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clydie king

  • CHRONIQUES DE POURPRE 558 : KR'TNT 558 : DAPTONE / MAIDA VALE / BLACK MAMBA / CLYDIE KING / DIDIER BOURLON / STERCORUM HUMANITATIS TRANSLATIO / POGO CAR CRASH CONTROL

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 558

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    09 / 06 / 2022

    DAPTONE / MAIDA VALE / BLACK MAMBA

    CLYDIE KING / DIDIER BOURLON    

    STERCORUM HUMANITATIS TRANSLATIO

    POGO CAR CRASH CONTROL

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 558

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

      http://krtnt.hautetfort.com/

     Daptone en fait des tonnes - Part Two

     

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             Si tu veux entrer pour de vrai dans l’éthique Daptone, tu ne peux pas faire l’économie d’un retour aux sources, c’est-à-dire écouter les disques qui ont ému aux larmes le jeune Gabe Roth. Dans son ouvrage (It Ain’t Retro: Daptone Records & The 21st Century Soul Revolution), Jessica Lipsky cite trois compiles en référence : James Brown’s Funky People, Brainfreeze et Funky 16 Corners, alors que dans le sien (Long Slow Train: The Soul Music Of Sharon Jones And The Dap-Kings), Donald Brackett cite plutôt Stax.

             Commençons si tu veux bien par les compiles que cite Jessica Lipsky.

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             On comprend que le jeune Gabe se soit prosterné jusqu’à terre devant James Brown’s Funky People. Cette compile est tout simplement à l’image de James Brown : de la dynamite. Les quatre cuts de Lyn Collins vont te faire tomber de ta chaise, à commencer par «Think (About It)», elle est aussi balèze qu’Aretha, en plus funky, c’est gorgé de Brown stuff. Comme son mentor, elle fonce dans le tas avec «Mama Feelgood», c’est joué à l’efflanquerie du meilleur funk d’Amérique, elle pousse bien le bouchon, on a des poussières de sax dans du cul du cut, elle mène le bal du diable à coups de let me hear you speaking. James Brown duette avec elle sur «Rock Me Again & Again & Again & Again» - play time ! - James Brown geint dans le background, alors elle y va, il danse derrière son micro, il geint comme un roi. Lyn Collins est une lionne et James Brown le vrai roi d’Amérique. Oui, car les blacks sont au-delà de tout. Elle duette encore avec James Brown sur «Take Me Just As I Am», elle fait «take me» et James Brown ajoute «as I am», mais il le fait à la James Brown, avec du génie, alors que derrière gronde le funk. Et puis il y a aussi Maceo & The Macks avec «Parrty (Part 1)», fantastique festin de funk, ces mecs jouent de tout leur soûl, ils jouent dans tous les coins. Et voilà un autre proche de James Brown, Fred Wesley qu’on eut la chance de voir jouer au Méridien. Accompagné par les JBs, il vole dans les plumes d’«If You Get It The First Time etc etc». Fred souffle dans son trombone et James Brown reste dans les parages. Swing monumental, c’est bourré de jus et d’interventions interactives. C’est Fred qui referme la marche avec «Same Beat», au son d’inclusion et claqué au mieux du same beat. Fred Westley fait aussi le train avec «(It’s Not The Express) It’s Just The JBs Monaurail», heavy beat des enfers. On voit aussi les JBs s’adonner à toutes sortes de pirouettes apoplectiques. Et puis à un moment James Brown rend hommage à son vieil ami Fred Westley : «To me happiness is Fred Westley playing his horn.» Compile magique.

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             Et puis voilà les deux autres compiles référentielles : Brainfreeze et Funky 16 Corners. La première est une grosse arnaque. Tout est enchaîné et samplé, on entend des bouts de choses admirables, Reuben Bell, Albert King, Mack Rice, mais les deux imbéciles qui compilent ça scratchent par-dessus, ils massacrent des cuts énormes, nous voilà au sommet de la vague des non-artistes, Rufus Thomas survit dans les décombres, mais pas longtemps car les deux DJ finissent par le démembrer, c’est atroce et ils lui collent des coups de scratch dans la gueule. Comment osent-ils ? Allez scratcher Stong et Slosh, mais pas Rufus Thomas !     

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         Funky 16 Corners est une compile infiniment plus respectueuse des artistes compilés. Et quels artistes ! Ce sont tous d’obscurs funksters, pas d’albums, rien que des singles sur des labels obscurs, et ça part en trombe avec Ernie & The Top Notes, et le fameux «Dap Walk» qui selon Jessica Lipsky est à l’origine du choix de Daptone comme nom de label. On y entend la bassline de «Tighten Up». C’est le bassmatic le plus virtuose de l’histoire du funk et un solo de sax arrive comme la cerise sur le gâtö. Tout est bon là-dessus, le heavy groove de Bad Medecine se laisse savourer avec délectation («Trespasser») et Spider Morrison gère son affaire de main de maître («Beautiful Day»). The Highlighters Band highlighte la B avec le morceau titre de la compile, un funk à la James Brown, ah ! Do it again !. Et les Rhythm Machine font aussi du James Brown avec «The Kick», pur jus de funk de get on quick et d’in the back, you’re still on the track, aye ! Aussi heavy on the groove, voilà Carleen & The Groovers et «Can We Rap», superbe ersatz de James Brown. En C, les Go Real Artists passent au funk africain avec «What About You (In The World Today)». Ça duette et ça rappe au milieu du beat et des percus. Nouvelle giclée de Tighten Up avec le «Tighten Up Tighter» de Billy Ball & The Upsetters featuring Roosevelt Matthews. Ah on parlait du loup ? Le voilà, avec son fabuleux drive de basse, encore plus féroce que celui d’Archie Bell & the Drells. En D, on ira savourer le slow groove du paradis imaginé par The Wonder Glass featuring Billy Wooten et «In The Rain». Cut de rêve avec du timpani et un soft shuffle d’orgue.

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             A-t-on vraiment besoin d’aller ouvrir un deuxième Daptone book ? Celui de Jessica Lipsky cité en amont semblait avoir brillamment fait le tour du propriétaire. Il en existe un autre, paru antérieurement et signé Donald Brackett (Long Slow Train: The Soul Music Of Sharon Jones And The Dap-Kings), très attirant par sa couverture. On y voit en effet Sharon Jones danser sur scène dans sa robe voodoo. La photo doit dater de l’époque des chimios car elle n’a plus de cheveux. Diable comme elle est belle ! Bon, le problème de Brackett, c’est qu’il analyse une musique qui s’en passerait bien. Ses pages sont parfois aussi ardues que les cols du Haut Atlas, qu’on franchit au prix d’efforts surhumains. C’est un peu comme si Roland Barthes expliquait les tenants et les aboutissants du Live At The Apollo, ou comme si Serge Daney dessinait un parallèle entre Jean-Pierre Melville et Sex Machine dans les Cahiers. Disons que c’est une autre façon d’interpréter les choses, mais il ne faut pas oublier qu’on gagne toujours à entrer dans le jeu des formulations qui ne nous correspondent pas.

             Pour définir le funk, Brackett passe un braquet et fait parler Fred Westley : «Si tu as une syncopated bass line, a strong heavy backbeat from the drummer, a counter line from the guitar or the keyboard et quelqu’un qui soul-sing on top of that in a gospel style, alors tu as du funk.» Brackett parle du funk en termes d’authentic action et d’artistic urgency, de ‘70s black culture et comme cerise sur son gâtö, il rappelle qu’en 1974, James Brown se proclamait The Minister of New Super Heavy Funk, une tradition que Sharon Jones reprenait à son compte se jetant sur scène in true juju fashion. Aux yeux de Brackett, Sharon Jones et les Dap-Kings ne cherchaient pas seulement à récupérer le sound of ‘60s Memphis, mais plutôt le soul of ‘60s Memphis. Pour lui, les racines sont chez Stax et chez James Brown. Et dans son délire, il va encore plus loin, affirmant que le juju fashion de Sharon Jones vient directement du Sénégal ou de Yoruba, c’est-à-dire le Nigeria, alors il farcit sa dinde avec tout ce qui lui passe par la tête, les chants d’esclaves sur les bateaux, les chants des cueilleurs de coton, les chants de gospel dans les églises en bois, les blues licks dans les urban clubs, the soul bounce des dance floors, le funky groove des sweaty arenas, pour lui, le funk remonte directement aux origines et soudain tout s’éclaire quand il affirme que la Black music n’a jamais cessé d’évoluer, depuis les premiers chants d’esclaves jusqu’aux street-corner raps. Il cite Rickey   Vincent : «The mission has been the same to tell it like it is.» Brackett ajoute que le gospel prend aussi racine dans un cauchemar : the social nightmare of being black in the American southern states. L’incroyable de cette histoire est que le Black Power a réussi à prendre le dessus - gospel, blues, jazz, rhythm & blues, rock’n’roll, soul, funk and later hip-hop, in one of the most creative explosions of self-expression in history - C’est bien de le redire encore une fois. Brackett remonte à l’assaut du ciel en nous rappelant que le mot gospel signifie «good news», mais la vraie bonne nouvelle dit-il, c’est que le gospel est devenu le blues, le blues en fusionnant avec le gospel est devenu la Soul, la Soul est devenue le funk en fusionnant avec le rock, et le funk est devenu Sharon Jones’ middle name. Le «good news» du gospel est devenu le «feel good» de la Soul. 

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             S’il cite Stax, c’est sans doute à cause du raw, l’essence commune avec le funk. Et là il donne la parole à Steve Cropper, mieux placé que nul autre pour en parler : «On a appelé ce qu’on faisait le Stax sound ou le Memphis sound. Ce n’était ni le Chicago sound, ni le New York sound, encore moins le Detroit sound, c’était un southern sound, a below the Bible belt sound. Un son vertueux et nasty à la fois, qui était à nos yeux l’illustration parfaite de la vie elle-même.» Et puis un mec vient nous rappeler ce qu’on sait déjà : Motown avait baptisé son pavillon Hitsville U.S.A., et Stax le sien Soulsville U.S.A. C’est Isaac Hayes qui exprime peut-être le mieux le raw de Stax : «I’m a Soul man, got what I got the hard way.» Brackett aime bien cette notion de hard way. Il faut en baver pour être raw. Travailler dur, hard work, Miz Axton doit hypothéquer sa maison pour financer l’achat d’un premier Ampex, et bien sûr, Gabe Roth va démarrer exactement avec le même Ampex, «the very same kind of analog tape format, the holy grail for Daptone Records cinquante ans plus tard». Dès le départ, Gabe Roth milite pour le raw, c’est-à-dire le manque de moyens. Il enregistre avec des micros à 5 $ - To use whatever you have and just rely on the performance of the musicians and on your own ears - Brackett appelle ça ‘the money can’t buy you sound’ school of thought. Roth préfère le son des disques d’Irma Thomas ou d’Ann Peebles à celui de Steely Dan (que Brackett s’empresse de qualifier de plenty perfect by the way).

             Brackett nous explique à longueur de pages que Sharon Jones ne s’est jamais éloignée un seul instant de l’esprit du gospel. Comme d’ailleurs James Brown : «Really I never left it. Or it never left me. Il se peut que le public ne le sache pas, but the Sex Machine first did it to death for the Lord. I want to, I can testify. Le Gospel m’a sauvé la vie, même si je n’ai pas chanté beaucoup à l’église. J’ai chanté le gospel en prison.»

             Comme l’avait fait Aretha avec Amazing Grace, Sharon Jones voulait enregistrer un album de gospel, mais la vie en a décidé autrement. En guise de consolation, Gabe Roth dit que Sharon Jones a chanté le gospel toute sa vie.

