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CHRONIQUES DE POURPRE

  • CHRONIQUES DE POURPRE 715 : KR'TNT ! 715 : VALERIE JUNE / LUKE HAINES / JOUJOUKA / M WARD / CHARLATANS / LES PIRATES AVEC DANY LOGAN

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 715

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    18 / 12 / 2025

     

    VALERIE JUNE / LUKE HAINES  

    JOUJOUKA / M WARD / CHARLATANS

    LES PIRATES AVEC DANY LOGAN

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 715

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

     - Moon in June

    (Part Two)

             L’avenir du rock survolait la jungle du Congo à bord de son petit bi-moteur, quand soudain, il entendit le moteur de gauche s’étrangler. Rrrrcrrrrrrhhh. Il tenta de redresser l’avion. Zpffffff ! En vain. L’engin piqua droit dans la jungle. Pffffuuiiiiiihhh ! Pas le temps de recommander son âme à Dieu. De toute façon, il n’en avait pas. Scrrrrratch-bhammmm ! Allez hop à dégager. La nuit était tombée lorsqu’il reprit ses esprits : un gros serpent cherchait à entrer dans sa bouche restée ouverte. Arrrrhhhhhhhh ! Fou de dégoût et de rage, il l’arracha de sa bouche, schhhhplop!, et le jeta au loin. Splishhhh ! Il faisait nuit. L’avion s’était encastré dans un baobab et le cockpit avait explosé. Il bougea les bras et les jambes pour checker les dégâts. Apparemment, il n’avait rien de cassé. Il se félicita : «Gros veinard !». La jungle semblait devenue folle. Tous les animaux criaient et chantaient. Crrrouahhhhh crouahhhhhh ! Il décida d’attendre le lever du soleil pour quitter l’épave. Il se doutait bien que tous les prédateurs de la jungle cherchaient un casse-croûte. Valait mieux rester prudent. Il sortit de l’épave au petit jour et se demanda où il allait pouvoir prendre un café. Comme il ne savait pas se servir de sa boussole, il partit dans une direction qui lui sembla être la bonne. Il n’avait pas non plus de machette pour singer ces gros frimeurs d’explorateurs, alors il brisait les branches à coups de karaté. Il tomba nez à nez avec un tigre du Bengale qui semblait aussi paumé que lui. Visiblement le tigre cherchait la direction du Bengale, alors l’avenir du rock lui fit signe : «Bengale ! This way !». Le tigre grogna, rrrrrrhhhhhh !, hocha la tête en guise de remerciement et s’enfonça dans les fourrés. Un peu plus tard, l’avenir du rock tomba nez à nez avec King Kong qui semblait encore plus paumé que le tigre du Bengale. Visiblement, il cherchait la direction de New York. L’avenir du rock lui fit signe : «New York ! This way !» King Kong gronda, rrrroarrrrhhhhh !, hocha la tête et partit dans la direction indiquée. Toutes ces rencontres lui mirent au baume au cœur. Il trouvait la jungle plutôt sympa. Il arriva au bord d’un petit cours d’eau et les crocodiles lui firent un petit signe amical : «Hello !», mais l’avenir du rock s’en méfiait quand même. Puis il vit arriver au bout d’une liane un gros m’as-tu vu en maillot de bain panthère. «Qu’est-ce que c’est que ce frimeur ?» se demanda l’avenir du rock. L’OVNI se posa souplement à quelques mètres et lança d’une voix de stentor :

             — Moi Tarzan !

             À quoi l’avenir du rock rétorqua :

             — Moi June !

     

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             L’avenir du rock parle bien sûr de Valerie June. Pour parvenir à ses fins, il fallait bien qu’il s’écrase dans la jungle.

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             Si t’aimes bien tomber de ta chaise et t’écraser sur ton parquet, alors écoute le nouvel album de Valerie June, Owls Omens And Oracles. Ça démarre sur une pure merveille de flash-out, «Joy Joy» - Joy joy in your soul - Et t’as les poux du rock. Il s’appelle M Ward ! Puis Valerie fait les Ronettes avec «All I Really Wanna Do». Elle tape en plein dans l’extrême power des Ronettes. Tu te pinces car tu crois rêver. Un certain M Ward signe la prod. Et ça continue avec «Endless Tree». T’es frappé par l’extraordinaire power de la clameur. Quand Valerie chante «Trust The Path», tu lui fais confiance - You gotta trust the path - et elle fait sa Fatsy avec «Love Me Any Ole Way», suivie par une trompette. T’as toute l’énergie de Fats Domino et ça claque des mains dans les profondeurs du Big Easy. C’est exceptionnel de génie productiviste ! Elle a derrière elle les Blind Boys Of Alabama sur «Changed», et elle y refait sa Ronette. Puis elle tape «My Life Is A Country Song» au plus haut niveau d’accent tranchant. Elle s’appelle Valerie June. Memphis girl.

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             Laura Barton la salue bien bas dans Uncut. Valerie June n’est pas une oie blanche : 43 balais et déjà 20 ans de carrière under the belt. Elle a bossé avec Booker T. Jones, Carla Thomas, Mavis Staples et bien sûr l’inévitable Dan Auerbach qui, comme Bono, ramène sa fraise partout, même quand on ne l’a pas sonné. Œil-de-lynx Barton voit dans June in Moon du blues, du gospel, de l’Appalachian folk with a touch of soul and Americana and R&B. Hé ben dis donc ! Ça va beaucoup plus loin, ma pauvre Barton. Moon In June a du génie. Elle est agaçante, cette journaliste : elle essaye de nous faire passer Moon In June pour une positiviste végan parce qu’elles se rencontrent dans un restaurant végan new-yorkais. Fuck it ! Le son de Moon in June n’a rien à voir avec le végan new-yorkais.

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             M Ward se dit fasciné par la voix de Moon in June - A very fearless singer, a very fearless songwriter - Elle se dit prête pour partir à la conquête de l’Asie Mineure. Quelques éléments autobiographiques épicent un peu l’article : à ses débuts, Moon in June apprend à jouer de la guitare, du banjo, du lap-steel, et dans les festivals, elle rencontre ses blues heroes, David Belfour et T-Model Ford. Elle étudie les voix de ses héroïnes : Jessie Mae Hemphill, Elizabeth Cotton et Ma Rainey. Elle se dit aussi attirée par le dark singer-songwriter stuff, Elliott Smith, Townes Van Zandt et Leonard Cohen. Elle rencontre George Clinton à Cuba et Mavis Staple lui demande une chanson positive pour son album Livin’ On A High Note, produit par M Ward. Elle est aussi en contact avec Carla Thomas qu’on entend sur The Moon And Stars. Moon In June l’avait invitée au Royal Studio de Boo Mitchell, à Memphis, et elles ont enregistré ensemble «Call Me A Fool».

             Si Moon in June et M Ward s’entendent si bien, c’est que sa voix à elle et sa prod à lui ont une «similar out-of-time quality». Bien vu, Barton ! Ils ont quand même fait venir Norah Jones et les Blind Boys Of Alabama. C’est pas rien.  

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             Et toi, elle te fait venir au New Morning. Alors c’est sûr, t’auras pas la prod d’M Ward, mais t’auras la pulpe de June. On lui a installé des fleurs sur scène, deux grattes et deux banjos dont un baby banjo. Et Valerie arrive dans une robe en lamé et des fleurs dans les cheveux. Elle installe vite fait sa magie. Elle communique énormément avec son public. Les gens qui sont là sont tous des fans, ça s’entend. Quand elle claque des doigts, ils claquent des doigts. Quand elle demande un ouh-ouh, elle a un ouh-ouh tellement beau qu’elle en pleure d’émotion. Et quand elle attaque «All I Really Want To Do» à la voix perchée, t’es ravagé par des bataillons de frissons. Elle chante avec le feeling le plus perçant d’Amérique, depuis celui de Billie Holiday. Elle n’a pas le son des Ronettes mais elle a tout le feeling de Ronnie.

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    C’est hallucinant de qualité, même chose avec le «Joy Joy» qui suit, elle t’embarque et tu tournicotes dans son merry-go-round, elle  rajoute des fins poignantes qui te traversent de part en part, elle tape tous les cuts d’ Owls Omens And Oracles en version stripped-down et ça t’en bouche coin après coin, tu savoures le privilège d’assister au récital de cette immense superstar. Même dépouillé de la prod d’M, «I Am In Love» berce ton cœur de langueurs monotones, les vraies, celles de Verlaine, pas les langueurs à la mormoille. Valerie est trop puissante pour ta petite cervelle, elle est la réincarnation de Billie Holiday, pas de doute, elle module ses syllabes avec le même mouillé de ton, le même génie intimiste. Et puis elle attrape sa Guild pour gratter le «Shakedown» de Memphis et là elle te ramène tout le North Mississsippi Hill Country Blues, via l’Afrique de Junior Kimbrough et des frères Dickinson. Là t’as tout, le rock, le blues, l’Afrique, les roots, la magie, le voodoo et elle gratte tout

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    ce qu’elle peut en accords ouverts et ça bascule dans la folie. Elle attrape ensuite son baby banjo pour taper une version poignante de «What A Wonderful World», en rappelant que les blackos d’Amérique ont passé un sale moment dans les pattes des blancs. Cette diablesse te broie le cœur à chaque instant, ce qui rend le set éprouvant. Depuis Louis Armstrong et Joey Ramone, on n’avait pas entendu une version aussi pure, aussi lumineuse de ce Wonderful World. Puis elle va rendre hommage à Lightning Hopkins avec «Life I Used To Live». C’est le grand retour au point de départ, là où le rock prend sa source, dans le monde magique des fils d’esclaves. Il se pourrait bien que Valerie June soit la nouvelle reine des Amériques, car si tu l’as vue rocker le boat avec son «Life I Used To Live», tu n’as plus aucun doute. Elle fait

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    même déraper ses syllabes dans les virages. Elle se paye encore un quart d’heure de folie avec le vieux «Roll & Tumble Blues», puis avec un nouveau shoot de wild rumble, «Workin’ Woman Blues». Elle vise l’hypno de North Mississippi Hill Country Blues, elle reprend la suite de Tav Falco et de Mississippi Fred McDowell. En rappel, elle fait chanter la salle sur «Somebody To Love» et deux cuts plus tard tu te retrouves dans la rue des Petites Écuries complètement sonné. 

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             Valerie June fait aussi la couve d’un récent numéro de Soul Bag. Dans l’interview, elle évoque (trop) brièvement M Ward qu’elle a fini par rencontrer au Newport Folk Festival. Elle rappelle aussi qu’M a produit un album de Mavis Staples, High Note. Dommage qu’elle ne parle pas davantage d’M Ward. C’est quand même lui le sorcier du son, sur Owls Omens And Oracles. Et les questions ne sont pas bonnes, trop à l’eau de rose, axées sur le positivisme dont on se contrefout, alors que Valerie chante Lightning Hopkins. C’était l’occasion rêvée d’évoquer la scène de Memphis. Et ça téléramate ! Quel gâchis ! Valerie termine en saluant quelques contemporains, Gary Clark Jr., Buffalo Nichols, Joanna Newson, Sunny War, et Grace Bowers de Nashville. Elle dit que la relève est assurée. 

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             Dans l’interview, elle évoque son mini-album de covers, Under Cover. Bizarrement, elle n’y tape que des cuts de blancs, à commencer par le «Pink Moon» de Nick Drake. C’est pas si bon. Elle perd ses roots. Puis elle tape dans le «Fade Into You» de Mazzy Star et elle fait sa Hope en ramenant son sucre, mais on préfère Hope. Ça devient plus intéressant avec l’«Imagine» de John Lennon, mais là ça sonne comme une tarte à la crème, même si la compo est magique. Valerie June lui donne de l’impulsion, c’est le moins qu’elle puisse faire. Ses accents sont poignants de véracité, mais on préfère la version originale. Elle fait ensuite sonner le «Don’t It Make You Want To Go Home» de Joe South, elle y injecte un gros shoot de feeling, et là ça prend du sens. Elle s’en va ensuite piquer sa petite crise Dylanesque avec «Tonight I’ll Be Staying Here With You». Elle tape ça d’une voix perçante, c’est heavily orchestré, avec de la slide à outrance, et ça sent bon le coup de génie. Elle termine an transformant l’«Into My Arms» de Nick Cave en Beautiful Song.

    Signé : Cazengler, Valériz complet

    Valerie June. Le New Morning. Paris Xe. 30 novembre 2025

    Valerie June. Owls Omens And Oracles. Concord Records 2025

    Valerie June. Under Cover. Fantasy 2022

    Laura Barton : Sister of the moon. Uncut # 337 - April 2025

    Ulrick Parfum : Valerie June. Soul Bag # 259 - Juillet août septembre 2025

     

     

    L’avenir du rock

     - Luke la main froide

     (Part Seven)

             L’avenir du rock est de retour dans l’hiver du Colorado pour une semaine de vacances bien méritées. Il avance en chantonnant, pom pom pom, respirant à pleins poumons le bon air frais. Ah tiens, voilà un cavalier ! Sa silhouette se dessine au loin. Au moins, c’est pas un Crow. Il porte un chapeau. Il approche rapidement. C’est un blanc. Pas très beau. Même assez laid. Un gras du bide dans un costard d’un blanc douteux et tout fripé. Mieux vaut pas savoir ce que sont toutes ces taches. Et comme de bien entendu, il a une bonne cinquantaine de flèches plantées dans le dos. L’avenir du rock lui fait le salut indien en levant la main droite :

             — Ugh !

             Le gros crache un long jet de chique et descend de cheval. Les flèches plantées dans son dos cliquettent entre elles et font un sacré raffut. Comme l’avenir du rock n’aime pas les escrocs, il interpelle le gros vertement :

             — Si vous essayez de vous faire passer pour Jeremiah Johnson, c’est complètement raté, gros con ! Au moins Jeremiah Johnson, il est beau, il est magnifique, il fait plaisir à regarder, ce qui est loin d’être votre cas, gros lard ! Dégoûtant personnage ! Honte de l’humanité !

             Le gros se tourne vers l’avenir du rock et lance d’un ton bluesy :

             — I’m going down to the river to blow my mind !

             L’avenir du rock ne comprend pas où ce gros lard veut en venir.

             — Quelle rivière ? Ya pas d’rivière dans l’coin !

             Le gros sort de sa sacoche des tupperwares et s’assoit dans la neige. Il étale une grande nappe à carreaux et sort une palanquée d’œufs durs qu’il compte un par un. Ça n’en finit pas ! Soixante ! Et il commence à les gober méthodiquement un par un. Excédé, l’avenir du rock lance d’un ton perfide :

             — Ah ouais, c’est ça ! Vous connaissez tous les rôles par cœur ! Maintenant vous me faites le coup de Luke la main froide ! Mais Paul Newman est bien plus beau que vous, gros con !

             Entre deux œufs, le gros rétorque :

             — Je suis Luke la main froide !

     

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             Luke la main froide n’est pas beau, c’est vrai, mais il est assez génial. Il te met encore la main au colbac avec un album absolument magistral : Going Down To The River To Blow My Mind. T’y peux rien, c’est comme ça. Elle n’est pas belle la main froide, mais diable comme elle est brillante. En plus de son copain Buck, il a Linda Pitmon au beurre. C’est la copine du Wynner. Tu tombes vite de ta chaise avec le morceau titre, attaqué à la vieille alerte rouge. Ils mettent le feu au cut, c’est gratté dans l’urgence de la démence, la main froide veut absolument se blower le mind et ça marche au-delà de toute expectitude. La main froide a toujours dans la voix ses vieux échos d’Auteur. Elle chauffe encore bien l’hot stuff d’«Hot Artists» à coups de push the ladder et ça dégénère encore avec l’imparable «56 Nervous Breakdowns». Ils ont du son à gogo et des clap-hands. La main froide mène la grande vie. Ça sonne comme un hit bien enroulé de rock anglais. Encore de la fantastique énergie sous-tendue dans «Sufi Devotional». Elle chante en sourdine, la main froide, et derrière t’as une énorme machine. On se croirait sur le premier album des Auteurs avec «Children Of The Air». Puis avec «Nuclear War», ils passent sans prévenir en mode heavy gaga insistant. La main froide chante cette merveille éhontée sur un ton confidentiel. Il faut bien comprendre que Luke la main froide est l’un des héros de rock anglais, au même titre que Lawrence, Big Billy et le Ginge. Linda Pitmon tape bien la cloche de «Me & The Octopus». C’est une vraie mère tape-dur. Ah la garce, il faut la voir cogner ! Cet album est l’un des plus excitants de l’année. T’es collé au mur en permanence. Back on the saddle again avec «Radical Bookshop Now». La mère tape-dure reprend du service. Et le cut sonne comme un hit. La main froide fait venir Morgan Fisher sur «Special Guest Appearance». Le vieux Mott essaye de faire du Mott à coups de who-oh-oh.

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             T’as énormément d’énergie sur cet album, ce mix de Buck et de main froide te percute l’hallali, ils s’arrangent pour te balancer des cuts tous plus excitants les uns que les autres. La main froide se cale toujours dans l’entre-deux des Who et des Stones, mais il sait aussi couler des bronzes de groove comme «Sufi Devotional». Elle sait aussi rocker un boat à l’anglaise, comme le montre «Nuclear War», cette petite merveille de rock action. Ils développent un son faramineux qu’on croyait perdu, mais heureusement, la main froide veille toujours au grain.

    Signé : Cazengler, Lancelot du Luke

    Luke Haines & Peter Buck. Going Down To The River To Blow My Mind. Cherry Red Records 2025

     

     

    Faut pas faire joujou avec Joujouka

    - Part Two

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             Dans Blues & Chaos: The Music Writing Of Robert Palmer : Dancing In Your Head, Robert Palmer consacre un texte majeur à Jajouka, un village marocain situé à environ 100 bornes au Sud de Tanger, et à Bou Jeloud, la réincarnation du dieu Pan. Palmer y cite deux ouvrages en référence : celui de Stephen Davis, paru en 1993, Jajouka Rolling Stone: A Fable Of Gods And Heroes, et celui de Michelle Green, paru en 1991, The Dream At The End Of The World: Paul Bowles & The Litterary Renegades In Tangier. On s’est penché la semaine dernière sur le premier. Penchons-nous aujourd’hui sur le second.

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             The Dream At The End Of The World est un rock book, au même titre que Jajouka Rolling Stone. Michelle Green ne fait allusion aux Rolling  Stones qu’une seule fois, vers la fin de son récit, mais ce n’est pas son propos : elle nous éclaire sur trois des pionniers qui ont précédé Brian Jones à Tanger : Paul Bowles, Brion Gysin et William Burroughs. Et le plus rock des trois est bien sûr William Burroughs. La culture rock plonge ses racines dans l’histoire littéraire.

             Michelle Green est extraordinairement bien documentée. Elle est parvenue à reconstituer l’atmosphère de cette ville marocaine qui fut pendant trente ans, des années 30 aux années 60, le refuge et le paradis de ceux qu’on appelait alors les ‘dépravés’, c’est-à-dire les amateurs de jeunes garçons et de paradis artificiels. Michelle Green les appelle ‘les renégats’. Pour eux, «the International Zone of Tangier was an enigmatic, exotic and deliciously depraved version of Eden.» Elle précise encore : «European émigrés found a haven where homosexuality was accepted, drugs were readily available and eccentricity was a social asset.» Tu ne peux pas rêver ville plus littéraire.

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             Ce gros book avoisine les 400 pages. À voir la tranche, on voit que les pages ont été coupées. Publié en 1991, l’objet sent bon le vécu. La jaquette s’orne d’un beau portrait de Paul Bowles. C’est lui le pionnier. Il fonctionne comme un aimant. Il attire tous les autres : Truman capote, Tennessee Williams, William Burroughs, Brion Gysin, Allen Ginsberg, et Jack Kerouac, quasiment tout le mouvement Beat américain.

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             Michelle Green va faire un hallucinant focus sur Burroughs qu’on surnomme «El Hombre Invisible», l’homme qui «stick a needle every hour in the fibrous gray wooden flesh of terminal addiction», mais qui écrit aussi Naked Lunch et Super Nova. Burroughs ne vit que de «kif and hash and opiates like Eukodyl», que les pharmaciens délivrent sans ordonnance. Michelle Green précise encore que seuls les forts caractères pouvaient survivre dans ce moral chaos. Les gens ne sont à Tanger que pour «explorer la vie à l’extérieur des frontières de la civilisation et des conventions sociales, et même de la moralité.»

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             Paul Bowles écrit The Sheltering Sky alors qu’il traverse le Sahara. Michelle Green voit ce texte comme une collaboration entre Albert Camus et Edgar Allan Poe, les deux auteurs que Bowles admire. Elle parle d’un mélange de désespoir existentiel et de glamour, et pour ses lecteurs, Bowles devient un oracle. Il dit avoir consommé du majoun (a potent cannabis jam) pour l’écrire - les romantiques virent Bowles comme un latter-day Coleridge - et les hipsters le savaient en lien avec une autre icône, William Burroughs. Voilà, le décor est planté.

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    Jane and Paul Bowles

             Bowles et à la fois musicien et écrivain. Il a pour mentors Gertrude Stein et Aaron Copland, qu’il rencontre à Paris en 1931. Il profite de ce voyage pour rencontrer Gertrude Stein, Jean Cocteau, André Gide et Ezra Pound. À 34 ans, il compose un opéra surréaliste, The Wind Remains. Il traduit l’Huis Clos de Sartre en anglais, et à 37 ans, ce New-Yorkais décide de partir à la recherche d’un new creative terrain, en compagnie de sa femme, Jane Bowles, qui est elle-même écrivaine. Comme ils n’ont plus d’attirance l’un pour l’autre, ils se lancent dans des relations homosexuelles. Paul reste discret, mais Jane s’exhibe. C’est une excentrique new-yorkaise. Paul ne cache pas son admiration pour Jane : «Her mind could have been invented by Kafka.» Ils ne sont pas encore très connus, à cette époque, mais ils sont «famous among the famous.»

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    Paul Bowles

             Paul Bowles subit son premier grand choc culturel avec la découverte de Fez, qui est restée une ville du moyen-âge - Everything is ten times stranger and bigger and brighter - Il dit avoir quitté le monde. Il consomme de l’opium et assiste aux «frenzied rites of religious brotherhoods.» Puis il découvre le Sahara, «where the sky had a life of its own», et ce ciel sera la base de The Sheltering Sky. Paul Bowles voyage en quête d’inspiration. Et pour ça, le Maroc et l’Algérie sont les meilleurs endroits du monde. Pendant l’hiver 1933, il voyage inlassablement, dans les bus bondés ou à dos de chameau - He found North Africa to be populated by the most extraordinary people he had ever known - Le kif, le majoun et le hash assouplissent encore la nature de cette réalité. Il voit l’envers du miroir. Pour écrire la scène de la mort de Port, dans The Sheltering Sky, Paul s’achète dans la médina «a large chunk of majoun», pour dix pesetas. «It was the cheapest kind». Il monte sur une colline et s’installe sur un rocher. Il teste et soudain le majoun kicke - The effect came upon me suddenly, and I lay absolutely still, feeling myself being lifted, rising to meet the sun. Then I felt that I had risen so far above the rock that I was afraid to open my eyes. In another hour, my mind was behaving in a fashion I should never have imagined possible - Norman Mailer va saluer la parution du Shetering Sky : «Paul Bowles opened the world of Hip. He let the murder, the drugs, the incest, the death of the Square, the call of orgy, the end of civilization.» Michelle Green ajoute que personne ne pouvait nier sa «dark vision». Bowles «had created a world where hope was moribund and life was lived in extremis.»

             Bowles se régale intellectuellement de Tanger - To a writer imbued with a finely developped appreciation for the absurd, Tangier was paradise - Son but avoué est d’échapper à la «Western civilization». Quand il amène son protégé Ahmed à New York, celui-ci décide que cette ville «was a vast illusion created by evil djinns». Et quand une blanche ose dire à Ahmed qu’il est cinglé, celui-ci la gifle et la traite de chameau - he called her «a camel»

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             Et voilà que débarque Truman Capote, devenu célèbre en 1948, avec son premier roman Other Voices Other Rooms. Il n’a que 24 ans. On le fête à Paris. Michelle Green cite Colette, Dior, Cocteau, Camus, Noël Coward, Somerset Maugham, Nathalie Barney et Alice B. Toklas parmi ses admirateurs. Mais à Tanger, personne ne le connaît et ça le déprime. Paul Bowles garde ses distances avec Capote - He was terribly supercifial and amusing and not the sort of person you’d pick to be a good friend - Capote explique à ses interlocuteurs qu’il a déjà tous ses futurs livres en tête. Bowles : «They were all there in his head, like baby crocodiles, waiting to be hatched.» Capote ne tiendra pas longtemps à Tanger. Il va vite regagner l’Europe et mettre les gens en garde contre cette ville : «Tangier is a basin that holds you.» Bowles par contre s’y trouve très bien.

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             Il expérimente les drogues. Il cherche surtout à explorer l’inconscient. Il avait testé les drogues lors d’un séjour au Mexique. Il sait que le majoun demande une totale soumission, et que le kif «put a spin in reality», ce qui facilite l’accès à la fiction. Un proverbe arabe dit que de fumer une pipe de kif avant le breakfast donne à l’homme la force de cent chameaux in the courtyard.  Bowles reprendra l’expression pour en faire le titre d’un livre : A Hundred Camels In The Coutyard. Les Marocains qui fument du kif sont de fabuleux conteurs et Bowles enregistre ses protégés pour en faire des livres. Michelle Green ajoute : «Cannabis only exagerated Paul’s well-developped sense of detachment, and he seemed unreachable when he was under its influence.» Quand Timothy Leary débarque à Tanger, il amène ses champignons, sous forme de pilules de psilocybine. Burroughs s’intéresse aux champignons de Leary, et aux effets qu’ils provoquent sur la cervelle. Leary prétend que la psilocybine peut supplanter la poésie en amenant de l’aesthetic pleasure more efficiently, Leary affirme que les mots et les images sont dépassés, il annonce une nouvelle ère, l’ère de la superconciousness qui va rendre l’artiste obsolète. Burroughs est d’accord, car il affirme que la poésie est «finished», alors la théorie de Leary résonne bien en lui - Leary’s notions about subverting the ego made perfect sense - À travers leurs expérimentations avec les drogues, tous ces mecs font de la recherche. C’est ce qu’il faut comprendre.

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             Paul Bowles a déjà étudié le rôle du cannabis dans la société africaine. Il révèle qu’en hiver, une famille marocaine passera une soirée hashish, le père, la mère, les enfants et les proches dégusteront le majoun et raconteront des histoires pendant des heures, il y aura des chants, des danses et des rires, dans la plus parfaite intimité. C’est toujours mieux que de regarder des conneries à la télé. Paul Bowles va devenir en quelque sorte l’apôtre de cette culture. Il publie en 1962 A Hundred Camels In The Courtyard. Il devient une sorte de gourou, même s’il paraît anachronique au moment où Tom Wolfe et Norman Mailer deviennent des stars littéraires aux États-Unis.

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    Brian Gysin à l'hôpital de Tanger

             Bowles se fond bien dans le mythe de Tanger - Life is so easy here, so cheap and the climate is marvellous. If you’re going to go to hell, you can do it more cheaply and more pleasantly than in Greenwich Village - Bowles enfonce son clou : «The only way to live in Morocco now is to remember constantly that the world outside is still more repulsive.» Toujours cette haine de la Western civilization. Il s’isole de plus en plus - Each decade I know fewer people. By 1980, life will be perfect - Quand il repart en voyage à Ceylan, par exemple, c’est Brion Gysin qui prend le rôle de ringmaster. Il reçoit par exemple des Rolling Stones, et quand Bowles rentre de voyage, Brion tient à les lui présenter, mais Bowles n’est pas très excité. Ils ne sont pas sa tasse de thé.

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             Des gens fascinants, il en a connus, à commencer par Brion Gysin. Brion débarque à Tanger en 1950, il a déjà été peintre surréaliste à Paris, hashishin en Grèce, et espion pour le compte de la CIA, mais rien n’est moins sûr. À Paris, il a fréquenté Max Ernst, Valentine Hugo, Dali,  Picasso, Gertrude Stein et Alice B. Toklas. Mais André Breton ne peut pas le schmoquer et fait enlever ses toiles d’une exposition surréaliste. Alors, Brion les expose sur le trottoir, en face de la Galerie Aux Quatre Chemins. En 1952, Brion débarque à Marrakech après un long périple au Sahara, et découvre la fameuse place Djemaa el-Fna, qu’on traduit par «The assembly of the dead», le cœur battant de la médina, où se retrouvent les Berbères du Haut Atlas, les Hommes Bleus du Sahara et les noirs de Tombouctou, du Sénégal et du Soudan - It was the liviest theater on the continent - Tous ceux qui y sont allés ont été frappé par la vie qui y grouille. Sans doute l’un des endroits les plus fascinants de la terre. On y erre pendant des heures. Mais malheur aux ceusses qui boivent le jus d’orange que proposent les marchands ambulants. Et le kif qu’on vend n’est pas du kif, mais du mauvais tabac. Ce sont les pièges à touristes.

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             Le book grouille de descriptions de Brion toutes plus flatteuses les unes que les autres. Une nommée Felicity rencontre Brion et le qualifie de «most interesting man I ever met. He was singular, unique, extraordinary, monstruous and wonderful.»  William Burroughs l’admire et le qualifie de «regal without pretention». Non seulement il l’admire, mais Brion est le seul qu’il respecte. Les monologues de Brion sont légendaires. Il tire son inspiration de sa connaissance des Grecs anciens et des Romains, de l’Egyptian Book of the Death, du folklore celtique et les religions orientales, mais aussi de ses contemporains, les Surréalistes. Robert Palmer qui est devenu son ami se souvient d’avoir entendu Brion balancer «some of the cleverest, most mordant and most provocative» propos. Petite cerise sur le gâtö : Brion a aussi une passion pour les idées neuves.

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             John Hopkins se souvient d’avoir rencontré Brion chez Paul Bowles : «Un soir, nous fumions tous du kif et Larbi a préparé du majoun. On est allés sur la falaise pour admirer le clair de lune, and everyone was stoned out of their gourds. We were talking about why we were there and Paul said : ‘We’re here to learn.’ Brion said : ‘No, we’re here to go.’» Puis Brion et Burroughs se mettent à bosser les cut-ups ensemble - Même les expatriés qui trouvaient leurs experiments incompréhensibles étaient fascinés par leur creative spirit - So much energy came from being around Brion when he was with Burroughs. They had an intellectual rapport that was stunning - Paul Bowles trouvait cependant que Brion avait tellement abusé des drogues qu’il avait altéré sa personnalité. Et puis on apprend au fil des pages qu’il est auto-destructeur. Soit il détruit ce qu’il fait, soit il donne. John Giorno, qui a fréquenté Warhol, débarque à Tanger pour rencontrer Brion. Il croit lui aussi qu’au Maroc, la magie est juste en dessous de la surface des choses, ce que professe évidemment Brion. Lequel Brion emmène Giorno à Fez pour un trip au LSD. Ils vont aussi à Zagora et marchent parmi les tentes des Hommes Bleus, dans l’oasis voisin : «Il y avait une mer de tentes et de la fumée de pipes à n’en plus finir, and incredible music. We just walked around taking it in. Brion was the magical guide.»  

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             Pendant des heures, Brion peut disserter sur les théories freudiennes et les mecanisms of dervish trance drumming. Le mythe de Jajouka, c’est lui. Il commence par flasher sur les Master Musicians «who created a music unlike anything he had ever heard», playing wild flute songs - strangely riveting music, related to the ecstatic trance music of the Sufi brotherhoods, but different, with a luminous, hieratic quality all its own», selon Robert Palmer. Brion est obsédé par cette musique, au point d’aller la sourcer à Jajouka, dans les Jibala hills, à 100 bornes au sud de Tanger. Pour lui, ce fut une façon d’entrer dans l’Antiquité. Et tous les ans, il s’est rendu à la fête du mouton pour ce qu’il appelait l’équivalent of Roman Lupercalia, or the Rites of Pan. Brion avait simplement découvert que sous un léger voile d’Islam, les rites de Jajouka préservaient l’équilibre entre les formes mâles et femelles de la nature, comme ce fut le cas au temps des Romains. Et bien sûr, Bou Jeloud, Jajouka’s patron saint, ré-incarnait cette mythologie antique. Michelle Green n’ose pas trop s’aventurer sur ce terrain, elle laisse la parole à Brion. Lequel Brion va monter un resto à Tanger, les 1001 Nuits, et y faire jouer les Master Musicians.

             Le seul reproche qu’on peut faire à Brion est sa misogynie. Burroughs, qui est atteint de la même tare, avoue que «Gysin’s thinking left no place for compromise. The whole concept of woman was a biological mistake.»

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             La vraie star du book, c’est William Burroughs, sans doute le plus rock des écrivains. Michelle Green nous donne tout le détail du séjour de Burroughs à Tanger. Il est là pour les drogues, les garçons et la littérature. Le voilà dans la médina, «in his shiny business suit and greasy fedora», un air d’agent du FBI qui s’est fait virer. Peu de gens connaissent son nom, mais les wild boys des alentours le surnomment ‘El Hombre Invisible’. Ce diplômé d’Harvard a décidé très tôt de devenir un renégat. À 40 ans, il est devenu un «laconic adventurer with a mordant wit and an attraction to all things forbidden.» Il a tout étudié : l’anthropologie, la pharmacologie, les linguistiques, il s’est passionné pour Kafka, Céline, Baudelaire, Gide, Rimbaud et Blake. Il est allé comme Artaud en Amérique du Sud à la recherche du Yage, et s’est déjà tapé des voyages dans le netherworld of drugs and depravity. Hanté par un constant besoin de créer, il n’a jamais cessé d’écrire ce qu’il appelle ses ‘routines’, mais n’a jamais été convaincu d’être un écrivain - I was a nobody - S’il veut devenir écrivain, c’est parce que petit, il les voyait «riches et célèbres». Il rêve de se retrouver à Tanger en compagnie d’un jeune garçon fumant du kif et caressant une jeune gazelle.

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    Joan Burroughs

             En attendant de partir pour l’Afrique, il épouse Joan, qui partage sa passion pour le mind control, les codex mayas et les drogues. Elle raffole du speed, et notamment de la Benzedrine. Arrêtés en 1949 pour possession de drogue, Burroughs et Joan se taillent vite fait au Mexique. Et un soir de septembre 1951, ils jouent à Guillaume Tell. Joan pose son verre sur sa tête, et Burroughs qui est complètement défoncé lui tire à bout portant dans le crâne. Il fera passer ça pour un accident - domestic imprudence - Il se taille une fois de plus vite fait et gagne le Panama pour rentrer à New York. Il finit par débarquer à Tanger. Il découvre le majoun qui lui inspire des wild flights of creativity et il en prend chaque fois qu’il affronte la page blanche. De son côté, Henri Michaux a fait exactement la même chose. En 1954, Burroughs was shooting Eukodyl every two hours. Il dévalise les pharmacies de Tanger, comme Artaud dévalisait celles de Paris pour sa conso quotidienne de laudanum. Ce ne sont pas les Stones qui ont inventé le concept de sex drugs & rock’n’roll.

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    Gregory Corso, Paul Bowles, William Burroughs

             Paul Bowles est intrigué par la présence à Tanger de ce spécimen qu’on surnomme Morphine Minnie. Et à sa grande surprise, Bowles découvre que Burroughs est «vital and engaging and funny. An inspired story-teller, he had a buzz-saw drawl that lent irony to every phrase. He could talk for hours about lemurs or yage or telepathy, and his sensibility was decidedly bizarre.» Bowles creuse encore un peu et découvre que Burroughs «had a kind of crackpot mystique, fantastically mutable, he was simultaneously vulnerable and threatening, proper and debauched.» Il était à la fois le cowboy et le dreamer, le prédateur et la proie. Brion décrit Burroughs marchant dans la rue sous la pluie : «Willie the Rat scuttles over the purple sheen of wet pavements, sniffing. When you squint up your eyes at him, he turns into Coleridge, De Quincey, Poe, Baudelaire.» 

