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  • CHRONIQUES DE POURPRE 527 : KR'TNT ! 527 : JOHN DOE / ROCKABILLY GENERATION NEWS / DEAN CARTER / MONSTER MAGNET / BARON CRÂNE / MONA CABRIOLE / BARABBAS / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 527

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    28/ 10 / 2021

     

    JOHN DOE / ROCKABILLY GENERATION 18 & 19

    DEAN CARTER / MONSTER MAGNET

    BARON CRÂNE / MONA CABRIOLE / BARABBAS

    ROCKAMBOLESQUES

     

    John a bon Doe

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    Depuis disons l’origine des temps, X a toujours occupé une place de choix dans les étagères. Il était d’usage de rattacher X au punk-rock angelino qui n’était pas fameux, mais justement, X s’en démarquait par une certaine originalité de ton, par un chant à deux voix et surtout le style flashy de Billy Zoom, un fier caballero qui sentait bon le rockabilly. La légende voulait que Billy Zoom ait accompagné Etta James et Big Joe Turner. L’autre point fort d’X était John Doe, un mec de Baltimore qui préféra s’installer à Los Angeles plutôt qu’à New York pour monter un groupe. Et bien sûr le point faible d’X était Exene qui, pour dire les choses franchement, chantait comme une casserole, mais bon, elle était la poule de Doe et avait donc voix au chapitre. L’ensemble était claquemuré par un gigantesque batteur, le hard-hitting et bien nommé D.J. Bonebrake.

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    Donc Doe rencontre Exene dans un arts centre nommé Beyond Baroque, coup de foudre, puis il passe une annonce et c’est parti mon kiki d’X. Billy Zoom enquille l’X, suivi de Bonebrake, puis les clubs, Madame Wong, le Masque et le Whisky où traîne parfois Ray Manzarek. Dans le répertoire d’X se trouve «Soul Kitchen» et c’est joué tellement vite que le vieux Ray du cul ne le reconnaît pas, c’est sa femme qui sursaute : «Ray, y jouent une Doors song !». Du coup Manzarek s’intéresse au groupe et propose de les produire. Voilà, c’est aussi bête que ça.

    Doe pense que Manzarek s’intéresse aussi à eux parce qu’Exene et lui écrivent de la poésie, comme le faisait Jimbo. Oh oh...

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    Sur Los Angeles, leur premier album paru en 1980, X nous touille une belle cover du «Soul Kitchen» des Doors. Ils l’amènent au big sound et même si celle folle d’Exene chante comme une casserole, ça passe - Still one place to go - Ils le font à deux voix, learn to forgive, et Billy zoome bien son solo. L’autre belle pièce palpitante de ce premier album est le morceau titre, bien sûr. En duo ils sont excellents, ils dégagent une énergie considérable. Par contre, le reste de l’album n’est pas très révolutionnaire. Ils grattent la plupart des cuts envers et contre tout. Leur force, c’est le rejointement de Doe et de cette fille qui ne chante pas vraiment bien. Mais ils font leur truc et ça leur donne du mérite. Le fait qu’elle chante si mal fait-il partie du concept punk de Los Angeles ? Va-t-en savoir. En général quand c’est elle qui attaque, c’est foutu d’avance, comme c’est le cas avec «Nausea». Manzarek qui produit aurait dû la faire taire. Doe n’en finit plus de faire son petit exacerbé pour cacher la misère dans «Sugarlight» et «Johnny Hit & Run Paulene». Ils terminent avec «The World’s A Mess It’s In My Kiss» : ça joue aux échanges collatéraux, c’est bardé de bons passages d’accords et de troc de voix, par chance la voix d’Exene se fond dans celle de Doe, alors ça devient supportable. Autant lui est bien, autant elle insupporte, mais comme chacun le sait, il s’agit du problème d’un grand nombre de couples. La pauvrette ne fait pas souvent l’affaire.

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    Pas de hits sur Wild Gift paru l’année suivante, mais un excellent «White Girl». Doe rentre bien dans le lard du cut. «Beyond And Back» est plus rockab, monté sur l’excellent drumbeat de Bonebrake. Eh oui, c’est Bonebrake qui par sa constance, fait le son. Tout ici est monté sur le même modèle : Doe lance les dés et la folle vient le rejoindre dans la couche conjugale et ce n’est pas toujours du meilleur effet. Heureusement que Billy Zoom et ce batteur génial sont là. C’est bien Banebrake qui fait l’X. Ils collectionnent aussi les cuts catastrophiques comme «We’re Desperate» ou «Some Other Time». Elle se prend pour la passionaria de la Californie et fait mal aux oreilles. Dommage pour Doe qui essaye de monter un projet culte et qui se retrouve avec un projet cucul la praline. On s’emmerde comme un rat mort à l’écoute d’«Adult Books». On souhaite surtout qu’elle ferme sa boîte à camembert. C’est un peu le même problème que celui d’Oates dans Hall & Oates : dès qu’Oates ouvre le bec, il ruine tout. Quel gâchis ! Ils ont un bon guitariste mais dès qu’elle la ramène dans «Universal Corner», elle ruine tout. Le pire c’est qu’ils croient faire de l’art. Ils ont bien failli décrocher la timbale avec «It’s Who You Know» car Billy Zoom s’y prend pour Ron Asheton, mais ça s’écoule assez rapidement. Pourtant il y a du son.

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    On trouve sur leur troisième album Under The Big Black Sun un coup de génie intitulé «The Have-Nots», c’est-à-dire les défavorisés. C’est un festival d’envolées, une suite de couplets hargneux et de refrains chantés à deux voix - Dawn comes soon enough/ For the working class/ It keeps getting sooner or later/ This is a game that moves as you play - On ne croise pas tous les jours des cuts d’une telle classe. Ça sonne comme les plus grands hits des Stones - At Jocko’s rocketship or the One Eye Jack/ My Sin & The Lucky Star/ A steady place to study and drink - Il faut voir comme c’est balancé et John Doe descend dans le giron du Juju avec ce génie vocal qui va le rendre légendaire. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Le reste de l’album est très punk. En fait, c’est Bonebrake qui vole le show dans «Motel Room In My Bed», «How I (Learned My Lesson)» ou «Because I Do». On note que Ray Manzarek continue de les produire. Dommage qu’Exene chante si mal. Elle fait mal aux oreilles dans «Riding With Mary». Mais prod de rêve. Ils se tapent une petite crise d’exotica avec «Dancing With Tears In My Eyes». Ça leur va comme un gant. Billy Zoom y fait la pluie et le beau temps.

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    Le More Fun In The New World qui sort l’année suivante est un bel album. Nouveau coup de génie avec le morceau titre en ouverture de bal d’A. C’est leur grand hit. Fière allure, joli riff de Billy Zoom et c’est chanté à deux voix. American power. C’est d’ailleurs leur seul big hit de big time. Après, ça se dégrade. Ça ne tient que par Bonebrake. Une fois de plus, Ray Manzarek signe une prod superbe, comme enveloppée. Mais dès qu’Exene chante, ça ne va pas. Dommage, car le son plaît beaucoup, avec un Bonebrake bien au devant du mix. Il faut attendre «Make The Music Go Bang» pour frémir un coup. C’est joué à la clameur. Ils tiennent une bonne formule : clameur de voix, big Bonebrake et petits éclairs de Les Paul en or. Bonebrake fait encore des siennes en B avec «Devil Doll». Comme ce mec bat bien ! Il est sec et net et sans bavure. Billy zoome quand il faut. C’est encore Bonebrake qui porte «Painting The Town Blue» à bouts de bras. Leur «Hot House» renvoie aux assauts de l’Airplane. Mais le reste de l’album ne vaut pas tripette. Ils s’amusent avec le funk dans «True Love Pt #2» : on se croirait chez les Talking Heads. On n’est pas là pour ça.

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    Quelques énormités sur Ain’t Love Grand, un album dépossédé de sa pochette et quasi dépossédé de son bal d’A. Les compos peinent à rafler la mise du docteur Artémise. Ils tentent de revenir aux fondamentaux, mais ce n’est pas chose facile. Peut-être espèrent-ils que «My Godness» soit une bonne chanson ? Sont-ils assez crédules pour en arriver là ? Le bal d’A se réveille avec le stomp d’«Around My Heart» mais les X s’épuisent à vouloir sauver les meubles. Ah le matérialisme ! C’est en B que se joue le destin de l’album avec «What’s Wrong With Me». Dès qu’ils attaquent à deux voix, ça redevient du pur jus d’X, avec un Billy qui zoome. Joli shoot de twin attack avec un what’s wrong with me jeté en pâture aux fauves et un Billy qui n’en finit plus de zoomer. Ils font ensuite une belle reprise de l’«All Or Nothing» des Small Faces. Il manque la voix, mais Doe pousse bien son petit bouchon. Il va chercher son meilleur chat perché. Encore du vrai rock d’X avec «Little Honey» et un Doe au devant du mix. Cut sauveur de meubles. Doe est capable d’énormités, il est bien entouré. Vroom et voilà «Surpecharged», back on X avec du L.A. beat on the rocks et les riffs malsains du grand Billy Zoom. Ça ne demande qu’à exploser.

    Malgré tous ces efforts, X ne décolle pas et Billy Zoom annonce qu’il quitte le groupe, car il a besoin de croûter. Il reprend son vieux job in electronics, fixing amps and stuff.

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    Rien à dire non plus de la non-pochette de See How We Are. On les sent plus déterminés que jamais sur l’«I’m Lost» d’ouverture de bal. Leur heavy pop bombastique n’a jamais été aussi explosive. Heureusement, Doe prend le lead et elle reste derrière. Elle a déjà fait assez de dégâts comme ça. Doe veille bien au grain. Un certain Tommy Gilkyson remplace Billy Zoom. Mais dès qu’Exene attaque un cut, le cauchemar recommence, comme c’est le cas avec «You». Cette fois, ils vont plus sur la power-pop et s’autorisent quand même un petit shoot de punk’s not dead avec «In The Time It Takes», chanté à deux voix et propulsé par nuclear Bonebrake. Merveilleuse giclée ! Avec «Surprise Surprise», ils se prennent pour Blondie alors t’as-qu’à voir ! Wow comme cette folle chante mal ! Ils cherchent leur voie comme d’autres cherchent des truffes.

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    Le premier live d’X est un double album, comme celui des Doors : Live At The Whisky A Go-Go On The Fabulous Sunset Strip sort en 1988, sur Elektra, comme celui des Doors. Mais ils ne proposent pas de reprise des Doors, comme ils le feront sur les live albums à venir. Ils profitent de ce bon live pour repasser au peigne fin tous leurs hits à commencer par «Los Angeles» qui développe une fabuleuse énergie avec son raté de beat en bam/bam/bam si judicieux. Doe does it right et elle arrive dans le chant, alors ça fonctionne. Ils font une magnifique restitution de «The New World», un de leurs hits les plus vaillants, porté par le tapis magique d’un accord de guitare et amené à deux voix, scandé au pur power. Exene réussit l’exploit surnaturel de nous casser les oreilles avec «Surprise Surprise». Elle fait sa Blondie et dès qu’elle force, elle est fausse. Il y a quand même pas mal de déchets dans le punk-rock angelino («Because I Do», «My Godness»). Doe charge la mule de «Blue Spark» et ça devient excellent. Tout est monté sur le beat turgescent du big Bonebrake. Cut after cut, il bat sec et net. «Devil Doll» va vite en besogne. X n’est pas le genre de groupe à traînasser pour admirer le paysage. Ils filent comme des bolides. «Hungry Wolf» sonne comme un bel assaut frontal et dans «Just Another Perfect Day», Exene se prend pour Jimbo, alors on voit d’ici le désastre. «Unheard Music» est l’un des phares dans la nuit car joué à la heavy cocote et touillé aux deux voix confondues. Le riff est d’une rare splendeur. Leur truc c’est d’entretenir la braise et ils sont passés maîtres dans cet art qui remonte à la nuit des temps. Ils restent sur leur élan avec «The World’s A Mess», chanté à deux voix et porté par le power beat de Bonebrake-Tinguely le perpétuel. Ce superbe batteur semble toujours naviguer au haute mer, tellement il est puissant. Une sorte de magie règne sur le «White Girl» qu’on retrouve en D. C’est le grand hit d’X avec «The Have-Nots» qui brille par son absence. «White Girl» est une merveille sculpturale, dévorée en interne par les incidences du riff.

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    Allez, on va dire qu’Hey Zeus est un bon album. Cinq bons cuts sur onze, c’est extrêmement honorable, n’est-il pas vrai ? Ils y claquent leur bouquet habituel et on craint par dessus tout de voir la folle apparaître. Pour «Big Blue House», ils renouent avec le déroulé de «The New World», même ambiance, pacifiée aux deux voix. On adhère facilement. Ils forgent leur caractère. X est alors encore un jeune groupe, ça peut se comprendre, after all. Ils adorent lancer leurs attaques à deux, comme l’Airplane avant eux. Ce «Big Blue House» est presque bon, ils tentent la percée musicologique et c’est une bonne idée. Ils font aussi un «New Life» bien powerful. Doe s’arrange toujours pour retomber sur ses pattes. Ce mec est un cador, il refuse de se résigner et donc il chante à outrance. Back to the heavy chords avec «Country At War» et back to the chant à deux voix. Doe tente de créer sa mythologie et il le fait avec une belle notion de la niaque, la folle est parfaite quand elle se fond dans le chant avec lui. Se fondre, tel est le secret du sombre Doe. Ils restent dans le heavy rock avec «Into The Light». Il faut suivre Doe, il est comme Allah, il connaît le chemin. La formule d’X ? La belle engeance de la prestance. Ils tartinent leur heavy pop de Mulholland & Vine et c’est excellent. «Lettuce & Vodka» sonne comme un retour de manivelle punk, ils le tapent à deux voix, comme d’usage, c’est bien construit, pur jus d’X avec de l’interaction. Ils sont tellement dans leur élément qu’on s’en prosterne, c’est plein de clameurs, Remember ! Remember ! C’est elle qui lance «Baby You Lied» et bizarrement, elle est bonne. Alors c’est à n’y plus comprendre, voyez-vous.

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    Paru deux ans après Zeus, Unclogged est encore un album live. Pochette foireuse, mais on y trouve enfin une version live de «The Have-Nots», jouée au groove de jazz-rock et là Doe fout le paquet - And the Hi-Di-Hi & the Hula gal/ Bee-hive Bar and the / Ziron Lounge/ Gi-Gi’s Cozy Corner/ And the Gift Of Love - Doe joue avec les noms des bars au stop and drink, au sit ans sip, au rest in pieces - Dexter’s New Approach and the/ Get Down Lounge - c’est tellement puissant que ça balaye tout le reste, même le puissant «White Girl» d’ouverture d’X shuffle et ce riffing qui rafle bien la mise & cette fille qui vient chanter en contrepoint & Bonebrake on the vibraphone. Ils tapent aussi leur «Burning House Of Love» au heavy country honk et c’est excellent. Doe est l’un des rois du country honk, il sort ici une mouture énorme. Quant au reste, c’est un peu comme d’habitude. Dès qu’Exene la ramène, c’est pas terrible. Quand on l’entend chanter «Because I Do», on se doute bien qu’elle doit être assez vulgaire dans la vie de tous les jours. On ne va pas rentrer dans les détails. Chaque fois qu’elle ramène sa fraise, elle gâte la marchandise, comme c’est le cas avec «Lying In The Road» ou «The Stage». Et c’est encore pire dans «True Love», car ils jouent à coups d’acou et les guitares ne cachent plus la misère.

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    Un autre Live In Los Angeles paraît en 2005. On y retrouve tous leurs vieux coucous sauf le plus important, «The Have-Nots». Bon ils nous font quand même la grâce de reprendre «The New World», avec les accords scintillants de Billy Zoom et le doublé de voix au chant. Quel beau hit ! Billy joue dans le gras du groove. Sur ce live, cette folle d’Exene ruine un sacré paquet de cuts, comme «Nausea» ou «Year 1». Dommage, car sur scène, X tourne à plein régime, c’est même très impressionnant. C’est encore elle qui chante «We’re Desperate» et «Beyond And Back», c’est insupportable, alors Doe vole à son secours, c’est sa raison d’être et celle d’X, Doe est le chevalier blanc du punk-rock angelino. Quand ils chantent à deux voix, ça peut devenir énorme, tiens comme cette version de «White Girl», soutenue à la grosse cocotte de Billy qui s’en va soudain slasher à travers la pampa. Billy multiplie encore les exactions avec «The Unheard Music», power pur et la fête se poursuit avec un mighty «Los Angeles» attaqué à deux voix. Tout ce qu’ils chantent à deux voix sonne merveilleusement bien. Encore un bon exemple avec «I’m Coming Over», bien meilleur en version live qu’en version studio. Doe continue de faire la pluie et le beau temps dans «Blue Spark». Leur tenue dans «Johnny Hit & Run Paulene» ne laisse rien à désirer et Bonebrake fait des ravages dans «Motel Room In My Bed». Ils jouent leur carte du LA punk à fond de train. Puis ils virent quasi-stoogy avec «It’s Who You Know», Billy fournit tout le fourniment. Ils finissent par jouer par dessus les toits, donnant à leur «Devil Doll» une allure de rockab incendiaire. Cette concoction Bonebrake/Billy Zoom peut se révéler explosive. Doe monte au créneau pour «The Hungry Wolf» et c’est excellent, car tendu à se rompre. Billy bat la campagne, son énergie bat tous les records. Dommage qu’elle chante «The World’s A Mess It’s In My Kiss», car c’est un beau cut, bien anxieux, bien punkish, mais chanté au trempé de sueur, insidieux au possible et Billy fait son festival, il virevolte dans les hauteurs du LA punk, c’est dingue ce que ce mec amène comme élégance dans l’exercice de sa fonction. Et voilà, la fête s’achève avec «Soul Kitchen». Ils passent les Doors à la moulinette d’X. Dommage que cette pauvre folle chante l’intégralité du cut. C’est une insulte à la mémoire de Jimbo.

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    Album du grand retour et album inespéré avec Alphabetland paru sur Fat Possum en 2020. On pourrait aller encore plus loin : si tu achètes un seul album d’X, c’est forcément celui-ci. C’est plein de son dès le morceau titre d’ouverture de bal. Trop de son ! Ils sortent tout leur power d’antan et le sur-mastérisent. Aw comme ces mecs sont bons ! On retrouve la formule gagnante Doe/Zoom/Bonebrake et quel bonheur de voir Billy le killer partir en maraude. Avec ce morceau titre, on est bien obligé de crier au loup. Ces mecs ont tellement de son qu’ils injectent des doses énormes, et l’amateur va droit au tapis. Voilà l’exemple type du cut qu’on réécoute plusieurs fois dans la foulée tellement c’est bon, bien construit, bien posé sur le beat, bien au-delà des critiques, «Alphabetland» emporte les barrages, le solo de Billy Zoom est à tomber de sa chaise, wow comme on est content de les retrouver en si bonne forme. Leur niaque de punk’s not dead est intacte comme le montre «Free». Avec Doe au drive, ça vire monster beat. C’est violent et plein d’allant définitif et bien sûr ce démon de Billy Zoom allume la mèche. Zoom kill kill ! La gourmandise punk d’X est unique au monde. Nouveau coup de génie avec «Water & Wine». Avec le temps, Exene s’est améliorée et là ça devient sérieux. Chant à deux voix, l’art sacré d’X, pur jus de punk angelino, on peut difficilement espérer meilleure résurrection, c’est de la dynamite. Ils enchaînent avec le big heavy rock de «Strange Life». Avec un mec comme Doe, il faut s’attendre à tout, surtout à ce rock chanté à deux voix et infesté de riffs. C’est encore du genius à l’état pur, terrific de power sous le vent. Ils ont leur truc et c’est profondément bon. On y croit dur comme fer, Zoom kill kill incendie à bras raccourcis et les cuts deviennent fascinants. Doe monte le LA punk comme un théâtre et on assiste au spectacle. Ils sont quasiment les seuls à savoir jouer l’angelino punk de façon aussi passionnante. Même quand ils déboulent à 100 à l’heure, on les suit sans discuter. Ils reprennent le chant à deux voix pour «Star Chambered» et ça redevient fabuleux, comme débordé par l’extérieur, overwhelmé dans l’œuf de l’X. Exene chante mieux alors Doe ramène du répondant de défenestration. On a là le power à l’état le plus pur. Nouveau coup de génie avec «Angel On The Road». Fondu de voix superbe, ils développent encore plus d’énergie qu’à leurs débuts, comme si c’était possible. Évitez de voir les photos presse récentes, car les X ont pris un méchant coup de vieux, il faut juste se contenter d’écouter cet album mirifique. Ils proposent le punk-rock de la modernité avec une justesse de ton et un fondu de voix inégalables. Ils terminent avec «Goodbye Year Goodbye» qui sonne comme une belle dégelée d’immense punk-rock angelino.

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    En 1995, Doe entame en parallèle une carrière solo avec The John Doe Thing et un premier album qui s’intitule Kissingsohard. Pour ça il s’entoure du fils Waronker et du jazzman Smokey Hormel. Force est d’avouer que c’est un excellent album et ce dès le «Falling Tears» d’ouverture de bal. Back on the heavy beat, comme dirait l’autre, ce heavy rock californien passe comme une lettre à la poste, bien léché aux guitares et hanté par des distos souterraines. Doe does it right. Avec «Safety», ils passent en mode encore plus heavy et c’est goûtu. Doe plonge dans l’histoire du rock, il arriverait presque à sonner comme les Small Faces. On s’accroche à sa chaise car voilà qu’arrive un solo déterminant. De toute façon, Doe est toujours déterminant. Il est déterminant quoi qu’il fasse. Il passe en mode heavy trash punk avec «Love Knows». Il est parfaitement à l’aise dans cette soupe angelinotte. Il a comme on dit des chevaux sous le sabot. Puis il s’en va chanter «My Godness» à la clameur viscérale. C’est à nous de suivre. Il faut faire vite, car il chante bien. Il développe une véritable énergie tellurique. Il touche toujours au but. Tous les cuts de l’album touchent au but, c’est assez désarmant. Il ressort la grosse artillerie un peu plus loin avec «TV Set», il chante à la glu de chant, à la Jimbo, il colle à son thème avec une classe indécente et s’offre le luxe d’un solo de père fouettard. Il s’offre même un deuxième luxe, celui d’une montée en puissance à la fin, il porte tout ça à la seule force du chant. S’ensuit l’encore plus fascinant «Beer Gas Rise Forever». Cette façon qu’il a de coller au chant ! Il reste en permanence dans l’instinct du chant c’est très spectaculaire car digne des Doors, il pousse une sorte de push ultime. Et tout est bon jusqu’à la fin, jusqu’à ce heavy «Liar’s Market» compressé dans le son.

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    Cinq ans plus tard, The John Doe Thing récidive avec Freedom Is. Sur cet album, Doe claque du vieux doom. On suit ce mec de toute façon, quoi qu’il fasse. Il demande à son friend de le catcher - Catch me - C’est du heavy Doe d’évidence. Avec cet album, il vise le big atmospherix. Il tape ses compos comme s’il était le roi du hit-parade et ça prend vite des tours. Il balaye les vagues de l’océan, il est d’une certaine façon le Victor Hugo du rock californien. Avec une belle barbe, il ferait illusion. Quel power ! On ne compte pas moins de cinq big cuts sur cet album, ce qui semble être la vieille moyenne d’X. À commencer par «Telephone By The Bed», une heavy pop qui sonne comme la marée du siècle. Doe sait lever des légions avec de superbes coups de guitare. Il gratte à la sauvage, il a toujours été bon dans le fast drive de chords. Il enchaîne cette merveille avec une autre merveille, «Ever After». C’est encore une fois du pur Doe, bien poussé dans les extrêmes, bien secoué du cocotier. Il passe à l’exercice délicat de la Beautiful Song avec «Ultimately Yes». Irréel car tellement mélodique. Quasi Buckley dans l’âme, angle mélodique parfait. Il faut écouter ce mec car il est bon comme le pain chaud. Il accroche toujours plus, cut after cut, on sent comme une progression. Il amène son «Smile & Wave» au vieux boogie claqué d’accords certains et il chante le mords aux dents. Somptueuse rockalama. Mais son terrain de prédilection reste le punk-rock, comme le montre «Too Many Goddam Bands». Il adore foncer dans le tas. Vas-y mon gars Doe, fonce ! C’est l’un des grands fonceurs de Californie et en plus, il chante à la petite ramasse de la rascasse. Il fait son cirque et il faudrait presque que ça se stabilise pour qu’on comprenne. Ce mec manie la puissance avec la poigne d’un forgeron du moyen-âge, il travaille l’acier de sa pop au marteau. Doe l’excellent guy s’enfonce dans «Totally Yours», il fait son business, after all, Doe est bon mais il reste Doe.

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    En 1990 il attaque une carrière solo avec Meet John Doe. Pour le meeter, on le meet, pas de problème. Il propose d’emblée du big sound et comme ce mec chante bien, ça crée de la confiance. Il envoie ses vieilles clameurs, il a du métier et même une vision, alors forcément ça coule de source. Une petite gonzesse l’accompagne sur les montées en puissance, comme dans l’X. Doe sait très bien ce qu’il fait. Il y a du Vulcain en lui, une science très ancienne de la forge. Le son de cet album nous submerge, cet enfoiré sait nous cueillir au menton et personne n’ira se plaindre. Il fait du big Doe de charme, c’est un rocker chaleureux et bienveillant auprès duquel on aime bien se pelotonner, si on est une gonzesse, bien sûr. Cut après cut, il va chercher des vieux réflexes de son, c’est très spécial, après on fait comme on veut : soit on apprécie, soit on ferme les écoutilles. Chacun cherche son chat. Il faut cependant attendre «The Real One» pour frémir. Doe propose là un retour de manivelle de belle pop atmosphérique. Il faut bien dire que ses envolées valent le détour. Il embraye aussi sec sur «Take #52», une Beautiful Song digne de Fred Neil. Doe adore exceller, il a les moyens de sa justesse. Et comme si cela ne suffisait pas, il enchaîne avec «Worldwide Brotherhood», un cut quasi-anglais tellement c’est plein d’esprit de son. Quelle dégelée royale, baby ! C’est un big heavy sludge, une pure énormité, il s’en va hurler sa hurlette là-haut sur la montagne et c’est salué par des guitares dévoyées. Bon après, c’est moins convaincu, il fait ses petits trucs dans son coin et il a raison. «Touch Me Baby» sonne comme du petit boogie MTV et on sent ici un léger manque de sincérité. Oh pas grand chose, mais quand même.

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    Doe fait des albums délicieux, comme le sont ces petits gâteaux spongieux aux pépites de chocolat. L’un des meilleurs exemples serait sans doute Dim Stars Bright Sky. Eh oui, à l’autre bout du monde, Doe crée de la magie. «Always» relève du génie pur, can’t keep my heart from burning, dit-il en groovant sa ramasse, il a une façon très spéciale de dériver, driving in circles, my hands like that clock they move one by one, il faut l’entendre chanter ça, il dérape dans l’excellence du groove, just gave up drinkin’/ Drivin’ away, il épouse le feeling de ses paroles, cette façon qu’il a de dire I always dream of you fait penser à Mercury Rev, et il revient inlassablement à cette formule magique, coming a long way from you/ But I always dream of you. Impossible de résister à ça. On croise rarement des chansons qui montent aussi massivement au cerveau. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «This Far», un balladif éclatant de pop. Doe avance à couvert et s’en va exploser sa pop avec une voix qui ne frime pas. C’est sa force, le pouvoir du lousdé du Doe, il explose son «This Far» avec cette majesté qu’il montrait déjà au temps de «The Have-Nots», c’est le génie vindicatif de Doe, il ne la ramène pas, il n’est là que pour les chansons. Sur le reste de l’album, il fait du gratté d’acou au coin du feu. Il a du texte, alors pas de problème. Certains cuts n’ont rien dans la culotte, mais c’est pas grave. Doe fait régner une ambiance spéciale. Il sait donner du temps au temps. Son «Closet Of Dreams» finit par convaincre. Et même s’il démarre son «Forever For You» sur le drumbeat des Champions de Queen, il sauve les meubles en chargeant sa mule de pop. Il sait hanter un son. Il a même un cut qui s’appelle «Magic». Il sait faire décoller un cut du sol. On croit que ça ne va pas marcher et si, il y parvient systématiquement. Il va ensuite chercher de sacrés rebondissements et on finit par tomber immanquablement sous le charme. Il tourne la pop de «Backroom» en pop lumineuse et l’album est tellement réussi qu’on le réécoute dans la foulée, histoire d’être bien certain de n’avoir pas rêvé.

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    Du coup, on se retrouve en état d’alerte quand arrive un nouveau Doe solo. Forever Hasn’t Happened Yet ne déçoit pas les attentes, bien au contraire. Dommage que les notes de pochette soient illisibles. Doe s’entoure ici d’une belle équipe de copains, à commencer par Grant Lee Phillips et Dave Alvin. Ils démarrent avec un vieux delta blues de Los Angeles, «The Losing Kind». C’est assez puissant et ça tue bien les mouches. Et pouf, violent coup de génie avec «Heartless», power atroce, on se croirait à Memphis, on a du son plein les oreilles, quelle désaille ! C’est même digne du ‘68 Comeback. Dave Alvin l’allume au bulbic. Une certaine Veronica Jane vient duetter avec Doe sur «Mona Don’t». Elle se positionne en contrepoint du big Doe qui reste en mode soft-power. C’est d’un balèze qui va loin. Il explose son rock avec une aisance indécente. «Mona Don’t» est apoplectique de son et de présence. Doe booste son rock sans forcer sa glotte. Il duette plus loin avec Neko Case sur «Hwy5». Elle lui donne la réplique comme au temps de l’X, c’est infernal, plein de jus et ça tourne à l’horreur congénitale avec du killer solo flash à la clé. Pour réussir ce coup de Jarnac, il passe en mode sludge d’overdrive. Ce mec règne sur son empire, ne vous faites pas de souci pour lui. Il groove son «Worried Brow» comme n’ont jamais su groover les Doors, il est dans l’absolu du groove, dans l’expression du génie contenu. Et pour «Your Parade», il s’adjoint des poulettes éplorées qui viendront le rejoindre dans le lit du fleuve. Il adore mêler sa bave à celle des poules, mais c’est commun à tous les hommes. Il sait aussi se montrer pur côté roots, comme le montre «There’s A Black House», il passe en confiance et s’adjoint les services de Kristin Hersh. Ce sacré Doe est rompu à tous les métiers. Il explose le rock de «Ready» sans préambule. La reine Kristin revient duetter avec le roi Doe et ça devient monstrueux de classe, ils règnent tous les deux sans parage sur le monde du rock californien.

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    Ça finit par devenir une manie chez Doe, les big albums. En voilà encore un : A Year In The Wilderness. Paru en 2007, toujours sur Yep Roc, comme Chuck Prophet. Attention à «Hotel Ghost», Doe allume la gueule de son cut au one two et pouf, ça te saute à la jugulaire, tu as là le summum du power rock angelino. Il enchaîne aussi sec sur «The Golden State». Cet enfoiré a tout le son dont on peut rêver. Il étend son empire quand il veut. La poule qui chante avec lui s’appelle Kahtleen Edwards et elle est bonne, les voilà tous les deux jetés dans le feu de Dieu, ils sont au delà de toute expectative, chant à deux voix et tu tombes de ta chaise, you are the hole in my head ! Pour calmer le jeu, Doe fait un peu d’Americana avec «A Little More Time» et soudain tout explose à nouveau avec un «Unforgiven» riffé en pleine poire. C’est la spécialité de Doe, le son d’un autre monde avec la voix d’Aimee Man dans le flux. C’est profondément génial. La voix d’Aimee Man apparaît à peine et il faut le voir poursuivre son épopée d’unforgiven. S’ensuit une autre énormité, «There’s A Hole», aussi funeste que les précédentes. Personne ne peut résister à ça. Doe bombarde son cut de stomp et il faut s’accrocher au mât. Il clame there’s a hole et c’est grandiose. Il combine deux powers, le power du son et le power du Doe. Un brin de power pop pour digérer ? Voilà «Lean Out Yr Window», mais avec du big sound. Ça reste brillant et dirigé vers l’avenir. Quel power-popper, il ne se refuse aucun luxe ! Il boucle son affaire avec un «Grain Of Salt» assez explosif. Il réussit à créer la sensation dans le gratté d’acou.

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    En 2009, Doe enregistre Country Club avec les Sadies. Franchement, il ne pourrait pas rêver de meilleur backing band. Dès «Stop The World & Let Me Off», Travis Good traverse le son au piercing country honk, c’est d’une grande beauté avec tous ces clap hands, le son est comme traversé d’éclairs de wild country, pas de meilleure concoction, ils envoient leur démesure voler over the rainbow. Alors après, ça devient beaucoup plus classique, mais bien chanté. Avec sa voix chaude, Doe inspire confiance, il ne fait pas partie de cette clique de cuistres à la mode. On entend pas mal les frères Good dans cette aventure, ils en connaissant un rayon en matière de country roll. On pourrait même se plaindre du trop de son. Doe duette avec Margaret Good dans «Before I Wake». C’est embêtant tous ces duos, on a l’impression que Doe finit par se prendre pour une superstar. On reste dans le zyva Nashville Mouloud avec «I Still Miss Someone», mais la country de Doe ne marche pas à tous les coups. On s’ennuie sur certains cuts, comme si les Sadies mettaient leur magie en veilleuse. Nouveau try out avec «Take This Chains From My Heart» et cet album dont on attendait monts et merveilles se réveille enfin. Il faut cependant attendre «Are The Good Times Really Over For Good» pour retrouver l’apanage des country men. Travis Good joue comme un diable, ce qui est en général mieux qu’un dieu. Il joue même à la folie du craze et ça explose enfin. Doe reprend ensuite le «Detroit City» de Jerry Lee - I want to go home - Oui, il ose.

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    Paru en 2011, Keeper est certainement l’album le moins sexy de Doe. Le problème c’est que Doe sonne comme un vieux copain. Il développe son petit velouté de proximité, une Americana un peu feutrée en manque de crédibilité artistique, ce n’est pas gagné d’avance. D’autant que la pochette est assez m’as-tu-vu, du style oh regarde comme je suis beau avec ma chevelure de wild punk-rocker légendaire. Ses départs de cuts en mode rock sont toujours aussi bons, il a de l’expérience, il sait faire passer des idées. Au dos du digi, on le voit contempler une colline, et à l’intérieur, il pose dans le désert, avec une Mercedes derrière lui, une erreur que ne commettrait pas Jonathan Richman. Sur cet album, Doe peine à rétablir la confiance. Il semble en panne d’inspiration. C’est compliqué. Il chante le heavy blues de «Moonbeam» de l’intérieur du menton, comme Jimbo. Voilà ce qu’il a compris de Jimbo. Il tente de reconquérir son audimat avec «Handsome Devil», mais c’est mal barré. On se croirait chez Moon Martin. Il sauve ce pauvre album avec «Jump Into My Arms». Il renoue enfin avec l’avenir, grâce à ce cut bombardé au drive de basse évanescent. Doe est un artiste qu’on écoute jusqu’au bout, mais c’est parfois à ses risques et périls, car franchement la fin d’album n’est pas jojo.

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    En 2010, Doe duette avec Exene sur Singing And Playing. Faut-il redouter le pire ? On entre dans cet album comme on entre dans la mer glacée, de la pointe des pieds. Exene rentre dans le lard d’«It Just Dawned On Me» et Doe vole aussitôt à son secours. C’est une habitude de vieux couple. Cette pauvre Exene chante tout ce qu’elle peut, et le chevalier Doe veille sur elle. Ils attaquent ensuite «Never Enough» au coin du feu. Doe essaye de mettre son Enough en valeur et il y parvient à coups de relents d’Americana et le chant à deux voix prend du volume, comme au temps d’X. Doe tient bien la dragée haute, il jerke bien son chant, il gratte sa gratte comme un vétéran de toutes les guerres. Il réussit même à imposer Exene dans «Beyond You». Elle se met à sonner comme Joan Baez. Doe doit vraiment la respecter car elle s’améliore. Et pouf, voilà que Doe se prend pour Dylan avec «See How You Are». Il va vite en besogne. Rien de plus Dylanex que ce cut. Doe a bon dos dans la version live de «See How You Are» qui suit, il gratte tous ses poux et comme Dylan, il rajoute des couplets dans le feu de l’action, alors ça devient très spectaculaire.

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    L’année suivante, Doe se lance dans un nouveau numéro de duo avec Jill Sobule sur A Day At The Pass. Il y a du monde derrière : Don Was on bass. Le problème c’est que Jill Sobule n’a pas la voix de rêve. Il semble que Doe adore les filles qui n’ont pas trop de personnalité vocale. Il est assez brillant dans son rôle de Doe protecteur. Sa présence réconforte. Le problème avec Jill Sobule c’est qu’elle se prend pour la reine du rodéo et ça devient vite agaçant, elle n’a ni l’ampleur de Lorette Velvette et encore moins celle de Loretta Lynn. Elle gueule plus qu’elle ne chante. Ouf, Doe reprend les choses en mains avec «Walking Out The Door». On se croirait à Nashville tellement les clameurs country sont belles. Et pouf ça déconne avec «Baby Doe». Elle sonne comme les reine des Exenes, c’est très MTV, Jill n’est pas Lucinda, il lui manque un truc. Doe et Sobule, ce n’est pas non plus Campbell & Lanegan. Back on punk avec «Never Enough» qu’on a entendu sur l’album précédent. Doe revient à ses sources - Crazy for a junk/ And it’s never enough - C’est inespéré, il tape dans le tas et revient aux réalités. Il claque ça à la tension angelinotte, il ramène tout le touffu de son vieux boisseau. Mais comme dans X, dès que Jill Sobule refait surface, tout s’écroule. Doe reprend le micro pour allumer une belle cover de Big Star, «I’m In Love With A Girl». Les seuls cuts jouables de cet album sont ceux de Doe. Jill Sobule ne s’en sort bien qu’avec le dernier cut «I Kissed A Girl» car elle chante à la bonne énergie et tout l’orchestre la soutient. Peut-être que sa voix est trop sucrée, trop soluble pour une Sobule. Elle ne pourra jamais s’imposer.

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    Nouvel album solo en 2016 avec The Westerner. Les photos du booklet sont d’un ridicule inespéré. On y voit Doe chevaucher dans les collines, comme un guerrier en maraude. Un mec de l’acabit d’Akaba ne devrait pas se prêter à une telle mascarade, c’est comme s’il s’éclatait au Sénégal avec sa copine de cheval. Il porte pour la circonstance un complet noir brodé de flèches blanches, alors t’as qu’à voir. Mais avec «Get On Board», Doe does it right. Il entre dans son cut à la folie Méricourt. C’est un adroit dévastateur, il joue ce riff liquide qui te coule dans l’oreille, il sait doser son Doe, quel bel enfoiré ! Le riff semble glouglouter dans le son et ça monte doucement mais sûrement, comme la marée. Il sait encore créer la sensation. Here we go ! Chaque fois on attend des miracles de Doe mais il faut bien avouer qu’ils se raréfient. Avec «Get On Board», l’autre gros coup s’appelle «Drink Of Water», un cut violent, digne du temps de l’X, classique mais typical, punk-rock de bonne instance, monté au big beat des temps révolus. Sinon, il fait des balladifs de mec qui vieillit mal et qui se croit romantique. Il cherche à créer la sensation avec de vieux serpents à sonnettes, même si comme dans «My Darling Blue Skies», il ramène des guitares spectrales et du big sound. Mais cette fois ça ne marche pas. Il essaye pourtant de pousser grand-mère dans les orties, mais cette vieille folle résiste. Il commet en outre l’erreur de faire chanter Debbie Harry dans un bordel sans intérêt. Avec «Alone In Arizona», il va chercher des trucs un peu atmospherix à la mormoille. Pauvre vieux Doe, on ne peut plus faire grand chose pour l’aider, à part lui filer 20 euros pour un disk pourri. Il faut parfois se montrer généreux, ça permet d’aller au paradis quand on crève. Il joue sa dernière carte avec «The Rising Sun», mais ça ne marche pas. Il a semble-t-il perdu l’instinct des grands coups d’éclat, dommage, d’autant plus dommage que ses collègues Mould et Prophet continuent eux de créer la sensation.

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    Doe participe à d’autres projets, comme celui des Flesh Eaters. Il y joue parfois de la basse, comme sur cet album qui date de 1981, A Minute To Pray A Second To Die. On se fie à la belle pochette, mais attention, le chanteur Chris D est encore pire qu’Exene. Une véritable catastrophe. D’autant plus incroyable qu’on retrouve dans le groupe des pointures comme Dave Alvin et Bonebrake aux maracas. «Digging My Grave» est gratté au vomi punk de San Francisco. C’est le pire des mauvais plans : un super-groupe rassemblé autour d’un mauvais chanteur. Une vraie casserole. On se demande ce qui attire Doe chez les casseroles. Quand on écoute «Satan’s Stomp», on ne comprend plus rien. Comment les Flesh Eaters ont pu atteindre une telle renommée ? Chris D mériterait la médaille de pire chanteur de tous les temps. Et tous ces pauvres mecs autour de lui essayent de bâtir un univers musical intéressant, mais dès qu’il ouvre le bec, tout s’écroule. Le pire, c’est quand il va chercher les aigus. On souffre pour de vrai. Cet album sonne comme un calvaire. Il n’existe rien de pire.