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             Le Brackett book rend un bel hommage à Sharon Jones et à ses six décades de raw, untutored, ramshakle, rambunctious and infectuous life energy. C’est effectivement ce qui frappe le plus quand on la voit sur scène : l’énergie. Mais il insiste aussi sur son caractère entier. Quand elle arrive sur scène sans perruque, comme le montre la photo de couverture du book, elle s’en explique : «I’m just going to go with it. That’s what soul music is all about.» On est comme on est. Brackett pense aussi que Sharon tient de James Brown par sa façon de repousser les limites, pas seulement les siennes, mais aussi les nôtres, our own perceived pleasure limits. Le pauvre Brackett est tellement subjugué par Sharon Jones qu’il lance une hypothèse audacieuse : elle serait, comme le fut James Brown, possédée, non par le diable, mais par Dieu, qu’il appelle the Creator : «Tous ceux qui ont vu James brown ou Sharon Jones at the Apollo savent que SOMETHING has taken over.» C’est la première fois qu’on fait allusion à ce type de possession. Du coup Brackett voulait titrer son book Gospel Fury, après avoir joué un temps avec une autre idée : The Gospel According to Sharon, mais en Anglais, c’est une formule qui peut passer pour irrévérencieuse. Il précise alors sa pensée et cite Paul Oliver pour amener l’idée du Soul gospel, dont les pionniers furent les Soul Stirrers de Sam Cooke, puis Aretha : «Alors qu’il est religieux par essence, le Soul gospel was marked by its raw, often sexually charged display of emotion.» À quoi Brackett ajoute : «Sounds like the perfect description of Jones to me.» Alors Sharon peut aller faire tournoyer son small stocky body à travers la scène, like a ceremonial voodoo doll. Pour Brackett, c’est la preuve qu’une tradition originaire de Yoruba a traversé l’Atlantique aux heures sombres de la traite des noirs. Brackett redit que Sharon est possédée par le spirit et il n’ose pas parler de paganisme, alors que c’est précisément de cela dont il s’agit. Ce mélange de possession et de Stax sound est aux yeux de Brackett unique dans l’histoire de la musique populaire. Pour la simple raison que Sharon Jones et les Dap-Kings n’imitaient personne. Gabe Roth veillait à se distinguer de la néo-Soul qui faisait rage au moment où Daptone est apparu. Pas question d’aller utiliser les fucking outils digitaux pour enregistrer. Roth voulait aussi reprendre l’idée des Soul Revues célèbres dans les sixties - There’s a sense of showmanship in that, an excitement that you don’t see in a lot of shows nowadays - Il a raison, le Roth, la grandeur a disparu, hormis les Dap-Kings, on ne voyait plus beaucoup de Revues sur scène ces vingt dernières années. Avec des moyens beaucoup plus modestes, King Khan & His Shrine ont réussi à maintenir la tradition. Idem pour les Buttshakers qui refont surface.    

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             Brackett revient aussi sur la qualité de la relation qui existait entre Gabe Roth et Sharon Jones. Il savait l’apprécier comme elle était. Son acolyte Sugarman décrit Sharon en trois lignes : «Une femme de cinquante ans avec une sacrée poignée de main, une can-do attitude and a little extra padding around the waist», ce qui fait qu’on l’acceptait comme elle était, «on her own terms for the first time in a long time.» Pour les journalistes qui l’interviewaient, Sharon Jones était a reporter’s dream : locace, spontanée, drôle, familière et toujours cette sacrée poignée de main !

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             Brackett triangule Sharon Jones avec James Brown et Sister Rosetta Tharpe, qui dès 1944, «was already twanging out adrenalin-charged steel guitar gospel riffs.» Les Dap-Kings sont donc les héritiers de cette tradition qui s’enracine dans le gospel et qui passe par James Brown, Sister Rosetta Tharpe et Stax. Gabe Roth : «Ma principale inspiration, si on considère ce que j’ai fait musicalement pendant toutes ces années, c’est Stax. Il n’existait rien de comparable à Stax avant que ça n’existe. Et depuis que Stax a disparu, rien de comparable n’est apparu. Motown was a factory but Stax was a family.» Comme on l’a vu, le concept de family est au cœur de l’étique rothienne. Mieux encore : les Dap-Kings ne sont pas tous noirs, ils sont nous dit Brackett «a wild mixture of white, black, Italian, South American, jewish, south, north east and west.» «La distillation la plus pure dit-il de ce qu’est l’Amérique, un brassage spirituel.» Pour illustrer son propos, il ressort les vieux parallèles cousus de fil blanc, Daptone et Stax/Royal Recording in Memphis, the Muscle Shoals Sound Studios in Sheffield, Alabama, or Malaco’s studio in Jackson, Mississippi - Sa chute est marrante : «This isn’t nostalgia, folks, it’s realism.»    

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             Comme le fait Jessica Lipsky dans son book, Brackett fouille un peu du côté des «autres», ceux que le phénomène Daptone a révélés : Black Joe Lewis & The Honeybears, St. Paul & The Broken Bones, Eli Paperboy Reed, Alabama Shakes, Mayer Hawthorne et Leon Bridges. Il cite aussi les noms de Lyn Collins, Marva Whitney, LaVern Baker et Ruby Johnson, comme étant des simili-Sharon, mais s’empresse-t-il d’ajouter, Sharon a toujours été Sharon, right from the beginning.

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             Vers la fin de son book, Brackett demande à Gabe Roth si les Dap-Kings ont encore un avenir après la disparition de Sharon Jones. La réponse ne se fait pas attendre : «On sait très bien qu’on ne rejouera plus à un tel niveau. On ne peut pas espérer mieux que d’accompagner Sharon Jones sur scène.» Maintenant, il ne te reste plus qu’à écouter les albums. Tiens par exemple, les deux compiles Daptone, Daptone Gold et Daptone Gold Vol. II. Elles sont extrêmement représentatives de l’esprit Daptone. Pour ceux qui n’ont ni la place ni les moyens d’entasser tous les albums parus sur Daptone, elles sont idéales. Après l’intro de Binky Griptite, Sharon Jones ouvre le bal de Daptone Gold avec le hard funk d’«I’m Not Gonna Cry», tiré de Soul Time. Les Dap-Kings déroulent le tapis rouge du hard funk et Sharon lui donne vie. Avec tous ces escaliers de cuivres, on se croirait à l’âge d’or. Elle revient plus loin avec «How Long Do I Have To Wait», plus bon chic bon genre, on danse au bar de la plage, ooouh baby, elle s’amuse bien, la mémère dans son truc en plume. Plus sérieux, voilà «Got A Thing On My Mind», un r’n’b à la Sharon, avec un Gabe qui cavale dans le son. Pas de plus belle lampée de lampiste et cette façon qu’a le Gabe de remonter en escaliers dans le flux du bassmatic. Sharon Jones revient encore sucer la pulpe de la Soul avec «Make It Good To Me», mais cette fois le bassmatic est trop présent, ça devient un système déplaisant. C’est elle qui boucle le bouclard en duo avec Lee Fields sur «Stranded In Your Love». Lee Fields tape à sa porte : They stole my car ! Elle ne veut pas lui ouvrir. Now I’m stranded in/ Your love et Lee Fields en rajoute. Sharon repart au front à la glotte perchée, elle est indestructible et Lee Fields la relaye, ils fondent enfin leurs voix dans les circonstances, ils duettent jusqu’au bout de la nuit de cristal, ils sont effarants. L’autre tête de gondole de Daptone c’est bien sûr Noami Shelton qui ramène tout son pâté de foi dans «What Have You Done». C’est incroyable comme Gabe Roth a su la mettre en valeur. C’est balayé par un vent de chœurs. Retour de Lee Fields avec «Could Have Been». Ce fantastique shouter explose bien la Soul, encore plus sûrement que Percy Sledge. Il revient plus loin accompagné par Sugarman avec «Stand Up». Il est le meilleur avec James Brown. Le quatrième larron c’est bien sûr Charles Bradley qui fout le feu avec «The World (Is Goin’ Up In Flames)». Grand dévoreur d’espaces. Et puis tu as tous les groupes instro, les copains de Gabe Rothe, The Budos Band, Antibalas, The Menahan Street Band et The Sugarman Three, dont les exégètes de Daptone disent le plus grand bien, mais attention, ce ne sont que des gros albums d’instros, extrêmement difficiles à écouter à sec, mais par contre idéaux pour mettre de l’ambiance à l’apéro. Avec Daptone Gold, tu en as pour ton argent. Idem avec Daptone Gold Vol. II.

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             Tu y verras Sharon Jones & The Dap-Kings ouvrir le bal avec «Better Things», big Sister Jones le fait à la dure, elle éclate la Soul au Sénégal, au chant d’éclat. Plus loin, on la retrouve avec l’«Inspiration Information» de Shuggie Otis, l’une des covers du siècle, puis avec «Retreat» qu’elle chante le dos au mur, elle est certainement la dernière des grandes Soul Sisters des temps modernes, elle grimpe là-haut sur la montagne pour atteindre le somment du lard, il faut la voir exploser le chant. Elle fait encore un coup d’éclat avec «I Learned The Hard Way», elle s’installe au cœur du groove de Daptone, parfaite et perçante, pour une leçon de good time groove. Voilà pour les coups de génie. Mais il y en a d’autres, notamment ceux de Noami Shelton & The Gospel Queens. Avec «Sinner», Noami Shelton sort les accents profonds de James Brown, elle ramène tout le deepy deep de la Soul, elle fond comme beurre en broche, là tu as le black genius à l’état le plus pur, épais, au ras des pâquerettes, avec tout l’indicible power du gospel choir. On la retrouve vers la fin avec un inédit, une cover de «You Gotta Move» qu’elle shake avec un gusto assez rare, elle est dans l’extrême du groove de tell you what the Lawd, avec la voix d’une Witch Queen of New Orleans. Le troisième larron dans cette folle aventure c’est bien sûr Charles Bradley qui fait avec «Strictly Reserved» son discours du 18 juin, fantastique scorcher, il effare en répandant sa bonne parole. Il revient vers la fin avec un inédit, «Luv Jones», heavy on the beat, merveilleux Charles, son groove défie toutes concurrence, il se veut tentateur, oh-oh-oh et travaille son Luv au plus profond du Daptone groove. Les Dapettes Shaun & Starr sont là, elles aussi, avec «Look Closer», ainsi que les Como Mamas avec «Out Of The Wilderness», un autre inédit, bienvenue sur la terre ferme avec les Como, aw yeah, il faut voir comme elles allument ! Et puis il y a tous les groupes instro de la bande à Daptone, Antibalas, Menahan Street Band, The Budos Band et bien sûr The Sugarman Three, tous pleins de son et d’énergie, notamment Sugarman et son shuffle, mais c’est un son qui n’intéresse que Gabe. Ce sont les Dap-Kings qui referment la marche avec «Thunderclap», ces petits blancs qui se prennent pour des noirs s’octroient une partie de plaisir, mais on sent bien qu’il leur manque un petit quelque chose. Ils n’ont ni la niaque des Bar-Kays ni celle des Famous Flames, même s’ils groovent comme des diables.     

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               Bien sûr qu’il faut écouter l’album de Lee Fields paru sur Desco, l’ancêtre de Daptone. L’objet s’appelle Let’s Get A Groove On et date de 1998. C’est du hard funk génial, wow, «Let’s Get A Groove On» ! Et ça continue avec «Watch That Man», big heavy funk de Lee, digne de James Brown, avec des chœurs de funk qui font «That’s watch that man/ The man !». En B, il s’en va faire du pur James Brown avec «Put It On Me», ah ! Il halète bien, oh ! Il chante au gut de l’undergut. Et puis voilà le coup de génie tant attendu, «Steam Train», chargé jusqu’à la gueule de groove de funk, bassmatiqué jusqu’à l’os du jambon, avec du solo de sax à gogo.

