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muddy gordy

  • CHRONIQUES DE POURPRE 615 : KR'TNT 615 : CYNTHIA WEIL /MUDDY GORDY / CHUCK BERRY / LUKE HAINES / WILLIE TEE / TORONTO ROCK'N'ROLL FESTIVAL / HERETOIR / THE CASTELLOWS / LIPSTICK VIBRATORS

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 615

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    12 / 10 / 2023

     

    CYNTHIA WEIL / MUDDY GURDY / CHUCK BERRY

      LUKE HAINES / WILLIE TEE

    TORONTO ROCK ‘N’ ROLL FESTIVAL

    HERETOIR / THE CASTELLOWS

    LIPSTICK VIBRATORS

                                                                                                                                                                                                                                               

    Sur ce site : livraisons 318 – 615

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    Weil que Weil

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             Goffin & King, Barry & Greenwich, et Mann & Weil furent les trois dream teams de choc du Brill, en tous les cas les plus connus. Ils sont entrés dans la légende du rock avec un tas de hits intemporels, certains co-écrits avec Totor qui n’était pas manchot quand il s’agissait de créer de la magie. «River Deep Mountain High» reste le meilleur exemple de collaboration entre Totor et Ellie Greenwich. Disons que les hits composés par Ellie Greenwich étaient les plus évidents. Ceux composé par le team Mann & Weil étaient beaucoup plus sophistiqués. Étant donné que Cynthia Weil vient de casser sa pipe en bois, nous allons lui rendre hommage avec, comme d’usage, les moyens du bord, c’est-à-dire deux bonnes vieilles compiles Ace.

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             La première s’appelle Glitter And Gold (Words And Music By Barry Mann And Cynthia Weil). Elle date de 2009. Treize ans déjà ! Chaque mois, dans Record Collector, la page de pub d’Ali Bab-Ace annonce les nouveautés et on saute systématiquement sur toutes ces compiles. C’est même une ligne de budget prioritaire. Ace d’abord, pour le reste on verra.

             Mick Patrick signe les liners de ce premier tome. On apprend qu’avant de collaborer avec Barry Mann, Cynthia bossait avec Carole King, à la demande de Don Kirshner. Puis comme elle avait flashé sur Barry qu’elle trouvait mignon (cute), elle a réussi à l’approcher pour bosser avec lui et pouf, ils se sont mariés dans la foulée. Mick Patrick dit qu’ils sont restés toute leur vie ensemble, avec, comme le font les gens intelligents, des coupures pour aller respirer un autre air. Changer de crémerie, comme on dit. Barry composait la musique et Cynthia écrivait les paroles. Voilà ce qu’on appelle un dream team. À la ville comme à la scène. Tous les ceusses qui ont vécu l’expérience du dream team dans le business créatif savent à quel point c’est une expérience irremplaçable. Monter une boîte avec une âme sœur et en vivre grassement, c’est l’expérience ultime. Après, c’est très compliqué de vivre des relations sentimentales classiques. On s’y ennuie comme un rat mort. Dans leur grande majorité, les gens n’ont aucune idée de ce qu’est une conduite de projet. Un projet est à l’image de la vie : ça se conçoit, dans l’optique d’un développement et accessoirement d’une réussite. Et c’est généralement beaucoup moins compliqué qu’on ne l’imagine. Bien sûr, il faut quelques dispositions on va dire culturelles, et une certaine vision des choses, qui inclut bien sûr un goût du risque. Il faut surtout éviter de vouloir gérer. Le rationalisme économique et l’élan créatif n’ont jamais fait bon ménage. Chacun sait qu’un bon gestionnaire peut être le pire des beaufs. Le beauf tue tout dans l’œuf. Dès qu’un mec commence à te parler de tableaux Excel, il faut se méfier.

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             Le premier gros hit de Mann & Weil est l’«On Broadway» des Drifters. À la place d’«On Broadway», on peut entendre «In The Park» sur cette compile et constater une fois encore que les Drifters chantent comme des dieux. Cynthia et Barry considèrent Don Kirshner comme leur père, même s’il n’est pas beaucoup plus vieux qu’eux. En 1964, Donnie revend sa boîte Aldon à Screen Gems-Columbia et il quitte le Brill pour s’installer dans les luxueux locaux de Columbia.

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    Ça casse un peu leur relation, mais bon, ils continuent de composer et boom, ils collaborent avec Totor et pondent le «Walking In The Rain» pour les Ronettes, et l’inexorable «You’ve Lost That Loving Feeling» pour les Righteous Brothers. C’est là que Cynthia et Barry entrent dans la légende, par la grande porte. Bien sûr, ces deux hits ne sont pas sur cette compile. Mick Patrick a préféré choisir «See That Girl», qu’il qualifie d’hidden gem. Cynthia et Barry composent aussi «Kicks» et «Hungry» pour Paul Revere & The Raiders. «Hungry» est là, extrêmement sophistiqué, et c’est Del Shannon qui tape le «Kicks» avec du power à revendre. Autre hit considérable, «I Just Can’t Help Believing» pour B.J. Thomas, le chouchou de Chips. Il fait du Fred Neil, quel fantastique chanteur ! Le premier coup de génie de la compile, c’est Bill Medley avec «Brown Eyed Woman», il a le power du diable, le même genre de power que Lanegan, il va loin dans les profondeurs, et il a des chœurs de cathédrale. Barry Mann reprendra «Brown Eyed Woman» sur Barry Mann, l’un de ses albums solo. Deuxième coup de génie avec Bruce & Terry et «Girl It’s Happening Right Now» : c’est l’apothéose de Bruce Johnston, futur Beach Boy, et de Terry Melcher, le producteur des early Byrds.

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    Le Patrick en profite pour nous rappeler que ce génie purulent de Bruce Johnston a produit l’album Survivor de Barry Mann, paru sur le label Equinox de Terry Melcher. N’en jetez plus, monsieur Patrick, la coupe est pleine ! Coup de génie encore avec The 2 Of Clubs et «Let Me Walk With You», deux filles magiques de Cincinnati qui ont beaucoup de goût (great taste) et qui font un festival. Et puis bien sûr Dion avec «Make The Woman Love Me», produit par Totor, pour bien enfoncer le clou. Le Patrick va même jusqu’à dire que Born To Be With You, dont est tirée cette merveille, is one of the best albums ever made. Ça n’engage que lui, mais il n’a pas tout à fait tort. On trouve aussi la grande Joanie Sommers avec un «I’d Be So Good For You» magnifique de sucre suprême. Elle reste l’une des reines des Sixties.

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    Magie pure encore avec Arthur Alexander et ««Where Have You Been (All My Life)», et surtout les Cinderellas et un «Please Don’t Wake Me», très Spectorish. Les Cinderellas sont aussi les Cookies, avec Margaret Ross on lead, à la place d’Earl-Jean McCrea. Ah les Tokens ! Toujours intéressants, même si «It’s A Happening World» est un peu poppy poppah. Petite révélation avec le «Chico’s Girl» des Girls, un girl-group dans la veine des Shangri-Las. Ces sales petites chipies tapent dans l’écho du temps, le temps de deux singles et puis s’en vont. Ambiance à la Righteous Brothers pour le «Magic Town» des Vogues. Donna Lauren bénéficie d’un petit Wall Of Sound pour «That’s The Boy». Elle est blanche mais elle sonne comme les Ronettes. Le Patrick indique que ce «Magic Town» est resté inédit et qu’il en existe une version par Lesley Gore. Pour «The Coldest Night Of The Year», Nino tempo et April Stevens y vont au beau chant du cygne. Sylvia Shemwell prend le lead des Sweet Inspirations sur «It’s Not Easy». Il injecte tout le gospel d’église en bois dont elle est capable. 

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             Sur la pochette de Born To Be Together - The Songs Of Barry Mann & Cynthia Weil, Cynthia et Barry forment un joli couple. Leur musique est à leur image, the Dream Team Sound. «Barry Mann and Cynthia Weil are songwriting royalty», nous dit Mick Patrick. Ils sont en effet servis par les plus grands interprètes de leur temps. Ceux qu’on épingle en premier sont Clyde McPhatter et Bobby Hebb.

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    Ce géant qu’est McPhatter descend comme une ombre sur l’«On Broadway». On se régale de sa fantastique présence vocale, de son timbre profond et tranchant. Bobby Hebb est l’un des rois du groove comme le montre «Good Good Lovin’». Fabuleux crooner de baby d’all I need. Ce sont les Ronettes qui ouvrent le bal avec le morceau titre. Magie d’époque. Ce «Born To Be Together» est beaucoup plus sophistiqué que «Be My Baby». S’ensuit l’«Angelica» de Scott Walker. C’est digne de Burt : puissant et raffiné.

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    Ace a la main lourde cette fois : voilà «You’ve Lost That Loving Feeling» des Righteous Brothers, le hit parfait et même définitif. Merci Totor. Merci Barry. Merci Cynthia. Absolue perfection de la pop de Brill. Le Patrick nous en conte la genèse : Barry et Cynthia viennent à Los Angeles pour bosser avec Brian Wilson, mais ils commencent à bosser ensemble dans leur chambre d’hôtel, inspirés par l’«I Need Your Loving» des Four Tops. Barry pond l’intro, «You never close your eyes anymore when I kiss your lips» et le premier couplet. Une heure plus tard, il a deux couplets et un titre provisoire, «You’ve Lost That Loving Feeling», qu’il compte remplacer plus tard. Le lendemain, ils vont chez Totor pour compléter la compo. Totor pianote une idée de pont sur le lick d’«Hang On Sloopy», et Cynthia miaule : «Baby I get down on my knees for you !». Ils ont le hit ! Quelques jours plus tard, Barry et Totor chantent la compo aux Righteous Brothers qui restent de marbre. Bill Medley dit : «Sounds good», et ajoute «for the Everly Brothers.» Totor leur demande d’essayer. Il dit à Bill de chanter le couplet et à Bobby Hatfield d’entrer dans le refrain. Bobby n’est pas content. Il ronchonne : «Qu’est-ce que je fais pendant que le big guy chante ?», et Totor lui balance : «You can go to the bank !». Quelques semaines plus tard, Totor a fini d’enregistrer le hit et il le fait écouter à Barry qui gueule : «Phil, you’ve got it on the wrong speed !». Bobby l’avait composé three ticks faster and a tone and a half higher. Of course, Totor savait ce qu’il faisait. Méchante histoire ! Mick Patrick conclut en indiquant que «You’ve Lost That Loving Feeling» a été le hit le plus diffusé du XXe siècle. Il ajoute que Barry et Cynthia n’ont par contre jamais composé avec Brian Wilson.  

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             On reste dans les monstres sacrés avec Dusty chérie et «I Wanna Make You Happy». elle se faufile dans la pop de Soul, elle s’adapte bien à la sophistication du couple. Nouveau coup de tonnerre avec les Animals et «We’ve Gotta Get Out Of This Place», emmené par un beau drive de Chas. Eric Burdon t’explose vite la carlingue du Gotta. Pur genius de Max la menace. On salue bien bas cette merveilleuse combinaison : Newcastle cats + Brill. Panache & power. Par contre, Barry et Cynthia détestent la version des Animals. Ils avaient composé «We’ve Gotta Get Out Of This Place» pour les Righteous Brothers, mais Barry avait montré la compo à Allen Klein qui l’a aussitôt refilée à Mickie Mort, le producteur des Animals. Barry et Cynthia étaient furieux, car Mickie Most avait charclé la moitié des textes pour en faire autre chose. Barry a réussi à enregistrer la bonne version en l’an 2000 sur son album Soul & Inspiration.

