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los gallos

  • CHRONIQUES DE POURPRE 423 : KR'TNT ! 423 : Dr JOHN / CYNICS / CUCKOO SISTERS / LOS GALLOS / BIG FRIENDS / ROCKAMBOLESQUES /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 423

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    13 / 06 / 2019

     

    Dr JOHN / CYNICS

    MONTREUIL RANCH PARTY N°2

    ( CUCKOO SISTERS / LOS GALLOS + BIG FRIENDS ) ROKAMBOLESQUES : DOSSIER K

     

    Oh Dr John I’m Only Dancing - Part One

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    Dr John reste l’un des personnages les plus excentriques et les plus attachants de l’histoire du rock. Comme il vient de casser sa pipe en bois, KRTNT lui rend hommage.

    Pour entrer dans le monde magique de Dr John, il est préférable d’aimer le groove. Et pas n’importe quel groove. Celui de la Nouvelle Orleans qui est un mélange subtil de voodoo, de blues et de stomp music, agrémenté d’un soupçon de Dixieland et de rumba espagnole. Voilà comment Dr John définit cette musique unique au monde qui a pour principale particularité d’envoûter.

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    Ce bon Doctor s’appelle dans le civil Mac Rebennack et c’est en lisant ses mémoires qu’on devient définitivement rébennackien. N’ayons pas peur des mots : Born Under A Hoodoo Moon figure parmi les chefs-d’œuvre de la littérature américaine. Mac y décrit une enfance de rêve dans les rues d’une ville de rêve : la Nouvelle Orleans des années 50. On cavale avec lui d’un quartier à l’autre pour aller voir jouer les musiciens dans les clubs qui à cette époque pullulaient littéralement. Mac précise très vite que sa grand-mère disposait de pouvoirs étranges. C’est donc grâce à elle qu’il devint curieux du spiritualisme et du voodoo. Il évoque aussi le Mardi Gras et le langage des tribus - Part French, part Spanish, part Choctaw, part Yoruba and part mystery to an outsider like me - et là on plonge dans l’histoire extraordinaire de cette région et du mélange de races et de cultures qui y eut lieu. En un seul chapitre, Mac installe le décor : il grandit dans un environnement incroyablement spirituel et même magique. L’artiste qu’il va devenir n’acceptera jamais la superficialité de la faune pop-rock qu’il va devra fréquenter. Encore adolescent, Mac fricote dans les clubs et il voit jouer des musiciens extraordinaires comme Papa Celestin, Dave Bartholomew, Professor Longhair et bien d’autres. Ces gens le fascinent et deviennent ses héros. Son premier prof de guitare est un certain Papooose, qui joue pour Fats Domino et dont le père avait accompagné Louis Armstrong - He was a real soulful player - Papoose insiste aussi pour que Mac écoute d’autres guitaristes, des gens comme Billy Butler et Mickey Baker. Puis comme Papoose doit partir en tournée avec Fats, son père colle Mac dans les pattes d’un autre prof, Roy Montrell.

    Première leçon : Mac arrive avec la guitare électrique que vient de lui payer son père, une Harmony vert et noire. Roy Montrell demande :

    — C’est quoi cette merde ?

    — C’est ma guitare !

    — Donne-moi cette guitare !

    Roy Montrell s’en empare, va dans le jardin derrière la maison, la pose par terre, prend une hache, fend la guitare en deux et jette les morceaux dans le jardin du voisin. Mac est pétrifié. Il se demande ce qu’il va bien pouvoir raconter à son père.

    Mac a douze ans lorsqu’il devient guitariste et qu’il commence à fumer de l’herbe. Il adopte ce nouveau mode de vie : planer et se sentir bien. Mac fréquente Shank qui est junkie. Shank envoie Mac acheter ses doses d’héro dans des endroits bien précis. Mac ne sait pas vraiment ce qu’est l’héro, mais il voit Shank se shooter. Son père connaît le monde des clubs et lui dit de faire gaffe, mais Mac est fasciné par tous ces musiciens qui sont des junkies. Alors, n’y tenant plus, il demande à Shank de lui faire un shoot. Il veut juste savoir ce que ça fait. Shank l’envoie promener et lui dit de continuer à fumer de l’herbe. Mac insiste. Alors Shank accepte de lui faire un shoot. Et c’est parti pour 34 ans. Mac est encore au collège et il se shoote tous les jours. Il explique qu’à cette époque, la dope n’est pas chère et qu’elle est de bonne qualité. C’est l’héro corse qui arrive à la Nouvelle Orleans à bord de cargos en provenance de Cuba. Très vite, Mac va goûter aux ennuis qui vont avec la dope : il est harcelé par ceux qu’il appelle les narcs, les flics de la brigade des stups. Mac se fait virer de l’école et devient musiciens professionnel. Chouette ! Il monte un groupe avec ses amis et part en tournée dans tout le pays. Il n’a que 17 ans.

    Il évoque les locaux de Specialty sur Claiborne Avenue et comme il compose, il peut entrer. Il y rencontre Larry Williams et Little Richard. Chez Specialty, il y a aussi Roy Milton, Lloyd Price et Guitar Slim. Chez Imperial, l’autre gros label implanté à la Nouvelle Orleans, il y a Fats, Smiley Lewis et T-Bone Walker. Un jour Mac découvre que Lloyd Price lui a piqué une chanson, «Try Not To Think About You» et qu’il l’a transformée en «Lady Luck». En 1960, ça devient même un hit. Mac est furieux. Il achète un flingue à un vendeur de rue. Par miracle, le concert de Lloyd Price prévu à la Nouvelle Orleans est annulé. Et les choses se tasseront, puisque Mac ne croisera plus jamais le chemin de Lloyd Price. Mais le plus difficile pour lui, c’est d’éviter d’aller buter l’avocat que ses parents et lui ont payé pour réclamer justice et démontrer que Lloyd Price est un voleur. Mac découvre rapidement que l’avocat est aussi celui de Lloyd Price. Ce rat empoche les sous et ne fait rien, évidemment. Alors Mac n’a plus qu’une seule trouille : celle de croiser l’avocat dans la rue et d’être obligé de le descendre.

    L’autre personnage clé de cette histoire passionnante, c’est Cosimo Matassa, propriétaire du studio où enregistrent tous les monstres sacrés de la Nouvelle Orleans. Mac rend aussi un hommage vibrant à Huey Piano Smith qui inspira tout le monde, y compris Allen Toussaint. Comme tout le monde, Huey voulait jouer comme Fess, mais c’était impossible. Quand Huey jouait du Fess, c’était du Huey. Mac rend aussi hommage à Dorothy La Bostrie qui composa des hits pour Irma Thomas et Little Richard - Tutti Frutti c’est elle - Non seulement elle les composait, mais elle les faisait enregistrer et assurait la diffusion des disques.

    L’écrivain Rebennack tire principalement sa force d’une espèce de musicalité de la formulation : «I miss them cats, both Papoose and Shank, because life around them was one series of adventures.» (Des mecs comme Shank et Papoose me manquent, car les fréquenter, c’était toujours une aventure). Mac conserve une nostalgie de ses compagnons de route, mais aussi de la rue : «The streets was my home, for a while, they was good to me, kept me from harm while I went about my own brand of tragic magic.» (La rue, c’est chez moi. Pendant un temps, elle m’a protégé alors que jouais avec le feu).

    Mac brosse un nombre considérable de portraits saisissants, du type de celui d’Esquerita : «Esquerita set up the original style that Little Richard copped later on - high, wavy, piled-up hair, women’s sunglasses and lipstick and shit.» (C’est Esquerita qui mit au point le look dont va s’inspirer Little Richard : cheveux coiffés très haut et ondulés, lunettes de femmes, rouge à lèvres et tout le saint-frusquin).

    Puis un drame se produit. Le soir de Noël 1961, Mac est à Jacksonville, en Floride. Arrive l’heure de se rendre au club où ils doivent se produire et il cherche le chanteur du groupe, Ronnie Barron. Il le trouve, mais le propriétaire de l’hôtel le tient en joue car il a surpris Ronnie en train de baiser sa femme. Mac essaie d’arracher l’arme de la main du cocu, mais le coup part. Horrifié, Mac voit l’annulaire de sa main gauche, celle qui pince les cordes sur le manche, pendre par un lambeau de chair. Mac croit sa carrière de musicien terminée. Des chirurgiens lui réparent le doigt comme ils peuvent, mais il devra se contenter pendant quelques temps de jouer de la basse dans un groupe Dixieland. Ensuite, il passe au piano.

    Mac finit par se faire poirer par les narcs pour possession d’héro. Il est incarcéré à Lexington, comme Wayne Kramer. Les pages qu’il consacre à son internement sont du même niveau que celles que David Crosby consacre à son séjour dans une taule texane : même violence, même nécessité impérative d’être protégé, mêmes chances réduites d’en sortir vivant. Quand il est libéré en 1965, il quitte la région. Il va s’installer à Los Angeles, comme l’ont fait ses copains musiciens, car la scène de la Nouvelle Orleans est morte : un Monsieur Propre a ordonné la fermeture de tous les clubs et tripots et donc les musiciens n’ont plus de quoi vivre. À Los Angeles, Mac devient musicien de session et traîne dans les studios. Il y rencontre des gens comme Sonny Bono et Phil Spector qu’il décrit comme un type très drôle - He cracked jokes nonstop between takes. I liked him but I never could see the sense behind his recording style (Il racontait des histoires drôles entre chaque prise. Je l’aimais bien, mais pour moi, sa technique d’enregistrement n’avait pas de sens) - Il retrouve aussi Jerry Wexler et Ahmet Ertegun, un duo qu’il apprécie parce qu’ils aiment vraiment la musique. Wexler et Ertegun sont des pionniers du New Orleans Sound. Mac va profiter d’heures creuses de studio pour enregistrer quelques morceaux avec ses copains de la Nouvelle Orleans et son premier album sortira sur Atco, une filiale d’Atlantic.