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             En 1956, Burroughs semble arrivé au bout de la junk line. Paralysé, uniquement capable de se préoccuper du next shot, il gît dans une chambre d’hôtel miteux. Le sol est couvert d’ampoules vides - I did absolutely nothing. I could look at the end of my shoe for eight hours - Il y a de la cocasserie même dans sa déchéance. Burroughs est invité pour une fête chez Peggy Guggenheim, «at which a dead-drunk William managed to disgrace himself.» Fabuleux ! Quand Kerouac débarque à Tanger à son tour, il lit les ‘routines’ de Burroughs et les trouve «à la fois brillantes et sauvages». C’est Kerouac qui trouve le titre Naked Lunch. Francis Bacon est aussi dans la parages et Michelle Green établit un parallèle entre les «brutally powerfull paintings» de Bacon et la «shocking prose» de Burroughs. 

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             Bowles finit par voir Burroughs et Brion comme une seule et même personne - Under Gysin’s influence, he had begun to style himself as a sorcerer’s apprentice. He had practiced meditation and hypnosis and mirror gazing, and he had fallen under the spell of Hassan-i-Sabbah, an elenventh-century Persian mystic who founded the cult of the Assassins. The Old Man of the Mountain as Gysin called him - Hassan-i-Sabbah gavait ses adeptes de hashish, ce qui intéressait beaucoup Brion - Like Hassan-i-Sabbah, Burroughs had removed himself from the world, obsessed with the subject of mind control - Quand JFK se fait buter à Dallas, Burroughs annonce qu’«Oswald’s bullet is the beginning of the end.» Pour lui, c’est la preuve que les forces du mal se sont emparées de l’univers et qu’«Armageddon was around the corner».

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             Brion et Burroughs explorent le cutup, et Burroughs est frappé par le potentiel littéraire de cette méthode que vient d’inventer Brion. Il appelle ça un «project for disastrous success», et les deux cocos s’enfoncent dans une spirale de créativité, taillant des textes de Shakespeare, St. John Perse, Aldous Huxley et des numéros du New York Herald Tribune. Ils mijotent des salades de mots et croient inventer une nouvelle esthétique. Mais Allen Ginsberg, qui vient de débarquer à Tanger, n’est pas impressionné. Ginsberg se méfie d’ailleurs de Burroughs, et le trouve «so inhuman it scarred me.» Et avec tout le hashish et tout le majoun qu’il se met dans le cornet, Burroughs est devenu «hypersensitive, suspicious not in a paranoid way but in an acute, analytic way of looking at subtexts.» Même défoncé, Burroughs ne perd jamais de vue la littérature.

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             Il est persuadé qu’il peut se mettre dans un certain état d’esprit pour devenir invisible. Mind control. Brion et lui sont convaincus qu’ils peuvent voyager sur d’autres planètes. Burroughs tente même des expériences à partir du Sheltering Sky, histoire d’impressionner Paul Bowles : il enregistre des larges extraits sur un magnétophone, puis coupe la bande pour la remonter au pif.  Bowles est surtout impressionné par la voix de Burroughs : «When he played it back, the tape still sounded like the prose of William Burroughs and nobody else.» Quand il ne vante pas les mérites du cutup, Burroughs tente de vendre à Bowles les théories de William Reich. Il a construit dans un jardin le fameux «orgone energy accumulator» qui permet de débloquer l’«orgone energy», source de tous les maux. Un soir, il réussit à convaincre Paul d’entrer dans la machine. Paul accepte. Le traitement dure une heure, mais Bowles craque au bout de 25 minutes. Burroughs lui demande s’il a éprouvé quelque chose et Bowles lui répond : «No, just a lot of cold.»

             En 1964, Burroughs et Brion s’embarquent à bord d’un paquebot en partance pour New York. Burroughs piquait sa crise de dégoût des «idiot Tangerinos» et des «sinister Arabs». Mais il était surtout invité dans sa ville natale de Saint-Louis par Playboy, en tant que cult hero.

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             C’est Jane Bowles qui va faire les frais de la vie at the end of the world. Comme Kit Moresby (l’héroïne de The Sheltering Sky), elle se sent victime d’un sort. Et comme Kit, elle va sombrer dans un cauchemar dont elle ne se réveillera jamais. Elle va entrer dans une spirale d’auto-destruction et donner à des inconnus tout ce qu’elle possède. Les hippies qu’elle croise dans les rues de Tanger la trouvent groovy. Le roman prend le pas sur la réalité, selon le vœu de Bowles. Ça devient fascinant. Michelle Green fait le lien entre la fin de vie de Jane Bowles et le Sheltering Sky que Bernardo Bertolucci va porter à l’écran.    

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             En 1990, Paul Bowles a 80 ans. Il vit encore dans son appartement de Tanger. Il a pas mal de petits soucis, audition et sciatique, mais n’a rien perdu de son élégance, il porte encore du Tweed anglais et fume ses clopes de kif avec son légendaire fume-cigarette. Il reçoit encore pas mal de gens, notamment Stephen Davis (l’auteur de Jajouka Rolling Stone), et continue de publier. Il traduit aussi les textes d’Isabelle Eberhardt, l’aventurière qui explora le Sahara au début du XXe siècle. Mais après la mort de Jane, il confie ceci : «My degree of interest in everything has been diminished almost to the point of nonexistence... there is no compelling reason to do anytning whatever.» Mais quand Bertolucci qui a racheté les droits du Sheltering Sky débarque chez lui en 1990, Paul Bowles accepte de participer au tournage. Bowles dit partout qu’il en attend le pire, mais Berto réussit à le convaincre de faire la voix off du narrateur. Puis il accepte d’aller à Paris pour la première du film.

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             De toute évidence, il faut revoir l’adaptation cinématographique qu’a faite Bertolucci du fabuleux Sheltering Sky de Paul Bowles. La traduction en français du titre laisse perplexe : Un Thé Au Sahara, alors que tout le poids mythique du roman repose sur la vision qu’a Mort (John Malkovitch) du ciel immense qu’il fait admirer à Kit - How fragile we are under the sheltering sky. Behind the sheltering sky is a vast dark universe, and we’re just so small - Mort sait que la mort est là, juste derrière le ciel. Mort sait qu’il est déjà mort. On voit Paul Bowles à trois reprises dans le film, ce qui renforce à outrance l’immense poids littéraire de ce film. Bowles est assis dans l’un des ces cafés de Tanger qu’évoque longuement Michelle Green dans Dream At The End Of The World. Bowles est là, et on l’entend en voix off. Assis dans un coin, il observe ses personnages tels que Berto les restitue. Berto triche cependant avec la réalité, car Bowles situe son Sheltering Sky en Algérie et non au Maroc. L’excellentissime Mort Malkovitch joue le rôle d’un personnage extraordinairement désabusé, et Kit va prendre le relais, une fois que Mort est mort, elle va entrer dans la mythologie des gens du désert et vivre une aventure sexuelle de pure perdition. Berto se fend de plans superbement graphiques du Sahara. Il rendra aussi hommage à Burroughs lorsque Kit, enfermée dans sa baraque en terre de Tombouctou, se met à faire des cutups pour passer le temps. Récupérée par des occidentaux, elle reviendra à Tanger et finira par errer dans les rues, refusant d’être sauvée. Elle reviendra sur les lieux de sa vraie vie d’avant, dans un café qu’elle fréquentait à la vie à la mort avec Mort. La scène est déchirante, chaque fois que tu la revois, elle te broie le cœur. Kit entre dans le café, se dirige sur Paul Bowles qui est assis au fond. D’une voix de vieil homme aux portes de la mort, il lui demande si elle est perdue : «Are you lost?» Et il enchaîne avec ça qui te prépare bien à la mort : «Because we don’t know when we will die. We get to think of life as an inexhaustible well.» Il redit à sa manière ce qu’on sait tous : la vie n’est pas un puits insondable. Tu vis tu meurs. Cadré par Berto, Paul Bowles est déjà mort, malgré son regard translucide de vieil homme légendaire. Déjà mort. Nous sommes tous déjà morts. Et donc en paix.  

    Signé : Cazengler, Joujoukaka

    Michelle Green. The Dream At The End Of The World: Paul Bowles & The Litterary Renegades In Tangier. HarperCollins 1991

    Bernardo Bertolucci. Un Thé Au Sahara. DVD 2008

     

     

    Wizards & True Stars

     - Third World Ward

     (Part One)

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             Tu peux entrer chez M Ward par la petite porte : celle du producteur. Grand bien t’en prend. Il vient tout juste de produire le denier album de Valerie June, Owls Omens And Oracles. Alors, intrigué, tu soulèves cette grande pierre nommée Discogs et là tu découvres tout un monde grouillant de vie.

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             Premier test avec Hold Times, un Merge de 2008. T’es bien content d’avoir cet album dans les pattes, car quel album ! Tu entres cette fois par la grande porte. M Ward crée un vrai monde et tu te sens le bienvenu. T’as une présence immédiate, l’absolute beginner qu’est «For Beginners», t’es frappé par la classe de l’attitude, la classe du son, la classe du truc et la classe du machin. Ça pue la classe à dix lieues à la ronde, t’as le claqué du rock, la saveur du goût et l’impérieux du son, un peu comme chez Bill Callahan. Il passe au glam de dingue avec «Never Had Nobody Like You». Son son craque de plaisir. La classe des cuts du cat te laisse coi. Il tape une belle cover du «Rave On» de Buddy. Il en fait du glam, il t’embarque dans sa quête d’absolu. Il s’en va pianoter son «To Save Me» en haut de l’Ararat. Il domine tout, et t’as des échos du «Do It Again» des Beach boys, tim tim tilili ! Il redéfinit la modernité avec «Stars Of Leo», il sort le Grand Jeu, tu crois entendre Roger Gilbert-Lecomte avec une guitare, c’est du génie pur. Il tape ensuite une country de rêve avec «Fisher Of Men», et t’as tout le ruckus d’un pur universaliste. Il réinvente Mazzy Star avec « Oh Lonesome Me» et Lucinda Williams. Elle reste d’une puissance extrême. Toujours éraillée, mais légendaire. Encore tout le poids du monde de Peter Handke dans «Epistemology», mais plus rock, tout de même. M Ward règne sur tous les empires. Il groove son balladif avec un art qui laisse pantois. Tu décides alors de le suivre jusqu’en enfer. Il joue encore avec la beauté comme le chat avec la souris dans «Blake’s View» et gratte au banjo l’Americana doucereuse de «Shangri-La». Tu sors de là ébahi.

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             Encore un album en forme de joyau : Post-War, un vieux Merge qui émergea en 2006. M Ward crée très vite la sensation, car il saut chanter à l’éplorée congénitale. Il sait aussi fouiller un son. Il maîtrise l’art de fouiller le fouillis («To Go Home»). Et pouf, tu prends en pleine poire «Right In The Head», gratté à coups d’acou avec une guitare rebelle en embuscade. Il est suivi à la trace par un son de gras double qui donne un souffle terrible au cut. Il multiplie les coups de charme et ça pulse bien dans la purée pop. Son seul défaut est de proposer des liners illisibles. Globalement, c’est un album fascinant, M Ward regorge d’idées et maîtrise parfaitement les envolées. Pour son «Requiem», il repart en mode Americana, et comme George Martin, il maîtrise admirablement la science du son - He was a good man/ And now he’s gone - Et t’as un solo de fuzz dans l’Americana ! Il fait aussi de la fast pop d’horizon avec «Chinese Translation». Il est stupéfiant de vision, quasi transcendental, et quand t’entends la slide qui ouvre l’horizon, t’es bluffé. L’album est réjouissant. Il passe en mode Twang pur pour «Neptune’s Nest», il vire carrément Dick Dale. Le génie sonique d’M Ward ne connaît pas de limite. Il crée encore une mélasse terrible avec «Today’s Undertaking» et «Afterword/Rag». M Ward est un Wardiste impavide, il règne sans partage sur son empire qui est toujours certain.   

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             More Rain confirme la légende : M Ward ne fait que des gros albums classiques. Il peut te caler deux cuts de glam si ça lui chante : «Time Won’t Wait» et «I’m Going Higher». Il renoue avec le son de la vieille cocote glam bien sourde. Et son Going Higher tape dans le spirit du stomp qui fit les beaux jours du glam. More Rain sonne comme un album parfait. Avec «Girl From Cojeno Valley», ce fantastique popster est aux abois. Il balance une pop dense, montée sur des dynamiques impeccables. Il creuse sa tombe dans le désert de Mojave avec «Slow Driving Man». Il est tellement bon qu’il a même des violons sur ce coup-là. Et voilà «You’re So Good To Me». Tu le reconnais aussitôt ! Cut signé Brian Wilson ! On entend aussi cet M gratter ses poux à contre-courant dans «I’m Listening (Chords Theme)», et sur ce prodige productiviste qu’est «Temptation», il a Peter Buck. Tout est littéralement merveilleux sur cet album. Il passe au kitsch de rêve avec «Little Baby». Cet M te fait rêver.  

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             Quand M associe un titre comme What A Wonderful Industry au visuel d’une mâchoire de requin, signifie-t-il que l’industrie musicale est un monde de requins ? On serait tenté de le croire. Il ne porte donc pas l’industrie dans son cœur. Ça ne l’empêche pas de pondre des albums de superstar. T’as au moins deux Beautiful Songs et deux coups de génie sur cet album dentu. Par quoi commence-t-on ? Les Beautiful Songs ? La première s’appelle «Arrivals Chorus», M arrive très décontracté et il gratte ses poux d’Hawaï. Il exhale de l’éther pur. L’autre s’appelle «A Mind Is The Worst Thing To Waste», un fantastique balladif d’Oh such a shame. Il ménage bien ses effets. T’as l’environnement des accords mentholés et le chant liquide qui se fond dans la mélodie - Oh my precious time - Ça donne une pop translucide. Premier coup de génie avec «Miracle Man», un solide rock oblique, bien claqué du beignet. Ah il faut voir comme ça secoue les colonnes du temple ! Le deuxième s’appelle «Sit Around The House» : incroyable élan pop rock, M s’élance dans l’azur immaculé. C’est d’un éclat sans pareil. Il faut le voir pour le croire. M est un artiste dont il faut faire le tour. Encore de la pop aux pieds ailés avec «Motorcycle Ride». Puis il s’en va dans le désert de Mojave gratter les poux western d’«El Rancho». T’as vraiment hâte de voir la suite.

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             La suite s’appelle Migration Stories. C’est un album qu’il faut classer à part. Il grouille de Beautiful Songs, à commencer par ce «Migration Of Souls» qui te groove l’âme. Façon de parler. C’est la Beautiful Song de l’année. Il enchaîne avec le groove paradisiaque d’«Heaven’s Nail & Hammer», M te fait danser le boléro au crépuscule, c’est chaud et vertigineux, profond, doux et dingue. S’ensuit «Coyotte Mary’s Travelling Show», une bluette country de rêve, il la chante au raw du désert de Mojave, avec des gorgeous guitars. Et tout l’album va rester à ce niveau d’effarante qualité. M vole comme un beautiful vautour dans l’azur de Mojave. Il te plane bien sur la carcasse avec «Independant Man». Puis il te gratte un cut de guitar hero, «Steven’s Snowman». Il se situe au-delà de tout, même de Ry Cooder ou de John Fahey. Il renoue avec son dieu Brian Wilson dans «Unreal City» et fait du «Do It Again» vite fait en passant. M revient au balladif d’exception avec «Along The Santa Fe Trail». Il espère retrouver sa copine dans les montagnes du côté de Santa Fe. Et t’as des chœurs de rêve. Tu retrouves son touché de note famélique et enjoué à la fois dans «Touch». Il sonne comme le joyeux troubadour de Troubalda, t’as encore une merveille orfévrée au pah pah pah, digne de Curt Boettcher. Te voilà dans le vrai de vrai. Il fait ses adieux en grattant «Rio Drone» au bord du fleuve de l’éternité. Ainsi va la vie. Ainsi va la mort.  

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             M se calme un peu avec Think Of Spring. Encore une pochette informelle. Ce sont des pochettes dont on ne garde aucun souvenir. On croise deux Beautiful Songs sur cet album mi-figue mi-raisin : «I Get Along Without You Very Well» et «I Am A Fool To Want You». Il te gratte ça dans le désert d’Arizona avec l’écho du temps. Sa voix glisse comme un ange dans les ténèbres.  Mais on voit bien que cet album refuse de décoller. L’M veut faire du Richard Hawley, mais il s’y prend mal. Il vaut faire du Smog, mais ça ne veut pas Smogger. Il essaye de faire du Smog bourbeux avec «All The Way», mais ça ne marche pas. Alors M fait de l’M. Il n’est pas rancunier, comme le montre «I’ll Be Around» : I’ll be around/ No matter how you treat me now. Avec «For Heaven’s Sake», il décide de s’installer au paradis. Il se recroqueville sur son acou et gratte ici et là des éclairs de Django Reinhardt. Il crée un peu d’enchantement avec «Violets For Your Furs» en poussant une pointe de glotte et du coup, il parvient à créer une fantastique clameur. M est un mec qui sait enrichir un balladif avec des pics de sensibilité. Mais l’album reste terriblement monochrome.  

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             Transistor Radio date de 2005. Album mi-figue mi-raisin. La figue, ce sont deux Beautiful Songs, «Hi-Fi» (gratté sous le boisseau, et le boisseau d’M, c’est quelque chose) et «Paul’s Song» (M est comme Des Esseintes, il goûte à tous les sucs). Le raisin, ce sont deux coups de génie, «Sweetheart On Parade» (avec un seul cut, M peut créer un monde. C’est ici le cas, avec un son de cathédrale fantomatique) et «Big Beat» qui est un véritable coup de génie productiviste : il fait une espèce d’heavy rockalama à la Fats Domino. Il a vraiment beaucoup de son. Avec «Four Hours In Washington», , il fait du David Lynch et gratte les notes de son subconscient. C’est une évidence, M est amoureux de la beauté. Il ne vit que pour elle.  

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             Si tu replonges aux racines, tu vas te régaler avec End Of Amnesia. M gratte l’heavy boogie de «So Much Water» avec une effarante qualité de son. Son génie sonique éclot dans l’épaisseur du son. Puis il se love dans le giron de «Bad Dreams», un merveilleux balladif intime et humide. Chez M, chaque cut sonne comme une aventure intellectuelle organique. Il fait un festival de slide dans «Silverline», puis revient à l’heavy beat de génie avec «Flaming Heart», il gratte un mic mac d’arpeggios incroyables, on se croirait chez Dickinson, car t’as les mêmes éclairs de génie productiviste. Avec «Ella», il plonge dans une énorme Beautiful Song atmosphérique. Il développe des pouvoirs monstrueux, une tempête semble se lever dans la mélodie. On n’avait encore jamais vu ça.

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             Encore un album précieux : Transfiguration Of Vincent, qui date de 2003. T’es hooké dès «Sad Sad Song», un solide balladif lesté de tout l’heavy power d’M. Il chante à la voix fêlée et mène bien sa danse. T’en reviens pas de tant d’ampleur. Frank Black et lui ont le même génie entrepreneur. Il travaille lui aussi sa matière au corps. Avec «Outta My Head», il tape dans la réverb de la frontière et chante au doux du menton, et t’as ces sons de gratte qui n’en peuvent plus, comme les marins d’Amsterdam qui se plantent le nez au ciel et qui se mouchent dans les étoiles et qui pissent comme je pleure sur les femmes infidèles. Puis il passe au wild primitif avec «Helicopter» avant de ramener sa cocote grasse dans «Fool Say» et de créer la sensation avec un solo Hawaï. Il reste dans l’ambiance lourde de la convergence avec «Undertaker». Ce fantastique entremetteur frise le Lou Reed. Et avec «Let’s Dance», il fait de l’heavy Americana bien enfoncée du clou.

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             Vingt ans plus tard paraît Supernatural Thing. Encore un bel album, sur lequel il serait mal venu de faire l’impasse. T’es aussitôt dans l’entièreté du son. Les poux d’M sont denses, il gratte des coups d’acou de jouvence. Le morceau titre sonne comme une belle dégelée de good time music. L’M bascule littéralement dans le génie pop, avec les dynamiques de Brian Wilson, c’est très lumineux, très enlevé, vaillant, plein d’énergie, avec une relance à la guitare de lumière. Quel démon ! Tu ne retrouves cette élégance de smooth ensoleillé que chez Brian Wilson et les Byrds, Il revient rocker le boat avec «New Kerrang», c’est tout de suite sublimé en interne. Il est capable de petite pop vif-argent. Il revient ensuite à son cher groove du paradis avec «Dedication Hour». C’est sa marotte. «I Can’t Give Everything Away» monte aussi au paradis, poussé par un sax d’intro. Il duette ensuite avec Neko Case sur «Engine 5». M adore s’entourer. Il arrive dans l’Engine sur le tard, fidèle au poste. Ça sent encore le brûlé du génie dans «Mr. Dixon», il part en mode Dixon raw. T’en reviens pas de le voir à l’aise dans toutes les circonstances. 

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             N’oublions pas le petit premier, Duet For Guitars, paru en 1999. S’y nichent deux pépites, «Beautiful Car» qu’M chante à l’heavy musicologie retardataire, là-bas derrière, et ça devient merveilleux, et puis «Fishing Boat Song», où il déclenche un petit enfer, et laisse sa voix déraper sur une peau de banane. Tout ce qu’il fait remonte à la surface, celle qui t’intéresse. Mais il a aussi des cuts qui sont trop laid-back pour être honnêtes («Good News»). Il gratte aussi des poux de cabane enchantée («The Crooked Spine»). Il est capable de tout, il va fureter dans tous les coins, la big pop orchestrée ne lui fait pas peur («Look Me Over»). Il peut avoir des faux airs de la ramasse à la Neil Young («It Don’t Happen Twice») et il sait faire son early Bob de Greenwich Village à gros coups d’acou («Where You Here»). Comme le riz, l’artiste est complet.

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             Et pour compléter le tour du propriétaire, tu peux aussi écouter A Wasteland Companion. Tu ne perdras pas ton temps. Au contraire. Tu enrichiras ta petite philosophie de la dimension artistique. Que veut dire aujourd’hui la liberté artistique ? La réponse pourrait être «Primitive Girl», un modèle d’heavy pop productiviste. Ou encore «Me & My Shadow», un modèle de laid-back de non-retour, gratté aux arpèges d’un Crésus Ward qui monte tellement vite en puissance. La réponse pourrait être «Sweetheart» qui sonne comme un gros clin d’œil à BrianWilson et où Zooey Deschanel donne tout. Ou encore «I Get Ideas», une pop affirmée et géniale, où il ramène un solo de fête foraine qui vire trash. M réinvente la pop de fête foraine. Sa liberté de ton est totale. Il est ce que Frank Black fut autrefois. Il te tétanise par sa liberté de ton. La réponse pourrait être le morceau titre qui sonne comme la pure Americana de la frontière. M groove son boogie, il gratte des notes qui restent en suspension. La réponse pourrait être «Watch The Show» qu’il gratte en mode rockab insistant. Il termine avec «Pure Joy» qu’il chante d’une belle voix rauque. Il est fantastique d’intégrité. Voilà pourquoi l’écoute d’A Wasteland Companion enrichit ta petite philosophie de la dimension artistique : t’as douze cuts riches comme Crésus Ward qui te font exulter sous ton casque. L’M produit de l’art brut, aux antipodes de la mormoille qui envahit les médias du monde entier. L’M est l’un des artistes les plus complets de notre époque. Voix, poux, compos, prod, tout est parfait, tout est fait pour t’envahir gentiment.  

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             M vient d’enregistrer Geckos avec Howe Gelb, le mec de Giant Sand. Le groupe s’appelle aussi Geckos. T’y trouves pas mal de délicieuses entourloupes, comme ce «Wedding Waltz» parfumé aux trompettes mariachi. Ils grattent du fluide à la frontière. Ils s’étalent au crépuscule des cactus. Ils tapent une belle Americana de caractère. Atmosphère très détendue. Relax Max. Peut-être trop angélique. On perd un peu l’M. L’Howe prend le pouvoir. Ça chante pas mal en espagnol, si señor («El Techno»). Puis t’as ce «Scoundrel» attaqué au piano et perdu dans la pampa. Tu te demandes à quoi ça sert. Tout est très ambitieux, ici, mais pas définitif. On se croirait parfois chez Leonard Cohen («Botas Negras»), mais sous la cendre. Avec «Blame It To The Ocean», ils visent le full blown de l’Americana, avec des acous ventilées, et t’as l’Howe qui chevauche le petit beat. Il refait du Giant Sand et tu reviens au point de départ de l’indie des années 80. L’Howe est incapable d’évoluer. Ils cherchent tous les deux à réinventer le genre et cultivent une sorte de douceur tiédasse. Ils s’y sentent bien, alors pourquoi pas toi ?

    Signé : Cazengler, M Whore

    M Ward. Duet For Guitars. C--dependant 1999

    M Ward. End Of Amnesia. Future Farmer Recordings 2001

    M Ward. Transfiguration Of Vincent. Merge Records 2003

    M Ward. Transistor Radio. Merge Records 2005

    M Ward. Post-War. Merge Records 2006

    M Ward. Hold Times. Merge Records 2008 

    M Ward. A Wasteland Companion. Merge Records 2012

    M Ward. More Rain. Merge Records 2015 

    M Ward. What A Wonderful Industry. M Ward Records 2018

    M Ward. Migration Stories. Anti- 2020

    M Ward. Think Of Spring. Anti- 2020     

    M Ward. Supernatural Thing. Anti- 2023  

    Geckos. Geckos. ORG Music 2025

     

     

    Inside the goldmine

    - Les Charlatans ne sont pas des charlatans

             Au terme d’une longue fréquentation, Charla est resté un mystère. On pouvait lui faire des petites vacheries, il réagissait toujours «positivement», comme si rien ne pouvait l’affecter. Fallait-il qualifier ça de droiture morale ? Son positivisme finissait même par devenir prodigieusement agaçant. On le testait en permanence, avec des petites vannes. Si on le traitait de ringard, il répondait merci. Seul un psy aurait pu donner la clé de cet impénétrable mystère. Plus prosaïquement, on voyait Charla comme la réincarnation d’un chrétien jeté aux lions, au temps de l’Empereur Trajan Dèce :  on l’imaginait parfaitement, sous les cris de la foule, enchaîné à un pieu, avec son air de sainte-nitouche, en train de dire merci au lion qui approche en rugissant. On pouvait aussi le comparer à ces Jésuites qui remontèrent les fleuves du Grand Nord canadien pour aller convertir les Algonquins au christianisme, tels que nous les montre Bruce Beresford dans Black Robe : Charla réagit comme le Jésuite capturé par les Iroquois : on lui coupe les doigts un par un, et il dit merci. Sacré Charla ! Dans une vie antérieure, il a dû se porter volontaire pour grimper les marches de la grande pyramide de Tenochtitlan, et dire merci au prêtre qui allait lui ouvrir la poitrine pour en extraire son cœur. Pire encore, Charla est forcément la réincarnation de l’un de ces pauvres crétins de poilus que le colonel Dax exhortait à sortir de la tranchée pour monter à l’assaut de la Fourmilière, un nid de mitrailleuses imprenable perché au sommet d’une colline. Le pire, c’est que Charla va se réincarner dans un autre Charla et qu’il intriguera d’autres observateurs qui à leur tour échoueront à trouver ce que cache cette forme bizarre d’abnégation. On ne peut pas dire que Charla soit taré, mais on ne peut pas non plus affirmer qu’il est intelligent. Loin de là. 

     

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             Pendant que Charla tend vers le néant, les Charlatans en sortent. Alors attention, il se pourrait bien que les Charlatans soient l’un des groupes les plus fascinants de l’histoire du rock américain. Voici pourquoi.

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             Dans ses liners pour The Amazing Charlatans, le grand Alec Palao n’en finit plus de se prosterner jusqu’à terre. Il présente les Charlatans comme cinq «19th century dandy outlaws», «like a latterday musical Magnificent Seven». Les Sept Mercenaires du rock.  Il affirme qu’au départ du mythe se trouve un concept. Selon Palao, les Charlatans ont pris plus de LSD qu’aucun autre groupe de San Francisco et n’ont pourtant jamais joué d’acid rock. Le LSD n’était qu’un moyen de pousser le bouchon du concept - Far from peace and love, the group was sarcasm and cynicism incarned. Hell, even the name was negative - Alors Palao plonge dans l’histoire du groupe et ça devient fascinant. George Hunter débarque à San Francisco et 1964 et rencontre Richard Olsen, un trompettiste. Ils décident ce former un groupe conceptuel «manipulated electronically - Sort of a William Burroughs-nightmare version of the Rolling Stones, to be known as the Androids.» Avec l’arrivée de Mike Wilhelm, le groupe devient plus organique et vire folk-rock. The Androids deviennent les Mainliners. Avec l’arrivée de Dan Hicks au beurre, le groupe devient The Charlatans. Ça commence à répéter sec : Olson on bass, Hunter on autoharp, et puis il y a les costards : «Fergusson as Mississippi Gambler, Hunter as Edwardian fop, Wilhelm as rock’n’roll Wyatt Earp and so on.» Et ils commencent à jouer au fameux Red Dog Saloon de Virginia City, au Nevada - 6 wild weeks in the summer of 1965 the band and coterie awash in LSD, raise hell on the Comstock - Puis ils croisent la piste de Tom Donahue et ils commencent à enregistrer pour Autumn Records. Big Daddy Dohanue veut les lancer et leur demande de faire une cover d’«Early Morning Rain», mais les Charlatans ne veulent pas. George Hunter : «I don’t kown if Donahue passed on us or we passed on him.» Sly Stone qui bosse alors pour Danahue installe les micros dans le studio. C’est à cette époque qu’explose la fameuse scène de San Francisco, avec les Charlatans en tête de gondole. Mais tous les projets de contrats échouent. Fergusson et Hicks quittent le groupe. Le new line-up Olsen/Wilhelm/Wilson/Darell Devore signe enfin sur Philips. Mais les Charlatans ne sont plus que l’ombre  d’eux-mêmes. 

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             Le premier album sans titre des Charlatans paru en 1969 est un big album. Et même un very big album. Top départ avec le puissant folk-rock d’«High Coin». Pur power ! On se croirait chez les Byrds. Wilhelm power ! L’«Ain’t Got Time» qui arrive plus loin semble lui aussi sortir d’un album des Byrds, tellement il est bien profilé sous le vent. Ce balda est infernal, il se poursuit avec une cover du «Folsom Prison Blues» de Cash que torche Wilhelm, il la folk-rockise à outrance. Tout est puissant chez Wilhelm. Encore du power max to the max avec «The Blues Ain’t Nothin’», percé en son cœur par un solo de free jazz, alors tu n’as plus qu’un seul mot à la bouche : «Demented!». Puis ils passent en mode mad psychedelia avec «Time To Get Straight». Les Charlantans constituent une incroyable source de réserves naturelles, c’est-à-dire de psyché liquide avec une flûte et des Byrds. La B est nettement plus faiblarde. Tu ne sauves que «Wabash Cannonball», un boogie-down furieux et bardé de barda qui bat largement les Groovies à la course, avec notamment un solo qui relève de l’imparabilité des choses de la vie. Puis tu vois l’«Alabama Bound» virer free en fin de parcours. Les Charlatans t’embrouillent vite fait, ils ont le génie du mélange des genres. Somptueux. 

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             Quand tu croises The Autumn Demos dans un bac, tu le ramasses vite fait, rien que pour la pochette. Le cow-boy Wilhelm y crève l’écran. En fait, il s’agit d’un mini-album quatre titres qui démarre sur «Baby Won’t You Tell Me», un heavy boogie doté d’un joli son de stand-up. S’ensuit  le «The Blues Ain’t Nothing» du premier album, un boogie-down incroyablement bien balancé, avec un Wilhelm en tête de gondole et un son de charley à couper le souffle. C’est la section rythmique qui coordonne cette stupéfiante énergie foutraque de San Francisco. Ces mecs swinguent, comme les Groovies.

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             Playing In The Hall est en fait leur deuxième album, enregistré live en 1997 : George Hunter, Mike Wilhelm, Dan Hicks et Richard Olsen sont encore là, avec en plus Austin De Lone et Freddie Steady. Ils ressortent pour l’occasion leur big Americana charlatanesque de «Wabash Cannonball» et d’«East Virginia». Mike Wilhelm y gratte sa clairette du diable. On retrouve tous leurs vieux plans, la good time music de «32-20», la Stonesy de «By Hook Or Crook» bien gorgée de véracité, et un peu de son New Orleans («Steppin’ In Society» et «Now I Go Sailing By»). Mike Wilhelm tape une cover de «Folsom Prison Blues», suivi une version tentaculaire d’«Alabama Bound». Même si on connaît tout ça par cœur, on écoute passionnément.

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             On entre au paradis des compiles charlatanesques avec Alabama Bound, un Eva de 1983. On y retrouve l’«Alabama Bound» du premier album, un Bound dévoré de lèpres psychédéliques et monté sur un riff de basse insistant. Puis Wilhelm tape le «Codine» de Buffy Sainte-Marie et y place un solo d’écho magique. La petite gonzesse qu’on tend sur «Devil» et sur «Side Track» s’appelle Lynn Greene. Elle est assez magique et Wilhelm gratte des poux d’alerte rouge. Leur version  de «By Hook Or Crook» dégage un vieux parfum de Stonesy, époque premier album. En B, ils tapent un vieux boogie de Robert Johnson, «33-20». Wilhelm descend vite fait au barbu.

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             On retrouve les 4 cuts enregistrés en 1965 pour Autumn sur la belle compile Big Beat The Amazing Charlatans : «Jack Of Diamonds» (fabuleux beat charlatanesque), «Baby Won’t You Tell Me» (signé John Hammond), «The Blues Ain’t Nothing» (heavy load) et «Number One» (heavy Californian Hell, en plein cœur de la magie charlatanesque). Puis t’as les Kama Sutra Sessions en 1966 : «Codine Blues» de Buffy Sainte-Marie - a classic tale of substance abuse - Mike Wilhelm dit qu’il y a joué son meilleur solo. Big heavy blues. Mais Kama Sutra n’ose pas sortir Codine et préfère «The Shadow Knows» des Coasters, plus boogaloo et chanté par Ferguson. En B-side du single Kama Sutra se trouve l’excellent «32-20 Blues», véritable coup de génie : Wilhelm dans toute la splendeur de son slide-power. Et puis voilà The Golden State Demo de 1967 avec «Alabama Bound» - nothing short of a masterpiece - Magnifique thème, symbole absolu de la récurrence charlatanesque - Don’t you leave me here - Herb Greene : «When they’d get it together on Alabama Bound, they’s bring the house down.» Et Palao affirme que «We’re Not On The Same Trip» «is perhaps their finest moment in the studio.» Véritable sommet de la Mad Psychedelia. Les Charlatans sont capables de tout. Sessions finales en 1968 : The Pacific High Sessions, avec «East Virginia», wild Americana d’I was born East Virginia et Mike Wilhelm part en vrille d’ultra-vrille. Wilhelm dit que c’est l’une des premières chansons du groupe, qui figurait sur la K7 envoyée au Red Dog Saloon. On se régale encore de «Devil Got My Man», «By Hook Or By Crook» (fantastique Stonesy de San Francisco), et «Long Come A Viper» (plus Dylanex).

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             Big Beat ressort en 2016 une compile des Charlatans, cette fois sur vinyle : The Limit Of The Marvelous. Pochette fabuleuse : les voilà tous les 5 sur le pont d’un voilier. On y va les yeux fermés, même si tout est déjà sur les albums précédents, la belle Americana d’«East Virginia Blues» et le solo fluide de Mike Wilhelm, tu retrouves aussi le thème obsédant d’«Alabama Bound», le shaking de swagger de «32-20», l’heavy charlatanisme bien traîné de la savate de «Codine Blues», la pure Stonesy de «By Hook Or By Crook», et t’as encore Lynne Hughes qui chante «Devil Got My Mind», superbe blues psychédélique, et puis alors cette faramineuse cerise sur le gâtö qu’est «Jack Of Diamond» et sa section rythmique incroyablement dynamique (Richard Olson & Dan Hicks), ce son dépenaillé, avec au mic, sans doute l’un des meilleurs chanteurs américains, le grand Mike Wilhelm.

