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  • CHRONIQUES DE POURPRE 461 : KR'TNT ! 461 : SYNAPSES / GARY GUITAR LAMMIN / VARIATIONS / SENTENCED / TORTURE WHEEL / ROBERT JOHNSON

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 461

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    23 / 04 / 2020

     

    SYNAPSES / GARY GUITAR LAMMIN

    VARIATIONS / SENTENCED

    TORTURE WHEEL / ROBERT JOHNSON

     

    Pas de synode pour les Synapses

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    — Wouah ! C’est sûr ! On va faire fureur !

    — Wouah ! C’est sûr ! Ils vont tous nous envier !

    — Ils vont crier vive les minets ! On a l’air vraiment super !

    C’est vrai, on dirait vraiment que Martine et Éric sortent des pages de mode de Salut les Copains. Ils finissent de se coiffer en écoutant le hit parade de SLC Salut les Copains.

    —SLC Sa/lut les Co/pains ! Et maintenant, voici le numéro un du hit/parade ! Michel Pol/nareff avec «L’Oiseau de Nuit» !

    —Wouah, j’adore Michel !

    —Wouah j’adore son shetland rose !

    — Wouah ! Et son Levis noir en velours côtelé !

    Martine ajuste sa belle frange blonde en dansant le jerk. Elle porte un col roulé blanc en laine peignée et un taille basse rouge comme son idole Brian Jones. Le gros transistor Telefunken posé sur la commode vibre :

    —Parmi tous ces inconnus ‘ki ren/trent/ Re-trouver la femme et le ‘kou/vert !

    — Wouah ! Michel est un super rocker !

    — Et je vois aussi ‘kou/ler tes larmes/ Toi ‘ki vins danser avec le jour !

    Et ils reprennent à tue-tête en chœur avec Michel :

    — Mais il valait mieux rom/pre le charme/ Que de laisser croâre à not’ amuuur !

    Et ils éclatent de rire.

    — Wouah ! C’est sûr ! On va faire fureur !

    Éric porte un col en V rouge vif passé sur une chemise en soie blanche et un taille basse jaune à grosses côtes. Ce dont il est le plus fier, ce sont ses boots vernies trouvées chez Myris pour vraiment pas cher.

    — Et voici main/tenant le Chouchou de la se/maine ! Ronnie Bird avec son nou/veau 45 tours «Chante » !

    Martine saute en l’air. C’est son idole numéro deux. Le transistor crache un gros riff de fuzz. Ronnie attaque d’une voix ferme :

    — Voilà ‘ke la chanson/ Devient un vrai ‘kon/cours !

    Martine et Éric se mettent à jerker comme des automates abandonnés de Dieu.

    — Les zi/doles à Centrale/ Viennent suivre des ‘kours !/ Chaaaante !

    Martine et Éric semblent possédés par le diable. Ils secouent tellement leurs têtes qu’ils se décoiffent.

    — L’autoroute à présent devient remplie de gens/ Chaaaante !/ Puisqu’il paraît ‘k’elle ‘kondui/tà/ La Tour d’Argent !

    Dix ans avant Sid Vicious, Martine et Éric inventent le pogo.

    — Et moi je pleure/ Oh oui le pleure... Hélas/ Trois fois hélas...

    Et ils reprennent en chœur avec Ronnie :

    — PARCE QUE JE N’AI PA/ ZÉ-TUDIÉ !

     

    Une heure plus tard, ils sont dans la rue. Ils prennent le métro et sortent à Pigalle. D’un pas alerte, ils descendent la rue Pigalle jusqu’à l’angle de la rue Fontaine.

    — Wouah Teenie Weenie, tu aimes la nitroglycérine ?

    — Wouah Riton, j’adore tout ce qui est In !

    — C’est au Bus Palladium que ça s’écoute !

    — Wouah Riton, j’adore tout ce qui est Out !

    Les gens font la queue sur le trottoir :

    — Wouah Teenie Weenie, il y a foule pour les petits gars de Liverpool !

    Une gigantesque affiche dévore la façade du Bus Palladium : The Synapses !

    — Wouah Riton, ça va jerker aussi sec qu’au Papagayo de Saint-Trop !

    — Wouah t’as raison Teenie Weenie ! Comme dirait David Alexandre Winter, qu’est-ce que j’ai dansé !

    Ils entrent et filent directement aux toilettes. Il y a déjà du monde. Ils réussissent à trouver un coin tranquille. Éric sort de sa poche un petit sac en plastique.

    — Ferme les yeux et ouvre la bouche, Teenie Weenie !

    Martine tire la langue.

    — Tiens Teenie Weenie, avale ça ! C’est une dose de LSdiiii !

    — Wouah Riton, j’adore les triiips !

    — Wouah Teenie Weenie, ya pas plus in !

    — Wouah Riton, je suis déjà out ! Je crois à la vérité des couleurs !

    — Wouah Teenie Weenie, je suis un garçon très doux ! Je veux aimer le monde !

    Ils reviennent se fondre dans la fournaise. Sur scène les Synapses font un tabac :

    — Je m’en vais vivre/ Comme dans un livre/ Dans le ventre d’une/ Énorme baleine !

    Au pied de la scène, les filles et les garçons semblent pris de frénésie.

    — Je vais descendre/ Pour me détendre/ Dans le ventre d’une/ Énorme baleine !

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    Tout vêtu de rouge, le chanteur des Synapses mène le bal des vampires en secouant son tambourin. Il a le visage couvert de cheveux mouillés de sueur. C’est le jerk du diable ! Le guitariste prend un court solo freakbeat à faire pâlir d’envie le John Du Cann du temps où il jouait dans The Attack !

    — Il fera beau/ Il fera chaud/ Plus personne pour nous/ Causer de pei/ne !

    Le batteur joue les dynamiteurs et le bassman tricote sur sa basse vintage des gammes véloces des quatre doigts de la main gauche. Nouvelle dégelée de solo psychout ! Too far-out !

    — Nous verrons plus/ Tous les abus/ De la te/herre qui est/ Remplie de haine !

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    Sur la piste de danse, ça gesticule à qui mieux-mieux. Les Synapses enchaînent avec un nouveau brûlot :

    — Tu es ma bombe ana/tomique/ Mi-andro/gyne/ Mi-hydro/gène !

    Les filles chaloupent comme des sirènes de train fantôme et les garçons s’entortillent les rotules.

    — Ce mélange hété/rogène/ Fait de toi un modèle unique !

    — Wouah Riton, pfff pfff, ils sont terribles !

    — Wouah Teenie Weenie, pfff pfff, ils sont in et on est out !

    Éric tend les bras pour voir ses mains se fondre dans le jeu des lumières psychédéliques.

    — Aaaahhhh que c’est bon tout ça ! Aaaahhhh que c’est bon tout ça !

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    Les Synapses enchaînent avec un beau «Souci Détail» nappé d’orgue. À la fin du morceau, le chanteur demande à la foule si ça va :

    — Ça va ?

    — Ouaiisssssss !

    Alors le batteur tatapoume le super beat et le chanteur attrape son micro d’un geste rageur :

    — Durand a eu un accident/ Dupont a perdu toutes ses dents/ Machin a un dixième enfant !

    Les garçons et les filles ondulent comme des danseuses égyptiennes atteintes d’épilepsie. Les Synapses lèvent un vrai vent de folie.

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    — Wouah Riton, pfff pfff, y font Dutronc !

    — Wouah Teenie Weenie, pfff pfff, j’aime bien tes antennes et tes huit paires d’yeux !

    — Wouah Riton, tu trippes comme un malade !

    — Je suis content/ C’est pas à moi que c’est arrivé/ Je suis content/ C’est pas à moi que c’est arrivé !

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    Les Synapses claquent encore une série de jerks terribles à la nasillarde d’Antoine et ils Hectorisent le Bus Palladium jusqu’au trognon. Pendant l’entracte, Éric va au bar chercher un verre.

    — Un whisky coca !

    Il s’amuse de voir le serveur avec des oreilles et une trompe d’éléphant.

    — Merci Babar !

    — M’appelle pas Babar ! M’appelle Jean-Claude, connard !

     

    Au petit matin, Éric se retrouve sur le trottoir, devant le Bus palladium. Il frissonne et il a les oreilles qui sifflent. Il réalise subitement que Martine a disparu.

    — Wouah la sal/ope, elle est par/tie avec un autre gar/çon !

    Soudain, une ambulance et une estafette de police arrivent et se garent juste devant lui. Un flic descend l’air mauvais :

    — Circulez ! Ya rien à voir ! Allez ouste !

    Les infirmiers et les policiers se ruent à l’intérieur du Bus. Éric a une espèce de flash et il entre à leur suite. Ils vont directement aux toilettes. Il y a un attroupement. Éric se hisse pour essayer de voir par dessus les épaules. Il a une sorte de pressentiment. Mais il ne peut rien voir. Il reconnaît une copine dans l’attroupement.

    — Dis donc Poupée de cire, tu sais ce qui se passe ?

    — Teenie Weenie Boppie est morte dans la nuit...

    — De quoi ?

    — Mais d’avoir pris une dose de LSDiiiii !

    Signé : Cazengler, Synoque

    Synapses. Le trois Pièces. Rouen (76). 6 novembre 2015

     

    Lammin d’or

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    Un seul canard au monde consacre des pages à Gary Guitar Lammin. Il s’agit bien sûr de Vive le Rock, dernier bastion d’un certain underground britannique. Bruce Turnbull ne tourne pas longtemps autour du pot : pour lui, l’album solo de Gary Guitar Lammin est l’une des finest releases of the year. Dans l’article qui suit ce dithyrambe échevelé, Gary s’épanche. Il dit avoir commencé par craquer sur la version de «Little Red Rooster» que jouaient les Stones à une époque lointaine. Puis il découvrit Juicy Lucy, et tout particulièrement ce rescapé des Misunderstood, Glenn Ross Campbell qui jouait de la slide. C’est là que naquit son obsession pour la slide.

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    Gary joua dans les Little Red Roosters puis dans Garrie & The Roosters. Il ne s’intéressait qu’à ce qu’il appelle le straight rock’n’roll. À la fin des seventies, il était l’un des seuls à vouloir encore sonner comme les Who, alors que tout le monde louchait sur ce qu’il appelle the intellectual music, the prog stuff des Yes et des No. Quand il découvrit les New York Dolls, il s’aperçut qu’il n’était plus seul au monde. Il venait de découvrir qu’il existait des gens pensant la même chose que lui ! Et quand le punk explosa en Angleterre, tout changea - Everything changed completely - Tous ceux qui ont grandi dans les sixties connaissent cette succession d’épisodes par cœur.

    En farfouillant dans les pages du NME, Gary tomba sur le nom de McLaren, un nom qu’il connaissait pour s’être intéressé de très près aux Dolls. Il découvrit que McLaren tenait une boutique de fringues sur King’s Road et il s’y rendit. Il rappelle qu’à l’époque il n’y avait ni web ni smartphones, alors il fallait faire les choses physiquement. Mais il ne parvint pas à rencontrer McLaren, alors il dut laisser une cassette de démos à son intention, avec un numéro de téléphone. Et puis un beau jour, drrrring ! McLaren lui dit de rappliquer au magasin avec sa gratte. C’est là que Gary rencontra Dave Goodman avec lequel il enregistra cet album solo qui vient tout juste de refaire surface.

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    Gary Lammin apparaît sur la pochette avec un air menaçant. On retrouve très vite l’environnement des Pink Fairies dans «Lost & Falling», ce qui semble logique, vu que Dave Goodman et George Butler sont de la partie. Mais le disk erre dans le nowhere land du London underground. C’est avec «Value» que ça se corse, Gary joue au big far out et on le voit driver sa vieille chique dans «Is That Alright With You». La grosse viande arrive enfin avec «Memo To Anita», il joue du bottleneck infected avec du big bass drum in tow. C’est assez spectaculaire. Gary gratte tout ce qu’il peut gratter. On comprend alors ce qu’il veut dire quand il évoque son obsession de la slide. Et puis voilà le coup de tonnerre : «Hey Mr John Sinclair». Ride on ! C’est John Sinclair qui ride on. Il explose le walk away, Gary travaille ça au heavy riffing, ride on John Sinclair, ride on, ça roule sur un heavy bassmatic anglais digne de ceux qu’on jouait à Detroit. Les filles font «Mr John Sinclair/ Change the people everywhere !», les descentes de basse sont d’un rare demento, Hey Mr Sinclair, don’t be square, Gary nous empapaoute ça comme un crack.

