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prince albert

  • CHRONIQUES DE POURPRE 432 : KR'TNT ! 432 : GODZ / MYSTIC BRAVES / PATIENT Z / PRINCE ALBERT / POSPISH POTOM / AMN&' ZIK / VELLOCET

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 432

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    03 / 10 / 2019

     

    GODZ / MYSTIC BRAVES / PATIENT Z /

    PRINCE ALBERT / POSPISH POTOM

    AMN&' ZIK  / VELLOCET

     

    Oh my Godz !

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    S’il existe sur cette terre un groupe digne d’incarner l’anti-system, c’est bien les Godz. Oh my Godz ! Ces quatre New-Yorkais s’amusèrent en leur temps à enregistrer l’un des disques les plus insupportables de l’histoire du rock. Cet album ne pouvait paraître que sur ESP, le label new-yorkais un peu anar de Bernard Stollman. Sur ESP, on trouvait aussi les Fugs, Sun Ra et des albums de free dont personne ne voulait parce qu’ils faisaient mal aux oreilles.

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    Johnnie Johnstone nous rappelle qu’en 1965, la scène new-yorkaise était encore très classique. C’était juste un peu avant le Velvet. New York était alors la ville du folk et des jazz clubs. La rock music scene concernait très peu de gens. L’histoire des Godz commence chez un disquaire de la 49e rue : Sam Goody Record Store. C’est là que Larry Kessler rencontre Jim McCarthy et Paul Thornton. Ils ont en commun un strong love of rock’n’roll and marijuana et un dégoût profond de la politique que mène le gouvernement américain à l’étranger. Pour lutter contre l’impérialisme américain, ils décident de faire de la musique d’une façon très originale : en jouant par exemple sur des instruments dont ils ne savent pas jouer. Le guitariste Paul Thornton joue de la batterie, ils mettent le chanteur Jim McCarthy à la guitare, et le violoniste Larry Kessler joue de la basse. Leur concept : adventure throught unfamiliarity, c’est-à-dire au petit bonheur la chance. Et ils se mettent à faire du bruit like a bunch of maniacs, out of frustration. Qualifions leur démarche de parti-pris provocateur, si vous voulez bien. Une sorte de dadaïsme inconscient.

    Ils admirent énormément les Fugs mais la grande différence c’est que les Fugs font jouer un groupe derrière eux, car ils sont poètes, pas musiciens. Les Godz ne sont ni poètes, ni musiciens. Les Fugs rêvent de devenir des rock stars. Les Godz font tout ce qui est en leur pouvoir pour ne jamais le devenir. Plutôt crever ! Les Fugs décrochent un contrat chez Warner Bros. Par contre, personne ne veut des Godz qui ne sont ni polis ni intellectuels. Avant de passer chez Warner, les Fugs avaient fait paraître leurs deux premiers albums sur ESP, et curieusement, Larry Kessler travaille chez ESP. Il négocie un deal pour les Godz avec Bernard Stollman. Okay Larry. Stollman leur accorde trois heures pour enregistrer un single. Les Godz en profitent pour enregistrer leur premier album - It was just a freak-out in the studio - Tout sur cet album est du 100% first take.

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    Ce premier freak-out des Godz s’appelle Contact High With The Godz. Comme chacun sait, tous les amateurs de rock purgent régulièrement leur discothèque. On vire les trucs qu’on n’écoute plus et ceux qu’on finit par détester. Curieusement, ma vieille copie de Contact High With The Godz a survécu aux purges. Pourquoi ? Sans doute parce qu’elle n’avait pas la moindre chance de survie dans une discothèque triée sur le volet. L’album continuait d’émettre une sorte d’infime éclat de légendarité underground. Il suffit d’écouter «Turn On» pour essayer de s’en convaincre : qualifions ça de folk-rock débilitant joué au basson. Pour des gens qui ne veulent pas savoir jouer, force est d’admettre qu’ils savent quand même jouer. Sur «White Cat Heat», ils miaulent. Ils inventent la psychedelia animale. En B, ils s’engagent dans le même genre de délire que les Holy Modal Rounders, avec du folk-rock psychédélique férocement anti-commercial. Pourquoi écoute-t-on «1+1=?» ? Parce que c’est aussi insolent que pouvaient l’être Les Chants de Maldoror. C’est l’unique raison. Ils s’enferrent dans le folk provocateur avec «Lay In The Sun». Les Godz veillent à rester sans foi ni loi, on entend des coups d’harmo ici et là, c’est très sauvage, au sens de l’étalon indomptable d’Hopalong Cassidy. Contact High With The Godz ne pouvait sortir que sur un seul label au monde : ESP. Ils terminent avec une reprise du «May You Be Alone» d’Hank Williams. Les spécialistes taxent ça d’insanely unmelodic drones. C’est vrai qu’en matière d’insanité, on est servi.

    Ce premier album paraît six mois avant le premier Velvet. Les deux groupes ne se fréquentent pas - They were more commercial than we were - Les Godz n’aiment pas non plus les gens qui essayent de sonner comme les Beatles ou les Stones. En gros, Larry Kessler considère les Godz comme des hipsters du Lower East Side. Lester Bangs finira par chanter leurs louanges dans l’insupportable Carburator Dung.

    Quand ils sont en studio, ils sont toujours high and drunk. Seuls avec l’ingé son. No visitors. Et l’ingé son finit toujours par jouer avec eux. Sur scène ils mettent une demi-heure à s’accorder et quand ils attaquent avec «White Cat Heat», la salle commence à se vider. En général, on les vire du club. Un petit jeu provocateur auquel se prêteront un peu plus tard Alan Vega et Martin Rev.

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    Larry et ses amis parviennent à enregistrer un deuxième album, Godz 2, en 1967. Comme ils ont commencé à travailler leurs instruments, l’album sonne un peu mieux que le précédent. C’est là que se trouve «Radar Eyes», considéré à juste titre comme un classique proto-punk. C’est même digne des 13th Floor, ils y vont à coups de cry cry cry sur le heavy beat le plus subterranean de l’underground. Ils s’arrangent même pour en altérer le son, vers la fin. Si globalement le son de l’album change, c’est parce que les drogues changent. Ils carburent alors au LSD. Ils reviennent à leur chère désaille folky-folkah avec «When» et au néant absolu avec «New Song». Voilà encore un album fort peu recommandable. Seuls les fous littéraires sauront l’apprécier. Il faut avoir le cœur bien accroché pour écouter un truc comme «Squeek». Ils sauvent leur fin d’A avec «Soon The Moon», petit shoot de garage psyché. En B, ils tapent éventuellement dans les Beatles avec «You Won’t See Me» et sonnent comme les Electric Prunes avec «Permanent Green». Ils sont parfaitement capables de jouer des cuts normaux et intéressants.

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    Ils se calment un peu avec le troisième album, The Third Testament, paru en 1968. Larry Kessler le considère comme le crowning achievement. Ils font un peu de musique conventionnelle avec un «Like A Sparrow» qui sonne comme un country-rock lumineux. Ils lui donnent la patine du grain de folie déterminant. C’est tout le secret de la puissance de l’underground, surtout quand un groupe devient culte : la liberté de ton, voilà le secret de son apanage. Jim McCarthy chante «Ruby Red» et c’est gratté à l’acou new-yorkais. Il chante aussi «Down By The River» à la small transe hypno. Il reste dans la petite pop insouciante pour «Neet Street», et flirte avec le son des Lovin’ Spoonful. Voilà un cut qui sent bon le printemps.

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    Ils évoluent encore avec Godzundheit, paru en 1973. On y trouve des mélodies et ils semblent même jouer ensemble. So what went wrong ? Larry Kessler explique qu’à cette époque ils avaient tous les trois des groupes différents et qu’ils étaient venus en studio enregistrer leurs chansons respectives avec leurs groupes respectifs. Mais ça ne sonnait pas comme les Godz. C’est pourtant leur album le plus consistant. Leur version de «Jumping Jack Flash» en bouche un coin. Ils chantent tous les trois le gas gas gas et Jim McCarthy drive la bête. Il shoote une sacrée dose de niaque new-yorkaise dans la Stonesy. On trouve pas mal de choses intéressantes en A, à commencer par «Take The Time» que chante et gratte Larry Kessler. Belle pop new-yorkaise ambitieuse et jouée à la bravado, aménagée d’espaces verts propices aux solos de Charles Cazalet. Oh my Godz, Kessler sait chanter ! S’ensuit un «Dirty Windows» bien senti. On retrouve les trois Godz des origines dans cette petite samba pop inopinée. Bob Ringo Gallagher y joue un bien beau lead. C’est au tour de Paul Thornton de chanter «Give A Damn». Ils changent d’équipe à chaque cut, c’est très étudié. On a là une sorte de balladif élégiaque à la dylanesque très bien ficelé. Ils bouclent l’A avec «Women Of The World». Paul Thorton chante et joue un petit lead sur ce beau groove entraînant pulsé aux clap-hands. L’album est extrêmement dense et plutôt agréable. Les Godz virent leur cuti en cultivant un goût prononcé pour la pop de bonne facture. Incroyable mais vrai ! Le monde à l’envers !

    Ils se perdront de vue pendant vingt ans. Mais en 2005, une nouvelle tombe sur les téléscripteurs : les Godz se reforment ! Oh my Godz ! Jim McCarthy est moins présent, mais Larry Kessler et Paul Thornton piaffent de plus belle. Ils donnent pas mal de concerts, dans des facs et des frat houses, mais là où ça marche le mieux, c’est dans le Bowery, à New York. Ils ont enregistré un single en 2016, «America», et apparemment, un nouvel album est en route. Larry Kessler a 76 ans et il affirme en tapant du poing sur la table qu’il n’a pas l’intention de se calmer, Godzdamnit !

    Signé : Cazengler, Godzmichet

    Godz. Contact High With The Godz. ESP Disk 1966

    Godz. Godz 2. ESP Disk 1967

    Godz. The Third Testament. ESP Disk 1968

    Godz. Godzundheit. ESP Disk 1973

    Johnnie Johnstone : Permanent Green Light. Shindig #87 - January 2019

     

    Braves Mystic Braves

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    Rien qu’à les voir déambuler dans le grand hall, on sait qu’ils sont musiciens, et même américains. Avec leurs dégaines des hipsters californiens à la cloche de bois, les Mystic Braves tranchent non seulement avec la faune environnante, mais aussi avec l’image qu’on se fait ordinairement d’un groupe de rock américain. Pas de danger qu’on les confonde avec les Guns N’ Roses. Dans la réalité, ils paraissent moins flamboyants que sur les pochettes de leurs albums. Ce n’est pas qu’ils soient à deux doigts de faire la manche, mais on voit bien que leurs godasses sont trouées. Le chanteur d’appelle Julian Ducatenzeiler, un nom très facile à retenir. Pas très haut, il arbore un visage triangulaire aux traits d’une extrême finesse, porte le cheveu mi-long, une petite moustache assortie et des fringues qui frisent la fripe : une veste de treillis ouverte sur un marcel blanc très décolleté, un pantalon délicieusement indéfinissable et des baskets bâillantes aux semelles de vent, comme dirait son cousin éloigné Arthur Rimbaud. Le parallèle n’est pas innocent. Julian et Arthur trimbalent dans l’air du temps le même genre d’insoutenable légèreté de l’être. D’apparence plus frappante encore, voici Tony Malacara (basse), l’un des deux chicanos du groupe, gaillard charnu, portant sur l’environnement un regard interrogatif et romantique à la fois, le visage cadré serré par d’épaisses mèches de cheveux noirs, portant lui aussi une sorte de veste de bleu de travail et un pantalon qu’il remonte régulièrement des deux mains, histoire d’accuser un fabuleux feu de plancher. Pour compléter cet anti-déguisement, il porte des Beatles boots noires à élastiques et des bagues quasiment à tous les doigts. On découvrira par la suite que Tony Malacara compose environ la moitié des cuts du groupe, Julian Ducatenzeiler se chargeant de l’autre moitié. On y reviendra plus tard. L’autre chicano du groupe s’appelle Shane Stotsenberg (guitare). Il offre l’agréable spectacle d’un visage extrêmement bien dessiné, il porte le cheveu mi long et une petite moustache. Il se fringue lui aussi comme l’as de pique : chemisette blanche, pantalon noir, gros trousseau de clés extérieur et boots aux pieds, mais pas n’importe quelles boots, baby ! Il porte les snakeskin boots de Keith Richards, oui, celles qu’on voit dans la séquence filmée à Muscle Shoals lors de l’enregistrement de «Wild Horses», avec Jim Dickinson dans les parages. Et puis voilà le batteur, Cameron Gartung, un blond moustachu au crâne anormalement rétréci, comme s’il avait réussi à échapper à une tribu de Jivaros. Mais attention, sur scène, il groove du buste et des bras, comme s’il voulait onduler.

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    Voici enfin le moment de vérité. Rien n’est plus parlant que de voir un groupe se préparer. Pouf, il débarquent sur scène, se branchent et s’accordent, allez on va dire cinq minutes. Comme c’est reposant ! Ils nous épargnent le triste spectacle du guitar-tech qui accorde et réaccorde les mêmes guitares pendant une demi-heure avec des mines confites de scientifique affairé. Comme si le quart de ton allait influer sur le destin du genre humain ! Bon d’accord, on peut comprendre que certains musiciens soient obsédés par l’accord parfait, mais les gens s’en foutent, surtout ceux qui se mettent des bouchons dans les trous de nez. Quand en guise de check-up Shane Stotsenberg claque un accord chargé de réverb de rêve sur sa demi-caisse, on commence à saliver, car c’est LE son, ce vieux son du psyché californien qu’on croyait à jamais disparu. Le fameux accord du désert. Les Mystic Braves n’ont ni jeu de scène ni disposition particulière.

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    Le trio Ducatenzeiler/Malacara/Stotsenberg se met dans un coin, le batteur derrière et un mec s’installe à l’orgue de l’autre côté. On apprendra par la suite que l’organiste du groupe s’est blessé à la main et qu’il a dû se faire remplacer. Ces mecs sont à la ville comme à la scène, complètement immunisés contre le fléau des temps modernes, le m’as-tu-vu. Par contre, ils plongent dès les premières mesures dans leur univers, alors libre à chacun de les suivre ou pas. Soudain, la corrélation se fait : Mystic Braves, bon dieu mais c’est bien sûr !

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    Ils glissent et nous avec dans une mystique du son, un univers musical extrêmement raffiné, presque abstrait par l’éclat de sa clarté, en droite ligne de ce que Gram Parsons appelait la cosmic Americana, une sorte de quête du Graal américain. Comme chacun sait, le Graal n’est pas fait pour être découvert, mais pour être simplement recherché. Tout chez eux n’est que luxe, calme et volupté, mais au sens psychédélique de la formule.

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    Julian Ducatenzeiler chante sans jamais forcer sa voix, en surface d’un son léger et beau comme un air de printemps californien. Il joue ici et là des petits solos crispés sur sa Jaguar et Tony Malacara passe la moitié de son temps à poser sur lui un regard bienveillant. Le trio semble extrêmement concentré, extrêmement soudé et extrêmement content de jouer. Ils sont admirables de présence, reliés au sol par leurs trois gros cordons blancs tombant directement des prises de jack. Ils jouent la plus soft des psychedelia californiennes, et ça prend vite des proportions voyagistes. Bien sûr on pense aux Byrds, et dans les moments un peu plus exaltés, aux Seeds, mais sans fièvre. Uniquement de la classe.

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    Les Mystic Braves se montrent bien plus excitants que les Allah-las qui réussirent l’exploit de transformer un concert caennais en fiasco épouvantable. Les braves Mystic Braves sont beaucoup trop fins pour glisser sur une peau de banane. Ils sont comme qui dirait visités par la grâce. Leur son peut se faufiler dans n’importe quelle cervelle et y chatouiller des choses. Comme le font de leur côté les Schizophonics avec leur ramalama, les Mystic Braves réactualisent d’antiques mythologies. On croyait cette dimension de la psychedelia californienne disparue avec les Byrds et Arthur Lee, mais non, elle reste sacrément d’actualité, car ces braves mecs veillent au grain.

