Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 634: KR'TNT 634 : NEW YORK DOLLS / COURETTES / SUN RECORDS / McKINLEY MITCHELL / SLY STONE / MESSE / EIHWAR / JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 634

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 02 / 2024

     

     NEW YORK DOLLS / COURETTES

    SUN RECORDS / McKINLEY MITCHELL

    SLY STONE / MESSE / EIHWAR

    JOHNNY HALLYDAY / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 634

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - Dollse Vita

    (Part Two) 

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

             Franchement, si tu es fan des New York Dolls, ou plus simplement du rock dans ce qu’il peut présenter de plus outrageous, vois et revois le docu de Bob Gruen & Nadya Beck, All Dolled Up - A New York Dolls Story. Gruen qui venait de se payer une caméra a filmé 40 heures de Dolls, et son docu montre à quel point les Dolls étaient à la fois bien ancrés dans leur temps et terriblement en avance sur tous les autres, notamment les Stones et les laborieux Aerosmith. En fait, ils reprenaient les éléments qui firent la grandeur des Stones pour les pousser à l’extrême, et ça passe à la fois par des bonnes chansons, la dope, un son et surtout un look. Et sur les quatre plans, les Dolls étaient imparables. Ils étaient même devenus les meilleurs. Aux États-Unis, les Dolls, les Groovies, le Velvet et les Stooges ont repoussé les frontières de l’empire du rock, un empire créé dix ans plus tôt par Elvis, Little Richard, Jerry Lee, Bo, Chucky Chuckah, Charlie Feathers, Gene Vincent et quelques autres. De tous ces candidats au désastre, les Dolls furent de toute évidence les plus exposés. Ils ne pouvaient pas faire autrement que de vivre la dollse vita, c’est-à-dire la version new-yorkaise du sex & drugs & rock’n’roll, une dollse vita qui a décimé le groupe, puisqu’aujourd’hui, seul David Johansen a survécu, comme chacun sait.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Le Gruen movie est un festin d’images, du double concentré de trash visuel en noir et blanc, un brouet gargantuesque de chevelures ébouriffées, de guitares électriques, de street slang, de platform boots, de lunettes noires extravagantes, de groupies défoncées, de backstages improbables, de torses post-adolescents, de lèvres peintes, de Mystery Girls, toute cette énergie et toute cette débauche qu’on a découvrit en 1973, via le premier album des Dolls, et qu’on adopta aussitôt adoptée pour la vénérer, une vénération qui a donc 50 ans d’âge. Et qui n’a jamais pâli.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Les gens n’ont pas bien percuté à l’époque : les Dolls, leur look, leur son, leur provoc, c’est exactement le même esprit que celui d’Evis en 1954, quand il twiste des rotules sur scène en pantalon rose. Même esprit que celui d’Eddie Cochran qui se farde les yeux au mascara et qui fume sa pipe à herbe. C’est le même langage visuel destiné à porter un message qui s’appelle le rock. «Mystery Train» et «Mystery Girls» même combat ! Pour Elvis et les Dolls, il ne s’agit pas tant de choquer le bourgeois que de rassembler les kindred spirits, comme on dit en Angleterre, c’est-à-dire les âmes sœurs. Dans l’histoire de l’humanité, et dans une histoire qui ne soit pas politique, peu de gens ont réussi cet exploit, c’est là où d’une certaine façon le rock flirte avec la spiritualité, en rassemblant les brebis égarées. John Lennon a eu raison d’affirmer que les Beatles étaient plus célèbres que le Christ. Les Dolls ont rassemblé beaucoup moins de gens qu’Elvis et les Beatles, mais les ceusses qui ont adhéré au parti du Trash won’t pick it up n’ont JAMAIS déchiré leur carte. 

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Alors qu’Elvis allait être contraint de rentrer dans le rang, les Dolls ont explosé en plein vol, ce qui est à la fois une fin logique et ce qu’on appelle une tragédie des temps modernes. On pressentait déjà à l’époque qu’ils n’allaient pas tenir longtemps. Too Much Too Soon avait quelque chose de prémonitoire. En se sacrifiant sur l’autel des dieux du rock, les Dolls obéissaient à une pratique qui remontait à la nuit des temps, celle du sacrifice humain. Une pratique qui anticipait l’ère de la tragédie grecque, qui elle-même anticipait une époque qui est la nôtre, elle aussi tragique, mais pour d’autres raisons, disons plus condamnables.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Dans l’histoire du rock, peu de groupes ont «échoué» si près du but. Comprenez par-là que les Dolls auraient dû devenir aussi énormes que les Stones, Aerosmith et Kiss confondus, c’est exactement ce que montre le docu de Bob Gruen. On le savait à l’époque, leurs deux albums rivalisaient de classicisme avec les triplettes majeures que sont celles du Velvet, des Stooges, de l’Expérience et du MC5. Il faudra attendre 40 ans pour qu’un docu vienne conforter cette vieille conviction. Gruen fait éclater la génie des Dolls au grand jour. Heureusement qu’il est allé les filmer au Max’s Kansas City et à Kenny’s Castaway, on les voit taper «Jet Boy» sur scène avec un Johnny T torse nu, puis on se tape une petite lampée de «Personality Crisis» et là, on ajuste son propos : il est certain que les Dolls sont le groupe le plus outrageous de l’histoire du rock. Ils poussent l’extravagance des mises et des chevelures à l’extrême onction de la ponction, tu ne peux pas avoir plus de cheveux que les Dolls, et ils se bombent à coups de spray pour maintenir les geysers capillaires en l’air. Et là, sur scène, pas de cadeaux : big voice et deux guitares. «Subway Train» au Max’s, l’un des cuts des Dolls les plus difficiles à reprendre. Il n’y a qu’eux pour savoir jouer un cut aussi bringuebalant. Et boom voilà le trash won’t pick it up qui te faisait valser les neurones, à l’époque. Coup de génie de Gruen : il accompagne les Dolls en tournée ! C’est le fameux voyage en Californie. Tu vois Sylvain Sylvain en short et en bottes, délicieusement provoquant, et Johansen en costard noir avec un petit haut blanc et un chapeau de chochote. Les gens les matent dans le hall de l’aéroport. Ils jouent au Whisky A Go-Go, Gruen filme le sound-check, puis il nous emmène à l’English Disco de Rodney Bigenheimer et là on voit des gens improbables danser sur «I’m Waiting For The Man», les gonzesses font n’importe quoi, c’est l’époque où jerker devient difficile, car les cuts ne sont pas faits pour la danse, surtout pas ceux des Dolls. Ils vont ensuite jouer au Matrix, à San Francisco, Johnny T traîne avec une petite blondasse qui pourrait bien être Sable Starr. Sur scène, ils tapent une version demented de «Mystery Girls». Killer Kane est sur scène, mais il ne joue pas, sa main droite est dans un plâtre, cadeau de sa poule qui a essayé de lui scier le pouce pendant qu’il cuvait sa picole. Tony Machine le remplace au bassmatic. On voit aussi Jerry Nolan jouer la loco sur scène et Syl Sylvain gratter ses poux sur une Flying V. Johansen rend hommage à Willie Dixon - Willie got it. It’s called Hoochie Coochie Man - et ça embraye plus loin sur «The Great Big Kiss». Bob Gruen réussit aussi à filmer l’Hollywood TV Show et on assiste à la séance de maquillage. Spectaculaire ! Ces gens-là savent poser. Ils adoraient poser. Personality Crisis TV show, c’est d’ailleurs de ce show mythique que sort la photo de pochette de Too Much Too Soon. Encore un coup de génie documentariste : Gruen se pointe avec sa caméra à l’Halloween Party au Grand Ballroom du Waldorf Astoria. Rien de pouvait plus freiner l’ascension des Dolls, ils brûlaient toutes les étapes, ils incarnaient le mythe du rock mieux que tous les autres groupes, ils étaient flamboyants. De vraies superstars, avec un set qui tournait comme une grosse horloge. Puis sur la scène du Little Hippodrome, Johnny T chante «Pirate Love» qu’il reprendra avec les Heartbreakers. Il est torse nu, très carré d’épaules, Johansen lui cède le micro. 

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Il existe un deuxième film de Bob Gruen : New York Dolls - Lookin’ Fine On Television. La matière filmique est la même, mais le film est monté différemment : Gruen part d’une liste de cuts et monte un millefeuille de séquences différentes sur chacun d’eux. Pour le fan des Dolls, c’est une nouvelle foire à la saucisse. Ça démarre en trombe avec «Looking For A Kiss» : Johnny Thunders bien campé sur ses jambes et riff brutal pointé un gros hochement de tête. S’il fallait résumer les Dolls en seul mot, ce serait ‘flamboyant’. David Jo annonce : «And it’s called Babylon/ C’mon boys !». Tout ce que filme Gruen, c’est les Dolls MK2 avec Jerry Nolan. Ah les chœurs de Babylon, c’est quelque chose ! Les Dolls ne le savent pas encore à l’époque, mais leur «Babylon» est devenu un classique, au même titre de «Wanna Be Your Dog» et «Venus In Furs». Encore de la fantastique énergie avec «Trash» et «Bad Detective», big atmo avec «Vietnamese Babies» et grosse ambiance révolutionnaire avec «Bad Girl». Quand Johnny Thunders chante «Chatterbox», il est déjà violemment dans les Heartbreakers. Power maximal. Encore un sonic assault au Waldorf avec «Human Being», Johnny T sur Flying V et chœurs d’artiche avec David Jo. Encore plus heavy, voici «Private World», suivi du fantastique emballement de «Subway Train» et ses cassures de rythme intrinsèques. L’apogée des Dolls : «Personality Crisis» qu’ils montent en chantilly. On s’effare de l’extraordinaire nombre de bons cuts. Pas un seul déchet. Voici donc l’épitome de chèvre du rock, «Who’s The Mystery Girl», et tout se termine avec un «Jet Boy» fondamental et un Johnny T qui mène le bal au riff.   

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             De tous, Martin Scorsese est sans doute le plus habilité à rendre hommage aux Dolls. Il le fait donc via un film paru l’an passé, Personality Crisis One Night Only, et qu’on peut choper sur DVD américain. Il faut donc le lire sur un ordi. Il n’existe pas d’artiste plus new-yorkais que David Johansen, c’est ce que Scorsese entend démontrer avec ce film extraordinaire. Scorsese et son équipe ont filmé un concert unique de David Jo au Café Carlyle en 2020. Il a 70 balais et pour son âge, il est extraordinairement bien conservé : pompadour assez haute, moustache taillée, taille de guêpe, rubis à la main droite, émeraude à la main gauche, funky but chic, verres teintés. Il est la rockstar par excellence. Scorsese n’en finit plus de cadrer en gros plan ce crooner faramineux. L’ambiance est celle d’un cabaret, public assis à des tables, petites lampes, comme dans les films, David Jo est souvent filmé de dos et d’en haut, ce qui donne une vision globale de l’ambiance, comme dans New York New York. Entre chaque cut, il raconte des anecdotes qui sont à son image, extraordinaires et souvent drôles. Il joue son personnage de Buster Poindexter et tape un répertoire élargi, qui va des ballades de crooner jusqu’au «Personality Crisis» des Dolls. Il attaque d’ailleurs avec «Funky But Chic», awite awite, il swingue à gogo. Puis il enchaîne avec I hear a melody in the street, il te groove ça à la new-yorkaise de round midnite, et comme le public est aussi là pour ça, il sort des vieux souvenirs des Dolls : c’est l’anecdote de la Newcastle Brown Ale, les Anglais leur disent drink it ! drink it, big cans, des super pintes, et puis on stage, the drummer throws up, il dégueule et joue dans son vomi, une éclaboussure arrive dans la bouche de David Jo qui dégueule à son tour, blaaaaarhggghhh, comme dirait Nick Kent, throw up, bass throws up, guitar throws up and that was the beginning of punk, the Dolls throwing up. Melody yeah yeah. Puis Scorsese commence à injecter des images d’archives des Dolls, et là ça devient vertigineux, «Stranded In The Jungle» - Meanwhile back in the States - Johnny Thunders torse nu en pantalon à franges, grandeur des Dolls sur scène. Puis paf, voilà la grande tronche de Morrisey - They were very violent, very witty, very intelligent - Il parle même de danger in pop - That was the turning point for me. Every single song is really a hit single. They look like male prostitutes - Moz n’en peut plus - The absolute answer to everything - À l’époque, David Jo explique la stratégie des Dolls : «Bring these walls down and have a party kinda thing.». Il se moque un peu de Morrisey - Have you heard of a fellow named Morrisey ? He was the teenage president of the New York Dolls fan club in England - Et ça embraye aussi sec sur le fameux Meltdown Festival de 2004, «Jet Boy», entrelardé avec du Johnny Thunders cuir noir/Teardrop blanche - Lucky was my baby - Le Jet Boy te hante encore, cinquante ans après.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Et pouf, il attaque l’un des hits planétaires du grand retour des Dolls (One Day It Will Please Us To Remember Even This), «Plenty Of Music» - There in a world gone mad/ Feelin’ sad/ I guess I’m sorry - et soudain, il s’élance sans s’élancer - I hear plenty of music/ I see superfluous beauty everywhere/ Why should I care/ What does it matter - Il chante ça au pâteux de vieux Doll, mais avec une classe qui subjugue. Scorsese continue d’entrelarder son film avec virtuosité : il ramène un plan des Harry Smith, on stage, David Jo avec Hubert Sumlin et Charlie Musselwhite, et le «Smokestack Lightning» de Wolf. Oui, David Jo a rencontré Harry Smith au Chelsea, l’Harry Smith qui a collecté les archives de l’American Folk Music.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             David Jo enfile les hits comme des perles - It’s always raining here - présente Penny Arcade, une vieille de la vieille, puis il raconte comment un jour Killer Kane et Billy Murcia sont venus taper à sa porte, alors il imite la voix d’eunuque de Killer Kane - I understand you’re a singer - et boom, il embraye aussi sec sur «Lonely Planet Boy». Rien de plus Dollsy que cet épisode. Scorsese nous montre aussi le jeune Buster Poindexter, coiffé exactement comme le vieux David Jo - I can sing anything. Any inexpected kind of song - Voilà ce qui fait venir le public. Scorsese ne laisse rien au hasard. Il ratisse tout ce qui fait la grandeur de David Jo, à commencer par sa présence. Dans une interview, un mec dit à David Jo qu’Aerosmith et Kiss ont connu la gloire, mais pas les Dolls, auxquels ils ont tout pompé. David Jo répond à côté - The Dolls were a band’s band - Il cite l’exemple des Ramones qui eux aussi disaient : «We can do that.» Et boom, nouveau hit faramineux avec «Maimed Happiness», tiré aussi d’One Day It Will Please Us To Remember Even This. Maimed veut dire ‘estropié’, et David Jo ajoute : «Life is just maimed happiness.» Ils finissent avec «Personality Crisis» et Scorsese cadre Brian Koonin sur sa Tele, mais aussi Keith Cotton au piano, Richard Hammond au bassmatic et Ray Grappone au beurre. Méchante équipe !   

    Signé : Cazengler, New York Dumb

    Martin Scorsese. Personality Crisis One Night Only. DVD 2023

    Bob Gruen & Nadya Beck. All Dolled Up. A New York Dolls Story. DVD 2005

    Bob Gruen & Nadya Beck. New York Dolls. Lookin’ Fine On Television. DVD 2011

     

     

    L’avenir du rock

     - Elle court elle court la Courette

             L’avenir du rock marche dans le désert depuis des années. Il a fini par se lasser de la marche, comme on se lasse de tout. Alors pour se divertir, il s’est mis à courir. Disons qu’il galope, car n’étant pas un sportif, sa foulée n’a vraiment rien d’élégant. Et depuis qu’il court, il voit tout le monde courir. Un jour il croise à nouveau Rimbaud et ses quatre porteurs éthiopiens. L’avenir du rock interpelle Rimbaud. Tout le monde s’arrête.

             — Mais vous zêtes pas Rimbaud !

             — Ben non, vous voyez bien !

             — Alors qui vous zêtes ?

             — Sylvain Tintin !

             — Vous m’en direz tant ! Je vous croyais au Tibet à la recherche du Yéti des neiges. 

             — Non, je voyage sur les traces de Rimbaud pour célébrer sa mémoire dans mon prochain livre. J’écris sur ma civière, voyez-vous. Permettez-moi de vous présenter mes porteurs : Abebe Bikila qui s’entraîne pour le marathon olympique, son frère Abobo Bikila qui vient d’acheter un duplex dans le Marais, son autre frère Abubu Bikila qui est en sevrage après tant d’abus, et lui, c’est Abibi Bikila qu’on surnomme Fricotin, ne me demandez pas pourquoi. Vous pouvez profiter du voyage, si vous le désirez, c’est une civière à deux places...

             — Non merci, zêtes sympa, Sylvain Tintin, je dois affronter mon destin.

             L’avenir du rock reprend sa course. Quelques heures plus tard, il croise un couple exotique, un mec habillé en noir et coiffé d’une casquette court devant, suivi à vingt mètres de Ronnie Spector. Intrigué, l’avenir du rock les interpelle. Tout le monde s’arrête.

             — Mais vous zêtes pas Ronnie Spector !

             — Ben non, vous voyez bien !

             — Alors qui vous zêtes ?

             — Flavia Couri !

             — Vous m’en direz tant ! Pourquoi courez-vous ainsi ? 

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

             — Parce que nous sommes les Courettes !

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

             Franchement, on ne pouvait rêver meilleure introduction. Le désert a tout de même meilleure réputation que la banlieue d’elle-court-elle-court. Et d’ailleurs, elle court elle court aussi sur scène, la Courette, dans sa petite robe rouge et ses bottines en vinyle blanc. Set énergique d’un duo rompu à toutes les disciplines du power-gaga. Elle s’appelle Flavia et on peut dire qu’elle tient bien la rampe, elle remplit bien le spectre du chant et gratte des jolis poux de fuzz entre deux eaux. Leur petite machine tourne comme une horloge.

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

    Côté beurre, le gros Martin ne chôme pas, sous sa casquette de Liverpool, il bat pour dix, se prend pour Pantagruel, il boom-boom-boom et badaboumme, c’est un vrai marteau pilon échappé des forges du Creusot. Il a pour sale manie de se remplir la bouche d’eau et de faire son Moby Dick, avec des jets de dix mètres de haut dans le ciel, et si tu te trouves au pied de sa batterie, tu en prends plein la gueule. Bon, une fois c’est marrant. Mais au bout de dix fois, ça ne l’est plus. Pour te consoler, tu peux te contenter de penser que c’est moins pire que la bière. On a tous été dans des concerts punk à la mormoille où il pleuvait de la bière comme vache qui pisse.

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

    Donc Moby Dick fait la loco des forges, et pour Flavia c’est du gâtö, elle peut foncer dans la nuit. Elle est d’une fraîcheur incomparable, impressionnante de professionnalisme gaga. La plupart des cuts font boom, surtout «Boom Dynamite», et le magnifique «Trashcan Honey» hanté par des chœurs de rêve - Trashcan Honey ouuuh ouuuh - Ça explose comme une comète au printemps.

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

    Ils démarrent le set avec un «Hoodoo Hop» gavé de fuzz comme oie, si gavé qu’il en devient classique. On a déjà tellement entendu ce son qu’on ne cille plus, et pourtant, ça reste d’une redoutable efficacité. Les deux Courettes ont le diable au corps. Flavia trépigne sur son «Shake», pourtant tellement classique, mais dans ce contexte, ça passe comme une lettre à la poste. Ils terminent avec l’«Hop The Twig» tiré de Back To Mono, et tenu par la barbichette d’un riff qu’on dirait sorti tout droit de la SG de Link Wray. Un son lourd de menace. Pas de meilleure façon de célébrer la magie enfuie des sixties.

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

    Elle chante à l’accent fêlé et amplifie le sortilège. En rappel, ils tirent aussi le «Misfits & Freaks» de Back To Mono, c’est héroïque car la prod est tellement spectorienne qu’on n’imagine pas les voir jouer ça sur scène, mais elle y va de bon cœur, et Moby Dick continue de cracher des jets d’eau à gogo. Ils restent sur le Back To Mono pour conclure avec «Won’t Let You Go», belle power pop sixties tellement spectorienne qu’elle remplit le cœur d’aise. Moby Dick fait des jolis chœurs. Les Courettes ont découvert le secret des dynamiques infernales.

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

             Avec Here Are The Courettes, pas de surprise : on reste dans le classic gaga sauvage avec ses solos de fuzz et ses wouahh juvéniles. Ils s’amusent même à monter «Money Blind» sur le beat de «Lust For Life», alors t’as qu’à voir. Ils y vont la fleur au fusil, à l’here we go ! Pas de problème. Admirable Flavia ! Elle dispense des flaveurs. Les deux bombes de l’album sont en B : «Shiver» et «We Are Gonna Die». Elle gratte son Shiver à l’ongle sec et Moby Dick le bat comme plâtre. Voilà l’hit ! Sec comme un olivier. Bien décharné. Une olive tous les huit ans. On se régale encore plus de la belle intro du Gonne Die. Big disto de bim badaboom, elle te riffe ça comme la reine des cakes.

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

             We Are The Courettes est un album bien plus dodu que le précédent : 7 bombes sur 12 cuts. Pas mal pour un groupe de zone B. Flavia commence par noyer son «Time Is Ticking» de fuzz. Elle connaît toutes les ficelles du caleçon. C’est excellent, bourré d’écho et de climax tic tic.  En bout de B, elle tape le «Boom Dynamite» du set. Elle le pulse au riff surexcité. L’autre coup de génie est le «Voodoo Doll» traversé par un hallucinant solo de corne de brume. Voilà un cut d’une brutalité indescriptible. Même topo avec «All About You». Une pluie de silver sixties s’abat sur la terre des Courettes. Avec sa belle énergie d’absolute beginner, ses blasts opérationnels et ses jives définitifs, cet album bat tous les records de densité. Derrière Flavia, Moby Dick tape comme un sourd. Elle attaque «Nobody But You» aux accords de Dave Davies. C’est exactement le même freakout de wild gaga strut, et ça continue avec la Méricourt absolue de «TCHAU», c’est du sans pitié pour les canards boiteux. Si tu aimes la viande, te voilà bien servi. On les retrouve beaucoup trop énervés sur «The Teens Are Square». Elle monte sur tous les coups, et son talent finit par nous faire oublier les clichés.

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

             Le Back In Mono paru en 2021 compte parmi les plus somptueux hommages à Totor. On se croirait au Gold Star en 1965. Flavia n’y va pas de main morte, elle est en plein dans Ronnie, et ce dès «Want You Like A Cigarette», porté par une prod démente saturée de Back in Mono, ça grince dans les poches, ça shake all over. Et ça continue avec «I Can Hardly Wait», c’est même du Totor à la puissance 10, l’«Hey Boy» qui suit est un copy-cat des Ronettes, «Night Time (The Boy Of Mine)» semble sortir tout droit d’un juke de 1964, c’est inespéré de Wall Of Sound, confus et puissant de yeah yeah yeah. Ils enfilent les pop blasters comme des perles, Flavia Spector a tous les réflexes du Brill. Ils explosent encore la rondelle des annales de Totor avec «Until You’re Mine» et «Trash Can Honey» déborde littéralement de niaque, ils forcent un peu la main du destin, et on voit «My One & Only Baby» se noyer dans la prod, elle se prend vraiment pour les Ronettes, même élan et même magie de juke. Et ça bombarde encore jusqu’à la fin, avec l’«Edge Of My Nerves» tapé à l’énergie de fast pop chantilly, ils sont les héritiers directs du génie pop de Totor.

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

             Ce serait bête de faire l’impasse sur Back In Mono (B-Sides & Outtakes), car ce mini-album grouille de puces. Tu te grattes dès «Daydream» qui sent bon l’«Eve Of Destruction», mais plongé dans l’enfer de Totor. Trop beau pour être vrai ! Explosif ! Ils rassemblent toutes les conditions du stomp et de la fuzz pour allumer «Tough Like That», pur jus de petite pop trash produite dans l’esprit de non-retour. Flavia Spector gueule sa rage dans le chaos sonique et colle son cut au plafond. Nouvelle descente aux enfers du paradis avec «Talking About My Baby». Franchement, tu n’en reviens pas d’entendre un tel brouet d’excelsior, ils collectionnent les coups de génie, toutes les voiles sont bien gonflées, Totor aurait adoré Flavia, cette petite reine de la ritournelle du Brill. Avec «Only Happy When You’re Gone», elle passe au classic jive de Brill. Ils se jettent tous les deux à fond dans ce vieux mythe et bien sûr, ils n’oublient pas les castagnettes. Ils finissent en beauté avec «The Boy I Love», straight pop de right away, elle ramène son meilleur sucre, avec un petit côté France Gall, puis «So What», en plein cœur du gaga-punk et tapé avec une incroyable ferveur.

    Signé : Cazengler, court toujours

    The Courettes. Le 106. Rouen (76). 9 février 2024

    Courettes. Here Are The Courettes. Sounds Of Subterrania 2015

    Courettes. We Are The Courettes. Sounds Of Subterrania 2018

    Courettes. Back In Mono. Damaged Goods 2021

    Courettes. Back In Mono (B-Sides & Outtakes). Damaged Goods 2022

     

     

    The Memphis Beat

     - Flip Floyd and Fly

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

             L’air de rien, John Floyd abat un sacré boulot dans son petit livrotin, Sun Records An Oral History : il donne la parole à un tas de monstres sacrés, Rosco Gordon, Roland Janes, Jack Clement, Billy Lee Riley, Little Milton Campbell, Jim Dickinson et des tas d’autres, mais c’est dans le spasme final d’un choix discographique qu’il s’affirme en tant que fan de tous les diables. Il fait l’une des meilleures apologies du rockabilly qu’on ait vue ici-bas et il choisit son camp : Jerry Lee et Carl Perkins, oui, la box de Gene Vincent chez Capitol, non. Et il dit pourquoi : «You could make an argument for Gene Vincent, I guess but I’ve heard the Capitol box and I’m not buying it - The box or the argument. (Tu peux essayer de me vendre Gene Vincent, mais j’ai écouté le coffret Capitol et je n’en veux pas. Ni de ton argument ni du coffret)» Il préfère la box de Carl Perkins, Classic, parue chez Bear : «Classic restitue l’homme tel qu’il fut, l’artiste de rockabilly le plus sauvagement doué, un mix de chanteur/compositeur/guitariste/leader qui ne fut jamais égalé.» Et il reprend juste après Gene Vincent : «Pendant quelques années dans le milieu des fifties, Carl Perkins incarna le rockabilly comme nul autre, de ce côté-ci d’Elvis. Il était aussi barré que le plus barré des rockabs («Her Love Rubbed Off») et il chantait avec la niaque d’un shouter de jump et un twang dans la voix aussi country qu’une bombonne d’alcool de maïs du Tennessee.» Voilà comment en quelques lignes, John Floyd brosse le portrait d’un géant et il a raison d’insister sur Carl Perkins, car il règne encore sur la terre comme au ciel. John Floyd sort à peu près le même genre de dithyrambe sur Jerry Lee. La box Bear Classic Jerry Lee est pour lui le summum du boxing : «Dire que ce coffret est le plus parfait coffret de Jerry Lee n’est pas exact. Il faudrait plutôt dire que c’est le meilleur coffret existant sur cette planète.» Et dans un dernier spasme d’exaltation, il clame : «But trust me, you need the box.»

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Bien sûr, l’auteur aménage un bel espace pour Elvis dans sa discographie. Il recommande tout de suite The Complete 50’s Masters qui rassemble tout ce qui fut enregistré chez Sun, c’est-à-dire cinq singles. Il recommande aussi l’amazing docu Elvis  ‘56. Et il redit son admiration pour ce qu’Elvis, Bill, Scotty et Sam ont inventé dans cette petite pièce carrée du 706 : «Chaque fois que je réécoute ces singles, je m’émerveille de l’adresse, de la grâce et de la détermination avec lesquelles Elvis, Scotty et Bill ont approché le «Good Rocking Tonight» de Roy Brown et le «That’s Allright» d’Arthur Crudup, et de la façon dont ils ont transformé le médiocre «Baby Let’s Play House» d’Arthur Gunter en thundering culmination de tout ce qu’ils avaient réussi à faire lors de la première séance d’enregistrement.» Et il conclut son chapitre Elvis avec la plus rockab des chutes : «Rien de ce qui a pu être écrit à propos d’Elvis et des singles Sun ne peut dire la grandeur de cette musique et à quel point elle est bonne. Il faut juste l’écouter.» Alors évidemment, après le trio de tête Carl/Jerry Lee/Elvis, il est difficile de chauffer le brasier des recommandations. John Floyd regrette qu’il n’existe pas de box consacrée à Billy Lee Riley, le seul artiste Sun qui selon lui aurait pu continuer à porter le flambeau après le départ d’Elvis et avec, précise-t-il «more gusto, relish and determination than the killer.» C’est ce qu’il ressent en écoutant les manic rockers qui ont fait la légende de Billy Lee chez les fans de rockab. Il va loin car il affirme que Billy Lee est resté culte car il n’a jamais connu le succès et donc n’a jamais terni sa glorieuse obscurité. Il cite aussi la classe de Charlie Rich et recommande son dernier album, Pictures And Paintings («triomphant retour sur Sire en 1992»).

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             En aval, John Floyd remonte jusqu’au Box Sun Blues Years 1950-1956 qu’il tient non pas pour la plus belle collection de blues de Sam Phillips, mais pour le plus beau coffret de postwar blues. On y retrouve Wolf, Joe Hill Louis, Sleepy John Estes et tous les autres, BB King, Little Milton et Rufus Thomas. Et quand il pointe les volumes des Memphis Days de Wolf, il parle de «musique la plus abrasive, la plus poignante, la plus suffocante du panthéon de la musique américaine.» Floyd évoque une voix chargée de pathos et de terreur, et les schrapnels de la guitare de Willie Johnson. Sam Phillips disait de Wolf qu’il était le plus grand artiste qu’il ait jamais enregistré, plus grand qu’Elvis. Puisqu’on est dans Wolf, voilà Pat Hare que recommande Floyd. Il recommande aussi l’Hey Boss Man de Frank Frost, dernier bluesman enregistré par Sam Phillips. Et puis comme pour Billy Lee Riley, Floyd regrette qu’on n’ait pas de box pour Charlie Feathers. Il parle d’une vaste et fascinante carrière, mais dit-il en guise de consolation, il suffit d’amasser les disques existants pour comprendre la portée de son considerable cult following. Ce qu’ont fait tous les dedicated followers of the fashion.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Ce petit livre qui ne paye pas de mine dit tout ce qu’il faut dire du rockab, né en juillet 54 au 706 Union Avenue, Memphis Tennessee. Dans une petite pièce, quatre mecs, Scotty, Bill, Elvis et Sam surent brasser le blues, la country, le bluegrass et la pop pour en faire quelque chose d’autre. Le rockabilly, simple mélange de raw country sound, popping guitar, slapback bass, blues-soaked swing et d’echo pioneering allait devenir une spécialité régionale. Floyd rappelle que Johnny Burnette a raté son audition chez Sun et qu’il dut aller à Nashville enregistrer chez Coral, où enregistrait déjà Buddy Holly. Mais le meilleur rockabilly fut enregistré à Memphis. Floyd rappelle que Billy Lee Riley aurait dû devenir une star. Il dit aussi que la grandeur de Jerry Lee dépassait largement le rockab, et même le rock’n’roll et la country et que Carl Perkins reste le rockab quintessentiel, car il sut en maîtriser les thèmes et le concept. Il termine ces quelques pages enflammées en citant les héritiers du rockab : Ronnie Hawkins et son hoodoo boogie, Billy Swan et sa country-pop, et puis les Cramps.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Autant les pages consacrées à Charlie Feathers sont émouvantes, autant celles consacrées à Billy Lee Riley sont enflammées. Floyd voit Charlie Feathers comme un excentrique hot-tempered doté d’une voix qui va du chat perché au baryton, un homme qui affirme avoir inventé le rockab - et non Sam ou Elvis. Quinton Claunch qui fut chargé par Sam d’enregistrer Charlie aimait bien sa voix, mais il le trouvait un peu trop auto-centré, «to say the least», «il était son pire ennemi et ne faisait confiance à personne.» Charlie prétendait avoir appris à Elvis à chanter, mais Claunch pense qu’au fond Charlie en voulait à Elvis de le voir réussir en utilisant la même vision du son, et il ne pouvait tout simplement pas le supporter.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Et pour Floyd, Billy Lee Riley avait une voix de rêve, qui mêlait Elvis et Little Richard. Il avait aussi un style de guitare qui allait devenir un modèle du genre. Mais il ne s’entendait pas bien avec Sam - Sam and I didn’t really get along per se - Ils se respectaient mais s’engueulaient. Billy voulait faire un truc et Sam voulait qu’il en fasse en autre. Pour Billy, le vraie génie chez Sun n’est pas Sam, mais Jack Clement. C’est Jack qui a tout enregistré pour Billy chez Sun. Et comme à l’époque, Billy et Sam picolent pas mal, ça n’arrange pas les choses. Quand Billy découvre que Sam met Jerry Lee en avant chez Alan Freed, alors il explose et casse tout chez Sun - That was enough to make me mad - Il faut se rappeler que l’alcool coulait à flots chez Sun. Comme le rappelle Billy un peu plus loin, ils n’enregistraient jamais sans en avoir un coup dans la gueule. Pas du dope, juste de l’alcool - And by the time the session was over everybody was stoned - Billy est le seul qui ne soit pas condescendant avec Sam que tout le monde prend pour Dieu. «Tout le monde l’appelle Mr Phillips, except me.» Billy et Sam avaient des rapports plus directs, ils ne s’aimaient pas, mais comme le dit si bien Billy, «he knew what I had to offer and I knew that he was talented.» Billy Lee Riley et Charlies Feathers sont certainement deux des artistes les plus attachants de l’âge d’or. Et leurs disques ne déçoivent jamais.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             On s’en doute, les coups de projecteur sur Sam grouillent dans cet opuscule boppy. C’est Malcom Yelvington qui raconte sa première rencontre au 706. Il dit à Sam : « I understand you’re putting records out !» et que lui répond Sam ? «Yeah, a few !» Puis il lui demande ce qu’il peut proposer et Yelvington annonce a real good country band. «Ça vous intéresse ?» Et Sam répond : «Je ne sais pas ce que je cherche. Je le sais quand je l’entends.» Voilà qui définit bien Sam Phillips. Il cherche autre chose. Something different. Quand plus tard Malcolm revient faire un tour chez Sun, Sam le chope et lui dit : «Vous vous rappelez de ce que je vous ait dit l’autre fois, à propos de ce que je cherchais ? Eh bien j’ai enfin entendu ce que je cherchais.» Elvis, bien sûr, le premier single sur Sun. Et Jack Clement ajoute : «Il y avait quelque chose en lui qui poussait les gens à jouer pour lui, parce que quand il appréciait un truc qu’il entendait, il entrait en adoration.» Roland Janes va beaucoup plus loin quand il dit que Sam savait dénicher les gens qui avaient quelque chose d’original pour en faire des stars. «Si Jerry Lee avait enregistré à Nashville, on lui aurait dit d’arrêter le piano et de gratter une guitare. Et personne n’aurait jamais enregistré Johnny Cash.» Pour Roland Janes, Cash est devenu l’artiste le plus distinctif, le plus unique de Sun. Rosco Gordon pense lui aussi beaucoup de bien d’uncle Sam qui lui disait, alors qu’il entrait en studio : «Ne cherchez pas à faire un tube, faites une bonne chanson.» Rosco n’en revenait pas de voir Sam faire tant de miracles avec une seule piste, all that rinky-dink recording stuff. Et quand toute cette magie se produisait, les gens avaient une moyenne d’âge de 20 ans et Sam que tout le monde appelait Mr Phillips, n’avait que 30 ans !

