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ronnie bird

  • CHRONIQUES DE POURPRE 629: KR'TNT 629 : RONNIE BIRD / LORD ROCHESTER / JIMI HENDRIX / KILLING JOKE / ERNIE JOHNSON / THE BANDIT QUEEN OF SORROWS / A-ORATOS / 6Exhance

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 629

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    25 / 01 / 2024

     

    RONNIE BIRD / LORD ROCHESTER

    JIMI HENDRIX / KILLING JOKE / ERNIE JOHNSON

    THE BANDIT QUEEN OF SORROWS

    A-ORATOS // 6Exhance

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 629

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Red Bird

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             Inespéré ! Six pages sur Ronnie Bird dans Shindig! C’est une forme de reconnaissance. Gareth Jones le traite même de «one-man Rolling Stone» qui avait tout bon - Ronnie Bird had it all: cool, hip cachet, impeccable musical taste, top-class musicians and a perfect feel for the progressive R&B sounds pouring across the channel - C’est non seulement un gros chapô, mais aussi un sacré coup de chapô. Jones dit aussi que Ronnie fut le premier et le meilleur French performer à se frotter au Bristish beat et donc, il aurait dû devenir une superstar. Tous les kids qui l’écoutaient en 1965 le savaient, mais il n’est pas devenu une superstar. Après cinq ans de «stellar releases», il a disparu, pour entrer dans la légende. Il est arrivé exactement la même chose à Brian Jones : 5 ans.

             Alors Gareth Jones fait son boulot de journaliste, il plonge dans l’histoire et découvre «a remarkable catalogue». Ben oui, a-t-on envie de lui dire d’un ton exaspéré.

             L’idéal, quand on admire Ronnie Bird, c’est d’avoir grandi avec lui. On peut retourner cet idéal comme une peau de lapin : l’idéal pour Ronnie Bird, c’est d’avoir grandi avec toi. Le fin du fin du saint des saints est d’avoir pu jerker à la bonne époque. Tu rentrais en courant du collège pour écouter la radio, et retrouver ton idole Ronnie Bird, mais aussi les Who, les Kinks, les Easybeats, Donavan, Dutronc, les Stones, les Beatles, les Yardbirds, les Troggs, les Animals, les Pretty Things, Dylan, les Moody Blues, et comme si tout cela ne suffisait pas, tu filais chaque jeudi au Monoprix du quartier barboter tous ces EPs magiques, car oui, à tes yeux, il s’agissait bien de magie. Pire encore : cette magie devenait nécessaire à ta vie.

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             Comme les lecteurs anglais de Shindig! ne savent pas qui est Ronnie Bird, Jones est obligé de raconter son histoire, sa naissance à Paris en 1946, non pas en tant que petit Bird mais en tant que Ronald Mehu. Ce sont bien sûr les voyages en Angleterre qui le rendent anglophile, et il commence par se passionner pour Jerry Lee et especially Little Richard, puis en 1964, boom, les Stones, et boom, Carnaby Street. Jones n’y va pas par quatre chemins pour rappeler que Johnny Halliday adaptait déjà du R&B en 1964, «but his sartorial style looked old compared with the sharply-attired newcomer.» Jones ajoute qu’à la ville, Ronnie était timide et réservé, mais à la scène, «he blew up a storm» à coups de «non-stop sonic assault». Il est vite repéré par Decca et hop, direction le studio.

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             Les 9 EPs de Ronnie Bird sont encore là, dans l’une des petites caisses. Ils n’ont pas pris une seule ride. En 1964, Ronnie porte une casquette sur la pochette de son premier EP, qui est le fameux hommage à Buddy Holly, Adieu À Un Ami, cover du «Tribute To Buddy Holly» de Mike Berry. Le son est digne de Joe Meek - Whoo-oh oh/ Non jamais je n’oublierai mon vieux copain - C’est Mickey Baker qui gratte ses poux derrière Ronnie. On l’entend encore sur «Tu Ferais Mieux De Filer», c’est gratté sec, crois-moi ! Encore une douche écossaise de l’autre côté sur «On S’Aime En Secret». Pour un premier jet, c’est un joli coup. Ronnie a du pot d’avoir derrière lui ce black killah de Mickey Baker.

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             Un Mickey Baker qui fait encore pas mal de ravages sur le deuxième EP, L’Amour Nous Rend Fou. Le morceau titre est une cover de Buddy Holly et Bob Montgomery, «Love’s Made A Fool Of You», tapée au «Not Fade Away» façon Stones, «with maracas underpinning the driving rhythm, bass, guitar, and organ pounding the central riff.» En B-side, Ronnie tape une cover du «Black Night» d’Arthur Alexander qui s’appelle «Tout Seul» - Je n’ai plus un ami/ Pour me consoler - et derrière Mickey Baker fait de la haute voltige. Ça devient carrément wild avec «Je Ne Mens Pas», Mickey Baker devient killer punk de pur genius et là, ça vaut tout le rock anglais, tout le Beck des Yardbirds. Tu sautes partout ! C’est ce wild killer solo flash qu’il faut écouter !

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             Avec Elle M’Attend, le troisième EP, Ronnie monte brutalement en température. Il affiche une petite mine de délinquant et porte le genre de gilet rouge qui te faisait baver à l’époque. «Elle M’Attend» ! Violemment bon ! Cover de «The Last Time» riffée dans l’écho du temps, tapée au tambourin, ça se passe en 1965, en plein dans l’œil du cyclone, le beat est bath, tu te lèves et tu jerkes au Palladium - Ronnie’s vocal overflowing with confidence - Ce démon de Ronnie enchaîne avec une cover encore plus sauvage, celle du «Don’t Bring Me Down» des Pretties qui devient «Tu Perds Ton Temps» - Ya rien à faire - Fuzz à gogo - Elle prend des airs à vous faire fuir - Avec ces deux merveilles, Ronnie invente l’art de la cover sacrée, celle qui ne surpasse pas l’original, mais qui navigue exactement au même niveau. Ronnie ne se contente pas de rendre hommage, il place son style. Pour l’époque c’est assez révolutionnaire. Comment ce jeune coq a-t-il pu réussir un coup pareil ? Parce qu’il s’appelle Ronnie Bird. On va se contenter de cette réponse qui n’en est pas une. Mais une chose est bien certaine : à la réécoute, c’est toujours aussi balèze. En B-side, tu as encore un coup de Jarnac : «Fais Attention», cover du «Find My Way Back Home» des Easybeats, et des Nashville Teens, pur génie proto-punk, mené par le bout du nez d’un jour viendra - Bird took the original version and kicked its arse all the way home - Ronnie est aussi protozozo que Jessie Hector. Il aurait dû s’appeler Wild Ronnie Bird, comme l’ont fait Wild Jimmy Spruill et Wild Billy Childish. Jones dit aussi que cet EP fut sa meilleure vente. Le groupe qui accompagne Ronnie s’appelle les Tarés.

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             Wild Ronnie Bird atteint son sommet avec son quatrième EP, Où Va-t-elle ?. Pochette classique en hommage à Brian Jones. On est en 1965, au cœur battant du mythe. Boom dès «Où Va-t-elle ?» - Me voilà devenu jaloux - Beurre du diable, coups d’harp, son d’Antoine Rubio, power du beat. Voilà le vrai rock de Paris. Wild Ronnie t’embarque ça au je n’ose/ je n’ose/ je n’ose pas le croire. C’est une reprise du «Come Back Home» des Hollies, mais on s’en fout des Hollies, Wild Ronnie claque son beignet avec des allures intersidérales de superstar du protozozo. C’est à l’époque le seul rock électrique digne de ce nom en France. Jones parle ici de «demolition job» et de «driving slice of primal rock». Oui, Ronnie explose complètement les originaux. Il amène à la suite «Ma Vie S’Enfuit» et c’est vrai, on a tellement adoré la détresse sentimentale de Ronnie - Car ma vie entre mes doigts/ S’enfuit si vite - Ça tellement rococo ! Attention à la B-side, elle est explosive ! Boom dès «Je Voudrais Dire», il retrouve la dynamique des Pretties pour cette cover d’«I’ll Go Crazy» de James Brown, reprise par les Moody Blues. Pur genius interprétatoire, une fois encore, il n’a pas besoin de shouter comme James Brown, il fait du Ronnie et ça passe comme une lettre à la poste. Puis il allume en pleine gueule un vieux hit des Turtles et en fait «Ce Maudit Journal», bing bang !, à coups de Bravo tu soignes ta publicité, ah il faut entendre cette riffalama, et ce vous avez l’air heureux si vindicatif et si proto-punk, Wild Ronnie s’arrache la rate à coups d’après tout ça m’est bien égal, il y va au power de Zeus, je vais le déchirer, et le mec riff derrière comme une brute. Il n’y a pas eu beaucoup de superstars en France dans les sixties, mais on en dénombre trois : Vince Taylor, Wild Ronnie et Dutronc. C’est après cet EP du diable que les Tarés quittent Ronnie pour devenir les Problèmes et accompagner un autre newcomer, Antoine.

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             La fête continue avec Chante, le cinquième EP de la voie sacrée. Wild Ronnie rend hommage aux Them (et taille Antoine) avec ce «Chante» qui est une cover d’«I Can Only Give You Everything». Une fois de plus, les paroles sont un must - L’autoroute à présent devient remplie de gens - Ça dégouline de fuzz - On paye très mal ingénieur atomique/ La musique a du bon lorsqu’on pense au fric - C’est encore une fois complètement demented et battu à la diable. Son d’Antoine Rubio. On entend encore un killer solo sur «T’En Fais Pas Pour Ronnie», une reprise d’«A Legal Matter» des Who. En B-side, il prend des risques en tapant une cover du «Lies» des Knickerbockers. Il en fait «Chesse». Incroyable qu’il aille chercher cet obscur gaga-cut américain qu’on découvrira en 1972, sur Nuggets. Ce n’est pas le meilleur choix, mais derrière, ça joue à la vie à la mort.   

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             Wild Ronnie amorce son déclin avec son sixième EP, N’Écoute Pas Ton Cœur. Belle pochette, mais le son change avec l’arrivée de Tommy Brown et Micky Jones. Trop pop. Ça ne marche pas. C’est même un peu putassier. On perd tout le protozozo et le Maudit Journal. L’époque veut ça. On lime les dents du rock. Cover du «Sloop John B» des Beach Boys, «Seul Dans La Nuit» est encore plus poppy. L’arrivée du duo Tommy Brown/Micky Jones est une malédiction pour Wild Ronnie. Ces mecs-là traînent d’ailleurs avec Johnny Halliday et vont finir par monter Foreigner. Berk. En B-side, le pauvre Ronnie tente de sauver sa voie sacrée avec une cover de l’«Hey Girl» des Small Faces. Retour du style anglais. Big time ! Ça swingue à Paris. Il fait son Marriott - Ferme les yeux/ C’est bien mieux - Il le fait bien sûr en français, c’est le wild style birdy - Hey hey embrasse-moi/ Hey hey plusieurs fois.

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             Avec Tu En Dis Trop, son septième EP, Wild Ronnie passe au r’n’b. Il y va franco de port avec «Tu En Dis Trop», une cover d’«You Don’t Know Like I Know», le vieux hit qu’Isaac le prophète pondit pour Sam & Dave. Cover bien tapée - Des ennuis pourraient bien t’arriver - Wild Ronnie réussit l’exploit de balancer un vrai shout de wild r’n’b parisien. Il est le seul à avoir réussi un coup pareil avec Noel Deschamps et Nino Ferrer. De l’autre côté, il tape une cover de «See See Rider» qui devient «Tu Ne Sais Pas» - Bien des choses en toi pourraient changer - C’est balèze, bien chargé de la barcasse avec le killer solo flash et les trompettes de la renommée. 

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             Son huitième EP s’appelle La Surprise. Toujours l’époque Tommy Brown/Micky Jones. C’est pas bon. Ronnie qui n’est plus Wild tente le coup d’une cover sensible avec «New York Mining Disaster 1941». Les Bee Gees étaient alors à la mode. Ronnie en fait «Si Quelque Chose M’Arrivait» et lui donne tout le tremblement. De l’autre côté, il fait encore de la petite pop insalubre («Les Petites Filles En Sucre D’Orge») et tape dans Tim Hardin avec «Ne Me Promets Rien». Ronnie est passé à autre chose. Fini les Pretties. On lui a limé les dents. Comme on l’a fait pour Elvis. Gentil toutou, y veut un susucre ?  

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             Neuvième et dernier EP : Le Pivert. Grosse surprise ! Big pop sound, c’est violonné et produit à outrance. Ronnie chante son chant du cygne. On se demande si le petit oiseau vert dont il chante si goulûment les charmes n’est pas sa bite. De l’autre côté, nouvelle surprise de taille avec un «SOS Mesdemoiselles» quasi-hendrixien. Il se retrouve en plein dans «Purple Haze» ! Il a du son, c’est évident. Bizarre que cet EP n’ait pas marché. Même l’«Aimez-Moi» qui vient à la suite est bon.

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             On termine avec un single, «Sad Soul/Rain In The City». Intéressant, car il chante en anglais. Il se glisse dans la heavy psyché anglaise, avec sa petite magie vocale un peu sucrée. «Rain In The City» sonne comme un hit, encore une fois hyper-joué. Excellent.

             Sur scène, c’est un groupe nommé Cruciferius qui l’accompagne, pas Tommy Brown et Micky Jones, avec lesquels Ronnie va essayer de monter un groupe, proposant même de prendre le bassmatic à sa charge. L’idée est de monter un power-trio, avec Ronnie the ideal frontman. Il va à New York en 1968 essayer de négocier un contrat avec Mercury qui dit non. Il rentre à Paris et décide d’enregistrer un opéra rock avec son trio, mais des problèmes de fric l’acculent et il jette l’éponge. Il entre alors dans la troupe d’Hair pour trois ans, puis dans celle de Jesus Christ Superstar. Ronnie ira ensuite s’installer à New York et bosser dans la télévision.

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             Pour les ceusses qui n’ont pas eu la chance de barboter les EPs à leur parution, il existe au moins trois bonnes solutions : des LP compilatoires, dont le premier - et le meilleur - parut en 1976, à l’aube de l’ère punk. Il s’appelle 63-66. Même si tu possédais tous les EPs, tu te jetais là-dessus, histoire de réécouter tous ces proto-hits sur un autre format. Ils sont tous là, tu peux y aller les yeux fermés : «Elle M’Attend» (Après d’elle/ Conduisez-moi, pure Stonesy), «Tu Perds Ton Temps» (Comment lui plaire - Pretties on fire, swingin’ Paris), «Je Ne Mens Pas» (harsh and raw, c’est dingue comme Ronnie a pu taper dans le mille), «Adieu À Un Ami» (just perfect), et ça déroule encore en B avec «Où Va-t-elle ?» (Il swingue comme un démon), «Fais Attention» (Pur protozozo de Yeah Yeah, voix tranchante er riffalama de la pire espèce), «Ce Maudit Journal» (rien de plus protozozo que cette débinade de raw punk) et «Je Voudrais Dire» (incroyable comme le bassmatic swingue l’I’ll Go Crazy).

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             Le Style Anglais est un coup de Libé qui date de 1984. Tu y retrouves «Chante» et sa fuzz, le Legal Matter des Who («Ne T’En Fais Pas Pour Ronnie»), l’«Hey Girl» des Small Faces, le «Tu En Dis Trop» de Sam & Dave et la cover du «New York Mining Disaster 1941» des Bee Gees («Si Quelque Chose M’Arrivait»). Ça se termine avec «Le Pivert» et l’«SOS Mesdemoiselles» complètement hendrixien. Le Style Anglais complémente parfaitement le 63-66. Avec ces deux compiles, tu fais bien le tour du propriétaire.

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             Il existe encore une bonne compile, 1965, parue sur Big Beat Records et qui tape dans les deux époques, la première (Mickey Baker) avec «Adieu À Un Ami» et «On S’Aime En Secret», la deuxième (Antoine Rubio) avec «Où Va-t-elle ?», «Tu perds Ton Temps», «Ce Maudit Journal» et «Fais Attention».

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             L’idéal serait aussi d’écouter son premier album sans titre, Ronnie Bird, paru en 1965, car on y trouve des cuts qui ne figurent pas sur les EPs. C’est surtout un album de Mickey Baker qui casse bien la baraque dans «Je Ne Mens Pas», virulence maximaliste. Mickey Baker = Wild Jimmy Spruill. On le retrouve sur «On S’Aime En Secret», il ramène tout le ruckus new-yorkais derrière le petit Ronnie. Toujours lui sur «Tout Seul». Fabuleuse attaque. L’album mixe aussi les deux époques, car tu as tu du Rubio Sound avec «Fais Atention» (Les filles pourraient se venger et te faire pleurer), «Elle M’Attend» (Wouah vous là-bas/ n’attendez pas !) et «Tu perds Ton Temps» (Ya rien à faire !). Tous ça est gravé au fer rouge dans ta mémoire.

             Jones termine son brillant dithyrambe en suggérant que Ronnie était trop classe pour aller se compromettre dans des mauvaises émissions de variétés - Il était ce qu’il était, pour le pire et pour le meilleur, et c’est cette authenticité, couplée avec sa peerless recording legacy, qui font que sa légende dure encore - Peerless, c’est le mot exact. Inégalable.

    Signé : Ronnie Beurre

    Ronnie Bird. Adieu À Un Ami. Decca 1964

    Ronnie Bird. L’Amour Nous Rend Fou. Decca 1964

    Ronnie Bird. Elle M’Attend. Decca 1965

    Ronnie Bird. Où Va-t-elle ? Decca 1965

    Ronnie Bird. Chante. Philips 1966

    Ronnie Bird. N’Écoute Pas Ton Cœur. Philips 1966

    Ronnie Bird. Tu En Dis Trop. Philips 1967

    Ronnie Bird. La Surprise. Philips 1967

    Ronnie Bird. Le Pivert. Philips 1968

    Ronnie Bird. Sad Soul/Rain In The City. Philips 1969

    Ronnie Bird. Ronnie Bird. Decca 1965

    Ronnie Bird. 63-66. Decca 1976

    Ronnie Bird. Le Style Anglais. Philips 1984

    Ronnie Bird. 1965. Big Beat Records

    Gareth Jones : The Bird is the word. Shindig! # 143 - September 2023

     

     

    L’avenir du rock

     - My sweet Lord

     

             Comme Gainsbarre, l’avenir du rock adore groover la beauté du Bo/du Bo, qui se boit sans délai/délai, mais sous boisseau/boisson, il pense bien sûr à Dubonnet, boisson/poison apéritive/itérative hâtive/rétive. L’avenir du rut/du rite raffole tellement du Bo/du Bon qu’il ne sait plus trop si c’est du boisseau ou du biseau, il louvoie péniblement entre du Bo et Dubonnet/bonnet, et va même jusqu’à se prendre pour Gainsbarre qui, lui, louvoie littérairement/rarement entre Arthur et Henry, pendant qu’au lit/Holly, il tient l’orifice/office de Marylin en ligne de mire. Mais comme l’abus du Bo/du Bo rend miraud, il mélange tout, la line et la ligne, la mire et la mare, le Miller et le mille, l’accord et l’hardcore, un hardcore qui, soit dit en passant, aurait pu rimer avec encore. Encore quoi ? Mais encore du Bo/du Bo. Il en est là, l’avenir du ric/du rac, comme le pauv’ toutou qui ne buvait pas du Bo/du Bo, mais les paroles du maître/du mec, et qu’est mort d’une cirrhose que Gainsbarre/à la barre rime avec l’osmose, comme s’il rimait la beauté des laids/des laids avec le delay/delay de Big Russ, un fervent/fer blanc admirateur/mateur du Bo/du Bo. Depuis cinquante ans, chacun sait/say que la beauté du Bo/du Bo se voit sans délai/delay. La beauté du Bo/du Bo est un cas unique dans l’histoire du groove/du grave. Personne n’a jamais pu rimer un autre nom avec délai/delay. La beauté du Bo/du Bo échappe à toutes les catégories/Gories, à toutes les expectitudes/études, à toutes les combinaisons/liaisons, et après Gainsbarre, un nouveau chantre chante/hante la beauté du Bo/du Bo : l’inestimable/aimable Big Russ/big rush, un vétéran/torrent écossais/cossu. 