    Signé : Cazengler, charlatan

    Charlatans. The Charlatans. Phillips 1969

    Charlatans. Playing In The Hall. SteadyBoy Records 2015

    Charlatans. The Autumn Demos. August 1965. Line Records 1982

    Charlatans. Alabama Bound. Eva 1983

    Charlatans. The Amazing Charlatans. Big Beat Records 1996

    Charlatans. The Limit Of The Marvelous. Big Beat Records 2016

     

     

    DANY LOGAN

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    1960

    Dany Logan, je n’avais pas l’intention d’en parler. Danny Logan, bien sûr, ces pochettes avec ces poses crazy-dingues, pour l’époque, parce que maintenant, elles font sourire, un peu datées, quelques titres enfouis au plus profond de la mémoire, et puis c’est tout. N’ai jamais exploré sa discographie de près. Peut-être pas un épiphénomène du rock français, mais enfin il y a plus sérieux.

    Et puis hier soir deux mots qui s’affichent sur l’écran, Radio-Andorre. Les souvenirs remontent en flèche, l’émission Special Blue Jeans, l’émission rock-yéyé de Jean de Bonis, enfin beaucoup plus yé-yé que rock. Pour Radio-Andorre, vous avez toute une série de longues vidéos qui racontent l’histoire de la radio de ses origines à sa fermeture. Hyper bien documentées. Très instructives. Une plongée sociologique dans les milieux d’affaires des années cinquante. Oui mais voilà justement qu’à côté du nom de la radio, je lis, la mention me mange les yeux Special Blue Jeans, le générique de l’émission, ah ! la voix veloutée de Jean de Bonis, interprété par les Fingers, leur meilleur morceau, je vous ai déjà causé des Fingers, un des meilleurs groupes instrumentaux des années soixante, tiens un truc qui zidouille, le nom de Dany Logan accolé au titre des Fingers. What is it ? Un hiatus qui coince. Une erreur lamentable ! Totalement d’accord cher Damie, mais là c’est toi qui cales. N’oublie pas que l’ignorance est le plus grand fléau de l’Humanité.

     Bon d’accord, procédons avec ordre et méthode. Premièrement réécoutons le titre chéri des Fingers.

    L’est sûr que le titre soufre d’un gros défaut : sa brièveté, ne tourne même pas à 120 secondes, bien au-dessous, mais cette guitare, quel must et ces fracassées de batterie, chapeau ! C’est sorti en 1963.

    Passons à la version Dany Logan : un bon point : déjà plus longue, elle atteint les deux minutes. Ce ne sont pas les Fingers qui jouent. Le guitariste se débrouille bien, le batteur a des breaks qui sont plutôt des écueils que des brisants, mais l’ensemble taille son chemin  tout en se tenant toutefois à un niveau au-dessous. Ce n’est pas tout-à-fait de leur faute, version chantée, faut laisser de la place à  Dany Logan, l’a une grosse voix bien sonore, nous y reviendrons.

    Je suis satisfait. J’ai colmaté une lacune, il se fait petit matin, allons dormir du sommeil du juste. Cette histoire est terminée. J’étais loin de me douer que j’étais au plus près de la vérité.

    2

             Tiens, une petite dernière, le coup de l’étrivière, avant de rejoindre les draps de Morphée, je ne savais pas que Dany Logan avait réenregistré un disque en 1984, jamais entendu parler, en tant que chroniqueur affûté je me dois de savoir. C’est alors que je m’aperçois de mon erreur, que la décence m’empêche de qualifier de fatale. Non Dany Logan, n’a pas enregistré en 1984, il a eu la mauvaise idée de casser sa pipe en bois selon l’expression du Cat Zengler. Une vidéo reprise d’une émission de télévision, sans image, elle commence bien, la folie des années soixante, l’insouciance, les concerts, l’argent, les filles, les voitures, l’a tout gaspillé, ne savait même pas qu’il existait des chèques… En 63 il quitte Les Pirates et entame une carrière en solo. Trois 45 tours et puis s’en vont. Aucun succès. Après c’est la galère, des petits emplois, des galas dans les supermarchés, le chômage, la dégringolade, has been un jour, has been toujours. Mauvaise idée il tombe malade, gravement. Séjours à l’hôpital… Il ne se plaint pas, il ne dit rien, il cache sa situation, par pudeur, par fierté. Plus personne ne se soucie de lui. Si une fille, elle s’appelle Michèle, qui l’a vu une fois sur scène, une fan, qui ne lui a pas parlé, mais qui depuis vingt ans est restée secrètement amoureuse de lui… Ils se marient le 4 Juin  1984, elle le sort de l’hôpital, ils connaîtront quatre jours de bonheur, pas un de plus, il est à bout de force, il ne touche plus le chômage, lui manque douze heures de cotisation. Depuis plusieurs mois il ne prend plus de médicaments, il n’a plus d’argent pour les acheter, l’administration est restée sourde à ses demandes...

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    Ce n'est pas une affiche mais une carte postale très en vogue dans les années 60

             Qui se soucie de Dany Logan aujourd’hui. A part ceux qui ont connu de près ou de loin son époque, ou ceux qui, nés après lui,, ont mythifié sur cette période rock…Le temps a passé. Les générations n’ont plus les mêmes centres d’intérêt. Il n’a peut-être pas laissé de chefs d’œuvres inoubliables mais il fut une figure de la première génération des rockers français, lui rendre hommage est nécessaire.

    DANY LOGAN

    AVEC LES PIRATES

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             Nous sommes au bon endroit, au Golf Droutt, Daniel Deshailles aime à rencontrer Jean Veidly jeune artiste peintre qui vient souvent accompagné de Long Chris. Bonne connexion, ils connaissent déjà les Chaussettes Noires, grâce à Jean-Pierre Orfino qui a travaillé au Crédit Lyonnais avec Eddy Mitchell. Quoi de plus naturel que de former un groupe : Jean Veidly s’empare de la basse, Orfino, surnommé Hector, sera à la guitare  rythmique vite rejoint par Jean-Pierre Malléjac à qui échoit le choix du roi la guitare solo, il quitte sa place d’employé dans un garage où il vend des Panhards (superbes voitures !) la batterie atterrira dans les pattes de Michel Ocks, Daniel Deshailles américanise son nom, Daniel devient Dany, Logan est le nom du personnage qui joue le rôle de Johnny Guitar dans le western éponyme.

             Le groupe se retrouve sur Bel Air, label parallèle de Barclay. Sans doute ne faut-il pas faire trop d’ombre aux Chaussettes… Ils auraient pu s’appeler Les Laits Blancs puisque pour limiter les frais investis dans leur lacement, un contrat est passé avec le Syndicat des Producteurs de Lait, à l’identique des 5 Rocks rebaptisés en Chaussettes Noires après un accord signé avec les chaussettes Stemm… Beaucoup plus sérieux Léo Missir  sera leur directeur artistique, il ne se débrouillera pas trop mal vu le raz-de-marée suscité en quelques mois par la formation. Plus anecdotique, nos jeunes artistes n’ont pas le permis de conduire, handicap pour les rendez-vous et les galas, Léo Missir confiera le rôle de chauffeur à une autre vedette qu’il promeut sur Bel Air : Lény Escudero…

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Septembre 1961)

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             Sur tous les disques le nom du chanteur se trouve inscrit pour ainsi dire en vedette américaine sous le blaze du groupe en énormes lettres majuscules. C’est ce qui s’appelle ne pas mettre les deux œufs dans le même panier. Les maisons de disques ont les dents longues et les yeux clairvoyants. Les groupes sont à la mode, mais ils ne dureront pas longtemps, le service militaire obligatoire les dissoudra à plus ou moins court terme, écrire le nom du chanteur en petit c’est déjà lui offrir une plus grande visibilité, d’autant plus que sur scène c’est le chanteur qui ravit les yeux des spectatrices…le groupe disparu on le relancera plus facilement…

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    Oublie Larry : ne manque pas de culot Dany pour adapter Hats Off to Larry de Del Shannon le chanteur aux vocalises trampolines, triche un peu car lorsque la voix s’envole, ce sont deux ou trois jeunes filles qui grimpent aux arbres à sa place, lui il se cantonne à imiter un peu les intonations du grand Schmoll, toutefois sur ce premier titre les Pirates ne font pas naufrage.  Le jet : l’est manifestement plus à l’aise sur The Jet de Chubby Checker, les Pirates foncent sans se poser des problèmes métaphysiques, moins subtils que le groupe qui accompagne le roi du twist, mais terriblement efficace. Je bois du lait : Le titre incongru est à mettre en rapport avec le contrat signé, le lecteur qui voudrait en savoir plus sur l’appétence du groupe pour cette boisson biologique nous recommandons la lecture du dos de la pochette, certes dans la série même pas peur  une adaptation de Jerry Lee Lewis, la voix de Dany occupe la première place de la vitrine sonore, dommage pour les Pirates qui donnent une meilleure prestation que leur chanteur, pour se faire remarquer sont obligés d’aboyer en chœur ce qui a pour effet malheureux de détourner l’attention de leur boulot. Tu mets le feu : oubliez Great Balls of Fire, ici ça sent la chaussette sale, ne vous pincez pas les oreilles, Ocks galvanisé vous envoie un knock out bien venu et tout le reste du groupe lui emboîte le galop. Indiscutablement le meilleur morceau du ce premier opus. Z’en ont quand même vendu cinq cent mille exemplaires. L’est sûr que l’époque manquait de rock.

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (1961)

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    Une certaine similitude entre les deux pochettes, preuve que chez Bel Air l’on prend soin du groupe, l’on cherche à créer sinon une image, du moins une identité, des signes de reconnaissance qui donneront aux fans l’impression que leur groupe préféré se distingue des autres.

    Ding dong et tchouga tchouga : on craint le pire, soyons franc Michel Ocks bouffe toute la moëlle de l’os. Sinon une chansonnette signée de Garvarentz nettement plus affuté lorsqu’il s’occupe d’Aznavour (et de quelques autres). Comme un fou : Jean Veidly emprunte en premier l’escalier qui  monte jusqu’au trentième étage, musicalement c’est au point, le seul hic c’est la voix de Dany, trop pleine, pas assez souple, trop près de celle de l’Eddy Mitchell de l’époque qui lui saura progresser. Nous avons sans doute là l’explication de sa disparition la fulgurance des trois premières années des french sixties terminées. Cuttie pie (kioutie païe) : esprit chaussettes, faut savoir les user aussi vite que l’on tue les grands-frères, ne boudons pas, c’est bien balancé, extraverti, bien parti et bien arrivé. Mon petit ange : malgré le titre ce n’est pas un slow sirupeux mais un rock dévastateur, serait-ce une manie de mettre le meilleur titre sur la face 2, perfectum comme disait Jules César, l’on en oublie que c’est un groupe français.

    *

    Le succès est au rendez-vous, au-delà de toute espérance, coup sur coup Bel Air sort deux trente-trois tours, format d’époque : 25 centimètres.

    SALUT LES AMIS

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (1962)

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    Nous ne nous attarderons que sur la pochette. Elle tranche avec l’esthétique des deux 45. Cela permet d’accéder à une photo grand format du groupe, Dany en costume noir est au premier plan et au centre, le reste de la bande en leurs costumes bleu-clair nous semble quelque peu invisibilisé. La mention TWIST en lettres majuscules jaune pétant ne manque pas de sel lorsqu’au verso l’on s’aper9oit que seuls deux titres sont qualifiés de twist et sept autres de rock !

    Les morceaux se retrouvent sur les trois premiers EP’s quatre titres du groupe : Oublie Larry Cuttie Pie / Tu mets le feu / Je bois du lait / Twist twist baby / Dany / Je te dis merci / Comme un fou Caroline / Le jet

    MILK SHAKE PARTY

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    Faut bien honorer les contrats, sur la couve le groupe s’apprête à avaler un verre de poison, pardon de lait, au dos de la pochette pour la première fois l’on voit apparaître un bateau pirate. L’on se prend à regretter qu’ils n’aient pas davantage joué sur cette image.  Nous ne commentons que les deux morceaux  qui sont absents des 45 tours.

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    Milk Shake / Le Condamné : original, un soupçon de jazz, une pulsion gospel, une pincée du Crazy Beat de Gene Vincent, un véritable texte, un plaidoyer anarchisant sur la liberté de l’individu, une surprise, un résultat superbe et original. Sur ce morceau les Pirates et Dany préfigurent ce que fera Eddy Mitchell vers 1964…   /  Spring twist / Sur ma plage / P’tit Wap / L’A.B.C. du Madison / De tout mon cœur Un jour sans toi : le slow qui tue ou du moins qui vous troue le cœur, on croirait entendre les Platters, Dany nous démontre qu’il sait domestiquer sa voix, qu’il n’est pas obligé de passer en force pour s’exprimer.  / Le slow twist / Twist de Paris.

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Mars 1962)

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             Les EP’s des Pirates sont toujours accompagnés de 45 T simples destinés aux juke-boxes et aux radios. Celui-ci possède une particularité, la couve papier habituelle est remplacée par une véritable pochette avec photo. Elle déroge à la chartre graphique des deux premiers disques. Dany est au centre de la photo mais les Pirates l’entourent de près.

    Twist de Paris : voir plus loin ce titre est repris sur un quatre titres résolument Twist ! Entre toi et moi : Encore une fois le meilleur sur la face B, ne doutent de rien, le Git it de Gene Vincent en français, qui aurait pu faire mieux en 1962 ? Guitares superbes !

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Mars  1962)

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    Attention, visez la partition, les pirates d’un côté, monopolisent soixante pour cent de la surface, mais sur la portion pas si congrue, Dany explose carrément. Rafle à lui tout seul toute l’image.

    Dany : une surprise, un blues, modérons notre ardeur, un slow-blues, lorsque Dany ne se laisse pas entraîner par sa voix, il sait s’en servir. Agréable mais inutile de vous suicider si vous ne l’avez jamais entendu. Je te dis merci : encore Gene Vincent, oubliez la finesse du roi du rock et de It’s been nice, Dany fonce et force sur ses cordes vocales chaussé de pantoufles aquatiques et l’équipage derrière saborde leur propre navire à coups de canons. Twist twist baby : nous entrons dans l’ère du twist, c’est sympa, c’est facile à danser, s’amusent bien tous les cinq, sont en progrès même dans le studio il semble qu’ils aient enfin compris où il faut placer les micros. Sont tous en forme. Une mention spéciale pour les tambours c’est presque les timbales de l’Ocks du Rhin. Caroline : tiens, l’a une voix fluette, une bluette sans grand intérêt, même un peu idiote, heureusement qu’au milieu du morceau les Pirates montent à l’abordage le couteau entre les dents. Dommage qu’ensuite ils laissent la prisonnière en vie.

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Mars 1962)

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    Dany est derrière, devant Michel Ocks est assis derrière sa caisse claire. Il mérite la première place mais l’aurait pu rester debout. Manque le grain de folie qui fait la différence.

    Twist de Paris : tiens pour une fois ils n’imitent pas Eddy mais Johnny, pour l’entrée, le problème c’est qu’ensuite l’on est pris pour des pigeons, Dany roucoule, l’on s’ennuie, heureusement que l’on a une guitare qui intervient à bon escient durant quinze secondes et sur la fin, un piano vole à notre secours. Spring twist : une petite leçon de twist, font tout ce qu’ils peuvent pour varier les plaisirs, rien à faire, que de l’attendu, sans doute pensent-ils être modernes, hélas ils sont déjà ringards. Oh ! donne-moi ton cœur : mauvaise passe, des chœurs féminins, Dany qui fait le joli cœur,  les Pirates souquent mollement, pourtant les auditeurs n’ont pas l’air d’être sur une île paradisiaque. La route du twist : tiens un saxophone, on écoute le morceau rien que pour lui, un son rauque un solo verglacé, et les Pirates, et Dany, franchement quand ils sont passés on n’a pas levé le pouce pour les arrêter.

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    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Juin 1962)

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    Un bandeau en haut, Dany bras levés, jambes écartées, bouffe toute la place sur la photo, revétu d’un costume bleu pétrole un peu terne ;

    Laissez-nous twister ‘’ Twistin’ the night away’’ : z’ont gardé le sax tire des bouffées dans son coin, mais il pose sa griffe sur tout le morceau, la version de Johnny colle davantage à celle de Sam Cooke, l’a misé sur la batterie et pas sur le sax, mais de tous les twists que des Pirates que nous avons entendus, c’est le meilleur. Cri de ma vie ‘’ Dream baby’’ : exercice de style pour Dany, doit chanter doucement, il y réussit parfaitement les Pirates ne font plus de bruit quand surviennent les chœurs féminins, encore une fois c’est Michel Ocks qui tire les marrons du feu, pas très violent. Le slow twist ‘’ slow twisting’’ : pas si lent que le titre le laisser présager, on marche sur des œufs d’autruche, cela nous émeu, les Pirates ne sont pas toutes voiles dehors, Dany mène la danse. Danse un twist ‘’ Dance along’’ : un twist parmi tant d’autres twist, breaks incessants de batterie, le saxophone s’en vient faire son numéro au milieu.

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Septembre 1962)

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    Dany devant, en costume noir, les autres en gris derrière, cette fois-ci la photo est prise de près.

    Madison time (l’A. B. C. du Madison) : la mode change, le madison c’est comme le twist en plus relax, donc l’on s’ennuie davantage, manque la fougue, qu’est-ce qu’il nous fourgue ! Au moins à la fin du morceau l’on n’est pas fourbu. P’tit Wap : elle est partie, elle a eu raison, grâce à elle on a droit à un petit trot musical allègre, le titre type des années soixante. Bien fait, chacun à sa place, résultat maximum. Sur ma plage : inspiré par les Shadows, le chant de Dany Logan détestable sur des paroles peu inspirées, le groupe donne l’impression de tourner en rond. De tout mon cœur (The young ones) : un titre douçâtre, pas tout à fait un slow mais c’est peut-être pire, les Pirates se laissent flotter sur des eaux sans âme, sont en pleine mer des Sargasses.

    LES PIRATES

    Avec Dany Logan

    (Novembre1962)

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             Pour le dernier 45 tours l’on s’inspire du code des premières pochettes. Dany devant s’est assis, il commence à être fatigué (moralement ?), derrière lui les Pirates bénéficient d’un piédestal. Pas trop haut, tout de même.

    Le loco-motion : rock, twist, madison, voici la dernière locomotive, Dany arrondit sa voix, ça roule sans secousse ; le sax est là mais il ne se permet aucune secousse, ne faut pas fâcher les passagers. Dancin’ party (Comme l’été dernier) : encore l’inépuisable malle sans fond du twist, pas pire que les précédents, ni meilleur. Un bon point tout de même : sa brièveté. Sheila : de Tommy Roe dont le phrasé et l’accompagnement rappellent en plus mièvre Buddy Holly, Dany impulse un peu de peps dans le vocal, Ocks caracole gentiment, on eot aimé que Jean-Pierre Malléjac eût eu l’occasion d’un solo étincelant… Milk shake : un orgue pour faire mignon, faut dite que Dany essaie de draguer une toute jeune fille qui ne boit du lait, le morceau n’est pas sans évoquer Panne d’essence de Sylvie Vartan avec Frankie Jordan.

    MANGER DU CHOCOLAT

    Nous nous quitterons sur une dernière gourmandise, une publicité, le vocal de Dany est un peu bridé par les impératifs d’une prononciation relativement plate, par contre l’accompagnement des Pirates est de haut niveau. Peut-être même leur meilleur.

             Les Pirates se séparent courant 1963, Jean-Pierre Maléjack est déjà sous les drapeaux, Dany a décidé de poursuivre en cavalier seul, Eddy Mitchell se détache irrésistiblement des Chaussettes, Dick Rivers a déjà entamé une carrière solo dès 1962…  La séparation s’effectuera sans acrimonie. Le groupe a-t-il été un peu trop pressurisé durant l’année 1962, nous le pensons, n’ont pas eu le temps d’évoluer, le groupe rock est devenu un groupe de danse. L’on peut comprendre que le chanteur de la  troisième formation rock du pays ait jugé qu’il ait pu faire comme ses deux principaux ‘’rivaux’’. Dans une interview Jean Veidly rapporte quelques informations intéressantes, Dany est tombé dans le chaudron du rock, l’a suivi les circonstances, l’aimait bien le rock mais ce n’était pas vraiment son truc, son modèle à lui, c’était … Sacha Distel ! L’on pense à Olivier Despax, son côté beau garçon relax, qui lui aussi a disparu bien trop tôt.

             Dany Logan manifestait le désir d’être accompagné d’un grand orchestre, à la même époque Dick Rivers réclamait des violons, l’est sûr que la formation basse+guitares+batterie ne permet pas de grandes envolées… un peu monotone pour le grand public, elle ne peut subsister que si elle parvient à regrouper autour d’elle un nombre suffisant d’amateurs, de connaisseurs, de fans fidèles, ce qui n’était guère possible en France à cette époque. L’effet de surprise passé, les foules sont comme Baudelaire, elles veulent du nouveau. Mais elles ne recherchent ni l’Enfer, ni le Paradis…

    DANY LOGAN

    Et l’Orchestre de Jean Bouchety

    (Mars 1963)

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    La pochette n’est pas sans évoquer les premières couves des pirates. Au dos : un bel imper, une photo extraite du film ( voir plus loin), Dany est relégué à l’arrière-plan pratiquement invisibilisé par la troïka des têtes d’affiche…

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    Donne tes seize ans : tiens des violons (pas très violents), quelle surprise, une bluette signée Aznavour-Garvarentz, c’est mignon tout plein, aussi insipide qu’un verre de grenadine dans lequel on aurait retiré la grenadine. Une seule originalité : le son tranche d’avec la niaque des Pirates. Chouette choc chérie : un rock certes, à l’origine une scène de film Du mouron pour les petits oiseaux de Marcel Carmé, sans doute Dany a-t-il envisagé à une reconversion cinéma à la Elvis Presley, mais il n’est pas la vedette, le morceau (Aznavour-Garvarentz) ne serait pas mal, un sax aux abois, un piano qui rigole, mais il manque l’essentiel, l’énergie ! Même Dany se retient de chanter, un peu comme quand vous mettiez les patins pour ne pas rayer le parquet chez votre grand-mère. Le titre était prometteur, hélas le choc ne s’est pas produit. Dis-lui : encore des violons, suite logique du premier titre, chant gentillet, chœurs féminins apaisants, lyrics à l’eau de rose. Qu’en a pensé le producteur Bert Russel à l’origine du morceau. Vous… les filles : évidemment quand on lit le titre aujourd’hui on pense à Vous les femmes de Julio Iglesias, pas vraiment la meilleure introduction, toujours des violons sautillants mais ils ont les mis en arrière et posé la voix de Dany devant, ce qui tout de suite donne un meilleur résultat. Pas de panique : rien de prodigieux.

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    Scopitone : Donne tes seize ans

             Quand on compare avec Baby John sur le premier 45 tours de Dick Rivers sans Les Chats Sauvages, l’on perçoit la différence de visée…

    DANY LOGAN

    Et l’Orchestre de Paul Mauriat

    (Juillet 1963)

    Couve plein visage. Fini les couves acrobatiques, un jeune homme bien trop lisse, style gendre idéal…

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    Le soleil de l’été : reprise Summertime Blues d’Eddie Cochran, un bon point, une reprise honnête avec, trois fois hélas, un gros défaut, l’interprétation manque de mordant. L’on regrette les Pirates… Mon cœur à Juan-les-Pins : une infâme bluette… profitons-en pour signaler la présence de beaucoup d’images, émissions télé, scènes de film, scopitones, noir et blanc et couleur qui accompagnent tant les morceaux des Pirates que ceux de Dany solo… tous ces chefs-d’oeuvre impérissables ont mal vieilli, dans l’ensemble ils ont pris un terrible coup de désuétude. Pas de chance : même style que la chansonnette précédente, insignifiance absolue. Special Blue Jeans : le meilleur morceau de cet avant-dernier EP. Un disque un peu étrange, deux rocks qui encadrent deux variétoches, Dany Boy coupe la poire en deux, un adieu à une époque qu’il veut révolue, un regard incertain vers un futur dont les contours ne sont même pas esquissés.

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    DANY LOGAN

    Et l’Orchestre de Jean Bouchety

    (Mais 1964)

    Une pochette bien sombre pour un playboy, que l’on ne peut s’empêcher de juger prémonitoire…

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    Qu’en fais-tu : un petit rock sautillant sans envergure. L’orchestre fait l’impossible pour tromper votre lassitude mais il n’est pas dans le coup. Nous n’avions que seize ans : ce coup-ci les musicos réussissent presque, proposent une orchestration originale, Dany nous la joue nostalgie mélodramatique, une certaine réussite en le sens où le sixty early french sound est préservé tout en essayant de se projeter vers un ailleurs inconnu. Elles viennent : un original de Léo  Missir et de  Daniel Deshayes, c’est par son nom que Dany signait ses morceaux, tout au long de sa carrière l’on retrouve sa signature tant sur les adaptations que sur les créations. Un aspect de Dany rarement mis en valeur. Y a que toi : quelle ringardise ! un vocal pâlichon et une orchestration un peu n’importe quoi. Dommage de se quitter sur n’importe quoi…

             Dany Boy n’a pas été oublié. Depuis les années 80, les rééditions s’enchaînent. Sans doute faudrait-il passer en revue la petite trentaine de vidéos qui ont accompagné la sortie de ses disques. L’avait tout pour plaire, un superbe garçon, une voix, du charme… s’est-il découragé trop tôt… Il s’est battu jusqu’au bout… Nous saluons en lui un des pionniers français, il n’a vraisemblable pas fait tout ce qu’il a voulu, mais sûrement tout ce qu’il a pu. C’est déjà beaucoup.

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    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 714: KR'TNT ! 714 : STEVE CROPPER / CLICKBAIT / ROADRUNNERS / JOUJOUKA / JOE SOUTH / ROCKABILLY GENERATION NEWS / PENDAISON / PRESAGES / SINE NOMINE

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 714

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    11 / 12 / 2025 

     

     STEVE CROPPER / CLICKBAIT

    ROADRUNNERS / JOUJOUKA / JOE SOUTH

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

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    Wizards & True Stars

     - Le père Cropper

     

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             Avec le cassage de pipe en bois de Steve Cropper, c’est encore une page qui se tourne : celle de Stax et des blancs qui admiraient les noirs. Nous voilà tous une fois de plus inconsolables. Bon d’accord, il était vieux, mais quand même ! Il n’y rien de choquant dans cette histoire, si on part du principe qu’on va tous passer la casserole. C’est dans l’ordre naturel des choses. Vivre avec l’idée d’un départ imminent est une façon de ravaler sa fierté.

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            L’an passé, Steve Cropper revenait dans l’actu pour un nouvel album, Friendlytown. C’est à Jon Mojo Mills qu’est revenu l’honneur d’interviewer Crop dans Shindig!, et quand Crop attaque, il n’y va pas de main morte : «We didn’t start out thinking we were gonna create the Stax sound. It created us.» Il attaque aussi très vite sur la couleur de peau. Il faut rappeler à ce stade des opérations que Booker T. & The MGs sont l’un des premiers groupes mixtes, deux blancs, deux blackos. Crop : «There was no colour at Stax, ever.» Crop ne voyait que les musiciens. Il avoue aussi qu’il a appris à jouer en écoutant le Black gospel music et appris à composer en bricolant les paroles - I took the Christ out. I put the woman in there - Il rappelle aussi que Memphis était the most segregated city in the South. Quand Mills lui demande pourquoi la Tele, Crop dit qu’on peut jouer en rythmique et jouer en solo sur la Tele. Il dit aussi ‘jouer ce qu’il fait’ - I play what I do - Comme on ne pige pas très bien, il illustre sa pensée : «If I’m singing about a river, I try to get my guitar to sound like a river.» Là, c’est plus clair.

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             Crop commence par rendre hommage à Lowman Pauling, le guitariste des 5 Royales, qui avait une technique de jeu particulière, la gratte en bas pour la rythmique et en haut pour le solo. Puis Mills le branche sur Estelle Axton. Crop confirme qu’il est arrivé chez Stax grâce à elle. Il allait prendre son fils Packy chaque matin pour aller à l’école. Hommage plus loin à Al Jackson, le batteur de rêve - He could shuffle like nobody’s business - Mills se régale, il branche Crop sur Otis, puis sur James Carr, allant jusqu’à qualifier You Got My Mind Messed Up d’one of the greatest Soul albums of all time, et Crop abonde dans son sens : «Both him and OV Wright should have been the ones to make it.» Mais personne ne voulait bosser avec James Carr, «he had so many problems.» Et crack, il balance ça : «Al didn’t wanna work with him. I didn’t wanna work with him.» On retrouve encore Crop sur le Two Sides Of The Moon de Keith Moon et le Ringo de Ringo paru en 1973. Mills le branche ensuite sur Rod the Mod. Alors Crop sort sa théorie : «If you take half a jar of Sam Cooke and half a jar of Otis and shake it up, you get Rod Stewart. Il you take half a jar of Little Richard ands half a jar of Sam Cooke, you get Otis Redding.»

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             Mills ne peut pas résister à l’envie d’évoquer le fameux troisième album de Big Star, Third/Sister Lover. Crop joue sur la cover du Velvet, «Femme Fatale». Il se marre bien le Crop avec cette histoire qui lui a fait plus de pub que «Dock Of The Bay» et «Midnight Hour». Dickinson est venu le trouver chez Ardent pour lui demander : «Cropper, can you come over and play on a song for me real quick?» - And I said, «yeah.» - Une ou deux prises. Il dit de Big Star qu’ils avaient «a different kind of soul.»

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             Encore une interview de Crop dans Uncut. Les canards anglais se sont magnés le cul, car Crop avait 83 balais, et comme les légendes commencent à se raréfier, fallait pas traîner. Crop rappelle la petite anecdote concernant «Green Onions». Quand on demande à Booker T comment Crop sort ce son sur «Green Onions», Booker dit : «It’s pretty simple. Out of his hands.» Un mec demande ce que rend le son Stax si particulier et Crop répond que si on enlève les paroles d’une chanson, on entend encore la chanson - Just by the intro and the groove, you can tell what the song is - Une autre question concerne la signification de ‘MGs’. Bagnole ? Crop répond que Chips avait une Triumph mais il existait déjà un groupe qui s’appelait The Triumphs, alors oui, les MGs. Et non ‘Memphis Group’ comme on le croyait tous. Pour déconner, Duck Dunn a dit dans une interview que ça voulait aussi dire «Musical Geniuses». Ce qu’ils étaient en réalité.

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             Le père Crop est revenu dans l’actu grâce à un bel album, Friendlytown. Billy Gibbons est dans le coup, alors forcément t’as du son, et ce dès le morceau titre, ça gratte au raw. Et comme Roger C. Reale chante au raw, ça casse bien la baraque. Avec le père Crop, t’as le Memphis Beat automatique. Par contre, tu te demandes ce que cet asticot de Brian May fout là. Plus tu avances dans l’album et plus du comprends que c’est un album du Zizi Billy. Les énormités se succèdent, «Hurry Up Sundown», «Let’s Get Started», le Reale saute sur la vague. Quelle leçon pour les générations à venir ! Le ZiZi Billy plonge «Talkin’ Bout Politics» dans l’enfer de l’heavy blues. On reste dans l’heavy ZiZi boogie avec «Lay It On Down» et ça repart au plein-comme-un-œuf avec «You Can’t Refuse». Ça sent bon le ZiZi ! T’as l’heavy groove texan revu et corrigé par le père Crop. Et tout bascule dans le génie avec «Rain On My Parade» attaqué à la régalade, ah comme le Reale est bon ! Il soigne ça à coups de please don’t rain in my parade, c’est un hit, et même une merveille inexorable. Le père Crop passe au hard Memphis funk avec «There’s Always A Catch», c’est un catch de cat, le Reale chante ça au black white power, hey hey ! Le père Crop joue avec le feu, il peut se le permettre, c’est un pionnier, il a toujours côtoyé les blackos, alors c’est normal qu’il bascule dans l’hard funk. Big Crop ! Le Reale râle comme un crack black, il passe en force, lubrifié par des chœurs de blackettes délurées.

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             En 2021, le père Crop foutait le feu avec Fire It Up, un album de Memphis Beat. On retrouve Roger C. Reale au chant, et t’as tout Stax qui remonte à la surface. Quelle déboulade ! Ça bat encore sec et net sur «I’m Not Having It». Fracassant ! Heavy boogie Soul de Memphis. Le père Crop te claque le beignet du pont. Pas d’innovation, on reste dans le vieux biz. On est là pour ça. Encore une solace de la rosace avec «Far Away» et ils passent en force avec «She’s So Fine». C’est vraiment bien senti, le père Crop s’amuse bien avec des potos. Et puis tu les vois groover «The Go-Between Is Gone» dans la purée, le père Crop claque son tiguili au milieu du cut, il te Staxe ça vite fait à la note éparse, comme il l’a fait toute sa vie.

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             Tant qu’on y est, on peut sortir de l’étagère deux ou trois bricoles. Tiens par exemple ce Back To Back des Mar-Keys et Booker T. & The MG’s qui date de 1967. Bon, ce ne sont pas les vrais Mar-Kays, ce sont plutôt les Memphis Horns (Andrew Lowe, Wayne Jackson et Joe Arnold). C’est l’occasion de retrouver la fantastique énergie de «Last Night», le vieux générique de Salut Les Copains. Quant à Booket T & the MGs, c’est toujours aussi bien. «Green Onions» reste le symbole du Memphis Beat, avec son fantastique shuffle d’orgue. C’est d’une élégance et d’une puissance rarement égalées. Et puis on a Crop qui rôde au coin du bois avec sa Tele. Il passe aussi un riff de gaga pur et vénéneux à souhait dans «Red Beans & Rice». Par contre, ils se vautrent avec leur cover de «Gimme Some Lovin’». Il faut de tout pour faire un monde.

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             En 1973, Crop monte le trio Washrag et enregistre Bang!. Il s’appelle pour le coup Captain Guitar. Avec David Mayo on bass et Ron Capone au beurre, ils commençaient à jammer en sifflant des Miller et pouf, c’est devenu Bang!. Encore une fois, on est au paradis de l’instro, avec Crop. Ça reste très balèze. Tous les instros de l’album sont tirés à quatre épingles. Mais ça finit par tourner un peu en rond. Même si on aime bien Crop, on finit par s’ennuyer un peu. Il claque en B un «Mr Big Stuff» à la claquemure, c’est énorme et plein d’allure. On trouve au dos de la pochette une belle brune qui se lave dans une bassine, alors pour l’accompagner, Crop nous claque «Clean Up Woman».

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             C’est peut-être l’endroit idéal pour saluer l’album solo que Steve Cropper enregistra en 1969, With A Little Help From My Friends. Il se lance dans des ré-interprétations instrumentales de hits séculaires, comme «Land Of 1000 Dances». Bon d’accord, il sait jouer, mais ça on le savait. Il taille une belle croupière à «99 1/2». Il sort sa plus belle disto et joue au gras double. Ce son magique rend bien hommage à Wicked Pickett. Il passe à la petite insidieuse pour tailler une bavette à «Funky Broadway», il joue au son d’infiltration, dans la masse d’un énorme groove de Staxy Stax. Le père Crop est un démon, dans le Sud tout le monde le sait. Comme Ry Cooder, il crée la sensation en permanence. Avec le morceau titre, il fait du Joe Cocker sans la voix, il fait chanter sa Tele. Ils sont tout de même gonflés de se lancer dans cette aventure devant 500 000 personnes. Crop réussit à créer de la tension, il fait le plan des screams en mode deep south. Bien vu, Crop ! Ce qu’il parvient à sortir est exceptionnel. Il prend ensuite «Pretty Woman» au funky strut de Stax, il joue tout le thème au claqué de Tele. Crop ne se refuse aucune extravagance et du coup, l’album devient palpitant, aussi palpitant que peut l’être la pochette. Il s’en va ensuite swinguer «I’d Rather Drink Muddy Water» au jazz, et là, ça devient stupéfiant. Il va là où le vent le porte. Guitar God on fire ! On le voit aussi rentrer dans le lard de l’heavy blues avec «The Way I Feel Tonight» et il claque le beignet du Midnight Hour à la Crop, c’est-à-dire droit au but, sans voix, c’est encore la Tele qui fait tout le boulot. Bon, ce n’est pas Wicked Pickett, mais ce n’est pas si mal. Les cuivres arrivent en renfort dans «Rattlesnake». Comme d’usage, les Memphis Horns font la pluie et le beau temps. Tout s’écroule prodigieusement dans des vagues de son successives. Cet instro est une telle merveille qu’elle pourrait servir de modèle à Michel-Ange. 

