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two runner - Page 2

  • CHRONIQUES DE POURPRE 559 : KR'TNT 559 : GENE VINCENT / ETHAN MILLER / BUTTSHAKER / THE EYES / TWO RUNNER / THUMOS / COSSE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 559

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    13 / 06 / 2022

    GENE VINCENT / ETHAN MILLER

    BUTTSHAKERS / THE EYES

    TWO RUNNER / THUMOS / COSSE

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 559

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

     http://krtnt.hautetfort.com/

    Là où il y a du Gene, il y a du plaisir

    - Part Two

     

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             On papotait paisiblement avec Damie quand, à un moment donné, la conversation est revenue sur Gene Vincent. Ça tombait à pic, car un journaliste anglais venait tout juste de créer la sensation avec six pages dans Record Collector ET un nouvel angle, une façon toute neuve d’exprimer son admiration pour Gene Vincent. En matière de presse rock, l’angle c’est capital : c’est ce qui détermine le fait qu’on lit ou qu’on ne lit pas. Yves Adrien ajoutait du style à l’angle, ce qui fait qu’on le relisait. Avec Mick Farren et Nick Kent, il fait partie du triumvirat des grands stylistes.

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             Le nouvel apologue de Gene Vincent s’appelle Jack Watkins. C’est un tour de force que de trouver un nouvel angle alors que la messe est dite depuis un bail, principalement par Mick Farren (There’s One In Every Town), par Luke Haines (dans l’une de ses columns) et par Damie Chad dans le Spécial Gene Vincent de Rockabilly Generation. Pour être tout à fait franc, il faut bien dire qu’on attaquait l’article du pauvre Watkins en craignant le pire, c’est-à-dire l’assoupissement. Quand on attaque des séances de lecture à des heures indues, on compte essentiellement sur l’excitation pour rester sur le qui-vive.

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             En six lignes de chapô, Watkins définit Gene Vincent comme personne ne l’a fait avant lui. Il commence par rappeler qu’on surnommait Gene the Screaming End et embraye avec ça : «Il a su rajouter une couche par-dessus le showmanship et les catchy hooks de Bill Haley & the Comets, les guitar licks et l’élégance ingénieuse de Chuck Berry, l’extravagance outrancière de Little Richard, le sex appeal et la musicalité d’Elvis. En retour, il n’a pas eu beaucoup de hits, mais il a obtenu en retour une loyauté à toute épreuve, notamment en Angleterre et en Europe.» La loyauté, c’est le cœur battant du mythe de Gene Vincent. C’est un truc précieux et fragile qui marche dans les deux sens. Watkins explique que Gene a continué de tourner en Europe avec le même son et le même look, alors que tous les autres avaient arrêté depuis longtemps - Vincent flew the flag for the primitive 50s rock when everyone else had abandonned - Watkins dit que c’est extra-special. On revient donc au cœur du mythe rock : la relation entre l’artiste et ses fans. C’est l’angle qu’a trouvé Watkins pour dire en quoi Gene Vincent est un artiste exceptionnel. En Angleterre, on a eu tendance à mettre Chuck Berry (les Stones) et Buddy Holly (les Beatles) en avant, mais Gene Vincent a influencé des tas de gens, Ritchie Blackmore, Ian Dury, Robert Plant et surtout Jeff Beck, qui dans une interview avoue qu’il n’appréciait pas trop Elvis, parce qu’il le trouvait «trop parfait», et qu’il préférait Gene Vincent pour son uglyness, c’est-à-dire sa laideur, et son ugly rock’n’roll - He was pure rebellion, the first punk - Voilà, les chiens sont lâchés, le mythe prend ses jambes à son cou.

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             Loyauté et ugly rock’n’roll. En lisant ça, tout s’éclaire. On sait pourquoi on a toujours vénéré Gene Vincent, depuis soixante ans : loyalty and ugly rock’n’roll. Bon, Watkins essaye de rattraper le coup en expliquant qu’au fond, Gene Vincent n’était pas vraiment laid, mais plutôt pâle et maigre comme un clou, skinny. C’est justement le côté ordinaire de son physique qui attirait les gens vers lui. Au moment du Rockabilly Revival des années 80, il réussit l’incroyable exploit de redevenir culte. Il refascine de plus belle, notamment Shakin’ Stevens et les Matchbox guys.

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             Watkins a aussi une façon assez originale d’évoquer «Be-Bop-A-Lula» - un hit qui est devenu un tel cliché qu’on a oublié how alien the record originally sounded - Il parle d’une production «sparse and echoey», c’est-à-dire légère et pleine d’écho, avec un tempo «très lent pour un rock» et le son de guitare de Cliff Gallup est «tellement précis qu’il en devient presque gracieux» - The frantic elements come from Vincent’s hipcupping, hyperventilating delivery of the puzzling lyric et des cris du batteur Dickie Harrell - Watkins a raison de dire que Be-Bop est devenu un cliché, alors que c’est un chef-d’œuvre d’ugly rock, comme le sera d’ailleurs la B-Side «Woman Love», encore plus porté sur le dirt sex - Vocal pornography, déclare le NME en Angleterre - Watkins est surtout impressionné par le professionnalisme des Blue Caps qui ne jouaient ensemble que depuis quelques semaines. Et Gene Vincent n’a alors que vingt ans.

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             Puis après, Watkins tombe dans la routine, avec l’accident de moto, la patte folle et le recours à l’alcool et aux pain-killers pour contenir la douleur. Il est un peu obligé de redonner tous ces détails, car en 2022, il est possible que certains lecteurs de Record Collector parmi les plus jeunes ne sachent pas qui est Gene Vincent. Si Gene Vincent atterrit chez Capitol, c’est uniquement parce que le label avait besoin d’un artiste pour soutenir la concurrence avec RCA qui venait de récupérer Elvis. Alors en 1956, Gene et les Blue Caps enregistrent 35 cuts à Nashville avec Ken Nelson. Watkins est dithyrambique : «Ces 35 cuts constituent l’un des most consistently excellent and beautifully recorded bodies of work of the early rock’n’roll era.»

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             Bluejean Bop et Gene Vincent & The Blue Caps sont deux des grands albums classiques du rockab. Pochettes parfaites, quatre faces hantés par l’un des meilleurs slap sounds de l’époque - oh la rondeur du slap sur «I Flipped» ! - avec un Gene qui chante en douceur et en profondeur. Il faut voir les Blue Caps jazzer la pop d’«Ain’t She Sweet», quand on réécoute ça soixante ans après la bataille, ça produit toujours le même effet et tu as Gene qui minaude en guise de cerise sur le gâtö. «Bluejean Bop» est le pur rockab de Capitol, avec tout l’écho du temps. Le bop s’articule comme un numéro de trapèze au cirque, break de caisse claire et solo de clairette. On reste dans le pur jus avec «Who Slapped John», pulsé au beat des reins. On entend Dick Harrell battre le big bad beat sur «Jump Back Honey Jump Back» et les Blue Caps recréent de la légende à gogo sur «Jump Giggles & Shorts», magnifique exercice de style de rock steady go à gogo. Sur le deuxième album de Gene avec les Blue Caps, le «Red Bluejeans & A Pony tail» d’ouverture de balda est un authentique coup de génie. On a là le vrai beat rockab original. Gene a une façon très spectaculaire de lancer ses Blues Caps à l’assaut, c’est tapé à la caisse claire et chanté à la délectation. Tout est beau ici, le groove de slap («You Told A Fib»), le «Cat Man» insidieux monté sur un Diddley beat, yeah, et la belle explosion de Blue Cap Bop sur «You Better Believe». Mais c’est encore en B qu’on se régale le plus avec la fantastique allure groovy de «Blues Stay Away from Me». On entend aussi les Blue Caps déclencher des tourbillons dans «Double Talkin’ Baby» - Please make up your mind - et quand Gene envoie «Pretty Pretty Baby» au firmament à coups de never saw a gal like you, les Blue Caps font «Pretty pretty baby» !». Ces mecs swinguent comme des démons.

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             Watkins parle d’un rockabilly holy grail. Il a du mal à préférer un cut, étant donné l’abondance de merveilles sur ces deux albums, «though Cat Man is Vincent at his most eerie». Alors après l’ugly, voilà l’eerie, c’est-à-dire le sinistre. Mick Farren avait bien perçu la dimension tragique de son héros, il en fit même un personnage shakespearien. Watkins ajoute : «Vincent and the Blue Caps swing like crazy on Jumps Giggles And Shouts». Crazy, ugly, eerie, tout est là.

             Watkins dit aussi que les cuts plus pop («Jezebel», «Peg O’My Heart» ou «Ain’t She Sweet») furent probablement choisis par Ken Nelson, mais, ajoute Watkins, «Gene les chante beautifully, with total commitment. Like Presley, he was a superb balladeer.» Ces deux albums sont tellement solides qu’ils se vendent bien, à une époque où le marché reste dominé par les singles.

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             Galloping Cliff Gallup quitte les Blues Caps fin 56. Gene et les Blue Caps vont enregistrer au Capitol Tower de Los Angeles. Watkins note que le son est fuller. C’est Johnny Meeks qui remplace Gallup. Le groupe passe aussi à la basse électrique, un piano et un sax entrent dans la danse. Ce n’est plus du tout le même son. Watkins parle de poppier sound. «Dance To The Bop» sera pour Gene sa dernière visite dans le charts américains et «Rocky Road Blues» est l’un de ses greatest, most representative vocals

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             Le son change, bien sûr, mais la voix ne change pas. Le Gene Vincent Rocks! And The Blue Caps Roll qui paraît en 1958 est encore un big album, pochette magnifique, Gene en vert pistache et la fabuleuse tension du «Brand New Beat» d’ouverture de balda. Il chante ça du coin des lèvres et derrière lui gronde le vieux beat rockab. Sur cet album, le coup de génie est sa version de «Frankie & Johnnie» swingué aux clap-hands, Gene interpelle Johnny Meeks - Oh Johnny - qui passe un solo d’éclate tragiquement désenchanté. On tombe plus loin sur un «Flea Brain» wild as fuck, un absolute beginner, rock it now !, et Johnny Meeks te passe dessus avec son killer solo flash.

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             La même année paraît A Gene Vincent Record Date avec un Gene en gros plan sur la pochette. Le son, la voix, tout est là dès «Five Feet Of Lovin’», mais c’est «Somebody Help Me» qui fait vraiment des étincelles. La qualité de la prod bat tous les records. On a une fantastique profondeur de son et des basses bien rondes. Il boucle son balda avec «Git It», un joli shoot de dance craze avec des chœurs de doo-wop and a diamond ring - I’ll do the best I can do to/ Git it/ Git ! - Et pour illuminer une B qui sent le filler, Gene nous claque «Look What You Gone And Done To Me», un wild & frantic rock’n’roll. Il y met toute sa niaque de Virginien.

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             Mais on sent bien au fil des albums que l’intensité baisse. En 1959, le rockab est mort et Capitol, comme tous les autres barons de l’industrie musicale, vise un son plus commercial. Ça va donner deux albums plus poppy, Sounds Like Gene Vincent et Crazy Times. On perd complètement le Gene du rock. Capitol lui a mimé les dents. «I Might Have Known» est encore un peu rocky road mais aussi cha cha cha, et avec le solo de piano, la niaque disparaît. Sa version de «Reddy Teddy» est un peu ridicule, il fait du sautillant, il est complètement aseptisé. Il faut attendre «I Got To Get To Yet» pour renouer avec le swing et il sauve son Sounds Like avec une version bien endiablée de «Maybelline».

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    Sur Crazy Times, «She She Little Shorta» fait office de Saint-Bernard sauveur d’album, un vrai délice de deepy deep, mais le morceau titre est trop poppy pour un artiste qui nous a habitués aux miracles. Il passe au heavy blues subtilement orchestré avec «Darlene» et on finit par s’ennuyer en B, car les cuts sont très produits, un peu à la limite de la variété. Et bizarrement, sur «Accentuate The Positive», sa voix est mixée à l’arrière des chœurs.

             C’est l’époque où Gene commence à faire le con. Il disparaît en Alaska et les Blues Caps qui ne sont pas payés se font la cerise. Comme sa carrière bat de l’aile aux États-Unis, Gene entame sa carrière anglaise. Joe Brown qui l’accompagne sur scène est très impressionné par Gene : «He had this evil eye he used to fix on you.» Ugly, eerie, crazy, evil. Ça ne s’arrange pas. Tant mieux.

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             Selon Watkins, Gene redémarre sa carrière à Abbey Road en 1961, accompagné sur un remake de «Pistol Packing Mama» par les Beat Boys, Colin Green (guitar) et Georgie Fame (piano), et «I’m Goin’ Home (To See My Baby)», accompagné par Sounds Incorporated. Fin 1962, Gene est le roi du circuit rock en Angleterre. Il va bientôt être détrôné par les Beatles. Gene est alors vu comme outdated. T’es passé de mode, pépère.

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             En 1964, Gene enregistre Shakin’ Up A Storm avec The Shouts, un groupe de Liverpool. Ce n’est pas l’album du siècle, Gene y propose une série de classiques, comme le faisaient tous les pionniers à l’époque. Il tape principalement dans Little Richard («Hey Hey hey Hey», «Slippin’ & Slidin’», un «Long Tall Sally» embarqué au fouette cocher, et «Good Golly Miss Molly»), il est bien énervé, mais cet Anapurna appartient à Little Richard. Et puis le son est trop anglais. Sur ces classiques, on est habitués au son de la Nouvelle Orleans. C’est avec «Private Detective» qu’il rafle la mise, car il chante ça au big raw, puis il se lance à l’assaut de «Shimmy Shammy Shingle» avec un courage qui l’honore, mais bon, il arrive après la bataille et les gens sont passés à autre chose.

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             Tous ses fans attendaient des merveilles de son retour aux affaires. L’album sans titre paru sur London Records en 1967 répondit aux attentes. Car on y trouvait «Bird Doggin», qu’il faut considérer comme l’un des plus beaux hits de l’histoire du rock, puisqu’il illustre le grand retour de Gene Vincent. On le trouvait à l’époque sur un EP Challenge, mais pour les ceusses qui n’eurent pas la chance de choper l’EP, il restait la possibilité de choper le London album. Bon, on a déjà dit ici tout le bien qu’on pensait de «Bird Doggin’», Gene chante ça comme un dieu - All these sleepless nights/  I’m so tired of - pulsé par un beat des reins et fracassé à deux reprises par le wild killer solo de Dave Burgess, avec un retour en tiguili sur le tard. Cut magique. On trouve d’autres énormités sur cet album, comme par exemple «Poor Man’s Prison», un solid romp monté sur une belle structure de boogie, avec un Gene qui chante à l’insidieuse pervertie. Et puis «Ain’t That Too Much», belle giclée de Genetic power, monté sur un drive de basse atrocement dévorant et chanté au sommet du lard fumant. En 1967, Gene pouvait encore mener le bal des vampires.

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             On se souvient d’avoir éprouvé un grosse déception à la parution d’I’m Back And I’m Proud. On s’attendait à la merveille des merveilles, car l’album paraissait sur Dandelion, le label de John Peel, il était produit par Kim Fowley et on avait encore dans l’oreille le mythique «Bird Doggin’». En plus, la pochette du pressage américain était un petit chef-d’œuvre. Mais ce fut une déconvenue aussi sévère que celle occasionnée par Shake Some Action, l’album beatlemaniaque des Groovies : on avait dans les deux cas des versions édulcorées d’artistes qu’on vénérait. Le Shake est passé par la fenêtre et le Gene a été revendu aussi sec, mais racheté à la première occasion, en croisant un pressage anglais dans un bac de Goldborne Road. I’m Back And I’m Proud fait en effet partie des albums qu’il faut réécouter régulièrement, même si la fin de la B indispose toujours autant. On revient toujours à la triplette de Belleville, «Sexy Ways», «Ruby Baby» et «Lotta Lovin’», car Gene est un remarquable interprète, il remplit bien l’espace et derrière, on a l’heavy attack de Skip Battin et de Johnny Meeks. C’est du classic rockalama, mais quel son ! Kim Fowley ne fait pas n’importe quoi. En A, Red Rhodes illumine «Rainbow At Midnight» d’un solo de slide et Johnny Meeks arrose «White Lightning» d’une belle dégelée de wild craze. On le voit aussi rôder dans l’«In The Pines» - Where the sun never shines - Skip Battin y vole le show avec un bassmatic aventureux, ce qui paraît logique pour un Byrd.

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             En 1970, paraissait un nouvel album sans titre de Gene Vincent sur Kama Sutra. C’est l’un de ses meilleurs albums. Il ouvre son balda avec un «Sunshine» signé Mickey Newbury et tu sens aussitôt monter un parfum Tex-Mex, logique puisque Johnny Perez et Augie Meyers jouent derrière. On se croirait sur Mendocino, c’est bourré d’esprit, de feeling et de spiritual spiritus sanctus. Petite cerise sur le gâtö, c’est enregistré par Dave Hassinger à Hollywood et produit par Tom Ayres. Toute la bande embarque «Slow Time Comin’» pour un voyage hypnotique de 9 minutes, à la croisée du Tex-Mex et du Cubist Blues. Bien vu et bien foutu. On trouve un autre cut hypno en bout de B, l’excellent «Tush Hog», chanté à la Gene et allumé par des guitares vicelardes. Gene fait aussi du Cajun avec «Danse Colinda» - Elle dansait pour moi Colinda/ Elle dansait ce soir - Une pure merveille. C’est à ce genre d’exercice qu’on mesure la hauteur d’un géant. Le «500 Miles» qui ouvre le bal de la B sonne comme «J’entends Siffler Le Train». Et Augie Meyers ramène son shuffle sur «I f Only You Could See Me Today». On s’y sent tout de suite en sécurité, c’est fabuleux de Texarcana. 

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             Le deuxième (et ultime) album de Gene Vincent sur Kama Sutra s’appelle The Day The World Turned Blue. Il paraît en 1971, l’année de sa disparition. On a le choix entre deux pochettes : Gene en gros plan à côté d’un lion, et Gene photographié derrière une baie vitrée fracassée, à l’image de sa carrière. On sent qu’il se bat comme un beau diable sur cet album qu’il attaque comme le précédent avec une compo signée Mickey Newbury, «How I Love Them Old Songs». Il ramène encore une fois un parfum de Cajun dans le chant et c’est un délice que de l’entendre chanter. On le sait depuis le début, Gene adore les bluettes, alors il se ramène avec «You Can Make It If You Try» qu’il savoure dans sa bouche. Puis il s’enfonce encore un peu plus dans la romantica avec «Our Souls», une compo signée Jackie Frisco, the beautiful wife. Si on attend un miracle, il est en B, en ouverture de bal, c’est le morceau titre, une compo à lui, une big pop de type «Eve Of Destruction», il ramène pas mal de power dans son turned blue. Puis il rend un bel hommage à son copain Carl avec «Boppin’ The Blues». Il ramène pour ça du piano et des guitares bien rock. 

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             Absolument indispensable à tous les fans de Gene : le coffret Rock’n’Roll Legend, paru en 1977 en France sur Capitol. Très bel objet, quatre LPs et un book de photos, plus un 45 tours d’interview. Il est indispensable car on y trouve tous les hits qui ne figurent pas sur les cinq albums Capitol, tiens comme par exemple «Race With The Devil» ou encore «Crazy Legs», des vraies bombes de bop, uniques et parfaits, avec un joli départ en solo du grand Gallopin’. Pulsatif d’excelsior embarqué au slap de she’s may baby et ça tatapoume dans l’écho du Capitol. Et puis la pureté du slap ! Le son Capitol est capital. On réécoute avec un plaisir sans nom le vieux «Be-Bop-A-Lula». Que de soin apporté à ce hit ! C’est du niveau de ce que fit Uncle Sam avec Elvis. Encore du Capitol Sound avec «Well I Knocked Bim Bam», Gene adore lancer ses Blue Caps à l’assaut de la fête foraine et tu as toujours l’énergie du slap de Capitol. Sur le disk 2, tu vas croiser l’infernal «Lotta Lovin’», bien claqué par le Gallopin’, la classe absolue, solo insidieux comme pas deux. Et puis tu as la haute voltige de «Dance To The Bop» et un Gallopin’ qui croise le slap. À cette époque, tout est solide chez Gene, il est sur tous les fronts. Alors qu’Elvis s’enfonce dans la mouscaille chez RCA, Gene Vincent rocks it hard avec «Right Now» et «I Got A Baby». Sur le disk 3, tu vas te régaler avec «Rocky Road Bues», l’un des rockabs les plus parfaits de l’époque. Il le développe au cri de relance, avec une énergie considérable. Il monte au créneau du ooouh et laisse le champ libre au solo de piano. C’est ce qu’on appelle le pulsatif du diable. «Say Mama» sonne comme un classique intemporel, c’est même le bulldozer de Gene, il enfonce tous les barrages. Il s’en va tester sa voix avec «Over The Rainbow» et fait son Fatsy avec «Wild Cat». Mais c’est «Pistol Packin’ Mama» qui va t’emporter la tête comme le ferait un boulet d’abordage. Fantastique intro de basse et Gene chante à la frénésie exacerbée, c’est d’autant plus explosif que le bassmatic tend ce cut qui flirte avec une certaine exotica. Et puis comme on l’a vu avec les cinq albums Capitol, on perd le Gene qu’on aime sur le disk 4 du coffret. Trop mou du genou.

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             Si on est curieux et qu’on en pince pour le grand art de Gene Vincent, alors on peut se payer le luxe intérieur d’écouter une compile de wannabes, They All Wanna Sound Like Gene. On la trouvait facilement dans les bacs de rock’n’roll, à l’époque. Et tous les groupes qui y figurent s’arrangent pour rendre de vrais hommages à leur idole, tiens, par exemple Mike Waggoner & The Bops, avec un «Hey Mama» bien wild, ou encore les Muleskinners avec une fantastique cover de «Rocky Road Blues», on les voit débouler dans le Rocky Road avec une énergie similaire à celle de Gene. Johnny Carroll fait un Be Bop pas très bon, par contre, en B, The Keil Isles montrent une belle tenue de route avec «Boogie Boy». Et ça repart de plus belle avec Gene Rambo & The Flames et «My Little Mama», ils basculent dans le Gene pur, c’est extrêmement bien exacerbé aw yeah avec du piano à la Jerr. Le mélange monte droit au cerveau ! Le mec des Superphonics chante exactement comme Gene, au petit sucré pointu, son «Teenage Partner» fait illusion. Et on retrouve The Keil Isles avec une explosive version de «Say Mama» ce qui sera en ce qui nous concerne la plus belle des fins de non-recevoir.

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    Signé : Cazengler, Blême Vincent

    Gene Vincent & His Blue Caps. Bluejean Bop. Capitol Records 1956

    Gene Vincent & His Blue Caps. Gene Vincent & The Blue Caps. Capitol Records 1957

    Gene Vincent. Gene Vincent Rocks! And The Blue Caps Roll. Capitol Records 1958

    Gene Vincent & His Blue Caps. A Gene Vincent Record Date. Capitol Records 1958

    Gene Vincent. Sounds Like Gene Vincent. Capitol Records 1959

    Gene Vincent. Crazy Times. Capitol Records 1960

    Gene Vincent & The Shouts. Shakin’ Up A Storm. Columbia 1964

    Gene Vincent. Gene Vincent. London Records 1967

    Gene Vincent. I’m Back And I’m Proud. Dandelion Records 1970

    Gene Vincent. Gene Vincent. Kama Sutra 1970

    Gene Vincent.  The Day The World Turned Blue. Kama Sutra 1971

    Gene Vincent & The Blue Caps. Rock’n’Roll Legend. Capitol Records 1977

    They All Wanna Sound Like Gene. Thunder Records

    Jack Watkins : Be-Bop don’t stop. Record Collector # 526 - Christmas 2021

     

     

    Miller Ethan son empire

     

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             Dans un bel article de Classic Rock, Dave Everley indique qu’Ethan Miller ressemble à sa musique - He looks equally as wild as his music sounds - Avec sa coupe de cheveux improbable, sa barbe d’ostrogoth en rut et son manteau afghan, Ethan Miller semble sortir des bois, comme le fit Jimi Hendrix à une autre époque : avec une classe animale. Si Miller sort des bois, c’est pour rocker la planète à sa façon. Il hume l’air : «On sent qu’il y a de l’espoir et du désespoir en même temps.» Et il ajoute : «I want to echo that.» Bien vu, Mister Miller. Il vient des Redwoods du Nord de la Californie. Située entre San Francisco et Portland, il appelle ça the lost coast. C’est la région des séquoias géants. Il a quinze ans quand il découvre la scène d’Eureka et Buzz Osbourne des Melvins, c’est-à-dire l’apanage de la heavyness. Mais il dit aussi garder un pied dans le rock classique des Beatles, de l’Airplane et de Crosby Stills & Nash. Monsieur a le bec fin. Et c’est à peu près tout ce que nous apprend Dave Everley.

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             Si les Hellacopters furent longtemps considérés comme les rois du blast, ce titre revient désormais à Ethan Miller. Son premier album avec les Comets On Fire est un chef-d’œuvre blastique incomparable. Ethan dit au bassman Ben : «Let’s do a little project where we just blast this thing out.» Alors ils blastent. Disons que Comets On Fire propose une certaine idée du son. Ça saute à la gueule dès «All I Need», trash démentoïdal d’action directe. On gagne beaucoup à connaître cette bande d’activistes. Avec son chant incendiaire, l’Ethan éclaire la plaine. «With the Echoplex, I went bananas», dit-il. Il se comporte comme un puissant défenestrateur, un horrible trasher. Il barde ses cuts de son et de spoutniks. Ce groupe fait plaisir à voir. L’Ethan prend tout à la hurlette contrite, à la grosse gueulante, il braille comme cet hérétique tombé aux mains de la Sainte Inquisition, ouuaaahhh, ça fait mal rien que d’y penser, c’est bardé de coups de wah enragés et ça trash-boome in the face of God. Encore une vraie dégelée avec «Got A Feeling», cut invraisemblable et bourré de son. Ils passent à la heavyness avec «Rimbaud Blues», l’Ethan hurle comme un damné, mais un vrai damné, pas un faux, il joue la carte du malheur définitif, avec le beat des éléphants de Scipion. Ils embarquent «Let’s Take It All» au pire trash-beat de la stratosphère, ils en arrivent au point où les notes ne signifient plus rien, ils livrent un blast liquide, tout est porté à incandescence, c’est du génie de destruction massive. Même chose avec «The Way Down» explosé d’entrée de jeu, au-delà de tout ce qu’on peut imaginer, et même encore bien au-delà de ça, l’Ethan est un démon, mais un démon avec une vision, celle dont parle Bourdieu, oui, brûler des bagnoles mais avec un objectif. Les comètes sont en feu, tout est battu comme plâtre, tout est poussé au maximum des possibilités, le Miller n’en finira plus d’Ethan son empire. Il explose littéralement le son des seventies. Il règle tous les problèmes à coups de wah techtronique, il retrouve les vraies clameurs des armées d’antan, il manie le son comme une hache de combat. Ses coups de wah vacillent dans la torpeur d’un désastre sonique. Il bouscule même «Days Of Vapours», le dernier cut d’apparence pourtant ordinaire, pour en faire une énormité, un truc qui contient toute la violence d’un combat de plaine, vous savez, cette orgie de violence dont personne n’espère sortir vivant.         

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             Si on lit les notes de pochette au dos de Field Recordings From The Sun, on voit qu’Ethan Miller joue de la Destruction Fuzz Guitar, et ça s’entend dans «Return To Heaven», un simili-cut balayé par des vents violents. En fait, ça sonnerait plus comme une tentative de hold-up, car voilà du violent freakout doté de soubassements dévastateurs. Avec «Unicorn», Ethan et son équipe de desperados trempent dans une invraisemblable bouillasse coactive, et même coaxiale. Ils n’ont aucune chance d’atteindre la tête des charts, mais ils montrent des tendances affirmées et d’authentiques réflexes de violence sonique. Quand on écoute «The Black Poodle» qui ouvre le bal de la B bazire, on comprend que leur style s’apparente plus aux vents de sable du désert qu’au rock traditionnel. Ils cultivent une sorte de violence par rafales et mettent les oreilles d’autrui en danger, ce qui est tout à leur honneur. Cet album dépenaillé est tendu à l’extrême, bousculé dans le son, avec une quête constante de chaos sonique. Et Ethan le destructeur nettoie les tranchées au sonic boom.

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             Bong Voyage : deux faces, deux dégelées. Pas d’infos, pas de rien. Tout ce qu’ils savent faire, c’est démolir un immeuble. Ils ont tout ce qu’il faut pour ça : le foutraque, les puissances des ténèbres, les rognures de wah, la démesure sonique, le nihilisme et toutes les outrances. Ils démolissent le sacro-saint format disk. Il ne reste que le son, rien que le son. Plus de repères, plus de rien. Ils montent leurs cuts sur des modèles parfois hendrixiens, mais avec un côté outrancier. Miller n’en finit plus d’Ethan son empire. Il réduit le live à l’état de clameur improbable. On reconnaît le riff de basse de «Who Knows». Vers la fin de l’A, ils trempent en effet dans le Band Of Gypsys.

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             Il faut suivre l’Ethan à la trace, car il est capable de belles exactions. Blue Cathedral en est la preuve criante. Dès «The Bee And The Cracking Egg», on voit monter la démence d’une virée tourmentée par une basse incontrôlée. Des vents atroces balayent ce pauvre cut. L’Ethan joue au petit jeu de la tempête shakespearo-hawkwinesque, il vise l’ultra de l’au-delà du monde connu. Les oreilles du casque palpitent, tout bouge dans la cambuse, on se croirait au passage du Cap Horn par une nuit de tempête. Les Comets On Fire font carrément leur Fun House. Ils nous proposent une chevauchée sauvage digne des Walkiries. Rien d’aussi dingoïdal. Mais attention, les cuts sont interminables. On risque de décrocher. Ces mecs sont bien gentils, mais ils ne se rendent pas compte. Ils repartent pour sept minutes de «Whiskey River», nouvelle giclée d’expérimentation co-axiale. L’Ethan s’étend à l’infini. Comme Néron, il vise la folie. C’est un amateur d’excès. Il a rassemblé toutes les légions de la prog aux frontières et les fait défiler en hurlant de l’imprécatoire. L’Ethan sait allumer les brasiers. On le sent investi d’une mission divine. Il gueule tout ce qu’il peut dans l’écho du temps. Et ça wahte dans des tourbillons de vents violents. Le seul moyen de s’en sortir avec ce genre de mec, c’est de se prêter à son jeu. Autrement, il vaut mieux s’en aller et donner le disque au voisin qui ne l’écoutera même pas. Avec «The Anthem Of The Midnights», on repart sur du quatre minutes - durée acceptable - mais quatre minutes de violence indescriptible. Ethan Miller est un fou dangereux, un amateur de violentes tempêtes, un Achab de Cap de Bad Espérance. C’est joué sans pitié pour les canards boiteux. Ce mec hurle tout ce qu’il peut hurler et graisse son mayhem aux pires guitares. On croirait entendre hurler la reine emmurée vivante dans le donjon. Trop d’énergie, beaucoup trop d’énergie ! Avec «Wild Whiskey», ils vont là où Syd Barrett n’a jamais osé aller. Too far out, baby. C’est tablé aux tablas et immensément wild. Mais too far out. Ils bouclent cet album d’époque épique avec «Blue Tomb», une pièce de heavyness étalée sur dix minutes. Qui peut résister à ça ? Nobody, baby. Ils partent sur les vieux accords de blues rock de Croz. Le groove est celui de «Cowboy Movie». Ils y plongent comme des dauphins. C’est inspiré par les trous de nez. Pure démence de baby low, heavy comme la tombe, lourd comme l’enfer, dur comme la mort, si bien vu. Bienvenue dans le son de l’au-delà.

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             Si on rapatrie l’Avatar paru deux ans plus tard, c’est uniquement pour écouter ce coup de génie intitulé «Holy Teeth». L’Ethan amène ça à la furia del sol du trash-gaga. On le sent déterminé à vaincre. Quelle tranche de trash ! Une fois de plus, il sort de sa réserve et devient violent. Comme le cut est court, ça reste de la vraie violence d’écho de guitares. Une fois encore, les Comets balayent tout ce qui est autour. Mais attention, les autres cuts valent aussi le détour, à commencer par «Dogwood Rust», jazzé du jive et chanté à plusieurs voix, on a du féminin et du masculin aux barricades, mais ils échappent à tous les formats. Ils continuent de jazzer le jive avec «Jaybird». Ils ne se refusent aucune figure de style et s’amusent une fois de plus à échapper aux formats. L’Ethan fait des bras et des jambes pour se montrer intéressant. Les Comets reviennent aux morceaux longs avec «The Swallow’s Eye». Quand on écoute un album des Comets, il vaut mieux éviter de prévoir des rendez-vous. L’Ethan vire proggy et on se demande ce qu’on fout là, sous le casque. Ce n’est pourtant pas la première fois qu’on écoute cet album. Ses long cuts intriguent tellement qu’on y revient. Ce sont des fourre-tout gorgés de sonic trash. Plutôt que de chercher à plaire, ils vont dans l’autre sens, ils en rajoutent. Même chose avec «Sour Smoke», 8 minutes de stomp barbare. On croirait entendre une armée antique en marche, celle dont les fantassins frappent leurs boucliers à coups de glaives pour se donner du courage face à un ennemi en surnombre, et soudain, les instruments se livrent à des fantaisies inespérées. Comme tout cela est curieux ! On voit même des pianotis chatouiller le stomp. L’Ethan nous en fait voir des vertes et des pas mûres. Il dit aussi que cet album est un destroyer pour Comets, car ils atteignent leurs limites.

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             L’Ethan conduit une autre meute à travers les plaines : Feral Ohms. Un Live In San Francisco récemment paru témoigne de leurs exactions soniques. Dès «Early Man», la violence s’impose. Ils jouent très vite, dans une sorte de folie incontrôlable avec un son à la Motörhead. C’est un peu comme si Attila avait inventé en son temps le rouleau compresseur. Nouvelle expérience tragique avec «Teenage God Born To Die» : tout est densifié aussi bien dans l’espace que dans le temps. On sent l’air se raréfier. Ethan et ses hommes trépident ventre à terre, ils tâtent du gros son américain. Pour les amateurs de napalm, c’est un bonheur. Tout est démesurément clamé dans la clameur, tout passe dans le rouge du vif de l’action, dans l’excès démentoïde de la furia del sol. Inutile de préciser que le carnage se poursuit en B. Tout y nivelé au plus haut niveau de la banalité du blast. Aucune rémission n’est envisageable. On assiste même au naufrage de «The Glow», noyé de son et destiné au néant psychédélique.

