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CHRONIQUES DE POURPRE N° 11

 

CHRONIQUES

DE POUPRE

UNE VISION IMPERIEUSE DES HOMMES & DES OEUVRES

Revue Polycontemporaine / Interventions Litteraires

/ N° 011 / Novembre 2016

 

INDOMPTABLE VILLIERS

 

TABLEAU DE PARIS SOUS LA COMMUNE

suivi du DESIR D'ÊTRE UN HOMME

VILLIERS DE L'ISLE-ADAM

103 pp. Décembre 2008. SAO MAÏ EDITIONS

ISBN 978-2-9531176-1-5. Contact : saomai@orange.fr

Le texte n'est pas inédit, il est facilement accessible dans La Pléiade même s'il est vrai que rien – c'est le moins que l'on puisse dire ! - n'ait été tenté pour le mettre en valeur, comme le fait si bien remarquer dans sa longue introduction le collectif Sao Maï qui en a signé la préface. Il faut encore ajouter que Villiers ne l'a jamais revendiqué, et que beaucoup des spécialistes de l'auteur des Contes Cruels se refusent à lui attribuer le copyrigth de ces cinq articles du Tribun du Peuple parus entre le 17 et 24 mai 1871.

Il resterait à s'interroger sur l'identité symbolique du pseudonyme qui en endossa la paternité, Marius. Serait-ce un hommage au héros des Misérables ? Ou une allusion au terrible général Romain, grand tueur de Cimbres et de Teutons, et pourfendeur émérite de l'aristocratie romaine ? A quelques jours de la Semaine Sanglante la figure de l'intransigeant consul s'impose. Quoique à y réfléchir, la silhouette de l'hugolien défenseur de la dernière barricade des émeutes de 1832...

C'est d'ailleurs un peu cela qui gêne aux entournures les éminents professeurs qui ont présidé à l'appareillage critique de La Pléiade. Qu'est-ce que le comte Jean-Marie-Mathias-Philippe-Auguste de Villiers de l'Isle-Adam serait-il allé ramer en cette galère ? Car c'est ainsi qu'ils appréhendent la chose. Nos docteurs littéraires ne conçoivent l'épopée de la rue Saint Denis qu'à la condition expresse qu'elle ne sorte point du livre dans lequel elle est confinée. Ils n'ont point la fibre révolutionnaire et ne s'enrôleraient pas pour un empire ( même écroulé ) avec les Enjolras de la vie réelle !

Mais avec l'impayable Villiers, il faut toujours se méfier. Ses contemporains en ont parlé, c'est une légende noire, qui a couru tout le long du siècle dernier, Villiers eût été un communard, les plus exaltés lui ont fourni un fusil, les moins admiratifs accusé d'avoir rédigé des brûlots incendiaires dans une feuille sinon anarchiste du moins à forts relents sans-culottides, mais que n'a-t-on pas dit ! L'on ne prête qu'aux riches.

L'exhumation des textes a calmé les exagérations les plus outrancières mais n'en a pas pour autant résolu le problème. Les témoignages sont formels, Villiers fut un sympathisant de la Commune. En ses débuts. Aime-t-on à répéter. C'est qu'en France – mais ailleurs aussi – l'on chérit les utopies printanières. Tant qu'elles se contentent de bucoliques rêveries toutes théoriques. Lorsque par d'atroces concours de circonstances indépendants de la volonté de leurs futurs bourreaux elles s'accrochent un peu trop fort à leurs rêves et qu'elles se refusent à les abandonner, elles commencent à lasser. Et si par malheur elles commettent la folie de résister à ceux qui les veulent déloger, et si le sang se met à couler, alors là l'on se fâche tout rouge. Sans plus attendre, sans pitié.

Si les pauvres se mettent à reprendre par les armes ce que les riches leur ont extorqué par la force, l'on condamne sans équivoque ! Quant aux artistes et intellectuels qui auraient fomenté ou soutenu de tels crimes par leurs écrits, et de leurs oeuvres, s'ils en réchappent, ils connaîtront les enfers glacés des conjurations du silence. L'on comprend sans peine que Villiers n'ait pas voulu crier sur les toits le récit de ses turpitudes de maturité. Aurait-on rajouté son cadavre en une fosse Commune que cela n'aurait en rien enrayé la défaite des insurgés.

