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bill crane - Page 3

  • CHRONIQUES DE POURPRE 386 : KR'TNT ! 406 : EDDIE C. CAMPBELL / REVEREND BEAT-MAN / RÂOULEX KING TRIO / BILL CRANE / MOTOR KIDS / FOLSOM / WEALTHY HOBOS / PARIS IS BURNING

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 406

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    14 / 02 / 2019

     

    EDDIE C. CAMPBELL / REVEREND BEAT-MAN

    RÂOULEX KING TRIO / BILL CRANE /

    MOTOR KIDS / FOLSOM / WEALTHY HOBOS

    PARIS IS BURNING

     

    Campbell s’est fait la belle

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    Eddie C. Campbell est littéralement sorti du bois en 1977 avec l’extraordinaire album King Of The Jungle. Quel disque ! Pour la pochette, Eddie se fit photographier à Brooklfield Zoo. Les mecs qui l’accompagnent sont ceux de l’orchestre de Muddy Waters. On est embarqué sans ménagement dès «Santa’s Messing With The Kid». C’est du blues de punk. Eddie ne rigole pas. Il va au boogie comme d’autres vont au combat. Il fait du boogie solide et râblé qui ne s’embarrasse pas des canards boiteux.

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    Eddie joue comme un gros dur des Batignolles. Quel son ! On se croirait presque chez Lazy Lester ! Attention à «Still A Fool» - Well I wash/ I wash a cat fish - Il plonge dans le deep blue sea avec les woman fishing after me. Il a tous les automatismes du heavy blues - Well sure nuff I - alors ça repasse à l’harmo du crépuscule et ça joue aux notes de la menace. Il passe ensuite au boogie jazz de haut rang avec «Cheaper To Keep Her». C’est du pur killer blues de cannibale. Il joue ça dans l’épaisseur d’un groove carnassier. C’est tout simplement effarant de mauvaiseté. Tiens, encore une magnifique cavalcade avec «Poison Ivy». Il sort aussi un «Red Rooster» heavy et dépenaillé et revient au beat de boogie infernal avec «Smokin’ Potatoes». On voit rarement passer de tels trains d’enfer. Il nous swingue «King Of The Jungle» au meilleur jive de boogie et revient au heavy blues de cro-magnon avec «She’s Nineteen Years Old». Il joue un vieux solo au ricochet de notes bardé de reviens-y. S’ensuit «Look Watcha Done», un boogie rock énorme et même monstrueux. On tombe rarement sur des sons aussi caverneux. Ça goutte de jus. On l’entend l’harmo des cavernes, là-dedans. Quel son dément. Pur génie ! Il revient au boogie blues avec «Weary Blues» - I’ve been searchin but I can’t find - avec le retour de guitare - I don’t care about my pride/ Oooh babe you know I try - Franchement énorme.

    Eddie n’est pas n’importe qui. Comme les autres grands nègres de sa génération, il s’est initié au diddley bow et il est arrivé à Chicago pour jouer dans des orchestres de blues. Il a douze ans quand Muddy Waters le fait jouer dans son orchestre au 1125 Club. Il imite Magic Sam qui habite au-dessus de chez lui et pendant quatre ans, il accompagne Jimmy Reed. Il aurait bien voulu accompagner Wolf, mais son jeu ne lui plaisait pas - he was a rough man to play with !

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    Sur Let’s Pick It, Eddie tape une superbe reprise du «Red Light» de Jimmy Reed. Il la joue à la sourde et sort un son fabuleux. Ça sent la cave, avec un joli fumet de sauvagerie. Il tape aussi dans Big Albert avec «Don’t Throw Your Love On Me So Strong», mais c’est difficile, car tout ce que fait Big Albert est intouchable. Alors il se rattrape avec «All My Whole Life», un boogie blues racé et bien sanglé qu’Eddie emmène au galop. Sacré Eddie, il adore ça. Il peut être rapide comme l’éclair !

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    Un an plus tard, il revient ruer dans les brancards avec The Baddest Cat On The Block. Belle pochette en noir et blanc avec un Eddie qui semble screamer comme Buddy Guy. Il revient sur Albert King avec le même résultat et toute l’A passe un peu à l’As. Par contre, en B ça chauffe dès «Early In The Morning», salement trépidé, monté sur un joli beat. Ça pianote à la surface. Il amène ensuite «Same Thing» aux vrais accords de heavy blues, ceux de Stan Webb, dans Chicken Shack. Joli coup aussi ce «Cheaper To Keep Her» à fort parfum de jazz. Eddie a vraiment de la chance d’avoir derrière lui des mecs comme Wayne Elliott à la basse et John Drummer aux drums. On sent le beat in progress.

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    Si on de la chance, on peut encore trouver une copie de Mind Trouble, un double album paru en 1986 et enregistré à Amsterdam, avec pas mal de musiciens blancs. Pour Eddie, c’est cool as fuck, Amsterdam est une ville où on se sent bien. Il n’a rien perdu de sa belle aisance guitaristique et le seul reproche qu’on pourrait faire à ce disque serait son manque d’originalité. Eddie C. Campbell n’est plus cet homme des bois qui nous fit tant baver. Ça se réveille un peu en B avec «Life Is Like A Game», un heavy blues bien gluant d’harmonica - Life is like a game/ And is sharp like a razor - C’est digne des grandes heures d’Elmore James - You got dangles in your eyes/ And I’m sorry I ain’t the same - Il revient plus loin avec un autre heavy blues à la Elmore James, «Vibrations In The Air». C’est sa came. Attention, la C et la D se jouent en 45 tours. C’est là qu’on tombe sur une sacrée merveille, «Devil’s Walk», un groove jazzé par Tom Mad Jones. C’est de très haut niveau, assez anglais dans l’approche du son, my son. Cuivré de frais et ambiancier au possible. Puis avec «Loneliness And Me», il passe, grâce à l’approche délibérée des intrications, au slow blues hendrixien.

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    On trouve encore un joli coup de génie sur That’s When I Know paru en 1994 : «Been Thinkin’», un boogie primitif. C’est tout l’art d’Eddie. Il peut swinguer comme un bad black punk. Il invente l’empire du punk black avec le background de la pire sourdine de l’univers. C’est complètement démento à gogo. Voilà les bases du rock, baby, la souche du punk des blancs. Il faut l’entendre jouer de la guitare sur le cut d’ouverture, «Sister Taught Me Guitar». Il travaille à l’ongle sec. Eddie sait nous mettre l’oreille en éveil. Il crée un climat direct au blues d’attaque, le meilleur des blues, sur un beat remonté comme un ressort, ah quelle claque de classe épouvantable, c’est joué aux accords coincés et forcés, ces accords de mi-manche en mi-fonction. Ah la vache, il pince ses notes comme un sadique et ça dégouline de classe. Il tape plus loin dans le vieux boogie pour le morceau titre. Il revient aux notes claires entre deux couplets. Il est même un peu pop sur ce coup-là. Il réussit toutefois à virer voodoo. Il est dessus, toujours aussi inspiré. Ce mec a vraiment quelque chose de spécial. Il tape «You Make Me Feel All Right» au petit riff retardataire. Il fait son John Lee Hooker - I like the way you talk - Joli clin d’œil à Hooky. Il refait même son bad black punk. Il boucle cet album fatidique avec «Devil’s Talk», bien fouetté du beat. On retrouve sa puissance rythmique. C’est sa contribution au monde moderne. Il passe un solo impeccable. What a bluesman !

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    Sacré disque que cet Hopes And Dreams paru en l’an 2000. Il s’y niche des chefs-d’œuvre absolus. L’un est hypnotique, l’autre mélodique. «Geese In The Ninny Bow» relève du coup de génie, avec son stomp brisé au riff sec à la Jeff Beck. Incroyable ! - Geese is alrite hey hey - C’est bardé de coups de trompettes, explosé au funk. Quant à «You Worry Me», c’est un heavy blues de rêve, monté sur une bassline descendante qui tourne comme un requin autour du naufragé blessé à la jambe. On entend des coups de guitare inopinés et un piano en perdition. Eddie est un diable. On trouvera d’autres énormités sur cet album comme par exemple «Did I Hurt You» qui ouvre. C’est aussitôt un très gros son. On est habitué, oui mais quand même. Il exagère. Quelle brute ! Son boogie dégage les dents de devant. Eddie a un son de guitare lumineux et vif argent. Le morceau titre de l’album est un vieux coup de boogie down. Il tape dans le meilleur jus et fait ça au feeling pur. Quelle présence ! C’est bien gratté, sérieux, quasiment portugais, mais Eddie gratte ses notes avec la rage d’un punk. C’est atrocement bon, plein de son, secoué du cocotier. Plus loin, il passe au canard de beat avec «Cool Cool Mama», encore un boogie impitoyablement pulsé. Il faut voir avec quel courage Eddie entre dans le groove. Il attaque un solo comme on déclare une guerre, sans préavis. Et derrière, l’insolente rythmique pouette comme ce n’est pas permis. Et ça continue ainsi jusqu’au bout du bout. On voit rarement des attaques de boogie comme celle de «Spend». Eddie y éclate encore un solo à la réverb de clarté suprême. Il finit l’album avec «Cougar» et une intro énervé. C’est d’un chien qui dépasse toute la chienne de l’univers.

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    En 2009, Eddie débarque sur Delmark pour enregistrer un premier album, Tear This World Up. Il nous refait le plan habituel du premier cut en forme de boogie explosif. «Makin’ Popcorn» sonne comme le boogie ultime. Eddie démarre toujours en force, mais là il bat tous les records. Il sort là l’un des boogies les plus énergiques de l’histoire du boogie. Il rivalise de grandeur avec Jerry Boogie McCain et Lazy Lester. Eddie part en vrille, il gratte à la raclette avec un son de casserole et il se met à beugler comme une bête des bois. Autre merveille : «Easy Baby». On dirait qu’il joue son heavy blues au fond de la cave - Magic Sam was my best friend - Et il annonce qu’il aime bien jouer à son idée, it goes like this, easy babe ! Avec «Tie Your Love», il revient au boogie monstrueux et c’est avec «It’s So Easy» que tout explose. C’est claqué aux mains et joué au meilleur beat fantasmatique. Il y dans ce cut tout le ruckus du boogie. Eddie crée une vraie atmosphère sur un beat d’enfer. Il faut aussi écouter «Bluesman» qui est l’histoire de sa vie - I played with everyone from A to zzzzzzzzzzzzz, Muddy, Wolf, Percy Mayfield, Litlle Walter, Magic Sam, James Brown, Lowell Fulson, Memphis Slim, Paul Butterfield, Otis Rush, I mean everyone - From A to Zzzzzzzzzzzzzzzz !

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    Eddie a 72 ans quand il enregistre Spider Eating Preacher. Sa femme Barbara qui est aveugle joue de la basse et leur fils David joue un peu de violon. Il pose avec sa fameuse Jazzmaster pourpre. Attention, c’est un album FANTASTIQUE qui démarre (comme les autres) avec l’infernal boogie «I Do». Dès l’intro, Eddie et son orchestre déploient des trésors de vélocité. Quelle énergie ! Le bassman, le sax, tout frise la folie, le sur-dimensionnement de la démesure apoplectique, mais avec Eddie, on le sait depuis le départ, il faut s’attendre à tout, surtout à ça, au sur-dimensionnement de la démesure apoplectique. Il balance un solo d’entre-deux mers qui défonce la rondelle des annales. La fête continue avec le morceau titre de l’album - The devil in disguise ! - Eddie part en solo de réverb démento à gogo de dingoïde mongoloïde ! Plus personne n’ose joue comme ça aujourd’hui. C’est un fou ! T’as déjà vu un mec jouer comme ça ? Non ? Ben non ! Eddie cuit le boogie dans un jus de mélodie - Under my rocking chair - Il joue avec un entrain inconsidéré et revient à son fantôme de solo. Dans «Call Me Mama» Eddie fait son Wolf. Il puise dans le secret des dieux et pique des notes à la pétaudière. C’est épais et travaillé à la note éparse. Quelle ambiance infernale ! On tombe plus loin sur «Soup Bone», une pure exaction de heavy blues - I got a soup bone and I’m hungry - On peut lui faire confiance. S’ensuit «I Don’t Understand This Woman», il y fait le con, wow wow wow et il taille dans le marbre. Eddie est le roi du boogie, il partage sa couronne avec Hooky. Il fait le clown à la démesure du wow wow wow et s’appuie sur un effarant pounding. Il n’en finit plus de nous en boucher des coins car voilà «Boogmerang», toujours dans le haut vol et traversé par un solo d’orgue. Retour au r’n’b infernal avec «Skin Tight». Eddie est un bon, il peut rauncher comme Clarence Carter. Il revient au beat des enfers avec «My Friend (For Jim O’Neal)» et il fait du Bo, avec un son énorme et l’énergie maximale. Il se paye aussi le luxe d’un «Brownout» à la James Brown. En fait, cet album n’est que l’incessante démonstration de force d’Eddie le vainqueur, mais pas tant vainqueur que ça, car la grande faucheuse vient de lui charcler les deux pattes. Adieu Eddie et merci pour tous ces blasters de bad black punk.

    Signé : Cazengler, l’Eddie qui bêle

    Eddie C. Campbell. Disparu le 20 novembre 2018

    Eddie C Campbell. King Of The Jungle. Mr. Blues 1977

    Eddie C Campbell. Let’s Pick It. Black Magick Records 1984

    Eddie C Campbell. The Baddest Cat On The Block. JSP Records 1985

    Eddie C Campbell. Mind Trouble. Double Trouble Records 1986

    Eddie C Campbell. That’s When I Know. Blind Pig Recordings 1994

    Eddie C Campbell. Hopes And Dreams. Rooster Blues Records 2000

    Eddie C Campbell. Tear This World Up. Delmark Records 2009

    Eddie C Campbell. Spider Eating Preacher. Delmark Records 2012

     

    Monsters Class - Part Two - The Beat-Man Way

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    Tout l’art du Reverend Beat-Man consiste à mettre en scène sa fantaisie. Il joue du Trash Blues à 185%, mais il pourrait aussi danser le Gambuh balinais selon Eugenio Barba ou mimer ses rêves sur scène comme le fit Rufus à une époque au petit théâtre La Bruyère. Et comme tous les grands artistes de l’avant-garde théâtrale, le Révérend Beat-Man offre un spectacle complet en donnant tout simplement de sa personne. Il est LE spectacle, il est le cerveau du temps, le spectacle n’est qu’une simple représentation de sa vision. Il ne s’agit pas que de musique comme on serait tenté de le croire, l’art de Beat-Man va beaucoup plus loin. Sa passion des vieux objets de type Emmaüs renvoie forcément à Kantor. La scène devient un décor, une grosse valise noire datant de l’exode porte la mention 185% Trash Blues peinte en grosses lettres blanches. Il installe des petites lampes de chevet de bric et de broc au pied de son vieux bass-drum. Tout date, chez lui, comme s’il s’agissait d’ancrer véritablement les choses. Cette démarche n’a rien de prétentieux. Au contraire, elle renforce le sentiment du sacré, dès lors qu’on considère le spectacle de rock comme un rituel. Les exemples abondent : la fête païenne des Stooges au Zénith, ou encore ce parallèle qu’établit Tav Falco entre les Cramps et le Théâtre de la Cruauté selon Artaud - As envisioned by Antonin Artaud, the French dramaturgist, The Cramps were the apotheosis of a post-modern rockabilly band that embodied the Theather of Cruelty - Le bon Reverend Beat-Man se situe très exactement dans cette optique : redonner au rock son caractère sacré.

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    Avant de commencer à jouer, Beat-Man passe un colleret blanc sous son col de chemise. Et puis une Carmélite assez jeune vient poser son cul sur un tabouret à côté de lui. Elle sort tout droit de chez Clovis Trouille. Elle se cale derrière une caisse claire. Elle dispose aussi d’un petit clavier. Elle ne sourit pas. Elle pose sur la salle un regard d’une intense gravité. Ses lèvres peintes en noir accentuent considérablement l’austérité de son expression. Une sorte de religiosité de bas étage s’installe. Et lorsque le cantique baroque d’introduction s’achève, nos deux serviteurs de Dieu se mettent lourdement en branle. Ils singent la bible et créent l’enfer sur la terre ! La carmélite saute littéralement sur son tabouret et frappe comme une dingue, alors que Beat-Man gratte sa gratte comme un dératé. Il s’ébroue comme un poney apache, la bouche en cul de poule. En comparaison, l’Apocalypse selon Saint-Jean n’est plus que de la roupie de sansonnet.

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    Voilà en quoi consiste l’art théâtral de Beat-Man : il entre dans le sujet comme dans du beurre. Lui et Sœur Tape-Dur défoncent la rondelle des annales pour que passe la caravane du ramalama. Ils transforment le beat en montagne pelée pour que toussent les îles, ils knockent down the heaven’s door, ils serrent la vis de Clovis et lui Trouillent la bouille, ils battent tous les records d’excellence combinatoire. L’ignoble morve trash de Beat-Man qu’on connaît par cœur se mélange aux fièvres de Sœur Tape-Dur, ils montent ça en neige du Kilimandjaro, avec une sorte de perversité casuistique. Du coup, ils dématérialisent le concept du duo pour le recréer selon the Beat-Man Way. C’est un tour de passe-passe hallucinant. Beat-Man crée son monde à partir de rien, il part de triple zéro, comme lorsqu’il racontait l’histoire de son enfance au temps du Beat-Man Way. Voilà qu’il nous narre à présent sa saga. Il remonte loin dans le temps, très loin, plusieurs millions d’années en arrière, lorsqu’il arriva sur terre et qu’il vit se former les océans et qu’il vit pousser les arbres et qu’il vit des poissons sortir de l’eau pour devenir des bestioles qui allaient se redresser pour commencer à marcher, oui à marcher !

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    Mais tout cela n’était rien en comparaison de ce qui allait suivre, car il vit les bêtes commencer à s’entre-dévorer, et les choses allaient encore se détériorer avec l’apparition des hommes qui allaient rapidement se multiplier et qui allaient commencer à construire des maisons, yes build houses, de plus en plus de maisons, et qui allaient construire des villes, yes big towns ! Puis il vit des gens se foutre sur la gueule, killing each other ! Raping each other ! Stealing from each other, il n’en revenait pas de voir tout ce bordel, toute cette mauvaiseté, toute cette violence, il vit même des hommes en détrousser d’autres qui n’avaient presque rien, et comme si cela ne suffisait pas, il les vit détruire tout ce que possédaient les autres, yes they destroy everything the other has ! Il les vit violer des femmes dans les villages et les même les animaux ! Tout cela n’était plus qu’un endless hell fire, un enfer sur la terre, alors il craqua et décida de fuir cette planète de malheur et toute la décrépitude du genre humain ! I decided to fly away from this planet of hate ! Puis il est revenu en 2018 pour tenter de sauver le genre humain en implantant des puces dans tous les cerveaux, des milliards de puces - I’m in your brain ! - Et c’est tant mieux. Il vaut mieux être contrôlé par Beat-Man que par les mecs de Google.

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    Tout est là. The Beat-Man Way ! Il prêche sur scène pour enfoncer ses clous. Sœur Tape-Dur et Beat-Man réinventent complètement le concept du duo éculé par tant d’essais, des White Stipes aux Black Keys en passant par les Kills et les Kulls. En fait, ce n’est pas qu’ils le réinventent, ils le beat-manisent, c’est complètement autre chose. On imagine pas à quel point un duo peut devenir explosif, en tous les cas on ne l’aurait jamais imaginé sans Beat-Man et Sœur Tape-Dur. Pour éviter la surchauffe, ils sont même souvent contraints de revenir à des choses plus calmes. Dans la vie, il faut parfois essayer de calmer le jeu. Et chaque fois qu’ils relancent leur pilon des forges, Sœur Izobel saute sur son tabouret. Elle frappe à bras raccourcis, mais avec un objectif : suivre the Beat-Man Way. Bien sûr, on sait Beat-Man doué, mais on ne l’imaginait pas doué à ce point-là. But Beat-Man doesn’t give a FUCK !

