KR’TNT !
KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

LIVRAISON 715
A ROCKLIT PRODUCTION
FB : KR’TNT KR’TNT
18 / 12 / 2025
VALERIE JUNE / LUKE HAINES
JOUJOUKA / M WARD / CHARLATANS
LES PIRATES AVEC DANY LOGAN
Sur ce site : livraisons 318 – 715
Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :
L’avenir du rock
- Moon in June
(Part Two)
L’avenir du rock survolait la jungle du Congo à bord de son petit bi-moteur, quand soudain, il entendit le moteur de gauche s’étrangler. Rrrrcrrrrrrhhh. Il tenta de redresser l’avion. Zpffffff ! En vain. L’engin piqua droit dans la jungle. Pffffuuiiiiiihhh ! Pas le temps de recommander son âme à Dieu. De toute façon, il n’en avait pas. Scrrrrratch-bhammmm ! Allez hop à dégager. La nuit était tombée lorsqu’il reprit ses esprits : un gros serpent cherchait à entrer dans sa bouche restée ouverte. Arrrrhhhhhhhh ! Fou de dégoût et de rage, il l’arracha de sa bouche, schhhhplop!, et le jeta au loin. Splishhhh ! Il faisait nuit. L’avion s’était encastré dans un baobab et le cockpit avait explosé. Il bougea les bras et les jambes pour checker les dégâts. Apparemment, il n’avait rien de cassé. Il se félicita : «Gros veinard !». La jungle semblait devenue folle. Tous les animaux criaient et chantaient. Crrrouahhhhh crouahhhhhh ! Il décida d’attendre le lever du soleil pour quitter l’épave. Il se doutait bien que tous les prédateurs de la jungle cherchaient un casse-croûte. Valait mieux rester prudent. Il sortit de l’épave au petit jour et se demanda où il allait pouvoir prendre un café. Comme il ne savait pas se servir de sa boussole, il partit dans une direction qui lui sembla être la bonne. Il n’avait pas non plus de machette pour singer ces gros frimeurs d’explorateurs, alors il brisait les branches à coups de karaté. Il tomba nez à nez avec un tigre du Bengale qui semblait aussi paumé que lui. Visiblement le tigre cherchait la direction du Bengale, alors l’avenir du rock lui fit signe : «Bengale ! This way !». Le tigre grogna, rrrrrrhhhhhh !, hocha la tête en guise de remerciement et s’enfonça dans les fourrés. Un peu plus tard, l’avenir du rock tomba nez à nez avec King Kong qui semblait encore plus paumé que le tigre du Bengale. Visiblement, il cherchait la direction de New York. L’avenir du rock lui fit signe : «New York ! This way !» King Kong gronda, rrrroarrrrhhhhh !, hocha la tête et partit dans la direction indiquée. Toutes ces rencontres lui mirent au baume au cœur. Il trouvait la jungle plutôt sympa. Il arriva au bord d’un petit cours d’eau et les crocodiles lui firent un petit signe amical : «Hello !», mais l’avenir du rock s’en méfiait quand même. Puis il vit arriver au bout d’une liane un gros m’as-tu vu en maillot de bain panthère. «Qu’est-ce que c’est que ce frimeur ?» se demanda l’avenir du rock. L’OVNI se posa souplement à quelques mètres et lança d’une voix de stentor :
— Moi Tarzan !
À quoi l’avenir du rock rétorqua :
— Moi June !

L’avenir du rock parle bien sûr de Valerie June. Pour parvenir à ses fins, il fallait bien qu’il s’écrase dans la jungle.

Si t’aimes bien tomber de ta chaise et t’écraser sur ton parquet, alors écoute le nouvel album de Valerie June, Owls Omens And Oracles. Ça démarre sur une pure merveille de flash-out, «Joy Joy» - Joy joy in your soul - Et t’as les poux du rock. Il s’appelle M Ward ! Puis Valerie fait les Ronettes avec «All I Really Wanna Do». Elle tape en plein dans l’extrême power des Ronettes. Tu te pinces car tu crois rêver. Un certain M Ward signe la prod. Et ça continue avec «Endless Tree». T’es frappé par l’extraordinaire power de la clameur. Quand Valerie chante «Trust The Path», tu lui fais confiance - You gotta trust the path - et elle fait sa Fatsy avec «Love Me Any Ole Way», suivie par une trompette. T’as toute l’énergie de Fats Domino et ça claque des mains dans les profondeurs du Big Easy. C’est exceptionnel de génie productiviste ! Elle a derrière elle les Blind Boys Of Alabama sur «Changed», et elle y refait sa Ronette. Puis elle tape «My Life Is A Country Song» au plus haut niveau d’accent tranchant. Elle s’appelle Valerie June. Memphis girl.

Laura Barton la salue bien bas dans Uncut. Valerie June n’est pas une oie blanche : 43 balais et déjà 20 ans de carrière under the belt. Elle a bossé avec Booker T. Jones, Carla Thomas, Mavis Staples et bien sûr l’inévitable Dan Auerbach qui, comme Bono, ramène sa fraise partout, même quand on ne l’a pas sonné. Œil-de-lynx Barton voit dans June in Moon du blues, du gospel, de l’Appalachian folk with a touch of soul and Americana and R&B. Hé ben dis donc ! Ça va beaucoup plus loin, ma pauvre Barton. Moon In June a du génie. Elle est agaçante, cette journaliste : elle essaye de nous faire passer Moon In June pour une positiviste végan parce qu’elles se rencontrent dans un restaurant végan new-yorkais. Fuck it ! Le son de Moon in June n’a rien à voir avec le végan new-yorkais.

M Ward se dit fasciné par la voix de Moon in June - A very fearless singer, a very fearless songwriter - Elle se dit prête pour partir à la conquête de l’Asie Mineure. Quelques éléments autobiographiques épicent un peu l’article : à ses débuts, Moon in June apprend à jouer de la guitare, du banjo, du lap-steel, et dans les festivals, elle rencontre ses blues heroes, David Belfour et T-Model Ford. Elle étudie les voix de ses héroïnes : Jessie Mae Hemphill, Elizabeth Cotton et Ma Rainey. Elle se dit aussi attirée par le dark singer-songwriter stuff, Elliott Smith, Townes Van Zandt et Leonard Cohen. Elle rencontre George Clinton à Cuba et Mavis Staple lui demande une chanson positive pour son album Livin’ On A High Note, produit par M Ward. Elle est aussi en contact avec Carla Thomas qu’on entend sur The Moon And Stars. Moon In June l’avait invitée au Royal Studio de Boo Mitchell, à Memphis, et elles ont enregistré ensemble «Call Me A Fool».
Si Moon in June et M Ward s’entendent si bien, c’est que sa voix à elle et sa prod à lui ont une «similar out-of-time quality». Bien vu, Barton ! Ils ont quand même fait venir Norah Jones et les Blind Boys Of Alabama. C’est pas rien.

Et toi, elle te fait venir au New Morning. Alors c’est sûr, t’auras pas la prod d’M Ward, mais t’auras la pulpe de June. On lui a installé des fleurs sur scène, deux grattes et deux banjos dont un baby banjo. Et Valerie arrive dans une robe en lamé et des fleurs dans les cheveux. Elle installe vite fait sa magie. Elle communique énormément avec son public. Les gens qui sont là sont tous des fans, ça s’entend. Quand elle claque des doigts, ils claquent des doigts. Quand elle demande un ouh-ouh, elle a un ouh-ouh tellement beau qu’elle en pleure d’émotion. Et quand elle attaque «All I Really Want To Do» à la voix perchée, t’es ravagé par des bataillons de frissons. Elle chante avec le feeling le plus perçant d’Amérique, depuis celui de Billie Holiday. Elle n’a pas le son des Ronettes mais elle a tout le feeling de Ronnie.

C’est hallucinant de qualité, même chose avec le «Joy Joy» qui suit, elle t’embarque et tu tournicotes dans son merry-go-round, elle rajoute des fins poignantes qui te traversent de part en part, elle tape tous les cuts d’ Owls Omens And Oracles en version stripped-down et ça t’en bouche coin après coin, tu savoures le privilège d’assister au récital de cette immense superstar. Même dépouillé de la prod d’M, «I Am In Love» berce ton cœur de langueurs monotones, les vraies, celles de Verlaine, pas les langueurs à la mormoille. Valerie est trop puissante pour ta petite cervelle, elle est la réincarnation de Billie Holiday, pas de doute, elle module ses syllabes avec le même mouillé de ton, le même génie intimiste. Et puis elle attrape sa Guild pour gratter le «Shakedown» de Memphis et là elle te ramène tout le North Mississsippi Hill Country Blues, via l’Afrique de Junior Kimbrough et des frères Dickinson. Là t’as tout, le rock, le blues, l’Afrique, les roots, la magie, le voodoo et elle gratte tout

ce qu’elle peut en accords ouverts et ça bascule dans la folie. Elle attrape ensuite son baby banjo pour taper une version poignante de «What A Wonderful World», en rappelant que les blackos d’Amérique ont passé un sale moment dans les pattes des blancs. Cette diablesse te broie le cœur à chaque instant, ce qui rend le set éprouvant. Depuis Louis Armstrong et Joey Ramone, on n’avait pas entendu une version aussi pure, aussi lumineuse de ce Wonderful World. Puis elle va rendre hommage à Lightning Hopkins avec «Life I Used To Live». C’est le grand retour au point de départ, là où le rock prend sa source, dans le monde magique des fils d’esclaves. Il se pourrait bien que Valerie June soit la nouvelle reine des Amériques, car si tu l’as vue rocker le boat avec son «Life I Used To Live», tu n’as plus aucun doute. Elle fait

même déraper ses syllabes dans les virages. Elle se paye encore un quart d’heure de folie avec le vieux «Roll & Tumble Blues», puis avec un nouveau shoot de wild rumble, «Workin’ Woman Blues». Elle vise l’hypno de North Mississippi Hill Country Blues, elle reprend la suite de Tav Falco et de Mississippi Fred McDowell. En rappel, elle fait chanter la salle sur «Somebody To Love» et deux cuts plus tard tu te retrouves dans la rue des Petites Écuries complètement sonné.

Valerie June fait aussi la couve d’un récent numéro de Soul Bag. Dans l’interview, elle évoque (trop) brièvement M Ward qu’elle a fini par rencontrer au Newport Folk Festival. Elle rappelle aussi qu’M a produit un album de Mavis Staples, High Note. Dommage qu’elle ne parle pas davantage d’M Ward. C’est quand même lui le sorcier du son, sur Owls Omens And Oracles. Et les questions ne sont pas bonnes, trop à l’eau de rose, axées sur le positivisme dont on se contrefout, alors que Valerie chante Lightning Hopkins. C’était l’occasion rêvée d’évoquer la scène de Memphis. Et ça téléramate ! Quel gâchis ! Valerie termine en saluant quelques contemporains, Gary Clark Jr., Buffalo Nichols, Joanna Newson, Sunny War, et Grace Bowers de Nashville. Elle dit que la relève est assurée.