Pour être un fervent hugolien Villiers n'en éprouva pas pour autant le désir d'aller mourir à Missolonghi. Si l'on peut le qualifier du titre de dernier des Romantiques, c'est parce qu'il a tenu à rester vivant. Humaine lâcheté qui colle de si près au corps ! Sans gloire. L'on possède quelques lettres, quelques déclarations par lesquelles Villiers semble trahir ses idéaux. Les esprits pondérés diront qu'il renonce à ses errements. Mais ce n'est pas parce que prudemment l'on se couvre, que l'on se livre à un triste reniement de soi-même. Il faut agir à temps, rien ne sert de mourir, par la suite.

La Commune ne relève pas de l'Idéal de Villiers. Mais cet homme épris d'absolu, ne pouvait que se trouver à hauteur des exigences prométhéennes du Peuple. Villiers et la Commune se sont rejoints. Le Tableau de Paris sous la Commune puise aux Nuits de Restif et aux innombrables articles dont Gérard de Nerval émailla les journaux parisiens de son époque. C'est peu dire de leur tenue littéraire. Ces cinq textes touchent à ce qu'un Luc-Olivier d'Algange appelle le mystère de la France Aurélienne. Villiers s'y montre sous ses traits les plus saillants, celui d'un écrivain qui en quelques crayonnés ou esquisses rapides transforme l'or des jours exaltés en la grisante semence des encres d'imprimerie. Qui, comme le sang des combattants, pâlissent et sèchent en entrant dans l'Histoire.

Sao Maï nous présente un Villiers, atterré, coupé en deux, partagé entre sa lâcheté physique et ses postulations héroïques. Pas si pleutre que cela, mais qui aurait du mal à remonter le pante intérieur qui se désarticule au fond de nous.

Remercions Sao Maï de remettre sur le marché – façon de parler que Villiers aurait désapprouvée – à portée de nos curiosités, souvent malsaines, ce Tableau de Paris sous la Commune. Villiers de l'Isle-Adam reste pour nous une figure emblématique de l'Idéal Littéraire. Cet aristocrate de sang et d'esprit ne fit des concessions qu'à lui-même. Jamais il ne renia une seule de ses chimères. C'est ce qui le rend grand. Il a traversé les hommes comme l'on emprunte un gué au milieu d'une rivière. En serrant les dents, de peur de se mouiller.

Mais insensible aux circonstances aléatoires des quolibets et sarcasmes que lui lançaient les parvenus. Depuis l'autre côté, depuis la rive des nantis.

Dire que ce sont des anarchistes qui publient Villiers ! Mais en quel ailleurs voulez-vous qu'une telle intransigeance puisse être aujourd'hui accueillie ?

André Murcie.

FRAGMENCES D'EMPIRE

 

LES PRESOCRATIQUES.

YVES & OLIVIER BATTISTINI.

144 pp. Collection Les Intégrales de PHILO.

NATHAN. 1990.

Le livre à emporter sur une île déserte. Il n'encombrera pas vos bagages. Etroit format de 140 pages, mais que de méditations en perspectives. Amenez aussi un fusil-mitrailleur à balles dum-dum pour le premier qui viendrait s'aventurer à vous distraire de vos saines lectures. Comment Yves et Olivier Battistini s'y sont-ils pris pour faire rentrer tant d'intelligence en une si mince plaquette ? Je n'en sais rien, mais vous avez-là, sinon l'absolu, du moins l'essentiel de tout ce qu'ont écrit les présocratiques. En assez longs extraits pour que les pensées incriminées gardent leurs sens, avec en plus tout un appareillage de notes, de présentations, de commentaires, directement accessibles, sans oublier une préface, un glossaire explicatif des termes grecs, et une anthologie de « témoignages » de contemporains...

Contrairement au titre homonyme de Gérard Legrand, le clan Battistini a essayé d'être juste et de ne pas suivre l'inclination naturelle de leurs goûts personnels. La comparaison est d'autant plus judicieuse qu'Yves Battistini fut lui aussi compagnon de route du surréalisme – de René Char, qui doit lui devoir plus que beaucoup quant à sa connaissance des premiers penseurs de la Grèce antique. Certes le surréalisme fut un mouvement assez vaste pour s'enorgueillir de contradictions multiples, mais il nous semble qu'Yves Battistini fit un meilleur choix, optant pour un surréalisme beaucoup plus révolutionnaire que celui prôné par Breton qui relevait d'un esthétisme littéraire suranné bien plus frileux que l'esprit de résistance et de cette volonté charrienne de s'affronter à la réalité sous-jacente du monde.

