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  • CHRONIQUES DE POURPRE 581 : KR'TNT 581 : CLIFF BENNETT / HAWKWIND / Dr JOHN / SUEDE / MAXAYN / THE MEMPHIS BLUES CREAM / BARABBAS / CÖRRUPT / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

    LIVRAISON 581

    cliff bennett, hawkwind, dr john, suede, maxayn, the memphis blues cream, barabbas, cörrupt, rockambolesques,

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    29 / 12 / 2022

      CLIFF BENNETT / HAWKWIND

    Dr JOHN / SUEDE / MAXAYN

    THE MEMPHIS BLUES CREAM / BARABBAS

     CÖRRUPT / ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 581

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

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    C’est une ancienne chronique parue le 18 / 09 / 2015 dans notre livraison 247, écrite par Pat Grand, une amie chère de toujours,

    aujourd’hui ses cendres ont été dispersées au vent…

    …semences des mondes qui viennent…

    NOTULES DE TOULOUSE

    LA DERNIERE CHANCE – 11 / 09 / 15 

    THE GRAVE DIGGERS / THE WILD ZOMBIE

    LES ENNUIS COMMENCENT

     

             L'ami Chad nous l'avait conseillé : ne ratez sous aucun prétexte Les Ennuis Commencent. Les voici annoncés à La Dernière Chance. Nous voilà donc partis, Eric et moi, non pas en teuf-teuf, mais en tram et en métro, très vite. Peur de ne pas avoir de place mais en fait nous nous sommes retrouvés une poignée de pèlerins devant le cabaret de La Dernière Chance. Nous sommes pressés de saisir la nôtre, mais nous attendons car la billetterie ne trouve pas la caisse.  Z’avaient fait la fête jusqu’à sept heures du mat la veille et effectuaient un sommaire nettoyage du lieu. Z'auraient dû se reposer, on n'aurait pas vu la différence, tout juste si  le tenancier  commençait à éponger le comptoir. Et nous voici en train de descendre un escalier, dans le noir profond - les mines de charbon ne sont plus à Decazeville - pour aboutir dans une petite salle avec une scène éclairée de trois mètres sur deux (difficile de se mouvoir pour les musicos ! ). Transportés dans un lieu comme il en existait il y a quarante ans, en une dimension non écologique où les gens fumaient sans que cela inquiétât qui que ce fût ! Heureusement nous n'étions que dix au départ pour finir une trentaine en fin de soirée. Z’avons vite compris en arrivant qu’il fallait bien choisir sa place car les semelles collaient tellement au sol - n'avait pas vu la couleur de l’eau depuis belle lurette – qu’une fois kitchés on ne pouvait plus bouger.

     THE GRAVE DIGGERS

             Dès le premier morceau de The Grave Diggers, de Toulouse, on comprend vite qu’on en ressortira tous sourds. Mais comme tu ne peux plus bouger car tes pieds sont collés... Groupe sympathique, bons techniciens, corrects mais bon, un peu «flou»,  nous jouent les génériques de Pulp Fiction» comme de  L'inspecteur Gagdet»….

    THE WILD ZOMBIES

             Puis arrivent The Wild Zombies, quatre gars de la ville rose, deux guitaristes, basse et batteur,  des colliers de dents autour du cou. Après une mise en scène : statuette Baron Samedi  et encens, ils jouent de la bonne musique, le chanteur a une belle voix  intéressante. Bons musicos. Nous ne sommes plus que six à les écouter, dommage car  la musique est nettement supérieure à celle du groupe précédent.

    LES ENNUIS COMMENCENT

             Gus Tattoo, le contrebassiste s’installe (je kiffe, comme dirait l'amie Béa, sur la contrebasse. J’en veux une comme ça, trop belle!). Puis arrive Atomic Ben, directly from Decazeville – un autre fils du Sud - je me précipite pour le prendre en photo et ne voilà-t-il pas qu’il pose en me disant : « d’habitude c’est le contrebassiste que l’on prend en photo! ». Suis contente, toute troublée... comme la photo! Ils paraissent tellement timides que l’on ne voit pas arriver le reste des musiciens, deux petits jeunes tout fins, Arno le guitariste et Hugo le batteur.

             Et puis, c’est le nirvana, bon n’exagérons pas mais quelle explosion!  Nous serons finalement une trentaine à jubiler pendant une petite heure seulement, car il a fallu laisser la place à un DJ, n'aurions-nous donc vécu que pour cette infamie ? Dommage, les Ennuis étaient bien partis pour jouer une heure de plus. On ne les tenait plus, et nous non plus. Enfin une super ambiance, de la bonne musique, de l’humour, des musiciens qui vous offrent, tout simplement, leur talent et leur amour en partage. Bref, la classe !!!

    Ils sortent leur dernier album le 28 novembre !

    LA VIE APRES LE CHARBON

    Et c’est complètement sourds que nous nous sommes extirpés de ce sol gluant mais sans regret d’être venus.

    Pat'

    Avec Bennett, c’est net

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             Il existe deux façons d’entrer dans l’univers de Cliff Bennett : soit par les compiles Mod,  soit par Toe Fat, le groupe qu’il a monté en 1970, après la fin des Rebel Rousers.

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             C’est grâce aux compiles Mod qu’on est retourné fureter du côté de Cliff Bennett & The Rebel Rousers, de Geno Washington & The Ram Jam Band ou encore de Jimmy James & The Vagabonds. Toutes ces vaillantes équipes shakaient cette London Soul si précieuse aux handy Mods de London town et du Nord de l’Angleterre. En matière de Soul blanche, les trois albums de Cliff Bennett & The Rebel Rousers, sont des must-have, à commencer par le premier, l’album sans titre paru en 1965, on y voit le Bennett faire son white nigger sur «Talking About My Baby», une cover de Curtis Mayfield. Il tape aussi l’«It’s Alright» de Curtis, c’est dire la classe du Cliff, taper dans Curtis n’est pas si commun. Il tape aussi dans Don Covay avec «Mercy Mercy» - Have mercy baby/ have mercy on me - Une vraie dégelée de coverture, c’est plein de spirit et même terrific ! Et puis tu as l’«I Can’t Stand It» d’ouverture de balda, ces mecs ont le feu au cul, ils jouent fast and wild, ils démultiplient les exploits, les questions/réponses d’I can’t stand it, ça échange dans le groupe, et ils filent ventre à terre, comme de prodigieux Soul scorchers des plaines, ils chauffent la marmite au no no no et ça repart toujours à la folie. Ils tapent aussi dans Smokey avec «You’ve Got A Hold On Me», les Anglais s’aventurent en plein territoire Motown, ils ont du courage et il faut les saluer pour ça, car s’aventurer en territoire Motown pourrait leur briser les reins, crack ! Mais avec Cliff, ça passe. Ils tapent aussi dans Jimmy Reed avec «Ain’t That Lovin’ You Baby», ils transforment le heavy rumble de Jimmy Reed en London bus, c’est un double decker de bonne humeur à la mormoille. Le «One Way Love» qui ouvre le bal de la B te réveillera si tu somnoles, en plus tu l’as déjà rencontré dans des écoutes de pas d’heure et tu dis que ce Cliff est vraiment bon. Encore une cover de choix avec le «Steal Your Heart Away» de Bobby Parker, Merveilleusement restitué.

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             Le Cliff fait encore quelques ravages sur Drivin’ You Wild, un beau mono paru en 1965. Il sauve les meubles de l’A avec un fantastique «Sweet Sorrow» signé Mann & Weil, gros shoot de Brill qu’il chante comme un crack. Mais c’est en B qu’il planque sa viande, il rivalise de scorching avec Tom Jones dans «Who’s Cheatin’ Who», puis il tape dans le dur avec «I’ll Be Doggone», gros shoot de r’n’b. Le Cliff est l’un des chanteurs qui allument le plus en Angleterre. Il refait son white nigger avec «Strange Feeling» et retape dans le Brill de Mann & Weil avec «I’ll Take You Home». Globalement, on est assez content du voyage.

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             C’est en 1967 que le Cliff enregistre l’excellent Got To Get You Into Our Life. C’est un pur album de white nigger, rien qu’avec la version de «Barefootin’» qui ouvre le bal de la B, il rend un sacré hommage à Bobby Parker. Il y met tout son soin, woow comme ce mec Bennett peut être net ! Toujours en B, il rend hommage au Stax sound avec «You Don’t Know What I Know», il en met plein la vue à Gawd, c’est fameux, le Cliff fait son Sam & Dave. S’ensuit une cover de «CC Rider Blues» amenée à l’orgue comme celle d’Eric Burdon et avec du raunch à la pelle. Le coup de génie se l’album sur trouve aussi sur cette B détonnante : «Stop Her On Sight (SOS)», fantastique énergie du beat, avec des cuivres en embuscade, c’est un fantastique shuffle à l’Anglaise. Et l’A dans tout ça ? Oh, elle n’est pas en reste avec sa version de «Roadrunner». Le Cliff en fait une version à la Jr Walker, il emmène Bo rôtir en enfer. Version faramineuse du «Got To Get You Into My Life» des Beatles. Et encore une belle énormité avec «It’s A Wonder», heavy pop Soul de Cliff, power & glory all over. C’est clair et net. Ce mec est effarant de grandeur totémique. Il frise le Wilson Pickett en permanence.

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             Paru en 1986, Got To Get You Into My Life est un Best Of qui permet de récupérer les singles, notamment le morceau titre. Leur version de «Got To Get You Into My Life» est aussi bonne que celle de McCartney. La grande spécialité du Cliff et de ses Rebel Rousers, ce sont les covers, et là, tu en trouves une tonne, et c’est du sérieux, principalement les hits signés Hayes/Porter, le dream team de Stax : «Hold On I’m Comin’» et «I Take What I Want», le Cliff les bouffe tout crus. Il reprend aussi le «CC Rider Blues» avec l’attaque d’orgue en forme de virevolte d’Eric Burdon et c’est embarqué au heavy stomp de Bristish Beat. Fabuleuse cover de «Back In The USSR», le Cliff est dessus, sans l’éclat vocal de John Lennon, mais avec une ferveur qui ne trompe pas. En B, il tape le «Barefootin’» de Bobby Parker, jerky jerk de Mod craze. Ah la classe des Rousers ! Il faut les entendre dans «Hurtin’ Inside», puissant rockalama avec un solo qui vient te claquer le timpani du beignet au cœur de l’action.

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             Sur Cliff Bennet Branches Out paru en 1968, on retrouve la cover d’«I Take What I Want» évoquée plus haut, une cover pleine d’urgence de white Cliff power, il en fait l’une des covers du siècle passé, aucun doute là-dessus. Il reprend aussi le «Good Times» des Easybeats pour le transformer en heavy r’n’b. Il le chauffe à blanc. Fucking genius ! Il tape dans deux cuts pas très connus d’Isaac, «Ease Me» et «I Said I Weren’t» qu’il chauffe encore à blanc. Le Cliff est l’un des grands white niggers d’Angleterre et cet album est un big album, un de plus à l’actif du Cliff. Encore un coup de Jarnac avec la cover du «Taking Care Of Woman Is A Full Time Job» de Joe Tex, un vrai shoot de wild r’n’b. Le Cliff est bien dans le Tex. Il fait aussi une belle cover du «Lonely Weekends» de Charlie Rich, il la tape au heavy swing avec une vraie voix. Il a tout bon. Et pour l’ouverture de son balda, il a choisi «You’re Breaking Me Up», une heavy pop cuivrée dans laquelle résonnent des accents de «Got To Get You Into My Life». Wow, ça sent bon les Beatles ! 

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             On change d’époque avec Cliff Bennett’s Rebellion paru en 1971. La pochette est volontairement imprimée à l’envers, c’est-à-dire que le disk sort par la gauche. Terminé le temps des covers de r’n’b. Le Cliff passe au rock blanc. Il ne fait que deux reprises sur cet album, le «Blues Power» de Clapton et le «Sandy Mary» de Peter Green, joué bien heavy. Le Cliff attaque son balda avec «Say You Don’t Love Me», un heavy balladif à la Bennett, propre et nett et sur «Please Say You’ll Come», un guitariste nommé Robert Smith fait des siennes. On ne lui en demandait pas tant. «LA» sonne comme un slow rock d’époque joué à la basse. Le bassman qui s’appelle John Gray est un bon. Avec le chant puissant du Cliff, ça passe comme une lettre à la poste.

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             En 1976, le Cliff se retrouve dans l’un des groupes de Mick Green, Shanghai, et donc sur l’album Fallen Heroes. Bon, ce n’est pas l’album du siècle, même si Mick Green est l’un des guitaristes les plus intéressants d’Angleterre. On n’échappe pas à une petite reprise de «Shakin’ All Over», puis ils passent au heavy boogie qui ne rigole pas avec «Lets Get The Hell Off This Highway». Pour Mick Green, c’est du gâtö, il tape même une partie de bluegrass en fast picking. Ils terminent l’A avec un «Nobody’s Fool» en forme de longue variation. C’est du gros Cliff et du gros Green. On peut leur faire confiance. Le «Candy Eyes» qui ouvre le bal de la B préfigure le Toe Fat à venir : heavy beat et grosse masse volumique. Alors le Cliff pose sa voix de big man dans l’écrin rouge d’une prod parfaite. S’ils ont autant de son, c’est parce que le groupe comprend deux bons guitaristes. En plus de Mick Green, un certain Brian Alterman fait des siennes sur «Over The Wall». Puis avec «Solaris», ils font une espèce de Led Zep bien heavy, avec deux solos de guitare structurels dignes de ceux de Jimmy Page, à l’époque des grands vertiges.  

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             Pour la petite histoire : Shanghai est un groupe qui existait avant l’arrivée de Cliff Bennett. C’était un quatuor assemblé par Mick Green et le chanteur était un black nommé Chuck Bedford. Leur premier album est une petite merveille qu’on ne peut que recommander chaudement. Il est même bien meilleur que Fallen Heroes. Shanghai est sorti sur Warner en 1974, et Chuck Bedford amène de la Soul dans le rock blanc, de la même façon que Ray Owen avait amené de la Soul dans Juicy Lucy. Alors, un chanteur black et un géant comme Mick Green, ça ne peut faire que des étincelles. L’album sonne vraiment bien, «Weekend Madmess» est une véritable énormité, avec l’envolée du sweet sweet madness. Et dans «Joy Joy Joy», le Green passe l’un de ces brillants solos dont il a le secret. Ils attaquent leur B avec «Hobo», à la systémique du totémique et calment le jeu avec «Sparks Of Time», un gratté à coups d’acou, mais porté par cette solide rythmique qui n’en finit plus d’épater. C’est plein de son, en permanence, ils proposent une incroyable variété de tons et d’attaques, «If You Can’t Live (You’re Dead)» est encore une bonne surprise. Le Soul Brother est de retour sur «Magic Lady». Diable, comme ce mec est bon ! Heavy loose de goose avec «Loose As A Goose», ils sont irréprochables de bout en bout. Bravo les gars !   

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             Toe Fat est donc la deuxième entrée dans l’univers de Cliff Bennett. Dans les early seventies, bon nombre de kids furent fascinés par la pochette surréaliste du premier album sans titre de Toe Fat, et pour eux, ce fut l’occasion de découvrir Cliff Bennett, qui était relativement inconnu en France. On trouvait aussi deux futurs Uriah Heep dans Toe Fat, Lee Kerslake (beurre) et Ken  Hensley (guitar), plus l’excellent bassman John Konas, un nom qui serait difficile à porter en France, mais en Angleterre, ça passe. Toe Fat date de 1970. Ils annoncent la couleur avec «That’s My Love For You», solide Toe Fat rock avec le Bennett on the cliff. Il est bien grimpé sur sa falaise, le vieux white nigger. Le hit de l’album s’appelle «Nobody», un heavy groove à la Status Quo, le Cliff mène grand train, il chante comme un seigneur de l’An Mil, c’est énorme, gras, seyant, imparable, Fat à souhait. C’est John Konas qui vole le show dans «But I’m Wrong». Tout est bien heavy sur cet album, ils embarquent «Just Like Me» au just like me et Ken Hensley fait un carnage dans «I Can’t Believe», on le voit sortir son agressivité au coin du bois. Retour au heavy boogie à la Status Quo avec «You Tried To Take It All», ils chargent la barque de Fat à outrance, et le Cliff y rajoute tout le gras double dont il est capable.

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             La même année paraissait Two. L’album est nettement moins dense que le précédent. Cliff Bennett fait son heavy bump, mais ce n’est pas très bon. Et quand tu penses que des gens vont sortir un gros billet pour ça, tu rigoles. «Indian Summer» sonne comme du conglomérat de pré-Uriah Heep et de post Rebel Rousers. C’est assez pauvre et même proggy. On sait que le prog est un cache-misère. On perd complètement l’énergie du premier album. Il ne faut pas être clerc de notaire pour voir que ces mecs sont cuits, et Cliff en premier. C’est un white nigger, il n’a rien à faire dans le prog anglais. Ils passent au heavy blues avec «There’ll Be Changes», comme s’ils n’avaient plus rien à dire. Toe Fat a perdu sa spécificité. Ils font du gros n’importe quoi. En B, Cliff Bennett tente de sauver les meubles avec «Since You’ve Been Gone», il y va au heavy guttural, c’est-à-dire à la force du poignet, mais on ne voit que ça, l’efficacité. Il reste l’un des meilleurs shakers d’Angleterre. Il reste dans le heavy Fat avec «Three Time Loser» et là ça devient intéressant. On le retrouve au sommet du cliff de marbre avec «Midnight Sun», prêt à plonger dans le lagon d’argent, tellement il se sent mythique. Mais ce ne sont en aucun cas les compos du siècle. Toe Fat est un groupe qui peine à jouir. Ils ont un problème de carence compositale. Cliff fait son cliff de marbre, il reste très concerné, il est parfois si impliqué qu’il en devient insupportable. Il fait comme il peut.    

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             En l’an 2000, Cliff Bennett entame une carrière solo avec Loud And Clear. Autant l’avouer : c’est une véritable rafale de covers, à commencer par le vieux «Got To Get You Into My Life» que chantait si bien McCatney à l’époque et que Cliff s’est approprié au temps des Rebel Rousers. Il chante toujours aussi bien son ooohhh every single day of my life, il remonte bien le courant, c’est un vrai saumon, le vieux Cliff. Il tape aussi un fantastique «Knock On Wood», il est tout de suite dans Stax, c’est quasiment automatique chez lui, il sature sa cover de classe de Cliff, il travaille ça au heavy groove de vétéran. Encore du pur jus de Stax avec «Soul Man», you got some ! Il revient à sa vieille obsession pour les Beatles avec une brillante cover de «Back In The USSR», cover magique, il la prend à sa façon, c’est plus âpre, très cuivré, in USSR you know how lucky you are ! La cerise sur le gâtö est sa cover d’«A Woman Left Lonely». Le Cliff est l’un des mieux placés pour taper dans Dan, il grimpe très vite très haut, Cliff est une âme sensible, donc légère, il peigne le Penn sans peine. Cliff Bennett est une bonne adresse. Si tu en pinces pour le r’n’b, alors tu as «Raise Your Hand». En matière de raw r’n’b, il est imbattable, et c’est cuivré de frais. Encore du purisme avec «You Don’t Miss Your Water». Fantastique présence. Comme il adore la Soul, il la traite comme une reine. 

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             Attention au Soul Blast! paru en 2001 : il fait un peu double emploi avec Loud And Clear. On y retrouve «Kock On Wood», «Soul Man», «Get Back», le «You Don’t Miss Your Water» de William Bell et l’«A Woman Left Lonely» de Dan Penn. Le vieux Cliff sait s’aplatir dans la heavy Soul, il sait s’accroupir pour couler le bronze du siècle. Mais il nous tape aussi le «See-Saw» de Don Covay. En fait, le vieux Cliff est le cover-man idéal, quand il s’engage, il est sérieux. 

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             Comme Cliff a de l’humour, il baptise son dernier album Nearly Retired. On voit bien sur la pochette qu’il a pris un coup de vieux, mais musicalement, il n’a jamais été aussi bon. Comme Tonton Leon, il se bonifie en prenant de la bouteille. La preuve ? «That’s The Way Love Is», il continue de viser l’énormité. Le voilà barré de nouveau dans le wild r’n’b, il est même d’une certaine façon assez révolutionnaire, aux frontières de la fusion, du funk et du heavy Cliff. Pur genius ! Là, tu as tout le wild side d’un vieux loup de mer. On retrouve le power du Cliff dans «Why Me», ça joue sec et net derrière Bennett, il reste fabuleusement enjoué, c’est cuivré à outrance. Il y a chez lui quelque chose d’inexorable. Son «Somebody To Love» arrache tout au passage, les espoirs et les arbres, il est trop puissant pour être honnête. Il a du power plein la voix, comme le montre encore «Love To Burn». Il reprend son costume de white nigger pour « A Fool In Love», il enfonce tous ses clous et se jette tout entier dans la balance. Superbe artiste ! Il orchestre son blues à outrance, comme le montre «I Sing The Blues». Il ira chanter jusqu’à la fin des temps et c’est exactement ce qu’on attend de lui. Encore un cut extrêmement puissant avec «That’s The Way I Feel», sa voix claque dans les ténèbres comme les portes d’airain de la cité des morts. Il nous fait aussi le coup de la petite morve de white hot r’n’b avec «Love Sickness», le white nigger rôde dans le coin, juste derrière the twilight zone.

    Signé : Cazengler, Cliff Bénêt

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Parlophone 1965

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Drivin’ You Wild. Music For Pleasure 1965

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Got To Get You Into Our Life. Parlophone 1967

    Cliff Bennett & The Rebel Rousers. Got To Get You Into My Life. See For Miles 1986

    Cliff Bennett & His Band. Cliff Bennet Branches Out. Parlophone 1968 

    Cliff Bennett’s Rebellion. Cliff Bennett’s Rebellion. CBS 1971 

    Shanghai. Shanghai. Warner Bros. Records 1974  

    Shanghai. Fallen Heroes. Thunderbird 1976  

    Toe Fat. Toe Fat. Parlophone 1970

    Toe Fat. Two. Regal Zonophone 1970   

    Cliff Bennett. Loud And Clear. Delicious Records 2000 

    Cliff Bennett. Soul Blast! Castle Pie 2001         

    Cliff Bennett. Nearly Retired. Wieerworld Presentation 2009

     

     

    Nik est niké

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            Chacun sait que la légende du proto-punk britannique repose sur six piliers : les Pretty Things, les Pink Fairies, Third World War, l’Edgar Broughton Band, les Deviants et bien sûr Hawkwind. Nik Turner qui fut l’un des membres fondateurs d’Hawkwind vient tout juste de casser sa pipe en bois, alors nous allons lui rendre hommage avec les moyens du bord.

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             C’est Carole Clerk qui nous raconte dans le détail l’histoire extraordinaire de Nik Turner dans son chef d’œuvre biographique, The Saga Of Hawkwind, une sorte de passage obligé pour tous les amateurs éclairés de rock anglais.

             En 1964, Nik passe l’été à Margate, une charmante station balnéaire du Sud de l’Angleterre, à vendre des chapeaux, des lunettes de soleil, des seaux et des pelles pour les gosses, des cartes postales et des conneries psychédéliques aux vacanciers. C’est là qu’il rencontre Robert Calvert, un marginal qui allait jouer un rôle capital dans la saga d’Hawkwind. Nik a un van, il monte régulièrement à Londres et flashe sur la scène underground, alors en plein essor. Comme il est passionné de jazz, il apprend à jouer du sax. Et boom, il retrouve Dave Brock qu’il avait déjà croisé en Hollande. Comme Nik a un van, Dave Brock et son pote Mick Slattery lui proposent un job de roadie dans le groupe qu’ils sont en train de monter. Quand l’été revient, Nik roule son duvet, grimpe dans son van avec Robert Calvert et fonce sur Londres. Le marchand de chapeaux fait ses adieux au front de mer. Le groupe commence à répéter. Dave : «Nik avait un sax. Il ne savait pas en jouer. Il soufflait dedans et produisait une sorte de  jazz d’avant-garde. On lui disait que ça sonnait bien et qu’il pourrait très bien monter sur scène. Puis Dikmik a acheté un générateur audio et une chambre d’écho. Il s’est mis à en jouer.» Nik confirme : «Je m’entendais bien avec Dave Brock. Je dormais chez lui, à Putney. Je jouais énormément sur mon sax ténor, il prenait sa guitare et on allait jouer dans les rues, à North London Poly.» Mais il existe déjà une petite différence entre eux. Dave : «On était des freaks planants, mais très franchement, c’était moi le patron. Il doit y avoir un capitaine à bord du vaisseau, autrement, on ne fait rien.» Nik ne voit pas les choses de la même façon : «Je croyais que le groupe était un groupe communautaire. Dave n’avait pas plus de responsabilité dans ce groupe que n’en avaient les autres.» Leurs points de vue légèrement différents allaient poser par la suite de sérieux problèmes : Nik allait se faire virer deux fois du groupe.

             Au commencement, le groupe n’a pas de nom. Alors ils se présentent comme Group X. Ils s’invitent dans un concert qui a lieu dans une église désaffectée, the All Saints Hall. Ils n’ont pas de morceaux, alors ils jamment. Le public est sidéré. Mick Slattery : «Dikmik bidouillait son générateur, Nik soufflait comme un dingue dans son sax, Dave et moi on jouait en feedback, comme Jimi Hendrix et Terry massacrait ses fûts. Les stroboscopes jetaient dans ce chaos une pointe de folie furieuse !». Présent dans l’église, John Peel flashe sur Group X. Il recommande à son voisin, un mec de l’agence Clearwater, de les signer. Nik Turner : «John Peel nous voyait comme des Sex Pistols de l’époque, comme quelque chose d’entièrement nouveau. On générait du chaos, on était sauvages et indomptables.» Clearwater les signe, mais il leur faut un vrai nom. Ils optent pour Hawkwind Zoo. Le zoo, c’est la façon dont ils se voient : une ménagerie de freaks hauts en couleurs. Hawkwind est le surnom de Nik, à cause de sa surproduction de pets et de mollards. Dave : «Nik pétait (wind)... C’était horrible. Et il se raclait la gorge, pour parler (hawking)... Il n’arrêtait pas.» John Peel intervient encore une fois pour leur conseiller de virer le Zoo pour ne garder qu’Hawkwind. Et voilà comment on lance un mythe.