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             Il ne raconte pas que des conneries, l’avenir du rock. Il a raison, une fois de plus : Big Russ Wilkins fait partie des légendes vivantes de la scène anglaise, enfin, la petite scène anglaise, celle qu’on appelle l’underground et qui n’intéresse plus grand monde : Milkshakes, Delmonas, Len Bright Combo, Wildebeests. Plus underground, ça n’existe pas. Si tu veux voir jouer Big Russ en France, tu devras te contenter d’un petit théâtre municipal de banlieue et encore, il te faudra un sacré coup de pot : si un copain ne te montre pas le flyer qu’il vient de récupérer à la sortie d’un récent concert, t’es baisé, tu passes à côté, tu ne sais même pas que le concert de Big Russ a lieu. Mais quand tu chopes l’info, branle-bas de combat ! Tu t’organises immédiatement pour ne pas rater ça.

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             Et hop, te voilà à Montreuil par une belle journée de novembre. Quartier populaire et théâtre municipal, faune d’aficionados et ambiance des grands concerts d’antan. La première chose que tu vois en arrivant dans la salle, c’est la gratte rouge de Bo Diddley. Bon, ce n’est pas la Gretsch, mais on s’en fout. C’est vraiment pas le moment de commencer à chipoter. Et boom, le voilà le Russ, l’extraordinaire Russell Wilkins, sur scène depuis 1979, au temps des Pop Rivets de Wild Billy Childish. Super bien conservé, une vraie rock star, mais de celles qui ne se prennent pas au sérieux, l’anti-Bono and co par excellence. On renoue enfin avec cette authenticité qui fut pendant cinquante ans le cœur battant du rock anglais.

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    Big Russ va nous faire pendant une heure du pur et dur, superbement accompagné par une délicieuse bassmatiqueuse, Saskia et un beurre man qui n’hésite pas à sortir les maracas pour rocker le Diddley Beat. Le set de Lord Rochester est sans doute le plus bel hommage à Bo Diddley qu’on puisse voir ici-bas. Big Russ porte la veste en tartan rouge et gratte ses poux avec une énergie surnaturelle, il a tout pigé, il rend un hommage direct au génie révolutionnaire de Bo Diddley.

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    Il fait pour Bo ce que Guitar Wolf fait pour Link Wray, il restitue la grandeur de l’Originator avec une vigueur qui t’en bouche un coin. Tout repose sur son gratté de poux, cette façon qu’il a de plaquer un barré de l’index et de jouer le gimmick des trois autres doigts en même temps. Bon d’accord, il a du métier, mais quand même, il faut savoir jouer ça tout seul, sans le confort d’une deuxième gratte. En plus, il chante, et en plus il fait quelques pas de danse. Il claque même trois ou quatre conneries avec la gratte derrière la tête. Wild as fuck ! L’un des mariages les plus réussis entre l’Amérique des early giants, et l’Angleterre des dedicated followers of the function at the junction. Tout ça sonne incroyablement juste. Ça percute de plein fouet l’or du temps.

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    Si tu vénères Bo Diddley, alors tu vénères Big Russ. Rien à voir avec un trip passéiste : Big Russ se contente de faire éclater au grand jour l’une des grandes vérités de l’histoire du rock : l’incroyable modernité de Bo Diddley. Dommage que Big Russ ne tape pas une cover de «Bring It To Jerome». Mais il termine en apothéose avec l’insubmersible «Hey Bo Diddley», que toute la salle reprend en cœur. Ça sonne comme un hymne national. À cet instant précis, on pense à Phil May et à Dick Taylor qui étaient tellement fascinés par Bo qu’ils ont choisi d’appeler leur groupe The Pretty Things. On reste en famille : Bo, Big Russ et les Pretties. Et un set qui se situe bien au-delà de toutes les espérances du Cap de Bonne Espérance. So far out.

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             L’Hey de Lord Rochester est un album génial. Big Russ commence par rendre hommage à Bo avec «Hey Little Jermyn», mais avec une niaque gaga pure, un souffle d’aéroport.

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    Big Russ fait du Bo par-dessus les toits. Avec «Deathbed», il va plus sur le rockab, mais bizarrement, il tape dans le mille à chaque fois. Il est en plein dans l’exaspération du wild cat tamer. Incroyable pureté de l’intention ! Il repart en mode heavy rockab avec «Godzilla». Big Russ culmine dans les arts appliqués, il claque des shouts de disto du diable, avec encore plus de jus qu’en ont Wild Billy Childish ou Graham Day. Le heavy cat dans toute cette histoire, c’est Big Russ Wilkins. Il retape un heavy romp avec «All Night Long» et bascule dans le wild as fuck avec «Mr Pineapple». Les Rochester ont tellement de son ! Big Russ travaille au Diddley beat avec des chœurs d’orfraies, whaaah wap wap ! Il fait encore son Big Russ Man avec «Monkey Monkey», il est monstrueusement impliqué et déborde encore d’énergie avec «I Tried To Send A Monkey By UPS». C’est un peu comme s’il enveloppait son rock’n’roll dans son giron, le Monkey est une fois encore apocalyptique de weird rockab. Russ the Boss rend un dernier hommage à Bo avec «Seasick». L’Hey vaut vraiment le détour.

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             Pas facile à choper le Twistin’ With Lord Rochester, un Off The Hip de l’an passé. En fait c’est une compile qui reprend 7 cuts d’Hey, et 7 cuts tirés des EPs dont on va parler à la suite. Mais comme on dit à l’école, c’est une excellente occasion de réviser ses leçons, d’autant que Big Russ attaque avec l’imbattable «Hey Little Jermyn», Bo-ish en diable, magnifique de maracas et d’hey ! Ça grouille forcément de coups de génie là-dessus : «Deadly Daddy» (vieux romp de type Memphis tiré du single «Hey Little Jermyn», devenu introuvable, alors merci la comp), «I Tried To Send A Monkey By UPS» (belle dégelée de clairette éclairée), «Lady Luck» (la beauté du Bo du Bo, se voit sans délai/delay), et «Monkey Monkey» (Big Russ le gratte aux poux primitifs, il a tout l’héritage du British Beat). Et puis tu as «Monkey’s Fist», tiré du Shetland Sessions EP, un instro pas du tout tempéré, et à la suite, «Liza Jane», tiré du Mods & Rockers EP, belle descente au barbu du rock’n’roll, du pain béni pour un crack comme Russ. Il y va franco de port. Tout est fabuleusement inspiré sur cette compile, tiens, voilà encore «Seven Steps To Heaven», tiré de l’Oben Road EP, un wild rockab qui avale les distances, suivi de «Christine», tiré du single Ears Of A Prince, lui aussi disparu des radars, alors merci encore la comp. On lui serre la main avec effusion.  

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             L’idéal, quand tu craques pour Lord Rochester, c’est d’aller farfouiller dans les EPs. C’est du régal assuré et ça ne fait pas double emploi avec les deux albums, même avec le Twistin’ With Lord Rochester. Sur l’Asturian Sessions EP, tu retrouves le wild «Lady Luck» qui tape en plein dans le mille du Bo. Big Russ zèbre ça de Bo zéclairs ! Et en B-side, tu tombes sur l’incroyable «Round My Finger», un shoot de rockab d’une densité impressionnante. Ils réussissent à aller chercher cet éclat de véracité, ce foin de bop extraordinaire. Au dos, tu les vois tous les trois photographiés à la plage en maillots rayés 1900, et bien sûr, Big Russ porte sa gratte rectangulaire en bandoulière. Il reste Bo jusqu’au bout des ongles. C’est enregistré chez Jorge Explosion, en Asturie.  

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             Sur le Mods And Rockers EP, tu retrouves le fabuleux «Deadly Daddy» salué plus haut, chef d’œuvre de British Beat, et en B-side, Big Russ te gratte au quart de poil «My Baby (Won’t Ride Beside Me)». Au dos, on les voit tous les trois chez le coiffeur. Big Russ se fait faire la barbe comme Al Capone, et en dessous, on peut lire la légende suivante : «Hairdresser: Joe Meek.»    

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             Pour la pochette de l’Oban Road EP, Bug Russ et Mike Tim Matthew chevauchent une vieille moto qui ressemble à un mono-cylindre, ce qui paraît logique pour un EP en mono. Ils portent tous les deux leurs vestes à carreaux, et Lady Muck se tient tout près, appuyée sur une simili basse Hofner blanche. On peut dire que le décor est planté ! Bon tu te régales du morceau titre, c’est sûr, mais quand tu retournes l’oiseau, tu tombes sur «Don’t Understand» et tu crois entendre les Stones du premier album. Big Russ te tape là le pire des heavy grooves vénéneux. Tu n’es jamais au bout de tes surprises avec un mec comme lui. Et sur «Sweating Out The Spirits», on entend Tim Matthew battre le beurre du diable.    

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             Pour le Shetland Sessions EP, (The Viking Adventures of Lord Rochester) Big Russ, Lady Muck et Tim Matthew sortent tout droit d’un album de Tintin. Lady Muck est la Castafiore, Matthew Tintin et Big Russ saute en l’air avec la gratte rectangulaire. La titraille est celle des albums de Tintin et le rock sonne comme du Bo, dès «Up Helly AA», hey hey ! Et ça rocke encore plus en B-side avec l’effarant «Monkey’s Fist». 

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             Pas question de faire l’impasse sur le single Driving My Car/Tiger Feet, car on y voit Big Russ conduire, avec à côté de lui Lady Muck et derrière, Matthew embouche une trompette. Big Russ gratte «Driving My Car» à la Bo, avec une once de génie. Tu ne peux pas te lasser de ce son. 

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             L’Australian Sessions EP est donc le dernier en date. Coup d’envoi avec «Teenage Mosquito», fantastique groove rochestérien allumé par les chœurs pointus de Lady Muck. Et en B-side, ils basculent à nouveau dans le rockab avec l’effarant «Chicken Salt». Wild as fuck !

    Signé : Cazengler, Lord Terre-à-terre

    Lord Rochester. Théâtre Municipal Berthelot. Montreuil (93). Le 17 novembre 2023

    Lord Rochester. Hey. Twenty Stone Blatt Records 2009

    Lord Rochester. Twistin’ With. Off The Hip 2022

    Lord Rochester. Asturian Sessions. Saturno Records 2011

    Lord Rochester. Mods And Rockers. Saturno Records 2012     

    Lord Rochester. Oban Road. Saturno Records 2014    

    Lord Rochester. Shetland Sessions. Saturno Records 2016  

    Lord Rochester. Driving My Car/Tiger Feet. Folc Records 2021

    Lord Rochester. Australian Sessions. Folc Records 2023

     

    HendriX file

    - Part two 

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             Tu vois passer l’info dans Shindig! ou ailleurs : parution d’un fat Hendrix book, Jimi: The official 80th Birthday Anniversary Edition, avec des tonnes de photos et toute la memorabilia du monde. Tu commences par te dire : «Arf ! À quoi bon ?». Tu connais l’histoire par cœur, et puis de toute façon, la messe est dite et redite depuis l’excellent Two Riders Were Approaching: The Life & Death of Jimi Hendrix, signé Mick Wall. Puis tu y réfléchis. L’idée revient. Arf ! Tu la repousses. Mais elle insiste. Elle est tenace. Elle tape l’incruste, la garce. Elle fait du charme. Elle fait sa grosse pute. Tu lui dis non d’un ton ferme. Elle te dit si d’une voix mielleuse. Non ! Si ! Non ! Si ! Au bout de trois jours, tu cèdes, comme toujours, en vertu du premier commandement d’Oscar Wilde - Le meilleur moyen de résister à une tentation est d’y céder.

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             Quand tu l’as en main, ce book qui pèse une tonne, tu te dis bien sûr que tu viens de faire une connerie. «Arf, une de plus.» Puis tu le feuillettes, puisqu’il est là. Objet plaisant. C’est ce qu’on appelle ‘un livre d’art’, un grand format, 300 pages, beau choix de papier, un couché satiné qui flirte avec le 170 g, c’est remarquablement imprimé, bien sûr en Chine, comme tous les très beaux livres d’art depuis vingt ans. Les printers chinois ont fini par détrôner les Anglais.

             Et puis tu re-rentres dans cette histoire dont tu connais le moindre recoin, mais comme c’est une histoire magique, tu y replonges avec délectation. La courte vie de Jimi Hendrix est un conte de fées. On relit les contes d’Andersen jusqu’à un certain âge, puis plus tard, lorsqu’on devient adulte, on lit et on relit les contes et nouvelles des auteurs qu’on vénère, par exemple Marcel Schwob ou Apollinaire. On relit pour le simple plaisir de relire.

             Ce fat Hendrix book est un coup de biz, bien sûr, mais c’est aussi un livre d’images extraordinaires, car il faut bien dire que l’ami Jimi était, avec Elvis, Brian Jones et Syd Barrett, la plus parfaite des rockstars, l’icône définitive. Bon, tout ça, on le sait déjà. 

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             On croise aussi dans le book ces photos qu’on voyait partout à une époque, jusqu’à l’overdose, les images faites à l’île de Wight en 1970. Le torchon qui s’appelait Best en faisait même des posters, mais ce ne sont pas les images les plus intéressantes. Par contre, la première époque est fascinante. Tu as une photo de l’early Jimi avec Billy Cox et tu vois comment Billy Cox tient sa basse, très bas sur les cuisses, c’est un modèle d’attitude. Black Power.

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             Tu tombes plus loin sur une image datée de 1965, de l’early Jimi avec Curtis Knight, et tu comprends aussitôt à voir sa bobine que Jimi est un petit mec extrêmement intelligent. Ça se voit comme le nez au milieu de la figure. Puis c’est l’avalanche des premières images de l’early Experience et le début du conte de fées, ils sont tous les trois incroyablement jeunes, de vrais branleurs, et ils vont révolutionner le rock, tu vois Noel Redding, tu crois qu’il a 12 ans, coiffé comme l’as de pic, Mitch Mitchell, c’est encore pire, avec sa gueule d’enfant de chœur et sa petite bouche en cul de poule, et l’autre, là, le Jimi, en chemise de satin blanc et en pantalon orange, l’air mal réveillé, pas coiffé, mais c’est lui, ce petit blackos gaulé comme un asticot, qui va te claquer «Purple Haze» et «Crosstown Traffic» - Arf you’re just like/ Crosstown traffic ! - La BO de tes années de braise.

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             C’est avec cette image de l’early Experience que commence le conte de fées : Chas Chandler vient tout juste de ramener Jimi à Londres. Il ne reste plus qu’à monter un groupe. Chas cherche un beurrier et un bassman. Il profite d’une séance d’audition qu’organise Eric Burdon pour monter ses New Animals. Les mecs font la queue. Un branleur du Kent nommé Noel Redding se pointe pour la place de guitariste, mais il arrive trop tard. Le poste est pourvu - Arf, me chuis fait baiser la gueule ! - Alors Chas branche le dépité - Dis voir, min ch’tio quinquin, tu saurais-ty jouer d’la basse ? - Redding flaire l’occase - Arf ! Ben j’peux ben essayer ! - Chas lui file sa basse - Vens donc par là, min ch’tio quinquin, tu vas jammer avec Jimi et l’Aynsley Dunbar - Chas présente le candidat et Jimi l’accueille avec un grand sourire - Arf, tiens, look at the chords, Papa Noel, Eiii, Diii, Aiiii, got it ? - Redding ajuste ses binocles - Arf Arf ! - Après avoir jammé trois cuts à sec, Jimi l’invite - Arf, come on, let the good time roll, Papa Noel, on va siffler une pinte au pub d’en face - Ils trinquent et soudain, Jimi prend un air sérieux - Arf ! Dis-voir Papa Noel, tu veux bien  jouer dans mon groupe ? - Redding ajuste ses binocles - Arf Arf ! - Voilà comment se montent les groupes qui font l’histoire du rock.

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             Il faut encore trouver un mec au beurre. C’est plus épineux. Jimi et Papa Noel jamment avec Dunbar, puis avec John Banks des Merseybeats, et enfin avec Mitch Mitchell qui a joué avec Georgie Fame et qui est plus jazz. Jimi hésite - Arf, mon cœur balance entre Dunbar et Mitchell - Alors Chas lève les bras en l’air - T’inquéquète don’ pas, min ch’tio quinquin, on va s’faire un coup d’pile ou face - Il sort une grosse pièce de monnaie de sa poche. Mitch choisit pile et Dunbar face. Pouf ! Pile ! Chas rigole de bon cœur - Te v’là-ti pas embauché, min ch’tio quinquin ? J’vous baptise tous les trois The Jimi Hendrix Experience ! - On sera pas mal de gens à être Experienced avant l’heure.  

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             L’instigateur de ce conte de fées est donc Chas Chandler, l’ancien bassman des Animals. Il est allé vite en besogne. Grâce à Linda Keith, il a flashé sur Jimi au Cafe Wah?, à Greenwich Village. Il était temps, car Jimi en avait bavé durant les années précédentes, de 1961 à 1966. Il avait monté les King Kasuals avec Billy Cox, un pote de l’armée, et tourné comme tant d’autres sur le Chitlin’ Circuit, puis il avait débarqué à Harlem sans une thune, hébergé un temps par Fayne Pridgeon, qui grâce à ses contacts, l’avait branché sur les Isley Brothers. Il avait intégré leur backing band et l’avait quitté en 1964. Il était ensuite entré au service de Little Richard qui gérait ses musiciens à l’ancienne, avec le dress code et les prunes, Jimi avait tenu le coup pendant 5 ou 6 mois avant d’arrêter les frais - Arf l’autorité me court sur l’haricot, c’est pour ça que j’ai quitté l’armée - En 1965, Jimi était entré au service de Curtis Knight, il s’était cassé et avait fini par monter son groupe, Jimmy James & The Blue Flames, avec Randy Wolfe, qu’il avait rebaptisé Randy California. Le groupe jouait au Cafe Wah?, et c’est là que se joua son destin. Jimi tapait sur scène des classiques du blues, plus «Hey Joe», «Like A Rolling Stone» et «Wild Thing». La poule de Keith Richards, Linda Keith, avait flashé sur lui. Elle avait amené Andrew Loog Oldham et Seymour Stein au Cafe Wah?, mais Jimi ne les intéressait pas. Tant mieux pour Chas - Quoâ ? Personne n’a encore fait main basse sur c’t’asticot ? Ça m’dépasse ! - Après le set, Chas était allé trouver Jimi - J’vas t’emmener à Londres vite fait, tu vas vouère, min ch’tio quinquin ! J’vas t’faire faire un passeport vit’ fait ! - Jimi accepta de bon cœur - Arf, j’me fais que trois dollars par soir et j’crève la dalle ! Alors banco ! Nothing to lose !