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    Gris-Gris est l’un des haut lieux du rock voodoo. Mais ça ne plait pas à Ahmet qui gueule : «Mac, pourquoi tu me refiles ce truc-là ? Comment veux-tu que je vende cette merde boogaloo ?» Pendant un temps, Mac pense que l’album ne sortira pas. Et miraculeusement, il sort. C’est là que Mac se fabrique son personnage de Dr John : «Une femme nommée Sadie Hayes me fabriqua un costume avec des peaux d’alligator, de lézard, de serpent et de la peau de chamois en dessous pour tenir l’ensemble. Quand je revêtis cet uniforme, je ressemblais à Frankenstein descendant la rue. Quand l’uniforme a commencé à se désintégrer, j’ai dû fréquenter les taxidermistes pour trouver de quoi faire des réparations.» Avec «Gris Gris Gumbo Ya Ya» on plonge au cœur d’un monde fascinant, dans une ambiance à la traîne, celle d’un soir d’été gorgé d’humidité à la Nouvelle Orleans - They call me Doctor John/ Known as the night tripper - Dr John tape ensuite dans l’un des grands classiques cajuns, «Danse Kalinda Ba Doom», pure exotica antillaise d’Afrique ethnologique. Puis voici «Mama Roux», le groove des jours heureux. Dr John chante comme un noir. Et il nous emmène ensuite au cimetière pour groover sur «Danse Flambeaux», une pièce fascinante de lenteur squelettique, symbole de l’étrangeté du monde. Par ses inflexions, Dr John rejoint le grand art méphistophélique de Captain Beefheart. En B, on tombe sur l’incroyable «Croker Courtbullion», un groove à la ramasse d’une brisure de rythme imbibée de rhum de contrebande, joué au clair de lune avec des pianotis irresponsables et des coups de trompettes inféodées - Walk on guilded splinters with the King of the Zoulous ! - Voilà ce qu’il clame dans «I Walk On Guilded Splinters». C’est le groove le plus étrange de l’histoire du continent africain. Pas étonnant que Steve Marriott l’ait repris sur scène au temps béni d’Humble Pie. Il règne dans ce cut une ambiance létale qui remonte aux origines de l’humanité. Cet album fonctionne comme un sortilège. De la même façon que Screamin’ Jay Hawkins, Dr John jette des sorts.

    À Los Angeles, Mac ne fréquente que ses copains de la Nouvelle Orleans. Ils forment un petit monde de musiciens camés à part. «Charlie Maduell, mon joueur de sax de la Nouvelle Orleans, venait de sortir d’Angola. Il restait assis à la porte de la maison qu’on habitait et ne dormait pas. Il faisait le guet pour nous protéger avec un Walther 9 mm.»

    Mac rencontre beaucoup de personnages célèbres à cette époque. Il aime bien Jimi Hendrix, mais il trouve qu’il joue trop fort et ça lui pète les oreilles. Un jour, lors d’un festival en Europe, alors qu’il attend de monter sur scène, il voit jouer Stone the Crow. Il a plu et il y a des flaques d’eau sur la scène. En plein solo, Les Harvey met un pied dans une flaque d’eau et s’électrocute. Tout le monde croit qu’il fait du cinéma jusqu’au moment où on s’aperçoit qu’il est mort. Mac joue aussi avec les Stones sur Exile In Main Street, mais il n’aime pas vraiment leur musique - A lot of the English stuff, inclusding the Stones music seemed to me like watered-down versions of what we had done over here (Une grande partie du rock anglais, y compris celui des Stones, n’était à mes yeux qu’une pâle resucée de ce qu’on avait déjà joué ici en Amérique).

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    Si on apprécie le boogaloo, il faut écouter Remedies, paru deux ans plus tard, en 1970. Dr John y déroule le groove le plus rampant du zoo de Vincennes : «Loop Garoo». Affolant ! - Loooop garooouuu a jungaloo - on plonge dans les vapeurs du groove maléfique de train fantôme. On y goûte le velouté mousseux des vieilles tombes abandonnées. Dr John retrouve l’esprit de son maître Wolf. Par contre, le reste de l’album est assez calme. Dr John va de la pop bien cuivrée («Wash Mama Wash») au groove père peinard sur la mare des canards («Chippy Chippy»). Il a le temps. Rien ne presse. Il ramène un peu d’exotica dans le rock américain des seventies. Une pincée de Mardi Gras avec «Mardi Gras Day» et une pincée de funk coltranien avec «Angola Anthem» qui flingue l’album car l’Anthem dure 17 minutes, il échappe à tous les formats et on se demande qui, dans le public rock, pouvait bien écouter un truc pareil dans les seventies.

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    Dr John revient l’année suivante avec The Sun, Moon & Herbs et une pochette magique. C’est un album qu’il enregistre à Londres avec la crème de la crème du gratin dauphinois. Dans les chœurs, on trouve PP Arnold et Doris Troy ! Graham Bond joue du sax. Cet album devait être un triple album, mais le manager de l’époque a égaré les bandes. Dr John fut catastrophé et dut bricoler des morceaux pour sauver ce qui pouvait l’être. «Black John The Conqueror» est un chef-d’œuvre groovy, du niveau de ceux de David Crosby. Cet album est véritablement hanté par les chœurs, comme on peut le constater en écoutant «Where Ya At Mule». Les filles tortillent leur backing avec un manque total de miséricorde. Quelle leçon ! Dr John revient aux rituels de cérémonies voodoo avec «Craney Crow». On croirait voir surgir les créatures inquiétantes qui ornent la pochette du premier album du Gun Club. Une fois de plus, Dr John rejoint Captain Beefheart dans le cours des fluides sub-humains qui circulent autour de la terre. Cette merveilleuse évanescence magique de cérémonie secrète nous ensorcelle. En B, il revient au joli groove afro-cubain avec «Pots On Fiyo (Filé Gumbo)», si subtil par son côté percussif et si cotonneux, par ses chœurs sublimes. Dr John rejoint Marvin Gaye à l’horizon des nébuleuses. Voilà encore un modèle de groove avec «Zu Zu Mamou». Il nous plonge une fois de plus dans le gri-gritage d’antho à Toto. Rien de plus exotique que cette zu-zuterie.

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    En réalité, Dr John nous parle d’une culture mourante. On aurait tendance à le voir comme un sorcier de pacotille qui ferait de la pop exotique, mais non, Mac Rebennack est un puits de connaissance et un authentique groover de la Nouvelle Orleans - a hoodoo hipster shaman - Il navigue exactement au même niveau qu’Allen Toussaint, les Meters, Fats Domino et Dave Bartholomew. Avec Dr John’s Gumbo, il met provisoirement de côté le voodoo pour nous jouer la vraie musique de la Nouvelle Orleans, ce qu’il appelle la roots music, principal ingrédient du rock’n’roll. Et dès qu’il évoque ses souvenirs, ça devient fascinant. Il nous explique que le funk vient du Mardi Gras de la Nouvelle Orleans. Dans «Big Chief», Tami Lynn chante au fond du background et Dr John nous explique qu’elle sonne comme une «extra horn», une trompette en plus. Quelle magnifique pièce d’exotica de carnaval ! Dans son texte de commentaire, Dr John réveille tous les vieux fantômes d’un passé extraordinaire, Earl King, Professor Longhair et Johnny Adams qui fut pour lui le meilleur Soul Brother de la Nouvelle Orleans. Avec «Mess Around»» il rend hommage à Ray Charles «qui mit du funk dans le shuffle de la Nouvelle Orleans». En B, on tombe sur «Junko Partner». On y entend jouer Lee Allen qui accompagnait Little Richard au sax. C’est l’hymne des camés et des macs de la ville. Dr John remonte à la source de la chanson, la fameuse taule d’Angola. Quel groove dégingandé ! «Stack A Lee» est une compo d’Archibald devenue «Stagger Lee». Beau beat et pianotis de rêve. Encore une version magique. Puis Dr John nous embarque dans «Tipitina», classique de Fess, une fabuleuse pièce de boogie-drive pianotée à la vitesse de l’escargot. Il fait jouer un nommé Shine dans «These Lonely Lonely Nights» et précise qu’il joue comme Magic Slim. Fantastique album.

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    Produit par Allen Toussaint, In The Right Place sort la même année. Bob Dylan, Doug Sahm et Bette Midler donnent des petits coups de main. Attention, les Meters accompagnent Dr John. Il attaque avec «Right Place Wrong Time», l’un des chefs-d’œuvre du groove. Forcément, c’est battu par Joseph Zigaboo Modeliste, l’un des meilleurs drummers du monde. Encore une belle pièce groovy étrange et passagère avec «Same Old Same Old» puis on goûte à la puissance du rock de la Nouvelle Orleans avec «Qualified». Dr John y tortille ses fins de phrases et une folle vole à son secours. Le sorcier retrouve son panache. Les hits se nichent en B, à commencer par «Life». On y savoure le jeu succulent du mighty Zigaboo, la finesse dédoublée de ses triplettes légères. Sur ce disque tout est raffiné à l’excès. On admire Dr John pour son sens aigu de l’afro-beat creole. Encore un joli plat de groove grouillant de vie et d’asticots avec «Shoo Fly Marches On». Les Meters swinguent ça à la vie à la mort de la mortadelle. Il faut voir Zigaboo revenir dans le move du groove par la bande ! Back to the voodoo lounge avec l’incroyable «I Been Hoodood» des origines de la terre. Oui, ça date d’un temps où les sorciers organisaient la ronde des éléments. On plonge ici au chœur du voodoo, le vrai. Fini de rigoler, car George Porter joue des notes de basse intermittentes.

    Mais Mac ne gagne pas un rond - Mon manager avait une Rolls-Royce. Je n’avais pas de voiture. Je n’avais même pas un vélo. Je n’avais rien - En 1974, un banquet est organisé après un concert de Who à Atlanta. Keith Moon entre dans la salle et se jette sur la table du banquet. Les flics arrivent et embarquent Moony qui, avant de disparaître, lance : «Envoyez la note à Neil Sedaka !» Mais pour Mac, les facéties de Moony n’avaient pas de sens - I guess it’s eccentric rich-guy fun or something, but it didn’t ring my bells (Ce n’était rien d’autre qu’un type riche qui se livrait à des excentricités, mais ça n’avait à mes yeux aucun intérêt).