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             C’est Jack Clement qui appelle Roland Janes pour lui dire qu’il a en studio un petit mec originaire de Louisiane et qu’il est pretty good. Oui, il s’agit bien de Jerry Lee. Mais Billy Lee Riley le voit trop se vanter. Jerry Lee se dit le meilleur et personne ne pourrait lui dire le contraire. Billy n’est pas un vantard. Il n’a pas besoin de ça. «Jerry Lee non plus», ajoute-t-il, «il suffit de le voir jouer  pour savoir à quel point il est bon.» Roland Janes dit aussi qu’on croyait Jerry Lee jaloux d’Elvis. Oh pas du tout. Pourquoi ? Parce que Jerry Lee se savait bien meilleur qu’Elvis, et qui encore une fois allait pouvoir prétendre le contraire ? Mais Roland Janes a raison, au fond, comment pouvait-on les comparer ? Elvis était un romantique et Jerry Lee un knock-down drag-out, qu’on peut traduire par démolisseur. Le jour de l’enregistrement de «Great Balls Of Fire», Sam et Jerry Lee ont un échange explosif en studio. Ils s’accrochent sur le thème de la foi et Jerry Lee explose : «No no  no how can the devil save souls ? What are you talking about ? Man, I got the devil in me ! If I didn’t have, I’d be a Christian !» Tout Jerry Lee est là. Floyd en pince aussi pour Charlie Rich qui pendant sa période chez Hi Records en 1966-67, enregistra «some of the greatest blue-eyed Soul ever recorder - in Memphis, Muscle Shoals, anywhere.» 

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Encore plus en aval, John Floyd donne la parole aux pionniers, Rufus Tomas, Little Milton et Rosco Gordon. Rufus dit son attachement à Memphis. Il ne voulut ni s’installer à New York ni à Chicago. Jeune, il commence par faire le tap dancer et apprend à capter l’attention du public. Rufus ne se vante pas quand il dit que personne ne sait aussi bien capter l’attention du public que lui. En 1930, il rejoint les fameux Rabbit Foot Minstrels dont parle aussi Charles Neville dans ses mémoires. Quand Rufus débarque chez Sun et plus tard chez Stax, il a déjà du métier. Il rappelle aussi que BB King venait jouer au concours amateur du mercredi soir sur Beale Street. Le gagnant remportait un dollar et BB avait besoin de ce dollar pour vivre - BB King was there to get that dollar - Et très vite, Rufus s’aperçoit qu’il a du gravier dans la voix et qu’il ne peut plus chanter de pop songs. Il ne sait pas encore que ce gravier va faire des miracles chez Stax. Rufus n’aime pas Sam. Problème de blé, encore une fois. Rufus le voit rouler en Bentley et lui demande avec quel blé il a pu se payer cette bagnole étrangère. Il ne récupère que 500 $ pour «Bear Cat» qui se vend énormément - He was an arrogant bastard. He is today - Little Milton rappelle que c’est Ike Turner qui le repère et qui l’emmène chez Sun. Sur «Beggin’ My Baby», son premier single Sun, Ike joue du piano.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Rosco Gordon explique qu’il ne chante que pour gagner de quoi s’acheter du pinard (wine money). Il n’est même pas nerveux en entrant en studio. Il enregistre «Booted» et à l’époque son chauffeur s’appelle Bobby Bland.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Tous ces gens donnent le tournis, mais celui qui bat tous les records de présence, c’est bien sûr Jim Dickinson. John Floyd a l’intelligence de lui tendre le micro. Pour Dickinson, Elvis était tout simplement superman. «Il y avait quelque chose dans sa façon d’entrer sur scène qui dépassait tout ce qu’on pouvait imaginer.» Et il ajoute : «J’ai vu les Beatles lors de leur première tournée, j’ai vu les Stones à toutes les époques, j’ai vu Dylan, mais je n’ai jamais rien vu d’aussi fort qu’Elvis. Juste le voir entrer sur scène. Il n’avait même pas besoin de chanter. On perd un peu ça de vue aujourd’hui, mais ce qu’il fit à cette époque était révolutionnaire, juste en secouant une jambe, il déclenchait une révolution sexuelle et il transformait la façon dont chaque homme se coiffait, marchait ou parlait. Encore aujourd’hui, il est le visage le plus connu dans toute l’histoire du genre humain.» John Floyd dit que Dickinson est parfaitement à sa place dans cette ville de brillants marginaux et de visionnaires excentriques qu’est Memphis. Floyd tient Dickinson pour un pur produit de la Memphis dementia, pire encore, comme l’héritier de Sam Phillips et de Dewey Phillips. Il pense aussi qu’il a largement contribué à façonner la légende de Memphis et à assurer à son avenir. Dickinson : «Dans ma famille, on est musiciens depuis cinq ou six générations, mais sans être professionnels. Ma mère avait reçu une solide éducation. Elle a joué du piano à l’église pendant toute sa vie.» Quand on tente de lui inculquer des connaissances de musique classique, le petit Dickinson se cabre. C’est le jardinier black Alec qui lui amène un jour Butterfly, un pianiste black. Butterfly explique au gamin que la musique est faite de codes. Alors ça plait au jeune Dickinson qui traduit ça dans son imagination en codes secrets. Bien sûr, Butterfly voulait dire chords, c’est-à-dire accords, mais le gosse comprend codes et ça l’intéresse. Tu prends un code avec la main droite et une octave avec la main gauche, tu joues ça en rythme et ça donne le rock’n’roll. Mais à l’époque où Dickinson veut jouer du rock’n’roll, au début des années soixante, c’est encore très mal vu. «La musique teenage n’était pas reconnue alors. Il a fallu attendre l’arrivée des Beatles et des Rolling Stones pour qu’elle soit acceptée. Les groupies n’existaient pas non plus. Le rock’n’roll n’était même pas cool. On nous considérait comme des délinquants (deviant behavior of some kind).» Et dans un paragraphe poignant, Dickinson rappelle qu’il doit tout, absolument tout, à Dewey Phillips. «My whole musical taste, what I do for a living came from listening to Phillips on the radio.» Car ce qu’il proposait était totalement différent, c’était l’idée clé, une idée qu’on va retrouver chez Sam Phillips, lui aussi en quête de something totally different. Dewey Phillips ne s’adressait ni aux black people, ni aux white people, il s’adressait aux good people. La couleur ne l’intéressait pas, pour lui «the colour was good and he was playing good music. It was Sister Rosetta Tharpe and then Hank Williams.» Dickinson écoute tellement Dewey Phillips qu’il le croit sur parole quand il dit que Billy Lee Riley est une star. Jusqu’au moment où il va faire ses études au Texas et découvre que personne ne connaît «Red Hot» au Texas. Red quoi ? Même chose pour Sonny Burgess. Sonny qui ? En dehors de Memphis, personne ne connaît Sonny Burgess. Mais Dickinson croit Dewey sur parole quand il dit que Sonny est une star. «Dewey said he was, you know ?»

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Dickinson revient sur la grande spécificité de Memphis qui est de favoriser l’individu, et pas seulement la musique. Les réussites à Memphis sont toutes des réussites individuelles. C’est aussi lui qui va faire l’un des derniers singles Sun avec les Jesters, un groupe quasi-mythique dans lequel on trouve le fils cadet de Sam, Jerry Phillips à la guitare, et Teddy Paige. Dickinson chante et Knox, le fils aîné de Sam, enregistre. C’est le fameux «Cadillac Man». Il rappelle aussi que durant les années 70, Knox et lui ont tenté de monter un coup avec BB King. Ça paraissait évident que Sam allait accepter, car c’était un projet extrêmement significatif. Tout est prêt. Knox en parle à Sam qui dit non. Pourquoi ? Dickinson n’en revient pas. A-t-il donné une raison ? Et Knox dit oui. Sam lui aurait rétorqué : «On ne peut pas aller demander à Picasso de peindre une petite toile comme ça vite fait.» Selon Dickinson, Sam Phillips voyait les choses à sa façon, c’est-à-dire en grand.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             «Il y a des gens qui me disent que la période de génie de Sam a duré dix ans, comme son alcoolisme qui a duré dix ans, et sa thérapie à base d’électrochocs a aussi duré dix ans.» Et ce fin renard rigolard ajoute : «Je sais qu’il était fasciné par le courant électrique.» Dickinson raconte qu’il a vu Sam mette un tournevis sur un contact et créer un éclair. C’était du 110 V ! Sam : «A little one-ten (110) doesn’t hurt you. You need two-twenty (220) every now and then to know you’re alive.» Dickinson conclut en affirmant que Sam n’est pas un être humain ordinaire.

    Signé : Cazengler, John Flop

    John Floyd. Sun Records : An Oral History. Devault-Graves Digital Editions 1998

     

     

    Inside the goldmine

     - McKinley dans la poche

             Comme il pouvait nous agacer ce Kiki avec sa petite moustache pré-pubère, ses grosses lèvres, son acné virulente et sa façon de se placer sous la protection d’un gros dur, avec cet air provocateur qu’ont les chats siamois. Et pour aggraver les choses, il était en plus le chouchou de sa mère. Il y avait certainement un vieux fond de jalousie parmi nous, les autres membres du groupe. Nous n’avions pas de famille ni personne pour nous protéger. L’idée était de lui apprendre à vivre. On ne supportait plus de le voir prendre ses poses alanguies en suçant les bonbons que lui faisait porter chaque jour sa mère. Nous guettâmes longtemps l’occasion, et le jour où son protecteur fut appelé par le directeur de la colo pour une raison x, nous passâmes à l’action. Viens par ici mon Kiki. Il sentit tout de suite que les choses allaient mal tourner et il se mit à chialer comme une gonzesse et à appeler sa mère. On s’empara de lui à quatre, chacun tenait une jambe et un bras et nous le transportâmes dans la salle de bain. Il tentait de se débattre. Nous approchâmes des chiottes immondes qui n’étaient jamais nettoyées. Kiki se mit à hurler, non ! non ! pas ça ! Et nous lui plongeâmes la tête dans l’eau, enfin si on pouvait encore appeler ça de l’eau. Il perdit connaissance. On l’installa assis au sol contre le mur et il revint à lui. Il nous regarda tous les quatre avec une tristesse infinie. Il y avait dans ce regard un tel désespoir que nous éprouvâmes tous de la honte. Nous fûmes alors traversés par un violent désir de réparer. «T’inquéquète donpas mon Kiki, on va te nettoyer.» On le lava, on le peignit, on lui fit même des bisous sur le front. On le ramena dans le réfectoire et on lui réchauffa un bol de chocolat chaud. Nous devînmes tous les quatre ses meilleurs amis de colo, mais jamais la tristesse ne s’effaça de son regard. Bien des années plus tard, je tombai par hasard sur Kiki dans la rue. «Savati mon Kiki ?». Il répondit que oui, «savabin», mais son regard disait exactement le contraire.

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

             Le souvenir du pauvre Kiki nous ramène à un autre kiki, McKinley Mitchell, découvert dans une box et pas n’importe quelle box, la box Malaco, coco. Comme McKiki est un mec de Jackson, Mississippi, il paraît donc logique de le retrouver sur Malaco, le label local.

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

             Il enregistre son premier album sans titre sur Chimneyville, l’ancêtre de Malaco, en 1978. Dès «Open House At My House», on réalise qu’il sonne exactement comme Bobby Blue Bland, et donc on devient potes, car ici, Bobby Blue Bland est un dieu. McKiki est un fabuleux groover, on se régale de sa fantastique allure. Il tape ensuite une cover de «You’re So Fine», ce vieux hit mondial des Falcons repris par Ike & Tina Turner. Il clôt son balda avec «You Know I’ve Tried», une belle Soul de power Soul Brother. Il secoue bien les colonnes du temple de Chimneyville. En B, il tape dans Bobby Darin avec «Dream Lover» et finit avec «Follow The Wind», une chanson de cowboy lancée au petit trot, c’est plein d’élan et bien ouvert sur l’horizon. McKiki adore chanter dans le vent de la plaine. On est vraiment content pour lui.

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

             Il apparaît en gros plan avec ses baguouses sur la pochette d’I Won’t Be Back For More. Au dos, le mec du label Retta’s Records a écrit en gros : «This is a hit record !» On veut bien le croire, car McKiki est un sacré Soul Brother, il te groove son morceau titre au doux du velouté, il te groove ça au quart de poil, c’est un mec précis. Fantastique artiste ! L’album est enregistré dans un studio de Memphis avec une équipe de surdoués inconnus. On a là une sorte de petit son d’une grande qualité. Le bassman s’appelle Ray Griffin, c’est un bon. Il faut entendre son walking bass dans «I’ve Been Wrong». «I Got A Couple Of Years On You» est plus pop. On appelle ça la country Soul. Belles racines, en attendant. Bien dans l’esprit des chops de Chips. McKiki sait balancer sa plâtrée, comme le montre le «Watch Over Me» d’ouverture de bal de B. Puissant shouter. Il fait encore de la Soul pop avec une «Mariah» extrêmement bien apprêtée. McKiki opte pour le haut du panier. Il termine ce bel album avec «I Don’t Know Which Way To Turn». Il charge sa barcasse au when you look at me

    Signé : Cazengler, Mitchell ma belle

    McKinley Mitchell. McKinley Mitchell. Chimneyville Records 1978

    McKinley Mitchell. I Won’t Be Back For More. Retta’s Records 1984

     

     

    The Sly is the limit

    - Part Three

    , new york dolls, courettes, sun records, mckinley mitchell, sly stone, messe, eihwar, johnny hallyday, rockambolesques,

             Au même titre que Phil Spector, Ike Turner et Brian Wilson, Sly Stone entre dans la caste des génies du son. The Family Stone n’est que le couronnement d’une carrière qui débute au début des années soixante, lorsqu’il travaille pour le compte du label californien Autumn Records. Ce sont deux blancs qui le dirigent, Tom Donahue et Bob Mitchell, mais ils ont pour particularité de priser la musique noire. Attention, n’allez pas croire que Sly est californien : comme la plupart des grands artistes blacks installés en Californie (Arthur Lee, les Chambers Brothers, Lowell Fulsom) Sly vient du Deep South et plus précisément de Dallas, au Texas. Sly montre très vite un penchant pour les fringues flashy : on le voit porter un costard Pierre Cardin en peau de serpent et peigner soigneusement sa pompadour. Parmi les groupes qu’il produit pour le compte de Big Daddy Donahue, il y a les Beau Brummels. Sly admire le style et les chansons de Sal Valentino - I like the way Sal sings ‘I’m a man’ on Underdog. Go on Sal ! - Il admire aussi Ray Charles et Dylan. Sly est un homme passionnant, il faut l’écouter rendre hommage à ses pairs - The intelligence in my music comes from Mr Froelich. I tried the stuff that he taught me and it worked, and will work forever. The basic physics of music, that’s all it is. Little things, like play an intro, not too long. If it’s got a lot of energy, don’t do it so fast, do it slower - Sly explique qu’il a travaillé à partir de ce que Monsieur Froelich lui a appris et ça a marché. Commence par jouer une intro, pas trop longue, et s’il y a trop d’énergie, ralentis un peu.

             C’est le flamboyant David Kapralik, A&R chez Columbia, qui signe Sly & The Family Stone en 1967. Il devient en même temps le manager du groupe. Va sortir sur le subsidiary Epic une belle ribambelle d’albums qu’il faut bien qualifier d’historiques.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Dès A Whole New Thing, on sent monter le souffle. Sly introduit «Underdog» à la bluette de Frère Jacques et il relaie ça au heavy groove de Soul et aux yeah yeahhh. La Family Stone qui joue sur ce premier album restera intacte jusqu’à la fin, car c’est une vraie family : Freddie est son frère, Rose sa sœur, Larry Graham son cousin, Jerry Martini est un vieux pote et il se trouve que Greg Errico est le cousin de Jerry. Avec «Turn Me Loose», Sly passe au wild r’n’b. Sly sait tourner les choses à son avantage. Voilà les prémisses du Sly sound, cette fabuleuse énergie qui explosera à Woodstock. Sly grimpe au sommet de l’Ararat pour jeter un slowah à la face de Dieu : «Let Me Hear It From You». En B, on tombe immédiatement sur un heavy groove écœurant de classe, «I Cannot Make It». Voilà encore du Sly qui fait dresser l’oreille du lapin blanc. Ploc ! «Trip To Your Heart» sonne comme une espèce de groove intermédiaire terriblement ancré dans la modernité. C’est l’autre caractéristique du génie de Sly Stone : il semble toujours en avance sur son époque. «Bad Risk» sonne comme un fabuleux coup de Soul rampante. Sly amène ça avec le finesse du renard et des mains de cordonnier. En 1967, la messe est dite.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Premier hit planétaire en 1968 avec «Dance To The Music» qu’on retrouve sur l’album du même nom. Ouch ! C’est l’un des plus grands hits du siècle passé. Le pulsif profond de Sly Stone semble monter des entrailles de la terre. Les breaks à vide sont tellement libres qu’ils semblent déréglés. On retrouve le thème de Dance dans «Dance To The Medley», bardé de départs de basse signés Larry, la bête de Gévaudan. Rose chante avec son frère et Larry fait tous les coups de ra-da-da-dam. Quelle pétaudière ! Rose sait elle aussi envoyer la purée. Le son de la Family Stone est unique au monde. L’autre énormité se niche en B : «Ride The Rhythm». Sly prend ça au chat perché et swingue le jazz du funk. On ressent l’admirable pulsation du feeling sauvage. Sly groove le boogaloo et derrière lui, Larry la bête fait rouler ses notes sous ses gros doigts boudinés. Quelle rigolade ! Ah il faut aussi écouter le beurre infernal que bat Greg Errico dans «Are You Ready». Larry vole à son secours. Ces mecs-là n’en finissent plus de groover la modernité. C’est leur apanage. Larry revient jouer une belle ligne de basse fougueuse dans «Don’t Burn Baby». Quand on l’entend, on pense à un étalon sauvage. Ses notes courent derrière le chant du Sly. Mine de rien, Sly et sa family déroulaient le tapis rouge à la modernité.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             On reste dans l’âge d’or avec l’album Life, paru aussi en 1968. Dès «Dynamite», Larry remet ses vieux ra-da-da-dam en route. C’est infernal. D’ailleurs l’ensemble du groupe s’apparente plus à une machine infernale qu’à un orchestre de groove. On trouve deux merveilles sur cet album, à commencer par «Chicken», cot-cot-coté et swingué au meilleur funk de Sly. On se croirait dans la basse-cour du ghetto funky - Have you heard about me - L’autre merveille se niche en B : «I’m An Animal». Il s’agit là d’une pièce de ce groove intermédiaire dans lequel Sly va finir par se spécialiser. C’est orchestré à la trompette et joliment maintenu sous pression. Puis Sly attaque «M’Lady» au pom pom pom de prédilection. On s’en doute, Larry ramène sa fraise avec le ra-da-da-dam de Dance. C’est bien sûr une variante de leur vieux hit, mais quelle variante ! On retrouve d’ailleurs le thème de Dance dans «Love City», avec les coups de baryton de Brother Freddie et les relances de Sister Rose. Ils bouclent cet album solide avec «Jane Is A Groupee», un joli de coup de groove à la décontracte monté sur une bassline de rêve. Sacré Larry ! Il n’en finit plus de régaler la compagnie. Le hit de l’album est certainement «Plastic Jim», l’adaptation funky d’Eleanor Rigby - All the plastic people/ Where do they all come from - Voilà qu’éclate une fois de plus au grand jour la modernité de Sly Stone. On ne résiste pas non plus au charme d’«Harmony», petit chef-d’œuvre de good time music.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Le deuxième hit planétaire de Sly se trouve sur l’album Stand ! paru l’année suivante : «I Want To Take You Higher», cette monstruosité qui a révélé Sly au public rock, via le film tourné lors du festival de Woodstock. C’est le son de la fournaise, le vrai, celui que vomissent les entrailles de la terre. Larry Graham roule son riff et Cynthia souffle dans sa trompette. On ne se lasse pas de revoir Sly & The Family Stone sur scène à Woodstock. Avec «Don’t Call Me Nigger Whitey», Sly se paye un fier adressage aux blancs qui insultent la grandeur du peuple noir. Autre hit planétaire en B : «Everyday People», un fantastique appel à la tolérance - Oh sha sha we got to to live together - Fabuleux groove de la paix sur la terre - And so on and so on and scooby dody doo bee/ I am everyday people - Eh oui, Sly navigue exactement au même niveau que John Lennon et Bob Dylan. Il peut aussi fait de la hot soul à la James Brown, comme on le constate à l’écoute de «You Can Make It If You Try», mais c’est sly-stoné de frais.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Comme on l’a épluché dans le Part One, on ne va pas revenir sur ce chef-d’œuvre qu’est  There’s A Riot Goin’ On. On passe directement à Fresh, paru en 1973.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

    C’est un album qui porte bien son nom. Sly semble revitaliser l’univers musical. Il suffit d’écouter «If You Want Me To Stay» pour en avoir le cœur net. Comme toujours chez Sly, le cut est monté sur une bassline rêve, une basse carrément pouet-pouet de gros popotin. C’est softy à souhait et d’une classe épouvantable. On passe au concassage de funk avec «Frisky». Sly se situe encore à la pointe du progrès. On sent une immédiate modernité de ton, une incroyable énergie de progression latérale, une subtilité du funk qui n’existe pas ailleurs. Sly est aussi avant-gardiste que Miles Davis. On se régalera aussi de «Thankful N’ Thoughtful», un groove de funk zébré d’éclairs de scream. Pur coup de génie en B avec «Que Sera Sera», l’apogée du groove laid-back en cuir clouté, un summum d’excelsior. Il faut aussi écouter «I Don’t Know (Satisfaction)» si on apprécie le slow-groove, car il s’étend à l’infini, comme une mer étale, immense et visitée par des notes de basse-mouettes et des whawahtis impénitents. Les chœurs de filles relèvent de la pire sorcellerie qu’on ait vu ici bas depuis le XIIIe siècle. L’autre hit de l’album pourrait bien être le fantastique «Keep On Dancin’», une extraordinaire fiesta de good time music, un festin de roi, habilement rythmé et orchestré au groove coconut.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Avec Small Talk paru l’année suivante, Sly fusionne le r’n’b et la psychedelia, comme le font Black Merda et Rotary Connection à la même époque. On trouve en B «Loose Booty», un fabuleux groove de Soul moderne chanté par tous les membres de la famille - Get into some dancin’/ Do what it’s all about - Puis Sister Rose prend «Wishful Thinking» au chant avec Sly et ils tapent ensemble dans une belle démesure de groove stonien. On a là du lo-fi en suspension, une pure merveille perdue dans la nuit des temps. C’est indécent de classe. Le dernier cut de l’album est un autre pur chef d’œuvre : «This Is Love». Sly rend un hommage vibrant au doo-wop avec les chevap doo wap des Flamingos. On note au passage que Rusty Allen a remplacé Larry Graham à la basse. Rusty fait des siennes dans «Time For Livin’», joli cut d’heavy popotin saturé de basses. S’ensuit un admirable groove mélodique intitulé «Can’t Strain My Brain». Sly le travaille au corps avec une maestria de la déconstruction et des faux airs de dérive excessive.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Sur la pochette de Heard Ya Missed Me Well I’m Back, Sly se déguise en homme orchestre. Et au dos, il pose avec la Family au grand complet. On trouve pas mal de cuts très pertinents sur cet album passé un peu à l’as, à commencer par «What Was I Thinkin’ In My Head», un solide strut de Stone Funk aménagé avec des plages enjouées et chanté à la bonne franquette. Sly adore créer ces atmosphères festives qui renvoient aux Village People. Il passe au slow groove de charme avec «Nothing Less Than Happiness», en duo avec une certaine M’Lady Bianca. Quel fabuleux duo ! Il boucle l’A avec «Blessing In Disguise», une belle pop de Soul élégiaque extrêmement orchestrée et noyée de backing vocals féminins. L’empereur Sly règne sans partage sur l’univers. En B, on trouve «Let’s Be Together», un funk stonien de bonne constitution. Ces gens-là n’ont plus rien à prouver. Ils savent groover le funk en douceur et en profondeur. Quelle délectation ! Tout est amplement orchestré et bien lubrifié aux jointures.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Sly fait le playboy des deux côtés de la pochette de Back On The Right Track paru en 1979. Trois cuts sortent du rang, «Remember Who You Are», le morceau titre, et «If It’s Not Adding Up», qui sont en fait les trois premiers cuts de l’A. Pour Remember, Sly tape dans son vieux groove de funk à la Stone. Il joue ça sous le boisseau d’un groove de basse sourde. Franchement, ce mec a le génie du son. Avec Back, il renoue avec le pur funk d’énormité de la Family Stone, c’est-à-dire le beat des origines de la terre, tout cela dans une explosion de chœurs féminins et de cuivres. Il reste dans la funky motion pour Addin’ Up. En B, il va rester dans le funk pour emmener «Shine It On» au paradis et passe au funk désarticulé à la Stevie Wonder pour «It Takes All Kinds». Sacré Sly, il slamme le slum avec du pur sledge, et une basse pouet-pouet mène tout ça par le bout du nez. Quel album ! Il boucle avec «Sheer Energy», encore du groove de rang princier, joué jusqu’à l’os du genou et contrebalancé par des Soul Sisters infernales.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Voilà encore un album quasiment passé inaperçu en 1982 : Ain’t But One Way. On y trouve un coup de génie intitulé «Who In The Funk Do You Think You Are». Sly monte ça au stomp d’heavy funk. Il n’y a que lui qui puisse monter des coups pareils. Il ne fonctionne qu’à l’énergie pure. Il fait une cover extravagante du «You Really Got Me» des Kinks. Encore plus épouvantable, «We Can Do It», groove de Soul-jazz visité par la grâce. Il boucle cet album impeccable avec «High Y’All», une resucée de Wanna Take You Higher. Il ressort exactement la même énergie. On trouve aussi deux ou trois choses intéressantes en A comme par exemple «L.O.V.I.N.U», rappé au meilleur beat. C’est tellement dansant qu’on croit parfois entendre du diskö-funk. Joli coup de good time music avec «Ha Ha Hee Hee». Du son, rien que du son. Chez Sly, c’est le son qui compte. Il faut entendre ces fabuleuses nappes de cuivres derrière le doux du beat. Voilà un nouveau hit planétaire, complètement envoûtant. Tout l’album est bon, de toute façon.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             En 1975, il attaque une carrière solo. Plus de Family sur les pochettes. Il saute en l’air pour High On You, comme il le faisait pour Fresh. Voilà encore un album qui grouille d’énormités, à commencer par «I Get High On You», où on retrouve la profondeur grondante du cosmic funk d’«I Want To Take You Higher». Sly stone son stomp. Quand on entre en terre de stone, on entre en terre sacrée. Tout y est hors du temps, hors des hommes et des dieux. The Sly is the limit, ne l’oublions pas. Retour au hard funk avec «Who Do You Love», spécialité stonienne, son des profondeurs et tourbillon de gargouillis, groove épais que rien ne presse. En B, Sly tape dans la Soul funk des profondeurs avec «Organize». Pur Sly System. On a là le meilleur son de basse de tous les temps, bien rebondi, gras et gros, presque infra. Il passe au joli softy softah avec «Le Lo Li», joué sous le boisseau d’une chape orchestrale psycho-funkoïdale, mais avec des angles arrondis. Il prend plus loin «So Good To Me» à la finesse tamisée pour mieux créer l’enchantement.   

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             L’album Ten Years Too Soon est un album de remix. On y retrouve les gros hits de Sly remixés par des New-Yorkais. C’est un peu absurde, surtout quand on a un cut comme «Dance To The Music» qui est déjà calibré pour le dance-floor. Ces gens-là se sont aussi amusés à remixer  «Sing A Simple Song» et «Everyday People». C’est comme si on shootait des produits dans un corps parfait. 

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             I’m Back ! Family And Friends sonne comme l’album du grand retour. Sly reprend son destin en main et redonne un coup de jeune à ses vieux hits, comme «Dance To The Music» qui devient de la pure folie. Ça dégouline littéralement de génie pur. Ray Manzarek joue de l’orgue là-dessus. Ann Wilson vient duetter avec Sly sur «Everyday People». Et paf, il tape dans «Family Affair». Classe suprême, voix de Soul chargée d’histoire. Hit de rêve. Sly se situe au même niveau qu’Aretha et Marvin. Ce sont des artistes hors du temps et des modes. Ils relèvent de l’inéluctabilité des choses, Nathaniel. Johnny Winter vient jouer sur «Thank You». Johnny joue avec le feu du funk, et il part en solo flash ! Wow ! Sly et lui s’entendent à merveille - Falletin Me Be Mice Elf Agin - On entend même Johnny doubler au guttural. Quelle fournaise, les amis ! En B, c’est Jeff Beck qui radine sa fraise pour jouer «(I Want To Take You) Higher». Sly remet en route la machine infernale de Woodstock. Jeff Beck l’épouse à la note grasse. Il cocote et part en petite vrille de wah casuistique. Encore du son, rien que du son dans «Plain Jane», funky motion glougloutée jusqu’à la moelle, et Sly revient au gospel mélodique avec «His Eye Is On The Sparrow», jadis repris par Sister Rosetta Tharpe et Mahalia Jackson, cut envoûtant qui s’étend jusqu’à l’horizon.

    Signé : Cazengler, Family Stome de chèvre

    Sly & the Family Stone. A Whole New Thing. Epic 1967

    Sly & the Family Stone. Dance To The Music. Epic 1968

    Sly & the Family Stone. Life. Epic 1968

    Sly & the Family Stone. Stand ! Epic 1969

    Sly & the Family Stone. There’s A Riot Goin’ On. Epic 1971

    Sly & the Family Stone. Fresh. Epic 1973

    Sly & the Family Stone. Small Talk. Epic 1974

    Sly & the Family Stone. Heard Ya Missed Me Well I’m Back. Epic 1976

    Sly & the Family Stone. Back On The Right Track. Warner Bros Records 1979

    Sly & the Family Stone. Ain’t But One Way. Warner Bros Records 1982

    Sly  Stone. High On You. Epic 1975 

    Sly  Stone. Ten Years Too Soon. Epic 1979 

    Sly  Stone. I’m Back ! Family And Friends. Cleopatra 2011

     

     

    *

    Tiens un groupe français. Qui chante en français. Etrange pour un groupe qui vient d’Allemagne. Erreur sous la ligne de flottaison. Si la bonne ville de Brunswick se situe en Germanie le New Brunswick est une province du Canada, côte atlantique, accolée à la Nouvelle-Ecosse dont dépend Oak Island, l’île au légendaire trésor introuvable depuis trois siècles… Viennent de Bathurst, la bourgade qui n’atteint pas les quinze mille habitants possèderait un des plus beaux sites touristiques du Canada. Nous demanderons à Marie Desjardins, notre canadienne préférée, de corroborer les dires de Wikipédia.

    J’ METTRAI LE FEU

    MESSE

    (Local pick up only  / Février 2024)

                    Drôle de nom pour un groupe. Seraient-ils chrétiens ? Ou ont-ils choisi ce mot pour exprimer l’idée de réunion festive que l’on peut associer à ce genre de cérémonie religieuse ? Cela demande réflexion, surtout si vous êtes comme moi et que vous pensez que par les temps qui courent le retour du religieux est une malédiction renaissante.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Comment interpréter cette couve. Un briquet, généralement on s’en sert pour mettre le feu au cordon d’un bâton de dynamites, ou ont-ils voulu moderniser le cierge ?

    Maxime Boudreau : vocal, guitare / Sam Newman : basse / Jacob Savoie : batterie.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

    Révolution : le morceau est sorti en avant-première au mois de janvier, agrémentée d’une image à peu près semblable à celle de la couve de l’EP, à cette différence près que le briquet ne brûle plus tout seul en solitaire dans son coin, une main d’activiste décidé se prépare-telle à mettre le feu au monde entier… : musicalement ce n’est pas très révolutionnaire, du heavy metal ni très lourd ni très métallique mais de l’allant et de la vivacité, beaucoup plus problématique la douce langue françoise, est-ce pour cela que les couplets sont si courts, un peu trop chantée, un peu trop allongée, trop mélodieuse, manque le hachis méchant des englishes qui vous mordent au visage chaque fois qu’ils ouvrent la bouche. Lyrics ambigus, lancer une révolution par la fenêtre, pour mettre le feu à toute la plaine ou pour s’en débarrasser, bon ils y mettent du cœur, du sang et de l’espoir, donnons-leur quitus. Les derniers poètes : attention influence blues, balancement rythmique sans histoire et de rigueur et la voix bien devant, normal puisque l’on donne la parole pour la dernière fois aux poètes. L’on est proche de la fin du monde, vision critique et acerbe de notre marasme actuel, on approuve, un seul truc qui nous fait dresser l’oreille, ces damnés poètes, ne pourrait-on pas les fusiller comme tout le monde, pourquoi les crucifier. Automne : bon l’on croyait que les poëtes étaient morts, ils ont décidé de les remplacer, musicalement nous sommes borderline avec la variété, cette voix blanche parlée n’est pas très, comment dire poétique, s’en sont rendus compte, la fin du morceau ne se prend plus pour une chanson d’automne verlainienne, alors ils asticotent leurs instruments, et là c’est vraiment bien. T. O. M. I. : z’ont compris, un bel instrumental qui tient debout, hélas trop court !

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

    Gaz : sorti aussi en avant-première au mois de janvier, image parlante, selon la mythographie française l’on pense aux pétroleuses de la Commune qui mirent le feu à Paris pour retarder l’avancée des troupes versaillaises, genre de feu de joie qui vous met le cœur en fête : la musique à fond, enfin nos incendiaires s’apprêtent à passer à l’action directe, ben non, le chat ne retombe pas sur ses pattes, feront la révolution lorsque le gaz sera moins cher. Niveau activisme c’est un peu affligeant. L’est vrai que Dieu ne leur a envoyé aucun message de réconfort. Remarquez, dans la Bible il est dit que Dieu vomit les tièdes. Il a raison.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Vous avez plusieurs vidéos de Messe sur scène. Jouent leur musique avec fidélité, mais leurs accoutrements, leur tenue soignée, leurs cheveux peignés, tout indique qu’ils visent un public de jeunes adolescents qui ne sont jamais tombés tout seul dans la marmite du rock ‘n’ roll, doivent vivre cela comme une initiation. Voilà, la messe est dite.

    Damie Chad.