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    Par contre, I Used To Be Pretty, est une bombe atomique. Cet album des Flesh Eaters date de 2019. Bon d’accord, Chris D chante toujours aussi mal, mais derrière, les Flesh Eaters ramènent tout le barda d’un régiment, le son monte à la folie du sax et ces poussées ne sont pas sans rappeler celles de Van Der Graaf, et comme Bonebrake bat le beurre, on imagine la gueule du beat. Le chant se consume dans une ambiance d’alerte rouge. Ces Flesh Eaters ne sont pas de la gnognotte, jugez-en par vous mêmes : Bonebrake au beurre, Dave Alvin des Blasters à la gratte, Doe on bass et l’infernal Steve Berlin on sax. Et c’est lui qui infecte tout, dans la pure tradition du Fun-Houser Steve MacKay. Il fout le feu en permanence. Et Dave Alvin n’en finit plus de passer des killer solo trash. Fantastique shoot de chique que ce «My Life To Live». C’est Dave Alvin qui allume cette stoogerie. Dommage que Chris D chante comme un con. Mais encore une fois, il a derrière lui une énorme pulsation. Les Flesh Eaters tapent aussi quelques somptueuses reprises à commencer par «The Green Manalashi» de Peter Green. C’est travaillé au heavy sax de perdition, très prog dans l’esprit. Steve Berlin vole le show avec ses phrasés statiques de slave jazz on the run et bien sûr l’autre allumeur d’Alvin vient craquer sa noix. Ils tapent aussi une cover bien hot du «Cinderella» des Sonics, hey hey hey hey, Chris D chante si mal que ça finit par passer, il rivalise de raw avec Gerry Roslie et bien sûr Dave Alvin fait son Paripa. Ils atteignent une sorte de summum explosif avec la cover de «She’s Like Heroin To Me». C’est monté en neige et explosé dans la descente. Chris D fait son Jeffrey Lee Pierce comme il peut. Alvin, Doe et Berlin jouent comme les pires démons de l’univers, wow quelle giclée, avec Bonebrake qui bat tout ça comme plâtre. Berlin n’en finit plus de passer des coups de free demented. «Miss Muerte» sonne comme un hit des Sonics. Dave Alvin is on fire, alors oui, on y va, d’autant que Steve Berlin arrose tout de free incendiaire. Encore un fabuleux freak-out avec «The Yougest Profession». Avec un mec comme Dave Alvin dans les parages, il faut rester sur ses gardes. Ce mec fout le feu, au sens propre. Il reste à la croisée des Stooges, du Gun Club et des Sonics. Il explose en permanence. Alvin + Berlin = white heat. Avec «Pony Dress», ils sonnent comme Pere Ubu et revendiquent le power saxé. Dave Alvin y passe un nouveau killer solo flash et Doe multiplie les remontées de basse. Tout ce capharnaüm se termine avec «Ghost Cave Lament», un cut éminemment atmosphérique arrosé au sax de non-recevoir. C’est du vieux mathos maintenu en attente, ils font monter la sauce sur 13 minutes. Dave Alvin dessine des arabesques, Doe a bon dos et Berlin couve sous la braise. De toute évidence, il se prépare à exploser.

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    Du coup, on ressort le Live des Flesh Eaters enregistré en 1988 avec la même équipe, notamment Steve Berlin. Ils font déjà ce heavy prog rock à la Van Der Graaf. Avec son sax, Steve Berlin lève un vent de folie. C’est dingue comme Doe aime les mauvais chanteurs. Chris D est toujours aussi insupportable. Avec «Divine Horseman», ils se rapprochent de Captain Beefheart. Steve Berlin est l’instigateur de cette mélasse extraordinairement vénéneuse. Pour la reprise du «Cinderella» des Sonics qui boucle le bal d’A, Chris D compense son pas de voix en braillant. En B, on le voit s’accrocher à «My Destiny» comme un alpiniste suspendu au-dessus du vide. Il crie avec la même rage angoissée, argghhhh, pas lâcher prise, pas lâcher prise... Doe sauve les meubles en chantant «Poison Arrow». Ambiance stoogienne. En fait ils chantent à deux, on entend même le riff de «Cold Turkey», alors t’as qu’à voir.

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    En 1985, Doe monte un nouveau projet avec Dave Alvin, Bonebrake, Exene et le stand-up man Johnny Ray Bartel : the Knitters. Poor Little Critter On The Road sort sur Slash en 1985. Cet excellent album nous offre une sorte de retour aux sources. On se croirait presque chez les Blasters tellement le slap est beau, notamment en B, avec «Love Shack». Bartel monte au slap comme d’autres montent au braquo. Dommage que ce soit Exene qui chante. Ils passent en mode Wild Cats avec «The Call Of The Wreckin’ Ball», ils fouettent cocher et filent ventre à terre. Tout ce qu’on peut dire, c’est : wow ! Alors wow ! Ils font aussi de la gothic Americana avec «Baby Out Of Jail», un genre dans lequel s’illustrera Blanche un peu plus tard. Et le duo d’enfer Bonebrake/Bartel embarque «Rock Island Line» pour Cythère. Aller simple. No way back. En A on les voit encore tailler de belles croupières à l’Americana, notamment avec le morceau titre d’ouverture de bal. Exene chante presque bien. Ils optent aussi pour la soft country avec «Walkin’ Cane». Ils l’attaquent en mode doux comme un agneau et le finissent en mode heavy rockab de bonne aubaine. Bonebrake nous bat «Poor Old Heartsick Me» sec et net, histoire de nous rappeler qu’il est l’un des meilleurs batteurs américains. Les Knitters bouclent leur bal d’A avec un beau hit d’X, l’imparable «The New World».

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    Il existe un autre album des Knitters paru en 2005 : The Modern Sounds Of The Knitters. Le cake sur l’album c’est Bonebrake, car il faut l’entendre driver le beat de «Long Chain On». Fabuleuse musicalité. Stand-up + Dave Alvin, ça donne un truc peu commun dans l’exercice de l’excellence. Ils font aussi une reprise de «Burning House Of Love» en mode Americana. Doe est parfait dans le rôle, il chauffe sa cambuse et Dave Alvin arrive pour tout démolir sur fond de takatak de stand-up. Ces mecs ramènent toute l’énergie du wild rockab avec des voix doublées d’X, alors ça part comme une fusée. C’est un album de rockab et de twin attack d’X. Ils font aussi une cover du «Born To Be Wild» de Steppenwolf. C’est un hymne qu’ils mythifient en le musclant au deuxième tour, mais en mode rockab. Ils en font une version démente, pleine de variantes, une stupéfiante ré-interprétation, drivée au rockab craze, avec Dave Alvin dans le feu de l’action. Ils reviennent aussi à l’Americana avec «In This House That I Call Home». Doe le gave de big beat et c’est claqué à la stand-up. Ils restent l’Americana avec «Dry River». C’est tellement plein de son que cet album devient une aubaine pour l’oreille. On entend Exene chanter sur deux trois cuts, mais ça tient par la qualité du backing. Ils tapent «The New Call Of The Wreckin’ Ball» au rockab de LA. Doe sait gérer les descentes aux enfers, même avec Exene dans les pattes. Bonebrake is all over the beat. Ces mecs se rendent-ils de la chance qu’ils ont d’avoir un batteur comme Bonebrake ? Dave Alvin allume «I’ll Go Down Swinging» en mode rockab mais cette folle d’Exene ruine le chant. Bon, la vie n’est pas facile.

    Signé : Cazengler, John Daube

    X. Los Angeles. Slash 1980

    X. Wild Gift. Slash 1981

    X. Under The Big Black Sun. Elektra 1982

    X. More Fun In The New World. Elektra 1983

    X. Ain’t Love Grand. Elektra 1985

    X. See How We Are. Elektra 1987

    X. Live At The Whisky A Go-Go On The Fabulous Sunset Strip. Elektra 1988

    X. Hey Zeus. Big Life 1993

    X. Unclogged. Infidelity Records 1995

    The John Doe Thing. Kissingsohard. Forward 1995

    The John Doe Thing. Freedom Is. Twah! 2000

    X. Live In Los Angeles. Shout Factory 2005

    X. Alphabetland. Fat Possum Records 2020

    John Doe. Meet John Doe. DGC 1990

    John Doe. Dim Stars Bright Sky. Shock Music 2002

    John Doe. Forever Hasn’t Happened Yet. Yep Roc Records 2005

    John Doe. A Year In The Wilderness. Yep Roc Records 2007

    John Doe & The Sadies. Country Club. Yep Roc Records 2009

    John Doe. Keeper. Yep Roc Records 2011

    John Doe & Jill Sobule. A Day At The Pass. Pinko Records 2011

    John Doe & Exene Cervenka. Singing And Playing. Moonlight Graham Records 2010

    John Doe. The Westerner. Cool Rock Records 2016

    Flesh Eaters. A Minute To Pray A Second To Die. Ruby Records 1981

    Flesh Eaters. Live. Homestead Records 1988

    Flesh Eaters. I Used To Be Pretty. Yep Roc Records 2019

    Knitters. Poor Little Critter On The Road. Slash 1985

    Knitters. The Modern Sounds Of The Knitters. Zoe Records 2005

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    Sylvie Simmons : Way out West. Mojo # 322 - September 2020

     

     

    Talking ‘Bout My Generation

    - Part Five

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    Les numéros de Rockabilly Generation se suivent et se ressemblent, tous aussi vivaces les uns que les autres, à l’image d’un genre musical encore très vert qu’on aurait tort de vouloir enterrer. Bientôt 70 ans d’âge, mais bon, le rockab, comme d’ailleurs le gospel, est à la racine de tout et un peu partout dans le monde, des groupes en perpétuent la tradition avec un art qu’il faut bien qualifier de consommé. Pas de meilleur avocat du diable que Rockabilly Generation qui depuis 2017 réussit à maintenir un équilibre éditorial entre les hommages aux vieux de la vieille et les portraits de nouveaux venus : non seulement on révise nos classiques, mais on fait en plus des découvertes.

    Dans le N°19 qui vient de paraître, deux articles remettent en route la machine à remonter le temps. En voiture Simone ! Quatre pages sur un Béthune Rétro sauvé des eaux, comme Boudu. Occasion manquée. Trop compliqué de toute façon. En feuilletant ces quatre pages, des tonnes de souvenirs sont remontés d’un coup à la surface, comme si un bouchon quelque part avait lâché. Toutes ces années, tous ces groupes, c’était un peu réglé comme du papier à musique mais diable comme on adorait garer la bagnole à Mazingarbe, à quelques kilomètres de Béthune. On y louait des chambres chez une dame charmante qui avait un poisson lune dans sa vitrine. Et de là on filait droit sur le beffroi, on regarait la bagnole derrière la Poste et on partait ensuite à l’aventure en bavant comme des limaces, car chaque année c’était la foire à la saucisse, avec des tas de groupes connus et d’autres parfaitement inconnus, c’était le temps de la foison, on ne savait plus où donner de la tête, on retrouvait les disquaires qu’on voyait chaque année, toujours les mêmes, on naviguait d’une scène à l’autre pour voir jouer les groupes, parfois ça tenait, parfois ça ne tenait pas, mais il y a eu pas mal de grosses révélations, comme par exemple les Anglais de Sure Can Rock, les Playboys de Rob Glazebrook, encore des Anglais, ou encore les Desperados de Californie qui étaient sur Wild, les Portugais Roy Dee & The Spitfires, et combien d’autres, des tas d’autres, et puis tiens les Wise Guyz, surtout les Wise Guyz, Jake Calypso et Don Cavalli, mais c’est vrai que l’affiche du Béthune Rétro miraculé de cette année fait rêver puisqu’on y retrouve la crème de la crème, Jake Calypso, Barny & The Rhythm All Stars et les Spunyboys. Et puis dans le chapô on nous annonce l’annive des 20 ans du Béthune Rétro l’an prochain. Il va falloir en glisser un mot à l’oreille du fantôme de Laurent, savoir si ça l’intéresse d’aller recasser une graine chez les Deux Frères.

    Alors on feuillette, Billy Fury, oui mais bon, et crac sur qui qu’on tombe ? Jerry Dixie. Ah le monde est petit ! Rencontré l’une de ses frangines, à l’époque où elle bossait à la Défense, disons dans les années 2000, et la relation a eu la peau dure, puisqu’elle existe encore bien qu’étant devenue sporadique, pour cause de délocalisation. Elle fut en quelque sorte une fiancée, mais son caractère explosif rendait toute idée de vie commune impossible, alors on ne se voyait que pour passer du bon temps. L’un des premiers cadeaux qu’elle fit fut un single d’un certain Jerry Dixie.

    — Jerry Dixie ? Tu connais pas ?

    — Ben non...

    — C’est mon frère. Il est à Sartrouville, à dix minutes d’ici.

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    Sur la pochette, Jerry gratte sa gratte. Il a le même sourire que sa frangine. Comme elle n’a pas de tourne-disque, il faut attendre le lendemain pour l’écouter. Ça s’appelle «Rockin’ At The ‘93’». Grosse surprise à la première écoute, car on s’attend à une espèce de country mou du genou de Sartrou, mais pas du tout ! C’est un sérieux blend de rockab, Jerry est dedans vite fait, bien fait, au beat d’Hey rock qui ne traîne pas en chemin. On se serait cru au Texas ! On se revit quelques jours plus tard.

    — Tu en as d’autres, des disques de ton frangin ?

    — Oui, tiens, j’ai ça...

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    Le CD s’appelle Dixie Rockabilly & Country. Pareil, sur la pochette Jerry gratte sa gratte. Il attaque avec «Hey Mr Songwriter», il est assez possédé, il a le hiccup facile. Une merveille ! Et ça continue avec «A Lit’ Bit Of Your Time», superbe tenue de route, c’est une révélation. Diable, comme ce mec est bon ! Il sait jerker le bop. Le guitariste s’appelle Patrick Verbeke, mais ça on va le découvrir un peu plus tard en menant l’enquête. On découvre aussi que ce CD Rollin’ Rock Switzerland est une compile de ses deux albums, Jerry Dixie Originals et By Fan’s Request. Tout au long de l’écoute, on s’effare de la qualité du son et du chant. Dans «Don’t Let The Bad Times Get You Down», ça banjotte comme dans le Kentucky. Jerry Dixie chante avec autorité, avec de vrais accents de Texas cat, son «Turn Away From Me» est une merveille imparable, il chante ça d’une voix profonde et si américaine. Et voilà qu’il tape «A Wall Of Coldness» au yodel. Il est d’une crédibilité à toute épreuve, on sent bien le fan qui a épongé toutes ses idoles. Pour un coin comme Sartrou, c’est carrément du super-stardom. Il est dans l’esprit, en plein dedans, il sonne comme Hank Williams ou Webb Pierce, c’est terrific de qualité. Il prend «How Long Will It Take» au louvoiement, il passe sous le boisseau du groove, il devient le real deal, the Sartrou working class hero, il est dans le feu de sa passion pour cette culture. On retrouve le fameux «Rockin’ At the ‘93’» suivi d’un «Big Sky Big Country» joué à la lumière du big sky. Il se tire une balle dans le pied avec «Back To Montana», car il pompe «Blue Suede Shoes» et redresse la barre aussitôt après avec l’excellent «On This Boxcar» - Travellin’ West - Jerry a du pot, il est toujours bien accompagné, tout est solide sur cet album, baby don’t you let me down, il a le son et il emmène son «Country Yodel Blues» au paradis, c’est bardé, absolument bardé de barda, il fait ce qu’il veut de sa voix. Et quand il reprend le «Jamabalya» d’Hanky, il est dessus, forcément.

    Elle ajoute :

    — Il a tout.

    — Tout quoi ?

    — Tous les disques de rock.

    Ah bon ? Effectivement quand on demande des copies de disques ou de films à Jerry, il a quasiment tout, surtout les films rares comme Rock Baby Rock It de Murray Douglas Sporup où on voit Roscoe Gordon, Johnny Carroll et d’autres fantastiques performers tombés dans l’oubli, les trois volumes des Collins Kids at Townhall, Carnival Rock de Roger Corman où on voit Bob Luman accompagné de James Burton, Teenage Millionaire de Lawrence Doheny où l’on voit Jackie Wilson, Chubby Checker, Dion et le Bill Black Combo, et le plus précieux cadeau de tous, un DVD sur lequel Jerry a compilé tous les scopitones de Vince Taylor. Jerry a frôlé la mort avec un cancer et c’est miraculeux de le voir en si bonne forme. Ce mec est un pur et dur, de ceux qu’on appelait autrefois les rockers de banlieue, working class jusqu’au bout des ongles. Il a tout simplement consacré sa vie à la musique qu’il aime, sans jamais se fourvoyer. Zéro frime. Fantastique constance de la prestance. Alors chapeau. Et merci à Rockabilly Generation de lui dérouler le tapis rouge. C’est à travers ce type de rencontre que ce canard forge sa réputation.

    L’autre bonne nouvelle, c’est la page 42 : trois visuels qui annoncent la reprise des festivals rockab à travers la France. Retour à la terre ferme.

    Et dans le N°18 paru avant la trêve estivale, on trouvait à la suite d’un hommage au grand Ray Campi le portrait d’un jeune amateur de Bluegrass, Benjamin Leheu. Inconnu au bataillon bien qu’il fut un temps basé en Normandie. Depuis, il s’est marié et s’est installé en Norvège. L’interview est passionnante, il évoque sa rencontre avec Hot Slap et il dit aussi avoir flashé sur l’excellent Pokey LaFarge qu’on a vu à plusieurs reprises sur scène à Rouen. C’est vrai qu’avec son look on pense à Pokey mais aussi à l’australien C. W. Stoneking, un autre géant du rootsy club. Tout ça pour dire que l’ami Benjamin a bon goût. Il cite aussi Hank Williams, bien sûr.

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    Très passionnant aussi le portrait d’Olivier Clément, on se dit tiens connais pas, on lit, on lit, et pouf on arrive à la fin sur la discographie. Quatre pochettes dont une connue au bataillon. Mais il est ici cet album ! On ressort de l’étagère le Dixie Stompers paru sur AWA en 1990 et qui, parce qu’il est bon, a échappé aux purges. On y trouve de jolies choses. Leur «Rock & Bop Blues» d’ouverture du bal de B est un pur chef-d’œuvre rockab. Vraiment digne de Charlie Feathers, monté sur une walking bass et hoquets à gogo. Aussi beau dans l’esprit, voilà «Loving Girl», vraiment joué dans les règles du lard fumé. Encore du wild rockab avec «Two Tones Shoes», embarqué au driving stomp. Ils terminent cette B exemplaire avec «Blue Jean Girl», classique mais solide. C’est un album très canadien dans l’âme. Les Stompers savent se fondre dans le rockab bien tempéré. Bravo, Olivier Clément ! On est donc bien content d’avoir lu son histoire.

    Signé : Cazengler, dégénéré

    Rockabilly Generation. N°18 - Juillet Août Septembre 2021

    Rockabilly Generation. N°19 - Octobre Novembre Décembre 2021

    Jerry Dixie. Dixie Rockabilly & Country. Rollin’ Rock Switzerland

    Dixie Stompers. #1. Awa 1990

     

    Inside the goldmine - Qui dort Dean

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    Le chasseur de loups sortit pour aller chercher de l’eau à la rivière. Soudain des coups de feu éclatèrent. Nate et son frère Nick se jetèrent au sol. Les balles pleuvaient. Ils devaient être des centaines dehors à canarder. Nate renversa la grande table pour se mettre à l’abri. Impossible de lever la tête pour jeter un coup d’œil, les balles sifflaient en permanence. Ces balles de gros calibre arrachaient chaque fois des éclats de bois. Il y eut une accalmie et Nate se rapprocha de la fenêtre. Il vit le corps du chasseur de loups criblé de balles à bison. Il était réduit en charpie. Là-bas, près de la rivière, des hommes sortirent du couvert en poussant un chariot chargé de foin. Ah ces chiens veulent nous enfumer ! Nate vida ses deux colts sur le chariot et réussit à abattre les deux hommes qui le poussaient. Le tir de barrage reprit aussitôt. Les balles sifflaient à nouveau dans la pièce. Nate se tourna vers son frère. Nick avait pris une balle dans le cou. Il était foutu. Nate tenta de jeter un coup d’œil par la fenêtre et vit qu’on poussait à nouveau le chariot en feu. Il vida ses colts mais le chariot avançait toujours. Il n’eut pas le temps de recharger ses barillets, le chariot heurta la cabane qui prit feu. Alors Nate écrivit rapidement une lettre d’adieu qu’il plia et glissa dans la poche de son gilet. L’intérieur de la cabane prit feu. Ça devint irrespirable. Nate s’empara d’un tabouret en bois et sortit en tirant, comme il avait vu faire Butch Cassidy et Sundance Kid dans un film, au cinéma municipal. Il s’écroula criblé de balles. Les mercenaires vinrent s’assurer que Nate et Nick étaient bien morts puis ils décampèrent. Jim Osterberg et Ella Fitzgerald arrivèrent un peu plus tard sur les lieux du drame. La cabane n’était plus qu’un tas de cendres. Ils virent Nate étendu au sol, les bras en croix. Malgré les centaines d’impacts de balles, il restait le plus bel homme d’Amérique. Jim vit quelque chose dépasser de sa poche. Il s’agenouilla. Oh on dirait une lettre ! Alors qu’Ella s’était mise à chanter un gospel, Jim déplia la lettre pour la lire à haute voix : «Il semble que je n’aie pas beaucoup de chances de m’en tirer. La maison est en feu. J’espère que vous penserez à écouter Dean Carter. Adieu Ella et Jim si jamais je ne vous revois pas. Nathan D. Champion.» Jim serra les dents tandis qu’Ella levait lentement les bras au ciel. Le chagrin leur broyait le cœur.

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    Bon c’est vrai, cette histoire est épouvantable, mais le message de Nate Champion est clair : il faut écouter Dean Carter. Pour ça, rien de plus facile : il existe une compile Big Beat parue en 2002, Call Of The Wild. Comme l’affirme Alec Palao dans le booklet, Carter was a wildman coughing up some of the most insane platters known to men. Dean Carter propose en effet l’un des plus affolants mélange de rockabilly sauvage et de stomping garage beat. Basé à Champaign, Illinois, Dean Carter aurait pu s’appeler Dean Frantic, ou encore Dean Relentless-Rocking-Drive. Il monte dans les early sixties les Lucky Ones avec Arlie Miller, Dave Marten (bass) et Kookie Cook au beurre. Pour conserver leur indépendance, Arlie Miller et Dean Carter montent un studio d’enregistrement - the Midnite Sound - et un label, Milky Way. C’est là qu’Arlie Miller devient une sorte de sorcier du son, un équivalent américain de Joe Meek. Il va produire durant les mid-sixties an incredible batch of pumped up, crazed recordings. Dean Carter qui tient à ne rien faire comme les autres gratte un dobro douze cordes. Sur la version complètement barrée de «Jailhouse Rock» d’ouverture de bal, Dean Carter est accompagné - en plus du basic backing - d’un accordéon, d’un ukulélé et d’une clarinette. Il enregistre «Mary Sue» avec Jerry Merritt, le guitariste de Gene Vincent. Carter pousse Mary Sue dans le push du pire extrême, dans un rockab-gaga complètement allumé digne de «Bird Doggin’», c’est violent, tendu au bassmatic, Carter chante le dos au mur, à la Little Richard, le feu au ventre et Merritt claque des notes de Mosrite ! Puis Carter démonte carrément la gueule du rock avec «I Got A Girl», on entend jouir un mec sous le riff carnivore, ouyyhhhh, jamais les Cramps n’ont approché ce niveau de sex craze, ha ha ha, la wah lance le solo pendant que l’autre continue de se branler, han han han, c’est extrême et, désolé les gras, insurpassable. «I Got A Girl» est le hit le plus ultime en matière de branlette gaga-punk, han han han car c’est du pur sex, un vrai coup de pieu dans le cul du cut. Puis Carter t’aplatit la «Rebel Woman». Il est le pire de tous, loin devant Lux et Vince Taylor, can’t you see. Il passe au tribal fracassé pour le morceau titre, pas de quartier. Dean Carter et Arlie Miller proposent une sorte de rock révolutionnaire, ils ne prennent rien au sérieux, on entend des guitares déglinguées dans «Sizzlin’ Hot», ils massacrent tout à la tronçonneuse, ils dévorent tout au no way out, ils pratiquent le so far out mieux que personne («Love’s A Workin’»), on entend partout des guitares excédées, des guitares à bout de nerfs. Et les racines rockab sont toujours là («Don’t Try To Change Me»). Oui, c’est là, in the face, I’m like a rolling stone, suivi d’un départ en solo de désaille. Carter propose aussi la version la plus punked-out de «Fever». Retour en grande pompe au wild rockab avec «I’m Leavin’». C’est inespéré, plein d’esprit du spirit. Ce mec est fou, il fait du James Brown dans «Dr Feelgood», il gueule dans son micro et derrière les folles font les folles, hey you ! Ça stompe dans le jus de juke, Dean Carter t’envoie une fois de plus au tapis. Tous ses cuts tapent dans le mille. Avec «You Tear Me Up», il plonge dans le deep groove et c’est à pleurer tellement ça écrase Elvis. Tout le génie de Dean Carter tient dans sa fantaisie, ou plutôt dans sa liberté de ton. Il monte tous ses cuts en neige sur un Milky Way dada. «Run Rabbit Run» est un mélange dément de rockab et de filles qui font yeah yeah ! Avec «Black Boots», il danse le jerk dans le club, il se prête au Grand Jeu du brouet gaga. C’est noyé d’espoir. Et quand il sort son dobro («Dobro Pickin’ Man»), c’est pour faire du Tony Joe White punk. Incroyable mais vrai ! Oh la violence du son ! Comme s’il réinventait le raw to the bone. Il fait du big Elvis groove avec «The Lucky One» et reste dans une sorte d’excellence lunaire. Et quand il rend hommage à Gene Vincent, ça donne «Boppin’ The Bug». C’est en plein dedans. Vibrant et stupéfiant de véracité. Retour au wild rockab avec «Forty Days». Pur wild cat sound ! Il termine avec un «Sock To Me Baby» à la Mitch Ryder, mais ça va loin cette histoire, parce qu’il sonne exactement comme Mitch Ryder.

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    Il existe un moyen de creuser l’histoire du Milky Way : une autre compile Big Beat : The Midnite Sound Of The Milky Way. On y retrouve notamment les mecs de Lucky Ones qui accompagnent Dean Carter, Kookie Cook et Dave Marten. Grosso modo, l’ambiance sur cette compile est aussi excitante que sur celle de Dean Carter. Cookie Kook vole le show avec «Don’t Lie» - Don’t lie to me babe - Il y va, bien insidieux, oh no no. Comme chez Dean Carter, on a un son très travaillé et une incroyable énergie. «Revenge» est le hit de l’asile de fous. Et avec «Misery», Cookie Cook fait du wild garage complètement sci-fi d’exaction, c’est gratté à la ramasse gaga du Milky Way et défenestré à coups de wouah. Cookie Cook est le plus enragé de tous. C’est un démon, avec «I Feel Alright», il tente d’égaler Dean Carter, mais Cookie n’est pas Dean. On a bien sûr un vieux départ en solo wild gaga. Il revient vers la fin avec «Ooby Dooby», un shoot de rockab pur. Une merveille, au niveau de la qualité du son. Ça boppe ! Clean as hell. Ils ramènent la crème du bop mythique, yeah yeah, font les filles. Leur version monte au firmament. Dernier coup de Jarnac de Kookie : «Space Monster», il y fait le boogaloo et pour ça, il est au bon endroit. Autre bombe : «Rebel Woman» par The 12th Knight, ça joue à la heavy fuzz, on plonge avec ça dans l’enfer de la fuzz du midwest, la pire fuzz de l’univers. Autre merveille inexorable : «Low Class Man» par The Four A While. Ils rampent juste derrière. C’est d’une modernité stupéfiante. George Jacks refait une version mouvementée de «Rebel Woman» et plus loin, il casse la baraque avec «Look». Et voilà le fameux sub-teen gaga band, the Cobras, avec «Try». Teenage délinquance et vrai son, poppy mais Midwest. Dave Marten s’en sort bien avec «You Gotta Love Me», il a envie d’elle, c’est un obsédé. Saluons aussi The Grapes Of Wrath qui avec «I’m Gonna Make You Mine» élèvent la pop du Midwest au rang d’art majeur, avec à la clé, un joli killer solo flash.

    Signé : Cazengler, Dean Carton (pâte)

    Dean Carter. Call Of The Wild. Big Beat Records 2002

    The Midnite Sound Of The Milky Way. Big Beat Records 2004

     

    L'avenir du rock -

    Dave ne Wyndorf que d'un œil - Part Three

     

    — C’est vrai ce qu’on dit, avenir du rock, que vous faites trois pas en arrière pour prendre de l’élan ?

    — Qu’y a-t-il de mal à ça ? Je ne vois pas où est le problème...

    — On vous imagine plus faire trois pas en avant que trois pas en arrière.

    — L’un n’empêche pas l’autre. Pourquoi voulez-vous que ça soit mieux dans un sens que dans l’autre ?

    — C’est la portée symbolique, voyez-vous. C’est un peu comme si vous reculiez pour mieux sauter...

    — Mais voyons, ça n’a pas de sens. L’élan n’a rien à voir là-dedans. L’élan est assez grand pour se débrouiller tout seul. L’élan se prend ou ne se prend pas ! C’est un peu ce que disait André Malraux, non ?

    — Oui, c’est vrai, mais quand même, vous devriez soigner un peu plus votre image... Pourquoi voulez-vous prendre de l’élan ?

    — Le problème n’est pas de prendre ou de ne pas prendre de l’élan, c’est l’élan qui décide, je viens de vous l’expliquer ! Je parle dans quelle langue ?

    — Vous vous débrouillez toujours pour arranger les choses à votre sauce. Ce n’est pas très fair-play de votre part.

    — Oh écoutez, vous êtes bien gentil, mais si vous étiez à ma place, vous feriez exactement la même chose.

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    L’avenir du rock ne voit pas que derrière ces questions se planque un reproche. Un groupe vieux de trente ans comme Monster Magnet a-t-il toujours droit de cité ? Alors on va répondre ce que répondrait l’avenir du rock : un groupe comme Monster Magnet a tous les droits, de la même façon que d’autres groupes n’en ont aucun.

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    Le faux double album trois faces paru cette année, A Better Dystopia, est un faux double album de reprises. Dave Wyndorf décide d’y repousser les frontières du Hell-gaga sci-fi. Il entre comme un shoot d’héro dans les artères du mythe viscéral avec un «Born To Go» d’Hawkwind complètement dévasté, complètement ravagé de l’intérieur, martelé dans les grandes largeurs, les Monsters monstérisent à outrance et voilà qu’un riff de basse inédit traverse ce flow déconcertant. D’ailleurs, Dave Wyndorf le dit à Duncan Fletcher : «I am totally in love with late ‘60s, early ‘70s paranoid songs.» Il propose la soupe aux choux de temps modernes - rrrrrrrrrru... rrrrruuuuu ! - une soupe à base d’acid-fried gaga, de heavy-psych, de proto-punk et de paranoid rock. On vient de l’espace pour goûter la soupe du Glaume Wyndorf, l’un de ceux que Fletcher qualifie à juste titre de true survivors, fervent croyant, nous dit Fletcher. Wyndorf croit au rôle de la popular music - a positive, redemptive, spiritually-guiding force - Une croisade qu’il mène depuis trente ans maintenant et qu’il mènera jusqu’au bout, donc ne te fais de souci pour la santé du rock, Wyndorf que d’un œil. Fletcher Honorama indique aussi d’où Wyndorf tire son inspiration : «From comic books, freak culture, bong culture, hot-rod culture, chou culture, pulp fiction, B-movies and writers such as William Burroughs and Hunter S. Thompson.»

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    Il va donc bourrer cet album de screams, comme le veut la tradition du mirifique paranoid psychosis. On réalise une fois de plus que Monster Magnet est le dernier grand Power gang américain. Eux seuls sont capables de relever le défi du «Solid Gold Hell» des Scientists. C’est un peu comme s’ils plongeaient dans leur élément. Wyndorf chante sur la réserve, juste derrière le voile de riff, et ça n’en est que plus toxique. Il cultive la tension, dans l’esprit du cut. Il lui donne une allure princière, au sens barbare de la chose, comme s’il chantait du haut d’un trône. «Solid Gold Hell» est probablement le cut le plus dérapé de l’histoire du rock. La voix de Wyndorf résonne dans des couloirs d’albâtre. Il déclame sous des voûtes, c’est désespérant d’ancienneté. On attend en vain le break de basse historique, mais les Monsters font autre chose. Le «Be Forwarded» qui suit nous vient d’un groupe nommé Macabre et le «Death» qu’on trouve en B est celui des Pretties. Avec «Mr Destroyer», ils renouent avec les clameurs de Sabbath, ces grands explorateurs du néant. Wyndorf chante vraiment comme le magicien d’Ozz du premier Sab et s’en vient flatter les plus bas instincts. Il précise au passage que c’est une reprise d’un groupe nommé Poobah. Bah dis donc ! Avec «When The Wolf Sits», on le retrouve perché au sommet du beat comme un loup de granit. Il chante à la clameur vespérale et redore le blason fracassé du power rock. Monster Magnet n’en finit plus d’abattre du terrain. On l’entend aussi chanter comme Edgar Broughton dans «Situation», ce sont exactement les échos de voix qu’on entend dans «Love In The Rain», alors t’as qu’à voir ! Le scream arrive au trot en C avec «It’s Trash». Wyndorf y hurle comme il n’a jamais hurlé et la guitare grelotte de notes de fulgure. La surprise vient de «Motorcycle (Straight To Hell)», une reprise de Table Scraps. Eh oui, nous y voilà. L’avenir du rock dans l’avenir du rock, comme autant de poupées russes. Hormis Birmingham band, Wyndorf ne dit rien de particulier de Table Scraps. Avec ce shoot de Motorcycle, Monster Magnet vise comme jamais il ne l’a fait le nec plus ultra de la brutalité bien ordonnée.

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    Pourquoi taper dans ce vieux son, demande Fletcher Honorama. Wyndorf répond que the ‘60s was an honest-to-God musical renaissance. Il ajoute que ce genre de phénomène ne se produit pas tous les jours. Fletcher Honorama ne comprend pas très bien, alors Wyndorf éclaire sa lanterne. Il explique que les mecs de l’honest-to-God musical renaissance ont inventé un art conceptuel qui n’existait pas avant, le rock’n’roll, un truc auquel personne n’avait pensé - We will be a band of brothers, a band of thugs, basically reinventing themselves to be characters or caricatures.

    Signé : Cazengler, Dave Wynmorve

    Monster Magnet. A Better Dystopia. Napalm Records 2021

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    Duncan Fletcher : The long trip home. Shindig! # 116 - June 2021

     

    BARON CRÂNE

    LES BEAUX JOURS

    ( Octobre 2021 / Bandcamp )

    Guitar : Léo Pinon-Chaby / Drums : Léo Goizet / Bass : Olivier Pain.

    Artwork : Nora Simon

    Baron Crâne, vu en concert à la Comedia de Montreuil, le Baron avait subjugué l'assistance, performance méritoire parce qu'à la Comedia le public il aime beaucoup le punk et le rock'n'roll destroy, et ils nous avaient servi une soupe au goût indéfinissable qui très vite se révéla être une ambroisie, un truc tantôt doux comme la tunique de soie de l'empereur de Chine et tantôt dur comme le fer de Lagardère qu'il vous aurait enfoncé dans l'œsophage. Un délice de rocker. Tout cela est raconté dans notre chronique 429 du 12 /09 / 2019. Bref ce quinze octobre 2021 ils sortent un album.

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    Ne fixez pas vos yeux sur la couve. Ce n'est pas qu'elle est moche, laide ou ratée, c'est qu'elle risque de vous saper le moral pour la semaine. Non elle est belle, elle rappelle ces intérieurs luxueux que peignaient Jacob Ochtervelt au dix-septième siècle, la scène respire la sérénité, une maman qui offre une tulipe à sa fille, attendrissant, si vous aimez les bêtes en voici deux, un chat et un chien qui s'amusent, serait-ce pas une allégorie pour signifier que la paix règne parmi les hommes. Arrêtez-vous là. Négligez de jeter un coup d'œil par les deux portes grand-ouvertes, vous seriez glacés d'effroi. L'on imagine un paysage campagnard, des vaches qui paissent paisiblement dans un halo de douce quiétude, c'est l'horreur absolue, ni une catastrophe, ni un cimetière, ni la guerre, tout bonnement le kaos ! Un paysage sens dessus dessous, les blocs monstrueux du monde entassés, fracassés, les uns sur les autres. Vous ne voulez pas le croire, et pour ne plus subir cette agression mentale, vous retournez, l'objet. Erreur fatale, ce que vous entrevoyiez, chers Caspard Friedrich en herbe, vous saute maintenant au visage, le gigantesque tohu-bohu deboule sur à vous plein-cadre, rien ne vous échappe, la terrible réalité de votre futur est là. Symbolisé par la petite fille qui s'est approchée de ce monstrueux empilement de glace, de rocs et d'écume ( suprême une entre les épaves abolit le mât dévêtu ) elle tient toujours sa rose à la main, ne priez pas pour elle, méditez. Le Baron nous signifie-t-il que la vie présente des hauts et des bas ( version optimiste ) qu'en ces temps pandémiques rien n'est assuré ( version réaliste ), que l'Humanité court à sa catastrophe ( version écologiste ), que nous sommes tous mortels ( version nihiliste ), que la sérénité de la beauté n'éclipse pas le grandiose fracas de son apparition ( version, celle que nous préférons, hölderlinienne ).

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    Danjouer : murmures des profondeurs venus des fonds de la mer, menaces des abysses qui enflent et pointent vers la surface, rupture battériale, trop classiquement rythmique pour être honnête, une vague qui caresse vos mollets pour mieux vous entraîner en avant sur les crêtes stridentes des guitares, jusqu'à la rupture incitatrice, break infini d'insistance de Simon Lemmonnier devenu moteur de cette force déferlante qui emporte tout et décroît lentement. La bête s'éloigne en sa tanière, avez-vous rêvé l'illusion des monstres qui grouillent dans la tourbe votre cerveau reptilien.( Simon Lemmonier : additionnal drums ) Larry' s journey : il existe une curieuse vidéo disponible sur YT réalisée par François-Xavier Dubois, une mise en images, une proposition de signifiance symbolique de ce morceau que je vous conseillerai d'écouter d'abord sans support visuel, les rockers purs et durs risquent d'être déçus, l'a un peu la facture jazz d'un opus de Thelonius Monk mais revisité en instrumentation rock, grossi et allongé au macrocospe, et quelque peu joué en accéléré, peut-être pour que les béotiens accoutumés aux riffs du rock basique se rendent compte qu'il existe aussi une subtilité titubante dans la musique. Qu'elle oscille toujours entre son et silence, entre séquence lente de la basse et séquence rapide de guitare, le tout martelé sur les tambours. Une plume d'ange qui vole sur le trou noir de l'Homme et ces mues successives, amoureux, sportif, jeune cadre dynamique soumis à la fureur innocente du sexe et à cette violence contenue qui n'attend que la moindre occasion pour se manifester, une vidéo quelque peu rilkéenne mais filmée à hauteur de nos instincts. Quarantine : le plus bel instrument n'est-il pas la voix humaine, ici elle colle à l'instrumentation comme si elle voulait la supplanter, ne lui laisse que quelques secondes pour poser les transitions successives, puis elle se métamorphose, combat du python et de l'anaconda, le réticulé enserré dans les anneaux géant de l'eunecte se tait, le vainqueur desserre ses anneaux, moment d'apaisement, le chant renaît en berceuse qui devient cri et rage lorsque la musique reprend sa puissance, l'on ne sait qui remportera la lutte, l'on dit qu'elle continue encore, qu'elle est sans fin. ( Cyril Bodin : vocal ); Mercury : raquellement de saxophone, une plainte sidérale, changement de climat, Quarantine était violent-prog, retour au jazz-infusion, montée en paliers, les instrus de base du rock s'entrelacent, tantôt ils marchent sur la pointe des pieds, tantôt la batterie bouscule le fragile équilibre, tout vacille, et l'on se trouve sur le long chemin de l'exploration expositive de la mélodie que Baron Crâne déroule selon un déploiement quasi-symphonique, et l'on retombe dans un solo sexyphone du bon vieux temps dans les terrains contigus du be-bop et de la new-thing, sur ce la batterie se radine avec ses gros sabots, très vite la guitare jalouse s'en vient zébrer de clinquances assourdissantes les roulades percussives, c'est l'alliance inespérée de la montée en les lointains de la puissance, si haut dans le ciel vide que ne nous parviennent que les ultimes traces sanglotantes du saxophone qui s'éteint. ( Guillaume Perret : saxophone ). Inner chams : attention, complexion complexifiante, le tutti entrelardé, séquence suivante la même chose mais en descendant d'un étage, en douceur pour les oreilles du chat qui n'y reconnaît plus ses petits, maintenant le Baron n'y va plus de main morte, vous balance des riffs épais comme des tranches de saucisson pour sandwich graisseux et plantureux, profitez de l'aubaine car ça ne dure pas longtemps, le méli-mélo jazzistique revient au premier plan, tous ensemble mais si serrés que l'on ne sait plus qui est qui, et l'on repart plein gaz avec cette guitare qui fuit et entraîne tout à sa suite, galopade de batterie et piqué de basse, le bolide se déplace à grande vitesse, jusqu'à la brisure brutale, avec ces tambours qui essaient encore une fois de se lancer dans un solo mais la guitare assourdissante leur coupe l'herbe sous les pieds, ils en sont réduits à se transformer en rythmique folle, tandis que la basse halète tel un chien lancé à la poursuite de la voiture de son maître, une fusée interplanétaire fonce dans le vide, attention au brusque atterrissage, l'on pensait débarquer sur un nouvelle étoile, l'on se retrouve à patauger dans notre pauvre cabosse. Merinos : une batterie en sourdine sur un rythme qui n'est pas sans évoquer le tempo impassible du boléro de Ravel, tout de suite survient la flûte avec ce son comme gêné aux entournures, comme si le souffle transportait trop de scories humaines, et la grosse artillerie écrase tout, quelques coups de marteau-pilon de la batterie pour clore la séquence, hoquètements cordiques et l'on se retrouve en apesanteur jazzistique du plus bel effet, l'on commence à comprendre la structure du morceau lorsque tonnent les canons stéréotypées des effets de manche du hard rock, qui se fragmente pour nous emmener dans un jazz-funk qui se fragmente afin de s'installer sur le devant de la scène, succès signalé par les gutturalités d'une basse annonçant le moment de décompression attendu, et l'on repart en guerre jusqu'à ce que la flûte pointe le bout de son museau, elle instaure un calme méditatif, vite renvoyé aux oubliettes par les gros pataugas du rock primaire qui s'amuse à détériorer la planète en écrasant arbres et cités en flammes. ( Roby Marshall : flûte ); Les beaux jours : pourquoi tant de haine dans le morceau précédent, pourquoi cette mer de glace triomphante, l'album ne s'intitule-t-il pas les beaux jours ! Les voici dans le dernier titre éponyme, après tout ce vacarme une voix humaine s'interroge sur l'inéluctabilité de la catastrophe matérialisée par l'ampleur sonore, alors la chansonnette hausse la voix, elle hurle la mélodie pour couvrir le vacarme du dehors, moment de prairie indolore, claquements sonores de mitraillettes battériale, lors la voix reprend et réussit à recouvrir le vacarme, elle se hisse à la crête du tsunami qui s'avance, elle ne veut pas abdiquer, elle refuse l'évidence, impose pratiquement le silence à l'hostilité qui la menace, tout est en suspend dans ce long solo de guitare qui tente de s'éterniser, la basse chantonne par-dessous, un instant d'éternité plane sur les eaux de l'angoisse, et le morceau s'achève doucement comme si l'optimisme avait triomphé. Un instant d'éternité, certes, oui mais pour combien de temps ? A moins que ce ne soit le truc de l'autruche qui truche et triche. ( Léo Pinon-Chaby : vocal ).