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             Il vient juste de réaffirmer sa tendance au blast définitif avec un nouvel album de Feral Ohms. Il y joue ouvertement la carte du power-trio déblastateur, de type Motörhad/Husker Dü, mais en mode californien, c’est-à-dire hautement énergétique. Dès «Love Damage» et «Living Junkyard», on est fixés sur ce qui nous attend. Il vise le grand large de l’ad vitam aeternam blasmatique. On note au passage qu’il travaille avec le mec du Dock, Chris Woodhouse, comme John Dwyer. Il chauffe toute l’A à blanc avec un chapelet de saucisses fumantes, «God Of Nicaragua», «Value On The Street» et «Super Ape». Chez lui, tout n’est que luxe poilu, calme impossible et volupté stridente. Il ultra-blaste en permanence. On dirait même qu’il parvient à aller plus loin que les autres, alors qu’on croyait ça impossible. Son «Super Ape» paraît extrêmement énervé, c’est une véritable bénédiction pour tous les tympans crevés. Relentless, telle est la morale de cette sombre histoire de blast marmoréen. N’allez pas croire qu’il va se calmer en B. Bien au contraire. Dès «Teenage God Born To Die», on est fixé sur ce qui nous pend au nez : une trombe cyclonique qui emporte tout sur son passage. Ethan pourrait bien être le grand balayeur définitif. Son «Early Man» est tellement blasté de la paillasse qu’il en devient inclassable. On pourrait presque parler de Millerisme. Chez lui, trop de blast ne tue pas le blast, comme on pourrait le croire, mais au contraire, son blast génère du blast. No seulement il le génère, mais il le dégénère. Cet album est plein d’une vie insolite. Il tape dans le heavy blues avec «Sweetbreads» et nous livre une pièce de gros rock coulant et onctueux. Tout y est : le stonage du stoner à la Monster Magnet et la démesure de Blue Cheer, c’est-à-dire l’excellence de l’intemporel. Il boucle cet album pour le moins faramineux avec «The Glow», qui sonne comme une délectation de heavyness considérable. Tout est joué sur le mode du raid d’aviation à la pulsasivité démoniaque, tout est saturé de son oint, de glue jaune. Ce génie de Miller Ethan encore l’empire du sonic trash.

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             La troisième mamelle de l’Ethan s’appelle Howlin Rain. Avec ce groupe, l’Ethan teste un autre son et un autre mode de fonctionnement : Comets est une démocratie, avec Howlin Rain, il est bandleader. Un premier album modestement titré Howlin Rain paraît en 2006. Il y fait des miracles en termes de pop atmosphérique, comme on le constate à l’écoute du premier cut, «Death Prayer In Heaven’s Orchard». C’est à la fois puissant et souverainement emmené. Il hurle sa fin de cut avec toute la puissance dévastatrice d’un Bob Mould frank-blacklisté, mais en plus raunchy, if you see what I mean. La fête se poursuit avec «Calling Lightning With A Scythe», une sorte de balladif possédé par le diable. L’Ethan est l’un des grands génies du songwriting américain contemporain. On a là un cut chargé de son et de texte, complètement ravagé par un solo d’une trashitude définitive. Ce mec a tellement de génie qu’on s’en émeut sincèrement. Il va encore plus loin que William Reid, comme si c’était possible. Avec «Roll On The Rusted Days», il tâte du rock rapide qui file ventre à terre. C’est presque de la Stonesy. L’Ethan est capable de taper dans tous les genres confondus. Il repasse un solo de distorse maximaliste. On sent chez lui une liberté de ton unique au monde et comme il savait si bien le faire au temps des Comets On Fire, il finit en belle apocalypse. Dans «The Happy Heart», on l’entend hurler à la tête de l’escadron et ça se termine évidemment en apothéose de destruction massive. Cet album se montre étonnant de bout en bout. L’Ethan tape dans la heavyness pour «In The Sand And Dirt», mais pas n’importe quelle heavyness, celle de la dernière chance - These beat a new heart in space and soil - Quel fabuleux explorateur d’espaces - Like a choice of rabid hens - C’est vrillé de son, gratté en fond de cale et pianoté dans un recoin de la conscience - Burry with you all of your songs/ All of your death dreams -  et il termine cet album mirobolant avec l’énorme «The Firing Of The Midnight Rain».           

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             Wild Life est un drôle d’album. L’Ethan y propose un cut sur chaque face, une sorte de slow burning heavy jam system of it all. Howlin Rain joue live, comme l’indique l’insert, together and with no overdubs, vocals or otherwise. L’Ethan ajoute que le morceau titre qui remplit toute l’A est une méditation improvisée sur la chanson de McCartney. On a donc un chant de fou dangereux, une espèce de jam immanente et sur la pochette, un painting de Raeni Miller intitulé Cow’s Heads, bien macabre, car les têtes des vaches sont pelées. Rahhhha oui, comme dirait Rahan, on se demande quel intérêt présente un tel album. On fuyait les longues jams jadis, mais on finit par s’intéresser au chant tantrique d’Ethan, qui, comme les prêtres martyrisés d’Andrei Roublev, avance dans la toundra les yeux crevés. De la même façon que l’ineffable Andreï Tarkovski, l’Ethan restera mystique jusqu’à la fin des temps. 

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             Un joli papillon orne la pochette de Magnificient Fiend paru en 2008. Quel album ! L’Ethan s’y révèle prince des apocalypses. Il dédie «Dancer At The End Of Time» à Michael Moorcock. On a donc du prog, mais du prog musculeux. L’Ethan n’est pas un plaisantin, on l’a bien compris. Il semble toujours vouloir se situer aux avant-postes catégoriels. Il cherche en permanence le plein du son et le délié des idées, et ne lésine jamais sur les quantités. Il tape dans la Stonesy de mid-tempo pour «Calling Lightning Pt. 2». Il ne laisse absolument rien au hasard. L’Ethan se veut fervent défenseur des droits du son. Pas question de maltraiter une chanson. Il lui redonne chaque fois un terreau d’élection et une manne nourricière sous forme de texte dodu - We are only slaves to our distant youths and coming graves - Comme il a raison ! Les choses se corsent sévèrement avec «Lord Have Mercy». L’Ethan s’impose en leader accompli. Il grave tout son art dans le meilleur marbre de Carrare. Il officie en vrai chef de guerre, il ne plie jamais devant l’adversité et tient tête quoi qu’il arrive - Lord have mercy on my soul - Il prie intensément. Oui, l’intensité reste son maître-mot, son passe-droit, son Memo from Turner, c’est extrêmement puissant, chargé de son et embarqué au-delà de toute mesure. Tiens, encore une énormité avec «El Ray». On assiste en direct à l’explosion d’un refrain. L’Ethan pulvérise tous les records de qualité intrinsèque. Il chante avec la voix blanche d’un mec qui a trop hurlé dans son micro. Les cuivres explosent le refrain. Il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie - You don’t have to go through any more changes/ It’s all done now - Il revient à sa chère démesure. Il faut vraiment ranger l’Ethan sur l’étagère des seigneurs. Sous ses aspects sauvages, «Goodbye Ruby» reste très classique. C’est tout de même très bardé de son, comme d’ailleurs tout le reste de cet album qui se noie dans l’océan du son.   

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             On retrouve ce chanteur exceptionnel sur The Russian Wilds paru en 2012. Rick Rubin entre dans la danse. L’Ethan est assez critique, car à l’époque Rubin est une superstar qui se mêle de tout et la pré-production dure trop longtemps - Masterpieces can be made in one session, nous dit l’Ethan - L’album est très décousu, car l’Ethan touche à tous les styles. Il attaque avec le heavy blues de «Self Made Man» - You’re a haunted man - C’est assez admirable de stonérisation des choses et une nommée Isaiah Mitchell vient mêler sa salive à celle de l’Ethan - You’re a violent dog/ Like the death squad boys down in Brazil - C’est sûr, ils créent un monde et ça fuit au long du cours d’un beau solo fleuve. Quelle extraordinaire expédition ! L’Ethan monte de sacrées architectures, comme savaient le faire les groupes ambitieux des années de braise, les King Crimson et autres Soft Machine. L’Ethan se veut plus poppy avec «Phantom In The Valley». Et puis on revient au fatras épique avec «Can’t Satisfy Me Now». L’Ethan semble vouloir absolument se disperser. Dommage car on sent en lui la force du géant. Il sait gueuler au moment opportun. Il peut screamer la Soul de pop avec aplomb. Il force la sympathie et vise inlassablement l’ampleur. Avec ce cut, il redevient un fabuleux Soul Man. Et puis avec les derniers titres, on voit qu’il s’efforce d’échapper aux genres. Avec «Dark Star», il revient à sa chère hurlette et passe à la Soul de pop avec «Beneath Wild Things». Il chauffe sa soupe avec un talent certain. Terminus avec «Walking Through Stone» qui a des allures de hit fatal. L’Ethan est une espèce de roi du Soul-baladif de barbu. Il brille comme un phare dans la nuit et se plait à porter les choses à ébullition. Petit conseil d’ami : ne le perdez pas de vue.

             Après la tournée de promo, l’Ethan perd ses copains Joel, Raj et Isiah. Le cirque Rubin et The Russian Wilds leur est fatal.

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             Le problème avec l’Ethan et son petit label Silver Current, c’est qu’il sort des albums tirés à 300 exemplaires et ils disparaissent aussitôt des radars. Et on comprend pourquoi quand on écoute The Griffin, paru en 2013, et qui fait justement partie de ces petits collectors de San Francisco. On y retrouve l’effarant «Calling Lightning PT. 2», pétri d’excellence et doté de toute la prestance des passations d’accords. L’Ethan s’ancre dans le Marriott System, avec une incroyable stature. Il enchaîne ça avec la merveilleuse explosion de «Killing Floor/Evil». Il y gère la folie de l’âge d’or du rock, et il y ramène tout le souffle de sa fournaise. Rien ne peut résister à un tel géant. On entre dans ce disque live comme dans un rêve, et ce dès «Phantom In The Valley», une pop qui attache bien au plat, grattée avec une détermination non feinte. Il sonne vraiment comme Steve Marriott dans «Darkside» et renoue avec la puissance exponentielle dans «Can’t Satisfy Me Now». Il faut vraiment écouter les albums de ce géant, il a toutes les puissances chevillées au corps, il peut prétendre jouer dans la cour des grands. D’ailleurs, il n’a besoin de l’avis de personne, puisqu’il y joue déjà. On retrouve aussi l’extraordinaire «Roll On The Rusted Days», soulfull en diable, ancré dans le meilleur Seventies Sound qui soit ici bas. L’Ethan y refait son Marriott avec un bonheur égal, c’est chargé de son à ras-bord et joué avec une fracassante aménité. Sa bonne foi finit par troubler le lapin banc.

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             En 2016, l’Ethan se retrouve sans groupe et sans label. Il forme un autre groupe, Heron Oblivion. Un album sort sur Sub Pop et encore une fois, c’est un album énorme. Il met une petite chanteuse au centre, une nommée Meg Baird et dans «Sudden Lament», elle se noie dans les vagues de son. L’Ethan ramène des guitares incendiaires dans le flou du cut et joue des notes à la traînasse, c’est un fabuleux tripatouilleur de brasier, et c’est d’autant plus choquant que Meg Baird chante d’une voix paisible. Même ruckus avec «Faro», où Miller Ethan une fois de plus son empire avec des power chords écrasants de béatitude, il défriche des zones de non-retour, il explore des corridors interlopes, il bouscule les limites de l’horreur sonique, il cherche des échappatoires impossibles, c’est un cœur qui bat et qui explose. Violence pure ! Il tire ses notes par les cheveux. Chaque fois, la voix de la petite Meg fonctionne comme un hameçon et t’es baisé, comme avec «Your Hollows», elle aguiche le chaland et l’Ethan se charge de le cueillir ! Et il te wahte dans le chaos. «Oriar» sonne encore comme une violente tempête, il en fait un jeu, une vierge chante et lui sème la chaos sur la terre comme au ciel. Il organise une fabuleuse fournaise de wah et de dévastation. La fête se poursuit avec «Rama», Meg Baird est toujours dans le vif du sujet et l’Ethan aussi, parfois il se met à sonner comme un requin devenu fou, il crée trop de tension, on s’attend au pire à chaque instant, la basse sature, elle va crever sur place, te voilà au milieu de Miller l’absolu dingoïde de freakout.

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             L’Ethan demande ensuite à Heron Oblivion de l’accompagner pour redémarrer Howlin Rain. Il décide cette fois d’improviser, the complete opposite to The Russian Wilds. Ça donne encore un album extraordinaire : Mansion Songs. Il s’y niche une merveille intitulé «Ceiling Far» dans laquelle l’Ethan cite Fellini, Werner Herzog et d’autres géants de la libre pensée - I’m in a white suit on a Herzog river/ Full of insects snakes and honeybees/ Wearing insane eye make-up and a silver gawn - Fantastique chanson littéraire et dans les deuxième et troisième couplets, il va sur Londres et Dylan. L’Ethan tape là dans l’universalisme. On reste dans la chanson d’exception avec «Lucy Fairchild», une histoire qu’il situe en 1895 - Down in Texas found our fight/ My head dripped in Apache blood and smoked in canon fire - Il rêve de revoir Lucy Fairchild’s bed. L’Ethan se situe au niveau de Midlake et des Drive-By Truckers. Oh et puis attention à ce «Big Red Moon» d’ouverture de bal car l’Ethan y fait du gospel batch de bitch. On assiste à une fantastique envolée d’ampleur cosmique - Shine on down - L’Ethan n’en finit plus d’étendre don empire. Il shoote dans son bras toute la démesure du rock américain - Shine on down - Il n’en finit plus de créer des mondes - Bleached in smoke and whiskey and/ Black hole nova eyes with nothing/ Left behind us when we/ Ride the skies - Et dans le «Meet Me In The Wheat» qui suit, les chœurs font hallelujah ! L’Ethan installe le gospel batch dans les champs de blé, c’est bardé de coups de gimmicks de vieille Stonesy et c’est chanté à l’incroyable feeling déflagratoire. Quel créateur d’empires ! Il tape là dans des ardeurs cosmiques de cinépanorama, c’est gorgé de son jusqu’à la nausée salvatrice. L’Ethan chante comme un Raspoutine des plaines d’Amérique, en vrai possédé. On retrouve la démesure du gospel batch dans «Wild Bush» et ça vire à l’exponentiel d’excellence cathartique. L’Ethan recrée un par un tous les bons plans du rock américain. Ici, on croit entendre un énorme classique de rock seventies, un truc qui serait du niveau des grands albums de Delaney & Bonnie.

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             Nouvelle équipe pour The Alligator Bride. On peut dire que l’Ethan s’est calmé. Il passe à une sorte de folk-rock hanté par les démons de la cavale. Ce qui ne l’empêche nullement de renouer avec le génie, comme on peut le constater à l’écoute de «Missouri». Quel shoot d’Americana ! Il part en bonne vrille dans un délire de bassmatic à la Jack Bruce. On peut parler ici de musicalité exponentielle. L’Ethan presse et presse encore, alors ça jugule dans les culbuteurs, jusqu’à l’apothéose des paradis perdus, un peu vieillis, un peu dandys. Comme toujours, ses cuts sont très écrits, il suffit d’écouter «Alligator Bride» pour s’en convaincre définitivement - I just stopped to light a cigarette/ And found a dime in the street - Ça joue à deux guitares, lui et Daniel Cervantes, épaulés par ce diable de Jeff McElroy au bassmatic. On pourrait les comparer aux Drive-By Truckers. Ils tapent le «Rainbow Trout» au boogie classique de type Canned Heat - It’s eating me alive/ And it’s just outside - L’Ethan colle le boogie au poteau pour le fusiller, et il coule in the cold blue sea. Il prévient, believe me, you’re gonna need another day. Très captivant. Il boucle cet album étrangement calme avec «Coming Down», un balladif éperdu - Only the shadows remain - Il a foutrement raison. On assiste à un final flamboyant, mais on sent une légère tendance à ralentir.

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             Annoncé dans Shindig! par un bel article de Johnnie Johnstone, on attendait The Dharma Wheel comme le messie. Un double album en plus ! Johnstone n’y va pas de main morte puisqu’il parle d’une renaissance d’Howlin Rain, de comet-shattering space-psych, de country funk et de down-home southern soul et il redouble de lyrisme en déclarant subitement : «It’s like a sonic ménage à trois between Danny Whitten, Paul Rodgers and Shuggie Otis, moving effortlessly through stadium, space and swamp.» Mais il semblerait que l’Ethan n’étende plus son empire et qu’il ait mis beaucoup d’eau dans son vin d’Howlin. Il va plus sur la country. On se croirait chez les Flying Burrito Bros. On s’ennuie en A et on aborde la B avec circonspection. Le cut s’appelle «Under The Wheels». L’Ethan se veut résolument poignant, juteux, plein de lumière et de vitamines. Il veut darder aux Dardanelles, il déclenche de vieilles averses de son radieux, son truc c’est l’apothéose, alors il se déguise en Saint-Jean pour que ça éclate et ça éclate enfin. Johnstone parle d’un huge sonic leap forward. Il remarque aussi que la musique d’Howlin bascule dans la spiritualité, comme si l’Ethan cherchait son propre dharma, c’est-à-dire la réponse qu’on se pose tous à propos du sens de la vie. L’Ethan se pose des questions, se demandant si l’air est Dieu ou une partie de Dieu ? Pareil pour la musique. Est-elle Dieu ou une partie de Dieu ? Mystère et boules de gomme. Alors Johnstone qui est rusé comme un renard en conclut que la musique d’Howlin Rain incarne l’esprit de ce mystère. Comme ça au moins on est content car on n’a rien compris.

           L’Ethan nous refait le coup de la petite apothéose sur le deuxième cut de la B, «Rotoscope». En C, il ne se passe rien, c’est même un peu mou de genou. On arrive hagard en D pour se farcir le morceau titre. L’Ethan y sonne un peu comme Stephen Stills, il cultive les bouquets d’harmonies vocales. Mais on sent aussi qu’il rêve d’apocalypse, il parie sur le démontage des éléments, il faut que le ciel noircisse, que la menace se précise et surgissent alors les pianotis d’Aladin Sane dans le chaos qui s’annonce. Après une petite accalmie, il refait son Saint-Jean et libère ses fureurs. Mais bon, Miller n’Ethan plus son empire.

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             Par contre, il conclut l’article de Johnstone sur une note d’espoir : «Il y a plus de grande musique et d’excellents albums qu’il n’y en avait auparavant.» Et il ajoute plus loin que les manœuvres sournoises de l’industrie du disque n’altèrent en rien la fantastique explosion de créativité actuelle - The incredible creative explosion happening out there - Il parle d’un infini de possibilités. Avec sa grande barbe, l’Ethan ressemble à un messie.

    Signé : Cazengler, Howlin Ruine

    Comets On Fire. ST. Not On Label.        

    Comets On Fire. Field Recordings From The Sun. Ba Da Bing 2002

    Comets On Fire. Bong Voyage. Bad Glue 2003

    Comets On Fire. Blue Cathedral. Sub Pop 2004

    Comets On Fire. Avatar. Sub Pop 2006

    Feral Ohms. Live In San Francisco. Castle Face 2016

    Feral Ohms. ST. Silver Current Records 2017

    Howlin Rain. Howlin Rain. Birdman Records 2006          

    Howlin Rain. Wild Life. Three Lobbed Recordings 2008

    Howlin Rain. Magnificient Fiend. Birdman Records 2008  

    Howlin Rain. The Russian Wilds. Birdman Records 2012

    Howlin Rain. The Griffin. Silver Current Records 2013

    Howlin Rain. Mansion Songs. Easy Sound 2015

    Heron Oblvion. Heron Oblivion. Sub Pop 2016

    Howlin Rain. The Alligator Bride. Silver Current Records 2018

    Howlin Rain. The Dharma Wheel. Silver Current Records 2021

    Heron Oblivion. Heron Oblivion. Sub Pop 2016

    Dave Everly : Howlin Rain. Classic Rock # 251 - Summer 2018

     

     

    L’avenir du rock

    - Nothing butt the Buttshakers (Part Two)

     

             On frappa à la porte. L’avenir du rock alla ouvrir. Un chevalier en armure rouillée lui tendit sans mot dire un rouleau de parchemin, salua d’un hochement de heaume et remonta péniblement en selle, poussé au cul par un valet ventripotent et court sur pattes. Puis le valet enfourcha sa mule et suivit le percheron de son maître. Avançant au pas, clapota-clapoto, ils s’enfoncèrent tous les deux dans les ténèbres. L’avenir du rock alla s’asseoir près du candélabre et déroula le parchemin. Il s’agissait d’une invitation d’Hugues de Gournay, sis en son domaine castral de Montfort, à venir festoyer de tout son Soul en gente compagnie, le premier samedi de juin de l’an de grâce en cours. L’avenir du rock loua donc un percheron chez Perchavis et prit le chemin de la vallée. Trois jours plus tard, il arriva en vue des ruines de la forteresse. Bien que transparent, Hugues de Gournay faisait un très beau fantôme. Comme l’avenir du rock l’aimait bien, il s’autorisa une petite familiarité :

             — Par Dieu, Seigneur Hughes, l’Anglais vous a citadelle bien démantibulé. Quelle outrecuidance !

             — Hélas oui, avenir du rauque, j’eus bien le malheur de murs livrer à Philippe Auguste, ce qui ne manqua pas d’attiser le courroux de Jean, roi d’Angleterre, lequel envoya ses gens d’armes tours détruire et puits boucher. J’en versai moult larmes de sang.

             — Puisque vous reçûtes Philippe Auguste, vous connaissez donc le preux Marquis Des Barres, lequel vint à la rescousse du roi son maître au plus noir de la bataille de Bouvines ?

             — Ah roi du ciel, certes oui, j’ai de le connaître cet honneur.

             — Savez-vous que son héritier, le 26e Marquis Des Barres, de nos jours rocke la calebasse de la rascasse ?

             — Nous rauquerons la calebasse de la rascasse un autre jour, avenir du rauque, car il est temps de festoyer jusqu’à l’aurore en compagnie des Buttes Chaquères, de hardis ménestrels qui comme le gentil seigneur de Bayart, rauquent la soule sans peur et sans reproche. 

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             Personne n’en voudra à Hugues de Gournay de franciser les noms des gens. On comprend qu’il soit traumatisé par le destroy no future des Anglais. L’avenir du rock est ravi, car il tient les Buttshakers en très haute estime. Ils sont sans doute les derniers en Europe à maintenir la sacro-sainte tradition des Revues, telle qu’elle existait au temps d’Ike & Tina Turner, de James Brown & the Famous Flames, et de Sharon Jones & The Dap-Kings.

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             D’ailleurs, ça la fait bien rire Ciara Thompson quand on lui dit qu’elle est meilleure que Sharon Jones. Elle capte l’humour du trait puis se reprend aussitôt en signe de respect, she’s in the ground, dit-elle, et cette soudaine gravité dans le ton de sa voix nous renvoie au voodoo. Voodoo reste le mot clé, car elle reprend le flambeau de Sharon Jones et danse sur scène pendant plus d’une heure, dans un hallucinant climat de Juju fashion craze, elle danse et elle shoute, elle a tout le Black Power en elle, et comme chez les Dap-Kings, ça swingue tout autour d’elle, rien que des blancs, mais des cracks de la Soul.

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    Comme le gang de Gabe, ces mec-là sont fiers d’accompagner une Soul Sister aussi puissante, elle peut tout chanter - She can sing anything (Révérend Cleveland à propos d’Aretha) - la Soul, le blues, le funk, le gospel, elle a tout en elle, Ciara Thompson, la Soul Sister aux yeux clairs, she sets the stage on fire, oui, elle te met un show en feu en deux temps trois mouvements, avec une niaque qui vient de loin, puisqu’elle remonte non seulement à Sharon Jones, mais aussi jusqu’à l’early Tina de St-Louis, Missouri, lorsqu’elle s’appelait encore Anna Mae Bullock et qu’Ike venait de la dénicher.

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    Ciara Thompson véhicule cette tradition purement américaine des petites blackettes élevées dans la religion du gospel et de la Soul, alors la voilà comme tombée du ciel sur la petite scène d’un festival exotique, organisé dans les tréfonds de l’Eure, au pied des ruines d’un château du Moyen-Age. Le côté improbable de ce contexte donne à ce concert la touche surréaliste qui fait hélas défaut dans la plupart des événements urbains. Le fait que le concert ait lieu sous un chapiteau de cirque accroît encore ce délicieux sentiment d’incongruité. C’est un festival, d’accord, mais ce n’est pas Woodstock.

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    Il n’empêche que Ciara Thompson va chauffer la petite assistance avec l’énergie qu’elle mit jadis à chauffer la grande salle du Tétris, elle veut de toutes ses forces partager le power de la Soul avec les gens, elle descend de la scène et va les trouver pour danser avec eux, elle fait tout à la force du poignet et remonte sur scène d’un bond, aussi légère qu’une plume. Elle attaque son set avec «What You Say» tiré de Sweet Rewards, grosse dégelée de hard funk, suivi de «Never Enough», pur jus de Stax Sound tiré d’Arcadia. De la voir danser et chanter donne le vertige. Toujours cette impression d’assister au plus beau show du monde, comme au temps de Sharon Jones,

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    c’est un émerveillement de chaque instant, tout est en place, tout est puissant, les pas de danse des musiciens, les solos de trombone et de sax, le bassmatic à la Gabe et cette Soul Sister en mouvement perpétuel, cette Tinguelynette de la Soul. Elle va revenir au hard funk avec «Hypnotized» et «Not In My Name». Ouvre bien tes yeux et tes oreilles, mon gars, car des spectacles aussi intenses et aussi parfaits que celui-là, tu n’en verras pas des masses. Quand on est confronté à des artistes de ce niveau, chaque fois se pose la même question : en est-on vraiment dignes ? Lorsqu’elle est bien faite, la Soul relève du domaine du sacré. Ce n’est pas un produit de consommation.   

             En 2014, on disait déjà le plus grand bien des trois premiers albums des Buttshakers (Headaches & Heartaches, Wicked Woman et Night Shift), alors maintenant on va dire le plus grand bien de Sweet Rewards et Arcadia, qui, comme l’a montré le show, marquent une nette évolution en direction du firmament de la Soul. Comme déjà dit, l’«Hypnotized» qu’ils jouent sur scène sonne comme un classique un hard funk digne de Parliament. Elle est dessus et les Buttboys aussi, ces mecs n’ont pas de problème, ils savent jouer le funk, malgré leur peau blanche. Ciara travaille son «Hypnotized» au corps, elle groove dans le giron du funk avec une fabuleuse ténacité, elle n’en finit plus d’y replonger.

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    Sweet Rewards est un album qui grouille de coups de génie, tiens comme ce dirty motherfucker monté sur un big bassmatic, «Weak Ends». Ciara la tigresse rentre dans le chou du lard fumant, elle shake son sock it, elle explose son Weak avec la niaque de Lisa Kekaula et là tu télescopes la réalité de plein fouet, c’est une démolition en règle, à coups d’I wanna know you now. Nouveau coup de génie avec l’enchaînement «Tax Man» et «Trying To Fool», Ciara est une pro du feel, elle commence par rôder dans l’ombre du groove, mais fais gaffe, elle allume sans prévenir, wow baby this is the tax man, un tax man submergé par un killer solo flash. «Trying To Fool» est plus groovy, elle le prend aux accents sucrés de petite Soul Sister légère comme une plume, elle fait son trying to fool now, elle sait de quoi elle parle, elle est dans la diction définitive. Le hard funk de «What You Say» monte droit au cerveau, à condition d’en pincer pour le funk, bien sûr - She got a mind/ So you better watch out/ Yeah yeah yeah - Wild as fuck, elle mène sa meute au better watch out et relance au c’mon babe. On se croirait sur un album de Lyn Collins ! Le morceau titre de l’album flirte lui aussi avec le génie de la Soul. On a le heavy sound et elle est devant, pulsée par un drive de basse infernal, elle pointe la Soul à la glotte en feu et génère de l’émotion pure. Elle tient tout à la seule force de sa voix. On reste dans les énormités avec «In The City» qu’elle chante à pleine voix. Elle chante avec des accents profonds de Soul Sister engagée dans le combat, sa présence est inexorable, elle chauffe tellement la Soul qu’elle en devient explosive. Elle se bat pied à pied avec ses cuts. Comme Merry Clayton, elle prend feu !

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             La plupart des cuts joués sur scène sont titrés d’Arcadia, paru l’an dernier, comme par exemple le «Back In America» d’ouverture de bal, une heavy Soul bien sciée du cocotier par les tikatics du guitar slinger Sylvain Lorens qu’ils enchaînent, comme sur scène, avec «Not In My Name» et là tu débarques chez les Famous Flames, bombardé au can’t you see/ That I don’t be free, elle est fabuleusement juste, I keep praying for a change, et petite cerise sur le gâtö, tu as un solo de free digne d’Albert Ayler. Avec «Pass You By», on se croirait chez Stax, ça pulse au poumon d’acier, ça gratte à la Cropper et Ciara bouffe tout au chant comme une réincarnation féminisée de Sam & Dave. Ils reprennent aussi sur scène l’excellent «Keep On Pushing», elle est dessus et dévore tout au don’t push me down, il faut voir comme elle écrase la champignon du raw. Sur cet album hanté par l’esprit du funk, on trouve au autre classique, «Daddy Issues», on se croirait chez James Brown. Au beurre, Josselin Soutrenon fait un job fantastique. Vers le fin de l’album, on croise deux des autres temps forts du show, «Never Enough» qu’elle chante au meilleur raw de l’univers et «Gone For Good», plus soft et qui sonne comme un hit.

             En souvenir d’Olivier de Montfort, d’Hugues de Gournay, de Jean Sans Terre et de Philippe Auguste.

     

    Signé : Cazengler, Buttmontmartre

    Buttshakers. Rock Montfort. Montfort-Sur-Risle (27). 4 juin 2022

    Buttshakers. Sweet Rewards. Underdog Records 2017

    Buttshakers. Aracadia. Underdog Records 2021

     

     

    Inside the goldmine - Got my Eyes on you

     

             Toutmésis ouvrit soudain les yeux. Il quitta sa couche et réveilla les esclaves endormis à ses pieds. Debout ! Debout ! Passez-moi le pagne de lin blanc et la cape d’or fin, je dois me rendre sans tarder au temple de Sun Ra ! Ainsi paré, il traversa les salles du palais. Seuls les gardes plantés de chaque côté des larges portes ne dormaient pas. Toutmésis les avait tous fait châtrer, ainsi ne risquaient-ils pas de somnoler après avoir succombé aux avances des esclaves africaines, toutes ces belles nubiennes nues et polies comme l’ébène, aux sexes béants comme des bouches avides. Il se fit aider pour monter sur son char et indiqua la direction du temple, au bout de l’immense avenue déserte. Le jour allait se lever. Le conducteur fouetta l’attelage et le char fit un bond. Toutmésis se cramponnait d’une main à la rampe et de l’autre à l’épaule du conducteur, le seul être humain dans tout l’empire qui fut autorisé à partager les frayeurs de son maître. Le fouet claquait dans l’air chaud et les six chevaux blancs de l’attelage filaient comme l’éclair sur l’avenue mal pavée. L’ossature en bois précieux transmettait fidèlement l’enfer des chocs. En arrivant au pied des marches du temple, le conducteur tira violemment les rênes vers lui et stoppa net l’attelage. Toutmésis gravit les marches d’un pas pressé et s’engouffra dans la bouche d’ombre. Il réveilla les prêtres qui dormaient à même le sol et leur ordonna de peindre sur le mur principal de la grande salle l’image qu’il venait de voir en rêve : un œil symbolique, ouvert sur le néant et vide de toute rétine. Ainsi que le disait le rêve, l’œil accueillerait en son temps l’objet d’un culte circonstancié.

     

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             L’œil qui orne la pochette de My Degeneration s’inspire de toute évidence du songe de Toutmésis. D’autant plus évident que le groupe s’appelle The Eyes et qu’il fait l’objet, comme le voulait Toutmésis, d’un culte circonstancié. Donc, il semble logique qu’une photo ronde des Eyes s’encastre dans l’œil de Toutmésis. Quoi de plus sympathique au fond que la pertinence de la cohérence ? On ne se félicitera jamais assez de célébrer cette union. L’histoire va loin puisque cet album des Eyes qui reproduit le songe de Toutmésis est un bootleg, un album interdit par les préfets de Rome, l’un des objets suspects qu’on croisait à une époque dans les bacs du plus grand disquaire parisien, le Born Bad de la rue Keller. Ah comme ces bacs gaga pouvaient être tentateurs !

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             My Degeneration n’est donc plus en vente. Ce qui n’empêche pas de l’écouter. On croit y retrouver les Who dès «I’m Rowed Out», car les accords tintent bien, tout au moins avec le même aplomb, mais les Eyes ne sont pas les Who. Ce sont les covers des Stones dont est truffé cet album qui vont en faire son charme, car elles sont toutes criantes de véracité, à commencer par ce «Route 66» qu’on dirait sorti tout droit du premier album des Stones paru en 64. Même incidence de l’insidieux. Et ça continue avec «I Wanna Be Your Man». Pur jus d’early Stones. On dira la même chose d’«It’s All Over Now», de «19th Nervous Breakdown», monté au drive rebondi de look around et là on plonge dans la magie de la vieille Stonesy. Ils nous en bouchent encore un coin avec «Get Off My Cloud» et décrochent le pompon avec une version incroyablement racée de «Satisfaction». La fuzz est là, avec toute l’useless information, oh non no no, c’est là, intact, parfaitement restitué. Quand les Eyes enregistrent tous ces classiques des Stones, ils s’appellent les Pupils. Ils font aussi un peu de pop, «Man With Money» et une version de «Good Day Sunshine» qui n’apporte strictement rien. Par contre, le morceau titre se montre digne des Yardbirds, et la basse de Barry Achin sonne exactement comme celle de Paul Samwell Smith, ce qui vaut pour compliment. Ils font en B une version sournoise et mal intentionnée de «Shaking All Over», mais c’est avec «You’re Too Much» qu’ils raflent définitivement la mise. C’est le hit gaga-Brit par excellence, extatique, monté au riff freakbeat, ça sonne comme un classique, on peut même parler de coup de génie.   

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             Toutes ces merveilles sont rassemblées sur un CD, l’hautement recommandable, l’inestimable The Arrival Of The Eyes paru en 1996 sur un label anglais. Un booklet dodu nous conforte dans l’idée qu’il vaut mieux en savoir plus que pas assez dans le cas d’un groupe aussi méconnu que les Eyes. Comme des milliers d’autres groupes anglais, les Eyes ont tenté leur chance. Ils avaient deux gros avantages : ils vivaient à Ealing, un borough du Grand Londres, et avaient un chanteur nommé Terry Nolder qui composait des shokingly good numbers. Et pouf, ils enregistrent leur premier single en 1965 avec Shel Talmy, «When The Night Falls»/«I’m Rowed Out», un single qui aurait dû faire d’eux des instant legends. On retrouve bien sûr ces deux hits sur la compile, avec un son nettement supérieur à celui du boot, car le Rowed Out est amené aux accords de wild gaga, les mêmes que ceux de Really Got Me ou de Can’t Explain, du Talmy pur, du claqué d’accords invincibles, l’absolu modèle du genre. Même chose pour le Night Falls, c’est du freakbeat anglais pur et dur, avec ses coups d’harmo en plein dans le mille, in the face, avec en prime toutes les dynamiques des Yardbirds. On l’aura compris, les Eyes sont un concentré de tout ce qu’il y a de mieux à Londres à l’époque et on a encore rien vu : le pire est à venir, avec les covers des Stones. Les rares mecs qui découvrent le single des Eyes à l’époque n’en peuvent plus, ils parlent de sinewy whiplash lead guitar et de pounding demonic jungle telegraph drums. Ils ont raison : truly unforgettable ! Brash and raw. On dit même que ce premier single capturait the essence of Mod - Look no further - et le mec ajoute : «Two knock-out punches of pure angst expressed with a cocksure swagger.» Alors du swagger, on n’a pas fini d’en trouver chez les Eyes. Et pouf, les voilà en première partie des Kinks, des Move et des Action. Ils tournent pendant trois ans dans toute l’Angleterre. Leur deuxième single est l’insubmersible «The Immediate Pleasure»/«My Degeneration». Encore une fois, il est impératif de les écouter sur ce CD, car le boot aplatit le son, alors que le CD le fait exploser. L’Immediate Pleasure est tout de suite monstrueux, wow comme les Eyes voient clair ! Ils sonnent encore comme les Yardbirds et c’est vraiment le meilleur compliment qu’on puisse leur faire. Ils sont dans l’excellence du rave-up, ils jouent au shaking de clairons, dans l’immaculée conception, ces kids d’Ealing claquent plus de notes que les Byrds, ils sont brillants au-delà de toute expectative, il faut entendre ces descentes d’organes, tout y est. Avec «Degeneration», ils tentent de réactiver non pas la folie des Who, mais celle des Yardbirds. C’est fabuleusement tendu. Et quand ils jouent «I Can’t Get No Resurrection» devant un crucifix, ils sont mis au ban par la BBC. Ils parviennent néanmoins à sortir un troisième single, «Man With Money» / «You’re Too Much». Le Man est une cover des Everly Brothers qu’ils transforment en vieux shoot de power pop, par contre, le Too Much est une compo de Terry Nolder, et attention aux yeux ! Ils attaquent ça au riff insidieux. Il n’existe pas grand-chose qui soit au même niveau. Ils ramènent des chœurs de Yardbirds et bien sûr, on tombe de sa chaise. Le fameux EP des Eyes qui a le même nom et la même pochette que cette compile rassemble les deux premiers singles du groupe. Il paraît en 1966 et ne se vend pas. Si tu le veux, tu devras sortir un billet de mille. Ils sortent encore un single avec une reprise de «Good Day Sunshine», mais bon, leur destin est scellé. Il existe aussi une version de «Shakin’ All Over» qui ne figure pas sur les singles. C’est encore une merveille bien claquée du beignet, claire comme de l’eau de roche, ah il faut voir comme ces mecs taillent bien leur bavette.

