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éric calassou

  • CHRONIQUES DE POURPRE 645: KR'TNT 645: THE JESUS AND MARY CHAIN / ZOMBIES / ELVIS PRESLEY + ROCKABILLY GENERATION / SPYDER TURNER / JEFF LESCENE / STUPÖR MENTIS / ERIC CALASSOU / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 645

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 05 / 2024

     

     JESUS AND MARY CHAIN / ZOMBIES

    ELVIS PRESLEY + ROCKABILLY GENERATION

    SPYDER TURNER / JEFF LESCENE

    STÜPOR MENTIS / ERIC CALASSOU

    ROCKAMBOLESQUES  

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 645

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

     

    Wizards & True Stars

    - The wind cries Mary Chain

    (Part Three)

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             Allez, on va dire que ça fait quarante ans qu’on guette l’actu des Mary Chain. Le premier à me parler des petits Jésus, ce fut Jean-Yves qui venait de découvrir Psychocandy. Il était complètement fasciné par ce son, par ce look, par cette morgue, par cette fuzz, par cette réinvention du rock anglais qui pompait tout ce qu’il y avait de mieux dans la pop mélodique américaine, c’est-à-dire les Beach Boys, Totor et le Velvet. Les Mary Chain ressemblaient à ces huîtres qui filtrent l’eau de mer pour n’en garder que l’essence et fabriquer des perles.

             Quarante après Psychocandy, les Mary Chain refont l’actu en beauté, avec un concert à l’Élysée Montmartre, avec un nouvel album, Glasgow Eyes, et donc un peu de presse, dont une belle interview dans Record Collector. C’est le genre d’actu qui nous gave comme des oies. Coin coin ou cui cui, c’est comme tu veux.

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             Ah si seulement le Vatican avait pris des petits Jésus comme ambassadeurs de la foi ! Rien que de les voir arriver sur scène, non seulement ça te remonte le moral, mais ça te remonte aussi les organes qui commencent à descendre. L’entrée sur scène est avec le final («I Hate Rock’n’Roll/Reverence») le moment le plus précieux d’un set extrêmement lourd de conséquences. Bim bam boum, on prend les mêmes et on recommence. Le rituel des petit Jésus n’a guère varié en quarante ans, si ce n’est qu’aujourd’hui Jim est gentil avec le public de Frenchies et William ne nous tourne plus le dos comme autrefois. Il vient même à la fin distribuer des set-lits et un médiator, avec un gros sourire de gamin au coin des lèvres, et là tu peux le dévorer des yeux, car c’est une vraie superstar, l’un des derniers rescapés de l’âge d’or de la civilisation.

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    Ah il faut le voir s’installer devant ses deux grosses enceintes marquées «Jesus» et surmontées de têtes Orange, il est comme d’habitude calé derrière ses deux retours et surmonté de sa tignasse exubérante de Professor Nimbus, lunettes sur le nez, baskets aux pieds, petit embonpoint et concentration de tous les instants, jamais un seul coup d’œil sur la salle, il gratte les barrés de ses Marychienneries sur sa grosse demi-caisse Gibson et déclenche de temps à autre l’enfer sur la terre («Head On», «Amputation», ah cet «Amputation» qu’on connaît si mal et qui est un vrai stormer), l’enfer, oui, car le son qu’ils sortent tous les cinq est celui d’une vraie machine de guerre moyenâgeuse, ces machines qu’on peut voir dans certains films de reconstitution historique, montées sur des grosses roues en bois et poussées par des nuées de soudards, le son des petits Jésus fait un peu cet effet-là, c’est du heavy power stormer, un phénomène qu’on croise rarement dans les salles de concert, phénomène d’autant plus alarmant qu’il est sur-saturé de légende. Ils naviguent exactement au même niveau que les Pixies, car leur set grouille de hits, ceux déjà cités, et puis tu as cette version magique de «Darklands» en début de rappel qui vient te knock-outer la tirelire à coups d’I’m going to the darklands/ To talk in rhyme/ With my chaotic soul, et là t’es fier de chanter en chœur avec le héros Jim, les lyrics sont une absolue merveille de perfection stylistique, Jim y va au God I get down on my knees/ And I feel like I could die/ By the river of disease, ce sens de la mélodie surnaturelle vient en droite ligne de Totor et de Brian Wilson, les frères Reid se sont hissés à ce niveau-là, qui est en matière d’art composital le plus haut, pareil avec la volée de bois vert d’«I Hate Rock’n’Roll», tu ne te lasses pas de cette violence visionnaire et de cette faramineuse irrévérence d’I love the BiBiCi/ I love it when they’re pissing on me/ And I love MTV/ I love it when they’re shitting on me, ils n’ont rien perdu de cette niaque écossaise qui est un peu le fondement de leur légende.

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    Et tu as cet enchaînement de quatre smashes qui te laisse complètement hagard : le «Cracking Up» tiré de Munki, suivi de «Some Candy Talking (inespéré), puis d’«In A Hole» et d’un «Sidewalking» qui te ramène à l’origine des temps, quand les petits Jésus régnaient sur la terre comme au ciel. Tu ne peux pas échapper à cette emprise, à cette autorité tutélaire, à ce pouvoir magique. Jim Reid a raison de rappeler que les Mary Chain sonnent comme les Mary Chain et aucun groupe ne sonne comme eux. On va aussi le voir duetter avec une certaine Faith sur «Sometimes Always» tiré de Stoned & Dethroned, puis sur «Just Like Honey», qui est un peu le cut prince de l’imparabilité des choses - I’ll be your plastic toy/ For you - L’ironie de toute cette histoire, c’est qu’ils prennent un malin plaisir à jouer TOUS les cuts ratés de Glasgow Eyes ! Aucune trace d’«American Born» ni de «Girl 71».

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    En guise de cadeau d’adieu, ils nous embarquent dans une version longue et bien psyché de «Reverence», avec un Jim qui nous refait le coup du crucifié - I wanna die on a sunny day/ I wanna die just like J.F.K./ I wanna die in the U.S.A. - Tout cela rimait à la fois magnifiquement et outrageusement. La magie est intacte. On dirait qu’ils n’ont pas vieilli. Nous si.

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             Si tu écoutes Glasgow Eyes à jeun, tu vas hurler. Tout le début de l’album ressemble à un gros foutage de gueule. Les frères Reid ont toujours eu un faible pour la provocation, et là ils se surpassent. Ils attaquent avec des machines. Si tu veux retrouver la folie sonique du «Write Record Release Blues», il te faudra repasser un autre jour. Par contre, la situation s’assainit avec «American Born». C’est un hit, une vraie Marychiennerie. Haut niveau d’homicide et de river side. Le «JAMCOD» qu’on croise plus loin est trop electro, mais chanté à la Mary Chain. Pur produit du terroir écossais, avec des éclairs de poux sauvages. On croise encore d’autres Marychienneries rampantes comme «Pure Poor» et bizarrement, William Reid est en retrait. Il gratte juste ce qu’il faut. Il faut attendre «The Eagles & The Beatles» pour renouer avec le big time. Hommage aux Stones, ils riment Brian Jones avec Rolling Stones. Mais ça redéconne avec ce «Silver Strings» trop electro-pop, ça ne va pas du tout, c’est de la mormoille à la mode. Alors ils se reprennent avec «Chemical Animal», une Marychiennerie écrasée de torpeur - To help production/ I don’t show - Et c’est vers la fin que les frères Reid se réveillent avec «Girl 71», monté sur des vieux accords de pop gaga. Retour aux sources ! Enfin ! Ce sont des accords connus avec du tut tut derrière. Classique, certes, mais le charme des frères Reid fait toute la différence. Et ils terminent cet album accueilli à bras ouverts avec «Hey Lou Reid», un heavy stash de stouch, il pleut de la Marychiennerie comme vache qui pisse, cette fois ça riffe au bassmatic de tronitrue, ça troue le cul du cut, ça t’expurge les fondations, ça te riffe bien le gras du bide. Gros pied de nez au rock moderne.

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             Jim Reid ne fait pas de déclarations fracassantes au micro de Johnnie Johnstone. Le chapô nous rappelle que les deux frères vivent séparés par un océan, Jim sur la côte anglaise et William en Arizona. Johnstone aime bien Glasgow Eyes qu’il qualifie de «ragged and glorious, filthy and beautiful, and as faithful as ever to the limitless potential of rock’n’roll». Il flashe lui aussi sur «American Born» qu’il qualifie de «bruised sludgfest» et sur «Hey Lou Reid» «which metamorphoses from a turgid Sister Ray pastiche into an ambiant blues hymn.» Et il conclut par cette phrase qui résume tout le paradoxe des petits Jésus : «It’s as vital as anything they’ve ever done.» Puis ceci qui dit à quel point il sonne juste dans son propos : «Over the last 40 years, perhaps only Spiritualized and The Brian Jonestown Massacre have shown a similar degree of imagination in recycling the same three chords.» Si c’est pas l’hommage suprême, alors qu’est-ce c’est ? Il dit même qu’un mauvais album des Mary Chain est impensable. Il les qualifie encore d’«evangelists of the new-cassicist rock’n’roll» et d’«indie arbitrers of good taste». Puis Jim Reid prend la parole et ça devient encore plus intéressant. Il situe bien les choses, rappelant que la musique dans les années 60 et 70 «était cohérente et avait du sens» - The blues. Chuck Berry. The Rolling Stones - Puis ça a déconné dans les années 80 - Suddenly we’ve got Kajagoogoo - Il parle aussi de la une du NME avec Kid Creole & The Coconuts. Alors William et lui se regardent et décident de réagir : «Right, enough’s enough.» Bien sûr le punk, mais Jim rappelle qu’en 1982, on ne pouvait pas écouter Radio 1 plus de 10 minutes sans gerber. Ils ont alors tous les deux la naïveté de croire qu’ils peuvent sauver le rock. Mais Jim dit aussi qu’à l’époque on commençait à enfermer le rock dans un petit ghetto, comme on l’avait avant avec le jazz. Puis il re-raconte l’histoire des Mary Chain, les 5 ans de préparations dans leur petite piaule d’East Kilbride, le chaos des premiers concerts à Londres, Bobby Gillespie et Allan McGee, puis les sets de 20 minutes max, le premier single, «Uspide Down» enregistré chez Pat Collier qui veut les faire sonner comme Dire Straits, heureusement, William remixe le single, ouf, ils l’ont échappé belle ! Puis pour éviter de faire Psychocandy II, ils enregistrent Darklands, le chouchou des fans. Ils ne voulaient pas devenir les Ramones qui selon Jim pondaient toujours le même album - a formula - Dans les années 80, Jim dit avoir aimé Felt, The Fall, les Bunnymen, My Bloody Valentine - The Cocteau Twins are one of the best bands ever. So influential - Il adore aussi Nirvana. Mais les Mary Chain veillaient à sonner comme les Mary Chain, and nobody else did. Puis la question porte sur Bobby Gillespie auquel les frères Reid on proposé le «full time job, but he politely declined.» Il voulait rester dans Primal Scream. Alors Johnstone branche Jim sur la dance music d’Automatic qui a suivi le départ de Bobby. Jim corrige le tir : la Soul et le funk oui, Aretha, Motown et Funkadelic, electronics, oui, Suicide, Kraftwerk, «but the rave or dance scene just didn’t do it for us.» Incompatible. Ils racontent aussi qu’au moment de l’enregistrement de Munki, William et lui ne se parlaient plus. Et pourtant, quel big album ! Johnstone le branche ensuite sur l’aspect financier des choses. Jim ne se plaint pas, il ne roule pas sur l’or et ne sait pas trop d’où vient le blé, mais il précise toutefois qu’il vient essentiellement de Psychocandy et de «Just Like Honey».

             Puis c’est l’encadré fatal : Jim salue ‘the Other classic rock debuts’, à commencer par The Velvet Underground & Nico - A blueprint for a type of music thant hadn’t been invented, and obviously a huge influence on the Mary Chain - Et il conclut en disant que le Velvet est aussi important que les Beatles et les Stones. Et crack, il enchaîne avec The Stooges - Ahead of its time - Et il ajoute, l’œil brillant : «It was punk rock before punk rock existed. It’s totally timeless. It would sound perfect in any decade.» Et crack New York Dolls - The punk rock Rolling Stones. The standard of songwriting is incredible. Every song could have been a single - Et crack Never Mind The Bollocks - There was no cooler person on the planet than Johnny Rotten in 1977. He was the role model. Every single song is great - Il cite aussi Suicide, The Smiths et il finit avec The Stone Roses, qui ne l’a pas convaincu à la première écoute, «because I thought it was really retro, so what’s the point?». Mais il préfère Secong Coming, «the production and John Squire’s Hendrix guitar.»

    Signé : Cazengler, Mary Chiant

    Jesus & Mary Chain. Élysée Montmartre. Paris XVIIIe. 13 avril 2024

    Jesus & Mary Chain. Glasgow Eyes. Fuzz Club 2024

    Johnnie Johnstone. You brought a weapon to our shows. Record Collector # 556 - April 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - I walked with the Zombies last night

    (Part One)

             L’avenir du rock promenait son cul non pas sur les remparts de Varsovie, mais sur le Pont des Arts. Il fit halte à la vue d’un homme qui tournait en rond. Il faut savoir que l’avenir du rock ne supporte pas de voir les gens tourner en rond. Il part du principe que l’homme est conçu pour avancer, et non pour tourner en rond. L’immobilisme circulatoire incarne à ses yeux le comble de l’absurdité transcendantale, le summum de l’ignominie comportementale, la pointe extrême de l’abjection sinusoïdale. L’avenir du rock ne dispose pas d’assez d’épithètes pour qualifier ce contresens. Plus il y pense et plus il en frissonne de dégoût. Chaque fois qu’il tombe sur un homme - ou pire encore, une femme - qui tourne en rond, il tente de le remettre sur le droit chemin. Mais ce jour-là, il fut confronté à un cas beaucoup plus grave. L’homme tournait en rond avec le regard fixe. Il semblait redoubler de perdition, son errance circulatoire flirtait avec le fantastique. L’homme semblait donner du sens à sa perdition, il semblait sortir des pages de L’Écran Démoniaque, cette vieille bible de Lotte Eisner qu’on feuilletait autrefois en rêvant de se faire sucer par des goules casquées et frigides. S’imaginant pouvoir sauver le pauvre hère, l’avenir du rock s’approcha de lui et lui murmura d’une voix compatissante :

             — Voulez-vous que je vous indique le chemin de Damas ?

             Le sombre tournicoteur lança d’un ton sec :

             — Pierre qui roule Damas pas mousse !

             L’avenir du rock en fut interloqué :

             — Vous êtes moins demeuré qu’il n’y paraît ! Vous êtes encore capable de contrepéter. Mais enfin, me direz-vous pourquoi vous tournez en rond ?

             — Je m’appelle Jacques Tourneur !

             — Ah c’est vous ? Vous connaissez les Zombies, alors ?   

     

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             Ce ne sont pas les Zombies de Jacques Tourneur qui reviennent dans le rond de l’actu, mais les autres, les Zombies d’Angleterre. Les voilà de retour parmi les vivants avec un superbe album, Different Game. Pochette marrante : leur van tombé en panne sur la route est monté sur la plate-forme d’une dépanneuse, et ils sont tous là derrière, les Zombies, à regarder. Ils attaquent leur morceau titre d’ouverture de bal au shuffle d’orgue. On se croirait chez Procol. Rod rôde toujours dans le coin. En plus, Colin Blunstone chante vraiment comme Gary Brooker. C’est aussi explosif que du grand Procol avec en plus du chien de la chienne. Fantastique ambiance. Les Zombies ont de la légendarité à revendre. Blunstone te transcende tout ça au power pur. Quelle surprise ! On ne s’attendait pas à un tel ramdam, surtout quand on voit le portrait de Blunstone en ouverture du Mojo interview : il frise les 80 balais, ça se voit sur son visage, mais il a toujours cette magnifique tignasse de jeune coq. Jim Irvin qualifie cette tignasse de surprisingly luxuriant. On le sent même fasciné par Blunstone : «His voice youthfull and soft-spoken - is charming company.» 

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             Et ça continue avec «Dropped Reeling & Stupid», Rod Argent y groove le funk. On a là le meilleur groove de funk d’Angleterre depuis Georgie Fame et Graham Bond. Avec ça, tu as tout l’avenir du rock devant toi, la densité de ce groove est extrême et Blunstone chante au sommet d’un très vieux lard. Encore un coup de génie avec «Rediscover». Il faut se souvenir que les Zombies sont des magiciens, et ils n’ont pas perdu la main. «Rediscover» sonne comme un heavy balladif d’exception, ils montent le rock anglais à coups d’harmoniques et Blunstone t’éclate tout ça vite fait. Il te reste encore trois énormités à savourer : «Runaway», «Merry-Go-Round» et «Got To Move On». Les Zombies savent très bien casser la baraque. Ils déblaient tout sur leur passage et Blunstone n’en finit plus de chanter comme un cake. Rod te pianote le «Got To Move On» à la British-mania et ça vire Zombie dance ! Dans la kro qu’il fait de l’album pour Uncut, Nick Hasted compare les Zombies à Steely Dan, qui sont des chouchous de Blunstone et de Rod Argent. Blunstone : «There’s always been a jazz element in Zombies music.»

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             Jim Irvin rappelle que les Zombies étaient pre-Beatles et qu’ils sont montés pour la première fois sur scène en 1961. Puis ils ont trimballé leur look d’intellos, un peu comme Manfred Mann. Blunstone avoue qu’ils ont souffert de cette image, car les gens préféraient les groupes plus dangereux - Pirates and brigands - Blunstone raconte aussi l’extraordinaire histoire de l’enregistrement de «She’s Not There», leur premier hit, au studio Decca de West Hampstead. L’ingé-son est complètement ivre et tombe dans les pommes. C’est son assistant Gus Dudgeon qui prend le relais et qui entre dans la légende, en même temps que les Zombies. Blunstone raconte l’histoire des Zombies avec un luxe de détails extraordinaires. Il évoque par exemple les fameux package tours de l’époque avec les Searchers - Les gens ont tendance à l’oublier, mais les Searchers étaient à l’époque le deuxième grand groupe anglais - et puis les Isley brothers, Dionne Warwick - Que de magnifiques artistes à voir sur scène depuis les coulisses ! - Il parle d’un ton très juvénile, on se régale de l’écouter, il y a du Brian Wislon en lui - We were 18 and 19 years old from St Albans, on n’avait joué qu’au local Working Men’s Club et on se retrouvait à l’affiche avec ces merveilleux artistes - Oui, il a raison, Colin Blunstone, de s’extasier. «Ronnie Isley !», s’exclame Jim Irving. Alors Blunstone saute en l’air : «Probably my favourite singer of all.» Irvin rappelle aussi que Tito Burns était l’agent des Zombies - Yes, a very powerful figure - Irvin commence à tourner autour des histoires de blé. Blunstone botte en peu en touche. Il se contente de constater qu’au bout de trois ans de tournées et de hits, il n’avait pas un rond en poche. Les seuls qui avaient du blé étaient les deux compositeurs, Rod Argent et Chris White. Puis ils ont enregistré Odessey & Oracle, un album culte, mais pas très commercial. Alors les Zombies ont splitté. Financièrement, ça ne pouvait pas tenir. Rod et Chris sont allés monter Argent. En désespoir de cause, Blunstone va reprendre un job dans les assurances - Desperation. I just needed money - Et puis bien sûr la carrière solo. Blunstone commence à écrire des chansons, après tout pourquoi pas ? Il dit bien aimer son album One Year et pense qu’Ennismore et Journey auraient pu être meilleurs. Quand Irving lui dit qu’on qualifie sa voix d’«inherently sad», Blunstone répond : «It possibly is true.» Il ajoute en éclatant d’un rire de vieux pépère qu’il est connu comme étant un «romantic balladeer».  

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             On sort One Year de l’étagère. L’album date de 1971 et c’est là que se niche ce coup de génie qu’est «Caroline Goodbye». C’est une renversante merveille mélodique, un hit de murmure énamouré, digne des grandes heures de Brian Wilson. Blunstone chante avec la voix de Nick Drake, suivi par la guitare d’Alan Crosthwaite et une orchestration de rêve enveloppe le tout. Il chante un peu son «She Loves The Way They Love Her» d’ouverture de balda à la Motown. Rod Argent et Russ Ballard jouent aussi sur ce swing léger et subtil. Belle surprise, en tous les cas. «Misty Roses» sonne quasi Brazil, encore une petite merveille d’aisance, soutenue par Alan Crosthwaite à l’acou magique. Mais certains morceaux orchestrés aux cellos plongent l’album dans des ambiances plus lugubres («I Can’t Live Without You» et «Smokey Day»). Dommage car Colin Blunstone semble y perdre son âme. Il refait son Nick Drake sur «Let Me Come Closer To You». C’est assez frappant, car il chante avec le même timbre d’étain laiteux, avec la même eerie d’airy à la dérive. Il termine avec «Say You Don’t Mind», une belle pop d’allant orchestral. Comme il bénéficie d’un gros soutien moral, il peut donner libre cours à ses échappées belles. Colin Blunstone ? Un symphoné dans l’âme, un syphoniste d’élite, un sibyllique allaité, un simili Malher de symphonie inachevée.

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             Il revient aux affaires en 1972 avec Ennismore, toujours sur Epic. Très belle pochette, diable comme Colin était beau ! Par contre, le balda n’est pas jojo. Il annonce avec «I Don’t Believe In Miracles» qu’il ne croit pas aux miracles, ça tombe bien, nous non plus. Il tape cinq cuts de petite pop. Il ne prend jamais d’assaut, il se contente d’imposer gentiment sa présence. «I Want Some More» sonne comme une belle pop raffinée, mais c’est en B que se joue le destin de l’album, et ce dès «Pay Me Later», plus rockalama, quasi glam. Quel rebondissement ! On accueille son glam à bras ouverts. Il y a du son, logique, car c’est produit par Rod Argent. Et voilà le miracle tant attendu : «I’ve Always Had You», cut délicat et raffiné, à peine orchestré, Colin remplit l’espace d’une voix chaude. Ça n’a l’air de rien au premier tour, mais après le break instro, le thème revient et ça devient furtivement magique. Sur «Time’s Running Out», il sonne comme Nick Drake, intime et vert comme la mousse des bois. Même imposition. Il termine avec «How Could We Dare To Be Wrong», une pop terriblement envahissante, au sens du lierre. Il pratique l’art de l’universalisme, il vise une certaine forme de clameur chaleureuse, il ne fait qu’étendre son bel empire. 

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             Paru deux ans plus tard, Journey bascule facilement dans l’ennui. Blunstone refait son Nick Drake avec «Keep The Curtains Closed Today». On le voit ensuite muscler le son avec «Weak For You», mais c’est un cœur tendre. Comme tous les Anglais, il sait fort bien tempérer ses efforts. Sa pop reste une pop extrêmement soignée, sa voix porte bien. On sent quelque chose de bienveillant chez cet homme. Avec «This Is Your Captain Calling» en ouverture de bal de B, il va plus sur les Beatles, avec des petits élans de Sgt Pepper. Il revient à sa chère pop intimiste avec «Setting Yourself Up», une pop intimiste qu’on voudrait géniale et qui ne l’est pas. Honnête et avenante, oui, mais géniale, non.     

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             Dans Shindig!, Thomas Patterson lui consacre 5 pages d’interview. Pour évoquer les Zombies, bien sûr, mais surtout la période Epic de Blunstone solo. Patterson se dit troublé par le côté unusual du Zombies’ initial musical setting, alors Blunstone a cette très belle formule : «We were taking influences from classical music, modern jazz, R&B, the blues, rock’n’roll and pop, and that’s what made our music so different.» Patterson fait aussi remarquer à Blunstone que les Zombies étaient plus populaires aux États-Unis qu’en Angleterre. Ça fait bien marrer Blunstone qui rappelle qu’en 1967, au moment de splitter, les Zombies se croyaient unsuccessful. Et puis le fait de ne pas être populaire en Angleterre l’arrange bien : il peut aller faire ses courses au supermarché - I’m trying to think on the bright side! - Blunstone revient sur les raisons du split en 1967 : «It ended up with three non-writers, after three years of constant touring around the world with many hit records, having absolutely no money.» Il parle d’un «management company that was slightly questionable». Il fallait donc retourner bosser, we didn’t have a choice. Le producteur Mike Hust entre ensuite en contact avec Blunstone et l’incite à démarrer sa carrière solo. Il va enregistrer One Year avec Rod Argent et Chris White «at Abbey Road Studio Three. Peter Vince enginering. Exactly the same as Odessey & Oracle. Il felt really good recording in this situation again.»  

    Signé : Cazengler, Zombre crétin

    Zombies. Different Game. Cooking Vinyl 2022

    Colin Blunstone. One Year. Epic 1971

    Colin Blunstone. Ennismore. Epic 1972

    Colin Blunstone. Journey. Epic 1974

    Jim Irvin : the Mojo interview. Mojo # 356 - July 2023

    Thomas Patterson : The voice of reason. Shindig! # 123 - January 2022

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

     - Part Eleven

             Oh bah dis donc ! Un spécial Elvis déboule dans la boîte aux lettres ! Un de plus ? On aime bien Elvis, mais bon, la messe est dite depuis les deux volumes de Peter Guralnick (Last Train To Memphis - The Rise Of Elvis Presley et Careless Love - The Unmaking Of Elvis Presley). Lus deux fois, en plus. Deux fois ? Oui, la trouille d’avoir raté un passage important ! C’est un mélange de trouille d’avoir raté des trucs et de plaisir à relire qui motive les relectures. Est-ce Léautaud qui dans le micro de Robert Mallet s’exclamait de son atroce voix de fausset : «Non môsieur, je ne lis pas, je relis !». Sais plus. Léautaud ou un autre, quelle importance, après tout ? On ira vérifier ça un autre jour. Revenons pour l’heure à ce Hors Série de Rockabilly Generation.

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             Il se lit d’un trait d’un seul. Cul sec. Julien Bollinger reprend toute la période 1955-1958, qui va de la signature du contrat RCA jusqu’au départ à l’armée. Après un chapô qui fout un peu la trouille car un peu pro-Parker, Bollinger emmène son récit ventre à terre et fait quasiment du Day By Day, comme l’a fait Richie Unterberger avec le Velvet : c’est extrêmement bien documenté et rondement mené, avec du souffle. Il rend hommage à cet artiste extraordinaire que fut Elvis, en ciblant bien les coups de chance et tout le travail de sape qu’a mené le Colonel pour faire d’Elvis une superstar cousue d’or tout en le castrant artistiquement. C’est sans doute la plus grande tragédie des temps modernes. Le parallèle que dresse Bollinger avec Robert Johnson est maladroit, car l’histoire du crossroad est une légende impossible à vérifier, mais surtout éculée par tant d’abus, alors que la faillite artistique d’Elvis n’est pas une légende. Elle est bien réelle. Tous les fans de la période Sun d’Elvis sont inconsolables depuis plus de soixante ans. 

             Pour illustrer le thème de la faillite artistique, on va suivre les recommandations que donne John Floyd à la fin de son brillant Sun Records : An Oral History : il dresse la liste des albums d’Elvis «indispensables». On appelait ça autrefois la liste des commissions. Rien à voir avec la période incriminée par Bollinger, mais ça donne une idée assez juste de ce qui va se passer après le retour de l’armée et l’entame de cette fameuse «carrière hollywoodienne». Alors on a pris un caddy et on est allé faire des courses. Étrange mélange de bonnes et de mauvaises surprises !

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             La liste des commissions commence avec ce qui est certainement l’un des meilleurs albums d’Elvis de la période post-Sun : Spinout, paru en 1966. On y trouve «I’ll Be Back», un groove digne de toutes les supériorités. Il faut voir Elvis groover son Back. Il n’est pas un King pour rien. Globalement, Spinout est un album de mid-rock extrêmement bien foutu, superbement orchestré et enrichi par les chœurs des Jordanaires. Un batteur extraordinaire joue en contre-bas d’«Adam & Evil» et de «Never Say Yes». Elvis s’amuse bien avec ses musiciens. Le Spinner King est à l’apogée de son âge d’or, semble-t-il, let’s spin it out ! Belle surprise aussi que ce «Smorgasbord» assez rock’n’roll. Elvis fait aussi du blues du delta avec «Tomorrow Is A Long Time». Il ultra-chante. On le voit aussi flirter avec le gospel dans «Down In The Alley». C’est infiniment respectable. 

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             From Elvis In Memphis est encore l’un des meilleurs albums d’Elvis de la période post-Sun. Il faut voir dans cette réussite la patte de Chips Moman. Dès «Wearin’ That Love On Look», on sent le Memphis beat sous les nappes de gospel d’orgue. On entend même Reggie Young. Elvis se tape une belle tranche de balladif avec «Long Black Cadillac». Aidé par des filles superbes, il porte sa Cadillac à bouts de bras. Il boucle son balda avec une version superbe d’«I’m Movin’ On» et Reggie Young gratte dans les entrelacs. C’est ultra-cuivré, joué au débotté d’American, avec la basse de Tommy Cogbill dans le solo. Elvis repart de plus belle en B avec «Power Of My Love», un heavy groove de Memphis et passe à la pop magique avec «Gentle On My Mind», un hit digne de Fred Neil. C’est là où il redevient le King. Dommage que ses autres albums RCA ne soient pas de ce niveau. C’est dingue comme il accroche bien son Gentle. Chips ramène une trompette sur le tard. Encore de la pop extrême d’American avec «Any Day Now». Il faut saluer cette prod d’orchestration très ambitieuse. Elvis termine avec «In The Ghetto» et voilà le team Elvis & Chips à son apogée. 

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             Enregistré à Vegas en 1970, On Stage permet de voir Elvis collectionner les covers, à commencer par un rutilant «See See Rider». Quelle machine ! On peut dire que ça rutile derrière Elvis. Il tape plus loin dans «Sweet Caroline». Bon c’est de la variété, mais Elvis chante si bien qu’il nous fend le cœur et qu’on lui pardonne. À Vegas, il fait en fait une sorte de best of de petite pop royale, avec «Runaway» et en B, «Polk Salad Annie», «Yesterday» et «Proud Mary». Il roule une belle pelle à McCartney avec «Yesterday» et on imagine que John Fogerty et Tony Joe devaient éprouver une sacrée fierté à voir Elvis chanter leurs compos respectives. 

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             Même si on adore ce chanteur parfait qu’est Elvis, la plupart des albums parus chez RCA flirtent beaucoup trop avec le mainstream américain.  On ne peut pas s’empêcher de penser à ce que serait devenue sa carrière si on lui avait confié des grandes chansons. Sur That’s The Way It Is, il tape par exemple une version magique de «You’ve Lost That Lovin’ Feelin’». Il la prend par en dessous pour ne pas être obligé de monter aussi haut que Bobby Hatfield. On l’entend aussi faire des merveilles avec «Stranger In The Crowd», un folk-rock digne des grandes heures de Fred Neil.

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             Paru en 1971, Elvis Country sort un peu du lot, notamment grâce à des cuts charmants comme «Little Cabin On The Hill», joli country-rock qui ne traîne pas en chemin, ou encore «Funny How Time Slips Away», véritable Beautiful Song. Il rocke son stock avec une belle version de «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On», et en B, il revient à l’angélisme avec «It’s Your Baby You Rock It». Il fait encore des merveilles avec «Fadded Love», fantastique élan de soft-rock, puis il emmène «I Washed My Hands In Muddy Water» ventre à terre. C’est du big Elvis.

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             Il faut aussi écouter Elvis Now pour deux raisons : un, «Fools Rush In», car on y entend la voix de Dieu. Deux, «I Was Born About Ten Thousand Years Ago», car c’est du gospel batch avec tout le power qu’on peut imaginer. Il tape aussi une belle croupière à «Hey Jude» et règne sans partage sur «Put Your Hand In The Hand». Mais on voit des choses basculer dans l’opérette hollywoodienne, comme par exemple ce «We Can Make The Morning» grandiloquent. Elvis chante ça le torse bombé, face au ciel. Il parvient cependant à sauver «Early Morning Rain». La voix, rien que la voix.

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             Par contre, on ne sauve pas grand chose sur Good Times, paru deux ans plus tard. RCA a réussi à transformer Elvis en bonbon à la menthe. Il faut attendre «Talk About The Good Times» en bout de B pour trouver un peu de viande. Elvis boucle son pauvre Good Times avec un «Good Time Charlie’s Got The Blues» assez envoûtant.

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             La série des mauvais albums se poursuit avec Promised Land. On y trouve du croon de charme chaud («Help Me»), du balladif rococo («Mr. Songman») et de la heavy Soul («If You Talk In Your Sleep»). Elvis Today ne vaut guère mieux. On y trouve du mélopif inexorable («And I Love You So»), de romantisme meringué («Pieces Of My Life») et on comprend assez vite qu’il ne se passera rien de plus sur cet album. Il termine heureusement avec une version de «Green Green Grass Of Home» aussi envoûtante que celle de Jerry Lee.

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    On termine ce triste panorama avec Moody Blue paru en 1977, l’année de sa disparition. Il monte très haut chercher son «Unchained Melody» et revient au mambo de l’ère Spinout pour «Little Darling». Les Sweet Inspirations l’accompagnent mais on ne les entend pas beaucoup. Le mix les répudie à la cuisine. 

    Signé : Cazengler, Elvice dans la peau

    Talking ‘Bout My Generation - Part Eleven

    Elvis Presley. Spinout. RCA Victor 1966

    Elvis Presley. From Elvis In Memphis. RCA Victor 1969

    Elvis Presley. On Stage. RCA Victor 1970

    Elvis Presley. That’s The Way It Is. RCA Victor 1970

    Elvis Presley. Elvis Country. RCA Victor 1971

    Elvis Presley. Elvis Now. RCA Victor 1972

    Elvis Presley. Good Times. RCA Victor 1974

    Elvis Presley. Promised Land. RCA Victor 1975

    Elvis Presley. Elvis Today. RCA Victor 1975

    Elvis Presley. Moody Blue. RCA Victor 1977

    Rockabilly Generation Hors Série # 5 - Elvis Presley 2024 - Partie 2

     

     

    Inside the goldmine

    - Spyder Man

             Petit, brun, Charb offrait au regard le spectacle d’une physionomie enjouée, à peine voilée par un soupçon d’inquiétude permanente. Il louvoyait comme les autres dans ce monde ingrat, au mieux de ses possibilités. Son principal handicap était un état d’esprit atrocement conventionnel. Il mettait beaucoup trop de temps à prendre des décisions et s’insurgeait dès qu’on lui proposait d’enfreindre les lois. Dans un équipage, ce type de comportement peut vite poser des problèmes. Lorsque par gentillesse on lui conseillait de mettre un peu d’eau dans son vin et de nous faire confiance, il se hérissait, arguant qu’il n’accepterait jamais d’infléchir son propre code de moralité, et pour clore le débat, il rappelait à qui voulait bien entendre qu’il n’avait pas demandé à faire partie de cet équipage. C’est parce qu’on l’avait contraint et forcé à monter à bord qu’il redoublait d’obstination vertueuse. Il fallut bien lui trouver une occupation, puisqu’il refusait de participer aux expéditions. Il accepta le rôle de trésorier qu’on lui proposait. Au moins, cette honnêteté bornée servirait à quelque chose. Il s’appliqua à la tâche, comptant et recomptant le fruit de nos rapines. Il tenait ses livres et dormait avec pour être sûr que personne n’irait les trafiquer. Un jour, il osa défier le capitaine, arguant que la double part qu’il s’octroyait constituait une injustice, et en paiement de son plaidoyer, il reçut en pleine bouche un coup de barre à mine qui fit gicler toutes les dents de devant. On lui avait pourtant recommandé la prudence. Personne à bord n’était habilité à porter des jugements. Charb alla cacher sa honte dans la sous-pente qu’il occupait pour dormir et se tailla quelques dents en bois qu’il ajusta tant bien que mal. Comme son code de moralité lui interdisait de nous dénoncer aux autorités, Charb préféra se pendre pour laver un honneur dont l’absurdité l’avait conduit à l’impasse. On le trouva pendu dans les vergues, les yeux dévorés par des oiseaux de mer.