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             En novembre 1969, Dave Brock, Nik Turner, Mick Slattery, Terry Ollis, John Harrison et Dikmik signent là où on leur demande de signer. Mais comme Mick Slattery décide de retourner au Maroc, il est remplacé par Huw Lloyd-Langton, lead guitar. Le premier album sans titre d’Hawkwind paraît sur Liberty en 1971. C’est là-dessus que se trouve l’excellent «Hurry On Sundown», gratté à coups d’acou. C’est la première mouture d’Hawkwind. Dave Brock balance les coups d’harp. Aw quel son ! Alors après, ça se gâte terriblement. Ils font un peu n’importe quoi, ça jamme dans tous les coins. Il faut attendre «Mirror Of Illusion» pour les voir renouer avec l’excellence et Dikmik envoie ses spoutniks. Il est essentiel de rappeler que Dick Taylor produit ce premier album.

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             Arrivé à Londres comme on l’a vu avec Nik Turner, Robert Calvert grenouille dans l’underground. Il est déjà all over In Search Of Space, mais il n’y chante pas. C’est sur cet album qu’on trouve l’énorme «Master Of The Universe». Dave Brock est l’un des grands rois du riff, c’est aussi solide que le «Silver Machine» à venir, même unité de l’unicité, même embolie de l’embellie, même solidité de la solidarité. L’autre bonne affaire de l’album est le «You Shouldn’t Do That» d’ouverture de balda, joué à la violence intentionnelle. Ah on peut dire que les Anglais savent battre la campagne du space-rock ! Ils proposent ici un bel élan d’hypno avec le sax tourbillonnaire de Nik Turner. Ils créent leur monde à la force du poignet. Fantastique énergie d’équipe, avec un line-up qui a déjà commencé à changer : autour de Dave Brock, on trouve Dave Anderson (bass), Dikmik & Del Dettmar (spoutniks) et Terry Ollis (beurre).

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             L’année suivante paraît l’un des meilleurs albums d’Hawkwind, Doremi Fasol Latido. Lemmy est entré dans la bergerie et Simon King a remplacé Terry Ollis. On assiste à l’incroyable décollage de «Space Is Deep», en plein cœur du cut. On entend aussi Lemmy jouer en solo dans «Lord Of Light». Il joue littéralement dans le cours du fleuve, son drive brouteur bouffe le Lord de l’intérieur. Il n’en finit plus de remonter à la surface du fleuve avec ses drives mécaniques. Encore une merveille avec «Time We Left This World Today», un cut frappé en plein cœur par un énorme break de basse signé Lemmy.  Ça vaut tous les breaks de Tim Bogert. Lemmy est un grand fracasseur, un titan du break, qu’on se le dise. Et ça repart de plus belle avec «Urban Guerilla». Comme ces mecs sont bons ! Ils bombardent comme des avions américains, avec cette basse sous-jacente qui avance en mode walking bass dans le chaos.

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             On trouve «Silver Machine» sur le Space Ritual Alive paru en 1973. C’est Robert Calvert qui écrit les paroles de cet albatross of a summer hit. Dans l’une de ses chroniques, Luke la main froide se marre car tout le monde croit qu’il s’agit d’un texte sur un vaisseau spatial alors qu’en fait Calvert raconte ses virées en mobylette à Margate, où il a grandi. Puis Calvert est promu Space Poët et se retrouve sur Space Ritual. La main froide a raison de dire que tout a été dit sur Space Ritual, mais à toutes les gloses, il préfère le slogan publicitaire qui accompagna la parution de l’album : «Ninety Minutes of Brain Damage». Voilà pourquoi Hawkwind et Luke la main froide nous sont si précieux. Sur ce fastueux album live, on retrouve tous les hits qui font déjà la réputation d’Hawkwind, à commencer par l’effarant «Master Of The Universe», proto-punk de bon aloi, fast tempo avec un bassmatic dévorant et des spoutniks. On retrouve aussi en D l’inestimable «Time We Left This World Today» qui cette fois repose sur les chœurs. Lemmy s’empresse de démolir ce cut infiniment totémique. Les coups de sax et les harangues sonnent comme des clameurs antiques. C’est très spectaculaire. Sur «Born To Go», Lemmy prend tout de suite la main avec son bassmatic mangeur de foie. Il met tout le cut sous tension. C’est extravagant ! En B, on l’entend encore chevroter dans «Lord Of The Light», survolé par le vampire Nik Turner. Ils jamment comme des dingues. C’est un album qui s’écoute et qui se réécoute sans modération. Un seul défaut : la guitare de Dave Brock se perd dans le mix. Lemmy et Nik Turner se partagent donc le festin. Ils se tapent une belle montée en température avec «Space Is Deep». Tous ces cuts sont parfaits, taillés pour la route. Ces punks d’avant le punk savent voyager dans l’espace. Nik Turner vient hanter «Orgone Accumulator» en B et on assiste à une pure Hawk Attack avec «Brainstorm». Grande allure, riff en avant toutes, heavy proto-push plein de poux et de spoutniks. Un riff que vont d’ailleurs pomper goulûment les Damned pour «Neat Neat Neat».  

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             Encore un big album l’année suivante avec Hall Of The Mountain Grill. Qu’est-ce qu’on a pu fantasmer à l’époque sur cet album et sur cette pochette ! Il faut bien dire qu’on était dingues d’Hawkwind comme de Third World War, d’Edgar Broughton et des Pink Fairies. Tous ces groupes relevaient du sacré et leurs albums ne décevaient guère. Sur Hall, se trouvent trois bombes, à commencer par «The Psychedelic Warlords (Disappear In Smoke)» : classic Hawk, bien riffé et superbement chanté, avec Dave Brock en tête de la meute. C’est un hit tentaculaire, assez tribal dans son essence, chanté à la clameur, avec une fantastique insistance de la persistance. Dave Brock nous plonge là dans un véritable lagon d’excelsior épistémologique. Sur la réédition d’Hall Of The Mountain Grill parue en 2014, on trouve en D la version single de ce hit fantastique. La deuxième bombe est un autre gros précurseur proto-punk : «You’d Better Believe It», un cut directement inspiré du Velvet, avec le délire de Nik Turner embarqué par le tourbillon. La troisième bombe s’appelle «Lost Johnny». Dave Brock l’embarque et le chante à la revoyure. On se régale aussi de «Paradox» et de son indéniable présence. Ces mecs savent mettre en marche l’armée d’un cut. Dans les bonus de la red, on trouve «It’s So Easy» monté sur les chœurs de «You Can’t Always Get What You Want». Quelle extraordinaire résurgence ! 

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             Leur dernier album sur United Artists s’appelle Warrior On The Edge Of Time. Belle pochette mais compos plus proggy. Nik Turner joue de la flûte, ce n’est pas bon signe. Ça turbine pourtant bien derrière, avec Lemmy et deux batteurs, Simon King et Alan Powell. On voit Lemmy se balader sur le beat d’«Opa-Loka». Dave Brock sauve l’A avec «The Demented Man», un balladif d’un très haut niveau mélodique. La viande se trouve au bout de la B avec deux cuts, «Dying Seas» et «Kings Of Speed». Tout le power d’Hawk est de retour, ça joue heavy au pays d’Hawk. Surtout sur «Kings Of Speed», et son fantastique déballage. Dave Brock sait générer des chevaux vapeur, c’est un exubérant, il doit être la réincarnation d’une locomotive du XIXe siècle. On entend même un violon dans cette volée de bois vert.

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             Astounding Sounds, Amazing Music est le dernier album d’Hawkwind où apparaît le nom de Nik Turner. Robert Calvert déclara au Melody Maker qu’avec Astounding Sounds, Amazing Music, ils visaient «le croisement d’une démarche intellectuelle avec la bande dessinée.» L’album vaut sacrément le détour, ne serait-ce que pour l’infernal «Reefer Madness» d’ouverture de balda. Comme toujours, Calvert se trouve mêlé au meilleur d’Hawk, ça part en heavy rffing. On ne se lasse pas de cette solidité, on y retrouve le beat du stomp anglais et un goût certain pour l’hypno. C’est même jazzé au sax par l’everlasting Nik Turner. Effarant ! Calvert chante «Steppenwolf» avec de faux accents à la Bryan Ferry. Son côté gothique décadent remonte à la surface. Et puis, il faut bien dire qu’il adore tout ce qui chevauche le gros beat. Avec Nik Turner, Calvert reste le meilleur maître de cérémonie qu’on ait pu voir dans Hawkwind. On retrouve de la belle hypno en B dans «The Aubergine That Ate Rangoon», visité au sax galactique de Nik Turner. Ces mecs travaillaient une vision du son intéressante. Encore du so solid stuff avec «Kerb Crawler». Dave y bat bien le nave.

             Bon, après avoir été viré comme un chien d’Hawkwind, Nik Turner ne va pas rester les mains dans les poches. Il va enregistrer des dizaines d’albums, avec notamment Inner City Limit, Nik Turner’s Fantastic Allstars, Nik Turner’s Outriders Of The Apocalypse, Nik Turner’s Sphynx, Space Mirrors, Space Ritual, The Imperial Pompadours, The Moor, et ce n’est pas fini, c’est un vrai délire, à l’image du grand Nik ta race, l’un des héros les plus attachants de la grande saga du rock anglais. Thank you for the ride, Nik Turner.

    Signé : Cazengler, Nik Tumeur

    Nik Turner. Disparu le 10 novembre 2022

    Hawkwind. Hawkwind. Liberty 1971

    Hawkwind. In Search Of Space. United Artists 1971

    Hawkwind. Doremi Fasol Latido. United Artists 1972

    Hawkwind. Space Ritual Alive. United Artists 1973

    Hawkwind. Hall Of The Mountain Grill. United Artists 1974

    Hawkwind. Warrior On The Edge Of Time. United Artists 1975

    Hawkwind. Astounding Sounds, Amazing Music. Charisma 1976

    Carol Clerk. The Saga Of Hawkwind. Omnibus Press 2006

     

     

    Wizards & True Stars

    - Oh Dr John I’m only dancing (Part Three)

     

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             Tout le monde le croyait mort et enterré. Dr John enterré ? Quelle rigolade ! Si tu vas faire un tour dans la Cité des Morts, under the Hoodoo Moon, tu le verras chanter, accompagné par the Jiving Skeletons, oui, l’orchestre des squelettes séculaires. Si tu domines ta peur et que tu approches, tu verras qu’ils portent tous des bicornes, des hauts de forme et des foulards noués autour du crâne, comme ceux des pirates, et qu’au fond de leurs orbites brille une lueur, plus loin, tu reconnaîtras Marie Lavaux, et si tu ouvres bien les yeux, tu verras aussi des milliers d’ombres, celles de ses dévôts, rassemblés là chaque nuit depuis des siècles. La vie dans la mort, la mort dans la vie. Un journaliste anglais approche son micro et Dr John croasse : «I have no plans to die during my lifetime.» Et il reprend sa litanie, «Walk on gilded splinters with the king of the Zuluuuuu.»  

             Le vieux Mac n’en finit plus de revenir aux racines du Gris-Gris, s’il le fait, c’est avec une classe affolante, tu entres chez lui à tes risques et périls, bienvenue brother, bienvenue en enfer. Il tend son art, I walked through the fire and I fly through the smoke, il devient le temps d’un mythe l’œil du typhon. On n’en connaît que deux aux États-Unis : lui et Jerry Lee Lewis. Mais Mac te titille son typhon avec une patte de lapin, com’ com’... Les deux grands sorciers du rock, Mac et Jerry Lee, avec, il faut bien l’admettre, des techniques différentes. Mais c’est exactement la même violence. Jerry Lee te précipite dans le chaos de l’enfer sur la terre - hellfire - parvenant au passage à le transformer en temple de vie, alors que Mac te précipite directement au royaume des morts, attention, la dégringolade peut être brutale - Get it burn it - tu vas rouler sur une pente, à travers un tunnel et tu ne pourras plus revenir en arrière - Things happen that way.

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             Chose curieuse, c’est le titre d’un album qualifié de «posthume» dans la presse anglaise. Pour une fois, les journalistes anglais n’ont rien compris. Pire encore : Things happen that way est qualifié d’album «country & western». De toute évidence, l’imbécile qui a écrit ça ne l’a pas écouté. Il n’y a rien de «country» chez Dr John. Comme Tonton Leon, il adore les grandes compos et chacun sait qu’Hank Williams et Willie Nelson en sont prodigues, il paraît donc naturel que Dr John tape dans le tas. Pas pour en faire de la soupe nashvillaise, mais plutôt un florilège macabre, une sorte de collier de fleurs de cimetière. Dans Uncut, Sharon O’Connell parle d’un easy-swinging record full of trans-generationel spirit, ce qui se rapproche un peu plus de la vérité. Le meilleur exemple est sans doute la reprise de l’«End Of The Line» des Traveling Wilburys. Il y duette à la lune avec Aaron Neville. Country & western ? Non, pur jus de New Orleans. L’ange Aaron te swingue grassement. La terre est grasse. Pour faire honneur au vieux Willie Nelson, Mac choisit «Funny How Time Slips Away». One two three four. Mac tape ça avec tout son feeling de white niggah de la Nouvelle Orleans, il groove le vieux Willie aux accents de gator, d’un ton chargé de gourmandise carnassière, il fait la différence avec les foies blancs, il injecte dans ce vieux classique éculé par tant d’abus une gigantesque dose de weidness mal blanchie. Mac le sorcier te plonge dans l’extrême mythologie de la Nouvelle Orleans, cette mythologie qui dans le cœur des kids du XXe siècle a remplacé celle de la Grèce antique, pourquoi, parce qu’elle leur parlait directement : Juju, Splinters, Hoodoo, Zulu, tu as le son des origines et celui de la fin de tout, et quand Mac revient au chant, I gotta now, il t’écrase ton petit champignon. Si tu ne comprends pas ça, alors tu n’as rien compris. Tout est là, dans le gras de l’interprétation, dans le fruit pourri du Mac tombé dans la mousse.  

             Mac salue le vieux Hank à deux reprises, d’abord avec «Ramblin’ Man», puis avec la vieille écultette d’«I’m So Lonesome I Could Cry», qu’on pourrait aussi qualifier de chanson parfaite. L’embêtant avec Hank, c’est qu’il n’a écrit que des chansons parfaites. Mac fait de l’art moderne avec «Ramblin’ Man», il le chante à l’éclate de glotte calleuse, en bon sorcier, il titille le jive avec sa patte de lapin, il swingue son jazz aux serpents à sonnettes, il est juste derrière le groove, dans l’ombre, tu le distingues à peine, plutôt que d’avoir peur, tu devrais l’admirer, il va même t’enlacer, python d’écailles luisantes, c’est le power de New Orleans, baby, et Mac t’invite à danser avec les morts de la Cité des Morts, c’est épais, son «Ramblin’ Man» te laboure bien la gueule. Si tu cherches de l’épais, c’est là. Bizarrement, il chante «I’m So Lonesome I Could Cry» à la voix qui va pas, mais comme on l’a déjà dit, la chanson est parfaite, alors ça passe. Il en fait une vieille chanson à boire de fin de soirée, il chante d’une voix grave, mais il faut entendre le grave au sens anglais, tombe, il te bouffe le Lonesome tout cru, sous sa casquette, et avec des mains couvertes de verrues.

             Le vieux Willie vient duetter avec lui sur «Gimme That Old Time Religion», un classique qu’a aussi repris Jerry Lee. Les deux vieux claquent leurs boîtes à camembert dans le brouillard du cimetière. Ils produisent un brouet qui se met à bouger, un phénomène organique un peu surnaturel et une petite black poppe le mot «Religion» à point nommé. Ils s’amusent à sonner comme des vieux pépères, mais ils figurent tout de même parmi les plus grandes stars des Amériques. Les filles reviennent avec parcimonie et ça donne un ensemble absolument dégoulinant de mythologie. Ça suinte de partout. Là tu as le nec du nec. Au point qu’on se sent parfois dépassé. Comme c’est souvent le cas lorsqu’on fréquente des sorciers.

             Quand il tape dans le heavy blues avec «Holy Water», le heavy blues a du mal à bouger. Trop écaillé. Trop gorgé de vieux jus. Vieille peau. Oh et puis l’odeur ! Atroce et superbe à la fois, pas loin de la définition du beau selon Baudelaire. Heavy blues si ancien, comme chanté à l’éclat du jour. Du coup, l’album «posthume» devient une sorte d’album inespéré, comme le fut d’ailleurs l’album «posthume» de Tonton Leon. Mac continue de bâtir sa légende avec «Sleeping Dogs Best Left Alone». Une façon de chanter unique au monde, des chœurs de blackettes l’épaulent. Il te swingue son Dogs à la pointe d’une glotte de junkie brother, il chante seconde après seconde, en une sorte de progression rampante qui renvoie cette fois au gros popotin du wild r’n’b de la Nouvelle Orleans. Restons donc dans la Cité des Morts avec «Give Myself A Good Talkin’ To», il chante cette fois par dessus la jambe, à cheval entre la vie et la mort, entre le groove et la gloire, entre le jour et la nuit, tout à coup, il devient évident que Mac est un vampire issu de temps très anciens. «Funny How Time Slips Away». Pourquoi est-ce si évident ? Parce qu’il sait rester ambivalent et délicieusement génial. Mais aussi parce qu’il enregistre un album «posthume». Seul un vampire peut s’offrir ce luxe désuet. Il te croake le clack du boogie biz. Il termine cette virée nocturne avec son morceau titre, un heavy balladif. Beware my friend, c’est probablement la dernière fois que tu entends chanter ce vieux sorcier/vampire/zombie, qui fut dans les années cinquante et soixante tellement fasciné par le peuple noir de la Nouvelle Orleans qu’il sombra dans l’osmose. Profite bien ce cet album «posthume», car il ne reste plus beaucoup de vampires sur cette terre. 

    Signé : Cazengler, Dr jauni

    Dr John. Things Happen That Way. Rounder Records 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Blue Suede chou(chou) (Part One)

     

             Pour l’avenir du rock, chaque (bon) groupe a son charme particulier. Chaque pays aussi. Oh, il ne les connaît pas tous, alors il ne va pas commencer à frimer, mais il aime bien rêvasser au souvenir de ceux qu’il connaît assez pour y avoir longuement séjourné. En matière de voyages, comme d’ailleurs en matière de musique, la nostalgie ravive l’éclat des souvenirs au point de les sublimer, ce qui peut générer une certaine distorsion, raison pour laquelle il est parfois bon d’aller soit revoir, soit réécouter, histoire d’ajuster les souvenirs à la réalité. Qu’il s’agisse des rues de Chelsea où il faisait bon déambuler, des rives de l’Amazone où il faisait bon bivouaquer à la tombée du jour, ou des jardins d’Allah qu’il faisait bon traverser pour rejoindre à dos de chameau les premières dunes du désert, le simple fait de retourner sur place remplissait le cœur d’aise, car rien de ce qui fit en première instance le charme de ces endroits n’avait subi la moindre altération, et s’il y avait distorsion, la cause en était toute autre : ces redécouvertes démultipliaient jusqu’au délire le capharnaüm émotionnel que chacun de nous héberge à bon compte. La plus belle chanson consacrée à la nostalgie est sans doute «Le Retour à Paris», lorsque le Fou Chantant fait valser dans ses bras son «Prendre un taxi/ Qui va le long d’la Seine», tu le sens le taxi, tu les vois les quais et les dômes des bâtisses, «et me r’voici/ Au fond du bois d’Vincennes», et plus loin, la chanson s’évanouit dans ses bras lorsqu’il roucoule «Bonjour... la vie/ Bonjour mon vieux soleil/ Bonjour ma mie/ Bonjour l’automne vermeil», un automne vermeil sans doute emprunté à la Chanson d’Automne de Paul Verlaine. Le jeu de la joie consisterait à transposer cette magie en d’autres lieux, «prendre un taxi/ Qui va le long d’la Thames», et remonter Park Lane jusqu’à Hyde Park, juste pour s’offrir le luxe de pouvoir chanter «et me r’voici/ Au fond du bois d’Hyde Park». Ah les possibilités sont infinies, s’il avait un peu de place, l’avenir du rock évoquerait aussi la Scandinavie dont l’art de vivre reste à ses yeux un modèle. Entrez dans une maison en Suède et le piège se refermera : vous souhaiterez y vivre le restant de vos jours.    

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             Même chose avec l’autre Suede, the London Suede. En 1992, tu entrais dans «The Drowners» et crac, t’étais baisé. Ils sont tous les deux Brett Anderson et Bernard Butler à Leyton quand ils travaillent sur la démo de ce qui va devenir l’un des joyaux de la couronne d’Angleterre, «The Drowners» : «Ça partait sur un gros beat tribal de boîte à rythme suivi de violentes vagues de guitare quasi-glam. On s’est regardés et on a su à ce moment-là qu’il se passait quelque chose. Je suis vite rentré chez moi avec la cassette et j’ai passé la nuit à écrire les paroles. Au matin on avait ‘The Drowners’, la chanson qui d’une certaine façon allait changer nos vies.» Brett Anderson raconte ça dans le premier volet de son autobio, Coal Black Morning, un petit book paru en 2018. Eh oui, tout est là, dans «The Drowners», l’absolute beginner par excellence. Le winner of it all. Le déluge du Niagara. Nanard does it well. Fabuleuses dégelées de dégringolade glam - You’re taking me ahh-ver - Ils savaient très bien à cet instant précis qu’ils détrônaient tous les autres - So slow down - Il fallait à l’époque se jeter sur cet instant de pure vérité - You’re taking me ahh-ver ! - De l’autre côté du single, on trouvait «To The Birds» que Nanard travaillait aussi au corps, et on sentait le maître chez Brett, il hantait sa song, il relevait tous les niveaux et il faisait passer l’idée d’un monde à lui, alors tout devenait extrêmement sacré. De tels singles nous tétanisaient à l’époque, cette pop sécrétait sa propre verve et semblait même vouloir dominer le monde. On ne pouvait que constater l’immense présence de Brett Anderson. Avec «My Insatiable One», ils revenaient au glam de king is come. Nanard encartait le glam dans son son, on s’en couvrait le visage, on s’en aspergeait le corps, aw king is come, ça sonnait tellement glam, dans la veine de Ziggy, soleil d’Angleterre, même génie, même volonté de plaire. Brett et Nanard faisaient la loi. Suede surfait sur cette vague de social thumbling down et Nanard nous solotait ça à la charcute.

             Suede, oui forcément. Et pour une fois, on va faire les choses à l’envers. On va commencer par la fin, c’est-à-dire leur dernier album, Autofiction, et le deuxième volet autobiographique d’Anderson, Afternoons With The Blinds Drawn, un petit book qui vient de paraître. On reviendra sur tout le reste dans un Part Two.

             L’album et le book sont comme qui dirait inséparables. Deux visuels sombres, dans des gris plombés, des niveaux de gris qui fluctuent entre 80 et 90 % au noir, ces gris qui jadis charbonnaient à l’impression, tellement le point de trame était chargé, l’angoisse suprême des conducteurs offset à l’époque, oh la la, ça va maculer, Colette ! Pour l’album, Brett est allongé sur un matelas, et pour le book, il pose torse nu et pensif dans une loge. L’album comme le book sont d’une austérité extrême, durs comme des falaises de marbre noir, chargés d’atmosphères pesantes.

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    Afternoons With The Blinds Drawn est un ouvrage extrêmement difficile à pénétrer, tant le style d’Anderson est dense, massif, quasiment privé de respiration. On pourrait presque comparer son style à celui de Marcel Proust, tant les phrases s’éternisent, tant les gris typo sont massifs, tout est très rectangulaire, comme privé de fantaisie. Privé de sensualité. Privé de dessert. C’est un ouvrage purement introspectif, Anderson va loin à l’intérieur de lui-même, sharp et sensible, il décortique ses sentiments jusqu’au délire presbytérien, et comme c’est extrêmement bien écrit, on le suit, mais le texte peine à jouir, la lecture est lente, constamment ralentie par des figures de style beaucoup trop soignées. Il faut beaucoup de temps pour venir à bout d’un chapitre. Mais comme c’est remarquablement bien écrit, on va jusqu’au bout. 

