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  • CHRONIQUES DE POURPRE 391 : KR'TNT ! 411 : ANDRE WILLIAMS / ARCHIE LEE HOOKER / HANDSOME JACK / SOVOX / BEACH BUGS / MOZES AND THE FIRSTBORN / FATIMA / TIGERLEECH / NECESIDAD DE LUCHAR

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 411

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    21 / 03 / 2019

     

    ANDRE WILLIAMS / ARCHIE LEE HOOKER

    HANDSOME JACK / SOVOX / BEACH BUGS

    MOZES AND THE FIRSTBORN / FATIMA

    TIGERLEECH / NECESIDAD DE LUCHAR

     

    Dédé la praline - Part One

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    Petit flash-back : février 2008, les Flash Express assurent la première partie du show d’Andre Williams à la Maroquiqui. Brian Waters annonce la couleur :

    — On joue très fort, escousez-nous !

    Waters est un peu potelé, mais il peut sauter en l’air ! Sur sa vieille Télé à ouies, il joue un jeu dangereux : il combine les accords ouverts avec les départs en solos incendiaires. Ce power-trio californien sonne un peu comme le JSBX. Au fil des morceaux, Waters s’agite de plus en plus. Il rebondit comme Pete Townshend, ce qui constitue un exploit, vu son poids.

    Après un petit entracte, les Flash Express reviennent s’installer sur scène. Ils ramènent avec eux un quatrième larron équipé d’une belle guitare blanche. Comme sur l’album The Black Godfather, Brian Waters se lance dans un speech incantatoire pour annoncer l’arrivée d’Andre Williams. C’est un moment historique. Andre arrive coiffé du chapeau noir d’Al Capone. Il porte la veste d’uniforme de Jimi Hendrix, le pantalon rouge de Chuck Berry, et les chaussures deux tons de Nicholas Cage. Andre Williams a soixante-douze ans. Aux yeux de tous les gens rassemblés dans la petite salle, il cumule autant de prestige que James Brown, Chuck Berry, Ronnie Spector et Sam Moore réunis. Il s’approche du micro et pointe ses pouces en rythme sur le beat qui est infernal. «Jail Bait» et «Bacon Fat» qui sont ses vieux hits font toujours autant de ravages. Une profonde impression de douceur comateuse se dégage de son visage. Derrière son micro, il sourit et attend sagement la fin des transitions instrumentales pour reprendre le chant. On a sous les yeux la combinaison la plus explosive qui se puisse concevoir, celle d’un vétéran de la scène r’n’b de Detroit et d’un groupe de garage-blues de très haut niveau. Dédé fascine. Impossible de le quitter des yeux. Il est à la fois le crocodile et le dromadaire, l’archange Gabriel et le démon priapique, le soul-shaker moderne et l’icône séculaire, le rouge et le noir, le croon et le shout, la rugosité et la chaleur humaine, le vétéran et l’ingénu, le géant et le mortel, le papy et l’éternel adolescent, le doux et le dur, la bite et l’esprit, le futur et le passé, le flux et le reflux. Et puis, au fil des morceaux, on s’aperçoit qu’il ne tient pas debout. Il est complètement défoncé. Il s’assoit, défait sa veste d’uniforme, la remet, s’en va, puis revient. Visiblement, il n’est pas bien. Il remercie le public :

    — Tank you Paris, tank you for coming up to see the old man...

    Pour boucler le show, les Flash Express envoie la purée de The Dealer, l’énorme hit niché sur The Black Godfather. Inespéré. Brian Waters joue le riff en boucle hypnotique. Andre Williams semble revenir à la vie. À la fin de ce morceau interminable, il sort de scène et refuse la main que lui tend un assistant pour l’aider à monter les marches qui conduisent aux loges. Andre Williams a sa fierté d’homme noir de l’Alabama. Il sort discrètement de la Maroquiqui, remonte la rue Boyer jusqu’à la rue de Ménilmontant et entre dans le premier rade venu. Il s’installe au comptoir et au moment où il commande une bouteille de French wine, il reçoit une bourrade dans l’épaule.

    — Alors Dédé, vieux crocodile ! Qu’est-ce que tu fous là ?

    Andre se tourne et sursaute :

    — Berry, ah ça par exemple !

    Ils s’observent longuement. Leur amitié ne date pas d’hier.

    — Ça fait combien de temps qu’on ne s’est pas vus, mon vieux Dédé ?

    — Berry, tu sais compter mieux que moi...

    — Allez, on va dire trente ans ! Incroyable, tu as toujours la même tête de cabochard ! Qu’est-ce que t’as pu m’en faire baver, sale nègre !

    — Certainement pas autant que ton protégé de l’époque, cette petite ordure de Little Stevie Wonder...

    — Tu te souviens de lui ?

    — Ce petit con d’aveugle tapait comme un dingue sur les claviers pour désaccorder les pianos. J’ai dû le virer plusieurs fois du studio. En plus, il imitait bien nos voix.

    — J’ai failli l’étrangler quand il a appelé la comptable en imitant ma voix pour lui demander de préparer un chèque de 25 000 dollars. Un vrai gamin. Mais Dédé, tu ne m’as toujours pas dit ce que tu fabriquais ici, à Paris...

    — Je sors d’un concert.

    — Un concert de qui ?

    — De moi, pauvre con.

    — Tu chantes encore, vieux bouc ?

    — Ouais. J’ai pris un nouveau départ, hee hee hee hee...

    — Mais Dédé, t’as plus de soixante-dix balais !

    — Que veux-tu, Berry, les gens m’adorent. Ce qui ne doit pas être ton cas. T’as fait de sacrés ravages quand t’as quitté Detroit pour installer Tamla Motown à Los Angeles. Je fréquentais les musiciens qui jouaient pour toi, à l’époque, tu sais, les Funk Brothers. Uriel Jones et Pistol Allen, ces noms-là te rappellent quelque chose ? Tu les as laissés tomber comme des merdes. Je peux te dire une chose : aujourd’hui encore, ils te détestent. On ne se conduit pas comme ça avec des musiciens qui t’ont rendu autant de services. Ils étaient sur tous les hits Tamla. Sans eux, tu n’étais rien...

    — J’avais des impératifs, Dédé. Tu ne peux pas comprendre. Tu n’as jamais rien compris au business. Chaque fois que tu as eu l’occasion de faire quelque chose de bien, tu t’es arrangé pour que ça te claque dans les pattes. Combien de fois je t’ai rappelé pour te proposer un poste stable ? Tu savais écrire des tubes, tu savais produire, tu savais même chanter, tu aurais pu te faire des couilles en or à Tamla !

    — Smokey Robinson était bien meilleur que moi, Berry, tu le sais bien. Et puis, je vais te dire une bonne chose. Je n’ai jamais aimé tes méthodes. Je ne t’aimais pas, mais je te respectais parce que tu avais du génie. C’est toute la différence avec Ike Turner que j’ai fréquenté un peu plus tard. Il avait du génie, lui aussi, je l’aimais bien, mais je ne le respectais pas.

    — Tu coupes toujours les cheveux en quatre, Dédé. Tu en as toujours fait qu’à ta tête. Des mecs comme toi, c’est ingérable, quand on fait du business.

    — Je te rappelle que tu me dois une fière chandelle, sale nègre ! Qui est-ce qui t’a trouvé chez le coiffeur et qui t’a donné la carte de ce ponte de United Artist ? Le pape ? Sans moi, Berry, tu écrirais toujours des chansons pour ta voisine de palier. Et puis, je ne peux pas accepter de leçons venant de toi. Je t’ai refilé au moins quatre-vingt chansons. Marvin Gaye, Mary Wells et les Contours en ont enregistré. J’ai traîné ma bosse partout. Tu as dû rater des épisodes, Berry ! À Chicago, j’ai travaillé pour les frères Chess. À Houston, j’ai travaillé pour Duke Records, et crois-moi, c’était pas de la rigolade de bosser pour ces mecs-là. À Los Angeles, j’ai travaillé pour Ike Turner et pris plus de coke que lui et baisé en un an plus de chattes que t’en as baisé dans toute ta vie, Berry... Tu vois, je vais te dire encore un truc : Devora Brown et Leonard Chess étaient des Juifs, mais ils étaient bien meilleurs que toi, et à tous les niveaux. En m’empêchant d’aller chez Epic, Devora Brown a brisé ma carrière mais elle m’a sauvé la vie. Con comme j’étais à l’époque, je n’aurais pas fait de vieux os. Les drogues, les armes, tu vois ce que je veux dire... Leonard Chess respectait les musiciens. S’il n’avait pas cassé sa pipe, je travaillerais encore probablement avec lui.

    — Sacré Dédé, tu veux toujours avoir le dernier mot. Puisqu’il n’y a que ça qui t’intéresse, je te le laisse. Buvons un coup. Très franchement, je suis content de te revoir. On m’avait raconté que tu étais à la rue, à une époque...

    — Exact, gros lard. Tu vois ma ligne ? Pas un poil de graisse, hee hee hee hee !

    — Ouais, et toujours sapé comme Cab Calloway... Et comment tu t’es sorti de là ?

    — Certainement pas grâce à toi, Berry. Mais, c’est vrai, tu ne pouvais pas savoir. À l’époque, tu ne pensais certainement qu’à t’allonger au bord de ta piscine pour t’occuper de ton bronzage, hee hee hee hee !

    — Dédé, j’apprécie toujours autant ton humour, franchement. T’es le boute-en train number one. Mais tu devrais te surveiller un peu. Il me semble que parfois t’es un peu lourd.

    — Autant pour moi, Berry. Excuse-moi, mais ça doit être toi qui m’inspires ce genre de conneries. Alors, revenons à la rue, puisque ça t’intéresse. Tu vois, c’est pas comme une piscine au soleil. En hiver, on se les caille et on ramasse les mégots pour les fumer. Dès qu’on a des ronds, on trouve un dealer de quartier pour lui acheter le petit bout de crack qui permettra de tenir jusqu’au lendemain. Et puis un jour, Perk, le mec des El Dorados, passe en bagnole et me klaxonne. Il me dit qu’un mec me cherche partout.

    — Pour te descendre ?

    — Mais non, pomme de terre, pour chanter. Perk me refile le numéro de téléphone du mec. Il s’appelle Paulus, un collectionneur. Il possédait tout ce que j’avais fait sur Fortune Records et me considérait comme un génie.

    — Un de plus...

    — J’ai pas dit que j’étais un génie, Berry, c’est Paulus qui dit ça. J’ai toujours fait mon boulot, sans rien demander de spécial. Bon, le mec me demande si j’ai des chansons. J’ai toujours eu des chansons, depuis le début, tu sais, la danse et puis le gimmick. Ou si tu préfères, le vieux beat africain et une bonne histoire. Paulus me met en cheville avec un mec de New York, un blanc-bec nommé Billy Miller, un amateur d’Esquerita et de Bobby Fuller, je ne sais pas si tu vois le genre ! On fait un album qui s’appelle Greasy. Billy Miller fait venir un vieux guitariste anglais, un nommé Dick Taylor, une sacrée pointure, un mec assez connu en Angleterre. Tout est parti de là. J’avais tous les petits rockers de Detroit à mes pieds. Ils se bousculaient au portillon. Tous des mecs bien, qui me respectaient et qui me considéraient comme un dieu, je ne sais pas si tu vois ce que je veux dire, Berry, heee hee hee hee. J’ai fait des albums terribles avec Larry Hardy, le boss d’un petit label californien qui me demandait d’écrire des chansons salaces, comme celles de 57. C’est le genre de choses qu’il ne faut pas me demander deux fois. Et puis je vais te dire encore un truc. Ces blancs avaient tout pigé, au niveau du son. Ils voulaient le son brut qu’on avait avant que tu ne te ramènes avec tes violons et tes arrangements sophistiqués. Tu as voulu plaire aux blancs et tu as avachi la musique noire. Vers la fin, les disques Tamla que j’entendais à la radio n’avaient plus de sens. Comme si les Velvelettes, Gladys Knight et Martha Reeves n’avaient jamais existé. Par contre, Larry et Billy reviennent aux sources et tapent en plein dans le mille. C’est une chose qui ne t’a jamais traversé l’esprit.

    — Dédé, tu ne comprends pas bien. Quand tu diriges une maison de disques, tu ne dois te préoccuper que d’une seule chose : toucher le public le plus large. C’est une condition de survie. Je suis sûr que les mecs dont tu parles rament comme des galériens pour survivre, parce que je n’ai jamais entendu parler ni d’eux ni de tes disques.

    — De toute manière, ils ne t’intéresseraient pas, parce que tu ne comprends rien à ce que je t’explique. Je ne te parle pas de chiffre d’affaires, je te parle de gens qui croient en ce qu’ils font. C’est toute la différence. Tu ne te rends même pas compte qu’on discutait déjà de tout ça à l’époque où je travaillais pour toi. Je ne sais pas si c’est ta vision des choses ou la mienne qui est étriquée, mais j’ai ma petite idée là-dessus, Berry, hee hee hee hee. Tu me fais penser à une grosse saucisse qui aurait un billet de cent dollars à la place du cerveau.

    — Et toi à un crocodile qui se fait enculer par un zébu. Tu es plus têtu qu’une mule de l’Alabama.

    — Justement, j’ai fait un disque de country avec des Canadiens qui s’appellent les Sadies. Tu n’as probablement jamais entendu parler de ces mecs-là. Dommage pour toi. Le disque s’appelle Red Dirt. J’y parle de mes vieux souvenirs, quand je travaillais dans les champs et que j’entendais Hank Williams, Waylon Jennings, Patsy Cline et Hank Snow dans la radio du camion qui nous ramenait à la maison. J’étais gosse et depuis, j’ai toujours gardé ces gens-là dans mon cœur. Sur ce disque, les frères Good ont fait un bon boulot. J’y chante une vieille chanson de Ray Charles, «Busted» et ils m’accompagnent à la mandoline. J’y reprends aussi des trucs que tu ne connais pas, des merveilles country des Bottle Rockets, de Harlan Howard, d’Eddy Arnold, de Lefty Frizzell, et une chanson de Johnny Paycheck que j’adore, «Pardon Me, I’ve Got Someone To Kill», hee hee hee hee.

    — Tu me parles en chinois, Dédé.

    — Oh je sais bien. J’en profite pour t’embêter un peu et te plonger le museau dans ton ignorance. C’est pas en comptant et en recomptant tes dollars que tu vas évoluer.

    — T’as besoin d’argent ?

    — Non, j’ai tout ce qu’il me faut. J’ai même une poule... Une poule superbe, une Jamaïcaine de la tribu Naftali. Tiens regarde... Andre ouvre sa braguette et sort sa queue. Berry s’écrie :

    — Tu t’es fait circoncir ?

    — Pas mal, hein ? Je t’en mettrais bien un coup, j’ai encore jamais baisé un cochon...

    Berry sort une lame à cran d’arrêt.

    — Je vais te la couper et te la fourrer dans la bouche, comme ça tu ressembleras à un éléphant !

    Le patron du bar intervient. Il fait signe à Berry de ranger sa lame et à Andre de ranger sa queue. Il en profite pour annoncer la fermeture :

    — Finish ! Close ! Understandingue ?

    Berry et Andre se retrouvent sur le trottoir. Ils se donnent un longue accolade. Puis ils se séparent. Ils partent dans deux directions opposées, comme ils l’ont fait toute leur vie. Andre Williams descend la rue en titubant. Il ne se souvient plus à quel carrefour il doit tourner pour retrouver son hôtel. Il croise des Johnny casquettes qui se moquent de lui et qui le traitent de vieille tapette. Andre ne comprend pas le Français. Il lève son chapeau d’Al Capone pour les saluer et poursuit sa route dans les ténèbres.

    Signé : Cazengler, André vile âme

    Andre Williams. Disparu le 16 mars 2019

     

    L’archi raw d’Archie Lee

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    Ce n’est pas la première fois qu’une légende vivante se retrouve prise en sandwich entre deux attractions : on se souvient d’un Jerry Lee coincé entre Linda Gail et Chickah Chuck à la Villette. C’est au tour d’Archie Lee Hooker de se retrouver pris entre deux belles tranches, Bâton Bleu, trio tripoteur de trips trigonométriques, et Bernard Allison, vaillant perpétuateur d’un big old Chicago blues qui n’en finit plus de ne pas vouloir mourir. Si nous avons traversé une petite partie de la Normandie, ce n’est pas pour entendre le blah blah blues du grand Bernard Allison, mais pour entendre le raw blues du petit Archie Lee Hooker, tel qu’on peut le retrouver sur l’excellent Vance Mississippi enregistré en duo avec Jake Calypso, un album dont il faudrait pouvoir chanter les louages par dessus les toits, tellement il est réussi.

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    Dès le morceau titre, Jake et Archie Lee atomisent le boogie blues. Archie Lee prend le relais de Jake d’une voix d’outre tombe. Ils mènent ça au dialogue à l’ancienne. Infernal ! Fabuleuse ambiance ! On croit même entendre des canards dans le studio. Ils tapent le boogie à l’hypno. C’est l’endroit exact où le blues et le rockab se rejoignent, un endroit que connaît bien Charlie Feathers, puisqu’il vient de là, de Obie Patterson. Même chose avec «Juke House Man». Grosse présence du vieux, comme sur scène, puissance de l’immédiateté. Ça explose dans la seconde. Jake tape ensuite «Louise Blues» à la trade. Il ne réinvente pas le fil à couper le beurre, mais il impose sacrément bien le respect. Aussitôt après le vieux refout le feu à la cabane avec «Blues Inside Me», tapé au vieux beat sauvage. C’est même très sauvage et doté du vrai son, et battu derrière avec toute la rage du raw. Le vieux n’en finit plus de hanter «Blues Inside Me» et ramène toute la tension qu’on peut attendre d’un blues à vocation primitiviste. Ils jouent ça sous le boisseau, le cut se veut bien vénéneux, entêtant et comme fatal. C’est une pure énormité de fin de face, l’apanage du big raw, le garant d’une qualité de bone. Tiens puisqu’on parle de bone, on en trouve en B dans «Blues In My Bones», un heavy blues machiavélique, bien situé dans l’esprit de tonton Hooky - I was born with the blues in my bones - Il fait résonner tous ses B de manière sidérante. Jake se tape la part du lion avec «Hey Barber Barber», qu’il chante au yodell sur un rythme effréné. Voilà un boogie cajun obstiné et soûlé d’harmo. Grosse, très grosse ambiance ! Jake revient faire sensation avec «Rain Rain Rain», heavy sludge joué à la syncope de fife & drums d’Otha Turner. Décidément, l’ami Jake ne connaît que les coups de Jarnac du Mississippi. Il chante en plus au guttural des sous-bois. Ils finissent dans la pétaudière avec «My Shoes», gros shoot de boogie diabolo, extraordinaire débauche de raw. Avec ceux de Cedric Burnside et de Gary Clark J., cet album représente en gros tout ce qu’il faut attendre du blues moderne.

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    On pourrait croire que c’est du tout cuit pour Archie Lee, puisqu’il est le neveu d’Hooky. Un nom pareil, ça ouvre évidemment des portes. Mais ensuite, il faut assurer. Et quand on voit arriver ce petit bonhomme sur scène, l’évidence frappe tout de suite : ce pépère black de soixante-dix balais est une super star !

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    Il bouge, danse, chante, rigole et travaille son set avec une classe effarante, il donne des ailes au Hook, swingue des hanches comme Sammy Davis Jr, il marche comme à la parade de la Nouvelle Orleans, il donne de l’air à ses solistes blancs et s’amuse de les voir jouer comme des cracks pour lui faire plaisir. Il flotte dans son immense costume rayé et shoote son r’n’b les bras en croix, il recrée l’atmosphère d’un bastringue des bas-fonds, il ne connaît ni la fatigue ni les lois de la physique, il semble se régénérer au fil des cuts, il puise dans son insondable réserve d’Africanité et nous donne du spectacle, c’est complètement hors du commun.

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    Si John Lee Hooker savait hanter une scène en restant assis avec sa guitare et en tapant le beat du pied, Archie Lee Hooker la hante différemment, mais le résultat est le même. C’est un spectacle très haut de gamme, construit sur un savant mélange de r’n’b et de blues, mais qui échappe en même temps à tous les formats. La grande force d’un tel artiste est de savoir se singulariser. On pense bien sûr à des géants comme Taj Mahal, Bobby Bland ou encore Terry Callier qui ont su exister par eux-mêmes et créer un style qui leur soit propre et qui reste inimitable. Archie Lee Hooker entre dans le cercle des géants de cette terre. Curieusement, il ne joue aucun des cuts de Vance Mississippi. Tous les cuts du set proviennent du deuxième album, enregistré avec The Coast To Coast Blues Band, un fier quarteron de blancs becs du Luxembourg. On regrette que le backing band ne soit pas black comme celui de Bernard Allison, mais les Coast To Coast s’en sortent avec les honneurs, il est important de le préciser. Le guitariste Fred Barreto est particulièrement brillant. Il affiche le look d’un mec qui sort des bois de l’Arkansas, tignasse, barbe, poux et denim. On le sent pétri de culture blues, en tous les cas son style ne laisse pas indifférent. S’il fallait le situer stylistiquement, on pourrait citer le nom de Jimmy Page, celui de l’early Led Zep.

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    Après un instro d’intro déroutant (on se demande qui est ce groupe de blancs qui ne se présente pas), Fred Barreto annonce Archie Lee Hooker qui rentre de plein fouet dans la rondelle des annales avec «Big Ass Fun», et là, on peut dire que les colonnes du temple dansent le twist. Il n’y a qu’un blakos qui puisse casser la baraque comme ça, dans l’immédiateté d’un début de set. Ça se transforme tout de suite en pétaudière, comme chez Elmo Williams & Hezekiah Early, ça sent bon la cabane branlante et les planches qui grincent. Juste avant que la Traverse ne bascule dans l’orgie d’un sabbat, ce petit diable noir calme le jeu en s’asseyant avec une guitare pour rendre hommage à son cher Tennessee et gratter un blues bien rootsy. Mais dès qu’il se redresse, c’est pour relancer sa machine infernale. Avec «I’ve Got Reason», il fout la Traverse par terre. Il fait partie de la race des inextinguibles.

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    S’il revient en rappel, c’est en vainqueur, tel un roi africain chaussé de santiags ferrées, avec un «Boom Boom» à tomber, il nous shoote tous right down, right off our feet ! Ah si son oncle pouvait voir ça ! Quel carnage de beat ! C’est la version la plus explosive qu’on ait entendue ici bas. Avec un shoot de Boom Boom pareil, il n’a plus besoin d’en rajouter.