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             Ce fut un choc que de découvrir Spyder Turner sur la pochette de son premier album, Stand By Me. Charb et lui se ressemblent comme deux gouttes d’eau, même si Charb est blanc, alors que Spyder est black. Il se pourrait fort bien que Spyder Turner soit la réincarnation de Charb. Il n’y a d’ailleurs aucun doute dans l’esprit de ceux qui ont bien connu le pauvre Charb.

             Comme Yvonne Fair, Rose Royce et The Undisputed Truth, Spyder Turner est un protégé du grand Norman Whitfield. Après avoir quitté Motown, Norman Whitfield est allé monter son label, Whitfield Records. Les deux albums de Spyder Turner sont donc parus sur ce label, la même année, en 1978.

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             Le premier s’appelle Music Web et bénéficie d’une belle pochette illustrée. Crâne rasé, regard clair, anneau à l’oreille, torse nu, Spyder tient dans chaque main une comète en feu. Le hit de l’album se planque au fond de la B : «Reincarnation». Spyder flirte avec le génie funk. Superbe attaque rythmique, c’est d’une modernité à toute épreuve. Mais dès «Get Down», il est là. Fantastique présence ! Il sait aussi groover comme un cake («Is It Love You’re After») et flirter avec la heavy Soul des Tempts («I’ve Changed»). Il clôt son balda avec la belle Soul bien charpentée de «Stop». Il joue de la basse, il relance à la Tempts avec des attaques dignes de celles de Larry Graham. Il revient en B avec «I’ve Been Waitin’», une jolie prestation de power man. Tout est puissant sur cet album, bien monté aux gémonies. Ne manquent que les hits. 

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             S’ensuit Only Love, un album un peu plus ambitieux. On s’amourache vite fait d’«I Just Can’t Stop Loving You», une belle Soul élégante gorgée de dynamiques, dans l’esprit de Shaft. Ça aurait dû devenir un hit. Spyder prend parfois un air hautain qui lui va bien. Avec «Let’s Rock (Until We’re Satisfied)», il développe un power à la Edwin Starr. Mais c’est avec «There’s No Love (Without You)» qu’il déploie ses ailes : il mêle la classe au power poitrinaire et devient une sorte de Spyder de la guerre. Il finit par imposer un style en s’appuyant sur un diskö beat («You Cant Always Count On Me»), mais ça passe bien. Il boucle cette bien bonne B avec «You’re So Fine», une fast Soul bienvenue. Spyder connaît toutes les ficelles de caleçon, il sait jerker une Soul et Norman Whitfield veille bien au grain de la prod, il envoie les violons quand il faut. Quelle puissance ! Un Spyder + un Norman, ça donne de fort beaux disks. 

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             Avant d’enregistrer avec Norman Whitfield, Spyder Turner avait entamé une carrière solo, comme en témoigne Stand By Me, paru sur MGM en 1967. Ah il faut avoir entendu au moins une fois dans sa vie le morceau titre où il rend hommage à tous les géants de la Soul en imitant leurs voix, il enfile les exercices de style comme des perles, Ben E. King, Sam Cooke, Chuck Jackson, il yodelle comme Jackie Wilson, Spyder est un puissant seigneur - Smokey Robinson might say, the late Sam Cooke might say, Billy Stewart might say, David Ruffin of the Temptations might say, Eddie Kendricks of the Temptations might say, Melvin Franklin of the Temptations might say, James Brown might say wwwwooogghhhh I feel good ! - Il enquille ensuite une puissante cover d’«Hold On I’m Coming», il fait Sam & Dave à lui tout seul, Spyder est un battant, il chante «I Can’t Make It Anymore» pied à pied, puis il tape un «Moon River» de rêve, il swingue son huckleberry friend. Encore un chef-d’œuvre en B avec une cover du fantastique «I Can’t Wait To See My Baby’s Face» signé Chip Taylor et Jerry Ragovoy, déjà repris par Aretha, Baby Washington et Dusty chérie. Cet album de Spyder est somptueux. Il met encore le cap sur l’horizon de la Soul avec «Morning Morning». On comprend que Norman Whitfield ait louché sur lui. 

    Singé : Cazengler, Spyderogatoire

    Spyder Turner. Stand By Me. MGM Records 1967 

    Spyder Turner. Music Web. Whitfield Records 1978

    Spyder Turner. Only Love. Whitfield Records 1978

     

     

    Clic clac Kodak

             Dans un concert, tu as cinq catégories sociales : le groupe, les techs à la console, ceux qu’on appelle les bouncers en Angleterre, c’est-à-dire les mecs de la sécurité, le public, et les photographes. Comme les autres, les photographes font partie du show. Équipés de leurs gros téléos, ils hantent les fosses, se livrant à leur petit safari d’images. Tu en as qui mitraillent et d’autres plus tatillons qui vérifient d’un œil circonspect chaque image sur le petit écran de contrôle au dos du boîtier. Jusqu’à une certaine époque, dans les grandes salles, on leur autorisait l’accès à la fosse le temps des trois premier cuts, après ils devaient dégager, chassés par des bouncers bien musclés. À force de voir les mêmes photographes shooter des images dans tous ces concerts, on finit par les saluer, puis, si l’occasion se présente, on échange quelques mots, par exemple dans le long temps d’attente qui précède le coup d’envoi. On évoque des tas de concerts passés et on évoque ceux à venir. Les groupes qu’on aime bien et ceux qu’on déteste. On confronte des points de vue. On échange des infos. On cale des dates. Ah tiens, savais pas. Où ça ? Dans un bar ? Ah bon ! Ben dis donc ! Tiens file-moi ton numéro, j’t’envoie le lien. Et pouf, t’as une nouvelle date. T’es content, t’es pas venu pour rien.

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             Ceci dit, on ne se connaît pas plus que ça. Il a ses potes, tu as les tiens. On se contente de partager un joli point commun : cette passion dévorante pour les concerts de rock. Et puis au détour de la conversation, il annonce qu’il a un book. T’as un book ? Il le sort de son gros sac pour te le montrer. Un gros book. Celui-là n’est pas à vendre, c’est l’exemplaire de démo. Mais j’en ai d’autres dans la bagnole. Combien ? Okay. On voit ça après le concert.

             Ah les photo-books de rock ! Chaque bibliothèque normalement constituée en accueille. On ramassait à une époque ces fabuleux photo-books chez Smith, ils te tendaient les bras, alors tu ne pouvais pas résister. Et à peine installé dans le RER qui te ramenait dans ta banlieue pourrie, tu commençais à feuilleter ces gros ouvrages qui te procuraient des chocs esthétiques à répétition. Car c’est bien de cela dont il s’agit : de chocs esthétiques. Rien à voir avec les monographies consacrées à des peintres : le photo-book de rock te secoue aussi sûrement qu’une séance d’électrochocs. Ceux qui y sont passés savent de quoi il s’agit. La photo rock fait partie de ta culture de base, Elvis et Little Richard constituent les racines de ta culture visuelle, au même titre qu’Édouard Manet et Modigliani, au même titre qu’Orson Welles ou Johnny Strabler dans the Wild One. Les icônes ornent les corridors infinis de ton imaginaire. Parmi les grands classiques du photo-book, tu as ceux de Johan Kugelberg sur les Pistols et le Velvet, le Total Chaos de Jeff Gold, le Rockabilly The Illustrated History de Michael Dregni, The Blues A Visual History de Mike Evans, le Soul Memphis Original Sound de Thom Gilbert, auquel il faut associer l’imparable Iconography Of Chance de Tav Falco, et puis tu as aussi A life On Record de Marianne Faithfull, et l’un des plus anciens, The Photography Of Rock d’Abby Hirsh paru en 1973, avec Pete Townshend en devanture. Ça finit par faire des tonnes. Mais des bonnes tonnes. Tu peux y revenir à ta guise. Feuilleter. L’effet sera le même. Choc esthétique. En quelque sorte ta nourriture de base.

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             Le photographe s’appelle Jeff Lescene. Son photo-book de rock n’est pas imprimé en Chine, mais en Normandie. Bonne qualité. Couché brillant, donc aucun risque pour le rendu. Bons équilibres et bon piqué d’images, pur jus de numérique. Au dos, tu peux lire : «1986-2021. Trente cinq ans. Des centaines de groupes. Des milliers de kilomètres. Des dizaines de milliers de photos. Une vie de concerts.»  Ça te met immédiatement en confiance. Book de fan. Jeff propose une approche complètement différente des ouvrages cités en référence : une approche moins graphique, plus documentariste. Pas de foliotage, les artistes sont classés par ordre alphabétique, à raison de 6/7 images par double, en moyenne. Il s’agit en outre d’un photo-book essentiellement «local», car la grande majorité des shoots sont faits dans des salles normandes. Pas mal de Traverse, pas mal de 106, grosse dominante d’artistes de blues et de metal, un peu d’Hellfest, des choses qui remontent aux années 90, nettement moins graphiques. Tu as aussi un brin d’Armada, et puis tiens voilà du Rock’n’Risle avec And Also The Trees, des choses que t’irais jamais voir comme Beth Hart, et d’autres que t’irais toujours voir, comme les Buzzcoks, mais c’est dommage, car on ne voit pas bien notre héros Steve Diggles, tu as aussi Boss Hog au 106, mais sans Jon Spencer, Blues Pills sans Zack Anderson, au détour d’une page tu tombes sur un pur produit local, Pelot (gloups), puis sur un Calvin Russell qui ne date pas d’hier (1991), et ce sacré coco de Coco Montoya dont Bruce Iglauer vante si bien les mérites dans son autobio. Puis voilà un peu de Bâteau Ivre, mais aussi la prog improbable de Rock’n’Risle avec Civil Civic, Carton, Cosmonauts, on se demande vraiment d’où ça sort, de nulle part, pourrait-on dire, et encore du Hellfest à gogo, même si ce n’est définitivement pas ta came. Tu t’attendais un peu à les croiser, alors les voilà les Deep Puple et les Def Lepard, gloups. Pas-ta-came pas-ta-came pas-ta-came, comme un cheval au galop, mais tu poursuis ton feuilletage, tiens voilà Fu Manchu, mais que le beurre. Oh et puis l’horreur (Guns’n’Roses), et après l’horreur, l’image (Hot Stuff, plein pot, le mec ressemble vaguement à Paul Rogers), l’image encore avec Hop Slap, hélas en tout petit, Dédé et sa stand-up bleue, quelques grammes de finesse rockab dans un monde de brutes, et puis grand souvenir : Inmates, Barentin 1991, une fête de la musique où, ivres de bonheur, nous dansions la carmagnole avec Jean-Jean. Quand Jeff rend un hommage particulier, il réquisitionne une double entière : les Jee Bees, et plus loin Marienthal, avec Gilles, qui est sans le moindre doute le meilleur guitariste «local». Et puis des gens dont on entend dire si grand bien dans les files d’attente : Jon Cleary et Johnny Gallagher. On était dans la même salle que Jeff pour quelques concerts : James Leg, Buzzcocks, James Hunter, Monster Magnet, The Last Internationale et Kadavar. L’image : Lucky Peterson, portrait en noir et blanc. Fantastique. Plus loin, la grand-mère de Little Bob, et puis voilà Lemmy plein pot en 1991 : hot shot ! L’image encore : Lanegan, en petit, dommage, cette façon qu’il a de hocher la tête méritait un plein pot, comme Lemmy. Sacré clin d’œil aux Ramines, qu’on retrouve plus loin sous la forme des Vermines, et encore plus loin, une moitié de Damned référencés Scabies & James à Rock’n’Risle, avec Texas Terri qu’on surnommait la casserole, et puis Shemekia, la fille du grand Johnny Copeland, en 2014, à la Traverse, et produits locaux encore avec les excellents Oops, et avant de refermer, tu tombes sur Wayne Kramer shooté en 1995, à Évreux. Sacré mélange, mais ça tient rudement bien la route.

    Signé : Cazengler, Cot cot kodak

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    Jeff Lescene. Une Vie de Concerts. Apimuzik 2021

     

     

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    Les nouvelles ne sont pas toujours bonnes. Longtemps que je n’ai pas regardé ce que devenait Stüpor Mentis. Une notule sur leur FB me met au courant : ‘’L'heure est à l' involution pour STUPOR MENTIS. Après 7 ans de travail acharné, 6 albums et 2 E.P, quelques concerts ici et là ; nous vous tirons notre révérence, peut-être pas définitivement mais pour quelques années ... Nous avons tenté de vous faire rêver avec nous sous le clair de lune ; maintenant nous partons hurler avec les Loups.’’  Je n’ai reproduit que les premières lignes du texte. Dans les suivantes Erszebeth ne mâche pas ses mots, certes elle remercie les rares personnes et structures qui les ont aidés mais pousse une gueulante contre l’indifférence dont toute une partie de l’underground a fait preuve à leur encontre… Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle n’a pas tort…

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    Grand amateur de Shelley par trois fois nous avons abordé le Prometheus Unbound de Stupör Mentis leur adaptation de la pièce (en fait un poème) du prince de la poésie romantique anglaise, voir nos livraisons 478 (01 / 10 / 2020), 495 (28 / 01/ 2021), 506 ( 15 / 04 / 2021) et incidemment la 480 (12 / 10 / 2020) consacrée aux tableaux d’Erszebeth… Pour cette fois pour ne pas trop nous éloigner de Shelley nous écouterons le :

    DARKNESS

    STUPÖR MENTIS

    (Not On Label / Décembre 2022)

    Stüpor Mentis : Audrey Bucci  (Erszebeth) / Nicolas Lordi.

             Lord Byron publie Darkness (Ténèbres) en décembre 1816 dans Le Prisonnier de Chillon et Autres Poèmes. 1816 fut une année terrible. Incompréhensiblement terrible. Les européens ne pouvaient savoir que l’obscurité qui envahit le ciel du nord de l’Europe était due à la cendre rejetée par un volcan indonésien. En plein été, certains jours il fallut allumer les chandelles…

    Nous sommes en une époque où les racines chrétiennes sont encore très fortes même si elles commencent à vaciller, le doute s’installe dans les esprits éclairés, l’on collecte de nombreux fossiles dont la datation ne correspond pas exactement avec la Genèse, premier livre de la Bible, pour la petite histoire Darwin vient de naître en 1809, cinquante après sa naissance son livre L’Origine des Espèces portera un coup mortel aux croyances théologiques, mais nous n’en sommes pas encore là, en 1816 nous vivons l’âge d’or du romantisme anglais.

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    Shelley et Lord Byron ont senti que leurs écrits et leurs frasques existentielles, malgré leur niveau social élevé, sont très mal perçus par l’establishment britannique, ils sont devenus persona non grata. Ils préfèreront s’éloigner en Italie.  Deux des trois plus grands poëtes anglais sont en exil volontaire loin de leur patrie. Ils inviteront John Keats gravement malade à les rejoindre, il refusera, ce fils d’un modeste palefrenier ressent vraisemblablement cette généreuse invitation comme un acte charitable…

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    Venu à Rome soigner sa tuberculose Keats décèdera en 1821, Shelley périra noyé dans le golfe de Livourne en 1822, dans une des poches de sa dépouille l’on retrouvera un recueil de John Keats, Byron parti se battre pour libérer la Grèce de la férule turque succombera à une fièvre des marais à Missolonghi en 1824. Pour compléter ce macabre tableau rappelons que c’est lors d’un séjour à Genève en 1816 que Mary Shelley composera le début de Frankenstein, et Lord Byron Ténèbres…

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    Ténèbres est un poème qui n’atteint pas la centaine de vers. Il fut remarqué dès sa parution. Le sujet est facile à résumer : la fin du monde. A première lecture par ses nombreuses allusions au texte de l’Apocalypse le poème semble pour un esprit distrait s’inscrire dans le droit fil de la tradition chrétienne.  A part que Dieu, le Christ, et le Diable en sont absents… Le poème est présenté comme un rêve par un individu dont on ignore tout, ce qui permettra aux commentateurs épouvantés par les conclusions nihilistes que l’on pouvait tirer du texte de prouver qu’il reste tout de même un survivant et que tout n’est pas perdu pour Dieu, car tant qu’il subsiste un homme il aura toujours besoin de Dieu pour être sauvé… Le poème fit scandale, dire que le monde n’a pas besoin d’une intervention divine pour disparaître, équivaut à décréter que la matière se débrouille toute seule pour vivre ou périr.

    Il est une autre façon d’interpréter Ténèbres, le poème ne pourrait-il pas porter comme titre : Le triomphe de la mort et être qualifié d’œuvre gothique. Entre Stüpor Mentis et Stüpor Mortis la différence est-elle si grande... La fascination de la mort, l’autre face de l’immortalité, n’est-elle pas un des centres d’intérêt du groupe qui a choisi un tel nom et l’un des thèmes préférés du mouvement romantique…

    Stupör Mentis n’a pas mis en musique l’intégralité des quatre-vingt-deux vers du poème tout en respectant le déroulement du récit.      

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    Darkness I : basse sombre, une voix chuchote, comme s’il ne fallait rien ajouter au désastre de la disparition de la lumière, des bruits, des chênes qui tombent pour le bûcher d’Hercule qui ne sera pas élevé, des moires sonores s’agitent dans l’ombre, quelque part une cantatrice de la destruction pure vocalise, serait-ce pour que le fendillement du cristal entaille le filigrane de votre âme comme le diamant  découpe la transparence du verre noir.  Darkness Ii : entrée des hommes, la voix récite expressive, elle conte comment les hommes se comportèrent en ces  instants cruciaux, comment certains acceptèrent la mort, la voix se fait dramatique, tous savent qu’ils vivent leur derniers instants, berceuses mortelles, ils sont prêts à s’entretuer pour un dernier repas qu’ils ingurgitent sans voix. Même les bruits de la musique s’apaisent. En quoi seraient-ils utiles au malheur de l’humanité…Darkness III : comme un gong perpétuel, des pleurs et des gémissements s’élèvent, les hommes sont-ils prêts à dévorer des cadavres, ils sanglotent, le désespoir du cannibalisme les étreint, mur de lamentations sans fin, dans ce spectacle de lâcheté humaine seul un chien lèche la main du cadavre de son maître, affliction canine fidèle, qui ne répond pas, et la voix se déchire en un long cri inhumain. Pleure-telle le chien abandonné à la mort ou la fin de la faim de l’amour. Cette scène est-elle inspirée à Lord Byron par le chien d’Ulysse mourant qui, vingt ans aprèss est le seul à reconnaître son maître…Darkness IV : enfin de la vraie musique serait-on tenté de s’écrier, une belle intro avec des chœurs, mais bientôt le bruitisme reprend ses droits, un des derniers épisodes du désastre, deux ennemis qui se haïssent depuis toujours, deux survivants qui essaient de s’approprier de leurs mains avides encore une ultime fois les objets sacrés les plus inutiles, la musique devient plus ample, un véritable oratorio, lorsqu’ils meurent sans s’être reconnus, réduits à l’état squelettes ambulants, l’âme morte desséchée par la haine n’est pas plus utile que l’amour.  Darkness V : je ne sais pourquoi Stüpor  Mentis use comme texte d’une citation d’Alexander Pope, poëte du début  du dix-huitième siècle, elle s’insère bien dans le poème de Byron, mais cette insertion me semble inutile, de même sur la vidéo de You Tube qui accompagne ce morceau est repris par deux fois un extrait d’un vieux film muet que je n’ai pu identifier, qui d’après moi relate un épisode de la descente de Dante, accompagné par Virgile, aux Enfers. La scène qui se veut terrible donne envie de rire. Ces condamnés totalement nus qui grouillent à terre  sont-ils  en train de miner une espèce de parade nuptiale d’un nouveau genre, jamais Eros n’a été aussi proche de Thanatos… Heureusement la musique solennelle et larmoyante, tôles agitées, tubulures grondantes, voix d’homme chuchotantes, nous persuade du contraire, l’on a toutefois du mal à s’en convaincre. Darkness VI : final, profonde obscurité, le monde s’immobilise, vague sonore crépusculaire, la voix ose à peine parler, tout est mort, le monde n’a pas disparu, l’engeance humaine oui, plus un seul mouvement - rappelons-nous que selon Aristote s’il n’y a pas de mouvement il n’y a pas de moteur immobile que le christianisme s’est dépêché d’identifier à Dieu - la lumière est définitivement éteinte, les ténèbres ont pris la place de l’univers. Or comme Dieu est lumière, vous pouvez tirer de la seule présence de l’obscurité des conclusions attentatoires à la survie de Dieu.

             Si j’avais un conseil à donner à un auditeur, ce serait de se contenter d’écouter la bande-son de ce poème imaginée par Stüpor Mentis, et de ne lire dans un premier temps uniquement le titre du poème. Les Ténèbres se suffisent à elles seules. Le mot pour peu que l’on y réfléchisse trente secondes est porteur des peurs les plus noires. Les mots et les vers de Byron n’apportent rien de plus au récitatif musical et vocal.

             Ou vous lisez le poème, ou vous écoutez la transcription phonique. Poésie et Musique ne s’apportent rien. Elles se ne communiquent pas, elles restent dans leur quant-à-soi, dans leur solitude, dans leur impénétrable et inaltérable virginité. Toutes d’eux d’une intrinsèque et inégalable beauté. Parfois l’Unicité ne saurait être phagocytée par la Totalité.

    Damie Chad.

    *

    Le rock’n’roll est un poulpe vicieux.  Poulpe parce qu’il possède huit tentacules comme l’affirment les traités savants sur l’anatomie des animaux des fonds marins, vicieux parce qu’il ne s’en sert pas comme tout poulpe qui se respecte, par exemple celui qui attaque le Nautilius du Capitale Nemo dans Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne, une bestiole tout ce qu’il y a de plus honnête, elle vous enserre dans ses ventouses pour vous bouffer d’un seul coup, vous passez un mauvais quart d’heure, mais après c’est fini, et bien fini. Elle vous laisse tranquille.

             A priori le poulpe du rock’n’roll est plutôt amical. Sympathique même. Se sert de ses tentacules pour vous induire en erreur : tiens écoute ce truc, c’est super ! tu es au courant de ce bouquin ? et cette vidéo tu l’as visionnée, ? je te rappelle que tu n’as pas lue la dernière des Chroniques de Pourpre, tu devrais, et les derniers Hors-Séries  de Rockabilly Generation sur Elvis, tu ne les pas encore commandés… Bref quand vous entrez dans le rock’n’roll vous avez l’impression d’entrer dans les Ordres, mais là toutes les cinq minutes vous avez l’impression que Dieu vous attend…

             Le rock’n’roll s’empare de votre vie, pour toujours, vous aimeriez parfois y échapper, il vous rattrape illico, même pas la peine d’y penser. Devenir fan de rock’n’roll, c’est un peu comme si vous décidiez de planter votre tente de survie en enfer.

             Prenons un cas que vous commencez à connaître : Eric Calassou.  Alias Bill Crane. L’est parti en Thaïlande, il semble que le rock’n’roll l’ait perdu de vue, bien sûr ça n’a pas duré, Ces quatre derniers mois il vient de produire tout seul chez lui quatre albums. Nous en avons déjà chroniqué trois.

    Baby Call My Mame : c’est le premier, le titre c’est un peu comme si l’Avenir du Rock, ce personnage mythique qui hante les chroniques du Cat Zengler, lui avait filé un coup de fil : Bill Crane ! réveille-toi, le rock a besoin de toi !

    Hell ls Here : c’est le deuxième, l’interjection du Grand Patron Mythique avait précipité Bill Crane dans l’enfer du rock ‘n’roll, qui de fait est le paradis du rocker.

    Covers : c’est le troisième, le retour aux sources, les pionniers disparus du rock, c’est mieux que le paradis, c’est l’Atlantide du rocker.

    Voici le quatrième :

    MOONLIGHT

    BILL CRANE

    (Chaîne YT / Bill Crane)

    You Can’t Judge a Book by the Cover, certes Bo Diddley a raison, n’empêche que l’on ne peut regarder la couve d’un disque sans être dans l’état de surexcitation qui saisit les archéologues de la Vallée des Morts lorsqu’ils forcent la porte d’une sépulture, offrira-t-elle la dépouille convoitée d’un pharaon égyptien, ou juste une pièce vide…

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    Moonlight, pour un Clair de Lune l’image est plutôt sombre, serait-ce la lune noire horoscopique, voire la lune verdâtre qui flotte sur les eaux stagnantes des marécages… entre la semi-obscurité d’un croissant de lune romantique pour de doux ébats sur le siège arrière d’une Pink Thunderbird, et la face blême de l’astre sélénique qui dardait ses rayons maléfiques sur le carrefour où Robert Johnson rencontra son destin, la distance est immense. Pour trancher, écoutons :

    Rock the beat : balance le beat, chevauche le tigre, baise la bête, surtout ne baisse pas la tête, seul devant le monde entier, ce vocal qui mord, la guitare qui tinte comme la verroterie de la ménagerie de verre de Tennessee Williams, tout ce que la vie n’a pas donné, tout ce que tu as pris, tout ce que tu ne rendras jamais, ce rock qui t’écarquille les oreilles qui enquillent sec, une retenue de violence dans ce titre, une ouverture claudicante un pied sur le sable mouvant des tristesses de la vie, et l’autre sur le béton inaltérable des pistes cendrées des marathons intérieurs.  Moonlight : avez-vous déjà entendu une voix comme celle-là qui moane dans les mornes plaines de Waterloo, une guitare astringente qui pianote, un gong asiatique de monastère  tibétain, le gars perdu qui arpente les sentiers glacés de l’Himalaya à moins que ce soit la plainte solitaire du yéti dégoûté des hommes, la voix se perd, un voilier sur la mer lointaine sans capitaine, un Titannic sans iceberg, jusqu’au choc, le trou dans l’eau et le silence. Non ce n’est pas fini, attendez le coup de gong final pour vous apercevoir que vous erriez dans ce que l’on pourrait appeler un codicille désespéré au Blue Moon d’Elvis. Magnifique. Fallait oser. Bill Crane l’a réussi. Let’s go : lorsque vous entendez l’intro rythmique vous respirez, après les deux douches froides  comme des suaires qui ouvrent la porte du dancefloor, vous entrez dans la danse sans vous poser de question, rien que le titre qui fleure l’optimisme sixties, pour un peu vous danserez le twist, inutile de faire le cake, initiez-vous plutôt au cakewalk des culs-blancs, car voyez-vous dans ce monde, toutes les bonnes choses se perdent, all the good is gone, un titre bleu qui rit jaune, la guitare claque comme un dentier mal ajusté. Le rockab du pauvre qui vous casse la gueule quand vous lui faites la charité. A bon entendeur salut. Please be mine : c’est aussi beau que du Ben E King, le feulement du type qui a jeté son dévolu sur la gerce qui danse, vivement le samedi soir, à part qu’au bout d’un moment la comédie se change en la tragédie du dérisoire assumé, le gars s’est jeté sur la minette, il joue le jeu, connaît l’art de croquer les souris jusqu’au bout des griffes. Ronronne à la glotte perchée. Jubilatoire. The right time : avez-vous remarqué comme chaque titre est comme la moitié évocatoire d’un autre bien connu, une espèce de cut-up, en fait ici, il vaudrait mieux parler de Crud-up, l’Arthur qu’admirait Elvis, celui-ci peut être compris comme une parodie du précédent, au début Crane et sa guitare vous balancent  la purée en pleine poire, puis il endosse la posture de la désinvolture, Monsieur se désintéresse, il s’en fout, il sifflote, le gars qui s’éloigne allègrement dans la nuit sans même un regard en arrière. All around the world : la batterie accélère le pas, elle a intérêt à suivre, le mec l’est parti pour faire le tour du monde, du moins c’est qu’il dit, pardon c’est ce qu’il miaule, l’on a l’impression qu’il remue la queue de plaisir sur un toit de tôle brûlant, joue à la pierre qui roule, mythologies blues et rock obligent, il passe et n’a pas le temps de s’arrêter très longtemps. Avec lui c’est maintenant ou jamais. C’est sa philosophie, être ici et maintenant comme partout ailleurs. Le rock produit son propre narcissisme. Little less conversation : (les amateurs de Presley n’aiment pas ce titre, ce n’est pas qu’il soit mauvais, c’est qu’il laisse un goût amer dans la bouche, enregistré en 1968, et dernier numéro 1 du King après sa mort en 1977). Autant le titre de Presley est par ses paroles et sa diction un peu macho-phallo (j’emprunte le vocab des féministes pour me faire bien voir de ma députée) autant celui de Bill Crane joue sur la solitude marécageuse qui sépare les individus, une espèce de jungle beat asthmatique et un vocal titubant chargé de l’ennui de vivre et de la nécessité de donner l’apparence de vivre, d’être toujours en représentation devant les tiers, cette impossibilité de ne pas être soi, un tigre altéré du sang de ses contemporain.e.s. ( Essai exclusif d’écriture inclusive). Baby Blue : après Elvis, Gene Vincent, une promenade hommagiale sous la lune bleue de l’idole noire, la voix levés vers le ciel si pur et la glotte emmurée de terre et embrumée de pleurs… baby blues. Dylan, avait raison, après Baby blue il n’y avait plus rien à dire. It’s all over now, baby blue ! Always the sun : référence à l’hymne gnostique, c’est ainsi que le qualifie Pissier, des Stranglers … c’est que quand tout est fini, le soleil se lève au matin suivant, ne serait-ce que pour éclairer les désastres de la veille. Le problème c’est que les éclats carillonnant de guitare et la voix entreprenante suivent la courbe solaire, elle monte au début, elle plafonne à midi, chauffe un max, décroît insensiblement puis se fatigue et décline. Serait-ce une métaphore de l’histoire du blues et du rock… Highway blues : dans le rock quand tout est fini  il reste toujours la possibilité de partir plus loin, d’enfiler la Highway des espaces infinis du no future et d’aller voir si plus loin l’herbe bleue du Kentucky est encore plus verte… La voix de Bill Crane s’estompe et disparaît dans un nuage de poussière…

             Cet album est splendide, une véritable méditation lamartinienne sur les choses inanimées qui bougent encore. Bill Crane, à lui tout seul, one man band, nous donne à entendre  l’hyperbole crépusculaire du rock’n’roll.  Souvenez-vous tout de même que le mot crépuscule signifie tout aussi bien, le moment qui précède la nuit que celui d’où procède l’aube…

             Ne soyez pas nostalgique, Bill Crane vient de terminer un cinquième album… Rock’n’roll never dies…

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

    79

    J’ai arrêté la voiture devant le bâtiment de l’agence parisienne de la CIA. La

    porte s’ouvrit d’elle-même dès que nous nous en approchâmes. Une personne masquée nous attendait, elle nous fit signe de la suivre, nous montâmes jusqu’au troisième étage. Notre accompagnateur se saisit d’un combiné mural.

             _ Ils sont là !

    Il dut recevoir un ordre favorable car il appuya sur ce qui semblait être une légère protubérance anonyme sur le mur qui pivota sur lui-même dévoilant une vaste salle éclairée par une lueur diffuse qui semblait provenir d’une grande table autour de laquelle se tenaient une dizaine d’opérateurs qui ne relevèrent même pas la tête à notre arrivée. Jim Ferguson s’avança à notre rencontre, il jeta un rapide regard sur les jumelles impressionnées par la drôle d’atmosphère qui régnait dans cette pièce.

             _ Bienvenue dans notre centre décisionnel N°14, cher Chef vos deux nouvelles agentes me paraissent bien jeunes, pensez-vous qu’elles aient les capacités mentales et physiques de se joindre à nous.

    Le Chef alluma un Coronado :

             _ Ne craignez rien cher Jim Ferguson, chez nous en France aux âmes bien nées la valeur n’attend pas le nombre des années !

             _ Ah ! Ah ! vous en faites une affaire d’orgueil national, elles sont bien jolies, mais chez nous en Amérique aux tendres corneilles nous préférons le corbeau immémorial d’Edgar Poe ! Jeunes filles nous sommes ravis de vous accueillir, ne perdons pas de temps, la situation est plus que grave, elle est inquiétante. Venez voir.

    80

    Sympathique le Jim Ferguson, il n’y avait pas grand-chose à voir. Il me fallut quelque temps pour comprendre que la couleur changeante de la table n’était pas une œuvre d’art due au génie torturé d’un artiste moderne mais un grand écran ultraplat, même pas cinq millimètres d’épaisseur, d’une vingtaine de mètres carrés qui constituait, malgré sa minceur, le plateau de la table. Au risque de décevoir le lecteur il n’y avait rien d’affriolant à regarder. De temps en temps une vague lueur rouge semblait embraser l’écran, pour disparaître et laisser la place à une teinte évanescente d’un blanc plâtreux ou d’un gris indéfinissable. Le spectacle paraissait fasciner la dizaine d’opérateurs qui de leurs yeux attentifs ne quittaient pas, ne serait-ce d’un millionième de seconde ces reflets changeants peu pittoresques.

             _ Agent Chad, je suis sûr que vous reconnaissez l’endroit, c’est l’endroit où nous nous sommes rencontrés !

    Je cherchai en vain dans ma mémoire :

             _ Mais si l’endroit où nous avons dû vous arracher à la grille de l’entrée dans laquelle vous vous acharniez à vouloir passer à travers, je me dois de vous présenter les excuses du Président des Etats Unis, dans nos services nous avions cru que vous aviez l’esprit dérangé, sachez toutefois que nous n’abandonnons jamais une piste, si farfelue qu’elle puisse paraître… Nous savons reconnaître nos erreurs d’appréciation. Autour de cette table se trouve une des meilleures équipes d’analystes de toute la CIA. Permettez-moi de donner la parole à Mister John Deere !

    John Deere n’était pas un grand causeur, mais il expliquait très bien, il n’ouvrit pas la bouche mais il posa sa main sur l’écran qui s’éteignit. La pièce fut plongée dans l’obscurité, le Chef alluma un Coronado, pendant un long moment le bout rougeoyant du cigare fut le seul point de lumière visible dans le centre décisionnel N° 14 de la CIA parisienne…

    Ce n’est que lorsque le Chef ralluma un nouveau Coronado que John Deere prit la parole.

    81

             _ Jim Ferguson a raison, nous autres américains, fils de la plus grande démocratie du monde, nous refusons l’échec. Cela faisait un moment que nous tournions autour de cette maison dont la grille a failli vous happer. Depuis près de vingt ans nous nous intéressons à cette étrange secte des briseurs de murailles. D’étranges rapports sur des cambriolages sans effraction nous ont intrigués, pendant longtemps ce genre de phénomènes s’est exclusivement déroulé sur le territoire américain. Le FBI s’est donc chargé des enquêtes. Les journaux en ont profité pour augmenter leur tirage. Qui était ce mystérieux individu qui pénétrait dans n’importe quelle maison ou édifice sans se faire prendre, se jouant des systèmes d’alarme les plus sophistiqués, nous pensions avoir affaire à un individu hyperdoué, un as de l’informatique, un ingénieur en haute-serrurerie, nous avons essayé vainement de tracer son portrait-robot, son profil psychique, nous avons discrètement enquêté sur de nombreux ingénieurs de nos entreprises qui possédaient les connaissances nécessaires à ce type de pratiques, nous avons passé au crible les staffs de nos entreprises œuvrant dans les techniques secrètes de pointe, nous n’avons rien négligé, même pas les hauts-fonctionnaires de nos ministères, nous n’avons pas oublié de nous pencher sur le Pentagone, rien, nous n’avons rien trouvé, même pas un début de piste…

    Le Chef ralluma un cigare et prit la parole :

             _ Si je comprends bien la CIA cherche et la CIA ne trouve rien, pourquoi notre individu ne se trouverait-il pas dans la CIA, peut-être est-il même niché au cœur de la cellule d’intervention qui chapeaute toutes ses enquêtes.