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             L’ouvrage est d’autant plus inattendu qu’Anderson annonçait à la fin de Coal Black Morning qu’il n’y aurait pas de suite. Il désirait s’arrêter aux portes de la gloire. Puis il a changé d’avis - Aussi suis-je assis là à écrire le book que je ne devais pas écrire, à évoquer les choses que je ne voulais pas évoquer. Je suppose que d’écrire ce book était inévitable. Je me demande ce qui m’a conduit là, sans doute un besoin enfantin de me faire entendre, un besoin criant de révéler mon histoire au monde entier - Ça lui permet néanmoins d’expliquer que la vie de rock star est une rude épreuve - Pour illustrer notre carrière, j’ai expliqué jadis que c’était comme si on s’était retrouvés tous les quatre dans un landau qu’on avait poussé du haut d’une colline. C’est la bonne métaphore. Toute cette époque fut très précaire, hors de contrôle et un peu terrifiante. Nous étions tous les quatre dans la poussette, hurlant dans le vent de la vitesse alors qu’on cahotait dans la circulation - Anderson garde une nostalgie de l’époque où il s’entendait bien avec Nanard. Ils composaient des hits ensemble, Nanard sortait les mélodies sur sa guitare et Anderson écrivait les lyrics - C’était une époque merveilleuse lorsque nous étions amis, on était très proches et on éprouvait le plus grand respect pour ce qu’on composait ensemble - Très vite, le groupe devient la coqueluche de la presse anglaise, avant même d’avoir enregistré un album, et c’est un privilège qu’ils vont payer très cher. Un jour, Anderson et son pote Mat le bassiste se promènent sur Great Marlborough Street et soudain, ils tombent sur la une du Melody Maker : c’est leur photo avec le titre ‘Best New Band in Britain’. Anderson ressent un malaise qu’il explique fort bien - Je suis triste, car beaucoup de gens voient encore Suede comme un buzz médiatique créé de toutes pièces dans le laboratoire ténébreux et Shelley-esque d’IPC, et bien sûr les gens devaient penser qu’on était les complices de ce crime et donc coupables du pire des péchés : l’inauthenticité. Bien sûr, à l’époque, on était galvanisés par ce heady rush qui bouleversait nos vies et on ne s’inquiétait pas vraiment des conséquences de ce buzz médiatique, mais avec le recul, je crois vraiment que les gens qui ont permis ce buzz et qui nous ont mis dans cette situation étaient à la fois irresponsables et aveugles - Anderson en tartine des pages entières, il décortique ce sentiment de culpabilité jusqu’au délire, comme le ferait un Jésuite qui se flagelle - Pour beaucoup de gens, nous avons toujours été un groupe ‘over-rated’ (surestimé) and ‘overhyped’, et ces critiques qui sont les conséquences de notre gloire précoce continuent encore aujourd’hui de me hanter - C’est vrai qu’à l’époque, les gens avaient une fâcheuse tendance à prendre Suede pour des branleurs, mais comme d’habitude, il s’agissait principalement des ceusses qui n’écoutaient pas les disques, car les disques étaient tout sauf des disques de branleurs. Avec un peu d’habitude, on avait appris à se méfier des buzz médiatiques et à faire le tri, pour ne se fier qu’à ce que nous racontaient les (bons) albums, par exemple ceux des Mary Chain, des Boo Radleys et bien sûr de Suede, car les albums allaient arriver tout de suite après le coup de bluff médiatique. Brett et Nanard comprirent que leur vie ne tenait qu’à un fil et qu’il fallait pondre vite fait un hit anglais, ce qu’ils réussirent à faire avec «The Drowners». Mais le buzz allait encore enfler. Brett raconte qu’au moment de la parution de leur premier album, ils se sont retrouvés en couverture de 19 magazines.

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             Non seulement Brett sait écrire des textes de chansons, mais il sait aussi choisir des visuels pour ses albums - J’ai toujours adoré voir comment une pochette peut définir et refléter la musique de l’album, voir comment le bon visuel peut être le synonyme des chansons - Alors il choisit un visuel d’Holger Trulzsch. Le modèle dont le corps nu est peint en bleu s’appelle Verushka. Brett Anderson crée son monde, exactement de la même façon que le fit Ziggy vingt ans auparavant. Et là, l’Anderson exprime sa fierté : «On avait réussi à développer un panache et un élan qui nous étaient propres, l’expression d’un son nouveau et éclatant, et le plus important c’est que je m’en félicite, because the songs were good.» Plus loin, dans le cours du récit, il revient sur ce qu’il appelle les big singers from the past - like Sinatra and Brel and Piaf, performers who could transform a song into a drama, et j’ai essayé de m’inspirer d’eux pour devenir plus mélomane - Il cite d’ailleurs l’exemple d’une chanson parfaite, «The Wild Ones», qui se trouve sur le deuxième album du groupe, Dog Man Star : «C’est la chanson que je choisirais si je devais en choisir une seule dans ma carrière, en tant que compositeur, et je dirais : ‘This is what I have done in my life’.» Ceux qui connaissent bien Suede savant que «The Drowners» et «The Wild Ones» sont leurs deux meilleures chansons.

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             Anderson ne traite en fait dans son livre que d’une seule obsession : la composition des chansons - Depuis l’enfance, j’ai été obsédé par la puissante interaction entre les paroles et la mélodie, et avec Bernard, je sentais qu’on devenait de vrais songwriters, un art qui me semble-t-il est perdu depuis des années - Il a tout compris, le jeune Brett, sans les chansons, tu n’es rien. Comme il ne cite personne, on va le faire pour lui : sans leurs chansons, John Lennon, David Bowie, Ray Davies, Martin Carr ne sont rien, sans parler des Américains. Anderson y revient inlassablement - Notre seule cupidité fut pour les chansons, la prochaine chanson, on la cherchait dans la chambre, comme on chasse des papillons argentés - Ils sont vite courtisés par les labels indépendants américains, car ils sont considérés comme les nouvelles sensations. The New British Invasion.

             Alors Anderson plonge dans l’art d’écrire des bonnes chansons - Pour moi, écrire à propos du sexe, c’était comme d’écrire à propos de la vie, explorer avec minutie, aller sous les couches pour observer l’échec et la peur, les moments d’hésitation et de confusion, avec un soin identique à celui qu’on met à observer les fonctions binaires dans lequel le genre est souvent confiné.

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             Il évoque aussi ses compagnons, la folie des tournées mondiales, le besoin de sentir la réaction du public, la vie du groupe, les tensions, les ruptures, la dope, mais rien, pas un mot sur les autres groupes. Si tu cherches des petits cancans, madame la commère, Anderson n’est pas la bonne adresse.

             Il revient aussi sur l’une de ses erreurs de jeunesse, une déclaration qu’il fit dans la presse - Je me voyais comme ‘un homme bisexuel qui n’avait jamais eu d’expérience homosexuelle’. C’est l’une des choses les plus stupides qu’il m’ait été donné de déclarer et elle sera certainement gravée sur ma tombe. Je regrette profondément d’avoir été un jeune homme si naïf, non parce que je mentais ou j’affabulais, mais parce que je n’avais pas compris à l’époque qu’il n’existe, en aucune manière, aucun espace pour la subtilité et les nuances dans les médias modernes, dès lors qu’on traite de sujets salaces - Il se repent aussi amèrement de s’être fait passer dans la presse pour un dandy, the overly English popinjay. Que d’erreurs de jeunesse ! C’est bien qu’un mec comme lui reconnaisse toutes ses erreurs. Ça ne doit pas être simple d’être une rock star en Angleterre quand on a vingt ans. On est pas loin de l’histoire d’Icare.

             Avec la quête du Graal, c’est-à-dire l’écriture des bonnes chansons, l’autre focus du book concerne la folie des tournées et la façon dont cette folie finit par détruire des relations entre les gens - La tournée américaine s’était transformée en une spirale d’agression passive et d’hostilité latente, on voyageait chacun de notre côté, on se boudait sur scène. Pour voir les relations se désagréger, les liens s’abîmer de façon irréparable, c’était le masterclass - Brett résume bien la chose : «Abrutissant : c’est la seule chose intéressante qui me vienne à l’esprit pour qualifier la vie en tournée.» (Il dit ça au sens anglais : numbing, pas au sens de la fatigue).

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             La tension monte tellement entre Nanard et Brett qu’un jour Nanard lance un ultimatum : soit lui, soit Ed, le manager, l’un des deux doit partir. Brett réunit le reste du groupe qui décide de garder Ed. Alors Nanard se barre. Et c’est la fin d’un brillant duo de compositeurs. Cette décision va lui rester sur le cœur - La décision que je pris ce jour-là de soutenir le coup de bluff de Bernard fut pour le pire comme pour le meilleur, un moment décisif dans ma vie, qui continuera de me hanter jusqu’à la fin de mes jours - Le problème c’est qu’ils ne connaissent personne pour remplacer Nanard. Anderson ne fréquente pas the London music scene - Le problème était que nous n’étions pas des gens qui traînaient avec les autres groupes. The London music scene ne m’intéressait pas, et après une brève période de fréquentation, l’anxiété liée à mes modestes origines sociales se transforma vite en névrose, une névrose favorisée par une gloire naissante, et l’arrivée des narcotics dans ma vie ne fit qu’empirer les choses - Suede est considéré par la presse comme fini. Kapout ! Un jour, Anderson reçoit au courrier une enveloppe avec une cassette : c’est la candidature spontanée d’un certain Richard Oakes qui voyant que la place était libre, proposait ses services. Miracle : «Richard est le musicien le plus doué avec lequel j’ai jamais travaillé.» Pris dans son élan, Anderson cite même Schopenhauer à son propos : «Le talent atteint la cible que personne d’autre ne peut atteindre, le génie atteint la cible que personne ne voit.» Wow, Brett ! Quel décochage ! Brett découvre ensuite que Richard s’intéresse essentiellement aux guitaristes post-punk comme Keith Levene et John McGreoch, et au «wiry surrealim of the Fall». Mais à l’été 1995, Brett constate que Suede est sur le déclin, la presse les voit comme un groupe anachronique or a cautionary tale and at last an irrelevance. La presse fait de lui un marginal irascible «qui ne fut jamais capable de pardonner à l’air du temps de continuer sans lui». Formule délicieuse.

             Et puis bien sûr la dope. Alors attention, nous ne sommes pas chez les Fat White, Anderson en fait une consommation abusive mais il n’en tartine pas ses pages comme le fait Lias Saoudi. Il indique seulement que l’addiction se transforme en quête de dose quotidienne, il décrit ça très bien, «une pulsion animale pour trouver la dose qui vous fera redevenir normal, qui vous permettra de ressentir les choses à nouveau.» Pourquoi recourir à la dope ?, il s’interroge au long de pages entières, il reconnaît son anxiété, ses petites névroses, sa parano, mais il ne trouve aucune trace de traumatisme dans sa vie qui lui permettrait de dire : «c’est la raison pour laquelle je me drogue !». Alors il y revient pour nous expliquer tout ça clairement : «En y repensant, la raison de mon entrée dans cette arène pitoyable, je dois bien l’admettre, était une simple quête d’échappatoire romantique, une façon d’emprunter les chemins transgressifs jadis empruntés par Aldous Huxley, John Lennon ou Thomas De Quincey, une quête de glamour pour un jeune citadin frustré, the glamour of the outré, une autre réalité par-delà les vies grises et suffocantes que menaient les gens qui nous entouraient.» Non seulement Brett Anderson est profondément honnête, mais il est en plus intéressant. Et comme il chante bien, ça en fait un artiste complet.

             L’addiction, il y revient le bougre - Je suppose que ça ne doit pas être très intéressant pour vous de lire l’histoire d’un homme qui recherche l’abstinence. On s’éloigne du mythique archétype Jungien de l’artiste rebelle - the bullshit, le guitar hero rock and roll lie - L’ironie de l’histoire, c’est que je consacre une grande partie des pages de ce livre à ma propre chute en spirale pour en faire la parodie d’une rock star camée, alors qu’en réalité, j’ai toujours détesté ces misérables clichés, des clichés que beaucoup de gens aiment secrètement, j’ai toujours espéré que la vraie nature artistique avait plus à voir avec le courage d’exprimer la vérité de sa vie plutôt que de rouler en Harley - Il en arrive assez vite à sa conclusion, qui est celle que ferait n’importe quel observateur affûté : «La théorie selon laquelle l’addiction et l’intempérance sont liées à des formes de créativité vient peut-être du fait qu’historiquement des tas de gens créatifs ont mené des vies dissolues. En fait, je proposerais bien une autre idée : pour moi, les gens créatifs étaient curieux des effets que procuraient the alterate states, (les états d’altération de l’esprit) mais une fois arrivés là, leur créativité s’est rarement développée.» Anderson ne cite pas de noms, mais on pense bien sûr à Syd Barrett. Mais à côté de ça, tu as des contre-exemples : Dr John et Keith Richards.

             Le book s’achève dans la tristesse : l’album A New Morning que Brett considère comme raté - I wish we hadn’t made this album - pour lui, même la pochette est ratée. S’ensuit bien évidemment le split du groupe. 

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             Bon, la bonne nouvelle, c’est qu’ils vont se reformer et enregistrer trois nouveaux albums, Bloodsports, Night Thoughts, The Blue Hour, qu’on épluchera dans le Part Two, puis un quatrième, paru cette année, le bien nommé Autofiction. Trois cuts y stand-outtent, tu t’en doutes : «The Only Way I Can Love You», «That Boy On Stage» et «It’s Always The Quiet Ones». Ils stand-outtent car ils battent tous les records de Big Atmospherix, Anderson n’en finit plus de remonter à l’assaut, c’est le roi du coup d’épée dans l’eau, l’héroïque popster par excellence, et ça ne doit pas être facile de faire du Suede après tant d’années. Avec «That Boy On Stage», il devient heavy on the sludge, c’est gorgé de guitares et de chant gloomy, tout se noie dans l’épaisseur du son. C’est la prod qui fait tout, ici, avec la voix. «It’s Always The Quiet Ones» sonne comme du classic Suede, bien mélodique et over the top. Ça confirme ce que raconte Anderson dans son book : chez Suede, tout est dans les chansons et Anderson n’en finit plus de chercher l’ouverture. Pour ça, il a besoin d’une belle cathédrale sonique. C’est avec «Black Ice» qu’on voit encore se distinguer ce très grand chanteur. Il fait vraiment le show. Il crée son monde en permanence, il travaille la grande pop atmosphérique, c’est un chanteur exceptionnel, tu y vas les yeux fermés. De toute évidence, ils cherchent le hit, mais c’est compliqué, tout ce qu’ils trouvent, c’est du son, des averses de son, et malheureusement, il leur arrive de retomber dans les routines de la Brit Pop. Autre petit défaut du Brett vieillissant : il a perdu son glamour, il chante parfois comme un vieil homme avec une voix privée de caractère. Dommage, il perd le Suede de The Drownvers pour aller chercher une pop matelassée et grise, à l’image de la pochette. Il reste cependant un charme discret, on tombe sous son emprise avec «What Am I Without You». Malheureusement, l’album s’achève sur une fausse note avec «Turn Off Your Brain And Yell», ils font de la soupe à la U2 orchestrée à outrance et fabuleusement inutile. Ils redeviennent ce qu’ils étaient au début : rien. Tout ce qu’il leur reste, c’est la prod. Il leur manque «The Drowners». Ni coup de Jarnac ni coup de Trafalgar dans l’Autofiction. Seulement trois bonnes chansons. Mais ça devrait suffire aux Suedois et aux Suedoises.

    Signé : Cazengler, suédoigt dans l’œil

    Suede. Autofiction. BMG 2022

    Brett Anderson. Afternoons With The Blinds Drawn. Abacus 2020

     

     

    Inside the goldmine - Maxayn fait le max

     

             Le soleil darde de tous ses rayons sur les collines d’Hollywood. John Phillips reçoit le gratin dauphinois du showbiz dans cette coquette villa de Bel Air qu’il vient tout juste d’acquérir. Parmi les invités, voici l’ambassadeur de la planète Mars avec ses appareils respiratoires et sa garde rapprochée. Voici Croz qui va de groupe en groupe, il buzz-buzz-buzze, distribue des stickers et des bonbons, mais réserve semble-t-il son freebasing à quelques privilégiés, ceux qu’il appelle les bathroom bimbos. Voici Arthur Lee qui arrive. Il gare sa Porsche au bord de la piscine.

             — Tu vois, la grosse qui danse si bien là-bas, c’est Mama Cass. Faut reconnaître que les grosses remuent plus d’air que les maigres, pas vrai ? Oh et ce petit mec bizarre là-bas, c’est un protégé de Dennis Wilson. Les gens l’appellent Charlie.

             — Charlie Manson ?

             — Oui, oui, un peu barré, on sait pas trop, il vit dans un ranch là-bas dans le désert avec une tripotée de gonzesses, toutes sous acide, c’est Owsley qui les fournit en direct, et l’autre un peu plus loin c’est Bobby Beausoleil, il revient d’un trip au Mexique, il deale du lourd, mais chut, faut pas en parler, paraît que des mecs du FBI ont infiltré les parties. Oh pas pour ce que tu crois. Ils veulent juste leur part du gâteau. Ah ah ah, c’est de bonne guerre ! Si j’étais agent fédéral, je ferais pareil. Faut bien arrondir les fins de mois, hein ? C’est pas en étant payé à coups de lance-pierre que tu vas pouvoir te payer tes douze grammes de coke par jour. Ah, on m’a dit que Truman Capote était là, mais déguisé.

             — En quoi ?

             — Bah chais pas trop. En cardinal de la ligue Évangéliste ou en Fu Manchu. Il adore se faire passer pour Fu Manchu, ce mélange d’exotisme et de cruauté lui sied à ravir. Tiens regarde là-bas, le chinetoque, ça pourrait bien être lui. On parie ? 500 $ ? Tope-là ! Et la fille là-bas en jumpsuit jaune... Tu sais qui c’est ?

             — Beuhhhh...

             — Elle s’appelle Maxayn. Très jolis seins. Fais gaffe elle est mariée.

     

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             Effectivement, son mari s’appelle Andre Lewis. En 1972, ils enregistrent un premier album simplement titré Maxayn.

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    C’est un classique. Il a pour première particularité de proposer deux covers des Stones, et pas des moindres puisqu’il s’agit de «Gimme Shelter» en B et de «You Can’t Always Get What You Want» en A. Et pour deuxième particularité de mixer le rock des blancs avec la Soul des blacks, alors ça donne des résultats étonnants. Comme Maxayn et ses amis injectent de la Soul dans un son déjà bien en place, ces hits des Stones montent encore d’un cran, ça groove in the face, à la puissance pure et dans «You Can’t Always Get What You Want», la descente de basse va et vient entre tes reins, alors les couplets magiques n’en swinguent que de plus belle. Marlo Henderson joue son bassmatic en contretemps, il est le roi de monde. Leur «Gimme Shelter» est différent de celui de Merry Clayton. Ils le travaillent à leur façon qui est plus épaisse, Maxayn est à l’aise avec le groove de la Stonesy, elle en fait un heavy groove avec du tikitik de keys à contre-emploi, elle arrache bien son Gimme du sol, elle le fait à la force du poignet, c’est très puissant, elle screame son ass off et fourbit un vrai modèle de Black Power. Elle frise l’hystérie. L’autre gros cut de l’album est le «Tryin’ For Days» d’ouverture de balda. Le mari Andre Lewis est un sacré funkster, un compagnon idéal pour Maxayn qui shake bien son petit funky butt. Wow, elle persiste et signe !

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             L’année suivante paraît l’excellent Mindful. Ils proposent en fait un heavy funk très influencé par Sly Stone, comme l’indique d’ailleurs le titre «Moan To The Music». Ils alternent les cuts de Soul funk ambitieuse avec des balladifs souples et languides qui sonnent comme de puissantes proliférations harmoniques («Stone Crazy»). Ils bouclent leur balda avec un «Tellin’ You» extrêmement élégant, un authentique shoot de Soul-blues. Le guitariste Marlo Henderson fait des merveilles et la petite qu’on entend derrière n’est autre que Pat Arnorld, alors t’as qu’à voir. Ils repartent de plus belle en B avec «Feelin’», nouvelle giclée de funk moderne à la Sly, ils y multiplient les cassures de rythme et les difficultés. On se retrouve une fois de plus avec un album parfait dans les pattes, ce que vient encore confirmer «Check Out Your Mind», un slow groove de funk qui se fourvoie bien sous le boisseau. Et puis les balladifs sont de vraies splendeurs («The Answer» et «I Want To Rest My Mind»). Ils restent au même niveau d’excellence jusqu’au bout du «Travelin’», un slow space groove d’inspiration maximale.  

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             Le dernier album de Maxayn s’appelle Bail Out For Fun. Au dos de la pochette, on les voit sauter en l’air tous les quatre. Cette fois le guitariste s’appelle Hank Redd. On l’entend gratter son petit funk insidieux sur «Life Is What You Make It». C’est encore une fois du funk à la Sly. Funky flavor ! Andre est là, lui aussi, l’homme à tout faire (moog, bass & drums). Leur funk est d’une grande délicatesse, une vraie dentelle de Calais. C’est Hank Redd qui joue du sax dans «Moonfunk». Il casse bien la baraque, l’Hank. Le hit de l’album se planque en B : «Trying For Days». C’est en fait un big shoot de r’n’b bien syncopé par ces rois du funky bootin’. Ils sont aussi bons que Sly, leur groove de basse se glisse sous la peau. Ce Trying sonne comme une fantastique extension du domaine de la lutte ouvrière. Ils font en plus durer le plaisir ad vitam æternam. Ces gens là ne lésinent pas sur les pelletées de charbon. Ils finissent avec un «Everything Begins With You» de rêve éveillé, une merveilleuse prestation du couple Lewis, Andre & Maxayn. Ils se lovent dans le doux du groove et nous emmènent séjourner le temps d’un cut au paradis.

    Signé : Cazengler, maxillaire

    Maxayn. Maxayn. Capricorn Records 1972

    Maxayn. Mindful. Capricorn Records 1973

    Maxayn. Bail Out For Fun. Capricorn Records 1974

    Inside the goldmine - Maxayn fait le max

     

    ROCKABILLY RULES !

    N’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    706 UNION AVENUE

    THE MEMPHIS BLUES CREAM

    ( Around the Shack & Yokatta Records / ATSR CD 005 / Décembre 2022 )

    Jake Calypso : vocals, guitar / Earl ‘’ The Pearl’’ Banks : guitar / Vince Johnson : harmonica / Rodney Polk : drums / Gunnar Samson : piano / Stephane Bihan : upright bass , saxophone, Harmonica.

    Lors d’un concert au 3B de Troyes Jake Calypso de retour de son premier voyage dans le Sud des Etats-Unis me disait son rêve de vivre là-bas le restant de sa vie et d’être enterré dans cette terre où reposent les premiers bluesmen, souhaitons que la dernière partie de ce rêve ne se réalise pas avant longtemps. Les partisans racialistes du white rockabilly ne m’ont jamais convaincu, étonnant comme l’on peut être insensible à cette veine de sang noir qui irrigue le rock‘n’roll. Le delta du Mississippi s’ouvre sur un autre beaucoup plus large celui de la musique populaire américaine qui roule dans ses nombreux bras qui s’entrecroisent des influences diverses venues et d’Europe, et d’Afrique et d’Amérique.

    Cet album de Jake Calypso est un retour aux sources. Pas aussi difficiles à localiser que celles du Nil. L’adresse est connue, votre GPS vous y mènera sans problème, c’est à Memphis, Tennessee, 706 Union Avenue. C’est-là où en janvier 1950 Sam Phillips ouvrit son studio. Quatre ans ans plus tard un petit chat des collines, pas n’importe lequel, l’Hillbilly Cat Elvis Presley, s’en vint enregistrer quelques faces qui allaient révolutionner le monde. L’on a dit que Sam Phillips a inventé le rock’n’roll, c’est aussi faux que de prétendre que Christophe Colomb a découvert l’Amérique, l’on oublie souvent d’ajouter que s’il a ouvert son micro à de jeunes blancs-becs il était aussi talent-scout pour les disques Chess qui commercialisaient les artistes de blues, noirs comme il se devait. Le seul regret que Sam Phillips a exprimé bien après avoir vendu son studio c’est que débordé par la folle vague initiée par Elvis, Carl Perkins et Jerry Lou, il avait à l’époque délaissé les enregistrements des chanteurs noirs…

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    Pour la pochette le lecteur se reportera à notre livraison 573 du 03 / 11 / 2022 pour lire la splendide chronique hommagiale du Cat Zengler - la plus belle qui ait été écrite à la disparition du killer  - dans laquelle sont passés en revue quelques disques de Jerry Lee Lewis dont le fameux Rock & Roll Time.

    Dernière précision d’importance : avant d’écouter bien se souvenir que les musiciens regroupés autour de Jake Calypso n’avaient jamais joué ensemble avant ces enregistrements…   

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    Bear cat : surprise, ça déboule sur vous alors que vous vous attendez à quelque chose de sauvage, mais là c’est du wild de chez wild, cette batterie qui transbahute des tonnes pesantes de miel empoisonné et tout le reste de la bande qui vous griffe le dos sans pitié. L’original est de Rufus Thomas, n’allez pas chercher pourquoi l’on retrouve son nom dans l’aventure Sun et Stax. Tiger man : après l’ours le tigre, l’on reste entre bêtes indociles, Rufus Thomas s’est d’ailleurs empressé d’enregistrer  ce morceau signé par Joey Hill Louis, certes l’on retrouve le rythme chaloupé de base du blues mais l’on est en pleine tempête force 10, z’avaient dû avaler un alligator avant d’entrer dans le studio, mention spéciale pour Gunnar Samsom et son piano diabolique qui ne s’en laisse pas conter par le vacarme de ses acolytes, quant à l’oiseau Loison, vous connaissez sa prédilection pour les tapages nocturnes, l’est aussi à l’aise là-dedans que les quatre cavaliers dans l’apocalypse. Red hot : les amateurs connaissent, mais c’est une version basée sur l’original de Billy Emerson, vous pouvez être victime d’une interrogation métaphysique, sommes-nous dans un bastringue renommé ou un juke perdu, la réponse n'a aucune importance, l’est sûr que ça chavire dur, une grande fête nègre dionysiaque dont on a hélas perdu le secret depuis quelques décennies. Runnin’ around : je ne sais pourquoi l’on a souvent qualifié le style de Sleepy John Estes de geignard, Calypso se joue de cette réputation, l’a un vocal qui s’amuse à bouter le feu intonnatif, une véritable pièce de théâtre, le monologue du fou qui mord la vie à pleine dents, l’est méchamment secondé par Earl Banks à la guitare écarlate et Vince Johnson qui pousse son harmonica comme l’on enfonce un couteau dans le ventre d’un gars qui ne vous revient pas. Baby I’m coming home : ils avouent leur faute dans les notes, ils sont plus que pardonnés, normalement ils auraient dû nous le faire en mambo, ils ont oublié, faut dire qu’avec cette section rythmique qui transbahute des armoires à travers l’appartement, ils se sont laissé aller à une espèce de grand capharnaüm sonore, un tel remue-ménage que vous ne savez plus où poser le pied pour danser, mais quel régal ! I gonna murder my baby : un programme alléchant que son auteur Pat Hare se hâta de réaliser dans la vraie vie, nos musicos vous restituent la scène à merveille, vous croyez y assister en direct, vous tartine une épaisse couche de blues funèbre bien balancé sur laquelle chacun se laisse déborder par ses penchants les plus pervers, à écouter comment chacun s’implique dans la scène vous comprenez que l’espèce humaine est vraiment prédatrice, mélodrame en direct, grosse caisse de bateleur et tous les instruments tremblent à foison, c’est beau et grand-guignolesque, un art consommé du grotesque ainsi que l’entendait Edgar Poe.