Dans l’interview, elle évoque son mini-album de covers, Under Cover. Bizarrement, elle n’y tape que des cuts de blancs, à commencer par le «Pink Moon» de Nick Drake. C’est pas si bon. Elle perd ses roots. Puis elle tape dans le «Fade Into You» de Mazzy Star et elle fait sa Hope en ramenant son sucre, mais on préfère Hope. Ça devient plus intéressant avec l’«Imagine» de John Lennon, mais là ça sonne comme une tarte à la crème, même si la compo est magique. Valerie June lui donne de l’impulsion, c’est le moins qu’elle puisse faire. Ses accents sont poignants de véracité, mais on préfère la version originale. Elle fait ensuite sonner le «Don’t It Make You Want To Go Home» de Joe South, elle y injecte un gros shoot de feeling, et là ça prend du sens. Elle s’en va ensuite piquer sa petite crise Dylanesque avec «Tonight I’ll Be Staying Here With You». Elle tape ça d’une voix perçante, c’est heavily orchestré, avec de la slide à outrance, et ça sent bon le coup de génie. Elle termine an transformant l’«Into My Arms» de Nick Cave en Beautiful Song.
Signé : Cazengler, Valériz complet
Valerie June. Le New Morning. Paris Xe. 30 novembre 2025
Valerie June. Owls Omens And Oracles. Concord Records 2025
Valerie June. Under Cover. Fantasy 2022
Laura Barton : Sister of the moon. Uncut # 337 - April 2025
Ulrick Parfum : Valerie June. Soul Bag # 259 - Juillet août septembre 2025
L’avenir du rock
- Luke la main froide
(Part Seven)
L’avenir du rock est de retour dans l’hiver du Colorado pour une semaine de vacances bien méritées. Il avance en chantonnant, pom pom pom, respirant à pleins poumons le bon air frais. Ah tiens, voilà un cavalier ! Sa silhouette se dessine au loin. Au moins, c’est pas un Crow. Il porte un chapeau. Il approche rapidement. C’est un blanc. Pas très beau. Même assez laid. Un gras du bide dans un costard d’un blanc douteux et tout fripé. Mieux vaut pas savoir ce que sont toutes ces taches. Et comme de bien entendu, il a une bonne cinquantaine de flèches plantées dans le dos. L’avenir du rock lui fait le salut indien en levant la main droite :
— Ugh !
Le gros crache un long jet de chique et descend de cheval. Les flèches plantées dans son dos cliquettent entre elles et font un sacré raffut. Comme l’avenir du rock n’aime pas les escrocs, il interpelle le gros vertement :
— Si vous essayez de vous faire passer pour Jeremiah Johnson, c’est complètement raté, gros con ! Au moins Jeremiah Johnson, il est beau, il est magnifique, il fait plaisir à regarder, ce qui est loin d’être votre cas, gros lard ! Dégoûtant personnage ! Honte de l’humanité !
Le gros se tourne vers l’avenir du rock et lance d’un ton bluesy :
— I’m going down to the river to blow my mind !
L’avenir du rock ne comprend pas où ce gros lard veut en venir.
— Quelle rivière ? Ya pas d’rivière dans l’coin !
Le gros sort de sa sacoche des tupperwares et s’assoit dans la neige. Il étale une grande nappe à carreaux et sort une palanquée d’œufs durs qu’il compte un par un. Ça n’en finit pas ! Soixante ! Et il commence à les gober méthodiquement un par un. Excédé, l’avenir du rock lance d’un ton perfide :
— Ah ouais, c’est ça ! Vous connaissez tous les rôles par cœur ! Maintenant vous me faites le coup de Luke la main froide ! Mais Paul Newman est bien plus beau que vous, gros con !
Entre deux œufs, le gros rétorque :
— Je suis Luke la main froide !

Luke la main froide n’est pas beau, c’est vrai, mais il est assez génial. Il te met encore la main au colbac avec un album absolument magistral : Going Down To The River To Blow My Mind. T’y peux rien, c’est comme ça. Elle n’est pas belle la main froide, mais diable comme elle est brillante. En plus de son copain Buck, il a Linda Pitmon au beurre. C’est la copine du Wynner. Tu tombes vite de ta chaise avec le morceau titre, attaqué à la vieille alerte rouge. Ils mettent le feu au cut, c’est gratté dans l’urgence de la démence, la main froide veut absolument se blower le mind et ça marche au-delà de toute expectitude. La main froide a toujours dans la voix ses vieux échos d’Auteur. Elle chauffe encore bien l’hot stuff d’«Hot Artists» à coups de push the ladder et ça dégénère encore avec l’imparable «56 Nervous Breakdowns». Ils ont du son à gogo et des clap-hands. La main froide mène la grande vie. Ça sonne comme un hit bien enroulé de rock anglais. Encore de la fantastique énergie sous-tendue dans «Sufi Devotional». Elle chante en sourdine, la main froide, et derrière t’as une énorme machine. On se croirait sur le premier album des Auteurs avec «Children Of The Air». Puis avec «Nuclear War», ils passent sans prévenir en mode heavy gaga insistant. La main froide chante cette merveille éhontée sur un ton confidentiel. Il faut bien comprendre que Luke la main froide est l’un des héros de rock anglais, au même titre que Lawrence, Big Billy et le Ginge. Linda Pitmon tape bien la cloche de «Me & The Octopus». C’est une vraie mère tape-dur. Ah la garce, il faut la voir cogner ! Cet album est l’un des plus excitants de l’année. T’es collé au mur en permanence. Back on the saddle again avec «Radical Bookshop Now». La mère tape-dure reprend du service. Et le cut sonne comme un hit. La main froide fait venir Morgan Fisher sur «Special Guest Appearance». Le vieux Mott essaye de faire du Mott à coups de who-oh-oh.

T’as énormément d’énergie sur cet album, ce mix de Buck et de main froide te percute l’hallali, ils s’arrangent pour te balancer des cuts tous plus excitants les uns que les autres. La main froide se cale toujours dans l’entre-deux des Who et des Stones, mais il sait aussi couler des bronzes de groove comme «Sufi Devotional». Elle sait aussi rocker un boat à l’anglaise, comme le montre «Nuclear War», cette petite merveille de rock action. Ils développent un son faramineux qu’on croyait perdu, mais heureusement, la main froide veille toujours au grain.
Signé : Cazengler, Lancelot du Luke
Luke Haines & Peter Buck. Going Down To The River To Blow My Mind. Cherry Red Records 2025
Faut pas faire joujou avec Joujouka
- Part Two

Dans Blues & Chaos: The Music Writing Of Robert Palmer : Dancing In Your Head, Robert Palmer consacre un texte majeur à Jajouka, un village marocain situé à environ 100 bornes au Sud de Tanger, et à Bou Jeloud, la réincarnation du dieu Pan. Palmer y cite deux ouvrages en référence : celui de Stephen Davis, paru en 1993, Jajouka Rolling Stone: A Fable Of Gods And Heroes, et celui de Michelle Green, paru en 1991, The Dream At The End Of The World: Paul Bowles & The Litterary Renegades In Tangier. On s’est penché la semaine dernière sur le premier. Penchons-nous aujourd’hui sur le second.

The Dream At The End Of The World est un rock book, au même titre que Jajouka Rolling Stone. Michelle Green ne fait allusion aux Rolling Stones qu’une seule fois, vers la fin de son récit, mais ce n’est pas son propos : elle nous éclaire sur trois des pionniers qui ont précédé Brian Jones à Tanger : Paul Bowles, Brion Gysin et William Burroughs. Et le plus rock des trois est bien sûr William Burroughs. La culture rock plonge ses racines dans l’histoire littéraire.
Michelle Green est extraordinairement bien documentée. Elle est parvenue à reconstituer l’atmosphère de cette ville marocaine qui fut pendant trente ans, des années 30 aux années 60, le refuge et le paradis de ceux qu’on appelait alors les ‘dépravés’, c’est-à-dire les amateurs de jeunes garçons et de paradis artificiels. Michelle Green les appelle ‘les renégats’. Pour eux, «the International Zone of Tangier was an enigmatic, exotic and deliciously depraved version of Eden.» Elle précise encore : «European émigrés found a haven where homosexuality was accepted, drugs were readily available and eccentricity was a social asset.» Tu ne peux pas rêver ville plus littéraire.

Ce gros book avoisine les 400 pages. À voir la tranche, on voit que les pages ont été coupées. Publié en 1991, l’objet sent bon le vécu. La jaquette s’orne d’un beau portrait de Paul Bowles. C’est lui le pionnier. Il fonctionne comme un aimant. Il attire tous les autres : Truman capote, Tennessee Williams, William Burroughs, Brion Gysin, Allen Ginsberg, et Jack Kerouac, quasiment tout le mouvement Beat américain.

Michelle Green va faire un hallucinant focus sur Burroughs qu’on surnomme «El Hombre Invisible», l’homme qui «stick a needle every hour in the fibrous gray wooden flesh of terminal addiction», mais qui écrit aussi Naked Lunch et Super Nova. Burroughs ne vit que de «kif and hash and opiates like Eukodyl», que les pharmaciens délivrent sans ordonnance. Michelle Green précise encore que seuls les forts caractères pouvaient survivre dans ce moral chaos. Les gens ne sont à Tanger que pour «explorer la vie à l’extérieur des frontières de la civilisation et des conventions sociales, et même de la moralité.»

Paul Bowles écrit The Sheltering Sky alors qu’il traverse le Sahara. Michelle Green voit ce texte comme une collaboration entre Albert Camus et Edgar Allan Poe, les deux auteurs que Bowles admire. Elle parle d’un mélange de désespoir existentiel et de glamour, et pour ses lecteurs, Bowles devient un oracle. Il dit avoir consommé du majoun (a potent cannabis jam) pour l’écrire - les romantiques virent Bowles comme un latter-day Coleridge - et les hipsters le savaient en lien avec une autre icône, William Burroughs. Voilà, le décor est planté.

Jane and Paul Bowles
Bowles et à la fois musicien et écrivain. Il a pour mentors Gertrude Stein et Aaron Copland, qu’il rencontre à Paris en 1931. Il profite de ce voyage pour rencontrer Gertrude Stein, Jean Cocteau, André Gide et Ezra Pound. À 34 ans, il compose un opéra surréaliste, The Wind Remains. Il traduit l’Huis Clos de Sartre en anglais, et à 37 ans, ce New-Yorkais décide de partir à la recherche d’un new creative terrain, en compagnie de sa femme, Jane Bowles, qui est elle-même écrivaine. Comme ils n’ont plus d’attirance l’un pour l’autre, ils se lancent dans des relations homosexuelles. Paul reste discret, mais Jane s’exhibe. C’est une excentrique new-yorkaise. Paul ne cache pas son admiration pour Jane : «Her mind could have been invented by Kafka.» Ils ne sont pas encore très connus, à cette époque, mais ils sont «famous among the famous.»

Paul Bowles
Paul Bowles subit son premier grand choc culturel avec la découverte de Fez, qui est restée une ville du moyen-âge - Everything is ten times stranger and bigger and brighter - Il dit avoir quitté le monde. Il consomme de l’opium et assiste aux «frenzied rites of religious brotherhoods.» Puis il découvre le Sahara, «where the sky had a life of its own», et ce ciel sera la base de The Sheltering Sky. Paul Bowles voyage en quête d’inspiration. Et pour ça, le Maroc et l’Algérie sont les meilleurs endroits du monde. Pendant l’hiver 1933, il voyage inlassablement, dans les bus bondés ou à dos de chameau - He found North Africa to be populated by the most extraordinary people he had ever known - Le kif, le majoun et le hash assouplissent encore la nature de cette réalité. Il voit l’envers du miroir. Pour écrire la scène de la mort de Port, dans The Sheltering Sky, Paul s’achète dans la médina «a large chunk of majoun», pour dix pesetas. «It was the cheapest kind». Il monte sur une colline et s’installe sur un rocher. Il teste et soudain le majoun kicke - The effect came upon me suddenly, and I lay absolutely still, feeling myself being lifted, rising to meet the sun. Then I felt that I had risen so far above the rock that I was afraid to open my eyes. In another hour, my mind was behaving in a fashion I should never have imagined possible - Norman Mailer va saluer la parution du Shetering Sky : «Paul Bowles opened the world of Hip. He let the murder, the drugs, the incest, the death of the Square, the call of orgy, the end of civilization.» Michelle Green ajoute que personne ne pouvait nier sa «dark vision». Bowles «had created a world where hope was moribund and life was lived in extremis.»
Bowles se régale intellectuellement de Tanger - To a writer imbued with a finely developped appreciation for the absurd, Tangier was paradise - Son but avoué est d’échapper à la «Western civilization». Quand il amène son protégé Ahmed à New York, celui-ci décide que cette ville «was a vast illusion created by evil djinns». Et quand une blanche ose dire à Ahmed qu’il est cinglé, celui-ci la gifle et la traite de chameau - he called her «a camel».

Et voilà que débarque Truman Capote, devenu célèbre en 1948, avec son premier roman Other Voices Other Rooms. Il n’a que 24 ans. On le fête à Paris. Michelle Green cite Colette, Dior, Cocteau, Camus, Noël Coward, Somerset Maugham, Nathalie Barney et Alice B. Toklas parmi ses admirateurs. Mais à Tanger, personne ne le connaît et ça le déprime. Paul Bowles garde ses distances avec Capote - He was terribly supercifial and amusing and not the sort of person you’d pick to be a good friend - Capote explique à ses interlocuteurs qu’il a déjà tous ses futurs livres en tête. Bowles : «They were all there in his head, like baby crocodiles, waiting to be hatched.» Capote ne tiendra pas longtemps à Tanger. Il va vite regagner l’Europe et mettre les gens en garde contre cette ville : «Tangier is a basin that holds you.» Bowles par contre s’y trouve très bien.