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    On retrouve toute cette folie dans l’album qui vient ENFIN de paraître. Ça fait six mois qu’on est là comme des cons à l’attendre, depuis les concerts au Petit Bain en première partie des Oblivians et au Rush sur la presqu’île. Six mois, non seulement c’est inhumain, mais ce n’est pas sympa. Le prêche évangélique dans lequel Beat-Man couvre la terre de honte se trouve en fin de B et s’appelle «My Name Reverend Beat-Man». C’est un document hystérique capable de galvaniser des foules en manque d’insurrection. Ah si seulement Beat-Man pouvait passer dans les émissions de télé aux heures de grande écoute ! Il battrait tous les records d’audience, c’est évident. L’autre gros coup de Jarnac de cet album qui s’appelle Baile Bruja Muerto, c’est bien sûr l’effarant «Pero Te Amo» qui démarre dans l’exotica de basse extraction pour se transformer en stormer du désert. On y voit ce filou de Beat-Man entrer au but I love you et ça bascule dans le chaos éruptif, c’est même l’une des pires exactions dingoïdes qu’on ait vu ici bas depuis le temps de Peter Aaron et des Chrome Cranks. On voit Sœur Tape-Dur sauter sur son tabouret dans «Come Back Lord», just keep on walking/ Walking in the streets, pur jus de beatmania, stompé au one-banditisme - Just keep on walking/ keep on talking - Ils nous plongent dans les basses œuvres d’une fosse de vidange de rêve. Ces démons enchaînent avec un «I Never Told You» drivé à la purée de fuzz. Sœur Tape-Dur pose ses conditions - I can’t satisfy you baby - Et elle ajoute avec une moue extrêmement désagréable : «I won’t be thinking about you/ When I hit the road !» Oh la la, Beat-Man joue son solo sur une seule note. On a l’impression que l’immeuble va s’écrouler, tellement la terre tremble. Par contre, il se vautre un peu avec sa version du «Love Me Two Times» des Doors. Il tente le coup du heavy doom des catacombes, il tente de transcender la lizarderie et d’enfiler le mythe à la hussarde. Il ne fait que couler un bronze gras et tiède. Ce démon ne respecte rien. Il est vrai que Jimbo aurait adoré ça.

    Signé : Cazengler, con comme une bite, man !

    Reverend Beat-Man & Nicole Izobel Garcia. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 28 mai 2018

    Reverend Beat-Man & Nicole Izobel Garcia. Baile Bruja Muerto. Voodoo Rhythm 2018

    07 / 02 / 2019 – PARIS

    BLACK STAR

    RÂOULEX KING TRIO / BILL CRANE

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    L'on avait choisi les filles de Shewolf pour ce soir, mais les louves ne sont pas entrées dans Paris, pas de panique - porte close comme bouton de rose sous la bise n'est pas mortelle tuberculose sur la banquise - ne pas confondre un rocker privé de concert avec le pacha du Titanic qui partit jouer aux saute-glaçons sans prévoir les canots de sauvetage pour les soirs de naufrage. Les regards se tournent vers moi, mais c'est dans la tourmente que l'on reconnaît les grands capitaines. Bien sûr que j'ai un plan B, j'en ai même deux, le premier ce sont les Boys Spunyques à Fontainebleau, mais vu l'heure et la distance voici un pari hors de Paris dont la victoire reste aléatoire, la deuxième solution B prime : Bill Crane à l'Etoile Noire ( Black Star ) du côté de la Bastille. C'est celle-ci qu'il faut prendre !

    RÂOULEX KING TRIO

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    On arrive juste à temps pour le début de Râoulex King Trio, sûr qu'il y a une guitare qui sonne joliment country, l'est dans les mains d'Alexis Dupont, casquette et lunettes lui confèrent l'air de monsieur tout le monde, mais attention un personnage, le français au-dessus de la moyenne qui roule en solex et qui râle comme pas un. Une voix, un ton, qui attisent la sympathie. A sa gauche au fond de Lo, Azelo à la basse, et si j'osais José à la batterie. Formation réduite, mais tout terrain. A la manière de ces usines chinoises qui s'adaptent à la demande, le lundi vous fabriquent des casseroles, le mardi vous sortent des bicyclettes et le mercredi des feux d'artifice. Le King Trio c'est le couscous royal, mille épices différentes du curry ska au piment rock, et salmigondis de viandes doctement faisandées, fricassées de textes d'esprit apache et d'ironie faubourienne, hachis de hits tangentiels qui frisent le délire poétique, empruntés à Bashung, Thiéfaine, et Dutronc... Le Râoulex King Trio brinqueballe mais parvient toujours à bon port. Vous refilent de la bonne came en poudre d'or et de perlimpinpin, un subtil alliage qui mêle auto-dérision et rentre-dedans. Les titres défilent à la manière d'une manifestation festive aux banderoles colorées de paroles vertes et noires. Un peu de rouge saignant avec Sitting Bull. De temps en temps Alexis nous donne une régalade d'harmonica qui lui donne un faux air de Dylan, puisque en authentique adéquation avec lui-même. José nous offre un de ces petits soli de batterie comme l'en faisait dans les années soixante, pas trop long mais grondant à souhait. A Lo de le seconder pour ces rythmiques skaïques sautillantes, sur lesquelles la voix d'Alexis s'entremêle avec la vigueur d'une liane rampante qui passe d'arbre en arbre en se jouant des intervalles. Sur les deux morceaux, au débotté Patrice s'en vient adjoindre son saxophone, s'insère adroitement dans le tempo, comme chez lui, aussi à l'aise qu'un poisson rouge dans la Mer Rouge. Pas la foule des grands soirs pour cette soirée, mais un vif succès pour le Trio fortement encouragé par un quarteron d'admirateurs enthousiastes.

    BILL CRANE

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    Changement de programme. Bill Crane n'a jamais résonné aussi fort. Jamais aussi new-yorkais, une espèce de garage avant-gardiste sans concession. Un ordre de bataille d'une efficacité extrême. Sur les côtés, deux ailes de cavalerie lourde. Pour les premiers morceaux Bobo aura un jeu de cymbales particulièrement bruitiste, clinque et clanque de partout, produit une espèce de métallifération sonore diffuse qui s'insinue et tintinnabulise l'atmosphère, un ensorcèlement incantatoire vaudouïque destiné à dézinguer votre stabilité mentale, vous coupe de vos repères sensoriels, vous désarçonne, loa de boa cataphractaire. Si Bobo a choisi de vous ensevelir dans un ouragan de sable désertifiant, Patrice adopte une tactique différente. Celle du sax oriflamme, du buccin de la victoire, s'est planté au milieu de la mêlée et n'en démordra pas, saxophone et sax assomme, incessantes cuivrées assénées et assassines. Patrice souffle sans interruption et sans fin, il faut espérer que le jour où l'engeance humaine disparaîtra il restera un ultime souffleur de cette espèce pour perpétuer au-travers l'espace intersidéral infini l'écho exacerbé de notre extinction dinosaurienne. Mais tout cela ne serait rien, s'il n'y avait entre les deux cadors les phalanges cordiques.

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    Eric et sa guitare, elle porte d'étranges tatouages, elle ressemble à une feuille de journal trop longtemps abandonnée dans une flaque d'eau sale. Les colonnes détrempées se sont déplacées et entremêlées, la lecture en est devenue floue. Alors Eric se charge d'énoncer le dernier message, ces mauvaises nouvelles d'un monde en perdition. Il brise les riffs, les triture, les désarticule, les rature, les torture, les transforme en d'innommables raclures censées envenimer les gerçures de vos âmes perdues. Mais c'est le rock qu'il est en train de tuer, arrêtez-le dans son geste impie et impitoyable ! N'en faites rien, laissez-faire, car s'il ne meurt, il sera incapable de renaître. Ne chante pas, il proclame et vaticine, sa voix est menace, à peine montée qu'elle sombre, à peine au fond qu'elle fond sur vous à la vitesse de l'exocet. Suit une ligne amélodique qui oscille entre imprécation et distanciation. Comprenne qui ne pourra pas. Entend qui ne pourrit pas. A ses côtés Gwen le silencieux. Souvent en attente, en alerte. Lorsque le bateau penche trop, c'est alors qu'il le soutient et le tire avec le filin de ces lignes de basse, remet à flots la barcasse à moitié échouée sur les récifs, déporte le courant pour qu'elle ne s'enquille pas définitivement sur les brisants acérés, contre les dents cariées de la mer. Gwen est le phare dans la tempête. Les trois autres crapahutent et tarabustent. Gwen construit la hutte de survie sur la bute de basalte noir que la montée des colères océaniennes n'engloutira pas.

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    Quelques titres, l'initial She's My Baby, la revendication primale et primaire du rock'n'roll, l'urgence sexique que rien ne comble, ni sa plénitude, ni sa finitude, Eric en éjacule les lyrics comme jus empoisonné de mangue entrouverte, Travelin' Man, l'errance de la solitude à la poursuite de sa propre fierté, Darkness un orage noir de gouffre aux senteurs de soufre, faut entendre Bobo, quitte les hauteurs stratégiques des cymbales pour le galop des toms, se prend au jeu, sa frappe devient puissance, orchestre fou, cataclysme qui ne sait s'arrêter, et de l'autre côté Patrice fait chorus avec lui, nous offrent un duel sax-tambour, deux taureaux furieux qui s'affrontent de toute la force de leur musculature, l'un qui souffle du feu par les naseaux et l'autre qui donne des coups de front à vous casser les bucranes. Danse sacrée des joutes néolithiques. A laquelle succèdera l'étrange ballet saxofaunique d'Eric et de Patrice, la guitare qui morsure tout azimut et le sax qui ouvre sa gueule maintenant de crocodile, et le caïman dément se métamorphose en félin géant à la crinière impérieuse. Parfois le rock électrique parvient à évoquer la brutalité innocente de ces outre-temps antédiluviens. Retourne à une sauvagerie enfouie et endormie depuis si longtemps dans nos zones d'ombres charnelles et nos abîmes mentaux que nous les avons oubliés, que nous nous croyons supérieurement civilisés alors que nous ne sommes que l'ombre squelettique de nos désirs émoussés. Alors il est bon qu'un groupe tel que Bill Crane vienne nous tirer des marécages de nos léthargies, nous réveiller de nous-mêmes, nous rappeler que nous sommes des mines d'or que nous avons laissées en déshérence... il se fait tard, un dernier rappel que Bobo culmine en un requiem fracassant, une onde de choc pyramidale. Cris et applaudissements fusent, des mains émues se tendent pour remercier. Passage et échange de l'énergie du rock'n'roll !

    Damie Chad.

     

    08 / 02 / 2019 – MONTREUIL

    LA COMEDIA

    MOTOR KIDS / FOLSOM

    THE WEALTHY HOBOS

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    A peine pénétré dans la Comédia la truffe chaude de Whisky se pose sur ma jambe. C'est sa manière à lui de dire bonjour pendant que Personne, son maître, s'affaire à la sono. De toute la faune réunie ici, Whisky est vraisemblablement celui qui possède la meilleure ouïe, et peut-être entend-il des fréquences rock'n'roll inaudibles à nos misérables esgourdes. N'a que quatre pattes, mais peut-être est-il plus savant que nous tous réunis. Anubis stellaire.

    MOTOR KIDS

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    Pas vraiment des kids mais très loin du troisième âge. Coupe afro à la Hendrix ou à la Clapton version Cream pour Kejji à la basse et Alim Elborki à la lead. Un premier morceau qui me fige la raison et me laisse mi-figue mi raisin, pas de direction évidente, impossible de dire à quoi ils veulent en venir. Hurlement de Léo Flank à la batterie, à vous fouetter les sangs de tout rocker jusqu'à lors indécis - disons-le à la manière des sceptiques grecs qui suspendaient prudemment leur jugement avant de porter un jugement définitif – nom de Zeus, voilà que ça se met à trotter allègrement, se sont apparemment réchauffés les doigts et décidé à mettre le turbo à la turbine. Toutefois faudra attendre le troisième morceau pour piger vers quel objectif lune ils ont jeté leur dévolu. Jusque là, Alim Elborki avait caché son jeu de guitare. S'était contenté de ronronner collé à la rythmique comme le chaton au ventre de sa mère. Premier envol, et ils ne sont pas prêts à tourner rond, misérablement en orbite stationnaire autour du plancher des vaches sages. Un seul mot d'ordre, vers le plus haut du haut. Autant de morceaux, autant de montées souveraines, en de longs soli en partance pour les étoiles. L'est suivi comme une ombre par Kejji, fidèle écuyer qui suit son chevalier du zodiaque dans les altitudes les plus vertigineuses, les espaces les plus raréfiés. Sûr qu'Alim a écouté Hendrix, pas expressément celui de l'Expérience, celui de la dernière période, ne compresse pas les notes, les étire, les épure, rappelle un peu la fluidité des Allman, en davantage détaché de la terre du blues, plus près des poussières cosmiques. Le berger du ciel rassemble la foule autour de la scène, tout le monde est d'accord pour suivre ce vaisseau qui fonce dans la viduité intergalactique.

    Nos trois gaminos motorisés au properpol se partagent le chant, plus rauque pour Léo, plus souple pour Kejji, plus éthéré pour Alim. Parfois l'on passe des zones de turbulence, d'énormes forces invisibles rejettent l'engin spatial vers le bas, il a touché à quelques plafonds de verre, quelques champs de gravitation infranchissables, mais non malgré ces agrégations d'orages de particules néfastes, il en ressort vainqueur, la guitare monte en vrille et transperce ces cuirasses de boucliers atomiques, alors Alim Elborki nous allume et nous lime un bouquet de soli incandescents qui vous arrachent des gutturalités extatiques de satisfaction. On les aurait suivis encore durant quelques années-lumières, mais ils n'ont pas eu le temps de percer la coque de la temporalité universelle. L'heure c'est l'heure... la descente est rapide, juste au moment où se profilait la courbe d'un astre mystérieux sur lequel nous ne poserons pas le pied ce soir...

    FOLSOM

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    Z'ont pris un nom pour dérouter les fans de rockabilly. Folsom, l'on se voyait déjà s'évader du pénitencier et rattraper le temps perdu en pillant une quinzaine de banques ou en attaquant le train qui transportait la paye des terrassiers de la mine de l'allemand perdu... Même en rock, il ne faut pas se fier aux étiquettes, nous nous sommes trompés de film, de bout en bout. Changement de décor et d'ambiance.

    Léo Flank est resté aux drums. L'a le boulot le plus difficile. Ne le plaignez pas. Il aime ça. N'arrête pas une seconde. L'est la cheville ouvrière essentielle et articulatoire de la formation. Flank vous flanque le funk comme volées assourdissantes de tôles méthodiquement agitées. L'est incapable d'émettre un rythme quelconque sans avoir envie – en enfant surdoué et sardonique – de casser illico la loco de son beat. Frappe sèche et a-rythmique. Le gars qui vous abat un arbre à chaque coup mais en biseau picassien. Professe une aversion pathologique pour tout ce qui est droit et régulier. Déteste les chemins les plus courts, n'aime que les lignes brisées, réussit à vous tracer des zig-zags sonores de traviole qui vous entrent dans l'oreille droite et ressortent par le pied gauche. Vous prend le cerveau à contre-sens.

    N'est pas le seul de la bande, l'a réuni des garnements de sa trempe. Florian ne joue pas de la guitare. Il pointille, il abrutille, il contrapuncte, il contrafunke, il enfonce des pitons dans le dos des antilopes riffiques, les pauvres bêtes ne peuvent plus courir, agitent leurs membres brisés spasmodiquement, s'affalent et tombent lourdement, l'est férocement secondé par Théo Defranaix, s'est spécialisé dans les défenestrations mutilantes, l'a la basse qui klaxonne pour vous conseiller sagement de rester sur le bord de la route et poum, un trucker balourd s'en vient vous écraser, juste pour vous apprendre à mourir.

    J'ai toujours pensé que malgré l'amour que je porte à James Brown que le funk n'est pas franc, que le groove peut devenir grave énervant au possible. En cela il n'est pas si éloigné qu'il y paraît du jazz. En moins intello, en plus prolo. Là où le jazz suggère, le funk fonce. En plus l'Histoire nous a appris que c'est un art qui dégénère facilement en musique de boite discoïdale.

    Dès qu'ils ont commencé à jouer, j'ai pensé, attention danger, chaussée glissante. Oui mais Folsom dans leur genre ils sont gâtés. Et pas petitement. Z'ont un as qui pique dur et fort, pas du tout caché dans leur manche. Peter Gattet, n'est pas comme ses collègues. L'a résisté à la tentation de prendre un instrument et de le transformer en percussion. Rien entre les mains. Des cordes d'airain dans le gosier. L'a la voix qui envoie. Grasse et collante, un corps de boa brûlant qui s'enroule autour de vous et vous enlace dans ces anneaux écailleux. Vous porte à ébullition au creux d'une cocotte minute explosive. Qui n'explose pas, c'est là le secret du funk, mais qui vous secoue salement, vous remue-ménage dans tous les sens, vous transporte dans ces manèges forains qui simulent le décollage d'une navette spatiale, sans que jamais vous n'atteigniez les étoiles, mais quel plaisir de sentir ses os s'entrechoquer. Le public s'envole dans un ersatz de pogo punk, une pantomime grotesque qui n'est pas sans esthétique d'ailleurs, une danse de pantins maladroits et énamourés qui s'approchent sans se se toucher, qui s'invitent en s'évitant, qui dessinent de leurs bras hécatonchiriens les silhouettes des partenaires de cette ronde mimétique.

    Folsom n'a aucune honte – et ils ont raison – Peter se lance dès le deuxième titre dans un hachis rappique destructeur dans lequel il excelle. Vers la fin il nous assènera un disc(o)-funk, en ses débuts martelé comme un lancer de marteau, mais en sa deuxième moitié, filant droit devant, tel une éjaculation de javelot. Le set s'est déroulé entre les deux extrémités de ce spectre fatal, abordera toutes les couleurs d'un heavy groove funky, calotté à fond de caisses embarquées sur un porte-containers salement engoncé dans une tempête de force 9.

     

    THE WEALTHY HOBOS

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    The last, but not the least. Enfin du rock. Qui brûle et renaît de ses cendres automatiquement à la manière du fabuleux phénix. Slim Terrorizer a ceint ses longs cheveux noirs d'un turban apache. L'est assis devant son kit drumique tel un guerrier de Geronimo qui prépare sa monture pour un raid meurtrier sur un village mexicain. N'a pas un vocabulaire limité mais il ne connaît pas le mot pitié. L'est né pour terroriser le monde et ce dernier ne moufte pas, n'a aucune envie d'attirer l'attention sur lui. C'est que Slim possède une frappe à deux coups. Un premier à la manière des batteurs chevronnés, galonnés et médaillés, le coup indubitable qui fait poum, qui tombe comme l'œuf de l'autruche, et au revoir les amis, je passe au suivant. Non ce genre de simplicité ne lui suffit pas. Vous file un surplus, un deuxième qui suit le premier comme l'ombre le soleil, de si près qu'il semble un écho renvoyé par les murs d'un canyon, au début, ce coup fantôme, ce coup zombie, vous surprend, lorsque vous recevez une balle dans le corps qui vous traverse le poumon, d'abord vous entendez le cri de souffrance que vous ne manquez pas de pousser et tout de suite après la détonation vous parvient – si vous êtes encore en vie – aux oreilles – un coup, deux bruits – est-ce un contre-coup envoyé en douce par la grosse caisse, je ne sais pas, ce qui est certain c'est que très vite vous croyez être au centre d'une chambre d'échos, et – j'ai oublié de le préciser, les Wealthy Hobos ignorent totalement le mot lenteur. Sont pressés de vivre.