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             En 1966, Philips leur demande d’enregistrer un exploitation album of Rolling Stones covers pour 180 £. Ça ne vous rappelle rien ? Oui, les Pretties, avec de Wolfe et l’Electric Banana. Les Eyes changent de nom et deviennent les Pupils. La session d’enregistrement dure 8 heures - session that included flashes of brillance - On peut écouter l’intégralité de l’album qui s’appelle The Pupils Tribute To The Rolling Stones sur cette compile. Et là, wow ! Encore une fois, le son ici est mille fois supérieur à celui du boot, ça claque dès «Wanna Be Your Man», imparable, même énergie, «19th Nervous Breakdown» retrouve ses couleurs avec un puissant bassmatic, tout y est, l’here it comes, ils injectent des tonnes de fuzz dans «As Tears Go By» et vont rôtir dans l’enfer du mythe avec «Satisfaction», certainement la cover le plus wild jamais enregistrée de cet hit séculaire, c’est noyé de fuzz imputrescible, aw my gawd, quel déluge ! Tu ne peux pas lutter contre les Pupils, ils dépasseraient presque les maîtres, ils développent un véritable vent de folie, ils sont effarants d’and I try. Pure violence que celle de leur «Route 66», c’est une authentique leçon de niaque, ils sont dans le Chicago to LA, avec un drive de basse joué au tiguili, ce mec Barry Allchin est un fou dangereux, il rôde dans le son avec des tiguilis de pervers. «The Last Time» ne figure pas sur le boot et les Pupils le bouffent tout cru à l’I told you once I told you twice, c’est en plein dedans. Ils ramènent tout le heavy pounding dont ils sont capables pour «Get Off My Cloud», l’irréprochabilité des choses de la vie ! Hey you ! Ils sont l’œil du typhon, ils dardent au cœur d’un mythe qu’on appelle le Swingin’ London. Ils restent crédibles jusqu’au too lazy to crow for day du «Little Red Rooster», ils se tapent même les coups de slide et ils tirent soudain l’overdrive avec «It’s All Over Now», suprême hommage à la Stonesy, baby used to stay out all nite long, ils sont en plein dans cette exubérance canaille qui fit l’extraordinaire grandeur des Stones. Les Pupils ne font pas que la restituer, ils la subliment, avec un soin extrême. Ça va jusqu’au départ en solo de syncope d’excelsior, un truc de corps qui va tomber et Terry Nolder reprend le contrôle du brûlot dans une frénésie de tiguilis extravagants.

    Signé : Cazengler, coco bel-œil

    Eyes. The Arrival Of The Eyes. ACME 1996

    Eyes. My Degeneration. Emarcy Records (Boot)

     

     

    NEWS ( II ) FROM TWO RUNNER

    HIGHWAY GIRLS

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    Dans notre livraison 541 du 10 / 02 / 2022 nous écoutions Two Runner donner un concert depuis la maison, entre autres elles y interprétaient Highwayman ce classique country que Paige Anderson chérit particulièrement, elle l’écoutait souvent en voiture lorsque ses parents conduisaient leur marmaille de concert en concert. Ce titre la faisait rêver, il est vrai que la chanson écrite par Jimmy Webb est étrange, sur un rythme continu, un peu passe-partout, elle raconte une histoire si bizarre que l’on est obligé de la réécouter pour mieux la comprendre, et bientôt vous cédez à sa magie hypnotique. June Carter affirme que c’est elle qui a révélé à son père que les quatre couplets ne présentent pas quatre personnages différents mais les réincarnations successives d’un seul… Two Runner nous en propose deux interprétations. La première sur YT :

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    Highwayman ( acoustic ) Two Runner. Sont toutes deux assises sur le sable d’un des déserts de Californie, à leur chapeau et à leur tenue l’on comprend que le soleil chauffe, au loin derrière les monts enneigés de la Sierra Nevada. Emilie au violon et Paige au banjo, difficile de trouver une interprétation plus roots et si différente, la voix de Paige plus douce que d’habitude et les brefs coups d’archet d’Emilie Rose, transforment la chanson, elles en gomment l’aspect épique, cet homme de tous les dangers, de toutes les aventures, de toutes les époques qui crie la prochaine victoire de son retour, ne serait-ce que sous la forme d’une goutte d’eau, elles en offrent une interprétation, quasi-nietzschéenne, celle de l’horreur de l’éternel retour de la vie dans les passages les plus sombres d’Ainsi parlait Zarathoustra, l’homme roule sa peine, celle de la pensée la plus lourde, le chant devient poignant, l’implacable trottinement fatidique du banjo poursuit sa route inexorable,  du violon d’Emilie éclosent comme des pétales de larmes et de regrets, la voix de Paige se charge d’une indéfinissable tristesse, une interprétation de toute finesse, de toute beauté.

    Le deuxième aussi sur YT et autres plateformes de chargements.

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    Highwayman. Two Runner : avec Sam Gallagher ( drums ), Drew Beck ( guitar, bass ), Brady McGowan ( keyboard ).  La même équipe qui accompagnait Paige sur Burn it to the ground. Le background saute aux oreilles, surtout si l’on sort de l’écoute de la version acoustique. Omniprésent il réussit le miracle de rester discret tout en étant au premier plan, faut écouter deux ou trois fois avant de repérer le banjo de Paige et le violon d’Emilie, cet accompagnement joue le rôle que tient la musique dans les westerns, il apporte ampleur et se fond dans le paysage. Colle très bien à la photo (de Kaylalili ) qui accompagne  la bande-son, l’on espère un clip pour bientôt, les rares images vidéos que nous avons entraperçues  nous font rêver.  Cette version est sublimée par la voix de Paige, beaucoup plus claire, moins murmurante, elle transcende le morceau, le porte à son plus haut point d’incandescence, c’est une autre manière de rendre sensible l’inexorabilité du Destin, de nous faire réfléchir au sens de la courbe de notre propre vie, il ne s’agit plus de revenir, mais de s’interroger sur le fondement de notre existence, de ce qui nous appartient d’agir et de ce qui nous pousse, le violon d’Emilie Rose, par ces longues giclées fulgurantes indique les moments où nous sommes soumis à ces forces plus grandes que nous qui nous rabattent vers la tombe de nos illusions. Paige et Emilie qui nous regardent et avancent vers nous sont à l’image de tous les desesperados qui font face à la vie. Grandiose. Bluegrass métaphysique.

    Damie Chad.

     

    NEWS FROM THUMOS

             Dans nos livraisons 541 et 542 des 10 et 17 février 2022, nous avons chroniqué la discographie entière parue jusqu’à ce jour de Thumos groupe américain originaire du Kentucky, il semble que Thumos n’ait pas perdu de temps ces derniers trois mois puisque la sortie d’un prochain album est prévue pour le 4 juillet de cette année, toutefois pour calmer notre impatience, un des morceaux du futur opus est déjà sur Bandcamp. Leur Instagram annonce d’autres surprises, essayons donc de procéder avec ordre et méthode.

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    1°) Un titre de Thumos, The divided line apparaît sur la compilation Warband Comp United Together de Razorwire Handcuffs sur Bandcamp qui regroupe soixante-huit morceaux et presque autant de groupes. (Vendue au profit des réfugiés ukrainiens.)

             Rappelons pour ceux qui ne l’auraient jamais entendue que The Republic de Thumos est une œuvre strictement instrumentale. Parler de la philosophie platonicienne sans employer de mots pourrait paraître une entreprise de pure folie, cette démarche s’inscrit toutefois dans cette notion de mimesis chère à Platon selon laquelle un art peut traduire la dynamique d’une autre art, exemple la danse qui permet de visualiser les mouvements de la musique.

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             C’est à la fin du livre 6 de la République que Platon résume les différentes manières de percevoir la réalité, les deux premières très grossières restent prisonnières au pire de l’apparence des choses  au mieux des choses elles-mêmes, nous nous laissons guider par nos imaginations ou nos croyances, pour accéder aux suivantes nous devons quitter nos opinions doxiques non fondées sur une connaissance épistémologique en nous livrant à des hypothèses rationnelles dont la logique nous conduit au quatrième stade de la  connaissance intuitive qui nous permet de reconnaître la nécessité de la présence des Idées qui forment la véritable réalité. En début du morceau se déploie une espèce de fuzz sombre comme des ombres indistinctes qui flotteraient dans l’espace, s’installe un rythme binaire qui s’appuie sur la précaire solidité de choses claudicantes et instables, un long passage dans lequel le son des guitares s’intensifie correspond à ce moment où l’intelligence humaine met en route des stratégies d’appréhension du monde beaucoup plus fines, par lesquelles l’on s’abstrait du domaine du sensible pour entrer dans celui de l’intelligible, une gradation intensive s’amplifie, roulements mathématiques de batterie qui permettent d’entrer dans une dimension supérieure dont les bruissements des cymbales simulent l’éclat idéel et irradiant

    2°) Un autre titre de Thumos, The sun apparaît sur la compilation Cave dweller music com / album / mind over-metal 2 : volume 2 . (Vendue pour récolter des fonds au profit du mois de la sensibilisation à la santé mentale.)

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    Ces deux morceaux créés durant la gestation de The Republic ont été écartés lors du choix final des titres de l’album. Thumos espère bientôt les réunir en une trilogie avec The Cave sélectionné dans The Republic, afin de coller de plus près à l’articulation de la pensée de Platon.  

             Lorsque Platon cite le soleil dans le Livre VI de la République, il ne s’intéresse en rien à l’astre physique que nous connaissons bien. Se pose à lui une question importante : comment faire entendre ce qu’est une Idée, comment donner une idée de cette chose purement intelligible qui par nature n’appartient pas au monde sensible. Il emploie pour cela l’analogie de la lumière. Si notre œil voit un objet c’est grâce à la lumière qui fait le lien entre l’œil et l’objet. Mais d’où provient cette lumière, nous lui trouvons une cause, une origine : le soleil, c’est de la même manière que notre connaissance appréhende la réalité, cette connaissance procède d’un but et d’une origine : l’Idée.

             Musique plastique dans laquelle l’on retrouve les cymbales, nous sommes en voyage, le rythme est lent car la distance à parcourir est longue, plus nous nous rapprochons de cet ailleurs vers lequel nous nous dirigeons le son s’intensifie, l’on imagine facilement que nous voguons dans un vaisseau spatial vers le limites de l’univers, nous atteignons des zones éthérées qui ne sont pas sans danger, comment notre intelligence sensible même dopée par notre intuition se comportera-t-elle, arrivés à destination, comment assumerons-nous cette plénitude illuminante. Très beau morceau.

             L’on comprend mieux ainsi pourquoi Thumos souhaite un jour prochain joindre ces deux morceaux à The cave de The Republic, car tous deux évoquent des étapes intermédiaires et préparatoires qui selon Platon étaient destinées à faciliter la compréhension du mythe de la Caverne.

    3° ) Un renvoi au blog de Julien Voisin qui présente An Abriged History of Painting with Metal Album Covers. Les amateurs s’y reporteront avec délices, nous ne sommes pas si éloignés que cela de Thumos puisque la couve de The Republic y figure, mais surtout parce que le sujet de leur prochain disque est en rapport immédiat avec la peinture.

    4° ) J’ai d’abord aperçu l’image la couve du futur nouvel album de Thumos, sans savoir qu’il s’agissait d’eux, puisque la pochette ne porte aucune inscription, cette espèce de colonne trajane posée comme une tour d’ivoire immarcescible sur un champ de ruines antiques a tout de suite interpellé l’amateur de l’antiquité romaine qui toujours veille en moi. C’est en voulant en savoir plus que je me suis rendu compte qu’il s’agissait du nouveau projet de Thumos intitulé

    COURSE OF THE EMPIRE

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    qui peut se traduire par Cours de l’Empire ce qui n’évoque pas grand-chose en notre langue, il est aussi sous-titré sur You Tube : Course of the empire rewiew ( Revue du cours de l’Empire ) guère plus précis mais qui n’est pas sans évoquer le livre History of the Decline and Fall of the Roman Empire d’Edward Gibbons paru en Angleterre de 1776 à 1788, traduit en français en 1819, remarquons comme ces dates sont par chez nous symboliques, un an avant la Révolution française, un an avec l’éclosion du romantisme ( français ) marqué les Méditations Poétiques de Lamartine, le livre de Gibbons, aujourd’hui critiqué pour son anti-christianisme, nous souscrivons à cette thèse, reste un ouvrage considérable, de fait le premier livre de métapolitique, la première étude de géopolitique de notre époque. C’est d’ailleurs sa lecture qui a inspiré à Thumos leur nouvel opus.

             Le titre de l’album est emprunté à une série de cinq tableaux regroupés par le peintre américain Thomas Cole sous le titre de Course of the Empire que l’on a traduit en notre langue par Le déclin de l’Empire.  Il est important d’en donner les titres : The savage taste / The Arcadian or pastoral state / The consummation of Empire – consummation signifiant accomplissement, apogée  / Destruction / Desolation.

             L’album présente dix morceaux : ( Introduction / Commencement / Arcadian / Interlude 1 / Consummation / Interlude 2 / Destruction / Desolation.

             Nous reviendrons sur les tableaux de Cole lors de notre chronique sur l’album. Sa parution le jour de la fête nationale des Etats-Unis n’est pas fortuite. Quel devenir pour l’Empire américain d’aujourd’hui ? That is the question ! L’idée du tableau est venue à Cole par la lecture d’un poème du philosophe Berkeley : Vers sur la perspective d’implanter les arts et l’apprentissage en Amérique ( 1726) dans lequel Berkeley pronostique le futur développement de la colonie anglaise qui pourrait déboucher sur la création du nouvel empire, celui de l’Amérique.  

             C’est lors d’un voyage de trois années en Europe que se cristallise dans l’esprit de Cole le projet Déclin de l’Empire qui sera terminé aux Etats-Unis en 1836. Cole réalise en visitant les musées et les édifices la richesse du passé prestigieux de l’Europe et est en même temps séduit par le rayonnement contemporain du romantisme, l’on ne s’étonnera pas de l’influence de l’œuvre de Byron sur le peintre. Le romantisme n’est-il pas en même temps une renaissance entée sur la nostalgie de la grandeur humaine passée à retrouver.

             De Course of the empire, Thumos ne dévoile que le troisième titre : Arcadian. Les trois membres de Thumos ne sont pas seuls, ont intégré pour la réalisation de leur album l’artiste Spaceseer, un guetteur de l’espace qui traduit sur sa guitare les vibrations du cosmos. Nous nous intéresserons prochainement à sa démarche.

    ARCADIAN

    ( mis en ligne sur YT et bandcamp le 7 mai 2022 )

    Ce long morceau correspond au deuxième stade de l’Empire, le plus heureux, celui que les Anciens nommaient l’âge d’or, un monde que prophétise Virgile dans sa quatrième églogue, l’homme n’est plus une bête, il a atteint un certain bonheur menant une vie pastorale, nous ne pouvons nous référer à l’Arcadie sans évoquer les deux mystérieux tableaux de Poussin Et in Arcadia ego qui dans leur interprétation la plus platement insipide instillent une idée de fragilité au sein même du bonheur humain… Cette dimension n’apparaît pas dans Arcadian, au contraire la musique remplit son propre espace, pas le moindre trou creusé par la souris du doute, elle n’est que profusion instrumentale, une crête flamboyante que rien ne saurait éteindre, une avancée de plus en plus rapide emportée par une batterie ravageuse, avec en filigrane des motifs de danse populaire et de joyeuses farandoles, le tout est mis comme entre parenthèses par les tintements du début et le bruissement final, comme s’il était nécessaire d’isoler cette île de plénitude terrestre, de la préserver de toute fin dérélictoire, de la fixer dans sa propre êtralité, de sa propre éternité temporelle. Un chef d’œuvre hors du temps.

    Damie Chad.

     

     

    *

    - Damie, n’as-tu pas honte ?

    Je me fais tout petit, je n’en mène pas large, j’ai tout de suite reconnu la voix, non ce n’est pas celle de Dieu, il y a longtemps qu’il est mort, ni celle de ma conscience, je ne sais plus où je l’ai fourrée, c’est la voix de ma prodigieuse mémoire.

    • Euh, non, à première vue, je n’ai pas honte !
    • Damie n’essaie pas de jouer au plus malin avec toi-même, tu vas perdre !
    • Bon, qu’est-ce qu’il y a encore, j’ai oublié de remplir ma déclaration d’impôt ?
    • Damie, moi qui croyais que tu étais un gentleman, tu n’es qu’un goujat, un rebut de l’Humanité, la honte de la nation, la…
    • Bon, bon, dis-moi tout !
    • Tu ne te souviens donc pas Damie, c’était avant le confinement, tu scribouillais une de tes infâmes chroniques sur Pogo Car Crash Control, lorsque tu t’es aperçu que la bassiste Lola Frichet jouait aussi dans un autre groupe : Cosse. J’étais dans ta tête et j’ai entendu ta voix intérieure déclarer : ‘’ Super je vais écrire une chronique sur Cosse’’. Les jours ont passé, les mois se sont entassés, les années s’écoulent et si je n’étais pas là ce sont les siècles et les millénaires atterrés qui attendraient en vain que tu réalises ta promesse.
    • Ö ma divine Mémoire infaillible, mon altière Mnémosyne ! Tu as raison, j’ai failli à mon engagement, heureusement que grâce à toi je vais pouvoir réparer cet intolérable oubli, regarde je m’empare d’une plume de corbeau aussi noire que l’eau du Styx je la trempe dans la noirceur de mon âme et…
    • Plus un mot Damie, tu devrais déjà avoir terminé !
    • Ne me trouble pas, regarde, tel un dromadaire je bosse sur Cosse, c’est désormais une Cosse sacrée !

    *

    Tel un méhari arpentant le désert dans l’espoir hypothétique de rencontrer un puits d’eau croupie asséché je suis parti à la recherche de Cosse. Pour me donner du courage je chantonnais gaillardement l’hymne stirnérien que Long Chris a composé voici un demi-siècle pour Johnny Hallyday :

    Je peux brûler les églises

    Je peux éclater de rire

    Je n’ai besoin de personne

    De personne, de personne !

    ce qui était un mensonge puisque moi j’avais besoin de Cosse, et la première chose sur laquelle je tombe net, cela ne s’invente pas, serait-ce un intersigne du hasard ou du destin, c’est une vidéo  intitulée : Un concert avec Cosse dans l’Eglise du Sacré-Cœur d’Audincourt. Ça m’a fichu un sacré coup au cœur, moi dont un de mes oncles s’était distingué durant la guerre d’Espagne à faire sauter à la dynamite les clochers des maisons de Dieu, j’ai hésité, mais une promesse c’est une promesse, alors j’ai poussé la porte et je suis rentré. C’est tout beau. Voûte de béton à caissons boisés et large abside magnifiée d’un diadème de vitraux modernes de toute beauté conçus par Fernand Leger, et réalisés par le maître-verrier Jean Barillet.

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    Moi j’adore Jean Bazaine, je l’ai rencontré une fois à la Maison de la Poésie de Paris, tout autour de lui les officiels et sa famille étaient offusqués, lui tout joyeux était écroulé de rire, l’on avait accroché un de ses tableaux à l’envers, il trouvait cela génial et ne voulait pas qu’on dérange un manutentionnaire pour le remette à l’endroit. Non, je ne suis pas hors-sujet, cet aparté c’est juste pour regretter qu’avant de rentrer dans l’Eglise la caméra ne se soit pas attardée sur le tympan rectangulaire, qui comme chacun sait, est une mosaïque de Jean Bazaine…

    Pas le temps de nous attarder, dans une demi-obscurité Cosse traverse l’allée centrale de la nef, leurs pas résonnent dans le vide et le silence, je reconnais la silhouette de Lola Frichet, ce sont bien eux. Sont déjà en train d’accorder leurs instruments. Sur un fond d’halo bleuté s’élèvent les premières notes de Sun don’t forget me, silhouettes sombres et gros plans sur les doigts qui s’activent aux derniers réglages… profitons de ce court répit pour adresser nos compliments à l’équipe qui a filmé, mixé et monté, un véritable film, l’on sent que l’on a étudié les plans, un travail de pros qui aiment leur métier, les conditions techniques sont parfaites pas de public, nous sommes le 22 janvier 2021 en triste période coercition confinatoire… 

    Commencent comme finissaient les concerts de musique aux temps de l’antique Rome par une précipitation chaotique instrumentale, mais au lieu d’exploser en une apothéose sonore Cosse débute par une douce précipitation bémolique qui culminerait dans le silence si Nils Bo en solitaire n’égrenait ( on ne s’appelle pas Cosse pour rien ) quelques notes sur sa guitare, ondée sonore générale, rien d’orageux ou de cataclysmique, Nils s’avance, une résonnance de coup feutré de batterie le plie en deux et l’arrête, il s’approche du micro, le chant s’élève, toute l’orchestration suit cette voix frêle et tranchante, torturée, amplifiée par son visage romantique, la musique enfle mais n’éclate jamais, elle redescend comme la vague de la mer s’échoue abruptement sur le sable d’une rive désertique, c’est du précis et du millimétré, plans de coupe sur les musiciens, aux drums Tim Carson gère l’amplitude des temps forts, l’ensemble est assez prenant, l’on a l’impression d’assister à une tempête mais de si haut que le son qui nous parvient en est assourdi, maintenant seule la guitare de Nils frissonne, et le chant perd ses angulosités, la caméra dévoile Lola Frichet, elle double l’amertume du chant de Nils, par-dessous, en sourdine elle dépose un tapis de douceur qui apaise l’âpreté nilsienne, et le morceau prend de l’ampleur, s’élève comme le char d’Apollon surgit de derrière la mer pour atteindre le ciel, le soleil nous oublie, le morceau est terminé, alors que le son s’ébruite, la caméra s’enfuit hors-champ vers le calme du baptistère, est-ce un contraste voulu avec la tension des visages crispés de Tim Carson et de Felipe Sierra, deuxième guitariste,  que l’on nous emmène dans cette salle transpercée de lumière que laissent passer et réchauffent les vitraux dessinés par Jean Bazaine.

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    Après Sun Forget me, Cosse entame Seppuku,  les premiers moments ressemblent un peu trop à l’introduction de toute retenue du morceau précédent, mais le climat change, nous entrons dans un monde de brisures et de saccades, plus grave qui se termine sur quelques notes fragiles de Nils mais le son se vrille et nous voici partis dans une espèce de cavalcade ralentie qui n’est pas sans évoquer les images de Ran d’Akita Kurosawa, et l’on entre dans une transe répétitive de tintements aigrelets agressifs dont la fonction première semble d’être de vous horripiler le cervelet, afin que vous puissiez ressentir un semblant de plénitude lorsque tout s’évanouit en un dernier galop… Cosse enchaîne tout de suite sur le dernier morceau Welcome to the newcommers.

    Toujours Nils à la guitare mais très vite la section rythmique se met en place, le chant est beaucoup plus rock, c’est aussi le moment d’apprécier les interventions de Felipe Sierra à la guitare il impose un soutien abrupt et pousse la musique en des sortes de montées successives qui culmineront en   l’éparpillement zen de quelques notes finales.

    Cosse se définit comme un groupe post-rock noise. Je veux bien mais je réserve le dernier terme de cette étiquette pour des groupes qui ont le noise plus tintamarresque, même si je n’ignore pas que certains définissent le noise en tant que l’a-structuration de leurs composition qui confine, le plus souvent, à ce que j’appellerai le bruissement… quant au post-rock de Cosse je le qualifierai plutôt de post-prog, mais un prog qui tourne le dos à la symphonisation de leurs morceaux pour s’adonner à une espèce de quatuorisation de leur musique, sur la ligne de crête un pied dans  l’unité synthétique du quatuor classique et l’autre dans les ruptures du quatuor jazz, cette ambivalence se remarquant  quand un musicien joue seul il ne donne pas l’impression de se lancer dans un solo performatif mais qu’il prépare les pistes d’envol de ses camardes.

    Il ne nous étonne pas de retrouver Lola Frichet dans ce type de groupe à l’opposé des sauvages tumultes de Pogo Car Crash Control, elle procède du conservatoire et ce n’est pas un hasard si elle a remporté le concours (difficile) de meilleur(e) bassiste organisé par le magazine américain the Shreds. Un esprit ouvert, n’était-elle pas en mars dernier sur la scène de La Comédie Française interprétant le rôle de Marotte dans Les Précieuse ridicules de Molière. Sur scène avec les Pogo, au cœur de la tourmente, elle joue avec fouge et concentration, l’intelligence en éveil.

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    Revenons à Cosse : pour une deuxième vidéo Nuisances Live Session # 7. Cosse :  Pin Skin. En Live en studio ( Pantin ) dans une belle couleur orangée. Moins de mise en scène qu’Audincourt. Chacun rivé à son instrument. L’on a compris le fonctionnement : guitares en intro, signal battérial, entrée de la rythmique, Nils au chant, cède bientôt la place aux modulations de Lola, la musique monte pour s’arrêter bientôt, avec Cosse elle n’atteint jamais les neiges éternelles, l’on redescend vers des zones plus tempérées, pourtant l’on suit sans regimber, de nouveau Nils au chant, et l’on repart pour une gradation, plus sombre, plus appuyée, recoupée par la voix de Niels et soudain les alpages s’enflamment, le feu s’éteint, les cordes vrillent, Niels se tait et la voix de Lola s’évapore , telle une pensée qui perd contact avec sa propre représentation dans Iris et petite fumée le mystérieux roman  de Joë Bousquet.   

             Les quatre morceaux que nous venons d’écouter se retrouvent sur le premier EP de Cosse :

    NOTHIN BELONGS TO ANYTHING

    COSSE

    ( A tant rêver du roi Records / Juin 2020 / Bandcamp )

    Drôle de nom pour un label, de Pau, bientôt vingt ans d’âge, son responsable élude un peu la question que tout le monde se pose en répondant qu’il avait un groupe qui s’appelait Ravaillac, laisse donc la porte ouverte à toutes les suppositions, les plus gratuites, pour ma part j’y vois comme un écho du livre Dans la forêt de Fontainebleau de Jean Parvulesco.

    Que représente la couve, cette flamme de torchère dans le ciel serait-elle une capsule spatiale tombée des astres qui aurait pris feu en rentrant dans notre atmosphère. La terre triste n’a pas l’air très accueillante.

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    Le titre n’est guère encourageant. Que signifie-t-il, ou plutôt que voulons-nous qu’il signifie. Comment recevoir cet adage selon lequel rien n’appartient à rien, faut-il en rire ou s’en désespérer, ricaner cyniquement pour montrer que cette déclaration nihiliste qui nous libère de toute contrainte nous rend plus fort, ou se désespérer de cet atroce constat que l’existence n’a point de sens.

    Welcome Newcomers : un son assez différent de celle du live dans l’église d’Audincourt, plus ramassé et en même temps plus coulant, moins fragile et peut-être plus chaotique, davantage de climax, la voix quelque peu normalisée et les guitares davantage chantantes avec un léger parfum sixties-psyché. Pin Skin : chuintance de calmitude, la batterie en avant, le vocal moins aventuré sur les trapèzes de la mise en danger volontaire, plus rond moins épineux, la basse de Lola jazze en sourdine, les guitares  fuzzent et couvrent la suavité de son timbre, les attaques moins aventurées et plus brutales, très belle partie orchestrale, la voix esseulée de Lola illumine de rose paganité la fin du morceau. Sun forget me : entrée en matière ronde et affirmée, le chant de Nils n’est pas écorché de barbelé, il est interrompu par des clinquances noisy mais toutefois respectueuses des oreilles sans coton, duo Nils-Lola des mieux venus, la musique se teinte de romantisme et se tinte d’une musicalité de plus en plus entreprenante. Seppuku : une intro que l’on nommera civilisée pour des tympans orientaux, feulement de cymbale, Tim Carson tout en douceur tandis que les guitares batifolent, attendent que l’on ait le dos tourné pour marcher avec des gros pataugas cloutés sur le gazon anglais des rêves, s’immobilisent dès qu’on les regarde, doivent jouer à 1, 2, 3, soleil ! , sonorités cristallines qui s’enrouent avant d’éclater en mille pétales que le vent de la mort éparpille. The ground : nous l’écoutons avec la virginité de notre ouïe vite déflorée par cette vrille rouillée qui perce notre audition jusqu’à ce que la voix comme engourdie d’alcool de Nils nous jette dans une ambiance très Velvet, le drame s’éteint, l’on change de dimension nous flottons dans un entonnoir de rêves mais la voix revient et nous angoisse, elle crie dans notre tête, même balayée par une instrumentation de plus en plus violente elle revient, avant que le vaisseau spatial ne vienne en un sifflement de tuyères infernales s’écraser sur le sol. Très mauvais pour les passagers, excellents pour les auditeurs.

             Très différent mais très proche de Bowie, dans cette manière de composer des morceaux qui répondent à une certaine mise en scène intérieure, à une dramaturgie qui refuse les canons extatiques de la libération aristotélicienne. Une musique qui n’extériorise pas, qui se confine en ses tourments, qui exprime et résume à la perfection les indécisions des âmes de notre époque. Musique analytique et intellectuelle. Ces deux adjectifs étant pour moi signes de qualités extérieures.

    *

             - Voilà ô ma sublime mémoire prodigieuse ma mission réparatrice accomplie !

             - Damie ne fais pas le faraud, n’oublie pas que bientôt devrait sortir le prochain album de Cosse, tu n’as pas intérêt à l’oublier, je te tiens à l’œil !

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 555 : KR'TNT 555 : ALICIA F ! / FAT WHITE FAMILY / QUIREBOYS / WHITE LIGHT MOTORCADE / DEOS / CÖRRUPT / TWO RUNNER

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 555

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    19 / 05 / 2022

     

    ALICIA F ! / FAT WHITE FAMILY

    QUIREBOYS / WHITE LIGHT MOTORCADE

    DEOS / CÖRRUPT/ TWO RUNNER

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 555

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :  http://krtnt.hautetfort.com/

     

    L’avenir du rock –

     Alicia au pays des merveilles

     

             L’avenir du rock n’est pas né de la dernière pluie. Si tu essaies de lui baiser la gueule, tu risques d’avoir de sérieux problèmes. Il a l’air gentil comme ça, avec ses grands airs débonnaires, le genre de mec dont on dit qu’il ne ferait pas de mal à une mouche, mais si tu lui cours sur le haricot comme l’a fait pendant deux ans fucking Pandemic, la note sera salée. C’est un principe : avec les cons, il faut toujours saler la note. C’est de la pédagogie de base. Remontons un peu en arrière. Voici quelques mois, l’avenir du rock est allé cracher sur la tombe de Pandemic. Rarement dans sa vie, il avait pris autant de plaisir à cracher sur une tombe. Pandemic avait bien failli avoir la peau du rock, rien qu’en fermant les salles et en obligeant les rockers de banlieue à porter des masques. On aurait dit des touristes japonais. Et puis voilà que tout récemment, dans un bar, un type racontait que Pandemic était sorti de sa tombe et que tout le cirque allait recommencer. Il semblait sérieux, il parlait comme un prof de biologie et s’appuyait sur des éléments scientifiques. L’avenir du rock sentit la moutarde lui monter au nez. Quoi ? Mais c’est horrible ! Il paya son verre et fila droit sur le Bricorama de Clichy. Il y acheta une hache, un pied de biche et une masse, les jeta dans le coffre de sa bagnole et prit la route en direction de Fontainebleau. Il se gara à l’entrée d’un chemin de rando et partit à la recherche d’un hêtre. Il en trouva un rapidement et se mit à tailler un pieu, un énorme pieu. Il suait à grosses gouttes. Le soir tombait. Ses dents étincelaient à la lumière du crépuscule. Il rentra sur Paris et se gara aux alentours du cimetière Montparnasse. Il attendit minuit pour passer le mur avec ses outils et alla se planquer juste derrière la tombe de Pandemic. Il surveillait l’heure à sa montre et alors que la nuit palissait, il vit arriver une silhouette au bout de l’allée. Pandemic ! Cet enfoiré sortait la nuit de sa tombe pour aller rôder en ville et réinstaller son chaos. Il arriva au pied de sa tombe, fit glisser la pierre et disparut dans la bouche d’ombre. La pierre reprit sa place. Le jour venait de se lever. L’avenir du rock fit glisser la pierre avec son pied de biche et vit Pandemic allongé dans son cercueil, comme un gros vampire de Murnau. Il s’empara de son pieu, le positionna à l’endroit du cœur et l’enfonça d’un violent coup de masse. Floffff ! Pandemic poussa un hurlement terrifiant qui leva des nuées de corbeaux et après une série de soubresauts spectaculaires, son corps prit feu et devint un petit tas de cendres. L’avenir du rock remit la pierre tombale en place, rangea ses outils et regagna sa bagnole. En face du cimetière, le rade venait d’ouvrir. Pour célébrer sa victoire, il s’offrit un bon ballon de blanc et rentra chez lui écouter l’album d’Alicia F que venaient de lui envoyer ses amis Rahan et Rouchka. Ouaf ouaf !

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             Sur la pochette de son premier album, Alicia F sort le grand jeu : elle te fixe dans le blanc des yeux et porte du vinyle rouge, des bas résille et des bijoux punk. C’est sa façon d’annoncer la couleur. L’album s’appelle Welcome To My F... World et comme au temps des Lords Of The New Church, le cœur d’Alicia F est transpercé d’une dague.