    Par contre, il rend des hommages spectaculaires à James Carroll Booker («I consider him to be a genius. If I was ever blessed to meet one, James Carroll Booker was.»), et surtout à Professor Longhair qu’il surnomme Fess - Playful, inventive, with a touch of magic and hisself pure and simple - He was the guru, godfather, and spiritual root doctor of all that came under him - Mac parle même de «fonky genius». Pages hallucinantes sur Fess qui s’occupera de Mac après la mort de son père - Fess was Fess. Before him was the void. After him we’re just whistling in the dark (Fess c’était Fess. Avant lui il n’y avait rien et après lui, tout ce qu’on peut faire c’est siffloter dans les ténèbres). Mac est inconsolable - I miss the man and feel blessed that he passed trough my life and left the blessings of Saint Cecilia on everybody he touched (Il me manque. J’ai beaucoup de chance de l’avoir connu. Comme Sainte Cécile, il protégeait tous ceux qu’il touchait).

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    Dr John «enregistrait» beaucoup d’albums dans les années soixante-dix. Anytime Anyplace arriva dans les bacs en 1974, la même année que Mardi Gras et Desitively Bonnaroo. On retrouve sur le non officiel Anytime Anyplace le génie du groove auquel le bon Dr nous a habitués. En écoutant «Shoo Ra», empli d’une merveilleuse langueur, un prophète proféra l’anathème suivant : «Ampleur ! Voilà le maître mot !» Le «Tipatina» qui se trouve sur cet album n’est pas le «Tipitina» de Gumbo. C’est le funk de Fess des vieux quartiers de la Nouvelle Orleans. Cet album n’emporte pas autant la bouche que les grands classiques du début, mais ça reste solidement charpenté. Le groove de «She’s Just A Square» est plus soutenu qu’il n’y paraît. Avec «In The Night», on reste dans la bonne ambiance de boogie-bar et de pianotis de bois vermoulu.

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    Sacrément bel album que ce Desitively Bonnaroo paru la même année que Mardi Gras. Eh oui, Allen Toussaint et la rythmique magique des Meters - Zigaboo Modeliste et George Porter - accompagnent notre bon Doctor. Alors forcément, «Quitters Never Win» sonne funky en diable. La fête funky se poursuit avec «Stealin’» - Stealin’ money from the blind/ Stealin’ money from the hungry - Mac s’amuse comme un fou. Facile quand on a derrière soi les meilleurs musiciens du monde. Fantastique thème de basse sur «What Comes Around (Goes Around)», c’est une énormité cavalante, violonnée par les trous de nez et battue comme plâtre. Même chose pour «(Everybody Wanna Get Rich) Rite Away», monté sur les triplettes de Belleville de George Porter. La B est un peu moins présente. Mac se livre à des jolis jeux de swing d’alley hoop à la mode de Bourbon Street et nous sert sur un plateau d’argent un «Can’t Git Enuff» chanté au guttural éraillé et suivi par des chœurs de professionnelles. C’est à la fois fameux et fumant. Et il boucle sa petite affaire avec le morceau titre qui est une jolie pièce de r’n’b à la Rebennack

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    Paru en 1975, Hollywood Be Thy Name fait partie des gros albums de Mac. Beaucoup de monde autour du bon Doctor, et notamment Ringo Starr et Tami Lynn. «Reggae Doctor» n’est pas du reggae mais un groovy gumbo de salade de swamp. Avec Dr John, on est toujours assuré de passer une bonne soirée. Il tape ensuite dans Smokey Robinson avec «The Way You Do The Things You Do», et on entend les Creolettes chauffer les chœurs et Steve Hunter partir en solo. Quelle version stupéfiante ! Les grosses surprises se nichent en B. Grosse version de «Babylon» qui sonne comme le boogaloo venu du fond des temps. Dr John défie l’éternité et les tambours battent l’a-rebours des temps sourds. Dans «Back To The River», on hume la fumée des villages béninois. C’est une montagne de swing jouée à la guitare funk. Puis il passe au gospel et revient ensuite au cabaret pour le morceau titre, où il duette avec les Creolettes qui sont de vraies folles. Il finit sur un saisissant jump-blues des années vingt, «I Wanna Rock». L’homme est très complet.

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    Si on voulait citer un album qui incarne l’élégance, on pourrait fixer son choix sur City Lights. On y trouve des morceaux de Dr John co-écrits avec Doc Pomus, alors forcément, ça fait tout de suite monter les enchères. Il suffit par exemple d’écouter «Dance The Night Away With You» pour réaliser à quel point ces deux vétérans bouffent l’écran. Brillante ambiance et refrain ensorcelant. Ils font un cut à la fois lourd de sens et léger comme une aventure alcoolisée. Dr John chante «Street Side» avec une fabuleuse diction mouillée. Il chante à l’ancienne mode du Quartier Français de la Nouvelle Orleans. Il évoque la dangerosité des bas-fonds qu’il connaît bien. Quelle fantastique élégance de vieux chansonnier voodoo ! «Rain» est un balladif de fin de nuit chanté d’une voix d’accents aigus et joliment tendus. Il a derrière lui une merveilleuse mélasse de mélancolie orchestrée. Dr John fait son crooner d’aube pâle, le coude sur le coin du piano et le col ouvert. Dans «Snakes Eyes», il raconte une partie de cartes entre voyous. Il propose là un fantastique conte moral digne d’un La Fontaine des bas-fonds - Better heed the tale of the snake eye’s trail - Puis il revient au piano bar avec «Sonata/He’s A Hero», co-écrit par Doc Pomus. On ne fera jamais mieux. Dr John raconte l’histoire d’un héros de bar - He’s a big spender, a no interest lender/ For the local bar scene - Il finit l’album dans l’excellence suprême du balladif de fin de nuit, «City Lights», et nous enchante autant qu’à l’époque de Gris Gris - Too many midnights make me die for some everyday - Et là, on réalise subitement que Dr John fait partie des très grands artistes américains.

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    Merveilleux album que ce Tango Palace paru en 1979. Dr John y joue le groove funky de la Nouvelle Orleans et donne ce qu’on appelait autrefois une leçon de choses avec «Keep The Music Simple». S’ensuit une belle profession de foi avec «Renegade». Il affirma sa différence - Well I’m a runner in the jungle/ Renegade from the law - Il se considère comme un hors-la-loi. Pas de pitié pour le conformisme. Puis il livre une pièce de fonk pur, «Fonky Side», magnifique d’auto-biographie - My mama beat me for not going to school/ Don’t end up like your daddy/ An uneducated fool ! - Sa mère ne voulait pas que Mac finisse comme son père, un pauvre hère inculte. Il chante «Bon Temps Rouler» en cajun et c’est un régal - Laisse le bon temps rouler/ Vive la bonne foie/ J’me sens bien oh la la - Cet album est incroyablement inspiré. Puis il rend un fantastique hommage à la Nouvelle Orleans avec «I Thought I Heard New Orleans Say» - Red beans pinball machines/ Chickory coffee & hoodoo queens/ File gumbo & pralines/ Everything’s hot down in New Orleans - C’est le meilleur groove du monde et Mac le chante avec une gourmandise terrible. Il co-écrit «Tango Palace» avec Doc Pomus et il chante ça avec une voix d’alligator des marais. Il partage d’ailleurs avec Tav Falco une véritable fascination pour le tango. Et il boucle cet album édifiant avec «Louisiana Lullabye» qu’il chante avec une diction de rêve - Fe dodo mon petit bébé/ Crabe dans cat a lou/ Maman li court la rivière/ Fe dodo mon petit bébé - Mac mâche ses syllabes avec une délectation surnaturelle.

    Doc Pomus essaye d’inciter Mac à décrocher de l’héro, mais Mac se fout de sa gueule parce qu’il fume de l’herbe - You have your herb and I have my little issue. I don’t see the difference (Tu fumes de l’herbe et moi j’ai ma petite combine. Je ne vois vraiment pas la différence).

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    Dr John Plays Rebennack est un album de classiques joués au piano. Il ne chante que sur un seul morceau, «The Nearness Of You». Il y prend sa voix mouillée et nous régale d’une merveilleuse diction mielleuse. Jolie pièce de boogie blues. On a vraiment la sensation d’écouter un héros, comme lorsqu’on écoute Captain Beefheart. L’autre merveille de cet album est «New Island Midnight» qui sonne comme du Monk.

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    Paru en 1981, Love Potion est encore un excellent album du bon Doctor. Il attaque avec un fantastique groove, «Loser For You Baby» qu’il prend au timbre chantant, unique dans l’histoire de la pharmacologie. Dr John fait groover sa voix avec une jouissance glottale excessive. Il chante à l’éraillé et à l’onctueux, il miaule au feulé et au moite. Il prend «The Ear Is On Strike» au plus profond du laid-back vermoulu. On tombe un peu plus loin sur «Go Ahead», de la good time music by the sea, une fantastique ambiance à la Matassa de la prélasse. On se régale du beau son de bastringue. On trouve d’autres merveilles en B et notamment «Just Like A Mirror», une heavy rengaine jouée à la traînasse de la rascasse. N’oublions pas que Mac est un être bienveillant. Puis il passe directement au pur cajun avec «Bring You Love» et ça devient effroyablement vivant, on a là le vrai son des écrevisses et du gumbo magique. Voilà tout l’art du bon Doctor. Il chante avec de la gourmandise plein la bouche et nous fait partager son bonheur de vivre.

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    Comme Dr John Plays Rebennack, The Brightest Smile In Town est un album de piano solo. «Sadled The Cow» est une jolie pièce de boogie blues. Sur la photo qui orne le dos de la pochette, on voit que Mac a un œil qui se barre. De toute façon, ce n’est pas grave, il n’a jamais été beau. Ce n’est pas ce qu’on attend de lui. Sur cet album un peu austère, on l’entend faire couler ses rivières de perles au piano bar du bout de la nuit et on se régale de l’entendre chanter «Average Kind Of Guy» de sa belle voix de charme pincée à l’accent sucré de la Nouvelle Orleans. C’est aussi sur cet album qu’il rend un hommage spectaculaire à la sorcière mythique de la Nouvelle Orleans, «Marie La Veau» - She was a hoodoo queen way down in New Orleans - Souvenons-nous que dans Easy Rider, Peter Fonda et Dennis Hopper font une halte au cimetière de la Nouvelle Orleans pour prendre un acid trip sur la tombe de Marie La Veau.