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             Le Gimme The Paw des Soul Providers Featuring Lee Fields s’appelle aussi Soul Tequila. C’est l’époque où Phillip Lehman et Gabe Roth montent leur label Desco et lancent Lee Fields. On y retrouve le «Steam Train» de l’album précédent. C’est l’un des plus beaux classiques de hard funk, parce qu’excessif et balèze, pulsé à la JB, ouh ! Lee Fields fait le train en funk ou le funk du train, c’est comme tu veux, ouh ! JB n’y aurait pas pensé, Mister iron man ! Go on some steam ! Avec un solo de trompette à la Maceo. Lee Fields est de retour sur «Switchblade», il est brillant le petit Lee. Ça gratte le funk comme chez JB, et les Soul Providers fourbissent en plus le bassmatic et les cuivres du funky strut - That’s what they call me - Et la fille fait «Switchblade» ! La fille, c’est Sharon Jones. Les blackos comme le petit Lee savent rouler dans les entre-deux, un blanc ne sait pas, Lee sait, et Sharon se fond dans le groove avec lui. Le petit Lee revient à la charge dans «The Landlord», pulsé par une bassline des enfers signée Gabe. Sinon, les autres cuts sont des instros. «Soul Tequila» est un hommage au «Soul Finger» des Bar-Kays. Dans «Gimme The Paw», il dit : «Ho ! Gimme the paw !» Le chien donne la patte et il lui donne un gâtö. Crouch crouch. «Good boy !». C’est un big instro de backstreet. Tout est tellement américain dans ce son que les mots français paraissent indésirables. Le «Who Knows» n’est pas celui du Band Of Gypsys mais un Who Knows d’anticipation urbaine, joué aux trompettes de Jéricho. Le petit Lee revient foutre le souk dans la médina avec «Mr Kesselman Pt1», il y va au big heavy funk de talking back, les Soul Providers jouent vite, alors le petit Lee doit se magner pour rester on the top of the beat, you know, ah ! Oh ! Il se plie si bien aux exigences. 

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             Le Back To Black d’Amy Winehouse est tout bêtement un album génial. Est-ce la présence des Dap-Kings qui le rend aussi génial ? N’exagérons tout de même pas. Amy Winehouse dispose exactement du même génie vocal que Billie Holiday, ce sens du deep swing épidermique. Ça groove dès «You Know I’m No Good», Amy chante à contre-courant du groove, elle ramène du sexe dans le groove des Dap-Kings. Elle chante ensuite «Me & Mr Jones» comme une reine. Impressionnant ! Elle jette sa voix dans le flux du groove, hey hey Mr Jones, elle a véritablement du génie, elle swingue jusqu’à la dernière goutte de son. Le beat skabeat de «Just Friends» l’embarque et elle sort sa voix de rêve. Le morceau titre est bien sûr le hit de cet album qui grouille de hits. Elle chante son Back à la niaque fatidique, et quant on a dit ça, on n’a rien dit. Elle se situe à l’instant précis du génie, elle se tient là, au coin du hit avec des textes d’Amy Amy plein la bouche de lèvres peintes. Avec «Wake Up Alone», elle passe au heavy slowah. Elle le négocie au meilleur chant d’Amy, elle est tout bonnement énorme, les Dap-Kings chauffent bien la soupe. Elle ramène encore une flavor inespérée avec «Some Unholy War». Cette flavor est unique au monde. Elle termine cet album faramineux avec la heavy Soul-funk d’«He Can Only Hold Her», pour les Dap-Kings c’est encore du gâtö, ils jouent le jeu jusqu’au vertige et Amy se prélasse dans la postérité avec ses tatouages et des sous-tifs, son look de Ronnette et ses petites guiboles. Fantastique poulette.

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             C’est vrai que Gabe Roth était gonflé de sortir son Como Now - The Voices Of Panola Co., Mississippi en 2008. Le diable sait comme le gospel peut parfois paraître austère, même s’il est à l’origine de tout, ce qu’a bien compris Gabe Roth. C’est même un coup de génie que d’avoir enregistré ces artistes. On a déjà dit ici tout le bien qu’on pensait des Como Mamas. Elles ont deux albums sur Daptone et elles nous tapent ici un «Trouble In My Heart» terrifique, Mary Moore crache son Gospel batch au ciel, elles chantent toutes les trois a capella, c’est furieux et complètement wild. On plonge en pleine Americana avec The John Edwards Singers et «It’s Alright». Ils tapent l’antique groove chrétien, le vieux y va à la folie, c’est un détonnant mélange de raw et d’eau claire. Brother & Sister Walker ont deux cuts sur la compile : «If It Wasn’t For The Lord», incroyablement rootsy - I called Gee - et «Help Me To Carry On» qu’ils chantent à la plaintive de Jésus. The Jones Sisters raflent la mise avec «Talk With Jesus», c’est extrêmement africain dans les harmonies vocales, ça sent bon les forêts profondes, leur a capella est extrêmement pur. Irene Stevenson monte elle aussi au ciel avec «If It Had Not Been For Jesus» et elle revient plus loin avec «Li’ Old Church House», elle rassemble son souffle pour repartir à l’assaut du ciel, c’est très impressionnant d’écouter tous ces blacks chanter à sec, sans orchestration. Laisse tomber tes chanteuses à la mode. Écoute plutôt Irene Stevenson. Retour des Como Mamas avec «Send Me I’ll Go». Elles sont les plus décidées à vaincre et à l’élever dans le ciel, même si elles sont trop grosses.

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             Soul Of A Woman est le dernier album qu’enregistre Sharon Jones avant de casser sa pipe en bois. Elle l’attaque avec un très bel heavy groove, «Matter Of Time», bien soutenu aux chœurs d’oh yeah, avec les petites tortillettes de Binky Griptite et le dark bassmatic de Gabe. Personne ne peut battre une équipe pareille. Il est important de préciser que ce n’est pas le meilleur album de Sharon Jones, elle semble s’être calmée pour passer à la good time music («Come And Be A Winner») et à la petite exotica du coin de la rue («Rumours», idéal pour danser au bar de la plage)Sharon Jones se diversifie. Calypso Babe ! Elle attaque sa B avec un groove dap-kinien, «Searching For A New Day» et retrouve une sorte d’équilibre naturel. Elle plonge plus loin dans le groove de velours avec «Girl», tout le son est là, fidèle au poste, notamment le bassmatic de velours intense signé Gabe Roth. Elle boucle l’affaire avec «Call On God» et se met à sonner comme Aretha. C’est un fantastique hit de Soul joué à l’orgue d’église. Elle s’y montre terrifique.

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             Deuxième album posthume de Sharon Jones : Just Dropped In (To See What Condition My Rendition Was In). En fait, Gabe Roth s’arrange très bien avec sa conscience. Impossible de le traiter de charognard, car l’album est excellent. Les covers sont triées sur le volet, comme par exemple l’«Inspiration Information» de Shuggie Otis, déjà présent sur Soul Time. Pas de plus bel hommage au Mozart du groove. Elle ramène le gratin dauphinois des Dap-Kings dans l’orbite groovytale, elle se fond comme à son habitude dans l’excellence et vise l’apothéose du groove. Alors c’est un régal et on est franchement ravi d’avoir cet album dans les pattes. Elle reprend aussi le «Take Me With U» de Prince, c’est gratté au petit funk avec des chœurs somptueux, yeah-eh, comme toujours avec les Dapettes. Elle tape aussi le «Rescue Me» de Fontella Bass, «This Land Is Your Land» de Woody Guthrie, tiré de Naturally, pour en faire un heavy r’n’b politisé, et le «Giving Up» de Van McCoy qui fut un hit pour Gladys Knight, Sharon va le chercher très haut, c’est un cut un peu trop tarabiscoté, mais elle l’allume. Il faut aussi la voir allumer le morceau titre, jadis popularisé par Kenny Rodgers, mais qui est en fait une compo signé Mickey Newbury. Elle ne se contente pas de l’allumer, elle l’explose. Elle tape aussi dans Smokey avec «Here I Am Baby» et elle passe au violent shoot de r’n’b avec «What Have You Done For Me Lately». Les Dap-Kings swinguent ça à la revoyure, pas de problème. Avec «In The Bush», tout ce petit monde revient au fast funk des origines. Sharon fait valser la cambuse.

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             Si tu veux compléter le tableau, alors tu peux voir le film de Barbara Kopple, Miss Sharon Jones. On le trouve sur DVD, mais attention, il n’est pas sous-titré en français. C’est la première chose. Deuxième chose, le film raconte le combat de Sharon Jones contre le cancer. Barbara Kopple attaque le tournage en 2013, lorsque Sharon apprend la mauvaise nouvelle. Elle commence par se faire raser le crâne et puis elle essaye des perruques. On va ensuite faire un tour à Bushwick, au fameux studio Daptone. Oh la gueule de Gabe ! Et Sharon se marre : «White boys doing Soul music!» Elle danse de voodoo avec le joueur de trompette et Neal Sugarman déclare :  «She’s my sister. So many years on the road.» Oui, ça crée des liens. Et sur scène, c’est infernal. Puis Sharon nous emmène faire un tour à Augusta, en Georgie, son patelin d’origine. Visite au musée James Brown et donc hommage d’une géante à un géant. On la voit aussi pêcher en fumant le cigare. Les passages les plus intéressants sont bien sûr les extraits de concert : elle bouge comme Aretha, petit corps, mais quel rythme ! Elle nous emmène aussi faire un tour à l’église, dans le Queens, et ça donne la meilleure scène du film, Sharon en transe de gospel batch, le crâne rasé, avec ses lunettes, elle entre littéralement en transe et finit par être épuisée, alors elle s’assoit. Entre deux stages à l’hosto, elle répète à Bushwick avec les Dap-Kings - The show must go on - En février 2014, elle remonte sur scène à New York, chauve et en robe rouge et pique l’une de ces crises de voodoo qui ont fait sa légende. Elle bouge à l’Africaine. Elle ramène en elle tout le raw du Black Power, celui de James Brown, d’Aretha et de Sam & Dave.

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             Dans son book (It Ain’t Retro: Daptone Records & The 21st Century Soul Revolution), Jessica Lipsky nous mettait la puce à l’oreille, indiquant que Gabe Roth lançait un nouveau label nommé Penrose. Alors comme la curiosité est un vilain défaut qu’on adore cultiver, on est allé voir ça de plus près. Il existe dans le commerce une première compile, Penrose Showcase Vol. 1, vendue avec un slipmat, c’est-à-dire le tapis rond qu’on pose sur la platine pour montrer qu’on est branché. L’album n’est pas donné, mais il s’agit de Gabe, alors on ne va pas commencer à chipoter. Toutefois, une mise en garde s’impose : avec Penrose, on perd deux des dimensions qui ont fait la renommée de Daptone, le funk et le raw r’n’b. Il reste la Soul de charme, celle qu’on appelle la Soul de satin jaune chantée à la voix d’ange de miséricorde. On voit donc défiler les nouveaux poulains de Gabe, Thee Sacred Souls (Soul de charme), Los Yesterdays (idéal pour le bar de la plage, agréable et bien ensoleillé, ils font une petite Soulette des faubourgs, fine et tendancieuse),  le plus intéressant étant sans doute Jason Joshua avec son parfum reggae très toxique. The Altons sont irréprochables, tout est bien en place, le mec chante comme Aaron Neville, pas de problème, ne te fais pas de souci pour son avenir, il sort la voix de la tentation. Celle qui accroche vraiment s’appelle Vicky Tafoya, avec «My Vow Is You» : ampleur spectaculaire. En B, Thee Sinseers font de la heavy Sloul de nuits chaudes de Harlem. En fait tous ces groupes ont le même son et vont dans le même sens. Vicky Tafoya revient avec «Forever». Il semble que Gabe ait trouvé sa nouvelle star.

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             Parmi les dizaines de groupes que Jessica Lipsky cite en référence, on est allé piocher les Black Pumas. Avec un nom pareil, on se dit qu’on va vite tomber de sa chaise. Les Pumas, c’est un peu comme les Panthères, comme Wilson Pickett, des animaux féroces et racés. Manque de pot, ces Pumas-là sont des Pumas en peluche. Ils sont deux, Eric Burton et Adrian Quesada, on voit leurs jambes photographiées à l’intérieur du gatefold. Encore une fois, l’album n’est pas donné, mais on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs, n’est-il pas vrai ? Ils semblent en outre bénéficier d’un gros buzz, étant donné le prix où se vendent leurs albums. Mais on est vite déçu par cette Soul surfaite. Pour rester charitable, disons qu’il s’agit d’une néo-Soul qualitative, mais sans funk. Rien que du satin jaune conçu pour les radios en ligne. On s’y ennuie comme un rat mort. Ils ramènent en cours d’A un «Fire» plus classique, presque groovy, mais pas de quoi se prosterner jusqu’à terre. 