Il expérimente les drogues. Il cherche surtout à explorer l’inconscient. Il avait testé les drogues lors d’un séjour au Mexique. Il sait que le majoun demande une totale soumission, et que le kif «put a spin in reality», ce qui facilite l’accès à la fiction. Un proverbe arabe dit que de fumer une pipe de kif avant le breakfast donne à l’homme la force de cent chameaux in the courtyard. Bowles reprendra l’expression pour en faire le titre d’un livre : A Hundred Camels In The Coutyard. Les Marocains qui fument du kif sont de fabuleux conteurs et Bowles enregistre ses protégés pour en faire des livres. Michelle Green ajoute : «Cannabis only exagerated Paul’s well-developped sense of detachment, and he seemed unreachable when he was under its influence.» Quand Timothy Leary débarque à Tanger, il amène ses champignons, sous forme de pilules de psilocybine. Burroughs s’intéresse aux champignons de Leary, et aux effets qu’ils provoquent sur la cervelle. Leary prétend que la psilocybine peut supplanter la poésie en amenant de l’aesthetic pleasure more efficiently, Leary affirme que les mots et les images sont dépassés, il annonce une nouvelle ère, l’ère de la superconciousness qui va rendre l’artiste obsolète. Burroughs est d’accord, car il affirme que la poésie est «finished», alors la théorie de Leary résonne bien en lui - Leary’s notions about subverting the ego made perfect sense - À travers leurs expérimentations avec les drogues, tous ces mecs font de la recherche. C’est ce qu’il faut comprendre.

Paul Bowles a déjà étudié le rôle du cannabis dans la société africaine. Il révèle qu’en hiver, une famille marocaine passera une soirée hashish, le père, la mère, les enfants et les proches dégusteront le majoun et raconteront des histoires pendant des heures, il y aura des chants, des danses et des rires, dans la plus parfaite intimité. C’est toujours mieux que de regarder des conneries à la télé. Paul Bowles va devenir en quelque sorte l’apôtre de cette culture. Il publie en 1962 A Hundred Camels In The Courtyard. Il devient une sorte de gourou, même s’il paraît anachronique au moment où Tom Wolfe et Norman Mailer deviennent des stars littéraires aux États-Unis.

Brian Gysin à l'hôpital de Tanger
Bowles se fond bien dans le mythe de Tanger - Life is so easy here, so cheap and the climate is marvellous. If you’re going to go to hell, you can do it more cheaply and more pleasantly than in Greenwich Village - Bowles enfonce son clou : «The only way to live in Morocco now is to remember constantly that the world outside is still more repulsive.» Toujours cette haine de la Western civilization. Il s’isole de plus en plus - Each decade I know fewer people. By 1980, life will be perfect - Quand il repart en voyage à Ceylan, par exemple, c’est Brion Gysin qui prend le rôle de ringmaster. Il reçoit par exemple des Rolling Stones, et quand Bowles rentre de voyage, Brion tient à les lui présenter, mais Bowles n’est pas très excité. Ils ne sont pas sa tasse de thé.

Des gens fascinants, il en a connus, à commencer par Brion Gysin. Brion débarque à Tanger en 1950, il a déjà été peintre surréaliste à Paris, hashishin en Grèce, et espion pour le compte de la CIA, mais rien n’est moins sûr. À Paris, il a fréquenté Max Ernst, Valentine Hugo, Dali, Picasso, Gertrude Stein et Alice B. Toklas. Mais André Breton ne peut pas le schmoquer et fait enlever ses toiles d’une exposition surréaliste. Alors, Brion les expose sur le trottoir, en face de la Galerie Aux Quatre Chemins. En 1952, Brion débarque à Marrakech après un long périple au Sahara, et découvre la fameuse place Djemaa el-Fna, qu’on traduit par «The assembly of the dead», le cœur battant de la médina, où se retrouvent les Berbères du Haut Atlas, les Hommes Bleus du Sahara et les noirs de Tombouctou, du Sénégal et du Soudan - It was the liviest theater on the continent - Tous ceux qui y sont allés ont été frappé par la vie qui y grouille. Sans doute l’un des endroits les plus fascinants de la terre. On y erre pendant des heures. Mais malheur aux ceusses qui boivent le jus d’orange que proposent les marchands ambulants. Et le kif qu’on vend n’est pas du kif, mais du mauvais tabac. Ce sont les pièges à touristes.

Le book grouille de descriptions de Brion toutes plus flatteuses les unes que les autres. Une nommée Felicity rencontre Brion et le qualifie de «most interesting man I ever met. He was singular, unique, extraordinary, monstruous and wonderful.» William Burroughs l’admire et le qualifie de «regal without pretention». Non seulement il l’admire, mais Brion est le seul qu’il respecte. Les monologues de Brion sont légendaires. Il tire son inspiration de sa connaissance des Grecs anciens et des Romains, de l’Egyptian Book of the Death, du folklore celtique et les religions orientales, mais aussi de ses contemporains, les Surréalistes. Robert Palmer qui est devenu son ami se souvient d’avoir entendu Brion balancer «some of the cleverest, most mordant and most provocative» propos. Petite cerise sur le gâtö : Brion a aussi une passion pour les idées neuves.

John Hopkins se souvient d’avoir rencontré Brion chez Paul Bowles : «Un soir, nous fumions tous du kif et Larbi a préparé du majoun. On est allés sur la falaise pour admirer le clair de lune, and everyone was stoned out of their gourds. We were talking about why we were there and Paul said : ‘We’re here to learn.’ Brion said : ‘No, we’re here to go.’» Puis Brion et Burroughs se mettent à bosser les cut-ups ensemble - Même les expatriés qui trouvaient leurs experiments incompréhensibles étaient fascinés par leur creative spirit - So much energy came from being around Brion when he was with Burroughs. They had an intellectual rapport that was stunning - Paul Bowles trouvait cependant que Brion avait tellement abusé des drogues qu’il avait altéré sa personnalité. Et puis on apprend au fil des pages qu’il est auto-destructeur. Soit il détruit ce qu’il fait, soit il donne. John Giorno, qui a fréquenté Warhol, débarque à Tanger pour rencontrer Brion. Il croit lui aussi qu’au Maroc, la magie est juste en dessous de la surface des choses, ce que professe évidemment Brion. Lequel Brion emmène Giorno à Fez pour un trip au LSD. Ils vont aussi à Zagora et marchent parmi les tentes des Hommes Bleus, dans l’oasis voisin : «Il y avait une mer de tentes et de la fumée de pipes à n’en plus finir, and incredible music. We just walked around taking it in. Brion was the magical guide.»

Pendant des heures, Brion peut disserter sur les théories freudiennes et les mecanisms of dervish trance drumming. Le mythe de Jajouka, c’est lui. Il commence par flasher sur les Master Musicians «who created a music unlike anything he had ever heard», playing wild flute songs - strangely riveting music, related to the ecstatic trance music of the Sufi brotherhoods, but different, with a luminous, hieratic quality all its own», selon Robert Palmer. Brion est obsédé par cette musique, au point d’aller la sourcer à Jajouka, dans les Jibala hills, à 100 bornes au sud de Tanger. Pour lui, ce fut une façon d’entrer dans l’Antiquité. Et tous les ans, il s’est rendu à la fête du mouton pour ce qu’il appelait l’équivalent of Roman Lupercalia, or the Rites of Pan. Brion avait simplement découvert que sous un léger voile d’Islam, les rites de Jajouka préservaient l’équilibre entre les formes mâles et femelles de la nature, comme ce fut le cas au temps des Romains. Et bien sûr, Bou Jeloud, Jajouka’s patron saint, ré-incarnait cette mythologie antique. Michelle Green n’ose pas trop s’aventurer sur ce terrain, elle laisse la parole à Brion. Lequel Brion va monter un resto à Tanger, les 1001 Nuits, et y faire jouer les Master Musicians.
Le seul reproche qu’on peut faire à Brion est sa misogynie. Burroughs, qui est atteint de la même tare, avoue que «Gysin’s thinking left no place for compromise. The whole concept of woman was a biological mistake.»

La vraie star du book, c’est William Burroughs, sans doute le plus rock des écrivains. Michelle Green nous donne tout le détail du séjour de Burroughs à Tanger. Il est là pour les drogues, les garçons et la littérature. Le voilà dans la médina, «in his shiny business suit and greasy fedora», un air d’agent du FBI qui s’est fait virer. Peu de gens connaissent son nom, mais les wild boys des alentours le surnomment ‘El Hombre Invisible’. Ce diplômé d’Harvard a décidé très tôt de devenir un renégat. À 40 ans, il est devenu un «laconic adventurer with a mordant wit and an attraction to all things forbidden.» Il a tout étudié : l’anthropologie, la pharmacologie, les linguistiques, il s’est passionné pour Kafka, Céline, Baudelaire, Gide, Rimbaud et Blake. Il est allé comme Artaud en Amérique du Sud à la recherche du Yage, et s’est déjà tapé des voyages dans le netherworld of drugs and depravity. Hanté par un constant besoin de créer, il n’a jamais cessé d’écrire ce qu’il appelle ses ‘routines’, mais n’a jamais été convaincu d’être un écrivain - I was a nobody - S’il veut devenir écrivain, c’est parce que petit, il les voyait «riches et célèbres». Il rêve de se retrouver à Tanger en compagnie d’un jeune garçon fumant du kif et caressant une jeune gazelle.

Joan Burroughs
En attendant de partir pour l’Afrique, il épouse Joan, qui partage sa passion pour le mind control, les codex mayas et les drogues. Elle raffole du speed, et notamment de la Benzedrine. Arrêtés en 1949 pour possession de drogue, Burroughs et Joan se taillent vite fait au Mexique. Et un soir de septembre 1951, ils jouent à Guillaume Tell. Joan pose son verre sur sa tête, et Burroughs qui est complètement défoncé lui tire à bout portant dans le crâne. Il fera passer ça pour un accident - domestic imprudence - Il se taille une fois de plus vite fait et gagne le Panama pour rentrer à New York. Il finit par débarquer à Tanger. Il découvre le majoun qui lui inspire des wild flights of creativity et il en prend chaque fois qu’il affronte la page blanche. De son côté, Henri Michaux a fait exactement la même chose. En 1954, Burroughs was shooting Eukodyl every two hours. Il dévalise les pharmacies de Tanger, comme Artaud dévalisait celles de Paris pour sa conso quotidienne de laudanum. Ce ne sont pas les Stones qui ont inventé le concept de sex drugs & rock’n’roll.

Gregory Corso, Paul Bowles, William Burroughs
Paul Bowles est intrigué par la présence à Tanger de ce spécimen qu’on surnomme Morphine Minnie. Et à sa grande surprise, Bowles découvre que Burroughs est «vital and engaging and funny. An inspired story-teller, he had a buzz-saw drawl that lent irony to every phrase. He could talk for hours about lemurs or yage or telepathy, and his sensibility was decidedly bizarre.» Bowles creuse encore un peu et découvre que Burroughs «had a kind of crackpot mystique, fantastically mutable, he was simultaneously vulnerable and threatening, proper and debauched.» Il était à la fois le cowboy et le dreamer, le prédateur et la proie. Brion décrit Burroughs marchant dans la rue sous la pluie : «Willie the Rat scuttles over the purple sheen of wet pavements, sniffing. When you squint up your eyes at him, he turns into Coleridge, De Quincey, Poe, Baudelaire.»

En 1956, Burroughs semble arrivé au bout de la junk line. Paralysé, uniquement capable de se préoccuper du next shot, il gît dans une chambre d’hôtel miteux. Le sol est couvert d’ampoules vides - I did absolutely nothing. I could look at the end of my shoe for eight hours - Il y a de la cocasserie même dans sa déchéance. Burroughs est invité pour une fête chez Peggy Guggenheim, «at which a dead-drunk William managed to disgrace himself.» Fabuleux ! Quand Kerouac débarque à Tanger à son tour, il lit les ‘routines’ de Burroughs et les trouve «à la fois brillantes et sauvages». C’est Kerouac qui trouve le titre Naked Lunch. Francis Bacon est aussi dans la parages et Michelle Green établit un parallèle entre les «brutally powerfull paintings» de Bacon et la «shocking prose» de Burroughs.

