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  • CHRONIQUES DE POURPRE 498 : KR'TNT ! 498 : BOB DYLAN / SUPREMES / CÖRRUPT / ANASAZI / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XX

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 498

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    18 / 02 / 2021

     

    BOB DYLAN / SUPREMES

    CÖRRUPT / ANASAZI / ANIMALS 

    ROCKAMBOLESQUES 21

     

    Ce numéro 498 arrive avec deux jours d'avance.

    Le numéro 499 aura deux jours de retard.

    Si ce retard devait se prolonger pas d'inquiétude

    nous ne tarderions pas à revenir

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

    Dylan en dit long - Part Two

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    Avec Chronicles, Bob Dylan est entré au panthéon des grands auteurs américains. Chronicles tient plus de la littérature que de ce qu’on appelle vulgairement le book rock. Dans le regard que porte Dylan sur son pays et sur les gens qu’il croise passent des éclairs de Steinbeck, de Kerouac et d’Henry Miller. Les pages qu’il consacre à ses voyages en auto-stop ou à ses virées en Harley pourraient très bien se trouver dans On The Road, celles qu’il consacre à la faune des clubs de folk new-yorkais semblent sortir tout droit de Plexus, et certaines pages sont tellement profondément américaines par la musicalité du style qu’elles semblent sortir de The Grapes Of Wrath. Les pages qu’il consacre à la Nouvelle Orleans rivalisent d’intelligence sensorielle avec celles d’Erskine Caldwell et bien sûr, le comparatif le plus direct est celui que Dylan établit avec Richard Hell en arrivant en stop à New York en 1960, pauvre et prêt à tout, surtout à survivre. Hell et Dylan n’ont pas que ça en commun : au goût pour la pauvreté s’ajoute celui de l’indépendance, ce qu’on appelle aussi la liberté à tout crin, le refus total de toute forme de concession, et une passion immodérée pour la littérature et le sexe, un sujet sur lequel Dylan ne s’étend pas, mais qu’Hell explore, comme le fit avant lui Henry Miller. Si Hell baptise son cocktail ‘sex & drugs & rock’n’roll & Maldoror’, Dylan pourrait baptiser le sien ‘folk & blues & Rimbaud’.

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    Un autre parallèle s’impose, cette fois avec Dickinson, qui lui aussi fonctionne en chroniques dans cette merveille intemporelle qu’est I’m Just Dead I’m Not Gone. Comme Dylan, Dickinson moissonne les métaphores et creuse ses sillons dans ces mystères que sont la vie et l’art en général. D’ailleurs Dylan ne s’y trompe pas, lorsqu’il se retrouve seul à la Nouvelle Orleans en 1989 pour enregistrer Oh Mercy : «Plus tard, je pensais à Jim Dickinson. J’aurais bien voulu qu’il soit ici, avec moi. Il était à Memphis. Il a commencé à jouer en même temps que moi, en 57 ou 58, on écoutait les mêmes trucs et il jouait et chantait plutôt bien. Chacun de nous était originaire d’une des deux extrémités du fleuve Mississippi.»

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    Alors bienvenue au paradis. Même s’il se dégage parfois de Chronicles une certaine forme d’austérité, la fierté d’être allé jusqu’au bout fait une excellente consolation. On aura même en prime cette curieuse impression d’être un tout petit peu moins con. Ça va même encore plus loin : on sort de là complètement tétanisé, comme si on sortait d’une première lecture du Gai Savoir. Chronicles fouette le sang. Chronicles met du rouge aux joues. Chronicles fait bander comme un âne. Chronicles se prête à toutes les métaphores, comme une chatte en chaleur. Miaou miaou, c’est moi, Chronicles tu viens mon amour ?

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    J’allais découvrir un monde étrange, un monde strié d’éclairs. Beaucoup de gens ont tenté d’y entrer et n’ont jamais su y rester. J’y suis allé tout droit. C’était grand ouvert. Une chose est sûre, ni Dieu ni le diable n’y faisaient la loi - Voilà comment Dylan finit Chronicles, avec quatre lignes dignes de «Desolation Row». Certaines phrases sont comme chantées. On entend sa voix, comme on entend celle de Lanegan à la lecture de Sing Backwards and Weep, cet autre chef-d’œuvre confessionnal d’une insondable profondeur. Les gens comme Dylan et Lanegan bénéficient d’un gros avantage sur les écrivains : l’avantage d’avoir enregistré des albums devenus aussi classiques que des classiques littéraires. Quand Dylan évoque sa grand-mère, il la chante : «Elle n’était que noblesse et bonté. Elle m’expliqua une fois que le bonheur ne se trouvait pas au bout d’un chemin. Le bonheur, c’était le chemin. Elle me conseilla aussi d’être gentil, car tous les gens que j’allais rencontrer livraient dans leur vie des combats difficiles.» De page en page, il se produit comme un phénomène d’élévation du texte. Dylan intrigue et passionne, tout ce qu’il peut dire de lui se boit comme l’eau claire au sortir du désert. C’est là dans ce principe d’élévation qu’éclot l’idée du rôle capital que joue le rock dans le monde moderne : Dylan donne à ceux qui n’ont rien reçu en héritage de leurs parents des éléments de réflexion, des éléments de valeur. Tiens, cadeau, c’est gratuit. Oh merci Bob ! Alors Dylan, vie spirituelle mode d’emploi ? N’exagérons pas. Il donne juste quelques indications mais en même temps il laisse entendre que chacun doit se débrouiller pour avancer. On part tous quasiment de zéro. Lui a l’avantage de la grand-mère. Il a un peu d’avance. Éclairé par sa grand-mère, il peut affronter la vie plus facilement et comme Hell, se pencher sur les mystères de l’art, car c’est tout ce qui l’intéresse. La vie normale du métro/boulot/dodo ne le concerne pas, il se sent destiné à autre chose, à une vie de chansons et de liberté : «Picasso avait fracturé le monde de l’art et l’avait ouvert en grand. Il était révolutionnaire. Je voulais être comme lui.» C’est déjà en lui. Chronicles ne parle que de ça, du processus de révélation et de ses conséquences.

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    Il articule donc Chronicles autour de deux thèmes principaux : ses débuts dans la scène folk new-yorkaise (influences, rencontres, genèse d’un style), puis les épouvantables conséquences de son succès avec le harcèlement qu’il doit ensuite subir de la part des fans et des médias. À ce niveau de popularité, ça devient un fléau. Les gens veulent le voir à la tête des forces contestataires, mais ça ne l’intéresse pas - On pouvait lire à la une d’un journal : ‘Le porte-parole nie être un porte-parole.’ J’avais l’impression d’être devenu un morceau de viande qu’on jetait aux chiens - Dylan dut quitter sa maison de Woodstock pour mettre sa famille à l’abri des fans qui arrivaient de tous les coins d’Amérique. Il les entendait marcher la nuit sur le toit de sa baraque. Il ne lui restait rien d’autre à faire que de disparaître pour échapper à tous ces pauvres gens. C’est bien que ce soit lui qui le dise. Venant de quelqu’un d’autre, on peinerait à prendre ça pour argent comptant. «J’avais une femme et des enfants que j’aimais plus que tout au monde. Je m’efforçais de prendre soin d’eux et de les protéger, mais les médias voulaient absolument faire de moi le porte-parole et même la conscience d’une génération. C’était tordant. Je m’étais juste contenté de chanter des chansons bien carrées et d’exprimer avec force de nouvelles réalités.» Si Dylan est tellement excédé, c’est surtout parce que les gens n’ont rien compris : «J’en avais assez de la contre-culture. Ça me rendait malade de voir la façon dont on extrapolait les paroles de mes chansons et dont on en détournait le sens pour faire de moi le Big Buddah of Rebellion, le Grand prêtre de la Protestation, le Tsar de la Dissidence, le Duc de la Désobéissance, le Grand Chef des Parasites, le Kaiser de l’Apostasie, l’Archevêque de l’Anarchie, the Big Cheese.» Peut-être voulait-il faire comprendre aux gens que la vraie révolution commence par soi-même et que les vrais changements ne sont pas collectifs mais individuels. Généralement, on appelle ça la prise de conscience. Pas besoin de leader charismatique. Il suffit de capter les messages que diffusent des gens comme Dylan, Gandhi ou Coluche.

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    Avec une sincérité qui nous laisse comme deux ronds de flan, Dylan livre tous les secrets de sa genèse. Il commence par fixer son choix sur le folk : «J’ai choisi le folk pour explorer l’univers. Les chansons de folk contenaient des images et les images avaient plus de valeur que tout le reste. J’avais découvert l’essence du folk. Je pouvais aisément assembler les morceaux.» En même temps, il affiche une méfiance terrible pour le monde réel - Je n’éprouvais aucun intérêt pour ce monde moderne si compliqué. Il n’avait ni poids ni sens à mes yeux. Il n’offrait aucune séduction - Vers la fin du livre, il va même beaucoup plus loin : «Je n’étais pas à l’aise avec tout le psycho polemic babble. Ce n’était pas ma came. Même les actualités me rendaient nerveux. Je préférais les histoires anciennes. Toutes les actualités n’étaient que des mauvaises nouvelles. Je m’arrangeais pour les éviter. Une journée entière d’actualités télévisées était pour moi une image de l’enfer.»

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    Puis il commence à faire travailler sa mémoire, nous expliquant qu’il lit des poèmes de plus en plus longs, s’entraînant à les mémoriser et voir jusqu’où il peut les mémoriser. C’est une gymnastique. Quand il lit le Don Juan de Byron, il se concentre du début à la fin. Il se remplit le cerveau de poèmes intensément longs comme le ferait un comédien. Il dit se sentir transformé en wagon qu’il remplit de plus en plus et donc il doit tirer de plus en plus fort. Ceci explique en partie cette facilité qu’il va montrer un peu tard à interpréter des chansons aux allures de poèmes fleuves. Il dit aussi vouloir comprendre les choses pour pouvoir s’en débarrasser. Il apprend à télescoper les idées, il pousse le jeu de la gymnastique mentale toujours plus loin - Les choses étaient trop grosses pour le regard, comme le serait une bibliothèque, voir tous ces livres d’un seul coup, c’est impossible. Il fallait pourvoir en faire des chapitres ou des couplets de chansons pour en sortir quelque chose de correct - Dylan est obsédé par le contenu, car avant d’être une musique, le folk est un contenu. Il sent parfois qu’il réfléchit trop, alors qu’il n’a pas 20 ans - Dans Par Delà Le Bien et le Mal, Nietzsche dit qu’il se sentait vieux au commencement de sa vie. J’éprouvais la même chose - Serait-ce le prix à payer ? On appelle ça la maturité. Mais il revient inlassablement à l’objet de sa quête : composer des chansons - Une chose est sûre, si je voulais composer des folk songs, je devrais inventer un nouveau modèle, une espèce d’identité philosophique à l’épreuve du temps. Elle devait venir d’elle-même from the outside, de l’extérieur - S’il en parle aussi bien, c’est qu’il sait qu’il va réussir. Le plus miraculeux dans cette histoire, c’est qu’à aucun moment Dylan ne cède à la prétention. Ce qu’il décrit de sa réflexion est à l’image de ses chansons : il y règne une sorte de pureté d’intention, une modestie immanente dont la seule grandiloquence serait le génie mélodique. C’est un phénomène unique dans l’histoire culturelle du monde moderne. Dylan met en gage sa probité intellectuelle, et ce geste n’a pas de prix. Mais il doit continuer de travailler son projet : «Je faisais tout très vite, je pensais, je mangeais, je parlais et je marchais vite. Je chantais même vite. Il fallait que je ralentisse mes chansons si je voulais devenir un auteur-compositeur avec des choses à dire.» Pendant quelques mois, il va vivre à droite et à gauche chez des gens qui l’hébergent. Sa seule richesse est cette foi qu’il a en son avenir : «Elle me versa une tasse de café bouillant et j’allai à la fenêtre. La ville entière se balançait sous mon nez. Je savais précisément où se trouvaient les choses. Je ne craignais pas l’avenir. Il était terriblement proche.»

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    Il dit aussi qu’une chanson, c’est comme un rêve qu’on essaye de rendre vrai. Le soir il chante et joue au Gaslight qui est à l’époque le club le plus réputé de la scène folk new-yorkaise. Un jour, une certaine Terri propose à Dylan de prendre rendez-vous avec Jac Holzman, le boss d’Elektra, un label folk new-yorkais, mais Dylan décline la proposition : «I don’t want to sit down with anybody, no.» Il est très bien comme il est, il joue aux cartes, boit des coups, fume ses clopes et le soir, il monte sur scène au Gaslight. Quand il rencontre John Hammond Sr, l’homme qui va le signer sur CBS, c’est complètement par hasard : il accompagne un mec à la guitare et à l’harmo. John Hammond le trouve intéressant et lui propose un contrat. Dylan lui fait confiance. Où je signe ?

