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rockambolesques - Page 18

  • CHRONIQUES DE POURPRE 579 : KR'TNT 579 : NEW ROSE / HEATHER NOVA / ARETHA FRANKLIN / CHARLIE MUSSELWHITE / RANDY HOLDEN / JARS / THUMOS / ALIS LESLEY / SIMONE POUSSIERE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

    LIVRAISON 579

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 12 / 2022

    NEW ROSE / HEATHER NOVA

    ARETHA FRANKLIN / CHARLIE MUSSELWHITE

    RANDY HOLDEN / JARS / THUMOS   

    ALIS LESLEY / SIMONE POUSSIERE

     ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 579

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    I got a brand New Rose in town

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             Le New Rose book coûte 55 euros. Pas donné, comme on dit. Il est tout rose, pas très grand, ni trop petit. Juste entre les deux. Il pèse son poids. Imprimé sur un somptueux couché demi-mat par un stylish British printer, il entre en fanfare dans la catégorie des livres d’art, comme jadis les consuls entraient dans les villes conquises. Sur le char, à côté de lui, un esclave lui murmure à l’oreille : «New Rose book, souviens-toi que tu n’es qu’un book.» Ça l’aide à relativiser. La gloire, c’est dangereux quand on joue avec le feu.

             Comme toutes les créatures de son espèce, le New Rose book suscite des commentaires. Il y a même beaucoup d’agitation à Clochemerle. Ça jase, mais ça ne jazze pas. Logique, puisque le New Rose book ne traite pas de jazz, mais de rock culture à Paris. Tout se passe rue Sarrazin, à deux pas du Boul Mich’. Le temps d’un livre, la rue Sarrazin redevient le nombril du monde. Mais pas pour tout le monde. Pour une poignée de lycéens normands, le centre du monde s’appelait plutôt Rock On à Londres.

             Ces deux centres du monde finiront par muter chacun de leur côté et par devenir des entités tentaculaires, c’est-à-dire des labels légendaires, et c’est tout ce qui nous intéresse : la portée des labels. Leur pertinence. La qualité de leur catalogue. Leur rôle prépondérant dans l’écho du temps. Sur l’échiquier des dynasties, le cousin du New Rose book s’appelle l’Ace book. On y reviendra prochainement. Plus ancien, l’Ace book déroule lui aussi sa petite genèse, en montrant des photos de tous les géniteurs et en barbouillant les pages de ribambelles de pochettes qui n’en finissent plus de nous faire baver comme des limaces. Tout le monde le sait, Ace a réussi là où New Rose a échoué, dommage. Oui, dommage, car assis sur le tas d’or de sa légende, New Rose rendrait aujourd’hui aux amateurs le même type de services que leur rendent les gens d’Ace : culture intensive des fonds d’archives - the vaults - et quand on voit le boulot titanesque qu’abattent les gens d’Ace, on comprend que la rock culture a encore de beaux jours devant elle. Le principe reste exactement le même qu’il y a cinquante ans : plus tu creuses et plus tu découvres, plus tu découvres et plus tu creuses, c’est le merveilleux cercle infernal dans lequel se jettent depuis l’aube des temps les plus curieux d’entre-nous. 

             On n’entre pas dans le New Rose book pour la boutique, mais pour l’écurie. Brièvement évoquée, la boutique a depuis longtemps disparu. Aujourd’hui, Gibert occupe les lieux et c’est là qu’on est tous allés pendant des années revendre nos vieux CDs pour aller en acheter de nouveaux. Avec le temps va tout s’en va, un nouveau magasin recouvre un magasin plus ancien : les géologues appellent ça des strates. Paris grouille de strates. Tu connais bien les strates du rock parisien : rue des Lombards, Carrefour de l’Odéon, rue du Faubourg du Temple, le boulevard Voltaire, et celles encore visibles aujourd’hui, boulevard Rochechouart. C’est la grande différence entre l’Ace book qui s’ancre dans le passé pour dévoiler l’avenir, et le New Rose book qui s’enferme dans le passé comme dans un cercueil. On entend le couvercle grincer quand on tourne les pages. Le New Rose book cultive la nostalgie, ce qui entre en contradiction de plein fouet avec le postulat de base : le rock est une culture vivante, donc on ne peut pas l’enterrer. Encore moins l’envoyer moisir au musée.

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             On regardait les posters qui décoraient les murs du grand hall d’accueil du 106, le soir du vernissage de l’expo. Sauf Tav Falco, les Real Kids, Brian James et quelques autres, ils ont quasiment tous cassé leur pipe en bois. Ça tendrait à renforcer l’idée que toute cette histoire appartient désormais au passé. New Rose n’a pas eu le temps de lancer une nouvelle génération de groupes, comme a réussi à le faire Ace. La moyenne d’âge du public venu assister au vernissage ne fait que consolider cette mauvaise impression. Quasiment zéro kid, écrasante majorité de vétérans. Et comme cerise sur le gâtö, on a un concert de groupes français jadis signés sur New Rose et reformés pour l’occasion : Valentino, Calamités, Soucoupes Violentes, etc. L’impression que tout s’embourbe dans le passé n’en finit plus de s’embourber. Mais où est donc Ornicar ? Où est passée la vie ?

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             La vie ? Tu vas la trouver sous la toge du New Rose book : les 80 pages de photos d’Alain Duplantier. Tu arrives dans le chapitre photos et tout à coup, le New Rose book bande comme un âne, les images toutes plus somptueuses les unes que les autres te sautent à la gueule, et c’est d’autant plus fulgurant que Jeffrey Lee Pierce ouvre le bal, sur une double plein pot en noir et blanc, son visage sort de l’ombre, un seul œil et la cicatrice sous l’œil, tu as aussitôt le voodoo du Gun Club, toute la légende du groupe tient dans cet œil, on pourrait même parler de regard shamanique. Tu tournes la page et pouf, tu as deux autres shoots de Jeffrey Lee Pierce, cheveux bruns, presque Apache, visage de guerrier, expression de calme contemplatif. Comme si Duplantier avait compris QUI était en réalité Jeffrey Lee Pierce. Comme s’il avait cherché à photographier l’homme ainsi que son esprit. Comme s’il voulait que Jeffrey Lee transmette un message à travers ces images, comme s’il voulait que Pierce perce le mur du silence. Les mauvaises langues diront que c’est facile avec un mec comme Pierce, mais non, au contraire, rien n’est plus difficile que de réussir un tel portait. Ceux qui parviennent à communiquer avec leur public sont les grands peintres, à travers leurs autoportraits. Allez voir le Van Gogh qui est accroché au Musée d’Orsay (Portrait de l’Artiste) et vous comprendrez ce que le mot communiquer veut dire. Van Gogh communique. On soutient son regard. Ça vit. Jeffrey Lee Pierce communique de la même façon. Ça vit.

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    Plus loin, Duplantier shoote Chris Bailey. Reconnection avec une légende. Disparu ? Pas du tout, il est là et te regarde, l’air un peu aristo, sous son chapeau. Hey Chris. Midnight at the Leper’s home ? On entend presque sa voix, dans «Simple Love», le premier mini-album enregistré pour New Rose - Take a look at what I’ve done - ses cheveux s’écoulent en masse sur ses épaules et au bas du portrait, tu peux apercevoir sa grosse main poilue qui tient une clope, regarde bien cette image, car c’est le portrait d’une vraie superstar, tu tournes la page et tu as encore deux shoots du Saint, dont un qui a servi pour le dos de pochette de Demons : il semble installé dans le salon de son château, au XVIIIe siècle, penché sur une partition et entouré de chandeliers. Sur Demons, il porte en plus un manteau. Puis voilà qu’arrive un autre cake cher au cœur des cakers : Alex Chilton. C’est tout juste s’il ne porte pas une auréole. Duplantier fait des miracles à chaque fois. On a l’impression qu’il a écouté tous les disques des gens qu’il shoote, car chaque fois, il shoote en plein dans le mille. Tu veux un portrait sec et net d’Alex ? Il est là, en chemisette rouge, pareil, un seul œil, l’autre dans l’ombre, Duplantier capte le regard et le transmet. Ça vit. Coco bel-œil. C’est le portrait le plus juste d’Alex Chilton, l’homme qui refusa d’être célèbre et qui préférait faire la plonge dans un restau de la Nouvelle Orleans plutôt que d’aller vendre son cul à des impresarios véreux. Non seulement Alex Chilton fut l’un des hommes les plus intègres de la Memphis scene, mais il était en plus extrêmement brillant, chanteur, compositeur et guitariste surdoué. C’est ce que montre ce portrait : no sell out. Bon après tu as quelques photos de scène, tu tournes encore la page et tu as un autre portrait qu’on pourrait titrer «Alex à la clope», il plonge son regard dans l’objectif et donc, tu l’as en direct. Tu entendrais presque sa voix - Sittin’ in the back of a car - Tu vas tomber ensuite sur Moe Tucker, portait classique, Moe is Moe, I want my baby black. Mais assise à sa batterie, elle fait très Velvet. Petit ange de miséricorde new-yorkais. Duplantier a dû bien se marrer en shootant Tav Falco.

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    Attention, c’est cadré serré, on voit tous les poils de sa moustache Adolf/Charlot. Pareil, un œil. Un seul suffit. Il te voit et tu le vois. Bouche sensuelle, Gustavo bella vista, et quand tu tournes la page, tu le vois prendre des poses de diva, coiffé rockab, en blouson peau de vache, agitant les mains pour faire le fantôme. N’oublie pas que Tav s’ancre à la fois dans le Tango, le wild Memphis beat et l’Urania Descending. Plus loin, nouveau shoot à la coco-bel œil : Brian James. Tu as l’œil vert, puisque le shoot est en couleur, beau visage de rock star, ovale parfait cadré serré, du menton jusqu’au haut des sourcils, avec tout de même un peu de frange, cerne de damné sous l’œil, bouche d’homme intelligent, grâce naturelle, la même grâce que celle de son homonyme Brian Jones, quand on revoit Brian James, on aime bien caresser l’idée qu’il est resté l’un de nos préférés, oui car sans sans lui, pas de New Rose, sans lui, pas de punk à Londres, sans lui, pas de souvenirs mirobolants des concerts de 1976, sans lui, pas de Rat ni de Captain ni de Dracula, sans lui, pas de rien. Brian James, King of the night in Mont-de-Marsan 77, Brian James, prince des élégances, avec Chris Bailey, ce sont eux qui ont donné du caractère à ce qu’on appelait alors la vague punk à Londres. Tu tournes la page et tu le revois avec une clope à la main et toute cette morgue extravagante de classe. Rien qu’avec lui et les gens déjà cités, New Rose avait rempli sa mission de label. Tu vas aussi tomber sur deux portraits pour le moins fantastiques d’Arthur Lee, l’un en regard direct, l’autre perdu dans ses pensées. Le vieux roi Arthur était devenu un bras cassé à l’époque où sortait Arthur Lee And Love sur New Rose, pas forcément son meilleur album, mais Patrick Mathé eut l’intelligence de l’accueillir dans son écurie. Comme il eut l’intelligence de recueillir tous ces fantastiques artistes de la Memphis scene dont personne ne voulait à l’époque, Alex Chilton, Tav Falco, les Hellcats et Jim Dickinson avec Mud Boy & The Neutrons. Côté anglais, tu vas tomber sur des shoots plus classiques de Chris Spedding. Puis Duplantier va retenter le diable avec Bruce Joyner, sujet de choix, extrêmement tentateur, pour ne pas dire sulfureux, dommage, c’est une approche timide, les portraits n’illustrent pas vraiment la weirdness de l’Unkown qui, aux dernières nouvelles, serait encore en vie. Nouveau shoot à la coco bel œil pour Calvin Russell, sauveur de label, dont l’œil est presque transparent. Et bien sûr, la galerie s’achève sur un plan serré du visage de Patrick Mathé et de sa grosse moustache à la Brassens.

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             Ailleurs dans le book, tu as d’autres photos intéressantes, notamment un copieux chapitre consacré aux Cramps. Un spécialiste te dira si les photos sont originales ou pas, mais au fond, on s’en fout, on se régale de revoir Lux et sa meute, et tu as en prime toutes ces photos de scène à l’Eldorado. Sur New Rose, les Cramps ont deux albums, Smell Of Female et A Date With Elvis. Bien joué les gars ! Il y a encore six pages Cramps plus loin (European Tour 1986), les fans des Cramps vont sûrement faire une petite overdose ! Les Cramps et le Gun Club, c’est tout de même pas mal, pour un petit label indépendant. On croise d’autres personnages légendaires : Charlie Feathers (pareil, deux albums sur New Rose), Barrence Whitfield (toujours d’actualité, dommage qu’il ne soit pas venu chanter au 106), les Real Kids, Willie Loco Alexander (photographié avec Patrick Mathé) et puis Roky Erickson, photographié avec Doug Sahm qui porte un masque de catcheur mexicain. What a shoot ! Tu trouveras aussi d’autres photos de Jeffrey Lee Pierce, beaucoup plus trash, c’est son époque cheveux blonds, veste d’uniforme et santiags. Et soudain, le New Rose book te re-balance un Jeffrey Lee plein pot en noir et blanc sur une double, les cheveux blonds dans les yeux et derrière lui, des barbelés. Image saisissante ! Diable, comme cet homme pouvait être beau ! Jim Dickinson est là, dans un quart de page, itou pour les Primevals. Plus loin, tu vas retrouver Johnny Thunders : six pages de Thunders, dont la fameuse image à la statue Vulpian, rue Antoine Dubois. Le New Rose book n’a oublié personne. On lui serre la pince.     

    Signé : Cazengler, New Rosé (cubi)

    Soirée New Rose  Le 106 (Rouen). 25 novembre 2022

    Replay New Rose For Me. Moonboy Ltd 2022

     

     

    Super Nova

     

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             Heather Nova est restée une très belle femme. Tiens, quel âge peut-elle avoir ? Tu poses la question à Internet : elle aura soixante balais dans cinq ans. Elle a déjà les mains de son âge, avec des grosses veines, mais pour le reste, pas de problème. En fait, c’est sa voix qui fascine les amateurs de chant divin. Car elle chante divinement. Les seules auxquelles on pourrait la comparer sont Joni Mitchell et Joan Baez, cette facilité qu’ont ces femmes pour monter leurs voix et atteindre l’état de grâce. Une grâce blanche, très différente de la grâce black. Internet te dira aussi qu’elle est originaire du triangle des Bermudes, donc de nationalité anglaise, mais elle parle comme une américaine, avec une petite emphase sur certaines syllabes.   

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             Heather Nova ne date pas d’hier. C’est en 2003 qu’on fit sa découverte avec l’album Storm, et plus précisément «You Left Me A Song», le balladif qui te transperce d’une extra-balle de mélodie pure. Elle a une façon de grimper au sommet du fil mélodique qui est unique au monde, ses ouh-ouuuuh pourraient te rendre fou, tu as même l’impression qu’elle s’adresse à toi et qu’elle te prend dans ses bras. L’autre merveille de cet album est le «Let’s Not Talk About Love» d’ouverture de bal. Elle y duette avec Bioley, un Bioley qui entre dans la mélodie comme Gainsbarre, et elle arrive pour vriller son chat perché. C’est la Beautiful Song par excellence. Tu as là ce qu’on appelle communément de l’inespérette de saperlipopette. Elle monte comme Birkin entre les reins de Gainsbarre, c’est le même cocktail de pureté coïtale. Le troisième cut magique se trouve à la fin de l’album et s’appelle «Fool For You». Elle fond littéralement dans son Fool, elle a tellement de talent, mais elle ne l’utilise que de temps en temps. Son génie consiste à se fondre dans la mélodie. Elle travaille l’art suprême de la fonte. La fonte, c’est comme la ponte, l’autre mamelle de l’humanité. Pure fonte de Super Nova. Les autres cuts de l’album sont d’un niveau nettement inférieur. Elle a du mal à abreuver son moulin, tout le monde ne s’appelle pas Alphonse Daudet. C’est tout de même incroyable de voir tellement de gens se prendre pour Alphonse Daudet ! De toute évidence, Super Nova ne s’intéresse qu’aux cimes, c’est-à-dire à l’émotif de sang royal. Il faut la voir attaquer «I Wanna Be Your Light» très haut. On peut lui faire confiance. Avec trois hits magiques sur un seul album, c’est dans la poche.

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             Et par un beau soir de novembre, voilà qu’elle débarque en Normandie. On ne va tout de même pas rater une pareille occasion de vibrer ! Concert acoustique ? On s’en fout, pourvu qu’on ait la voix. On a la voix. Elle déboule sur scène, toute maigre, allez trente-cinq kilos, et encore. Blonde comme au temps de Storm, présence indéniable. La salle n’est pas pleine, mais les gens qui sont là viennent pour la plupart de loin. Elle attaque en douceur, l’émotion viendra plus tard. Comme toutes les chanteuses à guitares, elle sort sa grandma song («Walking Higher»), elle veut retrouver sa grand-mère, alors elle la retrouve higher, comme dirait Yves Adrien. Elle tape deux ou trois cuts de son dernier album, Other Shores, qui est un album de covers : le «Staying Alive» des Bee Gees qu’elle transforme complètement (heureusement !), elle tape aussi dans un vieux hit de rock FM, «Waiting For A Girl Like You», de Foreigner, un groupe qui fit en son temps partie des fléaux de l’humanité. Super Nova tape aussi en rappel dans Françoise Hardy avec «Message Personnel», accompagné à la guitare par le mec qui partage sa vie, un certain Vincent.

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             Mais bon, le meilleur arrive. D’abord une fantastique version d’«I Wanna Be Your Light» qu’elle tape au chant divin de Storm, accompagnée par un grand mec assis sur une caisse percu. Il en joue aux deux mains, comme sur des congas - Let me be your star/ I’ll light your way across the milky way - et là tu acquiesces, tu opines du chef, et même du bonnet, tu adhères, tu valides, tu signes, tu approuves des deux mains, tu dis oui, tu votes pour, tu jures allégeance, tu t’agenouilles, tu reconnais ta reine, tu te prosternes, let me be your star, vive Super Nova !

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             Mais tu n’as pas tout vu. Avant même qu’elle annonce «London Rain (Nothing Heals Me Like You Do)», des mains se lèvent dans la salle. Super Nova se marre, «mais vous êtes tous sur Internet !», oui, les fans savent qu’elle va faire monter une personne du public pour duetter avec elle sur «London Rain», alors il y a des candidates ! Celle qui est choisie vient s’installer derrière un micro, à deux mètres de Super Nova. Elle est blonde, elle aussi, elle s’appelle Estelle, on l’apprendra après le concert. Estelle commence à danser sur le groove, elle est dedans, fantastiquement dedans, bien sûr elle connaît le texte par cœur, elle attend le refrain pour monter aux harmonies vocales avec son idole - So keep me/ Keep me in your bed/ All day/ All day/ Nothing heals me like you do/ Nothing heals me like you do - Pure magie ! T’auras jamais rien de plus pur que ces deux voix à l’unisson du keep me ! Super Nova est la première surprise. Interloquée, elle regarde Estelle ! On est tous submergés par une vague géante d’émotion. Estelle chante là-haut en fixant Super Nova, keeeeep me/ Keeeeeep me ! C’est le sommet de l’excelsior d’Ararat, tu ne peux pas humer d’air plus pur, d’air plus chaud, d’air plus divinement féminin, tu as la magie des voix qui serpente dans l’air et ces deux femmes superbes se regardent en mêlant leurs filets d’argent. C’est d’une intensité qui vaut bien celle du «Joe Hill» a capella de Joan Baez à Woodstock, ou encore celle du duo Joni Mitchell/Pete Seeger sur «Both Sides Now». C’est de ce niveau. Complètement surnaturel. Ce sont ces moments de grâce qui te réconcilient provisoirement avec la vie.

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             Alors évidemment, aussitôt après la fin du set, on va la trouver pour la remercier de ce moment de grâce. Elle s’appelle Estelle et vient du département de l’Aisne, c’est-à-dire la Picardie, elle vient de se taper deux heures de route pour voir Super Nova, et bien sûr, elle fait partie d’une caste, celle des die-hard fans de Super Nova, allant même jusqu’à éditer les tabs des chansons de Super Nova pour les lui offrir, en les téléchargeant sur son site. Cadeau. On croise rarement dans la vie des jeunes femmes aussi lumineuses.

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             Alors bien sûr, on peut aussi écouter Other Shores. Le choix des covers est assez discutable, on voit bien qu’elle écoute pas mal de conneries à la radio : Stong, Journey, Foreigner, des machins comme ça, ce qu’on appelait autrefois la pop FM. Dommage qu’elle n’ait pas tapé dans Jimmy Webb ou Burt, car avec la voix qu’elle a, elle aurait pu faire des étincelles. Ceci dit, elle offre quatre raisons impérieuses de rapatrier son cover album : «Jealous Guy» qu’elle transforme en Jealous Girl, «Here Comes Your Man», «Like A Hurricane» et l’«Ever Fallen In Love» des Buzzcocks. Elle tripote des Cocks pour en faire du groove, elle fait sa punk au bar de la plage, et du coup, le Fallen bande mou, ce qui donne une version assez insultante. Cette version plaira à tous les iconoclastes. Heureusement, Pete Shelley a cassé sa pipe en bois, il n’entendra pas cette daube. Son hommage à John Lennon est beaucoup plus sérieux. Il faut dire bien dire que c’est une chanson parfaite pour une voix parfaite. Elle y va au began to lose control, elle tape au cœur de l’émotion, ça vaut bien son London Rain, elle se coole dans le moove avec des accents enfantins dans la voix. Pour cette occasion en or, elle jette dans la balance tout son génie vocal. Avec «Here Comes Your Man», elle se fond bien dans le moule du gros Black. Elle fait sa Kim Deal, elle hurle à la lune et ça donne au final un fort bel hommage. Elle se plaque plus loin sur l’immense Hurricane de Neil Young, mais elle le fait de façon plastique. Pas de son, juste du plastique. Elle ralentit l’Hurricane considérablement et le gratte à la dure, aw yeah. Et puis on retrouve le «Message Personnel» de Françoise Hardy, qu’elle chantait en rappel, l’autre soir, sur scène. Un certain charme, d’autant qu’elle fait l’effort d’un couplet en français, alors t’as qu’à voir ! 

    Signé : Cazengler, Ether Növö

    Heather Nova. Le 106 (Rouen). 19 novembre 2022

    Heather Nova. Storm. Columbia 2003

    Heather Nova. Other Shores. Odyssey Music Network 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Pas d’Aretha dans le beefsteak (Part Two)

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             Lorsqu’Aretha a cassé sa pipe en bois, KRTNT s’est prosterné jusqu’à terre pour lui rendre hommage, car elle fit partie des vraies reines, de celles qui nous importent. Comme d’ailleurs nous importent les vrais rois, Elvis, Dylan, James Brown, Iggy et tous ceux qui ont su faire de leurs vies des œuvres d’art, donnant non seulement du sens à leur vie, mais aussi à la nôtre. On est relativement nombreux à penser qu’on ne serait plus là sans eux.

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             Aretha revient dans le rond de l’actu avec deux films et une box : Respect, Amazing Grace et la belle Aretha box. Inutile de préciser que les trois sont indispensables, à commencer par ce film Respect, qui est une reconstitution de la vie d’Aretha, et là mon gars, tu vas pouvoir pleurer toutes les larmes de ton corps, car c’est tellement réussi et tellement juste que c’en est bouleversant. Fantastiquement bouleversant, et si finement amené, car tu commences par entrer dans une belle maison de Detroit, tu traverses un salon qui vaut bien les salons littéraires du XIXe siècle, mais ce sont des blacks qui slanguent du rap comme dans les films de Spike Lee, et la caméra suit l’un de plus grands acteurs de notre époque, Forest Whitaker, il monte des escaliers, entre dans une chambre et réveille sa daughter Ree qui dort, alors oui, Ree sing a song, elle descend au salon en chemise de nuit, et elle sing a song avec un feeling qui t’écrabouille de chœur, fuck, elle a dix ans et tellement de feeling, Detroit roots, baby, là tu piges tout, et dans le plan suivant tu la vois chanter le gospel avec sa mère qui est séparée du pasteur Forest, l’énigmatique pasteur Forest qui reste un tiers Ghost Dog, un tiers Amin Dada, et un tiers Charlie Bird Parker, l’inflexible Pasteur CL Franklin que tu verras tout à l’heure en chair et en os dans Amazing Grace, mais pour l’heure Ree est attachée à sa mère, back to the roots, le pasteur Forest part en tournée et prêche en Alabama, Daniel went into the lions den ! Lawd was with him ! Freedom ! On croit entendre Richie Havens dans cette fantastique transe de frénésie biblique d’église en bois, freedom ! clament les nègres en plein cœur du royaume maudit des racistes d’Amérique, preach Forest preach ! Alors oui, on y est, ride on, Ree !, elle accompagne son père et dans chaque église elle sing a song, puis on assiste au petit viol de Ree, c’est un passage mystérieux et pas beau du tout, ugly down, mais Ree ne dit rien, d’autant plus que sa mère casse sa pipe en bois, alors elle décide de devenir muette, et là tu peux chialer toutes les larmes de ton corps, amigo, car tu partages son désespoir, Ree plus parler, Forest se fâche, Ree sing a song in church, no way dit Ree du regard, et puis voilà l’ami de la famille, le Doctor King et la flamme du discours, malgré toute la violence des blancs dégénérés, il prêche la non-violence, avec la même intelligence universaliste que celle de Gandhi, là-bas de l’autre côté de l’empire des hommes blancs qui sont une malédiction pour toutes les autres races.

             Ree grandit et tu te retrouves dans une party, ce que les Américains appellent un barbecue, en 1959 à Detroit, Smokey Robinson fait partie des invités, il voudrait bien voir Ree chez Berry qui démarre son biz, mais Forest a d’autres ambitions, il vise New York pour Ree et il décroche un rendez-vous avec Mister John Hammond chez Columbia Record, oui le même Hammond, celui de Dylan, et de son fils, John Hammond Jr. Du coup Ree se retrouve en studio, are you ready Aretha ?, Yes Mister Hammond !, mais c’est l’époque Columbia de Ree, l’époque des albums ratés et de la petite variété orchestrée, like Judy Garland, et puis quand Ree monte sur scène au Village Vanguard, elle veut rendre hommage à Dinah Washington qui est dans la salle, et au moment où elle attaque, Dinah renverse la table et fait un scandale, avant d’aller trouver Ree réfugiée dans sa loge pour lui donner un cours de morale black : «Bitch ! Never sing a Queen’s song in presence of the Queen !». Pauvre Ree, elle doit encore apprendre à cheminer, et puis elle ramène Ted White chez Forest qui ne l’aime pas, alors ça donne une grosse shoote et Forest sort son flingue de Ghost Dog pour le buter, mais il s’arrête juste à temps, il comprend que Ree veut sa liberté. Freedom ! On est en 1966 et Ree veut changer. Ted White dit à Forest qu’il va changer Ree et la sortir de Columbia et donc de ses pattes à lui, pasteur Forest, 9 albums chez Columbia et pas de hits, ça ne peut pas continuer comme ça, alors Ted White emmène Ree chez Wexler et elle lui dit qu’elle veut des hits. Pas de problème, on a tout ce qu’il faut, Wexler les envoie chez les boys, chez Rick Hall, down in Alabama, 1967, Muscle Shoals, champs de coton, rien n’a changé depuis le temps de l’esclavage, ce sont toujours les nègres qui cueillent le coton des blancs. Fuck it ! Wexler s’engueule avec Rick Hall et Hall dit qu’il est chez lui, it’s my place, alors je fais ce qu’il me plaît, rien que des blancs dans le studio, ça ne plaît pas à au mari black d’Aretha Ted White qui porte pourtant un nom de blanc, et puis tu vas voir Spooner et forcément on assiste à la fameuse shoote entre Ted White et Rick Hall, retour à New York, Ree a l’œil au beurre noir, mais ça ne l’empêche pas d’apprécier les boys de Muscle Shoals et à 3 h du mat, elle se met au piano et appelle ses frangines Erna et Carolyn pour travailler le just a little bit de Respect, et pouf, on passe directement au Madison Square Garden reconstitué pour les besoins de ce film tétanique, Respect ! Ree danse, just a little bit, et la vie continue, Ree s’oppose à Ted White et reçoit un violent coup de poing dans l’estomac, alors elle finit par se débarrasser de cet affreux connard, mais elle plonge dans l’alcool, s’engueule avec ses frangines, et comme le veut la morale de cette histoire, elle est sauvée par le gospel en 1972, avec le fameux concert de Los Angeles filmé par Sydney Pollack, c’est d’ailleurs son album le plus vendu, et on voit Forest ému aux larmes dans l’église baptiste de la rédemption angélinote.

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             Tu sors de l’église à quatre pattes, mais tu y retournes aussitôt avec Sydney Pollack car le film est enfin sorti, quarante ans après la bataille. Derrière Ree, tu verras une équipe de blackos qui font partie des plus doués de leur génération, Bernard Purdie (beurre), Cornell Dupree (gratte) et Chuck Rainey (bassmatic), avec en prime Wexler et Arif Mardin, plus le Révérend James Cleveland, un vieil ami de la famille Franklin et l’extraordinaire Southern California Community Choir, un trentaine de Brothers & Sisters qu’on voit entrer au pas, à la queue leu-leu, dans l’église, en dansant et en chantant, et une fois le Choir installé, le Révérend Cleveland présente Ree, she can sing annything, comme dirait Elvis, et il ajoute : «My sister, Miss Aretha Franklin !». Il demande accessoirement aux gens rassemblés dans l’église s’ils peuvent chanter comme 2000 personnes, can you sing like 2000 ? Yeah ! font tous ces gens extraordinaires et Ree qui parait tendue attaque «Wholy Holy», alors elle se transfigure en chantant, elle devient incroyablement belle, on parle ici d’élévation par la beauté de l’art, c’est-à-dire le pur spirit, le fondu du profane dans les profiteroles, Ree est très concentrée. Elle monte au pupitre pour attaquer «What A Friend We Have In Jesus», elle danse d’un pied sur l’autre en chantant son gospel batch, elle va chercher ses notes si haut, les yeux toujours fermés. Sur «How I Got Over», Pollack filme le conducteur du Choir qui danse le jerk, plan imparable dans une église, Ree dégouline de sueur, le Choir claque des mains, ça swingue, baby, et Ree s’élève toujours plus haut. Pour «Precious Memories», elle grimpe son Jesus/ Jesus I’ll be with you si haut qu’on la perd de vue, Ree transcende l’art du chant, elle sacralise le sacrement, elle l’envoie valser dans les orties de la stratosphère, mais bizarrement, entre deux chansons elle paraît toujours aussi tendue. Elle ne sourit jamais. Elle enchaîne avec la pop de «You’ve Got A Freind», le hit de Carole King, la pop de Ree, you’ve got a fiend/ Call my name/ I’ll be there, elle expurge la pop de tous ses sins, elle purifie la King de l’eau, elle sunshine de l’intérieur. Bizarrement personne n’y avait pensé avant Pollack : il nous montre une Ree christique et un Choir qui comme 36 apôtres repend le take my hand, alors Ree rentre dans le chou du lard, elle resplendit de black beauty, l’art la transfigure, Pollack l’a bien compris, il la cadre et la recadre, il a compris qu’il filmait l’incarnation d’une femme en odeur de sainteté. Ree tape ensuit son «Amazing Grace» a capella, elle fait pleurer le Révérend Cleveland, elle rend fous les Brothers & Sisters du Choir, ils se lèvent par gerbes, c’est très spectaculaire, comme James Brown, Ree incarne tout le sacré si particulier du Black Power, elle transfigure l’idée même d’humanité, son chant atteint les régions profondes du cerveau, ces régions inexplorées qui dorment dans des liquides rachidiens, et puis voilà le deuxième soir, elle semble moins maquillée, on voit apparaître Clara Ward dans le public et le Reverend CL franklin en costard bleu, la classe, il monte faire un discours au pupitre, c’est le discours de l’émotion définitive, on voit que Ree est émue par ses paroles. Puissant father. Il faut voir les deux films, l’un éclaire l’autre. L’un de va pas sans l’autre.

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             Voilà donc la fameuse Aretha box, l’un des objets les plus précieux du monde moderne. Il s’agit d’une rétrospective de sa carrière répartie sur 4 CDs, box idéale pour les ceusses qui n’ont ni la place ni les moyens de stocker les albums. La box propose en outre quelques inédits, alors on ne va pas cracher dessus. Aretha ? Il ne s’agit pas seulement de Soul, il s’agit surtout d’entendre l’une des plus grandes artistes de son époque. Quand elle chante a capella le gospel de «Never Grow Old», elle se forge. Quand elle chante le blues («Today I Sing The Blues»), elle devient l’Aretha, elle brûle déjà d’un feu spécial. Comme elle a déjà tout vécu, elle sait de quoi elle parle. Quand elle chante «Won’t Be Long», elle se met à nu. Alors tu danses avec elle. Avec cette box, elle reprend tout à zéro, elle reprend le chemin de Damas à l’accent tranchant. Le disk 1 s’enlise dans l’époque Columbia, Ree se bat au running out pour sortir sa voix de l’ornière et des orchestrations. Quand elle chante «My Kind Of Town (Detroit Is)», elle jazze au piano jazz et menace de devenir folle. Et puis tu vas tomber sur une démo de «Try A Little Tenderness», occasion pour elle de t’emmener dans un au-delà du supportable, elle t’enfile comme une perle, elle chante aux petits orgasmes d’Otis, elle gueule tout ce qu’elle peut, et c’est là qu’elle entre dans le Deep South. Elle passe la rampe. Elle connecte avec le pathos, welcome in Muscle Shoals, «Do Right Woman Do Right Man», tu as beau connaître ça par cœur, ça t’émeut comme au premier jour, comme le chat avec la souris, elle joue avec la compo des petits culs blancs. Et voilà le premier hit, «Respect», claqué en mode Southern, les chœurs tombent du ciel, cette folle de Ree veut le respect, just a little bit, un modèle du genre et là Aretha devient la reine du monde, ce genre d’éclat génial ne se produit qu’une seule fois par siècle, alors «Respect» restera le cut fondateur de la Soul. Elle explose aussi Sam Cooke avec une déchirante cover d’«A Change Was Gonna Come», elle l’explose à coups d’I was born by the river, elle le tient par la barbichette, la voilà dans le génie du lieu, by the river. Pour «Chain Of Fools», elle dispose de l’une des meilleurs attaques de tous les temps, celle du heavy gospel blues. C’est aussi brutal qu’un coup dans l’estomac. Aretha a du punch, elle te propulse la Soul in the face. Et elle assoit son règne. Pour rendre hommage aux Stones, elle propose un violente cover de «Satisfaction» - Ahhhh can’t get no - elle devient animale, elle écrase l’œuf du serpent, elle remet la petite bite de Jag à sa place dans sa braguette, c’est de l’hystérie, elle mène le bal, elle danse sur le cadavre de la Stonesy, elle retourne la situation. Tout ce qu’elle entreprend devient une entreprise de démolition, elle t’emmène au paradis à gorge déployée, elle remonte les étages, ain’t no way, elle est surnaturelle. Aretha est la femme la plus pure, l’artiste la plus complète. Si tu sors «Ain’t No Way» de son contexte, le cut t’explose en pleine gueule. Avec «My Song», Ree va te hanter. Sa Soul te démolit et te reconstruit, tell me what is wrong, elle s’accroche à toi, prends la main qu’elle te tend. Et puis elle va te groover le coconut avec «You Send Me» - Darlin’ you send me/ Ahhh yeah - Merci Ree d’exister. Non seulement elle te groove le coconut mais elle y met le feu. Elle te jazze le vestibule, elle te lamine tes petites capacités de compréhension. Bonne nouvelle pour les ceusses qui seraient en quête d’absolu : plus la peine de le chercher, il est là, c’est Ree.

             On s’en doutait, ça repart de plus belle avec le disk 2. Suite de la promenade à travers un royaume magique, en compagnie d’une très belle femme. Tu tombes très vite sur le «Son Of A Preacher Man» connu comme le loup blanc. Mais Ree l’explose comme un fruit trop mûr, elle rampe dans le chaos de la Soul. Elle est all over the Preacher Man, elle gueule ça par-dessus les petits toits de l’Alabama, puis elle te recoince avec « Call Me », elle est tout, elle est la pluie et le parapluie, Ree, fantastique déesse, elle chante pour toi, elle chante à la pire des pires. Elle rentre dans le chou du « Bridge Over Troubled Water » sur un heavy shuffle d’orgue qu’elle double aussitôt de piano jazz et te plonge le museau dans un bouillon de gospel, elle transforme le Simon & Garfunkel vite fait bien fait. On la voit aussi duetter avec Tom Jones sur «It’s Not Unusual/See Saw», elle transforme ça en vieux shoot d’apocalypse, see saw babe ! Comme le montre encore « Brand New Me », sa façon d’entrer dans le lard d’un cut est unique au monde. Elle te fout aussitôt le souk dans ta petite médina, elle te réchauffe pour l’hiver, elle devient inter-galactique, elle échappe aux pesanteurs du langage, I got a brand new style/ Just because of you/ Boy !, elle te jazze le butt, Bob. Ree, reine de Saba au la la la la sur «Spanish Harlem» et elle passe au heavy «Rock Steady», elle remonte au front, à la bonne attaque, elle gueule tout ce qu’elle peut. Ça ne l’empêche de revenir comme une petite fille pour te demander un service : « Share Your Love With Me ». Elle installe alors les conditions d’un groove à visage humain, elle te prend dans ses bras, mais en copine, juste pour te donner un peu de son Black Power. Marvin chante comme le messie, mais si, et Ree comme une Sainte, elle donne corps à la légende des Saintes, elle extrapole l’immaculée conception, toute la spiritualité du monde moderne est là, dans sa voix. La voix fait tout, elle est universelle. Elle revient au blues avec «Dr Feelgood», mais elle chante le blues à l’orgasme pur. Elle est la seule avec Billie Holiday et Nina Simone à savoir le faire. Cette box est un vrai chantier. Tu t’écroules et tu renais en permanence. Avant tu disais : «Voir Rome et mourir», maintenant tu peux dire «Voir Ree et mourir». Elle reduette avec Ray Charles sur «Spirit In The Dark». Ray attaque et Ree lui donne la réplique. Tu ne peux pas espérer duo plus mythique. Ray est le Genius et Ree l’asticote. Black Power ! Explosion en plein ciel. C’est l’apothéose. La box que tu tiens dans tes mains tremblantes se met à vibrer. Back to the gospel time avec «How I Got Over». Avec Ree, c’est forcément over. Pur power du Ree System. Tu as tout le gospel du monde là-dedans. Ree devient éclatante de power surnaturel. Elle te nivelle par le haut. Higher and higher.

             Au bout d’un moment, tu as l’impression de délirer. Écouter Ree à forte dose, ça te fait le même effet qu’un gros shoot de produit magique. Alors au point où tu en es, tu entres dans le disk 3. Tu ne t’occupes même plus de savoir de quel album sortent les cuts, ni si ce sont des inédits. Tu te contentes d’écouter comme si c’était la première fois. En amour, c’est la même chose : chaque fois que tu entres dans un lit avec une femme bien disposée, tu recherches la première fois. Tu tombes très vite sur «Angel» et tu t’enfonces dans le jazz avec Ree. Elle cherche an angel to fly away with me, alors tu lui proposes tes services, an angel who’ll set me free. Elle veut s’envoler, elle a la voix pour ça, find an angel in my life, cette quête d’envol la rend délicieusement désirable. Non seulement elle cultive l’élévation, mais on a parfois l’impression qu’elle sculpte la matière du chant, elle rodinise sa Soul, elle fait corps avec son argile, elle devient experte en vocalises subliminales. On l’entend taper «Until You Come Back To Me» au désarroi sur une work tape, mais un désarroi spécial, celui de la démantibulation, ponctué par Bernard Purdie. Prestation d’une reine. Saba babe ! Elle rentre dans le chou du lard d’«I’m In Love» au I’m in love/ yes I am, elle est au summum du gras, elle est la cerise sur le gâtö, elle te polit le chinois au ooooh ooooh yeah, ses stridences portent aussi loin que porte le regard, elle rejoint Jimi Hendrix dans une volonté d’échappée cosmique, et là tu tombes une fois de plus dans ses bras. Elle va encore t’éreinter avec un «Without Love», gonflé de gospel et gangrené de violons, ça devient de l’abattage, elle peut ravager des plaines, Ree est encore pire qu’Attila. Encore plus terrific, voilà le fameux «Mr DJ (5 For The DJ)», elle redescend à la cave du heavy stuff, elle sait tenir sa baraque, elle te jerke les jukes vite fait. Écoute-la bien, mon gars, profite bien de sa présence, car tu n’es pas près d’en revoir une autre. Non seulement Ree est une Sainte, mais elle aussi un ange. La preuve ? «Something He Can Feel». Elle est dans les airs. Il faut s’habituer à l’idée qu’un ange puisse être une femme noire.  C’est donc une bénédiction que de l’entendre chanter. D’ailleurs Rhino l’a bien compris : il suffit de voir le visuel qui orne la devanture de la box : Ree est l’icône d’une Sainte. Elle est aussi ta meilleure amie. Elle te prend souvent dans ses bras. Comme le montre encore «Look Into Your Heart», elle illumine la Soul à n’en plus finir. Elle y revient à pleins poumons. Comme elle est un ange, elle fait de la haute voltige. «Break It To Me Gently» voyage dans les airs. Ree se permet toutes les audaces. Elle te colle le museau dans son intériorité, et puis il faut voir cette énergie du son ! Elle attaque «When I Think About You» au longeant de bâbord, elle est fluide comme un requin, elle va te bouffer tout le vaisseau, c’mon babe ! Et ça continue avec «Almighty Fire», il faut la voir pusher le push, elle est au front, sur la barricade, elle fout le feu. C’est plus fort qu’elle. Et quand tu écoutes «You Light Up My Life», tu comprends qu’elle te construit une cathédrale en trois minutes chrono. Le chant est si haut, si beau, si spectaculaire que les mots s’enfuient glacés d’horreur. Elle bâtit sa clé de voûte à l’accent perçant et c’est là qu’elle te transperce le cœur. Voilà qu’elle duette avec Smokey sur «Ooo Baby Baby». C’est le duo des princes. Un «Ooo Baby Baby» repris jadis par Todd Rundgren sur A Wizard A True Star. Smokey fait yeahhh comme une vieille qui fume trop. Ree boucle le chemin de croix du disk 3 avec un «Amazing Grace» fortement monté en neige. Gospel power all over, Ree s’y sent comme un poisson dans l’eau, elle fout le feu au gospel et retrouve ses voies impénétrables, elle monte son ahhhhyeah par dessus l’Ararat de court-bouillon. Ça va loin, cette histoire. 