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    L’album dont le vieux fait la promo avec sa tournée s’appelle Chilling. C’est un album luxembourgeois. Au dos de la pochette, on lit les soutiens et on voit les logos. Le son est très différent de Vance Mississippi. Le producteur a opté pour un son plus lisse et plus technique, alors forcément on perd tout le charme du raw de Vance. Le cut qui sort du lot s’appelle «90 Days» car le vieux le chante d’une voix sourde sur fond de slap. Mais c’est du slap luxembourgeois. Rien de sauvage là-dedans. Les Coast To Coast travaillent la touffeur du son et le vieux renoue avec les vieilles recettes de Tonton Hooky, dans sa façon de tartiner une syllabe en l’écrasant légèrement. Fred Barreto en profite pour prendre un solo claironnant, le mec est un bon, il sait gratter à la revoyure. On est dans une forme de sécurité affective du blues. Les deux solos d’acou sont des merveilles de limpidité crue. Archie Lee tape son «Big Ass Fun» dans la grande tradition du bloogie blast à la Hooky. Il observe les règles de l’art suprême, le vieux sait mener une troupe. C’est d’ailleurs avec ce «Big Ass Fun» qu’il démarre son set. On est dans l’excellence d’un son bien soutenu à l’orgue. Backing irréprochable, mais tout de même moins spectaculaire que sur Vance. Dommage que la prod soit si lisse. Le morceau titre sonnerait presque comme le hit d’un mec à la mode, tellement ça frôle la petite pop FM. Il faut attendre «Blue Shoes» pour trouver du rampant. Le vieux tente de battre son oncle sur le terrain fantômal, mais il est trahi par cette orchestration trop lisse. Fred Barreto en profite pour faire son plantureux en jouant le plus jouissif des solos. C’est encore avec le r’n’b d’«I’ve Got Reasons» que le vieux s’en sort le mieux. Il shake son raw avec conscience et pénétration. Il devient une sorte d’alambic à deux pattes. Mais c’est avec la Soul qu’il est le meilleur. Quand il chante «Your Eyes», il envoûte. Il chante d’une voix de mineur cancéreux, avec une grande retenue. C’est très chaleureux. On tient là le hit du disk, un balladif Soul incomparable. Puis il profite de «Bright Lights Big City» pour rendre un bel hommage à Memphis Tennessee. Il nous swingue ça sous un boisseau en caoutchouc.

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    Signé : Cazengler, Hookar (de côte du Rhône)

    Archie Lee Hooker. La Traverse (76). 7 mars 2019

    Jake Calypso & Archie Lee Hooker. Vance Mississippi. Chicken Records 2016

    Archie Lee Hooker & The Coast To Coast Blues Band. Chilling. Dixie Frog 2018

     

    Handsome Jack of all trades

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    Lorsque les trois hippies américains de Handsome Jack arrivent sur scène, personne ne les ovationne. Qui irait miser sur un trio qui semble sortir d’un collège de banlieue des années soixante-dix ? Pas de look, pas de rien, on sent même chez eux une modestie qui complique encore l’ambiance. Ou plutôt une sorte de réserve finement teintée de timidité. Ils font autant d’effet qu’un pétard mouillé.

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    Le chanteur guitariste au fond à droite ressemble à s’y méprendre au grand Duduche. Il installe sa haute silhouette décharnée derrière un pied de micro et met le volume sur une vieille guitare de Mathusalem, celle qu’on voit sur la pochette de Hound Dog Taylor & The House Rockers, cette espèce de Jaguar ornée d’une rangée de touches de réglage qui ressemblent à celles d’un accordéon. Il porte des fringues circonstanciées, c’est-à-dire une chemise et un pantalon de couleurs indéfinissable. Il semble se foutre du look comme de l’an quarante.

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    Le bassiste soigne lui aussi un non-look parfait. Avec sa crinière noire et sa chemise ouverte sur un poitrail avantageux, il correspondrait plus à l’idée qu’on se fait du dragueur de surboum. Il joue lui aussi sur une basse échappant à toutes les normes, un peu pailletée et certainement vintage, comme on dit dans les milieux bien informés. Quant au batteur, c’est encore autre chose ; avec sa moustache en crocs et son bandana noué sur le front, il semble sortir d’une mauvaise plaisanterie métal. Tout bien pesé, ce trio pourrait ressembler à un gag de type Spinal Tap, sauf que ça prend une tournure intéressante dès qu’ils se mettent à jouer. Eh oui, l’habit ne fait pas le moine, et dans le cas d’Handsome Jack, c’est assez flagrant.

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    Ils réveillent la salle en fanfare, avec un son extrêmement dense et très seventies qu’on pourrait situer du côté de Creedence, avec peut-être encore plus de Soul dans le groove. Ce qui pouvait passer pour de la réserve ou de la maladresse n’est qu’en fait une immense désinvolture. Ces trois Américains jouent leur rock de Soul avec une évidente délectation et installent dans la salle une fantastique ambiance de good time music. Le grand Duduche s’appelle Jamison Passuite, il oscille d’un pied sur l’autre quand il part en solo, il chante avec une merveilleuse aisance et ne regarde jamais son manche. De cut en cut, ce mec se révèle même extrêmement doué, complètement immergé dans un son qui ne fait pas de vague, mais qui ne peut que flatter l’intellect des connaisseurs, on est à Muscle Shoals, du temps où Duane Allman jammait avec les Swampers, voilà le son qu’il ressuscite, c’est une merveille, et sa section rythmique amène tout le groove nécessaire à l’élévation combinatoire. Ces mecs réussissent l’exploit d’actualiser un son qu’on pensait figé dans le temps, comme s’ils redonnaient vie à une momie égyptienne et diable comme ils sonnent bien et comme ils sonnent juste !

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    Le fait que leurs deux albums soient sortis sur Alive n’est pas un hasard, Balthazar. On sait Patrick Boissel friand de ce son et grand protecteur des gardiens du temple. C’est sur Alive qu’on trouve les Buffalo Killers, les Dirty Streets, John The Conqueror, Lee Brain III, Radio Moscow, tous ces groupes affiliés au son des Seventies et quasiment interchangeables, tant par le talent que par la niaque.

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    Le premier album de Handsome Jack date de 2014 et sa pochette est un vrai tue l’amour. On dirait qu’ils font tout pour que Do What Comes Naturally ressemble à ces vieux disques des seventies que plus personne n’écoute. Les couleurs lavasse renvoient automatiquement au premier album de ZZ Top. On est dans ce type d’esthétique un peu désuète. On les voit tous les quatre photographiés devant une vieille grange branlante et Jamison Passuite pose au premier plan, le regard rivé sur l’horizon. On ne trouvera pas de hits sur cet album, rien que chansons admirablement ficelées. Dès «Echoes», Jamison Passuite joue son groove de swamp à la perfection - Don’t shake my arm ! - Puis on assiste dans «Creepin’» à un fabuleux déhanchement du beat. Ces mecs serrent l’encolure du rock et ne jurent que par le festin de son. L’ambiance pourrait rappeler celle d’Exile On Main Street, tellement c’est riche de son. Mais pas riche comme un riche au sens où on l’entend aujourd’hui, riche comme Crésus, ce qui n’est pas la même chose. Ils visent clairement le rock d’influence black, le rock de Soul tel qu’on le trouve chez Arthur Alexander, ils ont une passion pour le feeling qui les honore et chaque fois Jamison Passuite vient fondre son solo dans l’espace du cut avec un brio qui en dit long sur ses convictions politiques. Ce mec ramène dans son disk toute la fastueuse musicalité du Southern rock, il domine bien son rayon et dégage beaucoup de chaleur humaine. On sent le dépenaillé du grand Duduche et le faste de Milord l’Arsouille dans chacun des cut. L’A s’écoule comme dans un rêve. Cet album vaut pour un classique, mais aucun titre ne va prévaloir. Il faut l’accepter dans sa globalité. C’est un album de globo. En B, Jamison Passuite tire son «Right On» au cordeau du meilleur ride on et tape dans le slow boogie blues pour un éminent «Dry Spell». C’est encore une fois admirablement ficelé, bien vivace et foutrement inspiré. Ça correspond exactement à ce qu’on a vu sur scène. Avec «Ropes & Chains», ils passent au heavy gloom de globo. Jamison sort ses vieux riffs de juke et chante comme un délinquant du Minnesota - Hey hey that’s alright - Et il n’en finit plus de nous sonner merveilleusement les cloches - Ain’t nothing wrong/ Hey that’s alright - S’ensuit un «You & Me» ultra joué au touillé de junk blues de rock. Ça reste du big Handsome rock, vaillamment chanté et enfariné au meilleur son de Southern swagger.

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    Par contre, leur deuxième album Everything’s Gonna Be Alright grouille de hits. Ça frétille sous la futaie. On note dès «Keep On» une nette influence de Creedence, celui de «Keep On Chooglin’», avec ses arpèges cristallins dans le background, juste derrière les fagots. C’est du pur jus d’American Sound, chargé d’urbi et d’orba. Jamison Passuite n’en finit pas de jouer avec une déconcertante nonchalance, se balançant d’un pied sur l’autre comme une grande godiche pas bien à l’aise dans son corps. À la fin du cut, le seul commentaire un peu didactique qu’on puisse formuler, c’est : Wow ! Et ça ne fait que commencer. Comme lors du set sur scène : ils allumaient la gueule des annales dès le premier cut. Avec «Getting Stronger», ils sonnent véritablement comme ZZ Top, et il faut entendre ça comme un compliment. Ils excellent dans le funk de boogie - I’ll drive my evil spirits all away/ Each and every day - C’est excellent ! On se repaît aussi de «Bad Blood» et de la diction superbe de Jamison Passuite - We got bad blood/ It’s burning us/ Down/ We’re stuck/ In the mud/ Living in/ This/ Town - Il faut voir comme il martèle sa matière. Il descend dans l’essence d’un son qui palpite aux effluves d’ersatz. Et puis il y a ce «Baby Be Cool» véritable slab de good time music - Bring it home baby now/ But baby be cool - qu’il enchaîne avec le heavy riffing de «Holding Out». Quoiqu’il fasse, ce mec est bon. Il dispose de toute la stature inspiratoire et de toute l’inclusion glottinale dont on puisse rêver, il colle à tous les terrains du groove - There’s a shadow in the place/ In the back of my mind - C’est lui qui compose tout. On retrouve cette densité compositale extraordinaire de bout en bout. Encore une chef-d’œuvre de good time music en B avec «Why Do I Love You The Way I Do». Il nous sort là une petite merveille, on pense immédiatement à Arthur Alexander et à son album sur Elektra avec Ben Vaungh, c’est la même ambiance, cuivrée au passage du pont, une vraie bénédiction. Avec le morceau titre, Jamison Passuite adresse un beau clin d’œil au vieux Everything - I don’t owe nobody nothing babe/ It’s got me feeling brand new - En plus, les textes sont exemplaires. Retour à Creedence avec «Hey Mama»», Jamison Passuite y ramène tout le shout de Fogerty. Puis on se retrouve à Muscle Shoals avec un «Do You Dig It» qui se situe très exactement à la croisée d’Eddie Hinton et des Dixie Flyers, en plein Deep Southern rock. Jamison Passuite va chercher le meilleur rauch du coin, le fumet du buisson ardent, c’est convaincu d’avance, ce mec chante comme un dieu, il n’a pas fini de nous sonner les cloches à la volée. Ce mec devrait s’appeler Johnny Trente-six chandelles.

    Signé : Cazengler, Handsome jaquette

    Handsome Jack. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 20 février 2019

    Handsome Jack. Do What Comes Naturally. Alive Records 2014

    Handsome Jack. Everything’s Gonna Be Alright. Alive Records 2018

    11 / 03 / 2019PARIS

    SUPERSONIC

    SOVOX / BEACH BUGS

    MOZES AND THE FIRSTBORN

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    Z'avons le ventre vide, mais nous ne nous inquiétons pas, tout à l'heure nous aurons les oreilles pleines. Z'allons au Supersonic, l'on aime son mur de fond de scène, en briques roses qui me rappellent les murailles de soutènement des jardins suspendus de Babylone. Que j'ai bien connus. En une vie antérieure. Mais je vous raconterai une autre fois, ce soir c'est rock'n'roll.

    SOVOX

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    Sont deux. Sont jeunes. Viennent de Marseille, cité frondeuse. L'un joue des rythmes et l'autre de la sonorité de guitare. L'ensemble est explosif. Vicenzo petit chapeau et gros kit. Debout devant ses machines à boum-boum. Chante aussi. Au début l'on pense que cet attache-micro ombilical va l'handicaper dans ses mouvements. Il n'en est rien. Quand il frappe, il se retranche en son action. Si au début il s'est contenté pour les trois premiers morceaux de rythmes relativement binaires, adoptant pour le premier le mouvement chaloupé des adeptes de la marche nordique, il s'adonnera par la suite à des jeux beaucoup plus complexes. Un peu comme ces profs de math qui vous servent tout le long de leur cours des formules de plus en plus incompréhensibles à part qu'avec Vicenzo la cavalcade vous rentre par la tête avec une facilité déconcertante. Charles est à ses côtés. Fait semblant de jouer de la guitare. En salle de classe il endosserait le rôle du grand dadais à lunettes, le lunatique par excellence perdu dans ses rêveries, vous pourriez croire que les tonitruances de son camarade ne le concernent pas. Le gars qui s'est retrouvé sur scène par hasard, alors pour se donner une contenance il a saisi une guitare qui traînait par là et il fait semblant de s'en servir. Oui mais un consciencieux, un obstiné, cherche la marche à suivre, il suppute, il essaie, il tente, et il trouve. Des trucs extraordinaires. Des cisaillements et des clinquances peu communes. Genre crash de deux voitures lancées à deux cents kilomètres heures qui se rentrent dedans rien que pour le plaisir d'émettre un beau bruit, une catastrophe qui vous arrache les oreilles plus sûrement qu'un sabre de cosaque, après quoi il fait le mec innocent, hien, quoi, comment, que se passe-t-il, je n'ai rien vu, je ne sais pas de quoi vous parlez, l'innocence persécutée par l'injustice, tout juste si vous ne demanderiez pas au tribunal international de l'ONU de se pencher sur son cas, à peine avez-vous tourné le dos que vlang ! Ce coup-ci ce sont deux gros porteurs qui se télescopent en plein ciel et vous assistez en direct à l'écrasement des deux appareils sur le flanc rocailleux d'un massif montagneux. Ce mec-là question guitare il s'est spécialisé en réalisateur de films catastrophes, ne tourne que les scènes choc, pas chics du tout. Une espèce de ferrailleur de génie. Le plus terrible c'est qu'il se prend à son propre jeu, pour les trois premiers morceaux l'a assuré l'a fait le job sans chichi. Sérieusement. Pas les doigts sur la couture du pantalon mais presque. Mais après s'est laissé gagné par la fièvre daimônique, l'artiste emporté par l'éruption créatrice. Le son c'est bien, avec l'image c'est mieux. Alors pour chaque déglingue l'a une espèce de danse sacrée, celle de l'ibis rose qui tournoie brutalement sur lui-même sur une patte juste pour que vous en voyez de toutes les couleurs, ou alors celle du piétinement hargneux du taureau juste avant la charge, ou celle de l'araignée noire qui bondit sur le moucheron égaré dans sa toile. Un zoo sauvage a lui tout seul. Mais pourquoi le filles de l'assistance publique se désintéressent-elles subitement de ce bestiaire apollinarien, c'est que Charles s'est débarrassé de son T-shirt, petit mais musclé, et elles suivent des yeux cette ligne pileuse, pointillés noirs calligraphiés sur la blancheur du torse, comme esquissés par un maître de l'estampe japonaise, qui descend sous le nombril vers des profondeurs suggestivement cachées, nous n'osons écrire hautement convoitées. Et là, Charles emballe sec. Se lance dans la résolution d'équations rythmiques du dix-septième degré. Des répartitions algébriques qu'aujourd'hui dans leurs laboratoires les mathématiciens laissent aux ordinateurs le soin de résoudre, pas Charles, vous déroule les entrailles de l'inconnu sur le tableau blanc de ses peaux de tambours avec la méticulosité de Tante Agathe surveillant ses pots de géraniums sur son balcon. En plus il ne calcule rien, agit d'instinct, trouve dans l'instant même qu'il cherche, donne la réponse en posant la question, et vous suivez ses démonstrations fascinés, ses bras sont comme les cent têtes de l'hydre qui tournoient sans fin pour mieux choisir l'instant crucial où toute ensemble elles vont se jeter d'un même mouvement sur votre pauvre personne. Un malheur ne vient jamais seul. Vicenzo vient, il accourt illico, vous catapulte une giclée métaliffère de tôles ondulantes qui vous découpent en tranches de gigots saignantes. On ne les retient plus, ont décidé de vous azimuter, de vous mater le matin, de vous muter le soir, de vous miter l'existence jusqu'à plus soif. Et l'on aime ce traitement inhumain. A chaque morceau sont applaudis comme un couple de gladiateurs qui vient d'occire ses rivaux et du coup, ils se surpassent sur le titre suivant. Sont portés par le public enthousiaste qui leur offre une ovation digne de leur prestation.

    BEACH BUGS

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    Sont trois. Sont jeunes. Viennent de Limoge pays de paisibles pâturages. Feront moins de bruit que les précédents. Et que les suivants aussi, mais n'anticipons point. Sont le calme dans la tempête. Le répit dans la fureur. Thibaud, Ben et Lucas ne sont pas des foudres du ciel tempétueux. Sont des amateurs de pastorales. Une batterie pénarde qui musarde lentement, de temps en temps l'on appuie sur le temps fort, mais point trop, l'on n'est pas ici pour déclencher l'ire des Dieux. Ici l'on aime les situations idylliques. La petite maison dans la prairie, plus près des campanules et des angéliques que des tracas explosifs du quotidien. Qui dit beach, dit boys, et tout de suite tout s'éclaire. Retour en arrière. Deux guitaristes au look d'étudiant sage qui filent des notes tranquilles et vous harmoniseraient jusqu'aux grilles des prisons. Le rock du temps de l'innocence. Des vocaux à la Pet Sounds, à la Beatles – surtout pas du temps où ils jetaient l'âcreté de leur gourme sur les planches du Star Club à Hambourg – des chansons douces pour les soirées sur la plage autour du feu du bois. C'est mignon tout plein, c'est joli, un peu repos du guerrier qui n'a jamais fait la guerre. Ne se lancent pas dans de longues symphonies, sont adeptes des morceaux courts qui se suivent et se ressemblent. L'on guette le mouton noir du troupeau, mais non il n'y a pas d'erreurs génétiques de la nature, pas de monstre, que de blanches brebis innocentes. Et pas de loup cruel qui sort du bois au dernier instant pour nous faire le plaisir d'en égorger une soixantaine, pour rien, pour la joie de mal faire. Font du surf, mais par temps calme et sur petites vagues. Pas le genre à couler le Titanic ou le Bismarck. Les abordages sans quartier ni prisonniers à la Jolly Roger, ils ne connaissent pas, les mâts de leur navire ne sont pas de ceux qu'un vent penche sur les naufrages Perdus, sans mâts, sans mâts ni fertiles îlots des poèmes de Mallarmé.

    Z'ont leur public et  ne se débrouillent pas trop mal. Quoique en vieux rocker je réflexionne en moi-même que ce qui les distingue de leurs aînés quels que soient les savants errements symphoniques auxquels ils se soient adonnés dans leur carrière, c'est que leurs illustres devanciers avaient quelque part au fond du creux de leurs oreilles le ressac lointain et houleux de ce damned old rock'n'roll qui avait enchanté leur adolescence. Un allant, une attaque, qui subsistait en arrière-fond de leur musique.

    A chacun ses nostalgies fondatrices. Perso j'attends autre chose du rock'n'roll même si tout le monde a le droit de s'exprimer, quoique je préfère la fougue sanglante des conquêtes d'Alexandre au mortifère démocratisme marchandifère athénien. Quittent la scène sous les applaudissements, n'ont pas à rougir, ont consciencieusement joué la musique qu'ils aiment, ce qui est déjà en notre époque d'immense couardise généralisée, un signe de grand courage.

    MOZES AND THE FIRSTBORN

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    Sont quatre. Sont jeunes. Viennent d'Eindhoven, pays de Spinoza. Vont mettre le feu et comme personne ne prendra la peine d'appeler les pompiers, je vous laisse supputer le ravage final. Rien qu'à la manière dont ils se sont installés – mi décontractée, mi-tatillonne – il ne faisait pas de doute que ces gaziers souriants prenaient garde à ce qu'aucun hasard inopportun et maléfique ne s'aventurerait à taper à la porte du set. Premier né mais pas nés de la dernière pluie. Commencent fort, ont réparti la distribution, le public sera l'armée des pharaons et eux tiendront le rôle des flots tsunamiques qui nous engloutiront lors du passage de la Mer Rouge. En un instant ces quatre garçons aux sourires sympathiques se métamorphosent, la batterie de Raven s'effondre sur vous, vous engloutit dans un ravin tumultueux en une dégringolade de tamponnades hallucinantes, Corto doit être gravement malade, vous lâche douze riffs apocalyptiques et subitement pris de démence frotte sa guitare sur l'ampli, à croire qu'il s'est inscrit au plus insupportable larsen du monde, apparemment Ernst est plus sage, joue de la basse sans chichi, mais si vous le suivez des yeux, nul doute qu'il pousse de ses lignes de basse déstabilisantes le Corto au-delà de ses limites, lui fait la Corto-échelle jusqu'aux portes de l'insanité riffique. Avec ses cheveux blonds et son sourire d'ange, Melle attend patiemment, le gars au visage de chérubin qui ne se mêle pas des vilains jeux des garnements, l'attend son heure, qui survient très vite, s'empare du micro, s'approche du bord de la scène, et sa voix creuse qui tombe creuse votre tombe. Entre deux lyrics il danse avec la mine réjouie du guy qui vient d'attacher le bâton de dynamite à la queue du chat, rien que pour le plaisir d'attirer l'attention des filles.

    Voilà, ce n'était que le début. A la fin du troisième morceau Melle prend sa guitare – l'avait laissé négligemment traîné à terre durant l'intro - les choses sérieuses vont pouvoir commencer. Z'ont adopté la technique des écrivains de thriller qui terminent systématiquement chacun de leurs chapitres par un rebondissement inouï qui vous pousse, même à quatre heures du matin, à poursuivre votre lecture pour savoir ce qui va se passer. Z'ont adapté la méthode, Mozes and The Firstborn vous en donne plus, eux c'est à chaque fin de ligne qu'ils vous balancent une bombe nucléaire, sur le coin du museau, vous êtes en apnée sonore, ce n'est pas grave, ce n'est pas une raison pour lâcher le morceau et ne pas les suivre jusqu'au fond de l'enfer. Ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'ils ne sont pas rock à cent pour cent, mettent pas mal de pop dans leur citronnelle à l'arsenic. Mais même avec les rasades de sucre qu'ils ajoutent l'effet reste foudroyant. Je vous désigne le coupable, Corto, l'a le riff composite, au début c'est suavement beau comme la courbe de la gorge dénudée d'une olympienne sculptée par Praxitèle, mais il le termine à la César en compactant une voiture en un terrifiant lingot de ferraille, love tatoué sur une main et hate sur l'autre, à la manière du pasteur psychopathe de La Nuit du Chasseur, une chimère musicale avec queue Beatles et gueule Rolling Stones, la beauté et la hideur, et au milieu du corps un mélange indescriptible, un alliage incertain mais terriblement efficace, de power-chords harmonieux et de hargne punk, pulvérisé en poudre à canon.