    Signé : Cazengler, Inadaptone

    James Brown’s Funky People. Polydor 1986

    Brainfreeze. Sisty7 Recordings 1999                

    Funky 16 Corners. Stones Throw Records 2001

    Lee Fields. Let’s Get A Groove On. Desco Records 1998

    The Soul Providers Featuring Lee Fields. Gimme The Paw. Pure Records 1996

    Amy Whinehouse. Back To Black. Island Records Group 2006

    Como Now. The Voices Of Panola Co., Mississippi. Daptone Records 2008

    Penrose Showcase Vol. 1. Penrose 2021

    Black Pumas. Black Pumas. ATO Records 2019

    Sharon Jones. Soul Of A Woman. Daptone Records 2017

    Sharon Jones. Just Dropped In (To See What Condition My Rendition Was In). Daptone Records 2020

    Daptone Gold. Daptone 2009

    Daptone Gold Vol. II. Daptone 2015

    Barbara Kopple. Miss Sharon Jones. DVD Starz Digital Media

    Donald Brackett. Long Slow Train: The Soul Music Of Sharon Jones And The Dap-Kings. Backbeat 2018

     

    L’avenir du rock –

     MaidaVale live in style in Maida Vale

             L’avenir du rock déteste les interviews, mais il ne peut pas résister à l’invitation que lui lance Pierre Doc, animateur de la célèbre émission littéraire Le Lit Magnétique. Après le fameux générique des trompettes, Pierre Doc lance d’une voix de stentor :

             — Bienvenue, Avanie du rock !

             — Merci de votre convocation, cher Pierre qui Doc dîne.

             — Vous tournez à quoi, Averti du rock, à la gazoline ou au suppôt de Satan ?

             — J’en pince pour le crabe tambour, cher Pierre Doc deline.

             — Si je vous dis Médi, qu’allez-vous nous supputer, Avenini peau d’chien du rock ?

             — Vous me prenez au dépourvu, cher Pierre Dis Doc mon vieux ! Je cale.

             — Quoi, je cale ? Vous rigolez ?

             — Médi je cale.

             — Réponse refusée ! Indigne de vous. Pas très carré pour un Aviron du rock. Chiez-nous donc un os à moelle !

             — Bon d’accord, je n’osais pas, mais à vous voir si Furax, je vous réponds Ben Barkette.

             — Vous frisez l’inacceptable. C’est la dernière fois que je vous invite au Lit Magnétique, Aveniras des pâquerettes. Il vous reste une chance de sauver votre honneur. Si je vous dis Modi, que répondez-vous ?

             — Gliani d’Eve ni d’Adam !

             — Ah, vous n’avez donc aucune moralité, Avili du rock, vous ne pensez qu’au cul ! Et si je vous dis Méda, que répondez-vous ?

             — Méda Vauban !

             — Refusé !

             — Alors Méda Vale, vieux schnoque !

             — Vale populaire ?

             — Non, Vale que Vale, vieux cornichon !

     

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             L’avenir du rock ne sort pas Maida Vale de sa manche par hasard. Trois bonnes raisons. Un, c’est dans ce quartier de Londres que se trouvent les studios de la BBC où les invités de John Peel enregistraient les fameuses Peel Sessions. Deux, chaque matin sous la douche, l’avenir du rock chante «I Live In Style In Maida Vale», un vieux hit de Jesse Hector. Trois, c’est le nom qu’ont choisi quatre petites Suédoises pour leur groupe. MaidaVale ! Non seulement c’est un choix qui les honore, mais en plus elles se montrent à la hauteur du mythe. Et quand on a dit ça, on n’a rien dit.

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             Pas facile pour elles, car elles se retrouvent en première partie. Elles n’ont pas beaucoup de place sur scène, car derrière elles est installé le matériel d’Earthless. Mais bon, elles vont se débrouiller. Elles paraissent un peu intimidées lorsqu’elles commencent à jouer.

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    La petite chanteuse gratte sa gratte derrière son micro. Elle est habillée en noir. Tout semble reposer sur ses épaules car elle doit planter le décor. Là-bas, au fond, une grande brune met en route un bassmatic qui pendant 45 minutes va servir de poumon à MaidaVale, et quel poumon ! En duo avec la batteuse, bien sûr. Et puis à l’autre bout de la scène, se trouve la petite guitariste, une blondinette qui porte un T-shirt Brian Jonestown Massacre et qui gratte une belle strato blanche toute neuve.

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    Elle est extrêmement concentrée, elle sort un son sec comme un olivier calabrais et lorsqu’elle monte sur l’une de ses nombreuses pédales d’effets, elle est splendide avec ses petites cannes et son feu de plancher tout pendouillant de coton blanc. Cut après cut, elles vont conquérir les cœurs comme jadis Alexandre prenait les cités, avec un brio et une énergie confondants, on voit rarement des groupes inconnus au bataillon provoquer un tel émoi, wow, ça danse dans la salle, tout le monde monte à bord de l’hypno de MaidaVale et du coup la petite chanteuse devient folle avec son tambourin, même chose pour la bassiste qui joue en secouant la tête, on voit les deux chevelures voler en tous sens.

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    C’est un merveilleux spectacle d’art total, le cœur vivant du rock, lorsque l’image et le son génèrent l’idée de la perfection. Elles l’incarnent avec une stupéfiante élégance, les cuts durent le temps qu’il leur faut pour que l’effet soit total. Et quand en papotant avec la bassiste, on apprend que son groupe préféré est Can, alors tout devient clair. Elles sont exactement dans l’énergie hypnotique qui fit la grandeur de Can, mais avec un truc en plus, le côté féminin que rien ne peut remplacer. À la même question, la chanteuse répond Joy Division. Donc rien de surprenant. On vérifie le vieil adage : les bons groupes écoutent les bons disques.

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             Leur set se compose essentiellement des cuts de leur deuxième album, Madness Is Too Pure. On y trouve trois petits chefs-d’œuvre de mad psyché, «Oh Hysteria», «Dark Clouds» et «Another Dimension». Avec le premier, elles tapent dans le gros répondant d’hypno, c’est wild et frais, ça joue au space-rock d’hysteria, fantastique hommage aux rois de la mad psyché que sont the Heads et Monster Magnet. Dans «Dark Clouds», la petite guitariste qui s’appelle Sofia ramène des effets surnaturels, mais c’est Linn qui crée la sensation avec son bassmatic invulnérable. Elle sort un son qu’on pourrait qualifier de présence bienveillante. Elle recrée une tension considérable dans «Another Dimension», alors la petite guitariste peut multiplier les exactions et partir en vrille, ses arrières sont couverts par la fan de Can qui produit le backbeat, c’est même assez dément, tu ne vois pas ça tous les jours. Elles amènent le «Dead Lock» d’ouverture de bal au wild drive de MaidaVale. Elles se situent très exactement dans l’excellence du wild drive, c’est exactement ce qu’on voit sur scène. Four girls dans l’exercice de la fonction suprême. Elles flabbergastent, elles tapent en plein dans le panoramique du tournesol psychédélique et finissent en mode violente altercation. Avec «Cold Mind», elles sont encore dans l’expression du power, un power qu’on accueille à bras ouverts, elles y puisent le beat, elles atteignent un rare niveau d’inexorabilité des choses, le riff de basse embarque tout ça pour Cythère. Elles font encore du big biz avec un «Spaktrum» monté sur une bassline de kraut. C’est un album énorme, bourré d’ambiances et de Vale que Vale, tu entres dans leur jeu comme dans du beurre. Avec «She Is Gone», la petite guitariste amène de la disto. Elles sont folles et immensément douées. Elles s’arrangent toujours pour repartir de plus belle. 

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             Il existe un premier album de MaidaVale paru en 2016 : Tales Of The Wicked West. On se le met en bouche avec deux belles énormités, «(If You Want The Smoke) Be The Fire» et «Dirty War». Elles attaquent le Smoke au heavy blues rock à la Blue Cheer, avec la voix de la petite Matilda bien posée au devant du mix. Leur truc, c’est le déclenchement. Elles adorent lancer les hostilités. Elles s’appuient pour ça sur l’énormité du son et une parfaite maîtrise des dynamiques. Elles ont une façon de relancer avec le balancement qui fait beaucoup d’effet. Dans «Dirty War», Matilda pose bien les conditions - Another bomb/ In another far off land - C’est vite explosé, la petite Matilda n’a rien d’un Motörhead mais elle jette tout son gusto dans la balance et éclate la noix de son cut avec tout le chien de sa petite chienne. C’est très impressionnant. Elles amènent «Standby Swing» à la heavy dégelée de mad psyché, c’est leur pré carré. La petite Matilda y explose son chant. La bonne nouvelle c’est que l’album renferme un coup de génie : «Find What You Love And Let It Kill You». Heavy as hell, Linn Bassmatic reprend le pouvoir, elle refait le poumon d’acier de MaidaVale, et la petite Matilda rentre dans le chou du chant, elle le fait avec un courage qui l’honore - I should have seen it coming - Linn Bassmatic dévore tout. Elles sont géniales toutes les quatre, elles fabriquent leur univers et ça fonctionne - No one never understood - Solo disto et bassmatic dévorant, que demande le peuple ? Il faut aussi les voir propulser «Colour Blind» dans la stratosphère. La petite Matilda chante tout ce qu’elle peut. Dans «The Greatest Story Ever Told», elle se bat avec ses visions et cette coquine de Sofia passe un solo de wah effarant de vicissitudes.

    Signé : Cazengler, Merda Vale

    MaidaVale. Le 106. Rouen (76). Le 10 mai 2022

    MaidaVale. Tales Of The Wicked West. The Sign Records 2016

    MaidaVale. Madness Is Too Pure. The Sign Records 2018

     

     

    Le mambo des Mambas

     