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    Puis il va revenir dans l’actu avec les Bermondsey Joyriders. La presse anglaise présente les Joyriders comme des héritiers des Sex Pistols croisés avec le MC5, une hypothèse que confirmerait presque la présence de John Sinclair : il fait des transitions entre tous les cuts de Noise And Revolution, comme le fit en son temps Stanley Unwin dans l’Ogdens’ Nut Gone Flake des Small Faces. Gary fait du punk-rock dès «Society Is Rapidly Changing». Il y va de bon cœur, il faut le signaler. Il prend bel et bien la suite des Pistols, mais sans la voix de Rotten, ni l’éclat des compos. Sa démarche est pourtant très sérieuse. Society ! Quand il envoie ses solos en coulée douce sur le chant, il rafle presque la mise. «Right Now» sonne bien les cloches, heavy steamboat in the brick walls, ce dingue de Lammin lamine sa chique avec les accords des Stooges. Lui et son copain bassman Martin Stacey sont des fous dangereux. Mine de rien Lammin la ramène bien, il claque sa stoogerie au ‘scuse me while I fuck the queen. Avec «1977», il tente de refaire les Pistols, mais ça bande mou. Même avec le lance-flammes. Par contre, il redresse bien la situation avec «Tru Punk». Plus loin, il sort son meilleur accent cockney pour «Proper English». Pur jus d’East End. On se régalera encore de «Shaking Leaves», une vraie dégelée, mais en même temps, ce n’est pas le hit du siècle. Il manque toujours à Gary le petit quelque chose qui fait la différence. Il veut exister en tant que légende obscure, mais ce n’est pas gagné. À la limite, John Sinclair a plus d’allant. Les Joyriders tentent encore de passer en force avec «Rock Star», côté jus, ils n’ont pas de problème et on voit John Sinclair amener merveilleusement «Rock N Roll Demon». Du coup, ça frôle le cut mythique. Gary chante tout ce qu’il peut chanter, comme il l’a toujours fait.

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    Il existe un autre album des Bermondsey Joyriders nommé Flamboyant Thugs. On retrouve sur la pochette la bagnole bleue et blanche de l’album précédent plus nos trois Joyriders qui ont fière allure. Ça explose en bonne et due forme dès «Sonic Underground». Ils ont du son, ça crame dans la cave. On voit Gary Lammin jouer au kill kill kill et prendre des virages dévastateurs. Ils sont très énervés, ça joue aux dents branlantes et au vomi rose. On croirait qu’ils jouent leur vie aux dés. Mais quand on va sur les cuts suivants, on sent une usure. Pas facile d’être une légende vivante en Angleterre. Ce genre de plan peut vite tomber dans le pathétique. Gary tente de faire le méchant, mais on n’y croit pas un seul instant. Il chante si mal son «Here Come The People» qu’il le condamne aux ténèbres. Son vieux copain John Sinclair tente de sauver l’album avec des transitions, mais le morceau titre est encore si mal chanté que ça retombe comme un soufflé. Gary flingue toutes ses chances une par une. Il n’est ni Johnny Rotten, ni Rob Tyner, ni Liam Gallagher. Il sauve les meubles avec «It’s Nice To Be Important» et tape ça aux big British rock, il redevient l’espace d’un cut the cockney Lord of the night. Fantastique énergie ! C’est un chef-d’œuvre de cockney brawl. Il sauve son album une deuxième fois un peu plus loin avec «Throw The Dice», joué au big guitar raunch et aux clap-hands. C’est une pure merveille de rock anglais, ça joue à la bonne allure de la revoyure avec un Lammin lâché dans les rues et ça devient fascinant - Lets’ throw the dice/ Let’s watch him roll - Plus il avance dans son album et plus il gagne des points dans les sondages, comme disent les cons du petit écran. Son «Gentlemen Please» est plutôt bien balancé. L’important est de ne pas perdre de vue un vieux dur à cuire comme Gary Guitar Lammin. Même s’il n’est pas parfait, il a au moins le mérite d’exister dans l’inconscient collectif

    Signé : Cazengler, Gary Lamerde

    Bermondsey Joyriders. Noise And Revolution. Fuel Injection Records 2012

    Bermondsey Joyriders. Flamboyant Thugs. Fuel Injection Records 2014

    Gary Guitar Lammin. ST. Requestone 2017

    Bruce Turnbull : Sling The Axe. Vive le Rock #42

    31 DECEMBRE 1968

    LES VARIATIONS

     

    Où traînais-je le soir du 31 décembre 1968, certainement pas à Joinville, ni sur le pont, ni au bataillon. J'ai une bonne excuse, eux non plus ils n'y étaient pas. Devant leur poste de télé. Donnaient un concert. Et celui de Joinville ils l'ont visionné quarante ans plus tard, vous en rajoutez douze de plus et on y arrive. Un demi-siècle de passé depuis cet instant fatidique qui révéla au grand public l'existence des Variations. Et Julien Deléglise - auteur de Moroccan Roll : La fascinante histoire des Variations - signale fort à propos qu'il existe une vidéo de l'évènement bien meilleure que l'habituelle. Autant aller y faire un tour, puisque l'on est privé de festivités rock'n'roll et que rien ne bouge dans les bouges depuis un mois, autant s'en mettre plein la vue et plein les oreilles, pour pas un rond de friture sur les ondes électro-magnétiques.

    L'anecdote est connue. N'étaient pas invités. La télévision française préparait la soirée du réveillon du Nouvel An. Se sont radinés au tournage, l'air de rien, au cas où. Nul besoin d'eux. Il y avait du lourd, les Who, le Jeff Beck Group, les Troggs, Booker T and the M.G. ( Memphis Group, pour les ignorants ) Fleetwood Mac ( en leur période blues, pas la daube populaire terminale ), plus plein d'autres qui font moins saliver. J'allais oublier Traffic – mais qui se souvient encore de Traffic aujourd'hui - avec Steve Winwood et Jim Capaldi. Ne sont pas là – mais que trafiquent-ils - et c'est le dernier jour de mise en boîte. Essayez de trouver une formation au pied levé... Bingo, les Variations sont là ! Comme quoi dans les Evangiles, il n'y a pas que des craques, ils sont arrivés en dernier, ils seront les premiers. En fait les derniers au montage, mais avoir les Who et consorts en première partie, pour un petit groupe français inconnu, ce n'est pas mal.

    Pas de panique, enfourchons la machine à monter le temps et zieutons à quoi ressemblait la France éternelle en ces époques antédiluviennes. Je vous rassure, non vous ne risquez pas de rencontrer de vilaines grosses bestioles, ce n'est que plusieurs années après que certains groupe se sont transformés en dinosaures.

    D'UN AUTRE ÂGE

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    Me suis reconnu sur le plateau. En plein dans le public. Sont tous comme moi à l'époque, très beau avec des cheveux longs. J'ai dû lancer la mode sans m'en apercevoir. En tout cas, ça vous fout un sacré coup de vieux. Le pire c'est que l'on n'a pas l'air plus intelligent que les jeunes gens de maintenant. Peut-être plus heureux, on venait de rater la révolution, mais il semblait qu'un futur radieux se profilait encore à l'horizon. Ça jerke dur, les mauvaises langues prétendront que comme c'est la dernière séquence, tout le monde sur le plateau, techniciens et figurants, se laisse aller. Le grand défouloir. Pour le tournage, ils n'ont pas fait appel à Jean-Christophe Averty, le décadreur siphonné, qui vous aurait déglingué le montage en trente secondes. Z'ont choisi Guy le mec qui roule pour vous et fait son Job proprement. Une caméra face à la scène. Plutôt étroite, genre éclair au chocolat, pas de profondeur pour les zicos, de temps en temps un zoom sur un artiste, heureusement parce que devant c'est le rideau mouvant des danseurs qui voilent beaucoup et dévoilent un petit peu. C'est la fête. De l'an neuf, faut que le français moyen comprenne que l'ambiance est torride. Encore quelques minutes et ce sera l'année érotique. La prise de son n'est pas terrible. Ne venez pas vous plaindre, songez que l'on ne possède aucun document sonore des plaidoiries de Cicéron sur le forum romain. Sachez apprécier ce que vous avez !

    ROUND UP

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    Un round de vingt minutes, pas bésef, mais les autres groupes n'ont eu droit qu'à une portion de dix minutes, ont attaqué sec avec Around and around, Jo Leb – une coupe à la Keith, se jette sur le micro et à l'eau, il montre qu'il est doué pour le crawl, l'a intérêt car à la guitare Marc Tobaly verse de ces rasades chuck berriennes si bien imitées, si fortement poivrées, qu'elles ressemblent à des claquements de becs de squales géants qui se lancent à sa poursuite d'un innocent baigneur pour lui cisailler les jambes. En quinze secondes, ils ont gagné, derrière Jacky Bitton bastonne sur ces bidons, un bruit pas possible, vous ramone les oreilles à la rémoulade de cèleri, vous passent en prime le rythme de Brown Eyed Handsome man et vous embarquent dans un de ces cafouillis grabugique dont les Stones avaient le secret à l'époque, le genre de guet-apent sonore dans lequel normalement tout le monde devrait se viander, mais dont vous ressortez aussi frais que le bouton de rose passé à la boutonnière du coup du surin que vous avez reçu dans l'abdomen. Essayez de saisir dans vos mirettes P'tit Pois, oui les filles il est très beau, par contre il a une manière peu orthodoxe de slapper sa basse électrique, un visage d'ange et une frappe exaltée de blouson noir. Jo Leb nous fait le coup du feel ( à couper les méninges ) all right, joue au sorcier indien qui dirige et éloigne de la voix le nuage de sauterelles géantes, manière de montrer qu'il maîtrise la fracture du morceau et le public règle illico la facture électrique sous forme de forts dandinements spasmodiques.

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    Vous aimez le rock'n'roll, donc vous aurez du rhythm'n'blues et ils s'engouffrent au pas de course dans Everybody needs somebody to love, mais certains l'aiment plus chaud que d'autres alors ils vous le servent brûlant, la pression monte dans la cocote-minute des danseurs, z'avez un individu qui s'exhausse à bout de bras, du coup Marc mord les cordes de la guitare et l'on dérive vers une de ses cacophonies bruitistes qui rendent fous de joie ces êtres simples et candides que sont les amateurs de rock, derrière Jacky Bitton bétonne à mort, Tobaly mouline totally à la Townshend, l'on ne voit plus Jo Leb prostré sur son micro, le navire donne de la bande, les vagues brisent le gouvernail, le vent arrache les voiles, c'est étrange, mais on a l'impression de vivre plus intensément.

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    C'est partie pour l'hystérie collective le jeu des questions réponses, sans queues ni têtes, mais farcies de cris et de hurlements. Bitton à la batterie tribale, et Leb qui vous trimbale où il veut. Nous fait le coup de l'extase morrisonienne, et l'on aime cela, ce chuchotis de mots de désirs incandescents, ces reptiles gutturaux qui s'enroulent autour de nos corps en sueurs pour mieux resserrer leur étreinte par accoups irréguliers, tantôt doux, tantôt violents, les lèvres de Leb dégagent une lèpre mortelle, il n'est plus là, il gît en lui-même, en un autre monde, mais voici que son corps de supplicié abandonné à terre explose, c'est la catharsis salvatrice et l'ouragan de la folie ravage le monde entier. Une fille vient s'offrir au grand chaman et les voici partis en un tressautement orgasmique qui rend la gent féminine folle, se mettent à hululer comme ménades orphiques. Nous ont convaincus. Tout le monde a besoin de sexe.

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    Pas de temps à perdre, les Variations vous lancent le riff de Satisfaction comme s'ils avaient le cachalot blanc du rock'n'roll à harponner. Jo Leb, halète, il aboie, un roquet en chasse, vous avez dû marcher sur ses pattes de daim bleu, derrière Jacky lance ses torpilles riffiques de plus en plus désastreuses, touché-coulé à tous les coups, Grande à la basse qui gronde, visage pâle, il est l'archange de la mort qui mène les troupes sataniques à l'assaut, et Bitton dératise sa batterie, silence, et tonitruance en alternance, la fièvre monte jusqu'à ce que le thermomètre explose, Leb s'est saisi de son foulard qu'il exhibe comme le lacet de la mort, et brusquement surgit ce que l'on n'attendait pas, ces volutes orientales que le Zeppe n'utilisera que bien plus tard, more rock'n'roll is moroccan roll, Leb se métamorphose en bayadère, et le public ondule à la manière des serpents des flûtes de Joujouka, générique de fin, Leb en descente de transe et Jacky Bitton tambour battant, final extraordinaire, Jo Leb couché par terre entonnant une espèce de cantilène funèbre tandis que la batterie de Bitton avance vers vous telle une colonne de fourmis carnivores prêtes à dévorer le monde. Apocalypse terminale.