    Dans la salle, c'est la chienlit et le lit du chien recouvert de puces tressautantes et pogotantes, un entremêlement de morpions parkinsonniens et de morpionnes surexitées, une couche royale pour Melle qui s'y jette et s'y vautre porté à bout de bras, mais rehaussé sans problème sur la scène comme un chef barbare batave hissé sur le grand pavois de son élection royale. Supersonic en mode supersonique. N'en ont pas fini pour autant. Continuent sur leur lancée victorieuse, les fûts de Raven, torse poil tribal, croassent comme jamais nulle autre batterie n'est parvenue à le faire, Ernst le gaucher au jeu de basse ultra-gauchiste, provocateur en chemise blanche impeccable, Corto instantanément inflammable, et Melle qui squashe son énergie en flammèches ardentes, soulèvent une tempête de protestation lorsqu'ils annoncent le dernier morceau. Sont un peu vidés, mais le public en effervescence réclame un rappel qu'ils termineront à bout de souffle, dans la Rome antique l'on aurait déversé une apothéose de pétales de roses pourpres pour leur sortie de scène, mais nous nous contenterons de leurs '' Merci Paris''. Preuve éclatante et indiscutable que, hormis le rock'n'roll, notre monde est mal fait.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB des artistes )

     

    16 / 03 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    FATIMA / TIGERLEECH

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    Gilets jaunes, Black Blocs, Paris en a vu de toutes les couleurs cette journée, n'y a que les amoureux de la Nature, sages comme des images de premières communions, qui ont oublié que la Grande Mère fonctionne selon une alternance de cycles germinatifs et destructifs. Bref après cette journée agitée une soirée réparatrice à la Comedia s'impose, parce que là tout n'est que calme, luxe et volupté, cette dernière absolument punktéozidale. Ce qui change la donne.

    FATIMA

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    Bien plus intéressant qu'une hypothétique apparition de la Vierge. Eux sont-là, en chair et en os. A portée de main. Sont trois, mais offrent une musique monolithique. Du doom plus noir que la noirceur des temps. Du jais de corbeau, du jus de corbac, aussi sombre que le gouffre des nuits originelles et terminales. Une ambiance, une mer de sargasses sonores qui vous englue les oreilles et vous retient prisonniers jusqu'à la fin du monde. Un raz-de-marée qui monte doucement tout en s'amplifiant violemment et l'on se demande comment ils peuvent parvenir sans faillir à cette apocalypse sonique. Batteur, basse, guitare. Leur secret est des plus simples, jouent ensemble tout en restant parfaitement identifiables en leurs menées individuelles. Une batterie infatigable, les baguettes ne s'attardant jamais, à la recherche perpétuelle de la quadrature des cercles des fûts et des cymbales, l'on ne voit que deux bras levés, telles des ailes de cormorans qui battent sans fin pour échapper à leur gangue mazoutée, l'est au four des roulements et au moulin du concassage. Des gestes de sorcier fou qui prophétise la grande menace à venir. Quant à lui, le bassiste s'est muré dans la tour d'ivoire noire de son immobilité. Transforme sa forme vitale en longues vibrations profondes comme des orgues, la basse est l'élément essentiel du doom, c'est elle qui édifie les bases de la langueur doomique infinie. De vastes vagues d'eau nigrées, toujours recommencées, qui s'en viennent agoniser selon de fracassantes douceurs mystérieuses sur les récifs de basalte des rivages inabordables. Un oiseau de proie qui referme ses serres sur votre âme qui voletait autour de vous et l'emporte vers des confins ignorés.

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    La guitare - étonnante à chaque début de morceau, des clapotements inédits, des ressacs à émietter les rochers, parfois agrémentés d'un vocal, qui très vite est comme oublié, et alors un long solo se fond tel un pont, jeté en travers la distance qui sépare la transe rythmique de la batterie et la pesanteur de la basse plus lourde que vos regrets à ne vivre qu'un semblant de vos rêves évanouis - agit à la manière de ces sels mystérieux dont le secret s'est perdu, et qui dans les opérations alchimiques transformaient le vil plomb en or pur, mais ici aussi noir que l'immensité des voûtes nocturnes dont les étoiles qui brillent n'abolissent point la nuit abyssale.

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    Fatima suscite attention, admiration, et engouement. Le plus terrible c'est la vélocité orchestrale de cette lourdeur aussi pesante que les premiers accords de L'Or du Rhin de Wagner ( écoutez la version de Furtwangler qui vous fait durer plus que tout autre la sourde malédiction ), Fatima c'est la montre de votre vie devenue folle, les aiguilles tournent à toute vitesse et le décompte de vos heures claires et sombres défile si vite que vous pressentez qu'il ne vous restera plus grand chose, et vous restez fasciné, yeux et oreilles fixés sur cette horloge prophétique de votre néant. L'est une pierre lancée dans un puits sans fond qui accroîtrait sa densité minérale tout en accélérant la vélocité de sa chute.

    Vous ont scotché l'assistance, forcé la contemplation, immobilisé les existences, du début à la fin du set. Et lorsqu'ils eurent fini, les remerciements émus et admiratifs fusèrent de tous côtés. Grosse impression.

    ( Dessin de SYLVAIN CNUDE ne correspond pas au concert mais on aime beaucoup ) )

    TIGERLEECH

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    La sangsue du tigre, un peu la mousse verte qui s'attache sur les cadavres. Une espèce de stoner-doom aux multiples ingrédients – chacun recomposera sa formule - qui n'appartient qu'à eux. Ce qui est sûr, c'est que Tigerleech, dégage une énergie peu commune. Musique compacte, sans fioriture, qui allie l'obstination de la sangsue et la férocité du tigre. Sheby surgit d'on ne sait où, s'empare du pied du micro, le tient comme le galérien est accroché à sa rame, entame une étrange danse de saint-guy, toute voûtée, toute cassée, toute désarticulée, et commence à éructer. N'est pas seul, le reste du combo sauvage le suit comme son ombre. Désormais, ils ne formeront plus qu'un. Une entité. Maléfique, est-il besoin de le préciser.

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    D'abord Gabor, grand gaillard en marcel noir à la basse, pas de tatoos pour renforcer la musculature de ses bras, un travailleur de force, l'est accroché à son instrument comme le matelot de quart à la barre. Choisit les routes au plus près des étocs par grands vents sauvages. L'est le responsable de ses volutes noires qui s'échappent du cône explosé des volcans, l'est la queue du tigre qui bat ses flancs en signe d'énergie accumulée juste avant l'attaque foudroyante, à la différence près que Gabor il attaque sans arrêt. Sans réfléchir, mais avec une science consommée des fulgurances infinies. Olivier est aux drums. La pièce essentielle de cette mécanique huilée à la fureur d'ours polaire. Grosse responsabilité, Tigerleech ignore la ligne droite, préfère l'avance par triangulations saccadées. Vous ne savez jamais où ils vont mais vous comprenez qu'il ont décidé d'y aller par le chemin le plus escarpé. Zadorent les z'angles z'aigus. En sont presque déconcertants, vous les imaginez par ici, pas de chance sont passés par là-bas. Mais progressent si rapidement qu'ils vous emportent avec eux, vous prennent sous le bras et vous vous laissez emmener les yeux bandés.

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    Bien sûr qu'ils ont un guitariste. Un chapeau sur la tête et pas manchot frigorifié sur la banquise. Au début ne s'est pas mal remué – ces gens-là n'ont manifestement pas eu la malchance d'avoir des mamans qui tout-petits leur intimaient l'ordre de se tenir tranquilles – mais bientôt s'est concentré sur ses doigts, et vu ce qu'il leur faisait faire, l'on en a déduit que dans sa tête devait y avoir un sacré remue-ménage de méninges survoltées – le genre de gars qui n'a pas de problèmes pour faire coïncider ses deux hémisphères, l'a épousé tous les soubresauts de la section rythmique, nous a donné des soli en forme d'épines de hérissons, sommets et dépressions scrupuleusement suivis du bout du médiator, le seul médicament qui vous fasse du bien.

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    Faut tout de même revenir à Sheby. Parce que voyez-vous dans la nuit tous les tigres sont ( avec ou sans supplément de sangsues ) gris. Alors ils ouvrent les yeux, pour vous avertir que vous êtes en danger. Rien de plus désagréable que d'être surpris par un ennemi invisible. C'est pour cela que Tigerleech a adopté la tactique Sheby. Frontman devant, pendant ce temps, derrière, à l'aise, peuvent casser tout ce qu'ils veulent – et ils ne s'en privent pas, de préférence les coffre-forts à la dynamite plutôt que les assiettes à soupe en scènes de ménage - Shegy le charismatique ne reste pas une seconde immobile, l'en arrive à entortiller le fil du micro autour du rappel comme s'il ligotait un malheureux explorateur au poteau de torture, l'on se demande comment et pourquoi en maternelle son institutrice a omis de le calmer définitivement avec le fusil de chasse de son mari chargé à chevrotines – quoi qu'il en soit nous devons désormais faire avec, et le diable me pardonne, il sait y faire. D'abord il ne chante pas. L'est plus malin que cela, l'a transformé sa voix puissante en quatrième instrument qui s'amalgame totalement à la lave brûlante servie par ses trois camarades, n'est pas le torero en habit de lumière qui joue des castagnettes devant les filles qui mouillent la culotte pendant que les picadors se chargent d'assommer la bête furieuse, l'est un warrior au même titre que les autres, tous ensemble, tous ensemble ils plongent leurs glaive dans le ventre du monstre, lui se permet la fantaisie de lécher la lame sanglante d'une langue experte et de nous communiquer oralement le résultat de son analyse viscérale.

    Le gore-rock de Tigerleech a toutefois des effets indésirables que la vérité historique nous interdit de taire, au bout d'un certain temps d'exposition les filles se transforment en groupies hystériques et l'agitation gagne même les garçons qui se lancent dans une espèce de twist-punk d'un genre nouveau dont le bacille n'a pas été encore identifié. Les sangsues du tigre sont merveilleusement au point. Tous exacts au rende-vous de la prochaine dissociation rythmique, et tous unis pour aborder les ponts de lianes aux planches vermoulues avec en bas les crocodiles qui attendent la gueule ouverte. Une merveilleuse chasse-à-coure, qui ravira les amis des bêtes puisque c'est le tigre qui poursuit les chasseurs. Super film d'actions aux multiples rebondissements, mais dont vous préférez la bande-son. Un set classieux et brutal. Certains prétendent que c'est juste du rock'n'roll. Ca tombe bien, on aime ça.

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Tigerleech )

     

    J'ai fait un peu de rangement et je suis tombé sur, en fait c'est la pile de CD qui est tombée toute seule, l'a dégringolé sans rien me demander, cela m'a semblé bizarre, je n'ai pas mis longtemps à identifier les coupables, un groupe de rondelles espagnoles à pochettes noires. Je l'aurais parié, rien de pire que les anarchistes pour mettre le désordre. Employons les mots qui fâchent, pour foutre le bordel. Des bibelots-molotov que j'avais rapportés d'un séjour dans les quartiers chauds de Barcelone.

    Nécessité de Lutter, rien que le nom du groupe est déjà un programme à lui tout seul. C'est aussi le titre de leur premier album, le deuxième emprunte à la même poésie La Guerra Social es Inevitable, le troisième est du même tonneau : Adictos a la Revuelta, nos jeunes gens ont décidément de la suite dans les idées ( noires ). Le dernier publié en 2010 a été précédé de huit titres sur un album nommé Split sur lequel le groupe Inugami en a déposé quinze. L'existe aussi deux compilations. D'après leur FB en déshérence on peut en déduire que la combo a cessé ses activités en 2017... Raison de plus pour les écouter. D'autant plus qu'ils nous préviennent au dos de la pochette : La Anarquia Es Inevitable. Autant savoir à quelle sauce nous allons être mangés.

     

    EL COLAPSO ES INMINENTE

    NECESIDAD DE LUCHAR

    ( Auto-production / 2010 )

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    Fanny : basse / Nacho : vocal: / Richy : guitare / Jorge : batterie.

     

    Intro : l'on s'attendrait à une tempête, mais non juste une vaguelette qui se déploie doucettement, survient bientôt une belle musique qui prend de l'ampleur sans être alarmante, un lever de rideau qui s'éparpille en gouttelettes et qui finit par s'éteindre brusquement, comme si le souvenir des jours paisibles n'était plus d'actualité. El colapso es inminente : alors que je m'apprêtais à chroniquer le disque, une émission radio en direct du Salon du Livre évoque le collapsus que tout le monde redoute. L'est plus souvent défini en tant qu'effondrement de la civilisation planétaire. Entrée de guitares grondantes et batterie catasplasmée, mais tout de suite le texte prend le dessus, l'est crié à la manière de slogans avec entonnements répétitifs en guise de refrains et appuis de voix en chœur. Le rythme s'accélère mais les paroles restent distinctes, s'agit d'un punk propagandiste qui se termine sur un hurlement de douleur. Autos de fe : sur un rythme beaucoup plus rapide, vocal toujours prépondérant. L'on change quelque peu de sujet. Le juron final Me Cago En Dios vous en indique la teneur. L'Espagne porte une lourde hérédité inquisitoriale question religion. Maintenant comme avant, vous finirez en croix sur la place publique. Méfiez-vous, les murs ont des oreilles, ne vous découvrez pas, vous feriez partie des victimes. Chiez sur tous les Dieux qui se présentent. Ils vous abandonneront à la première escarmouche.

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    Mis suenos : des rêves qui ne sont pas innocents, ceux d'une révolution nécessaire, sans rage et confrontation vos doux désirs d'espoir et d'amour resteront lettres mortes. Transformez votre apathie et votre découragement en lutte révolutionnaire. Le rythme est un tantinet plus lent mais le vocal s'attarde sur les mots, ceci en début de morceau car bientôt la batterie impose un rythme soutenu, la guitare brûle ( comme une banque sur les Champs-Elysées ), intonation vocale et background se font lyriques. Al encuentro : longue intro de guitare bourdonnante – la musique reprend ses droits – la batterie danse le scalp et la voix vocifère. Malgré tous les obstacles, il est nécessaire de forcer le passage – rythme quasi militaire – et la décision de poursuivre jusqu'au bout, l'action sera au début du monde nouveau. Mas alla del horizonte : vent violent, guitare fuzzante, batterie hachante, critique des masses – les anarchistes sont aux antipodes des théories maoïstes – plus loin que l'horizon, s'agit de dépasser l'inertie des multitudes d'esclaves qui aspirent aux poignes des chefs et des maîtres. Bréviaire de l'anarchisme individualiste. Hoy es el dia : l'autre face de l'anarchisme stirnérien, la libre association des groupes de combat affinitaires. Sur le livret le texte du morceau est illustré par le logo du groupe, l'A cerclé – l'arobase anarchiste – entrecroisé avec deux poignards. Mots et sigle sans équivoque. Accompagnement musical violent de la même teneur que les lyrics.

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    Rios contaminados : apocalypse pollutive, l'écologie de NDL est aussi noire et désespérée que leur drapeau. Ne sont pas de doux rêveurs, guitares et musiques vous racontent votre prochain futur. Votre mort est certaine. Mers de plastiques, rivières empoisonnées, et pluies acides auront raison de vous définitivement. La guitare fonce vers cet avenir comme un bolide qui a envie de s'écraser contre un mur de granit. Vous êtes sûrs qu'il n'y aura pas de survivants. Apparencia : ne croyez en rien, votre univers n'est que du toc, suivez votre propre chemin, soumettez toute production intellectuelle à la critique, même la vôtre, car le collectif dépasse l'individuel. Il n'y a qu'une règle qui doit dicter votre conduite : la mesure de l'écart qui existe entre votre idée et vos actes. Que ceux-ci soient en conformité. Derrière la voix, le combo s'enflamme, les rythmes perdent leur simplicité comminatoire, l'on ne verse pas non plus dans les subtilités du prog, mais les instrus explorent leurs possibilités. El aullido del lobo : l'homme est un loup pour l'homme, alors hurle à la lune comme le loup esseulé, les tiens se sont emparés de la tanière familiale et mondiale, la défendent en se prévalant du droit de propriété. Alors cours à l'attaque. Laisse la propriété, reprends ton droit. La voix prend des accentuations de mégaphone, une guitare flambe dans le soleil rouge du matin, Fanny hurle dans le lointain comme une louve qui aguerrit ses petits pour la lutte finale, la batterie sonne la charge insurrectionnelle. Junto a la manada : un petit d'homme sort du ventre de sa mère. Le monde semble être en suspend. Reste à lui apprendre à vivre, à se défendre et à attaquer. La guitare fuse comme un engin spatial lancé dans les confins inconnus. Urgence vocale, l'éducation est un passage du témoin de la lutte inter-générationnelle. Les chats noirs n'accouchent pas de chiens policiers. Outro : reprise de l'intro à croire que le cauchemar s'est arrêté que les jours nouveaux sont arrivés. Que l'abominable parenthèse des temps morts est achevée.

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    Ce punk militant, peut gêner ou déplaire. En tout cas on ne peut lui reprocher de se cacher derrière des vocaux en anglais mâchonnés du fond d'une gorge embrumée de glaviots. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clairement, dixit Boileau poète-courtisan qui vivait de faveurs royales... Et ce sont des anarchistes espagnols qui suivent cet enseignement de l'idéal classique français ! Certains objecteront que de telles directives ânonnées trop distinctement induisent une régulation de la musique obligée de coller à la simplicité sloganique. Les deux premiers morceaux cèdent à ce défaut mais l'instrumentation acquiert par la suite une liberté et une indépendance non négligeables.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 390 : KR'TNT ! 410 : JOHN DWYER / LAUGHING HYENAS / SOLITARIS / NAKHT / GRAVITY / CAB CALLOWAY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 410

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    14 / 03 / 2019

     

    JOHN DWYER / LAUGHING HYENAS

    SOLITARIS / NAKHT / GRAVITY

    CAB CALLOWAY

     

    I can see Oh Sees (for miles and miles)

    - Part Two

     

    C’est Stevie Chick qui s’y colle dans Mojo : six belles pages sur John Dwyer et ses mighty Oh Sees, héritiers du grand Frisco Sound, et certainement l’un des groupes les plus passionnants des temps modernes. Il est indispensable de les voir sur scène. See thee Oh Sees and die, c’est-à-dire voir les Oh Sees et mourir. Ils valent largement Rome. Stevie Chick les traite de most blazing live rock’n’roll band. C’est criant de vérité. On ne ressort pas indemne d’un show des Oh Sees.

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    Pas plus qu’on ne sort indemne de leurs dix-neuf albums enregistrés en vingt ans. Chick rappelle que ça a commencé avec des lo-fi experiments et que ça a muté en overdriven Nuggets-esque garage rock mayhem, pour finir en proggish punk-psych avec Orc, paru l’an passé. On pourrait même parler de far out so far out schtroumphé à sec. John Dwyer s’amuse avec les idées de son, il joue «The Static God» en flux tendu, il fabrique du cumulus d’exaction somatique, un authentique tagada teutonique. Ce mec ne tient pas en place. Il joue le rock avec son cerveau. On le voit passer au heavy groove de sludge avec «Animated Violence». Il y raconte l’histoire du warrior à la Corben qu’on voit sur la pochette. Quand on passe sur l’autre versant du disk 1, on part aussitôt en voyage avec «Keys To The Castle». C’est une belle virée à travers des paysages variés et richement colorés, selon le vieux principe du prog éculé par tant d’abus. Ça passe, car il s’agit de John Dwyer, mais il est bien évident qu’on n’accepterait pas ça d’un autre zigoto. S’ensuit «Jettisoned», admirable groove d’élégance intrinsèque. La basse gronde bien sous la peau du groove. John Dwyer chante ça du doux de la glotte - Who likes sugar in their coffin/ The underground is twice as nice - et il explose le concept guitaristique de la guitare senventies. C’est là où ce mec est très fort. Il joue avec les concepts soniques comme le chat avec la souris. D’autres jolies choses guettent le musardeur impénitent en C, comme par exemple «Cavader Dog», où il se prend pour Monster Magnet - I hear a whistle/ It comes from the sky/ So run & hide your family - Il joue le heavy sludge d’apothicaire. Comme il veut jouer le jeu du prog jusqu’au bout, il nous colle un solo de batterie en D. Ce n’est pas l’envie qui manque de le traiter de pauvre con.

    Les Oh Sees sont si bons qu’ils sont devenus un phénomène. Ils ont tout bêtement réussi à ressusciter la scène de Frisco, une scène qui fut jadis si révolutionnaire. Ty Segall sort directement de ce vivier. Kelley Stoltz aussi. Sur Castle Face, le label de John Dwyer, on trouve d’autres luminaries underground comme Male Gaze, Feral Ohms ou les Flatworms. D’ailleurs, Chick a beaucoup de chance de rencontrer un John Dwyer qui ne donne généralement pas d’interviews. Il préfère se concentrer sur les concerts, lorsqu’il est en tournée et sur Castle Face, lorsqu’il ne l’est pas. John Dwyer est réputé pour son enthousiasme élégiaque, comme d’ailleurs Henry Rollins. John explique qu’il ne poursuit qu’un seul but dans la vie : ne pas avoir à se lever tôt le matin pour aller bosser. Il raconte que son beau-père le réveillait à quatre heures du matin pour l’emmener faire le ménage dans des banques. Ce n’était pas dû à la pauvreté, mais le beau-père avait deux boulots pour se faire plus de blé. Maintenant, John se lève quand il veut - I wake up whenever the fuck I want.