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             Black Mamba ? This is Bud... Elle Driver fait les présentations, elle est tellement désolée, Black Mamba vient de mordre Bud trois fois au visage alors qu’il farfouillait dans cette belle valise rouge qui contient un million de dollars. Elle Driver explique à Bud qui agonise que Black Mamba is a fascinating creature, elle lui lit les notes qu’elle a prises sur Internet, in Africa the saying goes, elle tourne une page de son petit carnet, in the bush an elephant can kill you, a leopard can kill you and a black mamba can kill you, but only with the mamba is death sure, et pour que Bud apprécie son passage de vie à trépas, elle lui donne tous les détails physiologiques d’une morsure au visage ou au torse qui entraîne la mort dans les vingt minutes et la nature «gargantuesque» du poison injecté. Ah il est mal barré le pauvre Michael Madsen, un si magnifique acteur, étalé sur le plancher de l’une de ces caravanes de forains américains qu’on appelle des trailers (hello Iggy). Tarentino utilise tous les géants du cinéma américain à contre-emploi, il envoie Micheal Madsen rouler inélégamment au sol d’une caravane, il beaufise de Niro dans Jackie Brown, il transforme Bruce Willis en clown tragique dans Pulp Fiction et Keith Carradine se fait rouler comme un bleu dans Kill Bill. Une fois qu’il a mordu Bud, le Black Mamba file en un éclair se planquer sous un meuble, mais on a tout le temps de le voir filer, c’est-à-dire qu’on en conserve l’image. On le reverra encore plus brièvement dans la scène suivante : The Bride vient d’arracher le dernier œil d’Elle Driver et pour sortir du trailer, elle passe devant lui. On le voit se dresser et siffler comme une vipère en colère, ksssssssssss !, il en est même comique. Plus vrai que faux, du pur jus de poudre aux yeux. Tarentino est le roi des clins d’yeux hilarants. Tu vois ça et tu te marres. En même temps, la scène est ambiguë, car le nom de code de The Bride est Black Mamba, membre du Deadly Viper Assassination Squad, c’est donc le salut d’un Black Mamba (ksssssssssss !) à une consœur émérite. Quand on dit que Tarentino réinvente l’écriture cinématographique, ce n’est pas une vue de l’esprit. Au-delà de toutes les références cinéphiliques dont grouillent ses films, il existe une infinitude de «plans» biseautés qui fonctionnent comme les tiroirs secrets d’un meuble ancien et qui donnent à ses scénarios une sorte de vie parallèle. On sait que cette pratique du dédoublement de la réalité existe chez certains écrivains (Apollinaire ou Houellebecq pour n’en citer que deux, et bien sûr Conan Doyle qui en a fait son fonds de commerce), mais elle existe aussi chez Tarentino. Il a su donner à chacun de ses films une double vie, celle linéaire de l’histoire et celle plus fascinante des intrications scénaristiques qu’on ne perçoit qu’au énième visionnage, si bien sûr on a pris la précaution de rapatrier les DVD. Dans le cas de Tarentino, le revisionnage est essentiel, comme il l’est dans le cas de Truffaut ou de Godard si l’on souhaite apprécier les dialogues qui sont de la pure littérature contemporaine, mais enracinée dans les auteurs classiques, Truffaut étant essentiellement un cinéaste du XIXe siècle, alors que Godard est du pur jus de la nrf. On revoit ces films comme on relit. Les détails qui font rire chez Tarentino ne sont jamais au premier degré. On en cite parfois en référence dans les dîners bien arrosés, comme lorsqu’on cite les réparties d’Audiard dans Les Tontons Flingueurs, mais quand on les recroise au moment du revisionnage, on est chaque fois frappé par l’inventivité des ressorts qui amènent ces détails, dans des scènes le plus souvent violentes, qui sont elles aussi des petits chefs-d’œuvre, car montées comme des ballets. Le souffle de Tarentino porte un nom : modernité. Il est l’Apollinaire des temps modernes. Là où d’autres s’arrêtent, pour disons plus d’efficacité, au linéaire scénaristique, Tarentino injecte sa touche qui est celle d’un homme entré en religion et sa religion s’appelle le récici, c’est-à-dire le récit cinématographique, celui qui permet de jouer avec les éclairs. Les dynamiques du bon cinéma sont de la dynamite. Quand on connaît les aventures de Tintin comme le fond de sa poche, on fait automatiquement le rapprochement entre ces deux intelligences. Comme Hergé, Tarentino n’est jamais à court d’idées, jamais à court de possibilités, il sait pousser une histoire dans ses retranchements, il sait créer l’impossible et le rendre crédible, on se demande par exemple comment va faire The Bride (Black Mamba) pour sortir d’un cercueil enterré plusieurs mètres sous terre ? Pai Mei lui a enseigné les arts martiaux, c’est-à-dire l’art de vaincre la matière, alors elle brise le bois du couvercle et remonte à la surface en se glissant comme un Black Mamba dans une terre fraîchement remuée, ça marche. On admire cet exploit à double détente, à cœur vaillant rien d’impossible ! Pai Mei lui a aussi enseigné l’art d’exploser d’un coup précis des cinq doigts le cœur de son ennemi, un coup fatal qu’elle va utiliser pour tuer Bill (Kill Bill) lors du combat final qui se déroule dans cette belle demeure de rêve au Mexique. Chaque plan est riche, il faut tout bien regarder, ça peut aller jusqu’à l’arrêt sur image, comme lorsqu’on tombe sur un paragraphe trop riche qu’il faut relire pour être bien certain de n’avoir pas rêvé. Les véhicules, les dessins de cartes, les vêtements, les décors urbains, les sandwiches que prépare Bill avec son grand couteau, tout joue un rôle précis, comme dans chacune des cases d’un album de Tintin. On sait qu’Hergé documentait ses récits jusqu’au vertige et ça ne fonctionnait qu’à cette condition. Le Trésor De Rackham Le Rouge est sans doute le plus bel hommage à la piraterie qui soit, aussitôt après le canular des Cahiers de Louis-Adhémar-Timothée Le Golif, dit Borgnefesse, Capitaine De La Flibuste, et bien sûr l’Ancre De Miséricorde de MacOrlan qui d’une certaine façon est aussi un canular car l’aventure se passe à terre et non en mer, dans l’ombre des ruelles du port de Brest, à la recherche du petit Radet. Tarentino s’inscrit très exactement dans cette mouvance, celle de Rackham-Haddrock (hello Damie), de Borgnefesse (hello Damien) et du petit Radet, dans cette farandole d’aventures qui fait le sel de la terre et qui remet l’imagination au pouvoir, le vrai pouvoir, pas celui des élections-piège-à-cons.      

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             Et puis tu as aussi les Black Mambas de Los Angeles, un quatuor débarqué en Normandie par un beau soir du joli mois de mai. Plutôt que de mettre l’imagination au pouvoir, ils préfèrent y installer le gaga-punk. C’est un choix qui ne les déshonore pas, bien au contraire, car par les temps qui courent, il faut un certain gusto sous la ceinture pour aller jouer du gaga-punk au fond d’une cave. C’est bien parce que le gaga-punk n’intéresse plus grand monde qu’ils le jouent. Pas par esprit de contrariété, ça n’a pas l’air d’être leur genre, mais par simple conviction, et une conviction d’autant plus indicible qu’elle est angelinote, c’est-à-dire une conviction dont les tenants et les aboutissants nous échappent, comme d’ailleurs nous échappent tous les aspects on va dire sociologiques de la culture américaine. Ceci dit, quand on parle de rock, et plus précisément de gaga-punk, la conviction est l’un des éléments fondamentaux. Sans conviction, ça ne peut pas fonctionner.

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    Alors les voilà nos Black Mambas au fond de la cave, ksssssssss !, prêts à mordre : un Chicano au chant avec le crâne rasé de Taras Bulba, un autre Chicano barbu en posture de guitar killer, un genre de Marco Ferreri appliqué à semer le désordre dans les esprits, grand moulineur devant l’éternel, une petite chick tatouée en forme de rock’n’roll animal au bassmatic volubile, et un kid avec des airs de rockstar anglaise derrière ses fûts, portant un T-shirt Slaughter & The Dogs, témoignage poignant d’un goût certain.

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    Et ça part sans prévenir, avant que les gens n’arrivent, et ça file tout droit, comme le veulent les usages du gaga-punk, un genre limité par nature, qui ne repose que sur la volonté de foncer sans crier gare, un genre qu’il faut alimenter comme on alimente une chaudière, Jean Gabin et sa pelle à charbon, la gueule noircie par la suie, les coups de sirène qui font mal aux oreilles, c’est ça le gaga-punk, il faut que ça fonce à travers la nuit et sous les tunnels, il faut que ça tatapoume et le kid derrière ses fûts tatapoume comme une grosse horloge, pas celle que photographient les touristes en panne d’imagination à Rouen, mais la grosse horloge de Buster Keaton dont les aiguilles tournent à l’envers.

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    C’est du vrai gaga-punk, celui qui ne respecte pas les limitations de vitesse, ils ont raison, les Black Mambas, les lois sont faites pour être transgressées, sinon à quoi serviraient-elles ? Pendant qu’on se pose la question, ils continuent de foncer, en fait, c’est tout ce qu’ils savent faire, d’une part, et c’est tout ce qui les intéresse, d’autre part. Le Chicano barbu mouline à Moulinsart (hello Hergé), il fait le show dans son recoin d’ombre, il multiplie les riffs et les raffs, injecte des retours de manivelles dans son cocotage, il zèbre ses ruines de gammes d’éclairs, il joue très visuellement, levant sa gratte comme le fit Wayne Kramer au temps béni du MC5 et auto-détruit ses riffs et ses raffs en voulant faire du Williamson, il gratte pour dix et finit par voler le show. De toute évidence, Tarentino aurait adoré ce concert. 

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    Signé : Cazengler, Black Merda 

    Black Mambas. Le Trois Pièces. Rouen (76). Le 23 mai 2022

     

     

    Inside the goldmine - Clydie donc !

     

             Cloudy vécut une enfance heureuse jusqu’au jour où sa mère abandonna le domicile conjugal. Les infidélités du père avaient épuisé sa patience. Elle partit s’installer aussi loin que possible et fit ce qu’elle put pour surmonter son chagrin, car bien sûr elle dut abandonner Cloudy et son frère aîné. Son départ plongea Cloudy dans le silence. Il s’éteignit, tout simplement. Il continuait d’aller au collège, mais éteint. Il cuisinait, mais éteint. Les filles ne l’intéressaient pas. La musique ne l’intéressait pas. Il ouvrait les yeux sur le monde qui l’entourait, mais ne le voyait pas. Il écoutait mais n’entendait pas. Il vivait sans vivre, selon un rythme d’apparence normale, et personne, c’est-à-dire son frère et son père, ne s’inquiétait. Son père absent du lundi au samedi ne pensait qu’à son chiffre d’affaires et à ses conquêtes féminines. Quant à son frère aîné, il cédait à tous les caprices de sa libido, profitant de cette liberté inespérée. Personne, c’est-à-dire son frère ou son père, n’aurait pu décrire les gestes ou les paroles de Cloudy. Ils en oublièrent jusqu’au son de sa voix. Cloudy ne s’est jamais plaint. Il n’avait pas besoin de parler puisqu’on ne lui demandait jamais rien. Il n’était pas absent puisqu’il était là. Il prenait place à table, mangeait puis sans mot dire allait laver la vaisselle, et tout le monde, c’est-à-dire son frère et son père, trouvait ça normal. Une fois la vaisselle lavée, essuyée et rangée, Cloudy regagnait sa chambre et se couchait. Dormait-il ? Personne, c’est-à-dire son frère et son père, n’aurait pu le dire. Cloudy traversa ainsi les semaines, puis les mois, et les mois devinrent des années, il vécut ensuite à droite et à gauche dans des foyers étudiants, s’accommodant de chambres minuscules, se contentant de ressources avoisinant le néant, se nourrissant de peu, plongeant toujours plus profondément dans le silence. Il finit par s’absenter de lui-même, c’est-à-dire qu’il quitta son apparence, comme sa mère avait quitté le domicile conjugal, et il s’éloigna. Sans mot dire.   

     

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             Alors Cloudy et Clydie sont dans un bateau. Cloudy tombe à l’eau. Que reste-t-il ? Clydie. Il se pourrait que Clydie King ait mené le même combat que Cloudy : comment réussir à exister ? Clydie a sans doute eu plus de chance que Cloudy, même si ses albums sont difficiles à choper. Elle fait parties des petites blackettes immensément douées issue de la grande mouvance des choristes de Revues, notamment les Ikettes, mais aussi les Raelets, dans lesquelles on retrouve Minnie Riperton, Merry Clayton, Edna Wright, Mable John et Clydie. Mais ce n’est pas tout ! Clydie forma les fameuses Blackberries avec l’ex-Ikette Venetta Fields et ce sont elles qu’on entend sur l’excellent Eat It d’Humble Pie, enregistré pendant la tournée américaine de 1973. Elle passera quasiment toute sa carrière à faire des chœurs pour les grands de ce monde, mais elle parviendra à enregistrer quelques albums et à exister en tant que Clydie King.

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             Clydie King sort son premier album solo en 1970 : Direct Me. Fort bel album. En B, elle fait sa Diana Ross avec «‘Bout Love», dans une ambiance très Motown. Elle propose un mélange assez unique de sugar et de Soul. On se régale encore de «There’s A Long Road Ahead», un slow groove à cheval sur la Soul et le rock. Elle chante fabuleusement bien, elle claque le petit chien de sa chienne. Avec «You Need Love Like I Do», elle passe à une ambiance plus funky, elle tient bien la pression du chant. Le morceau titre qui ouvre le bal d’A est un fantastique shoot de r’n’b avec un nommé Bob West on bass. Elle chante ça avec toute la hargne dont elle est capable. Tous ses cuts sont bien bâtis, bien interprétés, «Ain’t My Stuff Good Enough» est un slow groove d’une grande solidité. Ah elle est balèze, la petite Clydie ! Elle passe au fast ride avec un «Never Like This Before» bien fouetté des peaux de fesses, elle reste dans sa pop de Soul, ce qui la distingue des autres Soul Sisters.