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    Un bel opus, pratiquement un concept album. Avec cette ambivalence et peut-être même cette trivalence rock-prog-jazz. Abouti et qui se cherche. Les invités ne sont pas là par hasard et mensongèrement l'on serait presque tenté de dire par amitié, sont une nécessité, les ambitions du Baron Crâne excède les strictes limites du simpliste trio de base. Difficile avec un matériel humain si primal, même lorsque l'on est doué, d'atteindre l'envergure de l'aile d'un ange. Nous ignorons vers quoi Baron Crâne se dirige, z'ont allumé notre curiosité, elle ne risque pas de s'éteindre.

    Damie Chad.

     

    *

    J'ai revu Mona. Sur le marché de Provins. C'est Denis le bouquiniste, le seul mec de la place qui vende de la bonne came, chez lui point de légumes avariés d'appellation Bio, qui me l'a tendu. Pas Mona, le bouquin. Pour toi, qu'il m'a dit et enlevant son pouce qui cachait le coin gauche il a ajouté Polar et Rock 'n' roll. Deux euros, je ne risquais pas de me ruiner. J'ai pris, j'ai li, j'ai vi. La chronique est après cette introduction. Avant cela, je vous cause un peu de Mona. Vous vous en foutez. Bande d'ignorants, derrière Mona, se cache Elvis. Pas évident à discerner, moi-même je n'en savais rien, du moins je le croyais, pourtant Platon l'a affirmé, on n'apprend rien, on se souvient. M'a fallu un méchant pense-bête pour que la mémoire me revienne.

    Bizarre ce nom d'éditeur, La Tengo Editions, qui est-ce, un petit tour sur le net et comme Hank Williams, I saw the ligth. Suis tombé en plein sur la liste de leurs publications, une première puce à l'oreille, ah c'est eux qui publient le mook, le Schnock, la revue des vieux de 27 à 87 ans, je suis jeune ( d'esprit ), aussi ne l'ai-je jamais volé ni acheté. Et puis aussi la revue Charles plutôt axée sur la politique, et enfin parmi d'autres Mona. Non ce n'est pas un magazine pour jeunes filles prépubère, mais une héroïne de roman policier. L'a un prénom passe-partout, mais le nom de famille qui suit est facile à mémoriser : Mona Cabriole.

    Dix livres parus entre 2009 et 2011. Pourquoi la série ne s'est-elle pas poursuivie jusqu'à nous ? Question d'autant plus pertinente que sur la quatrième de couverture l'est marqué encadré en un filet rouge : '' Mona Cabriole, 20 arrondissements, 20 auteurs, 20 romans, une collection de polars rock au cœur de Paris ''. Je n'ai pas de preuve, vous fournis un indice lourd de sens, le titre du dixième opus ne laisse présager rien de bon : Requiem pour Mona. Dans tout roman policier il faut chercher à qui ne profite pas le crime, les ventes n'ont pas dû avoir été pharamineuses, en haut lieu on a décidé d'arrêter les frais, pauvre Mona !

    Vous allez me trouver cynique, je suis triste pour Mona, snif ! Snif ! Mais je regrette Olivier. Olivier Brut, couturier styliste chargée d'habiller Mona, autrement dit de graphiter le packaging – ainsi parlent les anglais – bref chargé de la charte graphique des couvertures. Trois couleurs, noir pour le polar, rouge pour le sang, blanc pour la pâleur des cadavres, un exercice de style, c'est net, Brut s'en tire bien, esquisses glauques et fantomatiques, trois coups d'aplats filiformiques et il vous résume le book en trois coups de pinceaux. L'est doué le monsieur.

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    Sensibilité rock oblige, un tour sur son blogpost s'impose, vous découvrirez que vous le connaissez déjà, s'est chargé de plusieurs couvertures chez Camion Blanc, non pas les hideuses qui alignent en format timbre-poste des pochettes de disques, mais par exemple celle de 24 Histoires pour Lemmy dans lesquelles on trouve au hasard ( qui fait bien les choses ) Pierre Mikaïlloff, Alain Feydry ( voir recension de son livre Listen to me, Portrait de Buddy Holly in KR'TNT 522 du 23 / 09 / 2021 ) et cerise sur le gâteau un certain Patrick Cazengler. Un super boulot, tout est classé méthodiquement, j'ai déjà pris la décision d'écouter des disques que je ne connais pas uniquement parce qu'il s'est chargé des illustrations.

    Donc ils avaient repris la tactique de la série ( près de trois cents titres ) Le Poulpe : un auteur différent pour chaque nouveau bouquin. Ainsi le premier Tournée d'adieu est signé de Pierre Mikaïloff, ex-membre des Désaxés dont nous avons présenté ses biographies de Noir Désir et d'Alain Bashung, mais ce n'est pas lui qui nous intéresse, c'est le huitième tome de Stéphane Michaka, Elvis sur Seine, dument – parce qu'Elvis est notre vice – répertorié dans notre livraison 188 du 08 / 05 / 2014.

     

    LE CINQUIEME CLANDESTIN

    MARIN LEDUN

    ( La Tengo Editions / 2009 )

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    Marin Ledun a reçu toute une flopée de prix plus ou moins prestigieux pour une grande partie de ses livres, romans ou essais. L'écriture de celui-ci ne m'a guère convaincu, elle court mais pas assez sèchement, elle ne claque pas comme des coups de feu. Chez La Tengo Editions l'on a dû partir d'un principe-clef : les amateurs de rock écoutent disques et CD's par centaines mais ne sont pas des lecteurs de Proust ou de Joyce. Leur faut du fast-food, vite expédié. Z'auraient quand même pu refiler à Mona Cabriole une monture de ce nom, l'ont doté d'un scooter encore échappe-t-on à la mode de l'électrique, nous voici privés de pétarades Triumphales, en 2009 ce n'était pas d'actualité. Aujourd'hui elle serait dotée d'une trottinette.

    L'action ne trotte pas, elle galope, en un jour et une nuit Manon vient à bout d'un réseau de chair fraîche. Pourtant l'organisation maffieuse bénéficie de protections occultes. Les flics ferment les yeux, la mairie de Paris n'y voit aucun mal, on sous-entend fortement que dans les hautes sphères du pouvoir... Oui c'est politique. Le sujet est explosif, le sort réservé aux clandestins dans notre pays. Et spécialement dans le cinquième arrondissement. Surtout des jeunes africaines jeunes et jolies. Sans papier, sans boulot, des proies idéales... Critique un peu de gauche mais sans illusion révolutionnaire, les petites mains et les gros saligauds qui se chargent de la sale besogne finiront en prison, l'on s'en doute, la morale est sauve, l'on n'est pas dupe, les supérieurs ( soi-disant ) inconnus ne seront pas inquiétés et une fourmilière détruite, dix autres se reformeront aussitôt. La loi de l'offre et la demande. La main invisible du marché.

    Et le rock'n'roll là-dedans. Soyons franc, l'est un peu plaqué. Manon Cabriole est une passionnée de rock dur et de punk pointu. Son groupe préféré semble être Nofx, les néophytes ne sont pas entièrement perdus, des pointures comme Bowie, Metallica ou The Clash figurent au tableau. Aux moments cruciaux un refrain approprié tourne dans sa tête, des paroles qui rythment l'action, expriment l'urgence de la situation et définissent l'implication existentielle, pour ne pas dire éthique, de l'héroïne, transcrites en langue originale, mais traduites en bas de page en notre idiome national par Eloïse Bouton, je ne la connais pas mais elle m'a évité deux ou trois contresens et nombre d'inexactitudes.

    Vite lu, vite oublié. Espérons que quelques lecteurs peu sensibles aux fracas rock'n'rolliens se soient précipités vers leurs disquaires...

    Damie Chad.

     

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 4 )

     

    LE CHIEN DE BARABBAS

     

    N'accusez pas votre mémoire, ne relisez pas les Evangiles in extenso, jamais vous n'y trouverez mention du chien de Barabbas. En plus il est mort, Barabbas bien sûr, mais je parle du chien qui n'appartenait donc pas au Barabbas biblique mais à Barabbas, le groupe, qui a enregistré en 2014 un album intitulé Messe pour un chien.

    '' Barabbas, messe'', par la grâce de ces deux mots votre esprit a tilté : ça sent le christianisme ! Attendez je vous refile l'effectif du groupe : Basse, choeurs : Saint Jérôme / Batterie: Saint Jean Christophe / Guitare : Saint Stéphane / Prêche : Saint Rodolphe. Par et pour le Saint Riff Rédempteur, c'est leur cri de guerre !

    Après tout pourquoi pas, il existe une telle pléthore de groupes qui se réclament de Satan que se présenter sous une invocation christologique apparaît comme un gimmick commercial de plus. N'existe-t-il pas aussi aux Etats-Unis des groupes qui se définissent en tant que rock-chrétien, blue-grass-chrétien, metal-chrétien, etc... il y en a pour toutes les chapelles ! Dans les années soixante un groupe devait avoir un son à lui, dans les décennies suivantes la nécessité d'une image est devenue très importante... Posons la question à gros sabots de bois : les Barabbas ont-ils la foi ! Durant leur enfance oui, mais l'âge venant et la laideur du monde s'appesantissant sur leur conscience, ils ne croient plus qu'ils croient. Que chacun porte sa croix ! Le personnage de Barabbas est ambigu, lorsque Pilate propose de gracier ou Barabbas ( voleur et criminel ) ou le Christ ( beau parleur ), le peuple choisit Barabbas. Le malandrin l'emporte sur l'agneau innocent. Quelle leçon à en tirer : que les petits malins s'en tirent mieux que les autres ?

    Venons-en au chien. Il a appartenu à un de nos quatre saints. Je ne donne pas son nom au cas étonnant où il aurait été un mauvais maître. Il n'a pas eu une belle mort, épuisé, incapable de marcher, il s'est traîné lamentablement durant de longs et douloureux mois, avant que Dieu ne l'accueille au paradis. J'ai embelli la fin de l'histoire pour nos lectrices trop sensibles. Barabbas n'a pas échappé à la fatalité de leur nom, le CD est dédié à leur chien, une belle idée à la Trente Millions d'Amis, mais ce n'est qu'un prétexte ( je suis acerbe ) ou qu'un symbole ( je joue à l'intello ) de la destinée humaine. Il est vrai que beaucoup de nos contemporains mènent des vies de chien.

    MESSE POUR UN CHIEN

    BARABBAS

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    La malédiction de Sainte Sélène : l'on s'attendait à une introduction grandiose, l'on n'est pas déçu, il est facile de décrire le doom comme du metal funéraire, sur le livret du CD de vaniteuses têtes de morts, l'humaine et celle du bouc diabolique, agrémentent la citation d'Isaïe que Saint Rodolphe psalmodie sur la pompière grandiloquence funèbre, le doom emprunte souvent beaucoup plus à la musique classique qu'à ses origines metalliques, non les basses n'y vont pas doucement, en l'écoutant n'oubliez pas la mort est votre seul avenir. Le couteau ou l'abîme : ça ne s'arrange pas, une seule différence, la musique plus violente, oppressante, belle idée cette espèce d'écho sur la voix, un moine qui chante sous la voûte d'un monastère, pratiquement du chant grégorien, les paroles ne sont guère jouissives, vous avez le choix, entre la mort et la mort, sympathique mais un peu limité, le discours habituel du nihilisme chrétien, toutefois un gros blasphème, j'ai tout de suite rédigé une lettre de dénonciation à la Congrégation de la Sainte Inquisition, n'accusent-ils pas Dieu d'être insensible aux prières humaines, la batterie a de ces bruits sourds de trappes qui s'ouvrent pour que le pendu bascule dans le trou qui se dérobe sous ses pieds, la guitare siffle à la manière de ces lames de guillotine qui se hâtent de descendre afin de vous trancher le cou, z'avez aussi une basse qui ricane en catimini, et puis ils ne se retiennent plus, sur la fin se prennent pour les Chevaliers de l'Apocalypse et l'Armagueddon à eux tout seuls. Si vous ressortez vivant de cette écoute, passez-moi un coup de fil pour fêter le miracle. Du doom pompier certes. Mais pyromane. Moi, le mâle omega : nos très chers frères persévèrent dans l'erreur fatale, le morceau débute comme une diatribe nietzschéenne et se finit après un solo incendiaire en un space-opera très grand spectacle, quatre minutes de rythme amphétaminisé, que dis-je amphétamaximisé, à fond les ballons, la baudruche humaine rêve et se gonfle tellement fort qu'elle repousse les limites de l'univers. Du stoner du tonnerre. Judas est une femme : pas tout à fait des paroles pour les féministes, quant à la musique lourde comme une condamnation à perpétuité il vaut mieux ne pas en parler, est-ce la punition de Dieu, le mâle Omega ( ô méga man ) a rencontré la femelle Alpha, la donzelle ils vous la passent au rouleau compresseur, cent fois en marche avant, cent fois en marche arrière, z'ont la colère noire et folle, appuient de toutes leurs forces sur leurs instruments, l'orgueil blessé se transforme en bouillie de rage martelante, un petit moment de répit, la basse qui se moque et tire la langue à cette bouillie sanglante, et puis ils finissent de l'aplatir et de l'aplanir. Ils ont la haine.

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    La beauté du diable : n'ont pas peur d'aborder les sujets dérangeants. Ne sont pas des Saints, c'est pour cela que Dieu leur pardonnera. Peut-être. Vous racontent l'histoire du petit chaperon rouge, vue du côté du loup qui n'hésite pas à satisfaire ses appétits, sans honte ni regrets. Musique d'une lourdeur effrayante, un rock bulldozer qui dérange les anges, Fallait oser. Ils l'ont fait. Flamme incoercible du désir. Les paroles noyées sous un magma sonore en émoi. Chaud brûlant. Priez ! : vous pouvez prier, mais cela ne sert pas à grand-chose, inutile d'écouter les paroles, vous connaissez la chanson, la musique suffit, elle est lourde et sans espoir, la batterie roule et tourneboule dans l'exaspération, priez tant que vous voulez la guitare en rigole, elle en verse un long solo de larmes, Dieu n'est même plus nommé, son inutilité est patente. Que les saintes brebis attendent la mort qui approche. Son pas lourd résonne dans tout le morceau. Le sabbath dans la cathédrale : pire que la messe des fous, la perversion extrême, longue intro, la procession s'avance vers le chœur de la cathédrale, les corps sont aussi nus que les âmes, c'est la grande liesse, le grand coït, vont s'aimer les uns dans les autres, impies et impitoyables, pervertissent tous les rites sacrés, ne respectent rien, rythme lourd de bacchanale gorgée de stupre et de sang. Danse de l'ours sauvage, de plus en plus rapide, de plus en plus folle. Joie ô joie. Glissade terminale. Vielle tradition catholique qui emprunta beaucoup au paganisme. Messe pour un chien : tiens on revient au chien, comme au tarot. Changement d'ambiance, la musique pleut, elle s'élève, se voudrait légère, retombe, se relève, claudique, le pauvre animal n'en peut plus, la fin est plus que proche, il rêve son dernier rêve, les portes d'ivoire de la mort s'entrouvrent, ambiance mélodramatique,mais le drame n'est pas devant lui, il est derrière lui, tout ce qu'il n'a pas réalisé en sa pleine jeunesse, que voulez-vous l'on n'est pas toujours le loup qui se rue sur le petit chaperon rouge, c'est trop tard pour le regretter, il est mort, il est maintenant immortel, il court dans les jardins de l'éternité, la musique s'apaise, elle est devenue légère, elle trotte allègrement même si des ondes de tristesse la submergent, peut-être existe-t-il un point d'équilibre où tout s'égalise, ou rien n'a d'importance, où l'on atteint l'insoutenable légèreté du non-être. Roulement de tambour. Tout est terminé. Missa est. Allons en paix !

    Superbe ! Un des meilleurs albums de rock français que je n'aie jamais entendu. Percutant, décapant, dérangeant, racinien, avec unité de temps, de lieu, et de personnages, une dramaturgie terriblement efficace. Question christianisme, ils n'y vont pas avec le dos de la louche du premier moutardier du pape, passent le dogme au kärcher, n'hésitent pas sur les images choc : '' Dieu est mort, en tombant d'un nuage, c'est moi qui l'ai poussé '' !

    Une mention spéciale pour Saint Rodolphe, l'a son phrasé à lui, n'imite ni les rosbeefs ni les amerloques dans sa manière de poser les intonations, se contente d'être lui, ce qui est rare.

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    Pour la couve, elle s'imposait, l'entrée du cimetière des chiens d'Asnières, manifestement inspirée par les arcs qui bordent Le Canope, pièce d'eau des ruines de la villa d'Hadrien de Tivoli, l'artwork est de Benjamin Moreau, je ne m'attarde pas dessus car j'ai prévu une chronique sur ses activités graphiques et musicales.

    Un petit bonus : Messe pour un chien est paru en novembre 2014, mais dès mai 2014, trois préproductions de trois morceaux sont sur Bandcamp. La couve nous en dit davantage sur ce chien mort et enterré dont le destin est une des inspirations de l'album.

    FINAUD / 1954 – 1969

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    Selene : moins d'emphase, moins d'envol, moins symphonique, davantage rock, davantage terre à terre ce qui correspond à cette notion d'enterrement que la mort de Finaud suscite. Sifflements de guitare à mettre en relation dans notre imaginaire occidental avec la course échevelée les chiens d'Hécate aboyant à la lune par les froides nuits venteuses. Absence des lyrics. La beauté du diable : longue intro musicale, l'histoire du petit chaperon rouge sans les vocals, juste la partition en quelque sorte, rehaussée de chœurs lointains et inquiétants avant que Saint Rodolphe ne lance le chant, cette préprod n'a pas la force de celle proposée sur l'album, musique trop binaire, presque banale, il manque l'aura sulfureuse de l'œuvre accomplie. Judas est une femme : musicalement mieux réussie que les deux précédentes, de la lourdeur mais le chant un peu trop retenu. Moins de hargne, trop commun. En trois mois ils ont reçu la grâce de l'esprit malsain qui fait toute la différence.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

    EPISODE 04

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    PETIT DIALOGUE ETYMOLOGIQUE

    Pour une fois, le Chef n'avait pas allumé un Coronado, du coin de l'œil je le voyais tripoter son téléphone portable, appareil dont il professait une sainte horreur et qu'il n'utilisait presque jamais, je calai le régulateur de la Lambor sur un pépère 180 lm / heure, il était temps d'un petit briefing sur les évènements qui s'étaient déroulés depuis le début de cette aventure que je pressentais exceptionnelle.

      • Désolé de vous interrompre Chef, que pensez-vous de ces apparitions de Charlie Watts, je sais bien qu'avec les Roling Stones l'on peut s'attendre à tout, entre nous soit dit il exagère un peu Charlie, huit jours dans le trou et hop il se promène à l'air libre comme vous et moi !

      • Agent Chad le fantôme de Charlie Watts n'est pas un problème, c'est un fantôme qui se conduit comme un fantôme, vous-même agent Chad quand vous l'avez saisi par le bras, vous vous êtes aperçu qu'il n'avait aucune consistance, donc c'est un fantôme, la cause est entendue.

      • Admettons-le Chef, mais vous ne trouvez pas étrange qu'en haut lieu, on fasse appel à nos services et que l'on nous congédie quelques heures plus tard.

      • Je reconnais que c'est un peu vexant, croyez-moi ils nous rappellerons d'ici peu !

      • Chef, ne seriez-vous pas par trop optimiste !

      • Pas du tout, ils voulaient un fantôme, nous leur apportons la preuve de son existence, ils n'ont plus besoin de nous, ils nous jettent aux orties ! Notez toutefois qu'il n'a jamais été question de couper notre ligne de crédit. Sont prudents, nous gardent sous la main.

      • Ils sont donc contents d'avoir un fantôme !

      • Exactement ! Toutefois l'affaire me semble totalement bien tordue, agent Chad, un fantôme c'est gérable, souvenez-vous du gars qui a sifflé votre Bourbon, il venait de voir Charlie Watts, et le préfet de Limoges qui a laissé échapper qu'il y avait eu dis-sept apparitions de fantômes sur le territoire national, reconnaissez qu'une vingtaine de Charlie Watts qui déambulent dans toute la France, de quoi déclencher une hystérie collective, à quelques mois des élections présidentielles, voilà vingt chiens inattendus dans le jeu de quilles des politiciens !

      • Si je comprends bien Chef, vous insinuez que le SSR est manipulé, que les autorités nous ont dirigés sur Limoges pour nous éloigner de Paris !

      • Certainement Agent Chad, mais de tout cela, nous reparlerons, une chose diantrement plus grave me tracasse, pourriez-vous lâcher votre volant et vérifier sur votre portable l'étymologie d'hibiscus.

    Je m'exécutai promptement. Par acquis de conscience je visitai une dizaine de sites naturalistes, et quelques dictionnaires latins, grecs et syriaques.

      • Chef, Hibiscus vient du grec ibiokos qui signifie guimauve.

      • N'accordez aucune créance aux renseignements que véhicule le net, d'après mes connaissances ornithologiques il signifie cul d'ibis. Ne me regardez pas avec ces yeux en rond de frite, personne n'ignore que le cul de l'ibis rouge est d'une couleur rouge plus foncée que le reste de son plumage, méditez cela, Agent Chad, peut-être cela vous sauvera-t-il la vie d'ici peu. Cela mérite que j'allume un Coronado.

    RETOUR A LIMOGES

    Quelle ne fut pas notre surprise lorsque nous descendîmes de la Ghini arrêtée sur la lisière du Bois du Pendu, de loin, sur le moment nous crûmes qu'assis tous en rond, ils jouaient à pipi au lit. A peine nous virent-ils que le cercle se désintégra et une horde de jeunes gens se jeta sur nous, les garçons nous tendaient la main avec gravité, les filles nous embrassaient avec ferveur, Molossito et Molossa eurent droit à mille caresses, ça jacassait de tous les côtés, certains poussaient des hourras, d'autres en chœur répétaient sur l'air des lampions, Les héros ! Les héros ! Les héros !. Le Chef alluma un Coronado, Joël se détacha du groupe et fit les présentations :

      • Damoiselles et Damoiseaux un peu de calme, l'heure est grave, le SSR a délégué ses deux agents les plus brillants, il est nécessaire de les mettre au courant des derniers évènements.

    Joël avait motivé ses étudiants. L'enthousiasme de cette jeunesse avait outrepassé ses désirs. Non, ils ne se relaieraient pas pour guetter l'apparition de Charlie Watts, d'un commun accord ils avaient décidé de rester dans le bois autant de temps qu'il serait nécessaire. A midi tapante, ils étaient fin prêts, pas très loin de la lisière ils avaient profité d'un large creux de terrain pour dresser une quinzaine de tentes, sur un feu de bois glougloutait une grosse cafetière, des cartons emplis de duvets s'entassaient dans un coin, piles de sandwichs, boîtes de conserves, paquet de biscuits jonchaient l'herbe, on attendait Charlie de pied ferme, il ne se présenta pas.

    Le soir tomba, l'on mangea, la déception se lisait sur les visages, l'humidité transperçaient les vêtements, Le Chef prit la parole :

      • A neuf heures, je veux tout le monde au lit - il y eut des cris de protestation qui cessèrent vite - je ne veux rien entendre, pas un bruit, pas un mot, pas un rire, au lit ne signifie que vous dormirez, surtout pas, vous veillerez prêts à intervenir à mon signal, que personne ne sorte de sa tente avant que je n'en donne l'ordre, je ne m'étonne pas pas que vous ne l'ayez pas vu de la journée, trop de vacarme, trop de bruit, restez habillés, gardez vos chaussures, ne baissez pas la fermeture éclair de vos abris, n'ayez pas peur, l'agent Chad et moi-même sommes armés, nous sommes prêts à toute éventualité. Nous veillerons sur vous.

    L'autorité naturelle du Chef produisit son effet, à vingt et une heure pile, plus un seul piaillement de fille, pas le moindre beuglement de garçons. Les consignes avaient été suivies à la lettre. Enfin presque, à vingt-trois heures le marchand de sable était passé, la colonie en son entier dormait de son plus profond sommeil. A ma grande honte je dois l'avouer, le Chef et moi, fûmes bientôt assaillis par une douce somnolence et nous ne tardâmes pas à sombrer dans une profonde torpeur...

    Ce furent Molossito et Molossa qui nous réveillèrent en nous léchant le visage, il était près de deux heures du matin, nous fîmes rapidement le tour de tentes pour arracher la troupe des bras de Morphée, en trois minutes nous étions tous regroupés autour du foyer éteint, le Chef donna ses instructions à voix basse :

      • Interdiction de se mettre debout, vous vous déplacez en rampant, une fois hors du cercle des tentes, on se couche dans l'herbe, tous en ligne, vous laissez dix mètres de distance entre vous, l'Agent Chad prend la tête de la file de gauche, moi celle de droite, Joël au centre, gardez les yeux braqués sur la lisière, silence absolu, je rappelle la nuit est froide, la lune est absente, la brume est là, le bois est sombre. Action immédiate !

    L'herbe était mouillée, mais nous ne le sentions pas, l'excitation était à son comble, chacun imaginait ce qu'il redoutait, Molossa et Molossito s'étaient couchés à mes côtés. Nous n'y voyions rien, la truffe de Molossa se posa sur ma joue, nous étions les plus près du sommet, Molossa poussa Molossito de son museau, il démarra au galop, sans bruit, il cogna dans chaque visage, tout le monde comprit que le moment fatidique se préparait, à une trentaine de mètre, la noir de la nuit devint plus sombre, de cette noirceur mouvante se dégagea une forme, qui peu à peu prit une certaine consistance, l'ombre sembla hésiter, Molossa grogna dans mon oreille, je la reconnus, Charlie Watts entreprit de descendre la colline...

    A suivre...

  • CHRONIQUES DE POURPRE 526 : KR'TNT ! 526 : WILKO JOHNSON / BOB DYLAN / CUTTHROAT BROTHERS / CARL HALL /MARLOW RIDER / CALIGULA / JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 526

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    21 / 10 / 2021

     

    WILKO JOHSON / BOB DYLAN

    CUTTHROAT BROTHERS / CARL HALL

    MARLOW RIDER / CALIGULA /

    JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

     

    Wilkoko bel œil

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    Si on cherche des infos de première main sur Dr Feelgood, on en trouvera dans Don’t You Leave Me Here, l’autobio de Wilko Johnson. Mais attention, Wilko ne parle pas que de musique. Il évoque surtout ses deux cancers, celui qui a emporté la femme de sa vie Irene et celui qui a bien failli l’emporter lui aussi. Une tumeur à l’estomac. Inopérable.

    — Combien de temps il me reste à vivre ?

    — Oh onze mois si vous faites une chimio, sinon neuf mois.

    — Fuck, je ne veux pas de chimio !

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    Wilko est un rocker. Il garde sa dignité. Il est condamné, autant finir en beauté, sur scène. Mais un chirurgien va en décider autrement : le Dr Huguet pense qu’on peut opérer. Et hop, Wilko monte sur le billard. On a tous les détails. Même ceux de la convalescence, avec les séances d’aspiration du contenu de l’estomac par le nez, car pendant un temps, Wilko n’a plus d’intestin, ça doit ressortir par en haut. L’infirmière ? She does it right. Elle ne s’appelle pas Roxette, mais c’est tout comme. Tout ça pour dire que Wilko fait partie des miraculés. Il avait réussi à s’habituer à l’idée de la mort - I felt free. Free from the future and the past, free from everything but this moment I was in - Il continue à tourner avec ses deux amis, mais il sent venir la fin - Toutes ces routes, tous ces concerts, et maintenant ça se termine, là sur scène avec la main de la mort sur mon épaule - En plus, Wilko écrit bien, dans un style très dépouillé qui correspond parfaitement à l’idée qu’on se fait du musicien. Il raconte par exemple l’attente avant le concert : «On a généralement deux heures à tuer dans la loge avant de monter sur scène. Je les passe à tourner en rond, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Pourquoi dans ce sens ? Je ne sais pas. Si j’essaye de tourner dans l’autre sens et que je me mets à réfléchir, je repars en sens inverse.» Quand il décrit Canvey Island la nuit, son style s’enflamme : «At night, it was a blaze of electric lights, with huge flames pouring from the stacks. When the sky was overcast the flames would reflect on the clouds above, casting a flickering Miltonic light over the island as if it were a remote suburb of Hades.» (Une multitude de lumières électriques éclairaient la nuit et les cheminées crachaient d’immenses flammes. Quand le ciel était couvert, la lueur des flammes se réfléchissait dans les nuages, répandant sur l’île une lumière vacillante digne de Milton. On se serait cru dans la caverne des enfers).

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    Wilko commence par raconter son enfance à Canvey Island, qui est une sorte d’île aménagée sous le niveau de la mer, dans l’estuaire de la Tamise, tout près de Southend-on-Sea. Les digues nous dit Wilko furent construites par un ingénieur hollandais au XVIIe siècle, mais en 1953, elles cédèrent et l’île dut être évacuée. Wilko l’a vécu comme un gros cauchemar. L’autre gros cauchemar, c’est son père qu’il hait, car il est mauvais. Sa mort sera un soulagement. Il hait aussi l’école. Sa première idole, c’est bien sûr Mick Green, le guitar slinger des Pirates de Johnny Kidd. C’est l’une des meilleures filiations qui soit. Il est tellement fasciné par le son de Mick Green qu’il apprend à jouer de la guitare en écoutant ses disques, et c’est là qu’il se forge un style, ce qu’il appelle son chopping sound. Mais avant Mick Green, il y a Irene, sa fiancée de toujours à Canvey Island - Irene Knight was the most beautiful human being I ever knew - Avec Wilko, c’est à la vie à la mort - She was part of me. She was my better half. Everybody loved her - Évidemment, quand un cancer l’emporte, Wilko comprend qu’il ne peut pas vivre sans elle. Il passera le restant de sa vie à penser à elle.

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    Comme le firent de nombreux Anglais dans les early seventies, Wilko se paye en voyage en Afghanistan, puis aux Indes. C’est une sorte de voyage initiatique qui passe bien entendu par les drogues locales, les plus puissantes du monde. C’est à Bombay qu’il rencontre Mr Kardoom. Tous les soirs, ils s’assoient ensemble face à la mer pour contempler les étoiles. Le rituel est simple : Mr Kardoom demande deux roupies à Wilko puis il envoie un boy chercher de la ganga. Il dit que c’est bon pour la santé. Puis il mélange la ganga avec du black haschich et allume le chillum : «Il tira une bouffée qui le fit tousser et une pluie d’étincelles tomba du chillum. Soon we were all helpless.» Et plus loin, Wilko décrit son hallucination : «Ils élevèrent leurs bras pour former un mandala riche en couleurs. Au centre se tenait Mr Kardoom qui me fixait dans le blanc des yeux : ‘You walk in the sky ?’ ‘Yes’ I said et le mot résonna sans fin sous mon crâne.»

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    Avant de devenir le Feelgood que l’on sait, Wilko et ses copains accompagnaient Heinz, qui eut sa petite heure de gloire dans les early sixties, grâce à Joe Meek. Heinz est tout le temps bourré sur scène et les Feelgood qui font les chœurs font : «Heinz bakes the meanest beans !» au lieu des «Bop-shoo-wop» prévus. Ils se retrouvent avec Heinz en ouverture du fameux festival de Wembley, en août 1972, à la même affiche que Chickah Chuck, Jerry Lee, Little Richard, Bo Diddley, Bill Haley et le MC5. Wilko est fasciné par Wayne Kramer et sa façon de danser sur scène en imitant James Brown. C’est là qu’il comprend l’importance de ce qu’il appelle the physical action and dynamics in playing rock’n’roll. Et comme ce jour-là Wayne Kramer s’était peint le visage en or, Wilko fera de même, for a couple of gigs.

    Au commencement, tout le monde il est beau tout le monde il est gentil. Lee Brilleaux could be hysterically funny. Sparko était un stoïque, un personnage imperturbable with a cynical grin and a great talent for sleeping. Quant à Figure, il pouvait rire à s’en couper le souffle et se tenir appuyé au mur des deux mains. Quand Wilko écrit ses chansons, c’est avec la voix de Lee en tête.

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    Dès le premier album, le fameux Down By The Jetty, Wilko engage le bras de fer avec Vic Maile qui voulait l’enregistrer par étapes, comme le font généralement les ingés son : section rythmique, puis guitare puis chant. Wilko refuse. Il veut un son live. Il refuse catégoriquement de falsifier le son de Feelgood. Wilko ne lâche rien - We recorded all the tracks in one or two takes and used no overdubbing - Cette intransigeance lui vaudra par la suite bien des ennuis. Les autres Feelgood ne pourront pas la supporter longtemps. Mais l’histoire donnera raison à Wilko : quel son ! Tout le son est là dès «She Does It Right». C’est tout simplement l’épitome de l’apanage du Feelgood Sound. Wilko fait tout le boulot à lui tout seul et Figure bat ça si sec. Tout est là, dans le sec du traitement, dans le battage de riff Tele. Les deux outstanders sont en B, à commencer par «Keep It Out Of Sight», bien taillé dans le vif, puis «Cheque Book», joué en coupe réglée, battu droit devant. On note au passage l’incroyable vitalité du droitisme. Par contre, Wilko massacre «Boom Boom» et un cut nommé «That Ain’t The Way To Behive». Il n’a pas de voix, c’est vraiment stupide de sa part, d’autant qu’il dispose d’un bon chanteur. Beaux slabs aussi que ce «Roxette» gratté à l’os et «I Don’t Mind», battu sec sur la Tele. C’est là où Feelgood prend tout son sens. «All Through The City» fait partie des cuts non valorisés et pourtant quel festival. Brilleaux brille de tous ses feux en le prenant à la bonne arrache.

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    On les sent lancés. La même année, United Artists fait paraître Malpractice. On dirait même qu’ils montent encore d’un cran dans la sagacité riffique, ne serait-ce que pour ces trois bombes que sont «I Can Tell», «Back In The Night» et «Because You’re Mine». Ils ouvrent avec cette belle cover de Bo Diddley : Wilko riffe «I Can Tell» au claqué des cavernes de Canvey avec le raunch épouvantable de Lee Brilleaux en tartine supérieure. Ils jouent comme les quatre doigts de la main. «Back In The Night» flotte dans l’azur immaculé comme l’étendard de Feelgood. Même si ça sonne comme un boogie global, ça reste du fantastique Feelgood System, joué avec un sens de la mesure affolant de pertinence. On pense évidemment à l’«I Hear You Knocking» de Dave Edmunds. Même sens du peaufiné de retenue. C’est en B qu’on trouve l’excellent «Because You’re Mine». Wilko le bat à l’enragée sur sa chère Tele financée par Irene. Il devient un peu le roi de la rythmique britannique, au même titre que Mick Green dont il descend en droite ligne. Fabuleux batteur de riffs, il joue avec une hardiesse et un courage dont on ne trouve d’équivalent qu’au temps des chevaliers. Ce fabuleux tailleur de taille et d’estoc claque et tire trois notes pour faire monter la viande sur l’os, il joue à la cocotte de basse-cour royale et fait le show à lui tout seul. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. On le voit aussi gratter sec «Another Man». Il redéfinit le sec plus ultra de la cisaille. Il joue tous ses cuts avec un sens du sharp qui écharpe le sherpa titulaire. Ils font aussi un gros clin d’œil à Mudddy avec une version de «Rolling & Tumbling». Wilko nous riffe le boogie du delta à l’âpre dextérité. Il muddyse Muddy à Canvey, charge ses riffs de limon et organise la mainmise de la Tamise. En B, ils tapent aussi dans le fameux «Watch Your Step» de Robert Parker, mais avec la touche Feelgood, ça prend un sacré relief. Et cette Tele hyper motivée de Wilko n’en finit plus de bousculer les lois de l’équilibre naturel. Oh il faut aussi saluer la reprise du «Don’t You Just Know It» de Huey Piano Smith - Ah-ah-ah hey oh ! - Ça trépide dans d’intrépides turpitudes terminologiques, avec un solo de gras double signé Koko bel œil, roi de la cisaille invétérée et de la note qui grelotte au petit matin. Ce démon profite de Huey pour multiplier les effets de tagada sur sa Tele.

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    Il se bat aussi pied à pied pour sauver le son de Stupidity que United Artists et les autres Feelgood voulaient bricoler. No Way ! On garde le so si son sec du set. Wilko a raison de se battre pour préserver l’intégrité du Feelgood Sound, car l’album arrive en tête des charts - So my intransigence had given Dr Feelgood their biggest ever records, but it had set me apart from the others - C’est vrai qu’il va payer cher son intransigeance, mais l’album est bon, on les voit foncer comme un train fou avec «Talking About You» et sortir une belle version de «Stupidity». Mais Wilko prend le chant pour «20 Yards Behind» et casse les reins du set. Ils relancent avec «All Through The City». On reconnaît le son de Wilko dès les premières secondes. Admettons qu’il ait un son unique au monde. Avec «She Does It Right», il sort l’un des riffs les plus urgents de l’histoire du rock anglais. Nous n’en finirons plus de le vénérer pour ce coup de maître. Ils attaquent la B avec un «Going Back Home» pas aussi déterminant que «She Does It Right», mais solide. Avec le riff d’«I Don’t Mind», il harponne le cut et toute la bande à Bonnot. Wilko, c’est Moby Dick qui entraîne le vaisseau du capitaine Achab dans les abysses. Ils font pas mal de boogie plan-plan («I’m A Hog For You Baby» et «Checking Up On My Baby» et terminent avec un autre riff historique, celui de «Roxette». Tout est dit avec ce sens aigu de l’attaque. Wilko est un sharper de l’Himalaya. Il peut jouer sec sans ciller, il amphétamine le ruckus du rock.

    La fin de Dr Feelgood est dramatique. Quand CBS organise une grande tournée américaine, deux camps se forment : d’un côté les drinkers, Lee Brilleaux et les deux petits gros, et de l’autre Wilko, shooté aux amphètes dans sa chambre - A great antipathy grew between us - Lemmy affirmait que les speed-freaks et les alcooliques ne pouvaient pas s’entendre. Wilko ne dort pas, il passe ses nuits à tourner en rond dans sa chambre d’hôtel, trying to write new songs. Car c’est lui qui fournit le groupe en chansons, et jamais personne ne lui file un coup de main. La situation tourne vite au cauchemar dans un groupe, quand on ne se parle plus - J’étais complètement isolé dans ma chambre, out of my mind, alors que les autres étaient en bas au bar en train de parler de moi - Wilko raconte qu’il entendait parfois à travers les murs des chambres d’hôtels les tirades alcoolisées des autres qui passaient leur temps à lui chier dessus. Il est arrivé un moment où Lee et Wilko ne pouvaient plus rester dans la même pièce. Il donne bien tous les détails, comme ces attentes à l’aéroport, où les trois autres sont au bar en train de siffler des tequilas et Wilko tout seul assis à une table à se demander ce qu’il fout là. Puis la shoote éclate à propos de «Lucky Seven» qu’ils ont enregistré sans Wilko. Wilko dit que ce n’est pas une Feelgood song. Le lendemain matin, il est viré de Feelgood - I say I was forced out. I didn’t leave - Et pouf, le pauvre Wilko se retrouve tout seul, sans groupe ni management, et les autres gardent le nom et ses chansons - I was destroyed. Exactement le même destin que celui de Brian Jones.

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    Alors faut-il écouter l’album maudit, Sneaking Suspicion, paru en 1977 ? D’une certaine manière oui, car dans le morceau titre d’ouverture de bal, on retrouve le big popotin à la Wilko. Les autres apportent leur contribution, c’est sûr et Wilko cocote dans son coin, comme un vilain petit canard. Et puis, il recommence ses conneries : il chante «Paradise» alors qu’il dispose d’un bon chanteur. C’est aussi lui qui chante «Time And The Devil». Ça ne se passe pas aussi bien qu’on le voudrait. On note cependant l’excellente musicalité d’ensemble. On pourrait même les croire unis comme les quatre doigts d’une main de pirate. Il attaquent la B avec «Lucky Seven» signé Lew Lewis, c’est-à-dire le cut qui a foutu Feelgood par terre, la fameuse pomme de discorde. On sent qu’au plan composital Wilko tourne un peu en rond avec son «Walking On The Edge». D’ailleurs, il tourne en rond dans sa chambre à Rockfield. Il est un peu le Xavier de Maistre du rock anglais. Il voyage autour de sa chambre pendant que les trois autres sifflent des verres au bar. Ils terminent avec une version bien percutée du pimpant «Hey Mama Keep Your Big Mouth Shut» de Bo, mais bon, la messe est dite.