    Comme HP Lovecraft, John Dwyer a grandi à Providence, Rhode Island. C’est pour ça qu’il est un peu chtulhuté du bobinard. Ado, il était assez mal barré car il écoutait Slayer et Anthrax, mais le Monster Movie de Can l’a remis sur le droit chemin. C’est Can qui lui donne envie de jouer. Et comme on l’a vu dans le Part One, les clins d’œil à Can pullulent sur les albums des Oh Sees. Quand il s’installe à Frisco, il joue dans une multitude de groupes, dont Sword And Sandals, Pink And Brown et les avant-pranksters Hospitals. Et bien sûr les Coachwhips, qui finissent par entrer dans le rond du projecteur garage. John Dwyer précise que le groupe était driven by amphetamines and drink, but in a weirdly wholesome way, oui d’une façon étrangement créative, une formule qui pourrait aussi définir le style des Oh Sees. Les Coachwhips allaient trop loin et il arrivait à John Dwyer de tomber dans les pommes sur scène - I just got burned out on being too loud - Il jouait beaucoup trop fort. Ah cette façon qu’ont les Californiens de toujours vouloir en faire trop ! John Dwyer jouait alors la carte extrémiste, comme le faisait Lemmy en Angleterre. Il suffit d’écouter les cinq albums des Coachwhips pour comprendre ce que Dwyer entend par extrême. Get Yer Body Next Ta Mine paraît en 2002 sur un petit label local et n’a donc aucune chance. Ni au plan distributif, ni au plan artistique. John Dwyer fait tout ce qu’il faut pour se faire haïr par les oreilles. C’est un parti-pris. Il se montre en plus d’une grande indigence compositale. Il annonce vite fait ses titres, one two three four et ça trashe dans la cuvette. Il nous coule un de ces bronzes ! C’est hot ! Il joue même des atonalités sur sa SG. Surchauffe garantie. Question trash, on est servi. Il bat tous les records. Son «Tonight The Night» ne doit rien à Patti Smith. Il s’amuse tout seul. Et il s’amuse bien. C’est le principal. On le voit partir dans ses petites combines. Il ne reste plus grand monde dans la salle. Ah pour bombarder, il bombarde. Il trashe systématiquement tous ses cuts jusqu’à l’os de la mortadelle. Et soudain, voilà «UFO Please Take Her Home», avec des appels d’accords superbes. Il frappe son beat à coups de bâton de pèlerin. Il s’amuse avec les dynamiques et rappelle son couplet à l’ordre. Il ne baisse jamais les bras. On le sent dévoué à son art. Avec «Couldn’t Find Love», il nous propose sa version du garage moderne. Il sort tout le tremblement : l’orgasme, les accords, les solos flash, la carte de France, tout ! Et il enchaîne avec un «Nite Fight» terrible, embarqué au beat surexcité. C’est vrai hit de fight, John Dwyer donne toute la mesure de sa violence. Il fait de l’art sur mesure, au millimètre près. On lui dit : tu pars à l’envers (sur «My Baby I Killed Her»), il repart à l’endroit. Yeah ! Il atteint le summum du trash, ce summum réservé à quelques élus. En fait, tout est parfaitement cadré, même si les cuts semblent dévolus au trashbin. John Dwyer tire tout son trash au cordeau, il est exceptionnel de ponctualité et de célérité. Il noie même tout dans des nappes. Il termine cet étrange album avec le morceau titre et le tape au heavy sludge dwyerien. Il se prend pour Albert King. C’est bien vu. Ce qu’il joue à la guitare n’est jamais gratuit. Dwyer just do it. Il sait allumer la gueule d’un cut, en jouant les petits blacks en culottes courtes.

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    La même année paraît Hands On The Controls. Pour illustrer le concept, il met les pieds dans la pizza. Enfin ça ressemble à une pizza. Ou une paella. On ne sait pas trop ce que c’est. En tous les cas, il joue avec une énergie du diable. Il sur-blaste. Il fait de l’Action Art, et pas du rock. On le voit passer un killer solo flash d’ultra trash boom uh-uh dans «Ok Next Day» et puis il enchaîne deux monuments dignes du marteau-pilon des forges du Creusot : «Look Into My Eyes When I Come» et «Wheelchair». John Dwyer se livre à un badaboum d’exaction paramilitaire. Il n’existe rien d’aussi destructeur ici bas. Plus loin, il passe le rock sixties de «Cary» à la moulinette. Et avec «Yeah yeah yeah», il scie bien la branche sur laquelle il est assis. John Dwyer est un jusqu’au-boutiste, et il ne faut pas le perdre de vue. Il gave ses cuts d’énergie, il dwyerise tout, on le voit même faire de la powerhouse sixties dans «By The Way».

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    Un loup blanc des steppes et un mouton noir s’embrassent sur la pochette de Bangers Vs Fuckers paru l’année suivante. C’est encore un album de blast, comme l’étaient ceux de Motörhead à l’âge d’or. On est tout de suite subjugué par la violence du son. Quelle fabuleuse tartine de crève-cœur ! On a même l’impression que John Dwyer surpasse Motörhead. «Extinguish Me» bat tous les records, c’est un shoot de non-retour, tout est poussé à l’extrême. Il monte la violence de son delta punk en épingle. Defeaning, comme dirait Liza Minnelli. Personne ne peut tenir dans la fournaise de «Dancefloor Bathroom» et encore moins dans celle d’«I Drank What». Shoot de shit délibéré. Il n’existe rien de plus blasté sur cette terre qu’«Evil Son». John Dwyer est perdu pour la cause. «(Harlow’s) Muscle Of Love» sonne comme du mauvais punk mais Dwyer pulse sa purée à jets continus. Tout est dans le rouge, comme dirait Larry Hardy.

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    Avec Peanut Butter And Jelly Live At The Ginger Minge, John Dwyer semble encore monter d’un cran dans l’excès. Ce quatrième album est une belle collection de blasters impénitents, à commencer par «I Made A Bomb», une espèce de blast définitif qui paraît insurpassable. C’est à la fois puissant et violent. John Dwyer semble dominer le monde. À ce niveau d’exaction, le langage n’est plus d’aucun secours. On sent que le son californien a évolué depuis l’Airplane et les Beach Boys. Avec «Ya No Ya Wanna», John Dwyer propose un rock hirsute, mais extrême, il blaste jusqu’à plus soif et il passe au heavy blues avec «What Do They Eat». Mais devant une telle horreur, le heavy blues se carapate. Ce mec est atrocement bon, il blaste tout sur son passage, il écrase les cars de CRS comme des mégots et renverse les pouvoirs. Quelle fantastique liberté de ton ! Il joue au pur blast d’excellence dévastatoire. Il crée son monde. Il termine cet album inqualifiable avec «Your Party Will Be A Great Success», un cut assez heavy et bien accueilli. Du grand Dwyer. Cette belle démesure de heavyness est bienvenue dans le sein de l’église du Seigneur père des hommes. Alors John Dwyer fait couiner sa vieille SG, il connaît bien les secrets de la bête à cornes, inutile de lui raconter des histoires, il n’est pas né de la dernière pluie, il connaît l’envers du paradis comme sa poche et adore rissoler à la broche dans le brasier crépitant des décibels. Chaque fois qu’on l’écoute, on a les oreilles qui sifflent. Ce mec-là fait tout ce qu’il faut pour nous importuner.

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    Il semble que le Double Death paru en 2006 soit l’album ultime. John Dwyer monte encore d’un cran dans la violence du son. Cet album est sans doute le plus violent de l’histoire du rock, et ça reste du rock parce qu’il s’agit de John Dwyer. Il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie. Cet homme se donne les moyens de sa vision et pour lui, «Mr Hyde» doit sonner ainsi, cisaillé à l’extrême brutalité sonique. Ils jouent tous les trois tellement fort qu’ils couvrent parfois la voix de John Dwyer. «Prisoner 119» bat tous les records de blast et après un faut départ, Dwyer remet «I Don’t Need You» sur les rails : Go ! Avec lui, il faut que tout s’écroule et ça s’écroule. On le sent complètement barré dans «ATM», il va bien au-delà du cap de Bonne Espérance. Il explose «We Are In Love» et atteint à une sorte de génie atomique. Il échappe à tout, et même à la gravité. Il donne chaque fois le top départ de ses petites apocalypses, et il n’existe rien de plus trash ici bas que «Hands On». Il y extermine le garage punk. Il nous ramone «Hey Fanny» d’entrée de jeu, il claque du riff à la folie, il crée son monde en permanence, tout est très moderne et très brut de fonderie. On aurait tendance à croire qu’il fait n’importe quoi. Mais non, c’est tout le contraire ! Encore une fois, John Dwyer joue avec son cerveau : «Brains Out», justement, one two three four, ultime blast furnace, non, il n’y a plus rien au dessus, c’est hurlé dans le rouge, on a là le génie blast à l’état le plus pur. Avec «Ringing The Cowbell», on assiste à une vraie dégringolade d’absolue dévastation, ce mec joue sa santé mentale à chaque cut, sa voix se fond dans la matière sonique en fusion, c’est d’une brutalité artistique hors du temps et des modes, il semble sculpter dans la masse vibrante cette violence extrême. En donnant libre cours à sa folie, John Dwyer montre l’ampleur de son génie. Il n’existe rien de plus dépavé au plan sonique que «Fight With My Heart». John Dwyer y dépasse toutes les limites, même celles dont on ignorait jusque-là l’existence. On se perd avec lui dans les Sargasses du blast et cet album n’en finit plus de cracher de nouvelles œuvres d’art extrême, comme cet «I Don’t Know», il y passe carrément les Them à la moulinette. Voilà bien le pire garage de l’univers, la purée est là, comme claquée dans le mur avec la pire des violences intentionnelles. Tout ici n’est plus que collision d’exaction monothéiste.

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    Le yin du ear-aching yang des Coachwhips s’appelle Orinoka Crash Suite, plus connu sous le nom d’OCS, un duo que monte John Dwyer en 2005 avec Patrick Mullins. Après la l’ultra-pétaudière des Coachwhips, Dwyer passe à un subtil mélange de broken folk et de subterranean drones. C’est là que Brigid Dawson fait son entrée. Elle adore le quiet band et le beautiful guitar sound de John. OCS est toujours en activité, comme le montre Memory Of A Cut Off Head paru en 2017. Alors si on aime le soft rock chanté à deux voix, on se régale. Dans le cas contraire, on s’emmerde comme un rat mort, pour reprendre l’élégante formule du Professeur Choron. On voit Brigid et John se lancer dans l’exercice d’un folk-rock confidentiel qu’on dirait chuchoté au coin de Castle Face. C’est tout de même étonnant de la part d’un vieux Coachwhip qui worshippait tant l’hyper-blast. En plus il faut s’armer de patience, car c’est un double album. On croise en B un groove qui se laisse écouter, mais qui ne provoque aucune réaction. John nous la joue douce, au c’mon c’mon. Il tape même dans l’extrême délicatesse avec «Neighbor To None» et Brigid ramène son suave filet de voix ici et là. Et puis soudain, c’est la surprise : John joue «The Chopping Block» sur les accords de «Space Oddity». Curieuse osmose. Il gratte les vieux accords de Ziggy et soliloque - I thought I heard a distant brash - Oui, il a entendu aboyer dans l’espace. Serait-ce Major Tom devenu fou ? Il cultive à son tour l’intense mélancolie de la perdition. Et comme si tout cela ne suffisait pas, Brigid se prend ensuite pour Nico dans «Time Turner». C’est comme on dit la face des pastiches, et non le gang des postiches.

    Mais OCS ne sera qu’un très court répit. L’appel du mayhem est le plus fort. En 2006, OCS se métamorphose en Thee Oh Sees. John Dwyer revient alors à ses premières amours, le drum-heavy psych-punk et les éboulis de wild guitar. Après avoir essayé de bosser avec un label indé, il décide de monter Castle Face pour avoir la paix. Il bosse avec des gens qu’il aime bien comme White Fence, The Fresh & Onlys et produit le premier album de Ty Segall. Un Segall qui lui reste infiniment reconnaissant de lui avoir épargné le music-industry bullshit. Avec le temps, les concerts des Oh Sees sont devenus violents et incontrôlables. Et comme John Dwyer semble avoir déjà tout essayé, il improvise de plus en plus. Sans doute est-ce aussi l’âge, pense-t-il à voix haute. Chick qui l’adore le qualifie de punk rock Popeye, sous son mop of hair. Tous ses amis pensent qu’il va commencer à ralentir avec l’âge - 43 balais - mais on, il annonce au contraire qu’il va écraser le champignon. Il indique aussi qu’il réduit sa conso d’alcool car la gueule de bois du matin ne l’amuse plus, mais il fume encore des tonnes d’herbe en studio - Because it keeps me from being a total asshole probably - Sacré John Dwyer !

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    Retour aux affaires sérieuses avec Smote Reverser et une pochette qu’on dirait taillée sur mesure pour Monster Magnet. Dans la presse, les critiques s’empressent de qualifier le son de wild psychedelia, mais la dominante reste bien Can, notamment dans «Beat Quest» qu’on trouve au bout de la D. Les Oh Sees renouent avec le long groove processionnaire dont ils se sont fait une spécialité. Ils se trouvent très exactement au dessus de Babaluma. Quels merveilleux acteurs de la longévité underground ! Ils vont aussi chercher le groove de Can dans le «Sentient Oona» d’ouverture de bal d’A. Avec «Anthemic Aggressor», ils mettent la pression du jazz-rock. John Dwyer y passe des solos excédés, comme le veut la loi du genre. Il s’amuse comme un gosse dans cette grosse mélasse bien secouée de la paillasse. Tout aussi ambiancier, voici «Nail House Needle Boys». Les vertus du Dwyer system s’imposent : créativité à tout crin et énergie virulente. Lui et Ty Segall ont tout simplement décidé de vivre libres dans le monde du rock. Alors tout est permis, comme de passer au shuffle d’orgue dans «Enrique El Cobrador». Le cut bascule littéralement dans la musicalité à outrance. Il semble que la seule chose qui puisse intéresser ces mecs, c’est de jouer. Alors ils montent des plans pour jouer, et ils jouent vite, très vite, car la vie est courte. Ils se hâtent de jouer et filent ventre à terre. John Dwyer n’a plus alors qu’à glisser des petits solos instinctifs dans le fracas de la cavalcade. Et puis soudain, voilà qu’arrive un cut nommé «C». On sent chez ces mecs une sorte de facilité à se jouer des lenteurs administratives. Ce «C» ne peut que plaire au petit peuple. John Dwyer le glisse entre les cuisses d’Hermaphrodite, la bonne du Péloponèse qui travaille chez Monsieur Stéphane Coup-de-Dé, domicilié aux mardis de la rue de Rome. On voit aussi les mighty Oh Sees se fourvoyer dans ce heavy psyché qu’illustre la pochette avec un morceau qui s’appelle «The Last Peace». Le cut met un temps fou à se réveiller et soudain le son jaillit comme un geyser. John Dwyer ne se refuse aucune giclée, aucune démesure, il ne vit que pour l’ampleur de sa volonté de procréation, il ne pense qu’à se jeter dans la mêlée et dans les bras de la vie, toute son énergie rejaillit dans le cœur vivant de cette Last Peace. Ce mec joue au petit jeu de l’extravagance comme d’autres jouent contre joue. On le voit ensuite délier un nouveau shoot de psyché avec «Moon Bog». Nouvel exercice de style hors du temps, d’une beauté sculpturale, il laisse la vie s’écouler à travers son corps. C’est une démarche très personnelle, bien sentie, une décision bien pesée. Il pourrait jouer sans jamais créer d’ennui. D’ailleurs, c’est ce qu’il fait.

    Signé : Cazengler, Oh sick

    Coachwhips. Get Yer Body Next Ta Mine. Show And Tell Recordings 2002

    Coachwhips. Hands On The Controls. Black Apple Records 2002

    Coachwhips. Bangers Vs Fuckers. Namak Records 2003

    Coachwhips. Peanut Butter And Jelly Live At The Ginger Minge. Namak Records 2005

    Coachwhips. Double Death. Namak Records 2006

    Oh Sees. Orc. Castle Face 2017

    Oh Sees. Smote Reverser. Castle Face 2018

    OCS. Memory Of A Cut Off Head. Castle Face 2017

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    Stevie Chick. Psych Ops. Mojo # 297 - August 2018

     

    La rigolade des Laughing Hyenas

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    Avec le nom qu’ils portent, on pourrait croire les Laughing Hyenas installés dans le désert. Mais non, ces quatre candidats au chaos demeurent à Ann Arbor, Michigan, charmante localité connue pour avoir abrité au temps jadis le MC5 et les Stooges. Deuxième point fondamental concernant les Laughing Hyenas : ces gens-là ne rigolent pas, contrairement à ce que voudrait nous faire croire leur nom de groupe. Ils penchent plus pour le côté sombre, voire désespéré des choses de la vie. Leur musique coupe la chique à l’espoir et s’interdit d’aller bien. Par la qualité de leur malaise, on pourrait les comparer aux Chrome Cranks, car ils aspirent aux mêmes torpeurs. Ils dégagent la même ambiance de catacombes.

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    Dès Come Down To The Merry Go Round paru en 1987, on constate que ça va mal. Mais vraiment mal. Le «Stain» d’ouverture de bal d’A bat tous les records d’insanité - Come and be my one and only - John Brannon hurle comme un emmuré vivant, il rugit comme un lion qui fait yeah - Stain the walls with love - Quel numéro de cirque ! On peut même dire qu’il hurle comme un démon qui serait devenu fou, comme si c’était possible. On ne peut qu’admirer la superbe dynamique de leur enfer gothique. L’insanité continue de sévir avec «Hell’s Kitchen». Au moins, avec ce genre de titre, on sait où on va - You better check the menu/ Wouahhhhhhh/ Something’s burning/ And I think it’s love - John Brannon est déchaîné, il délire complètement - Popeye the sailor man/ Goodbye - Et ça continue comme ça avec «That Girl», chanté à la pire désespérance qui soit ici bas. Brannon sonne parfois comme Jim Morrison - Now there’s too many people/ Telling me I’ve gone wrong - Mais tout ça va connaître une apogée en B avec «Gabriel», un véritable sommet du trash, dans la forme comme dans le fond - I woke up this morning/ And I had a vision/ I was a junkie gunslinger/ Shooting on the range/ And a one way ticket/ Straight to hell - Tout est dit, ils tapent là dans l’ultra-trash, John Brannon hurle tout ce qu’il peut hurler - Gabriel/ Help me understand/ Release my mind from this/ Gabriel/ Won’t you blow that horn - Rarement on entendit à l’époque homme hurler de la sorte. John Brannon atteignait les cimes du scream.

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    S’ensuit You Can’t Pray A Lie, deux ans plus tard. Dès «Love’s My Only Crime», on comprend que ça ne va pas s’arranger, oh no no no no. On voit Larissa Kirkland jouer avec la guitare sur les genoux. Si on chope des vidéos du groupe sur YouTube, on la verra même faire la danse du scalp avec une clope au bec. Cette fabuleuse poulette va mourir un peu plus tard d’une overdose en Floride. Mais en attendant, elle joue et John Brannon screame comme s’il brûlait vif sur un bûcher de l’Inquisition. Quelle équipe ! Ils font tous leur truc à la vie à la mort. Chez les Hyenas, il n’existe pas de demi-mesure, oh no no no no. Le «Sister» qui ouvre le bal de la B s’ancre lui aussi dans le chaos sonique absolu. Ils ne voudront jamais revenir au calme. Jamais. John Brannon ne plaisante pas. «Black Eyed Susan» se veut sur-puissant, harassé par le beat et harcelé par le jeu stressant de Larissa Kirkland. On voit aussi John Brannon screamer son ass off dans «Lullaby And Goodnight». Il est complètement out of it, out of his mind - Very Heyna - Mais si on réfléchit bien, on constate que tous les cuts de l’album sont construits sur le même modèle. On comprend alors que ce groupe ne pouvait pas durer éternellement. Ça reste intéressant au niveau des intensités caractérielles, mais ça tourne un peu en rond au niveau structurel.

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    Pas de changement avec Life Of Crime, paru l’année suivante. Les Laughing Hyenas renouent avec l’exaspération pathologique dès l’«Everything I Want» d’ouverture de bal. Ils s’ancrent dans le heavy sludge d’Ann Arbor. John Brannon hurle comme un chef de guerre ivre de rage et de mauvais vin. Cocktail d’autant plus capiteux que Larissa Kirkland vitriole le son à coups d’arpèges et que la basse buzze dans la fumée. «Let It Burn» porte bien son nom, c’est enragé jusqu’au bout des ongles. John Brannon chante avec une niaque inégalée. On continue de tourner en rond en B avec «Here We Go Again». Ce diable de John Brannon se jette dans la balance - Here we go again/ I said goooo - Chaque cut ressemble à un saut de carpe. «Wild Heart» est une sorte de carpe encore vivante qui voudrait échapper à la bassine d’huile bouillante. Cette façon qu’il a de screamer wild heart n’appartient qu’à lui.

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    Leur dernier album Hard Times sera donc la cerise sur le gâteau. Pochette et disk denses et ce dès «Just Can’t Win», fantastique dégelée de big heavy sound. John Brannon chevauche la chimère du rock comme un seigneur de l’An Mil, bardé d’acier et de bravado. Il wooahhtte comme un beau diable, pendant que Larissa Kirkland balaye la surface de la terre à coups de rafales soniques. On a tout dans ce cut : le pain, le vin et le boursin. C’est l’archétype du prototype de l’artefact de l’état de fait. Ce fantastique John Brannon chante ensuite son morceau titre à la force du poignet et plonge le rock dans un abîme de désespérance. Il rugit plus qu’il ne chante. Il roame son moan. Ici, tout n’est que deep atmospherix. Oh on peut aussi aller jeter un coup d’œil en B, mais on n’y trouvera rien de nouveau. Sans doute est-ce la raison pour laquelle ça n’a pas marché. Tous les cuts sont traités sur le modèle heavy dark atmosphérix et plongés dans un bain de noirceur tempéramentale, même si ça reste très rock dans l’esprit. Du son, rien que du son. Normal, c’est enregistré chez Doug Easley à Memphis (alors que Butch Vig produisait les albums précédents). Attention, le hit du disk se niche en fin de B. «Each Time I Die» est le heavy slowah de la mort lente. John Brannon y aménage des passages vers un au-delà du pathos. C’est d’une rare puissance, avec un final en bouquet d’énergie vocale. Brannon style.

    Singé : Cazengler, loathing hyena

    Laughing Hyenas. Come Down To The Merry Go Round. Touch And Go 1987

    Laughing Hyenas. You Can’t Pray A Lie. Touch And Go 1989

    Laughing Hyenas. Life Of Crime. Touch And Go 1990

    Laughing Hyenas. Hard Times. Touch And Go 1995

     

    07 / 02 / 2019PARIS

    LE KLUB

    SOLITARIS / NAKHT / GRAVITY

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    Escalier plongeant, n'avez pas trop intérêt à glisser, tournez à droite, direction deuxième sous-sol, passage beaucoup plus étroit, nouvelles marches entrecoupées d'un faux palier, vous débouchez sur une espèce de corridor idéal pour le merchandising – diabolique tentation - passez la porte étroite et vous débouchez enfin dans le Saint des Saints. Plutôt étroit, diable si cela est une salle de concert, de retour à la maison je propose à la Marine Nationale de louer mon garage, de quoi mouiller deux sous-marins nucléaires et un porte-avions. Soyons juste, chez moi pas de belles voûtes de pierre qui surmontent deux travées parallèles à la manière des nefs d'église mais malgré le plafond plat un peu plus d'espace. Ce n'est plus le rock garage c'est le rock des caves ! Rock with a Caveman prophétisait Tommy Steele !