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    Leurs quatre albums n’en finissent plus d’amener de l’eau au moulin d’Alphonse Daudet : ils démultiplient à l’infini cet étonnant mélange d’aisance et de fraîcheur qui caractérise leur prestation scénique. Quatre albums en cinq ans, ça va.

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    Le premier paraît en 2013, sans titre. La pochette au motif rondement abstrait flirte vaguement avec l’esthétique du Dead. Souffrant d’un léger déficit productiviste, l’album poursuit néanmoins son petit bonhomme de chemin, comme s’il se moquait du qu’en-dira-t-on. Il prend l’apparence d’un «Mystic Rabbit» d’Americana douceâtre finement peaufinée d’argentina californienne. Cette subtile combinaison de légèreté, de charme discret, d’absence totale de prétention et d’assurance semble dessiner un avenir. Curieusement, on se sent bien dans leur son, à la ville comme à la scène. Ils savent aussi passer en mode lo-fi, comme le montre «Misery Loves Company». Ces mecs ont une vision extrêmement pure du son et ça leur donne un crédit considérable. Un parallèle avec Anton Newcombe s’impose. On retrouve chez ces braves Mystic Braves le soin du son, ni trop peu, ni trop trop, juste ce qu’il faut, dans la droite ligne d’une Americana bien balancée, bien dans sa peau. Le «Cloud 9» qui ouvre le bal de la B frappe par sa fraîcheur de ton et le côté aérien des guitares. Ce subtil dosage impressionne et captive. Il est certainement plus difficile à réussir qu’un ramalama de guitares fuzz. «Strange Lovers» n’est rien d’autre qu’un beau mid-tempo d’Americana qui navigue en père peinard sur la grand-mare des canards. Ils ne sortent jamais de leur son, ils s’y sentent bien. Tony Malacara se laisse parfois tenter par le Tex-Mex, comme le montre «Vicious Circle». Il renoue avec cette vieille tradition de la frontière qui remonte à Doug Sahm et qui mêlait si délicieusement psychedelia et Tex-Mex Sound. Petite cerise sur le gâteau : le cut renferme un beau moment de folie qui rappelle ceux des Seeds.

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    Pour la pochette de Desert Island paru l’année suivante, les braves Mystic Braves posent assis dans les rochers, comme des guerriers apaches. Tiens puisqu’on parlait des Seeds, on trouve en B un cut qui sonne comme une reprise des Seeds : «Born Without A Heart». Joli jus de juke, et comme ils le travaillent avec soin, ça passe comme une lettre à la poste. «Earthshake» évoque aussi les Seeds, avec un son filigrané de perles et de spliffs, de dents blanches et de fleurs - All the pictures are falling from the wall - Le hit de l’album s’appelle «Coyote Blood». Ils l’emmènent à bonne allure et Julian Ducatenzeiler maintient son chant en suspension - It’s gotta be that damn coyote blood in me - Retour au Tex-Mex avec un «I Want You Back» salué aux trompettes mariachi. Voilà une petite merveille de sobriété hardiment troussée, extrêmement véloce et fine en même temps. «Bright Blue Day Haze» s’apparente à la meilleure psychedelia longiligne, diluée dans l’air chaud et soigneusement distillée. Si on aime l’envoûtement, il faut écouter les Mystic Braves, comme on écoutait autrefois les Byrds. Mesdames et messieurs, nous atteignons l’altitude de «Eight Miles High».

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    Paru l’année suivante, Days Of Yesteryear pourrait bien être leur meilleur album. On les voit tous les cinq bien rangés sur la pochette, comme le sont les Stones sur la pochette de 12 X 5. À voir l’expression de Julian Ducatenzeiler, en haut à droite, on comprend mieux l’essence du mysticisme des braves Mystic Braves. Il semble en effet un brin far-out there, ce qui est très bien. Puisqu’on évoquait la parenté avec les Byrds, en voilà l’illustration parfaite : «Down On Me». Stupéfiant ! Bardé de belles cassures de rythme psychédéliques et un solo se jette littéralement dans le tourbillon groovytal. Ils reviennent aux Seeds avec «Now That You’re Gone» et se veulent très infectueux. Ce mec chante réellement à l’idéale, à la pure insinuation psychédélique. S’il fallait les résumer par un seul mot, ce serait finessepsychédélique. Et dès l’ouverture du bal d’A, ce démon softy de Julian Ducatenzeiler impressionne. Il ne chante pas, non, il tartine plaisamment, bien emmené par un beat sec et pressé. Ils n’en finissent pas de jouer la carte de la finessepsychédélique, débitant nonchalamment leur groove racé à peine teinté d’orgue. Théoriquement, ces mecs devraient devenir les héros des amateurs de psychedelia. On note au passage que Tony Malacara signe cette magistrale entrée en matière. Ils ramènent à la suite un brin de Misery dans «No Trash», et un petit solo nerveux s’inscrit dans la droite ligne du party. Cet album s’installe latéralement, le son s’étend comme le crépuscule sur le désert. Nouvelle merveille que cet «As You Wonder Why» articulé sur des chutes de chant tirées à quatre épingles. Leur «Spanish Rain» d’ouverture de bal de B sonne presque anglais. Les voilà aux frontières de la pop, mais sans la moindre prétention. S’ensuit un «Corazon» joliment enlevé, joué à la bonne mesure de guitares discrètes, avec une voix bien détachée dans le mix. Tant qu’on y est, on peut aussi saluer «Great Company», fantastique shoot de psyché californienne élastique et pleine de saveurs, jouée dans les règles de l’art. C’est un son qui pourrait presque se humer.

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    Ils finissent par choisir un visuel psychédélique pour orner la pochette de The Great Unknown paru l’an passé. Une sorte de corolle rouge transfigure un crépuscule médusé. Par contre, l’album ne transfigure rien de spécial, il reste dans l’esprit tranquille des jours tranquilles à Clicky. «Under Control» ? Oh doucement, les gars, on a le temps, pas la peine de speeder. Ils ne forcent jamais le destin d’une chanson. Elle doit couler de source, comme un ruisseau dans les alpages. Les cuts sont parfois trop doux et peuvent endormir l’imprudent, c’est d’ailleurs ce qui s’est produit pour certains pendant le concert. Mais comme on le constate à l’écoute de «Perfect Person», la beauté sibylline finit par l’emporter et par laisser sur les lèvres un léger goût d’enchantement. Mais encore une fois, on a les lèvres qu’on peut. Sur cet album, tout est soigneusement calibré, aucun excès, les solos se délitent comme des fils d’argent dans l’embrasement du crépuscule. Les braves Mystic Braves emmènent leur «Can’t Have Love» au who-oh-oh et donnent encore une fois une belle leçon d’extrême pureté psychédélique. Ils ne font que rafraîchir les vieilles racines du rock californien. On tombe en B sur un «What Went Wrong» monté en mid-tempo et joué à l’économie maximaliste. Pas une note de trop, ils jouent à l’éparse et le solo s’écoule doucement en note à note dans l’aveuglant éclat d’un azur immaculé. «Back To The Dark» rappelle vaguement le son qu’ont les Yardbirds dans «Happening Ten Years Ago» et le hit de l’album pourrait bien être le morceau titre. Julian Ducatenzeiler chante avec de lointains accents dylanesques - Got no destination and I don’t mind - Ce qui résume tout.

    Signé : Cazengler, Mystic trave

    Mystic Braves. Le 106. Rouen (76). 18 septembre 2019

    Mystic Braves. Mystic Braves. Lolipop Records 2013

    Mystic Braves. Desert Island. Lolipop Records 2014

    Mystic Braves. Days Of Yesteryear. Lolipop Records 2015

    Mystic Braves. The Great Unknown. Lolipop Records 2018

     

    COMEDIA / 27 – 09 – 2019

    PATIENT Z / PRINCE ALBERT

    POSPISH POTOM

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    Eloge de la folie. A écrit Erasme. A croire que notre érudit de la Renaissance a dû trouver un trou dans l'espace-temps pour venir visiter La Comedia, ce vendredi soir, avant d'écrire son bouquin. La soirée fut chaude. Very hot, muy caliente.

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    Mais peut-être lecteur ou lectrice émérite avant de commencer ta lecture voudras-tu être – au moins mentalement – semblable à ces élus qui sont allés communier à l'autel de la Comedia, afin de recevoir l'initiation ultime, après t'être longuement recueilli(e) devant l'icône, peinte par le maître Martin Peronard, de la Comedia, morte et enterrée selon les foudres administratives et les sectateurs de la moraline montreuilloise, mais miraculeusement ressuscitée depuis un an, telle un phénix éternel, et dont tu es, par le maître de cérémonie M' Coco, invité à boire les cendres mêlées à un mojito à base de vodka et de citron ce qui te donne droit de t'incliner devant le dévoilement de l'affiche du récidiviste Péronard qui présente la couverture du prochain vinyl ''Nasty Nest''dans lequel s'illustrent bruyamment quatorze des groupes qui cette année sont venus jouer dans l'antre comedique de la divine assagesse rock. C'est ainsi que pressé par l'émotion et par la foule tu peux te remettre de tes émotions en t'accoudant au bar ou en te présentant devant la scène.

    PATIENT Z

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    Ne jouent pas sous X. Clament hautement leur origine, viennent d'Orléans, pas de la Nouvelle, mais l'ancienne, la seule, l'unique, à laquelle font référence les livres d'écoliers. Tout laisse à penser que dans leurs jeunes années ils ne furent pas des plus sages, ces jeunes gens respirent l'indiscipline gauloise, n'y peuvent rien, c'est dans leurs gènes, Z'adorent le bruit, Z'aiment la musique festive et Z'adulent les saccades remuantes vous Z'ettent tout de suite dans l'ambiance avec ce bruit de Zirène qui retentit pour annoncer l'explosion de la centrale nucléaire la plus proche. Vous ne pourrez pas leur reprocher de ne pas vous avoir avertis. Bizarrement personne ne Z'e rue vers les Z'orties de Z'ecours.

    T'as qu'à, Xtrophe, regarder – je n'y peux rien Le Doyen se nomme ainsi - l'ont relégué dans un coin, difficile de l'apercevoir, par contre vous l'entendez, il a la frappe racinienne, vous savez ces serpents qui sifflent sur vos têtes, l'a un penchant monstrueux pour le chuintement délibératif des cymbales et le bruissement cachotier de la charleston, même que de temps en temps il lui refile en douce un coup de baguette afin qu'elle vibre davantage, c'est son job, vous affole les oreilles, z'avez l'impression d'avoir la tête de Méduse auréolée de serpents qui sifflent dans vos tympans, un sonore carnage à la Caravage, bien sûr il tape aussi sur les toms mais soyons-en sûr son taf c'est de vous remplir votre tube auditif d'un énorme et strident zézaiement de locomotive à vapeur.

    PR Ben est à la guitare. PR, pour problème nous supputons. Et Camion Benne pour la fin du patronyme. Se charge de décharger les riffs. Pas un esthète. L'aime bien que ça tombe de haut et que ça vous ensevelisse d'un seul coup. Histoire de se mettre en joie. Il recommence illico. Vingt fois de suite. Il en sautille de ravissement. Et par un mimétisme incompréhensible la salle l'imite. Il attend que le calme revienne, et hop dans les trente secondes qui suivent il vous recouvre du gravier. Mais les meilleures plaisanteries sont les plus lourdes doit penser Dr No-no qui de sa basse pétaradante vient à son aide et vous prescrit une ordonnance de pluie de gros rochers contondants sur votre squelette. Et le public un peu maso entrechoque ses os avec encore plus d'entrain. Sur ce, Le Patient, ce n'est pas juste son nom, faut rajouter Just1 après le début, s'en vient déposer deux grains de sel supplémentaires. Le premier n'est pas le plus ulcérant, une fois sur deux il dépose sa guitare, car le plus grave c'est sa voix.

    Ne peut pas terminer un morceau sans annoncer que le suivant sera encore pire. Un gars honnête, ses prophéties se réalisent avec une régularité exemplaire. Le mec tout sourire qui sait se faire obéir, vous fouette de ses cordes vocales et l'assistance entière et tout le monde se hâte de se tressauter comme Justine sous le fouet du Marquis de Sade. Des pois sauteurs, salement remueurs. L'a le chant joyeux et jovial. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne nous énonce pas nos quatre vérités. Font un subtil va-et-vient entre les reprises des classiques du rock alternatif français et les morceaux plus mordants qui proviennent du punk d'outre-manche. Z'ont aussi leurs originaux pour lesquels vous reporterez plus bas à la chronique de leur dernier EP 7 titres.

    Vous ont déclenché une pagaille monstre, manière de hisser la barre à très haut niveau. Vous accaparent tellement l'esprit que les neuf dixièmes de l'assistance ne s'aperçoivent pas de l'entrée en force de la vague d'immigration russe qui traverse la Comedia et qui après avoir déposé un monceau de bagages s'engouffre pour se restaurer dans la cuisine.

    PRINCE ALBERT

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    Sa Majesté Royale s'empare de la scène comme l'on accède au trône. En offrant au peuple et aux fans ce qu'ils désirent. On va vite savoir le programme politique de la nouvelle dynastie. Un seule précepte, un seul commandement : rock'n'roll ! Prennent la succession de Patient Z sans vergogne. Refilent à Olivier le poste de ministre de la batterie. L'on sent tout de suite la différence. Se moque des cymbales, un peu de charleston certes pour occuper la population, mais lui c'est un mec à poigne. Vous abat de ces dégelées, à bras raccourcis sur la caisse claire à vous faire perdre la tête. Evidemment ce n'est qu'un leurre, une tambourinade gratuite et percutante pour vous abasourdir, vous ne savez plus où vous êtes, et c'est alors que Lefty Olivier vous met KO direct d'un direct du gauche sur le premier tom qui passe à sa portée. Imparable, deux coups de grosse caisse pour ponctuer le scoop de Trafalgar qui vient de vous tomber dessus, et hop il recommence aussi sec. C'est ce que l'on doit doit appeler une punch line.

    L'on pourrait croire que Virgile hériterait du portefeuille de le poésie – deux mots qui ne vont pas très bien ensemble - mais non l' a été commis d'office à la guitare et il faut reconnaître que ce n'est pas un mauvais choix. Sourire aux lèvres et aux doigts le riff fil de fer barbelé qui vous laboure le corps et vous entraîne dans une espèce d'énervement destructeur qui ne tarde pas à se manifester devant la scène. Au lieu de se fracasser les uns contre les autres, comme ces œufs que vous cassez méthodiquement sur le rebord de la poêle pour obtenir une omelette juteuse, les participants aux grands entrechoquements collectifs adoptent la technique du bulldozer qui consiste à entrer vivement dans le tas gesticulatif et à le culbuter contre le mur, bref une immense cohue indisciplinée porteuse d'un grand désordre.

    Tout devant Cédrick est le plus exposé au délire trépidant du fagot entremêlé des pogoteurs. Doit assurer les trois fonctions dumézilienne du chanteur de rock, chanter et jouer de la guitare, et de temps en temps lorsque la vague pogotrice passe à la hauteur de son micro, le recevoir sur les dents sans préavis. Mais il reste stoïque et continue et continue à diffuser comme si de rien n'était les édits claironnants du Prince Albert sur l'état du monde : Start up Nation, Les Hyènes, Ferme ta Gueule, Mafia, selon lesquelles tout va mal sur la planètehormis dans la Comedia emplie d'une liesse généralisée.

    Les fans déchaînés envahissent quelque peu la scène à tel point que Cyprien se demande s'il lui restera assez de place pour sa basse, mais rassuré par les sourires ravis de Virgile, il continue son ronronnement de tigre épileptique qui n'est pas étranger au remue-ménage collectif. Pour la grande histoire, il ne reste plus qu'à noter que dans les anales, que ce soir-là le règne du Prince Albert régna longtemps pour le plus grand bonheur de ses sujets. Qui surent lui assurer une gigantesque ovation terminale.