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             D’autres épouvantables merveilles arrivent à la suite : B.J. Thomas et «Rock And Roll Lullaby». Ces compiles soignées permettent de revisiter une partie de l’histoire du rock moderne à travers un choix d’interprètes somptueux. B.J. est un fabuleux crooner d’espérance, il chante de toute son âme. Pire encore : Carmen McRae With The Dixie Flyers et «Just A Little Lovin’ (Early In The Mornin’)». On se retrouve au plafond de l’étage supérieur du rock américain. Cet album fait dans doute partie des plus beaux albums de rock de tous les temps, tous mots bien pesés. Dikinson nous expliquait que Carmen avait accepté de faire un disque pop. Cette diva du jazz te déplace des montagnes, elle te balance le Little Lovin’ par-dessus les toits. Même si c’est violonné à outrance, on entend le beurre sec de Sammy Creason et le bassmatic demented de Tommy McClure, sans oublier les nappes d’orgue de Dickinson. Carmen tape dans le sommet du jazz de pop. C’est à Bill Medley qu’échoit l’honneur de refermer la marche avec «This Is A Love Song». Righteous Bill est le roi du baryton. Il sculpte le son comme Rodin l’argile. Il fait monter sa purée jusqu’en haut de l’Ararat où l’attend Moïse éberlué par le spectacle. Bill est une machine, il a dix bombes atomiques dans la poitrine, il tartine toute la pop à coups de pâté de foi, c’est un vrai charcutier, il travaille sa saucisse à pleines mains, il a vraiment des gros doigts. Vazy Bill !

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    On s’intéresse encore de près à Len Barry avec «You Baby». Ce mec est bon, même s’il est blanc. Belle pression pop. Classic New York stuff avec les Crystals et «Uptown», pur juju de silver sixties avec les castagnettes de Totor. Une belle transe d’exotica avec Rubi & The Romantics et «We’ll Love Again». Les alizés te caressent les cheveux alors que tu sirotes ton mojito. Attention à Doris Day avec «Love Him» : la mère de Terry Melcher vibre de toute sa glotte hollywoodienne. Elle a de la grâce et s’en va feuler au paradis. On croise aussi les pre-fame Slade managés par Chas, avec une version de «Shape Of Things To Come». Noddy Holder ramène tout le gras des Midlands dans la perfection pop de Mann & Weil. Tu croises aussi les Monkees avec «Love Is Only Sleeping», pur jus de Monkees, mais ce n’est pas aussi magistral que les compos de Boyce & Hart. Mama Cass Elliot a des chevaux sous le capot, comme le montre «New World Coming», mais aussi de la délicatesse. Par contre, Mariane Faithfull plonge son «Something Better» dans une belle désaille. C’est très spécial. On sent la vieille Anglaise merveilleusement anticonformiste.

    Singé : Cazengler, Weil peau

    Cynthia Weil. Disparue le 1er juin 2023

    Glitter And Gold (Words And Music By Barry Mann And Cynthia Weil). Ace Records 2009

    Born To Be Together. The Songs Of Barry Mann & Cynthia Weil. Ace Records 2013

     

     

    Muddy Gurdy manne

     - Part Two

     

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             Toujours une sorte de joie dionysiaque que de retrouver Muddy Gurdy sur scène. Tia te tient par la barbichette, avec sa sulfureuse mixture de North Mississippi Hill Country Blues, de vielle moyen-âgeuse, de boogie des champs de Millet, de vierges noires, de chants de laboureurs et bourrées auvergnates.

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    Elle propose tout simplement un art unique au monde, mais visiblement ça n’intéresse pas grand monde. Elle porte ce soir-là un délicieux taille basse et un haut très haut qui nous permet de loucher sur un ventre parfait. Elle reste en mode trio et l’homme à la vielle qui s’appelle Gilles Chabenat veille aux climats et drive le meilleur des bassmatics, celui qui a le dos rond et qui rôde dans l’ombre.

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    Sur scène, Tia invite tous les géants de la terre, Sam Cooke, J.B. Lenoir, R.L. Burnside, Fred McDowell, et pour faire bonne mesure, deux géantes, Jessie Mae Hemphill et Billie Holiday. Sa cover de «Strange Fruit» est fracassante de véracité. Tia jette dans la balance toute sa vénération pour Billie. Elle parvient à remoduler ces intonations à la perfection. C’est le meilleur hommage à Billie Holiday qu’on ait pu entendre jusqu’alors. Hommage d’autant plus marquant qu’il émane d’une blanche.

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    Un «Strange Fruit» qu’on retrouve aussi sur son dernier album, Homecoming. Même chose pour le «Chain Gang» de Sam Cooke, l’«You Gotta Move» de Fred McDowell, le «Down In Mississippi» de J.B. Lenoir et le «Tell Me You Love Me» de Jessie Mae Hemphill. Toutes les covers sont admirablement drivées et interprétées, elle est dans son monde magique et en fait profiter les gens. Elle a laissé tomber les Junior Kimbrough et le «She Wolf» de Jessie Mae Hemphill de la première époque. Mais elle garde quand même un vieux shoot de R.L. avec «Way Down South» dont elle restitue tout l’éclat.

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    Elle indique en présentant le cut qu’il est un peu devenu un hymne là-bas, dans le Mississippi. Elle termine ce fabuleux set avec un «Skinny Man» qui n’est sur aucun album, solide boogie blues monté sur un bassmatic de vielle dévorant. Et puis en rappel, ils proposent le vieux Gotta Move de Mississippi Fred McDowell qu’ont tapé les Stones en leur temps.

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             Homecoming est donc un album qui grouille de puces. Tu vas te gratter pendant une heure, mais tu vas adorer ça. Tia Gouttebel commence par taper dans Jessie Mae Hemphill avec «Lord Help The Poor & Needy». Avec la vielle, ça prend vite des tours historiques, au sens du moyen-âge, mais Tia contrôle bien la situation. Il y a plus d’esprit dans ce cut que de cheveux sur la tête à Mathieu. Avec la sauvagerie du beat moyen-âgeux, The Poor & Needy te monte vite au cerveau. Elle tape ensuite dans le «Chain Gang» de Sam Cooke, elle shake sa chique au ouh ah, elle rend un bel hommage aux forçats. On reste chez les géants avec J.B. Lenoir dont elle reprend le fabuleux «Down In Mississippi». Wow, Tia ! Elle y va au jeebee, elle plonge profondément dans le down, cet hommage est l’un des plus beaux du genre. Elle revient à son cher North Mississippi Hill Country Blues avec «MG’s Boogie», le boogie de Muddy Gurdy. Elle cavale à travers la plaine avec un brio stupéfiant. Elle attaque son «Land’s Song» au going down to the river. Tia est une pure et dure, comme on l’a déjà dit. On croise plus loin deux autres coups de Jarnac mythiques : une reprise de «Strange Fruit» (joli clin d’œil à Billie Holiday, avec le vent et la corde qui craque, elle est en plein dans le génie macabre du poplar tree) et puis elle tape aussi une version d’«You Gotta Move», le vieux classique de Mississippi Fred McDowell. Elle balaye les Stones. C’est sa cover qui fait foi. Elle chante du ventre. Avec un son qui monte. C’est mille fois plus movin’ que la version des Stones. On entend des coups sauvages de slide dans «Another Man Done Gone» et elle gratte l’«Afro Briolage» au fast trash punk-blues. C’est battu au beurre sauvage. Le mec qui chante s’appelle Maxence Latrémolière. Avec «Black Madonna», Tia se tape un beau deep gospel blues. Elle ramène son Moyen-âge chéri dans le gospel. Quelle merveilleuse artiste ! Elle finit avec sa chouchoute Jessie Mae Hemphill et «Tell Me You Love Me». Tia tape toujours dans le mille.

    Signé : Cazengler, Muddy Gourdin

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    Muddy Gurdy. Le 106. Rouen (76). 3 octobre 2023

    Muddy Gurdy. Homecoming. L’Autre Distribution 2021

     

     

    Wizards & True Stars

    - Chuck chose en son temps

    (Part Two)

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             S’il fallait établir le hit-parade des plus gros délinquants de l’histoire du rock, Chuck Berry paraderait en tête, talonné par Steve Jones. Tous les deux ont ce qu’on appelle le diable au corps, mais c’est à une autre échelle que celle du petit roman de Raymond Radiguet qui fut, t’en souvient-il, le poulain de Jean Cocteau. Mais ici, c’est la notion de diable qui nous intéresse, pas l’histoire littéraire, bien que les deux soient intimement liées. Si l’on considère le rock comme l’œuvre du diable, alors il n’est d’accès possible au diable que par la littérature, et donc par l’histoire littéraire. En cas d’absence de culture littéraire, ça donne ce que les Anglais appellent du blank. Dans la vie, tu as le choix : soit tu regardes le journal télévisé midi et soir pour cultiver ta beaufitude, soit tu lis Cocteau, et éventuellement Radiguet, et tu écoutes Chucky Chuckah, qui en plus d’être l’un des génies du XXe siècle, avait pour singulière particularité de vivre selon la loi de sa bite, une version américaine du fameux Jean-Foutre La Bite d’Aragon. Une façon comme une autre de dire que cet homme a vécu sa vie à outrance. Le lien avec le Marquis de Sade paraît assez évident. Tant qu’on y est, on peut encore se fendre d’un joli parallèle : ces deux oiseaux ont bâti une œuvre à partir de l’overdrive libidinal, c’est-à-dire l’obsession sexuelle. Nadine, c’est Justine. 

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             Alors que tu feuillettes le dernier numéro de Record Collector, voilà que tu tombes sur la chro d’une nouvelle bio de Chucky Chuckah. Tu te dis : «Oh la la, encore une, on connaît toute l’histoire pat cœur, alors à quoi bon ?». C’est là où tu te fous le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Tu crois connaître et tu ne connais pas grand-chose. Quand cesseras-tu enfin d’être si prétentieux ? Hâte-toi de te débarrasser de ton orgueil avant qu’il ne soit trop tard et qu’on t’enterre avec. Ceux que Barbey D’Aurevilly qualifiait de diaboliques acceptent aisément l’idée d’être enterrés avec leurs péchés, oui, mais certainement pas avec des tares.

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             Le book s’appelle Chuck Berry: An American Life et l’auteur RJ Smith. Jamais entendu parler du Smith en question, mais tu passes des heures extrêmement denses en sa compagnie. Il réussit l’exploit de réinstaller Chucky Chuckah sur le trône de roi du rock’n’roll, un trône qu’il partage bien sûr avec Elvis, Little Richard, Jerry Lee, Fatsy et Gene Vincent. Il faut à Smith 400 pages pour réussir cet exploit qui n’en est pas un, puisque tout le monde connaît l’histoire du trône. Mais Smith fouille dans la vie de ce co-roi et dissèque tellement les deux faces du personnage - l’obsédé sexuel et l’artiste superstar - qu’il finit par extraire l’homme de la gangue du mythe pour le rendre accessible, le temps d’un book. D’autres ont essayé, comme Peter Guralnick, avec Elvis, mais Elvis n’avait pas le même type de rapport avec le diable. Grâce ou à cause de Guralnick, Elvis est resté pris dans la gangue de son mythe. Grâce ou à cause de Smith, Chucky Chuckah en est sorti pour redevenir un homme en proie à ses démons. Humain, trop humain, comme dirait l’autre.

