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gary guitar lammin

  • CHRONIQUES DE POURPRE 461 : KR'TNT ! 461 : SYNAPSES / GARY GUITAR LAMMIN / VARIATIONS / SENTENCED / TORTURE WHEEL / ROBERT JOHNSON

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 461

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    23 / 04 / 2020

     

    SYNAPSES / GARY GUITAR LAMMIN

    VARIATIONS / SENTENCED

    TORTURE WHEEL / ROBERT JOHNSON

     

    Pas de synode pour les Synapses

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    — Wouah ! C’est sûr ! On va faire fureur !

    — Wouah ! C’est sûr ! Ils vont tous nous envier !

    — Ils vont crier vive les minets ! On a l’air vraiment super !

    C’est vrai, on dirait vraiment que Martine et Éric sortent des pages de mode de Salut les Copains. Ils finissent de se coiffer en écoutant le hit parade de SLC Salut les Copains.

    —SLC Sa/lut les Co/pains ! Et maintenant, voici le numéro un du hit/parade ! Michel Pol/nareff avec «L’Oiseau de Nuit» !

    —Wouah, j’adore Michel !

    —Wouah j’adore son shetland rose !

    — Wouah ! Et son Levis noir en velours côtelé !

    Martine ajuste sa belle frange blonde en dansant le jerk. Elle porte un col roulé blanc en laine peignée et un taille basse rouge comme son idole Brian Jones. Le gros transistor Telefunken posé sur la commode vibre :

    —Parmi tous ces inconnus ‘ki ren/trent/ Re-trouver la femme et le ‘kou/vert !

    — Wouah ! Michel est un super rocker !

    — Et je vois aussi ‘kou/ler tes larmes/ Toi ‘ki vins danser avec le jour !

    Et ils reprennent à tue-tête en chœur avec Michel :

    — Mais il valait mieux rom/pre le charme/ Que de laisser croâre à not’ amuuur !

    Et ils éclatent de rire.

    — Wouah ! C’est sûr ! On va faire fureur !

    Éric porte un col en V rouge vif passé sur une chemise en soie blanche et un taille basse jaune à grosses côtes. Ce dont il est le plus fier, ce sont ses boots vernies trouvées chez Myris pour vraiment pas cher.

    — Et voici main/tenant le Chouchou de la se/maine ! Ronnie Bird avec son nou/veau 45 tours «Chante » !

    Martine saute en l’air. C’est son idole numéro deux. Le transistor crache un gros riff de fuzz. Ronnie attaque d’une voix ferme :

    — Voilà ‘ke la chanson/ Devient un vrai ‘kon/cours !

    Martine et Éric se mettent à jerker comme des automates abandonnés de Dieu.

    — Les zi/doles à Centrale/ Viennent suivre des ‘kours !/ Chaaaante !

    Martine et Éric semblent possédés par le diable. Ils secouent tellement leurs têtes qu’ils se décoiffent.

    — L’autoroute à présent devient remplie de gens/ Chaaaante !/ Puisqu’il paraît ‘k’elle ‘kondui/tà/ La Tour d’Argent !

    Dix ans avant Sid Vicious, Martine et Éric inventent le pogo.

    — Et moi je pleure/ Oh oui le pleure... Hélas/ Trois fois hélas...

    Et ils reprennent en chœur avec Ronnie :

    — PARCE QUE JE N’AI PA/ ZÉ-TUDIÉ !

     

    Une heure plus tard, ils sont dans la rue. Ils prennent le métro et sortent à Pigalle. D’un pas alerte, ils descendent la rue Pigalle jusqu’à l’angle de la rue Fontaine.

    — Wouah Teenie Weenie, tu aimes la nitroglycérine ?

    — Wouah Riton, j’adore tout ce qui est In !

    — C’est au Bus Palladium que ça s’écoute !

    — Wouah Riton, j’adore tout ce qui est Out !

    Les gens font la queue sur le trottoir :

    — Wouah Teenie Weenie, il y a foule pour les petits gars de Liverpool !

    Une gigantesque affiche dévore la façade du Bus Palladium : The Synapses !

    — Wouah Riton, ça va jerker aussi sec qu’au Papagayo de Saint-Trop !

    — Wouah t’as raison Teenie Weenie ! Comme dirait David Alexandre Winter, qu’est-ce que j’ai dansé !

    Ils entrent et filent directement aux toilettes. Il y a déjà du monde. Ils réussissent à trouver un coin tranquille. Éric sort de sa poche un petit sac en plastique.

    — Ferme les yeux et ouvre la bouche, Teenie Weenie !

    Martine tire la langue.

    — Tiens Teenie Weenie, avale ça ! C’est une dose de LSdiiii !

    — Wouah Riton, j’adore les triiips !

    — Wouah Teenie Weenie, ya pas plus in !

    — Wouah Riton, je suis déjà out ! Je crois à la vérité des couleurs !

    — Wouah Teenie Weenie, je suis un garçon très doux ! Je veux aimer le monde !

    Ils reviennent se fondre dans la fournaise. Sur scène les Synapses font un tabac :

    — Je m’en vais vivre/ Comme dans un livre/ Dans le ventre d’une/ Énorme baleine !

    Au pied de la scène, les filles et les garçons semblent pris de frénésie.

    — Je vais descendre/ Pour me détendre/ Dans le ventre d’une/ Énorme baleine !

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    Tout vêtu de rouge, le chanteur des Synapses mène le bal des vampires en secouant son tambourin. Il a le visage couvert de cheveux mouillés de sueur. C’est le jerk du diable ! Le guitariste prend un court solo freakbeat à faire pâlir d’envie le John Du Cann du temps où il jouait dans The Attack !

    — Il fera beau/ Il fera chaud/ Plus personne pour nous/ Causer de pei/ne !

    Le batteur joue les dynamiteurs et le bassman tricote sur sa basse vintage des gammes véloces des quatre doigts de la main gauche. Nouvelle dégelée de solo psychout ! Too far-out !

    — Nous verrons plus/ Tous les abus/ De la te/herre qui est/ Remplie de haine !