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    Cette double percussion propulsive, ce n'est pas rien, mais ce n'est pas tout. Les Wealthy, jamais quitte, toujours double. Sacha B adopte la même tactique de la terre brûlée deux fois. Mais au chant. Un peu plus difficile peut-être. Un lointain souvenir de la réverbération Sun, je ne sais. Ce qui est sûr c'est qu'il possède une étrange technique, une corde vocale tendue comme d'un arc qui vous envoie la flèche mortelle, et une deuxième résonnante comme celle d'une lyre qui raquelle le requiem funèbre de votre entrée au paradis des braves. Cette seconde onde sonore semble plus amortie, le claquement bref d'une torpille-ventouse qui s'en vient se fixer sous la ligne de flottaison de la coque d'un tanker empli de pétrole. Pour la mise à feu, vous n'attendez pas des heures, quasi illico presto. Un titre comme Bloom, ça fait boum à la puissance mille, ça vous déplume la superstructure en moins de deux secondes, et Clutch enclenche et réveille en vous le réflexe pavlovien, fatal et passionnel, de votre appétence pour le goût immodéré de la destruction-rock.

    Les premières rafales de ce quatuor sont tellement ouraganiennes qu'au début l'assistance reste un peu en retrait. Le rock serait-il une musique dangereuse ? Oui bien sûr, c'est-là sa vocation, et bientôt le public de la Comedia en proie à une brutale remémoration platonicienne se souvient que c'est pour cet appel de la forêt sauvage, ce call of the wild, qu'il est friand de ces esclandres soniques, il se livre alors à un tohu-bohu barbare et pogoïque du meilleur effet.

    Leo B joue le lion solitaire. Non, il ne boude pas son plaisir. Vous griffe les oreilles, vous arrache la gueule de ces soli déjantés. S'échappent de sa guitare comme horde de vikings en rut. Toutefois rien de désordonné dans ces assauts redoutables. Agit en vrai stratège. Trouve le passage de la dérive entrevue au nord, entre la double flotte d'icebergs s'entrechoquant que sont les émissions échoïfiés de Sacha et de Slim, sa guitare serpente et se glisse en traits de feu entre ces castagnettes diaboliques, se joue de la difficulté, mais finit par sortir de ces pièges redoutables, et alors elle éclate en clameur d'épouvante.

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    Que serait le rock sans blues ? Inutile de barjoter à chercher la réponse. Sacha vous l'apporte, quand il ne chante pas, quand il ne soutient pas sa voix de ses riffs, il se saisit de son harmonica, prend soin de ne pas retomber dans les pesanteurs embourbées de la lancinante rythmique deltaïque, bye-bye les bayous et les alligators qui s'accrochent à vos jambes, en use et en carbure pour accélérer le mouvement, car à quoi bon ajouter un moteur d'appoint si ce n'est pour brûler les étapes et faire en sorte que l'ascenseur troue le toit de l'immeuble et vous propulse au septième ciel infernal.

    Nash Goldfinger – he loves bass, only bass – n'est pas en reste. N'est pas venu pour regarder pousser la bruyère sur sa tombe. L'a fort à faire. The Wealthy Hobos est bâti comme ces cuirassés à double tourelles de tir. Bosse selon deux angles d'attaque. Soutient dans le même temps la batterie de Slim et la guitare de Sacha, triangulation acrobatique, dédoublement à engendrer un vacillement d'identité, à vous perdre hors de vous-même, à vous engouffrer dans un voyage en astral sans retour, mais garde son sang-froid, l'est comme l'aiguille de la boussole folle qui retrouve toujours l'étoile polaire dans sa ligne de mire. Nash bass cash. Si Sacha porte si haut le flamboiement de sa voix c'est que Nash vous tisse, au plus près de ces altitudes, l'exhaustif filet de ces lignes de basse coulées d'or.

    Nos hobos sont riches. Répandent le rock'n'roll dispendieusement, à la manière de Zeus se métamorphosant en cette pluie d'or qui s'engouffra dans le sexe de Danaé afin d'engendrer les épopées pré-homériques et l'émerveillement des simples mortels. Mais le plus beau de la soirée, ce fut sans doute cette expression de contentement sur leur visage lorsqu'ils ont quitté la scène. Nous étions certains qu'il savaient qu'ils avaient rallumé le flambeau du rock'n'roll dans nos âmes inassouvies.

    Damie Chad.

    PARIS IS BURNING

    ( 2018 / Paris is burning )

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    La photo de couve ne laisse planer aucun doute sur le message molotov de ces groupes. Motor City Is Burning du MC 5 n'en finit pas d'irradier les révoltes populaires. Comme quoi une étincelle rock peut mettre le feu à toute la plaine. C'est que quand la coupe est pleine, elle se transforme en cratère volcanique. Les manifestations contre la loi Travail en 2017, et les rassemblements des Gilets Jaunes en 2018, s'inscrivent dans ces feux d'artifice dont la France, qui peut s'en enorgueillir à juste titre, est coutumière. Dans un souci constant d'amélioration de notre balance des paiements nous souhaitons qu'elles deviennent notre marchandise d'exportation la plus prisée dans notre monde mis en coupe réglée par les banques, les entreprises, les élites libérales et les Etats de moins en moins protecteurs, de plus en plus policiers. Tous unis et tous coupables dans cet accaparement des richesses et dans cette spoliation sans fin dont les dépossédés sont les principales victimes. En attendant leur anéantissements, voici quelques vingt cris de haine, de révolte et d'accusation proférés par dix groupes de rock en surchauffe. Ce Paris Is Burning est l'expression de ce feu qui couve.

    Les numéros correspondent à l'ordre de succession sur le CD.

    BREAKOUT : from Paris : punk as fuck, since 2013 ( ? ).

    1 : No master race : giclée de sons, dégoulinades de guitares, la batterie embraye, et c'est parti pour un cri de haine contre la haine bête. Un titre qui gronde comme une bête blessée et d'autant plus dangereuse. Ne plus se laisser faire. Riposter. 18 : Spitting : montée en puissance, un vocal dévastateur et un background rouleau-compresseur à qui rien ne résiste. Parfois le morceau ralentit comme un fleuve qui se calme pour mieux accumuler la force du courant. Finit par briser toutes les digues.

    ROCK'N'BONES : from Ile de France, riot punk, since 2005.

    2 : Marching dead : les morts marchent sans fin, un torrent de putréfaction hante les rues, les guitares dévalent le pavé et grondent de colère. Machine mortelle. Ne s'arrête jamais. 15 : Antifa rockers : marche militante au pas de course. Invincible et fiers d'être ce qu'ils sont. Z'auraient pu l'agrémenter de whahou ! féroces et menaçant, juste pour la couleur locale et la douleur policière.

    LOUIS LINGG & THE BOMBS : from Paris, punk rock, anarchism, revolution, annoying people, since 2006.

    3 : Grindstone : capharnaüm de bruits flottants, une voix féminine surnage et mène le train. Maintenant sont une chiée plus une à épandre le bordel dans le monde entier. La bonde excrémentielle est lâchée. Rien ne sera plus comme avant. Optimisme forcené. 13 : Rave and steal : une espèce de dessin animé musical dévoyé. La dépouille et la débrouille, l'on peut toujours s'en sortir, suffit de courir plus vite que le vieux monde. Une musique qui sortait autrefois des transistors. Méfiez-vous les temps changent plus vite que vous.

    KIDZ CET DOWN : from Paris, punk parifornien, since 2015.

    4 : Sweat, farn, buy and die : un flot de colère condamnifère qui emporte tout. Nul trou de souris où se cacher. Les guitares dévalent la chaussée du destin. Le band a décidé d'écraser tous vos espoirs. Une voix d'outre-tombe et un salmigondis de guitares sans pitié. Le pire est à venir. Un des meilleurs titres de la compil. 17 : Enjoy it all : porte bien son titre, une voix sympathique qui s'adresse à vous, une invitation festive, très différent du morceau précédent. Surprenant.

    THE MERCENARIES : from Paris, punk, since 2014.

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    5 : Night Call : presque joyeux, rythme entraînant qui s'amuse à casser les trois pattes d'un canard. La cruauté de l'ironie ne connaît pas de limites. Intermèdes sautillants mais les voix vous rappellent que votre devoir de révolte vous appelle. Sortez de vous-mêmes ! Dansez jusqu'au bout de la nuit. Lumineux et ingénieux. 16 : Rocky Road : des voix qui claquent et l'on est embarqué dans une espèce de comptine punk, un orgue s'amuse à bousculer les ellipses temporelles, tout le monde reprend en chœur brisé.

    UNION JACK : from Paris, punk rock, since 1997.

    6 : Blackout : Une voix qui festonne par-dessus une purée de sons indescriptibles. A toute vitesse. L'on dirait que la batterie vous tire la langue très fort. L'impertinence du désespoir. Et puis chacun s'exprime bien loud and lourd et toutes ces vitupérations sont nids de vipères heureuses de posséder leur venin mortel. 20 : The Glore : un dernier pour la route et la gloire des causes perdues qui triompheront toujours. Voix goguenardes, musiques sautillantes. Attention sous la plage les pavés ne demandent qu'à voler comme merles moqueurs au temps des cerises mûres.

    HUMAN DOG FOOD : from Mantes-la-Jolie, punk, since 2005.

    7 : Nothing has changed : urgence, il serait temps de perdre ses illusions et d'envoyer tout balader, la comédie a trop duré, l'on aimerait tant qu'elle tourne enfin au drame sanglant. Briser le cercueil des jours immobiles, tel est le mot d'ordre. 11 : Sometimes : encore plus fort, encore plus violent, encore plus rapide, plus de temps à perdre, la batterie reprend souffle et les guitares vous tombent dessus comme pluie de pavés sur les CRS. Il est temps de mettre le feu. Sirènes clignotantes dans le lointain arriveront trop tard.

    HARASSMENT : From Paris, weirdo punk for hipsters making business, since 2015.

    8 : Just don't : Une corde de pendu qui se balance dans un cliquètement de cymbales, des guitares musicales par dessous et une voix comminatoire qui précipite le hachis final. Malgré les éructations vocales, le morceau possède un fort avant et arrière-goût instrumental. Superbe orchestration. 14 : Concrete walk : voix caverneuse qui s'enfonce au milieu de la terre. Des éclats métalliques de guitares éparpillées et un galop de batterie qui fonce la tête la première contre les murs. Une immense cavalcade défile sous vos yeux ébahis.

    ALL THIS MESS : from Paris, playing a loud blaring punk rock, since 2015.

    9 : Screen head : brouillard dans votre tête, l'est occupée par des ondes étrangères qui la colonisent, une voix féminine bat le rappel de vos neurones, la batterie claque comme une marche guerrière, délivrez-vous, Suivez la grande prêtresse, elle vous emmènera où elle veut. Et vous serez heureux. Un must. Au-dessus du lot. 19 : The way they go : Alicia bien sûr, qui chevauche une rythmique de fous furieux. Chevauchez le tigre, le serpent et l'éléphant, c'est ainsi que vous vous accomplirez. Les autres laissez-les, vous n'en avez plus besoin. Démentiel.

    STATELESS : from Mantes-la-Jolie, street punk, hard punk, since 2015.

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    10 : 1986 : Une voix de rage qui déferle , des tumulus de stimuli de guitares s'effondrent sous les butées rageuse d'une batterie infatigable. Rien à perdre. L'on pense à certaines pages de Moravagine de Cendrars. 12 : Pollution : un flot d'ordures vous submerge. La voix surnage parmi les débris. Vous avertit que bientôt il sera trop tard. Elle s'étrangle de haine. Ce qui vous attend est déjà là. Tant pis pour vous.

     

    Un CD qui n'a pas été primé aux Césars de la Musique. L'on se demande pourquoi. A croire que le monde est injuste. Mériterait tout de même le sticker Parental Advisory Explicits Content. Mais que fait la police ?

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 374 : KR'TNT ! 394 : ENDLESS BOOGIE / LITTLE BARRIE / BILL CRANE / NO HIT MAKERS / CARLA BLEY /ROCKAMBOLESQUES (8 )

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 394

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    22 / 11 / 2018

     ENDLESS BOOGIE / LITTLE BARRIE

    BILL CRANE / NO HIT MAKERS / CARLA BLEY

    ROCKAMBOLESQUES ( 8 )

    On ne tient pas les Endless Boogie en laisse - Part Three

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    Visiblement, Paul Major et son Endless Boogie ne font pas l’unanimité, chez les festivaliers binicais. Certains leur volaient même dans les plumes, ici et là. C’est vrai que ces New-Yorkais échappent un peu aux normes. Quatre morceaux en une heure, c’est d’un rapport qualité/prix qu’on pourrait qualifier de mauvais, si le concert n’était pas gratuit. Mais si on réfléchit une minute, le vrai problème qui se pose est de savoir si l’endless boogie peut se saucissonner en chapelets de deux minutes. Pas évident ! Même John Lee Hooker qu’on disait expert en la matière ne savait pas le faire. Par définition, l’endless boogie ne devrait jamais s’arrêter et quand Paul Major décide de couper court pour respecter les conventions de Genève, on sent bien qu’il le fait à contre-cœur, car c’est un non-sens. On pourrait même aller jusqu’à le soupçonner d’avoir reçu un pot de vin pour accepter de jouer quatre morceaux en une heure, au lieu d’un seul morceau en trois heures.

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    Au pays de Descartes, la notion d’endless boogie ne correspond à rien de connu. L’endless boogie n’est ni référencé aux Arts & Métiers, ni considéré comme étalonnable par l’ISO, l’Organisation Internationale de Normalisation. Encore moins susceptible d’entrer dans un programme de recherche à des fins normatives, car il faudrait alors doper les cervelles des chercheurs, comme on dope celles des cyclistes professionnels. Examiner l’endless boogie de bout en bout équivaudrait en gros à grimper un col des Alpes en échappée solitaire. On mesure d’ici l’effort à fournir. Et les conséquences judiciaires en cas de contrôle médical. Risque auquel se plaît à échapper Paul Major, car vu qu’on fout la paix à son endless boogie, il peut s’allumer la lanterne à l’acide en toute impunité.

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    C’est ce qui fait sa grandeur. Paul Major est l’acid-Fantomas, le shaman psychédélique par excellence, la résurrection de l’acid-freak mythique des seventies, le prince du blow out patenté. La seule chose qu’on pourrait lui reprocher serait de ne pas partager. Il part en voyage avant même d’avoir lancé son endless boogie, et il faut en moyenne une demi-heure à trois-quarts d’heure au festivalier à jeûn pour commencer à tripper, d’où sa colère légitime. C’est comme une poule qui prend son pied sans vous. Ce décalage est extrêmement désagréable. Contraire au principe d’harmonie universelle et aux règles intrinsèques du romantisme.

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    Si Paul Major se doutait des conséquences de sa passion pour l’endless boogie, ça le rendrait immanquablement triste, car de toute évidence, il prêche pour la concorde psychédélique. Sa naïveté frise le génie. Il fait un peu penser à Gandhi qui aimait tellement les hommes qu’à aucun moment il n’aurait imaginé qu’on allait lui tirer dessus à bout portant. D’aucuns diront que la naïveté fait bon ménage avec l’irresponsabilité et qu’un coup de dés jamais n’abolira le hasard, mais ce n’est pas une raison pour condamner l’endless boogie, l’une des dernières valeurs refuges des temps modernes, l’endless boogie refuse les notions de croissance et de rentabilité, de respectabilité et d’autorité, l’endless boogie adresse des pieds de nez au Monde Diplomatique et à toutes les petites menaces que nous cuisinent quotidiennement nos chers médias, l’endless boogie s’amuse bien dans son bac à sable pendant que les autres essaient désespérément de trouver du sens à la vie dans des réseaux sociaux, l’endless boogie prend son temps quand d’autres vont pointer pour des clopinettes, la chevelure de Paul Major flotte dans le vent breton comme l’étendard d’une Table Ronde contente d’avoir trouvé son Graal, l’endless boogie, précisément. Plus besoin d’aller errer au-delà des frontières du Nord, plus besoin d’aller affronter le chevalier noir au pont du Bec Hélouin, on joue l’accord et Paul Major part en vrille, au propre comme au figuré, tissant sur le manche de sa Les Paul d’infinies variations névralgiques, histoire de tonifier l’endless boogie et de le voir prendre son envol dans l’éclat subsonique d’un crépuscule des dieux.

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    Inespéré, Paul Major et ses amis font halte en Normandie pour distribuer une fois encore les mannes de leur endlessy endless boogie so far out. Ce qui frappe le plus dans leur attitude, c’est bien leur absence totale de frime. Ils se branchent, s’accordent et jouent. Et Paul Major attaque avec cette histoire mirobolante de Kiss on stage at the kite festival, un concours de cerfs-volants doublé d’un festival pop auquel il se rendit avec ses amis en 1974 à Saint-Louis pour voir a new band called Kiss. On aurait tendance à croire que le far out ne concerne que la musique de Paul Major, mais tous ceux qui ont lu son livre et ses notes de pochette savent que le far out concerne aussi les textes. Il manie les deux extrêmes stylistiques avec un brio stupéfiant, l’aphorisme comme la prose au long cours - I didn’t have kites of my own/ I didn’t want anybody ele’s kites either/ I wanted to see Kiss - Chez lui fond et forme ne font qu’un, il développe ses climats, y installe des images et gronde au coin du bois comme Captain Beefheart - I saw John Zorn put ice-cream into a trumpet/ But I saw Kiss at a kite contest - tout sonne irrémédiablement, tout indique que nous atteignons le maximum des possibilités du genre. Avec ce mec-là, nous ne sommes plus dans l’approximatif, nous sommes dans ce qu’il faut bien appeler l’impact orgasmique, celui que pratiquaient de leur vivant des gens comme Lou Reed, Captain Beefheart ou Mick Farren. En d’autres termes, il s’agit d’un art bâti sur l’expérience d’une vie de transgression, où dope et culture musicale jouent le rôle principal - We make our way up to the stage/ Right up front and the acid’s kicking in - Paul Major nous invite à partager des moments ordinaires qu’il transforme en moments d’exception. Et si vous voulez savoir si les gens de Kiss avaient des cerfs-volants, il saura vite vous rassurer, car non, Kiss did not bring their own kites/ They were kiteless/ Carefree/ It was either spring or fall/ Kiteless - Kiteless at a kite festival, ça résume bien Kiss. Était-ce le printemps ou l’automne, en tous les cas, ils n’avaient pas de cerfs-volants. Par contre des mecs qui étudiaient le théâtre au collège s’étaient rasé les sourcils because of David Bowie et Paul Major fut blessé : en se retournant pour observer attentivement les langues dans les bouches des gens, il reçut une bouteille en pleine poire.

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    Comme à Binic, le set se déroule paisiblement, au rythme de quatre cuts à l’heure, en de lentes montées de libre arbitre patiemment élaborées et émaillées de violentes poussées de fièvre, moments tellement intenses qu’on croit entendre des chœurs alors que personne ne chante. Comme John Lee Hooker avant eux, les New-Yorkais travaillent la matière du climax et montent leur rock en neiges du Kilimanjaro. Chacun sait qu’il faut laisser du temps au temps pour gagner l’état de transe. Par certains côtés, le Dropout Boogie de Paul Major rejoint le Babaluma de Can ou la Ray du cul du Velvet. «I couldn’t hit sideways» et «I saw Kiss at a Kite festival» même combat. Prodigieuse extension du domaine de la lutte intestine. Toute la problématique du rock scénique se situe là, très précisément : comment sort-on de l’ordinaire ? Comment marque-t-on les imaginaires au fer rouge ?

