dirais pas un je ne sais quoi, car je savais exactement l’étendue de ses connaissances… et le gouffre de son ignorance. Lui manquait juste la dernière lettre. Il y avait longtemps que j’avais dépassé les plans X et Y. J’en étais au plan Z ! Le plus dangereux, après lui il n’y en avait pas d’autres.

    J’ouvris l’enveloppe. Elle contenait une seconde enveloppe. Sur celle-ci je reconnus l’écriture du Chef, ses grosses lettres majuscules rouges qu’il utilisait pour les annotations impératives. Celles dont l’exécution ne souffrait d’aucun détail. AGENT CHAD CECI EST UN DOCUMENT ULTRE-SECRET. LISEZ-LE ET DETRUISEZ-LE IMMEDIATEMENT. Il NE DOIT SOUS AUCUN PRETEXTE TOMBER ENTRE LES MAINS DE VOS ENNEMIS. JE VOUS EN CONJURE : LISEZ-LE NON PAS DE L’ALPHA A L’OMEGA MAIS  DE A à Z.

    J’avoue qu’il me fit une grosse impression. Les ennemis avaient tenté voici à peine trois heures de liquider froidement le Chef. Il leur avait échappé chaudement. Toutefois il n’avait pas écrit ‘’Nos’’ ennemis mais ‘’Vos’’ ennemis. Et puis surtout : pourquoi donc cette lettre minuscule devant le Z ! Le Chef m’avait-il deviné !

    Au toucher, c’était un dossier assez épais, une centaine de feuilles au minimum, mais plus lourd que du simple papier. Je déchirai l’enveloppe, le temps pressait. Le Chef m’avait donné deux jours. Je poussai un cri de surprise qui tira Molossa et Molossito de leu sommeil. Un document secret, mais il y a au moins trois millions de français et plusieurs centaines de milliers d’autres qui l’avaintt lu. Moi-même je l’avais aperçu à plusieurs reprises ces trois dernières journées.

    Le dernier numéro du magazine ELLE ! Le Chef n’étant pas ce que l’on pourrait appeler un féministe enragé, je me devais de l’écouter. Le lire certes, avant tout l’étudier. Le Chef avait écrit lire et non pas regarder. Dommage, rien que la fille sur la couverture était particulièrement jolie, je ne devais pas me laisser distraire. Je l’ai lu de bout en bout. Je n’ai rien trouvé, aucun détail qui m’aurait aidé dans l’élaboration du Plan Z. Je l’ai relu et encore une troisième fois, en commençant par la fin. Je suis resté sur ma faim. Il était cinq heures du matin lorsque j’ai abandonné. Avant de me coucher, j’ai suivi la consigne, je l’ai brûlé dans la cheminée et écoulé les cendres dans la cuvette WC

    La mort dans l’âme je me suis couché. L’on dit que la nuit porte conseil. Ce doit être vrai. Le matin, au réveil, tout était clair. Le plan était bouclé du début à la fin. Dans ma tête. Il ne restait plus qu’à exécuter.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 441 : KR'TNT ! 441 : MUDDY GURDY / CEDRIC BURNSIDE / JAKE CALYPSO + MYSTERY TRAIN + HOT CHICKENS / TOXXIC QUEEN / BURNING DEAD / WILD / VOLUTES / CRASHBIRDS / SO LUNE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 441

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    05 / 12 / 2019

     

    MUDDY GURDY / CEDRIC BURNSIDE

    JAKE CALYPSO + MYSTERY TRAIN + HOT CHICKENS

    TOXXIC QUEEN / BURNING DEAD / WILD

    VOLUTES / CRASHBIRDS / SO LUNE

     

    Cedric a la trique - Part Three

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    Voilà ce qu’on appelle un plateau d’argent : Muddy Gurdy suivi de Cedric Burnside. Ils sont pourtant venus jouer en Normandie au début de l’année, mais si on revient les voir, c’est précisément parce qu’il faut revenir les voir. Dire combien ils sont bons n’est pas chose facile. Tia Muddy Gurdy et Cedric Boom Boom Burnside brûlent d’un feu sacré qui s’appelle le blues, the real one, celui de la région de Como, Mississippi, ce coin paumé où rôdent encore les esprits de Fred McDowell, de Junior Kimbrough et du grand-père de Cedric, Rural Burnside, comme l’appelait Tav Falco. Tia Muddy Gurdy vient d’Auvergne, mais elle est allée faire un stage là-bas, comme on l’a dit dans un Part One ou un Part Two, et avec ses deux collègues auvergnats, elle y a enregistré son fantastique album avec tous les descendants des légendes pré-citées, notamment Cedric Burnside, Shardé Thomas, petite fille d’Otha Turner, et Cameron Kimbrough, petit-fils de Junior Kimbrough. Ça fait du bien d’enfoncer les mêmes vieux clous, on a l’impression d’œuvrer pour une bonne cause, même si on sait au fond de soi que ça ne sert à rien. Il n’y avait pas vraiment foule au concert, Cedric Burnside et Tia Muddy Gurdy ne remplissent pas autant les salles que le font les petits artistes electro-pop à la mode. Le problème vient peut-être du fait que Cedric et Tia proposent un son destiné aux connaisseurs. L’aspect pour le moins primitif de ce son peut dérouter les gens. On en a vu deux à la sortie qui semblaient consternés, le plus petit des deux allant même jusqu’à dire : «Bah y font toujours la même chose !»

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    On ne doit pas avoir les mêmes oreilles, car dans les deux cas, Muddy Gurdy comme Cedric Burnside, la palette de sons est extrêmement riche et variée, même dans un contexte aussi primitif. Tia Gouttebel portait ce soir-là une petite robe noire et proposait sensiblement le même répertoire que celui du mois de février, un choix de cuts haut de gamme qu’on retrouve d’ailleurs sur son album : «She Wolf» de Jessie Mae Hemphill, «See My Jumper Hanging On The Line» de R.L. Burnside, le gospel batch de «Glory Glory Hallelujah» et puis cet exercice de haute voltige consistant à reprendre «Down In Mississippi» de JB Lenoir, l’un des fleurons de l’intouchabilité des choses. Tia en fait un truc à elle, mais elle perd au passage de charme chaud de la voix du grand JB. Ça reste néanmoins un plaisir que de voir Tia gratter sa gratte au picking demented, elle parvient à enrichir son jeu en grattant du pouce et des trois doigts, semant dans son sillage des nuées de ding-a-ling effervescents. Elle joue avec cette petite rage bien combinée, on sent qu’un feu la dévore, elle s’immerge complètement dans son son et rejoint par la bande l’esprit chamanique du North Mississipi Hill Country Blues. Chacune de ses notes est une preuve de purisme, elle nous emmène aux antipodes du Chicago Blues souvent basé sur le m’as-tu-vu et revient à ce que les Anglais appellent l’inherent, c’est-à-dire l’intrinsèque, l’esprit même du blues à peine débarqué d’Afrique, cet esprit hypnotique basé sur un mélange sacré, ou un sacré mélange, c’est comme tu préfères, la perte des racines et la connaissance instinctive des distances, celles des déserts et de la savane, la brousse n’est-elle pas la même au Sénégal que dans le Mississippi ? Les animaux sauvages n’y sont-ils pas les mêmes ? Bien sûr que si : le lion tue aussi sûrement que le blanc dégénéré.

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    Tia Gouttebel re-connecte avec cette fusion des dimensions, elle développe dans son son cette intelligence sauvage qui te permet, si tu es noir, de jouer du blues quand ta vie est baisée. Elle renoue avec cette beauté venue du fond des âges via les bateaux négriers, toute cette culture de la contemplation transformée par le pire commerce qui ait jamais existé sur cette terre, la traite des nègres. Il est essentiel d’avoir tout ça bien présent à l’esprit quand on écoute Tia jouer ce type de blues, même si elle est blanche. Mais c’est peut-être parce qu’elle est blanche qu’elle passe comme une lettre à la poste, de la même façon que Mike Bloomfield ou Peter Green, ces gens atteignent des niveaux artistiques qui les autorisent à fondre les concepts dans un moule pour les transcender. Tia Gouttebel détient ce pouvoir, elle ne cherche pas à étendre son répertoire, elle se contente de sonner juste. Épouvantablement juste. En plus, elle dispose de l’atout fatal : la voix. Elle peut rendre hommage à cette reine de la nuit que fut Jessie Mae Hemphill, qui rappelle-t-elle, ne sortait jamais sans son petit chien et son flingue.

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    On est à Cléon, à deux pas de l’usine Renault, mais Tia nous expédie dans une autre réalité, ou pour être plus précis, nous donne une toute petite idée de ce que serait cette autre réalité. Sachez par exemple que Jessie Mae Hemphill vivait à la fin de sa vie dans une caravane et si tu frappais à la porte, tu avais intérêt à ne pas rester devant, car elle tirait des coups de fusil à travers cette porte. Tav Falco savait où se trouvait la caravane et il prenait sa moto pour aller rendre visite à Jessie Mae qu’il vénérait. C’est tout simplement miraculeux qu’une personne en France ait l’idée de rendre hommage à une artiste aussi fondamentale que Jessie Mae Hemphill. Mais aussi à Otha Turner dont elle reprend le «Station Blues». Souvenons-nous que Jim Dickinson transforma le vieil Otha en Dionysos pour le célébrer. Dommage que Tia ne s’étende pas davantage sur JB Lenoir quand elle annonce «Down In Mississippi», car JB dit des choses assez graves sur le Mississippi, comme d’ailleurs Andre Williams dans «Mississippi & Joliet», c’est un endroit où les gens n’aiment pas beaucoup les nègres. Avec «Down In Mississippi», JB Lenoir revient sur le thème qui l’obsède : la chasse aux nègres - They had a huntin’ season on a rabbit/ If you shoot him you went to jail/ The season was always open on me/ Nobody needed no bail - Quand vous reverrez le Mississippi Burning d’Alan Parker, vous comprendrez ce que JB voulait dire par «chasse aux nègres». Il est essentiel de préciser que JB Lenoir fut l’un des militants noirs les plus engagés contre le racisme prédatoire du Deep South.

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    Cedric Burnside a de la veine d’avoir une gonzesse comme Tia en première partie. Quand il arrive sur scène, la salle est chauffée, l’ambiance bien palpable. Comme il le fit en début d’année, Cedric démarre son set assis. Il claque quat’ cuts à coups d’acou et s’il devient très vite spectaculaire, c’est parce qu’il fluidifie de plus en plus son jeu, accompagnant chaque note d’un mouvement de tête assez sec. Il joue un blues âpre et beau, très physique, très fascinant. Il joue comme Tia, au picking demented, avec une main droite posée en cloche au dessus du chevalet, cling clang tchak a-cling clong, il taille des passages rudimentaires dans l’infinitude des possibilités du blues d’accords ouverts, et finit toujours par retomber sur ses pattes en traficotant des figures de style extrêmement tintantes.

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    Il fait claquer toutes ses notes comme s’il traquait la moindre résonance, il clic-claque comme un one-man magic band de Circumstances, mais comme si cela ne suffisait pas, il fait le show avec une ferveur qu’il tempère magistralement par des éclats de rire. Cedric Bursnide n’arrive même pas à se prendre au sérieux. Il faut voir ce cirque : chaque fois qu’il sort vainqueur d’une transition aventureuse, il se marre comme un bossu. C’est l’apanage négroïde, la candeur définitive. Il a bien compris qu’en France les gens ne comprenaient pas l’Anglais, aussi rationne-t-il ses histoires intermédiaires de manière drastique. Terminé les histoires drôles du grand-père qui l’envoie chercher une fiancée. L’animal se contente de well-well-weller comme son grand-père et de dire aux people qu’il est vraiment très content d’être là sur scène. Fantastique personnage, il donne des leçons de présence, il est d’une intensité qui pourrait servir de modèle à tous les artistes, surtout ceux qui ne savent pas communiquer avec un public.

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    À la fin du set acou, il se lève, vire la chaise et branche l’une de ses deux guitares électriques. Un petit gros à la peau blanche le rejoint sur scène et se met à l’affût derrière les fûts. Alors Cedric entame son pèlerinage au pays du North Mississippi Hill Country blues, hard-pickening de plus belle sur sa gratte et s’il récupère quelques nouveaux disciples en route, il pourra, comme Jésus le fit sans doute jadis, se féliciter de n’avoir pas perdu son temps. Non pas que ce blues revête une dimension religieuse, n’exagérons tout de même pas, mais il apparaît pourtant assez clairement que le personnage de Cedric Burnside relève d’une réelle forme de spiritualité, ne serait-ce que par l’infaillibilité de son mode de transmission. Il s’inscrit dans une lignée, mais il ne s’inscrit pas seulement des mains et de la glotte, il s’inscrit de tout son corps. C’est sa façon d’être physique, il joue de toutes les forces de son corps de petit nègre et se sent porteur d’une tradition venue du fond des âges.