    J’ai cru qu’un ange aux ailes cassés allait longuement traverser la pièce durant un long silence. A ma grande surprise il n’en fut rien. Un franc sourire s’épanouit sur les visages des opérateurs de John Deere et de Jim Ferguson, qui prit la parole :

             _ Les français sont un peuple frivole, ils ont, on ne sait pas trop pourquoi un Service Secret du Rock’n’roll, formé d’un Chef, d’un seul Agent, de deux jeunes filles post-pubères et de deux chiens vigilants présentement assoupis sur un canapé, SSR qui n’est pas très bien vu par les Présidents de la République successifs, et pourtant c’est cette bande de branquignoles qui fait preuve d’une remarquable intelligence d’intervention étonnante. Si nous avons pris la décision de collaborer avec vous ce n’est pas par hasard. Normalement, selon notre propre protocole nous aurions dû vous éliminer, mais l’Histoire avec un grand H, une hache thermidorienne pour user d’une métaphore emplie du bruit et du tumulte du génie politique de votre nation, nous avons dérogé au principe d’action de notre service, je laisse Mister John Deere vous expliquer le pourquoi de cette mansuétude opérative de notre part.

    John Deere se racla la gorge, le Chef en profita pour allumer un nouveau Coronado.

             _ Ces mystérieux et audacieux cambriolages ont cessé d’un seul coup voici deux ans. Les journaux se sont focalisés sur le changement climatique et la possibilité d’une guerre avec la Chine. Les peuples se doivent d’être amusés et divertis, cela leur évite de réfléchir. La presse n’en a jamais rien su, l’information en a été tenue secrète, mais nos ennemis se sont permis de nous narguer. Un coup de maître. Ils se sont introduits dans le saint des saints, dans la Maison Blanche, sont allés tout droit vers le bureau ovale du Président, ils n’ont laissé à leur habitude aucune trace, ils ont agi avec un professionnalisme sans défaut et une discrétion étonnante. Figurez-vous que le Président ne s’en est aperçu que par hasard. Un coup de chance, il s’est souvenu qu’il avait promis au Foreign Office de jeter un rapide coup d’œil à un dossier de moindre intérêt. L’était d’ailleurs rangé tout au fond de la pile, il ne l’a pas retrouvé, on l’a cherché partout, on ne impossible d’y mettre la main dessus, les investigations ont été longues, figurez-vous que le dossier tout en haut de la pile portait sur les nouvelles armes mises au point par le Pentagone, n’importe quelle puissance étrangère aurait donné des milliards pour l’avoir entre les mains, mais non, ce n’est pas celui-là qu’ils ont choisi, ils ont pris un dossier relatif à une puissance du quatrième ordre !

    Le Chef qui allumait un Coronado intervint avec placidité :

             _ Je suppose que vous parlez de la France ?

    _ Nous ne sommes pas là pour nous cacher la réalité. Oui, votre pays s’inquiétait de ce que les ménagères américaines n’usent plus de pinces à linge en bois pour étendre leur lessive, et que les pinces en plastique qu’elles utilisaient se retrouvaient au fond des océans. Nous comptions leur répondre que nous préservions la diversité de notre flore notamment de nos arbres, que nous refusons de couper nos forêts de séquoias pour les transformer en pinces à linge. Mais…

    A cet instant se produisit une fébrile animation autour de la table, les opérateurs tournaient autour d’elle visant de de temps en temps de leurs index des points qui devaient correspondre à des boutons.

    Au bout de quelques minutes l’un d’eux s’écria :

             _ That’s all right !

    Nous nous précipitâmes.

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 643: KR'TNT 643: ELVIS PRESLEY / PIXIES / SONIC BOOM / CORMAC McCARTHY - JEAN-FRANCOIS JACK - FLAUBERT / CHUCK BROOKS / CHIP TAYLOR / SCIONS / ERIC CALASSOU / MARIE DESJARDINS / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 643

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    02 / 05 / 2024

     

    ELVIS PRESLEY / PIXIES / SONIC BOOM

    CORMAC McCARTHY - JEAN-FRANCOIS JACQ  - FLAUBERT   

    CHUCK BROOKS / CHIP TAYLOR

    SCIONS / ERIC CALASSOU 

    MARIE DESJARDINS / ROCKAMBOLESQUES  

      

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 643

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    *

    Je connais Sergio Kazh, un gars sympa, photographe et fondateur de la revue Rockabilly Generation News, l’est peut-être comme moi rempli de milliers de défauts, toutefois je peux témoigner à sa décharge qu’il lui en manque un, des plus importants, le mensonge : non Sergio Kazh n’est pas un menteur ! Figurez-vous que voici quinze jours il m’envoie un très court message surprenant : ‘’ Tu vas recevoir le Graal’’. Le Graal me suis-je demandé et pourquoi pas tant qu’il y est  le Ptyx mallarméen  en supplément, le Sergio il est gentil, mais il raconte un peu n’importe quoi.

    Ben non, quinze jours plus tard j’ouvre ma boite à lettres, juste une enveloppe blanche, un peu épaisse au toucher certes, mais pas le genre de colissimo à contenir le sacré graal tant recherché par les fameux chevaliers de la Table Ronde. J’étais un peu déçu, je m’étais dit que si c’était vrai je le revendrais aux enchères et que je pourrais me payer un petit resto pas cher avec mes deux chiens. J’ai ouvert l’enveloppe, j’ai été ébloui, non seulement le graal était dedans mais il y en avait deux !  

    ROCK’N’ROLL MAGAZINE

    ROCKABILLY GENERATION

    HORS-SERIE N° 5 – PARTIE 1

    ELVIS PRESLEY

    1935 – 1955

    L’ENFANT DIVIN

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             Z’ont peur de rien chez Rockabilly Generation, que reste-t-il à écrire sur Elvis, son histoire est connue de fond en comble, tout a déjà été dit. Mais là, ils sortent le grand jeu, non pas deux numéros à la suite, mais deux Hors-Série en même temps.

             Commençons par désigner les coupables, Sergio à la manœuvre et aux photos, Gilles Vignal  aide technique et support encyclopédique, Sylvie Monin, Yolande Gueret, Pascale Clech, petites mains indispensables sans lesquelles il n’y aurait pas de grands projets.

             Ce n’est pas tout. Depuis son apparition dans la revue, la rubrique Racines tenue par Julien Bollinger attire l’attention, il s’y connaît et il écrit bien, ce n’est donc pas étonnant d’apprendre que c’est lui qui a rédigé l’ensemble des textes des deux numéros. Je n’ose pas me demander combien de recherches, d’heures, de nuits et de jours lui ont été nécessaires… Des années car Julien Bollinger ne nous donne pas une énième biographie de l’enfant de Tupelo, il nous présente sa vision d’Elvis Presley, une défense et illustration de ce personnage insensé aujourd’hui ficelé dans une camisole dorée qui ne lui appartient plus, que notre auteur essaie de saisir tel qu’en lui-même la légende l’occulte.

    O

             L’enfant divin. Le titre peut poser question. Non Elvis n’est pas né de la cuisse de Jupier. Un gamin comme les autres. Pas tout à fait, pas venu au monde avec une golden spoonfull dans la bouche, mais aimé et protégé par ses parents. Qui tirent le diable par la queue, de parfaits représentants de cette white trash people, cette saloperie blanche, ces pauvres dont la frontière économique jouxte celle des nègres… nous sommes dans le Sud, pays de la ségrégation, l’on a envie de dire l’autre pays de la ségrégation, l’autre de cet autre n’étant que le Nord des Yankees.

             L’enfant divin, vit à l’abri du monde mais pas de la misère, dans un lieu mental protégé et solitaire, entre son père et sa mère. La musique l’attire, il l’apprivoisera petit à petit, jusqu’à ce jour où il en deviendra, sans le savoir, le maître. Comment cet enfant poli, timide, va-t-il accumuler en lui cette puissance charismatique qui le transformera en bombe humaine. Julien Bollinger ne le dit pas, qui d’ailleurs pourrait le dire à part Elvis lui-même, il ne le dit pas mais il le suggère. Il décrit minutieusement les circonstances et les rencontres  qui vont faire Presley, car l’on est souvent davantage construit que l’on ne se fait soi-même. Bollinger nous montre le chemin que Presley emprunte sans savoir où il le mènera mais qui lui permettra de devenir lui-même.

             Evidemment, pour reprendre le titre d’un film brésilien qui sera tourné en 1964, au cours de sa sulfureuse saga Elvis rencontrera le dieu noir et le diable blond. Le premier s’appelle Sam Phillips et le deuxième Tom Parker. Phillips révèlera Elvis à lui-même, Elvis a trouvé sans le savoir ce que Sam cherchait. C’est l’étincelle salvatrice, celle qui tire Elvis de son incertitude qui le met sur les rails. Il chante dans des bleds paumés, les jeunes du coin aiment son style. Une idole locale. Mais ce n’est pas avec cela que l’on conquiert l’Amérique.

             Elvis n’a pas les dents qui rayent le parquet, mais Parker le colonel a les idées longues, l’a aussi du savoir-faire, de l’expérience, de l’entregent et l’assurance qu’Elvis ne possède pas.

             Le magazine fourmille de renseignements, Julien Bollinger décrit les lieux, dessine le portrait des protagonistes, il montre, il dévoile, il révèle, il redonne vie à tout un monde aujourd’hui disparu, il nous captive, il nous retient prisonniers, il déroule un scénario dont nous ne sommes les héros que par procuration.

    ROCKABILLY GENERATION

    HORS-SERIE N° 5 – PARTIE 2

    ELVIS AARON PRESLEY

    1955 – 1958

    THE KING

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                    L’on ouvre le tome 2 avec regret, le tome 1 nous a emmenés si loin que l’on aimerait qu’il n’y ait pas de suite, que tout se soit arrêté-là… Julien Bollinger possède plusieurs as dans sa manche, le cœur et le pique. Nous avons vu grandir le gamin, mais Elvis n’est pas encore Presley. Certes les géniales et originelles sessions chez Sun ont été plus que prometteuses mais c’est en rentrant chez RCA qu’Elvis se révèle. N’y a plus Sam aux manettes, c’est Elvis qui commande, qui sait, qui impose son savoir-faire.

             Idem pour les concerts. Ne suffit pas de chanter. S’agit de créer le rock’n’roll, de le démarquer de toutes les musiques qui existent déjà. Elvis comprend que l’on ne chante pas avec sa voix, mais avec son corps. A son corps défendant. Mais il ne le sait pas. Ses manières de nègres et ses outrancières attitudes sexuelles par trop explicites ne plaisent pas à tout le monde. Que la jeunesse blanche se mette à l’écoute de la musique noire n’est guère admissible. Décadence et fin de la ségrégation en vue. Hommes politiques conservateurs, élites blanches et Klu-Klux Klan s’inquiètent.

             Parker a tracé les limites : petit tu t’occupes de la musique et moi du cash. Pour le cash Parker tiendra parole. Pour la musique aussi. A sa manière, l’air de rien, il fait le vide autour d’Elvis, avec des contreparties, des passages-télé, des films, mais toujours de petites suggestions d’améliorations… qui ne sont que des affadissements… L’on ne tue pas la poule aux œufs d’or, on la met en cage. Bollinger admet qu’il n’a pas de preuves, mais selon lui si Elvis s’est retrouvé à l’armée ce n’est pas parce que l’administration militaire… Lorsqu’Elvis comprendra, ce sera trop tard.

             L’on peut se demander pourquoi Elvis n’a pas rué dans les brancards, pourquoi il n’a pas renversé les tables de la loi du profit financier, simplement par honnêteté, le respect de la parole donnée, la peur de dégringoler aussi vite qu’il était monté sur le toit du monde, quel pacte faustien avait-il passé avec le Colonel, à moins que ce ne soit le Colonel lui-même qui ait été manipulé au vu de son trouble passé par des forces réactionnaires très puissantes…

    L’histoire d’Elvis est celle d’une défaite, Julien Bollinger la métamorphose en victoire, Elvis révolutionne la manière de faire la musique, il est en avance sur tous les autres mais surtout sur son temps, il dérègle l’ordre du monde, l’Amérique ne sera plus jamais pareille. Il perdra son royaume, mais il restera le King mythique pour toujours.

    Ceux qui aiment Elvis, ceux qui ne l’aiment pas, ceux qui s’en foutent, ont intérêt à lire ces deux graals, incidemment ils apprendront comment le rock’n’roll est né, et mieux que cela comment il a réveillé le monde en le révélant à lui-même. En lui faisant comprendre ses possibilités illimitées et ses tares intarissables.

    O

             Attention, ces deux numéros sont de splendides artefacts, elles donnent à lire la vie d’Elvis, mais elles la montrent aussi. Elvis a été l’homme le plus photographié du vingtième siècle, les documents d’époque ne manquent pas, encore faut-il faire le bon choix, les mettre en évidence, leur pertinence doit signifier et renforcer le texte. Leur force aussi, l’a fallu les  travailler, les éclairer, leur attribuer une nouvelle vie, nous permettre de les voir  pour la première fois, les rendre iconiques, nous retenir, nous hanter. Un seul exemple, même pas pris au hasard, tome 1 page 3, la première photo, avez-vous déjà vu un noir aussi intense, aussi mystérieusement presleysien, Sergio Kazh est un magicien. Il révèle, lui aussi il donne sa vision. Celle qui donne son sens à l’image.

             Damie Chad.

    Attention : vu la qualité de ces deux Hors-Séries d’emblée des collectors, passez commande au plus vite :

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    Wizards & True Stars

     - Have you seen the little Pixies crawling in the dirt?

    (Part Five)

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             Frank. Black. Franc. Bloc. Rock. Blue. Bât. Flanc. Big. Front. Free. Bad. Bossanova et Trompe Le Monde. Les Pixies font de nouveau trembler les colonnes du temple parisien, l’Olympia. Ils rejouent ces deux albums qui ont tétanisé pas mal de kids à travers le monde dans les années 90. Ah tu l’as dansée la Bossanova. Pas ton préféré des quat’ premiers, comme on dit, mais quand le gros descend «Down To The Well» pour lancer l’assaut à chaud, tu ravales ta morgue et ta morve, Down to the well/ Betty always knows, il éructe ça au gras du bide, il incarne le rock mieux que tous les autres rois du raw, et il plonge dans l’hystérie les milliers de brebis entassées dans la fosse à coups d’I can hardly wait baby/ I can hardly wait/ Til we go down to the well, il n’existe rien de plus pressant, de plus brutalement beau et puissant que cette injonction, il l’hurle à moitié, il chante hors du temps, il écrase le rock et l’idée qu’on s’en fait, on comprend une fois de plus que le rock n’est qu’affaire de puissance et de somptueuse brutalité. Tu veux faire du rock ? Apprends à enfoncer ton coin à coups d’I can hardly wait baby jusqu’au bout, jusqu’au Til we go down to the well, et le show à peine commencé, la masse de brebis ondule comme l’océan dans la tempête. Tout vole en éclat, les accastillages, les coques, les culs blancs, les conques, les cliques et les claques, c’est une communion dans la violence au paradis, ton être reçoit et diffuse, tu descends au puits avec le gros et tous ses fans, tu vis enfin dans l’instant, tu goûtes à l’éternité de l’instant, et ce downnnnnnnn to the well te résonnera dans les oreilles pendant des jours et des jours. En certaines occasions, le rock prend l’allure d’un accomplissement. Voilà, c’est là. Très exactement là. Merci le gros pour ces minutes de sable mémorial. Au moment où tu tapes ces mots, ces minutes sont derrière toi, mais tu refuses de les voir s’effacer, alors comme tu es un petit présomptueux, tu tapes qu’elles ne vont pas s’effacer. Elles ne vont pas s’effacer. Elles ne vont pas s’effacer. Pas s’effacer. Pas...

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             Le gros est ton meilleur ami. Tu sais pourquoi ? Parce qu’il te chante ton cut préféré des Pixies, «Letter To Memphis». Ah oui, on a les copains qu’on mérite. Et là, le gros ne fait pas dans la dentelle. Il t’introduit son The day since I met her/ I can’t believe it’s true dans la vulve, il t’honore comme tu honores ton épouse, mais en même temps, il honore le rock, pire encore, il le sanctifie, tout à coup, le rock du vieux devient religieux, purement religieux, c’est-à-dire mystique, I’m sending a letter/ I’ll send it right to you/ I’ll send it to Memphis, oh comme il appuie le phis de Memphis, il chante ça d’un air imperturbable, mais il est forcément dans le même état que toi, en vrac sensoriel, car ce Trying to get to you/ How I tried to get to you/ Trying to get to you te broie le cœur, te plonge dans l’extase mystique, le gros prend un ton de voix déphasé, brouillé comme un écran brouillé, cette voix crépite dans des inter-zones, tu en captes le moindre détail, tu pries le diable pour que le temps s’arrête, car voilà la félicité telle qu’on la décrit ailleurs, mais celle-là n’est pas la même, elle est rock, c’est la félicité de la Lettre à Memphis, rien à voir avec celle des fucking curetons. C’est dire si les fucking curetons n’ont rien compris à rien : s’ils chantaient «Letter To Memphis», ils rempliraient leurs églises comme des Olympias. Ce sont des évidences qui te fatiguent, comme toutes les évidences.  

             Tiens, quand le gros attaque «Head On», tu te dis que t’es pas sorti de l’auberge et c’est tant mieux. Une fois de plus, tu vas pouvoir chanter ça à tue-tête avec les milliers de brebis rassemblées dans la tempête, en même temps, tu vas revoir Jean-Jean attaquer comme le gros dans le virage l’As soon as I get my head around you/ I come around catching sparks off you et tu vas voir l’Head On monter en température comme un Krakatoa en colère décidé à rayer le genre humain de la surface de la terre à coups de Makes you wanna feel, makes you wanna try/ Makes you wanna blow the stars from the sky, eh oui, tu prends une fois de plus ce wanna blow the stars from the sky en pleine gueule et tu tends l’autre joue, tu fais ton Gandhi, t’en peux plus de faire le maso, il pleut des coups, le gros t’entraîne, il te plonge dans tes souvenirs de répètes et une fois encore dans l’éternité de l’instant, te voilà écartelé, te voilà Ravaillac Gandhique, te voilà gros-Jean-comme-devant, le rock décide de tout, le gros est ton maître, tu es sa brebis, vazy écartèle les cuisses, ça te rentre par tous les pores de la peau et tu te dépêches de chanter car la diligence revient dans le virage, Yeah the world could die in pain/ And I wouldn’t feel no shame, ah oui, le feel no shame te coule dessus comme une semence de félicité, tu savoures les miasmes à pleine bouche, tu chantes avec de la semence de félicité plein la gorge à t’en étrangler de jouissance, tu y vas de toutes tes forces, car tu n’as plus le choix, tu ne peux plus reculer, alors tu te jettes dans l’écume du jour à coups d’And I’m taking myself/ To a dirty part of town/ Where all my troubles/ Can’t/ Be/ Found en concordance exacte avec le gros et tu fusionnes avec son lard, avec son gras du bide, tu fusionnes avec le rock le plus cosmique de l’univers, tu te take to the dirty part of town une fois encore et c’est un peu comme si tu épousais le rock, veux-tu prendre le rock pour époux, oui, oui, oui, avec les poux de Joey Santiago, et comme d’habitude l’Head On finit en eau de boudin et s’encastre dans le platane d’un coup ralenti de makes you wanna blow the stars from/ The/ Sky, et te voilà veuf, inconsolable, seul au monde. Chaque fois c’est pareil : tu finis veuf. Baisé. Trahi par le destin. Seul. Maudit. Tout ce qu’il te reste à faire, c’est d’attendre la suite. Tu ne vis plus que par curiosité. Quelle autre forme de sentiment pourrait t’animer après un tel drame ?

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             Oh des drames il en pleut encore. «Velouria» te re-traumatise, trop vénitien, trop perverti, trop délicieusement fourbe, trop embué d’imbu, c’est un serpent sonique qui te rentre dans la gorge, c’est pas lui qui t’avale, c’est toi qui l’avales, c’est encore pire, tu veux pas mais t’es obligé, My Velouria/ My Velouria/ Even I’ll adore you/ My Velouria, tu veux dégueuler, mais tu peux pas, avale, de toute façon ton corps n’est qu’un passage, ça rentre et ça sort, alors avale, tu ne sers à rien d’autre qu’à avaler My Velouria, sacré serpent qui se tortille dans ta gorge à coups de We will wade in the shine of the ever, et si, pour te changer un peu les idées, tu veux creuser pour trouver du feu, alors creuse avec le gros, car «Dig For Fire» te transforme en Tchernobyl à deux pattes, ah les concerts du gros ne sont pas de tout repos. Et il te précipite une fois encore dans la centrale nucléaire, ça explose avec le subreptice And then he said qui entraîne fatalement l’I’m diggin’ for fire, car dans ces cas-là il faut savoir la suite, alors l’old woman/ She lives down the road ou l’old man who spent so much of his life sleeping te font, via le gros, cette réponse : I’m diggin’ for fire, dix fois I’m diggin’ for fire, au cas où t’aurais pas bien compris, oui dix fois, on les a comptées. Le gros n’en finit plus d’enfoncer le même vieux clou et ça marche à tous les coups. Tu vis son rock physiquement. C’est un rock qui d’une certaine façon te transforme, c’est un rock qui te manipule, qui te modèle, au sens de la pâte à modeler. Autant faire ça bien.

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             Alors tu crois t’en tirer à bon compte, mais non, tu reçois «Motorway To Roswell» sur le coin de la gueule, il arrive en fourbasse, beau mais boom car c’est la mélodie du bonheur avec la puissance des forges, le Motorway arrive au tagada de Last night he could not make it/ He tried hard but could not make it, et cette boule de pus, cette pomme d’amour t’allume à la subreptice en miaulant l’He started heading for the motorway la bouche en cœur, And he came right now, beau mais boom encore avec «Palace Of The Brine», l’insidieux Palace comme pas deux, cet air de rien qui s’enroule autour de toi comme un joli petit serpent vénéneux, A life that’s so sublime et ça dégringole dans le Palace of the brine, le gros te révèle tous ses secrets, chaque cut est un nouvel accès à son intimité intellectuelle, c’est un peu comme si tu te penchais sur son oreille et que tu voyais sa belle cervelle rose palpiter, elle palpite pour toi, le gros chante pour toi, et comme il est gentil, il chante aussi pour les autres, oh le boom de «Planet Of Sound», tu le connais par cœur, tu en connais tous les replis, les poils et les orifices, comme si tu avais passé ta vie à les examiner et à les tripoter, alors tu tripotes encore ton This ain’t the planet of sound, et une fois de plus tu réalises que tout Nirvana vient de ce refrain, car ce This ain’t the planet of sound n’est rien d’autre qu’une bombe atomique, l’une des plus violentes de l’histoire du rock. Même niveau qu’«Helter Skelter». Comme avec le gros ça n’arrête jamais, l’all nite long repart de plus belle avec une autre bombe atomique, «U-Mass» et sa ribambelle d’appels à l’émeute des sens, oh dance with me/ Oh don’t be shy/ Oh kiss me cunt/ And kiss me cock, le gros veut baiser, le gros provoque, il fait du Dada cul à coups d’oh kiss the world/ Oh kiss the sky/ Oh kiss my ass/ Oh let it rock, tu ajouterais presque while I kiss the sky, mais le kiss my ass du gros est plus performant, c’est sûr qu’on lui kiss l’ass, pas de problème, et il t’enfonce son clou dans la paume à coups redoublés d’it’s educational/ It’s educational. Comme s’il réinventait non seulement le rock, mais aussi la puissance et la modernité. Il n’existe pas d’artiste plus complet et plus fulgurant que ce magnifique gros lard.

             Et ça se termine d’un coup de «Caribou». Mais un «Caribou» demented qui crève les cieux car le gros va au bout du booo du Cariboo-ooo puis il plonge dans les entrailles de l’enfer pour aller chercher des graves de Repent qui te foutent à la fois la trouille et la peau en vrac à coups de frissons. Encore pire que Tannhäuser ! Ça te rabote à vif, ça te déplace de toi-même, ça t’emboîte dans Pandora, ça te déboîte la clavicule, tu peux retourner ça par tous les bouts du Cariboo, tu sors transformé du temple. T’es gavé comme une oie. Coin coin.

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    Signé : Cazengler, Picsou

    Pixies. Olympia. Paris IX. 26 mars 2024

     

     

    L’avenir du rock

    - Sonic Boom reducer

    (Part Two)

             L’avenir du rock a toujours aimé les pétards, surtout ceux qui font boom. Aussi loin qu’il se souvienne, il a toujours fait des farces. Le pétard dans la cigarette le fait généralement pleurer de rire. Tu veux du feu ? Boom ! C’est l’hallali de l’ha ha ha. Si l’avenir du rock ne se roule pas par terre, c’est uniquement parce qu’il ne veut pas salir le costume blanc que lui a offert John Cale en gage de reconnaissance pour services rendus à la cause du peuple. Mais à travers ses larmes de rire, l’avenir du rock voit la clope en peau de banane, et ça, dit-il, ça vaut tout l’or du Rhin. À une époque, il adorait accompagner Baby Small au Badaboum. On pouvait y traîner son spleen aviné jusqu’à quatre heures du matin, et le soir du 14 juillet, Baby Small allumait systématiquement un gros pétard rose qu’elle jetait aux pieds des mecs agglutinés au bar. Boom ! Passé l’effet de surprise, personne ne rigolait, sauf l’avenir du rock et Baby Small qui se faisaient virer. Les mecs du Badaboum n’avaient aucun humour ! Si l’avenir du rock est tellement fan de Charles Trenet, c’est bien sûr à cause du cœur qui fait boum, magnifique, Boum/ Quand notre cœur fait Boum, ah il faut le voir l’avenir du rock pogoter dans son salon, Tout avec lui dit Boum/ Et c’est l’amour qui s’éveille, eh oui, c’est la vie, et la vie sans boum n’a aucun sens. Boum encore avec les surboums d’antan, boom encore avec le temps béni des pétards dans la gueule des crapauds, et le rataboum-boum des mobylettes de banlieue et des petites gonzesses en chaleur, et celui-là, le vétéran des vieux souvenirs, le «Boom Boom» d’Hooky de gonna shoot you right down, entendu pour la première fois sur le gros poste de radio jaune qui trônait au sommet du frigo familial, right offa your feet, mais le fin du fin sera sûrement le «Sophisticated Boom Boom» des Shangri-Las repris par Kid Congo au temps des Knoxville Girls, et là, tu as la quadrature du cercle, sans oublier, insiste l’avenir du rock en pointant l’index vers le ciel, le Sonic Boom des Sonics dont Sonic Boom se fera la gorge chaude et des choux gras.

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             Après quarante ans de bons et loyaux service, l’explosif Sonic Boom refait surface avec une sorte d’album mirobolant, Reset. Bon, c’est présenté comme l’album du duo Panda Bear & Sonic Boom, mais rien à foutre de Panda Bear. T’es pas là pour ça. D’autant plus qu’on s’est fait baiser avec un buzz autour du dernier album tout pourri d’Animal Collective, qui est le groupe de Panda Bear, alors ça va, laisse tomber.

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             Avec Sonic Boom, c’est tout de suite dans la poche. Ça fait quarante ans qu’on fait le tour du propriétaire, avec les Spacemen 3, Spectrum, ce mec-là n’a jamais arrêté d’enregistrer des albums géniaux. Tant qu’il reste dans le circuit, l’avenir du rock peut dormir sur ses deux oreilles. Et nous aussi. Reset ? Oui boom dès «Everyday» qui sonne comme un heavy groove de Spacemen 3. C’est assez stupéfiant, quand même - I got something to tell you - Sonic Boom reste dans le vieil esprit demented d’everyday a little bit stronger, wow, c’est du vrai Spacemen stuff ! Il va en enchaîner trois autres comme celui là, il attaque «Edge Of The Edge» en mode Buddy Holly, avec des vents de la mort, c’est tout de suite d’un haut niveau cabalistique, terrifiant de qualité, no no no, avec les effets magiques des sixties, c’est-à-dire une qualité qui te fait dégorger comme un coquillage, qui t’arrête en pleine course, un vrai miracle productiviste, Sonic Boom atteint le sommet du lard, c’est d’une sixties quality invraisemblable, franchement digne de Brian Wilson. Tu es ravi d’écouter cet album, rien que pour «Edge Of The Edge», tu entends des no no no tapés au gras du baryton, c’est tout simplement l’expression du génie sonique de Sonic Boom.

             Avec «In My Body», il va chercher l’influence la plus pure, avec celle de Brian Wilson : Gary Usher. Il se situe dans cette zone d’influence sonique, il atteint à l’imputrescible, il s’en va taper très haut et semble négocier des parts de paradis avec les archanges. Puis il s’offre une belle descente au barbu avec «Whirlpool», le voilà dans la magie communale, avec des accents orientaux et des clap-hands, quelle dérive délirante ! Il faut le voir dériver en père peinard sur la grand-mare des braquemards. Oh mais ce n’est pas fini, car voilà que se pointe le bien dosé «Danger», joué aux castagnettes de Totor, avec une extraordinaire prestance de substance présentielle. Clin d’œil évident. Bravo Sonic Boom ! Ton cœur fait boom ! Il faut aussi saluer le «Gettin’ To The Point» d’ouverture de bal, car on voit cette wild rumba exploser en plein vol. Le beat est celui des reins, Sonic Boom s’y connaît en beat des reins. Il a fait ça toute sa vie. Quand il fait de la petite pop avec «Go On», il la drive fabuleusement, il y va aux clap-hands et au give it to me. Le petit  Panda Bear chante à la mode de la mormoille, mais Sonic Boom pèse de tout son poids.

             Comme toutes les belles histoires, celle-ci touche à sa fin. «Livin’ In The After» bénéficie d’une belle envolée orchestrale. On attend Dario Moreno et c’est Sonic Boom qui vient danser dans la télé, il est même fabuleux de contre-feux, il vient faire du Spacemen de kitsch exotica, avec tout le power de la prod. Sonic Boom concentre tellement de pouvoirs qu’il pourrait bien être le Zeus du rock.

    Signé : Cazengler, Sonic Bouse

    Panda Bear & Sonic Boom. Reset. Domino 2022

     

     

    La triplette de Belleville

     

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             Bien évidemment, Cormac McCarthy, Jean-François Jacq et Flaubert n’ont rien à voir avec Belleville. Il s’agit simplement d’une triplette voulue par le destin : dans le même laps de temps, trois amis te recommandent chacun un bon livre (Cormac McCarty/ Méridien De Sang, Régis Jauffret/ Dictionnaire Amoureux de Flaubert, et Jean-François Jacq/ Il Fera Bon Mourir Un Jour). Alors, pour les remercier de cet égard, tu les lis. C’est la moindre des choses. Viendra ensuite l’occasion d’en causer. Comme le disait si bien Raymond Roussel, il est toujours intéressant de confronter les Impressions d’Afrique.

             Et si cette triplette de Belleville surgit ici, sur ce bloggy bloggah, la raison en est simple : ces trois books sont extrêmement rock. De la même façon que Kerouac, Burroughs, Houellebecq et Céline sont des écrivains rock. 

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             Le McCarthy s’appelle en réalité Blood Meridian. Un traducteur nommé François Hirsh a dû bien batailler avec le texte originel, car sa réécriture du McCarthysme est globalement maladroite, parfois fanatisée, souvent taillée à l’emporte-pièce, bancale, décousue, le texte sent le roussi, la blessure mal soignée, la poudre, bien sûr, l’épuisement (450 pages), on le sent exténué, l’Hirsh, à genoux au bord du texte, il tire la langue, et pourtant il continue d’avancer, car en même temps, toute cette violence le titille et le galvanise. Comme le lecteur, il veut savoir ce que vont devenir ses personnages principaux. Comme toi, il espère secrètement que ces deux ordures, Glanton et le juge, vont se faire descendre. Et puis il faut bien que ces horreurs franchissent la barrière de corail du langage, alors l’Hirsh s’y colle, il pousse ses tombereaux de cadavres scalpés et mutilés, il te ramène ça sous le nez, il te met le museau dedans, ô brave lecteur français, il en tartine des pages entières, et parfois la trad s’emballe, c’est peut-être la prose délicate de McCarthy qui s’emballe, en tous les cas, les massacres s’étendent sur des pages et des pages, alors il épuise tout le stock de vocabulaire afférent. Quand ils sont tous morts, il n’y a plus de mots. Hélas, ou tant mieux, car il faut bien reprendre le fil du récit, la trad n’attend pas, les rotatives non plus, et puis des gens, il en existe encore des millions qu’on peut aller massacrer, des Indiens, des Mexicains, des Palestiniens, des Vietnamiens, des Irakiens, ça sert à ça les gens, alors on ne va pas aller s’apitoyer sur ces quelques villages indiens. Après tout, c’est bien fait pour leur gueule, ils n’avaient qu’à pas se trouver sur la route de cette horde sauvage de tueurs d’Indiens.

             McCarthy nous raconte l’histoire d’un gamin qu’il appelle le gamin. Dans sa forme originelle, il s’appelle forcément le kid. Ici le ‘gamin’ est un mot qui sonne faux, donc c’est mal barré. Aussi mal barré que le Pat Garrett de Peckinpah doublé en français. Cette histoire commence dans le Tennessee quelque part dans les années 1840. Et puisque c’est écrit sur la couverture, la mort commence à rôder à toutes les pages, tout le long du méridien, et même quand elle n’est pas là, elle est là quand même. Le gamin va quitter son trou à rats pour partir à l’aventure. Il va croiser le chemin d’une bande d’«irréguliers» qui sont des tueurs d’Indiens. C’est leur métier. Leur hobby. Leur passion. Alors attention, c’est autre chose que Peckinpah et Blueberry. Ce n’est pas non plus Hollywood ni Jeremiah Johnson, et encore moins le Danse Avec Les Loups de l’autre pomme de terre. McCarthy appelle cette horde sauvage «la compagnie», l’équivalent de ce qu’on imagine être les ‘routiers’ de la Guerre de Cent Ans, qu’on appelait aussi les Écorcheurs. Le gamin, Glanton (chef de la compagnie) et le juge constituent la triplette de Blood Belleville, et ils ne valent pas plus cher les uns que les autres. On est presque content quand un Yuma fend d’un coup de massue le crâne de Glanton «jusqu’à la trachée». Par contre, le juge qui est de la pire engeance sera là jusqu’à la dernière page, personne n’ayant réussi à descendre cette horrible crapule chauve. Pour une raison X, McCarthy protège ce monstre. Seule explication possible : le juge, c’est le diable. Bon donc, aventures, virées sans fin à travers un Mexique encore infesté d’Apaches, et où la vie ne tient qu’à un fil. McCarthy ne nous épargne pas non plus les descriptions de cadavres torturés par les Apaches. Si tu veux voyager au Mexique à cette époque, ça fait partie du jeu. McCarthy donne tout le détail des armes de cette époque, tout le détail des repas et des bêtes qu’on tue pour se nourrir, il décrit avec un soin maniaque les paysages, il y a du souffle, du réalisme poétique, il donne à voir ce qu’aucun d’entre-nous n’aurait jamais pu voir, car il faut chevaucher dans les montagnes et dans les déserts pour voir ce qu’il décrit. Et soudain, on réalise que ce récit n’est pas une ode à la violence, mais une ode à la liberté, cette liberté extrême qu’ont dû vivre ces gens-là, aussi bien «la compagnie», que les mineurs ou les «immigrants». C’est une région du monde où tout est permis. Et où rien ne se passe normalement, visiblement. La compagnie voyage pour tuer. C’est encore l’époque du commerce des scalps. Si quelques Indiens ont survécu, c’est un miracle. Les nazis ont employé exactement les mêmes méthodes. Search & Destroy. Tu sors de ce livre un peu hagard. Bouche ouverte avec un filet de bave. Et tu n’as plus aucun respect pour l’Américain moyen, issu de cette barbarie, et fier de son histoire. Il serait peut-être plus juste de dire qu’on est tous issus de la barbarie.