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    Paul Major vient de faire paraître Feel The Music Vol. 1, une compile de cuts qu’il aime bien, tirés d’albums inconnus au bataillon et souvent d’une qualité acid-folk stupéfiante, à commencer par «The Travesty Of My Life» de Tim Lonergan & Buddy Kelly, cut qu’on dirait hanté par le vent des plaines - Nearly all human beings endure certains moments of bleak clarity leading them to believe their entire existence is a hopeless disaster (presque tous les êtres humains connaissent des moments de lucidité qui leur font croire que leur vie entière est un désastre) - C’est bien le son de la désespérance - Few have captured it - Bravo Paul Major ! C’est une énormité jouée au psyché de cabane en bois. L’autre grosse bombe de l’album s’appelle «Let It All Hang Out» par The Yays & Nays. Absolument dément ! C’mon fevah ! Ils grattent ça à la folie pure. Explosif ! Chanté au gras du menton, on a là une vraie sensation de génie sonique en gestation. Cette musicalité frise la folie. Paul Major enchaîne ça avec «Ruby» de Merkin - Impossibly rare LP. Music From Merkin Manor, the sort of house where you can’t quite tell if strange things are really happening or it’s just your mind playing tricks on you (Le genre de maison où des phénomènes étranges se produisent. Vous ne savez pas s’ils se produisent réellement ou si c’est votre cerveau qui vous joue des tours) - Joli shoot de rumble psyché chanté à deux voix. Ahhh Ruby Ruby Ruby, c’est à la fois soft et musculeux, chargé de son comme une mule, bien troussé du beat, avec un départ en solo claironnant. Voilà encore un grand rock US complètement inconnu au bataillon. On peut dire la même chose du «Run» de Ray Harlowe & Gyp Fox, une ballade rongée par la fuzz. Tout est fascinant sur cette compile et ça continue avec «Behold» de Justyn Rees - Death is mere illusion and Justyn has the ethereal psychedelic sound to make a believer out of you. Works quite well while you are still alive (la mort est une pure illusion et grâce à son pouvoir psychédélique, Justyn peut vous en convaincre. Ça marche mieux si vous êtes vivant) - C’est une sorte de psychedelia définitive, une horreur lysergique. On la suivrait jusqu’en enfer. Ce cut dégage un fort parfum de mort psychédélique. Les notes de Paul Major sont une aubaine pour l’intellect en manque d’aubaines. Elles sonnent comme des aphorismes. Pour le «Passages» de Sebastian, il écrit : «When 10 000 weeds are smiling and talking to you, the acid has definitely kicked in.» (Quand 10 000 brins d’herbe vous sourient et commencent à vous parler, ça veut dire que l’acide commence à faire son effet). Paul Major présente Sebastian comme the Canadian king of dried hair psychedelia. Avec le «Saturday Thought» de Bob Edmund, Paul Major recommande d’appeler de l’aide, une aide qui n’arrivera jamais because your system only exist in the past or future, not now. Paul Major s’exprime dans une langue prophétique. Le garage psyché de Bob Edmund vaut largement celui de Byrds, no no no no ! Par contre, Jerry Solomon se prend pour Donovan avec un «Denied» qui sonne comme «Hurdy Gurdy Man». Spécial et spectral. Chanté au trembling électronique. On note l’extraordinaire portée de Dave Porter et de son «Where Do Clouds Go» - Asking the question in such a melancholy world weary way that the question becomes the answer (Dans un monde aussi mélancolique que le notre, on aurait tendance à penser que la réponse est dans la question). Paul Major se demande qui est la mystérieuse fille qui chante avec Marcus dans «Captain Zolla Queen». Et il termine cette émouvante compile avec un autre empereur assyrien, Darius et son «I Feel The Need To Carry On», absolument dégoulinant de psychédélia verdâtre. Ode à la morve.

    Signé : Cazengler, endless raboogri

    Endless Boogie. Binic Folk Blues Festival (22). 29 juillet 2018

    Endless Boogie. Le 106. Rouen (76). 3 novembre 2018

    Paul Major. Feel The Music Vol. 1. Anthology Recordings 2017

    Il est cinq heures, Barrie s’éveille

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    Il s’appelle Barrie Cadogan et rêve de freakbeat. Alors il fait Little Barrie. Dans Shindig, il dit à Paul Osborne qu’il essaye de faire something different avec les vieux sons qu’il adore. Il cite par exemple les Silver Apples et les weird sci-fi/electronic sounds. Il cite aussi Can qui avait un rock’n’roll gear et qui a trouvé un moyen de faire quelque chose de différent.

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    Little Barrie vient de sortir un nouvel album, Death Express. Barrie Cadogan y évoque des sujets aussi réjouissants que la surveillance policière («Copter»), la peur savamment entretenue par les médias («New Disease») et le vent de folie qui souffle actuellement sur le monde («Golden Age») - Things are definitively not good now - ajoute Barrie Cadogan. Little Barrie est en fait un trio dans lequel joue aussi le fils de Steve Howe, on devrait plutôt dire jouait, car il vient de mourir. Death Express est salué dans la presse anglaise par une sorte de buzz, mais ce n’est pas non plus l’album du siècle, pas d’affolement. Les compos sont parfois terriblement faibles, comme justement le «Copter» auquel Cadogan fait allusion dans l’article. Le groove de «Golden Age» et connu comme le loup blanc, puisqu’il s’agit de celui de «Little Johnny Jewel». Exactement le même. Little Barrie est un trio de groovers. Ils jouent pas mal de heavy-rock revanchard sans aucun intérêt. Par contre «You Can’t Stop Us» vaut le détour, c’est un vrai dévergondage, joué par vagues assez violentes et ultra-remué par la basse. Le bassman tient bien son rang. Il s’impose dans certains cuts comme «Count To Ten». Encore un cut intéressant, «Love Or Love», joué au maximum overdrive. Terrific, digne des Seeds et de tout les garages de banlieue. Ces trois-là sont des surdoués de la voltige, ils sonnent comme les Seeds, mais en plus musculeux. Cadogan sur-joue «Molotovcop» à la guitare, il claque ses notes à la Clapton sixties, on se croirait chez John Mayall, c’est un son qui ne trompe pas. Virgil Howe sur-joue lui aussi, mais il est vrai que dans un trio, il faut ce qu’il faut. Peut-être sont-ils trop doués, comme pouvait l’être la première mouture de Lizzy avec Eric Bell. Question guitare, Cadogan en connaît un rayon, comme on le voit avec «Produkt». Il vient toujours se positionner sur le spot du guitar hero. Il en a les moyens, il adore s’exprimer sur fonds bien syncopés, mais ça tourne au ridicule, sans doute à cause du jeu trop tarabiscoté de Virgil Howe. Par contre, «Ultraviolet Blues» redevient intéressant, avec le chant perdu dans le fond du studio. Mais Virgil Howe est beaucoup trop présent dans le mix. Il n’empêche que ce cut est bardé de son, c’est l’un des hauts faits des riches heures du duc de Barrie. Ça repart de plus belle avec le morceau titre et son brouet d’electro. La guitare sonne comme un synthé. C’est dire s’ils bouffent à tous les râteliers. L’album est long, vingt cuts, ça ne s’écoute pas en cinq minutes. On fatigue un peu. Heureusement, «Shoulders Up» réveille en sursaut, car c’est très hot et joué au gras double. Mais la section rythmique finit par agacer. Trop présente. Elle ruine un peu l’album par sa technicité.

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    Quand on lit l’article de Paul Osborne, on éprouve un immense respect pour ces journalistes qui parviennent à remplir une page avec rien. Ce pauvre Barrie Cadogan n’a hélas pas grand chose à raconter. Il faut donc se contenter des albums, Death Express étant le cinquième.

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    Le premier date de 2005 et s’appelle We Are Little Barrie. Avec la pochette rouge, ils tentent de renouer avec l’esprit des grandes pochettes rouges de l’histoire du rock, celles de Slade Alive et de Grand Funk. L’album est excellent et plutôt chaudement recommandé. Cadogan attaque «Free Salute» au heavy groove. Il sonne comme un mec qui cherche un son et qui le trouve, et qui en plus le farcit de tortillettes de notes claires. C’est ultra-convaincu d’avance. Il chante avec l’haleine puante d’une hyène. Quel merveilleux mélange de volonté d’en découdre et de son instinctif. Cadogan chante en demi-lune et claque de choses à la cantonade. C’est tellement bon que ça dépasse toutes les attentes. Il impressionne encore avec «Burned Out». Cadogan chante avec un petit ton bien perverti. Il est bon d’emblée. Il sonne bien. Avec le glouglou de la basse, on croirait entendre de la Soul. Il chante aussi «Greener Pastures» avec une petite insistance merveilleuse. Il est frénétique dans son pantalon, il shake son shook avec de la rémona, on se croirait presque à Muscle Shoals, mais en plus jazzy. Il joue de l’acou jazz comme un démon, du coup, on prend ce mec très au sérieux. Ces trois-là sont des surdoués, on le voit bien avec «Be The One». Il jouent le groove à l’anti-groove, ils ultra-jouent et installent une sacrée ambiance. On le voit aussi chanter «Well And Truly Done» d’une petite voix judicieuse et compressée. Cadogan invente un système. Il se mêle de Soul. Il claque des accords de white Soul et multiplie les incursions vénales, alors ça prend une tournure prodigieusement intéressante, ça vire white niggah, il fait ses yeah yeah yeah à la bonne franquette de black joint. Quelle belle énormité ! Encore du groove avec «Stone Throw». Cadogan renoue avec le feeling du vieux swinging London. Il se sent concerné par le London groove. C’est assez fascinant. On le voit revenir à l’esprit Savoy Brown/Ten Years After avec «Long Hair». On se croirait à Londres en 1967. C’est sa came, et c’est bien shaké du coconut, avec un solo d’intraveineuse. Comme c’est bien foutu ! Ce mec est fiable, et dans «Thinking On The Mind», il soigne son petit accent pervers à la Aubrey Beardsley et joue des notes claires comme l’eau du lac. Et puis il prend son temps avec «Move So Easy». Il adore les cuts de cinq minutes. Ça lui permet de s’exprimer. Il n’y va pas par quatre chemins. Le groove d’abord. Pour le reste, on verra. Une folle vient faire les chœurs. Elle n’est même pas créditée, mais ce n’est pas si grave. L’important c’est de participer.

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    Changement de registre avec Stand To Your Ground paru deux ans plus tard. Cet album est beaucoup moins intense que le premier, même si on retrouve ces parti-pris de beat sophistiqués et de groove salé et poivré. On a l’impression que Virgil Howe fait tout le boulot. Cadogan joue sec, lui aussi, mais pas autant que Virgil. Le point fort de l’album s’appelle «Cash In». Pas facile d’entrer dans cet album, ils tentent des choses, mais ça reste d’un conformisme beaucoup trop épais, même lorsque Cadogan chante à la glotte folle. «Cash In» sonne pourtant comme un hit. On se croirait sur le premier album des Ten Years After. C’est un son incroyablement anglais. On trouve aussi un beau degré d’intentionalité dans «Love You». Mais avec «Pin That Badge», ça tourne en rond. Ils s’engluent dans leur modèle groovytal et on finit par s’ennuyer comme des rats morts. «Green Eyed Fool» agace un peu, car c’est du garage convenu, chargé de son, c’est vrai, mais bon. On passe à travers. On sent bien qu’on se fait rouler. Encore du groove systématique avec «Just Wanna Play», et pourtant on a là un bassmatic inventif. Mais la viande fait cruellement défaut. Il faut tout de même reconnaître que Barrie Cadogan dispose d’un don particulier pour revenir à des formats anciens. Il est dans le son de 1968, avec un goût acéré pour la modernité commerciale. Il termine avec un «Pay To Join» assez solide. Mais le côté petit chant d’accent avarié ne passe pas. Ce mec et ses deux bras droits tentent toujours le tout pour le tout.

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    Belle pochette de Polaroids pour King Of The Waves. L’imagerie se veut très sixties, très soignée. Virgil Howe joue «How Come» au stomp, il faut voir comme c’est envoyé. Quelle belle énergie de groove anglais. On sent qu’ils sont là pour de vrai dès «Surf Hell». Les voilà de retour avec leurs petits bras et leurs idées de pacotille, mais que de ferveur ! Edwyn Collins les produit. «Does The Halo Rust» est beaucoup moins réjouissant. On ne gagne pas à tous les coups, mais le final peut hanter un château d’Écosse. Avec «Precious Pressure», on voit que le rock de Barrie Cadogan peut passer par des phases laborieuses. Pas facile d’avoir toujours des bonnes idées. Parfois, il arrive qu’on n’en trouve pas, même pas sous le sabot d’un cheval. De cut en cut, on réalise que l’album est cousu de fil blanc. On sait bien qu’ils cherchent à percer. Barrie Cadogan joue avec tout ce qu’il a dans le ventre, et des deux bras droits aussi, mais visiblement ça ne suffit pas. Leur système ne mène nulle part. Alors ils cherchent des idées au hasard, comme avec «Dream To Live». Edwyn Collins vielle au grain, mais ça ne résout pas le problème du manque de viande. Heureusement, quand barrie Cadogan barre en couille, on retrouve la terre ferme. Dommage qu’il ne se laisse pas aller plus souvent. Ils ramène son petit timbre d’Oliver Twist dans «I Can’t Wait», mais c’est Vrirgil Howe qui fait tout le boulot, une fois de plus. Ils sont marrants, ils se prennent pour les rois du monde. Petit sursaut avec «New Diamond Love», ils chargent toutes les dynamiques à fond de train et reviennent au heavy beat de syncope avec «Money In Paper». Ces mecs-là ont un sens du beat qui défie toute concurrence. Pendant que Virgil Howe fait tout le boulot, Cadogan vire sa cutie et ça tourne à la foire à la saucisse.

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    On trouve une belle énormité sur Shadow : «Pauline». Enfin un hit ! Cadogan y claque de violents accords de storm. Il tente de sauver son album. Voilà une Pauline qui vaut tout l’or du monde. Mais pour le reste, il faut vraiment se forcer. «It Don’t Count» sonne vraiment comme un vieux groove usé et on s’ennuie un peu. Ils jouent leur va-tout sur «Everything You Want Will Be Yours Tonight», un groove de bass/drum assez intéressant, mais ils constatent une fois de plus qu’il est difficile de percer. Ils s’enlisent dans un manque de perspectives. Ils tentent le coup du raout funky avec «Realise», ils y croient dur comme fer, mais c’est du funk anglais. Et c’est vrai, dès le «Bonneville Ride» d’ouverture de bal, on sent qu’on sera privé de surprises, comme d’autres sont privés de dessert. Ce pauvre Barrie Cadogan s’épuise à vouloir créer la sensation. Il n’a jamais su retrouver la niaque de son premier album. La vie est parfois cruelle. Le pire est qu’on attend des miracles de ces gens-là, mais quand on écoute «Sworn In», tout espoir s’envole. Ils y deviennent laborieux et même ridicules. Ils retapent dans leur vieux groove pour «Stop or Die» et il faut attendre «Eyes Were Yound» pour retrouver la terre ferme. Gros groove seventies, mais pas de surprise. Barrie Cadogan n’invente ni le fil à couper le beurre, ni la poudre, ni la roue. C’est un honnête ouvrier du rock, un mec qui s’efforce de bien faire son boulot du matin au soir. Tout cela se termine avec le morceau titre en forme de fin de non-recevoir, un peu absurde de la part d’un mec capable de pondre des hits comme «Pauline», mais il veut se montrer attachant jusqu’au bout de la nuit, alors on le suit sans moufter.

    Signé : Cazengler, Little Barrique

    Little Barrie. We Are Little Barrie. Guenine 2005

    Little Barrie. Stand To Your Ground. Guenine 2007

    Little Barrie. King Of The Waves. Bumpman Records 2010

    Little Barrie. Shadow. Tummy Touch Records 2013

    Little Barrie. Death Express. Hotless Entertainment Unlimited 2017

    Paul Osborne. First Class Return. Shindig #69 - July 2017

    MONTREUIL-SOUS-BOIS

    17 / 11 / 2018 / L'ARMONY

    BILL CRANE / NO HIT MAKERS

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    Les gens sont méchants. Ne supportent pas que chaque semaine j'aille en concert, sont jaloux. Ce weed-end ils ont inventé un jeu, se sont mobilisés par centaines de milliers pour m'empêcher de chercher ma ration de décibels. Comme ils ne savaient pas où je me rendais exactement, ils ont occupé pas moins de deux mille axes de circulation sur tout le territoire national. Je trouve cela particulièrement stupide, il existe bien d'autres raisons hautement plus essentielles pour bloquer le pays, je cite en vrac, les salaires minuscules, les taxes majuscules, la misère qui monte, la mal-bouffe,... mais non se sont focalisés sur le fait de me barrer le chemin. Un truc à devenir parano. C'était un pari perdu d'avance, comment empêcher un rocker d'assister à un concert ! Autant s'acharner à vider les océans à la petite cuillère. Imaginez un vampire à qui l'on refuserait son bol de sang frais au petit déjeuner du matin. S'en est fallu de peu pour qu'ils réussissent, deux barrages successifs sur la N4, le dernier au rond-point stratégique et les forces du désordre qui nous ont rejetés dans un labyrinthe sans fin... Bref a contrario de Bobby Fuller IV, la teuf-teuf et moi, on a gagné, avec une demi-heure d'avance sur le début des festivités. Pas question de rater deux de mes groupes préférés ! Surtout que les deux sets ont été fastueux !

    BILL CRANE

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    Se cherchent des yeux, Bobo au fond, dans sa marinière, un vieux loup de mer qui a navigué sur tous les océans et essuyé toutes les tempêtes, fidèle à son poste, Eric devant, au centre, avec sa Fender toute pourrave, style radeau de la Méduse qui flotte l'on ne sait comment, mais totalement insubmersible, Gwen le gabier prêt à aux acrobaties les plus dangereuses sur les cordes de sa basse, à l'autre extrémité Patrice, tient entre ses mains une lourde couleuvrine, son arme fétiche pour les abordages de haut vol. Bref un équipage de pirates qui s'apprête à hisser les voiles.

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    Dès Move It en ouverture, l'on sent que le vent cogne dans la voilure et que c'est parti pour l'aventure. Patrice use de son sax baryton comme d'un troupeau de mammouths antédiluviens dans un magasin de porcelaines de saxe. L'a le souffle qui carbure au grabuge. L'emporte tout sur son passage et les autres se coulent dans la trouée comme le Mississippi dans la digue renversée. Ne vous étonnez pas si quelques bestioles peu engageantes nagent à vos côtés. Dans l'aquarium du rock'n'roll surnagent toujours quelques alligators. Dans l'équipage Bill Crane vous avez deux bordées. A tribord Eric et Gwen. A bâbord Bobo et Patrice. Eric mène la barque et Gwen souque ferme. L'a intérêt à ne pas quitter le Ric des yeux, car le Ric à la guitare, il est du genre cascadeur sans filet, se rattrape au bout du riff à la dernière seconde, l'on ne sait pas comment, mais il vous réalise les miracles à la chaîne, joue à la déglingue, se réclame d'une éthique peu commune, pour lui il n'y a pas de rock'n'roll sans danger, commence par abattre les arbres à la tronçonneuse et coupe les branches à la hache, sa guitare miaule comme un tigre qui a faim, à ses côtés Gwen essaie de le rassurer, sa basse est une voix grave apaisante, lourde et ronde, qui essaie de caresser le fauve dans le sens de la fourrure, mais l'animal est si agité que l'ensemble sonne à la manière d'un tourbillon frénétique infini, qui se transforme en le combat du Yin contre le Yang. Imaginez que vous ayez à accompagner ce nœud de serpents entremêlés, que feriez-vous, sinon donner votre démission ? Eric n'entrevoit pas le rock comme un long fleuve tranquille, plutôt comme une ultra-rapide glissade reptatrice expérimentale. Mais il la fomente bourrée d'énergie pure, et vous la refile en morceaux saignants, un peu comme ces serpents vivants que l'on vous découpe en tranche sur les marchés en Inde et que vous déchirez à pleines dents tout crus, une bouchée de chair sanguinolente, une bouchée gorgée de venin. Le cassoulet d'Eric Calassou est un peu sauvage.