S'il me plaisait soudainement d'évoquer les écrivains du dix-neuvième siècle, que je ferais débuter en 1789 et terminer en 1914, personne ne verrait malice à mes travaux d'historiographe patenté. Tout un chacun connaît les profondes différences qui séparent l'idéologie préceptive, pour ne prendre que deux exemples, du naturalisme et du symbolisme, du romantisme et du positivisme. Maintenant s'il m'arrivait d'évoquer comme un ensemble parfaitement convergent et cohérent les écrivains du dix-neuvième siècle, l'on exigerait très vite que je me rabatte sur les catégories suscitées.

Il n'en est pas de même pour ceux que l'on nomme les présocratiques. Certes toute sérieuse étude du sujet établit des chapitres dument étiquetés, les milésiens, les éléates, les sophistes, mais cette multitude de penseurs qui se succèdent sans désemparer sur près de deux siècles sont systématiquement dénommés présocratiques comme si l'on accordait l'appellation de romantique à tous les écrivains du dix-neuvième siècle.

Nous ne reviendrons pas sur les spécificités d'un Parménide, d'un Gorgias, d'un Héraclite, nous préférons nous interroger sur l'organisation épistémologique de ce regroupement. Il y aurait donc aux deux termes du premier mouvement de pensée philosophique de la Grèce antique – celui qui court des origines homériques à l'anabase d'Alexandre le Grand deux groupes d'écrits que l'on aurait été obligé à des siècles de distance de situer avant et après autre chose. Ainsi à l'instar des écrits d'Aristote classés après la physique, métaphysiques, l'on aurait adjoint à l'autre bout de la rangée, avant les paroles platoniciennes de Socrate, les présocratiques. L'inconnu inquiétant rejeté aux deux frontières du monde connu et rassurant.

Ce classement, en un seul bloc, de l'éparpillement fragmentaire et parcellaire de la transmission de la nébuleuse dite désormais présocratique, a dû ravir les éditeurs qui possédaient désormais un titre ad hoc, permettant de présenter non pas de minces plaquettes d'une somme de revient quelque peu trop onéreuse sous le rapport quantité / prix mais des livres suffisamment volumineux pour donner à l'acheteur l'impression d'en avoir pour son argent.

Ne nous accusez pas de regarder la pensée philosophique par le petit bout de la lorgnette économique. Si le déploiement de la pensée des premiers physiciens grecs s'articule sur ce moment de réflexion politique que fut le déploiement de la gouvernance démocratique en les cités grecques des sixième et cinquième siècle, il doit bien y avoir aussi des accointances bassement économiques de la réappropriation de cette pensée au cours de nos deux derniers siècles. Rappelons pour la petite histoire, que la crise démocratique des cités grecques correspond à un moment d'un plus grand besoin de relations marchandes entre ces mêmes cités, entraînant par la logique des choses et des hommes une plus grande circulation des individus et des idées. Tout comme en notre période les mutations successives du capital financier ont entraîné une ouverture des frontières sans précédent dans le monde politique avec en corolaire la naissance et la réactualisation de la diffusion de nouvelles ou plus anciennes pensées...

Mais comme les pensées s'accumulent plus vite que le capital puisqu'elles voyagent plus vite que les marchandises, elles en viennent au bout d'un certain temps à ne plus coïncider avec la concomitance de leur relation avec le déploiement économico-politique d'une période donnée, et prennent ce que l'on pourrait appeler de l'avance sur leur époque. Phénomène qui ne manque pas de provoquer des contradictions idéologiques.

Certains individus peuvent pressentir bien avant les autres ces brisures spirituelles, ou les ressentir dès leur déploiement d'une façon bien plus subtile et plus profonde que la grande masse amorphe des sociétés très peu conscientes des courants qui les traversent souterrainement, avant de les précipiter en des périodes révolutionnaires de troubles et de mutations expresses.

Ce n'est pas un hasard si Nietzsche fut un philologue avant de devenir un philosophe. Remarquons que l'annonce de la fin de la philosophie fut vécue et fondée par Hegel, Nietzsche et Heidegger sur un regard plus attentif aux penseurs de la Grèce antique. S'il est un retour du même en ces trois derniers philosophes ce fut avant tout un retour aux présocratiques.