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             Allez, on va oser un petit parallèle, ça ne mange pas de pain : Jean-François Jacq, c’est Cormac McCarthy en France. Alors attention, on ne croise pas d’Indiens scalpés dans Il Fera Bon Mourir Un Jour. On croise juste les mots d’un homme aussi abîmé que le gamin de McCarthy, qui pendant 200 pages lutte pour survivre. Ce qu’il décrit est aussi inaccessible que ce que décrit McCarthy : Jacq passe les premières années de sa vie à prendre des coups dans la gueule, pim pam poum, puis il s’échappe, vivote et finit par se retrouver à la rue, et découvre pour finir, à l’âge de 22 ans, que sa mère et sa sœur sont atteintes de schizophrénie incurable, d’où l’explication des coups dans la gueule. Eh oui, amigo, les coups dans la gueule quand t’as 6 ans, c’est bien plus rock que de lire les Inrocks rue de la Roquette - Crochet du droit, que tu en prennes plein la vue. Enchaînement, crochet du gauche, que tu en prennes plein la gueule - Il en chie dans son froc. C’est lui qui le dit. Du coup, le lecteur en prend aussi plein la gueule. Damie Chad aussi, lui qui, en février dernier (livraison # 630), dans un texte frénétique, recommandait la lecture de ce livre - Ne cherche pas à apitoyer le lecteur sur son enfance malheureuse. Ni sur sa jeunesse calamiteuse. Gardez vos larmes, il s’occupe du crocodile - C’est donc une autobio qui halète dès l’intro, Jacq écrit le souffle court, il tente de décrire l’indescriptible. En intro de son chapitre 3, il sort d’ailleurs d’on ne sait où un exergue qui parle tout seul : «(...) Je me sens comme les anciens déportés des camps de concentration, car lorsque je témoigne, je me rends compte que mon auditeur ne peut pas réaliser la profondeur de ma souffrance et la gravité de mon vécu.» Et il signe ça «Anonyme. Récit d’un enfant de mère schizophrène», qui ne peut être que lui.

             Ce texte se lit le souffle court, comme il fut sans doute écrit. Jean-François Jacq réussit à transformer le plomb de sa vie de chien en or littéraire, et il n’en rajoute pas. Il s’applique à sonner juste, au plus près de ce qu’il a ressenti. Comme chez McCarthy, la mort rôde en permanence, dès le titre, et mille fois, il se demande pourquoi il continue à supporter tout ça. Il se retrouve même quasiment mort à l’hosto, et lorsqu’il décide de survivre, il survit. On la sent nettement dans son écriture, cette force de vie. Il est au-delà de malheur - au-delà du bien et du mal dit Damie - sa seule ressource, ce sont les mots. Il laisse cette impression constante de ne vivre que pour les mots. Il n’a rien. Si, une sœur ! Une sœur qu’il va essayer de sauver, car elle est elle aussi très mal barrée. Et puis il y a Frida, comme dans la chanson de Brel, une dame qui l’aide à quitter la rue, qui lui trouve une place dans un foyer «pour se reconstruire». Tu parles d’une reconstruction ! «Ce foyer, un miracle», dit l’auteur, et Frida lui «remet un sac de voyage, spécialement préparé pour toi», avec des petites affaires, Jean-François Jacq les décrit, c’est l’un des passages les plus émouvants du récit - À l’intérieur, un change propre. Radio-réveil, une cartouche de cigarettes. Diverses emplettes pour la toilette. Un petit mot d’encouragement. Plus un billet glissé affectueusement dans l’une de tes poches - Jacq décrit ce geste de charité chrétienne avec minutie, et te voilà avec lui saturé d’émotion. Tu recoupes ce passage avec le souvenir récent d’un homme qui avait hébergé chez lui un ami nommé Laurent pour les deux derniers mois de sa vie. En rencontrant cet homme pour la première fois, je compris qu’il pratiquait la charité chrétienne au sens où elle avait dû exister à l’aube des temps, avant l’établissement de l’Église. Frida et cet homme sont exactement le même type de personnages. Laurent va mourir et Jean-François Jacq va vivre, mais tous les deux auront connu la grâce de cette charité qui vient tout droit de l’enseignement du Christ, et qui n’est pas encore pervertie par les dogmes et par les bloody fucking prélats. Le catholicisme a tué la chrétienté, de la même façon que Staline a tué le marxisme. 

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             L’écrivain le plus rock des trois est sans doute Flaubert. Pas facile de transgresser les lois du temps, et de ramener un gaillard comme lui dans la réalité du rock. Ses textes sont tellement brillants qu’on pourrait pour rire négocier des équivalences. S’il écrivait hier Salammbô, il enregistrait aujourd’hui Electric Ladyland. Hier Bouvard & Pécuchet, aujourd’hui le White Album. Hier Madame Bovary, aujourd’hui The Rise & Fall Of Ziggy Stardust And The Spiders From Mars. Hier La Tentation De Saint-Antoine, aujourd’hui A Christmas Gift For You From Philles Records. Hier L’Éducation Sentimentale, aujourd’hui Pet Sounds. Hier Trois Contes. Aujourd’hui The Piper At The Gates Of Dawn. Bon, avec son Dictionnaire Amoureux de Flaubert, Régis Jauffret ne prend pas du tout ce chemin là. Il reste dans une approche plus traditionnelle. Une approche plus tactile, dirons-nous. Plus dionysiaque. Il se montre même très familier avec son «bon Gustave». Il ne nous cache rien de ses petits tracas de santé, ni de la syphilis supposément ramenée du fameux voyage en Orient, ni des dents pourries, ni des merveilleuses petites crises libidineuses, ni de son coup de fourchette - notamment le fameux gueuleton avec Maupassant que détaille Jauffret, huîtres, crevettes, poularde, saumon, trou normand, rôti de bœuf, fromages, fruits et pâtisseries, le tout arrosé de vieux bordeaux non carafés - il ne nous cache rien non plus de ses pipes en terre, de ses longs bains du matin, ni de ses crises d’épilepsie, ni des plumes d’oie qu’il taille lui-même, ni de ses goûts littéraires, ni de ses relations amicales et voire plus si affinités (Georges Charpentier), ni des éclats de ce style étincelant - la beauté tranquille d’un style si pur - L’Eros titille bien Flaubert et Jauffret ne rate pas une seule occasion d’illustrer ce penchant. Pas facile pour un écrivain de se pencher sur un autre écrivain, surtout sur un crack-boom-hue comme Flaubert. Il arrive à Jauffret de se vautrer en vantant par exemple les mérites de la connexion, est-ce de l’humour ? Doutons-en. Ailleurs, il fait monter les amis de Flaubert en partance pour Croisset à la gare d’Austerlitz. Mais bon, on lui pardonne, ça ne réfrène pas le plaisir de savourer ce Dictionnaire Amoureux, comme on goûtait autrefois les albums cités plus haut. La cervelle énervée par l’intense fréquentation de Flaubert, Jauffret cite des noms par rafales, Céline («l’enfant de Marcel et le petit-fils de Gustave»), Proust, Isodore Isou, puis Sollers, et ailleurs Balzac et Pierre Guyotat, il parle d’œuvres qui forment des cosmos, il donne un idée de l’infini, puis plonge dans les adaptations, notamment Emma/Isabelle Huppert et Charles/Jean-François Balmer, le plus décadent des acteurs français et grand amateur de Baudelaire, puis Jauffret rêve d’avoir 15 ans pour recommencer à lire pour la première fois cette obsédante Madame Bovary, un Dictionnaire Amoureux, ça sert à ça, à se replonger dans le souvenir des premières fois, il cite d’autres premières fois, La Recherche Du Temps Perdu et l’Oblomov d’Ivan Gontcharov, et puis voilà un Gustave «réactionnaire, hostile au progrès», comme le fut Léautaud au micro de Robert Mallet, et puis il y a cette relation magnifique de maître à élève entre Flaubert et Maupassant, qui rejaillit à plusieurs reprises dans les pages du Dictionnaire, Jauffret nous livre de larges tranches de souvenirs littéraires, des pages qui montent droit au cerveau, comme le ferait «1983... (A Merman I Should Turn To Be)», ou encore «Happiness Is A Warm Gun». Et puis voilà ces traits de caractère qu’épingle Jauffret et qui nous rendent Flaubert encore plus attachant - Un homme vitupérant, emporté, quelque peu pitre mais d’une étonnante bienveillance - Et George Sand d’ajouter : «Il était d’ailleurs sans fiel, sans fausses susceptibilités, facile à vivre, et ses brutalités, toutes de langage, tenaient moins à son tempérament sanguin qu’au plaisir d’étonner.» Et puis voilà Sade qui selon Jauffret reste «un auteur fondamental pour Gustave.» Il s’en explique : «Alors qu’à son époque, ce nom évoque la gaudriole, il trouve dans l’œuvre du marquis une profondeur, une philosophie matérialiste à laquelle il adhère absolument.» Il suffit de lire et de relire Français Encore Un Effort Si Vous Voulez Être Républicains : Manifeste Politique, qui est en fait Le Cinquième Dialogue De La Philosophie Dans Le Boudoir. Alors qu’on s’achemine vers la sortie du Dictionnaire, on tombe sur une sorte d’apothéose à la lettre S : le Style, ou plutôt la religion du style, selon Albert Thibaudet, que cite encore Jauffret. Un Jauffret fasciné par le style de son cher Gustave comme le fut en son temps Léautaud par celui de Stendhal - Comme chez Flaubert, de la pâte même de la phrase, de son humus se dégage la vérité de l’écriture - C’est un lièvre admirablement bien levé, et, incapable de se calmer, Jauffret bascule dans une sublime surenchère : «Les phrases sont pareilles à des processions de mots, comme au temps des corsaires les galions l’étaient d’or, remplis jusqu’à la gueule de sens, de beauté, de sublime.» Il tape en plein dans le mille. Il Salammbique ! Et non seulement il Salammbique, mais il jette encore un pont fatal, cette fois avec Les Caractères de La Bruyère qui, avec Flaubert, incarne pour lui la perfection du style. Eh oui, La Bruyère forevère ! Et Jauffret atteint à l’immanence apoplectique en chopant cette sortie de Flaubert dans sa correspondance : «On ne sait pas assez tout le mal que donne une phrase bien faite. Mais quelle joie quand tout y est ! c’est-à-dire, la couleur, le relief et l’harmonie.» Et Jauffret d’ajouter un corollaire impérieux : «Voilà le secret de la vie des artistes. Ce n’est pas la douleur, le sacrifice, l’immolation, c’est la joie.» Écrasant d’évidence ! Pachydermiquement vrai ! C’est aussi la même joie que tu retrouves dans Pet Sounds et dans Electric Ladyland. Nourris ta cervelle, amigo ! Flaubert, Hendrix et Brian Wilson même combat ! La lanterne rouge de ce fastueux Dictionnaire Amoureux est bien sûr Émile Zola, qui, dans un court extrait, se dit ahuri par Flaubert - Terrible gaillard, esprit paradoxal, romantique impénitent, qui m’étourdissait pendant des heures sous un déluge de théories stupéfiantes - Mais c’est surtout pour Jauffret une occasion en or de repositionner Zola en tant que visionnaire, en médecin penché sur les plaies de la société : «L’homme qui tuerait l’ivrognerie ferait plus pour la France que Charlemagne et Napoléon. J’ajouterai encore : Assainissez les faubourgs et augmentez les salaires.»

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             Or donc merci à tous les trois, Pat Caramba pour le McCarthy et ton chaleureux enthousiasme, Damie pour le Jean-François Jacq (ami tentateur, on aurait tendance à vouloir suivre toutes tes recommandations), et Jacques pour le Dictionnaire Amoureux De Flaubert dont tu m’avais si bien vanté les mérites à la terrasse ensoleillée d’un petit hôtel breton, l’an passé.

    Signé : Cazengler, la pipelette de Belleville

    Cormac McCarty. Méridien De Sang. Éditions de l’Olivier 1998

    Régis Jauffret. Dictionnaire Amoureux de Flaubert. Plon 2023

    Jean-François Jacq. Il Fera Bon Mourir Un Jour. ARDAVENA 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - You can’t judge a Brooks by the cover

             Fréquenté Bracmard pendant quelques années. Il était l’ami d’enfance de ma poule d’époque, Baby Rich, donc il dînait couramment avec nous. Bracmard avait un petit côté Javier Bardem, grosse gueule, grosses mèches de cheveux, forte présence, voix forte. Il portait hiver comme été un trois-quart en cuir qui devait peser une tonne et qui datait de l’avant-guerre. Il y stockait des quantités impressionnantes de matos, ses clopes, ses briquets, ses téléphones, ses couteaux. Bracmard était ce qu’on appelle un homme de ressources, il pouvait te brancher sur n’importe quel type de lascar, en fonction de ton besoin ou de ton problème. Plombier ou voyou ? Pas de problème. Il nous recevait parfois dans sa bicoque du Blanc Mesnil. Il y vivait avec une poule qui chantait sur des péniches. Comme beaucoup de vieilles bicoques de banlieue, la sienne était arrivée en fin de vie, mais elle fonctionnait apparemment encore, on pouvait y manger et y dormir, même si de temps à autre, on voyait un gros cafard baguenauder sur le carrelage de la cuisine. Bracmard n’était pas seulement un mover-shaker de banlieue, il était aussi extraordinairement cultivé et disposait de l’atout majeur : une mémoire d’éléphant. Il profitait des grandes tablées du mois de juin pour croiser le fer avec des spécialistes de l’École de Paris. Comme il avait écumé toutes les galeries d’art de Saint-Germain-des-Prés, Bracmard évoquait Zao Wou-Ki ou Bernard Buffet, il jonglait avec les noms et les lieux avec une virtuosité qui fascinait l’auditoire. Bracmard appartenait à la caste des indestructibles. On le voyait vraiment ainsi. Jusqu’au jour où la main de Dieu s’abattit sur lui. Nous lui rendîmes visite une dernière fois. Il gisait au fond de sa bicoque du Blanc Mesnil, réduit à portion congrue, allongé sur son canapé pouilleux, toujours enveloppé de son énorme veste en cuir. Il n’était plus que l’ombre de lui-même. Il demanda à rester seul avec son amie Baby Rich. Une heure plus tard, alors que nous étions en route pour regagner nos pénates et que le silence régnait dans la bagnole, je ne pus m’empêcher de demander si le tête-à-tête s’était bien passé. «Oh très bien», fit Baby Rich, «il voulait juste une dernière pipe avant de casser sa pipe.»  

     

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             Pendant que Bracmard montait au paradis des mover-shakers, Chuck Brooks chantait la Soul des paradis artificiels, c’est-à-dire des paradis qui n’existent pas.

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             Chuck Brooks ? L’archétype de l’inconnu au bataillon. Un petit label anglais nommé Soulscape s’est retroussé les manches pour arracher les inconnus du bataillon à l’oubli, et leur Volume 1 titré Malaco Soul Brothers en présente trois, Chuck Brooks, Joe Wilson et George Soule. Et leurs trois histoires, même très brèves, sont passionnantes. On ne parle même pas des cuts qui sont, comme on dit en Angleterre, astonishing, c’est-à-dire qu’ils t’astonishent la quiche.

             Comme Geoge Soule est un petit privilégié et qu’il a son goldmining ailleurs, on va focuser sur Chuck Brooks et Joe Wilson. Rien qu’avec ces deux-là, on se sent comme une oie, bien gavé, mais au bon sens du terme. D’ailleurs, puisqu’on parle des oies, on se demande vraiment comment font les gens pour manger du foie gras, sachant dans quelles conditions cette sordide friandise est fabriquée. Mais bon, c’est vrai, on fait comme on peut. Tu as même des gens qui coupent les homards vivants dans le sens de la longueur parce qu’on leur a dit que cette «technique» rendait la chair meilleure. Le jour où les homards et les oies prendront le contrôle de la planète, on va bien se marrer. Bon bref, on n’est pas là pour ça.

             Pour retrouver Chuck Brooks, il faut remonter dans les années 70. Dans le booklet, John Ridley nous raconte que Chuck a commencé par bosser pour Ike & Tina Turner, puis il est allé à Memphis tenter sa chance. Il est à la fois chanteur et guitariste. Il est pote avec Homer Banks et il enregistre des bricoles pour Stax avec les musiciens d’American. Puis il descend à Jackson enregistrer chez Malaco. Dès «Loneliness (Is A Friend Of Mine)», on est frappé par la présence vocale de Chuck Books : il est coriacement bon. C’est un adepte du raw, il y va même au raw du raw. On retrouve le son classique de Malaco : ni Stax, ni Hi, ni Motown, ni Muscle Shoals, c’est encore autre chose. Avec «Behind Closed Doors», il sonne comme les Tempts, ça rampe sous le boisseau d’argent de Malaco, le vieux Chuck a de la ritournelle à revendre. Il tape dans la Soul de haut rang, il vise l’excès mélodique, c’est magnifique. Les orchestrations rappellent celles des early Bee Gees. Son «I Belive In Love» est assez puissant, mais puissant comme la marée, il y va au believe somebody, c’est du heavy froti, so good, so good. Il sauve son «What Would We Do Without Music» avec sa classe, il fait tout ce qu’il peut avec les moyens du bord de Malaco, il se bat seul sur le front de mer, face aux tempêtes. Et quand il s’en va twister le groove d’«Once Upon A Love Affair», on se lève pour danser avec lui. 

             Bon, malgré tous ces fantastiques singles, ça ne marche pas. Alors Chuck se maque avec son pote Homer et ils montent le label Sound Town à Memphis. Ils composent pour d’autres artistes, notamment Shirley Brown. Chuck joue sur Intimate Storm. Malheureusement, Homer et Chuck sont doués pour la musique, mais pas pour le biz et pouf, ils font faillite. À dégager.

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             Quant à Joe Wilson, c’est un mec de New Orleans qui a commencé par enregistrer sur le petit label éphémère de Cosimo Matassa. Puis Wardell Quezergue le prend sous son aile et l’emmène, avec Jean Knight et King Floyd, chez Malaco. Tommy Couch est le seul à croire en Joe Wilson qui est immensément doué. Les autres labels spécialisés (Stax et Atlantic) font la fine bouche.

             Joe Wilson est un chanteur jouissif, il chante au sensitif absolu, il presse ses syllabes comme des boutons de pus et ça gicle, notamment dans «Let A Broken Heart Come In». Il est très sensible, donc très fin. C’est extra, comme dirait Léo. Il passe au heavy r’n’b avec «Other Side Of Your Mind», c’est vraiment du gros popotin. Et voilà le coup de génie : «Our Love Is Strong». Oh la belle romantica ! Il a le pouvoir. Il évolue dans une ambiance extraordinaire signée Werdell Quezergue. Ce mec contre-attaque toujours à bon escient, comme le montre encore «Sour Love Bitter Sweet». Il est énorme, il monte toujours sur la barricade. Joe Wilson est un pur Soul Brother, il explose «Go On And Live». Il te groove encore «Walking Away From A True Love» en profondeur, aw comme il est bon !

    Signé : Cazengler, de bric et de brooks

    Chuck Brooks, Joe Wilson, George Soule. Malaco Soul Brothers. Soulscape 2006

     

     

    My Chip Taylor is rich

     - Part Two

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             Comme Chip Taylor est un auteur prolifique, ses albums se bousculent au portillon. Pour bien prendre la mesure de son importance, l’idéal serait peut-être de commencer par écouter Hit Man, car c’est une sorte de Best Of de rêve.

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    Il y reprend tous les hits qu’il a distribués à droite et à gauche, à commencer par l’«I Can Make It Without You» repris par Jackie DeShannon et les Pozo-Seco Singers. Heavy pop de génie ! Et ça continue avec l’«I Cant Let Go» qui fut un hit pour les Hollies. «Angel Of The Morning» fut un hit pour Merrilee Rush et P.P. Arnold. Chip Taylor est un bélier de la grosse compo. On tombe inévitablement sur «Wild Thing», qui permit aux Troggs, à X et à l’ami Jimi de se distinguer. Et combien d’autres ? La version du Chip est pure, bien grattée sous le boisseau. Il a des tiguilis en filigrane dans le son. Pure magie taylorienne. Et ça continue avec l’«Anyway That You Want Me» repris par les Troggs, mais surtout par Evie Sands et Walter Jackson - If it’s love you want/ Baby you’ve got it - C’est un hit mythique - From the depth of my soul - Il a aussi composé «Try (Just A Little Bit Harder)» pour Janis. Chip Taylor est un homme effarant de classe, mais dans tous les genres : pop, country et le voilà king of r’n’b. Il enchaîne avec le hit le plus imparable de tous, «Storybook Children», popularisé par Billy Vera et Judy Clay - We’ve got your words/ And I got mine/ And it’s a shame - Balladif magique. «Country Girl/City Man» est aussi repris par Billy & Judy, mais aussi par Ike & Tina, fabuleux exercice de nonchalance duetté en mode country. On tombe ensuite sur le «Welcome Home» repris par Walter Jackson. Il te le cueille au menton. Et sa maestria éclate encore au grand jour avec «Just A Little Bit Later On Down The Line».

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             L’autre conseil d’ami qu’on pourrait donner aux becs fins serait d’écouter les deux albums du premier groupe de Chip Taylor, Gorgoni Martin & Taylor, deux Buddah de 1971. Le premier s’appelle Gotta Get Back To Cisco. Ils ouvrent leur balda sur un authentique coup de génie, «Caroline Timber», c’est fabuleusement joué, gorgé de son, ils chantent à trois, cut magique de Chip, avec Trade Martin on lead vocals. On sent bien la puissance compositale de Chip Taylor et l’ampleur des arrangements sur «I Can’t Do It For You». C’est très Righteous Brothers. Ils chantent tous les trois à l’unisson du saucisson sur «Stick-A-Lee», comme le feront CS&N. C’est exactement la même approche, avec les mêmes coups d’acou. Ils adorent rentrer à San Francisco comme le montre «Cisco». Chippy chante ça au doux du menton et tape un final éblouissant. Nos trois larrons adorent la belle pop. Et puis tu as un «Got The Feeling Something Got Away» qui préfigure Guided By Voices. Même esprit.

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             Leur deuxième album n’a pas de titre. On y retrouve la belle pop de Chip («Fill In The Fast Line». Grosse compo. C’est du niveau de Mann & Weil. «I Can’t Let Go» est plus rocky. Ah ils savent rocker leur roll ! Cette belle pop écarlate contrebalance tout. On se régale encore de l’«I Can Make You Cry» monté sur un heavy beat chippy, sévèrement gratté à coups d’acou. Quelle énergie ! Franchement, ces deux albums valent le détour.            

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             Puis Chip Taylor va entamer une carrière solo et tourner avec une moyenne de deux hits par album. Gasoline est encore un Buddah de 1972. Il y recase son «Angel In The Morning». Ah il sait placer sa cerise sur le gâtö. Ça sonne presque comme du Righteous Brothers. Mélodie solide et orchestration du diable - Just call her angel in the morning - Et ça monte aux anges des Righteous Brothers. S’ensuit une Beautiful Song, «Home Again», une pop d’horizons lointains, stupéfiante d’immensité. Il gratte à la suite son «Lady Lisa» à sec, c’est du good time pas loin des Byrds, assez électrique, en vérité. Il passe à son cheval de bataille, la country, avec le morceau titre, un cut solide et bien intentionné. Chip Taylor est déterminant dans tous les domaines, surtout celui de la Gasoline country. Il ne s’intéresse qu’aux chansons, comme le montrent encore «Dirty Matthew» - Sometimes it don’t come easy - et «You Didn’t Get There Last Night». Puis on le voit poser sa voix de deep country man dans «Swear To God Your Honor». Une merveille, pas loin de la révélation, c’est du pur busy cryin’ in the beer.

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             Mine de rien, Chip Taylor’s Last Chance est un bel album. Belle pochette, on voit Chip à la table de jeu, avec des faux airs de Robert Redford en Sundance Kid. Il y va au soft country groove, easy baby. Chip est doux, excellent et inspiré. Dans «I Read It In Rolling Stone», on le voit swinguer ses vers à la folie - Where every brown eyed teased hair mare ran him of his stool - Il boucle ce fringuant balda avec «I Wasn’t Born In Tennessee», un fantastique swagger de country cat. En B, tu vas tomber sur «It’s Still The Same», l’une de ces Beautiful Songs dont est capable l’ami Chippy Chip, et puis avec «101 In Cashbox», il fait une sorte de «Success» à la Iggy - And it comes from the soul/ And it ain’t rock’n’roll - On se régalera encore de «Clean Your Own Tables», un belle country song où il raconte sa vie et celle de la barmaid qu’il épouse.

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             Pochette pépère pour Some Of Us, un Warner Bros de 1974. On est vite frappé par la qualité de la Chippy country. Avec «Early Sunday Morning», Chip chope le truc. Sa country est joyeuse. On se peut se fier à lui. Chip est un chic chap. On sent bien la poigne du songwriter. Grosse emprise encore avec «Something ‘Bout The Way This Story Ends». Chip sait tailler un costard, pas de problème. En B, ils évoque deux villes : Varsovie et Austin. Dans «If You’re Ever In Warsaw», il raconte l’histoire d’un mec qui apprend aux aveugles à voir. Et avec «If I Can’t Be In Austin», il propose un joli groove country. On le sent jubiler.  

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             This Side Of The Big River arrive en 1975 avec une belle pochette à l’américaine. Alors on se régale, même quand on n’est pas fan de country. Il attaque avec «Same Old Story», un joli tagada country, c’est même extrêmement agréable à écouter. Il oscille toujours entre la gorgeous country et le balladif intimiste crooné au coin de la glotte («Holding Me Together»). Très bel artiste, pas loin de Kristofferson. Disons qu’il propose une country de proximité, il avoisine le George Jones avec «Getting Older Lookin’ Back». Chip a un truc que d’autres n’ont pas : le talent. Tout ici est sans surprise mais beau. Il boucle son beau balda avec «Big River», plus rockalama. Solide claqué de chique, belle dégaine et big bass drum. Ces mecs ta cassent vite une baraque de clear blue sky. Ça flirte avec le rockab d’Elvis. Pas mal, non ? Dommage que la B soit si transparente. On y sauve «Sleepy Eyes» : heavy country et belle chaleur de ton.

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             Le Somebody Shoot Out The Jukebox de Chip Taylor With Ghost Train est un album résolument country. Il salue Atlanta dans «Hello Atlanta», it’s good to see you again, mais après, ça devient trop country pour une gueule à fuel. Le morceau titre est un gros boogie rock de saloon. La hit de l’album s’appelle «Still My Son». Chip ressort du moule country pour aller sur la belle pop violonnée. Il sait entraîner un cut au firmament, c’est très Brill dans l’esprit, il faut le voir monter sa clameur de Still my son en neige inexpected, c’est vraiment très impressionnant. Chip Taylor fait de la Beautiful Song quand ça lui chante. C’est un surdoué, au même titre que Burt ou Jimmy Webb, il est très porté sur l’orchestration et les sautes d’humeur vocales, son let me carry you home est suivi à la flûte devenue folle, on voit littéralement le songwriting s’envoler et aller  virevolter dans un azur immaculé. 

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             Saint Sebastien n’est pas son meilleur album. Il l’attaque à la petite pop pépère de «Mary Ann». Chip compose à profusion, il n’est donc pas gêné aux entournures. Il songwrite à gogo. Pas de hit sur cet album martyrisé, du sans surprise, mais du beau sans surprise. Il sonne comme Fred Neil sur «He Ain’t Makin’ Music Anymore», même velouté de poireaux dans le coulé de voix. Avec le morceau titre, il fait bien le tour du balladif, Chip est un inconditionnel de l’intimisme velouté. Il ne peut pas s’empêcher d’enregistrer des albums intimistes. Si l’intimisme ne te plaît pas, t’es baisé.

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             Deux jolis choses sur The Living Room Tapes : Something About Losing It All» et «Grandma’s White LeBaron». Il gratte dans sa cuisine, c’est un intimiste, alors il établit le contact et parfume son balladif de flavor country. Il sait se montrer profond et sincère, alors on l’écoute attentivement. Il chante sa Grandma d’un ton grave et lance un manège enchanté. Il faut saluer son fabuleux entrain country. Petite merveille encore avec «Good Love Last Night». C’est là qu’il convainc, dans l’intimisme - And I took her in my arms last night - Quelle puissance d’évocation - I said girl I like the way you kiss - On n’en saura pas davantage. Son «Shut You Down» est assez pur de shut you down my old friend.

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             Tu vas trouver deux duos d’enfer sur Seven Days In May. A Love Story : «If You Don’t Know Love» où il duette avec Lucinda Williams, et «One Hell Of A Guy» où il duette avec Guy Clark. Comme Lucinda est bien languide, ça donne un duo à la ramasse de la rascasse, ce qui n’est pas déplaisant. L’Hell Of A Guy est le fin du fin du duo country. Mais ailleurs, on s’ennuie un peu. Trop de country, ou pas assez de magie ? Il nous a trop habitués aux cuts magiques. Dans «Florence The Baby & Me», il fait la plus belle des déclarations : «You’re the most beautiful I ever did see.» Une autre merveille se niche plus loin : «Alexander» - You look so beautiful - Joli confessionnal, c’est une Beautiful Song contrebalancée à coups d’accordéon. Le plus drôle avec Chip, c’est que t’as chaque fois l’impression d’écouter la même chanson, et tu tombes sous le charme.

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             Curieusement, on trouve pas mal de belles énormités sur Black & Blue America. À commencer par «The Ship», un duo avec une Lucinda Williams qui a l’air complètement dans les vapes. La grosse compo du jour s’appelle «In Your Weakness», il faut voir comme il l’éclate, c’est le grand Chip qu’on préfère. Il fait un brin de good time music avec «Stroke City Girls». C’est assez magique, il faut bien l’avouer. Il combine la grande pop avec ses affinités country. C’est effarant de stories just behind. La cerise country sur le gâtö pourrait bien être «You Left Me Here». Chip est tellement à l’aise. C’est le plus à l’aise de tous. Avec le morceau titre, il se morfond sur le destin de l’Amérique - Back in 1966, the answer is blowing in the wind - Et il passe du petit boogie fier comme Artaban («It Don’t Get Better Than This») au heavy balladif country («Sometimes I Act Just Like A Fool»). Il dit aussi avoir besoin d’open space et de chevaux. Son «Blind At The Midnight Hour» est magnifico - If you need a place to hide/ Come to my home/ And take some comfort here - Il attaque son «Way Of It» à la Lou Reed. Ce mec Chip est un magicien, il fait de chacun de ses cuts une aventure passionnante. On le comprend mieux sur la durée. Il est certainement plus intéressant que Cash. Chip duette avec P.P. Arnold sur «Temptation», un vieux gospel de fin de partie. Il y va au I did run. Il a des blackettes derrière et ça prend des proportions insoupçonnables, d’autant que P.P. Arnorld te l’explose en plein vol. Quel mélange extraordinaire que ce country king et cette ex-Ikette. Quel accomplissement et quelle apothéose ! Il monte avec elle mais il peine à la suivre. La reine, c’est P.P. 

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             Unglorious Hallelujahs est un double Train Wreck de 2005. Un bel album de country, où il surpasse Cash sur «Hallelujah Boys» et «Jacknife». Il fait exactement le même bazar - I don’t wanna kill nobody - On se croirait sur «I Hung Myself». Il rend un hommage émouvant à Townes Van Zandt dans «What Would Townes Say About That». Il raconte ses souvenirs de Townes dans un motel à Reno. Retour de la clameur country magique dans «Christmas In jail». Et il revient à son cher intimisme d’I don’t know about that avec «Michael’s Song». Sur le disk 2 se niche une pure merveille : «Red Red Rose» où il duette avec Carrie Rodriguez. Pur country genius. Elle vole le show. Il tape plus loin un heavy slowah de très haut niveau, «If I Stop Loving You». Encore une grosse compo ! Ça vaut vraiment le coup de le suivre. On se s’ennuie pas en compagnie du vieux Chip. Encore deux balladifs étoilés avec «Magic Girl» et «It’s Different Now», et il salue cette bonne ville de Santa Cruz avec «Santa Cruz» - There’s still mountains we have to climb - Magnifico.

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             Rien de plus country que New Songs Of Freedom. Avec «Former American Soldier», il rend hommage à des soldats du Vietnam. L’horreur. Son apologie des GIs donne un peu la gerbe. On sauve un cut sur l’album : «Dance With Jesus», un fantastique shoot de country. Tu as là tout l’éclat de la meilleure country américaine.  

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             Très bel album que ce Rock & Roll Joe. Pour deux raisons éminentes : «Monica» et «I Can’t Let Go». «Monica» est inspiré d’un riff trouvé pour Van Morrison et joué sur un vieux beat appuyé. Le hit c’est bien sûr «I Can’t Let Go», lancé en mode heavy rock de saloon, c’est excellent, ça carillonne au big day out et Kendel Carson duette dans cette affaire. On se régale aussi du «Sugar Sugaree» basé sur le «Try A Little Bit Harder» co-écrit par Chip et Jerry Ragovoy. Un violon vient crin-crinter l’«Hot Rod Carson» et Karen Carson tient encore la bavette à Chip dans «Measurin’». Et comme le montre «The Union Song», le Chip sait rocker une baraque ! Et puis dans «R&R Joe Reprise», Chip cite les unsung heroes, Paul Griffin et d’autres. Il raconte des souvenirs de sessions avec des great guys, dont John Paul Jones et des tas d’autres complètement inconnus au bataillon.