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    Vous n'avez pas répondu à la question, bandes d'ignorants. Heureusement que Bobo et Patrice, sont des gars solides qui savent orchestrer les réponses satisfaisantes. Deux solistes qui marchent ensemble. Pour Patrice, c'est clair et net. Fonce sans se perdre dans d'abstruses interrogations métaphysiques. N'arrête pratiquement jamais de souffler. L'Eric ne peut pas envoyer une giclée de barrés totalement barrés sans que le sax ne se jette dessus et ne vous les enveloppe de barrissements monstrueux. Le Pat vous sature l'ossature des morceaux. Vous rature la tessiture. Bombarde d'abord. Bombarde ensuite. Bombarde encore. Devant un tel déluge Eric et Gwen ne peuvent qu'accélérer la rythmique. C'est en ces moments qu'intervient Bobo. Non il ne fait pas dodo. Il veille, en stéréo. Ce zigue il a les deux lobes du cerveau qui fonctionnent en même temps. L'a un coup d'avance sur les trois-quarts de l'humanité. Se la donne à mort, mais avec cette attitude olympienne du mec peu émotif pas pressé pour un empire et qui vient de sauver le monde en un tournemain parce que vous avez beaucoup insisté alors qu'il aurait eu mieux à faire chez lui. D'abord d'un coup de baguette lourd comme un paquebot et fuselé comme un air-craft il rétablit l'équilibre avec les deux zozos qui courent vers le zoo, ensuite il s'occupe de l'autre zèbre au sax à fond. Entre en dialogue avec lui, vous froisse le rythme pour mieux l'accompagner dans ces interminables souffleries de trompes tibétaines, et du coup se mettent à dialoguer comme s'ils prenaient le thé chez Mme de Récamier. Mais en plus brutal, en plus pressé, interjectent des plus précipitamment, et évidemment Gwen et Eric se mêlent à la conversation. Une partie carrée, l'un ramène sa fraise et l'autre le pot de confiture, ça fuse de tous les côtés, ça jacte et ça déblatère sans fin. Tous ensemble, mais chacun à sa place, le combo se fait quatuor, l'on dézingue à fond la caisse, mais les réparties sont fignolées au millimètre. En plein rock, avec des relents de traitements de sons à la free-jazz. Rien que ces manières sur les fins de morceaux de faire crisser le bout de la baguette sur la baguette de la cymbale, et ces chorus sandwichés de sax et de batterie...

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    L'ensemble balance et roule à la perfection. Sonne garage et rappelle le son du Velvet Underground en ses plus beaux moments. Inutile de vous la péter à l'objection votre honneur, le Velvet sans la voix ouatée du grand méchant Lou... justement mes agneaux, j'ai gardé le meilleur pour la fin. Le Calassou sonne fort. Certes le rock instrumental c'est bien, avec le vocal en plus c'est mieux. L'a la voix comme la truffe du chien, toujours devant, en éveil, le fouet à lanières coutes qui vous galvanise, le coutelas qui pique la couenne et vous tranche la chair. C'est elle qui fouette les chevaux et rameute le public devant la scène. Faudrait énumérer tous les morceaux, les reprises et les originaux, toutes mixées selon une interprétation d'enfer. L'assistance enfiévrée, vont nous allonger dix-huit titres qui mettent le public au bord de la dépression nerveuse. Un set roc'n'roll éblouissant !

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    ( Photos : Arthur Sabrié )

    NO HIT MAKERS

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    Bitter Taste en introduction. Orange amère si vous voulez, mais quelle merveilleuse potion. Le goût de l'ambroisie que goûtaient les Bienheureux sur le Mont-Olympe. On les connaît les No Hit Makers, mais nous refont le coup à chaque set. C'est comme la charge héroïque, une fois qu'elle est lancée, vous ne l'arrêtez plus, de la première seconde au dernier rappel. Vous n'y échappez plus. Néo Rockabilly si vous le désirez, c'est inscrit sur le flyer, mais avant tout c'est de toute beauté, une grande flamboyance qui vous scotche et qui ne vous lâche plus. Fascinatoire, l'assistance sous le charme – entendez ce mot en le sens de rite incapacitant qui vous immobilise et vous submerge de l'intérieur. Vous avez l'impression que l'on allume une lumière dans les organes vitaux de votre corps. La musique se mélange à la lymphe de vos rêves et vous pénétrez en des royaumes qui gisent tapis en de secrètes et mystérieuses parties de vous-mêmes dont vous ignoriez jusques à lors l'existence.

    Quatre à s'insinuer en vous, à entrer sans frapper, et à vous baigner d'extasies musicales. Forment un tout indissociable, les grains d'une grenade fermée comme le poing que vous ne sauriez dissocier. Eric est au centre, guitare à ouïe de serpent orange, casquette plate et barbichette pointue, fin sourire malicieux et voix qui coule sans fin comme le vent caresse les épis de blés et les emporte en une vague à l'autre bout du monde. Une rythmique incessante, une flamme qui se propage parmi les herbes. Larbi collé à la tranche de sa big mama, la tricote sans fin, l'on entend le tac-tac des aiguilles qui se cognent et se pressent, le même bruit que les écailles du crotale qui s'en vient imperturbablement sonner à votre porte l'heure de votre mort. Ces deux-là pour le mécanisme de fond, fournissent et fourbissent la musique du film, celle qui court du générique aux séquences palpitantes, celle qui cliquette dans votre tête même si vous ne savez pas que vous êtes en train de l'écouter. Celle qui déroule d'inquiétantes images sur les vitraux de votre âme.

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    Derrière, pratiquement caché par le mur mouvant des trois camarades, Jérôme. Comme les autres le balancier de la pendule devenu fou. Fait partie de cette famille des batteurs qui ne bougent pratiquement pas les bras. Ce sont ses poignets qui s'activent, une frénésie articulatoire démoniaque, une espèce de robotique délirante qui parcourt le champ des toms à la vitesse d'un cheval en fuite. Une cavalcade en accélération constante, la production d'une poussée phénoménale, un moteur à plein régime qui ne sait pas s'arrêter.

    A côté, c'est le mot, un peu en aparté, Vincent, ce n'est pas qu'il ne joue pas avec les autres, c'est qu'il se permet l'accélération des particules des tuyères adjacentes de la fusée. Alors que le trio file droit à la façon d'une charge de cavalerie, il infléchit le sens de la course, prend les devants et délivre du bout des doigts des ruissellements de tonitruance, sa Gretsch crache la foudre et explose, ou alors il s'enfonce tout seul dans des dédales rythmiques labyrinthiques qui éclatent comme autant de broderies de feu, dont il ressort vainqueur, immanquablement en tête.

    No Hit Makers, aux réactions du public, on s'aperçoit qu'ils ont malgré ce qu'ils affichent et proclament quelques hits, Soldier of Peace ou The Doors of Heaven par exemple pour n'en citer que deux. Au fur et à mesure que les titres défilent la tension monte, les exclamations fusent et certains se laissent emporter par le rythme. Maintiennent la pression, et tout s'accélère. Larby ne s'appartient plus, sa longue silhouette saccadée semble vouloir pénétrer et se fondre en sa big mama, existe-t-il meilleure métamorphose pour un musicien que se transformer en son propre instrument, sa tête roule comme si elle ne demandait qu'à se détacher, le bouchon que l'on dévisse pour sortir de soi et se fondre et peut-être même se dissoudre dans le reste de l'univers.

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    Le groupe atteint à un certain vertige psychédélique. Les pieds dans le rockab mais l'esprit beaucoup plus haut. Le chant d'Eric porte l'empreinte d'une certaine emphase hypnotique, ouvre des portes ignorées vous catapulte en des hauteurs inconnues. Le timbre est doux, mais puissant, vous dépose vous ne savez trop où en orbite de vous-même. Il semble murmurer au micro, mais les paroles bruissent de mille affects et éclatent dans vos tympans comme mandragores au pied des gibets.

    Si Jérôme agit comme un pusher, un intensificateur des battements d'ailes astrales, un pulsar métronomique infatigable, Vincent, les doigts dans la réalité des cordes, reste le pieu planté dans le cœur du rock'n'roll, pour qu'il ne s'échappe point, pour qu'il ne quitte pas la boue originelle du delta et la terre gestatrice des Appalaches. Il est le point d'ancrage, le cordon d'or qui accompagne tous les envols et assure le retour dans les fondrières du rock. Faut le voir, courbé, attentif, précis, incisif, découpe les séquences, les délimite, ouvre et ferme les grilles, assure et règle la circulation sanguine de la musique du Diable. Ne vous y trompez pas, c'est bien le pouls de la bête hideuse qui bat dans la fragrance safranée des No Hit Makers. Si vous clignez des yeux sans doute arriverez-vous à entrevoir son regard d'eau glauque dans lequel vous aurez envie de vous noyer.

    Une espèce de transe a saisi l'assistance. Un envoûtement collectif. Lorsque le concert s'arrête, le public s'ébroue, la chute dans la réalité est trot abrupte, insupportablement brutale. L'exigence minimale d'un rappel se fait entendre. Il y en aura trois. Depuis nous sommes en manque.

    Damie Chad.

    ( Photos : Bill Crane )

    CARLA BLEY L'INATTENDU-E

    LUDOVIC FLORIN / JEAN – MICHEL COURT

    ALEX DUTHIL / JEAN-FRANCOIS MONDOT

    ( Naïve Livres / 2013 )

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    Longtemps que Carla Bley ne s'était imposée à mon esprit. C'était aux heures glorieuses de Rock & Folk. En ces temps-là on ne dormait plus de la nuit ( gros mensonge ) l'on se demandait ce qu'allait faire Mick Taylor après avoir quitté les Rolling Stones et voilà que l'on nous apprenait qu'il s'acoquinait avec Jack Bruce, le bassiste de Cream ( et plus tard de West Bruce & Laing ) et... Carla Bley... pendant d'autres nuitées on a attendu en vain une véritable concrétisation... et puis plus rien, une bulle de savon éclatée et perdue à jamais dans le vol transparent d'un cygne éblouissant qui n'a pas fui, pour singer Mallarmé.

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    Décidément l'on n'en a jamais fini avec son passé, vous mord aux mollets à la manière des chiens enragés de l'enfer. Tout de suite sur la jaquette intérieure, j'apprends que nos écrivains sont des passionnés de jazz - nul n'est parfait – que certains d'entre eux ont contribué à Jazz Hot, à Jazz Magazine, à Jazzman, je n'en suis guère surpris, par contre totalement stupéfait d'apprendre que deux d'entre eux sont Maîtres de Conférences à l'UTM. Moi aussi j'y ai traîné quelque peu mes guêtres en cette université à une époque très remuante, c'est-là qu'aux temps de mes chères études j'ai peaufiné mon sujet de maîtrise '' Défense et illustration du rock'n'roll français'' dans le sous-département, un peu à part, Musique et Littérature, on y étudiait Richard Wagner. Tout se transforme rien ne se perd dixunt Lavoisier et Anaxagore, l'UTM vous prépare maintenant à une Licence Jazz et Cultures Musicales, Jean-Michel Court et Ludovic Florin – ce sont eux les coupables – ont même imaginé de remettre à Carla Bley son diplôme Doctor Honoris Causa de l'Université Toulouse-Le Mirail. Et la Carla n'a pas hésité à venir chercher son diplôme...

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    Nombre de nos lecteurs qui ne possèdent pas sur leurs étagères sa discographie complète doivent se demander qui est cette Carla. Nous ne les laisserons pas en proie aux affres de l'ignorance.

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    Au début de sa vie Carla était une petite fille qui avait tout pour être heureuse et devenir une grande personne sage. Certes elle a grandi, mais n'a jamais fait preuve d'une exemplaire sagesse. L'était mignonnette la jeune Lovella May Borg, quand vous regardez les photos, avec sa petite gueule d'angelot vous la confondriez avec Boucle d'Or, l'héroïne du conte aux trois ours. Plus tard elle a changé sa coiffure, sur la couve du bouquin l'on dirait qu'elle pose pour une pub des balais O-Cédar tout juste sortis de l'eau sale... Et pourtant elle naquit dans une famille aimante, un papa pasteur, une maman pianiste. Des gens très bien qui écoutaient et jouaient de la musique classique. La Lovella s'est entichée du piano. Ses parents devaient la rêver en concertiste, se hâtèrent de lui infliger les rudiments et les bases de l'instrument roi. Mal leur en prit. Dans cette jeune âme, rôdaient des ferments d'anarchie et ce bout de chou ( né en 1938 ) se mit, bien avant qu'elle ne soit inventée ,à l'école de la pratique punk du Do It Yourself. L'a bouté les profs parentaux du clavier, l'a claironné qu'elle apprendrait toute seule, et elle n'en a pas démordu une seconde. Le paternel a essayé de rattraper la situation par la bande. Lui a montré que certes on jouait la musique mais que pour cela il fallait d'abord la lire. Et l'écrire. Vous pigez le sous-entendu, la musique ma chérie c'est beaucoup plus difficile que la peinture à l'huile, alors je vais te montrer. Inutile, s'exclama Lovella, et hop illico elle se saisit d'une feuille de cahier de musique vierge et s'employa à remplir les portées d'une foultitude de notes. Lorsque toute fière elle montra le résultat à son père, celui-ci ne put que laisser échapper cette phrase qui devait avoir de grandes conséquences pour l'avenir de la musique populaire américaine '' Mais il y a beaucoup trop de notes !''

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    Adolescente, elle n'échappe pas à l'american way of life, tient l'orgue à l'Eglise, s'adonne au skate, occupations bien innocentes mais le démon de la perversité la pousse à jouer du piano dans les bars et commence ainsi à entendre des pointures comme Chet Baker, Lionel Hampton, Dave Brubeck, mais le saxophoniste Teo Macero qui joue du saxophone et qui deviendra le producteur de Miles Davis, l'enjoint de se rendre à New York, là où tout se passe...

    L'AVENTURE FREE

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    Pas blaireaute la demoiselle Bley, s'introduit au cœur de la citadelle, vendra des cigarettes – à la manière des ouvreuses de cinéma qui les années cinquante offraient des bonbons et autres friandises pendant les entractes. Nous sommes en 1955, et le jazz arrive à sa plus grande effulgence, Carla se tait et écoute. Tous les grands ténors défilent dans ses oreilles. Sans doute dans sa tête se demande-t-elle, comment toute cette magnificence évoluera-t-elle ? Elle ne le sait pas encore, mais elle sera au centre du maelström sonore qui s'approche. La faute en revient à un certain Paul Bley, se rencontrent en 1956, se marient en 1959. Paul Bley est moins connu que Jerry Lou, mais peut-être son approche du piano est-elle beaucoup plus révolutionnaire. A la base il est un musicien classique, mais il a envie de pousser les murs, se rend bien compte qu'autour de lui ce sont les jazzmen qui font bouger les choses. Alors il rôde dans les clubs, il montre que question touches il touche un max. Un soir Charlie Parker lui demande de jouer avec lui, mais c'est Charlie Mingus qui le lance dans le grand bain, lui fait enregistrer son premier disque Introducing Paul Bley avec Mingus et Art Blakey.

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    Paul le surdoué et Carla l'autodidacte ! Le feu et l'eau se marièrent très bien. Carla se sent toute petite face au savoir de Paul, et Paul qui cherche toujours à casser les murs de la musique n'est pas insensible aux brisures du savoir amassé au hasard des découvertes par son épouse. Carla doute, et construit ses redoutes. Les évènements s'enchaînent Paul Bley compte désormais Don Cherry, Billy Higgins et Ornette Coleman dans son quintette... Mais le coup décisif et emblématique de cette nouvelle musique qui pointe à l'horizon sera porté par le Kind of Blue de Miles Davis. En 1960, Paul rencontre Steve Swallow qui deviendra l'ami et le confident de Carla. Plus tard son mari. Mais nous n'en sommes pas encore là. Carla a de plus en plus de boulot. Ce qui lui prend un peu le ciboulot. Elle ne se sent pas assez douée pour jouer en public, par contre elle compose à la maison, et écrit ses partitions. Le big problem, c'est que ses connaissances sont plutôt défaillantes, elle connaît la marche à suivre, un peu, beaucoup, à la folie, pas du tout... Alors elle vous écrit des trucs minuscules – ça tient facilement sur deux portées - pas très précises. Justement le truc que recherche la nouvelle génération de musiciens en quête de choses nouvelles. Avec ses débris de partoche, Carla devient une des pierres angulaires de la New Thing. George Russel, Don Ellis, Albert Ayler, et bien d'autres interprètent ses compositions...

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    Carla possède une autre particularité, ses œuvres laissent une très grande liberté aux interprètes, chacun l'arrange à sa façon, l'accentue selon sa personnalité, la Bley c'est la copine imaginative capable de vous filer une idée follement originale et atypique pour votre rédaction, mais le gars à qui elle la souffle est très souvent un mec un peu génial... mais de surcroît elle est capable de la modifier pour l'adapter aux manières de jouer de deux musiciens aux styles diamétralement antithétiques. Le free-jazz est une musique extrémiste. Le public n'y adhère pas vraiment. Un peu de scandale au début, un peu de curiosité par la suite, mais au final les musiciens ont du mal à trouver des labels pour enregistrer. Le côté Diy de Carla ne manque pas de trouver une parade à cette situation exaspérante. En 1964, avec le trompettiste Bill Dixon, elle pousse à la fondation de Jazz Composers Guild Association, dont le but est de regrouper des musiciens pour interpréter les essais et créations d'auteurs qui ne parviennent pas à se faire connaître. Archie Shepp et Sun Ra apporteront leur soutient. Un certain Michael Mantler aussi. Ne tardera pas à remplacer Paul Bley dans la vie de Carla. Mantler travaille dans la même optique que Carla, européen il apporte un regard plus intellectuel que les américains sur leur musique. Il ne peut que pousser Carla à approfondir la désorganisation structurale de son écriture. Des albums comme Communication, Jazz Reality et Agenuine Tong Funeral dans lesquels on remarquera la présence de Steve Lacy, ne poussent plus les murs, ils les dynamitent.

    LE GRAND OEUVRE

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    Ils ont réussi leur coups. Ils ont cassé la maison. Z'y ont mis toute leur force. Mais pendant qu'ils s'acharnaient à réduire en poussière les gravats, d'autres s'activaient à la reconstruire. Ce ne sont pas des jazzmen, mais cette engeance maudite des rockers. Le parallèle avec le surréalisme poussant sur les ruines de Dada s'avère judicieux. Certes en 56 Presley avait une belle voix mais pour un amateur de jazz ce n'était que de la variété rythmée... Quinze ans plus tard, la désaffection du public emmène les puristes du jazz à reconsidérer le phénomène. Carla la première. D'abord elle sait faire amende honorable, oui il y a chez les rockers des instrumentistes doués par exemple ce Jack Bruce, et puis il lui faut reconnaître avoir subi la commotion Beatles. Voici des jeunes gens qui ont imposé au monde entier un album composé selon des idées qui ressemblent aux siennes, le Sergeant Pepper Lonely Heart Club Band propose une musique nouvelle, des chansons-collage, des sonorités-exploratoires, des couches musicales successives et entremêlées, ces blancs-becs ont retrouvé ( repris ? ) à leur manière la démarche du free-jazz... en plus ils vendent des disques par millions... Qui dit mieux ?