             Si tu es fan de Chucky Chuckah, ou plus simplement fan d’histoires de vie extra-ordinaires, alors il faut entrer dans ce fat book. Smith ne t’épargne aucun détail, ni sur les procès, ni sur les chefs d’accusation, Chucky Chuckah a poussé le bouchon assez loin, queuttard pathologique, voyeur, il a collectionné toutes les déviances, rien ne pouvait assouvir sa faim de petites chattes blanches. Mais en même temps, il écrivait des chansons, ce qui le distinguait d’Elvis, de Little Richard et de Gene Vincent. Chucky Chuckah baisait des blanches tout en créant un monde. Smith le qualifie même d’«one of the great makers of the twentielth century». Smith ajoute que c’est à partir de «Maybellene» que les Américains ont commencé à utiliser couramment l’expression «rock’n’roll».  

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             Jamais en panne d’idées, Smith propose très vite un autre parallèle, cette fois avec Ike Turner. À leurs débuts, Chucky Chuckah et Ike sont en concurrence, et les autres sont loin derrière - We was the biggest shit around, dit Chucky Chuckah - Les deux sont confrontés au racisme, alors que le père d’Ike est lynché par un gang de blancs de Mississippi, Chucky Chuckah est confronté à un racisme urbain plus «fluide». Ike reste concentré sur le blues, mais Chucky Chuckah écoute la radio. Et c’est là où Smith fait son entrée triomphale dans l’art de bio : il explique à longueur de récit que Chucky Chuckah observe et écoute. Il se nourrit de diverses influences. Il se nourrit littéralement de l’Amérique pour lui offrir en échange des chansons aussi intemporelles que celles de Charles Trenet, c’est-à-dire des chansons poétiques, mélodiques et tout simplement magiques. Il travaille sa diction, il cherche à intégrer «a country feel» - so that it was harder and whiter - il met du poids dans ses mots, et s’arrange pour qu’ils tombent pile sur le beat. Chucky Chuckah : «When I went into writing ‘Maybellene’, I had a desire or intention to say the words real clear. Nat Cole taught me that. Nat Cole had a diction that was just superb.» Il travaille en même temps sa technique de gratte - In 1954 he was playing full choruses without repeating things - Ça n’a l’air de rien comme ça, mais on voit très peu de guitaristes capables de se réinventer à chaque solo. Dick Taylor est un autre exemple : jamais deux fois le même solo. Puis Chucky Chuckah flashe sur le pouvoir de l’automobile. Maybellene adore les automobiles, surtout les V8 Fords. Les automobiles, c’est pratique pour baiser des blanches en chaleur. Surtout la Cadillac. Et baiser des blanches en chaleur, pour un blackos, c’est une façon de défier l’Amérique des racistes blancs - Ridin’ along in my automobile/ My baby beside me at the wheel - Chucky Chuckah va toutes les baiser. Smith le voit comme un «astronaute afro-américain en mission pour violer toutes les pratiques contractuelles, culturelles, sociales et légales.» Chucky Chuckah va surtout violer les lois, comme on va le voir.

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             Avec «Thirty Days», il fait du hillbilly boogie : il rentre chez les blancs par la grande porte, c’est-à-dire la radio. Avec «School Days», il invente la modernité - Hail hail rock’n’roll/ Deliver me from the days of old - Il fait même coup double, selon Smith : il sort «the first protest song of rock’n’roll, a protest against boredom.» - Long live rock and roll/ The beat of the drum is loud and bold/ Rock rock rock and roll/ The feelin’ is there/ Body and soul - Il ne se limite pas à écrire des chansons intemporelles. Il énonce aussi des postulats. Un journaliste lui demande si l’on peut établir un lien entre le rock et le boogie woogie, la country et le blues, alors Chucky Chuckah lui susurre ceci : «No, you can’t draw any lines like that. Vous ne pouvez pas établir un lien entre la science et la religion, man ! Même le fil d’une lame de rasoir est rond, si vous le regardez de près. C’est comme une ombre sur le mur - no sharp edges.» Et voilà comment Smith réussit à nous inoculer le poison toxique de la pensée Chucky-Chuckienne. Il y a le contenant et le contenu, le deepy deep du contenu et la diction malaxée du contenant. Cet homme extrêmement intelligent swingue sa diction. En citant la réponse de Chucky Chuckah, Smith passe l’any d’any lines like that en ital, pour marquer l’emphase orale. Smith écoute la voix de son maître. Quand un journaliste demande : «This music, called the Big Beat, do you think it’s here for a few more months or a few more years?», Chucky Chuckah lui répond avec délectation : «It’s been  here.» Il insiste et répète comme s’il chantait, «It’s been here. No it’s been here for a long while. As long as music will be here. It’s rhythm and Soul put together, that’s this big beat that you speak of. No it isn’t new - it’s new to a lot of people, believe me. But it’s not new. Beeeeeen around a long tiiiime, just being introduced under a new name.» Pareil Chucky Chuckah met le poids sur l’here d’it’s been here. Et pour que sa phrase prenne encore du poids, il ne dit pas for a long time, mais for a long while, parce que ça sonne mieux. Chucky Chuckah fait bien sûr référence à Congo Square qu’il est allé voir lorsqu’il se produisait à la Nouvelle Orleans. Been here for a long while, c’est quatre siècles d’esclavage. Chucky Chuckah est l’un de ceux qui a su le mieux régler ses comptes avec l’Amérique blanche esclavagiste.

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    ( Newport 1958 )

             Il s’y est pris différemment. Alors que Little Richard (et Jerry Lee) incarnaient Shiva the Destroyer, Chucky Chuckah bâtissait son œuvre et s’assurait que les fondations allaient tenir. Smith ajoute : «Little Richard was religion, or if you want, oblivion. Chuck was pure fun.» Et il est passé comme une lettre à la poste. L’un de ceux qui a le mieux compris l’emprise de Chucky Chuckah sur son temps, c’est Jim Dickinson qui a rassemblé tous ses talents sous un seul patronyme : Chuckabilly. Quand Chucky Chuckah va jouer au Newport Festival, il s’y rend au volant de sa Cadillac rouge, décorée d’une rangée de klaxons sur l’aile, avec des stores vénitiens sur les vitres arrière et une queue de raton laveur accrochée au pot d’échappement - It was like the Sex Pistols pulling into a megachurch - Et Smith pousse le bouchon encore plus loin : «Jack Johnson. Sugar Ray Robinson. Chuck Berry. African American grandeur. Ce n’était pas l’affirmation collective du talent qu’incarnaient les géants du jazz qui régnaient à Newport, this was stick-your-neck-out star power. It was style and fire, condensed like the Hope Diamond», c’est-à-dire le plus gros diamant d’Amérique. Quand Chucky Chuckah tourne en Angleterre, il rivalise d’élégance avec les British groups, le voilà en «bespoke suits, brass buttons, leather shoes, ties monogrammed», «a towering Black dandy confounding assumptions about the wild man of beat music». Smith rappelle un autre élément fondamental : «Rien ne pouvait garantir que la musique allait prévaloir. Même chose pour l’égalité raciale, qui n’est toujours pas acquise. The originators were different from us. Operating in chaos, they acted like they had already won.» 

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    ( Wembley 1972 )

             Et puis Chucky Chuckah continue de faire ce qu’il a toujours fait, always thinking, always listening. Il garde deux books à portée de main, un dico, et un dictionnaire des synonymes et des antonymes. Il fume des Kool menthol. Il passe partout, surtout au festival de Wembley où Little richard se fait huer et le MC5 sortir à coups de canettes pleines - lucky to be alive - Creem : «Only Chuck Berry was wonderful as ever.» Tous ceux qui l’ont vu sur scène le savent, ce mec est une épouvantable machine, un juke-box à deux pattes, sans doute l’artiste le plus complet qu’on ait pu voir à l’époque sur scène. Tout au long de sa vie, Chucky Chuckah n’a compté que sur lui-même, d’ailleurs il s’en explique merveilleusement bien : «The religion that I have is yourself. You gotta depend on yourself. In the end, it’s really up to you.» Pas d’ami. Pas confiance. Et il ajoute : «God gave man free will and he’s infinite. His possibilities are infinite and the only person who can evolve is you.» C’est clair comme de l’eau de roche, mais ça l’est encore plus dit par Chucky Chuckah.

             Il arrive seul au concert, il repart seul. Pas de répètes, pas de set-list, peu d’instructions, juste «watch my foot». Smith sort aussi un épisode extrêmement significatif : la scène se déroule en 1979 à Palo Alto. Chucky Chuckah joue dans un bar et un jeune blanc barbu s’est permis de jouer de l’harmo pendant son set. Alors Chucky Chuckah le fait monter sur scène, passe son bras autour de ses épaules et déclare au public, mais aussi à l’univers tout entier : «Voici cent ans, il était mon maître. Maintenant, il est mon fils. Come on up here, son, and blow your harmonica. Only when I’m pointing to you.» Il met l’emphase sur deux mots : son et l’Only d’Only when I’m pointing to you. Et Smith ajoute ceci qui semble fondamental : «Chaque soir, entre 1955 et l’an 2000, les shows de Chuck Berry sont devenus a portable Civil War memorendum. Somebody had to pay and Chuck was all about getting paid, right down to extracting reparations from ramdom harmonica players.» Il est le seul à avoir réussi cet exploit. Ni Martin Luther King, ni Malcolm X, ni Spike Lee n’ont réussi à faire payer les blancs. Le seul qui a su le faire, c’est Chucky Chuckah. Cash. C’est la raison pour laquelle cet homme est un héros des temps modernes. Avec ses chansons, il a redéfini les règles, «the letter of the law», celles qu’on avait utilisé contre lui, alors il les a démontées pour en faire d’autres, les siennes - If the law was the American way, space would be found in it for him. Here too he would be explaining America to Americans, night after night - Il réclame du cash, toujours plus de cash. Comme la salle est pleine et que le public le réclame, il tient bon.

             Il garde miraculeusement les idées claires : «I never looked for recognition. I just wanted to see how far a person could go if he applied himself.» Il rappelle qu’il a toujours adoré inventer. Son père bricolait un système de mouvement perpétuel, comme le fit ici Tinguely - I like to make things and go to places - Il récite un poème de Tennyson, Break Break Break, scande ses strophes à propos du temps et de la mort, le travail des mains, le mouvement perpétuel, la poésie qui a toujours été autour de lui - So we put it on the music, actually - Mais c’est une poésie typiquement américaine, Smith s’en gargarise, «the candy store, the soda fountain, the grill, the dinner» et il tire l’overdrive : «Pop’s Chock’lit Shoppe, Arnold’s Drive-in, Bob’s Big Boy», tout cette teen culture swingue toute seule, Chucky Chuckah l’observe pour la faire couler dans ses hits.

             Et puis voilà le délinquant. En 1944, Chucky Chuckah et ses deux potes siphonnent des réservoirs, fracturent des portières, volent dans les magasins et se collent aux fenêtres des salles de bain pour reluquer des grosses femmes blanches à poil. Un beau jour, ils montent tous les trois à bord de l’oldsmobile et décident d’aller à Los Angeles. Au bout d’une heure de route, ils s’arrêtent pour casser la graine au Southern Air, à Wentzville, mais on refuse de les servir à table. Les nègres doivent aller commander derrière, à la porte de la cuisine - Quarante ans plus tard, Chucky Chuckah rachètera ce restaurant, histoire de laver l’affront - Ils roulent, puis le copain Skip va braquer une boulangerie : 62 $. Le lendemain, ils arrivent à Kansas City et Chucky Chuckah va braquer un coiffeur avec son broken pistol : 32 $. Le cinquième jour, ils braquent un magasin de fringues : 51 $. Bien sûr, ils se font poirer, direction le trou. Le père de Chucky Chuckah réussit à trouver un avocat pour 125 $. Le jugement dure 20 minutes et ils se prennent tous les trois dix piges dans la barbe. Chucky Chuckah est envoyé à l’Algoa Intermediate Reformary for Young Men. Il va y moisir trois piges. C’est le premier épisode de sa carrière de délinquant. En 1959, il est à nouveau condamné pour violation du Mann Act (traverser une frontière d’état en compagnie d’une mineure blanche) et port d’arme illégal. 5 piges pour le port d’armes, et 5 pour le Mann Act. Comme dans le premier cas, Chucky Chuckah est victime de l’effroyable brutalité des juges blancs. Il fait appel et un juge finit par le condamner à 3 piges et à 5 000 $ d’amende. Il est obligé de fermer son club, le Bandstand, «a business run by a flamboyant Black man.» Smith rappelle qu’Edgar Hoover est obsédé par les affaires de sexe inter-racial, et donc l’idée du Bandstand ne passait pas : un club où les Blacks et les blanches peuvent danser ensemble, non ! Chucky Chuckah aimait rouler dans sa Cadillac rose, il aimait baiser à l’arrière avec une blanche, pendant que Johnnie Johnson conduisait - He was a target, a victim and victimizer.   