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    Lorsqu’il se retrouve à la Nouvelle Orleans en 1989 pour enregistrer Oh Mercy et que Daniel Lanois lui demande s’il a des chansons du calibre de ses grands hits des années 60, Dylan lui dit non. Pourquoi ? Parce que c’est impossible : «Je ne pourrais plus composer ce genre de chansons aujourd’hui, ni pour lui, ni pour personne d’autre. Pour les composer, il faut du pouvoir et le contrôle des spirits. Je l’ai fait une fois, et une fois, c’est assez. Mais il se peut très bien que quelqu’un réussisse à le faire, quelqu’un qui serait capable de voir le cœur des choses, la vérité des choses, pas de façon métaphorique, bien sûr, je parle du vrai regard, celui qui permet fixer le métal et le faire fondre, le regard qui permet de voir les choses et de les révéler pour ce qu’elles sont avec des mots crus et une vicieuse perspicacité.» Il pousse d’ailleurs le bouchon assez loin en expliquant qu’il fait une musique archaïque, sur ce nouvel album. Il n’ose pas le dire à Daniel Lanois, mais c’est ce qu’il ressent. Dylan pense que l’avenir est chez les rappers comme Ice-T et Public Enemy - Une nouvelle star allait apparaître, mais pas une star comme Presley. Il n’irait pas remuer les hanches en fixant les minettes. Il allait chanter avec des mots crus et bosser 18 heures par jour - Dylan sait qu’il doit évoluer parce que le mode évolue. C’est la métaphore du mouvement, qu’il illustre en disant qu’on compose mieux lorsqu’on est en mouvement, dans un train par exemple. Composer en mouvement dans un monde en mouvement. C’est l’un des grands secrets de Dylan, le secret de sa modernité. Il l’a d’ailleurs illustrée de façon spectaculaire avec le never ending tour, cette tournée devenue mythique qu’il voulait imprévisible, aussi bien au niveau des dates que de la composition du groupe qui l’accompagnait sur scène. À l’image de la vie. Qu’est la vie sinon un mouvement perpétuel ?

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    Quand il parle des femmes, il sait se montrer délicieusement mystérieux. Voici ce qu’il dit de Suze Rotolo, sa première poule officielle : «La chose que j’aimais en elle, c’est qu’elle ne laissait croire à aucune personne qu’elle lui devait son bonheur. Pas plus à moi qu’aux autres.» Il est encore plus délicieusement mystérieux quand il parle du paradis : «J’aimais la nuit. Les choses grandissent la nuit. C’est là où mon imagination se débride. Je perds toutes mes idées pré-conçues. Parfois vous cherchez le paradis au mauvais endroit. Il est parfois sous vos pieds. Ou dans votre lit.»

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    Et puis voilà les portraits. Le film de Scorsese, No Direction Home fait d’ailleurs écho à Chronicles, car Dylan y salue tous les géants de la scène folk new-yorkaise des early sixties, Odetta, Dave Van Ronk, Woody Guthrie et tous les autres. Il s’est aussi construit avec ces rencontres. Le nombre d’hommages qu’il rend dans ce petit livre est considérable. À la différence de Cash ou de Ronnie Wood, Dylan ne se met jamais en valeur, il met les autres en valeur, c’est sa façon de les remercier. Les gens intelligents ne disent jamais qu’ils sont intelligents, par contre ceux qui ne le sont pas abuseront facilement de cette prétention.

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    Fred Neil apparaît très vite dans le récit. Dylan le rencontre au Café Wha?. Fred Neil y chante et y officie en plus en tant que Maître de Cérémonie : il engage les artistes - Il était l’empereur de l’endroit, il avait son harem et ses dévots. On ne pouvait l’approcher. Tout s’organisait autour de lui (...) Je n’ai jamais chanté mes chansons au Café Wha?. J’accompagnais Neil et c’est ainsi que j’ai commencé à jouer régulièrement à New York - Mais ça ne s’arrête pas là, Dylan se trouve de sacrés points communs avec cet extraordinaire artiste qu’est Fred Neil : «Il semblait n’avoir aucune aspiration. On était très compatibles, on ne parlait jamais de nous. Il était comme moi, poli mais pas plus, not overly friendly, il me donnait un peu de blé en fin de journée et me disait : ‘Tiens, ça t’évitera d’avoir des problèmes’.» Dylan l’observe, ce vieux Fred - J’ai demandé un jour à Neil s’il avait enregistré des disques et il m’a répondu : ‘Ce n’est pas mon truc.’ Il cultivait sa zone d’ombre, mais aussi puissant fut-il, il lui manquait quelque chose en tant qu’interprète. Je ne savais pas quoi, exactement. C’est en voyant Dave Van Ronk que j’ai compris - L’éclairage arrive avec le grand portrait de Van Ronk, vers la fin du récit.

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    Dylan nous ramène sur un plateau d’argent un gigantesque Van Ronk avec sa moustache de cachalot et ses longs cheveux raides - Il tournait chaque folk song en surreal melodrama, en pièce de théâtre, avec du suspense jusqu’à la dernière minute. Il allait au fond des choses. On aurait dit qu’il disposait d’une réserve infinie de poison et j’en voulais encore. Van Ronk semblait venir d’une époque très ancienne. Chaque soir, j’avais l’impression d’être assis au pied d’un monument battu par les vents. Il chantait des folk songs, des standards de jazz, du Dixieland et des blues ballads, ses chansons étaient à la fois délicates, expansives, personnelles, historiques et volatiles - C’est ainsi que Dylan fait la différence entre Van Ronk et Fred Neil : d’un côté le chanteur et de l’autre le bateleur. Et il repart de plus belle sur Van Ronk : «Il était bâti comme un bûcheron, il buvait sec, parlait peu et avançait machines avant toutes.» Et Dylan achève ce portrait avec la chute des chutes, un exercice dans lequel il est passé maître : «Il dominait la rue comme une montagne et ne voulait pas entendre parler de célébrité. Il ne donnait que ce qu’il voulait bien donner. Personne n’aurait pu le manipuler. Il était immense et je devais lever les yeux pour le voir. Il venait du pays des géants.» Sans doute a-t-on là la chute la plus spectaculaire d’un ouvrage plutôt riche en chutes spectaculaires. Son autre grand héros est bien sûr Woody Guthrie, dont il va faire son modèle. Dylan parvient à le dénicher lorsqu’il arrive à New York : Woody Guthrie se trouve au Greystone Hospital de Morristown, dans le New Jersey. Alors Dylan s’y rend en bus, une heure et demie de trajet suivie d’une balade à pieds jusqu’à l’hosto perché sur une colline. Pour Dylan, Woody Guthrie is the true voice of the American spirit. Quand il découvre les chansons de Woody Guthrie, Dylan est fasciné : «Je n’en revenais pas. Guthrie avait une prise incroyable sur les choses. Il était si poétique, si dur et si rythmique. Il y avait tellement d’intensité.» C’est la diction et les textes de Guthrie qui le fascinent, certains de ses mots ont du punch, ses chansons échappent à toutes les catégories - Il y avait de l’humanité dans ses chansons, aucune d’elles n’était médiocre. Rien ne pouvait résister à Woody Guthrie. Pour moi, il était l’épiphanie, une sorte de grosse ancre marine plongée dans l’eau du port -

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    Forcément le jeune Bob apprend ses chansons, puis il met le grappin sur son autobio, Bound For Glory, et c’est un choc équivalent à celui qu’il éprouva à la découverte de Rimbaud : «Je l’ai avalé d’un trait, concentré sur chaque mot, et ce livre chantait en moi comme une radio. Guthrie écrit comme le vent et sa musique vous embarque. Ouvrez le livre à n’importe quelle page, et vous décollez.» Et il applique à Woody Guthrie le même traitement qu’à Van Ronk, celui de la chute spectaculaire : «Il est le singing cowboy, mais il est encore plus que ça. Woody est une âme poétique, le poète de la croûte de crasse et de la purée de bouillasse, il divise le monde en deux, d’un côté ceux qui travaillent et de l’autre ceux qui ne travaillent pas. Ce qui l’intéresse, c’est de libérer la race humaine de ses chaînes. Il veut créer un monde qui soit digne du genre humain. Bound For Glory is a hell of a book. Un livre énorme. Presque trop énorme.»

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    Au Café Wha?, Dylan rencontre aussi Karen Dalton qu’il admire car dit-il elle chante comme Billie Holiday et joue de la guitare comme Jimmy Reed. Il croise aussi le chemin de Moondog qui chante principalement sur la 42e rue. Plus loin il salue Roy Orbison, qu’il entend à la radio, qui chante sur quatre octaves et qui peut réveiller des morts. Il découvre que ses chansons contiennent des chansons et qu’il passe des accords majeurs aux accords mineurs sans aucune logique. L’une de ses rencontres les plus spectaculaires est sans doute celle de la bibliothèque de Ray, le mec qui l’héberge. C’est un vertige, d’autant qu’il cite les noms de mémoire et pas seulement les noms, il feuillette et se souvient de Thucydide, de Périclès, de Gogol et de Balzac, un Balzac qu’il trouve poilant - Sa philosophie est simple, il dit que le matérialisme engendre la folie. Balzac ne croit qu’en la superstition. Il analyse tout. Gérer son énergie, c’est le secret de la vie. On apprend des tas de choses avec lui. C’est une compagnie très amusante. Il porte une robe de moine et boit du café toute la journée. Trop de sommeil ralentit son esprit. Si une de ses dents tombe, il se demande ce que ça signifie. Il interroge tout. Si sa manche prend feu à cause de la chandelle, il se demande si c’est bon signe. Balzac est hilarant - Croiser Balzac dans un Dylan book, c’est un peu la même chose que de croiser Baudelaire dans un Hell book. Dylan revient à cette bibliothèque extraordinaire et se souvient aussi de Machiavel et de Dickens, de Dante et de Rousseau, des Métamorphoses d’Ovide et de Sophocle, de Faulkner et des poètes, ceux qu’il préfère, comme Byron, Shelley, Longfellow et Poe, il s’amuse à mémoriser The Bells de Poe pour le chanter en s’accompagnant à la guitare.

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    Puis Leopardi et Freud, et les Russes, Pouchkine et Dosto, puis Tolstoï qui l’impressionne car il est allé mourir dans les bois à 82 ans. Comme Debord, Dylan flashe aussi sur Clausewitz, le «premier philosophe de la guerre». Dylan trouve dans son portrait une ressemblance avec Montgomery Clift - D’une certaine façon, Clausewitz est un prophète. Sans que vous vous en rendiez compte, certaines de ses pages peuvent façonner vos idées. Si vous pensez être un rêveur, vous comprendrez que vous êtes incapable de rêver après l’avoir lu. Le rêve est dangereux. Lire Clausewitz, c’est une façon de vous prendre un tout petit moins au sérieux - Comme dirait Dickinson, méditez là-dessus.

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    Dylan croise aussi Bobby Neuwirth qu’il compare à Neal Cassidy, personnage principal d’On The Road de Jack Kerouac. Dylan trouve dommage que personne n’ai immortalisé Neuwirth - He was that kind of character. Il pouvait parler aux gens et leur siphonner toute leur intelligence - Et il ajoute que Neuwirth avait du talent, mais absolument aucune ambition - On aimait les mêmes choses, on choisissait les mêmes chansons sur le juke-box - Il admire aussi Bobby Vee - Je n’ai pas revu Bobby Vee pendant trente ans, et bien que les choses aient changé, je l’ai toujours considéré comme un frère. Chaque fois que je lis son nom quelque part, c’est comme s’il se trouvait dans la pièce -

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    Dylan aime bien Crosby aussi, parce qu’il le trouve coloré et imprévisible, avec sa cape de Mandrake le Magicien - Il ne s’entendait qu’avec très peu de gens et avait une voix magnifique, un architecte des harmonies. Il jouait alors avec la mort et pouvait semer la panique dans un quartier entier, mais je l’aimais beaucoup. Il n’avait rien à faire dans les Byrds - Il rend un hommage très particulier à Al Kooper. Ce petit chef-d’œuvre elliptique est du pur Dylan, elliptique et précis en même temps : «Kooper était un découvreur de talents, l’Ike Turner des blancs. Il avait besoin d’une chanteuse dynamique, et Janis Joplin aurait été parfaite pour lui. Je l’ai dit à Albert Grossman, l’homme qui fut mon manager et qui est ensuite devenu celui de Janis. Grossman m’a répondu que c’était le truc le plus stupide qu’il ait entendu. Mais je ne trouvais pas ça stupide. Au contraire, je voyais juste. Hélas, Janis allait disparaître et Kooper allait sombrer pour l’éternité dans le grand limbo musical. J’aurais dû être manager.» Quand il est à la Nouvelle Orleans, Dylan va au Lion’s Den Club écouter Irma Thomas, one of my favorite singers. Il a pensé à lui demander de duetter avec lui sur une chanson ou deux, comme, dit-il, Mickey and Sylvia, mais ça ne s’est pas fait - That would have been interesting - Du pur Dylan.

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    On l’a dit plus haut, les quelques pages qu’il consacre à la Nouvelle Orleans sont spectaculaires. Il vient y séjourner seul pour rencontrer Daniel Lanois et enregistrer l’album Oh Mercy. Tout le détail est dans le book. Ils fondent la qualité de leur relation sur une première discussion. Comme il faut constituer un orchestre, Lanois demande à Dylan s’il pense à des musiciens en particulier, et Dylan lui dit non. Puis Lanois indique que les hit records ne l’intéressent pas, arguant que Miles Davis n’en a jamais eu. Alors Dylan qui se régale d’entendre ça écrit que l’argument lui plaît beaucoup. Ces gens-là parlent peu mais ils parlent bien. Dylan précise que Lanois est un mec du Nord, qu’il vient de Toronto - chaussures de neige, mode de pensée abstrait - et il ajoute que les gens du Nord ne s’inquiètent pas quand ça caille car ils savent qu’il refera chaud. Et inversement, il refera froid - Le truc que j’appréciais chez Lanois c’est qu’il n’aimait pas flotter à la surface. Ni même nager. Il voulait sauter et plonger au plus profond. Il voulait épouser une sirène. Ça me plaisait - Si Dylan descend à la Nouvelle Orleans sans musiciens ni équipement c’est dit-il pour tester Lanois - J’espérais qu’il allait me surprendre. Et il m’a surpris - Le pauvre Lanois devait être ému de lire ça. On ne peut décemment espérer plus bel éloge. Du coup on prend Lanois un peu plus au sérieux, même si on voit son nom associé à des artistes qu’on n’aime pas trop. Après Oh Mercy, il fera d’ailleurs un autre album avec Dylan, Time Out Of Mind.