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    Last time : beaucoup plus carré et bien enlevé, la voix de Calypso traîne de temps en temps sur les syllabes pour mieux repartir en sprint de jaguar, le piano et l’harmo se tirent la bourre, vous mènent la patache à un train d’enfer, ne vous disputez pas pour savoir qui arrivera le premier, c’est Stéphane Lebihan qui tient le morceau entre ses mains, c’est sa big mama qui cavalcade en tête du début à la fin, il trace le chemin pour tout le monde. Baker shop boogie : de ce temps-là les bluesmen étaient rarement des anges alors ne soyez pas étonnés si vous ressentez une certaine violence pour ne pas dire une brutalité prononcée dans cette huitième piste. Vous plongent dans l’ambiance tout de suite, la batterie halète comme une locomotive, l’harmo vous déchire les oreilles à tous les tours de roue, Calypso hurle tout son soul comme s’il courait sur les toits des wagons et le restant de l’équipe vous précipite dans le pétrin. Ne faites pas les fines bouches, ce pain-là vous ne le mangerez pas vous le dévorerez à pleines dents. Love my baby : guitare fine et tambourinade exaltée, l’est sûr que le phrasé et la rythmique rappellent Mystery Train, normal les deux morceaux sont de Junior Parker, la racine noire du rockabilly n’a jamais été aussi évidente, le Jake parfaitement à l’aise, l’ancien membre de Mystery Train se retrouve chez lui, alors les copains lui font un accompagnement aux petits oignons qui piquent et brûlent. Come back baby : Calypso devant et la bande qui suit, on ne risque pas de l’oublier, L’Oiseau revient, aussi ils reprennent derrière avec encore davantage de rage, Thierry Tillier des Hot Chickens met en marche la machine à laver non électrique, ce n’est pas la bougie du sapeur mais le boogie des tapeurs, vous avez envie que la baby ne revienne pas de sitôt rien que pour le plaisir que procure cette attente. Sweet home Chicago : le morceau précédent n’était qu’un canter d’entraînement, car attention l’on donne ici dans le mythique, le nom de Robert Johnson reste collé à ce morceau, alors ils y vont à fond, que le grand-père putatif n’ait pas à rougir d’eux, par contre sûr que ses os se sont entrechoqués dans sa tombe, ça swingue à mort, offrent tout ce qu’ils ont le bouquet de fleurs avec le revolver dedans, c’est maintenant que votre cœur tressaille, il ne reste plus qu’un morceau et tout s’est déroulé si vite avec un tel brio que vous n’avez pas vu le temps passer perdu au milieu de cette tourmente. Boogie in the park : l’on retrouve un titre de Joey Hill Louis, harmoniciste, batteur et guitariste renommé pour son heavy tune, autant dire un beau challenge pour nos impétrants qui se surpassent. Ce n’est pas très long mais ils ont laissé la gomme sur la chaussée des géants.

    Un disque de blues qui ne hulule pas le malheur du monde, vous refile une pêche extraordinaire, et remet même les pendules du blues à l’heure. Un groupe de guys survoltés qui ont refusé les poncifs et les idées toutes faites. Ne criez pas au scandale, Earl ‘’The Pearl’’ Banks en a vu d’autres, du haut de ses quatre-vingt-six ans, l’a tout vu, tout connu, des débuts du Sun Studio, à Beale Steet, l’a joué avec Joey Hill Lois et BB King et n‘a pas hésité une seconde à se joindre à cette Memphis Blues Cream réunie autour de Jake Calypso. Les vieux renards reniflent de loin les fromages alléchants.

    Dans notre précédente livraison Jake Calypso était avec les Hot Chickens pour It’s Time to Rock Again, et cette fois ci- c’était It’s Time  to Blues again. Entre nous soit dit, c’est le même esprit.

    Qui a dit que le bleu était une couleur froide ?

    Damie Chad.

     

    *

             Une chronique d’un genre nouveau, un peu, toute proportion gardée ce que Karl Marx et Friedrich Engels avaient initié avec leur Critique de la critique critique contre Bruno Bauer et consorts, cet acharnement critique était une manière de dévoyer le chemin de pensée idéaliste de la critique de la raison pure kantienne en faveur d’une analyse de plus en plus serrée et précise du rapport que les hommes entretiennent successivement avec la réalité vivante du monde.

             Disons qu’ici nous nous intéresserons avec ce que l’on pourrait dénommer la réalité mortelle du monde. Nous avons été subjugués par la force de LA MORT APPELLE TOUS LES VIVANTS du dernier album de BARABBAS, voir notre chronique 578 du 08 / 12 / 2022.

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             Ce CD a fait quelque bruit dans tous les sens du terme. Question phonation nous ne pouvons rien pour vous, nous vous renvoyons à vos chères oreilles, par contre nous allons explorer quelques articles relatifs à cet opus magnus.

    In ROCK HARD ( # 237 / Dec 2022 )                                   

    Une belle revue, des spécialistes de musiques dures, sombres, doom, etc… z’ont pas mis le Jolly Roger en couverture mais Mötor Head ce qui ne vaut guère mieux pour les tympans fragiles, bref Barabbas est entre bonnes mains, sont Album du Mois, et Charlélie Arnaud a programmé une interview, s’affichent tous les cinq sur la photo, cinq sombres monolithes posés sur un arrière-fond de trois croix granitiques, mais c’est Saint Rodolphe qui répond aux questions. Echanges de vue sur la situation du doom en France qui propose des groupes reconnus à l’étranger mais qui bénéficient hélas de par chez nous d’un maigre public. N’empêche assure notre vénéré Saint Rodolphe qu’ ’’il existe vraiment une scène doom traditionnel’’.

    Vous vous procurez Rock Hard si vous voulez lire la suite, notamment la réponse au choix du chant en français… C’est encore Charlélie Arnaud qui se charge de la Kronick – n’emploie pas le mot critique qui pèse un peu trop comme une épée de Damoclès – l’écrit trop bien Charlélie, ne le lisez pas, vous seriez obligé d’acheter le disque. En plus j’ai oublié de noter le super titre : Fais-moi la mort !

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    Attention, achetez la revue en kiosque c’est bien mais les abonnés ont droit à des documents sonores complémentaires.

    From MIEDZY UCHEM A MUZGIEM

    Ne soyez pas ignorants, c’est juste du polonais, un beau titre de blogue : entre l’oreille et le cerveau. Inutile de vous décourager devant la longue et interminable colonne de langue polonaise, descendez au bas de l’article vous avez la traduction en anglais. Se débrouillent bien nos amis polonais interviewent Saint Stéphane qui en profite pour glisser de nombreux noms de groupes français dans la discussion.

    Sur EKLEKTIC-ROCK

    Une courte et sympathique chronique en français pour ceux qui ne connaissent ni l’anglais, ni le polonais.

    Sur DESERT- ROCK

    Une chronique intelligente par des adeptes du genre, je ne résiste pas citer in extenso la phrase suivante : ‘’ En fin de compte, La Mort Appelle Tous Les Vivants est probablement l’un des meilleurs disques du genre sortis ces derniers mois, et pas seulement en France.’’ Signé : Laurent, de Pau, né en 1976. Un site à visiter.

    Sur le Webzine METAL INTEGRAL

    Jolie chronique élogieuse. Si la mort appelle tous les vivants, ce disque aimante en sa faveur les jugements de ses auditeurs : ‘’ ‘Le Cimetiere Des Reves Brises’ is sumptuous, and could well have been written as an ode to all doom bands who have passed before. ‘’

    Sur le fil du rasoir de THE RAZOR’S EDGE ROCK

    Belle intro de Matthew Williams : ‘’  J'aime ( I do like, en anglais c’est plus fort ) un album qui a une ouverture mystérieuse, et "La Mort Appelle Tous Les Vivants" des doomsters français Barabbas a certainement cela, car c'est comme un appel aux armes, avec les sirènes qui retentissent, à travers la voix hypnotique, construisant le anticipation, puis BOOM, le son monstrueux vous frappe alors que les guitares, les claviers, la batterie et la basse explosent tous dans la vie, et la puissance du riff ressort très, très clairement.’’

    Sur Loud TV

    Pratiquement un poème, un titre rilkéen : La voix des anges, je devrais recopier in extenso, je pioche au hasard : ‘’ Un voile grisâtre tombe, la beauté mortuaire de BARABBAS se lève, puis pas à pas prend forme innocemment dans le cœur de la noirceur du néant. Maintenant, la créature foule la terre, écrase le sol, et fait retentir sa force herculéenne. Emprunte ( le traducteur pourrait faire un effort ) menée tambour battant dans l’énergie délivrée d’un séisme metallique, aux relents nauséabonds dommesques. ‘’ 

    Sur MUSIPEDIA

    Une analyse titre par titre de l’album dans un article consacré à plusieurs groupes.

    J’ai passé sous silence tous les sites qui se contentent de noter la sortie de l’opus, pour la plupart en affichant la photo de la couve et en notant les titres un par un. De l’information pure qui semble être l’apanage des premiers grands sites de metal qui paraissent dépassés par un trop gros nombre de sorties ou qui peut-être voient le nombre de leurs chroniqueurs diminuer avec les années qui passent et qui usent…

    Oui l’album de Barabbas fait l’unanimité, mais peut-être le plus important c’est sans aucun doute la mise en évidence de ce réseau de passionnés à l’affût des nouveautés qui font circuler au minimum l’information et qui essaient de susciter le désir du lecteur par la force de leurs vocables.

    Damie Chad.

     

     

    *

    Appel à l’aide de Cörrupt, ils ont sorti une vidéo en octobre 2022, ne donnent pas de détails mais il y a eu problème de droits avec la Sacem, bref elle s’est retrouvée bloquée sur You Tube, ils ont dû gagner le bras de fer puisque ce 20 décembre elle est de nouveau visible, mais ces désagréments n’ont pas aidé à la faire connaître, si vous voulez supporter ce nouveau lancement n’hésitez pas à aller voir. Et surtout à entendre.

    C’est en batifolant sur Bandcamp que nous étions tombés par hasard sur Cörrupt. Le tréma bien sûr, et cette idée sous-entendue d’une corruption de notre monde actuel. Bref dans notre livraison 498 du 18 / 02 / 21 nous avons chroniqué leur premier EP, et pas du tout dégoûté dans la 455ième du 19 / 05 / 22 leur deuxième EP six titres au titre prometteur de Disgust. Nous avions aussi mentionné deux vidéos de concert de 2015, un peu passe-partout et beaucoup plus réussi un clip appétissant. D’où la nécessité de visionner le nouveau.

    LUST

    CÖRRUPT

    ( Hardcore Worlwide / 2022 )

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             C’est le premier titre de l’EP, possède une particularité quasi-inquiétante, sa longueur, il ne dépasse pas une minute quatorze secondes. Ce n’est pas que c’est court c’est que l’on est en droit de se demander comment l’on peut faire rentrer tant de violence en si peu de temps. Cörrupt ne propose pas une musique séraphique. Pour l’écouter vous avez une solution de rechange à portée de la main, il suffit de l’écouter plusieurs fois à la suite pour comprendre comment il fonctionne. Vous me direz que c’est la même chose avec une vidéo, pas tout à fait à mon humble avis, l’image doit signifier une plénitude en elle-même, sinon l’on se trouve face à un rush qui demande à être mis en forme, sans quoi l’on ressent une forte impression de brouillon ou de travail bâclé.

             De fait il n’en est rien. Il y a une unité dans cette vidéo. Remarquable, mais qu’il est difficile d’attribuer à un réalisateur ou à un monteur, puisque aucune nominale signature ne nous est proposée. Tout juste une minute, une tornade qui passe. Des éclairs de guitares qui se suivent et se juxtaposent. L’on a l’impression qu’elles ont la même impédance musicale que la batterie. Bref une série de claquements secs, sectionnés par deux-tiers de seconde de silence. A ce stade on se dit que le timing pourrait se prolonger à volonté. Oui mais c’est sans compter sans les inserts sur la gueule à favoris du chanteur, il est là le fil conducteur cette vision pas du tout omniprésente qui donne au chant toute son importance, une unidimensionnalité quasi-homérique, un peu comme dans une tornade ce ne sont ni les toits qui s’envolent, ni les murs qui s’effondrent qui témoignent sur son passage de sa violence,  mais la sensation au-travers de tous nos sens, de la puissance de son souffle irrépressible, cette vibration inhabituelle d’une ampleur déraisonnée qui permet de comprendre que l’on a affaire à un évènement herculéen exceptionnel. Que les débris épars ne sont que des détails superfétatoires et non nécessaires. Une vidéo dans laquelle l’image intensifie le son. Rare. Très rare. Ultra rare. Avec un peu de chance un exercice d’école à proposer dans toutes les écoles aux vidéastes amateurs.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    cliff bennett,hawkwind,dr john,suede,maxayn,the memphis blues cream,barabbas,cörrupt,rockambolesques

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 11 ( sous les ifs ) :

    56

    Le Chef alluma un cigare.

              _ Soyons justes, ce que racontent nos deux gaziers est assez proche de la réalité, ont arrangé la sauce à leur manière pour être considérés comme des héros par leur lectorat mais je me demande comment ils vont tirer leur épingle du jeu lors de la deuxième partie de la soirée.

              _ Ne me faites pas languir Chef, je suis toute ouïe, j’aime entendre votre voix grave de baryton, même Molossito et Molossa vous écoutent avec attention.

              _ Absolument d’accord avec vous agent Chad, la nature m’a doué d’un un bel organe viril, qui d’ailleurs est toujours une bonne entrée en matière avec les demoiselles, mais ne nous égarons pas, j’allume un Coronado et je reprends ma lecture.

    57

    Olivier Lamart : j’étais un peu étonné des déclarations péremptoires des deux agents du Service Secret du Rock ‘n’ roll prêts à éliminer la population de la terre entière pour une pochette de disque légèrement cornée et je m’apprêtais à leur faire part de ma stupéfaction, qui s’accentua encor plus lorsque je vis que tous deux avaient sorti de leur poche un superbe revolver d’une dimension impressionnante, je crus qu’ils allaient à l’instant mettre en action leur profession de foi, mais non ils ne tirèrent pas, ils se contentèrent de regarder fixement en direction de la grille du cimetière, et s’écrièrent en un ensemble parfait : 

              _ Pistol Packin’ Mama !

    J’avoue que je n’ai pas encore compris le sens de cette expression, mais suivant leur regard, j’aperçus au fond de l’allée comme une ombre qui se mouvait vers nous.

    Martin Sureau : elle avançait lentement, ce n’était encore qu’une silhouette, bientôt je discernais un long manteau noir dont les bords traînaient à terre, sous un capuchon l’on ne voyait qu’une face blanche qui avait l’air de rire, nous nous taisions tous, quand elle eut franchi une trentaine de mètres je sursautai, moi qui croyais qu’elle s’appuyait sur un long bâton, compris que sa main décharnée tenait… vrai de vrai, une faux ! C’est alors que dans le silence glacial retentit la voix moqueuse de la jeune Alice Grandjean :

              _ Tiens la vioque qui revient ! On va encore avoir droit à une leçon de morale !

    Et à notre profonde stupéfaction un dialogue s’engagea entre cette vieille femme, pour ne pas dire la Mort, mais qui pourrait la nommer autrement !

    • Insupportable gamine, veux-tu bien rentrer dans ta tombe immédiatement, dépêche-toi où je me fâche !
    • Tu dis toujours ça et rien ne se passe ! Si tu crois m’intimider avec tes menaces à la noix, tu ferais mieux de fermer ton claque-merde !

    Je me serais bien insurgé contre cette grossière façon de parler, la jeunesse se doit d’être déférente envers une vieille femme, fût-elle, et peut-être à plus juste raison, la Mort, mais Olivier Lamart devinant mon intention me fit signe de me taire.

               _ Ecoute petite, ce n’est pas parce que tu bénéficies d’un traitement de faveur que tu dois exagérer ! File-moi sous la pierre que je ne t’entende plus de la soirée !

               _ Pas question, des journalistes sont venus m’interviewer, je profite de l’occasion pour discuter un peu, on s’ennuie un max chez toi ! Messieurs, j’attends la question suivante !

    58

    Olivier Lamart : je me suis permis de m’immiscer dans cet invraisemblable dialogue :

               _ Alice Grandjean, je ne comprends plus rien, vous nous avez déclaré que vous étiez morte, tuée dans un accident de voiture, et je vous vois traiter avec désinvolture une vieille femme d’un âge respectable, seriez-vous des comédiennes en train de répéter une scène de théâtre pour la fête de fin d’année du lycée. Quant à vous madame, votre déguisement est certes très réussi, je me demande ce vous venez faire dans cet accoutrement digne d’Halloween dans ce cimetière !

               _ Je suis ici chez moi, par contre il ne me semble pas que vous soyez propriétaire d’une concession à perpétuité par ici, alors filez vite avant que je ne me fâche !

               _ Madame, laissez-nous faire notre travail de journaliste, en plus je vous avertis nous avons une permission spéciale du Président de la République pour pousser le plus loin possible nos investigations sur la personne d’Alice Grandjean !

    59

    Le Chef allumait un nouveau Coronado :

              _ Lorsque j’ai vu sa main se crisper sur la hampe de la faux je ne donnai plus très cher de la vie de Lamart, mais non elle s’est calmée.  Je suis curieux de savoir comment ils ont continué l’article, tenez lisez agent Chad, ce Coronado demande à être savouré avec soin.

    60

    Je me saisis du Parisien Libéré que me tendait le Chef, m’éclaircit la voix et entrepris de lire les quelques paragraphes qui terminaient le récit de nos deux chieurs d’encre, ainsi les appelait Jean Lorrain l’auteur de Princesses d’ivoire et d’ivresse :

    Donc toujours d’ Olivier Lamart : C’est à ce moment-là que les deux membres du SSR qui nous avaient invité à cette soirée commencèrent à tirer, des espèces de balles explosives qui arrachaient des morceaux du corps de la vieille femme, il en volait de tous les côtés, il nous a semblé qu’ils tentaient de se regrouper afin de reconstituer le corps, le plus terrible c’étaient les deux billes rouges – nous comprîmes au bout d’un instant que c’étaient ses yeux totalement dissociés et qu’une fois qu’elle les aurait réunis - quel cauchemar ces deux mains osseuses qui tentaient en vain de les saisir – nous serions en danger de mort, nos deux tireurs amorcèrent d’ailleurs une retraite sans s’arrêter une seconde de faire feu vers la sortie du cimetière, nous étions suivis par des lambeaux de squelette, des haillons de tissus noirâtres et ces infernales petites boules qui rougissaient de plus en plus férocement.

    Martin Sureau : une fois que nous eûmes la grille franchie, cette vision d’horreur s’évanouit… dans la voiture personne ne dit mot… Nous sommes revenus au plus vite au journal pour écrire cet article…

    Olivier Lamart : nous étions interloqués par le déroulement de cette soirée. Après en avoir longuement discuté entre nous nous sommes mis d’accord sur les trois points suivants :

    1°) Peut-être avons-nous été victimes d’une manipulation due au savoir-faire de l’Agent Chad et de son Chef.

    2°) Si ce n’était pas le cas, cette enquête remet en cause bien des certitudes sur lesquelles repose notre société.  Elle risque de saper la confiance que tous les citoyens éprouvent pour ainsi dire naturellement envers les autorités de l’Etat et de déboucher sur une crise politique de grande ampleur.

    3°) L’affaire est si extraordinaire que nous avons décidé de poursuivre cette enquête jusqu’au bout. Nous sommes certains que nous parviendrons à dissiper et à expliciter tous les mystères de cet étrange fait-divers. Rien ne saurait résister à l’analyse d’une pensée rationnelle. Nos lecteurs peuvent compter sur nous, il n’est nul besoin de s’affoler, nous parviendrons incessamment sous peu à repérer les investigateurs cachés dans l’ombre qui tirent les ficelles de ce scénario digne d’un film de Zombies. Nous sommes sûrs que nous communiquerons bientôt à nos lecteurs des révélations qui ramèneront ces étranges évènements à ce qu’ils sont en vérité : au-travers de puissantes mises en scène des actions d’intoxication du peuple français venues d’une puissance étrangère.

    Olivier Lamart et Martin Sureau.

    61

    Le Chef ralluma un nouveau Coronado :

               _ Avez-vous remarqué le changement de ton entre le début de l’article et la péroraison finale en trois points, je suis sûr qu’ils ont passé un coup de fil à Octave Rimont Commandant en Chef de la Gendarmerie de Seine & Marne qui s’est tout de suite mis en rapport avec l’Elysée qui a ordonné de minimiser cette affaire, décidemment plus nous avançons plus cette affaire se corse comme dirait Napoléon ! Agent Chad nous ne sommes pas encore sortis de cette auberge !

               _ Absolument d’accord avec vous Chef, mais cette fois-ci nous possédons un fil d’or que les autres seront incapables de discerner et qui nous mènera droit au cœur de l’imbroglio !

              _ Agent Chad, je double la mise, nous en possédons deux !

    A suivre…

  • CHRONIQUES DE POURPRE 580 : KR'TNT 580 : BILL GRAHAM / HARLEM GOSPEL CHOIR / SEX PISTOLS / GUIDED BY VOICES / BABY WASHINGTON / ROCKABILLY GENERATION NEWS 24 / HOT CHICKENS / OSE / CARACARA / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 580

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    22 / 12 / 2022

             BILL GRAHAM / HARLEM GOSPEL CHOIR

    SEX PISTOLS / GUIDED BY VOICES  

    BABY WASHINGTON

    ROCKABILLY GENERATION NEWS

    HOT CHICKENS / OSE / CARACARA

    ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 580

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Pas de gras chez Graham

     

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             Grand organisateur de concerts devant l’éternel, Bill Graham reste aux yeux de tous l’un des personnages clés de la grande saga du rock. Pour s’en convaincre définitivement, il suffit simplement de lire son autobio, un puissant book de 500 pages, Bill Graham Presents: My Life Inside Rock And Out. Puissant car publié sous forme d’oral history, donc vibrant, et la voix de Graham, c’est pas de la gnognote, amigo. Graham est un sacré gueulard, un déplaceur de montages, un rescapé de la mort, un authentique admirateur de grands artistes, un homme à idées, un homme clé, il est toujours là quand il faut, même s’il n’organise pas : Woodstock, Monterey, il s’y rend, pour voir, mais c’est lui qui fait The Last Waltz, qui fait le Live Aid, qui fait les Pistols au Winterland, et bien sûr tous les concerts légendaires aux deux Fillmore, l’East et le West, et quand on dit légendaires, ça veut dire Jimi Hendrix, Sly & The Family Stone, Miles Davis, plus toute la scène de San Francisco dont il est l’un des accoucheurs, et par la suite, il va emmener les Stones et Dylan en tournée. Le book est passionnant, Graham apporte des éclairages fantastiques sur pas mal d’artistes et d’événements, et à aucun moment, il n’envisage de lâcher la rampe, même s’il finit par fermer ses deux Fillmore. Pourquoi ? Parce qu’il ne supporte pas de voir changer les mentalités de ses interlocuteurs. Dans les années 80, le biz commençait en effet à évoluer, mais pas dans le bon sens.

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             On trouvera le vrai Bill dans les pages où il relate lui-même des incidents. Tiens on va en prendre un au hasard pour commencer. Première tournée américaine de Cream en 1967. Bill les fait jouer cinq soirs de suite au Fillmore West avec le Paul Butterfield Blues Band en tête d’affiche. Puis il met Cream en tête d’affiche six soirs de suite avec l’Electric Flag et Gary Burton. Six mois plus tard, il les refait jouer au Fillmore avec James Cotton et Blood Sweat & Tears. Le problème, c’est leur manager, Stigwood. Sur le côté de la scène, Bill a fait installer six chaises pour ses frangines et leurs maris. Stigwood se pointe entouré de deux gardes du corps et demande pour qui sont prévues ces chaises et on lui répond «Pour la famille de Monsieur Graham.» Alors un émissaire de Stigwood vient trouver Bill et lui dit : «Excusez-moi Bill, vous voyez, là-bas, c’est Robert Stigwood, the manager of the Cream. Il aimerait s’asseoir sur ces chaises. Je sais qu’elles sont prévues pour vos sœurs, mais vous pourriez peut-être trouver un autre arrangement ?». Alors Bill lui répond : «Pouvez-vous trouver un autre arrangement pour Monsieur Stigwood ?». L’émissaire le reprend : «No no no, il aimerait que ce soit VOUS qui trouviez un autre arrangement pour votre famille.» Alors Bill qui en a vu d’autres lui balance : «Dites-lui que ce n’est pas possible. Le show va commencer.» L’émissaire fait plusieurs allers et retours et finit par dire à Bill que Monsieur Stigwood se sent insulté - Savez-vous qui il est ? - Bill lui répond que oui, il sait qui il est. «Je suppose qu’il sait aussi qui je suis. Donc il doit savoir qui sont mes sœurs. Voulez-vous aller lui dire que mes sœurs ne bougeront pas de leurs chaises ?». Alors l’émissaire revient voir Bill et lui annonce que le groupe ne jouera que si son patron récupère ces chaises. Alors Bill installe ses sœurs sur les chaises, récupère quatre mecs de la sécurité et va trouver Stigwood pour se présenter : «I’d like to introduce myself.» Stigwood lui répond : «Yes, je sais qui vous êtes, Bill.» Alors le grand Bill abat son jeu : «Good. Soyons-en sûrs. Je suis Bill Graham. Vous êtes Robert Stigwood. C’est votre groupe. Ces trois dames sur scène, sont mes sœurs. Vous ne pouvez pas insulter mes sœurs de cette façon. Maintenant vous devez prendre une décision. Soit vous quittez cette salle tout seul, soit je vous fais sortir de force.» Et pouf, il le fait sortir de la salle, accompagné par deux de ses gros bras. Bill va ensuite trouver les trois Cream dans la loge pour leur expliquer ce qui vient de se passer et Ginger Baker résume la scène en une seule phrase : «Really? That’s marvellous. That IS marvellous.»