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             La deuxième fois qu’on l’envoie au trou, il atterrit à Springfied, Missouri. Là il apprend à jouer aux échecs et à taper à la machine. Il prend des cours de compta et de business management, et passe un diplôme. Il récupère une guitare et écrit des chansons qui vont figurer parmi les plus importantes de sa carrière : «Nadine», «No Particular Place To Go», «Promised Land», «Tulane» et «You Never Can Tell». C’est drôle, chaque fois qu’on tape ces titres, on les entend dans la tête, surtout «You Never Can Tell» - C’est la vie/ Say the old folks/ It goes to show you never can tell - encore un hit magique. On est chaque fois frappé par l’élégance mélodique et rythmique de ces vieux hits, et par leur modernité. Par contre, la versions des Stones vieillissent mal. Quand il sort du trou, Chucky Chuckah est assez content : «Quand je suis rentré chez moi, je savais ce qu’était une société. Je connaissais la comptabilité. Plus, it’s easy to count my blessings as well as my misfortunes and I did. And I weighted them. I came back in a better position to handle life.» Les blancs racistes n’ont pas réussi à le briser. Chucky Chuckah revient dans le circuit, plus solide que jamais. 

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             Côté influences, il en reconnaît deux : Charlie Christian - The greatest guitar player that ever was - et Carl Hogan, le guitariste de Louis Jordan - Most of my guitar licks came from Carl Hogan and Charlie Christian, lâche Chucky Chuckah dans un soupir. Smith apporte des précisions qui nous éclairent sur le style de Chucky Chuckah : «Hogan payed on the top of the beat, which was fresh, and he put his weight on the second and fourth beat in the measure, and these two things rendered him sly, together, casually commanding. Never playing too much.» Tout le chuckle de Chucky Chuckah vient de là. Le ding-a-ling.

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             C’est en 1955 qu’il débarque à Chicago, the blues town. C’est là que se trouve Muddy Waters. Chucky Chuckah veut le rencontrer. Il le chope au Drew Drop Lounge. Muddy lui donne l’adresse de Chess et lui dit que le bureau ouvre à 9 h et que Leonard le renard arrive à 10 h - Dis à Leonard que tu viens de ma part - Chucky Chuckah le chope le lendemain matin, Leonard l’écoute et lui dit de revenir avec une démo. Chucky Chuckah se magne de rentrer à Saint-Louis enregistrer sa démo avec Ebbie Hardy et Johnnie Johnson. C’est un fast hillbilly cut, «Ida Mae», pompé sur «Ida Red». Il ramène la démo à Leonard le renard. Et en mai 1955, Chucky Chuckah enregistre chez Chess. Il observe attentivement, voit que Phil n’est qu’un sous-fifre, le big kingpin, c’est Leonard le renard. Il voit aussi que le kingpin ne connaît qu’un seul mot : motherfucker. «Il le dit quand il est contrarié, quand il est excité ou quand il ne sait pas quoi dire.» Motherfucker ! Dans le studio se trouve Willie Dixon, the centerpiece of the Chicago blues scene. Ils rebaptisent «Ida Mae» «Maybellene». Chucky Chuckah dit que c’est lui qui rebaptise, Johnnie Johnson dit que c’est Leonard, enfin bref, on s’en fout, «Maybellene» est un cut révolutionnaire pour l’époque. Phil Chess : «This was an entirely different kind of music.» 36 prises. Chucky Chuckah entre dans la cour des grands, un an après Elvis («That’s Alright Mama»), quelques mois avant Little Richard («Tutti Frutti») et un an avant Gene Vincent («Be-Bop A Lula»). Mais il est vite confronté aux méthodes brutales de Leonard le renard. Quand il reçoit son premier chèque de song-writing royalties, il voit les noms de deux co-writers associés au sien : Russ Fratto et Alan Freed. Dans cette affaire, Chucky Chuckah n’est pas le seul délinquant. Leonard le renard est encore plus roublard. Il monte une boîte, ABC, qui lui permet de ne pas verser de royalties sur les ventes aux artistes, même s’il s’agit de 2 cents par disque vendu. Au lieu de lui rentrer dans la gueule, Chucky Chuckah va en prendre de la graine.

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             Il va faire du biz à sa façon. Il devient son propre Colonel Parker. Il part en tournée et gère tous le biz à SA façon. Le book de Smith regorge de biz, c’est un bonheur que de lire ces pages. La première chose que Chucky Chuckah fait quand il part en tournée, c’est charger son flingue. Avant son deuxième séjour au Club Med, son cachet s’élevait à 1 200 $, et à sa sortie, il est passé à 2 000 $. Pendant une tournée anglaise organisée par Don Arden, Chucky Chuckah leur fait le coup du supplément : il doit monter sur scène à L’Hammersmith Odeon et s’enferme dans sa loge. Il réclame 1 000 $ supplémentaires. C’est Eric Burdon qui observe la scène, hilare : il voit le gangster Arden et son gorille Peter Grant à quatre pattes glisser du cash sous la porte et supplier Chucky Chuckah de sortir. De l’autre côté de la porte, il en rajoute : «Nah, it’s still another 500 bucks till I come out.» Il pousse le bouchon, il a raison. Et dans la salle, les rockers s’impatientent et menacent de tout casser.

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    ( Toronto 1969 )

             En 1966, Chucky Chuckah quitte Chess pour Mercury qui lui propose le pactole : 60 000 $. Leonard le renard lui serre la main et lui souhaite bonne chance, ajoutant qu’il sera de retour dans trois ans. No bad feelings. Just a buiness deal, dit Chucky Chuckah. John Phillips, qui organise le festival de Monterey, l’invite : il lui explique au téléphone qu’il va devoir jouer à l’œil, car c’est un concert de charité, et Chucky Chuckah lui répond : «Chuck Berry has only one charity and that’s Chuck Berry. $2.000.» Cette cloche de Phillips conclut en disant qu’il ne pouvait pas faire une exception et c’est non. Un autre témoin voit Chucky Chuckah «négocier» avec un promoteur, juste avant un concert. Chucky Chuckah compte ses billets et dit au blanc : «This is short.» Puis il monte sur scène, accorde sa guitare et dit au public que les amplis ne correspondent pas à ce qui est écrit sur le contrat, alors il sort de scène. Il retourne voir le promoteur avec sa mallette, l’ouvre et le mec y rajoute du cash. Et puis il y a ce concert à Paris avec Jerry Lee. Un premier mai. Shoote habituelle avec Jerry Lee pour la tête d’affiche. Chucky Chuckah accepte de passer avant Jerry Lee for a little more cash. Mais quand il voit le stade plein comme un œuf, il se dit qu’il n’a pas demandé assez. Il demande un très gros supplément. Les Français expliquent que c’est une fête socialiste - Mr Berry, you do not understand. We are socialists - Chucky Chuckah : «Fuck socialism. I want my money.» Et puis il y a l’épisode le plus célèbre, celui du film Hail Hail Rock’n’Roll. La réalisatrice estime que Chucky Chuckah a «extorqué» 800 000 $ à la production. «Ils veulent le faire répéter ? Ça coûte tant. Utiliser ses amplis pour le film ? 500 $ cash. Aller chercher Linda Ronstadt à l’aéroport ? 500 $ pour utiliser la bagnole.» Keef qui observe tout ça éprouve de l’empathie pour cet homme qui se bat avec ses moyens. Le concert final qui doit être filmé a lieu au Fox Theatre et Chucky Chuckah demande du cash en plus pour le premier soir et 25 000 $ supplémentaires, cash, pour le concert final. Stephanie Bennett réussit à rassembler le cash, le fourre dans une enveloppe en papier brun, frappe à la porte de la loge, et balance l’enveloppe dans la gueule de Chucky Chuckah - It hit him in the head - Tous ces détails sont importants, ça permet de situer les choses. Inutile de préciser que Bennett est blanche. Dernière chose à propos de ce film : c’est Steve Jordan qui a assemblé le backing band. Il fallait bien sûr faire venir Johnnie Johnson qui à l’époque conduisait un bus pour vivre. Il a accepté de venir, à condition qu’on lui paye des dents neuves, ce que Bennett a fait.

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             Chucky Chuckah a fréquenté pas mal de gens intéressants, à commencer par Bo Diddley. Ils ont démarré exactement en même temps et ils s’entendaient bien. Deke Dickerson : «These early fifties rock’n’roll guys, they were all insane. And Chuck Berry is sort of famous for being a complete nut.» Smith explique ça très bien : «Pushed to the margins, they made the margins seem like an incredible place to be.» Smith analyse finement les choses. Il prend chaque fois un angle original. Et puis il y a Jerry Lee, l’habituelle compétition, mais les témoins de l’époque sont formels : Chucky Chuckah sort toujours vainqueur. John Sinclair : «Jerry Lee Lewis is a bad motherfucker, and Chuck mopped the floor with him. Chuck came out and fucking murdered. I will never forget that.»

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    Avec les Stones, la relation a toujours été compliquée. Les Stones tapent dans ses hits, mais Chucky Chuckah n’a aucune envie de les fréquenter. Pas facile de fricoter avec un blackos de 38 balais déjà plusieurs fois condamné. Keef est le plus dévoué, au point de vouloir faire un film. Lors de sa dernière rencontre avec Chucky Chuckah, il l’attendait dans sa loge. Il a vu la guitare, et alors qu’il s’en emparait pour gratter un peu, Chucky Chuckah est arrivé. Boom, son poing dans la gueule. Keef a admis plus tard qu’il avait commis une erreur. La guitare c’est sacré. Surtout celle de Chucky Chuckah. C’est elle qui a rendu les Stones possibles. 

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             L’autre grosse pointure qui apparaît dans la vie de Chucky Chuckah, c’est Bill Graham. Graham le veut au Fillmore. Chucky Chuckah lui répond : «The Fillmore, man? I don’t know.» Alors Graham vient le trouver chez lui à Wentzville. Chucky Chuckah l’écoute. Il fera la première partie du Dead. Mars 1967. 800 $ par concert. Le soir du premier concert, Chucky Chuckah arrive en retard. Graham le lui dit - You’re a little late - Chucky Chuckah pose sa mallette entre eux sans rien dire. Graham reçoit le message. Il veut être payé avant de jouer. Chèque ou cash ? Graham lui signe un chèque de 800 et le fait glisser sur le bureau vers Chucky Chuckah qui le signe au dos et qui le refait glisser vers Graham. Alors Graham sort le cash et Chucky Chuckah compte tranquillement les billets. Puis il lui tend la main. The deal is done. Et Chucky Chuckah miaule : «Mellow.» En 1965, Doug Sahm commet la même erreur que Keef : dans un studio de télé, il aperçoit la guitare de Chucky Chuckah. The Holy Grail, il la prend et à ce moment-là Chucky Chuckah arrive : «Hey white boy, get your hands off my guitar!». Doug a du pot, il ne s’est pas ramassé un tas comme Keef.  