             Heureusement, cette box ne contient que 4 discs. Spirituellement, c’est une épreuve épuisante. À force de crier au loup, on s’enroue. Mais dès «Think» t’es baisé ! Tu recries au loup ! Ree te démolit sur place. Ça va très vite, avec une reine de la nuit. Elle a tout le power des Amériques (surtout des Amériques noires) derrière elle, eeehhhh, alors elle y va, elle te cavale bien sur l’haricot. Voilà un duo de géantes : Ree et Dionne la lionne sur «I Say A Little Prayer». Elles tapent droit dans le système nerveux, Dionne la lionne rentre dans le chant et ton cœur explose de bonheur. Elles t’allument bien toutes les deux, mais Dionne ne fait pas le poids face à Ree. Ree est aussi monstrueuse que Jerr : rares sont les gens capables de duetter avec ces deux oiseaux-là. Ree regrimpe ensuite sur son Ararat avec «United Together». C’est plus fort qu’elle, il faut qu’elle éclaire le monde, alors elle tartine à l’extrême, c’mon Ree, c’mon ma reine ! Puis on la voit traverser sa petite période diskö funk, elle le prend à la bonne et se montre à la hauteur. Elle duette avec les atroces stars de l’époque, Eurythmics et George Michael, tout est pourri, le son, les contributions, la pauvre Ree tente de sauver les meubles, elle est héroïque. Il faut attendre l’«Oh Happy Day» pour retrouver la magie, car en plus elle duette avec Mavis. Ree s’empare de ce hit intemporel et Mavis la challenge, Jesus just the love, Mavis passe en dessous, elles deviennent infernales toutes les deux, c’est du stuff mythique, complètement explosif. Ree fait de l’opéra avec «Nessun Dorma», elle roucoule comme la Castafiore, mais son pouvoir de lévitation reste intact. Elle duette avec Lou Rawls sur «At Last». Elle crée les conditions du duo d’enfer. Le vieux Lou arrive par le travers, il a du métier, petit chaperon rouge, uhm uhm, il pourrait presque passer pour un dieu descendu de l’Olympe des Blackos, oui, car ils ont eux aussi leur Olympe, avec des dieux aussi balèzes que Zeus et toute sa bande - We are in heaven/ Oh babe - Ree prend son pied, ça s’entend. La série des duos mythiques se poursuit avec Ronald Isley et une cover du fameux «You’ve Got A Friend» de Carole King. Ree tape dans le florentin, elle a du métier, et Ronald vient fondre comme un sucre dans la cuillère. Ils sont effarants de génie transalpin, c’est l’avènement d’une nouvelle Renaissance, Ree tartine deux fois plus que lui. On retrouve plus loin le fameux «My Country ‘Tis Of Thee» qu’elle a chanté pour le premier président black d’Amérique, Barak Obama. Freedom yeah ! C’est assez définitif, à l’échelle historique d’une nation, alors Ree te l’explose, ta nation de racistes. Elle est en haut et elle monte encore. Les racistes blancs devaient s’étrangler de rage en entendant cette merveille. Elle termine dans l’enfer du paradis avec «(You Make Me Feel Like) A Natural Woman». Ree restera pour ses admirateurs la plus pure incarnation de la Soul, l’art nègre par excellence. Ree restera la reine des reines, celle de Nubie et de Saba, et bien sûr, elle règne sur la terre comme au ciel. C’est elle qu’on devrait voir dans les églises.

    Signé : Cazengler, Ree de veau

    Liesl Tommy. Respect. DVD 2021

    Sydney Pollack. Amazing Grace. DVD 2019

    Aretha. Box Rhino 2021

     

     

    L’avenir du rock

    - On ne muselle pas Musselwhite (Part One)

     

             — Bienvenue dans la chambre de l’avenir du rock, messieurs dames. Une petite devinette pour commencer : si vous ouvrez le tiroir de sa table de chevet, qu’allez-vous découvrir ? Un livre de chevet, comme chez tout le monde ?

             Effectivement apparaît un livre. Un curieux demande :

             — Alors quel est ce livre ?

             — C’est une bonne question, répond le guide, et celui qui trouvera la réponse gagnera un abonnement payant aux Chroniques de Pourpre qui sont gratuites.

             Un visiteur qui se croit plus intelligent que les autres lance une hypothèse :

             — Étant donné l’état d’esprit global de l’avenir du rock, il ne peut s’agir que d’un ouvrage sarcastique, du genre De l’Inconvénient d’Être Né, l’anti-chef-d’œuvre de Cioran...

             Son voisin manifeste son désaccord :

             — Grave erreur, monsieur ! Vous n’avez rien compris ! L’avenir du rock n’utilise pas le sarcasme pour s’en gargariser, mais comme un glaive pour combattre ardemment l’hydre de la connerie humaine ! C’est pourtant simple à comprendre !

             — Alors, vous qui vous croyez si malin, que proposez-vous ?

             — Je pencherais plutôt pour l’Anthologie de la Subversion Carabinée, de Noël Godin, je mettrais ma main à couper qu’il y puise toutes ses ressources, chaque soir avant de se jeter dans les bras de Morphée ! 

             Un autre visiteur lève le doigt pour prendre la parole :

             — Vous vous faites trop d’idées sur l’avenir du rock. Il a peut-être des goûts plus simples. Je proposerais plutôt un petit recueil de poèmes, ces poèmes légers et ravissants qu’on peut relire au clair de la lune...

             — Vas-y Raymond la Science, accouche !

             — Ah ce que vous pouvez être mal lunés tous les deux ! Vous n’avez pas compris que c’est dans sa nature que de tendre vers la lumière, comme le fit en son temps et du fond de son galetas l’infortuné Paul Verlaine ?

             Le guide reprend alors la parole.

             — Bon, vous vous fourrez tous le doigt dans l’œil, messieurs les exégètes à la petite semaine. L’ouvrage que renferme le tiroir que vous voyez là est tout simplement un mussel !

             — Ooooooooooh !, font les visiteurs en chœur.

             — Et pas n’importe quel mussel ! Ni celui de l’abbé Donissan, ni celui du pasteur Harry Powell, le Musselwhite !

    new rose, heather nova, aretha franklin, charlie musselwhite, randy holden, alis lesley, simone poussière,rockambolesques

             Charlie Musselwhite revient dans le rond de l’actu avec un sacré Mississippi Son. Tu ne bats pas les vieux de la vieille à ce petit jeu. Il gare sa bagnole dans le Delta et te chante «Blues Up The River» dans le creux de l’oreille, il descend loin au fond de sa vie pour te ramener des vrais accents de véracité, il te chante ça au doux du menton, au deepy deep de son dévolu, on le pousse pour qu’il aille plus vite, mais il ne veut pas, il avance à son rythme. Celui qui poussera Muss n’est pas encore né. Il adore le groove embourbé, le muddy road d’hobo.

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    De toute évidence, cet album est une énormité. Muss s’endort dans le moisi du blues d’«In Your Darkest Hour», avec les doigts de pieds en éventail. Il cueille la rose éclose à la pointe de sa glotte flappie, honey please come home et chante ça dans un dernier râle. Il est encore plus macabre que Lanegan. Et soudain, tout explose avec «Stingaree» - Mah baby/ She’s a honey bee - Il n’y a que Muss qui puisse nous faire ce coup-là - She’s buzzing me/ Feel so good - Il te souffle son haleine rance dans le cou et si tu es une femme, alors tu jouis, car Muss est un génie aux doigts de fée. Il tape ensuite le poor poor boy/ long long way from home de «When The Frisco Left The Shed» au heavy blues, c’est d’une classe inébranlable, because I ain’t no bed, il passe les coups d’harp de la misère, il marche in the cold cold rain et tu frissonnes avec lui. Puis dans les liners du digi, Muss nous explique qu’à une époque, il partageait une chambre avec Big Joe Williams, et qu’il a appris beaucoup de choses en le regardant jouer. C’est de là que vient «Remembering Big Joe» - I played one of his old guitars on this song - Puis il adapte «The Dark» de Guy Clark en blues thing - I met Guy a couple of times and he was a real likeable fellow - Chez Muss, les mots sont importants. Avec «Pea Vine Blues», il épouse le son au chant puis il s’en va rendre hommage à Hookie avec un «Crawling King Snake» tellement beau, tellement pur, tellement moisi - La nuit j’écoutais WLAC sur mon petit poste de radio, parce qu’ils diffusaient a lot of great blues. D’entendre John Lee Hooker taper du pied et gratter sa gratte sur «Hobo Blues» et «Crawling King Snake» tard dans la nuit, ce son sinistre me faisait un tel effet que je ne pouvais m’empêcher d’apprendre à les jouer - Encore du vieux boogie blues avec «Blues Gave Me A Ride», c’est un régal que de l’entendre croquer son boogie blues - I was raised out of Memphis - Il raconte son histoire et te souffle des coups d’harp dans les bronches. Il indique qu’il joue «My Road Lies In The Darkness» in an open tuning I call Spanish - Ain’t got nobody - Il sait amener un heavy blues avec un voile de mystère, comme le montre encore «Drifting From Town To Town». Pur genius, c’est d’une classe toujours aussi inébranlable d’if you ever, il continue et c’est tellement pur qu’on voudrait que ça ne s’arrête jamais. Il va encore chercher des racines au plus profond de son âme de vieux Muss, c’est ce qu’on ressent à l’écoute de «Rank Strangers», un cut des Stanley Brothers qu’il dit adorer, il chante dans l’écho d’un vieux temps et les minutes deviennent précieuses, vite dépêche-toi de profiter de Muss, tu le verras au volant de sa bagnole, à l’intérieur du digi. Il te fait tout simplement l’album de blues que tu avais besoin d’entendre.

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             Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, voilà Muss en couve de Soul Bag, un petit canard que Damie Chad eut bien raison de saluer récemment. Fantastique petit canard, le coin-coin du blues et de la Soul dont on devrait souligner les mérites plus souvent, car enfin, ils sont les seuls à défendre ce bon bout de gras en notre pauvre pays. Six pages d’interview, Muss a de la place, alors il peut raconter sa vie. Il commence par expliquer qu’il a quitté la Californie à cause des incendies pour revenir s’installer à Clarksdale, Mississippi. Il précise ce que chacun sait : Clarksdale est «l’épicentre du blues». Il y a d’ailleurs enregistré Mississippi Son, et il donne tous les détails sur ses guitares et la façon dont il les accorde. Il profite de sa tirade technique pour citer les noms de ses professeurs : Furry Lewis et Will Shade, pour les plus connus, Earl Bell et Willie Borum pour les inconnus au bataillon. Album enregistré en cinq jours, d’abord guitares & chant, puis les coups d’harp en re-re. L’interview est bien vivant, Nicolas Deshayes mène bien son petit babal. Muss rappelle qu’Hooky fut témoin de son mariage avec Henrietta (qu’il appelle Henri), voici 41 ans. Muss rappelle aussi qu’il était co-loc de Big Joe Williams à Chicago dans les early sixties. C’est pour ça qu’il lui dédie «Remembering Big Joe». Alors évidemment, Deshayes qui a plus d’un tour dans son sac branche Muss sur l’avenir, pas celui du rock, mais celui du blues, ce qui revient au même. Muss commence par indiquer qu’à 78 balais, il est temps d’y penser. Pour lui, la situation aujourd’hui est la même qu’à ses débuts : «il y a des magazines, des associations, des festivals», et il constate que partout où il va dans le monde, «les gens jouent du blues». Donc pour lui, pas d’inquiétude. Muss indique aussi qu’il connaît bien Cedric Burnside, et Kenny Brown qui a joué avec le grand-père de Cedric, «de bons amis», dit-il.  

    Signé : Cazengler, Alfred de Mussel

    Charlie Musselwhite. Mississippi Son. Alligators Records 2022

    Charlie Musselwhite. Soul Bag N° 247 - Juillet Août Septembre 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Randy-vous avec Holden

     

             Au fond, Rambo était un gentil mec. On le surnommait Rambo pour le taquiner. Sous cette carapace herculéenne se planquait le plus doux des agneaux. Il fallait juste éviter de lui marcher sur les doigts de pieds, il détestait ça. Le fait qu’on soit devenus amis reste un mystère, l’un de ces mystères qui nous dépassent et dont on devient par la force des choses l’organisateur. Nous devînmes inséparables. En apprenant à le connaître, on découvrait sa vraie nature qui était celle d’un adolescent attardé. Il parlait un argot superbe, avec l’accent d’un vrai Titi parisien, et les tatouages envahissaient peu à peu la surface d’une peau que le développement des muscles accroissait. Plus il était musclé et plus il se faisait tatouer. Pourquoi la muscu ? C’est simple : comme beaucoup de gens, Rambo en eut tellement marre de se faire casser la gueule qu’un jour il décida de s’inscrire dans un club de muscu. En quelques mois, ses bras doublèrent de volume. Ça lui permettait aussi de rester en osmose avec son environnement familial qui était celui d’une longue lignée de voyous. Comme son père et son grand-père avant lui, Rambo veillait scrupuleusement à maintenir la tradition. Un jour, il décida d’aller s’installer en province. Il loua ce qu’il appelait un manoir. Il fallut bien sûr aller lui rendre visite. Il n’avait pas raconté d’histoires, le manoir à lui seul valait le déplacement. On y menait grande vie, on y passait des soirées à tirer sur une pipe à eau en compagnie des petites gonzesses de sa connaissance qui avaient pour particularité d’être plus que délurées. Dans la journée, Rambo se distrayait en allant faire des tours de Harley dans la campagne environnante. Il n’avait pas changé, il croquait la vie à belle dents. Quelques mois passèrent. Il appela un jour pour demander ce qu’il appelait un service. Dans cet environnement relationnel, le mot service prend toujours une consonance particulière. Première chose : on ne peut pas dire non. Deuxième chose : il faut se préparer à tout.

             — Vas-y dis-moi.

             — Je débarque à Paname demain matin. Faut que j’voye un crabe dans une clinique. Ça dure une journée, y m’relâche le soir, faut qu’tu viennes me cueillir à la sortie.

             — Tu veux changer de sexe ?

             — ‘Rête tes conneries ! Me fais greffer des tiffs !

             — Oh tu rigoles ? Tu te fais planter des poireaux ?

             Le lendemain soir, Rambo sortit de la clinique avec un gros bandage sanguinolant autour du crâne. Il était complètement stoned, il tenait à peine debout. Quelle rigolade ! J’étais plié en deux, pâmé de rire, incapable de conduire ! Cette nuit-là, Rambo dormit à la maison. Il repartit le lendemain et depuis, aucune nouvelle. Certains jours, les crises de fou rire reviennent, à imaginer Rambo sur sa Harley, ses rangs de poireaux au vent.

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             À la différence de Rambo, les cheveux de Randy se sont pas des poireaux. Randy Holden est tellement culte que Mike Stax lui accorde 20 pages dans Ugly Things.

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    Allez hop, on ne va pas mégoter ! Culte parce que Other Half et parce que Blue Cheer, même si Randy attaque en affirmant qu’il n’a jamais pris Blue Cheer au sérieux - Honestly I never cared for Blue Cheer - En fait, Holden est arrivé dans Blue Cheer au moment où le trio se débarrassait de Leigh Stephens, le guitariste en titre. Trop de tension. Viré. Stephens évoque l’épisode qu’il a mal vécu, raconte que les deux autres et le manager Jerry Russell se shootaient à l’hero, il accuse même Russell d’avoir coulé le groupe et d’avoir lavé les cervelles de Paul Walhey et Dickie Peterson - He was the supreme parasite and control freak - Mais Dickie Peterson a sa propre vision des choses. Il raconte la tournée européenne de Blue Cheer et l’incident qui s’est produit à Stockholm. Peu avant de monter sur scène, Peterson trouve Holden sur scène en train de bidouiller ses amplis. Il lui demande ce qu’il fabrique et Holden lui répond qu’il les bricole pour améliorer leur son. Alors Peterson pique une crise de rage et lui dit que si jamais il touche encore une fois à ses amplis, il le tuera. Peterson ajoute qu’Holden se camait aux downers & uppers (Destubol), qu’on appelle aussi sidewinders. Alors quand Holden reprend la parole, il accuse Peterson d’être un menteur, un petit mec de rien du tout affligé du complexe de Napoléon. Holden précise aussi qu’il prenait un antidépresseur, half and half, car voyager avec des junkies, ça le déprimait. Pire encore, il n’y avait aucune information sur les comptes.

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    Et puis voilà le fameux album raté de Blue Cheer, New Improved. Holden y joue sur une face. Un jour Jerry Russell arrive avec une enveloppe et dit à Holden qu’il y a 1000 $ dedans. Holden n’y trouve que 500 $ et comprend que Russell a piqué le reste pour sa dope. Cette fois, les carottes sont cuites. Holden va directement au studio récupérer ses affaires. Fin de l’épisode Blue Cheer.

             Puis Holden part à l’aventure sonique avec le batteur Chris Lookheed. Comme il a eu du succès avec Blue Cheer, il se fait sponsoriser par le fabriquant Sunn qui lui confie 16 amplis pour son projet. Il laisse tomber la SG pour jouer sur Strato. Holden et Lookheed répètent dix heures par jour.  Tous les jours. Holden veut être le meilleur. Ils répètent pendant un an. Lookheed a huit amplis et Holden a les huit autres. Randy Holden : «This was going to be the biggest rock band in the world.»

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             Population II date de 1970. Cet album est considéré comme culte. Randy Holden ramène du gros gras double. Il emmène la heavyness au-delà de Blue Cheer, il va bien plus loin, mais bon, «Guitar Song» n’est quand même pas le hit du siècle. C’est même un peu rédhibitoire. Il joue sur ses 16 amplis mais en a-t-il seulement les moyens ? Ce mec est de toute évidence un dingue du son, il joue son «Fruit Iceburgers» au gras double, c’est son petit apanage. Avec «Between Time», il font à deux du Led Zep sur le riff de «Gimme Some Loving». Il passe au heavy blues avec «Blue My Mind», il l’éclate au Sénégal et nous sort le son des enfers. C’est avec «Keeper On My Flame» qu’il rafle la mise, Randy a rendez-vous avec les ficelles de caleçon, c’est un vétéran, il peut même devenir hendrixien, il est dessus et nous propose un fantastique concassage de heavy blues. Il force le passage avec une certaine brutalité, le voilà devenu super killer, Guitar God d’effarance impavide, il te coule dans la manche, il vise l’extrême onction de la mythologie avancée, c’est un déclencheur, il lâche ses coups de wah comme des bombes, il joue jusqu’à la mort du petit cheval, Randy Holden est un merveilleux seigneur, il avance dans se retourner, il file ses derniers coups de wah outside in the cold distance, ça tourne à la Holdenmania. S’il calme le jeu, c’est pour repartir de plus belle.  

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             Guitar God paraît en 1997, longtemps après la bataille. C’est un album encore plus électrique que Population II, il est même complètement saturé d’électricité. Randy-vous drive le son à la force du poignet. Il pose «Wild Fire» sur un petit arpège délicat, mais le cut est vite rattrapé par la réalité. Ce démon de Randy-vous bourre son groove comme une dinde de wild soloing. Il ne vit que pour la mythologie. Ça joue dans tout les coins, il est dans les deux oreilles. Ses cuts grouillent de riffs. Encore du fat electric stuff avec «Pain In My Heart». Il fait de la heavyness, mais avec esprit. Il joue son Pain à la note exacerbée. Il est excellent dans les balladifs comme «Hell And Higher Water», il se faufile dans l’épaisseur du son comme un shaker mover argenté. S’il fallait résumer le Randy-vous, on pourrait dire qu’il joue dans tous les coins. «No Trace» est bien cavalé sur l’haricot, et avec «Got Love», il passe au heavy boogie blues de rock. Il est en plein dedans, c’est noyé de son.

             Après Population II, Randy Holden va connaître une période vaches maigres. Plan classique : l’album qui ne sort pas à cause de difficultés financières, un contrat qui l’empêche d’aller signer ailleurs, plus de revenus et donc plus de quoi payer le loyer. Randy Holden n’a plus que sa guitare et une moto. Des amies l’hébergent pendant un temps. Il part ensuite vivre à Hawaï, se nourrit de poissons et de fruits et dort dans des cabanes - beach shack dirt cheap - Pendant vingt ans, il ne joue plus de guitare. Il finit par revenir vivre en Californie pour redémarrer son biz.

    Signé : Cazengler, Randymanché

    Randy Holden. Population II. Hobbit Records 1970

    Randy Holden. Guitar God. Captain Trip Records 1997

    Mike Stax & Eliot Kissileff : Randy Holden. Never Trun down ever. Ugly Things # 51 - Summer 2019

     

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    ZABAVY / AMUSEMENT

    JARS

    Il est des amusements plus inquiétants que d’autres. Celui-ci se trouve sur le Bandcamp de Jars, groupe russe stoner-grind-noise que nous suivons depuis plusieurs années. Ce n’est pas un album, juste un titre, une reprise du groupe russe Mimiy Troll qui apparemment n’a plus rien produit depuis deux ans si l’on en juge d’après son Bandcamp. La pochette se limite au strict minimum, un carré noir. Rien de plus. L’est sur leur site depuis mars 2022. Tilt, l’attaque de l’Ukraine par les troupes russes a débuté le 24 février. Le morceau est précédé de quatre lignes de texte, peu poutiniennes, jugez-en par vous-mêmes.

    ‘’ Nous n’avons pas eu la chance de faire une déclaration anti-guerre à grande échelle depuis la guerre. Cette chanson est le moins que nous puissions faire. Cette version a été enregistrée en solitaire par Andreï   bassiste et guitariste de notre groupe.

    Tout l’argent de cette sortie et de toutes autres sorties de Jars sur Bandcamp  ira à nos amis d’Ukraine.

    Fuck Poutin, Fuck war.’’

    Ce genre de déclaration ne doit pas être bien vu en leur pays et dénote un courage certain. Depuis le mois de Mars, Jars n’a plus rien posté sur son Bandcamp. Sur son Instagram, une annonce de concert à Moscou en avril et la promesse d’un autre concert au mois de septembre en compagnie de deux autres groupes amis. Deux morceaux postés voici cinq mois sur leur soundcloud, sont leurs derniers signes d’existence. Nous espérons qu’ils vont bien…

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    L’on s’attendait à une de ces tornades bruiteuses auxquelles Jars nous a habitué, il n’en est rien, frôlement de guitares et mélodie crépusculaire, un chant funèbre et c’est tout, des paroles qui évoquent la brisure de la musique et la mort mentale qui s’en est suivie. Est-il besoin d’explications supplémentaires ?

    Damie Chad.

     

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    Dans notre livraison 541 du 10 / 02 / 2020 nous avons chroniqué l’album The Republic du groupe américain Thumos. Enchanté par l’originalité de cet album nous avons par la suite chroniqué tous les opus et tous les titres de Thumos disponibles sur leur bandcamp. Rappelons que The Republic présente dix morceaux instrumentaux correspondants aux dix livres de La République de Platon. Un projet insensé, un résultat extraordinaire. Reste que Peri Politéia ( A propos de l’Etat ) – nous traduisons par La République car en occident nous utilisons les termes philosophiques grecs d’après la traduction latine qu’en a opéré Cicéron  - est un ouvrage long, complexe et subtil. Depuis des siècles des gloses n’ont cessé de s’accumuler soit pour expliciter, soit pour interpréter ce livre-phare de la philosophie. Prudemment Thumos a préféré n’en dire mot, préférant à une démarche diserte une entreprise poétique d’évocation musicale. Le principal désagrément de la lecture de Platon réside en ce que votre esprit n’en finit plus d’établir des liens entre les diverses parties de l’ouvrage ou de se perdre dans les abysses vertigineux soulevés par les résonnances que suscitent en vous certains passages… Dans les tiroirs de Thumos restaient trois morceaux relatifs au cœur de la doctrine platonicienne. Très modestement Thumos les a nommés les B-sides de leur album et les ont réunis sous le titre :  

    KALLIPOLIS

    THUMOS

    (Tke complete B-sides collection from The Republic / Octobre 2022 )

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    Nous traduirons le titre de cet album par l’expression française consacrée : La Cité idéale – en tant que reflet de ce qui est beau, juste tet bon – il convient évidemment d’entrevoir l’adjectif qualificatif ‘’ idéale’’ selon sa jonction avec la théorie contemplative des Idées.

    The guardians : ne nous laissons pas tromper par le rythme quelque peu martial et grandiloquent du morceau. Les gardiens dont il est question ne sont pas des policiers chargés de faire régner l’ordre dans les rues de la Cité, ce serait-là un grave contresens, encore moins les guerriers prêts à parer toute attaque ennemie. Si le rythme n’en finit pas de s’accélérer c’est qu’ici Platon, par l’entremise de Socrate, évoque un sujet de la plus haute importance qui exige des auditeurs et des lecteurs une attention sans défaut. Les gardiens sont les plus hauts responsables de la cité, leur éducation ne saurait être bâclée. Elle est présentée dans le Livre III de la République mais l’ouvrage en son entier est dédié à la formation de cette élite. Depuis des siècles elle a choqué bien des esprits. Les esprits modernes ont du mal à saisir la logique de sa conséquence. Platon conseille en effet de chasser les poëtes de la Cité. On pense tout de suite à ces sociétés qui réglementent d’une façon très coercitive la lecture et la pensée de leurs citoyens. Le vingtième siècle regorge d’exemples déplorables… Les gardiens ne doivent pas se laisser séduire par les artifices de la beauté des formules poétiques, celles-ci s’adressent à notre sensibilité, or la pensée doit se dégager de nos sensations émollientes et se laisser guider par une vision intelligible des choses. Les gardiens ne se laissent point submerger par leurs impressions ou leurs émotions puisqu'ils désirent émettre des jugements justes dégagés de toute circonstance adjacente. L’on comprend mieux l’urgence vindicative de ce morceau, la poésie est un poison redoutable, un dissolvant des énergies mentales, elle est le pire des ennemis de la Cité car elle rend aveugle l’élite dirigeante privée de tout discernement. The sun : ce soleil ne désigne pas l’astre bienfaisant que nous connaissons tous, c’est une métaphore du soleil des Idées, ces formes suprêmes dont tous les objets de ce que nous appelons la réalité ne sont que des reflets instables et grossiers. Nous sommes au Livre VII celui qui expose le fameux mythe de la Caverne. La musique s’est apaisée, elle progresse lentement, l’on n’accède pas à la vision des Idées platoniciennes en quelques secondes, c’est un chemin long, difficile et ardu. La batterie semble presser nos pas, mais les cordes émettent comme des échos tremblés qui nous obligent à ralentir, à faire attention, ne pas se précipiter tel un insecte qui s’écrase et se brûle au feu d’une torche. Le morceau se termine par deux pointillés sonores, deux points lumineux encore lointains mais qui témoignent que nous sommes sur le bon chemin. The divided line : tremblements cordiques, l’on retrouve l’élan de The guardians et la retenue de The Sun étroitement conjugués. Un pied dans les dangers marécageux du monde sensible, un pied dans la brillance inaltérable du monde idéel, à cheval sur la ligne de démarcation qui sépare le mensonge des apparences de la vérité des idées. Une frontière dangereuse qu’il faut savoir franchir sans hésitation, ce qui exige une longue préparation, de profondes réflexions, car la lumière des Idées apparaît comme intensément obscure lorsque l’on se trouve encore dans le mauvais côté des choses. Ce titre peut être raccordé à la lecture du Livre 7, mais il peut s’appliquer à l’ensemble du volume, car les discussions qui s’enchaînent entre Socrate et différents intervenants procèdent de la même méthode principielle celle de séparer les fausses opinions de la véritable pensée. Un peu comme Thétis qui brûle les parties mortelles de son bébé Achille pour ne garder que les fragmences immortelles et faire accéder ainsi son enfant délesté de ses scories humaines imparfaites dans le royaume de l’immortalité.

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             Ces trois morceaux sont magnifiques. Un régal pour les amateurs de doom et de philosophie. Ils s’adressent au cœur et à l’intelligence de ses auditeurs. De quoi attendre sereinement la sortie de la prochaine œuvre de Thumos, intitulée Symposium, consacrée à ce dialogue de Platon nommé Le banquet en notre langue.

             Thumos, un groupe différent. Unique.

    Damie Chad.

     

     

    ALIS LESLEY

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    Mais qu’est donc devenue Alis Lesley ? Disparue sans laisser de traces depuis une soixantaine d’années. Question récurrente que bien des amateurs de rock ‘n’roll se sont posés. La parution du dernier livre de Bob Dylan a ranimé la flamme de la curiosité. Non, il ne lui a pas consacré un des soixante-six chapitres de sa Philosophie de la chanson moderne. L’a fait beaucoup mieux, l’a mise en couverture entre Little Richard et Eddie Cochran. Ce n’est pas un montage photographique, un cliché pris en Australie. Connu de tous les amateurs de rock, il en existe même depuis quelques années une version colorisée. La beauté étincelante de Leslie a fait le buzz sur internet, quelle est cette inconnue ?

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    Comment et pourquoi s’est-elle retrouvée à l’affiche de cette tournée australienne qui réunissait trois des plus importants pionniers du rock : Little Richard, Eddie Cochran et Gene Vincent, excusez du peu.  D’une façon très simple, c’est Elvis Presley, le King en personne qui a joué de son entremise pour qu’elle en fasse partie. Elvis fut subjugué par l’apparition publique d’Alis Lesley au Silver Slimmer Gambling Hall de Las Vegas. Il existe plusieurs clichés de leur rencontre, l’on y retrouve la jeune et frêle Alis d’une beauté étincelante au côté d’Elvis qui arbore cette moue dédaigneuse qui fit fureur dans le cœur des demoiselles de l’époque…

    Ce n’est pourtant pas sa rencontre avec Elvis qui lui valut son surnom d’’Elvis Presley Female. Ce dernier mot n’a pas en langue anglaise la connotation péjorative que la langue française lui octroie souvent. C’était un slogan publicitaire initiée par le chef d’orchestre Buddy Morrow indissociable du milieu musical et journalistique dans lequel Alis Lesley  débuta. Peut-être même se présentait-elle à ses tout débuts sous le nom d’Alis Leslie.

    Née en 1938 à Chicago, Dorothy Dott est une enfant de Phoenix (Arizona), c’est dans cette ville que ses parents déménagèrent et où elle fit ses études. Passionnée par le théâtre elle entra au Phoenix Junior College où elle fut remarquée par Kathryn Godfrey dont le frère Arthur avait atteint en tant que journaliste un renom presque national.

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    Comme des centaines d’adolescent Alis subit le choc de la météorite Presley. Certes Elvis chantait mais ce n’est pas ce qui révolutionna en premier lieu le monde musical. Elvis bougeait, comme un nègre se hâtèrent de proclamer avec dégoûts ses détracteurs, Alis comprit le message. Certains témoignages affirment que sur scène elle en faisait plus que le gars de Tupelo. Nous voulons bien les croire, mais le fait qu’une gamine de dix-huit ans, blonde, belle et blanche osât se comporter ainsi en public et à la télévision locale avec un tel aplomb et un tel naturel - ne se produisait-elle pas pieds-nus – a dû percuter l’inconscient journalistique… elle se roule par terre, elle jongle avec le micro, se colle à la contrebasse, soumet son corps à de multiples étirements, se trémousse et danse sans jamais se départir de sa guitare. Pour la petite histoire son tour de chant était constitué de classiques du rock’n’roll, notamment Don’t be cruel et Blue Suede shoes.

    En 1957 Alis enregistre son unique disque, participe donc à la tournée australienne, donne quelques galas aux USA qui se terminèrent en émeute… elle semble bien partie pour devenir une des reines du rock ‘n’roll. Dès 1958, contre toute attente elle déclare qu’elle ne compte pas vieillir dans le showbiz, en 1959, elle quitte le métier non sans avoir enregistré une démo chez Sun… finissant en quelque sorte par où Elvis avait commencé…

    Qu’est-elle devenue ? Dès 1959 elle retourne à Phoenix s’occuper de sa mère malade. Par la suite elle devient professeur et missionnaire. Ce dernier terme semble bien énigmatique. Elle reste dans la région de Phoenix. Le dernier témoignage que j’ai pu relever dans un journal local de Phoenix nous la conte vêtue d’une façon bien moins affriolante que dans sa jeunesse, par contre, détail d’importance, dans la maison du guitariste Al Casey – a travaillé entre autres avec Duane Eddy, Lee Hazlewood et le Wrecking Crew, écoutez sa guitare suraigüe dans le Bird doggin’ de Gene Vincent – cette scène se passe en 1995. L’article nous assure qu’elle conseille les jeunes gens qui aimeraient se lancer dans une carrière artistique… Tout ce que l’on peut espérer c’est que sa mise en avant sur la couve du bouquin de Dylan l’incitera à se livrer à un journaliste… Elle devrait avoir 85 ans aujourd’hui…

    Single : ERA RECORDS (1957)

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    Era Records fut fondée en 1955 en Californie par Herbet Newman et Lew Bedell qui mirent fin à leur aventure en 1959. Le label fut racheté par K-Tell Records ce qui explique sur ce même label la sortie en 2008 d’Un EP cinq titres d’Alis Lesley : Barefootin’ Rockabilly Angel, dommage que la pochette ne soit pas à la hauteur du titre !

    N’est pas seule sur le disque puisqu’elle est accompagnée du Johnny Mandel Orchestra. Cette formation qui compta jusqu’à quinze membres n’a pas laissé, semble-t-il une trace indélébile dans l’histoire de la musique, mais a enregistré avec Amos Milburn, pianiste de boogie-woogie qui eut son heure de gloire dans les années 50, son premier album ( 1952 ) ne s’intitule-t-il pas Rockin’ the boogie

    He will come back to me : l’influence de Presley est indéniable sur l’orchestration et le vocal. Se débrouille bien la merveilleuse petite Alis, un peu desservie par des chœurs masculins qui sont loin des Jordanaires, une belle guitare pointilleuse, une contrebasse qui nous ramène vers Bill Haley et cette voix qui s’essaie à griffer et à se balancer avec une souplesse de jaguar. Une belle réussite. Heartbreak Harry : un peu à la Ray Charles, la voix n’est pas assez posée, du coup elle n’en paraît que trop blanche, le même guitariste doué, je subodore Al Viola qui accompagna pendant vingt-cinq ans Frank Sinatra,  se taille un beau solo sur un fond de cymbales jazzy, et ce qui ne nous étonne plus, ces doux éclats de cuivres en soutien qui n’osent pas se faire remarquer, Johnny Mandel oublie le rock ‘n’roll et l’ensemble vous prend sur la fin une connotation d’orchestre swing. L’orchestre de Mandel comportait une douzaine de cuivres.

    Compilation : SLEAZY RECORDS (2016)

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    Cette compilation Sleazy comprend évidemment les deux titres d’Era.

    Handsome man : la demo ( take 2 ) enregistré en 1959 chez Sun Records, vous la retrouvez chez Charlie Records et Bear Family ) ; un morceau de Charlie Rich, mais d’après moi ce n’est pas lui qui officie au piano, la voix d’ Alis est mûrie, elle a pris de l’ampleur sans perdre son élasticité, l’ensemble sonne jazz, très agréable à écouter mais l’on aurait aimé quelque chose de plus rock chez Sun ! Le traitement de la voix n’est pas sans évoquer le Crazy beat de Gene Vincent. So afraid : le slow-jazz à consonnance pré-early sixty, l’on retrouve l’orchestre Johnny Mandel avec ses chœurs masculins peu convaincants, une batterie en sourdine traîne-nageoire, heureusement que la guitare d’Al Viola sauve la face, Alis vous prend une de ces voix sucrées qui guérirait votre cancer de la gorge si par malheur vous en aviez un. Why do I feel this way : le blues-slow de service à la Elvis, avec sa guitare hawaïenne, l’a une voix grave Alis, l’on ne s’y attendait pas, l’on aime, l’on aimerait qu’elle vienne nous bercer le soir, sûr que les anges viendraient visiter notre sommeil. Après les shoo-be-doo du précédent et les wha-wha-doo-wap de celui-ci l’on est parti pour le trip nostalgie. Soyons honnête, son absence ne nuira pas à la culture indispensable d’un jeune homme ou d’une jeune fille moderne du vingt-et-unième siècle. Don’t burn your bridges : ballade romantique, ambiance club de jazz de troisième zone, piano langoureux et guitare à effets larmoyants, Alis chante avec la mélancolie d’une femme qui voit se profiler la ménopause à l’horizon de sa vie, le truc à faire chialer la ménagère de plus de cinquante ans. C’est peut-être la pensée de l’inéluctable qui a poussé Alis Lesley à disparaître dans les paillettes multicolores de sa gloire aurorale. Vivre vite et mourir vieille.

             Ou alors peut-être n’a-t-elle pas voulu abdiquer son rêve de jeunesse rock’n’roll. Les râteaux de la récupération selon les vieux modèles établis l’ont effrayée, l’est sûr que l’establishment politique et musical ont tout fait dès la tonitruante apparition de Presley pour tuer le poussin du rock’n’roll pas encore dégagé de sa coquille dans l’œuf. A-telle jugé que les voies de garage n’étaient pas pour elle…

             Qu’importe, un rêve évanoui reste toujours un rêve, une semence d’or inaltérable, qui survit dans la mémoire humaine et refuse de périr.

    Damie Chad.

     

    *

             Certains visent le million d’exemplaires, livres ou disques, d’autres misent sur la rareté. Deux démarches différentes. MMLI publient des cassettes alors que les lecteurs de minicassettes se raréfient dans les appartements de monsieur tout le monde. Ce qui n’est pas grave, MMLI compte sur les individus. La cassette que nous allons écouter a été tirée à trente-neuf exemplaires, chaque étui peint à la main est unique. A thing of beauty is a joy for ever disait Keats. Les bibelots ne sont pas tous d’inanité sonore. Ils sont des vecteurs qui vous emmènent où vous rêvez de vous rendre.

             Nous avons déjà rencontré Delphine Dora chez Kr’tnt ! par exemple dans notre livraison 529 du 11 / 11 / 2021. Ici il s’agit d’un projet à trois têtes, nous rencontrerons les deux autres branches du trident dans nos prochaines livraisons. 

    QUELQU’UN REVIENDRA-T-IL ?

    SIMONE POUSSIERE

    Delphine Dora  / Mathias Dufil / Cathy Heyden

    (K7 / MMLI / 2020 / Bandcamp)

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    Delphine Dora : piano, voix, samples, synthés, objets, sons, texte / Mathias Dufy : guitare, piano, voix, électronique, sons, texte / Cathy Heyden : saxophone.

    Il existe deux sortes de poussière. Celle d’origine biblique, poussière tu es, poussière tu retourneras, expression d’un dieu jaloux, des hommes et des femmes, et l’affirmation grecque : Les dieux n’ont pas eu d’autre substance que celle que j’ai moi-même, magistralement mise en scène par le poëte espagnol Juan Ramon Jimenez dans Espace, son poème ouragan qui correspond au remuement des dés dans le cornet de corne de licorne - unicorne de la folie mallarméenne d’Igitur. Les dieux grecs s’unissant sans hésitation avec les femmes et les hommes, preuve que leur différence congénitale n’était point insurpassable.

    Dommage pour Simone Poussière, interprétée par Delphine Dora, Mathias Dufil, et Cathy Heyden, sa vie de femme est ici entrevue comme poussière biblique. S’appeler Poussière est une triste définition de soi-même surtout si l’on sait que le prénom d’origine hébraïque signifie ‘’qui est exhaussée’’, les lecteurs goûteront l’ironie amère de cette dénomination.   Nos trois artistes pris de pitié lui ont conféré  le titre d’interprète de leur album. Un lot de consolation en quelque sorte. Faisant de sa triste vie une entité représentatrice de millions de personnes.