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    Ce n’est un secret pour personne : Alicia F est l’âme sœur de Marlow le Marlou, il faut donc s’attendre à des pluies d’étincelles, surtout depuis que notre Marlou préféré roule pour nous avec Marlow Rider. Accompagnés de Fred Kolinski (beurre) et Fredo Lherm (bassmatic), nos tourtereaux ont opté pour le punk-rock à l’Américaine, celui de Kim Fowley et des Ramones. Ils ramènent du très gros son et dès «Hey You», il pleut des (Cherry) bombs. Hey ! Avec un Marlou qui joue le killer flasher entre deux déflagrations. La seule cover de l’album est le «Cherry Bomb» que Kim Fowley composa pour les Runaways et ils restituent cette merveille avec un niaque exemplaire. Moins glam dans l’esprit que la version originale, mais sacrément bon esprit. Ils prennent ça en heavy rock d’exaction parégorique. Bel hommage à Kim Kong, le roi des elfes. Comme chacun sait, les bonnes intentions pavent le chemin de l’enfer, hello daddy, hello mum, on se régale. Dans chaque cut, Marlow le Marlou prend un killer solo flash et comme Dick Taylor, il fait en sorte que ce soit chaque fois différent. Dans «Freedom’s Running», il passe un solo hendrixien d’esprit Cry Of Love. C’est un guitariste surprenant. Dans «City Of Broken Dreams», le balladif de service, il joue les espagnolades de la romantica, il gratte des volutes de Gitanes, on a même des castagnettes, c’est excellent, une belle occasion pour lui de partir en vrille de biseau. Alicia F est parfaitement à l’aise dans tout ce battage. Elle impose en style qui évoque les louves à la Française, notamment Fabienne Shine de Shakin’ Street que Marc aimait beaucoup. Alicia boucle l’A avec un «Speedrock» monté sur un beau beat rockab, l’occasion d’entendre le Rikkha-man Seb le Bison faire le cat dans les chœurs. Ça repart de plus belle en B avec «Because I’m Your Enemy», encore un cut bardé de son, dévoré de l’intérieur par un bassmatic carnivore et allumé par un Marlou posté en embuscade. Derrière ça bat sec et net. Ils ramènent du son à la pelle et Alicia don’t give a fuck, avec sa gouaille inexorable. L’occasion une fois encore pour le Marlou de broder un killer solo sur mesure. Il est à la fois si insidieux et tellement rocky road. Avec «My Siver Fox» ils passent au boogie anglais, le Marlou veille au grain, il gratte des accords de glam et part en vrille à la Mick Ralph, alors ça donne du gut au cut. C’est avec «Kill Kill Kill» qu’ils se mettent à sonner comme les Ramones. Ils multiplient les hommages déguisés, avec une rythmique à toute épreuve. On entend même de vagues échos rythmiques de «Lust For Life». C’est un son tout terrain qui passe partout. Et puis voilà la cerise sur le gâtö : «Skydog Forever», fantastique hommage à Marc Zermati. Le cut sonne comme un classique des Seeds, c’est superbe, en plein dans le museau du mille - Lost in the heart/ The heart of the city/ With a rocker mind and a dandy Style/ Skydog forever - Chaque mot semble pesé, Alicia parle de dévotion - They called you the Godfather/ Of the punk rock mafia/ Fighting music fuckers/ With the first punk festival - Tout sonne incroyablement juste dans cet hommage. Ceux qui ont eu l’immense privilège de fréquenter Marc y retrouveront leur compte. En fin de cut, Alicia lui donne la parole, sous forme d’un extrait d’interview, et il déclare : «Skydog reste underground mais grâce à Dieu, c’est un underground international.» Alicia lui dédie d’ailleurs son album, ainsi qu’à Robert Fiorucci.

             Dans les remerciements, on trouve le nom de Damie Chad, donc tout va bien dans le meilleur des mondes.

    Signé : Cazengler, Aliscié

    Alicia F. Welcome To My F... World. Damnation

     

    Fat White Family Stone - Part Two

     

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             De tous les drug-books qui honorent de leur présence le panthéon de la rock culture, Ten Thousand Apologies: Fat White Family And The Miracle Of Failure pourrait prendre la tête du classement, s’il nous venait l’idée saugrenue d’établir ce genre de classement. Co-écrit par Lias Saoudi, frontman des Fat Whites, et Adelle Stripe, ce book fait passer tous les champions de la désaille pour des enfants de chœur, depuis Johnny Thunders jusqu’aux Happy Mondays, en passant par Lanegan et les 13th Floor. C’est bien simple, on trouve quasiment des drogues à toutes les pages de ce book, des drogues qui jouent bien sûr leur rôle d’élément provocateur dans le contexte d’un groupe de petits mecs qui cherchent à réussir dans un domaine où tout a déjà été testé en termes d’excès, le rock anglais. Les Fat Whites passent sous les sempiternelles fourches caudines du marche ou crève, jetant leurs vies dans la balance à chaque instant, comme le firent avant eux les Stones, les Pistols, les Spacemen 3, les Happy Mondays, pour ne parler que des Anglais. Le seul problème, c’est qu’à la différence des pré-cités, leurs disques ne sont pas bons. Tout ça pour ça ?

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             La parution du book semble entrer dans une stratégie de reconquête, la reconquête d’une notoriété perdue. Cette parution précède nous dit-on la sortie d’un documentaire : une équipe filma jadis les Fat Whites en tournée. Voici dix ans, la presse et les commères du village en faisaient leurs choux gras, cultivant une sorte d’obsession à vouloir voir en eux les nouveaux Pistols. Comme le montre le book, les Fat Whites ne faisaient pas semblant, ils pratiquaient le walk on the wild side qui fait la légende du rock, à partir du moment où tu mets ta vie en jeu. Ils le font pour de vrai, comme le firent d’une certaine façon les Pistols en leur temps. Mais les Fat Whites ont échoué là où les Pistols ont réussi : un album mythique et un mort. Zéro album mythique chez les Fat Whites.

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             On est pourtant allé fureter dans leur dernier album, Serfs Up. Ils y cherchent encore leur voie, car l’album sonne comme un melting pot de potes. Obligé de constater une fois de plus que ce groupe si brillant sur scène n’a jamais su enregistrer un bon album. Lias Saoudi fait de la diskö à la Kön avec «Feet» et les choses ne vont pas s’arranger avec «I Believe In Something Better», un cut particulièrement vide de sens. Méchante arnaque ! Ils proposent une sorte de deep noise sans intérêt. Cet album sent le coup monté. Ils manquent tragiquement de compos. «Kim’s Sunsets» sonne comme le plus inutile des cuts inutiles. Ils tentent de sauver les meubles avec le funk de «Fringe Runner», mais ils s’enfoncent encore plus, même si derrière des filles font des chœurs déments. S’il faut sauver un soldat Ryan de cette Bérézina, ce sera «Fringe Runner». On retrouve enfin cet excellent chanteur qu’est Lias Saoudi avec «Oh Sebastian». Il chante ça de l’intérieur. Ce mec a du talent, encore faut-il lui donner de bonnes chansons. Et voilà qu’ils reviennent (enfin) au glam avec «Tastes Good With The Money». Leur heavy glam sonne comme le meilleur heavy glam qu’on puisse espérer. On ne saurait faire mieux. Ce glam dégomme tout - And all my faith slides right into place/ The air up there so fresh and clean - L’album semble enfin se réveiller car voilà que s’ensuit un «Rock Fishes» assez puissant, mené au groove d’under the boisseau. Ils ont mis du gravier sur la pochette intérieure, ça veut dire ce que ça veut dire. Pour finir, ils plagient le Together des Beatles avec «Bobby’s Boyfriend». C’est assez mal embouché. C’est comme si on crevait les yeux des moines de Tarkovski une deuxième fois. Les Fat Whites sont éminemment malsains, ils cultivent une ignoble perpète de son et s’enivrent de torpeurs insalubres.

             Lias Saoudi doit une fière chandelle à Adelle. Elle manie l’historique des Fat Whites avec la maestria d’une romancière chevronnée. Bon c’est vrai qu’elle dispose d’une bonne matière de base, mais elle fait des miracles, rendant tous ces personnages un peu excessifs plus vrais que nature, à commencer par Lias et son frère Nathan, fils de Bashir Saoudi, arrivé en Angleterre dans les seventies, et petits-fils de Kaci, survivant du bagne de Cayenne où il a moisi vingt ans, accusé d’avoir occis un colon. Adelle réussit l’exploit d’exacerber la grandeur des Kabyles d’Algérie et de sublimer leur fantastique instinct de survie pourtant mis à rude épreuve par les bouchers colonialistes qui s’étaient crus autorisés à s’approprier leurs terres et à renier leur liberté, avec une brutalité digne de celle des nazis et du KKK. Le sort d’un combattant kabyle ne valait pas mieux que celui d’un nègre dans les pattes du KKK ou d’un juif dans celle des nazis. Adelle parle de populations de villages «traumatisées par les Français.» Le ton qu’elle emploie est si juste qu’on la croirait elle-même kabyle. Cherche-t-elle à donner du poids à son récit en évoquant ce passé troublé ?

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             Dans l’un des longs passages que Lias rédige pour entrelarder le récit d’Adelle, il raconte qu’un jour il appelle son père à l’aide depuis une cabine et Bashir arrive sur sa moto, armé du cimeterre qui décorait le mur du salon, le père est un guerrier kabyle, où sont tes ennemis mon fils, je vais leur trancher la gorge, slit their fucking throats, et Lias ajoute qu’en voyant son père dans cet état, il se sentait protégé. Il revoit son père comme un homme issu d’une tradition très ancienne. Cette tradition d’homme des montagnes veut aussi qu’on apprenne à boire comme un trou et surtout à rire des pires situations. Lias avoue qu’il aurait préféré être le fils de quelqu’un d’autre. Car il faut être à la hauteur d’une telle tradition. Néanmoins, il apprend à vivre héroïquement, à la Kabyle : penniless, shameless... victorious. No surrender! Il le dit avec ses mots, et c’est assez fascinant.

             Adelle entre dans les histoires de la famille Saoudi pour noircir des pages superbes, et puis dans celle de la famille Adamczewski, dont le rejeton Saul va former avec les deux frères Lias et Nathan le trognon de base des Fat Whites. Ils sont tous les trois issus de milieux qui accumulent tous les problèmes. La mère des frères Saoudi qui est anglaise divorce du père et va s’installer en Irlande du Nord en pleine période des Troubles, et donc Lias et Nathan apprennent à vivre à la dure. Quand il se retrouve dans une école du County Tyrone en Irlande, Lias en bave. C’est le dernier endroit au monde où il veut être - There was no place more depressing than Cookstown that year, a fact he was certain of - Il dit y être arrivé en 1998, «juste après la signature du Good Friday Agreement, and only three days before the detonation of the Omagh bomb 26 miles up the road.» Lias raconte pas mal d’épisodes d’agression dont il est victime en tant que filthy little Jew-nosed nigger, les crachats dans la gueule et la peur viscérale qu’il a de se battre, cherchant toujours à parlementer  pour éviter d’entrer dans une shoote perdue d’avance - My tactic was endless bargaining. I would attempt to talk my way out - Il dit qu’il n’existe pas de plus grande humiliation dans la vie que de tenter de «smooth things over with people who have just spat in your face.» Alors ça le précipite dans des abîmes de suicidal depression.

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    ( Lias, Saul, Nathan )

             Comme les frères Saoudi, Saul vit une enfance mouvementée. À l’école, il passe rapidement du stade de troubled pupil à celui de full-blown special case. Saul est viré de l’école parce qu’il jette des morceaux de sucre sur les instituteurs. Il se caractérise très vite par un manque total de respect pour l’autorité, il n’éprouve jamais aucun remords et cherche en permanence la confrontation. Et teenage Saul découvre le punk rock. Avant de jouer dans les Fat Whites, il jouait dans les Metros. Comme chacun sait, Saul a des yeux clairs fantastiquement beaux et ce qu’on appelle un sourire brisé : deux dents de devant pétées. Ça date du temps des Metros. Il faisait une grimace à Curly Joes à travers le pare-brise du van et Curly Joe lui a envoyé un tas à travers le pare-brise qui lui a cassé deux dents. Elles n’ont jamais été remplacées. Comme on va le voir, Saul va traverser tous les cercles de l’enfer de Dante. À une époque, il vit avec une girlfriend et ils tournent tous les deux au crack. Leur seule et unique préoccupation quotidienne consiste à trouver les £15 pour la dose. Quand sa girlfriend revient avec la dose, nous dit Adelle, Saul lui arrache des mains et elle se retrouve sans rien - There was an extreme selfishness in his addiction - Tous les désordres mentaux de Saul remontent à la surface et ça le conduit naturellement a ce qu’Adelle appelle des «violent interactions in his day-to-day life». Le jeu favori de Saul consiste à croire qu’il peut contrôler l’esprit de Lias.

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             Et puis voilà la musique. Lias vit son premier choc transcendental avec sa copine Jeanette qui est obsédée par Dylan. Lias craque sur «All Along The Watchtower», puis «Last Thoughts On Woody Guthrie», a poem about the nature of integrity - In that moment, Lias was changed forever, nous dit Adelle. Le lendemain, il achète sa première guitare. Plus tard, avec les Fat Whites, il découvre les vertus de la musique : «Jouer sur scène veut dire aller et venir sur la scène devant des tas de femmes soûles. Les effets de la musique sont immédiats et universels, la musique n’appartient pas aux classes supérieures ou aux classes moyennes, que je commençais à mépriser profondément. Tu n’as pas besoin de comprendre une chanson, you just need a bit of enthusiasm.» Puis il découvre le punk et le Lipstick Traces de Greil Marcus devient son handbook : «C’était le premier livre qui prenait en compte mes angoisses sociales et qui prônait l’engagement pour le combat culturel : de Dada à l’Internationale Situationniste, en passant par la naissance du punk et au-delà, et rétrospectivement, ce book saved me from making a dire fool of myself for the rest of my life.» Puis il rencontre a girl called Mitzy, «sophisticated and stylish, introducing him to Gaz’s Rockin’ Blues, cocaine and the wonders of oral sex.»

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             Lias se sent rapidement destiné à jouer dans un groupe de rock : «Like every other sexually frustrated young man with a drug problem who came of age during the Doherty era, being in a band looked like easy street.» Et boom, c’est parti ! Mais ça marche de pair, c’est-à-dire Fat White Family et la dope. L’un ne va pas sans l’autre.

             Sur scène, Lias prend vite l’habitude de baisser se froc et il va même parfois jusqu’à se branler ou se faire sucer par l’un des Fat Whites. La queue à l’air ? Il a découvert qu’Iggy en avait fait son fonds de commerce, alors il s’est contenté de pousser le bouchon un peu plus loin. Et comme il est monté comme un âne, il a une petite tendance à l’exhibitionnisme. On le voit souvent à poil sur les photos du groupe. Adelle parle même d’une abondante toison, his enormous bush. À la façon dont elle en parle, on sent une certaine admiration.

             Lias commence par s’installer à Londres en s’inscrivant dans une école d’art. Il reçoit un prêt du gouvernement qu’il investit aussitôt dans un gros pochon de coke qu’il compte revendre pour se faire du blé, mais comme tous les dealers amateurs, il commence par taper dans sa réserve qui se vide à vue d’œil - by the hour - En 72 heures, il vient à bout de sa réserve et donc son business-plan tombe à l’eau. Son frère Nathan le rejoint à Londres et ils vont tous les deux commencer à naviguer de squat en squat, tripping on acid et rigolant de tout. En vrais Kabyles.

             Le junkie dans la bande, c’est Saul. Il vit sa découverte de l’hero comme a source of real comfort - Heroin switched off the noise and chaos in his head. Plus de colère ni d’angoisse en lui. Juste un petit coussin qui rendait la vie quotidienne supportable et qui lui permettait de faire des rêves extrêmement pervers. Pire encore : il commençait à entendre la musique in an entirely new way - Saul prend de l’hero alors qu’il bosse avec un copain sur des chantiers de couverture. Il est en haut, sur le toit et il lui arrive de dégueuler dans la rue.

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             À une époque, ils sont hébergés au Queen’s, un pub situé à Brixton, peint tout en noir et tenu par the Landlord. Saul et Nathan se battent, puis se rabibochent en fumant de l’hero. Quand Thatcher casse sa pipe en 2013, les Fat Whites font la fête comme beaucoup de gens à Londres et accrochent une banderole au balcon du Queen’s : «The witch is dead.» Lias et Saul fument du crack pour célébrer l’événement. Ailleurs, Nathan et Adam se partagent un sac de meth - Nathan’s face was deranged and had transformed into a Cubist ruin - Curly Joe lui demande si ça va et Nathan lui répond qu’«it’s okay because now I feel like superman, an insane amount of confidence. Fuck!». L’histoire des Fat Whites n’est qu’une succession d’excès en tous genres. On ne sait pas si Adelle cède à la surenchère, ou si elle essaye de calmer le jeu, mais chaque page apporte sa pierre à l’édifice. Quand Saul et Nathan sont envoyés à New York signer un contrat. Saul est sous valium et comme il est terrorisé par le vol, il essaye de lire un book de Jaroslv Hasek. Ils transforment les dix jours qu’ils passent à Greenwich Village en speedball marathon. La nuit du septième jour, Nathan overdose et Saul lui dit d’aller marcher dans la rue, ça lui fera du bien - You just need to relax - Nathan survit miraculeusement. Quand Saul refuse d’aller jouer sur scène, Pete qui est leur manager lui propose £100 de crack, alors Saul accepte de prendre l’avion pour se rendre au concert. Puis Saul décide de décrocher et se retrouve en detox au Mexique, il revient clean en Californie. Il se retrouve chez des gens qui ont une piscine, et on lui met une ligne sous le nez. Alors Saul prend le billet roulé et sniff-snaff - I never said I was giving up everything - Puis quand il est de retour à Londres, il fume déjà du crack - The city equalled drugs, nous dit Adelle - There was no escaping it - Pas moyen de faire autrement. Pendant six mois, il parvient à rester relativement clean, mais jouer dans les Fat Whites à Londres rendait tout décrochage impossible - Drugs were far too easy to score - Lias confirme : «I had walked out onto the stage at Brixton Academy six months previoulsy with a head full of speed, MDMA, acid, mushrooms, heroin and liquor. We’d reached the summit, finally.»

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             Il y a aussi de la chimie dans les Fat Whites ou plutôt de l’alchimie, notamment entre Saul et Lias  - There was a natural affinity between us like no other - Lias dit aussi qu’une fois devenu junkie, Saul became tyrannical. Les Fat Whites, c’est d’abord l’histoire d’un groupe qui vit en collectivité. D’où les excès. Leur première préoccupation, aussitôt après la dope, c’est de se trouver un toit. On retrouve ça partout dans le récit. Pas d’argent, donc de grosses difficultés à se loger. Les Fat Whites vivent dans le trash collectif absolu, Adelle décrit les appartements qu’ils détruisent, les toilettes bouchées, alors ils chient dans des sacs qu’ils vont jeter dans les poubelles des voisins, et puis les cuisines, comme on les imagine, ils cultivent la dépravation, mais pour en faire de l’art - The level of depravity was a work of art in itself - Saul dort dans un placard à balais, tout habillé à cause des punaises de lit. Adelle nous parle de squalor - But it was a choice to live on that level of degradation - Les Fat Whites se baladent à poil dans l’appart et il n’est pas rare de voir des queues traîner sur la table du living room. On voit une photo de Saul à poil avec la queue enveloppée dans du papier alu. Il porte un Stetson et un ceinturon dans le lequel il a glissé trois boîtes de coca écrasées. L’image est magnifique. On se croirait dans le Trash d’Andy Warhol, avec Joe Dalessandro.

             Sur scène, les Fat Whites ramènent tout ce chaos. Le groupe commence par s’appeler Champagne Holocaust, d’après «the Fat White Duke» James Endeacott et une boucherie de Camberwell, alors ils optent pour Meat Divine and the Fat White Family. Quand Lias et Dan entrent pour la première fois en studio à Hackney, c’est avec une bouteille de LSD, mais sans le dire à Saul. Alors dès qu’ils voient Saul faire le moindre geste, ils sont pliés de rire. À une époque, ils louent un appart dans lequel ils répètent. Une voisine tape dans le mur. Les Fat Whites montent le son et continuent à jouer. Et puis un jour elle ne tape plus. Les Fat Whites voient arriver une ambulance. La voisine est morte d’un cancer. Nathan demande aux autres si c’est le krautrock qu’ils jouent qui a tué la voisine. Saul répond «Probably yeah», et ajoute : «Death by Damo Suzuki, it’s quite a way to go out, don’t you think?», mais Lias hausse les épaules : «What a rotten set of bastards we are.»

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             Adelle se régale avec les concerts chaotiques des Fat Whites. Elle se penche particulièrement sur celui du Purple Turtle, un pub où les videurs essayent d’arrêter le set, alors Lias se branle sur la foule qui pousse des cris d’horreur. Ils sont virés du pub comme des malpropres et les videurs jettent leur matériel en vrac dans la rue. Mais pour certains observateurs, les Fat Whites deviennent the most exciting band in years. Adelle nous dit que les Fat Whites écoutent à cette époque les Country Teasers, The Fall et The Make-Up.

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             Saul peaufine son esthétique du trash. Il veut que le premier album des Fat Whites soit perfect - but perfectly bad - He wanted it to sound shit - On a donc l’explication. Voilà pourquoi ce premier album est tellement insupportable ! C’est en s’installant au Queen’s qu’ils s’enfoncent dans la trashitude et qu’ils deviennent des sortes d’anti-héros. The Landlord leur passe tous leurs caprices, c’est-à-dire tous les excès liés à l’alcool et aux drogues. Jamais la moindre remarque. Lias est fier des Fat Whites : «Le groupe est issu du dépit le plus profond, celui causé par un monde qui nous a rejetés mes copains et moi à cause de nos tares. Mais notre addiction aux drogues, notre asociabilité et nos tares mentales ne sont pas une posture. Le groupe était une sorte de club pour jeunes gens en colère et sans avenir social.» Une fois devenus célèbres, Lias explique qu’ils n’ont jamais eu a payer pour boire un verre, et les foules qui les voyaient sur scène les applaudissaient pour les raisons qui les ont rendus asociaux. L’une de plus belles illustrations de cette éthique du déclassement, c’est un cut nommé «Tinfoil Deathstar», sur Songs For Our Mothers. «Tinfoil Deathstar» raconte l’histoire d’un homme nommé David Clapson. On lui avait coupé son allocation de chômage parce qu’il avait raté un rendez-vous à l’agence pour l’emploi. Radié ! Donc condamné à mort. La police l’a retrouvé mort dans son appartement. L’autopsie a révélé qu’il n’avait RIEN dans le ventre. Pire encore : comme il souffrait du diabète, il devait prendre de l’insuline, mais son frigo ne marchait plus. Il ne lui restait que £3.44 et une liasse de CVs. Clapson nous dit Adelle avait bossé toute sa vie et demandait une allocation chômage pour pouvoir s’occuper de sa mère. Alors quand Lias a lu l’histoire dans le journal, ça l’a rendu fou de rage. Adelle : «Joué lors d’une South London party, avec des hipsters qui fument de l’hero et qui pensent avoir des problèmes, le cut invoque le souvenir de David Clapson : c’est son fantôme qui vient taper à la fenêtre en brandissant sa liasse de CVs.» On est en plein dans Ken Loach. C’est de cette Angleterre dont parlent le vieux Ken et les Fat Whites, là où les pratiques des fonctionnaires envers les pauvres et les déclassés sont plus violentes qu’ailleurs. Un groupe comme les Fat Whites ne peut exister qu’en Angleterre. Même chose pour Ken Loach. Ils dénoncent, mais ça ne changera rien.  

             Lors d’un concert à New York, Matthew Johnson de Fat Possum Records demande à assister au soundcheck. Dan qui est à l’époque le batteur décide de saboter le set alors Saul vient vers lui et le frappe. Puis il revient le frapper encore une fois, plus violemment, alors Dan fout son kit en l’air et quitte la scène en chialant. The chaos must go on. Ça n’empêchera pas Fat Possum de les signer. En virant Dan des Fat Whites, le groupe atteint les tréfonds du désespoir. Saul est tellement conscient de ce désespoir social et environnemental qu’il est obligé de se réfugier dans l’hero.

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             Le second album des Fat Wites, Songs For Our Mothers est descendu par la presse. On parle d’émanations de fosse septique. Et Adelle en cite d’autres toutes aussi gratinées, s’empressant d’ajouter : «et ce sont les plus favorables.» 

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             Quand les Fat Whites jouent à la Cigale, c’est le soir des attentats. Ils ne le sauront qu’après : ils étaient la cible, et non les Eagles Of Death Metal au Bataclan. Le commando s’est gouré de concert. Saul est viré du groupe à ce moment-là. Le seul qui reste en contact avec lui est Nathan. En fait, les Fat Whites passent leur temps à se battre entre eux. Puis Saul revient et les tensions reviennent avec lui. Un jour, il s’en prend à Adam. L’occasion est trop belle. Adam rêvait d’en coller une à Saul depuis des années et, excédé, il saute sur l’occasion pour lui en décrocher une belle en plein museau. Lias assiste à tout ça sans jamais intervenir. Parmi les apôtres du chaos, tous les coups sont permis. Lias : «À Londres, on était un danger permanent pour nous-mêmes et pour les autres. De toute évidence, on avait perdu le contrôle. Alors j’ai ramassé mes sous et suis parti me planquer en Asie pendant trois mois. Juste pour retrouver some sanity. À mon retour, je suis allé à Sheffield, dans une petite maison en briques rouges.» C’est à Sheffield que les Fat Whites décident de se réinstaller. Loin de Londres et des dealers. Adelle dresse alors un fabuleux panorama : «Les Fat Whites étaient considérés par la presse comme le Next Big Thing et ils avaient sombré dans une spirale de crack et d’hero, ils avaient enregistré un deuxième album volontairement invendable et réussi à virer leur chief melodist and musical director (Saul).» Fantastique ! Et ce n’est pas fini. Lias finit même par virer Adam, l’un des vétérans du groupe, parce qu’il prend encore de l’hero et à Sheffield, Lias ne veut plus d’hero. C’est Nathan qui devient le compositeur du groupe, mais il en bave, car il n’est pas fait pour ça. The chaos must go on.

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             Lors du festival de Glastonbury en 2015, les Fat Whites sont assez fiers de se retrouver à la même affiche que The Fall. Mark E. Smith est un peu leur idole. C’est Lias qui raconte l’histoire. Il voit Smith sous la tente où les musiciens prennent leurs repas. Mais il n’ose pas aller lui parler. Alors Nathan va trouver Smith et se présente. Smith le fait asseoir à sa table et lui demande s’il veut un verre de cidre. Honoré, Nathan accepte. Smith remplit un verre et le balance à la gueule de Nathan. Humilié, Nathan se lève et lui dit qu’il n’aurait jamais dû faire ça ! Alors Smith lui dit de se rasseoir, sit down, I’m sorry, il s’excuse et lui verse un autre verre. Nathan l’accepte. Il prend le verre et le balance dans la gueule de Smith. Une fois la surprise passée, Smith apprécie le geste. Comme les Fat Whites, Smith est un fin spécialiste du chaos. Finalement, Lias va s’asseoir à côté de son idole pour papoter. Smith lui dit qu’il connaît les Fat Whites et que ça lui rappelle les Seeds. À sa façon, Lias salue le génie de Mark E. Smith : «A loathsome autocrat he may be, but a genius also.»     

    Signé : Cazengler, fat white finally

    Lias Saoudi & Adelle Stripe. Ten Thousand Apologies: Fat White Family And The Miracle Of Failure. White Rabbit 2022

    Fat White Family. Serfs Up. Domino 2019

     

     

     The Quireboys are back in town

     

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             Comme les Dogs d’Amour, les Quireboys firent partie à la fin des années 80 des grands prétendants au trône de la debauchery, avec bien sûr des racines dans la Stonesy et les Faces. Tous ces mecs déclinaient jusqu’à la nausée le look de Keith Richards, à grands renforts de foulards, d’épis, de bijoux et de mascara. Mais en même temps, ils parvenaient à pondre d’excellents albums, si tant est qu’on soit amateur de vrai son anglais. Un groupe comme les Quireboys n’est compréhensible qu’aux yeux et aux oreilles des kids qui ont grandi avec les Stones et les Faces. La moyenne d’âge de leur public tourne donc autour de 65 ans. Voire plus.

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             Les voilà donc en Normandie, ce qui est assez inespéré, en ces temps de vaches maigres.  Juste avant l’arrivée du groupe sur scène, un présentateur vient annoncer l’absence de Spike et ajoute que finalement, ce n’est pas plus mal. De quoi se mêle-t-il ? Puis ils arrivent. Des Quireboys au rabais ? Oh la la, pas du tout.

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             — Hello Cleonne, this is rock’n’roll !

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             Dès le premier accord, on sait que le concert va être génial. Vrai son anglais, Spike absent, mais les compos sont là et Guy Griffin n’est pas né de la dernière pluie. Fantastique présence, sous sa casquette de gavroche, il chante avec toute la bravado de Steve Marriott, il gratte sa Tele et établit le contact avec le public. Ce mec est fabuleusement doué. Par sa corpulence, il rappelle aussi Gary Holton, il est le kid rocker anglais par excellence. Il présente chaque cut, indique de quel album il provient et redit sa fierté d’avoir participé à tout ça depuis 15 ans. Ils attaquent avec l’excellent «Love That Dirty Town» tiré d’Homebreakers & Heartbreakers, ils réaniment avec brio l’immense panache des Faces, seuls des Anglais peuvent sortir un son pareil.

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    De l’autre côté se tient Paul Guerin, une grande perche coiffée comme Robert Plant, il est le prototype du guitariste anglais des seventies, il joue sur Gibson et ramène énormément de son, mais avec une finesse extrême. Diable, comme ces mecs sont bons ! Ils sont extrêmement bien conservés, aucune trace de délabrement physique chez eux. Ils tirent pas moins de sept cuts de leur premier album, A Bit Of What You Fancy, «7 O’Clock», «There She Goes Again», «Whippin’ Boy», «Long Time Comin’», «Roses & Rings», «I Don’t Love You Anymore» et le «Sex Party» qu’ils jouent en rappel. De l’autre côté se tient le bassman, un petit homme chapeauté qui semble sortir d’un groupe de ska, tout maigre, court sur pattes, très sec, avec une tête de Simonon et un corps de Topper Headon, il marque le rythme en hochant la tête d’avant en arrière et sort sur sa Precision un bassmatic infernal, ultra-présent. Sur l’excellent et quasi-dylanesque «Mona Lisa Smiled», il joue carrément comme Ronnie Lane, en amenant des descentes de gammes mélodiquement vertigineuses.

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    Leur set-list est une sorte de best of. Ils tirent aussi «Hello» et «Louder» d’Homebreakers & Heartbreakers. Toutes les compos sonnent bien, même avec leur côté classique. On appelle ça du good time rock’n’roll.

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             Alors on ressort pour l’occasion quelques albums de l’étagère, à commencer par l’excellent A Bit Of What You Fancy paru en 1990. Le guitariste du groupe est alors Guy Bailey qui comme Nikki Sudden et Marc Bolan, porte un chapeau claque. Tous les hits sont déjà là, c’est un album qui à l’époque ne passait pas inaperçu, à condition bien sûr d’aimer le son des Faces. Top départ avec «7 O’Clock», leur vieux coucou d’oh yeah qu’ils vont nous resservir pendant quarante ans. Avec leurs chœurs d’oooh oooh, ils se prennent pour les Dolls. Ils sont dans leur délire de c’mon, de coups d’harp et de Rod the Modelism, oh yeah, alors ils méritent mille fois le respect. Ils y vont franco de port avec «Sex Party», joli shoot de ce heavy boogie blast qui deviendra leur fonds de commerce. Et puis Spike éclate en tant que chanteur avec «Sweet Mary Ann», avec son suitcase in my hand. Il faut bien dire que ce mec chante comme un dieu, comme d’ailleurs son idole Rod The Mod, dont il produit un bonne émulation. Il refait encore des miracles sur «I Don’t Love You Anymore», il chante comme un poète romantique perché sur la falaise face à la tempête, il développe les mêmes testostérones que Rod The Mod. «Hey You» et «Misled» sonnent comme de bons hits de rock anglais, Guy Bailey n’y va pas de main morte. «Roses & Rings» sonne aussi comme un hit, Spike y développe de belles dynamiques de Stonesy et ça devient une pure énormité. Belle compo, c’est la raison pour laquelle ils la resservent régulièrement. Spike chante comme Rod, aux mieux des possibilités du rock anglais. Spike est un héros.

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             C’est «7 O’Clock» qui ouvre le bal de From Tooting To Barking. Spike et son copain Guy Bailey prennent un peu les gens pour des cons : on retrouve sur Tooting tous les cuts d’A Bit Of What You Fancy. Avec «Hey You», ils s’adonnent aux joies du heavy-blues rock de London Town. Guy Bailey se tape une jolie descente en dérapage contrôlé sur sa guitare. On tend l’oreille car ce mec est assez fin. «Man On The Loose» est un véritable chef-d’œuvre de Stonesy, ils tapent dans l’excellence de don’t care/ It’s alrite ! L’album est bardé de son, on a même des coups d’harp dans «Mayfair», et Guy Bailey ramène pour l’occasion tous les arpèges de la vieille Angleterre. C’est très impressionnant. Les Quireboys ne sont pas des pieds tendres et encore moins des oies blanches : ils ont au moins vingt albums à leur palmarès. Spike survit à toutes les vagues, ce qui fait sa grandeur. Ils finissent quand même par se vautrer avec des slowahs ridicules («Devil Of A Man», «Hates To Please») et ça se termine avec «Roses & Rings». En Angleterre, on en revient toujours aux roses. Ils sont fous des roses. C’est du mauvais cliché. À force de s’étrangler la glotte, Spike devient ridicule. Il s’imagine qu’à force de raw, il va conquérir l’Asie Mineure. Il se fout le pieu de Minerve dans l’œil et on espère bien que les chacals finiront de dévorer son impudence.

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             Paru en l’an 2000, Lost In Space pourrait très bien être un album des Faces. Tout là-dessus renvoie aux Faces, à commencer par le «Don’t Bite The Hand That Feeds Ya» d’ouverture. Ils sont dans ce son et ça les honore. Ils sont même marrants à vouloir sonner exactement comme les Faces. Et ça continue avec «Tramps & Thieves», ils sont dedans jusqu’au cou, même son, même chant. On retrouve les vieux coucous comme «Milsed» et «Roses & Rings» - I still love you baby - Ce sont les dynamiques de «Maggie May», beaucoup plus évidentes dans cette version live, oui, car il est important que préciser que Lost In Space est un album live. «Ode To You (Baby Just Walk)» est un cut assez puissant. Ils ramènent un peu de Stonesy dans «My Saint Jude» et puis les vieux coucous reviennent encore, «Man On The Loose» (Guy Bailey se prend pour Keef), «Sex Party (machine infernale, ils n’inventent rien mais jouent comme quatre) et ils terminent avec l’insubmersible «7 O’Clock» - I say/ What’s the time ? - Spike is on fire, il en perd sa voix.   

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             Attention ! This Is Rock ‘N’ Roll est un big album de heavy boogie britannique. Ils annoncent la couleur dès le morceau titre, ils visent la fusion de l’atome du rock, ça fond dans la température. Ils tartinent «Show Me What You Got» au pire heavy de la heavyness. Personne n’est allé aussi loin dans le coulé de bronze. La heavyness des Quireboys, c’est quelque chose ! Ils se tapent une belle envolée de power pop avec «Six Degrees» et du coup ça devient énorme. Quel entrain et c’est claqué aux meilleurs accords d’Angleterre. Leur «C’mon» est hallucinant de c’monnerie et ça bascule dans le demented are go à gogo. Cet album est décidément très convainquant. Ils allument «Turn Away» comme un vieux cut de Mott, ça joue aux accords anglais et Spike plonge dans la sauce, c’est excellent, tellement anglais, turn away yeah, Spike gueule tout ce qu’il peut dans la clameur du turn away. On revient dans l’esthétique des Faces avec «Enough For One Lifetime», même classe que les lads. Ils saturent leur «Never Let Me Go» de son, ça devient ultraïque. On entend parfois des éclos de glam, les Quireboys ont tellement de métier ! Ils singent Humble Pie sur «Misled 2014» et les Faces sur «7 O’Clock 2014». Ils cultivent bien leur pré carré.    