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    ET LES AUTRES ?

    Des extraits de l'émission intitulée Surprise-partie ( titre déjà ultra-ringard à l'époque ) sont facilement visibles sur You tube. Commencez par taper Variations : New Yars's Eve Party on French TV et le reste viendra. Aucune prestation offerte ne possède cette incandescence. Pour comparer ce qui est comparable, les Troggs par exemple sont bien sympathiques, mais pas déchaînés, des pros qui assurent mais rien de bien transcendant. J'avais déjà vu cet extrait troggloditique à plusieurs reprises, mais ne l'avais pas gardé en mémoire...

    Les Variations ont disparu. Sont venus trop tôt. In too much too soon, diraient d'autres. Restent une des plus séminales formations du rock français. C'était déjà trop beaucoup pour un trop jadis.

    Damie Chad.

    *

    L'on a beau critiquer la société de consommation, l'on passe son temps à entasser les Cd's, juste pour les archives assure l'ami Mister B, bref ça escalade le ciel et les piles instables s'écroulent comme les colonnes du temple maudit dans un fascicule des aventures de Bob Morane... Alors de temps en temps, vous vous dites, what is it ? Celui-ci je ne l'ai jamais écouté, et vous vous faites une douce violence pour le glisser dans le bouffe-galettes, manière d'ajouter un peu de bruit et de grabuge dans ce monde de confusion.

    AMOK / SENTENCED

    ( Century Media 77076-2 / 1995 )

    Sami Lopakka : guitar / Vesa Ranta : drums / Miika Tenkula : lead guitar / Taneli Jarva : bass, vocals.

    Celui-là, c'est la pochette rouge sang qui m'a séduit. Avec en bas de l'image, l'arc de cercle de cette sculpture ivoirine, issue des âges farouches, de deux lions attaquant et bondissant sur une antilope saisie en pleine course. Cruauté vitale ! Elan carnivore ! Amok, le titre de l'album resplendit de sa froidure chryséléphantine sous l'arc assassin de cette chasse impitoyable. Amok, folie furieuse malaisienne que l'on pourrait rapprocher des fureurs sacrées des berserkers nordiques. Le kr'tnt-reader se précipitera sur la nouvelle du même nom de Stefan Zweig dont la fin n'est pas sans corrélation avec celle de L'Eve Future de Villiers de l'Isle-Adam.

    Sentenced est un groupe de Death Metal finlandais, qui se forma en1989 et mit fin à ses activités après la sortie de The Funeral Album leur huitième et terminal opus. Le groupe connut ses heures de gloire et préféra se séparer pour ne pas se répéter. Honnêteté artistique à révérer. Amok est le troisième album du groupe qui leur apporta une large notoriété. Il marque une rupture dans l'évolution du groupe, à la violence de leur death metal originel ils substituent une touche plus sombre, lyrique, romantique, quasi gothique...

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    The war ain't over ! : déflagrations guerrières. Tirs tous azimuts. La guerre n'est pas terminée, même si dans l'horreur sonore vous percevez une mélodie qui s'impose comme le contrepoint lyrique d'un chant bestial, le croassement hideux des corbeaux maléfiques sur les champs de ruines et les guitares te transpercent, elles portent en toi la désolation, il n'est pas question de te laisser un seul espoir, sois convaincu que tout est perdu, arpèges célestes qui se confondent avec des tirs nourris de mitraillettes. Phenix : à lire le texte l'on s'attendrait à une renaissance. Vos espoirs seront déçus. Dès les premières secondes le titre flambe et le vocal se dépêche d'avaler le mot du bonheur. Burned live in the flames of love. Il est des feux qui réchauffent et d'autres qui brûlent. C'est ce genre-là que vous allez traverser. L'amour ne dure qu'un vers, une piqûre de serpent qui cuira votre chair et votre esprit toute votre vie. Désormais la haine et la guerre vous habitent. Aucune illusion. Le phénix est juste l'inextinguible flamme de la destruction. Musique violente, cruellement composée un peu comme des leitmotive wagnériens qui s'embrasent et s'embrassent pour vous donner le baiser de la mort. New age of messiah : super production à la Cecil B DeMille, délaissez les dix commandements, écoutez les paroles du messie qui annonce le jour nouveau. Oyez son gargarisme prophétique, Dieu est mort et les guitares s'enflamment comme des violons, lui il est l'esprit de la terre, il n'apporte rien de bon, l'ivraie sera plus haute et l'ivresse plus courte, il ne promet rien, vous le suivrez et il vous emmènera sur les terres désolées du doom, et puis il s'en ira, et vous vous retrouverez seuls, sans espoir, sinon de réécouter sans fin ce chant de catastrophe bâtie à la manière d'un oratorio funèbre pour les jours sans espoir. Terrible promesse qui vous enroule et vous emprisonne dans un rouleau de fil de fer barbelé. Vous lècherez votre sang avec délice. Forever lost : au cas où n'auriez pas compris le message précédent, Sentenced vous ressert la même soupe aux cailloux aux piqûres d'orties empoisonnées. Mais avec un peu plus d'emphase. Un peu à la Jim Morrison pour l'esprit des paroles, et la musique qui cavale comme si elle devait atteindre le bout de la terre avant que la nuit couperet de guillotine définitive ne tombe. Même si connaître votre destin plus tôt ne le rendra pas davantage clément, laissez-vous emporter par cette cavalcade, car il vaudrait mieux ne pas prêter attention aux paroles. Vous avez vu que l'amour était un viatique qui ne durait qu'un bref laps de temps, désormais méfiez-vous des paroles amicales de celui qui chuchote des hurlements à vos oreilles. Rien ne vous sauvera. Mais ces chants de désespérance sont envoûtants, et cet opéra de transes maléfiques est magnifique. Funeral spring : cloches de cimetières dans le lointain, les guitares rampent, elles ressemblent aux vermines qui perforent les cadavres. Aucune saison ne vous sauvera. La neige de la mort tombera sur vous, un blanc linceul pour vous ensevelir. La voix menaçante est celle d'un curé qui promet le pire aux ouailles agenouillées, déjà rongées par l'extrême froidure de la mort. Il se délecte d'un certain plaisir vicieux à prophétiser votre disparition. Si vous étiez parmi les morts, vous préfèreriez être des premiers à vous saisir d'une pioche pour creuser votre propre tombe. Nepenthe : ah! Le carnivore népenthès si cher à Baudelaire, l'oubli de toutes les choses humaines, il vaut mieux mettre une croix dessus, tes instants de bonheur furent éphémères, ta vie fut un fleuve de haine, les belles flammes vives de l'instinct de survie que chantent les guitares sont écrasées par la grandiloquence battériale et par cette mélopée qui ricane en fin de morceau. Dance on the graves ( lil' siztah' ) : danse des morts, un blues haché au mixer de la disparition, la vie s'est enfuie, elle a retiré le linceul sordide de mes illusions. Et elle danse sur ma tombe, elle qui m'a abandonné, qui m'a laissé tomber, petite sœur de la chienne pourvoyeuse des enfers. Moon magick : obéis, du fond de ta tombe une voix sépulcrale t'enjoint de regarder, la guitare riffe et la batterie rafle tes espoirs, l'œil cyclopéen de la lune brille pâlement dans la nuit sombre, il vaudrait mieux qu'elle ne soit pas là, elle ne fait qu'accentuer le vide du néant, et souligner l'inanité incestueuse de ton existence avec le malheur. The golden stream of Lapland : musique noire qui s'amplifie et souffle à la manière du blizzard sur les paysages désolés du grand nord. Monde froid et blanc, un peu ce que dans le l'unique roman d'Edgar Poe, Arthur Gordon Pym a entrevu avant de cesser sa relation, sur sa page désormais blanche...

    Des années que j'avais ce CD en attente, je regrette vivement de ne pas l'avoir auditionné plus tôt.

    Damie Chad.

    CRUSHED UNDER...

    TORTURRE WHEEL

    ( Firedoom 005 / 2005 )

     

    Viennent aussi de Finlande. Plutôt vient de Finlande. E. M. Hearst s'est chargé tout seul, des guitares, de la basse, du vocal, des divers synthés, et de l'enregistrement, avec le soutient d'une équipe qui gravite autour du label Nulll Records.

    Une aventure en solitaire. Elle a été souvent qualifiée de funeral doom, mais elle mériterait aussi bien la mention de prog-doom...

    Pochette fluide, que représente-t-elle au juste, une orbite creuse, une roue sans moyeu ou l'œil de l'ouragan ? A moins que ce ne soit le bleu du ciel au fond des sept cercles de l'enfer... Soulevez la rondelle du cd, étrange sensation d'anamorphose le temps que se révèle le portrait de M. E. Hearst. Juha Vuorma responsable de l'artwork, semble travailler sur l'indistinction des formes figées en une immobilité changeante...

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    Broken by the wheel : balle doom-doom, rien à voir avec les dum-dum, imaginez plutôt un groupe de doom qui se prendrait pour Pink Floyd, une véritable suite instrumentale qui m'évoque un peu une instrumentation à la Prokofiev, couleurs et ambiances, le morceau frôle les 10 minutes, il suffit de se laisser porter par son imagination, une longue introduction lente et grave comme il se doit, avec cette particularité d'une espèce de bruit de fond qui ressemble à l'inquiétant brouhaha que les grandes oreilles qui fouillent les espaces sidéraux détectent... La roue du supplice tourne lentement, même ligoté dessus vous aimeriez qu'elle accélère un peu, ce n'est pas que vous êtes pressé, c'est qu'à souffrir autant ne pas s'ennuyer en même temps. Ce qui est sûr c'est que soit vous allez adorer, sois vous détesterez. Pas de juste milieu. Je n'ose pas dire que tout dépend de ce que vous avez dans votre cerveau pour vous occuper, mais presque. Surtout quand tout s'arrête et que ne reste plus que l'appel angoissé du criquet abandonné par sa petite amie dans la nuit profonde. / Pas de panique, le morceau reprend mais en plus étouffé, obscured by clouds si vous voulez une métaphore haïssable. Si vous n'aimez pas, foncez vers le frigo chercher une bière, vous revenez, non rien de nouveau. Un tantinet longuet ? Je n'ose répondre non. Oui il a une idée, mais il n'en a qu'une. C'est mieux qu'aucune. Mais une seconde ne ferait pas de mal. Vous voyez parfois dire du mal, ça aide un peu, nous sommes dans un passage variationnel, des ombres nagent sous la mer, une espèce de pianos en notes détachées accélère le phénomène, ce coup-ci c'est parti, on ne sait pas où mais le bateau a quitté le quai et remonte le chenal, la sirène du remorqueur mugit au loin dans la brume et tout s'estompe. Pas de vague, calme plat. Mea culpa, je suis vexé, je suis au-dessous de tout, un être déplorable, un chroniqueur à la noix de coco, vous avez le droit de me secouer comme un palmier sur une pochette du Gun Cub, en fait depuis le slash que j'ai marqué en rouge plus haut l'on était passé dans le deuxième titre, Shadow sect : je promets de faire gaffe pour le prochain arrêt, pas la peine de vous moquer, j'aimerais vous y voir à ma place. Entre nous soit dit les rituels de la secte shadowienne n'ont pas la faculté d'attirer le diable dans la cérémonie. Le méchant cornu n'est pas apparu une seule seconde. Mary : oui c'est le 3, j'ai fait attention, je n'aime pas rester impassible lorsque une demoiselle se profile. Elle a mis un peu de temps pour se pointer, mais c'est elle. N'ayez crainte elle reste-là pour douze minutes. E. M. Hearst doit être intéressé par la petite Mary, certes la musique garde toujours son allure processionnaire de cimetière, mais au moins il fait un peu de bruit pour attirer son attention, l'a mis une cravate rouge et un pantalon vert olive pour la croiser, et ce bruit indistinct serait-ce son souffle trafiqué et ralenti au vocoder, le gars marne aux grandes orgues pour attirer son attention, vous l'entendez marcher dans l'église mais impossible de comprendre ce qu'elle dit, voix rendue inaudible par l'écho des voûtes sombres. C'est bête mais la petite Mary ne semble pas avoir tilté, ces coups de batterie tromboneuse sont-ils les soubresauts de la déception éprouvée par notre jeune héros. Va-t-il de rage enfiler un short noir olive du désespoir ? Dans le lointain l'on entend un chœur de jeunes moines... Crushed under... : quatrième mouvement, n'est plus distrait par la radieuse apparition de la donzelle, ou alors son mépris souverain a piqué son orgueil, la musique est plus forte, il crie, cela ressemble à une grenouille qui hurle sa détresse parce que le crapaud n'a pas voulu l'embrasser et qu'elle n'est pas devenue une princesse – imaginez la pauvre rainette qui coasse au bord de l'étang perdu, sommes-nous au plus près de l'essence du doom ou au plus loin, je vous laisse choisir, une batterie victoriale, est-ce Le chef d'œuvre inconnu de Balzac qui s'offre à nous sous sa forme doomesque, ou alors arpentons-nous les sentiers du grotesque musical, notes de musiques qui pleuvent sur notre ouïe suppliciée de langueur, l'on n'y croirait pas, mais le disque exerce une étrange fascination auditive, vous êtes un cosmonaute à qui l'on apprend à perdre son centre de gravité. Est-ce grave, faut-il s'en moquer, vous perdez vos points de repères musicaux, un peu le coup de la même note de John enfermée dans sa propre Cage qui ne varie pas, mais à l'envers, ici ce sont les entrelacements de la thématique qui reviennent sans cesse, qui se déclinent sous plusieurs manières, pratiquement identiques, mais toutes différentes, qui vous transforment en point d'écoute central immobile. Musique expérimentale qui risque de vous mettre en péril mental.