             Oh et puis le sexe. Chucky Chuckah profite des tournées pour limer tout ce qu’il peut. Dès 1956, il fait partie d’un package tour avec Carl Perkins, les Spaniels, Illinois Jacquet et Shirley & Lee. Sur cette tournée, il devient pote avec Bobby Charles qui à l’époque est sur Chess. À Houston, il traîne dans le balcon réservé aux blanches et le road manager parvient à le tirer de ce guêpier juste à temps : un flic arrivait pour lui passer les menottes. À Little Rock, Arkansas, on voit Chucky Chuckah rouler une pelle à une blanche. Hyper dangereux. Le bus arrive à Mobile, Alabama et passe devant un panneau : «Welcome to the Home of the Ku Klux Klan». Bien sûr, Chucky Chuckah se fait choper sur la banquette arrière d’une bagnole avec une jeune blanche. On voit aussi régulièrement des femmes blanches sortir de sa loge - Sweet little sixteen - Il joue avec les tabous, ce qu’il appelle lui-même le «Southern hospitaboo», la collision d’hospitality, c’est-à-dire les femmes blanches affamées de bites noires, et le taboo, c’est-à-dire le danger que ça représente pour un noir dans les années 50. Pour lui, le sexe qu’il recherche et le racisme vont de pair. Baiser des blanches, il voit ça comme des représailles. Puis il fait des photos et filme ses propres parties de cul. Diane qui sera sa compagne pendant un temps fait pas mal de révélations. Au pieu, Chucky Chuckah est très inventif. C’est encore une bonne raison de lire ce fat book. Smith ne nous épargne aucun détail. Attention, ça va loin.

    Signé : Cazengler, le chuck des mots, le poids des faux taux

    RJ Smith. Chuck Berry: An American Life. Omnibus Press 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Luke la main froide

    (Part Three)

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             Pas facile de porter du blanc, qu’on soit un homme ou une femme. L’avenir du rock a toujours eu beaucoup d’admiration pour John Cale : pas une seule tâche sur le costard blanc cassé qu’il portait au temps de Paris 1919. La classe du Cale ! Le blanc permet surtout d’afficher sa crasse. Au temps des Colonies, le blanc permettait aux colonisateurs d’afficher leur crasse intellectuelle, leur mélange de racisme et de cupidité. Le blanc douteux des costumes, étoilé d’auréoles de transpiration, illustrait superbement l’infamie des mentalités. On voit ça dans tous les films qui documentent l’horreur de la colonisation. Par contre, lorsque la crasse rock s’affiche sur du blanc, c’est une merveille, une sorte de fuck off bien tempéré. Lee Brillaux n’a jamais fait laver sa veste blanche, il avait bien compris que le destin du blanc était d’être sale. Il la portait sur scène pour se rouler sur les planches, il transpirait abondamment et personne n’aurait pu dire si les taches jaunes sur les manches étaient des tâches de bière ou de vomi. L’avenir du rock aimait bien voir David Johansen en smoking blanc, il dégageait une odeur de sexe qui depuis n’a jamais été égalée. Chaque fois que l’avenir du rock porte du blanc, il s’arrange pour manger un sandwich au thon gorgé de sauce. Soit ça coule dans sa manche, soit ça goutte sur ses cuisses. Il savoure ce pur moment de débauche rock’n’roll. Il adore aussi aller se faire tailler une pipe derrière les Maréchaux. Il demande à la pute de ne pas avaler et il porte ses tâches comme des trophées, lorsqu’il va ensuite boire un verre dans un bar gay du côté de la place Dauphine. Et comme sa bagnole est une poubelle jonchée de peaux de saucisson, de mégots et de kleenex usés, il sait qu’il se trimballe avec le dos et le cul pas très nets. L’avenir du rock part du principe que l’immaculé est réservé aux dieux, et non aux mortels. En bonne Main Froide, Luke Haines part sans doute lui aussi du même principe. Pas question de faire semblant et de jouer les immaculés. Il ne fait aucun effort pour dissimuler la crasse coloniale de son costard fripé. 

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             Luke la Main Froide et Peter Buck resignent leur pacte de non-agression avec un nouvel album, All The Kids Are Super Bummed Out, qui est en fait un double CD. Comme les Beatles, Jimi Hendrix et tant d’autres avant eux, ils ont donc beaucoup de choses à dire. D’une certaine manière, ils sont tous les deux des artistes accomplis et leur coalition se présente sous les meilleurs auspices. Dans tous les cas, le voyage promet d’être intéressant. Après un mauvais départ et un ridiculous «British Army On LSD» chanté à la suspicion méticuleuse, la Main Froide se reprend avec «The Skies Are Full Of Insane Machines», et comme il veut du son, alors il a du son. Il s’acharne tellement à vouloir remonter la pente que ça finit par devenir vraiment énorme. Il est l’un des rockers anglais les plus opiniâtres. Il tourne autour de ses compos comme un crabe autour d’un trou d’eau. Il paraît même parfois un peu paumé («Sunstroke»). Il se croit le roi et il n’est rien, il faut juste rester patient en attendant Godot, c’est-à-dire les miracles. Ils finissent par se produire, avec notamment «45 Revolutions», ils y vont cette fois au heavy modernisme. Dès qu’ils passent en mode heavy, ils deviennent captivants. Avec «Won’t Ever Get Out Of Bed», la Main Froide retrouve sa veine d’Auteur, elle a du mal à sortir du lit et c’est excellent. Voilà un heavy groove de Main Froide. On reste dans les énormités avec «Psychedelic Sitar Casual», Buck sort son meilleur guitarring, c’est violent, sick & fast. S’ensuit le gros clin d’œil au glam tant attendu, «Subterranean Earth Angel», la Main Froide rentre bien dans le chou du lard, elle s’englue dans le glam jusqu’au cou. Mais quand on connaît bien la Main Froide, on comprend qu’il s’agit surtout d’un pied de nez aux Subterraneans de Nick Kent. Elle ramène aussi tous les clichés de Carter & The Unstoppable Sex Machine, elle recherche le même effet, le superstardom stadium stomp. En réalité, elle tourne tout en dérision. La Main Froide vieillit et ventripote. Elle amène la menace des Commies dans «The Commies Are Coming», ça s’infecte très vite, Buck joue dans la boue du flux, c’est assez balèze, côté idées, ils envoient même des vents dans le beat. À ce niveau de no-happening, il est essentiel de saluer le génie glacé de la Main Froide. La voilà qui gratte sa gratte sur «When I Met God». Gros lard dégueulasse et ridicule, gros plein de soupe, avec le Buck derrière à la vrille, on sent bien qu’ils s’amusent dans leur bac à sable plein de crottes de chiens.   

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             La Main Froide continue de tartiner placidement sa pop glacée sur le disk 2. Il reproduit son vieux modèle et entraîne le Buck dans son délire stérile. On sait bien que les musiciens américains sont friands de popstars anglaises. Ils font tous les deux une sorte de glue-pop subjuguée.  Dans le morceau titre, la Main Froide fait du left over de wild & spaced out, elle lâche les ballons avec un redémarrage à 3 minutes. La Main Froide se croit décidément tout permis. Elle ramène ses kids au bummed out, fait la jungle et bat tous les records de ridiculous. Sous sa jupe, c’est pas terrible. Tu claques des dents, à la vue de ce spectacle. Et voilà qu’elle se prend pour un pacha avec «You’re My Kind Of Guru». So ridiculous ! Elle revient susurrer ses vieux airs d’Auteur à l’haleine rance. La Main Froide est par définition le personnage littéraire du rock, au sens où l’entendit Alfred Jarry avec Ubu. «You’re My Kind Of Guru» est un cut réellement odieux ! Mais comment osent-ils ? C’est tellement atroce qu’on perd patience, pour aller écouter «Flying People». Retour en mode fast rock. La Main Froide porte une mini-jupe et fait sa trash. Ça tient le temps que ça tient, elle frétille de la quéquette, comme un vieux teenager. Cette prodigieuse Main Froide s’enfonce encore dans l’auto-dérision avec «Diary Of A Crap Artist». Grimée en Léon Bloy et dansant dans les fumées, la Main Froide fait de la belle pop et perd son âme. 

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             Dans un Record Collector paru l’an passé, notre Main Froide préférée revient sur ses frasques. Ah chère Main Froide ! Que deviendrait-on sans elle ? Elle raconte qu’un interviewer lui demande s’il va reformer les Auteurs et la Main Froide se fend d’un beau «nope». Il ajoute dans l’éclat d’un rictus carnassier : «Besides I’m in a band with Peter Buck now. Why on earth would I get the Auteurs back together?». Il annonce qu’il s’embarque avec Peter Buck dans une tournée qui a été reportée quatre fois grâce à cette canaille de Pandemic. Il profite de sa colonne infernale pour revenir sur son histoire et narrer d’une manière comme toujours hilarante son tout premier concert en première partie des Lurkers : «À peine avait-on joué un cut qu’on fut bombardés de verres à bière par the 200-strong crowd of skins and anarcho punx, whose only distraction from killing us was killing each other. ‘This is what I want to do in my life’, I thought.» Puis il raconte sa première tournée au sein des Servants, en première partie des Weather Prophets et des Happy Mondays - Thirty-five years later I’m still friends with everyone on that tour - Puis il évoque ses trois tournées avec Suede au temps des Auteurs. Il le fait à la Main Froide, c’est-à-dire avec une classe épouvantable : «This was supercharged amyl nitrate glam Performance (the movie) chic. And it sold. Fifteen-years old girls and boys came out in their thousands from the suburbs, in the Suede St Vitus mania.» Et chaque fois, la Main Froide rappelle qu’en tant que support act, il touchait £50 per show. Et comme il repart en tournée avec Peter Buck, il se marre car il annonce qu’il dispose à présent d’un road manager, d’un «nice bus, work permits and a really big guitar rack to put all our electric guitars in.» La dernière tournée ? «Who knows.» «Une chose est sûre, conclut froidement la Main Froide, c’est que les support bands for Luke Haines et Peter Buck are being paid £50 per show.»

    Signé : Lancelot du Luke

    Luke Haines & Peter Buck. All The Kids Are Super Bummed Out. Cherry Red 2022

    Luke Haines : Back on the road, again. Record Collector # 532 - June 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Tee veux ou Tee veux pas ? 

             Tito envisageait de devenir rock star. Il était d’ailleurs bien le seul à l’envisager. Ni sa femme ni ses amis n’auraient parié le moindre kopeck sur ses chances de réussir. Tito qui était loin d’être bête prenait tout ça en compte, mais ça n’entamait en rien sa détermination. Bien au contraire, ça la renforçait. Il était même très sûr de lui, il disait disposer d’atouts qu’il qualifiait de majeurs : une voix et une gueule. Et il ajoutait avec un franc sourire : «C’est la base, non ?». Il n’avait pas tout à fait tort : on ne croisait pas souvent des mecs au physique aussi impressionnant. Il avait ce qu’on appelle les pommettes hautes, les cheveux noirs mi-longs coiffés en épis, le menton carré et un regard clair qui plaisait aux femmes. Petit, mais présent. Intensément présent. Il pouvait chanter au chat perché et avait su travailler son anglais pour peaufiner sa diction. Il voulait une diction à l’anglaise. Il ne jurait que par Steve Marriott. Stevie, disait-il. Ne lui manquait plus que l’essentiel : un groupe, un son et des chansons. Il passa des années à chercher. Il chercha partout, dans tous les bars de la ville, dans les concerts, dans les locaux de répète, il mit des annonces dans tous les journaux locaux, et bien sûr dans les canards spécialisés. Le texte disait : «Superstar cherche trois rockers pour monter the French Small Faces.» Il rencontra quelques musiciens qui furent tellement impressionnés par sa classe qu’ils disparurent à la première occasion. Après les premières vagues d’allégresse, il traversa une phase de désenchantement. Il se mit à boire comme un trou, il démarrait le matin au blanc sec et finissait le soir au blanc sec, ce qui le rendait méchant et agressif. Alors il se battait. Il eut bientôt les deux yeux au beurre noir et le nez cassé. Il perdit bien sûr pas mal de dents. Il se mit aussi à grossir et craqua son jean plusieurs fois en public, alors qu’il se baissait pour ramasser un mégot. Sa femme le jeta dehors. Il dormait à la belle étoile en été, et dans un foyer pour clochards en hiver. Il n’était pas encore décidé à mourir. Il savait pour avoir étudié la vie de ses idoles qu’on passait facilement du stade de superstar à celui de légende vivante. Ça faisait, disait-il, «partie du boulot». Au fond de lui, Tito éprouvait un immense chagrin à voir flamme s’éteindre.      