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    Sur la piste de danse, ça gesticule à qui mieux-mieux. Les Synapses enchaînent avec un nouveau brûlot :

    — Tu es ma bombe ana/tomique/ Mi-andro/gyne/ Mi-hydro/gène !

    Les filles chaloupent comme des sirènes de train fantôme et les garçons s’entortillent les rotules.

    — Ce mélange hété/rogène/ Fait de toi un modèle unique !

    — Wouah Riton, pfff pfff, ils sont terribles !

    — Wouah Teenie Weenie, pfff pfff, ils sont in et on est out !

    Éric tend les bras pour voir ses mains se fondre dans le jeu des lumières psychédéliques.

    — Aaaahhhh que c’est bon tout ça ! Aaaahhhh que c’est bon tout ça !

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    Les Synapses enchaînent avec un beau «Souci Détail» nappé d’orgue. À la fin du morceau, le chanteur demande à la foule si ça va :

    — Ça va ?

    — Ouaiisssssss !

    Alors le batteur tatapoume le super beat et le chanteur attrape son micro d’un geste rageur :

    — Durand a eu un accident/ Dupont a perdu toutes ses dents/ Machin a un dixième enfant !

    Les garçons et les filles ondulent comme des danseuses égyptiennes atteintes d’épilepsie. Les Synapses lèvent un vrai vent de folie.

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    — Wouah Riton, pfff pfff, y font Dutronc !

    — Wouah Teenie Weenie, pfff pfff, j’aime bien tes antennes et tes huit paires d’yeux !

    — Wouah Riton, tu trippes comme un malade !

    — Je suis content/ C’est pas à moi que c’est arrivé/ Je suis content/ C’est pas à moi que c’est arrivé !

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    Les Synapses claquent encore une série de jerks terribles à la nasillarde d’Antoine et ils Hectorisent le Bus Palladium jusqu’au trognon. Pendant l’entracte, Éric va au bar chercher un verre.

    — Un whisky coca !

    Il s’amuse de voir le serveur avec des oreilles et une trompe d’éléphant.

    — Merci Babar !

    — M’appelle pas Babar ! M’appelle Jean-Claude, connard !

     

    Au petit matin, Éric se retrouve sur le trottoir, devant le Bus palladium. Il frissonne et il a les oreilles qui sifflent. Il réalise subitement que Martine a disparu.

    — Wouah la sal/ope, elle est par/tie avec un autre gar/çon !

    Soudain, une ambulance et une estafette de police arrivent et se garent juste devant lui. Un flic descend l’air mauvais :

    — Circulez ! Ya rien à voir ! Allez ouste !

    Les infirmiers et les policiers se ruent à l’intérieur du Bus. Éric a une espèce de flash et il entre à leur suite. Ils vont directement aux toilettes. Il y a un attroupement. Éric se hisse pour essayer de voir par dessus les épaules. Il a une sorte de pressentiment. Mais il ne peut rien voir. Il reconnaît une copine dans l’attroupement.

    — Dis donc Poupée de cire, tu sais ce qui se passe ?

    — Teenie Weenie Boppie est morte dans la nuit...

    — De quoi ?

    — Mais d’avoir pris une dose de LSDiiiii !

    Signé : Cazengler, Synoque

    Synapses. Le trois Pièces. Rouen (76). 6 novembre 2015

     

    Lammin d’or

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    Un seul canard au monde consacre des pages à Gary Guitar Lammin. Il s’agit bien sûr de Vive le Rock, dernier bastion d’un certain underground britannique. Bruce Turnbull ne tourne pas longtemps autour du pot : pour lui, l’album solo de Gary Guitar Lammin est l’une des finest releases of the year. Dans l’article qui suit ce dithyrambe échevelé, Gary s’épanche. Il dit avoir commencé par craquer sur la version de «Little Red Rooster» que jouaient les Stones à une époque lointaine. Puis il découvrit Juicy Lucy, et tout particulièrement ce rescapé des Misunderstood, Glenn Ross Campbell qui jouait de la slide. C’est là que naquit son obsession pour la slide.

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    Gary joua dans les Little Red Roosters puis dans Garrie & The Roosters. Il ne s’intéressait qu’à ce qu’il appelle le straight rock’n’roll. À la fin des seventies, il était l’un des seuls à vouloir encore sonner comme les Who, alors que tout le monde louchait sur ce qu’il appelle the intellectual music, the prog stuff des Yes et des No. Quand il découvrit les New York Dolls, il s’aperçut qu’il n’était plus seul au monde. Il venait de découvrir qu’il existait des gens pensant la même chose que lui ! Et quand le punk explosa en Angleterre, tout changea - Everything changed completely - Tous ceux qui ont grandi dans les sixties connaissent cette succession d’épisodes par cœur.

    En farfouillant dans les pages du NME, Gary tomba sur le nom de McLaren, un nom qu’il connaissait pour s’être intéressé de très près aux Dolls. Il découvrit que McLaren tenait une boutique de fringues sur King’s Road et il s’y rendit. Il rappelle qu’à l’époque il n’y avait ni web ni smartphones, alors il fallait faire les choses physiquement. Mais il ne parvint pas à rencontrer McLaren, alors il dut laisser une cassette de démos à son intention, avec un numéro de téléphone. Et puis un beau jour, drrrring ! McLaren lui dit de rappliquer au magasin avec sa gratte. C’est là que Gary rencontra Dave Goodman avec lequel il enregistra cet album solo qui vient tout juste de refaire surface.