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    Parmi les grands amis de Wilko, il faut compter Mick Farren, Lemmy et Wayne Kramer. Farren est l’un des premiers à saluer Feelgood dans le NME et Wilko a la chance de passer des nuits avec Mick et sa femme Ingrid, à écouter Dylan et à discuter de William Burroughs - I loved Mickey, he had a good heart and all the idealism of the 1960s still lived within him - Wilko joue d’ailleurs sur deux cuts de l’album Vampires Stole My Lunch Money. Avec Lemmy et Mick Farren, ils forment le trio de choc : «Lemmy was good company, intelligent and witty, and he had a kind of twisted wisdom. As fellow speed-freaks (Mick Farren reckonned I was the only bloke who was able to keep up with Lemmy), we often spent whole nights rapping.»

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    Wilko démarre sa carrière solo avec les Solid Senders. Il ne s’étend pas trop sur l’épisode - Bonnes critiques mais faibles ventes - You know when things ain’t right, they all go wrong - Virgin lâche aussitôt le groupe. Vic Maile avait prévenu Wilko : tu perds ton temps avec ces trois mecs-là. En effet, ils n’ont pas l’air très avenants, comme le montre la pochette de Solid Senders. L’album fait partie de ceux dont on se dispense facilement, surtout quand on tombe sur le «Blazing Fountains» d’ouverture de bal d’A : c’est atrocement mal chanté et trépidé du popotin. Leur boogie n’a aucun avenir. Ils font même du reggae. Wilko devait aller très mal pour sonner comme ça. L’album est catastrophique. Le plus drôle est qu’il chante si mal qu’on le reconnaît immédiatement. Et quand ce n’est pas lui chante, ça perd tout le peu d’intérêt qu’on peut trouver à cette écoute. «Burning Down» est le seul cut à sauver en B, de même que «I’ve Seen The Signs», une chanson de pub mal chantée mais plutôt captivante, qui sent bon la dérive.

    Wilko joue un temps dans les Blockheads de Ian Dury et finit par récupérer Norman Watt-Roy, le bassman des Blockheads - Norman Watt-Roy was an Anglo-Indian who seemed to live for playing the basss, getting stoned and laughing - Wilko brosse toujours des portraits fabuleux des gens qu’il rencontre. Voici le portrait qu’il brosse de Charlie Chan, un photographe qui est aussi un cancérologue, et qui va sauver Wilko en le mettant en contact avec le Dr Huguet : «A ubiquitous, vociferous and alarming character, he seemed to be everywhere at once.»

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    Ice On The Motorway sort en 1980 sur Underdog, un label qui est un peu la suite de Skydog. Les nommés Strutter & Nines accompagnent Wilko. Il impose un drôle de style avec une curieuse manière de chanter et un beat encore plus tranchant qu’au temps de Feelggod. Comme il n’a pas de voix, il chante un peu à l’exacerbée. C’est très spécial, il doit se prendre pour une rock star, ce qu’il est, d’ailleurs. Il joue son «Down By The Waterside» sur place, dans l’instant T. On le voit mener sa barque à la godille dans le morceau titre. Ses cuts étranges finissent vraiment par captiver. On arrive donc en B tout ouïe pour «When I’m Gone». Il ressort sa vieille formule d’efficacité maximaliste. Wilko ne veut pas disparaître du paysage aussi jette-t-t-il tous ses œufs dans le même panier. Il ultra-joue épaulé par un bassmatic avantageux. Pas de hit sur cet album, rien que des cuts solides joués pour de vrai, pas pour de faux. Il tape quand même dans son vieux «Keep It Out Of Sight» et le chante avec une mauvaise hargne de collégien. Il finit par émouvoir. Sa façon de prononcer sight est très belle, très anglaise. Il boucle avec le cut le plus surprenant de l’album, une reprise du fameux «The Whommy» de Screamin’ Jay Hawkins, screamée en long, en large et en travers. Stupéfiant !

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    En 1984, Wilko tire la couverture à lui avec Pull The Cover sur Skydog. C’est un jeu de mots qui ne fonctionne qu’en anglais, car c’est un album de covers, c’est-à-dire de reprises. Wilko tape dans Dylan avec «I Wanna Be Your Lover», mais sa voix monte trop haut dans le mix et ça pose un problème esthétique. On reste dans le bon boogie avec «My Babe». Les gens qui accompagnent Wilko maîtrisent bien leur volumétrie. Ça passe mieux quand la voix de Wilko disparaît dans le forfait. Il attaque sa B avec une reprise de Junior Wells, «Messing With The Kids», mais il s’arrange pour le massacrer au chant. Il n’a ni la voix ni le swagger. C’est un cut fait pour un white nigger, non pour un Koko bel-œil. La seule cover qui passe est celle du «Mendocino» de Doug Sahm. Il chante comme une brêle et massacre cette merveille, mais c’est ce qui donne un cachet iconoclaste à cet incroyable désastre. Quand il évoque l’épisode de cet album, Marc Zermati reste très circonspect.

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    Trois ans plus tard, Wilko enregistre Call It What You Want et met sa Tele noire et rouge sur la pochette. Il démarre avec «Looked Out My Window» et chante si faux que ça fait mal aux oreilles. Mais en contrepartie, il fouette ses cordes comme un cake. Il est parfait dans le rôle de fouette cocher. Et quand il part en solo, c’est toujours à l’effervescence. Norman Watt-Roy le soutient avec du gut à revendre. Chez Line, ils sont si pauvres que l’intérieur du leaflet n’est même pas imprimé. Mais au fond, a-t-on besoin de commentaires ? Pour rester en cohérence, Wilko gratte sa chique dans son coin et se fout des commentaires. On croise plus loin une version d’«Ice On The Motorway» atrocement mal chantée. Quel gâchis ! Il part en killer solo flash dans «Willy Billy» et sauve les meubles. Norman Watt-Roy amène «Muskrat» au heavy doom de bassmatic. Ce mec est une bombe sexuelle, il joue au gros beat de percute. Hélas, le pauvre Wilko chante comme une casserole. On imagine la gueule des mecs présents au concert. Il faut dire que le son de Feelgood est là. Dommage que Wilko chante. D’ailleurs ils reprennent «Back In The Night». Ils font d’autres reprises comme «Messin’ With The Kid» et «Casting My Spell». C’est avec «Think» que Wilko rive le clou du disk. Il taille dans la falaise, à la dure, avec ses petits outils. C’est très impressionnant. Il sait se lancer dans un enfer sans trop s’exposer. «Some Other Guy» est à cet égard exemplaire de déballonnage. Il joue son va-tout au sharp, comme toujours. C’est Norman Watt-Roy qui fait le show dans «I Wanna Be Your Lover». Heureusement qu’il veille au grain.

    Son deuxième grand amour après Irene, c’est le Japon - I feel in love with Japan straight away - Et le hasard des tournées fait parfois bien les choses : Wilko est très populaire au Japon et lors d’une tournée, qui fait sa première partie ? Dr Feelgood ! - Croyez-moi, ils n’étaient pas très bons (they were feeble) - it was sad to see them. We didn’t talk.

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    Sur Barbed Wire Blues paru en 1988, Wilko se permet de sonner encore mieux que Dr Feelgood. Il fait tout le Feelgood à lui tout seul. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Pareil avec le «Livin’ In The Heart Of Love» d’ouverture de bal : c’est de la pure raclure de Feelgood avec des chœurs de studio. Pendant ces deux minutes, Wilko redevient le roi du monde. Tout Feelgood, c’est lui. Il parvient chaque fois à recréer la sensation. Il tartine bien son chant, c’est un malin, un bon samaritain, le digne héritier de Mick Green. Ils tapent «Waiting For The Rain» au heavy groove et ce diable de Norman Watt-Roy ramone son bassmatic comme une brute épaisse. Il fait le show sur son manche. «I Keep It To Myself» sonne comme un sacré retour en force. Ils savent rester classiques dans la structure, mais ils avancent avec un sens aigu du cahin-caha. Chez eux, c’est la main dans la main. Il faut entendre Norman Watt-Roy cavaler au pouet pouet dans «Take Me Back». Il cavale en crabe comme Charles Laughton dans Quasimodo. Il pouette tout ce qu’il peut dans le bénitier avec une fantastique énergie divisionnaire. Retour au pur Feelgood sound avec «The Hook (Little Darling)». Wilko fait la pluie et le beau temps, il claque des accords sourds comme des pots et roulez jeunesse ! Il termine cet album passionnant avec «Out In The Traffic», un rumble très salubre. Avec un mec comme Wilko, on se sent en sécurité. Surtout si on a lu son book. Ce mec impose en plus un sacré respect. Il roule dans la fournaise de sa petite pétaudière avec un Norman Watt-Roy fidèle au poste et un certain Salvatore Ramundo au beurre. Wilko passe un solo tranchant à la Mick Green, il écharpe le chorus à coups de sharp. L’un des pires d’Angleterre.

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    Encore un album live avec Don’t Let Your Daddy Know paru en 1991. On retrouve la même équipe, avec un Norman Watt-Roy en forme et un Wilko qui chante toujours aussi mal. C’est Watt-Roy qui ramone la cheminée d’«Everybody’s Carrying A Gun». Le son de «Barbed Wire Blues» est tellement aigrelet qu’on craint pour sa santé. En écoutant le boogie romp du morceau titre, on se dit que tout va bien tant que Wilko ne chante pas. Watt-Roy broute la moule du cut mais hélas, Wilko revient au chant et ruine tout. Il ne s’en rend même pas compte. Dès qu’il ouvre le bec, tout s’écroule. Il n’a pas de voix. Pourquoi ne l’empêche-t-on pas de chanter ? Ça lui rendrait service. Il revient à son vieux «Keep It Out Of Sight». On attend la niaque de Lee Brilleaux et Wilko ramène sa voix aigrelette. Quelle déconvenue ! Derrière, les deux autres tentent de sauver les meubles. Wilko part en petite maraude de gratté de gratte. Mais il revient au micro et c’est la catastrophe, même si Watt-Roy bombarde au pouet de bassmatic. «Cairo Blues» est l’un des cuts les moins pires, car Wilko chante de l’intérieur du menton. Mais il faut rester honnête : c’est insupportable.

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    Attention, il existe deux albums portant le même titre : Going Back Home. Le premier date de 2003, et le deuxième est celui qu’il enregistre en 2014 avec Roger Daltrey. Sur celui de 2003, on retrouve la même équipe, Wilko, Norman Watt-Roy et Salvatore Ramundo. Rusé comme un renard, Wilko attaque «Beauty» au laid-back pour bien cacher son absence de voix. Norman Watt-Roy pouette ça bien. Il faut dire au Ramundo frappe sec dans «She’s Good Like That». C’est un album étrangement travaillé côté son. Dès qu’il cesse de chanter, Wilko devient intéressant. Il va chercher des accords de revoyure dans ses transits intestinaux et derrière, Norman Watt-Roy pouette comme un roi. Ils n’en finissent plus de faire du Feelgood. Ils ne s’en lassent pas. Avec «I Really Love You Rock’n’Roll», Wilko revient à son petit trépidé de Canvey. Il n’en sortira jamais. Il est très fort, car il trouve toujours des gens pour l’accompagner, même s’il n’a pas de voix. Il chante «Underneath Orion» comme il peut, c’est très galvaudé. Il garde bien ses prérogatives. Pas question de toucher aux oraisons de son so si son sec. D’un strict point de vue boogie, c’est infernal. Le seul problème reste la voix. Un vrai carnage. Avec «Slippin’ And Slidin’», il retombe dans les catacombes du pub-rock mal chanté. Petite tentative de retour à Feelgood avec «Down By The Waterside». Wilko fait son Lee Brilleaux et devient pathétique. Il termine en chantant «Some Kind Of Hero» comme un chiffonnier. C’est même assez effarant de candeur destructive.

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    Quand Roger Daltrey vient trouver Wilko en 2014 pour enregistrer l’album Going Back Home avec lui, c’est avant l’opération. Wilko n’a plus que quelques semaines à vivre et Daltrey lui dit :

    — Je ferai tout ce que tu voudras.

    — Bon, okay, lui dit Wilko, We’ll have to do it quick !

    Pour un album vite fait, c’est plutôt réussi. Going Back Home est un sacré smash in the face. Cet album faramineux démarre en trombe avec le morceau titre. On est aussitôt agressé par l’énormité du son. Impossible de résister à ça. Roger et Wilko overwhelment. C’est assez dément. Belle association de dynamiques. Rog chante au sommet du lard et Wilko riffe à la raff. L’autre sommet de l’album s’appelle «Keep On Loving You», fantastique shoot de R’n’B avec un Wilko qui casse bien la cadence des accords. Ils optent pour le rentre-dedans. Wilko joue avec une rare férocité. Il tape dans son vieux «Sneaking Suspicion». Il wilkote tout sur son passage et Rog surchante son shoot. Wilko cocote comme un démon alors ça devient fascinant. On retrouve la grandeur d’un son unique. Wilko joue le rock à l’avenant et Daltrey chante avec un power mille fois plus éclatant que celui de Lee Brilleaux. La puissance riffique atteint un degré jusque-là inconnu. Daltrey ne fait qu’aggraver les choses - Midnight on the river/ In the light of the flames - Superbe envolée - Sneaking suspicion/ Creeping up inside of me - Wilko vient riffer dans le lard du contrepoint. Nouveau coup de génie avec la reprise de «Keep It Out Of Sight» - If you wait until your time is right/ Keep it out of sight - C’est noyé d’orgue, Rog se jette dans la bataille et Wilko riffe comme au bon vieux temps. Ces mecs chevauchent les walkiries des temps modernes. Encore du pur jus de Feelgood avec «All Throught The City». Rog se plie aux lois du vieux Wilko, ça riffe comme à Canvey, ils sont dans le vieux son ultra tendu, dans le vieux son de Tele noire et rouge. Wilko reprend aussi son vieux «Ice On The Motorway». Rog joue bien le jeu, c’est un brave mec. Du coup, il nous remonte dans l’estime. Rog et Wilko font bien la paire. Ils ont du métier et n’ont fait que du rock anglais toute leur vie. Le vrai truc. Ils sont effarants de tenue, de wah c’mon ! Wilko cisaille comme un dingue. Ils sortent un son fabuleusement enjoué, la meilleure cocotte du coin. Wilko ne lâchera jamais la rampe. Rog chante «I Keep It To Myself» comme un dieu. Ils tapent aussi une belle version du «Can You Please Crawl Out Your Window» de Dylan. C’est à nouveau un extraordinaire mix de son et de talent. On voit rarement des combinaisons aussi flashy en Angleterre. La chanson est belle, elle frise le Baby Blue, Rog descend la côte avec son pote Koko. Gros niveau. On comprend que Shindig ait retenu cet album pour le numéro du 50e anniversaire.

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    Encore un album explosif : Red Hot Rocking Blues, paru en 2005. Wilko annonce la couleur avec le morceau titre, un shoot de r’n’b doté de tout le swagger de Feelgood. Exactement le même. Troublant, n’est-ce pas ? Wilko donne une nouvelle leçon de boogie et derrière lui Norman Watt-Roy pouette comme un pétomane. On sent le trio à son apogée. Tout ce qu’ils jouent sur cet album est saturé de son. Ils sortent un son très volontaire, très carré de menton. Ils tapent dans Leadbelly avec «The Western Plains». Wilko chante ça au chat perché, avec une approche terriblement solide du heavy beat de youpee-yeah et du Feelgood Sound à la clé. Il chante ensuite l’«He Ain’t Give You None» de Van Morrison à la vie à la mort puis il tape dans Fats avec une version fantastique d’«Hello Josephine». Quelle révélation ! Wilko refabrique de la légende. Et voilà qu’ils tapent une cover d’«Help Me» au shuffle de Booker T. Assez bien vu. Ça groove à la vie à la mort de la mortadelle et ce démon de Norman Watt-Roy drive le brouet à la brouette. Wilko se jette dans la mêlée avec une certaine aura, mais il ne pourra jamais rivaliser avec la version d’Alvin Lee qui se trouve sur le premier album de Ten Years After. Il claque «Casting My Spell» à la petite claquemure de Canvey et se fend d’un nouvel hommage de choix, cette fois avec le «Talking About You» de Chikkah Chuck. Il nous gratte ça à l’accord de Tele et il revient à Van Morrison avec «Ro Ro Rosie». Il fait du Van feelgoodien, c’est assez gonflé. Il chante ça d’une petite voix fine. C’est très spécial, très dépouillé et très bienvenu. Il reste dans le Van avec l’insubmersible «Brown Eyed Girl». Il met toute sa bravado dans l’exotica du Van. Il chante à la voix scintillante et sort une version étonnante. Cet album marque bien son territoire et nos trois amis s’entendent comme larrons en foire.

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    En 2007, Julien Temple contacte Wilko : il souhaite raconter l’histoire de Dr Feelgood. C’est cette histoire que raconte l’excellent Oil City Confidential. Julien Temple boucle avec ce film sa fameuse trilogie de la renaissance du rock anglais : Feelgood, Sex Pistols et Joe Strummer. Direction Canvey Island, cette île située dans l’estuaire de la Tamise. Pour donner une dimension biblique à son film, Temple démarre les pieds dans l’eau, avec des images de la grande inondation de Canvey Island datant des années cinquante. L’île est en dessous du niveau de la mer, alors forcément, quand une digue cède, la mer reprend ses droits. Comme Temple sait raconter une histoire, il commence par le B-A-BA de Feelgood : le son de Wilko. Pas de médiator ? - Je n’arrivais pas à la tenir, alors j’ai appris à jouer sans - Wilko redit sa vénération pour Mick Green qui jouait à la fois la rythmique et les solos - Pas facile de reproduire ses trucs, I tried, I tried, I tried, c’est comme ça que j’ai trouvé mon style - Et tout Feelgood repose là-dessus, l’originalité d’un style directement inspiré de celui de Mick Green. Pas mal pour un mec qui voulait d’abord devenir écrivain, puis peintre, au retour de son voyage aux Indes. Il faut l’entendre parler, son accent est merveilleusement décadent : pour dire ‘in those days’, il prononce ‘in thoze dailles’. Les autres Feelgood l’embauchent et le groupe commence à aller jouer à Londres. Ils portent encore les cheveux longs, jusqu’au moment où Wilko fatigué d’avoir les cheveux collés sur la figure les coupe. C’est là que va naître le look sharp, costards, cravates et hot r’n’b. Sparks et Figure ressemblent à des petits truands. Mais Temple tue son film avec une overdose d’extraits de vieux films d’action en noir et blanc qui n’amènent que des brusques accélérations de rythme. Une sorte de violence à la mormoille, avec des coups, des chocs et des cris. On aurait préféré voir plus de footage de Feelgood. Les choses prennent une tournure infernale avec «She Does It Right», les voilà en couve du NME, juste avant de signer leur contrat. C’est Andrew Lauder qui les signe sur United Artists et c’est parti, up a storm, premier album, photo de pochette à Canvey et tournée anglaise. Pas de problème, ils ont les chansons, ils enchaînent avec «Keep It Out Of Sight» et le deuxième album, jusqu’au moment où Wilko tombe en panne. Pas de nouvelles chansons ? Pas de problème les gars, on va faire un album live. Mais sur scène, on voit les limites du système Feelgood. Wilko fait trop de comédie, alors que Lee Brilleaux joue son rôle de chanteur à la perfection. Summer 76, Feelgood est devenu le plus grand groupe anglais. Wilko sniffe son speed dans son coin et les autres boivent comme des trous au bar. Et ça tourne en eau de boudin, Lee ne plus supporte plus Wilko, il voudrait bien l’étrangler. Au bout de six ans, le Feelgood System meurt de sa belle mort. No more songs. On entend même dire vers la fin du film que Wilko a deux femmes. C’est contraire aux règles du groupe.

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    En 2015, Julien Temple va tourner un autre film avec Wilko, The Ecstasy Of Wilko Johnson. C’est en gros l’histoire de la maladie, telle que racontée dans My Life - Don’t You Leave Me Here et de la résurrection. Mais ça ne fait pas double emploi, car Wilko raconte cette histoire avec une simplicité désarmante - My life coming to an end - On a le son de sa voix en plus. On lui annonce qu’il lui reste dix mois à vivre. Julien Temple entrelarde ce long monologue d’extraits de films, mais des extraits de luxe, cette fois, qui vont jusqu’au Nosferatu de Murnau. Wilko raconte un voyage au Japon et nous montre un monastère au-dessus de Kyoto. Il est au Japon for a couple of farewell gigs, et, comme au Havre, il termine son set avec «Bye Bye Johnny». Puis il fait un farewell tour of England avec Norman Watt-Ray dans une ambiance énorme - This could be the last one - Évidemment, les gens pleurent, comme au Japon. Wilko raconte ses insomnies - It’s 3 o’clock at night and you think of your body - Puis il met bien les pendules à l’heure - I absolutely do not believe in God. I don’t believe in survival after death. Death is oblivion - Et il passe directement à l’astronomie, sa passion - I’ve a dome on my roof - et il cite Venus, sa planète favorite. Sur la jetée, Wilko joue aux échecs avec les mort. Il évoque aussi Johnny Kidd - I was devoted to it - Il dit aussi avoir cessé de s’informer, ni journaux ni télé, I’ve got no future, so what’s the point ? Il évoque bien sûr la disparition de sa femme - The mystery of love is greater than the mystery of death - et pendant le dixième mois de son sursis, il enregistre son fameux album avec Roger Daltrey. Et pouf, voilà qu’en 2014 il apprend qu’il est opérable, et donc sauvable. C’est reparti. Albums et tournées !

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    En 2018 paraît un nouvel album du trio sauvé des eaux, Blow Your Mind. Wilko ne perd pas la main car dès le «Beauty» d’ouverture de bal, on sent venir l’énormité. C’est un retour direct au Feelgood Sound. Il joue avec son sens aigu de la cisaille et de la petite entourloupe. Ce mec est très puissant. Il a su créer un univers sonore reconnaissable entre mille - Your beauty doesn’t fade/ Your beauty shall remain - Il nous sort du sharp de rêve. On reste dans le pur jus de Feelgood avec «Take It Easy», un cut qui aurait très bien se trouver sur Down By The Jetty. C’est exactement le son de «Roxette», Wilko est gonflé de revenir avec le même riff, mais comme on l’aime bien, on ferma sa gueule. «Say Goodbye» sonne comme un vieux boogie, mais c’est beaucoup plus que ça : Wilko percute le beat du boogie. C’est son truc, avec Watt-Roy derrière en franc-tireur. Wilko envoie ses merveilleux accords de Tele exploser dans le beat. C’est très impressionnant, même lorsqu’on est habitué aux prodiges. Il faut aussi l’entendre claquer des accords dans tous les coins avec «Blow Your Mind». Ce mec est parfaitement à l’aise dans la vie après la mort. S’ensuit un «Marijuana» claqué d’entrée de jeu. Il ne réinvente pas le fil à couper le beurre, mais ça reste du bon Zyva Mouloud de feel so good. Pas de surprise non plus avec «Tell Me One More Thing». Difficile de se réinventer avec des cicatrices sur toute la poitrine. Norman Watt-Roy et un shuffle d’orgue ramènent de la viande, un gros paquet de viande. Wilko propose enduite un «That’s The Way I Love You» monté sur le beat de «Let’s Work Together». Et il en profite pour s’adonner à son péché mignon : la cisaille. Et comme le montre «I Love You The Way You Do», ces trois mecs savent enfiler le cul d’un cut de boogie. Il swinguent ça comme des vétérans de toutes les guerres. On les voit ensuite driver le butt d’«I Don’t Have To Give You The Blues» à la bonne franquette de Canvey. Plus que tous les autres, Wilko est habilité à swinguer le boogie d’Angleterre. Une fois encore, on sent le trio en pleine possession de ses moyens. Sur cet album, on ne s’ennuie pas un seul instant.

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    Voici peu, Wilko donnait une fort belle interview à Ian Fortman dans Classic Rock. D’emblée, Fortman se dit impressionné par Wilko - a personality defined by raw charisma and sheer likability - et le voit aussi alerte qu’un amphetamine meerkat, c’est-à-dire un suricate qu’on appelle aussi la sentinelle du désert. Il ajoute que Wilko est l’un de ceux dont on reconnaît immédiatement le son, et ils ne sont pas des masses à pouvoir se prévaloir d’un tel privilège. Wilko rappelle que les voyages lui ont ouvert les yeux : son premier trip aux Indes, mais aussi les tournées avec Feelgood. Il adore l’Espagne et affirme que les Espagnols savent faire la fête. Pour lui, une fiesta de procession serait impossible en Angleterre. Il dit aussi aimer le Japon et les Japonais à la folie. L’année où un médecin le jugea condamné où il fut confronté à la mort fut dit-il la plus intense de sa vie. Il se sentait la plupart du temps en état d’éveil avancé - Most of the time I was in a state of heightened conciousness - Il regardait autour de lui et trouvait tout très beau. C’est durant cette période qu’il s’est produit au Fuji Rock Festival devant des gens qui le savaient condamné. Pendant un an, il a vécu avec l’idée qu’il allait mourir. Il se disait : «N’espère pas un miracle. Just get on with it.» Puis arrive l’épisode de Charlie Chan et du Professeur Huguet qui dit pouvoir l’opérer et le sauver. Wilko sortit du rendez-vous et se mit à rigoler dans la rue - It was so stupid - Ce genre de chose n’arrivait jamais, même dans les contes de fées. Pour conclure, il confesse qu’il éclate en pleurs chaque fois qu’il pense à Irene, disparue depuis quinze ans.

    Signé : Cazengler, Wilkon

    Dr Feelgood. Down By The Jetty. United Artists Records 1975

    Dr Feelgood. Malpractice. United Artists Records 1975

    Dr Feelgood. Stupidity. United Artists Records 1976

    Dr Feelgood. Sneaking Suspicion. United Artists Records 1977

    Solid Senders. Solid Senders. Virgin 1978

    Wilko Johnson. Ice On The Motorway. Fresh Records 1980

    Wilko Johnson. Pull The Cover. Skydog International 1984

    Wilko Johnson. Call It What You Want. Line Records 1987

    Wilko Johnson. Barbed Wire Blues. Jungle Records 1988

    Wilko Johnson. Don’t Let Your Daddy Know. Bedrock Records 1991

    Wilko Johnson. Going Back Home. Mystic Records 2003

    Wilko Johnson. Red Hot Rocking Blues. Red Hot Records 2005

    Wilko Johnson & Roger Daltrey. Going Back Home. Chess 2014

    Wilko Johnson. Blow Your Mind. Chess 2018

    Ian Fortman : The gospel according to Wilko Johnson. Classic Rock # 254 - October 2018

    Wilko Johnson. My Life. Don’t You Leave Me Here. Abacus 2017

    Julien Temple. Oil City Confidential. DVD 2010

    Julien Temple. The Ecstasy Of Wilko Johnson. DVD 2015

     

    Dylan en dit long

    - Part Four

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    Ce n’est pas parce qu’on les connaît par cœur qu’il faut se priver du plaisir de revoir les Dylan movies. On peut même jouer au petit jeu du big shot : neuf heures de visionnage ininterrompu, quatre Dylan movies à la queue leu-leu, No Direction Home, Don’t Look Back, I’m Not There et Masked And Anonymous, histoire de bien comprendre une chose une bonne fois pour toutes : Dylan est un artiste qui met son intelligence au service de ses fans, et non au service des médias qu’il méprise profondément. On finit aussi par comprendre que le lien qui nous unit à lui n’est pas un lien ordinaire. Il serait selon toute vraisemblance d’ordre spirituel.

    Dit comme ça, c’est très con, mais on se surprend parfois à écouter attentivement ses paroles, de la même façon qu’on écoutait au temps jadis les paroles d’un sage. Les gens dit-on écoutaient attentivement les paroles de ce hippie qui sillonnait la Palestine, voici deux mille ans. Dylan suscite le même genre d’intérêt, on attend qu’il nous dise les choses qu’on a besoin d’entendre, que ce soit dans les paroles d’une chanson ou dans le court monologue qu’il déclame en voix off à la fin de Masked And Anonymous, lorsqu’il est assis au fond du bus qui l’emmène vers une taule - I was always a singer and maybe no more than that. Parfois ça ne suffit pas de comprendre le sens des choses. Sometimes we have to know what things don’t mean as well, c’est-à-dire qu’on a parfois besoin de savoir que les choses n’ont pas de signification. Mais vous ne devez pas ignorer que la personne que vous connaissez est capable d’amour. Tout finit par disparaître, surtout l’ordre bien établi of rules and laws. The way we look at the world is the way we really are. Truth and beauty are in the eyes of the owner, c’est-à-dire que la vérité et la beauté sont dans tes yeux. I stopped trying to figure things out a... long... time... ago - Il dit ça d’une voix si profonde qu’elle résonne en nous.

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    Après Alias (Pat Garrett & Billy The Kid), Jack Fate (Masked And Aonymous) est le deuxième grand rôle de Dylan. Mais le film de Larry Charles co-écrit par Dylan, est un peu confus, on ne peut pas trop parler d’intrigue. L’histoire se déroule dans un pays latino soumis à une dictature stalino-garcia-marquezienne. Larry Charles donne l’un des rôles principaux au gros John Goodman qui fait bien l’impresario véreux et l’autre à Jeff Bridges qui fait mal le journaliste foireux, deux acteurs qui, souviens-toi, firent les beaux jours du Big Leibowski. Tous les personnages sont en fait des personnages allégoriques et on reconnaît la patte de Dylan qui dans ses chansons en fait intervenir constamment : le rainman, le ragman, Shakespeare he’s in the alley, the joker and the thief, the two riders approaching, Cinderella, Einstein déguisé en Robin Hood, the Phantom of the Opera, Mr Jones, donc il n’est pas surprenant de voir se pointer Oscar Vogel (Ed Harris avec le visage peint en noir), Animal Wrangler (Val Krimer descendu de son nuage morissonien), Bubby Cupid en veste en peau de serpent, comme Brando, et qui ramène tiens comme c’est bizarre la guitare de Blind Lemon Jefferson - That’s one of the guitars that started it all - Tout se déroule en fait comme dans une chanson de Dylan, l’histoire n’a pas d’importance, ce sont les événements qui mènent le bal, un punch up ici, un dialogue au fond d’un bus là. Dylan écoute notamment un jeune mec qui raconte des histoires de révolution et de contre-révolution sans rien dire, jusqu’au moment où le bus est arrêté par des guérilleros sur une route de campagne et le jeune mec se fait descendre, une façon pour Dylan de nous dire qu’au fond tout ça ne sert à rien, les révolutions et les contre-révolutions. Elles ont toujours existé et elles existeront encore longtemps après que les poètes aient disparu, c’est dans la nature humaine de n’être pas content de son sort. Jack Fate le sait, mais à quoi bon l’expliquer ? Il faut voir la classe du Dylan vieillissant, à peine sorti d’un cachot, en chapeau western blanc, costard clair, étui à guitare et housse de costume sur l’épaule. Il monte dans le bus du wrong way sur fond de «Like A Rolling Stone». On l’a sorti d’un cachot car le gros Joe Goodman a besoin d’une tête d’affiche pour un concert de charité. Mais où sont les superstars ? Dylan se moque un peu du showbiz.

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    La plus grande partie du film est tournée dans un immense studio de cinéma. On y voit des caravanes qui servent de loges, une scène et une foule de gens. Ce sont évidemment les plans musicaux qui font la force de Masked. Elles sont en plus admirablement filmées. Pour «Cold Irons Bound», Dylan est cadré penché au micro, à l’avant du groupe, comme une figure de proue, il chante à l’éreintée et gratte une Strato, soutenu par un superbe backing-band, et là il redevient l’icône que l’on sait. Pareil avec «Down In The Flood», il porte une chemise western noire et gratte sa Strato pointée vers le sol. Il fait aussi de l’Americana avec «Diamond Joe» - You better come and get me Diamond Joe - le batteur fouette un carton, ça stand-uppe et ça banjotte, youpee ! Dylan monte encore d’un cran avec une incroyable version de «Dixie» - Away from Southern Dixie - Il chante ça au chat perché magique et il casse encore la baraque un peu plus loin avec «I’ll Remember You», l’un de ces balladifs extrêmement mélodiques dont il a le secret. Mais là où tout explose, c’est dans la scène de la petite black. Une femme ramène la gamine sur scène et explique qu’elle a appris toutes les chansons de Dylan par cœur. Quand Dylan lui demande pourquoi, la femme dit qu’elle le lui a demandé. Bon, la gamine chante «The Times They Are A Changing» a capella et Dylan dit en voix off : «The sacred is in the ordinary.»

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    Vu d’avion, on s’aperçoit que le film de Larry Charles est un peu à part des trois autres. Oui, car Todd Haynes emprunte à Scorsese qui lui-même emprunte à Pennebaker, les trois films s’alimentent les uns des autres. Ces trois ectoplasmes hybrides et gélatineux s’auto-dévorent. Il faut saluer le génie de Scorsese, l’audace de Pennebaker et surtout le courage de Todd Haynes, car franchement son I’m Not There fut assez difficile à avaler à l’époque de sa sortie. Trop arty ? Trop fictionnel ? Trop pas assez ? Trop trop ? Courageux l’Haynes, car il a opté non pas pour un seul acteur, mais cinq acteurs chargés d’interpréter le rôle de Dylan à différentes époques de sa saga. Comme dans Masked, Dylan porte chaque fois un nom différent. Il commence par s’appeler Woody Guthrie. Un petit black nommé Marcus Carl Franklin fait Woody, c’est-à-dire le Dylan échappé du pays des mines de fer que nous montre Scorsese, et comme l’Haynes opte pour la fiction, Woody est black, mais il parle un wild slang de hobo et saute dans des freight trains pour aller de Pittsburgh à Sioux Falls, et de Kansas City à Nashville, il trimballe sa guitare dans un étui ‘Kill Fascists’ et demande aux clodos du freight s’ils connaissent Carl Perkins. Il indique aussi qu’il a onze ans. L’Haynes crée une belle dynamique avec cette scène, idéale pour illustrer la genèse du mythe, celle d’un kid qui saute du nid pour partir à l’aventure. La symbolique est très forte. Elle préside au destin de Jack Fate. Et comme l’a fait Larry Charles dans Masked, l’Haynes nous sonne les cloches avec une première scène musicale, sans doute la meilleure du film : Woody, Richie Havens et un autre black grattent on the porch une version absolument démente de «Tombstone Blues», mais quand on a dit démente, on n’a rien dit. L’Haynes voulait toute l’énergie du wild kid et il l’a. Certains objecteront que le cut ne correspond pas à l’époque, mais si, car Dylan dira plus tard dans Chronicles qu’il a beaucoup emprunté à Robert Johnson et ce que font les trois blacks on the porch, c’est du pur Robert Johnson. Richie a une grande barbe grise, mais il faut le voir fracasser Dad’s in the alley/ He’s looking for food/ Mum’s in the kitchen/ Se ain’t no shoes - Woody black passe comme une lettre à poste. Les clodos le balancent dans une rivière et il est sauvé par Mr & Mrs Peacock. Ils doivent bien exister quelque part dans l’une des chansons. Woody black chante «Blowing In The Wind» dans le salon des Peacock. Jusque là, l’Haynes a tout bon. Woody black dit aux Peacock qu’il va aller à Hollywood - I’ll make it big/ Just like Elvis Presley - ça sonne comme une parole de chanson. Et bien sûr, Woody black débarque à New York et va rendre visite au vrai Woody dans l’hosto du New Jersey. Dans son film, Scorsese nous montre le vrai Woody sur son lit d’hôpital. Tout cela se tient merveilleusement. L’Haynes entrecroise les époques et les personnages, pour respecter l’esthétique dylanesque.

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    Christian Bale joue Jack Rollins, c’est-à-dire l’early Dylan de Greenwich Village, the troubadour of conscience. Alice Fabian fait Joan Baez. Elle indique que Jack arrête le protest en 1963, car il comprend alors qu’on ne peut pas changer le monde avec une chanson. L’Haynes emprunte la scène du Steve Allen show à Scorsese. Puis une autre scène, à Greenwood, Mississippi, où il chante devant un public de fermiers en salopettes. L’Haynes entrecoupe Jack Collins avec Arthur Rimbaud qui déclare ne pas aimer le mot poète - Call me a trapezist - Bon ça se complique avec Charlotte Gainsbourg qui n’est absolument pas crédible avec son anglais de Française. Fait-elle Suze ? Non plutôt Sara puisqu’ils ont des enfants. L’Haynes l’appelle Claire. Fond sonore : «Visions Of Johana». Et le Dylan de Sara est un acteur de cinéma joué par Health Ledger. Plans du Village, I Want You, petits seins de Charlotte. Ils achètent une moto. C’est elle qui conduit. C’est là où on perd un peu le fil. À trop vouloir triturer l’entrecuisse de la fiction, celle-ci perd la boule. L’Haynes mord le trait avec Jude Quinn, c’est-à-dire Cate Blanchett qui fait le Dylan 65 et qui n’est pas crédible, malgré ses efforts désespérés pour paraître mythique. Elle mise tout dans la coiffure. Newport Festival 65, Dylan goes electric, «Maggie’s Farm», booooo ! La voix de Cate Quinn n’est pas juste et l’Haynes nous fait une illustration visuelle du «Ballad Of A Thin Man» - Something’s happening in there but/ You don’t know what it is/ Do you Mr Jones ? - Cate porte le costume pied de poule de l’Albert Hall, Stars & stripes en déco de fond de scène. L’Haynes nous fait le coup de la druggy scene dans un décor d’Orange Mécanique, mais adieu crédibilité, Cate se came et ça ne passe pas car Dylan n’est par un drug wreck. On le voit aussi avec Ginsberg demander au Christ de descendre de sa croix - Boy tu vas te faire mal ! - Une femme fout le feu à ses cheveux dans la rue, comme dans un film de Kusturica - I accept chaos. I’m not sure wether it accepts me - L’Haynes tape en plein le mille et il brouille encore les pistes avec un Billy The Kid qui ne sort pas de chez Pekinpah, mais d’un délire de reconstitution baroque. Cette fois, Richard Gere endosse l’affaire. Mister B n’est pas Mister Jones. Mister B descend au village d’Halloween. Une girafe passe dans la rue. Les musiciens of the British Empire jouent dans un kiosque, ça se désinterprète à l’infini, comme dans une chanson de Dylan, Going To Acapulco, the smell of fear, waiting for the end of the world. Et puis lorsque Dylan devient chrétien, Christian Bale fait son retour pour un joli numéro de gospel bleu sur scène - I keep pressing on - Il est accompagné d’un groupe et de choristes noires, et ça passe comme une lettre à la poste. Pendant ce temps, Billy the Kid s’évade de sa taule et saute dans le freight train de Woody black. C’est là que l’Haynes situe l’accident de moto dans les bois. Puis Cate radine sa fraise pour mettre les points sur les i. Everybody knows I’m not a folk singer. Elle préfère qu’on parle de traditional music.

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    Scorsese opte pour la chronologie pure et dure et prend un peu plus de trois heures pour nous éclairer sur le Dylan qui s’étend de l’enfance jusqu’à l’accident de moto en 1966. Le génie de Scorsese consiste à filmer Dylan en plan serré de trois-quart plongeant et de le laisser parler. Comme dans Chronicles, il raconte ses souvenirs, ses rencontres et livre ici et là quelques traits d’esprit. Pour illustrer l’interview, Scorsese intercale de fabuleux plans d’archives. Dylan évoque son premier 78 tours et hop Hank Williams apparaît en noir et blanc ! Il chantonne «Cold Cold Heart» et on prend alors un sacré shoot d’Americana. Ça change la vie quand on démarre avec Hank Williams. Puis Dylan les évoque tous un par un, Johnny Ray qui faisait du voodoo et l’incroyable Webb Pierce avec sa gueule de gros bonbon dans son costume Nudie, une sorte de préfiguration kitschy kitschy de Gram Parsons. Dylan sort ensuite Muddy Waters de ses souvenirs et indique que c’est le son et non les gens qui l’ont frappé - That’s the sound that hit me - Gene Vincent, bien sûr, extrait d’un concert au Town Hall, mais le monde d’alors nous dit Bob était terriblement conventionnel. Il pense que c’est le temps et le progrès qui ont balayé le monde où il a grandi, le monde de Duluth et des mines de fer du Minnesota dont il fallait s’échapper sous peine d’anéantissement. D’autres portraits magiques suivent, l’incroyable John Jacob Niles qui gratte une espèce de grande harpe en chantant comme une nymphette évaporée et la violente Odetta qui gratte sa gratte en portant sur ses épaules de destin du pauvre peuple noir. Tout cela est d’une incroyable cohérence. Dylan révèle ses racines et tout s’éclaire. Tu as une bonne mémoire, Bob ! Oui, j’apprenais les chansons en les écoutant une fois. Il se marre et ajoute : ou deux fois.