     

    *

    Les anciens Dieux ne sont pas rancuniers, ne m’en ont pas voulu d’avoir chroniqué Messe, Apollon Lyncée, l’Apollon-loup, l’Apollon Hyperboréen, m’a envoyé ses nordiques copains en renfort, je ne pensais nullement à eux quand mon œil a été attiré par une trace d’ours sur le net, une méchante, bien griffue, avec des taches de sang, alors j’ai suivi la piste sanglante, je n’ai pas été déçu :

    BERSERKR

    EIHWAR

    Suffit d’un mot entrevu un quart de seconde sur You Tube pour que je visionne une vidéo, lorsque les vikings voguaient sur les mers lointaines, parfois l’un des membres de l’équipage harassé de ramer durant des heures contre une mer mauvaise pétait les plombs, ainsi s’exprimerait avec la grossièreté ignorante qui le caractérise un homme moderne, nos hardis navigateurs proposaient une autre lecture du phénomène, s’agissait de ce qu’aujourd’hui nous attribuons aux pouvoirs de ce que nous appelons chamanisme. Etait-ce le guerrier qui appelait en renfort son animal totémique ou l’esprit de l’Ours qui entrait en lui ? Toujours est-il que pris d’une fureur sacrée il se saisissait de son épée, mordait à pleines dents son bouclier, et commençait à s’en prendre au drakkar, voire à se jeter sur ses camarades qui essayaient, avec plus ou moins de réussite, à le désarmer… J’ai cliqué et j’ai été si étonné par les images que je n’ai pas pensé une seconde à accorder ne serait-ce que la moitié du quart d’une oreille pour prêter une quelconque attention à la musique.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

    D’abord c’est beau, images esthétiques d’un gris bleuté qui tout de suite vous mettent dans l’ambiance, ce guerrier vêtu de noir, homme de fer, habits de cuir, assis par terre dégage une idée de puissance tranquille rehaussée par le hurlement de loups que l’on ne voit pas. Le deuxième personnage qui apparaît et qui semble se porter à la rencontre du chevalier noir n’est pas moins inquiétant, d’ailleurs tout de blanc vêtu, qui est-ce, une prêtresse, un homme, une femme ? J’ai hésité, certes les longs cheveux blonds dans son dos et ses espèces de fourrures au niveau des seins, tout indique une fille, mais le crâne d’ursidé qui cache son visage teinté de noir, ne serait-ce pas ce que les Grecs on appelait un bel éphèbe, mais la voici munie d’un grand tambour qui danse, au sommet d’un énorme rocher, son ventre ondule, l’on envie d’arracher sa ceintures d’où pendent des linges mouvants qui cachent son sexe, belle et bestiale en même temps, attirante et dangereuse,  accroupie, elle dessine un cercle de runes mystérieuses avec des bouts de branches, l’épée à l’épaule, au travers des bois sombres, il arrive, elle marche, elle mord son épée à pleines dents, elle l’appelle, il la voit, il s’avance, derrière lui se dresse un énorme Yggdrasil, elle s’élance, et leurs épées s’entrechoquent sous la sombre et splendide ramure de l’arbre du monde, qui va triompher, la scène du combat est entrecoupée d’images d’elle tambourinant tout en haut de son immense rocher, qui va gagner, qui va vaincre, déjà les féministes proclament leur championne, elles n’ont rien compris, le vainqueur, la vainqueuse, cela importe peu, les images s’arrêtent, sur le noir de l’écran s’inscrivent quelques vers,  Etreins la fureur sauvage au fond de toi, aucune limite, aucune peur, le sentier d’Odin que nous vénérons est cinglant comme l’éclair. Dernières images consacrées à la splendeur naturelle du lieu qui a eu l’honneur d’accueilli le combat.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

    Evidemment question musique vous supposez une espèce de choc de titans sonores. Des murs d’airains et des entrechoquements de bronze. Vous avez juste quarante ans de retard. Une part importante de groupes metal ou d’origine industrielle qui se sont entichés de mythologies scandinaves ont dès les années quatre-vingt emprunté le chemin de cet âge de fer, mais les clinquances mythologiques brinquebalantes ont peu à peu laissé place à une certaine lassitude, l’on a cherché à comprendre le sens de ces scénarios de plaies et de bosses, sous la chair sonnante et trébuchante l’on a essayé de retrouver une subtilité spirituelle, une spiritualité païenne.  Bref du heavy metal, un peu trop carton-pâte l’on en est arrivé à s’inscrire dans un mouvement néo-folk.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

    La première apparition d’Eihwar a ainsi eu lieu à Nantes, le 23 mai 2023, dans la salle de concert Les Ferrailleurs, lors de la Pagan Folk Night La Nuit des Sorcières. Nous invitons les lecteurs à visionner sur You Tube Eihwar Ragnarök Live, sous-titrée Wiking War Trance, qui nous montre un public subjugué par l’apparition de nos deux précédents héros dans leur accoutrement filmique, elle martelant sans cesse son tambour de guerre, l’entrecoupant toutefois de mélodiques mélopées tandis que notre chevalier noir s’escrimant sur son équipement électro laisse échapper de son gosier des gutturalités de mauvais augures. L’ensemble un tantinet monotone n’est pas pour autant ennuyeux.

    Ne gobez pas la première ligne de présentation de notre duo sur Bandcamp, non ils ne sortent pas de la forêt hercynienne, proviennent d’une contrée davantage civilisée, de Toulouse. Ayant longuement fréquenté durant ma jeunesse estudiantine cette capitale du Midi, je peux vous affirmer qu’elle n’est pas peuplée de tribus sauvages, certes les vikings ont bien assiégé la ville rose en 864, z’ont dû se comporter d’une manière fort peu courtoise avec les jeunes filles et femmes de nos campagnes garonnaises, ces antécédents historiaux sont-ils la cause de cette fièvre nordique qui s’est emparée de nos deux jeunes gens, une résurgence atavique de quelques gouttes de sang nordiques léguées à leurs corps défendants ( voire consentants ) par de lointaines ancêtres ont-elles humecté le filigrane de leurs consciences, de leurs rêves, de leurs désirs, et de leurs volontés. Peut-être. Nous aimerions souscrire à cette vision romantique des transmissions héréditaires… peut-être s’inscrivent-ils simplement dans cette mouvance pagano-scaldique dont se réclament au-travers de toute l’Europe de nombreux groupes de rock.

    Sont deux. Asrunn : chant, percussion traditionnelle / Mark : voix, drum pad, samples. Soupçonnons autour d’eux un clan amical qui les aura aidés dans la mise en place de leur projet. C’est en février 2023 qu’ils ont posté leur première vidéo sur You Tube. Le bouche à oreille a fonctionné à merveille. Z’ont atteint jusqu’à un million de vues. Sont programmés pour cette année 2024 dans de nombreux festival notamment au Hellfest. Viennent de sortir leur premier album, compilation de leurs vidéos sur Season of Mist.

    RAGNARÖK

    (Viking War Music)

    EIHWAR

    (Season Of Mist / Digital / Février 2024)

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

    Eihwar est le nom de la rune qui représente la lettre E. Elle désigne la Mort. Notons que cette lettre E se retrouvait au fronton du temple de Delphes, le sanctuaire sacré de la Grèce antique. Qui se peut traduire par Être… Il n’existe pas de plus grand écart entre deux notions.

    Asrunn = Ours (origine finoise) / Mark = consacré à Mars dieu de la guerre (origine latine).

    Berserk : nous n’en dirons pas plus qu’au début de cette chronique. Nous ne nous répèterons pas. Ne montons-nous pas dans le train de l’existence alors qu’il déjà en marche depuis longtemps…

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

    Fenrir : image fixe, Fenrir le loup vous regarde, ses yeux vous supplient-ils, il reste immobile, seuls bougent les flocons de neige qui tombent, point d’anthropomorphisme, Fenrir est la bête sauvage, porteuse de mort, il attend, et la musique n’est qu’un piétinement de pattes de loups sur une piste de glace interminable qu’il déroule interminablement à l’intérieur de son attente, la musique semble attendre, elle se fait douce, elle caresse, elle ne précipite pas le temps, car l’on attend l’accomplissement de la terrible prophétie de la fin du monde, Fenrir n’est plus que la longue patience des bêtes qui attendent la délivrance non pas de l’emprise des hommes, mais de ceux que Fenrir, seuls quelque uns de ces grognement le laissent entendre,  l’instant où ses chaînes tomberont, vers lesquels il se précipitera, non pas sur les hommes mais sur les Dieux pour les tuer, et hâter la venue d’un autre monde, la voix d’Asrunn qui chantonne comme une berceuse d’éveil, un relent de vengeance, l’on est au cœur de l’attente, la bête ne meurt jamais, comme la Mort. Très beau morceau qui rappelle la phrase d’Henri Bosco : ‘’ Que fait la neige lorsqu’elle est tombée. Elle attend.’’ Ragnar’s last Raid : vidéo de mer mouvante, l’on ne sait si Ragnar de Lodbrok fut le chef aux bras velus à qui la ville de Paris dut verser rançon pour ne pas être prise, on lui prête tellement d’exploits, que peut-être est-il plus qu’un héros valeureux, un personnage poétique qui serait la transcription de l’âme indomptable et pratiquement inhumaine (comprenez proche des Dieux) des peuples de la mer farouche. Eihwar nous étonne et entonne un poème, il ne conte ni le bruit ni la fureur, exprime seulement la nostalgie de cette existence dont il ne reste qu’un souvenir lointain, une espèce d’invocation, une lamentation à la brièveté de la vie si orgueilleuse fut-elle, la voix d’Asrunn splendide, telle l’écume légère qui flotte au-dessus des vagues et que la moindre brise disperse… Ragnarök : la fin du monde, les Dieux et les âmes des guerriers morts au combat vont s’affronter aux forces du mal représentées par les Géants. Nous ne sommes pas dans Le Seigneur des Anneaux, le dernier combat est perdu d’avance… Perdu et gagné, c’est ce que raconte la musique d’Eihmar, quelques cliquetis d’épées, une cadence qui s’accélère un moment, une sonorité de cornemuse vive comme une flûte, mais la musique dronique revient sur elle-même, une ronde tantôt funèbre, tantôt presque heureuse, c’est que l’essentiel a été sauvé, Odin a tué Fenrir, Fenrir a tué Odin, mais le monde est préservé, un cycle qui s’achève annonce le retour d’un nouveau cycle qui commence. Eternel Retour. Trompes mortuaires. Skajldmö : en français nous utilisons le mot Walkyrie pour désigner ces guerrières armées de boucliers et d’une épée qui combattaient à l’égal des hommes, un morceau pour Asrunn, c’est pourtant la voix sourde et marmonnante de Mark que l’on entend surtout, son grondement, ses grognements, en contrechant Asrunn manie l’épée de son chant et de son souffle, elle est au cœur de la mêlée, contre ou avec les hommes et les Dieux, c’est elle qui ranime la flamme lorsque l’intensité du combat baisse d’un cran, elle ouvre le bal de la mort. The feast of Thor : qu’est-ce que cette fête de Thor, ce ne peut être que la joie du combat, de la lutte, un loup hurle dans la nuit, est-ce Fenrir qui glapit sur ce qui ressemble à un tapis de vieille à roue, assez pour tirer Thor de son sommeil, Mark joue à merveille ce rôle de l’éveillé qui titube encore engoncé dans son somme, la voix d’Asrunn  résonne comme un appel, une incitation incessante à la guerre, Le marteau de Thor tapote gentiment, vindicative la voix d’Arsunn exiget qu’il écrase des crânes, c’est l’ombre de la mort qu’elle a réveillée, qui marche maintenant aux côtés du Dieu, le monde chuchote et retient son souffle, maintenant la peur le précède, mais il avance, grognements, ébrouements, ce coup-ci c’est parti, Asrunn appelle de plus belle, elle incite, elle instille l’idée du carnage, personne n’arrêtera le malheur qui fond, l’on entent le tonnerre tonner… The forge : il s’agit du premier morceau réalisé par Eihwar, le titre renvoie immédiatement à la légende de Siegfried de Wagner, elle-même formée à partir de la saga de Sigurd, un descendant d’Odin, l’on entend les bruits de la forge, le marteau qui cliquette sur l’enclume, afin de renouer l’épée qu’Odin a brisée, mais plus que cela par trop anecdotique c’est à la démarche du destin que nous assistons, elle n’est pas rapide, elle prend son temps, la voix d’Asrunn s’élève, comme des tentures de sang séché que l’on dresserait à chaque point focal et oblique d’une existence qui vous entraîne inéluctablement vers votre fin, n’oubliez pas qu’il n'y a que deux façons de mourir, par la ruse d’un Dieu, et plus ignominieuse par la traître main d’un proche. The new vikings : cornes de brume, tambourinades nettement plus directes, les anciens Dieux, les antiques héros, de la vieille histoire, même si les nouveaux vikings ont le même chat à fouetter à savoir la mort de notre monde, tout ce qui a précédé n’est qu’un rappel, les mêmes causes produisent les mêmes effets, la musique décroit pour laisser Asrunn approcher ses lèvres de votre oreille et doucement vous révéler le terrible secret, tout dépend de vous, réveillez-vous maintenant, Mark grogne plus fort, est-ce vraiment utile. Silence. A chacun de jouer. Valhalla : encore le hurlement de Fenrir, le Valhala, cette forteresse du domaine des Dieux dans laquelle les Walkyries ont ramené les corps et les âmes des guerriers les plus valeureux morts sur les champs de bataille, ils attendent là, buvant, chantant, s’entraînant au maniement des âmes le Ragnarök, vous n’entrez en ce glorieux lieu mirifique que   par la porte de Mort, vous n’en sortez que pour mourir. Le morceau alterne brûlures de joie, élans vitaux, et passages plus sombres, chaos se diluant dans le néant.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

    Yggdrasil’s Reneval : paysage verdoyant, racines moussues de l’arbre du monde, un voyage est achevé, un autre commence, Vita Nova dirait Dante, renaissance, musique printanière, la voix toute pure d’Asrunn s’élève, son tambourin magique scande la joie de vivre, Mark marque le rythme de la ronde nouvelle qui se forme, farandole, tarentelle, ô mon âme n’aspire pas à la vie immortelle, épuise les champs du possible. Epigraphe de Pindare mise en exergue par Paul Valéry à son Cimetière marin.

             Ce disque est une superbe réussite. Nous avons déposé le crottin sleipnirique de nos rêveries au bas de chacun de ces dix morceaux, mais il est préférable de l’écouter d’une seule traite, comme un oratorio ontique qui nous affirmerait que la Mort n’est qu’un aspect de l’Être. Transe infinie.

    Damie Chad.

     

    *

             Dans notre livraison 622 du 30 / 11 / 2023, rendant compte de la vidéo ‘’ Le Cri ’’ dernier présenté comme l’unique inédit de Johnny Hallyday je ricanais prophétisant que de nouveaux inédits ne tarderaient pas à apparaître. Evidemment la vie m’a donné raison.

             Philippe Labro est rentré dans ma vie grâce à Johnny. Un 45 tours deux titres, deux textes écrits par Philippe Labro. Le premier fit scandale. Mettait en cause un personnage qui quelques années auparavant avait fait vaciller la carrière des Beatles aux States. Jésus Christ. Faut avouer que pour l’époque, nous sommes pourtant après mai 1968, Labro avait fait fort. Un texte qu’il avait ramené des Etats-Unis, en plein dans la période hippie, bref on y racontait que Jésus fumait de la marie jeanne et qu’il aimait les filles aux seins nus. Les cathos coincés du soutien-gorge s’étaient émus, en avait appelé au Vatican, les radios avaient renâclé pour le passer, certains disquaires refusèrent de le vendre...

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

             Comme toujours l’on s’était trompé de cible, suffisait d’ôter ses yeux de ces seins que l’on ne saurait voir, pour réaliser la virulence du deuxième titre. L’antithèse du premier. Labro n’y parlait plus de douceur, de paix et d’amour. On me recherche, écrit à la première personne, vous jetait dans la peau d’un mauvais garçon, d’un malfrat, d’un voyou en fuite et décidé à ne pas se laisser prendre et prêt à en découdre jusqu’au bout… Un texte violemment anarchiste, certains moralistes s’autoriseront à dire dans le mauvais sens du terme, sans concession, qui n’attira pas les foudres des censeurs… Aujourd’hui il serait taxé d’incitation au terrorisme !

             Labro écrivit pas moins de cinq textes pour Vie le treizième album de Johnny sorti en novembre 1970, dont le surprenant Poème sur la Septième.

    Pour le quatorzième album Flagrant Délit paru en juin 1971, Labro écrivit l’ensemble des dix textes.

             Ce 16 février 2024 est parue la réédition de Flagrant Délit augmenté de deux inédits. Ces bandes ont été retrouvées à l’Olympic Sound Studio de Londres référencées sous le nom de Lee Halliday.

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

    Reste : pas vraiment un chef-d’œuvre, une démo, un texte gentillet, pas de quoi pavoiser. N’apporte pas grand-chose à notre rocker national.

    Waterloo : si Reste est le genre de chansonnette que n’importe qui pourrait écrire, Labro était conscient qu’un texte doit choquer, surprendre, fasciner son auditeur. Déjà rien que le titre vous interpelle. Toutefois si l’on pense que le Poème sur la 7 ième, était un texte lu sur un extrait de la Septième Symphonie de Beethoven, et si l’on se souvient que Beethoven avait dans un premier temps dédié sa Symphonie N° 3, L’Héroïque, à Napoléon Bonaparte, l’on comprend la logique mentale qui a présidé à la naissance de Waterloo. Le projet a été abandonné. Nous n’avons droit qu’à une démo. La prépondérance du piano nous assure que nous sommes aux tout premiers tâtonnements de la mise en place. Manque l’essentiel : un orchestre symphonique. C’était le Grand Orchestre de Jean-Claude Vannier qui présidait au Poème sur la Septième. Et puis, avouons-le le texte un peu trop pathos de Labro n’est pas la hauteur de l’épopée napoléonienne, prend le sujet par le petit bout de la lorgnette. Celui des soldats qui vont mourir pour une idée qui ne leur appartient pas. Et qui les dépasse. Dommage que Labro n’ait pas repris son projet. Peut-être aurait-il dû envisager Austerlitz ou Eylau.

             Napoléon est un sujet qui sent la poudre. De canon.

    Damie Chad.

            

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    new york dolls,courettes,sun records,mckinley mitchell,sly stone,messe,eihwar,johnny hallyday,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

     

    31

    Le Chef doit être en train d’allumer un Coronado. Nous cavalons. Josiane est à la traîne, je la tire par la main, je lui impose un rythme soutenu. Elle aurait envie de se plaindre, son souffle coupé lui interdit d’émettre le moindre mot. C’est le troisième hôtel dont nous sortons en courant. Sans aucune explication. La chambre à trois cent euros lui aurait parfaitement convenu, sans un mot, j’ai gagné la rue. Le sixième s’avèrera le bon. Au neuvième étage, tout en haut, ascenseur en panne. Je n’ai pas hésité une seconde, ai refilé sans rechigner au directeur les mille trois cent trente euros quarante-six centimes qu’il demandait. Affalée sur le lit Josiane ne m’adresse la parole qu’au bout de trente-cinq minutes.

             _ Damie c’est loin et c’est un peu cher !

             _ Ne t’inquiète pas, un agent du SSR se doit d’assurer un certain standing, c’est le Chef qui l’a dit.

             _ Et les chiens ils ne sont plus là !

             _ Je les ai renvoyés au local d’un signe de la main, ils sont intelligents, ils ont compris, j’avais envie de rester cette nuit avec toi seule.

             _ Je ne comprends pas pourquoi tu préfères cette chambre, c’est la plus chère et la moins intime. Elle est si grande que le lit paraît tout petit !

             _ Tu verras quand tu seras toute nue tout contre moi, question intimité tu ne trouveras pas mieux.

    Un argument décisif si j’en crois la hâte avec laquelle elle se déshabille. J’ai bien calculé mon coup. Je ne doute pas que les Briseurs de Murailles soient à nos trousses. Justement cette chambre ne possède pas de murs.  En guise de parois uniquement de larges baies vitrées. Même la porte est en verre blindé épais, insensible aux balles de kalachnikov, s’est vanté le Directeur.

             _ La chambre des amoureux, pour la Saint-Valentin je la loue à dix mille euros. Vous voyez tout Paris et personne ne peut vous voir, même si vous laissez la lumière allumée. Une merveille architecturale ! De par le monde, vous n’en trouverez qu’une comme elle, tout en haut de l’Empire State Building

    J’ai réfléchi, les briseurs de murailles traversent les murs, mais le verre peut-être pas ! Un matériau coupant ! Avec un peu de chance nous passerons une nuit tranquille, s’ils parviennent à entrer, mon Rafalos sous l’oreiller à portée de mains, je les attends de pied ferme…

    32

    Il est temps de s’occuper de Josiane, chérie j’ai eu très peur, j’ai besoin de beaucoup de câlins m’a-telle averti. Je la comprends. Elle n’a pas menti. Sept ou huit fois de suite, je n’ai pas compté, j’ai dû l’honorer de toute ma virilité pénétrante, maintenant rassérénée elle dort paisiblement entre mes bras. Un agent du SSR en mission ne dort jamais, vous le savez, la main refermée sur la crosse de mon Rafalos je reste aux aguets, l’oreille tendue, guettant le moindre frémissement…

    33

    Je n’ai rien entendu. Si ce n’est le coup de feu tiré à bout portant dans la tête de Josiane. Avant que j’aie eu le temps de réagir, une main ferme a tiré le cadavre de Josiane hors de mes bras et un corps de femme nue a pris sa place. Gisèle ! Je l’ai reconnue à la douceur inimitable de sa peau.

             _ Je déteste que l’homme que j’aime me fasse des cachoteries dès que j’ai le dos tourné, me souffle-telle à l’oreille, ce n’est rien, ajoute-t-elle, je te pardonne.

    Cette nuit-là du neuvième étage je suis passé au septième ciel…

    34

    Le Chef allume un Coronado. Dans le wagon du métro des voix s’élèvent :

             _ Monsieur il est interdit de fumer dans le métro !

    Le Chef tire son Rafalos de sa poche :

             _ Le dernier qui osé me dire cela est mort, si vous ne me croyez pas, allez vérifier, cimetière de Pantin, Allée G, tombe 647, un certain Jean Fenocle, tué par balle dans une rame du métro, mardi dernier.

    Une voix étranglée par l’émotion accapare l’attention :

             _ C’est vrai, j’en ai entendu parler à la radio !

             _ Nous vivons dans un monde d’assassin, vous avez vu ce matin dans le bulletin d’infos c’est inimaginable !

             _ Mon dieu ! que s’est-il encore passé, je pressens une horreur !

    Le Chef n’a pas le temps d’entendre. Le métro vient de s’arrêter dans la station où il descend.

             _Messieurs-dames, au revoir, tenez-vous le pour dit !

    Avant de descendre il lâche un gros nuage de son Coronados, un Espuantoso Somptuoso dont la fragrance provoque des vomissements intempestifs chez les deux femmes enceintes du wagon.

    35

    Le Chef n’est pas étonné de retrouver Molossa et Molossito qui l’attendent derrière la porte du local dans laquelle il les a enfermés la veille. L’Agent Chad n’est pas venu les chercher. Il pressent que la situation est grave. Très grave, confirme-t-il aux deux chiens qui le regardent d’un air interrogatif. Il prend le temps d’allumer un Coronado. Il donne les dernières consignes :

             _ Attention, Molossa et Molossito, faut y aller mollo !

    Les deux chiens ont compris. Le monde est peuplé de périls, la tâche s’avère difficile, pire que de marcher sur des œufs de crocodiles sur le point d’éclore. Comme un seul homme ils emboîtent le pas du Chef.

    36

    Les abords du Palais de Justice grouillent de monde. La fièvre des grands jours. Journalistes télé et radio se pressent vers la grande salle. Elle est remplie comme un œuf. Molossito se demande si c’est un œuf de crocodile. Un brouhaha indescriptible monte de la foule amassée. Un huissier survient. Il monte à la tribune et annonce d’une voix forte :

             _ Mesdames, Messieurs, silence, le procureur de la République vient vous parler.

    Le procureur s’est levé de bonne heure, l’a été arraché de son lit par un coup de téléphone intempestif du ministre de la police, il n’a pas eu le temps de se coiffer, le nœud de sa cravate est défait. Il prend son air sévère N° 4 et s’empare du micro.

             _ Je n’irai pas par quatre chemins, l’affaire qui nous préoccupe est un des féminicides les plus épouvantables du siècle. Non seulement l’assassin a lâchement tué son amie d’un coup de Rafalos dans la tête – des exclamations d’horreur fusent – un peu de silence s’il vous plaît, ceci n’est que le début du drame, je ne m’offusquerai pas si certaines âmes sensibles désireraient ne pas entendre la suite – personne ne sort – après quoi il a simplement jeté cette compagne hors de son lit – des oh ! de stupéfaction et de dégoût s’élèvent – excusez-moi de ce qui va suivre qui risque si j’utilise une expression tant soit peu populaire, vous couper l’appétit, il a refait l’amour dans les draps ensanglantés avec une deuxième femme. Qui n’était pas là lorsque la femme de chambre a ouvert pour apporter le déjeuner. Elle n’a trouvé que le cadavre de la première sur la descente de lit et l’assassin qui dormait comme un ange pour reprendre ses propres termes.

    Plusieurs doigts se lèvent dans l’assistance, le Procureur en désigne un au hasard au premier rang :

             _ Comment savez-vous qu’il y a eu une deuxième femme que personne n’a vue si nous avons bien compris ?

             _ Personne ne l’a vue, nous ignorons son identité mais les analyses biologiques sont formelles : le lit a été fréquenté par trois personnes : l’assassin, la jeune femme morte et une deuxième femme mystérieusement disparue… Voilà vous savez tout, nous vous reconvoquerons si nous avons du nouveau. Je vous remercie.

    Dans la salle c’est la bronca. Des groupes de féministes lèvent des pancartes, elles exigent la démission du Procureur et du Ministre. On leur cache quelque chose, elles veulent savoir le nom de l’assassin qui a tué au moins deux femmes. C’est le chahut, la chienlit. Personne ne s’aperçoit que le Chef a allumé un Coronado ! Le Procureur reprend la parole :

             _ Nous ne pouvons vous révéler le nom de l’assassin, la loi nous l’interdit.

    La phrase du procureur provoque la stupeur, une clameur s’élève de l’assistance :

             _ Tous complices, tous coupables, tous pourris, police partout, justice nulle part !

    Le Procureur fait signe qu’il veut parler :

             _ L’affaire est beaucoup plus grave que vous ne l’imaginez, nous ne pouvons révéler le nom de l’assassin car quelques heures auparavant on a remorqué sa présence sur les lieux de la Bibliothèque Municipale dans laquelle hier ont été dénombrés plus de quatre-vingt morts. Peut-être tenons-nous là le serial killer le plus prolifique que le monde ait connu jusqu’à aujourd’hui, oui chez nous, en France !

    La foule subjuguée et flattée par la dernière déclaration du Procureur crie trois fois Vive La France ! et entonne une vibrante Marseillaise…

    A suivre…

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 633: KR'TNT 633 : SLY STONE / GYPSY MITCHELL / KEITH RICHARDS / REMAINS / DAVID LINDLEY / AMHELL BAREFOOT / TRISTE / WEEDOW / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 633

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 02 / 2024

     

    SLY STONE / GYPSY MITCHELL

    KEITH RICARDS / REMAINS

    DAVID LINDLEY / AMHELL BAREFOOT /

    TRISTE / WEEDOW / ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 633

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Wizards & True Stars

     - The Sly is the limit

    (Part Two)

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Finalement, Sly Stone a fini par accepter d’écrire ses mémoires. Tant mieux pour nous, pauvres pêcheurs. Il se pourrait que Thank You (Falettinme Be Mice Elf Agin) A Memoir soit l’un de ces petits dons du ciel dont les dieux du rock peuvent se montrer prodigues, lorsqu’ils sont bien lunés. On ira le ranger sur l’étagère à côté des autres passages obligés, ceux que l’on sait.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

            C’est un récit stupéfiant, à tous les sens du terme, et à l’échelle d’une vie. Comme sa vie est un roman, Sly se contente de narrer, dans un style particulier, souvent abstrait, comme s’il réfléchissait à voix haute, ce qui t’oblige à relire certains passages. La dope et ses enfants constituent les thèmes récurrents, la saga de la Family Stone étant le fil rouge. Pour le reste, Sly Stone est un esprit libre, fabuleusement libre. Black et libre, presque une antinomie. On l’écoute plus qu’on ne le lit. Ce n’est pas le souffle rauque de Lanegan, c’est autre chose. Sa tournure d’esprit éclaire sa façon d’être une rockstar, et sa musique apparaît sous un nouveau jour. Il se produit avec lui le même phénomène qu’avec Miles Davis et Dylan : la musique n’est qu’un langage, rien de plus, rien de moins. Ils naviguent tous les trois à un autre niveau. Sly, Miles et Dylan sont des penseurs, on pourrait même les qualifier de maîtres à penser, une expression qu’on utilisait encore dans les années cinquante, du temps de Sartre et de Raymond Aron, et plus récemment à propos de Noam Chomski. Il existe en outre une évidente parenté entre Sly et Arthur Lee : le singularisme, l’élégance, la vision. Le Roi Arthur et Sly sont des visionnaires.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Contrairement à ce qu’ont raconté les mauvais canards de rock, Sly Stone n’est pas un camé violent. C’est un homme qui pose les choses - There’s no hurry. I am taking my time. Have you taken yours? Le soleil se lève, il se couche, et se lève encore. Je n’essaie pas de stopper le jour. Je sais ce qui me rend fort - Il rappelle très vite qu’en famille, petit, il chantait des «gospel songs of Mahalia Jackson, Brother Joe May, the Soul Stirrers, the Swan Silvertones» - We built our future in heaven - Ado, il tombe sur un professeur de musique, Mr. Froehlich «who made me love music as a language» - Il savait lire la musique. Il savait l’écrire. Il la comprenait et savait la parler. Il n’était pas dans une tour d’ivoire. He was cool, down-home, regular. I liked that about him - Sly dit qu’il a tout appris de lui. «Ear training, il m’a appris à reconnaître les accords, les gammes, les intervalles, et les rythmes», puis il a lu Walter Piston, big books, 600 pages, Harmony Counterpoint and Orchestration, filled with big ideas - Cadences, irregular resolutions, raised supersonics - Et il ajoute ceci qui éclaire encore nos pauvres petites lanternes : «Above all, I learned to learn.» L’ado Sly se trouve déjà à la pointe de la modernité. Apprendre à apprendre.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             La modernité, parlons-en ! En 1964, il est DJ sur KSOL et il décide de s’appeler Sly Stone - It sounded right. Je fumais déjà de la marijuana. Il y avait une tension dans le nom. Sly was strategic, slick. Stone was solid - Il passe de la Soul dans son radio show, mais aussi «les Beatles, les Stones, Dylan, Mose Allison». Pour lui, la musique n’a pas de couleur de peau - All I could see was notes, styles and ideas - Pour Sly, la musique doit élever les gens - I reminded myself to return to that attitude, and that altitude - Il va s’y conformer toute sa vie. Attitude, altitude, voilà, il commence à jouer avec les mots. Jeu d’esprit. Son récit en grouille. Il dit aussi admirer Dylan qui a su rendre sa musique géniale afin que les gens écoutent ses messages - He cleared space for thought - Car bien sûr, ce sont les textes qui comptent. Ça n’a pas échappé à Sly et à ceux qui en Europe ont fait l’effort d’apprendre la langue. Il joue aussi de sa modernité dans les interviews. Il dit par exemple que pour chanter le blues, il faut vivre le blues - And honest to God, Clive Davis hasn’t really been livin’ a hell of a lot of blues. Je n’enfonçais pas Clive Davis. Je l’aimais bien. J’utilisais juste son nom pour dire à quel point les autres executives étaient inférieurs - Sly a très vite compris que les décisionnaires du showbiz ne connaissaient rien ou presque de ce qu’il appelle le blues.

             Rendre hommage à l’écrivain Sly Stone passe nécessairement par les fièvres citatoires. Il faudrait la puissance d’analyse de Damie Chad pour passer outre et contextualiser la pensée de l’auteur, comme il vient de le faire pour Jean-François Jacq. L’analyse est un sport de haut niveau auquel il faut avoir accès, ce qui n’est pas le cas ici, mais d’un autre côté, les fièvres citatoires sont l’expression d’une fascination quasi-religieuse pour le texte original, mais aussi et surtout une crainte réelle de dénaturer la pensée de l’auteur. Cette crainte s’avive systématiquement au seuil de l’extrait choisi, car plutôt que de dénaturer la pensée de l’auteur, on préfère la livrer telle quelle, en respectant son intégrité. Traduire dénature systématiquement, tous les ceusses qui ont publié des traductions le savent. La traduction d’un ouvrage est une longue et pénible suite de compromis, et on passe son temps à demander pardon à l’auteur d’avoir esquinté son texte. Insuffler de l’énergie dans une traduction est le seul mode de compensation envisageable. Le jeu consiste à s’approprier le texte, comme le font certains interprètes avec des chansons : ils les transforment pour leur donner une nouvelle vie. 

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Si tu veux enfin entendre la vraie histoire de Sly & The Family Stone, c’est là. Sly présente chaque membre de la Family un par un, une par une, il commence par Cynthia Robinson qui a déjà joué de la trompette avec Lowell Fulsom et Jimmy McCrackin. Sly glisse une petite anecdote au passage : Cynthia revient de San Francisco avec a baby daughter, Laura. Sly arrive chez Cynthia avec ses chiens, lui demande si elle veut bien jouer dans un groupe avec lui, mais avant qu’elle ne réponde, elle a tellement la trouille des chiens qu’elle monte sur une chaise, «laissant Laura toute seule sur le sol». Puis c’est le saxophoniste blanc Jerry Martini qui vient trouver Sly dans son studio de KSOL, «Let’s play together ! Start a band !» - He convinced me. Some of the fuel was mine but Jerry was the spark - Puis Sly présente son frère Freddie qui accepte aussitôt de jouer dans le groupe, mais sa sister Rose refuse car elle a un baby. Puis il faut un mec au beurre - I had rhyme. I had reason. I needed rhythm - Freddie lui suggère Greg Errico, un autre petit cul blanc. Et puis voilà the local bass player nommé Larry Graham - Texas to California (like me and Jesse Belvin and Billy Preston). Larry est né à Beaumont, près de la frontière de la Louisiane - On sent monter l’énergie de la Family Stone, celle qui explosera sous nos yeux à Woodstock. Sly veut le groupe parfait - Each person had something distinct - Ce groupe sera l’un des groupes parfaits de l’histoire du rock américain. Sly est émerveillé par son groupe et ces pages valent tout l’or du monde, ce sont elles qui donnent du sens au rock. Puis Sly les redéfinit tous les cinq en deux lignes, «Freddie was quick. Il pigeait très vite et jouait ce qu’il fallait très vite. Il était drôle, il était le plus drôle du groupe. My brother. Cynthia était tranquille dans la vie, but she was loud on record. Elle a toujours été loyale. Larry était sournois. Il pouvait être paisible ou agité, à la fois dans sa personnalité et dans son jeu. S’il était paisible à un moment, tu pouvais être sûr qu’il allait être vite agité. Jerry était espiègle et vif. Il nous jouait des tours. Il foutait pas mal le bordel, sans jamais heurter personne. Greg savait tenir un tempo, pas seulement en jouant, mais aussi en parlant. Puis il y avait moi. What did I have? It’s not for me to say.» Sly voit the Family Stone comme un concept : mix de blancs et noirs, mâles et femelles, et elles ne se contentent pas de chanter les chœurs, elles jouent d’un instrument. Sly rappelle aussi que le son n’est pas tombé du ciel : «We worked hard from the start.» Ils répètent comme des dingues. Maintenant qu’il a le groupe parfait, Sly veut la perfection sur scène. Ils commencent à jouer, Sly se rappelle d’un concert à las Vegas, où April Stevens et Nino Tempo sont montés sur scène avec eux, et dans le public, se trouvaient Bobby Darin et James Brown avec toute son équipe.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Avec le succès arrivent les drogues. Sly re-situe le contexte - Il y avait des raisons. Il y avait une culture et un état d’esprit, mais il y avait aussi des besoins. J’essayais de composer, de jouer et d’enregistrer. Tout cela demandait du carburant. Comment me sentais-je ? A drug is a substance and so the question has substance. A drug can be a temporary escape and so I will temporarily escape that question - Et boom avec «Underdog» qui «démarre avec une berceuse jouée aux cuivres, I shouted ‘Hey dig!’, and the whole band came crashing in, energy everywhere.» C’est cette formule qui caractérise le mieux Sly & The Family Stone : «the whole band came crashing in, energy everywhere.» C’est encore autre chose que James Brown ou les Stones, le crashing in est la marque de Sly, c’est ce qu’on voit à Woodstock. Mais c’est mieux quand Sly le formule, car il est l’inventeur du crashing in. Il parle aussi d’un hurricane of sound. C’est Cynthia qui gueule «Get up and dance to the music» dans «Dance To The Music» - It was both a title and a description of itself - «Dance To The Music», premier hit international de la Family Stone, le single qu’on trouvait alors en France sous pochette papier. Et Cynthia revenait dans la fournaise pour gueuler : «All the squares go home !». On n’en revenait pas à l’époque d’entendre quelqu’un s’en prendre aux beaufs ! La Family Stone était encore plus révolutionnaire que les Fugs. Cynthia profitait encore d’un break pour dire «Listen to the voices» et la machine repartait de plus belle. Le souvenir de ce single est celui d’une explosion de crashing in. Sly se souvient qu’en 1967 «Dance To The Music» rivalisait de grandeur avec le «Since You’ve Been Gone» d’Aretha, «Lady Madonna» et «Sunshine Of Your Love». Il explique aussi que Clive Davis voulait une version française de «Dance To The Music», alors ils en font une version encore plus puissante, «Danse À La Musique» sous le nom de French Fries, c’est-à-dire les frites. Puis Rose se décide enfin à rejoindre le groupe - She was as loud as a flower - Sly dit aussi qu’elle chantait son ass off - One-take Rose - Cynthia et Rose, c’est le sexe dans la Family Stone.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Sly évoque bien sûr ses souvenirs de Woodstock. Après le set, ils sont trempés et grelottent de froid. Ils meurent de faim et ne trouvent qu’une table avec des sandwichs déjà grignotés. Mais c’est Woodstock qui les rend riches. Ils s’achètent tous des maisons et des bagnoles. Et c’est là que la Family Stone bascule dans les excès d’époque. Sly achète la baraque de John Phillips à Bel Air - Tu pouvais entrer à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit et voir des grosses lignes de coke sur la table basse en verre et un motherfucker à moitié assoupi avec un flingue posé sur sa poitrine, ou des gonzesses dans une chambre attendant qu’on vienne les baiser - À l’étage, il découvre un studio caché, «open-sesame-style». Pas mal d’invités : «Bobby, Billy, Jimmy Ford, Buddy Miles, Johnny Guitar Watson, Ike Turner. We didn’t keep a guest book.» Pas mal de chiens aussi, dont le fameux pitbull Gun - He was my best friend. He was crazy - Le chien se mordait la queue pendant des heures et ne dormait jamais. Sly lui a fait couper la queue pour le calmer. Mais ça ne l’a calmé que partiellement. Bobby Womack avait peur de Gun. Sly a aussi un singe nommé Erfy. Erfy pour Earthy. Erfy provoque Gun qui finit par le choper. Et par le buter - And he didn’t just kill him. He forced him to have sex after he was dead - Mais il y a pire : Kathy pose baby Sylvester Jr. par terre et Gun l’attaque - Gun avait la tête de Sylvester Jr dans sa gueule. Il lui a arraché une partie de l’oreille. Kathia a crié, les a séparés et a emmené Sylvester Jr à l’hôpital. Elle m’a appelé. J’ai foncé à la maison. J’ai pris Sylvester Jr. dans mes bras et emmené Gun à l’étage pour causer. Des gens ont essayé de m’en empêcher. Mais on devait causer. Gun was my best friend. Je le comprenais. Allons-y, lui ai-je dit. On est allés dans la chambre, puis sur le balcon. J’ai sorti un flingue et l’ai pointé sur lui pour qu’il s’excuse. You can get a motherfucker to be good. Mais il ne s’est pas excusé. Il a grogné, c’était sa façon de dire qu’il ne s’excuserait pas. Je l’ai buté et j’ai jeté son corps dans le canyon. It was the hardest thing I had ever done. He was my best friend.