Bowles finit par voir Burroughs et Brion comme une seule et même personne - Under Gysin’s influence, he had begun to style himself as a sorcerer’s apprentice. He had practiced meditation and hypnosis and mirror gazing, and he had fallen under the spell of Hassan-i-Sabbah, an elenventh-century Persian mystic who founded the cult of the Assassins. The Old Man of the Mountain as Gysin called him - Hassan-i-Sabbah gavait ses adeptes de hashish, ce qui intéressait beaucoup Brion - Like Hassan-i-Sabbah, Burroughs had removed himself from the world, obsessed with the subject of mind control - Quand JFK se fait buter à Dallas, Burroughs annonce qu’«Oswald’s bullet is the beginning of the end.» Pour lui, c’est la preuve que les forces du mal se sont emparées de l’univers et qu’«Armageddon was around the corner».

Brion et Burroughs explorent le cutup, et Burroughs est frappé par le potentiel littéraire de cette méthode que vient d’inventer Brion. Il appelle ça un «project for disastrous success», et les deux cocos s’enfoncent dans une spirale de créativité, taillant des textes de Shakespeare, St. John Perse, Aldous Huxley et des numéros du New York Herald Tribune. Ils mijotent des salades de mots et croient inventer une nouvelle esthétique. Mais Allen Ginsberg, qui vient de débarquer à Tanger, n’est pas impressionné. Ginsberg se méfie d’ailleurs de Burroughs, et le trouve «so inhuman it scarred me.» Et avec tout le hashish et tout le majoun qu’il se met dans le cornet, Burroughs est devenu «hypersensitive, suspicious not in a paranoid way but in an acute, analytic way of looking at subtexts.» Même défoncé, Burroughs ne perd jamais de vue la littérature.

Il est persuadé qu’il peut se mettre dans un certain état d’esprit pour devenir invisible. Mind control. Brion et lui sont convaincus qu’ils peuvent voyager sur d’autres planètes. Burroughs tente même des expériences à partir du Sheltering Sky, histoire d’impressionner Paul Bowles : il enregistre des larges extraits sur un magnétophone, puis coupe la bande pour la remonter au pif. Bowles est surtout impressionné par la voix de Burroughs : «When he played it back, the tape still sounded like the prose of William Burroughs and nobody else.» Quand il ne vante pas les mérites du cutup, Burroughs tente de vendre à Bowles les théories de William Reich. Il a construit dans un jardin le fameux «orgone energy accumulator» qui permet de débloquer l’«orgone energy», source de tous les maux. Un soir, il réussit à convaincre Paul d’entrer dans la machine. Paul accepte. Le traitement dure une heure, mais Bowles craque au bout de 25 minutes. Burroughs lui demande s’il a éprouvé quelque chose et Bowles lui répond : «No, just a lot of cold.»
En 1964, Burroughs et Brion s’embarquent à bord d’un paquebot en partance pour New York. Burroughs piquait sa crise de dégoût des «idiot Tangerinos» et des «sinister Arabs». Mais il était surtout invité dans sa ville natale de Saint-Louis par Playboy, en tant que cult hero.

C’est Jane Bowles qui va faire les frais de la vie at the end of the world. Comme Kit Moresby (l’héroïne de The Sheltering Sky), elle se sent victime d’un sort. Et comme Kit, elle va sombrer dans un cauchemar dont elle ne se réveillera jamais. Elle va entrer dans une spirale d’auto-destruction et donner à des inconnus tout ce qu’elle possède. Les hippies qu’elle croise dans les rues de Tanger la trouvent groovy. Le roman prend le pas sur la réalité, selon le vœu de Bowles. Ça devient fascinant. Michelle Green fait le lien entre la fin de vie de Jane Bowles et le Sheltering Sky que Bernardo Bertolucci va porter à l’écran.

En 1990, Paul Bowles a 80 ans. Il vit encore dans son appartement de Tanger. Il a pas mal de petits soucis, audition et sciatique, mais n’a rien perdu de son élégance, il porte encore du Tweed anglais et fume ses clopes de kif avec son légendaire fume-cigarette. Il reçoit encore pas mal de gens, notamment Stephen Davis (l’auteur de Jajouka Rolling Stone), et continue de publier. Il traduit aussi les textes d’Isabelle Eberhardt, l’aventurière qui explora le Sahara au début du XXe siècle. Mais après la mort de Jane, il confie ceci : «My degree of interest in everything has been diminished almost to the point of nonexistence... there is no compelling reason to do anytning whatever.» Mais quand Bertolucci qui a racheté les droits du Sheltering Sky débarque chez lui en 1990, Paul Bowles accepte de participer au tournage. Bowles dit partout qu’il en attend le pire, mais Berto réussit à le convaincre de faire la voix off du narrateur. Puis il accepte d’aller à Paris pour la première du film.

De toute évidence, il faut revoir l’adaptation cinématographique qu’a faite Bertolucci du fabuleux Sheltering Sky de Paul Bowles. La traduction en français du titre laisse perplexe : Un Thé Au Sahara, alors que tout le poids mythique du roman repose sur la vision qu’a Mort (John Malkovitch) du ciel immense qu’il fait admirer à Kit - How fragile we are under the sheltering sky. Behind the sheltering sky is a vast dark universe, and we’re just so small - Mort sait que la mort est là, juste derrière le ciel. Mort sait qu’il est déjà mort. On voit Paul Bowles à trois reprises dans le film, ce qui renforce à outrance l’immense poids littéraire de ce film. Bowles est assis dans l’un des ces cafés de Tanger qu’évoque longuement Michelle Green dans Dream At The End Of The World. Bowles est là, et on l’entend en voix off. Assis dans un coin, il observe ses personnages tels que Berto les restitue. Berto triche cependant avec la réalité, car Bowles situe son Sheltering Sky en Algérie et non au Maroc. L’excellentissime Mort Malkovitch joue le rôle d’un personnage extraordinairement désabusé, et Kit va prendre le relais, une fois que Mort est mort, elle va entrer dans la mythologie des gens du désert et vivre une aventure sexuelle de pure perdition. Berto se fend de plans superbement graphiques du Sahara. Il rendra aussi hommage à Burroughs lorsque Kit, enfermée dans sa baraque en terre de Tombouctou, se met à faire des cutups pour passer le temps. Récupérée par des occidentaux, elle reviendra à Tanger et finira par errer dans les rues, refusant d’être sauvée. Elle reviendra sur les lieux de sa vraie vie d’avant, dans un café qu’elle fréquentait à la vie à la mort avec Mort. La scène est déchirante, chaque fois que tu la revois, elle te broie le cœur. Kit entre dans le café, se dirige sur Paul Bowles qui est assis au fond. D’une voix de vieil homme aux portes de la mort, il lui demande si elle est perdue : «Are you lost?» Et il enchaîne avec ça qui te prépare bien à la mort : «Because we don’t know when we will die. We get to think of life as an inexhaustible well.» Il redit à sa manière ce qu’on sait tous : la vie n’est pas un puits insondable. Tu vis tu meurs. Cadré par Berto, Paul Bowles est déjà mort, malgré son regard translucide de vieil homme légendaire. Déjà mort. Nous sommes tous déjà morts. Et donc en paix.
Signé : Cazengler, Joujoukaka
Michelle Green. The Dream At The End Of The World: Paul Bowles & The Litterary Renegades In Tangier. HarperCollins 1991
Bernardo Bertolucci. Un Thé Au Sahara. DVD 2008
Wizards & True Stars
- Third World Ward
(Part One)

Tu peux entrer chez M Ward par la petite porte : celle du producteur. Grand bien t’en prend. Il vient tout juste de produire le denier album de Valerie June, Owls Omens And Oracles. Alors, intrigué, tu soulèves cette grande pierre nommée Discogs et là tu découvres tout un monde grouillant de vie.

Premier test avec Hold Times, un Merge de 2008. T’es bien content d’avoir cet album dans les pattes, car quel album ! Tu entres cette fois par la grande porte. M Ward crée un vrai monde et tu te sens le bienvenu. T’as une présence immédiate, l’absolute beginner qu’est «For Beginners», t’es frappé par la classe de l’attitude, la classe du son, la classe du truc et la classe du machin. Ça pue la classe à dix lieues à la ronde, t’as le claqué du rock, la saveur du goût et l’impérieux du son, un peu comme chez Bill Callahan. Il passe au glam de dingue avec «Never Had Nobody Like You». Son son craque de plaisir. La classe des cuts du cat te laisse coi. Il tape une belle cover du «Rave On» de Buddy. Il en fait du glam, il t’embarque dans sa quête d’absolu. Il s’en va pianoter son «To Save Me» en haut de l’Ararat. Il domine tout, et t’as des échos du «Do It Again» des Beach boys, tim tim tilili ! Il redéfinit la modernité avec «Stars Of Leo», il sort le Grand Jeu, tu crois entendre Roger Gilbert-Lecomte avec une guitare, c’est du génie pur. Il tape ensuite une country de rêve avec «Fisher Of Men», et t’as tout le ruckus d’un pur universaliste. Il réinvente Mazzy Star avec « Oh Lonesome Me» et Lucinda Williams. Elle reste d’une puissance extrême. Toujours éraillée, mais légendaire. Encore tout le poids du monde de Peter Handke dans «Epistemology», mais plus rock, tout de même. M Ward règne sur tous les empires. Il groove son balladif avec un art qui laisse pantois. Tu décides alors de le suivre jusqu’en enfer. Il joue encore avec la beauté comme le chat avec la souris dans «Blake’s View» et gratte au banjo l’Americana doucereuse de «Shangri-La». Tu sors de là ébahi.

Encore un album en forme de joyau : Post-War, un vieux Merge qui émergea en 2006. M Ward crée très vite la sensation, car il saut chanter à l’éplorée congénitale. Il sait aussi fouiller un son. Il maîtrise l’art de fouiller le fouillis («To Go Home»). Et pouf, tu prends en pleine poire «Right In The Head», gratté à coups d’acou avec une guitare rebelle en embuscade. Il est suivi à la trace par un son de gras double qui donne un souffle terrible au cut. Il multiplie les coups de charme et ça pulse bien dans la purée pop. Son seul défaut est de proposer des liners illisibles. Globalement, c’est un album fascinant, M Ward regorge d’idées et maîtrise parfaitement les envolées. Pour son «Requiem», il repart en mode Americana, et comme George Martin, il maîtrise admirablement la science du son - He was a good man/ And now he’s gone - Et t’as un solo de fuzz dans l’Americana ! Il fait aussi de la fast pop d’horizon avec «Chinese Translation». Il est stupéfiant de vision, quasi transcendental, et quand t’entends la slide qui ouvre l’horizon, t’es bluffé. L’album est réjouissant. Il passe en mode Twang pur pour «Neptune’s Nest», il vire carrément Dick Dale. Le génie sonique d’M Ward ne connaît pas de limite. Il crée encore une mélasse terrible avec «Today’s Undertaking» et «Afterword/Rag». M Ward est un Wardiste impavide, il règne sans partage sur son empire qui est toujours certain.

More Rain confirme la légende : M Ward ne fait que des gros albums classiques. Il peut te caler deux cuts de glam si ça lui chante : «Time Won’t Wait» et «I’m Going Higher». Il renoue avec le son de la vieille cocote glam bien sourde. Et son Going Higher tape dans le spirit du stomp qui fit les beaux jours du glam. More Rain sonne comme un album parfait. Avec «Girl From Cojeno Valley», ce fantastique popster est aux abois. Il balance une pop dense, montée sur des dynamiques impeccables. Il creuse sa tombe dans le désert de Mojave avec «Slow Driving Man». Il est tellement bon qu’il a même des violons sur ce coup-là. Et voilà «You’re So Good To Me». Tu le reconnais aussitôt ! Cut signé Brian Wilson ! On entend aussi cet M gratter ses poux à contre-courant dans «I’m Listening (Chords Theme)», et sur ce prodige productiviste qu’est «Temptation», il a Peter Buck. Tout est littéralement merveilleux sur cet album. Il passe au kitsch de rêve avec «Little Baby». Cet M te fait rêver.