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    Corps se forme : notes noires de piano, bruit de conversation, Delphine Dora conte l’enfance de Simone Poussière, sa solitude, sa pauvreté, est-ce pour cela que la mélodie qui essaie – et peut-être qui n’essaie pas - de naître est formée de notes esseulées, de bruits divers, de sons épars qui se perdent, il est des dépouillements sonores qui confinent à l’humilité terreuse des existences évoquées… le corps se forme, pas assez de matière pour rajouter une âme dans le vide de la chair… Vezelay : des bruits informes qui râclent, une vrillée de notes pianistiques, des clochettes du malheur qui vous inondent la tête, Mathias a lu un début de texte, la vie de Simone à la dérive, qui crack de partout, Mathias se tait comme s’il était inutile d’aller jusqu’au bout, peut-être au fond un chantonnement a-t-il voulu prendre forme, mais il se déchiquette en semblant de parole pour se jeter dans le delta de voix issues peut-être de stations de radio inconnues et incompréhensibles, le monde se défait, un saxophone rampe comme la vermine sur des corps brisés, incommunicabilité des êtres, la musique est un chaos de glaciers qui avance lentement vers l’on ne sait quoi, la vie de Simone est un miroir brisé, existe-t-il vraiment un de ces éclats qui brillerait comme un espoir. Un miracle à Vézelay ? Simone n’a peur de rien : enfin une guitare qui joue, tout est dans la tête, Delphine Dora nous conte la ballade de Simone Poussière, un western terne depuis le début, une enfance triste comme la mort, une rencontre heureuse qui se terminera comme une feuille de papier déchirée, la spirale de l’échec, Simone n’a peur de rien, le rebut de sa vie ne la rebute pas. Grincement perçant. Et si demain : des mots du quotidien et des sons qui se heurtent entre eux, désagréablement des avions perdent de l’altitude, et si dans ce fatras demain se levait un soleil, ni la voix de Mathias ni le son qui se désagrège n’osent y croire, la vie est une promesse vide. Où es-tu ? : notes qui tombent, mots qui chutent, la médiocrité d’une existence suinte dans le constat implacable, des bruits nous hantent, de voitures, d’oiseaux sans envol, de tremblements de sonneries hypothétiques de téléphone, l’espoir n’est qu’un rêve passé à peine chuchoté, une voix intérieure qui essaie de peindre le réel de couleurs moins livides, une exaltation minée de rires sarcastiques, une plainte, passe-t-on à côté du bonheur, ou est-ce juste une illusion d’occasion ratée, un serpent sans tête se mord la queue, des flots de notes recouvrent le rêve éteint à la manière de la marée qui efface les châteaux de sable, majordomes du malheur précurseurs du cercueil. Les arbres : une guitare sonne et des bruits sifflent sans méchanceté, c’est l’heure de la récapitulation finale, toute la vie qui défile, un film dont les images s’assombrissent, les arbres vivent plus longtemps que nous, ils sont la mémoire du monde, nous ne faisons que passer, halètements de saxophone tiennent lieu de gémissements, vu du dedans la laideur est plus belle, il s’en dégagerait presque une harmonie à pas lourds, l’on avance sans hâte, le même geste qui écrit efface les mots au fur et à mesure, respiration rauque et agonique, la boule de neige noire de la vie se disperse selon la dissolution finale. Quelqu’un reviendra-t-il : des plis de sons, des effarements de frémissements, des notes de musique pour mieux entendre le silence, deux voix superposées nécessaires pour dresser le constat de ce qui a été et qui déjà n’est plus. Simone est redevenue ce qu’elle était, poussière. Roulements des charrois du mystère, tout est-il irrémédiablement perdu, ou alors quelqu’un reviendra-t-il dans le chatoiement de sa vie merdique, sur l’harmonium de l’église, des anges aux ailes cassés plaquent des désaccords tordus d’angoisse. Litanie funèbre sans réponse.

    Splendide. Noir, très noir. Une musique qui se défait en se déconstruisant, des voix qui disent en refusant toute embellie phonique, murmures de lichen sur les pierres tombales de cimetières. Une œuvre sans concession en équilibre précaire sur le fil du nihil. Magnificat fêlé élevé à la gloire du néant humain.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    EPISODE 10 ( récapitulatif ) :

    49

    Le chef exhibe de son tiroir à Coronado un tube métallique, pas besoin d’être un devin pour comprendre de quoi il s’agit. 

             _ Regardez Agent Chad, ces étuis métalliques je les utilise pour tromper l’ennemi, lorsque j’en sors un de ma poche celui qui me tient en joue pense que je vais le prier de me laisser fumer un dernier cigare avant de mourir, il ne s’attend pas lorsque je dévisse le capuchon à ce que je le jette sur lui.

             _ Ah ! Chef, je vous ai déjà vu faire le coup du lancer de nitroglycérine, quel plaisir d’assister à la retombée de confetti de chair humaine, même qu’une fois mon perfecto a en été tout constellé, tellement marrant que pendant huit jours je l’ai porté sans le nettoyer, jusqu’au jour où Molossa n’y tenant plus me l’a astiqué d’une langue experte ! Hélas j’ai oublié de noter cette scène cocasse dans mes Mémoires d’un G. S. H. ! Je sors mon stylo et…

             _ Agent Chad, ne soyez pas submergé par l’inspiration poétique,  je vous montre ce tube pour une tout autre raison. J’en garde toujours deux ou trois vides tout au fond de ma réserve à Coronado, l’on ne sait jamais… mais hier après-midi, pris par une envie subite, ce n’est pas du tout mon habitude, je plonge ma main dans mon tiroir, sans trop regarder, et ne voilà-t-il pas que mes doigts rencontrent ce tube que je tiens présentement en la main. Etrange, ils sont normalement rangés sous une bonne épaisseur de Coronados, or là quelqu’un l’a mis intentionnellement en évidence.

    _ Quelqu’un est donc rentré dans le local après mon départ et a profité d’une de vos absences…

    _ Agent Chad, après votre départ je n’ai pas bougé de mon bureau, j’ai travaillé assidument, à peine si j’ai pris le temps de fumer une petite quinzaine de Coronados, mais ce n’est pas le plus important, tenez lisez, ce petit morceau de papier qui dépassait de son embouchure !

    50

    Je n’en crois pas mes yeux, je le relis quatre ou cinq fois avant de reprendre mes esprits :

    Monsieur Lechef,

    Je vous en prie, faites vite, Monsieur Damie est en danger, vous seul pouvez le sauver. Songez aussi à Molossa et Molossito, si vous arrivez à temps, veuillez offrir à ces deux braves bêtes, elles sont si trognonnes, un bocal de fraises Tagada, de ma part. Je vous en remercie.

    Veuillez aussi transmettre mes amitiés à Monsieur Damie.

    51

    Un agent du SSR ne pleure jamais, mais là je ne sais retenir mes larmes, je pleure comme un paquet entier de madeleines de Proust.  Alice ! J’ai reconnu son écriture ! Depuis le royaume des morts, elle cherche à me protéger, cette fille est vraiment exceptionnelle !

    52

    Le Chef profite de mon émotion pour allumer un Coronado.

             _ Extraordinaire, n’est-ce pas Chad ? Mais ce n’est pas tout, il y avait un deuxième bout de papier, sa lecture risque de provoquer en vous un sentiment tout différent. Il m’est spécialement adressé, toutefois je vous laisse le lire pour que nous en discutions.

    Une cartonnette de cinq à six centimètres de long tapée à la machine : ‘’ Père, vous vous êtes trompé de chaise !’’ Je m’apprête à faire remarquer au Chef que je ne savais pas avait engendré au moins un enfant, lorsque l’évidence m’aveugle :

             _ Chef, nous avons donc passé une semaine à arpenter les allées du Père Lachaise en pure perte !

             _ Exactement, Agent Chad, excusez-moi de vous avoir fait perdre votre temps. Je vous l’avais déclaré, j’ignorais ce que je cherchais, le matin même de notre première visite, j’avais trouvé avant de venir au local, dans ma boîte aux lettres une enveloppe blanche contenant cette feuille tapée – le Chef la sort de la poche arrière de son pantalon – ainsi libellée : ‘’ Ce que vous cherchez se trouve au Père Lachaise’’.

             _ Vous m’aviez parlé d’une affaire personnelle…

             _ Oui bien sûr, je pense que cela vient de loin, une intuition, que je ne peux appuyer sur aucun indice tangible.

    _ Chef j’ai l’impression qu’il existe une logique dans cette aventure, que tout se tient, mais que nous ne parvenons pas faire un lien quelconque entre ses divers épisodes assez mouvementés, nous tournons en rond, nous sommes en quelque sorte manipulés par l’affaire elle-même, prisonniers d’un vortex qui nous emporte, rien d’extérieur, aucune branche salvatrice à laquelle nous pourrions nous accrocher pour prendre un peu de hauteur et examiner à tête reposée ces évènements disparates…

    _ Agent Chad, savez-vous la différence ontologique qui existe entre vous et moi ?

    _ Heu ! non Chef, je ne vois pas, bien sûr je suis un GSH…

    _ C’est pourtant simple, moi quand je ne sais pas, je ne sais pas, vous quand vous savez, vous l’ignorez !

    _Chef, je reste dans l’expectative !

    _ Pourtant Agent Chad vous cherchez ce que par métaphore vous avez nommé une branche…

    _ Hélas, je ne suis pas assez fort pour percer cette métaphore !

    _ Agent Chad, sortez de votre marasme intellectuel, nous n’avons pas une branche à notre portée, mais deux ! Action immédiate !

    53

    Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ! J’arrête la modeste 208 grise que je viens de voler juste en face de notre cible. J’ai choisi un modèle aux vitres teintées, dans la lueur blafarde qui tombe des lampadaires personne ne saurait reconnaître nos silhouettes, encore faudrait-il les apercevoir. Sur le siège arrière Molossito et Molossa mastiquent le bocal de fraises Tagada que le Chef leur a acheté. Ils ont gémi lamentablement quand il l’a déposé entre eux, les braves bêtes ont compris que c’était un cadeau de leur amie Alice dont l’absence leur pèse.

    _ Attention à ne pas les rater Agent Chad avec tout ce monde qui sort et entre comme dans un moulin.

    _ Pas de problème Chef, leur véhicule de fonction est à une vingtaine de mètres devant nous !

    _ N’oubliez pas que ce sont de sacrés loustics, bouffent à tous les râteliers, et on les invite souvent !

    _ Oui Chef, pas plus tard que hier ils étaient à l’Elysée !

    _ Attention, Lamart et Sureau sortent du journal, attendez qu’ils aient refermés leurs portières.

    Ils n’ont même pas encore mis leurs clignoteurs que nous sommes assis juste derrière eux, Molossa et Molossito se sont hissés sur la plage arrière en grognant, l’on sent leur colère mais nos deux Rafalos pointés tout contre leur nuque les calme immédiatement.

             _ Bonsoir messieurs, hier vous désiriez un petit entretien avec moi, me voici, je me suis permis d’emmener mon collègue avec moi !

             _ Ah ! Ah, le fameux Chef du Service Secret du Rock ‘n’roll ! Enchantés Monsieur.

             _ Appelez-moi simplement Chef, ce n’est pas que j’y tienne   particulièrement, tout de même dans notre société il est bon de rappeler que les gratte-papiers qui s’en vont chercher leurs ordres à l’Elysée sont un cran au-dessous des agents secrets du rock’n’roll !

             _ Si vous enleviez vos pétoires collées sur nos nuques, nous sommes sûrs que notre conversation serait plus détendue.

             _ C’est que n’avons pour le moment aucune envie de discuter, nous aimerions que vous nous emmeniez faire un tour !

             _ Nous ne sommes pas une agence de voyages !

             _ Rassurez-vous l’endroit est charmant !

             _ Vous avez donc décidé de nous emmener dans un bon restaurant pour échanger placidement quelques informations

    _ Vous avez deviné !

    _ Nous allons où, s’il vous plaît ?

    _ Au cimetière de Savigny !

    Un silence de mort s’installa dans la voiture…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 577 : KR'TNT 577 : TURTLES / BOO RADLEYS / LEON RUSSELL / JOHNNY MAFIA / NOSTROMO / DEHN SORA / DIDIER SEVERIN / ROCKAMBOLESQUES

      KR’TNT !   

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 577

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    01 / 12 / 2022

     TURTLES / BOO RADLEYS

    LEON RUSSELL / JOHNNY MAFIA

    SHIRLEY ELLIS / NOSTROMO  

    DEHN SORA / DIDIER SEVERIN

     ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 577

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Turtlelututu chapeau pointu

     

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             Pour apprendre des tas de choses passionnantes sur les Turtles, il existe deux possibilités : soit lire l’autobio d’Howard Kaylan, Shell Shocked - My Life With The Turtles, soit celle d’Harold Bronson, The Rhino Records Story: Revenge Of The Music Nerds. L’idéal est bien sûr de se taper les deux. Festin garanti. Miam miam. À condition bien sûr d’adorer la grande pop californienne.

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             Bronson leur consacre un chapitre entier dans son autobio (The Rhino Records Story: Revenge Of The Music Nerds). Le titre du chapitre met bien l’eau à la bouche : «Turtlemania! The Story of America’s Beatles». Comme ça au moins, on est tous prévenus. Pour Bronson, les Turtles font partie des chouchous. Il indique en outre qu’Howard Kaylan et Mark Volman furent des early supporters et de fervents collaborateurs, pendant les 24 ans d’activité de Rhino Records.

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             Au commencement était non pas le verbe mais The Crossfires, un groupe de surf instro, et en 1963, ils se réunissent pour discuter de l’embauche de Mark Volman. Okay pour Volman, il aidera à installer les amplis et il pourra chanter un ou deux cuts, mais il ne sera pas payé. Kaylan raconte que le soir de son premier concert à l’UCLA fratenity, Volman a tellement abusé du punch qu’il s’est écroulé dans les marches en explosant de rire, ce qui lui valut d’être surnommé «Bumbling Idiot» - Quand son père apprend qu’il ne touche que 5 $ alors que les autres en ramassent 17, il paye à Mark un sax alto, de sorte qu’il soit rémunéré au même taux que les autres - Avec les Turtles, on n’a pas fini de se marrer. Deux hommes d’affaires s’intéressent aux Crossfires, Lee Lasseff et Ted Feigin. Ils envisagent de créer un label pour les lancer et comme Feigin est un fan de Moby Dick, il baptise le label White Whale. Puis leur manager Reb Foster demande aux Crossfires de changer de noms. Pourquoi pas les Turtles ? - C’était un animal comme les Byrds et le ‘tles’ qu’on trouve aussi dans les Beatles sonne très anglais. Ça parlera bien au grand public qui va croire que c’est un nouveau groupe anglais. Le groupe accepte, à contre-cœur. Ils pensent que Reb se fout de leur gueule, à cause de leur look et du fait qu’ils sont lents et empotés - Et pouf c’est parti, première tournée en 1965 avec the Dick Clark Caravan of Stars : ils se retrouvent à l’affiche avec Tom Jones, Peter & Gordon, les Shirelles, Brian Hyland, Ronnie Dove, Billie Joe Royal et Mel Carter. Alors que leur avion décolle de Los Angeles, ils voient les fumées noires s’élever dans le ciel : the Watts riots. Les Turtles ont les cheveux longs à l’époque et ça se passe assez mal dans les hôtels, notamment au Hilton de Chicago où on les regarde avec mépris. Ils sont même harponnés par un vétéran : «I lost my arm defending you !». Comme l’indique le nom de la tournée, les artistes voyagent à travers le pays à bord d’un bus. Pour faire des économies, on dort une nuit sur deux dans le bus. Le règlement veut que les stars les plus anciennes dorment dans les fauteuils et donc pour étendre leurs jambes, il faut libérer des places. Les bleus doivent donc dormir au sol. Howard et Mark dorment au sol. Lorsqu’ils arrivent à New York, ils jouent au Phone Booth et un soir Dylan est assis au premier rang avec ses lunettes noires et sa chemise polka dots. Les Turtles font une reprise d’«It Ain’t Me Babe» et à la fin du set, on les amène à la table de Dylan qui semble être dans le coma. Dylan a le temps de dire qu’il a beaucoup aimé leur dernière chanson avant de s’écrouler, la gueule dans son assiette de pâtes. L’histoire des Turtles n’est faite que de ce genre d’épisodes drolatiques. Quand les Turtles doivent remplacer leur batteur, Gene Clark leur conseille de prendre John Barbata, qu’on appelle aussi Johny (sic) Barbata.

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             PF Sloan est très impressionné par le niveau musical des Turtles : «Leur son de basse est génial, très différent de ce j’entends ailleurs. Et le son de la guitare électrique est unique, ils sont bien plus excitants que les autres groupes en circulation.» Bill Utley salue lui aussi les musiciens : Chuck Portz (bass), Jim Tucker (rhythm guitar) et pour Bronson, Howard Kaylan «is the best singer in an American rock band of the period». Mark Volman amène a high harmony, comme David Crosby dans les Byrds. Chip Douglas, qui jouait dans le Gene Clark Band, remplace Chuck Porz pendant peu de temps. Un soir au Whisly A Go-Go, Papa Nez vient trouver Chip pour lui proposer de produire les Monkees. Avec les Turtles, Chip se fait 150 $ par semaine. Papa Nez lui propose 100 000 $ d’entrée de jeu, alors le choix est vite fait. Chip quitte les Turtles en 1967. C’est Jim Pons, le bassman des Leaves, qui le remplace. Il est tout de suite adopté par les Turtles, car c’est un mec chaleureux, low-key and friendly. Pons encourage les autres à chercher une voie spirituelle qui passe bien sûr par les drogues psychédéliques, les Eastern religions, la scientologie et la méditation transcendantale. Pons : «Being in the Turtles was a strange coexistence of the spiritual and the hedonistic.» Lors d’une tournée à Londres, les Turtles rencontrent les Beatles, mais ils trouvent l’attitude des Fab Four étrange. Ils voient Paul ramper sous les tables pour photographier l’entre-jambes des filles. Brian Jones présente Howard à Jimi Hendrix - Ils boivent tous les deux du cognac et mangent des omelettes aux épinards, mais le mélange est trop inhabituel pour Howard qui dégueule sur Jimi - Quand les Turtles jouent au Speakeasy, Brian Jones les félicite pour leur California harmony sound et Jimi Hendrix porte le fameux «eye coat» qu’on voit sur la pochette du pressage américain de son premier album, celui qui est paru sur Reprise.

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             Bon, les Turtles ont un son, seulement le problème, c’est qu’ils veulent être le Beatles - If the Beatles can do it, so we can - Quand ils passent une commande dans un bar, ils demandent «white tea with a bickie (a biscuit) on the side so we can dunk it.» À la parution de Revolver, ils passent leur temps à écouter l’album et ils prennent les drogues qu’ils imaginent être celles des Beatles. Puis ils flashent sur Ray Davies qu’ils considèrent comme l’un des reigning geniuses of pop music. Les Turtles sont invités à jouer à la Maison Blanche car la fille de Nixon est fan du groupe. C’est Volman qui raconte : «C’était une fun party, on a été bien traités et la bouffe était bonne. Il y avait environ 450 jeunes adultes, des fils d’ambassadeurs et de membres du Congrès, et boy, ils étaient bien défoncés.» Volman l’était aussi, car il s’est cassé la gueule cinq fois sur scène et a failli se battre avec Pat Nugent quand il a commencé à draguer sa femme Luci qui était la fille du Président Lyndon Johnson. Quelle rigolade ! On imagine la tête de Bronson à l’instant où il raconte cette histoire abracadabrante. Au sein des Turtles, on surnomme Howard Kaylan the King Penguin, à cause de sa façon de se dandiner sur scène. Certains admirateurs comme Tom Hibbert ont su reconnaître les mérites des Turtles albums, notamment Turtle Soup, qu’il qualifie de one of the five very best albums of the Sixties. C’est aussi hélas le dernier album du groupe. Ils avaient commencé à travailler sur Shell Shock qui aurait dû être leur meilleur album. Mais ils se sont fait rouler par un road manager qui s’est barré au Mexique avec l’argent récolté dans les tournées et, en prime, la femme de Jim Pons. Du coup, leur management s’est retourné contre le groupe avec une procédure. Pour affronter la tempête, les Turtles ont décidé de stopper net leur consommation industrielle de peyote, de magic mushrooms et de THC. Bronson va bien sûr sortir sur Rhino les deux albums bloqués des Turtles (Shell Shock et Captured Live). Il fait aussi une box avec Mark et Howard : The History Of Flo & Eddie And The Turtles.     

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             C’est Harold Bronson qui produit le film de Bill Fishman, My Dinner With Jimi (Turtles Story), sorti en salle en 2003. C’est donc un film Rhino. Comme le film est écrit par Howard Kaylan avec un Y, on y retrouve exactement tout ce que décrit Bronson dans son Turtles chapter et tout ce que décrit Kaylan avec Y dans son autobio, Shell Shocked - My Life With The Turtles. Au détail près. Sauf que c’est mis en images et d’une certaine façon, ça éclaire la pièce. Le film est comme tous les petits biopics rock, il tient ses promesses, avec des acteurs qui font de leur mieux pour ressembler aux personnages. L’acteur qui fait Jimi Hendrix est excellent, il s’appelle Royale Watkins, il est groovy à souhait. On voit tous les Turtles, Howard Kaylan avec un Y, Jim Pons, Mark Volman, Jim Tucker, Al Nichols de Johny (sic) Barbata, on les voit mimer le clip d’«Happy Together», une merveille imputrescible, et on les voit jerker le Whisky A Go Go en 1966, avec les Doors en première partie. On retrouve aussi dans le film l’épisode Herb Cohen qui donne à Howard Kaylan avec un Y les astuces pour se faire réformer, alors pendant une semaine, Kaylan avec Y et Volman se shootent sur la musique de «The Trip», le vieux hit de Kim Fowley. Puis arrive le premier voyage à Londres, l’invitation chez Graham Nash, la pipe à eau, et Donovan qui dit aux Turtles de se méfier de John Lennon, Nash leur fait écouter Sgt Pepper, puis il les emmène boire une pinte au Speakeasy, Lennon insulte Tucko et Kaylan avec un Y rencontre Brian Jones qui lui présente un Jimi Hendrix en costard rouge. Les verres de cognac, l’omelettes aux épinards, la dégueulade, tout se déroule exactement comme dans le book. Au détail près.

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             La couverture de Shell Shocked - My Life With The Turtles donne le ton. Kaylan avec un Y est là pour rigoler. Chez lui, c’est une disposition naturelle. Lui et Volman sont un peu les Laurel & Hardy de la scène pop californienne. Mais l’humour Kaylandais est un peu forcé. Lorsqu’il annonce à ses parents qu’il arrête ses études pour entreprendre une carrière de rocker, son père pique une crise, devient tout rouge, lui dit qu’il s’est saigné aux quatre veines pour lui et c’est ça le remerciement ? Alors pour le calmer, Kaylan avec un Y lui dit que si dans six mois, il n’est pas devenu riche et célèbre, il reprendra ses études. Sa chute de paragraphe est supposée être drôle : «Je me sous-estimais. It didn’t take that long.» Oui, les Turtles sont vite devenus riches et célèbres avec une cover de Dylan, «It Ain’t Me Babe», interprétée, nous dit Kaylan avec un Y, de la façon dont l’aurait interprétée Colin Blunstone, son modèle. En fait il ne supportait plus l’UCLA, où il était inscrit - It was the most intimidating place on the planet - Ses amphis pouvaient contenir 2 000 étudiants et les classes en comptaient 150 - Too big. Too fast. Too much. I was freaking out - Il devient beaucoup drôle lorsqu’il relate l’épisode déjà évoqué d’Herb Cohen et ses fameux conseils pour se faire réformer - Herb was a human lawn gnome, c’est-à-dire un nain de jardin humain qui ne portait que des chemises cubaines, des cargo pants et un chapeau d’Indiana Jones - Cohen lui donne tous les détails et lui dit de bien noter : plus se laver, se bourrer de drogues, refuser de passer les tests et act like a little queer, c’est-à-dire faire un peu la chochotte, les militaires détestent les tapettes. Et ça marche ! Quand Kaylan avec un Y sort libre du bureau de recrutement, il dit que c’est le plus beau jour de sa vie. Tous les mecs qui ont vécu ça savent très bien ce qu’il veut dire. On a la fabuleuse impression d’avoir baisé le système. Il y a aussi l’épisode de la Maison Blanche, où les Turtles, enfermés dans une bibliothèque qui leur sert de loge, sniffent leur coke sur l’ancien bureau d’Abraham Lincoln. Bon d’accord, c’est de l’anecdote à la mormoille, mais d’une certaine façon, ça reste en cohérence avec le côté potache de Laurel & Hardy. Ils ne se sont même pas posé la question de savoir s’il y avait des caméras.

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             Cette autobio est aussi l’occasion rêvée de traîner à Laurel Canyon. Kaylan avec un Y prend un soin particulier à détailler les endroits, ce que font rarement les auteurs : «Mark et moi nous installâmes à Laurel Canyon, sur Lookout Montain Avenue, au croisement de Wonderland Avenue School. Tous ceux qui bossaient à Hollywood étaient déjà installés dans le coin. Nos potes Danny Hutton (Three Dog Night) et le grand photographe Henry Diltz étaient nos voisins. Il y avait aussi la fameuse cabane de rondins de Zappa et les ruines du manoir d’Houdini.» Dommage qu’il oublie de citer Captain Beefheart qui lui aussi était installé dans le coin. Puis les Turtles enregistrent leur premier album aux fameux Western Studios sur Sunset Boulevard, là où ont enregistré les Beach Boys et Jan & Dean. Ils ont la chance de bosser avec Bones Howe : «Bones bossait avec ceux qui allaient devenir the Wrecking Crew, la crème de la crème des session players d’Hollywood, ceux qui ont joué sur tous les hits des Beach Boys, de Phil Spector, des Mamas & the Papas, des Fifth Dimension, des Monkees, all of it. The list is stupid long.» Ce qui explique la qualité des albums des Turtles, un groupe qu’on avait tendance à l’époque à prendre à la légère. Et c’est là que se met en route le rythme infernal : album/tournée/album/tournée. Pour leur premier vrai concert, les Turtles jouent en première partie des Herman’s Hermits au Rose Bowl de Pasadena. Puis c’est le Dick Clark’s Caravan of Stars évoqué plus haut, d’août à septembre 1965. Comme il y a des blacks dans le bus, Howard et Mark découvrent consternés les rigueurs de la ségrégation : pas question d’hôtel ni de restau dans le Sud - Il s’agissait des mêmes assholes qui se moquaient de nos cheveux longs. On les haïssait, mais on ne pouvait rien faire contre ça. Small people with small brains have always run this country - Kaylan avec un Y veut dire par là que les États-Unis sont un pays de beaufs. C’est Mel Carter, le black crooner de la tournée, qui initie Laurel & Hardy à l’herbe, une nuit, dans sa chambre d’hôtel. Il attrape Kaylan avec un Y par le cou et lui souffle une bouffée de fumée d’herbe dans la bouche. Sur le coup, Kaylan flippe, car il n’est pas gay. Mais c’est son premier trip - And then I felt it - Soudain, il voit mieux le monde, with a better focus. Le lendemain, Laurel & Hardy achètent de l’herbe à Mel Carter et c’est ainsi qu’ils démarrent une longue et heureuse carrière de druggies. Car cette autobio décrit aussi un maelström de drogues. Ces mecs-là n’arrêtent jamais. Tout est dans l’excès, à la mode californienne. C’est leur façon de rappeler que les deux cultures sont indissociables : les drogues et le rock marchent ensemble.

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             Ah il faut voir la trogne du Kaylan sur la pochette du premier album des Turtles, It Ain’t Me Babe. (Le deuxième en partant de la gauche). On dirait Thernardier ! Oh la gueule ! L’album est extrêmement poppy. Ils font une version bien nerveuse d’«Eve Of Destruction», mais bon, celle de Barry McGuire passe mieux, car plus raw. Ils tapent aussi dans Mann & Weil avec «Glitter & Gold», c’est joyeux, superbe, presque élastique. N’oublions pas qu’ils sont accompagnés par des requins de studio, donc ils ont du son. En B, ils tapent pas mal dans Dylan, avec le morceau titre, «Love Minus Zero», véritable emblème des Silver Sixties, avec des tambourins californiens, et pour finir une belle mouture de «Like A Rolling Stone», you dress so fiiine, Kaylan avec un Y fait bien son used to laugh so loud. C’est la chanson parfaite after all : contenu + mélodie.    

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             Kaylan avec un Y est content de sa Caravan of Stars : il parle d’une learning experience - Tom Jones was an education all by himself - En effet, quand le bus de la tournée arrive en ville, Tom Jones commence à faire son marché derrière la vitre du bus : des centaines de screaming girls l’attendent et rêvent de se faire baiser. Il agite derrière la vitre une peluche de cyclope nommée Wendell : «Oooh you’d like to meet Wendell, wouldn’t you ladies? Arrrgh here he comes, girls!». Wendell est surtout dans son pantalon. Tom Jones est un mec qui ne débande jamais. Kaylan ajoute en guise de chute que Tom était «très en avance». Les Turtles font ensuite une tournée avec les Larks et Shirley Ellis. Laurel et Hardy remarquent très vite que Shirley et son accompagnateur Lincoln Chase sont ensemble 24 h/24 et qu’ils sont camés jusqu’aux oreilles - Whatever they were on, it sure wasn’t weed - Ils remarquant dans la foulée que les Larks ont aussi les yeux sacrément vitreux. Mais Shirley et les Larks ne se mélangent pas avec les petits blancs. Laurel & Hardy doivent fumer leur grass tout seuls dans leur chambre d’hôtel.

             Ils vont d’ailleurs continuer de se schtroumpfer ensemble. Ils découvrent vite les avantages du LSD et Kaylan avec un Y fait un jour l’erreur de mélanger le LSD avec du champagne - Recipe for disaster - Lors d’un concert pour un public corporate, il insulte le public, puis il insulte ses collègues et finit par s’isoler chez lui pendant deux mois. De fait, il est viré du groupe. Il revient voir ses collègues un peu plus tard et découvre qu’ils répètent sans lui. Il leur demande ce qu’ils font. «On répète», répond l’un d’eux. «Vous répétez quoi ?». «Stuff», lui dit un autre. Puis on lui demande ce qu’il devient, et Kaylan avec un Y répond : «Rien». «Cool» lui dit un autre. Alors on lui demande si ça l’intéresse de revenir dans le groupe, et Kaylan avec un Y répond : «Sure. Why not?». Voilà comment ça se passe dans les Turtles. On est viré et on revient. Easy.

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             À une époque, ils enregistrent au studio d’Ike Turner. Ils découvrent un gigantesque œuf de Fabergé posé sur la console de mixage : c’est la réserve de coke d’Ike - Welcome to Bolic Sounds, boys. Enjoy yourselves - Pendant les deux semaines qu’ils ont passé dans le studio d’Ike, «the damned egg was never empty». Puis avec sa copine Diane, Kaylan avec un Y passe à l’héro. Apparemment, ses relations sentimentales sont conditionnées par les drogues - When we were good, we were very, very good, but when we were bad, we were beyond horrid. It was very Hollywood - Il évoque aussi les sessions d’enregistrement d’Illegal Stills - Je n’ai jamais vu autant de drogues dans ma vie. Et c’est moi qui dis ça ! J’ai beaucoup apprécié l’enregistrement de cet album, mais ça prenait des heures pour caler un cut. J’écoutais Stills raconter des récits de guerre imaginaires, il avait un énorme flacon de coke et un buck knife à la main - Comme tout le monde à l’époque, ils sniffent snaffent d’énormes quantités de coke, jusqu’au jour où le pif se met à déconner - And the I started to get a nosebleed. It was funny for a moment - C’est là que Laurel & Hardy décident d’arrêter la schtroumphsification industrielle.

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             Un jour, Bones Howe leur fait écouter une démo de P.F. Sloan, «You Baby» - Quand il entendit le motif de batterie, Don Murray sourit pour la première fois depuis trois ans (Don Muray fut le premier batteur des Turtles, vite remplacé par Johny (sic) Barbata) - C’est avec cette petite merveille que les Turtles devinrent the West Coast Ambassadors of Good-Time Music, nous dit Kaylan avec un Y. Eh oui, P.F. Sloan, on y revient toujours. Tu peux trouver «You Baby» sur l’album du même nom, paru en 1966. Big jerk it off ! Fantastique shoot de jingle jangle, c’est l’énergie du jerk de Sloan. On tombe plus loin sur un autre cut de Sloan, «I Know That You’ll Be There». C’est bien ficelé et même assez puissant. On ne regrette pas d’avoir rapatrié l’album. Encore du Sloan embarqué par-dessus les plages de Californie avec «Can I Get To Know You Better» et ils finissent l’A en pompant goulûment «Psychotic Reaction» («Almost There»). Kaylan avec Y ose signer ce pompage ! Ils virent un brin Dylanex avec «Fall Bearing Ball Bearing World», ça joue aux belles guitares incisives, c’est joliment ficelé, protest en diable ! 

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             Puis ils enregistrent «Happy Together» - C’est la seule fois où je suis ressorti du studio en sachant que je venais d’enregistrer un number one record - Et il ajoute, fier comme un paon : «It still defines me.» On retrouve cette merveille sur l’album du même nom, Happy Together. C’est le hit sixties par excellence. Leurs pah pah pah valent bien ceux des Beach Boys, alfter all. Globalement, ils font une belle pop chargée d’ambition, presque Brill. Elle peut aussi devenir inepte, un brin Disney. C’est le risque, avec ce genre de mecs. Sloan leur refile une compo en B, «Can I Get To Know You Better», beaucoup d’allure et ultra-chantée.  

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             C’est Dean Torrence - le Dean de Jan & Dean - qui réalise la pochette de The Turtles Golden Hits, our biggest-selling album. Kaylan avec un Y évoque aussi les Rhythm Butchers, ces covers enregistrées à l’arrache sur un lecteur de cassettes et commercialisées par Harold Bronson sous la forme d’une série de 45 tours - Stupid fun times.

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             Quand ils se débarrassent de Koppelman & Rubin pour décider de se produire et de se manager eux-mêmes, les Turtles réalisent qu’ils ne sont ni producteurs ni managers. Alors ils font appel à Harry Nilsson qui leur file un coup de main sur The Turtles Present the Battle Of The Bands. Mais les mecs du label White Whale mettent la pression sur le groupe. Ils veulent un autre «Happy Together». Excédé, Kaylan avec un Y compose «Eleanore» en retournant les accords d’«Happy Together» comme des peaux de lapin. Et ça marche ! C’est vrai qu’«Eleanore» tape en plein dans le mille, bien monté aux harmonies vocales. On finit par tomber sous le charme de cette drôle d’équipe, mais on voit bien qu’ils sont restés un groupe de singles, ils ne savent pas tenir la distance d’un album. Ils font un petit carton en B avec «Surfer Dan», pur jus d’On The Beach, ils sont capables de singer les Beach Boys avec brio. Big surf craze !

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             Ray Davies vient en Californie produire le fameux Turtle Soup, dernier album des Turtles sur White Whale. L’album floppe, car l’association n’est pas bonne. «She Always Leaves Me Laughing» est bien foutu, mais pas fulgurant. L’album est plein de son, «Love In The City» regorge d’ambition et de chœurs, ça brasse énormément, mais il manque la magie. Ça se réveille en fin de B avec «Somewhere Friday Nite», une pop psyché pleine d’allure, ultra-chargée et fouettée d’accords à la Keef. Mais c’est avec l’enchaînement de «Dance This Dance With Me» et «You Don’t Have To Walk In The Rain» que se produit le miracle. Ça démarre lentement et ça vire vite à l’éclat pop californien. Pure merveille ! Fantastique fil mélodique ! Superbe ! Plein d’élan, plein d’azur ! 

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             Ils demandent ensuite à leur vieux copain Jerry Yester de produire Shell Shock, le fameux album jamais sorti et rescapé par Rhino. Mine de rien en passant, c’est le meilleur album des Turtles. Ça démarre dès «Goodbye Surprise», une pop ambitieuse de Californian Hell. Fantastique allure ! Cette fois, on les prend vraiment au sérieux ! Au fil des cuts, ils restent fantastiquement ambitieux, ils se conduisent comme de sacrés puristes et des mélodies comme celle de «There You Sit Lonely» te remontent bien le moral - I sing a song for you/ I love you - Encore de la très belle pop aventureuse avec «We Ain’t Gonna Party No More», c’est surtout très chanté, ils deviennent même complètement magiques. Leur «Lady O» est aussi beau qu’un cut de John Lennon. Ils passent aux énormités avec «Can I Go On» et une fantastique qualité du son. Tu as de la slide et la basse de Jim Pons à la surface du lagon d’argent. Et voilà le coup de génie tellement attendu : «Dance This Dance». Ces mecs créent du rêvent comme en créaient les Beatles avec le White Album. C’est du génie mélodique à l’était le plus pur, tel qu’on le trouve chez John Lennon ou Brian Wilson. Avec «If We Only Had The Time», on entre encore une fois dans le lagon des Turtles. Ouch, quel album !

             C’est à cette époque que Jim Pons découvre Judie Sill. Et comme les Turtles sont entrés en guerre contre deux managers et leur maison de disques, ils se trouvent pris dans les filets de la justice. Ils n’ont plus le droit d’enregistrer - The Turtles were done - Laurel & Hardy deviennent Flo & Eddie et bossent pour Zappa qui en fait leur sauve la mise en leur proposant de chanter dans son groupe. Sans l’intervention miraculeuse de Zappa, ils allaient disparaître. La deuxième partie de l’autobio est donc consacrée à Zappa, aux tournées mondiales et au maelström des rencontres et des célébrités à travers deux décennies, jusqu’en 1993, quand Zappa meurt d’un petit cancer. Cette deuxième partie d’autobio est un festin royal pour les fans de Zappa, car Kaylan avec un Y décrit quelques orgies et n’hésite pas à rappeler que tonton Zappa est avant chose un sacré queutard, même si Gail Zappa l’attend à la maison. C’est une épouse intelligente qui l’accepte comme il est. Elle va même lui survivre et veiller sur les intérêts générés par sa postérité. Au beau milieu du maelström, Kaylan avec un Y rend un bel hommage à Bill Graham - A true gentleman - Graham aimait bien les Turtles - Il était là à chacun des shows qu’il organisait pour nous, standing in the wings and laughing his ass off - Kaylan avec un Y rend aussi hommage à Bowie qui tourne alors aux États-Unis avec Ronno - Bowie was a gentleman and his show was unbelievable. On avait sous les yeux l’avenir du rock - Kaylan avec un Y voit mourir Zappa, puis il apprend la disparition brutale de son ami Marc Bolan - When Bolan died, I had gone into shock - et puisqu’on patauge dans les tragédies, en voici une troisième : en 1974, John Lennon produisait l’album Pussy Cats de Nilsson. Lennon voulait qu’Harry pousse le primal scream. Ils rivalisent, et Harry dit qu’il peut crier plus fort et plus longtemps. Quand Lennon rentre à Londres, abandonnant May Pang et la Californie, Harry Nilsson est effondré : il a pété ses cordes vocales. Et ce n’est pas réparable. Alors il chiale. Il dit à Kaylan avec un Y qu’il avait été un roi et qu’il n’est plus rien. Alors adieu et il s’en va - When Harry ended, that’s the day the music kind of died for me - C’est la seule note triste de cette autobio.

             Et puis, on découvre au fil du récit que Kaylan avec un Y adore se marier. Il se marie au moins six fois, les photos sont rassemblées dans la partie centrale. Même vieux, il se marie encore avec une belle blonde. C’est un humour très particulier, typiquement américain. Un Anglais ne se vanterait jamais de s’être marié au moins six fois.  

    Signé : Cazengler, Turtignolle

    Turtles. It Ain’t Me Babe. White Whale 1965   

    Turtles. You Baby. White Whale 1966   

    Turtles. Happy Together. White Whale 1967     

    Turtles. Present The Battle Of The Bands. White Whale 1968   

    Turtles. Turtle Soup. White Whale 1969        

    Turtles. Shell Shock. Rhino Records 1987

    Bill Fishman. My Dinner With Jimi (Turtles Story). DVD 2009

    Howard Kaylan. Shell Shocked. My Life With The Turtles. Backbeat Books 2013

    Harold Bronson. The Rhino Records Story: Revenge Of The Music Nerds. Select Books Inc 2013

     

     

    Traînés dans la Boo

     

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             Liverpool ! Mot clé dans l’histoire du rock anglais. Avec les Beatles, Jackie Lomax et Shack, tu as les Boo Radleys de Martin Carr. Même niveau d’excellence, même parcours immaculé, avec une série d’albums intraitables. On va en parler.