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    Il arrive que certains artistes dépassent les espérances du Cap de Bonne Espérance, et Cedric Burnside en fait partie, mais en toute modestie. Il vit chaque instant de son blues, multipliant les mimiques, il est tour à tour le forçat du chain-gang avec le menton pointé vers l’avant, le pasteur aux yeux clos entré en osmose avec le cosmos de son église en bois, le black rigolard qui ne pense qu’à la rigolade et aux parties de dés, le blues shouter décidé à bouffer le cul d’une grosse salope blanche, mais dans son regard éclate parfois cette particule de rage qui évoque Nat Turner, le chef de la révolte sanglante de Southampton, en Virginie. Il est aussi le crack des culs de basse fosse et donne du souci aux garagistes quand il décide de casser la baraque avec «We Made It» ou encore «Typical Day», l’irrésistible occasion de sortir le plus gros beat du Mississippi pour défoncer la rondelle des annales, surtout celles d’Alan Lomax. Aw fuck, comme ce blues et vivant, ça n’a rien à faire avec les objets de musée que voulait en faire Lomax. Cedric Burnside est un arbre de vie symboliquement replanté sur un continent hostile et dramatiquement matérialiste, mais c’est un arbre de vie qui dégouline d’esprit séculaire et de sève, il suffit de voir ce mec et sa guitare pour le comprendre.

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    Pour comprendre aussi que TOUT le rock vient de là et du gospel des Como Mamas qui comme par hasard viennent du même coin. Como, comme Commotion ! C’mon ! Cedric Burnside ressort aussi sa vieille débinade de no way out, «I’m Hurting», ça s’enrage tout seul, pas besoin de discours, tu prends ce beat en plein gueule, ça ronfle sous cette bayadère qui rime si richement avec débarcadère, vas-y secoue tes chaînes, Soul ta couenne, blues ton cul, il se marre à voir trembler les colonnes du temple des patrons blancs. On est tellement ravi de voir enfin un vrai géant. Il tient tête au monde, sans la moindre trace d’arrogance, par la seule force de son génie black. Il va ensuite plonger le museau de la Traverse dans un cloaque de heavyness avec un fan-tas-tique «Death Bell Blues» tiré de ce dernier album qu’on n’en finit plus de réécouter, Benton County Relic. Tiens, on donne cent albums de garage en échange d’un seul Benton ! Gimme the trique !

    Signé : Cazengler, la burne

    Muddy Gurdy/Cedric Burnside. La Traverse. Cléon (76). 9 novembre 2019

    Pour mémoire :

    Muddy Gurdy. Vizztone Label Group 2018

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    Cedric Burnside. Benton County Relic. Single Lock Records 2018

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    Hit the road Jake - Part Two

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    Ce serait commettre une grave erreur que de faire l’impasse sur les vieux coucous de Jake, à commencer par les deux albums de Mystery Train.

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    Cheers Cheers Rock’n’Roll date de 1994 et tient rudement bien la toute. Jake nous fait le coup du big rumble de basse dès le morceau titre et nous pond un rockab cryptique sourd comme un pot. Tout sur cet album est gratté sec et slappé du beignet dans les règles de l’art. Ces Trains fous nous boppent «My Baby Runs Away» à la folie Méricourt, celle qui court toute seule - You tell me why/ Wouahhh - Ils savent allumer un brasero, Jake fait du wouahhh et ça vire sale rockab bon a rien qu’a jamais vu un peigne et qu’est méchant comme une teigne, let’s go cat rock, aooh ah ooh ! Wolf in the bag ! Avec «Hot Sexual Fret», Jake va plus sur les roots, il va même en devenir l’expert numéro un, certainement le meilleur en Europe. Il y va, on se croirait dans l’Arkansas, en 56. Ils savent créer cette magie. S’ensuit un bel hommage à Gégène avec un «Blue Jean Bop» rebondi à l’extrême et saqué au sec de caisse claire. On voit bien qu’ils le vénèrent pour le jouer aussi bien. On trouve aussi une cover de «Brand New Cadillac» assez gonflée. Jake va sur le Vince, soutenu par un bassmatic sourd et pénétrant. On a là l’admirable restitution d’un hit que Roger Armstrong d’Ace considère comme le plus grand hit jamais sorti en Angleterre. Back to the wild rockab avec «Love Me More». Slap devant toutes ! On se croirait chez Lew Williams et ce démon de Jake ramène sa fraise en plein slap-and-burn. Il n’existe rien d’aussi parfait que ce pulsatif rockab. Ils terminent avec une furieuse reprise du «Rock ‘n’ Roll» de Led Zep. Ils l’embarquent au wild beat et Jake devient fou. Les Stray Cats devraient écouter ça et prendre des notes. Jake montre non pas le chemin de Compostelle mais celui de la démesure.

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    L’année suivante paraît Crazy Young & Wild, et sa pochette motorbike. On voit Jake chevaucher une Norton, comme Tav Falco. Mais bon, on n’est pas là pour les motos, cet album est tellement bourré de merveilles qu’il faut absolument essayer de l’arracher à l’oubli. Ceci dit, l’album n’est pas facile à trouver, mais pour rester positif, disons qu’avec les outils dont on dispose aujourd’hui, c’est plus facile qu’avant. Premier coup de Jarnac avec «Little Rocker», embarqué au swing de pompe manouche. Pour les amateurs de jumping jive, c’est le paradis. Ils enchaînent avec un sacré clin d’œil à John Lee Hooker, «Everybody Rockin’ Blues». «In The Dark» boucle l’A et sonne très Stray Cats, avec le slap dans le collimateur du mix. On pourrait appeler ça une incroyable métamorphose. Retour au swing en B avec «Baby Mean». Ce sont les compos de Philippe Nowak qui swinguent. Il penche plus pour la pompe manouche. On tombe plus loin sur une excellente reprise de «Born To Be Wild». Jake et ses deux amis swinguent la couenne du vieux Steppenwolf. Le rumble de slap et les coups d’harmo touillent bien la fournaise. Ils filent à 100 à l’heure dans les «Dark Streets Of London», un cut d’allure très Stray Cats lui aussi. N’oublions pas de saluer bien bas le «Drives Up To The Moon» monté sur un joli drive de reins et bombardé aux ah ah ah et aux ouh-hii. Jake fournit tout le slap pendant le solo de bonne clairette. Ça pue l’enthousiasme à dix kilomètres à la ronde. Quant au morceau titre, disons qu’il s’inscrit dans la veine de Gene Vincent et du heavy jive de biker.

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    Retour aux Hot Chickens avec cet excellent Drunk Dirty & Damned paru en 2004. Et quand on dit excellent, on est encore à des centaines de kilomètres de la réalité. Jake dédie cet album à son poto Patrick Leblond. Au dos du digi, on peut voir Jake porter un T-shirt Motörhead sous son perfecto. Ça en dit long sur son ouverture d’esprit et la finesse de son bec fin. Ils attaquent avec un «Long Black Boots» assez punkoïde, taillé à la cisaille et qui déboule à fantastique allure. Les canards boiteux ont bien compris qu’il faut aller se planquer vite fait. Après quelques exercices de cavalcade insensée marinés de cocote sauvage et d’overblowing de blast («A Rocking Soldier» et «B-Side Baby»), ils s’offrent quelques minutes de répit avec «My Baby’s Hotter Than A Vindaloo». Le cut sonne comme un havre de paix, illuminé par un solo merveilleux de clairvoyance. Il se passe des choses extraordinaires sur cet album, il faut vraiment rester sur ses gardes. On ne s’y attend pas et soudain, «Cruel Lou» nous tombe sur la gueule. Pouf ! Jake stompe la couenne du cut avec la hargne d’un Captain Beefheart mal embouché. Avec deux fois rien, il parvient à bricoler un coup de génie. Il faut entendre le drive de basse traverser le riffing ! Avant eux, personne n’y a pensé, même pas les Anglais. Jake nous refait une entourloupe un peu plus loin avec «Long Black Hobo». Ils font le train tous les trois et ils le font bien. Ils explosent le concept du long black train. C’est la curée. Ils jouent ça à la bielle et à la vapeur, ils sonnent comme la loco de Gabin qui file vers le Havre, puissance des ténèbres, violence de la pertinence, rendez-vous compte, ces mecs avaient déjà du son pour dix en 2004 ! Attendez, ce n’est pas fini ! Jake explose ensuite son «Lovely Jean» à la Little Richard. Il ne recule devant aucun exploit, il en fait un pur hit de juke, il brûle du feu sacré et comme si ça ne suffisait pas, il fait son Charlie Feathers dans «Hang Up Baby». Il shake tout le cocotier du rockab sans fournir le moindre effort. Jusqu’à la fin de l’album, il n’en finit plus de créer la surprise, comme par exemple avec ce «Just A Little Bit Of You» sacrément ambitieux, pas loin de Feelgood, un peu étrange, quasi progressif, traversé par des drives de basse en goguette. Ce qui frappe le plus chez les Hot Chickens, c’est ce mélange d’énergie et d’entrain. «Big Blond Rooster» est certainement l’un des cuts les plus enjoués de l’histoire du rock, Jake bat la campagne avec une allégresse contagieuse. Il nous claque ensuite un «Ride Me Out Of Town» tout aussi inspiré, il y cale des coups de baryton à la Summertime Blues et Didier Bourbon y passe un solo superbe. Au point où ils en sont, ils ne prennent plus de gants. Ils balancent «She’s My Liza Liz» comme des paquets de mer, on les reçoit en pleine gueule, flouf ! flaf ! Jake chante comme Bunker Hill, il sait le faire, il sait sortir de ses gonds, bien asticoté par un solo en forme de congestion tétraplégique. Quelle dégelée ! Ils réussissent aussi l’exploit d’exploser «Miserlou». Tout ce qu’on peut espérer c’est que Dick Dale ait pu entendre cet hommage fulgurant. Oui, ils sont dessus, hey hey ! Au fond, si on y réfléchit un instant, cet album pourrait bien être un laboratoire de rock’n’roll. Le mad Professor Calypso tente toutes sortes d’expériences et ça marche. On irait même jusqu’à insinuer qu’il fabrique des disks vivants.

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    Dans la série des exploits olympiques, voici Rock Therapy (Tribute To Johnny Burnette), sorti sur Sfax Records comme d’ailleurs leurs tributes à Little Richard et à Gene Vincent (Speed King et Play Gene), et le premier album de Carl & The Rhythm All Stars. Comme on dit dans le bâtiment, Jake tape dans le dur avec son Rock Therapy. Premier punch-up avec «Rockabilly Boogie». On devrait plutôt parler de bombardement, Jake pilonne son rock billy boogie tonite, il démolit tout, il fait revivre le Memphis craze à sa façon qui est fumante. Cette entrée en matière donne le ton de l’album. Boom ! C’est parti pour 14 shots de Burnette burst-off. Jake réussit même à exploser même un mid-mish mash comme «Believe What You Say». Il bouffe le Believe avec une grosse voix d’ogre et amène ensuite «Sweet Love On My Lind» au pire beat rockab qui se puisse concevoir, il amène le swing des reins, et comme les Hot Chickens louvoient sous le meilleur boisseau du monde, alors Jake hiccuppe on my mind. Sans doute est-ce là l’une des meilleures versions jamais enregistrées. C’est littéralement bardé de bardage de frappadingue. Et cette façon qu’il a de lancer «Train Kept A Rollin’» ! Yah ! Fuck, les froggies sont dessus, c’est bien meilleur que Motörhead, Jake vise la véricacité profonde du beat, il chante au gut de l’undergut. S’il fait du rokab, il le fait pour de vrai. Ils font aussi la meilleure version de «Rock Therapy» - Don’t need a doctor/ Don’t need a pill - Il rugit à chaque retour de couplet et développe un sens aigu du heavy groove. Retour à la folie douce avec «Tear It Up». C’est l’épitome de chèvre chaud du rockab, les Hot Chickens l’embarquent à fond de train. Ils explosent encore la powerhouse avec «All By Myself». Jake le chante de haut et pousse des cris d’orfraie. Il fait du rockab de hot rod, il ramène du guttaral dans le riot du Mans, quelle explosion ! Quel shouter ! Il en redemande avec «Please Don’t Leave Me». Il entre dans le chou du lard avec une niaque qui fout la trouille, il baby-please-don’t-gotte à coups de reins, il recrée tous les excès du big time et ça finit par devenir hallucinant. Ce tribute sans foi ni loi se termine avec la paire fatale : «You’re Undecided» et «Honey Hush». Il tape le premier au guttural de cabane, il l’emmène à l’abattoir et devient plus royaliste que le roi Burnette. Fabuleux Jake, il fait le show. Alors retiens bien ceci : avec cette version de «You’re Undicided», tu as tout le Deep South. Et avec «Honey Hush» tu as le paradis, si tu es fan de rockab. C’est comme dirait Lanegan the unreachable paradigm. Toute l’énergie est là, yakety yah, il l’explose à coups de cris. Il fait du burning Burnette. Burn baby burn !

    Signé : Cazengler, Hot shit

    Mystery Train. Cheers Cheers Rock’n’Roll. Rockhouse 1994

    Mystery Train. Crazy Young & Wild. Eagle Records 1995

    Hot Chickens. Drunk Dirty & Damned. Not On Label 2004

    Hot Chickens. Rock Therapy (Tribute To Johnny Burnette). Sfax Records 2008

    MONTREUIL / 30 – 11 – 2019

    LA COMEDIA

    TOXXIC QUEEN / BURNING DEAD

    WILD

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    Le mois des morts s'achève et nous sommes encore vivants, ne dites pas que nous avons eu de la chance, c'est que les rockers sont immortels. Aucune exagération en ces propos, être encore en vie après la soirée de ce trente novembre à la Comedia en est la preuve absolue. Jugez-en par vous-mêmes, nous avons survécu à trois dérèglements climatiques successifs, une pluie toxxique de filles déjantées, une fournaise zombiique sans précédent, et un cataclysme tempétueux particulièrement sauvage. Non à l'écologie, vive l'écrocklogie !