Quand M associe un titre comme What A Wonderful Industry au visuel d’une mâchoire de requin, signifie-t-il que l’industrie musicale est un monde de requins ? On serait tenté de le croire. Il ne porte donc pas l’industrie dans son cœur. Ça ne l’empêche pas de pondre des albums de superstar. T’as au moins deux Beautiful Songs et deux coups de génie sur cet album dentu. Par quoi commence-t-on ? Les Beautiful Songs ? La première s’appelle «Arrivals Chorus», M arrive très décontracté et il gratte ses poux d’Hawaï. Il exhale de l’éther pur. L’autre s’appelle «A Mind Is The Worst Thing To Waste», un fantastique balladif d’Oh such a shame. Il ménage bien ses effets. T’as l’environnement des accords mentholés et le chant liquide qui se fond dans la mélodie - Oh my precious time - Ça donne une pop translucide. Premier coup de génie avec «Miracle Man», un solide rock oblique, bien claqué du beignet. Ah il faut voir comme ça secoue les colonnes du temple ! Le deuxième s’appelle «Sit Around The House» : incroyable élan pop rock, M s’élance dans l’azur immaculé. C’est d’un éclat sans pareil. Il faut le voir pour le croire. M est un artiste dont il faut faire le tour. Encore de la pop aux pieds ailés avec «Motorcycle Ride». Puis il s’en va dans le désert de Mojave gratter les poux western d’«El Rancho». T’as vraiment hâte de voir la suite.

La suite s’appelle Migration Stories. C’est un album qu’il faut classer à part. Il grouille de Beautiful Songs, à commencer par ce «Migration Of Souls» qui te groove l’âme. Façon de parler. C’est la Beautiful Song de l’année. Il enchaîne avec le groove paradisiaque d’«Heaven’s Nail & Hammer», M te fait danser le boléro au crépuscule, c’est chaud et vertigineux, profond, doux et dingue. S’ensuit «Coyotte Mary’s Travelling Show», une bluette country de rêve, il la chante au raw du désert de Mojave, avec des gorgeous guitars. Et tout l’album va rester à ce niveau d’effarante qualité. M vole comme un beautiful vautour dans l’azur de Mojave. Il te plane bien sur la carcasse avec «Independant Man». Puis il te gratte un cut de guitar hero, «Steven’s Snowman». Il se situe au-delà de tout, même de Ry Cooder ou de John Fahey. Il renoue avec son dieu Brian Wilson dans «Unreal City» et fait du «Do It Again» vite fait en passant. M revient au balladif d’exception avec «Along The Santa Fe Trail». Il espère retrouver sa copine dans les montagnes du côté de Santa Fe. Et t’as des chœurs de rêve. Tu retrouves son touché de note famélique et enjoué à la fois dans «Touch». Il sonne comme le joyeux troubadour de Troubalda, t’as encore une merveille orfévrée au pah pah pah, digne de Curt Boettcher. Te voilà dans le vrai de vrai. Il fait ses adieux en grattant «Rio Drone» au bord du fleuve de l’éternité. Ainsi va la vie. Ainsi va la mort.

M se calme un peu avec Think Of Spring. Encore une pochette informelle. Ce sont des pochettes dont on ne garde aucun souvenir. On croise deux Beautiful Songs sur cet album mi-figue mi-raisin : «I Get Along Without You Very Well» et «I Am A Fool To Want You». Il te gratte ça dans le désert d’Arizona avec l’écho du temps. Sa voix glisse comme un ange dans les ténèbres. Mais on voit bien que cet album refuse de décoller. L’M veut faire du Richard Hawley, mais il s’y prend mal. Il vaut faire du Smog, mais ça ne veut pas Smogger. Il essaye de faire du Smog bourbeux avec «All The Way», mais ça ne marche pas. Alors M fait de l’M. Il n’est pas rancunier, comme le montre «I’ll Be Around» : I’ll be around/ No matter how you treat me now. Avec «For Heaven’s Sake», il décide de s’installer au paradis. Il se recroqueville sur son acou et gratte ici et là des éclairs de Django Reinhardt. Il crée un peu d’enchantement avec «Violets For Your Furs» en poussant une pointe de glotte et du coup, il parvient à créer une fantastique clameur. M est un mec qui sait enrichir un balladif avec des pics de sensibilité. Mais l’album reste terriblement monochrome.

Transistor Radio date de 2005. Album mi-figue mi-raisin. La figue, ce sont deux Beautiful Songs, «Hi-Fi» (gratté sous le boisseau, et le boisseau d’M, c’est quelque chose) et «Paul’s Song» (M est comme Des Esseintes, il goûte à tous les sucs). Le raisin, ce sont deux coups de génie, «Sweetheart On Parade» (avec un seul cut, M peut créer un monde. C’est ici le cas, avec un son de cathédrale fantomatique) et «Big Beat» qui est un véritable coup de génie productiviste : il fait une espèce d’heavy rockalama à la Fats Domino. Il a vraiment beaucoup de son. Avec «Four Hours In Washington», , il fait du David Lynch et gratte les notes de son subconscient. C’est une évidence, M est amoureux de la beauté. Il ne vit que pour elle.

Si tu replonges aux racines, tu vas te régaler avec End Of Amnesia. M gratte l’heavy boogie de «So Much Water» avec une effarante qualité de son. Son génie sonique éclot dans l’épaisseur du son. Puis il se love dans le giron de «Bad Dreams», un merveilleux balladif intime et humide. Chez M, chaque cut sonne comme une aventure intellectuelle organique. Il fait un festival de slide dans «Silverline», puis revient à l’heavy beat de génie avec «Flaming Heart», il gratte un mic mac d’arpeggios incroyables, on se croirait chez Dickinson, car t’as les mêmes éclairs de génie productiviste. Avec «Ella», il plonge dans une énorme Beautiful Song atmosphérique. Il développe des pouvoirs monstrueux, une tempête semble se lever dans la mélodie. On n’avait encore jamais vu ça.

Encore un album précieux : Transfiguration Of Vincent, qui date de 2003. T’es hooké dès «Sad Sad Song», un solide balladif lesté de tout l’heavy power d’M. Il chante à la voix fêlée et mène bien sa danse. T’en reviens pas de tant d’ampleur. Frank Black et lui ont le même génie entrepreneur. Il travaille lui aussi sa matière au corps. Avec «Outta My Head», il tape dans la réverb de la frontière et chante au doux du menton, et t’as ces sons de gratte qui n’en peuvent plus, comme les marins d’Amsterdam qui se plantent le nez au ciel et qui se mouchent dans les étoiles et qui pissent comme je pleure sur les femmes infidèles. Puis il passe au wild primitif avec «Helicopter» avant de ramener sa cocote grasse dans «Fool Say» et de créer la sensation avec un solo Hawaï. Il reste dans l’ambiance lourde de la convergence avec «Undertaker». Ce fantastique entremetteur frise le Lou Reed. Et avec «Let’s Dance», il fait de l’heavy Americana bien enfoncée du clou.

Vingt ans plus tard paraît Supernatural Thing. Encore un bel album, sur lequel il serait mal venu de faire l’impasse. T’es aussitôt dans l’entièreté du son. Les poux d’M sont denses, il gratte des coups d’acou de jouvence. Le morceau titre sonne comme une belle dégelée de good time music. L’M bascule littéralement dans le génie pop, avec les dynamiques de Brian Wilson, c’est très lumineux, très enlevé, vaillant, plein d’énergie, avec une relance à la guitare de lumière. Quel démon ! Tu ne retrouves cette élégance de smooth ensoleillé que chez Brian Wilson et les Byrds, Il revient rocker le boat avec «New Kerrang», c’est tout de suite sublimé en interne. Il est capable de petite pop vif-argent. Il revient ensuite à son cher groove du paradis avec «Dedication Hour». C’est sa marotte. «I Can’t Give Everything Away» monte aussi au paradis, poussé par un sax d’intro. Il duette ensuite avec Neko Case sur «Engine 5». M adore s’entourer. Il arrive dans l’Engine sur le tard, fidèle au poste. Ça sent encore le brûlé du génie dans «Mr. Dixon», il part en mode Dixon raw. T’en reviens pas de le voir à l’aise dans toutes les circonstances.

N’oublions pas le petit premier, Duet For Guitars, paru en 1999. S’y nichent deux pépites, «Beautiful Car» qu’M chante à l’heavy musicologie retardataire, là-bas derrière, et ça devient merveilleux, et puis «Fishing Boat Song», où il déclenche un petit enfer, et laisse sa voix déraper sur une peau de banane. Tout ce qu’il fait remonte à la surface, celle qui t’intéresse. Mais il a aussi des cuts qui sont trop laid-back pour être honnêtes («Good News»). Il gratte aussi des poux de cabane enchantée («The Crooked Spine»). Il est capable de tout, il va fureter dans tous les coins, la big pop orchestrée ne lui fait pas peur («Look Me Over»). Il peut avoir des faux airs de la ramasse à la Neil Young («It Don’t Happen Twice») et il sait faire son early Bob de Greenwich Village à gros coups d’acou («Where You Here»). Comme le riz, l’artiste est complet.

Et pour compléter le tour du propriétaire, tu peux aussi écouter A Wasteland Companion. Tu ne perdras pas ton temps. Au contraire. Tu enrichiras ta petite philosophie de la dimension artistique. Que veut dire aujourd’hui la liberté artistique ? La réponse pourrait être «Primitive Girl», un modèle d’heavy pop productiviste. Ou encore «Me & My Shadow», un modèle de laid-back de non-retour, gratté aux arpèges d’un Crésus Ward qui monte tellement vite en puissance. La réponse pourrait être «Sweetheart» qui sonne comme un gros clin d’œil à BrianWilson et où Zooey Deschanel donne tout. Ou encore «I Get Ideas», une pop affirmée et géniale, où il ramène un solo de fête foraine qui vire trash. M réinvente la pop de fête foraine. Sa liberté de ton est totale. Il est ce que Frank Black fut autrefois. Il te tétanise par sa liberté de ton. La réponse pourrait être le morceau titre qui sonne comme la pure Americana de la frontière. M groove son boogie, il gratte des notes qui restent en suspension. La réponse pourrait être «Watch The Show» qu’il gratte en mode rockab insistant. Il termine avec «Pure Joy» qu’il chante d’une belle voix rauque. Il est fantastique d’intégrité. Voilà pourquoi l’écoute d’A Wasteland Companion enrichit ta petite philosophie de la dimension artistique : t’as douze cuts riches comme Crésus Ward qui te font exulter sous ton casque. L’M produit de l’art brut, aux antipodes de la mormoille qui envahit les médias du monde entier. L’M est l’un des artistes les plus complets de notre époque. Voix, poux, compos, prod, tout est parfait, tout est fait pour t’envahir gentiment.