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    Dylan profite des sessions d’enregistrement d’Oh Mercy pour nous pondre un conte magique : «Pendant le final de ‘Where Teadrops Fall’, le joueur de sax John Hart joua un solo qui me coupa le souffle. Je me suis penché en avant pour voir son visage. Il était resté assis dans l’ombre toute la soirée et je ne l’avais pas remarqué. Cet homme ressemblait à s’y méprendre à Blind Gary Davis, le révérend que j’avais bien connu et suivi pendant toute une époque. Qu’est-ce qu’il foutait là ? C’était exactement le même type, même menton, mêmes joues, mêmes lunettes noires, même corpulence, même taille, même long manteau noir. C’était incroyable ! Le Révérend Gary Davis, l’un des sorciers de la musique moderne, il semblait superviser l’ensemble. Il me regarda d’une façon bizarre, comme s’il pouvait voir au-delà du moment présent. Soudain, je sus que j’étais exactement au bon endroit, au bon moment pour faire le bon truc et que Lanois était the right cat. J’eus l’impression d’avoir tourné au coin de la rue et d’être tombé face à face avec Dieu.» Il écrit comme il chante, bien sûr, avec des élans lyriques qui font de lui l’artiste que l’on sait, the one and only Bob Dylan. On sent battre le cœur de certaines pages. Cette prose est d’une grande pureté et Dylan déroule son fil de pensée comme un fil magique.

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    Il rend aussi hommage à Sam Phillips pour «avoir créé les disques les plus vitaux et les plus puissants de l’histoire du rock». À côté des disques Sun, les autres disques paraissent sucrés, dit-il - Sur Sun Records, les artistes semblaient mettre leur vie en jeu et venir des régions les plus mystérieuses de la planète - C’est exactement ça. Il rend hommage à Cash et en particulier à «Walk The Line», et encore plus précisément à la façon qu’a Cash de dire les choses - I keep a close watch on this heart of mine - avec sa grosse voix, Cash, dark and booming, the rippling rhythm and cadence of click-clack, oui il y a un truc qui ne lui a pas échappé - Quand j’entendis «I Walk The Line» il y a longtemps, j’eus l’impression qu’une voix me disait : ‘Que fais-tu là, boy ?’ et j’essayais moi aussi de garder les yeux grand ouverts - Hommage aussi à Leiber & Stoller - They were the masters of the Western World, ils ont écrit toutes les chansons populaires, avec des mélodies soignées et des paroles simples qui devenaient si puissantes à la radio - Dylan encense le Brill et Neil Sedaka en particulier parce qu’il composait et interprétait ses propres chansons. Dylan ajoute pour conclure ce chapitre enflammé qu’il ne connaissait pas tous ces gens-là car le Brill et la scène folk ne se mélangeaient pas.

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    Puis arrivent tous les gens qu’on voit dans le film de Scorsese, à commencer par John Jacob Niles, «a Mephistolean character out of Caroline, il s’accompagnait d’une sorte de harpe et chantait d’une voix de soprano qui donnait des frissons. Niles était surréaliste et illogique, terriblement intense et vous donnait la chair de poule. On aurait pu le prendre pour un sorcier.» Puis Joan Baez bien sûr - Tout ce qu’elle faisait fonctionnait, mais il le dit à l’envers, Nothing she did didn’t work, le simple fait de savoir qu’elle avait le même âge que moi me faisait me sentir inutile - Et plus loin il opère un curieux rapprochement : «Comme John Jacob Niles, elle était assez étrange. J’avais la trouille d’elle.» Mais il en revient toujours à l’essentiel : «Peu de gens savent convaincre avec des chansons. Vous devez croire ce que dit le chanteur ou la chanteuse. Joan savait vous convaincre.» La meilleure preuve de ce qu’avance Dylan se trouve dans le Woodstock movie : Joan Baez chante «I Dreamed I Saw Joe Hill Last Night» (Alive as you and me) a capella et c’est sans doute le moment le plus émouvant d’un film pourtant riche en grands moments. D’autres portraits extrêmement bien foutus guettent le lecteur imprudent, des portraits de gens comme Lord Buckey, Luke Askew qui nous dit Dylan chantait comme Bobby Blue Bland ou encore Len Chandler qui chantait du quasi-folk avec énergie «et qui avait un truc que les gens appellent le charisme». Et puis voilà le portait d’un dandy à l’américaine, Paul Clayon, et sous la plume de Dylan, on imagine une sorte de Christopher Walken - Clayton était unique, en partie Yankee gentleman et en partie Southern rakish dandy. Il ne portait que du noir et citait Shakespeare. Il passait son temps entre New York et la Virginie. On est devenus amis. Ses compagnons étaient des gens qui fuyaient la ville comme lui, a cast apart - ils avaient de l’attitude, mais ça restait entre eux - D’authentiques anti-conformistes, des bagarreurs, mais pas dans le genre des personnages de Kerouac, pas ceux qui courent les rues et qu’on reconnaît. J’appréciais beaucoup Clayton et ses amis. Grâce à Paul, j’ai rencontré des gens qui me proposaient de m’héberger en cas de besoin et de ne pas me faire de souci pour ça.

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    Comme toujours, on garde le meilleur pour la fin : Robert Johnson. La découverte de Robert Johnson a chez Dylan le même retentissement que celle de Woody Guthrie. C’est John Hammond Sr qui lui offre l’acétate d’un album de Robert Johnson alors complètement inconnu. L’album va paraître sur CBS. Dylan en tombe dingue - Ses coups de guitares auraient pu casser les carreaux. Quand Johnson commençait à chanter, il semblait sortir tout droit de la tête casquée de Zeus. J’ai tout de suite compris qu’il était différent de tous les autres. Ses chansons n’étaient pas que des simples blues. Il s’agissait de chansons extrêmement perfectionnées, chacune d’elles comprenait quatre ou cinq couplets et chaque couplet interférait avec le suivant, mais pas d’une façon directe. Tout chez lui n’était que fluidité - C’est donc de là que vient le rocking Bob Dylan, de cette perfection arrachée à l’oubli par John Hammond Sr. Dylan fait écouter l’acétate à Dave Van Ronk qui se montre sceptique. Van Ronk est un érudit du blues. Il dit que Robert Johnson vient de Leroy Carr, de Skip James et d’Henry Thomas - Dave pensait que Johnson était okay, qu’il était puissant mais qu’il n’avait rien inventé - Et Dylan ajoute un peu plus loin : «En 1964 et 65, j’ai probablement utilisé 5 ou 6 blues song forms de Robert Johnson, de façon inconsciente, mais plus sur l’aspect imagerie poétique des choses (the lyrical imagery side of things).» Et en guise de conclusion paranormale, Dylan raconte une belle anecdote : «Johnny Winter, le flamboyant guitariste texan né deux ans après moi, a ré-écrit la chanson de Johnson à propos du phonographe, pour en faire une chanson à propos d’un poste de télévision. Dans la chanson, la télé de Johnny est morte et il n’y a pas d’images. Robert Johnson aurait adoré ça. Johnny a aussi enregistré l’une de mes chansons, ‘Highway 61 Revisited’, qui fut aussi influencée par Johnson. C’est drôle comme les boucles se referment. Le code de langage de Robert Johnson est différent de tout ce que j’ai entendu avant ou après lui.» C’est là qu’il embraye sur Rimbaud, un Rimbaud que lui fait découvrir la sexy Suze, et là Dylan met les gaz, comme s’il pilotait sa Harley : «J’aurais bien aimé qu’on me fasse découvrir Rimbaud avant. Il allait bien avec la nuit noire de Robert Johnson et les sermons survoltés de Woody. Tout était en mouvement et j’attendais de pouvoir entrer. J’allais entrer bien chargé, bien vivant et bien excité. Mais le moment n’était pas encore tout à fait venu, tough.» Il dit souvent «tough», à la fin de ses phrases, tough.

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. Chronicles. Volume One. Simon & Schuster UK Ltd, 2004

    La suprématie des Supremes

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    La petite black qu’on voit à gauche sur l’illusse, c’est Mary Wilson. Florence Ballard se trouve au centre et Diana la rosse à droite. Comme Mary Wilson vient de casser sa pipe en bois, nous allons tenter de saluer les Supremes.

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    Les Supremes ont pendant dix ans incarné la magie Tamla Motown. L’Amérique entière jerkait sur le beat Tamla. Diana Ross, Florence Ballard et Mary Wilson enfilaient les hits planétaires comme des perles. Berry Gordy avait mis toutes ses ressources à leur disposition : l’orchestre maison, les fameux Funk Brothers et surtout ses compositeurs maison, des équipes qu’il payait à l’année pour composer des hits, notamment le trio Holland/Dozier/Holland. Berry Gordy avait construit un Brill Building à l’intérieur du Hitsville, USA. Il produisait ses hits à la chaîne. Motown devint l’un des plus gros labels indépendants d’Amérique. Un label de musique noire monté par un noir, c’était sans précédent dans un pays où la ségrégation régissait encore les codes sociaux, même après le vote des lois en faveur des civil rights. Les autres labels de musique noire étaient dirigés par des blancs (Chess, King, Fortune, Excello, Stax, etc.). Ces gens-là empochaient les pesetas et éprouvaient d’insurmontables difficultés à les redistribuer. Et on ne parle même pas des petits labels qui payaient les bluesmen noirs avec des bouteilles de whisky.

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    Pour protéger ses artistes, Berry Gordy a dû bâtir en empire. Tous les géants de la Soul étaient sur Motown : les Tempations, Smokey Robinson, Marvin Gaye, mais aussi les géantes : Martha Reeves, Mary Wells, les Supremes et des tas d’autres. Il existe une ribambelle de singles magiques. Puis quand le marché s’est transformé et que le public se mit à préférer les albums, Gordy a augmenté la cadence pour produire des albums à la chaîne.

    L’âge d’or des Supremes va en gros de 1962 à 1969. En 1970, Motown semblait avoir perdu son âme. Le son avait évolué, mais de façon bizarre. Obsédé par sa stratégie de pénétration du marché blanc, Gordy avait fini par blanchir le Motown Sound. La diskö acheva de détruire l’une des plus belles aventures de la musique moderne.

    Diana la rosse et Berry Gordy ont comme tout le monde publié leurs mémoires. Mary Wilson et Florence Ballard aussi, et il vaut peut-être mieux commencer par elles. Les témoignages des personnages de second plan sont toujours plus riches. D’autant plus qu’on découvre, à la lecture des souvenirs de Florence et de Mary que Diana Ross portait bien son nom : une vraie rosse, capable de tout pour réussir.

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    C’est Florence Ballard qui est à l’origine du groupe. Le nom du trio, c’est elle qui le propose. Elle aurait dû devenir riche comme Diana et vivre heureuse. Mais la machine Ross/Gordy l’a broyée. Son histoire racontée dans le petit livre de Peter Benjaminson, The Lost Supreme, est une véritable tragédie. À 21 ans, Flo était une superstar. À 32 ans, elle mourait dans la pauvreté. En dix ans, elle est passée du statut de superstar à celui de RMIste, avec trois fillettes à charge et un mari absent. Elle est morte d’un accident coronarien. Devenue dépressive, elle buvait de la bière et se croyait alcoolique. Atroce. La seule qui l’aidait un peu, c’était Mary Wilson.

    Dans son admirable introduction, Benjaminson affirme que des trois Supremes, Flo avait la plus belle voix et qu’elle pouvait rivaliser de Soul power avec Aretha. Il dit plus loin qu’elle était grande, sensuelle et dotée d’un caractère indépendant, comme Martha Reeves et Mary Wells qui quittèrent Motown assez rapidement, lassées de se faire plumer vivantes. Flo savait aussi composer, mais pour une raison qui lui échappait, Berry Gordy ne voulait pas de ses chansons, alors que les autres Supremes les trouvaient bonnes - For some reason, me and Berry didn’t click.

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    Des trois amies d’enfance, Diana était la plus déterminée. Elle impressionnait Berry Gordy par sa pugnacité, son ambition et son talent. Qui se ressemble s’assemble, dit-on. Et Ross admirait Gordy pour les mêmes raisons. Non seulement elle le vénérait, mais elle flirtait avec lui et fit tout pour se le farcir. Leur relation débuta en 1965 et malheur à celles qui allaient essayer d’entraver l’ascension de Diana Ross. Les anecdotes concernant son comportement odieux vis-à-vis de Mary et de Flo pullulent. Ross arrachait des micros des mains des autres et manipulait Berry pour que les Supremes deviennent le backing band de Diana Ross, ce qui finit par se produire. Et au passage, Flo fut éjectée sans ménagement, car sa classe faisait de l’ombre à Diana Ross.