    Signé : Cazengler, Chip à l’ancienne

    Gorgoni Martin & Taylor. Gotta Get Back To Cisco. Buddah Records 1971

    Gorgoni Martin & Taylor. Gorgoni Martin & Taylor. Buddah Records 1971                          

    Chip Taylor. Gasoline. Buddah Records 1972 

    Chip Taylor. Chip Taylor’s Last Chance. Warner Bros. Records 1973

    Chip Taylor. Some Of Us. Warner Bros. Records 1974

    Chip Taylor. This Side Of The Big River. Warner Bros. Records 1975

    Chip Taylor With Ghost Train. Somebody Shoot Out The Jukebox. Warner Bros. Records 1976

    Chip Taylor. Saint Sebastian. EMI 1979 

    Chip Taylor. Hit Man. Train Wreck Records 1997 

    Chip Taylor. Living Room Tapes. Train Wreck Records 1997

    Chip Taylor. Seven Days In May. A Love Story. Train Wreck Records 1999

    Chip Taylor. Black & Blue America. Train Wreck Records 2001    

    Chip Taylor. Unglorious Hallelujahs. Train Wreck Records 2005

    Chip Taylor. New Songs Of Freedom. Train Wreck Records 2008 

    Chip Taylor. Rock & Roll Joe. Train Wreck Records 2011

     

    *

    Il est des disques mystérieux, celui-ci est carrément obscur. Imaginez un poème d’Edgar Poe dont on aurait effacé les paroles, dont il ne resterait que l’ambiance, le corbeau s’est envolé, mais le lieu qu’il a quitté est la seule empreinte qu’il nous ait laissée. Vous aussi quand vous ne serez plus là, ne survivront de vous que les lieux par où vous aurez passé. Vous êtes-vous demandé pour combien de temps…

    SCIONS

    O

    (Digital Album / Bandcamp / Mars 2024)

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    Ne comptez pas sur la pochette pour vous aider. Elle est toute noire. Bien sûr je vois bien qu’il y a du blanc, qui n’ajoute que de la noirceur à cet étrange artefact. Sur You Tube, ils sont gentils, ils précisent qu’ils sont quatre, de Sydney en Australie. L’on s’en doutait en regardant le bandcamp. Je vous expliquerai pourquoi plus loin. Le nom du groupe est peu commun. Ne soyez pas idiots, rien à voir avec le présent de l’indicatif ou de l’impératif du verbe français ‘’scier ‘’. Quoique si l’on y réfléchit le hasard linguistique s’avère  parfois malicieux. Scion est un terme botanique, ils le rappellent aussi sur YouTube, en terme beaucoup plus commun un scion est une greffe. Attention, le mot scion désigne aussi bien la greffe que l’on insère dans un tout jeune arbre que le rameau qui naîtra de cette greffe qui portera un composite des gènes de l’arbre greffé et du greffon.

             Un scion est donc le rejeton issu de deux essences d’arbre. Par extension le mot scion désigne aussi un enfant de grande famille tant soit peu dévoyé. Le mot scion s’accorde comme tous les noms communs : un scion, des scions. Nous savons donc ce que signifie le nom du groupe. Nous avons beau scruter la pochette cela ne nous aide guère.

             Comment lire le titre de l’album : est-ce la lettre o, est-ce le zéro, est-ce le dessin d’un cercle ou d’un anneau. Ce qui est certain c’est que ce signe est à décrypter symboliquement. Choisir l’un de ces quatre termes ne mène à rien, ce qu’il faut, quel que soit le signe que l’on élit, c’est en trouver la signifiance.

             Eliminons toutefois trois grossières fausses pistes : Scions n’a rien à voir avec Sion, que ce soit la Jérusalem céleste, la colline inspirée de Maurice Barrès, ou le Prieuré de Sion de Pierre Plantard.    

             Toutefois on ne s’embarque pas sans biscuit : sur bandcamp le groupe se présente d’une étrange manière, un court texte que certains jugeront énigmatique :   ‘’ Ô porteurs de la Malédiction, vous qui êtes morts mais vivez encore. Faites un pèlerinage à travers le Vide jusqu’au pied du grand Arbre et laissez votre destin se révéler. Au début il n’y avait que le Vide. Puis vint le Feu… et avec le Feu vinrent les germes de la disparité : la chaleur et le froid, la vie et la mort, la lumière et l’obscurité. Mais rien n’est éternel  et pourtant rien n’est perdu…’’

             Considérons la mystérieuse circonférence du titre comme le boîtier d’une boussole et le texte comme les indications directionnelles et l’aiguille qui nous guidera.

    0 : l’on n’entend rien, ce n’est pas que le disque n’ait pas encore démarré c’est qu’il n’y a rien, juste rien, mais il faut attendre ou pousser les potards à onze pour que se manifeste une espèce de montée en impuissance, écoutez la version du Ring de Wagner, juste le tout début de L’Or du Rhin mais sous la houlette de Wilhelm Furtwängler, car il est le seul qui ait compris l’importance des toutes premières notes de la Tétralogie et il fait si fort résonner l’insignifiance de leur apparence qu’il vous explose la tête, pour ceux qui seraient choqués, employons une expression emplie de plénitude, qu’il vous ouvre les chakras, cela vient doucement, heureusement qu’il y a cette espèce de klaxon comme une corne de brume pour attirer votre attention, et puis cette voix solennelle qui vous parle mais que vous ne comprenez pas…  Alpha and Omega : vos êtes passé au morceau suivant sans vous en rendre compte, dès lors vous réalisez que le petit o du titre, c’était le zéro absolu, le rien, le néant et que maintenant vous êtes dans le o-riginel, au tout début, à l’alpha du commencement, mais aussi dans l’o-mega de la fin, pourquoi si près du début  atteint-on si vite la fin, et pourquoi cette musicalité fondationnelle semble-t-elle battre de l’aile comme un oiseau qui ne parvient pas à s’envoler, ouf la batterie entre dans le jeu, elle marque la lenteur du rythme mais elle entraîne la basse et tout le bataclan, elle se permet même quelques roulements, la basse joue au vrombissement de l’élastique qui se prend pour un moustique géant qui veut atteindre le haut du ciel, tambour tribal et presque joyeux, fin brutale comme si la bête s’était cognée le nez contre le mur de la fin.  Comme dans le titre précédent  vous réalisez ce que veut dire le morceau qui vient de se terminer. Vous avez parcouru le cycle du début à la fin et vous voici Gros-Jean comme devant, groggy de vous retrouver à l’endroit dont vous êtes parti. Bizarre tout de même. Qu’est-ce que cela signifie ? Thy Master Calls Across Countless Aeon : un bourdonnement qui vient de loin, de très loin, il met des siècles à te parvenir, tu es perdu et l’aide te parvient, tu ne sais pas qui t’appelle, tu le reconnais, tu étais seul, il se soucie de toi, il t’appelle, sa voix traverse des siècles et des siècles, une flèche rapide qui a tant de distance à parcourir pour celui qui l’attend qu’elle a l’air de traverser l’éternité du temps, de faire le tour du monde, avant d’arriver et de se ficher en toi, rien ne bouge si ce ne sont les plumes de son empennage encore vibrantes de leur course, le maître t’appelle et te délivre son message. Seek the River of Fire : cherche la rivière de feu, ne t’inquiète pas tu brûles, la musique a l’air de s’amuser, tout juste si elle ne te chantonne pas un air allègre pour se moquer de toi, quel vacarme, quel boucan, tu brûles, pas besoin de chercher bien loin, elle n’est pas au bout du monde tu y es juste dessus, en plein dedans, tu t’y baignes, passe à l’étape supérieure, souviens-toi d’Héraclite, la notion grecque du sec et de l’humide t’y mène tout droit,  l’on dirait que les musicos s’amusent à imiter un orchestre oriental, oui tu y es, un charmeur de serpent, le cycle du feu qui brûle, qui s’éteint qui se rallume, qui brûle, qui s’éteint, oui tu as deviné, le grand serpent, l’ouroboros, calme-toi, oui c’est grave, médite un peu, essaie de saisir le concept philosophique de l’Eternel Retour, de comprendre ce qu’il veut dire… On wings of steel and chrome : oui les âges métalliques se succèdent, quelle ferblanterie de l’âge d’or à l’âge de fer, tout dégénère, les hommes vivent en paix et puis se disputent, c’est ainsi tu n’y peux rien, c’est le destin collectif de l’Humanité de courir à sa perte, un jour obligatoirement, indubitablement l’énergie du feu régénérateur faiblira, s’épuisera et s’éteindra. Escape Thy Fate : regarde l’autre côté de cette pièce de monnaie ronde que l’on enfourne dans la bouche des morts avant de les porter au bûcher, une face pour tous, une autre uniquement pour toi seul, échappe à ton destin de mort-vivant, puisque quand tu vis éternellement, tu meurs aussi éternellement, pense à toi, échappe à ton destin, rien n’est perdu puisque tout est perdu. Ecoute comme la musique se fait belle et luxuriante, elle est la vie, l’on ne te demande pas de jouer à pile ou face, mais de trouver le lieu de ta fuite qui te sauvera de ce piège sans retour. Through the Valley of Silence : dans la vallée du silence près de l’arbre de vie, de l’Yggdrasil du monde, étrangement le morceau est plein de bruits, de tintements, comme le marteau de Siegfried qui forge l’épée qui tuera le dragon, la vallée est dite silencieuse car entre les coups survivalistes du marteau l’on entend le silence de la mort qui ne veut pas mourir. May the Winds Deliver Thee : l’on entend le vent siffler dans les branches de l’arbre, est-ce celui de l’espoir, du surpassement, peut-être pas pour cette fois-ci, peut-être qu’au prochain tour, au prochain retour, l’on trouvera le moyen de s’échapper du serpent sans qu’il ne te rattrape au dernier moment. Fom the Calamity : trop tard, beaucoup de bruit pour rien puisque le cataclysme final te mènera au rien, sonnailles de troupeaux de moutons destinés à l’abattoir métaphysique, un rouleau concasseur qui passe et pousse, des chœurs processionnels qui tremblent de frousse. Le chemin est long, il tourne sur lui-même, il s’enroule, décrit-il un cercle ou une spirale qui s’écarte et s’enfuit de son centre…

             Chacun en jugera selon son optimisme ou son pessimisme…

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             Mais comment interpréter le titre de cet album. De quelle greffe parle-t-il ? Peut-être faut-il la chercher dans l’espèce de blason symbolique qui leur sert à présenter le groupe. Un cercle, d’or. Selon le diamètre vertical s’épanouit un arbre, l’Yggdrasil mythique, sous sa ramure se tiennent debout une nouvelle race d’hommes d’or et de turquoise.  Sur le FB du groupe, pratiquement vide, seulement deux images, celle de la couve du disque, une deuxième qui nous révèle l’entièreté de l’artwork dont elle n’est que la partie centrale. Un paysage désertique comme vitrifié par une bombe atomique. Comment interpréter cette rivière orange qui serpente depuis les soubassements de l’Arbre, le feu s’est-il changé en eau de feu… Aucune feuille sur l’Arbre réduit à sa structure exo-squelettique, d’ailleurs les nouveaux rejetons qui nous tournent le dos ne possèdent-ils pas un exo-squelette, sont-ils les fils de l’Arbre, sommes-nous à la fin du Ring, à la scène finale de l’anneau wagnérien, entrons-nous non plus en le cycle mais en une nouvelle ère, avec ce nouveau type d’êtres humains alchimisé par l’opérativité cataclysmique de l’anneau brisé… La greffe a-t-elle consisté à introduire le greffon des mythes nordiques dans le mythe de l’Eternel Retour ?

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             Ce qui est sûr c’est que nous retournerons écouter les nouvelles sorties de Scions. Ne serait-ce que pour leur montrer de quel bois nous nous chauffons.

    Damie Chad.

     

    *

    Life like poetry. Généralement les rockers se comportent comme des rockers. Prenons un exemple au hasard, quand Eric Calassou résidait en France il possédait un groupe de rock Bill Crane. Il a donné quelques concerts, nous en avons chroniqué quelques-uns, il a produit des disques, nous les avons chroniqués. Jusque-là nous restons dans le registre de la normalité. L’est parti en Thaïlande, dernièrement il a sorti deux disques, l'un très rock, le dernier constitué de reprises des pionniers du rock. Une vie de rocker parfaitement calibrée.

    0ui, toutefois il y a eu des signes avant-coureurs. S’est mis à faire des photos. Pas tout à fait comme tout le monde. Pas le mec normal qui photographie son chien, sa femme et la Tour Eiffel. Ce n’est pas qu’il se désintéresse du monde, loin de là, il le regarde de près. De trop près. Relisez Le Sphinx d’Edgar Poe. Le héros qui se réveille d’une bonne sieste, ouvre et ses yeux et s’aperçoit qu’un monstre monumentalement horrible s’apprête à le mâchouiller comme un vulgaire chewing-gum, heureusement qu’il n’avait pas son portable, les pompiers et la police se seraient bien moqués de lui en lui montrant que son monstre n’était qu’un inoffensif papillon posé sur la vitre près de laquelle il s’était endormi dans son fauteuil. Calassou s’est amusé à ce petit jeu : photographiez dix-centimètre-carrés de bitume et vous apercevrez ce que vous n’avez jamais vu.

    Dernièrement nous avons chroniqué un album de ses photos. Là il aggrave son cas. A première vue des formes informes et colorées. Des couleurs plutôt sombres. A la réflexion l’on se demande s’il ne s’efforce pas à donner une idée d’un quelque chose que personne n’a jamais vu et dont on peut douter de l’existence, alors que des calculs de haute mathématique   inclinent les scientifiques à supposer sa présence. Il s’agirait donc d’une espèce d’alchimie photographique destinée à produire des représentations de cette matière noire invisible que les physiciens traquent depuis un demi-siècle.

    Je laisse votre cerveau infuser. Revenons à des choses moins abstruses. Non seulement Eric Calassou joue, chante et enregistre de la musique, mais il compose. J’entends vos réactions, qu’un artiste de rock compose des morceaux de rock, cher Damie, rien de plus normal, certainement mais il compose des morceaux de musique classique qu’interprètent des musiciens classiques. Je ne veux pas crier à la trahison, nous en avons chroniqué, et la cloison entre musique classique et rock’n’roll n’est pas si étanche que l’on veut bien l’accroire. Simplement vous prévenir, que nous allons rendre compte de quelques morceaux tirés de la chaine You Tube Bill Crane, et qu’à traverser les cloison étanches l’on se retrouve à pénétrer dans des zone-limites.

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    Danse médiévale : un truc tout doux, parfaitement calibré, facile à suivre, juste une guitare, deux minutes et une demi-poignée de secondes, une belle image de danseurs que je qualifierai de turcs certainement à tort, mes connaissances ethnologiques étant des plus faibles. Ce n’est pas du rock, c’est beau. Tout simplement. Musique pure.

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    Ding dang dong : faut se fier aux titres. Ce truc est totalement dingue. L’image est à la ressemblance de notre monde, une toile de jute ou une natte d’osier sur laquelle sont entassée cinq à six récipients en plastique, bouteilles et bidons. Serait-ce un clin d’œil pour nous dire dans le creux de l’oreille que c’est bidong. Osons le pas, entrons dedang. Un truc à devenir fou, un labyrinthe sonore, une boite à rythmes et une voix qui se prend pour une balle de ping-pong devenue  foutraque, elle rebondit de plus en plus vite, squash vocal, est-ce un crétinoïde dont la voix tintinnabule, ou la bande-son Ferrari qui finit par dérailler, meuglement de vache, z’avez l’impression que sa langue vous lèche la figure, exercice de style à la Queneau, un trente-trois des Double-six passé en 78, peut-être que ça se termine parce que des infirmiers sont venus lui passer une camisole de force pour l’emmener sous une douche froide, sur la fin vous êtes sauvé, une effulgence de guitare électrique vous tire de cette embuscade. Morale de cette aventure : par rapport à la vidéo-précédente vous avez changé d’univers.

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    Message from Mars : que disions-nous !  Tout à l’heure la voix déblatérait, elle ne communiquait pas, juste du bruit buccal, dans cette troisième vidéo, nous recevons un message. Pas de n’importe qui, des fameux petits hommes verts, la musique est inquiétante mais les structures de la langue martienne nous sont incompréhensibles, le pire c’est que  côté élocution nous sommes en avance sur eux de quelques millénaires. En sont au stage du bégaiement. Nous qui attendions des extra-terrestres qu’ils viennent améliorer notre situation, seraient-ils un peuple de sous-doués. Sans doute nous demandent-ils des conseils, ils ont besoin de notre expertise, ils ne possèdent pas un langage aussi élaboré que le nôtre. Très décevants.

    Ne nous demandons pas : que veulent dire les martiens, mais que veut dire la réalisation de ce morceau : qu’un solo de guitare électrique est une agonie sans fin, que la musique instrumentale produit le son mais pas le sens. Que le langage non évolué n’est qu’un ensemble de borborygmes inconsistants. Qu’il est comme l’image qui l’accompagne, un puits avec fond, un puits bouché, qui empêche l’accès à une source de connaissance totale.

             Notre chronique des trois vidéos suivantes éclairera les trois premiers mots de l’ouverture de cette chronique : life like poetry. Que nous empruntons à Lefty Frizzel. Aperçu théorique : Mallarmé fut artistiquement subjugué par l’entreprise d’Art-Total théorisé et mis en pratique par Wagner. Selon Wagner l’opéra était un art total : il mêlait : musique, chant, danse, poésie (les livrets), théâtre (mise en scène) peinture, sculpture (pour les décors) architecture (l’édifice du théâtre de Bayreuth conçu selon les représentations…) jusqu’à l’art équestre avec introduction de véritables chevaux sur scène… Maintenant si vous dites Wagner : tout le monde répondra : musique et si vous dites Mallarmé la réponse unanime sera : poésie.

    Conclusion mallarméenne : la poésie se devait ‘’de reprendre son droit’’ à la musique. Entendez par là qu’étant la voix profonde du monde, (l’expression est d’Edouard Dujardin fondateur et directeur de La Revue Wagnérienne) : c’est en elle que devait s’inscrire la pensée actante de la globalité du monde. En d’autres termes la poésie était à elle seule l’art-total dont le monde avait nécessité pour être exprimé et par là même supprimé. Dans ses esquisses du Livre, dans Le coup de dés, dans Les Noces d’Hérodiade, Mallarmé s’est adonné à cette tâche…

    Eric Calassou écrit de la poésie. Nous n’avons jusqu’à maintenant chroniqué aucun de ses recueils. Donc musicien et poëte. Penchons-nous sur trois vidéos dans lesquelles ii a mis en voix et en musique trois de ses textes.

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    Dans la nuit : (extrait du recueil Les anges de l’enfer) : la couve comme une tenture épaisse, pas aussi noire que l’on s’y attendrait, bleu sombre et reflets d’or : une basse à pas lents, une guitare qui crisse et se plaint, comme du verre sur lequel on marche, le morceau n’est pas très long mais si l’on en croit la longue énumération la nuit est longue, la voix n’est pas blanche, elle joue ses émotions, la nuit est porteuse de peur et de rêves inaccomplis durant les jours. La fin est surprenante, elle pose davantage de questions qu’elle n’en résout. Dans la nuit on ne fuit pas la noirceur du monde mais soi-même.

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    Nuit blanche : couve : soleil noir, ou araignée noire écrasée sur la matière blanche de votre cerveau. Cette nuit est plus éprouvante que la précédente, la boîte à rythmes boitille imperturbablement, le poëte nous la joue tragique, le drame n’est que l’expression de la comédie de la solitude que l’on se donne à soi-même, la guitare grésille, elle est comme ses yeux qui sont les derniers s’éteindre dans le poème de Tennessee Williams, le poëte est-il rattrapé par ses fantômes qu’il tente de fuir, l’on entend ses râles, petite ou grande mort, là est la question… Toujours est-il qu’il ne prononce plus une parole.

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    Ciel éclair : visage brouillé, derrière une vitre pluvieuse : la guitare aigüe telle une lame égoïne qui scie votre boîte crânienne pour savoir si Dieu s’est caché à l’intérieur, la double postulation baudelairienne, pluie de crachats, révolte et soulagement, des trois textes c’est le plus réussi, le mieux mis en bouche, la poésie est parfois comme un bonbon acidulé dont il est difficile de se débarrasser. Midnight rambler arpente le miroir de son âme…

             Grâce à Eric Calassou et ces six vidéos nous avons fait un long voyage. De la musique à la poésie. De la musique en poésie. N’oubliez pas, un autre chemin, life like poetry.

    Damie Chad.  

     

    NEWS FROM MARIE DESJARDIN

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             Ce n’est pas poli de suivre les filles, c’est vrai mais chez Kr’tnt ! on suit Marie Desjardins, avec assiduité, l’on ne peut s’en empêcher, en tout bien tout honneur, d’autant plus qu’elle réside au Canada, en plus c’est de sa faute, comment ne pas la remarquer, même de si loin, elle écrit de bons livres et d’excellents articles, en plus elle nous provoque, elle s’intéresse au rock’n’roll, comment voulez-vous que l’on ferme les yeux, c’est notre devoir de chroniqueur.

             Attention elle est maline, elle vient de m’apprendre quelque chose sur le rock que je ne connaissais pas, de surcroît sur un groupe que je connais bien. Que j’ai suivi disque par disque durant des années. Deuxième honte de ma vie, c’est un article qui est paru en août 2023 sur La Métropole, un magazine culturel  québécois que vous trouverez sur le net. J’avoue que si l’article n’avait pas été signé par Marie Desjardins je n’y aurais accordé aucune attention.  Je n’aime point trop Jésus Christ, encore moins lorsque à son nom est accolée la mention rock star, oui mais voilà c’est de Marie Desjardins, alors je lis. Et puis il y a le sous-titre Dans l’ombre ou la lumière. Déjà je choisis l’ombre.

             Tiens un vieux truc, cinquante ans d’âge, un film. J’ai des excuses de ne pas l’avoir vu, je ne vais jamais au cinéma. Donc un film sur Jésus Christ, un opéra-rock, déjà que j’ai trouvé les paroles de Tommy des Who, un peu gnangnan, oui mais il y avait les Who. C’est-là que je pousse un rugissement, j’ai bien lu, ce n’est pas un trouble visuel ce pourpre profond qui  empourpre mon cerveau, j’ai bien déchiffré, Deep Purple, ils auraient enregistré un disque sur Jésus Christ, non ce ne sont pas eux, c’est Ian Gillan le chanteur qui fut contacté pour les parties vocales, si vous voulez savoir la suite lisez l’article.

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             Vous y arriverez en passant par le FB Marie Desjardins Portraits Rock.

    Pas très loin vous avez un lien sur le nouveau site d’Offenbach, non pas Jacques qui composa des bouffonneries, l’autre : le plus grand groupe de rock du Canada (1970 – 1985 ). Ne comptez pas sur moi pour vous raconter la saga de ce groupe, vous trouverez le lien pour atterrir sur le site, une longue bio rédigée par Louis de Bonneville, Marguerite Desjardins l’a un peu aidé. Pour la remercier Louis Bonneville a construit un site consacré à Marie Desjardins. Ecrivain.

             Un petit conseil, n’oubliez pas de cliquer sur l’onglet ‘’nouvelles’’ vous n’avez pas que les titres, les textes sont à votre disposition… Nous en avons déjà chroniqué quelques-uns sur Kr’nnt !  Vous ferez des découvertes, je viens d’en faire deux, je vous en reparlerai bientôt.

             Ce site est vraiment bien fait, clair net et précis. Il permet d’embrasser le parcours de notre écrivain. Il n’y a pas que le rock’n’roll qui l’intéresse, ce qui est sûr c’est que désormais vous vous intéresserez à Marie Desjardins.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    74

    Repli stratégique avait dit le Chef. Nous cavalions comme des fous vers l’Esplanade du Trocadéro. Nous ne savions pas pourquoi, mais le Chef le savait et cela suffisait. Il est des êtres qui sont comme des phares dans la tempête. Leur Intelligence salvatrice rougeoie dans la nuit noire comme la braise réconfortante d’un Coronado. Cette dernière comparaison ne tient pas la route, je m’en excuse auprès des lecteurs, je devrai l’améliorer quand je  relirai une dernière fois Les Mémoires d’un GSH avant de le confier à un éditeur impatient de lancer l’impression de ce chef-d’œuvre absolu, ce splendide cadeau jeté en pâture à l’’Humanité qui ne le mérite pas. Parfois dans des moments de doute je déraisonne en pensant que personne n’aurait assez d’intelligence pour en saisir le sens profond, que ce magnifique manuel de survie n’empêcherait pas l’espèce des hominidés de courir à sa perte.

    Les filles pensaient que pendant que nous contemplerions la tour Eiffel nous reprendrions notre souffle appuyés sur la rambarde. Il n’en fut rien, il fallut descendre au triple galop les escaliers et nous ne nous arrêtâmes que lorsque le Chef eut choisi sur la vaste pelouse un assez large espace éloigné de tout touriste avachi… J’intimai à Molossa et Molossito l’ordre de monter une garde vigilante autour de notre réunion impromptue.

    Avant tout le Chef alluma un Coronado :

             _ La situation est grave !

    Loriane lui coupa la parole :

             _ Parce que nous sommes partis du café sans payer ?

    Doriane lui répondit :

             _ Mais non, si le garçon nous avait poursuivis, le Chef l’aurait abattu immédiatement d’un coup de Rafalos, c’est un homme lui !

    Le Chef lui adressa un merveilleux sourire :

             _ Vous avez raison charmante enfant, sachez que nous sommes poursuivis par une terrible bande de malfrats, capables de traverser les murs, d’où la nécessité de tenir cette assemblée générale dans un lieu dépourvu de murs. Nous vous aurions invités avec plaisir dans les locaux Des Services Secrets du Rock’n’roll mais l’ennemi a déjà tenté de pénétrer dans cette forteresse invincible, nous les avons repoussés mais maintenant que vous êtes avec nous je ne veux pas que couriez le moindre danger. Ne vous affolez pas, si nous ne trouvions aucun abri sûr d’ici ce soir nous trouverons refuge dans les locaux de la CIA, ils nous accueilleraient avec joie, je pense qu’ils aimeraient devenir propriétaires du secret de la méthode qui permet de traverser les murs, cela les aiderait beaucoup à s’emparer des secrets des chinois qui rêvent de devenir la puissance mondiale numéro 1 et de s’emparer des Etats-Unis.

    Les yeux des jumelles brillèrent de mille feux. Il y a quelques heures encore elles n’étaient que deux lycéennes sages et elles se retrouvaient projetées pratiquement par un coup de baguette magique au cœur des affaires secrètes du monde.

             _ Chef, peut-être pourrions-nous nous mettre à l’abri dans la maison devant laquelle j’ai failli être enlevé par les passeurs de murailles.

    Les filles me regardèrent avec respect, n’étais-je pas un héros invincible qui au dernier moment se tire de tous les dangers. 

             _ Agent Chad, l’idée n’est pas mauvaise, je préfèrerais tout de même une autre solution, certes s’installer dans une demeure connue de nos ennemis est un merveilleux coup d’audace et de poker mais…

    Le Chef ne put terminer sa phrase. Non, ni Molossa, ni Molissito ne donnèrent l’alarme, ce fut Loriane qui proposa une solution miraculeuse :

             _ Vous n’avez qu’à venir à la maison !

             _ En plus papa possède une importante collection de disques de rock !

             _ Et il fume des Coronados !

    75

    Le lecteur m’excusera de ne pas fournir l’adresse exacte de ce petit havre de paix, de ce paradis terrestre qu’était la maison des parents de Doriane et Loriane. Une petite villa dans une rue perdue du seizième arrondissement  entourée des quatre côtés par une large pelouse impeccablement tondue. Du vaste salon central de larges fenêtres permettaient une surveillance quasi panoramique du moindre brin d’herbe.

    Le Chef puisa sans ménagement dans la large provision de Coronados du géniteur de nos deux héroïnes préférées. Molossa et Molossito remarquèrent très vite qu’en sautant de canapés en fauteuils ils pouvaient effectuer le tour de la pièce sans poser une patte sur le plancher ciré. Ils s’amusèrent comme des fous à faire la course sur ce parcours improvisé. Ils ne s’arrêtèrent que lorsque Loriane les appela pour leur offrir deux grosses tranches de pâté de sanglier aux truffes qu’ils dévorèrent en un clin d’œil… Après quoi ils s’allongèrent sur une table basse depuis laquelle ils avaient vue sur l’ensemble du jardin et décidèrent qu’au lieu de monter une garde éreintante et inutile, ils feraient mieux de prendre des forces pour être prêts à affronter les nouvelles péripéties que la suite de nos aventures ne manqueraient pas de leur procurer.

    76

    Le Chef alluma un Coronado, il avait décidé de tenir un conseil de guerre, la situation est grave et dangereuse avait-il  déclaré en préambule.

    • Agent Chad, je n’ignore pas vos connaissances en mathématiques sont plutôt médiocres mais en toute vérité sans vouloir vous faire mousser auprès de nos charmantes hôtesses, combien avez-vous abattu de gardes qui entouraient Géraldine Loup, prenez le temps de réfléchir pendant que je nous verse une lampée de ce merveilleux whisky de vingt ans d’âge.

    Après avoir froncé les sourcils, signes d’intenses réflexions et compté à plusieurs reprises sur mes doigts :

             _ C’est étrange Chef, j’aurais cru en avoir abattu davantage, toutefois en revisualisant mentalement la scène, je me dois de reconnaître que je n’en ai mis hors de combat que le ridicule chiffre de huit.

             _ C’est à peu près ce que j’escomptais, pour ma part je n’ai guère fait mieux, à peine neuf !

    Les filles poussèrent des exclamations de joie et nous applaudirent mais le Chef doucha leur exubérance :

              _ Or j’ai compté et recompté les cadavres, vingt-quatre en tout. Si je ne m’abuse huit plus neuf égalent :

             _ dix-sept !

    _ Exactement, jeunes filles, nous avons donc sept cadavres de trop !

    _ Ne seraient-ce Chef pas quelques agents de la CIA qui nous auraient filé un coup de main en douce.

    Le Chef prit le temps d’allumer un Coronado, d’aspirer longuement puis d’expirer un long panache de fumée digne d’une locomotive à vapeur :

             _ J’y ai pensé, mais non, les ricains aiment bien se faire voir, ils se seraient débrouillés d’une manière ou d’une autre pour nous faire signe. En plus un léger détail m’oblige à penser que ce ne sont pas eux, figurez-vous que sur les sept cadavres six ont reçu une balle entre les deux omoplates, je n’ai pas eu l’occasion de mesurer mais je jurerais que c’est au juste au centre, pour ainsi dire au millimètre près.

             _ Chef, la CIA n’a pas la réputation d’embaucher des manchots !

    Les filles m’approuvèrent et citèrent une vingtaine de films d’espionnage américains. Le Chef les écouta avec magnanimité mais reprit la parole.

             _ Franchement j’aurais préféré être confronté à des tireurs d’élite américain qu’à l’individu qui s’en est pris à nous ! Ne nous trompons pas, aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’est pas venu pour nous défendre, au contraire il était déterminé à se débarrasser de ces empotés qui l’empêchaient de viser l’Agent Chad ! Voyez-vous Agent Chad la mort marchait vraiment à vos côtés.

             _ Il y en a pourtant un, Chef, qui m’avait subrepticement délesté de mon revolver, ils étaient-là aussi pour moi.

             _ Oui mais pas pour vous tuer, vous empêcher de vous défendre oui, vous étiez un gibier de choix réservé !

    Loriane se serra tout contre moi.

             _ Lorsque j’ai déglingué votre voleur, tous les autres se sont jetés sur vous, ils ont paniqué, ils ont voulu vous abattre, ce n’était pas prévu dans le plan, vous étiez la seule cible qui importait, ils ont payé de leur vie leur affolement. 

             _ Donc d’après vous…

             _ D’après moi Géraldine Loup n’était pas la cible prioritaire, peut-être même n’a-t-elle été  plus tard qu’une victime collatérale, faute de grive on abat une merlette ! C’était vous qui étiez LE numéro 1 sur la liste !

             _ Donc le tueur…

             _Agent Chad, n’avez-vous jamais entendu parler de la théorie du genre, c’est très à la mode par les temps qui courent !

    A suivre…     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 620 : KR'TNT 620 : DWIGHT TWILLEY / BRUCE IGLAUER / VINCE MANNIMO / CIEL / DOROTHY MOORE / SUN Q / ERIC CaLASSOU / JALLIES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 620

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    16 / 11 / 2023

     

    DWIGHT TWILLEY / BRUCE IGLAUER

    VINCE MANNIMO / CIEL / DOROTHY MOORE

    SUN Q / ERIC CALASSOU / JALLIES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 620

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le Dwight dans l’œil

    (Part One) 

    , dwight twilley, bruce iglauer, vince mannino, ciel, dorothy moore, sun q, eric calassou, jallies,

             Dwight Twilley vient de casser sa pipe en bois. Parmi nous, nombreux furent ceux qui flashèrent en 1976 sur son premier album, Sincerely, et qui ont depuis lors toujours considéré Dwight Twilley comme une star, même s’il n’a connu qu’un succès d’estime, comme d’ailleurs Alex Chilton ou encore Alejandro Escovedo. Nous allons donc lui rendre hommage avec un texte tiré du volume 2 des Cent Contes Rock à paraître.

             Que fait-on pour se distraire quand on est teenager en 1967 et qu’on vit dans le trou du cul du monde, c’est-à-dire à Tulsa, dans l’Oklahoma ? On va au cinéma.

             Ça tombe bien, car les Beatles sont à l’affiche avec A Hard Day’s Night. Comme des millions de kids américains, Dwight Twilley a succombé au charme des Fab Four. Il se grise de la fraîcheur de leurs pop-songs et de la pureté de leurs harmonies vocales. La beatlemania fait tellement de ravages dans la cervelle du jeune Dwight qu’il commence à bricoler des chansons sur sa guitare.

             Lorsque la séance de projection s’achève, Dwight rejoint la buvette. Il frissonne encore. Il commande un énorme gobelet de pop-corn et un Coca. À côté de lui, accoudé au comptoir, un kid chantonne un couplet des Beatles, cigarette au bec : « C’était au soir d’une ru-uuude journée, j’avais traaa-aavaillé comme un chien... »

             — Pas mal le film, hein ?, lance Dwight pour engager la conversation.

             — Pour sûr !

             — T’es fan des Beatles ?

             — Foutrement...

             — Moi aussi. J’ai tous leurs disques... J’m’appelle Dwight, et toi ?

             — Phil Seymour.

             Phil et Dwight n’ont que seize ans. Ils rayonnent déjà. En plus de leur passion pour les Beatles, ils ont un autre point commun : le charme physique. Il se dégage d’eux une grâce naturelle, empreinte d’innocence et de candeur. Ils semblent se compléter. Phil a le regard clair et le cheveu cendré, alors que les prunelles et l’abondante chevelure de Dwight tirent sur le brun foncé. Avant même d’ouvrir le bec pour commencer à chanter, ils créent déjà l’harmonie.

             Leur décision est prise. Ils montent un duo, le baptisent Oister, et composent quelques chansons. Dwight maîtrise le piano et la guitare. Phil joue les parties de basse et de batterie. Ils chantent tous les deux et s’égosillent à vouloir rejoindre John, Paul, George et Ringo au firmament. Ils parviennent à ficeler une dizaine de chansons qu’ils enregistrent sur un petit magnétophone à bandes. Ils se réjouissent de la qualité de leurs compos. Mais le plus dur reste à faire.

             — Phil, si nous voulons entendre nos chansons à la radio, nous devons absolument trouver une maison de disques...

             — Ben oui, mais elles se trouvent toutes à New York ou à Los Angeles... Tu sais bien qu’on n’a pas un rond... Je ne peux pas redemander d’argent à mon père, déjà qu’il gueulait comme un peau-rouge sur le sentier de la guerre quand il a reçu la facture du marchand de musique pour l’ampli basse...

             — J’ai entendu dire qu’il existait des maisons de disques à Memphis...

             — Quoi ? À Memphis ? Tu plaisantes ? Ils sont encore plus pouilleux que nous, là-bas, avec leurs champs de coton et leurs tracteurs !

             — C’est pas des conneries, Phil. L’autre jour, le type du magasin de musique m’a dit : vas là-bas, à Memphis, c’est bourré de studios, de labels et de Cadillacs. À tous les coins de rues... Il a même ajouté que certains studios acceptaient les nègres. On a juste assez de ronds pour faire le trajet. On traverse l’Arkansas, c’est tout.   

             Phil n’en revient pas. Pour la première fois, il regarde son copain d’un air suspicieux.

             Le lendemain, les deux compères grimpent à bord d’un vieux break Chevrolet et prennent la route. Dwight conduit, le regard rivé sur l’avenir. Phil sort des bouteilles de Coca de la glacière et les décapsule avec son briquet. Pour tromper la monotonie du trajet, ils s’entraînent à parfaire certaines de leurs harmonies vocales.