             Bel Air, c’est le gros délire permanent - J’avais un coffre-fort à l’étage pour les Seconals, les Tuinals, les Placidyls et comme j’étais seul à connaître la combinaison du coffre, j’étais aussi le seul à pouvoir prendre une combinaison de cachets - C’est pendant cette période babylonienne que Greg Errico décide de quitter le groupe. Il ne supportait pas de voir Sly utiliser une boîte à rythme. Puis le groupe va continuer de se désintégrer, et après le départ de Larry Graham, Sly engage Bobby Vega, l’organiste de 14 ans Little Moses Tyson et le guitariste Gail Muldrow, c’est donc une nouvelle Family Stone.

             Sly se réinstalle dans une baraque à Novato, Marin County, il a quelques bagnoles - By this point a Mercedes or two, a Rolls-Royce, a Maserati, and an old Ford truck - Il vit avec Kathy, la mère de son fils Silvester Jr. qu’il surnomme Mook, et parmi les pensionnaires de Novato, Sly cite Bubba, Cynthia et Buddy Miles. Mais en 1975, Sly sait que «The Family Stone, at least the way I thought of it - le groupe qui s’était formé dans la cave de mes parents à Urbano, qui avait joué au Winchester Cathedral, qui avait signé sur Epic, qui avait danced to the music, qui était monté sur scène à Woodstock, qui avait atteint trois fois le sommet des charts, qui avait su faire a new sound out of old ones - was over.»

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Sly tente de revenir dans le spotlight avec High On You, il se fait photographier par Herb Green, et c’est le visuel à la fois de pochette de l’album et de l’autobio. Puis il a une fille avec Cynthia. On reste en famille, puisqu’il s’agit de la Family. Elle s’appelle Sylvette Phunne Robinson. Bien sûr Kathy est furieuse, elle demande des explications à Cynthia, «but what can you do?», soupire Sly, «A baby can’t be unborn.»

             La dope coule dans les veines du book comme elle coule dans celles de Sly. Il dit commencer par l’herbe et un jour Bubba lui présente la coke - I shook my head and told him I didn’t go for that - Puis un autre mec en amène, «my curiosity went up and my resistance went down.» Sly s’amuse de tout. Il rappelle que «the Bay Area in the mid-Sixties had plenty of weed, some coke, was starting to go psychedelic», mais ajoute-t-il, New York était une autre paire de manche, «with a higher grade of coke». Quand Stand est paru, Sly avoue qu’il «was riding high. High on life. High on coke. High on everything.» Puis le PCP est entré en jeu - angel dust in the City of Angels - Il ne sait plus qui a ramené le PCP chez lui - It threw your prespective off, which I liked. But it wasn’t for everybody. It could send people down the road - Sly décrit des scènes bizarres, et ça vaut vraiment le coup de lire son autobio, car il vit ça stiff as a plank. Il indique que pour tenir le rythme des tournées, il fallait nécessairement se schtroumfpher - Dans la loge, j’avais l’impression de nager dans une purée très épaisse, mais à la seconde où j’entrais sur scène, j’avais un violent regain de lucidité. La foule agissait comme une drogue - Sly ajoute qu’il adore partager ses drogues, avec tout le monde, dans les hôtels. Le personnel de l’hôtel commence par refuser poliment, mais le deuxième jour, il les retrouve tous dans sa piaule en train de sniffer des lignes. Sly oublie souvent de dormir et il finit par s’écrouler au sol. Il sait que quelqu’un va le ramasser. Un jour, en allumant une freebase, l’éther prend feu et il fait sauter la salle de bain. Par miracle, il en sort vivant. Il en fait un paragraphe psychédélique. Il passe naturellement au crack et s’amuse du «crackling noise it made when it was heated up». Il achète de la poudre, la mélange à du soda et du rhum et chauffe son mélange pour l’évaporer et obtenir des cristaux. Sly est très précis dans son délire descriptif. Mais il se bat avec lui-même, refusant la réclusion pour rester productif - Je dirais que les drogues ne m’ont pas trop affecté, mais je n’avais pas à me supporter. Ce sont les autres qui me supportaient. Ils m’ont dit que j’avais changé avec la coke, que je cherchais la cogne pour des histoires datant de la veille et qu’il m’arrivait d’entrer dans une pièce avec un regard noir, comme si j’imposais le silence. La coke m’a permis de maintenir mon énergie, de rester intense, de ne pas grossir, je suis resté en mouvement permanent, shark-style - Il fume souvent du crack avec son pote George Clinton - George s’est évanoui sur une chaise au rez-de-chaussée. Je suis monté à l’étage et me suis évanoui sur une chaise dans la chambre - Et puis arrive ce qui doit arriver : «Cinquante ans d’usage, plus l’âge, plus le stress made the hospital a regular stop.» Mais aussitôt rentré à la maison, c’est le défilé des dealers - weight out rocks, name their price - Il indique que les drogues l’ont aidé à ne pas trop penser à sa condition matérielle, «le fait qu’à 35, 40 ans, je vivais encore en location, avec une rente mensuelle, sans jamais être vraiment indépendant.»

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Bien sûr, Sly superstar croise pas mal de gens importants, à commencer par Tom Donahue, Big Daddy - a big guy with a big voice and eventually a big beard - Donahue monte le label Autumn, repère les Beau Brummels, les signe, les habille et essaye de les faire passer pour des Anglais, étant donné que la British Invasion fait rage. Le jeune Sly produit en 1965 leur premier hit «Laugh Laugh». Il dit aussi avoir chanté pour les Mojo Men. Puis Donahue revend Autumn à Warner Bros. Sly s’achète une jaguar XKE et la fait repeindre en mauve. L’autre rencontre déterminante est celle de David Kapralik, qui va devenir le manager de la Family Stone - Talked fast. Couldn’t stand still, and I saw he also had sharp-ass shoes. Shook my hand and I saw that he also had sharp-ass cuff links, c’est-à-dire des super boutons de manchette. Sly fréquente aussi Terry Melcher, et donc sa mère, Doris Day, «a nice lady». Plus tard, Sly lui dédiera «Que Sera Sera». Dans le cercle de Melcher traîne «a short, intense guy», c’est Manson. Sly se fritte un peu avec lui. Manson met tout le monde très mal à l’aise. Melcher n’ose pas lui dire qu’il ne va pas le signer, mais n’ose pas le virer. C’est Sly qui lui demande de sortir. L’autre intense guy que rencontre Sly n’est autre que Bill Graham. Sly se fritte aussi avec lui. Bill Graham s’excuse et tout s’arrange.  

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

    ( Little Sister )

                 Sly monte avec Kapralik un petit label, Stone Flower. On est en plein boom de la psychedelic Soul - Whitfield had moved on from classic Motown to what people were calling ‘psychedelic soul’. It sounded familiar: cloud mine - Sly veut produire des groupes. Il démarre avec Little Sister, composé de sa sister Vet, Tiny Mouton et Mary McCreary - Tiny had the biggest voice - Puis il essaye de lancer Joe Hicks. Alors ça tombe bien, car il existe une belle compile de Stone Flower, I’m Just Like You. Sly’s Stone Flower - 1969-70, un Light In the Attic paru en 2014

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             C’est Alec Palao qui se tape le fat booklet du Light In the Attic. Il nous rappelle que the music obsessed Sly et son manager David Kapralik eurent un peu après Woodstock l’idée saugrenue de monter un studio et un label, le mythique Stone Flower - A production house and label for other acts - Kapralik passe un deal avec Scepter, le label new-yorkais de Florence Greenberg et Sly produit Joe Hicks. On l’entend taper un énorme «I’m Going Home», un r’n’b plongé dans une fournaise extraordinaire. Hicks est hot, c’est un bon. On le retrouve plus loin avec «Life & Death In G&A», un groove qui longe les bat-flancs et qui accoste à tribord, pure pirogue d’exotica, bananes vertes et citrons. Sly essaye aussi de lancer Little Sister, un trio monté autour de sa petite sœur Vaetta ‘Vet’ Stewart. C’est leur «You’re The One» qui ouvre le bal de la compile, un heavy funk atrocement bon, c’est le hard funk de Sly, fast & furious, big bass down the alley, c’est tellement bombardé que tu dégringoles dans l’extrême power du funky system. Les Little Sister sont les backing singers de Sly. Autour de Vet, tu as Mary McCraery et Elva ‘Tiny’ Mouton. Pur genius ! L’autre grosse équipe que tente de lancer Sly s’appelle 6ix, qu’il faut prononcer Six. Ils alignent trois énormités, «Trying To Make You Feel Good», «Dynamite» et «You Can We Can». Sly prend des libertés avec sa prod, de toute évidence, il vise la modernité, le groove doit évoluer, alors Sly est à la manœuvre. Il charge «Trying To Make You Feel Good» à l’harmo, on se croirait à la Nouvelle Orleans, il en fait tout simplement un chef-d’œuvre. Avec «Dynamite» du Family Stone, ils passent au heavy funk et c’est encore d’une incroyable modernité. Ça joue à la traînasse de la rascasse sur la deuxième version, t’y vas ou t’y vas pas, Sly s’en branle, il groove. Il groove comme groovent tous les blacks, à l’aune de l’or des reins. On sent la violence du beat sur l’early version de «You Can We Can», bien sucée à l’harp, montée sur un bassmatic de combat, bombastic & elastic. Il faut aussi écouter «I’m Just Like You», car Sly amène énormément de son dans 6ix. C’est un groupe qui tourne au H.P. Barnum et qui accompagne Little Sister sur scène. Voilà, c’est tout ce qui va rester de ce groupe extrêmement intéressant : quatre cuts sur la compile Stone Flower. Et puis voilà le maître de céans avec «Just Like A Baby», un cut d’une effroyable modernité. Sly joue sur les champs et les contre-champs de l’intellect, il s’enfonce dans la démesure du velours, il se veut soft et gluant à la fois, le voilà encore plus reptilien que sur Riot. Pour «Spirit», Sly joue avec les idées. C’est l’apanage des hommes modernes. Il joue comme un gosse avec son jouet, pas comme le chat avec la souris. Sly est à cette époque un inventeur de son fantastiquement impubère.  

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             On va bien sûr retrouver tous les singles magiques de Stone Flower sur les deux volumes consacrés par Ace au producteur Sly Stone. Precious Stone - In The Studio With Sly Stone - 1963-1965 et Listen To The Voices - In The Studio With Sly Stone - 1965-70. Inutile de préciser que ces deux monuments d’érudition groovytale sont des passages obligés, pour tout amateur bien né qui aurait mal tourné. Dans le volume 1 (1963-1965), Sly expérimente pas mal de choses, «Help Me With My Broken Heart» (petit r’n’b de yeah yeah yeah, il tire le chant vers le haut dès qu’il peut), «Sight» (belle énormité, Sly Superstar est déjà là), «Lord Lord» (heavy funk de Lord Lord monté sur riff-boogie d’Hooky), «The Jerk» (heavy gaga-punk), «Temptation Walk» (il se paye les congas de Congo Square et le Farfisa de Question mark, c’est complètement demented, Sly blackise le wild instro et ça devient écœurant de classe), et puis Sly duette pas mal avec Billy Preston : «Ain’t That Loving You» (hot et sulphuré, le gros Billy y va de bon cœur) et «Take My Advice» (inédit et excellent, Sly & Billy se renvoient la baballe, I say hello et Billy répond). En tout, il y a quatre cuts de Sly & Billy Preston, tout est excellent, bourré de feeling, ils font le job, ils taillent la route à deux voix. Autre duo d’enfer, Sly & Freddie, son frère, avec «Dance All Night» (heavy dance craze, baby, ils repassent tous les classiques à la broche, the Monkey et tout le tremblement du dance craze underground, ils te jerkent bien le Rockamadour). C’est avec les mains moites qu’on retrouve Gloria Scott & The Tonettes. C’mon everybody, avec «I Taught Him», Gloria est en plein boom. Quant à Emile O’Connor, il rampe avec «The Nerve Of You», il est fantastiquement gluant, oooh oooh weee, the nerve of you. Le vieux Emile fait le jeu de Sly. Un Sly qui produit aussi Bobby Freeman, pas de problème, Bobby est un bon. Il faut aussi saluer le «Fake It» de George & Teddy joué aux accords des Byrds. Sly sait tout faire, avec du son, comme il va le montrer dans le volume deux avec les beau Brummels. 

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Tu vas tomber de ta chaise en entendant l’«Underdog» des Brummels sur Listen To The Voices - In The Studio With Sly Stone - 1965-70. Le génie des Brummels dans le giron de Sly, ça fait des étincelles, du black gaga-punk, c’est-à-dire le punk de Sky plus le génie des Brummels. Tu retrouves aussi le «You’re The One» de Little Sister, l’hard funk de sang royal déjà épinglé sur Stone Flower, avec Larry Graham comme grand dévorateur. L’autre stand-out track de ce volume 2 et la cover du «You Really Got Me» que fait Sly. Il la tape à l’angoisse stylée, il roule les Kinks dans sa farine, il fait sonner sa guitare comme celle des Beatles dans «Get Back». On croise aussi Sly & The Family Stone avec «Aint’ Got Nobody For Free», un vrai festival. Sly a une façon très particulière de roder le hard funk avec la prééminence du beat, et en plus, c’est gratté à la sévère. Rien de plus animal que le rampage de Sly. Freddie & The Stone Souls font quelques instros explosifs et puis voilà Joe Hicks, avec «Life & Death In G & A». Ce démon d’Hicks revient toujours sur les lieux. Il rase les murs avec son funk de street guy, c’est un pur et dur. Son «I’m Going Home» sonne comme un vrai shoot de heavy wild as fuck. Coup de cœur pour The French Fries et «Danse A La Musique», une variante de «Dance To The Music». Tout le son est là. Sly tape «For Real» au heavy groove trempé dans l’acier. Ou en acier trempé, c’est comme tu veux. On retrouve aussi le 6ix de Stone Flower, véritables salvateurs du heavy funk. Quel punch !

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Sly traîne aussi avec Jim Ford - a white dude that wrote songs that some people called country, but to me it was just songs - Sly le traite de «baddest white man on the planet» et ajoute que des chansons comme «Dr. Handy’s Dandy Candy» et «Niki Hoeky» «détruisaient les esprits des gens qui croyaient que la terre était plate.» Il rencontre aussi Bobby Womack - He could play guitar like a motherfucker - et puis voilà Jimi Hendrix. Sly devait le rencontrer dans une party : «Freddie et moi rencontrâmes Ginger Baker, le batteur de Cream. Ginger showed off some high-quality coke, pharmaceutical grade, et il mentionna une party où devait se trouver Jimi. Ginger avait dans l’idée de partager la coke avec Jimi, only the best for the best.» Sly dit aussi qu’il devait jammer la veille avec Jimi, mais Jimi avait préféré aller jammer au Ronnie Scott’s Club avec Eric Burdon & War. Et arrivant à la party, pas de Jimi. On le verra demain, a dit quelqu’un - As it turns out, there was no tomorrow - Sly sonne le glas à sa façon : «He was dead in the bed.»

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Sly fréquente aussi Ike Turner, mais n’en garde pas le meilleur souvenir - He made everything crawl. He made people want to sleep with one eye open. He was bad vibes all the way down - Par contre, il s’entend beaucoup mieux avec George Clinton - George was my boy. I called him «the funk baby», because that’s how he was born, or reborn - Sly explique vite fait que George a démarré avec le doo-wop à Detroit, puis il s’est entiché de rock’n’roll et de «pyschedelic sixties» - Funkadelic was extreme, with loud guitars, more out there than the most psychedelic Temptations records. Parliament made funk that popped - George nous dit Sly rendait hommage à James Brown, Dyke & The Blazers et Wilson Pickett, mais aussi au Jimi de Band Of Gypsys, ainsi qu’aux early hits de la Family Stone. George et Sly sont deux hyper-actifs : «George started a thousand off-shoot bands too. But he was starting to burn out from juggling it all: acts, labels, tours, money, drugs.» Alors George s’installe dans une ferme à la campagne, à une heure de Detroit - We went fishing, made music, and got high, not always in that order -  Et Sly ajoute ceci qui va rester déterminant : «George was a trip. I always thought of him as a human cartoon.» Selon Sly, George ne pensait qu’à s’amuser. On entend Sly sur l’Electric Spanking Of War Babies de Funkadelic. Pour Sly, George est un mec à part. Alors qu’il a du mal à jouer avec des cracks comme Bobby Womack et Billy Preston - because we were all chiefs and you needed some Indians - avec George, c’est something else - Il n’était pas un musicien comme les autres. Il était plus un comédien, un philosophe et un Monsieur Loyal all rolled into one.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             L’autre héros de Sly n’est autre que Cassius Clay, aka Muhammad Ali. Sly évoque l’épisode spectaculaire d’un slow télévisé où il est invité avec Ali. Le présentateur Mike Douglas fait remarquer à Ali qu’il ne sourit pas, et Ali répond qu’il y a trop de problèmes dans le monde. Sly arrive à faire rigoler le public, alors Ali fait semblant de rire - kikikikiki - Il fait le clown. Et il ajoute : «It ain’t always good-time Negroes.» Et il s’exclame, en pointant le doigt sur Sly : «Il gagne un peu de blé. Je gagne un peu de blé. Mais ses frères et ses oncles et les miens crèvent la dalle. Alors je ne peux pas dire que les choses vont bien.» Ali est stupéfiant de courage politique. Alors Sly lui dit : «Muhammad, la seule chose qu’on puisse faire pour les brothers est de faire ce qu’on fait. Être des exemples. And to be hee hee hee happy and to be intelligent like you are and like you always say.» Mais ça ne plait pas à Ali qui rétorque : «Je suis top intelligent pour débattre avec un brother on television or even clown with him on television. Behind the doors, we can have a good time, but not with all the people watching.» Et quand Mike Douglas demande à Ali s’il compte faire un jour de la politique, Ali tranche : «No sir. Quand vous autres parlez des problèmes, ce ne sont pas nos problèmes. Je vois le peuple noir comme une nation. Vous n’avez rien fait pour résoudre nos problèmes.» Et plus loin, il se fâche : «Vous avez tué tous les Indiens. Vous tuez les noirs, vous gardez tout pour vous, et maintenant vous dites que vous voulez la paix ?» Chacun sait qu’Ali a refusé d’aller se battre au Vietnam contre des gens qui ne lui avaient rien fait. Courage politique.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Indépendamment des histoires extraordinaires, c’est encore une fois le style qui fait la force du récit. Sly est le grand spécialiste des pirouettes, elles pullulent : «I was wearing giant glasses, goggles almost, over most of my face and a puple shirt that matched the scarf in her hair. That was just coincidence.» Jeux de mots encore - By that point, more people had joined the inner circle. Along with the glowing, there was the growing - Comprenez que Sly groove sa langue, il écrit un livre comme il écrit une chanson : avec gourmandise. Quand il s’installe à Coldwater dans l’ancienne maison d’Isaac le Prophète, «I moved in with my equipment, my clothes, my cars, and my guns.» Il explique qu’il a des guns car il a été élevé ainsi, il les collectionne et il se sent plus en sécurité - Il y avait des tas de gens qui entraient et sortaient de la maison and not all of them were bringing flowers - Lorsqu’il enregistre «Family Affair», il explique qu’«it was a record made by no one and everyone, made under the influence of substances and of itself. Is that a contradiction in terms? Contradiction, diction, addiction.»

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

    ( Little Richard)

             Quand Cynthia atteinte d’un cancer casse sa pipe en bois, Sly ne va pas à l’enterrement - Pour moi, elle était la number one in the band, even over me. She held everything together - Puis il voit tous ses amis partir, il les cite, Ali en 2016, Kapralik en 2017, Little Richard en 2020, Bubba en 2021. Mais sa famille still comes around, Sylvester Jr., Phunne et Nove. Il voit aussi que Gloria Scott avec laquelle il a bossé jadis sur Stone Flower enregistre encore - I mean today: I just saw her new album, So Wonderful.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Kapralik qui avait bien pigé la nature de Sly disait de lui : «He is a penultimate pragmatist. He lives by his sheer own personal experience.» Et Sly ajoute : «Kapralik parlait d’en haut. Freddie a dit quelque chose de similaire, mais de plus simple, dans une interview. Il expliquait qu’il y avait moins de gens importants dans le monde. He said there’s no one like Bob Dylan anymore. When I heard it, I nodded. He said there’s no one like John Lennon anymore. I nodded again. He said there’s no one like Sly Stone anymore. I couldn’t nod so I just shook my head.» Quand il a des ennuis avec les impôts, Sly passe en mode Sly : «J’ai fait ce que j’ai pu. J’ai essayé de réduire mon train de vie, suis passé d’une Mark IV à une Mustang, j’ai revendu les biens immobiliers dont je n’avais pas besoin, mais la note ne baissait pas assez vite. Quand j’ai compris que je ne pouvais rien faire de plus, je me suis assis sur les marches de la maison and watched them take my things from me. They meaning the government. Me meaning me.» Encore du Sly prodigieux lorsqu’il perd sa mère. Il parle d’elle dans «Mother Beautiful» qui se trouve sur Small Talk, paru en 1974. La dernière phrase de la chanson dit : «Sometimes I call my mama - yeah she’s here.» - But one day she wasn’t. Losing her was beyond anything I could stand or understand, so I stayed at home and wondered where she had gone - Puis il ajoute que peu de temps après la disparition de ses parents, as the new century started up, d’autres personnes importantes pour lui se sont fait la cerise : Ray Charles, Terry Melcher, Billy Preston et James Brown.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Pour finir ce Part Two en beauté, rien de plus indiqué que le Live At The Fillmore East, un triple album qui propose les quatre shows enregistrés les 4 et 5 octobre 1968 au Fillmore East de Bill Graham. Chaque jour Bill Graham programme deux shows, the early show et the late show, car la demande à l’époque est énorme, et pour lui, le plus important est de satisfaire la demande du public, comme il le répète inlassablement dans son autobio. On peut donc écouter les quatre shows si on le souhaite. Il y a juste quelques variantes de set-list, et le conseil qu’on peut donner serait d’étaler l’écoute sur quatre jours. On garde tous en mémoire le full blown de la Family Stone à Woodstock, mais dès l’«Are You Ready» du disk 1, il est de retour, avec l’heavy bassmatic de Larry Graham. Là, tu as le powerus cubitus maximalus. Larry taille dans le lard à la basse fuzz. À l’époque, en Amérique, il n’existe rien d’équivalent. James Brown et Funkadelic, c’est autre chose. Le power de Sly & the Family Stone est un power unique. Ces mecs te dévorent le foie. Ils sont le Black Power à l’état le plus pur. Ça pulse dans tes veines. Are you ready ? On voit Sister Rose monter au créneau dans «Colour Me True» et Sly ramène son boom boom at the boom boom. Sly bien sûr, mais ses collègues de la Family Stone sont tous exceptionnels, Cynthia envoie ses coups de trompette et Sister Rose prend le chant sur «Won’t Be Long». Immense power ! Larry Graham joue all over et Brother Freddie gratte ses poux. Sly distribue ensuite les mannes du pathos avec «We Love All (Freedom)», il agit avec la grâce qu’on prête aux dieux grecs, la Family Stone fait son cirque et les cuts finissent par s’étirer en longueur. Ils tapent un big shoot de r’n’b avec le medley «Turn Me Loose/I Can’t Turn You Loose», l’hommage à Otis prend feu, Sly cavale sur l’haricot d’Otis et Larry Graham devient fou, ça bascule dans l’énormité, dans l’invulnérabilité des choses. Si tu aimes bien le groove, alors écoute leur version live de «Chicken», Sister Rose se tape un tour de cot cot codec et Sly revient au you-you, ça frise et ça part en mode lullabies. Ils finissent l’early show avec «Love City». Ex-plo-sif ! Tout le monde s’y met, Sly, et Sister Rose qui rentre dans le chou du lard, «Love City» n’est qu’un échantillon de leur power. Ils filent au tagada, c’est aussi hot que James Brown, avec un son de destruction massive et des coups de trompette, une véritable apocalypse. Les New-Yorkais ont dû sortir complètement sonnés du Fillmore. Le late show du 4 est encore plus explosif, puisqu’ils attaquent avec «M’Lady», c’est-à-dire à la clameur extrême. Chaque retour de manivelle de Larry Graham est une œuvre d’art. Sly conquiert le monde, ce soir-là, avec ses breaks de lullaby et ses poum poum poum. On retrouve le «Color Me True» et le «Won’t Be Long» de l’early show. On entend mieux Brother Freddie gratter sa funky guitah, ça groove dans l’épaisseur du cuir, et Sister Rose t’éclate vite fait ton Sénégal. Ils tapent une version de «St James Infirmary» à la trompette, et pour lancer son «Are You Ready», Sly balance son slogan : «Don’t hate the Black, don’t hate the white, if you got bitten, just hate the bite !». Funky message. You got it ? Et puis voilà le hit qui les rendit mondialement célèbres : «Dance To The Music». Les gens claquent des mains. Sly lève la foule comme le levain lève la pâte. Power absolu. Poom poom A-poom poom, oh yeah ! Dance ! Et Larry Graham envoie sa purée. «Music Lover» est la suite de Dance. Même beat, même exploit de wanna take you higher. Bien sûr, le lendemain, ils rejouent les mêmes cuts, bienvenue sur le Kilimandjaro. Ils fondent les neiges. Larry Graham ventile les poumons de la Family Stone, il pulse le full blown en permanence. Greg Errico bat le «Dance To The Music» sec et net. Il fourbit le beat de Sly. C’est là qu’on réalise à quel point Errico est un batteur génial. Tout ici n’est plus que lard fumant et dynamiques extrêmes, avec une Cynthia qui sonne le rappel à coups de trompette. Toute la Family Stone entre en ébullition. Ce show n’est plus qu’une extrême fournaise, rythmique + trompette + poum poum poum et ce diable de Sly jette encore de l’huile sur le feu. C’est de la légende à l’état pur. Ils terminent avec un late show encore plus spectaculaire, comme si c’était possible. Ils re-sortent chaque fois les mêmes recettes, mais ça marche à tous les coups. Avec «Love City», Sly entraîne le Fillmore dans sa folie - This is a song about Love City - c’est hot, les coups de trompette, le shuffle d’orgue, le beat d’Errico, le Graham et le Freddie, ça joue de partout, Mine de rien, Sly invente un art : l’art du lard de la fournaise du Kilimandjaro. Il est complètement barré et il perd toute retenue sur «Turn Me Loose», il chante comme une folle, comme un éperdue, et derrière, le groupe sombre dans la folie.

    Signé : Cazengler, Family Stome de chèvre

    Sly Stone. Thank You (Falettinme Be Mice Elf Agin) A Memoir. Auwa Books 2023

    Sly & the Family Stone. Live At The Fillmore East. Epic 2015

    Sly  Stone. Precious Stone. In The Studio With Sly Stone. 1963-1965. Ace Records 1994

    Sly  Stone. Listen To The Voices. In The Studio With Sly Stone 1965-70. Ace Records 2010

    Sly  Stone. I’m Just Like You. Sly’s Stone Flower. 1969-70. Light In the Attic 2014

     

     

    L’avenir du rock

     - Band of Gypsy

     

             Bon, c’est décidé, l’avenir du rock va revendre sa pauvre baraque de beauf. Il convoque l’un de ces agents immobiliers réputés pour leur incompétence notoire.

             — Vendez-moi ça sec et net !

             Bien serré dans son costard à la mode, l’agent glisse d’une voix suave, qu’il conçoit comme le reflet de son intelligence :

             — Monsieur l’avenir du rock, vous avez certainement une idée du prix que vous en attendez ?

             — Votre prix sera le mien. C’est vous le vendeur, pas moi ! C’est vous le com... pétant. Sachez que je ne m’abaisse pas à votre niveau, à faire des petits calculs. Piochez dans votre carnet de clientèle. Tâchez d’être expéditif. Vous avez une semaine.

             — Dans ce cas, la vente se fera rapidement, vu que vous ne souhaitez pas entrer dans le jeu des négociations avec le ou les acquéreurs. Rassurez-vous, nous veillerons à ne pas vous léser. Notre agence existe depuis si longtemps qu’il ne viendrait à l’idée de personne de remettre en cause la qualité de son intégrité professionnelle. Sachez que pour vous, c’est un plus. Qui plus est, nous pouvons aussi vous proposer en échange un bien aux meilleures conditions. Avez-vous une idée de l’endroit où vous souhaiteriez investir ? Nous avons des agences dans tous les départements de France et d’Outre-Mer.

             — Je cherche une roulotte.

             L’agent lève les sourcils beaucoup plus haut que d’habitude :

             — Vous voulez dire une roulotte...

             — Eh bien oui, une roulotte ! Avec des canassons ! Comme au temps de Django Reinhardt et de Tchavolo Schmitt, j’ai besoin de pompes manouches et d’hérisson rôti, de poules manchotes et d’horizons ratés, de potes michto et d’oraisons rotées.

             Le malheureux reste sans voix. Il comprend que l’avenir du rock n’est pas très clair. D’autant moins clair qu’il ajoute, d’une voix claironnante :

             — Comme ça au campement, je pourrai aller taper un rami dans la roulotte de Gypsy Mitchell, gadjo !

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Gypsy Mitchell arrive sur scène, complètement inconnu au bataillon. Une gueule à être le cousin de Robert Finley, même look de vieux black filiforme à barbe blanche, même sens de l’extravagance vestimentaire, seulement Gypsy Mitchell la pousse un peu plus loin, avec son bandana de prince des pirates, sa veste d’amiral de l’Armada du Roi d’Espagne, ses mocassins d’un joli vert pailleté, ses crucifix et ses tas de bagues. Il aurait même tendance à en faire un peu trop, c’est ce qui est écrit dans la bulle du petit cul blanc qui assiste à son entrée en lice, mais les petites remarques à la mormoille vont vite voler en éclats, car en deux minutes, Gyspsy Mitchell remet tout le rock au carré, et tant qu’il y est, tout le blues et tout le voodoo-funk, en gros tout l’esprit du rock dans ce qu’il peut présenter de mieux. Oui tu ravales ta pauvre petite morgue devant ce géant sorti de nulle part, et si tu le trouves décoré comme un sapin de Noël, c’est qu’il te reste encore des progrès à faire dans ta compréhension du monde, gadjo. Dépêche-toi, mon gars, car tu n’en as plus pour très longtemps. Hâte-toi de piger enfin les choses de la vie telles qu’elles se présentent à toi, car c’est de cela, et uniquement de cela, dont il s’agit. Renverse Gide pour le cul-buter afin que la beauté soit dans la chose regardée plus que dans ton regard d’esthète à la mormoille. Tu as sous les yeux une rockstar sortie de nulle part, et tu vas te régaler pendant une heure, car oui, Gypsy Mitchell groove l’or du temps.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

    Il dispose de toutes les mamelles du destin de Boby : la voix, le look, le voodoo, le son, les cuts, il a tout bon, absolument tout bon, du coup, c’est la fête au village, grosse attaque frontale avec «Rockin’» le bien nommé, Gypsy et les blancs qui l’accompagnent tapent ça aux Flying V, le black rock déboule en Normandie, tu as là le fin du fin du nec plus ultra, Gypsy Mitchell te groove son Rockin’ jusqu’à l’oss de l’ass et là, tu commences à observer son grattage de poux, l’index et travers du manche et les autres doigts qui titillent le tiguili, fuck, ce mec est en plus un immense virtuose voodoo.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

    Il va très vite enlever son chapeau et attaquer une autre merveille, «Take Me I’m Yours». Il est fabuleusement accompagné : deux choristes dont une big black de rêve, un petit white guy sur Flying V, un bassman blanc avec sa basse si basse qu’il ne peut jouer que du plat de la main à gauche, et du bout des doigts à droite, mais diable, il faut le voir bassmatiquer dans les eaux troubles, il en fait baver tous les bassistes présents dans la salle, et derrière au beurre, un autre petit cul blanc à menton volontaire frappe sec et net et sans bavures.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

    Cette faramineuse équipe porte la même tenue, une sorte de survêtement noir à grandes bandes blanches sur les bras et sur le côté des jambes. Gypsy Mitchell va battre tous les records de fascination en attaquant un cut à consonance exotique, «Breezin», il va rivaliser de fluidité supra-cosmique avec Carlos Santana, de féerie intersidérale avec George Benson, il va jazzer son exotica comme le fit autrefois Jose Feliciano, et multiplier les figures de styles avec un grâce hallucinante. Et là tu tombes en panne de vocabulaire. Chaque fois que tu te trouves confronté à l’exercice de l’art suprême, ta cervelle bat en retraite, comme tétanisée.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Comme il n’a pas encore d’album à vendre, Gypsy Mitchell propose un T-shirt que bien sûr personne n’achètera. D’ailleurs à la fin de concert, on assistera à ce bal sordide des selfis, comme au temps de Little Victor, au Vintage de Roubaix : personne n’achetait rien, mais tout le monde se prenait en photo avec lui. L’horreur ! Comme Little Victor, Gyspsy Mitchell se prête complaisamment au cirque. Il raconte aussi sur scène comment il a perdu son fils et de quelle façon il est revenu à la vie, avec une sorte de pâté de foi. Il va ensuite se livrer à l’exercice du bain de foule, il va sauter dans le public avec sa gratte pour y faire son Hendrix, jouer derrière la nuque et gratter ses poux avec les dents, il finira son solo couché au sol au bord de la scène. Pour un blackos de cet âge, c’est une sacrée performance. Tiens, vazy, roule-toi par terre avec ta guitare, tu verras, c’est pas si simple. Une façon comme une autre de dire qu’il est assez complet. Et même plus que complet. Il revient en rappel avec une cover de «Knockin’ On Heaven’s Door» qu’il va bien sûr prendre un malin plaisir à électriser. Il va même réussir à porter cette vieille tarte à la crème à incandescence.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Son album solo ne sortira qu’au printemps. En attendant, on peut le retrouver avec les Relatives sur The Electric World, un Yep Roc de 2013. Gyspy y trône au milieu de ses amis, dont le Reverend Gean West qu’on entend chanter sur «Rational Culture/Testimony», un heavy dumb de funky blues. Wow, ça chante dans le creux du groove.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

    Tu y retrouves tout le mystère du Black Power, les racines sont profondes. Black groove de Lawd. Le mec des liners indique que les Relatives sont un gospel funk band. Le Reverend Gean West n’avait chanté que deux cuts, car après, puis il est tombé dans le coma. Il en est ressorti pour revenir finir de chanter les autres cuts, sauf le dernier, «Forgive Now». Il était trop faible. L’album marque aussi le retour de the original guitarist Gypsy and «his Eddie Hazel-meets-Ernie Isley guitar heroics and bass-to-flasetto vocal range». C’est Gypsy qu’on entend chanter sur «No Man Is An Island». Le Reverend Gean West est assez violent sur «Can’t Feel Nothing». Les Relatives ont le pouvoir. Big album ! T’es content d’être là. Sur «You Gotta Do Right», ils sonnent comme les Temptations, avec l’échange de voix. Même power, avec la variété des registres et l’heavy groove dévastateur. Ils passent à la Soul des jours heureux avec «This World Is Moving Too Fast», ils naviguent en eaux magiques. C’est le groove le plus complet de la mer des Sargasses. Le mec qui produit est l’un des trois guitaristes, Zach Ernst. Ils passent au fast funk définitif avec «What You Say», bien tapé à la wah de Gypsy boy. Ils flirtent avec le power des JBs, ça va vite, ça explose, le Rev chante en dérapage contrôlé et on assiste à un incroyable redémarrage du fou de la wah dans la pampa en feu. Le bouillonnement rythmique est celui des JBs de Bootsy Collins. 