    L’autre aspect terrible de cette époque est le rapport à l’argent. Au terme d’une première tournée de trois mois à travers les USA et avec un numéro un au hit-parade, elles n’avaient pas un rond. On avait défalqué tous leurs frais des recettes de la tournées : publicité, chambres d’hôtels et sandwiches. C’était inscrit dans leur contrat. Elles devaient rembourser tous les frais occasionnés. Bien sûr, on ne leur montrait pas les comptes. Flo : « We were just working and Berry Gordy was the pimp. » Flo traite Berry de mac et elle a raison. Il était le seul à s’enrichir et les artistes ne gagnaient pas un rond. Elle signèrent un nouveau contrat : leur salaire de 50 $ par semaine passa à 225 $. Gordy leur expliquait que l’argent des royalties qui coulait à flots était investi sur un compte, dans leur intérêt, bien sûr. Flo ne vit jamais cet argent. Benjaminson estime qu’on lui devait plusieurs millions de dollars, car les Supremes vendaient des millions de disques et se trouvaient au sommet des charts du monde entier. Les filles ne savaient pas à l’époque qu’il fallait demander à voir les comptes et payer un avocat.

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    Flo fut virée des Supremes à l’été 1967 par Gordy.

    — You’re fired !

    — I’m what ?

    — You’re fired !

    — I’m not !

    Flo eut beau lutter, elle était foutue. Elle n’avait que 24 ans et Gordy l’avait brisée net. L’épisode vida Flo de toute son énergie et de toute sa joie de vivre. Cet été-là, les Supremes devinrent Diana Ross and The Supremes. Gordy voulait faire de Diana une superstar, il fallait que Flo dégage. Un nommé Michael Roshkind lui fit signer un document certifiant qu’elle n’était plus rien et qu’elle renonçait à tout. Choquée, elle refusa de signer ce torchon, puis brisée par le chagrin et par un tel affront, elle finit par le signer et éclata en sanglots. Elle se ressaisit un peu plus tard en engageant Leonard Baun qui réussit à obtenir des sommes importantes en guise de dédommagement (environ 500 000 $) mais la pauvre Flo ne palpa pas un seul billet, car évidemment l’avocat Baun empocha tout. Elle entra dans le tourbillon judiciaire pour essayer d’obtenir justice et de récupérer son bien, mais c’était trop tard. Elle n’avait plus un rond, plus de maison, plus de bagnole, plus de mari et donc plus les moyens de se battre. Les deux ou trois tentatives de redémarrage de sa carrière se soldèrent par des flops inexplicables. Elle comprit alors qu’il ne lui restait plus qu’une seule chose à faire : disparaître. Ce qu’elle fit. L’horreur, c’est que Diana Ross ramena sa fraise aux obsèques alors qu’elle n’était pas invitée et qu’elle se fit photographier avec Lisa, la plus petite des trois filles de Flo. Bien entendu, la photo fit le tour du monde. Une fois la foule partie, il ne restait plus autour de la tombe que Mary Wilson, les Four Tops et les proches de Flo. Zola aurait pu écrire cette histoire terrible.

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    Dans ses deux livres de souvenirs, Mary Wilson règle aussi ses comptes avec cette rosse de Diane - She has done many things to hurt, humiliate and upset me, but strangely I still love her - Mary Wilson est une nature étrange, elle a su écraser sa banane au moment où on virait sa copine Flo comme une chienne. Mary est la Supreme qui a tenu le plus longtemps. Elle dut même affronter Berry Gordy qui ne voulait plus entendre parler des Supremes, puisqu’il finançait la carrière de Diana Ross. Mary raconte aussi que cette rosse de Diane s’est frittée avec toutes les stars de Motown : Mary Wells, Dee Dee Sharp, Brenda Holloway et surtout Martha Reeves. Elle raconte aussi comment cette rosse monopolisait les interviews en répondant aux questions posées à Flo et à Mary. Bien sûr, ce livre n’a d’intérêt que pour l’hommage rendu à Flo. Aux yeux de Mary, Flo était la meilleure. Elle sonnait comme Aretha. Mary vit aussi Flo commencer à sombrer. Elle picolait et prenait du poids, ce que lui reprocha Gordy un soir dans un club :

    — Tu dois perdre du poids ! You are much too fat !

    — J’en ai rien à foutre de ce que tu penses ! Et elle lui balança son verre à la figure et sortit du club en trombe. Elle venait de se faire un ennemi qui allait avoir sa peau. Pour corser l’affaire, Flo ne venait plus aux concerts et les Supremes devaient chanter à deux. Alors Gordy décida de chercher une remplaçante. Il lui redonna une chance, mais dès qu’elle prenait un verre, Diana appelait Berry. Ça ne pouvait plus durer. Elle fut convoquée dans le bureau de Berry Gordy. Comme Peter Benjaminson, Mary Wilson revient sur ce sinistre épisode. Flo arriva accompagnée par sa mère. Mary et Diane assistaient aussi à la sombre. Flo réussit à garder son sang-froid, mais sa mère éclata en sanglots quand Berry lui expliqua que sa fille ne voulait plus faire partie des Supremes. Une fois Flo et sa mère parties, Berry et Diane semblèrent soulagés. Cette sale rosse de Diane lança :

    — Free at last, great God Almighty !

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    Mary se demandait comment ces deux-là pouvaient être aussi heureux après une exécution. On trouve aussi des pages fascinantes sur la première tournée des Supremes en 1962, les fameux packages Motor City en autobus avec les Miracles, les Marvelettes, les Contours, les Temptations, les Velvelettes, Stevie Wonder, Marvin Gaye et Mary Wells. Et bien sûr, elle évoque le racisme ordinaire en Alabama, illustré par des coups de feu dans la carlingue du bus et la panique à bord. Mais les pages les plus fascinante sont les passages plus féminins dans lesquels Mary décrit à longueur de page des séances de maquillage, les cours de style et les sommes vertigineuses investies dans la garde-robe des trois stars. Elle revient longuement sur Gordy dans son deuxième livre, Supreme Faith. Elle l’affronte pour essayer de sauver les Supremes mais elle ne fait pas le poids. Elle raconte que Gordy a tout appris à Diane et que la différence qui existait entre eux était que Gordy pouvait charmer un serpent, ce que Diane ne savait pas faire. Un peu amère, Mary concède que Motown, comme tous les autres labels de l’époque, n’avait absolument aucune considération pour les artistes. Le conseil qu’elle donne aux débutants est de comprendre le fonctionnement du show-business pour essayer ne pas se faire avoir. Et lorsqu’elle visite le musée Motown à Detroit, elle est complètement écœurée : sur les photos des Supremes, Flo a disparu. Comme si elle n’avait jamais existé. Berry Gordy pourrait bien être le Staline de la Soul music.

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    Le premier album des Supremes sortit en 1962. Il n’y avait pas de quoi se rouler par terre avec Meet The Supremes. C’était encore l’époque de la petite pop de salon de thé, une époque où on dégustait des macarons avec la voisine du rez-de-chaussée de l’avenue Montaigne. Cette musique dansait mollement dans les rideaux de taffetas rose. Gordy composait des slows ineptes et Diana et ses copines se livraient à des petites tentatives de mambo. Le seul cut dansant sur cet album était « You Bring Back Memory », l’un des premiers standards de r’n’b. On les sentait déterminées à danser le jerk de l’oie au bord de la piscine municipale. « Time Changes Things » semblait préfigurer les futurs grands hits classieux des Supremes. Un petit brin d’enchantement se dégageait de ce mid-tempo mambique, morceau plutôt agréable et visité par un solo de guitare féérique. Diana chasseresse se montrait déjà délicieusement persuasive.

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    Avec Where Did Our Love Go, on passait aux choses sérieuses. Le morceau titre de l’album était un hit sixties de la meilleure catégorie, secoué de clap-hands et de doublettes de basse. On voyait en rêve éveillé la tête de James Jamerson dodeliner au fil du beat. C’était magnifique d’élégance soul, on avait là le miel de la Detroit Soul, la pierre philosophale de l’Oncle Paul. À partir de là, elles n’allaient plus arrêter de pondre des œufs d’or : « Run Run Run » (chanté à la pince à linge, avec tout le chien des villes du Nord, pas de gras, comme chez Stax), « Baby Love » (l’effarant voile de beauté vert et brune s’abattit sur la planète, à l’image de cette pochette qui faisait rêver les ados romantiques) et surtout « Ask Any Girl » (beat suprême et enjôleur, la Soul de rêve, prodigieusement mélodique et fendeuse de cœurs, chargée de toute l’insolence de la gloire de Diana chasseresse, qui ne lâchait plus le manche du charme. Sa voix planait dans toutes les dimensions, elle filait comme une traînée d’étoiles dans le dessin animé de nos pauvres vies esquintées par la brutalité du monde adulte).

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    Sur A Bit Of Liverpool, on trouve quelques cuts des Beatles, mais aussi d’autres choses comme « House Of The Rising Sun » où elles essaient de grimper toutes les trois, mais il manque la viande d’Eric. C’est la B qui nous intéresse, car les covers des Beatles y sont brillantes, à commencer par « You Can’t Do That », chanté à la rosserie, véritable hit de jerk, suivi d’une version ballocharde de « Do You Love Me ». Mais les deux pures merveilles sont les covers de « Can’t Buy Me Love » (solidement swinguée, bien dans l’énergie des Beatles), et « I Want To Hold Your Hand » qu’elles cherchent à magnifier en démultipliant les harmoniques de la féminisation outrancière. Elles vont même jusqu’à détroitiser les Beatles.

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    Autre coup de Jarnac : We Remember Sam Cooke paru en 1965. Elles sertissent « Cupid » sur la couronne de leur féminité et chantent « Chain Gang » en cadence, comme des forçats en pyjama de soie. Elles tapent ensuite dans le gros hit de Sam, « Bring It On Home To Me ». On entend Mary et Flo faire yeah derrière la Ross. C’est aussi en B que ça se corse, avec « Havin’ A Party », un vrai hit de r’n’b, pour jus de Supremes. Mary et Flo font yeah yeah yeah derrière la Ross. Elles tapent ensuite une belle version de « Shake » et le swinguent à la bonne rosserie. La perle de l’album est sans aucun doute la version d’« A Change Is Gonna Come », chanté au chat perché de rêve et admirablement violonné - It’s a long long long time comin’ but I know a change is gonna come - Il semble que Marvin ait pris la suite de ce classique immensément beau. Elles terminent avec une énorme version d’« (Ain’t That) Good News ». On y admire principalement leur port altier.

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    L’album live At The Copa qui sort en 1965 fonctionne comme un bon documentaire. Oh, ce n’est pas Jerry Lee au Star Club de Hambourg. On est même aux antipodes et si on espère entendre du r’n’n endiablé, c’est raté. Diana, Mary et Flo se livraient plutôt à un numéro de music-hall et elles tapaient dans le registre des grandes chanteuses de jazz qui les avaient précédées. On ne trouvait que deux classiques de r’n’b sur ce disque : « Stop In The Name of Love », cuivré et emmené sur un beat palpitant, avec un petit vent magique, et « Back In My Arms Again », où on entend les accompagnateurs taper comme des sauvages derrière. Une vraie pétaudière.

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    La même année parut More Hits By The Supremes, un album beaucoup plus consistant. On y retrouvait l’excellent « Ask Any Girl », une vraie bénédiction, puis « Nothing But Heartaches », une monstruosité, bassmatic, tambourins, tout y est et Diana drive tout ça avec une aisance confondante. Elle incarne le pur heartbeat des sixties, l’alliance supérieure du beat masculin et du charme féminin. Le beau rouge turgescent coulisse à merveille dans le swing de voix féminine. Avec « Mother Dear », on savoure l’élégance supérieure d’une attaque de doux beat doux wah. Diana chasseresse se glisse dans le bleu de la nuit de Detroit. La véritable élégance de la Soul Motown, c’est elle qui l’incarne. Et paf ! « Stop In The Name Of Love » arrive comme un don du ciel. Certainement l’un des plus gros hits de tous les temps. Un phare dans la nuit des sixties. Les chœurs de Flo et Mary donnent le vertige. Et la production ? À tomber. Somptueuse et inégalable. Berry Grody avait réussi à créer une usine à rêves. Mais on ne pouvait pas tomber amoureux de Diana Ross parce qu’elle était trop flamboyante. Avec « Back In My Arms Again », c’est la suite - et jamais fin -  de la magie suprême. Elles enchaînaient les hits comme des perles, alors forcément, elles distançaient les concurrentes. Et avec quelle aisance ! Tambourins et big bassmatic sur « Whisper You Love Me Boy ». Elles sont littéralement portées par le son. James Jamerson rôde toujours dans les parages, sous la surface des choses.

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    En 1966, on est au cœur de l’âge d’or Motown. Les Supremes sortent deux albums : A Go-Go et I Hear A Symphony. A Go-Go contient son petit lot d’énormités, comme par exemple « Love Is Like An Itching In My Heart », Soul magique de sucre d’orge chantée d’une voix de pinsonne éberluée, archétype des années légères et lumineuses. Et le festival continue avec « This Old Heart of Mine », nouvelle conjugaison coulissante du gros beat et du softy softah moelleux. « You Can’t Hurry Love » est un autre hit déterminant des sixties, chanté avec charme mais sans puissance, juste une ampleur bien définie, un petit côté féérique. Diana monte dans son registre en sucre d’orge et chante à merveille le tranché du beau. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin de cet album mirobolant. Il semblait à l’époque que Diana Ross incarnait une certaine forme d’aristocratie de la Soul. On la sentait un peu princesse. James Jamerson fait un numéro de haute voltige dans la reprise de « These Boots Are Made For Walking ». Sur la B se nichait un autre hit exceptionnel, « I Can’t Help Myself », gorgé de l’excellence du groove jerky. Jamerson nous pulsait ça au prorata de l’élégance suprême. Diana chasseresse modulait à l’infini le doux sucré du miel de voix et nous embobinait pour de bon. Elles finissaient l’album avec deux curiosité kitschy-bitchy, « Come And Get These Memories » (un hit composé pour Martha & the Vandellas qu’elles traitent au mid-tempo joliment swingué) et « Hang On Sloopy » (bien mambique, dans l’esprit de ce que faisait Bert Berns, grand amateur de rythmes cubains).