    A écouter au moins une fois dans sa vie pour savoir si vous allez mourir idiot ou pas. Je me garde de faire un quelconque pronostic à votre encontre.

    Damie Chad.

     

    ROBERT JOHNSON

    UNE LEGENDE RACONTEE PAR LE DIABLE

    CHRISTIAN RAVASCO

    ( Camion Noir / Octobre 2011 )

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    Exhumé de mes cartons. Ne savais plus que je l'avais acheté. Le fantôme de Robert Johnson ne finira jamais de hanter les imaginaires. Y a tout de même un sacré problème avec Robert Johnson, l'on ne sait pas grand-chose de lui. L'est mort jeune, et n'a guère laissé de traces... Un véritable jeu de pistes. Une véritable foire d'empoigne planétaire lorsque par deux fois l'on a soit-disant retrouvé une troisième photo de ce courant d'air. Heureusement qu'il a enregistré une poignée de titres qui prouvent son existence... Mais de là à écrire une biographie de deux cents cinquante pages... C'est pourtant à cette gageure que s'est attelé Christian Ravasco.

    Pas tout à fait un inconnu Christian Ravasco, il a enregistré deux albums, en 1979 et 1983, le peu que j'en ai entendu ne sonne pas blues du tout, l'a surtout composé pour les autres, Marie Laforêt, Françoise Hardy, Nicole Croisille, Pierre Grocolas, Dick Rivers et quelques pointures moins affriolantes à mon triste goût de rocker... a tourné dans quelques court-métrages, écrit quelques livres, nous retiendrons son Bob Dylan 13 à table, paru chez Camion Blanc,que nous n'avons pas feuilleté mais dont le résumé est attirant, qui semble bâti à la manière kaléidoscopique de I'm not There, le film de Todd Haynes sur les six vies du chat Zimmerman, sorti en 2007, j'avoue qu'après avoir lu ce Robert Johnson, une perverse curiosité me poussera à m'asseoir en quatorzième convive non invité à cette table ouverte. Ce Ravasco a tout le profil sympathique du gars qui a mené sa barque avec dextérité là où il lui a plu de la laisser dériver.

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    Christian Ravasco aurait dû être paléontologue. Serait actuellement au Collège de France en train de donner des cours devant un auditoire choisi. Je n'ai rien contre cette noble profession, mais elle m'a toujours sidéré, sont d'étranges personnes qui promènent paisiblement leur chien au milieu de la nature, au bout de trois heures d'une marche sereine, elles daignent se baisser afin de se saisir d'un vulgaire caillou sur lequel leur cabot vient de lever la patte, elles l'enveloppent soigneusement dans un mouchoir tout en poussant une exclamation à vous faire croire qu'elles viennent de mettre la main sur une relique du Saint-Sépulcre ou le sexe d'Osiris démembré et qui rentrent chez elles en courant. Quinze jours plus tard vous apprenez au journal télévisé que grâce à un fragment d'os retrouvé dans la forêt de Fontainebleau l'on a réussi à reconstituer la silhouette d'un dinosaure disparu depuis soixante millions d'années, et la photo du dessin du monstre s'affiche sur l'écran, la bestiole vous regarde si méchamment que vous en frissonnez de peur.

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    Ce qui précède correspond au discours de la méthode ravascocienne employée par notre écrivain. Vous vous méfiez. Votre petit cerveau de mouche charbonneuse n'y croit pas. Jamais de vous-même, vous jurez-vous, vous n'explorerez ce bouquin, Ravasco s'en doute, l'a déposé spécialement pour les esprits récalcitrants en caleçon citron un ruban gluant sur la couverture, en rouge pour vous attirer '' Une légende racontée par le Diable '', vous ne résistez plus, vous vous en emparez, trop tard, il ne vous lâchera plus. Et là vous êtes émerveillé. L'on vous a dit que l'on ne connaissait rien de Robert Johnson, et là Ravasco le Ravachol de la biographie garantie bio vous raconte tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le Robert de vos rêves, et ce qu'il y a de terrible c'est que vous ne pouvez qu'acquiescer, tellement la moindre de ses lignes sonne plus vraie que vrai.

    C'est que Christian Ravasco il a tout compris. A part quelques maigres détails comme tout le monde il ignore tout de Robert Johnson. Mais notre bluesman n'est pas un individu isolé. L'est comme vous et moi. A vécu à une époque donnée, en un lieu précis. Leroy Jones dirait qu'il n'est qu'un parmi des millions d'anonymes qui ont constitué Le peuple du blues. Certes un musicien génial. Mais qui a barboté ( sans aucune once de confinement ) dans la mare aux canards de milliers de messieurs-mesdames-tout-le-monde. L'a partagé leurs vies médiocres, leurs chagrins, leurs joies, leurs colères, leurs vicissitudes, il s'en est quelque peu extrait par une des facettes de sa personnalité, mais les mille autres alvéoles de son idiosyncrasie sont composés à la ressemblance de ceux de tous les autres. Tous uniques, tous interchangeables. Votre chat est certainement le plus beau chat du monde, mais il ressemble à tous les autres chats du monde. L'en est de même pour nous. Certes les époques et les civilisations ne sont pas les mêmes, mais il suffit de s'être documenté : les livres, les photographies, les témoignages, les films sur les conditions des noirs au début du siècle dernier aux USA sont multiples. C'est à partir de ce matériau que Christian Ravasco a construit son livre. Toutefois il ne suffit pas de bâtir les décors - pour prendre un exemple à ras le bitume, à l'époque de Johnson toutes les routes ne sont pas goudronnées - il faut encore posséder une connaissance intuitive de la psychologie humaine, garder en mémoire que les mêmes causes produisent les mêmes effets, que les mêmes maux provoquent de similaires blessures, que semblables manques engendrent les mêmes comportements, que des mêmes souffrances naissent les mêmes types de dérélictions. Ensuite c'est comme quand vous préparez un gâteau, faut du doigté pour introduire à bon escient dans la pâte les différents ingrédients.

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    Vous pourrez toujours chicaner, genre je la ramène car d'après votre opinion c'est deux mois plus tard que Robert rencontre Son House, désolé mais tout le monde s'en fout, ce qui compte c'est la présence de Son House, la manière de le présenter, de coller à sa personnalité, de rendre sa légende vraisemblable, et pour ces sortes de plans Ravasco est sacrément doué. Le lecteur qui lira ce livre en ignorant jusqu'au nom de Son House aura l'impression de le rencontrer en chair et en os au coin de sa rue, car le Ravasco il n'écrit pas seulement la vie de Robert Johnson mais il déploie la toile mouvante l'histoire du blues du Delta, dans le désordre hasardeux des rencontres fatidiques, mais cette habileté n'est pas la plus importante. Ravasco entre dans la tête de Robert, depuis son plus jeune âge, il ne le manœuvre pas, il ne lui dicte pas sa conduite, il le laisse agir à sa guise mais avec cette connaissance - cette déférence, cette justesse - de l'âme humaine en action, essayant de se diriger dans un monde hostile en naviguant sur le vide de ses propres ignorances. De ses propres manquements.

    Quant au diable rouge de la couverture. Joue un peu le rôle de l'idée de Dieu dans l'existence des croyants. Coupable désigné. Se manifeste uniquement quand la vie est cruelle. L'est mis là pour le lecteur distrait, un peu comme quand vous soulignez un mot dans une lettre pour bien vous faire comprendre de votre correspondant. D'ailleurs Ravasco, vous traite l'entrevue avec sa Seigneurie des Ténèbres comme il se doit. Une parole en l'air. A mieux regarder, il fait plus noir dedans que dehors. Le plus important c'est le phénomène de maturation qui se produit chez Johnson, comment à un moment donné toutes les expériences fragmentaires et fractales qu'il a traversées se rassemblent et lui permettent de prendre conscience de qui il est. Ou plus exactement de ce qu'il est. Car il arrive un moment où ce qui importe ce n'est pas l'être un et indivisible que l'on est qui prime, mais la chose que l'on devient pour les autres.

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    Dernier coup de maître ravascageur, une chronologie annuelle de la vie de notre héros. Une ligne – quand il y a lieu – pour désigner un épisode connu de sa bio. Et sept ou huit autres sur les grands évènements historiaux qui se sont déroulés sur la surface de notre planète. Christian Ravasco nous avertit, l'on est bien peu de chose, même si l'on s'appelle Robert Johnson !

    De tous les portraits que j'ai lus de Robert Johnson, c'est le plus beau. Celui qui semble coller le plus à l'incertitude du réel.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 384 : KR'TNT ! 404 : DURAND JONES / CANNIBALS / VARIATIONS / LUCILLE BOGAN / DEAD GROLL / MURCIA TROPIKAL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 404

    A ROCKLIT PRODUCTIOn

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    31 / 01 / 2019

    DURAND JONES / CANNIBALS

    VARIATIONS / LUCILLE BOGAN

    DEAD GROLL / MURCIA TROPIKAL

    Le péril Jones

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    Curieusement, Durand Jones ne fait qu’une seule date en France. Étrange, car depuis la disparition de Sharon Jones et de Charles Bradley, il bénéficie d’un big buzz. Il règne dans l’air comme une immense soif de Soul, aussi s’est-on mis à compter sur Durand Jones et son collègue Lee Fields.

    Oui, on compte sur lui comme on compte sur l’arrivée des renforts du septième de cavalerie, alors que les Mescaleros nous encerclent dans un canyon du Nouveau Mexique. On compte sur lui comme on compte sur l’arrivée des secours quand le paquebot vient de couler en mer du Nord et qu’on grelotte à s’en briser les dents dans l’eau glacée. On compte sur lui comme on compte sur la providence quand le petit avion qui nous emmenait à Saül vient de s’écraser et qu’on se retrouve seul au cœur de la jungle guyanaise. Et chacun sait qu’il ne faut jamais compter sur la providence. Ce serait trop facile.

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    On s’attend donc à un set énorme, d’autant que la Maroquiqui est pleine comme un œuf de tortue. Et pourquoi le set de Durand Jones serait-il énorme ? Parce que l’album est excellent. Si on prend le soin de l’écouter avant le concert, on s’attend forcément à un gros set de Soul, comme il en existait encore du temps de Sharon Jones, the tiny voodoo queen. Il démarre son album avec un fabuleux shout de Soul évangélique intitulé «Make A Change». Il colle bien à l’esprit des profondeurs de la deep Soul - You/ Got/ To/ Make/ A change - oui, il lui demande de changer et ça vire en vrille de solo de sax, avec toute la bravado rythmique qu’on puisse espérer. La plupart des cuts de l’album sont des balladifs énamourés, et soudain, réveil en fanfare avec un «Groovy Babe» tapé au heavy groove de guitare. Durand Jones fait Sam & Dave à lui tout seul, il renoue avec le Stax Sound, mais en pire. C’est d’une rare puissance. Il tape aussi son «Tuck N’ Roll» de fin de course au gros beat. Mais le chef-d’œuvre de l’album pourrait bien être «Giving Up». Durand Jones y conduit sa Soul comme une messe, à la manière d’Al Green. Il se fond dans le lit de la river. Il devient alors un Soul Brother liquide d’exception, il fait de la Soul nuptiale, un pur jus de déréliction rampante nappée d’orgue. Ah tu veux danser, baby ? Alors voilà «Smile» - Ask me what you want to do - Ce diable de Durand swingue sa Soul avec un tact de tacticien, dans toute l’épaisseur du coming back. C’est une abomination fabuleuse, on a là un pur chef-d’œuvre de heavy Soul. Durand Jones swingue son art avec une infinie délicatesse.