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    In A Sentimental Mood sort en 1989. Mac nous propose un ensemble de reprises de classiques signés Cole Porter ou Duke Ellington. Il duette avec Rickie Lee Jones sur «Makin’ Whoopee» et nous jazze le bulbe. C’est fameux et solide. On est là dans la pure tradition du jazz-blues à deux voix. Tout le reste de l’album est d’une extrême élégance, mais peut-être un peu trop éloigné des goûts classiques d’un amateur de rock. On écoutera cependant le morceau titre de l’album, car c’est un pianotis incroyablement mélodique soutenu à l’orchestration.

    En 1989, Mac décide de se désintoxiquer. Mais ce n’est pas simple. Il reste sous lithium pendant un an. Il saigne du nez et ses mains tremblent, ce qui pour un session man n’est pas terrible. Il dénonce la méthadone qui endort : «Je dormais un nombre anormalement ridicule d’heures.» Puis la vie de Mac change. Il se plonge dans les disques de tous les gens qu’il admire, Irma Thomas, Satchmo, Mahalia Jackson, les Meters, Allen Toussaint, et Earl King. Mais comme ça risque d’être peu long, on verra la suite dans un Part Two.

    Signé : Cazengler, Dr jauni

    Dr John. Disparu le 6 juin 2019

    Dr John. Gris-Gris. Atco Records 1968

    Dr John. Remedies. Atco Records 1970

    Dr John. The Sun, Moon & Herbs. Atlantic 1971

    Dr John. Dr John’s Gumbo. Atco Records 1972

    Dr John. In The Right Place. Atco Records 1972

    Dr John. Anytime Anyplace. Barometer 1974

    Dr John. Desitively Bonnaroo. Atco Records 1974

    Dr John. Hollywood Be Thy Name. United Artisit Records 1975

    Dr John. City Lights. Horizon Records & Tapes 1978

    Dr John. Tango Palace. Horizon Records & Tapes 1979

    Dr John. Dr John Plays Rebennack. Clean Cuts 1981

    Dr John. Love Potion. Accord 1981

    Dr John. The Brightest Smile In Town. Demon Records 1983

    Dr John. In A Sentimental Mood. Warner Bros Records 1989

     

    Le ciné des Cynics

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    Savez-vous que les Cynics ont trente ans de carrière ? Qui l’aurait cru ? Selon l’expression consacrée, les Cynics sont un combo garage, c’est-à-dire un quatuor resté bloqué en 1966. Pour eux comme pour les Fuzztones ou les Morlocks, pas question de changer d’époque. Ils ne jurent que par les accords majeurs, la fuzz et le tambourin. Ils poursuivent l’aventure lancée par les Seeds et les Standells, les Chocolate Watchband et Music Machine. Ces gens-là portent le flambeau d’un son et d’une culture âgés de cinquante ans, avec le même aplomb et le même talent que ceux qui perpétuent aujourd’hui la culture rockab. Au moins, quand on écoute leurs disques ou qu’on va les voir jouer sur scène, on a quelque chose de solide à se mettre sous la dent. Ce qui n’est hélas pas toujours le cas des nouvelles sensations.

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    Cette année, les Cynics sont en tête d’affiche du friday, au Cosmic Trip. Michael Kastelic arrive sur scène en petite chemise bariolée et donne le ton immédiatement. C’est le wild garage américain qu’on n’osait plus espérer. Le son arrive comme une vague qui dégage tout. Power and rawness. Avec sa gueule de page florentin et son casque de bouclettes, ce mec ravage plus de cervelles qu’Attila ne ravagea de cités en son temps.

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    Michael Kastelic chante le pur garage avec une élégance épouvantable, il place ses screams au bon endroit et reprend son chant au vol comme si de rien n’était. Ce mec n’a pas besoin de tatouages ni de cuir ni de clous, il a cette rage garage chevillée au corps et wham bam, ça devient l’un des plus gros trucs qu’on puisse espérer voir sur une scène de rock. Rien ne saurait remplacer la grâce animale, celle d’un Lou Reed, d’un Brian Jones ou d’un Peter Perrett. Michael Kastelic est l’homme de toutes les situations, l’homme de la vingt-cinquième heure, un Graal à deux pattes, il pourfend le mou du genou et graisse le gris du temps, il devient l’une des plus belles incarnations de ce qu’on appelle communément le garage-rocker.

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    Fabuleuse présence, contact permanent avec les gens du premier rang, et cette voix ! Oui, c’est à se damner tellement elle est juste et belle, grandiose et ravageuse. Avec leur tripotée de hits, les Cynics ont largement de quoi proposer un set explosif de bout en bout. Pas la moindre baisse d’intensité. Si on aime le son du garage, le vrai, celui qu’ont initié les Them, alors c’est gagné. Comme si ça tombait du ciel.

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    Il fait une chaleur à crever et le heartbeat du garage américain bat la chamade. Ils enfilent les hits comme des perles, sans ciller, «You Got The Love», «Baby What’s Wrong», «Love Me Now», «Turn Me Loose», «I Got Time» et voilà l’un des sommets du genre, le fameux «Gloria’s Dream» des Belfast Gypsies, magnifique hommage à Jackie et Pat McAuley, ces deux kids de Belfast qui tentèrent de redémarrer les Them avec Kim Fowley, un Kim Fowley que Jackie McAuley surnomme Count Dracula dans ses mémoires. Michael Kastelic devient une sorte de manège tourbillonnant, avec son round and round and round et ses coups de tambourin dans l’avant bras. C’est Noël et la fête au village en même temps, la preuve de l’existence de Dieu, la prophétie de Bourges, l’envoyé divin, c’est Zorro sans masque qui sort de la nuit des temps pour signer Cynics à la pointe de l’épée. Dans son coin, Gregg Kostelich gratte sa Gretsch impunément, il n’a pas l’air de fournir de gros efforts, car on ne le voit jamais grimacer bêtement, mais que de son, my son ! Que de son. Il joue quasiment tout en fuzz avec une économie de moyens qui laisse rêveur. Il pratique l’art majeur du riff à la ramasse de la rascasse. Il gratte bien l’os du son. On devrait l’appeler maître Kostelich car il opère le garage à cœur ouvert et le ressuscite pendant que son compère Tambourine Man transforme le basic bish bosh habituel en Soul blastico-maximaliste.

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    On le sait, le garage n’a pas d’âme, c’est le son du fond de la fosse, celui qui ne veut surtout pas d’âme, mais malheureusement, Michael Kastelic lui en donne une, comme le fit jadis Van Morrison au Marine Hotel de Belfast. À la limite, le garage se contente d’un spirit, comme dans le cas de Guitar Wolf ou des Standells, mais dans le cas des Cynics on stage, il s’agit de toute évidence d’autre chose, cette voix posée sur un constant tapis de fuzz expurge la subliminalité des choses et en affine jusqu’à la nausée le quintessentiel expressionnisme.

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    En trente ans, ce groupe basé à Pittsburg a réussi à enregistrer neuf albums dont certains font figure de classiques. Exemple : Living Is The Best Revenge. Gregg Kostelich et Michael Kastelic constituent le noyau dur du groupe, celui qui a survécu à tous les mouvements de personnel. Et comme ils veulent qu’on leur foute la paix, ils montent en 1986 leur label, le fameux Get Hip Records.

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    Sur la pochette de leur premier album, Blue Train Station, ils ressemblaient à des hippies. Pour des garagistes, c’était mal barré. Mais la fuzz n’est pas une fuzz de hippies. On trouve sur l’A deux épouvantables classiques garage-fuzz, «Waste Of Time» et «No Friend Of Mine» qui sont d’une violence assez peu commune. C’est du pur jus, ça gicle ! C’est même exceptionnel de véracité dégoulinante. «Love Me Then Go Away» sonne aussi comme un archétype embarqué à la rage pure et bardé de plâtrées de fuzz en réverb. Quel son ! De l’autre côté se nichent trois belles énormités : «Why You Left Me» (bien senti et vénéneux, arrosé d’harmo), «I Want Love» (garage rampant monté sur un sale groove de basse) et «Read Block» (une fournaise de six minutes bardée d’accords et de coups d’harmo que vient driver l’infernal jeu rockab du batteur).

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    Twelve Flights Up fait partie des dix plus grands albums de garage classique, pour au moins quatre raisons, dont la principale serait la reprise du «Gloria’s Dream» des Belfast Gypsies en B. Avec ça, on patauge dans la fosse mythologique, celle d’un Kim Fowley qui tenta de réinventer les Them avec Jackie et Pat McAuley, keyboards & drums des early Them. Nos amis les Cynics en font une version remarquable, bien nappée d’orgue et chantée au snarl. Ils font illusion avec ce round and round and round qui nous renvoie à l’âge d’or. Les deux cuts qui ouvrent l’A sont aussi des terrific classics. Il faut avoir entendu au moins une fois dans sa vie l’attaque de fuzz et d’orgue qui allume la terrine de «Creepin’». Dans l’esprit, c’est incroyablement sixties - Oh c’mon ! - Rampant et soloté dans la moiteur des effluves adolescentes et Michael Kastelic nous explose tout ça au chant du cygne. Il enchaîne avec «Yeah», encore du pur jus de garage sixties juvénile, admirable de teenagarisme purulent. Ils recyclent les accords de Gloria, mais on leur donne l’absolution. «Erica» qui boucle l’A requiert toute l’attention, car c’est amené à l’orientalisme soloté, à la basse jumpy et au chant de nez sur canapé de cisaille fuzzy. Voilà ce qu’il faut bien appeler un gros beat tendu vers l’avenir - Oh my Erica/ Please my Erica - En B, on croise aussi un «Useless» bien secoué du cocotier, vraiment digne de «La Fille du Père Noël», sec et bien tranché.