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    Gary Lammin apparaît sur la pochette avec un air menaçant. On retrouve très vite l’environnement des Pink Fairies dans «Lost & Falling», ce qui semble logique, vu que Dave Goodman et George Butler sont de la partie. Mais le disk erre dans le nowhere land du London underground. C’est avec «Value» que ça se corse, Gary joue au big far out et on le voit driver sa vieille chique dans «Is That Alright With You». La grosse viande arrive enfin avec «Memo To Anita», il joue du bottleneck infected avec du big bass drum in tow. C’est assez spectaculaire. Gary gratte tout ce qu’il peut gratter. On comprend alors ce qu’il veut dire quand il évoque son obsession de la slide. Et puis voilà le coup de tonnerre : «Hey Mr John Sinclair». Ride on ! C’est John Sinclair qui ride on. Il explose le walk away, Gary travaille ça au heavy riffing, ride on John Sinclair, ride on, ça roule sur un heavy bassmatic anglais digne de ceux qu’on jouait à Detroit. Les filles font «Mr John Sinclair/ Change the people everywhere !», les descentes de basse sont d’un rare demento, Hey Mr Sinclair, don’t be square, Gary nous empapaoute ça comme un crack.

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    Puis il va revenir dans l’actu avec les Bermondsey Joyriders. La presse anglaise présente les Joyriders comme des héritiers des Sex Pistols croisés avec le MC5, une hypothèse que confirmerait presque la présence de John Sinclair : il fait des transitions entre tous les cuts de Noise And Revolution, comme le fit en son temps Stanley Unwin dans l’Ogdens’ Nut Gone Flake des Small Faces. Gary fait du punk-rock dès «Society Is Rapidly Changing». Il y va de bon cœur, il faut le signaler. Il prend bel et bien la suite des Pistols, mais sans la voix de Rotten, ni l’éclat des compos. Sa démarche est pourtant très sérieuse. Society ! Quand il envoie ses solos en coulée douce sur le chant, il rafle presque la mise. «Right Now» sonne bien les cloches, heavy steamboat in the brick walls, ce dingue de Lammin lamine sa chique avec les accords des Stooges. Lui et son copain bassman Martin Stacey sont des fous dangereux. Mine de rien Lammin la ramène bien, il claque sa stoogerie au ‘scuse me while I fuck the queen. Avec «1977», il tente de refaire les Pistols, mais ça bande mou. Même avec le lance-flammes. Par contre, il redresse bien la situation avec «Tru Punk». Plus loin, il sort son meilleur accent cockney pour «Proper English». Pur jus d’East End. On se régalera encore de «Shaking Leaves», une vraie dégelée, mais en même temps, ce n’est pas le hit du siècle. Il manque toujours à Gary le petit quelque chose qui fait la différence. Il veut exister en tant que légende obscure, mais ce n’est pas gagné. À la limite, John Sinclair a plus d’allant. Les Joyriders tentent encore de passer en force avec «Rock Star», côté jus, ils n’ont pas de problème et on voit John Sinclair amener merveilleusement «Rock N Roll Demon». Du coup, ça frôle le cut mythique. Gary chante tout ce qu’il peut chanter, comme il l’a toujours fait.

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    Il existe un autre album des Bermondsey Joyriders nommé Flamboyant Thugs. On retrouve sur la pochette la bagnole bleue et blanche de l’album précédent plus nos trois Joyriders qui ont fière allure. Ça explose en bonne et due forme dès «Sonic Underground». Ils ont du son, ça crame dans la cave. On voit Gary Lammin jouer au kill kill kill et prendre des virages dévastateurs. Ils sont très énervés, ça joue aux dents branlantes et au vomi rose. On croirait qu’ils jouent leur vie aux dés. Mais quand on va sur les cuts suivants, on sent une usure. Pas facile d’être une légende vivante en Angleterre. Ce genre de plan peut vite tomber dans le pathétique. Gary tente de faire le méchant, mais on n’y croit pas un seul instant. Il chante si mal son «Here Come The People» qu’il le condamne aux ténèbres. Son vieux copain John Sinclair tente de sauver l’album avec des transitions, mais le morceau titre est encore si mal chanté que ça retombe comme un soufflé. Gary flingue toutes ses chances une par une. Il n’est ni Johnny Rotten, ni Rob Tyner, ni Liam Gallagher. Il sauve les meubles avec «It’s Nice To Be Important» et tape ça aux big British rock, il redevient l’espace d’un cut the cockney Lord of the night. Fantastique énergie ! C’est un chef-d’œuvre de cockney brawl. Il sauve son album une deuxième fois un peu plus loin avec «Throw The Dice», joué au big guitar raunch et aux clap-hands. C’est une pure merveille de rock anglais, ça joue à la bonne allure de la revoyure avec un Lammin lâché dans les rues et ça devient fascinant - Lets’ throw the dice/ Let’s watch him roll - Plus il avance dans son album et plus il gagne des points dans les sondages, comme disent les cons du petit écran. Son «Gentlemen Please» est plutôt bien balancé. L’important est de ne pas perdre de vue un vieux dur à cuire comme Gary Guitar Lammin. Même s’il n’est pas parfait, il a au moins le mérite d’exister dans l’inconscient collectif

    Signé : Cazengler, Gary Lamerde

    Bermondsey Joyriders. Noise And Revolution. Fuel Injection Records 2012

    Bermondsey Joyriders. Flamboyant Thugs. Fuel Injection Records 2014

    Gary Guitar Lammin. ST. Requestone 2017

    Bruce Turnbull : Sling The Axe. Vive le Rock #42

    31 DECEMBRE 1968

    LES VARIATIONS

     

    Où traînais-je le soir du 31 décembre 1968, certainement pas à Joinville, ni sur le pont, ni au bataillon. J'ai une bonne excuse, eux non plus ils n'y étaient pas. Devant leur poste de télé. Donnaient un concert. Et celui de Joinville ils l'ont visionné quarante ans plus tard, vous en rajoutez douze de plus et on y arrive. Un demi-siècle de passé depuis cet instant fatidique qui révéla au grand public l'existence des Variations. Et Julien Deléglise - auteur de Moroccan Roll : La fascinante histoire des Variations - signale fort à propos qu'il existe une vidéo de l'évènement bien meilleure que l'habituelle. Autant aller y faire un tour, puisque l'on est privé de festivités rock'n'roll et que rien ne bouge dans les bouges depuis un mois, autant s'en mettre plein la vue et plein les oreilles, pour pas un rond de friture sur les ondes électro-magnétiques.