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             On vient de voir le côté féérique des choses. Avec l’arrivée de Michael Jeffery, ça s’assombrit très vite. Chas n’a pas les reins assez solides pour financer le lancement d’un groupe, alors il s’associe avec Jeffery qui est l’ancien manager des Animals. Et là, c’est pas terrible. Car Jeffery va voir Jimi comme une vache à lait et lui mettre une pression terrible. Meuuuhhhh ! Album/tournée, album/tournée, et plus le succès arrive et plus la pression est forte. Meuuuhhhh ! C’est cette pression qui va tuer Jimi, Kurt Kobain, mais aussi Brian Jones, et abîmer Syd Barrett.

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             Tant que Chas est encore aux commandes, ça va à peu près. Première tournée de l’Experience en Europe avec Johnny Halliday. Le répertoire de l’Experience se limite toujours à «Hey Joe», «Wild Thing» et quelques covers de r’n’b comme «Have Mercy» et «Land Of 1000 Dances». Le premier single du groupe sera «Hey Joe», mais il faut une B-side. Jimi propose «Land Of 1000 Dances», mais Chas renâcle - Non min ch’tio quinquin, pas question ! Tu vas nous composer une ‘tite chanson vite fait - Jimi est un gentil mec - Arf, bon d’accord. Tiens ‘coute ça. Everyday in the week/ I’m in a different city. Ça te va ? - Chas est éberlué - Allez hop, prends ton paletot, on file au studio ! - Ils enregistrent «Stone Free» le jour même. Puis Jeffery va commencer à dealer avec les gros labels anglais. Il va trouver Dick Rowe, chez Decca, l’homme qui a rejeté les Beatles. Rowe écoute la cassette - Grumble grumble, beeeeh non, ça m’plait pas - Jeffery remet la cassette dans son attaché case et file chez Kit Lambert et Chris Stamp. Bingo ! «Hey Joe» sort sur Track Records. Des rockstars en devenir sur le label rock par excellence, que peut-on imaginer de mieux ?

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             Jimi est SDF à Londres. Chas l’héberge - Viens loger à la maison, min ch’tio quinquin, Lottie te f’ra cuire des bons p’tits plats et elle te f’ra ton linge - Jimi est ravi - Arf ! T’es chic Chas - Comme il se sent bien chez Chas, il compose et se met à pondre des hits. Chas est scié. Jimi lui gratte le riff de «Purple Haze». Chas en tombe de sa chaise - T’as des paroles ? - Jimi opine du chef - Arf, of course, Purple haze all in my brain/ Lately things just don’t seem the same - Chas devient hystérique - Wow wow woooo min ch’tio quinquin, c’est le prochain tube national ! Allez Hop ! Mets ton paletot on file au studio ! - Avec Chas, ça ne traîne pas. Les Animals allaient vite. Jimi fait confiance à Chas, car c’est le seul mec qui l’a vraiment pris au sérieux. Cette relation entre Jimi et Chas est un modèle du genre. On pourrait même aller jusqu’à dire que sans Chas, pas de Jimi.

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             Tout explose en 1967. C’est un peu grâce à McCartney que Jimi va jouer à Monterey. McCartney fait partie du comité de sélection et il recommande Jimi à John Phillips et Lou Adler qui sont les décisionnaires. Qui va présenter l’Experience sur scène ? Brian Jones, bien sûr. Applaudissements polis. Jimi passe après les Who, donc il doit les surpasser. Pas facile. Il va profiter de l’occasion pour entrer dans l’histoire du rock. Les Who ont basé leur set sur le chaos, Jimi choisit le sexe, il va et vient entre les reins du rock, sa gratte est un prolongement de son corps, il gratte entre ses cuisses, puis il va foutre le feu à sa gratte, une belle Strato peinte à la main. Public choqué. Jimi Superstar. Il sort de l’obscurité de Greenwich Village et devient une magnifique rockstar, un chef-d’œuvre d’animalité et de sonic trash - Sexuality & raw power.

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             Puis ça commence à déconner. Jeffery fout l’Experience sur une tournée américaine des Monkees. Les teenagers américains ne veulent pas de Jimi, ils veulent les Monkees. La tournée recrache l’Experience comme un noyau. En 1967, l’Experience fait sa dernière tournée anglaise. Jeffery n’en finit plus de loucher sur l’Amérique, dont le marché est beaucoup plus lucratif. En 1968, le groupe s’installe à New York. Entre deux concerts, Jimi enregistre. Are You Experienced est un smash, Axis Bold As Love un peu moins un smash, et Jimi continue d’enregistrer des cuts à l’Olympic de Barnes pour le troisième album, Electric Ladyland. C’est là, à Barnes, qu’il enregistre «All Along The Watchtower», avec Dave Mason, Mitch Mitchell et Brian Jones au piano. Puis Jimi va reprendre le Watchtower et virer le piano. C’est à cette époque que la relation entre Jimi et Chas commence à se détériorer. Jimi devient perfectionniste. Et ses nouvelles idées musicales ne plaisent pas à Chas. 

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             En 1968, les tournées américaines s’enchaînent, toutes plus épuisantes les unes que les autre - Arf ! J’en peux plus ! - Ce rat de Jeffery ne finance rien, ni avion, ni bus, l’Experience est obligée de voyager en bagnole avec Gerry Stickells : soixante concerts en soixante jours à travers les USA. Quand il peut souffler un peu, Jimi va enregistrer au Record Plant, à New York. Il fait venir son vieux complice de Barnes, l’ingé-son Eddie Kramer. Le premier cut qu’il enregistre au Record Plant et l’excellent «Long Hot Summer Night», et les jours suivants, il met en boîte «Gypsy Eyes» et le renversant «1983 (A Merman I Should Turn To Be)». Mais les 41 prises de «Gypsy Eyes» courent sur l’haricot de Chas. Et pas que Chas. Papa Noel commence à renâcler - Arf, Jimi, t’amène trop de monde en studio, qu’est-ce que c’est qu’ce cirque ! Faudra qu’t’arrête tout ce bordel ! - Jimi se marre - Relax Papa Noel ! - Mais Papa Noel le prend complètement de traviole et se barre en claquant la porte. Bammmm !

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             Une nuit, près avoir traîné dans le fameux club de Steve Paul, Jimi ramène Jack Casady, Stevie Winwood, Mitch Mitchell et Eddie Kramer au Record Plant - Arf, on va jammer l’ass du Voodoo les gars - La joyeuse bande tape «Voodoo Chile». C’est la troisième prise qu’on trouve sur Electric Ladyland, l’un des plus beaux albums de l’histoire du rock. Mais comme d’habitude, les labels foutent le souk dans la médina. À la grande surprise de Jimi, les Américain de Reprise ont bidouillé la pochette et viré les photos que Jimi voulait à l’intérieur, et Track a foutu 19 gonzesses à poil sur la pochette anglaise. Jimi est scié - Arf, c’est quoi ce wang dang doodle ? - Bon, les choses ne vont pas aller en s’arrangeant. Jimi grosse vache à lait, viens par ici qu’on te traie. Meuuhhh ! Chas se retire. C’est Jeffery qui va traire la vache tout seul avec ses gros doigts. Pour Jimi, c’est raide : il a perdu son meilleur fan, son cher Chas.

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             La pression monte encore. Trois ans que ça dure - Arf j’en peux plus. Chuis complètement over yonder - Fatigue et frustration sont devenues les deux mamelles de Jimi. Il réussit encore un exploit avec le concert de l’Albert Hall, qu’on dit être le plus beau. Il commence aussi à fricoter avec Buddy Miles. L’Experience joue maintenant dans des stades américains pour 20 000 personnes. En 1969, Jimi monte une nouvelle équipe pour jouer à  Woodstock avec Larry Lee, Billy Velez, Billy Cox, Juma Sultan et Mitch Mitchell, et comme on approche de la fin du fat book, ça sent la fin des haricots.

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             Construction à New York de l’Electric Ladyland studio. Jimi commence à bosser sur son quatrième album, avec Billy Cox et Mitch Mitchell, The First Rays Of The New Rising Sun, mais comme on sait, il n’ira pas au bout, et ce sont les charognards qui vont finir le boulot et accessoirement s’en foutre plein les poches. Meuhhhh ! Merci la vache à lait. Mais comment font les gens pour acheter du Dead Hendrix ? C’est un mystère encore plus épais que celui de Toutânkhamon. Bien sûr, à l’époque, on a voulu écouter Cry Of Love, mais franchement, ça n’avait aucun sens.   

    Signé : Cazengler, Jimi Harpic

    John McDermott & Janie Hendrix. Jimi: The official 80th Birthday Anniversary Edition. Chronicle Chroma 2022

     

     

    Killing Joke ne plaisante pas

    - Part Two

     

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             Il avait raison, le mec, l’autre soir, quand il affirmait que Geordie Walker ne jouait pas sur Gretsch mais sur Gibson.

             — T’es sûr ?

             — Oui. J’ai étudié son matos en détail.

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             Quelques jours plus tard arrivait le nouveau numéro de Vive Le Rock, avec Geordie Walker en couve. À l’intérieur, quatre pages sur ce prodigieux guitar slinger, et que propose la deuxième double ? Une immense photo de Geordie grattant une Gibson. Toujours la même histoire : on croit tout savoir et on ne sait rien. Plus on apprend et plus il faut se méfier de la vanité.

             Si Geordie Walker se retrouve en couverture du canard, ce n’est pas pour ses beaux yeux : il vient de casser sa pipe en bois, alors nul canard n’est mieux placé que Vive Le Rock pour lui rendre hommage. Car Geordie Walker fut avec Roland S Howard et Keith Levene le guitar slinger le plus insolite de la scène anglaise - Geordie took Keith Levene’s guitar sound to another almost inhuman and extreme level - Même dans les années 80, au temps où Killing Joke faisait encore de la petite new wave de la post à la mormoille, Georgie sonnait insolite. Il créait des ambiances et avec le temps, ses ambiances sont devenues des apocalypses.

             Bruce Turnbull n’y va pas de main morte dans l’hommage. Il jongle avec les formules délétères du genre «cold and metallic style», «crancking up the amp», «metallic and unconventional sound», «dissonant, discordant melodies», et rappelle que Killing Joke a joué pour la première fois en 1979. Geordie raconte qu’à 12 ans, il avait une acou avec deux cordes - But I could play along on Gary Glitter. Mes parents m’ont dit que si je voulais apprendre, je devais prendre des cours, et comme le cours de folk était complet, je me suis retrouvé en cours de fucking classical guitar. Puis j’ai eu une electric guitar. I was real lucky. Je suis allé dans une boutique à Northampton et je louchais sur les copies de Les Paul. Ma mère m’a dit : «Why don’t you try this one?». C’était un samedi matin,  et tous les local kids étaient dans la boutique. And that was that fucking guitar: it was a 1969 Les Paul Deluxe. The fucking thing played itself. My old man est devenu pâle. Ma mère l’a baratiné. Elle avait vu Jimi Hendrix en 1967, lors d’un package tour en Angleterre. Elle y allait pour voir Engelbert Humperdinck et Jimi Hendrix était à l’affiche. C’est comme ça que j’ai eu ma guitare - Quand il parle de son son, il reste d’une effarante modestie : «I think I was lucky to be honest. Je me branchais, made this noise and by hook or crook, I’ve managed to survive on it. It’s actually an honour. It’s just a fabulous instrument. If you get it right, it’s an orchestra in a fucking box, the guitar. It really is.»

             Alors pour rendre hommage à cet immense guitar slinger que fut Geordie Walker, nous allons extraire un texte jadis paru dans les Cent Contes Rock.

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             Jaz Coleman lève un gobelet d’étain serti de pierreries. Il est vautré dans un amas de fourrures.

             — À la santé du diable, Ha-ha ! Ha-ha-ha !

             Son groupe s’appelle Killing Joke. Ce n’est pas par hasard. Ses trilles de rire roulent sous les voûtes de pierre et s’écrasent contre les colonnes d’étai. Un feu aux flammes gigantesques gronde dans l’âtre de la salle principale du château de Tiffauges. Une incessante noria de valets encapuchonnés et pourvus des plus horribles disgrâces osseuses arrive des cuisines. Ils trottent en se déhanchant et s’en viennent entasser sur les tables les mets les plus fins et les vins les plus capiteux. Jaz Coleman est baron. Pour le récompenser de ses exploits guerriers, le roi son cousin l’a fait Pair de France. Il ripaille, comme chaque nuit, avant d’aller se jeter sur ses cornues, ses pélicans et ses alambics. Il dansera comme un ours, jusqu’à l’aube, autour du four des alchimistes qu’on appelle aussi l’athanor.

             Affalés près de lui, Geordie et Raven avalent de grandes rasades de vin et rient bruyamment, singeant leur maître. Geordie a le teint pâle des créatures hermaphrodites. Son petit crâne s’orne d’une toison de fins cheveux coupés court et subtilement délavés. Il a les manières de ces prélats qu’on voit rôder dans les caves de l’Inquisition, chargés par le Pape d’administrer les tourments les plus raffinés. Geordie porte une chasuble de brocart sombre sur lequel est brodée à l’or fin une longue tête de mort. De ses doigts frêles, il peut jouer sur une guitare des airs sataniques issus des époques les plus reculées. Il passe pour un envoûteur.

             Avec ses yeux bridés de cavalier mongol, son bustier d’acier digne d’un conquistador et sa casquette américaine, Raven s’inscrit dans un registre beaucoup plus rustique. On détecte en lui le soudard saturé d’abus barbares. Dans l’incendie de lumière qui lèche les murailles du château, sa barbiche semble dégoutter du sang de ses victimes. Il lâche des quintes de rire qui révèlent un caractère d’une extrême cruauté.

             Geordie et Raven sont les plus fidèles compagnons d’aventures de Jaz Coleman, dernier grand baron du rock de l’apocalypse. Jaz se lève brusquement, jette son gobelet contre la muraille et beugle :

              — Il est temps d’aller taquiner le lion vert !

             Il porte une ample combinaison brune de mécanicien, fermée jusqu’au cou. Elle est censée dissimuler la naissance d’un embonpoint. Un col de clergyman menace sa gorge comme une lame. Ses joues sont abondamment plâtrées de fard, ses lèvres peintes et ses yeux soutenus par de larges traces noires hâtivement dessinées. Il ramasse son épaisse crinière de cheveux noirs vers l’arrière du crâne et allume un cigare cubain. Geordie et Raven se lèvent pour le suivre vers l’aile éloignée du château où est installé le laboratoire. Après avoir parcouru des corridors si étroits que l’on n’y peut cheminer à deux, ils arrivent devant une porte basse bardée de ferrures.

             — À nous deux, Belzébut !

             Ils pénètrent tous les trois dans une belle salle circulaire à voûte gothique. Des calorifères crachent des trombes de fumée âcre, répandant une abominable odeur de pourriture, de moisi, de cuve à fuel, encore exaspérée par des senteurs irritées d’ammoniac, de résine synthétique et de pneu brûlé. Au centre de la pièce ronfle le four des alchimistes. Prodigieusement cultivé, Jaz Coleman connaît parfaitement tous les volumes ésotériques, notamment les écrits de Raymond Lulle et d’Arnaud de Villeneuve. Les manuscrits de Nicolas Flamel, traduits et commentés par Eliphas Lévi, n’ont plus de secrets pour lui. Il y a de cela quelques années, Jaz alla étudier les sciences arabes de l’harmonie au Caire. Il talonna les secrets des vieux arcanes jusqu’à Aukland en Nouvelle-Zélande, et jusqu’à Prague, où il crut bien aboutir. Têtu comme un âne, il poursuit inlassablement ses recherches. Cette nuit encore, il va psalmodier des allégories, des métaphores cocasses et obscures, des paraboles embrouillées, des énigmes bourrées de chiffres, il va mêler à ses imprécations des croissants de lune, des colombes, des grenouilles et des étoiles. Il cherche le secret de la pierre philosophale du rock, le grand élixir de quintessence et de teinture qui permet de transmuer le métal vil en rock intemporel, un élixir qui guérit aussi toutes les maladies et prolonge, sans infirmités, la vie jusqu’aux limites jadis assignées aux patriarches. Il va de nouveau tenter le coït chimique pour enfin tenir dans la paume de sa main cette pierre des Sages qu’on dit flexible, cassante, rouge, et sentant le sel marin calciné.

             Geordie a étudié les sciences occultes à Rome. C’est là qu’il apprit de source sûre qu’on ne perce pas le secret du grand magistère sans faire appel aux démons de l’enfer. Aussi essaye-t-il chaque nuit de convaincre Jaz d’entreprendre les rites maléfiques. Jaz y rechigne, alors Geordie se moque. Vexé, Jaz s’enflamme :

             — Que te moques-tu là, ribaud, les flammes de l’enfer ne m’effraient point !

             Réjoui de cet assentiment, Geordie, qui fut évocateur et noueur d’aiguillettes pour les princes italiens, trace un grand cercle magique au sol et commande à Jaz d’entrer dedans. Il entame le long processus des incantations de la magie noire, adjurant le grand Entremetteur de se manifester :

             — Ô Très-Bas ! Manifeste-toi !

             Les voûtes du laboratoire se mettent soudain à vibrer. La gueule tordue par un rire ignoble, Jaz Coleman somme le diable de se présenter à lui. Il est soudain saisi à la nuque par une poigne terrible et jeté hors du cercle magique comme un chiffon. Des forces invisibles s’abattent alors sur Geordie et le rouent de coups. Jaz et Raven voient le pauvre Geordie hurler de douleur et crier grâce alors que roule autour de lui un fracas de coups métalliques portés contre la pierre du sol. Lorsque la colère du Diable s’apaise enfin, Jaz et Raven ramassent le pauvre Geordie et l’emportent tout sanguinolent jusqu’à sa chambre, ne sachant s’il survivra à cette infernale correction. La coction du grand œuvre a une nouvelle fois échoué.

             Pendant les jours suivants, le baron replonge de plus belle dans la consultation de ses grimoires. Il fait venir de toutes les cours d’Europe des sorciers et des adeptes, des manieurs de métaux et des prêtres sacrilèges, des détenteurs des vieux secrets et des évocateurs de démons. Mais aucun d’eux ne lui apporte les réponses qu’il attend. Malade de dépit, Jaz les confie alors à Raven qui les fait disparaître. Il faut attendre le rétablissement de Geordie. Celui-ci revient lentement à la vie. Louée soit la commotion, car la lumière jaillit soudain sous son crâne :

             — Ô Maître ! J’entrevois enfin le moyen de percer le secret du mercure des philosophes !