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    On se régale tout autant d’I Hear A Symphony. Le morceau titre relève une fois de plus de la magie. Les Supremes étaient probablement les seules à savoir proposer ce mélange de puissance rythmique et de délicatesse vocale. Diana Ross était une petite personne raffinée au grain de voix sucré et pointu. C’est ce mélange qui a fait la force des Supremes. Les trésors se trouvent sur la B. « My World Is Empty Without You » illustre la grandeur du Motown Sound. On le sucré et la beauté. On sent bien que ces hits de Soul étaient destinés à traverser les siècles, car ils étaient parfaits. Grande classe encore avec « Any Girl In Love », chœurs à la clé et toute l’innocence des petites blackettes de Detroit. Lamont Dozier et les deux Holland fourbissaient des compos de rêve. Ces trois mecs savaient swinguer la beauté formelle. Dans ce morceau, on retrouve l’éclat magique de « Jimmy Mack », lorsque les voix croisent les notes de basse dans les octaves. Ultime énormité avec « He’s All I Got », swingué à la manière forte.

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    The Supremes Sing Holland Dozier Holland et The Supremes Sing Motown proposent exactement les mêmes morceaux. Ils font partie des très grands albums des Supremes. La fiesta commence avec « You Keep Me Hangin’ On », encore un hit absolu des sixties. L’an prochain il aura cinquante ans d’âge et il n’a pas pris une seule ride. On a un groove suprême avec « Love Is Love And Now You’re Gone ». Comme Esther Phillips, les Supremes définissent les conditions des jours heureux. Elles flottent au sommet de la légende Motown. Dans « Mother You Smother You », Diana se tortille au sommet du beat gracile. Cut après cut, on patauge dans l’excellence. « It’s The Same Old Song » fut composé par le trio pour les Four Tops et elles en font une version fraîche et juteuse. Encore un merveilleux jerk de cave avec « Going Down For The Third Time » et retour à la good time music avec « Love Is In Our Hearts », excellence de la belle ambiance, groove princier et harmonies vocales sucrées. Que te faut-il de plus ? C’est à ce genre de morceau enchanté qu’on mesure le talent des compositeurs. À ce niveau d’excellence, on pense à Burt Bacharach et à Gainsbarre. Beau jerk des familles avec « There’s No Stopping Us Now ». Ça repart au tambourin et aux doublettes de basse jumpy. C’est hallucinant de grandeur productiviste. Diana et ses amies restent perchées au sommet de l’excitation. Elles ont su rendre leur époque délicate.

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    Avec The Supremes Sing Rogers & Hart, on se retrouve à Broadway. Little Willie John rêvait de devenir Frank Sinatra. Les Supremes devaient rêver de devenir Liza Minnelli. Sur cet album, elle étaient accompagnées par un big band. La seule trace du Motown sound, c’était la voix sucrée de Diana. En B, elles revenaient enfin au son de base avec « My Heart Stand Still » et retrouvaient tous les tenants et les aboutissants du beat Moyown, veiné de frais, vibrant d’allure, palpitant et arrogant. La perle de cet album s’intitulait « Falling In Love With You », une jolie pièce de good time music qui rappelait à quel point les Supremes se situaient dans l’excellence.

    C’est à là que Flo est virée. Pendant que Diana Ross et les Supremes se produisent dans les clubs prestigieux, Flo sort chaque nuit après que ses filles se soient endormies et roule dans les rues de Detroit jusqu’à l’aube en écoutant les cassettes de son ancien groupe. Et quand elle n’aura plus de bagnole, elle marchera des nuits entières, errant dans les quartiers au hasard - It was like I was in a daze. It was like I didn’t care anymore. I had given up - Flo avait renoncé définitivement.

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    Attention : Diana Ross & The Supremes Join The Temptations est une bombe atomique. En matière de Soul suprême, il n’existe rien au dessus de cet album. C’est le super-groove de Detroit, embarque par Eddie Kendricks d’un côté, et de l’autre, Diana, Mary et Cindy Birdsong, la remplaçante de Flo. « Ain’t No Mountain High Enough », c’est tout simplement la Soul du diable. Le mélange des genres donne le vertige. Eddie et Diana, c’est une expérience extrême. « I’m Gonna Make You Love Me » atteint les sommets. Diana essaie de monter comme Eddie, mais elle peine à suivre ce démon. Ils tapent dans Burt avec « This Guy’s In Love With You ». C’est mélodiquement pur, une vraie plage de bonté pour l’esprit. Mielleux à souhait, la Soul à son sommet, dotée de contrechants à l’unisson du saucisson. Mais là où ils dépassent les bornes, c’est avec la version de « Funky Broadway ». C’est d’une violence indescriptible. Diana arrive là-dedans comme un ange de la mort noire. En B gigotent d’autres puissantes merveilles, comme « I’ll Try Something New » et son mélange capiteux des deux tons de Soul. Mais les Temptations swinguent dix mille fois plus que les Supremes. James Jamerson démarre « A Place In The Sun » à la basse. « Sweet Inspiration » est un fantastique jerk de grosse caisse secoué aux clap-hands et emmené à l’énergie du gospel batch. Imbattable. Et ils osent taper dans l’inaccessible étoile de Jacques Brel. Ils essaient de monter, mais c’est impossible. Personne ne peut aller rejoindre Brel là-haut.

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    Reflections assoit encore un peu plus la suprématie des Supremes. Que de hits Motown sur cet album Motown ! Diana emmène tout le monde, y compris les auditeurs, dans son chariot de feu dès le premier cut qui est le morceau titre de l’album. Grimpage direct. Avec « I’m Gonna Make It », elle marie le suave et la Soul. Délicieuse union. Diana sucre les fraises de la Soul avec une fascinante ardeur. On passe à la pulsasivité inconditionnelle avec « Forever Came Today » que Diana drive à bride abattue. La Chasseresse file à travers les bois qui bordent le lac Michigan. Pour une fois, la déesse mythologique est noire. Ça nous change. En B, elle tape dans le vieux coucou de Burt déjà repris par Cilla, Jackie et Dusty chérie : « What The World Needs Now Is Love ». Diana ne peut pas résister à l’appel des stratosphères. Mais dans l’esprit, elle est beaucoup plus soft que ses collègues. Elle ne recherche pas la performance physique, ce n’est pas son style. Diana est une suave, une féline. Elle boucle l’affaire avec une reprise d’« Ode To Billy Joe ». Elle prend ça d’une voix blanche, mais désolé, Diana, on préfère Bobbie Gentry.

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    Nouvel album collaboratif avec les Temptations la même année : The Original Soundtrack Of TCB (Taking Care of Business). Ça explose dès « Stop In The Name Of Love ». On retrouve ce qui fait la magie des sixties - My name is Diana Ross, this is Mary Wilson and that’s Cindy Birdsong. Our business is singing - Elles font une fantastique reprise du hit des Four Tops, « You Keep Me Hanging On » et on passe au génie pur avec le « Get Ready » des Temptations - Here come the Tempts ! - C’est embarqué à train d’enfer. Plus loin, les Supremes balancent un medley « Mrs Robinson/Eleanor Rigby » et les Tempts se cognent le « Respect » d’Aretha. En B, on retrouve le hit des enfers définitif, « (I Know) I’m Losing You » et ils terminent avec un version un peu pauvre de « The Impossible Dream ». Tout le monde n’est pas Cézanne, nous nous contenterons de peu, disait Aragon. Même chose pour Brel. Le seul qui puisse l’approcher, c’est Scott Walker.

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    On crut bien que les Supremes étaient foutues en 1968, avec la sortie de Love Child. Le morceau titre sonnait comme de la diskö violonnée, et ça illustrait toute la dérive du Motown sound. Pour les fans de la première heure, ce fut un sale moment à passer. Berk ! Motown ressemblait à une vieille tante. Mais Diana n’avait pas dit son dernier mot. « How Long Has That Evening Train Been Gone » renouait avec le beat SNCF et on entendait Jamerson faire un festival. Du coup, ça redonnait espoir car ça jouait à la haute voltige. Diana et James Jamerson, c’était un peu l’âme de Motown. Jamerson remontait au front avec « Honey Bee ». Il ressortait le dynamic bassmatic des Four Tops. Fucking enormity ! On avait là une véritable horreur de raw r’n’b avec des chœurs à la traîne, et comme chez les Four Tops, ça roulait sur des grosses notes de basse. Jamerson était le roi du big bass romp. S’ensuivait une autre pièce d’allure supérieure, « Some Things You Never Get Used To ». On sentait que Diana retrouvait son éclat dès qu’elle avait un gros cut à se mettre sous la dent. Elle savait dégager le passage. Elle nous sortait ensuite un joli groove des jours heureux, « He’s My Sunny Boy », et elle poursuivait sa fantastique croisade avec « You’ve Been So Wonderful To Me », pur chef-d’œuvre de good time music. Elle étendait son empire à l’infini, elle chantait son groove avec une sensualité de lèvres humides, elle en devenait hallucinante, elle se lovait dans le creux de l’oreille et on tombait définitivement sous le charme de cette rosse infernale. Elle s’introduisait aussi dans le groove de « You Ain’t Livin’ Till You’re Lovin’ » comme une petite souris. Elle chantait au sucre d’orge magique. Et elle finissait avec deux énormités cavalantes, « I’ll Set You Free », digne de Hangin’ On, et là, elle explosait la Soul, elle grimpait si haut qu’elle donnait le vertige, et « Can’t Shake It Loose », une énormité à tomber de sa chaise.

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    Petit album live vite fait la même année avec Live At London’s Talk Of The Town. Diana et ses copines sont accompagnées par un grand orchestre et donc elles peuvent se permettre de taper dans le music-hall. Elles font ce que tous les artistes de r’n’b faisaient à l’époque, des medleys. C’est assurément du grand cru. Parmi les bonnes surprises, on trouve une version fantastique de « Love Is Here And Now You’re Gone ». Diana embarque le public londonien dans sa pop fraîche et parfaite. Une pop parfaite, comme peut l’être une femme dans le regard d’un homme. On ne voit plus les défauts et on s’émerveille. Elles font une version ultra-rapide de « You Keep Me Hanging On » et un medley beatlemaniaque avec « Michelle » et « Yesterday ». Diana chante le début de Michelle en Français - sont des motes qui vont tlès bien ensemble - Elles avaient toutes les trois une classe terrible.

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    Paru en 1969, Let The Sunshine In sentait un peu la fin des haricots. Avec « No Matter What Sign You Are », elles revenaient à une sorte de pop soul funky de bon niveau. Diana conservait ses réflexes de reine des rosses et chantait sa belle pièce de sunshine pop violonnée avec la grâce habituelle. Il fallait attendre la fin de la B pour retrouver un hit digne des Supremes de la grande époque. Avec « I’m So Glad I Got Somebody », elle reprenait le beat en main et refabulait la Soul, comme au bon vieux temps.

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    La même année, sortait un nouvel album de collaboration avec les Temptations, Together. Il faut voir comment les Temptations relèvent le niveau de la Soul. C’est flagrant dès « Stubborn Kind Of Fellow ». Diana essaie de rivaliser de génie avec eux. Ils continuent d’exploser la Soul avec « I’ll Be Doggone ». Diana entre au second couplet. Elle a un sacré toupet. Elle ose se faufiler entre les pattes des géants pour tenter de s’imposer. Hey hey hey, les gars envoient ces chœurs de background dont ils ont le secret. Et puis on tombe de sa chaise avec « Uptight (Everything’s Alright) », l’un des plus grands hits Motown, l’absolue puissance du beat Tamla. C’est eux, les Temptations, qui l’incarnent. Diana rentre bien dans le lard du cut. Elle peut être fantastique quand elle veut. D’autres monstruosités guettent l’imprudent visiteur en B, comme par exemple ce « Sing A Simple Song » qui conduit droit à l’enfer un peu funky des Temptations. Ah, ils savent dégommer un hit, ces mecs-là ! Et Diana entre dans le cirque en vraie shouteuse de la victoire. Puis ils tapent dans le grand hit de Smokey Robinson, « My Guy My Girl ». C’est ultra-joué à la basse. À la reprise du thème, David Ruffin nous enfume comme des lapins dans un terrier. Ce mec joue avec le miel du génie. Rien n’est aussi doux à l’âme que le son des Temptations. Diana revient et David lui donne la réplique, alors tout le boisseau monte tranquillement au ciel. Vous ne trouverez pas beaucoup d’albums qui frisent autant la perfection que celui-ci.