    TOXXIC QUEEN

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    Tout est question de vocabulaire. Encore faut-il s'entendre sur le sens des mots. Par exemple le mot féminicide signifie-t-il que les victimes sont de type féminin – sens commun – ou que le crime est perpétré par un sujet féminin – sens obvié que les grammairiens patentés surnomment aussi sens toxique. Les raisonnements philologiques in abstracto se perdent bien souvent en débats stériles ou oiseuses discussions, rien ne vaut un bel exemple pratique. Justement en voici un précieux spécimen devant nous.

    Quatre filles. La plus belle s'est mise au fond. Sûre d'elle, avec ses tresses d'une éclatante blondeur ukrainienne, elle captive tous les regards. Vous cherchez à détailler son visage, enfer, pandémonium et damnation, quelle est cette barbichette touffue et batailleuse, cette pilosité broussailleuse, cette touffe de chiendent entêtée qui pendouille lamentablement sous son menton, pas d'horreur possible nous avons affaire à... un gus, un gars, un guy, un geek, appelez-le comme vous voulez, en dernière extrémité vous devrez le désigner en son ignominie même : un homme ! Tromperie éhontée sur la marchandise, la pomme pourrie que le marchand glisse en douce au fond de son sac de papier !

    Car devant voyez vous, vous avez les filles, trois brunettes mignonnettes. Ne vous y fiez pas. De véritables garces, des gerces, des gargouillettes comme l'on en fait trop. Pour les travaux les plus durs, elles s'en déchargent sur le premier innocent garçon qui passait par là, à lui de taper à coups redoublés sur la batterie, le boulot le plus hardu. Parce que quand on est une reine, l'on ne peut pas décemment s'occuper de l'intendance. Leur est dévolue, une tâche d'obédience royale, ne sont-elles pas les trois Parques de la suprême toxxicité à répandre sur le bas peuple, qu'elles méprisent et regardent du haut de leur perversité naturelle. Elles n'en font point trop, car elles ne sont pas là pour travailler, juste pour signifier au monde que les filles ont pris le pouvoir de leur liberté, que désormais il ne faut plus compter sur elles pour faire la vaisselle mais que par contre leur purulente attitude n'est pas prête de s'éteindre et n'en finira plus de gâcher grave votre existence.

    Anna consent à tenir la guitare. D'un doigt fatigué, elle caresse une corde, elle semble plus préoccupée de vous cacher son minois derrière sa chevelure bouclée. Elle se prête à ce jeu, mais ne s'y donne pas. De toutes les manières vous ne méritez pas plus. A l'autre bout de la scène, Darcyphillis – appréciez ce prénom qui allie ce qu'il y a de plus sombre dans le rock, à la souvenance poétique des sur-sous-entendus libertins des madrigaux faussement innocents du Grand Siècle – arbore cet air timide de la jeune fille bien élevée qui se trouve-là par hasard et à qui l'on a demandé par surprise de faire un discours de bienvenue, elle est à la basse certes, mais bien décidée à na pas y perdre sa santé.

    Ne vous exclamez pas que la musique n'est plus ce qu'elle était, elles n'ont jamais prétendu à la virtuosité de Jimi Hendrix ou de Jaco Pastorius, elles se débrouillent très bien sans cela, elles comptent sur la décadence auto-ironique de l'outrage qui ne croit plus en sa fonction destructrice, si notre monde n'a plus de sens, sinon d'asservir les êtres humains en leur rôle d'esclaves sociaux, autant en rire et s'en amuser. Si le reflet qu'elles vous tendent dans leur miroir vous choque, peut-être est-ce parce qu'il vous ressemble trop. Et puis, pourquoi la Femme Artiste ne serait-elle pas remplaçable par la technique – c'est tout le sujet de L'Eve Future de Villiers de L'isle-Adam qui avait dédié ses Contes Cruels aux rêveurs et aux railleurs – le groupe envoie du sonique, à gros bouillons d'électronique, à vous en faire péter les ouïes, du gros, du gras, du crade, du cassé, du salmigondis concassé de seconde classe, vous voulez du rock les amis, voici du brock 'n' broc. C'est sur cela que nos deux musiciennes brodent d'un air détaché, une corde à l'envers, une corde à l'endroit. Nos deux damoiselles à la licorne, cornent la lie et l'hallali du rock !

    Aux drums ou à la balle drum-drum si vous préférez, Po n'a pas de pot, il bosse à mort, il est chargé d'humaniser à grands coups de ratonnades battériales le déluge sonore, des pétarades amplifiées, des matraquages qui vous ratiboisent la comprenette à tout jamais, même qu'à un moment il nous pète un solo excrémentiel, cet adjectif n'est pas gratuit, Durcyphillis se hâte de lui jeter des rouleaux de papier hygiénique, qui s'accrochent à ses baguettes, l'on se croirait à une compétition de GRS, avec maniement de foulards blancs ! Durcyphillis durcit le ton, elle nous bombarde maintenant de balles de ping-pong qui jouent aux pois sauteurs, encore un vol de confettis non identifiés, nos sommes en plein serpentins merdiques et crocktillons !

    Je sais compter jusqu'à trois. J'ai dit trois brunettes. Vous n'en avez vu que deux. Ely Pew Pew se tient entre ses deux guitaristes. Une longue tresse qui tombe à l'endroit exact où se termine sa jupette ultra-courte, sur la tendre douceur pâle des cuisses, avec aussi cette espèce de mèche séparée, en branche de palmier-dattier, qui lui sape de trois-quart le visage, une espèce de loque d'oriflamme qui n'est pas sans évoquer la queue mitée et mutilée des chevaux des cavaliers d'Attila incapables de brouter l'herbe qui ne repoussait pas sous leurs sabots ardents. Mais dessous, ah ! dessous ! l'échancrure de son décolleté par lequel rayonnent ses épaules dénudées, aussi belles et souveraines que celles du portrait de Madame de Récamier peint par François Pascal Simon Gérard ( c'est exposé au Musée Carnavalet, bande de voyeurs ), dépourvues de ces bretelles utilitaires de soutien-gorge qui déparent la finesse des attaches claviculaires de trop de jeunes filles modernes. Ne nous égarons pas en ces vues couturières qui s'essaient à singer les chroniques de La Dernière Mode de Stéphane Mallarmé. Ely Pew Pew est avant tout chanteuse.

    Toute seule avec son micro parmi le bruit brontosaurique, une partie déloyale s'exclame-t-on, croyez-vous que cela la gêne, pas du tout, elle domine le tohu-bohu avec une facilité déconcertante, certes l'on ne comprend pas toutes les paroles, mais les titres parlent d'eux-mêmes, Vénus Errante ( elle parle d'or et d'elles ) Army of Cloportes ( elle cause de vous, dur et d'airain ), Bouze de là ( très vache ), Evenucléation ( très phyllisophique ), l'on ne saisit pas tout, mais les bribes suffisent, ne fait rien pour attirer l'attention, pas de geste grandiloquent de comédienne professionnelle, pas de poses à l'égérie inspirée, juste une présence. L'est-là ancrée en elle-même, et ça marche, non ça court, l'assistance est sous le charme, l'ensemble de la prestation pourrait paraître hétéroclite, mais non grâce à Ely, tout cela fonctionne. A merveille. Elles seront obligées de refaire leur premier morceau en rappel.

    Je vous ai présenté les belles. Il vous reste à entrevoir la bête. Non ce n'est pas Pot le garçon commis d'office à la caisse claire – pensez à sa souffrance quotidienne à supporter ces trois Aphrodite de notre modernité déglinguée – voici Ben. N'a rien dit, n'a rien fait. Ce n'est pas de sa faute. S'est sagement tenu en équilibre sur sa branche. L'aurait peut-être mieux aimé batifoler dans sa rivière natale, un rêve impossible, il n'est qu'un pauvre ragondin empaillé. Ne riez pas, quand vous serez mort, croyez-vous que trois filles se donneront le mal d'emmener, tel un émérite trophée de choix, votre cadavre ambulant naturalisé partout où elles se produiront en spectacle ?

    Ah, Ben non alors !

    BURNING DEAD

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    Des ratés à l'allumage. Tout s'explique. Le batteur esquinté qui a déclaré forfait. Leur a fallu quelques essais pour caler la bande enregistrée de la batterie, mais une fois qu'il y sont parvenus, z'ont mis le feu aux morts et aux vivants. A tout ce qui bouge, et tout ce qui ne bouge pas. Donc deux grands gars placides et une fille. A faire peur. Je ne vous souhaite jamais de rencontrer Drina Hex, dans une rue mal famée, du bas-Montreuil. Sans quoi vous êtes morts. Enterrés d'avance. Ne vous frappera pas. Ne vous tapera pas. Pas la peine. Rien qu'à la voir. Cela suffira. Toute de noir vêtue. Pas de rangs de collier de perles de nacre autour de son cou. Trois rangées de chaînes argentées de chaque côté de son pantalon. Avec ses cheveux ultra-courts qui dessinent en miniature l'épine dorsale d'un stegosaurus, toute de noir vêtue elle ressemble à elle toute seule à la réincarnation de toutes les bandes de blousons noirs les plus féroces des années soixante. Un être malfaisant sorti des brumes d'un passé légendaire qui s'en vient assouvir une terrible vengeance à l'encontre de tous ceux qui ont le malheur d'exister. Ne vous enfuyez pas, ce serait une erreur. Approchez-vous et elle sourira. Le plus beau sourire d'enfant jamais entrevu. Une espèce de naïveté opératoire à laquelle on se soumet naturellement. Cette fille rayonne de joie et de sérénité. Faut être drôlement équilibré dans sa tête pour offrir ce sourire radieux au monde qui nous entoure. C'est elle qui s'est occupée de la sono de Toxxic Queen et qui règle celle de Burning Dead. Ne quitte pas les manettes lorsque c'est à son tour de mettre sa voix en place, une main sur les tirettes et l'autre qui tient le micro dans lequel elle déverse une sorte de guturalité spasmodique qui ressemble aux grognements enragés d'une meutes de loups en chasse qui poursuit un malheureux caribou esseulé dans les étendues du grand nord canadien. Pour elle c'est clair, la perfection est son mode de vie. Cent fois elle demandera aux deux boys de se lancer dans un bout d'essai, cent fois fois elle les stoppera, et miracle, personne ne semble indisposé, émane de cette fille une espèce de calme autorité à laquelle tout le monde se plie sans même s'en apercevoir. A la Comedia, le public aime bien que ça urge entre deux sets, mais là aucune impatience, aucune manifestation d'hostilité.

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    Donc trois sur scène. Il est des signes révélateurs qui ne trompent pas. Notamment la griffe magmaïque sur le T-shirt noir d'Orco. Après le set il m'avouera qu'il en possède quatre exemplaires de différentes couleurs et qu'il a dû voir Magma une bonne quinzaine de fois. Cela transparaît dans son jeu de guitare. Qui n'a rien à voir avec le style des différentes moutures, parfois très éloignées les unes des autres, du groupe de Christian Vander. Rien mais cette attention portée à la nuance, à l'énergie. Pas d'erreur Burning Dead est bien un groupe de metal, chaud, brûlant, qui tricote sans s'attarder sur la biscotte, c'est droit devant dans un feu d'enfer. Seulement Orco lorsqu'il vous lâche une giclée de notes, c'est de l'or pur. De surcroît il vous la sort ciselée d'une infinité de motifs héraldiques, le son n'est jamais brut, il ondoie, il spiralise sur lui-même, il est vivant, une langue de serpent, un remuement d'ondin, un jeu de soleil sur la mouvance des vagues, l'est déjà sur une nouvelle note, mais la précédente, n'en finit pas d'agoniser, elle donne tout ce qu'elle a, elle exhale ses entrailles, elle saigne, elle meurt, elle survit, elle se transcende, dites-vous que chaque goutte d'eau renferme une mer profonde, inépuisable, un vivier de possibles enchevêtrés, que l'infiniment petit est aussi immense que l'infiniment grand. En tout cas Orco confère à Burning Dead, une épaisseur sonique, une densité exceptionnelle. L'on se prend à regretter l'absence de Sarakynack, l'on aurait aimé entendre le jeu d'échange, cette complicité agissante entre guitare et batterie.