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    Carla s'y colle. Les Beatles ont produit un double-blanc, elle commettra un triple-mordoré. Lui file même un titre : Escalator Over The Hill. Me suis souvent demandé si le Stairway To Heaven de Led Zeppelin... je parle du titre, pas de la forme du morceau. Parce que l'Escalator de Carla, c'est plutôt un escalier branlant. A part qu'il vous mène au moins au sixième ciel. L'est fait avec des matériaux récupérés un peu partout. Des musiques de tous genres, d'occident et d'orient, un patchwork inimaginable qui retrace l'explosion musicale des années 68. L'a même recruté des musicos de vingt-cinquième zone pour que les cadors qui y participent ne se lancent pas dans la construction d'un double-escalier spiralé monumental en porphyre. Les morceaux sont écrits par Carla, mais l'enregistrement est improvisé. Aucune compagnie n'a voulu prendre la bête en charge, l'on grapille des heures de studio, un peu partout, au pied levé. Pas d'argent pour réunir les solistes, chacun enregistre sa partie chez lui, parfois à des milliers de kilomètres, miracles du re-recording... L'ensemble se présente comme une espèce d'opéra-jazz à partir de quelques textes plutôt énigmatiques du poète anglais Paul Haines, lorsque Carla ne sait plus quoi faire d'un personnage elle téléphone à Haines, qui réside en Inde, pour qu'il lui envoie une solution, lui refourgue quelques textes tout aussi mystérieux censés amener quelques éclaircissements... Lui faudra quatre ans pour mener l'entreprise à bien. Les amateurs de rock seront heureux de savoir que John McLaughin, Jack Bruce, Linda Ronstadt ont participé à ce monstre hybride... L'ensemble sonne comme un étrange mix entre L'Opéra des Quat'sous de Kurt Weil und Berthold Bretch et le Finnegans Wake de Joyce... Vous trouverez la bête sur Spotify et des extraits de la version live avec Jack Bruce et Mick Taylor sur You Tube. L'écoute n'est pas obligatoirement de tout repos...

    AFTER WORK

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    Après Escalator Over the Hill, Carla ne sera plus tout à fait la même. Se sent capable de monter sur scène et de jouer. Une tournée avec le Jack Bruce's Ochestra lui permettra de goûter à la grande vie, beaux hôtels et bons vins... Ses choix musicaux se diversifient, elle enregistre avec Jack Bruce mais travaille aussi avec Keith Jarrett, Nick Mason du Pink Floyd, Chris Spedding, Charlie Haden, slalomant entre rock-fusion, valse, latino-style, et Nino Rota... comme si elle recherchait à un niveau formel un déséquilibre perpétuel, elle délaisse peu à peu les parties chantées, se consacrant à l'aspect strictement sonore de la musique.

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    En 1991 devenue la compagne de Steve Swallow elle en subit quelque peu l'influence... Elle n'est plus une partisane convaincue des ruptures musicales, au contraire, ses nouvelles partitions, ses disques et son Big Band se présentent comme un retour décalé à l'histoire du jazz. Peut-être s'est-elle prise à son propre piège. La jeune compositrice un peu ignorante des arcanes de l'écriture musicale, après de longues années de travail, a acquis d'impressionnantes connaissances, elle a atteint le niveau de ces illustres devanciers contre lesquels elle s'était élevée... Le serpent du jazz se mord la queue...

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    Très beau livre. Très riche illustration. Avec interview de la dame. Pas de surprise, tous les gars qui sortent de l'UTM sont des GSH.

    Damie Chad.

    N. B. : GSH : Génie Supérieur de l'Humanité.

    ROCKAMBOLESQUE  ( S )

    FEUILLETON HEBDOMADAIRE

    ( … le lecteur y découvrira les héros des précédentes Chroniques Vulveuses

    prêts à tout afin d'assurer la survie du rock'n'roll

    en butte à de sombres menaces... )

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    EPISODE 8 : ROCK'N'ROLL FOR EVER

    ( Fuego explosivo )

    Le Chef arrêta le fourgon à une quarantaine de mètres de l'Oslo Lines, juste en face de la porte. L'escalier de descente tardait à arriver. Régnait un semblant de panique dans l'aéroport, des camions de pompiers arrivaient de tous côtés, des flammes géantes de cinquante mètres de haut embrasaient la tour de contrôle, des gens affolés couraient en tous sens, à l'autre bout du tarmac l'Airbus s'ouvrit brutalement en deux, l'on vit des passagers qui s'enfuyaient de la carlingue éventrée, ils sautaient sur la piste, mais un sort funeste les attendait, les réservoirs crevés avaient laissé échapper des milliers de litres de kérosène qui s'enflammèrent soudainement, les malheureux furent instantanément transformés en torches vivantes qui s'éparpillaient comme des feux follets, on les entendait hurler de leurs toutes dernières forces !

      • Quelle horreur, s'exclama le Chef, ces idiots empuantent déjà la barbaque grillée, ils se prennent pour quoi ces sauvages, leurs relents de saucisses graisseuses, rissolant sur une grille de barbecue, altèrent jusqu'au délicat fumet de mon Coronado. Agent Chad, retenez bien ceci, nous sommes une poignée d'esthètes assiégés par des hordes de malappris qui ne savent pas quoi imaginer pour nous empêcher de nous adonner aux plaisirs les plus subtils et et les plus innocents.

      • Le pire ajouta Cruchette c'est les taches noirâtres qu'ils laissent, ne pensent même pas aux pauvres gars qui vont venir nettoyer, sûr qu'ils vont gratter dur !

    Pendant que nous devisions, un escalier roulant avait été poussé contre la porte de l'Oslo Line, les passagers commençaient à descendre, jetaient des yeux hagards sur le spectacle d'apocalypse qui s'offrait à leurs yeux. Ne s'attardaient pas galopaient ventre à terre vers les deux bus qui espéraient-ils les mèneraient hors de ce maelström, il en passa une centaine devant nous, les femmes se débarrassaient de leurs nourrissons qu'elles jetaient à terre sans ménagement, les pères les expédiaient au loin d'un coup de pied : '' C'est bien chérie, ne t'inquiète pas avec le fric des assurances, je pourrai t'en faire d'autres''. Se battirent méchamment pour squatter les places assises dans le bus qui déjà s'éloignaient. Claudine ne put retenir un cri d'angoisse :

      • Darky n'est pas là ! mais où sont les Svarts ?

    LES SVARTS

    Ils étaient là. Tous les cinq. Sur le haut de la passerelle. Quatre gars avec des mines de croque-morts déterrés de l'avant-veille. Tenaient leurs étuis de guitare avec le soin maniaque des tueurs de la mafia qui ne quittent jamais de leur œil torve leur flight-case à mitraillette. Paraissaient même soucieux de n'avoir encore eu personne à tuer. Cheveux blonds et perfectos noirs. Plus punk qu'eux tu meurs. Mais au milieu cette monture de diamants noirs resplendissait une opaline rouge sang. Une chevelure rousse écarlate retombait jusqu'au bas des fesses sur un pantalon en sky de très mauvaise qualité déchiré juste à l'endroit du sexe. Son téton gauche qui s'échappait de son t-shirt maculé au sang de ses dernières règles, s'agrémentait d'un piercing au bout duquel pendait un porte-clé '' Just fuck You'' Darky leva les bras au ciel et se lança d'une voix métallique à faire fuir les serpents à une invocation odinique : '' Odin dieu de la guerre et des catastrophes, tu as ravagé de tes flammes la Rome de Néron et maintenant tu fais honneur à ta prêtresse en lui offrant en holocauste Paris en feu, sois-en remercié''

      • Elle n'est pas un peu givrée, hasarda Cruchette

      • Pas du tout, répondit le Chef, c'est une parfaite allumeuse.

      • La bestialité rock'n'roll incarnée, me sentis-je obligé de préciser.

    Mais déjà Darky se jetait dans les bras de Claudine. Il y eut des cris, des embrassades, des pleurs, des rires, des effusions interminables jusqu'à l'instant où Darky abaissant jusqu'à son nombril l'encolure de son T-shirt retira d'entre ses deux seins d'airain une petit objet parallélépipédique qu'elle tendit fièrement à sa copine :

      • Tiens, la cassette que tu m'as demandée, tu vois que je ne l'avais pas perdue !

    Le Chef s'en saisit vivement et décréta avec un grand sourire :

      • C'est maintenant que les ennuis vont commencer !

    DANS LE FOURGON

    Nous extraire des abords de l'aérogare ne fut pas facile. Un embouteillage monstre, des centaines de véhicules de secours affluaient de partout, la circulation fut même longuement interrompue pour laisser passer un cortège de voitures noires escorté par des motards, comme nous avions accès aux ondes réservées à la police nationale nous apprîmes qu'il s'agissait du Président de la République et d'une ribambelle de ministres. Moi je buvais du petit lait, sur la banquette avant coincé entre Darky et Claudine. Toutefois je connaissais le Chef et à sa manière d'allumer un nouveau Coronado je compris qu'un détail le turlupinait. Aussi ne m'étonnai-je point lorsqu'il se permit d'interrompre le papotage émotionnel des deux anciennes collégiennes :

      • Charmante Darky – s'enquit-il – vous avez bien dit que Claudine vous avait contacté pour la cassette ?

      • Mais non, s'exclama Claudine, j'ignorais ce que tu étais devenue !

      • Tu m'as pourtant envoyé un E-mail ! Et le même jour j'ai reçu une offre d'un booker français qui me proposait de m'offrir un voyage gratuit en France, moi et les Svarts, afin de préparer une tournée, j'ai tout de suite téléphoné à Popol, un de mes anciens petits copains quand j'étais au lycée qui m'a proposé un premier concert dans son bar. Normalement nous aurions dû arriver hier en fin d'après-midi, mon booking-tour avait prévu que nous logerions dans à l'Hôtel du Papillon, mais on a raté l'avion, une calamité, je n'avais plus un T-shirt sale chez moi, que des propres, j'ai dû improviser, heureusement alors que je désespérais j'ai eu mes règles. J'ai perdu un peu de temps à réaliser une véritable œuvre d'art, bref l'avion a décollé sous notre nez, j'ai appelé Popol pour qu'il vienne nous chercher, et quel plaisir de retrouver Claudine, au lieu de Popol.

      • Ne vous inquiétez pas, Darky, on passe d'abord à la maison, j'ai quelques Coronados à récupérer et ensuite l'on fonce chez Popol.

    SUR LA ROUTE DU QG

    Nous nous étions enfin dégagé des encombrements. Darky s'était endormie les deux pieds sur le tableau de bord après avoir avalé une douzaine de pilules multicolores.

      • Agent Chad, ne m'avez-vous pas parlé d'un vieux copain de maternelle qui galère méchant, un certain Alfred ?

      • Oui Chef, il s'est improvisé reporter free-lance, mais aucun journal n'a encore voulu d'un seul de ses articles, et pourtant il touche un max, vous verriez ses photos, et en plus il a une sacrée belle plume, mais que voulez-vous il n'a aucune relation !

      • Parfait, appelez-le d'urgence, dites-lui de nous attendre devant le QG, nous allons lui offrir le scoop de sa vie. Il est bon d'encourager la jeunesse.

    A peine le fourgon s'était-il arrêté qu'Alfred bondit son Gamex à la main, et commença à mitrailler la camionnette sous tous les angles. Le Chef descendit prestement et lui adressa un salut militaire.

      • Brigadier Dupont, pour mon ami Chad sur sa demande et parce que par le plus grand des hasards il m'a permis de sauver une jeune innocente des flammes de l'enfer, nous revenons de Roissy, nous avons été un des tous premiers véhicules de secours sur place, je n'ai même pas eu le temps d'endosser ma tenue réglementaire...

      • De Roissy ! mais la zone est interdite même aux journalistes professionnels, les chaînes TV et la radio ont été refoulées, et une zone de brouillage électronique empêche le fonctionnement des portables des témoins qui voudraient envoyer des messages et des photos à leurs proches, tout ce que l'on sait c'est que le Président de la République est sur place, les rumeurs les plus folles courent, est-ce que vous me permettriez de vous poser quelques questions.

      • Certes, mais montez avec nous, je vous expliquerai en fumant un Coronado.

    L'on ne parvint pas à réveiller Darky, les boys durent la monter dans le QG, ils la jetèrent dans un canapé et coururent s'enfermer dans la cuisine avec Cruchette, manifestement ils avaient sympathisé durant le voyage. Cruchette referma la porte non sans avoir annoncé :

      • Ils ont faim, je vais leur préparer une purée mousseline !

    Alfred s'assit en face du Chef et prit consciencieusement des notes, quand il s'apprêta à nous quitter il avait des étoiles qui brillaient dans ses yeux !

      • Je vais le proposer à la République de Seine & Marne !

    Mais le Chef décrochait son téléphone :

      • Allo Paris-Match, ici le SSR, une édition spéciale – premier tirage à cinq-cent mille exemplaires, grand-format avec photos couleurs à l'appui, ça vous irait... oui je sais vous êtes un hebdomadaire, mais là c'est de première main sur les évènements de Roissy – nous entendîmes un rugissement au bout du fil – nous vous envoyons l'article dans vingt minutes par le net, faites chauffer vos rotatives et prévoyez une distribution par voitures particulières ! Non, non, c'est gratuit, par contre je vous recommande le jeune free-lance Alfred, c'est lui qui nous a apporté le document, mais comme nous ne savions pas quoi en faire, nous avons pensé à vous.

      • Agent Chad, empruntez son portable à Cruchette, elle a pris quelques photos des incidents de Roissy, aidez un peu Alfred à mettre sa copie au propre.

    Je dois le reconnaître je n'eus que quelques fautes d'orthographe à corriger, Alfred n'avait pas tout à fait assimilé les accords du participe passé, mais il était survolté, écrivait, dictait et montait la maquette en même temps, le Chef fumait placidement un Coronado, mais quand au bout d'un quart-d'heure nous lui présentâmes la maquette, il laissa échapper un petit sifflement d'admiration :

      • Bien, très bien, cher Alfred vous avez de l'imagination, du style et le sens de l'image, agent Chad vous devriez l'embaucher pour rédiger vos mémoires, votre demi-page que vous avez laissée traîner sur le bureau ne m'a guère convaincu... Maintenant cher Alfred, deux minutes qu'ils ont reçu votre prose, courez chez Paris-Match, je pense qu'ils doivent déjà être en train de préparer votre contrat d'embauche. N'oubliez pas d'exiger une secrétaire jeune et jolie, ce sont des vieux renards, si vous n'y faites pas gaffe, ils vont vous refiler une vieille bique ménopausée à trois ans de la retraite sous prétexte qu'elle a de l'expérience.

    Alors qu'Alfred descendait quatre à quatre son escalier, Cruchette ouvrait la porte de la cuisine :

      • Chef, ils sont marrants les copains de Darky, ils ont mis de la mousseline partout, sur les murs, jusqu'au plafond et même dans ma culotte, ça chatouille et ça fait une drôle d'impression, il ne me reste plus qu'à récater !

      • Vous nettoierez plus tard, quatre heures du matin, à cinq nous devons être chez Popol, réveillez Darky, mes enfants de grandes choses nous attendent, n'ayez crainte je vous mènerai à la victoire, mais sachez que ce sera dur, très dur, extrêmement dur ! N'oubliez jamais notre maxime : Rock'n'roll for ever !

        ( A suivre. )

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 255 : KR'TNT ! 375 :TAV FALCO / THE FLUG / BILL CRANE / SILLY WALK / KIERON McDONALD / HANK'S JALOPY DEMONS

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 375

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    24 / 05 / 2018

    TAV FALCO

    THE FLUG / BILL CRANE / SILLY WALK

    KIERON McDONALD / HANK'S JALOPY DEMONS

    Tav & ses octaves - 
Part Three

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    Vient de paraître un livre de photos consacré à Tav Falco : This Could Go On Forever. On The Road With Tav Falco & Panther Burns. Une certaine Gina Lee signe les images. L’ouvrage sort chez un éditeur autrichien. La bonne nouvelle, c’est qu’il ne coûte que 38 euros. La mauvaise concerne le choix de papier. L’ouvrage est imprimé sur une sorte de mauvais papier offset, l’un de ces papiers instables tellement sensibles à l’humidité et qui n’ont pas la main d’un couché ou d’un bouffant. Dans un projet éditorial, le choix de papier est aussi crucial que la qualité d’impression et les choix typographiques. L’objet doit être aussi agréable à l’œil qu’au toucher. C’est en plus un papier très blanc, très acide, qui ne rend pas forcément service aux images. Et on ne parle même pas de la qualité des images. On ne peut pas parler véritablement d’un livre de photos, au sens où on l’entend généralement. L’ouvrage reste graphiquement muet. Les tailles d’images uniformes et les cadres privés de perspective renvoient plutôt à ces images qu’on fait sans réfléchir pour documenter une page facebook. On est plus proche de l’album de souvenirs de voyage que du livre d’art. Aujourd’hui, avec un smartphone et un éditeur sur le web, n’importe quel touriste peut financer l’édition d’un livre de photos. C’est dire si.

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    Ceci dit, on est toujours content de voir des photos de notre vampire préféré. Quoi ? Vous ne saviez pas que Tav Falco était un vampire ? Pourtant ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Bizarre que Jim Jarmush n’ait pas pensé à lui pour le rôle principal d’Only Lovers Left Alive. Et le fait que Tav Falco vive à Vienne ne fait que renforcer cette évidence. Tous les vampires reviennent un jour s’établir à Vienne, cette capitale d’empire qui fut voici plusieurs siècles le berceau du fantastique. Toutes les images proposées dans ce livre ne font qu’enfoncer le clou : cet homme échappe aux modes et au temps. Ça n’en finit plus d’alimenter son prestige et d’épaissir son mystère. Quoi, un vampire qui se pavane au soleil des Baléares ? Oui, il faut le voir pour le croire.

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    Une première image nous montre un Tav Falco en costume bleu clair, photographié dans le backstage d’une festival allemand. Il sourit. Il porte des lunettes noires et brandit sa guitare Höfner. Le voilà frais comme un gardon. Allez, on lui donne vingt-cinq ans maximum. Petit, léger. L’inaltérable modernité du vampire. Mais là où Tav Falco subjugue, c’est qu’il offre l’apparence d’un vampire heureux. Qui aurait cru ça possible ? Ça frise le contresens.

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    Un peu plus loin, on le voit photographié à Lisbonne, près de la statue de Fernando Pessoa. Il porte un blazer brun clair et semble perdu dans ses pensées. Le velouté de son teint d’adolescent a de quoi édifier les édifices.Plus loin, une image le surprend de dos remontant une rue de Palma de Majorque. Il s’éloigne. On entend ses pas se perdre dans l’écho du temps. Rien n’est plus symbolique - au plan fantastique - que ce type d’image. Toujours à Palma, il pose en haut d’un escalier, coiffé d’une casquette de parieur hippique, sans doute un cadeau de Jean Gabin dans les années trente. Tav Falco semble redoubler de prestance. Personne d’autre que lui n’oserait porter ce pantalon moulant à grosses rayures bleues et blanches : les couleurs d’un pyjama !

    Au fond, ce livre fonctionne comme l’antithèse de la fatalité. Les pages des magazines de rock anglais n’en finissent plus de nous montrer des Stones et des Who vieillissants, comme s’il fallait s’habituer à l’idée d’un rock entré dans son déclin. Tav Falco inverse carrément la tendance. Vieillir ? Laissez-le rire ! Page 19, une image nous le montre souriant, comme si Antonioni le filmait à Rimini en 1952 : sourire à la Delon et lumière chaude. Par contre, les photos de scène sont souvent aléatoires. Rien n’est plus difficile que de réussir un vrai shoot de scène. Et voilà notre héros parfaitement à son aise au Cabaret Voltaire de Zurich, oui, dans le berceau du dadaïsme. Il porte son imper blanc et pose devant le portrait d’Hugo Ball, photographié en pied dans son accoutrement satrapique d’as de pic cintré. Toujours en imper blanc et en casquette de titi parisien, voici Tav Falco photographié à l’angle de la rue de la Lune, une image qui illustre parfaitement l’excellent «Ballad Of The Rue De La Lune» qui ouvre le bal des vampires de Conjurations - Séance For Deranged Lovers, paru en 2010.