             Geordie demande qu’on fasse apporter au château un matériel très précis. Jaz lui en accorde la faveur. Aussitôt sur ses jambes, il prend le chemin du laboratoire. Jaz et Raven lui emboîtent le pas. Le matériel est installé. Tout est prêt. Geordie trace de nouveau au sol le grand cercle magique. Mais cette fois, ils y entrent tous les trois. Geordie est armé d’une Gretsch et Raven d’une basse. Les instruments sont reliés par des cordons à un amoncellement d’amplificateurs adossés à la muraille. Raven n’est pas très rassuré. Le surnaturel lui inspire une frayeur instinctive. Il veut se signer mais Geordie lui assène un terrible coup de guitare en plein visage.

             — Ne refais jamais ça, maudit niais, tu nous tuerais !

             En guise d’amorce incantatoire, Geordie gratte les accords les plus hachés qu’on ait entendu ici-bas. Un vent glacial se lève et ramène sur eux les puanteurs vomies par les calorifères. Les yeux exorbités, Jaz avance d’un pas et commence à psalmodier un texte improvisé :

             — Quand l’été s’en va, et qu’il se met à pleuvoir, ooooh...

             Sa voix caverneuse déroule de mystérieux arcanes :

             — Quand la rivière déborde, et que la crue engloutit Prague...

             Il bat l’air de ses mains crispées, il halète :

             — Ils empoisonnent l’eau, seules les OGM poussent, oooh...

             Et soudain il se met à hurler comme une bête qu’on égorge :

             — Cinq corporations gagnent plus que quarante-six nations !

             Pour une raison inexplicable, il s’en prend aux multinationales.

             — You’ve got blood on your hands !

             Penché sur le tablier de sa guitare, comme l’Inquisiteur sur la plaie béante d’un hérétique, Geordie tisse d’infinies complexités qui doivent plus au satanisme qu’à l’harmonie. Le chaos des apocalypses roule dans les veines de Jaz Coleman. Sa voix devient si rauque et si grandiose qu’elle force les limites de l’horreur. Il hurle à s’en décrocher la mâchoire :

             — You’ve got blood on your hands ! You’ve got blood on your hands !

             De violents soubresauts agitent le trio. Le baron transfiguré hurle de plus belle :

             — L’homme a fabriqué l’enfer, l’homme a fabriqué le diable !

             Possédé, Jaz entre dans une transe froide et mécanique, ses pas le guident à l’intérieur du cercle, il avance au rythme désordonné d’un automate conçu pour détruire l’humanité, poussant un pied après l’autre, toujours le nez en l’air, le regard fixe et injecté de sang. La sueur creuse de grandes rigoles dans le fard qui plâtre son visage. Il hurle à s’en déchirer les muscles du cou :

             — You’ve got blood on your hands ! You’ve got blood on your hands !

             Ses doigts crochus griffent l’air. Il est secoué de spasmes violents. Il pousse le chant toujours plus haut. Il atteint le registre du pachyderme rendu fou par les flèches des pygmées. Des écailles apparaissent sur ses doigts crispés et des cornes lui poussent sur les tempes. Ses lèvres crachent de la fumée. Il hurle de plus en plus fort, réussissant à couvrir le fracas des instruments. Ivre de démonisme et comme atteint de langueurs malveillantes, Geordie commence à danser sur place, imitant ces créatures dépravées qu’on voit rouler des hanches dans les bouges du Caire. Les tourbillons de fumée noire des calorifères enveloppent les trois candidats au désastre.

             — You’ve got blood on your hands ! You’ve got blood on your hands !

             Possédé par des forces qui le dépassent, Jaz saisit soudain Raven à la gorge et plonge ses doigts crochus dans les chairs boucanées du vieux bassiste qui se met à hurler de terreur et à se défendre à coups de basse. Il frappe à coups redoublés, espérant faire lâcher prise à son agresseur devenu fou. D’un coup de basse que lui envierait le champion de monde de golf, Raven envoie Jaz voler à travers le laboratoire.

             — You’ve got blood on your hands ! You’ve got blood on your...

             Il heurte de plein fouet l’athanor qui s’écroule dans un fracas épouvantable. Une mer de feu se répand dans la pièce, comme si une bombe au napalm y était tombée. Le son se noie dans des gargouillis infâmes et bientôt une âcre odeur de chair brûlée emplit la pièce. Killing Joke finit toujours ses chansons par inadvertance.

    Signé : Cazengler, Silly Joke

    Geordie Walker. Disparu le 26 novembre 2023

    Bruce  Turnbull : Brighter than a tousand suns. Vive Le Rock # 108 – 2023

     

     

    Inside the goldmine

    - La bataille d’Erninie

     

             Des quatre de la bande des quatre, Ernus était le plus enjoué, le plus exubérant. Il riait comme une chanteuse d’opéra, à grands jets de trilles suraiguës. Il avait en lui cette fraîcheur et cette légèreté de l’être que tout le monde lui enviait. Il était fil unique, né sur le tard d’un couple d’ouvriers qui évidemment l’idolâtrait. À cause de ses cheveux blancs, son père passait pour son grand-père. Il voulait que son fils suive le même chemin que le sien dans l’industrie automobile et donc il inscrivit Ernus dans un lycée technique. C’est là que se constitua la bande des quatre. Inscrits contre leur gré dans ce lycée technique, ils s’étaient tous les quatre très vite marginalisés, refusant de toutes leurs forces le modèle qu’on leur proposait : une formation bien carrée, un emploi assuré grâce au Bac Technique et le meilleur niveau de salaire de la région. Un jour qu’on emmenait la classe de Terminale visiter la fonderie de l’usine, les quatre de la bande des quatre s’insurgèrent en découvrant le spectacle de ce qui s’apparentait, selon eux, à l’enfer sur la terre. Ils sortirent en trombe du gigantesque atelier de fonderie et allèrent s’asseoir dans le bus, en attendant les autres. Hors de question d’aller rôtir en enfer après le Bac ! D’autant plus qu’ils connaissaient déjà le paradis, une petite discothèque nommée Les Galéjades où ils passaient chaque week-end, invités par l’oncle d’Ernus qui en était le propriétaire. L’oncle avait installé un restaurant à l’étage, nous pouvions boire et manger à notre guise. Voir son neveu heureux rendait l’oncle heureux. Le barman Yoyo servait tout ce qu’on lui demandait. L’endroit avait pour particularité d’être une boîte de traves. Vers deux heures du matin, les stars d’un célèbre cabaret parisien de la rue Lepic arrivaient pour faire la fête et chanter Piaf. La bande des quatre n’eut jamais à se plaindre de quoi que ce fût. Jamais aucun geste déplacé ni d’avances. Tous ces gens montraient un savoir-vivre exemplaire. Il régnait dans cet endroit une ambiance surréaliste de fête perpétuelle. Nous repartions au petit matin pour regagner nos pénates et il nous arrivait fréquemment de nous retrouver en cours au lycée avec du vernis sur les ongles, ce qui nous faisait beaucoup rire. Ernus ne parvint pas à échapper au destin que lui avait tracé son père : pour ne pas lui causer de chagrin, il accepta d’entrer au bureau d’études de l’usine de construction automobile. Lorsque nous nous croisâmes en ville un an plus tard, il accompagnait une jeune femme et poussait un landau. Plutôt que de s’éclairer en me voyant, son visage s’assombrit. Il hocha la tête et poursuivit sa route. Ernus était mort avant d’avoir commencé à vivre.     

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             Espérons qu’Ernie ait connu un destin moins sombre que celui d’Ernus. Certains pourront dire qu’il y a pire, comme destin, mais si on y réfléchit, bien, il ne faut souhaiter à personne de passer sa vie dans une usine. Bon, c’est vrai, la question n’est pas là. A-t-on vraiment le choix ?

             L’Ernie en question n’est pas celle qu’on croit. Pas l’hernie discale que tout le monde redoute au moins autant que la peste. Il s’agit d’un Ernie, le grand Ernie Johnson, le Louisianais qu’il ne faut pas confondre avec l’autre Ernie Johnson, un Texan qui chantait dans Eddie & Ernie.

             Comme Ted Taylor et Artie White, Ernie Johnson est un ancien Ronn qu’on retrouve dix ans plus tard sur Waldoxy, label héritier de Malaco.

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             Sur la pochette de Just In Time, un album Ronn paru en 1984, l’Ernie pose déguisé en funkster. L’amateur de hot sex va se régaler de «Mouth To Mouth Rescucitation» en ouverture de bal de B. L’Ernie nous tape là un heavy groove érotique et la blackette qui duette avec lui atteint l’orgasme. Aucun doute là-dessus. Le morceau titre d’ouverture de balda sonne un brin diskoïdal, mais avec une solide souche de Soul, donc pas d’inquiétude. Avec «Party All Night», il propose un heavy groove de baby what’s your name et il annonce la couleur : tonite is the nite. L’Ernie a du son, c’est du Ronn. Il est crédible quand il annonce qu’elle en baver when I’m gone dans «You’re Gonna Miss Me» - qui n’est pas celui qu’on croit - Il sait aussi gérer l’heavy blues, comme le montre «Cold Woman», mais avec un faux air de Bobby Blue Bland. Il est incroyablement crédible. Il finit en mode big boogie blues avec «Give Me A Little Bit Of Your Loving». Ernie a plusieurs cordes à son arc, il maîtrise toutes les vieilles disciplines. Inventer le fil à couper le beurre ? Ça ne l’intéresse pas, oh la la pas du tout ! 

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             L’Ernie gagne encore la Bataille d’Erninie avec It’s Party Time, un big Paula de 1993. Il attaque au big boogie party d’«It’s Party Time», monté sur le plus revanchard des bassmatics. Wow, ça joue derrière le crack boom hue ! Il a un sens inné de l’inner boogie blues, il va droit au but. Il passe à l’heavy popotin avec «That Thang», l’Ernie lui tombe sur le râble et frise l’heavy Soul. Il sonne un peu comme Bobby Blue Bland sur «Broke Man Can’t Win», même tremblé dans l’attaque, il faut savoir le faire. Il injecte encore du Bobby Blue Bland dans «Hard Times» et il colle bien au terrain avec «Am I Losing You». C’est du frotti parfait. Il termine avec un super heavy blues, «I’m Doing Alright» et un big gospel batch, «Jesus Is A Way Maker» - I love you Jesus/ Eve-ry day ! - Il a derrière lui les chœurs de l’église en bois et là, mon gars, ça swingue !

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             Il enregistre In The Mood en 1995 à Muscle Shoals. Si Muscle Shoals veut encore dire quelque chose à cette époque. Il attaque en mode heavy blues avec «I’m In The Mood For The Blues», l’Erninie te jive le blues vite fait. Il y va au raw. David Hood est au bassmatic. Comme George Jackson signe «Cold This Winter», ça décolle, même si ça reste très classique. Le cut dégage un vieux parfum de Sam Cooke, aw babe, freeze it. L’Erninie refait son Bobby Blue Bland dans «Don’t Waste My Time», il dispose des deux atouts principaux : le gut et l’undergut. Il tape «Bouncin’ Back» au heavy groove et revient à George Jackson avec «Share You With Someone Else». Nouvelle combinaison de rêve : compo + singer. Il chante comme un cake. Il reste chez George Jackson avec «Move Away», un cut plus convivial qu’il amène à l’aw yeah. L’Erninie rend hommage au génie de George Jackson, il chante sa heavy power-Soul de toute son âme, c’est classique mais beau, bien contrebalancé par les cuivres. À Muscle Shoals, ils ne sont pas avares de cuivres. 

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             L’Ernie adore porter du rouge, comme on le voit encore une fois sur la pochette d’Hot & Steamy. Il attaque avec un «Kiss It» hautement suggestif, un heavy romp de coming up. Il y va au honey bunch de you’re so hot. Sexe pur. On se doute bien qu’il ne demande pas à sa poule de lui embrasser la joue. Avec «Can’t Keep A Good Woman Down», il tape un heavy slowah dévastateur, un frotti-frottah de compétition, le pire de tous. L’Ernie est fabuleux, car il s’y tient, il se coule dans la braise, il chante au perçant, à la vie à la mort. Plus loin, il rallume sa Soul avec «Made Your Bed Hard». Il entre dans la Soul par la grande porte. L’Ernie est un Soul Brother de mess around extraordinaire, il tortille du cul en vainqueur. Puis il entame une série de cuts prévisibles. Ce sont les limites de l’Ernie System. On s’ennuie, c’est pas bon signe. Il piétine les plates-bandes de Percy Sledge avec «My Lover’s Prayer» et termine avec l’excellent «EJ Story», du big Ernie de c’mon now. Here we go ! C’est énorme. L’Ernie stompe sa Soul !

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             Mine de rien, avec sa pochette rococo, Squeeze It est un fantastique album. Ça grouille de puces, là-dedans, «It’s Getting Hard» te laisse comme deux ronds de flan, l’Ernie effare par son ampleur, il tape une Soul de haut rang, il flirte en permanence avec l’Upper Black, ce que vient confirmer l’étincelant «It’s Party Time Again 2000», il groove et colore sa voix, il est fabuleux d’Hey babe, c’mon down with me, c’est l’implacabilité du Black Power, le beat parfait. Il explose l’«I’ve Been Loving You Too Long», il explose l’Otis au Sénégal, ce démon d’Ernie brûle la Soul par les deux bouts. D’ailleurs tu comprends tout dès le «Who Is The Man» d’ouverture de bal. Ernie est un pro, un vrai boogie man, il tortille son swing à la pointe du beat. Ce fabuleux Soul Brother chante d’une voix d’aptitude au chat perché. Le morceau titre est un heavy r’n’b à tendance funk. Il y va franco de port au when you’re dancing with your woman. C’est extrêmement balèze - C’mon now ! Squeeze it ! - Avec «Who Told You», il tâte encore du heavy r’n’b, il s’éclate au tell me lies, il ne supporte pas les bobards, baby, do you understand. Il rivalise d’ardeur avec Wilson Pickett - Who told you you could use my car ? - Il chauffe «The Entertainer» à la bravado de chat perché. L’Ernie exubère. Il fait les grands albums que n’a pas réussi à faire Little Richard sur le tard. Et puis voilà la cerise sur le gâtö. : «I Remember JT», un hommage à Johnnie Taylor. Lawd ! N’ayons pas peur des grands mots : c’est l’un des hommages du siècle. He was the wailer, lawd ! Et il en rajoute - Yeah everybody knew he was the star on the show/ His real name was Johnnie Taylor, Lawd ! - Dans les pattes d’Ernie, c’est une aubaine, il évoque Marvin Gaye et les Temptations - Sing on my choir ! - Et il termine ce fantastique album avec «Sexy», un groove de Soul. Tu crois rêver. Ce mec t’embarque. Il est l’un des Soul Brothers les plus vindicatifs du XXIe siècle. Son Hey babe en dérapage contrôlé est une merveille.

    Signé : Cazengler, Ernie disquale

    Ernie Johnson. Just In Time. Ronn Records 1984

    Ernie Johnson. It’s Party Time. Paula Records 1993

    Ernie Johnson. In The Mood. Waldoxy Records 1995 

    Ernie Johnson. Hot & Steamy. Waldoxy Records 1998 

    Ernie Johnson. Squeeze It. Phat Sound Records

     

    *

    Tiens, Two Runner a sorti une nouvelle vidéo sur Sweet Harmonies Sessions, Tie your dog, Sally Gall un instrumental dans lequel le fiddle d’Emilie Rose se croit sur les montagnes russes, vous grimpe et vous descend les pentes vertigineuses à vous rendre malade, il court, il court le chien de Sally, il n’est déjà plus ici, il n’est déjà plus là-bas, quant au banjo d’Anderson Paige il galope à la vitesse des pattes du bâtard fou… un morceau oublié du violoniste Will Adams, enregistré en 1953, à cette époque notre africano-américain frisait la soixantaine…

    Sweet Harmonies Sessions vous propose des vidéos enregistrées en pleine nature, dans les grandioses paysages de la Sierra Nevada. Une des activités préférées de Two Runner, mais elles ne sont pas les seules. C’est ainsi que j’ai découvert :

    THE BANDIT QUEEN OF SORROWS

    Bandcamp, You Tube, Instagram, en dehors de ces vaches laitières je n’ai pas trouvé grand-chose sur elle, notamment aucun article dans la presse folk-blues-(alternative)country-blue-grass américaine. Des annonces de concerts oui, question textes : deux  ou trois lignes qui s’entrecroisent et s’entre-copient.

    N'en voulons pas à la terre entière, c’est un peu de sa faute. L’anarchie vissée au corps et à l’âme. Un indice qui ne trompe pas, ces  Roses at my table morceau hommagial à Emma Goldman doivent dégager des senteurs peu appréciées dans l’Amérique trumpiste… Comme par hasard la couve de ce morceau représente le document (face et profil) de l’Identité Judiciaire, prise le 10 septembre 1901 à Chicago… Ne demandez-pas pourquoi notre reine se qualifie de ‘’Bandit’’, un petit côté hors-la-loi (des riches contre les pauvres) sympathique.

    En vrai, mais qu’est-ce la vérité si ce n’est une chose aussi factice que n’importe quelle représentation humaine, elle se nomme : Leslie Fox-Humphreys, ce renard qui pointe si ardemment son museau me paraît suspect. N’emploie-t-elle pas le terme de foxy-blues pour qualifier son style musical. Souvenons-nous que dans les paysages de notre douce France le Renard est inscrit sur la liste des nuisible…

    Elle vient de Bozeman grande ville (50 000 habitants) du Montana, à proximité du Parc de Yellowstone… Un état digne de notre enfance peuplé quasi exclusivement de descendants de cowboys et d’indiens, évidemment l’on préfère les Sioux et les Cheyennes, car ils paraissent davantage habités par l’esprit du renard qu’investis de la manie accaparatrice des civilisateurs.

    Pour ceux qui veulent voir notre renarde d’un peu plus près, il existe une chaîne YT Leslie Fox-Humphreys qui présente quatre vidéo, trois reprises, Spoonfull, Everybody loves my baby, Gloomy Sunday, à la guitare, vieilles de six ou sept ans, rien de bien personnel, il faut bien commencer… et une autre, qui date de quatre ans, déjà beaucoup plus originale, dans laquelle le Renard Bleu se métamorphose en Bandit Queen, harmonica, banjo, percu, et très symptomatique derrière elle un dépôt de vieux wagons… Une compo, sa voix a gagné en maturité. Elle ne s’inspire plus, elle devient elle-même.