    SOLITARIS

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    Brrr ! Tous quatre sanglés de k-ways noirs et le visage plus ou moins voilé de masques à la Dark Vador. Soldats de la galaxie des étoiles mortes. Immobiles, tandis que démarrent les samples, heureusement qu'ils sont soutenus par une cohorte de fans aux visages épanouis et de filles aux cheveux multicolores, sans quoi l'on se serait cru à l'enterrement du Comte d'Orgaz del Greco. Vos créanciers vous accablent de factures, Solitaris préfère vous soumettre au recouvrement des fractures. Emettent un bruit protéiforme destiné à vous saper d'emblée le moral. Au fond, Jarvis a décidé que rien ne sera comme avant, que désormais le monde sera réduit à un champ de ruines, casse systématiquement toute velléité de rythme, décapite toutes les têtes de serpents rythmiques qui se haussent et qui dépassent. Z'avez l'impression qu'il jette hors des plateaux de ses tambours tout ce qui aurait l'intention de manifester un signe quelconque d'existence. Vous comprenez le nom du groupe, vaut mieux être Solitaris que mal accompagné. A la basse un véritable fléau, ses amis ne l'ont pas surnommé Fléo pour rien, là où passe sa basse le son ne repousse pas. Vous le projette à terre sous forme de longues lignes sonores interminables comme des agonies. Le genre de mec qui vous gâche la soirée et l'envie de vivre rien qu'en appuyant un peu fort sur une corde. Normalement l'on devrait le renvoyer chez lui, mais à l'écouter vous entrez en communion avec l'étrange concept d'instinct de mort. Robin, au début vous faites semblant de ne pas l'entendre. Apparemment il ne fait rien pour attirer l'attention. Se contente de se fondre dans la noirceur ambiante. L'a la guitare commando. Au moment inadéquat il surgit comme la foudre et balance de ces dégelées de grésil à vous transpercer l'âme et l'anus. Et brutalement vous apercevez que Solitaris doit être une marque de bulldozer tout terrain dont vous ignoriez jusqu'à lors le nom. Le combo décape sec. Navigue vent arrière droit sur vous. A l'avant sur la proue vous avez une drôle de sirène. Pas Barbie, barbu costaud l'air méchant, chante par accoups, à chaque fois il vous donne l'impression de vous trancher la gorge. Chez lui, ça vient de loin, des tripes, exhale la colère et la rage de la bête entravée qui n'a aucune envie de se laisser mener l'abattoir. L'a décidé que ce sera plutôt votre tour d'y passer. Un mufle de taureau obstiné vous pousse sans pitié vers l'arène sanglante. L'a adopté la technique du dragon, actionne un lance-flammes dès qu'il ouvre l'orifice buccal. L'haleine du diable. Derrière Alex, leur frontman, les trois autres men in black de Solitaris carburent un carbone noir profond comme la nuit finale qui engloutira le monde. Quand ils terminent malgré la cohue des fans hurlante, vous vous sentez subitement seul. Coupé du cordon ombilical de la souffrance et de la mort. Vous êtes un survivant. Les tueurs solitaires vous ont trouvé indigne de mourir. Sans doute ont-ils eu raison.

    NAKHT

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    Furent grandioses et sublimes. Au début vous craignez pour Danny. Lui si grand, qui a l'habitude de chanter juché sur un piédestal, comment va-t-il faire sous cette voûte si basse, le seul espace où il pourrait se redresser entièrement est encombré de projecteurs divers. Il est deux sortes d'êtres, ceux qui essaient en victimes résignées de s'adapter tant bien que mal aux avanies du destin et ceux qui transforment les obstacles en objets de force. Ce qui ne vous tue pas vous rend plus fort a dit Nietzsche. Alors Danny nous a montré quel grand growler il était. Il ne peut se relever, il chantera courbé, il ne peut faire tournoyer ses bras à la manière de boomerangs mortels qui ramènent leur proie pantelantes, alors il tendra le visage vers le public. Toutes les émotions contenues de ses muscles affluent sur sa figure. Ses yeux clairs restent imperturbables mais les méplats de sa face s'animent et tout le peuple hiératique peint sur les couloirs des tombes pharaoniques se met en marche pour rendre un dernier hommage à celui qui va se confronter avec le grand serpent Apophys. Sa voix, venue d'un autre âge nous conte les péripéties du grand tourment. Sa bouche n'est plus qu'une excavation horrifiante par où les Dieux prennent la parole. Jettent leurs colères et diffusent les messages ultimes dont il vaudrait mieux ne jamais dévoiler le sens. Danny entonne le choral des Abyss et la musique cataclysmique de Nakht fond sur notre Destiny tel le vautour sur vos os abandonnés à la surface stérile des sables du désert infini.

    Damien est invisible, l'est entouré du cercle d'or de ses cymbales, dispense et disperse un cliquètement infini de crotales en furie, la musique de Nakht s'élève de cet anneau maléfique, elle gronde et s'érige en tonnerres, en orages secs, en foudres irréductibles. Et toujours dans ces interstices miraculeux de ce qui pourrait être un moment infinitésimal de silence surgit, hoquet morbide, le raquèlement de la caisse claire, qui sonne comme un appel dans le hall du désir à la béance du monde. Et dès lors une pyramide sonore s'abat sur vous, un déluge de pierre tombales, un éboulement de rocs funéraires, qui cherchent à vous ensevelir vivant afin que le symbole de l'éternité s'inscrive en hiéroglyphes de feu sur votre chair.

    Clément n'est guère clément. Sa basse gronde. Creuse des fondations. Charrie des blocs cyclopéens sous lesquels elle vous emprisonne. Elle agit comme un immense tournoiement infranchissable, elle fixe les limites, Nakht n'ira jamais plus loin que son amplitude géographique. Elle marque la frontière intangible qui sépare le profane du sacré. La fourmi humaine de l'ibis royal. Deux guitares, Pierre et Christopher, l'en faut deux pour entretenir la fournaise. Fournissent à eux deux le feu de salpêtre qui nourrit le mal des ardents et les assises du phénix qui renaît de ses cendres. Deux guitares, tour à tour mort et vie, extinction et renaissance. L'une serpent, et l'autre reptile. Nakht fournit une musique d'une force implacable et d'une richesse inouïe, lorsque je cherche dans ma mémoire je ne vois que l'agressivité tourbillonnaire de Magma, au début des années soixante-dix, à laquelle je pourrais la comparer, tout en étant conscient qu'ils ne doivent pas se revendiquer d'une telle généalogie, trop lointaine pour eux.

    L'assistance comme envoûtée obéit en toute allégresse au doigt et à l'œil aux désidérata de Danny, commande les entremêlements des spirales prophétiques des ronds de feu walkyriens et des entrechocs armuriers. L'est à la fois, sous son capuchon noir et sa courte houppelande, sorcier maudit et imprécateur terminal. Nakht, Gollum maléfique et Golem élémental, nous a livré un set splendide.

    GRAVITY

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    Le tout dans la vie est de ne point faillir de son centre de gravité, et le moins que l'on puisse dire c'est que Gravity s'est constamment tenu au cœur de son point G. Facile à définir. Plus près du Metal, mais pas très loin non plus du rock'n'roll. C'est l'imposante silhouette d'Alex qui nous a révélé la formule magique, en trois fois quelques secondes, juste avant que le set ne démarre, lui a suffi de gratouiller les cordes pour se délier les doigts, ou pour savoir s'il s'entendait bien, ces bribes de fureur  lui ont permis de lever un ouragan, auquel il a à chaque fois coupé les ailes, mais cela a suffi pour nous avertir. Donc nous ne fûmes pas surpris lorsque Ricky a lancé le galop tonitruant de son drumin' sauvage et lorsque Tim l'a suivi comme son ombre chevauchant sa basse comme un vol de sorcières se rendant au sabbath ( black de préférence ). Pendant ce temps Alex vous placarde ses riffs comme des listes de proscription sur la tribune des rostres de l'antique Rome. Jusque là tout était normal. L'on sentit que la situation était critique, mais l'on ne savait pas à quel point cela allait s'aggraver.

    Inutile de nous prendre pour des enfants de chœur hypocrites, l'on n'attendait qu'elle. On la guettait. Du coin de nos deux yeux. Trop charismatique pour qu'on ne l'ait pas remarquée. De noir vêtue, nous tournant le dos, la tête enveloppée de son auburne chevelure, certes Emilie avait du chien, mais le problème était d'ordre théorique, comment et où allait-elle poser sa voix dans le capharnaüm sonique dégagé par le triangle maudit tapi derrière elle. N'a pas tardé à nous apporter la réponse. S'est retournée, a fait trois pas en avant, a porté le micro à ses lèvres et tout de suite l'on a compris ce qu'ont dû ressentir les mammouths de l'ère préhistorique lors de la grande glaciation subite qui les a congelés sur place. Les trois mameluks derrière ils ont disparu, rayés de la carte des vivants, n'y avait plus que ce hurlement de prophétesse en furie. D'ailleurs nous-mêmes l'on s'est demandé si l'on existait encore, si nous n'étions plus qu'une illusion perdue et évanescente. Trois fois elle a recommencé, et trois fois nous avons ressenti le froid de la mort s'installer dans nos veines. Mais sachez qu'Emilie n'est pas cruelle, une fois qu'elle vous a montré ce dont elle est capable, elle éloigne le micro de sa bouche, laisse tomber son bras le long de son corps et se recule en toute simplicité, sans la moindre cérémonie. Et comme par miracle vous intuitez que derrière les trois ostrogoths n'ont pas arrêté une demi-seconde leur cavalcade sauvage. Foncent sur vous avec la force d'un troupeau de cent mille bisons en fureur. Votre dernière heure est arrivée, mais ce funeste avenir proximal doit sembler trop lointain à Emilie, car l'infatigable chasseresse reprend la tête du troupeau et de nouveau elle rugit dans le micro. Cette fois c'est fini. La catastrophe s'abat sur vous, le hibou noir de la nuit du monde vous recouvre de ses ailes. Au cas où, les lyrics sont en français, vous ne saisissez pas toujours les paroles en leur intégralité mais les titres suffisent, Noir, Le Porteur de Nuit, De l'Homme au Loup, La Dernière Empreinte...

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    Devant elle son fan-club est agitée d'une transe chamanique, l'âme des bêtes s'empare de leurs esprits, perdent un peu la notion des normes, ricanent comme des corbeaux ironiques, se jettent les uns sur les autres tels des lions en cage rendus fous par leur captivité. Alex s'avance et les titille du doigt et du riff. Le corps de Ricky torse nu derrière sa batterie se couvre d'une sueur blanche de lune blafarde, et dix fois, cent fois, mille fois, Emilie s'en vient semer l'épouvante dans son micro. Tim dégringole des giclées de notes spermatiques qui vous rabotent le cerveau, Alex tonitrue sa guitare, et Gravity s'enflamme. Une pluie de météorites en feu s'abattent sur les toitures de votre imagination. Du fond de l'horizon cosmique un astre mort a surgi, son attirance est mortelle, il vous happe d'un seul coup, votre centre de gravité ne répond plus. Le chaos s'arrête, Emilie remercie l'assistance d'une voix fluette qui vous fait du bien. Vous avez rejoint le monde de la réalité. Toutefois, maintenant vous savez que vos cauchemars sont parfois plus beaux que vos rêves.

    Damie Chad.

    ( Photo : EMILIE au HELLFEST / FB : Gravity )

     

    CAB CALLOWAY

    ( Long Box / Classic-Jazz Archive )

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    Sa maman reçut un beau cadeau de Noël puisqu'il naquit le même jour que le petit Jésus. En 1907. Fut-il un bébé vagissant, nous n'en savons rien. N'était pas le seul enfant de la famille. Blanche de cinq ans son aînée l'avait précédé. La sœurette lui montra-t-elle le chemin, toujours est-il que Cab n'était pas encore célèbre qu'elle chantait et jouait dans plusieurs revues à succès et avait même enregistré avec Louis Armstrong. C'est avec elle que tout gamin il débuta sur les planches à Baltimore et c'est encore elle qui lui procura une place dans la revue Plantation Days dans laquelle il se produisit à Chicago et avec qui il partit en tournée dans le Midwest. De retour à Chicago, on le retrouve à la batterie de l'orchestre du Sunset Cafe, n'hésitant pas non plus à endosser le rôle de maître de cérémonie – en français l'on userait plutôt de l'expression Monsieur Loyal – du spectacle présenté. Nous sommes en 1928, les années de formation sont terminées.

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    Cab Calloway occupe dans l'imaginaire populaire la place d'un amuseur public, l'on oublie trop facilement qu'il fut accompagné par toute une pléiade de musiciens, et non des moindres, qui durant les années vingt participèrent au surgissement du jazz. La fermeture du quartier chaud ( very hot ) de Storyville de New-Orleans, en 1917, contraignit les musiciens de jazz à l'émigration. Remontèrent en suivant le cours du Mississippi. Essaimèrent jusqu'à Chicago qui devint le point terminal de fixation, toutefois une partie d'entre eux se fixèrent à Saint-Louis et à Kansas City. Ces destinations ne furent pas sans influence sur l'histoire du blues et du rhythm'n'blues. Et du rock'n'roll. Lorsque le rhythm'n'blues prit son essor après la deuxième guerre mondiale, les blues shouters de Kansa City s'inspirèrent du travail orchestral et vocal de Cab Calloway. Si dans le creuset de Chicago le blues du Delta subit une profonde mutation s'intensifiant et s'électrifiant, à Kansas City une des rares villes aux mœurs légères des USA le jazz s'adonna à une certaine insouciance festive, les grands orchestres dont la volition première n'était pas de produire une musique savante voire '' symphonique'' mais de permettre au public de danser transformèrent et retrouvèrent quelque peu la tradition de ces spectacles itinérants qui sillonnaient les Etats-Unis. Si ces tournées avaient permis à de nombreux artistes noirs d'acquérir une grande popularité en leur milieu elles procédaient aussi d'une vision purement commerciale qui visaient à la satisfaction des instincts primaires du public. La musique n'y était pas considérée comme un art mais avant tout comme un moyen de délassement et d'amusement. La pratique de l'entertainment gommait la figure de l'artiste et le réifiait en bateleur du peuple. Dans l'inconscient ( pas si profond que cela ) du public blanc, le noir qui chantait devant un parterre de blancs était ravalé au niveau de la bête de foire. Particulièrement doué peut-être, mais pas vraiment un homme, tout au plus un singe très savant, et pourquoi pas, au mieux, un pitre. L'on retrouve cela dans le sourire et la bonne humeur débordante qu'arbore Cab Calloway dans les extraits des films qui nous le montrent en pleine action. Mais ce qui peut apparaître comme une bouffonnerie truculente renouait aussi avec l'art immémorial du cirque, le clown entrevu comme une pratique sonore ( parlée, chantée, musicale ) du mime. Très significatif nous paraît le fait que plus tard dans les années quarante c'est à Kansas City, la ville de l'amusement, que Charlie Parker débuta un parcours musical qui redonna au musicien noir sa dignité d'artiste souverain. Dialectiquement toute chose par le fait même de sa permanence engendre son contraire.

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    En 1928 Cab Calloway est le frontman occasionnel des Missourians et ses prestations à New York attirent l'attention. Dès 1929, Cab Calloway tourne avec les Marion Hardy's Alabamians, la formation la mieux payée de toute la région de Chicago, La crise de 29 eut raison des espoirs de l'orchestre. En manque de monnaie le jeune Calloway participe à la revue ( merci sœurette ) Hot Chocolate, le job terminé il rejoint les Missourians qui devant le succès remporté change de nom : s'appelleront désormais Cab Calloway & His Orchestra. Les Missourians ne sont pas des pieds tendres. La formation a été baptisée ainsi alors qu'il était en résidence au légendaire Cotton Club de New York, en alternance avec l'orchestre de Duke Ellington. En février 1930, Lockwood Lewis cède sa place de chanteur à Calloway, quatre mois plus tard le Cab Calloway & His Orchestra enregistre leur première cire.

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    Premier CD : Gotta Darn Reason Now ( For Bein' Good ) : 24 juillet 1930 : velouté de trombone et beurre de trompettes, pas d'erreur c'est bien le band qui se charge de l'essentiel du boulot, Calloway ne tire pas la couverture, l'est comme un invité qui préfère laisser parler ses hôtes, au début l'a une voix de fille mélodieuse, articule davantage par la suite, mais l'on admire avant tout la trompette de Roger Quincy Dickersonet et le trombone de Priest Wheeler qui cosigna les lyrics. En face B, un classique des classiques, de W.C. Handy, l'inventeur officiel du blues, St. Louis Blues : 24 juillet 1930 : n'a pas intérêt à être au-dessous de la moyenne le Cab, surtout que Satchmo a déjà enregistré le morceau l'année précédente, alors l'orchestre se la donne à donf, au début vous n'avez pas un trombone mais une souris qui grignote une croûte de pain dans votre dos, question blues, inutile de sortir votre mouchoir, imaginez un éléphant qui swingue à mort et là-dessus le Cab vous donne une leçon de chant, tout ce que vous ne pourrez jamais faire avec votre gosier, commence par appuyer sur une syllabe pendant trente secondes et ensuite il vous casse du bois de mille manières. Lorsqu'il arrête, la mission est accomplie. Les musicos autour de lui ne s'attardent pas. Pas la peine, Cab is the boss. Sweet Jenny Lee : 14 octobre 1930 : fox-trot, l'orchestre trotte, et Calloway musarde et renarde. L'est toute mignonne la Jenny Lee, le band en tressaute et sautille de joie, z'avez l'impression qu'ils jouent en serrant les fesses, Le Cab, il vous dessine la fine silhouette de la zamzelle du bout des lèvre avec un arrière fond nostalgie qui n'est pas sans rappeler la tristesse qui gît au fond de tout country qui se respecte. Sait parler aux damzelles, suis sûr qu'elle a succombé à son charme, l'orchestre confirme en se lançant dans un tutti d'enfer. Pour le deuxième couplet l'est trop occupé, les copains assurent à sa place. The Viper's Drag : 12 novembre 1930 : l'on en a fait un dessin animé, faut dire que Calloway vous sort le grand jeu, pas longtemps, mais il chante comme un sifflet de locomotive désespérée répercuté dans le grand canyon, et l'orchestre roule à toute pompe, se refile le bébé des soli à tour de rôle, pour mieux presser la machine, n'oublions jamais que la danse est l'autre mamelle du grand Cab. Qui d'autre que lui pouvait s'amuser à couiner sur le classique de Fats Waller ?

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    Is That Religion ? : 23 décembre 1930 : devaient être en retard, jamais entendu un ragtime joué aussi vite, une machine à coudre en folie, non ce n'est pas Dieu qui les appelle, sans doute les jolies filles qui agitent leurs gambettes impatientes, le Cab ça doit le démanger encore plus vite que les autres car il vous tip-tope le vocal à la mitrailleuse. L'avait dû avaler un cheval de course le matin au petit déjeuner, vous expédie la choucroute en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, une fois qu'il a terminé l'orchestre a beau mettre les bouchées triples ils ne le rattraperont jamais. Some of These Days : 23 décembre 1930 : Monsieur dix pour cent. Sur trois minutes, chronomètre en main il chante trente seconde. Vous expédie le paquet d'une traite dans la cuvette WC, par avion. Après l'on imagine que puisque question rapidité il ne s'est pas économisé il s'en va danser comme la fameuse cigale. L'orchestre fait tout ce qu'il faut pour boucher le gros trou. Vous maçonne le mur comme des pros. Vous ne vous apercevez même pas qu'il n'y a pas plus de chanteur dans la chanson que de pilote dans l'avion. Nobody's Sweetheart : 23 décembre 1930 : plus tranquillou l'orchestre adopte la vitesse de croisière, le Cab prend sa voix de mijaurée pour commencer, ressemble à un matou qui s'étire, l'énergie lui revient, vous achève la marchandise en trois coups de cuillère à pot, les musicos prennent la suite, gentillous. Sans plus. St James Infirmary : 23 décembre 1930 : Armstrong en avait accouché d'un mélodrame, alors ils vous le commencent à l'espagnole, ensuite ils gardent le tempo, z'avez envie de leur souffler qu'il faut être triste, mais le Cab il brame comme un hippopotame et les musicos en profitent pour faire leurs petits numéros. Pour le final, la mise en terre au cimetière est rapide, poussent le corps dans la fosse à coups de pieds. Dixie Vagabond : 3 mars 1931 : c'est joli comme un générique de film. D'ailleurs Cab chante du nez pour que vous me croyiez, l'est le chanteur du charme qui cherche à embobiner, et les copains derrière essaient de ne pas lui foirer le plan en la mettant en sourdine, le temps que ses roucoulades conquièrent la position. So Sweet : 3 mars 1931 : encore de la douceur, ça larmoie , et le Cab module de toutes ses dents, l'a l'air d'un gigolo qui fait tout ce qu'il peut pour enchanter une rombière, idéal pour les frotti-frotta des slow langoureux, pour la proposition finale Calloway vous file un coup de main, reprend un deuxième couplet en coda. Remerciez-le, c'est emballé.

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    Minnie The Moocher : 3 mars 1931 : le titre qui fit la gloire de Calloway, les musicos vous font une ouverture grandiloquente, mais le Cab a misé sur les valeurs sûres, reprise d'un vieux morceau folk et ligne mélodique pompée sur St James Infirmary. Plus tard le Cab vous en donnera des versions échevelées mais là vous conte la lamentable histoire de Minnie d'une voix éteinte qui contraste avec l'énormité des agissements de cette profiteuse de haut-vol. Rien de bien extraordinaire à première oreille, et pourtant vous vous surprenez à réécouter dix fois de suite. C'est en ce titre que vous rencontrez son célèbre hi-dee-ho. Doin' The Rhumba : 3 mars 1931 : étrange, l'entrée en matière ressemble comme une goutte d'eau à Ring of Fire de Johnny Cash, l'est vrai qu'entre mariachi et rhumba... La trompette se livre a un beau solo de klaxon, suivi de ce que l'on appelait un galop dans les salons du temps honni de la Restauration, et le Cab vous tricote le vocal avec une voix aussi aigüe qu'une pointe de punaise. Le combo conclut sans imagination. Farewell Blues : 9 mars 1931 : encore une fois un blues à grande vitesse, un rythme de train qui passe en trombe et le Cab qui vous imite le sifflet rageur des locomotives, derrière l'orchestre vous mime le couinement des wagons rouillés sans oublier le traditionnel shuffle de rigueur. Le convoi s'éloigne dans le lointain. I'm Crazy' Bout My Baby : 9 mars 1931 : les a rendus tous marteaux, les musiciens se lancent dans une introduction infinie, à croire qu'ils ne laisseront jamais au Cab le temps de s'exprimer. Le fait d'ailleurs à toute vitesse, les guys derrière ont encore bien de fooltitudes à exprimer. Creole Love Song : 6 mai 1931 : empruntée à Duke Ellington, musique de genre aussi câline qu'une nuit de chine, le Cab vous sort sa grosse voix la plus romantique à croire qu'il a attrapé la rougeole. D'ailleurs l'arrête les frais tout de suite. L'amour se chante plus vite qu'il ne s'expédie. The Levee Low-Down : 6 mai 1931 : tous en verve, une fanfare joyeuse qui dévale la rue, et le Cab qui accentue la joie de vivre, sur ce le band s'engouffre dans une espèce de charleston piqué des hannetons, y a un bugle qui vous épingle les insectes vivants sur le mur, une clarinette qui rigole et allegretto non moderato pour le tutti final. Blues in My Heart : 6 mai 1931 : pour être heureux soyons langoureux, cela pourrait s'appeler le blues des amoureux, petits pianotements sur les hanches, le Cab vous susurre à l'oreille des insanités avec sa bouche de crocodile grand-ouverte, l'insiste longtemps ( une fois n'est pas coutume ) l'orchestre tamise la lumière de l'abat-jour. Black Rhythm : 11 juin 1931 : aussi trompeur qu'une trompette qui ne se la pète pas. Tout doux malgré l'intitulé. Un hommage au blues. Conte l'histoire d'un pianiste au fond d'un bouge qui distille le rêve des notes bleues. Plus rien ne bouge. Les paroles sont de Irving Mills et de Donald Heywood, à mettre en relation avec The Weary Blues de Langston Hughes. Six or Seven Times : 11 juin 1931 : Irving Mills encore aux paroles, une mélodie de Fats Wallers, l'orchestre vous déploie la nappe en prenant son temps, le Cab déroule son innocence coquine, parlotte, scate un peu, sifflote avec désinvolture et les musicos reprennent leur broderie avec un soin maniaque. De la belle ouvrage. My Honey 's Lovin' Arms : 17 juin 1931 : encore une chanson d'amour à caresser les pubis dans le sens du poil. Peut-être la plus faible du CD. Peu d'imagination, beaucoup d'attendu. Aucune surprise. S'étire comme un élastique ou un fil d'haricot vert entre les dents. The Nightmare : 17 juin 1931 : dans la suite logique de la session, ce cauchemar vous endort plus qu'il ne vous réveille. Pour la sueur froide de la mort dans les draps moites, c'est raté.