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    Cream Of The Crop parut aussi en 1969, année érotique. On s’attendait à une sorte de déclin, à cause la pochette où Diana paraît en gros plan coiffé d’une atroce perruque. Mais l’album est encore très solide. Avec « Can’t You See It’s Me », Diana et ses collègues reviennent au pur jus r’n’b des Supremes, langueur et classe. Elles restent dans ces haut de gamme auquel elles nous ont habitués. « You Gave Me Love » est aussi une vraie chanson, dans la tradition Tamla, montée sur un beat imparable. Et on entend la basse de Jamerson cavaler derrière. Elles font une reprise de « Hey Jude » puissante car entièrement jouée à la basse. Il faut entendre cette bassline voyager dans le fond du studio B. Jamerson joue les effrontés avec un son rond et terriblement présent. Pour le final, Diana a tente d’égaler McCartney, mais elle se contente de pousser des petits cris de hyène lubrique. On retrouve ce fantastique travail de bassmatic dans « Shadows Of Society ». Encore une fois, c’est Jamerson qui porte le poids du monde Motown. Il place de violents décrochages de gammes et des chevauchements de cordes intempestifs. Belle B avec « Loving You Is Better Than Ever », une vraie classe longiligne. Les Supremes naviguent à un tel niveau que rien ne saurait plus nous surprendre. Elles restent dans la grande veine des hits d’antan avec « When It’s To The Top » et on retourne faire une promenade de trois minutes dans le jardin magique de la Soul de rêve. On y retrouve Diana et les violonnades des jours heureux. Elles tapent aussi dans « Blowing In The Wind », mais franchement, elles auraient mieux fait de s’abstenir.

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    À une époque, on trouvait en DVD les vieux rogatons d’Ed Sullivan et c’était l’occasion de revoir les Supremes de l’âge d’or. On peut même parler de magie avec « Come See About Me ». On ne voit que Flo, la plus petite des trois, la plus racée et dotée d’une poitrine avantageuse. Mary est la plus grande des trois et les gros yeux globuleux de Diane la Ross choquent un peu. Tout aussi magique, « Love Is Like An Itching In My Heart », mais Flo et Mary sont cette fois très en retrait. Elles portent des robes jaunes et dansent le jerk. Il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie, car c’est exceptionnel. On peut aussi voir « I’m Living In Shame » mais Flo vient d’être virée. Le groupe s’appelle désormais Diana Ross & the Supremes.

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    Puisqu’on est dans les DVD, l’idéal est aussi de pouvoir jeter un œil sur Dreamgirls, l’adaptation cinématograhique ultra-romancée de l’histoire des Supremes. La grosse Jennifer Hudson joue le rôle de Flo et chante comme Aretha. Elle est la révélation de ce film. De la même façon que les Supremes s’appelaient les Primettes, les filles s’appellent les Dreamettes. Lors d’un concours à Detroit, elles sont repérées par Jamie Foxx qui joue bien sûr le rôle de Berry Gordy. Mary et Diana sont un peu effacées. Comme dans la vraie histoire, Berry passe Dina/Diane au premier plan. Effie/Flo le prend mal et Berry lui donne l’ordre de se calmer, sinon... Sinon quoi, trésor ? Il finit par virer Effie/Flo le soir du Motor City’s Burning, baby. Le groupe devient Dina Jones & the Dreams. L’autre personnage clé du film est joué par Eddie Murphy qui campe un sulfureux mélange de Wilson Pickett et de Marvin Gaye, puisqu’on le voit chanter vers la fin un groove coiffé d’un bonnet de laine. La fin du film est beaucoup plus morale que la réalité, puisque Effie/Flo retrouve un job de chanteuse dans un club et le soir du concert d’adieu des Supremes, elle est même invitée à chanter sur scène avec les trois autres. Berry Gordy ne sort pas grandi de ce film. On y voit un dictateur qui gère la vie de ses artistes jusque dans le moindre détail. Un soir, il dit à Dina/Diana : « Tu sais pourquoi tu chantes en lead ? Parce que ta voix n’a aucune profondeur, sauf la mienne. » Ce qui explique pourquoi il s’est débarrassé de Flo.

    Signé : Cazengler, Sousprême

    Supremes. Meet The Supremes. Motown 1962

    Supremes. Where Did Our Love Go. Motown 1964

    Supremes. A Bit Of Liverpool. Motown 1964

    Supremes. We Remember Sam Cooke. Motown 1965

    Supremes. At The Copa. Motown 1965

    Supremes. More Hits By The Supremes. Motown 1965

    Supremes. A Go-Go. Motown 1966

    Supremes. I Hear A Symphony. Motown 1966

    Supremes. The Supremes Sing Hollan Dozier Holland. Motown 1966

    Supremes. The Supremes Sing Motown. Motown 1967

    Supremes. The Supremes Sing Rogers & Hart. Motown 1967

    Diana Ross & The Supremes Join The Temptations. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Reflections. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes With The Temptations. The original Soundtrack From TCB. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Love Child. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Live At London’s Talk Of The Town. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Let The Sunshine In. Motown 1969

    Diana Ross & The Supremes. Together. Motown 1969

    Diana Ross & The Supremes. Cream Of The Crop. Motown 1969

    Peter Benjaminson. The Lost Supreme. The Life Of Dreamgirl Florence Ballard. Lawrence Hill Books 2008

    Mary Wilson. Dreamgirl - My Life as A Supreme. Cooper Square Press 1999

    Mary Wilson. Faithfull. Harpercollins 1990

    Bill Comdon. Dreamgirls. DVD 2007

    Ed Sullivan Show. The Temptations & The Supremes. DVD Eagle Vision

     

    BACKSTAB

    CÖRRUPT

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    Je n'ai jamais aimé les maths – ceci n'est pas l'expression d'un racisme primaire, ce sont les maths qui ont été incapables de s'infiltrer dans les complexes réseaux de neurones qui forment ma vaste intelligence - par contre je n'ai jamais eu de difficulté particulière pour entrer en communion avec le mathcore. Qu'est-ce que cette abomination encore demanderont les lecteurs excédés de ces rencontres chadiennes envers des groupes radicalement bruiteux. C'est vrai que hier encore je ne connaissais par Cörrupt mais l'appellation incontrôlée aperçue sur le net ( I'm the midnight rambler ) m'a attiré. Des gens qui cherchent à vous corrompre parce qu'eux-mêmes s'estiment corrompus ne sauraient nous effrayer, ils ressemblent tellement à notre société qu'ils sont inscrits dans notre quotidienne normalité. Ou alors ils se contentent de nous tendre un miroir dans lequel nous sommes obligés de reconnaître que notre tête est particulièrement gorgonesque. Avant d'écouter nos Corrüpt, une leçon de math de rattrapage pour les cancrelats auprès du radiateur. En ses débuts, en ses prémices, le noise-rock cherchait avant tout à faire du bruit. Cela vous avait un petit côté anti-bourgeois léniniste, cependant avec le temps il fut urgent et nécessaire d'argumenter et de revendiquer intellectuellement ce parti-pris de tonitruance, je vous dérange, c'est bien fait contre vous, j'exprime ma différence, du coup le noise est devenu un rameau arty qui mêlait esthétisme, futurisme et décadentisme. Reproches et critiques n'ont pas tardé à fuser : c'est du n'importe quoi, du vulgaire boucan, des trucs simplistes que voulez faire passer pour du grand art, c'est alors que le mathcore se mit en place, le noise est devenu plus difficile qu'une équation du dix-septième degré, certains affirment que le germe fatal du mathcore se niche dans les compositions de King Crimson, pourquoi pas remonter jusqu'au Manifeste intitulé L'art des bruits paru en 1913 de l'expérimentateur Luigi Russolo...

    De toutes les manières toutes ces subdivisions métallifères possèdent des frontières poreuses, et Cörrupt peut aussi cocher les cases death, black et hardcore. Le groupe existe depuis une dizaine d'années, sont obligatoirement quatre à l'image des sergents de la Rochelle dont ils proviennent, Greg War est au chant, Renaud Galliot à la guitare, Florian Piet à la basse, Pablo Fathi occupe le poste de batteur, nous l'avons déjà rencontré puisqu'il officie aussi à cette pelleteuse dans UnCut ( voir notre livraison 494 du 21 / 01 / 2021 ).

    Backstab est leur premier EP, l'est sorti en 2017, sont en train de bosser le suivant. Backstab signifie coup de poignard dans le dos. Le dos du CD est d'ailleurs orné d'une illustration qui n'est pas sans rappeler le logo de Pogo Car Crash Control, comme quoi les mauvaises herbes se rencontrent toujours.

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    You are about to crack : grincement machiavélique suivi d'une parmentière de batterie particulièrement brutale, Greg a déclaré la guerre au vocal, il grogne tel un ours en cage qui brise les barreaux de ses dents et les écarte de ses griffes, âmes sensibles abstenez-vous, une fois sorti il se rue sur les visiteurs de la ménagerie et les écrabouille en purée sanguinolente, le pire c'est qu'ils se contrôlent, vous pensez que Cörrupt fonce à l'aveuglette pas du tout, ils sont du côté noir de l'intelligence de la force, une fureur calculée au millimètre près. Le morceau dépasse à peine les deux minutes, et c'est si bien calculé que vous ne vous en apercevez pas. Finally free : un bruit de ferraille rémoulante qui vient de loin et qui s'affirme, moteur qui prend son temps pour démarrer mais après rien ne l'arrêtera, implacable comme la lame des guillotines, des guitares qui pulsent, une batterie qui s'énerve grave, Greg qui hurle tandis que les autres emboutissent le son à coups de bulldozer. Eloignement progressif. Lorsque vous n'entendez plus rien, vous soupirez, vous croyiez qu'ils avaient tué le silence. Politicians on television : on n'a pas les paroles mais on les comprend, des guitares qui résonnent comme si Renaud et Florian s'en servaient comme des élastiques XXL pour expédier des harpons géants sur nos dirigeants mal-aimés, Greg récate les malotrus de son lance-flammes vocal, s'enfonce dans un hurlement infini suivi d'un long grésillement, le fuzzible des guitares a lâché. Your reality : une intro comme un jeu de quilles humaines dans lequel Greg lâche le boulet d'acier de son vocal qui décanille tout ce qui est debout, l'a son mot d'ordre, rien ne doit subsister, articulation guitare-batterie pour compter les cadavres, doit encore y avoir des survivants, les blindés font un demi-tour pour écraser tout ce qui ose bouger, la batterie s'active et mitraille sans rémission, notre réalité ne doit pas être jolie car la voix de Greg s'acharne sur elle, elle déverse dessus une benne à ordures géante qui vous ensevelit sous des immondices peu ragoûtants, des avions de chasse survolent longuement le champ de bataille, la voix sépulcrale de Greg plane sur les décombres, elle profère la victoire de la mort triomphatrice, et maintenant elle en appelle aux légions maudites des spectres qui envahissent la planète, les guitares se taisent lorsque l'étiage supérieur est atteint. L'on entend une mouche voler.

    L'ensemble ne dure même pas treize minutes, mais l'EP est une démonstration parfaite d'un savoir-faire supérieur, ces quatre gars sont habités par l'esprit du Metal, de véritables illuminés. L'on attend le futur artwork. Devrait paraître sous le titre de You are all fakers, doit-on en conclure qu'ils ne sont pas décidés à nous passer la brosse à reluire, ils préfèrent user du fouet à pointes d'acier. Sont pour les thérapies de choc. N'ont pas tort, car des EP de cette facture vous requinquent le moral jusqu'à la fin de l'année.

    Damie Chad.

    ASK THE DUST

    ANASAZI

    ( Avril 2018 )

     

    Lorsque dans notre livraison 496 nous nous étions intéressés à Croak nous avions appris que toute une partie de Croak était formé par des membres d'Anasazi, une excuse idéale toute trouvée pour jeter un œil perçant sur ce groupe que nous ne connaissions pas. J'ai bien dit œil et pas esgourde car la pochette de leur dernier album entrevu au hasard de mes pérégrinations nettiques avait déjà attiré mon attention... Ask the Dust est leur cinquième album paru en 2018, ils travaillent actuellement sur le prochain Cause et Conséquences - un titre très aristotélicien - ils ont aussi deux EP à leur actif... Anasazi originaire de Grenoble est né en 2004.

    Mathieu Madani : vocal, guitare rythmique, keyboards / Christophe Blanc-Tailleur : basse, mixage / Bruno Saget : lead guitar / Anthony Barruel : drums.

    Un CD qui se regarde et qui se médite. Pas le genre de truc dont vous vous hâtez d'attraper la rondelle pour la glisser dans votre lecteur. La pochette exige une attention prolongée. Parce qu'elle est belle. Mais cela ne suffit pas. Grégory Pigeon est doué, aucun doute sur son habileté technique. C'est face à de telles réussites que l'on regrette les anciens formats des 33 tours... Mais il est des images qui disent davantage qu'elles ne montrent. Certaines mêmes vont plus loin, elles interrogent.

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    A priori un manège qui flotte sur la mer. L'on imagine l'anecdote, un raz-de-marée subit, un tsunami vindicatif qui aurait emporté une attraction foraine... Toutefois rappelons-nous que le propre d'un symbole est de désigner une réalité autre que celle que dévoile son aspect ( ici ) graphique. Serait-on en présence de l'ultime arche de Noé, non pas celle fondatrice de la race humaine, mais la dernière la conduisant à son extinction. Le manège tourne-t-il à vide comme ces moulins à prières tibétains que le vent affole. Et ses chevaux de bois ( ou de résine ) pourquoi ne galopent-ils pas sur les flots déchaînés, pourquoi menés par Poseidon ne se ruent-ils pas en vagues tumultueuses, tels les étalons écumeux de Walter Crane, sur les rivages... Ô Neptune, les Dieux sont-ils morts, et le monde est-il réduit à n'être plus que le réceptacle des vides épaves de nos rêves échouées sur d'infertiles îlots... Le dos de la pochette répond à cette question.