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             Crop a enregistré deux albums avec Felix le chat. Le premier s’appelle Nudge It Up A Notch. On peut voir un antique tourne-disque sur la pochette.  Nos deux héros démarrent avec un r’n’b insistant et têtu comme une bourrique, «One Of These Days», joliment inspiré par les trous de nez. Quelle incroyable énergie ! Ils naviguent tous les deux à un très haut niveau qualitatif. Crop prend un très beau solo staxy gorgé de cette vieille verve apostolique. Cela paraît incroyable que ces deux vieux crabes soient encore capables de faire danser les mémères. Avec «If It Wasn’t For Loving You», ils proposent un fabuleux slow d’exaction pathologique. Ces gens-là savent de quoi ils parlent, ne vous en faites pas pour eux. Et Crop sort sa vieille disto, histoire de montrer qu’il bande encore. Ils proposent plus loin un fiévreux instro d’antho à Toto intitulé «Full Moon Tonight». Crop met la main à la pâte et balance l’un de ces grooves rampants dont il a le secret. Il fait ça depuis cinquante ans, ne l’oublions pas. On reste dans le groove têtu comme une mule avec «To Make It Right». Tout est solide et bien orchestré sur cet album. Crop fait un festival dans «Cuttin’ It Close». Quel flasher ! Quel pourvoyeur de notes salées ! Il sonne vraiment comme un punk.

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             Mais c’est avec Midnight Flyer que le duo explose. Ce disk sonne tout simplement comme un classique Stax, et ce dès «You Give Me All I Need». Felix la chat y creuse sa faille et shoote de la Soul dans le prévisible. Alors on se prosterne, car c’est du très haut niveau. Felix le chat perce son tunnel et débouche dans un paradis d’ozone supra-naturel. Quel miracle ! Il tient bien son disque en main, well well, et se comporte en génie insistant. Crop et Felix le chat explosent littéralement. S’ensuit le morceau titre. Felix le chat y retente le diable. Ah il faut voir le boulot qu’abattent ces deux vieux crabes ! Felix le chat ne lâche jamais un groove, il chante de l’intérieur des chœurs, c’est tisonné au timon dans la démence d’un groove précipité, ça pulse dans les mystères du Nil et il pleut du miel de Soul blanche sur la terre. Quand Felix le chat traîne dans les parages, il faut rester sur le qui-vive. Cet homme fait des miracles. Il tape l’«I Can’t Stand It» en mode groove de r’n’b. C’est l’un des trucs les plus excitants qu’on ait entendu depuis des lustres. Aria Cavaliere duette avec Felix le chat. On reste dans une extraordinaire ambiance avec «Chance With Me», et tout bascule dans la magie - You can groove with me - Des courants de groove traversent le cut en diagonale et Crop passe un solo liquide de génie pur. C’est d’un niveau dont on n’a pas idée tant qu’on ne l’entend pas. Felix le chat part en radeau sur l’Amazone, il Aguirre la bleusaille alors que Crop gratte son petit funk par derrière. On retrouve la fantastique énergie du groove de reins dans «Sexy Lady», et ce renard de Crop gratte son funk en continu. Tout son art vient de Curtis Mayfield, ne l’oublions pas. Ils tapent aussi une version d’«I Can’t Stand The Rain», ce vieux standard magique, mais Felix le chat le chante au pire feeling de l’univers. Attention, Felix le chat n’est pas n’importe qui, c’est un Soul brother blanc, et comme Eddie Hinton, il est encore plus black que les blacks. Il faut aussi entendre l’attaque punkoïde de Crop dans «Do It Like This». Il ressort toute sa niaque de Staxman des origines. Instro magnifique et plein d’allant. On adore ces deux vieux routiers de la légende américaine, ils savent combiner le riffing et le shuffle d’orgue, alors on s’en met plein la lampe, d’autant que Crop part en solo.

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             Quand les trois géants Albert King, Steve Cropper & Pop Staples jamment ensemble dans un studio Stax, ça donne Jammed Together, un album bourré de grooves in-dé-cents de classe. Ils attaquent avec « What’d I Say » qu’Albert chante à la Albert - alwite hey hey - C’est évidemment Duck Dunn qu’on entend derrière faire rouler sa bassline. Nos trois amis se livrent au petit jeu de la jam session avec gourmandise. Le point fort de l’album, c’est «Big Bird» en B. Leur version instro dépasse les bornes. Un peu plus loin, ils s’en vont swinguer les poux de «Trashy Dog». On nage dans l’excellence, mais il faut savoir prendre le temps d’écouter de genre de disque informel. 

    Signé : Cazengler, Steve Crapper

    Steve Cropper. Disparu le 3 décembre 2025

    Albert King Steve Cropper & Pop Staples. Jammed Together. Stax 1969

    Steve Cropper. With A Little Help From My Friends. Volt 1969

    Washrag. Bang! TMI Records 1973

    Felix Cavaliere & Steve Cropper. Nudge It Up A Notch. Stax 2008   

    Felix Cavaliere & Steve Cropper. Midnight Flyer. Stax 2010   

    Steve Cropper. Fire It Up. Provogue 2021

    Steve Cropper & The Midnight Hour. Friendlytown. Provogue 2024

    An Audience with Steve Cropper. Uncut # 331 - November 2024

    Jon Mojo Mills : Don’t mess up a good thing. Shindig! # 156 - October 2024

     

     

    L’avenir du rock

     - Clickbait de Gévaudan

             Comme chaque mardi, l’avenir du rock rassemble ses amis les Pouets Disparus dans son bel appartement de la rue de Rome. Histoire de conforter l’idée qu’on ne peut abolir le hasard, ils débutent la soirée avec une partie de dés.

             Après avoir trempé ses doigts dans son verre de Sauvignon pour humecter les pointes de sa moustache, Stuart Perrill En-la-Demeure jette un défi intellectuel :

             — Engrossons quelques idées pour engendrer de nouvelles gorgonneries !

             Tout le monde applaudit frénétiquement. Paimpol Roux se lève d’un bond et commence à se déboutonner :

             — Capturez-m’en une bien fraîche, bien sauvage, tenez-là fermement par les bras et par les jambes, et je la saillirai à la hussarde !

             Il exhibe son dard turgescent...

             — Je la gorgerai de mes gènes paimpolesques, et la gorgonnerie que j’engendrerai pour vous, messieurs, entrera dans l’histoire littéraire !

             Gêné par cette atmosphère de salle de garde, Tristan Corbillard tente de faire revenir l’assemblée dans le droit chemin :

             — Comment un Pouet tel que vous peut s’égarer de la sorte ? Il ne s’agit pas de saillir, cher Paimpol Roux, mais de s’allier. Nous ciselons la symbolique, voyez-vous. Laissons les paillardises aux Académiciens !

             Jules Lafourgue vole au secours de son confrère Corbillard :

             — En toute chose, il faut un point de départ : je propose qu’on engrosse l’idée de la Bête qui sommeille en chacun de nous...

             Paul RocFort s’exclame :

             — La Bête qui prend ses cliques et ses claques ?        

             — Clickbait, murmure l’avenir du rock, en état d’extase mystique.

     

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             C’est ainsi que les Pouets Disparus sont tombés par hasard sur Clickbait. Qui d’autre qu’eux pouvait remettre du rose aux joues de la modernité ?

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             T’avais pas revu un tel festin de beat depuis ESG et les grandes heures du Duc de Devo. Clickbait arrive de Chicago pour faire danser les foules, et ça danse. Quand c’est irrésistible, c’est irrésistible. Même pas la peine de discuter. T’as le beat et l’argent du beat. Il faut voir comme ces quatre cats de Chicago rockent le beat ! C’est un beat d’une finesse extrême, rien à voir avec les premiers de la classe (Talking Heads) et l’electro-beat à la mormoille. Derrière ses fûts, t’as Baptiste tout

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    droit sorti des Enfants du Paradis qui bat l’extrême shuffle d’excelsior, tout en finesse de power-beat, il insuffle du souffle, et la petite bassiste asiatique sourit en grattant ses notes automatiques. C’est d’un niveau qui te laisse rêveur. Ils sont à la pointe extrême de la modernité. T’en reviens pas ! Derrière t’as un mec sur sa Gibson qui gratte des riffs qu’il faut bien qualifier de pertinents, tu fais «wow, comme ça joue !», car ça joue, l’énergie est bonne, les cuts carrés, tout est parfait, même la petite

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    asiatique qui chante et qui n’a pas de voix fait le show, elle va et elle vient entre les rangs, pas les reins, et rocke la casbah de Chicago mieux que ne le firent les dévots d’Akron en leur temps. Cette fraîcheur de ton te surprend et tu claques des doigts, tu vois toutes les têtes dodeliner et toutes les rotules se gondoler, ça va loin cette histoire, c’est le beat le plus contagieux du monde, le plus organique, le plus frais du marché, le plus direct car le plus simple. C’est le beat qui te parle. C’est une mécanique impitoyable, une sorte de retour aux sources d’ESG qui t’en souvient-il, te dilataient la rate dans les années 2000 et t’adorais ça. À quoi peut donc servir une rate sinon à ça ? 

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             Tu ramasses At Your Leisure au merch. Et tu y retrouves tout le punch du set, t’es dedans dès «For Sale», battu au shuffle et repris par le petit bassmatic mécanique. La voix de la p’tite Sandra est bien meilleure en studio. Ça se déroule avec «So So», tu crois rêver, toute cette modernité ! La basse est plus grasse, plus

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    ESG. Tu danses en permanence, t’as un beat juste sous la surface du beat, une espèce d’infra-beat. «Audacity» sonne comme un hit d’ESG. Cet album est une vraie fontaine de jouvence. Tout est drivé à sec, à la hussarde d’ESG. Ils enfilent les cuts comme des perles et tout est bien. T’en reviens pas. Tout est dense, tout est fin, tout est okay, surtout l’«Uh Huh» - Oh why ah-ah-ah-ah-ah - Sandra lance merveilleusement l’assaut de «Spy Song». Elle gueule sa modernité par-dessus les toits et t’as encore de la fantastique allure. Chaque cut est doté de vie, chaque cut est un petit objet rock moderne parfait. T’entends même du Magic Band dans ce «SG House» qui avance en crabe. Admirable ! Encore de l’heavy ESG avec «A Bouffant Off», bien contrebalancé par des petits riffs incisifs. On monte encore d’un cran dans l’avenir de la modernité avec «Sundae With Peanut». Tout est fabuleusement neuf et tonique, ça swingue dans l’essence même du beat de basse mécanique, t’as l’impression d’assister à une incessante course poursuite vers la perfe. Et ça rocke encore avec «Cut Snake» à coups de cold cold cold cold hearted snake. Cette fantastique petite industrie se déroule imperturbablement.

             Clickbait n’a rien à voir avec le post-punk. Ils héritent de la modernité inventée par Devo et réinventée par ESG. Ils en font un art de vivre. 13 cuts et pas un seul déchet.  

    Signé : Cazengler, Clickbait à manger du foin

    Clickbait. Le Trois Pièces. Rouen (76). 19 novembre 2025

    Clickbait. At Your Leisure. Clickbait 2024

    Concert Braincrushing

     

     

    On the Road(runners) again

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             Pour une fois, tu te pointes avec les oreilles complètement vierges. Tu ne connais les Roadrunners que de nom. Ça ne t’a jamais traversé l’esprit d’écouter les albums et encore moins d’aller les voir sur scène. T’avais déjà trop de boulot avec les Anglais. Apparemment, la reformation des Roadrunners est un événement : trois concerts complets, un au Havre et deux à la Maroquiqui. Un bon pote te file une place, alors t’y vas. On sait jamais. Personne n’est à l’abri d’une bonne surprise. C’est une façon comme une autre de bétonner les pré-requis. 

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             Le set correspond exactement à ce que tu pressentais : un rock français inspiré des groupes anglais et américains, bien en place, avec une bonne énergie et surtout, t’as une vraie voix. C’est la voix qui fait la différence, celle que d’autres groupes français n’avaient pas, on ne citera pas de noms. Frandol sait poser sa voix, on l’a vu à l’œuvre dans les François Premiers, un groupe qui sait secouer les colonnes du temple. Un groupe au-delà de tout soupçon.

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             Les Roadrunners taillent bien la route, oh ils n’ont pas vraiment les compos du siècle, mais tu passes du bon temps, ils savent rocker leur boat, et t’as des moments où ça tangue pour de vrai, et tu t’accroches au bastingage. Comme t’as la set-list sous le nez, tu suis bien l’évolution de ce set qui paraît interminable. Les Road gavent leurs fans comme des oies. T’as pas mal de dames aux cheveux blancs dans les premiers rangs et elles dansent, certaines connaissent même les paroles, alors ça t’émerveille. Tu te dis qu’au moins, ces gens-là n’écoutaient pas Johnny Hallyday.

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      Sur scène, Frandol choo-choote comme une fantastique locomotive, tu n’as d’yeux que pour lui, il storme bien ses vieux cuts, c’est le capitaine Achab du rock français, il sait garder obstinément un cap, il n’a d’yeux que pour la baleine blanche, et pouf, au beau milieu de la tempête, les Road te claquent une cover d’«Hey Bulldog», et là ça t’en bouche un coin, car à part Fanny, peu de gens ont osé taper dans ce vieux chef-d’œuvre de rocking Beatlemania. T’es bluffé, car la cover est superbe, pleine de jus, même si elle est drivée au piano électrique, alors que June Millington te drivait ça sur sa Les Paul, mais bon, tu te régales, car ça te sonne bien la cloche. Ça te flatte l’intellect. T’en as même des frissons. Ils vont taper une autre cover plus tard, celle du «Roadrunner» de Bo que vient chanter Daniel Jeanrenaud. Et puis ils entrent en éruption avec une pure stoogerie qui s’appelle «I’m Watching You» et tu vois le lead guitar claquer sur sa Tele le riff raff de Ron Asheton, et là tu comprends qu’ils écoutaient eux aussi les bons disques. Ils tapent encore deux gros blasters, «Just A Drop» et le fameux «Let It Beep» qui couronnent un show qu’on peut qualifier d’admirable. 

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             S’il faut écouter les albums ? Ton pote qui les connaît bien te met en garde : «T’auras pas le son du concert. Ça sera plus lisse». Bon, mais t’y vas quand même. Et par sécurité, tu commences par un live, Beep Show Live, qui date de 1992. Tu

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    retrouves ce fantastique performer à la proue des cuts, soutenu par un son de grattes très fouillé. Arrive très vite ce qui semble être leur hymne national, «Let It Beep» : belle cavalcade de ventre-à-terre et toujours cette voix bien posée à la limite du raw to the bone. Fantastique vélocité ! Tout ici est bien dense, bien carré, bien chanté, bien senti, bien foutu, bien jeté dans la balance. Retour au solide rockalama avec «Behind The Door/Wrong Track», drivé au claqué de poux bien sec et bien revigorant, et derrière, t’as une section rythmique qui bombarde la ville. Sur «Actor’s Illusions», Frandol a des faux accents de Chris Bailey, ce qui le rend éminemment sympathique. T’as toujours la voix, même si les compos ne sont pas au rendez-vous. Ils terminent avec un joli clin d’œil à Bo et une honorable cover de «Mona».  

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             Tu testes aussi leur dernier album en date, Sales Figures. Et là, tu vas aller de surprise en surprise. Si t’en pinces pour les grands chanteurs, alors  écoute «Couteau Naif». Cette belle allure gaga t’épate bien la galerie. Puis il chante son «French Kiss» mi French mi Kiss, d’une voix de proto de Boucherie - French Kiss/ J’ai l’eau à la bouche - Les ambiances de «Macadam River» sont réussies. Cet album est remarquablement bien foutu, bien orchestré, c’est un son qui te parle. Avec «Summertime Frog», il ramène la grenouille de Monsieur Quintron. Te voilà dans la Louisiane. Mais le meilleur est à venir : «Chatterton». C’est Kurt Cobain qui chante ! Frandol chante au raw de Kurt, c’est exactement le même Teen Spirit. Quel hommage ! Il refait son Kurt dans «Satellites». Tu sors de là complètement bluffé.

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             Tu retrouves les deux hits du set sur Instant Trouble : la belle stoogerie d’«I’m Watching You», où ils deviennent les maîtres des Orlocks, ah il faut les voir stooger dans la purée, mais c’est bien plus violent sur scène. Et bien sûr «Hey Bulldog», la cover du siècle, ou presque. C’est une pièce de choix, bien cocotée. Frandol fait du pur Lennon à coups de you can talk to me, et ça impose le plus grand respect. Ils tapent aussi «Contortions» en mode heavy rock US. C’est assez irréprochable. T’as beaucoup de son sur cet album. Par contre «Eye Of The Cyclone» est trop maniéré, trop rock français, tout ce qu’on déteste. Ils font une petite tentative de beat tribal avec «Beat Around The Bush». Tout le monde n’est pas Bo Diddley. Par contre, Frandol fait des merveilles sur «Don’t Wake Me Up». T’as la vraie voix. Ils regagnent la sortie en beauté avec «Don’t Look Down». Ça barde et c’est assez raw. La morale de cette histoire ? Les covers sont toujours plus sexy que les compos. T’y peux rien, c’est comme ça. «Hey Bulldog» balaye tout le reste. 

    Signé : Cazengler, roadruiné

    Roadrunners. La Maroquinerie. Paris XXe. 16 novembre 2025

    Roadrunners. Beep Show Live. Boucherie Productions 1992  

    Roadrunners. Instant Trouble. Boucherie Productions 1993

    Roadrunners. Sales Figures. Boucherie Productions 1995

     

     

    Faut pas faire joujou avec Joujouka

     - Part One

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             Dans Blues & Chaos: The Music Writing Of Robert Palmer : Dancing In Your Head, Robert Palmer consacre un texte majeur à Jajouka, un village marocain situé à environ 100 bornes au Sud de Tanger, et à Bou Jeloud, la réincarnation du dieu Pan. Palmer y cite deux ouvrages en référence : celui de Stephen Davis, paru en 1993, Jajouka Rolling Stone: A Fable Of Gods And Heroes, et celui de Michelle David, paru en 1991, The Dream At The End Of The World: Paul Bowles & The Litterary Renegades In Tangier. Penchons-nous sur le premier.

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             Curieusement, Stephen Davis ne cite pas Robert Palmer dans son récit. Il cite tous les autres, Brion Gysin, William Burroughs, Paul Bowles, Brian Jones, Ornette Coleman, mais pas Palmer. Comme Palmer, Davis est retourné plusieurs fois séjourner au village. C’est cette passion pour les Masters Musicians of Jajouka qu’il raconte au long de ces 300 pages qu’il faut bien qualifier de fascinantes. L’idéal pour apprécier la substance de ce récit est d’avoir séjourné dans des villages de montagne marocains, par exemple ceux du Haut Atlas. Ça permet de voir à quel point les mots de Davis sonnent juste, et de rappeler à quel point les gens perchés là-haut savent recevoir les étrangers. On y redécouvre ce qu’on appelle, dans les livres, «l’humanité».

             Alors, Jajouka ou Joujouka ? Au départ, c’est Jajouka. Dans les années 90, il y eut un schisme au sein des Master Musicians of Jajouka, schisme dont parle Davis. Il y avait d’un côté les Master Musicians of Jajouka autour le Bachir Attar, plus ouverts sur le monde, et de l’autre les Master Musicians of Joujouka autour de son cousin Ahmed El Attar, plus soucieux de la tradition. Nous allons donc continuer de faire joujou avec Joujouka.

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             Davis commence par remonter aux sources : the hill tribe of Ahl Sherif, leur folklore et cette tradition qui raconte que Bou Jeloud descendit jadis de la montagne pour danser avec eux et bénir leur village. Bou Jeloud se présentait comme le Father of Flocks, le Master of Skins. Il jouait aussi de la flûte, la fameuse flûte de Pan. Davis glisse très vite sur Brian Jones, founder and essence of the Rolling Stones - He was the flower of his generation of English artistes, at least until his considerable decline and murder - En 1968, une voix murmura à l’oreille de Brian Jones : «Pan the goat god is still dancing up there. You must see it and hear the music. It’s a tribe of musicians, priests of pan, smoke kif all day, music all night, dancing boys.» Brian Jones s’ennuyait à mourir avec les Rolling Stones et cette voix qui était celle de Brion Gysin le ramenait à la vie. Et Gysin continuait : «C’est important pour vous de découvrir cette musique. I mean, my dear, it will change your life. It changed mine. Elle change la vie de tous ceux qui la découvrent. It’s a trip and a half. Vous pouvez me faire confiance. On peut y aller quand vous voulez, quand vous êtes prêt. Say the word. Let me take you there.»  

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    Brion Gysin

             Avec Bou Jeloud, Brion Gysin est le personnage clé de ce récit. Quand Davis le rencontre à Tanger, Gysin est dans ses mid-fifties, mais il est resté «ruggedly handsome as a Swiss mountain guide». Gysin est un musicologue, il explique tout à Davis : «The musicians are rather aristocratic Arabs in a Berber society». Il rappelle aussi que Brian Jones est revenu à Tanger en 1968 avec sa girlfriend Suki et l’ingé-son George Chkiantz. Ils voulaient enregistrer les Master Musicians. Pendant leur séjour à Jajouka, Brion et Brian papotaient, et ils virent arriver deux Musiciens avec une chèvre blanche. L’un des deux brandissait un long couteau. Brian vit la lame et comprit qu’on aller buter la chèvre, alors il se leva d’un bond, paniqué, et s’écria : «That’s me !». Et tout le monde acquiesça, oui, elle te ressemble : la chèvre avait une frange claire sur les yeux, and I could only say, of course, that’s you. Brian était blanc comme un linge, as if he’s had some kind of premonition.

             Brion et Brian ne séjournèrent qu’une seule nuit à Jajouka, et rentré à Tanger, Brian passa son temps à écouter les bandes, intrigué par cette musique issue de la nuit des temps. Rentré à Londres, Brian tenta d’intéresser les autres Rolling Stones aux flûtes de Jajouka. Chou blanc. Et quelques mois plus tard, on le retrouva noyé dans sa piscine - Drowned, ODed, murdered, who knows? You’ve heard all the stories, conclut Brion sur Brian.

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              Davis reverra Brion à Paris, où il s’est installé, au 135, rue Saint-Martin, dans le Marais. Infatigablement, Brion revient sur Jajouka, un phénomène auquel il dit s’intéresser depuis 30 ans. Davis campe la scène comme le ferait Huysmans dans Là-Bas, il fait parler un spécialiste. Brion dit avoir étudié le sujet en profondeur et découvert que les Masters Musicians préservent des éléments de rituels gréco-romains. Il explique aussi que leur circular breathing is a form of the Sufi Zikr - But what else? Some other aspect of Jajouka was, I intuited, still a secret - Brion s’exprime comme Carhaix, le sonneur de cloches de Saint-Sulpice. La première fois qu’il entendit cette musique, Brion affirme qu’il voulut l’entendre chaque jour de sa vie. Alors les Master Musicians lui proposèrent d’ouvrir un café à Tanger où ils pourraient jouer tous les soirs. Puis Brion découvre rapidement que les Master Musiciens célèbrent le culte de Faunus, the Roman god  qui avait établi l’équilibre entre la cité et les champs, qui veillait à la fertilité des troupeaux et des femmes. Et tout cela l’a ramené aux processions rituelles des Dionysian Mysteries, dont parle aussi Palmer dans son récit : «Quand Marc Antoine revêtu d’une peau de bête fit la course des Lupercales à Rome, César lui demanda de frapper Capunia, sa femme stérile, en courant. Aujourd’hui, Bou Jeloud danse dans la peau d’un bouc fraîchement massacré, avec un immense chapeau de paille attaché au-dessus de ses oreilles, son visage, ses mains et ses pieds sont noircis au charbon, et on dit que les femmes qu’il fouette avec sa branche seront enceintes dans l’année.»

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             Et l’historien-musicologue Brion repart de plus belle : «Pendant des années, je n’ai vu que trois principaux aspects, The Roman Bou Jeloud, the Sufi techniques from the old Persian world, and the cult of Hamid Sherq. Mais pensez à ceci : Lixus was a great center of Phenician worship and ritual. À une époque, on détruisit Lixus. Peut-être les Romains, peut-être the Beni Hallal, a fierce Arabic tribe.» Selon Brion, ce sont les gens de Lixus qui se sont installés dans la montagne, à Jajouka - Ils se sont installés là avec leur religion secrète et leurs ‘unspeakable practices’, and absorbed everything that came along - Roman gods, Islamic saints, Moroccan kings, the Rolling Stones - Puis Brion explique d’où vient le nom de Jajouka : Jouka signifie owl, c’est-à-dire la chouette - Dja-jouka means Owl Mountain! Jajouka means the way to Owl Mountain. Aisha Hamoka est une chouette, with grey eyes like Minerva. And they always told me she was there in the village long before Bou Jeloud... Vous voyez où je veux en venir ? La chouette est le symbole que les Phéniciens utilisaient pour leur mother goddess, Astarte. It’s the Old Religion, older thant human memory. C’est pourquoi ils se trouvaient à Sidi Kacem, that old Phenician place! Lixus is the missing link - Selon lui, les prêtres du culte d’Astarté se sont réfugiés à Jajouka.

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             Brion est un amoureux de la vie et des mystères de la vie. Quand Davis le rencontre pour la dernière fois, Brion est plutôt amer - You know, the whole world is turning to shit. Everything real is dying and no one can stop it. Soon the entire planet is going to be a pathetic theme park. It’s a real shame, man. A bankrupt fucking theme park. And that’s the truth. I’m glad I’m not  gonna be around to see it - Puis Brion salue une dernière fois les Master Musicians : «They were magic. That’s all. They had very little to do with the reality of this world.» C’est un petit cancer du poumon qui va l’emporter dans l’au-delà, en juin 1986. Il continua de fumer de l’herbe jusqu’à la fin. Puis son corps fut incinéré et ses cendres dispersées, non à Jajouka comme il le souhaitait, mais near the Caves of Hercules by Cap Spartel.  Davis devient affreusement lyrique avec la disparition de son mentor : «Des amis ont remarqué que the best conversation in the world had died with Brion. He was the linging link to the romantic Orientalism of the nineteenth century and beyond, through the bottomless well of the past. The world seemed diminished by his death.»

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             Davis rencontre aussi Paul Bowles qui vit toujours à Tanger. Il a 67 ans et Davis le voit comme «the great forgetten man of modern American litterature». The Sheltering Sky est l’une des références des Beat writers. Devenue folle, sa femme Jane Bowles cassa sa pipe en bois en 1973 à Tanger. Bowles se spécialisa ensuite dans des dope stories, telles que les lui racontaient son protégé originaire du Rif, Mohammed Mrabet. Comme Brion, Bowles est un musicologue. Il évoque the Jilala music qui permet d’entrer en transe, de se battre avec des couteaux, de boire de l’huile d’olive bouillante et de marcher sur des charbons ardents. Bowles dit avoir vu à Meknes des gens avaler des scorpions et des serpents vénéneux vivants. Ils leur arrachaient la tête d’un coup de dents et la crachaient au sol - Et le lendemain ? No scars. No nothin - Quand Davis lui demande s’il lui est arrivé d’avoir peur au Maroc, Bowles répond : «Frightened? No. Delighted, mostly. I always expected to see what I saw.» Il précise qu’il est arrivé au Maroc en 1931.

             Davis évoque aussi les fameuses putes berbères tatouées sur les joues auxquelles Brian Jones fit aussi référence à Marrakech - tribal tattoos on their cheeks and shaved pussies - Il évoque aussi trois Stradivarius découverts par les Espagnols à Jajouka - How did they get there? Musicians brought them home, of course - Davis fait référence aux Maures chassés d’Andalousie en 1492 par Isabelle la Catholique. Tout est extrêmement chargé d’histoire dans ce book, ce qui le rend palpitant de bout en bout. Y grouillent encore mille détails qu’on ne peut étaler ici, mais qui te rendront cette lecture infiniment délicieuse.

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             Davis évoque aussi l’album d’Ornette Coleman enregistré à Jajouka avec les Master Musicians en 1971 et paru en 1977, Dancing In Your Head. Davis parle d’une mad salad of noise. Robert Palmer n’est crédité que sur un seul cut, «Midnight Sunrise». Palmer y joue de la clarinette. L’antiquité du Maroc te saute au pif. Quand t’as été au Maroc, tu sais de quoi on parle. Te voilà de nouveau confronté à la plus ancienne des réalités. Ornette affronte l’ancien mythe d’Astarté. Le son t’englobe. Le son t’avale. Les Master Musicians avalent l’Ornette qui souffle dans son cornet comme un beau diable. C’est ultra-saturé de clameurs qui parlent directement à ton for intérieur. Les deux autres cuts de l’album sont du jazz classique, mais libéré de ses chaînes. C’est du free libre de ses mouvements et joué au contrefort de percus désossées. T’as deux guitares en contrepoint du contrefort. L’Ornette roule ad vitam et fonce dans le tas de percus et de poux sibyllins. Tu retrouves les guitares vénéneuses dans «Theme From A Symphony (Variation Two)» et un très beau background orientalisant. Ça te donne au final un très beau groove de poux funky enrichi à outrance par le délire de l’Ornette.  

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    Stephen Davis

             Quand sa fille naît aux États-Unis, Davis la baptise Aisha. On ne peut pas faire plus joujoukien - Of course, I couldn’t get Jajouka out of my mind - Il écoute ses enregistrements à longueur de journée, comme le fit en son temps Brian Jones - Gradually, word got out that I had become obsessed, and this was propbaly true - Davis se souvient des nuits passées à fumer du kif et à écouter les Master Musicians - I saw Brian Jones slumped in a corner, comatose under his headphones. I watched William Burroughs and Brion Gysin laughing and drinking whisky with Hamsa. Malim Ashmi, leaning on his stick, crackeld about sheep tongues and the pick of the litter. Dancing boys in frilly pink dresses whirled as tambourines rattled like snakes - Davis nous livre ses hallucinations.

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             Davis a aussi interviewé William Burroughs à Boston en 1974. Burroughs avait séjourné plusieurs fois à Jajouka et avait intégré des éléments de la Boujeloudiya dans ses romans, The Ticket That Exploded et Nova Express. Burroughs n’y va pas de main morte : «La chance qu’ont eu les Marocains, c’est de n’avoir jamais eu un Saint-Paul qui leur dit ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire. Ils n’ont pas la même attitude que les Chrétiens face à l’homosexualité ou à toute autre forme de sexualité. Leur sexualité est plus, shall we say, casual, c’est-à-dire décontractée. Pas de crispation, pas de culpabilité, pas de complexes, rien de tout cela.» Burroughs qui a 60 ans à l’époque dit qu’il a rencontré Brion en 1954 à Tanger, mais ils ne se voyaient pas beaucoup car Brion était occupé avec son cabaret, The Thousand and One Nights - Les 1001 Nuits - où jouaient chaque soir les Master Musicians. Puis il revit Brion à Paris en 1958. C’est Hamsa qui a emmené Burroughs à Jajouka en 1964. Il dit aussi que le village a changé, et qu’on a remplacé les toits de terre par de la tôle ondulée. Davis lui demande alors si la magie est toujours là - Ummmm. Still plenty of magic in Jajouka. Lots of it. They’re still living, to some extent, in the magical world. Avez-vous remarqué l’odeur qui se dégage des Musiciens quand ils jouent ? C’est comme un crépitement dans l’air, un mélange d’ozone et d’encens. Ils ont certainement un lien avec le poète persan Farid ud-Din Attar, qui écrivit un magnifique poème philosophique, The Conference Of The Birds, au XIIe siècle. Ils produisent cette odeur avec leur music. To me, that’s magic.

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             Davis rencontre aussi Keef pour une interview, au Rockefeller Plaza. Le Keef est stone drunk. Il demande à Keef de rééditer le Brian Jones’ Jajouka album. Keef dit non - That was Brian’s idea. I thought he did very well on that - Puis Jagger se pointe et au nom de Brian Jones, il fait une grimace. Pas question de rééditer l’album. Ça coûterait trop cher, «and no one cares about it anyway.»  

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             En dépit du qu’en dira-t-on, Brian Jones Presents the Pipes Of Pan At Jajouka n’est pas l’album que l’on croit. On peut l’écouter à différentes époques de la vie, le résultat sera toujours le même : t’as les flûtes de Pan qui sortent de la nuit des temps, et c’est tout. T’as les heavy drums, mais il manque l’essentiel : la transe. C’est un son qui se barre dans les fastes de l’Antiquité. On comprend que cette forme de brutalité primitive ait pu donner le vertige à Brian Jones. Cette effusion reste hors du temps. Cette énergie subliminale a dû dépasser Brian Jones de la même façon qu’elle nous dépasse. Dans «Your Eyes Are Like A Cup Of Tea», t’entends la flûte de Fellini. On retrouve la trace d’Astarté dans le Rif. Là oui, t’as le vrai beat antique. La transe remonte depuis le fond de la nuit des temps. Le tambour qui entre longtemps après n’entre pas, et pendant cinq longues minutes, ça bascule dans la désolation. Une flûte issue du néant retourne dans le néant. C’est l’album du chou blanc.

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             Il vaut mieux écouter l’album des Master Musicians Of Jajouka Featuring Bachir Attar, Apocalypse Across The Sky, paru en 1992. T’y retrouves les vraies sonorités marocaines et les chœurs de femmes. Tu retrouves la flûte de Pan dans «El Madahen», bientôt suivie des tambours. T’as là le plus tribal des beats. Astarté fait quelques apparitions. La plupart des cuts se mettent doucement en route, à l’ancienne mode de la nuit des temps. Les attaques aux flûtes de Pan sont puissantes. Tout est bâti sur le power de la transe et l’arythmie. Le beat des tambours établit un lien avec l’Afrique noire. Tu remontes aux origines de l’humanité. Astarté revient de temps en temps, toujours très lancinante, très ancestrale, très traditionnelle. T’as des cuts très orientaux («Shar Yagelbi Sbar») qui sentent bon la confrérie, l’ensorcellement soufique et les clameurs antiques. Et soudain, t’as le Jajouka de tes rêves avec «On Horseback». Les cuivres te déchirent la conscience. Ils t’ouvrent à Pan.

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    Continental Drift in Street Wheels

             Bon, Jagger finira par aller à Jajouka en juin 1989, vingt ans après Brian Jones, et par enregistrer «Continental Drift» avec Bachir Attar. Bachir dit qu’il avait 7 ans quand Brian Jones est venu à Jajouka.

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             On garde le meilleur pour la fin : Bou Jeloud. Pour voir danser Bou Jeloud, il faut aller à Jajouka en octobre pour l’Aïd el Kebir, la Fête du Mouton. Les tambours lancent le Bou Jeloud’s chase music et c’est la panique - it was the music of chaos - Davis sent que le changement de rythme altère son rythme cardiaque, et les rhaitas entament des wild Persian snake lines - the rhaitas braying out a cosmic drone - Bou Jeloud apparaît en criant HUT !, il frappe les gens avec ses branches de laurier, il porte des peaux de chèvre qui puent, et un bonnet de paille qui enferme son visage noirci. Il semble que la description qu’en fait Palmer soit plus explosive. Bou Jeloud se jette sur Davis qui aperçoit deux yeux jaunes dans l’ombre du bonnet de paille, Jesus !, s’écrie-t-il.

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             C’est en bouquinant un book d’Edward Maestermark publié en 1927, Ritual And Belief In Morocco que Davis a découvert que le rituel de Bou Jeloud remontait au temps des Romains, quand le Maroc était une colonie punique de Rome. Au mois de février, des hommes couverts de peaux de bêtes couraient dans les rues et fouettaient les gens avec des branches de laurier. On appelait les branches des februa et le jour des Lupercales s’appelait dies februatus. Le mot february vient de là. Et quand Brion Gysin vit pour la première fois Bou Jeloud fouetter les femmes le jour de l’Aïd el-Kebir à Jajouka, il fit immédiatement la relation avec the «holy chase» que décrit Shakespeare dans Julius Caesar : vêtu de peaux de bêtes, Marc-Antoine court fouetter les femmes dans les rues de Rome, et la sienne en particulier qui est stérile.