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             Les Boo sont quatre, beurreman black (Rob Harrison puis Rob Cieka), Tim Brown on bass, et les deux figures de proue, Martin Carr, full blown genius, et le chanteur Sice, surnommé Eggman, car pas de cheveux, mais the voice ! Les Boo Radleys enregistrent leur premier album Ichabold And I en 1990. Bizarrement, les ingrédients qui vont faire leur grandeur sont déjà là, notamment le son et les mélodies. Avec «Kalleidoscope», ils sont déjà dans le mur su don, avec des éclairs de génie au chant. C’est pas loin du «Drive Blind» de Ride. La mélodie semble tituber au sommet d’un Ararat de délire sonique, Martin Carr met la gomme, il tire ses notes, ah comme c’est bon ! S’ensuit un «Happens To Us All» qui plonge dans l’enfer d’une fournaise de Boo, on assiste à une fantastique élévation du domaine de la turlutte, Martin Carr mixe le gaga power avec le melodico liverpuldien et ça monte au cerveau, c’est noyé d’ondes, bluffé de son, éclairci à coups d’acou et vite rejoint par la marée grondante du gaga blow. Cet album est un beau bazar. Les Boo se noient déjà dans leur énergie. Avec «Bodenheim Jr», ils jouent la carte du foutraque à gogo, c’est le son de leur jeunesse, ils tapent dans l’impavidité des choses, et derrière, ça bat tout ce que ça peut. Et puis surgit un «Catweazle» visité par un violent solo de disto ! Martin Carr est déjà très affûté. Le «Sweet Salad Birth» qui suit est tout aussi spectaculaire. En B, les Boo sont encore un plein boom avec «Hip Clown Rag», littéralement ravagé par des rafales de batterie. Quelle foutraquerie ! Cet album préfigure tout ce qui va suivre, lost my way, Sice erre dans la belle pop des Boo qu’est «Walking 5th Carnival». 

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             En 1992, ils signent sur Creation et explosent littéralement avec Everything’s Alright Forever. L’album grouille de coups de génie et de son. Gratté à l’espagnolade, «Spaniard» est vite plongé dans un bain de Spice. Spice n’est pas l’épice mais une sorte de chanteur surnaturel. Qu’on l’adore ou pas, Spice t’entraîne dans les eaux profondes d’une pop d’algues vertes et on dit ‘oh comme c’est beau’, pendant que Martin Carr règne sur la terre comme au ciel. C’est vite explosé au Spaniard de mariachi, et pendant que les trompettes font le job, Alamo pleure des larmes de sang au crépuscule des dieux de la miséricorde. S’ensuit un «Towards The Light» battu sec et sans concession, une espèce de crise de violence Boo. Sice grimpe sur la barricade pour sauver la République, c’est-à-dire le rock anglais. Cette violence est assez unique dans l’histoire du rock. «Towards The Light» illustre à la perfection l’idée du calme qui précède la tempête. À l’époque, aucun groupe ne pouvait rivaliser avec les Boo, qui bien que de Liverpool, cultivaient leur art dans la montagne, c’est-à-dire l’Olympe. Sice donne toujours l’impression qu’il embarque les cuts au sommet, mais une fois parvenu là-haut, Martin Carr l’attend pour lui broyer la gorge. La scène se passe systématiquement dans l’azur immaculé d’une prod parfaite. Ces mecs sont des titans violents. Ils fabriquent du mythe en permanence. «Skyscraper» en est encore une fois l’illustration. Sice chante ça dans un chaos paradisiaque, c’est noyé de son anglais, avec du ressac, des voiles, avec la guitare de Martin Carr qui claque aux cacatois et voilà une partie de slinging inespérée. Ah comme on aimait en ce temps-là entendre les grandes guitares anglaises. Et quand la menace du génie s’éloigne, on profite de «Room At The Top» pour prendre un peu de répit. Mais ce démon de Carr rôde dans cet enfer de heavy psychedelia. C’est un reptile atroce. Puis ça repart de plus belle avec «Does This Hurt». Back to the heavy power pop de Liverpool et là c’est un Niagara de son qui s’abat sur toi, avec un Carr qui rentre dans le groove écumant à coups de jive malveillant. Pareil avec «Smiles Fades Out». Sice a remarqué que les sourires s’effacent rapidement, mais derrière lui, la pression est extrême. Carr lève à nouveau une marée de violence sonique, exploit qu’il va d’ailleurs renouveler dans «Lazy Day», où il joue réellement à outrance. Clapton, Jimmy Page ? Ha ha ha, il se pourrait bien que Martin Carr soit the true British guitar God.

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             Paru l’année suivante, Giant Steps conduit les Boo au sommet du lard. Même les Boo ne pourraient pas surpasser un tel album. Dix bombes atomiques sur dix-sept titres, c’est un bon rendement. «I Hang Suspended» et «Barney (And Me)» furent des hits à l’époque. Avec Hang, on peut même parler de hit terminal, au sens où le fut le «Columbia» d’Oasis. Martin Carr taille une enclave dans la Brit pop et Sice s’y glisse comme une délicieuse limace. Alors ça gicle, ça jugule, ça pulse de l’arpège purpurin, Carr rajoute des cercles dans les cercles et ça devient aussi effarant qu’un hit de Brian Wilson, avec les glissades démentes des guitares de Liverpool. Avec Barney, ils foutent encore le feu à la pop, c’est attaqué à coups d’acou - Now I’m getting older - Tout est dans le texte de Sice - I still can’t find the words - Carr embarque Barney dans les trompettes avec du ruckus de guitare. Ils jouent en permanence avec le feu, au risque de brûler vif, ils sont donc un peu fous. C’est d’ailleurs ce que vient encore montrer «Wish I Was Skinny», cette merveille qu’éclaire le grand jour. On se croirait chez les Wannadies. Carr gratte sa gratte au soleil des Boo. «Leaves And Sand» flirte encore avec le génie. La tempête arrive après le calme. Carr est passé maître dans l’art des explosions nucléaires. Non seulement ça explose quand on ne s’y attend pas, mais il profite en plus du chaos pour partir en vrille. Ce mec a réellement du génie, ce n’est pas une vue de l’esprit. «Butterfly McQueen» sonne aussi comme une aventure sonique, Carr se barre en délire de gras double et Sice tripote le reggae groove - I finally broke your cool - Sice te chante plus loin son «Thinking Of Way» dans le creux de l’oreille. Merveilleux Eggman. Pure magie. Ils amènent «If You Want It Take It» au riffing des géants de la terre, ce qui paraît logique sur Giant Steps - I don’t worry about being proud/ As long as I’m alright - À l’époque, les Boo rivalisaient de génie sonique avec les Pixies. «Take The Time Around» se présente comme un déluge de feu. Ah ce Carr, quel barbarr ! Ils alternent comme d’usage les phases lumineuses et les déluges de feu. Carr est un adepte de la violence, comme l’était le gros dans les Pixies. Puis les Boo ramènent «Lazarus» à la vie avec un groove reggae et les trompettes précèdent Sice de peu - I must be losing my mind - Il est aussitôt violenté par une attaque sournoise de cuivres et de section rythmique. Les paroles de Sice sont un délice de perdition - And now and maybe now/ I should change because/ I’m starting to lose all my faith - se plaint-il pendant que des trompettes le ramonent.

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             Wake Up paraît en 1995, avec comme toujours, une pochette rococo. On y trouve que deux smash hits : «Stuck On Amber» et «Twinside». Pour une fois, on ne risque pas l’overdose. Sice chante Amber à la ramasse, secoué par des relances de basse démentes. Il rôde comme un requin dans le cloaque mélodique, il justifie et il explose - To get okay with me - Il devient le prince noir de la pop anglaise. Il chauffe ce cut amené à l’harmo avec des halètements et des tiguilis de bas de manche. Carr fournit le fourniment, c’est de bonne guerre et ça bascule vite dans la magie, Carr est un pourvoyeur monumental, et ça explose comme ça, juste comme ça, Sice plonge dans la jouvence, to get along/ To get along with me - Il est demetend. Quant à «Twinside», le son monte par vagues de power dans une prod de rêve. Le «Wake Up Boo» d’ouverture de bal est un cut de pop explosive, mais pas un hit. Sice s’y comporte encore en chanteur de rêve et Martin Carr soigne sa réputation de Brian Wilson liverpuldien. Il explore les voies impénétrables avec «Find The Answer Within» et grâce aux nappes de cuivres, il en fait une merveille de Brit pop.

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             Le coup de génie de C’mon Kids s’appelle «What’s In The Box». On y voit Sice fondre sa voix dans un enfer sonique saturé de guitares. Les Boo retrouvent leur goût pour l’apothéose dans «Ride The Tiger», un cut d’attaque frontale secoué par de violentes accélérations de foutraquerie savamment orchestrées. De toute évidence, les Boo aiment leurs chansons. Ils amènent la pop anglaise à un niveau disons plus extatique. Ce sont des fous de l’apothéose. On trouve en effet dans le commerce très peu d’apothéoses de ce niveau-là. «Bullfrog Green» est un cut d’une extraordinaire modernité. Carr envoie ses Panzer Divisions ravager la pampa, il passe d’un climat à l’autre sans savoir pourquoi. Quand il écrase, il écrase. Les Boo attaquent leur morceau titre à la cisaille de Liverpool. C’est très chargé, peut-être trop. Sice surnage à peine dans cette mer de Boo. Carr envoie des paquets de mer, c’mon, c’mon, ça tient de la merveille révélatoire, Sice chante à s’en écarteler, il vise l’intemporel dans le temporel. On n’avait encore jamais vu autant de son dans un disque anglais. Les Boo dépassent les boornes. Tout explose dans l’œuf du serpent, rien ne peut résister à ça, aucune oreille, aucune cervelle. «Melodies For The Deaf» souffre de trop d’ambition, de trop de démesure, de trop d’incidences, les Boo retroovent leur équilibre avec le gaga-punk du «Get On The Bus» trashé à la gratte de Carr. C’est une insurrection, un assaut de Boo, un nec plus ultra. Puis Sice coule «Everything Is Sorrow» dans le moule de la belle pop anglaise, une aubaine après les horreurs qui précèdent. Carr monte ça en neige, on peut lui faire confiance. Avec «Fortunate Sons», on voit que Carr plombe le son quand ça lui chante, mais l’album est tellement foutraque qu’il scelle le destin des Boo. Ils entament leur déclin. Ils sont incapables de se recaler sur Giant Steps. La fin de cet album est une espèce de foorre-tout d’idées de Boo, comme s’ils expérimentaient en direct sous nous yeux.

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             Le dernier album des Boo sur Creation paraît en 1998 : Kingsize. Oh ils sont encore capables de coups de génie, comme le montrent «High As Monkeys» et «Adieu Clo Clo». Avec Monkeys, ils tentent l’accélération des particules de Liverpool, avec un sens aigu de l’élévation. Sice éclot et Carr apporte un chant de contrefort pour élever la température, et pour coorser le Boo, il ajoute des petits gimmicks incendiaires, ceux qui pourraient précipiter l’éjaculation. Puis ça explose puisque Carr largue sa bombe. Encore de l’envolée avec Clo Clo et les solos de Carr renvoient bien sûr à ceux de Noel Gallagher. Autre merveille : «Comb Your Hair» qui sonne comme un hit des Ronettes, même envie mélodique - So c’mon baby comb your hair - Carr fait entrer les guitares et boom - And we may never be this young again - Il a raison, les paroles sont du pur teenage angst - Get out while we can and clear out our dusty heads - Carr monte aussi des fanfares extraordinaires pour «Blue Room In Archway». Sice halète et ça grimpe directement là-haut, Carr a décidé une fois de plus d’exploser la pop et d’élever une pyramide. Ils tentent de renouer avec les hauteurs toxiques de Giant Steps dans «Heaven’s At The Bottom Of This Glass», Sice est dessus dès le réveil et Carr ramène tout ce qu’il peut : d’énormes guitares et des trompettes. Ils passent leur temps à vouloir récréer d’anciennes magies, le morceau titre en est encore une fois la preuve. C’est pourtant une merveille - How would I like to shake it all with me  - Final éblouissant. Ils rendent hommage à Jimmy Webb avec «Jimmy Webb Is Good» - I’ll be your fan forever - Carr avance à marche foorcée dans la Boo, et c’est orchestré à ootrance, avec un parti-pris rocky. Puis il sature «She Is Everywhere» de big guitars, il les envoie se fracasser contre un Wall of Sound, c’est très spectaculaire, on est chez les Boo, donc il ne faut plus s’étoonner de rien.   

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             Il existe aussi une compile de singles parue en 1993, Learning To Walk, sur laquelle il n’est d’ailleurs pas question de faire l’impasse. C’est là qu’on trouve leur cover d’«Alone Again Or», rien de plus mythique, car hommage de géants à d’autres géants, les Love. Cette cover est une vraie barbarie. Liverpool + Arthur Lee, c’est le clash suprême. On se souvient de cet album d’Arthur Lee enregistré à Liverpool avec Shack. Le «Kaleidoscope» d’ouverture de bal est un fantastique pudding de liverpulding, Carr déverse ses cataractes acariâtres et presse ses boutons de pus, ça tangue dans l’exelsior de Maldoror. Toutes ces guitares ! On croirait entendre William Reid. Carr sonne sa trompe dans la clameur du combat carthaginois. Le son des Boo continue de ressembler à un gigantesque millefeuille dégoolinant de crème. Avec «Aldous», ils reviennent à la surenchère et «The Finest Kiss» dépasse l’imagination. On a toutes les guitares qu’on peut imaginer et même davantage. On patauge dans la magie des Boo, dans le balancement des accords de rêve. Carr est un fou, il sort ici la meilleure power pop de son temps et Sice pousse bien sûr à la roue. Et on assiste à des développements d’extrême clarté évangélique. Carr tape son «Bluebird» à la cloche de bois et il s’y conduit comme le pire wild guitar slinger qu’on ait pu voir ici bas. Avec «Noami», ça ne rigole plus. Mais trop c’est trop. Carr bourre sa dinde de son, il a la main lourde, il ne peut pas s’empêcher da ramener sa guitare kill kill kill. On voit aussi Sice faire sa courtisane dans «Eyebird», pendant que Carr monte un barrage de son contre le Pacifique avec des ouvertures de lumière. C’est son truc. Il joue sur l’alternance de violence extrême et de paix biblique, comme les Pixies. On finit par se perdre dans cette jungle perpétuelle. Les pluies soniques sont très acides et Sice n’en finit plus de chanter comme Riquita jolie fleur de banlieue. Ils finissent avec un «Boo! Faith» dévoré par une basse fuzz, power all over ! Ces mecs ont le son dans le sang, ça éclate dans des guitares d’effarance contextuelle, avec un Carr en comatose. Sice a la trouille. 

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             En l’an 2000, Martin Carr entame une carrière solo sous le nom de Brave Captain. On le voit sur la pochette de  The Fingertip Saint Sessions Vol. 1, déguisé en martien, dans un contre-jour métabolique, mais la photo intéressante est au dos du digi où on le voit dans son home studio, entouré de ses guitares et de ses claviers. Il tente de réanimer le spirit des Boo avec «Raining Stones». Il allume son cut tranquillement et cherche les coins funny. Il est en liberté. Il fait du bon Boo. En fin de parcours, il bombarde son «Little Buddah» d’electro, comme s’il défendait l’indéfendable. Comme il est courageux, il plonge dans son délire. Il a pour lui une certaine expérience de l’experiment, alors il fait du druggy wild shoutout, avec un son qui te saute à la gueule, bien acid dans son dévolu aphrodisiaque. Il s’arrête à six et repart après. D’ailleurs on écoute cet album comme si on était en plein acid trip. C’est très barré, il attaque à la racine de la cervelle, c’est à toi de faire gaffe. Il gratte son «Starfish» à coups d’acou, tu n’es pas redescendu alors tu suis le mouvement. 

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             Il enregistre Nothing Lives Long He Sang Only The Earth And The Mountains l’année suivante, pour la plus grande joie des fans des Boo. «The Monk Jumps Over The Wall», c’est exactement comme si John Lennon s’adonnait à des exercices de libre cours. Martin Carr opte pour la magie, et comme il relaye ça avec du Brian Wilson, forcément ça explose. Carr fait ce qu’il veut, il a la grâce et le power hérité des Beatles, ce qui montre encore «The Tragic Story». Il sonne comme Lennon au temps de «Get Back». Là, tu as un truc énorme. «Third Unattented Boy On The Right» sonne aussi comme un cut inspiré des Beatles. Carr brandit bien haut le flambeau de la pop de Liverpool. Il ré-instaure la suprématie de cet art suprême, il y fait entrer des guitares grinçantes, c’est très fin, très hanté, une union de Dieu et du diable pour le meilleur et pour le pire. Il fait aussi de l’Oasis avec «Go With Yourself». Il sait rester bon jusqu’au bout des ongles. Il nous ressert aussi le «Raining Stones» de l’album précédent, c’est un hit inter-galactique, digne de ceux de Brian Wilson. Il fait le sorcier du son dans «Tell Her You Want Her», il amène une basse au doux du son, c’est une merveille. Il se donne ensuite les moyens du son crade pour «Big Red Control Machine». Il se prend pour le Stooge de l’electro. On le voit aussi faire avec «Assembly Of The Unrepresented» de la liverpuldasse avec l’harmo de Charles Bronson. Fallait y penser !  

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             En 2001, il attaque une petite trilogie d’albums plus expérimentaux, l’orange, le bleu et le vert, avec des titres à coucher dehors. L’orange qui est en fait un EP s’appelle Better Living Through Reckless Experimentation. Pour le morceau titre, il sort le riff des Stooges. C’est Detroit à Liverpool. Aw, en plein dans l’œil de TV Eye. On en pleure. Stoogerie de l’aube des temps. Il nous plonge en pleine fournaise. Carr sait carrer un cut. Relentless & powerfull, il sature sa disto et renvoie des remugles de wah. Bon alors après c’est très différent. Martin Carr accompagne tous ses cuts jusqu’à l’hôtel de «Canton Hotel» pour les épouser, c’est un précieux précoce, un éphéméride efféminé, un homme sans condition, comme dirait Robert Musil, c’est assez homogène dans l’homéopathie congénitale. Quel brave Captain !   

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             Advertisements For Myself est le bleu. Pour ceux qui voudraient lire les noms des cuts au dos du digi, tintin, c’est illisible car imprimé en gris clair sur aplat bleu clair. Se niche sur cet album un sacré coup de génie : «My Mind Picture». Il gratte ses poux pour revenir à la power pop d’élévation. Power pur, Liverpool vibre de toutes ses briques. Comme ces mecs savent gratter des grattes, c’est tout de suite magical, mon cher Mystery Tour. Ce démon de Carr recrée l’illusion de la pop, il claque ça non pas au bénéfice du doute, mais à l’ambition démesurée. Il est invaincu, comme Jake La Motta ou Robert Pollard, il peut lever le poing. Avec «Realize» on le voit partir à la conquête du chant, comme Brian Wilson ou Jimmy Webb. «Stand Up & Fight» se déclenche comme un ouragan liverpuldien. Retour à l’énormité avec «I Was A Teenage Death Squad». Martin Carr refait son Lennon, il colle bien au terrain. Il reste envers et contre tout le Merlin de la pop anglaise, comme le fut John Lennon avant lui. Il descend vite les escaliers de «Fucking Sunday». Il rebondit dans des shoots d’electro comme un popster organique, il croise des tas de spoutniks, mais c’est avec «Mobilise» qu’il va fendre les cœurs. Il revient à la douceur de vivre. C’est encore une pop song miraculeuse. C’est pour ça qu’il faut suivre Martin Carr à la trace. Ne jamais le perdre de vue.      

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             Le vert paraît en 2004 et s’appelle All Watched Over By Machines Of Loving Grace. Rien qu’avec le morceau titre d’ouverture de bal, on est comblé. Carr fait son biz avec du son, ça sent la machine de Loving Grace. Captain Haddock est barré dans son délire. Il est d’une violence réconfortante, c’est comme quand tu mets ta bite dans la prise, tu danses le jerk. Le son te niaque à dents nues. Il revient à l’acid avec «Every Word You Sound», il faut s’accrocher pour suivre, Carr can do it. On le suit comme on suivait jadis le prêtre au temple d’Isis. Il s’amuse avec le son dans «Metaphoric Rocks», il a raison car le résultat est intéressant, un peu fucked up, il fait des grimaces à la Brian Wilson. Il fait du quasi-Oasis avec «Good Life», il rampe dans sa pop, il est excellent, au delà de toute expectative. Il joue sa pop gaga avec l’énergie liverpuldienne, il développe des dynamiques fabuleuses, bientôt rejoint par des violons. Il sait se montrer passionnant de bout en bout. Il crée encore les conditions du hit avec «Big Black Pig Pile», c’est plus fort que lui, il fond une beautiful song dans son délire d’electro. Il termine avec «Weaponized». Il s’amuse avec les sons et finit par nous péter les oreilles. Ah ces mecs, ils ne peuvent pas s’empêcher d’aller tripoter des gadgets. Le voilà parti à travers les collines, à dos d’âne, comme Sancho Panza, tagada tagada.  

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             Puis Brave Captain disparaît au profit de Martin Carr qui réapparaît en 2014 avec The Breaks. Il y ouvre un bal dément avec «The Santa Fe Skyway». Il fracasse ça à la cisaille de Boo avec une flavour bosssa nova, Carr a le cigare au bec, il règne sur le pétrole, il est le King of the Kong, rien ne peut l’arrêter dans son power strut d’extrême bretelle, il claque sa pop au grand jour. C’est tellement bon que tu le ré-écoutes deux ou trois fois d’affilée - I was drunk inside my socks/ Laughing as I rocked up to your house - Cette façon de plonger, c’est du Carr tout craché - What a way to waste the day - Fantastique héros, on retrouve chez lui la même folie que chez Brian Wilson. Et ça continue avec «St Peters In Chains» une fantastique pulsation d’exception. Carr ? Il n’y a que le firmament qui l’intéresse. Mais après, on perd la magie de Santa Fe. Il faut attendre «I Don’t Think I’ll Make It» pour renouer avec la magie - Baby I’m a shadow of a ghost of a man - Puis il refait un peu de Boo avec «Mandy Get Your Mello On». Carr sait recevoir.

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             Quand on écoute New Shapes Of Life paru en 2017, on s’exclame : «Carr forever !». Il a tout de suite des tonnes de son. Apparemment, c’est Carr qui se carre tout, comme Todd à une époque, il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Et pouf, il ramène l’enfer sur la terre avec «Damocles». Cette sale bonne manie ne l’a pas quitté. Voilà pourquoi ce mec est essentiel. Il nous fournit l’air qu’on respire, si on aime les Boo et la pop de Liverpool - Help me please/ Can’t get no peace - Forcément, avec Damocles au dessus de la tête ! Il injecte encore dans «The Main Man» des relents de Beatlemania. Il fait de la power prod à l’état pur. Il faut le voir monter ça en neige. Peu de gens sont capables de sortir une ambiance aussi pure avec des relents indirects de Strawberry Fields. C’est une absolue merveille, un vrai point de ralliement. Devant un tel chef-d’œuvre, force est de constater que la presse rock n’a rien compris. Cet album est passé à la trappe alors qu’il allume autant de lampions que les grands albums solo de Brian Wilson. Avec «A Mess Of Everything», il s’en va exploser son vieux firmament en carton pâte - Give me a reason to carry on - Back to the big Boo Boo avec «Three Studies Of The Male back». Il n’en finira donc jamais d’éclairer la lanterne de la pop anglaise ! C’est encore une fois du power pur. Il sait lancer ses walkyries. Il envoie sa purée au plafond. King of scum !

    Signé : Cazengler, Boo raté

    Boo Radleys. Ichabold And I. Action Records 1990

    Boo Radleys. Everything’s Alright Forever. Creation Records 1992

    Boo Radleys. Giant Steps. Creation Records 1993

    Boo Radleys. Wake Up. Creation Records 1995

    Boo Radleys. C’mon Kids. Creation Records 1996

    Boo Radleys. Kingsize. Creation Records 1998

    Boo Radleys. Learning To Walk. Rough Trade 1993

    Brave Captain. The Fingertip Saint Sessions Vol. 1. Wichita 2000 

    Brave Captain. Nothing Lives Long He Sang Only The Earth And The Mountains. Thirsty Ear 2001 

    Brave Captain. Better Living Through Reckless Experimentation. Wichita 2001   

    Brave Captain. Advertisements For Myself. Wichita 2002       

    Brave Captain. All Watched Over By Machines Of Loving Grace. Wichita 2004   

    Martin Carr. The Breaks. Tapete Records 2014

    Martin Carr. New Shapes Of Life. Tapete Records 2017

     

     

    Wizards & True Stars

    - Russell & poivre (Part Four)

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             On monte vite fait faire un tour sur le toit du monde retrouver Tonton Leon. Pas pour lui chanter ses louanges, c’est déjà fait, mais pour jouer à un petit jeu : et si on repartait de The Songs Of Leon Russell, la belle compile Ace parue l’an passé, pour aller explorer les albums dont sont extraits certains cuts de cette compile ? Ça permet tout simplement de rendre visite à de très grands interprètes qui eurent, à un moment donné, l’excellente idée de s’amouracher d’une compo de Tonton Leon. Alors attention, c’est un jeu très dangereux, car la plupart de ces albums se referment comme des pièges à loups. Crac ! T’es baisé ! Mais t’es content d’être baisé.

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             On commence au pif avec «Rainbow In Your Eyes» qui se trouve sur le Glow d’Al Jarreau. Alors on écoute le Glow. C’est l’occasion de découvrir un continent inconnu. Le Rainbow magique est en ouverture de balda. Ça swingue aussitôt. Al te swingue Tonton Leon vite fait, dans le meilleur esprit, à fantastique allure, ça swingue autant du beurre que de la glotte, c’est du très haut de gamme. Al passe au Brazil avec «Agua De Beber», une merveille d’exotica du paradis. Mais Al a un petit défaut : il est attiré par la pop blanche. En B il jazze le «Somebody’s Watching You» de Sly Stone. Hélas, son petit côté jazz à la mode des années 80 ne passe pas. Avec «Milwaukee», Al perd le Brazil et le Tonton Leon. L’album permet de voir tout ça. C’est important de voir.

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             On retrouve «Me And Baby Jane» sur le Compartments de José Feliciano, un album paru en 1973. Tonton Leon y joue du piano. Le Joselito swingue son oouuuhh baby Jane, c’est du haut vol. Non seulement il chante comme un dieu, mais il gratte ses poux avec une agilité stupéfiante, comme le montre le morceau titre, planqué en B. Il flamencote son groove. C’est là où la virtuosité génère de l’enchantement. Il va chercher des balladifs très sensitifs, comme «Find Somebody», accompagné par Claudia Lennear et d’autres choristes. «Hey Look At The Sun» sonne comme de la pop parfaite, avec des chœurs superbes. Le Joselito chante comme un ange qui serait enfin arrivé au paradis de la pop. Son «Yes We Can Can» est plus r’n’b, mais avec une finesse de chicano du can can. Il swingue encore son chant sur «I’m Leaving», un fast groove suivi par la flûte de Pan-Pan cucul et il relance indéfiniment au pur gratté de poux.  

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             «Time For Love» se trouve sur le Secret Combination de Randy Crawford, paru en 1981. C’est la compo parfaite + la voix parfaite. Ce petit moment d’extase constitue l’apanage de la perfection. Randy se coule admirablement dans le groove magique de Tonton Leon. Fantastique alchimie. La pochette nous la montre lumineuse et ce «Time For Love» est à l’avenant. En A, elle fait une belle cover du «Rainy Night In Georgia» de Tony Joe White, elle lui amène le rond perlé d’une pêche au petit matin. Elle y apporte toute la belle ampleur de sa clameur. Une véritable merveille de délicatesse. Elle chante encore «That’s How Heartaches Are Made» à la pointe de la délicatesse, c’est heavily orchestré et elle jazze tout ça au doo-bee doo bee doo, mais pas trop. Elle chante parfois sa pop au petit sucre candy («Two Lives»), ce qui la rend éminemment sympathique. On la voit aussi épouser la mélodie de life out dans «You Bring The Sun Out». 

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             L’une des révélations de la compile Tonton Leon fut Janis Siegel, avec une cover de «Back To The Islands» qui était exceptionnelle. On retrouve cette merveille en ouverture du balda d’Experiment In White, paru sur Atlantic en 1982. Bizarrement, ce n’est pas le même son. Sur le vinyle, le soufflé retombe. Belle voix cependant, et puis il faut bien dire que c’est mélodiquement parfait. Mais l’éclat n’y est pas. Bizarre. Ça n’empêche pas d’écouter le reste de l’album. Janis peut aller chanter là-haut sur la montagne, ce qu’elle fait avec «All The Love In The World». Elle en a le pouvoir. Elle fait du gospel avec «Hammer & Nails» et en B, elle passe au jazz manouche avec «How High The Moon». Elle nous sort le Grand Jeu : pompe manouche et solo vif argent. Elle chante le jazz de «Don‘t Get Scared» et elle devient goulue avec «Guess Who I Saw Today». Le jazz c’est son truc, comme le montre enfin «Jackie». C’est ce qu’elle aime, le jazz swing, alors elle y va, de la meilleure manière.    

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             Le version de «Make Love To The Music» que fait Maria Muldaur se trouve en ouverture de balda sur Southern Winds, paru en 1978. Merveilleux groove d’élongation viscérale, à l’image de l’océan peint au dos de la pochette. Maria est fabuleusement groovy, c’est une femme de rêve, une chanteuse de charme fou. Elle boucle son balda avec le «Cajun Moon» de JJ Cale, bien trop prévisible et elle repart en mode fantastique allure en B avec «Can’t Say No». Ah elle y va, la reine du rodéo ! Elle passa à la heavy romance avec «Here Is Where Our Love Belongs», c’est assez puissant, avec du gulf stream et des violons. Globalement, c’est un très bel album d’American pop des années 70. Elle tape encore dans Tonton Leon avec un  «Joyful Noise» assez tendu et même bien rocky, et elle termine avec «My Sisters & Brothers» une sorte de gospel rock. Bien vu, Maria ! Les chœurs arrivent dans le deuxième couplet.

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             Encore un continent à explorer, celui de George Benson. Il reprend «This Masquerade» sur Breezin’, paru en 1976. Benson va chercher les vieilles racines du groove vocal des caraïbes et le cut magique de Tonton Leon prend des allures spectaculaires, ça devient de l’exotica de rêve supérieur, Benson navigue au niveau de Paul Simon et de Joni Mitchell. On profite de l’occasion pour écouter sa version du morceau titre qui est signé Bobby Womack. Il te joue ça au cœur de ton âme sensible, il te groove tes pauvres oreilles frippées au Brazil jazz, c’est d’une extrême finesse, à toi de te montrer à la hauteur, tu peux frémir ou ne pas frémir, mais le mieux est de frémir. Ce démon de Benson te gratte sa note ad vitam et coule un bronze d’une merveilleuse allure. Encore une merveille avec l’«Affirmation» de Jose Feliciano, il te baigne ça dans les alizés du Brazil, c’est excellent, encore une belle tranche d’exotica jouée à la jazz guitar et tu te prosternes jusqu’à terre. Benson propose un guitarring fluide et tiède qui te coule dans la manche, c’est exquis, il va chercher le flux d’un jazz d’exotica, très pur et dur, il livre un flux perpétuel de notes douces et tendres, elles pullulent vite sous les doigts de fée de Benson

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             Un autre jeu : aller fouiner dans les coups de prod de Tonton Leon. Un jeu encore plus dangereux, car ce sont des albums qui ne te lâchent plus, si par malheur tu commences à les écouter. L’un de ses premiers gros coups en tant que producteur remonte à 1969 avec le premier album sans titre de Joe Cocker. En réalité, il co-produit avec son associé Denny Cordell. Cock démarre avec une cover de Dylan, «Dear Landlord», accompagné par le Grease Band, c’est-à-dire Henry McCulloch, mais aussi Clarence White et toutes les folles de service, Patrice Holloway, Merry Clayton, Bonnie Bramlett, Rita Coolidge, n’en jetez plus, la cour est pleine. Cock chante à la grosse ferraillerie. L’intégrité du son ne fait pas de cadeaux. Les nappes d’orgue de Chris Stainton sont fiables à 100%. Cock est un fier Sheffielder. On sent déjà le génie productiviste de Tonton Leon. On a là l’une des meilleures associations de l’histoire du rock : voice + prod + cut + demented backings. La version de «Lawdy Miss Clawdy» est exceptionnelle de raunch, c’est gorgé de son et de bon esprit. C’est encore dans les Beatles qu’il tape le mieux, comme le montre «She Came Through The Bathroom Window». Cock les réinvente, il leur amène le raw des provinces, ça joue à l’arrache compulsive. Encore de la pulsion comminatoire avec «Hitchcock Railway». Derrière les folles deviennent encore plus folles et Tonton Leon pianote comme un dératé. En B, Cock tape dans George avec «Something», oh I don’t know, les filles sont là, something in the way she moves, une merveille d’I don’t wanna leave her now, et Cock pousse des woaaahhh de lion du désert. Voilà l’hymne des seventies : «Delta Lady». Tonton Leon frappe un grand coup composital avec «Delta Lady», Cock met une pression terrible, pas de raw plus raw que le sien, et les chœurs de folles en rajoutent. Les poussées de fièvre sont homériques. Il finit cet album superbe avec un cut signé John Sebastian, «Darling Be Home Soon», les folles chantent par en-dessous, elles reprennent en bout de phrase au talk to et le Cock chante à l’éperdue trépassée, darling/ Be home soon ! C’est là très précisément que le vieux Cock devient l’un des rois anglais du balladif avec Chris Farlowe, Rod The Mod et Mike Harrison.

             Cet album sans titre de Cock est si bien produit qu’on sent la différence avec le suivant, With A Little Help From My Friends. Pas de Tonton Leon. L’album ne tient que par la voix du vieux Cock et par la qualité des covers, à commencer par le morceau titre, rendu célèbre par le film tourné à Woodstock. Le vieux Cock fait de cette beatlemania un rouleau compresseur, avec Jimmy Page et une Madeline Bell qui pousse à la roue juste derrière. C’est là que le vieux Cock lâche l’un des plus beaux screams de tous les temps. Version somptueuse aussi du «Feelin’ Alright» de Dave Mason. Derrière le vieux Cock, on retrouve les sœurs Holloway (Patrice & Brenda) et Merry Clayton. Elles sont demented. Le backing-band varie en fonction des cuts. Sur «Just Like A Woman», le vieux Cock est accompagné par deux Procol, Matthew Fisher et BJ Wilson, avec en plus Chris Stainton on bass. Le vieux Cock en fait une pure merveille et lui donne l’étoffe du drap d’or. Mais globalement, l’album est nettement moins intense que le premier.

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             Autre coup de génie productiviste de Tonton Leon : le Texas Cannonball de Freddie King. Les énormités sont en B, «Ain’t No Sunshine» et «The Sky Is Crying». Fantastique ambiance de when she’s gone pour la première, et Freddie rend hommage à Elmore James avec la deuxième. Freddie lui recolle une bonne couche de viande, il ramène une bonne grosse couenne de gras double, il joue à fond dans l’épaisseur du groove de heavy blues. Globalement, Freddie sort un son très Shelter, très Tonton Leon de cette époque si riche. «Lowdown In Lodi» est un boogie ultra chanté par un géant des Amériques. Fantastique cover du «Reconsider Baby» de Lowell Fulsom et il swingue ensuite son «Big Legged Woamn» à l’efflanquée. Tonton Leon compose pas mal de cuts, comme ce «Me & My Guitar», mais ce ne sont pas des cuts très révolutionnaires. Freddie leur donne un certain éclat. Il fend même le cœur du blues.   

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             Autre facette du talent productiviste de Tonton Leon : Wornell Jones et son album sans titre paru en 1979. Bel album de slow groove qui se réveille en A avec un «Heart Of Fire» quasi funk - I’ve got a/ Heart of fire/ Burning/ Burning - Wornell Jones est bassman alors on l’entend, avec Maxyan et Mary Russell derrière, Mary étant bien sûr l’épouse de Tonton Leon. Comme Wornell Jones est bon, il passe partout. Il finit l’A avec un petit groove sympathique, «You Are My Happiness», toujours soutenu par des chœurs fabuleux. Il attaque sa B en force avec «You Make Me Feel So Hot», un heavy r’n’b. Wornell Jones est un surdoué, comme le montre encore «Groove», bien funky du booty. En fait Wornell Jones joue de tous les instruments et l’ensemble est très inspiré. Encore de la heavy Soul de bonne tenue avec «Only Love Can Make It Better». On se réjouit de l’excellence du groove et des chœurs.

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             En 2010, Elton John et Tonton Leon enregistrent The Union. Tonton Leon a 68 balais et ça se voit sur la pochette. Il est écroulé dans sa chaise, avec sa barbe de Père Noël. Pour les ceusses qui ne supportent pas Elton John, l’écoute de cet album est une rude épreuve, mais on est bien récompensé lorsque vers la fin de l’album, Elton John laisse ENFIN Tonton Leon chanter. Trois cuts, c’est pas grand chose, mais ce sont des cuts énormes, à commencer par «I Should Have Sent Roses». Tonton Leon chante avec du swing plein la voix - When you cross my mind - Ce hit fabuleux sauve l’album, Tonton Leon chante du fond de la glotte. Il reprend encore la main avec «Hearts Have Turned To Stone», c’est bourré de feeling, avec des chœurs de filles, et là tu as le grand rock américain. Tonton Leon a une façon très personnelle de twister le destin, ça remonte à Mad Dogs, un pur miracle, et cette façon encore qu’il a de croquer les syllabes ! Il termine avec «In The Hands Of Angels», il pianote et on entend les anges. On l’entend aussi chanter le deuxième couplet d’«A Dream Come True», mais il est noyé dans l’ego d’Elton John qui bouffe tout le reste de l’album. 

    Signé : Cazengler, Léon recèle  

    Al Jarreau. Glow. Reprise Records 1976 

    José Feliciano. Compartments. RCA Victor 1973  

    Randy Crawford. Secret Combination. Warner Bros. Records 1981

    Janis Siegel. Experiment In White. Atlantic 1982                  

    Maria Muldaur. Southern Winds. Warner Bros. Records 1978

    George Benson. Breezin’. Warner Bros. Records 1976 

    Joe Cocker. Joe Cocker. A&M Records 1969

    Freddie King. Texas Cannonball. Shelter Records 1972

    Wornell Jones. Wornell Jones. Paradise Records 1979

    Elton John/ Leon Russell. The Union. Mercury 2010   

     

     

    L’avenir du rock

    - Méfie-toi de Johnny Mafia

             Comme il a un peu trop bu, l’avenir du rock décide de s’offrir une soirée super-trash. En l’honneur de Marcel Duchamp, il se déguise en Rrose Sélavy, se barbouille bien la gueule de fard et de rouge à lèvres, se coiffe d’une perruque immonde et d’un petit chapeau cloche, enfile une robe courte bien vulgaire et des bas opaques, comme ceux des bonnes sœurs. Hop, c’est parti, direction le Balajo. Thé dansant, soirée tango. Ça grouille de queutards. Titubant plus que légèrement, l’avenir du rock les passe en revue et lance des signaux, c’est-à-dire des gros clins d’yeux. Un mec se lève à son approche, il est plus petit, Rrose se dit : «C’est dans la poche, ce mignon-là c’est pour mon lit !». Le mec suit Rrose jusqu’à sa piaule. Pour bien corser l’affaire, Rrose lui crie : «Vazy mon loup !» - Fais-moi mal Johnny Johnny Mafia/ Envoie-moi au ciel zoum !/ Fais-moi mal Johnny Johnny Mafia/ Moi j’aime l’amour qui fait boum ! - Le mec n’a plus que ses chaussettes, des jaunes avec des raies bleues, il regarde Rrose d’une œil bête, il ne comprend rien le malheureux, il dit d’un air désolé : «J’ferais pas d’mal à une mouche», alors Rrose s’énerve, le gifle et reprend sa litanie - Fais-moi mal Johnny Johnny Mafia/ Envoie-moi au ciel zoum !/ Fais-moi mal Johnny Johnny Mafia/ Moi j’aime l’amour qui fait boum ! - Mais ça ne marche toujours pas. Alors elle l’insulte sauvagement, lui donne tous les noms de la terre et encore d’autres bien moins courants, ça le réveille aussi sec et il dit : «Arrête ton char, Ben-Hur, tu m’prends vraiment pour un pauvre mec, j’vais t’en refiler d’la série noire» et bing et bong, alors Rrose se plaint - Tu m’fais mal Johnny Johnny Mafia/ J’aime pas l’amour qui fait bing ! - Il remet sa p’tite chemise, son p’tit complet, ses p’tits souliers et redescend l’escalier, laissant Rrose avec une épaule démise. Duchamp, Vian, le trash, bon, ça va cinq minutes. Le lendemain, l’avenir du rock s’en va trouver son ami Don Corleone. C’est pas le jour, car Don Corleone marie sa fille, mais il le reçoit quand même dans la pénombre de son bureau. L’avenir du rock vient lui demander un service : faire rosser celui qui l’a rossé.

             — Et comment s’appelle-t-il ?

             — Johnny Johnny Mafia !

             Don Corleone garde le silence un moment, et finit par lancer d’une voix tragique :

             — Mais comment oses-tu me manquer de lespect, avenil du lock ?   

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             Si l’on prête l’oreille aux préjugés, on ne fait rien. Un groupe qui s’appelle Johnny Mafia, ça n’inspire pas confiance. Te voilà en plein préjugé. Le préjugé décide pour toi. Alors tu n’y vas pas. Quand on est con, on est con. Ça fait du bien de le reconnaître. Au lieu d’aller voir un groupe qui pourrait te botter, tu vas te vautrer dans tes préjugés et regarder une grosse connerie à la télé. Et tu seras encore plus con.