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    Et puis voilà ces fabuleuses images du Penalty : on y voit Tav Falco en gilet brodé se coiffer à deux mains dans l’éclat éblouissant d’une lumière de printemps. Pur rockabilly shoot ! Le fantastiques images en noir et blanc parues jadis dans R&F proviennent de cette séance. Elles sont de François Grivelet qu’on voit d’ailleurs ici de dos, assis face à Tav Falco. L’air de rien, ce livre grouille d’informations underground. Il n’est pas surprenant de retrouver notre héros attablé à la Nouvelle Orleans, qui est, comme chacun le sait, le berceau du vampirisme sur le nouveau continent. Et en vis-à-vis, Tav Falco se livre à l’un de ses jeux de scène favoris : il se roule par terre avec sa guitare. Avec Carl, son fils Barny et Chris Bird des Wise Guyz, ils sont les derniers à perpétuer le wild rockab roullé-boullé des frères Burnette. Et le voilà au sol, tombé du ciel comme l’ange déchu, photographié d’en haut, mais s’il chute, c’est en chaussures deux tons. Une autre image permet de voir qu’il porte des chaussettes décorées de têtes de mort. Dommage qu’on ne puisse voir un gros plan des boutons de manchette streamline train dont il faisait jadis l’apologie. Il pose aussi devant la vitrine d’un chapelier milanais. La boutique s’appelle Borsalino et bien sûr, Tav Falco ne déroge pas aux lois séculaires du dandysme. D’ailleurs, cet ouvrage pourrait bien être le pendant moderne de l’essai jadis publié par Barbey d’Aurevilly, Du dandysme Et De George Brummel, dans lequel Barbey explique avec brio l’art de se distinguer sans le montrer. Tout repose sur une maîtrise parfaite de la discrétion et de la mesure. Un art que Tav Falco maîtrise puisqu’il s’efface le plus souvent des pages pour laisser vivre ses compagnons de voyage. L’anti m’as-tu-vu par excellence. Et la plus belle image du livre n’est-elle pas celle d’un vampire qui se baigne en Italie, coiffé de son petit chapeau napolitain ? Cet homme n’en finira donc jamais de piquer la curiosité et d’exciter les muqueuses.

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    Il existe un autre livre de photos, paru voici deux ans chez le même éditeur : An Iconography Of Chance. 99 Photographs Of The Evanescent South. Les photos noir et blanc que propose l’ouvrage sont cette fois signées Tav Falco. À l’instar de son maître Bill Eggleston, Tav Falco y défend une théorie de l’image : the veracity of the unmolested photographic image is undeniable. Il parle ici de l’image virginale et de sa magistrale véracité. Comme Eggleston, il se dit influencé par Henri Cartier-Bresson, l’un des esprits les plus libres du XXe siècle. Nos amis américains auraient aussi pu citer d’autres grands chasseurs d’images comme Robert Doisneau, richement imprégné de la réalité urbaine des faubourgs, ou encore Brassaï, l’âme errante des nuits de Paris.

    Tav Falco revient sur Bill Eggleston pour préciser qu’il ne voit pas les mêmes choses que lui. Eggleston fait des images «concrètes», très directes. Celles de Tav Falco relèvent d’un regard nettement plus poétique, voire fantastique - il suffit de voir la couverture de son livre et ce couple hallucinant dansant le rock au bal des fantômes de la rue Morgue, une sorte d’hommage photographique à Edgar Poe. Alors qu’Eggleston - avec lequel Tav a appris le métier de photographe - claque son flash dans un plafond laqué rouge (l’image orne la pochette de Radio City, second album de Big Star). Eggleston semble vouloir mettre la réalité à nu. Ses images nous la livrent toute crue, sans fard.

    Les images de Tav Falco dégagent un charme d’autant plus capiteux qu’il les commente. Ce prodigieux écrivain cultive aussi l’art des formules épiques. Sa prose les charrie comme un fleuve amérindien charrie les sables alluvionnaires : à la tonne. Bel exemple avec la première photo, celle de la Saint Francis River, à l’Est de l’Arkansas. Tav suggère que dans l’ombre des bois qui bordent le fleuve, les esprits courroucés des Indiens marchent encore silencieusement en file, chaussés de mocassins. Voilà ce que voit Tav Falco dans cette image d’apparence si banale.

    Les livres de photographes sont parfois très denses, et cette densité génère une sorte de tension intellectuelle. Lorsqu’on feuillette La Main de l’Homme de Salgado, on est immédiatement tétanisé par la violence graphique des images. Encore plus fascinant et plus difficile à feuilleter : le recueil de portraits de Richard Avedon, grand spécialiste du grain de peau et des yeux qui parlent. Même Cartier-Bresson semble trop graphique, bon nombre de ses images relèvent d’une forme de génie du cadre, beaucoup plus que du fameux «moment décisif» auquel Tav Falco fait référence. La photographe dont Tav Falco se rapproche le plus est certainement Diane Arbus.

    Les premières images de ce livre sont des détails de paysages, sans personnages. On s’y sent tout de suite bien, comme chez Diane Arbus qui toute sa vie a photographié les gens ordinaires. La troisième image est celle d’un wagon abandonné en pleine cambrousse - These rail cars are long forsaken and consigned to perpetual oxidation - Sur le wagon, on peut lire Rock Island et bien sûr on pense à Leadbelly et à «Rock Island Line». Une autre image nous montre une sorte de taverne misérable dont les deux fenêtres sont protégées par les barreaux. Idéal pour l’imagination galopante de Tav Falco - The bistro is open from dusk to dawn and what goes on behind its barred windows defies the most feral imagination in the every act known to man is possible here - L’auteur nous indique que derrières les barreaux de ces fenêtres, tout ce qui relève de l’imagination la plus fertile est possible. Pour lui, les trains ne laissent derrière eux «que de la poussière, du chagrin et de la suie», alors que les entrepôts ont vu défiler «de sombres cargaisons et de ténébreuses émotions». Au fil des images, Tav Falco parvient à européaniser le néant de l’Amérique profonde. C’est un exploit poétique assez prodigieux qui mérite d’être souligné.

    Les petites cabanes du Deep South qu’il photographie renvoient évidemment à Walker Evans. Mais Tav Falco est moins cru, son regard est beaucoup moins ethnologique. Il préfère choper deux gosses qui partent à la pêche à Okatoma Creek pour ramener à la maison a mess of fresh perch for mama to fry in a blackened iron skillet. Tout ça sur un air chantant de Charles Trenet.

    Le premier portrait arrive assez tard dans la pagination. Il s’agit bien sûr d’un «perennial rockabilly Ho-daddy» sortant de l’agence locale de la compagnie de téléphone. Tav Falco sait qu’on croisera ce mec plus tard dans la soirée «au Bad Bob’s Vapors Club». Il photographie aussi une statue du soldat inconnu en Arkansas, et profite de l’occasion pour ironiser sur le compte de la cause perdue - The War of Rebellion and the valiant troops who fought to the death for the lost cause may never it seems be dismissed from memory - C’est vrai que l’idée de la cause perdue présente quelque chose de chevaleresque, comme avait essayé de le montrer D.W. Griffith dans The Birth Of A Nation. Et puis soudain, on tombe sur une image montrant Rural Burnside jouant dans un club. Des blacks dansent devant lui. Tav Falco note que la vie de travailleur des champs ne laisse pas beaucoup de temps pour repasser son pantalon.

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    On tombe un peu plus loin sur un autre portrait, stupéfiant, celui d’un vieux docker noir sur son trente-et-un, le regard noyé dans l’ombre d’une immense casquette de gavroche. Tav Falco profite du portrait d’un camarade d’université, David Grünewald, pour évoquer ses souvenirs de jeunesse à l’University of Arkansas, «rebutting the dialectics of Heidegger, Barthes, Derida and the dérive de Guy Debord.» Il n’est pas surprenant de retrouver le nom de Guy Debord sous la plume de Tav Falco. Ces deux-là ont su chacun à leur manière incarner l’idée pure de l’avant-garde, doublée d’un mépris psychorigide pour les concessions. Tav Falco livre aussi un beau portrait de sa mère, Rita, dont les parents arrivèrent d’Italie du Sud. Il ajoute que la voix de sa mère était si claire qu’elle fut engagée comme speakerine dans une radio d’Arkansas. Portrait spectaculaire du fils de Sleepy John Estes lors de l’enterrement de son père. Allez, tiens, encore un autre portrait spectaculaire, celui de Van Zula Hunt, l’une des chanteuses noires qui, comme Jessie Mae Hemphill, fascinait tant Tav Falco.

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    On tombe un peu plus loin sur Jerry Lee et sur Sun Ra, photographiés sur scène. Fantastiques évocations de ces méga-stars dont on s’est tous nourris.

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    La photo la plus connue de Tav Falco est sans aucun doute celle de Charlie Feathers occupé à démarrer une Harley - a 1934 Harly-Davidson VLD just like the one he once rode on loan from his older brother - C’est un hommage fantastique à celui qui fut, avec Jim Dickinson, son mentor - The immortal Charlie Feathers was one of the handfuls of innovators who created the inchoate genre of rockabilly in American vernacular music - Deux pages plus loin, on tombe sur un Dickinson assoupi au Huey’s Bar, à côté de Stanley Booth - acrimonious and sulphurous author of Rythm Oil and other tales, who deigned to suck the cock of arrogance - Joli shoots de Phineas Newborn, pianiste de jazz qui accompagna Charlie Mingus, puis page suivante de Furry Lewis, le bluesman de Memphis qui fut aussi le mentor de Sid Selvidge (et de Don Nix). Tav Falco raconte que Furry balaya les rues de Memphis toute sa vie, ce qui lui permit de chanter le blues en descendant une bouteille de whisky par jour. On trouve aussi deux photos des Cramps, la première shootée au Arcade Café across from Memphis Central Train Station - Tav Falco profite de l’occasion pour rappeler que les Cramps incarnèrent le rockabilly post-moderne et le Théâtre de la Cruauté selon Artaud - As envisioned by Antonin Artaud, the French dramaturgist, The Cramps were the apotheosis of a post-modern rockabilly band that embodied the Theather of Cruelty -

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    Les deux dernières images du livre comptent parmi les plus spectaculaires, tant au plan graphique qu’au plan évocatif. Portrait de James Caar devant le pont qui franchit le Mississippi - while the onus of the delta sun reigns like an inexorable demon - une lumière grise enveloppe le grand James Carr plongé dans ses pensées - Some mysteries the restless light of day can nerver reveal - Eh oui, la lumière du jour ne livre pas tous ses secrets. Et la dernière image est celle d’un crépuscule «over Majik Market», image qui servit à illustrer la couverture de son livre, Ghosts Behind The Sun: Splendor, Enigma & Death - Mondo Memphis. Tav Falco conclut : Potato chips and magic potions are no comfort and no protection against the tornado brewing in the distance. Eh, oui, qui va nous protéger de l’ouragan qui se prépare ?

    On sort de ce livre épuisé, comme au sortir d’une partouze, au petit matin. Tav Falco est un homme dangereux : à le fréquenter, on risque en permanence l’overdose de sèves salvatrices.

    Signé : Cazengler, Falconard

    Tav Falco. An Iconography Of Chance. 99 Photographs Of The Evanescent South. Elsinore Press 2015

    Gina Lee. This Could Go No Forever. On The Road With Tav Falco & Panther Burns. Elsinore Press 2017

     

    17 - 05 - 2018 / MONTREUIL

    LA COMEDIA

    BILL CRANE / THE FLUG / SILLY WALK

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    On ne change pas une formule qui gagne, toutefois pour désorienter quelque peu le lecteur, cette fois au contraire de la semaine dernière, nous serons, dans le seul but de tenir les kr'tnter readers en haleine et de brouiller les pistes, le premier soir à la Comedia et le second au 3B.

    Alerte noire dès l'entrée dans la Comedia. Panne d'électricité, Rachid et deux aides debout sur le comptoir essaient de démêler des fils savamment embrouillés. Pas de déception, les Dieux du rock sont avec nous, la scène est restée miraculeusement alimentée, encore une fois notre planète échappe à une irrémissible catastrophe... Ampoule cerisée sur le gâteau, la salle bénéficiera aussi au bout d'une heure de tripatouillages éclairés d'une lumière décente. Tout est bien dans le meilleur des mondes.

    Quoique.

    UNE BALANCE MOUVEMENTEE

    D'habitude la mise en place des groupes n'attire l'attention que de deux ou trois obsédés des effets soniques. Mais cette fois, joyeuse cohue devant l'estrade. Je peux vous la faire à la Larmartine, Un seul objet vous manque et le rock est dépeuplé. Grosse absence remarquée : pas de batterie sur le plateau. Mais ce n'est pas le pire, l'émoi est provoqué par un ustensile de la taille d'un cahier d'écolier pas plus épais que le cerveau rabougris d'un énarque ( 2, 5 cm ). Rien de plus qu'un artefact rythmique. Pas de quoi fouetter un dinosaure, et pourtant des mains multiples se tendent pour s'en emparer, des doigts facétieux appuient à tout hasard sur les touches, on la débranche, on la rebranche, une dizaine de lascars à crêtes multicolores particulièrement en verve s'agitent autour du boîtier magique. Croire qu'il s'agit de geeks obsédés d'électronique serait une funeste erreur. De fait ils n'en ont rien à faire de cette malheureuse boîte à bruit. Elle n'est qu'un prétexte. Un psychologue vous apprendrait en son jargon qu'elle tient lieu d'objet transactionnel. En d'autres termes qu'elle permet d'entrer en communication.

    Car rien ne sert de courir après l'effet, mieux vaut identifier la cause, disait Aristote. L'avait raison. Délaissons cette beat-box aguicheuse, et intéressons-nous à ses abords immédiats. A thing of beauty is a joy for ever nous a susurré John Keats en un de ses immortels poèmes, les faits lui donnent doublement raison, car elles sont deux. Deux filles. Deux aimants, vous attirent les guys comme la paratonnerre la foudre. Sourires enjôleurs et réparties fuselées, des girls style riot grande, peur de rien et qui rient de tout. Chouettes divas athéniennes que rien n'effraie. Se jouent des boys, impertinentes et provocatrices, des calamités sur pattes, mais les voir c'est déjà les absoudre. De multiples défauts, mais une grande qualité : font partie de The Flug.

    THE FLUG

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    Un garçon relégué dans le coin au fond. Quantité négligeable. Fait tout le bruit qu'il faut sur sa guitare, vous la fait vrombir comme une attaque de spitfires en piqué, dégomme dur et décalque sec. Oui mais un gars qui s'exhibe avec trois filles sur scène pour lui tout seul n'est-il pas qu'un sombre égoïste ? Remarquez la vie ne doit pas être drôle tous les jours pour lui. La plus grande est à la basse. De visu elle semble être de bonne famille, bien élevée et toute gentille. On lui a sûrement appris à ne pas ouvrir la bouche pour n'importe quoi. Mais ses lèvres dessinent un sourire fin et ironique qui en dit long. De toutes les manières se trahit toute seule, vous émet une onde de choc prolongée, une espèce d'attaque noisy burn out qui vous déblaie le chemin au lance-flammes. A tous les deux nos musicopathes vous tissent ce que dans les ouvrages de science-fiction l'on nomme le rayon de la mort. Inutile de courir. Vous ne ne lui échapperez pas.

    Surgissent de chaque côté du fétiche syncopal, micro en main. La Blonde et la Brune. Donnent de la voix l'une après l'autre. Possèdent un timbre identique, fermez les yeux – ce serait fort dommageable - et vous ne saurez pas discerner celle qui entonne le chant de guerre. Elles éructent à la sauvage, elles ne s'embarrassent pas de lyrics raffinés, flug par ci, flug par là, flug au monde entier, flug à l'univers, flug you and flug me, flug à tout ce qui est, et flug à tout ce qui n'est pas, la hargne et la haine, à toutes deux elles sont la hyène et le chacal, le chien courant et la meute, ne respirent plus, ne sont que déversoir de rage, souffle d'huile sur le feu, chant tintamarre qui dégoise et ratiboise, métal hurlant. Et les pals deviennent fous quand elles descendent de l'estrade et se mêlent à eux, ils ondulent, s'entrechoquent et grouillent autour d'elles comme les serpents autour de la tête de la Gorgone, hypnotisés par ces deux prêtresses en combinaison de travail qui prêchent le vacarme, le marasme, et l'anéantissement de la raison humaine. Extremist hurlent-elles et la musique semble s'écrouler sur elle-même, elles sont les sœurs jumelles de la déraison et de la colère, la vouivre à deux têtes gonflées de poison et de venin, elles sont passion et destruction, elles sont l'incendie et la cendre, le tapis de bombes et la fulgurance de l'explosion.

    C'est fini. Elles redeviennent des filles comme les autres. Pas tout à fait. A voir le cortège des boys qui ne cesseront de papillonner autour d'elles, comme les phalènes autour du bout incandescent de la mèche du bâton de dynamite. Flug le désir !

    BILL CRANE

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    Une entité. Sortie du crâne d'Eric Calassou. Avec cette particularité que de temps en temps, le créateur se confond avec sa créature. L'on ne sait pas laquelle de ces deux composantes s'incarne en l'autre mais ce dont on est certain c'est qu'à chaque avatar nous sommes au plus près du rock. Trois sur scène ce soir. Ne resteront pas longtemps car il se fait tard. Dommage, mais nous aurons eu l'essentiel. Huit titres issus de leur dernier CD.

    D'abord la guitare d'Eric. Avant de l'entendre, il faut la voir. Donne l'impression de la désolation. Le pan de mur d'une maison abandonnée. Le plâtre et des inscriptions effacées par le temps. Comme une remontée à l'ère des origines. Lorsque le rock'n'roll n'était qu'une fissure dans le vertige du monde. La lézarde fongicide et irrémédiable qui en précipiterait la ruine. Eric joue comme s'il était en survie. Funambule sur ses cordes. Trapéziste qui se fraye un chemin dans le dédale emmêlé des agrès d'un cirque dont le chapiteau aurait été emporté par une tempête dévastatrice. Un jeu de brisures, de glissements, de reprises, de reptations, de rétablissements, au-dessus de l'abîme, au-dessus de la cime, mais en progression. Une avancée chaotique, le chat sur le toit fulminant, le danger est partout, en instabilité permanente. Move It pour ouvrir le set. Bouge ça et surtout bouge-toi car la mort te grignote les talons, le rock est un exercice de survie, un riff, un simple riff n'est qu'une pente verglacée, une balade à trous multiples, faut savoir s'y jeter dedans et avoir l'instinct de remonter l'entonnoir engloutisseur. Le riff est une aventure métariffique. L'on joue du rock pour brûler sa vie. Roulette russe le pistolet au bout du cran.

    Gwen le seconde magnifiquement. L'a compris qu'il n'est pas là pour pêcher à la ligne de basse. Pousse des brandons sous la marmite infernale. L'est présent pour en accélérer la chauffe, la faire exploser au moment idoine, telle une pivoine rouge dans un poème japonais. Sa basse cliquette vicieusement comme le clic de sûreté qui empêche la crémaillère du train de céder à la pesanteur vertigineuse de la renonciation à surmonter les sommets aux glaciers transparents. L'est des fausses routes qui peuvent se transformer en déroute, lorsque Eric semble s'être aventuré sur un carrefour sans issue, Gwen déneige au chalumeau, il ouvre une voie qui permet de franchir l'obstacle.

    Ce soir Bobo a décidé de manier le bulldozer. L'écrase les toms avec une joie sans égale. Le jazzman mange son pain blanc, alors les rockers vous voulez du rock, et il vous abat les quintes flush comme s'il en avait une armée en réserve dans ses bras de chemise. Pas de pitié, pas de quartier, pas de prisonnier, en avant toute, balayez les doutes et foncez droit devant. Comme l'on dit vulgairement pousse au cul, et les deux zèbres ne renâclent point à la tâche, galopent et dropent à toute vitesse. Un set à train d'enfer qui suscitera de forts applaudissements approbateurs chez les connaisseurs, notamment sur ce Travellin' Man qui fonce et vous défonce les cartilages du cerveau.