    L'anecdote est connue. N'étaient pas invités. La télévision française préparait la soirée du réveillon du Nouvel An. Se sont radinés au tournage, l'air de rien, au cas où. Nul besoin d'eux. Il y avait du lourd, les Who, le Jeff Beck Group, les Troggs, Booker T and the M.G. ( Memphis Group, pour les ignorants ) Fleetwood Mac ( en leur période blues, pas la daube populaire terminale ), plus plein d'autres qui font moins saliver. J'allais oublier Traffic – mais qui se souvient encore de Traffic aujourd'hui - avec Steve Winwood et Jim Capaldi. Ne sont pas là – mais que trafiquent-ils - et c'est le dernier jour de mise en boîte. Essayez de trouver une formation au pied levé... Bingo, les Variations sont là ! Comme quoi dans les Evangiles, il n'y a pas que des craques, ils sont arrivés en dernier, ils seront les premiers. En fait les derniers au montage, mais avoir les Who et consorts en première partie, pour un petit groupe français inconnu, ce n'est pas mal.

    Pas de panique, enfourchons la machine à monter le temps et zieutons à quoi ressemblait la France éternelle en ces époques antédiluviennes. Je vous rassure, non vous ne risquez pas de rencontrer de vilaines grosses bestioles, ce n'est que plusieurs années après que certains groupe se sont transformés en dinosaures.

    D'UN AUTRE ÂGE

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    Me suis reconnu sur le plateau. En plein dans le public. Sont tous comme moi à l'époque, très beau avec des cheveux longs. J'ai dû lancer la mode sans m'en apercevoir. En tout cas, ça vous fout un sacré coup de vieux. Le pire c'est que l'on n'a pas l'air plus intelligent que les jeunes gens de maintenant. Peut-être plus heureux, on venait de rater la révolution, mais il semblait qu'un futur radieux se profilait encore à l'horizon. Ça jerke dur, les mauvaises langues prétendront que comme c'est la dernière séquence, tout le monde sur le plateau, techniciens et figurants, se laisse aller. Le grand défouloir. Pour le tournage, ils n'ont pas fait appel à Jean-Christophe Averty, le décadreur siphonné, qui vous aurait déglingué le montage en trente secondes. Z'ont choisi Guy le mec qui roule pour vous et fait son Job proprement. Une caméra face à la scène. Plutôt étroite, genre éclair au chocolat, pas de profondeur pour les zicos, de temps en temps un zoom sur un artiste, heureusement parce que devant c'est le rideau mouvant des danseurs qui voilent beaucoup et dévoilent un petit peu. C'est la fête. De l'an neuf, faut que le français moyen comprenne que l'ambiance est torride. Encore quelques minutes et ce sera l'année érotique. La prise de son n'est pas terrible. Ne venez pas vous plaindre, songez que l'on ne possède aucun document sonore des plaidoiries de Cicéron sur le forum romain. Sachez apprécier ce que vous avez !

    ROUND UP

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    Un round de vingt minutes, pas bésef, mais les autres groupes n'ont eu droit qu'à une portion de dix minutes, ont attaqué sec avec Around and around, Jo Leb – une coupe à la Keith, se jette sur le micro et à l'eau, il montre qu'il est doué pour le crawl, l'a intérêt car à la guitare Marc Tobaly verse de ces rasades chuck berriennes si bien imitées, si fortement poivrées, qu'elles ressemblent à des claquements de becs de squales géants qui se lancent à sa poursuite d'un innocent baigneur pour lui cisailler les jambes. En quinze secondes, ils ont gagné, derrière Jacky Bitton bastonne sur ces bidons, un bruit pas possible, vous ramone les oreilles à la rémoulade de cèleri, vous passent en prime le rythme de Brown Eyed Handsome man et vous embarquent dans un de ces cafouillis grabugique dont les Stones avaient le secret à l'époque, le genre de guet-apent sonore dans lequel normalement tout le monde devrait se viander, mais dont vous ressortez aussi frais que le bouton de rose passé à la boutonnière du coup du surin que vous avez reçu dans l'abdomen. Essayez de saisir dans vos mirettes P'tit Pois, oui les filles il est très beau, par contre il a une manière peu orthodoxe de slapper sa basse électrique, un visage d'ange et une frappe exaltée de blouson noir. Jo Leb nous fait le coup du feel ( à couper les méninges ) all right, joue au sorcier indien qui dirige et éloigne de la voix le nuage de sauterelles géantes, manière de montrer qu'il maîtrise la fracture du morceau et le public règle illico la facture électrique sous forme de forts dandinements spasmodiques.

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    Vous aimez le rock'n'roll, donc vous aurez du rhythm'n'blues et ils s'engouffrent au pas de course dans Everybody needs somebody to love, mais certains l'aiment plus chaud que d'autres alors ils vous le servent brûlant, la pression monte dans la cocote-minute des danseurs, z'avez un individu qui s'exhausse à bout de bras, du coup Marc mord les cordes de la guitare et l'on dérive vers une de ses cacophonies bruitistes qui rendent fous de joie ces êtres simples et candides que sont les amateurs de rock, derrière Jacky Bitton bétonne à mort, Tobaly mouline totally à la Townshend, l'on ne voit plus Jo Leb prostré sur son micro, le navire donne de la bande, les vagues brisent le gouvernail, le vent arrache les voiles, c'est étrange, mais on a l'impression de vivre plus intensément.

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    C'est partie pour l'hystérie collective le jeu des questions réponses, sans queues ni têtes, mais farcies de cris et de hurlements. Bitton à la batterie tribale, et Leb qui vous trimbale où il veut. Nous fait le coup de l'extase morrisonienne, et l'on aime cela, ce chuchotis de mots de désirs incandescents, ces reptiles gutturaux qui s'enroulent autour de nos corps en sueurs pour mieux resserrer leur étreinte par accoups irréguliers, tantôt doux, tantôt violents, les lèvres de Leb dégagent une lèpre mortelle, il n'est plus là, il gît en lui-même, en un autre monde, mais voici que son corps de supplicié abandonné à terre explose, c'est la catharsis salvatrice et l'ouragan de la folie ravage le monde entier. Une fille vient s'offrir au grand chaman et les voici partis en un tressautement orgasmique qui rend la gent féminine folle, se mettent à hululer comme ménades orphiques. Nous ont convaincus. Tout le monde a besoin de sexe.