    Elle n’a besoin de personne même si elle n’a pas une Harley, elle voyage en van. Elle se suffit à elle-même. Elle est une one-woman-band, elle joue un peu de tout de l’accordéon au violoncelle en passant par le cor…

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    Elle a déjà sorti trois albums, en 2018 : Bobby’s Super Shack (un titre qui plaira à Hervé Loison), en 2019 : Godless Sleep (inspiré par la série Twiglight Zone), en 2021 : The Bandit Queen. Ce n’est pas l’écoute de ces trois opus qui m’a attiré vers elle, mais l’affirmation maintes fois réitérée de se définir comme un deadbeat railroad rambling poet : poëte, vous ne saurez lui accorder le moindre crédit, errant le long des rails. Le train s’inscrit dans la mythologie américaine du blues et du rock ‘n’ roll, à la locomotive et à ses wagons Bandit Queen semble préférer la tristesse des rails qui courent vers l’infini sans jamais se rejoindre. Ce qui importe ce n’est ni le voyage, ni l’aventure, mais les pensées que l’on balade en sa tête en cheminant en solitaire sur ces chemins de traverses que plus personne ne suit. Son dernier album :

    WHERE THE BRAVE RUN FREE

    (CD Bandcamp /Janvier 2023)

    L’artwork de James Clark est assez éloquent pour se passer de commentaire. Il est inutile d’attendre autre chose que la mort. Noir de chez noir. L’on ne va jamais plus loin que sa propre carcasse. Le titre de cet album est un pied de nez à la patriotique devise américaine We run free because the brave qui rappelle le souvenir des braves qui se sont sacrifiés pour que nous puissions être libres… Le disque est dédié aux enfances écorchées, à ceux qui ne font que passer, aux déchirures des crises existentielles, à ces bords de falaises qui vous rendent invulnérables à toutes les balles. L’on ne court librement que vers son propre destin.

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    Hobo yearning : l’on s’attend à tout sauf cela. Elle nous a pourtant prévenus. Elle ne se déclare pas musicienne, ou chanteuse. Non, poëte. Elle récite donc un poème. Est-ce pour elle une façon d’indiquer qu’il faut prêter une plus grande attention au sens des mots qu’à la sonorité des notes. La voix nue, à peine ce cliquètement de criquet perdu dans les herbes, monotonement répétés, afin que l’on entende encore plus le silence. Elle lit, et l’on écoute, juste une voix juste, sans trémolo, sans ostentation, sans effets de glottes. Le hobo, personnage aussi mythique que Bilbo the Hobbit, se remémore - l’on a envie d’écrire se remémort - sa jeunesse, l’a choisi d’être hobo, une vie dure, de bons moments, la jeunesse est passée mais elle n’est pas morte. C’est pour cela qu’elle est encore dangereuse. Boxcar blues : enfin l’harmonica et la guitare, la couleur locale est assurée, rien à redire sur l’orgue à bouche, question guitare c’est assez simple, la loco ne fonce pas, elle se balade tranquillou, non c’est la voix de la Reine des chagrins qui mène le bal, claire et rauque un moment elle caresse l’herbe, de temps en temps elle arrache les cailloux, puis elle hoquette comme un cowboy qui a un whisky étrangleur de trop  dans le gosier, la chanson de l’éternel joueur, de l’éternel perdant, celui qui mise à mort et ne récolte jamais sa mise, ça ne l’empêche pas de croire que la vie est belle. Tant qu’on est envie. Talkin’ I won’t Marry ya blues : attention l’harmo est pointu et grinçant, la guitare roule et gronde, elle chante les deux mains sur les hanches, elle met les points sur les i, elle parle, invective et se moque plus qu’elle ne chante. Elle a déclaré tout ce qu’elle avait à dire, de sa voix vibrante, sur la fin elle laisse la six-cordes jacter pour elle. Ce qu’elle veut, c’est juste sa liberté. Ce n’est pas une revendication féministe, seulement le rappel des règles du jeu. Surtout quand elle ne joue plus. 

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    The rising sun : oui c’est bien la maison du soleil levant, des accords de guitare assez proches de la version originelle, mais l’on s’en fout, l’important c’est cette voix qui mord, qui vous agresse, qui se débat avec elle-même, ne nous la fait pas à la grandiose, à la dramatique, à l’emphatique, à la pathétique, elle cloue les mots dans son propre cercueil,  elle nous donne sa version à elle, avec ses mots à l’emporte-pièce, à l’arrache viscères, sa voix brûle et prend feu, vous n’avez jamais entendu une version si forte, ô quand ses piaulets vous trouent la tête, le pire c’est que vous n’êtes pas près d’en écouter une autre qui l’approcherait. Le blues dans ce qu’il a de plus primal, le country dans ce qu’il a de plus terminal. That’s all folks. Baby’s on the borderline : changement d’ambiance, une espèce de ragtime concassé au ralenti, un kazoo qui se fout de vous et vous tire-bouchonne les amygdales comme une langue de belle-mère, quant à notre Reine, elle joue à la Diva Jazz, elle se prend pour Odessa Harris, sa baby est peut-être cinglée mais elle n’est pas tout à fait square comme disent les ricains, l’est même totalement déjantée. Caroline : après la folie pure, un moment d’accomplissement serein, y a les cordes graves qui ronronnent comme le chat au coin du feu, et les cordes hautes qui n’arrêtent pas de klaxonner et de s’exalter, c’est l’heure du bonheur et du slow qui tue. Et celui-ci il est mortel. La Reine miaule comme une chatte en chaleur. On the hot tin  roof. Imaginez notre Françoise Hardy qui ne saurait plus chanter, et qui se laisserait aller à ses penchants les plus vils en public. Le problème c’est qu’elle n’arriverait jamais aux chevilles de notre reine des sept bonheurs. Feels like sin : ça y va tout doux, six secondes, jusqu’à ce qu’elle ouvre la bouche, si vous avez lu L’Amour fou de Breton dites-vous que c’est de la roupie de sansonnet, ici c’est de l’impudique, déjà sa manière de frapper sa guitare avec cette force, Dylan n’a jamais osé le faire, bien sûr il crache ses quatre vérités, mais il reste dans le domaine du politique, ici pas de filtre, l’intime dans sa plus abjecte nudité, ici rêve, phantasme et réalité se télescopent avec une telle violence que vous n’en ressortirez pas indemnes. Poëte, elle a dit. Même qu’il y a des anges qui passent. Aux ailes cassées.  The loss of my fight : revenons à des sentiments simples, c’est peut-être pour cela que l’on a droit à un simili solo de banjo qui se désagrège un peu trop vite. La jalousie, nous voici en territoire connu, elle griffe, elle mord, elle fait sa comediante et sa tragediante, se retient tout de même, elle tape du marteau sur son banjo et vous prend un de ces tons péremptoires qui vous fait peur, heureusement qu’elle s’adresse à elle-même, sinon on s’enfuirait. Que voulez-vous, l’on ne saurait gagner à tous les coups. Au cœur. That perfect storm : tiens elle sait être douce, elle tire sur son harmonica à la Dylan, bien sûr elle parle un peu trop haut, un peu trop fort, sans quoi on ne l’aurait jamais crue, elle reconnaît ses erreurs, elle essaie de ne pas être injuste, elle se parle surtout à elle-même, il y a longtemps qu’elle a compris que nous sommes la seule personne qui pouvons prêter une oreille à peu près compatissante à ce que nous disons, de temps en temps lorsqu’elle a accumulé trop de déchets elle pousse le bulldozer de son harmonica pour faire place nette. Ce n’est pas un nettoyage idéal, mais ça cautérise un max. A vif. Where the brave run free : non elle ne parle pas, elle joue du violoncelle, après tout ce détour en soi-même, après s’être enivré si longtemps de l’alcool frelaté de sa propre lymphe, il vaut mieux ne pas s’endormir sur ses lauriers fanés, introspection sans concession, ne jamais être dupe, reprendre la métaphore du train et reprendre la route de sa propre existence. C’est que pour arriver à sa mort il faut traverser des kilomètres et des kilomètres de vie.

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    J’ai envie de dire de The bandit Queen of sorrows, de cette fille sortie de nulle part, ce que l’on disait de Dylan à ses débuts, qu’elle joue de travers, qu’elle ne sait pas poser sa voix, z’oui, mais une force, une persuasion, une originalité, une cruauté, une authenticité sans faille. Surtout qu’elle ne change rien. Elle a tout ce dont nous n’avons pas besoin pour continuer à faire semblant de vivre.

    Que nos contemporains s’en aperçoivent assez vite.

    Admirable.

    Damie Chad.

     

    *

    Comme l’assassin qui revient toujours sur les lieux de ses (ce pluriel trahit mon côté serial killer) crimes je cherchais du nouveau, du côté de chez Thumos et de Telesterion, et plouf, le net me signale une vidéo Le Hiérophante, toute allusion à la Grèce Antique étant pour moi sacrée, plof je tombe sur un groupe français. Pourquoi aller chercher si loin, ce que l’on a déjà chez soi, je cours, je vole, je découvre :

    A / ORATOS

    Grec ou latin, j’hésite, certes ce n’est pas du linéaire B, que comprendre : aratos me renvoie aux aratoires travaux des Georgiques de Virgile, et oratos à l’art oratoire cher à Cicéron.  Voire à la prière. Fausses pistes. C’est un jeu de mots, issu du grec, par bonheur il se traduit facilement en notre douce langue françoise, c’est un peu comme si vous écriviez : IN / VISIBLE pour signifier que Visible et Invisible entretiennent d’étroites relations dont il est nécessaire de tenir compte lorsque nous braquons notre regard sur le monde.

    Nous sommes le 18 janvier, or A-ORATOS sort son album le 19 ! Je m’apprête à les maudire jusqu’à la douzième génération, lorsque Bandcamp me propose leur premier ouvrage :

    EPIGNOSIS

    (CD / Mai 2019)

    Aharon : vocals / Wilhehm : lead & rhythm guitars / Tancrède : rhythm guitar / Yoann : bass / Malkut : drums.

    Essayons de faire simple, mais le sujet est complexe. Epignosis signifie Connaissance, mais l’on peut connaître bien des choses, l’on a pris donc l’habitude de le traduire par ‘’ Connaissance totale’’. Entendez cette totalité non pas comme la somme de toutes les choses qui existent et de toutes celles qui n’existent pas, ce serait là un chemin philosophique qui nous mènerait de Protagoras à Hegel, mais pour rester au plus près d’A / ORATOS de toutes les choses visibles que l’on voit et de toutes les choses invisibles que l’on ne voit pas et qui n’en existent pas moins.

    Etymologiquement parlant ‘’epi’’ signifie : autour et ‘’gnosis’’ : connaissance. La lecture d’Aristote nous aide à mieux comprendre : physis signifie les choses que l’on voit, que l’on touche, et metaphysis ces choses qui sont au-delà des choses physiques, on ne peut pas les voir ni les toucher mais on peut les connaître. Comment ? : en étudiant la philosophie. 

    Au troisième siècle de notre ère, alors que déjà les esprits les plus subtils pressentent la disparition prochaine de l’Imperium Romanum, le philosophe Plotin théorise (et pratique) une nouvelle sagesse (sophia), celle pour l’être humain d’un accès direct à la sphère du divin, cet ascenseur qui vous permet d’accéder de plain-pied avec la divinité, cette nouvelle connaissance sera vite surnommée gnose. Le mot ascenseur est employé ici pour que les fans distraits de Led Zeppelin écoutent Stairway to Heaven d’une manière plus élaborée.

    Jusque-là tout est simple. L’Histoire s’en mêle. La montée du christianisme parmi une minorité de la population ( beaucoup d’esclaves, de pauvres, d’intellectuels et une partie des élites dirigeantes) va provoquer de grands affrontements théoriques. Les chrétiens s’emparent du mot gnose et argumentent que la véritable gnose est donc chrétienne puisque la connaissance du Christ vous offre l’accès direct à Dieu que vous rencontrerez après votre mort au paradis… Il existe donc une gnose chrétienne que l’Eglise théorisera.

    Attendre de mourir pour connaître Dieu c’est bien, mais l’homme est un animal pétri d’impatience. Se regrouperont des espèces de confréries qui vont accepter le Christ en tant que figure de la divinité et qui vont un peu barjoter au sujet de la messe. Pas besoin d’un prêtre pour communier, l’on peut communier tous ensemble, l’individu se charge de son propre salut. Boire une bonne rasade de vin de messe ne peut pas faire de mal, pour le pain c’est moins appétissant, symboliquement si le vin remplace le sang pourquoi la chair ne jouerait-elle pas le rôle du pain, que l’on partagera en toute fraternité avec son voisin ou sa voisine. On a beaucoup jasé des orgies de spermes pratiquées par les sectes gnostiques…

    Ces sectes gnostiques firent une sacrée concurrence aux pieuses confréries strictement chrétienne… L’Eglise les combattit. Âprement… Elle gagna le combat. Ce ne fut pas simple. Les gnostiques sentirent très bien où l’Eglise voulait en venir : un seul Dieu, un seul peuple, un seul pouvoir spirituel, un seul pouvoir politique… Au Dieu Unique ils en substituèrent deux, un mauvais qui avait créé les choses que l’on peut voir et toucher, comme le corps de sa voisine, et un bon qui avait créé les choses que l’on ne pouvait ni voir, ni toucher comme l’âme immatérielle prisonnière dans la gangue charnelle de votre corps. Evidemment vous essayez d’aider votre âme à rejoindre le dieu gentil hors de ce bas-monde, mais le dieu mauvais qui commandait votre corps ignominieux il n’était pas facile de s’en abstraire, nul ne saurait vous reprocher vos incessantes et visqueuses retombées dans le stupre… 

    Lorsque Constantin institua le christianisme catholique comme religion d’état, les gnostiques connurent répressions et interdictions. Mais l’Eglise ne s’en tint pas là : durant des siècles elle fit la chasse à tous les textes théoriques gnostiques. Comprendre qu’elle les détruisit. Pendant des siècles l’on ne parla plus des gnostiques…

    La chappe de plomb dura jusqu’en 1945. En Egypte, près de Louxor, tout proche de la localité de Nag Hammadi furent retrouvés plusieurs manuscrits d’anciens textes, apparemment des textes chrétiens, mais lorsqu’on les traduisit il fallut reconnaître que c’étaient surtout des écrits gnostiques qui révélaient des ‘’choses pas très catholiques’’ de la vie du Christ. On se hâta de les parer du mot un peu compliqué de ‘’gnosticisme’’ pour bien les différencier de la vraie gnose chrétienne… Ces textes se retrouvent de nos jours dans toutes les bonnes librairies. Par un curieux hasard nous les évoquerons dans la chronique suivante dans la chronique d’un groupe qui n’a rien à voir avec A / Oratos.

    En 1973 Raymond Abellio, l’auteur de La structure absolue, théorisa en Le dévoilement de l’ésotérisme l’idée que notre époque moderne entamait un nouveau cycle, que le plus grand nombre pouvait désormais entrer en connaissance avec des doctrines ou des savoirs longtemps interdits, longtemps cachés, longtemps véhiculés par des organisations secrètes, occultes, ésotériques… La démarche d’une formation de rock comme A / Oratos qui se revendique en toutes lettres comme un groupe de black metal gnostique participe de cette vision abellienne…

    Enfonçons le clou : dans une ancienne livraison nous présentions Cabala Led Zeppelin Occulte ouvrage de Pacôme Thiellement (pour la petite histoire synchronique rappelons que les Codex de Nag Hammadi ont été retrouvés dans ce qui doit être l’emplacement d’un monastère copte disparu dédié à Saint Pacôme), or actuellement vous pouvez retrouver sur des sites que nous définirions hâtivement plutôt d’extrême-gauche que d’extrême-droite de longs exposés christo-gnostiques sur le personnage du Christ sous la doctrinale houlette de Pacôme Thiellement. Comprendre le concept de dévoilement de l’ésotérisme comme un fait culturel ne suffit pas si on ne l’associe pas à une dimension politico-historiale.

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    The sin offering : belles harmoniques, ici tout n’est que calme luxe et volupté a-t-on envie de réciter, méfions-nous les apparences sont trompeuses, le déluge sonore qui fond sur nous remet les pendules à l’heure originelle. Egyptienne comme il se doit. Nous sommes aux confins du désert biblique et néolithique. Trois mythes se superposent et s’imbriquent les uns dans les autres. Nous semblons très loin de la gnose mais les séquences de plénitude harmoniques sont là pour nous rappeler les belles prairies immortelles de l’âme pacifiée et les typhons phoniques destructeurs nous dévoilent les images mythiques. A l’arrière-plan, le dieu Apis, et sa contrefaçon, le veau d’or hébraïque, souvenons-nous que l’or est la merde l’Eternel, Aaron (frère de Moïse) qui a laissé proliférer cette adoration de la matérialité la plus abjecte, devra offrir en sacrifice le Taureau, la seule offrande qui lavera l’affront du péché originel qui consiste à rejeter l’Eternel pour idolâtrer un autre dieu représentant de notre animalité corporelle. Mais la mise à mort d’Apis – historialement il était-là avant l’Eternel – ne suffit pas, il faut encore délivrer les esprits de leurs souillures, cette azazélie consiste à envoyer au loin dans le désert un bouc symboliquement porteur des souillures pêcheresses du peuple Hébreux… Le morceau est musicalement construit à l’image de la couve du CD, si le serpent du Bien et du Mal sont dissemblables ils sont si entrelacés qu’en quelque sorte ils ne forment plus qu’un. Si au début les parties sereines réduites à une seule guitare sont nettement séparées du tsunami instrumental et vocal qui survient, bientôt vous avez comme des espaces de sérénités qui s’insinuent dans les parties phoniques oragiques, un peu comme les clairières ensoleillées de l’être heideggerien sont disséminées dans la sombre profondeur des forêts de l’absence de l’être. Toutefois la dernière séquence laisse présager que le reptile de l’immatérialité s’est séparé du reptile des gluances matérielles. L’enstase, les harmoniques de l’âme :  Plotin parlait d’extase, cet instant où l’âme humaine accède, monte vers, se hisse, jusqu’à l’état divin. Il existe un autre moyen de connaître cet état : l’enstase, parfois nommée instase, selon laquelle il est inutile de sortir de soi pour accéder au divin, puisqu’une parcelle du divin est déjà au-dedans de nous, il suffit de descendre au plus profond de soi pour entrer en communication avec ce que vulgairement l’on appelle l’âme. Ces moments privilégiés sont très courts, ce deuxième morceau dépasse à peine les deux minutes, l’on y retrouve ces rondeurs rutilantes de guitare emplie de luxe intérieur, de calme ou plutôt d’absence de bruits organiques, et d’une volupté non sexuelle. Faites un effort, non de dieu, pour imaginer cette dernière chose qui vous étonne tant ! Hymne au firmament : sonorités effilées qui se métamorphosent en une cavalcade échevelée, il ne s’agit plus de lésiner, il est nécessaire d’expliciter ce que l’on a présenté si brièvement en le morceau précédent, le chant se transforme en exhortation vocale, mais l’on ne peut se contenter d’un seul aspect de ce qui est innommable, tout est dit, mais selon des registres contrastés, car la tranquillité n’est que la négation de la fureur et le silence la négation du bruit, ce que vous n’entendez pas existe autant que ce que vous entendez. Grandiose vocation du firmament céleste, reflet de la transparence de notre âme, mais si semblable que l’on ne sait plus qui reflète l’autre, puisque les deux sont d’une seule et même nature. Car nous sommes semblables au divin.

             Même si vous êtes imperméables à la pensée gnostique cet EP est un diamant noir qui luit dans la nuit du black metal.