M vient d’enregistrer Geckos avec Howe Gelb, le mec de Giant Sand. Le groupe s’appelle aussi Geckos. T’y trouves pas mal de délicieuses entourloupes, comme ce «Wedding Waltz» parfumé aux trompettes mariachi. Ils grattent du fluide à la frontière. Ils s’étalent au crépuscule des cactus. Ils tapent une belle Americana de caractère. Atmosphère très détendue. Relax Max. Peut-être trop angélique. On perd un peu l’M. L’Howe prend le pouvoir. Ça chante pas mal en espagnol, si señor («El Techno»). Puis t’as ce «Scoundrel» attaqué au piano et perdu dans la pampa. Tu te demandes à quoi ça sert. Tout est très ambitieux, ici, mais pas définitif. On se croirait parfois chez Leonard Cohen («Botas Negras»), mais sous la cendre. Avec «Blame It To The Ocean», ils visent le full blown de l’Americana, avec des acous ventilées, et t’as l’Howe qui chevauche le petit beat. Il refait du Giant Sand et tu reviens au point de départ de l’indie des années 80. L’Howe est incapable d’évoluer. Ils cherchent tous les deux à réinventer le genre et cultivent une sorte de douceur tiédasse. Ils s’y sentent bien, alors pourquoi pas toi ?
Signé : Cazengler, M Whore
M Ward. Duet For Guitars. C--dependant 1999
M Ward. End Of Amnesia. Future Farmer Recordings 2001
M Ward. Transfiguration Of Vincent. Merge Records 2003
M Ward. Transistor Radio. Merge Records 2005
M Ward. Post-War. Merge Records 2006
M Ward. Hold Times. Merge Records 2008
M Ward. A Wasteland Companion. Merge Records 2012
M Ward. More Rain. Merge Records 2015
M Ward. What A Wonderful Industry. M Ward Records 2018
M Ward. Migration Stories. Anti- 2020
M Ward. Think Of Spring. Anti- 2020
M Ward. Supernatural Thing. Anti- 2023
Geckos. Geckos. ORG Music 2025
Inside the goldmine
- Les Charlatans ne sont pas des charlatans
Au terme d’une longue fréquentation, Charla est resté un mystère. On pouvait lui faire des petites vacheries, il réagissait toujours «positivement», comme si rien ne pouvait l’affecter. Fallait-il qualifier ça de droiture morale ? Son positivisme finissait même par devenir prodigieusement agaçant. On le testait en permanence, avec des petites vannes. Si on le traitait de ringard, il répondait merci. Seul un psy aurait pu donner la clé de cet impénétrable mystère. Plus prosaïquement, on voyait Charla comme la réincarnation d’un chrétien jeté aux lions, au temps de l’Empereur Trajan Dèce : on l’imaginait parfaitement, sous les cris de la foule, enchaîné à un pieu, avec son air de sainte-nitouche, en train de dire merci au lion qui approche en rugissant. On pouvait aussi le comparer à ces Jésuites qui remontèrent les fleuves du Grand Nord canadien pour aller convertir les Algonquins au christianisme, tels que nous les montre Bruce Beresford dans Black Robe : Charla réagit comme le Jésuite capturé par les Iroquois : on lui coupe les doigts un par un, et il dit merci. Sacré Charla ! Dans une vie antérieure, il a dû se porter volontaire pour grimper les marches de la grande pyramide de Tenochtitlan, et dire merci au prêtre qui allait lui ouvrir la poitrine pour en extraire son cœur. Pire encore, Charla est forcément la réincarnation de l’un de ces pauvres crétins de poilus que le colonel Dax exhortait à sortir de la tranchée pour monter à l’assaut de la Fourmilière, un nid de mitrailleuses imprenable perché au sommet d’une colline. Le pire, c’est que Charla va se réincarner dans un autre Charla et qu’il intriguera d’autres observateurs qui à leur tour échoueront à trouver ce que cache cette forme bizarre d’abnégation. On ne peut pas dire que Charla soit taré, mais on ne peut pas non plus affirmer qu’il est intelligent. Loin de là.

Pendant que Charla tend vers le néant, les Charlatans en sortent. Alors attention, il se pourrait bien que les Charlatans soient l’un des groupes les plus fascinants de l’histoire du rock américain. Voici pourquoi.

Dans ses liners pour The Amazing Charlatans, le grand Alec Palao n’en finit plus de se prosterner jusqu’à terre. Il présente les Charlatans comme cinq «19th century dandy outlaws», «like a latterday musical Magnificent Seven». Les Sept Mercenaires du rock. Il affirme qu’au départ du mythe se trouve un concept. Selon Palao, les Charlatans ont pris plus de LSD qu’aucun autre groupe de San Francisco et n’ont pourtant jamais joué d’acid rock. Le LSD n’était qu’un moyen de pousser le bouchon du concept - Far from peace and love, the group was sarcasm and cynicism incarned. Hell, even the name was negative - Alors Palao plonge dans l’histoire du groupe et ça devient fascinant. George Hunter débarque à San Francisco et 1964 et rencontre Richard Olsen, un trompettiste. Ils décident ce former un groupe conceptuel «manipulated electronically - Sort of a William Burroughs-nightmare version of the Rolling Stones, to be known as the Androids.» Avec l’arrivée de Mike Wilhelm, le groupe devient plus organique et vire folk-rock. The Androids deviennent les Mainliners. Avec l’arrivée de Dan Hicks au beurre, le groupe devient The Charlatans. Ça commence à répéter sec : Olson on bass, Hunter on autoharp, et puis il y a les costards : «Fergusson as Mississippi Gambler, Hunter as Edwardian fop, Wilhelm as rock’n’roll Wyatt Earp and so on.» Et ils commencent à jouer au fameux Red Dog Saloon de Virginia City, au Nevada - 6 wild weeks in the summer of 1965 the band and coterie awash in LSD, raise hell on the Comstock - Puis ils croisent la piste de Tom Donahue et ils commencent à enregistrer pour Autumn Records. Big Daddy Dohanue veut les lancer et leur demande de faire une cover d’«Early Morning Rain», mais les Charlatans ne veulent pas. George Hunter : «I don’t kown if Donahue passed on us or we passed on him.» Sly Stone qui bosse alors pour Danahue installe les micros dans le studio. C’est à cette époque qu’explose la fameuse scène de San Francisco, avec les Charlatans en tête de gondole. Mais tous les projets de contrats échouent. Fergusson et Hicks quittent le groupe. Le new line-up Olsen/Wilhelm/Wilson/Darell Devore signe enfin sur Philips. Mais les Charlatans ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes.

Le premier album sans titre des Charlatans paru en 1969 est un big album. Et même un very big album. Top départ avec le puissant folk-rock d’«High Coin». Pur power ! On se croirait chez les Byrds. Wilhelm power ! L’«Ain’t Got Time» qui arrive plus loin semble lui aussi sortir d’un album des Byrds, tellement il est bien profilé sous le vent. Ce balda est infernal, il se poursuit avec une cover du «Folsom Prison Blues» de Cash que torche Wilhelm, il la folk-rockise à outrance. Tout est puissant chez Wilhelm. Encore du power max to the max avec «The Blues Ain’t Nothin’», percé en son cœur par un solo de free jazz, alors tu n’as plus qu’un seul mot à la bouche : «Demented!». Puis ils passent en mode mad psychedelia avec «Time To Get Straight». Les Charlantans constituent une incroyable source de réserves naturelles, c’est-à-dire de psyché liquide avec une flûte et des Byrds. La B est nettement plus faiblarde. Tu ne sauves que «Wabash Cannonball», un boogie-down furieux et bardé de barda qui bat largement les Groovies à la course, avec notamment un solo qui relève de l’imparabilité des choses de la vie. Puis tu vois l’«Alabama Bound» virer free en fin de parcours. Les Charlatans t’embrouillent vite fait, ils ont le génie du mélange des genres. Somptueux.

Quand tu croises The Autumn Demos dans un bac, tu le ramasses vite fait, rien que pour la pochette. Le cow-boy Wilhelm y crève l’écran. En fait, il s’agit d’un mini-album quatre titres qui démarre sur «Baby Won’t You Tell Me», un heavy boogie doté d’un joli son de stand-up. S’ensuit le «The Blues Ain’t Nothing» du premier album, un boogie-down incroyablement bien balancé, avec un Wilhelm en tête de gondole et un son de charley à couper le souffle. C’est la section rythmique qui coordonne cette stupéfiante énergie foutraque de San Francisco. Ces mecs swinguent, comme les Groovies.

Playing In The Hall est en fait leur deuxième album, enregistré live en 1997 : George Hunter, Mike Wilhelm, Dan Hicks et Richard Olsen sont encore là, avec en plus Austin De Lone et Freddie Steady. Ils ressortent pour l’occasion leur big Americana charlatanesque de «Wabash Cannonball» et d’«East Virginia». Mike Wilhelm y gratte sa clairette du diable. On retrouve tous leurs vieux plans, la good time music de «32-20», la Stonesy de «By Hook Or Crook» bien gorgée de véracité, et un peu de son New Orleans («Steppin’ In Society» et «Now I Go Sailing By»). Mike Wilhelm tape une cover de «Folsom Prison Blues», suivi une version tentaculaire d’«Alabama Bound». Même si on connaît tout ça par cœur, on écoute passionnément.

On entre au paradis des compiles charlatanesques avec Alabama Bound, un Eva de 1983. On y retrouve l’«Alabama Bound» du premier album, un Bound dévoré de lèpres psychédéliques et monté sur un riff de basse insistant. Puis Wilhelm tape le «Codine» de Buffy Sainte-Marie et y place un solo d’écho magique. La petite gonzesse qu’on tend sur «Devil» et sur «Side Track» s’appelle Lynn Greene. Elle est assez magique et Wilhelm gratte des poux d’alerte rouge. Leur version de «By Hook Or Crook» dégage un vieux parfum de Stonesy, époque premier album. En B, ils tapent un vieux boogie de Robert Johnson, «33-20». Wilhelm descend vite fait au barbu.

On retrouve les 4 cuts enregistrés en 1965 pour Autumn sur la belle compile Big Beat The Amazing Charlatans : «Jack Of Diamonds» (fabuleux beat charlatanesque), «Baby Won’t You Tell Me» (signé John Hammond), «The Blues Ain’t Nothing» (heavy load) et «Number One» (heavy Californian Hell, en plein cœur de la magie charlatanesque). Puis t’as les Kama Sutra Sessions en 1966 : «Codine Blues» de Buffy Sainte-Marie - a classic tale of substance abuse - Mike Wilhelm dit qu’il y a joué son meilleur solo. Big heavy blues. Mais Kama Sutra n’ose pas sortir Codine et préfère «The Shadow Knows» des Coasters, plus boogaloo et chanté par Ferguson. En B-side du single Kama Sutra se trouve l’excellent «32-20 Blues», véritable coup de génie : Wilhelm dans toute la splendeur de son slide-power. Et puis voilà The Golden State Demo de 1967 avec «Alabama Bound» - nothing short of a masterpiece - Magnifique thème, symbole absolu de la récurrence charlatanesque - Don’t you leave me here - Herb Greene : «When they’d get it together on Alabama Bound, they’s bring the house down.» Et Palao affirme que «We’re Not On The Same Trip» «is perhaps their finest moment in the studio.» Véritable sommet de la Mad Psychedelia. Les Charlatans sont capables de tout. Sessions finales en 1968 : The Pacific High Sessions, avec «East Virginia», wild Americana d’I was born East Virginia et Mike Wilhelm part en vrille d’ultra-vrille. Wilhelm dit que c’est l’une des premières chansons du groupe, qui figurait sur la K7 envoyée au Red Dog Saloon. On se régale encore de «Devil Got My Man», «By Hook Or By Crook» (fantastique Stonesy de San Francisco), et «Long Come A Viper» (plus Dylanex).

Big Beat ressort en 2016 une compile des Charlatans, cette fois sur vinyle : The Limit Of The Marvelous. Pochette fabuleuse : les voilà tous les 5 sur le pont d’un voilier. On y va les yeux fermés, même si tout est déjà sur les albums précédents, la belle Americana d’«East Virginia Blues» et le solo fluide de Mike Wilhelm, tu retrouves aussi le thème obsédant d’«Alabama Bound», le shaking de swagger de «32-20», l’heavy charlatanisme bien traîné de la savate de «Codine Blues», la pure Stonesy de «By Hook Or By Crook», et t’as encore Lynne Hughes qui chante «Devil Got My Mind», superbe blues psychédélique, et puis alors cette faramineuse cerise sur le gâtö qu’est «Jack Of Diamond» et sa section rythmique incroyablement dynamique (Richard Olson & Dan Hicks), ce son dépenaillé, avec au mic, sans doute l’un des meilleurs chanteurs américains, le grand Mike Wilhelm.
Signé : Cazengler, charlatan
Charlatans. The Charlatans. Phillips 1969
Charlatans. Playing In The Hall. SteadyBoy Records 2015
Charlatans. The Autumn Demos. August 1965. Line Records 1982
Charlatans. Alabama Bound. Eva 1983
Charlatans. The Amazing Charlatans. Big Beat Records 1996
Charlatans. The Limit Of The Marvelous. Big Beat Records 2016
DANY LOGAN
1