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    Bizarrement, le set n’est pas au niveau de l’album. Première contrariété : les musiciens qui accompagnent Durand Jones sont des blancs. Le bassiste aurait pu jouer dans Genesis ou Deep Purple, il en a le look. Durand Jones arrive dans une chemisette à grands carreaux bleus et blancs et attaque avec l’excellent «Make A Change» - Tell me baby what’s going on - Il bouge sur scène avec une belle sensualité languide, mais un petit quelque chose dans son look tranche nettement avec le fort parfum de deep Soul que dégage son album. Le son semble plus commercial, plus à la surface des choses. Sans doute est-ce sa façon de danser qui intrigue. On se croirait dans l’une de ces discothèques où régnaient au temps d’avant les rois de la sape zaïrois venus draguer des blondes. Puis Durand Jones bascule dans une sorte de calypso - What am I supposed to do - En fait, on le voit essayer de faire du Marvin, mais ça ne marche pas, car le backing est un peu trop insipide. L’absence de cuivres ne pardonne pas, now I just can’t let you go, clame-t-il dans la plus parfaite indifférence. Sa Soul scénique paraît même parfois laborieuse. Il chante des morceaux du prochain album, notamment un «Strange Circles» assez transparent. Il tente désespérément le cross-over sur Marvin, oooh baby, mais le groove refuse absolument d’obtempérer. On souffre de le voir ainsi souffrir, de la même manière qu’on devait souffrir voici deux siècles de voir le Christ cloué sur sa croix, ruinant ainsi l’avenir de la chrétienté, comme le rappelle Houellebecq dans son apologie de l’Islam. Tout ça pour dire que le pauvre Durand Jones inspire par endroits un mysticisme de carton-pâte. Puis on découvre au fil du set qu’il ne chante pas l’un des meilleurs titres de son album, «Is It Any Wonder». L’effet est assez désastreux. On entend une voix de Soul brother et Durand Jones ne chante pas ! Mais alors qui chante ? Un ange ? Non, il s’agit du batteur, un certain Aaron Frazer. On peut aller jusqu’à dire que ce jeune blanc-bec est assez doué, il dispose d’un beau petit chat perché, mais un chat perché de blanc. Par contre son jeu de batterie contrarie énormément : il frappe un peu fort. Oh il y croit, c’est évident, mais on rêve d’un drumbeat à la Al Jackson, quelque chose d’un peu plus distingué, à la fois dans l’être et dans le paraître. C’est d’ailleurs lui qui présente cette chanson politique, «Morning In America», qui décrit le politic mess des États-Unis et qui évoque les 70% d’Américains qui vivent du paycheck au paycheck, quasiment au jour le jour.

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    Et puis à un moment et de façon assez inespérée, ça se met à chauffer avec un gros solo de wah-wah. Durand Jones se met à danser comme un soufi, il tournoie et valdingue, et il enchaîne avec un groove à la Sam & Dave, le fameux «Groovy Babe» et là la Soul reprend des couleurs, Durand Jones jerke sa Soul avec une classe carnassière, il se fait félin de service, il tombe à genoux, il jette toute la foi du pâté de foie dans la balance et ça devient enfin sérieux. Il se met à danser comme un guerrier zoulou d’un pied sur l’autre et screame comme James Brown. Excellent ! Il sauve son set. Il enchaîne avec l’excellent «Can’t Keep My Cool», un fantastique slow groove enchanté de l’intérieur, qu’il interrompt avec des moments de silence que le public est incapable de respecter - And I don’t know what I’m supposed to do - Une merveille. Il finit au sol, comme terrassé par la beauté qu’il génère. On imagine cette merveille dans un contexte musical plus adapté, comme celui de l’album, notamment. C’est sans doute avec «Don’t You Know» qu’on songe à décrocher, car cette Soul refuse d’obtempérer, trop co-chantée avec cet excellent blanc-bec d’Aaron. C’est d’une préciosité qui ne convient pas à un Durand Jones qu’on sait capable de miracles. On passe complètement à travers «Long Way Home» et «True Love». Ça groove sans groover, ça excède autant que le spectacle d’un volcan éteint. On préfère voir les volcans en éruption. En concert, les longs passages à vide ne pardonnent pas. Comme si après le Christ Durand Jones voulait rater sa conquête spirituelle du monde.

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    Il finit cependant avec son très beau «Smile» - Try to give up/ Just for a while - chanté dans la joie et la bonne humeur contagieuse - Hang on my smile - «Smile» sonne comme un morceau fétiche, un morceau sauveur d’humanité. Il finit toujours avec. Et c’est là où commence la vie de l’âme, ce qu’on appelle la Soul.

    Signé : Cazengler, Duranci Jaune

    Durand Jones & The Indications. La Maroquinerie. Paris XXe. 23 janvier 2019

    Durand Jones & The Indications. Coleman Records 2016

     

    Le festin des Cannibals

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    L’âme des Cannibals porte un nom : Mike Spenser. Un expat, comme on dit là-bas. L’un de ces Américains de Brooklyn débarqués en Angleterre au début des années soixane-dix pour y porter la bonne parole.

    Il entre gamin dans le rock par la grande porte, grâce aux Stones et Chuck Berry, Jimmy Reed et Bo Diddley, Otis et les Temptations. En 1966, le jour de ses 19 ans, il la chance de voir les Stones à Forest Hill. Et comme la guerre du Vietnam fait rage à cette époque, Mike Spenser est baisé. On l’appelle sous les drapeaux. What ? Aller se battre dans cette guerre qui ne sert à rien ? Il s’embarque à bord d’un bateau en partance pour les Indes, mais il rentre au bercail pour finir ses études. Au début des années soixante-dix, il traîne avec les Miamis, un groupe qu’on retrouve sur la compile du CBGB. Comme les Miamis sont des copains des Dolls, Mike Spenser finit par faire le roadie pour les Dolls. Il fréquente aussi les Stilettos qui vont devenir Blondie. Et comme il lit le Melody Maker, l’idée germe dans son esprit d’aller s’installer à Londres. C’est aussi bête que ça.

    Le groupe qui l’intéresse dans le Melody Maker, c’est Dr Feelgood. Il va traîner au Soho Square Market, derrière the Leceister Square tube station, où Roger Armstrong tient le Rock On Stall. Quand il entend «Confessin’ The Blues» des Stones, Mike Spenser sort son harmo et jour sur le cut. Roger Armstrong lui demande s’il joue dans un groupe, et voilà, c’est parti. Mike Spenser se retrouve sur Chiswick avec les Count Bishops. C’est là que paraît Speedball. McLaren repère Spenser sur scène avec les Count Bishop sur scène, mais Roger Armstrong lui dit de dégager, vu que Spenser est signé sur Chiswick. Au fond, Mike Spenser n’aime pas le punk. Il ne supporte pas ce son privé de mélodie et de substance. Par contre, il adore les Undertones et bien sûr les Heartbreakers, deux groupes qui, on le sait, n’ont rien à voir avec le punk-rock.

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    Le B-side de son premier single avec les Cannibals qui s’appelle «Nothing Takes The Place Of You» figure parmi les all-time faves de John Peel, cette fameuse box de single avec lequel il est enterré. Quand avec ces copains cannibales, ils essaient de définir leur son, ils conviennent qu’ils ne sont pas plus punk que rock - So let’s call ourselves a trash band and start a trash movement (On va s’appeler un trash band et on va démarrer un mouvement) - Voilà comment naît une réputation dans l’underground.

    Il rencontre Greg Shaw en 1980 et ils deviennent amis au point que Greg vient s’installer chez Mike. Six mois à Brixton ! Mike est très organisé : il gère un club où viennent jouer les groupes de tous les genres. Il dispose aussi d’un atelier d’imprimerie et de pressage de disques et c’est là qu’il commence à fabriquer avec Greg Shaw la suite des Pebbles. C’est le fameux Pebbles Box Set, suivi de trois volumes de Best Of Pebbles. En plus, Greg ramène le meilleur acide et les meilleures sulphates d’amphétamines du monde, alors, Mike s’amuse bien. Et quand il faut évoquer l’avenir du rock, Mike Spenser saute de joie : il le voit dans les Cavemen, King Salami, Daddy Longlegs, les Parkinsons et des groupes assez inconnus par ici comme Oh Gunquit. Pour lui, ce qui est important, c’est que l’étique DIY existe encore - The DIY ethos is still alive and kicking.

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    On trouve un paquet de bonnes choses sur Bone To Pick paru en 1982, notamment un cut très Dollsy dans l’esprit intitulé «To The Rage». Ça n’est pas surprenant, vu que Mike Spenser traînait avec la bande à Johnny Thunders, lorsqu’il vivait encore à New York - Here come Charlie Brown/ Walking down the street - Admirable, avec une ambiance digne des Coasters. Le hit du disk pourrait bien être «The Dreaded Lurgy», chef-d’œuvre de weirdness joué à la cocotte suprême. Mike Spenser y ramène toute la démesure du boogaloo new-yorkais. Avec «Superstar», il rend hommage à Bo Diddley. Globalement, on note la bonne santé du son des Cannibals. Ils jouent en mode alerte vive et font un stupéfiant déballage d’accords vitaux dans «I’m Not Stupid». Avec «Mumbo Jumbo», ils vont plus vers le garage, avec un fort parfum d’américanité. Mike Spenser ramène toute son énergie dans le son canibalistique. Nouvelle sensation en B avec un «Screaming Abdabs» emmené sabre au clair. Quelle énergie ! Et pour corser l’affaire, on entend un solo déconstruit joué au dodécaphonisme de Kentish Town. Ce n’est pas compliqué, tout est bien foutu sur cet album. Mike Spenser prend «Big Fat Mama» à l’énergie cavalante. Le solo killer flash qui traverse le cut vaut aussi pour modèle. «Kiss & Tell» va plus sur la petite pop et «Taking The Piss» renoue avec le pub-rock cher aux Count Bishops.

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    Un certain Bal a dessiné la pochette de Please Do Not Feed The Cannibals à la main. Il semble s’être inspiré des œuvres de Rudi Protrudi. Au moins, les intentions sont claires : les Cannibals sont là pour bouffer du garage. Ils bouffent le «Psycho» des Sonics tout cru et Mike Spenser trashe la dépouille fumante d’un joli coup de killer solo. L’autre grande reprise de l’album est celle du «Barracuda» des Standells. Ah quel clin d’œil ! C’est beuglé à la Dodd et c’est le moins qu’ils puissent faire, en tous les cas - I need ya babe ! - Voilà une cover inspirée, portée par les meilleurs chœurs d’anthropophages. Les Cannibals ne tirent pas seulement leur force de leurs mâchoires. Ils la tirent surtout de leur son et d’un sens aigu de l’écho. Ils tapent un «Can’t Get Away from You» digne des Seeds. Ils y shootent une belle dose d’acid freak-out et passent au boogaloo avec «Rumble In The Jungle». Ils frisent le cliché, mais le font d’une manière infiniment crédible. Ils tapent aussi une reprise de «Too Much To Dream» des Prunes, mais pour des prunes. L’autre point fort de l’album est cette version de «Good Times» ultra-chargée de freak-out. On sent chez eux une sorte de niaque bon enfant. Quand ils chantent à l’énergie délétère, on les sent affamés de chair humaine.

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    Encore une pochette dessinée à la main pour Hot Stuff. On y trouve l’une des plus belles reprises du «Garbage Man» des Cramps. Les Cannibals y font démarrer une mobylette puis un gros drumbeat. Autre cover crampsy avec «Primitive». Ce vieux coucou leur va comme un gant. Cousu, mais joué avec une authentique ferveur. Jolie bassline. Ces deux hommages aux Cramps sont de pures merveilles. Ils rendent aussi hommage aux Moving Sidewalk avec «99th Floor», mais ils sonnent trop garage bon chic bon genre. Leur version d’«Action Woman» tient sacrément bien la route et Mike Spenser y claque un solo d’échappatoire sous le tapis de son. Mais c’est avec «Sour Grapes» qu’ils décrochent la timbale. Garage sixties en plein, mais avec une petite niaque de bon aloi. On note l’excellent struggling de guitare garage. Mike Spenser sait de quoi il parle. Encore une compo de Spenser : «Human Race». Ce sont ses cuts qui comptent et qui captent. Ce mec se révèle extrêmement talentueux. On le retrouve à l’œuvre dans «Going All The Way». Il continue d’y édifier les édifices. Il ne démord pas de sa proie. Il est dans l’essor fatal, dans l’énergie du timbre, dans la couleur du ton. Il est d’une incroyable justesse de bon ton. Il va encore créer l’événement avec un «You Drive Me Mental» ultra joué sur le riff de «You Really Got Me». Il sort pour l’occasion un fabuleux son de trash boom-hue-hue. Ça joue à la fuzz en sous-main, Spenser s’en donne à cœur joie.