             Nous voici le 19, il est temps d’écouter :

    ECCLESIA GNOSTICA

    (CD / Les Acteurs de l’Ombre / Janvier 2024)

    Aharon et Wilhehm, têtes pensantes du groupe, ont peaufiné durant plus de quatre ans leur deuxième opus, signe d’une démarche intellectuelle et spirituelle des plus authentiques. Ils ont encore fait confiance à Vincent Fouquet pour la couve de l’album. Un artiste qui puise son inspiration en lui-même. Ses œuvres sont à l’image du nom de son site :  Above Chaos. Des visions issues des cauchemars les plus noirs pétries d’une beauté fascinante. Yeux immondes de Gorgone qui vous regardent sans vous voir mais vous entraînent en des abîmes sans fond. Parmi ses inspirations il cite aussi bien Gustave Doré que Philippe Druillet.

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    Cette deuxième couve est différente de la première. Beaucoup plus symbolique. Il convient de la déchiffrer pour la regarder. La première s’offre à vous, par la monumentalité des deux colonnes du Temple et ce gros plan serpentique, si expressif que chacun se sent investi d’un pouvoir d’interprétation hermétiste.

    Les titres des deux albums nous font passer de la notion de Connaissance à celle d’Eglise. Une tendance hégémonique dont il faut se méfier.  Dans une interview donnée à Metal Obs’ Magazine, Wilhelm indique que ‘’la pointe de lance au-dessus l’ossement humain symbolise (…) le rejet de la chair humaine’’. Nous sommes ici loin de la gnose grecque entachée de paganisme, et bien proche d’une vision kabbalistique entée sur le monothéisme élitiste égyptien.

    Aharon : vocals / Wilhehm : lead & rhythm guitars / Léo Dieleman : bass  / Kampen Turbokot : batterie.

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    Le hiérophante : il existe une Official Lyric Video postée en avant-première sur YT que nous vous invitons à regarder : originale, une belle mise en scène de la parole rituellique sacrée, une musique qui du début à la fin fonce droit devant comme si elle tenait à exprimer la grandeur démesurée de l’univers, une espèce de tourbillon, de vent de sable du désert, qui emporte tout sur son passage, l’immuabilité du monde résidant dans la parole sacrée de l’hiérophante qui conte la sagesse du Dieu Eternel, au-dessus de tout. Il ne suffit pas d’écouter, il faut lire aussi les symboles, ne serait-ce que le premier stylisé qui représente le soleil, lui-même présent sous forme de poudre d’or sur le visage du récitant, il récite une généalogie sacrée, celle qui serpente de l’Eternel à Hermès Trismégiste, au pharaon, au prêtre récitant qui n’est que celui qui transmet la parole du premier prêtre hiérophantique. Hormis l’or du soleil beaucoup de noir sur cette vidéo, comprenons que le Dieu Soleil se voit le jour, mais disparaît la nuit. Où est-il ? Est-il mort ? Existe-t-il encore alors que l’on ne le voit plus, et quel est cet espace, ce pays, qu’il traverse durant la nuit. ? Qu’est-ce que ce mystérieux Douât dont il s’extrait chaque matin ? Nous aussi ne devons-nous pas à notre mort explorer cette lande que l’on pressent terrible, dangereuse et infertile.

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    Daath : il existe aussi une Official Lyric Video postée en avant-première sur YT qui reprend avant tout les symboles de la couve du CD : toujours le même entrain musical, la batterie davantage marquée, le sludge du chant est rehaussé de paroles prononcées d’une voix un peu trop blanche à notre goût, est-ce pour marquer la peur de l’impétrant appelé par lui-même à faire le choix ou le non-choix du daath, irrémédiable séphiroth de la connaissance absolue qui équivaut à la mort. Si vous refusez vous mourez tout de même, mais il n’y aura plus d’après, si vous acceptez vous voici projeté dans cette zone noire du Douât qui invisibilise le Soleil et maintenant vous accédez à la connaissance des choses visibles et invisibles, vous voyez le char du Soleil resplendissant glisser dans le Douât et vous comprenez que maintenant vous ne mourrez plus puisque vous êtes vivant. Puisque vous avez atteint le Dieu éternel et que vous partagez son illimitation. Pour votre édification digitale il existe une Official Guitar Playthrough Vidéo où l’on zieute Wilhelm jouer sa partie de guitare du morceau, on ne le voit pas en entier, il joue assis, l’instrument posé sur son giron, l’on jauge surtout son habit blanc d’allure sacerdotale, bordé d’un liseret d’or. Please play very loud.  Deuteros : permettons-nous une pointe de gémellité satanique, peut-être parce que ce troisième morceau encore plus beau et plus fort de les précédents, une structure d’une grande complexité, imaginons une partie d’échecs dont les coups se suivent si rapidement que l’on ne sait plus lequel des deux challengers poussent telle ou telle pièce…Est-ce-un dityrambe ou une mise en garde, Deuter désigne le Démiurge, le deuxième Dieu, celui qui a emprisonné votre âme éthérée dans le cloaque charnel de votre corps. Disciplina arcani : intro foudroyante qui tombe sur vous comme l’aigle sur sa proie, même si bientôt l’instrumentation se désagrège, si la terre se dérobe sous vos pieds, vous entrez en une longue marche difficile, le Dieu suprême l’émanation première n’a pas l’air de faire la moitié du chemin pour venir à votre encontre, c’est à vous de vous coltiner par vos propres moyens la montée de la colline la plus haute. Musicalement parlant l’architecture phonique est sensationnelle, idéologiquement je ne suis pas prêt à souffrir pour manger la part du gâteau que le Dieu Numéro 1 me garde en son frigo, qu’il me l’apporte tout de suite sur un plateau, ou qu’il aille ailleurs, me suis très bien passé de lui jusqu’à présent. Ô roi des éons : quelle introduction grandiloquente, l’est sûr que l’on s’adresse au Roi de Eons, autant dire au fin du fin, à la sommité du sommet, celui qui siège tout en haut des trente dalles d’éternité éonique qui sont comme autant de marches constitutives de sa royauté, qui vous rapprochent de lui, hymne hommagial mais le disciple qui s’approche comprend bientôt que la plénitude du roi est quelque part totalement étrangère à sa nature humaine, que l’on ne touche pas à la flamme de la lumière sans s’y brûler, que l’instant pur est aussi long que l’éternité et qu’il n’est pas encore prêt à franchir le dernier cercle qui semble reculer chaque fois que son incomplétude risque un pas en avant. De la gnose éternelle : la Connaissance ne peut que nous délivrer de nos manquements, il existe une guérison, une panacée qui nous guérit de notre mort éternelle, musique violente, le dernier effort, l’on dit que le mourant connaît quelques heures avant son trépas une espèce de sursaut de vie, mais cette rémission ne serait-elle pas un piège, une dernière succion de la matière pour nous faire accroire que nous sommes de ce côté-ci, pour nous retenir dans notre mort  alors que la gnose éternelle nous apprend que notre partie immortelle se doit de passer, de retourner dans la part éternelle qui nous constitue. Le septième sceau : aux premières notes nous avons l’impression que la musique tonitruante tient avant tout à manifester le Silence qui suit l’ouverture du septième sceau de l’Apocalypse, la musique se change en un super générique de film rempli d’angoisse, avec des instants de solitude où le feu rampe sur l’autel du Seigneur, jusqu’à ce que l’Ange lance le feu exterminateur sur la terre, destinée à la destruction. Le feu n’est-il pas le signe, l’autre face de la glorieuse lumière de l‘Un.

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             Musicalement cet opus de A / Oratos, ravira les âmes (s’ils en ont encore une) des amateurs de Black Metal Mélodique. Sombre, violent, lyrique. De la très belle ouvrage inspirée. Pour ma part je trouve cette gnose éternelle un peu trop proche d’une gnose christique.

    Damie Chad.

     

    *

    Lionel Beyet me signale la parution du numéro 180 de P.O.G.O Records, des disques pour les Pour les Oreilles Grandes Ouvertes. Je jette un coup d’œil sur la pochette, what is it ?. Peut-être que le nom de l’album écrit tout en bas dans le coin droit de la pochette me renseignera, un peu difficile à déchiffre cette espèce de police-graffiti. Je n’en crois pas mes yeux, oh que oui que ça me parle :

    ET IN CACOPHONIA EGO

    6Exhance

    ( Pogo Records / Décembre 2023)

    J’ignore tout de ces gars, mais z’ont un sens de l’humour développé, z’ont calqué le titre de l’album sur l'inscription Ei in Arcadia Ego que déchiffrent les trois bergers du du célèbre tableau de Poussin : Les bergers d'Arcadie.

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    Pour ceux qui ne connaissent pas ce tableau et qui poussés par une stérile curiosité voudraient ne serait-ce que le regarder de plus près sur le net, je les conjure de n’en rien faire. Si vous comptez ne pas suivre mes conseils, enfermez-vous seul à clef dans votre logis, coupez votre téléphone, prévoyez un minimum de trois jours de vivre, et tentez votre chance. Vous vous apprêtez à tirer le fil d’une étrange énigme qui risque de vous emmener loin très loin de vos préoccupations les plus immédiates. Pour vous donner un exemple précis tiré de cette livraison 629, dites-vous qu’il existe des liens très étroits entre le sujet du disque d’A / Oratos chroniqué juste ci-dessus et ce chef-d’œuvre de Poussin. Je n’en dis pas plus, qui cherche trouve. Attention aux implications politiques…

    Passons à des choses plus simples :

    David Jean’s Nokerman : guitar, bass effects / Peter Verdonck : vocal, saxophone / Kjell De Raes : drums.

             Nos trois héros ne sont pas eux-aussi en Arcadie mais en Cacophonie, une indication des plus précises quant à leur genre de musique. Vous le disent par deux fois d’une manière plus détaillée sur l’en-tête de leur FB : Very_math metal versus free jazz et Very math-metal avec influences free jazz.

             Certains blêmissent en lisant le mot math. Inutile d’être un crack en résolutions d’équations pour les écouter. L’expression math  metal a été créée pour signifier que certains groupes de metal utilisent des changements de rythme incessants, bref ne se complaisent pas dans les lignes mélodiques qui coulent comme un long fleuve tranquille, un coup vous êtes sur l’Everest, et cinq secondes après dans la fosse des Philippines. La relation fractionnaire entre mathématique et musique ne date pas d’hier, voici plus de vingt-cinq siècles Pythagore théorisa cette promiscuité entre les deux arts… Durant toute l’Antiquité l’on enseigna la musique en relation avec la mathématique… Je ne me suis jamais autant ennuyé qu’en écoutant Les Variations Goldberg de Bach, composées selon une logique mathématique à toute épreuve.

             Ne cherchez pas une contradiction fondamentale entre ‘’contre’’ et ‘’avec’’, parfois l’on a l’impression de se battre contre un bête, ou avec un ange, dans les deux cas l’on a affaire au même ennemi, qui épouse successivement votre double nature.

    Est-ce du Metal ? Est-ce du Jazz ?  Est-ce du Math ? Est-ce du Free ? Si vous voulez apprendre à voler comme un oiseau, commencez par bazarder votre parachute. Les deux. Le dorsal. Et le ventral. C’est tout simplement de la musique. Essentielle. Non pas parce qu’elle vous procure une grande joie et que vous pensez que vous ne pourrez jamais vivre sans elle. Ce qui est faux. La preuve vous mourrez sans elle. Ce n’est pas moi qui ai décrété qu’elle est essentielle. Ce sont nos trois lascars. L’ont écrit en toutes lettres. Pas de titre ronflant. Juste des verbes. Le minimum vital. Ne désignent pas des choses, désignent juste les actions. Qui permettent d’être. De vivre. De survivre. Dans le moment où l’on est.

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    Nourrir : si vous ne mangez pas, vous crèverez. Il y a une Official Music Vidéo qui vous le prouve. Pas de couleur. Du noir et du blanc. L’essentiel. De la musique. Non. Des musiciens qui jouent. Si personne ne joue vous n’aurez pas de musique. La caméra ne les met pas en scène. Elle filme davantage leurs instruments que ceux qui en jouent. Si, de temps en temps vous les voyez. Pas très longtemps. Jute la position de leurs corps adonnés à leurs instruments. Comme des signes noirs dessinés sur une portée blanche. Ne sont pas ici pour la gloriole. Faut qu’ils nourrissent leurs instruments. Peter file la becquée à son sax. Kjell tape sur ses peaux pour que ça rentre mieux. David gratouille le ventre de sa guitare pour lui chauffer l’estomac. Vital pour eux. Ce qu’ils donnent les instrus le leur rendent, le vomissent au centuple même. Une espèce de 69 – ne s’appellent pas 6Exance par hasard – nutritif. Je sais bien que nous sommes dans la civilisation de l’image, mais il est temps d’écouter. Ce n’est pas du bruit. Une lave bouillonnante. Un magma terrifiant. Non pas parce que ça vous prend les oreilles mais parce que vous percevez chaque instrument en lui-même. Tous ensemble, chacun apporte sa pierre, mais dans le mur édifié vous savez à qui appartient tel ou tel caillou. Ça ressemble à quoi ? A des déchirures constructives. Un peu comme la dérive des continents, ils s’écartent les uns des autres pour mieux former la pangée. Feuler : l’être humain pleure, le tigre feule. Il faut choisir son camp. Celui de la puissance. Avec des hauts et des bas. Des bouleversements. Et des à rebrousse-poil. La guerre est l’art majeur. Le sax sonne la trompette, la batterie massacre, la guitare est moteur d’avion, plaintes, bombardements, agonies, cris, l’homme est un prédateur, un destructeur, Peter hurle comme un barbare, il grogne, il hargne, la musique n’a jamais été faite pour vous rendre heureux mais pour vous pousser dans vos derniers retranchements, elle pousse, elle catapulte, elle détruit vos certitudes, elle est son propre mode opératoire qui s’empare de votre planète égotique et colonise vos sens et votre cerveau. La musique culbute et subjugue. Vous devez vous avouer vaincu. Le tigre qui est en vous a soumis la misérable bébête humaine. Ahaner : après la guerre, le rut. J’ahane comme un âne. Le sax braie, la batterie tape du pied, la guitare remue la queue. Violent et croustillant. Enfourne ta gourme. Vous avez des descentes de gamme comme des descentes d’organe ou de lit. Alarme, la Sirène vagit. Un véritable charivari pousse la charrue, le sax hennit, joue le rôle de l’étalon fou qui galope dans ses tripes. L’amour la guerre c’est du pareil au même. Du pareil à l’autre. Terrible décharge.

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    Sourdre : un verbe rare. Si je vous demandais : vous sourdez souvent ? Une lueur d’égarement flotterait dans votre regard. Mais que vais-je pouvoir lui sortir comme réponse, vous demanderiez-vous ? Preuve que quand on croit ne pas savoir, l’on sait déjà. Chez 6Exance ils sont gentils. Vous ont concocté une Official Music Video pour vous aider à comprendre. Avec même une musique d’accompagnement qui suit et souligne l’action. Pour une fois l’on a l’impression que leur musique peut aussi vouloir dire quelque chose. Je vous recommande le passage où le sax vous prend des airs de trompette de Miles Davis dans Ascenseur pour l’échafaud. Entre nous ce serait plutôt ascenseur vers la folie. Ressemble à quoi ?  Imaginez dans les années cinquante les mises en scènes des Frères Jacques pour présenter leurs chansons, assurez-vous toutefois qu’ils aient auparavant sniffé un rail de quatre kilomètres de cocaïne et ingurgité une trentaine de comprimés lysergiques… pour ceux qui n’aiment guère la chanson française, soyons un chouïa davantage américanpphiles, pensons à l’esthétique débridée des vaudevilles, du blackface et des films muets comiques de Buster Keaton.  Peut-être même à certaines interventions de Bretch dans les usines en grève d’Allemagne. Raconte quoi ? Que chacun se fabrique sa petite histoire : une histoire de cœur, une histoire de vampire, une satire anti-fachiste ? Ce qui est sûr, c’est que ce qui sourd de notre monde, ne sera pas obligatoirement joli-joli. Le free-jazz a toujours porté un regard critique sur les conditions sociétales du monde dans et par lequel il a été et il s’est auto-engendré. Enfin vaut mieux être sourdre et entendre cela.

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    Nosographier : par l’emploi de ce verbe, nos trois jeunes gens veulent-ils insinuer que notre monde serait malade. L’existe aussi une Official Music Video. L’on va finir par croire qu’ils ne font pas de la musique noisique juste pour le plaisir du bruit. Certes vous les voyez jouer. Mais ce n’est pas du tout genre regardez comment on est beau sur scène et comme on joue bien ! D’ailleurs parfois ils n’ont rien dans les mains. Bye-bye l’instru s’est barré. Preuve que ce qui compte ce sont les regards qu’ils portent sur-mêmes. Ne veulent pas être dupes, ni de leur rôle de stars, ni des tortillements de leur public, ni d’eux-mêmes et surtout même pas de leur musique. Non seulement ils font de la musique mais en plus ils se demandent ce que cela veut dire. De quelle maladie de notre monde ils seraient le symptôme. Minauder : quel verbe gentillet mais quelle musique angoissante, une chappe de plomb liquide qui tombe sur vous comme un linceul. Un sax qui glapit, une guitare tronçonneuse, un batterie tonnerre, z’avons oublié qu’ils se prévalaient de la cacophonie, un ouragan d’apocalypse s’en vient trouer vos oreilles. Quelle noire vision de notre monde ! Et des postures que nous adoptons pour tenter d’y survivre. Peroraisonner : à la fin d’une traversée, il faut ne pas oublier  son mot-valise. Demandons à la musique ce qu’elle veut dire. Premièrement que nos trois compagnons ont réussi leur pari, qu’ils ont parfaitement réussi l’accouplement alchimique du math metal et du free jazz. Une masse sonore qui écrase mâtinée d’une échappée indissoluble, d’un débordement intransitif vers on ne sait quoi. Bref, nous pouvons boire le champage. Non ce n’est pas tout à fait la fin. Reste encore à sabrer. Non pas le champagne. A s’auto-sabrer, Ils ont le son. Indubitable. Mais qu’en est-il du sens ? Auraient-ils joué pour ne rien dire ?

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             Nous reste une image, celle de la couve. Elle est de David. Avec un nom de groupe comme 6Exhance et cette paire de ciseaux, vont-ils se mutiler, considèrent-ils leur musique comme une castration. Non ils ne se sont pas privés des bijoux de famille. Se sont juste coupé la tête. A moins que ce ne soit notre monde qui ait perdu la tête et qu’ils considèrent que les efforts des artistes comme eux sont dérisoires. Mais absolument nécessaires puisqu’ils le font.