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Il existe un autre album des Relatives, enregistré avant The Electric World, mais paru après : Goodbye World. Gypsy n’y joue pas, mais ce n’est pas une raison pour ne pas l’écouter, d’autant plus que c’est un fantastique album de funk et de Soul, avec les mêmes dominantes que celles de Goodbye World : hard funk dès «Things Are Changing» et vers la fin, «It’s Coming Up Again», ils jouent comme des bêtes féroces, ils sont encore pires que Wilson Pickett - Say it loud ! - Ils te tapent ça au JB Sound System. Avec «Let Your Light Shine», ils sonnent une fois de plus comme les Temptations. Ces mecs savent déménager un immeuble. Ça sonne comme un puissant fleuve de r’n’b. Et ça bascule dans le génie Soul avec «Bad Trip». Ils foncent dans le tas, c’est infernal, puissant, irrévocable - Can’t help myself - Fantastique Black Power ! Et ça continue avec «We Need Love». C’est d’un niveau assez rare, dans le domaine. Les Relatives ont le Black Power dans le sang - You need my love yeah ! - C’est Zach qu’on entend à la wah sur «Revelation (Jordan)». Ils travaillent «Your Love Is Real» au corps de la sincérité. C’est âpre et ça colle bien au papier.

    Signé : Cazengler, complètement Gypscié

    Gypsy Mitchell. Nuits de l’Alligator. Le 106. Rouen (76). 3 février 2024

    The Relatives. The Electric World. Yep Roc Records 2013

    The Relatives. Goodbye World. Luv N’ Haight 2016

     

     

    Keef Keef bourricot

     - Part Two

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Quatre-vingt piges ! Encore plus vieux que le rock ! Qui réussit cet exploit ? Keith Richards, bien sûr. En 1975, personne n’aurait parié un seul kopeck sur sa carcasse, et le voilà qui souffle sous nos yeux à moitié ahuris ses quatre-vingt bougies. Le mois dernier, Uncut eut l’idée géniale de célébrer cet anniversaire. Keef est même en couve, tout beau, tout sourire, fidèle à sa (vieille) dimension iconique. Bien sapé, franc sourire, chapeau blanc, lunettes noires, ça tient encore très bien la route.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             À ce stade des opérations, on ne se pose même plus la question de savoir si ça a du sens ou pas d’être rockstar à 80 balais. Le statut de rockstar impose-t-il de casser sa pipe en bois plus jeune ? Tous les avis sont dans la nature. Tu n’as qu’à te baisser pour les ramasser. Fais comme bon te semble. Avec Uncut, on va préférer se réjouir que Keef Keef bourricot soit toujours un Rolling Stone, et pour un Rolling Stone, il continue de s’en sortir avec les honneurs. Il vieillit plutôt bien, alors que les deux autres derniers Rolling Stones vieillissent plutôt mal. Une façon comme une autre de dire qu’on ne les aimait pas plus que ça, surtout pas le Jag. Disons que Keef Keef et Brian Jones restent les chouchous.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Cher esprit critique, avant de débiner le vieux Keef, pense à la bobine que t’auras à quatre-vingt piges. Il faut certainement beaucoup de courage pour continuer de paraître en couverture des magazines quand on a passé l’âge. Keef Keef bourricot fait partie des gens qui ont depuis longtemps fait le tour de la célébrité, donc ça n’a plus rien à voir avec l’ego. C’est autre chose. Il accepte de continuer à alimenter sa (vieille) légende pour le simple bonheur de ses (vieux) fans. On voit cette photo du (vieux) Keef Keef et on entend «Gimme Shelter» dans le creux de l’oreille. Rien n’a changé depuis «Gimme Shelter», et en même temps, tout a changé. Chaque aspect des choses de la pensée est relatif. Tu fais bouger les angles en fonction de ce qui t’arrange. L’idéal est encore d’essayer de voir les choses du bon côté, et le fait que le vieux Keef soit toujours là, c’est le bon côté des choses. Encore une fois, il faut s’en réjouir (pour lui). D’autant qu’on le respecte avec une constance et une profondeur égales à celles qui alimentent notre haine des politicards conservateurs ou libéraux.

             Uncut célèbre l’annive sur 13 pages et découpe la vie du Keef Keef en rondelles : une double par décennie. Six decades, nous dit le chapô, qui traite aussi Keef de «rock’s most miraculous survivor». Dans chaque double, des convives on va dire de luxe, interviennent pour saluer leur pote Keef Keef. Dans un petit pavé au bas de la double d’ouverture, le (vieux) Bill Wyman, qui est lui aussi toujours de ce monde, déclare : «Happy birthday young chap.» Entre (vieux) Rolling Stones, les familiarités sont de rigueur.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Et voilà les invités de la double 1960s : (le vieux) Ron Wood se souvient des fêtes chez Immediate Records et de sa première vraie rencontre avec Keef Keef : il enregistrait I’ve Got My Own Album To Do chez lui à Richmond, et avait invité Keef Keef à venir jammer un soir, et pouf, il est resté quatre mois chez Woody. (Le vieux) Dick Taylor se souvient du Keef au Sidcup Art School et de son obsession pour Scotty Moore - One of the things he always used to play was «I’m Left You’re Right She’s Gone» and sometimes «That’s Allright Mama» - Dick Taylor dit aussi que Keef se fringuait avec du style - skinny jeans, purple shirt, Wrangler jean jacket - C’est le Jag qui fait entrer Keef Keef dans le groupe de l’Art School - He was a natural guitar player. Il n’avait pas une super technique, but it seemed like he had a real flair for it - Puis tu as (le vieux) Andrew Loog Oldham qui célèbre le songwriting partnership de Jag & Keef at Mapesbury Road. Leur première compo est «As Tears Go By». Pas mal, pour des apprentis sorciers. Le Loog rappelle que tout le monde, y compris lui, apprenait le job sur le tas, à l’époque, et Keef Keef qualifia d’«university» la tournée de six semaines avec les Everly Brothers. Le Loog rappelle en outre que sur scène, les Crickets accompagnaient les Everlys. Puis il balance la purée : «What can I say about Keith? He was a very smart fella, photogenically.» Et plus loin, il conclut ainsi : «He’s Jack the lad, man. And still is.» (Le vieux) Stash Klossowski y va lui aussi de son puissant hommage, évoquant une relation qui remonte à 1967, et la naissance de Marlon, fils de Keef Keef et d’Anita. Stash rappelle que Keef est extraordinairement cultivé, qu’il s’intéresse de près à l’histoire, et à une époque, il pouvait tenir sept jours sans dormir. (Le vieux) Eddie Kramer célèbre le guitar slinger - His ability to bring something nuanced, crazy, cool and unexpected from that rhythm guitar part always amazed me - Kramer est encore plus fasciné par la télépathie qui existe entre Keef Keef et Charlie Watts, «and if the groove was right, it would just be this wonderful thing, the epitome of rock’n’roll.» Kramer, qui a fréquenté les meilleurs (Jimi Hendrix), conclut son hommage ainsi : «As a musician, Keith has supernatural powers.» Un autre ingé-son de renom, (le vieux) Glyn Johns, déclare : «I always think of Keith as king of the intro.» Il a raison le Glyn de la Saint Glyn-Glyn, Keef Keef est le roi du riff d’intro. La meilleure preuve est dans «Street Fighting Man». Dès les premières mesures, tu sais que tu es chez les Rolling Stones. (Le vieux) Taj Mahal tombe à pic pour rappeler qu’il fut invité par les Stones à participer au Rock’n’Roll Circus. Il a vu Keef Keef évoluer - I’d watched Keith grow into a serious player. In terms of blues, Keith’s the nitty-gritty. He’s so powerful - Et Taj soigne sa chute : «Most of all, I love that he’s a rebel. And a pirate.» De la part d’un (vieux) cat comme Taj, c’est un fabuleux hommage.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Uncut ressort aussi un vieux bout d’interview datant de 2017. Keef Keef rappelle que 1963 était l’année la plus folle - That was a year of speed, man - We were in a maelstrom et boom, voilà l’hommage dans l’hommage : «Brian was a great promoter.» Keef rappelle en outre qu’entre 1964 et 1967, it was learning on the job. Les Stones sont passés du stade de bar band aux grandes scènes - Thank God, our first tour was with Bo Diddley and Little Richard and the Everly Brothers - Et en 1967, il admet que les Stones étaient «pretty burned out by the road.» Ils prennent un peu de temps pour souffler et composer, et soudain, la pression repart avec «Satisfaction» - On frappe à la porte et un mec te demande : «Où est le follow-up ?», et je lui réponds : «Get off my cloud» - L’humour ravageur de Keef Keef. Pas étonnant qu’il soit devenu un héros.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

    ( Kenney Jones )

             (Le vieux) Marshall Chess ouvre le bal des 1970s. Il raconte qu’il débarque chez Keef en 1970, à Cheyne Walk, et le trouve assis au piano «repeint en jaune» en compagnie de Gram Parsons. Chess indique en outre que Keef trimballait sa gratte partout, même aux gogues. Selon le (vieux) tour manager Peter Rudge, «everybody loves Keith Richards.» (Le vieux) Mick Taylor évoque Nellcôte et Exile, mais il n’a rien d’intéressant à dire. À la ville comme à la scène, serait-on tenté d’ajouter. Pour (le vieux) Chris Welch, Keef a toujours été généreux, funny and shockingly honest. (Le vieux) Kenney Jones redit sa fierté d’avoir pu jouer avec Keef Keef at Kilburn Theatre en 1974, mais la cerise sur le gâtö, c’est Keef qui lui dit, lors du Charlie Watts’ memorial au Ronnie Scott’s Club : «Kenney, it’s only you and Charlie. You know that, don’t you?». Suprême hommage : aux yeux de Keef Keef, il n’existe que deux batteurs : Charlie et Kenney Jones. Tiens voilà (le vieux) Richard Lloyd qui avait rencontré Anita au CBGB, et dans son autobio (Everything is Combustible), il raconte qu’il a, par la force des choses, fréquenté Keef Keef qui était installé sur la côte Est. Lloyd qualifie lui aussi Keef de funny and generous. Il conclut son fantastique hommage ainsi : «This guy is a king. I love him to death.» (Le vieux) Jimmy Page rappelle qu’il a joué avec Keef sur l’enregistrement du «Yesterday’s Papers» de Chris Farlowe, pour Immediate, en 1967. Page est aussi allé jammer avec Keef chez Ron Wood à Richmond, et plus tard, à New York, sur un cut de Dirty Work, «One Hit (To The Body)».     

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Dans les 1980s, Keef Keef change de tête. Une vraie gueule de loubard, regard noir et morgue bien affichée. Pas aimable. Le son des Stones change et les invités aussi. Voilà (le vieux) Michael Shrieve, le percu de Santana qu’on a découvert dans Woodstock. Il joue sur Emotional Rescue. Il est frappé par le Keef - There’s nobody like him. He plugs his guitar and immediately it’s Keith Richards - Il est aussi frappé de le voir travailler so hard. Le (vieux) producteur Steve Lillywhite voit Keef Keef trimballer des guns et échanger ses fringues avec celles d’autres mecs. (Le pas trop vieux) Ivan Neville se souvient d’avoir bossé toute la nuit en studio avec Keef Keef au moment de Talk Is Cheap - En sortant du studio, il nous emmenait tous chez lui on 4th and Broadway and make us breakfast - Pour (le vieux) Bernard Fowler qui a vu Keef Keef attaquer dès le breakfast la lecture d’ouvrages sur les vaisseaux de marine, il n’y a aucun doute : Il y a du pirate en lui («Damn, it’s real, there si some pirate in there for sure»), et il ajoute, pour conclure pour petit paragraphe : «He’s got an elephant brain, he don’t forget shit. His recall is amazing.» Et pour (le pas trop vieux) Johnny Marr, «Keith was a total hero to me as a kid.» Il dit avoir aimé son guitar-playing, mais c’était surtout son idéologie qu’il admirait - I just saw him as someone with ultimate integrity - Quand il était dans les Smiths, il explique qu’il prenait modèle sur Keef Keef, «taking care of the music», «but also being the engine of the band.» Il voit Keef Keef comme un mec en mission - «Gimme Shelter» has the best guitar solo that’s ever been on record - Marr a compté les notes : six notes dans le solo, mais avec tellement de feeling ! Pour lui, Keef Keef a inventé un son, mais aussi «a whole new guitar style, possibly the coolest since Robert Johnson or Hubert Sumlin.»

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Et voilà the 1990s & the 2000s. (Le vieux) Aaron Neville explique qu’il a rencontré Keef Keef en 1983, quand les Neville Brothers furent invités en première partie de la tournée des Stones. L’ange Aaron parle d’intense mutual respect - Keith is one of the most down-to-earth guys I’ve ever met. He’s a real one. Nothing fake - On imagine qu’à lire tout ça, Keef Keef doit éprouver une sacrée fierté d’avoir de tels (vieux) amis.  

    Signé : Cazengler, Keith Ricard

    Keith at 80 - Uncut # 321 - January 2024

     

     

    Inside the goldmine

     - Exile on Remains Street

     

             Il maudissait ses parents de l’avoir appelé Rupin. Du coup, il devint radin. Mais pas un radin à la petite semaine, il devint un virtuose du radinage. Les gens disent de ces virtuoses qu’ils ont des oursins au fond de poches. Effectivement, sa pathologie battait tous les records. La seule perspective d’avoir à payer un verre le rendait physiquement malade. Il en devenait gris. Pourtant, on rigolait bien ensemble, mais il n’était bien sûr pas question de lui faire la moindre remarque sur sa manie. Comme tous les radins, il collectionnait les cartes bleues et quand il devait régler un achat, il réfléchissait longuement au choix de la carte. Nous découvrîmes grâce à lui et à ses méthodes que les radins géraient si bien leur blé qu’ils s’enrichissaient plus vite que les gens normaux. Il plaçait son blé au Luxembourg et investissait dans l’achat de parkings, qui offraient selon lui le meilleur rendement. Il citait même les chiffres. Il veillait à bien s’habiller, à toujours se cravater, et roulait dans de puissantes voitures allemandes, ni peu chères, ni trop chères, il savait trouver le juste milieu. Lorsqu’il acceptait une invitation à dîner au restaurant, il ne proposait jamais de rendre la pareille. Il s’arrangeait en outre pour choisir les vins et partait du principe qu’on avait les moyens de financer un vin cher puisqu’on l’invitait. Ça tombait sous le sens. Ou plutôt son sens. À sa façon, Rupin avait du génie. Il savait tirer avantage de n’importe quelle situation. Qui aurait osé lui reprocher d’avoir choisi le vin le plus cher de la carte ? Il lui arrivait même de conclure en disant à voix haute devant le garçon qui amenait l’addition qu’il avait connu des crus de meilleure qualité à ce prix-là. Bien sûr, il usait et abusait de la bêtise de ses amis, et d’une certaine façon, ça le rendait attachant. L’amitié de longue date a souvent bon dos. Elle permet d’élever le seuil de tolérance. Et rien n’est plus naturel que de vouloir voir jusqu’où un ami de longue date peut aller trop loin.   

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Dans les années soixante-dix, on écoutait les Remains avec Rupin. On bossait ensemble dans le même bureau d’études, et il découvrait les groupes à travers les albums qu’on lui prêtait et, bien sûr, qu’il ne rendait pas.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             L’un des premiers groupes sur lesquels il a flashé fut l’album des Remains, l’Epic de 1966 qui reste encore aujourd’hui l’un des plus beaux albums de gaga-rock sixties de tous les temps. L’album s’ouvre sur la triplette de Belleville «Heart»/ «Lonely Weekend»/ «Don’t Look Back» et Barry Tashian s’impose comme le guitariste/chanteur le plus insidieux de l’histoire du rock américain. Il attaque son «Heart» en douceur et après un couplet, ça bascule dans la craze maximalo-dementoïde, il entre dans le chou du lard au killer solo flash et ça vire en mode rave-up à la Yardbirds. Tashian amène aussi «Lonely Weekend» à l’insidieuse, et attention, il ne prévient pas, il se pointe avec des guitar licks terrifiques et chante à la dégueulade de friday night. Normal que «Don’t Look Back» se retrouve sur Nuggets. Les Remains ont un incroyable degré de maturité. Tashian est l’un les grands proto-punkers. Ils bouclent cette A faramineuse avec un «Diddy Wah Diddy» qui sonne comme «Route 66». On se croirait sur le premier album des Stones. Trois belles bombes en B : «You Got A Hard Time Coming» qu’ils finissaient en apothéose de «Really Got Me», puis «Thank You», une merveille pop qu’on dirait sortie tout droit du Brill, et enfin «Time Of The Day», où Tashian sonne comme Van the Man. On se croirait chez les Them ! Il existe une réédition de ce premier album sur Sundazed qu’on recommande chaudement à Rupin et à tous les fans des Remains, car sur le disk 2 grouille de covers inédites, à commencer par ce fabuleux «Mercy Mercy», aussi ravageur et sale que celui des early Stones. Tashian a des accents de Jag et derrière, ça frappe sec et net à la Charlie. Ça swingue dans le garage de Don Covay. On croirait entendre des Anglais quand ils tapent leur version de «My Babe». Tashian tente de placer ses compos, comme par exemple «When I Want To Know», mais c’est trop pop. Il veut faire du Brill et ce n’est pas vraiment son truc. Quand il tape dans le wild gaga, il excelle, en voilà encore la preuve avec «All Good Things» qui vire encore une fois en mode rave-up des Yardbirds. 

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Il existe un autre album des Remains sur Sundazed, l’indispensable A Session With The Remains. Encore du proto-punk à gogo, avec des version absolument démentes d’«Hang On Sloopy» (real deal du Boston punk), «All Day And All Of The Night» (cover infernale, c’est le punkish punk in the face, et Tashian passe un killer solo flash à la Dave Davies) et en B, tu as une version trash d’«I’m A Man». Tashian est rompu à tous les coups de lard, il en fait une version freakout, il bat les Downliners à la course, aw yeah ! Il tape aussi ne version puissante de «Like A Rolling Stone» - You used tooooooo/ laugh about - qu’il prend au pince nez. Il est parfait dans tous les cas de figure : son «Johnny B. Goode» sort du premier album des Stones et le «Gonna Move» qui suit est un heavy blues fantastique. Il termine avec la fast pop d’«All Good Things», c’est excellent, presque mélodique, quasiment anglais à cause du freakout de freakbeat.  

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Petit conseil d’ami : ne fais pas l’impasse sur ce Live In Boston paru en 1983 : il regorge de proto-punk, au moins autant qu’un bel album des Downliners Sect. Rien qu’avec «Hang On Sloopy» et «All Day And All Of The Night», tu frises l’overdose de proto-punk. Heavy hang on ! Tashian est la punk ultime, wild as fuck, avec le killer solo flash in the face. La cover des Kinks est elle aussi de la meilleure auspice. En bout d’A, il balance LA cover rêvée de «Like A Rolling Stone». Il va chercher son Dylan au didn’t ya. Une autre surprise t’attend en B : une monstrueuse cover d’«I’m A Man». Proto-punk + Bo = Boom ! Oh yeah ! Les Remains sont imbattables au petit jeu de la destruction massive. Ils basculent dans un combiné d’early Stones et de Rave Up des Yardbirds, mais avec tout le power des Amériques. Même ambiance que l’«Oh Yeah» des Shadows Of Knight. On est là dans le vrai. Au cœur du vrai.  

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Movin’ On aurait pu être l’album du grand retour de Barry Tashian, mais il faut déchanter, car les Remains évoluent vers un monde plus pop. On retrouve cependant des traces de Bo et de Chucky Chuckah dans «A Man’s Best Friend Is His Automobile» et «Big Ol’ Dyna Flow», comme par hasard, deux cuts automobiles, l’une des vieilles fixations de Chucky Chuckah. Tashian rend hommage à Bo sur le premier et à Chucky Chuckah sur Dyna Flow - Just me and my automobile - Il renoue avec ses sources, il redevient infiniment crédible, presque punk, il ramène énormément de son - She’s the road master/ Nothing gets past her/ My big ol’ Dyna Flow - Barry Tashian est un artiste complet, ne l’oublions jamais. Sa pop est bonne, bonne comme la bonne du curé, même si on a parfois l’impression d’avoir vite fait le tour. Il faut admettre qu’on ne reverra plus le proto-punk d’antan. Il fait du jingle jangle avec «Listen To Me» et «Trust In Me» paraît pop comme pas deux, ça danse dans l’alley oop - You can trust me babe - Quasi country, mais avec des guitares  extraordinaires. Avec sa casquette et sa chemise hawaïenne, on le voit encore flirter avec le bar de la plage dans «You Never Told Me Why», mais il ramène une partie de guitare absolutely demented. Il est dans le son, comme Paul Jones l’est en Angleterre, avec de l’allant. Il termine avec «Romana» et fait de l’early Stonesy de wild Chicago blues, oh-oh, capiteux mélange de wild riffs et de chant pop. Il te gratte ça à la cocote sévère. Il est marrant le Tashian, il restera fidèle au punk jusqu’à la mort.

    Signé : Cazengler, Remugle

    Remains. The Remains. Epic 1966

    Remains. Live In Boston. Eva 1983 

    Remains. A Session With The Remains. Sundazed 1996 

    Remains. Movin’ On. Rock-A-Lot Records 2002

     

     

    Parfaitement Lindley-gitime

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Kaleidoscope n’était pas le plus connu des groupes West Coast de l’âge d’or des sixties, mais la qualité des quatre albums qu’ils enregistrèrent entre 1967 et 1970 a fait d’eux les chouchous des cognoscenti. Grâce à leur ethno-psychédélisme luxuriant, ils sont restés chers au cœur des spécialistes du West Coast Sound. Les pressages US s’arrachent désormais à prix d’or.

             Pourtant basé à Los Angeles, Kaleidoscope sonnait comme l’un de ces groupes aventureux de San Francisco. L’arme secrète du groupe s’appelait David Lindley, et comme il vient tout juste de casser sa pipe en bois, nous n’allons pas nous priver de lui rendre un petit hommage, ce qui est, comme chaque fois que l’occasion se présente, la moindre des choses. Lorsque des enchanteurs tirent leur révérence, il convient de les saluer bien bas, aussi bas que possible. On appelle ça se prosterner jusqu’à terre.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Wiki te dira que David Lindley fut l’un des session men les plus réputés de son temps. Ah Wiki, que deviendrions-nous sans toi ! Si tu écoutes le Side Trips de Kaleidoscope paru en 1967, ça va te sembler logique. Lindley joue de tout : banjo, fiddle, mandoline, guitar, harp guitar, et même du banjo à 7 cordes, alors t’as qu’à voir. Mais les autres sont aussi d’épouvantables premiers de la classe. David Solomon Feldthouse gratte le baglama, le bouzouki, le dobro, le dulcimer, le fiddle, et la douze. Et Christopher Lloyd Darrow touche lui aussi à tout : bassmatic, banjo, mandoline, fiddle, autoharp, harmonica et clarinette. Petite cerise sur le gâtö : ils sont produits par Frazier Mohawk, le plus légendaire des producteurs obscurs, de son vrai nom Barry Friedman, que Jac Holzman avait tenté de lancer à une époque, pour en faire une sorte de Totor de l’ère psychédélique. C’est Mohawk qui a hébergé et financé Stephen Stills et ses copains de Buffalo Springfield à l’époque où ils n’avaient pas une thune. Mohawk a aussi bossé avec le Paul Butterfield Blues Band, avec Nico sur The Marble Index, les Holy Modal Rounders, et produit Primordial Lovers, le très bel album de sa femme, Essra Mohawk, qui d’ailleurs vient tout juste de casser sa vieille pipe en bois. Nous voilà donc au cœur de la légendarité californienne, avec une petite touche d’Elektra, puisque Mohawk fut un temps l’A&R d’Elektra à Los Angeles. Mohawk quitta Los Angeles pour s’installer à Paxton Lodge. L’idée était d’y monter un studio sauvage, financé par Jac Holzman, mais il n’en est hélas rien sorti, et Jac a retiré ses billes. Dommage, car Mohawk avait fricoté avec tous les géants locaux, à commencer par les Byrds, Buffalo Springfield et les Mothers. D’ailleurs, le «Pulsating Dream» qui ouvre la B de Side Trips sonne comme un hit des Byrds, c’est la même énergie, couronnée par l’unisson du saucisson. Explosif ! Ils taillent la route aussi bien que les Byrds. Même chose avec «Why Try», cette espèce de fast deep exotica. Ils dépotent un heavy groove de grattes psycho-psyché. En A, tu vas te régaler de «Please», un soft groove d’undergut qui flirte avec l’excellence capitonnée. Ça joue sous la cendre. Une vraie bénédiction, avec des chœurs de rêve. Ils font aussi de la deep Americana avec le wadee wah de «Minnie The Moocher». Sur certains cuts («If The Night»), ils sonnent très Frisco, on croit entendre l’Airplane. Avec «Hesitation Blues», ils font de la brocante de Frisco, à la manière des Charlatans. Ces mecs sont brillants. Tu en as pour ton argent.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Ce n’est pas Mohawk qui produit leur deuxième album, A Beacon From Mars. Ils y font en B une belle cover du «You Don’t Love Me» de Willy Cobbs, embarquée au aïe aïe aïe et noyée dans l’essence du heavy groove. Embarquement pour Cythère garanti, ils y vont au well I love you. Ils passent sans ciller au Dylanex avec un «Life Will Pass You By» gratté au banjo, puis ils atteignent leur cœur de métier avec «Taxim», singulier brouet d’orientalisme psychédélique, un univers que Davey Graham va explorer en Angleterre. Ils tapent «Louisiana Man» au violon de papa mama de deep Americana.   

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Paru en 1969, Incredible Kaleidoscope est un énorme album. Dès «Lie To Me», ils t’embarquent dans leur mix énorme de venin et de groove, avec des ooouh ooouh en surface. S’ensuit un fantastique country-rock épuisé de grandeur tutélaire, «Let The Good Love Flow». Ils inventent l’heavy country-rock. Et ça bascule dans le génie Cajun avec «Petite Fleur». Tu leur tombes dans les bras tellement tu es subjugué par leur grandeur d’âme. Ils bouclent leur balda avec l’instro du diable, «Banjo». Ils mélangent tous les génies. Ils ne vivent que pour la beauté du geste.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Le dernier album du Kaleidoscope s’appelle Bernice. Il contient deux grosses pépites : «Another Lover» et «To Know Is Not To Be». La première est montée sur un Diddley Beat, chargée à bloc, travaillée au shuffle. Énorme son californien. Sharp & tight. Ils flirtent une fois de plus avec le génie. Ça sonne comme du Junior Walker, et la bassline démonte la gueule du groove. Avec «To Know Is Not To Be», ils sonnent exactement comme les Beatles. C’est dire leur excellente prolixité. Ils parviennent à pulser une chaleur intense à l’anglaise, mais c’est démultiplié par leur artistry d’overloaded California cats. Brillant, vraiment brillant. Supra-brillant. Ces mecs sont beaucoup trop brillants pour l’underground local. Tout dans cet album est contrebalancé dans l’épouvantable swagger californien. Avec «Lulu Arfin Nanny», ils te tombent dessus à bras raccourcis. Les Kalé sont un groupe fascinant. Ils dépassent le cap des quatre albums pour créer un univers à part entière. Ils t’embarquent encore avec le morceau titre. Pas de retour possible. Cool as fuck. Lindley rôde toujours sous le boisseau. Aw comme ces mecs étaient doués ! La rythmique bascule dans l’enfer d’un riff ashtonien. Chaque cut est une aventure. Tu te régales du Kalé. Te voilà Kalé. Ils terminent avec «New Blue Ooze». Alors on les salue bien bas.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Bon alors attention aux deux premiers albums solo de David Lindley, El Rayo-X et Mr Dave, parus en 1981 et 1985 : les pochettes tapent bien à l’œil, Lindley a une sacrée dégaine, mais au plan musical, c’est une belle arnaque, comme on les adore. On perd tout le Kaleidoscope, Lindley propose une espèce de pop-reggae à la mormoille.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

    Une chose est sûre, il y a du son, un cut comme «Mercury Blues» ne laisse pas indifférent, sans doute à cause de son côté vente à terre. Lindley propose aussi une cover de «Twist & Shout» très bar de la plage, et il faut attendre «Your Old Lady», en B d’El Rayo-X pour retrouver un brin de psychedelia, mais seulement un brin. À peine un brin. Il reprend aussi le «Rocking Pneumonia & The Woogie Boogie Flu» d’Huey Piano Smith sous un autre titre, «Tu-Ber-Cu-Lucas And The Sinus Blues», mais avec un léger beat reggae. David Lindley aurait bien aimé sonner comme Bob Marley, mais il est blanc. Donc baisé. 

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Il continue d’enregistrer des albums inutiles avec El Rayo-X. Belle pochette que celle de Win This Record, mais quelle catastrophe ! Tu as même Booker T. qui joue de l’orgue sur «Turning Point». Tout est monté sur le même beat reggae blanc à la mormoille. Le seul cut qu’on sauve est le «Make it On Time» planqué en B, car Lindley nous rappelle qu’il est un excellent guitariste.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Ce que vient confirmer son «Rag Tag» sur El Rayo Live. Il joue admirablement le blues. On retrouve enfin le grand guitar slinger de Kaleidoscope. Il fait quasiment du John Fahey, il s’auréole de légende, il joue le blues à coups d’acou, avec des petits accords joyeux. Il finit avec «Mercury Blues», un big rumble à la Cheap Trick. Il sait rocker le roll, son Rayo-X tourne comme une grosse horloge, big US rock assez imparable, avec un solo de slide infectueux. Mais ce sera le dernier spasme d’un grand guitariste.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             On s’est tous fait rouler avec Very Greazy, un Elektra de 1988, bourré de reggae pop inepte. On sauve juste «Texas Tango», plus Cajun, avec de l’accordéon. 

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Notre ami Lindley fait une brève apparition sur Hey You!, l’album de Doug Legacy & The Legends Of The West. Bon c’est un album dont on peut se passer. Le Doug en question s’appelle dans le civil Doug Lacy et fait venir en studio tous les surdoués de service, notamment Todd Rundgren et Waddy Wachtel. Mais plus globalement, on ne comprend pas bien l’intérêt d’un tel album. Lindley gratte ses poux infectueux sur «Pool Shark» et puis s’en va. Par contre, Roger Steen est mille fois plus infectueux que Lindley sur «Get It (While It’s Hot)», et Ry Cooder joue de l’accordéon sur «Christmas In Prison». Vous savez tout. 

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             David Lindley est seulement guest sur l’It’s A Cinch To Give Legs To Old Hard-Boiled Eggs de Maxfield Parrish paru en 1970. Avec cet album, on touche au bottom de l’underground californien, comme d’ailleurs avec les albums que produit Gary S. Paxton. Grosso modo, c’est un album de heavy Californian country brush, ce qu’on appelle aussi chez les compileurs the Californian Hell, mélange de soleil ardent et de satanisme latent. Ces mecs qui sont aussi surdoués que ceux de Kaleidoscope invitent d’ailleurs les gens de Kaleidoscope à venir gratter des poux avec eux. Et quand tu tombes sur l’heavy country punk blues qu’est «Bottle Of Red Blues», tu cries au loup. On entend encore un wild banjo dans «Cross Over The World» et ça repart en mode big power avec «Round The Morning». Là, tu as un son très libre d’esprit. Une vraie révélation. C’est en quelque sorte du Californian Hell fabuleusement laid-back et joué par d’élégants cracks. Ils enchaînent avec «The Untransmuted Child», un plaintif gorgé d’esprit et porté par une belle gratte pouilleuse, sans doute Lindley, ça joue au groove d’harp avec de fabuleux éclairs de psycho-psyché, la spécialité de Kaleidoscope. «Juanita» est un cut extraordinaire de musicalité, ces mecs rassemblent leurs harmonies en boisseaux superbes et gigantesques. C’est toujours gratté au plus près du corps. On sent bien la proximité dans «Hershey», sans doute une kitchen demo. C’est excellent. Et puis tu as «Whoa Johnny», gratté sévère. On croit entendre du proto-boogie californien.

    Signé : Cazengler, Lindley de vache

    David Lindley. Disparu le 3 mars 2023

    Kaleidoscope. Side Trips. Epic 1967

    Kaleidoscope. A Beacon From Mars. Epic 1967

    Kaleidoscope. Incredible Kaleidoscope. Epic 1969

    Kaleidoscope. Bernice. Epic 1970

    David Lindley. El Rayo-X. Asylum Records 1981

    David Lindley. Mr Dave. WEA 1985

    David Lindley & El Rayo-X. Win This Record. Asylum Records 1982

    David Lindley & El Rayo-X. El Rayo Live. Asylum Records 1983

    David Lindley & El Rayo-X. Very Greazy. Elektra 1988

    Doug Legacy & The Legends Of The West. Hey You! Some Pun’kins Music 1988

    Maxfield Parrish. It’s A Cinch To Give Legs To Old Hard-Boiled Eggs. Cur Non 1970

     

     

    *

    Road to Cairo chantait voici plus de cinquante ans Julie Driscoll, à l’époque je l’aurais bien suivie mais je n’ai reçu aucune invitation. Mais ce soir j’en ai   une in my mind-pocket, donc road to Troyes, au 3 B, ce n’est pas Jools   qui chante ce soir mais Ahmell qui enchante, j’y vais le cœur léger, pourtant la dernière fois ce fut une catastrophe, pas Ahmell, ni le concert, un truc planétaire dont vous avez-vous aussi été victimes, le lendemain c’était le confinement covidique…

    AMHELL BAREFOOT

    3 B

    (TROYES / 10 / 02 / 2024)

     

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

             Tiens du nouveau ce soir, Amhell est à la contrebasse, Jules n’est pas au violon comme le dit la chanson, mais Roberto Gorgone à la guitare, et Pascal Ammann à la batterie. Quant à ce Pascal que fait-il assis, d’habitude il officie à la guitare, et ce Gorgone, voyez sa tête, d’où sort-il, d’Italie brave gens ! Hum ! hum, ça sent l’improvisation. J’ajouterai de la live improvisation, ne me faites remarquer cher Damie Chad, tous les concerts sont live, z’oui, mais celui-ci qui va suivre, plus que les autres, tos ceux qui auront assisté en garderont jusqu’à la fin de leur vie un superbe souvenir.

             Tout avait bien commencé. Vous ne faites pas plus smart. Vous avez la volute de la contrebasse qui se dresse comme la tête d’un serpent inquisiteur qui vous fixe de ses yeux froids, un périscope de sous-marin qui cherche une proie à envoyer par le fond. Vous tire trois missiles coup sur coup sous la ligne de flottaison, surprenants, l’on attendait du rock et c’est du jazz, ah bon, c’est en place, c’est enlevé, la voix d’Amhell qui caracole, la batterie qui chip-chip- d’ouate à la perfection, et puis l’on comprend.