    POSPISH POTOM

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    L'on était prêts à tout leur pardonner. L'avant-veille ils traversaient l'Espagne, ce jour-là ils avaient parcouru, entassés dans une camionnette fatiguée, près de huit cents kilomètres depuis Toulouse, pour nous rejoindre. L'on subodorait une grande fatigue. Mais non, ont installé leur matos en un temps record, et la balance fut très courte, savaient exactement ce qu'ils voulaient. Virgile qui officiait pour régler les potentiomètres en est resté éberlué. Et puis, vous n'allez pas le croire, ce fut la folie pure. Il est indéniable que les russes ont le punk rosse.

    Batterie, basse, guitare plaquées contre le mur. Même pas le temps de nous attarder mentalement sur le grand espace laissé libre sur la scène, une pluie de plomb fondu fond sur nous. Question metal, nos sidérurgistes en connaissent un filon, mais c'est-là le moindre de leur souci, sont plutôt des adeptes d'un stoner-rock ultra rapide qui ravage les contrées d'une espèce de grind-punk-hardcore-toutefois-mélodique inconnu sous nos latitudes. Et puis surgit le chanteur. Le scalde dans ses longs cheveux s'empare du micro, et par on ne sait quel miracle, quel mirage, sa voix s'impose au déluge de feu. Il danse, il est l'est partout à la fois, sur scène et dans le public, une sorte de feu follet humain qui rebondit sur les corps des pogoteurs, semble à tout moment disparaître sous la presse meurtrière des excités atteints de la tremblante spasmodique de taureau furieux devenus fous et ivres de bonheur, mais il en ressort vivant tel un oiseau-tempête qui se joue des ouragans, et qui glisse victorieux sur des courants vertigineux. Une voix acérée à la manière des lanceurs de couteaux sadiques qui s'amusent à atteindre leurs proies. Pospish Potom vous enchaîne dans les serpents de la démesure slave, des morceaux courts et percutants, pas le temps de réaliser que vous êtes déjà morts, mais il vous redonne vie au suivant, vous insuffle une énergie des plus folles, pour vous assassiner une nouvelle fois très vite.

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    Dans la salle, c'est une bronca céleste, beaucoup se précipitent pour hurler dans le micro avec ce chaman démoniaque qui vous le tend complaisamment afin que vous puissiez rugir de toutes vos plus bestiales pulsations. La violence est à son comble, le devant de l'estrade se vide, plus personne n'ose revenir dans cette espèce de maelström orgiague, mais le vortex hallucinatoire se reforme et vous appelle, pour vous moudre sur la meule de toutes les pulsions destructrices que renferment votre chair. Ne joueront pas très longtemps, mais une trainée de feu dévorante, un aérolite dévastateur qui s'en vient déséquilibrer votre climat psychologique intérieur. Désormais, il y aura un avant et un après. Surchauffe dans votre cavité crânienne, ça sent la Russie et le roussi.

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    ( Plus tard : après le concert )

    Damie Chad.

    POSPISH POTOM / DORMEZ ENSUITE

    REMINISCENCES EPILEPTIQUES 2013 - 2018

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    Je l'avoue humblement mes connaissances de la langue russe sont pour le moins lacunaires, pour le titre de l'album je me suis débrouillé comme j'ai pu ( très mal ) avec les traducteurs, ensuite j'ai synthétisé deux lignes en deux mots ! Autre traduction d'après Discogs : le fruit de Yiliya Rryppby attribué à Potom B : période 2013 – 2018.

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    Ce 33 tours tiré à 300 exemplaires est la reproduction des trois premiers disques du groupe dans l'ordre : Démo ( 2014 ), Trop peu de saleté ( septembre 2015 ), Ne venez pas tel que vous êtes ( avril 2018 ) agrémenté en face B d'un bonus track. J'ai disposé les trois pochettes au-dessus des titres idoines.

    FACE A :

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    1 / Baiser comme une putain ( Dean dirg ) : partouze endiablée, une chatte pour vingt, la vie est belle, c'est fou comme on s'amuse, pour les réclamations adressez-vous à la ligue des Droits de l'Homme, la zique va droit au but, sur un air de fête. Déchéance sociale. Dénonciation au canon. 2 / Le perdant ( réseau social ) : dans la série j'ai tout perdu et je n'en suis pas plus fier que cela même si je ne cache rien de mon vécu. Je survis, c'est tout. La distorsion sociale érigée en art de vivre. A fond les ballons. C'est ainsi et pas autrement. La musique comme un crachat de fiel heureux. 3 /Le nez cassé ( règle de l'idiot ) : aussi bref qu'un coup de boule sur les narines, rien à redire, le punk qui vend son âme ne mérite aucune pitié, toujours cette goguenardise qui klaxonne et rutile lorsque la voix se tait avant de se jeter du haut du pont. 4 / La route de l'enfer ( Nitad ) : la guitare chuinte et la charge de cavalerie démarre. Attention, où que vous alliez l'enfer est sous vos pas. Même pas besoin de dire qu'il est facile de trébucher, il est là, un point c'est tout. Mais vous le saviez déjà. Pa la peine de déclamer, les chœurs du destin vous interrompent, mais pourquoi sont-ils emplis d'une telle bonne humeur ? 5 /Apprends-moi à baiser : ( brutal night ) : le puceau sarcastique demande des renseignements, s'énerve bellement mais la rythmique semble se foutre de sa gueule. Ce monde est décidément sans pitié. Qui baise bien, châtie bien. 6 / Un jour, il sera tard : comprenez qu'un jour j'aurai vieilli, j'aurai déjà vécu tous les coups foireux et cela viendra très tôt, le seul truc que vous pourrez faire pour moi sera de me tuer. La voix et l'accompagnement arrachent sec. Le meilleur morceau de ces démos qui sont à écouter comme des tranches de vie punk nihilistes. Réalisme socialiste sans concession !

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    7 / Pizdabol : menteur de merde, rien n'est plus beau que le punk, rien n'est plus beau que ma vie de dandy punk, je fais mon rock'n'roll punk, tu ne le feras jamais aussi bien que moi, menteur de merde ! Hargneux en diable et ces éclats de rire spasmodiques sur la fin, à croire qu'il est en train de déglutir de la merde. 8 / Tous les culs du monde : philosophie punk : bagarres tous azimuts,au fond des rades crades, camionnettes à fond de train, vivez intensément avant de mourir. Violent, méchant, cynique, rimbaldien, déplaira à Tante Berthe, surtout que la musique chauffe au chalumeau et la voix éructe grave. 9 / Je ne veux pas être ton chien : la voix aboie, la zique trombine, l'est sûr qu'il ne sera jamais l'esclave de la donzelle, ce n'est pas qu'il a mieux à faire, mais pire sûrement. Une explosion de haine. Se déchaîne sur la fin du morceau. Doit être en train de la mordre. 10 / Trop peu de saleté : attention une véritable profession de soi, souvent l'homme n'est que le singe de l'homme, entre eux et nous un abîme que rien ne pourra jamais combler, eux l'ennui, nous les créateurs d'une beauté convulsive. N'empêche que toutes les joies du désespoir sont permises. 11 / Club '' Le protagoniste de Last Night'' : rage intégrale, parfois l'on meurt au moment où l'on ne s'y attend pas, ne vous en prenez qu'à vous-même. Explosif. Le cerveau a dû être touché. 12 / Le punk m'a fatigué ( short days ) : le punk est partout, je le retrouve dans tous les endroits où je pose mes yeux, le système consomme et digère le punk comme toute autre merde. Le punk m'a tuer ! Le punk est un produit comme un autre. Amertume punk. Ces six morceaux ont permis au groupe de passer une étape, beaucoup plus violente, beaucoup plus maîtrisée.

    FACE B :

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    1 / Quel bienfait : vous aurez beau accumuler les années vous n'engrangerez que du vide. Sentence sans appel. Le morceau déboule à toute vitesse. Dépasse à peine une minute. Quels mots pourrait-on ajouter pour décrire l'insignifiance dont vous êtes pétri. 2 / Ne venez pas vous-même* : seuls les abrutis ont le courage de se réveiller. Il vaut mieux rester en soi-même dans sa cervelle peuplée de folie. Ce pays dans lequel nous vivons n'est pas pour nous. Une introduction musicale mélodramatique et puis une irruption vocale comme des WC qui débordent. Très fort. 3 / Je veux être ennuyeux ( Citizens Patrol ) : le bonheur du couple bourgeois dans toute sa splendeur, dans toute son horreur. Être bien habillé et consommer sans fin. Vous débite le programme en moins d'une minute et l'accompagnement vous emballe la médiocrité vitesse grand V. 4 / Oui ça baise : attention aux récupérations en tout genre, l'univers nous tend tous les pièges. Faut savoir les éviter, mais une fois que vous avez mis le doigt dans l'engrenage il ne vous reste plus qu'à introduire votre pénis. Le titre le plus long, sardonique comme quand vous vous dépêtrez d'une toile de tarentule. C'est sur la dernière minute que le morceau devient vraiment méchant. Pas de pitié si vous voulez survivre. 5 / Le meilleur buzz : urgence, le punk et le bonheur gisent au fond des caves, c'est là où vous découvrirez la vraie vie et jetterez aux orties votre ancienne défroque. 6 / Soutien : la suite du précédent, au fond de l'antre le groupe à soutenir. Air de fête 7 / Si le punk meurt soudainement l'hiver prochain ( Margaret Trasher ) : vite démenti, si le punk ne survit pas que n'avez-vous pas réalisé pour lui permettre de vivre ? Ne venez pas vous plaindre si une bombe vous tombe sur le coin du museau ! Avertissement implacable. La musique ne fait pas de cadeau. Vous passe au hachoir. 8 / Mauvais point d'observation : les russes seraient-ils tous des nihilistes, ce dernier morceau semble nous dire que le bonheur est impossible et que même toute l'énergie que je dépense n'est qu'une bataille de retardement. Le morceau vous découpe à la pale d'hélicoptère de combat. Bonus : Oui ça baise ? ( prise Alternative) : quoique cette version soit égayée par des chœurs à consonances féminines nous préférons la première.

    Damie Chad.

    * : après avoir longuement médité, j'en suis venu à mieux comprendre le nom du groupe, faut  l'intuiter comme la deuxième partie d'une phrase qui serait celle-ci : Deviens ce que tu dois être, ensuite tu pourras dormir.

     

    DESORDRE & ISOLEMENT

    PATIENT Z

    ( Autoproduction / Avril 2019 )

    Le Patient Just 1 : chant et guitare / Le Professeur Ben : guitare et chœurs / Le Docteur No-no : basse et vocal / Le Doyen Xtophe : batterie et chœurs.

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    Désordre : ça commence mal, sur une musique de cirque, un petit florilège de vos hommes politiques préférés. Ce serait dommage de casser le CD en deux parce que tout de suite après l'on rentre dans le vif du sujet. C'était juste pour savoir si vous êtes assez réactifs. Bienvenue au cirque : guitares grondeuses, branles de batterie et c'est parti pour le grand galop : écoutez bien, tout est dans les paroles, une longue métaphore filée qui compare nos politicards à des artistes de cirque qui cherchent ( et apparemment réussissent ) à vous enfumer. Le patient Just 1 vous débite cela à toute vitesse comme s'il croyait ne pas avoir le temps de tout dire. Et les trois autres le suivent à train d'enfer. Les sacrifiés : tempo un peu ralenti au début mais ils ne savent pas faire doucement, alors ils nous racontent une triste histoire. De la politique fiction, mais ne craignez rien, un jour l'aventure arrivera plus vite que ne le voulez. Pas besoin de vous expliquer un bon solo de guitare, une gymnastique de batterie et sur ce une étonnante fin mirlitonesque. Je vous laisse découvrir le pot aux roses fanées. Isolement : doivent bricoler à la maison, on les entend discuter le bout de gras, le résultat est sur la piste suivante. Du son sur les murs : une critique du showbiz, la variétoche que l'on vous passe à la télé, z'ont les guitares fusantes par derrière, la voix qui s'amuse sur les murs, n'auront pas besoin de laisser sécher pour repasser une seconde couche. Montrent un peu ce qu'ils savent faire sur la fin. Et puis ils rajoutent un dernier coup de badigeon vocal. Viva el capital : Karl Marx n'y avait pas pensé, un fake remake de Viva Espana pour chanter les beautés du capital. Nous vivons une époque formidable. Dansons tous ensemble, chantons tous en chœur le casatchok de la monnaie qui tinte agréablement sur le comptoir des banques. PTZ : beaucoup plus rock. Patient Z se présente, nous refont le coup ringard de la présentation de l'orchestre, mais à toute blinde, vous promettent en plus de vous guérir sur les chapeaux de roues. Vous refilent les meilleurs conseils psychologiques. Mais pourquoi cette ambulance qui vient vous chercher. Mais quel est ce bruit de casier de morgue en fin de piste et ce ricanement diabolique...

    Humour potache et satirique. Sérieux s'abstenir.

    Damie Chad.

    LA COMEDIA / 26 – 09 – 2019

    AMN&' ZIK / VELLOCET

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    Normalement après la soirée de vendredi et la tornade russe l'on aurait dû rester au lit ce samedi soir. Oui, mais d'abord le monde est rempli d'anormalités et puis surtout il y avait Vellocet, et qui dit Vellocet dit wild fine rock'n'roll, alors aucune hésitation, direction la Comedia... Faut être franc, les rares rescapés de la nuitée précédente s'agrippaient au bar pour donner l'illusion qu'ils étaient en pleine forme, oui mais il y avait Vellocet, et le public est arrivé, c'est fou comme chaque groupe draine ses propres fans, mais comme nous ne sommes pas là pour philosophiquement sociologiser, passons à la seule chose sérieuse qui subsiste encore sur notre planète : le rock'n'roll.

    AMN& 'ZIK

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    Un groupe que vous n'êtes pas prêts d'oublier. Durant la balance Eric Colère m'a glissé dans l'oreille '' C'est Amn& 'Zik, l'on tourne pas mal en Belgique avec eux !'' . J'étais prévenu, certes pour le moment les Amn& 'Zik étaient un peu en roue libre, calaient un début de morceau sans trop se presser, oui mais une demi-heure après vous ne les reconnaissiez plus. Un équipage de forbans. Plus question de se prélasser sous les cocotiers, le couteau entre les dents le long de la coque en train de s'emparer d'un galion chargé d'or.

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    Quatre. Pat le capitaine est au centre. Le mec solide, un dur qui n'est pas né de la dernière tempête, à la manière dont il empoigne sa guitare vous comprenez vite qu'il a déjà dû écumer le sel de tous les océans, tient ferme la barre, avec lui vous êtes sûrs que la baleine blanche du rock'n'roll a du souci à se faire, l'équipage va vous l 'harponner de belle manière et lui faire passer un mauvais quart d'heure. Âmes sensibles n'ayez crainte une fois qu'ils s'en seront rendus maîtres ils relâcheront le maudit cachalot, parce que le rock'n'roll est immortel. En attendant Pat donne ses ordres au porte-voix microphonique, et je peux vous certifier qu'il sait se faire obéir au doigt et à l'œil. Et puis attention, malgré sa mine Patibulaire de Capitaine Flint, l'a toutes les inflexions des sirènes rock'n'roll qui chantent à l'intérieur.

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    A ses côtés, Yann, l'âme damnée du Capitaine, aucun sourire n'éclaire son visage, souque ferme sur sa basse. Imperturbable. Le gars qui poursuit ses rêves sur ses cordes. Peuvent filer à la vitesse qu'ils veulent et virer lof sur lof, les tient dans sa ligne de mire, et ne les lâche pas du regard, n'a pas l'air de bouger mais toujours au plus haut des mâts à ferler les voiles lors des bourrasques apocalyptiques qui entraînent le navire amnésique vers les récifs sournoisement tapis au creux des vagues.