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             C’est sur l’Homewreckers & Heartbreakers paru en 2008 qu’apparaît pour la première fois cette petite merveille qu’est «Mona Lisa Smiled», puissant balladif qui t’embarque pour Cythère, qui te transforme en brindille sur le Yang-Tsé-Kiang, quel flow et quel flux de nappes d’orgue, mais tu n’as pas les lignes de basse du concert. «One For The Road» et «Hello» pourraient figurer sur n’importe quel album des Faces, surtout «One For The Road» qui est du pur Plonk Lane avec le violon et les odeurs de roulotte. Spike repart à l’assaut de Rod avec «Hello», c’est plus fort que lui, il ne peut pas s’en empêcher, même chose avec «Hello» qui est Facy/Quiry en diable, avec une vraie mélodie chant - Hello/ Can you remember how it felt to be winning - Il faut dire que la quasi-totalité des lyrics sont des gros tas de clichés, mais il peut nous arriver de chanter parfois en chœur avec Spike. On l’aime bien ce mec, avec sa tête de romanichel et ses deux petits yeux barbouillés de mascara. Il fait aussi du Rod The Mod avec «I Love That Dirty Town», il ramone la cheminée fatiguée du vieux boogie rock britannique. On ne saurait imaginer meilleure osmose avec la Rodose de la Modose. Spike chante encore «Louder» au sommet de sa red hot Rod machine. Si on a besoin d’un autre Rod, il est là, pas la peine d’aller chercher ailleurs. Il travaille son «Late Night Saturday Call» à la rocaille, comme son idole. Leur boogie reste d’une efficacité redoutable. Ces mecs jettent tous leurs œufs dans le même panier. «Take A Look At Yourself» est très cousu de fil blanc, très orchestré et très chanté, on trouve même des cuivres dans la soupe aux vermicelles.

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             Au fil des albums, on est tenté de penser que Spike devient une caricature. Il pousse le vieux rock des Faces à l’extrême, alors qu’il est totalement passé de mode. Mais si on réfléchit bien, c’est une bonne chose que des vieux crabes en santiags maintiennent cette tradition, au risque de se caricaturer. Le danger est là. Mais bon, Spike et ses amis y vont de bon cœur et on trouve quelques merveilles sur Beautiful Curse. Les Quireboys sont un petit écosystème fragile et mal protégé, comme le sont les cervelles de leurs fans les plus anciens. On tape ici dans de la vieille moute, on les voit s’amuser avec le «Chain Smoking». Spike sait bien qu’il va choper un cancer, mais le chain smoking fait partie du cirque. Premier coup de cœur avec «Talk Of The Town», bien souligné à l’orgue. Il chante plus loin «King Of Fools» à la Rod the Fumaga, la glotte carbonisée, c’est une vraie voix de mineur malade de la silicose. Il y va le vieux Spike, dans un dernier spasme sur sa paillasse. Ils ressort l’excellent «Homewreckers & Heartbreakers» et cette fois il sonne comme une vieille sorcière, celle de Walt Disney dans les 101 Dalmatiens. Il va chercher sa pulpe au cœur du Heartbreakers. Quel vampire ! Le morceau titre est la troisième merveille de cet album. On croit entendre un hit des Faces, c’est dire si ! À peu près la même ampleur et ça vaut pour un compliment. Les plongées dans le climat sont superbes. Les Quireboys maîtrisent bien l’art profane du balladif et comme d’usage, c’est très anglais, avec de forts accents de Rod The Mod.     

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             C’est avec Black Eyed Sons paru en 2014 que les Quireboys lancent l’esthétique des masques peints sur les visages. Il existe une version trois CDs de cet album : en plus de l’album proprement dit, on trouve un CD2 Unplugged In Sweden et un DVD Live In London. C’est la foire à la saucisse. Deux des cuts de l’album pourraient très bien figurer sur un album des Faces : «Julieanne» et «Stubborn Kinda Heart». Ils amènent ça au Rod way, c’est exactement le même push de hush, avec les mêmes nappes d’orgue et le même drive. Spike fait bien son Rod sur Stubborn, il ne peut pas s’en empêcher, il tape cette fois dans la romantica. Lorsqu’ils attaquent «What Do You Want From Me», ils plongent dans leur cadavre exquis. Et quand ils ne singent pas les Faces, ils font du boogie («Lullaby Of London Town»). Spike ressort sa voix de cacochyme pour «The Messenger» et tape une belle cover de «You Never Can tell». L’Unplugged est extrêmement intéressant, ils retravaillent tous leurs vieux coucous à coups d’acou et de piano. «Don’t Bite The Hand That Feed You» et «There She Goes Again» sont presque plus beaux en mode acou, ils sonnent comme des hits d’oh wow wow. Et puis voilà la huitième merveille du monde, la version acou de «Mona Lisa Smiled». Pas d’orgue, mais c’est beau. Spike porte le monde sur ses épaules, comme le fit Rod en son temps - Paul Gerin on guitar ! lance Spike - Il annonce ensuite «Roses & Rings» from the first  Quireboys album. C’est du big Quiry sound, pas de problème. Spike fait encore son Rod avec «Misled», il chante à la force du poignet, pas facile sans électricité, mais il y va, cu’mon ! Et ils terminent avec le sempiternel «7 O’Clock» - What’s the time ?, demande-t-il au public qui répond 7 O’Clock - You got it ! Et ils refont les Faces.

             Le DVD Live In London vaut son pesant d’or du Rhin. Objet indispensable à tous ceux qui n’ont pas eu la chance de voir les Quireboys sur scène. Très beau spectacle, celui d’un groupe accompli qui peut tenir 90 minutes avec un répertoire solide - We’re the Quireboy, and this... is rock’n’roll - Spike fait bien l’annonce. Il tient son pied de micro comme Rod The Mod,  et le groupe attaque avec «Black Mariah». Paul Guerin et Guy Griffin ont sorti les Gibsons pour jouer le riff de «TV Eye». En fait, les Quireboys font beaucoup d’emprunts, puisqu’on les voit enchaîner avec un «Too Much Of A Good Thing» monté sur les accords d’«Alright Now». Merci Free ! Et puis voilà «Misled», pur jus de Stonesy teintée de Rod The Mod. Mais ça tient sacrément bien la route. Ils jouent tous leurs hits et font la promo de l’album précédent, Beautiful Curse. On passe bien sûr par «Mona Lisa Smiled» et là tu as la ligne de basse faramineuse du concert de Cléon. C’est lui, le petit mec, qui emmène Mona Lisa au paradis, on l’entend tricoter dans le fond du cut. On apprend par le générique qu’il s’appelle Nick Mailing. À l’époque du Live in London, il est barbu. Il n’est quasiment pas filmé, comme si les Quireboys avaient donné la consigne de ne filmer que les quatre membres officiels, Spike, Guerin, Griffin et Weir, jamais le batteur ni le bassiste. Très bizarre comme attitude. Heureusement, Spike les présente à un moment donné. Comme on l’a vu à Cléon, Guy Griffin communiquait énormément avec le public. Spike présente lui aussi tous les cuts. Quand arrive «Beautiful Curse», on réalise que c’est une merveille digne du Rod de l’époque Mercury. Et Spike indique qu’«I Love That Dirty Town» is about my hometown of Newcastle. Plus loin, il demande l’heure au public qui répond «7 O’Clock», you got it, et ils terminent en beauté avec «Sex Party».

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             Le St Cecilia And The Gypsy Soul qui paraît en 2015 est encore un gros morceau : quatre disques. Là ils exagèrent. D’autant qu’ils nous resservent toujours les mêmes vieux coucous sur Halfpenny Dancer, qui est ensuite redécoupé sur deux disks pour la version live. Disons que c’est une occasion de repasser une bonne soirée en réécoutant «Mona Lisa Smiled», «There She Goes Again», «Hello» et «Roses & Rings». Ce ne sont que des hits d’un romanichel qui aime bien sa roulotte, comme ce fut le cas de Plonk Lane. Spike ramène sa voix pleine de gravier, sa voix de Rod silicosé, son ceinturon et sa veste à rayures. Les petits Français n’ont pas accès à  tout ça. Sur l’album proprement dit, on trouve deux petites merveilles : «Out Of Your Mind» et «The Hurting Kid». Sur le premier, Spike fait son crocodile, il rampe dans le boogie, ses écailles luisent à la lune. Il chante si intensément. «The Hurting Kid» sonne comme un hit de heavy pop, mais c’est la pop de Spike, vite faite bien faite. Le reste de l’album est très classique, très Quiry, vite embarqué («Gracie B»), pas le temps de dire ouf. Spike s’en va chanter ça sous le boisseau. Il s’arrange toujours pour faire son cirque. Il est une sorte de real deal. Sur le morceau titre, il se met un peu en colère et retombe dans le cousu de fil blanc avec «Can’t Hide It Anymore». Retour au toxic sound avec «The Best Are Not Forgotten», ils sont dans leur élément.

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             Ils continuent de cultiver l’esthétique des masques pour la pochette de Twisted Love paru en 2016. C’est une bonne esthétique. Comme les Drive-By Truckers dans un autre genre, ils se fabriquent une identité graphique très forte. Ils démarrent sur des chapeaux de roues avec «Torn & Frayed». Ils sont très doués pour ça, pour le hot as hell. Ils se montrent à la hauteur de leur réputation. Spike chante comme mille démons, il fait feu de tous bois, sur «Ghost Train», il a des chœurs fantastiques - Ghost train/ To paradise - Le hit de l’album s’appelle «Gracie B», joué à l’orgue Hammond. Ça en bouche un coin. Voilà ce qu’il faut bien appeler un hit, avec un solo hendrixien à la clé. L’Hammond leur va comme un gant. Spike chante son «KillingTime» à ras les flammes du lac de lave, comme le Hollandais, il navigue aux confins de l’enfer. S’ensuit le morceau titre, un heavy balladif Quiry joué à la sale petite cocote insistante, I know you’re lying, Spike ressort pour l’occasion sa voix de dernier stade de cancer de la gorge. Ils chauffent enduite le bouillon de «Breaking Rocks» à outrance, le chant prend feu, c’est encore autre chose que Rod The Mod, Spike carbonise littéralement son hot as hell. Leur truc consiste à charger les climats à outrance, ils font ça à l’Anglaise, avec un certain talent. Encore un stormer avec «Life’s A Bitch» et dans «Stroll On», on les voit tripoter tous les vieux schémas du rock anglais pour en faire du Quiry pur. C’est très bien foutu. Admirable.

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             White Trash Blues paraît l’année suivante. Fin des masques. Ils tombent dans le panneau de l’imagerie américaine, avec une vieille bagnole rouillée. Dommage. C’est un album de covers qui ne présente pas grand intérêt. On sauve «Boom Boom», même si leur cover n’arrive pas à la cheville de celle d’Eric Burdon. Spike en fait trop et il se vautre. Il tape aussi l’«Help Me» rendu célèbre par Ten Years After. Il ne peut pas rivaliser avec Alvin Lee. Coup d’épée dans l’eau. Spike s’esquinte la voix d’entrée de jeu dans «Crosseyed Cat», comme s’il se filait un coup de rasoir dans la glotte. Ils tapent dans toutes les tartes à la crème, notamment «Going Down». Mais encore une fois, tout le monde est passé par là, surtout Bobby Tench avec le Jeff Beck Group. À force de vouloir égaler tous les géants de la terre, Spike finit par devenir caricatural. Encore une grosse tarte à la crème avec «Hoochie Coochie Man». Muddy est passé par là, alors laisse tomber. On trouve aussi une version d’«I’m A King Bee». Ils ne l’attaquent pas comme les Stones, c’est autre chose, la version Quiry est trop savonnée. Pour taper dans Slim Harpo, il faut s’appeler Brian Jones. Leur version est trop pépère, on y entend même du piano. Le piano ne buzze pas all nite long, nous dit le dicton. Ils se vautrent encore avec «Walking The Dog». Ça appartient à Rufus, alors laisse tomber, Spike. Ils s’en sortent de justesse avec «Little Queenie», car ils sonnent comme les Faces. C’est éculé de fil blanc. Mais bon, ainsi va la vie. 

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             Très bel album que le dernier album en date des Quireboys, Amazing Disgrace. Ils renouent une dernière fois avec l’esthétique des masques pour la pochette avec ce gros plan sur l’œil noir d’une gitane un peu sorcière et boom, ça démarre avec «Original Black Eyed Son» que Spike prend au plus heavy de la heavyness, il va chercher la racine du Quiry Sound. Ils ont un son qui plane comme une ombre au-dessus de l’Angleterre. Pas de doute, c’est puissant, plein de grumeaux, Spike chante dressé sur la barricade, comme Gavroche sous les balles des Versaillais, got a feeling ! Vive la liberté ! On reste dans les grumeaux avec «Sinner Serenade», le vieux Spike allume le meilleur British rock du XXIe siècle, il porte le flambeau. Avec «Seven Deadly Sins», ils fondent des petits riffs à la Stevie Wonder dans leur purée invraisemblable. Ce groupe est passionnant, on les croit usés jusqu’à la corde, pas du tout. Ils sont encore capables de clameurs superbes. Ils montent leur morceau titre en neige extraordinaire. Ils savent gérer les dynamiques. Ils s’enfoncent même dans l’excellence compositale, du coup, les voilà bombardés au niveau supérieur. Spike refait son Rod silicosé dans «Eve Of The Summertime». Il n’a pas l’air en forme. Ça va Spike ? Arrrgghhhh. Il semble mal en point. Mais il chante sa mélodie. Un vrai rossignol. On a là du pur Quiry Sound visité par l’Amazing Disgrace. Spike pousse son bouchon loin dans le cancer, comme s’il se triturait la gorge avec un gros tisonnier. C’est assez spectaculaire, au plan médico-légal. «California Blues» est un peu plus musclé, Spike chante en lévitation au-dessus des guitares. On le voit ensuite ramoner la purée de «Slave #1» avec son tisonnier, puis danser à Paris on a saturday night avec «Dancing In Paris». C’est un enchanteur. Il t’emmène où il veut et ce fort bel album s’achève avec un «Medusa My Girl» pulsé à l’énergie des violons tziganes. Très spécial et accueilli à bras ouverts, la voix de Spike coule comme du poison dans les veines du son.

             Ce texte est pour Laurent, qui rêvait de revoir les Quireboys sur scène en Normandie.

    Signé : Cazengler, Quirebotte de radis

    Quireboys. La Traverse. Cléon (76). Le 2 avril 2022

    Quireboys. A Bit Of What You Fancy. Parlophone 1990

    Quireboys. From Tooting To Barking. Essential 1994

    Quireboys. Lost In Space. Snapper Music 2000  

    Quireboys. This Is Rock ‘N’ Roll. Sanctuary Records 2001   

    Quireboys. Homewreckers & Heartbreakers. Jerkin’ Crockus Promotions Ltd 2008

    Quireboys. Beautiful Curse. Off Yer Rocka Recordings 2013      

    Quireboys. Black Eyed Sons. Off Yer Rocka Recordings 2014  

    Quireboys. St Cecilia And The Gypsy Soul. Off Yer Rocka Recordings 2015

    Quireboys. Twisted Love. Off Yer Rocka Recordings 2016

    Quireboys. White Trash Blues. Off Yer Rocka Recordings 2017

    Quireboys. Amazing Disgrace. Off Yer Rocka Recordings 2019

     

     

    Inside the goldmine - Motorcadors

     

             Le visage sculpté par la lueur tremblante de la chandelle, le vieux forban parlait d’une voix rauque et sourde à la fois :

             — En ce temps-là, on considérait les groupes comme des vaisseaux chargés d’or. Nous repérâmes un groupe new-yorkais nommé White Light Motorcade. Il fit son apparition dans le début des années 2000 avec un album baptisé Thank You Goodnight que quelques vagues critiques s’ingénièrent aussitôt à ovationner. Il nous fallut donc le guetter et quand il fut en vue, nous approchâmes par tribord pour lancer les grappins et monter à l’abordage. Il n’opposa aucune résistance. Au contraire, il semblait même s’offrir impudiquement, comme s’offre la courtisane grassement payée. Vénal au point d’en paraître détestable, il béait et dégageait de lourdes senteurs, ces fameuses senteurs sauvages et fauves dont aimait à se griser Baudelaire... 

             Il s’interrompit, le temps d’avaler une solide gorgée de rhum, puis reprit son récit.

             — Lorsque nous descendîmes en cale, nous fûmes estomaqués par l’abondance des richesses qui s’y trouvaient entassées. D’innombrables coffres regorgeaient de pièces d’or, on voyait des rivières de diamants et de pierres rares s’écouler de jarres éventrées. Aucun de nous autres forbans chevronnés n’aurait pu imaginer un tel amoncellement de richesses.

             Puis il souffla dans un murmure :

             — Le croirez-vous, les amis ? Nous fûmes soudain saisis d’effroi. Et si ce vaisseau renfermait un maléfice ? Et s’il s’agissait d’un mauvais tour que nous préparait le diable ?

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             Le vieux forban n’avait pas tort de se méfier, mais les superstitions dont son esprit était la proie altéraient son jugement. Quand on écoute Thank You Goodnight de White Light Motorcade, on risque au minimum un choc esthétique, et au pire une crise cardiaque, mais à condition d’être hypersensible, ce qui n’est pas le cas - fort heureusement - de la grande majorité de nos contemporains. Le choc esthétique, c’est déjà pas mal. On peut s’en contenter. D’autant qu’ils ont tendance à se raréfier, mais ceci est un autre débat.

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             Le chanteur de White Light Motorcade s’appelle Harley Di Nardo. Ce jeune rock’n’roll animal est comme ses trois collègues brun, beau comme un dieu et atrocement doué. Il porte en plus un nom de moto, ce qui de toute évidence le prédestine à devenir légendaire. Dès les premières mesures d’«Open Your Eyes», on est avalé par un kraken sonique. Vlouuuuffffffff ! C’est l’immédiate apothéose, la curée d’excellence stoogienne, ils jouent au petit jeu dangereux du trasho-destructif oasien, mais avec un truc à eux. Ils font dirons-nous de l’Oasis magnanime, ils outrepassent les lois du référencement. Cette tendance à l’Oasis va reparaître dans pas mal de cuts, tel l’«I Could Kick Myself» amené au dirty gaga, heavy et cra-cra, chanté à la petite vérole de vague à Liam. On sent le souffle d’une puissance inexorable. Voilà ce qui rend les Motorcade médusants. Harley Di Nardo fait aussi des vocalises à la Brett Anderson dans «Useless». Tout chez eux n’est que luxe extérieur, non calme et volupté australe. Ils taillent «Dream Day» dans l’apanage oasien, avec le même genre de démesure en filigrane et le solo qu’y passe Mark Lewis est un chef-d’œuvre de déglutition paraplégique, on ne peut pas résister à cette coulée de bave fumante. Et le génie dans tout ça ? Pas d’inquiétude, il arrive, sous la forme d’«It’s Happening», et d’un son de basse écrasant digne des colères de Poséidon, c’est-à-dire joué à la folie et hissé au sommet d’un art déjà très fréquenté, notamment par les groupes de Detroit. Cette merveille de dérèglement sonique bascule dans des abysses jusque-là inconnues. On se retrouve en présence d’un son qui s’écroule tout seul, d’un son qui va se perdre dans le lointain, tout est poussé à l’extrême, c’est tellement tutélaire qu’on a parfois l’impression d’écouter l’un des meilleurs albums de tous les temps. Le seul reproche qu’on pourrait leur faire serait d’avoir trop de son. Ce serait comme de reprocher à une belle femme d’avoir de trop beaux seins. Oserait-on ? Bien sûr, si on est con. L’autre sommet de cet album riche en sommets s’appelle «Semi Precious». Ils se jettent tous les quatre dans un grand four Bessemer pour y fondre comme du plomb et devenir du pur acier de Damas d’un bel éclat gris bleu, l’acier Motorcade. Rien d’aussi tranchant que cet acier. Leur tranchant n’a d’égal que leur science de la tension. On fait des bulles en écoutant «Semi Precious». Harley Di Nardo va chercher des accents terribles pour chanter «Closest». On pense aux Boo et au Rev, Di Nardo s’éclate dans un cosmos d’accords délictueux, il part à la reconquête du  sommet de l’art fumant. On voit d’autres cuts comme «We Come Together» dégringoler des escaliers et l’«On Top» de fin exploser au nez et à la barbe du rock. Boom !

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             Harley Vroom Vroom Di Nardo et son gang ont motorcadé une deuxième fois en 2005 avec Take Me To Your Party. L’album est moins spectaculaire, mais en même temps, ce n’est pas de la tarte. Ils y vont et nous aussi. On voit bien qu’ils essaient de rééditer l’exploit du premier album avec «Giant Hole» qu’ils explosent d’entrée de jeu, comme ça au moins les choses sont claires. Il faut voir comme ils tartinent la gueule de ce pauvre Giant Hole ! Ils font du Oasis, mais du Oasis cra-cra et ça prend vite des proportions. Avec «One In Three», ils tapent dans l’extrême du revienzy. Merveilleux Harley Vroom Vroom, il chante cette fois à la pétarade, mais c’est le batteur qui fait le show, il bat ventre à terre. Ils s’installent cependant dans une pop qui ne veut pas montrer son cul. La pop doit toujours montrer son cul. On ne lui demande pas d’écarter les fesses, juste monter son cul pour la beauté du geste. Les cuts se suivent et se ressemblent, et il faut attendre «Worst Case Scenario» pour retrouver un peu viande. Le son arrive comme un ouragan. Là tu la fermes et tu écoutes. C’est violent. Ça te secoue une baraque vite fait. Ils proposent une autre énormité un peu plus loin avec «Let’s Get Together», et comme dirait Yves Adrien, c’est du right now. Le hit de l’album est une nouvelle histoire d’insatisfaction : «Unsatisfied». Ils amènent ça comme une pop bien dégringolée et ça saute vite au paf. Ces mecs ont du mordant, mais le pire des mordants, le morcidus. So unsatisfied ! C’est encore pire que le can’t get no no no du Jag. Ils sont les rois de l’apothéose, c’est l’un des cuts les plus explosifs de l’histoire on va dire du rock américain. S’ensuit un «Beautiful Life» qui a des faux airs d’Adorable, ils ratissent les mêmes plates-bandes et en profitent pour revisiter les abîmes du big atmospherix. Harley Vroom Vroom conclut avec «After Party». Il tartine l’after-party comme d’autre tartinaient l’Afterpunk. Ah ces Yves ! 

    Signé : Cazengler, Motorcade à vous !

    White Light Motorcade. Thank You Goodnight. Octone Records 2002

    White Light Motorcade. Take Me To Your Party. Fatbone Records 2005

     

    DEOS

    Voici deux semaines, nous chroniquions les deux premiers opus de Deos. Le troisième ne va pas tarder à sortir. Ce disque est doublement prémonitoire, parce qu’il s’appelle Furor Bellis et parce que la guerre, comme, jamais depuis longtemps, est aux portes de l’Europe.

    Se pencher sur l’Histoire de Rome ne saurait nous laisser indifférents. Elle n’est que le récit d’une autre Europe qui a existé et qui a disparu. Le négliger serait une erreur.

    Pour cela il suffit de se laisser aller, quitte comme moi à parfois se laisser emporter sur certains morceaux à des évocations qui vous sont chères mais peu en adéquation avec ces brûlots véhéments que vous utiliserez comme des tremplins du Rêve d’une Rome infinie…

     

    FUROR BELLIS

    DEOS

    ( Wormholedeath / 27 Mai 2022 )

     

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    Beau chromo de couverture qui allie les styles des couves des opus précédents,  la bleuité spectrale de Ghosts of the Empire et la splendeur agressive du rouge de  In Nomine Romae, l’on retrouve le bois de la table et son crâne symbolique de la première et cette irrémissible envie de meurtre de la seconde, mais ici la tête de mort semble vivante, son œil droit est encore ouvert, sa main se tend vers on ne sait quoi et dans l’orbite de son œil creux est plantée  la lance  à laquelle est accroché le labarum impérieux de l’album surmonté de l’aigle et de l’inscription SPQR (Le Sénat et le Peuple Romain).

    C’est sur cet haillon de pourpre sacrée qu’est perché le Corbeau, le charognard des champs de bataille, par cela même intercesseur des vivants et des morts auprès des Dieux, mais aussi l’emblème de Mithra dieu du soleil immortel (  Sol Invictus ).  Le légionnaire qui désirait devenir adepte de Mithra devait descendre dans une fosse bouchée par une grille au-dessus de laquelle était égorgé un taureau, l’initié qui recevait le sang sur son corps était ainsi investi de la force du dieu taureau qu’était Mithra.  

    Jack Janus Graved : bass, vocals / Fabio Battistella : guitar, backing vocal / Cedric Cedd Bohem : guitar, backing vocal / Loic Depauwe : drums.

    Dichotomia Mediterranea : d’une richesse incroyable ces cent secondes d’introduction, une flûte matinale à lointaines consonnances orientalisantes, bruits d’ablutions hypothétiques, clapotements des sabots d’un cheval peu motivé, des appels de trompes perdus, des rumeurs de choeurs d’hommes de plus en plus affirmées, puis brutalement plus graves et recueillies, déchirement final d’un buccin qui met fin aux tâtonnements indistincts des réveils d’aube. Un mix étonnant d’une mouture metal-jazz surprenant, une très belle évocation de ces moments où l’âme humaine de chacun se réadapte à la réalité du monde, une légion à l’aurore qui s’éveille. Tâche sacrée : l’Imperium est à construire à l’intérieur des terres Méditerranéennes. Decimatio : c’est ici le lieu de la véritable dichotomie, après la vie matitunale du point du jour, la face la plus obscure, la nuit, la mort. La moins glorieuse, la plus honteuse, celle qui transforme l’homme en tête de bétail. La décimation fut très peu employée dans les légions mais son rappel dans les consciences était un   aiguillon pour la victoire. Après une défaite, les hommes se regroupaient en cercles de dix. Un tirage au sort désignait la future victime que ses neuf déjà anciens compagnons devaient mettre à mort à coups de massues. Les camarades lâchement soulagés de n'avoir pas été tirés au sort se dépêchaient d’accomplir le massacre… musique lourde et lente, palpitations battériales de cœurs affolés, la voix insidieuse, le destin ne crie pas il murmure à votre oreille et son annonce fait un bruit terrible dans votre tête, le morceau se traîne rapidement, une marche fatidique qui avance à la vitesse de la foudre, l’orchestration traduit admirablement cette double perception temporelle, implacable, ordonnatrice, accusatrice, qui vous accule à votre tâche qui est de mourir. Il existe une vidéo de Decimatio ( Official  Lyrics ) sur la chaîne YT de Deos, un judicieux montage, une espèce de bande dessinée semi-animée hyper-expressive mêlant images probablement tirées de jeux-vidéos et de la participation des membres du groupe. Un artwork patchwork qui a intégré l’esprit de ces peintres du dix-neuvième siècle que l’on a dédaigneusement surnommés pompiers alors que toute l’imagerie représentative de l’ illustration  moderne ( films, affiches, BD, livres pédagogiques, jeux-vidéos… ) de la Rome Antique descend en droite ligne de ces premiers concepteurs. Si certains usent du terme très péjoratif de kitch nous préférons y retrouver la force mythifiante d’une esthétique expressionniste.  Cerberus : au plus près des crocs de la mort, ne rien cacher, la mort n’en finit jamais, elle n’est pas qu’un mauvais moment à passer, mais une interminable descente d’escaliers souterrains, le terme n’est jamais atteint ; même lorsque vous avez franchi le sinistre fleuve qui vous sépare à tout jamais des vivants, le morceau fonctionne par paliers, parfois il se précipite parce que vous avez hâte d’arriver au terme, une guitare narquoise vous avertit, marchez, allez de l’avant, sans espoir et sans répit, le son s’assombrit, est-il possible que la voix devienne encore plus sépulcrale et sans pitié, elle marque le pas mais vous pousse dans le dos dès que vous vous arrêtez. Le temps est suspendu selon de lentes dégoulinades de la basse, feulements de cymbales, la marche reprend, puisque le temps n’existe plus il est temps de passer la porte de l’infini du néant. Arrêt brutal. Primus Pilus : rien ne semble pouvoir arrêter la mort. Si, le courage face à elle. Le grade de Primus Pilus était le plus haut  auquel pouvait accéder un légionnaire issu des classes subalternes, il commandait une des cohortes ( 800 hommes ) de la Légion. C’était un poste auquel on accédait en ayant fait preuve durant des années de vaillance, de ténacité, d’obéissance et d’esprit d’initiative… tambours honorifiques, le morceau débute par la  nomination à haute voix du récipiendaire à ce poste convoité, guitares, basse, et batterie entonnent une marche militaire, le primus pilus aboie ses consignes et donne l’ordre d’avancer, la musique se compactifie tandis que les rangs se resserrent et poussent, l’adversaire est devant, il porte toujours le même nom, la mort. Le tout est de la traverser, la musique s’amplifie, et de se retrouver sur la rive de la vie et de l’honneur.

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    Cinis Ad Cinerem : nous ne sommes que la poussière qu’un vent léger disperse si facilement, morceau philosophique, l’important est d’accepter sa condition de mortel, mourir à la guerre est dans la logique des choses, tuer ou être tué sont les mêmes choses, nous devons accomplir ce pour quoi et de quoi nous sommes, de grands coups de balais de guitares s’appesantissent, le vocal pèse des tonnes il écrase toute volonté de lâcheté, la musique avance, il est impossible de se dérober, la batterie déblaie toute velléité de résistance, elle incite à se conduire selon un stoïcisme d’acceptation de l’essence de la condition humaine. Morituri Te Salutant : il ne suffit pas d’être un homme, en prenant pour titre cette mythique formule de la gladiature, ce morceau d’assaut nous livre une des clefs de la compréhension du titre de l’album, Furor Bellis ne signifie pas que la fureur de la guerre est une bonne chose ou un agréable passe-temps, il est à mettre en relation avec ce que l’on nomme communément l’éthique du guerrier, il ne faut pas croire que le guerrier se précipite vers la mort mais qu’au contraire il est poussé dans le dos par cette force constitutive de la nature humaine, une nécessité bien plus puissante que la simple volonté humaine. Morceau puissant et violent, triomphal, une parade orgueilleuse, un mépris souverain envers la vanité des existences sans grandeurs. Peut-être le plus beau morceau de l’opus.  Cocles : Nous sommes à la moitié du disque, vous avons exploré sa face la plus sombre, la plus sanglante, la grandeur sans la décadence. Encore reste-t-il à définir la raison qui peut pousser à mourir. Les guitares se font un peu pompeuses, pour accueillir Cocles, ce héros qui a lui tout seul empêcha l’armée du roi Etrusque Porsenna de s’emparer du pont qui lui aurait permis de prendre Rome, musique et vocal  rageurs, nous suivons les mouvements de  Cocles qui se bat comme un lion,  nous sommes au cœur de l’action, là où ça se passe dans le tumulte de La présence torrentueuse du monde, des voix s’élèvent pour le féliciter de son exploit. Le simple citoyen a sauvé Rome. Scaevola : nous sommes encore dans les premières années de la République Romaine, un nouvel épisode de cette même guerre que précédemment contre Porsenna, un véritable thriller musical mené de main de maître, Scaevola qui a mené le personnel projet insensé de poignarder Porsenna se trompe et tue un de ses conseillers, prisonnier pour démontrer la détermination romaine il plonge sa main dans un brasier. Emu et ébranlé dans ses convictions guerrières par une telle détermination Porsenna le libère, et tente un rapprochement avec Rome. Il est nécessaire d’écouter ce morceau en lisant Tite-Live, Deos ne démérite pas, le brasier ardent de ce titre est à la hauteur de la prose de l’Historien romain. Germanicus : un bond de plusieurs siècles, Germanicus aurait-il succédé à Tibère, sa mort plus que suspecte l’en empêcha, il a existé de son vivant et durant des siècles un mythe et une mystique Germanicus, l’Imperator qui n’a jamais régné et dont le règne hypothétique qu’on lui prête aurait empêché la future décadence de l’Imperium… cette évocation de Deos se rattache à ce courant par ses couleurs contrastées tantôt éclatantes, tantôt sombres, le vent des guitares secoue les voiles funèbres des Destins funestes et peut-être injustes. Vallum Hadriani : instrumental, en opposition complète avec l’introduction du début, ce mur protecteur fortifié par l’Empereur Hadrien au nord de l’Angleterre est ici lourd de menaces. Nous sommes dans les années où Rome domine encore le monde. Cette barrière de pierres qui ne joua aucun rôle dans la lente dégradation de l’Empire n’est-elle pas ici envisagée en tant que symbole de la future fin de Rome, les hordes barbares se rapprochent et la déliquescence morale ronge l’antique virtus qui fut la force de Rome, le morceau s’arrête brusquement et se continue par Virgo Vestalis : musique sombre, le feu entretenu par les Vestales, prêtresse sacrées, était le symbole de la pérennité de Rome et de la protection que les Dieux apportaient à la cité, ce morceau est un retour aux origines fondationnelles, attenter à la virginité des Vestales était un crime, le feu ne couve pas sous la cendre, il brûle, il consume toute chose impure, une  fois éteint il aura raison de Rome, ce titre est un ravage traversé de bruit et de fureur, s’il en est un qu’il faut préférer dans ce disque c’est celui-ci, une tourmente vivante, une tornade qui emporte tout, lorsqu’il s’arrête vous avez l’impression de marcher dans un champ de cendres. Très belle participation vocale exacerbée de Jess Vee qui confère au morceau l’allure d’une grande scène d’opéra. Venenum Rex : dans la lignée du précédent, un déchaînement total, le screamer feule comme un tigre blessé acculé, le groupe est saisi d’une hybris autodestructrice sans égale, un monde s’écroule, les Dieux s’éloignent, tout est fini, rien ne sera plus comme avant, l’énergie primitive est perdue. L’on n’est jamais trahi que par soi-même.

             Un disque somptueux.

    Damie Chad.

     

    *

    Le 18 février 2021 – cela ne nous rajeunit pas, mais nous ne vieillit pas non plus – dans notre livraison 498 nous chroniquions le premier EP de Cörrupt, sont en train de préparer leur album, ce sont des gars sympathiques, pour que l’on ne se morfonde pas trop en attendant sa parution ils viennent de sortir un deuxième EP au titre trop répugnant en anglais Disgust pour que je le traduise en notre douce langue françoise,  toutefois rien ne saurait rebuter un rocker, aussi penchons-nous sur l’objet du délit, de la plus haute vertu comme dirait Maurice Scève.

    Rappelons pour ceux qui n’auraient pas suivi ce précédent épisode que l’on pouvait ranger leur premier opus sous l’étiquette mathcore, ce style de metal pouvant être défini en quelques mots comme du metal-noise-kaotif- super-élaboré ce qui explique la production hyper chiadée de cet E(ruptif) P(éremptorif) un tantinet exhorbitif pour les oreilles sensibles. J’ai la grande joie d’annoncer aux tympans modérés que le confinement n’a pas assagi nos Rochellois,  ne keupons pas les cheveux en quatre, z’ont recadré en plus crade, le nouveau bébé fort agité vagit à merveille.