              Lorsque la vie est cool, c’est en ses instants que surviennent les trouble-fêtes. Ici il se prénomme Roberto, les deux premiers titres il s’est bien tenu, au troisième, l’on a cru que l’on avait mal entendu, que l’on prenait nos rêves pour la réalité, mais non, ça s’est confirmé par la suite, vous connaissez l’histoire du mec qui au jour de l’enterrement fait des claquettes sur le cercueil, ben là, c’est tout comme, là c’est du jazz, avec ses syncopes, ses chorus, son swing et tout le bataclan, ben au-milieu de l’orthodoxie la plus respectable, le Roberto, il vous refile le riff rockab de la mort, un gros, bien épais, qui fait le gros dos, vous change la donne, vous sort d’entre ses doigts, le cinquième as, celui qui normalement dans un jeu de cartes n’existe pas, mais vous éblouit.

    Ce n’est pas tout, Amhell demande à Roberto de venir chanter un morceau. L’on comprend pourquoi alors il est venu travailler en France, quand il a voulu pousser la romance pour les touristes sur les gondoles à Venise, l’a été refusé, renvoyé, limogé, c’est que quand Roberto chante, ce ne sont pas les roucoulades de la Castafiore qui sortent de son gosier d’airain, c’est le rock’n’roll qui jaillit, tranchant comme un glaive de légionnaire, la légèreté des hastati et la vigueur d’une charge de cavalerie… Puis l’est revenu à sa place, content du devoir accompli, s’est contenté de distiller (à la louche) ses gros riffs chromés, brillants comme les dents en or que se font implanter les vieux crocodiles dans les marais de la Nouvelle Orleans.

    Ne nous trompons pas, la reine du combo, c’est Amhell. Désarçonnante. D’abord elle ne chante pas. Elle parle. Elle présente, elle explique, elle conte une anecdote, Et brusquement sans préavis, alors elle chante. La facilité de l’oiseau qui vole et du poisson qui nage. Elle bondit sur le morceau comme un jaguar sur sa proie, la voix s’amuse sur le grand-huit, elle monte tout en haut à une vitesse folle pour se laisser glisser sur une pente vertigineuse, vous croyez qu’elle va s’aplatir et ne jamais se relever, elle entame une partie de trampoline acrobatique. Tiens c’est fini. Au lieu de reprendre sa respiration, elle éclate de rire, une giboulée de bonne humeur vous inonde, elle prend un plaisir fou à chanter, elle resplendit.

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

    Lui aussi , Pascal, P étincelle de gaité derrière sa batterie mais il joue de l’hilarium. Vous ne connaissez pas cet instrument, du début à la fin du set, il est hilare. Ne s’arrête pas de rire, l’aurait dû faire du théâtre, joue tous les rôles. D’abord celui de professeur de guitare, il coache Roberto, il en a besoin, il ne connaît pas les morceaux, le trio est tout récent le titre qu’annonce Amhell ne lui dit pas grand-chose, alors grand prince Pascal lui rappelle les deux premières notes, avec ce sandwich sans pain auquel il manque le saucisson, vous n’iriez pas bien loin, vous oubliez que le jazz est une musique d’improvisation, alors Roberto vous improvise un riff rockab aussi épais qu’une armoire normande qui prend place dans la kitchenette jazzy avec une facilité confondante, c’est un peu comme quand vous visitez un zoo, au fond qui se trouve derrière les barreaux, et regarde avec attention, vous où les animaux.

    Deuxième rôle de Pascal. Le dernier mot. S’amusent tous les deux comme des fous. Sont sages (relativement) quand Amhell chante. Elle a fini. Pas eux, ils commencent. C’est à qui clôturera. Boum-boum à la grosse caisse. Click-click de la plus fine des cordes. Pin-pan-poum, le dialogue est lancé… Parfois Pascal clôture en plein milieu d’un morceau, et Roberto relève le défi. Amhell saute ces obstacles imprévus, telle une championne du quatre fois cent mètres haies, elle vous écarte les éléphants comme s’ils étaient des moustiques.

    Le deuxième set sera davantage jazz. Amhell prend la main, et l’on ne qu’être ébloui par son aisance, son attaque, elle vous plonge au beau milieu du titre, rempli de chausse-trappes, vous ne sauriez faire un pas, ici une fosse remplie de crotales, là un rhinocéros prêt à foncer, pour terminer une rivière infestée de piranhas. Tout est bloqué. Dans les années quarante et cinquante les compositeurs semblent n’avoir eu qu’un but, perdre leurs interprètes, les piéger, dresser embûches et difficultés, les faire tomber en d’hideux coupe-gorges, leur couper la voix et le sifflet. Amhell joue à saute-moutons sur ses tarabiscotages sans fin, se faufile dans le labyrinthe, s’en sort comme une rose, épanouie. Facile ! Trop facile !

    sly stone,gypsy mitchell,keith richards,remains,david lindley,ahmell barefoot,triste,veedow,rockambolesques

    C’est durant ce second set que Roberto m’a bluffé. L’a joué jazz. Sur un morceau l’a laissé les riffs dans la boîte à rockab. Incroyable mais vrai, l’a joué comme Charlie Christian, mieux même parce qu’au lieu que le son de la guitare soit perdu dans les big bands de l’époque la batterie de Pascal et la contrebasse d’Amhell ont libéré l’espace, il nous a arrosé d’une myriade de notes, une éblouissance auditive. Vous voulez du jazz. En voici, en voilà.

    Le troisième set a tourné au délire. L’ambiance était déjà survoltée. Ce plaisir de jouer, de s’amuser, partout où vous portiez vos yeux un sketch en gestation vous attendait. Se résolvait toujours de la même manière, un morceau impeccablement exécuté. Amhell nous a régalés de quelques titres, puis elle a laissé les grands enfants s’amuser. Ne sont pas faits prier. Enfin si, z’ont joué aux enfants gâtés, tant qu’on ne nous aura pas donné un gâteau nous ne ferons pas nos devoirs. Vous disaient cela avec des mines et des moues de marmots issus de la positive éducation, sûrs de leur pouvoir sur les adultes. Béatrice la patronne et ses aides se sont transformées en escouade féminines de derniers secours, z’ont organisé un corridor humanitaire de ravitaillement pour assurer la survie de ces grands enfants, z’ont avalé une ribambelle de shoots à réveiller les morts. Et c’est parti pour la folie rock ‘n’ roll. Je ne vous raconte pas, fallait y être, Roberto a pris les opérations en main, Pascal l’a suivi comme un seul homme. Une fournaise. Amhell s’est contenté d’une sourdine d’accompagnement sur une seule corde de sa contrebasse, et en avant la musique. Chaude ambiance. Au douzième coup de minuit la folie s’est arrêtée. Un seul ennui,  Amhell Barefoot qui avait perdu ses escarpins dans le charivari et qui s’est retrouvée pied-nus pour que ce concert inoubliable ne fasse pas mentir la légende de la comtesse aux pieds-nus.

    Remercions le 3 B de Béatrice, le public, habitués et nouveaux venus, et surtout Amhell et ses sbires pour cette soirée à marquer d’une pierre blanche.

    Damie Chad

    Important words comme disait Gene Vincent : Les photos sont de Rocka Billy !

    *

    Tiens un groupe français ! L’a posté une vidéo sur YT, je ne suis pas particulièrement patriote mais je regarde. Impossible de m’accuser de chauvinisme, en fait ils sont allemands. Un groupe d’un pays qui a engendré Goethe, Hölderlin et Kleist, je pourrais en citer d’autres, mérite attention. Viennent de Stuttgart, capitale du land Bade-Wurtemberg, sud-ouest, juste à côté de la France.  

    Si vous en avez assez de tous ces groupes axés sur l’Antiquité, vous serez content. Remarquez ces derniers temps l’actualité n’est pas spécialement heureuse. Ne venez pas vous plaindre. Surtout que le titre de la première vidéo…

    CIVILIZATIONS COME AND GO

    TRISTE

    (YT / Févier 2024)

    Rien qu’au titre l’on comprend pourquoi ils sont Triste. Les civilisations viennent et s’en vont. Ce n’est pas une généralité. Paul Valéry exprimait dès 1919 la même idée mais sa formulation avait l’avantage de nous inclure dans ce que nous ne pouvions faire semblant de comprendre comme une généralité. Nous autres civilisations nous savons maintenant que nous sommes mortelles affirmait-il. Bref nous étions concernés à courte échéance.

    Z23195TRISTE1.jpg

    N’ont pas les mots du poëte, alors ils vous montrent les images. Vous les connaissez déjà, une petite piqûre de rappel ne peut que vous faire du bien, forêt en flammes, inondations géantes, fosses communes débordant de cadavres, soldats au garde-à-vous, scènes de guerres, poulets élevés en batteries, poissons empoisonnés, rien de bien folichon, juste pour vous avertir que cela se passe maintenant et non pas dans un lointain passé. Les images mangent la musique. Elles ont raison, c’est un peu dommage tout de même. Au moins vous ne pouviez pas dire que vous ne saviez pas.

    C’est le premier titre de leur premier album, Scapegoats à paraître le 15 février, il me semble qu’il a quelques jours de retard. Ce n’est pas grave si vous pensez à ce qui vous attend.

    Ne croyez pas que Scapegoats désigne des chèvres sauvages en liberté sur les pentes rocheuses, ce mot se traduit par Boucs Emissaires…

    SCAPEGOATS

    (YT / Official Lyric Video / Févier 2024)

    Z23196TRISTE2.jpg

    Une vidéo un peu similaire, certaines images étaient déjà sur la précédente, mais ils ont rétréci la focale. Sur les gens. Les forêts flambent certes mais les forces de police matraquent et tabassent à tour de bras, les pauvres dorment dans la rue, les villes regorgent d’argent, la colère est là, les émeutes éclatent, les migrants se heurtent aux barbelés, sur les chantiers les africains bossent, la colère gronde, dernière image un quidam fait le salut nazi.

    Triste, je ne sais rien des membres de ce groupe. Ne cachent pas leurs idées sous leurs mouchoirs. Ils dénoncent la montée du fachisme en Allemagne. Ils sont allemands, rappelons-le. Parfois l’Histoire vous pousse dans le dos. Rock politique.

             Z’ont raison, la situation est triste.

    Damie Chad.

     P. S. : z’ont sorti un EP quatre titres Below Zero, visible (juste la couve) sur YT, ce qui permet de porter toute notre attention à la zicmuq, mais ce soir, une fois n’est pas coutume nous nous contenterons des images.

     

    *

    Encore une fois un groupe polonais. Si ça continue la Pologne finira par me déclarer citoyen d’honneur. Ce n’est pas sûr, tous ces groupes sont un peu comme de la mauvaise herbe, ce qui tombe bien puisque celui-ci se nomme ainsi. A première vue ils ont l’air un tantinet allumés mais ils ne sont que cendre.

    WEEDOW

    WEEDOW

    (Bandcamp : piste numérique / Février 2024)

    Patrik Wojcik : bass, vocals / Thomasz Raszensky : guitar / Maciej Budzowski : guitar

    Sont de Cracovie. En 2023, ils ont accumulé trois singles sur Bandcamp que l’on retrouve sur leur premier album.

             Mauvaise herbe, tout de suite l’on pense à des voyous, à des blousons noirs, des délinquants, des outlaws… mauvaise pioche, la couve nous en dissuade, cette tête féminine est couronnée de… bon ce n’est pas une feuille d’érable, consultons notre dictionnaire de botanique… oui notre intuition était fondée, c’est bien du chanvre. Nous ne faisons pas fausse route puisque sur leur site elle est agrémentée d’une courte phrase : Un nuage de fumée brouille ma vision. Serait-on chez les derniers hippies, en tout cas ils affirment aussi dans leur courte présentation qu’ils ont une très forte prédilection pour les groovy riffs.

             Je l’avoue ce qui m’a attiré chez eux c’est le petit côté intello inhabituel de leurs paroles. Question music, vous le définirez hâtivement : black stoner doom , avec une pointe de psyché ajouteront les esprits sourcilleux. Il vaudrait mieux se demander pourquoi le doom bénéficie d’une telle audience chez les musicos. Ce n’est pas un style très créatif, toutefois durant des siècles l’existence des règles prosodiques n’a ni empêché ni freiné le déploiement d’imaginaires poétiques différenciés, là n’est pas le problème. Le doom est le genre musical qui correspond au mieux à l’état d’esprit nihiliste de toute une génération et même de plusieurs. Si l’on pose son regard sur les évènements qui ont marqué ce premier quart de siècle. Il n’y a pas à pavoiser. Le présent est sombre et le futur proche ne s’annonce pas sous de riantes couleurs.

             Pourquoi le nihilisme ? Certains répondront à la question comment : regardez l’étendue du malaise social, les réponses politiques qui y sont apportées, les guerres qui se rapprochent, tout porte à croire que nous allons vers un effondrement total. Ils se contentent de dresser un bilan alarmant. Alarmiste modèreront les plus optimistes, mais sont-ce les plus clairvoyants ?

             Le nihilisme est un concept philosophique. Il conviendrait de se retourner vers la philosophie pour y répondre. Depuis un siècle, aucune philosophie aussi éclairante que celle de Nietzsche n’a pu être élaborée. Or l’auteur du Gai Savoir est mort avant d’avoir achevé sa pensée. Parce qu’elle était inachevable, parce que la maladie l’a en a empêché, parce que son esprit s’est effondré sous le poids de la pensée la plus lourde, ainsi qu’il la nommait. Il est donc logique que notre lecture conceptuelle de notre monde corresponde à l’effondrement de la pensée conceptuelle la plus effondrée qui se soit avancée le plus loin sur la réponse à cette question. Nous avons tendance à oublier que nos schèmes conceptuels sont entés sur le déploiement conceptuel de la pensée philosophique par laquelle l’animal humain conceptualise le monde. Conceptuellement parlant l’on peut dire qu’il existe une relation entre nos propres difficultés à entrevoir nos modalités d’action efficiente sur notre monde et les difficultés nietzschéennes à surmonter sa propre pensée.

    Z23197WEEDOW.jpg

    Nothing : souffle sinistre, la musique très doucement, très lente, aucune magnificence, on s’en moque on écoute la voix qui nous parle depuis un étrange monologue, nous entraîne dans son raisonnement, un étrange phénomène, nommer une chose est facile, par contre dès que vous voulez la définir vous vous servez de son contraire pour la mettre en évidence, ainsi vous opposez le blanc au noir, la lumière à l’obscurité, le rien au tout. Déduction, toute chose ne vaut pas grand-chose à elle-toute seule puisqu’elle a besoin d’une autre pour être. Sans quoi ne pouvant accéder à rien elle n’est rien. A ceci près que le rien tout seul n’est rien de lui-même hors de toute contingence proximale avec une autre chose. Déduction, le rien est la seule chose qui existe vraiment. Inutile de m’adresser une réfutation de quinze pages de ce raisonnement que vous jugez peut-être spécieux. Nos trois acolytes sont sympas, plus de parlotte, ils se taisent pour vous laisser réfléchir à votre aise durant cinq minutes. Vous envoient le son, Budzwowski fait gronder le moteur de son tracteur, ne reconnaît plus personne sur son Macief-Ferguson, trace son sillon, prend du champ, il met le turbo et bientôt il disparaît, c’est la basse de Patrik qui clôt le morceau en vous rappelant que vous n’avez qu’une seule patrie, votre convoi funèbre. Weedow : des précisions utiles l’on sait ce qu’ils semaient dans le morceau précédente, de l’herbe pointue, vous plongent tout de suite dans une ambiance indienne, ignorez les peaux-rouges criards, visez la spiritualité indienne et sa méditation transcendantale, au début un petit côté tablas et sitar, mais vous avez le riff nécromancien furtif qui se faufile  tel un squale affamé dans la piscine de l’hôtel six étoiles dans laquelle vous vous baignez, pas de panique, une petite taffe et je ne pense plus au piranha géant, être seul et crever n’est-ce pas le lot commun de l’humanité. Soyons zen, le riff laisse place au sitar. Aussitôt nirvana. Delusion : musique ressort, boing-boing, mister blues se radine, il complique la donne, Patrick vous file son cours de philosophie pratique, c’est un épicurien, si vous en prenez trop vous n’avez pas besoin de souffrir du manque, et si vous sentez qu’il vous en manque c’est que vous n’en n’avez pas de trop, un bon petit solo qui s’étire comme un cobra de vingt-cinq mètres de long, soyons charmeur, y a un mec qui se trimballe dans ma tête, le chant s’alanguit, reprise : le riff barate à mort, il se prend pour une sirène, c’est qui ce mec, ma bonne ou ma mauvaise conscience. Soyons inconscient. Funnel vision : le monde se rétrécit ou s’agrandit. Tout dépend du côté par lequel vous l’embouchez. Entre rêve et cauchemar, le son glisse sur les rails de la plénitude, ne plus rien maîtriser, se laisser porter, dans les tourbillons de la batterie ou flotter doucement sur les vagues de la guitare, remonterons-nous le fleuve intérieur ou nous jetterons-nous dans le delta extérieur à moins que ne soit le contraire, à moins que tout cela nous soit égal. Après tout. Après rien. Empowerment : douceurs évanescentes vertes prairie ou champ d’asphodèle, l’important est de savoir qui maîtrise l’autre, qui vous emporte au-delà de certaines limites que l’on s’interdit ou pas de franchir, beau solo de guitare pour montrer que l’on est seul, pour tenir la barre facilement, ou se laisser aller à une plus grande conciliation avec soi-même ou que l’on passe un pacte avec ce qui vous embrasse, baisse de tension, juste un frottement de basse, tout-est-il perdu ou gagné, la guitare fait le gros dos tel un chat qui se réveille prêt à s’affronter à lui-même ou au monde. D’abord savoir qui maîtrise l’autre. Threnody : ( Poème de Wiktoria Kowalska, je n’ai trouvé aucun renseignement sur la récitante ) : un apologue, qui se déroule sur un rythme serein, élevons le débat, usons de la métaphore poétique, la petite feuille qui ne survivra pas au général hiver, mais elle se métamorphosera sous forme de fumier dans les prochaines plantes qui viendront, l’on s’inscrit dans une chaîne, peut-être pas une catena aurea mais au moins un cercle de fumée qui engendrera un autre cercle de fumée, la survie de l’espèce n’est-elle pas plus importante que celle de l’individu. Tout chant funèbre n’est-il pas l’annonce d’une prochaine victoire. Parfois l’instrumental se métamorphose en instru-mental et alors une voix s’élève sur la fin. Est-ce celle du néant ou de la raison. Mourn : la réponse est-elle dans le morceau terminal, l’on chemine, l’on s’achemine, la guitare nous offre sa dernière danse, imperturbables le riff continue et submerge tout, le rythme ralentit, un cœur qui flanche, un avion qui perd lentement de l’altitude, la première flamboie encore et le second donne l’impression de vouloir s’éteindre, l’avion réenclenche le moteur qui battait de l’aile, dernier sursaut, de la mécanique humaine, d’orgueil, se rapproche-t-il ou s’éloigne-t-il, sur quel aérodrome a-t-il atterri ? Ou a-mort-i…

             Entre le blanc et le noir, Weedow a choisi.

    Damie Chad.

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    a30000molosa.jpg

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    29

    Le Chef allume un Coronado. Je prends place en face de lui. L’heure est grave. Briefing à propos de notre dernière sortie paroissiale :

             _ Voyez-vous, Agent Chad, la Sainte Vierge doit être satisfaite, nous avons expédié aux Enfers quatre nouvelles âmes. Pour ma part je me suis beaucoup amusé, j’espère que ce n’est qu’un début, un peu d’exercice ne fait de mal à personne.

             _ Oui Chef, je souhaite que la journée ne se terminera pas sans que nous n’ayons encore le rôle de l’Ange Exterminateur. Toutefois un détail me trouble Chef !

             _ Agent Chad je suis tout ouïe comme un poisson torpille tapi au fond de l’océan.

             _ Lors de notre précédent entretien vous théorisiez que nos Briseurs de Murailles tenaient à me démolir psychiquement, or comme pour vous démentir, ils viennent de tenter de me tuer. Moi et mes chiens. Sans votre judicieuse intervention ils avaient toutes les chances de réussir ! Marx et Hegel verraient là comme une contradiction !

             _ Agent Chad, réfléchissez un peu, toute contradiction s’inscrit dans son propre déploiement dialectique. S’ils ont changé d’avis c’est parce qu’il s’est produit ce que j’appellerai une mutation phénoménologique.

             _ Pour le redire plus simplement ils ont changé d’avis.

             _ Pas du tout Agent Chad, vous posez le problème à l’envers, c’est vous qui avez changé.

             _ Enfin Chef, je suis toujours le même depuis hier !

             _ En êtes-vous aussi sûr que cela ? Quand je vous vois, vous l’Agent Chad, je vous reconnais sans problème, toutefois peut-être avez-vous commis un impair catastrophique. Cherchez bien !

             _ Chef, je n’y comprends rien, dois-je entamer une psychanalyse !

             _ N’allons pas si loin, Agent Chad, tenez je n’ai pas l’habitude d’éplucher vos notes de frais, toutefois la dernière que vous avez déposée sur mon bureau m’interroge.

             _ Chef une note d’un petit restau sympathique, la somme ne dépasse pas les trois cents euros !

             _ Certes ce n’est pas cher, un agent du SSR se doit de maintenir un train de vie qui honore la richesse de notre nation. Cependant, vous aviez si faim que vous avez pris deux repas !

             _ Pas du tout Chef, nous étions deux, quatre avec les chiens, plus Josiane l’employée de la Bibliothèque Municipale qui m’a aidé pour les documents que j’ai ramenés.

             _ Et cette note d’hôtel pour deux personnes, auriez-vous pris une place pour Chad et une autre pour Damie ?

             _ Chef, Josiane au besoin d’un peu de repos, une légère sieste après le repas, ce n’est rien !

             _ Agent Chad ce n’est pas rien, c’est tout !

             _ Vous exagérez un tantinet Chef !

             _ Moi pas du tout ! Je pense qu’il y a une autre personne qui a mal pris votre patrie de jambes en l’air !

             _ Mais qui Chef, soyez plus explicite et pourquoi ?

             _ Le motif me semble évident : la jalousie !

    Le Chef deviendrait-il fou, quelles étranges idées incompréhensibles lui passent-il par la tête, je dis avoir l’air si idiot qu’il m’explique :

             _ Agent Chad, vous avez d’abord une aventure avec Gisèle, d’après moi la dirigeante des Briseurs de Murailles. Quelques heures plus tard, après une douce nuit passée en sa compagnie, vous folâtrez avec Josiane. Gisèle doit être jalouse, elle envoie quatre de ses sbires pour vous supprimer. Voilà qui concorde au mieux avec ma théorie, ce n’est pas à nos services que ces satanés BDM en veulent mais à vous. Ils ont minutieusement préparé leur piège, vous y êtes tombé dedans, à pieds joints, Gisèle vous serre entre ses bras. Pourquoi tient-elle tellement à un individu de si peu d’envergure, je n’en sais rien, je reconnais que c’est incompréhensible, peut-être touchons-nous là au cœur de l’énigme.

    Je suis sidéré par l’implacable logique du raisonnement du Chef, les yeux doivent me sortir de la tête, sans doute offré-je un profil de batracien paralysé, mon cerveau si rapide a du mal à réagir, tout s’embrouille dans ma tête, la voix du Chef se porte à mon secours :

             _ A votre place, cher Damie j’irais rendre une visite de courtoisie à cette Josiane, je m’inquiète pour elle, n’oubliez pas le fameux problème austo-hongrois : Femme jalouse est capable de tondre la pelouse.

    30

    Cette sentence issue de l’immémoriale sagesse populaire européenne agit sur moi comme la morsure d’une vipère. En un fragment de seconde je m’assure de mon Rafalos, mes chiens sur mes talons je dévale les escaliers, chance un taxi est stationné à douze mètres quarante-sept centimètres de la porte de l’immeuble.

             _ Désolé Monsieur, je ne prends pas de chiens, ça pue et ça pisse sur les banquettes.

             _ Parfait, ça tombe bien, je ne prends pas de chauffeur !

    D’un coup de bastos dans la bouche je lui explose la tête, ne me traitez pas d’assassin, il a le droit de ne pas aimer les chiens nous sommes en République, moi je suis pour la libre expression des animalistes, c’est la démocratie.

             Je fonce à toute vitesse vers la bibliothèque de Josiane. La rue est emplie de voitures de pompiers et de police. J’arrive trop tard. Un cordon de flics municipaux m’empêche de passer, je n’ai pas le temps de sortir ma carte. La foule massée sur le trottoir pousse un cri d’horreur. L’on transporte la première civière, bientôt suivie d’une autre, dans la foule un esprit positif entame le décor funèbre bientôt repris en chœur par le public : Sept ! … Huit ! …  Neuf, au dix-septième cadavres un petit malin joue au journaliste sportif : ‘’ Quel match de fou ! quel match de foot, l’Equipe de France marque son dix-huitième but, on n’a jamais vu ça, le coq tricolore est en grande forme…’’ Le gars remporte un franc succès, les rires fusent, et bientôt alors que les brancards mortuaires n’en finissent plus de s’aligner sur la chaussée le public sur l’air des lampions scande ‘’Encore ! Encore ! Encore !’’ Chacun y va de sa petite blague ‘’ Quarante-huitième mort tiré de la bibliothèque, dire que ce matin aux infos ils se plaignaient que les Français ne lisent plus !’’.

             Sans le faire exprès je redouble la faconde de la foule. Grâce à ma carte je me suis avancé jusqu’à la file des morts. Fébrilement je soulève le drap qui recouvre la tête des victimes, mon manège attire l’attention. ‘’ Qu’est-ce qu’il cherche ? Son briquet ! Du fric ! Il ne le sait pas lui-même ! C’est un vampire ! Non l’assassin qui vient s’assurer qu’il les a bien tués ! Un nécrophile ! Un médecin ! Regardez, il vient de sortir une arme !

             C’est vrai, je me suis précipité vers l’entrée de la bibliothèque, je me cogne dans le soixante-neuvième brancard, le corps roule à terre, les gens exultent : ‘’ il n’est que blessé, il se lève, le pauvre il n’a plus de force !’’ Le gus gît maintenant les bras, trois fans de Johnny entonnent : ‘’Dans la  vallée de l’Oklahoma, dans la poussière tu finiras les bras en croix !!! Adieu l’ami, tant pis pour toi’’ Ils doivent bisser leur chanson.

             Le spectacle est hallucinant, su sang partout, il reste encore une dizaine de corps étendus par terre ou la tête posée sur la dernière page (qu’ils auront lue) de leur livre.

             _ Ah, c’est vous Damie, c’est gentil d’être venu !

             _ Josiane, vivante, j’ai eu très peur, ça n’a pas été trop dur ?

             _ Oh ! si, tous ces livres à nettoyer et à ranger, mes collègues n’ont pas survécu. J’écope de leur boulot. Sont systématiquement absents quand il est nécessaire de fournir un effort supplémentaire. Je parie que je ne recevrai aucune gratification pour mon dévouement.

             _ Que s’est-il passé ? Josiane ?

             _ Je ne sais pas trop, je cherchais un crayon sous mon bureau, lorsque ça s’est mis à tirer, c’était étrange on aurait dit que les balles sortaient du mur. Je suis restée cachée sous mon bureau.

             _ Josiane, je ne veux pas que vous restiez seule ce soir, d’abord je vous invite au restaurant

             _ Super idée, j’ai une faim de loup, les émotions ça creuse.

    A peine sommes-nous apparus devant la porte de la bibliothèque que je suis fêté comme un héros : ‘’ C’est lui’’ ‘’ Il l’a retrouvée’’ ‘’ Je suis content pour lui’’ Une féministe rajoute ‘’ Moi pour elle’’. Bras dessus-dessous nous nous éloignons. Pas aussi discrètement que je l’aurais voulu, car la foule nous applaudit et nous salue en criant : ‘’ Les amoureux ! Les amoureux ! Les amoureux !’ »

    A suivre…

            

  • CHRONIQUES DE POURPRE 632: KR'TNT 632 : GYASI / STEVE WYNN + DREAM SYNDICATE / ALVIN ROBINSON / MEMPHIS BEAT / HIGH COMPILS / DARK QUARTERER / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    A20000LETTRINE.gif

    LIVRAISON 632

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 02 / 2024

     

    GYASI / STEVE WYNN + DREAM SYNDICATE

    ALVIN ROBINSON / MEMPHIS BEAT

     HIGH COMPILS / DARK QUARTERER

    ROCKAMBOLESQUES

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 632

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

     

    Easy Gyasi

    - Part Two

     

    , gyasi, steve wynn + dream syndicate, alvin robinson, memphis beat, high compils, dark quarterer, rockambolesques,

             On aurait pu intituler ce nouvel épisode des aventures de Gyasi : ‘Le glam au pays du camembert’, ou encore ‘Le glam aux pinces d’or’, en hommage à Hergé, ou bien encore, ‘Les Glammeurs’ en souvenir de notre chère Agnès Varda de la rue Daguerre. C’est vrai qu’on ne sait pas s’il faut prendre Gyasi très au sérieux, tellement domine en lui une dimension cartoonesque, comme on dit en Angleterre. Mais si tu y réfléchis bien, le cartoon est inhérent au glam, c’est le m’as-tu-vu poussé à l’extrême, le mon-truc-en-plume de Zizi Jeanmaire avec des GROSSES guitares électriques, une révolution de palais des glaces, un petit Krakatoa sonique qui entra en éruption en 1972, une vague sucrée qui nous replongea aussitôt dans l’adolescence, ce furent quelques années magiques, un petit tourbillon de poudre de perlimpinpin, Ziggy the Zig, Bolan mal an, Slade, Hector, Wizzard, Mud, Sweet ô my Sweet, une vague extraordinairement éphémère, qui ne pouvait être qu’anglaise, et voilà que cinquante après la bataille, un kid américain redonne vie au glam. Et il incarne magnifiquement cet art perdu, il croise des looks extrêmement seventies, celui de Ziggy pour la maigreur anorexique et celui de Jimmy Page pour le costard ouvert sur une poitrine glabre, les cheveux dans les yeux et un coup d’archet sur la Les Paul, histoire de donner à manger aux glaneurs d’images qui grouillent à ses pieds.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

    Gyasi a décidé qu’il serait rock star, et le voilà sur scène, en rockstar parfaite, immaculée, indiscutable, haut et fin, costard black d’épaules saillantes, haut minimal fermé par deux pattes galonnées d’or, d’une rare élégance, maquillé, lèvres peintes, grosses pattes d’eph sur platform boots en peau de panthère, il ramène aussi un peu de Dolls, et un peu de Ronson, via la Les Paul et la couleur de cheveux, dans sa fabuleuse expertise du mic-mac, il ramène tout ce qu’on aime dans le rock, le regardez-comme-je-suis-beau, qu’on appelle aussi le sex-appeal, l’essence même du rock, l’anti-ventripotage, l’anti-ragnagna-vais-pas-bien, tu vois ce corps parfait à l’œuvre sur une scène et tu te frottes les mains, car le rock a encore de beaux jours devant lui, même si ça se passe dans la petite salle.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

    Celles qui ne s’y trompent pas sont les admiratrices, Gyasi fait surtout craquer les gonzesses, quoi, comment est-ce possible, un mec aussi beau, elles rêvent bien sûr de le toucher, de la même façon que les gamines anglaises des seventies rêvaient de toucher Ziggy, juste toucher, tu ne peux pas espérer plus, Ziggy est un fantasme incarné, et Gyasi n’est pas loin du compte, il faudrait juste qu’il pousse vraiment le bouchon de glam.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Mais il est peut-être trop américain pour ça. Quand on l’a vu à Binic, un guitariste relativement glam l’accompagnait sur scène. Une petite gonzesse au look punk américain, c’est-à-dire en monokini de cuir noir, bas résille et tattoos en pagaille, le remplace. Elle est plutôt belle, mais trop punk. Elle met le paquet sur sa Gretsch solid body, mais elle sonne trop mainstream rock US, celui qu’on aime pas trop, elle fait parfois un peu trop son Slosh, et là on perd le glam. Dommage, car de sacrés relents de «Jean Genie» remontent dans «Snake City», et des sacrés relents de Bolan remontent aussi dans «Fast Love», une sorte d’évanescente resucée d’«Hot Love». Il est même en plein dedans, tu crois rêver, les accents sont exactement ceux de Bolan. Il aurait dû foncer dans cette direction, plutôt que de faire ce «Blues» qui n’apporte rien, et ce clin d’œil à Cabaret qui n’apporte rien non plus. Il reprend le mythe du Mime Marceau tel que le concevait Ziggy dans «Sword Fight», mais son Sword Fight passait mieux sur la grande scène de Binic, dans cette ambiance surréaliste et cette tempête de poussière jaune que lèvent chaque année les hordes de pogoteurs.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Gyasi essaye d’offrir un spectacle complet à son public et ce n’est pas si simple, car bon nombre de gens n’étaient pas nés au moment du glam, et s’il est un domaine pour lequel il faut des points de repère, c’est bien le glam. Sinon, c’est indécodable. Ça peut passer pour du rock maniéré, alors que c’est un rock spécifique et extrêmement sophistiqué qui a révolutionné l’Angleterre, et uniquement l’Angleterre. Les Européens ont suivi le mouvement on va dire à l’oreille, mais ils ne l’ont pas vécu comme l’ont vécu les kids anglais. Le décadentisme est inhérent à la culture anglaise. Un phénomène comme Ziggy Stardust n’est compréhensible qu’en Angleterre, un pays dont la vertu principale est la tolérance. Tu ne peux pas avoir ça ni en France ni en Allemagne. Et encore moins aux États-Unis. Excepté des Dolls et Andy Warhol, le décadentisme américain a pris une autre forme, celle de la disco et des bars gay. Mais un mec comme Jobriath n’a jamais marché, même s’il était sur Elektra. Le public américain n’en voulait pas et Jaz Holzman dit même avoir regretté son investissement. Ça ne pouvait pas marcher dans un pays qui est encore plus un pays de beaufs que la France. Pour «conquérir» l’Amérique, Bowie a dû laisser tomber le glam pour passer au discö-funk, perdant au passage une bonne partie de ses fans de la première heure, ceux qui vénéraient «Changes» et Hunky Dory, et qui exécraient la daube commerciale du Thin White Duke.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Espérons que Gyasi ne passera pas au discö-funk. On sent chez lui des dispositions au caméléonisme, et s’il tombe sur un manager qui a des dollars à la place des rétines, il est probable qu’un jour il opte pour la voie royale du big biz. Des gens disaient hier soir qu’on risquait de ne plus voir Gyasi sur une petite scène et qu’il jouerait bientôt au Zénith. Pas évident. Il doit de toute évidence réfléchir au destin de Bowie, un destin riche d’enseignements. Si tu veux rester fidèle à tes pulsions rock, tu rempliras des salles de 200 personnes. Si tu passes au gros son commercial, comme l’a fait Bowie, tu accéderas aux stades et tu t’achèteras des maisons à Tokyo, à Londres et en Suisse. Tu deviendras riche et célèbre. Et puis se rouler par terre avec sa guitare, ça ne dure qu’un temps. Viendra ensuite le jour où les fans qui ont vécu le glam dans les années 70 auront disparu, alors ce sera plus compliqué. Ou moins compliqué. Ça dépend. Le glam deviendrait alors un genre sorti de nulle part. Mon-truc-en-plume so far out. Tu l’as dit, bouffi. 

    Signé : Cazengler, jaseur

    Gyasi. Le 106. Rouen (76). 9 février 2024

     

     

    Wizards & True Stars

    - Syndicate d’initiatives

    (Part Six)

    , gyasi, steve wynn + dream syndicate, alvin robinson, memphis beat, high compils, dark quarterer, rockambolesques,

             Si aujourd’hui encore on se prosterne jusqu’à terre devant Steve Wynn et son Dream Syndicate, ce n’est pas un hasard, mon petit Balthazar. Dans le début des années 80, Steve Wynn, Jeffrey Lee Pierce et John Doe ont sauvé le rock californien de la médiocrité qui le menaçait, et depuis, ils ont enregistré à eux trois près d’une centaine d’albums dont ils peuvent être fiers, et sur lesquels on s’est longuement étalé ici. Aux États-Unis, Steve Wynn, Jeffery Lee Pierce et John Doe ont joué à peu près le même rôle que Lou Reed, Frank Black, Robert Pollard et Todd Rundgren : en bâtissant une œuvre à l’échelle d’une vie, ils ont veillé scrupuleusement à maintenir un très haut niveau qualitatif. C’est d’ailleurs ce savant brouet à base de grosses compos, de modernité et d’énergie visionnaire qui fait les très grands disques. Et The Days Of Wine & Roses, paru en 1982, en fait partie. Alors comme on raffole des très grands disques, ça tombe bien : pour fêter le quarantième anniversaire de sa parution, Fire nous pond une belle box, The Days Of Wine And Roses/40th Anniversary Edition.  