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    Max s'occupe de la batterie. Toms de tribord et toms de babord, feu roulant à faire exploser la sainte-barbe, l'est courbé sur sa caisse claire à croire qu'il n'arrête pas d'allumer les mèches de pétards de dynamite qui explosent régulièrement dans sa grosse caisse, les morceaux ont beau défiler, lui il n'a qu'une règle, vitesse de croisière en augmentation exponentielle, un véritable pousse à l'abordage. Pas de quartier. Pas de prisonnier.

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    Cocci et son foulard de pirate est à la lead. Sa spécialité c'est de s'accrocher aux haubans ennemis pour aller sous la mitraille noire hisser au plus haut de leurs mâts l'étamine noire à tête de mort flamboyante. L'a le solo fluide et translucide, un aileron de requin qui vous prend en chasse et qui ne vous lâche plus. Vous avez l'impression qu'il va s'élancer vers le ciel, qu'il est parti pour une extase d'or, et alors qu'il est en pleine expansion, ses collègues accélèrent le mouvement et passent par dessus-lui, une triple canonnade rythmique qui l'oblige à plonger au plus profond, à passer sous la coque du navire et à reprendre son ascension encore plus haut dans des hauteurs cristallines ignorées. Un soliste comme on n'en fait plus.

    Un grand bravo pour Fab l'ancien guitariste à qui pour un morceau Cocci cède la place. Un riffeur, à l'envoi rythmique nerveux, en opposition au style de Fab qui excelle dans la continuité harmonique et structurelle, toute la différence entre un Keith Richards et un Mick Taylor. L'on aimerait les entendre voguer et divaguer sur les vagues riffiques tous les deux ensemble.

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    Lorsque Amn&'Zik vous a pris en chasse, il ne vous lâche plus, un rock noir et lourd, terriblement bien balancé, un rock qui cogne et qui bastonne, Ainsi va le monde, QHS, Plus sombre, Assume, les titres en français parlent d'eux-mêmes, de ce monde sans pitié qui nous entoure, dans lequel notre devoir est de survivre. Coûte que coûte. Coûte que rock'n'roll.

    Entre nous soit dit, ne sont pas des amnésiques pour un sou, connaissent tous les sortilèges du rock'n'roll, vous les sortent un par un, les plus classiques, les plus tordus, un combo d'enfer, vous ont mis tout le monde d'accord, les jeunes moussaillons et les vieux loups de mer de la taverne du rat qui pète.

    VELLOCET

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    Lumière noire. A peine si dans l'ombre trouée d'une rouge lueur blafarde on les devine. Eric Colère est devant, immobile, dans le silence complet, sanglé de noir dans sa longue veste, ses cheveux en colère tombant le long de ses épaules. Il porte le micro à sa bouche et l'orage se déchaîne à la seconde. D'abord l'on ne saisit que le jeu de la batterie qui arrive comme en contrechant du vocal. Un crachat de voix suivi d'un raquellement de caisse claire, Hervé Gusmini se livre à un véritable travail de sculpteur, fait voler des éclats de marbre sonore à chaque fois que le hachoir de la voix se fige dans le silence, un squash incessant balle-mur, balle-mur, des ricochets sur le fleuve du néant, dans le noir vous avez l'impression qu'un crotale vient de vous mordre au visage et c'est lorsque ce premier morceau s'achève, que vous prenez conscience qu'il y aussi une basse et une guitare.

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    '' Bonjour, on s'appelle Vellocet, on joue du rock'n'roll !'' Tout est dit. Rien à ajouter. La preuve d'abord. L'annonce ensuite. Et l'on repart sur A l'Ombre des Latrines, le titre à lui tout seul évoque je ne sais pourquoi, la splendeur des cruautés et des orgies romaines. Vellocet, le rock des ruisseaux et de la fange. De la pourriture qui corrode notre monde. Derrière Eric, Christian Verrecchia à la basse et Bruno Labbe à la lead, tracent des épures au fusains. Collent au squelette de la batterie comme le boa s'accroche aux branches, n'ont rien à faire sinon d'assurer l'insurmontable tâche d'être toujours là comme des éclats de soleil noir sur le miroir du rock'n'roll. Un travail d'orfèvre qui serait chargé de ciseler des gravures sur de la chair humaine sans que jamais un cri ne retentisse. Que le sang coule, mais ne bave pas.

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    Sont ensemble depuis plusieurs années, il est sûr que cette précision millimétrique exige une connaissance instinctive de ses alter-égos. Pour une fois, l'on a un groupe de rock'n'roll devant soi, pas un regroupement de musiciens plus ou moins hétéroclites, ils ont forgé un son, une entité, un alliage subtil d'orichalques les plus mystérieux. Chaque titre vous gifle à la face. Colère impérial, ne bouge presque pas, l'immobilité est la force des Dieux affirmait Aristote, la statue du Commandeur, l'ouvre la bouche comme les grilles de l'enfer, lâche les gladiateurs dans l'arène. Une simplicité extrême, une maîtrise extraordinaire.

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    Gusmini – ferait mieux de s'appeler Gusmaxi – s'agite méthodiquement dans l'ombre, l'on ne perçoit que de temps en temps ces deux avant-bras mais il abat un boulot phénoménal, des tambours en éruption perpétuelle, un crépitement héphaïstique, c'est lui qui façonne la ductilité du son, lui refile sa reptation primale, et c'est sur cette ombre mouvante que Chris Verrecchia enlace les pelisses noires de ses ondes cordiques maléfiques, il doome sec avec cette gravité hiératique d'Ulysse égorgeant un chevreau noir pour que les morts reviennent à la surface de la terre laper le sang agonal. Verrecchia apporte à la musique de Vellocet l'inquiétude, l'angoisse et la peur, sans lesquelles le rock'n'roll ne serait que rêve rose insipide. Gethsémani, Que la nuit l'emporte ! Nobru Sixcordes, l'on a les surnoms de gloire que l'on mérite, est un dompteur de riffs, s'enferme dans une cage étroite avec les fauves les plus dangereux, les reptiles les plus venimeux, et quand il en remet un en liberté c'est la fureur de l'ours blessé qui fonce sur vous, ou un tigre royal qui vous déchire les entrailles de ses griffes acérées. L'Orphée sauvage qui vous endolorit l'âme. Au nom de Dieu, Eleison.

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    Il y eut un Bomber magnifique qui écrasa tout ce que l'on a entendu dans la Comedia depuis des mois. Un truc maléfique, une chape de haine et de malheur qui vous engloutit comme ces suaires blancs dont on enveloppe les morts les jours de grandes catastrophes. Bref douze titres aussi irradifs et dangereux que les douze Ouraniens.

    Et puis un rappel, trois derniers titres, Eric au micro, qui slappe les mots, les propulse, les atomise, les détruit. Et derrière les trois Parques qui s'amusent à couper les fils de notre existence au fur et à mesure qu'ils tissent le linceul des paroles proférées. Un set de toute beauté. Splendide. Ils s'appellent Vellocet. Retenez leur nom. Ils ne jouent que du rock'n'roll. Et ce soir ils furent le rock'n'roll.

    Damie Chad.

    ( Photos FB : Florent Gilloury )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 425 : KR'TNT ! 425 : MICHAEL DAVIS / FADEAWAY / LULLIES / MANESS BROTHERS / CATL / PRINCE ALBERT / LILIX & DIDI / ROCKAMBOLESQUES /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 425

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    27 / 06 / 2019

     

    MICHAEL DAVIS / FADEAWAYS / LULLIES

    MANESS BROTHERS / CATL

    PRINCE ALBERT / LILIX & DIDI / ROCKAMBOLESQUES

     

    Davis vit ses vices

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    Michael Davis fut le bassman du MC5. La parution de son autobio présente deux étranges particularités : un, I Brought Down The MC5 paraît à titre posthume car Michael Davis a cassé sa pipe en bois en 2012. Deux, elle paraît en même temps que celle de Wayne Kramer. On pourrait ajouter une troisième particularité : le récit de Michael Davis tape dans le mille là où celui de Wayne Kramer tape à côté. En lisant les deux récits, on peut mesurer ce qui fait leur différence : l’épaisseur humaine présente chez l’un et absente chez l’autre. Wayne Kramer reste en surface, comme s’il ne savait pas comment se livrer. Michael Davis plonge en profondeur dans la matière de sa vie, avec une aisance narrative qui impressionne. On appelle ça la justesse introspective. S’il est un homme qui sait décrire une dégringolade, c’est bien Michael Davis. Il décrit sa déconfiture avec un style qu’on pourrait presque qualifier de MCfifthy, tellement il s’impose, un style puissant, lapidaire et sans concession. C’est là tout ce qu’on a envie de savoir sur le MC5. Michael Davis nous raconte la vraie histoire, même s’il fait l’impasse sur quelques épisodes (Phun City, le concert Levis au 100 Club et le DTK/MC5 qu’on vit sur scène à Paris en 2003 avec Marc Arm au chant).

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    L’épisode MC5 ne représente qu’une toute petite partie de sa vie : sept ans, et pourtant, cet épisode va conditionner toute sa vie, même s’il participe ensuite à un autre projet prestigieux, Destroy All Monsters avec Ron Asheton, un épisode qui va lui aussi durer sept ans.

    Quand dans Vive Le Rock, on demande à Wayne Kramer s’il a lu l’autobio de Michael Davis, il répond que oui, et ajoute qu’il ne savait pas grand chose à son propos, car il était the quiet one, celui qui ne parle pas : il se taisait dans les réunions de groupe, et même quand il n’était pas d’accord, il ne la ramenait pas. Brother Wayne ajoute que ce livre lui a brisé le cœur - I was heartbroken to read that book - Lors du concert de MC50 en novembre dernier, quand il rendit hommage à la mémoire de Rob, Fred et Michael, tous les trois disparus, Brother Wayne avait les larmes aux yeux. Respect, criait-il en se tapant du poing sur le cœur.

    On se retrouve encore une fois avec un beau livre sur les bras. Beau par le fond et non par la forme : ce curieux objet, édité par le disquaire californien Cleopatra sur un couché brillant très lourd est l’anti-book par excellence, fabriqué par des gens qui ont du livre une vision décalée mais qui croient bien faire. Couché brillant et littérature n’ont jamais fait bon ménage, il n’est pas besoin d’être rat de bibliothèque pour le savoir. On s’attend donc à du m’as-tu vu, mais dès les premières pages, l’auteur impose un style cassant, un vrai ton, et là on dresse l’oreille : «My family was something less than open, though. We just didn’t communicate that well.» C’est sa façon de dire que dans sa famille, on ne se parlait pas beaucoup. Belle langue. Et très vite, il met en route son fantastique moteur introspectif : «Quand on démarre dans la vie, on est tous logés à la même enseigne, des little kids avec de l’enthousiasme et aucune notion du mal. On découvre le mal un peu plus tard, quand on éprouve d’énormes difficultés à obtenir ce qu’on veut.» C’est la justesse de ce regard sur la vie qui va porter le récit, et accessoirement l’histoire de ce groupe capital, le MC5. Lorsqu’il commence à s’intéresser au sexe, le jeune Michael n’y va pas de main morte : il s’éprend d’une certaine Sandy, un brune ultra-maquillée, une ex-Playboy bunny qui lui apprend à ne plus porter de sous-vêtements, qui connaît bien les hommes, qui sait comment les utiliser avant de s’en débarrasser - Don’t ever think for a moment you can outsmart this one - Pas question de rivaliser avec cette pouliche. Et petite cerise sur le gâteau, drug user extraordinaire, proud of it, prête à tout essayer - ready for anything, open to suggestions - Il nous brosse en deux pages le portrait de la salope rêvée, sex, drugs & rock’n’roll, le Graal de tous les petits rockers de banlieue - I was in the presence of a truly avant-garde mind - Oui, quand on a la chance de rencontrer une poule comme Sandy, on peut parler d’avant-garde, et pour entrer dans son monde, Michael Davis explique qu’il doit marcher sur des œufs, se montrer à la hauteur, et pas seulement au plan sexuel - I was on thin ice. This was seduction - Sandy mène la danse, the game was on, she was in full control. Un jour elle apprend à Michael qu’elle est enceinte et lui demande de pratiquer l’avortement avec une aiguille à tricoter. Ça marche. Le couple va partir à l’aventure pendant un an en Floride, puis à New York avant de revenir à Detroit pour se désintégrer dans un halo de drogues et de prostitution. Detroit est à l’époque une ville sinistrée, l’industrie automobile s’est écroulée, le commerce des drogues dures prospère et toute une génération consomme ou deale, à commencer par Sandy et Michael. Ils font ce que Peter Perrett fait à Londres à la même époque, ils dealent pour couvrir leurs besoins de dope quotidiens et payer leur loyer. Comme d’autres avant lui, Michael relate sa découverte de l’héro, il parle d’un rituel étrange, avec des gens qui prenaient ça très au sérieux - This was the holy sacrament of their religion - Michael ne porte pas jugement, il observe, comme il va observer le MC5 plus tard, de l’intérieur. Il attend les effets du shoot - I was anxious waiting for the effects which when it came was so overwhelming that resisting was futile - Il se dit emporté par la vague. Inutile de résister. Il observe. De l’intérieur.

    Il commence par fréquenter Rob Tyner. C’est l’époque où on emmenait des disques lorsqu’on allait passer la soirée chez des amis. Ce soir-là, ils écoutent The Rolling Stones Now! qui vient de sortir en fumant un joint. Un autre soir, Michael propose un acid trip à Rob, et ça se passe mal. Rob s’enferme dans sa chambre. C’est la fin de leur relation. Rob ne veut plus adresser la parole à Michael qui au moment où il écrit ses mémoires, s’interroge encore sur les raisons de cette rupture.

    Et le MC5 dans tout ça ? Justement, on y arrive : pas de MC5 sans dope. Michael explique ça très bien : «Getting high was a ritual of respect. It wasn’t about getting fucked up, il was about being intensely involved», c’était un rituel basé sur le respect du public, il ne s’agissait pas de se mettre la gueule à l’envers, il s’agissait d’être totalement impliqué, de trouver une façon d’échapper aux pratiques conventionnelles. C’est ce que les gens qui ne connaissent pas les drogues ne comprennent pas : les stupéfiants permettent de se dépasser, au plan purement artistique. Ils donnent des ailes à la créativité. En trois lignes, Michael Davis résume bien le propos. Il se régale à décrire certaines de ses visions sous LSD, il fonctionne comme un esprit libre, évoque des glorious apparitions et de vérités inexplorées. Son sens de l’observation fait toujours mouche, quand il revient sur la dope : «The drug is a painkiller. It kills pain of any kind» - «Elle annule toute forme de souffrance. En l’absence de signaux envoyés par le système nerveux, l’euphorie s’installe dans le cerveau, ce qui est normalement impossible en dehors du sommeil, mais le sommeil est un état inconscient. L’héro, c’est un rêve éveillé.» Bien sûr, il ne manque pas de faire allusion aux conditions dégradantes de sa vie de junkie, ces shoots qu’il doit souvent se faire dans l’urgence de gogues bien cra-cra, mais il rappelle qu’avant toute chose, le junk est un problème de contrôle. Quand on a perdu le contrôle de tout, de sa vie sociale et affective, la pression sanguine semble être la seule chose qui soit encore contrôlable - It’s your world and you alone are the master, which is irony - Au fond, il sait très bien qu’à ce stade, la notion même de contrôle ne signifie plus rien et il s’en fout. Wayne kramer, Fred Sonic Smith et Denis Thompson vont aussi se jeter dans la dope. Le seul qui va rester un peu à l’écart, c’est Rob Tyner.