             Si certains recherchent l’Arcadie d’autres, ils viennent de Belgique, construisent des forteresses sonores de résistance en cacophonia…

    Dans quel monde vivons-nous maintenant si le rock‘n’roll nous demande de réfléchir…

    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 205 = KR'TNT ! 324 :TOY / NEGRO SPIRITUALS / JAMES BALDWIN / JIMI HENDRIX / RONNIE BIRD

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 324

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    11 / 04 / 2017

     

    TOY / NEGRO SPIRITUALS / JAMES BALDWIN /

    JIMI HENDRIX / RONNIE BIRD

    I’ll be your plastic Toy

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    Tom Dougall et ses amis de Toy aimeraient bien sortir d’une belle chanson des Mary Chain, mais il leur faudrait des épaules. Ils n’ont ni la démesure, ni le son qui permet d’atteindre le niveau d’un blaster comme «Just Like Honey». Les grands spécialistes classent Toy dans les noisy, c’est-à-dire les bruitistes, une catégorie aussi fourre-tout que ce qu’on appelle aujourd’hui la scène psyché et qui ne veut rien dire. Toy est tout bêtement un quintette de rock anglais basé à Brighton et qui propose, au long de ses trois albums, un rock ambitieux et atmosphérique typique d’une scène anglaise qui cherche à se renouveler sans y parvenir. Trois albums, c’est la distance idéale pour montrer qu’on tourne en rond. Ils rappellent les mauvais souvenirs de la fameuse scène Shoegaze anglaise, celle des mecs qui regardaient leurs pompes pendant une heure lorsqu’ils montaient sur scène, les Slowdive et autres Ride, des gens qui se prenaient alors pour les héritiers du early Floyd et de Spacemen 3, mais qui n’en avaient ni les moyens, ni les épaules.

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    Les Toy affichent pourtant un look qui met en confiance. Quand on voit les images, on se pourlèche les babines. Ils ont ce qu’on appelle des gueules et portent les cheveux longs. Deux d’entre eux ont mêmes des faux airs de Pretty Things, et pas n’importe quels Pretties, ceux de 1964. Le conseil qu’on peut donner, c’est de les voir jouer sur scène avant d’écouter leurs trois albums. Toy est véritablement un groupe de scène, même si le petit chanteur Tom Dougall ne semble pas à l’aise. L’âme du groupe s’appelle Dominic O’Dair. Il joue de la guitare, mais avec une sorte de virtuosité qui finit par fasciner.

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    Ce mec empoche tous les suffrages à lui tout seul. En plus, il a une petite gueule de rock star, il est d’une beauté angélique. Il joue des figures extrêmement biscornues pour créer des climats byzantins, il plaque des accords jusque-là inconnus et combine ses notes avec les gestes mesurés d’un alchimiste. On finit par ne plus quitter sa main gauche des yeux, car il ne fait jamais deux fois la même chose. Il joue sur Telecaster et s’énerve parfois tellement qu’il casse des cordes. Tout l’édifice de Toy semble reposer sur lui.

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    Et sur le bassiste Maxim Barron, dont le visage disparaît sous une cascade de cheveux blonds. Il porte une sorte de combinaison de sky noir et joue des basslines extrêmement sophistiquées. Il est l’élément le plus visuel du groupe, car il bouge énormément et secoue sa tignasse en permanence. Quelqu’un disait qu’il portait une croix de fer parce qu’il est fan de Metallica. Enfin bref. Le mec qui fait battre le cœur de Toy, c’est le batteur, l’excellent Chris Salvidge aux joues mangées par d’énormes rouflaquettes.

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    Au centre, se tient le fluet Tom Dougall, avec sa petite tête de pivert. Il joue sur Fender Jaguar et un cinquième larron complète les effectifs, debout derrière le clavier d’un petit orgue. Il remplace donc Alejandra Diez qui, quand on écoute les deux premiers albums, semblait être l’âme du groupe, au niveau du son. Alors oui, sur scène, Toy peut en mettre plein la vue. Ils ont des cuts taillés sur mesure pour créer la sensation, comme «Dream Orchestrator», un joli cut en up-tempo tiré du troisième album, ou encore «Join The Dots» le morceau titre du deuxième album qu’ils jouent en fin de set. Choix judicieux, puisque ce cut explose littéralement.

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    Ils jettent des paquets de mer sur les Dots et le cut sonne comme le messie qu’attend le public. Ils jouent ça à l’hypno aventurier, c’est claqué à la basse sur deux notes par un Maxim Barron surexcité qui descend aussi dans des sous-régimes de basse assez déments. Ils savent très bien ce qu’ils font. On voit ce bassman fou gratter ses notes à l’étage en dessous. On comprend alors pourquoi ils finissent avec les Dots : rien n’est plus possible après ça. On assiste là à une véritable dégelée de mad psychedelia.

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    Alors, si on s’est régalé du Dots final, on peut écouter leur deuxième album, Join The Dots, histoire de revivre ces minutes palpitantes. Le cut est bien là, tout aussi grandiose, mais avec les stroboscopes en moins. On se re-régale du jeu de basse extraordinaire de Maxim Barron. Puis on part à la découverte des autres cuts, les sens en éveil. Ils démarrent cet album avec un «Conductor» un brin floydien dans l’esprit de Seltz, très voyagiste, du type set the controls. Puis on voit les cuts suivants s’étaler en longueur, et ce n’est pas bon signe. Il ne se passe rien d’intéressant dans «You Won’t Be The Same», ni dans «As We Turn». C’est là que Dots intervient en sauveur d’album. Il faut ensuite attendre «Endlessly» pour retrouver un peu de pop intéressante, car ça sonne comme un hit pop oblique. C’est Alejandra qui noie «Left The Wander» de nappes de synthé. Sur cet album, Dominic O’Dair semble un peu en retrait, malgré quelques petites performances guitaristiques. Et puis ils tombent dans le panneau de la shoegaze avec «Too Far Gone To Know», beaucoup trop formel, perdu dans l’écho du temps. Plutôt que de chercher une voie vers la lumière, ils cherchent la petite bête. Quelle erreur ! À part le morceau titre, tout est très spécial sur cet album. Il faut vraiment céder à la curiosité pour l’écouter en entier. Les Toy sont durs à pénétrer, âpres au gain, trop opaques. «The Frozen Atmosphere» sonne pourtant comme une bénédiction, on y sent l’embryon d’une volonté d’en imposer au firmament, mais avec un vieux relent d’inspiration mélodique. Ce cut semble même vouloir se poser dans la paume de Dieu. Leur seule chance de s’affirmer reste bien la scène. Ils terminent cet album tendancieux avec «Fall Out Of Love», le cut d’ouverture du set. Ils y démultiplient les retours de vitesse, c’est overdrivé avec un certain tact. C’est l’un de leurs rares hits, dommage que les ponts soient si maladroits.

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    On passe aussi à travers leur premier album. On y retrouve du cousu de fil blanc à base de beat rapide et de pop noyée de nappes de synthé fantômes. Maxim Barron et Alejandra font le son à eux tout seuls. Elle crée de la magie dans «The Reason Why», un cut noyé de fog, comme la route de Pont-Audemer une nuit de mars. Au fil des cuts, on s’enfonce dans la shoegaze. Ils sont très forts pour créer des petites émotions caractérielles à coups de beat répétitif et de nappes incongrues. Avec «Motoring», ils visent les incontinences gravitales sur un beat sévère. Alejandra re-noie le groupe dans la magie synthétique d’«Heart Skips A Beat». Elle était bel et bien la petite reine du jouet. Le cut ne tient que par la beauté des nappes qui se dressent au fond du son comme des tornades de bandes dessinées. Elle embarque tout, y compris le peu de mélodie. Les Toy sont parfois crédibles, mais jamais énormes. Tout ce qu’on peut éprouver pour eux se limite à une certaine forme de sympathie psychédélique.

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    Leur set comprend bien sûr un certain nombre de titres de leur troisième album intitulé Clear Shot, dont l’excellent «Dream Orchestrator» qu’on ne se lasse pas de ré-écouter. Avec «Another Dimension», on les sent déterminés à relever les vieux défis orgasmiques et ils finissent par dégager une certaine forme de majesté. Au final, le cut rayonne et on sent une nette évolution. Ce troisième album est plus pop, au sens où ils reviennent au format chanson. «I’m Still Believing» sonne quasiment comme un hit. C’est à la fois poppy, allègre et joliment balancé au bassmatic. Ils se situent là dans la distance de la pop et montrent qu’il savent travailler cette matière généreuse. Encore une pièce joliment harmonique avec «Clouds That Cover The Sun», joué aussi sur scène, en milieu de set. C’est très hanté, au plan psyché. Voilà un cut qui colle bien au palais. Cette comptine coule comme de l’or liquide dans le gosier du consul capturé par les Parthes. On se re-régale aussi en B du fameux «Dream Orchestrator». Maxim Barron joue sa bassline avec frénésie et le cut passionne, aussi bien sur scène que sur le disque. On voit même le cut se développer, tellement ça grouille de son et d’idées de son. Ça monte comme une marée louvoyante et joyeuse. Ils reviennent à la pop anglaise (enfin !) avec «Spirits Don’t Lie», et avec un certain panache. Cette druggy song se montre digne des Spacemen 3. Étonnant et fiable. Ils finissent cet album réconfortant avec «Cinema», une pop de shoegaze dotée d’un final éblouissant. Dominic O’Dair y fait des miracles, de manière indéniablement indéniable.

    Signé : Cazengler, petit joueur


    Toy. Le 106. Rouen (76). 10 mars 2017
    Toy. Toy. Heavenly 2012
    Toy. Join The Dots. Heavenly 2013
    Toy. Clear Shot. Heavenly 2016
    De gauche à droite sur l’illusse : Chris Salvidge, Maxim Barron, Tom Dougall, Dominic O’Dair et Alejandra Diez.

     

    LE GRAND LIVRE DES NEGRO SPIRITUALS

    BRUNO CHENU

    ( BAYARD EDITIONS / 2OOO )

     

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    Le terme Negro Spiritual a été banni par la nova-langue politiquement correcte. Remplacé par celui de gospel, plus propre sur lui. Bruno Chenu se hâte d’établir la différence sémantique dès les premières pages de son livre. Negro spirituals et gospel sont tout deux des chants religieux nés dans la communauté noire des USA, mais aussi différents que peuvent l’être le country blues du blues électrique de Chicago. Deux époques, deux matrices différentes. Les negro spirituals sont nés dans les plantations, le gospel dans les ghetto des grandes villes du nord. Mais la différence n’est pas que géographique. L’on ressent dans les negro spirituals la prégnance de l’Ancien Testament, cette partie de la Bible qui raconte la sortie d’Egypte, modèle divin d’espérance et promesse de la programmation inéluctable de la fin de l’esclavage de tout un peuple asservi… Le gospel s’adresse à l’individu perdu dans la jungle des villes. L’on ne s’adresse plus au dieu tout-puissant, vengeur et libérateur, mais au Christ rédempteur qui vous apportera la délivrance et la lumière. Les mauvais esprits feront remarquer qu’il y met autant de mauvaise volonté que votre précepteur pour vous rembourser vos impôts, mais il paraît qu’il suffit d’y croire pour être heureux.
    En tout cas Bruno Chenu n’en doute pas une seconde. A la foi chevillée au corps. Suffit de lire le pédigrée de ses publications pour être convaincu de son engagement pour le Seigneur, l’a même été rédacteur religieux en chef de la Croix et professeur à la faculté de théologie de Lyon. Bref quelqu’un qui ne flirte pas avec la musique du diable. N’ai point trouvé le mot blues dans le bouquin et ce n’est qu’incidemment vers la cent cinquantième page que vous apprenez sans aucune explication complémentaire l’existence des blue notes. Le mentionne aussi dans sa conclusion en le définissant comme du spiritual sécularisé. Sans plus.

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    Le livre est divisé en trois parties, un disque qui regroupe vingt spirituals interprété par la chorale et les chanteurs de Moses Hogan. N’en dirai rien, car le bouquiniste ne le possédait pas. Outre cette absente de tous bouquets comme l’écrivit Mallarmé, la fin du volume réunit une anthologie de deux cents dix negro spirituals en langue originale et non traduits, et plus de trois cents pages très documentées relatives à l’émergence du christianisme parmi les esclaves.
    Contrairement à ce que l’on pourrait accroire la christianisation a pris du temps, plusieurs siècles. Pour la simple et bonne raison que les propriétaires d’esclaves n’étaient guère portés vers la chose religieuse. A peine dix pour cent des maîtres blancs se réclamaient du petit Jésus à la fin du dix-septième siècle. Passaient leur temps en cette vallée de larmes à forniquer sans fin, à boire de l’alcool et à amasser de l’argent. Fallut qu’au dix-huitième siècle dans l’Est des Etats Unis, les bonnes âmes s’inquiétassent de redresser les vices de ces mécréants. Les Eglises se hâtèrent de lancer les campagne de Réveil pour civiliser ces contrées sudistes.
    Cela ne se fit pas sans résistance. Les maîtres voulaient bien se repentir de leurs mauvaises actions - sans pour cela abandonner leur si agréables façons de vivre - mais ils tiquèrent méchamment lorsque les prédicateurs leur proposèrent d’évangéliser leurs esclaves. On leur expliqua que l’essence de la religion chrétienne était l’obéissance aux loi de Dieu et qu’un esclave qui respecterait le Seigneur ne pourrait se révolter contre ses maîtres. On voulut bien essayer, et tout compte fait dans un premier temps le résultat ne fut pas désastreux. Persuader par un prêche théorique les esclaves des bienfaits de Dieu ne provoqua guère de vocation dans la population noire. Mais méthodistes et baptistes avaient plus d’un tour dans leur sac à mensonges. Inventèrent le camp meeting. Réunion en pleine nature, blancs et noirs mélangés, tout le monde chantant ensemble les louanges du Seigneur et parole donnée à tout individu qui voulait témoigner de sa foi. Ferveurs, cris, chaleurs, le Créateur se dépêcha de donner un coup de pouce en provoquant transes et apparitions chez les impétrants.
    Faut être logique, ces nouveaux chrétiens noirâtres fallut bien les accueillir dans les Eglises et les appeler Frères et Sœurs. Ce qui n’empêchait pas de leur distribuer quelques coups de fouets en semaine. Car comme l’enseigne la Bible, qui aime bien, châtie bien. N’avaient pas le droit de s’asseoir devant, relégués à l’arrière et encore mieux au balcon quand le bâtiment en possédait un. N’empêche qu’ils étaient bruyants, qu’il fallait les recadrer sans cesse, et puis malgré les eaux du baptême leur peau restait irrémédiablement noire. D’un autre côté les noirs ressentaient de plus en plus fortement le côté ubuesque de la situation, l’amour des maîtres ne se manifestant qu’une heure par semaine fleurait un peu trop l’hypocrisie. D’autant plus qu’ils s’aperçurent que les maîtres ayant embrassé la foi chrétienne changeaient de comportement : leur mauvaise conscience soulagée, certains d’être agréés par le Tout-puissant, ils adoptaient une attitude empreinte d’une plus grande sévérité et cruauté envers leurs frères noirs qu’il convenait de maintenir dans le droit chemin... Les noirs ne tardèrent pas à réaliser qu’ils étaient selon leur cœur le véritable peuple de Dieu, bref l’on se sépara dès le début du dix-neuvième siècle de plein accord. Y eut désormais des églises pour les blancs et des églises pour les noirs.
    Les nègres surent saisir l’occasion. L’Eglise devint un mini contre-pouvoir. Un lieu où l’on pouvait se retrouver et parler librement. Les prédicateurs noirs devinrent une espèce de sous-autorité tacite, plus ou moins reconnue par les blancs. En cachette ils participaient aux filières d’évasion vers le nord, et apprirent à leurs paroissiens les plus doués à lire et à écrire. L’était nécessaire de savoir déchiffrer quelques versets de la Bible ou les paroles d’un nouveau chant. Les blancs fermèrent plus ou moins les yeux sur cette auto-éducation forcément à long terme libératrice mais encore très minoritaire.
    Pourquoi les noirs adhérèrent-ils à ce mouvement de christianisation ? Parce qu’ils n’avaient rien d’autre à se mettre sous la dent. Les trois révoltes de peu d’importance qu’ils fomentèrent furent à chaque fois réprimées en moins d’une semaine. Faute de fusils, l’on se contente de patenôtres. Théologiquement parlant la religion africaine en ses nombreuses déclinaisons régionales et tribales pose bien la figure d’un dieu-soleil unique qui délègue ses pouvoirs à des milliers d’esprits, mais dont la primauté est indéniable. Débarrassés du regard des maîtres les esclaves parfumèrent les cérémonies chrétiennes un peu coincées du cul de relents des rituels africains enfouis dans leur mémoire. Les questions angoissées des prédicateurs et les réponses survoltées des ouailles correspondaient miraculeusement aux structures questions / réponses qui formaient la base des cultes païens. Très vite s’installa le shouting qui correspond à l’incarnation d’un esprit en votre personne. Quiconque était ainsi visité déambulait en hurlant dans l’assemblée sans que personne s’en montrât indisposé. De quoi susciter des vocations. Le jeu devint collectif, ce fut le ring shout : un questionneur en transe au milieu et le reste de l’assemblée qui hurlait à qui mieux-mieux en tournant autour, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Les habitués des études sur le paganisme retrouveront là une structure fondamentale des anciennes cérémonies pratiquées dans toutes les ethnies de la planète, des peaux-rouges aux Indiens d’Inde, des Innuits au fin-fond de l’Afrique… C’étaient-là de grands moments de libération catharsiques des colères et des tensions accumulées au service des maîtres adorés… Ne pas oublier de noter que cette chenille collective rondement menée était aussi une espèce de danse du canard durant laquelle l’on n’avait pas le droit de lever les pieds. Après avoir rappelé l’hypothèse souvent émise par les spécialiste que cette étrange démarche de palmipède baudelairien était le résultat de l’interdiction de danser faite aux esclaves, Bruno Chenu propose une autre explication. Cette démarche malaisée et fatigante qui pouvait s’accélérer telle une tarentelle était une manière dans les locaux relativement exigus de l’Eglise de faire participer le corps aux muscles durement sollicités à cette fête spirituelle…
    Dès ses prolégomènes européens, la religion réformée remplaça le faste des célébrations catholiques par le chant. Cantiques et psaumes à tire-larigot. Les noirs s’emparèrent de cette coutume en l’adaptant à leurs organes. Basses profondes et barytons s’en donnèrent à coeur joie, mais furent vite rejoints par le reste de la congrégation qui tint à apporter son grain de gros sel. Trop facile de chanter en canon ou d’attendre sagement son tour, l’on précipita les variations de rythme et surtout l’on se dépêcha de donner dans la sophistification puisque l’on savait faire simple. L’on entremêla les voix, les tonalités, les timbres, et les tempos tout en respectant la place de chacun. Du travail instinctif d’orfèvre. Plus tard, bien plus tard, lorsque vint la possibilité d’enregistrer, l’on privilégia la beauté des voix les plus pures, à ce jeu-là, le negro-spiritual se rapprocha de la musique classique européenne… Adorée par la clientèle des petits bourgeois blancs. J’aurais tendance à penser que si l’on veut entendre un équivalent de cette ferveur noire des negro spirituals originaux, c’est vers l’exercice de haute voltige libératoire du scat jazz qu’il faut tendre l’oreille. Surtout pas vers ces chorales nauséeuses de gospel qui s’en viennent régulièrement prêcher dans nos contrées depuis plusieurs années. Tellement mauvaises qu’à les écouter elles vous feraient désespérer de Dieu, si par faiblesse d‘esprit et d‘intelligence vous croiriez en lui…
    Bruno Chenu consacre une centaine de pages à analyse le contenu des negro spirituals. La camelote christique habituelle. Plus près de toi mon dieu, c’est là où je suis le mieux. Délivre-moi du péché et laisse-moi monter au ciel. Genre de sempiternelles fadaises que répètent les curés depuis deux mille ans. Tirez votre mouchoir, versez des larmes de repentir, ici ce sont de pauvres esclaves qui espèrent être libérés de l’esclavage. Bla-bla-bla. Apparemment vu la situation actuelle des noirs aux Etats-Unis aujourd’hui, me semble qu’ils se sont trompés de logiciel. Peut-être n’aurais-je pas fait mieux à leur place, mais ce n’est pas une excuse. Préfère penser à cette séparation des églises noire et blanche si bien développée par notre auteur. Elle eut ses conséquences idéologiques et politiques qui nous expliquent comment s’ancra dans les mouvements noirs l’idée d’une partition géographique ( voire d’un retour vers l’Afrique ) des deux communautés. Qu’un Malcolm X ait prêché pendant très longtemps la nécessité de l’Islam s’explique aussi par le fait que les premières libertés acquises par les noirs fut actée sur un fonds religieux.
    Je n’ai point parlé de la guerre de Sécession pour la simple raison que Chenu contourne le sujet. Cause de l’esclavage mais ne s’intéresse pas à la ségrégation occasionnée par les lois de Jim Crow. Ce parti-pris de limiter l’éclosion du Negro Spiritual en tant que genre comme la musique mère de toutes les musiques d’obédience noire qui suivirent, blues, jazz, rhythm & blues, soul, funk relève évidemment d’un projet non anodin. Agissant ainsi, il coupe la mauvaise herbe des chansons, mélodies, airs populaires et airs profanes apportés par les colons anglais, irlandais, français et allemands qu’entendirent, adoptèrent et transformèrent les premiers songsters et musiciens… En d’autres termes notre auteur s'acharne à pourvoir d’une origine chrétienne toute la musique noire…


    Damie Chad.