    De même pour Jean-Pierre, puisqu'il ne peut pas jouer à cache-trouve avec son batteur, la bande enregistrée ne donnant lieu à aucune opportunité hasardeuse, à aucune déviance aventureuse, il s'amuse à pierre qui roule amasse de la mousse avec Orco. Un jeu dangereux qui demande souplesse et dextérité. Et ce grand échalas de J. P. il a les lignes de basse aussi flexibles que le roseau de la fable. Orco est le chêne et J. P. la liane carnivore qui s'enchevêtre dans les branches maîtresses, ce n'est pas un duel à mort, mais un duo amical à coutelas tirés, ces ballets de guerriers indiens qui s'entraînaient à faire semblant de s'entretuer, une danse de scalp, un swing extraordinaire, une flamme vive sous le souffle du vent, J. P. amène la noirceur nécessaire à la rutilance des pierreries drapées qui tombent de la guitare d'Orco.

    muddy gordy,cedric burnside,jake calypso + mystery train + hot chickens,toxxic queen,burning dead,wild,volutes,crashbirds,so lune

    Nous n'avons pas oublié Drina Hex. Elle est là devant. Statue d'ébène immobile. Elle porte le micro à ses lèvres, et la morsure de sa voix grondante plante ses crocs dans votre chair pantelante. Son bras retombe, ses lèvres esquissent un sourire. Qui doit être responsable de la fonte de la banquise. Cependant même les ours blancs à la dérive sur leur iceberg ne doivent pas lui en vouloir. Mais ce n'est pas le pire. Derrière elle, le brasier des guitares et de l'intarissable batterie flamboient de mille feux, il semble que le monde entier va s'enflammer, et l''extraordinaire se produit, vous oubliez toute imminence, cette voix vous envoûte, vous n'êtes plus dans un concert de rock'n'roll, vous assistez à un étrange cérémonial, vous ignorez en l'honneur de quelle divinité ou de quel monstre, sa voix de prêtresse, ses silences, cette succession de répons à elle-même vous entraînent en un étrange rituel, l'assistance se fige à croire qu'un évènement miraculeux se passe-là, mais non, il n'y a que cette voix grommeleuse de jeune fille qui enfle, et qui semble renouer avec un lointain rugissement venu du fond de la nature, une espèce d'om majestueux saccadé qui doit être la résonance assourdie de tous les animaux libres et sauvages qui sont passés sur cette terre. Aux portes du mystère des origines. Tout s'arrête. Tout se tait. Alors avant que les applaudissements n'éclatent, Drina Hex sourit.

    INTERMEDE GENRé

    Peut-être en avez-vous assez des filles. Se débrouillent toujours pour mâtiner une extravagance qui attire l'attention sur leurs petites personnes. De fausses mijaurées. De redoutables séductrices. Les gars sont plus simples. Plus honnêtes. Plus francs, ne vous prennent pas par surprise. Un exemple au hasard Wild. Ce qui signifie sauvage en bonne et accorte langue françoise. Eh bien, ce sont de véritables sauvages qui vous dispensent de la musique sauvage. Rien à voir avec les panneaux marqués pelouse interdite. Vous pouvez batifoler à foison dessus. Jouer à saute-mouton ou courir lourdement sur l'herbe verte comme les Tromp-la-mort dans Les aventures potagères du Concombre Masqué de Mandryka, pas la moindre mine n'explosera sous vos pieds, même pas un obus de trois cent kilos oublié de la première guerre mondiale qui aurait attendu exprès votre passage. Donc si vous aimez la vie qui trépide il est urgent d'écouter Wild.

    WILD

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    Déjà quand on a vu les cinq gaillards monter sur scène, l'on a été vite persuadé qu'ils n'avaient pas le projet de nous faire entendre la version unplugged de New York Mining disaster 1941 des Bee Gees. Z'allaient juste se contenter du désastre. Des balèzes, des solides. Malgré Tom à la batterie et Thom à la basse, l'on était sûrs qu'il n'y aurait pas de lézarde, que ce serait Tom-Thom sans Nana. Sur ses toms Tom a installé une ribambelle pléthorique de cymbales à vous faire croire qu'il allait piloter une escadrille de soucoupes volantes affichant de très mauvaises intentions envers notre planète.

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    C'était l'exacte vérité. Z'ont commencé fissa. La joie de la destruction est aussi la joie de la création a dit Bakounine. Ce sont des garçons, détenteurs d'une philosophie primaire mais efficace. Leur esthétique est simple, vous prenez toute la filmographie de Sam Peckinpah et une paire de ciseaux. Après d'impitoyables efforts d'élimination des scènes soit-disant lénifiantes vous parviendrez à fomenter une bobine d'une durée optimale d'une heure certes, mais un condensé d'une extraordinaire violence d'images choc qui vous vaudra la réprobation générale des majorités silencieusement muettes néanmoins fortement réprobatrices.

    Un larsen à décoller la tapisserie des murs de tout un immeuble de vingt-cinq étages, ensuite une razzia démoniaque. Tant pis pour vos oreilles, subissent le même traitement que si vous étiez en un sous-marin en plongée immédiate sans respect des paliers de décompression obligatoires en eau profonde pour échapper aux grenades sous-marines qui pleuvent autour de la coque ébranlée par des secousses titanesques. L'on a l'impression qu'ils n'ont jamais eu la patience de composer un morceau en entier. Que des fragments. Mais uniquement les passages les plus violents. La montée progressive vers l'altitude paroxysmale ils ne connaissent pas. Débutent par l'orgasme. Arrêtent avant la catharsis. Death metal à donfe. Deaf metal à fond.

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    Le pire c'est que l'on y prend grand plaisir. Parce que c'est aussi beau et fascinant que le pelage d'amanite fauve du tigre royal du Bengale. Taché du sang de la proie qu'il vient d'occire. Fred et Mat sont aux guitares. De la déglinguée à vitesse astronomique, attention ne poussent pas la poussière sous le frigidaire, un jeu d'une puissance et d'une précision extraordinaire, quand ils commencent à forger les chaînons de votre servitude sonore, ils agissent en orfèvre, c'est alors que subitement vous entendez l'inaudible, une espèce d'écume sanglante qui couronne les monstrueuses vagues d'un océan tempétueux. C'est le cinquième élément. Jérôme. Aucun instrument entre ses mains, seule sa voix, j'ai vérifié l'incroyable à plusieurs reprises, l'espèce d'oratorio somptueux, cette clameur de chœurs resplendissante et symphonique qui s'ajoute aux instruments, s'y fond, s'y confond, mais finit par les soulever et les exalter, c'est bien lui.

    Ils n'ont pas joué longtemps. Seulement une éternité. Quand vous êtes transporté et submergé en un ailleurs fabuleux, en un ouvert inconnu, le décompte des minutes et des heures n'a plus d'importance. Wild nous a permis d'atteindre au point de non-retour d'une grandeur surhumaine. Quand le set s'est achevé, nous nous sommes aperçus que nous n'étions plus les mêmes. Après ce que nous venions de connaître, rentrés dans nos corps, ceux-ci nous ont paru rétrécis et étriqués.

    Est-ce vraiment un hasard si un des recueils de poésie de Jim Morrison se nomme Wilderness ?

    Damie Chad.

    ( Photos sur FB des artistes )

    CLIP ! CLIP ! CLIP ! HOURRAH !

    Où sont les peaux laiteuses des dames du temps jadis s'interrogeait ce blouson noir de Villon voici une grosse pincée de siècles. L'aurait mieux fait de s'intéresser aux demoiselles de son temps, parfois la corde au cou est préférable à celle du pendu, n'empêche que son interrogation pose question et peut s'appliquer à KR'TNT ! Nous vous avons présenté au bas mot plus d'un bon millier de groupes, mais que deviennent-ils lorsque nous les quittons du regard ? Je vous rassure ils parviennent à survivre sans nous. Même que parfois ils se débrouillent au mieux. Prenons un cas au hasard télécommandé, Volutes, nous les avions vus à la Comedia le 07 / 07 / 2019, voir notre livraison 427, depuis ils nous ont alertés, leur dernier Clip frôle les 50 000 vues ( 49 623 exactement au moment de la rédaction de cette kronic ) sur You Tube, alors on est allé voir.

    NERFS A VIF / VOLUTES

    ( Réalisation Chris Ruggi

    + Lauranne Beyer )

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    Il y en a qui font du noir et blanc, d'autres se contentent des couleurs, Chris Ruggi rugit en noir et couleurs. Quand il traite d'un sujet, ne se perd pas dans les coulisses du bavardage. L'a tout compris de Volutes. Mais à la manière des peintres de la Renaissance qui ne quittaient pas du pinceau le corps du Christ depuis l'Annonciation dans le ventre de sa sainte mère à sa mise dérélictoire au tombeau. Mais chez Volutes c'est la postulation de l'homme contemporain qui les préoccupe. L'on est loin du seizième siècle, et l'homo modernicus a les nerfs à vif. Je ne vous fais pas un dessin pour vous expliquer. Tout va mal. Merveilleusement mal. Vous avez beau chercher, vous ne trouvez pas pire. Normal que l'extrémisme musical du rock'n'roll se soit chargé depuis quelques décennies de traduire ce malaise existentiel. Mais avec quel art de l'image pourriez-vous refléter cette crise collapsique de l'être humain ? Où trouver la noise peinture qui vous klaxonne dans les yeux toutes vos déchirures. Le cinéma, la photographie, la bande dessinée, la publicité, pas mal, mais vous obtiendrez mieux en regardant plus près. De quoi ? De qui ? De vous-mêmes avec un peu de chance, sinon de vos voisins sûrement.

    Cher lecteur, ne propose plus rien, t'as tout faux, tatoo vrai ! L'art du tatouage a envahi nos corps. Le moindre sous-chef de bureau exhibe l'horaire d'ouverture de l'entreprise sur sa fesse gauche pour rappeler à sa dactylo que la galipette ce n'est pas aussi sérieux que le travail. Passons sur ces dérives capitalistiques d'esclaves en mal de représentation. Non, il existe une explosion de couleurs vitupérantes sur les chairs des derniers révoltés. L'on exhibe, avec une fierté de sioux se préparant au combat insoumissif, ses peintures de guerre que l'on déclare au monde entier. Tous guerriers du rêve, toutes guerrières du songe. Ce qu'on ne peut pas exprimer avec la violence destructrice de nos actes réprimés par les polices des pensées et des rues on l'exalte par la rutilance graphique de nos membres, de notre torse.

    Fond noir donc. Sur lequel Ruggi ne nous montre que des silhouettes, ou des fragments de corps hautement chamarrés. C'est le principe de base. Reste maintenant à aller jusqu'au fond des mots. Que l'image nous restitue l'étymologie de l'expression. Ne dites pas : il est énervé, il a les nerfs à vif. C'est d'une platitude absolue, ayez l'acidité de notre monde : il a les nerfs à vif, tout dessin est une dissection. Ce que l'homme a de plus profond c'est sa peau répétait Valéry après Mallarmé, tout dessin est une vivisection, tout acte sur le corps est une torture. Même si au delà de la souffrance l'on atteint à une mystérieuse sérénité jocondière. Les rouges saignent, les jaunes flamboient, les vert cru trucident et les bleus meurtrissent. Tous les grands maîtres du passé l'ont asséné. Sur le clip les corps se dessinent, une nef noire peuplée de fous qui ne font que passer, des pantins articulés de douleurs et de couleurs. Celles des tableaux les plus célèbres, lacérés et flashés, incrustés comme des pierreries chatoyantes que l'on aurait sertis à même les paupières de vos yeux énucléés. Chris Reggi et Lauranne Beyer vous donnent à voir les noirceurs accumulées des fièvres pigmentales. Sans voyeurisme. C'est là la force du clip, des corps, rien que des corps, mais pas de désir, la beauté de l'horreur à l'état froid. Le pèse-nerfs a écrit Artaud.

    Magnifique réussite !

    Damie Chad.

    Nous ne nous étions pas remis de la commotion volutienne que des oiseaux vinrent se poser sur la même branche. Deux cui-cui qui eux aussi ouvrent grand leur bec pour faire clip-clip. Des espèces de vautours de la dernière heure qui ricanent un old-dirty-rock-blues de derrière les fagots allumés à la nitroglycérine, vous les connaissez, ils migrent souvent en rase-mottes sur nos chroniques, la mitraillette à la main, ne croassent pas Nevermore comme le plutonien corbeau maudit de Poe, mais No Mercy, ce qui entre nous n'est guère mieux.

    NO MERCY / CRASHBIRDS

    ( Réalisation : Crashbirds

    Novembre 2019 )

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    D'habitude c'est Pierre Lehoulier qui nous mijote un truc. Voir notre ancienne chronique sur Week-end Lobotomy par exemple. Un véritable film d'animation qui a dû demander des heures de minutieuse élaboration. Mais pour les clips, c'est comme pour l'alchimie, vous avez la voix humide – au minimum neuf mois de gestation – et la voie sèche, bien plus rapide mais beaucoup plus explosive. Il existe aussi un autre danger qui menace les groupes de rock. Le clip trop chiadé qui vous bouffe la voix. Pouvez envoyer le hit du siècle, si vous avez les oreilles scotchées à la beauté des images personne ne l'entendra. Maintenant une vidéo insipide vous détournera de l'envie de l'écouter jusqu'au bout, ne faut pas un juste milieu mais un double exact extrême. Bref l'allumette enflammée et le bâton de dynamite ne doivent en rien ressembler à la mèche mouillée d'un pétard de quatorze juillet pour enfant de moins de six ans.

    Ecoutez le clip No Mercy et vos yeux ne se détachent point de l'écran, par contre vos oreilles ne quittent pas Delphine Viane non plus. Pas bête l'ami Pierrot, il lui aurait suffi de la filmer, et sa beauté et son talent auraient suffi, l'a carrément exilée, l'avait manifestement d'autres châssis à montrer. Les gars aiment rouler les mécaniques. Non, il n'a pas poussé la muflerie à se mettre au premier plan. Avec sa guitare grondante, il vous en aurait mis plein les yeux et plein les oreilles pour pas un euro dévalué par le prochain crack boursier. Exunt les Crashbirds, vous n'avez pas été sages, vous ne les verrez pas, d'ailleurs vous ne les méritez pas. Par contre vous avez votre gros lot de consolation, vous les entendez comme jamais vous ne les avez écoutés.