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    Pas de temps à perdre, les Variations vous lancent le riff de Satisfaction comme s'ils avaient le cachalot blanc du rock'n'roll à harponner. Jo Leb, halète, il aboie, un roquet en chasse, vous avez dû marcher sur ses pattes de daim bleu, derrière Jacky lance ses torpilles riffiques de plus en plus désastreuses, touché-coulé à tous les coups, Grande à la basse qui gronde, visage pâle, il est l'archange de la mort qui mène les troupes sataniques à l'assaut, et Bitton dératise sa batterie, silence, et tonitruance en alternance, la fièvre monte jusqu'à ce que le thermomètre explose, Leb s'est saisi de son foulard qu'il exhibe comme le lacet de la mort, et brusquement surgit ce que l'on n'attendait pas, ces volutes orientales que le Zeppe n'utilisera que bien plus tard, more rock'n'roll is moroccan roll, Leb se métamorphose en bayadère, et le public ondule à la manière des serpents des flûtes de Joujouka, générique de fin, Leb en descente de transe et Jacky Bitton tambour battant, final extraordinaire, Jo Leb couché par terre entonnant une espèce de cantilène funèbre tandis que la batterie de Bitton avance vers vous telle une colonne de fourmis carnivores prêtes à dévorer le monde. Apocalypse terminale.

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    ET LES AUTRES ?

    Des extraits de l'émission intitulée Surprise-partie ( titre déjà ultra-ringard à l'époque ) sont facilement visibles sur You tube. Commencez par taper Variations : New Yars's Eve Party on French TV et le reste viendra. Aucune prestation offerte ne possède cette incandescence. Pour comparer ce qui est comparable, les Troggs par exemple sont bien sympathiques, mais pas déchaînés, des pros qui assurent mais rien de bien transcendant. J'avais déjà vu cet extrait troggloditique à plusieurs reprises, mais ne l'avais pas gardé en mémoire...

    Les Variations ont disparu. Sont venus trop tôt. In too much too soon, diraient d'autres. Restent une des plus séminales formations du rock français. C'était déjà trop beaucoup pour un trop jadis.

    Damie Chad.

    *

    L'on a beau critiquer la société de consommation, l'on passe son temps à entasser les Cd's, juste pour les archives assure l'ami Mister B, bref ça escalade le ciel et les piles instables s'écroulent comme les colonnes du temple maudit dans un fascicule des aventures de Bob Morane... Alors de temps en temps, vous vous dites, what is it ? Celui-ci je ne l'ai jamais écouté, et vous vous faites une douce violence pour le glisser dans le bouffe-galettes, manière d'ajouter un peu de bruit et de grabuge dans ce monde de confusion.

    AMOK / SENTENCED

    ( Century Media 77076-2 / 1995 )

    Sami Lopakka : guitar / Vesa Ranta : drums / Miika Tenkula : lead guitar / Taneli Jarva : bass, vocals.

    Celui-là, c'est la pochette rouge sang qui m'a séduit. Avec en bas de l'image, l'arc de cercle de cette sculpture ivoirine, issue des âges farouches, de deux lions attaquant et bondissant sur une antilope saisie en pleine course. Cruauté vitale ! Elan carnivore ! Amok, le titre de l'album resplendit de sa froidure chryséléphantine sous l'arc assassin de cette chasse impitoyable. Amok, folie furieuse malaisienne que l'on pourrait rapprocher des fureurs sacrées des berserkers nordiques. Le kr'tnt-reader se précipitera sur la nouvelle du même nom de Stefan Zweig dont la fin n'est pas sans corrélation avec celle de L'Eve Future de Villiers de l'Isle-Adam.

    Sentenced est un groupe de Death Metal finlandais, qui se forma en1989 et mit fin à ses activités après la sortie de The Funeral Album leur huitième et terminal opus. Le groupe connut ses heures de gloire et préféra se séparer pour ne pas se répéter. Honnêteté artistique à révérer. Amok est le troisième album du groupe qui leur apporta une large notoriété. Il marque une rupture dans l'évolution du groupe, à la violence de leur death metal originel ils substituent une touche plus sombre, lyrique, romantique, quasi gothique...