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    Sur Trash For Cash, on retrouve pas mal de cuts de Hot Stuff, notamment «Garbage Man», «Skelettons In The Closet», «You Drive Me Mental» et l’excellent «Going All The Way» des Squires. À quoi s’ajoutent d’autres reprises exceptionnelles comme «Sticks & Stones», classique garage imparable. Les Cannibals font figure de modèles. Ils sont impressionnants d’aisance et de véracité carnivore. On trouve en B un excellent «Monkey See Monkey Do» joué à l’insistance bourrue. Wow, ils montent ça sur un beat haletant, un tempo altier qui permet toutes les indélicatesses. Et puis voilà qu’ils tapent dans le Chocolat avec une reprise stupéfiante de «Let’s Talk Abou Girls», l’une des plus belles versions du hit chocolaté. Ils sont dessus, parce que le chanteur est américain. Spenser ultra-chante et s’en sort avec les honneurs.

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    Attention, le dernier album des Cannibals est une sorte de passage obligé. And The Lord Said Let There Be Trash vaut vraiment son pesant de côtelettes. On y trouve au minimum trois hits sur chaque face, à commencer par «City Of People», fantastique slab de garage fuzz. Ces bons vieux Cannibals savent tenir un garage en laisse, yeah yeah. Ils gueulent à la revoyure, baby don’t mess with me - Et ça continue avec «Your Sister», hit garage hanté par un voile d’orgue et Mike Spenser s’amuse avec your beautiful sister. Tous les cuts sont bardés de son et ultra-joués, ça fuzze dans la meilleure des traditions. Encore de la heavyness riffique avec «Paralytic Confusion», c’est quasiment hendrixien, dans l’esprit de «Who Knows». Et ils fracassent leur fin d’A avec «We’re Pretty Sick». Hey doctor ! Ils développent ici une rare puissance, ils envoient des oh yeah qui sonnent comme des modèles du genre. Ça joue ventre à terre, c’est flamboyant, on croirait parfois entendre des Shadows of Knight amphétaminés. La B est encore pire, avec «Your Selfish Ways», tapé au mid-tempo amélioré, un brin hanté par une belle distorse. Mike Spenser occupe bien le devant de la scène. Il chante comme l’Ig de l’âge d’or dans «I Want Trash», voilà encore du très gros fretin, les Cannibals semblent incapables de fourbir un mauvais album. Encore du garage haut de gamme avec «Not Wanted Here», extrêmement alerte et vif, joué ventre à terre, ouh come there/ Not wanted here/ Not wanted here - Mike Spenser tape ensuite dans le dark bahm boom pour imposer «Animal Love». Les Cannibals ne font pas de cadeaux, ils ne prennent pas de gants. Pas de chichis chez ches mecs-là, ils trashent leur garage avec un appétit démesuré. On trouve un cut surprise en fin de B, un superbe rave-up de Bristish Beat surchauffé à l’harmo, digne des early Stones ou des Pretties, mais en plus raw, Ron.

    Signé : Cazengler, Canniballetringue

    Cannibals. Bone To Pick. Hit Records 1982

    Cannibals. Trash For Cash. Hit Records 1985

    Cannibals. Please Do Not Feed The Cannibals. Scarface 1987

    Cannibals. Hot Stuff. Hit Records 1987

    Cannibals. And The Lord Said Let There Be Trash. Hit Records 1991

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    Jon Mojo Mills : It’s Trash. Shindig #76 - February 2018

     

    LA FASCINANTE HISTOIRE DES VARIATIONS

    MARC TOBALY & JULIEN DELéGLISE

    ( Camon Blanc / Septembre 2018 )

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    Scène bucolico-country. Je pousse doucettement la balançoire de la petite sœur du copain allongé sur la pelouse devant la maison, le transistor à ses côtés. Le monde est presque parfait, nous sommes en 1969. L'éternité est devant nous. Et brusquement la nuisance absolue s'abat sur nous comme l'épervier plonge sur sa proie. Come Along nous traverse à la manière de la foudre sur le héros dans le chapitre de Que Ma Joie Demeure que Giono n'a pas osé rajouter à la fin de son roman. Pas le temps de reprendre nos esprits que le speaker prononce la bourde de sa vie. Les Variations, avec le copain, on rigole, l'a besoin de réviser son anglais, un élève de sixième aurait correctement ânonné The Va-rii-ac-chions, l'on a dû entendre nos cruelles moqueries sur Europe 1, car la précision qui tue déboule sur nous, '' un groupe français''. Le répète deux fois, pas d'erreur possible, ce sont des français. Ce n'est pas que nous soyons particulièrement chauvins ou nationalistes, mais une évidence s'impose : la France entre dans une nouvelle ère. L'on possède enfin un groupe qui sonne à égalité avec ce qui nous vient de l'autre côté de la Manche.

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    Une consolation en ouvrant ce livre. N'avons pas été les seuls à subir cette commotion et à prétendre à cette révélation. Et à partager une identique incompréhension finale. Un demi-siècle plus tard les Variations ont disparu de la mémoire collective. Même ceux qui n'ont jamais entendu un seul des morceaux des Chaussettes Noires les situent dans l'histoire du rock des grenouilles sans hésitation, mais pour les Variations, c'est le gros blanc, l'ignorance complète. Les quoi ? Les qui ? Et pourtant les Variations ont été les premiers. Pas chronologiquement bien sûr, mais ils ne font pas non plus exactement partie de la deuxième génération. En sont les précurseurs. Et entre parenthèses sont d'une autre trempe que ces tristes clowns de Martin Circus ( qui se sont écrasés au Sénégal ) et de Triangle dont les trois angles ne sont jamais parvenus à atteindre les 180 degrés réglementaires. Les Variations eux ont le son. The sound. The true and veridic and magic sound. Anglais. Le vrai, le seul, l'inimitable. N'ont pas la guitare maigrelette comme tous les autres. Et derrière ça gronde comme un ouragan.

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    Longtemps que les fans attendaient ce livre. Certes l'on pouvait reconstituer l'épopée fragment par fragment en fouinant sur Internet et les sites spécialisés et en relisant les anciennes revues, mais là tout a été réuni et propose en une seule fois une vue d'ensemble sur une carrière qui n'a pas été sans brisures. En plus Julien Deléglise a bénéficié de l'apport de Marc Tobaly qui fut à l'origine du groupe et a contribué à tirer les leçons de l'échec final. N'élude aucunement la responsabilité du groupe mais n'en oblitère pas pour autant les obstacles qu'il rencontra. Pour sa part Julien Deléglise ne cache jamais son admiration pour le groupe et la plupart des lecteurs risquent d'être surpris par la place majeure qu'il accorde à ce combo aujourd'hui pratiquement oublié dans l'histoire constitutionnelle du heavy-rock. Les Variations n'ont pas démérité. Ont fait preuve d'intuitions fulgurantes, l'on rêve de ce qu'ils auraient pu faire s'ils avaient eu la chance de bénéficier d'un appui logistique et musical qui était monnaie courante en Angleterre. Si mal reçus en France qu'ils trouvèrent refuge et compréhension aux States. Un comble pour un groupe français !

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    Une histoire qui débute au Maroc, Marc Tobaly y naît en 1950, une dizaine d'années plus tard l'odeur des Chaussettes sales s'insinue jusquà Fès et avec deux camarades du collège les frères Costa, ils s'essaient à reproduire Dactylo Rock et Wha'd I Say de Ray Charles. Forment les P'tits Loups, tournent un peu partout à Casablanca Marc rencontre un certain Jo Philippe Leb avec lequel dans le garage du père il tape le bœuf sur les morceaux des Roling Stones. Toujours à Casablanca – décidément une mine d'or il croise le batteur des Jets qui assurent la première partie des Shadows, un certain Jacky Bitton...

    En 1966, Marc et son frère Alain jouent les Rastignac du rock. A Paris, comme il se doit, ce qui ne les empêche pas de traverser le Chanel pour humer l'air anglais, en ébullition. Alain s'inscrit à la fac, et Marc découvre qu'à part Hallyday, Long Chris et Ronnie Bird, la scène française apathique offre peu de débouchés comparée pour quelqu'un qui a vu ( et entendu ) de près les merveilles du rock'n'graal britannique... Trouve tout de même un guitariste – Jacques Micheli – et un bassiste – Guy de Baer – et puis le destin s'en mêle par un pur hasard objectif il rencontre coup sur coup Jacky Bitton et Jo Leb. Doit y avoir une bonne étoile car si Jacques et Guy un peu déroutés par la fougue des trois amis quittent le navire, survient, encore un coup de dés du sort, le quatrième cavalier de l'apocalypse : le bassiste Jacques Grande passé à la notoriété sous le sobriquet de Petit Pois. Ne vous méprenez c'était un poids lourd. Y aura même un cinquième appelé, qui fera un petit tour et puis s'en ira mettre le feu chez Johnny, Rolling ! Avec qui Hallyday enregistrera ses plus belles faces. Mais ceci est une autre histoire.

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    Les Variations ne tardent pas à mettre le ramdam dans les boîtes où ils passent. A tel point qu'ils sont connus de tout le monde, z'ont la réputation d'un combo de tueurs mais le métier s'en fiche, et comme Paris et sa banlieue ne sont pas plus gros qu'un microcosme, le groupe a l'impression de tourner en rond. Ce sera le premier exil, décidé par Alain qui tient le rôle de manager, Allemagne, Danemark, Suisse, passent au Star Club, rencontrent les Small Faces, Hendrix, Vanilla Fudge, des grosses pointures, certes ils admirent mais ils reçoivent en contre-partie le respect. Enregistrent un simple : Spicks and Specks / Mustang Sally sur le label Triola à Copenhague.

    C'est bien beau, mais la campagne de France n'est pas gagnée, tournent en province, soulèvent l'enthousiasme partout où ils passent, les fans sont là, mais le showbiz les ignore. Ce coup-ci ce n'est pas le hasard qui s'en mêle, mais le destin. La date elle-même est fatidique. La télé prépare une soirée spéciale, Fleetwood Mac, Small Faces, Jeff Beck Group, et les Who sont au programme. Pas les Variations, s'y rendent tout de même au cas où, et les voici sommés de remplacer Traffic qui a des ennuis avec la douane, avec un tel nom on provoque un peu les soupçons... Lorsque l'émission est diffusée les Who et les Small Faces ont droit à un titre, les Variations à sept.

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    Tout de suite c'est l'engrenage. Signent chez Pathé-Marconi. Deux singles sortent la même année et début 1970 le premier album : Nador. Il faut comprendre que les Variations ne sont pas des suiveurs qui arrivent après la bataille. Durant leur virée hors-hexagone, ils ont côtoyé les groupes anglais et vécu dans le creuset de braise où le british-blues est en train de magnifier le vieux blues américain en monstre incandescent. Nador en quelque sorte improvisé, le groupe se débrouille seul en studio et les boys qui se contentaient de jouer des reprises sue scène se mettent à composer, se révèle être le fils parfait et l'enfant sauvage de son époque gorgée de fureur et d'énergie. Me suis amusé à me rafraîchir la mémoire en parcourant les 123 Albums essentiels du rock français ( présenté par Philippe Manœuvre paru en 2010 ), oui il y a de la bonne came, de la super bonne variété, mais d'aussi rock'n'roll que Nador, pas plus de cinq...

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    L'histoire des Variations jusqu'à maintenant s'est déroulée comme un rêve de môme, ils sont jeunes, ils sont beaux, en osmose parfaite avec leur époque, arborent des tenues à faire pâlir  Eudeline, vivent en communauté ( rien à voir avec les sinistres co-locs sous-économiques d'aujourd'hui ), jouent comme des Dieux, ont du flouze, et ramassent les plus belles filles. De quoi exciter les envieux de tout bords. Ce n'est pas le cauchemar qui déboule, plutôt des insomnies qui empêchent le songe d'étendre ses ailes cristallines.