Le mythe nietzschéen de l'éternel retour, est bien celui du retour d'une pensée conçue en dehors de tout théorisme monothéique. Au-delà de leurs divergences, nos premiers physiciens grecs parlent tous d'une même chose. Non pas des rapports de l'Un et du Multiple, de l'Être ou du Non-Être, du Nombre et de la Pluralité, qui ne sont que des catégories utilitaristes et méthodistes de pensée, mais de la sempiternelle, et scandaleuse et inexplicable profusion de la présence de ce qui se décline et ne se décline pas en catégories intrinsèquement inefficientes hormis l'inhérence à leur propre appréhension du dire par la pensée même.

S'il est une fin de la philosophie, ce ne peut être qu'une fin d'une certaine philosophie. Encore faudrait-il s'interroger sur les attributs d'une définition de ce que pourrait être la spécificité du travail de pensée dite philosophique. En quoi la pensée présocratique fonde-t-elle une pensée qui serait à proprement parler philosophique ? C'est justement sur l'imprécision de ce terme que nous nous battons présentement. Nous posons pour principe, que sera dite philosophique la pensée grecque. Qu'elle soit pensée par des grecs ou qu'elle soit pensée en tant que pensée en retour à la pensée grecque. Pensée grecque entendue en un sens très large de Thalès à Plotin, d'Homère à Proclus.

Il se trouve que durant des siècles la pensée grecque, la pensée philosophique a été phagocytée par la théologie catholique. L'on parle toujours de philosophie, mais l'on oublie qu'elle fut d'une autre nature. L'on s'extasie sur le rationalisme de Descartes, qui n'est pas une mauvaise intention en soi, si ce n'est qu'il porte en lui l'intention justement de prouver en dernière finalité l'existence d'un dieu, uniquement très chrétien. Il faudra des siècles de combat philosophique pour revenir à une pensée philosophique épurée de ses décombres théologaux.

Ce combat fut menée à l'intérieur même de la philosophie chrétienne, en fin de compte Descartes servit-il plus qu'il ne la desservit, l'Eglise ? Nous répondrons en normand que cette pensée cartésienne peut, selon les cas et selon ses desservants, servir de bélier anti-monothéique comme d'artillerie d'appui aux actuelles offensives d'une nouvelle contre-réforme catholique.

Ce combat aurait d'ailleurs été perdu, ou du moins serait resté dans l'impossibilité d'être gagné, si Hegel, Nietzsche et Heidegger, n'avaient eu l'opportunité théorique de verser sur le front les phalanges des antiques penseurs grecs qu'ils tirèrent d'une longue hibernation, et qui emportèrent la décision. C'est après leur intervention que Dieu fut sous les ordres du caporal Nietzsche passé sous les armes et fusillé sur place.

Depuis l'on ne compte pas les tentatives de dévoiement opérées à l'encontre de certains de ces penseurs, que d'encre versée pour transformer Parménide en déiste protochrétien convaincu, tandis qu'à l'arrière des combattants à la petite semaine s'acharnent à ressusciter une deuxième fois le petit Jésus qui a bien du mal à ouvrir l'oeil. Mais soyons attentifs et méfiants, un clone chancelant peut-être aussi dangereux que son patrice. Ce n'est pas pour rien, que dans ces chroniques de pourpre nous battons le rappel des futures légions de l'Empire.

Nous ne quitterons pas cette page sans préciser que sans Hölderlin, Hegel n'aurait peut-être pas retrouver aussi vite les chemins de Parménide et d'Héraclite. Nous ferons aussi remarquer une dernière fois, que parmi les présocratiques, s'il est un parti totalement incorruptible aux avances des ennemis irréductibles de la pensée grecque, c'est celui des sophistes. Les tenants du monothéisme judéo-christiano-islamistes, savent au-delà de leurs profondes inimitiés que leur véritable ennemi-selon leur propre conceptualisation – se trouve en la sophistique.

C'est que la sophistique grecque démontre à l'excès que la pensée présocratique n'a jamais nié le dieu unique monothéique mais des dieux indifférenciés ( du un à l'infini ) et polythéïques. Autrement dit l'Un parménidien n'ouvre pas la porte au monothéisme mais la ferme au polythéisme. Il ne saurait non plus être un sas de passage – et nombreux sont ceux qui s'essayent à le présenter ainsi comme donnant accès à une surréalité monothéisante – vers l'Un thélogique, car le un grec se décline en numération mathématique dialectique.

C'est cela le miracle grec. Le moment où l'on coupe le cou au miracle !

André Murcie.

 

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