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    C’est avec Rock ‘N’ Roll paru en 1990 que les Cynics vendirent le plus d’albums. Une chose est certaine : on tombe de sa chaise à plusieurs reprises. Ça commence avec «Baby What’s Wrong» et son attaque de fuzz mortelle de la mortadelle. On a là l’une des fuzz attacks les plus violentes de l’histoire du rock. Quelle énergie dévastatrice ! Gregg Kostelich sort un son aussi agressif que celui d’une grosse scie circulaire dans un film d’horreur et l’harmo vient se fondre dans le solo. À cet instant précis, on réalise clairement qu’on tient dans ses pattes un disque énorme. Et ça continue avec «Way It’s Gonna Be», petit garage violemment nappé d’orgue. Ces mecs créent de l’enchantement. Ils reviennent au feu un peu plus loin avec «Get My Way», battu à la pire dégelée de ramalama, celle du MC5. Ils enfilent ça comme une perle et se payent le luxe d’un final ahurissant. Ils terminent cette face de ta race avec «Cry Cry Cry», une compo nettement plus ambitieuse, descendue au jus de distorse et noyée dans la purée fumante. Tiens, encore une énormité de l’autre côté : «You Got The Love». Violent comme du garage cynique, surplombé par un pounding de basse et aplati par une vieille dégelée de guitare signée Gregg Kostelich. Il file comme Fast Eddie Clarke, vitupérant et seigneurial, toujours avec des idées de pyromane et au dessus de la mêlée.

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    Avec Learn To Lose, ils changent de son et se vautrent comme des débutants. L’album est plus pop et on bâille aux corneilles. Il faut attendre «Right Here With You» pour retrouver le salamalec fuzzy auquel ils nous avaient habitués. Ce son est une esthétique à part entière. Quand on entend Gregg Kostelich, on pense aux Standells et aux Troggs. Mais le reste de l’album est désespérément plat. Et même plat comme une crêpe. De l’autre côté, le morceau titre refuse obstinément de décoller. Il faut attendre «Pressure» pour trouver un peu de viande. C’est un joli tourbillon embarqué au riff énervé, mais on doit se contenter d’un joli départ en solo. Ils terminent avec une somptueuse reprise d’«I Want You» des Troggs. Ils restituent tout le délicieux gluant de la version originale.

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    L’année suivante paraît un live, No Siesta Tonite. Les Cynics ont autant de punch sur scène qu’en studio. Ils alignent une belle série de classiques garage qui nous sonnent bien les cloches, et notamment «Baby What’s Wrong», bardé de fuzz, ou encore «You Got The Love», vrillé par un killer solo de Gregg Kostelich. Cette équipe sait faire feu de tous bois. On note au passage l’excellence de leur prestance. Chez eux tout est joué à l’énergie sous-jacente, avec des riches textures de guitare. Ce groupe ne génère jamais d’ennui. Le festival se poursuit en B avec «No Way», classique hanté par le bourdon de la fuzz et joué à l’énergie transcendantale, celle qui émane du cortex de la fosse de vidange. Ils enchaînent avec une autre diablerie, «Love Me Then Go Away», stomp de fuzz déterminant. Ils sont tout simplement dévastateurs. Ils reprennent aussi leur vieux «Blue Train Station», embarqué au beat ferroviaire, recoupé à l’harmo. Tout est bon sur cet album, le groupe tourne comme un puissant moteur. Ils prennent «I Want Love» à la manière des early Stones. C’est excellent car très mal intentionné, même si Michael Kastelic porte des chemises blanches et se soigne les ongles. Ils tapent aussi une belle reprise du «Shot Down» des Sonics, bien énervée et même décervelée. Il ressortent pour l’occasion le vieux «Erica» pour en bricoler une version complètement envoûtante, jouée ventre à terre. Gregg Kostelich joue son solo à l’orientale et développe une authentique dimension d’hypno tourbillonnaire.

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    Ça dut leur servir de leçon car pour l’album suivant, ils revinrent aux sources. Get Our Way renoue avec le pur jus, même s’il n’a pas l’impact du fiévreux Rock’nRoll. On voit qu’avec «Private Suicide», ils visent un son plus psyché, à grands renforts d’arpeggios et de chœurs à la Who. Ils restent dans l’arpeggio à la Giorgio de Chirico pour «Hand In Hand». On voit qu’ils adorent le paysage lunaire de la psyché antique. «Lose Your Mind» sonne comme un hit des Seeds et ils travaillent «That’s How I Feel» aux gimmicks de rêve. Fabuleux cut de pur jus. Retour aux choses sérieuses en B avec «Dave V’S Car» - I dress in black - et il va dans la street - Let’s burn it out - Voilà le vrai garage de cave, ils retrouvent enfin les faveurs de la menace. Retour de la fuzz mortelle de la mortadelle dans «Love Me Now», chanté à la petite délinquance de garage sixties et bardé de la meilleure purée de fuzz du monde.

    Michael Kastelic en avait assez de chanter du garage tous les soirs et il quitta le groupe en 1994. Fin des Cynics. Gregg et Michael montèrent ensuite des groupes chacun de leur côté jusqu’à ce qu’un gros malin leur propose un billet pour la reformation. Ils reprirent du service en l’an 2000 pour jouer au Las Vegas Grind.

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    Leur coup de génie fut d’aller enregistrer Living Is The Best Revenge au Sweatbox de Tim Kerr. Personne d’autre que Tim Kerr ne pouvait capturer leur énergie aussi parfaitement. Il leur brancha des tas de micros dans tous les coins et les Cynics envoyèrent la purée. Si vous voulez emporter un album garage sur l’île déserte, c’est celui-là. Tout est absolument dément sur ce disque, sauvage et hors compétition. Ça explose dès «Turn Me Loose», visité par le gros frelon de la fuzz. On sent immédiatement la patte de maître Kerr. Et ça continue sur le même registre avec «Making Deals», bardé de hargne et de toute la teigne qu’on veut bien imaginer. Quelle bassesse dans la grandeur ! Et voilà «The Tone» pulsé au beat punkoïde du batteur Thomas Horn. C’est d’une violence rageuse, ils ne reculent devant aucun excès. Ils font une reprise du 13th Floor avec «She Lives (In A Time Of Her Own)» et sortent un petit son trapu et précipité. De l’autre côté se niche «I Got Time», gros garage cynique, l’un des plus compacts et les plus inspirés, dans la veine de DMZ. C’est d’une densité qui nous met aux abois. Avec «You’ve Never Had Better», on bascule dans la pure sauvagerie. C’est fourré à la fuzz grasse comme un gros pain au chocolat et la violence circule en sous-jacence. Les Cynics n’en finissent plus de transcender le cynisme.

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    Puis en 2007, ils sont allés enregistrer Here We Are en Espagne, chez Jorge Explosion. Le soleil espagnol ne leur réussit qu’à moitié car l’album ne sort pas de l’ordinaire garage sauf pour deux ou trois petites bombes comme «The Warning» en A, un cut bien haineux monté sur une sorte de mid-tempo malsain et chanté à la petite insidieuse. Attention car le refrain casse et recasse la baraquasse de la rascasse. Michael Kastelic envoie dans le coin de l’oreille des coups d’harmo salement sixties. On retrouve ici la pulsion des hot hits de boots à élastiques. De l’autre côté, «Hard To Please» vaut le détour pour sa mauvaiseté - I go to bed early/ I don’t stay out late/ When I’m alone I don’t masturbate/ I save it for ya/ I’m under your rule - S’ensuit un «What She Said» un peu brusqué à la Pere Ubu, avec son chant perché à la David Thomas, puis un «All Bout You» incroyablement bon et construit comme un hit de Soul Stax en stock, nappé d’orgue et emmené au meilleur beat. Michael Kastelic envoie des Now qui sonnent comme ceux de Johnny Rotten.

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    En comme tous les groupes de garage moderne, les Cynics finissent par enregistrer avec Jim Diamond à Detroit. Paru en 2011, Spinning Wheel Motel n’est pas non plus du niveau de Revenge, car cette fois, il visent un rock plus psyché. On sent même une très nette baisse d’inspiration. Michael Kastelic chante «Crawl» au chat perché et on voit bien qu’il tend vers l’avenir. Le seul cut vraiment garage de cet album un peu décevant est bien sûr celui qui ouvre la B, «Rock Club», où Kastelic retrouve ses réflexes de voyou distingué. Ils tentent un coup de boogaloo avec «Zombie Walk», mais ça ne marche pas. Ils terminent avec un cut pour le moins étrange : «Junk» raconte l’histoire de mecs qui se préparent à monter au braco - Tonight we’re in position/ Tomorrow we take the banks.

    Signé : Cazengler, Cynoque

    Cynics. Cosmic Trip #23. The Wild’n’Crazy Rock’n’Roll Festival. Bourges (18). 31 mai 2019

    Cynics. Blue Train Station. Get Hip Recordings 1987

    Cynics. Twelve Flights Up. Get Hip Recordings 1988

    Cynics. Rock ‘N’ Roll. Get Hip Recordings 1990

    Cynics. Learn To Lose. Get Hip Recordings 1993

    Cynics. No Siesta Tonite. Get Hip Recordings 1994

    Cynics. Get Our Way. Get Hip Recordings 1994

    Cynics. Living Is The Best Revenge. Get Hip Recordings2002

    Cynics. Here We Are. Get Hip Recordings 2007

    Cynics. Spinning Wheel Motel. Get Hip Recordings 2011

    08 / 06 / 2019MONTREUIL

    L'ARMONY

    CUCKOO SISTERS / LOS GALLOS 

    + BIG FRIENDS

     

    Parfois l'idée que l'on caresse est meilleure que l'on ne croit. M'étais dit, tiens la Montreuil Ranch Party N° 2, j'ai raté la numéro 1, ce n'est peut-être pas bon chic, bon genre de passer sa soirée à écouter de la musique de crétin, mais primo je ne suis ni chic ni bon genre, et deuxio, more important, c'est une des foisonnantes racines du rock'n'roll. Je ne croyais pas si bien dire.

    CUCKOO SISTERS

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    Les gars je vous vois déjà tout émoustillés à l'idée de faire coucou aux Sisters, ben non, d'abord nous nous intéresserons à la minorité opprimée. Un homme, pas très différent de tous les autres, oui mais il a les doigts plus agiles que la plupart, vous croyez que les Sisters auraient pu le coucounner, l'installer bien au chaud au milieu d'elles, l'ont relégué au bout de la scène, tout seul avec son espèce d'ukulélé auquel je ne sais pourquoi je trouve un air mexicain, placide le gars, suffit de lui dire que '' Ça se joue en do'' ou ''en fa'' ou en tout ce que voudrez, il assure comme une bête. S'appelle Percy Copley, lui qui sourit sans arrêt d'un air modeste s'avère redoutable dès qu'il s'approche de tout ce qui ressemble de près ou de très loin un engin musical à cordes, l'est méchamment connu in the ukulélé-world pour son talent, et il vous soutient les Sisters avec la même puissance tranquille qu'un arc-boutant vous conforte les hauteurs d'une cathédrale gothique, vous égrène les notes avec la même célérité que vous écossez les petits pois.