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             Paru en 1976, Brown Sugar n’est pas l’album du siècle. Clydie chante au sucre de Sugar, une espèce de petite pop presque Motown. Il vise la suprématie des Supremes avec «Moonlight And Tamming You», et met un peu de lait dans le sucre. Elle se cantonne à la petite Soul bien foutue, elle s’inscrit dans la volonté de Dieu, elle frise le Delaney & Bonnie avec «If You Like My Music», c’est assez direct et même plutôt excellent. Mais elle reste un peu trop le cul entre deux chaises, pop et rock seventies. La viande se trouve en B avec «Loneliness», elle tape dans la Ross de Motown, elle adore la Soul dansante, son sucre est superbe, son «Loneliness» est le hit des jours heureux. Elle fait un peu plus loin une cover bizarre du «Dance To The Music» de Sly, beaucoup plus groovy que l’original, mais pas inintéressante. Elle gère bien la situation, elle chante aux nerfs d’acier, keep on dancin’, et même en biseau. Elle termine avec un shoot de gospel batch intitulé «Weep For Me» qui surprend par sa belle allure.

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             Attention : Rushing To Meet You et Steal Your Love Away proposent les mêmes cuts. Il vaut mieux rapatrier le premier car la pochette est plus jolie. Dès «Rushing To Meet You», Clydie est rattrapée par son passé d’Ikette. Elle tape un rock de Soul digne de celui d’Ike, très soutenu au beat et aux chœurs, tendu à se rompre. Teeny Hodges joue sur cet album. Avec «Punish Me», Clydie va sur une belle Soul classique. Elle danse comme la reine de Saba. Et puis elle nous fait craquer avec «Our Love Is Special», un hit de good time music, la Soul des jours heureux. Rien qu’avec ces trois cuts, Clydie King rafle la mise. En B elle chante son «Woman» à l’insistance catégorielle, elle chevauche bien son dragon, elle est très au faite du lard fumant. Encore un balladif d’ambiance certaine avec «Morning Sun». Elle fait tout le boulot au chant et finit par envoûter les clefs de voûte.

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             Pour les fans de Clydie et tous les becs fins amateurs de Soul Sisters vénérables, The Imperial & Minit Years est un passage obligé, d’autant que ça démarre avec la doublette fatale «The Thrill Is Gone» (une merveille de spectorisation des choses, Clydie y fait sa Ronnie) et «If Your Were My Man» qu’elle tape au pur Motown Sound. Elle le traite à la petite voix mijaurée, mais my God quelle classe ! Elle mixe Motown & Spector. Elle fonce droit sur le Motown Sound avec «My Love Grows Deeper», elle y ravage le dance floor, elle jerke la Soul, c’est du pur black genius, elle a tout l’écho de Motown derrière elle. On retrouve cet éclat dans «Ready Willing & Able», elle y va de bon cœur, elle ramène une énergie incomparable. Elle refait du pur Motown avec «I’ll Never Stop Loving You», mais toute seule , elle est balèze. Elle bat tout Motown à la course. Elle est encore surréelle de Motown craze avec «He Always Comes Back To Me». Sur «I’m Glad I’m A Woman» elle sonne exactement comme Bobbie Gentry et elle lui rend ensuite hommage avec une cover d’«Ode To Billie Joe», rythmée à la caisse claire. Ses grooves de r’n’b sont assez magiques, comme le montre encore «The Way I Love My Man», elle monte au sommet pour créer une diversion. Et puis tiens, encore une merveille de wild r’n’b avec «You Can’t Make Me Love You».

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             David Cole et Bob Fisher nous brossent un vaillant portrait de Clydie, née au Texas, mais ayant grandi à Los Angeles. Elle démarre à 14 ans avec les Bihari Brothers (un single), puis avec Art Rupe chez Specialty (deux singles produits par Sonny Bono). Puis Quincy Jones la conduit à signer chez Imperial et elle passe aux choses sérieuses avec «The Thrill Is Gone» et «If You Were My Man» deux cuts signés Jerry Riopelle. Clydie dit qu’elle a toujours aimé Phil Spector - He was the most attractive man - Et puis en 1966, elle entre dans les Raelets, avec Gwendolyn Berry, Merry Clayton et Lilian Fort qui nous dit Clydie sont the original Raelets, aussitôt après le départ de Margie Hendryx. Et puis en 1968, quand Ray Charles vire Gwendolyn, les Raelets démissionnent. Clydie évoque ensuite le fameux Dylan’s Gospel sorti sur Ode Records, puis la formation des Blackberries avec l’ex-Ikette Venetta Fields et Shirley Matthews, qui vont accompagner Humble Pie, comme déjà dit. Clydie fait des backings derrière pas mal de gens, B.B. King, Joe Cocker, les Stones, Nancy Sinatra et, dans les années 80, elle fricote avec Dylan. Elle vit avec lui en Angleterre et on la retrouve sur Saved. Elle dit qu’il existe au moins un album entier d’inédits d’elle avec Dylan. 

    Signé : Cazengler, King Kon

    Clydie King. Direct Me. Lizard 1970

    Clydie King. Brown Sugar. Chelsea Records 1976

    Clydie King. Rushing To Meet You. Tiger Lily Records 1976

    Clydie King. Steal Your Love Away. Baby Grand 1977

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    Clydie King. The Imperial & Minit Years. Stateside 2007

     

    *

    - Ouvrez la bouche, s’il vous plaît !

    - Oui Doctor Chad !

    - Dites 333 !

    - 333 ! livraison Kr’Tnt, du 14 juin 2017, avec King Riders, excusez-moi Doctor Chad, ça m’est venu tout seul, ce n’est pas grave j’espère ?

    - Hélas si, je n’ai pas l’habitude de cacher la vérité à mes patients, vous souffrez d’une bourlonite aigüe, et carabinée si j’en juge votre état !

    - Je sens que je vais avoir droit à l’opération de la dernière chance !

    - Non, c’est une terrible maladie, il n’existe pas d’intervention possible, l’extraction est faisable mais nécessite l’ablation conjointe du cœur et du cerveau, ce qui est gênant pour la survie du malade !

    - Je vais donc mourir bientôt !

    - Pas d’affolement, il vous reste trois jours, soixante-douze heures si vous préférez.

    - Je suis donc condamné, Doctor Chad, je vous en supplie, sauvez-moi !

    - Vous avez de la chance de tomber sur moi, l’ordre des médecins me tient à l’œil mais j’ai une méthode peu orthodoxe qui a fait ses preuves, un médicament miracle basé sur le principe de la thérapie de l’ultra-choc syndromique…

    - Doctor Chad, est-ce douloureux ?

    - Pas du tout, au contraire un traitement très efficace, mais dans ce monde on n’a rien sans rien, c’est excessivement et scandaleusement onéreux, vous devrez me signer un chèque de 3431 Euros et cinquante-sept centimes, je vous avertis non remboursables par la sécurité sociale.

    - Doctor Chad, je vous dois la vie, tenez votre chèque !

    - Bien, je clique sur l’ordonnance, vous trouverez le médicament dans toutes les bonnes pharmacrocks, surtout la bonne ville de Douai car ils sont doués, tenez-lisez !

    - Merci, Merci, Doctor Chad, rien qu’à voir les deux premières lignes je me sens déjà mieux !

    *

    Pour ceux qui mettraient en doute les méthodes curatives du Doctor Chad, voici quelques informations complémentaires. Le samedi 10 juin 2017 nous assistions au 3B de Troyes au concert de King Riders dans lequel Didier Bourlon officiait à la guitare, nous sommes repartis du 3 B avec dans notre poche (la gauche) un CD de Didier Bourlon : Where’s my home de Dr Bourlon and Mr Jack ( Jeronimus Production / 2011 ). Un étonnant et sacrément bon album de rock’n’roll blues existentiel que nous vous recommandons, et voici que vient de sortir un nouvel opus de Didier Bourlon que nous nous hâtons d’écouter.  

    SUPER TARE DU ROCK !

    DIDIER BOURLON

    Didier Bourlon fait partie de cette génération traumatisée par le rock ‘n’ roll. L’a voué sa vie à cette musique du diable. L’a tout vécu, les coups qui font mal et ceux qui vous refilent l’énergie. La pochette de l’album résume toute une existence de combat rock, guitare en bandoulière, clope au bec et bras levés en signe de victoire.

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    Pour la petite histoire vous retrouverez la guitare de Didier Bourlon sur les trois premiers disques des Hot Chickens, l’a d’ailleurs été dernièrement invité par Hervé Loison pour le prochain disque des Torrides Poulets. Citez tous les noms de tous les groupes dans lesquels il a trainé sa gratte à train d’enfer serait trop long, nous ne retiendrons que Roadrunner, Les Red Cabs, Dan Cash and the Road rockers…  

    Fan des Stones, des Yardbirds, d’Alvin Lee, de Merle Travis, de Cliff Gallup, de bien d’autres aussi mais cela suffit à dessiner un paysage qui plonge ses racines dans le blues, le country, les sixties et le rock ‘n’roll…

    Vous avez compris le personnage, un Super Taré du Rock ‘n’ roll !

    Super tare du rock : country flegmatique, avec cette voix un brin nasillarde, cette guitare qui coule comme un rayon de miel dans la gorge d’un grizzly l’on se croirait à Memphis, ben non, le gars est de chez nous et se paie le luxe de chanter en notre doux et bel idiome, l’a saisi l’essence de ce vocal triomphalement désabusé dont seuls  les amerloques de là-bas sont capables, l’est pas au top mais on l’invite à la buvette, toute une philosophie que certains jugeront un peu courte, on les plaint, n’ont pas l’esprit outlaw, lui il n’aime pas le pognon mais est un spécialiste du rock ‘n’roll, c’est ce que l’on appelle un homme libre, en plus l’a une guitare émerveillante. Made in France : après la coolitude country, la décontraction rock ‘n’ roll, au cas où vous n’auriez pas compris Bourlon continue à visser les boulons de son auto-définition biographique, se décrit tel qu’il est, et dans les yeux des autres, et dans sa vie, le tempo trottine allègrement, l’en profite pour balancer quelques vacheries qui ne ratent pas leur cible, l’a l’humour pointu et incisif. Un petit solo pour remettre les pendules des frimeurs à l’heure, doigté et subtilité en prime, pour la rythmique vous en resterez estoned, il revendique ce qu’il est, un gars qui vit comme il l’a choisi, loin des clichés et du chiquet. Le blues dans la peau : vous vous attendez à un  blues, fausse piste, c’est du rhythm ‘n’ blues, ah, ces éclats de cuivres, des coups portés au plexus,  le truc classique la copine qui se tire, pas de quoi en faire un fromage même si c’est un peu rockefort, en tout cas une bonne excuse pour pondre un super morceau, cette alliance guitare-cuivres est une magnifique trouvaille, un savoir-faire incontestable, une démonstration déconcertante. Dans les troquets : un univers que Kr’tnt connaît bien, les concerts dans les bars, mais vu du côté du musicien, pas de plainte, pas de colère, un destin librement accepté, un chien et une guitare, et cette frénésie de jouer jusqu’à la fin de la nuit et les fausses promesse de l’aube, en première ligne, collé à l’essence même du rock ‘n’roll, l’allonge les syllabes pour bien montrer qu’il faut aller aussi jusqu’au bout de soi, héros anonyme du rock ‘n’ roll, star pour quelques passionnés. Mais cela il ne le dit pas, n’a pas la grosse tête, mais un jeu décisif sur les cordes. Le feu occulte : changement de ton, Bourlon ne parle plus de lui, mais du monde, l’élargit son propos, sur un groove insidieusement pénardos, pas de panique ne se lance pas dans un exposé géopolitique de la planète, se cantonne au plus près de nous, à la relation garçon-fille, hululement féminin et guitare pointilleuse plus d’humour que d’amour, jeux de mots et d’autres choses, vocal pince-sans-rire. I don’t know : la suite de la précédente, comme tout ne peut pas être dit nous avons droit à un instrumental, la guitare espace ses notes, l’on n’est pas pressé, faut savoir prendre son temps et faire durer le plaisir, une voix féminine nous berce par intermittence, carré blanc, interlude.