    Wayne Kramer se considère comme le leader du groupe, mais selon Michael Davis, c’est Fred qui tire les ficelle avec, dit-il, une façon très particulière de faire passer les autres pour des abrutis qui ne comprennent rien. Le MC5 allait bien jusqu’au premier album, Kick Out The Jams - What kind of drugs was I on, you might ask - Le soir de l’enregistrement, ils étaient tous les cinq stoned, pretty well tanked on everything - Pour lui, the clarity was incredible. Le MC5 était au sommet de son art. Puis les choses vont rapidement se dégrader. Elektra rompt leur contrat et John Sinclair recase le groupe chez Atlantic : Dee Anthony devient leur manager, Frank Barsalona leur booker. Pour le groupe, c’est une façon d’entrer dans l’arène. Lors de l’enregistrement du deuxième album, Back In The USA, on fait comprendre à Michael Davis qu’il n’est pas très compétent et Wayne Kramer joue une bonne partie des lignes de basse. Les effets de la dope permettent au pauvre Michael d’évacuer ce sentiment terrible d’incompétence. Mais ce qui l’affecte le plus, c’est de voir le groupe se tirer une balle dans le pied : en jouant la carte de la perfection, le MC5 s’éloigne de ce qui fait la grandeur du premier album : l’explosion d’énergie, la liberté de ton. La production de John Landau est une catastrophe historique. Son clair et pas de basse. Michael Davis n’en finit plus de rappeler que Wayne Kramer était quelqu’un d’influençable qui prenait toutes les mauvaises décisions, comme par exemple suivre les conseils d’un Landau qui n’avait rien compris au MC5. Michael Davis : «Le propos du MC5 n’était pas la précision. Jamais de la vie. La force du MC5 se trouvait dans l’invention et la spontanéité.» À ses yeux, c’est avec cet album raté que le groupe périclite. On l’avait clairement senti à l’époque : Back In The USA fut une énorme déception. Son trop clair, from mean to clean dit Davis. Il se sentait même prêt à quitter le groupe, car il n’y retrouvait plus son compte. Mais il n’avait nulle part où aller, rien d’autre à faire. Il ne lui restait plus que la dope. Et pourtant, le groupe tournait beaucoup, des milliers de personnes venaient les voir, ils descendaient dans de grands hôtels, ils circulaient dans des limousines et jouaient en première partie de très grands groupes. Ils ne se doutaient pas qu’ils allaient rapidement s’écraser au sol.

    Selon Michael Davis, Landau eut sur le groupe une influence catastrophique. Il conseilla à Wayne Kramer de se débarrasser de John Sinclair, dont il trouvait le militantisme ridicule. Il insinuait même qu’en restant sous sa coupe, le groupe allait disparaître. Ce livre fait enfin la lumière sur les zones d’ombre de l’histoire du MC5. Une réunion est organisée et Wayne Kramer annonce à Sinclair qu’il est viré. Bien sûr, Sinclair est choqué, mais quand il demande sa part de royalties pour Back In The USA, Brother Wayne l’envoie promener - So much for the brotherhood, ricane en silence Michael Davis - D’ailleurs, il va lui arriver la même mésaventure lors d’une tournée en Europe : tout le monde est convoqué pour une réunion dans la chambre d’hôtel de Rob : «Wayne se lève et m’annonce sans hésitation que je dois quitter le groupe.» Michael explique qu’il met un certain temps à comprendre, car il ne s’y attendait pas. Alors il demande pourquoi il doit quitter le groupe. Et Fred lui répond : «On pense tous que tu n’es plus dedans - Everybody thinks you just aren’t into it» - Bon, mais comme il crève d’envie d’aller jouer en France, Michael se montre magnanime et dit qu’il est d’accord pour quitter le groupe à la fin de la tournée. Wayne lui administre alors le coup fatal : «On a déjà engagé un bassiste !» - So much for the brotherhood - Alors Michael retourne dans sa chambre. Dans les situations désespérées, si on ne veut pas sombrer, on réfléchit. Même s’il se dit choqué par l’horreur de la situation, il parvient à la surmonter en éprouvant un soulagement : celui de ne plus appartenir à ce groupe. I was free of it.

    Alors évidemment, vous ne trouverez pas ces horribles détails dans l’autobio de Wayne Kramer, car ils terniraient son image. Non pas qu’il soit en quête de respectabilité, mais les séances d’élimination au sein des groupes ne sont jamais très ragoûtantes. Autre détail capital dont Wayne Kramer ne parle pas : lorsqu’il arrive à Lexington pour y purger sa peine, il y retrouve Michael Davis, enfermé au même endroit pour les mêmes raisons : trafic de dope. Davis relate l’épisode d’un ton narquois : «Il m’envoya un jour une lettre m’expliquant qu’il devait comparaître au tribunal pour trafic de coke. Il paniquait - He was shitting his pants - à l’idée de se retrouver au ballon et me demandait de lui fournir des infos, car il souhaitait venir là où je me trouvais, à Lexington.» Et quand il est arrivé un mois plus tard, ils se sont salués... puis perdus de vue.

    Alors bien sûr, ils auront d’autres occasions de remonter sur scène ensemble. Le premier épisode que Michael Davis relate est celui du concert de reformation, le 31 décembre 1972, et le concert se passe si mal qu’à un moment donné, Wayne Kramer débranche sa guitare et quitte la scène. Un autre épisode encore plus foireux aura lieu après la mort de Rob Tyner, lors d’un concert tribute en 1991, organisé pour aider financièrement la famille de Rob. Cette fois c’est Fred qui gâche tout, avec ses deux bouteilles de vin blanc et ses trois heures de retard. Mais comme on l’a déjà indiqué, pas un mot sur le DTK/MC5. C’est vrai que dans le concert filmé à Londres au 100 Club, Michael Davis tire une drôle de tête. Il n’a vraiment pas l’air de s’amuser.

    L’épisode Destroy All Monsters se termine lui aussi en eau de boudin, même si Michael Davis apprécie les frères Asheton, ces local cats avec lesquels il se sentait le plus à l’aise. Mais en 1977, le groupe est le plus bordélique d’Amérique. Le groupe de Cary Loren était selon Davis the epitome of dysfunction. Le problème, c’est le style vocal de Niagara : she was an abomination. Elle rendait le groupe ridicule. Quand elle finit par former un couple avec Ron Asheton, ils se donnent des airs de degenerate eccentrics, dormant le jour et sortant la nuit, ce qui eut pour résultat de mettre tout le monde très mal à l’aise. Et pour couronner le tout, le groupe arrivait au mauvais moment en Angleterre, juste en pleine vague ska, aussitôt après la fin du punk et juste avant l’arrivée du metal. Our timing was impeccably wrong.

    Michael Davis dégringole toutes les marches une à une - «Pendant toute ma vie, depuis le lycée jusqu’à maintenant, à l’âge de 66 ans, je n’ai jamais eu la force d’admettre la stupidité de mon mode de vie. Les gens qui ont participé à ces nuits-marathons de beuverie sont restés mes amis, et ceux qui ne partageaient pas mon goût pour la rôtissoire disparaissaient discrètement, jusqu’au moment où je me suis demandé pourquoi je me retrouvais complètement seul.»

    Les hasards de la vie lui permettent toutefois de rencontrer une poule qui met au monde Ursula, sa fille. Mais la mère ne veut pas s’occuper d’Ursula et elle se barre. C’est là où ce récit devient extraordinairement passionnant : Michael Davis organise sa vie autour de sa fille et parvient à maintenir un semblant de stabilité matérielle, même s’il continue à se shooter. L’un de ses amis, Kenny Brown, lui vient en aide et propose d’emmener Ursula en vacances en Arizona. C’est là que Davis comprend qu’il doit quitter le Michigan et son mode de vie entièrement basé sur l’alcool et la dope - More than simply abandonning a void, I had a goal - C’est la première fois qu’il a un but dans sa vie : retrouver sa fille. C’est mieux que d’abandonner un néant. Alors il vend tout ce qu’il possède, achète une vieille Chevrolet et prend la route - Well if you ever plan to motor West - Il chante dans le texte le fameux «Route 66», la version des Stones qu’il aimait bien en 1964. Il roule sans s’arrêter, jusqu’à la limite de ses forces - «Peu de temps avant midi, le 19 septembre, j’atteignais Tucson. J’appelai Kenny d’une cabine à la station Greyhound pour qu’il m’indique la direction de sa maison. J’ai tourné au coin de la rue et là, au beau milieu du trottoir, se trouvait ma petite Ursula de six ans... Elle m’attendait.»

    Michael Davis s’installe donc à Tucson, Arizona. Il y achète même une baraque dans le désert, des chevaux et s’attache à un chien. Pour vivre, il fait le jardinier et parvient peu à peu à se stabiliser financièrement. Il raconte ça très bien, comme le font parfois les rescapés des naufrages. Ursula grandit et mais elle ne supporte pas le désert. Elle demande à retourner chez sa mère dans le Michigan. Michael Davis se retrouve seul, dramatiquement seul, avec son passé de rock star : «À mes yeux, Ron était un mec très seul, qui voulait la belle vie et jouer à être célèbre. Pour moi, c’est pareil. Le rock, c’est fait pour être vu, et rien d’autre. Même quand personne ne te regarde, tu te sens obligé de jouer ton rôle.» Il veut dire que seul au fond du désert, il est toujours l’ancien bassiste du MC5. D’ailleurs, une équipe de télévision vient le filmer dans sa baraque, pour un film qui n’est toujours pas sorti. Accablé de solitude, il s’enfonce alors encore plus dans les tréfonds de l’introspection : «Vu de l’extérieur, je paraissais calme, mais à l’intérieur, ça bouillait, je haïssais toute mon existence, parce que j’étais encore en train de chercher une femme, un groupe, une maison, une bagnole, tout ce qui avait le pouvoir de réactiver cette ferveur que j’éprouvais quand j’étais plus jeune.» Il va jusqu’au bout de lui-même, comme compressé par le poids de la solitude, et ça prend des proportions hallucinantes. Plus besoin de LSD : «Des tas de gens croient qu’il existe une vie après la mort, mais je crois que s’il existe autre chose, ce n’est pas la vie. Je pense que la vie est celle qu’on vit, et quand on meurt, on rejoint ‘Le Grande Énergie’. Se réincarne-t-on ? J’en doute. Le Paradis et l’Enfer sont les fruits de l’imagination des anciens. On est récompensé ou puni pendant qu’on vit, pas quand on est mort. Ici, chaque jour est le jour du jugement dernier.» Comme la rue où il habite ne porte pas de nom, il l’appelle the road with no name. Alors il ne sait pas où il est, mais comme il sait qui il est, il pense que le compte est bon - That has to be enough - Fantastique ! Et il termine sur un terrible constat : «Le côté avenant de ma nature m’a aidé à trouver des amis, des femmes et des gens de toutes sortes tout au long du chemin, mais j’ai toujours trouvé le moyen de détruire ce qui pourtant se présentait si bien. Ce qui est bien plus grave, c’est que cette réalité ne m’a jamais effleuré l’esprit, jusqu’à aujourd’hui, au moment où j’écris ceci. Tout ce que je peux espérer, c’est d’avoir appris à vivre avec cette réalité.»

    S’il est bien une chose qu’on finit par apprécier avec le temps, c’est découvrir que les gens qu’on admire sont aussi des gens intéressants.

    Signé : Cazengler, Davicelard

    Michael Davis. I Brought Down The MC5. Cleopatra 2018

     

    The Fadeaways don’t fade away

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    Quand on les voit déambuler avant le concert, on a du mal à les prendre au sérieux. Ces trois mini-Japs ne mesurent qu’un mètre cinquante et doivent peser dans les trente-cinq kilos. Ils marchent vite et poussent des petits cris perçants. L’un d’eux porte des lunettes de vue et marche comme un cowboy, avec les jambes prodigieusement arquées. Ils rient tous les trois aux éclats. On voit toutes leurs dents. Ils s’amusent entre eux et ne se mélangent pas avec les gros occidentaux. L’un d’eux se penche en avant pour présenter son cul et l’autre lève son bras en l’air comme le ferait un clown pour lui envoyer une fessée retentissante. Paf ! Ça doit être un gag japonais, en tous les cas, ils en rigolent comme des bossus. Ils trimbalent tous les trois des belles chevelures avantageuses, du vrai noir de Japan jais. De quoi faire rêver Johnny Thunders. L’un d’eux s’est même taillé des mèches au pif pour donner à sa coupe une allure sacrément chaotique, qu’il rehausse en portant une énorme boucle d’oreille vert fluo. Et pour couronner le tout, ils portent les mêmes fringues : maillot rayé noir et blanc, jean noir et baskets, comme s’ils voulaient parodier l’imagerie garage. Un peu comme si les Pieds Nickelés faisaient du garage. On rajoute des lunettes noires, et le tour est joué. C’est un cliché à six pattes qui se dandine, ou si tu préfères trois clichés à deux pattes. Parce qu’ils s’amusent comme des gosses, on crève d’envie d’aller jouer avec eux. En fait ils s’amusent pour se détendre avant de jouer. Comme chacun sait, il y a jeu et jeu. Et chez les Japonais, le notion de jeu se différencie légèrement de la nôtre.

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    Eh oui, la différence saute aux yeux dès qu’ils montent sur scène pour attaquer un set qu’il faut bien qualifier d’explosif. Ils ne jouent plus dans un bac à sable, ils jouent à la vie à la mort de la mortadelle, c’est du blast d’intraveineuse sous haute pression. Le garage-rock semble sortir de sa banalité et se redresse d’un bond, comme le fait le comte Orloff à la tombée du jour.

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    The Fadeaways font partie des révélations et des bénédictions, ces trois branleurs rockent le Cosmic comme peu de gens savent le faire, avec tout ce qu’ils ont dans le ventre, et du coup, on en oublie la chaleur à crever et ce mauvais punch privé de rhum. Dès les premières secondes, on sait qu’ils vont créer l’événement et on se sent soudain transformé en Bernadette Soubirou qui vient d’apercevoir sa révélation, transformé en Moïse qui vient de se casser la gueule dans le buisson ardent et qui voit des voix, on se sent transporté dans le monde intermédiaire des Beautiful Gardens de la béatitude, on entre en osmose totale avec ce beat des reins qui pulsent ces trois avortons miraculeux.

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    On adhère au parti des Fadeaways, on se sent prêt à en bouffer jusqu’à la fin des temps, on voudrait qu’ils n’arrêtent jamais, le temps devient magique et s’écoule comme une rivière de miel dans un monde redevenu idéal. Ils sonnent comme des Japanse monsters, ils en deviennent beaux comme des icônes, ces icônes dont raffolent tant les Japonais, justement. Le bassiste chante avec un aplomb ahurissant, il est une sorte d’Asterix japonais, tombé dedans quand il était petit. Il joue ses gammes à l’aveugle, mais avec une vélocité qui ferait rêver un velocity-man comme Jack Bruce. Sa main gauche court sur le manche sans jamais trop s’éloigner des dominantes et il gratte prosaïquement ses deux cordes d’une main droite dressed to kill Bill. Fantastique aplomb. Ephemera branquignola. Il doit vite enlever ses lunettes noires à cause de la chaleur, mais il maintient une tension infernale. C’est un coriace, il sait ce qu’il veut. Il gueule dans son micro, mais avec tout le sel de la terre. Les deux autres font aussi le show, chacun à sa manière.

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    Le petit guitariste se paye tous les luxes : un son taillé sur mesure pour enfuzzer les foules, une fluidité de jeu qu’il faut bien hélas qualifier d’orientale, un sens inné de l’interventionnisme, car on sait que le garage se nourrit essentiellement d’incursions intestines déflagratoires et petite cerise sur le gâteau, il se permet d’aller surfer sur la mer des mains tout en continuant de passer ses solos d’antho à Toto, et la mer de mains le rejette sur la scène au moment où reprend le couplet. Quant au batteur, avec son incroyable petite gueule de gouape japonaise et sa boucle d’oreille vert fluo, il tape absolument tout ce qu’il peut. A-t-on déjà vu un batteur taper autant ? La réponse est non. Impossible. Il tape et ratatape. C’est un fou. Il est penché sur un tom et frappe. En voyant jouer ce groupe miraculeux, on comprend une chose : comme les Japonais ne pourront jamais rivaliser avec les géants du garage anglais ou américain, ils sont obligé de recourir à la démesure de la surenchère. C’est ce que fait Guitar Wolf. C’est ce que faisait Thee Michelle Gun Elephant. Les Japonais chantent mal, alors ils compensent avec autre chose.