    Le set se termine bien trop vite, mais Bill Crane a trépané tous les amateurs. Zombies qui n'attendent plus que le retour du maître.

    SILLY WALK

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    Dans la teuf-teuf qui me conduisait à la Comédia je m'interrogeais sur le sens caché du nom de ce groupe dont j'ignorais tout. Cette marche stupide évoquait-elle les Monty Python ou the duckwalk, la fameuse marche du canard de Chuck Berry ? Je n'en savais rien, et n'en sais pas plus aujourd'hui, mais lorsqu'ils m'ont confirmé qu'ils venaient de Toulouse – ô lou pais de ma folle jeunesse – je me disais qu'ils ne pouvaient pas être totalement mauvais, non seulement mon intuition était bonne mais ils furent sacrément meilleurs. Et pourtant, ils inauguraient une ère nouvelle puisque leur chanteuse venait de les quitter. Souvent femme varie, Bien fol est qui s'y fie !

    Silly Walk a le rock sauvage. Ils n'y peuvent rien, ce n'est pas de leur faute, c'est naturel chez eux. Ne sont sont pas du genre à faire beaucoup de bruit pour rien. Déménagent. Vous emportent les meubles, les portes et les fenêtres. N'oublient même pas les murs. Vous cassent la baraque. Dès le premier morceau. Power rock trio.

    Marco martèle. Contrairement à ce qu'ils prétendent les Silly Walk ne procèdent pas d'une démarche idiote. Z'ont assez écouté les poupées de N. Y. et les Coeurs Brisés pour avoir compris que dans le rock la batterie est comme le crachat de Dieu. Elle ne se pose ni devant, ni derrière. Encore moins à côté. Elle se doit d'être partout à la fois et en même temps. Attention, pas un mur de briques qui arrête toute velléité subsidiaire. Non, tornade de feu en constant déplacement. Des pâles d'hélicoptères folles, si vous possédez un guitariste et un bassiste capables de s'enfourner dans la fournaise du rotor fou, vous êtes sauvé. Comme par hasard Silly Walk détient en son cheptel ces brebis rares. Des ovins carnivores, aussi agiles que des tigres affamés. Raoul est à la guitare au chant. A l'étincelle et à la plaine incendiée en même temps. Pas le temps de s'ennuyer avec lui, vous file l'impression qu'il a engagé un duel au riff avec lui-même. Là où un autre vous en refilerait un, lui il vous en entortille deux l'un dans l'autre, un bruit d'enfer, le genre choc de titans en colère ou combat de rhinocéros en furie. Alex à la basse n'est pas le gars contrariant, question grabuge il sait poser son grain de sel. L'a la basse sourde et crépitante. Les deux à la fois. Pourquoi rechercher le silence quand l'on a trouvé le secret de la tonitruance. Un véritable pousse-au-crime. Ne s'embête pas avec les remords. Vite fait, bien fait. Lui faut une autre victime. Immédiatement.

    Silly Walk c'est franc et direct. Pourriez aussi bien dire vicieux et traître. Tous les coups sont permis. Le rock est un sport de combat, full contact. A consommer sans modération. Même quand Raoul chante que My Baby is gone with my Telephone, il se range franco plutôt du côté des dents du crocodile que de ses larmes. Silly Walk est partisan du rock qui mord. Heureusement qu'ils nous ont indiqué que Parachutiste était de Leforestier, parce que personne ne l'aurait reconnu. Radio Béton et Titanic Reaction, les titres parlent d'eux-même. Apothéosent sur un Runaway et un Fingers up apocalyptiques.

    Groupe idéal pour finir un concert. ( Pour le commencer aussi d'ailleurs ). Vous bousculent les tympans de manière fort agréable. Débranchent les appareils sous la clameur du public rassasié.

    Damie Chad.

     

    MOVE IT

    BILL CRANE

    Bill : guitare, chant / Pat : sax baryton / Gwen : basse / Bobo : batterie.

    MyZikind / Sound cloud / Bill Crane Official

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    Move it : le rock'n'roll à l'état pur, un sax qui dérape sans fin, une rythmique qui bat de l'aile et des guitares qui couinent comme si l'on était en train de les égorger, la voix qui force le destin, tous les ingrédients de la vie déjantée réunis. She's my baby : tintamarre de poubelles dans le petit matin, l'on se console comme on peut, la vie est une maladie, ce que l'on préfère ce sont les poussées de fièvre. Lonely : à tout instant le sax sera méchant, la plainte sempiternellement colérique des abandonnés fiers de l'être, car il vaut mieux être seul que mal accompagné, la musique appuie là où ça fait mal. Normal, sans quoi ce ne serait pas du rock'n'roll. Lovely face : bruits inquiétants, la voix titube, la guitare grince, la batterie se réfugie dans le triangle des Bermudes, le chant comme une incantation à la lune noire. Ne jamais regarder le soleil en face. Ce qui est visqueux est vital. Le sax en robinet d'eau sale qui fuit. Sans fin. SM dream : une rythmique revigorante, un vrai coup de fouet. Une ambiance maladive à la Lou Reed, la voix qui mord et ordonne en maître, satin de guitare froissée. Surf rider : une cloche qui sonne pour endormir les mort-vivants, des riffs maladifs, une basse répulsive, une batterie qui cogne sans espoir à la porte noire qui ne s'ouvrira pas. Instrumental de cristal carboné. Brisé et incassable. Une matière inconnue. I love her : impulsion de guitare et la voix qui éclate, de la réverbe tous azimuts, la basse dégringole des escaliers, à croire que tout se perd en ce bas-monde, les temps de l'imploration sont arrivés. On s'arrête doucement sans faire de bruit. Loverman : insistances, le vocal décisif, et la musique mortuaire qui n'en finit pas d'enterrer vos dernières illusions. Cela ressemble à une invocation satanique, mais sans illusion. Travelin'man : ( to Mousique & Big Joe ) : cavalcade de sax, affirmation de soi, respect aux grands ancêtres, dès qu'il touche à sa propre légende le rock'n'roll reprend vie. Chant de triomphe. Haillons royaux. I can't help it : ( to Chuck Berry ) : le bon vieux groove des familles. La guitare sonne, le boxeur se lève et retourne sur l'adversaire. Vous le met en K.O. D'un direct au foie meurtrier. Le rock c'est ça : définitif.

     

    Enregistré dans les conditions du direct live. No overdub. Juste le son de la crudité de la vie. Pochette minimaliste.

    Si vous aimez le rock agonique et désespéré des serpents qui rampent sur votre descente de lit, vous n'écouterez que ce disque. L'esprit rock. Le cloaque intérieur. Plus qu'un chef d'œuvre, un acte poétique.

    Great.

    Damie Chad.

     

    SILLY WALK

    Léo Ladysioux : lead vocal / Raoul Bertache : guitars, vocals / Alex : bass, vocals / Marcacide : drums.

    SW001/ Eté 2016.

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    L'allure d'un 33 tours, mais à faire tournoyer en 45 tours. La première de couve étrangement similaire à celle du CD de Bill Crane. Platon avait raison, les idées ne nous appartiennent pas. Ce sont elles qui nous visitent. Regardez le dos de la pochette pour apercevoir l'héroïne, elle a la voix qui pique comme une pustule, mais qui refuserait d'être embrassée par cette langue de vipère rock'n'roll !

    Nobody Knows : un coup de guitare à vous trancher la tête. Des cymbales qui vous roulent dans la sciure. Ladysioux se lance sur le sentier de la guerre. Une voix vindicative qui n'admet que l'obéissance absolue. Et la tribu des trois gars la suivent au galop en essayant de la dépasser, se font rappeler à l'ordre des prérogatives, la cheftaine devant, s'éloignent dans un torrents de poussières et des hurlements de guitare. La horde disparaît bien trop tôt au premier tournant. Barcelona : les Ramblas à fond de train. Un prétexte pour foncer à toute vitesse, brûler les feux rouges et vous faire de ces coups de freins à vous décoller le dentier et la rétine. Imaginez la Ladysioux debout avec le buste qui dépasse du toit ouvrant et qui vous insulte les passants juste pour le plaisir. Avant de les écraser. Et les boys au moteur qui conduisent, comme un marteau sans maître pour Marcacide aux drums, et à la scie égoïne pour les cordiers. Runaway : une tragique histoire d'amour. Rien de sérieux. Juste un prétexte pour vous vous amuser. La Lady vous sort sa voix de mijaurée, et les gars miaulent comme des chats à la mi-août. Juste de le plaisir de se jeter le non-dit des rapports psychanalytiques en pleine face. En n'importe quelle circonstance le rock est une musique de jouissance. Wild : Un titre qui ne vous prend pas par surprise. Silly Walk isn't sweet. Une batterie qui résonne comme un tambour de guerre et Lady Sioux qui décolle et caracole, une véritable peste triomphatrice, genre je ramène ma fraise tagada à l'arsenic, les guitares filent rapide, et les musicos qui ne demandent pas leur reste, elle vous les cisaille de sa voix, ne doit plus en rester grand-chose. My babe is gone with my telephone : il est parti avec le téléphone, les trois boys font la course pour le lui ramener ce maudit clavier qu'apparemment elle préfère à son boyfriend. L'on compatit avec lui, à sa place on en aurait fait autant. Insupportable la miss, mais si craquante. I want more : encore un caprice. Pouvez lui apporter le monde sur un plateau, elle s'en fout, lui faut encore plus. Pourtant lui tissent une de ses robes d'organdi dont toutes les rockeuses rêvent, s'en moque, vous la déchire et vous la piétine sans rémission.

    Damie Chad.

     

    18 / 05 / 2018TROYES

    3 B

    KIERON McDONALD

    HANK'S JALOPY DEMONS

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    A vue d'œil sur la mappemonde l'Australie c'est loin. En prime me faudrait de gros pneus – assurent une meilleure flottaison – pour la teuf-teuf, et une paire de rames car on ne sait jamais. Peut-être pourrais-je louer un pédalo, mais non, après renseignement cette option est hors de prix. Je ne suis pas anéanti, un rocker possède toujours un plan B, à trois étoiles, communément appelé plan 3 B. Quand vous ne pouvez aller à la montagne, laissez la cordillère venir à vous. D'ailleurs la voici, elle n'est pas loin, à Troyes, en plus elle s'est pointée fissa et pas radine, avec deux sommets. Deux pitons volcaniques. En activité selon la terminologie des spécialistes, chance, nous aurons droit à deux éruptions.

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    Je ne suis pas le seul, en plus du vieux fond traditionnel des rockers, le bouche à oreilles doit dans la bonne ville de Troyes fonctionner à merveille, de nouvelles têtes apparaissent en nombre, pas spécialement des gens attirés par le rockabilly mais l'on commence à s'apercevoir aux alentours que dans ce modeste bar, passent régulièrement de super musiciens...

    HANK'S JALOPY DEMONS

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    Ne jamais se fier à ce que l'on voit. Toujours à ce que l'on entend. I'm Goin Straight et là c'est du pur rockab, sans une once de graisse, sans produits mortifères ajoutés. La beauté minéralogique du désert. Cactus solitaires aux épines meurtrières, colonies de crotales se prélassant sur le sable sec et brûlant, solitudes spectrales, un rockab décharné jusqu'aux os blanchis sous le soleil. Une épure essentielle. Reste à savoir comment ils parviennent à produire cette merveille. Au premier abord, sont simplement en train de jouer et de chanter, comme tout le monde serait-on tenté de dire. Simplement, sans effort, sans effet de manche, sans pose théâtrale, cette dramaturgie réduite au minimum exige une étude et une observation poussée. Prenez Andrew Lindsay, à la batterie, pépère débonnaire à grosse casquette qui remue la choucroute sans forcer sur sa caisse claire.

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    J'ai mis du temps à débusquer le lézard. Pratiquement invisible. Fais ses coups en douce, le Lindsay. Toujours du même côté. Le gauche. Mériterait d'être surnommé Lefty Lindsay ! De la droite il sert les hors d'œuvres, mais de la gauche – c'est à peine s'il la remue – vous abat le gros gibier entre les deux yeux. Jusqu'à ce jour je ne savais pas que l'on pouvait frapper aussi fort, juste en remuant tout petit peu le poignet. Commence à comprendre comment le combo fonce droit dans la vallée de la mort sans perdre son haleine. Surtout n'allez pas croire que nous avons affaire à un hémiplégique parce que du côté droit, il turbine salement right, le Lindsay et à tous les niveaux. Un principe de base, au-dessus de la ceinture travaille pour la guitare et au-dessous il bosse pour la contrebasse.

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    Encore un qui à l'air d'attendre le train sur le quai de la gare. Le mec placide, Til Snappy Vex, balance sa poigne sur le cordier sans avoir l'air d'y penser. L'est tout souriant, le gus content de lui et heureux de vivre sans savoir pourquoi. Vous fait la pompe à bras sur sa big mama sans y réfléchir. La main calleuse qui slappe sans effort, l'a dû faire ça toute sa vie. Pour un peu vous le traiterez de fonctionnaire de la double bass. Il n'est de pire sourd que celui qui ne veut pas entendre, sont deux à jouer ensemble, Til and Andrew, les towers twins de la rythmique, pas de celles qui s'écroulent, de celles qui restent stables durant les ouragans. Pire ce sont eux qui provoquent les tempêtes de sable qui vous engloutissent une civilisation en trois heures. Andrew du pied lui envoie la balle par le tunnel de la grosse caisse et le Snappy vous la réceptionne illico. Et tout de suite ils recommencent. Stompent à la kangourou – ne viennent pas d'Australie pour rien - le rythme avance par rebonds, à intervalles calculés au millimètre près, bref le combo carbure sans bromure.

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    Mais revenons du côté de Lefty sound. Sa baguette droite, s'en sert de temps en temps pour taper sur la cymbale. Un coup, ça suffit. Juste un signal. N'en faut pas plus à Dave Cantrell pour vous offrir une démonstration de guitare. Ne monopolise pas l'attention, pendant trois jours, vous refile quatre notes à la rapidité de l'éclair. Vous éblouissent. Quatre pichenettes qui vous illuminent l'âme, du cristal le plus pur, extase sonique, vous en reprendrez bien, cela tombe bien, il n'est pas avare, suit bientôt une deuxième démonstration, puis une troisième et infiniment ad libitum. Mais ne sort jamais du cercle proposé par la base rythmique, ne marche pas sur les salades des copains, et ceux-ci n'oublient jamais de lui laisser une ranger pour planter ses laitues.

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    Pour le moment nous avons droit à une de ces reproductions à l'identique de l'american rockab, tel qu'il en explosait de temps en temps entre 1954 et 1956, et pourtant malgré tout, tout cela ne sent pas l'imitation ou la copie conforme. Non, ça ne sonne pas faux, plutôt résolument moderne. Une rythmique légèrement plus rock, un peu plus rentre-dedans, je veux bien l'admettre, mais il y a autre chose.

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    Et surtout quelqu'un d'autre. Hank Ferguson – c'est à cause de lui que l'on ne reconnaît plus personne – porte haut sa guitare rythmique tout près du cœur et vous a une voix des plus martiales, chante comme un dieu, un timbre qui vous cloue sur place. L'a tous les tics du chanteur rockab. Mais il ajoute un plus. L'occupe toute la place, ne laisse aucun espace à ses acolytes, ce n'est pas par égoïsme, sont tellement doués et surs de leur fait qu'on les entend sans problème. Le chant de Hank écrase tout mais n'occulte personne. L'est partout à la fois, infatigable, increvable, irremplaçable. Dig You Baby, High Voltage, Wig Flip Bop, vous refile du lait d'alligator survitaminé, du grand art, le gars qui vous fait les vingt-quatre heurs du Mans en tête du début à la fin de la course, sans même s'arrêter pour faire le plein. L'a de l'énergie à revendre.

    Dans l'interset, pendant que disques, CD et T-shirts s'arrachent, ça papote dur chez les amateurs, une merveille. Une chance extraordinaire que Béatrice la patronne ait pu les arrêter sur Troyes lors de leur tournée européenne, l'a des antennes de sorcière.

    KIERON McDONALD

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    Pas de crainte, pas un hamburger avarié. Un mec avisé. L'a gardé les mêmes musiciens. Hank Ferguson est dans la foule, Khieron McDonald a pris sa place devant le micro. Pour Til Snappy Vex et Andrew Lindsay, rien ne change, nous resserviront la même gelée royale. Désormais nous refuserons de toucher à un autre condiment auditif. Mais pour Dave Cantrell la charge de travail s'alourdit.

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    L'a une sacrée classe Kieron McDonald, il ouvre la bouche et hop c'est emballé, pesé. Des facilités, une aisance extraordinaire. Vous ne le quittez plus de l'oreille. L' a plusieurs registres. Le premier à l'ancienne, Little Girl, I don't Love You Anymore, I Don't Wana, vous croyez entendre Hank – pas Ferguson, Williams – vous a la voix qui nasille et cet accent traînant du vieux Sud qui vous tope aux tripes, et bien sûr il prend le temps de respirer, vous glisse des silences, entre deux couplets, au milieu d'un vers, en prosodie on dirait qu'il respecte la coupe à l'hémistiche, et puis ces arrêts stoppin' en plein milieu du stompin, évidemment c'est à Cantrell à marquer le coup, dès que la voix s'estompe, c'est la guitare qui klaxonne, vous savez ces dégelées de notes, comme quand l'étagère des pots à confiture de tante Agathe cède sous le poids des bocaux et vous les précipite sur le carrelage, ces tintements délicieux de verres cassés, fracassés, fricassés... et la voix qui reprend comme s'il ne s'était rien passé, jusqu'à la prochaine catastrophe qui ne saurait manquer.

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    Mais ce n'est pas tout. Cadeau maison McDonald, Kieron lui laisse le temps de se lancer dans de véritables soli rockab, pas un égrenage de quatre notes, une plaine infinie de quinze secondes, le must du guitariste rockab, toute l'âme résumée en un tour de main, une torsade de passe-passe dont les musiciens de jazz ne comprendront jamais l'urgence absolue, l'en a les yeux, encore plus bleus que sa chemise, qui lui sortent de la tête le Dave, y prend un plaisir fou, se surpasse à chaque fois. Ne nous ressort jamais le même. Invente sans cesse.

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    Mais McDonald n'est pas un Kieron qui se repose sur une seule patte à l'ombre des palétuviers. Fifties à mort, mais aussi sixties à vie. Le rockab campagnard avec ses galops de bronco certes, mais surtout ne pas oublier le white rock des garages et des châssis surbaissés. Un boulevard, une piste d'Indianapolis pour un guitariste, Cantrell hot-rode sans capot avec les flammes qui jaillissent de partout.

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    Hank et Kieron se partageront le dernier set. Une dernière démonstration. Nos cinq rockabillymen auront marqué les esprits. Les corps aussi car si toute une partie du public les a mangés des oreilles, l'en est une autre qui bouge à se damner. Applaudissements mérités et triomphe assuré. Mieux que cela, ils ont suscité le respect. Des prestations impeccables et admirables, à vous laisser muets. Avis aux amateurs, ne feront qu'une seconde date au Balajo, ce mercredi 23 mai à Paris. Sinon seront un peu plus loin, Belgique, Hollande, Suisse, Allemagne, Croatie...

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    Plus le temps passe, plus il se passe de choses extraordinaires au 3 B !

    Damie Chad.

    P. S. : Un gros merci à l'ingé du son Fab et à Béatrice Berlot dont la programmation pour la saison suivante s'annonce affriolante...

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    ( Photos : FB : Béatrice Berlot / Fabien Hubert DjRockin Cats )