             Bill règle tous les problèmes d’homme à homme et le book grouille de problèmes, alors Bill monte au front et affronte les cons et puis aussi les connes, ça grouille sur la planète, tu n’as pas idée, et le book devient vite fascinant, rien que de voir cet homme à l’œuvre. On croit tous que le rock, c’est une amusette, un truc sympa, des guitares, des belles fringues et de la jolie musique, mais en fait, c’est un extraordinaire foutoir et il faut des gens de la trempe de Bill pour tout débloquer, tout orchestrer et épargner aux gens le spectacle du foutoir généré par les cons. C’est la raison pour laquelle il a besoin de ces 500 pages pour en parler. Comme le disait si justement Léon Bloy : «Il y a trop d’imbéciles, on ne peut pas tous les rosser.»   

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             Un autre épisode : Bill vient de lancer le Fillmore Eat à New York et il fait le tour du pâté de maisons pour voir si tout va bien. Il repère quatre kids de 10-12 ans qui donnent des coups de talon dans l’une des portes de secours du Fillmore. Bill leur dit d’arrêter de taper, et il poursuit son chemin. Quand il repasse devant eux, l’un des kids tape encore. T’as entendu ce que j’ai dit ? Et le kid lui répond «Fuck you !». Et il se remet à taper du talon dans la porte. Bill vient se camper devant lui : «Hey !» Le kid arrête et répond : «Yeah ?». Alors Bill lui dit qu’il vient d’acheter le bâtiment et qu’il s’appelle Bill. «What’s your name ?» «Rusty.» Alors il lui parle d’homme à homme : «Rusty, mettons les choses au clair. Je ne veux pas de cette merde ici.» Puis il leur demande à tous les quatre s’ils vivent dans le quartier. Et pouf c’est parti. Bill a établi le contact. Il leur propose aussitôt un petit job, surveiller la rue où on décharge les camions. Vous voulez voir les shows ? Vous entrez dans le bureau et vous y allez. Ici on fait gaffe aux camions et au bâtiment. Ça vous dit de surveiller ? Et pendant trois ans , les kids vont surveiller la rue pour Bill. Ils vont donner un coup de main à décharger pour quatre bucks an hour et vont voir presque tous les shows. «Je n’ai plus jamais eu de problèmes avec eux.» Voilà Bill. C’est ce genre de mec. 

             Ahmet Ertegun l’admire énormément : «Bill Graham n’avait peur de rien. De rien. Comme un guerrier invincible, il affrontait n’importe quelle situation, il passait à travers tout. Syndicats, gros durs, tout. Je le considère comme l’une des vraies légendes du rock’n’roll, parce qu’il disposait d’une incroyable vitalité et d’une forte personnalité. Bill Graham était un immigrant qui vint aux États-Unis avec des idées et des espoirs, et qui trouva une niche extraordinaire. Il s’est construit un monde.» Difficile d’imaginer plus bel hommage, surtout de la part d’un homme qui comme Bill vient de loin. Turquie pour l’un, Allemagne pour l’autre.

             Quand Ahmet dit que Bill ne craint personne, il s’appuie sur des faits réels. Quand Bill s’installe à New York, les Hell’s Angels ont un QG dans le même secteur. Bill programme un concert du Dead, et les Angels veulent entrer gratuitement. Chez Bill, tout le monde paye sa place. C’est la règle. Les Angels gueulent : «Open the fucking doors !». Et Bill leur dit non. Il fait face à une énorme meute. Il reçoit soudain une chaîne en pleine gueule. Il sent le sang couler. Mais il ne bronche pas. Il s’essuie le visage de la main et continue de les fixer du regard, sans rien dire. Rien ne se passe, alors que ça pouvait dégénérer. Silence. Alors ils s’en vont. «À partir de cet instant, nous dit Bill, je n’ai jamais plus eu de problèmes avec les Angels à New York. Comme j’avais tenu bon, ils sont allés tenter leur chance ailleurs.» Il a aussi de sérieux problèmes avec un gang anarchiste qui s’appelle The Motherfuckers. Comme il réclament un droit à s’exprimer, Bill leur file un bureau à l’intérieur du Fillmore, à l’étage. Ils font une feuille ronéotypée qu’ils distribuent dans les concerts. Et puis un jour, Bill tombe sur un texte qui ne lui plaît pas du tout : «On a entendu dire que Bill Graham a perdu ses parents dans un camp de concentration pendant la guerre. C’est une honte qu’il ne soit pas allé avec eux.» Alors Bill les vire du Fillmore à coups de pieds au cul.

             Oui, car Bill est un juif allemand rescapé de la Seconde Guerre Mondiale. Il fit partie d’un petit groupe d’enfants juifs envoyés en France, quand c’était encore possible. Le groupe gagnera ensuite l’Espagne puis l’Afrique du Nord. C’est à partir de Dakar qu’il rejoindra les États-Unis, à bord d’un navire. Il sera l’un des onze survivants du petit groupe d’enfants juifs. Il donne tous les détails. Il faut lire ça.

             Un autre incident captive bien l’attention : une équipe est en train de tourner Last Days At The Fillmore et Mike Wilhelm vient demander à Bill de mettre les Charlatans à l’affiche du dernier concert prévu au Fillmore. Wilhelm est habillé en biker, avec la casquette en cuir et les clous. Bill lui dit qu’il n’y a plus de place. No room. Ils échangent quelques mots et Bill lui dit qu’il préfère mettre au programme des groupes qu’il a déjà vus et qu’il aime bien, et donc les gens les aimeront bien aussi. Le problème c’est qu’il n’a jamais vu les Charlatans. Pas de chance. Alors, dépité, Wilhelm lui répond : «Yeah, well, well, I’d just like to say ‘Fuck you and thanks for the memories, man’, you know?» Bill raccompagne Wilhelm à la porte et lui dit : «La prochaine fois que tu me dis ‘Fuck you’, j’espère qu’il n’y aura pas de caméras dans les parages. Je te péterai les dents et te les enfoncerai dans les trous de nez, fucking animal !». Et Wilhelm lui dit : «Mais je ne te hais pas !». Bill enrage : GET OUTTA HERE! Sors d’ici immédiatement ! Viré le biker. Bill déteste qu’on lui manque de respect.

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             Last Days At The Fillmore vaut le coup d’œil, presque deux heures qui te font regretter d’avoir raté tous ces concerts, car c’est du haut niveau de San Francisco. Le film est sur YouTube,  on ne perd pas son temps à le visionner. Surtout qu’on voit Bill superstar régler ses problèmes au téléphone avec des gens qui ne respectent pas leurs engagements. Fuck yourself ! Tous les plans scéniques sont passionnants, ça commence avec Cold Bood et cette blonde qui y va, une vraie Soul scorcheuse, big bassman derrière, section de cuivres, c’est du solide. Même chose pour Boz Scaggs, l’ex-Steve Miller Band, il joue un immense balladif de big American rock avec un feeling inexorable, il chante à l’accent tranchant - get up make my life shine - il passe un solo magistral et c’est cuivré de frais. Avec The Elvin Bishop Band, il est la révélation du movie. On comprend que Bill ait craqué pour ces gens-là. Cold Blood, Boz et Elvin Bishop, c’est déjà énorme. On passe aux stars avec Hot Tuna. Bill les présente, Papa John Creech, Jack the crack sur sa basse Guild et «the sex symbol of Sandinavia, Jorma Kaukonen». Une sous-Janis avec des gros seins arrive sur scène : c’est Lamb, puis tu as Quicksilver, l’aristocratie psychédélique de San Francisco. Et bien sûr on s’ennuie comme un rat mort pendant It’s A Beautiful Day et le Grateful Dead. La tête d’affiche n’est autre que Santana. Carlos et son gang sont, avec le Dead, les grands chouchous de Bill. Et entre deux plans scéniques, Bill rappelle qu’il fit partie d’un groupe de 60 Jewish kids exfiltrés d’Allemagne quand c’était encore possible et seulement 11 sont arrivés vivants à New York. 

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             Après être entré aux États-Unis en 1941, Bill change de nom et grandit à New York. Il trouve le nom de Graham dans le bottin téléphonique. Comme il s’appelle Wolfgang Grajonca, les gens le charrient, «Hey junkie !». Il cherche un nom approchant en Graj ou en Grak et pouf, il tombe sur Graham - Je voulais un nom simple. Mais je le vis mal depuis, car je n’aime pas ce nom. Je l’ai jamais aimé. Je préférais Grajonca. Mais je n’aimais pas ce que les gens en faisaient - Toute la première partie du book est passionnante, car il entre bien dans tous les détails. Sa première passion est la musique latino, et un club, The Palladium, «at Fifty-five and Broadway, it cost a buck-fifty to get in.» Il raconte qu’il allait au Brooklyn College puis rentrait à Manhattan. «Go to the Palladium, throw my books into the checkroom and dance for hours on end. Till three or four in the morning.» Il ajoute qu’il lui arrivait d’aller directement au collège le lendemain matin. Nuits blanches au Palladium ! C’est extrêmement bien raconté, on se croirait chez Mezz Mezzrow. Il est dingue de Machito, de Tito Puente, de Tito Rodriguez - Everybody dancing and dancing and the entire ballroom would get off. We weren’t all making love at once but we were in the eye of this wonderful storm. Dancing inside this great groove. Time out, world - Et il continue : «Au milieu d’une chanson l’orchestre s’arrêtait, sauf le bassiste. Mais tout le monde continuait à danser. On claquait des mains pour garder le tempo et tout le monde succombait au charme de cette musique, des milliers de gens. On gardait le tempo pendant le solo de basse et l’orchestre revenait. Des milliers de gens. Tout le monde se sentait bien. Everybody felt so good.» Ce passage est capital, car il éclaire le destin de Bill : avec ses Fillmore, il va tenter de recréer ce qu’il vivait au Palladium : l’everybody felt good. Bill ne pense qu’aux milliers de gens dans la salle. «The Palladium a transformé ma vie.»

             D’où le Fillmore. Il commence par organiser ce qu’il appelle des benefits pour The Mime Troupe. Le Fillmore Auditorium appartient alors à un black, Charles Sullivan et Bill va le lui louer pour organiser ses premiers concerts, de décembre 1965 à juin 1968. C’est l’aube de la Scène de San Francisco. Pour son second benefit, il a Grace Slick and Darby Slick and the Great Society, the Mystery Trend avec Ron Nagle, et Frank Zappa le second soir. La grande spécialité de Bill va être de constituer des affiches hétéroclites. Quand il se sépare de Ronny Davis et de la Mime Troupe, il continue tout seul au Fillmore Auditorium. Pour le concert de fermeture, il a Creedence, Steppenwolf et It’s A beautiful Day. Le lendemain, il ouvre le Carousel qu’il rebaptise le Fillmore West, avec à l’affiche le Paul Butterfield Blues Band et Ten Years After. Il peut faire entrer 28 000 personnes dans son Fillmore. C’est Bill qui invente les light-shows et les posters, en plus du reste. Il est à lui tout seul une petite révolution culturelle. Quand il ouvre le Fillmore East à New York, il ambitionne de créer un Apollo pour les blancs - À l’Apollo on disait aux musiciens : «Tu as un truc à dire ? Monte sur scène et dis-le !». Quand tu montais sur scène au Fillmore East, tu savais ce que ça voulait dire. Sound, lights, special effects, light show. You want to show the world your stuff? Do it here. Le Fillmore East est devenu ce que j’espérais. Mais le prix à payer était trop élevé.

             Bill fait même du Fillmore une profession de foi, il est incroyablement déterminé : «À cette époque j’avais 35 ans. Ma génération avait été une génération passive. Mais sur les campus et in the Haight, les peintres et les musiciens s’agitaient, ils voulaient quelque chose de différent, ils ne voulaient pas suivre le modèle de la génération précédente. J’étais là à cette époque de ma vie, l’enjeu était beaucoup plus important que de réussir dans la vie. J’avais sous les yeux de théâtre de la vie. It was a living theater. Everybody was REAL.» Cette notion d’everybody est fondamentale. Bill ne se situe que par rapport à l’everybody. Le collectif, the people, c’est tout ce qui compte. Quand dans Last Days At The Fillmore, on le voit marcher à travers la foule qui fait la queue pour entrer au Fillmore, la caméra est sur son épaule et franchement, tu as l’impression de suivre le Christ, c’est une scène très particulière, les gens savent qui est Bill et lui montrent un immense respect.

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             Comme Totor, Bill est un fervent admirateur de Lenny Bruce. Quand il réussit à le faire jouer au Fillmore, c’est peu de temps avant la fin : «Je ne peux pas dire qu’il ait été bon sur scène. The performances were like eulogies to himself. Les gens n’ont vu qu’un artiste diminué par le harcèlement (a person who had been fucked with for a very long time). It was the living death of a genius (Un génie en train de mourir sur scène). Il s’est attaqué à la loi et il a perdu.» Bill ajoute que les Mothers Of Invention ont sauvé la soirée. «Lenny Bruce était nu sur scène, et vaincu. Six semaines plus tard, il était mort.»

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             À la demande de l’Airplane, Bill devient leur manager. Mais la relation est houleuse car comme le dit Bill Thompson, Bill ne les comprend pas - They had horrible fights - Pour Thompson, Bill était celui qui a rendu possible l’éclosion de la scène de San Francisco, «sans lui, rien n’aurait pu exister, mais il ne les comprenait pas». L’Airplane ne veut pas signer de contrat avec Bill. No way. Paul Kantner dit aussi que Bill ne comprenait rien au fonctionnement de l’Airplane qui était basé sur l’acceptation réciproque de tous les travers - Bill avait ses manies et nous avions les nôtres. Parfois, on s’entendait bien, parfois on ne s’entendait pas - En 1966, tous les groupes déboulent à San Francisco. Dave Rubinson rappelle que les meilleurs étaient Moby Grape et Steve Miller - Big Brother was terrible, c’est-à-dire pas terrible. The Airplane was terrible. The Warlocks who then became Grateful Dead were terrible. All these people, they were horrible - C’est aussi ce que dit Sly Stone qui est à cette époque producteur : il ne supporte pas d’entendre les Warlocks et les autres hippies. Il les considère comme des amateurs. Le seul groupe qui trouve grâce à ses yeux, c’est The Beau Brummels. Rubinson dit aussi que tous ces groupes jouaient du blues mais qu’ils ne savaient pas le jouer. En plus de Moby Grape et de Steve Miller, il salue aussi Sons Of Champlin.

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             Quand Bill programme Otis au Fillmore en décembre 1966, il tombe à genoux : «By far, Otis Redding was the single most extraordinary talent I had ever seen. There was no comparison. Then or now.» Bill raconte Otis sur scène, avec 18 musiciens, «the black Adonis, en costard vert, chemise noire, cravate jaune, he moved like a serpent. A panther stalking his prey. Knowing he was the ruler of the universe. Beautiful and shining, black, sweaty, sensuous, and passionate.» Bill n’en peut plus, c’est à longueur de page, et il ajoute : «C’est en voyant Jimi Hendrix que j’ai réalisé qu’Otis était là avant lui. Jimi fut le premier à avoir un public de blanches qui le désiraient ouvertement. Mais Otis was the predecessor.» Bill se souvient de ses trois soirs au Fillmore : «That was the best gig I ever put on in my entire life. Je le savais alors. Aucun doute là-dessus. Otis pour trois soirées au Fillmore. C’était aussi bon qu’une bonne partie de cul avec une femme qu’on aime vraiment. So was that.»

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             Bill fait aussi découvrir les Staple Singers aux Frisco kids - Mavis Staples for me was the same class as Aretha. They worked with Rahsaan Roland Kirk and Love - Il programme aussi Howlin’ Wolf - It was amazing - Bill récupère les numéros de téléphone de tous ces géants qui ne bossent pas avec des agences. Wolf lui refile par exemple le numéro de Big Joe Williams. Bill explique aussi qu’en 1966, les kids de 17 ans ne savaient pas qui étaient Chuck Berry, B.B. King ou Albert King. Mike Bloomfield et Jorma Kaukonen n’en finissent plus d’insister auprès le Bill : «Chuck Berry doit jouer au Fillmore !». Mais Chucky Chuckah ne veut pas venir jouer. «The Fillmore, man ? I don’t know.» Alors Bill prend l’avion et va le trouver chez lui à Wentzville, dans le Missouri. Chucky Chuckah accepte de venir jouer à trois conditions : tu fournis l’orchestre, tu fournis the Showman Amp et tu fournis la Cadillac à l’aéroport. Bill parvient aussi à faire venir Muddy Waters au Fillmore, à l’affiche avec Butterfield et l’Airplane - Tous les musiciens voulaient voir Otis, mais ils voulaient aussi tous jouer avec Muddy Waters. Otis Spann l’accompagnait et ils ont joué «Hoochie Coochie man» et «I’m A man», I spell M-A-N. Muddy was awsome - Et dans sa lancée, il ajoute : «Muddy was a lot like John Walker. He was older. He had that regal presence. He had lived throught a lot of shit but he didn’t make the world pay for it. Butterfield revered him. Il y a deux ou trois noms dans le business qui figurent on the top ten list of every musician I know. Muddy was one of those people.»    

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             C’est Bill qui lance Janis au Fillmore. Il la compare à Piaf - Au début, il n’y avait pas de stars. Les groupes jouaient, c’est tout. Puis ça a commencé. On la considérait comme une déesse. Ça a dû avoir un effet sur elle. Elle n’avait pas le choix, de toute façon. Elle est devenue star malgré elle. Les filles s’habillaient et se coiffaient comme elle. Ce n’était pas la même chose que Judy Garland ou Billie Holiday qui chantaient dans des clubs. Janis chantait dans toutes ces grosses salles qui sont apparues pendant les sixties. Le résultat est qu’une blanche originaire de Port Arthur, au Texas, est devenue une reine sociologique internationale. Mais elle était restée telle qu’elle était avant la starisation - Chet Helm, le boss de l’Avalon qui avait fait revenir Janis à San Francisco, pense que the Albert Grossman organization qui avait mis le grappin sur elle voulait en faire «the white Billie Holiday, the Blues singer. Down and out and junked out.»

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             Même plan avec Jimbo. Bill se dit big fan - De toute évidence, la gloire l’a affecté au point qu’il ne pouvait plus la supporter. À l’origine, Jim voulait être réalisateur, écrivain et poète. Mais soudain, le monde entier l’idolâtrait. Il fut le premier male sex symbol in rock. He and Hendrix -  Lors d’un concert à Cleveland, Jim dit qu’il vient de réaliser que toutes les femmes présentes dans la salle voulaient baiser avec lui. Même problème avec Jimi Hendrix, le premier artiste noir désiré massivement par des femmes blanches - They wanted to fuck him as a unit. After Otis, he was the first black sex symbol in White America - Quand Otis et Jimi ont disparu prématurément, ça a dû arranger pas mal de gens. On reste dans les monstres sacrés avec Miles Davis que Bill fait jouer au Fillmore West avec Stone the Crows et le Dead. L’idée de Bill était de faire découvrir la musique de Miles aux fans du Dead, mais l’idée ne plaisait pas à Miles. Alors Bill doit aller le voir pour le convaincre - Aller voir Miles, c’est comme d’aller voir le Dalai Lama. Obtenir un rendez-vous, ça peut prendre quatorze ans et demi. Tournez à gauche deux rues plus loin. Trouvez une cabine et appelez. On vous dira où aller. Mais rien de sûr. Il est peut-être là. Il devrait être là. J’ai fini par le rencontrer sur 127th Street and Lennox Avenue, à Harlem - Bill parvient à le convaincre car il lui parle de ses premières amours, Tito Punente, Celia Cruz et Dizzy Gillespie.

             Puis Bill fait jouer Roland Kirk - He destroyed me. La première fois, ce fut au Fillmore Auditorium en 1967. Comme j’avais aussi l’Airplane qui remplissait systématiquement, je pouvais programmer qui je voulais - Alors il programme the Afro-Haitian Ballet et en ouverture, Roland Kirk - Il arriva dans l’après-midi. Forte personnalité. Aveugle de naissance, je crois. Il portait des lunettes noires très bizarres, une robe africaine et une casquette tribale. Il parlait énormément, à propos des injustices, du racisme, de la fraternité et de l’égalité. Mais il était en colère. Comme Nina Simone - Jonathan Kaplan ajoute que Roland Kirk fut le meilleur concert qu’il ait vu au Fillmore - He could play anything.

             Après la fermeture des deux Fillmore, Bill et son équipe vont faire tourner les plus grands artistes de l’époque à travers les États-Unis : Dylan, CSN&Y, puis George Harrison.  

             Bien sûr, Bill ne touche pas aux drogues. Il ne boit que des trucs qu’il décapsule lui-même, il sait que les gens versent de l’acide dans les verres. Jerry Garcia : «La première fois que j’ai vu Bill, c’était à l’Acid Test de Longshorsemen’s Hall. Tu vois ce mec cavaler partout avec un clipboard, au milieu d’une total insanity, I mean total, wall-to-wall, gonzo lunacy. Tout le monde était défoncé sauf Bill. And I was having the greatest time in the world.» Bill qui est curieux va quand même tester les drogues : «Acid is heavy stuff. Je sais que j’ai une forte constitution, aussi pouvais-je gérer ça. J’ai fini par découvrir que je pouvais prendre certaines drogues, comme la mescaline, que j’aimais beaucoup. C’était parfait quand j’avais un peu de temps libre. Je mangeais un magic cookie et me sentais bien, pas d’effets secondaires and no bif to-do. Je me sentais vraiment bien pendant quelques heures. Mais je n’avais pas beaucoup de temps libre.»

             Un autre gros pathos tourne autour de The Last Waltz et de l’ego de Robbie Robertson. Selon Bill, Robertson a un énorme problème d’ego. Le projet part d’une idée de Robertson : concert d’adieu du Band après 16 ans on the road, avec des invités de prestige. Comme c’est organisé au Winterland, c’est Bill qui fait tout le boulot, et bien sûr, ça n’apparaît pas du tout dans ce film que «produit» Roberson et que tourne Scorsese. Un peu après le concert, on dit à Bill que Robertson veut lui parler au téléphone. Bill dit ok, alors qu’il appelle. Roberston finit par appeler et la conversation dégénère. Bill perd patience et lui balance ses quatre vérités. Toute la tirade qui suit est en capitales dans le book, ça veut dire que Bill gueule dans le téléphone : «You forgot to say Thank you, you Motherfucker! On a tous bossé comme des nègres pour toi et tu saluais la foule parce que tu es l’entertainer et tu as eu le culot de quitter le building sans dire merci à personne ? On t’a tout donné à l’œil ! Tout ! T Et tu n’as même pas été foutu de dire merci !» Bill lui raccroche au nez, «and that was it. It was the last time I ever talked to him.» Bon débarras.

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             Alors il faut voir The Last Waltz, même si on n’est pas trop fan de The Band. Des grandes stars de l’époque sont au programme : Doctor John qui a invité Bobby Charles (mais on ne le voit pas, le pauvre Bobby), Paul Butterfield, Muddy Waters, Clapton, Neil Young, Joni Mitchell, Neil Diamond et Van Morrison. Bill se dit très impressionné par Van the man - If you catch him on a good night, there is nobody like him - Il est aussi frappé par le talent des autres - La veille, lors des répétitions, I heard some of the greatest performances of all time. Muddy Waters, Doctor John and Joni were awsome - Pour Bill, The Last Waltz n’était pas un concert, «it was a night to remember. Robbie missed it. Scorsese missed it. J’ai essayé de leur expliquer cette nuit-là, Mais c’était comme de parler à un mur. Bon j’arrête de m’énerver avec ce truc-là.»

             Le film est très pénible. The Band est une épouvantable bande de frimeurs. Nombreux sont les gens par ici qui n’ont pas compris qu’un groupe aussi passe-partout ait pu avoir une telle renommée. Et puis quand on voit Robertson sur scène, on comprend que Bill n’ait pas pu le schmoker. Quel frimeur ! Enfin bref, ils font venir sur scène le vieux Ronnie Hawkins qui les fit démarrer comme backing band, c’est du sans surprise, avec «Who Do You Love». On est presque dans une caricature du rock américain. Ce ballet aseptisé de célébrités est tout ce qu’on déteste. Tu vas voir défiler les pires : Clapton, Ron Wood, et même Neil Young ne passe pas. Par contre, tu en as quelques uns qui parviennent à sauver l’honneur, enfin leur honneur, dans ce piège à cons, le premier étant Doctor John, en nœud pap rose et coiffé d’un béret, fantastique présence, il pianote comme Fess et ramène le jive de la Nouvelle Orleans dans cette foire à la saucisse. On voit hélas trop brièvement les Staple Singers et Pops chante un couplet qui fait oublier pendant une minute toute la frime des petits culs blancs. Van the Man tire aussi très bien son épingle du jeu, à l’époque, il est encore jeune et massif. On voit encore trois géants, Neil Diamond qui ramène tout le prestige du Brill, Joni Mitchell qui swingue incroyablement dans sa robe longue de belle hippie, et Butter qui ramène ses vieux coups d’harp de Chicago. Mais le héros de la soirée, c’est Muddy qui n’en finit plus de rocker l’«I Am Man» à coups d’I’m a mannish boy, d’I’m a hoochie-coochie man et d’I’m a rolling stone, comme si à lui seul il résumait toute l’histoire du rock américain. Et puis tu as aussi Dylan sous un chapeau blanc, pas sa meilleure époque, sur scène il traficote des petits dialogues complices avec les frimeurs et ça devient assez insupportable. Le concert se termine avec tout le monde en cœur autour de Bob pour une version d’«I Shall Be Released». Même Doctor John et Neil Diamond participent à cette foutaise. 