             Pour Davis, Bou Jeloud est le «god of chaos, the god of frenzy and panic, the god of the bonfire, the god of dance fever, the god of jealousy and sexual rage.» Il aurait pu ajouter the god of rock’n’roll.

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             Brion dit un jour ceci à Davis : «Si un jour, les fils électriques montent jusqu’à Jajouka,  ce sera la fin de Bou Jeloud. Old gods don’t mix well with light bulbs and television.» Méditez bien ceci, les gars. On ressent quasiment le même malaise aujourd’hui quand on voit tous ces fucking smartphones dans les concerts de rock. Ça ne mixe pas bien du tout avec le culte de Dionysos.

    Signé : Cazengler, jajoukaka

    The Master Musicians Of Jajouka Featuring Bachir Attar. Apocalypse Across The Sky. Axiom 1992

    Ornette Coleman. Dancing In Your Head. A&M Records 1977

    Brian Jones Presents the Pipes Of Pan At Jajouka. Point Music 1995    

    Stephen Davis. Jajouka Rolling Stone: A Fable Of Gods And Heroes. Random House Inc 1993

     

     

    Inside the goldmine

     - Deep South

             Jossou dirigeait son centre de formation d’une main de fer. Les esprits chagrins le lui reprochaient, les autres comprenaient que la gestion d’une centaine d’adultes parqués dans un centre excentré pendant un an requérait certaines aptitudes. Le centre appartenait à une multinationale qui chaque année transformait des gens tirés du cru en agents de maîtrise. Jossou devait donc veiller à ce que la mutation se passât bien. On arrachait des gens des ténèbres des ateliers de maintenance pour les envoyer grenouiller dans les réunions de cadres, et donc la mutation était à la fois génétique, intellectuelle et sociale. Non seulement Jossou veillait à la qualité des cours et donc des intervenants, mais il «entraînait» littéralement les apprenants au combat, leur expliquant chaque matin lors d’un petit prêche que «le combat allait être rude» et que «pour manager les hommes, il fallait savoir faire autorité.» Il se foutait bien sûr le doigt dans l’œil. On subissait donc les rigueurs de sa main de fer. Il n’autorisait aucun retard en cours. Il demandait le silence pendant les repas au réfectoire. Il imposait la messe du dimanche matin et fixait l’extinction des feux à 22 h. On se serait crus dans une école de gladiateurs dirigée par un Jésuite. Jossou était un petit homme aux cheveux gris et au visage marqué. Il portait des lunettes à montures fines dont le double foyer grossissait jusqu’au délire ses petits yeux clairs. Ne lui manquait que la soutane. Une nuit, nous décidâmes d’aller rôder dans les alentours du pavillon cossu qu’il occupait à l’extérieur du centre. Il devait être minuit passé et nous vîmes de la lumière aux fenêtres du rez-de-chaussée. Intrigués, nous approchâmes. Quelle surprise ! Jossou se trouvait en compagnie d’une dizaine de personnes que nous reconnûmes comme étant les notables du village : le maire, le notaire, le gendarme et bien sûr l’abbé. Les épouses étaient là, bien sûr, mais elles ne portaient que des bijoux. Le spectacle de ces vieilles femmes nues avait quelque chose de satanique. Jossou portait une soutane. Il s’adonnait à son sport favori, le prêche et il arpentait le salon de long en large. Soudain, on le vit de dos. La soutane était découpée depuis le bas des reins jusqu’aux pieds, offrant à qui voulait bien voir le délicieux spectacle de son petit cul glabre.  

     

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             Pendant que Jossou se livre à des orgies, Joe South délivre des classiques.

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             Tu finis toujours par revenir à Joe South. Comme Tony Joe White, il fait figure d’originator. Son premier album, Introspect, date de l’âge d’or, c’est-à-dire de 1968. Il peut sonner comme Elvis («Don’t You Be Ashamed») ou comme Tony Joe White («Gabriel»). C’est dire s’il est complet. Il tape aussi des beaux balladifs de la frontière, avec des roses et des bivouacs («All My Hard Times») et peut éventuellement taper une belle Americana rootsy as hell («Redneck»). On le connaît surtout pour son génie balladif, il porte «The Greatest Love» à bouts de bras, dans l’air pur de la frontière, en pleine Conquête de l’Ouest. Encore une belle compo en B avec «These Are Not My People». Il te travaille ça au corps.

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             Pochette classique d’American rock album pour Games People Play. C’est du pur Capitol de 1969, un vrai cartonnage US. Dès «Party People», Joe South sonne comme Elvis. C’est de la très haute voltige. Il peut aller chanter par-dessus les toits de Memphis. Même chose avec «Concrete Jungle». Joe a du coffre, il reste dans l’orbite d’Elvis. C’est un cake. Puis il bascule dans la Mad Psychedelia avec «Hole In Your Soul», c’est gorgé de sitars et d’Orient en feu. Il attise bien la fournaise. Il attaque sa B des anges avec une belle cover d’«Hush» au nah nah nah, early in the morning. Quel beau jerk ! Billy Joe Royal en fit ses choux gras. Et voilà que Joe sonne comme Scott Walker sur «Leanin’ On You». Hey Joe ! Il dispose d’une belle hauteur de vue et d’un timbre d’airain. Il retape ensuite le «These Are Not My People» de l’album précédent et rivalise avec les géants du balladif US. Il a toutes les finesses du génie pop, il a aussi des trompettes mariachi et des violons. C’est merveilleusement capiteux. Droit au cerveau.

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             On commence par se régaler de la pochette de Don’t It Make You Want To Go Home. Joe porte sa veste en daim et fixe l’objectif d’un œil déterminé. On découvre sur cet album l’une de ses facettes les plus intéressantes : le gospel. Oui, Joe est un fabuleux Gospel shouter, comme le montrent «Shelter» et «Before It’s Too Late». Il a derrière lui toute la clameur des Edwin Hawkins Singers ! Franchement t’en reviens pas d’entendre un blanc taper le Gospel batch aussi bien. L’autre coup de génie de l’album est le «Clock Up On The Wall» d’ouverture de balda. C’est un balladif bien soutenu. Joe crée un monde fascinant, il chante upfront avec un tic tic et des nappes de violons. T’es encore frappé par la fière allure et l’incroyable densité de «Bittersweet». Quand il tape un r’n’b («What Makes Lovers Hurt One Another»), il le fait avec des chœurs de gospel. Tu te régales encore de son extraordinaire texture vocale dans «Be A Believer». C’est ce qu’on appelle par ici une grosse compo.     

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             En 1971, il enregistre un bien bel album sans titre. On reste sur Capitol avec Joe South. Il est accompagné par The Atlanta Rhythm Section et tape une belle country pop de gorge profonde. Mais ce n’est pas non plus la panacée. Avec «Rose Garden», il tape une petite pop de beg your pardon, et vise le Totoring avec ses castagnettes. Cette coquine de viande se planque en B, avec notamment «How Can I Unlove You», une belle pop-rock élancée qui aimerait bien sonner comme un hit. Il refait enfin son Elvis sur «You Need Me» et s’en va groover comme un cake avec «Devil May Care». Il y fait son Van Morrison, avec une voix qui porte aux quatre vents et un fil mélodique fabuleux. Il flotte dans l’air magique d’une pop d’Atlanta, le cut chaloupe des hanches in the Southern breeze, yeah devil may care.

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             Peux-tu rêver d’une pochette plus psychédélique que celle de So The Seeds Are Growing ? Non, bien sûr. Il reste dans cette pop de gorge chaude et ne lâche pas sa rampe. Ce n’est pas son genre. Il sait rocker un jerk de juke comme le montre «I’ve Got To Be Somebody» er son «Revolution Of Love» reste typique de l’époque : pop-rock très orchestrée. En B, il s’en va taper une belle cover du «Drown In My Own Tears» de Ray Charles. Joe sait challenger son Ray. Il tape ensuite un «Lady Moonwalker» signé Mars Bonfire et continue de bien dominer la situation. Il refait ensuite son Tony Joe White avec «Motherless Children». C’est vraiment très swampy !   

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             Puis on entre dans la série des pochettes ratées avec celle d’A Look Inside. Ce qui ne l’empêche pas d’aller faire son Tony Joe en B avec «Misfit» et d’attaquer son balda avec un shoot de Gospel batch, «Coming Down All Alone». C’est même de l’heavy country-gospel avec des chœurs superbes. Joe reste le power cat que l’on sait. Son «It Hurts Me Too» est digne de Tonton Leon, même panache, on est en plein dans la veine Mad Dogs & Englishmen. Et boom, voilà le coup de génie de l’album : «Real Thing» qu’il attaque au raw du groove, alrite ! En B, tu vas encore te régaler de «Save Your Best», un balladif d’ampleur universaliste. Il frise encore la grosse compo avec «I’m A Star». Tu sens le souffle dès l’aéroport.

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             Et pour conclure ce bref panorama, voilà Midnight Rainbows, un Island de 1975. Il refait vite fait son Elvis sur le morceau titre d’ouverture de balda, puis il fait son John Lennon sur «You Can Make It If You Try». C’est dire l’étendue de sa polymorphie. On retrouve le fantastique chanteur de balladif avec «My Fondest Memories». En B il revient à la petite pop fraîche chantée de main de maître («To Have A Hold And Let Go») puis il refait son Van The Man sur «Stranger In A Strange Land». C’est du solide. Dans l’esprit, ça reste très Tonton Leon. Encore du gros son avec «Glad To Be Living On The Earth Today», soutenu par une grosse disto sautillée. Alors ça sonne comme un hit texan.

    Signé : Cazengler, Joe Sot

    Joe South. Introspect. Capitol Records 1968

    Joe South. Games People Play. Capitol Records 1969

    Joe South. Don’t It Make You Want To Go Home. Capitol Records 1969  

    Joe South. Joe South. Capitol Records 1971 

    Joe South. So The Seeds Are Growing. Capitol Records 1971  

    Joe South. A Look Inside. Capitol Records 1972      

    Joe South. Midnight Rainbows. Island Records 1975

     

     

    *

             Se passent des choses dans ma tête. Rassurez-vous je ne vais pas tout vous raconter. Je ne veux pas que vous deveniez fous. Toutefois sachez que tous les trois mois, c’est un peu comme les marées d’équinoxe, toute mon intelligence est obnubilée par une question à laquelle je ne puis apporter aucun élément de réponse. Ce phénomène survient systématiquement après la lecture du dernier Rockabilly Generation News. Je suis obligé de reconnaître que cette livraison était parfaite, jusque-là tout va bien, je bois du petit lait comme diraient Dany Logan et ses Pirates, c’est après que tout se gâte : cela devient une obsession : Mais que Sergio Khas et son équipe vont-ils pouvoir inventer pour obtenir que le prochain numéro soit aussi bon que le précédent ?

             Remarquez : ils ne réussissent pas à tous les coups, ce trente-sixième fascicule n’est pas aussi bon que le trente-cinquième, jugez-en par vous-mêmes, il est un cran (sans arrêt) supérieur !

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    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 36

    JANVIER – FEVRIER - MARS

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             Jean-Louis Rancurel ouvre sa malle à trésors photographiques. L’en sort le troisième chaton de la couvée primordiale du rock’n’roll français. Dick Rivers ! Les parents de Jean-Louis devaient aimer les bêtes puisqu’ils l’ont laissé s’aventurer la nuit dans Paris pour voir Les Chats Sauvages. Des adultes peu inconséquents tout de même, l’en est revenu avec une belle griffure. Là où ça fait le plus mal : au cœur ! L’est devenu fan. L’est sûr qu’avec un titre comme Ma p’tite amie est vache nos félins niçois se démarquaient de la concurrence. Le courant passe entre Dick et Jean-Louis, le voici élu photographe officiel du fan-club Dick Rivers. Résultat : tout un flot de photos de Dick étonnantes. J’ai toujours aimé Dick Rivers, ma cousine en était fan, mais je l’ai vraiment apprécié en 1972, lorsqu’il s’est exilé en studio à Toulouse, pour enregistrer Dick’n’Roll (et tout ce qui s’en suivit), à l’époque Eddy Mitchell passait son temps à médire des Chaussettes Noires, et Johnny attendra plus de deux ans avant de s’envoler pour Memphis… bref ils prendront le train du revival en retard. Se fâcheront avec Dick plus tard…

             Ce coup-ci c’est moi qui suis griffé au cœur, me souviendrai toujours de cette fin d’après-midi, les Capitols sur scène et leur interprétation magique de Baby Blue de Gene Vincent, un moment hors du temps, ce n’était plus les Capitols, c’était l’esprit de Gene qui avait pris les commandes… Faut toujours retrouver les coupables des bonnes actions, Sergio donne la parole à Stéphane Birin, des Capitols. L’est en pleine forme Stéphane, lui c’est un méchant crabe qui a refermé ses pinces assassines sur ses abattis, s’est débattu, on n’avait vraisemblablement jamais appris à ce maudit crustacé qu’il est inutile de s’attaquer aux rockers, ils ne sont pas immortels, mais presque. Ce fut dur, mais après dix ans, les Capitols se reforment, l’on n’attend plus que les prochains concerts et une galette capiteuse. Une autre bonne nouvelle, elle date de longtemps, Steff se raconte, enfance, adolescence, première guitare, premières ébauches, premiers groupes, toute une saga rock’n’roll passionnante, une vie le rock’n’roll chevillé au corps, en une époque où beaucoup prétendaient que c’était une cause perdue. Réveil, revival, renaissance, continuité.

             Racines avec Julien Bollinger. Je n’ai jamais compris pourquoi le nom de Wynonie Harris ne faisait partie de la liste des pionniers du rock’n’roll. C’est sûr que son prénom est difficile à orthographier, et puis c’est un black. Un peu trop agité. Si quelqu’un vous demande c’est quoi le rock’n’roll : donnez-lui à lire la première colonne de la rubrique. Ne vous alarmez pas s’il part en courant et s’il dénonce Wynonie aux ligues féministes, Wynonie l’avait son franc-parler, tout comme il avait son franc-chanter dans le micro. Une éruption, une irruption, volcanique. Elvis lui doit beaucoup. Mais l’élève ne dépasse pas toujours le maître. Toute la différence entre imitation et édulcoration. Un portrait saisissant, un personnage extraordinaire, l’a brûlé la chandelle de son existence par les deux bouts !

             Cette fois le muscle cardiaque n’est pas déchiré mais les nouvelles de Chris Bird et des WiseGuyz font chaud au palpitant. Les news sont bonnes, Chris a pu quitter l’Ukraine et ses bombardements incessants, l’attend en Allemagne son permis de séjour, l’a reformé un groupe, l’on comprend entre les lignes que ses nouvelles recrues ont besoin de progresser. Si tout se passe bien, bientôt il pourra donner des concerts avec sa nouvelle formation : les WiseGuyz.

             Compte-rendu des festivals, Parmain s’est terminé (définitivement) en beauté  avec un concert explosif : Jake Calypso, Barny and the Rhythm All Stars, et Spunyboys. Ce genre de sauvage regroupement devrait être interdit ! Un Pleugueneuc un tantinet chaotique, y avait tout de même du beau monde. Et le petit dernier Rock’n’Rebel Night qui fin octobre a tenu à Villepot (Morbihan) sa première prestation, derrière ce nouveau festival l’ombre du Grand Dom. L’avenir s’annonce prometteur. On a du pot. Sans parler des superbes photos de Sergio Khaz. Dans trente ans a-t-il pensé que tout comme Jean-Louis Rancurel il ouvrira ses archives pour une nouvelle revue de Rockabilly qui viendra chercher des documents inédits.

             Ne nous reste plus qu’à vous souhaiter une bonne lecture.

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News (1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 6 Euros + 4,72 de frais de port soit 10,72 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 39 Euros (Port Compris), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( Rajouter 1,10 € ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! 

    *

             Si vous croyiez que l’on allait vous laisser tranquillou à reluquer la revue, c’est raté, Sergio Khaz aggrave son cas, il se prend pour le Père Noël, l’a concrockté un petit truc en plus…

    THE SPUNYBOYS

    2006-2026

    ROCKABILLY GENERATION HORS-SERIE N° 7

    (2026 / 12 Euros)

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             Ce n’est pas le premier Rockabilly Genération Hors-Série. Toutefois celui-ci c’est différent. Gene Vincent, Vince Taylor, Elvis Presley, des figures de proue, mythiques, certes, mais ils ont disparu depuis des années, Crazy Cavan aussi, depuis beaucoup moins longtemps, mais l’était déjà une légende de son vivant. Suffit de regarder la couve, la différence saute aux yeux, nos trois Spuny  sont en pleine force de l’âge. Vingt ans déjà, mais ils ont commencé tôt. Sont en pleine gloire, un parcours fabuleux, mais sont si pleins de ressources qu’ils n’ont pas atteint leur apogée. Ce n’est pas qu’on attende mieux, c’est que l’on sent qu’eux-mêmes ne sont pas encore entièrement satisfaits de leurs parcours.

             La revue raconte leur histoire. Depuis le début. Une photo fabuleuse, de famille, Rémi et Guillaume déguisés en cowboys. Deux enfants mais qui depuis tout petits fréquentent le Conservatoire, qui s’essaient à plusieurs instruments… Ne se fixeront que plus tard sur leur instru de prédilection. Disons qu’ils attaquent la musique par toutes ses faces. Le père est tromboniste de jazz, n’en sont peut-être pas tout à fait conscients mais leur boussole destinale ne marque pas le Nord, l’aiguille se fixe sur l’Ouest.

             Le troisième homme, lui il est tombé dans la marmite rockabilly depuis le jour de sa naissance. Vous avez une photo, je n’ai jamais vu un bébé si petit, ses parents emmènent leur Eddie dans les festivals de rockabilly, se retrouve assez vite avec une guitare dans la main. Bon sang ne saurait mentir.

             Les deux frères de Lille, le troisième de Dijon. Ils étaient faits pour se rencontrer. Z’ont tous les trois un point commun : ils écoutent beaucoup de zique, ils pratiquent beaucoup, mais chacun essaie de se rendre maître de son instrument, ce n’est pas qu’ils apprennent à bien jouer, c’est que chacun se pose les problèmes de telle façon que lui seul puisse les résoudre. Les solutions elles se trouvent dans toutes sortes de musique, blues, jazz, rock, country, la liste n’est pas exhaustive, faut les repérer et les transposer à soi-même, une appropriation nourricière qui vous permet de poser vos propres fondations.

             Ce n’est pas facile, même s’ils ont acquis une habileté diabolique, et s’ils ont appris à jouer ensemble, c’est-à-dire à se compléter entre eux tout en restant soi-même. Cette méthode a sa contrepartie, vous avez à tout instant le sentiment d’être arrivé au maximum  de vous-même, ce qui engendre un sentiment de frustration, qui se transforme en insatisfaction qui vous pousse à progresser encore et encore.

    Ecoutez-les dans leurs interviews. (Y en a toute une série dans l’ordre  chronologique). Oui ils sont contents de leurs prestations scéniques, grâce à elles ils ont su fédérer un vaste public enthousiaste, par contre côté disque, il leur manque quelque chose, ne serait-ce que dans la technique d’enregistrement, mais surtout dans le résultat final, une dimension qui leur échappe. Sur scène à tout instant vous pouvez sublimer un truc, plus ou moins ceci ou cela, mais sur disque une fois gravé dans la cire c’est ne varietur pour l’éternité. Mais cela les rassure, chaque prestation, chaque expérience est une marche de plus sur l’escalier du désir.

    Un conseil personnel si vous n’avez jamais vu les Spuny sur scène ne vous focalisez pas sur les vols du gros papillon, vous en aurez une idée en visionnant les photos, Rémi est incapable de garder sa big mama sagement posée à côté de lui, l’envoie balader et baldinguer, un peu partout, lui-même ne peut pas rester en place, un coup il est Tarzan, puis funambule, puis alpiniste, en fin de compte il la catapulte trampoliner  dans les airs, il la rattrape toujours. En plus il chante. Maintenant occupez-vous des deux cachotiers. Font la même chose mais en douce. Par exemple Guillaume les fesses collées sur son tabouret, ne lui filez pas le bon dieu sans audition, il va vous le casser en mille morceaux, l’envoie des sons dans tous les azimuts, un véritable bordel, oui mais si vous écoutez vous vous rendez compte qu’il poinçonne une véritable symphonie, aussi réglée qu’une partition de Brahms ou de Chostakovitch, un éléphant dans un magasin de porcelaine, qui ne vous casse jamais un tympan malgré la force de ses coups, car c’est un véritable camaïeu sonore ensorcelant qu’il délivre. Deuxième exemple : campé sur ses deux jambes, Eddie, sa guitare ne peut pas bouger une corde sans qu’il la rappelle à l’ordre. Eddie est un intervenant. Qui intervient sans discontinuer. A plein temps. Le regarder jouer est fabuleux, concentration maximale, l’a les oreilles branchées sur ses deux acolytes. L’est comme un toréador qui vous met un taureau à mort toutes les trente secondes. L’est le roi de l’arène phonique. Doit avoir les doigts directement branchés sur l’électricité. Vous cisaille la moelle épinière chaque fois qu’il touche son cordier. Il le touche tout le temps. Bref vous avez un des meilleurs combos du monde devant vous.

    Sont allés partout, z’ont zigzagué dans toute l’Europe, sans oublier notre sainte mère de la sauvegarde de la patrie rockab : l’Angleterre, z’ont estomaqué Las Vegas et surpris les Japonais… tout cela vous est conté dans le numéro. Si vous doutez, les photos acrobatiques de Sergio vous aideront à prendre mesure du phénomène. Pas vaniteux pour un franc dévalué, souriants, attentionnés, des gars qui font attention à leur public qui savent d’où ils sortent : d’eux-mêmes, vers les autres. Fabuleusement toujours en recherche.

    Sans être particulièrement chauvins, avec un tel groupe, nous avons le droit de nous écrier : crockcrockrico !

    Est-il besoin de le préciser : un numéro collector !

    Damie Chad.

            

    *

    Tiens un groupe français. Ah, non, des Canadiens ! Remarquez nul n’est parfait. Puisqu’ils viennent du pays de Marie Desjardins on leur pardonne. Mais qu’ils ne recommencent pas. En plus, ils ont commis un opus d’une beauté effrayante. Les âmes sensibles s’abstiendront. On ne peut rien  pour elles.

    HAUT & COURT

    PENDAISON

    (Bandcamp / Septembre 2025)

    Kevin Barrier : drums, vocals, machines / Cymon Lamarre : bass, guitars, machines, samples, vocals.

    Ils ne sont que deux. Pas tout à fait. C’est comme le couple de vautours qui se sont posés sur l’arbre sous lequel vous agonisez. Sont très vite rejoints par toute une colonie. Qui ne laisseront pas passer leur part du festin. De votre destin.

    La couve est de Tobie Cournoyer. Si vous l’apercevez ne laissez pas traîner votre corps. Il ne résistera pas. Sera comme un enfant devant un album de coloriage. Vous ne vous reconnaîtrez plus. Vos amis vous demanderont le nom de votre tatoueur. Ils ne diront plus : j’ai un ami. Mais j’ai un tableau de Tobie Cournoyer, je l’aime tellement que je lui demande de me suivre partout. Visionnez la couve : comment a-t-il pu peindre une horreur si noire en utilisant un maximum de blanc ? Pour ceux qui préfèreraient le chef d’œuvre en couleur, nous vous en offrons à la fin de la chronique une épreuve en rosée sanglante. C’est ce qu’en gravure l’on doit appeler une sanguine.

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    LRDTVBI : Lyrics : Cymon Lamarre and Kevin Barrie / chant : Kevin Barrier, Cymon Lamarre, Julie Docteur : c’est quoi ce sonore charivari stroboscopique, un horreur qui vous décapsule l’intelligence, pas de panique votre tube à neurones est vide, d’ailleurs l’horreur se fait plus fade, attention une voix glapit dans un coin, le truc connu, quand un conférencier désire que l’on suive ses paroles, il baisse la voix, comme cela il est sûr qu’on l’écoutera, d’ailleurs vous vous mettez à pousser des hurlements, maintenant c’est le bruit de la bonde d’un lavabo qui déglutit comme s’il voulait aspirer le monde, c’est terrible mais vous devez l’avouer, le morceau est construit comme une symphonie bruitique, un peu comme la neuvième de Beethoven passée dans un mixeur-concasseur phonique, le résultat en est étonnamment lyrique. L’ensemble est prenant. Le titre vous a averti : La Retombée De Toutes Vos Bonnes Intentions. Si vous le voulez en plus court : la culpabilisation, la mauvaise conscience, style : si je meurs tu le regretteras puisque ce sera de ta faute. L’histoire du pendu qui, malgré le nœud qui le retient, plonge dans le néant. Un saut à l’élastique métaphysique, il vous laisse sur le bord. Vous êtes au meilleur endroit pour le rejoindre. Mausoleum : Lyrics : Julie Docteur : chant : Julie Docteur, Alixe Cooper / Violoncelle and Piano : Lucas Sonzogni / Alto : Dave Kastner : une mélodie, une mélopée, bien sûr il y a quelques bruits qui retombent comme des plaques de ferrailles capables de vous couper en deux, des grincements sinistres qui strient vos tympans, mais enfin en contreparti vous avez la voix de Julie, si vous osiez vous l’embrasseriez pour la remercier de cet havre de paix que sa voix profonde vous ménage après le morceau précédent, et puis ces notes de piano c’est beau comme une mélodie de Verlaine, j’ai parlé trop vite, c’était trop beau, la sirène se transforme en harpie, pourquoi cette dégelée battériale sans préavis, ouf ça se calme, vagues maintenant, une vague de musicalité si pure… mais pourquoi ce farouche bruit des chênes que l’on abat pour le bûcher d’Hercule… Je vous ai mis deux vers de Victor Hugo pour adoucir la pilule. C’est que voyez-vous, je n’ai jamais lu un texte féminin d’une telle profondeur, normal puisqu’elle parle depuis l’intérieur de son corps mort, Julie Docteur se sert de la poésie comme d’un scalpel pour disséquer le cadavre mental de sa haine et de ses désirs, du sperme spectral dont elle reste la dépositaire après la mort, des mots dits maudits dans le dernier souffle de la solitude des cendres éternelles. Ci-gît la Dignité Humaine : vous l’attendez, elle arrive, vous

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    suivez ces pas comme ceux de la statue de pierre de Don Juan, tambour solennel, et un bruit, comme une bande que l’on laisse courir sur un magnéto à toute vitesse, c’est assez court, le problème c’est que malgré son avancée solennelle, la fameuse dignité n’en finit pas d’arriver, peut-être même s’éloigne-t-elle de nous. Exil du néant : Lyrics : Thomas Gottin / chant : Thomas Gottin, Stephan Chipaux : précipitation, une voix qui growle comme un ours blanc, fantôme de l’Humanité, perdu dans une tempête de neige, il s’arrête, il repart, il titube, il se presse, il n’est pas perdu, une voix chuchote, il a perdu, quoi donc ? L’éternité. chuchoterait  ce chenapan de Rimbaud. Les dieux sont morts. Dans leurs linceuls de pourpre. Les hommes sont à leur image. Eux aussi sont morts, mais leur suaire mental est d’une noirceur sans égale. Un bruit bizarre qui tient autant de la reptation d’un insecte sans ses élytres ou du spasme branlant et extatique de la fin dernière. F.A.L.L. : Lyrics : Stephen Chipaux / chant : Stephen Chipaux, Kevin Barrier, Alixe Cooper, Cymon Lamarre : la chute de l’ange, un tourbillon vibratif, un maelström de résonnance, c’est mon ami Pierrot, sa chandelle est morte mais il écrit un mot, le premier, ce sera aussi le dernier, difficile à dire, se sont mis à plusieurs pour le prononcer, le crier, en cet instant entre la vie et la mort, que l’on peut emprunter dans un sens comme dans l’autre, vivre ou mourir dans les deux cas il s’agit de vouloir, enfin ce n’est pas si facile que cela car il y a   un cantaor qui s’égosille à se couper les cordes vocale, à trancher la corde du pendu, on dit qu’elle porte chance, oui mais la bonne ou la mauvaise, galopade, le choix est plus difficile qu’il n’y paraît, maintenant il est une voix sépulcrale qui murmure fort, tout se précipite, tempête sous un crâne, enfin il se décide, fait-il le bon choix ou le mauvais. Je vous en laisse décider par vous-mêmes. Entre nous soit dit, le mal ou le bien, ne sont-ce pas de fausses valeurs. Inopérantes.

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             Oui, je l’admets c’est assez effroyable. Toutefois je n’ai pas pu m’empêcher de me demander d’où ils venaient. C’est que le Canada c’est grand. Même pas eu le temps de chercher, j’ai trouvé facilement :

    PLEURS

    PRESAGES

    (Bandcamp / 2021)

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    La couve est une photo de Cymon Lamarre. Blanc et noir, ou gris et lumière. La modalité que vous préfèrerez. Deux êtres, un mâle, une femelle, j’ai envie de préciser vivants, car sur quoi se penchent-ils, une table, une caisse, un cercueil de verre, sommes-nous dans un musée, un laboratoire, une salle d’exposition, qu’y a-t-il dessus ou à l’intérieur, une morgue, sont-ils en train d’examiner la momie du dernier des hommes… Ce qui laisserait à méditer sur l’incomplétude humaine de notre modernité…

    K : batterie, voix / T : voix / C : basse, voix, machines / J : Guitare, Voix, machines.

             Ne nous posons pas de faux problèmes, pas besoin d’être un augure de l’ancienne Rome pour affirmer que les présages sont néfastes.

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    Temps d’épreuves : temps d’orages, ça tonne de tous les côtés, bruits inquiétants. Une époque à ne pas mettre un humain dehors. De l’interactionnisme : ouah ! attention l’on est chez des intellos. Vont nous causer du comportementaliste symbolique. Maintenant je suis sûr qu’à l’université, les bancs des amphis de psycho ne désempliraient pas si les cours étaient assurés par notre groupe. Pour ceux qui seraient effrayés, je leur propose de commencer par la seconde moitié du morceau. C’est carrément un cours de fac, pas de panique, l’orateur nous apprend que le critère de vérité n’est pas la vérité, malgré tous les champs du savoir qui se réclament de la vérité, avec de belles phrases ronflantes, d’ailleurs tout de go ils vous transforment leur catalepsie bruitique en magnifique splendeur organique, vous vous croyez à l’Eglise avec les emphatiques grandes orgues, ô combien majestueuses, dont la musique est censée aider votre âme à s’élever vers la paix conciliatrice de Dieu. La première partie est davantage chaotique, une espèce d’entrée en force avec un vocal qui grogne comme un ours attaqué par des frelons, pourtant il tient de doctes et sages paroles, il vous demande de vous méfier, de tout le monde, des politiciens, des maîtres, des amis, de vous-même aussi, nous tenons tous un double discours, celui des paroles, celui des gestes (sourires, mimiques, timbre vocal, etc…) qui cherchent à vous convaincre, à vous amadouer, à vous tromper… ne soyez pas dupes, sachez ériger des barrières mentales protectrices contre les beaux parleurs, et ceux qui vous sont chers… Vision : question grandiose vous allez être servis, vous sortent l’apocalypse, en direct, z’ont pas de trompettes, mais une voix de vaticinateur qui vous décrit tout ce qui va survenir, la destruction de notre monde, le son s’éloigne comme le serpent qui se recule pour mieux vous hypnotiser, ou alors l’on vous promet de rejoindre le nirvana, pas le groupe de Seattle, votre absorption dans le grand tout… Comprenez : le rien du tout. A la façon dont les derniers mots vous sont jetés comme un crachat en plein visage, vous comprenez d’instinct que vous n’auriez pas de bol à croire ces fariboles. Mépris : une espèce de rugissement de rhinocéros en train de charger, une espèce de riff tournant qui se déplace comme le charriot géant d’une machine à écrire qui aurait pour but d’écraser la plus grande partie de l’humanité, l’on entend cris et giclements de sang, phonophobiques essayez de  ne  pas passer sous le rouleau compresseur, il y en un qui prend la parole, tant pis pour lui, l’essaie de ramener sa fraise, l’on entend comme des floquements d’urnes d’hémoglobine écrasées, écrabouillements culminatifs. Ne  condamnez pas ces excès de violence, ils ont raison, s’en prennent à toutes les petites ruses mentales que l’on se fabrique pour dresser un rempart protectif contre l’ordre social, ceux qui agissent en égoïstes, qui se sont aménagés une petite zone de survie familiale, qui passent une espèce de pacte de non-agression avec le système dont ils ne sont que les idiots utiles, mais il y a encore pire que ces égoïstes, ceux qui se croient forts car ils se considèrent comme des combattants puisqu’ils méprisent les plus faibles qu’eux, (pourtant ils leur ressemblent tant), mais ils se prennent pour des justiciers, trop bêtes pour se rendre compte qu’ils aident à refermer la nasse qui les emprisonne dans leur propre ignorance… Observance : instrumental, un regard porté sur les ruines psychiques de l’humanité, une musique triste, désabusée, besoin de souffler après une telle analyse, une minute pas plus, un voyant sonore grésille… Simple objet : problème de l’objectivation, non pas celle de l’analyse précédente, musique parallélogrammique, l’on retourne l’objet dans sa tête, rien à voir avec une expérience de pensée, l’objet c’est l’être humain objectivisé, uni-dimensionnalisé, le son appuie davantage, le growl n’en devient que plus exacerbé, les médicastres médicamenteux se penchent à votre chevet, ils vous vident le cerveau, vous êtes désormais un résultat, une production, une série, l’on vous a manufacturé, l’on vous a clonisé, le pire c’est que cela leur agrée. Il est vrai qu’ils ne connaissent pas d’autres modélisations puisqu’ils sont incapables d’en imaginer un autre. Hiérophanie : musique implacable, concassage méningique, il y aurait bien une solution, vous êtes brisé, réduit en morceaux, les dieux sont morts, qui transformera le kaos inorganisé en cosmos recentré, ils s’énervent salement, mais le constat est imparablement définitif, ça klaxonne et ça résonne de tous les côtés, éruptions de colères, un éclair sonore retentit, mais tout se brouille, le bruit remplace la musique. Il aurait suffi de faire signe, un signe, pas n’importe lequel, celui qui ne dit ni oui, ni non, mais qui désigne, un symbole qui ne symbolise pas mais qui soit opératoire. Encore faudrait-il qu’il restât de hommes pour l’opérer et d’autres pour le repérer. Mais la courbe du temps a été cassée. Il ne reviendra plus. Pleurs : l’insupportable bruit se perpétue, puis revient un dernier sursaut, un clairon tumultueux, bouleversement, hachis, survenances phoniques, le growl éclate, un growndement qui voudrait réveiller l’univers, hélas il reste inerte, et la catastrophe s’appesantit, elle demeure, présence que l’on voudrait annihiler, on se rue sur elle, on la frappe, on s’y casse les mains, elle résiste, elle ne bouge pas, elle ne recule pas d’un pouce, elle est comme la Mort, car elle est la Mort, changement rythmique, l’on ne se bat pas contre elle, tout le bruit que le groupe a commis est à interpréter comme les présages de ce qui est advenu, puisque l’acte musical et poétique n’a pas été opératoire, qu’il n’a rien métamorphosé, que la situation est restée inchangée, glougloutements sonores, échec. Echec intégral. Echec sans appel.

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             Des groupes qui établissent des constats déplorables quant aux bienfaits de notre système sociétal actuel, il en est pléthore. Mais Pleurs fait preuve d’une acuité analytique sans précédent. Ils n’ont pas réfléchi à la problématique. Ils l’ont pensée. Une démarche qui gravite dans l’orbe gréco-heideggerien. Ne se sont pas contentés d’une exploration philosophique du sujet, en ont dégagé la dimension poétique, au sens orphique et mallarméen du terme, en essayant d’opérer par l’opus même, un acte dépourvu de toute contingence. Qui ait une influence sur la réalité des choses. En  supplément ils ne se paient pas de mots. Ils reconnaissent l’étendue de leur échec.