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    Tiens voilà Woody. Mais il n’est pas black. Ah bon ? - Woody, a particular sound - Puis hommage à Joan Baez - She reached some place in the back of my mind - Si ça n’est pas l’hommage d’un homme génial à une femme géniale, alors qu’est-ce que c’est ? On est donc à Greenwich Village, le même Village que celui de l’Haynes, terre de liberté absolue, Dave Van Ronk qui chantait «House Of The Rising Sun» avant Dylan, Maria Muldaur, Fred Neil, Tiny Tim et Suze Rotolo qui est restée tellement belle, Scorsese la filme et lui rend grâce. D’autres encore, toujours vivants comme Liam Clamsy des Clamsy Brothers, quatre Irlandais qui chantaient du folk highly highloo à pleine gueule et qui portaient des gros shetland torsadés blancs. Ce ne sont que des personnages de légende, Scorsese fait de son film un vrai conte de fées. Liam Clamsy dit à Bob : «No fear, no envy, no meanness», ce qui veut dire en gros, pas de peur, pas de convoitise, pas de malveillance, à quoi Bob répond : «Right !». Ah ça te plaît Bob, ces trucs-là ! Il va même s’y conformer. Comme il se conforme aux conseils de sa grand-mère (ce n’est pas le but du voyage qui compte, mais le chemin à parcourir). Puis il parle du regard, mais il en parle à sa façon, avec une sorte de mystère translucide : «Les performers ont dans le regard un truc que les autres n’ont pas. I wanted to be that kind of performer.» Il dit aussi chercher the language that I had not heard before. Et puis voilà Pete Seeger, l’homme qui voulait trancher les câbles au festival de Newport, parce que Dylan et ses amis de Chicago jouaient trop fort. Ah la légende, elle ne te fait pas de cadeau, Bob ! Bob et Suze qui marchent dans la neige du Village, Mavis qui ne dévoile pas le secret de sa liaison avec Bob, Don’t Think Twice It’s Alright, et puis voilà Ferlinghetti car pas de Village sans Ferlinpinpin, et les voilà qui déboulent à Greenwood, Mississippi, dans le film de l’Haynes, Bob et Pete Seeger the communist. On peut dire que les archives ont bien reconstitué le film de l’Haynes : ce sont exactement les mêmes paysans en salopettes. Mais Bob s’arrête là, Joan Baez continue toute seule à mener le combat des civil rights. Elle va aux manifs. On lui demande si Bob viendra. Ben non. Bob est ailleurs - He was Charlie Chaplin, Dylan Thomas, Woody Guthrie, he was constantly moving.

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    Trois grandes étapes : Newport Folk Festival 63, Newport Folk Festival 64 et Newport Folk Festival 65. C’est là que se joue le destin du monde qui nous intéresse. Dans le 63, il y a Cash, mais surtout the mighty Wolf devant 15 000 personnes, les Staple Singers et le duo Bob/Joan Baez qui chante à l’unisson du saucisson with God on our side. Bouleversant ! C’est là qu’on le traite de Voice of our generation.

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    Dans le 64, il chante «Mr Tambourine Man» et dit : «Cash was a religious person to me». Joan est toujours dans les parages. Tambourine Man ne plaît pas au puristes. Dylan plus commercial ? Il donne sa version de l’équilibre : ne jamais oublier qu’on est en constante évolution. Dans le 65, il attaque avec «Maggie’s Farm», Pete Seeger attrape une hache et veut trancher les câbles, mais l’Haynes fait intervenir deux mecs qui lui sautent dessus pour le maîtriser. Dans le public, des gens gueulent. Hooo ! Traitor ! En anglais, un traitor n’est pas un traiteur. Scorsese filme Seeger qui se dit très contrarié. «Like A Rolling Stone» sonne comme une insulte aux oreilles des folkeux. Dylan et ses copains de Chicago font trois chansons et quittent la scène. Mais il accepte de revenir avec une acou pour chanter une chanson.

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    Le Newport 65 marque donc une rupture. Politiquement, Bob marque sa différence - I was an outsider - Il ne veut pas rentrer dans les combines des partis de gauche américains. Puis Scorsese emprunte des plans à Pennebaker pour illustrer la zone London 65. La caméra suit Bob partout et à la fin, il n’y fait plus attention. Ginsberg, Donovan, Joan est toujours là, elle trouve que Bob change - It was awful - et crack, elle sort sa gratte pour chanter devant Scorsese «Love Is Just A Four-Letter Word». Elle joue ça au picking d’Americana et diable comme cette femme est restée belle.

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    Scorsese entre alors dans la zone magique, studio Columbia, Tom Wilson, Bloomy, «Like A Rolling Stone», Al Kooper raconte ses souvenirs - Bob said turn the organ up - Ah il est fier le Kooper ! Il n’était pas censé jouer de l’orgue mais Bob en pinçait pour son son d’orgue. Tiens, Bob a le même petit menton que Phil Spector ! Quoi ? 50 couplets dans «Like A Rolling Stone» ? Il existe en effet une version longue. Malgré la magie du son et des chansons, le public de Forest Hill hue Bob qui se marre : «Les gens chantaient en chœur ‘Like A Rolling Stone’ et aussitôt après la fin de la chanson, ils se remettaient à huer.» Scorsese emprunte une autre conférence de presse à Pennebaker. C’est hilarant - Ce métier est surreal, alors je fais des chansons surreal - Dylan doit affronter à Londres comme à Paris l’immense bêtise des journalistes. Puis à un moment, il dit stop à l’impresario Grossman. Il a en ras le cul des tournées et des conférences de presse à répétition. Je veux rentrer chez moi ! Motorcycle crash. Il ne repartira en tournée nous dit Scorsese que huit ans plus tard.

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    On aurait dû commencer par Pennebaker car comme le disent si bien les Anglais, he started it all. C’est le pionnier du Dylan movie. C’est dans ce film cultissime que Mick Farren a trouvé le titre de son livre : à l’arrière d’un taxi, Dylan dit à Grossman : «Give The anarchist a cigarette!». Parole d’évangile, Farren d’Angleterre fait allégeance. Don’t Look Back raconte la tournée anglaise de 1965. Tournée d’acou et d’harmo, Dylan seul sur scène en veste de cuir noir. Greenwich Village débarque au Royaume Uni. Un Dylan mille fois plus rock’n’roll que n’importe rocker anglais. Il a tout : la gueule, le gratté de jambes écartées et le power du contenu. Dylan l’anti-baltringue, Dylan le messie, mais si, comme dirait Eve Sweet Punk Adrien. Sur cette tournée, le comité restreint d’Albert Grossman, Joan Baez, et Bob Neuwirth accompagne Dylan. Il répond comme il peut aux questions pénibles des journalistes anglais qui visiblement ne comprennent rien à rien, car ils n’ont pas la moindre notion de métaphysique. Dylan attache une importance considérable au sens des mots et il ne veut pas parler pour ne rien dire, mais bon, le monde devient pop en 1965. Le seul entretien intéressant aura lieu avec un journaliste métis de BBC Afrique : il annonce quatre questions qui semblent intéresser Dylan, du moins le voit-on sur son visage - Comment avez-vous démarré, Bob ? - Et pouf, Pennebacker balance l’extrait filmé du concert de Greenwood, Mississippi, devant les fermiers en salopettes. Ce merveilleux documentaliste qu’est Pennebaker a choisi le mode road movie pour cristalliser la fascination qu’exerce Dylan sur lui, un road movie en noir et blanc séquencé par trois catégories de plans : ceux des chambres d’hôtel, les extraits de concerts et les rencontres avec les fans. C’est extrêmement bien foutu, jamais complaisant, Dylan est toujours au centre de l’image. On le voit plusieurs fois prendre «The Times They Are A Changing» au gratté dylanex et paf, il passe ses coups d’harmo qui sont des moments extraordinaires. Dylan y sacralise l’expression d’un art purement américain et donne, mieux que ne le fera jamais une guitare, l’idée de l’espace américain, ou pour rester plus prosaïque, l’idée d’une tradition musicale purement américaine. L’homme se révèle messianique, ça crève les yeux, surtout quand il chante ce chef-d’œuvre de sensibilité mélodique qu’est «The Lonesome Death Of Hattie Carrol». On se régale aussi des plans filmés dans les chambres d’hôtels. On y voit Joan Baez chanter un «Turn Turn Turn» qui n’est pas celui des Byrds pendant que Dylan tape un texte à la machine. C’est encore un point commun avec Eve Sweet Punk Adrien, taper à la machine. Les deux messies, mais si, tapent à la machine. Dans l’un des hôtels, Dylan encontre Alan Price qui confirme qu’effectivement il n’est plus dans les Animals. C’est comme ça, dit-il laconiquement. Dylan rencontre aussi Donovan qui chante au doux du folk anglais, en s’accompagnant à l’acou. Impressionnant, bien sûr. Beau lui aussi, bien sûr. Pour rétablir sa suprématie, Dylan lui demande la guitare pour attaquer au strumming pesant «It’s All Over Now Baby Blue». On pourrait intituler cette scène ‘le choc des titans’. Dylan remonte sur scène pour chanter «Don’t Think Twice It’s Alright». Pure magie. L’autre séquence emblématique du film est le «Subterranean Homesick Blues» d’intro, lorsque Dylan jette un à un les grands formats où sont dessinés certains mots clés de son texte. Allen Ginsberg se tient en arrière plan, comme une sorte de caution intellectuelle. Il existe une autre version de ce Subterranean filmée devant un parc. Les plus fortunés d’entre nous auront certainement rapatrié la box deluxe qui propose un deuxième DVD : Dylan 65 Revisited. Ce sont les outtakes de Don’t Look Back, on n’y apprend rien de plus, on voit un peu plus les villes, Sheffield, Liverpool, Leicester, Manchester, le Royal Albert Hall et surtout Nico qui pour une raison x ne figure pas - ou à peine - dans Don’t Look Back.

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    Mais le meilleur film sur l’early Dylan est sans doute Inside Llewyn Davis des frères Coen, un Llewyn Davis qu’interprète le brillant Oscar Isaac. Bizarrement, il ressemble à Scorsese jeune, tel qu’on le voit à l’arrière du taxi de Travis Bickle dans Taxi Driver. Sans doute un clin d’œil. Les frères Coen on recréé l’ambiance du Gaslight de Greenwich Village et les prestations de Dave Van Ronk, l’une des grandes idoles de Dylan. On voit même sur scène les Clamsy Brothers avec leurs gros shetland torsadés blancs. Vers la fin du film, on voit Dylan sans le voir, assis sur scène face au public, en plein Freewheelin’. Ce film est un petit chef-d’œuvre d’honnêteté intellectuelle et de justesse de ton. Les frères Coen veillent surtout à reconstituer la grande précarité qui caractérisait le quotidien de ces chanteurs de folk débarqués à New York, dont Dylan faisait partie : pas de pied-à-terre, on dort à droite et à gauche, on vit d’expédients et on chante des chansons extraordinaires qui comme le dit Dylan dans Chronicles racontent toutes des histoires extraordinaires. Les frères Coen ont aussi l’intelligence de ne pas couper les chansons. Oscar Isaac chante «Hang Me, Oh Hang Me» et entier. L’autre scène clé du film est l’enregistrement en studio de «Please Mr. Kennedy», avec Oscar Isaac, Justin Timberlake et Adam Driver. Live, one take ! Oscar Isaac est un chanteur guitariste extraordinairement doué, il joue en live, comme le rappelle T-Bone Burnett dans les bonus du film. Si on s’intéresse à Dylan, il faut impérativement voir Inside Llewyn Davis.

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    D.A. Pennebaker. Don’t Look Back. 1986

    Martin Scorsese. No Direction Home. 2005

    Todd Haynes. I’m Not There. 2007

    Larry Charles. Masked And Anonymous. 2003

    Joel & Ethan Coen. Inside Llewyn Davis. 2014

     

    L’avenir du rock - En travers la gorge

     

    Chaque jour à la même heure, l’avenir du rock promène son chien. Alors qu’il se dirige d’un pas nonchalant vers le fleuve, un homme l’interpelle :

    — Excusez-moi, monsieur, ne seriez-vous pas l’avenir du rock ?

    — Parfaitement. Mais à qui ai-je l’honneur ?

    — Oh, je suis l’avenir de l’humanité. Enchanté de faire votre connaissance.

    — Pareillement. Je dispose d’un petit quart d’heure, voulez-vous m’accompagner ?

    — Avec plaisir, d’autant que je souhaiterais connaître votre sentiment...

    — À quel propos ?

    — Eh bien, à propos de l’humanité. J’admire votre optimisme... Pourquoi n’êtes-vous pas contagieux ?

    — Posez donc la question aux épidémiologistes ! On n’entend plus qu’eux depuis un an ou deux, cette épouvantable bande de charognards sera ravie de vous apporter des réponses. Mais si j’étais à votre place, j’éviterais de perdre mon temps à m’interroger sur l’humanité...

    — Soyez plus clair !

    — Mais enfin, vous êtes bouché ou quoi ?

    — Si vous continuez à me parler sur ce ton, je vais vous en coller une, vous allez voir !

    — Chez moi, on appelle un chat un chat, que ça plaise ou non. Vous voulez vraiment que je vous dise le fond de ma pensée ? L’humanité ? Aucun espoir. Voilà c’est dit ! L’avenir de l’humanité, ah ah ah ! Regardez-vous !

    Excédé, l’avenir de l’humanité frappe l’avenir du rock qui s’écroule sur le dos. Le chien se barre avec sa laisse.

    — La prochaine fois, vous éviterez de m’insulter !

    Et l’homme disparaît comme il était apparu. L’avenir du rock se relève et appelle son chien. Rien. Il rentre chez lui sans chien avec le pif en sang.

    — Bon la journée commence bien ! C’est le moment ou jamais d’écouter les Cutthroat Brothers !

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    En gros, la chemise de l’avenir du rock est dans le même état que les blouses des deux Cutthroat Brothers, tels qu’on les voit sur la pochette de leur premier album. C’est vrai qu’avec ces deux mecs-là, l’avenir de l’humanité est mal barré. Par contre, l’avenir du rock n’a jamais été en de si bonnes mains. Ce premier album sans titre paru en 2019 est une véritable bombe atomique, une de plus. On doit la découverte de ce duo dégueulasse à Gildas qui lors des ultimes sessions du Dig It! Radio Show en distillait la substantifique moelle, ah il fallait entendre ce son couler comme un filet de bave vénéneuse. Ces atroces Brothers sonnaient comme une révélation, ils donnaient du relief à ces sessions pourtant bien fournies.

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    Le premier album des Cutthroat Brothers n’a pas de titre et date de 2019. Ils ont l’air de sortir un film gore, avec du sang plein leurs blouses de chirurgiens et leurs bras couverts de tatouages. Le hit de l’album s’appelle «Potions & Powders». Donny Paycheck sait swinguer un heavy beat, et son mid-tempo est hanté par le bottleneck de Jason Cutthroat. Le «Kill 4 U» d’ouverture de bal d’A est assez déstabilisant, car riffé dans le lard fumant. Assez imparable. S’ensuit un «Skeletton Rides» têtu comme une bourrique. Ils travaillent leurs cuts dans la matière du son, c’est très spécial, infernal et fin à la fois. On finit par se faire avoir et par crier au loup. Ils ont ce sens du beat rebondi extraordinaire. On les voit camper sur leurs positions en B, avec «Psychic Chemist», du tout droit gratté au bottleneck, ils savent pousser un beat dans les retranchements du far out so far out.

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    Leur deuxième album s’appelle Taste For Evil et date de la même année. Il est important de savoir que le batteur Donald Hales (aka Donny Paycheck) est l’ancien batteur de Zeke, un nom qui parlera aux amateur d’extrême gaga-punk, celui qui adore foncer tout droit dans le mur. Quant à son frère Jason Cutthroat, il sort tout droit d’un film de George A Romero, et ce n’est pas peu dire. Rien qu’avec le morceau titre d’ouverture de bal d’A, la messe (noire) est dite. Aw, voilà le rock de tes rêves inavouables, ces deux mecs te ravalent la façade, ça joue puissant et par en-dessous, ils se glissent dans ta culotte mon gars et tu vas danser un drôle de jerk. Power & genius, voilà leurs deux mamelles. On dira la même chose du «Shake Move Howl Kill» qui suit, car c’est gratté dans le gras du bide, pas de pitié pour les canards boiteux, ils jouent aux riffs délétères, ces mecs te pillent la ville. Donald Hales retrouve ses marques avec l’effarant «Candy Cane» embarqué au punk’s not dead. Il riffent «Get Haunted» dans l’acier du coffre. On rêve d’écouter chaque jour des albums de ce calibre. Donald Hales amène «Out Of Control» au big drumbeat, ils remontent leur courant comme des Oasis ensanglantés, ils plongent leurs mains collantes dans les entrailles du big heavy rock, c’est assez intenable et leur délire finirait presque par friser le glam. Ils claquent leur «Black Candle» au hey hey hey, ils trempent cette fois dans le heavy boogie down, ils sonnent comme une hémorragie, ces dingues du rebondi créent leur monde. Il survolent ensuite notre pauvre monde avec «Medicine», une sorte d’extase ultraïque dévastatoire qui n’en finit plus de nous rappeler qu’il faut suivre ces deux mecs à la trace, car leur sens aigu du raw est le nouveau modèle du genre.

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    Et pouf vient de paraître leur troisième album, The King Is Dead. Pochette signée Raymond Pettibon. Ça rappellera des bons souvenirs. Cette fois, ils ont appelé Mike Watt en renfort pour rejouer tous les cuts de l’album précédent. Mais avec Mile Watt, ça sonne différemment. Le «Killing Time» d’ouverture de bal d’A est forcément stoogy avec Mike Watt dans les parages et son heavy bassmatic. Du coup Donny Paycheck bat le beurre comme Scott Asheton. Ils ont aussi des petits élans rockab comme le montre «Medicine» ou encore le «Black Candle» qui referme la marche de la B. Solid as hell et cool as fuck, ces mecs ont du son à revendre et une fantastique présence. Jason Cutthroat chante le morceau titre à la voix de psychopathe dégoulinant de stupre, ça joue sous un sacré boisseau, avec un son spongieux, profond et mal famé. «Out Of Control» sonne comme un hit inter-galactique, ah comme c’est bien rebondi, merci Jack Endino pour ce son de bass & beurre, c’est chanté avec retenue, comme feutré. Ces trois mecs cumulent les avantages : ils sont excitants, géniaux, épais et fiers à la fois. On entend rarement un son de batterie aussi touffu. Le «Get Haunted» qui ouvre le bal de la B paraît bien bas du front, têtu comme une bourrique, buté et obtus, comme joué par des dieux barbares, c’est le son des tribus antiques avec des éclairs soniques en forme de lames tranchantes.

    Signé : Cazengler, frotte-cul brother

    Cutthroat Brothers. Cutthroat Brothers. Lonestar Records 2019

    Cutthroat Brothers. Taste For Evil. Hound Gawd! Records 2019

    Cutthroat Brothers & Mike Watt. The King Is Dead. Hound Gawd! Records 2021

     

    Inside the goldmine - Hall or nothing

     

    Originaire de Pau, Alvaro Pétoniac s’était promu aventurier. Et la dernière région du monde qui permettait d’exercer ce métier était bien sûr la forêt amazonienne. Il fallait se défier des apparences car il n’avait rien d’une caricature. Il alla dans les faubourgs de Saint-Laurent retrouver des piroguiers qu’il connaissait. Il fallait négocier un prix. Il nous rejoignit une heure plus tard pour annoncer que le départ aurait lieu le lendemain, au lever du soleil. À notre grande surprise, les piroguiers étaient des blacks à peine sortis de l’adolescence.

    — Ce sont des Saramacas, nous dit Alvaro, des descendants d’esclaves marrons. Leur village se trouve en amont sur le fleuve. On y prendra du couac.

    Nous nous installâmes à bord de la pirogue. Nous n’emmenions que le strict minimum, c’est-à-dire un change, des barres vitaminées, du tabac, un petit lecteur de CD à piles, un seul CD et des médicaments qu’on entassait dans une touque, petit tonnelet en plastique dont le couvercle se visse hermétiquement. Il était fréquent de voir les pirogues chavirer dans les rapides, aussi était-ce le seul moyen de conserver les affaires au sec. Les piroguiers étaient au nombre de trois. Théo le ‘chef’ se tenait à l’arrière à la barre du moteur, et les deux autres à l’avant pour prévenir du danger des rochers. Nous remontâmes le fleuve pendant deux jours et bivouaquâmes la première nuit sur la rive côté français. Alvaro nous expliqua que de l’autre côté, le Surinam était en guerre civile. La deuxième nuit, nous accostâmes du même côté. Les trois piroguiers partirent à la chasse et revinrent avec un toucan abattu d’un coup de fusil à air comprimé. Ils le firent cuire dans une espèce de soupe très claire mélangée à du rhum et bien sûr, nous n’y touchâmes pas. Lorsque la nuit fut d’encre, la forêt sembla se mettre à vivre. Soudain nous vîmes apparaître un étrange personnage. Black, petit, chétif, difforme, il rappelait par certains côtés l’empereur d’Éthiopie, Haïlé Sélassié. Nous n’avions pas entendu arriver sa pirogue. Derrière lui se tenait un Indien de deux mètres au torse ceinturé de cartouchières et brandissant l’un de ces fusils mitrailleurs qu’on ne voit généralement que dans les films de type Rambo. L’Indien était le sosie de Chef Bromden, tout droit sorti du Vol Au Dessus d’Un Nid de Coucous. Alvaro nous murmura qu’il s’agissait de guérillos indépendantistes et nous ordonna de fermer nos gueules. Haïlé Sélassié approcha du feu et avec un grand sourire édenté, il déclara en broken English : «Give me youl money, youl cigalettes, youl passpolts and also ze woman.» Alvaro tenta de négocier, mais il n’y avait rien à faire, Chef Bromden venait d’armer sa culasse. Nous ouvrîmes les deux touques pour en sortir l’argent et les cigarettes. Nous lui donnâmes aussi le lecteur et le CD. À la vue du CD, son visage s’illumina. Calhol ! Calhol ! Yo, my gawdah ! Il nous serra à tous main et ne repartit qu’avec l’argent et les cigarettes.

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    Le cas Carl Hall est un mystère. Comment se fait-il qu’un Soul Brother de cet acabit soit tombé dans l’oubli ? D’autant que Jerry Ragovoy l’avait pris sous son aile pour produire les merveilles rassemblées sur l’indispensable You Don’t Know Nothing About Love - The Lomax/Atlantic Recordings 1967-1972. Pourquoi indispensable ? Tout simplement parce qu’il s’y niche pas moins de dix coups de génie, et c’est vraiment le moins qu’on puisse dire. Les preuves ? Les voilà : dès le morceau titre d’ouverture de bal, on entend screamer un Soul screameur extraordinaire. C’est un fou de la glotte libérée, il hurle bien au-delà du grand doom de sexe. Voilà un screamer puissant et érotique, un rut-man exceptionnel. C’est un génie de l’intensité. Il hurle comme un goret de Camaret - You don’t know nothiiiing - Il revient par miracle à la raison pour dire don’t try. C’est un coup à faire exploser toutes les braguettes. Il s’en va hurler au sommet du slowah et ça te vibre les oreilles. Bill Dahl parle d’un stratospheric four-octave vocal range. Du jamais vu. Dahl soupçonne même que l’intensité de sa voix était a little too over the top.

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    Ça continue avec «Mean It Baby», même registre, génie de l’implacabilité des choses, il monte aussitôt à l’assaut - Hey girl you’re making your mind - Pure Soul de rêve ultra chantée, ultra classique et salement bien foutue. Comme ce mec peut être bon, ça va bien au-delà de toutes les espérances du Cap de Bonne Bombance. Carl Hall est une bête de Gévaudan, il explose les viscères des annales de la Soul. Tu veux du scream à la vanille ? Alors écoute «Just Like I Told You» et tu auras ta dose - Remember what I said - Et on retombe inexorablement dans le génie avec «He’ll Never Leave You». Il part en hurlette carabinée, il fait de la Soul hurlée à bon escient et ça gicle. Ce mec ne lâche rien, il consume toutes les couches de la stratosphère une par une, il va bien plus loin que Wilson Pickett, il transcende le screaming («It Was You (That I Needed)»), il incarne l’énergie de Dieu sur la terre. Il sait aussi faire la Soul de plume dans le cul («The Dam Busted») et danser comme le dieu Pan tout en hurlant à la revoyure. Il bat même Little Richard à la course («I Don’t Wanna Be (Your Used To Be)»), eh oui, il faut se faire à l’idée que Carl claque tout pour de vrai. Il est bel et bien le stratospheric four octave phenomenon. Et quand on écoute «Dance Dance Dance», on ne comprend pas qu’un géant comme Carl soit resté dans les catacombes de l’underground de la Soul. Tiens, encore un cut complètement explosé de hurlette démentoïde : «Sometimes I Do». One two, one two three, piano, bass, Carl ramène sa fraise et c’est atrocement bon, dansant et hurlé à la sauvageonne d’entente cordiale, il se paye même un petit coup de vrille d’oh yeah de carabinette fustigée et il screame tout ça à tue-tête. Il dégage Little Richard en touche et fait de l’ombre à Wilson Pickett. Et le voilà qui tape dans «The Long And Winding Road», il part jusqu’à l’horizon du vieux monde. C’est parce qu’il tape dans la démesure du scream que ça prend tellement de sens. Derrière, les filles font chauffer la marmite. Ah comme ce démon chante bien ! A long time ago et il s’arrache la glotte au sang tellement il pulse le beat turgescent de la mélodie, ça palpite au firmament et Carl fait régner dans cette cover cousue de fil blanc un violent parfum de magie. Il fait exactement le même genre de boulot qu’Aaron Neville. Il est certainement le secret le mieux gardé d’Amérique, un buried treasure enterré vivant. Tout le monde n’est pas aussi doué que the Bride de Kill Bill, celle qui contre toute attente a réussi à ressortir d’une cercueil enterré à dix mètres sous terre. Et comme dirait Dickinson, I’m not gone ! Carl passe à la postérité avec un hit de Soul pop intitulé «It’s Been Such A Long Way Home», mais il faut bien dire qu’avec un chanteur comme lui, ça prend des proportions homériques. Il transforme une modeste chanson en abomination concomitante, c’est même concomité aux mites, dévoré de l’intérieur, cette Soul pue le ponton des esprits de Seltz, le langage rue dans les brancards, il se veut pégasien, il s’arrache de la pampa de Léo, il cherche à gagner le cercle d’Aurore, oui, elle, la boréale, l’art d’Hall impose son règne dans les cervelles et curieusement, un mec coupe les cuts en disant okay, ce qui les rend inexploitables. Carl Hall reste victime d’on ne sait quoi. Trop brillant, sans doute. Puis il profite de «Time Is On My Side» pour ridiculiser le pauvre Jagger. Voilà comment se chante ce vieux Time. Si Jagger avait entendu cette version, il est évident qu’il n’aurait jamais osé taper dedans. Carl sonne exactement comme Aretha lorsqu’elle lâche la rampe, c’est le même genre de génie à la puissance dix, ou la puissance qu’on veut, à toi de choisir l’exposant, car Carl vrille l’Aretha, c’est dire si son stratospheric four-octave vocal range va loin. Incroyable témoignage que ce disque et un mec fait okay pour bien sabrer le cut. Carl tape encore dans les classiques avec «Need Somebody To Love». Il l’explose. C’est du psych-Soul d’exaction parabolique, il hurle dans le giron des girouettes, voilà encore un cut extraordinairement orchestré et rongé par une basse dévorante. Quel démon ! Ça se termine avec un «Change With The Seasons» de pure perfection et on entre dans un nouveau planétarium d’extension universelle, le son s’ouvre comme la Mer Rouge devant Moïse, ou comme un crâne sous la hache d’un barbare viking. Carl nous vrille à la fois sa Soul et les esprits, il va plus loin que tu ne l’imagines, et il te salue bien.

    Signé : Cazengler, Hall de gare

    Carl Hall. You Don’t Know Nothing About Love: The Loma/Atlantic Recordings 1967-1972. Omnivore Recordings 2015

     

    JIMI FREEDOM

    MARLOW RIDER

    ( Clip YT / Octobre 2021 )

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    Waow ! Quelle est cette panthère noire qui s'avance royale dans la jungle urbaine montreuilloise, first french city rock, méfiez-vous, méfillez-vous, cette indolence hautaine cache quelque chose de pas très rose, cette coiffure aux mèches inflammables rouge sang, ne serait-ce pas une prêtresse vaudou, à la regarder vous en oubliez ces morsures de guitare qui rythment sa marche, elle entre dans un bar et tout le monde reconnaît La Comedia divine grotte trockglodyte chère aux amateurs de rock'n'roll, bloquez l'image quelques secondes pour admirer son profil d'impératrice romaine, réenclenchez, vous découvrez ce qu'elle regarde, Tony Marlow et sa guitare, n'essuyez pas vos lunettes, cette vapeur mauve insidieuse qui baigne l'image n'est pas de la buée sur vos verres colorés, elle est la marque purple déposée voici plus d'un demi-siècle par Jimi Hendrix, Tony interprète un des morceaux de First Ride, premier album de Marlow Rider, glisse la caméra, Fred Kolinski trône derrière la batterie tel un juge des enfers, il ne joue pas, à chacun de ses mouvements, il donne l'impression d'émettre un jugement définitif sur toutes les actions de votre vie passée, à la contrebasse Amine Leroy tape cent coups férir, il est la vie, il est l'énergie, ne vous laissez pas emporter par la voix ample de Tony, tenez à l'œil l'égérie fatale au profil d'aspic, ses doigts laissent tomber une étrange poudre blanche dans trois verres posés sur le comptoir, et maintenant elle s'approche de la scène, tentatrice, nos trois hommes n'osent refuser, elle a enlevé ses lunettes noires, et ses yeux verts de vipère maléfiques les ont ensorcelés, ils trempent leurs lèvres dans ces flûtes emplies d'un liquide, bleu, rose et jaune, et brusquement tout change, Marlow n'a plus une guitare mais trois, Kolinski possède trois têtes tout aussi inquiétantes et impassibles, même vos oreilles sont obligées de croire vos yeux, ce ne sont plus des notes qui sortent de la guitare de Tony mais des coups de poignards acérés qui vous transpercent les synapses, la sorcière effectue quelques passes maléfiques, la musique grince à la manière de ces vis qui crissent sous le tournevis qui les emprisonne dans la gangue de bois des cercueils qui vont emporter votre raison, les doigts bougent et la réalité se distend et se distord, les images deviennent chaotiques, le son s'étire en miaulement de chat de gouttière en quête de femelle consentante qui fait durer la donation du plaisir ultime, vous n'y pouvez plus rien, vous êtes vous et vous êtes un autre, vous n'habitez plus vos chaussures et vous marchez en un pays inconnu, respirez tout redevient normal, un piège évidemment, montagnes russes acidulées, les altitudes qui suivront vous paraîtront plus élevées quand vous vous envolerez une deuxième fois, tout bouge, tout tourne, la diablesse s'est multipliée par trois, elle est devenue une trinité trismégiste, maintenant Kolinski à quatre têtes, la féline noire est devenue chef d'orchestre, d'un geste ample des deux bras elle pousse le combo vers les cimes de la folie, Kolinski tape plus dur, Amine possède cinq têtes et il se démène sur son up-right-bass comme s'il les avait toutes perdues, tous trois reprennent l'invocation au dieu mauve, '' Jimi Freedom '' hurlent-ils en chœur, pris d'une fureur démoniaque, une transe tourbillonnante emporte et triture les ondes sonores, votre conscience explose, mille de ses fragment explorent l'infini des espaces sidéraux, et lorsque tout s'arrête, ils ne sont pas tirés d'affaire, ils restent figés dans leur surmultiplication satanique, la mystery girl franchit le seuil de l'antre, non sans jeter un dernier regard aigu comme une flèche sur le tohu-bohu immobile qu'elle laisse derrière elle. Purpural psychadelic !

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    Damie Chad.

    Je vous livre le nom du grand sorcier manipulateur des images : Olivier Forest, fondateur du festival international de films sur la musique, pas tout à fait grand-public, des programmations alléchantes puisqu'elles privilégient '' les figures singulières, les odyssées électroniques et les cultures souterraines '' Olivier Forest est en outre programmateur de Grand Voisin, une salle de cinéma non commercial située à Paris.

     

    CHÂTEAU-THIERRY - 15 / 10 / 2021

    PUB LE BACCHUS

    MARLOW RIDER

    Marx l'a dit, de la théorie critique ( exemple : l'écoute de disques ) il est nécessaire de passer à la pratique ( exemple : concert live ) afin de garder les deux pieds ancrés dans la réalité. Nous lui faisons confiance, n'est-ce pas lui qui a déclaré, je cite de mémoire, : '' Un spectre hante l'Europe : le spectre du rock'n'roll '' . Voici pourquoi la teuf-teuf mobile bis fonce sans retenue sur la route de Château-Thierry, toute fière de sa nouvelle technologie, à peine tournez-vous la clef, qu'elle vous avertit que l'ordinateur de bord N° 1 et l'ordinateur de bord N° 2 sont en bon état de fonctionnement. C'est super vous croyez piloter un avion de chasse. Longtemps j'ai cru que le département de Marne était une zone désertique, je l'ai parcouru je ne sais combien de fois sans rencontrer la moindre voiture, même pas une âme humaine désespérée tentant l'auto-stop, mais non ce soir je ne cesse de croiser des véhicules en goguette.

    Sabine grand sourire aux lèvres ouvre la porte du Bacchus, tout de suite l'on se sent bien, l'on est presque chez soi. A part que chez moi il n'y a ni billard, ni les Marlow Rider qui s'apprêtent à donner un concert.

    MARLOW RIDER

    Ce sont eux, les mêmes que sur le clip, je le jure, Tony Marlow, sanglé dans sa veste d'officier de commando, sourire aux lèvres et tout fringuant, le charme indéniable de la tenue militaire. Amine Leroy contrebasse noire et chemise rougeoyante, Fred Kolinski statufié derrière ses fûts. Débutent par Debout, pour mettre les choses au poing, nous avertir qu'il est temps de se réveiller en notre ère de liberté étriquée, car demain il sera trop tard. Le deuxième set commencera par Shut up, fermez vos gueules en bon français, dédiés aux politiciens et aux docteurs véreux. Marlow Rider ne mâche pas ses mots. Ni sa musique.

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    Dans l'angle coincé entre un piano et le mur Fred ne bénéficie pas du meilleur emplacement, faut se tordre un peu le cou pour l'apercevoir, pourrait se plaindre, bouder, faire grève, peu lui chaut, il est devant, il est derrière, il l'est partout, à tel point que vous pourriez l'oublier, l'a transformé ses baguettes en truelles, et en maçon diligent et imperturbable il monte un mur, le fameux mur du son, une courtine, une enceinte de château fort, il ne pose pas les pierres, il les range avec une minutie précisionnelle extravagante, infatigable, n'empêche que l'air de rien, malgré sa tâche quasi-obsessionnelle il tient ses deux comparses à l'œil, ne les enferme pas dans la tour de guet qu'il érige, ne les tient pas prisonniers, depuis les remparts, il les laisse vagabonder à leur guise aux alentours de la place-forte, sont sous sa protection, ils ne risquent rien, tout leur est permis.

    J'ai dit mur, vous pensez à rigidité. Allez vous rhabiller. Si Fred use du fil à plomb pour ses édifications, Amine le transforme en élastique. Son engagement sur Sunshine of your love - n'est-ce pas un crime que de penser qu'une malheureuse contrebasse rockabillienne serait aussi à l'aise dans la monstruosité électrique de Cream – chacun des slaps d'Amine est un coup de boutoir, la muraille se gondole, elle recule et s'avance, elle bouge, elle ondule, elle twiste, elle se dérobe, elle revient, sous les doigts d'Amine la pierre s'anime, elle se mue en piliers torsadés, en cathédrale gothique, elle respire, elle palpite, elle se colorise, elle vous ensorcelle.

    Fred et Amine s'amusent comme des petits fous. Sont complices, marchent la main dans la main, jouent au chat et à la souris, Fred marque le point, Amine rajoute la virgule par dessous, la phrase n'est pas terminée, Fred en frappe trois en surplus, péremptoires et décisifs, genre c'est moi qui commande et toi qui obéis, alors Amine rajoute la suspension, échoïsation auditive, la pierre retourne à son état primitif de magma brûlant, elle n'est plus qu'un liquide qui se répand, vous enserre, se glisse, s'insinue en vous et une chaleur bienfaisante vous saisit, agite votre corps d'une fièvre chaude, vous atteignez un état second de béatitude, la beauté fougueuse du rock'n'roll vous submerge et vous emporte en un autre pays.

    Pour Tony Marlow cette pâte brûlante est un véritable tapis de pourpre, magique et volant, infesté de reptiles, une ordalie de guitariste, qu'il se doit de traverser avec aisance et imagination. Fender et solitude d'un côté, compagnons siens et complicité de l'autre. Sans eux il ne serait rien, avec eux il est torero au milieu de l'arène confronté à la ménade de taureaux sauvages qu'ils lâchent sans arrêt sur lui.

    Au four du chant et au moulin virevoltant de la guitare, Tony. La voix, il la prend à bras-le-corps, claire, nette, précise, s'en sert comme d'un couteau dans un duel à mort, chaque mot se doit d'être jeté, un coup de poignard donné de face mais que vous recevez dans le dos, un truc qui troue la peau, un appel bref qui résonne longtemps en vous dans les profondeurs de vos sensations. Qu'il chante en français ou en anglais. Ou alors en cette autre langue, cet espéranto du rock'n'roll qui s'appelle guitare. Car il n'est jamais trop guitard pour s'en servir.

    Quel festival ! Ce qui prime c'est la joie, de jouer et de la maîtrise, cette attention soutenue, les doigts qui obéissent à l'œil qui les surveille juste pour jouir de leur facilité à se mouvoir sur les cordes. Marlow est en grande forme, de temps en temps il descend de scène et gambade parmi le public, sourire aux lèvres et dextérité en bandoulière.

    Quel jeu ! Eruptif ! Pas de riffs, à la place une forêt touffue de notes, d'une précision absolue, non Tony ne joue pas de la guitare, il parle, s'exprime avec, l'a la hargne sèche, courte, brève, sans regret ni rémission, une explosion épileptique, dense et crue. L'a les mots blessants, les notes brutales qui vous cueillent au plexus et vous déstabilisent, un jeu radical, une oreille sur la batterie et l'autre sur Amine, Tony dans sa solitude exaltée de guitariste joue collectif, faut voir Tony et Amine se tirer la bourre, Amine a des coups de folie, il saute, trépigne la danse le scalp, lance les jambes en l'air en athlète de full-contact, dans ses instants la Fender gronde et s'étire, mi-tigre cruel, mi-chat langoureux, rien ne se calme mais Amine se rapproche de sa contrebasse pour la rassurer.

    Avec Fred c'est différent, tout est question de cadence et de respiration des plongeurs en apnée, celui qui descendra le plus profond : Tony, et celui qui restera le plus longtemps sous l'eau : Fred. Fred est le maître de l'horloge, l'impartit le temps et Tony objectivise cette durée, la remplit jusqu'à la gueule dune sarabande multicolore infinie, le prisonnier peuple sa cellule de rêves étincelants, de tours de passe-passe éberluants, et le gardien s'avoue vaincu un quart de seconde, cet atome de temporalité dont Tony s'empare pour pousser le bouchon de ses doigts un peu plus haut sur le manche, un peu plus bas au plus près de ses entrailles, mais Fred sans pitié abat le gong du ring, un à un, égalité partout. Balle au centre.

    Donc deux sets. Hendrixiens en diable et psyché infernal. Un Hey Joe, version française d'Hallyday, douceur mélodique des chœurs de Fred et Amine, un All along the watchtower - un brasier incandescent – un Red House monstrueux, une Vapeur mauve envoûtante, Marlow reprenant le timbre si particulier d'Hendrix, cette voix d'arbre creux qui sonnait si incisivement... Surtout pas de la copie. Le sang vicieux du vieux rock'n'roll et du rhytm'n'blues sont là, souvenons-nous que Jimi a accompagné Little Richard, et aussi cette ductilité péremptoire propre au rockabilly, cette alliance du chant irradiant et de l'instrument définitif, aussi les racines, témoin ce Crossroad hyper électrique de Robert Johnson, mais encore cette bluette – souvenons-nous qu'étymologiquement ce terme de vieux français est à l'origine du mot blues – Juste une autre chanson, ce slow sixties dans lequel la guitare de Tony résonne de toutes les tristesses et toutes les nostalgies mortifères du blues.

    Je terminerai par ce Fire apocalyptique, Tony Marlox au zénith, comment parvient-il à jouer à cette vitesse avec une si grande précision, sans s'embrouiller les doigts, c'est en ces instants que l'on prend conscience du rapport entre la tête et la main digitale, qu'un solo est autant une chose mentale que tactile, que ça se construit comme une pensée philosophique, pas à pas, en réorganisant tout l'acquis expérimental précédent pour le métamorphoser en nouveauté souveraine... Je vous laisse méditer.

    Ne croyez pas que je n'ai à dire que du bien de nos trois musicos. Sont de sacrés tricheurs. Non, ils ne jouent pas en playback, pire Tony planque un as de cœur dans son manche. Un trio de trois, subito ils sont quatre, peu de temps il est vrai, mais quand Alicia F quitte le stand de merchs pour chanter par deux fois en duo avec Tony sur Mutual appreciation et Born to be wild, et en solo I fought the law son titre fétiche, la merveille tombe sur vous, Quel naturel, quelle présence sur scène, juste poser la voix avec cette facilité déconcertante avec laquelle vous disposez les assiettes sur la table avant le repas, puis elle s'éclipse sans bruit pour ne pas se faire remarquer. Sortie totalement ratée, car les applaudissements crépitent et son nom est répétée bien fort.

    Sûr qu'il y a des disques qui peuvent changer une vie. Par contre certains concerts, celui-ci en était un, sont un flirt avec l'éternité .

    Damie Chad.

     

    CALIGULA

    French group de Montpellier formé en 2020, le nom m'a attiré, j'espère ne pas les rater lors de leur passage à Troyes le 11 décembre prochain, en leur tournée actuelle avec Bonecarver, au local des Boyans Coppers MC ( 77 Avenue Leclerc 10440 La Rivière de Corps ) Un premier titre sur Bandcamp en mai 2020, une superbe vidéo en mai 2021, et ce 23 Octobre sortie de leur premier EP Riddles.