    DISGUST

    CÖRRUPT

    Belle couve. Une fenêtre murée, obstruée par le bas d’un visage de géant de pierre, juste le nez et la bouche d’où s’échappe comme une barbe vomitoire, l’on distingue des formes informes, des grumeaux d’on ne sait quoi, des têtes de poissons et des courbures féminines qui peuvent si on les scrute un bon moment s’anamorphoser en queue de Mélusines voire en corps de batraciens, est-ce Saturne vomissant ses enfants qu’il a dévorés à leur naissance, ou la représentation de la corne d’abondance de notre modernité dégurgitant les déchets et immondices que nous sommes…

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    Lust : comment quoi ? j’ai une chronic à écrire ? excusez-moi, je n’ai pas vu passer, j’ai entendu un gros bruit assourdissant qui m’a tétanisé, j’ai cru que c’était la fin du monde, ah, bon ! c’était Cörrupt, je n’ai pas réalisé, je réenclenche, ah, je comprends mieux, oui c’est très court, mais z’ont une manière d’emmener le riff que quand c’est fini ils l’ont déjà cassé en trois morceaux. Faut suivre : une esgourde pas gourde pour la batterie qui estampille les rhinocéros sur les baobabs, une deuxième esgourde – elle peut être sourde, elle entendra quand même le vocal de Greg War qui s’égosille tel un gorille en colère, et une troisième plus lourde pour supporter le scribouillis sonore emphatique de la guitare de Renaud Galliot et la basse de Florian N’ Diet encarcassées et encastrées en un pantagruellique dégueulis démentiel, vingt secondes, vous n’y tenez plus, la basse fait le gros dos pour vous permettre de respirer et ça recommence illico les coquelicots, mais en pire. Cris et guitares emmêlés til the end, qui survient très vite. Corrosif, vous allez adorer. Born to lose : reprenez vos esprits, les vingt premières secondes sont idéale pour endormir votre bébé, vous savez quand vous lui cognez avec amour la tête sur le rebord du lavabo, la suite est moins drôle, une espèce de hachis parmentier de folie noire vous engloutit, vous n’êtes qu’au début de vos peines, un vocal engluant vous lapide, des voix d’outre-mort vous parlent,  un riff de locomotive vous écrase, un bourdon de basse vous entortille en escadrille, y’a une guitare qui dérape et tout le monde fonce dans le décor, un bête féroce rugit sur votre gauche, dommage que vous n’ayez pas regarder sur votre droite c’est de là que surgit la grande faucheuse. Né pour quoi au juste ? C’était deux minutes vingt secondes de malheur. Jealousy : la jalousie est un vilain défaut, vont vous en convaincre, d’abord une espèce de voiture qui klaxonne comme l’on tire la langue dans les cours de maternelle, ensuite le copain qui vous tape sur la tête avec sa pelle en fer dans le bac en sable, vous hurlez comme un dinosaure attaqué par des millions de fourmis rouges, ensuite vous ne savez pas, des milliers d’images sonores fondent sur vous et vous ne comprenez plus rien. Quand vous vous réveillez, le morceau est fini depuis longtemps vous êtes dans un petit cercueil de bois blanc avec une couronne de fleurs rouges que vous venez de déposer dessus. Je sais ce n’est pas logique, mais c’est l’effet que ça vous fera quand vous l’écouterez. Judging : tiens un truc qui ressemble à une intro d’un morceau rock, comme quoi un malheur n’arrive jamais seul, Greg War est subitement atteint d’une crise de délirium tremens, on le comprend il perçoit des bruits inaudibles dans sa tête, le problème c’est que l’auditeur les entend aussi, une espèce de guimbarde géante vous bombarde, et c’est alors que de tout là-haut les aliens vous parlent, essaient plusieurs langages incompréhensibles, comme vous n’y pigez rien vous poussez un cri fatidique pour les faire taire. Silence radio. Le morceau est fini. A cause de votre ignorance crasse, l’Humanité a perdu sa chance de survie. Les extraterrestres vexés ne nous recontacterons plus jamais. Vile Dog : là ils ont fait un gros effort, ils dépassent les quatre minutes trente, dans une interview accordée à  Loud TV ( YT ) ils déclarent tout fier que c’est leur première œuvre ‘’ prog’’. On veut bien, c’est pourtant assez loin de Pink Floyd. Pour être plus précis nous dirons c’est comme les quatre autres morceaux précédents, non pas en version lente  mais décomposée, un peu comme un prestidigitateur qui vous refait le coup de la disparition du seau de champagne sur votre table en quatre minutes, au lieu des soixante secondes qui lui ont suffi pour le faire disparaître auparavant. C’est aussi bon et violent que précédemment, vous avez l’impression qu’enfin on ne vous enlève pas l’assiette alors que vous n’avez pas fini le potage, mais lorsque ça s’arrête vous auriez encore écouté durant une heure. Cörrupt n’est pas là pour satisfaire vos besoins mais pour créer le manque.

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             Pour les fouineurs : deux vidéos concert de Born to lose et de Vile dog enregistrée au @ Aion Bar de La Rochelle en juillet 2015, Hélas ! le public n’a rien à voir avec celui des groupes de metalcore californiens, + le Clip Official Music Video featuring Stéphane Buriez de Loudblast, qui vaut le détour. Genre feu orange que l’on passe au rouge.

     Idéal pour les amateurs de Pogo Car Crash Control comme moi. Ne pas en abuser, vous risquez d’être corrompus. De la lave live !

    Damie Chad.

     

    News From :TWO RUNNER

     

    Dans notre chronique 541 du 10 févier 2022 nous avons présenté deux vidéos enregistrées en 2021 des Two Runner. La période n’était pas à la fête, concerts et festivals annulés, un temps peu agréable pour les musiciens et les chanteurs… Pour tout le monde aussi, mais Kr’tnt, nous le rappelons pour les lecteurs distraits, s’intéresse justement à la musique. Très symptomatiquement la vidéo la plus longue que nous avions regardée était un concert à la maison donné par Paige Anderson et Emilie Rose… Une visite sur le FB de Two Runner prouve  qu’en quelques mois les évènements se sont précipités.

    Z’ont réamenagé leur site. Un petit tour sur la rubrique ‘’tour’’ s’impose : déjà une bonne vingtaine de concerts ( Californie, Nevada, Nashville, Montana… ) pour les mois qui viennent, sont en finale d’un concours réunissant plus de sept cents candidats, et cerise sur le gâteau deux nouvelles vidéos :

    RUN SOULS / TWO RUNNER

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    Paysage forestier, la caméra s’envole vers la cime des arbres pour revenir vers la terre, cabane dans les bois, paysage typiquement américain tels qu’on les imagine en Europe, Two Runner se présente en quelques mots, c’est sur des vidéos similaires que sont jugés les candidats de Gems in the rough 2022, ( est-il utile de préciser que ce n’est pas du playback ).

    A gauche, Emilie Rose, moulée dans son ensemble bleu jeans, cheveux blonds courts et clairs, ses doigts arrêtent de taquiner les cordes de son violon, lorsque Paige, campées sur ses longues jambes dans ses bottes à lacets qu’elle affectionne, cheveux longs et veste à carreaux, entame la course sur son banjo. Pourquoi dit-on que les notes du banjo sont aigrelettes, celles de Paige roulent en cascades en une profusion d’harmoniques à mille résonnances, courent directement à l’âme. Dès que s’élève la voix de Paige, l’on est perdu, l’on ne sait plus trop où l’on est, cette manière si particulière de hausser le ton et de n'en jamais descendre, très roots et en même temps si novatrice, bluegrass certes, mais quelle nuance exactement, serait-ce la couleur tombée du ciel de Lovecraft, Emilie se joint à Paige pour le refrain, ensuite c’est son violon qui prend la place, il crisse et grince, porteur d’une affreuse nostalgie, maintenant elles chantent et jouent ensemble, plus fort, le violon est devenu souffrance et le banjo marteau, deux filles et un seul chant qui culmine dans une apothéose hors de la portée des simples mortels.  

    DEVIL’S ROWDIDOW / TWO RUNNER

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    Extérieur. Encore un paysage typiquement américain. Un hangar au toit rouillé isolé dans la plaine, pas si solitaire que cela puisque la caméra effectuant un quart de tour nous apercevons la façade d’une maison d’habitation, les filles sont debout devant un mur de tôle bleue pas très neuf… A peine la vidéo a-t-elle commencé que déjà raisonnaient le  banjo et le crincrin, elles sont en train de jouer à fond de train avec entrain, Page bras nus, foulard bleu de cowgirl autour du cou dans une robe blanche à motifs floraux, Emilie ceinturon à boucle de cheval retenant une jupe chinée de bleus sombres à larges pans, l’on n’a pas le temps de les admirer, le morceau cavale à la manière d’un mustang sauvage, le diable doit souffler dans le micro puisque l’on entend le vent, Paige prend le chant comme l’on lance sa monture au galop, Emilie baisse l’archet le long de sa jambe pour chanter avec elle le refrain aux harmonies finales évanescentes, ne sont que deux mais elles se livrent à  un tutti instrumental d’enfer qui ira crescendo, même si l’on discerne des subtilités de calme dans la tempête, il est étrange de voir combien Emilie semble lointaine, le regard vide, perdue en elle-même, puis prise d’une espèce de transe intérieure, Paige un tant soit peu soumise à une mécanique  fantastique qui se serait emparée d’elle, lorsque c’est fini, elles se regardent et se sourient comme si elles sortaient d’un étrange rêve. L’on serait prêt à parier que le Diable n’a pas dû être le dernier à rire.

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    Première fois que grâce à Emilie et Paige, je me retrouve sur TikTok, elles y ont posté une bonne vingtaine de vidéos, manifestement mises là pour appeler à voter pour elles. L’ensemble est frustrant. Certes elles interprètent de nombreux morceaux, à part trois ou quatre exceptions, ils ne durent au maximum qu’une minute. Rageant, par exemple leur interprétation du classique d’Utha Phillips ( inspiré de The Lonesome River des Stanley Brothers )  Rock Salt and Nails rive son clou à celle de Tyler Childers malgré toute l’admiration que nous portons à celui-ci.

             Bref, les filles vont bien, et nous aussi. Ce soir l’herbe est davantage bleue.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 541 : KR'TNT 541 : ROBERT GORDON / LIAM GALLAGHER / CHEAP TRICK / WILLIE COBBS / THUMOS / TWO RUNNER / ILLICITE / ROCKAMBOLESQUES

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 541

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    10 / 02 / 2022

    ROBERT GORDON / LIAM GALLAGHER

    CHEAP TRICK / WILLIE COBBS

    THUMOS / TWO RUNNER   / ILLICITE /

     ROCKAMBOLESQUES

    Gordon moi ta main et prends la mienne

     - Part Three - Book me Bob

     

             Memphis Rent Party date de 2018. Robert Gordon opte cette fois-ci pour un recueil d’articles, le but étant de proposer une collection de portraits hauts en couleurs, comme le fit Apollinaire en son temps avec Contemporains Pittoresques. On y retrouve les incontournables, Sam Phillips, Charlie Feathers, Jim Dickinson, Alex Chilton, Tav Falco, Jerry Lee, Bobby Blue Bland et d’autres personnalités plus underground comme Junior Kimbrough, James Carr et Otha Turner.

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    Le personnage clé de ce recueil étant bien entendu Memphis - Memphis - my Memphis - likes the unquantifiable. Nashville, New York, and Los Angeles, they promise stardom - Il ajoute que si Elvis n’avait pas démarré à Memphis mais dans l’une de ces trois autres villes, il serait devenu une pâle imitation de Perry Como. Bien vu, Bob. Dickinson rappelle que Memphis ne sera jamais Nashville - We’re a bunch of rednecks and field hands playing unpopular music - Dickinson a toujours su se montrer fier de cette marginalité péquenaudière. Et pour introduire le chapitre consacré au juke-joint de Junior Kimbrough, Robert Gordon ressort le vieux théorème de Danny Graflund : «Memphis is the town where nothing ever happens but the impossible always does.» L’auteur ajoute qu’à Memphis les loyers sont moins chers, les jours plus longs et on y tolère beaucoup moins le narcissisme qu’ailleurs. Fin philosophe et accessoirement inventeur du rock’n’roll, Sam Phillips indique que the perfect imperfection est une manière de définir the Memphis approach to art. Et dans son intro, Robert Gordon travaille sa vision au corps : «Il y a une profonde vérité dans notre blues, dans notre rock’n’roll, dans notre Soul et c’est pourquoi ces trois explosions ont transcendé leur époque. Chacune d’elles reste un modèle, vibrant et référentiel. Chacune d’elle fut inspirée par une défiance envers les normes sociales, par la misère et l’orgueil, par une soif de nouveauté et de différence. Memphis ne s’intéresse pas à l’instant présent, mais à l’horizon. La générosité de Furry Lewis et d’Odessa Redmond m’a beaucoup appris. J’ai découvert, grâce à tous ces musiciens, blancs et noirs, s’efforçant de lutter contre la haine, la paresse et l’ignorance, que le très grand art peut exister dans l’ombre.» Robert Gordon définit clairement ce qu’on ressent confusément.

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             Tiens, puisqu’on parlait de Sam. Selon Robert Gordon, Sam n’est pas tout rose - The devil is in the details and Sam welcomed the demons - C’est en fait une invitation à entrer dans l’épais Sam Phillips de Peter Guralnick. On croit tout savoir et on ne sait rien. Comme dit Keef, ça vaut la peine d’étudier. Tiens, puisqu’on parle de Keef, Robert Gordon n’hésite pas à comparer Mud Boys & the Neutrons aux Stones, en insistant tout de même sur une petite différence : si les Stones avaient appris directement auprès des bluesmen originaux plutôt que des disques, ils auraient pu sonner comme Mud Boy qui eux avaient appris auprès des bluesmen originaux. Gordon enfonce le clou en ajoutant que Mud Boy privilégiait la personnalité plutôt que le spectacle, et donnait à sa musique de l’espace pour respirer. Et comme si cela ne suffisait pas, Dickinson grommelle : «I have something Mick Jagger can’t afford.» Pas la peine de faire un dessin. D’ailleurs, c’est Dickinson qui se tape la part du lion dans ce recueil de portraits plus vivants que nature. Prophétique, comme toujours, il déclare : «The art form of the twentieth century is undeniably music. And the most important thing that has happened to music happened in Memphis. It’s like being in Paris at the start of the twentieth century. Culture has changed as much in the last twenty years as it did then, and the reason has been music.» En matière de vision, Dickinson fait autorité. Pourquoi ? Parce qu’il sait. Pour avoir étudié, d’une part, et pour savoir réfléchir, d’autre part. Robert Gordon ressort pour l’occasion une interview de Dickinson datant de 1986 et jamais publiée. Quand on lui demande de décrire Mud Boy, Dickinson répond que Mud Boy est un esprit qu’on tente d’invoquer, de la même manière que les Pygmées de la rain forest invoquent le shaman. Il revient aussi sur Alex Chilton pour rappeler qu’à l’époque des Box Tops, il était salement exploité - Alex never received the royalties for anything until Flies On Sherbert, you can imagine how much he made on that - Alors Alex se livra au sabotage systématique - On Big Star 3rd, I watched Alex sabotage every song that had real commercial potential - Dickinson revient à un moment sur sa vision du métier de producteur : «Straight people are afraid of artists, and I am an artist, and a lot of producers aren’t. And that scares record company people, the idea of, This guy thinks it’s art not business.» Et il se demande bien pourquoi tout devrait être un hit - What a sick idea - All I do is make things sound better - En en matière de southern production, il n’y a plus grand monde qui fasse aujourd’hui ce que je fais - Plus loin, Dickinson rend un sacré hommage à Paul Westerberg - Westerberg is way better than anybody gives him credit for. It may be the best stuff I’ve ever done. The Replacements even have a song called ‘Alex Chilton’ - Pour revenir aux Stones, Dickinson pense qu’Exile On Main Street est un album ruiné par la cocaïne et qu’un simple album aurait largement suffi - Keeping the slop, that’s what I’d keep - Il fait aussi la lumière sur sa shoote avec Dan Penn. Ils avaient enregistré 8 ou 9 cuts et il y eut un problème de fric, alors Dickinson s’est barré. Pour se venger, il a produit le Big Star 3rd que voulait produire Dan - I think revenge is the noblest human motive - Questionné sur Jerry McGill, Dickinson indique qu’il a enregistré d’excellentes choses avec lui. On les trouve d’ailleurs sur le disque audio qui accompagne le DVD Very Extremeley Dangerous, un docu qu’a tourné Robert Gordon sur McGill. Le titre de l’album de Mud Boy Known Felons In Drag vient de McGill qui était le road manager de Waylon Jennings. McGill était recherché par les flics, et pour leur échapper, il se déguisait en femme. Mud Boy jouait en première partie de Waylon Jennings et Sid Selvidge reconnut McGill - Yeah that’s got to be McGill or that’s the ugliest woman I ever saw - Alors McGill lui aurait dit : Known felons in drag. S’il est un autre personnage sur lequel Dickinson ne tarit pas d’éloges, c’est bien sûr Tav Falco, qu’il appelle Gus, diminutif de Gustavo. La première fois qu’il le vit chanter, ce fut avec une version de «Bourgeois Blues» en forme de happening. Tav tailla sa guitare à la tronçonneuse, tomba dans les pommes et aussitôt après, Alex vint lui proposer de monter un groupe avec lui - And that was the birth of Panther Burns - Et puis quand Tav faisait son numéro du three-legged man, il épatait toute la galerie. Jerry Phillips disait : «The three-legged man is just the best thing I’ve seen since the bullet.» The bullet ? Ça ne vous rappelle rien ? Dickinson en fait une description fascinante dans son recueil de souvenirs, I’m Just Dead, I’m Not Gone. Le chapitre que Robert Gordon consacre à Dickinson fourmille littéralement d’aphorismes. Par exemple, Dickinson sort ça sur les Klitz : «They didn’t know what the notes were, they knew when the notes were.» Et Robert Gordon conclut en revenant sur le chaos de Sherbert : «The chaos of Like Flies On Sherbert was intentionally developped. Memphis wasn’t about getting it right or wrong, it was about getting it.»

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             On plonge à la suite dans un tourbillon de négritude céleste, à commencer par Lead Belly. Les Lomax le rendirent populaire, mais en même temps, ils en firent leur valet et leur chauffeur. On appelle ça la complexité relationnelle. Plus loin, on apprend que la famille de Robert Johnson n’a jamais reçu d’argent ni pour The Complete Recordings, ni pour les reprises des chansons, ni pour l’utilisation de cette photo où on le voit jouer de la guitare avec une cigarette au bec et que tout le monde utilise jusqu’à la nausée. Joli portrait de Junior Kimbrough, big man, with an air of quiet violence, simmering sexuality and raucous good times. On servait de la fruit beer dans son juke-joint et Robert Gordon voyait des gens tomber dans les pommes - Might have been the fruit beer - On voit aussi le professeur de philosophie africaine Otha Turner donner un cours de fifre à Robert Gordon - You got to know how to know it - ça s’applique au fifre, mais aussi à tout le reste. Puis voilà Bobby Bland, qui n’avait pas de chaussures étant petit et qui adulte s’habillait chez un tailleur. Bobby appelle son grognement un ‘squall’. Peter Guralnick disait de Bobby qu’il avait des ‘sad, liquid eyes’. Autre black de base en termes de Memphis Rent Party, James Carr qui, rappelle Robert Gordon, était adulé au Japon, en Europe, partout dans le monde, sauf à Memphis - He was just another minority dude on welfare - Quinton Claunch rappelle qu’une nuit on tapa à sa porte : il y avait trois blackos, James Carr, O.V. Wright et Roosevelt Jamison. Ils avaient une cassette et un petit lecteur cassettes. Ils s’installèrent à même le sol dans le salon pour écouter la cassette et Claunch fut tellement emballé qu’il fit paraître deux singles sur Goldwax. On tombe bien évidemment sur l’excellent portait photographique que fit Tav Falco de James Carr, près du pont qui franchit le fleuve, à Memphis. On peut lire une interview accordée par James Carr, que l’auteur accepte enfin de publier. Le pauvre James Carr y semble très perturbé, convaincu qu’un autre homme est entré dans son corps. Gordon lui demande : «What was the cause of the switch ?» et James lui répond : «Lost in a dream.» Ces gens sont tellement forts qu’ils transforment tout en poésie. Ailleurs, ça relèverait de la psychiatrie.

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             Restent les géants blancs, Charlie Feathers, Tav Falco, Alex et Jerry Lee. Rien qu’avec ces quatre mousquetaires du Memphis Sound, on a largement de quoi faire. Voilà ce que dit Charlie  : «Rockabilly is the beginning and the end of music.» Et il a raison. Quand Robert Gordon le rencontre, Charlie a le souffle court. On vient de lui enlever un poumon. D’ailleurs il chique, parce qu’il n’a plus le droit de fumer. On voit même une photo de Charlie en train de cracher son jus de chique. Ben Vaughn dit de lui : «He’s so far into the music that he is, in my opinion, a genius. Like we think of jazz greats : Sun Ra or Mingus or Monk.» Et Ben ajoute : «He’s never given up on rockabilly, and he continually redefines it in his mind.» Robert Gordon rappelle le lien de maître à élève qui existait entre Charlie et Junior Kimbrough. Memphis, yeah. Un vrai conte de fées. Que des gens fascinants. Inutile de chercher, tu ne trouveras pas ça ailleurs. Il existe aussi un lien de parenté artistique entre Tav Falco et R.L. Burnside, les two-chord blues drones et l’early rockabilly, cocktail dans lequel Tav rajoute le tango et la samba. Pour Tav, ce qui compte, c’est l’aesthetic, plus que la virtuosité. Très tôt, il a les idées claires. Sans doute est-ce la raison pour laquelle il s’entend si bien avec Dickinson. Si Tav admire tant Artaud et son Théâtre de la Cruauté, c’est parce qu’il apporte un strong sense of drama on his stage, comme d’ailleurs les grands bluesmen. Tav s’est donc employé à transposer cette théorie sur un groupe. En plus, il partageait la scène avec les gens qu’il admirait : Charlie Feathers, Cordell Jackson, Jessie Mae Hemphill, Otha Turner - Tav alerted a new generation to their existence - Comme le firent le Cramps avec Hasil Adkins et The Phantom. Tav étudiait le blues : «J’ai vu Sleepy John Estes de Brownsville et Hammie Nixon l’accompagnait en soufflant dans une cruche. Bukka White chantait «Parchman Farm Blues» et jouait sur son dobro avec un cran d’arrêt. J’ai vu Nathan Beauregard à 91 ans jouer «Highway 61 Blues» et passer un solo de guitare électrique comme je n’en ai jamais revu depuis. Mississippi Fred McDowell est le plus grand bluesman gothique qui soit. Et j’ai vu the Jim Dickinson Band accompagner Ronnie Hawkins.» Tav raconte aussi comment il est devenu l’assistant de Bill Eggleston - So for me there’s been no separation between literature and theater and visual art and blues and rock and roll and jazz. And this is my formative experience - Robert Gordon et lui évoquent évidemment le fameux Stranded In Canton filmé par Bill Eggleston avec très peu de lumière et une pellicule ultra-sensible. Il évoque aussi le Big Dixie Brick Company, lorsque Randall Lyon et lui animaient les shows de Mud Boy & The Neutrons - A rock and roll Dionysian context. Randall was doing his Guru Biloxi characterization, dressed in a very flowing Blanche DuBois-in-her-terminal-stages-of-dementia type presentation - L’épisode Tav est particulièrement hot, car c’est un écrivain qui s’adresse à un écrivain, un souffle qui croise un autre souffle. Et Tav prend un malin plaisir à rappeler que dans Panther Burns, personne ne savait jouer, ni Eric Hill, ni Ross Jonhson, et encore moins Tav. Sauf Alex, bien sûr. Ils feront d’ailleurs la première partie des Clash lors d’une tournée américaine - My little four piece doing this strange blues - Évidemment, les gens n’y comprenaient rien. Et Tav évoque avec amusement ce concert de Knoxville qui faillit dégénérer en émeute. Tav raconte qu’il s’arrêta en plein milieu de «Tina The Go Go Queen», provoquant un sacré malaise, avant de redémarrer avec «Bourgeois Blues». Et sur sa lancée, Tav se refend d’un bel hommage aux Cramps : «Critics write off the Cramps as a novelty band, and that’s absurd.»

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             Tiens justement, puisqu’on parlait d’Alex, le voici. Robert Gordon raconte qu’en 1977, quelques mois avant les Sex Pistols, Alex montait sur scène et punk-rockait, accompagné de Sid Selvidge au piano, Dickinson à la basse et le garde du corps Danny Graflund au chant - Several months before the Sex Pistols came to Memphis, Alex Chilton pulled back the horizon and let us hear the imminent thunder - Robert Gordon insiste : Alex, les Cramps, Tav et Dickinson se sont tous influencés les uns les autres, ils ont tous su repousser les limites et ont des racines dans le son du passé - And those past sounds were local - You think Elvis wasn’t a punk ? - Bravo Robert ! Bien vu ! Oui, car la filiation est d’une effarante justesse. Robert fréquente Alex mais ne se sent pas l’aise avec lui. Il en parle à Dickinson qui lui répond que c’est la même chose pour tout le monde - Everyone does.

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             Parmi les albums que Robert Gordon cite en référence dans Memphis Rent Party, on trouve celui de John Gary Williams sur Stax. Il s’y niche un très beau «Honey», assez proche de l’«Everybody’s Talking» de Fred Neil. John Gary Williams a cette facilité de pouvoir sonner juste dans la beauté blanche. Il travaille sa chanson à l’élongation maximaliste et atteint l’horizon sans effort. Il leste son ampleur de belles lampées de feeling black et atteint à une sorte d’émancipation. Oui, John Gary Williams vise le mellow, il va parfois sur Marvin («I See Hope»), parfois sur Sam Cooke («I’m So Glad Fools Can Fall In Love») et vise clairement le slow groove de charme intense avec «Ask The Lonely». C’est avec «How Could I Let You Get Away» qu’il atteint à l’excellence staxy. Il flirte avec la Soul blanche, comme Freddie North, mais il finit toujours par redresser la situation en shootant ce qu’il faut de feeling black. Il met en œuvre une délicatesse qui en dit long sur sa configuration. Son feeling reste toujours d’une grande justesse. Il laisse les flûtes bercer nonchalamment «Open Your Heart And Let Love Come In» et il termine en sonnant comme Marvin dans «The Whole Damn World Is Going Crazy». John Gary Williams ne tombe pas du ciel : il chantait dans les Mad Lads qui pour une raison X n’ont pas connu le succès des autres têtes de gondole Stax. 

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             Comme il le fit précédemment avec It Came From Memphis, Robert Gordon joint à son livre Memphis Rent Party ce qu’il appelle un companion disk. L’album vaut le détour, ne serait-ce que parce qu’il en a constitué le track-list. On y retrouve l’extraordinaire «Desperado Waiting For A Train» de Jerry McGill, mais le cut qui emporte la bouche est le duo Luther Dickinson & Shade Thomas qui suit. Ils tapent une version de «Chevrolet» absolument superbe - They channel  Memphis Minnie through fife & drums greats Ed & Lonnie Young, nous dit Robert Gordon. Luther et Shade sont bien sûr les descendants des lignées royales Dickinson et Otha Turner. L’autre gros coup de Jarnac est le «Frame For The Blues» de Calvin Newborn. Complètement irréel de beauté. Calvin : «I used to think I could fly !» On trouve aussi un «All Night Long» de Junior Kimbrough enregistré par Robert Gordon chez Junior, justement - A cabin surrounded by acres of cotton fields - Il chante avec une niaque invraisemblable. Parmi les autres luminaries présents sur cette compile se trouvent aussi Furry Lewis, Alex Chilton et les Panther Burns avec «Drop Your Mask», one of the earliest art damage recordings. Robert Gordon nous dit aussi que Jerry Lee s’ennuyait à Nashville où il enregistrait pour Smash/Mercury, alors il revenait à Memphis enregistrer des trucs comme «Harbour Lights». On entend aussi Charlie Feathers roucouler à la lune dans «Defrost Your Heart». Robert Gordon l’admire tellement en tant que chanteur qu’il le compare à Sinatra et à George Jones. C’est Dickinson qui referme la marche avec «I’d Love To Be A Hippie», un big heavy blues - If you ever see a hippie, baby/ Walking down the road...

    Signé : Cazengler, Robert Gourdin

    Robert Gordon. Memphis Rent Party. Bloomsbury Publishing 2018

    Memphis Rent Party. Fat Possum Records 2018

    John Gary Williams. John Gary Williams. S*

     

    Pas de vague à Liam

     

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             Dans As It Was, le docu qu’ils consacrent à Liam Gallagher, Gavin Fitzgerald et Charlie Lightening n’y vont pas de main morte : Liam serait selon eux le dernier grand chanteur de rock en Angleterre. Et ils ont raison, mille fois raison, et vive l’arrogance des frères Gallag ! Bourdieu dirait : Insulter la terre entière, oui, mais à condition d’enregistrer de grands albums.

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    L’histoire d’Oasis n’est rien d’autre que ça, une histoire de grands albums et on n’a pas fini d’en faire le tour, car chaque fois qu’on remet le nez dedans, on s’effare dans la nuit. Les frères Gallag sont en plein dans l’équation magique de Totor : the voice + the song + the sound. Oasis est ce qui est arrivé de mieux à l’Angleterre après les Small Faces, les Pistols et les Mary Chain, c’est la quatrième vague, la vague géante qui a tout balayé et aujourd’hui Liam enfile sa parka pour aller rocker son fookin’ shit sur scène, car bien sûr, il n’est pas question pour lui de se débiner. Lightening prend le parti de nous montrer un Liam qui boit de l’eau et qui fait du sport, qui voyage avec ses fils et sa poule. Il essaye d’en faire un agneau. Liam Gallag un agneau ? Tu déconnes Charlie ! Sur le pont de San Francisco, Liam prend sa meilleure mine de lad pour annoncer au monde entier qu’il prend deux grammes avant de monter sur scène et ajoute en se marrant qu’avant il lui en fallait huit. C’est la seule trace de coke en une heure trente, mais fuck, comme elle est belle ! Lightening ne filme pas assez Liam sur scène, dommage, car comme on va le voir tout à l’heure, les cuts de ses deux albums solo sont fookin’ good. Et puis il y a ces coiffures de petites mèches, ces gueules de rockers anglais dont on ne se lasse pas, ces lunettes à verres teintés. À une époque, Liam se coiffait comme Ian McLagan. Comme les frères Gallag insistaient beaucoup sur le look, ils firent entrer dans le groupe Andy Bell et Gem Archer qui eux aussi arboraient des coupes McLagan. Mais de tous, le plus réussi, c’est Liam. Et puis il y a cette voix. Il fut le seul à pouvoir rivaliser de fookin’ sneer avec John Lydon. La morale de cette histoire est que Liam incarne encore aujourd’hui l’énergie du rock anglais. Il balaye d’un geste toutes les litanies et tous les pronostics à la mormoille : non le rock n’est pas mort.

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             C’est en 1994 qu’Oasis rallume le feu sacré du grand rock anglais avec Definitively Maybe. On le sent dès «Rock’n’Roll Star». Tu prends le son en pleine poire, c’est percuté au power direct. Tout éclate avec le son mordoré des guitares dans l’embrasement d’un soir d’apocalypse et la voix de Liam éclot comme la rose de Ronsard dans le pire bucketfull of punk-blues de tous les temps. On a là le plus gros blastoff d’Angleterre depuis «Gimme Shelter». Oui, ils s’inscrivent dans cette lignée et dans cette tradition du claqué d’Union Jack sur les océans du monde. Ces mecs surjouent leur génie sonique. Mais tout ceci n’est rien en comparaison de ce qui arrive plus loin : «Columbia». Le ciel s’y écroule sous les coups de boutoir combinés du heavy beat et des power chords. C’est l’une des intros les plus monstrueuses de l’histoire du rock. Impossible d’échapper à cette emprise. Liam chante à l’envers dans l’enfer du coulé de lave sonique. Ils vont encore plus loin que les Stones, ils manœuvrent leur rock dans une mer de feu. Voilà encore une preuve de l’existence du diable. Au fond, les frères Gallag ne font qu’appliquer la formule magique : une vraie chanson + une vraie voix + un vrai son, formule qu’ont aussi utilisé les Pistols, les Stones,  les Stooges et bien sûr Phil Spector, l’inventeur de la formule. Et puis t’es encore baisé avec les arpèges de «Supersonic». Le chant plante le décor dans le cœur du vampire. Liam fait du punk de ‘Chester dans un chaos de guitares disto. Et dire qu’il y a des gens qui contestent la suprématie d’Oasis ! Nouveau coup de semonce avec «Shakermaker» et un Liam propulsé en première ligne par une vague géante de heavy chords. Il chante à la pure heavyness. On a là une inlassable fournaise de son sub-coïtal. Ces mecs touillent à n’en plus finir et passent maîtres dans l’art des retours de manivelles. Noel veille sur tout ce bordel en composant des hits. Ils claquent le beignet de «Bring It Down» à l’extrême, Liam tartine sa mélasse sur une prod en acier de Damas. Ils font même du glam avec «Cigarettes & Alcohol», alors t’as qu’à voir. C’est joué à l’eau lourde et Liam chante comme un dieu viking. Même les petits cuts d’entre-deux sont de belles choses. Les frères Gallag ne produisent pas de filler comme le firent les Stones d’Exile qui étaient alors en panne. Et les balladifs d’Oasis sont infiniment plus sexy que ceux d’Aerosmith. Avec «Slide Away», les frères Gallag créent de la magie, à cheval sur la Beatlemania et ‘Chester. Quelle classe ! Les sauts de Liam sont ceux d’un saumon.  

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             La conquête du monde se poursuit l’année suivante avec (What’s The Story) Morning Glory ? C’est là qu’on trouve «Some Might Say» et son intro de rêve. C’est blasté dans l’os au boogie down avec un Liam pris dans l’épaisseur du son. Ses descentes de chant sont uniques dans l’histoire des descentes. Il y a quelque chose de pathologiquement seigneurial chez les frères Gallag. Personne ne pourra jamais leur enlever ça. Tout aussi explosé de son, voilà «Morning Glory». Liam parvient à se hisser par dessus cette barbarie sublime. Ce mec chante son wake up dans une foison de déglutis, dans une véritable dégoulinade d’essaims, c’est un miracle sonique. Un solo nage dans la fournaise, quelle provocation ! Puis on entend les guitares voler dans l’air, c’est la première fois qu’on assiste à un tel phénomène productiviste. Ils jouent «Roll With It» au heavy beat de ‘Chester. C’est plus pop, mais révélateur d’une vraie nature. Ils ont du son à n’en plus finir. Mais ils commencent à boucher les trous avec du filler, comme les Stones d’Exile. L’album est bon, mais pas du niveau du précédent. Ils terminent avec «The Champagne Supernova». C’est le côté marrant d’Oasis, un brin putassier, comme s’ils essayaient de convaincre au plan commercial, mais ça retombe comme un soufflé. Bon, c’est vrai qu’ils ramènent des gros moyens, Liam peut faire son wa-wa-wa, il y a du monde derrière, mais leur truc se barre en sucette à force de surcharge.  

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             Be Here Now est l’album du grand retour. On peut même parler de trilogie définitive. Graphiquement, les trois pochettes s’inscrivent dans l’inconscient collectif. Be Here Now grouille littéralement de coups de génie. «Do You Know What I Mean» donne le ton, bardé de son, mais un son plus éclaté dans le spectre. C’est une prod déflagratoire truffée de rafales de wah. Et puis voilà qu’arrive «My Big Mouth», encore plus overwhelmed. Ces mecs battent tous les records de violence consanguine du sonic trash. C’est bombardé dans la gueule du pacte germano-soviétique, ça rampe dans le son avec un Liam complètement demented. On sent le froid de l’acier des empereurs du rock anglais, le clan du power northerner, pas de pire purée de son sur cette terre ! Il faut aussi les voir partir en maraude avec «I Hope I Think I Know». Ils tombent tout de suite sur le râble du son. Personne ne peut échapper à ça. Toujours âpres au gain, les frères Gallag tapent dans le tas du rock et ça explose en bouquets d’étincelles surnaturelles. Ils travaillent à l’Anglaise, au shake de shook et c’est mélodiquement parfait. Ça continue avec le morceau titre, bien stompé des Batignolles, ils jouent leur carte favorite, celle du big heavy Oasis avec des options plein les manches - Kickin’ up a storm from the day I was born - C’est carrément Jumping Jack Flash. On reste dans les exactions avec «It’s Getting Better (Man)». C’est là qu’Oasis devient irréversible, dans ces rafales d’ultra-son demented. Quelle bombe ! Les accords coulent dans le moule de la mélodie chant, aw my Gawd, il n’existe rien de plus powerful. Ils sont dans l’absolu du rock anglais. Ils jouent ça ad vitam eternam. C’est du double concentré de tomate anglaise, avec les guitares du paradis et le chant qui va avec. On n’en finirait plus avec les frères Gallag.