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             Bill a des ennuis avec Led Zep, surtout avec Peter Grant et ses méthodes de gangster - A lot of male agression came along with their shows - Bill raconte comment Peter Grant vient tabasser l’un de ses collaborateurs. C’est d’une incroyable violence. Au point que Bill craint pour la vie de son collaborateur. On est en plein Orange mécanique. D’ailleurs, Bonham s’habille en Droog. Et pouf Bill organise le concert des Pistols au Winterland de San Francisco. Bill aime bien leur son - They were the kings of punk hill. I liked the rawness, I liked some of their songs. They really kicked ass - Mais il doit se farcir McLaren. Même plan qu’avec Stigwood, l’Anglais prend Bill de haut et c’est une grave erreur. La scène que décrit Bill se déroule dans le backstage, où il rencontre McLaren qui insiste pour le voir - A short Peter Asher. Des taches de rousseur plein la gueule, comme dans une bande dessinée. Il porte un béret et brandit une canne. Assez brillant et bien branché. Il savait dans quelle époque il vivait. «Vous êtes Monsieur McLaren?», et il me répond : «Comment allez-vous ? You’re the Yank ?». Alors je lui dis : «Faites-moi une faveur. Ne m’appelez pas Yank. Call me Bill. Monsieur Graham. Appelez-moi comme vous voulez. Mais pas Yank - Puis Bill en vient directement au problème, car il y a un problème - McLaren dit : «On veut que Negative Trend joue avant nous.» I said : «J’ai entendu dire que vous envisagiez de ne pas jouer si Negative Trend ne jouait pas, c’est bien ça ?». Il répond : «Well, je suis sûr qu’on va trouver une solution» - Bill qui ne supporte pas le chantage va lui baiser la gueule en beauté. Il met Negative Trend au programme après les Pistols, et à la fin du set des Pistols, il dit à son régisseur d’envoyer la musique de «Greensleeves». À San Francisco, chacun sait en entendant «Greensleeves» qu’il faut évacuer la salle, alors la salle se vide complètement, et quand Negative Trend monte sur scène, la salle est vide. Celui qui va baiser la gueule à Bill n’est pas encore né.

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             Bon, il reste les Stones. Le plus gros morceau. Les Stones confient à Bill la tournée américaine de 1981. Bill : «We were dancing with Big Bertha. I mean, this was the Rolling Stones.» La tournée de 1981 est une méga tournée, an all-stadium tour, avec 35 semi-remorques. Bill assiste aux répétitions, à Longview Farm, dans le Massachusetts - J’entrais dans la grange où ils étaient installés and there was that sound. They worked very hard. Ils répétaient pendant des heures et des heures. Je savais alors que j’allais vivre une expérience similaire à celle que j’avais vécue avec Dylan en 1974. Je savais que si le groupe restait en bonne condition et qu’on éliminait tout le bullshit on the road, que s’il n’y avait pas de bras de fer ni d’engueulades, ça allait être énorme - Bien lancé, il continue : «Comprenez-bien ceci : Bill Wyman et Keith Richards n’étaient pas des gens normaux. Ils étaient des Rolling Stones. Ils appartenaient à la royauté depuis vingt ans.» Bill en prend plein la vue avec ces mecs-là. «Tous les deux jours, j’allais courir avec Mick. C’était une expérience nouvelle pour moi, car je travaillais avec un grand artiste aussi bien sur le plan créatif que conceptuel. Mais ils gardaient tout le contrôle. Ils pouvaient opposer leur veto à ce que je proposais. Tout se passait en tête à tête. Il n’y avait pas d’intermédiaire. C’est un peu comme s’ils peignaient. Je pouvais leur dire ce que je pensais des peintures. Et ils me donnaient leur avis.» C’est Bill qui choisit les premières parties. Pour un concert à Rockford, dans l’Illinois, il fait jouer les Go-Gos. Il fait aussi jouer Etta James et les Neville Brothers. Pour une date au Texas, Bill se tape une nouvelle embrouille, cette fois avec Bill Hamm, le manager de ZZ Top. Hamm ne veut qu’un seul Texas band à l’affiche du concert des Stones, et ce sera ZZ Top. Bill est donc obligé de virer Molly Hatchet, alors que les places sont vendues et les T-shirts imprimés. Il les remplace par The Fabulous Thunderbirds - L’émissaire d’Hamm rappelle. Désolé de vous dire ça, mais voici le message. Direct from Bill Hamm. ZZ Top ne joue pas si les Fabulous Thunderbirds jouent. Alors je lui dis : ça ne me pose aucun problème si ZZ Top ne joue pas. Si la presse me pose des question, je leur dirai la vérité sur ce qui s’est passé. Résultat : ZZ Top a joué toutes les dates. Mais comme je l’avais défié, Bill Hamm n’a jamais autorisé ZZ Top à rejouer pour moi. Quand ils jouent à San Francisco, ils bossent avec un autre promoteur - Bill sait tenir tête aux tyrans : «À mes yeux, des gens comme ZZ Top, mais surtout Bill Hamm, incarnent les abus de pouvoir qui sont monnaie courante dans les hautes sphères du rock’n’roll. Et ça continue encore aujourd’hui.» Bill a compris autre chose en faisant tourner les Stones : «Tous les groupes qui ont joué en première partie des Stones ont connu le succès. Ça leur a ouvert le marché. Ce fut le cas pour Stevie Wonder en 1972, pour Muddy Waters, B.B. King et Ike & Turner en 1969, pour les Neville Brothers et Tina en 1981.» Bill fait jouer Iggy Pop en première partie des Stones au Silverdome de Pontiac, dans le Michigan - He was a favourite of Keith’s. Il est arrivé en mini-jupe de cuir et en bas résille - Pour Bill, emmener les Stones en tournée dans le monde entier fut la consécration de sa carrière.

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             Il organise aussi le fameux Amnesty Tour, mais il en sort écœuré. «Aucun projet ne m’a autant attristé et épuisé que celui-là. Rien que de voir ce qui est arrivé à des gens confrontés au big ball game. Il fallait voir la façon dont ils se comportaient et dont ils parlaient aux autres gens. Je ne veux pas passer mon temps à gueuler pour expliquer aux gens qu’ils ont tort et que j’ai raison, mais dans ce cas-là, tellement de gens avaient tort. Les abus de pouvoir à très haut niveau ont battu tous les records.» C’est là que Bill entre en dépression. Il fait un bilan : «Mes problèmes relationnels et la culpabilité que j’éprouve à ne pas pouvoir préserver une relation sentimentale, l’incendie de mes bureaux à San Francisco, le Live Aid en 1985, l’Amnesty U.S.A en 1986, le concert en Russie en 1987, tout cela m’a enfoncé financièrement, mais tous ces événements n’avaient rien à voir avec le profit. Je cherchais une échappatoire.» La cerise sur la gâtö, c’est la rupture de sa relation professionnelle avec les Stones qu’il avait pourtant déjà emmenés en tournée aux États-Unis. Les Stones vont travailler avec une autre organisation et ils n’osent pas le lui dire en face - Ma force reposait sur la confiance que j’avais en moi et sur la foi que j’avais dans mes capacités. Mais cette fois, je me sentais privé de force - Quand il comprend qu’il a perdu la tournée américaine des Stones, Bill dit qu’il pense au suicide. «Pour la première fois de ma vie, ça apparaissait comme un choix. J’ai soudain compris que j’avais passé toute ma vie à ignorer les sérieux problèmes issus de mon enfance. Je me sentais coupable d’avoir survécu alors que d’autres étaient morts.» Bon, il finit par se reprendre, juste avant d’aller casser sa pipe en bois dans un accident d’hélicoptère. Vers la fin du book, il fait en effet un comeback extraordinaire : «My mind is back. J’ai les idées claires. J’ai retrouvé de l’énergie. Mais perdre les Stones, c’était comme de voir ma fiancée préférée devenir une pute.» 

    Signé : Cazengler, Bill gras double

    Bill Graham Presents: My Life Inside Rock And Out. Doubleday 1992

    Martin Scorsese. The Last Waltz. 1978

    Richard T. Heffron& Eli F. Bleich. Last Days At The Fillmore. 1972

     

     

    Besoin de personne en Harlem Davidson

     

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             Chaque fois qu’un Gospel Choir traîne dans les parages, ça recommence : on voit se pointer des solistes capables de rivaliser avec les plus belles stars de l’histoire de la Soul. Le Harlem Gospel Choir est nettement moins puissant que le Mississippi Mass Choir, mais les solistes, hommes comme femmes, sont de véritables bêtes de Gévaudan.

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    Quand ils viennent s’installer au-devant de la scène pour taper un cut en solo, c’est un véritable festival. On ne connaît pas leurs noms. Mais le gros black aux cheveux teints en rouge vaut largement Solomon Burke.

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    La petite black vaut largement Martha Reeves, elle chante avec toute la niaque d'Harlem, celle qui vient faire «Oh Happy Day» envoie l’Happy Day valdinguer dans les étoiles, et puis une grosse black lady vient taper un «Amazing Grace» qui bat tous les autres à la course.

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    Tu as aussi un petit barbu qui fait son Marvin Gaye l’air de rien, et le troisième mec du Choir tape des trucs plus reggae. Alors ça ne rigole plus. Ces gens sont invraisemblables, ils chantent tous et toutes dans des styles différents, et tu te retrouves avec un concert de Soul extravagant. Comme ils rendent hommage à Nina Simone, une big black lady vient taper «Ne Me Quitte Pas» et ça passe comme une lettre à la poste. Ils et elles font tous le show, tous les neuf, et comme ce sont tous des surdoués et qu’ils chantent des énormes classiques, ça monte droit au cerveau. Quand on parle de dimension artistique, il faut savoir de quoi on parle. Tout est là. Tu as d’un côté les vieux groupes français de la soirée New Rose et de l’autre l’Harlem Gospel Choir.

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    C’est malheureux à dire, mais choisis ton camp, camarade. Quand les blacks chantent, ils chantent, ils ne font jamais semblant, on le sait depuis soixante ans et ça se vérifie encore tous les jours, surtout quand on s’immerge dans un océan de grands albums de Soul, de blues, de funk, de gospel et de r’n’b. Sans parler de Sly Stone, de Jimi Hendrix et de Funkadelic. Tous ces gens te remplissent facilement une vie. Tu as de quoi t’occuper quand tu rentres dans la discographie de James Brown ou de George Clinton, quand tu repasses Motown au peigne fin, et puis Stax et Malaco et Hi et Ichiban, tu n’en finis plus de t’extasier, les possibilités sont infinies, et derrière tout ça, tu as un diable nommé Ace qui t’envoie des piqûres de rappel sous la forme de compiles fabriquées par des fans de la vingt-cinquième heures pour les fans de la première heure, et tous les habitués d’Ace le savent, chaque fois ça clique !

             Pour un artiste black, la question du niveau artistique ne se pose jamais : elle est innée. Il fut un temps où c’était pour eux une question de marche ou crève. Tu avais intérêt à être bon pour que les patrons blancs qui possédaient les labels te reçoivent dans leur studio et te payent pour quelques enregistrements. L’histoire de Skip James est l’une des plus parlantes : une bouteille de whisky pour une poignée de cuts qui allaient devenir des classiques du blues. Aujourd’hui, on vit dans un monde où les blancs n’ont même plus besoin de savoir chanter pour devenir riches et célèbres. On ne va pas citer de noms, mais vous les connaissez tous. Le mainstream grouille de gens ineptes. On doit vivre avec ça. De toute façon, on ne peut rien y changer. Le biz fait son biz et nivelle par le bas : télé, musique, tout part à la baisse, mais c’est une baisse qui dépasse toutes les expectitudes. Parce ce que ça correspond à la demande. Ça ressemble étrangement à la décadence de l’empire romain. Toujours le même refrain. Bon on va s’arrêter là, pas la peine d’aller se mettre la rate au court-bouillon.

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             L’Harlem Gospel Choir est accompagné par un beurrreman et un pianiste. À la sortie du concert, tu peux acheter un CD. Aucune information, tu n’y trouveras pas les noms des gens qui chantent. Ni les covers de Nina Simone. C’est encore autre chose. Tu y retrouves l’«Oh Happy Day», avec une bonne approche, mais ce n’est pas la merveilleuse approche scénique. L’«Oh Happy Day» passe un peu à la trappe. Aucune commune mesure avec ce qui se passe sur scène.  La version de «Souled Out» qu’on trouve sur ce CD vaut n’importe quel grand classique de Soul.   Ils prennent le prétexte du Lawd pour groover l’église en bois. Les filles font bien le Souled out, one more time ! I’m souled out ! Dommage qu’on ne trouve pas les noms des solistes. Aucune info non plus sur le site du Choir. La version d’«Amazing Grace» qu’on trouve sur l’album n’est pas non plus aussi brillante que la version live, mais elle lui tord quand même le cou.

    Signé : Cazengler, grosse pelle couard

    Harlem Gospel Choir. La Traverse (76). 30 novembre 2022

    Harlem Gospel Choir. CD Harlemgospelchoir.com

     

     

    Wizards & True Stars

     - Sex pactole (Part Three)

     

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             Ces derniers mois, Luke Haines et John Lydon, les deux plus belles bêtes de Gévaudan du rock anglais, se sont farci la même victime : Pistol, le fameux biopic TV consacré aux Sex Pistols. Crouch crouch ! Dévoré tout cru.

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             On a vu quelques images extraites de ce biopic dans la presse anglaise. Quelle poilade ! C’est d’un ridicule qui dépasse l’imagination. Les faux Pistols de la série TV n’ont strictement rien à voir avec les vrais. C’est tellement choquant qu’on comprend la Haine de Lydon et le souverain mépris d’Haines. Ce dernier consacre d’ailleurs sa chro du mois d’August aux biopics et attaque au «Hail hail the rock’n’roll biopic». Haines commence par dire qu’il y en a un sur cent de bon, et il ne comprend pas qu’avec un taux de réussite aussi bas, des réalisateurs risquent la faillite dans ce genre d’entreprise - I mean, vous avez intérêt à aimer Queen a bit too much to stump up for the horror that is Bohemian Rhapsody - Rassure-toi, Luke, on n’aime pas Queen. Puis il avoue avoir vu le premier épisode de Pistol, «Boyle’s disastrous TV-cation of Steve Jones’ Pistol memoir». Son TV-cation sonne étrangement comme defecation. Sans doute fait exprès, connaissant les pratiques de la main froide. Et il développe : «Voilà qu’arrivent les posh actor kids avec leur double-barrelled names, far too corn-fed and gym-friendly to believely mimic 70s herberts Cook and Jones.» C’est une langue extrêmement riche, comme le fut celle de Léon Bloy au temps où il pourfendait à la hache les prétentieux butors de la scène littéraire, ceux qu’il appelle les Belluaires et Porchers. Pour devenir le roi des pamphlétaires comme le fut Bloy en son temps, il faut une langue magnifique et terrible à la fois, et Luke l’a. Il décrit ensuite un Johnny Rotten «qui ne fait pas peur», la Nancy Steppin Stone et le pire du tout -worst of all - here are the 1976 mohicans. «Comme tous les fools, sauf Danny Boyle, le savent, the mohawk atop an English punk rocker was not seen until at last 1980.» Pas d’iroquoise au temps des Sex Pistols, tout le monde le sait, alors ?

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             Plutôt que d’écouter Nevermind The Bollocks, les gens vont aller voir cette prodigieuse supercherie. Dans Record Collector, John Lydon ne décolère pas. Il est encore plus enragé qu’au temps de «God Save The Queen» et du fascist regiiiime. Six pages d’interview, il commence par voler dans les plumes de Pandemic et des petites arnaques collatérales, celle des masques obligatoires et des vaccins - I like dilemmas, I like issues, I like problems - c’est dans sa nature, c’est grâce aux fucking problems qu’il écrit des chansons. Et puis Johnny Sharp le branche sur le récent combat judiciaire qu’il a mené contre la série TV Pistols et ses anciens collèges Jones, Cook et... Matlock, qui étaient tous les trois favorables à la diffusion de cette fucking TV-cation. Lydon n’y va pas par quatre chemins puisqu’il parle de very perverse, greedy situation. Évidemment, les trois autres font ça pour le blé - Ils sont allés devant un tribunal pour m’empêcher de donner mon avis - Il ajoute qu’il n’a jamais vu aucun script de la série, il ne savait pas non plus qui allait incarner son rôle à l’écran. Il a fini par découvrir sur Internet une image de lui et Nora, sa femme, incarnés par des gens qu’il ne connaît pas. C’est le bouquet ! Il insiste, on ne m’a jamais rien dit de ce projet - That’s fucking evil - Sharp insinue que des gens prétendent lui avoir parlé du projet. Indigné, Lydon se lève. C’est faux ! They did not. Coup d’épée dans l’eau, cause toujours mon bonhomme. On le prévient 4 jours avant la parution officielle alors que le projet est lancé depuis deux ans ! Deux ans que les acteurs ont été engagés et le tournage planifié - How come you left the main man while using his image all over the place? Fucking cunt liar. Et tout ça avec the corrupting influence of Disney’s Money.

             Ce que John Lydon dénonce, c’est à la fois la cupidité de ses anciens collègues et la scandaleuse récupération commerciale du phénomène sociologique que furent les Sex Pistols, la pire forme de récupération qui soit : l’américaine. Les Sex Pistols furent un groupe important pour pas mal de gens, non seulement parce qu’ils avaient du génie, mais aussi parce que Johnny Rotten incarnait parfaitement l’anarchie, qui par définition, est incorruptible. Elle en est même le symbole. Les médias américains se payent une belle tranche d’anarchie à bon compte. Le principe est révoltant. Mais on vit dans ce monde. Il ne faut plus s’étonner de rien. Le seul intérêt que présente ce nouvel épisode du nivellement par le bas est de pouvoir entendre hurler dans les causses notre bête de Gévaudan préférée.

             Le journaliste Sharp qui se prend pour un habile provocateur indique à Lydon qu’il a déjà vu deux épisodes de la TV-cation et, pour enfoncer son petit dard, il ajoute que l’acteur fait une bonne version du Rotten. Ça fout Lydon en rogne d’entendre ça : «Tu parles d’une «version» de moi ? Si tu veux faire ma connaissance, talk to me. Simple as that.» Plutôt que d’écharper Sharp, Lydon réussit miraculeusement à se calmer, et dit avoir chopé le trailer sur YouTube. Ça l’a bien fait marrer - On dirait une bande de middle-class kids in the student union bar (et il prend un accent maniéré) ‘Oh yaaaas, we’ve gawt to offer the kids chaos’, or some crap-arse line like that. It’s absurd! God almighty! - Et là Lydon explose, son poing tombe sur la table et toutes les bouteilles de San Pellegrino s’en vont valdinguer. Il a raison d’exploser, à sa place, on en ferait tous autant, God almighty!, il rappelle qu’il a mené seul un premier combat judiciaire contre McLaren pour réclamer les royalties qui étaient dues au groupe et il a gagné ce combat - I won the case - Mais ça ne s’arrête pas là : il a partagé en quatre, alors qu’il n’était pas obligé - I gave them equal rights as the end result - et bien sûr il ne comprend pas qu’aujourd’hui, les trois autres magouillent dans son dos pour l’écarter du projet de TV-cation. C’est dingue ce que les gens peuvent être retors. C’est dingue comme la nature humaine peut être pourrie. 

             Voyant John Lydon retrouver son calme, Sharp s’éponge le front et retitille la bête. Il fait l’hypocrite et s’inquiète : est-ce que cette sombre histoire de TV-cation ne va pas ternir la réputation des Sex Pistols ? Lydon hésite un moment à lui sauter dessus pour lui broyer la gorge. Il se retient et justesse et lui répond sèchement : «No. Ça va les ternir eux.» Voilà : la sentence est tombée. Les trois autres Pistols sont discrédités à perpétuité. Magnanime, Lydon ajoute que le projet aurait pu être intéressant s’ils l’avaient monté tous les quatre. Mais les trois fourbasses ont préféré agir en douce. Pour Lydon, ses anciens collègues sont «les rats qui coulent le navire». Tant pis pour eux. Lydon était la seule caution amorale du groupe. Plus important encore, il rappelle à Sharp que ces gens-là n’ont jamais été ses amis. Son seul ami fut Sid Vicious. Les autres formaient une petite clique avec McLaren. Ils étaient tous jaloux de la popularité de Johnny Rotten, forcément, c’est lui qu’on voyait en couve du NME et qu’on entendait chanter Anarchy, God Save et les dix autres hits intemporels. Des hits dont il a écrit les paroles. Lydon choisit d’ailleurs le fameux Great Rock’n’Roll Swindle comme exemple pour illustrer son propos : le film a été tourné sans lui. Raison pour laquelle c’est un tas de merde. Ça va loin, cette histoire, car il passe aux révélations : même au cœur de l’action, c’est-à-dire à l’apogée du mayhem, McLaren complotait dans l’ombre pour le remplacer. Pour lui, John Lydon, c’était une épreuve quotidienne que de faire partie des Sex Pistols - I managed to endure it. But as I said, just smile in the face of adversity - Et ça continue, ce sont les mêmes qui dégradent le mythe des Sex Pistols pour en tirer du blé facile, c’est exactement ce qu’ils ont fait avec The Great Rock’n’Roll Swindle. Soudain John Lydon lève les bras en l’air, il redevient le temps d’une tirade le rocker le plus pur d’Angleterre : pour lui, les Sex Pistols étaient un phénomène extraordinaire - It was something ferocious, Society-changing, Culturally significant, historical. And it has now become a silly little TV production - Alors comme le fit Léon Bloy en son temps, John Lydon pourfend les médiocres : «Ils étaient jaloux du fait que je pouvais aligner deux phrases ensemble - il prend alors une voix plus grave - ‘Duh, the trouble with John is he thinks too munch’. Ha ha ha ! Si tu veux connaître le point de vue de Steve Jones, c’est tout ce que tu peux espérer.» Complètement inconscient du danger, Sharp fout de l’huile sur le feu en ramenant le nom de Matlock dans la conversation : «Glen (Matlock) pensait que votre ego got out of control et que vous pensiez être à vous seul les Sex Pistols.» Lydon fume de rage. Au fond de ses yeux noirs brille un éclat meurtrier : «C’est un homme qui au tribunal a déclaré : ‘I just want the money.’ Voilà ce qu’il a dit au tribunal. Et maintenant il tente de s’excuser d’avoir dit ça.» On n’aimerait pas être à la place du pauvre Matlock, car c’est un déshonneur. Mais au point où on en est, ça n’a plus d’importance. Seul compte le point de vue de John Lydon. Il compte autant aujourd’hui qu’en 1977, quand on entendit pour la première fois «Anarchy In The UK».

             Intrigué par l’histoire du «remplacement» qu’évoquait Lydon, Sharp y revient. «Pensaient-ils à quelqu’un en particulier pour vous remplacer ?» Et Lydon répond, sec et net : «Yes! Malcolm.» Boom. Ça tombe comme une sentence. Lydon se marre, il rappelle, entre deux crises de larmes, que McLaren voulait aussi être maire de Londres.

    Signé : Cazengler, Johnny Roti

    Johnny Sharp : I’m alive by the skin of my teeth. Record Collector # 532 - June 2022

    Luke Haines : In the biopic of it. Record Collector # 534 - August 2022

     

     

    L’avenir du rock

    - Le Guided spirituel

     

             Invité au bal costumé du Bœuf sur le Toit, l’avenir du rock s’y rend déguisé en Jeanne d’Arc. Il n’a pas froid aux yeux. Il sait que des gros malins vont essayer de le faire cramer, alors il accroche un extincteur en bandoulière. En marchant, il fait un raffut de tous les diables - rrrang cling clang clong - car il porte une vraie amure, complète jusqu’aux gantelets et aux solerets d’acier. Sans compter l’extincteur qui cling-clongue sur l’acier, au dos du plastron. Pour renforcer l’impact mystique du personnage qu’il a choisi, il s’est maquillé comme une pute. Il ressemble à Riquita, le trave qui chantait Piaf chez Michou. Il entre, rrrang cling clang clong, et tombe aussitôt sur Hemingway déguisé en espadon. Tiens, voilà Cendrars déguisé en cul-de-jatte à la Buñuel ! Il lui reste encore un bras pour se mouvoir à l’aide du fameux fer à repasser emprunté à Man Ray. Blaise en bave. Pas simple, avec tous ces clous collés sur la semelle du fer. Cocteau est là, bien sûr, déguisé en planche à dessin et Raymond Radiguet tourne en orbite de rut, déguisé en spoutnik. Fargue déguisé en promeneur des Deux Rives converse avec Prévert déguisé en inventaire. Rrrang cling clang clong, l’avenir du rock va au buffet se servir une assiette de crudités et un verre de pif bien mérité. À côté de lui, Breton déguisé en Staline remplit ses poches de cuisses de poulet froid, sous l’œil amusé d’Igor Stravinsky, déguisé en printemps. Sur la petite scène, Arthur Rubinstein déguisé en Khali joue un air de jazz à six mains. Attiré par ses très jolis seins, l’avenir du rock se rapproche, rrang cling clang clong, de Joséphine Baker déguisée en carte postale érotique. Mais comme elle se fait draguer par Simenon, il retourne au buffet se servir un autre verre de pif. Un trave absolument délicieux vient trinquer avec lui.