             À l’inverse, tu peux décider de faire la nique aux préjugés. Dès que tu en vois un germer dans ta cervelle spongieuse, tu peux le défier et passer à l’action. Mais attention, c’est la porte ouverte à tous les coups d’épée dans l’eau. Tu as bien compris qu’en fait, l’idéal consiste à trouver un équilibre entre la porte ouverte et la porte fermée. Pour simplifier les choses, on va appeler cet équilibre le feeling. Le nom de Johnny Mafia ne te plaît pas, alors tu y vas au feeling. Pas de pré-visionnage sur YouTube, pas de rien, tu y vas au bluff. Si c’est mauvais, tu oublieras. Si c’est bon, tu en parleras. Tu regardes une dernière fois leur photo dans le programme et tu pouf, tu descends en ville chercher une place pour le concert. 

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             Alors oui, le concert, parlons-en. Chose qu’on ne fait jamais, saluons rapidement le groupe de première partie, Kitano Grafiti, un quatuor local qui a tout l’avenir devant lui. Propulsé par un beurreman-powerhouse, les Kitano jouent littéralement avec le feu. Ils développent de purs moments de folie et ce petit chanteur/électron libre, un certain Raphaël, pique des crises extraordinaires. Petit gabarit mais stature de rock star. Avec en plus une vraie voix et un beau scorpion tatoué sur la main. Rien que pour lui, on est content d’être là.

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             Et puis voilà les mafieux. Moyenne d’âge ridiculement basse. Le guitariste qui fait sa grimace de pied nickelé sur la photo du programme semble sortir du collège. Il sort ses deux belles guitares des étuis, une Fender Mustang jaune et une Hagstrom rouge. Les autres arrivent et boom badaboom, ils attaquent un set qu’il faut bien qualifier d’explosif. Mais ce n’est pas n’importe quel explosif. Ces quatre petits mecs tapent dans le dur, ils sonnent littéralement comme les Pixies. Comme les Pixies ? Mais c’est impossible ! Et pourtant, ils sont dessus. Le petit guitariste sorti du collège ramène tous les plans de bas de manche de Joey Santiago, il sort vraiment le son et le mec au chant s’arrache la glotte à vouloir faire son gros Black, il n’y parvient pas, bien sûr, mais l’intention est là et c’est tout ce qui compte. Ces quatre petits mecs ont un panache pour le moins extraordinaire. Au fond, le bassman taille des drives monumentaux avec un son bien calé sur la houle. En deux cuts, ils ont mis la salle dans leur poche et ça commence à drôlement s’agiter au pied de la scène. Fantastique ambiance ! Les trois-quarts de leurs cuts pourraient être des reprises des Pixies, tellement c’est bien foutu et bien wild. Ils ont notamment un truc qui s’appelle «Aria» et tu crois entendre «Velouria».

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    C’est tout de même incroyable qu’un groupe français puisse approcher cette perfection sonique qui est celle des Pixies. Oh, c’est vrai, leurs compos n’ont pas l’éclat de celles du gros Black, mais ils ne sont pas loin derrière. Ils sont juste derrière. At the gates of dawn. Ils tapent un cut de leur prochain album et c’est tellement bon qu’à la demande du public, ils le jouent deux fois. On dresse l’oreille car c’est un hit. Dommage que le chanteur n’ait pas le scream. Il se contente du punch, c’est déjà pas mal. Ce mec est brillant. Il ne lâche pas l’affaire. Un vrai mafieux. Tu dois le prendre au sérieux. Il ne rigole pas. Quand ça tombe, ça tombe. Et puis tu vois le petit guitariste faire son cirque, tirer la langue, jeter sa bouteille d’eau, filer des coups de boule à son micro et onduler comme Oum Kalsoum, à sa façon, il est assez spectaculaire, encore de la graine de rock star. Décidément, c’est la soirée des graines !

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             Alors bien sûr, en partant on ramasse les disks au merch. Marchi les gars ! Inspection rapide des pochettes. Bons labels (Dirty Water et Howlin’ Banana), pochettes couci-couça, et bien sûr retour des préjugés. On va écouter ça, mais bon...

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             Mais si ! Si tu commences par écouter le Sentimental paru l’an passé, tu vas tomber de ta chaise ! Tu prends «Split Tongue» en pleine gueule, un cri, t’es prévenu, et c’est la folie Méricourt, avec toutes les clameurs, tatapoumé à la vie à la mort par ce mec qui est déjà torse nu. Puis ils enfilent les hits comme des perles, au heavy sound, tout est travaillé dans l’excès sonique, c’est ultra plausible et même explosivement plausible, arrggghhh quel son !, ces mecs sont la Panzer Division du bouleversement de tous les Sens, leur ville d’origine. Tiens voilà justement l’«Aria», ils rentrent bien dans le lard de l’attaque, avec la force tranquille de François Mitterrand, ça te Velouriate l’estomac, mama, ça va et ça vient au pilon des forges entre tes reins, ça te tombe sur le râble, baby, et aussitôt après, le bassman fou lance «Phone Number» à la bass fuzz, et là ça hurle dans la fournaise pour de vrai, ils vont chercher des noises à la noise pixique, tu crois que tu écoutes le nouvel album des Pixies. Il se pourrait bien que les Pixies se soient déguisés en collégiens de Sens. Il y a plus de son dans le bouleversement de tous les Sens, Horatio, que n’en rêve ta philosophie. Tu n’en reviens pas : son, voix, basse, punch, esprit, tout est là, surtout le pilonnage de basse au-dessus de Dresde. Sens rase Dresde une deuxième fois. La Mafia largue son phosphore. Ils éclairent la nuit. Ils replongent de plus belle dans les clameurs du phosphore avec «Refused». Absolute beginner ! Ils ont réussi à pomper toutes les dynamiques de Pixies, c’est stupéfiant, tu passes ton temps à tomber de ta chaise et à y remonter. Ce n’est pas un album de tout repos. Méfie-toi de la Mafia. «Love Me Love Me» repart à l’attaque, à dada sur une nouvelle bassline infernale. Ils attaquent ça à l’écume des jours de Pixieland, c’est trop, on ne sait plus si on grille dans l’enfer du paradis ou si on se vautre dans l’ouate du paradis des enfers, tout éclate dans le brasillement des braseros, ça déborde de la casserole, la baraque va s’écrouler, c’est inévitable. Tu as ce sentiment de fin du monde permanent, comme au temps où tu écoutais Come On Pilgrim. Tout va se casser la gueule. Ils tapent «Problem» au heavy riff, ce n’est pas le Problem des Pistols, c’est leur Problem, ils jouent ça all over et ça te stupéfie encore un peu plus. Ils ne jouent que des énormités à toute épreuve, tiens comme ce «TV & Disney» fast & heavy, complètement dévastateur, non seulement c’est fast & heavy, mais c’est aussi fast & loud, les mots se prennent les pieds dans le tapis, et pendant ce temps, ils n’en finissent plus de narguer la perfection. «Nail Gun» te monte droit au cerveau, c’est complètement inespéré, ils flirtent en permanence avec le génie sonique des Pixies, tu as l’impression de nager au milieu d’un océan de génie pixique, heureusement, tu as une bouée avec une tête de canard. Ils finissent en beauté avec «Ushuaïa» et «On My Knees», chargés comme des mules de chant, de grattes, de prod, de pix, du jus, de jive et de germes.   

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             Rien ne t’oblige à écouter l’album précédent, Princes de l’Amour. Mais ce serait bête de ne pas le faire, car Jim Diamond le produit. Alors attention, ce n’est pas le même son. Le panache est toujours là, mais la Mafia sonne plus trash-gaga, et ce, dès un «Big Brawl» qui porte bien son nom. Tu as tout de suite le son, ça te chevrote dans la grotte, c’est frotté à l’ail, pas de répit, ça te gratte la couenne et, dépassés par l’ampleur de leur son, les mafieux sont frappés de stupeur. Il n’existe rien d’aussi powerful sur cette terre, à part les Pixies. On en parlait, justement, les voilà avec «Aco», un vrai brash, monté aux gémonies, ça crame dans le haut-fourneau, avec les petits coups d’ah ouuh ouuh bien vicelards, ce sont les appels d’air des Pixies, Aco ! Aco !, eh-ouuh ouuh ! La purée déborde de la casserole. Tout est en place sur cet album, power all over, les pures giclées de dégelées extrêmes se succèdent. Les mafieux attaquent «Crystal Clear» aux heavy chords. Jim Diamond n’en revient pas d’entendre ça ! Il croyait avoir fait le tour à Detroit, mais non ça continue à Sens. Il a devant lui les roitelets de la dégelée. Ils jouent tellement fort que les montagnes s’écroulent. Tout est blindé de bardage sur cet album, le son sature de saturnales, les mafieux sont partout et de tous les instants. Toutes leurs attaques sont bonnes, c’est-à-dire fatales. Tout est saturé d’allant et de répondant. «Feel Time Feel Fine» est plus classique, mais pas de problème, ça s’inscrit dans la traînée de bave argentée des Pixies, mêmes veines gonflées et mêmes virages à la corde. Les paquets de son sont comme les paquets de mer, schlouffff, t’as du mal à retrouver ta respiration. Comme leurs collègues italiens, les mafieux de Sens abusent de la générosité de Jim Diamond. Ils vont même singer le hardcore du gros Black avec «Each Side» et chaque fois, ils s’arrangent pour monter au paradis des voix. «Sun 41» sonne comme un cut de référence, tellement c’est dans l’esprit pixique, ils font du pur Kim Deal au milieu d’une apocalypse de Panzer destruction.  

    Signé : Cazengler, Johnny la fiotte

    Johnny Mafia. Le 106 (Rouen). 18 novembre 2022

    Johnny Mafia. Princes de l’Amour. Dirty Water Records 2018

    Johnny Mafia. Sentimental. Howlin’ Banana Records 2021

     

     

    Inside the goldmine - Shirley lady lay

     

             — Professeur Dox !

             — Oui Colonel Dax, en quoi puis-je vous être utile ?

             — Ne pourriez-vous pas déplacer le clodo qui est dans le lit d’à côté ?

             — Détrompez-vous, Colonel Dax, cet homme n’est pas un clochard. On l’appelle Naoh car c’est tout ce qu’il sait dire. Naoh ! Naoh ! Il vivait apparemment dans une caverne à Rouffignac. Il se déplace en s’appuyant sur une grosse branche, car sa jambe droite a probablement été arrachée, comme la vôtre, Colonel, mais pas par un obus, la cicatrice n’est pas aussi belle que la vôtre. Voua allez faire sensation dans les salons...

             — Mais vous ne sentez pas son odeur, Professeur ? C’est pire que dans la casemate de tranchée, avec les troupiers du 28e qui chiaient partout !

             — Vous ne voulez pas savoir la raison de sa présence ici ?

             — Oh écoutez, j’en ai vu des vertes et des pas mûres au front, alors une histoire de plus ou de moins, que voulez-vous que ça me fasse ?

             — Bon, il faut quand même que je vous raconte cette histoire. Il devait être parti à la chasse et il est tombé sur un fourgon de CRS garé sur une petite route de campagne. Ils devaient faire une pause. Ils fumaient des cigarettes et Noah s’est jeté sur eux, ils les a étripés tous les douze et vous voulez savoir pourquoi ?

             — Oui, à condition que vous me promettiez de le déplacer...

             — Il les a étripés à coups de pieu pour leur prendre leur briquet ! Il le serre d’ailleurs dans son poing, regardez...

             — Mais pourquoi n’est-il pas encore guillotiné ?

             — Parce qu’il n’est pas en possession de toute sa tête, voyez-vous...

             — Et vous croyez que les boches étaient en possession de toute leur tête ? Qu’est-ce que c’est que ces conneries ? Fusillez-moi ça tout de suite ! Gardes ! Formez le peloton ! En joue !

             Le Professeur Dox fait signe à l’infirmière :

             — Shirley, le Colonel Dax s’agite ! Doublez la dose de sédatif ! Hâtez-vous !

             — Quoi ? Qui c’est celle-là encore ? Une négresse en plus ? Et Izabeau, elle n’est plus là ? C’est Izabeau l’infirmière ! Ramenez-moi Izabeau sur le champ, vous entendez Professeur Dox ? Sur le champ ! C’est un ordre !

             — Calmez-vous colonel Dax ! On a dû la renvoyer. Elle s’injectait toute la morphine du service. Elle a fini par devenir lunatique, ce qui ne cadrait plus avec les obligations de sa fonction, voyez-vous...

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             Shirley Ellis est tellement belle qu’elle aurait pu faire l’infirmière dans l’un de ces célèbres hôpitaux qui font la légende de la Grande Guerre. Ah tous ces blessés et toutes ces gueules cassées qu’on montrait au public comme des animaux de foire ! Nous ne pourrons plus nous régaler d’un tel spectacle, car l’ère des Grandes Guerres semble révolue. Par contre, Shirley Ellis vaut toujours le détour.

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    In Action paraît sur Congress en 1964. On y trouve deux shoots de Nitty gritty, «The Nitty Gritty» et «(That’s) What The Nitty Gritty Is», un groove encore un brin mambo. Quelle belle femme ! Elle amène la première d’une petite série de covers à la petite menace : «Bring It On Home To Me». Contre-chœurs déments ! Elle y injecte tout son power, Shirley est une fantastique allumeuse, et un mec croasse derrière en contre-chant. Superbe hommage à Sam Cooke. Elle tape ensuite trois autres covers, «C C Rider», «Kansas City» et «Stagger Lee». Elle prend le Rider au pathos new-yorkais et chante son Stagger au mieux des possibilités. Elle fait une excellente cover de «Kansas City», oh yeah, Kansas City here I come et elle conquiert les cœurs avec «Stardust», pure merveille de wonder why, superbe cabaret shot dopé aux percus. Elle se montre digne d’Audrey Hepburn dans «Moon River». Shirley y va merveilleusement, elle crée de la magie. Avec «Get Out», elle montre qu’elle est bonne à la manœuvre et fond avec le «Such A Night» d’ouverture de balda dans une pop superbe. Elle fait encore des merveilles dans «Don’t Let Go», bien épaulée aux chœurs, elle est parfaite et elle est belle. Fantastique Shirley Ellis !

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             L’année suivante paraît son deuxième album, The Name Game. Bon autant le dire, c’est une petite arnaque car on y retrouve une dizaine de cuts de son premier album. On se console avec le morceau titre, un solide romp de mambo r’n’b. Elle est brillante ! Présence irréelle et puis ce set de percus derrière a tout de la bonne aubaine. Elle boucle ce beau balda avec «The Nitty Gritty» et attaque sa B avec un «Such A Night» qu’elle prend à la voix pleine, avec des accents hispaniques un feu fêlés, une vraie merveille. Bref, on va d’enchantement en enchantement. Plus loin, elle nous ressert ses covers «Stagger Lee» et de «Bring It On Home To Me» sur un plateau d’argent.

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             Tout aussi énorme, voici Sugar Let’s Shing-A-Ling / Soul Time With Shirley Ellis paru en 1967. Pochette à la Dionne la lionne et elle attaque avec le morceau titre, oh oh-ho let’s go. Elle a du monde derrière et on se lève pour danser, car il est impossible de faire autrement. Elle fait du pur jus de Motown avec «Back Track». On croit entendre les Supremes, c’est dire l’excellence de la démarche. Et la voilà qui se met à jazzer avec «It Must Be Love». Alors ça jazze à New York, baby. Elle reste dans le groove de jazz pour «Birds Trees Cupids & Bows», bien secoué des cloches, avec cuivres, percus et chœurs de folles à gogo. La B est la face lente qu’elle attaque avec «How Lonely Is Lonely». Elle se tape des montées en puissance dignes de celles d’Aretha. Elle s’enfonce dans sa face lente avec «Yes I’m Ready», c’est bien senti, elle est soutenue par des chœurs d’hommes et une orchestration spectaculaire. Elle est fantastiquement attachante, elle négocie bien ses virages au timbre fêlé. Elle retrouve ses accents d’Aretha pour «Truly Truly Truly» et finit avec un groove de classe supérieure, l’inestimable «To Be Or Not To Be».

    Signé : Cazengler, Shirley de vache

    Shirley Ellis. In Action. Congress 1964

    Shirley Ellis. The Name Game. Congress 1965

    Shirley Ellis. Sugar, Let’s Shing-A-Ling / Soul Time With Shirley Ellis. Columbia 1967

     

    *

    Nostromo est le nom d’un vaisseau tiré de la saga cinématographique d’Alien. Ce nom est aussi le titre d’un roman de Joseph Conrad, en Italien il signifie maître d’équipage, ou maître d’armes, nous préfèrerions le traduire selon une étymologie empruntée à la cabale du Gai Savoir par  ‘’Notre Homme’’. Cette traduction nous paraît plus proche du pessimisme philosophique véhiculé par le livre de Conrad. Notre homme en le sens de représentant l’espèce humaine. Un homme comme tous les autres qui aspire à la grandeur mais soumis à la loi évènementielle de la Destinée. L’Être Humain ne maîtrise pas les conséquences de ses actes : même ceux inspirés par les sentiments les plus nobles peuvent déboucher sur des résultats contraires aux raisons selon lesquelles il a été accompli.

    Tous les enfants connaissent l’histoire d’Alexandre le Grand qui en un tour de main maîtrise le cheval Bucéphale sur le dos duquel les meilleurs écuyers de Philippe de Macédoine ne parvenaient pas à grimper. Les gamins adorent cette anecdote qui prouve que malgré leur âge ils sont capables de surpasser les adultes. Il est un autre aspect de Bucéphale, celui du cheval de guerre, audacieux et téméraire, qui obéissant à l’injonction de son maître n’hésite pas alors que la phalange macédonienne plie sous la poussée des hoplites Thébains, au mépris de toutes les lois de la stratégie militaire de l’époque, à foncer seul dans les rangs de l’infanterie ennemie et à transformer par cette action d’éclat la défaite annoncée en victoire totale, le même Bucéphale qui forcera à la tête de la cavalerie grecque le passage du Granique. 

    C’est ce cheval d’orgueil, de bronze ou de marbre noir, dressé sur ses postérieurs, les antérieurs levés près à frapper l’adversaire trop audacieux pour s’avancer que représente la magnifique pochette de Bucéphale le dernier album de Nostromo, artworké par Dehn Sora. Nous n’en dirons pas davantage de ce dernier dans cette chronique puisque la suivante lui est consacrée.

    De même nous ne parlerons pas ici de Didier SŽverin même si le disque est dédié à sa mémoire. Une troisième chronique esquissera sa figure dans cette même livraison.

    Est-il nécessaire de prévenir le lecteur, le disque que nous allons écouter ne raconte en rien, ni le roman de Conrad, ni un épisode d’Alien, ni Bucéphale, ni Alexandre Le Grand. Il est des racines à interpréter en tant que principes symboliques et opératoires.

    BUCEPHALE

    NOSTROMO

    ( Hummus Records / Octobre 2022 )

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    Est-ce parce qu’ils sont originaires de Suisse que Nostromo sont des adeptes de l’excellence ? En tout cas ils ont de toujours préféré la qualité à la quantité. En un genre qui permet les dérives les plus folles, le grindcore, pointe extrême du metalcore, ils ont continuellement veillé à contrôler par une technicité instru-mentale hors norme leur cheminement musical. Nous le classerons dans ces groupes dont l’ivresse dionysiaque cède le pas au regard akaotique d’Apollon mais de l’Apollon-Lyncée, le dieu-loup des Hyperboréens. Formé en 1996, le groupe se sépare en 2005 pour se reformer en 2016. 

    Javier Varela :  chant / Jérôme Pellegrini : guitare / Ladislav Agabekov : basse / Maxime Hänsenberger : batterie.

    Ship of fools : submergé dès les premières notes, d’abord se poser pour prendre mesure de l’ampleur du choc, une constatation de comptable s’impose : le morceau n’atteint pas les quatre minutes, alors que vous imaginiez être emporté dans un maelström pour plusieurs heures, comme quoi Nostromo est un groupe à dimension humaine. Il est vrai qu’il est des humanités plus sauvages que d’autres. Maintenant que nous sommes rassurés nous pouvons tenter une deuxième écoute. Une voix vous avertit vous êtes sur la nef des fous, ne croyez pas vous en tirer facilement. Un ouragan survient, étrange comme sa violence est en même temps mélodique, la batterie est entée sur les huit sabots odiniques de Sleipnir lancé dans une course désordonnée, des pales d’hélicoptères se rapprochent, la mer tangue salement, hachoirs mécaniques pour vous maintenir en coupe réglée, les vomissures vocales de Valera sont sans appel, n’accusez que vous-même si le monde court à sa perte. Le naufrage vous attend, vous ne méritez pas mieux. De toute éternité. IED ( Intermittent Explosive Disorder ) : ce n’était qu’un prélude à l’eau de rose, ici débute la lave aux épines acérées, tambours de guerre, exhortations vocales, fricassées soniques, la leçon est claire, ne prends pas conscience de ta fragilité, ce genre de pensée est délétère, ne perds pas ton temps, prépare-toi à la guerre. IED est un shoot d’adrénaline pure, l’on ne te promet pas la victoire puisque de toute ta vie tu n’as connu que la défaite, deviens la colère qui monte en toi, sois la cheminée du volcan qui entre en éruption. Brutalité et cruauté seront les deux mamelles de ta survie.

    In praise of Betrayal : karcher de crachats varéliens, la batterie semble frapper sur un punching ball, je vous rassure ce n’est pas du toc, c’est un vrai être humain, celui qui vous a trahi, vous le trahirez à votre tour, dégelée de coups de poings sur sa face de blaireau, quand ça s’arrête c’est pour reprendre en plus fou, vous avez des grésils de cordes extraordinaires mais ce qui fait le plus mal c’est que ce morceau vous prend des airs lyrico-philosophiques, l’on est au niveau du principe biblique, être puni par où on a péché, pour un œil toute la gueule. Dans la série éloge de la trahison c’est j’irai cracher sur ta tombe et cela me fera du bien. Katavasis :  ( Entente ) : l’on ne s’attendait pas à trouver chez Nostromo le souci exalté de la parité. Mais après la trahison arestique de l’ami, voici la traîtrise érosique de l’amie. Comme des coups de fouets en entrée, ensuite une marche au supplice, prennent leur temps, l’offense est encore plus terrible, la blessure saigne et du sang noir coule dans les idées, l’on ne pense même pas à se venger, on a honte de s’être trompé, d’avoir été manipulé, la personne à qui l’on s’en prend ce n’est pas l’autre mais soi-même qui s’est livré sans défense, le morceau appuie de toutes ses forces où ça fait mal,  lamento pour soi-même, funèbre et impulsif, incroyable mais vrai, le désir de l’autre s’apparente à une automutilation. A sun rising west : galopade infinie, ainsi est la vie, elle va de l’avant et toi tu cherches sur les côtés Javier a beau hurler, Maik tambouriner comme un malade, Jérôme gratter à s’en user les phalanges jusqu’à l’os, Lad vous zébrer de sa basse, de brusques arrêts pour repartir au millimètre phonique près de plus belle, et de plus en plus violemment, la leçon est claire, le soleil qui se lève à l’occident est celui de la mort, il n’y aura pas de séance de rattrapage. Un bulldozer détruit vos rêves qui ne repousseront pas. Per sona : persona en latin signifie masque, celui que l’on est, morceau hyper violent, exhortation à s’arracher ce faux visage que la meute des imbéciles vous cloue sur la face, des coups de boutoir brisent les piliers de ce zombie social que chacun s’acharne à vouloir être, le temple des convenances s’effondre, hâtez-vous de faire partie de ceux qui réussissent à s’extraire de la foule des imbéciles, seuls les forts survivent, onanisme de son propre rapport à soi.  Lachon Hara : ce titre signifie calomnie en hébreu, il n'est certainement pas choisi par hasard, nous avons déjà cité la Bible dans cette chronique, un peu étrange que cet album dont le titre appartient au monde païen donne à plusieurs reprises la parole à un personnage comminatoire qui ordonne, punit et promet les pires châtiments à l’instar du Dieu jaloux et vindicatif de l’Ancien Testament, d’ailleurs une certaine grandiloquence n’est pas exempte de ce titre, le vocal n’est qu’une longue vitupération sans fin qui promet les pires des maux à l’humanité, la musique semble une traduction sonique de la fournaise de feu qui s’abattit en des temps anciens sur Sodome et Gomorrhe, à part que le locuteur colérique n’hésite pas à frapper les autres pour les punir de ses propres erreurs. Le summum phonique de l’injustice ! Realm of mist : mettre les points sur les i. Ne plus se cacher derrière les bons sentiments. Nostromo produit une musique sans pitié, elle est là pour vous écraser, tant pis pour vous si vous appartenez à la race des esclaves et si les maîtres dominent. Ne venez pas vous plaindre, dès le début l’on vous a prévenu, puisque vous n’êtes pas devenu un guerrier, n’espérez aucune pitié. Soumission. Decimatio : une coutume (peu usitée) des légions romaines qui consistait à tuer un soldat sur dix pour raffermir le moral défaillant des troupes : la suite explicative du précédent, totalement éructif, l’on ne peut faire confiance aux faibles, ils veulent vous aider, le plus simple est de les détruire. Engeance philanthropique détestable ! La batterie claque comme des tirs de pelotons d’exécution. Fusillades continues. La fin justifie les moyens. Asato ma : un vent tempétueux se lève, la dernière scène du film en techninigracolor que nous venons d’entendre et de visionner, Nostromo prend son temps, et surprise l’on entend une prière adressée à l’on ne sait qui. Est-ce un ilote qui quémande une place de choix aux maîtres du dernier degré de la pyramide humaine, ou un des maîtres inflexibles qui monnayant son orgueil s’adresse à une entité éminemment supérieure, une guitare se lance dans un solo de flamme vacillante qui épouse tous les caprices du vent qui la déchire, nous ne le saurons jamais, chacun l’interprètera selon ses desiderata, dans les deux cas un super pied de nez, toute faiblesse et toute force sont prêtes à s’abaisser devant force plus forte qu’elles, réelle ou supposée… dans l’espoir inaccessible de grimper un palier de plus. Le scorpion humain, en admettant ses limitations retourne son dard d’orgueil ou d’humiliation contre lui-même. A moins que l’individu ne s’adresse à lui-même en exigeant de se surpasser toujours plus, jusques à atteindre l’immortalité.

    Nostromo, groupe de metal extrême qui vous pousse à vos dernières extrémités philosophiques. Bref à réfléchir.

    Damie Chad.

     

     

    DEHN SORA

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    Dire que Dehn Sora est un illustrateur serait mal venu. D’abord parce qu’il est de ces artistes – le terme d’artifex au sens néronien de ce mot semblerait mieux approprié - qui touchent aussi bien à la musique qu’aux arts graphiques mais surtout parce que ses illustrations ne mettent pas en lumière l’objet dessiné ou le sentiment évoqué, elles les mettraient plutôt en l’ombre de leur propre noirceur. Il suffit de taper Den Sora Art sur le Net pour être servi. Nous ne nous attarderons pas ici sur cet aspect de s’ouvrir au monde par le dessin. Nous dirons simplement que Dehn Sora ne ne s’acharne  pas sur la reproduction d’une forme. Dessine comme l’homme du néolithique qui peignait au fond des cavernes obscures en ses recoins les plus difficiles d’accès. Pour quelles raisons nos ancêtres se donnaient-ils tant de mal, nous l’ignorons. Dehn Sora s’acharne à manifester le côté obscur des formes platoniciennes, il ne cherche pas à remonter à leur brillance originelle hors d’atteinte, il s’efforce au contraire de percer la signifiance de ce spectacle non-luminescent, il ne cherche pas à dévoiler son dévoilement mais à atteindre l’essence de son absence, il est le peintre du négatif, il peint ce que la chose n’est pas, il tente de traduire ce qu’elle peut signifier si nous l’élisons en signe totémique de notre humanité. Ce qui explique la prolifération animale de ses artworks. Souvent ramenée à la fossilisation de ses os. Peut-être dans le but de réduire le tabou de la représentation de la chose, car si les racines des mots sont aléatoires, le tracé d’une courbe est déjà un crime iconographique à l’encontre du monde dont on dématérialise la présence.

    Graphisme, vidéo, son, Dehn Sora ne se refuse rien. Il agit là où il pense être capable d’expérimenter quelque chose de lui-même. Il a travaillé en interaction avec beaucoup de groupes (pochettes, vidéos, concerts), nous reviendrons une autre fois sur quelques-unes de ses collaborations, de ses co-artworkings, intéressons-nous à un de ses projets plus personnels. Plus une main à mordre est la deuxième réalisation de Throane. Titre néologique qui joue sur les mots Through et Throat. La gorge en tant qu’émission émotionnelle des replis intérieurs du corps et la nécessité par le fait même de cette émission vocale de passer au-dehors de soi, les vomissures phoniques intimes n’étant que la meilleure manière de communiquer avec les autres, de se mettre à nu pour peut-être établir un dialogue dont il ne nous est offert que la participation monologique d’un seul. Avec cette idée sous-jacente que si l’auditeur lambda peut stupidement imaginer que sa réception forme la deuxième voix qui manque, il se trompe, il n’est que l’un des témoins d’une réalité dont il ne perçoit qu’une moitié, l’autre totalement psychique, qu’il ne perçoit pas, est contenue dans le produit fini qu’il écoute et appartient totalement à son engendreur, Valéry emploierait le terme de gladiator pour nommer cette notion d’agir. Il y a chez Dehn Sora un côté christique, mais un Christ qui se soumet à son propre supplice intérieur non pas dans le geste altruiste de sauver l’humanité par son sacrifice, mais simplement pour se survivre à lui-même.

    PLUS UNE MAIN A MORDRE

    THROANE

    ( Debemur Morti Productions / 2017)

    Grégoire Quartier est aux drums et Dehn Sora à l’ensemble phonique.

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    La pochette est celle de l’homme qui se prend la tête. Portrait de l’artiste en   chien domestique qui aboie à la lune extérieure ou à la nuit intérieure. On ne sait pas. Lui non plus. En tout cas ses auto-figurations ne nous intéressent pas. Ce ne sont que flèches enflammées qui augmentent l’obscurité. Lui-même ne doit pas en être dupe. 

    Aux tirs et aux traits : ailleurs, un tourbillon, un vortex, un emporte-tout, une pharamineuse merde pharaonique d’une beauté incendiaire, tout l’excédent excrémentiel de notre monde post-industriel non pas un final grandiose de fin du monde, mais en une suite cyclique sans cesse renouvelée, vous aimeriez vous y opposer, impossible vous êtes comme Sébastien qui flèche après flèche, tirs après traits, subit les degrés de la fulgurante montée plotinienne de l’extase, ce bourdon noir qui résonne comme l’annonce d’une catastrophe imminente dont l’attente est son perpétuel déroulement - mes chiens endormis s’inquiètent dans leurs sommeil même si j’écoute au casque – des vagues qui s’évaporent dans un silence qui ne parvient pas à s’installer, tout comme l’on aperçoit dans les eaux noires du désespoir l’ombre d’une glauque nageoire du kraken retournant à ses abysses, et ce son profond, cris de gorge de quelqu’un qui se noie en lui-même. Et ceux en lesquels ils croyaient : au plus profond du nihilisme, les valeurs humaines, celles qui ont remplacé les vieilles catégories aristotéliciennes, s’écroulent,  sans doute y a-t-il une sombre beauté en ces destructions intimes, la vague monte et engloutit tout, surface paisible des eaux sur laquelle on essaie de surnager avant que la tempête ne se déchaîne est-il utile de crier au secours, de regretter ses errements passés, alors que tout sombre irrémédiablement attiré vers le fond sans fond. Que reste-t-il des Atlantides englouties ? A trop réclamer les vers : jouons sur la polysémie des mots et des sons, tant de beauté pour tenter de nous sauver par les vers pompeux de la poésie pompéienne, ou sommes-nous voués aux vers du tombeau ouvert sur notre déréliction, l’homme poisson crie, il manque d’air mais nous sommes tout ouïe à l’écouter, du moins à l’entendre nous bercer en des tornades tempétueuses, tels les alcyons qui couvent les œufs de leur incompétence vitale mais obstinée. Tant de splendeur phonique pour nos chétives existences ! Et tout finira par chuter : l’inéluctable, toute maison d’Usher se doit de chuter à la fin de son propre temps, à cette différence près que si le temps parvient aux limites extrêmes de sa temporalité que se passe-t-il, quel est ce vacarme, est-ce celui de l’espace qui se recroqueville sur lui-même, un papier que l’on froisse, un mouchoir que l’on engloutit au fond de la poche du néant, des stridences parcourent ce rapetissement dimensionnel de l’univers, musique des sphères célestes entrechoquées les unes contre les autres, abominable vacarme délicieux, le monde se rétrécit, il n’exhale plus qu’une plainte profonde, une sirène d’alarme vite aspirée par le ronronnement des milliers de bombardiers atomiques qui s’approchent et s’éloignent, qui tournent en rond comme les oiseaux du malheur prophétique, qui arrive trop tard après sa réalisation, grognements de satisfaction insatisfaite d’avoir connu la fin du conte noir avant même que l’on ait ouvert le livre. Mille autres : ressac, une voix, l’écume vole au vent du désir, si je suis un, nous sommes mille autres, mille chemins ouverts, mille possibilité d’une survie superfétatoire, roulement de tambour et musique sérielle de Bach qui tombe des voûtes détruites des édifices détruits, la vie comme la mort emporte tout, elles sont sœurs jumelles, elles se lamentent, elles ricanent de leur exultation, elles se congratulent, laquelle a engendrée l’autre, où est la troisième, celle dont l’absence ne coupera pas le fil. Ni le film que l’on se plaît à repasser. Plus une main à mordre : l’arakné funèbre tisse les moires des voiles du linceul, quelle est cette solitude au milieu de millions d’autres, que cela signifie-t-il, que nous aurons perdu la faim du désir et que nous le regretterons amèrement car il y a plus amer que l’amertume, celle de vivre sans désir, celle de ne plus pouvoir se battre contre et avec l’autre en une violente parade nuptiale. Des sons venus d’ailleurs s’éloignent dans la nuit, nous emportent-ils ou émanent-ils de nous, sommes nous puits tari ou source renaissante, une voix, des cris de haine agoniques, est-il important de savoir, ne serait-il pas plus sage de vivre nos folies qu’elles soient dans nos présences ou dans nos absences, le son submerge tout, la vie comme la mort, le néant comme la chose immonde que nous sommes, le film ne se terminera donc jamais, sommes-nous sempiternellement remis en scène, sommes-nous obligés d’être, est-il impossible d’échapper à cette dualité qu’être ou ne pas être c’est toujours du mal-être. Comme des chants, autant de shoots d’adrénaline pour nous aider à nous supporter. Epoustouflant.

    Damie Chad.

     

     

    DIDIER SEVERIN

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             Didier Séverin est décédé ce 24 mars 2022, à l’âge de cinquante et un ans. Il fut le chanteur de Knut, groupe frère de Nostromo, souvent réunis sur les mêmes scènes des mêmes concerts. En 2010, le chanteur choisit de s’immiscer dans le silence. Il ne quitte pas la musique pour autant. Il change d’univers mental. Il ne prend plus de notes, il produit des sons. Il devient un magicien de l’électronique. C’est un retour vers l’infini, une seule note contient toute la musique. Il suffit de lui laisser dire ce qu’elle contient, l’écouter pour comprendre ce qu’elle veut nous dire, ou peut-être mieux, afin de nous dégager de toute compréhension anthropomorphique et entendre ce que nous voulons qu’elle nous dise. Une démarche similaire à celle de John Cage, né et mort au siècle dernier. Dont on sous-estime encore le legs musical et pictural, quelque peu occulté par la naïveté de la révolte dadaïste et les faux-semblants du surréalisme.

             C’est une démarche qui n’est pas nouvelle, elle remonte aux sources mêmes de la musique universelle, elle consistait à laisser bourdonner sans fin un son primal, sur lequel les musiciens tentaient quelques subtiles variations. Au vingtième siècle le jazz s’est surtout voué à explorer les subtiles variations d’un thème donné dans ce que l’on a appelé l’improvisation. Grâce aux progrès de la technologie, nous sommes à même de maintenir longuement n’importe quel son, ou de le répéter en de très longues séquences… Il est évident que le retour du Même n’est plus le Même. Drone est le mot anglais qui traduit notre bourdon, non pas celui qui vole, l’on appelle drone music les œuvres produites par les artistes qui s’adonnent à cette redécouverte et au déploiement de ces vieilles techniques ancestrales.             

    Certains rejettent cette musique jugeant le procédé trop simpliste. Outre le fait que ce qui est le plus simple est aussi le plus complexe, une phrase assez courte prélevée sur le bandcamp de StroM|MortS , le groupe de Didier Séverin, nous aide à mesurer la portée métaphysique ( nous appelons métaphysique le rapport de notre intérieur à l’extérieur du monde ) de cette pratique musicale qui induit l’unité du concept de ce que nous appelons l’art total  : ‘’ Le projet strom|morts se concentre sur différents aspects de l'art tels que le cinéma, la littérature, la bande dessinée, la peinture, les performances artistiques et les collaborations’’   StroM|MortS est un palindrome, il se lit dans les deux sens, tel un serpent qui se mort la queue. Il est inutile d’expliciter le mot mort,  strom évoque aussi bien la force ( strong ) que l’orage ( Storm). Ecoutons en hommage à Didier Séverin un morceau de StroM|MortS.

    BINAURAL PRESSURE DATA

    StroM|MortS

    (Parution : 07 / 10 /2022 - Bandcamp)

    Olivier Hähnel : synthétiseurs analogiques et modulaires / Mathieu Jallut : synthétiseur digital / Didier Séverin : Synthétiseur modulaire. 

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    Artwork : Helger Reuman. Blanc et noir. Bec innocent de petit oiseau, ou étroit passage dans les montagnes noires. A moins que ce ne soit une pipette aseptisée dans un laboratoire. Peut-être une incertaine idée du désir. Si vous regardez le tumblr d’Helger Reuman, cette couve est un peu à part dans sa production habituelle. L’a vraiment écouté le morceau pour essayer d’en donner un aperçu graphique. Son propre style est davantage marqué par la BD et empreint d’une certaine naïveté.

    Ces données de pression binaurale - entendez pour les deux oreilles – risquent de laisser l’auditeur perplexe. Imaginez que vous cassez des œufs – c’est ainsi que l’on fait les révolutions – toutefois vous n’entendez que le bruit du maillet auquel s’ajoute un bourdonnement qui glougloute par intermittences plus une fréquence interstellaire qui vient se joindre à ce jeu de massacre innocent comme si l’ensemble du cosmos était intéressé, étrangement cela ressemble à des grognements d’ours heureux de dénicher du miel dans un trou d’arbre. Le martellement du maillet est maintenant subjugué par des entrailles de bruits venus d’ailleurs, des sortes de vrombissement mélodiques qui bientôt relèguent le fastidieux et imperturbable maillet dans les oubliettes du temps, l’est remplacé par un bourdonnement insistant traversé de trompettes virtuelles qui s’apothéosent en tremblements dubitatifs, une fréquence qui insiste pour monopoliser nos deux esgourdes, ce n’est pas désagréable mais ce n’est pas non plus surprenant, une excellente bande-son pour un film de science-fiction avec un essaim d’abeille qui vole droit devant lui pour parcourir des espaces infinis, le son unique d’une escadrille d’avions s’amplifie, si présents que même quand ils s’éloignent vous les entendez encore, puis se met à ressembler à un galop de cheval sur des roches schisteuses, ou une nuée d’orage qui défile haut-perchée dans un ciel inaugural d’on ne sait trop quoi, le son s’affaiblit, ce n’est pas le silence mais un tems d’accalmie et de sérénité, zénitude qui se diffuse, occupant votre attention, et tombe sur vous tel un manteau de neige oxydée par les réverbérations martiennes, espèces de plaintes cuivrées et wagnériennes qui brutalement s’amplifient avant de décroître, prélude et mort d’Iseult, trainées soniques en dissolution, fin de l’opéra-space, belle musique post romantique, l’horloge du temps sonne et tinte en guise d’adieu définitif. Quelque chose de grave s’est passé, mais quoi ? Coup de gong final. Descendez du ring.

    Une chose est sûre : vous n’êtes pas mort. Ou alors vous commencez à vous y habituer.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

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    EPISODE 8 ( A PERDRE SES TIFS ) :

    39

              Avant de tourner le coin de la rue, Molossa grogna. La journée commençait bien ! Je tâtais négligemment le bas de mon veston. Le Rafalos 21 était bien à sa place glissé à même la peau retenu par la ceinture de mon jeans. Je m’avançais l’air dégagé, style gars désabusé qui repart au boulot. Z’étaient carrément deux, assis sur chacune des deux ailes de ma voiture.

    • Messieurs les demi-sel, je vous préviens, je déteste que certains puissent penser qu’ils pourraient nettoyer mon engin avec leurs fessiers que je subodore puants.
    • Veuillez nous excuser Monsieur, nous sommes un peu fatigués, la nuit a été épuisante. Nous nous permettons de nous présenter, Olivier Lamart et mon collègue Martin Sureau, c’est une vieille mémé – de sacrés fouineurs avait dit le Chef - qui nourrit les chats de la Famille Grandjean disparue tragiquement dans un accident qui nous a donné le numéro de votre voiture…
    • Et vous avez retrouvé la voiture par hasard en plein Paris !
    • En tant que journalistes la préfecture de police nous octroie l’accès au fichier général des plaques d’immatriculation.
    • Donc vous savez que c’est une voiture volée éloignée de son domicile et vous y êtes tombé dessus, quel hasard incroyable !
    • Si vous le permettez nous allons jouer franc-jeu avec vous Monsieur Damie Chad, agent du SSR, nous aimerions vous poser une question vous avez sans aucun doute lu notre article dans le Parisien Libéré…
    • Désolé messieurs, je ne lis exclusivement qu’Aristote et tout ce qui paraît dans les revues scientifiques de nature sur la reproduction des hannetons au Guatemala, je ne vous serai d’aucun secours, sur ce au revoir et au plaisir de ne plus vous rencontrer !