    Ce n'est pas que l'image fasse la courte-échelle au son qui importe. Pas plus que le vice-versa. C'est que tous deux soient visibles et audibles à grande échelle. Alors nos deux Crashbirds ils ont dû intuiter longuement dans leurs petites cervelles de piafs déjantés. Nous ont concocté un fusil à deux coups mais à triple détente. Je vous explique le processus diabolique : 1° : pour l'image, sont allés chercher des courses de hot-rods à l'américaine, pas vraiment du crash spectaculaire, des séquences de pointes de vitesse et des parcours tout-terrain. 2° : pour le son, z'ont envoyé une bande tueuse de No Mercy, pas de pitié pour l'auditeur, tant pis s'il en crève de joie. 3 ° : vous n'avez rien compris.

    En fait c'est comme une anamorphose musicale : d'un côté vous avez les courses de hot-rods, sans son évidemment, puisque c'est la guitare de Pierre Lehoulier qui pétarade à elle toute seule encore plus bruiteusement que toutes les voitures qui ont tourné sur le circuit d'Indianapolis entre 1955 et 1962, et de l'autre vous avez No Mercy qui défile, et comme votre cerveau prête la guitare de Pierre aux torpédos sauvages, vous n'entendez que la voix et la rythmique de Delphine qui vous cisaillent l'esprit et la chair. L'on n'est pas loin de la note unique de Monte Young tenue sans variation durant trois quarts d'heure, et de fait tous les rushs des mises en route tacotières et des accélérations foudroyantes sont comme régies par votre cervelle. Métaphoriquement parlant c'est vous qui imprimez les images sur une pellicule obstinément vierge.

    Bref, pour résumer, les cuicui sont d'atroces manipulateurs, sous prétexte de vous offrir une vidéo, ils en profitent pour pervertir vos organes de perception. Vos yeux entendent, et vos esgourdes voient. Le plus terrible c'est que vous ne pouvez pas porter plainte pour emprise mentale, la voix de Delphine résonne si magnifiquement en vos tympans que vous avez l'impression d'être Ulysse attaché à son mât à qui la plus belle des Syrènes susurre une mélodie incandescente dans le creux de l'oreille. Ça rôde hot en vous.

    Damie Chad.

     

    TRAGIC SECRET / SO LUNE

    ( Réalisation : Sophiane Bell

    Mai 2019 )

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    Nous les avions vus cet été, zieutez notre livraison 428 du 05 / 09 / 2019. Un garçon doué en électronique, sa sœur au chant et au violoncelle. Tragic Secret est un extrait de leur album Child Spirit. Le clip ne reprend que la première partie du morceau. Child Spirit est un des très rares concepts albums français réussis. Hormis La mort d'Orion de Gérard Manset, L'Interrogation de Dick Rivers, et le Melody Nelson de Serge Gainsbourg, l'on ne se bouscule guère au portillon.

    Mots voilés et blessures intérieures. Child Spirit suggère davantage qu'il ne susurre. C'est à vous de vous en approcher. Pour ceux qui aiment lire peut-être en trouverez-vous une approche dans un recueil de contes comme Venin de rose de Jacques Astruc. Pas facile de mettre des images sur des mots qui ne sont pas dits. A chaque seconde toute représentation ne sera que fausse interprétation, que mensonge. C'est à cette impossible gageure que s'est affronté Sophiane Bell.

    L'a compris qu'il était nécessaire de parier sur l'économie des moyens. Un visage, des doigts, une fille qui sprinte sur la plage, la mer mais celle qui s'en est allée on ne sait où dans le poème de Rimbaud. En fin de compte, le plus disert n'est-ce pas ces vermicelles de lumière qui clignotent à la manière de vers luisants alternatifs comme ces serpentins lumineux sur les images des premiers films du tout début du siècle précédent. Rien ne ressemble plus à un secret que des fugacités spermatozoïdales qui portent le mystère du possible qui n'aura pas  lieu. Est-ce le sommeil qui rêve en son puits d'anéantissement sans fond ou le rêve qui s'ensommeille en lui-même. La voix psalmodie les lyrics du tragique secret. Celui qui tue plus facilement que le venin du scorpion qui retourne son dard empoisonné sur sa carapace. Car l'on ne meurt que de soi. Le monde ne nous use pas. Ne nous érode pas. N'a aucune prise sur nous. Ce n'est qu'une illusion. Le vautour qui nous ronge le cœur n'est autre que nous-mêmes. Chacun porte en lui son propre assassin. Nous ne sommes que notre sale meurtrier. Mains noires sur face blanche. Elles se pressent autour de lèvres agoniques et balbutiantes mais l'amour ne sera jamais fait. Jamais délivré. Sempiternellement inaccompli. Des caresses comme des repousse-rêves pour nous empêcher de prendre la parole, les pernicieuses dentelles de nos cauchemars bien-aimés nous ordonnent de nous taire, de ne rien dire, de ne rien révéler. Cela est inutile, à tout instants nous foulons le sable de la vallée de la mort, nous courons devant un mur d'écume désagrégeante. Chacun se façonne ses cartes postales intérieures. Les couleurs ont beau se métamorphoser, jamais personne n'en comprendra la portée.

    La musique n'est composée que de cliquetis lyriques Parfois des envolées, mais tout retombe, un oiseau migrateur abattu en plein vol. Le chant nous parle à l'oreille, les images sont autant de caches lancés comme les bâtonnets du Yi King dont la combinaison collectée restera imperturbablement indéchiffrable. La sibylle ne prophétisera pas l'indissoluble présence du passé. Peut-être que l'aspect le plus tragique du secret est justement de ne plus être secret s'il se veut révélation. Et ne plus être soi, c'est déjà mourir. Mieux vaut donc se recroqueviller sur soi-même comme une feuille d'automne qui n'aspire qu'à devenir l'humus de sa propre souffrance.

    Clip funèbre. L'appel du non-être, car être serait ne plus être. Le serpent se mord, se mort, la queue, non pas pour renaître, mais pour s'engloutir.

    Un clip qui ne montre rien, sinon la beauté interdite et sororale du chant de So Lune. Une parfaite réussite. Ciel de thrène.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 387 : KR'TNT ! 407 : MUDDY GURDY / JETHRO TULL / BRITCHES / AMAIN ARMé / THETRUEFAITH / LESTER YOUNG

     

    KR'TNT

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 407

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    21 / 02 / 2019

     

    MUDDY GURDY / JETHRO TULL

    BRITCHES / AMAIN ARME

    THETRUEFAITH / LESTER YOUNG

     

    Muddy Gurdy manne

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    Quand on entre dans la salle, on ne se méfie pas. Une brune en robe longue coiffée d’un chapeau chante le hoodoo blues avec une gravité de ton qui ne court pas les rues. Aussi douée et aussi belle, elle ne peut être qu’Américaine. Elle pue la véracité du hoodoo blues à dix kilomètres à la ronde. On n’avait pas vu une blanche chanter le blues aussi bien depuis une éternité. En plus, elle bouge juste ce qu’il faut pour compléter le sortilège. C’est tout simplement une révélation. Le cut dure une éternité, mais tant mieux, car ça groove jusqu’à l’os. Raw to the bone. Elle a autant de classe que Chrissie Hynde, c’est le même genre de brune fatale, celle qu’on ne croise qu’une fois dans sa vie et qui nous fait préférer les brunes aux blondes. Définitivement. Elle détient le power. Étonnant de voir jouer une femme aussi brillante dans une première partie.

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    Alors quand le batteur prend la parole et qu’il s’exprime en français, le charme retombe, mais pas trop, en fin de compte. On surmonte vite la micro-déception car elle se met à jouer un riff de blues en picking sur sa Gibson grise. Elle utilise une technique assez rare, conjuguant le jeu du pouce à l’onglet et les quatre doigts dessous en support de contrefort de gling-gling, ça fait des tas de notes et un blues qui rocke la panse du beat. Elle s’appelle Tia Gouttebel et elle sonne tout simplement comme une star du blues. Elle a tout : la silhouette, la technique de picking et la voix. Le groupe s’appelait à l’origine Hypnotics Wheels, mais il s’annonce en tant que Muddy Gurdy, qui est aussi le titre de leur album tout frais sorti des presses. L’autre grande particularité du trio est le joueur de vielle, cet instrument ancien qu’on appelle Hurdy Gurdy en anglais, oui le fameux Hurdy Gurdy man de Donovan, c’est le joueur de vielle, un instrument moyenageux qu’on joue en tournant une manivelle et qui couine. Quand le batteur présente le groupe au public, il explique qu’ils sont tous les trois auvergnats et qu’ils sont allés faire un tour dans le nord du Mississippi pour enregistrer avec la crème de la crème du gratin dauphinois local, les héritiers du North Mississippi Hill Country Blues, c’est-à-dire Cedric Burnside, le petit-fils de RL, Shardé Thomas, la petite fille d’Otha Turner et Cameron Kimbrough, le petit-fils de Junior Kimbrough. On retrouve d’ailleurs tous ces gens sur l’extraordinaire Muddy Gurdy. Autant parler d’un monde de rêve. La renaissance d’un art vivant qui ne voulait pas disparaître.

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    Alors évidemment, pour Tia c’est du gâteau : elle tape dans R.L. Burnside, dans J.B. Lenoir, dans Fred McDowell, oui elle ose aller sur l’intouchable «Shake Em On Down», elle tape bien sûr dans Jessie Mae Hemphill, elle tape dans toute cette magie qui jadis fascina tant Jim Dickinson et Tav Falco. Par chance, le batteur est bon, d’une régularité infaillible. On les sent tous les trois passionnés par ce son terriblement primitif. Quoi de plus africain que le blues de Junior Kimbrough ? Ils se situent très exactement au cœur de la véracité du son et l’Auvergnat qui bat le beurre pousse le bouchon encore plus loin en expliquant qu’il existe un lien entre la bourrée auvergnate et le blues, entre le Hurdy Gurdy et le North Mississippi Hill Country Blues. Bon, ça n’engage que lui. On peut s’amuser à trouver des liens partout, ce qui compte, c’est le son, et Tia peut le sortir. Sur scène, elle rayonne de classe et de talent, cette classe du blues si particulière qui fascina tant les guitaristes anglais des sixties, cette lancinance du son qui s’adresse plus à l’épiderme qu’à l’intellect. Il y a un peu de Mr Airplane Man en elle, Tia et Margaret Garrett cultivent forcément les mêmes passions, même si Tia va plus sur Como où sont installés tous les descendants alors que Margaret va plus sur Wolf.

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    Tia sait recréer l’ambiance de «Goin’ Down South» sur scène, avec une aisance qui effare, et la vielle apporte un étrange contrepoint, on croit même à un moment entendre un autre instrument, mais non, c’est la combinaison des deux instruments qui génère cette incroyable musicalité. Il faut la voir multiplier les riffs incendiaires dans «Rollin’ And Trumblin’», elle sort toute la collection et s’amuse à cumuler les fonctions, elle solote dans sa rythmique comme peu de gens savent le faire. Quand on la voit jouer en picking, on songe évidemment à John Cipollina, à James Gurley et à Roger McGuinn qu’on voit jouer tour à tour en picking dans le film de Pennebacker sur Monterey, ce qui à l’époque fut pour la plupart des guitaristes une révélation. On comprenait enfin d’où provenait cette richesse du son. Tia a bien compris ça et elle se balade dans le son.

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    Pour les fans de North Mississippi Hill Country Blues, l’album Muddy Gurdy est une aubaine et même une considérable aubaine. Il n’y manque que les fils Dickinson. Cedric Burnside ouvre le bal avec quatre classiques, à commencer par le «Goin’ Down South» de son grand-père. C’mon ! Tia intervient sur le tard du cut et ramène sa sourde sensualité. On entend le Hurdy Gurdy de Gilles Chabenat. Quel fantastique shoot de musicalité ! C’est enregistré à Como, man ! Ils tape ensuite un «That Girl Is Bad» à la transe de vielle et enchaîne avec l’effarant «See My Jumper Hanging On The Line». Cedric se paye une belle élancée, il joue au têtu de note, il va chercher la note bourrique et c’est battu si sec, oh boy ! La vielle vient lécher le beat turgescent, Cedric relance son see my jumper, Lawd, hanging on the line. Sur scène, Tia expliquait aux gens que lorsqu’une femme mettait son jumper à sécher sur la corde à linge, c’était pour indiquer à son amant qu’il pouvait venir la sauter car le mari était sorti. Cette version est encore plus hypno que celle des vieux blackos à cause de la vielle. Tia envoie ses fantastiques shoots de gimmicks along the way. Cedric rend ensuite hommage à Muddy Waters avec une version bringuebalante de «Rollin’ And Tumblin’» jouée à la pointe du meilleur picking down here in the South. C’est joué à la transe manifeste, avec une énergie considérable. L’art de Muddy n’a aucun secret pour Cedric. S’ensuivent trois cuts chantés par Shardé Thomas, la petite fille d’Otha le Grand, personnage dionysiaque jadis louangé par Dickinson. Elle attaque avec le «Station Blues» d’Otha, monté sur le beat du fife and drums, ce beat syncopé et si africain qu’on retrouve dans le «Fast Line Rider» de Johnny Winter. Cette fabuleuse poulette rallume les vieux brasiers et passe un solo de fifre. Elle souffle encore dedans pour un coup de «Glory Glory Hallelujah» et ça se met rudement en route, comme au temps d’Otha, sur fond de bass drum tribal, auquel vient se mêler la transe moyenâgeuse de la vielle. Cameron Kimbrough prend ensuite deux cuts à l’uppercut, «Leave Her Alone» et «Gonna Love You». Il ressort le son de Junior, à la Moon Hollow farm de Como. Absolument superbe, ils sont dans le pur jus de racine de blues. C’est même convaincu d’avance, car monté sur le plus hypno des beats. La surprise vient de Pat Thomas et de son «Dream». La vielle se marie à l’édentée du vieux Pat. On note l’extraordinaire qualité de la mélancolie. Le vieux Pat chante avec une infinie tristesse. Il faut attendre la fin de l’album pour retrouver Tia Gouttebel au chant, accompagnée par ses deux Auvergnats. Le «She Wolf» de Jessie Mae Hemphill qu’on entend là est aussi beau que celui qu’elle chante sur scène. Elle développe une sorte de génie interprétatif, elle chante à l’accent ferme et chaloupe si doucement, ooooh-oooh, qu’elle frise le Wolf. Elle parvient même à le transcender et chante au plus bas de l’instinct du blues. Puis elle tape dans «Shake ‘Em On Down» du grand Mississippi Fred McDowell, elle joue les riffs comme une vétérante de toutes les guerres, elle chante à la vieille malveillance de juke-joint, elle claque ses clics à la volée, et shake les ‘Em on down comme une reine. Elle aime ça, on le voit bien, elle envoie ses coups de bottleneck comme si elle avait fait ça toute sa vie. Quelle chance elle a d’avoir le vieil Auvergnat qui tape sec et net derrière. Il s’appelle Marco Glomeau. Elle termine avec un «Help The Poor» qu’elle prend du bas du menton, c’est une meneuse d’hommes, on sent chez elle de sacrées dispositions à lancer des assauts.