             — Ravi de te trouver là, avenir du rock ! J’ai bien failli ne pas te reconnaître...

             — Permets-moi de te retourner le compliment, Marcel. Tu es ravissante.

             — Oh c’est une idée de Man Ray. On a fait quelques photos. Appelle-moi Rrose Sélavy, si tu veux bien.

             — Ravi de faire votre connaissance ma chère Rrose... Comme vous sentez bon, votre parfum me fait tourner la tête !

             — Ce parfum s’appelle Eau De Voilette. Mais dis-moi, avenir du rock, pourquoi as-tu choisi cet accoutrement ridicule ?

             — Voyons Marcel, c’est enfantin. Jeanne quitta Domrémy guidée par des voix. C’est dans tous les livres d’histoire !

             — Ah, Guided By Voices ! Alors là bravo, tu m’en bouches un coin coin d’esquimau aux mots exquis.

     

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             En fait, la vraie Jeanne d’Arc du rock, c’est Robert Pollard. Il entend lui aussi des voix. S’il a nommé son groupe Guided By Voices, ce n’est donc pas par hasard. Il se pourrait fort bien que Guided By Voices soit le groupe le plus mystique d’Amérique. Il faut bien sûr entendre mystique au sens où l’entendait Dreyer.   

             Guided By Voices est maintenant devenu une vieille habitude. Un album paraît ? Allez hop, rapatriement automatique. Ça fait trente ans que ça dure. Le groupe de Robert Pollard est probablement l’une des rares résurgences de l’American Dada, même si l’on sait que Dada est improbable aux États-Unis. C’est dirons-nous une façon de les situer sans vraiment les situer sur l’échiquier des relations internationales. Le groupe sort en moyenne deux albums par an et chaque album propose en moyenne trois ou quatre petites merveilles insolites. Les Guided fonctionnent de manière semble-t-il artisanale, ils enregistrent dans la cuisine, Robert Pollard fournit les textes et les prétextes, il colle sur ses pochettes des découpages à la Max Ernst et donne des titres libres comme l’air à ses albums. Il s’inscrit donc dans un process créatif permanent et cette constance lui vaut le respect d’un petit paquet de gens à travers le monde. Malgré ses cheveux blancs, Robert Pollard assure mieux que personne l’avenir du rock.

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             Dans Shindig!, Camilla Aisa dit la même chose, mais avec d’autres mots : «On a découvert que le lo-fi abruptness and fine melody flair, surrealistic lyrics and beer-fuelled garage sketches étaient non seulement compatibles mais aussi une combinaison explosive.» Elle en déduit qu’Uncle Bob, comme elle l’appelle, et ses amis Guided, sont devenus des cult heroes. Elle est très fière d’ajouter qu’Uncle Bob lui a accordé l’une de ses très rares interviews.

             Plutôt que de titrer ‘Wild flyer’s dulcet glue’, elle pense qu’elle aurait dû opter pour ‘Zen and the Art of Life According to The Four P’s’, les quatre P étant Pop, Psychedelic, Punk and Prog. Le résultat est the titanic discography de l’un des songwriters les plus prolifiques et elle rappelle qu’autour des Guided gravitent d’autres pollarderies : Circus Devils, Boston Spaceships, Cash Rivers & The Sinners et bien sûr tous les albums solo.

             Et hop voilà que commence la valse des références. Uncle Bob démarre comme tous les petits rockers américains par les Beatles on a TV screen puis il cite en vrac «Wire 154, the cover of In The Court Of The Crimson King, The Monkees, AC/DC et Cheap Trick. Too many to continue. REM’s Murmur, Selling England By The Pound, Carole King and Jimmy Webb.» Mais surtout la pop anglaise des sixties, il continue de fouiner à la recherche de new old music (the more obscure, the better), et parmi ses récentes découvertes, il cite Stray, T2, Janus et... Crushed Butler.

             En 2020, les Guided ont augmenté la cadence pour sortir trois albums, au lieu des deux habituels : Mirrored Aztec, Surrender You Poppy Field et Styles We’ve Paid For.

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             Avec Mirrored Aztec, ils ont opté pour la pochette psychédélique, osant même le gatefold, mais à l’intérieur on tombe sur un très beau collage d’Uncle Bob. Il produit un tel choc esthétique qu’on sait se trouver face à une œuvre d’art. Depuis le début, tout est étrange chez Uncle Bob et principalement la musique, comme le montre ce «Math Rock» en fin de balda - designed to drive Doug crazy - Doug étant Doug Dillard, le guitar hero des Guided. C’est une private joke, mais dans les pattes des Guided, ça prend une fière-très-fière allure. Encore du Dada pur en B avec «A Whale Is Top Notch» - I got pigeons and bees/ C’mon - Uncle Bob s’en donne à cœur joie et si on est amateur de liberté de ton et éventuellement lecteur de Jésus-Christ Rastaquouère, alors on se régale. Les Guided font aussi partie des meilleurs power-popsters d’Amérique, comme le montre «Bunco Men», pièce courte et ludique, bien lestée de power chords, so come on down. Chaque cut est sculpté comme un objet d’art, charmant et chantant, concis et ramassé - but I’m easier/ So get easier («Easier Not Charming») - «Lip Curlers» n’est en fait qu’un prétexte pour chanter et puis on tombe en B sur deux énormités, «Haircut Sphinx» - Haircut sphinx/ Drink and drink, qu’il termine avec l’énigmatique everywhere you blow the winds of change, comme s’il s’agissait d’un hommage à Dylan - et «The Party Rages On», l’un de ces cuts de rock surnaturels, typiques du Pollard total - Speaker was blown out/ Judah was thrown out.

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             On sent une belle petite baisse de régime sur Surrender You Poppy Field. On passe à travers toute l’A et en B, on devra se contenter d’une petit shoot ramollo de power-pop («Physician») et d’un simili regain de verdeur («Man Called Blunder»). Mais pour le reste, ceinture. Même la pochette est ratée. Uncle Bob en fait trop, ça serait marrant si tous les albums étaient bons, mais là il exagère. C’est un billet de vingt gaspillé pour des prunes, comme dirait Gide.

             Uncle Bob insiste pour dire qu’il n’y a pas de filler sur ses albums. Si certains semblent plus solides que d’autres c’est parce qu’il s’y trouve a larger number of great songs. Il tient à préciser que les Guided sont un song band et un album band - Un album band parce qu’il semble toujours exister un lien conceptuel entre la musique et l’imagerie - Il dit aussi qu’il existe des grands groupes qui ne sont pas nécessairement des album bands, ils ont des hits mais leurs albums ne sont pas forcément intéressants. Par contre, il sait que les Guided n’ont pas de hits - Good songs but no hits, so we’d better be an album band - Il revient aussi sur sa passion du collage, pour dire que les chansons sont comme ses collages, des montages qui finissent par fonctionner, du moins à ses yeux. Ça donne un wild playground with no closing time - I don’t know what I’m talking about most of the time. La signification vient un peu plus tard. So it’s a game we play together. A jigsaw puzzle - Uncle Bob revient sur l’art pour dire qu’il préfère l’art qui n’a pas de sens - I think art is far more interesting when it doesn’t make sense - Et bien sûr il cite Max Ernst et la fameuse «rencontre d’une machine à coudre et d’un parapluie sur une table d’opération».   

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             Styles We’ve Paid For arbore l’un de ces collages qui font la grandeur du Pollard total. Graphiquement parfait, comme l’est «In Calculus Stratagem» en B, un mélopic magique de deux minutes. L’autre énormité de l’album s’appelle «Mr Child», sévèrement riffé à la Guided motion, l’étendard de la pop claque au vent, crois-le bien. Ils ramènent aussi la cocote Guided pour «Megaphone Riley» et sortent du garage les bongos et les congas de Congo Square pour «They Don’t Play The Drums Anymore». On attend chaque fois des miracles d’Uncle Bob et il ne nous déçoit pas souvent. Ce qui frappe le plus dans les albums des Guided, c’est l’omniprésence de l’intelligence. C’est important de le signaler car une grande majorité des albums qui circulent sur le marché en manque tragiquement. Oh on ne va citer de noms, tu les connais bien, les toquards. Uncle Bob fait encore de la grande pop ensorcelante avec «Stops». Chaque cut se montre à la fois intéressant et original, même si on se dit chaque fois qu’on a déjà entendu ça dans un autre album des Guided. Le jeu consiste tout simplement à vivre dans le présent des Guided. Ils se tapent aussi une partie de samba Guided avec «Crash At Lake Placebo». Le titre à lui tout seul est tout un programme.

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             Et pouf, deux albums en 2021, It’s Not Them It Couldn’t Be Them It Is Them et Earth Man Blues. La pochette du premier s’orne d’un zozo ramonesque, clope au bec et mousse en main, avec en plus au dos un peu de poésie urbaine : une citerne marquée ‘Acid ranch’. «Dance Of Gurus» est l’un de ces coups de génie dont on sait Uncle Bob prodigue. Il crée un microcosme poppy avec une vraie histoire and the homeless man says/ Yeah headed home - Magie pure. Même chose en B avec «Cherub And The Great Child Actor». Cette fois, les Guided sonnent comme Bevis Frond, avec à la clé le surréalisme lyrique des lyrics. C’est un album riche en teneur, et ce dès «Spanish Coin», mid-tempo visité par des espagnolades et l’indicible mélancolie d’Uncle Bob, il termine avec des trompettes et c’est magnifique. Il allume ensuite «High In The Rain» aux lampions de la big power-pop. Tout est solide ici et savamment orchestré. Il faut entendre la basse naviguer dans «Flying Without A License» et en B, «I Wanna Monkey» effare dans la nuit - And quickly burning/ Like a New York cigarette - Quel punch ! Ces mecs s’y connaissent en matière d’heavy rock. «Black and White Eyes In A Prism» sonne comme une suite à l’infernal Cherub. Uncle Bob maîtrise aussi l’art de monter un balladif sur des heavy chords, comme le montre une fois encore «The Bell Gets Out Of The Way». L’album s’achève sur l’excellent «My (Limited) Engagement» - I need a slogan to cling to just a ringer for my engagement.

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             Earth Man Blues est donc le dernier album en date des Guided. Au premier coup d’œil, la pochette paraît ratée, mais il faut bien la regarder. Le petit garçon en costume bleu réapparaît à l’intérieur du liflet. Tu veux du Dada ? Tu as du Dada en B avec «Ant Repellent» - Ant repellant/ Ant repel ant - Ils délirent bien. Il font même un brin de glam avec «Sunshine Girl hello», encore une idée qui sert de prétexte à jouer. On est récompensé d’aller jusqu’au bout avec «How Can A Plumb Be Perfected?», car Uncle Bob y a glissé un refrain magique - How in a crowd could I blend in - «The Disconnected Citizen» bénéficie d’une belle ambiance tragique, soutenue aux violons et comme toujours, monsieur le cut est servi par un texte superbe - I’m taking you down here/ I’ll show you around there - C’est une authentique Beautiful Song. L’autre coup de génie de l’album s’appelle «Lights Out In Memphis (Egypt)». Encore l’occasion pour Uncle Bob de placer un refrain magique - Lights out in Memphis/ Isn’t any physical difference/ In Europe - et cette façon qu’il a de retomber sur Aluminium can Siberia. Il chante ces trois mots avec une gourmandise qui en dit long sur ses mensurations. Signalons aussi qu’il chante «The Batman Sees The Ball» d’une voix éreintée, dans un style unique en Amérique. Pour finir, nous dirons que les Guided sont les grands spécialistes de la fast pop («Dirty Kid School» et «Trust Them Now»), cette fast pop bien foutue qui rôde sous les remparts de Varsovie.

    Signé : Cazengler, Guided By The Vice

    Guided By Voices. Mirrored Aztec. Guided By Voices Inc. 2020

    Guided By Voices. Surrender You Poppy Field. Guided By Voices Inc. 2020

    Guided By Voices. Styles We’ve Paid For. Guided By Voices Inc. 2020

    Guided By Voices. It’s Not Them It Couldn’t Be Them It Is Them. Guided By Voices Inc. 2021

    Guided By Voices. Earth Man Blues. Guided By Voices Inc. 2021

    Camilla Aisa. Wild flyer’s dulcet glue. Shindig! # 97 - November 2019

     

     

    Inside the goldmine

     - Baby please don’t go

     

             Le voyant dessiner à longueur de temps, ses amis finirent par le mettre au défi :

             — Serais-tu capable de dessiner notre portrait ?

             Il accepta de relever le défi et passa ses soirées à croquer les trognes de ses amis. Les premiers portraits furent laborieux et la ressemblance laissait à désirer. Taquins, ses amis le surnommaient Picasso. Puis il parvint à maîtriser l’art de croquer un visage en appliquant une méthode intuitive : il commençait par dessiner l’ovale du visage, puis il y positionnait le dessin des yeux. Il savait qu’une fois le dessin des yeux abouti, il touchait au but. Le dessin d’un regard est la clé d’un portrait. Il se mit à travailler fiévreusement l’expression des regards, dont l’intensité variait en fonction de l’inflexion d’une courbe, aussi minime fût-elle. Il travaillait au trait et tentait de restituer au mieux le feu d’un regard. Un soir, l’un des amis de la bande ramena avec lui un homme plus âgé. Il devait avoisiner la quarantaine, il arborait un visage taillé à la serpe, un regard d’un bleu si clair qu’il en paraissait transparent et une mèche de cheveux couleur paille retombait lourdement sur son front. Il portait un marcel blanc et des tatouages de la légion sur les bras. Et quels bras ! De toute évidence, l’homme avait passé sa vie à se battre. Pas la moindre trace de complaisance chez cet aventurier. En entrant dans la pièce, il en vidait l’air. L’ami qui l’avait amené précisa qu’il s’appelait Wilfried et qu’il était allemand. Wilfried prit la parole :

             — Jai souhaiteraizz envoyezz ein portraizz de moi à ma fiancézz. Jai peux payézzz, si tu veux.

             — Un pack de bières, ça suffira. Comptez une petite heure pour la pose.

             Il prit la pose. Il avait une sacrée gueule.

             — Vous pouvez parler, si vous le souhaitez, mais continuez à me regarder, ne bougez pas trop la tête.

             Wilfried se mit à raconter ses souvenirs d’adolescent, l’école des SS à Prague, les uniformes noirs qui faisaient la fierté de tous les jeunes Allemands, la dague SS qu’on leur offrait comme un diplôme, et à mesure qu’il parlait, son regard s’enflammait. Sa voix se fit plus profonde, il semblait gronder en racontant la visite du Fürher venu féliciter l’élite de la Waffen SS, ach comme on étaizzz fierzz !, et au moment où il se mit à chantonner l’hymne SS, ses yeux se révulsèrent. Ce n’est que quarante plus tard, au moment où il se remémorait la scène pour l’écrire qu’il comprit que ce soir-là, sous l’apparence de Wilfried, le diable avait posé pour lui.

     

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             Il aurait aussi très bien pu dessiner le portrait qui orne la pochette du deuxième album de Baby Washington, Only Those In Love, paru sur Sue en 1965 : c’est en gros la même ambiance, ce dessin au trait qu’on utilise pour portraitiser, souvent par manque de moyens. On peut dessiner au crayon sur de simples feuilles de papier. Par contre, pour peindre, il faut des châssis, des brosses et des couleurs, c’est un autre investissement.

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             Baby Washington fait partie des early Soul Sisters. Elle ne vient ni de Detroit ni de Memphis, elle officie à New York. Only Those In Love est un bel album d’early Soul, dont le hit se planque au bout de la B, «Run My Heart», digne de ce qui se fait alors chez Motown. Elle ramène toute la Soul dans sa voix, elle a le gospel au ventre («Careless Hands»), elle tartine vaillamment cette Soul de l’aube des temps, c’est solide, bien chanté, bien orchestré, pas loin de ce que fait Mary Wells. Dans «Hey Lonely», elle se bat pied à pied avec l’oh yes you are. Baby Washington impose un style un peu rigide, elle chante toujours d’une voix ferme, elle envoie «The Clock» au tic toc et avec «It’ll Never Be Over For Me», elle finit par t’envoûter et te prendre dans ses bras de Soul Sister. On se régale aussi du charme désuet d’«I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face», un peu cha cha cha dans l’esprit, mais chanté avec fermeté.

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             Son premier album paraît aussi sur Sue et s’appelle That’s How Heartaches Are Made. Comme il paraît en 1963, on est dans l’early Soul new-yorkaise pas très sexy. C’est une Soul trop orchestrée. Le «Doodlin» qu’on trouve en A sonne comme un classique de bonne chique qui ne décolle pas. Elle frise souvent la calypso («Hush Heart»). Elle voudrait bien danser, mais il faudra attendre un peu.

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             Belle pochette que celle de With You In Mind paru en 1968. L’album sent bon la Soul classique, surtout lorsqu’on voit Baby Washington au dos, vêtue d’un petit ensemble à rayures qui semble sortir de Carnaby Street. Et ça explose aussi sec avec «All Around The World», cover de Little Willie John produite par Henry Glover. Baby Washington est une sorte de Wilson Pickett au féminin, elle fait une merveille de ce vieux hit. Nouveau coup de Jarnac avec «I’m Calling You Baby», c’est digne de Junior Walker, l’incendie ronfle comme dans Shotgun. Ça swingue dans la ville en flammes ! Elle reprend en B le «People Sure Act Funny» d’Arthur Conley, elle le chante à la haletante de gros popotin new-yorkais. Baby Washington chante d’une voix étrangement mûre. Elle domine bien la situation. Elle ne met pas de sucre dans sa Soul, elle chante d’une voix plus grave, on sent sa poigne. Fantastique allure que celle d’«It’s A Hang Up Baby», big shuffle new-yorkais emmené par le big band brass.

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             Paru en 1971, The One And Only est assez décevant : mélange de calypso et de rock’n’roll, on perd la Soul. Baby Washington a des capacités mais on ne lui donne pas les bons morceaux. Elle tape son «Medecine Man» sur le mode de «Fever». C’est exactement la même ambiance. Elle termine avec l’excellent «Move On» - Move on baby/ Police are in the back - Voilà le hit, avec son solo de sax.

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             Si on aime les grands duos, alors il faut écouter l’album que Baby Washington & Don Gardner ont enregistré ensemble, Lay A Little Lovin’ On Me. On tombe aussitôt sous le charme du morceau titre qui ouvre le balda. Elle tape dans le dur et Don aussi. On a tout : la Soul de 1973, New York et les violons sur le toit. Don Gardner a un côté Barry White qui passe comme une lettre à la poste. Plus loin, Don vole le show avec «Just Stand By Me», un groove d’homme et Baby Washington revient ensuite à l’assaut avec «Baby Let Me Get Close To You». Elle dispose d’une énergie considérable. Mais c’est en B qu’elle va casser la baraque avec «Carefree». Quelle tranche de Soul ! Ils duettent sur «I Just Want To Be Near To You», c’est gorgé de Soul et d’Oooh baby. Dan revole le show avec «We’re Gonna Make It Big», il embrasse la Soul, il la serre dans ses gros bras poilus, fantastique Don Gardner ! C’est à Baby Washington que revient l’honneur de refermer la marche avec «Can’t Get Over Losing You». Elle ne parvient pas à surmonter son chagrin. Elle souffre en beauté.

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             Paru en 1968 I Wanna Dance est une compile qui présente deux avantages : un, le beau portrait de Baby Washington en robe de soirée. Elle est magnifique. Deux, l’occasion de réécouter ce coup de génie, «Carefree», tiré de l’album précédent. C’est la Soul des jours heureux, Baby Love l’emmène par-dessus les toits, elle pousse de toutes ses forces son carefree love. On se régale aussi d’«I Wanna Dance Pt1» et d’«I Wanna Dance Pt2», c’est très diskö, mais en mode slow groove et dans les pattes d’une Soul Sister comme Baby Washington, c’est quelque chose ! En B, on retrouve cette Soul solide qu’est «Just A Matter Of Time». Elle chante tout à gogo et nous rend gaga.

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             Ace frappe encore un grand coup en 1996 en compilant The Sue Singles de notre Baby Washington préférée. On en croise pas mal sur les deux premiers albums, mais chez Ace, le son n’est jamais le même. Il faut attendre «Standing On The Pier» pour frétiller, c’est du heavy standing, yes I am, qu’elle tape au heavy blues. On croise pas mal de cuts tatasses, un peu de cha cha cha, le tic toc de «The Clock», quelques hits ringards comme «Hey Lonely» et pouf on tombe sur «I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face», le hit signé Jerry Ragovoy et Chip Taylor, que reprendra aussi Dusty chérie. Baby Wash y négocie une belle Soul de bossa nova. Comme Dionne la lionne, elle évolue dans le temps et voilà qu’arrive l’excellent «It’ll Never Be Over For Me», puis elle se montre encore plus entreprenante avec «Run My Heart». Elle est l’une des reines du jive. Son domaine, ce sont les jukes. En plus, elle a du Wall of Sound derrière elle. Encore un hit de juke avec «Doodlin’», elle croasse bien son doodlin’, ehhh ehhh. Elle fait du pur Motown avec un «You Are What You Are» et elle chante si bien qu’elle rivalise avec Aretha. Baby Wash explose «I Know» et elle se fend d’une belle «White Christmas» song. Elle la groove à la racine du genre.

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             Attention à cette compile Ace de Baby Washington And The Hearts parue en 2006 : The J&S Years. C’est une bombe atomique ! Après si tu te retrouves à l’hosto, tant pis pour toi, on t’aura prévenu. Mets ton casque ! On n’imaginait pas qu’il pût exister des singles aussi sauvages. La seule qui fait référence au power de Baby Washington & the Hearts, c’est Genya Ravan dans son autobio. Départ en trombe avec «You Needn’t Tell Me I Know», un heavy jump déchaîné, chanté dans la caisse avec une énergie du diable. Terrific ! Les blackettes ont le feu au cul et un sax vient envenimer les choses. Il n’existe pas de pire bombe sexuelle. Cinq titres s’enchaînent comme une rafale. «I Want Your Love Tonight» éclate dans un blast de juke. Ces filles sont complètement dingues. Et voilà qu’arrive un solo punk joué au note à note des bas-fonds du Bronx, ça tourne à l’apocalypse avec un piano incroyablement mélodique, elles sont possédées par le diable. Ça continue avec «Congratulations Honey». Baby Wash y va franco de port. Elle est la reine du massacre, elle chante avec une niaque de sale pute, avec le génie fragmenté des street chicks, Baby Wash t’explose ta pauvre compile et derrière tu as un sax qui gicle comme une bite au printemps. Ça continue avec «If I Had Known». Même le doo wop s’enflamme, ces gonzesses sont folles à lier, elle te déchirent le doo wop avec une violence jusque-là inconnue. Il y a 25 cuts sur cette compile et on peut bien dire qu’ils sont tous bons. Elles écrasent encore leur champignon avec «You Weren’t Home», elles font du punk de chicks avant la lettre, laisse tomber les Slits, elles chante à la dégueulade sévère, c’est du Bronx punk. Elles enchaînent hit de juke après hit de juke, elle réinventent le heavy blues avec «There Is No Love At All» et gavent leur groove de ruckus avec «There Must Be A Reason». C’est à tomber tellement c’est bon. Tout est bardé de son là-dedans, les murs de la ville tremblent avec le walking jump de «You Say You Love Me» et cette folle de Baby Wash allume tous les jukes du New Jersey avec «Every Day». Elle bouffe tout cru le heavy blues d’«I Hate To See You Go». Elle attaque «I Couldn’t Let You See Me Crying» de plein fouet, elle chante ça avec une candeur napoléonienne, elle surpasse tout, son power n’en finit plus d’ébahir. Elles tapent encore dans le dur avec «There Are So Many Ways», elles chantent au sucre de rentre dedans et là, tu as la Soul du paradis. Elles bronxent up «My Love Has Gone», c’est encore du pur genius, ça gueule dans le Bronx. «So Long Baby» arrive comme une vague et elle te cueille. Les Hearts sont le meilleur girl-group de l’époque, avec les Cookies et les Velvelettes. Elles montent chaque cut au chant de folles, c’est un délire permanent et Baby Wash revient au long cours du so long. Et la violence du beat sur «You Or Me Have To Go» ! Qui saura la dire ? C’est d’une extrême violence. Pur New York City Sound. Ces filles ont un truc, elles n’ont jamais lâché les rênes. Elles sont les reines des jukes. Dans les liners, Mick Patrick nous explique qu’entre 1955 et 1970, vingt blackettes sont passées dans les Hearts, la plus connue étant bien sûr Justine Baby Washington. On la surnomme Baby parce qu’elle est la plus jeune au moment où elle rejoint les Hearts. Baby Wash raconte qu’on l’a virée du groupe le jour où elle demandait une augmentation. Les autres lead vocalists s’appellent Lezli Valentine, Betty Harris, Hartsy Maye et Zell Sanders supervisait tout ce bordel.