    Je sens que vous vous impatientez. Voilà, maintenant que nous avons réparé une injustice insupportable, rapprochons-nous des Sisters. Sont toutes là, honneur – c'est elle qui a organisé la soirée - à Dédé Macchabée, un nom à dormir dans un cimetière, brune piquante, au phrasé incisif d'institutrice sanglée dans une longue robe old time de sage écolière, elle tient serrée sur son bustier une petite guitare d'aspect rupestre, derrière l'agreste décor placardé sur le fond de scène, c'est elle qui l'a peint, ne fait pas que gratter son instrument Dédé, l'est aussi peintre et illustratrice, une palette claire proche de l'imaginative fantaisie enfantine, possède son monde intérieur, elle habite un doux pays, que vous n'atteindrez jamais dirait André Dhôtel, mais elle nous permet d'en entrevoir des éclats. Je voulais vous parler d'elle lors de ma recension de BarZines ( voir KR'TNT ! 420 du 30 / 05 / 2019 ), mais le temps m'a manqué.

    Ne tremblez pas de peur, voici Calamity Mo, mais tout le monde l'appelle Camille, preuve qu'elle n'est pas bien méchante, c'est même le contraire, dans un ordinateur elle serait l'interface, la grande communicante, dans sa robe à ramage, elle babille avec humour, verve moqueuse, par laquelle elle adore souligner le dérisoire des évidences, public conquis à la première réplique. L'est banjoïste. Vous reconnaîtrez qu'il y a pire dans la vie. Enfin Sarah, possède l'élégance romantique des égéries du dix-neuvième siècle, Renoir l'aurait volontiers rajouté sur son célèbre tableau Jeunes filles au Piano, mystérieuse, intérieure, légèrement penchée sur sa contrebasse, mais il est temps d'écouter la musique.

    Commencent par un classique Foggy Mountain Breakdown d'Earl Scrugg, non c'est une erreur lamentable, que dis-je une horreur sans nom, le Foggy Mountain Top de la Carter Family, avez-vous déjà versé le contenu d'un paquet de pois chiches dans une cuvette, c'est exactement le bruit du banjo. Un picotement de notes aigrelettes qui se bousculent pour encombrer vos oreilles, normalement vous devriez vous enfuir en courant, oui mais le plus énervant, c'est que l'on y prend vite goût, trois secondes, hypnose auditive, vous restez scotché, et là il y a triplement de quoi, un seul banjo certes, mais Percy et Dédée produisent sans effort chacun de leur côté, le même tintement horripilant, vous comprenez que vous n'êtes qu'un simple représentant lambda de l'espèce humaine, de toutes la plus profondément masochiste. Virtuose la Camille, ne vous verse pas de la tisane de camomille, l'a le jeu nerveux, ça rebondit comme balles de ping-pong ricochant sur les meubles d'acajou vernis du salon. Chez Percy, les notes s'enfuient, coulent et s'entassent les unes sur les autres, une fourmilière dont vous venez de détruire le refuge et les milliers de formicidés se hâtent et partent en guerre prêts à coloniser la terre entière. Miracle myrmidonesque qui s'introduit en vous par vos ouïes, s'infiltre dans vos veines et vous agite de démangeaisons rythmiques des plus agréables. Sarah a pitié de vous, dans le même temps que les trois autres vous picotent l'épiderme et l'entendement, elle vous apaise de l'onctuosité bigmamaïque, de ses cordes sourd une suave pommade, une souplesse féline, qui vous ensorcelle. Et puis elles chantent, à tour de rôle. Dédée adopte un ton nasillard à la ressemblance du timbre appalachien, Camille plus joyeuse à l'emporte-pièce, Sarah d'un timbre plus affermi et davantage refermé sur lui-même. Rappellez-vous que les sirènes d'Ulysse étaient des oiseaux.

    Les titres défilent, rapidement présentés, bluegrass, blues, gospel, se suivent et se poursuivent en un joyeux mélange, j'en élirai le vieux louisiannais Vin Toi don et le Tennessee Dog de Johnny Strothers, bref tout le monde attrape une banjoïte aigüe, mais quarante cinq minutes pile, montre en main, tout s'arrête, même le capodastre de Camille ne fait plus d'histoire, Percy et les Cuckoo Sisters stoppent la fête. Pas de désespoir, elles reviendront. Nous faire coucou.

    LOS GALLOS

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    Jeune j'ai toujours aimé le Tex-Mex. Je n'en n'avais jamais écouté mais comme j'avais lu sur une pochette de disque que Buddy Holly s'inscrivait dans cette tradition, par principe j'aimais le Tex-Mex. J'en ai entendu pour la première fois dans La Horde Sauvage de Peckinpah, c'est fort beau me suis-je dit, et tout de suite après – ingratitude humaine – je n'y ai plus pensé, et ce soir c'est bien la première fois de ma vie que j'assiste à un concert Tex-Mex. Rien ne sert de courir, il faut parvenir à point.

    Tiens Percy Copley est resté à la même place, s'est emparé d'une basse électrique et va s'appliquer à la rythmique tout doucettement, pas d'effet, se cantonne à marquer le tempo, tout comme la batterie. De toutes les façons l'on ne voit que Manolo Gonzales, l'est à l'aise sous son chapeau de cowboy et sa guitare. L'est planté au milieu de la scène devant le micro avec sa dramatique gueule d'espagnol typique, une voix faussement indolente qui vous conte les pires malheurs. Sans trop y croire. C'est comme ça les espagnols, el sangre, la dolor, el amor de préférence muerto, vous débitent les horreurs d'une voix monocorde, normalement vous devriez pleurer comme une madeleine et songer à vous suicider pour quitter au plus vite cette vallée de larmes, mais il y a les intonations, ces infimes trémolos qui vous retiennent vous ne savez pas pourquoi à la vie, et vous restez-là, dans une situation très proche d'un pervers ressenti de bonheur. Il est indéniable que cela réchauffe la fibre espagnole d'une partie de l'assistance qui commence à pousser des exclamations comme s'ils encourageaient un chanteur de flamenco ou assistaient aux véroniques endiablées d'une corrida juste avant la mort du taureau, car que voulez-vous, le malheur des uns a toujours fait le bonheur des autres. Si Manolo Gonzales et son humour tragique attire tous les regards, Thierry Carpentier attisent toutes les esgourdes. Virevolte à l'accordéon comme les pyromanes courent à l'incendie. Chaque fois qu'il touche un bouton il pousse celui de la bombe H. Aux autres la mesure, pour lui la démesure. Les soutiers de la rythmique d'un côté et les fariboles étincelantes de l'habit de lumière rien que pour lui. Vous pianote le pauvre à l'enrichir, joue les soufflets serrés, mais les époustoufle, réussit le prodige d'imiter un solo de guitare, vous excède dans les hauteurs, vous précipite dans les fondrières. Ne suis pas un fana du piano à bretelles, mais là je m'incline.

    Manolo a gardé le meilleur pour la fin. L'on quitte le grand sud, l'on remonte un peu dans le country, et voici Johnny Cash à la sauce Tex-Mex, vous fout le feu à Rings Of Fire - c'est ainsi que Merle Kilgore surnommait l'endroit velouté des dames - les trompettes mariachi s'y prêtent, nous le cuisine à la sauce piquante accordéonique, file même le micro à Percy sur un couplet pour que l'on ait le plaisir de découvrir son timbre grave. Nous réservent encore quelques tacos cashiens de leur chienne et ils quittent la scène sous les vivats.

    CHOO CHOO NIGHT

    Mais ce n'est pas tout, l'affiche promettait en troisième partie un super bœuf consacré aux chansons sur les trains. A choo-choo night d'enfer avec passagers surprises. L'on a été gâtés. Les Cuckoo Sisters s'y collent en premières. Ne vont pas nous faire l'intenable suspense de 3h10 pour Yuma. Laissent vite la place aux invités après quelques virées railrodiques du meilleur effet. L'on retiendra surtout la prestation de Sarah au chant, elle sort sa voix avec cette urgence dont dans les westerns les chauffeurs alimentent le foyer de la locomotive tentant désespérément de passer coûte que coûte le viaduc de bois en flammes qui menace de s'écrouler alors qu'une horde d'indiens terrifiques se rapprochent dangereusement du dernier wagon.

    ROB MILES

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    L'ai remarqué avant qu'il ne monte sur scène. Cheveux blonds, une dégaine gracile, une présence obsédante, à la David Bowie, n'est pas un artiste anglais pour rien. Sur scène il interprète une chanson de Tom Waits. D'une voix claire. C'est bien, mais il en aurait fallu davantage. L'on sent le personnage, en cherchant un peu sur le net je m'aperçois qu'il vient de sortir un livre tiré à cent exemplaires comprenant des lithographies et des lettres adressées à un crocodile, celui du jardin des Plantes. L'a aussi un groupe Rob Miles & Les Clés Anglaises. Une sensibilité. Une découverte.

    RENE MILLER

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    L'ai reconnu à son chapeau. Peut-être en a-t-il changé depuis ce mois de janvier 2016 et son concert à Troyes ( voir KR'TNT ! 265 du 21 / 01 / 2016 ), mais l'allure est la même, petit homme fluet à qui personne jamais n'interdira de rouler sa bosse là où il lui plaira de la porter. Big Boss Man à sa manière, n'a pas celle des maths, mais celle du blues, s'assoit, prend sa guitare et tout le monde se tait, ne force pas sa voix, mais il trille les hollers à la Jimmie Rodgers, c'est tout un fragment d'Amérique qu'il nous raconte, en trois morceaux, les courses vagabondes, et la solitude humaine infinie, une main bleue s'approche de votre cœur et vous l'essore à en faire jaillir des larmes de sang.