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    Ask the dust, titre d'un roman de John Fante, nous rappelle que tous nous sommes mortels, que nous retournerons tôt ou tard à la poussière, amis rockers, je sais ce n'est pas gai, mais Anasazi n'est pas groupe de rockabilly qui relate d'enjouées éjaculations sur la banquette arrière d'une Cadillac rose. Bonbon. Ce qui entre nous n'est pas désagréable et assure la propagation de l'espèce. Anasazy est un groupe de metal-prog dont les racines plongent jusqu'à Dream Theater qui lui n'hésite pas à citer Yes. Perso, là je dis No.

    Staring at the sun : cela commence tout doux, une espèce de mélodie folk qui s'assombrit peu à peu, l'innocence trompée qui redresse la tête tandis que la musique s'alourdit comme si toutes des quinze secondes l'on rajoutait quelques pistes de guitare supplémentaires, elle sonnait étrangement jusques à lors en tintements de cloche, et l'on débouche dans un long passage qui là aussi s'alourdit de séquence en séquence, guitare de plus en plus pesante et batterie claquante, le vocal se fait chant, le désespoir exacerbe la lucidité. Longtemps le soleil glapira sur votre pierre tombale. Miles away : guitare dénudée, la voix blanche et creuse, une ballade dépourvue de toute sentimentalité, un poule vidée de ses entrailles dont le sang goutte sur l'évier, une chanson sereine, celle de l'éloignement de soi et de l'arrachement des autres qui nous furent chers, une guitare rampante comme un feu qui s'avive sur le flanc d'une montagne, traversée des souffrances, subtiles orchestrations, la voix en ses propres échos comme perdue en son puits de liberté. Et de solitude. Les grands espaces, les miles away en surfaces corrigées, juste un coup de ciseaux sur les liens affectifs qui vous rattachent aux autres. Ce morceau git comme un poison d'autant plus définitif qu'il est facile à avaler. Feeling nothing : beaucoup plus sombre, guitare froissées, batterie qui décompte l'inéluctabilité du temps qui vous reste à vivre, Madani menace et sardonise, la voix de l'assassin qui prend son temps, certain que sa proie ne peut lui échapper, fait durer le plaisir, la musique se fêle comme du cristal, et tout se précipite, l'orchestration est le poignard avec lequel le killer se fera hara-kiri, le sang bat dans ses tempes tandis que des guitares moqueuses lui tirent des langues de vipère, vient de s'apercevoir qu'il est sa propre victime, baisse le ton, se parle à lui-même, le son lui parvient comme s'il provenait d'une radio qui traduirait ses propres sentiments, tout s'emmêle. Drift away : berceuse, celle de l'échec, celle du trop tard, la chanson amère des défaites consenties, dans le premier tiers l'orchestration est presque insupportable comme des reproches qui ne servent en rien, elle prend sa revanche dans la séquence médiane, occupe toute la place, se torsade et s'emmêle sur elle-même, un serpent désespéré qui ne se supporte plus et se transforme en une tresse de détresse mutilatoire, la voix revient, s'en mêle et domine, la musique se calme et se tait. Falling : l'on ne peut pas dire que les titres inclinent vers l'optimisme ! Pourtant pour une fois la voix se fond dans le background instrumental, du trompe-l'œil parce que bientôt elle s'exhausse du brouhaha et dresse l'inventaire d'un faux sursaut velléitaire de vouloir-vivre schopenhaurien, la guitare miaule sur les toits comme pour lui signifier qu'elle est son amie, qu'ils tomberont tous ensemble devant l'implacabilité du constat. Ce qui ne manque pas d'arriver. The second before : tic-tac tambouriné, notes égrenées qui ne sèment pas à tous vents, même si les guitares tournent les pages d'un livre déjà écrits, des voix qui viennent de partout, qui redisent la même chose, toute seule ou à plusieurs, qu'une seconde avant on aurait pu accéder à la lumière, mais que c'est raté, que c'est tant pis pour nous, les guitares se font consolantes, puis cette déconnexion soudaine à soi-même. Fausse porte de sortie. Still I can't hide : basse résonnante, une voix qui vient de loin, comme d'une brume qui l'isolerait d'elle-même, une ligne mélodique qui ramène le malheur au bout de son hameçon, pouvez le chanter avec toute l' intensité désirée, des cordes de plus en plus grinçantes, le rêve poursuivi se laisse prendre, s'insinue en vous, prend les commandes de votre cerveau, un cauchemar dont vous ne sortirez jamais. Déploiement lyrique de l'orchestration. Chut ! L'ombre grandit autour de vous. And the grudge ( still here ) : plus de huit minutes, l'on ne se méfie pas, semble la suite du précédent, mais les guitares bruissent et la batterie gronde en sourdine, tandis qu'une mélodie bat de l'aile telle un oiseau blessé, c'est le retour sur moi-même le déroulé d'un vécu qui quelque part a foiré, une valse qui déraille, ce fut beau et vivifiant, les guitares crépitent à la manière des feux de joie, le son devient plus fort, des arabesques orientales luisent de tous leurs festons, le vocal se fait accusateur, maintenant tout s'envole, est-ce moi, est-ce l'autre, mais tout a été ressenti si fort que la tête vous tourne telle un manège qui ne pourrait plus s'arrêter et se brise. Into the flood : quelques notes sépulcrales coulent comme des larmes, le temps de l'acceptation est venu, rien ne sert de vouloir survivre, tout est déjà consommé, des mots tous doux qui aspirent au néant, qui sont prononcés après la lutte et les débats, une triste histoire, si belle que l'on en ferait une chanson pour les enfants, les claviers prennent ici leur revanche, ils ont été tout le temps là en tant qu'accompagnateurs, mais ici et maintenant ils noient le morceau d'une musicalité irréelle. Once dead : que voulez-vous dire de plus un fois que vous avez atteint l'autre rive, quand on est mort on se tait, ce morceau est strictement musical. Le finale d'un opéra. Mort d'Isolde. Marche funèbre, comme si le héros refaisait une fois encore, du fond de sa tombe, le parcours non pas de sa vie, mais d'une existence. Grandiloquence mesurée. Sans doute ne valons-nous pas davantage. Silence. Ce n'est pas fini. Ask the dust : une dernière mélopée sur une guitare, une voix affadie comme si elle nous parlait d'outre-tombe, qui s'affirme qui ne nous révèlera rien, sinon que nous ne sommes que poussière. La musique coule et grince comme du sable qui s'écoule dans le sablier de l'éternité. Un dernier chœur à la tonalité semi-éteinte comme un adieu définitif.

    Une œuvre ambitieuse. Elle ne se livre pas de prime abord. Fortement déconseillée aux amateurs de bruits metallifères prononcés. L'exhibitionnisme sonique en est totalement absent. La trame du drame est tissée dans les nuances vocales. Tout effet de gosier est banni. La musique est comme réduite au minimum. Elle ne mène pas le bal. L'or peut enchâsser une pierre, mais la pierre est plus précieuse. C'est elle qui étincelle. Mais Anasazi a choisi un rayonnement pâle. Ce qui n'empêche en rien sa radio-activité de vous ronger insidieusement les synapses.

    Damie Chad.

     

    THE ANIMALS / 1964 ( II )

     

    Deux 33 tours paraissent dans le dernier trimestre de l'année. L'un aux Etats-Unis, l'autre en Angleterre, tous deux s'intitulent The Animals mais ne présentent pas exactement les mêmes titres. Certains d'entre eux étaient présents sur des singles précédemment chroniqués. Nous nous contentons de signaler leur présence sur tout disque ultérieur en utilisant la couleur rose. Ces parutions spécifiquement multi-nationales continueront sur les cinq autres 33 tours des Animals, ce qui entraînera la parution de divers 45 tours pour que sur les deux continents les fans puissent se procurer sur leur marché national les titres qui leur manquent. Dans de nombreux pays comme la France paraîtront des super 45 tours proposant leurs propres assortiments...

    SEPTEMBRE 64

    THE ANIMALS ( US )

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    The house of the rising sun / Blue feeling : ( ne pas confondre avec l'instrumental de Chuck Berry qui porte le même titre ) étrange morceau avec ce refrain qui résonne à nos oreilles tellement french-slow-early-sixty-style et qui contraste avec la voix blanche qu'emprunte Burdon, l'ensemble présente un petit côté pop ( pour ne pas dire variétoche ) l'on est beaucoup plus proche de la chanson sentimentale cucul la praline que du blues. A la toute fin Burdon reprend un peu d'énergie, hélas c'est trop tard. The girl can't help it : les choses sérieuses reprennent, s'attaquent à un monument, la grosse cuivrerie de Little Richard, surmontent l'obstacle, pas de filles dans les chœurs mais les boys se débrouillent pour le contre-chant et le Burdon vous débite le vocal à deux cents à l'heure, Hilton vous place un petit solo d'antho au trapézo qui fera votre régalo, profitez-en parce que c'est déjà fini sur une dernière pirouette de la baguette de Still. N'ont pas à rougir, s'en sont sortis comme des chefs. Babt let me take home / The right time : ce coup-ci, la prod a fait tous les sacrifices, ils ont offert des filles – pas beaucoup il ne faut pas non plus délirer - pour le chœur, du coup le morceau vous a un petit côté Ray Charles très releattes à roulettes, et les boys font les jolis cœurs, Burdon leur donne la réplique comme s'il leur offrait son âme, le Price vous sort un solo d'orgue qui ressemble à un gros câlin sucré, la virile basse de Chas sonne comme une corne de brume. Notons la bienséance du titre qui ne nous dit pas que le right time is the night time. Talkin' 'bout you : version courte : même pas deux minutes alors que la longue dépasse les sept, s'écoute bien, le morceau y gagne force et concision. Around and around : la même année le standard de Chuck Berry est repris par les Rolling Stones, il faut l'avouer Burdon enfonce le Jag qui chante comme un petit blanc, en plus les Cailloux qui Roulent ne se démarquent pas del maestro Chucko, le clavier de Price oblige à une recomposition formelle, les Animals vous repeignent et vous repoussent les murs, encore une fois il faut admirer le solo d'Hilton vous piaffe quelques notes aussi belles et graciles qu'une bande de girafes galopantes, les parties pianistiques de Price sont à bénir. I'm in love again : du beau monde sur l'écriture de celui-ci, Fats Domino et Dave Bartholemew, bye-bye le petit côté primesautier et fringuant du vieux Fats, pas de saxophone non plus, c'est Hilton qui le remplacera, l'orgue de Price apporte une lourdeur bienvenue à l'interprétation sans en dénaturer l'esprit. Quant à Burdon, il chante selon une ligne médiane, sur la crête, tantôt un pied intonatif sur le versant white rock, tantôt une foulée incantatoire vers le black and blues. Une merveille d'équilibre. Gonna send you back to Walker / Memphis tennessee : de petites ridelettes d'orgue c'est tout ce que les Animals se permettent d'ajouter, quand on met ses pas dans les traces de Maître Chuck on ne fait pas les malins, le Burdon retient la puissance motrice des chevaux-vapeurs de sa voix, ne va pas pousser l'affront à chanter plus noir que Chuck, bref ils sont sages comme des images, l'on eût aimé qu'ils se comportassent en gamins mal élevés. I'm mad again : c'est un peu le Boudu sauvé des eaux de John Lee Hooker, le gars qui héberge chez lui un gus dans la mouise qui pour le remercier lui fauche sa copine, mais alors que le Hooker vous raconte l'histoire sans fioriture sur une de ces rythmiques secrètement lentes qui portent l'eau de votre âme à ébullition les Animals vous la transforment en tragédie racinienne, commencent tout doux, mais très vite le drame prend de l'ampleur, la voix de Burdon donne de l'intensité au sujet, la guitare d'Hilton déraille ferme, l'orgue de Price vous a des trémolos funèbres d'enterrement, et Burdon vous pousse des cris d'assassin. I've been arond : un joyeux petit Fats pour terminer, dans le genre faut se quitter sur un sourire obligatoire, celui-ci appuyé légèrement plus que le Fats qui joue les mijaurées avec ses petits oh ! oh ! oh ! un peu ridicules et son orchestration de jouet de noël... mais enfin il faut le dire ce titre n'apporte rien à la gloire impérissable des Animals.