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             Standing On The Shoulders Of Giants casse l’esthétique des trois premières pochettes. Autre surprise : les frères Gallag ramènent du hip-hop dans «Fucking In The Bushes», mais les guitares reprennent vite le dessus. Ils tentent l’aventure d’un nouveau son et ça redore leur vieux blason. On vit là un moment assez tétanique car les guitares fouillent entre les cuisses du cut qui se révèle vite chatouilleux, avec des échos d’ah ah ah. C’est très spécial, bien bardé de rock anglais. Il faut ensuite attendre «Put Your Money Where Your Mouth Is» pour refrémir. Ils jouent ça in the face, the Northern lads way. Ils ont beau avoir New York sur la pochette, ils sonnent très anglais, ils jouent à l’alerte rouge, à l’urgence de la cloche de bois avec des guitares qui rôdent dans le stomp. Liam l’allume jusqu’au bout. L’autre hit de l’album se planque vers la fin : «I Can See A Liar». C’est un roller coaster roulé dans la farine. Big Oasis power sludge ! Ils envoient Liam au front, alors Liam y va, il s’en bat l’œil. Il claque ses alexandrins et offre sa poitrine à la mitraille, il est invincible, il fonce sous le feu de l’ennemi. Il se relève plusieurs fois et continue de gueuler. Quel merveilleux héroïsme ! Liam est un mec très fort. Il n’en finira plus de chanter comme un dieu. Il faut s’habituer à cette idée. Avec «Gas Panic», on assiste encore à une extraordinaire tournure des événements, car ça dégouline de fièvre, the Madchester fever.

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             Paru en 2002, Heathen Chemistry est l’album du retour éternel des frères Gallag. Ils proposent tout de suite un mur du son avec «The Hindu Times». The wall of sound avec Liam en surface, c’est quelque chose. Superbe. Renversant. Excitant au possible. Nappé et dévastateur. C’est le power du brit rock de lads. Les belles langues de guitares s’en viennent lécher le barouf d’honneur. Ils éclatent «Better Man» au riff de voyou, ça joue du couteau sous les regards. Quel fantastique shoot de voyoucratie ! Flashy et sayant à la fois - I wanna be a better man - C’est le big brawl d’Oasis joué aux guitares de Lennon dans «Cold Turkey», c’est terrific, les guitares te chatouillent les guibolles. Avec «Force Of Nature», ils passent au stomp de Madchester sans coup férir. C’est encore une fois complètement saturé de big heavy guitars, une dégelée catégorique, ça avance à pas lourds, les mecs bombardent à l’ultimate du punch d’uppercut. Liam chante tout ça au croc luisant, il ramone sa cheminée avec une effarante ténacité. Ultimate power ! Ils pompent  les accords de «No Fun» pour «Hung In A Bad Place». Pas de problème, Liam pourrait presque attaquer à la façon de l’Iguane, mais il choisit la voix d’Oasis. C’est joué à l’extrême power concupiscent. Il chante ça comme une entourloupe, c’est exceptionnel de véracité dirigiste, ces mecs dévorent le riff des Stooges tout cru. Et ce démon de Noel vomit du napalm dans la chaudière. Ces mecs sont décidément le plus grand groupe d’Angleterre, il faut les voir répandre leur son comme un fléau. L’album est spectaculairement bon. «A Quick Peep» est l’un des instros les plus dévastateurs qu’on puisse entendre ici bas. Ils passent ensuite au heavy groove psyché avec «(Probably) All In The Mind». Liam s’y prélasse comme un roi fainéant. C’est l’absolu d’Oasis, chanté et joué dans les meilleures conditions d’addiction. Les heavy balladifs d’Oasis passent là où d’autres ne passent pas, grâce à une certaine qualité du Northern raunch. Avec «Born On A Different Cloud», on se croirait chez les Doors du temps du Whiskey bar de Kurt Weil. 

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             Comme par hasard, voilà encore un big album d’Oasis : Don’t Believe The Truth. Ça grouille de coups de Jarnac, à commercer par un «Turn Up The Sun» gonflé de son comme une bite au printemps. Ces mecs sont tellement puissants, ils sont dans doute les derniers seigneurs des temps modernes. C’est frappé au meilleur beat inimaginable et chanté dans le lard de la matière. Ils tapent au maximum de toutes les possibilités. Liam te laboure ton champ, pas de problème. Les clameurs perdurent dans le fond du son. Le génie des frères Gallag consiste à savoir éclater la coque d’une noix de rock anglais. Ça continue avec «Mucky Fingers», comme frappé en pleine gueule, ils jouent le rock pour de vrai, leur power dégomme toute forme de logique. Ils ramènent même du piano dans le stomp. Pur génie. Ils transforment ta cervelle en purée de purple heart et Liam plonge dans l’un des plus gros blast-off de l’histoire du rock. It’s alright ! Pulvérisant et pulvérisé à coups d’harmo. Ils gorgent leur rock de gusto. On se prosterne jusqu’à terre devant un tel power. Trop de power. Ils claquent «Lyla» à coups d’acou et Liam lui saute dessus, alors forcément, ça devient monstrueux. Ils font de la Stonesy. Ils échappent à tout contrôle, leur power les déplace ailleurs. Ils sont dans une sorte d’absolutisme. Un cut comme «Lyla» te plombe le crâne, ils te stompent tout ça à coups redoublés et Liam ramène les foudres de son power extrême. Quelques cuts de pop viennent heureusement calmer le jeu et ça repart de plus belle avec «The Meaning Of Soul». Encore une attaque superbe. Wow, la violence du shuffle ! C’est même concassé à coups d’harmo. «Avec «Part Of The Queue», on constate une fois de plus leur écœurante facilité à naviguer à la surface du son. Ils tapent dans la fourmilière d’une épaisse spiritualité dévergondée. C’est un cut de heavy pop aérienne fabuleusement tendue et ultra-jouée dans les grandes largeurs. Les clameurs du solo qui arrive sur le tard battent bien des records de démence. Comme le montre «Keep The Dream Alive», leurs descentes en balladifs valent bien les meilleures descentes en enfer. Ah il faut voir ce son ! Ils jouent dans les hautes sphères de leur règne. Gem Archer signe l’«A Bell Will Ring» qui suit. Psyché de haut vol avec un Oasis on the run. Quelle équipe ! Ils noient le cut dans une élongation de riffing d’arpèges acides, un vrai melting down d’Angleterre. Dressez l’oreille car voici «Let There Be Love» que Noel gratte aux accords atones. Et ce démon de Liam finit par chanter à la voix d’ange. C’est exceptionnel.

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             Comme on dit, toutes les bonnes choses ont une fin et la fin d’Oasis s’appelle Dig Out Your Soul. Il faut en profiter, car après, il n’y a plus rien. Alors «Bag it Up» ! Deep in the flesh, Liam chante comme un dieu, une fois de plus. Ça blaste comme au bon vieux temps. Liam explose le rock anglais quand ça lui chante. Il dispose de la force de frappe idéale, il se dresse comme un dieu du havoc au bord d’une piscine de coke, accompagné par les guitares du diable. Personne en Angleterre ne peut challenger ce démon de Liam et son groupe de brothas, il chante le rock anglais à l’intrinsèque, avec une vermine de niaque dans la pogne. Il n’existe aucun concurrent face à Liam Gallag. Avec «The Turning», on reste dans le heavy rumble de Madchester. Jusqu’au bout ils vont claquer du c’mon déterminant. Encore une fois ça regorge de power. Too much power. Liam se cogne la gueule dans le mur du son, alors que les guitares explosent autour de lui. Ils stompent «Waiting For The Rapture» à la sauce Oasis. Encore une fois, tout est solide sur cet album. La fin du Rapture est un modèle du genre. Belle énormité encore avec «The Shock Of The Lightning». Ils jouent à la folie Méricourt. Pur jus d’Oasis chargé comme une bombarde à ras la gueule, come in, come out tonite. Ils s’enferment dans leur délire d’énormité. Ils font un «(Get Off Your) High Horse Lady» digne du «Ram» de McCartney et reviennent à leur chère heavyness avec «To Be Where There’s Life». Ils transforment leur plomb en or et c’est comme d’habitude produit au mieux des possibilités. Le rock d’Oasis reste très physique, c’est la raison pour laquelle on blah-blahte à l’infini sur cette espèce d’indispensabilité des choses qu’incarnent leurs albums. Dernier grand coup de Jarnac oasien : «Ain’t Got Nothing». Ils taillent ça dans la falaise de marbre, au 3/4 du 4/4. Et quasi-fin de non-recevoir avec «The Nature Of Reality», drivé par une volonté glam à la wham-bam, dans un extraordinaire fouillis de guitares, de clap-hands et de descente aux enfers. Adios amigos !

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             Si on veut entendre leur reprise d’«I’m The Walrus», elle se trouve sur The Masterplan, une compile de B-sides parue en 1998. C’est une version live et on les voit se fondre dans le groove ultime. Le together leur va comme un gant. Noel joue son gut out, la tête renversée en arrière, un sourire crispé au coin des lèvres, c’mon, Gallag et ses potes explosent le vieux hit des Beatles. On sent essentiellement les fans. L’autre bonne surprise de cette compile n’est autre que «Stay Young», une power pop cavaleuse et bien à l’aise dans sa culotte. Ils savent aussi faire des hits de pop ! Quelle régalade. Ils proposent aussi un «Acquiesce» totalement saturé de guitares et on retrouve leur frappe de frappadingue dans «Fade Away». Ils pulsent du son tant qu’ils peuvent mais ils savent bien que ça ne va pas pouvoir durer éternellement. On peut faire du millefeuille sonique all over the rainbow, mais ça finit par tourner en rond. Gallag joue jusqu’à plus soif, il ramène toutes ses guitares. Ils restent dans la démesure pour «The Swamp Song» et bourrent leur dinde avec «(It’s Good) To Be Alive». C’est du cousu-main d’Oasis.

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             En 2011, Liam récupère l’artillerie d’Oasis, c’est-à-dire Gem Archer et Andy Bell, pour redémarrer avec Beady Eye et un excellent album, Different Gear Still Speeding. Et pouf, on prend «Four Letter Word» en pleine poire, le son est là, immédiat, comme au temps béni d’Oasis. Énorme shoot d’English shit, vraie voix + big sound, imparable ! Explosivité à tous les étages. Nothing lasts forever, nous dit Liam. Avec «The Roller», il sonne exactement comme John Lennon dans «Instant Karma». Quelle belle osmose ! En B, ils éclatent encore les coques de noix avec «Wind Up Dream» et Liam revient foutre le souk dans la médina avec «Bring The Light» - Baby hold on/ baby c’mon - Il n’y a plus que lui en Angleterre qui sache chanter aussi bien. Retour à l’énormité en C avec «Standing On The Edge Of The Noise». Tout le big swagger d’Oasis est là, ce big heavy beat qui fit la grandeur de ce groupe. Remember ! Liam le drive magnifiquement. C’est même assez stupéfiant d’ampleur. La fête se poursuit en D avec «Three Ring Circus», encore du pur jus d’Oasis. Liam sait rocker sa shit, comme on dit en Angleterre. Il est toujours dessus et derrière, ça tient magnifiquement la rampe.

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             Le deuxième et ultime album de Beady Eye s’appelle BE. Nouveau shoot de Gallag superpower, et ce dès «Flick Of The Finger». Plombé d’avance, comme au temps d’Oasis, heavy et même salué aux cuivres. Le prodman a l’intelligence de remonter le beat de Mad au devant, avec un Liam qui entre au chant comme un général dans une ville conquise. L’excitation atteint son apogée, alors oui, ça devient énorme. Toute la magie d’Oasis est intacte, avec le riff dévastateur dans le dos de Liam. C’est le retour du rock de poing d’acier. Le jus de véracité définitive coule à flots. Liam y va de bon cœur, il affronte l’adversité tout seul. C’est un héros. Si on cherche des traces de la clameur du grand rock anglais, c’est là. En plus il donne des conseils, comme dans «Soul Love» : Life is short, so don’t be shy. Avec «Face The Crowd», il passe au pulsatif de big heavy craze de Madchester qu’il chante au inside of my head. Ça sent bon l’album énorme. On est encore au début et on a déjà deux coups de génie, alors t’as qu’à voir ! En voilà un troisième : «Second Bite Of The Apple». Noyé de son ! Il fait son Donovan avec «Soon Come Tomorrow». Ici, tout est très spectaculaire. Liam allume ses cuts à retardement et il faut rester méfiant car il ramène des solos d’outre-tombe. Il reste en fait dans un univers de surenchère miraculeuse. Cet enfoiré tape «Iz Rite» au heavy riff d’Iz Rite. Il taille sa pop dans l’énormité du son. Il faut le saluer pour cet exploit. Il rallume la flamme du génie inconnu sous l’arc de triomphe, il gueule son when you call my name dans un chaos de pop magique. On se retrouve une fois de plus avec un big album sur les bras. Il tape son «Shine A Light» à la vieille gratte de junk. Ça cogne ! Avec Liam, c’est toujours in the face et saturé de son. Il nous fait le Diddley beat de Madchester. Il explose son shine a light et repart en mode sec et net. Pur genius ! Il se calme un peu avec «Start Anew», mais ça ne l’empêche pas de se glisser dans le génie du son, dans l’inventivité du me & you. Back to the drug space avec «Dreaming Of Some Space». Il le restitue fidèlement, ça doit twanguer, talalala overdrive et tu éclates de rire. Fantastique drug song, tu as envie de dégueuler et en même temps, tu te sens bien.

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             Après l’épisode Beady Eye, Liam entreprend en 2017 une carrière solo avec As You Were. Inutile de tourner autour du pot : c’est encore un album énorme. Ça grouille de hits, dont un hit glam digne du temps béni : «You Better Run», monté sur le beat des orques, puissant, rebondi tellement c’est puissant et embarqué au ah ah ah. Terrific ! C’est un hit  ah ah ah qu’il explose sous nos yeux. C’est du glam de Chester claqué aux deux accords. Liam fédère les meilleures énergies du rock anglais. Le «Wall Of Glass» qui ouvre le bal stompe bien le crâne. Violent comme ce n’est pas permis. Liam fait du Oasis avec toutes les ficelles de caleçon et les retours de riffs dans les reins. Ce chanteur génial a la chance d’avoir derrière lui un prodman de son niveau. Liam rallume encore les vieux brasiers d’Oasis avec «Bold», un cut tendancieux mais qui fonctionne, c’est le moins qu’on puisse dire. Belle flambée, en tous les cas. Puis il s’en va rimer la démonologie avec «Greedy Soul» - She’s got a 666/ I got a crucifix - Il plonge ses rimes dans le heavy sludge et allume encore une fois comme au temps d’Oasis, alors on l’écoute avec vénération. On sent la respiration de cette énormité. Ça cogne au tisonnier un coup sur deux. Back to Chester avec «For What It’s Worth». C’est bien lesté de Walrus, nouvelle crise de comatose de la chlorose, il y va de bon cœur, ça ne fait pas de doute. Il éclate sa pop au mieux de toutes les possibilités. Il revisite les soutes d’Oasis. Il chante plus loin son «I Get By» dans les rafales de vent d’Ouest, fabuleux swagger de see your face et de save my life, il chante comme un dieu aux abois. Encore un cut en forme de belle poigne avec «It’s All I Need». Il faut le voir marteler son all I need & more et il ne peut décidément pas s’empêcher de revenir au heavy beat on the brat, comme le montre «Doesn’t Have To Be That Way». C’est plus fort que lui. C’est claqué au pire Manc beat de l’histoire de cavernes. Joli pulsatif de non-retour noyé d’échos de big bang.

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             Et pouf, il revient deux ans plus tard avec Why Me? Why Not. Pas de surprise, l’album est comme les précédents, d’une solidité à toute épreuve. Les nostalgiques du glam se régaleront de «The River» - Well come on/ You weak of knees - Il fait du glam punk et chute avec I’ve been waiting so long for you/ Down by the river. Il n’en finira donc plus d’allumer la gueule du rock anglais. Il fait du boogie de Madchester avec «Shockwave». Après une intro géniale, il nous plonge dans son monde - You sold me right up the river/ yeah you had to hold me back - et il lance avec une morgue fondamentale : «Now I’m back in the city/ The lights are up on me.» Pur genius. C’est du power rock demented avec un rebondissement du son. Et le festin se poursuit avec «Now That I’ve Found You» qu’il chante à la clameur d’Elseneur. Quelle dégelée ! Il remonte le courant du son comme un cake écaillé. Avec «Halo», il passe au son d’anticipation à la Roxy. Il torche un hit précieux au swagger d’excellence. Il chante à l’intérieur du pire beat d’Angleterre. Tout vibre, même les colonnes du temple. Et un solo d’outerspace ajoute à la confusion. En fait, Liam passe son temps à rallumer le flambeau d’Oasis. C’est tout ce qu’il sait faire dans la vie. Il noie son «Invisible Sun» dans le meilleur des sons - I am a laser/ And I see with X-ray eyes - On croyait Noel le seul capable de composer des hits. Eh bien non, Liam prouve le contraire avec le power-balladif «Misundestood» et tout le reste de cet album. Il n’en finit plus de chanter son ass off. 

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             Après les disks, il reste bien sûr les films. Miam miam. On peut imaginer un sandwich de rêve dont les deux tranches seraient Supersonic (early Oasis) et Lord Don’t Slow Me Down (late Oasis). Surtout Supersonic, car ça démarre à Knebworth sur le riff de «Columbia», l’un des plus beaux riffs de rock de tous les temps - There we were/ Now here we are/ All this confusion/ Nothing is the same to me - Le power Gallag, la Ferrari du rock anglais - The way I feel is so new to me - L’early Oasis est la suite parfaite du grand rock anglais qui va des Stones aux Small Faces en passant par les Who et les Move, ils sont là tous les cinq au début, Bonehead & Gigsy & Tony, goin’ to form a band, fookin’ yeah ! Le film raconte les débuts du groupe, d’un côté Liam avec les fookin’ proto-Oasis et de l’autre Noel qui est roadie pour les Inspiral Carpets. Noel rejoint le groupe de son frangin et dit qu’un soir I went down with a song and everything changed : «Live Forever». Puis McGee les voit sur scène à Glasgow and that was it. Creation. Ils deviennent super-massive avec «Supersonic», et puis arrive Definitively Maybe, remixé par le sauveur Owen Morris, outrageous mixing - Tonite I’m a rock’n’roll star - et là boom, ça explose ! Japan Japan ! Cigarettes & Alcohol, Whisky A Go-Go, coke, Rock’n’Roll Star, crystal meth, fucking shambles, Some Might Say at Top Of The Pops, magic British TV, Tony viré et là ça commence à déconner. Ils enregistrent, Morning Glory à Rockfield, champagne supernova in the sky, et ils bouclent la boucle avec Knebworth, fookin’ biblical dit Liam, alors champagne supernova !   

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             Lord Don’t Slow Me Down nous montre la dernière mouture d’Oasis en tournée mondiale, avec Gem Archer et Andy Bell. Bon, pas trop de plans sur scène, beaucoup de backstage. Ils font la tournée des stades et les femmes montrent leurs seins dans le moshpit. «Rock’n’Roll Star» sur scène à Hollywood : power. Liam répond aux questions, fook Bloc Party, fook Pete Doherty, the English magazines are full of shit. Retour au Japon, c’est tendu dans le groupe, Liam accuse Noel de lécher le cul du NME et il rend hommage au public : the crowd is the best. One take ! The stage is the best place in the universe. Arrivé en Australie, Noel avoue qu’il ne se voit pas continuer le groupe éternellement. J’ai 38 ans, et quand Liam sera chauve, on arrêtera. Dans la box, on trouve un deuxième DVD, Live In Manchester, c’est filmé en 2005 avec la dernière mouture et Zack Starkey au beurre. Ils ont perdu le power des origines. C’est autre chose. Liam ne chante pas toutes les chansons. Et Zack n’est pas Tony. En plus Gem Archer change de guitare à chaque cut, côté pénible des groupes qui ont trop de fric. On sent que le biz a pris la main sur Oasis. C’est incroyable que Noel puisse se priver d’un chanteur aussi bon que Liam. Le pire c’est qu’il se prête au jeu pourri du balladif participatif, c’est l’autre côté pénible d’Oasis. On croirait entendre Aerosmith. La Ferrari a disparu, même si «Live Forever» sonne anthemic. Ils font danser Mancheter avec «Rock’n’Roll Star» et font leur happy ending avec une version bien sentie de «My Generation, baby». Power absolu.          

    Signé : Cazengler, Oabite

    Oasis. Definitively Maybe. Creation Records 1994

    Oasis. (What’s The Story) Morning Glory? Creation Records 1995

    Oasis. Be Here Now. Creation Records 1997

    Oasis. Standing On The Shoulders Of Giants. Big Brother 2000

    Oasis. Heathen Chemistry. Big Brother 2002

    Oasis. Don’t Believe The Truth. Big Brother 2005

    Oasis. Dig Out Your Soul. Big Brother 2008

    Oasis. The Masterplan. Epic Records 1998

    Beady Eye. Different Gear Still Speeding. Beady Eye Records 2011

    Beady Eye. BE. Columbia 2013

    Liam Gallagher. As You Were. Warner Bros. Records 2017

    Liam Gallagher. Why Me? Why Not. Warner Bros. Records 2019

    Gavin Fitzgerald et Charlie Lightening. Liam Gallagher: As It Was. 2019

    Mat Whitecross. Supersonic. DVD 2016

    Baillie Walsh. Lord Don’t Slow Me Down. DVD 2007

     

    L’avenir du rock

     - Les chic types de Cheap Trick (Part One)

     

             Ses copains aiment bien le faire bisquer.

             — Envisages-tu de prendre un jour ta retraite, avenir du rock ?

             L’avenir du rock les connaît, il se prête à leur petit jeu :

             — Demande un peu au pape s’il croit en Dieu, tu vas voir ce qu’il va te répondre.

             — Ouais, on les connaît tes réparties à cent balles, avenir du rock, «tu auras la réponse que tu mérites»...

             — Tu sais à qui tu me fais penser ?

             — Non vas-y, dis-moi...

             — Tu me fais penser à ces grosses connes qui te demandent si tu es vacciné...

             — C’est drôle, j’allais justement te poser la question, avenir du rock, et puis on se demandait avec les copains si t’étais pas un peu pédé...

             — Ce que j’aime bien chez vous, c’est votre sens inné du degré zéro. Finalement j’en viens à me demander dans quel camp vous êtes, dans celui des beaufs ou celui des trash, parce votre beaufitude confine à la trashitude et c’est impossible de ne pas vous admirer pour ça. C’est vrai que si on y réfléchit bien, le beauf parfait est complètement trash, c’est ce qui fait sa grandeur immémoriale !

             — Oh c’est bon, avenir du rock, c’est pas parce qu’on te traite de pédé que tu dois nous traiter de beaufs !

             — Simple échange d’amabilités. On joue aux jeux qu’on peut, pas vrai les gars ? Mais je vais vous faire un aveu. Quand je vous vois, vous me filez la Trick !

             — Tu vois, on s’était pas trompés !

             — Mais vous ne comprenez rien ! Cheap Trick !

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             Le nouvel album de Cheap Trick qui s’appelle In Another World n’a pas fini de nous réconcilier avec le genre humain, y compris les beaufs. On est comblé rien qu’avec «Final Days», un doom de heavy blues qu’ils explosent à la clameur glam. Le son te coule dans la manche, mais à un point que tu n’imagines même pas. C’est Marc Bolan au paradis. Oui, c’est exactement ça, ils font Marc Bolan au paradis, bienvenue au cœur du mythe. Les mecs de Cheap Trick dressent un autel à la mémoire de Marc Bolan et ça explose dans le refrain saturée de magie - What if we could live forever/ Wouldn’t it all just be insane/ What if we could live together/ Never to be in those final days - Ça t’explose la tête, Lennon/Bolan, le feu sacré du rock anglais, plongée garantie. Ces mecs renversent le cours de l’histoire. On a là la meilleure clameur glam de tous les temps. Ça monte très haut dans l’échelle des valeurs. Plus loin, les accords de «Passing Through» indiquent clairement la venue d’un temps de félicité. C’est au niveau des grands frotis de l’univers, explosé de giclées des meilleures auspices, on est au-delà du génie, ils atteignent des résonances sans frontières, ça sonne comme du jamais atteint, ces vagues de son te caressent l’intellect, c’est d’une pureté évangélique, ça splashe dans l’éternité d’un prodigieux ersatz. On tombe encore dans leurs bras avec «Another World (Reprise)». Ils y ramènent tout le power dont ils sont capables, c’est chargé de toutes les guitares de Rick Nielsen, ce fou dangereux est l’un des génies du siècle, il percute tout de plein fouet, c’est gorgé de riffing et Robin Zander monte tout ça en neige à coups de screams ! «Gimme Some Truth» pose sa tête sur le billot et shlompfff, finit en beauté. Terrific ! Rick Nielsen joue ses dégringolades de guitare à la surface de la terre comme s’il réinventait le rock, il se dit qu’avec ses accords inconnus il va devenir le roi du monde et ça ne traîne pas, Cheap Trick c’est exactement ça, un plein dans l’effet direct. Ils naviguent au niveau des Beatles du White Album, avec une pulsion intacte et humide, just gimme some truth, le power absolu et l’apothéose garantie.

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             Cet album est une mine inépuisable d’énormités. Avec «Quit Waking Me Up», ils sonnent encore comme les Beatles, ils y vont vaille que vaille avec un Nielsen qui télescope tout ce qu’il peut. La vieille magie des Beatles explose dans le giron des lovers. On est prévenu dès «The Summer Looks Good On You» qui ouvre le bal, avec cette heavy pop rock, on voit que ces quatre mecs n’ont rien perdu de leur grandeur anthémique. Ils rockent the world comme au temps du Budokan, ils élèvent la power pop au rang d’art totalitaire. Rick Nielsen titille bien ses tortillettes de killer flasher. Il invente un genre nouveau : le powerful power. On le voit encore fou de rage étriper «Boys & Girls & Rock’n’roll», cet enfoireman tape dans tout ce qui bouge, il est partout.  Du même coup, ils t’actualisent, ils te rendent visible dans un monde d’aveugles. Ils amènent «The Party» au stomp. Tu les vois arriver, alors tu te planques. Ils sont énormes, ils pourraient te marcher dessus, ils déploient des légions sur l’Asie mineure, ils envahissent tout, ils chantent des chœurs brûlants, ils foutent le feu. À notre époque, c’est inespéré d’entendre ce mélange explosif de Dolls, de Cheap et de Zoulous. Tu as la réponse à toutes tes questions : Cheap Trick.

             Et puis voilà un «Light Up The Fire» démoli en pleine gueule. Ils sont capables de claquer un petit enfer sur la terre. Toujours la même histoire : la ville en feu, personne n’en réchappe et Nielsen part en maraude d’excelsior, il pleut du feu de partout, comme au temps béni des bombes au phosphore.

    Signé : Cazengler, Cheap tripe

    Cheap Trick. In Another World. BMG 2021

     

    - Willie Cobbs tout

    Inside the goldmine

     

             Ils chevauchaient vers l’Ouest. Ils avançaient lentement car ils suivaient une piste.

             — Z’ont dû passer par là. Z’ont essayé d’effacer leurs traces en montant sur le rocher. Z’ont dû voir ça dans un film. Ah quelle bande de bâtards ! On va les choper avant la nuit.

             Effectivement, les traces réapparaissaient un peu plus loin dans le sous-bois. Les deux rottweilers muselés Sodome et Gomorrhe grondaient comme des diables. Ils sentaient la chair fraîche et tiraient sur leurs laisses.

             — Ohhh, du calme, mes mignons, l’heure du casse-croûte approche.

             Il leva la main :

             — On va faire une halte, histoire de leur faire croire qu’on a perdu leur trace. 

             Ils descendirent de cheval et attachèrent les laisses des deux Rott à un arbre. Ils firent un feu pour réchauffer un pot de café qu’ils arrosèrent largement de whisky.

             — Sodome et Gomorrhe n’ont rien becqueté depuis deux jours, y vont se régaler...

             — Autant te le dire franchement, Willie Cobbs, j’aime pas trop assister à ce spectacle. Bon d’accord, les blancs sont une sale race, mais de là à les faire becqueter par tes chiens...

             — Z’avaient qu’à rester tranquilles et pas s’échapper de la plantation, goddamnit ! Y sont là pour ramasser les bananes, donc y doivent rester à la plantation et servir le bwana ! Pas compliqué à comprendre, non ? Pas besoin de sortir de Saint-Cyr ! Et pis y connaissent le tarif si y s’font la cerise ! La corde ou les chiens ! C’est tout ce que mérite cette sous-race dégénérée, ces fucking whiteys ! En plus, on leur paye le voyage gratos en bateau pour venir bosser ici, faut pas charrier !

             Il sortit de sa poche son petit harmonica et souffla un air de blues africain. Les notes résonnaient dans l’écho du temps, donnant à cette légère distorsion de la réalité un caractère énigmatique.

     

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             Dans une vie antérieure, Willie Cobbs fut probablement pisteurs d’esclaves, mais dans un monde inversé où les maîtres noirs réduisaient les blancs en esclavage. Pas de raison que ce soient toujours les mêmes qui trinquent. L’imaginaire a ceci de pratique qu’il permet de rétablir certains équilibres. D’ailleurs Tarentino s’est aussi amusé avec cette idée dans Django Freeman. Quelques grammes de finesse dans un monde de brutes, comme dirait l’autre.

             Le pauvre Willie Cobbs a cassé sa pipe en bois en octobre dernier et dans la plus parfaite indifférence, aussi allons-nous lui rendre un modeste hommage.

     

             Il n’existe pas beaucoup de littérature sur Willie Cobbs. L’essentiel est de savoir qu’il vient d’Arkansas, qu’il est monté très vite à Chicago et qu’il est redescendu dans les années 60 à Memphis pour enregistrer son fameux, «You Don’t Love Me» sur le label de Billy Lee Riley, Mojo. Découragé par le showbiz, il est ensuite devenu club owner dans le Mississippi et en 1978, il s’installa à Greenville pour lancer Mr C’s Bar-B-Que, un resto réputé pour sa cuisine. L’autre info de taille, c’est qu’il est pote avec Willie Mitchell.

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    Sur son dernier album Jukin’, paru en l’an 2000, on retrouve toute la sainte congrégation d’Hi, les frères Hodges et Howard Grimes (dont on vient de saluer l’autobio). L’album est enregistré au Royal Recording Studio et Willie Cobbs salue le Memphis Beat à coups d’harmo. Avec «Black Night», les deux Willie (Cobbs & Mitchell) nous proposent le Heartbreaking blues d’Hi, une vraie fontaine de jouvence, on patauge dans l’excellence. L’album est un mix classique de boogie blues et de heavy blues d’une finesse fatale. Les frères Hodges savent aussi jouer le blues. On entend naviguer le bassmatic de Leroy Hodges sur «Poison Ivy», c’est cousu, mais quelle ambiance ! Ces mecs jouent à la revoyure. Ils tapent une version heavy de «Reconsider Baby» et croyez-le bien, on ne s’ennuie pas un seul instant. Willie Cobbs en profite, il chante tout ce qu’il peut, son «Five Long Years» est une merveille de présence intrinsèque. Il tape aussi l’excellent «Please Send Me Someone To Love» de Percy Mayfield. Quelle fantastique allure !

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             Il existe une compile de base parue en 1986 sur Mina Records, Mr. C’s Blues In The Groove. Les Japonais ont procédé comme Bear, de façon chronologique, ce qui permet de survoler l’œuvre du vieux Willie. Et ça démarre avec «Inflation Blues» - Inflation is killing me - Alors le vieux Willie s’adresse à Mister President pour se plaindre. On trouve deux versions de ce merveilleux boogie qu’est «Hey Little Girl», un boogie tentateur qui finit par te hanter. Le heavy blues de Willie n’échappe pas à la règle («Mistrated Blues») et dans les cuts enregistrés à Chicago («You Know I Love You», «Hey Little Girl»), on entend un fantastique guitariste de jazz. L’autre gros shoot est le «Worst Feeling I Ever Had», enregistré à Little Rock en Arkansas. En B se nichent deux merveilles enregistrées chez Malaco, à Jackson, Mississippi, le «Hey Little Girl» déjà évoqué et «CC Rider», monté sur un excellent groove de lard. Et on retombe en bout de B sur ce qui pourrait bien être le hit de Willie Cobbs, «Eatin’ Dry Onion» qu’il tape au beat de Memphis Tennessee. Magnifico ! Willie pourrait bien être one of the greats.

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             Down To Earth qui date de 1994 est un très bel album, enregistré à Clarksdale avec les anciens musiciens d’O.V. Wright, Rawls & Luckett. Willie Cobbs l’attaque avec le vieux «Eatin’ Dry Onions» et ça part dans l’éclair de la première mesure, ces mecs savent ce qu’ils font. Ils sont dans le fast boogie, c’est tight, bien serré à la corde, joué au cul du camion, ils ont pigé la combine, vite fait bien fait, c’est du boogie maison, avec du vrai son, comme chez Lazy Lester. On croise plus loin un autre boogie tout aussi expéditif, «She’s Not The Same (Feeling Good)», un vrai hit de heavy romp, Willie is hot. Il nous sort là un authentique boogie blast. C’est un bonheur que d’entendre jouer ces mecs-là, ils tapent «Goin’ To Mississippi» au crack-boom-uh-uh, Willie Cobbs domine bien la situation, Willie Cobbs tout, il passe des coups d’harmo, ça joue au pur jus d’in-house et tu grimpes dans les étages du boogie blues. Il est encore meilleur en Heartbreaking Blues, comme le montre «Butler Boy Blues», il vit ça dans sa chair. Même chose avec «Amnesia», people don’t know my name, il joue le jeu du heavy blues. Quand tu es dans les pattes de ce genre d’artiste, tu te sens en sécurité. Le guitariste qui joue avec Willie Cobbs s’appelle Johnny Rawling. Ce fabuleux blues guy qu’est Willie Cobbs chante «If You Don’t Know What Love Is» à la glotte languide, il ne chante que la pulpe du blues, d’ailleurs, au dos du boîtier, on le voit assis au bord du fleuve avec son harmo. Il va ensuite aller se fondre dans les breaks de r’n’b de cuts plus audacieux («Good Lovin’»). Willie Cobbs forever ! Il reste impliqué dans sa modernité. Il nous rappelle par bien des aspects un géant nommé Taj Mahal. Il est toujours intéressant, toujours juste, comme le montre encore «Now Slow Down Baby». Il revient en mode heavy blues pour «Carnation Milk». Willie Cobbs fait vibrer sa vieille glotte, c’est un savant du blues, une force de la nature, il vise l’orgasme en permanence, il dépasse toutes les expectitudes. Dead good ! Il termine avec «Wanna Make Love To You», un r’n’b efflanqué, et comme tous les grands artistes, il l’enfourche pour filer au galop.