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    La presse se déchaîne, on leur reproche tout et n'importe quoi, le set raté devant Steppenwolf, de ne pas chanter en français et puis ces années 70 sont marquées par l'apparition d'un public petit-bourgeois qui se pique de rock'n'roll, à condition qu'il ne soit pas trop violent et sale. Trop populaire, pour prononcer le mot non honteux qui hante le cerveau des snobinards, pas assez culturel – lisez progressif. C'est l'époque où il est de bon ton de se gausser de tout ce qui est français, il ne faut jamais oublier qu'entre 1970 et 1975, l'on achète par chez nous surtout des disques du Pink Floyd, de Yes, d'Emerson Lake & Palmer, de Genesis...

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    Mais si l'on est souvent trahi par les autres, les plus grandes trahisons viennent de vous-même. En septembre 1971, Jo Leb annonce par voie de presse qu'il quitte les Variations. Parfois le fromage vous monte à la tête plus sûrement que la fièvre à El Paso. N'est-il pas un merveilleux showman, une bête de scène extravagante, ne mérite-t-il pas les ponts d'or qui ne manqueront pas... L'est déjà de retour en février 1972. David Chevalier qui le remplaçait depuis octobre 71 lui laisse la place sans problème, les Variations étaient trop rock'n'roll pour lui... Mais le groupe est en roue libre.

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    Appliquera la solution qui avait si bien marché en 1967, l'exil. Attention pas le Danemark, les States, rien de moins, le pays où naquit le rock'n'roll. Le pire, c'est que ça marche. Le groupe tourne et s'attire les bonnes critiques. Rend raison à l'adage selon lequel nul n'est prophète en son pays. L'est qualifié de High Energy Group. De retour en France, les flagorneries de circonstances ne font point défaut. Ils sont une nouvelle fois les rois de la fête. Ils en profitent pour sortir le simple Je Suis Juste Un Rock'n'Roller - Enregistré aux Etats-Unis, marqué en gros sur la pochette.

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    Retour aux Etats-Unis pour enregistrer sous la houlette de Don Nix – notamment chez Stax – en avril 1973, leur deuxième album, Take It, Or Leave It. Nador embaumait le rock anglais, Take It sonne résolument américain. Quelle différence demanderont les esprits curieux. Les amerloques prennent le rock beaucoup plus naturellement que les Rosbeef. C'est un truc qui sort de chez eux. Un peu comme le bal musette de par chez nous. Ou le camembert si vous préférez. Les englishes dès qu'ils y touchent ( je parle du rock pas du claquos ), ils en rajoutent, un bidule qui se remarque tout de suite, du genre hé ! les bouseux, les soit-disant spécialistes vous n'y avez pas pensé... certes vous avez les mines de glaise les plus qualiteuses, mais les plus beaux vases c'est nous qui les façonnons de nos petites mains fragiles et expertes, tout juste s'ils ne rajoutent pas, de génies surdoués. Moins agressif que Nador, l'on trouve dans Take it, une assurance et une maturité que le premier album ne connaissait pas. Paru sur Buddah l'album auréolé de louangeuses chroniques ne se vendra que très mollement. Les Variations sont repartis aux USA, ils rencontrent notamment les New York Dolls in the Big Apple, mais auraient mieux fait de tourner en France pour pousser les ventes...

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    Les Variations repartent aux States dés le début 74, ils tournent avec Aerosmith, Kiss, Peter Frampton, quelques sessions à Atlanta mais le gros du troisième album sera enregistré à Paris. La perfide Albion avait inspiré le premier, et le pays de Tom Saywers le deuxième, pour le numéro trois, le groupe se replie sur ses racines. Not the french touch, le Maroc. Morocan Roll surprend les fans français. Du rock'n'roll certes mais mâtiné d'arabesques venues d'ailleurs. Led Zeppelin lui aussi ira chercher de nouvelles sonorités, mais si l'on pardonnera tout au Dirigeable, l'on fait la moue devant ces petits français qui collent trop bien à leur époque. D'ailleurs, le disque précipitera le départ de Jo Leb qui ne se reconnaît pas dans ces labyrinthes orientalisants... les Variations étaient un peu trop en avance.

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    Jo Leb sera remplacé par Robert Fitoussi ( qui deviendra célèbre sous le nom de FR David ). Le groupe enchaîne sur son quatrième album. Café de Paris, ce n'est plus du rock pur et dur, l'on frôle le fusion-funk , encore une fois Variations regarde plus loin que ceux qui ont le nez dans le guidon du boogie. Voit aussi plus loin que lui-même. Le départ de Jo Leb tourne la page et termine le livre. Ça doit tanguer salement à l'intérieur du combo, le 25 mai 1975, alors qu'il passe en première partie d'Aerosmith, c'est le split final...

    Ce qui suivra offre peu d'intérêt. Reportez-vous au bouquin. Marc Tobaly nous offre la consolation du pauvre. Tout compte fait, ce n'est pas si mal que cela, l'a pu se retrouver, fonder et s'occuper de sa famille, se recueillir sur sa foi... redevenir un homme simple, le succès, la réussite, une vie de rock star pourrie de dope et de fric l'auraient écarté des vrais valeurs...

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    Les Variations sont venus trop tôt. Ou plutôt à la bonne heure, mais dans un monde de froggies qui n'était pas préparé pour les recevoir. Rien n'était prêt, ni le circuit de tournage, ni la presse, ni le public. Sont passés comme des météorites. Une traînée de feu étincelante, suivie d'une désintégration finale. Quant à leur évolution musicale, elle me semble éclairer et préfigurer les diverses mutations des groupes metal. Mais celles-ci se sont déroulées sur quatre décennies. L'on se prend à rêver à ce qu'ils auraient pu devenir s'ils avaient bénéficié d'un véritable management. Mais avec des Si l'on mettrait Café de Paris en bouteille...

    Les Variations sont nos Rolling Stones à nous. A la française, certes. Mais du toupet et du panache. Julien Deléglise nous dit que sans eux il n'y aurait jamais eu de Trust et de Téléphone. Perso, je préfère les mettre à côté de Magma. En tout cas le livre s'ouvre sur le plus bel hommage jamais adressé à un groupe de rock. De Nono de Trust. S'il est un groupe qui pourrait prétendre au titre du deuxième album des New York Dolls, In Too Much Too Soon, ce sont les Variations. Et nul autre.

    Un livre à lire et à méditer. Très rock'n'roll !

    Damie Chad.

     

    BLUES, FEMINISME ET SOCIETE

    LE CAS LUCILLE BOGAN

    CHRISTIAN BETHUNE

    ( Camion Blanc / Septembre 2018 )

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    Nous ne savons rien de Lucille Bogan. Née en 1897, ayant vécu à Birmigham. Morte à Los Angeles où elle résidait depuis deux mois à l'âge de cinquante et un ans. Son fils interviewé à la fin des années soixante n'est guère disert. C'est le moins que l'on puisse dire. Se contente de nous révéler qu'elle fut chanteuse de blues, et qu'elle travaillait l'écriture de ses morceaux à la maison. Circulez, vous n'en saurez pas une once de plus. Cherche-t-il à cacher quelque secret de famille ou simplement exprime-t-il le mépris d'un musicien de jazz pour cette forme musicale rudimentaire qu'est le blues ? Nous ne connaissons d'elle qu'une soixantaine d'enregistrements – une quarantaine semblent être définitivement perdus. Christian Béthune parvient tout de même à rédiger un volume de trois cents cinquante pages sur cette mystérieuse figure.

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    L'on a l'habitude de diviser l'histoire du blues américain en trois grandes étapes. Le blues féminin, le blues rural du Delta, le blues électrifié de Chicago. Laissons de côté ce dernier, amplement documenté. Intéressons-nous aux deux précédents. L'on a longtemps admis que le vrai blues, the real blues, le blues authentique fut celui du Sud profond. Le blues féminin serait une forme édulcorée et bâtarde du blues, un produit hybride, un infect mélange de chansons issues des minstrels et du vaudeville, lancé par les compagnies de disques du Nord. Un blues de seconde zone qui durant longtemps aurait occulté le véritable blues qui par miracle se serait perpétué durant des décennies dans l'enclave territoriale mississippienne. Et ce depuis un temps mythique indéterminé. Lorsque Alan Lomax dans les années trente s'enquiert de ce blues perdu et oublié, il n'enregistrera que des hommes.

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    Objection votre honneur ! L'idée que le blues fut le patrimoine sacré des anciens esclaves miraculeusement préservé par un confinement géographique va en prendre un sacré coup dans ce paragraphe. Première remarque, le mot blues pour désigner un style musical n'apparaît qu'après 1910, faut se faire une raison, avant cette date le blues n'existe pas. Deuxième démarque : le Sud et le Nord des Etats-Unis sont reliés par un dense réseau de chemins de fer. Certes les noirs n'ont pas l'argent qui leur permettrait de faire du tourisme. Mais les casquettes rouges ne s'en privent pas, y sont même obligés. Ces couvre-chefs rutilants sont ceux des employés noirs qui travaillent sur les trains. Se livrent à d'innocents trafics pour augmenter leur misérable salaire : achètent pour pratiquement rien des disques dans le Nord pour les revendre dans le Sud. La musique circule plus qu'il n'y paraît. Dans le Delta comme ailleurs. Les vieux bluesmen de nos images d'Epinal qui gratouillent leurs guitares sur la terrasse de leurs baraquements en connaissent beaucoup plus qu'ils n'y paraissent. Très étrangement lorsque les Compagnies viendront les enregistrer in-situ, ils alignent tous des morceaux ( de blues ) qui n'excèdent pas les trois minutes réglementaires que pouvait contenir la face d'un 78 tours.

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    Si les Compagnies se déplacent ce n'est pas qu'elles aient subitement reçu une révélation ethnographique et qu'elles aient décidé de sauver un genre musical en perdition. Juste des considérations économiques : le prix de revient d'un enregistrement effectué dans une chambre d'hôtel est des plus bas. Pas besoin de monopoliser un studio et des musiciens. Et encore mieux, pas de droit de suite. Les péquins sont heureux comme des papes d'avoir pu enregistrer quelques morceaux, ne négocient pas des contrats juteux, ignorent jusqu'à l'existence des royalties. Rien à voir avec ces poulettes du nord qui font monter ( très relativement ) les enchères...

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    Ne suffit pas d'avoir un enregistrement, faut le vendre et pour cela le transformer en produit. Certes la demande fait le marché mais l'offre peut aussi l'orienter. Pour ces chanteurs l'on crée un nouveau style, sera étiqueté blues. Qu'on se le dise, on recherche des chanteurs de blues, pas d'autres choses. Les témoignages concordent, nos chanteurs de blues patentés et révérés, comme Charley Patton par exemple, ne chantaient pas que du blues, connaissaient des tas d'autres styles, chansons, airs de vaudeville, et notamment se défendaient très bien en hillbilly. Vous leur ouvriez un micro, ils vous auraient chanté tous les styles, écoute coco, l'on veut du blues, que du blues, rien que de blues, si tu veux tes dix dollars t'a intérêt à sortir tes meilleurs lapis-lazuli... Système à double détente. Le blues était réservé aux noirs, et l'on spécialisait le hillbilly pour les blancs. Deux étiquettes, deux publics, deux marchés. En plus la musique se pliait aux patterns ségrégatifs de la société américaine.

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    Lucille Bogan est une des premières chanteuses de blues. Elle n'atteindra jamais à la célébrité de Bessie Smith, ou de Ma Rainey, ou même d'Ida Cox, mais il semblerait que c'était-là le moindre de ses soucis. Aucun document n'atteste qu'elle ait chanté en public. Certes elle a enregistré pour Okeh ( 1923 ), pour Paramount ( 1927 ), pour Brunswick ( 1928 – 1930 ), pour ARC ( 1933 – 1935 ), s'étant déplacée pour cela à Chcago et New York, mais tout laisse supposer qu'elle travaillait chez elle, demandant à quelque pianiste de blues de Birmingham de venir l'aider à répéter ses morceaux. Christian Béthune les analyse un par un. Un peu musicalement – faisant notamment appel à un musicologue qui lui refile des analyses difficilement compréhensibles pour quelqu'un qui ne sait pas lire la musique – s'intéresse avant tout aux lyrics. Lucille Bogan les écrivait elle-même, son fils témoigne qu'elle en fignolait l'écriture longuement. Aujourd'hui les compositeurs-interprètes sont monnaie courante, au début du vingtième siècle qu'une femme noire issue du peuple écrivît ses propres textes et les interprétât est une denrée rare. Bessie Smith et plus tard Billie Holiday subirent d'énormes pressions de leurs maisons de disques quant aux choix de leurs morceaux...