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    Tia n’en est pas à son coup d’essai. Avec un peu de chance, on trouvera dans le commerce un bel album de Tia and the Patient Wolves intitulé Travellin’ With My Guitar. La pochette est un beau clin d’œil à Bo Diddley et à cette pochette où on le voit chevaucher son scooter rouge rectangulaire. Tia pose dans la rue, appuyé contre un mur de briques, elle tient sa Gibson ES-335 dans les mains et devant elle se trouve garé un scooter rouge, mais pas rectangulaire. L’hommage à Bo ne s’arrête pas là car elle tape une version spectaculaire de ce «Pretty Thing» écrit par Big Dix pour Bo. Tia nous ramène au cœur de la mythologie Chess et dans l’écho du temps. Elle est dessus elle ressuscite tout le trémolo de Bo et même tout l’harmo. Elle revient aux couplets avec une ferveur qui en dit long sur ses dispositions. Sans doute est-ce là la meilleure version qu’on ait entendue depuis celle des Pretties. Phil May en tomberait de sa chaise. Autre coup de génie avec «I Came On The Moon» lancé à l’Africaine. Elle a tout compris. Le son est là, elle shake son blues comme une reine du delta. Tout est là, dans cette façon de lancer le beat du blues, à la Junior Kimbrough, avec ce sentiment de retard imperceptible dans le tempo. Elle passe au heavy blues avec «It’s Your Own Fault» ultra saturé de trémolo. Elle fait son numéro de blues girl, elle sait gueuler son blues, elle le vit bien et peut le surjouer à gogo. Elle tape ensuite dans Otis Rush avec «Keep On Loving Me Baby», en mode vieille attaque. Elle se jette à corps perdu dans le boogie d’Otis - I need you to kiss me - Elle veut qu’il lui roule une pelle, elle sait s’y prendre. Elle reste dans le boogie endiablé pour «Livin’ Together». Cette babe de blues est dessus, une fois encore, elle joue au pur jus de véracité, on sent qu’elle ne vit que pour ça, you should understand, c’est à la fois enfariné par l’harmo et visité par l’esprit. On la voit faire des siennes dans «Eight Men Four Women». Elle chante son ass off, dirait un cocher anglais. Elle tape aussi dans la Soul de blues avec une aisance déconcertante, comme on le voit avec «Volcano Girl», l’une de ses compos. On se croirait à Muscle Shoals ! Il faut attendre ses départs en solo, et là on est bien servi. Elle funke son blues comme Eddie Hinton. Elle se fond aussi dans le groove de Soul de «Something You Got» avec une classe impressionnante. Peu de blanches savent swinguer comme ça et elle termine avec une cover courageuse du «I’ll Go Crazy» de James Brown. Eh oui, elle ose ! S’il la quitte, elle va devenir crazy, mais elle n’atteint pas la fournaise de James Brown ni même celle des early Moody Blues. Cependant elle s’accroche et finit par imposer sa féminité de petite reine du blues auvergnat. Elle passe un solo plutôt acerbe et bienvenu.

    Quelques jours plus tard, les Rival Sons montaient sur scène au même endroit, mais dans la grande salle. Une grande salle tellement pleine qu’il était difficile d’y entrer. Bon, les Rival Sons sont maintenant bien rodés, ils dépotent du Led Zep Sound et font le show, pas de problème, mais c’est beaucoup trop parfait et d’une pénible prévisibilité. On décroche assez rapidement, car ils font un rock qu’on qualifie aujourd’hui d’arena-rock, du rock de masse fait pour conquérir le monde. Du radio-friendly, comme les Living End ou encore les Struts dont la cote grimpe rapidement en Angleterre. Alors c’est autre chose. Pas de place dans ce rock pourtant bien foutu pour l’émotion et encore moins la fantaisie. C’est là où des artistes comme Tia Gouttebel et le Reverend Beat-Man jouent un rôle essentiel.

    Signé : Cazengler, maudit gourbi

    Muddy Gurdy. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 2 février 2019

    Muddy Gurdy. Vizztone Label Group 2018

    Tia And The Patient Wolves. Travellin’ With My Guitar. Tiablues 2011

     

    Never a Tull moment

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    Alors qu’en 1968 tous les rockers britanniques rivalisaient de jeunisme et affichaient des looks qui faisaient baver d’envie les ados français, Jethro Tull fit sensation en prenant le parti inverse : avec leurs allures de centenaires irascibles, ils semblaient sortir d’un conte macabre de Petrus Borel. Mais attention, leur entrée en lice ne se limitait pas au choix d’un look pour le moins incongru. Ils s’accordaient en plus le privilège de sonner comme un Magic Band magique. En tous les cas, leur première apparition dans une émission de télé en noir et blanc provoqua un choc réel, d’autant plus réel que les chocs n’en finissaient plus de se succéder cette année-là : on passait du White Album à Electric Ladyland, en passant par The Village Green Preservation Society et Ogden’s Nut Gone Flake, il en pleuvait de partout, mais «A Song For Jeffrey» suscita au moins autant d’excitation vénéneuse que le Safe As Milk de Captain Beefheart paru l’année précédente : on avait dans «A Song For Jeffrey» le même shuffle d’explosivité carabinée que dans l’infernal «Sure ‘Nuff ‘N Yes I Do». Tull et Beefheart même combat ! Eh oui, même singularité de son, et puis il y a cette belle intro de flûte cacochyme, et soudain le beat faramineux du Magic Band magique d’Angleterre déchire le voile de mystère : Clive Bunker et Glenn Cornick s’agitent aux cuisines, fantastique section rythmique et l’Anderson d’Aqualung envoie son chant perçant percer les limbes - Oh see see see where I’m going to/ I don’t want tooo - Même sens du puissant dépenaillement. Si on voit à l’intérieur du gatefold l’Anderson porter une redingote verte, ce n’est pas un hasard, Balthazard.

    Dans un article assez rigolo de Shindig, Ian Anderson raconte dans quelles conditions ses amis et lui enregistrèrent leur premier album, the mighty This Was.

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    En 1967, Ian Anderson et ses copains de Manchester s’appellent the John Evans Band et Derek Lawrence qui enregistre leur album à Londres trouve leur son tellement arty-farty qu’il les rebaptise Candy Coloured Rain. En 1967, le tandem Chris Wright/Terry Ellis cherche à monter une écurie de blues bands en Angleterre et ils proposent un rendez-vous à Ian Anderson. Celui-ci arrive au rendez-vous dans la tenue qui va le rendre célèbre : celle d’un SDF. Dans un sac de super-marché, il trimballe tout ce qu’il possède. Wright lui explique que pour percer, le groupe doit s’installer à Londres et jouer du blues. Oh, et puis encore une chose : trouver un guitariste qui va créer la sensation. Wright : «Voulez-vous rencontrer un fellow nommé Mick Abrahams ?»

    Le groupe se réinstalle donc à Luton, près de Londres, où vit Mick Abrahams. Ils n’ont pas un rond, car bien sûr l’ancien manager du John Evans Group a gardé tout le blé. Ian et ses amis crèvent la dalle. Ils piquent des boîtes de haricots blancs pour survivre. Ce mode de vie ne plaît pas à l’organiste John Evans. Il quitte le groupe qui doit alors trouver un autre nom. Ils hésitent entre Bag O’ Blues et revenir à Candy Coloured Rain. Comme ils jouent du blues, Mick Abrahams devient la vedette du groupe. Bag O’ Blues décroche une residency au Marquee qui est à l’époque l’endroit où tous les groupes débutants viennent tenter leur chance. Le groupe devient Jethro Tull et Ian Anderson joue de la flûte, ce qui lui attire pas mal d’ennuis : un mec du management veut le virer, car la flûte na plait pas. L’un des Ten Years After rajoute même son grain de sel : «The flute is no part of the blues scene !» On suggère à Ian de passer au piano, de jouer au fond de la scène et de laisser Mick Abrahams chanter et jouer devant. Quoi ? Pas question ! Ian se dépêche de composer des chansons pour garder le lead.

    Mais au fait qui est Jethro Tull ? C’est l’inventeur du semoir. Plus drôle encore : sur la rondelle du premier single «Sunshine Day», le groupe est orthographié Jethro Toe, car la transmission d’info s’est faite par téléphone et comme Derek Lawrence ne savait pas ce qu’était un semoir et encore moins le nom de son inventeur, Jethro Tull s’est transformé en Jethro Toe. Attention, ce genre de délire burlesque est très anglais.

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    Il faut vite passer à l’étape suivante, l’album. Chris Wright et Terry Ellis viennent de vivre un épisode compliqué avec le premier album de Ten Years After, qui malgré d’indéniables qualités, n’a pas marché : ils ont en effet découvert la dramatique incompétence de Decca, qui est pourtant le label de Rolling Stones. Mais, expliquent-ils, Decca a signé les Stones uniquement parce qu’ils ont raté les Beatles que leur proposait Brian Epstein ! Et si les Stones marchent bien commercialement, ce n’est pas grâce à Decca, mais grâce à Andrew Loog Oldham qui leur mâche tout le boulot. Alors Wright et Ellis ne veulent pas reprendre le risque de planter le groupe, aussi décident-ils de financer eux-mêmes l’enregistrement du premier album de l’inventeur du semoir. Ils commencent par louer quatre heures de studio et parviennent à mettre en boîte quatre cuts. Ils sont ravis du résultat et décident de continuer. Mais the Ellis-Wright Agency n’a plus un rond. Alors Terry Ellis fait comme Damie et prend sa petite teuf-teuf pour aller trouver son banquier chez lui, un soir, avec une bouteille de son scotch favori. Après avoir éclusé quelques verres, le banquier accepte de prêter l’argent. Avec 1 000 livres, l’inventeur du semoir enregistre son premier album au Sound Technique Studio à Chelsea. Sans producteur. Ian Anderson et Terry Ellis se débrouillent avec les moyens du bord. Le process est très primitif. Ils enregistrent sur un quatre pistes et c’est mixé en mono. Chris Wright et Terry Ellis n’ont plus qu’à proposer l’album à un label. Ce sera Island Records.

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    On en finirait plus de chanter les louages de cet album grouillant de merveilles, à commencer par «My Sunday Feeling» qui dégage un fort parfum de British Blues, mais avec deux particularité présentielles : la voix perçante de Ian Anderson et les rumeurs de flûte au coin du bois. On voit tout de suite que ces mecs savent swinguer la paillasse d’un cut, comme savaient aussi le faire Ten Years After, Savoy Brown et beaucoup d’autres prétendants au trône. Le Tull dégageait un son magnifique et Mick Abrahams ramenait sa fraise avec un solo d’une décontraction magistrale. Ces mecs jouaient joliment leur va-tout et les deux particularités présentielles faisaient vraiment la différence. L’autre point fort de l’album est l’instro de fin d’A: «Serenade To A Cuckoo». Ils nous le jazzent sur un air de flûte. On sent l’aisance du quartette, ils développent de superbes compétences internes et initient des interférences modernistes d’avant-rock londonien. C’est là que Mick Abrahams s’en vient jazzer brillamment le groove du team Clive Bunker/Glenn Cornick. Pour «Some Day This Sun Won’t Shine For You», ils tapent dans le Delta de la Tamise. Ils pompent goulûment le blues des vieux pépères de l’autre Delta, celui du Mississippi. Ian Anderson troque sa flûte pour l’harp qui va si bien avec ses hardes. Il chante «Move On Alone» à l’américaine. Quelle présence ! Et derrière lui, ça swingue férocement. Le festin de son se poursuit en B avec l’étrange «Dharma For One», un nouveau coup de shuffle. Ces mecs sonnent comme les quatre doigts d’une même main, la cohésion du son est spectaculaire. La flûte amène un bel aspect tribal, quelque chose qui relève à la fois des mystères de l’antiquité et de la genèse du potlatch. Mais un gros solo de batterie l’abîme. Ils passent au heavy blues d’époque avec «It’s Breaking Me Up». Ils sonnent divinement bien et se prêtent voluptueusement à l’orthodoxie. Ils font aussi une version de «Cat’s Squirrel» un peu plus riche que celle de Cream. L’énergie du Tull dévore l’écran tout cru. Mais Mick Abrahams passe un solo à rallonges qui détruit un peu la céramique de la dynamique. Et puis on retrouve évidemment «A Song For Jeffrey», l’une des perles noires de la couronne d’Angleterre.