             — Je me rappelle du sentiment de libertééééééééé... Maintenant je sais que ça ne pourrait pas être moiiiiiiiii... Parce que je crache le feuuuu-euuuu.... Yeah, je crache le feuuuu-euuuu, awhh !

             Ils entrent dans Memphis et se retrouvent par hasard sur Union Avenue.

             — Phil, regarde-moi ça ! Une maison de disques ! Oh qu’elle est belle ! Tu vois, le type du magasin de musique ne racontait pas de bobards !

             Ils se garent devant le petit bâtiment. L’enseigne indique Sun Records. Ils entrent et tombent sur une secrétaire.

             — Bonjour m’dame ! Est-ce qu’on pourrait voir le big boss ?

             — C’est à quel sujet, jeunes gens ?

             — Voilà. On vient d’enregistrer des chansons et on cherche une maison de disques...

             — Quel genre de chansons ?

             — Ben, du rock !

             — Oui oui, mais quel genre de rock ?

             — Du rock harmonique, en duo.

             — Tout le monde fait du rock harmonique. Elvis, Billy Lee Riley, Johnny Cash... Essayez d’être plus précis.

             — Du rock harmonique un peu comme celui des Beatles, vous voyez ? Mais on compose nos propres chansons...

             Et Phil ajoute :

             — En plus, elles sont pas mal !

             Un sourire éclaire enfin le visage de la secrétaire. Elle se lève.

             — Attendez-moi une seconde, je vais voir si monsieur Phillips est libre.

             Elle revient trois secondes plus tard :

             — Passez dans son bureau. Il va vous recevoir.

             Phil et Dwight entrent dans le bureau. Ils peinent à dissimuler leur déception. Ils s’attendaient à tomber sur un gros magnat fumant le cigare. C’est un type assez jeune et d’allure joviale qui les accueille :

             — Bonjour, je suis Jerry Phillips, le fils de Sam. Asseyez-vous, je vous en prie.

             Il sort du petit frigo installé derrière lui une grosse bouteille de Coca et leur sert deux verres bien remplis. Il poursuit :

             — Alors, vous venez d’où, les gars ?

             — De Tulsa, Oklahoma. Notre duo s’appelle Oister. Voici une K7. Nous avons mis dessus une dizaine de chansons originales qui sonnent vraiment comme des tubes, vous zallez voir !

             — Vous connaissez la réputation de Sun Records, bien sûr...

             — Euh non, pas du tout. On s’est arrêté devant chez vous parce qu’on cherchait une maison de disques.

             Un léger malaise s’installe. Jerry Phillips réalise que les deux jeunes gens ne connaissent ni Sun ni Sam. Il passe outre et insère la K7 dans le lecteur. «I’m On Fire» jaillit des enceintes :

             — Je me rappelle du sentiment de libertééééééééé... Maintenant je sais que ça ne pourrait pas être moiiiiiiiii... Parce que je crache le feuuuu-euuuu.... Yeah, je crache le feuuuu-euuuu, awhh !

             — Vous faites de la pop, hein ? C’est pas mauvais, mais ça manque un peu de substance. Vous devriez muscler un peu votre son et surtout travailler vos voix...

             Phil et Dwight échangent un regard de stupeur.

             — Écoutez, les gars. Je vais rester franc avec vous... Disons que vous m’êtes sympathiques. Je vous donne l’adresse de Ray Harris. Allez le trouver de ma part. Il vous aidera. Vous sortez de Memphis par le Sud, vous traversez la frontière de l’état du Mississippi et vous poussez jusqu’à Tupelo. Vous trouverez Ray et son studio à cette adresse. Ray Harris est un vétéran, l’un des pionniers du rockab, un authentique artiste Sun. Il en connaît un rayon. Si vous cliquez bien avec Ray, vous deviendrez probablement des stars.

             — Mais monsieur Chillips, on ne peut pas se permettre de faire un tel crochet. Il nous reste juste assez d’essence pour rentrer à Tulsa.

             — Pas Chillips ! Phillips, reprend Jerry avec un sourire compatissant. Phillips, comme mon père, Sam. Tenez, prenez ce billet de cinq dollars. Vous me le rendrez quand vous serez riches et célèbres !

             — Promis, monsieur Phillix ! Merci, monsieur Phillix !

             — À la revoyure, monsieur Phinix !

             Phil et Dwight sortent enchantés de leur rendez-vous. Ils cherchent la sortie Sud de Memphis, s’arrêtent à la pompe pour faire cinq dollars de fuel et foncent à tombeau ouvert en direction de l’état du Mississippi.  

             Ils trouvent la maison de Ray sans trop de difficultés. Ils se garent devant. Un homme d’une bonne cinquantaine d’années tond la pelouse. Il porte un stetson et une grosse moustache grisonnante. Il ne semble pas très commode.

             — Mister Harrix ? demande Dwight d’un ton joyeux.

             — Yep. Quic’ vous voulez, les mioches ?

             — C’est monsieur Philliste qui nous envoie...

             — Connais pas c’gars-là !

             — Mais si, le monsieur Philliste de Sam Records à Memphis. On l’a rencontré hier...

             Ray arrête sa tondeuse qui faisait un boucan d’enfer et examine les deux jeunes gens des pieds à la tête.

             — Attendez, vous voulez dire Sun Records ?

             — Oui, c’est ça, Son Records, à Memphis !

             — Et y vous envoie pour quoi, au juste ?

             — On compose des chansons, on les interprète et on voudrait enregistrer un disque. Monsieur Phillic nous a donné votre adresse. Il nous a promis que vous feriez de nous des stars...

             — Bah dis donc... On n’est pas sortis d’l’auberge...

             Ray fait entrer les deux candidats au succès dans sa maison. Un immense drapeau confédéré orne le mur principal. 

             — Vous voulez-t-y boire un p’tit godet ?

             — Avec plaisir, monsieur Horris...

             Ray leur sert deux grands verres de Four Roses. Phil et Dwight n’osent rien dire.

             — Y sont où vos chansons ?

             — Tenez, sur cette K7. Monsieur Phillisse les a trouvées vraiment chouettes... Excusez-moi, monsieur Horrix, vous n’auriez pas des glaçons pour diluer un peu le whisky ?

             — Quoi ? Des glaçons dans l’bourbon ? Mais vous sortez d’où, vous deux ?

             — Tulsa, Oklahoma...

             — Ah bah ça m’étonne pas ! Vous m’avez l’air d’une sacrée paire de branquignoles !

             Ray insère la K7 dans le lecteur. «I’m On Fire» jaillit à nouveau des enceintes. Ray fronce les sourcils.

             — Y’a d’l’idée, pour sûr, mais vous chantez vraiment comme des tarlouzes ! Qu’est-ce que c’est qu’ce travail ! On croirait entendre ces pédales yankees, là, les Simon et Gorefuckell ! Bon, j’veux bien m’occuper d’vous, mais va falloir vous bouger l’cul et tout r’prendre à zéro. J’vais vous apprendre à bosser un vrai son et surtout à chanter. Vous allez marner dans mon studio, tous les jours, jusqu’à c’que ça r’ssemble à queck’chose. On commence demain matin à six heures pétantes, pigé ? Bon, l’est quelle heure ? Oh, shit, déjà quatre heures ! Puisque vous êtes là, vous allez v’nir avec moi tuer l’cochon, là, derrière. J’ai b’soin d’un coup d’main pour lui t’nir les pattes ! Allez hop !

             L’un des murs du studio est couvert de quarante-cinq tours Sun. Dans un coin trône une contrebasse. Phil teste la batterie. Dwight branche sa guitare sur un ampli Fender.

             Ils commencent par retravailler «I’m On Fire». Ray trouve la mélodie chant bien foutue, mais il demande à Phil de soutenir le beat et à Dwight d’éclairer au maximum le son de sa guitare.

             — Enroule ton gimmick sur l’beat, gamin, et sur le re-re, tu entrelaceras un second phrasé, différent du premier, t’as pigé ?

             — Pigé, Roy !

             «I’m On Fire» prend une nouvelle tournure. En quelques semaines, il prend même l’allure d’un hit pop parfait, emmené sur un mid-tempo altier. Comme tonifié par le beat vitaminé, le son des guitares scintille. Ray en connaît un rayon. Lorsqu’il travaillait pour Hi Records, à Memphis, il produisait des stars comme Charlie Rich, Ike & Tina Turner, Bobby Blue Bland ou encore Slim Harpo.

             Pendant un an, Ray fait travailler les deux gosses. Il les trouve doués, mais il se cache bien de le leur dire. Ray part du principe que les chansons sont bonnes. Il suffit de trouver un son. On en revient toujours au même point de départ : le son. Phil et Dwight progressent rapidement. Ils attaquent «Could Be Love» sur un driving-beat pulsé à l’orgue. Ça sent le hit à plein nez. Ray fait une suggestion :

             — Là-d’ssus, gamin, tu devrais ahaner...

             — A quoi ?

             — A-ha-ner, comme on l’faisait dans l’temps, Charlie Feathers et moi.

             — C’est qui Charlie Vizer ?

             — Bon laisse tomber... Tu fais ça : a-ha, a-houu, et tu reprends le chant normalement. T’as pigé ?

             Dwight reprend le couplet et ahane au moment où Ray lui fait signe.

             — Alors, pas mal, hein ?

             — Pour sûr, Roy ! Ça donne un sacré jus ! Vous en avez d’autres des combines comme celle-là ?

             — C’est pas d’la combine, gamin. Si t’es doué pour le métier d’rockab, ça t’vient naturellement.

             Le soir, Ray leur passe des 78 tours Sun et Meteor sur son vieux pick-up. Dwight et Phil découvrent un univers musical dont ils ne soupçonnaient pas l’existence. Le lendemain, Dwight démarre sur une idée. Le morceau s’appelle «TV». Ray tend l’oreille. Voilà que les gamins se mettent à sonner rockab... Dwight tortille son chant :

             — TeeVee... c’est une super-bonne... com-pagnie !

             — Plus hargneux, le chant ! Et pis, sur ta gratte, pique tes notes comme si tu pinçais l’cul d’ta poule. Et toi Phil, tend le beat, mais r’lâche tes épaules et déconnecte tes quat’ membres ! Joue plus sec, faut qu’ça claque, nom de dieu !

             Malgré la nouvelle influence du rockab, Phil et Dwight restent attirés par les morceaux lents. Ils semblent compter sur les balades sirupeuses pour se faire connaître et entrer dans les charts. Ray les aide à construire des harmonies vocales, juste pour leur éviter de sombrer dans la gabegie où s’est noyé Elvis. Après deux essais infructueux, «You Were So Warm» et «I’m Losing You», Dwight propose «Baby Let’s Cruise» qui sonne, là encore, comme un monster hit, digne de ceux signés Brian Wilson. Pourtant peu exposé aux ravages de la sensiblerie, Ray sent le miel de la mélodie lui couler dans le dos. Dwight laisse fuir ses roucoulades vers un horizon saturé de lumière jaune. D’incroyables vibrations altèrent la pureté de sa voix. La chanson s’éteint, victime d’une overdose de beauté.

             — J’en ai encore une, Roy, elle s’appelle «England»...

             Phil qui retient bien les leçons pulse un gros beat nerveux. Dwight pousse un Ouh ! de boxeur. Wow, quel punch ! Ray sent que les gamins sont au point.

             Le lendemain, Phil et Dwight font leurs adieux. Ils serrent Ray dans leurs bras.

             — Oh merci Roy ! Merci pour tout. T’es un type fantastique.

             — Donnez-moi d’vos nouvelles, les gosses. Et j’vous préviens, si vous faites un disque et qu’y l’est mauvais, j’vous botterai l’’cul, parole d’homme ! Maint’nant, tirez-vous !

             Dans la voiture qui s’éloigne, Dwight serre les dents. Il veut surmonter son émotion. Plus déterminés que jamais, les deux compères parviennent à financer un voyage à Los Angeles et finissent par rencontrer Denny Cordell, un Anglais qui vient de monter Shelter Records avec Leon Russell. En écoutant les démos retravaillées du duo, Cordell flaire le gros coup. Producteur indépendant, c’est l’homme qui a lancé les Moody Blues avec «Go Now», Procol Harum avec «A Whiter Shade Of Pale», et qui a ramené Tony Visconti à Londres pour superviser les sessions d’enregistrement des Move. Et comme si cela ne suffisait pas, il compte en plus à son actif la découverte et le lancement de la carrière de Joe Cocker.

             — Bravo, les gars, il y a au moins cinq tubes planétaires dans le tas. Croyez-moi, je m’y connais ! Au fait, comment s’appelle votre duo ?

             — Oister !

             — Non, non, non ! Ça ne va pas ! Qu’est-ce que c’est que ce nom à la con ? Il faut trouver un nom plus flashy !

             — Mussel !

             — Vous vous foutez de ma gueule ?

             — Mais non, monsieur Cardell ! On dit les trucs qui nous viennent à l’esprit !

             — Vous êtes vraiment pénibles tous les deux ! Puisqu’il faut avancer, je vais décider pour vous. Vous allez vous appeler Dwight Twilley Band... Ça sonne bien, non ?

             — Wow, fait Dwight en sautant sur sa chaise, super !

             Phil lance un regard oblique à son partenaire.

             — Voilà ma stratégie, mes petits amis. On va sortir «I’m On Fire» pour lancer la machine. Les ventes du single financeront l’enregistrement du premier album. Vous irez donc à Londres enregistrer avec Robin Cable que je connais bien. Si tout va comme prévu, d’ici quelques mois, vous passerez à la télé et vous pourrez vous acheter des costumes en satin. Je ne veux plus voir ces chemises à carreaux. Maintenant, je vais vous présenter mon associé, Leon Russell.

             Cordell décroche son combiné et demande à sa secrétaire de faire venir Tonton Leon.

             Un type aux cheveux très longs et coiffé d’un haut de forme entre dans le bureau.

             — Mes cocos, je vous présente Tonton Leon, le meilleur session-man des États-Unis d’Amérique. Il les a tous accompagnés, Jerry Lee, les Byrds, Badfinger, Glen Campbell, j’en passe et des meilleurs, hé hé hé... 

             Dwight et Phil échangent un regard où règne l’effarement.

             — Monsieur Rossell, vous êtes de Tulsa, n’est-ce pas ? demande Dwight d’une voix blanche.

             — Pour sûr, kiddie boy. J’y ai même monté un studio. Mais la plupart du temps, je bosse ici, à L.A.         

             Dwight et Phil se souviennent d’avoir aperçu cette silhouette étrange dans les rues de Tulsa. La coïncidence les frappe tellement qu’ils en restent bouche bée.

             Cordell relance la conversation :

             — Ils viennent eux aussi de Tulsa, Tonton... Tu les connais ?

             — Non, je ne crois pas...

             — Écoute ça, Tonton, c’est la démo de leur premier single.

             Une version superbement ficelée jaillit des enceintes du bureau. Tonton Leon se fend d’un sifflement d’admiration.

             — Pas croyable ! Wow, quel son ! Avec une vraie production, ça aura encore plus de ju-ju... Ah ça, mes petits Okikis, vous allez faire un drôle de carton ! Quelle wanita patata ! On dirait Buddy Holly accompagné par George Harrison ! C’est vraiment excitant... Jamais entendu un truc aussi bon. Vous me filez la trique ! Et il se met claquer des doigts et à chanter le refrain en chœur :

             — Parce que je crache le feuuuu-euuuu.... Yeah, je crache le feuuuu-euuuu, awhh !

             Denny Cordell sort une feuille dactylographiée d’un tiroir et la pose devant ses deux nouvelles recrues :

             — Tenez, mes petits amis, signez là. Je m’occupe de tout. Comme dirait mon ami Don Arden, la tranquillité, ça n’a pas de prix....

             Sincerely, Le premier album du Dwight Twilley Band, sortira en 1976, soit deux ans plus tard, suivi, un an plus tard de l’encore plus spectaculaire Twilley Don’t Mind, un album bourré de hits percutant et juteux, vivaces et lumineux, fruités et gorgés d’électricité.

             Ces deux albums rivaliseront de panache avec les deux grands albums des Beatles, Rubber Soul et Revolver, parus dix ans plus tôt, avec toutefois une petite cerise sur le gâtö : une énergie purement américaine. 

             Aucun des deux albums ne grimpera au somment des charts, comme le prévoyait l’infaillible Denny Cordell. Le mystère de cet échec reste, avec la malédiction du tombeau de Toutankamon, l’une des énigmes majeures de l’histoire de l’humanité.     

    Signé : Cazengler, Dwight Eiso-nowhere

    Dwight Twilley. Disparu le 18 octobre 2023

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    Attention pour mémoire : le volume 1 des Cent Contes Rock de Patrick Cazengler.

     

    Dans l’igloo d’Iglauer

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             Contrairement à ce que raconte le titre, Bruce Iglauer n’est pas un Esquimau. On a les titres que l’on peut. Et les manies que l’on peut taussi. Le taussi est important, au moins autant que l’igloo d’Iglauer. Et l’Esquimau encore plus, en souvenir de Rrose Sélavy, laquelle, t’en souvient-il, prônait d’esquiver les ecchymoses des esquimaux aux mots exquis.

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             Trêve de balivernes ! Bruce Iglauer n’a rien de Dada, même si le titre de son autobio joue un peu avec les mots. Comme son label s’appelle Alligator, il se dit «mordu par le blues». Question style, Bruce Iglauer n’a rien de particulièrement mordant. Il écrit bien à ras des pâquerettes. C’est un homme extrêmement ordonné, son livre est bien rangé, Iglauer s’exprime sans détour, il ne prétend à aucun moment être écrivain, il se contente de rassembler ses souvenirs et surtout de rendre hommage à tous les artistes qui lui ont accordé leur confiance. Bitten By The Blues - The Alligator Records Story est ce qu’on appelle un bon book, le genre de book sympa qui mérite l’accolade et même une bonne tape fraternelle dans le dos. C’est le genre de book qui te virilise la cervelle, tu n’hésites pas un seul instant à avouer ta fierté de l’avoir lu. Pour un peu tu te laisserais pousser la barbe.

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             Un bon book. Oui, et même un brave book. À l’image de Bruce qui est un brave mec. Il se situe aux antipodes d’Allan Klein et de Leonard le renard : il ne plume pas les nègres pour s’enrichir, il les respecte. Toute sa carrière de label boss repose sur une seule valeur : l’honnêteté. Et donc le respect. Il n’a qu’une seule passion : le blues - I’ve built a business based on the music I love. J’ai appris à survivre in the ridiculously competitive and ever-changing world of the record business - L’autre point fort d’Iglauer est son catalogue : Alligator couvre toute l’histoire du blues électrique, beaucoup plus massivement que l’a fait Chess. Iglauer a rencontré et enregistré tellement d’artistes fascinants qu’il en oublie de parler de lui. Son autobio est un fabuleux catalogue d’artistes majeurs et mineurs, noirs pour la plupart, à quelques exceptions près, et quelles exceptions, my friend : Johnny Winter, Lonnie Mack et Roy Buchanan !

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             Bizarrement, on a toujours vu Alligator comme un label de zone B. Le graphisme des pochettes ne percutait pas toujours, le carton était plus mou, c’était du Chicago blues, donc un blues un peu plan-plan, tragiquement prévisible, et puis il y avait trop d’Alligators. Iglauer saturait le marché d’albums qui pour la plupart n’avaient rien d’indispensable. On complétait sa série d’albums de Johnny Winter avec les trois Alligators, on faisait l’effort d’écouter les Albert Collins et le Fess d’Alligator, mais il fallait vraiment rester sélectif. Dommage, car Iglauer a commencé avec un coup de maître : Hound Dog Taylor. Il a ensuite passé toute sa vie à essayer de rééditer ce coup de maître, mais en dépit de la qualité de tous les artistes qu’il a signés par la suite, il n’y est jamais parvenu. Pourquoi ? Parce qu’il n’existe qu’un seul Hound Dog Taylor. Et comme on l’a dit récemment ici-même, les trois Alligators d’Hound Dog Taylor sont des albums magiques.

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             Iglauer nous ramène chez Florence’s : «Je crois que personne dans l’audience n’appréciait autant la musique que les trois mecs qui la jouaient. Ce jour-là, je suis tombé amoureux d’Hound Dog Taylor & The HouseRockers. Les soirées que j’avais passées dans les clubs de blues de Chicago m’avaient fait découvrir un univers parallèle, une autre Amérique, une Amérique noire avec sa propre culture et sa fabuleuse musique.» Iglauer n’en finit plus de décrire Hound Dog sur scène : «Hound Dog se penchait sur le micro et chantait d’une voix perçante. Chaque fois qu’il claquait une note aiguë sur sa gratte, il jetait sa tête en arrière et fermait les yeux. Avec son stomping feet, flying slide and comic facial expression, il fascinait. Chaque fois qu’on lui réclamait une chanson, il répondait avec un immense sourire : ‘I’m wit’ you, baby, I’m wit you.’» Merci Iglauer de nous faire partager ces moments extraordinaires. Bien sûr, il évoque aussi Brewer Phillips qui martèle son bassmatic «sur une Tele débraillée, as he danced to the music» et Ted Harvey who banged son beurre en mâchant un chewing-gum. Iglauer rappelle aussi qu’Hound Dog picolait et qu’il se versait un double shot de Canadian Club dans son café du matin. Chaque soir, il était complètement rôti. Iglauer adore aussi ses souvenirs de tournées avec Hound Dog, Brewer et Levi Warren. Il devait conduire la plupart du temps, car les trois autres picolaient trop.

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             Le destin d’Alligator s’articule merveilleusement : Iglauer flashe sur Hound Dog chez Florence’s, il monte un label pour lui, le paye et Hound Dog entre dans la légende. Iglauer a fait avec Hound Dog ce qu’Uncle Sam a fait avec Elvis : il lui a donné des ailes. Si Hound Dog et Elvis nous ont accompagné pendant toute notre vie, c’est grâce à Uncle Sam et Iglauer. On ne leur en sera jamais assez reconnaissants.

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             Iglauer revient sur le genèse d’Alligator : l’arrivée à Chicago et le job chez Jazz Record Mart, at 7 West grand Avenue. Il bosse pour Bob Koester, qui est aussi boss de Delmark Records, le grand label de Chicago blues originel. Charlie Musselwhite bosse aussi chez Jazz Record Mart, mais il est viré après avoir échangé des coups de poings avec Koester. Entre 1970 et 1971, Iglauer apprend avec Bob Koester à enregistrer et à produire des bluesmen. Koester enregistre des très grands classiques du Chicago blues : l’Hoodoo Man Blues de Junior Wells, le West Side Soul et le Black Magic de Magic Sam et l’Hawk Squat de J.B. Hutto. Iglauer évoque même la possibilité d’une relation très forte entre son boss et lui. Il pense que Koester a commencé à le voir comme son fils spirituel, de la même façon que lui, Iglauer, le considère comme son père spirituel. Iglauer admire Koester car il le voit prendre des risques dans sa façon de produire les artistes. Il n’impose jamais rien. Mais Koester ne flashe pas sur Hound Dog Taylor. Iglauer va devoir se débrouiller tout seul. Il commence par découvrir que le job de producteur n’est pas seulement technique : il faut surtout savoir manager les personnalités. Première grande leçon. Deuxième grande leçon : la distribution. Une fois qu’il a enregistré Houng Dog, il faut distribuer le disque ! Alors Iglauer se prend par la main et va de ville en ville faire la tournée des stations de radio, puis des distributeurs locaux. Il apprend son métier de label boss. Trouver les artistes est une chose, les vendre en est une autre. Pendant trois semaines, il va de ville en ville pour vendre Hound Dog Taylor & The HouseRockers. Pendant 14 ans, le bureau d’Alligator est sa chambre - a one-room appartment - Iglauer n’a pas une tune, mais il sort des disques. Quand ça commence à marcher, il passe au two-room appartment, puis, il a presque honte de le dire, a small house. Le small est essentiel. Iglauer est l’honnête homme par excellence : «Selon les rapports de l’industrie du disque, la grande majorité des ventes d’albums ne couvrent pas les frais d’enregistrement. Et les artistes ne reçoivent jamais de royalties sur les ventes. Nous, on a couvert les frais d’enregistrement sur la plupart des Alligators et on a pu verser des royalties sur les ventes aux artistes. Le versement des royalties est le poste budgétaire le plus important chez Alligator. I’m very proud of that.» Prenez des notes, les gars.

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             En fait, c’est Mississippi Fred McDowell qui lui cause un premier choc émotionnel, en 1966 dans un annual folk festival - His music seemed more honest, more direct and more authentic than anything I’d ever heard - Il sait qu’il s’agit du North Mississippi Hill Country Blues. Alors il commande l’album Mississippi Delta Blues paru sur Aroolhie et il l’attend pendant 6 mois, car le disquaire n’arrive pas à trouver une copie. Iglauer tombe raide dingue de l’album - I listened to it almost every day - Puis il flashe sur le Paul Butterfiled Blues Band - gritty, powerful and more grown up than any of the rock’n’roll miusic I was hearing on the radio - Eh oui, il a raison, Iglauer, Butter était largement en avance sur son temps. Il flashe ensuite sur J.B. Hutto, qui enregistre sur Delmark - C’était un merveilleux chanteur with a huge voice qui pouvait monter des notes comme s’il chantait des work songs in a cotton field. A raw guitar player - Et puis voilà Junior Wells, lui aussi sur Delmark avec l’excellent Hoodoo Man Blues, «un petit homme qui aimait les bijoux flashy, les costards de couleurs vives et les expansive shoes.» C’est Buddy Guy qui accompagne Junior Wells sur Hoodoo Man Blues, mais sous le pseudo ‘Friendly Chap’, parce qu’il est sous contrat chez Chess. Iglauer fait un portrait fascinant de ce badass, qui ne sortait jamais sans son flingue et un rasoir, mais nous dit Iglauer, «si tu étais son ami, c’était pour la vie.»

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             Il fait ce que font tous les autres : il essaye de se développer pour survivre. Mais il se vautre. Il finance deux albums qui ne marchent pas, un Big Walter Horton et un Son Seals. Il croyait pourvoir atteindre un marché plus vaste, mais c’est la douche froide. Koko Taylor et Lonnie Brooks seront les artistes qu’il va suivre le plus longtemps. Il manage Koko de 1975 jusqu’au cassage de sa pipe en bois, en 2009, et Lonnie de 1978 à son départ en retraite, en 2012 - They were our friends and parts of our daily lives - Il a raison de préciser tout ceci, car c’est là où Alligator fait la différence. Iglauer voit le label comme une famille - Les commissions qu’on prenait sur leurs concerts couvraient tout juste les salaires de Nora et Matt. For decades, management was one of Alligator’s essential jobs - Iglauer veut dire à travers ça qu’il prenait ses artistes en charge à 100 %. Cet homme est décidément irréprochable. Il est content quand il voit que les albums de Koko (The Earthshaker), de Son Seals et d’Albert Collins marchent bien. Il est surtout content pour eux. Il passe un accord en Europe avec Sonet pour la distribution, et c’est la raison pour laquelle la plupart des Alligators qu’on trouve ici en France sont sur Sonet. Du coup, Alligator devient un label international. Iglauer souffle un peu : il peut prendre des risques et se vautrer dans couler la baraque.

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             Après avoir chanté les louanges d’Hound Dog Taylor, il chante celles de Son Seals - If I had ever had the talent to be a bluesman, the one I would have been chosen to be is Son - C’est le blues de Son qui lui parle le plus. Il pense que Son a libéré beaucoup de colère à travers sa musique. Son a grandi à Osceola, en Arkansas, «the most racist town in the Delta». Selon Iglauer, Son «plays with slash-and-burn physical intensity, avec une disto que seule permet la cheap guitar.» Et il ajoute qu’à la différence du blues d’Hound Dog «which was such great fun et de celui de Big Walter which was subtle and multilayered, le blues de Son was a brash, bold slap in the face.» Son portait un cowboy hat et se prenait pour le John Wayne du blues, a man of few words. Son style repose sur une attaque agressive, il a ses licks, comme Albert King. Le blues de Son n’a rien à voir avec la technique. Pour Iglauer, c’est une question de touche - he played every note though it was the most important note he was ever going to play - Les deux grosses influences de Son sont Albert King (certains disaient que Son jouait comme Albert King on speed) et Little Milton pour le chant. Il adorait aussi Junior Parker. Son sort «an ultra-raw guitar tone» sur une Norma guitar, «a cheap brand sold by Montgomery Ward», précise Iglauer. Sa relation avec Son Seals allait durer plus de trente ans et Son allait sortir «eight memorable albums» sur Alligator. On en reparle.

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             Et puis voilà Koko Taylor, avec son «tradermark powerful, growling vocal style». Elle avait déjà un hit chez Chess avec «Wang Dang Doodle», produit par son mentor Willie Dixon, mais quand Chess disparaît avec le cassage de pipe de Leonard le renard, Koko doit rebosser pour vivre et elle fait la femme de ménage pour les familles blanches des quartiers chics. Koko tourne autour d’Iglauer. Elle aimerait refaire un disque, mais au début, Iglauer ne moufte pas. Et puis elle n’a pas de groupe. Pas de répertoire. Bof. Elle insiste. Elle forme un groupe. Elle verse un acompte pour un van de tournée. Iglauer est impressionné par sa ténacité. Alors il lui booke des dates à droite et à gauche. Koko vient d’un milieu très pauvre du Tennessee, comme tous les autres. Iglauer s’intéresse à elle, à son histoire. Il en parle dans son book. Pour lui, la connaissance du contexte sociologique est aussi importante que la musique. Elle est arrivée en bus à Chicago en 1951. Elle a bossé comme domestique et pris des cours du soir, par pure fierté, car elle ne supportait pas d’être illettrée. Elle a appris la grammaire, l’élocution et un peu de mathématiques - She did it out of pride - La façon dont en parle Iglauer est merveilleuse. Koko devient une héroïne. Elle fait tout à la force du poignet. Elle enregistre son premier Alligator en 1975 : I Got What It Takes. Iglauer lui propose des cuts, elle en choisit 6, Elmore James, Ruth Brown, Magic Sam et Bonnie Bombshell Lee. Willie Dixon lui donne un cut, «Be What You Want To Be». Elle fait aussi son «Voodoo Woman» et propose de reprendre des cuts de Jimmy Reed, d’Otis Spann et de Denise LaSalle. C’est avec The Earthshaker qu’elle devient en 1978 the Queen of the blues. Iglauer la manage et Koko va tourner dans le monde entier jusqu’à l’âge de 80 balais, «never losing the ability to pitch a wang dang doodle». Elle fait 9 Alligators et conclut en affirmant qu’elle et Alligator vont ensemble «like red beans and rice». Là, on sent monter une émotion très forte sous la plume d’Iglauer. On détecte clairement cet esprit en lui qu’on pourrait qualifier d’humanité du blues. La musique n’est rien sans la dimension humaine. Il est sans doute l’un des seuls à l’avoir pigé. Plus on avance dans son book, et plus on mesure la grandeur de cet homme.  

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             Il a l’idée de lancer des bluesmen inconnus dans le cadre d’une collection qu’il baptise ‘Living Chicago Blues’. Iglauer crée son monde. Grâce à lui, Carey Bell, Eddie Shaw et Billy Branch surgissent du néant. Mais le grand lauréat de ‘Living Chicago Blues’ est Lonnie Brooks, «one of the most popular musician on the West side» (of Chicago).  Puis il récupère Albert Collins qui est déjà une sorte de superstar des clubs de blues. C’est son premier non-Chicago artist, «known as the Master of the Telecaster, a Texas-born electric guitar hero, whose stinging, ultra-percusive, echo-laden style had been dubbed ‘The cool sound’.» Iglauer était tombé en pâmoison devant The Cool Sounds Of Albert Collins, un album d’instros paru en 1965. Quand il s’en va le rencontrer pour la première fois, il s’attend à tomber sur un géant, et pouf, il rencontre un petit homme à la voix douce. Mais, ajoute-t-il, Albert joue de tout son corps, «comme Freddie King ou Luther Allison» - Il fait des grimaces, saute partout et se jette dans sa musique - Il finit trempé de sueur. Iglauer est fasciné par le petit Albert. En 1978, Ice Pickin’ sort sur Alligator et du coup, Albert devient encore plus populaire que Son Seals et Koko Taylor qui sont les têtes de gondole d’Alligator.

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              Iglauer va voir jouer Fess pour la première fois au Tipitina, à la Nouvelle Orleans. Sortir un album de Fess sur Alligator, c’est pour Iglauer un rêve qui devient réalité. Il l’enregistre à Sea-Saint, le studio d’Allen Toussaint (Sea pour Marshall Sehorn et Saint pour Allen Toussaint) - We wanted something special. Dr John was on top of that - À la fin de la session, Fess dit que c’est sa session la plus heureuse de toutes celles qu’il a connues. Iglauer en rigole de bonheur : «Des gens voient le Crawfish Fiesta de Professor Longhair comme le meilleur album sorti sur Alligator.» Mais le jour de sa parution, le 31 janvier 1980, Fess casse sa pipe en bois. Des tas de gens se pointent à ses funérailles, et parmi eux Jerry Wexler. Allen Toussaint et Art Neville y chantent pour rendre hommage à Fess. Bien des années plus tard, Allen Toussaint dira à Iglauer : «Fess is with me every day.» «Me too, Allen», écrit à la suite Iglauer. Et comme il voit des tas de gens disparaître, Iglauer se dit soudain qu’il y a urgence à les enregistrer avant que cette culture ne disparaisse avec eux. Il se sent investi d’une mission pour le blues, de la même façon que Jacques Lanzmann se sentit investi d’une mission pour la Shoah.

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             Après Fess, Iglauer passe à un autre géant : Johnny Otis, «a Renaissance man of R&B». Iglauer en brosse un portrait sommaire, rappelant qu’il a commencé comme batteur avant de devenir «a piano and vibraphone player, songwriter, talent scout, producer, bandleader, newspaper columnist, author, preacher, DJ, television host et bien qu’il ne fut pas né African-American, porte-parole de l’African-American community de Los Angeles.» Eh oui, les gars, Johnny Otis n’est pas black mais grec. C’est un grec à la peau sombre. Mais il se sent noir. En tournée dans le Sud pendant les années 50 et 60, il a pris la ségrégation en pleine gueule, pas de restaus, pas de gogues, pas d’hôtels pour les sales nègres. Vert de rage, Johnny Otis en est devenu doublement noir - Si tu le traitais de blanc, il prenait ça comme une insulte et te frappait - À l’âge de 30 ans, Johnny Otis avait déjà probablement été en studio un millier de fois. «Il avait découvert Little Esther (Phillips), Big Mama Thornton, les Robins qui allaient devenir les Coasters et des douzaines d’autres artistes.» Bizarre qu’Iglauer oublie de citer Etta James et Sugar Pie DeSanto. Johnny Otis avait installé une chapelle chez lui et il y prêchait. En 1983, Iglauer propose à Johnny Otis d’enregistrer un Alligator. Comme Johnny Otis n’est pas sous contrat, c’est assez simple. L’Alligator s’appelle The New Johnny Otis Show With Shuggie Otis. Mais ça floppe : trop R&B pour les gueules à blues. Il n’empêche que c’est du big time de Johnny Otis. Et ce n’est pas un hasard, Balthazar, si Ace a réédité TOUT Johnny Otis. On en reparle. 