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    Deuxième CD : It Looks Like Suzie : 9 juillet 1931 : fut enregistré  par Blanche Calloway and His Boys Joy en juin 1931. Vous voulez du swing, en voili, en voiça, vous trouverez mieux ailleurs, mais le Cab vous sauve la mise, l'orchestre est au top mais pas assez débridé. Alors le Cab vous miaule la chute d'une voix bizarre. Sweet Georgia Brown : 9 juillet 1931 : le classique des classiques, même les Beatles l'ont enregistré, de Maceo Pinkard et Ken Casey, chanté pour la première fois en 1925 par Ben Bernie. Georgia a deux pieds gauches, cela a dû plaire au Cab car il vous sort spécialement un espèce d'étranglement dans le larynx, les boys derrière comprennent qu'ils ont intérêt à s'activer, ça se termine en style jungle de bon aloi. Basin Street Blues : 9 juillet 1931 : un classique du jazz, rappelons que Basin' Street était le nom d'une artère de Storyville. Peut-être que je me trompe mais il me semble que l'intro ressemble à l'entrée de La Mer de Debussy. Quoi qu'il en soit le combo se doit d'être au top, et ils vous l'interprète à la manière d'une symphonie jazz du pauvre, le Cab n'ose pas marcher sur ses boys, se contente de marmonner pour ne pas les gêner. L'arrive à être génial dans sa discrétion. Bugle Call Rag : 23 septembre 1931 : se rattrape sur ce morceau, Normalement sur ce ragtime devrait y avoir un piano fou, c'est Cab qui s'y donne de la première à la dernière note, l'a les dents qui ricanent comme les touches d'un clavier. Imaginez que le piano de Fats Wallers ait la voix de Calloway et vous comprenez la performance. Un des tout premiers morceaux de jazz enregistrés, un classique. Vocalement Calloway enfonce tout le monde. You Rascal You : 23 septembre 1931 : en France on connaît surtout la version des vieilles canailles Mitchell / Gainsbourg que j'ai toujours trouvée foireuse, Calloway en offre une interprétation fifreline, en avance sur son temps puisqu'elle évoque tant au niveau du traitement des cuivres et de l'inflexion vocale ce qu'en fit Louis Jordan, même si la clarinette l'inscrit tout de même dans le old style jazz. Stardust : 12 octobre 1931 : la chanson d'amour sentimentale, le genre de pacotille dont Sinatra aurait fait un trésor, pour Calloway ça manque de punch. L'on sent les impératifs commerciaux. Miaule avec une langueur monotone. You can't Stop Me From Lovin' You : 12 octobre 1931 : l'orchestre sourit doucement, rigole même franchement après le premier couplet, heureusement le Cab comprend que rien ne sert de larmoyer comme un dépressif, reprend du tonus et malgré les paroles navrantes il vous envoie valser le grand amour perdu au profit des dix occasions roboratives qui se profilent à l'horizon. You Dog : 12 octobre 1931 : jamais entendu un chien miauler de cette manière, le Cab vous sort le grand jeu, le combo se moque de lui, se fout carrément de sa gueule, le Cab a la voix qui fait patte de velours et promesse de griffes sanglantes. Cette histoire se terminera mal. Soyez-en sûr, humour noir se teintera de rouge sang. Somebody Stole My Gal : 12 octobre 1931 : interprétation dans la même veine, voix pleurnicharde au début, gymnastique vocale en fin de parcours. Ain't No Gal in This Town : 21 octobre 1931 : à ce qu'il paraît que le Cab chante sur ce morceau, c'est l'exacte vérité, et plutôt bien d'ailleurs, même que ces musiciens lui répondent en chœur lorsqu'il mugit comme une vache, mais tout cela vous ne l'entendrez pas, car en sourdine vous avez le piano qui égrène quelques notes et vous oubliez le reste du monde.

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    Between The Devil And The Deep Blue Sea : 21 octobre 1931 : une création de Calloway devenu un classique. Faut dire que les paroles sont diaboliques, chacun peut interpréter à sa manière cette invitation au suicide baudelairienne. Calloway a choisi la plainte douloureuse. Scoubidouse sur la fin, un peu d'insouciance dans les situations extrêmes n'a jamais fait de mal. Trickeration : 21 octobre 1931 : cette session a dû être bénie des Dieux. Nous étions aux portes de l'enfer, ce coup-ci on y est carrément dedans. Bouquets de hanches en swing déhanché, l'orchestre joue au chat échaudé qui saute dans le feu, une fournaise pour les danseurs. Et mister Cab, l'est aussi à l'aise qu'une salamandre dans une cheminée sous François 1er . Sa voix n'a jamais autant épousé la subtilité des orchestrations. Kickin' The Gong Around : 21 octobre 1931 : une chinoiserie, avec la pince à linge sur le nez qui n'empêche aucune acrobatie. Se sont décidément amusés comme des jeunes chiots dans cette faste journée. Le Cab est bien le prince de l'Empire du Milieu. Down-Hearted Blues : 18 novembre 1931 : retour au blues, pas celui des douze mesures mortuaires, le blues à la pêche-melba, telle que l'on ne l'a jamais osé dans le Delta. L'oxymore musical du blues véhiculé par le premier jazz : le blues joyeux. Corine Corina : 18 novembre 1931 : z'ont couplé le précédent avec un vieux traditionnel de derrière les fagots. En profitent pour allumer un feu d'artifice de tous les diables. Encore une fois le piano de Bennie Payne se singularise. Je regrette de l'avouer dans ce morceau l'impact créatif est si fort qu'il pulvérise toutes les belles versions auxquelles les countrymen nous ont nourris au petit lait.

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    The Scat Song : 29 février 1932 : le titre n'est pas une imposture. Méfiez-vous des premières mesures mélancoliques, les musiciens s'amusent très vite à dérouler le tapis de leurs chatoyances instrumentales et lorsque le Cab scate, l'est au sommet de son art, le monde vous paraît si facile que même les grattements du banjo deviennent agréables. Feast of friends. Cabin In The Cotton : 29 février 1932 : un slow pour reposer les danseurs, la danse est avant tout a sexual intercourse comme disent les ricains, alors là ce sera cheek to cheek, du coup le Cab en roule les R. S'y mettent à deux pour séduire la demoiselle. Ce titre n'est pas indispensable. Le Cat Zengler ne l'emportera jamais sur son île déserte. Je vous l'assure. Vous non plus. Strictly Cullud Affair : 14 mars 1932 : du Cab classique, mais de lui on attend toujours mieux, beaux passages de soli, d'ailleurs le Cab  laisse his band s'amuser, mais nous devenons difficiles. Aw You Dawg : 14 mars 1932 : le truc sans défaut, mais parfois c'est comme les tapis persans faut ménager une erreur, l'entourloupe c'est le sel de la vie. Minnie The Moocher's Wedding Day : 20 avril 1932 : Buddy Holly nous a refait le coup avec Peggy Sue Got Married. Et Calloway ne fait pas mieux que le kid de Lubbock, ce mariage ne vaut pas les fiançailles premières. Certes tout le monde s'est bien tenu, mais l'on aurait préféré une sarabande infernale avec du dégueulis sur la nappe blanche, voire sur la robe de mariée. Dinah : 02 juin 1932 : un trombone épais comme une tranche de jambon, l'orchestre est vraiment le roi de ce morceau. Dancin'music. Cab vous fait les exercices à la barre fixe. L'on aurait préféré qu'il pratique le saut à l'élastique. Que voulez-vous dans la vie on ne peut pas tout avoir, le beurre et le prix du beurre. Même si Dinah la crémière est des plus appétissantes.

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    Les deux cd ne couvrent que le tout début de Cab Calloway. Les premiers morceaux sont les meilleurs, même si Cab ne s'y affirme pas encore vraiment. Mais l'osmose entre les musiciens et le chanteur est beaucoup plus authentique. L'on sent combien Calloway gagne à chaque session en maîtrise. Devient professionnel avec tout ce que cette assertion peut contenir de péjoratif. Mais il y en beaucoup qui vendraient père et mère et ( beaucoup plus grave ) leur chat et leur chien pour atteindre au dixième de sa virtuosité. Nous reviendrons une autre fois sur d'autres aspects de la carrière du grand Cab.

    Regrettons toutefois l'absence de Zah Zuh Zaz de 1933 le titre qui donna son nom, en notre douce France occupée, à la mouvance zazou au début des années quarante. Z'adoraient le swing comme les premiers Teddy-Boys qui s'inspirèrent de leur accoutrement pour leur drape-jacket et qui abandonnèrent le swing pour le rock'n'roll.

    Motherfuckers, tous les chemins mènent au rock'n'roll !

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 389 : KR'TNT ! 409 : JOHNNY STRIKE / TONY JOE WHITE / GLORY JIZZY / L'ECHO RÂLEUR / AMERCICAN BANDSTAND / FLÂÂÂSH /

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 409

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    07 / 03 / 2019

     

    JOHNNY STRIKE / TONY JOE WHITE

    GLORY JIZZY / L'ECHO RÂLEUR / FLÂÂÂSH /

    AMERICAN BANDSTAND

     

    Le Crime était presque parfait

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    Johnny Strike vient de casser sa pipe en bois. Ce nom pourtant frappant ne parlera qu’aux seuls fans de Crime, le groupe phare de la scène punk de San Francisco en 1976, et très certainement l’un des groupes les plus intéressants de l’histoire de la scène californienne. Ils initièrent le punk-rock américain avec «Baby You’re So Repulsive», un single qui par sa violence reste l’un des modèles absolus du genres. Mais Johnny Strike et ses amis cultivaient une autre obsession : la stoogerie à deux guitares. Frankie Fix et Johnny Strike croisaient le fer dans les flammes : on parle ici de Frankie & Johnny, la renaissance du mythe.

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    C’est James Conrad qui raconte l’histoire de ce groupe invraisemblable dans un vieux numéro d’Ugly Things. Il titre : ‘Too wild for the radio’ et c’est parti ! Conrad en fait quatorze pages ! C’est illustré avec les photos de James Stark. Flying V, Les Paul, perfectos, biker caps, ces quatre mecs ne lésinaient pas sur l’attirail. Conrad rappelle qu’aucun groupe de San Francisco ne sonnait comme Crime - Their music was loud, raw, untamed and agressive - Frankie & Johnny avaient pour influences le Velvet et les Stooges. En peu de temps, ils allaient créer leur légende avant que les problèmes d’ego, d’échec commercial et d’héroin addiction ne viennent à bout de leur détermination.

    Frankie & Johnny ne sont pas californiens. Ils ont grandi en Pennsylvanie. Ils se sont rencontrés très jeunes. Avant de s’appeler Fix, Frankie s’appelait Marc d’Agostino et Johnny s’appelait Gary John Bassett. Pourquoi le choix de Johnny Strike ? C’est tout simplement un hommage à Johnny Thunders, qui était son guitariste favori. Quand plus tard les Dolls viendront jouer à San Francisco, Johnny Strike sera très fier de transporter Johnny Thunders dans sa ‘52 Buick Special.

    Un goût prononcé pour la musique et la délinquance rapproche les deux amis. Ils collectionnent les délits de fuite, fument de l’herbe et se livrent au vandalisme. Un flic prend Johnny en grippe et le met dans son collimateur, alors Johnny comprend qu’il faut s’arracher vite fait. Où ? En Californie. La Pennsylvanie présente tous les défauts : répression policière et hivers rigoureux, alors que la Californie présente tous les avantages : tolérance policière et soleil à gogo. Ha ha ha, le choix est vite fait !

    En 1972, Johnny se tape un trip en Angleterre et tombe sur Bowie, Roxy et la tournée des Dolls. Wham bam ! À son retour, il propose à Frankie de monter un groupe. C’est aussi simple que ça. On part toujours de triple zéro. C’est la partie la plus précieuse d’une vie de rocker, celle du rock’n’roll dream.

    Johnny explique dans une interview qu’en 1976, il n’y a pas de scène à San Francisco. Pour lui les Tubes sont du bad glam. Berk ! Il trouve les Flamin’ Groovies médiocres. Il les connaît bien, puisqu’ils répètent au même endroit. Mais les Groovies se moquent du look dollsy de Frankie & Johnny, alors Johnny leur rend la monnaie de leur pièce : Fuck those guys ! Ils se prennent pour qui, ces branleurs ? Le plus drôle de l’histoire est que Frankie & Johnny récupèrent Ron the Ripper qui était le batteur des Chosen Few, c’est-à-dire les pré-Groovies. Ron the Ripper qui s’appelait en réalité Ron Greco explique qu’il a été viré du groupe suite à un show au Fillmore en première partie de l’Airplane. Ils s’étaient retrouvés sur une scène immense et ne s’entendaient pas les uns les autres. Manque d’expérience. En 1965, il n’y avait pas de retours sur scène. Comme tout foirait et que Cyril était en colère, Ron a servi de bouc émissaire, même s’il continuait à jouer correctement.

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    Frankie & Johnny commencent par abandonner leur look glam pour aller sur un look cuir noir - Very lean and mean - En hommage aux Spiders From Mars, ils choisissent de s’appeler the Space Invaders, puis ils optent pour Crime. Ils enrôlent un batteur nommé Ricky Tractor et en 1976, ils entrent au Blue Bear Studio enregistrer leur premier single, «Hot Wire My Heart»/«Baby You’re So Repulsive». Wham boom boom boom/ Shoot you right down ! - Three-chords blietzkrieg powered by chain saw guitars and sloppy drums - Ça reste imbattable.

    Et c’est là que commence le chemin de croix de Crime. Ils jouent leurs slabs de controlled chaos dans des clubs de San Francisco et se taillent très vite une belle réputation de violence sonique. Et pas que sonique. Ricky est rapidement viré du groupe. Il prend trop de drogues et un certain Brittley Black le remplace. Frankie & Johnny ne voulaient pas entendre parler du look punk importé d’Angleterre dès le début de l’année 1977. No way. Comme les Nuns, ils tenaient à leur identité visuelle qui était le cuir noir. Ils allaient même commencer à porter des uniformes de flics américains. Dans les concerts de Crime, on se bat et les flics font systématiquement des descentes. Les photos de scène de James Stark ne montrent que du Raw Power. Quand les Pistols viennent jouer leur dernier show au Winterland de San Francisco, on propose à Crime le third slot sur l’affiche, c’est-à-dire la troisième position. No way ! Pas question de jouer avant les Pistols, ni même avant les Ramones. Ils préfèrent aller jouer au San Quentin State Prison. Ils montent sur scène fringués en flics et la femme de Frankie danse avec le groupe. Vous voyez le délire ?

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    Et puis un jour Hank Rank devient le batteur/manager du groupe. Son plus gros boulot consiste à maintenir le groupe en état de fonctionnement. Frankie & Johnny commencent à se chamailler. Johnny est trop prolifique et Frankie lui en veut. Et plus, Frankie veut arrêter la guitare pour devenir le chanteur du groupe, alors Johnny doit le recadrer. No way ! Hank fait un véritable travail de régulateur - Frankie had an out-of-control ego and an out-of-control drug problem - Ça fait beaucoup. Puis Hank finit par se lasser et il quitte le groupe - It became painfully clear that when heroin came into the band, we were doomed - D’où le titre de cet énorme album compilatoire, San Francisco’s Still Doomed paru en 2004 sur le label de John Reis, Swami Records. Les ceusses qui n’ont pas le single y retrouveront l’apoplectique «Baby You’re So Repulsive», qui est au rock américain ce que «New Rose» est au rock anglais : un réveil en fanfare. Mais l’album grouille de smoking beasts, comme dirait Tim Warren, du calibre d’«I Knew This Nurse», extrêmement punk mais heavy, au sens stoogien du terme. On dira la même chose de «San Francisco Doomed», qui est même encore plus stoogy, avec un incroyable déploiement d’énergie. Frankie & Johnny n’en finissent plus de stooger leur viande, et quand on aime ce son, alors c’est une sorte de paradis infernal, une luxation du luxe intérieur dans l’émancipation caractérielle des affres schizoïdales. Avec «Piss On Your Dog», ils tapent dans le génie sonique, ils chantent à deux voix avec une grosse cocote au cul du cut. C’est d’une rare élégance, Frankie & Johnny remettent le trash-punk sur son trente-et-un. Encore deux stoogeries patentées avec «I Stupid Anyway» et «Twisted», tous les deux remontés à la manivelle de tortillette, réflexe purement ashetonien. Ces mecs jouent au long du cut, ils tapent dans l’ambiance de Search & Destroy, c’est le même son efflanqué, mauvais, hagard. On peut même dire que «Twisted» est stoogé dans l’âme, car monté sur la descente d’accords de Wanna Be Your Dog. Oui, Crime est le groupe le plus stoogé du ciboulot d’Amérique. Ils repartent de plus belle en B avec «Rockabilly Drugstore». On sent chez eux le même genre de cohérence que chez les Dwarves. Ils savent exactement ce qu’ils veulent. Il y a moins de son en B, car s’est une session différente enregistrée en 1978. Par contre, on voit remonter d’autres influences, comme celle des Heartbreakers dans «Flipout», avec un around digne d’Iggy, et celle des Dolls dans «Yakusa». Retour aux Stooges avec «Rockin’ Weird» et un violent cocktail cocotal. Ils font du pur Raw Power, ils jouent en permanence avec le feu. S’il fallait résumer leur son d’un seul mot, ce serait virulence.

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    Paru en 2013, Murder By Guitar 1976-1980 - The Complete Studio Recordings fait un peu doublon avec l’album précédent, puisqu’on y retrouve tous les gros cartons de Crime, mais cette compile propose des cuts complémentaires sur lesquels il n’est décemment pas possible de faire l’impasse. Un bon exemple avec «Maserati», fantastique hymne au iron jet, cut de rock extraordinairement profilé au beat dansant, that’s right ! Autres exemples avec ce rockab criminel qu’est «If Looks Could Kill» et cette horreur rampante qu’est «Lost Soul», montée sur un heavy drive de Ron The Ripper. Sinon, on retrouve toute la collection des hits fatidiques, «Terminal Boredom» (il s’ennuie comme un rat mot, le Boredom de Crime est encore pire que celui des Buzzcocks), «Dillinger’s Brain» (fantastique partie de chœurs d’artichauts, punk-rock dynamique en diable, Frankie & Johnny avaient the power !), «Cime Wave» (lancé aux sirènes de police, yeah yeah, tension maximaliste), «Piss On Your Dog» (gras et rampant, on descend à la cave), «Rocking Weird» (emmené ventre à terre), «San Francisco’s Doomed» (joué aux pires clameurs de Frisco), et puis bien sûr «Hot Wire My Heart» (tout Sonic Youth vient de là, de cette tension et de ces chœurs ressuscités d’entre les morts) et «Baby You’re So Repulsive» (l’archétype du punk-rock universel, chanté au dégueulis de baby baby t’es si dégueulasse). Frankie & Johnny avaient une aisance indiscutable, un son, une insistance et une sacrée longueur d’avance sur toute cette scène punk californienne un peu inepte qui allait tenter de les égaler sans jamais y parvenir.

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    Brittley Black revient battre le beurre dans Crime qui enregistre son troisième single, «Maserati»/»Gangster Punk». Joey D’Kaye remplace Ron the Ripper. Quand Ron revient dans le groupe, Joey passe au synthé. Mais Brit aime trop le booze, la coke et les pills, et les concerts commencent à se raréfier. B-Square, le label qui vient de les signer, les paye en coke : one bag chaque semaine. Avec ça, ils ne vont pas loin. Johnny propose d’arrêter les drogues et de repartir à zéro en écrivant de nouveaux cuts, mais Frankie ne veut pas. Johnny : «So that was that». Joey : «Basically, Crime ended not with a bang but a whimper.» Un gémissement.

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    Johnny monte ensuite un duo electropunk avec Joey D’Kaye : Vector Command. Ils font tous les deux de la sinister lost sci-fi darkwave qui n’intéressera que les amateurs de ce son. Ils disent chercher la voie de l’electro cyberpunk et des primitive drum machines, the Blade Runner aesthetics, the Velvet Underground deconstructed noise. Très ambitieux. Leur album intitulé System 3 finit par paraître en 2018. Il faut savoir rester patient !

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    On trouve un autre album de Crime sur le marché : Hate Us Or Love Us We Don’t Give A Fuck, considéré par Conrad comme un semi-bootleg. Niveau son, on a une purée de rêve digne de Metallic KO. Dès «Raw Rumbe», on les sent hantés par le Raw Power. Ils plongent «Hot Wire My Heart» dans une mélasse stoogienne et ce diable de Johnny Strike n’en finit plus de multiplier ses incursions intestines. Ce boot est un document précieux car il permet de mesurer l’énergie considérable que dégageait ce groupe sur scène. Ils enfilent leurs cuts comme des perles et l’ensemble donne une superbe purée dégénérée. En B, on trouve une version live de «Baby You’re So Repulsive» encore plus dévastatrice que l’original, comme si c’était possible. On entend aussi une annonce radio pour la promo du groupe : «Frisco only rock’n’roll band !» Ça se termine avec un «Pregnant & Punished» allumé à coups de Strike. Ils développent une énergie à la MC5, c’est très spectaculaire, mille fois plus punk que les Damned.

    Après la fin de Crime en 1982, Johnny Strike reste inconsolable. Pour lui, Frankie était un terrific vocalist and my favorite guitarist. Johnny se désintoxe et ne voit plus Frankie. En 1989, il apprend que Frankie remonte Crime avec Brittley et Ripper. Johnny refuse de participer à la reformation. Quand il voit le groupe sur scène, il est horrifié : «Après deux morceaux, Frankie allait changer de costume. Jusqu’au moment où il se retrouva enfermé dans la loge. Alors le guitariste se mit à chanter. Il sonnait comme un mauvais Neil Young.» Frankie essaye ensuite de redémarrer une carrière solo, mais tout foire. Il se retrouve à la rue, homeless. Joey le voit faire la manche sur Polk Street. Il lui file vingt bucks en chialant et quelques mois plus tard, le premier août 1996, Frankie Fix meurt à l’hosto. Il a 47 ans. Johnny et Hank assistent aux funérailles. Fin du rock’n’roll dream. Ricky Tractor avait déjà cassé sa pipe en bois. C’est ensuite le tour de Brittley Black, en 2004. À l’age de 48 ans.