             C’est peut-être pour cela qu’ils n’ont pas tenté un autre disque. N’empêche que C et K se sont lancés dans l’aventure de Pendaison. On reconnaît facilement leur style. La contribution d’autres intervenants a permis de ne pas refaire un disque similaire. Haut et Court est plus déchiré. Musicalement je le préfère, il est d’après moi plus abouti. De par l’ampleur de sa manifestation, Pleurs s’inscrit comme un projet propédeutique qui cherche à résoudre l’équation dont ils n’ont pas la solution. Ils n’ont pas réussi, mais ils ont emprunté un chemin que peu de monde a le courage de parcourir. Dont beaucoup ignorent même la possibilité. Voire l’existence.

             Il existe tout de même, éliminons tout de suite les amitiés à l’origine de ces deux groupes, une similarité entre Présages et Pendaison. Présages concerne une globalité universelle. L’on prévoit, l’on espère, l’on escompte qu’un jour où l’autre l’alignement des Dieux et de la materia prima soit réalisé. Pas de chance la correspondance élémentale de l’éther et de la terre échoue. Pendaison reprend le projet. En plus petit serait-on tenté de dire. Du macrocosme l’on passe au microcosme. Une pendaison, l’acte est abrupt, irréversible, un coup de dés dixit le  grand Stéphanos, si définitive soit-elle ne concerne qu’un seul individu, elle ne touche point à l’universel, mais au point de jonction existentiel qui partage tout  individu, a priori indivisible, en deux, elle le sépare de sa vie et le plonge dans sa mort. L’ère du jeu est des plus réduites. Mais l’enjeu, tout aussi grand.

    Damie Chad.

    *

    Ne m’en veuillez pas, je n’y suis pour rien. Ce n’est pas ma faute, c’est celle de Georg Philipp Friedrich Leopold von Hardenberg . Beaucoup plus connu sous le nom de Novalis. Un des premiers romantiques allemands. Ne faites pas comme moi. Ne lisez pas son ouvrage, Les disciples à Saïs, une curiosité malsaine risque de vous coller à la peau. Le héros de cet écrit s’entiche d’une idée que les plus rationalistes de nos lecteurs jugeront totalement stupide. Il ne brûle que d’un seul désir : soulever le voile de la déesse Isis. Si vous voulez savoir ce qu’il trouve sous le voile interdit, lisez le livre, je vous rassure, il n’est pas très long. Vous imaginez très bien que suite à cette lecture j’ai contacté La déplorable habitude de systématiquement chercher à savoir ce qui se trouve derrière n’importe quelle chose. Parfois cela me joue de mauvais tours, jugez-en d’après la pochette et le titre du disque suivant. Déjà, rien que le nom du groupe n’est pas sans poser de question.

    THE SUNDER VEIL

    SINE NOMINE

    (K7 / Zegema Beach Records / Novembre 2025)

             Sine Domine voici une formule qui vous classe à part de ceux qui se signent en prononçant :  In nomine Patris, et Filli, et Spiritu Sancti. L’on pressent que nos gaziers marchent sur des sentiers ombreux, l’on subodore que leur musique doit être quelque peu particulière. Dans un tout autre genre, Sine Nomine ne correspondrait-il pas au ‘’ Personne’’ qu’emprunte Ulysse pour se jouer du Cyclope. Bref nous sommes avertis, nous avons toutes les chances de croiser quelques monstres peu ragoûtants.

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             Certes la photo nous laisse entrevoir un paisible paysage, mi-agreste, mi-agricole. Au milieu du champ ce n’est pas un épouvantail, la vue est  pourtant épouvantable. Une veste sans tâche, une chemise bien repassée. S’il n’y avait pas cette espèce de foulard  ensanglanté, l’on pourrait se croire face à un promeneur du dimanche, un curieux qui se demanderait mais quelle est donc cette plante que je ne connais pas destinée à être récoltée par un paysan diligent…

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             Le groupe vient de St Louis dans le Missouri. Il s’est formé en 1999 et a cessé ses activités en 2015. Viennent de sortir une K7 chez Zegema Beach Records intitulée Per Historia qui regroupe trente-sept morceaux enregistrés durant cette période. La couve est à méditer : ce flou blanc représente-il une tête d’homme en sa dernière extrémité, ce flot blanc ne serait-il pas plutôt une tache de sperme. Dans les deux cas, nous avons une signature qui peut évoquer d’une façon très intime, tout en restant impersonnelle, la moitié des habitants de notre planète. Toutefois il semble qu’ils se sont rappelés assez vite qu’ils n’avaient pas délivré la totalité de leur message à la race des hominidés puisque dès 2003 ils lançaient un nouvel album dont le premier titre est celui du premier morceau de leur dernier EP, que nous nous apprêtons à écouter.

             Dernière notule indicative : le contenu de leur cassette récapulative est décrit comme ‘’une musique exceptionnelle, agressive, exigeante et criarde, à la croisée du grind, du mathcore, du post-hardcore et du metal.’’ Un genre de définition qui ne plaît pas à tout le monde.

    Derek Yeager : bass, vocals / Doug Huttegger : guitar / Michael Frisella : drums.

    Still malfuncioning : Le titre ne ment pas, donne l’impression de ne pas fonctionner, un bouchon qui glougloute dans la tuyauterie du chauffage central, y aurait-il une couleuvre qui se soit infiltrée dans le circuit, vous devriez aller vérifier, perso j’opterais plutôt pour un anaconda géant qui est en train de boulotter un radiateur. Default : laissez l’anaconda à son repas, ce qui survient est vraiment effrayant, un homme comme vous en train de piquer une crise de folie à prises multiples, le guy éructe méchant, certes au bout d’un moment il se calme, donne l’impression qu’il est en train d’ingurgiter sa langue, je préfère ne pas évoquer la zique, au début ça tombe comme une purée battériale agrémentée de tourbillons au court-bouillon des guitares, le gars n’est pas près de se calmer, une véritable diarrhée vocale, z’ont dû en avoir assez dans le studio, ils l’ont enterré vivant et tassent la terre à coups de pelles, ce qui ne l’empêche en rien de parler, en fait ce qu’il dit n’a pas l’air idiot, il évoque la toute-puissance imaginative, parfois il vaut mieux vivre dans sa tête que parmi ses congénères, ne sont peut-être pas tout à fait méchants, même s’il a l’air de faiblir sous sa motte de terre, tous prisonniers de l’étau de la solitude, le monde s’est écroulé, toutes les valeurs ont foutu le camp, tu étais bien content, tu guettais cet instant depuis longtemps, le presse purée tourne à bas-régime maintenant, des chants surgissent pour l’accompagner, soyons sincère, quelque part il y a sûrement un défaut. The unraveling : l’on se croirait dans une usine, avec les machines qui tournent et des cris d’un peu partout, normal c’est une usine où l’on tue les vivants, faut entendre les cris, heureusement les ouvriers unissent leurs voix pour proférer une rumeur endormeuse, quel beau boulot, les cris s’arrêtent, même que l’on pourrait croire qu’ils récitent des prières, que voulez-vous il faut bien faire quelque chose pour ne pas s’ennuyer au boulot, alors que l’autre l’a pas à se plaindre, a rejoint le grand tout naturel, quant aux travailleurs de l’horrible, la journée finie ils se sentent seuls. You choose : un bruit imperceptible, c’est le moment de réfléchir, il grandit peu à peu, c’est que l’on s’attaque à un vaste sujet celui du Destin, la machine sonore ne tourne pas trop vite, c’est que ce n’est pas simple, question vocal ce n’est pas très fort, c’est que le gars rumine dans sa tête, lentement sans précipitation, difficulté extrême,  à qui la faute si vous vous trouvez dans une impasse, d’ailleurs le vocal ralentit encore, une cloche retentit, pour vous signaler que bientôt le temps imparti sera parti, la ziqmuc accélère, pas question de rater l’arrêt, soyons bref, tu as choisis ton destin, point à la ligne. Hush : l’heure de la minute ultime. Le train démarre fort, il fonce, tu as l’impression que tout se défait, qu’autour de toi tout te tombe dessus, d’ailleurs la musique se transforme en une bouillie infâme, un bouillon empoisonné qui boue à gros bouillon, la machine connaît ses derniers moments, inutile de crier au scandale, retentit un grincement infini, tout s’éloigne, tout s’enfuit, profite de ces derniers instants de conscience avariée, tu as du mal à respirer à l’intérieur de toi, rien de plus logique, tu es mort, voici les derniers moments où ta conscience se désagrège, vu de l’extérieur tout se passe très vite, mais de l’intérieur c’est plus long, tu glisses dans le corridor, pas de lumière en fin de parcours, cul de sac, noir absolu. Silence. Plus un mot. Chut et zut.

             Je m’attendais à pire. Reste encore à faire le rapport avec l’image. Dans leurs champs d’asphodèles les morts saignent-ils quand ils reviennent nous voir ?

             Eprouvant.

    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 713 : KR'TNT ! 713 : DANIEL JEANRENAUD / BILL HALEY / JACKIE LEE COCHRAN / BOBBY HATFIELD / WILD BILLY CHILDISH / BURNING SISTER / WITHERED / POE AND MARK Z. DANIELEWSKI / GENE VINCENT + HAROLD BRADLEY

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 713

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    04 / 12 / 2025

     

     

    DANIEL JEANRENAUD / BILL HALEY

    JACKIE LEE COCHRAN / BOBBY HATFIELD

    WILD BILLY CHILDISH

    BURNING SISTER / WITHERED

    POE AND MARK Z. DANIELEWSKI

    GENE VINCENT + HAROLD BRADLEY

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 713

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://kr’tnt.hautetfort.com/

     

     

    L’avenir du rock

    - L’apocalypse selon Saint-Jeanrenaud

             Comme il n’a pas trop de grain à moudre, l’avenir du rock s’est mis à penser au néant. Quand on erre dans le désert, c’est un thème de réflexion qui vient naturellement. «Néant d’un jour, néant toujours !» Habile à bricoler des slogans, l’avenir du rock se dit qu’il aurait pu faire carrière dans la com. L’idée lui plaît tellement qu’il exulte : le néant et la com vont tellement bien ensemble ! Il en saute de joie. Submergé par cette violente décharge d’adrénaline, il n’a pas vu se dessiner au loin la silhouette d’un homme. L’avenir du rock saute encore en l’air quand l’homme n’est plus qu’à quelques mètres. D’une voix bourrue, il interpelle l’avenir du rock :

             — Zavez besoin qu’on vous aide, monsieur ?

             Brutalement ramené à la réalité, l’avenir du rock se sent très con. Sauter de joie dans le désert, c’est pas terrible. Il observe l’inconnu. L’erreur a les cheveux blancs, un gros pif et les yeux clairs. Une vraie gueule de bagnard. Il porte un gros balluchon sur l’épaule. Vexé d’avoir été surpris dans un moment d’exultation orgasmique, l’avenir du rock rétorque d’un ton grinçant :

             — Vous ai rien d’mandé ! Et puis d’abord, qu’est-ce que vous foutez là, en plein désert ?

             — Je cherche Cosette. L’auriez pas vue, par hasard, monsieur ?

             — Non ! Vous trimballez quoi dans votre balluchon ?

             — Les chandeliers en argent de l’évêque Myriel, monsieur...

             — Vous zêtes cousu de fil blanc, mon pauvre bonhomme. Vous allez me dire que vous sortez tout droit du bagne de Toulon !

             — Dix-neuf ans de travaux forcés pour le vol d’un pain, monsieur...

             — Vous êtes Jean Valjean, bien sûr !

             — On n’peut rien vous cacher monsieur...

             — Pffff... Je préfère Jeanrenaud !

     

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             C’est comme s’il arrivait tout seul sur scène avec sa légende. Et sa gratte. Veste léopard, histoire de marquer son territoire. Pompes vernies. Pas grand mais dense.

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    Taillé dans la matière dont on fait les superstars de l’underground. Rien qu’à le voir arriver, tu sais que t’en auras pour ton billet. Il met son ramshakle en route et tu bois ses paroles. Il claque ses riffs avec une nonchalance qu’on pourrait presque qualifier d’américaine, il honky-tonke son rock de Camden Cat, il navigue en père fouettard sur la grand-mare des canards, il fonctionne à l’équilibre de la titube et t’as sous les yeux un art qui ne tient qu’à un fil, but my Gawd, what a feel ! Il te gratte le rock de

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     tes rêves, t’as sous le nez une sorte nec plus ultra de la dimension artistique, tout sonne incroyablement juste, il excelle dans cet art difficile qu’est la ramasse de la rascasse électrique, il est à la fois l’héritier d’Hasil Adkins et de Fred McDowell, il a du Sleepy John Estes dans le sang des doigts, il maîtrise une technique flamboyante qui remonte jusqu’à Koerner Ray & Glover ou encore Eddie Guitar Burns, ça va loin cette affaire, car cette fabuleuse désaille te renvoie aussi à la Broke Revue de Dan Melchior, t’as le même genre de rauch, le même genre de raw, même si Daniel

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    Jeanrenaud va plus sur Chucky Chuckah, dont il salue la mémoire avec une brillante cover de «Thirty Days» qu’il expédie en mode riff-raff de la 25e heure. Il te trousse tout ça à la hussarde, son «Shake Rattle & Roll» passe comme une lettre à la poste, c’est le genre de cover qui te réconcilie avec la vie, et tu te dis que ce mec a tout compris et qu’il a tout bon. Et puis t’as cette version qu’il faut bien qualifier de faramineuse du «Suspicious Mind» de Mark James, qu’il gratte sur des riffs en escaliers, sans battre les accords, au feel pur. Ah si Chips Moman pouvait voir ça ! Te

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    voilà au sommet du lard, avec un hommage âprement suprême à Elvis. T’en vibres encore au moment où tu tapes ces quelques mots. T’as parfois des covers dans les concerts qui te marquent la mémoire au fer rouge. Ce fut le cas, il y a quelques années, lorsque Misty White, bien pétée, attaqua en rappel et à coups d’acou une version de «My Way». Pareil, sur le fil. Mais mille fois plus balèze qu’une version bien léchée avec un fucking producteur et un fucking orchestre dans un fucking studio. Le rock doit sortir du bois. 

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             Il nous vend son dernier CD, Live At The Old Waldorf June 5, 1981. T’as deux Groovies avec lui sur scène, Danny Mihm et James Ferrell. T’es tout de suite hooké

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    par l’hommage à Big Dix, «My Babe», drivé sec au bassmatic, hommage solide et merveilleusement bien intentionné. Et ça part en sucette de Wild Cat. S’ensuit un hommage à Chucky Chuckah avec «You Never Can Tell». Le Camden Cat te tape ça au mieux des possibilités. Plus loin, il en tape un autre : «No Particular Place To Go». Wild on stage ! Il tape aussi la cover du «Look Out Mabel» de GL Crockett, un rockab obscur. Dommage qu’il n’y ait pas de slap. On trouve l’original sur le That’ll Flat Git It Vol 10: Rockabilly From The Vaults Of Chess Records, pour les ceusses que ça intéresse. On se régale encore de «Good Rockin’ City». Le Camden Cat se jette tout entier dans la balance avec une véracité à toute épreuve. Et ça se termine avec un rockab fantôme, «Get Up». Et là t’as le slap et des sacrées pointes de vitesse. C’mon !

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             Comme la curiosité est un vilain défaut, on rapatrie vite fait Roundtrip Ticket, un New Rose de 1995. Son heavy boogie rock te renvoie aux Groovies. Il a un son plein d’allure, très américain. Il a Danny Mihm au beurre, donc ça swingue. Il tient bien sa dragée haute avec «Troublemaker» et la perle de l’album se planque en B : «Goldfish», un bel heavy rock chanté à la vraie voix. Il sait poser une voix sur un panier de Groovies, comme le montre encore «Half Crazy Half Cool».    

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             Dans la foulée, tu rapatries More et là attention, ça ne rigole plus ! Les Kingsnakes tapent «The Good Push» aux accords funky et c’est bien rebondi du beat. Belle presta. DJ y va au hey hey hey ! Puis tu tombes sur un authentique coup de génie : «Wild», amené au beat tribal, il rentre bien dans le chou du lard, ce beat est un régal sans égal, d’une rare puissance. Même le balladif qui suit sonne très américain («Washable Ink»). Et ça repart au heavy bass drum avec «Makin’ Money». On sent le fan de Sly. Et d’une certaine façon, DJ préfigure Jon Spencer. On reste dans le très gros niveau avec «Can’t Still Lay Down With You», un balladif scintillant, et il tape à la suite un gros clin d’œil à Dr John avec une cover d’«Iko Iko». Ce mec a tout bon, absolument tout bon. Il tape l’Iko en mode Bo. T’as une belle descente au barbu dans «I’ve Been Down». t’as du son, tu ne demandes pas ton reste. Sur «Hardwood Floor», DJ sonne comme un vieux black efféminé pas trop édenté. C’est à la fois pimpant et bienvenu, un vrai barroom blow, c’est quasiment du Skip James joyeux. Pour l’époque, il était très en avance.               

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            Son Belleville Cat date de 1995. Avec le morceau titre, il tape le rockab de Belleville. C’est sacrément bon et sensuel à la fois. Il a tout le bop de downhome, quelle merveille ! T’entends là une réinvention du rockab, à la bellevilloise. Miaou ! Le reste de ce mini-album est plus classique, dommage. Il regagne la sortie avec «I’m Coming Home», l’heavy blues du coin de la rue. Il faut le voir driver cette petite merveille !   

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             Fantastique album que ce Come On Ça Va ? DJ y sonne très américain, d’ailleurs il attaque en mode Cajun avec le morceau titre, t’as même de l’accordéon. C’est somptueux. Il a le son de la powerhouse. On retrouve ensuite l’excellent «Belleville Cat», le rockab de Belleville. Il est complètement à l’aise dans tous les genres : rockab, Cajun, r’n’b, country Soul. Il sait pusher un good push comme le montre l’hard r’n’b de «Good Push», et voilà qu’il tape un balladif de rêve chanté à la voix de rêve, «Sweeter Than Mine». C’est un hit inconnu ! Encore du fantastique dévolu dans «We’re Gonna Close Up». Il enroule son cut comme un classique, bye bye so long, t’es littéralement subjugué par la qualité des cuts. Il fait de l’heavy country Soul de blanc avec «Hard Things To Say» et il s’en va draguer du côté de Doug Sahm, à San Antonio, avec «Angelina». Ce merveilleux shouter fait encore des étincelles sur «Love Me Sometimes» - All I want/ Is you love me sometimes - Et il repasse au groove de swamp avec «Too Much Funlines (In The Neighborhood)», c’est pas loin de Creedence, mais en plus pur. Il fait son white nigger sur «Workin’ All Night» et il revient au stripped-down rockabilly avec «She Don’t Need No Guitar Man». DJ est un artiste complet.

    Signé : Cazengler, Jeanpenaud

    Daniel Jeanrenaud. La Maroquinerie. Paris XXe. 16 novembre 2025

    Kingsnakes. Roundtrip Ticket. New Rose Records 1995   

    Kingsnakes. More. Wanted 1988                                           

    Kingsnakes. Belleville Cat. Rock And Roll House Records 1995   

    Kingsnakes. Come On Ça Va ? Rock And Roll House Records 1997 

    Kingsnakes. Live At The Old Waldorf June 5 1981. Liberation Hall 2023

     

     

    Wizards & True Stars

     - Haley les bleus !

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             Le nom de Bill Haley ne signifie plus grand chose, aujourd’hui, dans le monde des smartphones. Bill qui ? Les gens connaissent Bill Amazon, ou Bill Facebook, ou Bill YouTube, mais pas Bill Haley. Dommage. Car Bill Haley est un personnage capital. Non seulement il est à l’origine de tout, mais il swingue. Dans Yeah Yeah Yeah, PolyBob s’indigne que Bill Haley ne soit pas cité dans les listes des «prime movers», «which is sad and a little ridiculous.» Les mots sont lâchés : triste et ridicule. On vit dans un monde triste et ridicule.

             Ce sont les mots de PolyBob qui ont déclenché l’envie de consacrer du temps au vieux Bill. Alors on a sorti le book de la pile des books qui attendent leur tour. Le moment était venu.

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             Suite à la lecture d’une critique élogieuse dans un Mojo d’époque, on avait rapatrié, à sa parution voici 5 ans, le beau book de Bill Haley Jr. (le fils du vieux Bill), Crazy Man Crazy - The Bill Haley Story. L’idée était de trouver un jour l’occasion de lui rendre hommage.

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             On avait pour le vieux Bill le plus profond respect : à la fin des années 50, l’un de nos très rares cadeaux de Noël fut l’album rouge Rock Around The Clock et un électrophone à piles de marque Phillips. Cet album fut le premier d’une très longue série. Après le vieux Bill, les autres arrivèrent dans l’ordre, sous forme d’EPs, Elvis, Gene Vincent, Little Richard, Eddie Cochran, Chucky Chuckah, Buddy Holly. Ils sont encore là, dans une petite caisse.

             Le Crazy Man Crazy se présente bien : un big book de 300 pages, dûment relié et doté d’une couve classique bien bâtie : portrait kitschy-kitschy de Bill avec un titre en CAP empâté, condensé et en défonce, adossé à un bloc vertical cyan 100%, et en rappel, un sous-titre en pied du même cyan, dans une typo différente, plus light et qui respire bien. On sait pour l’avoir pratiqué pendant des lustres, qu’un design graphique ne tire sa légitimité que de sa sobriété.

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             Autant l’avouer tout de suite : le book de Bill Jr. est un petit chef-d’œuvre. Il est construit comme un roman, avec des descriptions précises des maisons et des gens. Bill Jr. utilise tous les ressorts du roman pour tenir son lecteur en haleine, ce qui fait que tu ne lâches pas ce book. Tu l’avales quasiment d’un trait. Tu te demandes surtout comment l’auteur peut avoir accès à un tel niveau de détail. L’explication arrive très vite : Bill Jr. est l’un des quatre gosses que Bill a faits à Cuppy, sa deuxième épouse et qu’il a abandonnée (avec les quatre gosses) pour aller en épouser une troisième. Bill Jr. raconte surtout le calvaire qu’a enduré sa mère Cuppy qui du jour au lendemain s’est retrouvée sans rien, avec quatre bouches à nourrir. Pas de métier, pas de maison, pas de bagnole, pas de blé, pas de rien. Encore une fois, le rock ne s’arrête pas aux disks.

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             Avant d’entrer dans le dur, il est bon de rappeler qu’en 1955, le vieux Bill est le premier à décrocher un #1 avec «Rock Around The Clock», ce terrifiant mix de western swing, de r’n’b et de big band jazz. Puis Bill Jr. évoque la préhistoire du vieux Bill qui, avec ses Range Drifters, écume tout le Midwest, mais aussi le Sud et l’Est des États-Unis. Il porte un chapeau de cow-boy et rêve de devenir une star. Puis il fait un radio show, le Western Swing Hour, où il passe des «cowboy jump tunes, western songs with a beat», et il est l’un des premiers à établir un lien entre le country & western et le r’n’b - Il ne le savait pas alors, mais when that difference was finally bridged, rock’n’roll would be born - Bill a 24 ans et son plan est de mixer «Dixieland, hillbilly and western swing». Son pote Slim Allsman achète une guitare électrique qui fascine le vieux Bill, «a golden Gibson Premier with a Bigsby vibrato tailpiece, and Bill compared using it to holding thunder and lightning in his hands.» Et voilà, c’est parti.

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    Bill avec The Range Drifters

             Au moment du radio show, le vieux Bill est marié avec Dottie. Ils ont deux gosses et il ne rentre pas souvent à la maison, car il traîne tard dans les clubs et il résiste difficilement aux tentations. Le vieux Bill emmène des copines dans sa caisse, se gare au coin d’une rue et coupe le moteur. Dottie est au courant, et très vite, elle rentre chez sa mère à Salem avec ses gosses. Pour noyer sa culpabilité, le vieux Bill boit comme un trou.

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             Il a tellement écumé de clubs qu’il connaît des centaines de chansons. Il commence aussi à développer un son original - They also experimented with emphasing the second and fourth beats in traditional repetitive four-beat measures, realising that doing so pushed the songs forward and added energy an excitement - Ils combinent le r’n’b et le country & western et ajoutent un beat, ça donne un son qu’un journaliste de Billboard Magazine qualifie de «zippy western rhythm tunes». En 1951, dans le New Jersey, on commence à saluer les up-tempo preformances du vieux Bill et ses Saddlemen. Alors le vieux Bill s’enhardit : «Just go ahead and play black music and see what happens.» Il annonce au public : «We’re gonna play a little something we call Cowboy Jive.» He and the all-white Saddlemen then immediateley ripped into a slam-bam version of ‘Rock The Joint’ a tune that had been written and recorded by African-Americans - Bill avait découvert ce cut dans l’émission de Shorty the Baliff sur WPWA, «ne se doutant pas quelle influence ce cut allait avoir, non seulement en changeant sa vie mais aussi en changeant le monde.» Elvis fera exactement le même pari. Ce sont les deux grands visionnaires du XXe siècle. 

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             Au moment où le vieux Bill flaire une piste, Uncle Sam flaire la même à Memphis. Ils arrivent tous les deux à la même conclusion : taper dans la black music. Quatrième personnage clé de cette histoire : Alan Freed, King of the Moondoggers, qui tire son surnom the Moondog d’un hit de Todd Rhodes, «Blues For Red Boy». Sur son Radio Show, Alan Freed hurle dans son micro pour présenter chaque titre et gueule go go go !, puis il avale une lampée de scotch. Alan Freed invite les Saddlemen dans son Radio Show, il passe «Rock The Joint» à gogo, over and over, et il tape sur la table en gueulant «rock and roll, everybody rock and roll !». Et boom, le single se vend à 200 000 exemplaires. Puis Sam Sgro qui manage les Saddlemen conseille au vieux Bill de lâcher son chapeau de cowboy. Quoi ? Le vieux Bill ne comprend pas : «What do you mean? That’s my trade! That’s my living! That’s what I do!». Sgro a raison. Le problème, c’est que le vieux Bill se sert du chapeau pour planquer son œil mort. Alors il a l’idée de la mèche, l’hanging curl sur le front, «coaxed with pomade, as a gimmick and a diversion.» L’accroche-cœur allait devenir sa marque, his trademark.

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             Puis Bill Haley & The Saddlemen vont devenir Bill Haley & The Comets, un clin d’œil à la comète de Halley. Les Comets changent donc de costumes et les voilà en tartan, avec les cravates assorties. Un soir, après un concert, le vieux Bill demande à un gosse en ducktail et en blue jeans ce qu’il pense de sa musique. Le gosse secoue la tête, claque des doigts et dit : «Crazy man, crazy!». Alors le vieux Bill prend son stylo est écrit la phrase dans la paume de sa main, pour s’en rappeler. Petit épisode mythologique. Rentré à la maison, pendant que Cuppy prépare le repas, le vieux Bill attrape sa gratte et commence à gueuler «crazy man crazy», et «man that music’s gone». Puis il écrit d’autres couplets et ajoute un refrain, «Go! Go! Go! Go! Everybody!». Le lendemain, au studio, il joue son cut aux Comets - They transformed the song into something cool yet crazy, wild, raucous and joyful. Overseeing the whole process was studio engineer Tom Dowd, later a legendary record producer - Le single se vend à 100 000 exemplaires. 

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             Tu l’entends sur Bill Rocks, l’une des compiles les plus explosives de l’histoire des compiles. Pour une fois, ce n’est pas une compile Ace, mais une Bear. «Crazy Man Crazy» est une belle débinade montée sur le beat des reins.

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             Comme «Crazy Man Crazy» se vend bien, le vieux Bill achète sa première Cadillac, une white-and-silver Cadillac Seville d’occase. Ça se passe en 1953, un an avant qu’Elvis et Uncle Sam n’inventent le rockabilly. La même année, les Comets testent une nouvelle chanson sur scène, «(We’re Gonna) Rock Around The Clock». Sur scène, le stand-up man Marshall Lytle se couche avec sa stand-up et joue sur le dos, puis il se relève et chevauche son instrument. C’est parti ! On avait tendance à considérer le vieux Bill et ses Comets comme des pépères. Grave erreur, ce sont des wild punks. Le meilleur moyen d’en avoir le cœur net, c’est d’écouter le faramineux Bill Rocks de Bear.

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             Ça démarre en trombe avec un «(We’re Gonna) Rock Around The Clock» explosé au slap; il y va le Bill, rock/ A/ Round, t’as tout le rockab là-dedans. C’est le point de départ du XXe siècle. Encore du swing de slap avec «Shake Rattle & Roll». Les Comets sont des démons. Les Stay Cats n’ont jamais sonné aussi bien, il faut arrêter les conneries et revenir au point de départ : I said shake rattle & roll ! Tout ici est slappé dans les règles du lard, le vieux Bill charge encore la barcasse  de «Dim Dim The Lights (I Want Some Atmopshere)», il chante à la vie à la mort, et t’as derrière lui le meilleur slap du monde, encore meilleur que celui de Gene chez Capitol, ou ceux de Lew Williams et Eddie Bond. Wow, ça rocke chez le vieux Bill ! T’es encore frappé par la violence du slap dans «Happy Baby», ça te drive la carlingue, et puis ça bascule encore dans le génie avec «Mambo Rock». T’en peux plus de tout ce cirque, il faut voir le vieux Bill se jeter dans la balance. Laisse tomber les punks, c’est le vieux Bill qu’il te faut. Son «Rocket’ 88» est hallucinant de qualité, c’est du rockab primitif. Ça saxe à la vie à la mort dans «Birth Of The Boogie» et voilà l’enfer sur la terre : «Everybody razzle dazzle !». Power max avec «Razzle Sazzle», suivi de l’explosif «Two Hound Dogs». Le vieux Bill roule sur le slap du couplet. C’est un fantastique shouter, tous les cuts te parlent. Encore de la fantastique allure de la démesure avec «Rock-A-Beatin’ Boogie» et ça re-slappe de plus belle sur le «See You Later Alligator» de Bobby Charles. Cette compile est un vrai festival. Tu restes aux abois de bout en bout. Ça slappe encore à gogo sur «R-O-C-K» et l’«Hot Dog Buddy Buddy» est complètement dévastateur. Le vieux Bill a un son énorme. Tu prends n’importe quel cut et ça percute. Il rend hommage à Little Richard avec «Rip Ut Up» et t’as le slap du diable sur «Fractured» - That music fractures me! - Les Comets défoncent la rondelle des annales avec un instro du diable, «Rudy’s Rock», et le vieux Bill attaque de front «Don’t Knock The Rock». Tu prends ça dans le baba ! Avec «Skinny Minnie», il fait de l’heavy r’n’b à la Little Richard, mais le vieux Bill est blanc, alors ce n’est pas pareil. Sur les derniers cuts, on perd le slap.

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             Début de la période Decca en avril 1954. Ils entrent au Pythian Temple à Manhattan pour enregistrer. Puis Richard Brooks colle «Rock Around The Clock» dans son film, The Blackboard Jungle, qui va déclencher une petite révolution aux États-Unis, mais surtout en Angleterre. Les gosses se lèvent et dansent dans les allées des salles de cinéma. Big freakout ! Les patrons des salles flippent et baissent le volume. C’est grâce au film que le vieux Bill devient une star internationale.

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             Qui dit star dit téloche. Alors voilà Ed Sullivan, un mec pas très sympa. Mais il a des millions de téléspectateurs. Il est le star maker de l’époque. Il a fait passer plus de 10 000 artistes dans l’Ed Sullivan Show, entre 1948 et 1971. Bill Haley & His Comets sont son premier rock’n’roll act. Sullivan leur fait bien comprendre qu’il n’est pas impressionné. Il affiche même son mépris pour eux. Hors caméra il chope le vieux Bill à propos de sa kiss curl, c’est-à-dire sa mèche, et lui demande : «Is that real?» Et cet enfoiré de Sullivan ajoute : «What are you, a fag or something?» Dommage que le vieux Bill ne lui ait pas collé sa main en travers la gueule. Par

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    contre, Elvis dit son admiration au vieux Bill, qui l’emmène dans sa Cadillac. Elvis flashe sur la Cadillac et dit qu’un jour, il va s’en payer une comme la sienne, alors le vieux Bill lui donne le volant et lui propose de la conduire. Elvis dit au vieux Bill que sa chanson préférée est «Crazy Man Crazy» et que c’est elle qui l’a décidé à devenir chanteur. Ils admirent aussi tous les deux Hank Williams. Et ils deviennent de bons potes. Quand Elvis se retrouve à la même affiche que le vieux Bill, il vient lui demander la permission de jouer «Shake Rattle & Roll» et «Crazy Man Crazy». Le vieux Bill dit oui et Elvis le remercie d’un vieux thank you sir. Il dit toujours «sir» au vieux Bill, c’est une vraie marque de respect. Là t’es dans le vrai monde, avec les vrais gens intéressants. Le vieux Bill reverra Elvis en Allemagne, lors d’une tournée. Elvis est à l’armée, stationné dans le coin et il vient rendre visite à son vieil ami, histoire de lui redire que s’il n’avait pas été là, il serait toujours chauffeur de poids lourd à Memphis.

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    Bobby Charles

             Puis le vieux Bill enregistre le  "See You Later Alligator'' de Bobby Charles, le Cajun de la Nouvelle Orleans qui porte lui aussi une kiss curl, la même que celle du vieux Bill. Son See You Later Alligator s’inspire du «Later For You Baby» de Guitar Slim. Sur scène, c’est toujours le délire : le nouveau stand-up man Al Rex s’allonge sur sa stand-up qui est couchée sur le côté et joue comme s’il nageait, et pendant ce temps, Rudy Pompilli lui monte dessus pour jouer du sax - while a widely grinning Bill strummed his guitar - Quand ils tournent dans le Sud, c’est très chaud, notamment en Alabama où Nat King Cole s’est fait casser la gueule sur scène par des rednecks du Northern Alabama Citizens’ Council. Non seulement le Council n’aime pas les nègres, mais il n’aime pas non plus le rock’n’roll, et il qualifie le vieux Bill de Judas goat, pace qu’il joue de la musique de nègres. Le vieux Bill écrit dans on journal : «Those people are fanatics.» Il pense que personne ne devrait tourner dans le Sud tant que le problème du racisme n’est pas résolu. Il ne le sera d’ailleurs jamais.

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             En 1956, les Comets ont fait 300 dates et joué devant un demi-million d’Américains.  Et voilà le cœur battant du book - the book heartbeat - la première anglaise en 1957. Bill Jr. titre son chapitre ‘The second battle of Waterloo’, car c’est à la gare de Waterloo qu’a éclaté le premier pandémonium de l’histoire du rock : la foule de fans qui se jette sur la star. En fait, tout commence dans le port de Southampton : le vieux Bill et ses Comets ont traversé l’Atlantique en bateau et les hordes se jettent sur la Rolls qui emmène la star. Cuppy qui accompagne son mari éclate en sanglots alors que des centaines de gens font tanguer la Rolls pour la renverser. Bill Jr. estime à 5 000 le nombre de fans qui sont là et qui vont essayer de monter dans le train qui part pour Londres. Et ça recommence à la gare de Waterloo. Les fans arrachent le chapeau et les cheveux du vieux Bill, ils arrachent son manteau et son futal, ils lui arrachent ses gants et sa mallette, une gonzesse essaye de lui arracher son alliance et d’autres lui arrachent ses boutons. Les fans crient «We want Bill!» Le vieux Bill est blanc comme un linge mais il sourit et lâche d’un ton pince-sans-rire : «Then they must be glad to see me.» Le bordel de la Rolls recommence à Waterloo. Un bobby est obligé de monter sur le toit de la Rolls pour virer un fan qui essaye de défoncer le toit pour entrer à l’intérieur. La fan s’est fait tatouer «Bill Haley» sur le bras. Quand le cortège des Rolls réussit à quitter la gare de Waterloo, la foule chante «See You Later Alligator». C’est la presse anglaise qui qualifie l’événement de ‘Seconde bataille de Waterloo’, «history’s first serious rock’n’roll riot.» Dans le Teddy Boys de Max Décharné, Ted Carroll raconte qu’il a vu Bill Haley à Dublin. Il a réussi à se payer un billet, au balcon. Sur le cul le Ted ! - Alors ils démarrent avec «Razzle Dazzle» : ‘on your marks, get set, ready’ et sur les deux ou trois premiers accords, le rideau se lève doucement, on voyait leurs jambes sur scène and then ‘Ready steady go!’ up went the curtain, fuckin’ place erupted - Et plus loin il ajoute : «The place went fucking wild.» Sur scène, c’est l’hallali, avec un Rudy Pompili qui tombe à genoux pour passer un solo de sax, ou qui grimpe sur le dos d’Al Rex qui nage sur sa stand-up ou qui la jette en l’air comme un ballon. Et le vieux Bill gratte sa hollow-body Gibson guitar, furiously bobbing back and forth avec un perpetual grin et qui shout ses lyrics hit after hit. La presse n’en revient pas : «The joint jumped!», «The floor vibrated!». On parle même d’un «supercharged voodoo rhythm of the emperor of rock’n’roll.» Le jeune Pete Townshend voit les Comets sur scène et déclarera plus tard que ce fut «the birth of rock’n’roll for me».