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             En 1979, Iglauer commet une petite erreur : il dit non à Stevie Ray Vaughan. Il aurait pu l’avoir pour un one-album deal, mais Stevie ne l’impressionnait pas assez. Iglauer le prend pour un imitateur d’Albert King. Tinsley Ellsi dit un jour à Iglauer : «La seule chose qui soit pire qu’un monde rempli d’imitateurs de Stevie Ray Vaughan est un monde sans imitateurs de Stevie Ray Vaughan», à quoi Iglauer ajoute : «ce qui est exactement le monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.» C’est pourquoi Iglauer a maintenu pendant tant d’années son rythme convulsif de parutions : pour enrayer la paupérisation artistique qui menace le monde moderne.   

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             En 1984, il achète un vieil immeuble de trois étages pour en faire ses bureaux. Le staff d’Alligator compte alors 12 personnes. Iglauer fait gaffe : il veut leur assurer un minimum de sécurité et de confort. Pour monter d’un cran, il signe trois cracks blancs, Johnny Winter, Lonnie Mack et Roy Buchanan. L’idée est de consolider l’assise financière d’Alligator. Iglauer rencontre Johnny Winter qui est alors une superstar et ils échangent leurs numéros de téléphone. Iglauer se dit charmé par l’albinos qui, justement, vient de produire l’Hard Again de Muddy Waters. Johnny confie aussi à Iglauer qu’il était dingue des Gulf Coast records de Guitar Junior. Ça tombe bien, rétorque Iglauer, Guitar Junior est sur Alligator et s’appelle désormais Lonnie Brooks. Johnny accepte finalement d’enregistrer sur Alligator parce qu’il veut revenir à ses racines : le blues - He saw the label as home of pure, noncommercial blues - Iglauer casse sa tirelire et offre une avance de 10 000 $ à Johnny. Pour lui, c’est une somme énorme, il n’avait pu verser que 1 000 $ à Albert Collins. Mais bon, tu veux la star, alors tu payes. Johnny est sous méthadone, il n’est vaillant et créatif qu’en fin de journée. En studio, il fume de l’herbe et picole sec. Ils enregistrent 17 cuts en quatre nuits et vont faire au total 3 Alligators ensemble. Mais la relation se détériore - By the time we finished with Serious Business, he was tired of me and I was tired of him. Iglauer ne rentre pas trop dans les détails.

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             Pas grave, il passe ensuite à Lonnie Mack, un autre géant de cette terre - the first blues-rock guitar-hero - Iglauer charge bien la barcasse : «His powerful guitar solos - including unexpected, soaring octave jumps, driving rhythm figures, and fast string bending using the tremolo bar on his signature Gibson Flying V guitar - were all his own.» Iglauer ajoute que le guitariste préféré de Lonnie Mack était Robert Ward, un black de Georgie qui jouait dans les Ohio Untouchables, futurs Ohio Players. Ses chanteurs préférés étaient Bobby Blue Bland et George Jones. Pour Lonnie, il n’existait pas de frontières entre le blues, la country, le R&B et le rock’n’roll. Il naviguait en père peinard sur la grand-mare des braquemards et allait d’un genre à l’autre sans crier gare. Iglauer ajoute que Lonnie venait d’un milieu campagnard très pauvre de l’Indiana, qu’il roulait ses clopes, qu’il buvait sec et qu’il adorait les armes. Pendant des années, il a tourné bourré d’amphètes et d’alcool au volant de sa Cadillac, avec une remorque derrière. Pour Iglauer, Lonnie était l’un des meilleurs - His recordings from the mid-1960s are astounding - Iglauer raconte qu’il est allé le voir jouer dans un club de Covington, Kentucky - Je le connaissais assez pour être invité par lui à aller faire un tour sur le parking et sniffer un rail de coke sur la lame de son énorme couteau de chasse - Au début, ça n’intéresse pas Lonnie de faire un Alligator, puis il finit par accepter. Iglauer le rejoint à Cedar Creek, un studio d’Austin, Texas - a funky, oddly wired place with rattlesnakes living in the tall grass around the building - Lonnie va faire deux Alligator - Two of the most compelling albums in the Alligator calatog - Lonnie a fini sa vie seul dans une cabane en bois paumée au fond des bois et a cassé sa pipe elle aussi en bois en avril 2016, et l’occasion fut trop belle de lui rendre hommage ici-même.

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             Iglauer ne s’arrête pas en si bon chemin : après Johnny et Lonnie, il récupère Roy Buchanan, a secret guitar genius - he called himself an Arkansas gully-jumper - Comme Roy avait reçu une éducation extrêmement religieuse, il était sûr qu’il allait rôtir en enfer, and he was serious. Ado, il s’est tiré de chez lui pour aller à Los Angeles. Il a joué pendant un temps avec Johnny Otis, puis a tourné et enregistré avec Dale Hawkins - Il fut bientôt réputé pour sa technique incomparable, son imagination musicale et sa personnalité excentrique - Iglauer dit sa fascination pour Roy : «He was a master at the difficult technique of playing harmonics.» La preuve ? «The Messiah Will Surely Come Again», un instro mélodique faramineux qu’on trouve sur son premier Polydor paru en 1972. En 1988, il est arrêté à cause d’une shoote avec sa femme. Puis on le retrouve pendu en cellule avec sa propre chemise. On a parlé d’un suicide, mais rien n’est moins sûr. Les cops l’auraient buté et maquillé ça en suicide. Iglauer n’est pas non plus convaincu par la thèse du suicide - So I believe that either explanation could be true - Pour les preuves, il faudra repasser un autre jour.

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             Comme tous ses contemporains, Iglauer voit le marché du disque s’effondrer : «À mes yeux, il était clair que la culture sociale et musicale qui avait amené Hound Dog Taylor, Koko Taylor, Son Seals et Fenton Robinson, et de nouveaux artistes comme Lil’ Ed, était en train de disparaître.» À partir du milieu des années 80, Iglauer peine à trouver de nouveaux bluesmen noirs ancrés dans la tradition du blues électrique. Mais il s’acharne, et le catalogue continue d’enfler : «Koko Taylor, Saffire - The Uppity Blues Women - Lil’ Ed & The Blues Imperials, Little Charlie & The Nightcats and Shemekia Copeland. On a signé des artistes qui enregistraient pour d’autres labels, like Texas roadhouse piano queen Marcia Ball, the gloriously gospel-tinged R&B trio The Holmes Brothers, and Albert Collins’s protégé Coco Montoya, a soulful vocalist and the most elegantly lyrical of blues-rock guitar heroes.» Malgré l’érosion du marché, l’enthousiasme d’Iglauer reste intact. Il n’y va pas de main morte. JJ Grey : 5 albums ! Coco Montoya, 6 albums ! The Holmes Brothers, 6 albums ! impossible de suivre un label comme Alligator. Le seul défaut d’Iglauer serait d’être boulimique. Mais il fait comprendre que c’est la condition de sa survie. Grossir pour ne pas crever.

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             Il est constamment à la recherche de nouveaux talents. Il découvre Lil’ Ed & The Imperials et les signe on the spot. Allez hop en studio ! 13 cuts enregistrés entre 9 h et minuit, one take ! - It was a magical night - Il titre l’album Roughhousin’, «because it was the closest thing I could think of Houserockin’.» Retour au point de départ ! Iglauer ne cache pas sa joie d’avoir découvert Lil’ Ed : «Ils représentent the heart and soul of Alligator’s Guenine Houserockin’ Music spirit.» Et dans son élan charismatique, il ajoute : «Quand on me demande qui est le plus authentique, le plus pur musicien de blues sur le label, la réponse est toujours Lil’ Ed.»

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             Iglauer réussit aussi à récupérer Charlie Musselwhite pour trois albums, Ace Of Harps, Signature et In My Time. Précision capitale : sur deux cuts d’In My Time, il est accompagné par The Blind Boys of Alabama, sur lesquels nous reviendrons aussi.

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             Iglauer est épuisant : il n’arrête jamais. Lui ce n’est pas all nite long, c’est all book long. Il n’en finit plus de lancer de nouveaux artistes, comme par exemple Katie Webster, «known as the Swamp Boogie Queen, the second blues woman signed by Alligator.» Iglauer parle d’elle en termes de soulful voice straight out of church et de real deal blues piano player. Wow, quelle apologie ! Allez hop, trois Alligators. On y reviendra. Il récupère à la suite Marcia Ball, une blanche qui va devenir l’une des «Alligator’s most popular and best-selling artists.» Iglauer est dithyrambique, il parle de world-class blues, et d’une voix qui sonne «comme celle d’Irma Thomas with a Texas twang». Il sait vendre ses disques. Iglauer trouve aussi dans le piano playing de Marcia l’influence de Fess. Mais elle ne veut pas d’Iglauer comme producteur. Elle décide de tout : du studio, du choix des cuts et du producteur. Son premier Alligator est Presumed Innocent, paru en l’an 2000. On a à peine le temps d’écouter Marcia Ball qu’Iglauer nous branche déjà sur Shemekia Copeland, la fille du grand Johnny Copeland. À ses yeux, Shemekia ne chante pas comme Koko, mais «elle utilise le vibrato des best gospel singers». Iglauer annonce qu’il lance «a young female blues singer» et son premier Alligator Turn The Heat Up fait sensation dans le monde du blues. Dr John produit le troisième Alligator de Shemekia, Talking To Strangers, et Steve Cropper le quatrième, The Soul Truth. Iglauer n’en finit plus de bourrer la dinde d’Alligator. Pour lui, Shemekia est le real deal : elle a grandi à Harlem a appris le blues avec son père l’excellent Johnny Copeland. On y reviendra, aussi bien sur la fille que sur le père.

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             Au rayon découvertes, ça continue de pulser. Iglauer fait surgir du néant un certain Michael Hill, un New-Yorkais fan de Jimi Hendrix (comme, se hâte-t-il de préciser, the future Alligator artists Selvyn Brirchwood et Toronzo Cannon). Puis il déterre JJ Grey & Mofro en Floride et sort Country Ghetto en 2007, suivi de 5 autres Alligators. Il se prosterne devant JJ Grey & Mofro,  «Alligator’s best selling albums of the 2000s». Ces albums permettent à Alligator de toucher une audience plus jeune, «a younger rock-jam band audience», précise l’inépuisable Iglauer.

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             Tu approches de la fin du book et tu crois qu’il va se calmer ? Tu te fous le doigt dans l’œil. Il repart de plus belle avec Michael Burks, qui a grandi «immergé dans la blues culture, comme Hound Dog Taylor, Son Seals et Penton Robinson avant lui.» Aux yeux d’Iglauer, Burks est un pur - I doubt that another musician will come to the label so deeply rooted in the traditional blues way of life - Bon allez, nous dit Iglauer, un petit dernier pour la route ! Ce sera Toronzo Cannon, avec The Chicago Way, un Alligator de 2016, salué par Mojo à sa parution - Comme j’en rêvais pour Michael Burks, Toronzo Cannnon devient one of the blues icons of his generation - Et là Iglauer enfonce un sacré clou dans la paume du mythe qui dit aïe ! : «J’espère que des artistes comme Toronzo feront leurs preuves et qu’ils seront capables de perpétuer la tradition du Chicago Blues sans répéter ce qui a déjà été fait.» Car c’est bien là le cœur du problème, quand on parle de Chicago blues. Comment survit-on et surtout comment innove-t-on ? Le seul moyen de le savoir est d’écouter les disques.    

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             En 2018, Iglauer se dit fier de son roster : «Marcia Ball, Tommy Castro, Elvin Bishop, Coco Montoya, Shemekia Copeland, Lil’ Ed & The Blues Imperials, Roomful Of Blues, Curtis Salgado, Corky Siegel, Ric Estrin & The Nightcats and Eric Lindell, along with rising artists like Selwyn Birchwood, Toronzo Cannon and the recently signed Cash Box Kings, Nick Moss Band Featuring Dennis Gruenling and singer/drummer Lindsay Beaver.» Iglauer avait tort de s’inquiéter : la relève est assurée. Bien sûr, il revient sur le passé et sur tous les grands disparus, mais il garde l’œil rivé sur l’avenir - Alligator has created a great legacy, but my focus is always on the future - Il est tordant, Iglauer, car il fabrique de l’avenir avec une musique ancrée dans le passé. C’est toute son ambiguïté. Il continue de chercher des gens «with depth and mudical integrity, like JJ Grey and Anders Osborne.» À la fin du book, il dit pouvoir enfin respirer un peu, avec un catalogue de 300 titres et 46 ans d’existence. Alligator a survécu à toutes les mouvances et tendances, à toutes les turpides et toutes mutations. Mais au plan quotidien, ça reste un combat. Le marché évolue, les disques ne se vendent plus, alors il doit muter vers le numérique et vendre des fucking fichiers. D’autres labels spécialisés dans le blues comme Rounder et Concord ont jeté l’éponge. «Arhoolie Records - founded by my hero Chris Strachwitz - a été revendu to the Smithsonian Institution.» Fin d’une époque. 

    Signé : Cazengler, Bruce Idioert

    Bruce Iglauer. Bitten By The Blues - The Alligator Records Story. The University Of Chicago Press 2018

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

    - Part Eight

     

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             Vince Mannino arrive en couve de Rockabilly Generation. Tapis rouge à l’intérieur, avec 8 pages d’interview et la photo centrale. Occasion en or de découvrir un très bel artiste. Vince n’est pas né à Memphis, mais en Sicile, à la campagne. Son premier disco est un Elvis, The Rocking Elvis. Il se fait photographier avec. Bon, il ne dit pas grand-chose de ses autres discos et pas grand-chose non plus sur Dale Rocka. Il cite rapidement Carl Perkins, Roland Janes et Grady Martin, car il est surtout guitariste. Dommage qu’il ne s’étende pas davantage sur Dale Rocka, car les albums qu’ils ont enregistrés ensemble sont fantastiques.

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             C’est en 2014 que Dale Rocka & The Volcanoes éruptent, avec The Midnight Ball. Quel album ! Vince Mannino gratte ses poux derrière Dale Rockab. Big ball dès le morceau titre, wild rockab, tu as là the best Sicilian slice of rockab. Fabuleuse incursion en territoire du bop ! Et puis ça va très vite monter en température et on va se retrouver confronté non pas à des coups du sort, mais à des coups de génie, comme par exemple «Go & Go», two three four, ce démon de Dale te rocke ça vite fait, il en fait un vrai monster bash, les Volcanoes crachent tout leur dévolu dans la balance qui du coup valse dans les décors. Ils sont tout simplement foudroyants de power et leur «Bad Blood» est explosé directement dans la viande par le pire wild killer solo flash qui soit ici bas. Nouveau coup du sort génial avec «Mama Bring Back (My Blue Suede Shoes)», c’est puissant et claqué dans l’ass du boisseau, ils t’explosent même la mafia et tout le vieux saint-frusquin sicilien, Dale chante à la véracité maximale. Leur son devrait faire baver les Américains, Dale chante bille en tête, même avec leur «Quick Kiss», ils swinguent comme des démons et grand retour dans le heavy sludge de rockab avec «That’s Why I Tell You», c’est gorgé de power volcanique, allumé au riff raff sicilien, tu crois rêver tellement c’est bon. Il faut encore les voir rentrer dans le chou de «Remember Last Night», c’est wild et primitif à la fois, avec les voix des Rivingtons dans le coin de swing. Et tout bascule dans la crazyness avec «Hot Rockin’ Baby», une véritable horreur comminatoire, les voilà dans le crazy pur, le wild à tous les vents avec un solo jeté en l’air et le Krakatoa des Volcanoes t’explose à la figure. Vince aurait dû s’appeler Vince Krakatoa.

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             Vince Mannino roule avec un autre gang, Vince & The Sun Boppers. Départ en trombe en 2017 avec Gone For Lovin’. Ça te saute au paf dès «Bad Boy Rock», ah le Vince est bon, il te rocke son rockab dans le lard de la matière et un solo s’en va claquer le dentier du slap. Belle démonstration du génie rockab ! Les Sun Boppers pratiquent la Méricourt du rockab avec un art consommé. Le coup de génie de l’album s’appelle «Black Haired Woman», traîné dans la boue magique du heavy groove aventurier, celui qui fit les grandes heures de Dale Hawkins. Même fête au village avec Vince, il est stupéfiant de véracité boppy boppah. Même sur des structures classiques («Dance With Sally»), les Sun Boppers sont bons. Encore une belle dégelée avec «Devil Eyes». Ils te claquent le cut comme des cracks de la craze. Ils te boppent le beat bien bas. Si tu veux résumer l’art des Sun Boppers, un seul mot possible : easy. Encore un coup de Jarnac avec le morceau titre, assez merveilleux de lovin’ you. Vince chante d’une voix appuyée, un peu piquante, et les Sun Boppers te claquent le meilleur beignet de Sun Boppin’. Tu te régales avec ces mecs-là, ils boppent à la régulière. «It’s You’» est à la fois une belle coque de Sun et une vraie noix de Sicile, les voilà qui te boppent la bobine et qui t’allument le coquillard. Il règne dans tout l’album une fantastique tension de la véracité. Tout l’album est bon, solidement bâti, battu sec et boppé au nec. Ils bouclent avec le fabuleux «You Gotta Be Mine», un nouveau modèle du genre. Vince Mannino ne rate aucune occasion d’afficher son génie rockab.

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             La même année, Vince & The Sun Boppers enregistrent Spinnin’ Around. Heureusement, l’album est un peu moins dense. Il faut se ménager quand on a le cœur fragile. Spinnin’ Around est plus classique, mais on note l’excellence du swagger. On les sent contents de jouer, ce sont de vrais cats à la carbonara. On entend même des échos de fête populaire ici et là. Ça jive dans la nuit d’été, avec une agréable fraîcheur. «Get A Feeling For You» reste classique, mais en même temps très franc du collier. Vince ramène tous les réflexes du bop. Ça joue à la petite clairette. On sent que le rockab est couché au panier. L’album est plus pépère que le précédent. Ils attaquent «One Love» au allez hop, avec la petite cocotte rockab. Et soudain, le volcan des Sun Boppers se réveille : «Red Headed Mama» te saute enfin au paf, il était temps ! Les Sun Boppers se fâchent ! Ouf ! Ça fait du bien. Leur morceau titre est quasi Kiddy, pas loin de «Please Don’t Touch» et ils rendent un fier hommage à Bo Diddley avec «Gal Of Mine», mais dans le pur esprit rockab. Vince embraye sur le heavy swing à la Charlie Feathers avec «Real Gone Papa», aw Gawd comme ce cat est bon, et ils reviennent enfin se lover dans le giron du real deal avec «Don’t Give Up With Love». Ils perpétuent le vieil art du rockab, ils entrent dans les godasses de tous les géants du bop, à commencer par Charlie Feathers et Carl Perkins. C’est magnifique ! 

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             Il existe un troisième album de Vince & The Sun Boppers : By Request. On ne perd pas son temps à l’écouter, bien au contraire. On est tout de suite frappé par la présence de Vince. Aucun accent sicilien. Il chante comme un crack, avec derrière lui tout le swagger d’Axel Praefcke. Ils traînent «King Of Fools» dans la boue magique, avec un talent fou. Ils passent au fast jive avec «Wait A Minute Baby». Vince sait sauter sur l’occase et il te claque un jazz solo dans la foulée. On se croirait à Memphis avec «The One To Blame». Pur jus. Le hit de l’album est le «Long Time Gone» de fin. Heavy rockab de don’t you leave me alone. Clin d’œil à Charlie Feathers - I’m a long gone daddy/ I’m a long time gone - Pur genius.

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             Nouvelle éruption de Dale Rocka & The Volcanoes cette année avec Keep On Rockin’. Ouverture de balda sur l’incroyable élégance du that’s all for me de «Goodbye That’s All». Dale chante au Rocka tranchant et enchaîne avec un autre cut de fantastique allure, «My Mamma Don’t Like Her». Dale Rockab est parfaitement à l’aise dans le mid tempo. Il swingue les deux doigts dans le nez. Puis on perd un peu la magie rockab pour aller sur des choses plus rock et le slappeur Andrea Amico fait des siennes dans le bluesy «Stop Shake Your Hips». Et quand les Volcanoes tapent «No Letter From You», on se croirait à la Nouvelle Orleans. Ils attaquent la B des cochons avec «Rip It Up Hip It Down» et un sens aigu du groove rockab. Tout est bien équilibré dans le cratère du Volcano. Ils sont capables d’aller sur la country, comme le montre «Rusty Moon», mais diable comme ça swingue !

    Signé : Cazengler, Dale Roquet (ouaf ouaf)

    Dale Rocka & The Volcanoes. The Midnight Ball. Rhythm Bomb Records 2014

    Dale Rocka & The Volcanoes. Keep On Rockin’. Bulleye 2023

    Vince & The Sun Boppers. Gone For Lovin’. Rhythm Bomb Records 2017

    Vince & The Sun Boppers. Spinnin’ Around. Rhythm Bomb Records 2017

    Vince & The Sun Boppers. By request. Rhythm Bomb Records 2018

    Rockabilly Generation # 27 - Octobre Novembre Décembre 2023

     

     

    L’avenir du rock

    - Ciel mon mari !

             Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’avenir du rock rêve de monter au Ciel, mais il ne s’agit pas du ciel qu’on fait miroiter aux gens ordinaires. Pendant des siècles, on leur a fait croire qu’en se repentant de leurs péchés et en purifiant leur âme, ils pouvaient espérer grapiller une place au paradis. C’est précisément cette idée qui laisse l’avenir du rock extrêmement perplexe. Manipulés par les cancrelats ecclésiastiques, les gens ordinaires ont fini par voir le paradis comme un terrain de camping : il suffisait d’aller à la messe chaque dimanche pour réserver un emplacement au paradis, alors qu’en réalité pend au nez de tout un chacun une bonne vieille séance de décomposition. Putréfie-toi, mon fils, et tu seras dissout ! Pour en savourer l’avant-goût, on peut relire Une Charogne de Charles Baudelaire - La puanteur était si forte/ Que sur l’herbe vous crûtes vous évanouir - Baudelaire écrase sa puanteur dans le creuset du vers, et fait craquer son crûtes sous la dent. Baudelaire dit vrai, car c’est là que tout se passe, dans les jus, dans les bataillons de larves, il charbonne bien le trait, l’avant-goût qu’il donne devient vertigineux de puanteur poétique - Et pourtant vous serez semblable à cette ordure/ À cette horrible infection/ Étoile de mes yeux, soleil de ma nature/ Vous mon ange et ma passion - il traîne sa gluante persistance à longueur de vers - Alors ô ma beauté, dites à la vermine/ Qui vous mangera de baisers/ Que j’ai gardé la forme et l’essence divine/ De mes amours décomposés - Quand on lit ça, il faut détacher les syllabes de dé com po sés, comme la hyène détache les membres d’une charogne. La décomposition n’a de sens que baudelairienne et l’avenir du rock se réjouit de ce fulgurant trait de réalisme poétique. Affamé de totémisme, il se prélasse dans les poisons toxiques et les noires exhalaisons de la vision baudelairienne, des cuisses ouvertes de sa Charogne jaillit l’éclair d’une absolue perfection poétique, l’avenir du rock s’y abreuve, il se vautre dans cette mare des jus de putréfaction où flottent, soufflées par le vent, les images d’Épinal de l’enfer et du paradis. Alors que les religions sont depuis longtemps entrées elles aussi en décomposition, le rock survit à toutes les avanies et framboises, à toutes les mamelles du destin, de la même façon qu’Avanie et mamelle sont les framboises du festin, mais l’avenir du rock, qui n’est jamais avare d’un coup d’avance, n’hésitera jamais à clamer haut et fort qu’il espère bien monter au Ciel.  

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             Il parle bien sûr du Ciel de Michelle.

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             Rien qu’à la voir arriver sur scène, c’est dans la poche. Après le concert, au merch, on apprendra qu’elle s’appelle Michelle (ma belle) et qu’elle tombe du ciel, puisque son groupe s’appelle Ciel. Brune, cheveux mi longs, yeux clairs, lunettée, fantastique sourire, maigreur sexy, elle chante, bassmatique et ondule comme une authentique rockstar en devenir. Ah il faut l’avoir vue onduler avec sa grande basse blanche, elle fait partie de celles qui savent merveilleusement se fondre dans le groove. Elle y croit dur comme fer. Son trip, c’est d’être sur scène.

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    Elle chante d’une voix perchée et bien fine qui n’est pas sans rappeler celles de Kim Deal, et de Miki Berenyi, au temps de Lush. Elle chante à l’éther pur, avec un joli brin de power. Au début du set, on ne la prend pas vraiment au sérieux, comme c’est souvent le cas avec les premières parties, elle est sexy, c’est vrai, mais on attend de voir ce que ça va donner au plan artistique. Et puis, cut après cut, elle fait son petit bonhomme de chemin, elle avance à la force de son petit poignet et finit par conquérir la ville. Pas de problème, elle va même voler le show.

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             Ciel nous vient de Brighton. Derrière elle, un mec bat le beurre, et un Espagnol aux cheveux teints en blond et nommé Jimenez gratte sur une vieille Jaguar qui en a vu d’autres. Comme on ne connaît pas les cuts du Ciel, alors on boit les paroles. Ils ont un son très indy, mais un peu avant la fin du set, on note la présence d’un gigantesque hit pop. Coup de pot, il figure sur l’un des EPs que Michelle vend au merch : «Baby Don’t You Know». Elle est dedans, et franchement, on est au Ciel avec elle. Straight to the sun ! Elle remonte le courant pop à la seule force de son petit génie sexy et là, bravo, car c’est explosif.  

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             Elle n’a que deux EPs à vendre, the Not In The Sun Not In The Dark EP et le Make It Better EP/ Rather Be Alone EP. «Baby Don’t You Know» se trouve sur le premier. Mais il y a d’autres merveilles sur l’EP, comme par exemple «Back To The Feeling», qu’on entend aussi sur scène. Elle y ramène tout son sucre, elle est exceptionnelle de wild drive juvénile. Ah il faut la voir groover des hanches sur scène, avec sa grosse basse blanche ! Elle fait du rock de Michelle ma belle, these are words that go together well. Elle drive bien le Ciel. «Fine Everything» sonne comme un cut des Breeders, elle fait bien sa Kim Deal. Si tu aimes l’esprit des Breeders, tu vas te régaler avec Michelle ma belle. «Fine Everything» est d’ailleurs le dernier cut du set. Avec «Not In The Sun Not In The Dark», elle replonge dans cet excelsior mirifique de pop humide et si délicieusement féminine. Quelle révélation ! Elle sait monter au front mélodique. Sur scène, elle a vraiment le look d’une égérie, on la boit jusqu’à plus soif, on l’accueille dans le giron, Michelle ma belle est une star en devenir. Elle fait encore du pur Breeders avec «Far Away». Franchement, on ne perd pas son temps à écouter ce genre d’EP. Elle dispense tous ses bienfaits elle est all over son Far Away. Tout est beau sur cet EP tombé du Ciel.

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             L’autre disk est un fat vinyle translucide qui rassemble deux EPs : Make It Better EP/ Rather Be Alone EP. Pareil, on y va les yeux fermés. On retrouve son incroyable fraîcheur de ton dès «Somebody». On peut dire qu’on en raffole, à ce stade des opérations. Elle tape en plein dans le juicy des Pixies au féminin. Elle reste dans l’esprit avec «So Scarred», elle le prend à l’éthérée, avec du gros gratté de poux derrière. Encore du pur jus de Pix Me Up avec «Make It Better». Elle remonte à la surface tout le power des profondeurs de l’underground britannique. C’est bardé du meilleur indie sound d’ici bas. De l’autre côté, ça repart de plus belle avec «Circles», encore plus indy, big sound et petites échappées vocales éthérées. C’est du meilleur effet, même si on connaît ça par cœur. Elle ramène sa poudre d’éther et son big bassmatic dans «Talk». Elle crée une sorte de magie pop, un éther sublimé et lesté de plomb alchimique. Là, elle est en plein dans Lush. Avec «Shut In My Body», elle projette sa poudre de sucre dans l’aveuglante lumière du jour et pulse inlassablement son bassmatic. Ça s’appelle un son. Le son du Ciel. Tout est bien là-haut, même si persiste une impression de déjà vu. Michelle ma belle jette tout son dévolu d’à-valoir dans la balançoire. Au Merch, elle se dit fan des Breeders. Of course !

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             — Why Ciel ?

             — My name is Michelle and my friends call me Celle, and then Ciel, you see ?

             Et elle éclate de ce rire de reine.

    Signé : Cazengler, scié

     

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    Ciel. Le 106. Rouen (76). 5 octobre 2023

    Ciel. Not In The Sun Not In The Dark EP. Not On Label 2022

    Ciel. Make It Better EP/ Rather Be Alone EP. Jazz Life 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - The Moore I see you

     

             Ce n’est pas toujours évident de partager le lit d’une gonzesse. Surtout quand il s’agit d’une super-conne. À sa façon, et sans doute sans le faire exprès, Baby Cloche battait tous les records, même ceux atteints par cette madame Bignolle dont on a parlé ailleurs. Quand, dans les conversations de salon, un attablé demandait à Baby Cloche quelle avait été la nature de ses études, elle répondait sans ciller : «Les arts ménagers.» Un autre qui n’avait pas bien compris ce que ça signifiait lui demanda de préciser. Alors elle précisa. Si on lui demandait plus de détails, elle en donnait. Pour la tirer de ce guêpier, il fallut changer très vite de conversation. Un autre jour, alors que nous étions installés sur une terrasse ensoleillée pour prendre un verre, elle posa une étrange question : «J’ai pas quelque chose dans les cheveux ?» Un rapide coup d’œil permit en effet de constater qu’un piaf s’était soulagé sur elle. Pour ne pas la mettre dans l’embarras, il fallut la rassurer : «Non, il n’y a rien.» La fiente allait sécher rapidement et disparaître. Un moindre mal dans ce genre de quiproquo. La pauvre Baby Cloche collectionnait les infortunes, à commencer par ce visage relativement ingrat que sanctionnait une bouche très moche, en forme de moue, au-dessus duquel proéminait un nez grec un peu trop massif. À cela, il fallait ajouter un cou trop gros. Par contre, elle sauvait les meubles grâce à des très jolis seins, de ceux qu’on aime à soupeser dans les moments de vérité. Nous avions fort heureusement tous les deux des aventures parallèles qui nous permettaient de continuer à nous supporter, mais bien sûr, nous n’en parlions pas. Et puis un jour, pensant l’amuser, je lui racontai comment à la fin d’une fête extrêmement arrosée je m’étais retrouvé seul sur un trottoir, lâchement abandonné par des amis qui étaient censés m’héberger. En ayant vu d’autres, décision fut prise cette nuit-là de prendre le volant pour rentrer au bercail. Oh, ce n’était pas un trajet très important, environ une heure de route et zéro circulation. Dans cet état, tout est toujours jouable. La réaction de Baby Cloche fut inespérée. Avec un air mauvais, elle lança : «Tu sais donc pas que c’est interdit de rouler bourré ?».

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             Un petit côté bourru pourrait à l’extrême limite rapprocher Baby Cloche de Dorothy Moore, mais ça s’arrête là. Baby Cloche vit sa vie dans la région parisienne et Dorothy Moore la sienne dans la légende de Malaco. Ces deux femmes font leur petit biz, chacune à sa façon, ainsi va la vie.

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             Dorothy Moore fut l’une des figures de proue de Malaco. C’est vrai qu’à l’écoute de certains albums, on lui trouve un petit côté bourru, par exemple sur Stay Close To Home, qui date de 1992. Chez une femme, le côté bourru n’est pas un avantage. On l’accepte plus facilement chez Michel Simon. Si Dorothy donne cette impression, c’est parce qu’elle chante à la poigne. Elle est aussi capable de délicatesse, comme le montre le «Blues In The Night» de George Jackson. Elle fait le job. Pas d’excelsior, juste du Dorothy. On attend la magie. Elle peut chanter très haut avec autorité, mais elle ne provoque pas d’émotion. Sa voix est trop sanglée. Le hit de l’album est le morceau titre, un shoot de big r’n’b, puis elle tape dans Sam Dees avec «I Betcha Don’t Know It». Dorothy trouve enfin l’ouverture, elle fond comme neige au soleil, elle s’immole sur le beat de Sam Dees, la magie devient enfin sexuelle, c’est important de la préciser, you’re my sunshine ! Elle reste dans la heavy Soul de Sam Dees avec «It’s Raining On My Side Of The Bed». Dès que Sam Dees entre en lice, ça décolle. Elle reste dans le heavy groove de rude mémère avec «What You Won’t Do For Love». Dès qu’on fait attention à elle, elle rayonne Il faut juste lui prêter attention. Puis elle tape dans George Soule avec «A Woman Without Love», elle implore un mec de l’aimer un peu - Don’t let me be a woman without love - Et elle finit avec «Before I Fall In Love Again», elle connaît le biz, elle se cale sur le chameau.    

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             Sur Misty Blue, elle tape une très belle cover du «Funny How Time Slips Away» de Willie Nelson. Elle monte bien par-dessus les toits de Malaco. Dorothy est une fière Soul Sister pleine de verve et de modestie. Sa cover est une vraie merveille d’interprétation coercitive. Et comme Wardell Quezergue est dans le coup, on a du son. Globalement, le balda est très mélancolique. La viande se planque en B. Première énormité avec «Enough Woman Left (To Be Your Lady)», big r’n’b, bien pulsé par un bassmatic dévorant, le tout arrosé de cuivres et de violons. Encore une belle dégelée de heavy funk avec «Ain’t That A Mother’s Luck». Dorothy fait son Aretha, elle est pleine de jus. Et ça continue avec «Too Much Love». Elle se jette dans la balance, so c’mon, elle est de tous les ébats. Dorothy forever ! Elle finit avec l’«It’s So Good» d’Eddie Floyd. Elle y va de bon cœur au yeah yeah yeah, elle fait plaisir à voir. Ça swingue, chez Malaco, on est content d’être là, on se sent en sécurité sur ce genre d’album, les cocos de Malaco t’accueillent à bras ouverts.  

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             Si d’aventure, on se plonge dans son album sans titre paru sur Malaco en 1977, on se régalera de deux Beautiful Songs, «I Believe You» et «With Pen In Hand». Elle chante son Believe You d’une voix un peu verte, mais c’est une vraie merveille. Avec le Pen, on sent qu’elle est extrêmement concernée par la beauté du geste. Comme sa Soul atteint l’horizon, elle reste fabuleusement juste dans le lointain. Sur les balladifs, elle est fantastique. Elle offre chaque fois un vrai panorama, comme avec «Love me». Elle fait aussi de la diskö Soul («Make It Soon»), mais ça reste très bon esprit. La maison Malaco est une maison sérieuse. Elle fait encore de la Soul de haut rang en B avec «Loving You Is Just An Old Habit», elle l’allume à pleins poumons, avec une verdeur qui l’honore. Elle peut se montrer aussi très pugnace, comme on le voit avec «Daddy’s Eyes», Dorothy est une Soul Sister très fiable et d’une grande intégrité. Elle reste dans la Soul ultra-fouillée, et ultra-chantée pour «For The Old Time’s Sake». Elle réussit un équilibre entre la grande modernité et la facture classique. On l’applaudit à tout rompre.  

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             Dorothy n’est pas jojo sur la pochette d’Once Moore With Feeling, mais elle s’impose dans son balda, avec deux cuts, «With A Little Prayer» et «The Going Up & The Coming Down». Elle tape la Prayer de King Floyd au yeah yeah yeah, dans une ambiance très New Orleans. Puis elle remonte à son niveau, qui est le très haut niveau, avec The Going Up, ah elle sait jiver une Soul de bonne compagnie. On y savoure le balancement du swing harmonique. Elle finit par te tétaniser. Elle ouvre son balda avec un «Special Occasion» signé Sam Dees et enchaîne avec la belle Soul dansante de «What Am I To Do», pur jus de Malaco, tout est beau, ici, la présence de Dorothy, l’orchestration et le petit diskö beat. En B, elle te tartine «Being Alone» avec un aplomb extraordinaire. Cette fantastique shouteuse colle bien au terrain de la Southern Soul.