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    Mais ce n'est pas tout. Lucille Bogan soignait ses textes, certes mais elle ne les expurgeait pas. Très symboliquement elle est la première à enregistrer un morceau comportant le mot '' fuck''. Pensez aux critiques qui assaillirent Michel Polnareff en 1966 lorsque en notre pays, pourtant réputé pour sa gauloiserie légendaire, parut son titre Je veux Faire l'Amour Avec Toi... Alors imaginez une femme dans les années vingt qui proclame d'une manière des plus explicites qu'elle veut se faire baiser par-devant et enculer par derrière, vous jugerez de la catastrophe. La tartufferie de la société aussi. Pour juguler la crise de 29, l'on pouvait trouver les mêmes morceaux sur des disques vendus à 20 cents et sur d'autres à 1 dollar. Sans doute existait-il encore un circuit parallèle à très bas prix pour les œuvres salaces et grivoises... Deux de ces morceaux survécurent miraculeusement et furent accessibles dans les années 70. Christian Béthune nous présente Lucille Bogan comme une précurseuse des rappers modernes qui usent d'un vocabulaire fleuri et bourgeonnant, une modernité dans la droite ligne de la tradition des dirty dozens que l'on se lançait à la figure entre voisins dans les quartiers noirs.

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    Réjouissons-nous, à l'époque ces morceaux ne furent pas édités, la morale est sauve, ce qui ne règle en rien le problème Bogan, car sur l'ensemble de ses textes, la petite Lucille ne mâche pas ses mots. L'appelle un chat un chat et une chatte une chatte. Mais ce n'est pas le pire. Ce sont les histoires qu'elle raconte qui vous hérissent les poils du pubis. Rien de bien extraordinaire, un mec quitte sa nana ou la nana quitte le mec. Jusqu'ici, vous connaissez. Mais elle a des façons de décrire ces situations communes avec des mots qui n'emberlifigotent point la réalité. C'est du cul crû. Pas du tout cucul la fleurette. La réalité à ras les draps sales. Lucille fait preuve d'une sereine impudeur. Dévoile tout, ne cache rien. Christian Béthune se sent obligé de se munir du bouclier de la pensée d'Aristote pour faire passer le message. Non seulement Lucille Bogan aime le sexe et l'alcool, mais elle aime la dépendance au sexe et à l'alcool. Comme si ça ne suffisait pas elle ramène un troisième larron. Non ce n'est pas le rock'n'roll, n'existait pas encore à l'époque, même pas le blues, le blues c'est ce qu'elle fuit, et pour cela elle ne connaît dans cette vie de merde du prolétariat noir que l'alcool, le sexe et le fric. Et oui, the money, cette crotte de Dieu disent les hindous. Et le fric et le sexe s'interpénètrent tellement dans les textes de Lucille Bogan que l'amour, le désir et la prostitution copulent joyeusement entre eux.

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    Lucille Bogan n'a ni lu Marx ni poursuivi des études poussées dans une prestigieuse université américaine, mais elle avait tout compris du fonctionnement capitalisme et de l'entregent libertarien, les rapports humains sont dominés par les rapports économiques, dans notre société vous ne pouvez vivre que de l'échange de ce que vous avez – votre corps – contre ce que vous n'avez pas – le fric. C'est ainsi, vous pouvez dire que c'est bien ou que c'est mal, ce genre de problématique ne devait probablement pas effleurer l'esprit de Lucille Bogan. Pour elle c'était un bon deal, la transaction était agréable, en prime elle procurait le plaisir. Que voulez-vous le sexe rend l'âme juteuse.

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    Et en plus, cet agréable commerce, produisait à la femme noire un avantage collatéral des plus jouissifs. Ne dépendait plus des hommes, devenait indépendante, n'était plus obligée de s'embaucher comme domestique, menait sa vie – avec ses hauts et ses bas – comme elle voulait. Elle assumait. N'était plus l'inférieure de l'homme, adieu le patriarcat, devenait son égale. Tout cela Lucille Bogan ne le théorise pas, elle l'irradie. Un message qui n'est pas tombé dans l'oreille des sourdes. Si Lucille Bogan devient à la mode, c'est que le féminisme s'est emparé de son personnage. Elle s'y prête, chants lesbiens et revendication de son corps chocolat noir à grosses fesses et ventre bouffi. Angela Davis l'évoque dans son livre Blues et Féminisme ( paru en 2017 aux Editions Libertalia, kro-niqué dans notre recension 346 du 02 / 11 / 2017 ), dans son introduction Christian Béthune précise que son livre était déjà terminé à la parution de l'opus d'Angela Davis. De surcroît son ouvrage possède un immense avantage, il ne se sent pas obligé de répéter à toutes les pages que la femme noire pauvre est asservie en tant que femme, en tant que noire, et en tant que pauvre. Et que de toute manière, quelle que soit sa classe sociale la femme est asservie en tant que femme. Ce genre de sempiternelle antienne ( mêlée au catéchisme revendicatif de la théorie du genre) alourdit la lecture du book d'Angela Davis. Dépourvus de cette gangue de discours idéologique, les textes de Lucille Bogan n'en paraissent que plus percutants.

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    Entre ce vous écrivez et ce que vous êtes, parfois la différence est énorme. Certains biographes n'ont pas hésité à conclure que Lucille Bogan exerça la noble profession de péripatéticienne. Une pute alcoolique c'est beaucoup plus vendeur qu'une épouse ménagère. Rien ne le prouve, et le peu que nous savons d'elle nous la présente doté d'un caractère casanier. Ses blues participent-ils d'une expression lyrique d'expériences personnelles ? Christian Béthune se contente de rappeler que dans le blues, l'emploi du pronom personnel '' je'' n'implique pas obligatoirement le vécu de l'auteur. Sert plutôt à rendre plus accessible, à faire partager beaucoup plus émotionnellement, le thème que l'on a choisi de traiter. Un '' je'' impersonnel à vocation universelle.

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    Toutefois si l'on veut pressurer les textes pour en tirer quelques éléments en relation avec l'existence de son auteur, rien ne l'interdit. Attention, les blues sont remplis de trains qui partent. La country music aussi. Au début du vingtième siècle, le train était pour les humbles le seul moyen de locomotion accessible quand on avait de longues distances à parcourir. Que l'on paye son billet ou que l'on joue le passager clandestin... Or il se trouve que le mari de Lucille Bogan occupait un emploi dans une société de chemin de fer de Birmingham. Peut-être est-ce la principale raison qui attacha Lucille à cette ville. C'est avec son second mari – plus jeune qu'elle de vingt ans – ne vous privez pas de méditer sur ce détail - qu'elle partit pour la Californie. Profitons-en pour noter que Birmimgham, surnommée par les autorités municipale, The Magic City – était un nœud ferroviaire et un centre industriel qui attira de nombreux jeunes hommes noirs à la recherche d'un travail. Ce qui provoqua la venue de milliers de prostituées chassées des zones portuaires où les ligues vertu obtenaient la fermeture des quartiers chauds. Pourtant située en Alabama, Birmimgham n'était pas très attirante, elle était la ville la plus ségrégée des States et la moyenne des salaires -ouvriers étaient de vingt pour cent moins élevé que partout ailleurs... Très logiquement Christian Béthune analyse donc les six blues de Lucille Bogan qui évoquent le train ainsi que quelques notations adjacentes dans d'autres textes. Son étude – il y consacre un chapitre entier – n'apporte rien de plus au sens général des paroles, par contre il démontre que Lucille Bogan s'y connaissait un maximum question railroad. Ne fait pas d'erreurs, ni sur les lignes, ni sur les types de locomotives. A partir de quelques mots à signification peu ferroviaire, mais replacés dans leur époque, il se livre à des déductions qui raviront les abonnés de La Vie du Rail ( créée en 1938 ). Cela n'a l'air de rien, mais l'on connaît si peu de la vie de Lucille Bogan, que nous souhaitons qu'un jour des chercheurs obstinés parviennent à partir d'un détail anodin à nous révéler des pans entiers de son existence.

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    Ce livre est indispensable à tous les amateurs de blues. Les points d'attaque de Christian Béthune sont très personnels ( jazz, rap, philosophie ) donc très précieux car il est de ceux qui ne passent pas leur temps à répéter ses devanciers. Un véritable chercheur.

    Damie Chad.

    N. B. : une deuxième cronik sera consacrée aux enregistrements parus sous son nom et le pseudonyme de Bessie Jackson.

     

    DEAD GROLL # 8

    ( Février 2018 )

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    Fanzine. Papier. A prix libre. L'ai trouvé cet été dans la boutique toulousaine Croc Vinyl. Attention 60 pages, du texte et des photos en noir et blanc. Mise en page tout ce qu'il y a de plus classique à part le dernier topo de Franky Stein sur la saga des Outcasts qui utilise une police ( tout le monde la déteste ) un peu plus torturée. Des sudistes, l'ère d'action de cette ultra-sympathique revue s'étend de Périgueux à Toulouse. Beaucoup d'interviews de groupes : The Curse, The Devil Bishop, Not Right, Crumble Factory, Neue Kinder Von Damas – dans celle-ci nous retrouvons un dessin de Sylvain Cnude – vous l'avez compris chez Dead Groll l'on aime le rock qui remue, mais l'on n'est pas dépourvu d'oreilles puisque la dernière est consacré à un groupe de jazz érotico expérimental In Love With. Mais il n'y a pas que des groupes de rock dans la vie, sont aussi passés à la moulinette à questions : le Blog qui organise concerts et évènements à Toulouse et Iggy Stoner Booking parce que voyez-vous les groupes qui n'ont pas de concerts... En tout cas, ces interviews sont passionnantes, connaissent leur sujet et ne posent pas des questions bateaux touchés-coulés. Des chroniques de disques évidemment, notamment Johnny Thunders et Sex Pistols, et puis surprise cette petite kro sur Heartbreaker des Badass Mother Fuzzers, une petite musique qui teinte à mes oreilles, non pas celle des BAMF, celle d'une écriture, que dis-je d'un style, qui ne m'est pas inconnu, en plus c'est signé Loser, notre Cat Zengler à nous ! Quand je vous disais que c'était une bonne revue...

    Damie Chad.

    PS : la revue posède son FB : Dead Groll

    MURCIA TROPIKAL # 3

    ( Juin 2018 )

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    Non, il ne s'agit pas d'un disque de Nino de Murcia mais d'un fanzine ramassé sur la table de La Comedia. Une revue qui donne la parole aux adeptes du DIY dans la bonne ville de Murcia, la huerta de Espana, le jardin de l'Espagne. Evidemment c'est écrit en espagnol mais Kr'tnt ! ne recule devant rien pour satisfaire l'insatiable curiosité de ses lecteurs. Une interview d'Irena créatrice du fanzine Vulva Estelar ( Vulve Etoilée ) revue féministe, participante à un club de lecture féministe, et réalisatrice de podcasts féministes sur la radio Ruda FM. Semble y avoir un lot d'activistes multi-cartes en Murcia, voici Victor qui lui aussi produit son émission de radio Timpanos y Luciérnagas ( Tympans et Lucioles ) qui présente des groupes aux noms évocateurs : Sudores de Muerte ( Sueurs de Mort ), Crudo Pimento ( Piment cru ), Alien Tango ou Galleta Piluda, je laisse votre imagination effectuer ces deux dernières traductions, l'est aussi à l'origine du label Grabaciones a Montones ( enregistrements à foison ), qui produit des EP pour des groupes peu connus. Enfin Santini qui sur son blog Piso 28 ( appartement 28 ), rend gonzoaïquement compte de la vie musicale de la région, il est aussi l'auteur du livre Sabado De Despirorre En La Ciudad ( Samedi matin à la gueule de bois ), passe de la musique dans son émission El Plan sur la radio murciane Rom et joue de la guitare dans le duo Llueve, Capullo ! ( il pleut, crapule ) ... Enfin Mati, qui a fondé Casa Chiribiri un atelier de création artistique, la foire aux fanzines Fritanca y Fosquitos, célèbre pour sa carte de la ville, ne s'agit pas d'un simple plan de la ciudad, les rues sont rehaussées d'illustrations de toutes sortes ( édifices, voitures, passages cloutées... ). Pour avoir paru voici une vingtaine d'années huit jours dans cette cité qui m'avait semblé passablement endormie et hors du temps, je ne peux que me réjouir de cette cocotte minute culturelle underground !

    Damie Chad .

    PS : la revue possède son FB : Murcia Tropikal