             Puis le vieux Bill se met à picoler. Et tout va mal tourner. Il part en tournée en Europe et ne donne pas de nouvelles à Cuppy pendant deux mois, ce qui n’était jamais arrivé avant. Il a des poules à droite et à gauche. Dans le book de Bill Jr., le malaise conjugal prend lentement le pas sur la musique. En 1959, les Comets n’ont plus un rond. Ils ont tout dépensé. Leur heure est passée. Plus d’hits. Plus de formule magique. Le Colonel Parker propose un gros billet pour une tournée australienne de 5 jours : 50 000 $. Le vieux Bill dit non. Il n’en finit plus de prendre les mauvaises décisions. Ça devient Bill Haley & His Titanic. Sam Sgro tente désespérément de tenir les comptes. Pour pouvoir payer les salaires des Comets, il vire des gens du bureau et revend le bus de tournée, mais ça ne suffira pas. Dans le dernier tiers du book, on assiste à la fin des haricots.   

             Mais avant de sortir les mouchoirs, on va essayer de rigoler un coup, car Bill Jr. n’est pas avare d’anecdotes hilarantes. Du type de celle-là : «Scott Robert Haley, le cinquième gosse de Bill et Cuppy, est né la 26 janvier 1960. Bill emmena Cuppy au Sacred Heart Hospital dans sa pink cadillac, roulant comme un dingue sur les petites routes. Il serrait le volant si fort qu’il l’arracha. Assis sur la banquette arrière, Sam Sgro hurla : ‘Remets-le !’, ce qui fit Bill, mais sa confiance dans les Cadillacs ne fut plus la même après ça.» On soupçonne par instants Bill Jr. de voir son père comme un clown. Autre épisode tragi-comique que Bill Jr. a vécu en direct et qu’il nous rapporte ici : son frère Jimmy se coinça un jour la tête dans l’un des pieds en V de la table de la cuisine. Impossible de le décoincer. Alors Cuppy fit appel aux pompiers qui réussirent à le décoincer en graissant ses oreilles avec de la vaseline, pendant que Bill Jr. et sa sœur Joanie étaient écroulés de rire - they laughed uproariously - Et quand Cuppy fut obligée de quitter le Melody Manor, la maison familiale, saisie par le fisc, elle jeta les clés dans les hautes herbes du jardin et dit aux quatre gosses : «There’ no turning back now, kids», puis elle se mit à chanter : «We’re off to see the Wizard, the wonderful Wizard of Oz», off-key. C’est la façon qu’a Bill Jr. de saluer le cran tragi-comique de sa mère. Et pour saluer l’alcoolisme de son père, il sort ça au coin d’une page : «By now, he was drinking practically around the clock.» Fantastique ! Dernière anecdote croustillante : «Quand Elvis est mort le 16 août 1977, Bill appela Cuppy pour lui dire qu’il était toujours en vie, car il craignait qu’elle ne s’inquiète en voyant les canards titrer  «The King of Rock’n’roll is dead». Et voilà le travail.

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             Le vieux Bill devient célèbre au Mexique et il rencontre Martha Velasco qu’il va épouser, alors qu’il est encore marié avec Cuppy. Et comme aux États-unis le vieux Bill est criblé de dettes, il reste planqué au Mexique. Sam Sgro finit par jeter l’éponge et par liquider les bureaux.  Le vieux Bill ne rentrera pas chez lui pour récupérer ses disques d’or et ses trophées, ni rien de ce qui lui appartient. Il arrive chez Martha au Mexique et lui dit : «Here I am, with my guitar, my suitcase and my ass.» Il ne revoit pas non plus ses quatre gosses. Pas grave, il en fera trois autres à Martha.

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             Comme dit plus haut, le Melody Manor est vendu aux enchères pour 30 000 $. Le fisc saisit aussi tout ce qui appartient à Cuppy, y compris sa bagnole. Elle se retrouve avec RIEN : ni toit, ni métier. RIEN. Dans l’épisode, Bill Jr. parvient à faire remonter le côté extraordinairement tragique de la situation. C’est Zola en Amérique. Et bien sûr, le vieux Bill ne file pas un rond à Cuppy pour nourrir les gosses. RIEN. Pour légaliser son remariage, il demande à Cuppy de signer le papier du divorce. Il craint de se faire arrêter pour bigamie. Elle l’envoie chier. Elle n’acceptera de signer que s’il paye une pension alimentaire pour nourrir les gosses. Il lui donne rendez-vous dans un restau pourri et lui propose 300 $ pour signer. Elle a tellement besoin de ce blé qu’elle ravale sa fierté. Bill lui file aussi une bagnole d’occasion pour qu’elle puisse aller travailler. Il ajoute que la radio ne marche pas, alors Cuppy lui rétorque : «That’s OK. I’ll just sing.» C’est sa façon de dire : «Fuck you Daddy-o !»

             Alors que la carrière des Comets est au plus bas, un rock’n’roll revival a lieu en 1966 et le vieux Bill se retrouve à l’affiche de l’Alhambra, à Paris, en première partie du Spencer Davis Group et des Pretty Things.

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             Pendant ce temps, ses enfants grandissent et quand sa fille aînée Joanie atteint ses 18 ans, Cuppy l’emmène voir son père à Miami. Petite, le vieux Bill lui disait qu’elle était la prunelle de ses yeux. Mais il ne l’a jamais revue depuis qu’elle avait 9 ans. Alors elle flippe à l’idée de revoir son père. Elle s’en rend malade. À gerber. Fuck you Daddy-o !

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             Le vieux Bill tourne une dernière fois en Angleterre et le Melody Maker ne le rate pas, le qualifiant de «retired greengrocer» accompagné d’«overweight Rotarians». C’est vraiment la fin des haricots. Puis Bill JR. décide de pardonner à son père et l’appelle pour entamer un dialogue avec lui. Bill Jr. lui dit par exemple qu’il a beaucoup apprécié son dernier album, Everyone Can Rock’n’Roll et le vieux lui rétorque : «Oh so you’re a fan!». Bill Jr. le prend mal et lui met ça dans la barbe : «I’m more than a fan, I’m your son!». Alors le vieux crabe lui demande ce qu’il veut. De l’argent ? Ça se passe au téléphone, tard le soir. Bill Jr. entend son père siffler un autre verre. Puis le vieux prend sa voix des mauvais jours et balance ça : «Tu veux savoir ce que ça signifie pour moi d’avoir un fils ? I stuck my dick in your mother and you came out.» Bill Jr. est sonné, même s’il essaye de mettre ça sur le compte de l’alcool. Enfin, c’est ce qu’il écrit. 

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             Bill Jr. va monter un garage band, Bill Haley & The Satellites et enregistrer un album, Already Here. Il se met à tourner comme son père et comprend mieux ce qui s’est passé : quand on est en tournée quarante semaines par an, c’est impossible de rester attentif à ce qui se passe à la maison.    

    Signé : Cazengler, Bill halète

    Bill Haley. Bill Rocks. Bear Family Records 2006

    Bill Haley Jr. Crazy Man Crazy. The Bill Haley Story. Omnibus Press 2019

     

     

    Rockabilly boogie

     - Enfonce-toi ça dans le Cochran

     

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             Il fut un temps où les amateurs de rockab s’arrachaient les albums de Jackie Lee Cochran, et Swamp Fox en particulier, un Rollin’ Rock de 1974, enregistré comme tous les Rollin’ Rock dans le salon de Ron Weiser, avec «the slappin’ Bass»

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     de Ray Campi. Au dos de sa pochette, Ron Weiser précise que Cochran s’appelle en réalité Jackie Lee Waukeen Cochran, et que le Waukeen lui vient de sa grand-mère Cherokee. Autre détail capital : Jackie Lee Cochran vit à l’époque à la Nouvelle Orleans. T’es vite frappé par le primitivisme du morceau titre, en ouverture du balda. C’est gratté au salon. Il passe vite au rockab avec «Riverside Jump», et puis il chante son «That’s Alright Mama» avec de faux accents d’Elvis. En B, on a un peu de slap derrière «C’mon Over In The Clover» et tout bascule dans la pure rockab madness avec «Hip Shakin’ Mama». Ray Campi te claque ça au slap d’écho fatal, t’as la caisse claire et l’hip-shaker Jackie Lee ! Tu vois le beat se mettre en marche. Cette rondeur de son est incomparable. C’est trois mecs, Ron, Ray et Jackie Lee, avaient du génie.

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             Encore un Rollin’ Rock de Jackie Lee Waukeen Cochran : Rockabilly Legend. Il est un peu plus faible que le précédent. On entend de la bluette à l’eau de rose («They Oughta Call You»), de l’heavy groove de blues à la Elvis («The Walkin’ Cryin’ Blues»), et du simili-Susie Q («Lulu»). Tu passes complètement à travers le balda. Jackie Lee attaque sa B avec un joli shoot de rock’n’roll exacerbé, «Dance Doll» et tu reviens enfin aux choses sérieuses avec «Boogie Woogie Man Gonna Getcha», classique et fin, avec le slap de Ray Campi. Et ça devient réellement violent !

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             Comme son nom l’indique, Jack The Cat - The Jackie Lee Cochran Story propose une petite rétrospective de la carrière de Jackie Lee Cochran. On y retrouve quelques coups de Jarnac Rollin’ Rock, «Riverside Jump» (wild cat strut), «Hip Shakin’ Mama» (l’hit de Jack The Cat, hot as hell avec le slap de Ray Campi), mais aussi «Buy A Car», bien wild, avec des filles qui font ah ah et hi hi ! Et puis t’as ce fast rockab en B, «Mama Don’t You Think I Know It», bien pulsé du train, solide et brave, presque invincible. Avec «Ruby Pearl», Jackie Lee fait son Gene Vincent, avec tout l’ahanement sexuel dont il est capable.

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             Douze ans plus tard paraît Fiddle Fit Man. C’est ce qu’on appelle un tardif. On voit Jackie Lee gratter sa Gretsch noire sur la pochette. L’album est enregistré dans un petit studio anglais, à Wickford, Essex. Détail capital : Mike Vernon produit. Johnny & The Roccos - one of the best rock’n’roll bands around - accompagnent Jackie Lee. Il faut le dire franchement : ce tardif est une bombe. Jackie Lee attaque son morceau titre d’ouverture de balda en mode rockab pur et dur, Lincoln Carr te boppe ça net, et Jim Ficher te bat ça sec. Ambiance mystérieuse, comme si ça sortait du bois de la légende. T’entends là l’apanage du nec plus ultra. Jackie Lee chante «Out Across The Tracks» à l’arrache fatidique. Il a le diable au corps. Encore de la fantastique allure avec «Why Don’t I Leave You Alone». Il ressort ses faux accents d’Elvis. Ce mec a une classe sidérante. C’est un bonheur que de croiser sa route. Il boucle son balda avec la fantastique cavalcade de «Rock & Roll Blues», pulsé au tagada de caisse claire. Fantastique ! Encore un big shoot de rockab en B avec «She’s Mine All Mine». Jackie Lee casse encore la baraque avec le chant de «Peace Of Mind». Mike Vernon a dû se régaler d’avoir Jack The Cat dans son studio. Back to the wild rockab avec «Greasy Dollar Bill». C’est boppé dans l’esprit. Toutes les descentes de slap sont magnifiques de véracité emblématique. Fin d’album spectaculaire avec «Billy Is A Rocker». The Wild Cats are back ! Frénésie de la ferveur ardente ! T’as là le rockab de tes rêves inavouables. Rocka/ Billy is a rockahhh ! Ça t’envoie au tapis.

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             Trevor Cajaio rappelle au dos de Fiddle Fit Man que «Riverside Jump»/«Hip Shakin’ Mama» est le premier single de Jackie Lee (alors Jack Cochran) sorti sur Sims en 1956. Toujours dans les mêmes liners, on apprend que Jackie Lee a quitté le Texas fin 1956 pour s’installer en Californie. Il est repéré par l’A&R de Decca Records, un label sur lequel on trouve Johnny Caroll et Roy Hall. C’est sur Decca qu’il sort son deuxième single, «Mama Don’t You Think I Know It»/«Ruby Pearl». Il va ensuite végéter pendant dix ans, jouer dans des clubs, jusqu’à sa rencontre avec Ron Weiser, qui a déjà enregistré Ray Campi, Mac Curtis, et Chuck Higgins. Son premier album Swamp Fox sort en 1973.

    Signé : Cazengler, Jacky le Crâneur

    Jackie Lee Cochran. Swamp Fox. Rollin’ Rock 1974

    Jackie Lee Waukeen Cochran. Rockabilly Legend. Rollin’ Rock 1977

    Jackie Lee Cochran. Jack The Cat. The Jackie Lee Cochran Story. Hydra Records 1985

    Jackie Lee Cochran. Fiddle Fit Man. Off Beat 1985

     

     

    Inside the goldmine

     - Hatfield & The North

             On se croyait tout permis à l’époque. On allait chez Pierrot Hatefeau les soirs où il bossait de nuit. On sonnait et sa femme nous ouvrait. Comme on était deux bons potes à Pierrot, Stacia ne voyait aucun problème à nous laisser entrer. On allait d’abord dans la cuisine chercher des bières. On s’installait dans la grand sofa en cuir du salon. Notre sans gêne l’amusait beaucoup. Et le sien nous intriguait. On venait bien sûr pour la baiser, mais on n’imaginait pas un seul instant qu’elle pût en avoir envie. Elle était en robe de chambre très négligée, et c’est précisément ce décolleté vertigineux qui nous mettait sur la piste d’une telle déduction. On se sentait sur le point de basculer dans un univers qui nous plaisait énormément et qui était celui de l’amoralité. Et pour que ça marche, il faut des circonstance adéquates et des acteurs/actrices à la hauteur. On testait le terrain  avec les petites questions stupides habituelles du genre «T’aurais pas cahuètes ?» ou encore «T’as quoi comme musique ?», alors elle ramenait des cahuètes et nous mettait un peu de rock, mais pas trop fort, «à cause des voisins», alors on la prenait au jeu, «monte un peu, on n’entend pas», alors elle montait un peu, et on continuait de la titilller, «Pourquoi tu prends pas une mousse avec nous ?», alors elle sifflait une mousse, puis les questions se faisaient plus directives, «T’étais déjà couchée quand on est arrivés ?», elle hochait la tête en souriant, et fatalement la question suivante concernait la porte de la chambre, «Ta chambre, c’est la porte ouverte, là-bas ?» et elle hochait la tête à nouveau, alors on poussait un peu le bouchon, «Tu veux bien nous la montrer ?» et elle nous la montrait. Et arrivait ce qui devait arriver. À aucun moment, nous ne pensâmes à Pierrot Hatefeau, ni ce soir-là, ni les soirs suivants. Pauvre Pierrot Hatefeau, quel enfer devait être sa vie, entouré de gens comme nous et comme Stacia. Le vertige ne se trouve pas dans les décolletés, mais dans les examens de conscience, ces examens qu’on se garde bien de pratiquer, de peur d’avoir peur. Très peur.    

             Pendant qu’Hatefeau vivait sans le savoir l’enfer sur la terre, Hatfield créait de son côté le paradis sur la terre. Quelle belle fréquentation que celle du grand Bobby Hatfield.

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             Fantastique album que ce Messin’ In Muscle Shoals, un MGM de 1971, c’est-à-dire l’âge d’or de Muscle Shoals. Contenu comme contenant parfait. Bobby attaque avec le «You Left The Water Running» de Dan Penn. Bobby fait son white nigger et tape en plein dans le mille. Il se montre digne de Fred Neil avec «The Promised Land». Il chante avec un tact suprême, et derrière, ça gratte les poux de Muscle Shoals. Il passe au wild r’n’b avec «Shuckin’ & Jivin’», il fait son nigger on fire, il est bon le Bobby, il shake son Stax. Coup de génie en B avec le gros popotin d’«I Saw A Lark». Get it ! Il est encore plus black que les white niggers avec «The Feeling Is Right». Incroyable qualité de son niggerisme ! Il termine en beauté avec le groove syncopé du morceau titre.   

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             Belle compile Ace que The Other Brother - A Solo Anthology 1965-1970. Tony Rounce se tape les liners. Il explique par exemple que le premier album solo de Bobby n’est jamais sorti, par contre, il en propose quelques titres dans la compile, dont l’excellent «Hang-Ups» de Mann & Weil. Bobby fait bien le white nigger sur ce groove d’excelsior. Puis avec «Ebb Tide», il remonte dans le pathos des Righteous. Il se prend aussi pour Sam & Dave dans «Soul Cafe». Il tape son heavy popotin à l’accent voilé. Il arrondit bien les angles de «Cryin In The Chapel», puis il épouse à la perfection «(I Love You) For Sentimental Reasons». Il monte si haut ! Il est encore plus spectaculaire sur «What’s The Matter Baby», c’est gorgé de blue eyed, les blackettes s’épuisent à le suivre. Avec le «Paradise» d’Harry Nilsson, t’as la pop US à son sommet, t’as des dynamiques monstrueuses, des vagues orchestrales dévorées par un bassmatic carnivore. Pur génie propulsif ! Bien sûr, Totor est dans le coup. Bobby épouse encore «Unchained Melody» sous tous les angles. Cette compile est écrasante de qualité. Il passe en mode Tempts avec l’heavy Soul de «What You Want» et revient dans les bras de Goffin & King avec «So Much Love». Overdose de feeling pur. C’est hyper-orchestré. Avec Mann & Weil, le développement est plus long et plus lent, comme le montre «See That Girl». Bobby est un crooner spectaculaire.

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             Bobby n’a pas de chance car ce premier album ne sortira jamais. Il descend en 1970 enregistrer son fameux Messin’ In Muscle Shoals, et Rounce ne rate pas une si belle occasion de ramener le Penn avec «You Left The Water Running». Bobby sait driver le raw d’un Staxy Stax. Il est encore plus doux que les Beatles sur «Let It Be». Incroyable touché de voix ! Il transfigure les Beatles. Encore du pur jus de Shoals avec «If I Asked You». Imbattable. Et tu te régales encore de ce riding down to Memphis dans «The Promised Land», fabuleux de feeling kind of hungry. Encore de l’heavy Soul de Shoals avec «Show Me The Sunshine» et de la good time music avec «The Feeling Is Right». «Messin’ In Muscle Shoals» sonne comme un hit mythique avec ses deux grattes et ce bassmatic monstrueux. Il présente tous les musiciens - It’s so funky down here.

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             Richard Perry n’est pas un producteur très connu. Dans ses liners de Stay With Me - The Richard Perry Sessions, Roger Thornhill rappelle que Perry a produit Laura Nyro, les deux premiers albums de Fanny, en 1971, et le Nilsson On Schmilsson d’Harry Nilsson. C’est en 1971 qu’il rencontre Bobby et qu’il l’enregistre. C’est aussi en 1971 qu’il se rend à Londres pour enregistrer chez Apple le troisième album de Fanny, Fanny Hill. C’est là qu’il bosse avec Bobby, au studio Apple, juste avant Fanny. Ils commencent par bosser sur le «Baby Won’t You Do It» de Marvin, et sur le «What Is Life» du roi George, tiré d’All Things Must Pass. Voilà l’heavy Bobby en pleine magie. Il fait de la Soul d’Harrison. Il reste dans l’Harrison avec «Sour Milk Sea», que chanta en son temps Jackie Lomax. On a Ringo au beurre, Klaus Voorman on bass, Al Kooper on guitar, Chris Stainton on organ, avec en plus Jim Price et Bobby Keys. La bande habituelle. On retrouve aussi le vieux hit de Sharon Tandy, «Stay With Me». Bobby s’en va vite titiller la note haute, dans un bel écho à la Totor. Bobby se montre ici spectaculairement sculptural, il taille sa beauté dans le marbre du firmament, à même la falaise. Tout ça pour dire qu’on a là une version mythique. Restons dans le génie vocal avec «Oo Wee Baby I Love You». Belle entrée en lice, power d’Oo wee, avec le riff de «Get Back», courtesy of Ringo. Stomp de Soul. Pur genius ! Bizarrement, l’album ne sera jamais complété.

    Signé : Cazengler, Bobby Hot fiel

    Bobby Hatfield. Messin’ In Muscle Shoals. MGM Records 1971 

    Bobby Hatfield. The Other Brother - A Solo Anthology 1965-1970. Ace 2017

    Bobby Hatfield. Stay With Me - The Richard Perry Sessions. Omnivore Recordings 2020

     

     

    Wizards & True Stars

     - Le rock à Billy

     (Part Ten)

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             Plus tu creuses et plus Big Billy te bluffe. Mais attention, il ne s’agit pas de n’importe quel bluff, c’est le Bluff Medway !

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             Un bon exemple : l’album de Kyra, paru en 1998 : Here I Am I Always Am. Ah quelle délinquante juvénile ! Il faut la voir claquer «It’s A Stick Up» et «Organic Footprint» ! Elle aggrave la délinquance juvénile ! Côté covers, elle n’est pas en reste : figure-toi qu’elle tape l’«Agitated» des Electric Eels de Cleveland. Elle te les croque tout crus, I’m so agitated, elle te screame ça au quart de poil et ça vire Sonics, alors que fait Big Billy ? Il fond sur l’Agitated comme l’aigle sur la belette avec un wild killer solo flash qui tue le mouches. T’as pas de couple plus punkish en Angleterre. L’autre cover de choc, c’est bien sûr le morceau titre, tiré des Legendary A&M Sessions de Captain Beefheart. Celui-là il faut aller le chercher ! Elle le ramène par la peau du cou, elle te tape ça à l’hard attack, elle chante du ventre, elle remonte bien le courant, Big Billy peut être fier de sa punkette belge. Elle enchaîne cette merveille de Beefheart au féminin avec «Naked», un punk-rock primitif d’un éclat sans pareil. Puis elle te monte «Louise» sur la carcasse de «Strychnine». Et t’es pas au bout de tes surprises, car voilà «Marieke», un hommage à Jacques Brel, «entre les tours de Bruges et Gand», elle donne toute sa mesure, la petite Kyra-bien Kyra-la-dernière, et son ciel flamand pleure avec toi de Bruges à Gand, elle fait le show. Elle est encore plus magnifique avec «Ego Maniac», wild Childish punk-bop. Elle saute dessus ! Magnifico ! Elle saute encore au paf du punk avec «Do Things Right» - Now I try/ And do things right - Et t’as «Today Is The Night» joué à la pire arrache, ça se casse bien la gueule et c’est fantastique. Moralité : tout ce que propose Big Billy vaut largement le détour.

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             En 2004, il produit l’album des A-Lines, You Can Touch. T’as Kyra au chant et derrière, Juju, Bongo Debbie et Delia. Elles te sonnent les cloches aussitôt «Four». Toute la ramalama du Medway Sound est là, glorieuse comme pas deux. Leur «Can’t Explain» n’est pas celui des Who, mais ça sonne comme un classique, un brin Stonesy, un brin Whoish. Le son est encore une fois d’un éclat sans pareil. Elles reviennent au pur protozozo avec «More Wax Please», c’est du vrai wild as fuck, mais pas n’importe quel fuck, celui de Medway. Elles sont infernales et Big Billy les condense à merveille. Elles passent au trash-punk avec «Sideways», ça atteint des sommets, tout est déchiré, échevelé, avec des chœurs de folles échappées de l’asile, c’est jeté dans le mur. Pur genius ! On retrouve la cover qu’avait tapée Kyra de l’«Agitated» des Electric Eels sur son album solo. Allez, on peut aller jusqu’à proclamer que c’est l’une des covers du siècle tellement c’est bon esprit. T’entends là le meilleur ramshakle d’Angleterre. Encore du wild as fuck avec «One Day», c’est saturé de mauvaises intentions, et elles passent au Medway Punk’s Not Dead avec «Day One» et t’as Juju qui passe le pire solo à deux notes qu’on ait entendu depuis celui de Pete Shelley dans «Boredom».

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             Big Billy a eu la sagesse de rééditer deux albums du William Loveday Intention qui étaient tombés dans la pattes des spéculateurs : They Wanted The Devil But I Sang Of God et Where The Black Water Slid. Vieux Big Billy sur la pochette du premier et jeune Big Billy sur la pochette du deuxième. They Wanted The Devil But I Sang Of God reste très Dylanesque. C’est le morceau titre qui ouvre le balda : vieille harangue dylanesque. Big Billy pousse bien le bouchon de Bob. T’as John Barker à l’orgue Hammond, Wolf au beurre et Jim Riley à l’harp. Ça reste dans l’esprit de «Like A Rolling Stone». «Sex & Fly’s» sonne comme de la grosse mélasse dylanesque violonnée, avec des beaux coups d’harp. Encore du violon sur l’harangue de «Truth Don’t Matter No More». Il parvient à mélanger l’early et le tardif dylanex. En B, il ramène «Viper’s Tongue» pour dénoncer avec toute la niaque dont il est encore capable. Puis il s’offre un petit coup de primitif avec «Cave (Slight Return)». Pure childisherie - I know you’re a sinner/ Ain’t no shame.

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             Where The Black Water Slid est un album d’instros enregistré comme tout le reste, par Jim Riley à Rochester. Tous les instros de l’album sont frais comme des gardons. Mais quel dommage de se priver d’un chanteur aussi exceptionnel que Wild Billy Childish.

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             Il rend aussi hommage à sa femme Juju Claudius en sortant sur son label Hangman une belle compile, It Hurts Me Still. Superbe présence vocale, dès le morceau titre. Elle est très tendancieuse et authentique ! C’est du pur jus de CTMF. Sous le nom de Jack Ketch, Big Billy écrit ça au dos : «Appearing alongside her husband and Wolf ‘still drumming’ Howard, a highlight for many has been when Julie pens her own compositions, singing lead vocals and playing rhythm guitar (as well as on a few ditties for her husband). Hangman music techs have now gathered up 14 favourites for the edifcation of both the discerning listener and the three-chord pop enthusiast.» Nouveau coup de génie avec «Empty». Elle chante à la ramasse de CTMF, yah yah it’s so empty ! Tu retrouves plus loin sa cover de «King Bee», elle en fait un «Queen Bee» avec toute la clameur de Brian Jones. Ah comme ça swingue ! Et t’as les coups d’harp de Jim Riley. Elle passe au garage moderne avec «When I Think About You», c’est bardé de riff raff bien âpre, ça gratte sec et ça bat net, tu peux leur faire confiance. En B, elle redevient wild as fuck avec «It’s So Hard To Be Happy». Elle tape dans le cœur du proto, et elle pousse les wouah les plus viscéraux, et pour couronner le tout, son husband Big Billy passe un killer solo protozozo. Tu croises plus loin un «Turn & Run» monté sur les accords de «Gloria». Dernier coup de Jarnac avec «Bullet Proof». Ah ça trashe bien derrière elle, avec le Big Billy qui destroy oh boy. T’as le mix parfait girl voice impénitente/super trash boy. Elle chante comme la reine des bas fonds et le Big Billy te trashe tout, absolument tout.

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             Un bel album de Wild Billy Childidh & The Chatham Singers sort sur Spinout Nuggets : Step Out !  le bien nommé. Belle pochette avec Juju Claudius en reine de Medway. Le morceau titre somme comme un classique immédiat, big boogie de type Hooky avec Wolf au beurre. Ils tapent plus loin l’«I Can Tell» de Bo. Big Billy te chante ça du coin du menton. Tu croises encore une cover primitive du «Rollin’ & Tumblin»’» de Muddy. Big Billy te chante ça à l’édentée carnassière. En B, ils retapent encore le vieux «Just Want To Make Love To You» de Big Dix, suivi par l’immémorial «King Bee». Joli son des catacombes et ce baby buzzin’ round your hive qui t’a toujours hanté la cervelle. Tu ne t’ennuies jamais sur un album de Wild Billy Childish.

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             Ah bah tiens ! Voilà deux albums de Wild Billy Childidh & The North Kent Folkways Revival, The Speech Of Karatakus et Cape Trafalgar. Le Karatakus démarre avec l’heavy folk d’«I’m In Chatham (And It’s Raining)», mais attention, ce n’est pas n’importe quel heavy folk : c’est l’heavy folk de la traînasse supérieure. Big Billy bat Shane McGowan à la course. Même le violon est heavy. Bel hommage à LeadBelly avec «Black Girl», et ça chauffe de plus belle en B avec le morceau titre, dont les paroles sont imprimées au dos de la pochette - In Rome at peace you met your end/ Oh Karatakus loving, beloved, dear friend - Pour la petite histoire, Karatakus fut le chef militaire de la future Grande-Bretagne, qui, vaincu, fut livré à l’Empereur Claude et condamné à mort. Karatakus prononça devant l’Empereur un discours qui lui sauva la vie et c’est ce discours que chante Big Billy, et c’est magnifico - If you preserve me safe and sound, I shall be an eternal example of your clemency - Puis Big Billy enfonce son clou Pogues avec «Son Of The Medway» - The rain’s coming down in cats and dogs !  

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             T’as encore des belles surprises sur Cape Trafalgar. Il fait du late Dylanex violoné avec «Blues That Kills» et Juju vient taper l’heavy folk d’«It Ain’t Mine». Elle fait du punk-folk et ça t’en bouche un coin. Puis Big Billy refait son late Dylan avec «The Goddess Tree», c’est un fantastique folkeur de choc - I carve my name/ On the Goddess Tree - En B, il revient à ses vieilles chansons de loup de mer avec le morceau titre, ça chante en mode sea shanty et t’as le fantastique power de la poésie. Il met du poids dans chacun des pieds de ses vers - So homeward to Chatham/ Birthplace of the victory/ My beloved still waits for me - Il regagne la sortie avec du Dylanex punk, «Doggered For Broderick (We’re The Chathamese)», il shoute ses vers et ça part en chœurs de lads à coups de we’re the Chathamese.

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             Il sort un troisième album en 2024 et réunit tous ses copains, The Chatham Singers & The Singing Loins, pour un beau live titré 2 Nites In Rochester. C’est comme si tu y étais. Ils attaquent avec l’heavy downhome blues de «No Mercy» - Baby please don’t go - et enchaînent avec un boogie à l’ancienne, «Evil Thing». Pas de problème, ça rocke le boat. Premier coup de génie avec «Step Out», et Wolf te bat ça sec, suivi d’un bel hommage à Bo avec «I Can Tell». Là, t’as tout le mambo de Medway. Et pour couronner le tout, Big Billy tape une cover de Dylan, «Hollis Brown», grattée à la Bo. Et en B, il tape son vieux classique, «I Don’t Like The Man I Am» - I can’t express my grip - Ça sonne comme un hymne national, violonné en mode complainte des pendus - Well I can’t love you/ Cause I don’t like the man I am - Et ça repart en mode Ses Shanty avec «The Jutland Sea», lancé au c’mon sailors avec un souffle de violon et de banjo dans les voiles. Fabuleux ! Encore un album qu’il vaut mieux écouter si on ne veut pas mourir idiot.

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             C’est dans le petit book de Saskia Holling (Girlsville - The Story Of The Delmonas & Thee Headcoatees) que tu découvres l’existence des Shall-I-Say-Quois. Tu rapatries ce truc là aussi sec et qui tu vois sur la pochette ? Juju, Ludella et Kyra ! Et au dos, t’aperçois Big Billy sous un béret. Il signe son texte (en français de Medway) Guillaume Amour-de-jour - La distorsion est claire et la clarté clairement déformée - Et il parvient à caler une prophétie dans cette merveille de rien-à-foutre : «Rock’n’Roll est une force épuisée, mais il entendre (sic) halètements pour son dernier souffle.» Six cuts, six bombes, voilà le tarif. Juju, Kyra et Ludella sont accompagnées par CTMF. Kyra chante en français, «Shall I Say Quoi ?», c’est du rock sixties à la Dutronc - Je fais quoi ? Yeah yeah oui ! - Pur genius encore avec «Oh Mein Goff Baader Meinhoff». On reste dans le Dutrock avec «It’s So Hard To Be Happy» et une puissante cover d’«Et Moi Et Moi Et Moi», Big Billy bat les accords à la main lourde, ça devient mythique de j’y pense et puis j’oublie.

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             Au moment où tu tapes tout ça, Big Billy a déjà sorti de nouveaux albums et des EPs en pagaille. Dans Shindig!, tu repères la parution du nouvel EP des Headcoats Sect, Got Sect If You Want It. Alors tu fais quoi ? Tu le chopes pour l’écouter. Le morceau titre est du pur proto gratté à la cisaille de gratte rouge et t’as un killer solo en forme de fleuve de lave. C’est Keith Grant qui chante «Man Trap», et Big Billy gratte encore plus sévère, il tape en plein dans le spirit des Downliners. T’as tous les vieux poux de la grande Angleterre. Tout le rock anglais est là, comme au temps des Pretties, des Who et des Kinks. C’est Keith Grant qui chante encore «We’er (sic) Gone» en B, et ça part sur les accords de Dave Davies. Big Billy te sert le kilo de killer bien fumant.

    Signé : Cazengler, Billy Chaudepisse

    William Loveday Intention. They Wanted The Devil But I Sang Of God. Hangman Records 2021 

    William Loveday Intention. Where The Black Water Slid. Hangman Records 2022                       

    Juju Claudius. It Hurts Me Still. Hangman Records 2023                      

    Kyra. Here I Am I Always Am. Vinyl Japan 1998

    A-Lines. You Can Touch. Sympathy For The Record Industry 2004

    Wild Billy Childidh & The North Kent Folkways Rival. Cape Trafalgar. Hangman Records 2024              

    Wild Billy Childidh & The North Kent Folkways Rival. The Speech Of Karatakus. Hangman Records 2024 

    Wild Billy Childidh & The Chatham Singers/The Singin Loins. 2 Nites In Rochester. Hangman Records 2024

    Wild Billy Childidh & The Chatham Singers. Step Out! Spinout Nuggets 2024

    The Shall-I-Say-Quois. Damaged Goods 2013

    Thee Headcoats Sect. Got Sect If You Want It. Damaged Goods 2025

     

    *

             Nous les suivons depuis leur premier EP en 2020. Le temps passe vite, peu de nouvelles ces derniers mois et voici alors que ne l’attendait pas un nouvel album, sur lequel on retrouve quelques singles parus en 2024. Un grand changement. Z’étaient trois, les voici deux. Nathan a quitté Denver (Colorado) il est à l’autre bout du pays. Les Etats-Unis sont vastes… Z’auraient pu se séparer, ils ont décidé de continuer. Quitte à adapter leur musique à cette nouvelle configuration.

    GHOSTS

    BURNING SISTER

    (Bandcamp / Novembre 2025)

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             Pochette fantomatique. Une vue peu naturelle. Elle ne se regarde pas, on tente d’y voir, on scrute, on se méfie qu’apercevrons-nous au travers-de ce filtre bleu, ce qui est déjà en nous, les cadavres de nos actes passés, ou quelque chose de plus dangereux qui ne nous appartient pas mais qui semble nous faire signe.

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             Le dos de la couve est encore plus étonnant. Ça ressemble à ces plaquettes de verre entre lesquelles on a déposé l’on ne sait trop quoi,  ramassé à la va-vite, des grains de poussière, des miettes de pain, le bacille de la peste, n’importe quel vestige du monde, ensuite l’on visualise en mettant son œil sur l’oculaire du microscope, l’on ne comprend pas trop ce que c’est, normal plus on vous met le nez dans votre caca, plus la chose, materia prima de notre noirceur, est difficile à identifier. Aussi difficile à reconnaître qu’un fantôme.

    Steve Miller : bass, synth, vocals / Alison Salutz : drums.