1960
Dany Logan, je n’avais pas l’intention d’en parler. Danny Logan, bien sûr, ces pochettes avec ces poses crazy-dingues, pour l’époque, parce que maintenant, elles font sourire, un peu datées, quelques titres enfouis au plus profond de la mémoire, et puis c’est tout. N’ai jamais exploré sa discographie de près. Peut-être pas un épiphénomène du rock français, mais enfin il y a plus sérieux.
Et puis hier soir deux mots qui s’affichent sur l’écran, Radio-Andorre. Les souvenirs remontent en flèche, l’émission Special Blue Jeans, l’émission rock-yéyé de Jean de Bonis, enfin beaucoup plus yé-yé que rock. Pour Radio-Andorre, vous avez toute une série de longues vidéos qui racontent l’histoire de la radio de ses origines à sa fermeture. Hyper bien documentées. Très instructives. Une plongée sociologique dans les milieux d’affaires des années cinquante. Oui mais voilà justement qu’à côté du nom de la radio, je lis, la mention me mange les yeux Special Blue Jeans, le générique de l’émission, ah ! la voix veloutée de Jean de Bonis, interprété par les Fingers, leur meilleur morceau, je vous ai déjà causé des Fingers, un des meilleurs groupes instrumentaux des années soixante, tiens un truc qui zidouille, le nom de Dany Logan accolé au titre des Fingers. What is it ? Un hiatus qui coince. Une erreur lamentable ! Totalement d’accord cher Damie, mais là c’est toi qui cales. N’oublie pas que l’ignorance est le plus grand fléau de l’Humanité.
Bon d’accord, procédons avec ordre et méthode. Premièrement réécoutons le titre chéri des Fingers.
L’est sûr que le titre soufre d’un gros défaut : sa brièveté, ne tourne même pas à 120 secondes, bien au-dessous, mais cette guitare, quel must et ces fracassées de batterie, chapeau ! C’est sorti en 1963.
Passons à la version Dany Logan : un bon point : déjà plus longue, elle atteint les deux minutes. Ce ne sont pas les Fingers qui jouent. Le guitariste se débrouille bien, le batteur a des breaks qui sont plutôt des écueils que des brisants, mais l’ensemble taille son chemin tout en se tenant toutefois à un niveau au-dessous. Ce n’est pas tout-à-fait de leur faute, version chantée, faut laisser de la place à Dany Logan, l’a une grosse voix bien sonore, nous y reviendrons.
Je suis satisfait. J’ai colmaté une lacune, il se fait petit matin, allons dormir du sommeil du juste. Cette histoire est terminée. J’étais loin de me douer que j’étais au plus près de la vérité.
2
Tiens, une petite dernière, le coup de l’étrivière, avant de rejoindre les draps de Morphée, je ne savais pas que Dany Logan avait réenregistré un disque en 1984, jamais entendu parler, en tant que chroniqueur affûté je me dois de savoir. C’est alors que je m’aperçois de mon erreur, que la décence m’empêche de qualifier de fatale. Non Dany Logan, n’a pas enregistré en 1984, il a eu la mauvaise idée de casser sa pipe en bois selon l’expression du Cat Zengler. Une vidéo reprise d’une émission de télévision, sans image, elle commence bien, la folie des années soixante, l’insouciance, les concerts, l’argent, les filles, les voitures, l’a tout gaspillé, ne savait même pas qu’il existait des chèques… En 63 il quitte Les Pirates et entame une carrière en solo. Trois 45 tours et puis s’en vont. Aucun succès. Après c’est la galère, des petits emplois, des galas dans les supermarchés, le chômage, la dégringolade, has been un jour, has been toujours. Mauvaise idée il tombe malade, gravement. Séjours à l’hôpital… Il ne se plaint pas, il ne dit rien, il cache sa situation, par pudeur, par fierté. Plus personne ne se soucie de lui. Si une fille, elle s’appelle Michèle, qui l’a vu une fois sur scène, une fan, qui ne lui a pas parlé, mais qui depuis vingt ans est restée secrètement amoureuse de lui… Ils se marient le 4 Juin 1984, elle le sort de l’hôpital, ils connaîtront quatre jours de bonheur, pas un de plus, il est à bout de force, il ne touche plus le chômage, lui manque douze heures de cotisation. Depuis plusieurs mois il ne prend plus de médicaments, il n’a plus d’argent pour les acheter, l’administration est restée sourde à ses demandes...

Ce n'est pas une affiche mais une carte postale très en vogue dans les années 60
Qui se soucie de Dany Logan aujourd’hui. A part ceux qui ont connu de près ou de loin son époque, ou ceux qui, nés après lui,, ont mythifié sur cette période rock…Le temps a passé. Les générations n’ont plus les mêmes centres d’intérêt. Il n’a peut-être pas laissé de chefs d’œuvres inoubliables mais il fut une figure de la première génération des rockers français, lui rendre hommage est nécessaire.
DANY LOGAN
AVEC LES PIRATES

Nous sommes au bon endroit, au Golf Droutt, Daniel Deshailles aime à rencontrer Jean Veidly jeune artiste peintre qui vient souvent accompagné de Long Chris. Bonne connexion, ils connaissent déjà les Chaussettes Noires, grâce à Jean-Pierre Orfino qui a travaillé au Crédit Lyonnais avec Eddy Mitchell. Quoi de plus naturel que de former un groupe : Jean Veidly s’empare de la basse, Orfino, surnommé Hector, sera à la guitare rythmique vite rejoint par Jean-Pierre Malléjac à qui échoit le choix du roi la guitare solo, il quitte sa place d’employé dans un garage où il vend des Panhards (superbes voitures !) la batterie atterrira dans les pattes de Michel Ocks, Daniel Deshailles américanise son nom, Daniel devient Dany, Logan est le nom du personnage qui joue le rôle de Johnny Guitar dans le western éponyme.
Le groupe se retrouve sur Bel Air, label parallèle de Barclay. Sans doute ne faut-il pas faire trop d’ombre aux Chaussettes… Ils auraient pu s’appeler Les Laits Blancs puisque pour limiter les frais investis dans leur lacement, un contrat est passé avec le Syndicat des Producteurs de Lait, à l’identique des 5 Rocks rebaptisés en Chaussettes Noires après un accord signé avec les chaussettes Stemm… Beaucoup plus sérieux Léo Missir sera leur directeur artistique, il ne se débrouillera pas trop mal vu le raz-de-marée suscité en quelques mois par la formation. Plus anecdotique, nos jeunes artistes n’ont pas le permis de conduire, handicap pour les rendez-vous et les galas, Léo Missir confiera le rôle de chauffeur à une autre vedette qu’il promeut sur Bel Air : Lény Escudero…
LES PIRATES
Avec Dany Logan
(Septembre 1961)

Sur tous les disques le nom du chanteur se trouve inscrit pour ainsi dire en vedette américaine sous le blaze du groupe en énormes lettres majuscules. C’est ce qui s’appelle ne pas mettre les deux œufs dans le même panier. Les maisons de disques ont les dents longues et les yeux clairvoyants. Les groupes sont à la mode, mais ils ne dureront pas longtemps, le service militaire obligatoire les dissoudra à plus ou moins court terme, écrire le nom du chanteur en petit c’est déjà lui offrir une plus grande visibilité, d’autant plus que sur scène c’est le chanteur qui ravit les yeux des spectatrices…le groupe disparu on le relancera plus facilement…

Oublie Larry : ne manque pas de culot Dany pour adapter Hats Off to Larry de Del Shannon le chanteur aux vocalises trampolines, triche un peu car lorsque la voix s’envole, ce sont deux ou trois jeunes filles qui grimpent aux arbres à sa place, lui il se cantonne à imiter un peu les intonations du grand Schmoll, toutefois sur ce premier titre les Pirates ne font pas naufrage. Le jet : l’est manifestement plus à l’aise sur The Jet de Chubby Checker, les Pirates foncent sans se poser des problèmes métaphysiques, moins subtils que le groupe qui accompagne le roi du twist, mais terriblement efficace. Je bois du lait : Le titre incongru est à mettre en rapport avec le contrat signé, le lecteur qui voudrait en savoir plus sur l’appétence du groupe pour cette boisson biologique nous recommandons la lecture du dos de la pochette, certes dans la série même pas peur une adaptation de Jerry Lee Lewis, la voix de Dany occupe la première place de la vitrine sonore, dommage pour les Pirates qui donnent une meilleure prestation que leur chanteur, pour se faire remarquer sont obligés d’aboyer en chœur ce qui a pour effet malheureux de détourner l’attention de leur boulot. Tu mets le feu : oubliez Great Balls of Fire, ici ça sent la chaussette sale, ne vous pincez pas les oreilles, Ocks galvanisé vous envoie un knock out bien venu et tout le reste du groupe lui emboîte le galop. Indiscutablement le meilleur morceau du ce premier opus. Z’en ont quand même vendu cinq cent mille exemplaires. L’est sûr que l’époque manquait de rock.
LES PIRATES
Avec Dany Logan
(1961)

Une certaine similitude entre les deux pochettes, preuve que chez Bel Air l’on prend soin du groupe, l’on cherche à créer sinon une image, du moins une identité, des signes de reconnaissance qui donneront aux fans l’impression que leur groupe préféré se distingue des autres.
Ding dong et tchouga tchouga : on craint le pire, soyons franc Michel Ocks bouffe toute la moëlle de l’os. Sinon une chansonnette signée de Garvarentz nettement plus affuté lorsqu’il s’occupe d’Aznavour (et de quelques autres). Comme un fou : Jean Veidly emprunte en premier l’escalier qui monte jusqu’au trentième étage, musicalement c’est au point, le seul hic c’est la voix de Dany, trop pleine, pas assez souple, trop près de celle de l’Eddy Mitchell de l’époque qui lui saura progresser. Nous avons sans doute là l’explication de sa disparition la fulgurance des trois premières années des french sixties terminées. Cuttie pie (kioutie païe) : esprit chaussettes, faut savoir les user aussi vite que l’on tue les grands-frères, ne boudons pas, c’est bien balancé, extraverti, bien parti et bien arrivé. Mon petit ange : malgré le titre ce n’est pas un slow sirupeux mais un rock dévastateur, serait-ce une manie de mettre le meilleur titre sur la face 2, perfectum comme disait Jules César, l’on en oublie que c’est un groupe français.
*
Le succès est au rendez-vous, au-delà de toute espérance, coup sur coup Bel Air sort deux trente-trois tours, format d’époque : 25 centimètres.
SALUT LES AMIS
LES PIRATES
Avec Dany Logan
(1962)

Nous ne nous attarderons que sur la pochette. Elle tranche avec l’esthétique des deux 45. Cela permet d’accéder à une photo grand format du groupe, Dany en costume noir est au premier plan et au centre, le reste de la bande en leurs costumes bleu-clair nous semble quelque peu invisibilisé. La mention TWIST en lettres majuscules jaune pétant ne manque pas de sel lorsqu’au verso l’on s’aper9oit que seuls deux titres sont qualifiés de twist et sept autres de rock !
Les morceaux se retrouvent sur les trois premiers EP’s quatre titres du groupe : Oublie Larry / Cuttie Pie / Tu mets le feu / Je bois du lait / Twist twist baby / Dany / Je te dis merci / Comme un fou / Caroline / Le jet
MILK SHAKE PARTY
LES PIRATES
Avec Dany Logan
Faut bien honorer les contrats, sur la couve le groupe s’apprête à avaler un verre de poison, pardon de lait, au dos de la pochette pour la première fois l’on voit apparaître un bateau pirate. L’on se prend à regretter qu’ils n’aient pas davantage joué sur cette image. Nous ne commentons que les deux morceaux qui sont absents des 45 tours.