    SYLVIA HANSEL

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    Toute seule avec sa guitare. Nous annonce City of New Orleans, elle reprendra le dernier couplet dans la version qu'en a donné Joe Dassin. Un moment de grâce. Se débrouille bien à l'acoustique mais avant tout la beauté de voix chargée d'émotion, et surtout cette sérénité, cette assurance tranquille, l'on sent une détermination sans faille, sans aucune agressivité, du genre de ces personnes qui se dressent au centre du monde comme des tours de garde. Termine sur The Letter qu'elle vous envoie avec le cachet de la poste faisant foi de sa maîtrise. S'éclipse en toute modestie. A suivre.

    DAVID EVANS

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    Un vieux monsieur dans son costume sombre s'est assis doucement. Ses gestes sont lents et méticuleux. Met du temps à extraire son instrument de son étui. Une guitare couleur de charbon, les rotondités de ses courbes étrangement éclipsées par le carré brillant qui encadre le creux de la rosace. L'on ne sait pas ce qui nous attend. Ce coup-ci c'est la voix et la rumeur de la grande Amérique qui nous submerge. Tout arrive d'un coup, le timbre sépulcral et menaçant, et ce toucher des cordes, mille guitares en même temps, la force brute, la puissance irrémissible, le blues profond nous submerge, le Mississippi irrigue notre âme et emporte toute notre mémoire pour l'amalgamer à la geste noire et souveraine des esclaves, que nous sommes tous. Trois morceaux-météorites venus d'ailleurs, qui nous tombent dessus, nous soufflent et nous ensevelissent. Un blues d'un bleu profond sombre comme la mort qui nous attend tapie dans l'ombre de nos existences. La grande crue, la dévastation intérieure. Rien ne sera plus jamais comme avant.

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    David Evans se relève avec peine, c'est un vieil homme, il porte le blues sur ses épaules, il l'enseigne à l'université de Memphis, il a parcouru les campagnes, enregistré les survivants que les Lomax n'avaient pas croisés, a tourné dans le Sud Profond avec Alan Wilson avant qu'il ne forme Canned Heat, tous deux ayant auparavant rencontré Son House.

    TONY MARLOW

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    L'on finit en beauté avec Tony Marlow. L'on notera la trop discrète présence de Fulvio Tex Lecca à la Steel Guitar, l'on aurait aimé que la sono l'avantageât un poil de plus, l'a été présent tout le long de cette troisième partie, et ses interventions, particulièrement avec Tony, d'une grande finesse ont magnifiquement relevé la saveur de bien des morceaux, la gousse de vanille qui embaume la senteur des filles. Tony et sa guitare, vous transcende le blues en country rock, on embarque dans un long black train qui file à toute vitesse dans la nuit et que l'on abandonne à la première station pour une virée en voiture, une Maybelline qui démarre sur les chapeaux de roue et dont Tony négocie les virages lors d'un long solo redoutable qui soulève l'enthousiasme de l'assistance qui a l'air de réaliser que le Delta débouche dans l'océan tumultueux du rock'n'roll. Un choix, très ranchy, judicieux qui renverse les barrières du corral et libère les broncos endormis dans les alpages du rêve.

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    ( Les trois  photos signées : Raphaël Rinaldi

    sinon FB : Tony Marlow et des artistes ))

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    le service secret du rock'n'roll

    SAISON 1 : OPERATION K

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    OBJECTIF 1

    Nous sommes très beaux, il faut le reconnaître. ''Regarde Maman'' a dit le petit garçon en tirant sa mère par la manche, ''les deux monsieurs ils ont de super chouettes chemises à fleurs''. C'est la vérité vraie. Le Chef se rengorge, c'est lui qui a eu l'idée de nous faire tailler des répliques de l'hawaïenne que portait Elvis dans Girls ! Girls ! Girls !, avec nos bermudas à l'anglaise qui descendent au-dessous du genou et notre filet à papillon négligemment posé sur notre épaule nous avons l'air de deux innocents touristes, les filles ne peuvent retenir de nous adresser un sourire complice, que nous leur rendons, mais attention un agent du SSR, le redoutable Service Secret du Rock'n'roll, en action reste imperméable à toutes séductions charnelles, l'ennemi peut être partout, et ce n'est pas la première Mata Hari qui nous mate de ses yeux incandescents qui va nous mater et faire capoter une mission dont dépend l'équilibre politique mondial. Echec et mate serait une catastrophe.

    D'ailleurs pour le moment, nous avons à passer ce que dans le jargon du métier nous appelons un goulot d'étranglement. L'air de rien, le Chef dépose sa petite mallette noire sur le tapis roulant, jusque là tout est normal, mais voici l'instant crucial, je me penche, saisis Molossa assise à mes pieds et la dépose d'un geste anodin, sur la valisette du Chef. '' Oh, Maman, les deux monsieurs ils ont mis un joli chien-chien tout noir sur la valise !'' Si seulement j'avais mon Glock je lui ferais sauter son sale caisson d'un seul pruneau à ce mouflet, va finir par nous faire remarquer. Mais le Chef me tapote discrètement dans le dos, il est temps de passer à la deuxième phase de la pénétration de l'obstacle numéro 1. Très galamment nous laissons notre rang à une vieille grand-mère munie d'une grosse valise, toute contente de gagner une place dans la queue, trois hommes d'affaires en costard-cravate interchangeables, très mal élevés, en profitent pour nous passer devant. Opération réussie, c'est à Molossa de jouer.

    Elle a pris son air le plus innocent. Mais je la connais, je sais qu'elle pense. Depuis qu'elle a vu l'émission sur Einstein à la télévision, elle ne touche presque plus à sa gamelle, je suis sûr qu'elle médite le paradoxe du chat de Schrödinger, et je vous avertis Molossa lorsque elle aborde le concept de chat, ses yeux prennent la couleur de l'orage... Attention, elle n'est plus qu'à trois mètres de l'ouverture du scanner, mais les superviseurs l'ont aperçue, ils rigolent, une hôtesse s'adresse à la file des voyageurs : '' Mais à qui appartient ce chien, que son maître ou sa maîtresse veuille bien l'enlever !''. Je regarde du côté du gamin, n'a rien entendu, sa mère vient de lui refiler un paquet de fraises Tagada, et il est aux abonnés absents, dans une bulle de bonheur.

    Erreur fatale, Molossa déteste être dérangée lorsqu'elle se prépare à une expérience scientifique. Ne sera-t-elle pas en quelque sorte dans la position du chat schrödingerien dans le caisson à rayon X du scanner, en ressortira-telle vivante ou morte, elle est prête à livrer son corps à la science, et ne voilà-t-il pas que juste au moment où elle s'apprête à passer dans le tunnel ionisé, une malheureuse hôtesse étend ses deux bras pour la soulever du tapis roulant, personne n'a rien vu, la jeune femme pousse un hurlement, les crocs de Molossa ont fait du bon boulot, d'un seul coup de dents la brave bête lui a sectionné les veines de ses deux poignets, un geyser de sang dégouline de partout, affolement général, elle pourrait faire comme Sénèque et mourir sereinement en entretenant ses amis de la survie de l'âme, mais non ses piaillements perçants sèment la panique, ça court, ça hurle, le public flue et reflue dans tous les sens, au bout de cinq minutes tout le monde se calme, beaucoup de passagers sont vexés, ils s'attendaient à ce que leurs corps criblés de balles fassent la une des journaux et que le Président de la République vienne prononcer un discours à leur enterrement ne manquant pas de vanter leur courage exemplaire devant cette lâche attaque terroriste.

    Je regarde le Chef en souriant. Nous avons bien profité du tumulte de la manifestation sauvage et spontanée des clients déçus et déchus de leurs statut de victimes qui ont réclamé en compensation le remboursement de leurs billets. Nous sommes assis dans l'Airbus long-courrier, le Chef tapote d'un geste satisfait son long étui noir et Molossa confortablement calée sur mes genoux gobe une à une les fraises Tagada que je puise dans le paquet dont dans la pagaille générale j'ai débarrassé – contre deux paires de gifles pour lui apprendre à vivre - le sale morveux qui avait manqué d'attirer l'attention sur deux touristes innocents.

    LE DOSSIER K

    Le Chef est inquiet. Il allume un Coronado. Posté à la fenêtre droite du bureau il ajuste sa longe vue et ne quitte pas des yeux le parvis de l'Ambassade des USA sur lequel un ballet de longues limousines noires n'en finit pas depuis deux jours. Moi-même, dans l'embrasure de la fenêtre de gauche je braque ma lunette de marine sur l'ambassade du Royaume-Uni, l'autre pays du rock'n'roll, là aussi ça grouille de longues limousines noires. Cela fait trois jours que ça dure, et partout dans le monde l'on pressent qu'il se passe quelque chose. Brutalement les évènements se précipitent, l'on apprend que le Président des Etats-Unis et la Première Ministre de l'Angleterre demandent un rendez-vous urgent au président de la République Française. L'Air Force One est déjà en route. Ça sent mauvais dit le Chef, il allume son quarante-sixième Coronado de la journée. Et il ajoute, '' Agent Chad, préparez-vous, je ne sais pas à quoi, mais mon intuition me murmure que le SSR va reprendre du service d'ici peu. ''.

    Il ne croyait pas si bien dire. Le sommet de l'Elyseé n'est pas terminé que le téléphone rouge sonne. Le Chef décroche. Je n'entends pas, mais pour la première fois de ma vie je vois le Chef blêmir. ''Diantre !'' Laisse-t-il échapper, puis '' Tout de suite Monsieur le Président''. Il raccroche. Sans même prendre le temps de rallumer un Coronado, il m'ordonne : '' Agent Chad, apportez-moi immédiatement, le dossier K.'' C'est à mon tour de devenir plus blanc que blanc.

    GEOPOLITIQUE

    Nous avons étalé la carte du monde sur le bureau. Le Chef trace un cercle rouge au nord de la Thaïlande. Exactement-là ! Puis du doigt il désigne successivement L'Iran, l'Arabie Saoudite, l'Irak le Koweit, l'Afghanistan, le Pakistan, l'Inde, la Chine, la Russie : '' En plein cœur de la poudrière, agent Chad, vous comprenez que l'introduction d'un Commando britannique évidemment aéroporté avec la logistique des Ricains équivaudrait à mettre le feu à la planète. Vous connaissez le président des Etats-Unis, l'est un partisan de la manière forte, si dans trois jours il n'est pas sorti de là, il lance une bombe atomique, bref en gros c'est l'apocalypse nucléaire finale.''