    ELEVATION OF DILUSION

    CALIGULA

    ( Vidéo / WorldWide / Mai 2021 )

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    Rien de moins original et donc de plus difficile qu'un groupe de metal en train de jouer. Vous en regardez une vidéo, vous êtes conquis. Vous en visionnez mille, vous faites la moue. Tout vous semble mou. Mais là, chapeau bas. Brice Hinker c'est sous sa direction qu'a été réalisée l'artefact. L'a gardé tous les codes, la lumière bleutée, les musiciens pris un par un en train de jouer, dispatchés de tous côtés... Mais là le résultat est prodigieux. Comment a-t-il réalisé ce miracle. L'a d'abord mis beaucoup de noir dans son bleu, davantage d'opacité et moins de froideur. Les artistes porteurs de tenues noires, ne se détachent pas tant que cela du fond de l'image. Je devrais dire du fond des images. Le clip se présente en effet sous forme d'un montage très serré. Quand votre rétine a imprimé la vue qui monopolise son attention, il est déjà trop tard, l'on est passé à autre chose. Un deuxième secret, l'a été magnifiquement servi par la structure du morceau. L'on en viendrait à croire que d'abord il monté le synopsis des articulations des images et qu'ensuite le groupe a composé le titre en suivant scrupuleusement la cadence proposée. Evidemment il n'en est rien. Un deuxième atout, la voix du chanteur, ce mec ne growle pas, il possède une meute de loups sauvages disséminées en ses cordes vocales. Chaque fois qu'il émet son grondement l'on se croirait dans un roman de James Oliver Curwood en train de traverser les solitudes glacées du grand nord. Wild, very wild.

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    A ses débuts, Caligula se définissait comme un beatdown band. Avec raison. Ce n'est pas un hasard si dès la première image apparaît la batterie. C'est vrai que la frappe est dure, mais sèche, elle ne gronde pas, c'est-à-dire qu'elle ne s'amplifie pas pour mieux se dégonfler par la suite, un uppercut sur la mâchoire qui vous casse l'os mais c'est tout. Pas besoin de cinéma, pas besoin de s'appesantir, on vous frappe ailleurs, sur une autre partie de votre corps, aussi sèchement. Des manches de guitares percent l'obscurité, sont brandies telles des épées révélées par un éclair de lune dans un duel de nuit. Vous entrevoyez des torses, des T-shirts dont vous ne parviendrez jamais à déchiffrer le nom du groupe qu'ils affichent. Taches claires de bras et de visages, deux yeux noirs d'oiseau de proie qui vous fixent, et puis la photo de groupe, ce n'est pas souriez vous êtes filmés, mais quatre corps se tordent en même temps, quatre pattes terrifiques, avec derrière le corps velu des fûts, vous pressentez plus que vous ne voyez, l'ensemble forme une gigantesque araignée qui court vers vous, le cauchemar ne dure qu'une seconde, mais l'opérateur a pitié de vous, les images suivantes s'humanisent, on entrevoit des bustes et des visages d'êtres humains, c'était pour vous réconcilier avec la vie, profitez-en car ça ne durera pas, les images se désagrègent, le laps de temps qui les sépare est encore plus bref, chant et musique deviennent plus sauvages, non ce ne sont pas des hommes, mais une horde barbare qui fond sur vous pour vous anéantir, des cris qui sonnent comme des ordres, la musique est d'autant plus violente que les images ralentissent, guitares en haches d'abordage s'arrêtent une éternité au-dessus de votre tête, illusion votre crâne est fendu, une pomme dont un couteau sépare les deux moitiés, les images s'emballent, s'inversent, des éclats d'instruments braqués en gros plans vous tronçonnent la vue, tintamarre tonitruant de guitares, ils ne tirent pas sur les cordes, elles sont des enclumes et les bras tapent dessus tels des battoirs avec lesquels on assomme les bœufs dans les abattoirs. Vous les apercevez mieux, vous n'en êtes pas plus heureux, l'ennemi s'est rapproché, de brefs silences, des tambours de guerre, la blancheur d'une guitare, le maître hurleur plante ses yeux torves de hibou fou sur vous, sur sa gauche une rayure arc-en-cielique un peu trop rouge met en valeur la cruauté de son regard, un cri inhumain dans le lointain s'élève et s'éloigne, vous n'êtes pas digne de leur vindicte, vous ne seriez qu'un trophée indigne de leur valeur guerrière, sous le tumulte de la voix des doigts passent lentement au-dessus de cordes, à quoi bon se presser, leur victoire est certain, il faut savoir faire durer le plaisir de l'agonie, maintenant ils trempent leurs museaux féroces dans vos entrailles, ils se les disputent, se battent, la joie mauvaise du carnage, pas de véritable fin, les images s'arrêtent parce qu'il n'y a plus rien à montrer, le combat cesse quand il n'y a plus de combattants.

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    Prodigieux. Brûlant, une pile de centrale atomique en suspend. Une froideur monstrueuse qui vous pétrifie.

    Damie Chad.

     

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 3 )

    STATUT & STATUES DE STAR ( 1 )

    JOHNNY HALLIDAY

     

    Fin septembre, je roulais vers l'Ariège. Encore deux ou trois cents kilomètres, et je pestais, j'arpentais une zone morte, l'auto-radio n'arrivait pas à capter la moindre station, revenait sans cesse se fixer automatiquement sur France-Inter, y avait un mec qui parlait, racontait que vous ne trouveriez pas plus écologique qu'une Harley-Davidson dont le moteur ne tournerait plus jamais. Sur le coup je me suis demandé, quelle sorte de guy pouvait avoir intérêt à acheter une Harley qui ne roulerait pas. Vaudrait mieux s'offrir une bicyclette pensais-je, pourtant je déteste les vélos et n'arrive qu'à réprimer à grand-peine l'envie d'écraser les vélocipédistes que je croise... je ne comprenais rien, c'était un artiste qui parlait, un certain Bertrand Lavier, décrivait sa statue, fort mal, ce n'est que le lendemain en regardant chez un ami sur le net que je me suis aperçu que la représentation que je m'étais faite de l'objet était fausse, j'imaginais un manche de guitare horizontal de six mètres de long sur lequel était posée une moto, le gars devenait lyrique, une figuration de la route, de la liberté, du rock 'n' roll, en fait j'étais comme le gamin qui a récolté un zéro à son interro de math, il a trouvé le résultat du calcul algébrique, enfer et damnation, au lieu de le faire précéder du signe ''plus'' il a disposé le signe ''moins''. L'image est sans appel le manche de guitare mesure bien six mètres de long mais il est planté tout droit à la verticale, et surmonté d'une Harley ( fat boy pour les connaisseurs ), non elle ne roule pas sur les frettes. Au détour d'une phrase j'apprends que c'est un hommage à Johnny Hallyday. Je suis en retard de quinze jours, la statue a été inaugurée le 09 septembre dernier, en présence de Laeticia et d'Anne Hidalgo en même temps que l'esplanade Johnny Hallyday, sise près de Bercy, non la moto ne s'est pas décrochée durant la cérémonie, elle n'est pas tombée sur la politicarde, c'eût été marrant. Jouissif. Cela aurait certainement plu à Eddy Mitchell qui déclara lors d'une interview que ce monument était une catastrophe.

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    Personne ne possède le savoir universel. Bertrand Lavier explique qu'il a dû se documenter sur Johnny Hallyday qu'il ne connaissait pas bien. Je ne lui en veux pas, pour prendre mon cas personnel j'ignorais tout de Bernard Lavier. Me suis renseigné. Dans les encyclopédies on le classe parmi les réalistes, des descendants, des répétiteurs, des copieurs de Duchamp qui s'imaginent que l'art est dans le pré de la facilité, mettent en scène, exhibent les objets de notre quotidien, dans ma nomenclature à moi j'appelle cela l'art de centre aéré. Je sais de quoi je parle. J'ai dirigé de ces structures durant des années. Les journalistes s'extasient devant l'une des dernières sculptures de Lavier, une enclume posée sur un réfrigérateur, pour rester dans la musique il a aussi peint un piano en bleu... Un ange passe, aux ailes cassées.

    Ce n'est pas que je sois réfractaire à l'art moderne, mais que l'on privilégie l'idée, le symbole, ou même ces deux notions considérées en tant qu'acte efficient capable de transformer le monde et même de le changer radicalement au dépend de la création d'une forme nouvelle me laisse songeur... Ne croyez pas non plus que je sois heureux lorsque l'art vise à la reproduction de l'identique. Qui n'est qu'un autre aspect du réalisme.

    Le totem laviérien n'est pas le premier hommage sculptural rendu à Johnny Hallyday. En voici un autre. Très différent. Il n'est pas situé à Paris, reine du monde, mais en Ardèche. Ce département dont Stéphane Mallarmé qui y résida disait qu'il résumait toute sa vie : l'Art et la Dèche.

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    Les artistes auraient-ils meilleur goût que les fans ? Suffit-il d'aimer pour mieux exprimer son amour ? Ce jour-là Pierre Regottaz âgé de soixante-seize printemps avait le cœur gros. Il rentrait de Paris où il s'était rendu pour assister aux cérémonies du 09 / 12 / 2017 initiées en l'honneur de la disparition de Johnny. Le bourg de Viviers est une terre hallydayenne, c'est-là que résidait Huguette Clerc, la mère du chanteur, Long Chris évoque cela dans son livre A la cour du roi Johnny. Comment l'idée est-elle venue à l'esprit de Pierre Regottaz, je n'en sais rien, Johnny se devait d'avoir sa statue à Viviers. Un geste de fan. Un geste de fans. Une souscription est ouverte, trois cents participations, afin de permette au sculpteur Daniel George de se mettre au travail. La statue sera réalisée en résine, elle avoisine les trois mètres, elle sera inaugurée le 24 juin 2018. Beaucoup de monde. Beaucoup de déçus. Le constat est sans appel, elle ne ressemble pas à Johnny, pas le corps, la tête, à tel point que Daniel George opine du chef - sachez apprécier ses sculptures de terre cuite, matière qui selon ses craquelures d'argile donne une patine d'outre-monde presque d'outre-tombe à ses représentations de jeunes femmes – il en recommencera une autre. Est-elle meilleure que la précédente ? L'idée de base était de reproduire un Johnny de cinquante ans. A mon humble et péremptoire avis, z'auraient dû profiler un Johnny bien plus jeune, car à rentrer dans l'immortalité autant que ce soit dans la pleine jeunesse... Le fait que la statue soit exposée devant une pizzeria n'aide pas à la contemplation extatique. Mais au moins le rapport avec Johnny s'impose beaucoup plus. Je ne pense pas que ce soit la meilleure œuvre de Daniel George, loin de là, mais elle respire une honnêteté empreinte d'une naïveté populaire bien plus authentique que l'esbroufe de la précédente. C'est mon avis et je le partage. Existe-t-il une véritable différence entre art officiel et art populaire ?

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    Daniel George sculpteur sur bois n'a pas oublié de munir Johnny de la croix qu'il portait régulièrement autour du cou, Jean-Pierre Coniasse, chanteur et sculpteur sur bois a revu la babiole en grand, armé d'une tronçonneuse, il a laissé le personnage Johnny de côté mais a gardé le bijou directement taillé dans un tronc d'arbre, doit avoisiner les deux mètres, quoique je ne sois nullement chrétien, ce Christ crucifié avec sa guitare me semble porter bien davantage que les œuvres de Daniel George et de Bertrand Lavier, un peu de l'esprit ( pas saint du tout ) iconoclaste et rebelle du rock... La chanson de Johnny Jésus Christ (est un hippie, il aime les filles aux seins nus) fut à sa sortie ostracisée sur les ondes officielles...

    La plus ancienne statue de Johnny que je connaisse remonte à plus de vingt ans avant sa mort. Alain Dua a assisté à plus de cent cinquante concerts de Johnny. Un mordu, un fan. L'a même suivi jusqu'aux USA. Une expéditions mémorable, deux mille admirateurs français traversant l'Atlantique en avion pour assister à un concert de Johnny à Las Vegas. Mythologie elvisienne oblige ! L'évènement avait troublé les amerloques. Mais pas le concert. De même pour les fans. Johnny s'était trompé de set-list. L'on attendait un tour de chant d'Hallyday, l'on eut droit à Johnny interprétant des succès américains, de Creedence Clearwater Revival à Elvis. Les américains avaient la même chose chez eux, mais en original. Quant aux fans ils n'ont pas reconnu leur Johnny trempé et dégoulinant de sueur qu'ils attendaient. Ce n'était pas Johnny-rentre-dedans mais Johnny-y-va-mollo. Le CD Live du concert vous laisse un goût d'inachevé dans la bouche, un creux à l'estomac que plusieurs écoutes ne gomment pas. Johnny en aura conscience, il enverra un billet gratuit d'un de ses prochains spectacles à tous ceux qui avaient fait le déplacement.

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    C'était un coup foireux, pourtant Alain Dua rentre de Las Vegas gonflé à bloc, désireux de rendre un hommage à son idole dont il est fan depuis plus de trente ans. Premier concert en 1962. Ce sera une statue en bois. Ce n'est pas un hasard. Alain Dua est propriétaire d'une entreprise d'abattage de bois. Il fournit le bois à deux copains sculpteurs, pas n'importe quoi, du Cèdre du Liban. Pour Johnny on aurait plutôt opté pour du séquoia. Elle est achevée en 1997, et placée devant son entreprise sise à Challes-les-eaux en Savoie. Les fans viennent s'y recueillir et y déposer des fleurs. Johnny en personne et en tournée l'a vue et appréciée.

    C'est la plus belle de toutes. Ce n'est pas Johnny rocker, mais Johnny country. Peut-être même Johnny HillbiIly, tient sa guitare comme un fusil. Il ne ressemble pas à Hallyday mais à Daniel Boone. A un cowboy, avec sa main à la ceinture. L'esprit de l'Amérique, la grande, la mythique, la mythifiée, oui c'est une représentation de l'Amérique, non pas parce que l'on reconnaît facilement le chanteur, mais parce que ce morceau de bois incarne à la perfection l'imagination de Johnny lorsqu'il pensait à l'Amérique. Certes elle n'est pas parfaite, il vaut mieux la voir sur un certain angle que sur d'autres surtout dans sa rusticité toute nue, débarrassée de ses grands panneaux blancs quasi-publicitaires qui soulignent au grand feutre rouge ce que la statue évoque toute seule d'elle-même.

    Ne soyez pas en pleurs parce que cette chronique se termine, il existe d'autres statues de Johnny, vous en reparlerai en une prochaine livraison...

    Damie Chad.

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

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    EPISODE 03

    RETOUR A PARIS

    C'était l'Elysée. Notre présence immédiate s'avérait indispensable. Joël nous reconduisit à notre véhicule. Nous n'avions pas à nous inquiéter, aussitôt rentré il motiverait un groupe d'étudiants dans le but d'organiser une surveillance H24, un poste de guet relevé toutes les trois heures, avec rondes régulières sur la lisière du Bois du pendu. Le fantôme de Charlie Watts n'avait qu'à bien se tenir.

    Le moteur de la Lambor lancée à fond à contre-sens sur la bande d'arrêt d'urgence fit merveille. Nous n'eûmes qu'a signaler un incident minime, une anecdote subalterne qui risque d'arracher un sourire aux lecteurs de ces lignes. Dès que nous quittâmes le périphérique, nous nous retrouvâmes bloqués sur un boulevard, à l'arrêt, dans un encombrement monstrueux. Nous n'avancions plus. Le Chef alluma un coronado :

      • Agent Chad, savez-vous comment Alexandre le Grand a forcé le passage du Granique ?

      • Bien sûr Chef, il a lancé son cheval en premier dans le fleuve et la cavalerie a suivi !

      • Bien, agent Chad, je vais donc suivre cet illustre exemple, vous jouerez le rôle de la cavalerie, tenez-vous prêt.

    Tranquillement le Chef ouvrit la portière, descendit sur la chaussée, et s'en alla frapper à la vitre d'une ambulance deux ou trois voitures plus loin.

      • Ne vous dérangez pas, dit-il de son ton le plus aimable, je viens juste vous emprunter votre gyrophare aimanté, qui ne vous sert à rien, puisque vous êtes arrêté.

    Mais le gars ne l'entendit pas ainsi, il descendit de son véhicule et s'interposa entre le Chef et son gyrophare.

      • Vous êtes totalement fou ! Je transporte un blessé grave et je ne vous permets pas de...

      • Veuillez me pardonner, répondit le Chef d'un sourire avenant, je comprends votre situation, je puis y remédier facilement, sans préavis il ouvrit la porte latérale, sortit son Beretta 92 et aligna trois bastos pile dans le crâne du blessé qui cessa de geindre.

      • Voilà, il est mort, transportez-le immédiatement à la morgue, vous gagnerez du temps, vous n'avez plus besoin d'attendre des heures aux urgences !

      • Oh ! merci - le gars admiratif lui tendait de lui-même le gyro – prenez-le, ma femme sera si contente de me voir rentrer de bonne heure pour une fois !

    Autour de nous les voitures affolées se serraient les unes contre les autres ou se faufilaient sur les contre-allées pour s'écarter du Chef qui revenait vers moi pistolet ( packin' mama ) au poing, il reprit sa place à mes côtés non sans avoir pris le temps de poser le gyrophare sur le capot, je profitai de l'espace dégagé pour, klaxon à fond, arracher la Ghini, quelques minutes plus tard nous franchissions le portail de l'Elysée. Mais après cet intermède cocasse, passons aux choses sérieuses.

    UNE ENTREVUE ERUPTIVE

    Le Président du Sénat squattait déjà le bureau du Président de la République tragiquement disparu. Il n'en avait pas l'air plus heureux, le visage blême il arpentait la pièce sans rien dire, les chiens qui s'étaient sagement assis sur son bureau le suivaient du regard, étonnés. Manifestement il avait pris un rail de cocaïne aussi long que la ligne de chemin de fer qui dessert la ligne Paris-Cherbourg. Nous avait-il seulement aperçus ? Le Chef alluma un Coronado, juste pour passer le temps.

      • Ah, enfin vous voilà !

    Ce n'était pas à nous qu'il s'adressait, mais à une espèce d'individu tout maigre, tout chétif, la figure ravagée de tics qui venait de prendre place dans un fauteuil en face de nous et qui de toute l'entrevue n'ouvrit pas la bouche. Le Président en personne nous fit l'honneur de procéder à notre interrogatoire :

      • Alors vous l'avez-vu ce Charlie Bats ? aboya-t-il

      • Bien sûr, généralement quand on charge les agents du SSR d'une mission, nous l'accomplissons !

      • Vous l'avez donc attrapé !

      • L'agent Chad ici présent l'a saisi par le bras.

      • Il est donc notre prisonnier !

      • Pas du tout !

      • Comment cela ?

      • Pour une simple raison, ce n'est pas un être humain, c'est un fantôme !

      • Ah ! Ah ! Parfait, parfait ! Si c'est un fantôme nous n'avons plus besoin de vous. Vous pouvez disposer. Un autre service plus adéquat que le vôtre s'en chargera. N'oubliez pas de prendre vos cabots sur mon bureau !

    LE SANCTUAIRE

    Nous étions un peu abasourdis, nous nous installâmes dans la Lambor, mais lorsque je demandai au Chef la direction à prendre il n'eut pas le temps de répondre, Molossito et Molossita se mirent à aboyer frénétiquement, je compris immédiatement, il suffisait de se laisser guider. Les braves bêtes avaient leur code secret, chacun de leur côté le museau collé à la ville ils aboyaient lorsqu'il fallait emprunter une nouvelle artère, deux jappements de Molossito je tournais à gauche, un seul aboiement de Molossita je virais à droite. Evidemment ils ignoraient superbement les sens interdits, ce qui mettait un peu de sel dans cette traversée de Paris qui nous mena jusque dans le dix-huitième. Brutalement ils se turent je me hâtais de stationner devant l'entrée d'un garage. A peine furent-ils sur le trottoir qu'ils s'enfuirent à fond de train, de loin nous les vîmes entrer dans une boutique.

    • C'est donc vous les maîtres de ces deux adorables toutous - les deux secrétaires de l'agence de location d'appartements, elles avaient coiffé la Sainte-Catherine depuis au moins quarante ans, étaient à genoux en train de les caresser - Molissito leur léchait la figure avec fougue, ils sont venus ce matin, nous avons eu du mal à comprendre ce qu'ils voulaient, à la fin nous les avons suivis, se sont dirigés tout droit vers la vieille ruine, c'est ainsi que nous l'appelons, en si mauvais état que nous ne la proposons plus depuis longtemps à la clientèle, nous pensons que c'est le jardin qui leur a plu, des chiens très intelligents, ils ont fait le rapport avec le logo sur le panneau délavé ''A Louer''' posé sur la grille et celui qui est peint sur notre devanture. Depuis des années personne n'en veut, le propriétaire est mort depuis une dizaine d'années, un vieux toqué, aucun héritier ne s'est manifesté, nous vous la cédons pour un euro symbolique, voici la clef, c'est juste entre le numéro 17 et 19 de la rue.

      L'adresse était étrange, mais nous trouvâmes facilement. Une grille rouillée fermait un étroit passage qui débouchait sur un jardin envahi d'une folle végétation, contre un mur était adossé une masure de planches au toit goudronné crevé mais les chiens la dédaignèrent et se faufilèrent parmi les hautes herbes folles et les arbustes touffus, ils s'arrêtèrent devant ce qui dégagé d'un amoncellement de branches d'arbres qui le dissimulait se révéla être un trou dans lequel ils sautèrent sans hésitation. Nous les imitâmes, ce n'était pas bien profond et fûmes tout étonnés de nous trouver devant une porte blindée muni d'un volant que je me dépêchai de tourner. Nous entrâmes. Le vieux n'était pas si fou que cela, un gars prévoyant, l'avait aménagé un abri anti-atomique dans son carré de choux, assez spacieux, l'on se serait cru dans un sous-marin !

      - Une cache idéale, s'extasia les Chefs, félicitations les cabotos, retournons vite à la boutique signer le contrat !

      - Nous savions que vous aimeriez, s'exclamèrent les secrétaires, la baraque est un peu vétuste certes mais si romantique, Colette donne un biscuit aux toutous !

      Ils le croquèrent sur la banquette arrière de la Ghini, le Chef venait de recevoir un SMS : Charlie Watts fait des siennes, venez vite, RDV Bois du Pendu. Joël.

      A suivre...

  • CHRONIQUES DE POURPRE 525 : KR'TNT ! 525 : DESTINATION LONELY / CHIPS MOMAN / BURN TOULOUSE + SABOTEURS / St PAUL & THE BROKEN BONES / ROCKABILLY GENERATION NEWS 19 / LASKFAR VORTOK / CRASHBIRDS / GUY MAGENTA / ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 525

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    14 / 10 / 2021

     

    DESTINATION LONELY / CHIPS MOMAN

    BURN TOULOUSE + SABOTEURS

    St PAUL & THE BROKEN BONES 

    ROCKABILLY GENERATION NEWS 19

    LASKFAR VORTOK / CRASHBIRDS

    GUY MAGENTA / ROCKAMBOLESQUES

     

    All the Lonely people

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    Tout est symbolique dans ce concert de Destination Lonely au Ravelin : relance de la noria gaga-punk après un an de silence étourdissant, rétablissement du contact avec un grand esprit disparu, ouverture du set avec un «Lovin’» qui ouvre aussi cet effroyable album qu’est Nervous Breakdown, resardinage dans un bar plein comme un œuf où respirer devient un exploit, il fallait bien pour synchroniser tout ça un son d’exception et boom c’est la barbarie sonique de «Lovin’» qui s’en charge.

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    Fils spirituels des Cheater Slicks, les Destination Lonely appliquent la même recette, deux guitares une batterie, avec une raison d’être : le blast gluant envenimé d’abominables fizzelures de wah. Lo’Spider mesure trois mètres de haut et crounche son cut comme le Saturne de Goya, ses dents étincellent dans le feu des spots, il love son «Lovin’» à la folie, il y met tout le désespoir du monde, il tape ça à l’hypertension, on n’aurait jamais cru ça de lui.

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    Puis ils vont enchaîner les brûlots, sans pitié ni remords, ces trois vétérans du gaga-punk inféodés à la pire engeance sonique des Amériques foncent dans le tas pour le plus grand bonheur d’une assistance littéralement engluée à leurs pieds. Burn Tooloose, c’est un fantasme qui prend ici son sens. Ça rôtit de plus belle avec l’«I Don’t Mind» tiré de l’album précédent puis ils enchaînent avec l’excellent ta-ta-ta de reins brisés, «Don’t Talk To Me» sorti en single, ils peuvent se payer ce luxe du tatata qui retombe sur ses pattes car le barbare Wlad joue bas et frappe à bras raccourcis, il y a du Bob Bert dans cet épouvantable démon.

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    Lo’Spider et Marco Fatal qui joue de l’autre côté se partagent le butin des cuts et il ne faut espérer aucun répit. Ils perpétuent la vieille tradition des sets gaga-punk qui ne font pas de prisonniers, comme aiment à le dire les commentateurs anglais. Et puis voilà cette version littéralement dégueulée d’«I Want You», chantée au cancer de la gorge avec des remugles de want you, ça coule avec des grumeaux de power et des molards de wah, pas facile de rendre hommage aux Troggs, mais leur sens aigu de la heavyness redore le blason du vieux symbole caverneux. Ils passent par une série de heavy blues envenimés, «I’m Down», «Waste My Time» et «Mudd». Ils bouclent ce set qu’il faut bien qualifier de surchauffé avec un «Gonna Break» victime de surtension et un «In That Time» dédié à Gildas et visité par des vents d’apocalypse.

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    Autant le dire tout de suite, les deux cuts qui ouvrent le bal de No One Can Save Me paru en 2015 sont des coups de génie : «Freeze Beat» et «Gonna Break».

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    C’est embarqué pour le Cythère des enfers aussi sec et c’est tout de suite explosif. Pas de meilleur moyen de plonger dans le bain, les deux guitares se mettent en branle pour une purée métronomique, avec des clameurs dans tous les coins. On comprend que ces trois mecs n’ont écouté que des bons albums. Ils aplatissent leur Freeze Beat dans un climat d’apocalypse. Le «Gonna Break» est du même acabit, c’est d’une violence peu commune, ça drive au plus près de la corde, ça dépote du naphta dans le gaga push, no way out, c’est leur mood, ils ne veulent pas qu’on s’en sorte, les solos flashent de plein fouet. On trouve un peu plus loin une autre monstruosité, «Black Eyed Dog», ils vont au fond du son avec de la ferraille en surface. On croyait que ce chaos génial était réservé aux princes du gunk punk américain, voilà la preuve du contraire, «Black Eyed Dog» dégueule bien. Lo’Spider le bouffe de l’intérieur avec un solo de renard du désert féroce et hargneux à la wah mortifère. C’est sur cet album que se trouve «Mud», le heavy blues que chante Marco Fatal, ils vont loin dans les méandres du mad muddy Mud, c’est screamé dans la meilleure tradition. Encore du trash maximaliste avec «Now You’re Dead», ils se payent même le luxe d’une petite escalade de trashcore. «Outta My Head» est vite embarqué au wild shuffle de gunk punk undergut, nouvel hommage aux princes du genre, ça file bon vent, ça fend la bise, ça te rentre dans la culotte et la wah revient te lécher la cervelle. Ils tartinent tant qu’ils peuvent, avec un Marco Fatal qui gueule comme un veau qu’on amène à l’abattoir. Il sent la mort dans «No One Can Save Me», alors il chante comme un dieu.

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    Paru en 2017, Death Of An Angel grouille aussi d’énormités à commencer par ce «Staying Underground» qui non seulement rôtit sous le soleil de Satan, mais qui perpétue bien la tradition du feu sacré, car là-dedans ça chante à la hurlette de Hurlevent. La guitare fait le sel de la terre. Retour aux enfers un peu plus loin avec «I Don’t Mind», et ça grésille dans le jus d’I don’t mind, ça hurle sur le bûcher, l’immense Lonely chante comme Jeanne d’Arc, c’est sûr, et les raids de guitare sont faramineux. On croit entendre une sorte de nec plus ultra de la folie sonique telle que définie par les Chrome Cranks, ‘68 Comeback et les Cheater Slicks. D’ailleurs, le «Dirt Preacher» d’ouverture de bal d’A est une cover des Gibson Bros. En B, on tombe nez à nez avec l’épouvantable «Only One Thing», tartiné de miel avarié, c’est un festin de barbarie primitive, ça grouille des finesses de licks, de petits phrasés indicibles, ça joue toujours dans le deepy deep du climaxing de watch me bleeding, alors on prie Dieu pour que tous nous veuille absoudre. Retour au purulent de basse fosse avec ce close to you de «Waste My Time», et toujours cette fabuleuse présence de la disto onctueuse et définitive, si bien calibrée dans l’écho de temps.

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    Attention, le Nervous Breakdown paru l’an passé est un gros album. A fat one. Pas seulement parce qu’il est double. Disons-le clairement : leur cover d’«I Want You» frise le génie purulent. C’est tout simplement le son dont on rêve la nuit. Même le «Lovin’» d’entrée de jeu vaut n’importe quel heavy sludge américain. Ils envoient une belle giclée de wah au plafond. Leur son lèche les bottes du diable. Tout sur cet album est joué au maximum des possibilités, surtout «Ann». Ils amènent leur morceau titre aux pires gémonies de génome, c’est inimaginable, ça riffe dans l’os de l’ox, ça blaste à gogo, ça vise l’ultra-saturation en permanence. On va de cut en cut comme si on sautait de brasier en brasier - Walking on gilded splinters - ces mecs transcendent l’idée du son en dignes héritiers de Ron Asheton et des anges déchus de l’underground. Ils flirtent en permanence avec le génie sonique pur. Même une balade incertaine comme «Day By Day» sonne comme un truc indispensable. «Je M’en Vais» est encore un baladif noyé dans l’écho du Voodoo et chanté en français. Dans sa petite pop de quand je t’ai dit que c’était pour la vie, il fait tout rimer en i, avec c’est fini, avec je n’ai plus envie, ils font du heavy Ronnie Bird de la fin du monde. Fred Rollercoaster blows «Sentier Mental» au sax et «Schizo MF» sonne comme un coup de beat in the face atrocement raw, big bad sludge hanté au ta ta ta. Ils écrasent «In That Time» au fond du fourneau avec du scream et des jus de guitare infects. Et soudain l’album décolle comme un immense vaisseau en feu, c’est extrêmement sérieux, bien investi, ça screame dans la matière du son avec des élongations de killer solo flash qui explosent toutes les attentes. Ces trois mecs ont avalé toutes les influences pour en expurger le prurit extatique, ça flirte avec la folie des Chrome Cranks, ça monte en intensité et le «Trouble» qui suit repart de plus belle, c’est du jus de déflagration, épais et noirâtre, ils sont dans l’excellence dévastatoire, ils jouent la carte du rentre dedans avec des killer solo flash qui n’en finissent plus de remettre toutes les pendules à l’heure. Ils tapent plus loin un heavy prog de six minutes, «Electric Eel», qui est aussi le nom d’un gang mythique. Ils s’amusent bien. Ils sont les rois du monde, mais ils ne le savent pas. D’ailleurs, ils s’en foutent. La wah prend le pouvoir. C’est un cut qui va longtemps te coller à la peau. Ils jouent dans un au-delà du son, ils jouent à la coulée du son, c’est quasiment organique. Certainement le meilleur hommage jamais rendu au wah-man par excellence, Ron Asheton. Ça dégouline de génie, ils jouent à l’esprit-es-tu-là. C’est la mouture ultime du son, la rédemption des oreilles, on les entend chanter dans la coulée, c’est comme s’il réinventaient le power, comme si pour eux la fournaise était un jeu. C’est la suite de Fun House avec du spirit et des voix, celles que Jeanne D’Arc entendit, même sur son bûcher.

    Signé : Cazengler, sans destination

    Destination Lonely. Le Ravelin. Toulouse (31). 18 septembre 2021

    Destination Lonely. No One Can Save Me. Voodoo Rhythm 2015

    Destination Lonely. Death Of An Angel. Voodoo Rhythm 2017

    Destination Lonely. Nervous Breakdown. Voodoo Rhythm 2020

     

    Le Moman clé - Part Two

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    Sort ENFIN un book sur Chips Moman : Chips Moman - The Record Producer Whose Genius Changed American Music. L’auteur on le connaît bien, c’est James L. Dickerson qui dans Going Back To Memphis nous racontait déjà l’épisode du redémarrage foiré de Chips à Memphis dans les années 80.

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    Dickerson, qu’il ne faut pas confondre avec Dickinson, pose sur Memphis le même regard que Robert Gordon, le regard d’une homme passionné par les artistes qui ont fait de cette ville le berceau d’un phénomène mondial qu’on appelle le rock’n’roll. Il utilise les mêmes méthodes que Gordon : il s’amourache des disques et s’en va rencontrer, quand ils sont encore en vie, ceux qui les ont enregistrés. Puis il rassemble tous ces portraits et nous donne à lire l’excellent Goin’ Back To Memphis, une somme qu’il faut ranger sur l’étagère à côté d’It Came From Memphis et de Memphis Rent Party (Robert Gordon), des trois tomes de Peter Guralnick (les deux Elvis et l’Uncle Sam), du Hellfire de Nick Tosches et bien sûr du I’m Just Dead I’m Not Gone de Jim Dickinson. Le héros de Dickerson n’est autre que Chips Moman et ça tombe bien, car il s’agit d’un vrai héros. La dernière image du livre nous montre Chips, sa femme Toni Wine et l’auteur assis tous les trois sur une balancelle, sous le porche de la Moman farm in Nashville, 1985. Cette image illustre bien la force du lien qui unit Chips et l’auteur. On peut aussi dire de ces pages consacrées à Chips qu’elles complémentent plutôt bien l’ouvrage que Ruben Jones a consacré au studio American et aux Memphis Boys (un ouvrage qu’on a d’ailleurs bien épluché dans l’hommage à Reggie Young mis en ligne sur KRTNT 403 le 24 janvier 2019).

    Le saviez-vous ? Chips portait une arme sur lui, un petit calibre 25 automatique fourré dans la poche arrière de son pantalon. Il l’expliquait ainsi : «Je sais me battre et prendre une raclée, mais je ne laisserai personne me buter. Si je tire, c’est pour buter celui qui voudra me buter.» Dickerson nous rappelle que Chips a collectionné les hits de 1968 à 1971 : 26 disques d’or pour des singles et 11 pour des albums. Avec American et les Memphis Boys, il a réussi à loger 83 singles et 25 albums dans les national charts. Joli palmarès pour un petit studio de Memphis. Il faut aussi savoir que Chips indiqua l’adresse d’une vieille salle de cinéma au 924 East McLemore à Jim Stewart et Estelle Axton quand il les entendit dire qu’ils cherchaient un local pour monter un studio. Il s’agit bien sûr de Stax. Ils formaient tous les trois une drôle d’équipe : Chips avec ses mauvais tatouages et ses réflexes de zonard (teenage vagabond), joueur invétéré (cartes et billard) et Jim Stewart le banquier aux manières bien lisses. C’est après leur brouille que Chips monte American et qu’il enregistre et produit une hallucinante kyrielle d’artistes, dont bien sûr Elvis. Chips dit d’Elvis qu’il n’était pas le plus grand chanteur du monde, mais il avait un son - J’ai travaillé avec des gens plus doués que lui, mais aucun d’eux n’était plus célèbre - C’est du Chips. D’aucuns disent qu’avec Chips, Elvis enregistra ce qu’il avait fait de mieux depuis le temps des Sun Sessions.

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    Quand Chips apprend qu’Elvis ne veut pas revenir chez lui à American et qu’il va enregistrer chez Stax avec les Memphis Boys, il décide de lâcher l’affaire, se sentant trahi, à la fois par ses musiciens et par la ville de Memphis. Cette nuit-là, il fit ses bagages. Le dernier client d’American fut Billy Lee Riley, avec «I Got A Thing About You Baby».

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    S’ensuit un épisode que Ruben Jones ne détaille pas trop dans sa bible : le retour de Chips à Memphis. Par contre, Dickerson peut entrer dans les détails car il en est l’artisan. L’aventure commence par une interview. Dickerson est journaliste. Il demande à Chips s’il regrette sa décision d’avoir quitté Memphis. Chips lui répond que c’était une grosse connerie. Depuis il a enregistré à Nashville, mais dit-il, my music is in Memphis. That’s where I learned it, that’s where I felt it - Puis Dickerson monte un projet fou : faire revenir Chips à Memphis en tant que héros de la scène locale, alors il mouille le maire Dick Hackett dans le projet. Hackett est intéressé et propose un bâtiment. Moman accepte de rentrer à Memphis et s’installe au Peabody, en attendant que son studio soit prêt. Il veut redémarrer avec un gros coup : la réunion des surviving stars of Sun Records. Et voilà que Jerry Lee, Cash, Roy Orbison et Carl Perkins radinent leurs fraises. Uncle Sam radine également la sienne. Memphis was ready to roll the dice. Chips met en boîte le Class Of ‘55 des Four Horsemen et à sa grande surprise, les gros labels font la moue. Ça n’intéresse personne ! Effaré, Chips voit revenir les réponses négatives. Ça sort trop de l’ordinaire. Ils ne savent pas comment commercialiser un tel projet. Le plus drôle de cette histoire est que les gros labels avaient dit la même chose à Uncle Sam en 1954. Invendable ! Alors Chips monte America Records avec des partenaires financiers et sort son Class Of ‘55 dont personne ne veut. Il décide à la suite d’enregistrer un nouvel album avec Bobby Womack pour MCA Records. Il tente aussi de proposer Reba &The Portables qu’il vient de signer à des gros labels, mais ça ne marche pas non plus. Womagic sort en 1986. C’est le troisième album que Chips produit pour Bobby qu’il considère comme l’un des géants de son temps.

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    Et puis un soir, Gary Belz qui fait partie des partenaires d’America appelle Chips. La conversation tourne au vinaigre et Selz traite Chips de mortherfucker. Chips raccroche calmement, monte dans sa bagnole et va trouver Selz au studio Ardent. Il entre et lui colle son poing en pleine gueule. Puis il lui dit : «Quand tu veux m’insulter, fais-le devant moi - You call me a name, you do it in my face.» La scène de Memphis allait ensuite retomber dans les ténèbres. Chips finit par refaire ses bagages et par retourner à Nashville. Son dernier round à Memphis fut un échec cuisant et Dickerson avoue en porter la responsabilité, en ayant été l’instigateur.

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    Dans Chips Moman - The Record Producer Whose Genius Changed American Music, Dickerson reprend bien sûr tout l’épisode du retour de Chips à Memphis et du pétard mouillé de Class Of ‘55, mais il développe un peu plus. Cette bio qu’il faut bien qualifier de solide comprend trois épisodes : les prémices, l’âge d’or et la fin des haricots.

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    Les prémices commencent à LaGrange, Georgie, d’où vient Chips, un surnom que lui donnent ses copains d’enfance, car il est doué au billard. Le surnom va rester (en réalité, il s’appelle Lincoln), ce qui ne lui convient pas trop - There have been a million times I wished I didn’t have it - Quand Chips s’installe en 1954 à Millington, en banlieue de Memphis, il fréquente les militaires de la base et flashe sur leurs tatouages. C’est là qu’il s’en fait faire deux sur le bras. Pour vivre, il repeint des stations services, mais quand Warren Smith lui demande de l’accompagner à la guitare, Chips saute sur l’occasion. En 1956 il devient pote avec Johnny et Dorsey Burnette. Quand Johnny décider d’aller rejoindre son frangin Dorsey à Los Angeles, il demande à Chips de l’accompagner et Chips ressaute sur l’occasion. C’est là qu’il va flasher sur un autre truc : la console de Gold Star. Pendant leur séjour, Johnny, Dorsey et Chips jouent dans des night-clubs. Nouvelle occasion faramineuse : quand Johnny Meeks quitte le backing-band de Gene Vincent, on demande à Chips de le remplacer. Chips ressaute sur l’occasion - The experiences of touring with Gene Vincent was light years away from his experiences in Memphis. There were no ‘normal’ days on the road with Gene Vincent - Mais nous n’en apprendrons pas davantage. En 1959, Chips et sa femme Lorrie rentrent à Memphis. Chips va trouver Uncle Sam chez Sun pour lui demander du boulot. Il parle de son expérience à Gold Star Studio et Uncle Sam lui demande ce qu’il y faisait, Chips répond qu’il jouait en session, alors Uncle Sam lui demande s’il a produit un disque, et Chips lui dit que non, mais il a vu comment bossaient les mecs de Gold Star. Et Uncle Sam lui répond : «Boy, producers are born, not made. Good luck.» Et c’est là que Chips embraye l’épisode Stax. On connaît l’histoire : Chips déniche la salle de cinéma au 926 East McLemore Avenue. Chips sait aussi qu’il faut cibler les black artists, comme l’avait Uncle Sam avant de cibler des blancs qui sonnaient comme les noirs. Puis c’est le décollage de Stax avec «Last Night» et les Mar-Kays, the hottest selling record in Memphis history. Avec les royalties de «Last Night», Chips se paye une baraque à Frayser, au Nord de Memphis, et une Triumph Leyland. C’est là qu’il comprend un aspect essentiel du biz : ce sont les compositeurs qui ramassent le plus de blé, pas les interprètes, ni les producteurs. Alors il va s’arranger pour avoir au moins deux compos à lui sur tous les albums qu’il va produire. Le premier compositeur/interprète que Chips engage chez Stax, c’est William Bell. Et puis un jour chez Stax, il découvre que Booker T & The MGs enregistrent dans son dos. Il est carrément exclu du projet d’enregistrement de leur premier album, alors qu’il est depuis le début le staff producer attitré. À ses yeux, ça n’a aucun sens, d’autant qu’il a fait décoller Stax, alors que Jim et Estelle bossaient encore à la banque. Chips sent qu’on cherche à le virer. Fin de l’été 62, il entre dans le bureau de Jim Stewart pour faire le point sur les finances. Jim lui dit qu’il n’a rien pour lui. Chips réclame ses 25%, alors Jim se lève et lui crache au visage : «I’m fucking you out of it !». Chips est sidéré. Wayne Jackson qui attendait dehors sur un canapé a tout entendu. Jim ajouta : «I fucked you et si tu peux le prouver, tant mieux, je suis le comptable et j’ai l’argent.» Chips est sorti du bureau en claquant la porte et n’est jamais revenu. Jim Stewart ne va pas l’emporter au paradis, comme on sait. Pendant un an, Chips se soûle la gueule. Grosse dépression. Il perd tout ce qu’il a : sa maison, sa bagnole. Il ne lui reste que sa femme et sa fille.