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             Pendant que Tito brûle sa chandelle par les deux bouts, Tee tangue au gré du groove. Magnifique pianiste et groover de renom, Willie Tee fit surface à l’époque sur une compile Ace consacré à l’AFO de la Nouvelle Orleans, Gumbo Stew. Oh, il n’a pas enregistré grand chose, deux albums, mais quels albums !

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             Le premier date de 1970 et s’appelle I’m Only A Man. Il est devenu culte, pas seulement parce qu’il est produit par H.P. Barnum. Willie Tee signe la plupart de ses cuts sous son vrai nom, Earl Turbinton. On commence à frémir avec le morceau titre, un très beau groove de Soul, mais c’est un groove de Soul underground, extraordinairement pur. Il tape soudain dans le «Reach Out For Me» de Burt et ça bascule dans le génie. Willie Tee te groove le Burt à l’oss de l’ass, c’est puissant, infiltré, serré, mené à la poigne, darling reach out for me, et là tu as la clameur des Edwin Hawkins Singers. Il atteint ce qu’on appelle une rare dimension. Il balance entre les reins du Reach out et les filles claquent les chœurs comme si elles se faisaient trousser à la hussarde, wah-oouh wah-oouh. Il fait une Soul de timpani heavy jusqu’au délire avec «Walk Tall (Baby That’s What I Need)» et en B, il tape une cover de «By The Time I Get To Phoenix». Comme Isaac, il l’attaque au groove mystère, c’est-à-dire au groove black, et ça devient génial, les covers de Willie Tee sont des huitièmes merveilles du monde, il croise Jimmy Webb avec Fred Neil dans la black, sa cover te broie le cœur, ce mec te détruit et tu l’admires. Et ça continue comme ça jusqu’au bout de la B avec «Take Your Time», Willie Tee s’impose comme un roi du groove de génie, et puis voilà «I’m Related To You», groové au round midnite du coin du bar, il pianote comme un démon, il est si vivant. Il explose l’«I’m Related To You», il l’envenime, et voilà que coule un solo de gratte envenimé lui aussi, presque liquide. Tu écouterais Willie Tee jusqu’au bout de la nuit. C’est un magnifique artiste. Ses ambiances démentes l’ont rendu culte.     

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             Paru en 1976 et malgré une pochette fantastique, Anticipation n’a pas marché. Willie Tee a beau avoir de l’ampleur, Anticipation n’anticipe rien. Willie fait une Soul des jours heureux et du soft groove à forte valeur ajoutée. «Do What You Want» sonne comme un classic jive, sans distinction particulière. Il passe au heavy groove de Bogalusa avec «Liberty Belle». Il est bon le Tee, mais pas révolutionnaire. D’où le peu d’albums. Il attaque sa B avec le morceau titre et fait comme Marvin, il prône l’amour avec des nappes de violons. C’est admirable. La B est nettement plus convaincante que l’A. Willie Tee nage dans le bonheur. Avec «Let’s Live», il tape en plein dans le Marvin de What’s Going On, il a les même accents que le Marvin de «Save The Children».  

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                Les amateurs de jazz se régaleront de Brothers For Life, l’album qu’a enregistré Willie Tee avec son frangin Earl Turbinton. Willie pianote comme un crack, mais c’est un album de jazz instro.    

    Signé : Cazengler, Tee-nette

    Willie Tee. I’m Only A Man. Capitol Records 1970   

    Willie Tee. Anticipation. United Artists Records 1976   

    Earl Turbinton Featuring Willie Tee. Brothers For Life. Rounder Records 1988

     

    *

    A peine cinquante longues années d’impatience. Les rockers ne désespèrent jamais. Et ce soir dès que je me pointe sur YT une vidéo s’offre à mes regards hagards et éblouis :

    TORONTO ROCK ‘N’ ROLL REVIVAL

    13 SEPTEMBRE 1969

    (You Tube / Arte)

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    Non ce n’est pas le film Sweet Toronto / Keep on Rocking sorti en 1969 de D.  A. Pennebaker mais un documentaire de Ron Chapman diffusé à la TV canadienne. A l’inverse de Woodstock le Toronto Rock ‘n’ roll Festival n’a pas laissé auprès du grand public un souvenir impérissable… 

    La sortie du film de Pennebaker déçut une grande partie des fans de rock’n’roll non par ce qu’il montrait mais par une séquence qui n’avait pas été retenue au montage final. Pas plus tard que ce mois d’août j’en discutions encore avec Eric Calassou.

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    Toronto a failli être annulé. A peine 2000 billets vendus ! L’affiche était pourtant alléchante, Jerry Lee Lewis, Bo Diddley, Chuck Berry, Gene Vincent, Little Richard, plus une vingtaine de groupes d’époque comme Steppenwolf, même en rajoutant les Doors in extrémis pour friandiser la sauce la mayonnaise ne prenait pas. C’était pourtant une occasion inespérée de voir les Doors, tous leurs concerts venaient d’être annulés après leur tumultueuse prestation à Miami.  Pour bouger ces maudits canadiens fallait une énorme vedette, une figure tutélaire, encore plus fort qu’Elvis.

    Il n’y en avait qu’une : c’était John Lennon. L’idée provient de Kim Fowley qui se révèlera être un merveilleux aboyeur pour présenter et pulser l’énergie des groupes sur scène. L’incroyable se produisit, Lennon accepta de venir. Le docu vous explique tout cela en long et en large. L’est même centré sur sa personne (et celle de Yoko collée à lui comme le timbre sur l’enveloppe). Ce sera la première apparition du Plastic Ono Band sur scène. Public mitigé. Perso j’aime bien les glapissements de Yoko, très préfiguratifs de la moise-music et non sans accointances avec la musique expérimento-classique de l’époque dans la suite généaologique de L’Art des bruits de Luigi Russolo. Remarquons que sur le premier disque de Chicago Transit Authority, présent à Toronto, un titre de ce double-album était composé de stridences et de grondements larséniques et disharmoniques au possible, en avance de quelques années sur le Metal Machine Music de Lou Reed. De toutes les manières déjà le free-jazz était parvenu à cette idée praxistique de saturation phonique…  Un nouveau départ pour John qui signe la fin des Beatles, si l’on croit le docu, Toronto fut pour cette raison un évènement historique. Les fans de Lennon ont intérêt à regarder cette vidéo.

    Evidemment la parole est donnée aux organisateurs de ce festival. Le montage n’a gardé que l’essentiel de leurs interviewes, ce qui un demi-siècle plus tard oblitère la désagréable impression de vieux combattants un peu ennuyeux que l’on retrouve trop souvent dans les documentaires rock. Venons-en au nerf de la guerre : les concerts ne sont pas retransmis en entier, plusieurs heures seraient nécessaires, hormis les pionniers Alice Cooper et Chicago Transit Authority, et Plastic Ono Band sont privilégiés.

    Pour la petite histoire Alice Cooper qui servit aussi de backing group à Gene Vincent donna un concert mirifique qui lui conféra du jour au lendemain une réputation épouvantable, de celles à laquelle soit on ne survit point, soit on en tire un extraordinaire profit.

    La réunion de nos cinq pionniers du rock n’avait pas occasionné une ruée sur les billets. Ils font déjà partie d’une génération passée, le public rock s’est constamment renouvelé, pour chacun d’eux c’est une occasion inespérée de refaire surface. Ils vont saisir leur chance avec brio, ils surprennent et ravissent une grande partie de l’assistance qui n’était pas spécialement venue pour eux. Les séquences qui leur sont dévolues sont relativement brèves, elles doivent provenir du film ou des rushes de D. A. Pennebaker, mais pour la première fois depuis cinquante ans que les rockers en rêvaient l’on a enfin accès à quelques instants de la prestation de Gene Vincent. Cette tardive exhumation comblera tous les fans de Gene.

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    Trois ans plus tard, au mois d’août 1972, aura lieu au stade de Wembley le London Rock ‘n’ Roll Show qui inaugurera en Europe le véritable revival du rock’n’roll ‘’ old style’’ – une des racines les plus importantes du mouvement rockabilly français – l’on y retrouvera : Jerry Lee Lewis, Little Richard, Bo Diddley, Chuck Berry et Bill Haley avec ses comètes. Vous remarquez l’absence de Gene Vincent. Décédé au mois d’octobre 1971.

    Trop tôt. Trop tard.

    Damie Chad.

     

    *

    Les allemands sont réputés pour leur sensibilité écologique. Le metal aime  à se vautrer dans les sujets apocalyptiques. Beaucoup de groupes explorent les mythologies antiques, radios, télés, réseaux sociaux nous abreuvent toutes les heures de la proximale catastrophe climatologique qui se rapproche de nous à vitesse grand V… Puisque le pire s’essuie les pieds sur le paillasson de notre seuil à coups de tornades, de pluies diluviennes, et de sécheresses dévastatrices, la tentation est grande pour certains groupes d’utiliser ce cataclysme annoncé comme thématique principale. En préparation à la parution en ce mois d’octobre de Nightmare, leur troisième album, le groupe allemand Heretoir a posté sur YT une nouvelle vidéo.

    CLACIERHEART

    HERETOIR

     ( from Nigthmare / PN / Oct 2023)

     Eklatanz : vocals, guitars / Nathanael : bass, backing vocals / Max F : guitars / Nils Groth : drum / Kevin Storm : guitars.