    RETOUR DANS L’ŒIL DU CYCLONE

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    JAMES BALDWIN

    ( Christian Bourgois Editeur / 2015 )

     

    Le mot anthologie serait malvenu. Il vaut mieux parler d’une réunion de quinze textes de combat écrits ente août 196O et 1985 par James Baldwin. Un militant de la cause noire certes, mais avant tout un écrivain. Doté d’un style inimitable, une écriture et une parole - une des contributions est la simple retranscription d’une conférence prononcée - envoûtantes. Une espèce de long talkin’ blues qui puise aux sources mélangées de la situation historiale des noirs aux USA et au vécu de l’auteur dévoilé dans sa plus extrême intimité.
    Baldwin est son propre sujet d’étude. Aucun égotisme, aucune infatuation suprématiste d’un Moi haïssable, aucune vantardise, aucune fanfaronnade claironnante. Baldwin se juge même sévèrement. Ne cesse de se demander pour quelles mystérieuses raisons tant d’individus lui ont tendu la main et aidé à prendre confiance en lui-même tout le long de son parcours existentiel. Se présente comme un jeune homme laid et ignorant. Un pauvre petit nègre voué aux gémonies des misères sociales et culturelles. Mais il use de ce charbon opaque comme d’un prisme diamantaire. Focalise les rayons de la connaissance analytique sur les ténèbres de son vécu. Transforme celui-ci en expérience exemplaire. Ô insensé qui crois que je suis pas toi, dixit Victor Hugo en tête de ses Contemplations. Mais pour Baldwin, il ne s’agit ni de s’écouter pleurnicher, ni de se regarder ramper. L’Action directe est le seul levier qui permet d’avancer. A rebours de Stirner, Baldwin s’il a basé sa Cause sur l’épanouissement de son individuation, ne l’a pas assise sur Rien mais sur un contrat tacite et associatif avec l’ensemble de la Communauté Noire. Ce qui n’exclut en rien l’Alma Mater de l’Amérique dominante blanche. Ne parle pas contre mais du milieu d’un tout. Expression d’une fierté noire qui très souvent passe sous silence les souffrances passées et de ce fait risque de tomber en une revendication identitaire stérile et pratiquement raciale. Un raidissement idéologique qui par exemple a empêché le Black Panther Party de mordre sur une large frange de l’opinion américaine . James Baldwin est beaucoup plus stratège. Retourne l’arme de l’auto-culpabilité noire sur les blancs. Les premières victimes de l’esclavage et de la ségrégation ne sont pas les noirs mais les blancs qui se sont chargés d’un poids caïnique bien plus lourd à porter, car il leur sera toujours impossible de s’en démettre. Raisonnement imparable, boomerang - return to the sender - qui renvoie l’oppresseur à la contradiction de ses constitutifs préceptes religieux. L’on voit ici comment cette position est bien moins ambigüe que celle préconisée pendant longtemps par Malcolm X, partisan de la vision séparative bloc contre bloc, alors que Baldwin préfère l’éclatement du monolithe de l’intérieur par infiltration et explosive glaciation dans la fissures eidétiques. Rien à voir avec une quelconque moraline d’essence soit-disant supérieure qui vous permet de vous cacher derrière le petit doigt de votre bonne conscience. Que vous soyez blancs ou noirs.

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    Baldwin n’est pas dupe de l’ampleur de la tâche. Ne s’illusionne pas. C’est en cela qu’il n’est pas un illusionniste. N’écrit pas pour enjoliver la situation et endormir le lecteur sous de fallacieuses promesses. Ne se satisfait pas des oripeaux des progrès réalisés. Un contre-feu ne retiendra jamais la catastrophe du feu qui couve. N’est pas un optimiste. Ni à court terme, ni à long terme. Les derniers événements de Bâton-Rouge, ce jour-même où je rédige cette chronique éclaire les prédictions de Baldwin d’une inquiétante lueur. Les braises ne dorment jamais sous la cendre des hypocrisies.
    Ce livre est un merveilleux miroir d’une conscience en mouvement qui ne recule devant aucun interdit. Serait aujourd’hui cloué au pilori pour son analyse du rôle différentiels des juifs dans l’oppression économique dont sont victimes les noirs. L’antisémitisme ne saurait être une excuse pour s’enrichir sur le dos de plus faible que soi. Baldwin est malin comme un chat qui retombe toujours sur ses pattes, au moment où vous le croyez englué dans ses contradictions trouve toujours une parade pour s’en tirer sans dommage. Un satané bretteur qui possède plus d’une botte de Nevers en réserve. Foudroie l’ennemie au moment où il s’y attend le moins, lui enfonce la pointe raide de son intraitable intelligence jusqu’au fond du cerveau afin de lui court-circuiter les raisonnements les plus perversement fallacieux. Dialecticien de haut-niveau.

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    Se permet de raconter deux histoires parallèle qui se coupent en diagonale. La sienne et celle de son temps. Chronologiquement l’on commence par le pasteur Martin Luther King pour finir par… Boy George. Le siècle en kinopanorama. Du protest song à l’after-punk. A croire que le Christ n’était qu’un vil pédéraste. De la colère des masses à la libération sexuelle de l’individu. Un résumé condensatif exposé en toute innocence. Le pire c’est que Baldwin ne revendique rien : expose et impose. Vous dresse le constat avec un tel naturel qu’il ne vous reste plus qu’à déposer le bilan. Blancs et noirs dans les colonnes capitolines des pertes et profits.
    Un livre à lire pour votre édification immorale. Je vous laisse la jubilation post-coïtale de la découverte de cette espèce d’autobiographie intellectuelle. Narcisse et Goldmund réunis en un seul personnage. Une splendide coalescence de l’hermaphrodisme platonicien, non pas l’éternel féminin goethéen enfin réuni au désir infini du masculin, mais les liaisons explosives du tout avec la partie. L’altérité de l’unité enfin réalisée. Rouge sang de l’intérieur de tout épiderme humain. Une alchimie transfigurative de l’écriture. Le jour où le verbe poétique s’est réalisé en déploiement du politique.

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    Une leçon de coups de bâtons pour nos élites transnationales. Puisque apparemment c’est bien cela qu’elles recherchent.


    Damie Chad.

    JIMI HENDRIX
    LYRICS & PAROLES
    DERNIERE EXPERIENCE ROCK

    PETER RIGGS
    ( Editions Pages Ouvertes / Février 2015 )

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    Pour les lyrics, j’ai cherché partout, feuille par feuille et ne les ai point trouvés. De mes longues recherches infructueuses j’en suis ressorti hagard, du merle me conterai donc, faute de grives. L’ensemble des paroles se présente sous forme d’un collage d’extraits d’interviews - Jimi n’en refusait que très rarement la demande - classés en onze grands thèmes et regroupés à l’intérieur de chaque chapitre selon l’ordre chronologique de leur donné. L’aurait été plus logique de les exhumer en leur intégralité mais l’est sûr que cette façon de faire transforme le prince exalté et vaporeux du psyché en maître à penser des plus sérieux dont il convient de suivre les irréfutables enseignements qu’il aura tirés de ses expériences tant musicales qu’existentielles. Une démarche dont nous n’approuvons guère l’artificialité.
    Rien à voir avec les Pensées de Pascal. Jimi n’est pas un idéologue. Se retranche toujours sur la subjectivité de ses opinions, ce qui est bon pour lui ne le sera peut-être pas pour vous. Et vice-versa. Autant d’individus, autant de choix ou de préférences. L’est un adepte de la théorie psychologique de la relativité généraliséE. Encore faut-il relativiser ses assertions. Pour différentes raisons.

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    L’homme n’était pas méchant, dès qu’il égratigne un tant soit peu une personne - connue ou pas - il évasive aussitôt son propos en s’empressant de mentionner qu’il existe des types d’individus qui agissent ainsi. Détestait jouer la star, l’on sent le mec que l’on peut aborder facilement, n’en est pas moins pudique et secret. Déteste se mettre en avant et au lieu de vous livrer des sentences d’une précision absolue il noie le poisson en l’enfermant dans le bocal opaque d’une comparaison plus mystérieuse qu’éclairante… S’excuse souvent, de ne pas être là, de penser à autre chose, d’être ailleurs, une manière élégante de dévoiler les petites ( et les grandes ) fumettes qui le positionnent en un état second…
    Question musique difficile de trouver plus humble. Le plus créatif des guitaristes de sa génération ne se vante jamais. Quand on lui demande quelque précision ou un commentaire sur tel ou tel morceau, ah, oui, on avait essayé un truc, une idée qui était venue un peu n’importe comment l’on ne sait pas pourquoi, à l’écouter parler, Hendrix - seul ou avec quelques musiciens - a passé son temps à bricoler, un rafistoleur du dimanche qui ne ignore ce qu'il veut, et qui est toujours désolé du résultat. Aurait pu mieux faire. Ne cherche pas la perfection, tente l’amélioration continue. S’il a quitté tous les groupes auxquels il a participé dans sa jeunesse, c’est parce qu’il s’ennuyait à répéter à chaque spectacle le moindre riff. L’a pourtant accompagné des cadors comme les Isley Brothers ou Little Richard, mais l’a fini par se faire virer pour ses excentricités, un riff un peu trop malmené, un vêtement un peu trop voyant… En l’entendant, l’on se dit que le titre de son album Are You Experienced ? correspond davantage à sa méthode de création musicale qu’aux allusions aux produits récréatifs que l’on a voulu y voir à l’époque de sa sortie.

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    Jimi Hendrix est le plus grand guitariste de rock qui ait existé sur cette planète. Peut-être en préférez-vous un autre. Votre droit le plus absolu. Hendrix sera le premier à vous soutenir. Tellement de musiciens, tellement de styles, tellement de goûts. Pas le gars contrariant pour deux sous(-produits). Plus foxy mister que vous le croyez Jimi. L’emploie bien le mot rock and roll de temps en temps, mais il suffit de lire sur les lignes pour s’apercevoir qu’il se définit non pas comme un guitariste de rock, mais de blues. Le dit si naturellement qu’il faut soi-même avoir l’œil bleu pour y prêter attention. Se revendique d’une lignée blues, point celle de B. B. King si claptonienne - apollinienne puisque tendant vers une certaine limpidité de note - mais celle d’Elmore James, davantage rentre-dedans, chargée de plus grandes fureurs et criarde de frustrations. Paroles à méditer, lorsque Hendrix est mort beaucoup de spécialistes prophétisaient que s’il était resté vivant, il aurait évolué en une direction qui l’aurait emmené vers le jazz-rock…

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    Hendrix évite le sujet, ne l’aborde que par la bande, incidemment, sans employer de mots trop explicites, mais l’origine de sa musique n’est point tout à fait celle qu’il écoutait à la radio, celle-ci n’étant qu’un cache-misère, que la conséquence de la situation ségrégative imposée aux noirs et autres colorés. Savait aussi que sa musique était aux confluences du blues, du jazz et du rock and roll. Ces trois nœuds gordiens de la musique populaire n’étant que les rameaux multiples des deux branches maîtresses que sont la misère et le racisme. Sa musique charriait trop de colères noires et d’éclairs oragiques pour se diluer dans l’éther d’une séraphinité paradisiaque.

    Damie Chad.

     

    RONNIE BIRD

    EN DIRECT !

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    ROUTE 66 / JE NE MENS PAS / ELLE M'ATTEND / TU PERDS TON TEMPS / FAIS ATTENTION / I CAN'T STAND IT / CHANTE / FA FA FA FA FA FA ( Sad Song ) / C'EST UN HOLD UP / I WILL LOVE YOU

    25 cm JBM 027/ 2014

     

    La discographie de Ronnie Bird n'est pas des plus étoffées. C'est que sa carrière fut malencontreusement écourtée. Un accident de voiture non assurée qui trancha la jambe d'un de ses musiciens se révéla catastrophique. Ronnie préféra se faire oublier aux Etats Unis. Par contre nombre de ses fans de la première heure lui sont restés fidèles. Avec le temps Ronnie Bird est devenue une légende du rock'n'roll français. Il fit partie de cette génération - dont il est avec Noël Deschamps un des représentants les plus emblématiques - qui assura la transition du rock national originellement et historiquement marqué au fer rouge par une dévotion absolue aux pionniers à l'allégeance sans retour des neo-convertis aux groupes anglais. Saluons JukeBox Magazine de ce 25 centimètres rempli d'inédits.

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    Route 66 : ( en anglais sur scène à l'Olympia en février 65 en première partie de Chuck Berry), étonamment si l'accompagnement est des plus électriques le vocal reste tributaire d'un phrasé beaucoup plus rock'n'roll, la proximité physique de Chuck Berry n'est vraisemblablement pas étrangère à cette disparité, lorsque l'on rajoutera que l'instrumentation est stonienne en diable et que l'on se rappellera l'amour immodéré que les Stones portaient à Chuck l'on comprendra plus facilement comment en ayant débuté par un hommage à Buddy Holly ( Adieu à un Ami ), Ronnie Bird devint notre premier rocker à avoir introduit la prééminence du son électrique aux pays des mille fromages. Je ne mens pas : ( émission Âge Tendre et Tête de bois du 10 / 04 / 65 ) s'en tire plutôt bien le Ronnie, paroles un peu passe-partout mais le vocal haché les met bien en relief, batterie et guitares se passent le témoin comme des sprinters professionnels, le fait que Mickey Baker ait participé à l'écriture du morceau a dû aider à mettre les points sur le I de la ryhtmique. Elle m'attend : ( quatrième prise ), celle du quarante-cinq original est bien meilleure. S'attaquait à un gros morceau, l'Oiseau, le Last Time des Stones, mais ici l'alchimixage est fautif, le vocal est devant et l'orchestre derrière. S'en est rendu compte, au final ils réaliseront le miracle la voix semblant n'être qu'une guitare de plus parvenant ainsi à réaliser l'osmose sonore stonienne qui à l'époque arracha des cris d'admiration. Tu perds ton temps : ( Âge Tendre et Tête de Bois, 28 / 03 / 1966 ) des Pretty Things, le jungle sound de Bo Diddley pour structurer le morceau, un harmonica démoniac-blues qui marque les accélérations de la locomotive et le phrasé de Ronnie qui emmène le public. Fais attention : ( public Music-Hall de France, des Nashville Teens ). L'orchestre n'est pas au top, trop lointain - parti pris de jouer comme les Nashville Teens sur le live de Jerry Lee à Hambourg ? - n'atteint en rien à la magie subordinatrice et dévastratrice de la version du quarante-cinq tours. L'inanité des paroles et les yeah-yeah qui relançaient les lyrics toutes les vingt secondes en firent le premier titre proto punk. I can't stand it : ( public Music-Hall, repris à Traffic ) en anglais, l'orchestration se contentant de marquer le rythme, tout le morceau repose sur la voix de Ronnie qui s'oriente de plus en plus vers un vocal qui emprunte davantage au rhythm and blues qu'au rock'n'roll. Chante : ( public, été 67 ) une reprise des Troggs mais cette dimension reste occultée par le texte de la chanson qui s'en prend à Antoine ( l'élucubratif ), cette version est supérieure à l'originale du 45 Tours. Lui reproche un peu maladroitement de chercher à faire de l'argent et incidemment de surfer sur des thèmes politiques à la mode. Le troisième couplet un peu énigmatique cinquante ans plus tard. Rien ne se démode davantage que l'actualité. Le parallèle avec Cheveux longs et Idées Courtes de Johnny Hallyday s'impose, mais pas en faveur de Ronnie. Surtout si l'on se rappelle qu'il termina sa carrière en reprenant le rôle de Julien Clerc dans Hair, la comédie musicale hippie grand public... FA FA FA FA FA FA : ( public accompagné par les Sharks, 01 / 31 / 1967 ). En l'année 1967, les rockers nationaux adhérèrent en bloc au Rhythm and Blues cuivré des studios Stax, l'aboie bien l'oiseau. Roquet furieux qui vous déchirera le bas de votre futal si vous vous obstinez. La section cuivrique reste un peu maigre et imite davantage le sax vrillé à la rumble rock'n'roll que les architectures sonores des Memphis horns. C'est un hold up : ( public, accompagné par les Sharks, 01 / 31 / 1967 ) Ronnie en forme, c'est son premier hold up mais peut être fier de son coup, les cuivres assurent une couverture sans faille et vous avez envie de lui prêter main forte pour faire main basse sur les coffre-forts. Chef de gang. Une petite curiosité : la voix qui épouse des intonations à la Noël Deschamps. I will love you : ( fin 1967, maquette ), Tommy Brown qui s'en donne à coeur joie sur une étrange frappe – un ternaire contre-rythmé ? - et Micky Jones à la guitare. La voix en arrière-plan. Ensemble un peu confus, mais toutes les chances pour que cela soit voulu. Recherche pour une future évolution ?

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    Que dire de tout cela ? L'impression d'un grand gâchis, certes le disque est rempli de tâtonnements et de maladresses, mais il y avait là un chemin plein de promesses qui s'entrouvrait. Acculé par le sort, peu aidé, Ronnie a préféré jeter l'éponge. Notons que Noël Deschamps a agi de même en de dissemblables mais sommes toute similaires différences. Ne faisait pas bon d'être un rocker dans les années 1964 – 1968. Ont essuyé les plâtres et tout le monde s'en fichait. Fatalitas !

    Damie Chad.