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    Au vintage tattoo bar : retour aux choses sérieuses, si cela ne vous plaît pas, vous pouvez rentrer chez vous, ambiance bar, morceau sans fin, un peu comme une halte au paradis, Bourlon s’y trouve bien (nous aussi) entre habitués, alors il ne se presse pas, la guitare  bourdonne comme une mouche sur la vitre  qui surtout ne veut pas s’enfuir si d’aventure on lui ouvre la fenêtre. Ma régénération : la même chose, sur une rythmique un tout petit plus appuyée, règle son compte avec la société, pas de grandes phrases, juste affirmer ce que l’on est, refuse de céder aux sirènes censées régenter notre vie, peut-être le bonheur réside-t-il en l’idée que tout ce carcan finira un jour par s’effondrer. La guitare rit de toutes ses cordes, ne vous tire pas la langue mais c’est tout juste. Révolution : Bourlon hausse la voix, pas très violemment mais très moqueusement, ni dieu, ni maître, ni chef de bureau, non ce n’est pas encore ce qui passe aujourd’hui mais Didier nous le présente comme un futur très proche, le rock ‘n’roll arrive à petits pas, le temps des médiocrités humaines tire à sa fin, faites gaffe. Chanson d’amour : slow sixties, Bourlon parle (tout fort) à l’oreille de sa meuf, compliments, promesses, aveux, s’il continue il va la demander en mariage, mais non, c’était tout doux, subitement c’est tout aigre, la romance est finie. Didier Bourlon n’est pas le dernier à rire de la comédie humaine. Besoin de vous : ça balance bien, la musique et les vacheries, pas pour les adeptes convainculs du féminisme, Bourlon ne parle pas la langue de bois, un malappris, un voyou ? Non un rocker. Sabine et Amandine : Bourlon prend sa voix de canard dépité, un régal, raconte sa mésaventure, n’en perd pas pour autant son feeling sur sa guitare, souriez, soyez satisfaits ( mais pas remboursés ), sachez apprécier son humour. En extraballdeux morceaux : : Les papillons noirs : attention ces lépidoptères sont beaucoup plus noirs que ceux de Gainsbourg, cette version n’en est pas moins un bijou, les paroles ont changé de mythologie, celle des blousons noirs, bonnes salaisons de guitare, une chanson douce-amère sur les rêves qui ne veulent pas mourir. Que je suis malheureux : ne nous quittons pas sur une note trop triste, la dure vie du guitariste qui rentre chez lui où personne ne l’attend. Pas de quoi écrire un drame shakespearien. Come on, rock ‘n’ roll !

    Didier Bourlon nous offre un excellent album de rock. Français, avions-nous envie d’ajouter, toutefois certains risqueraient de prêter à cet adjectif une consonnance péjorative, ce qui ne correspond en rien à nos intentions. Surtout pas une collection de morceaux disparates. D’abord parce que la guitare les relie par ses notes en points de suspension libérées de la force de gravité, surtout parce qu’il réussit par ses lyrics à dresser le constat de toute une vie dévolue au rock ‘n’ roll, déterminé à en payer toutes les conséquences car assumée avec une indicible fierté.

    Damie Chad.

     

    *

    Dans notre livraison 472 du O9 / 07 / 2020 nous hissions l’étamine noire de Nasty Nest la compil Comedia de treize groupes qui venait de sortir après le premier confinement. Dans notre livraison du 486 du 26 / 11 / 2020 Nous annoncions la naissance de l’Association insuRECsound, d’obédience libertaire un deuxième confinement a quelque peu retardé l’envol des projets que l’éclosion de Nasty Nest avait suscité, voici enfin la sortie du deuxième vinyle tant attendu.

    STERCORUM HUMANITATIS TRANSLATIO

    ( INSURECSOUND)

    Carton noir. Dans un cercle central de longue-vue se détache un fouillis coloré, les connaisseurs ont tôt fait d’identifier cet étrange navire, c’est La Nef des Fous, celle de Jérôme Bosch, mais revisitée par la luxuriance peinturlurée de Martin Peronard.

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    Pas d’embrouille dans le symbole, si par son tableau Bosch posait une critique de la dégénérescence des mœurs de ses contemporains (et peut-être d’une partie du clergé) il n’en appelait pas moins à un redressement moral. L’Histoire nous a appris que ce genre d’appel est vite récupéré par les affidés du Pouvoir qui saisissent l’occasion de cette émergence critico-idéologique pour la dénaturer soit en créant une nouvelle oppression – les maîtres changent, les esclaves restent - soit pour raffermir le vieux monde – le discours change, les esclaves restent… Notons que cette dernière alternative par les temps qui courent se révèle être la plus fréquente…

    Ici le concept est différent. L’équipage de cette Nef des Fous n’est pas sans accointance avec la naissance de l’utopie pirate. L’on ne compte que sur la réunion d’individus décidés à se battre contre toute manipulation pour assurer leur épanouissement personnel et collectif dans un monde dégagé de toute structure oppressive.

    La pochette se déplie en trois volets. En haut à gauche, reléguée dans un coin, la nef des fous est accostée et désertée, l’équipage n’est pas loin, vaque à ses occupations, Martin Peronard a peint un triptyque continu de l’occupation humaine. Dans le mot occupation voyez la négation du mot travail, ici c’est une foule heureuse qui s’adonne à ses passions, est-ce un hasard, beaucoup de musique et de joie, chacun œuvre selon ses préférences, l’entraide naît spontanément des comportements individuels.

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    Ce n’est qu’un rêve, une projection. Un livret noir nous rattache à la réalité. Chacun des 18 groupes a droit à deux pages, l’une de présentation, sur l’autre le texte du morceau. Le lecteur dira que pour le moment la réalité est bien organisée. Z’oui mais vous avez deux textes introductifs qui éclairent le propos du sujet. Le monde va mal, vous n’êtes pas sans l’ignorer. Le pire c’est que de-ci de-là les tentatives de révolte plus ou moins violentes ou symboliques qui se développent ne parviennent pas faire sauter le bouchon du contrôle social policier et culturel qui obstrue la cheminée du volcan.  Ce Stercorum Humanitatis Translatio – Transfert des Rebuts de l’Humanité pour ceux qui ont refusé d’apprendre les déclinaisons latines – évoque une fuite métaphorique dans la création d’une île paradisiaque. Illusoire, certes. Mais l’art du billard nous a appris que les boules s’entrechoquent et se poussent les unes les autres. Un peu comme dans la théorie des catastrophes une pratique idéelle aussi fragile que l’aile d’un papillon peut déclencher un tsunami révolutionnaire en un endroit quelconque du monde. Ne nous étonnons pas si cette compilation met en relation des groupes issus de nombreux pays. Une étincelle peut mettre le feu à toute la plaine. Encore faut-il entrechoquer les silex.

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    Excluded : Abajo a la Izquerdia : ne sont pas de droite, la gauche qu’ils veulent abattre c’est la molle, la libérale, la social-démocrate, ne viennent pas du Mexique par hasard, sont des partisans de l’expérience zapatiste,  ( du Chiapas pas de Frank Zappa pour ceux qui n’entrevoient le monde qu’avec des filtres rock ‘n’ roll  ), punk politique d’évidence, vocal vomissure, une voix parlée plus compréhensiblement didactique prend de temps en temps le relais, derrière l’ instrumentation ressemble à de la mauvaise herbe qui pousse drue et se moque des engrais coercitifs. Korso Gomes : La edad del progreso : proviennent de la mouvance punk argentine, musique un tantinet plus élaborée, la voix pose les bonnes questions, celles qui par leur pertinence contiennent la  réponse juste. Dénonciation sans fard du capitalisme, sur une rythmique dans laquelle résonnent des échos de fandango. Rat Eyes : 20 megaton : les rats sont partout même en Russie, sirènes d’alerte sur batterie martiale et puis déboule l’horreur lourde de l’apocalypse nucléaire, la voix est accusatrice, comment un seul homme peut-il détruire une partie de la planète, la réponse qu’ils ne donnent pas est évidente, parce que vous lui avez laissé le pouvoir, l’œil du rat voit plus clair que des millions d’autres, une constatation fulgurante. Anti-Clockwise : Break down the barriers : coucou les cocoricos, ce sont de braves petits gars bien de chez nous ( Kr’tnt a déjà assisté à leur concert ) chantent en anglais, à fond de train un peu pistolien qui vous met en joue et vous pousse au cul de l’action, vous nomment une par une toutes les barrières qu’il est nécessaire d’abattre maintenant pour que l’on puisse espérer un vrai futur dans la française république. W. A. B. : Human bastards : estan de tras de los montes pirenaicos, leur nom White and Black signifie qu’ils détestent les nuances, se considèrent comme une entreprise de démolition, mais à quoi bon détruire les murs si vous ne tuez pas les enfoirés qui les habitent, vous bazardent illico le riff pour que vous vous enfonciez cette constatation élémentaire dans le cerveau, voix haineuse et déterminée sur des roulements de batterie ultra-rapides. Silly Walk : Too old to die young : ( les avons déjà chroniqués en Kr’tnt ), des français un peu introspectifs quant aux paroles jetées à la diable  sur musique violente, elles posent la question métaphysique essentielle, ni celle de la mort, ni celle de la vie, celle de la survie, de cette énergie qui vous contraint à refuser l’usure du temps. Thématique rock ‘n’ roll essentielle. Il importe de ne pas se renier. Kurt 137: Camarade humain : z’étaient déjà là du temps d’OTH, ont connu diverses reformations… l’accompagnement défile à toute vitesse, au vocal ils manient l’ironie, l’on aurait pu prévoir un hymne révolutionnaire, sont sans pitié sur la crédulité humaine, pourtant nous on croit à leur morceau. Pourtant ils exagèrent, ne sous-entendent-ils pas que des réfugiés meurent en Méditerranée. Quelles fake news ! Popspish Potom : Koro Eto Ebët : de Novgorod, après l’ironie voltairienne le fatalisme russe, qu’avons-nous à faire avec tout ce que l’on nous offre, oui qu’avons-nous à en faire répètent en boucle les chœurs tandis que le vocaliste vous entonne avec dégoût et colère l’énumération du monde, non ce n’est pas un héros, cède, comme vous, facilement pour une jolie fille et un accès direct VIP. Cockbox : Say no to plastic : viennent de Finlande, cochent toutes les bonnes cases, anti-sexistes, anti-fa et pro-écologistes, pas de surprise une fille égosille l’urgence de l’exploitation, un peu monotone tout de même, l’on sent davantage le positionnement que l’authenticité.

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    Jars : Meth : Kr’tnt apprécie au plus haut point Jars, leur mur de son sans faille et des paroles aux angles non arrondis, préparez-vous à acheter un cadeau pour le bébé, un flic est né, Jars vous explique les mutations intellectuelles nécessaires à cet auto-engendrement. Tout est dans la tête, choisissez les bons éléments. D.N.O. : Loutky : origine : Tchéquie, musique serrée et voix de gorge djentée, déclarent leur haine envers le système sans ambages, ne sont pas des marionnettes, la musique se précipite comme si elle était prisonnière d’une force incoercible. Peut-être le meilleur morceau de l’opus grâce à sa perfection formelle.  SNüBBED : Nothing new : du nouveau dans le disque : des Irlandais d’Irlande, à part ça rien de neuf dans le monde, vous l’annoncent à la moulinette électrique suractivée, pisse et merde, deux mots suffisent à définir votre existence. Sans pitié. Excellent. Là où il y a l’être il y a de la merde disait Antonin Artaud. Self Control : Exploit time : nos cousins du Canada nous enjoignent de vivre fort, le temps est à nos trousses, il est urgent de céder à nos passions, la bande-son en formule 1, ne faiblissez pas sur l’accélérateur, après l’heure ce ne sera trop tard, exploitez votre temps à donfe, n’en laissez la concession à personne. Missiles of October : Don’t Panik :  nous ont impressionnés en concert à la Comedia étaient venus tout exprès de Belgique pour nous ouvrir grand les oreilles, on les retrouve égaux à eux-mêmes, titanesques. Leurs missiles font mouche à tous les coups, pas de surprise, les êtres humains englués dans leur médiocrité ne changent pas. Prince Albert : Société transhumaine : des mecs bien, ils citent kr’tnt dans leur présentation, crèchent dans la capitale reine du monde, pas le genre de gars à ressasser le présent, ont les yeux tournés vers le futur, des outre-punk en quelque sorte, y a un problème, notre avenir transhumaniste ne semblent pas gai, on leur pardonne car le morceau si désespéré soit-il est le plus novateur de la galette. Bikini Death Race : Fuck off and die : musique électronic – certains vivent avec leur siècle – une voix féminine s’adresse à nous, nous dit nos quatre vérités (celles qui malheureusement ne sont pas bonnes à écouter ) mais on ne le leur reprochera pas, car c’est drôlement bien foutu.  Moscow : System disposal : trompent leurs ennemis, ne sont pas moscovites mais des italiens, n’ont pas jugé utile de mettre leurs lyrics, c’est vrai qu’ils font beaucoup de bruit, un noise rock des plus confortables, transcendent leurs instruments – beaucoup les assourdissent - dans la pâte sonore, vous entendez ce morceau et vous allez voir sur bandcamp le reste de leur production. Preuve que c’est bon. Les Critters : Sans retour : combien de fois les avons-nous vus à la Comedia, on les retrouve avec plaisir, foncent dans la psychotique brume sur le bitume, vous montez sur le siège arrière et vous criez ‘’ plus vite, plus fort’’ et ils accélèrent. Quoi de plus excitant !