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    Glacierheart : ( vocal : Nikita Kamprad de Der Weg einer Freihei = Le chemin de la liberté ) visuellement ils cherchent la difficulté, il ne se passe pas grand-chose sur cette vidéo de plus de dix minutes, pourtant on ne la quitte pas des yeux. L’est sûr que cette splendeur mélodique post-metal vous rive au paysage. Cimes de sapins ombreux en intro, vite subjuguées par le déferlement hymnique des guitares et la spectrale apparitions de ces troncs élancés serrés les uns contre les autres, vous avez l’impression d’être propulsé dans le bois perdu où nul être vivant n’oserait poser le pied. Pour tout compagnon de survie vous n’aurez que les gothiques lettres blanches des lyrics qui s’affichent sur l’émeraude crépusculaire envahissante dans laquelle sont englobées les formes noires des paysages.  Rase-mottes au-dessus de l’innombrable foret, la voix s’élève en même temps qu’un vol lourd de corbeaux, vite remplacé par l’éparpillement de rares flocons de neige dont la maigreur ajoute à la désolation ambiante. Un vocal surchargé de brouillard ne vous rassure pas, des arbres aux fûts gelés flambent, rémission, une guitare chantonne doucement, la caméra vole plus haut et dévoile de contraignants massifs montagneux aux flancs enneigés. Un homme, capuchon noir, silhouette erratique, marche dans ces vastitudes dépourvues d’âme, les paroles nous renseignent et nous enseignent, il cherche non pas un refuge mais au milieu de ces solitudes stériles le lieu où il pourra entendre l’esprit de la nature, des brumes l’ensorcèlent, d’infranchissables aiguilles rocheuses l’ensorcèlent, la batterie se déchaîne au moment où le lyric devient poésie où le dire délire, il chevauche les loups, il transporte les bois du dernier des Cerfs blancs, tout s’accélère, il cherche les paroles émises par les glaciers en train de fondre, la glace relâche des perles d’eau, clepsydre dont la dernière goutte sera l’heure de votre mort, musique et chants se transforment en une longue symphonie, la batterie roule comme la pierre dévale la pente du déclin, elle rebondit en derniers soubresauts, plus qu’une guitare et une prière, un adieu de désespérance, la bouche d’ombre des glaciers s’est tue, il est trop tard, en bas dans les plaines et les villes les machines broient les derniers arbres, une dernière tornade de colère et de haine contre ce monde technologique qui a secrété la mort de l’humanité. Nuages noirs et tempête sonore de grésil blanc nous recouvre.

    Beauté et puissance. Cette magnificence noire nous a donné envie d’en voir davantage. Voici le premier titre de leur avant-dernier ouvrage : Wastelands, tout comme le précédent sur YT l’Oficial Music Video avec lyrics.

    ANIMA

    HERETOIR

    ( from Wastelands / Supreme Chaos Records / Mai 2023)

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    Dans la même veine que le précédent. On l’attendait davantage expressionniste. Nuages noirs. Sombres bosquets hivernaux. Une intro qui surgit à la manière d’une longue rafale de vent que l’on pressent infinie, une tête s’affiche en transparence, une tête surmontée de bandage et deux mains agrippées sur les yeux, peut-être pour les arracher, peut-être pour ne pas voir, la caméra s’engouffre dans un paysage désertique pour déboucher sur un paysage incertain, terrestre ou maritime, la tête apparaît alors que sur sa droite déferle une eau de mer, une barre rocheuse  surmontée d’un village cèle  celles des vagues qui s’en viennent mourir sur les rivages, longue plage sableuse, le vocal démarre sur une l’image symbolique d’un arbre printanier entourée d’énormes  bougies pour souligner cette merveille, qui ne tarde pas à perdre ses feuilles et à se transformer en un tronc solitaire dont les branches semblent lancer un ultime appel au secours que ne sauraient entendre les bâtiments de la ville tassée sur elle-même au fond du paysage, le visage s’incruste sur l’écran, le corps de l’homme s’agite en vain devant nous, il lève les yeux vers le ciel, comme un ange qui regarde le paradis perdu, il tord ses membres, il demande à être entendu, ou plutôt à entendre quelque chose qui viendrait de lui, qui proviendrait de la partie animale de son âme, cette anima qui nous relie à tout ce qui n’est pas nous, à l’autre et à l’univers, sans quoi il va mourir pour rien, il a pris la place de l’arbre mort, au milieu d’un cercle de lanternes sourdes, il s’agite, il se tord, il supplie, sa silhouette s’inscrit en filigrane sur un vaste paysage, son désarroi atteint à une dimension planétaire et pratiquement universelle car pour l’humanité la terre est sa seule origine, en vain, il ne veut pas être comme nombre de ses semblables qui sont morts à l’intérieur d’eux-mêmes, il cherche une porte à l’intérieur de lui, ses doigts se referment spasmodiquement sur son totem, un bois de cert blanc, peut-être du dernier mâle de la harde qui vient de mourir, agenouillé ses ongles griffent la terre, léger arrêt de la musique, une infinitésimale coupure, tout est-il si vain, la mer se déchaîne indifférente à ses angoisses, mais le plus terrible reste le silence de son âme d’où rien ne sourd, stérile, il se voile la face, il clame qu’une porte est en lui, qu’elle s’ouvrira, la caméra inspecte la terre sans herbe, sans fleur, seules quelques jonchées de bois mort éparpillées, il a beau hurler la mort psychique se rapproche, l’anima figée au fond de lui ne répond pas. Aussi désespéré qu’un rapport du Giec !

    Comparée à la précédente cette vidéo très esthétique nous semble pour reprendre une célèbre parole de Nietzsche, humaine, trop humaine. L’espoir, fût-il insensé, fait vivre. Le lecteur aura remarqué la concordance des thèmes.

    En voici une autre tirée du même opus qu’ Anima et qui aborde un thème que nous avons à peine effleuré en chroniquant Glacierheart. Chronologiquement il indique la cause du désarroi, tant au niveau de la nature que de l’humanité, mis en scène dans les deux premiers clips.

    TWILIGHT OF THE MACHINE

    HERETOIR

    ( from Wastelands / Supreme Chaos Records / Octobre 2023)

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    D’un genre tout à fait différent que les deux précédentes. Une musique vite  mastédonienne, pesante, lourde et lente dès que disparaît de l’écran cette silhouette féminine dont la robe de mariée s’effeuille au vent  et des images bleutées, pas le bleu céleste ouranien mais le bleu sombre du blues, alternent alors les vues des musiciens, est-ce un hasard si le batteur forgeron apparaît en premier, avec ce visage d’ouvrier attaché à son boulot, guidant à l’aide d’une chaîne un lourd palan au crochet monstrueux, dur labeur qui capte sans rémission son esprit et son attention, hurlement du chanteur grande gueule ouverte, un peu comme s’il magnifiait toute la tension contenue dans les gestes du prolo, auquel bientôt vient s’adjoindre un deuxième  ouvrier qui porte en équilibre sur son épaule une lourde poutre, le lecteur français ne pourra s’empêcher d’évoquer le roman L’homme de la Scierie d’André Dhôtel, flashes des membres du groupe en train de battre le metal tant qu’il est brûlant contrastant avec ces travailleurs écrasés de fatigue regardant l’heure qui stagne au cadran de leur montre-gousset, sans doute est-ce le moment de se remémorer les textes de Marx sur l’aliénation au travail, et de réfléchir pourquoi il n’y a pas dans le titre de ‘’ s’’ à machine. Vraisemblablement parce qu’il faut entrevoir l’usine comme un lieu empli de machines qui rivent l’homme à un travail pénible et fastidieux mais surtout concevoir la machine en tant que matrice de la société moderne qui dans toute entreprise emprisonne l’ensemble des travailleurs quels que soient leurs métiers ou leurs grades dans le carcan d’une existence artificielle et peu épanouissante. Confirmation de cette analyse par les images suivantes, un homme déambulant dans un sentier de montagne, il suit un lacet qui le ramène dans la direction opposée à celle par laquelle il se dirigeait, l’on ne peut s’empêcher de penser à l’image poétique par laquelle la pensée humaine doit, selon Heidegger, se mouvoir en dehors du trajet rectiligne de l’emprise technologique en empruntant cette khere, ces tournements et retournements nécessaires à la lente et capricieuse élaboration d’une approche en route vers la nature de l’être humain que nous sommes en tant qu’Être, les uns sont attelés à des tâches ingrates et répétitives, l’un assis au bord d’un ruisseau griffonne un dessin sur un bout de papier, les musiciens jouent, notre voyageur torse nu dans une vaste rivière, retour à l’état primitif dans un vaste paysage coloré dont il n’est plus qu’une parcelle libre dénouée de toute obligation, la musique semble se désagréger pour reprendre par un martelage appuyé, notre vagabond nimbé d’un orange solaire se retrouve dans un atelier  à la pelle, sale, hirsute, soumis à une cadence accélérée, le doux rêve s’est métamorphosé en la dure réalité. Point de soleil, mais la fournaise des fours, notre héros fatigue, le vocal devient de plus en plus violent, un réquisitoire implacable contre cette société esclavagiste, le compagnon titube, il aperçoit notre mariée du début, serait-ce le symbole de cette nature dont le travail lui a fait perdre le contact, il s’approche, elle lui prend la montre, elle le libère du temps, le voici couché en pleine nature, belles visions de cartes postales du bonheur, n’ayez crainte ce n’est qu’un mirage, un antidote à l’écrasement du travail, à cette torture déshumanisante, il marche en pleine campagne, le groupe est là pour lui rappeler que le temps perdu ne se rattrape jamais. La musique s’assombrit, elle ralentit, il marchait dans la forêt, vues funèbres de l’atelier, endroit d’annihilation, son cadavre repose auprès de l’établi. Nous songions au crépuscule de la machine. C’était juste le crépuscule de l’Homme.

             Vidéo sans concession produite par Oliver König & Klara Bachmair.

    Rien à rajouter si ce n’est la nécessité de la révolte.

    Damie Chad.

     

    *

    Je venais juste de finir sur YT une des neuf émissions d’Arte sur Country Music : une histoire populaire des Etats-Unis, série didactique emplie d’archives que je recommande, sans que je fasse un seul clic s’affiche sur l’écran une nouvelle vidéo inconnue. Rien qu’à l’étendue profilée d’un champ de blé, je suppute, avec ce flair de rocker qui ne me quitte et ne me trompe jamais, que c’est un clip country. Je clique et évidemment mon instinct ne m’a point fourvoyé. Les mauvaises langues diront que c’est surtout ces trois jolies filles assises au premier plan, ah ! la blondeur de ces trois chevelures qui éclipse celle du blé, qui auraient motivé mon intérêt profond, je m’inscris en faux contre ces assertions venimeuses, juste ma sensibilité heideggerienne à la problématique de l’origine. Jugez-en par vous-même grâce au titre :

    THE CASTELLOWS : THE BEGINNING

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     Toute la mythologie américaine synthétisée en deux minutes. Sans une seconde supplémentaire. Premières images idylliques : trois petites filles, tour à tour devant un piano, chantant ou jouant, à la maison, devant leurs camarades de classe, lors d’une représentation de ce que je qualifierais, pour trouver un équivalant en notre langue, un spectacle de centre aéré. C’est mignon, c’est charmant. L’enfance ne dure jamais assez longtemps. Sur les images suivantes elles ont grandi, elles se présentent, LILY : lead singer / ELLIE : soprano, lead guitar / POWELL : alto, banjo / ensuite en de très courtes séquences, on les voit dans la ferme familiale poser devant un tracteur, monter à cheval, pagayer dans un canoé, jouer au cowgirl, pratiquer le tir à l’arc, chanter ensemble, caresser un chien… sur la fin de la pellicule la couleur disparaît, quelques images fugitive en un noir et blanc pas du tout contrasté et un peu évanescent, sans doute pour induire l’idée que le bon vieux temps n’est jamais tout à fait disparu. Sur leur site ne s’inscrit-il pas qu’elles produisent un country néo-traditionnel.

             C’est bien fait, du beau boulot, un bon travail promotionnel, j’aimerais en savoir davantage.  

             Nos sisters sont originaires de Georgetown (Georgie). Leur enfance se déroula dans la ferme parentale, elles ont été scolarisées à la maison ce qui leur permit d’apprendre plusieurs instruments… Notons que Eleanor ( Ellie ) et Powel sont jumelles, soyons précis elles ne forment pas avec leur frère Henry les triplettes de Belleville mais les triplés de la famille Balkom, Lily est leur cadette. La suite est des plus classique : en grandissant elles ont commencé à jouer un peu partout dans leur ville natale, église, écoles et festivités privées…  elles ont acquis une petite célébrité locale  qui leur a permis de monter sur scène dans avec des vedettes régionales Mill Jam et Elie Cain…

             Leur site nous apprend que depuis quelques mois elles résident à Nashville et qu’elles ont été remarquées (faudrait-être aveugle pour ne pas les voir) par les milieux musicaux… jusqu’à ce jour aucun album en vue… Elles présentent sur leur site et sur YT une série de vidéos intitulées Silo Sessions. Il existe à Nashville un immense bâtiment nommé Silo Studios dans lequel vous pouvez louer des espaces pour organiser toutes sortes d’évènements. J’ignore si ces Silo Sessions ont été enregistrées en cet endroit qui apparemment ne possède aucun studio d’enregistrement. A moins que ce soit un enregistrement au bas d’un silo de la ferme familiale.