    Ils n’essayèrent pas de me retenir, je m’installai au volant, les chiens s’assirent à ma droite, Molossito en avait profité pour lever en passant la patte sur le bas du pantalon de Lamart qui ne donna pas l’impression d’apprécier ce simple amusement canin. Je démarrai en trombe.

    40

              Je me garai très rapidement dans une rue parallèle à celle que je venais de quitter. Trois minutes plus tard je repartais en la voiture lambda de monsieur tout le monde – un de ces jours je vous expliquerai comment un agent secret peut subtiliser pratiquement n’importe quel type de véhicule fermé à clef le long d’un trottoir, je sens que nos lecteurs sont intéressés, un jeu d’enfant – deux bifurcations à angles droit après je me retrouvai derrière la voiture des deux ostrogoths facilement repérable avec la manchette Le Parisien Libéré peinte sur sa carrosserie. Je pensais qu’ils se rendraient Boulevard de Grenelle au siège du journal, mais ils filèrent vers le huitième arrondissement, je l’aurais parié quand je passai devant Le Palais de L’Elysée, j’aperçus le portail d’entrée qui se refermait sur le cul de leur voiture. Nous étions fixés. Aucun besoin de continuer. Il n’était pas encore midi. Je pouvais me consacrer à la mission ultra-secrète que m’avait confiée le Chef.

    41

    Je suivis les indications du Chef. Le principe est d’une extrême simplicité, quand on cherche quelque chose dont on ignore la localisation, il suffit de retourner régulièrement à l’endroit où on l’a vue la dernière fois. J’ai tourné et retourné au moins vingt fois, sans aucun résultat tangible. Le Chef ne pouvait pas se tromper. Où était l’erreur ? J’arrêtais la voiture sur le bord de la route et pris le temps de réfléchir. Elle ne pouvait venir que de moi. Une mauvaise interprétation. J’avais pensé que l’endroit était l’endroit exact où la chose s’était manifestée à moi. Or tout endroit possède son envers qui est situé à l’endroit même de l’endroit tout en n’étant pas l’endroit même puisque l’envers est à l’envers. J’avais compris. Je confondais l’anecdote de la rencontre de la chose avec le lieu de l’anecdote. Plus exactement je croyais que le lieu de l’anecdote et l’anecdote n’étai(en)t qu’une seule entité. Je démarrai la voiture, j’étais désormais sûr de mon affaire.

    42

    Les lecteurs qui n’ont pas compris peuvent avoir honte. Molossa et Mossito poussèrent un gémissement et me regardèrent avec gravité. Sans que je prononçasse une parole, ils avaient compris, eux.

              _ Ecoutez-moi bien les cabotos, au prochain arrêt j’entrouvrirai ma portière, vous descendrez et passerez sous la voiture, vous rentrerez dans le buisson qui sera collé à la voiture. Je partirai tout de suite. Vous resterez cachés sans bouger. Je vous interdis de vous séparer. Molossa toi-seule tu décideras de changer de place si tu le juges nécessaire. Molossito, tu ne fais pas l’idiot, tu suis Molossa et tu l’imites. Voilà c’est tout.

    Ils me léchèrent la main, je pouvais compter sur eux.

    43

    L’opération se déroula sans anicroche. Je refermai la portière et examinai les lieux. C’était bien là où je m’étais arrêté pour prendre mon auto-stoppeuse. Il est facile de décrire le paysage briard. Des champs qui s’étendent sur des kilomètres. Le remembrement des années soixante avait eu raison des haies qui cernaient les champs et les près, d’une surface bien plus modeste, des temps anciens. Ces vastes étendues agricoles sont essaimées de marnières. C’est ainsi que l’on surnomme les bois strictement délimités que l’on a laissés pour les bêtes sauvages et les loisirs des chasseurs. Justement l’un d’entre eux situé à une centaine de mètres de la voiture jouxtait la nationale, sur une longueur d’un demi-kilomètre. Je l’ai longé des centaines de fois en rentrant à Provins sans y accorder une grande attention. Si ce n’est de temps en temps cette réflexion qu’il était mal entretenu. Je m’en approchai. C’est alors qu’à l’écart de la route j’avisai un grand panneau de fer entièrement rouillé. A tel point que sa couleur se confondait avec le tronc des arbres. De très près je parvins à déchiffrer le pourtour de grosses lettres : Hôtel Beauséjour. Aucune habitation en vue. S’il restait quelques ruines, elles ne pouvaient être qu’au milieu des arbres.

    43

    Végétation dense et foutue. Je ne pouvais m’empêcher de penser à notre expédition dans la forêt de Laigue. N’avait-elle pas débuté par une station dans une auberge à la lisière de la forêt… J’avançais lentement, essayant vainement de ne pas me fourvoyer dans de vastes ronciers. Aucun oiseau, aucune trace de bête, un silence lugubre, ambiance angoissante. Personne n’avait foulé les herbes hautes depuis des années. Les sentiers étaient presque effacés… Je m’attendais à quelques monticules de pierres et à des tas de gravats recouverts d’orties géantes. Je fus surpris lorsque j’entrevis la bâtisse. Loin d’être intacte, mais encore debout. Toits détuilés, fenêtres aux vitres cassées, rien à voir avec le manoir de la pochette du premier disque de Black Sabbath. Il s’agissait d’un hôtel, un immeuble à visée commerciale. En un état déplorable certes, mais dépourvu de toute aura mystérieuse. 

    44

    J’étais maintenant au milieu de ce qui avait dû être une cour pavée. Recouverte d’un épais tapis de mousse qui assourdissait le bruit de mes pas. Je m’arrêtais pour visualiser la structure de l’ensemble. Une aile droite et une aile gauche. Aux vastes vantaux l’on devinait des écuries ou des garages, des espaces de stockage pour les denrées alimentaires, peut-être aussi des logements pour le personnel. Le bâtiment principal avait encore de la gueule et un aspect presque seigneurial avec son double escalier qui menait à une haute porte de bois. A moitié entrouverte.  J’eusse préféré qu’elle fût totalement fermée ou au contraire, toute pourrie, effondrée sur place… Close, barricadée c’était me refuser l’entrée. Démantibulée, elle n’avait rien à cacher, mais à demi-ouverte c’était en même temps une invitation et une menace…

    Je sortis mon Rafalos 21 et entrepris de monter les marches de pierre une à une, furtivement, m’arrêtant de temps à autre, le silence était impressionnant, je me souvins qu’un agent du SSR n’a jamais peur, alors je me glissai bravement dans l’embrasure. Je me retrouvai dans un vestibule de grande dimension, au fond une porte ouverte donnait sur un couloir, je m’avançais, qu’allais-je découvrir, c’est alors que…

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 576 : KR'TNT 576 : ROBERT GORDON / BOBBY CHARLES / JIMI HENDRIX / MERRY CLAYTON / LEO BUD WELCH / BURNING SISTER / THOU SHALL SEE / LIQUID MAZE / ROCKAMBOLESQUES

     KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 576

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    24 / 11 / 2022

     ROBERT GORDON / BOBBY CHARLES

    JIMI HENDRIX / MERRY CLAYTON

    LEO BUD WELCH / BURNING SISTER 

    THOU SHALL SEE / LIQUID MAZE

     ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 576

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    Le Gordon ombilical - Part Two

     

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             Tous les fans de rockab respectaient Robert Gordon, pas seulement parce qu’il fut l’un des géants du revival rockab des années 80, mais aussi et surtout parce qu’il s’est associé avec trois des plus grands guitaristes du XXe siècle : Link Wray, Danny Gatton et Chris Spedding. Robert le crack vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous lui rendre un modeste hommage, comme toujours, avec les moyens du bord. 

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             Bizarrement, Robert le crack répondait aux questions de Mark McStea dans le Record Collector daté de novembre, sans doute son ultime interview. Oh, pas grand chose, juste une page. Robert le crack a beau être un immense artiste, on ne lui a jamais accordé des dix/douze pages qu’on accorde ces temps-ci à Robert Fripp ou à Paul Weller. L’interview est en fait une petite promo pour Rockabilly For Life, un album de duos paru en 2020 sur Cleopatra, un excellent label.

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             Fantastique album, en fait c’est le chant du cygne de Robert le crack. Tu veux du rockab chanté par un crack ? Alors écoute «Steady With Betty» ! Robert le crack taille la route avec Williamson, mais c’est Robert le meilleur, même si cette vieille carne de Williamson fait son cirque. Tu veux des coups de génie ? Tu en as trois, à commencer par «Let’s Go Baby», avec Sped, c’mon baby let’s go ! Robert le crack redevient le roi du monde pour trois minutes, il roule des hanches et du bop in it, ça coule de source et ça coulisse comme une bite dans la culasse, il y rajoute des wanna go home et ça donne une fabuleuse merveille. La bombe des bombes, c’est sa version de «Please Give Me Something», il duette avec Kathy Valentine, il tape dans le saint des saints, il le chante de l’abdo, ah le puissant seigneur ! Il te l’accroche au punch-up de tomorrow night. Tav Falco adorait aussi ce classique rampant qui est l’un des hits les plus dévastateurs du XXe siècle. Robert le crack te le groove sous le boisseau d’argent. Troisième alerte rouge avec le «Knock Three Times» de fin d’album. Cette fois, il duette avec Steve Cropper, c’est un heavy blues amené au revienzy de non-retour. Robert le crack + Crop, ça donne du béton armé. Pas de pire power que la conjonction de ces deux bétons à deux pattes, knock three time and come in, Crop joue dans l’effroi du beffroi et Robert le crack te filoche ça au fil d’argent, sa voix virevolte dans les effluves de l’extrémisme légendaire, c’mon in ! Comme on est à la fête aux duos, alors on accueille à bras ouvert «She Will Come Back». Il y duette avec Linda Gail Lewis, c’est-à-dire la sister du hellfire, ça donne un résultat puissant et bienvenu, tu plonges immédiatement dans le bénitier de la bella vista, et quand Linda Gail duette, elle duette, elle ramène toute la niaque de la Bible Belt. Autre duo de choc : «One Cup Of Coffee» avec Joe Louis Walker. Hot as hell ! Derrière Robert le crack, ça prend feu ! Le vieux Joe joue comme un dieu, mais dans cet environnement, ça prend du volume. Robert le crack fait encore un numéro de cirque avec «If You Want It Enough», oui, il te swingue ça de haut. Tous les duos sont superbes, on sort ravi de cet album. Robert le crack ne pouvait que finir en beauté.

             Dans l’interview, il évoque ses début dans les Tuff Darts à New York, oh non, il n’aimait pas les chansons des Tuff Darts - I didn’t like the negativity and the lyrics didn’t work for me. I wanted to sing rock’n’roll, I mean REAL rock and roll - Pour éclairer la lanterne de McStea il explique comment s’est fait le rapprochement avec Link Wray : c’est tout bête. Il en parle à son producteur, Richard Gottehrer - Oh j’aime beaucoup Link Wray et j’aimerais bien travailler avec lui - et pouf, Gottehrer localise le Linkster et le contacte. On connaît la suite. Tout le détail de cette suite se trouve dans le Part One, quelque part en 2018. Robert le crack insiste sur un point capital : «We were never straight rockabilly anyway. We played it with a New York punk edge.» Rusé comme un renard, McStea demande à Robert le crack s’il reste des inédits datant de cette époque. Robert le crack hausse les sourcils :

             — Je ne pense pas qu’il en reste encore. J’ai réussi à choper des enregistrements live inédits datant de 77 et 78 que j’ai fait paraître en 2020. Ce sont les deux CDs The First National Tour et The Last Tour. Ils ont réveillé de très grands souvenirs et le son de Link là-dessus is just phenomenal. On y trouve aussi des cuts qu’on a jamais enregistrés en studio.

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             Le petit conseil qu’on pourrait donner à la fois aux fans de Robert le crack, à ceux de Link Wray et à tous les ceusses qui apprécient les grands disques live, serait de mettre le grappin sur ces deux albums. Car quel cirque ! Tout est explosif, là-dessus, on n’avait encore jamais entendu Link Wray sonner comme ça. Real wild cat ! Dès «Twenty Flight Rock», Linkster explose le préambule du vestibule. Boom ! Ça continue avec l’une des meilleures versions de «The Way I Walk» jamais enregistrées. Robert le crack reprend la main avec «I Sure Miss You», il y fait son Elvis, il en a les moyens et Linkster lâche sa vieille bombe : «Rumble» ! Boom ! Puis ils explosent tous les deux le vieux hit de Jimmy Reed, «Baby What You Want Me To Do». On note chez Linkster une fâcheuse tendance à voler le show. Il surjoue en permanence. Plus loin, ils lâchent une nouvelle bombe, «Baby Let’s Play House», Robert le crack y va au hiccup et ça bascule dans la folie. Même chose pour leur version de «Lawdy Miss Clawdy». On peut même considérer leur version de «Boppin’ The Blues» comme l’un des sommets d’un art qu’on appelle le rockab. C’est du hard rockab, comme l’est cette version effarante de «Flyin’ Saucer Rock’n’roll».

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             The Last Tour est enregistré en Allemagne. Attention, c’est un double CD. Tout est bien là-dessus. Absolument tout ! On retrouve bien sûr les mêmes standards («Rock Therapy», «The Way I Walk» et un «Twenty Flight Rock» joué à la folie Méricourt). Il jouent «Heartbreak Hotel» à l’ultimate et tapent un «Lonesome Train (On A Lonesome Track)» wild as fuck. Linkster joue de l’émulsion de la congestion. À l’entendre, on croit qu’il implose. Et comme dans chaque show, Robert le crack sort fumer sa clope pendant que Linkster joue ses killah tunes «Rumble» et «Rawhide» au maximum overdrive. Il faut aussi l’entendre amener «Flying Saucer Rock’n’roll» à la sirène d’extra-alarme, ou encore taper «Baby Let’s Play House» à la cocote sauvage. On retrouve «Baby What You Want Me To Do», encore plus heavy as hell qu’avant, Linkster joue dans tous les coins, il va chercher les notes de la folie. Ils rendent aussi hommage à Gene Vincent avec une version démente de «Be-Bop A Lula», Linkster gratte comme un con, il dévaste les cuts les uns après les autres («Endless Sleep», «(You’re So Square) Baby I Don’t Care») et tout explose à nouveau avec «Lonesome Train (On A Loneome Track)». La qualité du set dépasse les bornes du jeu des mille bornes. On retrouve encore tout ce saint-fruquin sur le disk 2, ça démarre sur l’I don’t need a doctor de «Rock Therapy», Robert le crack veut juste a rock therapy et derrière, tu as le Linkster dans un nuage de fumée. Il bascule littéralement dans la folie. Apocalyptic ! Comme on approche de la fin de l’aventure Robert Gordon/Link Wray, Linkster passe à la vitesse supérieure et attaque «The Way I Walk» à la réverb furibarde. On n’avait encore jamais entendu un truc pareil ! Robert le crack ne peut pas en placer une, l’indien Linkster fond comme l’aigle royal sur le rock’n’roll, tu n’as même pas le temps de réaliser, il est déjà reparti dans des virevoltes. Il fout ensuite une pression terrible sur «Mystery Train» et bien sûr, ils enchaînent avec le «Lonesome Train», puis ça bascule dans l’horreur sonique avec «I Sure Miss You», qui est censé être calme, mais non, Linkster en décide autrement. Il veut l’enfer sur la terre. On sent bien que ces sessions allemandes sont des sessions historiques. Linkster dévore tout cru le pauvre «Baby What You Want Me To Do». On ne peut pas imaginer plus bel hommage à Jimmy Reed. Robert le crack allume «(You’re So Square) Baby I Don’t Care», avec bien sûr l’autre fou de Linkster dans l’angle qui repart en vrille. Il ne fait que ça, de la vrille. Leur version de «Wild Wild Woman» est de la folie pure, c’est insoutenable de grandeur, ça dégouline d’intrinsèque, Linkster joue à la cisaille extrême, la pire qui soit. Encore du wild rockab supernova avec «Baby Let’s Play House», Robert le crack joue la meilleure carte, celle de la rockab madness et tu peux faire confiance à Linkster, il va te jeter de l’huile sur le feu. Ils s’envolent tous les deux comme des vampires dans le ciel noir de «Sea Cruise» et Linkster démolit tout dans «Red Hot». Il tape dans le mur du son et l’écroule. On le voit physiquement se barrer dans tous les sens. Les trois derniers cuts sont the last recordings de ce duo mythique : «Lonesome Train (On A Lonesome Track)», «The Way I Walk» et «I Sure Mis You». Véritable chaudron des enfers. Cette triplette de Bellville est l’une des plus sauvages de tous les temps. Le génie combiné de Robert le crack et de Linkster bat tous les records.

             C’est en 1979 que Robert le crack s’acoquine avec Chris Spedding. Linkster souhaitait faire son truc de son côté, alors adios Link, hello Sped.

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             On ressort enfin les enregistrements live de Robert Gordon & Chris Spedding. Rien qu’avec la pochette de Tear Up The House, c’est dans la poche : Robert Gordon se coiffe et Chris Spedding, tout décoiffé, fixe l’objectif avec la morgue d’un dieu vivant. On est tout de suite frappé par le génie vocal de Robert le crack dans «Mess Of Blues». On croit entendre Elvis. Robert le crack groove Elvis jusqu’à l’oss de l’ass, avec le même genre de power, c’est stupéfiant. Pareil avec «I Beg For You», «Little Sister» et «Don’t Be Cruel». C’est du pur jus d’Elvis. Ils développent un shuffle de locomotive avec «Heart Like A Rock». Sped devient le Mécano de la Générale. Robert le crack shake ça à la lourde et Sped le suit. C’est une merveille absolue de déroulé, avec des relances à coups d’oh oh oh qui dépassent l’entendement. Avec «Don’t Leave Me Now», Robert le crack se transforme en fantastique bouffeur d’écran. Il arrache chaque fois la victoire à la force du poignet. Leur version de «The Way I Walk» est aussi une merveilleuse conjonction de big singer et de big cocoteur. Ils terminent le live 2008 avec «Red Hot», le cheval de bataille du Memphis bop. Robert le crack le chante à la cavalcade, avec ce démon de Sped in tow. Le deuxième live est encore plus spectaculaire. Ils démarrent avec un «Blue Moon Of Kentucky» assez explosif, Robert le crack tear up the house, comme l’indique la pochette. Il ne perd pas de temps avec les détails. Il taille la route et Sped fait son Scotty. Encore une extraordinaire combinaison cut + guitar + voice : «I Love My Baby». Sped speede sa chique. Il joue partout. Il brûle toutes les politesses. Et puis voilà l’hommage mythique à Gene Vincent : «The Catman». Sped l’allume à coups de sonneries insensées - Rock rockabilly rebe/ I sure miss you - Ils cavalent leur «Gunfight» à la tagada-tagada et explosent ensuite «Lonesome Train». Les voilà propulsés au sommet de l’art rockab, avec tout le génie du gratté de Sped et la niaque imbattable de Robert le crack. Ils restent dans les transports ferroviaires avec «Mystery Train». Sped le prend à la cocote suprême et une certaine violence dans la prestance, c’est affolant de train arrives. On les voit aussi taper une version musclée de «Lonely Weekend». Il n’existe pas sur cette terre de meilleur hommage à Charlie Rich ! Sped le riffe dans le lard de la matière et Robert le crack le chante à la sérieuse convertie. Quelle fantastique énergie américaine !

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             Puis il faut voir et revoir le Rockin’ The Paradiso, un Last Call paru en 2006. Le répertoire n’a plus rien à voir avec celui du temps de Linkster, c’est plus orienté sur Elvis, beaucoup moins explosif. Robert le crack est un gros pépère, mais sa présence est immédiate. Sped est aussi un vieux pépère, mais un vieux pépère affûté, ils démarrent tout de même sur «The Way I Walk». Sped reste aux aguets en permanence, la lèvre inférieure en avant. Quel fabuleux oiseau de proie, il joue du sur-mesure, il est dessus, comme l’aigle sur la belette. Il joue un peu en mitoyen. Quel spectacle ! Sped l’affûté et Robert le massif, un massif qui recherche en permanence la perfection au chant, il n’en finit plus de jeter tout son poids dans la balance, il est on fire pour «Lonely Weekends». Sped fait quatre cuts en solo, dont le fameux «Guitar Jamboree» où il imite tous les géants, Jimi Hendrix, Pete Townshend, Jeff Beck, Leslie West et quand il claque un bout de «Sunshine Of Your Love», il cite jack Bruce, pas Clapton. Puis Robert le crack revient pour des covers de «Bad Boy» (Marty Wilde) et «Little Boy Sad». Ce n’est pas un hasard si un guitariste aussi brillant que Sped accompagne Robert le crack. Conjonction extraordinaire de deux très grands artistes. Ah il faut les voir taper un «Bertha Lou» bien rampant et rendre un fabuleux hommage à Johnny Burnette avec «Rockabilly Boogie» !

             Retour à l’interview. Badin, McStea émet l’hypothèse suivante :

             — Vous avez sans doute rencontré pas mal de légendes du rock’n’roll. Any standouts ?

             — Billy Lee Riley was a riot. On a chanté «Red Hot» tous le deux à Green Bay. Et Frankie Ford was a real sweetheart. On a duetté ensemble sur «Sea Cuise», et ces deux hits se trouvent sur mes deux premiers albums.

             McStea veut en savoir plus. Il demande à Robert le crack quels sont ses meilleurs souvenirs.

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             — Too many to mention, man. J’ai juste eu beaucoup de chance. J’ai toujours pu travailler et j’ai rencontré des tonnes de great people, fans and musicians along the way. Je suis très fier de tous les albums que j’ai pu enregistrer over the years, mon préféré est I’m Coming Home qui date de 2014, enregistré à Nashville, et je suis particulièrement excité par le dernier album, Rockabilly For Life. On l’a enregistré au Texas.

             Et quand McStea lui demande ce qu’il écoute aujourd’hui, Robert le crack répond George Jones, Conway Twitty et Johnny Cash. Et puis il dit adorer Frank Sinatra, «the greatest singer ever. His timing and his phrasing are unbelievable. J’aimerais tellement enregistrer un album de ses chansons avec un orchestra. I bet it would sound great.»

             Adios amigo.

    Signé : Cazengler, Robert Gourdin

    Le Gordon ombilical - Part Two

    Robert Gordon. Disparu le 18 octobre 2022

    Robert Gordon & Chris Spedding. Tear Up The House. Sunset Blvd Records 2019

    Robert Gordon & Link Wray. The Last Tour. Growling Guitar 2019 

    Robert Gordon & Link Wray. The First Nationwide Tour. Growling Guitar 2019

    Robert Gordon. Rockabilly For Life. Cleopatra Records 2020

    Robert Gordon & Chris Spedding. Rockin’ The Paradiso. Last Call Records 2006

    Mark McStea : 33 1/3 minutes with Robert Gordon. Record Collector #537 - November 2022

     

     

    Tu parles Charles

     

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             Dans le petit booklet qui accompagne Wish You Were Here Right Now, Colin Escot commence ainsi son superbe portait de Bobby Charles : «It’s Bobby Charles’ personal preference to be in the background.» Bobby préfère la discrétion. Puis pour bien situer les choses, Escot cite les principaux hits composés par Bobby Charles : «See You Later Alligator», «Walking To New Orleans», «But I Do», «The Jealous Kind» et «Before I Grow Too Old». Selon Escot, Bobby Charles est un grand timide, un Cajun de Louisiane qui a grandi en parlant le Français autour d’Abbeville, Louisiana, où il a vu le jour. Puis ado, il voit Fatsy, Lloyd Price et Guitar Slim dans des juke joints. Quand il compose «See You Later Alligator», il est signé par Chess. Mais il refuse de partir en tournée. No way. 

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             Wish You Were Here Right Now est donc l’album idéal pour entrer dans le monde magique de Bobby Charles. Il y chante tous ses hits et reçoit des invités de marque, le plus important étant Fatsy sur «Walking To New Orleans». On a là du mythe à l’état pur, avec des cuivres, et tous ces mecs repavent le chemin de Damas, avec un solo de tiguili de Tommy Moran, un solo de sax de Jon Smith, et Fatsy arrive pour la lutte finale. Un autre invité de marque : Neil Young qui se pointe avec cette guitare Martin de 1928 ayant appartenu à Hank Williams. Le vieux Young arrive dans un environnement musical très purifié pour chanter «I Want To be The One» avec Bobby. Willie Nelson duette avec Bobby sur «I Remember When», mais c’est trop country, on perd le New Orleans qu’on retrouve par contre dans «The Mardi Gras Song» et les filles sont folles ! Et tu as en prime Sonny Landreth on guitar ! Ça joue à la folie. On retrouve l’excellent Sonny Landreth dans «The Jealous Kind», il joue avec une finesse qui en bouche un coin. Bobby traîne son Americana dans les limbes du swamp et il enchaîne avec du pur jus de New Orleans, «See You Later Alligator», une belle usine à rythme. Avec «I Don’t See me», il fait du heavy cajun de la frontière, il te fait tourner la tête, Willie Nelson et Neil Young grattent les grattes du paradis. Encore une ambiance de rêve avec le morceau titre, salué aux trompettes mariachi et percé en plein cœur par un solo d’une pureté cristalline. Bobby Charles cultive la pureté, qu’on se le dise.

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             Dans son fantastique Rhythm And Blues In New Orleans, John Broven consacre trois pages à Bobby. Il commence par rappeler que Bobby fut le premier white kid à percer sur la scène de New Orleans - The sound was New Orleans R&B with a Cajun feel, known now as swamp pop

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    Dans un autre Broven book plus ancien, South To Louisana - The Music Of The Cajun Bayous, Bobby donne tous les détails de son démarrage dans le music biz : «J’avais joué dans un high school dance in Crowley et un mec nommé Charles Redlich qu’on surnommait Dago avait un record shop. Leonard Chess était passé le voir. Leonard was a hustler. Il voyageait dans le Sud et enregistrait les gens dans les champs de coton avec un petit magneto. Il est passé à Crowley pour la promo de son label et a dit à Dago de lui passer un coup de fil si jamais il repérait un bon coup. Quand Dago m’a vu, il a passé un coup de fil à Leonard. Ça a démarré comme ça.» Bobby dit aussi que les gens de Chess l’ont signé parce qu’ils pensaient qu’il était noir - Quand je suis descendu de l’avion, ils étaient un peu surpris - Mais Bobby dit qu’ensuite ça s’est bien passé. Son «Later Alligator» sort sur Chess, mais il est balayé par la version de Bill Haley and His Comets qui en font le fameux «See You Later Alligator». D’ailleurs, les premières photos de Bobby nous le montrent avec «a Haley-type kiss curl» pendouillant sur son front. Broven rappelle que Bobby fait partie de la vague swamp pop de 1958-1961 qui comprend aussi Jimmy Clanton, Rod Bernard, Phil Phillips, Johnnie Allan, Jivin’ Gene et Joe Barry. Boven n’y va pas de main morte. Rappelons au passage qu’Ace a aussi la main lourde sur le swamp, avec ses fabuleuses séries Rhythm’n’Bluesin’ By The Bayou, Bluesin’ By The Bayou, Swamp Pop By The Bayou et Boppin’ By The Bayou. Attiré par l’appât du gain, c’est-à-dire le publishing, Lew Chudd signe Bobby sur Imperial. Il bosse alors avec Dave Bartholomew qui n’est pas habitué à bosser avec des petits culs blancs comme Bobby. Pour rigoler, Bobby menace Bartho de l’emmener avec lui en tournée s’il ne se montre pas plus gentil. Bartho éclate rire ! La glace est brisée. Après ça, ils s’entendent bien. Bobby compose l’excellent «Before I Grow Too Old» que va reprendre Fatsy. Il compose aussi «But I Do» pour Clarence Frogman Henry, un autre géant local. En composant pour Imperial, Bobby se fait rouler car il ne reçoit rien sur le publishing. Ce sont les pratiques de l’époque, il se dit cependant fier d’avoir composé pour Fatsy. Broven dit aussi que Bobby préférait vivre à l’écart dans son Bayou, avec un petit alligator domestiqué appelé Gabon. 

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             La compile Walking To New Orleans - The Jewel & Paula Recordings 1964-65 ressemble comme deux gouttes d’eau à un passage obligé. Jewel et Paula sont les deux labels de Stan Lewis, un disquaire basé à Shreveport en Louisiane. Il possède aussi Ronn Records, le label sur lequel enregistre Ted Taylor. «Ain’t Misbehaving» est du pur jus de New Orleans, on se croirait chez Fatsy, même dynamique et mêmes magical tricks round the corner. Bobby chante comme un black. Sa cover de «Walking To New Orleans» est un chef-d’œuvre intemporel - New Orleans is my home - et «See You Later Alligator» reste d’une incroyable modernité, il ramène tout le power du New Orleans Sound, diction géniale et power du beat, wild solo et you know my love is just for you ! Il fait aussi du rockab de Louisiane avec «The Walk», ce démon de Bobby peut ramener toute la folie du rockab dans son vieux juke vermoulu. Il chante déjà comme une rock star. Il tape une fabuleuse cover de «Good Night Irene» - I’ll see you in my dreams - Il groove Leadbelly ! Il tape aussi un «Oh Lonesome Me» avec des chœurs pubères, la fraîcheur de son Lonesome Me est un modèle du genre. Il passe à tous les coups, comme le montre encore «The Jealous Kind» - You must forgive me/ For the way I act

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             Le premier album sans titre de Bobby Charles paru sur Bearsville en 1972 bénéficie d’une bonne réputation. Une réputation qui frise même un peu le gros culte. Sans doute à cause d’«I Must Be In A Good Place Now». Bobby s’inscrit d’office dans la catégorie des meilleurs good day fishers/ Until the sunset in the hills, c’est un perdant magnifique, un expert en dérive, un débiteur de grooves fabuleux, il crée l’endroit comme le faisait Tony Joe White. Il cultive son Americana cajun avec «I’m That Way» et son «Tennessee Blues» vaut pour un vrai blues de cabane pourrie du bayou. Il attaque son album en parfait Louisianais, avec un «Street People» au son spongieux, une régalade. C’est du rock de cabane abandonnée, une vraie merveille pour les amateurs de Deep South. Avec «Losing Face», on retrouve certaines ambiances à la Doctor John. C’est un vieux boogie privé d’espoir. C’est bien que Bobby Charles soit condamné aux ténèbres, ça le sauve. Le vieux son le sauve. Il amène «All The Money» au petit gospel de Bayou - He got all the whisky - Il crée son monde - He got all the women - Il fait du profil bas, là où les autres se croient malins à vouloir faire du profil haut. Ses chansons sont fines, mais elles ne passent pas inaperçues. Elles rôdent dans l’inconscient collectif. Bobby est un mec calme, avec lui, les choses se posent. Puis voilà «Grow Too Old» qui fait planer la country par-dessus sa légende et c’est bien vu.   

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             Sur la pochette de Clean Water, Bobby Charles est peint dans le bayou avec guitare, sa femme et son fils. Cette petite peinture figurative donne bien le ton : album serein, placé sous l’égide du groove de «But I Do», qu’il fait au round midnite avec une stand-up et un gratté léger d’acou manouche. Bobby Charles se s’enferme pas dans la musique Cajun, même s’il ouvre son balda avec «Lil’ Cajun». Puis il fait comme Mickey Newbury, il gratte du heavy balladif pour chanter la fin d’une relation («Secrets») - How much longer can I take it - Avec «Cowboys + Indians», il donne une leçon d’histoire - The Indians had to move away/ They had to change their way - Mais c’est en B que se planquent les hits, à commencer par «Eyes», une Beautiful Song qui donne du temps au temps - And the only thing/ Is to find inside/ For a love that just won’t die - Il cultive les élans romantiques superbes. Avec «Lil Sister», il développe une fantastique musicalité, il a du monde derrière lui, des cuivres énormes, du piano et un big bassmatic. «Party Town» est du pur jus de la Nouvelle Orleans - New Orleans is party town ! - Il va le chercher au good time roll, il y a tout, même les clarinettes. Il termine en français avec «Le (sic) Champs Élysee (sic)» - Les femmes sont jolies/ Sur le Champs Élysee/ Ils vous donnent des envies - Il crée de la poésie avec un accordéon à la Kosma, c’est toute la différence avec le Champs Élysées de Joe Dassin. Bobby Charles en fait une merveille - Vive le bon temps/ Sur le Champs Élysée - et il repart de plus belle - L’amour c’est une fleur/ Sur le Champs Élysee/ L’amour vient du cœur/ Sur le Champs Élysee/ L’amour c’est la vie/ Sur le Champs Élysee - On le croit sur parole.

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             Bobby a soixante balais quand il enregistre Secrets Of My Heart. On y retrouve son fameux «Le Champs Élysée (sic)», avec les femmes sont jolies et les la la la, vive le bon temps sur le Champs Élysée. On y retrouve aussi Fatsy dans «Happy Birthday Fats Domino» - You and your music/ Touched my heart and soul - Cut mythique une fois de plus, pur jus de pureté d’intention, ils ramènent tout, les clarinettes du jazz New Orleans, les chœurs de filles, c’est énorme ! Avec «Angel Eyes», il touille du Mariachi, Bobby sonne comme Doug Sahm, la même classe, il a derrière lui les cracks de la frontière, dont Sonny Landreth. Il revient ensuite à son cher piano bar de round midnite avec «But I Do» - I don’ know why I love you/ But I do - Et là tu tombes sur l’un de ces solos de jazz guitar qui font rêver. On voit Bobby se fondre plus loin dans l’émeraude d’un lagon nommé «I Don’t Want To Know» et Wayne Jackson vient souffler dans ses horns pour «Party Town». Bobby prend «Why Are People Like That» au doux du menton, servi par un bassmatic bien spongieux et des cuivres rutilants. Tout est beau sur cet album, il repart chercher la beauté dans «You», il possède un sens aigu de la belle aventure - I close my eyes/ You’re everywhere I turn - Beautiful Song ! Avec «I Can’t Quit You», il tape dans les fastes du New Orleans Sound et de quit drinkin’, quit smokin’, but not you

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             L’un des meilleurs investissements que tu peux faire aujourd’hui, c’est Last Train To Memphis, un double CD bourré à craquer de Bobby Charles. Ça part en trombe avec un morceau titre, un joli shuffle rock Cajun chanté à la chaleur de la joue ronde, exactement à la manière de Fatsy.  Si tu en pinces pour le son Cajun, alors tu vas bicher avec «The Legend Of Jolie Blonde» et «Full Moon On The Bayou», où tu peux entendre Willie Nelson et Neil Young, avec en plus Clarence Frogman Henry au piano. Un enchantement ! On retrouve aussi l’excellent Sonny Landreth sur «I Spent All My Money Loving You». Bobby fait de la Soul de pop avec «I Wonder» et on retrouve Eddie Hinton on guitar sur «Everyday». Bobby développe sa mélodie chant de façon spectaculaire. Nouvelle invitée de marque : Maria Muldaur sur «Homesick Blues», grosse ambiance, mais ça monte encore d’un cran avec «Forever And Always», Sonny Landreth y fait des miracles - And there’s nothing I can do/ To change my feelings for you - Bobby chante avec une chaleur de ton unique. Encore un invité de choix avec Dan Penn sur «Sing», Spoon est à l’orgue, et on peut dire que c’est mille fois moins putassier que les derniers albums de Dion qui lui aussi invite à tours de bras. Bobby boucle l’album avec une belle version de «See You Later Alligator», du pur jus de New Orleans, Bobby chante à l’arrache de la légende, il rejoint Fatsy au firmament de la Nouvelle Orleans. Tu ne peux pas rêver mieux, plus pur, et ce solo de sax ! Sur le CD bonus, tu vas retrouver tous les hits, «Angel Eyes», «But I Do», «Walking To New Orleans», «Party Town», il est aussi bon que Dr John sur «Not Really Yet», et puis tu as aussi ce fantastique balladif, «I Remember When», et ce shoot de son Cajun qui s’appelle «I Don’t See Me», c’est une sorte de Best Of imparable. Tout est beau là-dessus. 

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             Paru en 2008, Homemade Songs grouille de choses connues comme «But I Do», «Cowboys & Indians» (chanson politique par excellence), «The Mardi Gras Song» (pur jus de New Orleans), mais tu as d’autres merveilles comme «The Football Blues», où Bobby chante comme son héros Fatsy. Il fait aussi du heavy blues avec «Queen Bee». «Pick Of The Litter» est plus country, il chante avec une retenue qui tourne au génie de fin de soirée. Il amène son morceau titre au piano et il redevient supérieur à tout, le temps d’une chanson, sa mélodie balaye l’océan, c’est stupéfiant de classe, il a cette ampleur. Avec «The Truth Will Set You Free», il annonce la couleur : promises/promises, c’est du vieux revienzy de bonne guerre, du traditionnel bump on down the road. Le voilà qui se lance dans le heavy Bobby avec «Always Been A Gambler», ooh what a mess/ What a mess, il sent que et requeque. Il reste dans la qualité supérieure de la présence intrinsèque, il débouche enfin dans l’échelon supérieur de l’Americana. Il continue de cultiver la puissance avec le big raw d’«How I Go Again», tout est beau ici-bas et ça se termine avec une petite fête au village, «Sweep ‘Em».      

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             Timeless est un album dedicated to Fats Domino. D’ailleurs, ça démarre avec le vieux «Happy Birthday Fats Domino», il le fait dans les règles du lard fumant, c’est bien que des mecs comme Bobby rendent hommage à Fatsy, et tu as Derek Trucks on lead. Bobby chante «Where Did All The Love Go» à la manière de Fatsy, bien dans la mélasse du New Orleans Sound qui encore une fois est un son à part en Amérique. Il drive «Clash Of Cultures» au groove des îles, c’est sa mesure, le slow groove un peu gras et tiède, il te le chante à l’haleine chaude, il est infiniment proche de toi. On retrouve Dr John à l’orgue dans «Little Town Tramp». Comme Dan Penn, Bobby Charles est un roi du soft rock. Sonny Landreth est aussi de retour sur «Nobody’s Fault But My Own». Seul Bobby est capable d’aller se traîner ainsi dans la gadouille du swamp. Ce sont les chœurs de filles qui amènent l’excellent «Rollin’ Round Heaven». Notre vieux Bobby s’étale dans un lit de roses, il chante à la rose éclose de filles en chaleur, elles sont complètement hystériques. Avec Bobby, il faut rester prudent. Il revient enfin à son heavy balladif de hamac avec «You’ll Always Live Inside Of Me», il adore se balancer dans la chaleur du swamp, juste au-dessus des alligators.

    Signé : Cazengler, Bobby Chasse (d’eau)

    Bobby Charles. Bobby Charles. Bearsville 1972 

    Bobby Charles. Clean Water. Zensor 1987 

    Bobby Charles. Wish You Were Here Right Now. Rice ‘N’ Gravy Records 1995  

    Bobby Charles. Secrets Of My Heart. Third Venture Records 1998   

    Bobby Charles. Last Train To Memphis. Rice ‘N’ Gravy Records 2003 

    Bobby Charles. Homemade Songs. Rice ‘N’ Gravy Records 2008    

    Bobby Charles. Timeless. Rice ‘N’ Gravy Records 2010

    Bobby Charles. Walking To New Orleans. The Jewel & Paula Recordings 1964-65. Westside 2000

    John Boven. Rhythm And Blues In New Orleans. Pelican Publishing Company 2016

    John Boven. South To Louisana. The Music Of The Cajun Bayous. Pelican Publishing Company 1987

     

     

    Wizards & True Stars

    - HendriX file (Part One)

     

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             Ce n’est qu’une hypothèse : il se pourrait bien que Jimi Hendrix soit le personnage le plus iconique de la culture rock. Au sens propre de l’expression, car il est merveilleusement facile à dessiner. On ne dessine pas un visage, mais un symbole. Et pas seulement le symbole de la culture rock, mais celui plus pointu du fameux sex & drugs & rock’n’roll, l’essence même de ton réservoir. Let me stand next to your fire ! Jimi boom, dès 1966, au hit-parade, juste derrière la petite grille du transistor à piles, tu as ce mec, on ne sait pas d’où il sort, qui se balade avec un flingue et qui annone gonna shoot my old lady co’ I saw her messin’ round with another man d’une voix si sourde qu’elle résonne en toi, alors tu fais comme lui, tu entres en osmose avec le mimétisme et tu erres comme une âme en peine, et tu vas en découvrir d’autres, And I’m trying to get on the other side of town, ta caboche d’ado boutonneux reçoit de savoureuses rasades d’électrochocs cosmiques, Will I live tomorrow? Well I just can’t say, au fond de ta grotte, tu viens de découvrir un dieu et tu lui sacrifies ta vie à coups de silex dans les poignets, et lorsque tu es enfin vidé de ton sang, tu comprends tout. Have you ever been experienced?