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    The war ain't over ! : déflagrations guerrières. Tirs tous azimuts. La guerre n'est pas terminée, même si dans l'horreur sonore vous percevez une mélodie qui s'impose comme le contrepoint lyrique d'un chant bestial, le croassement hideux des corbeaux maléfiques sur les champs de ruines et les guitares te transpercent, elles portent en toi la désolation, il n'est pas question de te laisser un seul espoir, sois convaincu que tout est perdu, arpèges célestes qui se confondent avec des tirs nourris de mitraillettes. Phenix : à lire le texte l'on s'attendrait à une renaissance. Vos espoirs seront déçus. Dès les premières secondes le titre flambe et le vocal se dépêche d'avaler le mot du bonheur. Burned live in the flames of love. Il est des feux qui réchauffent et d'autres qui brûlent. C'est ce genre-là que vous allez traverser. L'amour ne dure qu'un vers, une piqûre de serpent qui cuira votre chair et votre esprit toute votre vie. Désormais la haine et la guerre vous habitent. Aucune illusion. Le phénix est juste l'inextinguible flamme de la destruction. Musique violente, cruellement composée un peu comme des leitmotive wagnériens qui s'embrasent et s'embrassent pour vous donner le baiser de la mort. New age of messiah : super production à la Cecil B DeMille, délaissez les dix commandements, écoutez les paroles du messie qui annonce le jour nouveau. Oyez son gargarisme prophétique, Dieu est mort et les guitares s'enflamment comme des violons, lui il est l'esprit de la terre, il n'apporte rien de bon, l'ivraie sera plus haute et l'ivresse plus courte, il ne promet rien, vous le suivrez et il vous emmènera sur les terres désolées du doom, et puis il s'en ira, et vous vous retrouverez seuls, sans espoir, sinon de réécouter sans fin ce chant de catastrophe bâtie à la manière d'un oratorio funèbre pour les jours sans espoir. Terrible promesse qui vous enroule et vous emprisonne dans un rouleau de fil de fer barbelé. Vous lècherez votre sang avec délice. Forever lost : au cas où n'auriez pas compris le message précédent, Sentenced vous ressert la même soupe aux cailloux aux piqûres d'orties empoisonnées. Mais avec un peu plus d'emphase. Un peu à la Jim Morrison pour l'esprit des paroles, et la musique qui cavale comme si elle devait atteindre le bout de la terre avant que la nuit couperet de guillotine définitive ne tombe. Même si connaître votre destin plus tôt ne le rendra pas davantage clément, laissez-vous emporter par cette cavalcade, car il vaudrait mieux ne pas prêter attention aux paroles. Vous avez vu que l'amour était un viatique qui ne durait qu'un bref laps de temps, désormais méfiez-vous des paroles amicales de celui qui chuchote des hurlements à vos oreilles. Rien ne vous sauvera. Mais ces chants de désespérance sont envoûtants, et cet opéra de transes maléfiques est magnifique. Funeral spring : cloches de cimetières dans le lointain, les guitares rampent, elles ressemblent aux vermines qui perforent les cadavres. Aucune saison ne vous sauvera. La neige de la mort tombera sur vous, un blanc linceul pour vous ensevelir. La voix menaçante est celle d'un curé qui promet le pire aux ouailles agenouillées, déjà rongées par l'extrême froidure de la mort. Il se délecte d'un certain plaisir vicieux à prophétiser votre disparition. Si vous étiez parmi les morts, vous préfèreriez être des premiers à vous saisir d'une pioche pour creuser votre propre tombe. Nepenthe : ah! Le carnivore népenthès si cher à Baudelaire, l'oubli de toutes les choses humaines, il vaut mieux mettre une croix dessus, tes instants de bonheur furent éphémères, ta vie fut un fleuve de haine, les belles flammes vives de l'instinct de survie que chantent les guitares sont écrasées par la grandiloquence battériale et par cette mélopée qui ricane en fin de morceau. Dance on the graves ( lil' siztah' ) : danse des morts, un blues haché au mixer de la disparition, la vie s'est enfuie, elle a retiré le linceul sordide de mes illusions. Et elle danse sur ma tombe, elle qui m'a abandonné, qui m'a laissé tomber, petite sœur de la chienne pourvoyeuse des enfers. Moon magick : obéis, du fond de ta tombe une voix sépulcrale t'enjoint de regarder, la guitare riffe et la batterie rafle tes espoirs, l'œil cyclopéen de la lune brille pâlement dans la nuit sombre, il vaudrait mieux qu'elle ne soit pas là, elle ne fait qu'accentuer le vide du néant, et souligner l'inanité incestueuse de ton existence avec le malheur. The golden stream of Lapland : musique noire qui s'amplifie et souffle à la manière du blizzard sur les paysages désolés du grand nord. Monde froid et blanc, un peu ce que dans le l'unique roman d'Edgar Poe, Arthur Gordon Pym a entrevu avant de cesser sa relation, sur sa page désormais blanche...

    Des années que j'avais ce CD en attente, je regrette vivement de ne pas l'avoir auditionné plus tôt.

    Damie Chad.

    CRUSHED UNDER...

    TORTURRE WHEEL

    ( Firedoom 005 / 2005 )

     

    Viennent aussi de Finlande. Plutôt vient de Finlande. E. M. Hearst s'est chargé tout seul, des guitares, de la basse, du vocal, des divers synthés, et de l'enregistrement, avec le soutient d'une équipe qui gravite autour du label Nulll Records.

    Une aventure en solitaire. Elle a été souvent qualifiée de funeral doom, mais elle mériterait aussi bien la mention de prog-doom...

    Pochette fluide, que représente-t-elle au juste, une orbite creuse, une roue sans moyeu ou l'œil de l'ouragan ? A moins que ce ne soit le bleu du ciel au fond des sept cercles de l'enfer... Soulevez la rondelle du cd, étrange sensation d'anamorphose le temps que se révèle le portrait de M. E. Hearst. Juha Vuorma responsable de l'artwork, semble travailler sur l'indistinction des formes figées en une immobilité changeante...