             C’est Ellie qui compose les morceaux et écrit les paroles. D’après ce que j’ai compris elle exerce un certain ascendant sur ses sœurs.

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    Sophie and Buddy : toutes les trois, toute belles, poussez un peu les volumes pour mieux entendre les harmonies vocales, quelques accords de guitare et Lily qui vous fixe de ses yeux bleus, ne fermez pas les vôtres et admirez les trois grâces, la Lily elle vous mènerait au bout du monde, alors si vous ne comprenez pas grand-chose à l’anglais chanté, je vous en prie, restez-en là, elles sont si mignonnes avec leurs petites minauderies, charmantes, vous êtes sur un nuage rose, si une curiosité malsaine vous pousse à lire les lyrics sous la vidéo, vous ne dormirez pas de la nuit, votre nuage rose va se teinter de sang, comment peut-on raconter de telles horreurs avec cette voix toute gentillette que vous prenez pour lire Petit Ours Brun à votre gamin pelotonné contre vous. C’est un peu comme Frankie and Johnny mais en plus sordide. Un fait divers qui vous glace le sang. Traditional sure, but very gore.

    State-line living : le même décor, toutes trois devant un fond gris, vous remarquez que Powell fait un peu la moue, mais quand les notes de son banjo se superposent à la guitare d’Ellie vous l’entendez, une espèce de ballade, innocente avez-vous pensé, les paroles vous tournebouleront, toutes simples et parfaitement incompréhensibles, une solitude et une mélancolie qui vous est étrangère puisque vous ne savez pas quelle expérience précise elle relate, la tristesse, le malaise d’habiter à la frontière de l’Alabama et de la Georgie et de cette coupure que cela induit entre les êtres et à l’intérieur de soi..

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    Southeast past of home : guitare et banjo, on a du faire un signe à Powell parce que son visage s’épanouit d’un large sourire, le manche de la guitare d’Ellie semble vouloir percer l’écran de l’ordi, après tout ce sont ses paroles, sa sensibilité que Lily exprime avec autant d’émotion retenue, un truc vieux comme le monde, je suis mieux chez moi que partout ailleurs, mais si bien ancrée dans les paroles que vous sentez qu’en dehors du Sud-est de la Georgie rien ne vaut la peine, la chanson dépasse à peine les deux minutes, pas une seconde de répit pour Lily, une véritable épreuve vocale, avec cette manière particulière de détacher tous les mots qui vous offre une sensation d’éternité.

    Cowgirl blues : elles y mettent tout leur cœur, elles sourient, elles rient, l’on sent que le sujet les concerne, normal il parle des garçons, de l’incompréhension que leurs comportement suscitent, elles échangent des regards pleins de sous-entendus, elles savent très bien ce qu’elles veulent, et pas très bien ce qu’elles ne veulent pas, je crois que les mouvements féministes de par ici renâcleraient quelque peu, mais elles expriment des incertitudes et des volontés qui ne sont qu’à elles et l’on sent qu’elles n’en démordront pas.

    Bring a little home with you : accord total, very traditional, emmène toujours un peu de toi partout où tu iras, le chemin te ramènera à la maison, l’on sent qu’elles expriment leur être profond, peut-être pour cela que la voix monte plus haut, et que les harmonies se posent plus fortement, là où ça fait mal. Là où ça fait du bien.

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    Sticks without stones : on aperçoit davantage les instruments, Lily gratte un peu une guitare, une ballade davantage appuyée qui prend le contrepied de la précédente, les filles sont pleines de contradictions, je ne saurais rester avec toi si tu n’acceptes pas ma liberté. Un régal de les regarder chanter et s’exprimer par d’infimes mouvements, la voix de Lily est ensorcelante, elle ne la force jamais, mais elle détache les mots comme des perles qui se détachent d’un collier et que vous ne retrouverez jamais plus. Vous les regretterez tout le restant de votre vie.

    Date country : le banjo de Powell mange le coin gauche du bas de l’écran, Lily s’est coiffée d’une casquette, Elie arbore un visage plus romantique que sur les vidéos précédentes, Powell ferme les yeux, les filles chantent leur idéal amoureux, il faut qu’il soit avant tout épris du lieu où lui et sa famille ont vécu depuis longtemps. Le lieu et la formule dixit Rimbaud.

    A cette série est ajouté : I see fire : une cover d’Ed Sheeran ( chanteur et guitariste anglais ) : elles ne l’interprètent pas au hasard, elle évoque un incendie sur une montagne qui menace les habitations… : nous ne sommes plus au même endroit, vraisemblablement sur la véranda d’une ferme américaine, toutes les trois debout, on les croirait sur scène avec le noir de la nuit derrière elle, elles commencent à chanter et à jouer, le plus important ce sont les regards inquiets qu’elles échangent, des éclairs illuminent le ciel, la vidéo se coupe brutalement.

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             Sur leur chaîne You tube vous trouverez une douzaine de reels de moins d’une minute, ces courts extraits ont été vus des milliers de fois et ont dû drainer des milliers d’admirateurs sur YT .

             Je ne sais ce qu’elles deviendront, elles poursuivent leurs études, Powell suit une école d’agriculture pour reprendre la ferme de ses parents.

             Elles commencent à tourner…

    Damie Chad.

     

    *

     Une erreur peut se révéler bénéfique. Une image qui défile à toute vitesse, oh ! on aurait dit une vue du Golf Drouot, retour en arrière, non rien à voir, où avais-je la tête ! Tiens un groupe dont j’ignore tout. Une belle dégaine en tout cas. En piste et en chasse !

    LIPSTICK VIBRATORS

    Un truc qui vibre sur des lèvres, je vous laisse choisir lesquelles, cela interpelle. Pas de chance z’ont l’air de ne plus avoir fait grand-chose depuis 2014, se sont formés en 2006, mais sur le site Pirate-Punk j’apprends qu’ils se sont reformés en 2019 avec un nouveau line-up. Feu de paille ? Leur FB est aux abonnés absents. Je n’en sais rien. Il ne me semble pas avoir aperçu leur nom de-ci de-là ces dernières années. Quelques minutes se sont écoulées depuis la fin de la dernière phrase, une tournée voici une année et un concert à l’International ces dernières semaines. Plus un lien efficient vers leur FB ; Ils sévissent encore ! J’adore remonter les pistes, j’ai l’impression d’être le héros de James Olivier Curwood dans Le piège d’or. En attendant d’en savoir plus penchons-nous sur un des méfaits accomplis par cette horde barbare : ne se définissent-ils pas sur leur bandcamp comme un pure savage rock’n’roll band !

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    Une pochette qui vous met l’eau à la bouche. Blanche et noire. Toute la tragédie burlesque de la vie, malgré cela derrière leurs lunettes noires les guerriers du rock’n’roll résistent.

    Dandy Pumpkin : vocal / Cox Tornado : basse / Tom Idle : guitar, voval / Matt Crusher : drums, vocal

    LOW WINTER BLUES

    (CD : Altitude Records / 2014 / Smap Records / 2022 )

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    ( Pochette 2014 )

    To the outsiders : dès les premiers horribles grincements vous comprenez que ces gars-là ne sont pas des menteurs, tiennent leurs promesses, souveraine sauvagerie ! C’est si rapide que vous ne savez pas par quoi commencer. Pour moi c’est le batteur, Crusher vous a une de ces frappes élastiques, je cherche dans mes souvenirs, non je n’ai jamais un beat aussi rebondissant, un ressort, une balle de squash qui tamponne les murs avec une précision diabolique, puis il y a  le vocal, fondu dans le background, un peu comme ces bonbons qui collent si bien au papier que vous êtes obligé de l’avaler aussi et ça vous donne un petit goût acidulé d’imprimerie, car nous sommes en présence d’un gosier qui imprime fort, les mots jaillissent de sa bouche et vous cisaillent  le visage comme les pinces du homard que vous avalez vivant, elles dépassent de votre bouche, le crustacé règle ses comptes avec vous. Enfin les guitares, trois Triumphs qui se tirent la bourre sur le Circuit Carole et laissent échapper deux soli dantesques. Deux minutes, un hymne aux outsiders qui ne savent acquiescer à la laideur du monde. This side of brightness : une intro un peu en dérapage incontrôlée, de beaux reflets sur une carrosserie. Noire. Nous sommes bien de l’autre côté de la lumière sur le versant sombre des cauchemars qui peuplent les nuits de ceux qui passent leur vie à ne pas la vivre. Revendication de la marge. Batterie psychopathe, basse endémique, guitares froissées, vocal en cri de haine d’indiens sur le sentier de la guerre. Un shoot de rage et de révolte, qu’aucun bâillon ne saurait contenir. Retarded loser : celui-là on ne l’attendait pas, la balle qui arrive si vite sur vous et vous tue avant que la détonation n’ait eu le temps de vous avertir du danger, au milieu ce hennissement instrumentalisé d’un cheval édenté qui perd ses dents alors qu’il galope, l’ai peut-être remis vingt fois avant de passer au suivant. Un bijou, une œuvre d’art à part entière. ( I feel like) the dayy of my birth : un démarrage clopin-clopant, faut bien qu’ils reprennent leur souffle, bien sûr il y a cette guitare qui s’amuse à jouer du kazou, la basse qui trombonise, mais la batterie et le vocal ne l’entendent pas ainsi, jouent au klaxon qui arrivent sur les lieux du désastre avant l’ambulance. L’est vrai que le bébé est né avant de naître. Vous concevrez qu’il soit tout à fait normal que ce morceau revête une apparence de folie surréaliste. Jessica : martèlement des guitares, c’est reparti pour Cythère. Tarifé. A fond de train. Cette fois vous avez un refrain dans le morceau. Le chanteur se métamorphose en chateur, il miaule de toute son âme. Chaque miaulement comme un jet de sperme brûlant dans le vagin de Jessica qui l’ouvre à tous. Un véritable bordel ce morceau. Suis sûr que vous allez faire la queue pour l’écouter. Ne riez pas. C’est le destin qui vous choisit et pas le contraire. She’s living in fear : sujet délicat. Morceau brûlant. Qui oserait l’écrire de nos jours. Vous admirerez cette fausse fin sifflante qui siffle sur nos têtes, suivie de ce final monstrueux. Splendide. Magnifique. Cent pour cent rock ‘n’ roll. Irremplaçable. Something about a gun : une fusillade, ici on admire en esthète, le fuselage racé de ces guitares qui vous court dans les oreilles, cette batterie qui vous entraîne sur les mauvais chemins, ce chant qui fait la course en tête, un bel objet rock ‘n’ roll comme l’on n’en fait plus. Maîtrisé de la première note à la dernière, un cadeau à l’Humanité. I’m coming back to you : je n’en dirai pas plus, terminent l’opus comme ils l’ont commencé et continué tout du long. Pas un titre qui dépare dans cet album. Huit missiles à longue portée qui touchent leur but, vous détruisent et du même coup vous ressuscitent. D’une beauté noire et incandescente.  Sans concession. Rock ‘n’ roll.

             Les galons d’or du rock français. Qui a osé faire mieux par ici ? La classe internationale.

    Damie Chad.