             Jimi Hendrix. Pas seulement iconique. Attachant, il devient ton deuxième meilleur ami. Aussitôt 1967. Tu passes tes soirées avec lui, tu viens de choper l’album, alors il te pose chaque soir la même question :Have you ever been experienced? Il t’ouvre à la vie, mais pas n’importe quelle vie, la vie sauvage. Tu dois te tuer pour renaître, Manic depression is searching my soul, tu n’entres pas dans un album, mais dans la tombe d’un prince, une tombe en forme de palais, over yonder, et tu sais que tu ne vis pas ta vie, Feel like I’m sitting at the bottom of a grave, tu vis ton rêve, il devient réalité, May I land my kinky machine?, tu t’arranges pour voler quand même, t’as pas de sous, alors tu te shootes à l’éther, Secret Oh secret, et après avoir voyagé autour de ta piaule pendant des années-lumière, tu reviens à l’essentiel, oooooh Foxy, I want to take you home, yeah

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             C’est à Mick Wall que revient l’honneur de pratiquer un peu plus d’un siècle après Rimbaud l’art suprême du bouleversement de tous les sens : il fait revivre Jimi Hendrix. Frappé de l’emblème iconique, le book s’appelle Two Riders Were Approaching, un vers tiré non pas du nez de Dylan mais d’«All Along The Watchtower». Wall plante carrément l’iconique dans l’iconique, avant lui, personne n’avait pensé à la faire. Personne ! Wall te fixe ça dans ton mur. Tu peux tirer dessus, ça tient. Et c’est pas fini. Car il réussit ce que personne à part Joyce n’avait réussi à faire avant lui : faire parler l’esprit. Jimi, c’est Ulysse. L’icône sort du cadre et te parle. Et tu la connais bien, sa voix, car tu l’as fréquentée pendant quatre ans, de 1966 à 1970, quasiment tous les jours. Jimi te parlait dans les chansons, mais aussi et surtout dans l’écho des chansons, tu connaissais la moindre de ses intonations, tu étais sensible à la chaleur de sa voix et à ses petites interjections, il parlait toujours à voix basse et c’est tout cela que Magic Wall restitue dans son Magic Book. Le book s’ouvre sur une party à Londres. Jimi vient de rentrer en Angleterre - Jimi partying. Playing grab-ass with the bell-bottomed well-wishers. High fives. Just got back, you know, in town for a few days, catch up with some goooood friends. Cool on the outside, feverish on the inside. Jimi mouldering. Looking for a place to hide. ‘Didja see Monthy Python the other night, man? So funny! The Ministry of Silly Walks.’ Jimi jiving his own version. ‘Oh man, so funny! We’d been smoking the Red Leb. Oh man, I nearly died!’ - Alors tu l’entends ? On l’entend bien, hein ? Magic Wall est entré dans la peau de Jimi et dès la page 2 de son Magic Book, tu tombes sous le double charme de l’auteur et du fantôme. Alors après, ne t’étonne pas de tomber sur des scènes d’une poignante véracité. Chaque fois, tu te dis : «Wow, on s’y croirait !». Mais ce n’est pas ça : on y est. Magic Wall te fait entrer chez Linda Keith. Vazy, entre, n’aie pas peur, elle ne va pas te bouffer ! - Plus tard, cette nuit-là, Linda fait connaître une nouvelle expérience à Jimmy. Le LSD. Il va vraiment adorer ça, dit-elle. Une fois de plus, Linda a raison. Linda voit. Linda sait. Jimmy n’a jamais expérimenté un truc so... so... Il chope son reflet dans un miroir. C’est Marilyn Monroe qui le fixe. Jimmy est sous acide pour la première fois, il revoit son reflet dans le miroir et il voit le futur. Son futur. Jimmy trippe, il zoome au-delà de la lune, bien au-delà des étoiles, il flotte dans l’espace temps avec Linda the angel. Près de lui, Linda capte le reflet de Jimmy dans le miroir et elle voit la même chose que lui - Magic Wall vient de te faire le coup du Room Full Of Mirrors et il te sert Linda Keith, personnage clé de cette histoire, sur un plateau d’argent. C’est elle, Linda Keith, la poule de Keef à cette époque, qui découvre Jimmy James à New York. Elle fait d’abord venir Andrew Loog Oldham au Cafe Wha?, Loog passe la main, car il entend dire que Linda baise avec ce blackos qui s’appelle Jimmy James, quel nom ringard !, puis elle fait venir les Stones, qui sont alors en tournée américaine, chez Ondine’s, mais les Stones restent de marbre, sauf Keef qui est le seul à comprendre pourquoi Linda s’intéresse à ce Jimmy James mal habillé, fringues fifties, alors que les Stones portent des fringues sixties, puis Linda fait venir Seymour Stein qui n’accroche pas non plus, alors elle tente un dernier coup avec Chas Chandler qui fait sa dernière tournée américaine avec les Animals, come down to see this incredible guy I’ve found.

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    ( Chas Chandler / Jimi Hendrix )

    Et quand Jimmy James gratte the mooding opening chords to ‘Hey Joe’, Chas pige tout de suite - And Chas Chandler’s mind is blown. Instantly - Comme si tu étais. Tu assistes à la scène en direct. Bouge pas, c’est pas fini !

             Magic Wall est tellement plein du génie de Jimi qu’il en devient génial. Il fait une overdose d’osmose, on assiste à ça en direct, à cette prodigieuse overdose littéraire qui nous remplit d’aise mais qui brouille aussi les cartes : doit-on saluer le génie de Magic Wall ou celui de Jimi, on ne sait plus, alors saluons simplement le génie d’un écrivain entré dans la peau de son personnage, et, comme on va le voir, ça peut aller très loin. Après le coup du Room Full Of Mirrors, Magic Wall nous fait le coup de l’Olympic. Pas compliqué : t’es assis juste à côté de Jimi qui, entre deux sessions, essaye de jouer des cuts de John Wesley Harding. Il est frappé par the spectral spirituality que dégage ce nouvel album de Dylan paru après deux ans de silence. Jimi vient d’essayer de jouer «I Dreamed I Saw St Augustine», mais ça ne marche pas, what Dylan’s talking about is just too deep - Frustré, il prend alors le morceau suivant de l’album, «All Along The Watchtower», Jimi s’identifie avec les premiers vers, finding some way out of here, mais il y a too much confusion, I can’t get no relief. Noel qui a vu Jimi cesser de bosser sur ses chansons à lui est allé au pub. Rien de nouveau. Typique de Noel. Jimi est soulagé de se retrouver seul, il joue la partie de basse lui-même et invite son nouveau copain Dave Mason de Traffic à venir l’accompagner sur une guitare acoustique. Mitch suit le mouvement. Tard dans la nuit, Brian Jones fait une apparition et s’assoit au piano, il propose d’ajouter une couleur, Jimi lui répond par un sourire, hey man. Mais Brian est tellement défoncé qu’il ne peut pas se servir de ses doigts. Jimi demande à Eddie Kramer de s’occuper de Brian - Et puis tu verras aussi Chas exploser, d’autant qu’on lui a mis du LSD dans son verre - Chas lost in a roomful of mirrors, hating in, il ne peut plus respirer, il se lève finalement de son fauteuil après 42 prises de «Gypsy Eyes», Jimi double, triple quadruple les prises de guitare et de voix, split-second perfection. ‘Let’s do it again, again, let’s do it again, okay that was nearly it, let’s do it again, again, okay that was almost it...’ - Chas se casse pour aller se coucher. Jimi reprend - ‘Okay, let’s try that again...’ Jimi est debout depuis trois jours et trois nuits. No sleep. Jimi est debout depuis cinq jours et cinq nuits, no sleep. Jimi shooting speed, snorting coke, chain-smoking joints, swallowing handfuls of acid. Plus d’effet. Jimi vit de nouveau à New York depuis qu’il est devenu célèbre. Jimi surrounded by starfuckers supreme. Jimi on a motherfucking roll now. You better look out ! Le co-propriétaire du record Plant Chris Bone se souvient trente ans plus tard. «J’allais dans le control room et Hendrix était à la console, fixant les moniteurs, burned out of his gourd and just loving every second of it. The man had a constitution like no other.  

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             Magic Wall tente aussi parfois de décrire l’hendrixité et ça donne des petits paragraphes fulgurants. Un premier exemple avec «Foxey Lady» : «Here in one hot blast was Jimi in his absolute youthful essence. Feedback, distortion, bent notes, dirty sex (the only good sex there is), tail-swishing funk corporeal, night-ravaged rock elemental. Jimi bearing down on his target like a snake with its tongue out, sizzling.» S’il existait un florilège des grandes phrases de l’écriture rock, celle-ci en ferait partie. Celle-ci aussi, cueillie dans la même page : «Jimi just liking the way the words rolled off his tongue - MANick deeeee-pression! Like some space-age sounding brain-thief deal gone sideways - rather than having anything to say about vicious mood swings or suicidal duck downs - heavy metal teen fiction with extra groove.» Le pire, c’est que les phrases de Magic Wall finissent par sonner comme des lyrics hendrixiens. Magic Wall s’immerge dans une mer d’osmose hendrixienne. Il en devient l’écrivain idéal. Pour évoquer la fameuse tournée américaine de Jimi en première partie des Monkees, Magic Wall sort de Jimi pour se glisser dans la peau d’un raciste blanc confronté au sex & drugs & rock’n’roll hendrixien. Il est important de rappeler que le public des Monkees est un public blanc pré-adolescent et que cette tournée fut pour Jimi une telle source d’embrouilles qu’il dut la quitter - Les gamines vierges de gun-totting, white-hate Injun killers mélangés à des Colgate-smile moms and pops amenant leurs kids voir them nice young fellers off the TV show. Pour être confrontés à... well what the fuck would you call it, Travis? Some black hippy drug-fiend homosexual making hell-shit noise, comme s’il implorait qu’on le pende. What the fuck is the world coming to, sheriff, I gotta put my kids in front of some fucking jigaboo degenerate singing about drugs and queers and fucking right there in the street in God’s own good daylight? - American nightmare, aux frontières d’Easy Rider et du KKK, Magic Wall n’en finit plus de plier le langage à sa cause, il fait de la brutalité verbale l’un des apanages de l’Amérique profonde et indique, avec un joli tact, que d’une certaine façon, Jimi l’a échappé belle. Oh pas pour longtemps. Ils vont avoir sa peau de toute façon. 

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             Magic Wall se surpasse encore lorsqu’il nous fait entrer au studio pour assister à l’enregistrement de «Voodoo Chile» - Well I’m a voodoo  chile, Lord, I’m a voodoo chile. The band - Mitch, Jack, Steve - falling into ghost step behind him, shadows taller than their souls - et il reprend quelques lignes plus loin - An Ameriacan negro spirituel for the Space Race, a big-city bluesman’s self mythologising meets American Indian woo-woo, The protagonist, a twentielth-century cowboy, born of third-eye gypsy woman... alien African shaman... shit-talking drums... sexual holocaust... the nighty incubus... Jimi spirit-walking the vocal: I make love to you in your sleep/ Lord knows you feel no pain/ Cos I’m a million miles away/ And a the same time/ I’m right here in your picture frame - Il se pourrait fort bien qu’Electric Ladyland soit le plus grand album de tous les temps. Ce n’est qu’une hypothèse de plus. Et tu retrouves the black-cat bones masterpiece «All Along The Watchtower», avec the riffing riff, the windswept rhythm, the gathering night - sans doute le cut le plus hanté de l’histoire, et c’est de là que sortent les two riders qui donnent leur titre à ce cénotaphe, et qui vont aussi buter Jimi - Two riders now approaching - fast - Et chaque fois que tu réécoutes Electric Ladyland, tu retombes dans la même stupeur, la même torpeur, dans ton éther d’antan, tu commences toujours par réécouter «1983... (A Merman I Should Turn To Be)», tu te demandais ce qu’était un merman et tu as découvert qu’il s’agissait d’un homme-poisson, ce fil mélodique te fascinait, il grondait légèrement, Jimi le chantait d’une voix faible et la pureté du fil se dessinait dans le simili-ciel rouge de ton plafond, And the sea is straight ahead, puis il consolidait cet ether avec un couplet chant précipité au beurre de Mitch, anyway ! On ne le comprenait pas bien à l’époque, Jimi chantait avec la voix d’un messie, mais si, A merman. Son départ en solo dans le chaos de la fin avait quelque chose de surnaturel, ce genre de phénomène ne trompe pas et après une longue accalmie aquatique, le thème revenait comme intraveiné par un coup de wah - We take a last look/ At the killing noise/ Of the out of style/ The out of style, out of style - Sur la même face, tu as le swing voodoo par excellence, «Rainy Day Dream Away», Jimi duette avec un sax puis avec l’orgue de Steve. Ce qui frappe le plus chez Jimi, c’est l’intelligence de son attaque au chant, cette façon de poser son Rainy Day sur le tapis ondulé du swing. Et plus loin, il te joue d’extravagants retours de manivelle. Dommage que le cut s’arrête en si bon chemin. Tu as aussi cette B incroyablement dense qui s’ouvre sur «Little Miss Strange». Power, full power, ça file au full blast de pop hendrixienne et Jimi passe son solo sous le boisseau avec une rondeur incongrue. Le beurre de Mitch sonne toujours comme une fricassée de fracas de freak-out. Sous les jupes de Miss Strange grouille la vie. Autre tour de magie : Jimi finit cet anti-groove de confrontation qu’est «Long Hot Summer Night» par une courte ascension cosmique qui te laisse rêveur. Tu tombes ensuite sur le come on sugar let the good time roll de «Come On», il t’en claque douze à la dizaine, vieux relents de Chitlin’, Jimi amène un son dont n’était capable aucun guitariste anglais, à part Jeff Beck. Encore une intro de génie pour «Gipsy Eyes», encore du pur jus de Chitlin’, il n’y a que ces blackos qui savent jouer le funky r’n’b de manière aussi sauvage, c’est la même wild energy que «Killing Floor», Jimi joue ça au fouette cocher, il étend les cercles de son cosmos, avec une profondeur de champ qui rend chaque cut complètement irréel. Aucun groupe n’égalera jamais la splendeur de ce merveilleux Spanish Castle qu’est Electric Ladyland. Chaque cut brille comme la facette d’un gros diamant noir dressé dans l’imaginaire du rock. Les premières secondes de «Burning Of The Midnight Lamp» ressemblent à une tarte à la crème et soudain, le son te tombe dessus : c’est la dramaturgie hendrixienne surchargée de plomb sonique et sous-tendue par l’un de ces solos cristallins probablement joué sur la Flying V psychédélique qu’on voit sur certaines photos. Jimi gronde sous la surface d’un son de fin du monde, il cherche à remonter vers les sommets, comme dans Watchtower, il crie dans le vent de la nuit glaciale, il est aussi visionnaire que Dylan, mais avec le pouvoir du son et la peau noire en plus. Si les tueurs de Jeffery ne l’avaient pas buté, Jimi aurait sans l’ombre d’un doute développé une carrière encore plus fulgurante que celle de son idole Bob Dylan. Inlassablement, tu reviens à «All Along The Watchtower», Jimi cherche une issue, il enrobe son too much confusion aux accords de saccage et il part en finesse pour aller crever le ciel si bas au-dessus de l’horizon, tout est gondolé dans cette merveille ascendante, il négocie le dernier virage avant la mort du petit cheval, il wahte un brin et entreprend de gravir les marches de son Ararat pour atteindre ce ciel qui le fascine tant, il repend une strophe de Bob, la chante du poumon, out/ side in the cold distance, il voit les deux riders approaching et il lance son solo comme s’il lançait un éclair vers le haut, un solo qui résonne de toute éternité. Il enchaîne ça avec le ‘Slight Return’ de «Voodoo Child» et cette fois, c’est le cut qui s’écroule sur Jimi. Il n’a jamais plu autant de feu sur cette terre ! Il chante au milieu des fumerolles et des cendres, il torture son chant de wild negro moderniste, il met toute l’énergie dont il est capable dans le raw de son gut et dans ses coups de médiator, il module à l’infini et le son s’enfuit, sur-pressurisé, alors Jimi envoie des coup de cisaille dans les flammes, des poutres de power te tombent sur le coin de la gueule, il écarte les murs à coups d’accords, il lacère la peau des éléments et survit momentanément dans les décombres de l’infini. Tout aussi stupéfiants : «Still Raining Still Dreaming», puis le morceau titre, et puis «Crosstown Traffic», la même plastique hendrixienne, le tell me it’s alright, les chœurs d’anges de miséricorde, le claqué d’accords inconnus, so hard to get to you, le rock acidulé, bonbon sucré, yeah yeah, il crée son monde à coups de look out. Et tu retombes fatalement sur «Voodoo Chile», il a raison Magic Wall d’en faire l’apologie définitive, car tu as franchement l’impression d’entrer dans le palais des dieux, Jimi chante ses notes, ça sent bon la pénombre parfumée d’encens, la chaleur lourde des riffs de blues, Winwood et Jack Casady qui jouent dans l’ombre, le son devient mythique à mesure qu’il se déroule, avait-on déjà vu ça ? Non, bien sûr que non. Jimi te montre simplement comment se chante le blues, il harangue ses phrasés, le son sourd de l’ombre et quelque part au fond du studio, des fantômes acclament, hey ! Alors Jimi veut une petite apothéose et ça se met à grossir dans le vieil écho du temps, tu n’as jamais entendu un tel son dans aucun album de blues, même pas chez Wolf, il y a un tel spirit dans cette façon de dérouler le heavy blues, Jimi fait tout avec peu, il hante la nuit du blues, il colore le fond des nappes d’orgue, il déroule de l’infini à l’arrière de l’épais shuffle, ça prend des allures sidérales, tu savoures chaque seconde de cette heavyness plombée par le bassmatic pachydermique de Jack the crack.

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             La reconstitution du lien qui unit Jimi à Brian Jones est l’un des fleurons de ce Magic book. Tous les deux ont des vies de stars très courtes : Jimi quatre ans et Brian cinq. Magic Wall nous le rappelle, en cinq ans, it’s over for Brian - Suck-cess had consumed him whole - Sur scène à Londres, Jimi dédicace - This one is dedicated to Brian Jones - Cette nuit-là nous dit Wall, Stash et Brian débarquent chez Jimi. Stash porte le manteau en peau de kangourou que lui a offert Brian, oui, celui qu’on voit sur la pochette de Between The Buttons. Jimi leur passe Are You Experienced? qui vient de paraître - ‘Jimi, that’s beautiful, man’ says Brian in a stupor. ‘So true. How did you know, man?’ - Ils sont tous les trois stoned - Brian twittering about the ‘essential similarities’ between Elizabethan ballads and Robert Johnson - C’est encore Brian qui accompagne Jimi dans l’avion pour aller à Monterey. Eric Burdon voyage dans le siège voisin - Jimi and Brian. Sun and Moon. Brothers, born nine months apart: Brian the eldest and, later, the first to go. Right hand, left hand. Black and white. Equals. Almost - Magic Wall a tout compris - Jimi liked Brian. Felt some of his pain. Jimi se battait lui aussi avec ses poules. Mais le lien n’était pas là. Ce qui les liait était le fait qu’ils étaient tous les deux des outsiders, square pegs in diaphanous holes. Brian, whispering and paranoid, Jimi, beaten hound-dog smile.

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              Brian Jones a raison de s’extasier sur Are You Experienced?. Magic Wall voit l’album comme «the sort of thing considered advanced, experimental, daring and - in this case - danceable. It is also, of course, exceptionally good to get stoned to, as it would remain. À Monterey, Jack Casady file à Jimi deux tablettes «of brother Owsley’s powerful Monterey purple. Jimi, born high, les avale toutes les deux. This on top of the STP Jimi and Brian dropped together that will keep them tripping for seventy-two hours. Au moment où Jimi monte sur scène, le feu l’a englouti. C’est Brian qui le présente au public - ‘the most exciting guitarist I’ve ever heard’ - lost in the trillon-vision head rush.» Et Jimi démarre avec «Killing Floor», «the Howlin’ Wolf juju que Clapton n’a pas réussi à jouer». Sur trois pages, Magic Wall reconstitue le fracas du Montery show à coups de BLAM-BLAM, de FEEDBACK et de DRAGON WINGS. Ah il faut avoir lu ça au moins une fois dans sa vie. Il insiste beaucoup pour rappeler que ce soir-là, sur scène, Jimi trippe. Stone free at last - Pete Townshend looking on from the wings, shattered, hateful, terrified. Burned.

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             Comme tous les gens passionnés par un personnage, Magic Wall lit tout ce qu’il trouve sur Jimi. Il livre à la fin de son Magic Book la liste des books dans lesquels il a puisé. Pour les die-hard Hendrix people, il recommande surtout le book d’Harry Shapiro & Caesar Gleebeck (Jimi Hendrix Electric Gypsy) - On y trouve tout, les faits, et les big etceteras. Pour les autres lecteurs, je suggère de puiser dans la liste. There’s some very beautiful ugly stuff here. You’ll know when you see it - Extrêmement bien documenté, Magic Wall évoque tout le gratin de deux des grandes scènes de l’époque, Londres et New York. Tiens à commencer par Curtis Knight - In reality, he was a pimp from Kansas with a stable of whores operating out of west Manhattan. Hey baby, a man’s gotta do! - Ou encore Aynsley Dunbar qui est candidat pour jouer dans l’Experience - Comme Mickey Waller, il voulait être payé. Il demandait trente livres. A week. Chas blêmit. Mike Jeffery avait été clair : pas question de mettre la main à la poche tant que ce funny-looking colored bloke sur lequel Chas avait craqué n’était pas un coup sûr. Chas était obligé de vendre ses basses pour tenir le projet. Il proposa 20 livres par semaine à Aynsley. The tough Scouser just looked at him. ‘Naw’ - Ou encore Miles Davis - Now here came Miles with his whole thing. Miles the legend, the voodoo master, the seen-it, done-it cat of all time. The Cassius Clay of black-music magic, fuck you up good as look at you. Jimi on high alert - Bien sûr, Betty Davis n’est pas loin, Magic Wall ne la rate pas - Betty était l’oracle. Elle connaissait tous les corps, black and white. There, in spirit, at Montery. Channelling acid-Frisco, coco-caine LA, smack-city New York. Flew with the Byrds, out-zapped Zappa, wigged-out Warhol, but fell special for Arthur Lee’s Love, Sly and his Family Stone and... Jimi Hendrix - Miles repère Betty dans un club, il lui propose d’aller faire un tour en Lamborghini, «il lui dit «I like little girls», à quoi Betty spat back ‘I ain’t no girl’.» C’est Betty qui fait écouter à Miles les albums d’Aretha, de Dionne Warwick, de James Brown et de Jimi Hendrix. Bizarrement, Magic Wall oublie de citer Sly Stone. Betty se retrouve sur la pochette de Filles De Kilimanjaro. Magic Wall cite l’album, car il contient deux cuts hendrixiens, «Brown Hornet» et «Mademoiselle Mabry». 

             Ce Magic Book grouille de tous les détails dont on peut rêver. On croyait bien connaître l’histoire de Jimi Hendrix, mais Magic Wall va plus loin encore dans l’investigation, il développe tous les points sombres, «The smack bust (in Toronto), les mafiosis chez Jimi qui s’entraînent à tirer sur des cibles, le kidnapping à New York et le Madison Square Garden mind-fuck», quand Jeffery refile deux tablettes d’acide à Jimi qui va monter sur scène, occasion pour Jeffery de virer Buddy Miles et de recadrer Jimi qui doit rester sa vache à lait. Mais le pire est à venir.

             Autre aspect flamboyant de ce book : Magic Wall fait son Michel Butor lorsqu’il entreprend de décrire en quelques lignes le fameux «génie du lieu». Il commence avec le Swingin’ London : «Boozed-up young bluehoods and glamourous gangsters, pushy snappers in night-timer sunglasses, flat-chested fashion queens and pilled-up film-star wannabes. The sort of after-midnight champagne-ghettos Paul McCartney and Mick Jagger showed up in, surrounded by pop-life hierophants like Robert Fraser and David Bailey, Stash and Peter Max, and well-dressed goddess-class girls like Twiggy and Marianne Faithfull, Julie Christie and Jacqueline Bisset.» Puis plus loin, Greenwich Village où sera découvert Jimmy James : «They were arty hangs, painters, actors, models, writers, Ginsberg-Burroughs-Capote-McKuen-type places, queer factories, heroin brotherhoods, the music all acoustic and rustic and full of bile and beer and green tobacco. Dave Van Ronk, Tom Paxton. Phil Ochs. John Sebastian. Maria Muldaur. Good people but serious. Educated. Moneyed. Indoor sunglasses. Cravats. Pipes. Can Anybody here say Tom Rush?» Greenwich Village où Jimi rencontre un jeune guitariste nommé Randy Wolfe qu’il rebaptise Randy California. Toujours dans sa série Butor, Magic Wall évoque aussi le Jazz Club de Mike Jeffery à Newcastle : «Il fit la rencontre de Chuck et Kath Ward qui furent heavily involved in the running of the club and in Mike’s dreams of a swashbuckling lifestyle. Jazz and art and after-midnight friendships with some of the city’s own freeform characters, ex-forces, small-time crims, off-books cops and their grasses, working girls, arse bandits, pill pushers, scrubbers and clowns.» Le sommet de cette série de génies du lieu est sans doute le Chitlin’ Circuit : «Chitlin’ Circuit gigs, cash in the claw, no stoopid questions. Riding around the Deep South, learning about life under Jim Crow law: can’t eat here, can’t piss there, watch your back po’ boy, one wrong look at a white woman that’s one less nigger on the bus.»  

             La mort. Magic Wall démarre avec elle et finit avec elle. Il donne tous les détails, ils entrent à trois chez Jimi, disent à Monika d’aller acheter des clopes et s’occupent de Jimi, lui font gober une fiole de pills et lui enfournent une bouteille de pinard dans la gueule. Le forcent à avaler. Dig ? Dans les dernière pages, Dark Wall donne une explication. Jeffery est sous pression. Il a emprunté du blé à Warner, à Reprise, et donc à la mafia pour financer les travaux d’Electric Ladyland. Il vient de subir le fiasco de Rainbow Bridge. Il ne dort plus la nuit, il sait que le contrat de Jimi s’achève et qu’il va se retrouver nous dit Dark Wall in the shit. Il sait qu’il ne va pas s’en sortir. Et il commence à réfléchir au two-million-pound insurance policy qu’il vient de souscrire sur le nom de Jimi. Ça devient lumineux. Toutes ces drogues, tous ces cinglés qui tournent autour de lui. Il se souvient de Brian Jones retrouvé au fond de sa piscine. Not so hard to imagine, is it? - Ce passage est d’une rare violence. Dark Wall en rajoute une petite couche avec la mort de Monika dans sa bagnole. Suicidée au gaz d’échappement. Monika avait des choses à dire. Un suicide ? Dark Wall se marre - Les rumeurs démarrent immédiatement. Monika has been killed. Like all the others: by forces unknown. Night moves. Stray gazes. Bumps. Baby, just you shut yo’ mouth...         

    Signé : Cazengler, Jimi Index

    Mick Wall. Two Riders Were Approaching. The Life And Death Of Jimi Hendrix. Trapeze 2019

    Jimi Hendrix Experience. Electric Ladyland. Track Record 1968

     

     

    L’avenir du rock - Les mérites de Merry

             Quand il était petit et qu’on lui demandait ce qu’il voulait faire comme métier quand il serait grand, l’avenir du rock répétait toujours la même chose : enfant de chœur. Ce qui ne manquait pas d’interloquer les adultes qui l’interrogeaient. Ceux qui se croyaient les plus drôles lui disaient :

             — Mais mon petit chat, ne crains-tu pas de te faire sodomiser par un gros prêtre libidineux ?

             D’autres le félicitaient de sa précocité.

             — C’est bien mon petit, tu as déjà trouvé ta voie spirituelle. Tu vas sentir bon l’eau bénite. Si tu sais veiller sur la pureté de ton âme, les anges t’accueilleront au paradis !

             D’autres le bousculaient :

             — T’as pas honte, sale petit morveux ? Les curés, c’est comme les bourgeois, faut les accrocher à la lanterne ! Enfonce-toi bien ça dans le crâne, gamin : ni dieu ni maître !

             D’autres s’inquiétaient :

             — Le temps des séminaires est révolu, mon chéri. À notre époque, les gens d’église crèvent de misère. Tu te repentirais vite de ce mauvais choix. Il te faut une bonne situation, représentant de commerce, par exemple, tu auras un portefeuille bien garni, la peau du ventre bien tendue et là tu pourras remercier le petit Jésus.

             L’avenir du rock n’en pouvait plus d’entendre tous ces gens donner leur avis sur son avenir. Cette manie qu’avaient les adultes de mettre leur grain de sel partout finissait par l’agacer prodigieusement. Ce que les adultes ne pouvaient pas comprendre, du fait de leur incurie et de leur absence totale d’intérêt pour autrui, c’est qu’en voulant devenir enfant de chœur, l’avenir du rock n’avait qu’une seule et unique ambition : chanter dans le gospel choir de Merry Clayton.

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             Merry naquit un soir de Noël à la Nouvelle Orleans. Elle se serait appelée Merry Christmas si ses parents ne s’étaient pas appelés Clayton. Avant de devenir une extraordinaire Soul Sister, Merry chantait derrière les gros bonnets du genre Elvis, Ray Charles, Joe Cocker, Tom Jones, Etta James, Bob Dylan ou Neil Young. De la même façon que Mable John, elle fit partie des fameuses Raelets qui accompagnaient Ray Charles. Elle finit par devenir célèbre en duettant avec Jagger dans «Gimme Shelter».

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             Pour une bonne compréhension de Merry Clayton, il est essentiel de voir le docu tourné par Morgan Neville en 2013, Twenty Feet From Stardom. Morgan Neville part du principe que certaines choristes comme Merry Clayton, Mable John, Claudia Lennear ou encore Darlene Love avaient l’étoffe de stars, mais elles ne devinrent pas des stars, seulement des choristes de renom. Tant mieux pour nous pauvres pêcheurs, car comme dit l’une d’elle, on ne les verrait pas dans ce film. Le passage consacré à Merry vaut son pesant d’or du Rhin. Avec un petit air extraordinairement narquois, elle raconte que, petite, elle vit Ray Charles en concert. Il était le seul artiste autorisé par ses parents, et elle fit un vœu secret : «I’ll be a Realet one day !». Et elle l’est devenue, au même titre que Mable John et Clydie King. Encore plus extraordinaire, la séquence où elle évoque le coup de fil à 2 h du matin pour aller faire les chœurs de «Gimme Shelter», avec un foulard Hermes par dessus ses bigoudis et un furcoat par dessus son pyjama de soie rose. Elle raconte ça d’un air espiègle, elle est fabuleuse ! Elle est tout d’abord choquée qu’on lui demande de chanter des paroles de guerre où on tue les gens à bout portant, car elle vient du gospel. Mais en vraie pro, elle accepte. Ils font une prise. Jagger demande si elle veut bien en faire une seconde - A second take ? Wow, je l’ai montée d’une octave ! - Jagger qui témoigne lui aussi en est resté sidéré, quarante ans plus tard. Puis elle attaque l’épisode suivant : «God sent me Lou Adler...»  Et on voit le vieux Lou en chandail blanc qui nous explique qu’il a tout fait pour que ca marche, mais ça n’a pas marché. Il y avait déjà Aretha et ça suffisait aux gens, apparemment.   

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             Lou Adler la signe en 1970 sur son label Ode Records et sort son premier album, Gimme Shelter. Elle y fracasse littéralement le hit des Stones. Oh the storm ! À l’époque on ne vivait que pour s’abriter de la tourmente avec les Stones, on connaissait chaque recoin de ce hit fabuleux et on savait exactement à quel endroit allait intervenir Merry. Mais là, c’est encore pire, puisqu’elle fait tout le boulot toute seule, elle avale les trois couplets, et c’est tout juste si on ne regrette pas le couplet chanté d’une voix de fausset par Keith Richards - If you don’t get no shelter/ I think I’m gonna fade away - Elle attaque ça avec une puissance qui relève le la pure inexorabilité des choses. On est là dans l’absolu du Soul Sister System. Elle arrache la beauté du ciel des Stones - Why don’t you gimme some shelter ! - Attention, cet album fourmille de coups de génie, comme par exemple «I’ve Got Life», un groove à la Marvin - I’ve got life mother !/ I’ve got life sister ! - C’est effarant de perfection. Merry refabrique toute la Soul. Autre coup génie avec «Forget It I Got It», pur jus de r’n’b sixties. Elle dégage autant de jus que Sam & Dave. Et si on ne veut pas mourir idiot, alors il faut aussi écouter «Good Girls», une belle pop de night-club que Merry éclate au Sénégal avec sa copine de cheval. C’est dingue ce qu’elle peut dégager. Voilà l’un de ces heavy r’n’b qui aplatissent tous les discours. On suivrait Merry Clayron jusqu’en enfer ! L’autre gros cut de cet album s’appelle «Tell All The People». Merry chante ça là-haut sur la montagne. C’est aussi l’époque où les grands shouters savaient finir des cuts dans des bouquets d’explosions faramineuses.

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             Lou Adler produit aussi son deuxième album sans titre. Elle attaque avec «Southern Man», un vieux groove signé Neil Young qu’elle chante d’une voix de première main. Elle ne peut pas s’empêcher de l’exploser. Attention, cette fille est dangereuse. Ne lui confiez pas vos petites bluettes, car elle leur fout un pétard dans le cul. Elle va chercher son groove dans sa fouille de délinquante. Parmi les gens qui l’accompagnent, on trouve Carole King et Billy Preston. Alors, pour remercier Carole, Merry reprend son «Walk On It» et l’allume. Elle éclate une fois de plus les attentes. Elle pulse au-delà du raisonnable. Quand elle attaque un heavy slowah comme «Love Me Or Let Me Be Lonely», elle refuse de tomber dans le pathos. Elle préfère en faire du r’n’b joyeux et se livre à un nouvel exercice d’explosivité expiatoire. C’est plus fort qu’elle. Elle ne peut pas s’en empêcher. Et comme c’est un cut à rallonges, on a tout le loisir d’admirer la capacité qu’a Merry de couvrir tous les registres. Elle explose un peu plus loin le gros «Sho’ Nuff» de Billy Preston. Elle l’explose, aidée par des chœurs de gospel. Elle dévaste tout, de la même façon qu’Aretha, et c’est peu dire. La chose tourne à la monstruosité - You are my hot desire ! et les chœurs font Yes I do ! Inutile de vouloir résister. Elle traite ensuite le «Streamroller» de James Taylor à la heavyness. Sur ce chapitre, elle n’a plus rien à apprendre. Elle envoie des Yes I am infernaux. Quelle énergie ! Quelle classe ! Le hit de cet album bourré de hits s’appelle «Grandma’s Hands». Elle prend le cut à la base, comme le fait Aretha, et elle l’élève par la simple pression de la voix. Elle traîne son grandma à coups de yeah yeah et ça tourne une fois de plus au coup de génie.   

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             En 1975, elle enregistre Keep Your Eye On The Sparrow. Le morceau titre qui fait l’ouverture surprend un peu par sa tonalité diskö. Merry chante sur un bon beat du samedi soir. Heureusement qu’ensuite elle passe au funk avec «Gets Hard Sometimes», mais pas n’importe quel funk ! Celui des bas-fonds de la cité, la funk sabré à la rythmique. Idéal pour une Soul Sister de cet acabit. Puis elle revient au r’n’b de type Aretha avec «Sink Or Swim». Elle épate car elle attaque exactement comme Aretha, avec une incroyable franchise du collier. Comme Aretha, Merry peut tirer un chariot du Far-West à la force du poignet. Elle dégage la puissance d’un attelage. Comme Aretha, Merry remplit l’espace sonore avec une aisance déconcertante. Elle le sature de beauté. Plus loin, elle attaque «Gold Fever» comme «Gimme Shelter». Quelle poigne ! Quel faste ! Quelle puissance de feu ! Elle peut chauffer un plat de nouilles rien qu’en chantant. Elle dégage tellement de jus qu’elle réactualise le rock en permanence. Elle dispose d’une vraie niaque de Soul Sister, comme Etta et Aretha. Elle ne perd pas son temps à donner des coups d’épée dans l’eau. Non, il faut que ça pulse. Merry ne vit que dans l’idée de l’épaisseur, du tangible, du vrai truc. Elle fait en B une reprise de Dylan avec «Rainy Day Women 12 & 35» et s’amuse comme une folle avec le fameux Everybody must get stoned. Voilà une vraie parole de prophète ! Si tout le monde se défonçait, la terre deviendrait un paradis. Elle termine cet étrange album avec «Do What You Know», un énorme groove de funk à la Sly Stone. Attention, c’est un hit dévastateur.

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             Et puis voilà Emotion. Merry est devenue une sorte de belle mémère et elle porte une jolie robe bleue. C’est un énorme album. On est frappé par la classe de «Cryin’ For Love». Elle y fait ce qu’elle a toujours fait, elle embarque le beat au long du chemin et elle chante au mieux de ses énormes possibilités. Son «When The World Turns Blue» est un balladif haut en couleurs et on peine à mesurer l’ampleur considérable de son chat perché. Les monstruosités se nichent en B, à commencer par «Sly Suite». Elle rend là un fantastique hommage à Sly Stone en faisant un medley de «Dance To The Music», «Higher», «Everybody’s A Star» et «Thank You». Elle utilise l’attaque de «Gimme Shelter», idéale pour entrer dans le monde du géant Sly. On sent tout de suite l’énormité du jus. Elle prend «Higher» à la gorge, elle arrache le gant du défi, elle brise la chaîne du paquebot, elle outche comme une boxeuse, c’est pulsé au meilleur beat du monde, wow Merry, Soul Sister des enfers ! Elle hurlevente dans les Hauts, elle démonte la gueule du funk - Thank you fatelin’ me be myself - Et elle finit cet infernal medley avec un «Everybody’s A Star» digne de Ray Davies. Elle enchaîne avec «Around And Extremely Dangerous», une fameuse pièce de Soul dansante de casino des jours heureux. Merry groove au meilleur des espérances fanées par le temps. Elle termine cet album dans l’excellence du balladif avec «Let Me Make You Cry A Little Longer». Comme toujours, elle travaille sur une palette d’effets assez large. Elle sait modeler des horizons, découvrir des régions inexplorées et monter au ciel dans un dernier soupir. Elle reste l’une des plus grandes Soul Sisters de son époque.

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             Merry refait surface en 2021 avec Beautiful Scars, l’un de ces albums dont elle a le secret. Il faut la voir poser sa voix de superstar sur l’«A Song For You» de Tonton Leon. Elle explose la rate du cut, elle est puissante et belle, l’album est à peine lancé et la voilà déjà grimpée au sommet. Comme Aretha, Merry est une reine de la démesure - I love you/ love you/ love you - Tout l’album est sur le même ton, c’est un vrai festin, elle enchaîne avec le «Touch The Hem Of His Garment» de Sam Cooke, elle ramène bien sûr tout le power du gospel batch, les blacks aveugles meuglent dans la pénombre de la nef et claquent des mains, là tu te retrouves dans le plus beau gospel batch de tous les temps avec Meery debout sur l’autel, c’est le génie originel, la source de tout le rock et de tout le roll, Merry explose dans la clameur des chœurs de gospel batch. Elle plonge encore dans des vagues extraordinaires avec le morceau titre, elle semble prédestinée à la sacralisation. Merry la prédestinée ! Elle grimpe au-dessus de tout ce que tu peux imaginer, les toits, le rainbow, la montagne, elle n’en finit plus de grimper. Il faut la voir entrer dans la rivière de «Love Is A Mighty River». Elle l’allume avec une niaque universelle et elle amène «God’s Love» au big fat groove de Soul, elle groove des reins. Elle est l’une des expressions du génie humain, elle sort un groove digne de celui des Edwin Hawkins Singers, elle te déplace ton continent, ça move sous tes pieds, yeah, et elle embarque tout. Elle sacralise le mythe de la Gospel Queen - As Jesus/ I knew he will/ Ooooh yeah - Elle rôde dans le gospel batch pour mieux le jazzer. Elle s’en va et elle revient, Un vrai délire ! Elle continue de monter avec «Room At The Altar» et on reste dans l’excellence du gospel rock de Soul avec «He Made Me A Way», elle est la reine du Boulevard de la Reine, elle déboise le bois de Boulogne, elle shake les Arethas dans le beefteak, elle bouffe le son tout cru, sans moutarde, elle pousse sa voix si loin qu’elle ne la voit plus et elle n’en finit plus de monter en épingle son délire absolutiste. Elle démolit tout.

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             Dans une fantastique interview parue dans Record Collector, Merry rappelle qu’elle voyait Sam Cooke et Mahalia Jackson à l’église. Elle ajoute que ses parents lui faisaient écouter Etta James et Sarah Vaughan et qu’elle a grandi avec Billy Preston. C’est justement Billy qui la fit engager dans les Raelets. Puis elle rappelle ce fameux coup de fil de Jack Nitzsche en pleine nuit, lui demandant de venir immédiatement au studio. Merry était enceinte, en pyjama et avec des bigoudis. Évidemment, Rob Hugues évoque l’avortement qui a suivi la session, mais Merry refuse d’en parler.