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    Broken by the wheel : balle doom-doom, rien à voir avec les dum-dum, imaginez plutôt un groupe de doom qui se prendrait pour Pink Floyd, une véritable suite instrumentale qui m'évoque un peu une instrumentation à la Prokofiev, couleurs et ambiances, le morceau frôle les 10 minutes, il suffit de se laisser porter par son imagination, une longue introduction lente et grave comme il se doit, avec cette particularité d'une espèce de bruit de fond qui ressemble à l'inquiétant brouhaha que les grandes oreilles qui fouillent les espaces sidéraux détectent... La roue du supplice tourne lentement, même ligoté dessus vous aimeriez qu'elle accélère un peu, ce n'est pas que vous êtes pressé, c'est qu'à souffrir autant ne pas s'ennuyer en même temps. Ce qui est sûr c'est que soit vous allez adorer, sois vous détesterez. Pas de juste milieu. Je n'ose pas dire que tout dépend de ce que vous avez dans votre cerveau pour vous occuper, mais presque. Surtout quand tout s'arrête et que ne reste plus que l'appel angoissé du criquet abandonné par sa petite amie dans la nuit profonde. / Pas de panique, le morceau reprend mais en plus étouffé, obscured by clouds si vous voulez une métaphore haïssable. Si vous n'aimez pas, foncez vers le frigo chercher une bière, vous revenez, non rien de nouveau. Un tantinet longuet ? Je n'ose répondre non. Oui il a une idée, mais il n'en a qu'une. C'est mieux qu'aucune. Mais une seconde ne ferait pas de mal. Vous voyez parfois dire du mal, ça aide un peu, nous sommes dans un passage variationnel, des ombres nagent sous la mer, une espèce de pianos en notes détachées accélère le phénomène, ce coup-ci c'est parti, on ne sait pas où mais le bateau a quitté le quai et remonte le chenal, la sirène du remorqueur mugit au loin dans la brume et tout s'estompe. Pas de vague, calme plat. Mea culpa, je suis vexé, je suis au-dessous de tout, un être déplorable, un chroniqueur à la noix de coco, vous avez le droit de me secouer comme un palmier sur une pochette du Gun Cub, en fait depuis le slash que j'ai marqué en rouge plus haut l'on était passé dans le deuxième titre, Shadow sect : je promets de faire gaffe pour le prochain arrêt, pas la peine de vous moquer, j'aimerais vous y voir à ma place. Entre nous soit dit les rituels de la secte shadowienne n'ont pas la faculté d'attirer le diable dans la cérémonie. Le méchant cornu n'est pas apparu une seule seconde. Mary : oui c'est le 3, j'ai fait attention, je n'aime pas rester impassible lorsque une demoiselle se profile. Elle a mis un peu de temps pour se pointer, mais c'est elle. N'ayez crainte elle reste-là pour douze minutes. E. M. Hearst doit être intéressé par la petite Mary, certes la musique garde toujours son allure processionnaire de cimetière, mais au moins il fait un peu de bruit pour attirer son attention, l'a mis une cravate rouge et un pantalon vert olive pour la croiser, et ce bruit indistinct serait-ce son souffle trafiqué et ralenti au vocoder, le gars marne aux grandes orgues pour attirer son attention, vous l'entendez marcher dans l'église mais impossible de comprendre ce qu'elle dit, voix rendue inaudible par l'écho des voûtes sombres. C'est bête mais la petite Mary ne semble pas avoir tilté, ces coups de batterie tromboneuse sont-ils les soubresauts de la déception éprouvée par notre jeune héros. Va-t-il de rage enfiler un short noir olive du désespoir ? Dans le lointain l'on entend un chœur de jeunes moines... Crushed under... : quatrième mouvement, n'est plus distrait par la radieuse apparition de la donzelle, ou alors son mépris souverain a piqué son orgueil, la musique est plus forte, il crie, cela ressemble à une grenouille qui hurle sa détresse parce que le crapaud n'a pas voulu l'embrasser et qu'elle n'est pas devenue une princesse – imaginez la pauvre rainette qui coasse au bord de l'étang perdu, sommes-nous au plus près de l'essence du doom ou au plus loin, je vous laisse choisir, une batterie victoriale, est-ce Le chef d'œuvre inconnu de Balzac qui s'offre à nous sous sa forme doomesque, ou alors arpentons-nous les sentiers du grotesque musical, notes de musiques qui pleuvent sur notre ouïe suppliciée de langueur, l'on n'y croirait pas, mais le disque exerce une étrange fascination auditive, vous êtes un cosmonaute à qui l'on apprend à perdre son centre de gravité. Est-ce grave, faut-il s'en moquer, vous perdez vos points de repères musicaux, un peu le coup de la même note de John enfermée dans sa propre Cage qui ne varie pas, mais à l'envers, ici ce sont les entrelacements de la thématique qui reviennent sans cesse, qui se déclinent sous plusieurs manières, pratiquement identiques, mais toutes différentes, qui vous transforment en point d'écoute central immobile. Musique expérimentale qui risque de vous mettre en péril mental.

    A écouter au moins une fois dans sa vie pour savoir si vous allez mourir idiot ou pas. Je me garde de faire un quelconque pronostic à votre encontre.

    Damie Chad.

     

    ROBERT JOHNSON

    UNE LEGENDE RACONTEE PAR LE DIABLE

    CHRISTIAN RAVASCO

    ( Camion Noir / Octobre 2011 )

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    Exhumé de mes cartons. Ne savais plus que je l'avais acheté. Le fantôme de Robert Johnson ne finira jamais de hanter les imaginaires. Y a tout de même un sacré problème avec Robert Johnson, l'on ne sait pas grand-chose de lui. L'est mort jeune, et n'a guère laissé de traces... Un véritable jeu de pistes. Une véritable foire d'empoigne planétaire lorsque par deux fois l'on a soit-disant retrouvé une troisième photo de ce courant d'air. Heureusement qu'il a enregistré une poignée de titres qui prouvent son existence... Mais de là à écrire une biographie de deux cents cinquante pages... C'est pourtant à cette gageure que s'est attelé Christian Ravasco.

    Pas tout à fait un inconnu Christian Ravasco, il a enregistré deux albums, en 1979 et 1983, le peu que j'en ai entendu ne sonne pas blues du tout, l'a surtout composé pour les autres, Marie Laforêt, Françoise Hardy, Nicole Croisille, Pierre Grocolas, Dick Rivers et quelques pointures moins affriolantes à mon triste goût de rocker... a tourné dans quelques court-métrages, écrit quelques livres, nous retiendrons son Bob Dylan 13 à table, paru chez Camion Blanc,que nous n'avons pas feuilleté mais dont le résumé est attirant, qui semble bâti à la manière kaléidoscopique de I'm not There, le film de Todd Haynes sur les six vies du chat Zimmerman, sorti en 2007, j'avoue qu'après avoir lu ce Robert Johnson, une perverse curiosité me poussera à m'asseoir en quatorzième convive non invité à cette table ouverte. Ce Ravasco a tout le profil sympathique du gars qui a mené sa barque avec dextérité là où il lui a plu de la laisser dériver.