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    Signé : Cazengler, Jethrou de balle

    Jethro Tull. This Was. Island Records 1968

    Gary Parker. Bring Back My Sunshine Day. Shindig #85 - November 2018

     

    15 / 02 / 2019 – MONTREUIL

    LA COMEDIA

    BRITCHES / AMAIN ARMé

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    • Tu as vu, Damie, la semaine dernière, Whisky, eh bien maintenant il y en a deux !

      • Tu as encore trop bu, tu vois double, je te jure jeune Jacquou le Croquant, qu'il n'y a en qu'un !

      • Damie, pas d'embrouille, on vient juste de s'accouder au bar et l'on n'a même pas commandé. J'ai vu deux Whisky, je n'ai pas bu deux Whisky, même pas un !

      • Alors mon Jacquou c'est que ton cas est grave, tu es atteint par le fameux syndrome artémisien, tu devrais consulter dès demain matin et peut-être même laisser le concert et filer aux urgences, il faut te soigner au plus vite, my guy !

      • C'est quoi ton truc, tu insinues que je suis tombé dans un puits artésien !

      • Artémisien, pas artésien, c'est expliqué dans tous les dictionnaires de médecine et psychiatrique. Me voici obligé de parfaire ton éducation médicale ! La semaine dernière tu as vu Whisky, ce vendredi deux, prochain concert quatre, la fois suivante seize, jusque-là tu arriveras à donner le change, mais c'est mathématiquement exponentiel, après ça passe à deux-cinquante-six Whisky et...

      • Arrête de délirer Damie, tu imagines deux cent cinquante-six clébards dans le local de la Comedia, on ne pourrait même plus entrer !

      • C'est pour cela qu'ils te chasseront et te poursuivront dans toute la ville ! Une fois que que tu nous auras quitté, tranquillous comme Baptistou, on regardera les groupes, mais toi tu cavaleras au travers du bas et du haut Montreuil, en pure perte, car ils finiront par te rattraper et te dévorer ! En fait des passants stupéfaits te retrouveront nu et tout tremblant, souvent en proie à une crise d'épilepsie ( 72, 4 % des cas ), le corps couvert d'innombrables morsures, auréolé de bave de canidés, avec profondes marques de crocs évidentes, par contre les chiens, disparus, personne ne les auras vus passer, même pas une marque de pipi sur un lampadaire. Généralement, les victimes finissent par mourir en deux jours, maximum...

      • Damie, espèce de fou, tu as lu ces billevesées dans la Psychanalyse pour les Nuls !

      • Pas du tout, c'est expliqué aux pages 335-443 de La Psychologie de l'Inconscient de Carl Jung ! Je résume puisque tu ne sais rien. Le symptôme Artemisien, remonte à plus haute antiquité, c'est Actéon qui avait voulu voir Diane, Artémis en grec, en train de prendre son bain, la déesse n'a pas été contente de cet attentat à la pudeur, devait être un peu féministe sur les bords, de colère elle a lancé la meute des ses hound dogs sur le pauvre Actéon, l'ont bouffé tout cru, n'ont même pas laissé un os !

      • Franchement Damie, je ne vois pas le rapport, je n'ai jamais rencontré Artémis !

      • Bien sûr, triple buse, mais hier soir dans tes draps moites tu as dû rêver de la nudité d'une jeune fille de ton entourage, au réveil ton désir s'est métamorphosé en sentiment de culpabilité, un coup de l'inconscient collectif de l'arrière-fond christologique de la société européenne, et maintenant tu aperçois un chien qui n'existe pas, ce n'est que le début du processus, dans un mois et demi tu ne seras plus de ce monde, la déesse est sans pitié !

      • Oh Damie retourne-toi, ce soir ce sont les filles qui se sont multipliées, pas les chiens, regarde un peu ! Tu vois Artémis n'est pas si cruelle que tu le prétends !

    BRITCHES

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    Ce n'est pas une invasion, une véritable colonie en villégiature qui squatte sur plusieurs rangs le pourtour de la scène, quelques garçons, beaucoup de filles, un ensemble bariolé et hétéroclite, au moins trois continents de la planète représenté – comme quoi le monde sait aussi être beau – cela ressemble à une cohorte d'étudiants Erasmus en goguette, pas besoin de chercher les coupables à l'exercice de cette implantation étrangère en terre comediane : les quatre membres de Britches, groupe sans frontière qui regroupe un guitariste irlandais, un bassiste russe, un chanteur canadien. Certes le batteur vient de Normandie, mais c'est son dernier concert. Est-ce pour cela qu'il reste les bras croisés, les baguettes sur sa poitrine pendant le début du premier morceau ?

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    C'est notre trappeur venu du pays des Hurons qui se colle au turbin, gratte un peu sa guitare, se penche sur le micro et vous sort une étrange mélopée du dix-neuvième sous-sol, un truc bizarre difficilement identifiable entre requiem de messe pour les morts et chant bruitiste, qui vous capte l'attention comme la flamme de la bougie attire le moustique pour le brûler, c'est lorsqu'il a fini que derrière Lucas, l'a un sacré abattis sur ses fûts, vous impulse la capsule auditive fortement, l'est tout de suite rejoint dans sa mauvaise action par la guitare de l'Irlandais – vous êtes sûrs qu'avec les habitants de l'île verte ça ira toujours – et la basse russe se fait brutalement goudouvienne et vous engloutit illico. Ils assurent, mais de tout le set, ils n'ouvriront pas la bouche, à peine un sourire, le second laisse agir le charme slave et le premier se fie au halo impénétrable de la poésie hermétique de Yeats. Rien n'est plus excitant que le mystère. De jeunes demoiselles crient leurs prénoms.

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    Par contre le natif d'outre-atlantique, il ne tient pas en place, toutes les trois secondes il descend de scène pour visiter les fans comblés, heureusement qu'il est retenu par le cordon de sa guitare sans quoi on ne le reverrait plus, et qu'en plus il doit assurer au micro, alors il revient en courant, l'est beau gosse, doué d'un entrain survolté, et d'un organe à damner les sirènes. C'est un grand communiquant. Mais oui, nous sommes tous contents de notre sort et d'être là ce soir, et puis tous ces gens remerciés, c'est un peu long, pas la peine de réécrire les douze chants de l'Enéide à chaque fois, surtout que nous ce qui nous intéresse c'est l'envol des oies cendrées. Les morceaux possèdent tous leurs moments de calme, le lac miroitant et immobile dans la pénombre, alors on guette et on attend le cœur palpitant plein d'angoisse, le premier coup de cymbale du soleil de l'aube, l'épanouissement du sol invictus sur les eaux glacées, l'on ne tarde pas à être solidement récompensés, c'est le sang viking de Lucas qui ressort, du temps où ses ancêtres naviguaient sur la mer sauvage et ne s'arrêtaient que pour détruire et mettre le feu à un paisible village qui ne demandait pas tant d'honneur, pas tant d'horreur. Ce n'est pas une surprise mais quand il cogne, vous ressentez une grande commotion, vous avez l'impression que l'on vous ébranche la colonne vertébrale, avec les trois acolytes qui s'y connaissent aussi pour mettre le feu vous êtes servis. Les titres se suivent, Right Things Coming – à le déguster tel qu'il nous le fouette au visage pour un peu on y croirait à cette promesse des jours heureux et futurs – une poudrière qui répond au nom explosif de Belfast ( beau et rapide ), Friday Nights, Supergirls – non on a rien contre les jolies filles, mais nous le répétons, dans un western ce l'on aime ce sont les coups de feu, les hold up, les meurtres, les attaques de diligence, les massacres, alors par pitié ne pas les interrompre par trop de discours.

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    Un set agréable, dynamique, le public bruit d'émotion, The Britches nous ont servi un plateau petit déjeuner de qualité. Quoique seulement de huit morceaux. Z'auraient dû en rajouter, les morphalous comme nous ne sont jamais rassasiés. Même s'il n'est jamais aussi beau que quand il dresse des barricades, Marie-Antoinette avait raison, le peuple doit avoir aussi le droit de temps en temps de se goinfrer de brioches. Les rockers aussi.

    AMAIN ARMé

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    Avant qu'ils ne commencent des murmures flatteurs s'élèvent quant à leur T-shirt, un double A anarchiste mis en perspective pointue sur un cercle en viseur de cible, l'impression d'une flèche qui file dans le lointain. Ce n'est pas à main armée mais ce n'est pas amen armé non plus. L'art d'en dire plus en brouillant les pistes ? Quoi qu'il en soit, nos malfrats ne sont que deux. Vaut mieux savoir compter sur son complice que sur une armée de ventres mous. Se sont faits la belle de Moslyve, un groupe pop rock à double voix féminine, c'est bien sympa, mais pour les mauvais coups en douce, les deux mecs se sont échappés pour jouer du rock dur. Hercule au rouet d'Omphale, c'est mignon tout plein, mais parfois les plaies d'Egypte et les bosses des méharis de combat de Lawrence d'Arabie, c'est plus romantique.

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    Bref ils sont deux, guitares et batterie. Sans concession. Ne sont pas là pour sourire au public. Sylvain est à la guitare. Reliée à une impressionnante collection de boîtes soniques. Le son n'a qu'à bien se tenir. N'est pas là pour se la couler douce, l'est salement trituré et torturé, l'important c'est qu'il arrive sous forme de gros paquets d'influx nerveux, un peu comme ces jets de sang qui jaillissent des cous guillotinés. Sylvain vous arrose de riffs qui ressemblent à des rafales de lames du bon vieil engin du docteur Guillotin. Inutile de reculer, ce n'est pas vous qu'il vise, l'a juste un compte à régler avec Amaury, lui assène ses riffs dans le style, écrase-toi moucheron ou essaie de faire mieux, plus fort et plus méchant. Et l'Amaury il vous relève le défi de deux manières. Celle de monsieur-tout-le-monde, je frappe comme une brute et je t'enfouis sous les décombres. Un peu facile. Suffit d'appuyer sur le champignon de la grosse caisse. Ne s'en prive guère, parce qu'à la guerre comme à la guerre. Vous dites, à sa place j'en ferais autant. Oui mais il n'est pas à votre place. L'a aussi une deuxième manière. Attention, là il faut tendre l'oreille. Ce n'est pas qu'il vous fait ses coups en douce, non c'est qu'il faut suivre. C'est un peu plus vicieux, le riff qui cingle il s'y assoit dessus, et une fois qu'il l'a abasourdi, il vous le découpe en tranches. Pas comme le rôti méthodique des ennuyeux dimanches de tante Adèle, vous pond des découpes artistiques, des friselis, des arabesques, vous perd, vous retrouve, vous sème des gros cailloux et puis s'enfuit dans des ribambelles de croisements labyrinthiques à vous priver de vos perspectives auditives, vous dérègle l'oreille interne, vous ne savez plus où vous êtes, alors bon prince Sylvain vous salve une nouvelle pluie diluvienne des plus crissantes, un hachis performatif qui réveille les serpents endormis sur la terre chaude qui de colère se mettent à siffler et à gicler leur venin. Et l'Amaury, maintenant en sous-main il tisse de la dentelle, il vous écrase les gouttes d'eau, une par une, s'amuse à tracer des figures géométriques bizarroïdes, cherche la petite bête, ferme la porte des cloportes, tripote des rythmes de gavottes, puis badaboum-boum-poum, vous troue l'ouïe pour vous réjouir.

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    A tous deux, sont des adeptes du raffut intellectuel. Vous assomment pour mieux vous faire réfléchir, vous noient sous un imbroglio phonique pour mieux vous apprendre à nager. Vous trucident pour que vous preniez goût à la vie. Amain Armé n'est pas adepte des médecines douces. Soigne le mal par le mal. Vous cherchent le noise en grand jusqu'à Noisy-le-Grand, me faudra trois morceaux pour saisir que Sylvain chante en français, Crêpe Humaine, Liberté, Singularité, Etoile Noire, doit y avoir du sens dans ces textes, mais le langage est englobé dans la masse sonore et il est difficile de percevoir le message. Quand le patapouf s'arrête on pousse un ouf de soulagement, mais tout de suite après l'on se rend compte qu'il manque peu de chose, un soupçon de complicité envers l'assistance et une once d'auto-ironie envers la main qui tient l'arme, pour que l'on en soit totalement ouf.

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    Damie Chad.

     ( Photos : FB : Melisa / Shoots and Drafts )

    THETRUEFAITH

    CHRIST WAS HERE

     

    Sergio Trooff : guitars & back vocals / Arno Trooff : bass & back vocals/ Phil Trooff : lead vocals / Bernardo Trooff : guitars & back vocals / Jeff Trooff : drums / Yan Quellien : drums / Jérome Pons : keyboards / Iza Voice : backing vocals / C@t : backing vocals / Franck Adrian : harp.