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             Un joli portrait sensible d’elle orne la pochette de Definitively Dorothy. Il s’agit sans doute de l’un de ses meilleurs albums. Toute la viande se planque en B, à commencer par «Since I Don’t Have You Since I Fell For You». C’est dingue comme la classe de Dorothy te parle. Plus tu l’écoutes, et plus tu réalises qu’elle est souple et belle. «Sleeping Single In A Double Bed» sonne vraiment comme la diskö des jours heureux. Moore is Moore. Elle boucle sa B avec «Mississippi Song» - Mississippi/ This is your song - Grosse compo avec du violon à gogo - It’s been a long time coming/ So Mississippi this one’s for you - Elle le prend bien dans ses bras, le vieux Missip. Dans son balda, elle tape une reprise du «Rain» de Mac Rebennack, elle s’inscrit bien dans le groove, elle a du métier et fait de l’excellent travail. Encore un joli shoot de Soul d’insistance métronomique avec «I Feel The Hurt Coming On», et elle balance avec «Can’t Keep A Good Love Down» un sacré coup de diskö funk. No no no ! Mais si, Dorothy est une Soul Sister tout terrain.

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             Le portrait qui orne la pochette de Talk To Me est un peu trop angélique, mais bon, ça doit bien correspondre à l’idée que Dorothy se fait d’elle même. Voilà encore un bel album de Soul. On s’y sent bien, dès «Talk To Me (Every Beat Of My Heart)». «It’s All In The Game» sonne presque comme une Beautiful Song. Elle chante au doux de sa peau de pêche. Dorothy est une femme subtile et langoureuse. Elle adore danser, comme le montre «There’ll Never Be Another Night Like This», monté sur un soft dancing beat et puis voilà qu’elle rend allégeance au roi George avec «Something In The Way He Smiles». Elle atteint à la perfection de Malaco. C’est le cut idéal pour une gentille géante comme elle - Now I believe it now - C’est la cover de rêve, montée sur un joli beat diskö. Elle termine cet album attachant avec «Lonely», une soft Soul de Malaco arc-boutée sur une diskö beat rebondi. Le mélange est heureux. 

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             Une belle énormité se niche sur Time Out For Me : «Whatever You Can Do». C’est du hard r’n’b bien planté dans la gencive de Volt, elle rocke sa chique avec une bel aplomb, elle peut devenir féroce, elle pousse l’aaoooouuh d’une panthère noire, c’est une fière Soul Sister, I can do better ! Et tu as des funky guitars qui te groovent bien l’oss de l’ass, aaaouuuh, alors elle y va, la mémère, elle pousse son same thang, oh ! Elle attaque l’album avec un heavy balladif, «Walk Through This Pain». Elle adore faire durer le plaisir. On la voit encore se battre pied à pied  avec la très grande Soul orchestrée d’«He May Not Be Mine», bien épaulée par des chœurs féminins. Elle te claque encore un balladif intense et doré sur tranche avec «I Still Get Turned On». Tu peux lui faire confiance, elle te borde ça correctement.

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             Par contre, Winner n’est pas un très bon album. Le côté ingrat de sa voix reprend le dessus. Elle a des côtés chauds sur «Are You Ready» et on en profite pour aller se lover dans son giron. Si tu lis les notes de pochette, tu vas tomber sur le nom d’Andre Williams, mais ce n’est pas le même Andre Williams. Il a une voix trop aiguë. Avec «I Thank You», elle remercie son mec, comme le fait Brenda Holloway dans «You Made Me So Very Happy».

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             Dorothy fait sa grosse mémère langoureuse sur la pochette de Feel The Love, un album pas très dense dont on retiendra trois choses, à commencer par «Be Strong Enough To Hold On». Elle y va doucement, c’est du tout cuit. Elle s’explose les trompes sur le récif de la Soul, à coups d’ouh baby. Elle s’implique énormément. Elle tape «All Night Blue» au deep gluant, au so in love with you. Elle y va, suivie par des chœurs de gospel. La troisième chose est un beau balladif, «Ain’t Nothing Changed». Très froti, en fin de compte. Elle tape aussi deux compos de George Jackson, «Seein’ You Again», où elle se plaint de le revoir, et «Talk To Me», plus diskö. Globalement, Doro se distingue par une voix à part, parfois bourrue, comme déjà dit. Avec elle, tu es chez Malaco, alors c’est assez moite, mais pas trop. Juste un peu.  

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             Son dernier album sur Malaco s’appelle More Moore et date de 1997. Elle sourit, sur la pochette, avec un petit regard en coin qui en dit long. Elle attaque au vieux groove de Malaco chargé de regrets, «You Should Have Been Good To Me». C’est la heavy Soul suprême de Malaco. Elle chante comme une reine. Fantastique présence ! Elle est niaquée jusqu’au bout des ongles. Tous les cuts de l’album font 4 minutes. Ça laisse du temps pour réfléchir. Heavy Soul toujours avec «Knee Deep In A River». Elle jette l’ancre dans le deepy deep avec des chœurs de gospel et cette fois, ça explose. Les chœurs font le power du blast. Elle renoue avec l’intensité dans «Why Is Leaving You So Hard To Do». Elle appuie sur le champignon et fait de la clameur de why. Plus loin, elle frise l’orgasme avec «Stop What You’re Doing To Me» - You’re driving me crazy baby/ I’m out of my mind - Elle y va la garce, c’est Doro, la reine de Nubie.

    Signé : Cazengler, Dorothy Mou

    Dorothy Moore. Misty Blue. Malaco Records 1976 

    Dorothy Moore. Dorothy Moore. Malaco Records 1977 

    Dorothy Moore. Once Moore With Feeling. Malaco Records 1978

    Dorothy Moore. Definitively Dorothy. Malaco Records 1979

    Dorothy Moore. Talk To Me. Malaco Records 1980

    Dorothy Moore. Time Out For Me. Volt 1988 

    Dorothy Moore. Winner. Volt 1989 

    Dorothy Moore. Feel The Love. Malaco Records 1990

    Dorothy Moore. Stay Close To Home. Malaco Records 1992   

    Dorothy Moore. More Moore. Malaco Records 199

     

    *

             Il est des choses qui vous attirent, vous ne savez pas pourquoi. Bien sûr il y a la pochette, ce taureau blanc et ce titre Myth. En plus ce morceau Dionysus, tout ce qui évoque la Grèce antique me fascine, je file sur leur bandcamp, première étrangeté : tiens ils sont turcs ! Etrange, en règle générale les Turcs ne sont pas philhellènes, quant à la photo si elle dérange toutes les idées reçues que l’on peut se faire de la société turque, elle n’est pas spécialement rock, mettons les pieds dans le plat, elle a un petit côté carrément variétoche : sont très beaux tous les deux, elle dans sa robe rouge et lui sous sa casquette et ses cheveux frisés, le look étudié de deux étudiants, enfants sages d’une bourgeoisie aisée, tout pour déplaire, n’empêche que souvent les apparences sont trompeuses, alors on écoute, on essaie de comprendre, on fouille, on cherche. Et l’on trouve.

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             Première trouvaille due à mon incompétence visuelle, ce n’est pas un taureau blanc, c’est pis puisque c’est une vache. S’éclaire ainsi le nom du groupe : Sun Q pour Suzy Queen, comme pour la Suzy Q de Dale Hawkins.

             En farfouillant un peu ils se présentent comme un groupe russe, cette dimension internationale doit avoir été choisie afin de jouir d’une plus grande liberté culturelle de création.

    MYTH

    SUN Q

    Avant d’écouter l’album afin de se mettre dans l’ambiance il convient de regarder le TEASER de présentation que vous trouverez sur le FB du groupe.

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    Attention ce n’est pas très long, je conseillerais presque de l’écouter avant de le regarder, afin de s’apercevoir que le doux fredonnement des premières images se transforme en une sorte de mélopée arabisante qui n’est pas sans rappeler le Zeppelin, l’image n’est ni noire ni blanche, plutôt d’un grisâtre évanescent, sans doute ce parti-pris d’une fluidité incontrôlable est-elle transcription de la lapidaire formule qui tente de définir le projet musical du groupe : If magical realisme was music… un mantra à lire comme un appel au réalisme magique d’un Malcolm de Chazal par exemple. Que chacun regarde et décrypte cette série de visions archétypales selon son monde intérieur, avec si possible activation de votre œil pinéal.

    Lui : Ivan Chalimov. Elle : Elena Tiron. Ils ne sont pas seuls sur cet album, si la base de l’album a été enregistré en Russie, divers musiciens et chœurs ont étoffé les premières pistes, le mixage a été réalisé en Angleterre et masterisé aux USA, un processus complexe supervisé depuis la Turquie et la Moldavie...

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    Jane Doe :  nom donnée aux Etats-Unis aux cadavres féminins dépourvus d’identité, Jane Doe Identity est aussi le titre d’un film d’horreur d’André Ovredal ) : ne vous laissez pas séduire par la beauté du chant d’Elena, ni par le magnifique boulot des musicos, surtout le batteur, à première écoute cela ressemble à un irréprochable morceau avec section de cuivres et harmonium aux mieux de leurs formes, le tout impeccablement mis en forme, pas une seconde d’ennui, rien de bien novateur dans la structure, mais envoûtant, n’y a qu’à suivre, réfléchissez avant de fermer les yeux et de céder au balancement océanique, sachez où vous allez, s’agit d’une traversée des apparences, vous risquez de reprendre pied sur le rivage d’une autre dimension dont le sable serait constitué de la cendre des morts. Children singing : quoi de plus innocent que des enfants qui chantent, l’image qui accompagnait le single sorti en avant-première( juillet 2021 ) est davantage fantomatique, la voix si douce et si pure d’Elena s’élève, elle nous conte une histoire, pas drôle, trois fois rien, ne pas trop s’arrêter au sens des mots, d’ailleurs ils s’arrêtent pour laisser place à un pesant oratorio, une batterie aussi funèbre que le crépuscule des dieux, étaient-ce d’ailleurs des enfants, ou leurs seules voix perdues dans les interstices d’un monde équivoque. Tree : grincements, morceau beaucoup plus torturé que les précédents, elle ne dit pas I’m free mais I’m tree, sachez désapprécier la différence, keyboards en larmes, voix suppliante, traversée des cycles de l’humanité au végétal, unité pythagorienne du monde, le sang se transforme en sève, le chant en rêve cauchemardesque, l’on ne peut s’empêcher de penser à Gatzo le héros d’Henri Bosco recherchant l’âme d’Hyacinthe prisonnière d’un arbre dans la forêt en flammes. Animals : vous avez dans ce morceau l’explication de la pochette, après le règne végétal, le règne animal, orphisme et chamanisme sont plus proches que l’on ne le pense communément, ici ce n’est pas le bestiaire fantastique d’Apollinaire, simplement le cheval, la vache, le chien, trois incarnations, une véritable performance vocale d’Elena, d’une farouche retenue sur un rythme balkanique endiablé. Magnifique. Dionysus : beaucoup plus heavy, l’on change de règne, l’on quitte la sphère terrestre, Dionysus est celui qui meurt pour devenir immortel, qui subit victorieusement l’œuvre au noir, l’on ne reconnaît plus la voix d’Elena, elle vous claque les syllabes à la gueule, les guitares écrasent et forgent le riff, le morceau n’est pas très long, la présence des Dieux est nuisible aux humains corrodés par la mort. I am the sun : voix célestiale, musique rayonnante, la divinité repose en la frange infrangible de sa propre présence, percussions templières, une ampleur irradiante s’empare du morceau, la voix monte haut, elle glisse comme la barque de Ré sur le flanc laiteux de la vache divine. Mythe égyptien de la déesse vache Athor, épouse et mère de Ré, qui possède aussi une face sombre, car chaque soir Ré se meurt… Still searching for the skrulls : joyeuse ballade et balade sur le chemin de la vie, douces vagues, bonheur ineffable d’être êtres charnels dans le mitant de nos existences, au zénith du partage, le ciel est si azurescent qu’il semble infini, pourtant le début ne fut pas paradisiaque et la fin ne sera pas heureuse, l’on sait déjà ce que l’on trouvera au bout du chemin. La voix d’Elena se démultiplie pour cacher la réponse. Guitare et keyboard perdent leur élan lentement comme une bougie qui s’éteint. Elizabeth Siddal : (vous ne connaissez peut-être pas Elizabeth Siddal, mais vous l’avez déjà vue sur le tableau de John Everett Millais qui la choisit pour représenter Ophélie noyée flottant sur les eaux, elle fut l’épouse de Dante Gabriel Rossetti, peintre elle-même, poëtesse, tuberculeuse, addict au laudanum, morte à l’âge de 31 ans, un personnage éminemment décadent et romantique) : retour à la case départ, l’on entrevoit le cheminement en son entier, la mort, que l’on peut assimiler au règne minéral du tombeau, l’exhaussement végétal, la floraison animale, l’asymptotique lieu du divin, puis l’île en vue des morts d’Arnold Böcklin, et maintenant le corps qui s’en va, qui glisse au fil de l’eau clapotante, imperturbable comme ce riff appuyé vite oublié, par cette vie partie mais encore si proche que la voix d’Elena essaie de rappeler, comme s’il valait encore mieux la brûlure des tourments que le rien, elle crie l’on retrouve le motif du teaser allongé d’une funèbre note finale. Crystal doors : il suffit de lire ce dernier titre pour comprendre pourquoi sur l’Instagram de Sun Q vous trouvez une photo de Jim Morrison, dans le même ordre idée vous irez lire les poèmes d’Ossip Mandelstam, d’Euripide et de Joseph Brodsky pour comprendre comment cet album prend sa source en poésie métaphysique. Musique lente et répétitive même si la batterie maintient une rythmique implacable, on n’arrête pas le voyage dans la mort, ces portes de cristal sont proches de celles de corne et d’ivoire de Gérard de Nerval, Elena se tait la musique continue son chemin inlassablement, un satellite détachée de son orbite terrestre qui se perd dans l’espace… l’aventure n’est pas terminée, nous parviennent les échos de la voix d’Elena, semblent se métamorphoser en une sorte d’apothéose mais qui peut dire ce qu’il y a derrière les vantaux transparents de ces portes…

             Très bel album.

             Avant cet opus, Sun Q a livré un EP en 2015, un album neuf titres intitulé Charms en 2018, plus deux ou trois singles isolés. You Tube propose plusieurs vidéos. Nous évoquons dans les lignes qui suivent quatre d’entre elles visibles aussi sur le site du groupe.

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    La première, très courte, est un reportage sur un concert donné en 2021 elle permet d’entrevoir Elena et Ivan (guitare) sur scène mais aussi le batteur, un bassiste et une violoniste. Le plus intéressant reste les vues du public, des étudiants vraisemblablement, des étrangers qui nous ressemblent étrangement. La deuxième : Searching for skulls, beaucoup plus intéressante, un clip qui associe images couleurs ou de ce flou grisâtre qui doit relever d’un choix esthétique, s’entremêlent des passages sur scène, des vues en studio, des feuillets d’écriture, sans oublier les lyrics en une graphie biscornue qui s’affichent très discrètement sur l’écran. Des vidéos de ce genre vous en trouvez des centaines sur YT mais celle-ci est particulièrement agréable à regarder car elle colle à l’esprit du projet, ses plans qui se succèdent donnent l’illusion qu’ils ne sont pas disposés de manière aléatoire. La troisième : Big Fish morceau tiré de leur premier EP, sur scène, très rock, basse, guitare, batterie, bien filmée en plans d’ensemble américains rapprochés, permet de voir Elena, c’est une chose d’enregistrer en studio et une autre de chanter live. Tire son épingle du jeu avec brio. La quatrième Secret Ways Live in SPB ressemble à une longue dérive de blues psychédélique, espace confiné, obscurité mauve et mouvante, public sur le chemin de la transe, Elena en sueur accrochée à son micro, prêtresse vaudou nous emmène jusqu’au bout de la nuit. Ne la regardez pas, sinon vous serez comme moi, encore un concert où vous auriez aimé être. Le temps perdu malgré ce qu’en dit Proust ne se retrouve jamais. In another place, another time comme le chante Jerry Lee Lewis…

    J’ai gardé le meilleur pour la fin, le slogan qu’ils affichent pour la sortie de leur opus :

    SUN Q IS A MYTH

             Que pourrions-nous rajouter ?

    Damie Chad.

     

    *

    Musicien, compositeur, peintre, poëte, photographe, Eric Calassou est un artiste   que nous suivons sur KR’TNT depuis plusieurs années, depuis notre première rencontre lors d’un concert Du groupe Bill Crane groupe de rock’n’roll dont il était et reste le fondateur. Cette fois-ci nous intéressons à son œuvre de plasticien. Ne vaudrait-il pas mieux substituer à cette appellation peu signifiante celle de voyant au sens rimbaldien et révélatif de ce terme ?

             Attention, le lecteur consciencieux  qui désirerait prendre connaissance de l'ouvrage en son entier se reportera à :  Photographique Fantastique Wattpad Livre couverture

    PLASTIC RESURGENCY

    ERIC CALASSOU

    ( WATTPAD ) 

    1

    HÂTIVE CONVERSATION ENTRE SHERLOCK ET WATTSON

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             Drôle d’OTPI, Objet Transmissif Parfaitement Identifié provenant de la planète Wattpad. Le titre ne dit pas grand-chose. Résurgence plastique, serait-ce une allusion écologique aux millions de tonnes de plastique jetés à la mer qui au milieu du Pacifique forment un sixième continent ? Nous ne savons pourquoi : un sixième sens nous détourne de cette hypothèse militante. Pourtant ce cloaque bourbeux noirâtre sur lequel s’inscrit le titre n’est pas sans faire penser à des résidus pétrolifères souillant et polluant la surface de nos océans…

    Soyons logique si ce n’est pas une dénonciation de nos déchets plastifiés, c’est donc une glorification. D’ailleurs ce terme de résurgence n’induirait-il pas une identification avec la résurrection du Christ ? Ne nous perdons pas dans des considérations inconsidérées. Déroulons, la première page. Que voyons-nous ? Rien, c’est tout blanc ! Normal, c’est une page blanche. Abordons la suivante.

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    Que voyons-nous ? Rien, si un trou noir ! Pas d’erreur possible c’est même écrit dessous BLACK HOLE (N° 1). Avouons que c’est troublant. Ne nous prenons pas pieds de la pensée dans le premier trou venu, déroulons le parchemin nettique en son entier, et par la suite trouvons, non pas la réponse, mais la question qui donnera sens à cette œuvre.

    Qu’avons-nous trouvé ? Une suite de 48 photographies, représentant on ne sait trop quoi, peut-être des bouts de plastiques déchirés, des lambeaux informes, de différentes couleurs. Voilà, c’est tout. Ah, si tout en bas une courte notule de trois lignes apportant quelques renseignements sur Eric Calassou.

    2

    DEUXIEME ROUND

    Nous tenons le bon bout. Si nous étions dans une nos habituelles enquêtes criminelles nous dirions que nous avons découvert le coupable.  Nous sommes en présence d’une œuvre d’Eric Calassou. Quarante-huit photographies. Plutôt quarante-huit objets photographiques. Elles ne représentent ni des gens, ni des animaux, ni des maisons, à peine si nous apercevons sur quatre ou cinq d’entre elles des rails, une bouteille, des bananes et une espèce de cadran de réveil, Eric Calassou n’est pas un reporter de la réalité.

    Ces photos ne représentent donc rien ? Ne soyons pas si péremptoires. Déjà elles se représentent elles-mêmes. Elles sont aussi le fruit d’un long travail. D’un long désir. De l’artiste. Il est des tas de programmes informatiques qui permettent de trifouiller à sa guise la moindre photographie. Nous ignorons comment il a opéré, voudrions-nous vraiment le savoir, ce qui compte c’est le résultat obtenu.

    Et si c’était du n’importe quoi ? Si notre artiste comptait sur le hasard pour bien faire ? Le problème c’est que si vous comptez sur le hasard pour parfaire votre résultat vous rendez par ce fait le hasard nécessaire. Ce n’est plus le dé qui s’arrête sur le nombre qu’il décide, c’est vous qui le stoppez dans sa course sur le chiffre qui vous semble le plus adéquat. Cette affaire est plus sérieuse qu’il n’y paraîtrait de prime abord !

    3

    TROISIEME ROUND

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             Comme disait Maurice de Scève, peut-être devrions-nous nous pencher un peu plus sérieusement sur les objets du délit, pas les quarante-huit, n’allons pas très loin, par exemple ce BLACK HOLE (N° 2). Il est indubitable que ce trou n’est pas troué. Un trou sur une surface plane ne peut pas être un trou, nous avons donc affaire à de l’art abstrait. Pas si abstrait que cela, puisque se dessine parfaitement sur la gauche supérieure un animal. Un chat, un chien, un renard. Que chacun décide selon ses propres critères.  Ce n'est pas là l’essentiel.

    Si le trou est noir, il est d’autant plus noir qu’il recèle en son fond deux étamines blanches, et moins évident que cela, toutes les formes que nous devinons ou que nous imaginons sont guidées par d’étranges effets de transparence. Pour être plus clair : noir +transparence = noir. Or nous voyons des choses, ou du moins des formes. Bref, déjà louons cet artiste qui déjoue l’opacité du noir.

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    Comme dirait l’autre, cela me soulage, essayons avec une autre couleur. Tenez ce BAD BLOOD. Du sang rouge, on en boirait, un véritable grenache pour vampires assoiffés, l’on discerne bien des formes, rehaussées par ces transparences cette-fois-ci davantage blanche, mais il est difficile de savoir à quel objet, à quelle substance pour parler comme Descartes, appartiennent ces formes.

    QUATRIEME ROUND

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             Aurions-nous plus de chance avec ce DARK VEINS (N° 3), du vert, du saumon, du jaune, et ces transparences encore plus transparentes, et toujours ces formes qui ne ressemblent à rien. Ou à elles-mêmes si vous préférez. Je préfère à rien. Ah bon ! Oui cela ouvre davantage de perspectives. Le rien n’est que l’autre côté du tout. Ce qui ne ressemble à rien ne ressemble-t-il pas à n’importe quoi ?

             Tout est question d’échelle. Nous avons tendance à retrouver ce que nous connaissons déjà. Exemple quand vous avez perdu vos clefs vous retrouvez vos clefs. Quand je suis perdu dans mon monde je retrouve donc le monde.

             Exactement. Or là vous ne le retrouvez pas, ce que vous trouvez, c’est un autre monde. Cet Eric Calassou de malheur, cet Eric Calassou de bonheur, barrez la mention inutile, vous plonge dans l’infiniment grand ou dans l’infiniment petit. Cette photo peut aussi bien être la représentation d’une aurore boréale, que les teintes d’une feuille de pommier, à ceci près que vous êtes sûr qu’ Eric Calassou n’a jamais voulu représenter le rayon vert cher à Jules Verne ou les magnificences automnales d’une feuille.

             Donc chacun y voit ce qu’il veut ? Totalement Oui et parfaitement non.

    Expliquez-vous.

    CINQUIEME ROUND

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             Prenez THE ABYSSAL FOREST N° 1, peut-être y verrez-vous les fûts élancés d’une forêt, perso il est évident que nous assistons à la rencontre de trois corbeaux. C’est mon côté abyssal. Parce que je regarde avec des yeux qui ont été éduqués par Edgar Poe.

             L’auberge espagnole, chacun apporte avec lui ce qu’il veut. Oui mais certains voient davantage que d’autres. Non, ils n’ont pas un imaginaire plus grand que les autres, c’est qu’ils se sentent autorisés à voir ce qu’ils voient. Par qui ? Mais par Eric Calassou.

             Si j’étais vous, j’aimerais que vous m’expliquiez pourquoi au début de son opus Eric Calassou nous montre un trou pour un peu plus tard nous poser devant un abysse. En plus pour les esprits distraits il l’écrit en toutes lettres sous chacune des lames idoines.

             Parce que tel est son plaisir. Un grand trou ou un petit trou n’est-ce pas toujours un trou.

    SIXIEME ROUND

             Vous oubliez que l’insignifiance a le sens de ne pas avoir de sens. Plastic Resurgency, contrairement à ce que vous insinuez n’est pas un acte aléatoire. Certes je reconnais qu’Eric Calassou brouille un peu les cartes. Il vous les étale devant vous sans rien cacher. Mais il ne les a pas mises dans l’ordre. A vous de le retrouver. Une espèce de processus alchimique. Tout dire et ne rien dévoiler. Pensez un peu à toutes ces couleurs, ne correspondraient-elles pas à quelque chose. Mais laissons cela.

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             Je préfère attirer votre attention sur le grand arcane 18. Vous parlez de THE OPENING, je consens à y voir un trou puisque vous semblez y voir un trou, serait-ce une obsession quasi-psychanalytique ? Ne serait-ce pas vous qui verrait des trous partout. The opening ne signifie pas ‘’ trou’’ mais ‘’ ouverture’’. Pensez à Rilke et à sa notion de l’Ouvert, le lieu de passage poétique par excellence.

             Voyez-vous si notre coupable, le dénommé Eric Calassou est coupable de quelque chose, ce n’est pas d’avoir au petit bonheur la chance traficoté des photographies, mais d’avoir en toute intelligence créatrice indiqué la route qui mène à la sente la plus secrète.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Au mois de février 2018, il m’est arrivé une drôle d’aventure, je la relate dans la livraison 362, que les âmes sensibles s’abstiennent de se précipiter pour la lire, les cauchemars les plus déplorables risquent de perturber leur sommeil durant des années, je m’en souviens bien, cela s’est passé un jour où je me rendais à un concert des Jallies. Trois années, entrecoupées du carnavalesque épisode covidique, se sont écoulées avant que je ne retrouve les Jallies le 21 / 04 / 2022 à Fontainebleau. Chance, voici que les Jallies redonnent un concert au Glasgow de Fontainebleau ce jeudi 09 novembre.

    Les lecteurs s’étonneront de cette bizarre obstination à voir les Jallies. Nous les suivions depuis leur début, nous avions dû assister à une dizaine de leurs concerts moi et Alain, parfois surnommé dans nos chroniques Mister B, donc ce soir la voiture fonce vers Fontainebleau. Un trajet sans péripétie, même pas un cycliste à écraser. Ce n’est pas ce qui me rend triste. Tourne dans ma tête le joyeux souvenir de ce vieux dimanche après-midi vers quatorze heures trente lorsque le téléphone a sonné :

    _ Allo Damie ?

    _ Salut Alain !

    _ Qu’est-ce que tu fais ?

    _ Rien de spécial, et toi !

    _ Ben, comme un dimanche après-midi, calme plat. Il n’y a pas de concert ce soir ?

    _ Si, des Jallies !

    _ Tu viens me chercher, comme d’hab, huit heures à la maison !

    _ Impossible !

    _ Tu es pris ?

    _ Non, il faut partir maintenant !

    _ Ah, c’est un concert d’après-midi !

    _ Pas du tout, mais c’est à quatre cents kilomètres au fin-fond du centre de la France, dans un endroit que j’ai du mal à localiser sur la carte.

    _ Tu y vas ?

    _ Si tu viens, oui !

    _ Dans une de mi-heure je suis chez toi, l’on trouvera facilement, j’ai récupéré un GPS !

    Je ne vous raconte pas la suite de l’histoire avec ce GPS si fantaisiste que nous avons fini par remiser sur la banquette arrière à côté de Zeus. Pas le dieu de l’Olympe, ce jour-là il n’avait pas pu venir, tout simplement mon chien. Bien sûr, comme l’on est des rockers, l’on est arrivé à temps…

    C’était le bon temps, hier soir Alain n’est pas venu. Il ne viendra plus jamais voir les Jallies. Ce n’est pas qu’il ne les aime plus. C’est qu’il repose au cimetière…

    JALLIES

    (GLASGOW09 / 11 / 2023)

    FONTAINEBLEAU

    dwight twilley,bruce iglauer,vince mannino,ciel,dorothy moore,sun q,eric calassou,jallies

    Les filles se sont installées les premières, mais que peuvent espérer trois pauvres filles sans les garçons pour les protéger. Les voici, sans se presser, ils se saisissent doctement de leurs instruments, la cérémonie peut commencer. Difficile de raconter un concert des Jallies, les filles n’arrêtent de bouger. Comme toutes les filles elles sont interchangeables. Chacune peut faire ce que les deux autres ne sont pas en train de faire. Elles ne se disputent pas, elles se décident sur le vif, à l’instant. Un jeu délicieux. Au bout de trois secondes, elles se sont partagées les ustensiles, caisse claire, micro, guitare, cela doit leur rappeler les cours de récréation quand elles jouaient à papier, pierre, ciseaux.

    Faut être juste. Dès qu’elles ouvrent la bouche vous ne voyez plus qu’elles. Est-ce pour cela que les deux gars derrière font un boucan inimaginable. Vous scotchent contre le mur dont ils ne vous décolleront pas. A tel point que les filles ont inventé une nouvelle stratégie, quand il y en a une qui chante ses deux copines harmonisent à fond à ses côtés, un bourdonnement d’essaim d’abeilles emplit vos oreilles, alors les garçons accélèrent et les filles surenchérissent.

    Derrière ce rideau mouvant de filles vous reconnaissez Tom à son chapeau. Pour sa guitare pas de souci, elle fuse tous azimuts. Un hors-bord lancé à toute vitesse, attention les courbes sont nerveuses, le son prend sans arrêt la tangente, jamais là où il devrait être, vous trousse de ces soli zig-zag vrombissants en moins de six secondes, une féconde imagination au bout des doigts, ramène toujours un grain de sel ou de soufre là où on ne l’attend pas, un ingénieux, aussi rusé que le renard, aussi fourbe que le serpent, aussi insaisissable que le furet, aussi subtil qu’un traité d’Aristote. Mama mia ! quel guitariste ! Le guy qui sait se faire entendre, coupez-lui l’électricité et vous aurez l’idée d’une île sans trésor, d’un océan sans eau.

    Kros use de la technique dite du rhinocéros. Il ne slappe pas, il cogne. Si fort que sa contrebasse noire et tuméfiée essaie en vain d’échapper à ses ramponeaux systématiques en effectuant une volte sur elle-même, avec un tutu elle ressemblerait à une danseuse d’opéra tournoyant sans fin sur ses pointes. Dans un western il endosserait le rôle de la grosse brute sympathique à qui l’on pardonne tout, certes il vous démolit le septième de cavalerie qui s’en est venu arracher des mains des féroces séminoles qui les retiennent prisonnières les trois pauvres orphelines, aucune d’entre elles ne saurait résister à son sourire jovial, à ses cris de guerres stentoriens et à ses adresses hilarantes au public. Kros c’est l’éléphant dans le magasin de porcelaine, mais il vous dégomme les soupières et les bibelots avec une telle adresse que vous applaudissez pour l’encourager.

    Non, je ne les ai pas oubliées, j’ai gardé les trois plus belles pour la fin. Bérénice la brune, Leslie la rousse, Vanessa la blonde. C’est comme au jeu du marchand des couleurs, nommez la teinte que vous préférez, elle s’enfuira si vite que jamais vous ne la rattraperez. Elles n’accaparent pas le micro c’est le micro qui se bat pour être à toutes les trois. Bérénice au chant nerveux, Leslie aux roucoulades insidieuses, Vaness rentre-dedans et bouscule-tout. Toutes ensemble et chacune selon sa personnalité. Un point commun, la vitesse, en accélération constante, une patinoire inclinée à quarante-cinq degrés, pas étonnant qu’elles reprennent Slippin’ and Slidin’ de Little Richard, gazelles gracieuses et galopantes, insaisissables, sourires mutins et voix accrocheuses.

    Question métaphysique : est-ce du swing ou est-ce du rock ‘n’ roll ? Disons que c’est du pur Jallies. Début du deuxième set : mise au clair : cette fois-ci ce sera davantage rock’n’roll. Cela en a tout l’air. Oui mais voilà, les choses ne vont pas se passer tout à fait comme annoncées. Ce sera plus rock qye rock. D’abord un truc sympa, trois fois rien, c’est l’anniversaire de Leslie, soigneusement applaudie. Son interprétation de Funnel of love de Wanda Jackson et ses reprises de Janis Martin, ainsi que sa version de A train Kept A Rollin de Johnny Burnette ( merci pour la dédicace ) ont éveillé une sympathie certaine envers sa personne et par ricochet sur ses copines. L’atmosphère s’est magiquement transformée, prémices de la montée d’une hystérie collective.

    Tiens, Kros emmène sa contrebasse devant, nos trois grâces s’écartent pour lui laisser la place, il ne joue pas, il prend la parole, il annonce son départ, il quitte les Jallies après plusieurs années de bons et loyaux services, il a d’autres projets, un groupe punk et un autre folkly, il remercie ses camarades et le public. Ovations et applaudissements, galvanisé il interprète Hound Dog de Presley  ( oui l’on sait c’est de Big Mama…), à l’emporte-pièce, au chalumeau, au lance-flammes, z’après il rentre dans le rang et nos demoiselles prennent la relève, l’on ne sait pas, l’on ne sait plus, mais elles se mettent à swinguer vertigineusement et à rocker comme des roquettes, Bérénice hisse le grand pavois de sa voix, les danseurs s’élancent, comment dans un espace si confiné parviennent-ils à évoluer ? Ça caracole de tous côtés sans carambole. Vanessa annonce les deux derniers titres. Puis un troisième et un quatrième. Kros se permet la plus mauvaise blague du siècle, un morceau de Queen !

    C’est bien Queen mais pas n’importe laquelle, ni Mary, ni Elizabeth, la Rock’n’roll Queen d’Ady des tout premiers temps du groupe, et c’est la débandade, les filles y jettent tout leur cœur et toute leur hargne, les guys vous font un feu roulant, maintenant l’on sait que c’est parti pour ne plus s’arrêter. Le répertoire Du groupe est repris de fond en comble mais ça ne suffit pas alors en avant toute on tape dans le meilleur, un Stray Cat et Led Zeppelin, un Whole Lotta Love à la caisse claire, un swing-rock déglingué monstrueusement beau et halluciné comme l’iceberg qui s’est rué sur le Titanic. Kros nous bombarde d’un Tutti Frutti épileptique, Tom mange les cordes de sa guitare, la Vaness en pyromane avertie jette l’huile bouillante de sa voix sur le feu, l’on était parti jusqu’au petit matin, hélas les portes du pub sont ouvertes en grand et tout le monde est prié (et poussé) de descendre au plus vite les quelques marches de pierres glissantes et abruptes qui donnent accès à la rue du Coq Gris.… Il est bien connu que dans la nuit tous les cats sont gris.

    Il est pile une heure du matin et c’est l’heure pour les honnêtes citoyens de la bonne ville de Fontainebleau de s’endormir paisiblement dans leur lit douillet…

    Je n’ai pas tout conté de ce concert mirifique, une ambiance unique, une joie indescriptible et une communion extatique du groupe avec son public.

    Damie Chad.

    Post-scriptum : je sais, je ne me suis guère attardé sur nos trois merveilleuses fillettes mais bientôt je vais y être obligé. Le groupe continue, le remplaçant de Kros est même venu lui emprunter pour un morceau sa contrebasse, s’en est sorti comme un chef. Mais Vanessa m’a confié que les filles sont en train de concocter aussi une formule davantage ramassée, uniquement les trois filles sous le nom de Jallies-pocket, je vous tiens au courant, promis, juré, craché si je mens je vais en enfer. Ne me plaignez pas, l’enfer est cette partie du paradis où se retrouvent les rockers.