             Hardis moussaillons, montez à bord sans tarder et rejoignez cet équipage de passagers clandestins, vous découvrirez les différents archipels du punk et du hardcore international. Tous les naufrages, toutes les robinsonnades, tous les abordages sont permis, avec un peu de chance vous ne retournerez plus dans ce monde glauque et fétide dont on voudrait nous faire croire qu’il est notre patrie naturelle !

    Pas trop d’optimisme non plus, nous terminons sur une note grise de tristesse et noire de colère. Au doux mois durant lequel il importe de ne pas se découvrir d’un fil, ce 12 avril 2022, une benne à ordures, oui cela s’est passé durant le quinquennat actuel de la mairie de gauche de Montreuil, s’est arrêtée à 9H 30 devant LA COMEDIA et tout le contenu du local est parti à la poubelle… Depuis plusieurs années les autorités ne voyaient pas ce lieu de liberté musicale tenu par Rachid d’un bon œil, elles ont fini par le fermer… Le phénix finit toujours de renaître de ses cendres.

    Damie Chad.

     

     

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    Premier EP de Pogo Car Crash Control : Crève ( aspect Pogo ) un titre jubilatoire que l’on reçoit en pleine poire comme un crachat, nul besoin de rédiger une thèse de troisième cycle pour en comprendre la signification, fureur adolescente, cela leur passera affirmaient les esprits pondérés, c’était en l’an de grâce 2016, en 2018 Déprime hostile (aspect Car )débarque dans les bacs, ahah ! on vous l’avait bien dit celui qui se révolte et se maintient dans cette attitude stérile se heurte à l’hostilité du monde et se recroqueville sur lui-même à la manière d’une huitre plongée dans un puits de pétrole, malgré les avertissements des intelligences modérées le Pogo s’est obstiné, le résultat ne s’est pas fait attendre, en 2020 paraît Tête blême ( aspect Crash ) comment voulez-vous que ces entêtés ( bientôt étêtés ) puissent arborer  un sain bronzage de winner s’ils continuent à s’enfoncer dans leur rage incandescente, vont finir par crever – c’est celui qui le dit qui le fait - prophétisent les étroites cervelles, parions que ce sera leur dernier étron. Mais les Pogo sont toujours là, ont survécu au confinement, ils éditent en ce joli mois de mai (fais ce qu’il te plaît) leur quatrième opus.

             Lorsque vous cliquez sur le FB de Pogo Car Cras Control, un petit i informatif se préoccupe de vous : Voulez-vous vraiment continuer ? Cette recherche contient peut-être du contenu graphique ou violent pouvant heurter la sensibilité de certaines personnes. Combien précautionneux, pusillanime, hypocrite, et castrateur est devenu notre univers ! Les Pogo sont out de l’ouate, le titre de leur nouvel album est sur la bonne fréquence, celle d’un monde de plus en plus violent.  

    FREQUENCE VIOLENCE

    POGO CAR CRASH CONTROL

    ( Panenka Music / 27 – 05 – 2022 )

    Si tu ne vas pas à la montagne, la montagne vient à toi affirmaient les sages chinois, la pochette de Fréquence Violente est l’illustration parfaite de cet adage sinophile imbibée de la subtile pensée de Lao Tseu.  Hélas parfois   la rencontre se révèle plus brutale qu’espérée. Je vous rassure ce n’est ni un accident, ni un meurtre, ni un suicide, tout simplement les trois en même temps. Trinquons à notre santé ! Vous avez l’image choc, intéressons-nous à la musique chic.

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    Simon Péchinot : guitar / Lola Frichet : bass / Louis Péchinot : drums / Olivier Pernot : vocal.

     

    Tourne pas rond : une intro de fin du monde, La chute de L’empire Romain et Armagueddon en même temps,  cela ne présage rien de bon, au minimum l’extinction de la race humaine, un obus malveillant descendu des étoiles se dirige vers notre planète, pas de panique cette magistrale ouverture se jette en un groove beaucoup moins grandiose, ce n’est pas le monde qui fonce vers le mur, c’est juste un seul être humain qui ne va pas bien dans sa tête,  le vocal d’Olivier nous projette en peine psychose, pauvre gars l’a le cerveau qui se disloque, un conte de la folie ordinaire chaotique, mais c’est comme sur les voitures ce sont les enjoliveurs qui exaltent la chaorrosserie, les Pogo en rajoutent, vous avez des sommités de sonités qui tressent des arabesques un peu partout, ça fuse et ça ne se refuse pas, les Pogo misent sur l’esthétique du désastre, qu’importe la fin si elle est belle. Traitement mémoire : vous croyiez que tout est perdu, notre société possède un remède pour tous les maux, suffit d’un petit traitement spécial pour vous remettre les idées en ordre, après la maladie l’alexipharmaque, un morceau glaçant, la folie n’est pas qu’à l’intérieur de vous, celle-ci n’est que le reflet du carcan sociétal, une espèce d’autocritique masochiste, il n’est de pire esclavage que celui qui s’enchaîne lui-même. Morceau morcelé, les Pogo ne se lancent plus dans les raids de la colère collective, z’ont tous les ingrédients, mais les découpent, ne les mixent pas, les utilisent chacun à leur tour, les disposent avec soin, les valorisent, jouent sur les contrastes, cherchent l’effet en devenant les maîtres de ses causes. Imposent un nouveau traitement à leur habitude. Cristaux liquides : que disions-nous, nouveau son, je ne sais pourquoi mais l’intro m’évoque La belle saison des Dogs, inouï les Pogo nous offrent une balade, pire une chanson d’amour aussi triste que la mort, n’ayez crainte de temps en temps vous avez des grésils de guitare de pogoïte aigüe, écoutez plutôt les paroles, ne sont-elles pas comme la suite lyophilisée des précédentes. Reste sage : sur le clip cette piste est présentée comme la suite logique du précédent, l’on retrouve les Pogo violents tels qu’on les aime, mais le délire est contenu, segmenté, avec de temps en temps cet éloignement sonique qui surfe comme une image floue qui essaie de se former dans le cortex des derniers humanoïdes. Ne sortez pas votre mouchoir pour pleurnicher en cachette, l’humour mortel des Pogo est ravageur. ( Ne manquez pas de visionner la vidéo couplée à Cristaux liquides ). Fréquence violence : à fond les ballons crevés, hypothèse folle, le mouvement ne serait-il qu’une image de l’immobilité, d’ailleurs à mi-morceau, vous avez une halte-pipi pour repartir certes, et à la fin qui s’éloigne z’avez l’impression d’une guitare country en roue libre, toujours ce désir de fragmenter le cours de l’histoire de la rage, le Pogo joue sur les ralentis et les arrêts sur image. Le texte est justement la carte postale de la société du spectacle dont nous sommes les acteurs sans le savoir. Passe-moi le bébé : intro : la guitare nous nargue, et la rythmique char d’assaut se met en place, il est temps de remarquer que sur cet album la voix est posée devant et les grandes chasses à courre derrière, passe-moi le groove, et voici que tout glisse sur le verglas, encore une fois les Pogo ne s’endorment pas sur le riff, vous le servent à tous les parfums, s’écartent de la doxa garagiste, nous la font à la styliste, la performance et le flashy. Renouvellent la gamme. Extro bruiteuse. 

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    Me parlez pas : un peu de larsen pour jouer l’arsène qui s’introduit dans une fête, les sociologues parleront du mal-être de la jeunesse, les moralistes emploieront le concept de dégénérescence, chez Kr’tnt l’on aime tout simplement,  les Pogo vous donnent les deux faces de la party, celle vécue et celle réceptionnée par le gars qui l’expérimente, d’où ces allers-retours entre le speed-trashy et régulièrement l’éloignement, le décollement de la réalité, l’instrumentation devenant élastique, le temps s’allonge jusqu’à ce break de guitare acoustique qui remet la balle au centre aux trois-quarts du morceau. Ville prison : musicalement le frère jumeau du précédent, les effets encore plus accentués, notamment sur le vocal victime de diverses manipulations, étiré comme une bulle de chewing-gum, réduit à une élémentaire élocution, concassé, hurlé, réverbéré, idem pour les instrus qui nous en montrent de toutes les couleurs, jusqu’au bourdonnement final. La ville c’est comme la vie, une prison dont presque personne ne veut sortir. Dans la série mon malaise est mon doudou, les Pogo ont pondu une berceuse de notre temps, qui part dans tous les sens et qui vous tiendra éveillé tout le restant de votre existence.  Recommence à zéro : tiens, ils ont mis un second slow sur le disc, soyons juste l’emprunte bien de temps en temps la base harmonique de Cristaux liquides, mais ça décolle souvent à la vitesse d’une fusée intergalactique, nous voici transportés en quelques secondes à des années-lumière en une espèce de blues psychédélique qui aurait brisé les chaînes de sa structuration habituelle. Très fort. ( Sorti ce trente mai  sous forme d’une double-vidéo avec Tourne pas rond,  tout l’humour déjanté des Pogo s’y retrouve ).Tu peux pas gagner : dans le genre ne faites pas l’amour, faites la guerre le morceau avance sur des chenilles implacables, toute allusion à l’actualité ne saurait être fortuite, brouillements de radars, ferblanteries blindées, départs de missiles, les Pogo ont toute la panoplie sonore, capharnaïque et pandémonique, qui se termine par un funèbre te deum, vocal-objurgation, rage impuissante et compréhensive. Rien ne sert de se voiler la face. Si les Pogo font du bruit c’est que leur musique annonce le futur de notre monde. Aluminium : après l’âge du fer, celui de l’aluminium – pas très mignon – tempo violent et inhumain, Olivier hurle à se briser les cordes vocales, le futur technologique s’éloigne de la bête humaine, les supplications n’y pourront rien les hybrides ne savent plus qui ils sont, fin brutale, ce monde qui vient est inéluctable. (Le morceau a été édité sous forme d’une vidéo au mois de septembre 21, surprenante quand on songe aux délires habituels du groupe, rien à voir avec celles qui l’ont précédée et suivie, un fond gris uniforme, deux avant-bras aluminés sur un fond noir qui se rapprochent mais ne parviennent pas se prendre la main, se touchent du bout du doigt mais reculent aussitôt comme les cornes rétractiles de l’escargot.  Faudrait-il y voir une interprétation moderne et dérélictoire de La création d’Adam de MichelAnge… ) Criminel potentiel : martelage groovy, le vocal scandé sous forme de slogans accusatoires. Les brodequins de fer de l’arraisonnement de l’homme par la civilisation technologique en gestation. La musique marche au pas, elle n’oublie pas de vous tirer la langue pour vous faire la nique, les Pogo ne nous peignent pas l’avenir en rose. Ne vous plaignez pas de ce bouquet d’épineux aux piqûres empoisonnées qu’ils viennent de nous tendre. ( Existe en simple couplé avec Aluminium qui induit l’emballage. )

             Un opus de grande qualité. Les Pogo se sont renouvelés sans se trahir. Chaque morceau est une petite merveille emplie d’essais et de trouvailles. Superbe boulot de Francis Caste au son et au mixage, d’une précision exemplaire, l’a su regrouper les instruments et les rendre indissociables, l’a forgé un alliage de haute plasticité, l’a mis au point la grammaire phonique des prochaines productions de Pogo Car Car Control. Fréquence violence ( aspect Control ).

    Damie Chad.