             Les boxes, parlons-en. Il en pleut de partout. Les labels s’imaginent que tout le monde il est riche, il est gentil, alors c’est un vrai déluge. Des fois, tu t’en sors avec un billet de 50, comme c’est le cas avec le Syndicate, des fois il sortir un billet de 120 pour les boxes de Stax ou des Beach Boys, et là, on ne rigole plus. Le problème, ce n’est pas de les payer - tu peux finir le mois en bouffant des pâtes - mais de trouver le temps de les écouter. Tu as par exemple une box Del Shannon avec 12 disks. 12 ! Les bras t’en tombent et les oreilles aussi. Les 2 boxes de Stax c’est pareil, ty va ou ty vas pas ? Si ty vas pas, tu vas culpabiliser, tu vas te dire que tu passes à côté d’une montagne de coups de génie, de révélations extra-sensorielles, tu te racontes des tas d’histoires pour t’encourager à te jeter à l’eau, et tu parviens héroïquement à te calmer en reportant l’opération au lendemain. Mais si par malheur tu attends trop et que tu y reviens deux mois plus tard, tu vas voir le prix de ta box flamber : les revendeurs n’hésitent plus à doubler les prix, car ils savent que des gros malades crèvent d’envie de les avoir. Tout est là. Les avoir. Si on pouvait créer une internationale des gros malades et bloquer les commandes pendant un an, on ferait chuter les prix. C’est un peu le même plan que l’internationale des petits voyous : si tous les petits voyous du monde se tenaient la main pendant un an et cessaient de braquer des banques ou de voler des bagnoles, ils mettraient toute la faune de la répression au chômage, les flicards, les juges, les avocats et les matons. Allez hop ! Tout le monde chez Pôle Emploi ! Mais comme le temps des utopies s’est achevé au XVIIIe siècle avec la fin de la flibuste, il n’est plus permis de rêver, et l’internationale des gros malades n’existera jamais, alors les prix vont continuer de flamber et tu verras tes boxes de Stax dépasser les 200 euros avant la fin de l’année. Franchement le jeu n’en vaut pas la chandelle verte.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Par contre, la box du Syndicate vaut la chandelle. Et même doublement la chandelle. Non seulement tu ne perds pas ton temps à écouter les quatre disks qu’elle te propose, mais tu vas traverser de jolies phases d’excitation. Tu vas comprendre à quel point Steve Wynn et Karl Precoda s’enracinaient dans le Velvet. Sur le disk 1, tu as bien sûr l’album avec un son boosté qui te fend le crâne si tu l’écoutes au casque, mais tu as aussi le Down There EP sur lequel se trouve «Sure Thing», du pur jus de Velvet. Tu crois entendre «White Light White Heat», exactement le même power, le Wynner chante comme le Lou, exactement la même ambiance, avec le beat hypno imparable. Encore pire : «Some Kinda Itch», avec des chœurs qui battent la bretelle, c’est balayé à la wild craze du Velvet. Tu retrouves cette brûlante merveille sur le disk 3, une version live grattée à la Méricourt, et cette fois, le Wynner et son équipe s’embarquent dans le train fou du 13th Floor, fast and furious, et ça redevient vite Velvetien. Comme dans X, c’est le beurre qui tient tout. Le Wynner fait son Jean Gabin et conduit sa loco folle au firmament du rock le plus éblouissant. Apoplexie garantie. Le Wynner hurle comme un malade. On l’avait encore jamais vu dans cet état. Tu en retrouves une autre mouture live sur le disk 4. Ce qui est effarant, c’est que chaque version est différente, et c’est la raison pour laquelle elles sont toutes là. Le «Some Kinda Itch» enregistré à Tucson en 1982 est complètement 13th Floor. Même vitesse, même orgie de son, le Wynner et ses Syndicalistes n’en finissent plus d’outrepasser les conventions patronales. Le Preco devient fou, un vrai CGTiste, Some Kinda Itch sonne comme Son-of-a-bitch. Wild as fuck. Les versions live permettent de voir ce que le Syndicate a dans la culotte. C’est très instructif. Le Wynner : «‘Some Kind Itch’ was Roxy’s ‘Editions Of You’ kind of rewritten.» Le disk 3 propose une version live de «Sure Thing», et cette fois, ils renouent avec le chaos de «Sister Ray». C’est vraiment pas loin, bien dans l’angle, et live, le Sure Thing est encore plus vénéneux. Franchement, on est ravi de pouvoir entendre le Syndicate casser la baraque. Tiens, encore un «Sure Thing» live sur le disk 4, enregistré à Resada, Californie, en 1982. Le Wynner l’annonce ainsi : «This is San Francisco psychedelia, Quicksilver, Blue Cheer.» Faux ! C’est du pur Sister Ray. Boom badaboom !

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Retour à l’album proprement dit. Il se met en branle avec «That’s What You Always Say». Le Wynner a déjà du power, il sonne comme un artiste complet, il est bien en place et le Preco vient envenimer les choses. Leur son n’a pas pris une seule ride en 40 ans. «That’s What You Always Say» est toujours aussi balancé et fondamentalement rock. Disons que c’est leur cut le plus classique. Live, il passe toujours comme une lettre à la poste. Comme sur tous les grands albums, on a ses chouchous. «When You Smile» en est un. Bizarrement, la version de l’EP est plus dense, comme noyée de disto. On en trouve une version live sur le disk 4 : Preco la noie de feedback, ah la brute ! C’est lui qui mène la sarabande, il rôde dans le son comme un fantôme. Et si Karl Precoda était l’un des plus grands guitaristes de rock américain ? On est vraiment tenté de le croire. L’autre chouchou, c’est bien sûr «Then She Remembers», fast and wild, pur jus de no way out. Le son est d’un raw qui dépasse les normes ! Les poux ont des dents. Preco dévore le rock, les dynamiques sont demented, ça splurge de partout, et le beurre fait foi, comme dans X. Fais gaffe, la version live qui se trouve sur le disk 3 va t’envoyer au tapis. Ils ont décidé de renverser le gouvernement, le Wynner te cisaille les colonnes du tempe vite fait et le Preco se contente de hanter les ruines, avec la malveillance d’un fantôme d’Écosse. Ambiance Sister Ray, une fois de plus. La version live du disk 4 est encore plus Punk’s not dead. Le Syndicate sait défiler ventre à terre et ne pas garder la tête froide.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Le grand chef-d’œuvre Syndicaliste, c’est «Halloween», écrasé par le poids terrible des accords, et le Wynner conduit sa manif vers la victoire à coups de descentes d’accords géniales. Elles sont même historiques. Tous ceux qui ont écouté «Halloween» à la parution de l’album ont henni de plaisir charnel. Cette descente au barbu est devenue l’emblème du Syndicate. Ils t’équarrissent le rock au grand jour. Sur le disk 4, tu as une version live d’«Halloween» complètement demented, car dévorée vivante par Precoda le prédateur, il crache le feu de Dieu, il plonge dans les abysses inconnues, il joue ce qu’il faut bien appeler un solo miribolant de pharaonisme et le Wynner chante à la Lou. Le temps d’un «Halloween», le Syndicate devient le maître du monde. Et puis bien sûr, le morceau titre, «The Days Of Wine & Roses», wild as fuck. Cette fois, ils sonnent comme les Saints, c’est explosif, faussement maîtrisé, visité par des vents de poux investigateurs et battu si sec ! Saluons Dennis Duck, le frère de Donald.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Un cut comme «Definitely Clean» se noie un peu dans la masse de l’album. Le Wynner le joue juste au dessus de la surface, à l’apanage des alpages, c’est monté au tapapoum et aux grattes cinglantes et tu les vois s’emballer dans la course, mais c’est la version live du disk 4 qui révèle la vraie nature de ce cut : pur power Syndicaliste. Le Wynner tape l’«Until Lately» au just show how wrong you can be et au bo bo bop bop, et derrière l’affreux Preco gratte sa slide. Ça se termine en pétarade de modernité arrosée d’harp et d’excelsior. La petite bassmatiqueuse Kendra Smith chante «Too Little Too Late». Dommage qu’elle ne soit pas à son avantage sur les photos.  

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Le disk 2 propose des démos et des répètes. On voit qu’en répète, ils sont extrêmement précis. Kendra Smith chante son «Too Little Too Late» d’une voix grasse et humide. Ils ont énormément de son, comme le montre «Is It Rolling Bob?». Ils en abusent, pour le bien de nos oreilles. On a vraiment l’impression d’être dans la pièce avec eux. On croise bien sûr quelques inédits, comme «A Reason». Precoda est all over the sound et ils amènent ensuite «Like Mary» à un niveau immédiatement supérieur, ils savent créer du climax, c’est très impressionnant. Très Velvet dans l’esprit. Leur «Unknown Song With Lyrics» est encore du pur Velvet. Ce sont les accords de «Sweet Jane». Ils sont en plein dedans. Ils font aussi une version de «Some Kinda Itch» et Precoda explose un «Open Hour» demented, complètement saturé de poux, il joue dans tous les coins. L’«Open Hour» va devenir «John Coltrane Stereo Blues». Franchement, on va de surprise en surprise !

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Et pour finir, quelques covers, dont un beau «Road Runner» live sur le disk 3 - Bip Bip ! - Bel hommage à Bo. Dennis Duck le bat sec et net. Sur le disk 4, ils tapent un «Folsom Prison Blues» cavalée ventre à terre, et ils terminent le disk 4 avec une version affreusement heavy de «Piece of My Heart», le hit de Jerry Ragovoy et Bert Berns, rendu célèbre par Janis, mais la version définitive est celle d’Ema Franklin. Le Wynner remonte sa pendule au c’mon c’mon.  

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Dans ses liners, Pat Thomas indique que les Pixies et Nirvana sont nés des cendres du Syndicate. Il indique aussi qu’il en est à sa 39e année de love affair avec le Syndicate. Chris D. qui a produit The Days Of Wine & Roses indique qu’ils ont torché l’album vite fait en deux jours. Pat Thomas ajoute que cette prod est une non-prod à la Tom Wilson, qui avait enregistré Dylan et le Velvet - A very classic non-production style que vous enregistrez live dans le studio, which is kind of a lost art these days - Chris D. indique aussi que Pat Burnette, le fils de Dorsey, lui a donné un sacré coup de main. Chris D. et Pat Burnette ont aussi enregistré le Gravity Talks de Green On Red. Quand Green On Red, le Gun Club et les Syndicate ont quitté Slash, le label pour lequel bossait Chris D., ils ont perdu leur son. Qui va à la chasse perd sa place.

             This one is for my friend Jacques.

    Signé : Cazengler, Steve wine (cubi)

    Dream Syndicate. The Days Of Wine And Roses/40th Anniversary Edition. Fire Records 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Robinson Crusoé

             Alvo était plutôt beau gosse. Comme tous les beaux gosses, il avait tendance à en profiter. Ça se traduisait par un réel ascendant sur les gens. Et si tu veux profiter des gens, rien n’est plus indiqué que le business. Comme en plus d’être beau gosse, il était rusé comme un renard. Alvo aurait pu vendre un lave-linge à un dromadaire, si l’occasion s’en était présentée. Pas de spectacle plus réjouissant que de voir Alvo à l’œuvre. On le voyait approcher sa proie avec un grand sourire communicatif, s’ensuivaient une franche poignée de main, des formules significatives, puis il sortait un album de son sac, annonçait le prix et attendait la réaction de son «client». Si le «client» toussait, Alvo concédait un petit rabais symbolique. Mais dans la grande majorité des cas, son offre de prix passait comme une lettre à la poste, parce qu’il avait le cran de la soutenir avec un franc sourire. Comment un mec aussi sympa pouvait-il t’arnaquer ? Ça dépassait ton pauvre petit entendement. On a bien sûr entendu par la suite des «clients» se plaindre de «s’être fait rouler». «Mais ce n’est pas si grave», leur répondait-on, pour dédramatiser, «qu’est-ce qu’un billet de vingt comparé à l’univers ?». Ce qui avait le don d’aggraver les choses, car les gens qui se plaignaient d’Alvo n’avaient bien sûr aucun humour. Rares furent ceux qui voyaient comme un honneur le fait d’avoir alimenté le business d’Alvo. Indépendamment des questions d’amour-propre (personne n’aime se faire rouler), c’était une sorte de privilège que d’évoluer dans l’orbite de ce virtuose de la vente. Il fallait juste essayer de dépasser les a priori. C’est comme lorsqu’on franchit un col de montagne, on découvre ensuite une vallée. Et Alvo, c’était ça, une vallée. Chez beaucoup de gens, notamment chez les beaufs, la vallée n’existe pas. Chez Alvo, la vallée était luxuriante, elle s’étendait à l’infini, il suffisait juste de comprendre que son rapport aux gens passait par le biz, et puis une fois que tu avais compris ça, tu accédais à la vallée. Alvo a disparu, mais le souvenir de la vallée reste extrêmement présent.

    , gyasi, steve wynn + dream syndicate, alvin robinson, memphis beat, high compils, dark quarterer, rockambolesques,

             Pendant qu’Alvo t’ouvrait le chemin de sa vallée, Alvin créait sa légende avec une poignée de singles. C’est exactement la même image. Le seul album d’Alvin Shine Robinson qu’on puisse se mettre sous la dent est une compile Charly qui s’appelle Shine On. C’est un album recherché, et pour cause : il est excellent, et au dos de la pochette, John Broven signe les liners. Broven nous rappelle qu’à la différence des autres stars de la Nouvelle Orleans, Robinson est allé faire carrière à New York et sur la West Coast. Ses premières amours sont le «hard, hard blues», Ray Charles et Jimmy Griffin, des Griffin Brothers. Quand il apprend à jouer de la guitare, il joue dans les orchestres de Joe Jones et Lee Dorsey.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             C’est l’époque où deux grands producteurs de la Nouvelle Orleans se partagent le marché : d’un côté Allen Toussaint pour Minit, et de l’autre Dave Bartholomew pour Imperial. Bartholomew produit des hits à la chaîne pour Fatsy, Snook Eaglin, Frankie Ford, Earl King, Robert Parker, Huey Piano Smith, Shirley & Lee et Alvin Shine Robinson. 

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Mais ça ne marche pas pour Robinson à la Nouvelle Orleans, alors il part avec Joe Jones à New York et enregistre des singles pour les trois labels de Leiber & Stoller, Tiger, Red Bird et Blue Cat. Joe Jones a passé un accord avec Leiber & Stoller et leur a amené les Dixie Cups et «Chapel Of Love». Robinson va décrocher un hit, avec une cover du «Something You Got» de Chris Kenner. Pour Leiber & Stoller, «Downhome Girl» est le meilleur single paru sur Red Bird. C’est en effet un heavy groove cuivré de frais. Le cut phare de la compile Charly est sans le moindre doute «Dedicated To Domino», un fantastique hommage, chanté d’un ton bonhomme et bienveillant - The fat man from the very first song - Alvin Shine Robinson est un universaliste : il couvre tout. Encore de la fantastique présence dans «How Can I Get Over You», un super slow groove que chante Robison au far out, so far out. Il ramène tout le power du heavy groove dans «Bottom Of My Soul». Alvin Shine blows it right ! Et voilà l’excellent «Let The Good Times Roll» d’Earl King. Il en fait une version mythique, bien heavy, à l’upper-cutting, quasi hendrixienne. Sur une petite photo au dos de la pochette, on le voit gratter une Strato. Mine de rien, cette compile est un gigantesque album de Soul. On l’entend sonner comme Ray Charles dans «Wake Up (And Face Reality)», puis il sonne comme Fatsy avec «They Said It Couldn’t Be Done». Tiens, voilà encore du pur jus de New Orleans avec «Baby Don’t Blame Me», c’est très black, chanté avec toute la générosité du grand peuple noir. Tout est bien sur cette compile. On voit avec «Pain In My Heart» qu’il aime le «hard, hard blues»

    Signé : Cazengler, pour qui robinsonne le glas

    Alvin Robinson. Shine On. Charly R&B 1988

     

    The Memphis Beat –

     Le mur d’Andria

    , gyasi, steve wynn + dream syndicate, alvin robinson, memphis beat, high compils, dark quarterer, rockambolesques,

             Autre petit book hautement recommandable : Waking Up In Memphis, d’Andria Lisle et Mike Evans. Ils proposent, sous forme de chassé-croisé, un panorama de la Memphis scene, en partant des légendes du blues pour remonter jusqu’aux tenants et aboutissants de la scène garage contemporaine. Mike Evans nous rappelle que Rufus Thomas vient d’une autre époque, celle du fameux Rabbit Foot Minstrel Show itinérant qu’il rejoignit en 1927. Il était forcément vieux lors du fameux Wattstax qui eut lieu en août 1972 à Los Angeles. Puis Rufus commença à bâtir sa légende au weekly Amateur Night sur Beale Street au début des années 40. C’est là que des gens comme Rosco Gordon, Johnny Ace, Bobby Blue Bland et B.B. King firent leurs débuts. On payait Rufus 5 dollars pour faire le présentateur et il le fit pendant 11 ans. On l’a peut-être oublié, mais Charlie Musselwhite vient lui aussi de Memphis. Charlie rappelle qu’il est né dans un coin paumé - a smack dab - du Mississippi, à Kosciusko et qu’il a grandi à Memphis, avant d’aller à Chicago bosser comme les autres dans les usines. Dans son quartier, le jeunes blanc-becs bossaient pour percer, notamment Johnny et Dorsey Burnette qui vivaient sur Manhattan Avenue, et Cash qui vivait sur Tutwiler, a block north. Andria Lisle nous rappelle que la révolution se fit grâce aux radios qui échappaient à la ségrégation. Et l’un des pionniers fut bien sûr Dewey Phillips avec son Red Hot And Blue Radio Show. Et comme le dit si bien Dickinson dans ses mémoires, tous les blancs pauvres (Carl Perkins, Cash, Charlie Feathers et Jerry Lee) ont appris à jouer avec des nègres. Appelons ça la victoire de l’art sur les préjugés racistes.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Evans et Lisle reviennent bien sûr sur l’épouvantable fin de Stax, mis en banqueroute en 1975 par des petits fournisseurs. La même année, Al Jackson est abattu chez lui. Et quelques mois plus tard, l’Union Planters Bank fout Stax en l’air pour défaut de paiement et vend le studio 10 $ à une organisation religieuse qui va laisser pourrir le bâtiment. Quand Jim Jarmush tourne Mystery Train dans les années 80, on reconnaît le bâtiment à l’abandon. Et quand en 1989, le film sort sur les écrans, le bâtiment est rasé. C’est dire la haine de cette communauté de rednecks pour les blacks qui réussissent. Ils ne leur ont pas laissé la moindre chance. Al Bell craignait même pour sa vie, et Jim Stewart, coupable d’avoir pactisé avec le diable, c’est-à-dire les nègres, va finir sa vie complètement ruiné. On se croirait dans un roman de William Faulkner. La pathos est toujours plus tragique dans le Deep South.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Et puis voilà Hi, just down the street from Stax, au 1320 South Lauderdale. Avant de s’appeler Hi, le label s’appelait the House Of Instrumentals et Willie Mitchell y jouait de la trompette, accompagnant le Bill Black Combo, dont font partie Reggie Young et ‘Yaketty Sax’ Ace Cannon. Puis c’est l’époque des pionniers du Plantation Inn, un club de West Memphis, de l’autre côté du fleuve, et tous les jeunes blanc-becs de Memphis viennent s’y encanailler : Steve Cropper, Duck Dunn, Jim Dickinson et Packy Axton. Toujours les mêmes. Le groupe de Willie Mitchell est à leurs yeux the pinnacle of cool. Puis Willie bosse pour un label nommé House Of Blues avec les 5 Royales et Roy Brown. Il va ensuite bosser pour Ray Harris chez Hi et il monte son house-band, the Hi Rhythm Section, avec les frères Hodges. Il commence à développer un son et met la batterie au cœur des backing tracks. Et c’est parti : OV Wright, Bobby Blue Bland, et ça explose avec Ann Peebles, puis Al Green que Willie a découvert dans un club du Texas, épisode magique que relate minutieusement Al dans son autobio, Take Me To The River. Quand arrive l’incident du dos brûlé, Al Green passe plusieurs mois à l’hosto et se plonge dans la bible où il découvre qu’un homme ne peut pas servir deux maîtres, autrement dit, il doit choisir entre servir Dieu et servir Willie Mitchell. C’est là qu’il décide de se séparer de popa Willie. Un jour qu’il se balade sur l’Elvis Presley Boulevard, Dieu lui indique la direction de Whitehaven, une banlieue populaire. Il roule sur Hale Street et tombe sur une vieille église en bois abandonnée. C’est là, lui dit Dieu, que tu vas devoir fonder The Full Gospel Tabernacle et y prêcher la parole sacrée. Le Révérend Green y chante et y danse depuis des années. Quand la messe est dite et qu’il a salué les fans venus y assister, il remonte dans sa silver Rolls garée devant l’église. Le gospel est comme le blues, à l’origine de tout. Mike Evans rappelle que Sister Rosetta Tharpe et Aretha sont originaires de Memphis.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Tout aussi religieux, voici Uncle Sam, âgé de 79 ans, qui semble lui aussi prêcher la parole sacrée, parlant les bras en l’air : «I liked all the gutbucket stuff, the deep Mississippi hollers and hymns. Then Elvis came into the studio. I was looking for the common denominator, and he was it. I couldn’t classify him as black, or country, or pop and that fascinated me.» Puis le lève le poing au ciel : «The spirit of Elvis Presley will never go away.»

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Billy Lee Riley se souvient d’avoir grandi avec ce qu’il appelle the old gutbucked blues. On n’entendait pas de blues à la radio, mais des vieux nègres le jouaient ici et là, au coin des rues. Billy Boy rencontre ensuite Slim Wallace et Jack Clement, deux bidouilleurs qui ont monté un studio dans le garage de Slim, sur Fernwood Street. Ils l’ont tout naturellement baptisé Fernwood studio. Comme ils montent un label (Fernwood Records), ils demandent à Billy Boy d’être leur premier client. Ils enregistrent deux cuts et Jack Clement amène les bandes chez Sun pour demander à Uncle Sam de lui fabriquer un acetate. Quand Uncle Sam entend «Trouble Bound», il propose un deal à Jack pour le sortir sur Sun. Mais il faut un cut rockab en B-side. Alors Billy Boy compose «Rock With Me Baby» et l’enregistre avec Roland Janes (guitare), JM Van Eaton (drums) et JB Bruner (slap). Ces gens-là vont ensuite devenir les Little Green Men, un nom qui sort du «Flyin’ Saucer Rock’n’Roll» que Billy Boy va composer et enregistrer avec eux. Accessoirement, ils vont devenir le house-band de Sun. Ils vont accompagner Roy Orbison, Cash, Charlie Rich, Bill Justis et d’autres gens moins connus.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             C’est Alan Lomax qui découvre les traces de l’Afrique au bord du Mississippi. Dans The Land Where The Blues Began il dit avoir entendu a tune such as the African Pygmees have played from time immemorial. Eh oui, Otha Turner remonte aux temps immémoriaux. Alan Lomax et George Mitchell ont flashé sur ce bluesman de la première génération qui apprit à jouer du fifre dans les années 20. Otha dit que son père Ollie Evans avait les yeux bleus comme lui. Ollie était un sang mêlé, mi-Chickasaw ou Choctaw, il ne sait pas exactement. Puis il affirme qu’il était à moitié bouc, ce que confirme Jim Dickinson qui le voit en Dionysos.  

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Mike Evans fait un grand bond en avant avec Big Star et le studio Ardent. Pour lui, Big Star est la Memphis’s answer aux Young Rascals de New York. C’est bien vu, car les deux niveaux culminent sec. Evans dit aussi que Big Star n’a pas vendu beaucoup d’albums, mais ce groupe a eu au moins autant d’influence que le Velvet qui n’en vendait pas beaucoup non plus. Pas de Big Star sans John Fry et son studio Ardent qui va devenir, comme Sun, Stax et Hi, une institution. Fry commence par enregistrer un teenage band nommé Lawson And Four More, assisté de Jim Dickinson. Terry Manning qui joue dans Lawson restera vingt ans durant l’un des fidèles assistants de John Fry.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             L’autre institution locale, c’est bien sûr American. Chips Moman, qui a roulé sa bosse avec Gene Vincent et Johnny Burnette, finit par jeter l’ancre à Memphis. La grande force de Chips fut d’avoir tissé des liens commerciaux avec des gros labels comme Atlantic, Scepter ou MGM. En 1967, Jerry Wexler lui proposa d’enregistrer le nouvel album de Wilson Pickett. Puis Wexler lui envoie Dusty chérie. Dans leurs books respectifs, Ruben Jones et James Dickerson donnent tous les détails.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             En remontant encore un peu dans le temps, on finit par tomber sur Tav Falco et les Panther Burns. Tav commença par partager ses concerts avec ses idoles : RL Burnside, Charlie Feathers, Cordell Jackson et Sonny Burgess, qui du coup reprirent tous du poil de la bête, commercialement parlant. Tav n’est pas avare de déclarations : «The Panther Burns are the missing link between the earlier forms of swamp blues’ unbridled howl and the psychological onslaught of the new millemnium. We are essentially the ditch diggers in American Music.» Et il ajoute après avoir salué la comedia del’arte : «The Panther Burns are the last steam engine train on the track that don’t do nothing but run and blow.» Luther Dickinson ajoute : «Si vous dessinez l’arbre généalogique du blues, du garage et du punk, vous revenez forcément aux Panther Burns, et si vous continuez, à Mud Boy & the Neutrons.» C’est selon lui la spécificité du Memphis beat, when you mix crazy hillbillies and crazy black guys together. On ne pourrait rêver d’une meilleure définition du Memhis beat. Luther : «Quand Bobby Ray Watson ramena RL Burnside au studio de Roland Janes, il avait un gros sac d’herbe locale - homegrown Mississippi reefer - et RL avait de l’alcool de maïs, it’s just a crazy combination !» Luther salue ensuite le label Fat Possum et le journaliste Robert Palmer qui surent remettre RL Burnside et Junior Kimbrough d’actualité. Luther Dickinson est un membre actif du Memphis beat contemporain avec les North Mississippi Allstars. Son frère Cody a appris à jouer de la batterie sur un kit que son père avait ramené de chez Stax. Le Zebra Ranch de Jim Dickinson est aujourd’hui devenu un endroit mythique. Luther dit aussi que ses parents lui ont épargné l’école quand il était petit. Sa mère leur apprenait l’orthographe et le calcul. Des artistes locaux comme Tom Foster et Jim Blake venaient leur donner des cours de dessin. Mike Evans salue ensuite la nouvelle vague de garagistes : Monsieur Jeffrey Evans, godfather of Memphis punk, puis Jack Yarber, membre des Oblivians, des Compulsive Gamblers, de Soul Filthy, des Cool Jerks, des Tearjerkers et producteur du premier et seul album des Porch Ghouls, un groupe que composaient Eldorado Del Ray (guitar/vocals), Slim Electro (guitar, ex-Grifters) et Duke Baltimore (drums, ex-68 Comeback). Ils qualifient leur son de ruckus, un terme de slang datant des années 20 qu’on utilisait pour qualifier la musique des Memphis jug bands. Mike Evans salue l’autre tête pensante des Oblivians, Greg Cartwright et son brillant Reigning Sound, dont l’explosive line-up mélange the spirit of Memphis Soul with a 60s pop dynamic and country-boogie edge.  Avec the Reigning Sound, Cartwright dit avoir cherché à évoluer sans perdre ses racines. Pas facile.

    Signé : Cazengler, le con le Lisle

    Andria Lisle & Mike Evans. Waking Up In Memphis. Sanctuary Publishing 2003

     

    L’avenir du rock

    - Deux compiles qui tombent pile

             L’autre jour, l’avenir du rock déambulait dans des halls. Il captait ça et là les bris de conversations qu’émettaient des grappes d’affairés chamarrés. Il s’émerveillait de ce qu’il entendait, ces ribambelles de surenchères et ces défis que certains lançaient à la salubrité mentale, ça affirmait et ça infirmait, ça corroborait et ça ravinait, ça amputait et ça ravaudait, ça pétaradait et ça palabrait, ça pérorait et ça paradait, alors, mu par l’envie d’en découdre, l’avenir du rock intervint pour glisser une strophe sibylline :

             — Non certes elle n’est pas bâtie sur le sable sa dynastie, une strophe à laquelle bien sûr les autres ne pigèrent que couic.

             — De quelle dynastie parlez-vous, avenir du rock ?

             — Mais du Shah d’Iran et ran et ran petit patacon...

             À quoi il ajouta :

             — Car il est possible au demeurant qu’on déloge le Shah d’Iran...

             Alors Raymond la science s’interposa, et, pointant vers la voûte du hall un index vibrillonnant, il s’exclama :

             — Au demeurant il est déjà délogé le Shah d’Iran !

             À quoi l’avenir du rock rétorqua sans délai :

             — Sans vouloir vous offenser, Raymond, votre répartie compte deux pieds de trop !

             Et voyant l’assistance interloquée, il ajouta aussi sec :

             — Qu’un jour on dise c’est fini au petit roi de Jordanie...

             Cette toutânkhamonnerie létale eut pour effet de sidérer les dernière lanternes au point de les éteindre, comme on mouchait autrefois les chandelles. Sentant que le moment était venu de les rallumer, il livra la clé de l’énigme :

             — Que sur un air de fandango on détrône le vieux Franco... Mais il y a peu de chance qu’on détrône le roi des cons !

             L’avenir du rock s’émerveilla. Cette vieille ritournelle de Georges Brassens restait d’une actualité brûlante. Pour rasséréner la troupe déconfite et meurtrie, il ajouta, goguenard, qu’auprès du roi des cons trônait son cousin le roi des compiles.

    , gyasi, steve wynn + dream syndicate, alvin robinson, memphis beat, high compils, dark quarterer, rockambolesques,

             Comme les lecteurs de Vive Le Rock ont été sages, le Père Noël leur a offert une belle compile, Vive Le X-Mess 2023. Cette compile est capitale, car elle montre que la scène anglaise is alive and well, une formule qu’il est difficile de traduire sans la dénaturer, alors ne la dénaturons pas, elle saura se montrer assez explicite. Six coups de génie sur 14 titres, c’est un bon indicateur de tendance. Ce n’est pas qu’on ait besoin de se rassurer, mais de savoir que ça rocke encore à Londres remonte sacrément bien le moral. La révélation s’appelle Voodo Radio avec «Dog». Là tu y es ! I’m a bitch ! C’est le cœur battant du hard trash contemporain. Authentique du ciboulot, archi harsh - You’re a dog/ I’m a bitch - Dommage que les mini-albums soient inaccessibles. Retrouvailles de choc avec Cockney Rejects et «My Heart Ain’t In It», noyé dans le gratté de gras double de Mick Geggus, il a tout le son de London Town, c’est du power pur, il développe incroyablement et passe des solos de power pur. Geggus joue en fondu de génie. Grosse révélation encore avec Eryx London et «Blagger», une vraie voix dans ton cou, le mec chante doucement, il crée une  atmosphère palpable, et ça se développe avec fermeté, ça te rappelle le «Rose Giganta» de Chicano. À la suite, tu as les Smalltown Tigers et «Girl Can’t Help It», des Italiens, apparemment, avec un classic high energy rockalama. Le Tiger chante comme Gary Holton. Cette scène existe encore, ils tentent le coup de vrai truc avec un chanteur fou. Excellent et tellement d’actualité. Vive Le X-Mess est un modèle de résurgence. Les Priscillas font du sucre avarié avec «One Christmas Wish». Janus Stark est amené par Vive Le Rock comme The Next Big Thing, mais il faudra attendre encore un peu, solide c’est sûr, mais rien de plus que ce qu’on sait déjà. Alors voilà le heavy stuff : Larry Wallis et «Meatman (2023 Mix)». On tape ici dans l’extrême onction, le Meatman est le heavy rumble de Notting Hill Gate. Pur genius ! Tu as peu de mecs du calibre de feu Larry Wallis en Angleterre. C’est de l’expurgé, du vindicatif, de l’inénarrable. Ah tiens, voilà les Black Bombers et «The Price». Eux, on y va les yeux fermés. Pas la peine de discuter. Ils cultivent cette vieille énergie de London town, celle des incendies. Les Bombers sont grandioses. Plus power-poppy, voilà Reaction et «Closer Than Most». Power-poppy, oui, mais avec du punch. Extraordinaire démêlé !

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Et si on parlait d’une compile trop wild ? Elle existe, aussi fou que cela puisse paraître. On la trouve chez Crypt, à Hambourg. Elle s’appelle Searching In The Wilderness, un Op Art de 1986, donc catalogué Mod craze. Mais comme toujours, les bonnes compiles Mod flirtent dangereusement avec le freakout le plus abject, ce que vient confirmer le «But I’m So Blue» des Namelosers. Ces Suédois étaient en 1965 au bord de l’apoplexie gaga-punk, celle dont s’entichaient les Pretties. Les Namelosers sont dans le même trip de dirty blasting, avec en prime un solo crade à souhait. Allez hop, on passe directement au Mod craze avec les Red Squares et «You Can Be My Baby», un hit de 1967, wild British beat chauffé à blanc avec un brin de Mod Craze - One of the most powerful Mod ravers of the sixties - Et pas qu’un brin ! Ils ont récupéré toute l’explosivité des Who et déclenchent des développements inespérés. Tout aussi brillant, voici Sean Buckley & The Breadcrumbs et «Everybody Knows». Une aubaine que d’entendre cette pulpeuse merveille ! On monte encore d’un cran avec The Boys Blue et «You Got What You Want» battu au tribal et wild as super-fuck, c’est littéralement effarant de power ! Jeff Elroy superstar ! Un seul single et puis basta. Terminé. An early incarnation of the Sorrows, nous dit le mec des liners. Encore du wild freakout d’aw aw avec The In Crowd et «The Things She Says», sabré à coups d’harp, c’est somptueux de classe délinquante, pur sonic trash. Pareil, une poignée de singles et à dégager - Roll over The In Crowd and tell Crawdaddy Simone the news ! - Les Outsiders de Willy Tax attaquent «Won’t You Listen» à la fuzz bien sourde. Arrghhh, quelle aventure, c’est sabré à coups d’harp et fuzzillé à ras la motte, avec un solo de génie délinquant. Nouveau coup de Jarnac avec A Passing Fancy et «I’m Losing Tonight», c’est claqué au définitif, à l’adventiste du beignet, c’est pulsé à la boutonnière, ça va chercher la prise de bec, ces mecs-là sont pires qu’Attila. Ce sont des garagistes canadiens. Le mec des liners les compare au MC5 de «Looking At You». On se régale aussi du hard groove fuzzy d’«It Came To Me» des Q-65. Ils s’enlacent comme des serpents autour de l’I’m in love. Et on assiste éberlué au superbe élan de wah-ahah des Golden Earrings dans «Chuck Of Steel». Leur wah-ahah n’est pas facile à expliquer, disons qu’ils traînent les syllabes dans la cavalcade. C’est brillant. Quant aux Snobs, ils shakent l’«Heartbreak Hotel» à la Méricourt, c’est un exploit qu’il faut saluer. Ces mecs portaient des perruques poudrées du XVIIIe siècle, et c’est probablement le guitariste qu’on voit sur une pochette de l’Annie Get Your Gnu de Wildebeests. L’«You’re Holding Your Own» de The Buzz est hallucinant de power ultraïque - logique car enregistré par Joe Meek - et le «Searching In The Wilderness» d’Alan Pounds Get Rich te coupe la chique. 