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    Brokedick Icarus : Steve Miller nous prévient en quelques lignes, à deux le rock c’est comme la peinture à l’huile, c’est plus difficile, faut rajouter des éléments pour combler le vide, bref bye-bye les vagues de riffs, bonjour la drone music, et lorsque l’on essaie de séquencer la drone music, l’on n’est plus très loin du noise, bref une machine à faire du bruit, un peu de filetage, un peu d’estampage, l’on fait avec ce que l’on a et aussi avec que l’on n’a pas, pas de panique c’est un peu comme un avion dont l’hélice tournerait pas vraiment en rond, mais pas mal en ellipse, tant que l’on ne tombe pas c’est parfait, et puis il y a ce casse-couille d’Icare, enfin pas lui, son idée, son fantôme qui vient nous faire coucou dans nos synapses, bref pas le vrai qui s’est lamentablement planté, non l’autre le symbole qui monte toujours plus haut. Bref un doom ferrugineux d’où s’exhale le rêve de notre incomplétude. Stellar ghost : attention ce n’est pas une ouverture d’opéra mais ça a de la gueule, Icare s’est évaporé, honneur à son fantôme stellaire, délaissez votre télescope, il n’est pas si loin, peut-être juste à côté de vous, vous savez Schopenhauer quand il dit que lorsque vous êtes vraiment en vous, les gens que vous croisez semblent avoir perdu leur épaisseur mentale, sont réduits à l’état de fantôme, alors le Miller l’a beau s’époumoner en milliers d’invectives il ne recevra pas de réponse, à part celle d’Alison qui passe sur ses illusions désespérées à coups de batterie aussi lourde qu’une division blindée implacable. Comme je suis un gars serviable et pas cruel je vais vous révéler la nature de ce tlntamarre, cela vous paraîtra évident lorsque je vous aurais résumé tout le paragraphe en un seul mot : c’est du blues. Pas autre chose que du blues. Mais du blues comme en fait rarement. N’exagérez pas, ne dépassez pas la dose prescrite, ça cogne dans la tête. No space or time : ce n’est pas

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    tout à fait une berceuse, mais après les deux morceaux précédents, c’est un havre de paix, tiens la machine revient, normal qui dit paix sur-entend mort. Cherchons l’intruse comme dirait le commissaire Labavure. Procédons avec ordre et méthode, pour le moment nous n’avons qu’un cadavre, pas tout à fait mort, disons en partance, ah : cette espèce de bruit de corne de rhinocéros et ce robinet de doom qui ruisselle sur les cymbales et sur vos joues. Moment idéal pour se confronter aux questions essentielles : appréhendons-nous l’espace et le temps de la même quand nous sommes morts que quand nous sommes vivants. D’ailleurs entre le mort et vous  des deux quel est le plus vivant. Si ce n’est pas vous, c’est donc un fantôme. Lethe | Oblivion : attention, ça devient funèbre, le gars est bien parti pour le grand voyage, croisière ou galère, je ne sais pas il descend le Léthé, une seule escale touristique, l’oubli, est-ce que son oubli serait dans sa tête, le Miller, il miaule, il beugle, dans sa cervelle il doit croire qu’il fait du chant grégorien, sa basse s’accordéonise et notre sœur brûlante elle joue du tambour comme si elle était Perséphone en personne. Sûr qu’elle ne perd pas ses toms avec ce rythme d’oiseau qui vole avec une aile brisée et qui n’en finit pas de tomber. C’est ce que l’on appelle une longue agonie. Swerve (Dead stars) : l’est un peu jaloux le Miller, alors il nous donne un petit concert de basse, en fait quand vous parlez à un mort, c’est comme quand vous essayez de causer à une fille qui n’en a rien à faire, est-ce un hasard si notre batteuse lance son roulement à bille battérial, c’est ce que les damnés psychologues nomment l’incommunicabilité entre les êtres, remarquez qu’avec sa rythmique en rondelle Alison essaie de communiquer par l’entremise d’une table tournante. Encore une fois, un petit cours de rattrapage, sera bref, l’abrupte citation d’un hémistiche de Gérard de Nerval : ‘’ Ma seule étoile est morte,’’ Dead love : comme quoi j’avais raison. Tiens un accord de guitare et une batterie qui enchaîne, serait-ce le retour du rock, en tout cas l’on vire vite dans le grand tapage, de plus en plus lourd, ou plutôt de moins en moins léger, car il reste une trace d’entrain, vous savez quand les chevaux arrivaient au cimetière ils pressaient le pas car on allait bientôt les délester du poids du cercueil, silence, faites doucement, écoutez cette espèce de trompe qui mugit, cette basse qui bourdonne, juste un tapotement, l’instant crucial, quand Juliette se réveille auprès du soi-disant cadavre de Roméo, est-ce pour cela qu’Alison chantonne et que Juliette se plante un poignard dans le cœur. Et le combat cessa faute de combattants. Ne restent plus que des fantômes qui déambulent comme des bulles de savon crevées.

             Fabuleux. Sister Burning a relevé le défi. Z’ont produit leur meilleur opus. Le groupe a atteint une autre dimension. Supérieure.

    Damie Chad.

     

    *

    Y a des gars qui sont là pour vous saper le moral, je sais bien que l’hiver arrive, que les jours diminuent, que les nuits rallongent, que le monde va de plus en plus mal. Est-ce vraiment une raison ? Heureusement qu’il reste des murmureurs qui hurlent dans vos oreilles pour vous sortir de vos léthargies dépressives. Comme ils ne veulent pas vous prendre en traitre, ils font précéder leur opus de la mention : ‘’very loud’’. A bon entendeurs, salut !

    WITHERED

    NO LUST / NO HOPE

    (Doomshire Tapes / Novembre 2025)

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    TZ : instigateur de cette K7, composée, écrite, mixée, jouée par ses soins : guitars, bass, vocals / Invité et esprit frappeur : Federico Leone : drums.

    Viennent d’Italie. Ils définissent leur entreprise  comme la musique des âmes tristes. La formule est lapidaire mais elle résume à la perfection la signification testamentaire d’une telle offrande au néant.

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             La couve n’est pas créditée. Rouge et noire. Que représente-t-elle, le sang et l’obscurité du néant ? Difficile  à dire. Serait-ce la bouche d’ombre chère à Victor Hugo, dont les lèvres de pourpre se refuseraient à parler, pour la simple et bonne raison qu’il n’y aurait rien à dire. Sur rien. Et surtout sur nous-mêmes. Serions-nous des êtres aux âmes flétries…

    Instrumental : en tout cas le premier titre l’annonce dès son titre, il n’a rien à dire. Voici une histoire sans paroles, et bien entendu sans histoire. De cette bouche sanglante se dégage un bruit, à moins qu’il ne s’y précipite comme la matière de l’univers s’absorbe dans les trous noirs. Un bruit ? Pas tout-à-fait, une résonnance noire qui parfois semble s’accumuler sur elle-même tout en réalisant le prodige de ne cesser de progresser, sans interruption  No lust / No hope : jusqu’à ce que Federico le Lion,  le chevalier, à l’armure de fer, transgresse la chose sonore immonde à coups de masse, incroyable elle réagit, l’on entend des voix qui ne montrent aucune voie, un peu comme s’il tapait sur un long serpent noir, serait-ce celui  qui passerait devant lui, tout droit sans lui porter la moindre attention, la chose n’ondule même pas, les guitares, elles viennent bien tard, elles réagissent mais elles n’apportent ni n’enlèvent rien à ce grondement imperturbable qui se déroule sans même se préoccuper de lui-même, la seule chose qui bouge en fait c’est l’angoisse et la peur qui montent en vous tout en sachant que le monde entier s’en moque, ne reste plus à Leon qu’à faire le cake sur ses tambours, tout en sachant que cela n’ a aucune importante, aucune conséquence, en fait c’est juste le concept phénoménal du vide, qui ne se loge pas dans votre raison puisqu’il y est déjà depuis la première seconde de votre vulveuse conception, vous pouvez taper du pied c’est comme si vous pissiez sur un kit drummique, vous pouvez hurler à vous enrayer la voix avec du papier de verre, prenez la bonne résolution, soyez positif dans votre négativité, décidez de quitter ce cirque, inutile de faire semblant de charmer  le serpent par la force de votre esprit en ne faisant même pas mine de dodeliner de la tête pour l’amadouer, vous êtes le serpent, vous n’avez qu’une seule chose à faire à réaliser  votre destin puisque vous êtes programmé, Addicted to death : cette résolution se traduit par une prise de parole, une déclaration solennelle, l’énonciation de ce que l’on est, le background musical prend le relais, tempétueux, que voudriez-vous ajouter de plus, il baisse un peu pour  vous laisser l’espace de poser encore quelques mots, mais aussitôt il s’ébroue et accélère le rythme, il se précipite, peut-être parlez-vous,  mais vous êtes maintenant dans la matrice du désir de la mort, personne ne peut vous entendre, vous n’apaiserez pas l’immonde douleur de virve avec quelques cachets ou tout autre produit,  c’est au plus près de la mort que vous vous sentez reposé… Raptus / No regrets : grésillements, comme un courant électrique qui s’infiltrerait dans votre corps, cette électrocution dommique accumulée dans votre corporéité ne vous tue pas, elle vous investit d’une force surhumaine, vous êtes un surhomme, non pas parce que vous être le plus fort physiquement parlant, car ce qui sert d’accumulateur énergétique c’est votre cerveau, votre pensée domine le monde, elle étend ses tentacules sur tous les objets de l’univers et s’empare de votre désir le plus cher, le plus chair, vous criez, vous délivrez votre message comme Zarathoustra sur sa montagne, mais votre seul disciple c’est vous-même, il y a un instrument, on se moque de savoir lequel, qui claironne tout fort pour révéler au monde entier qui n’existe plus le grand secret de votre réussite,  grandiose compression sonique, déferlance terminale, vous êtes ce vous vouliez ne plus être, vous ne vous êtes jamais senti aussi bien. En pleine forme. En forme de rien.

    Somptueusement darkly !

    Pour ceux qui auraient besoin d’une cuillerée supplémentaire de nihilisme, tous les goûts sont dans la nature, le groupe a déjà sorti en septembre 2025 un premier single.

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             La couve noire, dessinée de ce mauve dont sont teintes les perles des couronnes funéraires du cimetière, est plus explicite, une fois que la tête de mort centrale se soit imposée à vos yeux. Au-dessus je ne sais pas, je décèle dans le dédale neigeux des arabesques nuageuses deux buccins apocalyptiques mais  cette voyance ne cadre point trop avec l’idéologie nihiliste du groupe. Tout en bas, mon imagination se complaît à entrevoir les silhouettes incertaines de deux musiciens, plus clairement tout en haut, à droite et à gauche, deux mêmes signes énigmatiques, deux Y, un pilier central qui se divise en deux branches, l’une serait-elle la vie et l’autre la mort, avec à l’intérieur du delta un carré, symbolique signe géométrique de la perfection, cela voudrait-il dire que la vie et la mort engendrent la perfection des âmes mortes.

    Wawes of regrets : le lecteur remarquera que ce titre publié deux mois avant l’opus précédent évoque des vagues de regrets alors que la cassette   stipule sans ambages qu’il n’y a pas de regrets à avoir… :  pour un premier titre ils donnent dans l’emphase, les grandes orgues du romantisme, z’ont encore des regrets car manifestement ils n’ont pas fait l’impasse sur la beauté, ruissellement de cymbales et l’on prend une direction plus noire, mais avec de fortes nuances, encore un oratorio désespéré et une voix qui growle comme si sa vie en dépendait, remarquez c’est un peu le cas, une basse qui fait la belle comme une bosse de baleine, sont encore dans le spectacle, des rockers qui ne veulent pas se taire, moulinades battériales, souffles soniques, ce n’est pas une vague mais un raz de marée qui emporte tout. Déduction logique : il ne reste plus rien. Quelque part ça doit les rendre heureux, c’est ce qu’ils voulaient.

             C’est un peu comme s’ils déclaraient avec la voix grandiloquente des hommes politiques qui cherchent à vous émouvoir en vous avertissant du danger imminent : ‘’ Nous sommes au bord de l’abîme, un pas de plus nous tuerait !’’.  Eh bien, au disque suivant ils ont commis l’irréparable en se jetant dans l’abîme.

                Ces vagues de regrets sont très belles.

    Damie Chad.

     

     

    *

    L’ordre logique des choses peut paraître évidente. Je lis un très bel et profond article de Jean Montalte sur Paul Valéry. Depuis ma chronique sur Le cimetière main d’Aephanemer vous connaissez mon admiration et mon intérêt pour cet écrivain.  Je débouche sur Poe, un des écrivains essentiels de la littérature selon moi. Selon Valéry aussi. Il partageait cet avis avec Stéphane Mallarmé. Oui mais tous les Poe ne se prénomment pas Edgar.

    De toutes les manières je n’ai pas respecté l’ordre chronologique. Voici une dizaine d’années nous présentions quelques livres à un groupe de collégiens. La bibliothécaire exhiba un gros bouquin à couverture amarante, elle précisa qu’il était en Anglais. En silence je l’admirai, qui pourrait-être assez fou pour dévorer un pavé à vue de nez de plus de cinq cents pages en anglais… A part notre Cat Zengler qui nous chronique régulièrement des volumes-rock venus d’Angleterre ou d’Amérique, en notre douce langue françoise, bien entendu. Je cite de mémoire sa courte présentation : ‘’L’histoire d’une famille qui aménage dans une maison qui s’aperçoit que les pièces de la maison semblent changer de dimension…’’

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    L’idée m’est restée dans la tête. Dans la série : un bon truc pour démarrer une histoire fantastique. Revenons à Jean Montalte, l’article sur Valéry m’a donné envie d’en savoir davantage. Pas besoin d’aller bien loin sur son site personnel. Un chronique sur un livre et un auteur dont j’ignore tout écrit à la suite de la réédition de Maison des Feuilles de Marc Z Danielewxki, paru aux éditions Monsieur Toussaint Louverture. Un roman américain bizarroïde, l’histoire d’une maison dont les dimensions… Je consulte la fiche Wikipedia de ce Mar Z Danielewski, Son père qui fut cinéaste a eu un fils et une fille. Le frère est devenu écrivain et la fille chanteuse. Sous le nom de Poe. Ah oui, ce doit être une des sœurs Larkin Poe que le Cat Zengler est allé écouter à l’Olympia, je vérifie : erreur. C’est bien la sœur de son (demi-)frère, elle a enregistré chez Atlantic. L’a sorti deux albums, ensuite elle se fait jeter hors de sa maison de disques : sombres histoires de rachats d’entreprise, de droits, d’avocats, de compressions de personnels pour générer des bénéfices substantiels, la petite histoire traditionnelle du développement capitalistique … Un petit tour sur Discogs, une idée de génie (oui, je sais, je n’ai que des idées géniales) si la sœur enregistre pourquoi pas le frère… Bingo ? je cherche et je trouve.

    DON’T BE SCARED

    POE AND MARK Z. DANIELEWSKI

    (Atlantic / CD Promotionnel / 2000)

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            Je pourrais me contenter de chroniquer les albums de Poe, oui mais le livre de son frère me paraît beaucoup plus rock’n’roll que les disques de sa sœur. Ce qui n’a pas empêcher sa sœur d’accéder aux charts rock. En plus une chanteuse qui choisit Poe comme pseudonyme doit être à priori, selon mes critères, une personne intéressante. Poe n’a cessé de suivre les efforts de son frère dans la rédaction de son roman, elle a lu les brouillons au cours de l’élaboration de l’œuvre, ils en ont longuement discuté, l’ouvrage terminé elle l’a aidé à trouver un éditeur et pour lancer le livre et lui assurer un premier groupe de lecteurs parmi ses propres fans, elle l’a incité à réaliser ce CD promotionnel dans lequel nous retrouvons certains morceaux de son deuxième album Haunted..

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             Haunted. OK ! mais hanté par quoi ? demanderont les esprits rationalistes. C’est ici que nous empruntons, un peu comme l’Igitur de Mallarmé, un escalier qui descend au plus profond de soi, dans le tombeau de nos ancêtres. Notre chanteuse ayant retrouvé un carton de cassettes enregistrées par Tad  Danielowski, son père disparu - il s’est séparé de sa femme alors qu’elle avait seize ans et son  (demi)-frère dix-huit - elle est si violemment heurtée par ses premières écoutes qu’il lui faudra beaucoup de temps pour les passer en leur entier. Certains passages sont inclus dans Haunted. J’ignore le contenu de ces bandes, en tant que cinéaste Tad Danielowski est l’auteur de No exit (1962) qui est une adaptation du Huit Clos de Sartre. L’on pressent un parfait spécimen de cette génération d’intellectuels d’après-guerre tourneboulés par les affres de l’existentialisme et de la psychanalyse…

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    Truant’s nightmares : Mark Z. Danielewski : Mark lit un passage de House of leaves, musique d’accompagnement légère, volatile, l’a une belle voix, un plaisir de l’entendre, rythmée et posée, elle vous endormirait presque, ne vous laissez pas aller comme Truant qui cède souvent au sommeil, qui s’endort n’importe où, même dans un arbre, non ce n’est pas marrant du tout, un de ses amis Dude lui demande si ses cauchemars ne sont pas un moyen de douter ou de mettre en doute la réalité, et pourquoi pas celle de son existence. Ou alors celle de ce qui se serait passé s’il n’avait pas dormi. Par exemple s’il avait entendu le téléphone. Exploration B : Poe : extrait de Haunted, Poe ne fredonne que quelques mots tout doucement, le téléphone sonne, Papa est mort, Maman ne répond pas…   Book of Leaves et Haunted, sont très différents, l’un n’est pas plus long qu’un CD, l’autre compte sept cents pages, mais tous deux proviennent de la même blessure. Ce qui ne signifie pas qu’ils racontent la

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     même histoire. Haunted : Poe : un extrait du titre phare de Poe, elle ne fait pas la-la-la mais ba-da-pa-pa, sachez entendre, la voix s’avère douce et lasse, La mélodie, l’orchestration est comme tissée de bruits indistinct, celle du père, celle de Poe, celle de touts les personnes qu’elle a rencontrées ou côtoyées, tous des fantômes qui la hantent, comme des éclats d’elle qu’elle n’arrive pas à rassembler… brusquement la musique se brise comme si Poe devenait plus forte… The Intrusion : Mark Z. Danielewski : toujours cette belle voix, et pourtant nous voici plongés au cœur de l’intrique (très intrigante en effet), le comble de l’horreur, une monstruosité impensable, les Navidson rentrent chez eux après quatre jours d’absence, ils sont chez eux, mais l’intérieur de la maison n’est plus la même, on aimerait savoir la suite mais au bout d’une cinquantaine de secondes la lecture cesse. 5 1/2 minute allway :

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    Poe : chance, Poe nous chante la suite, à sa manière, au début ça ressemble un peu à un morceau de country, un garçon qui s’éloigne de sa copine, pas de quoi en faire un drame, mais de quoi se mêle le propriétaire à mesurer le couloir, et cette amplification orchestrale pour nous crier à l’oreille qu’ils s’éloignent de plus en plus l’un de l’autre, une manière romantisée de raconter une réalité effrayante. Walestoe Letter (Part II) : Mark Z. Danielewski : attention la voix de Mark n’est plus tout à fait la même, elle a perdu sa tranquillité, est-il soucieux que l’on mette en doute ce qu’il rapporte, il est sûr que sur la foi de ces cinquante secondes l’on n’hésiterait pas à le traiter de fou et de signer sans état âme son internement en asile psychiatrique ad vitam aeternam, d’ailleurs le couloir qu’il évoque ne serait-il pas celui d’un lunatic asylum, et puis ses arbres dont ils causent ne sont-ils pas là pour cacher la forêt. Essayons d’être un peu plus clair : l’histoire de la famille Navidson est connue, un chercheur décédé, Zampano a rassemblé une foultitude de documents sur un film  réalisé par le chef de la famille Navidson, mais le film a-t-il été vraiment tourné, vous avez autant de preuves qui le confirment que de faits qui le nient… Walk the way :

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    Poe : l’on a envie d’embrasser la sœur de Mark, pour sûr elle a deux grosse valises à se coltiner, la tristesse de son père, son propre enfermement en elle-même, mais elle prend le taureau par les cornes, ça déchire, elle appuie sur l’accélérateur du vouloir vivre, la musique la suit, puis elle se brise, non elle s’amoncelle, maintenant elle charrie de l’énergie et quelques fantômes peut-être, mais elle fera avec. (Lemon Meringue) / Echo : Mark Z. Danielewski / Poe : tiens l’on se croirait en cours de math, enfin de physique plutôt, le prof se la pète un peu, il débite son enseignement vitesse TGV, vous marchez, votre talon fait du bruit, mais vous l’entendez une fois que vous n’êtes plus au moment où votre  talon cognait le sol, survient à votre oreille comme un écho, vous vous en foutez, vous avez tort, c’est juste une image, imaginez que la réalité que votre œil voit soit l’écho de la réalité et non pas la réalité elle-même. The panther : Mark Z. Danielewski : encore un laïus théorique, mais celui n’est pas catapulté par la moulinette à paroles, ce passage est-il inspiré par le sublime poème de Rilke sur la panthère, de toutes les manières le sujet est grave, l’animal enfermé dans une cage, il reste immobile en lui-même, il est au centre de sa puissance, il sait qu’un jour la porte s’ouvrira, comme ce que nous prenons pour la réalité se craquelle sous la poussée sanglante de l’autre phénomène que nous ignorons. Wild :

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    Poe : elle a compris, le gars dans le couloir est à l’image de la maison, si le couloir l’empêche de pénétrer dans la chambre, c’est tout simplement parce qu’il ne veut plus y aller, il ne l’intéresse pas, elle reprend sa liberté. Hey Pretty  / Just another drive : Mark Z. Danielewski / Poe : apparemment une scène typique de la mytho-réalité des USA, un gars et une fille dans une voiture, devinez ce qu’ils ne font pas, Poe insiste, elle a mis la musique pour que ce soit plus suggestif, en tout cas le gars conduit, il ne parle pas, ou plutôt on dirait qu’il récite un poème de Jim Morrison, même s’il a une voix ensorceleuse il n’est pas le Roi Lizard, un lézard en tout cas il y en a un dans l’horloge temporelle de ces deux-là, il ne peut pas faire n’importe quoi, refusez toute pensée graveleuse, demandez-vous plutôt lequel des deux n’est pas un fantôme, ou tous les deux peut-être, en tout cas la fermeture éclair qui relie la réalité à la non-réalité est un peu coincée. La musique qui conclut ce passage n’est guère rassurante. Effrayante même si on s’y attarde quelque peu. Footnote 301 : Mark Z. Danielewski : Lecture d’un extrait de journal. Vous avez au début une espèce de description de la couve de l’opus qui à première vue ne représente pas grand-chose. Ensuite vous ne pouvez ne pas  penser au sacrifice du taureau dans le culte de Mithra, à part que là c’est un peu différent, c’est une machine à torturer les êtres humains et celui que l’on a retrouvé dans la fosse c’est l’inventeur de la machine.

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    Footnote 302 : Mark Z. Danielewski : deuxième note de bas de page, une réflexion sur la précédente qui doit être  liée à l’affaire Navidson, rapportée par Zampano, celui-ci semble avoir été enfermé et brûlé dans la machine, l’ami de  Zanzano pense à toute cette horreur, il ne peut se détacher de cette pensée, à croire que tout s’est déroulé dans sa propre tête. Et si c’était une espèce de cuisson alchimique mentale… Peut-être est-ce moi qui suis cette chambre noire où Zampano a été enfermé, comme s’il était dans mon cœur et si je ne pense plus à lui, s’étant ainsi en quelque sorte échappé, peut-être moi-même ne suis-je plus. Depuis un petit moment un gimmick tapoteur s’est mis en route comme s’il voulait jouer le rôle d’un pouls qui bat un peu trop fort…

    L’ensemble dépasse à peine les vingt minutes. Ce n’est pas tout-à-fait un objet promotionnel a posteriori. Il a été précédé de la publication sur Internet de quelques passages du livre qui n’est alors qu’une œuvre en progrès. L’on peut dire que ce qui n’est pas vraiment une campagne de pub a fonctionné. Mais un public de marginaux s’est reconnu dans ces lambeaux d’histoires fumeuses et fumantes. A sa sortie, le livre était attendu par de nombreux acheteurs captivés par cette étrange histoire, peut-être justement par cette espèce d’incohérence objectivale qui est celle de ces déclassés qui vivent sur la crête de leur existence.

    J’ai été séduit par les lectures de Mark, elles sont envoûtantes, j’avoue que les morceaux de sa sœur m’ont moins touché. Elle est classée dans la catégorie ‘’modern rock’’, c’est un peu comme le pâté d’alouette : 95 % de cheval / 5 % d’alouette… Je reviendrai sur  House of leaves, je l’ai commandé au Père Noël…

    Damie Chad.

     

     

    *

    Cette transcription est dédiée à Alain, sans qui ce blogue n’aurait jamais vu le jour.  Alain  était obsédé par l’existence du mythique  Bradley Studio, sur lequel il ne parvenait pas à trouver de documentation, il en parlait souvent, il se serait jeté sur cette vidéo… Pour Alain, le Studio Bradley était comme une clef perdue du rock’n’roll…

    Grâce à la construction des Studios Bradley, Harold Bradley (1926-2019), et son frère Owen Bradley (1915 – 1998) furent à l’origine de ce qui devint le Music Row. Si au début l’expression désignait l’espace géographique de studios et d’immeubles spécialisées dans la création et l’édition de la country music, aujourd’hui Music Row est une appellation généraliste qui englobe l’industrie musicale de Nashville, tant au niveau musical, financier et idéologique…

    Harold et Owen étaient avant tout des musiciens de haut niveau. Ils surent réunir autour d’eux tout le Nashville A-Team  orchestre à  comparer avec le Wreckin’ Crew basé à Los Angeles. L’on retrouve Harold sur de nombreux disques par exemple de Roy Orbison, de Willie Nelson ou des Byrds…

    Cette interview fut enregistrée à Nashville, elle fut menée en 2007 par Kenneth Van Shooten and Julie Ragusa. Etrangement, elle aussi porte le numéro 14 comme celle consacrée à Deke Dickerson  dont la transcription se trouve dans notre livraison 711 du 20 / 11 / 2025.

    Gene Vincent Files #14: Harold Bradley, legendary

    studio-musician and founder of the Bradley Studios

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             Quand j’ai eu grandi, nous étions en pleine période de la musique de big band, mon frère et moi-même nous nous sommes évadés de l’influence big band. Je jouais au lapin agile au Ryman Auditorium. C’était dans l’orchestre de Ted Williams lors du service militaire. Nous nous sommes dirigés vers la Country Music. A cette époque Nashville n’était pas réellement connu pour la country music. Et d’un seul coup, soudainement les gens commencèrent à parler de nous comme une ville country. Alors pour avoir   sorti un tube de rock’n’roll nous avons fait la preuve que nous pourrions nous lancer dans un autre genre, un genre différent de la country music. A cette époque mon frère et moi possédions trois studios. Le premier était le deuxième à Lindsley (Nashville). Notre deuxième fut le premier qui était le second dans Hillsboro Village (quartier de Nashville). C’est en 1955 que nous avons acheté et remanié une maison, nous avons collé un baraquement derrière elle. Elle commença à être connu comme le Quonset Hut. C’étaient les studios cinéma et enregistrement Bradley. Au bout d’un certain temps nous avons dû enregistrer dans le Quonset. Il était destiné au tournage de films, mais à l’époque nous devenions trop importants. Gene Vincent en fut une des raisons car il était impossible de se rendre maître de l’ensemble du  son produit, les batteurs jouaient fort, nous ajoutions ensuite les saxophonistes et les voix supplémentaires. Ainsi nous avons dû nous installer dans un studio plus spacieux, quitter le petit studio pour déménager dans   le quonset hut. Cela nous a pris un certain  temps pour le réaliser. Il m’a fallu un peu de temps pour m’adapter à la country music parce que mon frère et moi provenions du Big Band, et nous commencions juste à mettre en forme le projet, musique de scène et l’enregistrement de la scène, et nous faisions basiquement du country quand Gene Vincent, et aussi Buddy Holly, déboulèrent dans la ville en 1956, nous ne savions réellement pas comment faire avec eux. Ainsi nous fîmes Buddy Holly et une espèce

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    de rockabilly avec Gene Vincent. Il possédait son propre groupe et cela changeait toute l’histoire car ils étaient réellement en train de créer le rock’n’roll, nous avions à porter un regard sur cette musique quelle que puisse être la forme qu’elle était en train de prendre. Je pense que je suis arrivé juste à point avant que la séance d’enregistrement ne commence, mon frère et moi avions joué le premières notes dans le premier studio commercial en 1947 et nous étions capable de sortir de la musique de danse quoique cela nous prit à tous les deux un bout de temps, parce qu’il était un bon joueur de piano, et lors des premières sessions il jouait de la manière  qu’avait l’habitude de jouer d’un pianiste. Ayant entendu le résultat il se trouva face à un problème, la balance obtenue ne correspondait pas à ce qu’il voulait entendre. Finalement il dit à Chet Atkins : ‘’J’ai besoin d’être comme toi, j’ai besoin d’être assis avec toi dans la control room pour obtenir ce que je veux sur les disques. Peux-tu me recommander un pianiste ?’’ Eh bien répondit Chet, j’ai ce qu’il te faut, ce petit gars maigrichon nommé Floyd Cramer. Tu devrais l’essayer. Et naturellement vous savez comme cela a marché. C’est le piano de Floyd sur que l’on entend  sur toutes ces belles choses, sur le stuff de Brenda Lee de stuff de Patsy Cine. Cela a été très important pour moi, car se suis renommé pour avoir été le guitariste le plus enregistré  de l’Histoire et je suis ainsi inscrit au Country Music Hall of Fame.

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    Toutefois j’ai joué toutes sortes de musiques. Très tôt je voulais jouer du banjo. Mon frère m’a dit : ‘’ le banjo est en train de passer de mode. Tu dois apprendre la guitare’’. Je me suis mis à la guitare. Au bout de cinq ou six ans il m’a dit : ‘’Tu dois apprendre à jouer du banjo’’. Je me suis mis au banjo. J’ai Joué dans le dernier orchestre Dixie de Papa John Gord. Ainsi j’ai joué au banjo l’intro de The Battle of New Orleans. Ce n’était pas difficile pour moi. Mais mon point fort est que j’ai joué différentes sortes de musique. J’ai joué la country music, de la musique de Big Band, j’ai travaillé avec vingt-cinq personnes au Rock’n’roll Hall of Fame. J’ai travaillé avec Henri Mancini, et hier j’étais en train d’écouter un album pour la première fois que nous avions enregistré avec Hugo Montenegro, il a posé quelques cordes, il avait fait les guitares à Nashville. Ainsi je pense qu’il est nécessaire de jouer tout style de musiques parce que si j’avais joué un seul style de musique, en le rock’n’roll il aurait été difficile de maintenir une carrière parce qu’il y a vraiment un maximum de bons guitaristes et si j’avais été juste un guitariste country, cela limite vos chances, je suis un guitariste de pop et de jazz frustré, aussi ai-je essayé un petit peu de tout, si vous êtes une espèce de touche-à-tout peut-être serez-vous bon pour un ou deux styles. Ken Nelson a été la personne la plus sérieuse que j’ai rencontrée dans ma vie. Il était très abordable, mais précis et concis, sur tous les sujets il avait son opinion et il vous en faisait part  d’une manière directe et précise. Nous éprouvions un énorme respect envers sa personne car il témoignait à tout un chacun du respect, mais il était indubitablement le capitaine du vaisseau quand il était dans le studio. Ken nous invitait à entrer. Nous y allons, ce n’était pas dans le quonto hut. C’était dans le

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    premier studio que nous avions construit dans lequel on avait recouvert de carton la moitié du plancher et c’était la dalle (de ciment) du plancher qui était le plancher du studio. Gene Vincent and the Blue Caps sont là en train de jouer nous étions dans la control room, je me souviens qu’il n’y avait pas trop de chaises. Il y avait  un couple de chaises, l’ingénieur était assis, Ken Nelson était assis. Nous nous sommes rendus compte qu’il y avait un problème. Le batteur jouait si fort dans cette pièce que le son rentrait dans le micro de Gene, ce qui créait un problème pour l’ingénieur. Si c’était un problème pour l’ingénieur cela   nous posait un problème à nous en tant que propriétaires du studio. Nous sommes restés là tentant d’imaginer une solution. Owen mon frère est sorti et a reculé Gene Vincent de cinq pieds, puis de dix en arrière. Finalement il l’a poussé totalement hors de la porte du studio jusque dans le hall ne laissant qu’un passage pour le câble du micro, le câble du microphone était la seule ouverture et c’est ainsi qu’il a chanté Be Bop A Lula. Cela a rendu sa voix, le son de sa voix très clair. Plus tard Thomas et notre ingénieur ont eu une autre, (il toussote) excusez-moi, machine à bande, qu’ils installèrent au même endroit et il obtint un écho retour, ce fut la sorte d’écho standard que vous utilisez comme un écho de pièce et non comme un écho de résonnance. Ils firent leur morceau et Gene Vincent revint, nous écoutâmes le playback, et Ken fut très content de leur interprétation. Ainsi nous étions très satisfaits. C’était magnifique. Il vrai que c’était un modèle, un modèle pour le rock’n’roll, la manière dont c’est supposé sonner, pas seulement la musique mais la voix. Je pense que ce fut une surprise car nous faisions du country et Ken Nelson avait à son actif quelques hits country et brusquement il était sur le point d’obtenir un rock’n’roll hit. Je pense que c’était réellement bénéfique pour le studio. Je pense que c’était bénéfique pour Nashville et c’était bénéfique pour Ken car, puisque c’était le cas, il assurait son emploi. Je doute qu’il était en danger, certainement c’était un galon sur sa veste et un autre pour nous. Je

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    ne me préoccupais pas de prendre des tas de notes alors. Je préparais juste des sessions mais nous prîmes quelques notes de cela car c’était une chose inhabituelle de travailler avec Gene Vincent et de travailler avec Buddy Holly. Même si ce que nous avons fait avec Buddy Holly n’était pas  aussi bon que ce que nous avons fait avec Gene Vincent. Buddy Holly était davantage rockabilly avec un maximum de guitare dans le style de Chet Atkins, en rien comparable à ce que Buddy Holly a fini par faire. Naturellement les premiers disques d’Elvis étaient très maigres, avec juste trois ou quatre instruments. Nous n’avions aucune idée de ce que nous étions en train de faire, nous étions juste là, le rock’n’roll était en train de s’inventer, et nous n’ étions pas sûrs que c’était une bonne chose. Nous avons eu, c’était un grand plaisir de le jouer ou d’essayer de le jouer. C’était juste un bout de Nashville, inclus dans l’entité musicale qui existe aujourd’hui. Oui je me souviens avoir entendu cela, mais en ces

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    temps c’était comme entendre ce que l’on disait d’Elvis. J’ai travaillé avec Elvis de 1962 à 197O ou 1971 en studio, il utilisait alors le groupe avec lequel il était en train de tourner, de cette manière, après les séances vous perdez contact avec quelqu’un durant quinze ou vingt ans, vous ne parlez plus avec eux, vous ne les voyez plus, naturellement les conséquences sont différentes j’ai toujours dit que chaque fois que nous perdons quelqu’un, nous perdons à chaque fois un peu de nous.

    Transcription : Damie Chad.

    Note 1 : photo du Ryman Auditorium de Nashville.

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    Note 2 : quonset hut : il s’agit de baraquements en forme de demi-boîte de conserve qu’utilisait l’armée américaine pour stocker divers matériels, après les années de  guerre sans doute elle s’en est-elle débarrassée à petits prix…

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    Note 3 : Floyd Cramer ( 1933 -1997 ) : en 1955 son propre groupe comprenait : Jimmy Day, Scotty Moore, Bill Black, and D.J. Fontana. Il fut d’office intégré à la Nashville A-Team…

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    Note 4 : John Gordy (1904-1961) : pianiste de jazz dixieland, il joua notamment avec Elvis Presley…

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    Note 5 : Henri Mancini (1942-1994) : compositeur, chef d’orchestre, on lui le thème de la Panthère Rose…

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    Noye 6 : Hugo Montenegro ( 1925-1981) : compositeur, chef d’orchestre, spécialiste de la musique western, on lui doit la bande musicale de Charro ! avec Elvis !

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