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    Christian Ravasco aurait dû être paléontologue. Serait actuellement au Collège de France en train de donner des cours devant un auditoire choisi. Je n'ai rien contre cette noble profession, mais elle m'a toujours sidéré, sont d'étranges personnes qui promènent paisiblement leur chien au milieu de la nature, au bout de trois heures d'une marche sereine, elles daignent se baisser afin de se saisir d'un vulgaire caillou sur lequel leur cabot vient de lever la patte, elles l'enveloppent soigneusement dans un mouchoir tout en poussant une exclamation à vous faire croire qu'elles viennent de mettre la main sur une relique du Saint-Sépulcre ou le sexe d'Osiris démembré et qui rentrent chez elles en courant. Quinze jours plus tard vous apprenez au journal télévisé que grâce à un fragment d'os retrouvé dans la forêt de Fontainebleau l'on a réussi à reconstituer la silhouette d'un dinosaure disparu depuis soixante millions d'années, et la photo du dessin du monstre s'affiche sur l'écran, la bestiole vous regarde si méchamment que vous en frissonnez de peur.

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    Ce qui précède correspond au discours de la méthode ravascocienne employée par notre écrivain. Vous vous méfiez. Votre petit cerveau de mouche charbonneuse n'y croit pas. Jamais de vous-même, vous jurez-vous, vous n'explorerez ce bouquin, Ravasco s'en doute, l'a déposé spécialement pour les esprits récalcitrants en caleçon citron un ruban gluant sur la couverture, en rouge pour vous attirer '' Une légende racontée par le Diable '', vous ne résistez plus, vous vous en emparez, trop tard, il ne vous lâchera plus. Et là vous êtes émerveillé. L'on vous a dit que l'on ne connaissait rien de Robert Johnson, et là Ravasco le Ravachol de la biographie garantie bio vous raconte tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le Robert de vos rêves, et ce qu'il y a de terrible c'est que vous ne pouvez qu'acquiescer, tellement la moindre de ses lignes sonne plus vraie que vrai.

    C'est que Christian Ravasco il a tout compris. A part quelques maigres détails comme tout le monde il ignore tout de Robert Johnson. Mais notre bluesman n'est pas un individu isolé. L'est comme vous et moi. A vécu à une époque donnée, en un lieu précis. Leroy Jones dirait qu'il n'est qu'un parmi des millions d'anonymes qui ont constitué Le peuple du blues. Certes un musicien génial. Mais qui a barboté ( sans aucune once de confinement ) dans la mare aux canards de milliers de messieurs-mesdames-tout-le-monde. L'a partagé leurs vies médiocres, leurs chagrins, leurs joies, leurs colères, leurs vicissitudes, il s'en est quelque peu extrait par une des facettes de sa personnalité, mais les mille autres alvéoles de son idiosyncrasie sont composés à la ressemblance de ceux de tous les autres. Tous uniques, tous interchangeables. Votre chat est certainement le plus beau chat du monde, mais il ressemble à tous les autres chats du monde. L'en est de même pour nous. Certes les époques et les civilisations ne sont pas les mêmes, mais il suffit de s'être documenté : les livres, les photographies, les témoignages, les films sur les conditions des noirs au début du siècle dernier aux USA sont multiples. C'est à partir de ce matériau que Christian Ravasco a construit son livre. Toutefois il ne suffit pas de bâtir les décors - pour prendre un exemple à ras le bitume, à l'époque de Johnson toutes les routes ne sont pas goudronnées - il faut encore posséder une connaissance intuitive de la psychologie humaine, garder en mémoire que les mêmes causes produisent les mêmes effets, que les mêmes maux provoquent de similaires blessures, que semblables manques engendrent les mêmes comportements, que des mêmes souffrances naissent les mêmes types de dérélictions. Ensuite c'est comme quand vous préparez un gâteau, faut du doigté pour introduire à bon escient dans la pâte les différents ingrédients.

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    Vous pourrez toujours chicaner, genre je la ramène car d'après votre opinion c'est deux mois plus tard que Robert rencontre Son House, désolé mais tout le monde s'en fout, ce qui compte c'est la présence de Son House, la manière de le présenter, de coller à sa personnalité, de rendre sa légende vraisemblable, et pour ces sortes de plans Ravasco est sacrément doué. Le lecteur qui lira ce livre en ignorant jusqu'au nom de Son House aura l'impression de le rencontrer en chair et en os au coin de sa rue, car le Ravasco il n'écrit pas seulement la vie de Robert Johnson mais il déploie la toile mouvante l'histoire du blues du Delta, dans le désordre hasardeux des rencontres fatidiques, mais cette habileté n'est pas la plus importante. Ravasco entre dans la tête de Robert, depuis son plus jeune âge, il ne le manœuvre pas, il ne lui dicte pas sa conduite, il le laisse agir à sa guise mais avec cette connaissance - cette déférence, cette justesse - de l'âme humaine en action, essayant de se diriger dans un monde hostile en naviguant sur le vide de ses propres ignorances. De ses propres manquements.

    Quant au diable rouge de la couverture. Joue un peu le rôle de l'idée de Dieu dans l'existence des croyants. Coupable désigné. Se manifeste uniquement quand la vie est cruelle. L'est mis là pour le lecteur distrait, un peu comme quand vous soulignez un mot dans une lettre pour bien vous faire comprendre de votre correspondant. D'ailleurs Ravasco, vous traite l'entrevue avec sa Seigneurie des Ténèbres comme il se doit. Une parole en l'air. A mieux regarder, il fait plus noir dedans que dehors. Le plus important c'est le phénomène de maturation qui se produit chez Johnson, comment à un moment donné toutes les expériences fragmentaires et fractales qu'il a traversées se rassemblent et lui permettent de prendre conscience de qui il est. Ou plus exactement de ce qu'il est. Car il arrive un moment où ce qui importe ce n'est pas l'être un et indivisible que l'on est qui prime, mais la chose que l'on devient pour les autres.

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    Dernier coup de maître ravascageur, une chronologie annuelle de la vie de notre héros. Une ligne – quand il y a lieu – pour désigner un épisode connu de sa bio. Et sept ou huit autres sur les grands évènements historiaux qui se sont déroulés sur la surface de notre planète. Christian Ravasco nous avertit, l'on est bien peu de chose, même si l'on s'appelle Robert Johnson !

    De tous les portraits que j'ai lus de Robert Johnson, c'est le plus beau. Celui qui semble coller le plus à l'incertitude du réel.

    Damie Chad.