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             Et puis voilà que paraît en 2019 un nouvel album de Willie Cobbs, Butler Boy Blues. Incroyable mais vrai ! Le pire c’est qu’il s’agit d’un bon album, bourré à craquer de ce boogie dont Willie Cobbs a le secret. Deux exemples : «Mississippi» et «She’s Not The One». Le premier est incroyable de véracité, le vieux Willie Cobbs est dessus, ah ah ah, il ricane comme un démon. Quant au deuxième, il est pulsé au beat originel, Willie Cobbs est un killer boogie man. Même énergie que celle de Lazy Lester. Mais c’est avec les Heartbreaking Blues qu’il rafle la mise. «Butler Boy Blues» sonne comme une bonne adresse, il y va au harp, c’est un fantastique shouter d’harp, il est fabuleux, au moins autant que Little Walter. Encore mieux, voici «If You Don’t Know What Love Is», pur genius, il chante à s’en exploser la rate, pure démence de la prestance, c’est le heavy blues de rêve. Encore du heavy blues avec «Carnation Milk», affolant de persistance, Willie Cobbs devient carnassier sur ce coup-là, quelle énormité ! Il chante aussi son «My Baby Walked Away» à s’en arracher les ovaires. Trop de son. Quel numéro ! Il est furieux, il saute sur tout ce qui bouge, my baby walked away. Il revient au r’n’b avec «Good Lovin’», ça joue sec et net derrière lui. Il conduit bien le groove, comme le montre le vieux «I Wanna Make Love To You». Il est clair, il a envie de la baiser, il revient par vagues insistantes, il charge la barque tant qu’il peut, il devient héroïque. On retrouve bien sûr l’inévitable «Eatin’ Dry Onions», le vieux «Amnesia» et le vieux «Jukin’». Willie Cobbs un vieux renard du bayou, il connaît toutes les ficelles et qui oserait lui reprocher de ressortir tous ses vieux coucous ? Certainement pas nous.

    Signé : Cazengler, Willie Cock

    Willie Cobbs. Disparu le 25 octobre 2021

    Willie Cobbs. Mr. C’s Blues In The Groove. Mina Records 1986

    Willie Cobbs. Down To Earth. Rooster Blues Records 1994

    Willie Cobbs. Jukin’. Bullseye Blues & Jazz 2000

    Willie Cobbs. Butler Boy Blues. Wilco 2019

    *

    Les Dieux sont avec moi, à peine ai-je appuyé sur You tube que se dévoile devant mes yeux le célèbre tableau L’Ecole d’Athènes de Raphaël, tiens une vidéo sur la peinture, pas du tout, le dernier disque de Thumos intitulé The Republic, what is it, un groupe de doom qui reprend La République de Platon, il est impérieux d’aller voir et d’écouter. Même si personnellement mes préférences vont à Aristote.

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    Pour une couverture, c’est une couverture. La plus intelligente que vous pourriez trouver. L’image est bien connue, souvent réduite à la présentation de ses deux personnages les plus importants, Platon et Aristote philosophant en marchant. Méthode péripapéticienne prônée par Aristote. A leurs pieds sont représentés vingt penseurs parmi les plus célèbres de la Grèce Antique. Message privé : nous recommandons à notre Cat Zengler de se méfier du redoutable Zénon d’Elée qui accoudé au piédestal de la colonne (à gauche, en bleu, en train d’écrire )  s’apprête à lui à lui planter la flèche de sa pensée dans le dos.

    THE REPUBLIC

     THUMOS

     ( Snow Wolf Records - 22 / 01 / 2022)

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    Dans le doom l’on ne doute de rien. Thumos, ce nom signifie Colère – nous reparlerons de ce groupe original une autre fois - s’attaque à un gros morceau, de choix, La République de Platon. L’est difficile de dialoguer avec Platon, l’on se sent vite écrasé par tant de subtilité. Thumos ne s’est pas défilé, l’a simplement mis la barre plus haut. Puisque l’on ne parle pas avec Platon, sous peine de débiter des niaiseries, il n’y aura ni paroles, ni lyrics. Ce que Thumos nous propose c’est une lecture de Platon. Attention pas question de faire défiler le texte de Platon (si possible en grec !) sur la vidéo, ou de le joindre en livret dans l’opus, le groupe nous convie simplement à une lecture auditive de Platon. Peut-être vous sentez-vous de facto écarté de la compréhension de ce disque, pas de panique, Platon a pensé à vous, selon sa théorie de la réminiscence, toute connaissance est en vous, hélas engloutie au fond des eaux de l’esprit comme l’Atlantide dans les abysses, il suffit de se mettre en chemin, votre âme a déjà contemplé les Idées irradiantes, l’ascension sera longue et difficile, pas du tout impossible. Vous êtes déjà passés par là.

    Nous allons donc nous livrer à ce difficile exercice de retrouver l’enseignement de Platon, au-travers des dix morceaux présentés par Thumos. Pas de hasard, si Thumos a choisi de présenter dix morceaux c’est parce que La République est composé de dix livres.

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    The unjust : musique lourde et menaçante, Socrate et ses amis discutent d’un sujet important qui relie tous les hommes entre eux tant au niveau individuel que collectif, autrement dit de politique. La question est simple, qu’est-ce qu’une chose juste, qu’est-ce qu’une chose injuste. La musique se fait plus lourde, le juste n’est-il pas ce qui vous fait du bien même au détriment de l’autre. Embrouillamini torsadé sonore la batterie en punching ball vous revient dans la gueule. C’est que nous sommes en train de décréter que la justice peut être en même temps juste pour les uns, injuste pour les autres. Plus tard Marx parlera d’intérêt de classe mais Platon pose le problème avant tout selon une problématique individuelle. N’empêche que l’injustice que vous exercez peut vous faire du bien. La musique tire-bouchonne sur elle-même. Le problème se révèle plus épineux que prévu. The ring : non il ne s’agit pas de l’anneau du temps serpentique qui se mord la queue mais de l’anneau de Gygès qui vous rend invisible et vous permet de commettre les pires méfaits, puisque selon l’adage, pas vu, pas pris. Avouez que s’il entrait en votre possession, vous ne vous gêneriez pas… d’ailleurs si vous respectez les lois et ne commettez pas de choses injustes c’est uniquement par peur de la prison et autres châtiments… la musique va de l’avant, la batterie bat le rappel des mauvaises actions, et les guitares tendent leurs cordes vers toutes les convoitises, l’on marche main dans la main avec son voisin et l’autre dans le sac qui contient sa fortune. Ce n’est pas fini, la musique danse sur le pont d’Avignon, évitons la chute, élevons le débat, si dans une cité les citoyens se laissent séduire par tout ce dont ils peuvent jouir, mal ou bien acquis, il est nécessaire d’avoir une armée et une police pour les contenir, et cette force armée pour qu’elle ne se laisse pas gagner par l’attrait des richesses, il faut l’écarter de la ville et l’envoyer faire la guerre, bref l’on entre dans une suite de malheurs sans fin, d’où la nécessité de bien éduquer la jeunesse. La musique glisse sur une pente fatale, la batterie se transforme en mitraillette et la beauté du mal vous ensevelit, une cloche de vache bat le rappel, évitez la licence, fortifiez vos âmes. Si possible. The virtues : le citoyen doit être vertueux. La musique bat le fer, l’argent, l’or et le bronze pour qu’il reste chaud. La musique devient pratiquement symphonique. Il s’agit de forger des hommes nouveaux, de les éduquer, qu’ils ne connaissent pas la peur de la mort, qu’ils puissent se battre pour leur patrie sans trembler, pas de laisser-aller, l’on pressent une éducation à la spartiate qui fortifie le cœur, l’âme, le sang et la volonté. Le son ne serait-il pas un peu grandiloquent, y croit-on vraiment ? The psyche : entrée martiale, pesante, la raison doit dominer le désir, les masses laborieuses doivent se contenter du nécessaire et réfréner leur avidité, les soldats doivent cultiver le courage, les élites qui commandent faire preuve des deux précédentes qualités mais aussi de sagesse, Thumos délivre une musique pesamment rythmée, nulle fioriture, une idée du droit chemin dont personne ne doit s’écarter sous le moindre prétexte. De même se méfier de toute nouveauté, si l’on a atteint la perfection tout changement apportera un moins. Entre nous soit dit, un peu rébarbative et profondément conservatrice la Cité idéale de Platon. The forms : le mot forms est à traduire ici par agencements, et n’a rien à voir - d’après nous qui faisons la différence entre idées et notions - avec les Idées ( qui en grec signifient formes en tant que modèles originels dans la philosophie platonicienne ) comme un gong qui se prolonge sans fin, puis scandé, et enfin déroulé, décrire les rapports entre les hommes et les femmes, celles-ci communautaires, les enfants élevés en commun ne connaissent pas plus leurs parents que leurs géniteurs ne les connaissent, la musique éveille l’intérêt, ne cédez pas aux pensées grivoises, toute la société fonctionne ainsi car à tous les niveaux les désirs de possession ne doivent altérer la raisonnabilité nécessaire à la bonne marche de la Cité, ainsi le roi ou les chefs suprêmes qui détiennent tous les pouvoirs doivent être aussi philosophes pour ne pas céder aux sirènes des tentations et faire preuve à tous moments de tempérance et de sagesse. Ici la musique atteint à une sorte de sérénité. Compacte, solide, infaillible. Mais quels sont ces coups de gong plus clairs, plus scintillants. Fêlures ou tranquillité thibétaine.

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    The ship : aucune des deux. La musique prend de l’altitude et devient grandiose, la batterie bourre le mou, et l’on est parti pour la vitesse supérieure. Nous rentrons dans la deuxième partie du livre. Le philosophe peut ne pas être reconnu à sa juste valeur, comme le Capitaine d’un navire que les matelots éloignent du gouvernail car ils ne comprennent pas sa manière de tracer la route. Le bateau finit sur les écueils… c’est le philosophe qui doit diriger l’état et la cité, il sait ce qu’il veut beaucoup mieux que tous les autres membres. Il a accès à une connaissance que les autres ne possèdent pas. Il connaît l’idée du Bien, qui permet d’entendre le bien de toutes choses.  Il n’est guidé ni par l’ignorance ni par l’opinion que la multitude des gens se font des choses. Le background comme une fanfare finale précipitée. Arrêt brutal, résonnances soniques. Ce qui resplendit ne s’éteint jamais, mais résonne toujours. The cave : guitares entremêlées irradiantes, riffs de cobalt, nous avons atteint le point culminant, la batterie nous prévient que nous avons encore quelque chose à nous enfoncer dans la caboche, c’est la célèbre allégorie de la caverne, nous ne voyons que les ombres des véritables choses qui sont les Idées, à notre niveau d’hommes modernes ne soyez pas l’imbécile qui ne comprend pas que les images d’un film ne sont pas les choses qui ont été filmées. Musique révélatrice, les philosophes doivent être capables de prendre conscience de cette réalité, Platon décrit leur formation qui mêle théories et moments d’implications dans les affaires de la cité, le rythme se ralentit, l’éducation n’est pas un long fleuve tranquille mais un torrent impétueux à remonter pour au soir de sa vie atteindre aux postes les plus importants de la cité. The regimes : l’on passe aux choses concrètes, les différents régimes politiques, Platon en décrit cinq, qui peuvent exister, étant entendu qu’ils naissent les uns des autres, selon une évolution logique, batterialerie quasi-angoissante, un moteur se met en marche celui de la dégradation sociale, sur un rythme lent et lourd tandis que surviennent les guitares comme un contre-chant lyrique au désordre inéluctable qui se met en place, que rien n’arrêtera, le jeu des désirs et des affects entraînant les citoyens à agir selon leurs prétentions du moment, stridences accumulées, le chant s’est tu, un grincement le suit dans le silence et la musique repart, les cymbales chuintent on dirait qu’elles ont envie de parler, de nous mettre en garde, de murmurer à notre oreille, mais non l’inexorable suit sa route interminable, musique de déréliction, la société humaine arrive au plus bas, chute précipitée sur la fin. The just : douces notes de guitares, presque espagnole, fragiles comme un fil tendu, Platon récapitule la fin du livre précédent, il cerne son propos, dans le dernier état de décomposition de la société tyrannique, ce n’est pas le tyran le plus problématique mais l’homme tyrannique en lui-même comme Marcuse a pu parler de l’homme unidimensionnel ou comme notre société évoque l’homme-consommateur, l’homme ne contrôle plus ses pulsions, il est davantage dominé par son appétit de jouissance que par le tyran, face à cet homme tyrannisé de l’intérieur par lui-même il oppose le philosophe, Thumos le nomme le juste, celui qui a su se dominer lui-même, qui étant son propre maître est à même de percevoir clairement la situation et à mener les citoyens selon de justes préceptes. La musique s’étale désormais sereinement, elle brille, elle illumine. Le soleil atteint son zénith. The spindle : pluie torrentielle, encore une fois l’on a l’impression que les guitares chantent, la batterie vient percuter cette harmonie.  Le titre est une allusion au faisceau tenue par la déesse Nécessité mères des Moires ( les Parques de la mythologie latine ) tel que le raconte le mythe d’Er. Moins connu que celui de la Caverne mais qui a eu une descendance tout aussi importante. Le mythe de la Caverne fonde en quelque sorte la philosophie qui se méfie de l’apparence des choses, celui d’Er institue la croyance religieuse de la bonne conduite récompensée après la mort, tout comme de la mauvaise qui entraînera punitions et châtiments. La Caverne est destinée à ceux qui réfléchissent, Er au peuple ignorant que l’on éduque (et que l’on tient en laisse) en lui montrant de grossières images… Ce n’est pas un hasard si le christianisme s’est reconnu en Platon. Mais ce genre de réflexion nous entraînerait trop loin. La musique est de toute beauté, empreinte de gravité. L’âme du mort doit choisir sa prochaine incarnation, s’il a cédé toute sa vie à ses désirs, il choisira d’être un homme ou un animal qui lui permettra de vivre au plus près de ce qu’il croit être la véritable nature du bien, peut-être à sa prochaine réincarnation choisira-t-il mieux… son âme sera ainsi comme celle du philosophe accompli qui désormais contemple le soleil éternel des Idées… la musique s’illimite et se perd en même temps.

    Je n’ai évoqué que quelques aspects de l’ouvrage de Platon. L’ouvrage entremêle plusieurs thèmes dont celui de la poésie que je n’ai pas du tout traité. Malgré cela, le lecteur risque de trouver un tel disque un peu trop rébarbatif. Il n’en n’est rien. Un disque de rock instrumental peut vite se révéler ennuyeux, surtout si l’on ne pratique pas soi-même un des instruments mis en évidence. Ici il n’en est rien. La musique est splendide. Il n'est pas du tout nécessaire d’avoir lu l’œuvre complète, voire une unique demi-page de Platon, ou même d’ignorer jusqu’à son nom, il suffit d’écouter. C’est étrange à la fin de chaque morceau l’on a envie de connaître la suite, une véritable bande-dessinée musicale. Thumos nous tient en haleine. L’on se laisse guider. Et l’on comprend que l’œuvre forme un tout organique. Il ne reste plus qu’à laisser notre esprit partir en voyage.

    Damie Chad

    *

    J’ai déjà consacré deux chroniques à Paige Anderson in Kr’tnt ! 512 du 27 / 05 / 2021   Paige Anderson & The Fearless Kin et Two Runner in Kr’tnt 514 du 10 / 06 / 2021. Mon déplorable et vieil ordinateur m’a empêché d’écouter les rares vidéos qu’elle a enregistrées, je ne maîtrise pas entièrement le nouveau, qu’à cela ne tienne, une artiste comme Paige Anderson n’attend pas. Voici donc la chronique de deux nouvelles vidéos.  Quand j’emploie le mot artiste j’en use en le sens où l’on peut dire que le poëte John Keats était un artiste, comprenez qu’il vivait simplement mais que son existence touchait à la beauté du monde, en tous ses instants, sans qu’il ait eu besoin de faire un effort pour accéder à l’essentiel de sa présence dans le monde…

    LIVE STREAM

    EMILIE ROSEPAIGE ANDERSON

    (23 / 01 / 2021) 

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    Tout comme en France les mois précédents n’ont pas été favorables aux artistes. Two Runner, comme bien d’autres, a vu ses concerts annulés, pour qui arriverait impromptu sur cette vidéo, le cadre paraîtrait étrange. Nous sommes dans une chambre ou un coin salon, toutefois un lit recouvert d’une couverture indienne et d’un empilement de coussins que l’on pressent douillets et voluptueux. Un petit intérieur comme chez nous, d’ailleurs Emilie Rose dans sa robe bleue qui n’est pas sans rappeler les personnages féminins des westerns ne se préoccupe pas de nous.  Ne nous accorde aucune attention, l’est toute accaparée par son téléphone portable, pour un peu l’on s’excuserait d’être-là, évitons de ronchonner comme de vieux conservateurs sur cette jeunesse portée aux futilités et dédaigneuses des convenances, une inscription sur une affiche manifestement manuscrite placardée sur le mur nous permet de comprendre la situation. Venmo est un mode de paiement utilisé par Instagram (pas seulement, l’entreprise a une vocation internationale) qui permet via les portables de faire ou de recevoir des dons financiers… Les messages amicaux et d’encouragement adressés à nos deux musiciennes s’inscrivent d’ailleurs sur la droite de l’écran.

    Nécessités économiques de survie obligent… Pour ceux que ce rappel insidieux dérange, qu’ils se perdent en la contemplation de la tapisserie de laine tissée au-dessus du lit, elle représente un loup stylisé qui aboie à la lune, nous voici dans un roman de Jack London ou de James Oliver Curwood. L’affleurement mythique de la Grande Amérique, celle des grands espaces, des indiens et des pionniers, the big country is here, un temps perdu devenu matière de nos rêves et de nos songes que la musique country sous toutes ses déclinaisons, traditionnelles, modernes, indépendantes, alternatives s’acharne sans cesse à ressusciter comme pour maintenir un chemin d’accès à un monde passé qui ne veut pas mourir.

    Les lecteurs s’offusquent, vous nous annoncez deux musiciennes, nous n’en voyons qu’une. Paige Anderson est là, mais hors-champ, elle répond à Emilie Rose, les filles papotent et commentent les posts, enfin Paige arrive, ravissante dans une tunique bleu pâle et ses longs cheveux blonds, l’on ne peut s’empêcher de penser aux paroles de Jim Morrison American boys, American girls, the most beautifull people in the world, elle s’empare de sa guitare, quelques instants pour saluer des proches, et pour s’accorder, Emilie Rose a pris son fidèle fiddle,  le concert, non la soirée entre amis commence, Paige à la guitare, et au chant, cette manière qui n’appartient qu’à elle de hausser la voix, à chaque fois vous avez l’impression qu’elle vous arrache le cœur, de son violon Emilie cautérise la douleur d’une douce mélancolie, qui prend de l’ampleur, se mêle et s’entremêle aux cris suaves de Paige, comment peut-elle en même temps insuffler tant de tristesse et de sauvagerie dans son chant, le refrain comme un couteau qu’elle enfonce dans votre âme, ses doigts mélancolisent  les cordes, une dernière traînée de violon comme une longue pincée de désespoir. Tout de suite le sourire aux lèvres, un œil sur le téléphone, on leur demande de mettre l’affiche Venmo en évidence au premier plan contre la santiag noire de laquelle émerge un bouquet de fleurs. Petit interlude parlé, nous sommes au Nevada, il neige.  

    Qu’elles sont belles toutes les deux, avec en fond sur le mur le loup solitaire Une nouvelle chanson. Une ballade, toujours cette voix arrachée de l’intérieur qui pleut sur vous en éclats de verre tranchants, ce mouvement de tête vers le haut, comme pour exhaler une fureur contenue, et Emilie Rose, elle ferme les yeux, son violon ruisselle de larmes, tout semble s’apaiser comme une déception, comme une acceptation, la musique continue, lorsqu’elle s’arrête l’on s’aperçoit que l’on n’est pas en train de s’éloigner sur une route jonchée de feuilles mortes.

    Rires, accordage, commentaire sur les posts ‘’ so beautifuul’’ ‘’sounds just fine’’, It’s nothing, accordage, capodastre, une chanson triste, l’autre doit partir, ce n’est rien, c’est ainsi et cette voix qui se plie à la nécessité des choses, même si dans les passages plus lents elle est chargée d’une délicieuse amertume, porteuse des choses qui ont été et qui ne sont plus, Emilie Rose grise la réalité, le violon n’est plus qu’une plainte, de celles que l’on retient mais que l’on ne saurait cacher, quelques saccades de cordes plus loin elle joint sa voix à cette de Paige, et la noirceur tranquille du monde tombe sur vos épaules et les recouvre de glace. L’on croit que c’est terminé, mais non, vie et cauchemar continuent toujours, la voix de Paige devient plus rauque et le violon d’Emilie sonne comme si elle jouait dans un quatuor, en battements d’ailes de cygne qui s’apprête à mourir.  

    Parlent un peu, mais l’on comprend beaucoup. Paige se retourne et s’empare de son banjo. Elle présente le prochain morceau un projet qui se concrétisera au mois d’avril suivant. La vidéo de Burn it to the ground, version orchestrée est sur You Tube. Très belle, mais celle-ci, toute dépouillée est encore plus forte. Crépitements du banjo et cris de crin-crin, plus la voix de Paige qui crache son ressentiment, pour l’exalter et s’en débarrasser, cette juste colère contre l’incompréhension des honnêtes gens, je ne savais pas que l’on pouvait jouer avec tant de force sur un banjo, l’archet d’Emilie se transforme en étrave de brise-glace qui pulvérise le monde. Ce morceau est un chef-d’œuvre absolu. C’est fini. Un ange passe dans une tornade. Emilie sourit doucement. Le visage de Paige se teinte de mélancolie, elle détourne pour poser son instrument et reprendre sa guitare.

    Emilie Rose engage le fer, le violon résonne comme un torrent qui dévale une pente abrupte, Paige les deux mains croisées sur sa guitare, sa voix s’élève altière, maintenant la guitare accompagne, tout se passe entre  le faucon de cette voix qui  qui monte haut dans le ciel pour se laisser tomber comme une pierre sur sa proie, le violon d’Emilie, il joue le rôle de la nature entière dans laquelle se déroule la scène, parfois tout semble immobile, apaisé, l’archet pousse les aigus et ce qui se voulait ordre et beauté se transforme à la seconde suivante en kaos mortel, leurs voix se rejoignent, étendards de victoires éployés, le ton s’adoucit, telle une houle de vent qui berce les épis de blés en une immense vague infinie. Fulgurant. Elles se regardent d’un petit rire discret. Elles peuvent être fières d’elles.

    Regards sur le téléphone. Remerciements. Une nouvelle ballade. Paige à la guitare, et cette voix, vous l’attendez, vous vous doutez que dans une seconde elle va éclater, et pourtant elle vous surprend, vous soulève et vous emporte, vous maintient au-dessus de l’abîme du monde comme par miracle, la tristesse vous poigne, le violon ne fait que l’accentuer par sa traîtrise de douceur, vous planez bien haut, sans être plus heureux pour cela, avec toutefois cette promesse de retour. Un classique de Jimmy Webb, Highwayman,  enregistré en 1977, sous la houlette de Chips Moman ( qui accompagna Gene Vincent sur scène et que l’on rencontre souvent, grâce au Cat Zengler in KR’TNT ! ) reprise par notamment par The Highwaymen ( Johnny Cash, Waylon Jennings, Willie Nelson, Kris Kristofferson ).

    Rituel habituel, rire, téléphone… Cette fois-ci, Paige ne chante pas, Emilie lui a très rapidement rappelé les accords, elle accompagne.  C’est parti pour une pure chevauchée cowboy & fiddle, coloration bluegrass, un régal, le bras blanc de Rose Emilie vole au vent de l’archer tel un albatros qui se joue de la tempête, des images de films tournent à toute vitesse dans la bobine de votre cervelle, élans vertigineux et apaisements virtuoses se succèdent à toute vitesse, Emilie joue avec son instrument mais son corps et sa tête conduisent la danse du cheval fou.  La prestation pétille de joie comme un feu de camp dans la nuit de la prairie. Toutes deux heureuses comme des gamines.

    L’on approche de la fin, on les sent détendues, Emilie raconte une histoire folle… comme quoi le monde est petit, Paige évoque des instants antérieurs, l’on se dirige lentement vers le dernier morceau Where did you go ? Notes lourdes et graves, la voix de Paige traîne et nasille, Emilie la soutient sur les refrains, sinon la guitare seule, et la voix esseulée, chargée de tristesse, ce n’est pas une chanson d’amour perdu, mais une plainte interrogative, sur l’autre côté, sur les sentes obscures de la mort. Une profonde méditation, un regard à la rencontre des ombres qui sont ailleurs. La chanson se termine comme l’on souffle sur la flamme d’une bougie. Paige nous regarde et esquisse un sourire. D’où sort-elle cette sérénité.

    Quelques phrases pour remercier – elles qui ont tant donné avec cette effarante simplicité - Paige se lève et disparaît, Emilie reste assise et fait semblant de pincer les cordes de son violon. This the end, beautifull friends. Bye-bye beautifulL girls. 

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    HAPPY OCTOBER, HAPPY FALL

    TWO RUNNER

    (EMILIE ROSE - PAIGE ANDERSON)

    ( 21 / 10 / 2021 )

    Changement de décor. Comme le temps passe vite, nous voici en octobre. Emilie et Paige sont assises dans un parc. Cette vidéo est un peu un clin d’œil aux anciens clips de Paige Anderson and the Fearless Kin enregistrées en pleine nature devant des arbustes aux branches tourmentées, voici plus de dix ans.

    Robes châtaigne et arbres qui commencent à se parer de couleurs automnales. Une vision idyllique, un peu à la Thoreau. Notes aigrelettes du banjo agreste de Paige en introduction, et toujours cette voix qui surgit et se pose, un oiseau sur les rameaux du désir et de la beauté, Emilie fredonne, à peine remue-t-elle les lèvres et pourtant elle enveloppe d’ouate le morceau qui en acquiert des allures intemporelles. Le violon crisse en une étrange tarentelle ralentie. Le banjo n’arrête pas de grignoter le temps, la voix de Paige nous éloigne d’on ne sait quoi, d’on ne sait où, une longue scie de violon et tout s’arrête scandaleusement. Presque trois minutes de rêve et plouf plus rien. Je l’ai écouté et réécouté plusieurs fois, et je n’ai pas compris. Tout ce que je sais, c’est que c’est plus que magnifique, au sens plein du terme ensorcelant.

    Damie Chad.

    ( Vidéos visibles sur FB : Emilie Rose ou Paige Anderson )

     ILLICITE ( 1 )

    AUTOPORTRAIT COMPLAISANT

     

    Les gens sont parfois curieux, ils me demandent qui je suis. Cela les intrigue. Il vaut mieux qu’ils ne sachent pas. Certains aimeraient savoir si je suis un rebelle. Je ne le suis pas, il faut prendre les armes pour cela, je ne dis pas quand j’étais jeune. Existe-t-il seulement des combats collectifs qui le méritent. Sûr, tout dépend des situations... Au fond les hommes m’indiffèrent. Je ne fais confiance qu’aux individus. Ce qui ne signifie pas que l’on a tort de se révolter. Encore faut-il ne pas être dupe de soi-même. Ni des autres. L’on me taxe souvent de radical, je le suis dans mes a priori. Comme tout le monde. A la différence de beaucoup, je ne feins pas de l’ignorer, je le revendique. J’assure du mieux que je puis ma niche de survie écologique. Je passe ma vie, à moins que ce ne soit ma vie qui se passe de moi, à traficoter dans les sentes obscures de la poésie et du rock ‘n’roll. Dans le monde des humains, je suis un illicite. Je préfère vivre avec les concepts opératoires que sont les Dieux.

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' roll )

    Episode 19

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    MENACES

    Nous étions nus, couchés à même le sol, grelottants, le grand ibis rouge n’avait pas l’air content, sa voix tonnait dans le ciel d’aube pâle.

              _ …Vermines, préparez-vous à mourir, vous qui avez mis le feu à mes quatre buissons sacrés d’hibiscus, crime impardonnable !

              _ …Bon, je crois que je vais de ce pas allumer un Coronado, déclara le Chef en se levant puis s’adressant à nous, levez-vous bande d’arsouilles, et toi le grand emplumé, rabaisse ton caquet, ce n’est pas ainsi que l’on s’adresse au SSR !

    Le GIR (Grand Ibis Rouge ) s’étrangla de fureur, il émit une suite de borborygmes incompréhensibles qui traduisaient une grande ire sans grandeur, nous en profitâmes pour enfiler nos vêtements, les chiens ne bougèrent pas de leur étoile.

              _ Agent Chad, auriez-vous l’obligeance de nous ramener un lot de croissants croustillants afin de nous remettre de nos émotions, en attendant que Monsieur le déplumé retrouve l’usage de la parole humaine.

    Quand je revins le GIB n’en avait pas fini d’expectorer d’infâmes gargouillements

              … grtbk klzx, pdtz, ngtm, dxqr, fwvc…

              … Quel bruit horrible se plaignait Françoise, on dirait un WC bouché !

              … Pas du tout, répliqua le Chef, quel manque de culture chère Françoise, c’est simplement la transcription gutturale et glossolalique des hiéroglyphes de la malédiction de Thot inscrite sur le mur nord de la troisième antichambre de la tombe de Touthânkamon, mais que vous apprend-on en maternelle, quelle ignorance, je n’en crois pas mes oreilles, de toutes les manières, nous en avons encore pour trois quarts - d’heure, l’imprécation aux ennemis de Thot est une des plus longues, certains égyptologues l’attribuent à Seth, une erreur déplorable !

    Les filles avaient préparé le café, je déposai mon paquet de gâteries que j’avais ramené de la boulangerie sur la table basse que Joël avait installée entourée de poufs sur l’ordre du Chef au centre du cercle. Nous déjeunâmes avec appétit, engloutissant, croissants, chocolatines, babas au rhum, millefeuilles, j‘avais même eu la délicatesse de choisir une tarte aux framboises pour Framboise, les cabotos ragaillardis par les effluves alléchants se rallièrent à nous et Molossito avait déjà enfourné trois Paris-Brest lorsque le GIR stoppa son ésotérique sabir et s’adressa à nous sur un ton comminatoire en la douce langue ronsardienne :

              … Misérables créatures, dans quelques minutes vous serez la proie des helminthes, mon messager de la mort n’est plus très loin, je l’ai retiré des limbes de son cercueil, il vient assoiffé de sang, telle une goule malfaisante, tremblez humbles mortels, agenouillez-vous et implorez ma clémence, que je refuserai de vous accorder, votre humiliation aura le goût délicieux d’un fruit succulent !

              … Agent Chad, auriez-vous du feu, pour mon Coronado !

        … Voici Chef, et toi le perroquet si tu pouvais te taire, ce serait parfait, espèce de paltoquet toqué en plaqué de contreplaqué, ferme ton claque-merde !  

    Je sais ce n’est pas poli, mais cette espèce de volatile rougeâtre me tapait sur les nerfs, ensuite je me dois d’être fidèle à la vérité historique de cette scène cruciale pour l’avenir de l’humanité.

              … Votre insouciance vous perdra, impies mortels je serai impitoyable, tant pis pour vous le messager de la mort est tout près de vous, je vous laisse méditer votre inconséquence le temps qu’il arrive. Silence, vous entendrez ainsi le bruit de ses pas !

    LE MESSAGER DE LA MORT

    Dans les minutes qui suivirent nous n’entendîmes que le bruit d’une allumette sur son grattoir, le Chef se préparait à fumer un Coronado. Il n’eut pas le temps d’aspirer afin que le bout du cigare s’embrasât, l’on marchait dans le corridor, il était indéniable que les enjambées du Destin se rapprochaient. Les filles pâlirent, les cabots grognèrent. L’on ouvrait la porte extérieure de la cabane, il y eut trente secondes de silence plus longues que l’éternité de la mort… Derrière la porte qui s’ouvrait sur le jardin l’on prenait plaisir à nous faire attendre, le Chef en profita pour tirer sur son Coronado, dégageant une intense vapeur, hélas point aussi psychédélique comme le dernier disque de Tony Marlow, les gonds rouillés émirent un grincement sinistre, enfin il apparut. C’était, in person, Charlie Watts !

              … Ce bon vieux Charlie ! marmonna le Chef

    Charlie, ne parut pas l’avoir entendu. Il s’arrêta, nous regarda et tira lentement son long bec métallique qu’il ajusta sur son visage. Le GIR gira au rouge cramoisi, les filles essayèrent de retenir quelques manifestations de terreur, leurs dents claquaient comme les castagnettes qui accompagnent les danseurs de flamenco, là-bas, en Espagne… les chiens glapirent de terreur, tandis que Charlie s’approchait à pas lents, soudainement ils se mirent à hurler à la mort.

    Charlie se rapprocha, il avait choisi sa première victime, il s’approcha du Chef et pencha son bec meurtrier vers son visage, le Chef en profita pour relâcher un nuage de fumée aussi inattendue qu’une bouffée délirante.

    Ce fut à ce moment-là que résonnèrent les aboiements joyeux de Molossa et de Molossito qui gambadèrent remuant la queue de contentement tout en se dirigeant vers la porte du jardin. Ingratitude canine qui préfère abandonner leur maître que mourir avec eux, je crus que c’était la dernière pensée de mon existence, mais à l’intérieur de la cahute des ouah ! ouah ! vigoureux se firent entendre, et subitement apparut Rouky. En deux secondes la brave bête visualisa la situation, courut vers Charlie et se jeta dans ses bras. De sa gueule il dépouilla son maître de son bec mortel qu’il jeta à terre, Molossa et Molossito s’en saisirent et disparurent en emportant dans leurs gueules la terrible arme blanche.

     Rouky léchait fébrilement le visage de Charlie Watts, il sembla peu à peu réendosser une apparence plus humaine, son visage recouvrait doucement une   légère teinte rose, il passa ses mains sur ses yeux et son regard acquit une profondeur qu’il n’avait pas auparavant. Je supposais que la salive de Rouky opérait de même que le sang d’un bélier noir que les anciens grecs immolaient au bord d’une fosse dans le but que les âmes des morts soient attirées par le chaud liquide et vinssent retrouver leurs souvenirs de vivants.

    (La conversation qui suit se déroula en anglais qu’en tant qu’agents du SSR nous maîtrisons parfaitement, toutefois la voici reproduite en français pour les lecteurs qui ne s’endorment le soir ni se réveillent le matin, en débitant par cœur une longue tirade de Shakespeare puissent n’en perdre une miette.)

              … Asseyez-vous, Charlie, je vous en prie, prenez place parmi nous, invita le Chef en désignant un pouf vide que je m’empressai de glisser sous les augustes fesses du batteur des Rolling Stones.

              … Euh ! merci (Charlie cherchait ses mots) euh, où suis-je exactement, et euh qui êtes-vous euh, je croyais que j’étais mort…

               … Je vous rassure cher Charlie, vous êtes bien mort, nous sommes les agents du Service Secret du Rock ‘n’ Roll, nous sommes dans le jardin de notre abri anti-atomique clandestin.

             … SSR… SSR… oui je me souviens, c’est vous qui une fois avez récupéré Keith dans la jungle…

              … L’on ne peut rien vous cacher, c’est bien nous, la mémoire vous revient !

              … Oui… elle est comme obstruée par des scènes de meurtres auxquels je ne comprends rien, j’ai une étrange sensation, un grand oiseau rouge, beaucoup de cadavres et beaucoup de sang…je…

    Les trois chiens insouciants qui jouaient à chat arrêtèrent subitement leur course effrénée   brusquement ils pointèrent leur museau vers le ciel et se lancèrent dans un furieux concerts de jappements de mauvais augure. Le GIR, nous l’avions oublié cet oiseau, sa silhouette sembla grandir démesurément, elle était aussi haute que la tour Eiffel, tout Paris devait l’apercevoir, une voix tonnante retentit :

             … Charlie lève-toi, n’oublie pas ta mission, n’oublie pas que tu es un guerrier du Grand Ibis Rouge ! Lève-toi Charlie, c’est un ordre !

    Et Charlie se leva…

    A suivre