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    Les Fadeaways jouent des classiques, mais avec une énergie démesurée, leurs versions de «Louie Louie» et de «The Witch» passent comme des lettres à la poste, on les a entendues dix mille fois, mais quel bonheur de les voir jouer ça. Ils se situent au cœur de la véracité catégorielle. Mais ils ne s’arrêtent pas là. Ils rajoutent des acrobaties. Comme ils sont légers, ils peuvent se permettre de faire les cons dans l’espace. Tout le monde se souvient de Steve Jones qui avait failli se casser la gueule en sautant en l’air lors de la première reformation des Pistols. Trop gros. Là, c’est le contraire. Le bassman de Fadeways finit chaque cut avec un bond de deux mètres en l’air. Le batteur monte sur son tabouret et s’amuse à retomber dans ses cymbales, au risque de se trancher un bras. Lorsque le guitariste va faire un tour en mer de mains, il lui arrive d’avoir à se rétablir brutalement quand il est mal rejeté. Il fait une espèce de saut de carpe en l’air pour se remettre dans le bon sens tout en continuant à jouer. Ces mecs prennent des risques incroyables, un peu à la manière du petit Jap des Stomping Riff Raff qui s’était laissé tomber sur le dos du haut de la grande scène du Rétro de Béthune. Entre trois et quatre mètres. Plaaaf ! Tout le monde le croyait mort. Non, il s’est relevé avec sa guitare et a regagné le backstage en boitillant. En cours de set, le bassman des Fadeaways grimpe au sommet de son ampli basse et fait un grand saut pour revenir se planter derrière le micro. En fin de set, il va réussir à nous éberluer avec un ultime coup de Japanese Jarnac : il monte sur l’estrade de batterie et tourne le dos au public.

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    Oh, l’estrade n’est pas bien haute, disons cinquante centimètres. Il saute en l’air et fait deux sauts périlleux arrière avant de retomber miraculeusement sur ses pieds. La foule pousse un ooooh de stupéfaction. On croyait vraiment qu’il allait tomber sur le dos, car pour réussir un coup pareil, il faut un écart beaucoup plus important entre le point de départ et le point de chute. Comment a-t-il réussi ? Dans vingt ans, on s’interrogera encore.

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    Pas de surprise côté albums, les Fadeaways y proposent un excellent garage, le même que celui qu’on entend depuis des décennies, avec la touche japonaise en plus. Teenage Hitsville vaut le détour pour trois bonnes raisons, à commence par «That Girl», un hit garage bien énervé qu’ils jouent les doigts dans le nez. Toyozo chante ça avec sa petite japanese niak, c’est extrêmement convaincu d’avance, bien nettoyé au lance-flamme par ce sale petit démon d’Assman. Il joue à coups d’incursions massives dans le sugarshit. Ils gagnent leur crédibilité pied à pied. L’autre grand phare dans la nuit s’appelle «Shut Your Mouth», un cut emblématique chanté à la clameur de type early Isleys et enroulé au riff comme un hit des Standells. Ils savent monter les œufs du garage en neige. Troisième passage obligé pour tout amateur de garage : «Ain’t Got No You Love», bien pointé aux accords de plomb. Toyozo chante ça avec une niaque considérable, ce petit Jap a le feu sacré, il chante avec toute la délinquance dont il est capable. Ce branleur des faubourgs de Tokyo est un véritable roi de la fosse à vidange. Bon, ils font aussi un clin d’œil appuyé à «Louie Louie» avec «Lou Lou», à grand renforts de lose my mind et de belles basslines voyageuses qui s’enroulent et se déroulent à gogo. On admire cette science profonde du bassmatic mais aussi l’incroyable cohésion du trio. Quatre bonnes pioches dans un album de garage moderne, ça mérite d’être noté. Notons aussi qu’on retrouve avec les pochettes Soundflat toute l’esthétique des pochettes garage, une esthétique qui d’ailleurs finit par donner la nausée, tellement les labels en ont abusé, depuis l’âge d’or de Crypt.

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    Nos acrobates préférés viennent de sortir un bel album de reprises, Transworld 60’s Punk Nuggets. Quatre raisons de ne pas faire la fine bouche. Un, la reprise du «Midnight To Six Man» des Pretties. Ils osent ! Oh, ils en ont les moyens. Et doublement les moyens. Toyozo se fond dans l’aristocratie londonienne avec une sorte de bienfondé délibéré. Les Fadeaways jouent leur Midnight à la clameur sourde. Deux, «I Don’t Care». Toyozo y bat tous les records de délinquance juvénile. Il regorge littéralement de ressources naturelles et sait s’arsouiller pour instiller son petit shoot d’I don’t care. C’est ce qu’on appelle monter un hit garage à l’émulsion définitive. Trois, «How Do You Feel». Cette fois, Assman fait le show. Ce petit mec est un guitar slinger extrêmement agréable à écouter. Il joue chaque fois avec une fraîcheur de ton et une sorte de petite inventivité infectueuse. Ils font aussi un reprise du «Sorry» des Easybeats qui sonne comme le «Locomotive Breath» de Jethro Tull. En fait, rien qu’avec les trois premiers cuts de l’A, «Sorry», «I Don’t Care» et «Shake It Some More», c’est dans la poche. Ils ramènent tant et tant de son qu’on les écoute avec un plaisir non feint. Leur album de reprises sort vraiment de l’ordinaire. Toyozo chante comme un cake et Assman passe des killer solo flash à la coule. Toutes ses interventions sont triées sur le volet. Toyozo quant à lui fait rouler bouler son bassmatic au bon temps roulez. Quatre : s’il faut emmener l’une de leurs reprises sur l’île déserte, c’est bien sûr celle d’«I’ll Be Doggone» des Tages. Toyozo et ses deux amis se baladent dans le garage comme des princes, avec un sens aigu de la classe binaire. Assman intervient toujours à propos, sec et élusif. Ils font du vieux standard des Tages une merveille de groove rebondi. C’est le garage caoutchouteux dont les filles raffolent.

    Signé : Cazengler, Fade tout court

    Fadeaways. Cosmic Trip #23. The Wild’n’Crazy Rock’n’Roll Festival. Bourges (18). 1er juin 2019

    Fadeaways. Teenage Hitsville. Soundflat Records 2016

    Fadeaways. Transworld 60’s Punk Nuggets. Soundflat Records 2018

     

     Psychedelic Lullies Pop

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    Les Lullies sont tellement bons qu’ils pourraient presque sortir d’un vieil album des Blues Magoos, même si leur son et celui des Magoos n’ont rien à voir. On parle d’ici de punchy punch. Voici quarante ans, on aurait vendu son père et sa mère pour cet album des Blue Magoos. Aujourd’hui on ferait la même chose pour un ticket d’entrée au concert des Lullies. On disait autrefois voir ‘Rome et mourir’. De nos jours, le gens disent ‘voir les Lullies et mourir’. Les gens, enfin, ceux qui descendent à la cave pour les voir jouer.

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    C’est du bon wham bam, bien ficelé, joué ventre à terre, un wham bam qui ne traîne pas en chemin, du bon blast bien dodu comme on l’aime. Les Lullies, c’est du sans histoires. C’est vite réglé, une heure et tu as ta dose. C’est même servi sur un petit plateau d’argent. Pas de frime, du son sec et net. Du wham bam, tout bêtement.

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    Ces mecs tombent un peu du ciel, de Montpellier, plus exactement. Roméo le chanteur et Manah le batteur fou sont une moitié des Grys-Grys qui comme chacun sait traînent déjà une belle réputation de revivalists sixties. Ils ont enrôlé un guitariste et un bassman pour monter les Lullies et taper dans un son plus 77. À certains moments, on croit même rêver car par son look et sa niaque, Roméo ressuscite le fantôme des Saints de la première époque. Il dégage autant de vapeur que Chris Bailey au temps du mighty «Nights In Venice» et c’est peu dire. Il a un sens du rumble aussi inné que celui de Chris Bailey. Roméo est un frontman assez complet, il sait poser un chant et multiplier les incursions instestines sur sa guitare en plexiglas. Il cultive l’art de la virule et du killer solo flash.

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    Attention à Manah, le batteur fou, il volerait presque le show. On n’avait pas vu un drumbeater aussi déterminé à vaincre depuis longtemps, au moins depuis le show des Vibrators ou encore celui de Guitar Wolf. Manah est de la même trempe que Toru et Eddie Edwards : il bat sans pitié pour les canards boiteux. Il envoie le beat au tapis, comme un boxeur. D’ailleurs il joue en short. Ses tatouages rivalisent de classe avec ceux de Jungle Jim Chandler qui accompagnait les Cramps à l’Élysée Montmartre : un aigle aux ailes déployées couvrait le poitrail de Chandler et une magnifique chauve-souris orne celle de Manah. Ça n’a l’air de rien comme ça, mais ces petits détails comptent beaucoup. Le rock est parfois un art auquel on choisit de consacrer sa vie, alors autant le faire correctement. Ce qui est le cas des Lullies.

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    Tous leurs choix sont les bons, look, son, professionnalisme du set, côté junk de la jeunesse éternelle, énergie et classe référentielle. Comme si le rock continuait d’être un éternel recommencement. Mine de rien, ces fantastiques branleurs renvoient tout le monde au vestiaire du punk-rock, lorsque régnaient les Heartbreakers, les Saints et les Damned. Ils jouent bien sûr les cuts de leur album, mais ils calent dans le menu une belle reprise du «Heart Of The City» de Nick Lowe, qui, on s’en souvient, enregistrait des singles bien foutus et produisait quelques groupes. Tiens, les Damned, par exemple. Quand ils virent un peu power-pop, les Lullies sonnent comme les Real Kids. Ils ne se goinfrent pas de Nutella mais de bons disques. Leurs influences sont claires et nettes et sans bavures. Ils pourraient presque sonner parfois comme les Ramones. Morceaux enchaînés, pas de setlist, on sent le groupe bien rôdé.

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    Quand on lit l’avant dernier numéro de Dig It - dont ils font la couverture - on découvre qu’ils tournent déjà dans le monde entier. D’ailleurs l’interview est marrante. Roméo aime bien déconner. Elle se termine par un blind test et il reconnaît un single de John De Cann, ce qui est assez révélateur. Il dit aussi avoir apprécié le recueil de souvenirs d’Andrew Matheson, chanteur des Hollywood Brats.

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    L’album ? On peut l’acheter ou ne pas l’acheter. Ce n’est pas ça qui changera le cours du monde. Au pire, ça fait un bon album de plus dans l’étagère. On y retrouve évidemment tout ce qui fait le charme du set : les solo taillés à la croupière, le gras double d’une grande finesse et l’aérodynamisme du blast, comme dans «Don’t Blame You», un cut en forme de concentré de dégelée royale qui descend tout seul aux enfers. Il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Avec «Supermarket», on se croirait à Londres en 1978, car ça rue dans le doubledeck, c’est monté sur un beat ultra précipité et chanté à la petite renâcle, selon les lois de l’insistance en vigueur cette année-là. On retrouvera le rumble des Saints dans «Let It Out». Les connaisseurs reconnaîtront le son de Swampland, une savante mélasse de garage-punk embarquée par des bourres de basse de rêve. Leur façon de claquer les retours de couplets est typique des Saints. Avec son riff délétère, «Night Klub» n’est rien d’autre qu’une partie gagnée d’avance. On a déjà entendu ça mille fois, mais sur scène, c’est accueilli à bras ouverts. Ils jouent leurs petits ponts en toute impunité. La bassline de type Hot Rods donne au Klub une patine pub-rock. Et c’est en écoutant «Mourir D’Ennui» qu’on songe aux Real Kids. Ils jettent l’ancre dans l’anse de ce vieux son trépidé et ça leur va bien. L’un d’eux siffle à l’entrée du solo, comme au temps des Dolls. Bien vu. On retrouve des échos de «Get Off The Phone» dans le «Meet The Man» qui ouvre le bal de la B. Une B qui réserve son petit lot de surprises : on croirait entendre un groupe de Camden, tellement le rock’n’roll de «7 AM» sonne juste. Ils connaissent toutes les ficelles de caleçon, ils jouent leur destin aux dés du rock et gagnent à tous les coups. On pourrait croire qu’ils trichent, mais non, ils ne trichent pas. Ils ne pipent pas les dés. Comme Luke la Main Froide, ils jouent sur du velours. Les virées en solo sont des merveilles de perforation viscérale. Roméo vrille sans ciller. Il faut le voir pour le croire. La seule reprise de l’album est un cut du plus ténébreux des géants de l’underground, Sonny Vincent. Ça s’appelle «Bad Attitude» et ça relève du trash-punk d’acharnement, avec des cassures de rythme et une sauce de solo concomitante à volonté. Ce mec swingue au-dessus du son, c’est tout simplement admirable. On retrouve le panache des Saints dans «Leavin’ With Me». La prod met en valeur le pulsatif de la section rythmique. Ces deux-là font tout ce qu’il faut pour devenir imbattables. Manah fait la loco, il faut le voir foncer à travers la plaine.

    Signé : Cazengler, Luli rastaquouère

    Lullies. Le Trois Pièces. Rouen (76). 11 juin 2019

    Lullies. Les Lullies. Slovenly Recordings 2018

    MONTREUIL / 19 – 06 – 2019

    LA COMEDIA

    MANESS BROTHERS / CATL

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    La Comedia s'internationalise. Deux groupes, l'un du Canada et l'autre de la grande Amérique. Autant vous dire que la teuf-teuf galope à tous crins au travers des plaines infinies de la Seine & Marne. Il est des rendez-vous ratés qui seraient impardonnables.

    MANESS BROTHERS

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    L'on n'échappe pas à son destin. Que faire d'autre, lorsque l'on gîte de l'autre côté de l'Atlantique, au confluent du Mississippi et du Missouri, dans dans la ville mythique de St Louis, si ce n'est du blues ? Les Maness Brothers s'adonnent donc naturellement au blues, au Heavy Delta Blues serait-on tenté de dire. Very Heavy si l'on considère la planche à delays de David aussi fournie qu'un tableau de bord de Boeing 737. Mais l'esprit du delta est là. Et il vous tombe dessus et vous enserre de ses serres acérées tel un oiseau de proie qui choit de son poids de mort sur un malheureux rongeur. La faute à Jake. Tout seul. Sans que personne ne s'y attende. L'a poussé un hurlement, un appel d'avertissement et de ralliement, un holler diabolique, un long cri primal, un condensé de toutes les terreurs de l'humanité concassées et ramassées en une torrentueuse cascade de haine néolithique de tout asservissement.

    Et tout de suite David embraye sur sa guitare. Un effroyable cataclysme sonore vous emboutit l'âme par toutes les pores de la peau. Ecrasement maximal, le son est en vous, accentue la pression de vos artère et vous pulvérise le cerveau, si tant est qu'il vous en reste encore un. Jake chante comme la tempête souffle dans le désert et les alligators sortent des mangroves et attaquent la ville. Demain ils seront les rois de la planète et nous assisterons au retour des dinosaures. Jake est le virtuose de la grosse caisse. Il ne tape pas, il kick out the jam à chaque battement. Jake ne joue pas, il enfonce le réel, il défenestre la réalité et David persévère au plus profond des cercles de l'enfer.