    Après Crime, Hank Rank se recycle dans le cinéma underground. The Devil And Daniel Johnston, c’est lui. Il gère aussi une grosse galerie d’art, The Complex, sur Market Street.

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    Johnny Strike devient auteur à succès underground, après avoir suivi les cours de littérature de William Burroughs à l’université de Boulder, au Colorado. Et en 2005, il remonte Crime avec Hank Rank ! Wham bham boom again ! Johnny n’accepte pas l’épitaphe de Joey : «Crime ended not with a bang but a whimper, but too bad he wasn’t around for the bang to come !» Eh oui, Johnny veut le bang ! Il embauche Pat Ryan des Nuns, Mickey Tractor des Phantom Surfers et Michael Lucas on bass. On les invite à jouer au festival punk Road To Ruins en Italie. Here we go ! Et en 2007, ils enregistrent Exalted Masters. C’est une bombe, une de plus. Au dos de la pochette, on voit que Johnny Strike et Hank Rank ont pris un coup de vieux. Brett Stillos, aka Count Fink, remplace Pat Ryan et Michael Lucas. Le groupe n’a rien perdu de son extrême virulence. Johnny chante «Across The USA» et installe Crime dans le chaos d’antan. On entend même le solo du «Fat Back» de Link Wray repris par Ivy. Que de son ! L’ombre de Johnny Strike plane au-dessus du disque comme celle d’un vampire. Il joue «Clown Bitch» aux clameurs du MC5, avec des intrusions intestines. Quelle présence diabolique ! Quel beau rock à guitares ! Et ça continue avec «Lil Sis», Hank Rank claque ça à la claquemure et les deux guitares cramoisies vitriolent le son, ces mecs sur-jouent le rock, ils fonctionnent à l’énergie marémotrice, les deux guitares mènent la meute, on se croirait à Detroit. Ils sortent un son moderne et classique à la fois, ils fondent leurs chorus dans d’indescriptibles brouettes de brouets. Retour aux Stooges avec «SS Blues» - Ain’t got nothin’ to lose - Et le lose pourrait bien être celui d’Iggy. Ils terminent cette fulminante A avec un «Yeh Yeh Girl» visité par les vents violents du Sonic trash. Ils nous refont le coup du Search & Destroy en B avec «Your Generation», ils créent la même tension dans l’épaisseur de la nuit urbaine, comme s’ils se stoogifiaient à vue d’œil. Mais c’est avec «Hate Train» qu’ils remportent la victoire définitive. Johnny Strike connaît tous les secrets du Hate Train. Il sait lancer son affaire, il sait foncer dans la nuit et pousser des ah-ah ouuuh d’antho à Toto. C’est embarqué ventre à terre, avec tous les réflexes stoogiens de come around à la clé - Into the wild blue/ On and on and on and on and on - Ça file, c’est fou ! Fin de party glorieuse et tellement électrique.

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    Puis Johnny a l’idée de mettre ses textes sur des background soundscapes. Il baptise le projet Naked Beast. Hank Rank qualifie ça de «pretty dark and Crimey.» L’album paraît en 2017.Pas facile à trouver. Mais quel album ! En plein dans le mille, une fois de plus. Dès «Gnostic Wolf», on constate que la niaque de Strike est intacte - Come on baby/ Take a ride/ On the magic bus - Il sort sa plus belle cocotte. C’est encore un long cut gorgé de Detroit Sound, avec de vieux relents stoogy, in the deep blue sea and under the moon. «Emergency Music Ward» qui ouvre le bal de la B vaut aussi le détour. Johnny Strike reste fidèle à ses allégeances, il recharge sa chaudière en permanence. Il fait aussi un joli coup de spoken word envoûtant avec «Crazy Carl’s Thing». C’est une présence à la Henry Rollins, mais en plus chaleureux. Johnny sait riffer un cut, comme on le constate encore une fois à l’écoute d’«Another Station» - One two three four five - Il égrène les chiffres de sa bonne vieille riffalama d’exception. Hank Rank bat bien le beurre et Roger Strabel ramène un excellent bassmatic. Ils bouclent ce très bel album avec «Remote Viewers», une grosse débinade de garage punkoïde. Johnny Strike reste irréprochable jusqu’au bout du bout. C’est lui le real Godfather of American punk. Il n’a jamais baissé la garde. Il nous dit adieu avec cette fabuleuse fin de non recevoir.

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    Il existe un autre projet parallèle de Johnny Strike : TVH. Un album intitulé Night Raid On Lisbon Street est sorti en 2002. Biff O’Hara (drums) et Jimmy Crucifix (bass) l’accompagnent. Ils reprennent le vieux hit de Crime, «Hot Wire My Heart» et c’est atrocement bon. Johnny Strike n’a rien perdu de sa niaque. On retrouve une fabuleuse ambiance à la Crime dans «Yo Slim Fats». Johnny Strike balance sa purée, c’est un vieux riffeur, il se livre à son sport préféré. C’est du punk-rock de Frisco, coco. Johnny Strike ramène toute sa vieille hargne restée intacte. C’est gagné d’avance, ce mec ne sait faire qu’une chose : jouer à la vie à la mort. Voilà bien une fantastique descente aux enfers - You better watch out - Encore un extraordinaire shoot de Strike of it all dans «Tibetan Head». Ces mecs sont bons, ça riffe à qui mieux-mieux. Ils développent tous les trois des dynamiques vertigineuses. Encore pire : «Last Fair Deal Gone Down». Johnny Strike gratte sa vieille cocotte - I love the way you do - Effarant, c’est bardé d’ultra-présence in the face, avec une admirable descente de basse sous la cocotte. Voilà encore une énormité monumentale, oh Johnny. Ces mecs ne s’arrêtent jamais, surtout pas Johnny Strike. Il se livre ici à une stupéfiante lysergie de rockalama de Rocamadour. Le problème, c’est que tout est bon sur cet album, on voit Johnny Strike descendre les accords des Buzzcocks sur «Wigger» et donner une belle leçon de morale avec «Black Light». Ils rampent dans l’ombre humide comme ce n’est pas permis. Johnny Strile est un peu comme son idole Johnny Thunders, un jusqu’au-boutiste patenté. Ils tapent «Pacific Coast Highway» au punk de Crime de Strike, c’est une reprise de Sonic Youth, un tintinnabulage de punk-rock new-yorkais, un chaos sonique qui convient parfaitement à un expert du chaos. On reste dans le festin de son avec «Ghost Town». Ces mecs cuttent leurs cuts avec une aura légendaire et des chœurs des Carpathes. Johnny Strike joue dans le cambouis et fait voler sa Flying V. Fuck the world qui est passé à côté de Johnny Strike ! On assiste plus loin avec une fantastique glissade dans le gloom avec un «Dope Dolls» qui sonne comme une véritable déclaration d’intention - When I saw you at the night club - Sacré Johnny, always on the run.

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    Tant qu’on y est, on peut aussi jeter un coup d’œil sur le petit livres d’images de James Stark, The Band Crime Punk 77 Revisited, paru en 2009 chez un petit éditeur de San Francisco. Stark y raconte sa relation avec le groupe et avec ce punk-rock qu’il aimait tant, loud, out of tune and in your face. Quand il voit Crime pour la première fois, ça lui rappelle the Velvet at Andy Warhol’s Eploding Plastic Inevitable, at the Dom - The music was loud and dissonant - Comme Danny Fields, James Stark est aux premières loges. Il apprécie le fait que Crime organise ses concerts, fabrique ses affiches et distribue ses disques. Pour lui, Crime devait devenir énorme, mais le sort en a décidé autrement. Dans les pages d’introduction du livre, un nommé Jack H. se souvient que Stark pilotait une Norton Commando et qu’il était à l’affût du next big thing. Il rappelle aussi que Stark a dessiné le logo de Crime, qu’il leur a fait des posters, qu’il les a photographiés et qu’il les a aidés à trouver un vrai look. En gros, nous dit H, Stark a joué un rôle considérable dans ce qu’il appelle the Crime mystique.

    Stark : «I went to the first Crime show in early 1977 and walked out thinking, ‘Boy, did they look cool...’» Stark raconte aussi l’épisode de l’enregistrement du premier single au Blue Bear Studio, en novembre 1976. L’ingé son leur dit qu’ils ne peuvent pas jouer aussi fort. Wham bham boom ! Frankie & Johnny jouent à fond, comme ils ont envie de jouer - They were after an authentic sound, something like an old Charlie Patton blues record - Le son, toujours le son. Rien que le son. Puis Stark raconte qu’à l’arrivée d’Hank Rank, ses rapports avec le groupe ont changé. Il ne s’entendait pas bien avec Rank qui prenait un peu trop le leadership du groupe - He seemed like a spoiled rich kid, so I moved on to other things - Voilà comment et pourquoi James Stark a pris ses distances avec ce groupe qu’il appréciait au plus haut point.

    Signé : Cazengler, Johnny (la) trique

    Johnny Strike. Disparu le 10 septembre 2018

    Crime. Hate Us Or Love Us We Don’t Give A Fuck. Planet Pimp Records 1994

    Crime. Murder By Guitar 1976-1980. The Complete Studio Recordings. Kitten Charmer 2013

    TVH. Night Raid On Lisbon Street. Flapping Jet Records 2003

    Crime. San Francisco’s Still Doomed. Swami Records 2004

    Crime. Exalted Masters. Crime Music 2007

    Naked Beast. Naked Beast. Guitars And Bongo Records 2017

    Vector Command. System 3. HoZac Records 2018

    James Stark. The Band Crime Punk 77 Revisited. Last Gap Of San Francisco 2009

    James Conrad. Crime. Too wild for the radio. Ugly Things #43 - Winter 2016/2017

    Sur l’illusse : Johnny & Frankie.

     

    White spirit - Part Two

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    — Vous avez vu cet homme qui rampe, là-bas ?

    — Il n’a pas l’air d’aller bien... Il me fait penser au sergent Diggles qui rampait avec une flèche dans le dos, après l’attaque des Mescaleros, à San José...

    — Sauf que cet homme n’a pas de flèche dans le dos, mais vous avez raison, il paraît mal fichu. Approchons-nous et voyons si on peut encore lui venir en aide...

    L’homme est en effet très mal en point. Au prix d’efforts surhumains, il a réussi à s’adosser à une palissade en bois et tente de retrouver son souffle. Il avoisine la soixantaine mais le cheveu ne blanchit pas. Il porte un grand chapeau noir et des lunettes noires très ordinaires. Il ne porte d’ailleurs que du noir. Caractéristiques d’un caractère bien trempé, deux plis profonds encadrent une bouche aux lèvres minces et s’achèvent en bajoues. Ses doigts courts et boudinés indiquent la pratique d’un instrument à cordes. Il respire faiblement.

    — Monsieur ! Monsieur ! Comment vous sentez-vous ?

    L’homme répond en chantant, mais dans un râle à peine audible.

    — I got so lonely... Yes so lonely... I could die...

    — Mais je connais cet air... Bon dieu, mais c’est bien sûr ! Il s’agit d’«Heartbreak Hotel» ! Monsieur ! Monsieur ! Êtes-vous chanteur ?

    — Well since my baby left me...

    — Non, ça ne peut être Elvis, car il est déjà mort et enterré... Mais cette belle interprétation vaut largement la sienne !

    — Plutôt que de s’extasier, ne ferait-on pas mieux d’appeler un médecin ? J’ai vraiment l’impression qu’il va nous claquer dans les pattes !

    Au prix d’efforts encore plus surhumains, l’homme reprend son chant de mort :

    — You keep Bad Mouthin’/ I’m sure gonna put you down...

    — Extraordinaire ! Voyez comme cet homme swingue son mood sur le beat de «Memphis Tennessee» ! Soit il est mourant, soit il est vermoulu. Au fond, c’est la même chose. Vous allez me demander pourquoi je vous dis que c’est la même chose. Très simple, cet homme chante le swamp, le swamp mythique où tout meurt pour renaître.

    Après un long moment de silence, l’homme psalmodie un air connu :

    — Baby please don’t go... Down to New Orleans...

    — Aw my God ! Cet homme chante comme une vieille star ensorcelante ! Cette voix moribonde portée par un tempo séculaire nous plonge au plus doux du Bayou. Quel sortilège ! N’incarne-t-il pas le mystère des bayous de Louisiane ? Je suis prêt à parier vingt euros que l’homme que nous voyons là en train d’agoniser n’est autre que Tony Joe White ! Vous tenez le pari ?

    — Oh c’est trop facile ! Je l’avais reconnu avant vous. On devrait se dépêcher d’appeler un médecin ! Il a l’air de baisser...

    — Non attendez, il a encore un truc à nous dire...

    — I’m gonna move to the country... And find a piece of ground...

    — Apparemment, il aimerait bien trouver un petit coin de terre pour sa tombe.

    — No, no, no... A cool town woman... Who sure enough would hunt me down...

    — Ah il veut refaire sa vie avec une Cool Town Woman. Fantastique ! Il nous fait vraiment du swamp cadavérique. Mais il ne le fait pas à l’édentée, comme un nègre, c’est encore autre chose. Son style relève plus du gondolage que provoque l’humidité. Profitons-en avant qu’il ne s’éteigne, car il s’agit d’une véritable aubaine !

    — You knock me out... Right off my feet... Hoooo hoooo... Talk that talk...

    — Vous l’avez reconnu, ce truc ?

    — Ben oui, c’est «Boom Boom», le vieux hit de John Lee Hooker...

    — Bravo ! Ce mourant rivalise de magie noire avec ce vieux Hooky qui assommait ses conquêtes pour les ramener chez lui et les baiser dans son lit, gonna shoot you right down, right off your feet, and take you home with me, ce vieux gredin d’Hooky ne faisait que du hot sex dans son Boom Boom, et il aimait bien quand elle lui chuchotait des cochonneries dans le creux de l’oreille, le whisper in my ear, on voyait bien qu’il bandait, I love that talk, tell me that you love me, talk that talk, on a là l’un des plus gros grooves sexuels du siècle ! Du niveau de James Brown dans «Sex Machine» !

    L’homme aspire une grande goulée d’air et reprend péniblement :

    — Just hand my head and cry...

    — Voilà qu’il nous fait le coup du slow blues. Tendons l’oreille, car sa voix faiblit terriblement. Il nous plonge avec ce blues dans les profondeurs du désespoir !

    — In a mighty long time... If I don’t hurry up and go... I think I’ll go on out of my mind...

    — Il va finir par mourir de désespoir s’il continue ainsi. Ce slow blues résonne dans la nuit du Sundown des champs de coton. N’avez-vous pas l’impression que les fantômes d’esclaves s’expriment à travers ce moribond ? Brrrrrrrr. Pour un peu, il nous foutrait la trouille, avec ses conneries !

    L’homme reprend, toujours plus lancinant :

    — This woman got a three bedroom condominium...

    — Encore une histoire de bonne femme ? Il conserve tous ses réflexes, apparemment, même si son histoire de Rich Woman Blues sonne comme un blues de dernier râle. Il veut rendre un dernier hommage à cette femme riche qui lui filait du blé quand il crevait de faim. Voilà qui est très chevaleresque. À l’article de la mort, la grande majorité des gens sont plus préoccupés d’eux-même que des autres. Prenez-en de la graine !

    Après d’interminables minutes de silence, l’homme lâche dans un souffle :

    — I don’t know where I’m going... Going to heaven or hell...

    — Il ne fournit plus aucun effort. Il joue le blues du long fleuve tranquille et évoque ses Awful Dreams. Ça ne sert à rien d’appeler le médecin. De toute façon, vu la classe de cet homme, ça m’étonnerait qu’il accepte de finir sa vie dans un Epad. Regardez, mes paroles semblent le galvaniser !

    En effet, l’homme s’agite :

    — Can’t go down... Any dirt road... by myself !

    — Il tatapoume son boogie-blues tout seul. On dirait un vieux classique de Charley Patton, oui, c’est ça ! «Down The Dirt Road Blues», que Wolf avait appris à jouer avec son vieux maître ! C’est le boogie blues des origines, écoutez ce qu’il en fait, c’est très édifiant ! Sa vieille glotte flappie bat la chamade ! Vous savez à quoi me fait penser ce dernier spasme ? À celui de Johnny Cash. Les grand hommes ont ceci de commun qu’il s’arrangent toujours pour impressionner le monde jusqu’à leur dernier souffle. Vous vous souvenez des dernières paroles d’Apollinaire ?

    — Sous le pont Mirabeau...

    — Ah non, ce n’est pas ça du tout ! Ce que vous pouvez être con ! On parle de choses sérieuses et vous badinez ! Atteint de la grippe espagnole, Apollinaire supplia le médecin du fond de son lit : «Sauvez-moi, docteur, j’ai encore tant de choses à faire !»

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    Signé : Cazengler, Tony Joe Moite

    Tony Joe White. Bad Mouthin’. Yep Rock Records 2018

    01 / 03 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    GLORY JIZZY / L'ECHO RÂLEUR

     

    Je ne suis pas raciste mais enfin que font tous ces gens bizarros sur le trottoir de la Comedia, plus possible de poser un pied devant l'autre, z'ont un look étrange, un peu comme tout le monde mais légèrement décalé. Un je ne sais quoi, un presque rien jankélevitchien ( de garde ) qui attire l'attention, un peu tous les âges, partagent cet air de complicité innocente des larrons en foire qui s'apprêtent à subtiliser le porte-monnaie des ménagères de plus de cinquante ans. Je sais bien que tout le monde déteste la police, mais là une vérification d'identité s'impose, embarquez-moi ce ramassis d'individus suspects au plus vite ! Le pire c'est à l'intérieur. Me croyais en sécurité accoudé au comptoir, ne voilà-t-il pas qu'ils débarquent. Une file ininterrompue. Des sans-gêne, ne filent même pas une obole participative pour les groupes, passent tranquilles comme si le local leur appartenait. Ne savent même pas ce qu'ils veulent, dix minutes ne se sont pas écoulées qu'ils ressortent tous en groupe, je les suis discréto car ces gaziers mon flair me dicte de les tenir à l'œil. Traversent la rue et s'alignent sur le mur d'en face. Au moins on pourra les fusiller sans trop de mal, j'en profite pour les compter, vingt-huit, Se mettent à respirer très fort et à remuer leur langue dans leur bouche, ressemblent un peu à des handicapés mentaux évadés de l'asile, d'ailleurs le grand aux cheveux blanc dans son kilt on n'aura pas de mal à le rattraper, préfère ne pas vous parler des filles, elles ont entassé sur le devant de leurs corsages un véritable stand de brocante, et le gars au milieu avec cette espèce de débris de clavier de piano – ce doit être l'infirmier qui fidèle à son serment d'Hippocrate les a suivis dans leur évasion – il a bien du mal à calmer leurs simagrées. Les fenêtres du voisinage s'ouvrent et les gamins se pressent sur les balcons – comptez toujours sur l'indocile engeance des gosses pour les situations ubuesques. L'a enfin obtenu le calme notre carabin, appuie sur une touche, et hop, ils ouvrent tous le bec comme les chœurs de l'Armée Rouge à la veille de la bataille de Stalingrad, aux étages les pères de famille dégainent leur portable pour immortaliser la scène, j'y suis, que n'y ai-je pas pensé, le mystère s'éclaircit, l'énigme du sphinx est enfin élucidée, l'affaire des douze cadavres des catacombes est dénouée, c'est la chorale rock qui répète avant d'assurer la première partie des Glory Jizzy !

    L'ECHO RÂLEUR

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    Occupent la grande salle, l'on a poussé les guéridons et calé les fauteuils de ( faux ) skaï contre le mur, les spectateurs sont coincés contre le bar ou agglutinés en des recoins improbables. Suis relégué derrière les messieurs, je ne vois que leurs mollets poilus qui surgissent de leurs kilts – z'en ont tous revêtus un – telles les fanes maigrelettes de radis étiques, j'avoue que cette vision ne me produit aucune émotion orgasmique, j'aurais dû intuiter et me retrouver de l'autre côté en bordures des filles, comme lot de consolation j'ai le bourdon de ces voix mâles et graves dans les oreilles. Si vous vous attendez à entendre le Requiem de Mozart ou celui – bien plus beau - de Gabriel Fauré, vous êtes dans l'erreur, d'abord notre formation n'est accompagnée par aucun instrument, même pas une paire de castagnettes ou un triangle isocèle, voire un meuglement discret de cloche à vache folle, non nos mâles highlanders ne font pas mumuse avec une cornemuse, et les fillettes fifrelettes ne s'embêtent pas de clarinettes, uniquement les voix nues. Bon maintenant ils agrémentent la tourmente, ne restent pas plantés comme des lampadaires éteints le long d'une rue cafardeuse, z'ont un plus : la danse. Je n'ai pas dit non plus que vous avez des tutus rose bonbon poursuivis par des satyres nijinskiens sur le plateau de l'Opéra Garnier, non une simple gestuelle qui oscille entre tectonique burlesque et ces ébauches de mimes rituels qui accompagnent les comptines enfantines des cours de récréation. Une espèce de commentaire des bras et des mains pour spectateurs malheureusement sourds. Se tapent sur le corps à l'instar des acteurs shakespeariens, font des mimiques humoristiques en guise de parlotes rigolotes, ressemblent un peu à ces politiciens qui gesticulent pour vous convaincre que si tout augmente, c'est pour votre bien.

    Peut-être aimeriez-vous toutefois les entendre, tout au moins être abreuvés de notules pédagogiques quant à leur répertoire. Débutent par Les Négresses vertes. Je n'ai rien contre les négresses, ni les vertes, ni les pas mûres, ni de toutes les couleurs, mais perso le rock alternatif français des années quatre-vingt me hérisse, mauvais choix si j'en crois mes goûts d'autocrate chroniqueur, l'est vrai qu'ils se donnent du mal pour me faire avaler la pilule, notre quarterons de faux écossais mugit comme une corne de brume dans la tempête, et sur le rivage les voix aigrelettes des femmelettes en attente des hardis marins se font douces comme la funèbre prière des morts, l'on est tout de même loin des chœurs du Vaisseau Fantôme de Wagner. L'Echo Râleur c'est plutôt ambiance kermesse populaire. Frites molles et barbes à papa au poivre. Bons enfants, mais garnements qui lancent des pétards sous les jupes des matrones qui s'accaparent les slows ventripotiquement langoureux. Les titres frisent un peu trop avec la variétoche, bien sûr il y a le Cayenne de Parabellum et ils termineront sur la tarte à la crème, que dis-je la bouchée à la reine au ris de veau engraissé à la farine de poisson, Queen, la caution rock des bobos depuis que le public de la revue Rolling Stone leur a décerné le titre le plus grand groupe de rock du monde.