    Dickerson revient longuement sur la personnalité de Chips. L’homme a un charme fou mais en même temps, il souffre de bipolarité, d’où son incapacité à maintenir des relations dans la durée. Mais quand un médecin lui dit qu’il est bipolaire, Chips l’envoie sur les roses. Il ne supporte pas l’idée qu’on puisse le traiter de fou. Il sait qu’il n’est pas fou. Il veut juste trouver un moyen de contrôler ses changements d’humeur. Il tentera de se soigner à la cocaïne - self-medication - ce qui ne fera qu’empirer les choses. Quand après l’épisode Stax il reprend du service, il produit les Gentrys, mais le son ne lui plaît pas, trop rock, alors qu’il vient du rockab. Non seulement il éprouve une réelle aversion pour le rock, mais il ne supporte pas de voir jouer un groupe en studio dont les membres sont des musiciens amateurs. Ses préférences vont vers la Soul, la pop et le blues, certainement pas le rock. Petit à petit, Chips reprend des couleurs et commence à côtoyer de grands artistes. C’est Sandy Posey qui va le surnommer the Steve McQueen of the music business - He was good looking in that rugged Southern way, charismatic, drove a sports car and had his own airplane - Puis comme il l’avait fait pour Stax, Chips monte son house-band. Il engage des compositeurs : Mark James, Johnny Christopher et Wayne Carson Thompson, le mec qui compose pour les Box Tops. Chips sait que la chanson prime sur tout - The important part of producing is the song. If you get the songs, artists will do anything to be part of what you are doing. I got Mark James out of Texas. I got Dan Penn from Alabama - Quand on fait des compliment à Chips sur sa carrière de producteur, il veille à rester modeste : «Ça m’a pris des années pour comprendre qu’il n’y a rien d’extraordinaire là-dedans. C’est tout ce que je sais faire. Je me contente de réunir les meilleurs musiciens que je connaisse, les meilleurs compositeurs, les meilleurs interprètes, on entre en studio et on prend du bon temps.» Même Dickinson reconnaît que Chips est un fantastic producer, he can do business, which is why he was successful in Memphis while others were not - Mais en même temps, Chips passe son temps à éviter les journalistes. Il ne veut pas de publicité. Dans toute sa vie, il n’a donné que très peu d’interviews. Il ne voulait pas être the center of attention. Ça le fatiguait et ça ne lui correspondait pas. L’autre aspect de sa personnalité est la poisse, comme on va le voir dans l’épisode final du retour à Memphis.

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    Le deuxième épisode est celui de l’âge d’or d’American, qui d’ailleurs commence avec ce qui pour Chips est un cauchemar, l’album des Gentrys. Mais bon, ça lui permet de financer American et de monter son house-band avec Tommy Cogbill, Reggie Young, Gene Chrisman, Bobby Wood et Bobby Emmons. Chips qui est pourtant un bon guitariste dit que ces mecs étaient nettement supérieurs à lui - I’m not in their league - On appelle le groupe the 827 Thomas Street band qu’à Nashville on surnomme «those Memphis boys», un surnom qui va leur rester. Ils resteront d’ailleurs un groupe, jusqu’à ce que la mort les sépare : Bobby Emmons casse sa pipe en bois en 2015, Mike Leach en 2017 et Reggie Young en 2019. Chips rappelle qu’à une époque il avait de gros ennuis avec l’IRS et ses potes musiciens lui ont tout simplement proposé de l’argent pour l’aider à rembourser sa dette aux impôts - They are special people. Whatever I got is theirs if they want it. That’s the kind of relationship we got - Puis il y a l’épisode Dan Penn que Dickerson résume assez bien : ils ont la même allure, le même humour, la même façon de marcher, mais Chips ne considère pas Dan comme un chanteur qu’il pourrait enregistrer. Deux raison à ça : le caractère difficile de Dan Penn, his don’t-give-a-damn attitude, et le fait qu’il n’y a pas de demande sur le marché pour les blancs qui chantent comme des noirs.

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    Alors bien sûr, l’épisode American permet à Dickerson de lancer une fantastique galerie de portraits, à commencer par celui de Sandy Posey, puis voilà les Box Tops, l’occasion d’une grosse confrontation entre Chips et Dan - There was really kind of an antagonistic thing going on by this time, dit Dan à Peter Guralnick. Moman and I we’re opposites. If I said more bass, he’d put more trebble. I mean I’m overbearing myself but Moman is overbearing - C’est pour ça que «The Letter» est sorti avec ce son, parce que Chips se foutait de la gueule de Dan devant les autres, alors le son est resté cru. Fuck you kind of sound. «The Letter» fut pourtant the first No. 1 pop hit ever recorded in Memphis by Memphis artists. Dickerson rappelle aussi que Chips ne voulait pas des Box Tops en studio, seulement le chanteur Alex, et qu’il ne prenait pas non plus au sérieux les compos d’Alex, ce que le pauvre Alex vivait très mal.

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    L’un des épisodes capitaux de l’âge d’or d’American, c’est la venue de Wilson Pickett à Memphis. Wicked Pickett commence par composer «In The Midnight Hour» avec Steve Cropper, mais Jim Stewart appelle Wexler pour lui indiquer que Pickett n’est plus le bienvenu chez Stax - The singer was temperamental to the extreme - Pickett en voulait surtout à Cropper d’avoir rajouté son nom dans le crédit de Midnight Hour. Wexler laisse tomber Stax et envoie Pickett chez Rick Hall à Muscle Shoals. Mais Pickett qui est originaire d’Alabama n’est pas très content d’y retourner. La ville voisine de Tuscumbia est le quartier général du Ku Klux Klan. Et la population de Muscle Shoals est à 90% blanche, alors non, Wicked Pickett ne s’y fait pas. Arrive en renfort Bobby Womack, autre figure légendaire, assez mal vu pour avoir épousé la veuve de Sam Cooke aussitôt après qu’il ait été buté dans un cheap motel. Janis Joplin passa dit-on sa dernière nuit à picoler avec Bobby qui fut dans la foulée viré du backing-band de Ray Charles. L’inquiétude des mecs de Muscle Shoals à voir arriver Bobby et sa troubled history fait bien marrer Dickerson, des mecs qui ont en plus à gérer en studio deux explosive personalities. Wicked Pickett reviendra en 1967 enregistrer chez American, mais Chips n’est pas dans le studio. Il a eu du mal à produire Joe Tex et le seul black avec lequel ça s’est bien passé, c’est William Bell. Et comme Wicked Pickett a la réputation d’un mec difficile, aussi bien avec les blancs qu’avec les noirs, alors Chips n’assiste pas aux sessions. Il y a aussi de la tension avec B.J. THomas, l’un de ses artistes favoris - Artists are different. Some of them are singers, others are artists. Take B.J. Thomas. He was never a problem. he was a singer. (...) You would give him a song and he would sing his heart out - Un jour, B.J. et Chips ont une vilaine altercation. Dans une party, B.J. se goinfre de coke et revient trouver Chips dans son bureau pour lui demander où est le blé. Chips lui dit qu’il ne l’a pas, alors B.J. sort son couteau de chasse. Chips attrape un club de golf et se prépare au combat, mais B.J. est déjà sur lui et lui dit : «Si tu oses me frapper, tu es mort !». Bon bref, ça se termine bien, mais quand B.J. raconte l’histoire plus tard, il est horrifié à l’idée qu’il ait pu tuer Chips. Ce qui n’empêche pas Chips de le rappeler pour lui proposer d’enregistrer. Ce n’est pas qu’il pardonne, il oublie tout simplement l’incident. Il a des chansons pour B.J. et c’est tout ce qui compte. Dans la cabine, après l’enregistrement, Chips dit à ses amis : «You’re listening to one of the greatest singers in the world.» Pas mal, n’est-ce pas ?

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    L’autre épisode marquant de l’âge d’or d’American est celui de Dusty In Memphis, sur lequel on revient un peu plus loin. Dickerson rappelle juste que Dusty n’en pouvait plus d’entendre Wexler lui parler d’Aretha. Ça l’intimidait et ça lui foutait la trouille. Alors pour se venger, elle décida de contrarier Wexler - I drove Jerry crazy - Chips accepta de laisser son studio et son house-band à Wexler pour un tarif majoré et il quitta la ville. Quand Dusty entra en studio chez American, that was when the nightmare began for Wexler. Ce fut l’horreur Le jour où Wexler lui mit le volume à fond dans le casque, Dusty chérie lui balança un cendrier dans la gueule. Elle surnomma Tom Dowd «Prima-donna». Dionne la lionne est une autre méga-star venue chez Chips. Dionne est épatée par ce mec : «He’s a madman... but it was wonderful. We laughed a lot. And he knew what he was doing.» Et puis voilà Elvis. Dickerson nous ressort l’histoire des droits : le colonel Parker demande la moitié des droits des chanson de Chips et Chips dit non. C’est le premier qui ose tenir tête au colonel. La première semaine, Chips enregistre 21 chansons avec Elvis et après un break, 14 autres chansons. Chips le fait bosser, lui fait faire 20 ou 30 takes, et Elvis accepte, pas de problème, c’est un super-pro. En matière de charisme, Chips arrive aussitôt après Elvis, nous dit Dickerson. Les deux hommes s’apprécient. Chips s’aperçoit très vite que personne ne dirige Elvis. Le seul qui l’ait dirigé, c’est Sam Phillips. Depuis, rien, pas de direction artistique. D’où l’écroulement de sa carrière de chanteur. Chips est le seul qui ose parler de direction à Elvis, mais l’entourage essaye de l’en empêcher. Le colonel insiste : il exige la moitié du publishing de «Suspicious Mind». Chips se marre. Il ne cède pas. C’est la raison pour laquelle il n’a jamais pu retravailler avec Elvis. Dommage pour Elvis.

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    L’un des épisodes les plus sombres de la carrière de Chips fut le rejet des sessions de Jackie DeShannon pour Capitol. Bad luck. D’autant plus bad luck que les sessions sont reparues en 2018 (Stone Cold Soul - The Complete Capitol Recordings) et bien sûr, ce sont les meilleures sessions jamais enregistrées par Jackie DeShannon. Puis Chips tente de lancer la carrière de Billy Burnette, le fils de son pote Dorsey. Chips lui propose un contrat de chanteur/compositeur. Mais bon les échecs s’additionnent et Chips sent que le vent tourne. Il est temps de quitter Memphis.

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    Il remonte American à Atlanta en 1972 avec Bobby Emmons, Reggie Young, Mike Leach et Billy Burnette. Mais il se vautre. Il tente aussi de monter un label : Gibraltar Records. Il contacte Alex Chilton et Carla Thomas. Ça foire. Puis il s’installe à Nashville et tente de monter Triad Records avec Phil Walden, le mec qui manageait Otis et qui va monter ensuite Capricorn. Il prévoit de démarrer Triad avec Tony Orlando et surtout Robert Duvall qui enregistre en 1982 un album entier de country songs. Personne ne l’a jamais entendu. Chips n’a jamais réussi à le vendre à une major. Il bosse aussi avec The Atlanta Rhythm Section. Le succès revient enfin avec les Highway Men (Cash, Kristofferson, Waylon Jennings et Willie Nelson). C’est sur leur premier album qu’on trouve l’excellent «Desperados Waiting For A Train», repris par Jerry McGill.

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    Et puis voilà le troisième épisode de la bio, la fin des haricots. Chips réunit des financiers et envisage de recréer le prestige de Memphis, d’en refaire une capitale musicale. Le premier groupe qu’il signe est Reba & The Portables - This is the best group I’ve heard in years - Puis il commence à bosser sur des idées géniales : a Stax Records Reunion avec quatre des biggest talents. Puis il envisage an American Sound Studio Reunion. Troisième option : a Sun Studio Reunion et c’est celle qu’il choisit. Jerry Lee, Roy Orbison, Cash et Carl Perkins, avec en plus Uncle Sam qui assiste à la conférence de presse de lancement du projet. Pour Chips c’est du quitte ou double : il se retrouve assis sur un podium avec ses idoles, des idoles qui n’ont même plus de contrat ! Chips enregistre Class Of ‘55, mais aucune major n’en veut, ni à Nashville, ni à New York, ni à Los Angeles. La poisse ! Il le sort quand même mais la presse le flingue : one of the five worst albums of the year. Chips enregistre encore Womagic avec Bobby Womack, Womagic, et c’est à peu près tout.

    La chute est horriblement triste. Il est acculé à la faillite et perd de nouveau sa maison. Toni White le quitte. Comme il saute à la gorge d’un mec pendant son procès, il est condamné à 72 heures de placard, où on l’oblige à dormir sur un matelas tâché de sang. Dans les années 50 et 60, Chips avait joué le même rôle que Sun et Stax qui ont fait de Memphis a music city with a worldwide reputation. Quand on lui a demandé de revenir pour rétablir le prestige de Memphis, all he got was a public media lynching. Dickerson pense que Chips a été victime du Memphis curse, comme Elvis et Stax.

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    En dehors du travail de bénédictine de Roben Jones (Memphis Boys) qui raconte aussi dans le détail l’histoire de Chips, peu d’ouvrages s’appesantissent sur Chips Moman. Parmi les quelques auteurs qui l’ont approché - ou essayé de l’approcher - citons Warren Zanes et son excellent petit essai intitulé Dusty In Memphis, paru dans la collection 33 1/3. Chaque volume propose l’analyse d’un album classique. Dans son essai, Zane évoque la saga de l’enregistrement du fameux Dusty In Memphis. Cette opération artistico-médiatique menée par Jerry Wexler en 1968 fit connaître l’American studio de Chips Moman dans le monde entier, d’où son importance capitale. Même si à l’époque l’album n’a pas marché commercialement, on aurait tendance à le considérer aujourd’hui comme l’un des greatest albums of all time.

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    L’auteur n’est pas un amateur. Avant de finir prof de fac, il jouait dans les Del Fuegos. Il explique très bien pourquoi cet album acheté un dollar chez un soldeur l’a touché au point de vouloir lui consacrer un livre : il parle d’a particular piece of vinyl acheté par a particular person at a particular time. Il parle d’une relation qui s’établit dans le temps entre l’objet et l’auditeur. Il parle plus de l’expérience d’un disque que du disque lui-même. Il raconte comment il est immédiatement tombé sous le charme de «Son Of A Preacher Man». Comment n’y tomberait-on pas ? Il ajoute qu’il est difficile de résister à un cast of characters qui comprend Randy Newman, Gerry Goffin & Carole King, Burt Bacharach & Hal David, plus Barry Mann & Cynthia Weil, c’est-à-dire la crème de la crème du gratin dauphinois. Mais plus que tout autre character, c’est le Sud qui fascine Zane, ce petit mec de Boston, et il place en exergue cette jolie phrase tirée d’A Boys Book Of Folklore : «In the North, young men dream about the South. The more discriminating among them slide down the darkness and go straight to Memphis.» Voilà, le décor est planté. Et qui voit-on apparaître ? Stanley Booth, Dickinson et Chips Moman, la trilogie fatale. Fascination totale pour Stanley Booth qui a écrit les notes au dos de la pochette de Dusty in Memphis. Aux yeux de Zane, Booth est à l’image de Memphis, il peut devenir le contraire de ce qu’il semble être à tout moment - He won’t hurt you, but he might get strange - Il est à l’image d’un cliché de William Eggleston : banal, figé, saturé de couleurs vives et chargé de menace latente, de violence imminente. Il rencontre Booth grâce à Jo Bergman qui bossait pour les Stones à leur âge d’or et qui se retrouva chez Warner à l’époque où les Del Fuegos étaient sur le label. Elle établit le contact et quand Zane accompagné de trois copains débarque chez Booth au cœur de la nuit, Booth les fait entrer. Il ne dort pas, il travaille. Il compte les têtes et dit qu’il lui reste exactement le bon nombre de trips d’acide dans son frigo - We should probably eat it now before it goes bad - Zane note au passage qu’à part ces doses, il n’y a rien dans le frigo. No food.

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    Pour écrire son livre, Zane doit traquer Jerry Wexler. Est-il vivant ou mort ? Il passe par Andy Paley qui est un homme de ressources. Bingo, Andy connaît bien Wexler car ils siègent ensemble au comité du Rock’nRoll Hall of Fame. Ils ont d’ailleurs tous les deux refusé de nominer Springsteen, arguant que les Meters étaient tout de même largement prioritaires. Donc Wexler est vivant. Andy lui file le contact d’un Anglais qui réédite les albums d’Eddie Hinton et grâce à lui, Zane récupère deux adresses, l’une à Long Island et l’autre en Floride. Il écrit. Et puis un jour le téléphone sonne. Une voix rauque, un big accent new-yorkais : «This is Jerry Wexler calling for Warren Zanes.» Contact établi. Wexler demande à Zane s’il veut d’autres contacts. Et pouf, il balance les numéros de Chips Moman, de Tom Down, d’Arif Mardin, de Donnie Fritts.

    Alors Jerry raconte à Zane ce qu’il a déjà raconté dans son livre, The Rhythm And The Blues : le jeu des 80 démos qu’il fait écouter à Dusty et Dusty qui les rejette toutes - Out of my meticulously assembled treasure trove, the fair lady liked exactly none - Quand Dusty revient quelques mois plus tard écouter d’autre démos, Wexler ne se casse pas la tête : comme il n’a rien de neuf sous la main, il en sort 20 dans les 80 déjà testées et les fait écouter à Dusty chérie : banco ! Elle prend tout !

    Zane sort un autre épisode fascinant, tiré d’une histoire de Dickinson. On soupçonnait les gens d’Atlantic de se faire du blé sur le dos des studios du Sud. Un soir, Wexler se retrouve dans une party avec Sam Phillips et d’autres gens, dont Stanley Booth. Après le repas, Wexler essaye de passer son disque d’Aretha, mais Sam Phillips l’arrête aussitôt pour passer son disque de Tony Joe White. Sam ne passe qu’un seul morceau, toujours le même, «Got A Thing About Ya Baby». Over and over. Alors Wexler s’énerve : «Sam ! Baby ! You know I’m really hurt that you’re not listening to my Aretha record, baby !» Il essaye de remettre son disque et Sam l’arrête encore une fois. Il remet le Tony Joe et lance : «Goddam Jerry, that’s so good it don’t sound paid for !» Et vlan, prends ça dans ta gueule. Et Dickinson ajoute qu’il a souvent souffert de n’être pas payé. Et soudain, il comprend que l’arnaque fait partie de la production.

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    Zane n’en finit pas de rappeler que Wexler a consacré sa vie à la musique noire. Qu’il est viscéralement passionné par les musiciens noirs. Zane repêche encore une fabuleuse histoire dans The Rhythm And The Blues : Wexler raconte comment lui et Ahmet on découvert Professor Longhair dans une bourgade mal famée à la sortie de la Nouvelle Orleans. Il arrivent dans un tripot et entendent de l’extérieur un vrai ramdam. Mais quand ils entrent, ils ne voient qu’un seul musicien, Fess : un homme qui joue ces weird chords, qui utilise le piano comme une grosse caisse, and singing in the open-throated style of the blues shouters of old. «My god» I said to Herb, «We’ve discovered a primitive genius !». Croyant lui faire une fleur, les mecs d’Atlantic proposent un contrat à Fess qui répond en rigolant qu’il vient de signer chez Mercury. Voilà les racines d’Atlantic. Une magie qu’on retrouve à Memphis. Dans le cours des pages, Zane cite David Ritz, Peter Guralnick et Robert Gordon. Toujours les mêmes. Il n’oublie personne. Par contre, il consacre très peu de place à Dusty chérie, qui comme Wexler est fascinée par le Deep South et la musique noire. Chuck Prophet dit dans une réédition de Dusty In Memphis qu’elle ne se lavait jamais le visage, puisqu’elle se remaquillait par dessus l’ancien maquillage. Wexler confirme que Dusty passait chaque matin des heures et se maquiller - That was virtually an exercice in lamination - L’image est forte, Wexler parle de laminage, c’est-à-dire d’étalage de couches.

    Et ça se termine avec une interview loufoque de Stanley Booth. Quand Zane revient sur l’exploitation de Stax, de FAME puis d’American par Atlantic, Booth répond que personne ne savait lire un contrat chez Stax : «Ils durent apprendre quand le succès arriva, mais il était trop tard.» Et quand Zane lui demande quels sont ses cuts préférés sur Dusty In Memphis, Booth répond «Just A Little Loving» et «Breakfast In Bed», mais il ajoute que les versions de Carmen McRae accompagnée par les Dixies Flyers sont meilleures.

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    Alors bien sûr, à la lumière de cet éclairage, Dusty In Memphis sonne différemment. On retient surtout les quatre énormités que sont «I Don’t Want To Hear It Anymore», «The Windmills Of Your Mind», «In The Land Of The Make Believe» et «No Easy Way Down». Avec «I Don’t Want To Hear It Anymore», on voit que Dusty chérie fait ce qu’elle veut des compos. Elle semble moduler la splendeur du son. C’est là qu’on s’écroule dans un océan de béatitude, tellement elle chante bien. Elle fait grimper la mélodie du vieux Randy au sommet de l’art. Encore pire avec «The Windmills Of Your Mind», où elle tente de rivaliser de power avec le Vanilla Fudge. On entend Reggie Young jouer Brazil, c’est très audacieux. La voix de Duqty chérie semble voler comme une libellule dans une belle lumière rasante de printemps. On voit le niveau d’orchestration s’élever à chaque couplet, jusqu’au moment où Dusty s’en va arracher la beauté du ciel. Le génie visionnaire de Chips éclate dans le bouquet final. Elle revient à Burt avec «In The Land Of The Make Believe», ça jazze dans l’eau claire du lac enchanté. Rien d’aussi pur dans l’exercice de la délicatesse. C’est Dusty chérie dans toute sa splendeur, elle chante à la pointe de la glotte sur le fil d’argent d’une irréelle beauté mélodique. Reggie Young joue un peu de sitar. Memphis groove. Retour au slow groove avec le «No Easy Way Down» de Goffin & King. C’est la garantie d’une mélodie irréprochable. Dusty chérie y descend comme on descend dans l’eau verte d’un lagon, au paradis des tropiques. Admirable prestance. Dusty chérie pensait que l’idée de Jerry Wexler d’aller enregistrer à Memphis n’était pas bonne. Elle disait faire du big balladry, et non du hard R&B sound. C’est Reggie Young qui introduit «Son Of A Preacher Man» et Dusty chérie le chante à la suave. Quel coup de génie ! On découvre alors en elle une sorte d’immense vulnérabilité. On note aussi une fantastique émulation des Memphis Boys dans «Don’t Forget About Me». Il faut entendre Gene Chrisman lancer le beat et Tommy Cogbill le pulser au bassmatic. N’oublions pas ce chef-d’œuvre de deep Soul qu’est le «Breakfast In Bed» d’Eddie Hinton, qu’on trouve aussi sur l’album de Carmen McRae enregistré avec les Dixie Flyers.

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    Dans In My Wildest Dreams - Volume One, Wayne Jackson remercie quatre personnes en particulier : Estelle Axton, Jim Stewart, Chips Moman et Jerry Wexler. Il salue surtout le génie de Chips. American ? Si Chips a choisi un quartier pauvre pour s’installer, c’est uniquement parce que ça coûte moins cher. Jackson est là quand Elvis débarque avec tout son entourage chez American pour enregistrer la fameuse session. L’auteur raconte comment Chips réussit à virer ces pauvres mecs de RCA qui mettent leur grain de sel partout. Il prend le micro et s’adresse à l’assistance : «Soit vous produisez la session, soit je le produis. But somebody’s got to go ! Réfléchissez et faites-moi savoir votre décision.» Tout le monde est choqué, surtout Felton Jarvis : quoi, un producteur ose quitter une session avec Elvis ? Mais Jackson sait que Chips finit toujours par gagner. C’est Elvis qui va trancher après avoir tiré sur son cigare. Il passe son bras sur l’épaule de Felton Jarvis et lui dit : «Listen man, I really like the way this is going. Chips is doing a great job and it’s the greatest bunch of musicians I’ve ever been around. So let’s do this thing this way and keep it going. This song, In The Ghetto, it’s the best thing I’ve had my ands on in a long time and I can’t wait to sing it. Why don’t you boys just go out to the house and leave Red here with me. I’ll bring the tapes with me when I come home so we can have a listen. But right now don’t break my groove, man ! I need to be working, so let’s get in on here.» - And that was that. Fabuleux épisode.

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    Il faudrait aussi évoquer l’autobio de Bobby Womack, Midnight Mover - The True Story Of The World’s Greatest Soul Singer, mais ce ne pas utile de charger la barque. Elle risque de couler.

    Signé : Cazengler, Chips Momie

    James L. Dickerson. Chips Moman. Sartoris Literary Group 2020

    James L. Dickerson. Goin’ Back To Memphis. Schirmer Books 1996

    Warren Zanes. Dusty In Memphis. Continuum Books 2003

    Dusty Springfield. Dusty In Memphis. Atlantic 1969

    Wayne Jackson. In My Wildest Dreams. Volume One. Nashville 2007

    Roben Jones. Memphis Boys. The Story Of American Studios. University Press Of Mississippi 2010

     

    L’avenir du rock - Burn to lose

     

    Bernard pivote vers la caméra :

    — Chers amis, nous recevons cette semaine dans Apostruffes un invité de premier choix puisqu’il s’agit de l’avenir du rock. Avenir du rock, bonsoir...

    La caméra pivote vers l’avenir du rock qui hoche la tête. Puis elle repivote vers Bernard.

    — Contrairement à tous nos invités, vous ne publiez rien, mais vous jouez un rôle considérable dans l’extension du domaine de la lutte des cosmogénies para-culturelles. La possibilité d’une île, est-ce là une utopie, avenir du rock ?

    — L’utopie n’est pas tant dans le topo...

    — Vous voulez dire qu’elle s’ancre dans le sable mémoriel comme s’ancrent les piquets de tente ?

    — Pas du tout. Vous m’avez interrompu. Qui plus est, vous raisonnez à Anvers. Vous n’y êtes pas. Gardez-vous des tropismes du Cancer. Je suis là pour vous parler de l’underground... Down to the underground... En deçà des fondations des fonds à Scion, en deçà des cavités professorales et des entourloupes cadastrales, vous devez faire l’effort de comprendre que la vie grouille sous cette grande pierre... C’est là que se trouve la vraie vie, la vie qui mord, la vie qui pique, la vie qui rampe, la vie qui vit, la vie qui luit, la vie qui meurt, la vie qui dort, la vie qui mange, la vit qui chasse, la vie qui boit, la vie qui chie, la vie la vie, l’avis des autres, la vie cruciforme, l’avirond qu’est pas carré, la vie Tess d’Uberville, l’avi Maria, la vie nègre, la vie tupère, la vie d’ordure, la vie au long sur les toits, la vie d’ange...

    — N’oubliez pas les ratons lavoirs...

    — Vous prévertissez mon propos. Vous m’êtes donc redevable. Aussi allez-vous devoir répondre à une devinette. Êtes-vous prêt, Bernard ?

    — Je vous écoute, avenir du rock.

    — Un fan plus un fan, ça donne quoi ?

    — Fanfan la tulipe ?

    — Non, un fanzine et son lecteur. La clé magique de l’underground.

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    Francky Stein fait un fanzine qui s’appelle Burn Toulouse et un groupe, Saboteurs. Les deux sont extrêmement inspirés. L’album se récupère bien sûr de la main à la main et c’est ce qui fait sa valeur. Rien n’a plus de valeur que le troc underground. Les Saboteurs ne cachent rien de leurs influences : punk anglais, rockabilly et Sonics, l’album est un vrai festival de coups de cœur, puisqu’on y trouve deux reprises des Sonics, «Have Love Will Travel» (belle dégelée) et «The Witch» en B, bien torché, chanté au dark side of the boom. Ils prennent des faux airs de punks anglais pour taper l’«Astro Zombies» des mighty Misfits. Ils ont un sens aigu de la clameur. Ils tapent aussi le «Bad Man» des Oblivians au raw & brave, toujours avec ces clameurs dans le son. Et puis il y a ce fantastique «Here Today Gone Tomorrow» des Ramones, à la fois gaga et mélodique, méchant pourvoyeur de frissons et extrêmement bien envoyé. Ils restent dans les Ramones avec l’«Havana Affair» et le dotent d’une petite pointe anarchisante. La surprise vient du «Saboteurs» en ouverture de bal de B, joli shoot de rockabilly punkoïde, bien pulsé du beat, suivi d’un «6 Feet Underground» lancé au dark de cemetary et repris au beat rockab. Ces mecs ont de vaillants réflexes, ils savent cueillir un menton. Ils chantent «Moon Over Marin» à l’anglaise et balancent pour finir une version vicelarde de «Sweet Little Sixteen». Vicelarde ? Mais oui, bien wild et bien rockab, avec tous les développements ultra expected et une fabuleuse flambée d’énergie en prime. Wow, dix fois wow !

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    Francky a choisi le format poche pour Burn Toulouse, la Ville morose. Format de poche, c’est-à-dire l’A6, celui qui entre dans la poche arrière du jean. Les couvertures des numéros double zéro et triple zéro se débrouillent bien toutes seules. Elle n’ont besoin de personne en Harley Davidson : Cinéma & Rock N Roll, Punk, Underground, Surf, ça annonce bien la couleur, spécial Dick Dale pour le double zéro et Tom Waits & Iggy Pop pour le triple zéro. 28 pages et deux choses : un, dès l’édito, Francky annonce que son zine est fait à la main, sans adjonction d’ordi. Deux, tous les textes sont manuscrits comme ceux de Lindsay Hutton dans son fanzine, c’est du très haut niveau calligraphique. Chaque page est dessinée, illustrée à la volée et en prime, le sommaire ressemble à un festin royal : Dick Dale, Detroit Cobras, Mouse & The Traps, Damned et des tas d’autres choses à découvrir. Alors on part à la découverte de Silly Walk, avec une belle petite double illustrée par un portrait encré du groupe. Francky raconte leur histoire d’un ton badin. Bienvenue dans le confort douillet de l’underground spirit. Silly Walk nous dit Franky vient du fameux silly walk des Monty Python et il annonce la suite de l’histoire dans le numéro suivant, triple zéro, cette fois sous forme d’interview, ce qui permet de voir apparaître le crédo des influences, Heartbreakers, Saints, Clash, Damned et d’autres choses. Raoul cite en plus les Ramones, les Buzzcocks, les Stooges, les Cramps, les Dolls et les Beatles. Les illustrations crayonnées attirent bien l’œil, notamment le portrait de Dick Dale dans le double zéro, et puis il y a aussi cet hommage aux Detroit Cobras en deux parties, bien documenté et richement crayonné, Dexter Linwood n’hésite pas à entrer dans le détail labyrinthique des reprises, ainsi valsent les noms, Nathaniel Mayer, Hank Ballard, Gino Washington et ça continue dans le triple zéro avec l’épisode de la Nouvelle Orleans et la découverte de Slim Harpo, Benny Spellman, Earl King et tous les autres. Ça grouille de vie dans ce petit format. Francky entre en polémique avec ceux qu’il appelle les barnaqueurs et qui imposent les concerts au chapeau aux musiciens. Francky défouraille à coups d’articles de loi. Puis il honore le volet septième art du Burn avec John Landis et les Blues Brothers, puis Rock’N’Roll High School et les Ramones avant de retomber dans punk-rock city avec les Damned et une interview traduite par Henri-Paul et joliment illustrée. Dans triple zéro, Francky rend hommage à Herman Brood avec un épisode à suivre suivi de la suite et fin de Mouse & The Traps, occasion pour Francky de combler sans aucune rancune une lacune de Charlie Memphis - Tout le monde peut se trumper - Puis Francky remilite de plus belle pour l’abolition du chapeau dans les bars et pour la reconnaissance des musiciens. Quelles sont les solutions ? Révolution ! Il dresse ensuite une belle apologie des Livingstones, gang gaga-surf suédois et ça se termine en triple beauté avec les Damned. Signalons que Francky anime en plus une émission de radio sur FMR, qui s’appelle, tu l’auras deviné, Burn Toulouse. Façon pour lui de rendre hommage à Gildas qui menait lui aussi de front radio show et fanzine. Avec le même souci d’intégrité.

    Signé : Cazengler, burne tout court

    Saboteurs. Saboteurs. Vinyl Record Makers 2020

    Burn Toulouse # 00 - Double Zéro - Mars 2019

    Burn Toulouse # 000 - Triple Zéro - Mai Juin 2019

     

    Inside the goldmine

    - Les Broken Bones ne sont pas des bras cassés

     

    Il ne quittait pas des yeux l’exécuteur occupé à lui arracher ses dernières dents avec une longue tenaille. Parfois, leurs regards se croisaient. Celui de l’exécuteur n’exprimait rien, ni haine ni jouissance. Il obéissait aux ordres du centurion vautré dans un siège curule. Enchaîné à la muraille, Paul de Tarse subissait comme tant d’autres le martyre des Chrétiens de Rome. On commençait par leur arracher les dents, puis on leur brisait les jambes et on finissait par les décapiter. Il fit appel à toute sa volonté pour ne pas crier, mais il faillit défaillir tant la douleur lui taraudait la cervelle. Paul de Tarse bomba le torse et insulta l’exécuteur, le traitant d’arracheur de dents. Choqué, l’exécuteur protesta de sa bonne foi en répondant qu’il n’était pas un menteur. Le centurion lui ordonna de la fermer - Fermetta il becco - et de finir le jobbo. Alors Paul de Tarse traita le centurion de fasciste. Choqué, le centurion se leva et défourra son glaive. L’exécuteur prit le parti de Paul de Tarse et traita à son tour le centurion de sporco fascista. Le centurion approcha de l’exécuteur et lui plongea lentement son glaive dans le ventre. L’exécuteur s’agenouilla en levant le poing et en criant sporco fascista, sporco fascista ! Ah c’est pas malin !, fit Paul de Tarse. Le centurion essuya son glaive sur la tunique de l’exécuteur avant de le rengainer, puis il s’empara de la barre de fer qui servait à briser les jambes des martyrs. Il se mit en position de golfeur et frappa le genou droit de toutes ses forces. Avant de tomber dans les pommes, Paul de Tarse se dit que Broken Bones ferait un joli nom pour un groupe de rock.

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    Il semble que sa suggestion ait été retenue. C’est vrai que c’est un joli nom pour un groupe de rock : St. Paul & The Broken Bones. Ils sont apparus pour la première fois à la fin d’un article de Stephen Deusner consacré à Muscle Shoals, dans l’Uncut de november 2016. Deusner commence par brosser l’habituel panorama (Rick Hall, Arthur Alexander, Clarence Carter, Aretha, Duane Allman, Wilson Pickett, Swampers), puis passe par la période de déclin des années 80 avant de revenir à la renaissance, via le témoignage de Patterson Hood. Il semblerait que ce soient les Black Keys qui aient relancé l’activité du Muscle Shoals Sound System, avec leur album Brothers. Deusner consacre la dernière page de l’article au Soul revival de St. Paul & The Broken Bones, expliquant que ces petits mecs de l’Alabama ne se contentent pas de pomper la vieille Soul, mais la perpétuent à leur façon - avant gospel anthems with quasi psych lyrics and towering horn charts - À coup de wild performances, ils ont acquis une réputation de «one of the most exciting bands in the South». Ils ont même réussi à ouvrir pour les Stones.

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    L’héritage du Shoals Sound System serait donc dans les pattes des Truckers (par la filiation), des Broken Bones et des Alabama Shakes. L’autre activiste du mythe s’appelle John Paul White. Son groupe s’appelle CivilWars et son label Single Lock Records. C’est lui qui veille sur la relève, à commencer par St. Paul & The Broken Bones, mais aussi Belle Adair et Dylan LeBlanc. Il semblerait que Belle Adair soit plus country-folk que r’n’b. Dans l’encadré des Four new bands you need to hear, on trouve en plus de St. Paul & The Broken Bones et de Belle Adair un groupe nommé Firekid, qui est en fait un one-man band placé sous la houlette de Dillon Hodges, puis les Secret Sisters, deux sœurs nommées Laura et Lydia Rogers qui ont pour seul défaut de fricoter avec Jack White.

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    Comme Deusner se montrait particulièrement dithyrambique, on s’est jeté sur les deux albums, histoire de vérifier la véracité des dithyrambes. Révélation ! Et ce dès le premier album intitulé Half The City. On y retrouve le son de Muscle Shoals, ce feeling, dès «I’m Torn Up». Le groupe ne comprend que des blancs. Le chanteur s’appelle Paul Janeway. Il ahane comme un sphinx à la glotte éraillée et s’en va screamer d’épouvantable manière. La fête se poursuit avec «Don’t Mean A Thing». C’est extravagant de classe, balayé aux nappes de cuivres et cette folle équipe plonge dans des abîmes de big atmosphrix, tout est pulsé à la meilleure gageure du Shoals, à la puissance d’un fleuve qui emporterait tout, y compris le crépuscule des dieux. Paul Janeway enfonce son clou de Soul Man dans «Call Me» avec une extraordinaire prestance et ça repart de plus belle avec «Like A Mighty River», un cut hanté par des chœurs véridiques. La lumière du hit intercontinental rôde sous la roche et génère de la magie blanche. On croirait entendre les New York Dolls à Muscle Shoals, les ouuh-ouuuh créent une sorte d’émulsion mythique, a special flavor, et ce fou de Janeway se met à hurler. Une véritable trombe de transe ! Le «That Gow» qui suit colle parfaitement à l’idée que se fait le lapin blanc d’une merveille inconnue. Ils attaquent «Broken Bones & Pocket Change» à l’Otisserie de la Reine Pédauque. Sacré Paul, il avance sur les traces du messie palestinien, l’Otis qui prêchait la paix dans le désert. Paul Janeway se spécialise dans le frisson. Il sait atteindre le bas-ventre de la Soul pour la faire juter. Il monte ses énormités en neige. On assiste à un fabuleux excès de frottements torrides. C’est de la pulsion à l’état pur. Personne n’a jamais hurlé comme lui, ni Percy Sledge, ni Little Richard, il est complètement possédé. On continue avec «Sugar Dyed», un vieux r’n’b à la Stax motion. Ils connaissent toutes les arcanes. C’est encore un cut absolument définitif. Depuis l’âge d’or, on n’avait plus entendu de r’n’b aussi musclé. C’est encore pire que Wilson Pickett. Paul Janeway compte vraiment parmi les Soul Men d’exception. Il pousse tout à l’extrême. On assiste à une incroyable défenestration de la Soul. Il ré-attaque «Grass Is Greener» à l’Otisserie. Paul Janeway sait transformer un slowah en pyramide d’Égypte, en quadrature du cercle, en clavicule de Salomon et ça groove dans la mélodie, comme chez Marvin, avec des gros coups de trompette. On a là quelque chose d’affolant, d’intense, d’éclatant, de monté au dernier étage de la Soul et le scream est repris à la mélodie. Ils ne lâchent tien, comme on le constate à l’écoute de «Dixie Rothko». Paul Janeway hurle encore plus fort que Wilson Pickett, comme si une chose pareille était possible. Dernier round avec «It’s Midnight», fabuleuse fin de non-recevoir, encore un cut magnifique, hurlé face à l’océan de la Soul.

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    Par contre, leur deuxième album intitulé Sea Of Noise est nettement moins brillant. Pour ne pas dire foireux. Comme quoi, les choses ne sont jamais gagnées d’avance. On trouve tout de même sur cet album un «Flow With It» joliment jouissif et gorgé de son. Et un «Midnight On The Earth» puissant, car monté sur un beat tribal et animé par une bassline oblique. Paul Janeway chante ça dans les aigus, mais il se dégage du cut une sorte de vieux remugle de Saturday Night Fever. Encore un cut relativement étonnant avec «All I Ever Wonder», bien amené aux trompettes, comme chez Otis, et chanté à l’écrasée du talon. On tombe ensuite sur «Sanctify», une sorte de groove suspendu dans l’air mais un peu inutile. Ils semblent avoir perdu la foi. Paul Janeway cherche à percer les secrets et il finit par s’étrangler dans ses régurgitations, mais ça se termine en belle apothéose. Diable, comme leurs nappes sont belles ! Avec «Burning Rome», Paul Janeway retape dans le slowah Staxy noyé d’orgue et donc, voilà le travail.