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    Ils ne sont que deux, deux grands gars avec des cheveux soyeux encore plus longs, mais ils font de la musique à la manière des bulldozers, ils poussent, ils arrachent, ils moissonnent, ils déblaient les déchets de notre monde, pour les jeter l'on ne sait où. Sans doute est-ce folie, car une fois qu'ils seront allés tout droit devant eux, seront-ils forcés de revenir à l'endroit d'où ils sont partis, Mais la structure du blues est ainsi, toujours recommencée, au bout de quelques mesures vous voici une nouvelle fois au début de la ronde, et il vous faut repousser le rocher de Sisyphe jusqu'à sa culminance extrême d'où il basculera et déboulera sur vous vous réduisant en charpie sanglante, les Maness Brothers parce qu'ils poussent le blues dans ses ultimes conséquences stoneriennes, l'aiguisent à la manière d'un boomerang effilé qui tournoie sur lui-même et se retourne vers son lanceur et le lacère de milliers d'estafilades. Le blues est une musique masochiste mais vous ne trouverez pas mieux pour éradiquer le vieux monde, le faire reculer, le mettre hors-jeu et puis résister pas à pas quand il contre-attaque, vous repousse dans les extrémités les plus sombres, les marges les plus marécageuses et qu'il reprend toute sa place, toute sa dominance écrasante et absolue.

    Alors dans ce combat douteux, les Maness Brothers en appellent à toutes les forces éparses, les grains de blé humain sous l'impavide meule broyeuse se transforment en pierres d'achoppement, en aérolithes de fureur désespérée et la musique devient tonitruance extrême, le chant incantation voodoïque et le grand serpent du blues encore une fois se mord la queue et réduit la circonférence de son anneau éternel jusqu'à vous broyer dans l'étau de sa musculeuse et irrémédiable puissance. Les Maness Brothers expriment la quintessence du blues, y parviennent non pas pas par une opération de réduction infinie mais au contraire par une surmultiplication sonore ravageuse. Surchauffent le tintamarre à tel point que l'alambic des monnshiners explose, il ne s'agit pas de boire sa fiole personnelle réservé à quelques élus, mais d'arroser les gosiers assoiffés du monde entier, de déclencher une pluie diluvienne qui ne vous sauvera pas mais qui vous tirera de la torpeur de votre impuissance.

    Un set assez court mais suffisant pour ébranler les fondations des acceptations sociétales. Jake et David descendent de scène, avec cette sorte d'humilité d'ouvriers de l'horrible qui viennent d'achever leur part de travail. A vous de prendre la suite, de terrasser les dragons de papier de votre existence. Magnifique.

    CATL

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    Tonnerre et torrent de Toronto. J'étais sorti durant l'inter-set, suis rentré dare-dare aux deux premiers coups de caisse claire. Il est des sonorités qui ne trompent pas. Après le dirty heavy blues, le nouveau groupe faisait un grand pas en avant dans le gouffre du high hot rock'n'roll. Il est des soirs où tout s'enchaîne souverainement. Encore un duo. Batterie réduite au minimum, deux caisses claires, un point c'est tout, et une simple guitare sans ribambelle de delays. Une fille et un garçon. Rien d'autre. Un set rock'n'roll de toute beauté.

    Pure real rock'n'roll. Pas d'embrouille, pour un public français attaché à la gloire irréfragable des pionniers. Non quelque chose d'autre. Pas la story des greats rockers, encore plus profond, ce sentiment de délivrance que fut l'apparition du rock'n'roll dans les adolescences corsetées des années cinquante, le bouchon champagne qui pète et la bouteille trop longtemps comprimée qui explose.

    Sarah K est à la batterie. Sarah ! Une fille de rêve dans ses cheveux blonds. Tant de joie, tant d'énergie. Catl à la guitare fournit le son. Sarah le met en forme. C'est elle qui découpe. Qui lui donne forme. Qui le sculpte. Qui lui insuffle sens et esprit. Le sourire et la fougue. Elle danse. Une ballerine folle. Une marionnette sans fil qui à chaque mouvement nous enseigne les lois de la liberté. Shakin' Sarah ! Non elle ne tape ni avec avec baguettes, ni avec mailloche, certes elle possède ces instruments, mais c'est avec tout son corps mouvant qu'elle impulse une pulsation originelle, un son de sang, une éblouissance artérielle, un son charnel, un don de soi à chaque battement. En rien rivée à ses toms. Elle est autour. Toujours présente à l'instant précis du temps à marquer, mais entre temps, ailleurs à mille lieues dans le ballet jubilatoire d'une exultation sans borne. Une espèce de scalp-dance sans poteau de torture, une exaltation de grand pow wow indien.

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    Elle chante. Comment fait-elle dans son remuement infini pour se concentrer à cette tâche essentielle. Je ne sais. Mais elle a la voix des profondeurs. Qui sort des entrailles, du monde intérieur, de la bouche d'ombre, un chant de tumulte et d'allégresse, une apostrophe au bonheur du mode, un hymne au soleil de vivre, à la beauté d'être, seulement et pleinement présence d'être. Une sarabande de faucons qui se lèvent dans votre cœur et s'envolent haut très haut dans des hauteurs que vous avez crues inaccessibles.

    Catl courbé sur sa guitare. Chante aussi en fausse sourdine assourdissante. Il passe les riffs. Les commence à la Chuck Berry – n'oubliez pas que nous sommes en plein rock'n'roll – oui mais le plus intéressant c'est la manière dont il les termine. Ou ne les termine pas. Lui il les ouvre. Leur donne une ampleur, un suivi inédit. Vous aimeriez que je vous cite un nom de guitariste connu qui s'est avancé dans ce style de démarche, je n'en vois qu'un malheureusement à vous proposer, celui de Catl, l'a son truc à lui de régler ou de dérégler le problème, une espèce de fluidité rythmique, qui ne s'amenuise jamais, au contraire, il hausse le ton, et il contribue nettement à l'allant de Sarah. De temps en temps il n'y tient plus, il s'approche d'elle, en une espèce de marche de canard gnomique, en adoration devant l'ondine, et même à plusieurs fois il se glisse derrière elle, en une sorte de mime dionysiaque et priapique, mais bien vite il revient à son ampli comme s'il s'éloignait d'un trésor.

    Un rythme de plus en plus rapide et un son de plus en plus violent. Sont carrément émerveillants. L'on croit que l'on est arrivé au dernier morceau. Au paroxysme de la fête païenne. Mais il ne faut jamais croire, juste penser que l'impossible est toujours possible. Et ils repartent pour un dernier éclat, le plus extravagant, le plus mirifique. L'on se dit que c'est trop, que cette fois Sarah ne pourra pas taper plus vite et chanter plus fort, mais elle nous détrompe, par trois fois Catl pousse l'incandescence de ses riffs au plus profond des fournaises de l'enfer. Mais à la quatrième, c'est trop. Sarah s'effondre. Elle tombe. Elle meurt. Allongée sur le bois de cercueil de la scène, les quatre membres écartés. Mais ce n'est pas grave, elle est encore plus belle morte que vivante. El l'on assiste à la résurrection, on ne l'espérait pas, on le savait, les déesses sont immortelles, elles se relève et toute pimpante, le corps embuée de la rosée de sa sueur elle repart au combat dans un final grandiose.

    Ce soir le rock'n'roll s'est fait fille. Elle s'appelait Sarah K.

    Damie Chad.

    ( Photos : Whisky and Maness on stage : Catl

    autres photos : FB des artistes )

    THIS SHAKIN'HOUSE / CATL

    ( Catl . Records 002. )

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    Catl : vocals, guitar, banjo / Sarah K : vocals, drums, organ, piano, accordéon, percussion.

    Lamplight the way : débute lentement profitez-en pour une dernière prière, car très vite c'est la nef des fous, une rythmique de dingue à la Jerry Lou, et de temps en temps vous avez l'impression d'un impression d'une tribu de zombie en folie, un peu comme la Pink Thunderbird de Gene Vincent, mais je les soupçonne d'avoir coupé les freins juste pour s'écraser sur le mur du son à fin. Resistance place : plus doux, c'est Sarah qui s'empare du vocal, magistral, et bien sûr on finit par agiter les mouchoirs, elle stompe tout mou, le train s'élance pesamment, elle fait durer le plaisir, Catl, en profite pour faire larmoyer sa guitare qui fuit comme un robinet qui fait déborder la baignoire, Sarah s'emporte et puis se calme, un peu comme le Vésuve qui relâche un panache de fumée juste pour vous avertir. Tant pis pour vous si vous ne vous êtes pas mis à l'abri. Gateway blues : tiens ils ouvrent le portail du blues, y a un harmonica qui tressaute joliment, un peu à la Not Fade Away et Sarah prend le lyric, elle étire sa voix comme un python réticulé qui s'éveille, tiens elle s'enroule autour de votre cou et elle serre de plus en fou, affolement général, trop tard. F. U. Blues : Pete Ross est venu avec son harmonica, joue plutôt rosse que rose, vous avez Catl qui fait la contre-voix, Sarah qui passe les ordres et le trio maudit se livre à une déjantée blues des plus cavalantes, mais pourquoi sont-ils obligés de temps en temps de se livrer à des éclats de chaos échevelé. Pour nous faire du bien. Shakin' House Blues : ça fuse et ça pulse, l'harmo vous broute la boite crânienne, Sarah tape dessus pour que ça ne se voit pas trop, des banderilles de guitares n'en finissent pas de tomber comme volée de flèches sioux, le train fonce dans la nuit et dans le décor. Ne s'arrête plus jamais. Save myself : vous remettent le piano à la Little Richard, chantent comme s'ils aboyaient, ces gens-là sont des amoureux du grabuge, ça chicore sauvage, ça ne s'est pas arrêté mais c'est reparti comme en 14 avec l'attaque à la baïonnette. Bastringue total. Dead water Disco : rien que le plaisir de poser des voix sur des élonguements de rails qui vous courent tout droit vers l'enfer du blues, Sarah plus féline que jamais feule de toutes ses amygdales, remplace le bedeau pour chanter à votre enterrement. Elle se tire de cette sale histoire beaucoup mieux de vous. Frottis de cordes terminal comme des pelletées de terre sur votre cercueil, à la fin vous avez une chorale d'anges. Waiting list : vous paierez cher pour rester infiniment sur cette liste d'attente, juste une espèce de maelström phonique avec des verroteries d'harmo aussi tranchants que du verre. Catl mène la danse enfiévrée. Hold my body down : le blues susurré comme une menace qui point, une corde qui se répète et Sarah qui rejoint le chœur, sûr qu'elle n'est pas venue pour passer le temps, gradation subite, l'infernal boxon recommence, on ne devrait jamais les laisser ensemble vous transforment une séance d'enregistrement en pétaudière assassine. Ne vous penchez par la fenêtre pour chercher une issue de secours, il n'y en a pas et c'est dangereux. Klaxonne très dur en fin de morceau. Awake all night ( song for witness ) : Sarah ne sort pas sa poêle à frire c'est Catl qui se colle au banjo, Sarah se rencarde à l'accordéon. Retour au country. Mais du temps où les routes n'étaient pas goudronnées et où les bisons venaient paître dans votre cuisine. Pas d'inquiétude, la rude voix de notre couple de fermiers vous chasse les méchantes bébêtes sans problème.

    Un beau disque. Une espèce de psychoblues déjanté, pour ceux qui aiment les étiquettes du côté des Cramps et du Gun Club. Une revisitation des origines mythiques du rock'n'roll. Les amateurs se précipiteront. Les autres, vaut mieux qu'ils ne fourrent pas leur main dans ce nid de crotales. En plus les urgences sont en grève.

    Damie Chad.

     

    SOCIETE TRANS-HUMAINE

    PRINCE ALBERT

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    Cedrick Adam : guitare, chant + text / Virgile Maruani : guitare, choeurs, synthé, violon + mix / Cyprien Ortuno : basse + choeur / Olivier Arnold : batterie

    Désinvolte : la voix devant, ce qui n'empêche pas derrière ça galope sec, mais parfois il est important que l'oriflamme que l'on agite soit bien visible et compréhensible, portrait d'une génération composée d'unicités qui ne croit plus en rien, certes le futur a disparu mais le présent est encore à portée de mains. Il suffit de vouloir. Nature humaine : superbe morceau, ne s'agit pas de se demander si l'homme est naturellement bon ou mauvais mais de savoir si nous serons dignes de la folie qui nous emporte à l'assaut des barrières vermoulues de l'ancien monde. Levez-vous orages désirés ! disait Chateaubriand voici deux siècles... La flamme : orchestration lyrique, guitare rythmique, folkly, hymne au rassemblement, à la résistance, une analyse politique sans concession, il est temps que tout le monde s'y mette et déterre la hache de guerre. En l'air : attaque tous azimuts sur les médias, la démocratie représentative, le discours économico-libéral... il serait peut-être temps d'arrêter d'écouter la télé, ne vont va pas plus loin, à vous d'en tirer les conclusions... La patrie des Iroquois : ni flics, ni lois, ni chefs, la patrie des Iroquois sent bon l'anarchie, suffit de la rejoindre, de quitter travail boulot, patrons, prisons. La nouvelle modernité : tout va mal, si l'homme est souvent machine à broyer ses semblables, sa nature est celle de la pierre d'achoppement. Détruire la machine ne sera pas facile, mais n'oublions pas que nous sommes mortels. Prince Albert : le prince n'est pas en grande forme ce matin, mais ce n'est pas grave, l'a sa princesse avec lui, que lui importe le reste... Société trans-humaine : les nouvelles utopies ne sont peut-être pas aussi belles qu'elles le promettent. Méfiez-vous de ce que l'on vous offre, et de ceux qui critiquent votre réalité pour la remplacer par une autre encore pire. Ne perdez pas votre humanité. Sur mon paratonnerre : un visage éphémère entrevu durant un set, assez pour allumer le feu à l'intérieur, la suite de l'histoire n'est pas intéressante, il est des incendies qui brûlent toujours.

    Superbe disque. Des textes intelligents, dans l'air du temps, de cette révolte qui gronde, surgit, et puis disparaît, pour renaître ailleurs, mille petits foyers qui s'allument un peu partout et puis s'éteignent, mais l'on sent que le grand incendie est pour bientôt. Une musique qui cogne et détale droit devant comme un monstrueux feu follet qui s'échappe pour vous montrer le chemin de la révolte. N'oubliez pas que vous êtes tous des Princes Albert et qu'il vous faut conquérir le royaume de votre propre liberté.

    Dans quelques années l'on dira : le Prince Albert, il avait tout prophétisé. Z'oui, mais essayez de vivre, sans inconséquence, au présent ! Réveillez-vous !

    Damie Chad.

    YOUNG GIRLS PUNK ROCK

    LILIX & DIDI

    ( M & O Music / 089 / 2018 )

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    Didi : chant, batterie, basse / Lilix : batterie, basse, choeur / Zo : clavier, guitare, choeur / Lio : guitare.

    Un vieux groupe, même si elles n'ont que seize et dix-sept ans. Ont déjà un autre disque à leur actif enregistré à l'âge de douze. Ce ne sont pas des surdouées – c'est ainsi maintenant que l'on appelle les élèves, qui par ennui et manque d'appétence vitale, ne font rien au collège – Lionel Riss guitariste et géniteur de Didi, qui fut la cheville ouvrière d'Alexx et les Moonshiners, que vous ne confondrez pas avec les ( Fabuleux ) Moonshiners chroniqués ici-même le mois dernier.

    Une agréable pochette attrape-vue, un dessin de nos demoiselles stylisées, aux couleurs de ces bonbons Haribo qui stimulent l'appétit, en dos et deuxième de couve deux très jolies photos posées, en même temps subtilement mises en scène et terriblement conventionnelles, la planche-contact du troisième volet nécessitant des yeux de lynx perd toute signifiance. Attention, l'on nous vend une image, qui ne correspond pas exactement à la personnalité des intéressées. Certes, les groupes se fabriquent un look, mais ici il semble que l'on cherche à ce que ces jeunes filles correspondent à la vision-type des ados de nos jours, et le résultat ne manifeste en rien leur implication individuelle à la musique dont elles se revendiquent. Le fossé entre représentation artefactique d'une authenticité trafiquée mais maîtrisée ne doit pas céder aux impératifs commerciaux d'un produit d'appel de consommation courante. Entre toc et tact, frontière poreuse !