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Il existe un album d’A Passing Fancy paru en 1968, qu’on peut aller écouter sur la foi d’«I’m Losing Tonight». On y retrouve bien sûr ce gratté à la menace sourde. Mais le reste du balda n’est pas aussi lourd de sens. Ils font une belle tentative d’envol avec «You’re Going Out Of My Mind» et c’est en B que se planque le reste de la viande : on se régale d’«Island», programmé pour l’obsolescence, suivi d’un «Your Trip» plus heavy, offensif et chaleureusement conseillé, monté sur des heavy chords de carcasses creuses. Ils restent dans la belle heavy pop avec «Little Boys For Little Girls», on s’en pourlèche, la confiance règne, ces Canadiens ont du poids. Ils sont encore terriblement à l’aise avec «Under The Bridge» et restent très polymorphes avec «Spread Out». Ils adhèrent à toutes les surfaces. Ils terminent cet album qu’il faut bien qualifier d’attachant avec «People In Me» et sa petite attaque de revienzy. Tiguili sixties pur et chant gros sabots. Ils auront tenté le coup. 

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             On retrouve aussi le «But I’m So Blue» des Namelosers sur une belle compile parue en 1989, Fabulous Sounds From Southern Sweden. Alors attention, la première série de cuts n’est pas terrible, ils font un choix de covers assez discutable («What’d I Say», «Money») et leur «Around & Around» sent trop l’entente cordiale. On les sent appliqués. La compile se réveille avec «But I’m So Blue», bien saqué du protozozo, battu au beat punk à casquette de Liverpool. Ils font un «Land Of 1000 Dances» bien dirty, ça rue dans les brancards de la fuzz, ils sont enfin réveillés, la fuzz te cisaille les guiboles, la fuzz buzze comme un essaim mortifère. Encore du son avec une cover de «Suzie Q», heavy dumb fuzz de dirt proto. Ils sont encore plus stoned que les Stones sur «Walking The Dog», ils lestent leur Dog de tout le plomb du monde. «Hoochie Coochie Man» est idéal pour des heavy proto-punkers comme les Losers. Ils sont dessus, comme l’aigle sur la musaraigne. Ils finissent en mode downhome protozazou avec un «That’s Alright» complètement fuzzé du ciboulot.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             Comme les Red Squares nous intriguaient avec leur «You Can Be My Baby», on est allé voir sous les jupes des deux albums parus en 1966, l’album sans titre, et It’s Happening. Comme le succès les boudait, ces Anglais ont émigré au Danemark, et du coup, ils sont devenus des teenage idols en Scandinavie. Ils ont une grosse particularité : une passion immodérée pour les Four Seasons et les Beach Boys. Sur leur premier album, ils tapent une cover d’«I Get Around», mais aussi du «Rag Doll» des Four Seasons. Ces mecs chantent à deux voix, ils sont extrêmement pointus. Ils font une fantastique cover du «Stay» de Maurice Williams, et en B, ils tapent dans Burt avec «Wishing And Hoping». D’autres covers de prestige encore avec «Dancing In The Street» et le People Get Ready» de Curtis. Ce mec Geordie Garriock adore chanter là-haut sur la montagne. Ils terminent avec une superbe compo de Bob Crewe et Bob Gaudio, «Big Girls Don’t Cry», ils tapent en plein dans le mille des Four Seasons, les Red Squares sont des inconditionnels.

    gyasi,steve wynn + dream syndicate,alvin robinson,memphis beat,high compils,dark quarterer,rockambolesques

             L’It’s Happening est nettement plus dense. Ils retapent dans le cru Crewe/Gaudio avec «Walk Like A Man», ils tapent dans le haut perché Four Seasons/Beach Boys/Association. D’ailleurs, ils bouclent la B des cochons avec une cover d’«Along Comes Mary», le hit le plus connu de The Association. Ils la tapent au slight return, avec un joli son de basse bien claqué à l’ongle sec. Ils tapent encore dans le cru Crewe/Gaudio avec «Silence Is Golden», ils vont chercher l’éclat de la jeunesse insouciante. Ils tapent aussi dans le «Mr Lonely» de Bobby Vinton qui deviendra «Quand Revient La Nuit» en France. Autre cover de prestige : le «Monday Monday» des Mamas & The Papas : tout l’esprit est là, fidèle au poste et exact au rendez-vous. En B, ils tapent dans le «When I Grow Up» de Brian Wilson, en plein dans l’énergie des Beach Boys. Mêmes démêlés avec la justesse. Ils sont encore plus irrésistibles avec «Kiss Her Good Bye», une compo à eux, et replongent dans le spirit du Smile des Beach Boys avec «Warmth Of The Sun». Tout amateur de grande pop peut y aller les yeux fermés. D’où l’intérêt des compiles qui tombent pile.

    Signé : Cazengler, compilou-pilou

    Vive Le X-Mess 2023. Compile Vive Le Rock 2023

    Searching In The Wilderness. Musiek Express 1986

    Namelosers. Fabulous Sounds From Southern Sweden. Got To Hurry 1989

    Red Squares. Red Squares. Columbia 1966 

    Red Squares. It’s Happening. Columbia 1966  

    A Passing Fancy. A Passing Fancy. Boo 1968

     

    *

    z23097photogirardi.jpg

    Un verre c’est bien, trois ne suffisent pas, c’est comme pour les pochettes de disques, vous en regardez une qu’une autre se présente à vous. Cette fois je n’y suis pour rien, je peux nommer le coupable, Paolo Girardi, celui qui a peint la couverture de l’album Lone d’OAK, m’en suis allé illico presto subito expresso bongo admirer ses tableaux. Je vous en ai parlé dans la livraison 631, pas plus qu’Eve devant la pomme je n’ai pu céder à la tentation, j’ai même bouffé le serpent, animal very rock’n’roll, une vidéo de rien du tout, trente-cinq secondes, pas le temps de voir grand-chose surtout que Paolo vous bouche la vue car il se rapproche avec son pinceau pour une dernière petite touche, l’a la zique à fond et un super tatouage sur le dos, à part cela sur la toile c’est une pagaille incroyable, le fond est rouge sur l’extrême gauche un mec sur un navire, je le reconnais aussitôt, Pline l’Ancien, un vieil ami, plus jeune j’ai traduit quelques-uns des textes de son Histoire Naturelle, ses écrits sur la Peinture sont indispensables pour tout amateur d’art, bref nous sommes à Pompéi, et gâteau sous la cerise confite,  dessous il est mentionné : ‘’En train de peindre l’artwork destiné à l’album Pompéi de Dark Quarterer’’. Vous connaissez ma prédilection pour l’Antiquité…

    POMPEI

    DARK QUARTERER

    (Cruz del Sur Music / 2020)

              Des vieux de la vieille, ont commencé en 1974 sous le nom d’Omega R, changent leur dénomination en Dark Quarterer en 1980, enregistrent leur premier album éponyme en 1987 (réédité en 2012), en 1988 sort The Etruscan Prophecy (réédité en 2022), faudra attendre 1993 pour War Tears et 2002 pour Violence. Symbols verra le jour en 2008, Ithaca en 2015, Pompei voici trois ans. Groupe de Heavy-rock à leur début ils évoluent vers un metal progressif. Vous l’avez compris ils aiment les grandes fresques mythologiques… Je ne m’attarde pas, je pense que dans un futur proche si une éruption volcanique n’arrase pas la cité médiévale de Provins, j’en chroniquerais quelques-uns.

             Nous avons déjà évoqué Pompei dans notre livraison 561 du 30 / 06 / 2022 en chroniquant l’album An ear of grain in silence reaped du groupe grec Telesterion, nous interrogeant sur la signification des fresques de la Villa des Mystères de Pompéi. Le fait que la ville ait été ensevelie sous les cendres fut une véritable aubaine pour tous les amateurs de la civilisation romaine. Vision très égoïste qui relègue les trois mille victimes de la catastrophe dans la colonne des dommages collatéraux.

             Pompéi et sa voisine Herculanum furent détruites en trois jours automnaux de 79 au tout début du règne de l’empereur Titus qui succédait à son père Vespasien.  Certes au fil des siècles les pillards n’ont cessé de creuser des galeries pour récupérer quelques objets précieux, mais c’est sur la fin du dix-huitième siècle que commença à se former dans ce que l’on pourrait appeler l’imaginaire européen une vision romantique de la disparition de Pompéi. La nouvelle Arria Marcella (1852) de l’incomparable styliste que fut Théophile Gautier et le roman Les derniers jours de Pompéi (1834) de l’écrivain, passionné d’occultisme, Edward Bulwer-Lyton témoignent de cet engouement littéraire qui perdure encore de nos jours. Peinture, cinéma et musique se sont à leur tour emparés de Pompéi, pour revenir au rock nous ne citerons que le Live in Pompei (1971) de Pink Floyd…  L’album de Dark Quarterer s’inscrit dans une tout autre démarche, celle de nous plonger in vivo dans l’ardente fournaise…

    Gianni Nepi : chant, basse / Paolo Ninci : batterie / Francisco Sozzi : guitare /

    Francesco Longhi : claviers.

    z23149pompéi.jpg

    Vesuvio : d’entrée un coup de génie, Dark Quarterer donne la parole au principal protagoniste de la catastrophe, le Vésuve, un remarquable remake de when I awoke this morning, à part que ce n’est pas un pauvre diable qui parle mais un colosse élémental, une puissance dévastatrice, qui s’apprête à se libérer de son long endormissement en expectorant sous forme de lave brûlante, de nuées ardentes, de gaz délétères, l’excessive accumulation de sa force déchaînée. Avertissement sans frais à la fragile humanité. Une intro magnifique, Dark Quarterer, l’on est quelque part entre le rock’n’roll et la musique concrète, un bruit qui sourd telle une source maudite qui surgirait d’on ne sait où, qui grandit qui explose lorsque la voix de Gianni Nepi se fond avec cette espèce de grondement indescriptible d’un tonnerre souterrain qui maintenant se répand et envahit l’espace extérieur, c’est la colère d’un Dieu tellurien qui explose, le volcan parle, l’on entend dans sa voix la terreur des êtres humains soumis à cette intumescence sonore envahissante. Un capharnaüm sonore dont aucun groupe metal se soit à ma connaissance rendu capable, l’on est trimballé, balayé par des blocs cyclopéens, soumis à un effroyable maelström terrestre qui ne ramène rien à lui mais qui vous repousse, semble vouloir vous exiler hors des limites du cosmos. Prodigieux. Welcome to the day of death : il est des choses plus terribles qu’une éruption volcanique, ne pensez pas à une météorite géante qui viendrait percuter notre planète et procéder à notre l’extinction définitive des fragiles dinosaures humains que nous sommes, ce serait l’horreur absolue certes, mais encore rien comparé au tourbillon de la pensée humaine ployant sous la pensée de son propre destin, par ce morceau nous changeons de cercle, nous passons de la concrétude d’un cataclysme à ses abstraites répercussions idéennes par lesquelles nous l’appréhendons, certes nous sommes directement concernés, mais ne nous méprenons pas, ce n’est pas nous qui dominons le monde, c’est lui qui se manifeste à nous. Il se joue de nous, nous sommes descendus d’un cran, sur un cercle inférieur. Cataracte sonore. Ne croyez pas que ce soit grave. Exceptons vos oreilles passées dans un hachoir géant. Non c’est sardonique. Comme ces bandits sardes qui vous regardaient en souriant d’une façon un peu perverse en supputant le plaisir ou le désagrément des cris de porc égorgé que vous pousseriez s’il leur prenait envie de vous occire proprement. Voire salement. Dark Quarterer est gentil, vous laisse exactement huit minutes trente-six secondes pour vous confronter à vous-même.  C’est le Vésuve, cette brute volcanique, qui pose les questions essentielles, il y est pour quelque chose, cinquante pour cent, il l’admet, vous aussi, vous êtes obligés, ce n’est pas lui qui vous a demandé de passer une journée ou toute une vie près de lui, ne vous en prenez qu’à vous-même, le son imite ces bobines de film qui s’enroulent trop précipitamment et si vous ne prenez pas la bonne décision, la pellicule se rompra, c’est ce qui arrive, le gloubi-bulga sonore s’arrête, un couperet de guillotine. Vous sortez de cette écoute concassante, peu fier de vous, la conclusion est simple : ce n’est pas vous qui décidez. L’immortalité n’est pas une option. Panic : vous êtes allé jusqu’au bout de l’horreur de vous-même en vous-même, dans le monde infrangible de la pensée, vous étiez en un espace somme toute protégé, Dark Quarterer vous dévoile l’autre face de l’animal humain, espèce raisonnable et raisonnante, le voici plongé dans la vie, le récit in vivo, vous lance dans la situation, avec tous vos congénères. Le texte parfaitement documenté s’appuie sur les découvertes in situ analysées et reconstitués par les vulcanologues et les archéologues. Cris et hurlements, un immense bulldozer sonore vous court après, à toute vitesse, personne n’y échappera, remue-ménage infernal, un caterpillar monstrueux pousse vivants et cadavres dans les portes de l’enfer, nul n’y échappera, ni les riches, ni les pauvres, ni les avares, ni les malotrus, ni les vieux, ni les enfants, ni les femmes, nul ne sera épargné, le chant de Gianni Pepi se transforme en plaintes d’horreur infinie, il se tait les pierres tombent et s’entassent partout, quelques survivants ont encore la force de clamer leurs douleurs, pas d’échappatoire possible, l’horreur culmine dans un silence lourd et apaisé, un piano vous joue un adagio pour votre repos éternel. Le combat pour la vie a cessé faute de combattants.

    z23099dosducdpline.jpg

    Plinius the elder : jamais un 33 tours face A / face B n’a été aussi bien partagé. Les trois premiers morceaux vous ont peint la catastrophe du début au final, du réveil à la fin de la destruction totale de la ville et de ses habitants. Les trois derniers titres se penchent sur les destins individuels de trois personnes. Le nom de la première a traversé l’Histoire, Pline l’Ancien, écrivain renommé, mais il occupa de hautes fonctions militaires notamment en Gaule et en Germanie, au moment des faits il est le préfet (commandant) de la flotte de Misène située près de Naples, averti par des messages optiques, l’important panache de ‘’ fumée’’ et un message de secours de Rectina, une amie chère, qui habite près de la catastrophe, il se précipite avec un navire. Ne pouvant aller plus loin il se réfugie chez un ami aux abords d’Herculanum. Il mourra asphyxié par les nuées ardentes. Tous ses détails sont rapportés par son fils (adoptif) Pline le jeune. (Ne le cherchez pas sur la couve, il a été coupé, la faute au format trop large). Intro fracassante. Pline doit prendre des décisions. Tempo haletant, Dark Quarterer romantise à outrance la relation de Pline et Rectina, notre commandant vole à son secours, tumulte dans une conscience, risquer sa vie, lui le Chef de la flotte, ses proches le retiennent en vain. Arrêt brutal, Chopin l’amant de George Sand est au piano, les sentiments qui unissent les deux amants sont ainsi révélés, ce court espace de tendresse est vite dévoré par la pression instrumentale de l’orchestre et des évènements, Pline court à sa perte, musique martiale, mais se bat-on contre le destin, un dialogue d’âme à âme se crée entre les deux amants portés par la voix suraigüe de Gianni Nepi. Arrêt brutal. Roméo mort ne rejoindra pas sa Juliette. Pour la petite histoire Retina survivra à la catastrophe. Gladiator : n’y avait pas que des empereurs, des sénateurs, de célèbres généraux et de riches familles chez les romains. La foule des anonymes était nombreuse. Après Pline, Dark Quarter se penche sur une profession pour le moins ingrate, sur laquelle notre modernité a beaucoup phantasmé. A preuve Gladiator le film de Riddley Scott. Cliquetis d’épées et de tridents, brouhaha de foule déchaînée, pare les coups, en porte quelques autres, n’en pense pas moins dans sa tête, ça tourne et ça vacarme encore plus que dans l’arène, l’a la rage, non pas contre ses adversaires, contre lui-même, contre sa vie sans but, contre cette existence solitaire qui le mord tel un chien enragé envers lui, qui s’accroche, dont il ne peut se défaire, coups dans les combats, bleus dans son âme meurtrie. Malgré la tonitruance de son monde il rêve d’une vie simple et tranquille avec femmes et enfants, le bruit devient encore plus fort, plus violent, à croire qu’il ne vient pas de lui, il est en plein combat, des clameurs s’élèvent, l’on souhaite sa mort, il n’est plus là, son âme est un oiseau blanc qui monte au-dessus de la mêlée. L’œuf du monde ne délivre son prisonnier qu’une fois que de lui-même il ne se soit entrouvert et cassé. Forever : cette fois ils sont deux, le couple primordial et anonyme, cent millions de fois répliqués, ce que Pline et Retina n’ont pas réussi, le réussiront-ils ? : un monde de douceur, pianos et cordes vibrantes, la voix de Gianni Pepi se fait féminine, ils sont réunis, l’un contre l’autre, ils ne sont pas inconscients, ils ne sont pas dupes de la situation, ils en ont la prescience, la musique devient tonnerre, parfois elle s’alanguit pour aussitôt se métamorphoser en un torrent tsunamique auquel personne n’échappera, ils ont beau semblant de faire comme s’ils étaient sur un île magique hors du temps, ils savent qu’ils n’échapperont pas à leur sort, ce n’est pas qu’ils se  mentent, des chœurs s’élèvent, comme de géants pétales de fleurs protectrices qui se referment sur eux, et se taisent, quelques notes de piano cristallines et puis plus rien, malgré leurs cadavres ont-ils réussi à gagner l’Olympe des Dieux éthériens, Silence. Ont-ils vaincu ? Ont-ils été vaincus ?

    z23155logo.jpg

             Je n’ai cité que Gianni Nepi, mais sachez que tous, du début à la fin, n’ont cessé de produire ce bruit sourd et tumultueux de plaques tectoniques qui sous la fragile écorce terrestre de l’orange bleue sur laquelle nous vivons s’entrechoquent et qui un jour finiront par nous détruire. Prodigieux.

             Du coup je m’attaque à Ithaque :

    *

    ITHAQUE 

    Lorsque tu te mettras en route pour Ithaque

    Forme le vœu que se prolonge le voyage

    Fertile en aventure et riches en découvertes.

    Ne redoute ni les Lestrygons où les Cyclopes

    Et ni Poseidon le farouche.

                                                             Jamais

    Tu ne verras rien de pareil sur ton chemin

    Et tes pensées demeureront nobles, si ton corps

    Et ton esprit sont abimés de purs émois.

    Les Lestrygons et les Cyclopes, l’irascible

    Poseidon, tu ne les rencontreras point,

    Si dans ton cœur tu ne les as portés

    Et si ton cœur ne les suscite devant toi.

    Souhaite que la course soit lointaine

    Et que nombreux soient les matins d’été

    Où tu verras – avec joie et délices ! –

    Des ports de mer connus pour la première fois.

    Fais escale dans les comptoirs phéniciens

    Pour t’y fournir de marchandises précieuses :

    La nacre, le corail, l’ambre, l’ébène,

    Les arômes voluptueux de toute sorte,

    Le plus possible d’arômes voluptueux.

    Parcours maintes cités égyptiennes,

    Et va t’instruire, va t’instruire chez les sages.

    Garde toujours Ithaque en ta pensée :

    C’est là qu’est ton ultime rendez-vous.

    Mais surtout ne te hâte point dans ton voyage.

    Mieux vaut qu’il se prolonge des années

    Et que tu rentres en ton île en ton vieil âge

    Riche de ce que tu gagnes en chemin

    Sans espérer qu’Ithaque t’offre des richesses.

    Ithaque t’a fait don du beau voyage.

    Et tu ne te serais point mis en route sans elle.

    Ithaque n’a plus rien à te donner.

    Bien que pauvre jamais elle ne t’a déçu.

    Devenu plein d’expérience et de sagesse

    Tu sais enfin ce qu’une Ithaque signifie.

                                                             Constantin Cavafy

    z23151cavafy.jpg

    Constantin Cavafy (Cavafis selon une transcription plus moderne). Né en 1863 an Alexandrie, mort en 1933 en Alexandrie. Ce petit fonctionnaire sans histoire, est l’un des plus grands poëtes grecs. Lui qui n’a eu de cesse d’évoquer le présent au regard de l’historialité de la Grèce est le fondateur de la poésie moderne grecque et de sa langue poétique. Il n’a écrit qu’un seul recueil de poésie sobrement intitulé Poèmes. De son vivant il ne fit circuler que quelques rares feuillets de cette œuvre à laquelle il consacra toute son existence, elle fut seulement publiée après sa mort. Une centaine de pièces magnétiques, elles attirent et elles éblouissent, elles sont comme des diamants dont les cassures étincellent d’autant plus fort qu’elles éclairent le théâtre d’ombres de la grandeur perdue de la Grèce antique, de l’accommodation humaine à ses désirs et à ses faiblesses, du retrait des Dieux. Cette œuvre, si fascinée de sa propre beauté intérieure et par celle de la chair extérieure, n’en a pas moins une haute portée métapolitique que nos contemporains préfèrent ignorer. Il est sûr que son implication s’avère brûlante.

    Z23153PO7MES.jpg

    Pour moi, il est plus qu’un frère, une pierre angulaire, un compagnon de combat poétique.

    Ce poème de Cavafy, suivi de cette très courte présentation, n’est pas par hasard puisque Dark Qarterer revendique s’être inspiré de ce poème de Cavafy pour :

    ITHACA

    DARK QUARTERER

    (CD Metal On Metal Records / 2015)

    z23150ithaca.jpg

    The path of life : ce premier titre ne traite pas directement de la chaotique existence d’Ulysse à laquelle il n’est fait allusion à la fin du texte que par une métaphore marine. Profitons-en pour vanter la qualité des lyrics, le Sombre Equarisseur sait écrire, très peu d’approximation dans leurs couplets. Ce sentier de vie évoque la vie de chacun de nous, il est construit comme une œuvre à part entière, un véritable poème symphonique qui se suffit à lui-seul. L’on sent que par cette œuvre que le groupe atteint à une maturité dont peu de formations de black metal mélodique à vocation épique peuvent se vanter. Ici pas d’emballements de grosses caisses ni de cisaillements électriques, le morceau se présente comme un de ces tableaux qui s’imposent à la vue, il est nécessaire de le contempler longuement pour en détacher les détails et comprendre comment chacun s’inscrit et participe de l’affirmation de l’ensemble. Imaginez une toile monumentale qui représenterait la mer, rien que la mer, pas une île, pas un rocher, pas un navire, pas un être humain, seulement une cavalcade de vagues monstrueuses et de creux abyssaux, une image de fureur poseidonique qui court sur vous, qui vous obligerait presque à reculer tellement cette immobilité mouvante s’apprête à déferler sur vous et à vous emporter vous ne savez où. Amusez-vous à comparer avec Le poème de l’amour et de la mer d’Ernest Chausson, il évoquera une mer vue du rivage, ici vous comprenez ce que signifie cette expression grecque de mer amère, même si chacun empli d’une joyeuse impatience se hâte de porter à sa bouche ce liquide sacré au goût de crottin des chevaux de Neptune. La performance vocale de Gianni Nepi est à souligner. Night song : Pénélope endort son garçon, l’eau des rivages d’Ithaque clapote, le bébé pleure, elle déroule le destin de celui qui s’appelle Ulysse, tout en douceur, Nepi est prodigieux de tendresse maternelle, peu à peu c’est la fureur du monde qui s’invite dans cette berceuse qui se mue en une grandiose symphonie avec chœur, l’on assiste au miracle, non pas celui d’un enfant qui grandit et qui se jouera des éléments et des Dieux, mais d’un simple combo de rock dont on ne sait par quelle subtile alchimie il parvient à transformer son vil plomb en l’éclat d’un or orchestral. Mind torture : grognements cyclopéens, tu deviendras ce que tu auras tué, les Dieux te punissent d’être toi-même, la magie de Circé enveloppe Ulysse, elle le retient prisonnier par ses mirages charnels et son emprise mentale, l’orchestration se partage entre les lourdeurs des actes passés ou présents et la violence avec laquelle tu déchires les lourdes tentures  empesées qui emprisonnent ta pensée, tout se passe dans la tête, le vécu n’est qu’une projection, on le nomme réalité, mais il n’est que l’image de la caméra intérieure de tes désirs. Morceau lourd, emporté, torturé. Ne t’en prends qu’à toi-même. Tempête sous un crâne a dit Victor Hugo. Escape : fuir, là-bas fuir, une course folle, le combo à fond, Nepi qui s’arrache les cordes vocales, l’on ne s’évade que lorsque l’on est devenu soi-même évasion, s’arracher à soi-même, il faut d’abord s’extrader de soi-même pour revenir à soi, l’on est le seul qui puisse forger son destin, énergie nietzschéenne, se surpasser, se dépasser pour être soi explosion mentale, tourments infernaux, s’extraire de sa propre mort, se rendre compte que ce qui nous retient n’est que présence fantomatique sans consistance. Au déchaînement intérieur correspond  une explosion orchestrale libératoire. L’angoisse exprimée est si forte que l’on se demande si notre héros ne court pas à sa perte.

     

    z23154band.jpg

    Nostalgie : n’est pas allé bien loin, est tombé de Charybde en Scylla, de Circé en Calypso, elle n’a pas eu besoin de magie, sa beauté a suffi, Ulysse toujours seul en lui-même, il pense, il médite, il combat contre lui-même et cette autre chose bien plus forte, bien plus immense, bien plus dangereuse que lui, tornade orchestrale, voyage au bout de la nuit intérieure, au loin se profile une éclaircie, celui qui dialogue avec lui-même parle aussi avec cette puissance incommensurable que sont les Dieux. Après les errements mentaux se profilent les sanglants combats avec l’au-dehors de la caverne platonicienne. Rage od Gods : combien lourd paraît le martellement des chevaux de Poseidon, l’Ebranleur de la Terre est en colère, son ire tourne au délire, un petit côté pompier dans ces vocaux, le Dieu de la mer sera vaincu, Ulysse ne peut s’en remettre qu’à sa protectrice Athéna, n’est-il pas crédité d’un esprit subtil, le morceau prend à cet instant une dimension épique phénoménale, ce n’est plus Ulysse qui lutte contre l’élément liquide mais les Dieux qui s’affrontent, le morceau s’achève par une longue suite instrumentale échevelée qui vous emporte loin très loin aux frontières proximales de la sphère éthéréenne où l’être humain ne saurait pénétrer. (Félicitations aux musicos). Last fight : l’on entre dans le corridor de ruses et de sang par lequel débute le retour d’Ulysse en Ithaque. Atmosphère sombre et violente, Ulysse le solitaire, Ulysse le démuni, Ulysse tel qu’en lui-même la colère le change, la rage des hommes égale celle des Dieux, l’orgue torturé de Francesco Longhi exprime à merveille ce désir de mort et de vengeance. Le dernier combat n’est pas celui que l’on croit, par-delà ses ennemis c’est à soi-même que l’on s’attaque. Silence. Piano touches enfoncées très fort, guitare toucher léger. Gianni Nepi récite les quatre derniers vers de Cavafy.

             Une œuvre monumentale. Très différente de Pompéi mais d’une beauté égale. Un des plus beaux hommages qui ait été rendu à Cavafy.

    Damie Chad.

    Nota Bene : Il existe sur FB une vidéo : Dark Quarterer Rising for the silence (Pompei : live at Metropolitan) concert enregistré durant la période Covid au bénéfice des Théâtres grecs fermés pour la satisfaction financière des laboratoires pharmaceutiques. Le groupe est sur scène, mais le théâtre est vide… ce qui est un peu frustrant… Se regarde toutefois avec intérêt.

    z23098couveentière.jpg

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    a30000molosa.jpg

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll ! 

    26

    J’arrête la voiture devant l’immeuble de Gisèle, d’un coup de Rafalos je fais sauter la serrure. Je m’y attendais, aucune trace d’occupation humaine. Une rapide enquête dans les étages m’apprend que tous les appartements sont vides, suprême ironie, les portes ne sont pas fermées à clef !

    Alors que je remonte dans ma voiture (volée) un homme se précipite vers moi :

             _ Vous êtes un employé de l’entreprise de démolition ?

    La conversation s’avère intéressante. Le bâtiment est inoccupé depuis trois ans. La police vire systématiquement tous les squatteurs, elle a raison : les gens qui s’approprient des biens qui ne leur appartiennent pas me révulsent. Je promets que les bulldozers ne vont pas tarder à arriver.

    27

    Le Chef fume paisiblement un Coronado, il m’accueille avec un sourire :

             _ Agent Chad je présume à votre air dépité que la belle donzelle Gisèle a pris ses ailes à ses aisselles, méfiez-vous des femmes cher Damie, ce sont de sacrées simulatrices, gare aux garces ! Essayons toutefois de résumer la situation. Plus j’y pense, moins il m’apparaît que le service en son entier soit visé. Vous allez au restaurant, le lendemain vous êtes accusé d’avoir assassiné le personnel, vous dormez chez vous paisiblement, vos chiens sont kidnappés, on vous les rend, preuve qu’on ne leur en veut pas, vous liquidez froidement Jean Thorieux et vous tombez dans les bras merveilleusement galbés mais perfides que sa ‘’sœur’’ Gisèle vous a ouverts. Piège fort agréable j’en conviens, méfiez-vous Damie cette façon d’agir est très pernicieuse. Ces gens-là ne veulent pas vous tuer directement, il est évident qu’ils visent à une déstabilisation psychologique de votre personne.  

    Le Chef s’arrête quelques instants pour allumer un nouvel Coronado :

             _ Oui c’est votre personne qui est visée. Pourquoi, nous n’en savons rien, mais vous devez bien le savoir au fond de vous, prenez le temps de réfléchir, toutefois n’oubliez pas que nous n’avons pas de temps à perdre, cette affaire ne me plaît guère, dessous se cache quelque chose d’une nature que je n’arrive pas à discerner, prenez cette après-midi pour méditer sur tout cela. Je vous attends demain matin à la première heure.

    J’avoue que les déductions du Chef m’ont plongé dans la stupeur. Sur le moment je n’ai rien à répondre à une telle analyse.  Je suis sonné. Je me lève en titubant, j’enfile mon perfecto, ce simple geste me ragaillardit, je siffle mes chiens, ils se rangent à mes côtés en aboyant de joie.

             _ Chef, je pars en balade pour réfléchir !

             _ Très bonne initiative, agent Chad, j’espère que vous emmenez votre Rafalos, j’ai bien peur que ce ne soit pas une promenade de santé. Vous êtes dans la ligne de mire !

    28

    Sur la ligne de mire ! Je dois me méfier. Le Chef n’a pas l’habitude de parler pour ne rien dire. Surtout quand il fume un Coronado. Les chiens ont compris, à peine suis-je dans la rue qu’ils disparaissent. Molossito est parti en trottinant devant moi. Au fur et à mesure que je marche Molossa s’est laissé couler derrière moi. Une vieille tactique militaire, protéger ses avants et surveiller ses arrières. Pour le moment je ne sais pas trop où aller, je me fie à mon intuition et au hasard. Et à Molossito qui folâtre à une cinquantaine devant moi. Pourquoi ne pas le suivre, lui au moins il connaît nos ennemis. Je m’aperçois qu’il se dirige vers le centre de Paris.

    Maintenant je m’adresse aux lecteurs qui s’imaginent que je suis totalement perdu. Vous ne connaissez pas les rockers, si vous croyez que ce sont des êtres démunis, déboussolés, au cerveau aussi creux que le gouffre de Padirac, vous oubliez que Rocker rime avec Joker. Toujours un as de pique pointu et acéré comme ces lances des spadassins qui arrêtaient les charges de cavalerie. Bien sûr j’en ai un dans ma manche. Un rocker ne s’en remet pas aux aléas des rencontres. Il va droit vers celui qui lui fournira l’indice dont il a besoin. Molossito a compris, les chiens sont des animaux pourvus d’une intelligence supérieure à la plupart de nos contemporains, il sait très bien qu’il vaut mieux s’en remettre à Dieu qu’à ses saints, au bout d’une heure de marche je comprends qu’il me mène tout droit vers lui.

    Cette fois-ci je m’adresse à mes lectrices qui croient avec émerveillement que Dieu s’apprête à descendre du ciel pour me donner en personne une audience privée, je ne voudrais pas abuser de leur naïve crédulité, certes je suis un super héros, non Dieu n’apparaîtra dans cet épisode de leur série préférée. Toutefois avec cette espèce de zèbre, sait-on jamais !

    De loin je reconnais sa silhouette, pas celle de Dieu celle de l’Eglise Notre-Dame. A peine ai-je posé un pied sur le chantier que trois gendarmes s’interposent. Devant ma carte d’agent secret ils me saluent, tiquent un peu quand mes chiens m’emboîtent le pas :

    _ Laissez, ils sont avec moi conduisez-moi à l’architecte en chef, faîtes vite je suis pressé.

    Les gendarmes m’ont emmené jusqu’ à l’algéco du bureau idoine, m’ont resalué avec déférence et ont tourné les talons.  Monsieur l’Architecte en Chef, n’a pas l’air d’apprécier ma venue. S’il croit m’intimider avec son air excédé et son ton rogue, moi les chefs qui ne sont pas en train de fumer un Coronado, s’il savait ce que j’en pense. Je lui plante ma carte sous les yeux, il blêmit, manifestement mal à l’aise.

             _ Sachez Monsieur l’Architecte en Chef, que hier soir je me promenais à Aulnay-sous-Bois. Je me dois de préciser pour la vérité historique que je n’avais pas emmené mes chiens avec moi.

    Le gars me jette un regard meurtrier.

    _ De braves bêtes, attentives et attachantes, vous pouvez les caresser et même prendre un selfie avec eux, si vous avez des enfants ils adoreront.

    _ Monsieur, je suis très occupé, si vous en veniez au but, s’il vous plaît je ne voudrais pas vous faire perdre votre temps.

    _ Donc je me promenais sans mes adorables toutous, lorsque j’ai rencontré un employé de la mairie qui m’a pris pour un responsable de l’entreprise Les Briseurs de Murailles, c’est lui qui m’a donné le nom, une grosse boîte a-t-il ajouté fièrement, il a même précisé qu’elle participait à la rénovation de Notre-Dame. Je me demandais si vous auriez quelques renseignements relatifs à cette entreprise.

    _ Ah, ce n’est que ça, excusez-moi je croyais que vous étiez un représentant, des Beaux-Arts, ne sont jamais contents. Vous peignez un mur en bleu-gris, il est trop gris, vous le refaites il est trop bleu ! Mais je m’égare, revenons à nos moutons, vous savez plus de trois cents entreprises sont passées sur le chantier, parfois uniquement deux ou trois artisans spécialisés dans des travaux ultra-pointus. Les Briseurs de Murailles, oui ils ont aidé à enlever les échafaudages, ah, oui aussi, trois aussi sont venus pour rafistoler le cadre de La Vierge Marie, que voulez-vous savoir au juste ?

    _ Je n’ai pas trouvé ni le site de leur entreprise, ni leur numéro de téléphone sur le net, si vous pouviez…

    _ Oui, c’est normal, Les Briseurs de Murailles c’est un slogan publicitaire qui leur colle à la peau, il faut chercher à Entreprise Thorieux. Attendez, toutes les boîtes me filent un lot de cartes, au cas où, je les ai dans ce tiroir.

    Le gars ouvre le tiroir de son bureau, j’aperçois un fouillis de bristols de toutes les couleurs, le gars touille durant deux minutes, son visage s’illumine !

             _ Le voilà !

    Et hop, il braque sur moi un revolver. Dans mon dos la porte s’ouvre, ce sont les trois gendarmes’ ils ont beaucoup moins amènes que tout à l’heure.

    • Qu’est-ce qu’on fait Chef ?
    • Un qui garde la porte, deux qui tuent les deux chiens, je me charge de ce fouille-merde !

    J’ai envie de lui demander de me présenter des excuses pour cette qualification infâmante. Je n’en ai pas le temps. Quatre coups de feu retentissent. Je dois être mort. Une voix connue me tire de ma sidération.

             _ Agent Chad, remettez-vous ! A votre air faraud que vous avez tenté de cacher ce matin quand vous êtes rentré au bureau, j’ai compris, vous pouvez faire des cachotteries à vos lecteurs et les promener à travers tout Paris, mais pas à moi. Je vous connais trop. J’ai tenté de vous mettre en garde, vous n’avez rien compris. Je me doutais que vous vous précipitiez dans un piège. Je vous ai suivi. Molossa a été soulagée de m’apercevoir de loin derrière elle. Bon, nous voici avec quatre cadavres sur le dos, dont trois déguisés en gendarmes et un en architecte, entassons-les derrière le bureau. Vite, après cet intermède sanglant jouissif je prendrai le temps d’allumer un Coronado et nous filerons.

    A suivre…