    Signé : Cazengler, Claytin des Alpes

    Merry Clayton. Gimme Shelter. Ode Records 1970

    Merry Clayton. Merry Clayton. Ode Records 1971

    Merry Clayton. Keep Your Eyes On The Sparrow.  Ode Records 1975

    Merry Clayton. Emotion. MCA Records 1980

    Merry Clayton. Beautiful Scars. Motown Gospel 2021

    Rob Hugues : Tough yimes, still Merry. Record Collector # 445 - July 2015

    Morgan Neville. 20 Feet From Stardom. DVD 2013

     

     

    Inside the goldmine

    - Pas de bide chez Bud

             Il squattait un bel appartement dans South Kensington. «Oh, this is a friend’s place. Elle est en voyage», disait-il. L’appart se trouvait au dernier étage d’un petit immeuble art déco. Avec son dernier étage en forme en dôme, l’immeuble attirait l’attention. Il nous installa dans une chambre en forme de quart de sphère et à la tombée de la nuit nous redescendîmes boire des pintes au pub qui faisait l’angle. Nous étions au bar et il se lança dans un long monologue, narrant dans le détail son arrivée sur la côte du Venezuela, l’achat d’un petit bateau, d’une cargaison de coke et l’enrôlement d’un équipage de rastas qui bien sûr ne savaient pas piloter un bateau. Ils dérivèrent et se retrouvèrent au large de Costa-Rica. Repérés par un patrouilleur américain, ils furent arrêtés. Les cops le jetèrent dans un cachot moyenâgeux. Lorsque la marée montait, son cachot se remplissait d’eau. Il n’eut le droit qu’à un seul coup de fil et il appela un ami avocat à Londres qui réussit miraculeusement à le sortir de là. Mais il perdit son bateau et sa cargaison. Il entreprit deux mois plus tard un voyage moins périlleux, cette fois au Maroc et revint à Londres au volant d’un van dont le châssis était aménagé pour contenir une tonne de résine, certainement la meilleure du marché. Des amis à lui qui étaient américains vinrent nous rejoindre au bar. Ils étaient de passage et se rendaient dans une party. Nous nous joignîmes à eux. Nous ne fûmes de retour au dôme qu’à l’aube, bien défoncés. Il revint frapper à la porte de la chambre pour nous souhaiter le good night sleep tight du White Album et nous présenter un plateau de rêve : s’y côtoyaient les meilleures drogues du monde. Nous fûmes touchés par la qualité de son hospitalité. Au breakfast du début d’après-midi, il nous accueillit avec un grand sourire et nous demanda ce que nous comptions faire de notre journée et comme rien n’était prévu, il nous demanda de l’accompagner à Notting Hill Gate où il devait selon son expression collecter some small debts. Nous partîmes à l’aventure le cœur chantant et sous acide. Arrivés dans Notting Hill, il nous demanda de faire le guet pendant qu’il descendait voir un mec dans un entresol. Nous entendîmes des coups et des cris, puis on le vit ressortir avec le poing écorché, mais il souriait. Un peu plus loin, il nous demanda de l’attendre au corner shop. Il disparut une nouvelle fois dans un entresol. Cette fois nous entendîmes des coups de feu. Nous allâmes nous planquer un peu plus loin pour attendre. Un très vieux nègre fantomatique aux yeux rouges sortit hagard de l’entresol, un corbeau perché sur son épaule. 

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             Quel choc ce fut de voir Leo Bud Welch sur la pochette de son premier album ! Il ressemblait trait pour trait au vieux nègre aperçu trente ans plus tôt à Notting Hill Gate. S’agissait-il d’une coïncidence ?

             Leo Bud Welch est né dans les années 30 à Sabougla, dans le Mississippi et il a passé sa vie à jouer dans les picnics avec ses cousins. Si on ne l’a découvert que sur le très tard, c’est parce qu’il a passé sa vie à jouer dans des églises. Kevin Nutt précise en outre que les églises fourmillent dans le Mississippi. Environnement idéal pour un vieux crabe comme Bud, car c’est dans les églises en bois que les gens appréciaient son vieux gospel blues tout vermoulu.

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             Quand on écoute son premier paru sur Big Legal Mess en 2014, Sabougla Voices, on comprend ce que veut dire l’expression «crabe mythique». À l’âge de 82 ans, Bud envoie «Praise His Name» directement au tapis. Le vieux entre au chant dans son boogie blues déshérité et on a là tout le rebondi du monde, le tribal américain et le punk craze des fils d’esclaves. Quel fantastique dévoiement d’énergie sauvage ! Jimbo Mathus et Matt Patton sont là. Il récidive un peu plus loin avec «Take Care Of Me Lord», pur jus de gospel punk blues, c’est unique dans l’histoire de l’Amérique, c’est explosé de son, tapé par la fanfare avec des chœurs de mecs. Et ça repart de plus belle avec «Praying Time», on a tout, le retour de manivelle, les filles derrière et tout le bataclan, le vieux gueule son shoot de génie, flavour de gospel batch croisée avec le punk-blues, c’est d’une rare sauvagerie, c’est aussi un monde en soi, un chef-d’œuvre d’excelsior et ça redémarre en fin de cut aux clap-hands. Si on aime le gospel batch, on se régale avec «You Can’t Hurry God» joué au piano de barrelhouse, le vieux Bud chante à la harangue, l’église branlante couine de partout. Et ça continue avec «Me & My Lord», cette fois des chœurs de filles l’accompagnent. Il est le parfait Big Legal Mess Gospel Boss. C’est tout de même incroyable que Jimbo Mathus et Matt Patton soient mêlés à cette histoire. Un banjo se fond dans la clameur du gospel. Bud passe au heavy blues avec «A Long Journey». C’est nappé d’orgue souterraine. Jimbo et Matt Patton rendent hommage au génie du vieux Bud. C’est Bud le boss. Pas d’Auerbach dans la soupe. Cet album fantastique s’achève au bord du fleuve avec «The Lord Will Make A Way». Le vieux sait de quoi il parle avec ses grattés approximatifs. Ça nous repose des Clapton et des autres premiers de la classe ! Le vieux Bud tape son blues au coin de sa cabane branlante, il est parfait, true to the truth.

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             L’année suivante paraît un album aussi allumé que le précédent, I Don’t Prefer No Blues. Le vieux rentre dans le lard du heavy blues dès «Girl In The Holler». Il chante à l’ancienne et les guitares sont terribles. Tout est bon sur cet album, on ne fait l’impasse sur rien. Le vieux a du métier, il faut le voir jerker son «I Don’t Know Her Name». Il chante ça au raw et gratte à l’os du jive. On peut qualifier ça de belle dégelée extravagante. Le coup de génie de l’album s’appelle «Pray On», ambiance Panther Burns avec du gratté flamboyant, c’est le Memphis beat dans l’excellence de sa violence. Véritable orgie de son, ça joue en plein et ça sature le spectre, ils jouent à pleins tubes, à pleines ventrées, à plein beat avec le vieux par dessus qui est déchaîné, il chante comme un vieil esclave qui encule les patrons blancs parce qu’il est le meilleur chanteur du monde, wow, mille fois wow ! Son «Going Down Slow» est l’un des pires heavy blues de tous les temps, c’est écrasé du champignon, le vieux chante au milieu des coups de slide envenimés, ça tape tout ce que ça peut dans le fond du studio et chaque fois le vieux remonte le niveau d’énergie du chant. Quel délire ! Il chevauche son «Cadillac Baby» et repart en mode squelette blues avec «Too Much Time». On entend la belle bassline de Matt Patton dans «I Woke Up», encore un extraordinaire bouquet de son, c’est extravagant, le vieux met toute la gomme d’Alabama. Big Legal Mess, c’est le vrai truc ! Encore un Heartbreaking Blues avec «So Many Tomorrows», le vieux tape ça à l’arrache du fleuve et on reste dans le heavy blues avec «Sweet Black Angel». I Don’t Prefer No Blues est certainement l’un des plus beaux albums de blues de tous les temps.

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             Paru en 2017, Live At The Iridium est un album un peu moins dense que les précédents, même si on y retrouve des cuts comme «Cadillac Boogie» ou ce vibrant «Praise His Name» que le vieux joue au petit groove de cabane branlante. On est plein raw, Bud est vieux, pas de dents, mais il shake son shook comme Hooky. Il amène son «Cadillac Baby» au «Ha’ go like this» et c’est un boogie d’une qualité incommensurable. À part Hooky et Lazy Lester, personne ne joue le boogie aussi bien. Il avoine son «Still A Fool» à l’édentée et c’est parfait. Il descend encore dans le primitif avec «Got My Mojo Working». Ça pousse à la roue de gros-Jean-comme-devant. Il passe tous les classiques à la casserole, «Five Long Years», «Woke Up This Morning», «My Babe» qu’il joue à la peau sur les os. Il fait aussi une version torride de «Rollin’ & Tumblin’», il tape ça à l’ancienne, il balaye d’un revers de main tous les Clapton à la mormoille, il est à bout de souffle, il gratte des accords moisis, il chante au max d’approxe, c’est du rootsy de rêve, claqué à la salivette. Il enchaîne avec un «Good Morning Little Schoolgirl» chanté à la dent branlante et battu à la sauvageonne. Ce fils d’esclave rend hommage to one of the American greats from the Grand Ole Opry avec «Walkin’ The Floor Over You» (Ernest Tubb) et il finit en apothéose avec «Me & My Lord». On peut aussi voir de ses yeux voir le concert, car le CD se double d’un DVD. C’est même la première chose à faire ! Le vieux porte des alligator shoes rouges et un costard brillant. Il est accompagné par une batteuse et un black barbu en casquette fait les chœurs. Le vieux gratte ses cordes du bout des doigts, old school blues ! Il faut le voir jouer ses riffs incisifs, il développe de vieilles dynamiques ancestrales tout en swinguant des deux pieds. Il déclenche tous les petits réflexes du boogie, il joue à l’intricate de la main gauche et gratte du bout des doigts de la main droite. Sur «Sweet Little Angel», il jazze en milieu de manche et fouette le boogie down de «Cadillac Baby» bien sec et net. Il passe tous les classiques du blues à la moulinette, il joue stripped-down mais diable comme c’est pur. La batteuse s’appelle Dixie Street, elle bat comme Tara d’Airplane Man. Le vieux joue Schoolgirl en petits riffs incisifs de mi-manche, il joue le spirit du blues, et il finit en mode gospel blues, c’est très spectaculaire.   

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             Le dernier album du vieux n’est pas sorti sur Big Legal Mess. Apparemment, il a changé de crémerie pour aller chez Auerbach, le recycleur de vieux nègres qui travaille surtout pour son compte. L’album s’appelle The Angels In Heaven Done Signed My Name est c’est loin du festin de son que propose Big Legal Mess. À l’âge de 87 ans, le vieux est aux portes de la mort et il continue de faire le clown. On sauve un cut sur l’album, «Jesus On The Mainline», car voilà un heavy blues taillé pour la postérité. Auerbach va même signer les liners de l’album. Ça donne une idée de la taille de son ego. Il tape l’incruste sur tous les cuts. On a perdu Matt Patton et Jimbo Mathus. Auerbach finit par mettre le grappin sur tout ce qui bouge, ça gâche le plaisir. Le son est trop chargé, ça frise la putasserie. Le vieux attaque «I Love To Praise His Name», mais il ne se méfie pas, les autres viennent lui bouffer la laine de son gospel sur le dos, ils le transforment, ils en font du gaga, ils n’ont RIEN compris, le vieux sauve les meubles comme il peut, c’est un spectacle atroce, insupportable. Et ça empire encore à la suite. C’est la curée des carpetbaggers. Mais comment un vieux renard comme Bud a-t-il pu faire confiance à ces mecs-là ? Les blancs jouent mal le heavy blues, ça crève les yeux dans «I Want To Be At The Meeting», ils jouent comme Clapton, c’est intolérable d’entendre du blues de blancs chez un artiste aussi pur que Leo Bud Welch. Le «Let It Shine» qu’on croise plus loin est encore plus catastrophique. Alors adios amigo, dommage que ça se finisse en eau de boudin dans les pattes de cet horrible opportuniste. On perd la pulpe de ton génie. 

    Signé : Cazengler, Léon Wesh Wesh

    Leo Bud Welch. Sabougla Voices. Big Legal Mess Records 2014

    Leo Bud Welch. I Don’t Prefer No Blues. Big Legal Mess Records 2015

    Leo Bud Welch. Live At The Iridium. Cleopatra Blues 2017              

    Leo Bud Welch. The Angels In Heaven Done Signed My Name. Easy Eye Sound 2019

     

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    Livraison 560 du 28 / 05 / 2022 nous présentions le premier Ep ( 5 titres ) de Burning Sister et trois vidéos issues de leurs deux singles parus à cette date. Or voici qu’ils viennent de sortir ce mois de novembre 2022 leur premier album.

    MILE HIGH DOWNER ROCK

    BURNING SISTER

    ( Album numérique / Vinyl / Bandcamp )

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    Ne vous prenez pas la tête sur la traduction des deux premiers mots du titre. Mile High est le surnom de la ville de Denver, où réside Burning Sister, capitale du Colorado située exactement à un mile ( = 1, 609 344 kilomètre ) d’altitude. Reste que cette localisation géographique permet un joli jeu de mots lorsque l’on associe   High à down(er), en quoi nous voyons une allusion à la Tabula Smaragdina, la fameuse Table d’Emeraude, qui dès sa première ligne nous révèle que ce qui est en haut est comme ce qui est en bas. André Breton le gendarme du surréalisme s’en est inspiré pour l’écriture de son texte le plus célèbre. Une tradition davantage terre à terre nous traduirait high downer rock par rock de la grosse déprime. Le downer rock tire ses origines des trois premiers albums de Black Sabbath, tempo lent, ambiance crépusculaire, mais il existe d’autres radicelles qui courent de Grand Funk Railroad à Blue Cheer et nombre de groupes de heavy metal… Le rock procède par métissages divers et variés. Les bâtards sont les meilleurs chiens du monde. Ils mordent plus fort que les autres.

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    Vous faudra plus d’un coup d’œil pour la couve. What is it ? A chacun son interprétation, l’ensemble reste flou, tout dépend quelle porte de la perception vous ouvrez pour y accéder. Burning Sister vous décontenance, exprès. Serait-ce un oiseau buvant à une source ? Une tête d’homme aux cheveux ébouriffés ? Le paysage final de La machine à explorer le temps de H. G. Wells ? Une mise en image du principe d’incertitude d’Heisenberg afin d’accroître votre sentiment de l’irréalité de la réalité ? Ce qui est sûr c’est que le vinyle est aussi rouge qu’une tache de sang frais. Anamorphosis.

    Steve Miller : bass, synthé, vox / Drake Brownfield : guitars / Alison Salutz : drums.

    Leather mistress : (chroniqué dans notre livraison  560 ) : voix dans les tuyaux, le serpentin des tuyères démarre, le riff arrive majestueux et imparable, les vertèbres du reptile balaient vos indécisions, la maîtresse de cuir est un dinosaure qui écrase tout sur son passage, la basse de Steve balaie les arbres pour lui laisser place, des chants tribaux retentissent au loin, sont noyés dans le fracas généré par  Alison, la guitare de Drake effile les épines dorsales du terrible lézard, c’est un morceau que l’on peut résumer en une question, comment faire pour ne jamais laisser agoniser un riff, comment en présenter toutes les facettes, en tirer la substantifique moelle, en

     en explorer et développer toutes les virtualités,  l’aider à s’accomplir, sans qu’une seconde l’auditeur jamais ne se lasse. Une démonstration de grande évidence. Nette et sans bavure. Faut de l’imagination et du savoir-faire. Un seul défaut à ce morceau, faut se forcer au bout de la dixième écoute à écouter le reste de l’album. Acid night vision : (chroniqué dans notre livraison 560 )  :  sans les images de la vidéo, la vision est plus noire, nous ne sommes plus dans les fantasmagories d’un dessin animé, nous voici projetés dans un gigantesque shaker, attention au milieu du morceau quand Alison touille de sa baguette la bouillie sanglante, question guitare imaginez un Hendrix privé des couleurs de l’arc-en-ciel, qui ne chercherait pas à faire miroiter la chatoyance du monde mais à en exacerber la fatale noirceur, avec la basse de Steve qui vous pousse dans les bas-fonds de l’horreur d’être né. Magnifique. The messenger : ce doit être une bonne nouvelle, avec ces notes toutes douces dont auraient été retiré toutes les harmoniques, Steve caresse son synthé, attention sur la fin, il tinte comme une pièce de monnaie lancée en l’air pour savoir si pile c’est l’heure de vous suicider et qui n’en finit pas de tournoyer sur le trottoir, à moins que ce ne soit le bruit d’un appareil intersidéral qui s’enfonce dans les limites de l’univers. Dans les deux cas une aventure humaine. Une expérience ultime. Cloven Tongues : (chroniqué dans notre livraison 560 ) : l’écouter sans la vidéo qui l’accompagne change la donne. Nous avions l’impression d’être dans un poème symboliste d’Henri de Régnier, ambiance mystérieuse, aperçus d’une beauté noire, nous voici projetés en un autre monde, maintenant avec ces chœurs de moines encagoulés, nous serions plutôt dans Le puits et le pendule d’Edgar Poe, ce qui paraissait inquiétant et curieux est désormais plus que menaçant, la guitare hérisse des riffs de fer tordus aux bouts acérés sanglants qui dépassent des murs et se rapprochent de vous, insidieux travail d’Alison et Steve qui poussent de toutes leurs forces derrière les cloisons mobiles, et la guitare de Drake imite vos cris de souffrance, maintenant vous entendez les rouages de l’immonde machinerie, raclements de ferrailles et de roues dentées, vous voici réduit en charpie de chair pantelante. Un titre qui ne fait pas de cadeau. Dead sun blues : ce n’est pas le blues des origines mais celui de l’extinction de l’espèce humaine, un son sale et sans apprêt – vous ne croyez tout de même pas valoir mieux – un chant de vomissure, une batterie en hachoir de guillotine, des cordes lugubres et oppressives. Les Sister Burning n’ont pas le blues joyeux, joyau oui, avec par exemple ce solo d’épines empoisonnées qui s’enfonce dans la matière grisâtre de vos méninges, qui prend un plaisir sadique à vous torturez. Soyons franc, en moins de sept minutes ils font la démonstration que le blues est une musique dans laquelle il est encore possible d’innover. De trouver du nouveau dirait Baudelaire. Plus près des cercles infernaux que paradisiaques tout de même. Seraphim : ne désespérez pas, une minute trente de Paradis avec les séraphins qui psalmodient des hosannahs sur les claviers du synthé. Avant le blues il y avait le gospel, n’est-il pas vrai. Burning Sister revisite la musique populaire américaine à l’aide de petits flashbacks. Des piqûres de rappel. Aïe ! S.I.B. : je ne sais de quel syndrome il s’agit au juste, mais l’on est parti pour une espèce d’oratorio heavy, Alison tonne comme Jupiter depuis le haut de l’Olympe et c’est parti pour un régal bien creameux, les surprises arrivent au bout de deux minutes avec ces dentiers souterrains de synthé qui rayent le plancher, ah ! ce traitement de voix assourdies, cette tubulure engorgée, et ces chœurs néfastes, et cette batterie insistante, le riff recommence et c’est reparti comme la troisième guerre mondiale en préparation, la fin est splendide. Je n’en dirai rien de plus. Je l’écoute. Désormais le monde se partage en deux, ceux qui ont écouté et les autres. Stars align :  l’alignement des planètes c’est quoi, c’est ce moment ou après avoir fait le tour de la question de tout ce qui a existé en leur domaine – fuzz, psychedelic, doom - un groupe se permet de continuer le chemin là où les autres se sont arrêtés. Ce groupe a un nom il s’appelle Burning Sister.

    Précipitez-vous !

    Damie Chad.

     

     

    THOU SHALL SEE

    Ah ! tu verras, tu verras ! En fait on ne voit rien. Drôle de nom pour un groupe, l’ancien pronom Thou ( = Tu ) du vieil anglais utilisé dans une formule qui rappelle le début de certains versets de la Bible. Ils sont allemands. Viennent de Stuttgart. Impossible de vous communiquer leurs noms : il y a L à la guitare et aux synthés, et J qui s’occupe du drumming. Aucun des deux ne chante. C’est un groupe instrumental. Autre incongruité, les titres sont réduits à des numéros. Z’auraient pu faire comme les romains qui numérotaient leurs enfants dans l’ordre d’arrivée. Octave ( huitième ) est le dernier prénom qui a survécu de par chez nous à cette coutume peu poétique. Mais non, les titres ne sont pas rangés dans l’ordre croissant ou décroissant.

    Sont donnés dans le désordre. Les adeptes de la numérologie peuvent ainsi s’en donner à cœur joie et offrir un sens à cette étrange façon de compter. Est-ce qu’ils ne savent pas quoi trastéger pour se faire remarquer, ou nous délivrent-ils un message crypté. Les synthétiseurs ne sont pas ma tasse de thé, mais j’aime ne pas comprendre, alors je me suis dit que si l’on ne voit rien, peut-être entendrais-je quelque chose. Si le texte des Georgiques de Virgile se lit aisément, il en est une autre lecture beaucoup plus secrète qui repose sur le comptage orphique des vers.

    ANCIENT HORRORS

    ( Album Numérique / Novembre 2022 )

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    Nous ne partons pas dans le brouillard, enfin si, sur la couve nous avons une nappe de brume, au-dessus d’un lac, l’Art Work est crédité à Adam Burke aussi connu sous le nom de Nightjar ( engoulement ) créateur d’un monde inquiétant, aux confins du rêve et du cauchemar, un royaume secret dans lequel chacun peut rencontrer ses peurs et ses obsessions. Ce n’est pas la première fois que nous trouvons une œuvre de Nightjar sur une couve de Metal. Le titre de l’album est aussi une clef de dol qui nous ouvre les portes abyssales. Le logo dégoulinant de sang de Thou Shall See est de Unknown Relic, autrement dit de Stephen Wilson. Le lecteur amateur de Metal visitera avec intérêt son FB, il ne manquera pas de s’attarder sur ses étranges abécédaires runiques qu’il mettra en relation picturale avec les numérotations romaines des titres.

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    XII : Résonnances et tout de suite des sons qui prennent la relève, des pas de géant qui avancent, derrière la basse dansent quelques arabesques discrètes, peut-être pas l’horreur mais une crispation s’insinue en vous, un peu mélo, l’impression de deux lignes musicales qui ne se rejoignent pas, la basse qui colmate des trous, et des notes légères qui tintent comme des bouts de vitres teintées de sang, matins blêmes et réveils d’assassin, 12 semble se précipiter mais le rythme n’en est pas plus rapide, démarche lourde, qui sait où elle va. Nous non. V : la même rythmique lourde, mais des orgues dramatisent la situation, celui qui marche n’arrête pas, même s’il semble davantage appuyer ses pieds sur le sol nauséeux. Ruissellements, glougloutements, le temps ne compte plus, des motifs entendus dans le 12 réapparaissent en plus aigus, la pointe d’un poignard qui a envie de boire une gorgée de sang, car même les objets rêvent à leur propre utilité. Respiration, souffles sur l’eau, de petits bruits indistincts, une mise à mort discrète et l’assassin reprend sa marche, maintenant l’on sait que ce n’est pas un homme mais quelque chose d’indistinct, une hagarde remontée d’on ne sait où. VII : moins de brouillard, la musique se fait clairière, elle n’en reste pas moins oppressive, elle tinte et roucoule, ça y est la chose arrive, l’on a envie que ce soit la fin du film, mais ce n’est qu’une séquence aussi éprouvante que les précédentes et les suivantes, un chant sans voix s’élève, le sept n’est-il pas un nombre magique, l’horreur fascine, nous n’y pouvons rien, nous avons cru que la chose venait mais peut-être est-ce nous qui allons vers ellr b, ambiance délétère, joyeuse aussi car serait la vie sans le sel âcre de l’inconnu qui résonne en des couloirs temporels inconnus mais qui débouchent dans notre monde. Il suffit d’ouvrir la porte et l’Horreur survient, le pire c’est qu’elle nous regarde, qu’elle habite nos structures mentales depuis toujours. Serait-ce le nom de l’accoutumance à nous-mêmes. Notre portrait crachat. Nous nous regardons dans le miroir et nous nous trouvons horriblement beaux. VIII : le 8 succède à sept, la même histoire qui recommence avec en plus ce gargouillement souterrain d’échos, qu’est-ce qu’au juste, quelle est cette chose qui rampe dans les couloirs de notre cervelle, la batterie empile ses coups comme l’on enfile ses verres au troquet, pire que l’horreur existe l’absence de l’horreur, celle qui vous catapulte dans la solitude de votre néantification. Le son se plie sur lui-même, il devient une grandiose liturgie, attention, demandez-vous le nom de celui qui s’offre en sacrifice. X : est-ce la fin, en tout cas l’on ne saurait rêver meilleur final grandiose, une note funèbre auréolée d’un orgue électronique qui imite la voix humaine et brusquement la lumière jaillit, nous nous croyions dans un temple troglodyte et nous voici dans une salle de fête, lumières éclatantes en battants de cloches. Est-ce parce qu’elles sont anciennes que le sang des horreurs se teintent d’un rose d’aurore…

    DEMO

    (Album Numérique / Avril 2021 )

    Peut-être la cathédrale de Stuttgart sur la couve, en tout cas ambiance gothique assurée. L’on se croirait dans un poème d’Aloysius Bertrand. Nous avons apparemment le début de l’histoire, le 1, 2, 3, 4, mais c’est le 2 qui ouvre le bal.

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    II : ouverture en inquiétudes mineures, éclatements de tôles de zinc, derrière une rythmique cavalcade, amplification tous azimuts, comme des voix indistinctes que l’on entend très bien mais que l’on ne comprend pas, le tempo ralentit, caresses de synthés et gifles de batterie. Nous ne sommes pas loin de l’ambiance des deux premiers morceaux d’Ancient Horrors, mais le son est d’une texture plus claire, davantage segmentée, moins pressurisée. L’ensemble sonne davantage répétitif. Mais l’on n’a pas le temps de s’ennuyer. Loin de là. I : tourment de vent, assombrissement d’ambiance, les pas pesants du 12 reviennent, une démarche que l’on jugerait humaine, le géant s’est-il ratatiné ou est-ce l’habitude, pointillés de cymbales sur un drapé de moire noire, intensité primitive orchestrale, l’idée que la machine s’est mise en route et que rien ne l’arrêtera, l’on veut voir la suite, nos yeux sont peut-être crevés mais nos sens perçoivent des mugissements rhinoférociques, de lents pachydermes qui broutent l’herbe de nos représentations. Accélérations. Il est curieux d’entrevoir comment Thou Shall See compose, L et J semblent partir d’une structure très simple, mais qu’ils complexifient en la segmentant au maximum, puis ils s’appliquent à en garder tous les éléments obtenus en les dispatchant tout autrement, je ne crois pas qu’ils comptent sur le hasard, je pense qu’ils procèdent avec soin et méthodicité pour que l’auditeur soit plongé dans une espèce de magma sonore touffu dans lequel il n’est jamais perdu car les fragments dispersés recomposent par alternance une continuité sonique des plus agréables, le labyrinthe est en quelque sorte fléché. III : cette pluie qui tombe, cet orage qui tonne, cette note qui stridule et cette autre qui siffle, cette batterie qui arrache ses pieds du marécage pour retomber plus lourdement, le ciel est bas et le paysage livide, il s’écarte de lui-même comme s’il voulait conquérir toute la surface de la terre, un synthé aboie pour nous prévenir, des gémissements montent des marais qui maintenant s’étendent à perte de vue, le cauchemar se reduplique à l’infini, il est impossible de s’en extraire, à chacun de vos pas sa surface augmente, aucune extraction possible, la glaise musicale vous enduit de sa gluance, elle monte le long de votre corps telle une lèpre assassine, vous sentez la modification, vous ressentez la momification de votre chair, l’argile qui la recouvre s’insinue à l’intérieur de vous, la musique appuie par à-coups sur votre tête pour vous enfoncer centimètre par centimètre dans la vase astringente, quelques bulles d’air s’en viennent crever à la surface, c’en est fini, la bande sonore se termine. IIII : un cauchemar n’est jamais terminé, l’écho s’en répercute sous forme de secousses telluriques qui se déploient dans les rêves des dormeurs, la mer de l’horreur roule sans fin ses vagues limoneuses, elles s’échouent sur le sable de votre mémoire, elles forment le premier matériau de l’inconscient collectif.

    Disons-le vulgairement, Thou Shall See vous en donne pour votre argent, même si jamais vous ne seriez prêts à payer pour de telles suffocations éruptives. Ils parviennent à renouveler les anciennes horreurs, à les rendre attrayantes, vous en redemanderez.

    Damie Chad.

     

    *

    Tiens un groupe de rock à Metz, cité qui n’est pas spécialement connue pour son impact rock ! Je n’avais fait qu’entrevoir ces trois mots et déjà je commençais mon cinéma dans ma tête. J’avais tout faux, le groupe n’est pas originaire de notre bonne ville françoise, il est autrichien, et se nomme LIQUID MAZE. Labyrinthe Liquide, attirant concept ai-je pensé, serait-ce des déconstructivistes, faut aller voir cette bestiole de plus près, n’ai pas été déçu par leur propre présentation : Delicious Psychedelic Art Rock. Viennent de Vienne. Or moi quand on dit Vienne me vient en mémoire la fabuleuse frise de Klimt consacrée à Beethoven, et je pense à ce double vocable de Sécession Viennoise, qui pose la rupture comme acte fondateur et novateur. Dans mon fort intérieur, un synonyme de rock ‘n’ roll.

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    Liquid Maze a déjà deux autres œuvres à son actif : Colors of Euphoria ( 2018 ) et Snake Jazz ( 2021 ).  Aiment aussi enregistrer live dans leur propre local  de répétitions, surnommé Metz, d’autres groupes alternatifs. Toutes ces sessions sont in extenso sur leur chaîne YT, The Metz Sessions. Charité bien ordonnée commençant par soi-même, ils se sont octroyés la Douzième.

    THE METZ  SESSIONS # 12 : LIQUID MAZE

    Novembre 2022 / YTBandcamp ) 

    Dominici Scheleinzer : guitars, vocals / Lukas Sukal : guitars / Gerald Grimpl : bass / Stefan Celanovic : keys / Sebastian Hödimoser : Drums.

    Vous avez deux manières de le regarder, soit sur le site des The Metz Sessions, vous assistez alors à la séance filmée, soit sur la vidéo présentée par Mister Doom 666 qui ne diffuse que le son. Une seule image sur l’écran, le logo du groupe qui ressemble à ces tampons chinois ou coréens qui servent à apposer la signature sur un document ou une lettre. N’est pas non plus sans évoquer le travail de Fernand Léger. Je préfère ce second choix, il laisse davantage place au rêve et au mystère.

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    Intro : tintement acoustique, l’on s’attendrait à quelque chose de moins convenu mais le morceau s’étoffe, chacun tisse son fil dans son coin, le résultat obtenu est loin d’être désagréable, sans surprise, mais un très beau son d’orgue, digne des britanniques années soixante. Industrial salvation : après les cacahouètes de l’apéritif passons aux choses sérieuses. Salvation l’on veut bien, car l’on aime bien, c’est agréable, industrial c’est largement exagéré. Je me répète, mais ça sonne très english sixties, pas original, mais très bien fait. Se lâchent un peu sur la fin. Pieces : reviennent sur le motif de l’intro, certes ils le développent, rajoutent du son et des falbalas auditifs, mais en fait ces neuf minutes de Pieces auraient été très bien accouplées aux trois minutes de l’intro. Seul avantage, la possibilité d’apprécier la voix et les qualités de Dominici au chant.  Prennent leur temps l’on croit que c’est la fin, juste un pont pour l’envolée finale. Give me a reason : dès l’intro l’on sent que l’on est parti pour un long morceau, genre gradation apocalyptique durant laquelle les musiciens vont se donner à fond. Ne nous déçoivent pas, lancent la machine à donfe. Félicitations à Stefan qui vient de rejoindre le groupe et qui n’a eu droit qu’à deux courtes répétitions, l’a un beau son, il est vraiment le vecteur sonique du groupe. L’ensemble est un peu trop pop à mon goût, mais ils ont du talent. M’attendais à quelque chose de plus avant-gardiste.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

    Cet épisode 7 de Rockambolesques est dédié à Claudius de Blanc Cap qui s’est donné la mort, ce 11 novembre 2022, suite au saccage de son œuvre maîtresse par les autorités étatiques. Rappelons que les démêlés de Claudius de Blanc Cap avec la justice de son pays et  l’Administration Ariégeoise sont à l’origine de la première série de nos Rockambolesques, intitulées alors Chroniques Vulveuses, dont le premier épisode parut dans notre livraison  154 du 05 / 09 / 2013. il est d’ailleurs un personnage de cette série. Nous rendrons ultérieurement un hommage à cet artiste non pas incompris mais pourchassé. La France est-elle le pays de la liberté ou de la bêtise ?

     

    EPISODE 7 ( PRESERVATIF ) :

    35

    LES MYSTERES D’ALICE

    ( Article extrait du Parisien Libéré )

    Communiqué du Rédacteur en Chef : Si je n’avais une absolue confiance en Martin Sureau et Olivier Lamar que nos lecteurs connaissent bien, jamais je n’aurais accordé la moindre confiance à cet article. Rappelons que Martin Sureau et Olivier Lamar sont affectés à notre Service Politique. Pas des huluberlus, ce sont eux qui depuis plusieurs années suivent, interviewent et analysent les propos de nos plus hauts responsables politiques. Ce qu’ils nous relatent est tellement étrange que je préfère leur laisser la parole.  

    Nous venions de quitter Troyes, nous avions dépassé Provins et rejoignions l’Autoroute afin de regagner Paris. Il devait être deux heures du matin et abordions la longue ligne droite qui coupe le village de Savigny en deux. A deux cents mètres de l’entrée du cimetière nous aperçûmes cinq points lumineux sur la chaussée. Nous ralentîmes, nous avons pensé à des bêtes, sangliers ou renards. En nous rapprochant, il nous a semblé discerné une forme couchée sur la chaussée. Moi Martin Sureau j’ai cru voir deux chiens sur le bord de la route, mon collègue Olivier Lamar est certain que c’étaient deux chats. Du côté de la modeste maison, sise en face de la grille du cimetière, il y eut comme un vague mouvements d’ombres. Nous arrivions tout près de l’obstacle. A la chevelure blonde nous identifiâmes un corps féminin. Olivier Lamar avait saisi son appareil photo, il prit quelques clichés. Il n’arrêta pas durant la suite des évènements. La victime était manifestement morte, toutefois j’appelai le Samu et la Gendarmerie. Il ne s’écoula pas dix minutes que le clignotement d’un gyrophare bleu signala l’approche d’un fourgon de la gendarmerie. Les trois gendarmes se hâtèrent d’installer un périmètre de sécurité et de procéder aux premières constatations. Qui furent très vite corroborées par le médecin du Samu, celui-ci confirma la mort de la victime, vraisemblablement renversée par un véhicule. Un infirmier recouvrit le cadavre d’une toile plastifiée blanche.  

    Durant deux ou trois minutes, tout près du cadavre nous échangeâmes nos impressions. En tant que premiers arrivants sur les lieux nous racontèrent ce que nous avions vu, c’est à ce moment que l’un des deux infirmiers s’exclama : « Quelle est cette odeur dégoutante ! Ça pue la charogne ! » et vivement il retira le drap plastifié qui recouvrait le cadavre. Nous fûmes horrifiés, cinq minutes plutôt nous étions en présence d’une jeune fille, et maintenant nous étions devant un corps en putréfaction, seule sa chevelure blonde indiquait qu’il s’agissait de la même personne. Nous étions tellement interloqués que nous n’avions pas fait attention à l’arrivée d’une voiture qui stoppa à quelques mètres de nous. C’était le maire du village. A peine eût-il jeté un coup d’œil au cadavre en décomposition qu’il s’écria : « Mais pourquoi avez-vous tiré la petite Alice de son cercueil, êtes-vous fous ! ».

    C’est nous qui le crûmes dérangé. Il s’expliqua, Alice Grandjean avait été tuée ainsi que son père et sa mère voici deux ans dans un accident de voiture, il reconnaissait ses vêtements, lui-même avait aidé à visser le cercueil. Le brigadier de gendarmerie n’était pas du genre à s’en laisser compter, il possédait un esprit pratique. Il ordonna à un de ses subordonnés et à un infirmier de garder le cadavre qu’il fit recouvrir de son voile plastifié, et tout le reste de notre groupe se dirigea vers le cimetière. Le maire nous mena devant la tombe des Grandjean, la sépulture n’avait pas été violée. Deux employés d la mairie appelés d’urgence vinrent desceller la dalle d’entrée. Les trois cercueils reposaient côte à côte. Ils sortirent celui d’Alice Grandjean, sur l’ordre du brigadier ils le dévissèrent et tirèrent la fermeture éclair du suaire. Alice était bien là, identique à son cadavre qui reposait sur la route sous sa bâche plastifiée blanche.  Nous retournâmes sur la route. D’un geste vif, le brigadier retira le voile qui épousait la forme du corps, dessous il n’y avait rien !

              Alerté, nous ne savons comment, le préfet du département de Seine & Marne nous a convoqués dans les minutes qui suivirent à la mairie de Savigny où nous avons été pris en charge par une cellule d’expertise-psychologique. Tous, infirmiers, médecin, gendarmes, maire, personnel de mairie et journalistes nous avons admis que nous avons été victimes d’un phénomène, pas si rare que cela paraît-il, d’auto-hypnose hallucinatoire collective.

              Evidemment nous n’en crûmes pas un mot. Pour notre part,   dépourvus de toute allégeance d’obéissance à un quelconque service étatique nous avons rédigé cet article au nom du principe sacré de la liberté de la presse dans le seul but de rapporter ces faits étranges dont nous avons été les témoins à nos fidèles lecteurs.

    Martin Sureau et Olivier Lamart

    P.S.: La pellicule des photos prises par Olivier Lamart - mon collègue travaille en argentique – s’est révélée vierge. De même l’appareil numérique utilisé par les gendarmes a été incapable de garder en sa mémoire une seule photographie.

    36

    Le Chef replia le Parisien Libéré dont il venait de lire l’article à voix haute et alluma un cigare. Pardon, un Coronado.

    • Agent Chad, tout s’éclaire, enfin nous tenons un bout de piste, ladite Alice écoutait bien le premier album de Black Sabbath, quant à ce que raconte nos deux journalistes, c’est une chance que nous ayons décampé dès que nous avons aperçu au loin les phares de leur automobile. Ce qu’ils relatent ne nous étonne guère, leur témoignage n’en reste pas moins précieux. Attention ces gaillards-là me semblent des teigneux. Leur tandem est bien connu dans les milieux politiques, je me suis renseigné, sont à l’origine du scandale de l’ancien Président de la République qui tous les mercredis matin séchait le Conseil des Ministres pour aller voir sa maîtresse. Rappelez-vous de cette vidéo croustillante prise par un drone, diffusée en temps réel sur les réseaux sociaux. C’étaient eux. De fieffés retors. Agent Chad, vous ne les quittez pas de la journée, toujours un œil sur eux, je suis sûr qu’ils sont en train d’en savoir davantage sur ce ‘’ vague mouvement d’ombres’’ devant la maison. Ce sont des fouineurs, je ne veux pas qu’ils remontent notre piste.

    37

    La nuit avait été longue et mouvementée, mais un agent du SSR ne dort jamais. Aussi frais qu’une rose je me levai d’un bond, Molossa et Molossito sur mes talons, j’avais déjà une main sur la poignée de la porte.

    • Agent Chad venez près de moi, j’ai quelque chose à vous dire à l’oreille.

    Désolé chers lecteurs, il est des choses qu’il vaut mieux ne pas savoir. Je n’aimerais pas que parmi vous les plus audacieux tentassent de s’amuser avec le Diable. En l’occurrence je me permets de vous rappeler que le Diable que nous poursuivons n’est autre que la Mort. Pas d’imprudence laissez faire les professionnels.

    Pour la deuxième fois de la matinée je m’apprêtais à ouvrir la porte lorsque la voix du Chef résonna une nouvelle fois.

    • Agent Chad !
    • Oui Chef !
    • Vous avez bien votre Rafalos 19 sur vous ?
    • Bien sûr Chef, il ne me quitte jamais, je le garde même tout nu sous la douche !
    • C’est bien ce qui m’inquiète !
    • La douche, Chef !
    • Non votre Rafalos 19, apportez-le-moi!
    • Voilà Chef !
    • Merci, prenez le mien, je me ferai moins de souci si vous avez sur vous le dernier modèle. Il possède un correcteur de tir qui lui permet de ne pas rater sa cible. De la haute technologie, un implant sur la gâchette lui permet d’entrer en contact avec les impulsions de votre cerveau et de comprendre intuitivement ce sur quoi ou sur qui vous voulez tirer.
    • Je vous remercie Chef !
    • Agent Chad, essayez de revenir vivant demain matin, et faites bien attention à Molossa et Molossito, ils ne possèdent pas de Rafalos 21 eux pour se défendre.

    38

    Je sifflotais en rejoignant ma voiture. Cependant je n’étais pas fier, je l’avoue, ce que j’allais faire, jamais aucun agent de n’importe quel service secret du monde ne l’avait jamais tenté, mais il vrai que j’avais sur moi un Rafalos 21, Molossa et Molossito à mes côtés, de surcroît un agent du SSR n’a jamais peur.

    A suivre…