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    Un nouvel album paraît en 2018 : Young Sick Camellia. Le grand retour de Paul Janeway s’opère dans «NASA», un cut qui sonne comme un groove de naturalia maximalia. Ce Soul Brother se fond dans l’éther de la NASA. C’est d’une puissance qui défie les lois et qui culmine, il screame au sommet de son art. Très spectaculaire. «Hurricanes» sonne comme de la romantica à la mormoille, mais Janeway fend bien l’âme. Il chante comme un dieu - I feel you’re coming like hurricanes - C’est une voix qui compte dans la compta, fascinant personnage ! Il passe directement au coup de génie avec «LivWithOutU». Il attaque sa diskö avec une hargne exceptionnelle, il chante comme un black qui ne veut pas finir sa vie dans les champs de coton, alors il swingue son shoot à la vie à la mort. Il joue avec les nerfs de l’auditoire, il frise les moustaches de Dieu, c’est une énormité cavaleuse, un hit de dance fructueux, une bible à livre ouvert et il faut le voir screamer sa Soul. Le dernier cut de l’album, «Bruised Fruit», vaut pour un froti-frotah imparable. Il shoote sa foi dans le slowah, c’est indéniable. Ce mec est vraiment très bon, il surchauffe sa Soul comme on surchauffe une poule. Il peut devenir très spectaculaire. D’autres cuts accrochent bien l’oreille du lapin blanc comme ce «Convex» chanté de main de maître à la voix perçante. C’est une Soul qu’on peut qualifier de moderne, accrocheuse et anguleuse. Le «Get It Bad» qui suit vaut pour un vieux shoot de r’n’b, singulier et terriblement convaincu d’avance. Les Broken Bones y vont de bon cœur, la rue s’ensoleille à travers une bruine d’harmonies vocales superbes. Peter Janeway pourrait bien devenir une star. Avec «Apollo», ils font un diskö funk infernal. Quelle débinade ! Janeway fait un disk de black star. Ils tapent «Mr Invisible» au beat thibétain et Janeway chante à la criarde du marché aux poissons. Quel admirable brailleur ! Il n’en finit plus de ramoner sa happiness.

    Signé : Cazengler, Bras cassé

    St. Paul & The Broken Bones. Half The City. Thrity Tigers 2014

    St. Paul & The Broken Bones. Sea of Noise. Records label 2016

    St. Paul & The Broken Bones. Young Sick Camellia. Red Music 2018

    Stephen Deusner. Sweet Muscle Shoals. Uncut #234 - November 2016

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS n° 19

    OCTOBRE / NOVEMBRE / DEEMBRE 2021

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    Nous sommes début octobre. Le monde va mal. Partout du nord au sud et de l'est à l'ouest. Tout s'écroule. Rien ne va plus. Toutefois il y a encore un dernier train qui arrive à l'heure. Inutile de téléphoner à la SNCF pour lui adresser vos félicitations. Nous ne parlons pas des tortillards de banlieue ni des TGV, mais d'une locomotive. Pas n'importe laquelle, la dernière locomo-rockabilly, fabrication française, la 19 qui se permet de tenir ses promesses et de paraître début octobre comme prévu. L'a traversé les temps de vaches maigres et pandémiques, fraîche comme une fleur.

    Avant de l'ouvrir, me suis permis un petit plaisir égoïste de collectionneur satisfait, me suis attardé sur la quatrième de couve. C'est beau comme les arcanes du tarot, les dix-huit couvertures des dix numéros précédents, plus les deux Hors-séries, le Spécial Gene Vincent, et le Spécial Crazy Cavan. Sergio Kash et son équipe peuvent être fiers de leur boulot. Sont en train de constituer une véritable somme de l'histoire du mouvement rockabilly hexagonal. Depuis ses débuts. Sans oublier les pays voisins.

    Série pionniers. Greg Cattez nous rappelle les grandes heures du premier rock'n'roll anglais. Celui d'avant les Beatles. Qui a essuyé les plâtres. Nous dresse un émouvant portrait de Billy Fury. Sa vie fut une course contre la montre. Contre la mort. Son cœur se brisa après quarante-deux années de mauvais service. Vivre vite et mourir jeune, n'est-ce pas un mode de vie rock'n'roll. Cette première génération du rock britannique eut le privilège de côtoyer les pionniers américains, les photos en apportent la preuve. Par contre ils subirent de plein fouet les pressions de leurs maisons de disques, qui partaient du principe que les slows larmoyants se vendaient mieux que les rocks brutaux.

    Un autre pionnier, français, Jerry Dixie – j'ai eu l'honneur d'assister à un de ces derniers concerts, un petit bout d'homme de rien du tout, presque timide et sûrement effacé, satisfait qu'on lui achète ses disques mais presque gêné de les vendre, et sur scène un grand Monsieur, suffisait qu'il ouvre la bouche pour se retrouver propulsé là-bas dans la grande Amérique mythique, le big country. Une longue interview dans lequel il se raconte, simplement, sans rien cacher de ses origines populaires, mais l'oisillon a su devenir un aigle et placer ses morceaux auprès de gars qui ont pour nom Ray Campi, pour n'en citer qu'un. Ecouter Jerry est un régal.

    Il est né à Rotterdam, et sur la couve l'on voit ses cheveux blancs et son visage de gars qui a beaucoup bourlingué, mais ce qu'il nous conte recoupe les dires de Jerry dans l'interview précédente, cette difficulté pour les adolescents et les jeunes de leur époque à trouver le moindre disque, à glaner l'infinitésimal renseignement sur l'histoire du rock'n 'roll. Fallait de la persévérance, beaucoup de chance, et des rencontres hasardeuses... Kees Dekker, davantage connu sous son nom de Spider, retrace son parcours de combattant, les groupes qu'il monte et qui se désagrègent peu à peu, ses jours de réussite qui s'effilochent, la faute à la vie. L'amour l'appelle en France où il fonde une famille et travaille dur pour élever ses enfants, c'est par chez nous qu'il se fera connaître avec les Nitro Burners, rock dur et sans concession, ils finiront par arrêter. Mais Spider n'abandonne pas, il est tout près de reprendre la route. Le rock chevillé au corps. Les Nitro Burners avec un nouveau batteur préparent leur retour.

    Sergio Kash se plaint. Ne faisait pas très beau au Mans cet été. Je le rassure en Ariège non plus. En contre-partie il a eu un super lot de consolation. Le Festival 72 du Mans, trois jours et trois scènes débordantes de groupes de rockabilly. Ne regardez pas les photos, tournez vite les pages, elles sont belles mais vous allez les salopéger avec votre bave envieuse.

    Le pire c'est que ça recommence avec la collection de clichés ( suivis de leurs commentaires ) qui retracent les quatre jours de Béthune Rétro. Que de souffrances morales infligées aux absents ! Pensez donc, Viktor Huganet, Jake Calypso, Barny and the Rhythm All Stars, Spunyboys, j'en passe je ne voudrais pas vous empêcher de dormir la nuit prochaine.

    Entre ces deux mastodontes Steven qui opte pour une solution autre, l'organisation de concerts pas tout à fait privés et pas vraiment ouverts. Entre cent et deux cent cinquante personnes, des amis, des connaissances, des connaisseurs. White Night ne veut pas céder au gigantisme, la fête doit rester à dimension humaine...

    Suivent les chroniques habituelle, une Association catalane ( non ce n'est pas pour danser la sardane ), les nouveautés disques, les photos backstage et cette bonne nouvelle finale, le retour de Dylan Kirk et ses Starlights trop longtemps au point mort pandémique, l'un en Angleterre, les trois autres en France, difficile vu les déplacements limités de ces derniers mois de se retrouver, ils ont survécu, normal, sont jeunes, sont beaux, sont rockabilly, trois raisons suffisantes !

    Magazine chic ( maquette et photos couleurs ), magazine choc ( 100 % Rockabilly ), revue pour les rockers !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,95 Euros + 3,94 de frais de port soit 8,89 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 36, 08 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents !

    CALIGULA LIVES

    LASKFAR VORTOK

    ( Immigrant Breast Next / 2013 )

    Normalement j'aurais dû être attiré par la pochette. Cela m'arrive souvent. C'eût été logique Laskfar Vortok, un drôle de lascar, se définit entre autres comme un artiste visuel. Au temps béni où l'on enfermait Antonin Artaud à l'asile, les psychiatres n'auraient pas hésité une demi-seconde, z'auraient opté immédiatement pour la camisole de force afin qu'il ne remuât point trop lors de la procédure d'ablation du cerveau. Regarder une seule de ses vidéos aurait suffi à convaincre ces doctes praticiens. Dans la série ménageons la chèvre et le chou tentons de les comprendre. Ces trucs colorés qui vous arrachent la rétine s'avèrent, pour employer un terme euphéménique, déstabilisateurs. Les temps ont changé, les avancées techniques de la modernité ont permis à de nombreux artistes de révolutionner l'art pictographique. De quoi déboussoler les amateurs de la vieille peinture à chevalet, mais ceci est une autre histoire que nous évoquerons plus tard. D'autant plus que la couve de cet opus n'a pas été réalisée par Vortok lui-même, mais par Darakalliyan et surtout parce que Caligula Lives est une œuvre musicale.

    Surfant sur le net sur le nom de Caligula – un nom prédestiné pour un groupe de metal supputai-je, je ne m'étais pas trompé ils sont légion aux quatre coins de la planète, mon instinct de rocker qui aime les choses indistinctes m'a emmené sur ce Caligula Lives. Que les âmes sensibles s'éloignent, le personnage m'a toujours fasciné. D'abord parce que l'étude de l'antiquité gréco-romaine me passionne, et aussi par ce qu'une fois que Auguste eût assis la puissance impériale, ses successeurs immédiats se retrouvèrent en une étrange situation. Tout leur était permis. Liberté totale accordée. Ils n'ont eu de cesse de céder à la tentation de repousser les limites et de déployer, à leurs risques et périls, les plus profonds aspects idiosyncratiques de leur personnalités, ces turpitudes filigranifiques que nos propres vies étriquées gardent secrètement camouflées au fond d'un gouffre dont nous vérifions chaque jour les gros cadenas qui les maintiennent prisonniers... Nous ne l'ignorions pas, les monstres les plus ignominieux sont au-dedans de nous, pas au-dehors. Hypocrite lecteur ne me condamne pas, ô insensé qui crois que je ne suis pas toi ! Tout comme moi tu n'es qu'un cul de basse-fosse d'ignominie !

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    L'Histoire n'a pas été tendre avec Caligula. Un monstre, un pervers narcissique, un fou à lier, les épithètes peu élogieuses ne manquent pas. Mais sa figure attire. Camus, dans le meilleur de ses livres, une pièce de théâtre sobrement intitulée Caligula, a tenté de décrire les rouages intellectuels qui ont guidé sa conduite. Il ne l'excuse pas, mais il aide à le comprendre. L'hypocrisie des courtisans et la veulerie du peuple qui se laisse si facilement berné par les miettes qu'on lui lance pour l'amadouer l'auraient dégoûté de la race humaine. D'où sa manie de pousser le système étatique de domination à fond les manettes, placer les gens face leur propre contradictions, à leur profond amour de la servitude. Volontaire, aurait ajouté La Boétie. J'encourage vivement les esprits libres qui aiment à s'écarter des vérités générales de l'historiographie officielle à se plonger dans Le César aux pieds nus ( consacré à Caligula ) de Cristina Rodriguez paru en 2002. De même Moi Sporus, prêtre et putain ( 2001 ) et Thyia de Sparte ( 2004 ), se dévorent goulument, les détracteurs vous avertiront, ce ne sont que réhabilitations romantiques de Néron et de l'idéologie couramment admise de la cité spartiate... Comme par hasard un mouvement se dessine chez les historiens actuels qui jugent que le portrait habituel de Caligula par l'historiographie traditionnelle dressé à partir des écrits de Suetone ne correspond pas obligatoirement à la réalité historiale...

    Non ce n'est pas un enregistrement live, l'expression Caligula Lives ( notez le ''s'' final qui démontre qu'il s'agit d'un verbe conjugué à la troisième personne du singulier ) correspond aux dernières paroles '' Je suis vivant ! '' proférées par l'Imperator lorsqu'il tombe sous les glaives et les poignards de la garde prétorienne...

    L'œuvre de Laskar Vortok ne comporte que trois titres qui synthétisent le singulier parcours et les derniers instants de l'Empereur fou, elle est à entendre comme ces Tombeaux que les poëtes du dix-neuvième siècle édifiaient en l'honneur de leurs pairs décédés... ne vous étonnez pas si la musique tumultueuse semble se résorber en des tourbillons d'une folie outrancière...

    Neos Helios : nouveau soleil, le morceau de l'ascendance, référence évidente au désir de Caligula – c'était un ordre mais la mort empêcha sa réalisation effective - que sa propre statue soit placée dans le Temple de Jérusalem. Caligula ne voulait sans doute pas remplacer le Dieu unique, lui qui avait déjà officialisé un culte impérial à son nom... Les esprits positifs concluront que le princeps était dérangé, ne vous étonnez donc pas si par hasard cette musique vous dérange. Ce n'est pas du rock, plutôt du noise-électro-disruptif, car comment évoquer ces froissements, ces glougloutements, ces éreintements de ressorts étirés au-delà de leurs capacités, suivis de ces envols lyriques aussitôt réprimés par des tambourinades intempestives et intraitables. Le tout ressemble à un bruit glauque de WC débouché et cette avalanche d'eau sale et grondeuse dans les canalisations caverneuses, un vortex de nuisances par lesquels Laskar Vortok nous place à l'intérieur de la tête de Caligula, dans ses crispations explosives de pensée, dans les rouages mêmes des combinaisons de ses neurones, et vous avez l'impression d'un engrenage dont les pignons s'enrayent, n'empêche que nous traversons aussi des zones de calme et de sérénité, l'effroyable succion se transforme en séquence idyllique, n'est-ce pas au milieu du kaos que nichent les Dieux, montagnes russes sonores, tout s'entrechoque, l'exaltation de l'aurore matitunale et les fracas insupportables de ces coques brisées sur les récifs nocturnes qui entourent et défendent l'île des Bienheureux. Pas de parole, juste cette musique dissonante, le haut et le bas, le beau et le laid, le bien et le mal, l'or et la boue, jumeaux inséparables, Laskar nous plonge au sein de la déraison caligulienne, pas de condamnation, à prendre ou à laisser, comme un bloc irradiant d'une énergie mortelle pour les humains qui ne supportent pas l'ambroisie divine qu'on leur offre. Lorsque le reptile de la folie se glisse et se love en votre âme, il tourne sans fin sur lui-même et vous n'arrivez jamais à l'arrêter. Incitatus : le nom du cheval préféré de Caligula, à qui il fit rendre tous les honneurs et édifier une écurie de marbre, on lui prête le projet d'avoir voulu le faire sénateur... Le morceau débute par une galopade, quoi de plus normal pour un canasson, mais très vite surgissent des brimborions de trilles pour exprimer toute la tendresse admirative que l'Imperator portait à son équidé favori. Ne nous y trompons pas, ce tintamarre jouissif décrit une histoire d'amour, l'alliance impossible entre la bête la plus fougueuse et l'homme indigne de son élégance. Entrecoupements de silences et mélanges de klaxonnades, pointillés de tumescences auditives, marques d'impatience, les sources historiques n'en parlent pas mais Laskar le suggère cette passion cavalosexuelle de ne plus faire qu'un avec sa monture, d'atteindre à la divinité en devenant centaure. Certains rêves sont plus fous que d'autres. Cryptoporticus on the Palatine Hill : nous avons eu du sexe dans le morceau précédent, très logiquement voici la mort. C'est dans un sombre couloir qui menait de son palais à l'arène dans lequel se déroulaient les jeux palatéens que Caligula a péri. Bruitisme funèbre, envolées d'orgue, belles tentures de pourpre que des bourdonnements insatiables de mouches recouvrent, des borborygmes, presque des paroles, comme si les derniers mots de l'Imperator étaient répétés à l'infini, le destin n'est pas en marche, il trotte allègrement vers sa victime, elle n'est déjà plus de ce monde – l'a-t-elle vraiment été une seule fois – les mouches s'envolent peut-être l'amplitude de la musique veut-elle nous faire accroire que dans le rêve terminal de Caïus Imperator elles se sont métamorphosées en aigles qui l'accompagnent vers l'Olympe en une suprême apothéose. Arrêt brusque de la musique, les simples mortels ne peuvent assister au festin d'accueil qui lui a été préparé.

    Je doute que la majorité des lecteurs de KR'TNT ! apprécient ce genre de musique... Quoi qu'il en soit Laskar Vortok a tissé un merveilleux linceul purpural à la mémoire de Caligula, honni parmi les hommes, admis parmi les Dieux. Si l'on porte créance à ce que nous nommons sa folie.

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    Avant de nous quitter il est temps de regarder la pochette de Darakalliyan. Au premier coup d'œil l'on ne discerne rien de précis, si ce n'est cet éclair de foudre jaune qui tombe du ciel et ce lambeau rose de pourpre tyrienne dans lequel culmine la flèche du zigzag de feu que notre sagesse attribuera à Zeus. Au-dessus ce n'est pas la voûte céleste mais la représentation de sphère ptolémaïque de l'orbe du monde, au-dessous s'agitent les hommes qui vivent sur et sous la croûte terrestre. Un peuple informe dont on n'aperçoit que des silhouettes blanches, couleur de l'âme des morts, qui s'agitent figées en des poses stéréotypiques, déjà à moitié dévorées par la glaise qui les happe, et d'autres déjà rongées par la noirceur de l'oubli à moins que ce ne soient les Parques ou les Normes qui veillent sur notre destinée... Une image sage, qui nous rappelle que nous ne sommes que des êtres humains. Fragiles et mortels.

    Damie Chad.

    Note : les termes de Neos d'Hélios sont pour nous Modernes qui connaissons la suite et la fin de l'Histoire Ancienne à mettre en relation avec l'expression Sol Invictus désignant le Dieu Soleil en l'honneur de qui deux siècles plus tard l'empereur Aurélien fit édifier un temple magnifique. Voir aussi sur un plan tout autant politique mais beaucoup plus intellectuel les développements de la philosophie néo-platonicienne qui furent avec le règne de Julien le chant du cygne du monde païen...

     

    THE GOOD OLD TIMES

    CRASHBIRDS

    ( vidéo / You Tube )

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    Tiens une nouvelle vidéo des Crashbirds, mais pourquoi en sortent-ils si régulièrement ces derniers temps ? Les réponses sont variées, faut bien que les grands enfants s'amusent, parce qu'ils en ont envie, parce qu'ils espèrent être repérés par un studio d'Hollywood et tourner une super-production aux States juste pour montrer aux petits frenchies ébahis qu'ils sont les meilleurs, tout simplement parce que ce sont des êtres libres et qu'ils font ce qu'ils veulent quand ils le veulent... je vous laisse cocher la case qui vous agrée, mais la dernière proposition se rapproche le plus de la bonne réponse. Ce qui coince avec les Crashbirds, c'est justement la liberté, non, rassurons-nous, ils ne sont pas encore en prison, mais c'est tout comme.

    Rappel historial : la pandémie, le premier confinement, tout le monde enfermé chez soi, une heure de sortie pour que le chien puisse arroser les trottoirs. Les groupes de rock – les autres aussi mais ce n'est pas ici le sujet – claquemurés à la maison, concerts interdits... sale temps, essaient de survivre comme ils peuvent, certains tournent des vidéos, beaucoup tournent en rond... Après des mois et des mois de ce régime sec, l'étau se desserre un peu. Ouf ! Non plouf ! L'Etat qui a acheté des millions de doses de vaccins inaugure une nouvelle stratégie, si vous désirez, sortir, boire un pot, ou participer à un concert, faites-vous inoculer le produit miracle et présentez votre pass sanitaire. Etrange comme cet adjectif fleure bon la cuvette WC dont on a omis de tirer la chasse. C'était juste une remarque philologique.

    Les râleurs professionnels que sont les français se précipitent en masse pour obtenir leur sésame, mais certains, des minoritaires refusent. Organisent des manifestations. Sans succès. Nous n'allons pas rouvrir le débat. Chacun se détermine selon son âme en perdition et son inconscience. Philosophiquement nous touchons-là aux limites du consensus démocratique majoritaire. Relisons Aristote et Platon.

    Les Crashbirds refusent de se plier à la passivité acceptatrice du pass, donc ils ne peuvent plus donner de concerts, dur pour un groupe, n'ont qu'à suivre le troupeau comme toute personne sensée. Z'oui, mais ils ont une éthique. Et même une éthique rock. Ne considèrent pas leur genre de musique comme une distraction. Le rock porte en lui-même des ferments de révolte, de rébellion, d'insoumission, de rupture, pensent-ils. Une attitude souvent revendiquée dans les paroles. Ainsi pour eux, il est inenvisageable de donner des concerts. Les milieux rock ne se sont pas, souvent pour des questions de pure survie économique, dans leur grande majorité pliés à une telle décision. Certes il y a de nombreux ( ? ) endroits où l'on ne vous demande pas de présenter le pass et où les organisateurs ne remarquent pas que vous n'êtes pas masqués, certains cafés-rock refusent d'organiser des concerts pour ne pas avoir à trier leurs clients... Pour ne pas se couper de leurs fans les Crasfbirds diffusent des clips ( ils en ont toujours proposé ) une visite de leur chaîne YT s'impose.

    Vous pouvez ne pas être d'accord avec les Crashbirds, pour notre part nous dirons que les gens qui mettent leurs actes en accord avec leurs idées sont une denrée rare et précieuse en ce monde de girouettes tourbillonnantes. Pas de notre faute si la phrase que je vous laisse méditer de de T. S. Eliot reste d'actualité '' Celui qui dans un monde de fugitifs prend la direction opposée aura l'air d'un déserteur ''…

    THE GOOD OLD TIME

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    Méprise totale de ma part, sur la première image, j'ai confondu, de loin j'ai pensé que cette espèce de guérite en planches, j'ai cru que c'était un de ces cabinets qu'au siècle dernier dans la série ''cachez ces culs que nous ne saurions voir'' l'on reléguait honteusement au fond du jardin, lamentable erreur, un crime de lèse-majesté, l'on aurait dû me rouer vif sur la place publique, car contrairement à toute attente, aux images suivantes il apparaît que c'est un trône royal. Z'auraient pu raboter et cirer le bois, mais Delphine ouvre un vieux grimoire et tourne les pages, pas de méprise possible, foi de licorne emblématique, nous sommes aux temps bénis du Moyen-âge, pour nous en convaincre le roi Pierre à la barbichette blanche et fleurie s'est adjugée le siège suprême. Je rassure tout de suite nos lectrices, ce n'est pas un mufle convaincu, souvent il laissera à la la Reine Delphine 1ère, le droit de s'asseoir sur le siège sacré. Quelle est belle notre reine adorée tour à tour dans son long manteau de brocard azuréen ou sa tunique de soie rouge ( que voulez-vous pour être reine elle n'en est pas moins femme et coquette ). Mais avec quelle grâce de baladin elle tient sa guitare ou se lance dans une mirifique pavane, ses saints pieds qui sautillent nous donnent l'impression de ne pas toucher terre...

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    Ne nous égarons pas. Oui, il était beau le bon vieux temps. Attention il ne s'agit pas du temps d'avant la pandémie. Nous sommes en ces temps radieux et médiévaux. Pour une fois la musique des Crashbirds a gagné en légèreté, moins entée dans la terre boueuse du blues triste, même légère, pas stupidement guillerette non plus, car les cui-cui n'oublient pas les vertus pédagogiques du rock 'n' roll, les images nous rappellent que le moyen-âge fut aussi une époque violente, châteaux-forts, tournois, combats de chevalier, le bon roi Carolus Magnus Petrus Lehoulier a laissé place à son fils, un jeune soudard ivre de sang et de batailles, vindicatif et inconscient qui n'a d'autres rêves que d'agrandir son fief et de partir aux croisades, son glaive ébréché témoigne de ses qualités guerrières. De quoi refroidir notre amour immodéré pour ces siècles lointains.

    D'ailleurs on les quitte ! Delphine ouvre un second livre, le drapeau français sur l'Elysée prouve que nous sommes en France, douce et sereine France, hélas l'embellie ne se prolonge pas, nous vivons l'époque des dictateurs, les estampes ( pas du tout japonaises ) qui se suivent décrivent une sombre époque, des bombes tombent sur des enfants, des lanceurs de missiles exécutent leurs tristes envois, des villes flambent, la musique s'alourdit, long passage musical, au cours duquel Pierre debout appuie sur l'accélérateur de sa guitare et Delphine s'adonne à une tarentelle désordonnée, bouquet final, feu d'artifice terminal.

    Triste constat : depuis le moyen-âge le monde ne s'est guère amélioré, nous ne nous servons plus d'épées mais d'armes de haute destruction... Le bon vieux temps ne dure-t-il pas encore ? Une nouvelle fois les cui-cui ont frappé fort, Un joyaux de plus à rajouter à la couronne des Crashbirds.

    Réalisé avec la complicité active d'Eric Cervera et de Rattila Pictures

    Damie Chad.

    RAUNCHY BUT FRENCHY ( 2 )

    COULEUR MAGENTA

    La nouvelle était tombée brutalement dans le flash d'information '' Mort de Guy Magenta '' sans plus. Un coin de la planète devait être en feu quelque part car le speaker ne s'était pas attardé, il l'avait juste ajouté qu'il avait quarante ans. C'était il y a longtemps, c'était en 1967. Depuis de l'eau a coulé sous le Pont Mirabeau ( sous tous les autres aussi ) et qui pense encore à Guy Magenta ! Sur le moment j'avais ressenti un petit creux à l'estomac, Guy Magenta je connaissais, l'était crédité pour la musique de Si tu n'étais pas mon frère d'Eddy Mitchell, un des meilleurs titres du rock français. Un truc percutant. Je me souviens encore qu'une après-midi alors que je le repassais pour la vingtième fois d'affilée ma mère excédée a surgi dans la pièce et a exigé que j'arrête immédiatement cette ordure, puis elle m'a traité d'assassin ! Sur ce elle a claqué la porte et j'ai remis le disque... Car j'étais un serial killer.

    Depuis 1965, j'étais fan d'Eddy Mitchell, parfois pour me rappeler le bon vieux temps, je file sur You Tube, et dans la série mes tendres années qu'elle était verte ma vallée je m'écoute une dizaine de hits de Schmoll... je me suis adonné à cet enfantillage pas plus tard que quinze jours d'ailleurs, mais cette fois j'ai tiqué, évidemment j'ai commencé par Si tu n'étais mon frère, j'ai enchaîné sur Société anonyme et là plouf sur les renseignements fournis sous la vidéo, je remarque que Guy Magenta est crédité, ah, oui Magenta, je ne m'attarde pas, j'ai un autre chat à fouetter l'envie subite d'écouter un autre de mes morceaux préférés ( que presque personne ne connaît ) de Mitchell : Fortissimo et là bingo les gogos, le nom de Guy Magenta s'affiche une nouvelle fois, je veux en savoir plus, je cherche, je trouve.

    C'est qu'une question subsidiaire angoissante me titille, je m'aperçois que la montagne possède une troisième face dont j'ignorais l'existence. O. K. ces titres je les ai aimés pour l'implication vocale du chanteur, et pour leurs textes, que voulez-vous je suis un littéraire. N'avais jamais pensé que les ai peut-être appréciés parce que c'était même le gars qui en avait composé la musique.

    Comme Marcel Proust j'avais du temps à perdre, aussi me suis-je enquis de la totalité des titres écrits par Guy Magenta pour Eddy Mitchell. Pas un max, seulement dix, leur collaboration ayant débuté en 1965 et terminé, par la force des choses, en 1967.

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    Mais qui est Guy Magenta ? Se nomme en vérité Guy Freidline, millésime 1927, un compositeur né dans une famille de musiciens qui recevra quelques leçons de guitare de George Ulmer, doué et prolixe, l'est un admirateur de Vincent Scotto, attention il ne fournit que la musique, laisse à d'autres le soin des paroles. Le genre de caméléon qui s'adapte à son environnement, dans les années cinquante l'on remarque sa signature sur les pochettes des vedettes d'alors, Lucienne Delyle, Annie Cordy, Rina Ketty, Dario Moreno, Gloria Lasso, auxquels on joindra Edith Piaf, Dalida, Sacha Distel... contrairement à beaucoup il a l'intelligence de ne pas cracher sur la nouvelle vague des années soixante, John William, Hughes Aufray, Olivier Despax, Les Champions, Claude François, France Gall, Frank Alamo, Petula Clark, Lucky Blondo, Noël Deschamps, Dick Rivers, Eddy Mitchel seront parmi ses clients, rien ne lui fait peur, saute les générations, capable de vous pondre une opérette, une musique de film, de la roucoulade, du yé-yé et du rock. Ça marche pour lui. Par contre ça roule moins bien. Se tue à Salbris au volant de la Jaguar qu'il vient d'acheter... Toujours mieux que de se faire envoyer ad patres par la bicyclette d'un écologiste qui vous percute sur un passage clouté. Une mort princière donc... Difficile de glaner quelques renseignements sur le net...

    Formulons notre question autrement : reconnaît-on la pâte Magenta dans ces dix titres mitchelliens, y a-t-il sans discuter dans ces dix cuts des gimmiks musicaux, une structuration singulière qui fassent que l'on reconnaisse le coup de patte magentique.

    Si tu n'étais pas mon frère : ( 1965 ) : parolier Ralph Bernet : à la base c'est quoi ce morceau, des écorchures de guitares sur une tambourinade infinie, une espèce de ressassement rythmique répétitif, une cavalcade nocturne. Une orchestration sans une once de graisse, une esthétique spartiate, difficile d'en tirer une conclusion définitive. Elle détruit les garçons : ( 1965 ) : parolier Ralph Bernet : niveau parole ce n'est pas Victor Hugo, ca tombe bien l'on n'écoute que la musique : très différent du précédent, pourtant si l'on y prête attention, il y a ce rebondissement rythmique, ce piétinement de la batterie qui n'est pas sans rappeler celle du précédent, lorsque ce phénomène se manifeste, comme par hasard ce sont les meilleurs passages du morceau. Serrer les dents : ( 1965 ) : parolier Ralph Bernet : nous avions deux indices, nous voici face à une évidence d'autant plus prégnante que l'on retrouve la même fragmentation saccadée comme si la musique se marchait sur les pieds ou avançait à tout petits pas pressés, le phénomène est d'autant plus marqué que ce n'est pas la batterie qui se charge du boulot, mais toute l'orchestration introductive des couplets, à chaque fois différente – de ce temps-là il y avait des arrangeurs qui cherchaient pour chacun des titres d'un album une couleur distincte - étrangement ce sont surtout les violons qui accentuent le schmiblick à l'instar de l'oiseau pépiant à tue-tête à ras de terre pour détourner le serpent qui s'avance vers le nid.

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    Les filles des magazines : ( 1965 ) : parolier Ralph Bernet : sorti sous forme de disque pirate, pochette blanche, agrémentée d'un tampon portant la mention Eddy Mitchell / Jimmy Page, couplé avec une version en anglais de What d'I said : je n'aime point trop ce morceau qui sur le sujet n'atteint pas la force érotique des Craquantes de Nougaro, mais là n'est pas le problème, pas besoin de coller son oreille sur les baffles, le truc c'est de ne pas suivre la guitare mais la batterie qui semble taper sur les tom par demi-tons, ce qui produit ce sautillement froissé caractéristique qui nous intéresse. Fortissimo : ( 1966 ) : parolier Ralph Bernet : changement d'époque, du rock l'on passe au rhythm 'n' blues, l'année suivante Mitchell s'envolera pour Muscle Shoals, la venue de James Brown à Paris n'y est pas pour rien... la guitare n'est plus qu'un faire valoir, les cuivres se taillent la part du lion, ils agitent leur crinière imposantes qui les rend redoutables, n'empêche que par-dessous la batterie ricoche sur elle-même, faut y faire attention car le morceau se déploie sous la forme d'une incessante gradation ascendante. Au temps des romains : ( 1966 ) : parolier Ralph Bernet : en ce temps-là Astérix occupait la première place des ventes en librairie, à rebours de la mode Mitchell le cria haut et fort il aurait vraiment été très bien au temps des ennemis implacables des irréductibles gaulois, le morceau est ponctué d'éclats de fanfares, les buccins triomphaux de l'empereur Trajan, lorsqu'ils se taisent vous saisissez venu du fond de l'antiquité le lourd claudiquement répétitif des légions en route vers la victoire.

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    Société anonyme : ( 1966 ) : parolier Ralph Bernet : hymne anarchiste ou critique impitoyable de la société capitaliste, je vous laisse juger par vous-même, rythmique envolée soutenue par des éclats intempestifs de cuivres, le morceau filoche dur, pas le temps de sauter d'un pied sur l'autre, mais la basse est légèrement décalée, ce qui introduit une espèce de tremblement qui accentue encore la galopade du chant et de l'accompagnement, avec en plus ces moments où la basse prend le devant de la scène et semble presser le temps comme si elle voulait recoller au gros de la troupe. Bye bye prêcheur : ( 1967 ) : parolier Frank Thomas, l'a écrit de nombreux succès pour Joe Dassin : un titre rentre-dedans et anti-curé, une spécialité de la première partie de la carrière du grand Schmoll, là c'est davantage fugace, il y a cet orgue d'église qui monopolise l'espace, mais ce rythme à deux temps précipités lors des refrains porte bien la marque de l'écriture de Magenta que nous recherchons. Je n'avais pas signé de contrat : ( 1967 ) : Frank Thomas et Jean-Michel Rivat écrivirent souvent ensemble, Rivat a laissé un souvenir périssable dans la mémoire du siècle en enregistrant muni d'une impressionnante perruque sous le nom d' Edouard : l'on n'entend pas grand-chose, la batterie trop mécanique écrase tout, trop mixée devant voilant les chœurs et surtout ces clinquances dégringolantes de guitare pas assez exhibées en avant pour savoir si leur répétition est vraiment un signe magentique. Le bandit à un bras : ( 1967 ) : parolier Frank Thomas : petite précision pour ceux qui entrevoient un western avec un pistolero manchot qui ne rate jamais sa cible, erreur sur toute la ligne, c'est ainsi que dans la perfide Albion l'on surnommait les machines à sous : enregistré à Londres, une utilisation très pertinente des cuivres, je ne m'en étais pas aperçu lors de sa sortie, sinon chou blanc et échec noir, sur toute la ligne, à aucun moment je n'ai découvert dans cette ultime piste une trace quelconque qui viendrait conforter mes hypothétiques déductions. Est-ce que cela a une réelle importance ? C'était juste un prétexte pour évoquer l'ombre perdue de Guy Magenta.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    UNE TENEBREUSE AFFAIRE

    EPISODE 02

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    LIMOGES

    Dés l'entrée de Limoges nous fûmes pris en charge par une dizaine de motards de la gendarmerie nationale, sirènes hurlantes à une vitesse excédentaire ils nous emmenèrent devant l'entrée de la préfecture. Molossito et Mlossa auraient bien aimé que nous prissions un selfie devant le majestueux bâtiment, mais nous fûmes rondement menés au pas de course jusqu'au QG de crise opérationnel dans lequel s'agitaient une dizaine de pingouins fonctionarisés manifestement en proie à une grand affolement. Le préfet en uniforme s'avança vers nous, le visage défiguré par un tic nerveux d'impatience. A peine avait-il ouvert la bouche que le Chef l'interrompit '' juste le temps d'allumer un Coronado'', j'en profitais pour insinuer que tout serait parfait en ce bas-monde si pouvait être mis à disposition de notre brigade canine un grand bol d'eau pure et deux assiettes de steak haché au poivre vert. Mes souhaits furent exécutés avec célérité, c'était fou comment en quelques heures la cote du SSR avait augmenté auprès des autorités !

    Ne restait plus qu' à écouter le préfet. Il explosa littéralement, jeta sa casquette sur le parquet ciré et en un accès de colère folle il la piétina sauvagement. '' Un volcan ! Un volcan ! Nous sommes sur un volcan !'' Sur le moment je crus que le Puy du Dôme s'était réveillé et était prêt à recouvrir le département d'un tapis de cendres et de lave brûlantes. Peut-être nous avaient-ils confondus avec une équipe de vulcanologues appelés de toute urgence, mais non c'était bien l'affaire Charlie Watts qui motivait cette nervosité.

      • L'a fallu que ça tombe sur moi hoqueta-t-il, les agents de défense du Territoire ont recensé en moins de vingt-quatre heures dix-sept apparitions aux quatre coins de la France du batteur de ces saltimbanques inconnus, les Trolling Fones, une histoire de fantômes tout juste bonne pour les vieilles femmes et à l'Elysée non seulement ils prennent l'affaire au sérieux, mais ils ont décidé que c'est ici dans la Haute-Vienne qu'ils envoyaient le SSR pour traiter l'affaire sous prétexte qu'un journaliste de France-Inter a signalé cette insignifiante anecdote dans un flash d'information. Une histoire abracadabrante, l'on veut couvrir la préfecture de la Haute-Vienne de ridicule, je suis sûr que le Président du Sénat qui assure l'intérim a un copain à placer, il profitera de cette stupide affaire pour me limoger. Limoges, ô ma ville sacrée, je ne me laisserai pas faire, je suis là pour veiller sur ta sécurité ! Quant à vous, vous vous débrouillez pour me coffrer ce pâle toqué qui joue au revenant dans notre si paisible campagne. Voici l'adresse du péquin, un incertain Joël Moreau, vraisemblablement un assoiffé notoire, qui a vu le spectre du dénommé Charlie Waters !

    UN TEMOIN CAPITAL

    Joël Moreau nous reçut dans son bureau de l'Université de Limoges, un homme affable, un intellectuel de haut-niveau, les étudiants qui nous avaient accompagnés jusqu'à sa porte nous apprirent avec fierté et respect que c'était l'un des mycologues européens les plus réputés.

      • ah ! Vous venez pour l'affaire Charlie Watts, je comprends le souci des autorités. Je suis le premier à reconnaître que c'est incroyable. Mais je l'ai reconnu sans problème, je suis un vieux fan des Rolling Stones, l'est passé devant moi, dans son costume noir à liserets blancs, la grande classe, et ce sourire mi-malicieux mi-énigmatique, je ne crois pas qu'il m'ait vu, du moins il n'en a pas donné le moindre signe, j'aurais bien aimé lui demander un autographe, mais je n'ai pas osé le déranger, j'ai aussi dépassé l'âge naïf de mes étudiants...

      • Vous l'avez aperçu sur le campus ?

      • Pas du tout, en pleine campagne, sur la lisière du Bois du Pendu, à une quinzaine de kilomètres d'ici, il devait être cinq heures de l'après-midi. J'ai signalé le fait à quelques collègues, l'un d'eux a dû parler et l'information a fini par tomber dans l'oreille du correspondant de France-Inter.

      • A titre tout à fait indicatif, Monsieur le Professeur que faisiez-vous dans ce con perdu, je suppose que vous aviez emmené avec vous une jolie étudiante...

      • Hélas non, j'étais seul, quant à ma présence en cet endroit elle est évidente, je suis professeur de mycologie, je cherchais des champignons !

      • Une dernière question, Monsieur le Professeur, croyez-vous aux fantômes ?

      • Pas du tout, mais je crois en Charlie Watts, j'ai assisté au premier rang à dix-sept concerts des Rolling Stones. Vous savez je suis un esprit positif, un scientifique, mais avec les Stones il faut s'attendre à tout !

    LE BOIS DU PENDU

    L'entente avec Joël – fini le protocolaire Monsieur le Professeur - avait été quasi-immédiate, nous aurions besoin de bottes de caoutchouc avait-il décrété, l'on passe d'abord chez moi pur récupérer deux vielles paires, il en profita pour nous montrer son impressionnante collection de bootlegs des Stones, et maintenant tassés dans sa Kangoo, nous montions vers le Bois du pendu.

    Joël stationna la voiture au haut d'une vaste colline herbue couronnée par un imposant bosquet de chênes. A la première portière ouverte Molosa et Molossito sautèrent hors du véhicule galopèrent en jappant vers les arbres.

      • Ils ont besoin de se dégourdir les pattes, qu'ils fouinent à leur aise, avec un peu de chance ils poseront le museau sur une piste ! Quant à nous, explorons l'endroit méthodiquement, serions-nous plus perspicaces que nos chiens interrogea le Chef en allumant un Coronado.

    Il n'en fut rien. Nôtre tâche se révéla aisée. Aucune broussaille n'encombrait le sous-bois, des sentiers zigzaguaient sans encombre parmi les fayards relativement espacés. Pendant notre exploration, Joël nous raconta qu'il avait vérifié la veille, la dénomination '' Bois du Pendu '' remontait au début du dix-huitième siècle, et qu'aucun évènement sinistre ne s'était jamais déroulé depuis ce temps lointain dans ce lieu que nous parcourions les sens en éveil. Nous eûmes beau scruter le sol nous ne relevâmes même pas la présence d'un mégot de cigarette ou d'un déchet de plastique.

      • Remarquons que ce n'est pas dans le bois que Charlie Watts m'est apparu mais lorsque j'étais en train de longer la lisière. Suivez-moi je vous montre l'endroit exact.

    Rien de particulier n'éveilla notre attention. Pourquoi exactement ici et pas ailleurs me demandais-je. Le Chef devait partager mon interrogation, il s'arrêta pensivement pour allumer un coronado, Joël en profita pour me désigner cachés dans l'herbe deux magnifiques cèpes, ils étaient déjà-là hier précisa-t-il.

      • Agent Chad, je ne pense pas que le fantôme de Charlie Watts se promenait ici pour cueillir des champignons, ne nous égarons pas, restons rationnels.

    C'est à ce moment-là que les chiens aboyèrent. Ils étaient loin, instinctivement je tournais la tête vers le lieu d'où nous parvenaient le son, à une centaine de mètres, au-dessus de nous, je n'en crus pas mes yeux, une silhouette noire venait vers nous, d'un pas nonchalant, sans se presser, le long de la lisière, les cabots le suivaient en hurlant à la mort mais cela n'avait pas l'air de gêner Charlie, car c'était lui, plus il se rapprochait de nous, plus nous étions sûrs que c'était bien lui !

      • Agent Chad, dès qu'il arrive à notre hauteur vous l'attrapez par le bras et vous le retenez, sans brutalité, n'oubliez pas que c'est Charlie Watts tout de même !

    Je m'exécutai, quand il fut à ma portée je tendis la main, mais elle ne rencontra que du vide, pas un gramme de chair et d'os, un fantôme, un vrai, il ne tourna même pas la tête vers nous, et passa son chemin tranquillement, trente mètres plus loin, il se volatilisa en une seconde. Nous étions abasourdis.

    Nous n'eûmes pas le temps de reprendre de nos esprits. Le portable du Chef, venait de sonner.

    A suivre....