    Excusez-moi de râler un peu, c'est l'écho sonore comme disait Victor Hugo qui m'y pousse. En leur genre ils sont très bien, mettent du cœur à l'ouvrage, z'ont le chœur qui bat fort, y eut des beaux tutti, fruités comme des truites saumonées dans les remous d'une onde claire coulant allègrement entre les rives escarpées d'un rapide torrent, des envolées lyriques en grands coups de vent talentueux qui vous transportaient très loin à la manière de la rafale qui souffle au début du Magicien d'Oz, des canons décisifs qui se répondaient à la façon des bombardes qui crachèrent le feu et emportèrent la décision à la bataille de Crécy. Cela se passait en l'an de grâce 1346, bonnes gens, fallut cent ans pour bouter les fils de la perfide Albion hors du royaume, un peu stupidement puisque   six siècles plus tard on accueillit leurs indignes et insignes rejetons avec une ferveur qui depuis ne s'est jamais démentie et qu'on leur tressa des couronnes de laurier à rendre Jules César jaloux lorsqu'ils revinrent au début des années soixante avec leurs divisions de choc : Shadows, Stones, Animals, Kinks, Who, Yardbirds, Pretty Things, les saintes phalanges des anges tonitruants...

    Terminent sous une pluie d'applaudissements, ils l'ont mérité, sont sympathiques, se mêlent au public de Glory Jizzy qui arrive en nombre, aident à vider les fûts de bière jusqu'à ce qu'il n'en reste plus une seule goutte, et grâce à eux personne sur cette malheureuse planète en perdition qui est la nôtre ne pourra plus accuser le public de la Comedia d'obtuse intransigeance rockenrollesque, et de ce manque d'ouverture d'esprit si révélateur des chapelles rock.

    GLORY JIZZY

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    Enfin du rock ! En grammage, face à L'Echo Râleur ils ne font pas le poids, ne sont que trois, mais proviennent d'une autre dimension. Sont jeunes, déjà quarante concerts à leur actif, les dents de lait, longtemps qu'ils les ont remplacées par des crocs de tigres cruelliques assoiffés de sang.Théo Enandora officie à la batterie. L'a le look des années soixante, chemise impeccable mais rehaussé d'une cravate colorée qui vous cingle les pupilles d'un coup de cravache. Un garçon pressé, l'est clair qu'il ne faut pas l'interrompre lorsqu'il speede sur ses fûts. Genre ne me dérangez pas, faut que je rattrape le train en courant, un jeu d'enfant pour moi, même s'il est parti depuis une demi-heure. L'assure grave, remplit toutes les cases, surfe sur la vague. Précis, rapide, efficace. Un pousse-au-crime, un hurluberlu avec des baguettes qui vous fait des crochets de libellules, des zigzags d'enfoiré, qui envoie à chaque fois le bouchon un peu plus loin. Je vous préviens un gars comme ça dans un combo, c'est un problème. Des robinets qui fuient de partout et la baignoire qui déborde à la manière d'un tsunami.

    Sur sa gauche Arthur Larrouy. Facile à reconnaître, l'a l'œil qui saigne une bande écarlate zèbre son visage, une cicatrice sanglante, de celles que les pirates arboraient fièrement lorsqu'un sabre d'abordage leur avait entaillé la figure, outre cette peinture de guerre, s'affaire au chant et à la guitare. Pour la six-cordes l'a son parti-pris pour juguler le déferlement de son batteur. Fait comme vous quand vous noyez une portée de chatons, vous leur tenez la tête sous l'eau dans votre poing fermé, pas question qu'ils remontent le long de votre bras. Solution simpliste, suffit de passer par-dessus les rafales maximales de Théo, les recouvrir, d'une épaisse couche de riffs, bref vous en avez un qui se livre à un mouvement ascendant vers les astres et l'autre qui essaie de l'enfoncer au plus profond de la terre. Par contre l'a intérêt à foncer rapide comme l'éclair, car le Théo il n'a de cesse que de sortir du terrier obstrué. De cette complicité guerroyante naît une espèce de groove grommelant en sourdine alors que l'ensemble file à la vitesse d'un hors-bord souverain. Vous avez compris à eux deux, ils n'ont besoin de personne pour incendier l'atmosphère.

    Oui, mais ils ont un bassiste. Porte sur sa tête des cornes de taureau démonique, torsadées comme les colonnes du temple de Dagon que Samson projeta à terre afin d'écraser ses ennemis. L'a un sourire ambigu. L'a rehaussé ses lèvres d'un rouge carminé, comme s'il voulait détenir et réunir en son être les symboles de l'unicorne virile et le signe de l'ouverture de la féminité exacerbée. C'est un bassiste. Je sais, je l'ai déjà dit, mais ce n'est pas de ma faute, c'est un bassiste. Je n'y peux rien. A peine Maxime Clair a-t-il touché sa basse, que vous faites la différence. Le bruissement d'un essaim de guêpes sauvages et mordorées emplit la salle. Rajoute sa tonne de grains de sel au combat contre l'ange que se livrent guitare et batterie. Vous vouliez du grunge, vous en remplit la grange. Une avalanche d'ambroisie fonce sur vous et vous submerge. Un velouté d'asperge au venin de mygale.

    Les Glory Jizzy n'y vont pas de main morte, vous en donnent pour toutes les rivières d'argent et pour toutes les mines d'or que vous n'aurez jamais. En plus ils adoptent la tactique la plus explosive du rock'n'roll, vous refile une merveille pour commencer les festivités, mais chaque nouveau morceau se doit de reléguer le précédent au rang de vulgaire camelote. Vous croyiez avoir atteint le bonheur, mais ce n'était qu'une erreur, juste le paillasson boueux au bas de l'escalier des titans que vous allez escalader. Et sur ce, le balafré éructe dans le micro, Arthur vous hameçonne l'âme avec un méchant phrasé, puis il se retranche derrière sa guitare, pour mieux revenir et vous éviscérer de son vocal chirurgical.

    Infernaux, devant la scène, c'est la chienlit absolue, difficile de savoir si le bras que vous agitez est le vôtre et votre corps tamponné ne vous appartient plus, les filles survoltées demandent à être promenées à bout de bras brandis comme des tomahawks, surnagent un moment sur le haut de la houle et puis elles disparaissent happées en d'insondables tourbillons. Jusqu'à maintenant les Glory Jizzy se sont contentés de déchaîner l'ouragan rock'n'roll, mais ils jugent le moment propice pour déclencher l'éradication des espèces vivantes – un truc pas vraiment écologique mais foutrement rock'n'roll - et Arthur nous promet deux titres punk. Deux trombes zombinoïdes apocalyptiques qui conduisent l'assistance aux portes de la folie impure. Heureusement il se fait tard, et il faut arrêter les frais ( particulièrement brûlants ), sans quoi vous n'existeriez plus à l'heure qu'il est. Nous non plus, mais l'on s'en moque, puisque l'on aurait eu le suprême avantage de voir les Glory Jizzy, avant de succomber en un spasme final. Gloire aux Jizzy !

    Damie Chad.

     ( Photo FB : Glory Jizzy )

    AMERICAN BANDSTAND

    DICK CLARK with FRED BRONSON

    ( COLLINS PUBLISHERS / 1997 )

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    L'ai saisi dans ma poigne d'acier dès que je l'ai aperçu sur l'éventaire de mon soldeur itinérant préféré. Je n'en ai qu'un seul exemplaire m'a-t-il informé. Arrivé à la maison j'ai compris pourquoi personne ne s'y était rué dessus, vient tout droit des Etats-Unis et l'est rédigé en langue ricaine. Un peuple malappris qui ne sait même pas parler le français. Mais comme ils ont inventé le rock'n'roll on ne leur en tient pas trop rigueur. Bref me suis efforcé de le lire in extenso – y a beaucoup de photos - rien que pour vous en rendre compte. Chez Kr'tnt on ne sait pas quoi faire pour rassasier l'insatiable curiosité de nos lecteurs.

    L'est ici question d'un temps que les moins de vingt ans ( multipliés par trois ) ne peuvent pas connaître. Comment le rock'n'roll, né dans le minuscule studio de Sam Phillips in Memphis, Tennessee, a-t-il embrasé le monde entier ? Posée ainsi si péremptoirement la question exige une seule réponse. Bien sûr qu'il s'agit d'un phénomène d'une grande complexité, mais beaucoup de ceux qui ont participé de près ou de loin à sa naissance se sentent des ailes d'ange déchu leur pousser dans le dos d'autant plus longues à rayer les parquets de la renommée qu'ils furent davantage actés qu'acteurs.

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    En tout cas Dick Clark revendique sa part du gâteau. S'en explique longuement en quatre fois. Un chapitre pour chacune des quatre décennies durant lesquelles il présida la célèbre émission American Bandstand. N'en fut pas le créateur, l'était animateur de radio, comprendre disc-jockey et surtout money-entourloupeur entre édition musicale et création de labels lorsqu'il lui fut proposé de devenir le présentateur de l'émission télévisée Bob Horn's Bandstand à la place de Bob Horn qui possédait un taux de sang trop peu élevé dans son alcool. Bandstand à l'époque était une télé-diffusion locale sise dans la région de Philadelphie. Contrairement à ce que l'on pourrait accroire, ce n'était pas une émission spécifiquement musicale, elle était avant tout un programme de danse. Certes l'on interviewait quelques chanteurs, on passait quelques extraits filmiques dans lesquels ils interprétaient un de leurs succès, mais la séquence la plus importante consistait à écouter des disques. Comme à la radio, mais comme montrer un disque qui tourne en rond sur son électrophone risque de lasser le spectateur, l'on eut l'idée d'occuper l'écran en faisant danser des jeunes gens. Dick Clark hérita de cette formule. Il ne la révolutionna point mais il sentit le vent souffler. Prit ses fonctions en juillet 1956, l'année Presley par excellence. Rock'n'roll was here, l'était temps à Peggy Lee et à Bing Crosby de passer la main à la jeune génération. C'était la bonne idée, en 1957, ABC rachètera Dick Clark's Bandstand qui désormais diffusée nationalement se nommera American Bandstand.

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    Les années cinquante furent les années d'or de Bandstand. De nombreuses biographies de nos rockers préférés exaltent leur passage dans l'émission, mais c'est un peu la pointe de l'iceberg qui flotte au-dessus de l'eau, Clark s'intéresse avant tout à la montagne invisible sous les flots, les danseurs. Des jeunes gens, bien élevés, blanc de peau, souvent de confession catholique, propres sur eux, cravate pour les garçons, jupe obligatoire pour les filles, l'on danse ensemble, on évite les attouchements trop prononcés, dès qu'il est possible l'on sépare les sexes ( mot auquel l'on pense toujours mais que l'on se doit de ne jamais prononcer ) de chaque côté du plateau... De sages jouvencelles sont assises sur des bancs, jouent le rôle de potiches, Dick Clark debout derrière son pupitre mène le show, l'est armé d'un téléphone qui lui permet d'être en relation avec les équipes techniques et le staff qui l'avertit des problèmes qui surviennent inopinément.

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    Musicalement, mais répétons-le Clark ne s'attarde pas dessus, cite les noms et montre les photos de Bill Haley, Buddy Holly, Fats Domino, Jerry Lee Lewis, Little Richard, insiste surtout sur l'aspect sociologique de son émission. Grâce à lui le rock'n'roll entre dans les foyers et bon gré mal gré formate peu à peu les oreilles des parents qui apprennent à apprivoiser le monstre. A la manière de ces gens qui détestent les animaux mais qui prennent un chat pour faire plaisir à leurs enfants... Bandstand c'est aussi l'intrusion des noirs dans le paysage ambiant. Le rock n'est-il pas autre chose que de la musique de nègres chantée par des blancs. Ces années cinquante dureront jusqu'en 1964. L'on assiste au changement, au glissement intervenu au début des années soixante. Eclate le scandale payolaïque des dessous de tables que les compagnies de disques versent aux producteurs et disc-jokeys pour favoriser leurs poulains, une pratique commerciale des plus courantes dans tous les domaines économiques, mais l'establishment soulève ce faux scandale pour casser les reins à cette musique qui implique des changements de mœurs peu favorables au respect des institutions du système. Il ne faudrait pas que les jeunes soient gagnés par des idées utopiques voire révolutionnaires... Les patrons de Clark le contraignent à abandonner ses tripatouillages quant aux droits de certaines chansons, ou alors de quitter son rôle de présentateur. Clark assure qu'il fit le mauvais choix, il restera à la TV et perdra ainsi beaucoup d'argent que ses activités commerciales lui auraient rapportées... La programmation change. Fabian, Bobby Riddel, Bobby Vee, Frankie Avalon proposent un rock plus sucré qui enchante les jeunes filles... Le twist débarque avec Chubby Chekker... En 1961 Connie Francis ouvre la porte à la mode des groupes de chanteuses noires, Angels, Blossoms, Bobettes, Caravelles, Chantels, Chiffons, Chordettes, Cookies, Crystals, Dixie Cups, Jelly Beans, Martha and The Vandellas, Marvelettes, McGuire Sisters, Patti Labelle and the Blue-Belles, Ronettes, Secrets, Sensations, Shangri-Las, Sherry, Shirelles, Supremes, Sweet Inspirations, Toys se succèdent, souvent des voix de rêve ou d'innocence perverse... le son Tamla Motonw domine le monde.

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    En 1963, le disque She Loves You des Beatles présenté à Banstand fait un flop. Swan Records qui n'a vendu que 50 000 exemplaires se retire du jeu et Capitol flaire le bon coup et prend la place. Les Fab Four éclateront vraiment en 1964. Une ère nouvelle commence. Bandstand s'ouvre au mouvement hippie. Les Mamas & Papas traumatisent Dicky, non seulement ils ne portent pas tous le même costume et l'un des membres ( il ne cite pas son nom ) ne correspond pas aux canons de la beauté habituelle, un peu trop enveloppé. L'aurait tout de même pu ajouter que Cass Elliot possédait une voix de miel. Le monde change. La jeunesse n'est plus ce qu'elle était. Elle se drogue. Quand on pense que lorsque Banstand a commencé il était stipulé dans les contrats des danseurs qu'il était interdit de boire des boissons alcoolisées et de fumer. Des cigarettes !

    En 1964 Bandstand abandonne Philadelphie pour Los Angeles, trois ans plus tard la couleur envahit l'écran. Ce n'est pas un hasard si la plupart des photos du bouquin sont en noir & blanc. Ce sont les années 70 qui seront la grande décennie de Dick Clark, pour une raison qui ne nous agrée point. Le disco triomphe et Clark avoue son péché-mignon, c'est-là son style de musique préférée. Rock'n'roll, Bubblegum, Disco, la pente est rectiligne et signifiante, Clarky s'attarde sur les Osmond Brothers et Village People... programme Abba, Telma Hopkins, Donna Summer, Gloria Gaynor. L'impasse sur le punk reste impressionnante. Ce sont les années glamour de Bandstand, l'émission suit la courbe de l'évolution des mœurs et de la technique : le plateau de danse est plus vaste, les caméras portatives permettent de suivre au plus près les mouvements des danseurs, les éclairages sont plus brillants, filles et garçons se mélangent, blancs, noirs et minorités ethniques cohabitent et se touchent de près...

    La dernière décennie sera mortelle. En 1981, MTV file un coup de vieux à Bandstand. La vidéo tue le cours de danse. Chaînes locales et nationales se sont multipliées, Bandstand ne règne plus en maître sur le marché, l'émission assiste impuissante à sa dégradation, elle qui présentait une heure et demie de programme cinq fois par semaine est réduite à la portion congrue, une demi-heure en dehors des heures de grand audimat... En 1987, Clarc essaie une dernière manœuvre syndicative, celle de vendre le contenu de l'émission à plusieurs diffuseurs. Les chaînes câblées ne se pressent pas, et quand elles achètent c'est pour remplir les créneaux de nuit, quels sont les ados prêts à se lever à trois heures du matin pour regarder des artistes qui passent sur d'autres chaînes à des heures d'écoute plus agréables !

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    Clark plie boutique. En 1988 Bandstand entre dans la légende. Dicky atteint les soixante balais, l'est fatigué, l'est temps pour lui de profiter de la vie... Reste les photos à regarder. Le livre en est rempli, se termine sur un dernier bouquet, Jackson 5, Cyndi Lauper et Bon Jovi... Si nous étions américains sans doute déborderions-nous de souvenirs et aurions-nous de temps en temps l'âme empourprée de douces nostalgies, mais en tant qu'incorrigibles petits froggies nous préférons de loin notre vision mythique du rock'n'roll, tel que nous l'avons vécu, interprété, et recréé à l'image de nos rêves. Le parcours grand public de Dick Clark ne nous agrée pas. Trop entertainment à notre goût. Nous préférons la branche dissidente, elle peut croiser de temps en temps celle de Tin Pan Alley, mais elle prend racine davantage dans les eaux du Delta que dans les faux ors de Broadway...

    Damie Chad.

     

    FLÂÂÂSH

    BENJO SAN & GROMAIN MACHIN

    ( www.labrulerietatoo.com / 2019 )

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    Désolé ce n'est pas un livre sur les bienfaits de l'héroïne. Ni une chronique sur Flash le roman de Charles Duchaussois qui en 1970 fit triper toute une génération de lycéens. Ce Flâââsh-ci participe d'un innocente manie partagée par de nombreux contemporains. Celle du tatouage. Par chez nous elle est restée pendant très longtemps l'apanage des mauvais garçons, se cantonnait le plus souvent à quelques signes symboliques, le quinconce des cinq points d'enfermé entre quatre murs pour les prisonniers par exemple, au milieu des années soixante-dix les groupes proto-rockabilly l'adoptèrent sous forme de dessin colorés tout aussi déclaratifs, la tête de loup ou de renard transpercée d'un poignard et d'un commentaire vindicatif style Vaincu mais pas Soumis... Aujourd'hui cette pratique s'est largement répandue, l'est même devenue une mode bobo. L'on est parfois surpris en dénudant une jeune fille de bonne famille. Que voulez-vous, dans la société du spectacle même le fait de s'encanailler ne dépasse pas le niveau de l'image.

    Ce n'est pas tout à fait un guide style tout ce que vous devez savoir sur le tatouage en dix leçons, plutôt un mix qui allie tatouage et bande dessinée. La rencontre paraît naturelle, c'est pourtant la première fois, à ma connaissance, qu'elle est mise en scène. Par la même occasion le bouquin renvoie à une mode qui envahit voici deux ou trois ans les étalages des distributeurs de journaux. Celle des albums de coloriage. Pour adulte. Le même procédé que pour les gamins, les contours d'un dessin que l'on se doit de colorier. Evidemment on y a trouvé d'autres enjeux que les infâmes barbouillages des têtes blondes, on ne les a pas affublés du nom péjoratif et subalterne de bariolages mais on les a présentés comme des albums anti-stress. Un bon coup publicitaire, qui consistait à appliquer l'esthétique du mandala à une occupation jusque-là dévolue aux mioches. L'on en a vendu quelques centaines de milliers d'exemplaires et puis le public s'est lassé...

    Benjo et Gromain se sont partagés le boulot, ne perdez pas votre temps avec la généreuse idée de l'entraide mutuelle, vous savez dans la vie moins on en fait... je soupçonne ces deux lascars d'être des adeptes du Droit à la Paresse de Paul Lafargue, se refilent le bébé à la moindre échéance. N'ont peut-être pas tort, car le résultat est désopilant. Ce qu'il y a de terrible avec les tatoueurs lorsque vous vous promenez dans une convention tatoo c'est qu'ils ont tous d'immenses classeurs à vous proposer. Sont remplis de dessins – les fameux flashs – qu'ils se proposent de vous inoculer dans l'épiderme. Au bout d'une centaine, la tête vous tourne, vous ne savez plus où la donner – de toutes les manières personne n'en veut, preuve qu'elle ne vaut pas grand-chose – c'est comme quand Tante Agathe voulait changer la tapisserie du salon, et que vous feuilletiez les lourds registres des spécimens du tapissier, non celui-ci il est trop cela, et celui-là il est trop ceci...

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    Le Benjo San est un fin psychologue, l'a compris que le choix d'un tatou c'est comme la rencontre amoureuse, tout se passe dans les premiers instants, sans quoi vous aurez beau ramer pendant dix ans l'affaire ne sera jamais conclue, alors l'a demandé un coup de main à son pote Gromain Machin. Ecoute mec, on partage, cinquante-cinquante, toi tu baratines et moi je refourgue en bout de course les icônes. Alors le Gromain de sa petite menotte il s'est attelé à la seule chose qu'il sait si bien faire dans sa vie : une bande dessinée, vous met le Benjo San en scène dans son atelier de tatoueur - je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas mais si j'étais Benjo, j'aurais mis une petite note pour avertir le futur client qu'il ne ressemble en rien à cet Hamster Jovial dénudé et désopilant sans quoi terminé les clientes futures – et puis au fur et à mesure des désidérata de la clientèle, le Benjo il vous exhibe selon la thématique proposée quelques flâââshiques suggestions idoines. Homme libre toujours tu chériras la mer, ne faut pas contrarier les poëtes, alors sur cette thématique baudelairienne voici les fins voiliers et les portraits de pirates.

    Arrêtez de rêver, le libéralisme triomphant de ces dernières années nous l'a appris, rien ne vaut la sous-traitance surtout quand c'est le client qui s'en charge, si voulez que la mer soit bleue et la barbe du capitaine rousse, prenez votre boîte à feutres et fiez-vous à votre sensibilité artistique, le Gromain vous file le cercle chromatique en coin de page pour vous rappeler qu'il existe des couleurs froides comme des serpents et d'autres chaudes comme des crêpes à la confiture à la framboise.

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    Fini l'océan sauvage, l'est rempli de plastique, alors on pour oublier, au client suivant l'on se rabat sur les petits oiseaux et les animaux tout mignonitos, j'ai l'impression que le tandem San-Machin bat un peu de l'aile romantique, car chacun dans son style rivalise en mauvais goût, je sais bien que ce dernier ne se discute pas plus que les couleurs, mais voici justement que quelques pages plus loin – je saute les têtes de mort qui pourraient renseigner le lecteur sur sa destinée finale – nous abordons la colorisation de la rose, question épineuse, si vous tartinez les pétales en monochrome, l'on ne voit plus rien, retour illico au circulo chromatoc, dans la vie tout est question de nuance et de doigté.

    Le plus dur est à venir. Deux horreurs monstrueuses. Benjo San et Gromain Machin à colorier. Deux vieillards putrides présentés en nourrisson. Deux images aussi obsédantes qu'une nouvelle de Lovecraft. Deux visions symboliques de la décrépitude de notre société qui ne s'effaceront plus jamais du vitrail de votre conscience. En plus ne manquent pas de toupet puisqu'ils nous suggèrent de les embellir. Après tout chacun est libre de choisir son suicide.

    Mais ce n'est pas tout. Pour une fois voici un livre qui conjugue beauté grimaçante et utilité pécuniaire. Pouvez aussi vous en servir comme album de découpage. Vous détachez - sans la déchirer, faites gaffe nom de Zeus, l'image que vous aimeriez vous faire tatouer une partie de votre corps ( je n'ose imaginer laquelle ) charnue ou rétractile, et vous courez à l'enseigne de La Brûlerie, le bourreau Benjo San fera son office. C'est le moment de nous quitter sur une poignée de Gromain Machin.

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    Damie Chad.