    OCTOBRE 64

    THE ANIMALS ( UK )

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    Story of Bo Diddley : une glissade d'orgue et l'orage du jungle sound survient on ne sait comment, Burdon vous fait le boniment, aussi bon et même meilleur qu'un camelot de la 52 Th rue, Steel tambourine à croire qu'il est dans une cérémonie vaudou, Price vous pond des tortillons d'orgue à la queue-leu-leu mais nos Animals s'amusent, abandonnent vite la trame didldleyenne pour filer à l'anglaise, tour à tour nous aurons droit aux Beatles, aux Stones, à Newcastle, sont-ils en train de commettre un crime lèse-pionniers du rock, non ils respectent l'esprit du talkin' dozens blues, le cuisent à leur sauce, s'émancipent de la copie hommagiale, un jour les Animals deviendront Eric Burdon and the Animals... Bury my body : un vieux traditionnel qu'Alan Price ne manquera pas de porter à son crédit, il est difficile de perdre ses mauvaises habitudes... L'on s'attendrait à un blues dévastateur, ce n'est pas l'optique envisagée, la voix enjouée de Burdon, les notes joyeuses de Price, la basse de Chas qui n'a rien de funèbre, tout indique qu'ils ont délibérément choisi l'option chrétien heureux de mourir et de monter tout droit au ciel sans encombre, rien de plus fun que d'être rappelé par Dieu, y a même des moments qui frisent l'hystérie désopilante, pour un peu vous l'incluriez dans un recueil de chansons pour colonies de vacances. Ont-ils voulu renouer avec la foi intransigeante des negro-spirituals ou alors méritent-ils d'être accusé d'impiété moqueuse... Dimples : un des classiques de John Lee Hooker ( Dale Hawkins s'en est fortement inspiré pour les paroles et le reste de Suzie Q ), les Animals n'en font pas trop, vous le tournent à leur manière, la voix de Burdon fait monter la pression dans la chaudière, le tutti instrumental continue à pulser la vapeur et puis l'on renvoie en arrière, Burdon trottine avec le ballon, insensiblement il accélère et soudainement il fonce droit devant évite trois adversaires qui mordent la poussière à vouloir le plaquer, et finit sa course en beauté en marquant l'essai. Du cousu main, rugby sur l'ongle. I've been around / I'm in love again / The girl can't help it / I'm mad again / She said yeah : une vieille piste pas des plus connues de Larry Williams, au moins Burdon trouve un sérieux rival à qui se mesurer, soyons juste, Burdon n'est pas la hauteur, peut-être parce qu'il n'ose pas emprunter ses cordes vocales les plus noires, Price se débrouille mieux pour remplacer le solo de sax, l'absence de cet instrument dans la formation a-t-il obligé à blanchir quelque peu l'interprétation. Les Stones la chiperont aux Animals et il faut admettre que leur version avec cet arrière-fond de guitares caverneuses qui font trembler les murs annonce l'ossature sonique de Have you seen your mother, baby, standing in the Shadow... Nettement supérieure. The right time / Memphis Tennessee / Boom boom : le morceau qui fait boum ! Burdon chante comme un tigre qui arrache à pleine voix des morceaux de viande saignante à une proie encore vivante, ensuite c'est le grand charivari, l'ultime capharnaüm, la fin des haricots verts, les Animals se sont évadés du zoo des convenances modélisées et sont devenus libres et sauvages. Around and around .

    Deux inédits que l'on retrouve su la compilation Double CD, The Complete Animals :

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    F. E. E. L : du pur Animals, mais cela ressemble à ce qu'en équitation l'on appelle un canter, un galop d'entraînement, l'inanité des paroles arque-boutée sur le mot -feel – mot magique et miracle des sixties, l'est sûr que si à l'époque vous n'aviez pas le feeling, vous étiez un tocard de la pire espèce, tout juste bon pour l'abattoir municipal, alors Burdon ( lui, ne craignez rien, il l'a chevillé au corps ) s'amuse, il filoche le feel all rigth à cent quatre-vingt kilomètres heure, module, accélère, exulte, ralentit, et les autres derrière le suivent de près, agréable à écouter, bien fait, tout propre, mais si vous ne l'avez jamais entendu, inutile d'aller creuser votre tombe au fond du jardin, par contre si à l'écoute vous ne ressentez rien... Don't want much : méritait au moins un simple à lui tout seul, attention les rockers, Rosco Gordon est l'auteur du morceau sous le titre Just a little bit, ce gazier enregistra aussi chez Sun, c'est rare mais il faut le dire Burdon pulvérise le modèle, l'a une fougue et un aisance incomparable, Gordon nous la faisait un peu en dilettante hyperdoué, Burdon vous entortille les scoubidous sur le bout de sa langue avec une facilité déconcertant. Il ne chante pas, il éblouit. Les autres suivent et vous expulsent l'orchestration avec une dextérité consommée.

    L'existe un maximum de vidéos d'époque qui proviennent de leurs passages sur différentes chaînes de télévision, ouvrez les mirettes aux alouettes, en voici deux, ne craignez rien, vous irez du pire au meilleur :

    BLUE FEELING

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    Du fond de votre kitchenette si vous aimez le kitch vous adorerez ce clip extrait du film Get yourself your College Girl, une ânerie un peu dans le style du clip tourné à leur début par Mountain... Celui-ci a été réalisé aux USA dans l'Idaho, ce que l'on appelle une mauvaise hidée, l'on acceptera même l'adjectif hideux pour le qualifier... Mon Dieu ( oui mon fils Damie que veux-tu – oh, un double djack pour me remettre – tout de suite mon fils ! ) quelle horreur, même Burdon sur son rideau rouge est le plus beau de toutes, si l'on doit en croire ces images, les filles sont plus belles et moins nunuches aujourd'hui qu'en 1964, quel troupeau insipide de dindes farcies, les acteurs surjouent de toutes leurs bajoues, quant aux Animals ils croient si peu en leur playback que seul John Steel qui n'a pas oublié son chewing gum donne l'apparence d'une fausse réalité. Le petit Eric n'arrête pas de se bidonner ce qui le rend sympathique. C'est ce que l'on appelle un émouvant témoignage d'une époque révolue. L'on comprend pourquoi les Grecs ne nous ont légué que des fragments d'amphores, ils avaient peur que l'on se moque de leurs artefacts qui nous seraient parvenus en entier.

    BOOM BOOM

    ( Live at Wembley 1965 )

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    Images en noir et blanc, public sagement assis, la scène grouille d'une multitudes de roadies qui installent le matériel, Burdon s'approche du micro et nous souhaite un retentissant '' good morning''. Chas lui fauche le micro, Steel s'installe, on attend encore un peu, et c'est parti, Burdon lance la machine, comment de ce petit bonhomme peut-il sortir une telle voix, bouge beaucoup, une espèce de danse du scalp qui se termine à genoux, imaginez un cormoran qui amerrit les ailes éployées et qui glisse sur l'eau de tout son corps dressé, Chas et Alan sont au chœur avec la conviction des pirates du rail qui trafiquent les aiguillages pour envoyer le train au fond du précipice, Hilton – lui qui a l'air si sage d'habitude - armé de sa guitare pique une crise de delirium tremens, lorsque Buron revient au micro il lève le bras comme s'il lançait l'assaut d'un régiment de cavalerie et c'est reparti pour une cacophonie rock'n'roll comme on les aime, l'on se demande pourquoi le public n'est pas en train d'incendier les tribunes sur lesquelles ils ont posé et collé leur cul...

    Damie Chad. ( A suivre, 1964 / 1965... )

     

    XXI

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    A peine les deux battants furent-ils ouverts que la meute des journalistes se précipita en une folle cavalcade, Vince releva avant qu'elle ne se fasse piétiner par ses collègues la petite brunette qui dans leur précipitation l'avaient renversée sans s'en apercevoir. A la décharge de nos impatients envoyés médiatiques, ceci dût-il étonner nos kr'tntreaders, on n'y voyait rien. Une espèce de brouillard opaque noyait toute la pièce. A moins de cinquante centimètres il était impossible de reconnaître l'ombre qui se mouvait devant vous. Un brouhaha indescriptible s'éleva de la meute journalistique. Tout se tut, lorsque le Chef prit la parole :

      • Mesdames, messieurs, je ne doute pas de votre déception, mais notre Président bien-aimé vous autorisera à mon signal à vous servir exceptionnellement de vos plus gros projecteurs, branchez-les, et vous verrez ce pour quoi vous avez été appelés, le Président a une importante communication à vous faire, vous pourrez la retransmettre en direct sur les chaînes de télévision, et les radios. Je vous demanderai simplement d'attendre quelques minutes que Monsieur l'Adjudant emmène avec lui son groupe de fusiliers-marins, si je ne trompe pas, c'est l'heure de leur footing matinal au Bois de Vincennes, nous sommes en démocratie et il n'est pas normal que l'on aperçoive des hommes armés tout près de notre Président.

    Dans la pénombre l'on s'agita, la porte s'ouvrit pour laisser passer les soldats, les journalistes cherchèrent en tâtonnant que les prises pour leur appareil, l'on entendit un petit rire discret je pense que c'était la main de Vince qui s'était égarée sans le faire exprès sur la petite brunette...

      • C'est bon vous pouvez allumer !

    Il y eut un oh ! de stupéfaction, les journalistes, même les plus chevronnés, n'avaient jamais vu une telle scène de toute leur carrière. En demi-cercle assis en de confortables fauteuils de velours cramoisis était rassemblé le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie, tous les plus grands épidémiologistes du pays, le fauteuil central était occupé par le Président. Juste derrière lui, le Chef était debout. Je crois que c'est la seule fois fois de ma vie où en une circonstance extraordinaire le Chef ne profitait pas de l'occasion pour allumer un Coronado. Le fait était d'autant plus exceptionnel que chaque membre du Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie était en train de déguster à pleine haleine un Coronado, un 45, un des plus fumiteux, le Président lui-même extirpa son bâton de chaise de sa bouche pour prendre la parole :

      • Françaises, français, je tiens à vous révéler en direct les conclusions de la dernière réunion tenue très tôt ce matin par le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie. Premièrement une bonne nouvelle qui ravira tous les patriotes et les fumeurs de cigares, les analyses des laboratoires sont formelles. La piste du Virus répandu sous la Tour Eiffel par le Service Secret du Rock'n'roll était fausse. Pour réhabiliter ce malheureux service le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie et moi-même avons tenu à fumer en direct notre Coronado, notre pays et notre peuple ne supportent pas l'injustice, lorsque la France commet une erreur, elle avoue ses torts. Mesdames, messieurs les journaliste, nous vous remercions de communiquer cette nouvelle au monde entier. Pour vous remercier nos charmantes hôtesses remettront à chacun de vous en guise de souvenir de cette journée historique un Coronado 45. Enfin pour terminer, une deuxième nouvelle, la France n'est en rien responsable de la propagation du Coronado-virus. Toutes les analyses médicales coïncident, ce sont des touristes chinois arrivés tout droit de Pékin, pour visiter Paris, la plus belle capitale du monde, qui l'ont emmené et répandu dans les meilleurs endroits touristiques de la France. Françaises, français, je vous remercie. Vive la France !

    Le Chef a aussitôt repris la parole :

      • Mesdames et Messieurs les journalistes, le Haut Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie a encore beaucoup de travail. Je vous demanderai de vous retirer au plus vite, l'agent Vince vous raccompagnera à vos voitures, nos deux hôtesses distribueront les derniers Coranados en notre possession aux amateurs. Avec l'agent Chad nous sortirons en dernier pour nous assurer qu'aucun cachotier n'essaie d'écouter les décisions secrètes qui seront prises dans la suite de l'entrevue.

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    Aussitôt dans la cour d'honneur s'engouffrèrent dans leur voitures les journalistes comme volée de moineaux du parc du Luxembourg rassasiés de la becquée providentielle prodiguée par une vieille dame qui se charge de les nourrir, les fusiliers-marins n'avaient manifestement pas encore enfilé leur tenue de sport pour leur jogging matinal, ils formaient une haie d'honneur devant notre appareil volant :

      • Présentez armes ! La voix de l'Adjudant ne plaisantait pas... Repos ! Soldats je suis fier de vous, vous avez obéi à votre Adjudant alors que ses ordres étaient, semble-t-il, en contradiction avec la mission qui vous a été confiée. Vous avez fait confiance à votre Adjudant qui vous laisse quartier libre pour le reste de la journée, sauf pour soldat Pierre, et soldat Marc qui ont ignominieusement profité de leur tour de garde pour draguer d'honnêtes demoiselles alors qu'il est totalement interdit d'adresser la parole aux passants, consigne de sécurité N°1, je tiens à le leur rappeler ! - se tournant vers nous - quant à nos héros miraculeux tombés du ciel, je les invite à prendre place dans leur taxi de la Marne volant, et à disparaître au plus vite, ce sera mieux pour vous, demoiselles, messieurs, et ces braves canidés sans qui rien n'aurait été possible, nous adopteront leurs photographies comme mascottes de notre régiment. Putedesaintevierge !

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    Notre aéronef eut un peu de mal à s'élever, la faute à Vince qui tenait sur ses genoux la petite brunette énamourée qui avait refusé de retourner à son journal. Dès que nous fûmes à une quinzaine de mètres au-dessus de la cour d'honneur, les fusiliers-marins se regroupèrent et déclenchèrent un tir meurtrier à notre encontre.

      • Enfin ! - le Chef extirpait de sa poche un Coronado – ne craignez rien, ce sont des tireurs d'élite, ils font attention à surtout ne pas nous toucher. Agent Chad, vitesse maximum, aucune crainte à avoir les images de la réunion sont déjà reprises par toutes les télévisions du monde, le SSR a de nouveau pignon sur rue !

      • En tout cas, moi j'aimerais savoir ce que c'étaient ces points rouges qui nous ont permis de nous diriger tout droit vers le palais de l'Elysée, demanda Charlotte

      • Des amis répondis-je, à droite c'était les Crashbirds, nous leur avons demandé par SMS de se poster sur le toit de leur maison du côté de Bondy, et de tirer furieusement sur leur Coronado dès qu'ils nous apercevraient, Delphine Viane et Pierre Lehoulier ont parfaitement rempli leur mission, tout comme Tony Marlow et Alicia F sur le toit de leur immeuble de Montreuil, le SSR possède des alliés dans le monde entier, qui se battent depuis des années pour le rock'n'roll, grâce à ces deux points fixes, déterminez la direction de l'Elysée n'était plus qu'un minime problème de triangulisation...

      • Moi, ce que je n'ai pas compris c'est à peu près tout, affirma Victorine, ainsi se dénommait la jolie petite brunette, et surtout pourquoi le Président a tenu de son plein gré cet étrange discours et cette mise en scène du HCSSP !

      • Ah ! charmante enfant, je suppose que vous n'êtes pas la seule et que nombre de kr'tntreaders doivent être dans votre cas ! Essayons de répondre à vos interrogations !

    A suivre...