    Je suis abasourdi, c'est à nous qu'échoit la mission ultime, mais il est impossible de nous défiler, il est indubitable que l'honneur du rock'n'roll est en jeu. Le Chef est exactement sur la même longueur d'onde : '' Il s'agirait uniquement du sort du monde, je ne m'en soucierai pas plus que la paire de chaussettes de mes quatre ans dans la quelle j'avais glissé le premier Coronado que j'avais subtilisé à mon père, mais là, si le monde disparaît c'est obligatoirement la fin du rock'n'roll, et cela est impossible. Agent Chad que de choses reposent sur les frêles épaules des deux agents du SSR !''

    '' Ouah ! Ouah !'' Molossa s'est avancée vers nous en remuant la queue. '' Ah Molossa, je savais bien que tu ne nous abandonnerais pas, oui je corrige, que de choses reposent sur les frères épaules des trois agents du SSR ! » 

    VERS LE CERCLE ROUGE

    Le Chef lève la main. Nous sommes à pied d'œuvre. Louer un taxi à l'aérodrome de Bangkok et remonter vers le Nord n'a pas été difficile. Notre accoutrement de chasseur de papillons nous a permis de passer inaperçus, les Thaïs habitués aux touristes ne font aucune attention à nous. Plus malaisées, les huit heures de marche d'approche dans les rizières, de surcroît j'ai dû porter Molossa qui déteste se mouiller les pattes. Le Chef énonce d'une voix sépulcrale : '' Première phase de pénétration dans l'objectif 2 !''.

    Il faut l'avouer, nous frissonnons, ce n'est pas de la tarte, ni aux pommes ni à la poire. Je ferme les yeux pour me remémorer l'article de l'Encyclopédia Universalis : Au Nord du pays s'étend ce que l'on surnomme le cercle rouge de la mort noire. Il s'agit d'une zone peu étendue mais redoutable. Une des rares portions survivantes de la jungle primitive hercynienne. Les Thaïs eux-mêmes refusent d'y pénétrer. Ils prétendent que dans cette zone, les moustiques sont plus gros, les serpents plus longs et les tigres plus féroces qu'en aucune autre partie du globe. Personne ne l'a encore exploré. Les rares expéditions scientifiques lancées à sa découverte n'en sont jamais revenues. La voûte des arbres est si dense qu'aucune photo satellite n'a pu révéler un quelconque détail de ce lieu mystérieux.

    Lorsque le rock'n'roll est en jeu, le SSR n'hésite jamais. Même pas un tiers de seconde. Le Chef se saisit de la poignée de sa valisette noire et franchit la lisière de la forêt maudite aussi placidement que s'il rentrait dans son kiosque à journaux habituel.

    DANS L'ENFER DU CERCLE ROUGE

    Ne jouons pas aux héros. Les deux premiers kilomètres furent presque faciles. Les troncs ne sont pas si serrés que nous l'avions craint, par contre de nombreuses lianes urticantes et des rideaux de mousses gluantes pendent jusqu'à terre, nous zigzaguons entre elles, Molossa marche en tête de notre courte colonne, elle se débrouille plutôt bien pour éviter les obstacles, et le Chef qui a sorti d'une de ses poches une boussole certifie que malgré les détours elle garde le bon cap au nord. Le plus embêtant c'est la pénombre, plus nous avançons plus l'obscurité croît, pour ne pas perdre de vue Molossa rendue quasi invisible par son pelage noire, je lui ai noué un petit ruban rose au bout de son appendice caudal. Cette tache claire nous permet de ne pas la perdre des yeux. De toutes les manières le plus impressionnant c'est le silence. Certes il fait frais, cela n'empêche pas qu'une sueur de mort imprègne nos belles chemises hawaïennes. N'ai jamais ressenti de ma vie une telle peur, il ne se passe rien, mais cette absence de danger est la pire menace que nous ayons eu à affronter durant les nombreuses épreuves que nous avons précédemment traversées dans nos existences mouvementées. Le Chef résume la situation dans une de ces sentences de bronze dont il a le secret : '' Certes j'en mène large mais je n'en mène pas long !''.

    OBJECTIF 3

    Au début ce fut aussi doux qu'un frémissement indistinct de violon. Pas l'instrument préféré des rockers, mais nous étions si satisfaits d'entendre quelque chose que nous en fûmes presque heureux. Par bonheur j'ai réalisé à temps – merci l'Encyclopédia Universalis – la nature du péril mortel qui fonçait sur nous '' Chef, ai-je crié, un nuage de moustiques !'' Ils tournaient déjà autour de nous à une vitesse folle, chacun de la taille d'un moineau, et subitement ils se jetèrent sur nous, un vrombissement de terreur envahit mes oreilles, je fermai les yeux mais tout s'arrêta brusquement, le bruit décrut en une seconde. Je rouvris mes oreilles le Chef était en train de refermer sa mallette. Il me regarda en clignant de l'œil. Et d'un geste de la main il désigna les volutes de fumée nauséabonde de qui s'échappaient de son Coronado se contentant de déclarer : '' Un Espuantuoso, un Coronado spécial, le seul cigare anti-moustique, inventé à Cuba, dès 1893, agent Chad, il ne suffit pas de lire l'Encyclopedia Universalis, faut aussi tirer des enseignements de ses informations. Encore une fois, le Chef venait de me prouver pourquoi il était le chef. Le Chef ontologique par excellence.

    OBJECTIF 4

    N'empêche que lorsque le serpent se hissa brutalement jusqu'à la figure du Chef, celui-ci eut beau lui enfoncer son Espuantuoso dans le gosier, cela ne lui fit ni chaud ni froid à la sale bestiole . Ce fut moi qui eus le bon réflexe. Malgré l'œil cruel du monstre qui le fixait, le Chef ne put s'empêcher de siffloter l'air de Si Toi Aussi tu m'abandonnes en me voyant piquer un sprint, le reptile s'apprêtait à le mordre, j'étais arrivé vingt-cinq mètres plus loin au bout de sa queue sur laquelle je sautais à sa pieds-joints, la maudite bestiole se détourna du Chef en un rien de temps et déjà sur moi elle ouvrait son vaste gosier dans lequel je jetai le bout de sa queue qu'il engloutit voracement, se coucha en cercle et entreprit de s'avaler lui-même... '' Agent Chad, je m'aperçois que l'exemplaire intelligence de ma présence suscite quelques progrès chez vous, vous permettrez que je m'en félicite !''.

    OBJECTIF 5

    Brusquement deux lueurs vertes phosphorescentes s'allumèrent devant nous. Un rugissement terrible ébranla l'arbre sous lequel il se tenait, quatre fois plus gros qu'un tigre du Bengale mangeurs d'hommes, il s'avança pour nous barrer le passage. '' Alors Chef vous n'avez pas un Espuantuoso à lui souffler dans les naseaux ! '' '' Agent Chad, vous n'allez pas lui mordiller la queue ?'' . Mais notre modestie dût-elle en souffrir la vérité historique m'oblige à reconnaître que le félin géantissime ne se souciait point de nous. Molossa s'était avancée en remuant la queue, crût-elle qu'il s'agissait d'un chat de Schroëdinger ressorti vivant de son expérience, toujours est-il qu'elle vint frotter son museau sur la gueule de l'animal et trois minutes après ils s'amusaient comme des fous... Ce n'est qu'après plusieurs heures de galopades effrénées que le tigre s'éloigna et disparut tout aussi subitement qu'il était apparu.

     

    OBJECTIF 6

    Nous avions repris notre marche... Au bout de dix minutes le Chef leva la main pour indiquer la nécessité d'une halte. '' Un peu de méthodologie dans notre avancée triomphale, expliqua-t-il, voyons ce que nous avions prévu dans notre plan de campagne, il sortit de sa poche une feuille de papier toute griffonnée qu'il examina soigneusement, voyons Objectif 1, suivi du 2... le 3 oui... le 4 bien entendu... le 5 naturellement... ah voilà, c'est bien ce que je pensais, ce qui nous attend maintenant c'est le 6, je m'en doutais, agent Chad, tout marche comme sur des roulettes, courage en avant, j'allais formuler une question mais il m'arrêta avant que j'eusse entrouvert mes lèvres, agent Chad, il est inutile de me demander en quoi consiste l'objectif 6, je n'ai noté que les numéros, imaginez que ce document ultra-secret tombe aux mains d'un service ennemi, tiens une idée originale, j'allume un Coronado. C'est à ce moment précis qu'un projectile tomba lourdement à nos pieds.

     

    LE GRAND K

    Nous reculâmes prudemment. Encore heureux que l'engin n'ait pas explosé m'écriai-je doucement. Vous savez agent Chad, les noix de coco explosent rarement ! Quoi Chef, vous êtes sûr, une noix de coco, nous serions-donc tout près de notre objectif. Tout contre, regardez bien agent Chad, nous sommes exactement au centre du cercle rouge, et je me doutais bien, que l'arbre central serait un cocotier. Chef, je comprends tout, que pouvait-il y avoir d'autre que de chercher un cocotier, mais oui tout s'explique, un cocotier au milieu de la forêt interdite !

    L'on entendit du bruit le long du tronc du cocotier, trois minutes plus tard Keith Richards en personne nous donnait l'accolade : ''Hello ! Good guys you find me'' and he kissed us. Malotru, s'exclama le Chef, si l'on ne vous avait pas trouvé vous déclenchiez une guerre atomique, les Services de sa très Gracieuse Majesté ont perdu votre trace à l'aéroport de Bangkok, ils ont fouillé partout, il ne restait plus que ce coin de forêt maudit à explorer, mais la Russie avait prévenu qu'elle ne supporterait aucune intrusion de commando de recherche dans cette zone, le sous-sol regorge de pétrole, et ils entendent le garder vierge de toute approche occidentalo-capitaliste !

    Je ne savais pas tout cela répondit Keith, depuis plusieurs années j'ai contacté la cocotière, une espèce de folie qui m'oblige à grimper sur tous les cocotiers que je rencontre, cela m'a déjà valu plusieurs désagréments, rappelez-vous de l'incident des îles Fidji, mais je ne sais comment renoncer à cette funeste addiction !

    Si ce n'est que cela s'exclama le Chef, voici le meilleur des antidotes, et ouvrant sa mallette, il lui tendit un Coronado.

    Damie Chad.