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    Belle pochette qui n'est pas sans rappeler celle que les Stones avaient prévu pour The Beggars Banquet mais au genre crade TheTrueFaitf rajoute le blasphème sous-entendant que le Christ des pissotières est passé par là, encore pire que l'urinoir de Duchamp. A moins que le doux Jésus ne soit assimilé à une araignée qui tisse sa toile dans votre cerveau dont la cuvette de WC ne serait que le moule idéal...

    Et nous qui n'avions pas encore trouvé le temps de chroniquer ce CD acheté lors de leur concert au Supersonic ( voir KR'TNT 401 du 10 / 01 / 2019 ).

    Spider in the loo : trois coups d'acoustique pour chasser les moustiques et ensuite la famille Trooff au grand complet ( z'ont même rameuté quelques friends ) vous ramonent le râble sérieusement. Pas du genre à vous prendre la tête, vous branchent directement les doigts de pieds – ou autre chose si vous préférez - dans la prise, et vous n'avez plus qu'à suivre le mouvement, c'est parti pour une heure de bonheur. Burn out : z'avez intérêt à balancer du troufignon, car les rockers, c'est comme ça, vous leur filez deux amplis et ils vous les emplissent d'une marmelade délectable, z'ont construit le morceau comme vous empilez les couches de beurre sur la tartine, les riffs se superposent jusqu'à ce qu'ils s'y jettent tous dessus la bouche ouverte. Un régal ! Tout y passe, cela finit en bagarre générale avec les bols brisés sur les murs; Outta control : ça devait arriver lorsque les gosses commencent par déconner au petit déjeuner personne ne s'étonne qu'ils soient hors contrôle tout le reste de la journée. Les guitares grondent une ronde infernale, et Phil Trooth mène la guerre de son vocal de lion rugissant en même temps qu'il mord dans le corps pantelant du rock'n'roll. Petite remarque subsidiaire : TheTrueFaith ne mégotent pas sur la longueur des morceaux. Vous laissent le temps de tomber du cent dixième étage. Heanven 'n hell : sont comme cela, avec eux, c'est fromage et dessert, paradis et enfer. Sont pas le dieu jaloux qui vous impose un choix cornélien, eux ils distribuent tout et tout de suite. Pas des pingres, partagent, font une journée portes ouvertes, rien que pour vous, un conseil visez en premier l'amoncellement des chœurs d'anges déchus et en même temps ces poinçons de guitare qui ressemblent à un concert de pics à glace s'enfonçant dans le crâne de Léon Trotsky. Oui ça ne fait pas du bien, mais un peu de masochisme ça ne peut pas faire de mal. Cross the universe : carrément sur la voie lactée du désir, avec les TheTrueFaith, vous n'êtes jamais déçus, descente de guitares-canoë, miaulement insidieux d'harmonica grizzli sur les berges et batterie qui s'actionne comme une battée d'or aux mille pépites. Le genre de morceau dont vous ressortez plus riches que vous n'y êtes entrés. International business motherfuckers : attention les grandes orgues, l'on déroule la tapis rouge pour la grande parade des enculeurs de première. N'ayez crainte, ce déploiement d'honneur était un piège, maintenant qu'ils sont tous réunis sur la moquette sanglante le band leur tire dessus comme vous cassiez les pipes en terre à la fête foraine. Now it's time : le petit ball-trap précédent les a mis en forme, ce titre est encore plus rock'n'roll que les six pépites antérieures Pulse comme les Stones au temps de leurs meilleurs jours. Connaissent tous les plans, on est gentil, oui vous avez le droit de le remettre dix-sept fois de suite. C'est vrai que la fin est encore meilleure que le début. Krawill el Carmen : ne suis pas en mesure de ne vous donner une fiche d'identification de ce Krawill, mais quelle batterie, le gars doit avoir sniffé six kilos de cocaïne pour tenir la rythmique, et puis cette voix dans les reprises, c'est ainsi que Dieu a dû s'adresser à Abraham pour lui demander de sacrifier son fils, et cet imbécile n'a pas obéi ! Methadone : s'y mettent tous en chœur festif pour vanter les mérites du produit. A déconseiller fortement à notre saine jeunesse. Vaudrait mieux qu'ils lisent un livre qui mette en scène une belle héroïne. Mais une fois méthadoné c'est méthadonné et personne ne cherchera à se défiler. Enjoy it's coke : le monde n'est pas si méchant qu'on le pense, d'abord les TheTrueFaith vous offrent une binarité exemplaire et lancinante, un truc qui vous ébouriffe la bourriche en bourrique, et en plus notre société de surconsommation a toujours le produit miracle à vous vendre. Il suffit de ne pas se tromper. Norton commando : une randonnée sur le bitume d'une highway à la poursuite du loup des steppes. File méchamment vite, mais nos rockers cartonnent un max sur leur Norton, c'est ainsi que l'on apprend à naître pour devenir sauvage. Last chance goodbye : si vous aviez parié qu'ils allaient ralentir vous avez perdu. Z'ont les potentiomètres à treize, le chiffre qui porte malheur, normal c'est une chanson d'amour, cela ne peut que finir mal, et ces voyous qui ne respectent rien préfèrent en rire qu'en pleurer. Des chœurs dignes d'un site de rencontres frappé de folie sexuelle. You'll never die : faut toujours mettre les choses au point au moment de se séparer. Très simple, si vous écoutez les TheTrueFaith sans interruption, en boucle, en anneau de Möbius, une chose est sûre vous transfuseront tant d'énergie que la faux tranchante de la Grande Faucheuse glissera sur vous comme l'eau de pluie sur les plumes d'un canard. Ne criez pas au miracle, que vous venez de découvrir le remède universel, c'est tout simplement du rock'n'roll. Et les TheTrueFaith ils aiment ça.

    Damie Chad.

    LE PRESIDENT ETAIT-IL FOU ?

    ALAIN GERBER

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    Il y a déjà la moitié des kr'tntreaders qui a répondu '' Oui ! Bien sûr'' et les cinquante pour cent restants qui se rengorgent en s'exclamant '' Evidemment, je l'ai toujours dit''. Désolé, jeunes LGBT et autres turpitudeurs patentés, hélas, nous ne parlons pas du même président. Perso, pendant des années j'ai écouté Lester Young – oui c'est de lui dont il s'agit, le Prez comme le surnommait son entourage - sans me poser de questions. Son saxophone me suffisait. Une mélancolique douceur cuivrée qui vous retourne l'âme en deux notes. Mais voici qu'un jour lisant une biographie de Billie Holiday, qui fut son amie et qu'il accompagna souvent, je m'étonnais de la description du bizarre comportement du saxophoniste embourbé et figé en un étrange silence. De quoi s'agissait-il au juste ? De quoi souffrait cet homme ? Quelles étaient les causes de cet emmurement en lui-même ? La question me trotta dans la tête jusqu'à ce que je découvris cet étrange titre sur la couverture du numéro 15 de la revue Les Cahiers du Jazz paru au début de l'année 1967.

    Le lecteur curieux se rapportera à notre présentation du numéro 16-17 chroniqué dans notre livraison 400 du 03 / 01 / 2019. La revue fondée en 1959 mourut en cette années 1967. On retrouve dans son sommaire tous les grands noms de la critique jazz française. Elle permit à un public un peu déboussolé par la dernière grande métamorphose du jazz de comprendre l'évolution logique du passage du Be Bop à l'explosion Free. La revue réapparut en 1994 pour s'achever au bout de onze numéro en 1997. Dure à cuire, elle renaquit une nouvelle fois en 2004, il ne me semble pas qu'elle se continue encore aujourd'hui, je n'ai retrouvé que la trace d'un dixième numéro en 2012.

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    Quoi qu'il en soit la première série ne visait pas le grand public. Ecrite par des intellectuels pour des intellectuels. La preuve nous en est apportée par les vingt-trois pages pleines – sans aucun document iconographiques – sur la folie de Lester Young. Le titre est des plus aguicheurs, mais celui qui s'y précipitera pour y cueillir des informations croustillantes en ressortira effaré.

    Pour vous permettre de comprendre ce que j'insinue je n'hésite pas à recopier quelques lignes prises au hasard : '' Certes, les psychiatres savent qu'une hystérie peut déterminer une pseudo-cataconie ( dont l'hypotonie du saxophoniste serait un rejet ) et que maniérisme et absurdité peuvent en être symptomatiques mais la prolongation de ces troubles dénonce plus sûrement le syndrome de Ganser. Certes ils savent que la simulation peut déboucher sur l'hystérie mais le fait de l'auto-destruction fait obstacle au verdict de pithiatisme, le métasimulateur se nourrit et dort normalement de même que l'hystérique sort toujours indemne des crises comitiales... '' . Pas de conseil à vous donner mais si vous vous reconnaissez dans cette description, passez tout de même un coup de fil à votre médecin de famille. Si vous tenez à poursuivre la lecture munissez-vous d'un dictionnaire de psychiatrie et d'un second de psychanalyse, auquel vous ajouterez deux volumes sur l'histoire de ces deux disciplines. L'article est bourré de termes médicaux et renvoie sans arrêt à d'éminents professeurs dont nous nous garderons bien de mettre en doute la justesse de leurs analyses. Vous ne pourrez pas reprocher à Alain Gerber de ne pas avoir fait des recherches avant d'écrire son article. S'est documenté. J'ai même été vérifier sur wikipédia s'il n'aurait pas par hasard été poursuivi par ses études de médecine avant de gagner la course et de devenir, pour le bien du jazz et le plus grand plaisir de ses lecteurs, chroniqueur, essayiste, et romancier.

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    L'a bâti son article comme une enquête, remonte la piste, prend toutes les maladies mentales possibles et essaie de voir si elles cadrent avec le comportement du Prez. Etait-il névrosé, psychosé, autiste, psychotique, psychasthénique, hystérique, schizoïde ? L'embêtant avec le Prez c'est qu'il participe de toutes ces affections, souffre au minimum d'un, de deux, ou de trois des symptômes qui serviraient à le cataloguer dans une de ces catégories, mais il lui en manque toujours un ou deux indispensables. Une seule chose sûre, son mal ne semble pas héréditaire. Ouf nous sommes rassurés !

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    Lester Young avait une personnalité bivalente. Pour certain il était l'homme le plus gentil et ouvert qui existât sur cette planète. Le gars tout sourire qui vous pardonnait tous. Pour d'autres un jean-foutre agressif, à la convivialité difficilement supportable. Mais ces différentes manières de se donner aux autres, qu'elles soient débonnaires ou anguleuses n'étaient que des stratégies équivalentes d'évitement. L'avait même développé une langue personnelle, inventant des mots, ou donnant à un vocable le sens d'un autre, un langage de non-communication, de tour d'ivoire. L'était surtout un solitaire, un homme de l'intérieur, enfermé en lui-même, incapable de se plier à des injonctions qui ne soient pas venues de sa propre personne. Se suffisait à lui-même, l'était comme un ver dans son cocon de soie qui refuserait d'en sortir. Toute contrainte sociale lui pesait. N'avait envie de rien d'autre que de rester en lui-même. Préférence difficilement tenable pour un artiste qui doit sourire, se plier aux règles imparties par les patrons des clubs, honorer les contrats signés par son impresario... Et même donner des concerts, ce qui est un peu le comble quand on est musicien de jazz professionnel. C'est peut-être cet individualisme outrancier qui lui a permis de développer son style. Ses collègues installaient une atmosphère, marquaient un rythme, donnaient le tempo, et lui s'en foutait royalement, marchait à sa propre mesure, totalement indifférent à ce qui précédait, le gars qui arpente avec des pataugas boueux le plancher que sa femme vient de cirer avec soin et amour, mais les musicos ne disaient rien, ce n'était pas de la saleté puante qui giclait de son sax, mais de la poussière d'or pur et d'étoile lointaine... Le pire c'est qu'il était le seul à ne pas être content du son qu'il avait, le trouvait trop moelleux, trop ample, s'efforçait de l'affiner, de le rendre plus maigrelet, passait son temps à tailler et retailler ses hanches pour atteindre à la pâleur sonore dont il rêvait... L'en était profondément insatisfait. L'en avait honte. S'enfermait dans ses chambres d'hôtel, refusait d'en sortir, buvait comme un trou, l'alcool lui permettant d'oublier son incomplétude artistique. Tout cela ne valait pas la peine. Remettait toujours au lendemain ce qu'il devait faire le jour même que ce soit concert ou enregistrement... On le disait paresseux, l'était à sa manière, d'une paresse métaphysique, à quoi bon faire ce que l'on ne réalisera qu'à une hauteur bien moins moindre que celle rêvée... Tout le reste n'avait pas d'importance pour lui. Dans son autobiographie Billie Holiday essaiera de faire comprendre que le retranchement en lui-même de son ami, son grand ami, n'était que la fêlure intériorisée de l'âme noire irrémédiablement infériorisée par les blancs. Nul doute qu'elle savait de quoi elle parlait. Mais Gérard de Nerval aussi :

    '' Je suis le Ténébreux, le Veuf, l'Inconsolé, ''

    car la folie n'est-elle pas une porte de corne et d'ivoire qui donne accès à un rêve trop grand...

    Damie Chad.