Milk Shake / Le Condamné : original, un soupçon de jazz, une pulsion gospel, une pincée du Crazy Beat de Gene Vincent, un véritable texte, un plaidoyer anarchisant sur la liberté de l’individu, une surprise, un résultat superbe et original. Sur ce morceau les Pirates et Dany préfigurent ce que fera Eddy Mitchell vers 1964… / Spring twist / Sur ma plage / P’tit Wap / L’A.B.C. du Madison / De tout mon cœur / Un jour sans toi : le slow qui tue ou du moins qui vous troue le cœur, on croirait entendre les Platters, Dany nous démontre qu’il sait domestiquer sa voix, qu’il n’est pas obligé de passer en force pour s’exprimer. / Le slow twist / Twist de Paris.
LES PIRATES
Avec Dany Logan
(Mars 1962)

Les EP’s des Pirates sont toujours accompagnés de 45 T simples destinés aux juke-boxes et aux radios. Celui-ci possède une particularité, la couve papier habituelle est remplacée par une véritable pochette avec photo. Elle déroge à la chartre graphique des deux premiers disques. Dany est au centre de la photo mais les Pirates l’entourent de près.
Twist de Paris : voir plus loin ce titre est repris sur un quatre titres résolument Twist ! Entre toi et moi : Encore une fois le meilleur sur la face B, ne doutent de rien, le Git it de Gene Vincent en français, qui aurait pu faire mieux en 1962 ? Guitares superbes !
LES PIRATES
Avec Dany Logan
(Mars 1962)

Attention, visez la partition, les pirates d’un côté, monopolisent soixante pour cent de la surface, mais sur la portion pas si congrue, Dany explose carrément. Rafle à lui tout seul toute l’image.
Dany : une surprise, un blues, modérons notre ardeur, un slow-blues, lorsque Dany ne se laisse pas entraîner par sa voix, il sait s’en servir. Agréable mais inutile de vous suicider si vous ne l’avez jamais entendu. Je te dis merci : encore Gene Vincent, oubliez la finesse du roi du rock et de It’s been nice, Dany fonce et force sur ses cordes vocales chaussé de pantoufles aquatiques et l’équipage derrière saborde leur propre navire à coups de canons. Twist twist baby : nous entrons dans l’ère du twist, c’est sympa, c’est facile à danser, s’amusent bien tous les cinq, sont en progrès même dans le studio il semble qu’ils aient enfin compris où il faut placer les micros. Sont tous en forme. Une mention spéciale pour les tambours c’est presque les timbales de l’Ocks du Rhin. Caroline : tiens, l’a une voix fluette, une bluette sans grand intérêt, même un peu idiote, heureusement qu’au milieu du morceau les Pirates montent à l’abordage le couteau entre les dents. Dommage qu’ensuite ils laissent la prisonnière en vie.
LES PIRATES
Avec Dany Logan
(Mars 1962)

Dany est derrière, devant Michel Ocks est assis derrière sa caisse claire. Il mérite la première place mais l’aurait pu rester debout. Manque le grain de folie qui fait la différence.
Twist de Paris : tiens pour une fois ils n’imitent pas Eddy mais Johnny, pour l’entrée, le problème c’est qu’ensuite l’on est pris pour des pigeons, Dany roucoule, l’on s’ennuie, heureusement que l’on a une guitare qui intervient à bon escient durant quinze secondes et sur la fin, un piano vole à notre secours. Spring twist : une petite leçon de twist, font tout ce qu’ils peuvent pour varier les plaisirs, rien à faire, que de l’attendu, sans doute pensent-ils être modernes, hélas ils sont déjà ringards. Oh ! donne-moi ton cœur : mauvaise passe, des chœurs féminins, Dany qui fait le joli cœur, les Pirates souquent mollement, pourtant les auditeurs n’ont pas l’air d’être sur une île paradisiaque. La route du twist : tiens un saxophone, on écoute le morceau rien que pour lui, un son rauque un solo verglacé, et les Pirates, et Dany, franchement quand ils sont passés on n’a pas levé le pouce pour les arrêter.

LES PIRATES
Avec Dany Logan
(Juin 1962)

Un bandeau en haut, Dany bras levés, jambes écartées, bouffe toute la place sur la photo, revétu d’un costume bleu pétrole un peu terne ;
Laissez-nous twister ‘’ Twistin’ the night away’’ : z’ont gardé le sax tire des bouffées dans son coin, mais il pose sa griffe sur tout le morceau, la version de Johnny colle davantage à celle de Sam Cooke, l’a misé sur la batterie et pas sur le sax, mais de tous les twists que des Pirates que nous avons entendus, c’est le meilleur. Cri de ma vie ‘’ Dream baby’’ : exercice de style pour Dany, doit chanter doucement, il y réussit parfaitement les Pirates ne font plus de bruit quand surviennent les chœurs féminins, encore une fois c’est Michel Ocks qui tire les marrons du feu, pas très violent. Le slow twist ‘’ slow twisting’’ : pas si lent que le titre le laisser présager, on marche sur des œufs d’autruche, cela nous émeu, les Pirates ne sont pas toutes voiles dehors, Dany mène la danse. Danse un twist ‘’ Dance along’’ : un twist parmi tant d’autres twist, breaks incessants de batterie, le saxophone s’en vient faire son numéro au milieu.
LES PIRATES
Avec Dany Logan
(Septembre 1962)

Dany devant, en costume noir, les autres en gris derrière, cette fois-ci la photo est prise de près.
Madison time (l’A. B. C. du Madison) : la mode change, le madison c’est comme le twist en plus relax, donc l’on s’ennuie davantage, manque la fougue, qu’est-ce qu’il nous fourgue ! Au moins à la fin du morceau l’on n’est pas fourbu. P’tit Wap : elle est partie, elle a eu raison, grâce à elle on a droit à un petit trot musical allègre, le titre type des années soixante. Bien fait, chacun à sa place, résultat maximum. Sur ma plage : inspiré par les Shadows, le chant de Dany Logan détestable sur des paroles peu inspirées, le groupe donne l’impression de tourner en rond. De tout mon cœur (The young ones) : un titre douçâtre, pas tout à fait un slow mais c’est peut-être pire, les Pirates se laissent flotter sur des eaux sans âme, sont en pleine mer des Sargasses.
LES PIRATES
Avec Dany Logan
(Novembre1962)

Pour le dernier 45 tours l’on s’inspire du code des premières pochettes. Dany devant s’est assis, il commence à être fatigué (moralement ?), derrière lui les Pirates bénéficient d’un piédestal. Pas trop haut, tout de même.
Le loco-motion : rock, twist, madison, voici la dernière locomotive, Dany arrondit sa voix, ça roule sans secousse ; le sax est là mais il ne se permet aucune secousse, ne faut pas fâcher les passagers. Dancin’ party (Comme l’été dernier) : encore l’inépuisable malle sans fond du twist, pas pire que les précédents, ni meilleur. Un bon point tout de même : sa brièveté. Sheila : de Tommy Roe dont le phrasé et l’accompagnement rappellent en plus mièvre Buddy Holly, Dany impulse un peu de peps dans le vocal, Ocks caracole gentiment, on eot aimé que Jean-Pierre Malléjac eût eu l’occasion d’un solo étincelant… Milk shake : un orgue pour faire mignon, faut dite que Dany essaie de draguer une toute jeune fille qui ne boit du lait, le morceau n’est pas sans évoquer Panne d’essence de Sylvie Vartan avec Frankie Jordan.
MANGER DU CHOCOLAT
Nous nous quitterons sur une dernière gourmandise, une publicité, le vocal de Dany est un peu bridé par les impératifs d’une prononciation relativement plate, par contre l’accompagnement des Pirates est de haut niveau. Peut-être même leur meilleur.
Les Pirates se séparent courant 1963, Jean-Pierre Maléjack est déjà sous les drapeaux, Dany a décidé de poursuivre en cavalier seul, Eddy Mitchell se détache irrésistiblement des Chaussettes, Dick Rivers a déjà entamé une carrière solo dès 1962… La séparation s’effectuera sans acrimonie. Le groupe a-t-il été un peu trop pressurisé durant l’année 1962, nous le pensons, n’ont pas eu le temps d’évoluer, le groupe rock est devenu un groupe de danse. L’on peut comprendre que le chanteur de la troisième formation rock du pays ait jugé qu’il ait pu faire comme ses deux principaux ‘’rivaux’’. Dans une interview Jean Veidly rapporte quelques informations intéressantes, Dany est tombé dans le chaudron du rock, l’a suivi les circonstances, l’aimait bien le rock mais ce n’était pas vraiment son truc, son modèle à lui, c’était … Sacha Distel ! L’on pense à Olivier Despax, son côté beau garçon relax, qui lui aussi a disparu bien trop tôt.
Dany Logan manifestait le désir d’être accompagné d’un grand orchestre, à la même époque Dick Rivers réclamait des violons, l’est sûr que la formation basse+guitares+batterie ne permet pas de grandes envolées… un peu monotone pour le grand public, elle ne peut subsister que si elle parvient à regrouper autour d’elle un nombre suffisant d’amateurs, de connaisseurs, de fans fidèles, ce qui n’était guère possible en France à cette époque. L’effet de surprise passé, les foules sont comme Baudelaire, elles veulent du nouveau. Mais elles ne recherchent ni l’Enfer, ni le Paradis…
DANY LOGAN
Et l’Orchestre de Jean Bouchety
(Mars 1963)

La pochette n’est pas sans évoquer les premières couves des pirates. Au dos : un bel imper, une photo extraite du film ( voir plus loin), Dany est relégué à l’arrière-plan pratiquement invisibilisé par la troïka des têtes d’affiche…

Donne tes seize ans : tiens des violons (pas très violents), quelle surprise, une bluette signée Aznavour-Garvarentz, c’est mignon tout plein, aussi insipide qu’un verre de grenadine dans lequel on aurait retiré la grenadine. Une seule originalité : le son tranche d’avec la niaque des Pirates. Chouette choc chérie : un rock certes, à l’origine une scène de film Du mouron pour les petits oiseaux de Marcel Carmé, sans doute Dany a-t-il envisagé à une reconversion cinéma à la Elvis Presley, mais il n’est pas la vedette, le morceau (Aznavour-Garvarentz) ne serait pas mal, un sax aux abois, un piano qui rigole, mais il manque l’essentiel, l’énergie ! Même Dany se retient de chanter, un peu comme quand vous mettiez les patins pour ne pas rayer le parquet chez votre grand-mère. Le titre était prometteur, hélas le choc ne s’est pas produit. Dis-lui : encore des violons, suite logique du premier titre, chant gentillet, chœurs féminins apaisants, lyrics à l’eau de rose. Qu’en a pensé le producteur Bert Russel à l’origine du morceau. Vous… les filles : évidemment quand on lit le titre aujourd’hui on pense à Vous les femmes de Julio Iglesias, pas vraiment la meilleure introduction, toujours des violons sautillants mais ils ont les mis en arrière et posé la voix de Dany devant, ce qui tout de suite donne un meilleur résultat. Pas de panique : rien de prodigieux.

Scopitone : Donne tes seize ans
Quand on compare avec Baby John sur le premier 45 tours de Dick Rivers sans Les Chats Sauvages, l’on perçoit la différence de visée…
DANY LOGAN
Et l’Orchestre de Paul Mauriat
(Juillet 1963)
Couve plein visage. Fini les couves acrobatiques, un jeune homme bien trop lisse, style gendre idéal…

Le soleil de l’été : reprise Summertime Blues d’Eddie Cochran, un bon point, une reprise honnête avec, trois fois hélas, un gros défaut, l’interprétation manque de mordant. L’on regrette les Pirates… Mon cœur à Juan-les-Pins : une infâme bluette… profitons-en pour signaler la présence de beaucoup d’images, émissions télé, scènes de film, scopitones, noir et blanc et couleur qui accompagnent tant les morceaux des Pirates que ceux de Dany solo… tous ces chefs-d’oeuvre impérissables ont mal vieilli, dans l’ensemble ils ont pris un terrible coup de désuétude. Pas de chance : même style que la chansonnette précédente, insignifiance absolue. Special Blue Jeans : le meilleur morceau de cet avant-dernier EP. Un disque un peu étrange, deux rocks qui encadrent deux variétoches, Dany Boy coupe la poire en deux, un adieu à une époque qu’il veut révolue, un regard incertain vers un futur dont les contours ne sont même pas esquissés.

DANY LOGAN
Et l’Orchestre de Jean Bouchety
(Mais 1964)
Une pochette bien sombre pour un playboy, que l’on ne peut s’empêcher de juger prémonitoire…

Qu’en fais-tu : un petit rock sautillant sans envergure. L’orchestre fait l’impossible pour tromper votre lassitude mais il n’est pas dans le coup. Nous n’avions que seize ans : ce coup-ci les musicos réussissent presque, proposent une orchestration originale, Dany nous la joue nostalgie mélodramatique, une certaine réussite en le sens où le sixty early french sound est préservé tout en essayant de se projeter vers un ailleurs inconnu. Elles viennent : un original de Léo Missir et de Daniel Deshayes, c’est par son nom que Dany signait ses morceaux, tout au long de sa carrière l’on retrouve sa signature tant sur les adaptations que sur les créations. Un aspect de Dany rarement mis en valeur. Y a que toi : quelle ringardise ! un vocal pâlichon et une orchestration un peu n’importe quoi. Dommage de se quitter sur n’importe quoi…
Dany Boy n’a pas été oublié. Depuis les années 80, les rééditions s’enchaînent. Sans doute faudrait-il passer en revue la petite trentaine de vidéos qui ont accompagné la sortie de ses disques. L’avait tout pour plaire, un superbe garçon, une voix, du charme… s’est-il découragé trop tôt… Il s’est battu jusqu’au bout… Nous saluons en lui un des pionniers français, il n’a vraisemblable pas fait tout ce qu’il a voulu, mais sûrement tout ce qu’il a pu. C’est déjà beaucoup.

Damie Chad.



















































































































