    The KKK. Take my baby away : voix de jeunes fille sur la colline suivi de chœurs Beatles qui s'arrêtent et reviendront par la suite, dichotomie entre la guitare qui grogne et la voix haut perchée qui dicte ses ordres. Batterie en trampoline au début mais qui heureusement très vite s'en va traîner dans le ruisseau réservé aux pourceaux. L'on n'en sort qu'à moitié convaincu de cette tête de gondole Ramones. Un peu trop démonstration de premières de la classe. Dickhead : adaptation de Maid Of Aces, la voix mord davantage sur cette tête de bite, Du coup l'adaptation est beaucoup plus crédible. Les guitares riffent comme des coups de cran d'arrêt dans le ventre, et au chant Didi sort ses tripes. En plus ils prennent leur temps. Rimini : adaptation des Wampas, morceau dédié à Pantani coureur cycliste retrouvé mort dans sa chambre d'hôtel, un slow sixties comme l'on n'en fait plus, voix perverse d'adolescente qui s'occupe de ce qui ne la regarde pas. Franchissent la ligne d'arrivée en tête. Vous vous précipitez pour leur faire la bise. Camarade bourgeois : de Renaud qui a salement déjanté ces dernières années... guitares incendiaires, batterie hachoir, vous rhabillent le morceau à l'as de pique. Pas de voix de harpie mais parfois c'est encore plus vexant quand les filles tirent la langue. If the kids are united : de Sham 69, le titre et le refrain sont en anglais mais les couplets en français. Un beau coulis de guitare, l'orchestration est réussie, et réussit à emballer à la fin, les paroles ressemblent un peu trop à l'internationale des pré-ados, manque un peu de sang et de guillotine. Bla Bla : c'était le plus beau morceau sur scène la semaine dernière, cette adaptation des Daygo Abortions est aussi le titre le plus réussi de la galette, pas de français, pas d'anglais, en plein dans l'espéranto punk. Boom Boom : interprété en français, c'est le clavier de Zo et les guitares qui sauvent la mise, parce que si la version des Animals, avec la voix d'Eric Burdon est dans votre oreille Didi aurait dû prendre one bourbon, one scotch, one beer, avant de se lancer. C'est Noël : elles en pincent pour les Wampas, la fin du morceau vous réconciliera avec la naissance du petit Jésus. Un beau charivari. Même que Didier Wampas est obligé de leur faire la leçon de morale. Un comble. Méfiez-vous de la jeunesse, bande de croulants. London riot : visent haut et ne ratent pas la cible, bien chaud, bien balancé, le Riss riffe comme un lion, Didi miaule à la manière du chat qui insiste pour sortir. Vous finissez par céder. J'ai avalé une mouche : un bon choix, la chanson gentillette et idiote. Une relecture de la fausse innocence sixties. Attention les enfants commencent à grandir, va falloir surveiller leur fréquentations et leurs sorties.

    L'ensemble est sympathique. C'est bien fait et profilé pour un public de teenagers qui ne roulent pas en Ferrari et qui n'ont aucune idée qu'il existe de par le monde des pistes ombreuses... Le prochain disque sera décisif, si elles prennent leur destin en mains.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    le service secret du rock'n'roll

    SAISON 3 : LE DOSSIER E

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    La publication du Dossier A nous a valu des milliers de lettres de la part de lecteurs interrogatifs et abasourdis. Nous rappelons que l'accès à ces documents déclassifiés du SSR est strictement dévolue à une élite pourvue d'un fort quotient intellectuel. Ainsi nous avertissons les intelligences chancelantes et trébuchantes de s'exonérer de la lecture du Dossier E qui repousse les limites mentales de l'univers.

    UN JEU SUBTIL

    Il faisait trop beau pour travailler alors Molossa, Le Chef et ma modeste personne sommes sortis nous livrer à notre délassement favori. Certains jugeront qu'il s'agit d'un jeu puéril, que voulez-vous le monde est peuplé de caractères aigris qui aimeraient y participer mais qui n'osent pas. Jugez-en par vous mêmes, d'abord le Chef allume un Coronado, ensuite nous marchons sereinement le long du trottoir cherchant des yeux devant nous. De loin nous préférons un exemplaire de la gent féminine, une taille élancée, une svelte silhouette, une merveilleuse cambrure des reins. Attention, condition sine qua non, elle doit pousser devant elle une poussette et même mieux un landau. Nous nous portons à sa hauteur, nous la dépassons, le Chef par sa gauche et moi par la droite. C'est à cet instant qu'il faut jouer de finesse : '' Mon Dieu quel magnifique bébé, admirez Chef jamais je n'ai vu un si magnifique poupon'' La jeune dame ne se retient plus, elle en frétille d'aise comme le Corbeau sur sa branche perché : '' Oh Monsieur, c'est top gentil, mais c'est une fille !'' '' Ah ! Je comprends pourquoi elle est si jolie, elle ressemble à sa maman ! Regardez Chef, avez-vous déjà vu ne serait-ce qu'une fois dans votre vie une aussi ravissante bébelle ? '' '' Ma foi non, agent Chad, pour une fois vous dites la vérité !'' Et le Chef se penche, approche son visage souriant du nourrisson et lui plash-crache la fumée de son Coronado sur son minois de belette syphilitique. Et l'on s'en va en éclatant de rire alors que le bébé éternue, s'étrangle, hoquette, pleure, vomit. Deux ou trois fois il nous est arrivé que l'un d'entre eux tombe dans un coma diabétique. Des joies simples, d'autant plus que lorsque la mère veut nous abreuver d'injures, Molossa, chienne bien élevée qui ne supporte pas les gros mots, lui mord le mollet pour lui signaler la nécessité des bienséances élémentaires.

    Bref cette matinée nous offrit l'occasion de nous livrer une dizaine de fois à cette saine occupation, mais ces joyeux coups de chance cessèrent, nous ne trouvâmes plus que des jeunes cadres dynamiques sérieux comme des papes accrochés à leurs porte-documents. Nous continuâmes donc notre promenade lorsque je remarquai à voix haute que depuis une vingtaine de minutes, contrairement à son habitude, Molossa nous suivait de près au lieu de batifoler de tous côtés. Le Chef exhala un nuage de fumée : '' Enchanté de votre judicieuse remarque, Agent Chad, j'eusse préféré que vous eussiez plus de jugeote que votre chienne, si cette bête protège nos arrières, c'est parce qu'elle s'est aperçue, elle, que nous sommes suivis depuis exactement vingt-deux minutes dix-sept secondes. ''

    UNE FILATURE INCOMPREHENSIBLE

    L'était pas très discret, de grande taille, un peu éloigné certes, mais avec son immense imperméable vert-perruche sale qui descendait jusqu'à ses pieds, son cache-nez jaune canari malade qui lui remontait jusqu'aux yeux, et son chapeau rouge-gorge déplumé qui ombrageait son front, il ressemblait à un épouvantail ambulant. Au premier croisement je pris à gauche et le Chef à droite, quand sous prétexte de bader une vitrine je risquais un regard latéral, je dus convenir qu'il avait choisi de me suivre à moi. J'en étais tout fier. Je n'étais plus qu'à cinq cents mètres du local, un camion de livraison arrêté à un feu rouge le cacha, quand le véhicule démarra, il avait disparu.

    Le Chef m'attendait à son bureau, l'était en train d'allumer un Coronado. L'avait l'air soucieux :'' M'a échappé, m'a suivi pendant une heure et puis, à un tournant, pfftt, envolé, évanoui comme la fumée d'un Coronado !''

    Lorsque j'eus raconté mes pérégrinations, nous fûmes plongés dans une profonde stupéfaction. Comment cet olibrius avait-il pu être en deux endroits différents en même temps, cela dépassait et outrepassait les principes de la logique aristotélicienne !

    D'INQUIETANTES INFORMATIONS

    Pendant trois jours il ne se passa rien. Mais le quatrième nous reçûmes une visite interdite. Pour des raisons de sécurité évidentes, les agents périphériques du SSR ne doivent pas se rendre dans le QG de commandement opérationnel. C'est la meilleure façon d'être repéré par des services ennemis... il faut l'avouer l'agent Lucky Ducky contrevint à ce principe de base, mais dès que nous vîmes sa figure blême, ses mains tremblantes, son regard hagard, nous comprîmes que l'affaire était grave. D'ailleurs il commença par vider d'un seul trait la bouteille de Jack sur le bureau du Chef, en redemanda une seconde, ce n'est que lorsqu'il eût achevé qu'il parvint à parler.

    Je me permets de vous présenter en quelques lignes le poste qu'occupe l'agent Lucky Ducky dans notre organisation. Il a été placé par nos soins à la RATP. Ses collègues l'adorent, n'ont jamais eu un responsable de service aussi cool, offre le champagne chaque fois que sa chatte fait des petits, en outre le gars pas regardant pour les arrêts de travail, signe sans tergiverser les autorisations d'absence et de congés exceptionnels, lui-même consent quelquefois à s'asseoir dans le central et à jeter un coup d'œil fatigué sur les écrans des ordinateurs reliés au réseau de caméras de surveillance. Ce que personne ne sait c'est qu'il a installé un programme pirate spécial qui le renseigne à la minute près par SMS sur des individus suspects au comportement erratique qui finissent toujours par descendre à une des stations desservant le SSR.

    '' Inimaginable ! Impensable ! Incroyable ! Voilà, depuis trois jours il y a une espèce de grand échalas habillé comme un perroquet, qui traîne dans les wagons. Au début à cause de son imperméable j'ai soupçonné un exhibi, mais non c'était une fausse déduction. Par contre il descend systématiquement aux trois sorties qui desservent le SSR.

      • très intéressant, continuez !

      • Je crois que vous ne m'avez pas compris, il...

      • Je subodore qu'il sort aux trois sorties différentes en même temps, glissa le Chef

      • Exactement, j'ai voulu en savoir plus, j'ai branché le système sur les caméras de la ville de Paris, on a reconstitué leurs itinéraires, se sont retrouvés tous les trois en bas de la porte de l'immeuble du SSR, ils sont rentrés et là plus de caméra pour les suivre. J'ai pensé que c'était grave, alors je suis venu vous avertir.

      • Agent Lucky Ducky, vous avez raison, cela dépasse l'entendement, rejoignez votre poste et restez en contact avec nous ''

    EVENEMENT INCOMPREHENSIBLE

    Lucky Ducky n'était pas retourné à son poste depuis deux heures, que le téléphone sonna, c'était lui : '' Ils arrivent tous les trois.... ils se retrouvent devant l'entrée.. ils entrent dans l'immeuble... à vous de jouer, faites gaffe !''

    J'étais devant la porte, l'on sonna ,j'ouvris à la seconde, Molossa fonça, personne, le palier était désert, l'ascenseur encore arrêté à notre étage, Molossa fureta partout, on la sentait intriguée...

    EVENEMENT SURNATUREL

    Trois heures plus tard nouvelle communication de Lucky Ducky atterré : '' Ils sont au moins cinq cents, un dans chaque wagon, présentent un bout de papier systématiquement à tous les passagers.. à la mines soucieuse des voyageurs on comprend qu'ils ne peuvent pas le déchiffrer... je tente le tout pour le tout, j'envoie les brigades d'intervention tous azimuts, ce serait bien le diable si l'on n'arrivait pas à en attraper un, je prends la chasse en main, à plus ! ''

    Dix minutes plus tard, le téléphone sonnait une nouvelle fois, encore Lucky Ducky, triomphal : '' A peine s'est-on jeté sur un des cinq cents zigotos qu'ils ont tous disparu par magie, par contre j'ai pu récupérer un des petits morceaux de papier qu'un passager tenait dans sa main, je vous l'emmène !''

    L'ENIGME

    Un simple bout de papier, deux mots illisibles gribouillés dessus. Durant trois heures l'on a essayé de déchiffrer, mais c'était trop mal écrit. Le Chef s'apprêtait à prendre un Coronado lorsque Molossa poussa un aboiement sourd. Je fonçais sur la porte et l'ouvris en grand, l'était là le grand Duduche, dans son accoutrement coloré, ne prononça pas un mot, réfléchit un grand moment et consentit à faire un pas en avant. Je lui désignai une chaise mais il eut un vague geste de dénégation. Le Chef lui tendit le bout de papier qu'il saisit maladroitement d'une main gantée avec laquelle il désigna le plafond et resta silencieux tel un héron figé au bord de son marécage. Un long silence s'établit. Et brusquement le Chef se leva, reprit le morceau de papier, y jeta un rapide coup d'œil et s'écria : '' Mais bien sûr, agent Chad, vous auriez dû y penser depuis un bon moment ! Filez là où vous voulez, mais dans une heure je vous veux ici, avec la discographie complète de Chuck Berry, originaux, CD, vinyles, vidéos, tout !''

    RESOLUTION

    Cinquante sept minutes quarante huit secondes plus tard j'étais de retour, un peu essoufflé, mais avec un énorme sac plastique rempli de la discographie complète de Chuck Berry que je tendis à l'épouvantail bariolé, il se saisit de l'anse et une seconde plus tard, il n'était plus là, volatilisé !

      • Voici une affaire terminée, s'écria le Chef en craquant une allumette promise à un destin coronadien.

      • Chef, comment vous avez pu déchiffrer le papier si vite !

      • Facile quand tu connais la réponse, maintenant j'admets que le sagoin doit souffrir d'une terrible dystropomorphie désorganisationnelle de la formation des lettres !

      • Mais Chef, comment avez-vous deviné qu'il voulait des disques de Chuck Berry spécialement !

      • Contrairement à vous Agent Chad, j'ai commencé à réfléchir quand il a désigné le plafond !

      • Personnellement Chef, quand je regarde le plafond, je ne pense pas obligatoirement à Chuck Berry, et je suis sûr que l'immense majorité de mes contemporains...

      • Agent Chad, vous connaissez l'apologue chinois de l'imbécile qui voit le doigt qui lui montre la lune, notre invité nous a montré le plafond pour désigner l'espace ! Une fois que votre esprit en est arrivé ce point déductif, le reste c'est du gâteau, de la tarte aux fraises, one dozen Berrys !

      • Chef, je suis perdu !

      • Agent Chad, ce type enveloppé dans son imperméable, c'est un extra-terrestre, un peuple d'humanoïdes quelconque a dû récupérer aux confins de l'univers les sondes Explorer 1 ou 2, envoyées par la Nasa en 1969, dedans ils ont trouvé le Johnny B. Goode que l'on avait y avait pieusement entreposé pour apprendre aux civilisations extra-terrestres le haut niveau de culture rock'n'roll de la civilisation humaine, et ils ont envoyé un agent pour récupérer le reste de la disco du vieux Chuck, preuve que ces gens ont du goût ! Par contre question communication, ils ne sont pas encore au point, raisonnent bien, puisqu'ils ont compris qu'il fallait s'adresser au SSR, mais un peu démunis pour discuter. Envoyez un SMS de félicitations à l'agent Lucky Ducky, sans sa surveillance, notre gazier n'aurait jamais eu le courage de nous contacter. Son intervention a dû débloquer chez notre visiteur une barrière psychologique, d'après moi.

      • Ah, Chef, cette faculté de se dédoubler à plusieurs centaines d'exemplaires, n'est-ce pas merveilleux ! Je m'imagine déjà la même nuit auprès de cinq cents jeunes damoiselles !

      • Taisez-vous agent Chad, vous me faites souffrir, pensez que je pourrais fumer cinq cents Coronados à la fois, quel rêve !

    Damie Chad.

    *

    Et vous chers lecteurs qu'aimeriez-vous accomplir cinq cent fois en cinq cents lieux différent en un même moment ! Je vous avais prévenus ce dossier E ouvre des perspectives hallucinantes !