    Signé : Cazengler, Washingtorve

    Baby Washington. That’s How Heartaches Are Made. Sue Records 1963

    Baby Washington. Only Those In Love. Sue Records 1965

    Baby Washington. With You In Mind. Veep 1968

    Baby Washington. The One And Only. Trip 1971

    Baby Washington & Don Gardner. Lay A Little Lovin’ On Me. Master Five 1973

    Baby Washington. I Wanna Dance. AVI Records 1978

    Baby Washington. The Sue Singles. Kent Soul 1996     

    Baby Washington And The Hearts. The J&S Years. Ace 2006

     

     

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N° 24

    JANVIER - FEVRIER – MARS

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    Cadeau de Noël dans la boîte aux lettres. Non ce ne sont pas les huit pages supplémentaires que le magazine nous offre, même pas pour un euro de plus, ne faisons pas les fines-gueules, ce n’est pas mal du tout, ça donne de l’épaisseur à votre millefeuille de papier préféré, mais le véritable cadeau c’est plus loin, page 29 pour ceux qui veulent tout savoir, une interview d’Ervin Travis. Le retour ! Ervin Travis pendant des semaines notre premier article lui a été consacré, puis nous avons arrêté, son calvaire semblait n’avoir jamais de fin, et au bout de plusieurs mois cela devenait pratiquement indécent, c’est que la maladie de Lyme ne pardonne pas, une sacrée saloperie qui vous crève à petits feux et qui ne vous laisse plus le goût de vivre. Nous avons chroniqué  disques et concerts d’Ervin Travis, un chanteur de rock’n’roll un peu à part, subjugué dès l’âge de treize ans par Gene Vincent, de la cover diront certains avec condescendance, très bien faite ajouteront les autres, mais c’est tout autre chose, c’est vrai que sa voix si proche des intonations de Vincent est bluffante et que ses prestations scéniques sonnent juste, mais chez Ervin cela va au-devant de l’hommage, c’est une espèce de transplantation d’âme, de mimesis platonicienne, rien à voir avec une vulgaire imitation, à comprendre comme l’établissement d’un lien direct avec ce qui a été pour le faire réapparaître sous forme d’image active idéelle. Bref Ervin va mieux – rien n’est définitivement gagné – mais il a reformé un groupe, les  Wild Blue Caps, et redonne des concerts. Courage et dignité sont les maîtres-mots de cette renaissance.

    Dans notre livraison 558 du  09 / 06 / 22, nous chroniquions le CD Super Tare du Rock’n’roll de Didier Bourlon. Au mois de Septembre 2022 Didier Bourlon devait être avec Charles Gustave sur la scène du festival Teddy Boys Riot Boppin de Commines avec Dan Cash. Très émouvante présentation de cette renaissance du festival par Virginia Marquelly dédié à sa mère décédée à soixante ans. La camarde ne s’est pas arrêtée en si bon chemin, Dan Cash est décédé. Très beau papier de Mark Twang évoquant la personnalité de Dan Cash, pas un contemporain d’ici et maintenant mais un gitan de partout et de toujours. L’a suivi son chemin à son gré, beaucoup à sa place auraient agi autrement mais Dan a toujours payé sa liberté Cash. Un homme que j’aurais aimé rencontrer.

    Belle photo de Jerry Lou en page 2, mais pas la rubrique habituelle de Greg Matthew dédiée au dernier des grands pionniers – elle suivra prochainement – par contre Sergio Kazh rend un bel hommage à Robert Gordon. Si l’on ajoute la rubrique Racines de Julien  Bollinger consacrée aux Delmore Brothers, notre subconscient nous induit à penser que le rockabilly est un cimetière rempli de gens vraiment irremplaçables. D’où l’intérêt de la parole donnée à Louie & The Hurricanes tout jeune groupe, une génération qui n’a pas pu voir les grands anciens sur scène et consciente que dans sa quasi-majorité les jeunes de leur âge (la vingtaine) sont à mille lieues de cette musique qu’ils ne connaissent pas, mais qui accrochent à leurs concerts, posent avec discernement le problème de la survie et de la reconstitution d’un public rockabilly, car il faut l’avouer le vivier actuel ne se renouvelle guère.

    L’est vrai que la longue interview de Salvatore Lissandrello leader de Strike groupe italien déjà sur la route depuis quatorze années semblent issu d’une période où la vie heureuse était plus facile, moins problématique…

    Sinon, revue des festival de l’été l’ Hangar Rockin’ en Suisse, La Forêt Fouesnant ( 29 ), et Rock’n’Roll in Pleugueness, de quoi nous réchauffer le cœur, preuve que le rock’n’roll is still alive ! Merci à Sergio Kazh de continuer le combat !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly  Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois),  5,50 Euros + 4,00 de frais de port soit 9,50 E pour 1 numéro.  Abonnement 4 numéros : 37, 12 Euros (Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de tous les magazines... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents ! Surtout que les numéros 1, 2, et 3 ne seront plus réédités, il en reste une vingtaine d’exemplaires, qu’on se le dise ! Avis aux amateurs !

     

     

    ROCKABILLY RULES ! ( N° 2 )

            C’est le Cat Zengler qui a décrété qu’il ne faut jamais perdre le de vue et d’oreille le rockabilly, d’où cette nouvelle rubrique hebdomadaire. L’on a commencé la semaine dernière avec Alis Lesley, nous continuons avec un groupe d’aujourd’hui (et de demain), par la suite nous oscillerons entre les débuts de cette funeste et festive – entourez en rouge l’adjectif que vous préférez - nuisance et ses avatars actuels. Rockabilly Rules, O. K. toutefois n’oubliez jamais que toutes les règles sont faites pour être contournées, dépassées, chamboulées, piétinées, car l’important avant tout c’est d’avoir un cœur fidèle et rebelle !

    IT’S TIME TO ROCK AGAIN

    HOT CHICKENS

    ( Rock Paradise Records / RPRCD55 / Septembre 2022 )

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    Hervé Loison : chant, basse, contrebasse, harmonica / Christophe Gillet : guitare et chœurs / Thierry Sellier : Batterie.

    Nouvel album des Hot Chickens, attention l’on retrouve les trois membres des Poulets Torrides sur d’autres opus par exemple en compagnie d’autres musiciens sur Jake Calypso and his Red Hod  dans deux ou trois siècles ceux qui tenteront de produire une discographie intégrale de ces trois lascars risqueront d’y perdre leur latin qu’ils n’auront jamais appris. L’on ne présente plus les Hot Chickens, disons simplement qu’ils sont un des trios les plus démentiels du rockabilly européen. 

             Sont beaux tous les trois dans leurs chemises imitation jaguar, le nec le plus ultra du vêtement rockabilly, vous regardent d’un air faussement méchants – z’ont dû s’amuser lors de la séance de pose – Hervé et Thierry désignent quelque chose hors-champ, ne se moqueraient-ils pas un peu de nous ! – l’on s’en moque car notre œil est fixé sur le logo – que voulez-vous quand on ne peut pas parader dans une pink thunderbird d’époque l’on s’offre un logo, c’est moins cher et celui-ci, cette crête de coq, mi-coiffe de guerrier Indien, mi-symbole menaçant du woodoo, est des mieux réussies. Félicitations à Helen Shadow, vous la retrouverez sur la pochette de Boogie in the Shack des Nut Jumpers.

    It surely ain’t the Rolling Stones : attention à la dégelée dans les oreilles, normal c’est l’album du dégel post-covid, alors les Chickens sortent leurs ergots, ne vous envoient pas la confiture de framboise à l’arsenic à la petite cuillère, superbement mis en place, une machine pour serial killer, ça chicore à pléthore, Hervé y va de son petit solo d’harmo, mais ce qui est fabuleux c’est qu’à chaque reprise, vous avez l’impression d’une gifle monstrueusement sèche, un peu garage, un peu sixties, totalement rock’n’roll. Good movies & rock ‘n’ roll : un mid-tempo pour reprendre les esprits si c’est possible car Thierry Sellier vous assourdit la trompe d’Eustache droite sans pitié tout en vous fragmentant la gauche en petits morceaux, juste le temps à Christophe Gillet de piquer un de ses petits solos qui n’a l’air de rien mais qui a tout pour vous faire pâlir d’envie, quant à Loison c’est du prodige, le rythme n’est pas extrêmement rapide mais il vous débite les lyrics plus vite que vous ne les lisez, tout en respectant la cadence chaloupée du morceau. Du grand art. L’hymne à l’amour : surprise, une reprise d’Edith Piaf, vous l’expédient à la manière des premiers groupes de rock français des années soixante, Sellier vous mène la cavalcade au galop de charge et Loison s’envole vers le septième ciel, est-ce du faux-toc ou du faux-maladroit, nos poulets rôtis peuvent tout se permettre, élevés en plein air ils sont à louer. We are a rock ‘n’roll trio : les Chickens sont très bon en rock’n’roll mais très faiblards en mathématiques, après la fameuse quadrature du cercle nous voici confrontés à la quadrature du trio, un truc difficilement défendable et pourtant ils remportent la victoire, trichent un peu puisqu’ils ont un deuxième guitariste Didier Bourlon qui fut pendant huit ans le premier guitariste des Hot Chickens, si vous n’aimez pas le rock’n’roll électrique des familles déjantées vous sautez la piste, sinon sautez dedans à pieds joints, le Bourlon déboulonne les riffs comme un fou furieux, magnifique ! Surfin bird : peut-être la meilleure monstruosité du disque, Christophe Gillet ne se retient plus et Hervé se lâche, vous ressuscitent le vieux hit des Trashmen, ce qui est d’autant plus remarquable qu’il n’est jamais mort. Puisqu’ils ont par deux fois évoqué les Stones nous dirons que ce n’est pas l’harmonie bien léchée des Beach Boys. Les Chickens ne sont pas des poules mouillées, ils pratiquent le surf uniquement dans les zones infestées de requins. It’s time to rock again ! : bougez-vous bande de blaireaux à canapés le temps du rock’n’roll est arrivé, Hervé vous chante les couplets à l’arrache Jerry Lou, sombres abrutis Thierry vous le martèle clairement sur sa caisse et vous réécoutez le morceau douze fois pour comprendre ce que Christophe et sa guitare fermentent activement à peu près au milieu du titre. Sorcellerie ! Take on me : a-ah, vous ne connaissez pas l’original, vous savez en alchimie on fait de l’or pur à partir de vil plomb, nos cocottes reprennent un tube des eighties pour s’amuser. Perso je dirai que quand la foudre tombe sur un bossu elle le foudroie, mais elle ne le fout pas droit pour autant.  Rocking at the Oxford bar : une petite rythmique blues pour commencer, l’incendie ne couve pas longtemps, sûr que l’on n’est pas à la cafétéria de l’Université d’Oxford mais à Béthune où l’Oxford café a pris la mauvaise habitude de recevoir les Chickens en concert, alors sont comme chez eux, débridés et sans gêne, même que Loison est tellement bien qu’il en oublie de chanter. Tout compte fait la vie des rockers est agréable. A vivre ou à écouter.  F**K you : un peu de haine aiguise la vie, l’est plus que bon de régler ses comptes avec les faux amis et les cloportes en tous genres, ça balance fort, pas le temps de s’ennuyer. A écouter pour taper sur son punching ball ou sur votre percepteur. Excellent. Parfait. Superbe. Repose Beethoven : le retour de Bourlon sur un des meilleurs titres ( 1964 ) du grand Schmoll, autant dire que ça balance terrible, défonce mortelle. Let’s go on : nous avons eu la haine, voici l’amour et l’amitié, un violon (merci Franny Lee) champêtre pour un rythme country, l’autre racine du rock’n’roll. Les Chickens remercient les fans qui les suivent depuis vingt-trois ans. Et qui ne lâcheront pas leur enthousiasme d’ici vingt-trois autres années. Unchained melody : certains trouveront cela iconoclaste, c’est vrai qu’ils débrident l’ensemble des chevaux-vapeurs, maintenant si l’on se souvient de la version originale de Todd Duncan, les Chickens qui cocoriquent à fond ne sont pas loin de l’esprit original, de cette outrance sentimentale exprimée si naïvement que l’on se sent induits à rire de ce qui devrait nous faire pleurer.

    Foutrement et foutraquement rock’n’roll ! Pépite rock.

    Dam Chad.

     

    *

    Si vous allez sur le Bandcamp d’OSE, question renseignements vous risquez d’être déçu, une seule indication ‘’France’’, les lecteurs de KR’TNT ! en savent davantage, nous avons déjà chroniqué plusieurs livres d’Hervé Picart. Par exemple son roman Aspergio Oscuro dans notre livraison 197 du 10 / 07 / 2014. Rappelons que Hervé Picart faisait partie de l’équipe de rédaction de la revue Best qui réunissait des pointures comme Michel Embareck et qu’il a enfiévré par ses articles sur le hard-rock et le prog l’imagination de bien de jeunes lecteurs… A la fin des années 70 il passe de la théorie à la pratique en fondant Ose. Le premier album Adonia paraît en 1978, on y retrouve Richard Pinhas dont le groupe Heldon suscita moulte controverses dans le public rock, une nouvelle voie s’ouvrait, post-Magma, post-King Crimson, musiques industrielle, électronique, noise, drone, prenaient leur envol…

    En 1982 s’acheva l’aventure OSE. C’est en 2021 qu’un nouveau chapitre commence à s’écrire, ceux qui veulent tout savoir materont la chaîne YT Ose Music Factory.

    L’album que nous présentons a été précédé au mois de mars de cette année de (Soundtrack for) H. P. lovecraft’s Nemesis. Plus que tentant, mais comment résister à Edgar Poe…

    (SOUNDTRACK FOR)

    EDGAR ALLAN POE’ S CITY IN THE SEA

    OSE

    (Novembre 2022 / A. N. / Bandcamp)

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    Opus synesthétique, évoquer par la musique seule un poème évidemment écrit avec des mots. Déjà difficile en soi-même. Mais Ose osa. Sûr que lorsque l’on s’attaque à un poème d’Edgar Poe, l’on met la barre très haut. Les poésies d’Edgar Poe sont un des grands chefs-d’œuvre de la poésie du dix-neuvième siècle. Pas très prisées en leur pays d’origine où Edgar Poe est tenu pour un auteur mineur, ne crions pas haro sur les amerloques, beaucoup par chez nous font la fine bouche devant le mince recueil qui les contient. Baudelaire et Mallarmé furent apparemment moins difficiles que nos contemporains, puisqu’ils s’essayèrent avec dévotion à les traduire. Il est vrai que dans ces poèmes l’auteur du Corbeau ne fit aucune concession, imaginez une bouteille d’alcool pur – pourquoi d’après vous Apollinaire titra-t-il son recueil Alcool - sans un milligramme d’eau. Une boisson peu propice à ravir les papilles de vos invités à l’apéritif du samedi soir.  Les poèmes d’Edgar Poe sont à lire comme des évocations, des visions, émanant des abysses intérieurs les plus profonds, là où les fantômes de nos rêves et de nos peurs ont perdu leur éclat fantomatique et se révèlent être tissés de la même matière que nous-mêmes. Ils agissent – toute grande poésie est opératoire - comme des trous noirs de dévoration où l’intérieur de nous-mêmes communique et engouffre l’extériorité du monde.

    The city on the sea est un poème à mettre en relation avec Le palais hanté qu’Edgar Poe inclut dans un de ses contes les plus célèbres – l’on ne compte pas les groupes de rock qui ont tenté de le mettre en musique – La chute de la Maison Usher

    Pas de paroles donc, toutefois, sur Bandcamp, chacun des douze morceaux est mis en relation avec quelques vers extraits des six strophes du poème.

    Far down the dim west :  la mort a choisi d’élever  son trône dans une cité sise à l’ouest dans la mer, imaginons une île à la Arnold Böcklin mais beaucoup plus monumentale, l’on attend une musique de diamant noir mais c’est un cristal de roche de gouttes d’eau qui tombent, chacune créant des vaguelettes concentriques, une vague de notes plus graves survient mais rien d’attentatoire à notre sérénité, telle une allée d’ifs taillés dans la roche de l’immobilité mais dont les cimes montent plus haut, une berceuse pour un sommeil éternel, et cet insecte dont les ailes tournoient sans jamais pouvoir s’évader, pourtant tout repos n’est-il pas éternel. Time-eaten towers : étrangeté de ce qui ne nous ressemble pas, ce monde éternel bouge beaucoup plus qu’on ne le croirait, presque comique quand on y pense de savoir que l’usure temps ronge même la ville de la mort. Notes obsédantes qui se jouent de nous et de tout. La danse macabre ne touche pas les morts mais les choses. Joyeusetés. Melancoly waters : les orgues de la mélancolie déploient leurs moires fastueuses, de doux ruissellement démentent cette vue de l’esprit, des notes s’éparpillent telles des fragmences de mensonges, rien ne passe, rien ne s’écoule, tout coule en un immense naufrage. From out the lurid sea : il est une lumière noire sous la mer qui ne vient pas des hauteurs sacrées, de quelle sombre inconnaissance est-elle constituée, elle rampe et se déploie lentement, elle s’agrippe aux pierres des tours, n’est-elle pas aussi immarcescible que la lueur dorée sacrée qui ne perce pas les ténèbres, ne serait-ce pas un combat de titans inaccessible aux yeux des humains, une lèpre contagieuse qui s’étend depuis le monde des profondeurs et qui dans l’ombre monte à l’assaut. Up domes, up spires, up fanes : magnificence de l’architecture, splendide cité, arpèges luxuriants comme des rivières de diamants, échos enchâssés et amoncelés, toute une érection de murs et de tours, étincelles musicales, la ville s’exhausse de toute son assourdissante beauté silencieuse. Shrine : tapotements désertiques, des orgues sérielles au loin, luxueuse est la cité, grandiose est cette ville, qu’aucun bruit n’altère, majestueuse est la mort qui depuis la plus haute tour étend son regard sur son domaine. Diamond eye : musique plus sombre, un peu de batterie électronique, mais rien de décisif, les tombes sont vides, on a envie de dire que la musique n’exprime rien, elle reste froide et insensible pour la bonne raison qu’il n’y a rien qui puisse faire l’objet d’une présence, situation terriblement ambigüe entre ce qui est sans être et les yeux vides des idoles. Wilderness of glass : comme des plaintes de violoncelles, chant du désert, notes en bulles de savon qui retournent au néant dès leur apparition, y a-t-il jamais eu quelque chose ici et autre part, le monde semble volatilisé et n’être plus que sa propre absence, désolation totale, plus rien ne bouge et n’a jamais bougé ailleurs. Etrangement l’auditeur ressent la densité du néant. No ripples, no heavings : étonnament ce morceau évoque les mêmes vers que le précédent, moins de romantisme et davantage de mélodrame, ici ce n’est pas la chose même, cette mer sans rides, sans clapotis, que l’on représente mais les sargasses de l’angoisse que l’objet du non-désir infuse dans les esprits. Tout est figé. A stir in the air : enfin quelque chose bouge et remue, l’eau musicale clapote gentiment, pas la grande joie, ni de forte liesse mais le sourire d’Aristote accueillant le mouvement, en un long crescendo transcendant ! Avec un peu de bonne volonté l’on se croirait au paradis.  Le vent se lève ! Wawes have now a redder glow : pas d’inquiétude, il n’y aura pas de happy end, les vagues qui se soulèvent ont une couleur rouge qui ne présage rien de bon. L’enthousiasme n’était-il pas une folie, ce qui arrive n’est pas de bon augure, la musique se lâche et enfle, elle tourne en rond sur elle-même, elle submerge le monde entier, quelle nouvelle apporte-telle si fièrement ? Hell rising : reprise en mineur, l’heure n’est pas à la délivrance, lorsque la cité dans la mer dominera le monde, l’Enfer la reconnaîtra comme sa souveraine, car il y a pire que la souffrance et les supplices, la mort, simplement la mort. L’opus se termine sur un rythme allègre, une espèce de gigue macabre totalement désincarnée, les plis d’un linceul qui vous enveloppe dans son suaire d’ennui pour l’éternité. De petits tournicotis-tournicotons électroniques s’en viennent grimacer dans le tourbillon final. L’on vous a bien eu. Tant pis pour vous.

    L’album ne se livre pas facilement. Il est à réécouter plusieurs fois pour en saisir les subtilités. Il faut dire que cette musique électronique n’atteint pas l’épaisseur d’un grand orchestre classique, ou la puissance d’un combo de rock ou de metal. Autre particularité, il ne semble pas que la visée initiale ait été de suivre le déroulement du poème d’Edgar Poe mais d’évoquer précisément certains mots, expressions ou passages, d’essayer de donner un équivalent sonore des gluances phoniques de la langue de Poe.  Les amateurs d’Edgar Poe apprécieront.

    Damie Chad.

     

    *

    Serait-ce que Villiers de L’Isle Adam nommait un intersigne. Pour cette deuxième chronique nous ne quittons ni H. P. Lovecraft, ni Edgar Allan Poe. Ce n’est pas de ma faute. Un corbeau m’a fait signe. Du moins je l’ai cru. Une image voluptueuse, un corbeau déchirant un cerveau humain. J’ai cliqué sur l’image suivante. Rien à dire (pour le moment). Je clique sur la troisième, pas vraiment indispensable. Je file sur le FB correspondant, une annonce de concert pour le 5 octobre 2022, rien d’original pour un groupe de rock’n’roll, oui mais big clic le nom de la ville : Providence ! La ville où Lovecraft naquit et mourut. Sur sa tombe ses admirateurs ont fait graver une de ses formules choc : ‘’ Je suis Providence’’, fabuleux jeu de mot qui joue avec l’importance géographique que la capitale de l’état de Rhodes Island occupe dans son univers et la critique radicale du christianisme que l’on ne manquera pas de relever dans cette déclaration d’un homme qui dans son œuvre créa la présence mythologique des Grands Anciens – dieux antérieurs à toutes mythologies biblique ou grecque - pour se moquer de la fragilité de la présomption humaine à être le centre de l’attention divine

    Dans notre livraison 292 du 01 / 09 / 2016 nous présentions les lettres d’amour d’Edgar Allan Poe à Sarah Helen Whitman, une idylle qui se déroula à Providence… Rappelons pour boucler la boucle que Sarah Whitman fut en relation avec Stéphane Mallarmé, le lecteur curieux trouvera dans Dagon de Lovecraft un étrange conte dont la structure ressemble à s’y méprendre à l’Igitur.  Les similitudes sont d’autant plus remarquables qu’Igitur fut publié à titre posthume en 1925 et que Dagon parut en 1919 dans la revue Vagrant.

    Est-ce par un hasard aboli que l’album se nomme :

    VAGRANT WITNESS CANTOS

    CARACARA

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    Mes connaissances ornithologiques étant extrêmement limitées, il y a de très fortes chances que mon corbeau soit un caracara, oiseau d’Amérique du Sud et du Sud des USA, grands rapace prédateur et nécrophage ( tout pour plaire ) de la famille des falconidés se déplaçant à terre sans difficulté ce qui coïncide au mieux avec le nom du groupe. Cantos – l’on ne peut s’empêcher de penser à Ezra Pound – les chants du témoin vagabond, de celui qui assiste et qui passe. ‘’ Etranger. Qui passait.’’ écrit Saint-John Perse dans la chanson liminaire d’Anabase.

    Ed Jamieson : guitars / Matthew Meehan : vocals / Christopher Colbath : bass / Matt Johnson : Drums, artwork.

    Au and nihl : ce n’est pas rien, c’est de l’or, une batterie qui chancelle le monde, une basse qui swingue et une guitare qui vous plante des poignards dans le dos chaque fois que vous le désirez secrètement sans oser le dire, et la voix se pose là-dessus comme un aigle dépose ses œufs sur les roches tutélaires du domaine d’Arnheim de Magritte, ensuite une cavalcade instrumentale sans précédent, tous ensemble mais chacun poursuit son jeu en toute indépendance, l’ensemble sonne méchamment juste, un enchevêtrement qui se donne à écouter comme un fil électrique torsadé que nulle cisaille ne saurait rompre, et Matheew Meehan qui vous mène le bal du masque rouge de la mort, vous ne savez plus où vous êtes mais vous suivez le rythme de cette marche de zombies partis l’on ne sait où ni pourquoi, mais il est évident que vous êtes à l’endroit où il faut être, quelque part dans une geste épique à l’assaut du néant, peut-être vers la maison maudite des cauchemars des helminthes qui rongent les cadavres au fond des cimetières, une morceau qui vous dépasse, qui joue plus vite que vous ne pouvez l’écouter, une rythmique infernale, une guitare qui froisse les riffs comme du papier argenté au cyanure et la basse qui court à sa perte dans un marécage sonique, vous aimeriez que ça ne se termine jamais et ça ne se termine jamais car maintenant votre sang coulera dans vos veines sur ce même rythme, jusqu’à la fin de votre vie, la basse finale écrase tout. Prodigieux. Preference : un grondement, une monstruosité qui vient de loin, le monstre s’approche et vous savez que rien ne l’arrêtera, la guitare klaxonne sans fin une alarme inutile et Meehan chante, tel Orphée pour endormir les monstres , la rythmique s’assouplit, la basse devient mélodique, des éclats de bronze résonnent, vous aimez cette ampleur sans précédent, la guitare chante à son tour, mais elle se tait devant la lourdeur des pas rapides de celui qui s’avance, qui écrase les arbres sur ses pieds tels des fétu de paille, un tsunami sonique vous balaie de la surface de la terre, des sons rauques de trompes d’animaux antédiluviens vous rompent la tête, ce morceau est une folie noire, vous transbahute dans des univers de violence inconnue,  des bruits d’eau serait-ce Dagon qui nage, qui sort des abysses pour prendre possession de son royaume, est-ce un moment de fête ou un catastrophe incommensurable, tout dépend de quel côté vous préférez regarder la chose innommable. Encore un morceau qui ne s’achève pas, qui hantera vos jours et vos nuits. Je suis une force qui va a dit Victor Hugo. C’est de ce niveau-là. The first : un début presque souriant, du déjà entendu, mais très vite cela devient inquiétant ce bourdonnement de mouche multi-géante qui vient de l’espace et dont l’ombre qui passe éteint la lumière du jour de la terre, la batterie bouscule cette narcolepsie brinquebalante, ce qui passe c’est le regard de celui qui passe et qui se contente de regarder, vous préfèreriez l’horreur mais vous êtes confrontés à l’insensible, à ce qui est au-delà de vous pour qui vous n’êtes rien, vous ne comptez pas, l’indifférence totale de ce qui vous dépasse, vous surpasse et qui s’éloigne sans se préoccuper de vous, criez, hurlez, agitez-vous, vous n’êtes qu’un tourbillon d’atomes inutiles promis à une dispersion dont personne ne s’apercevra. Morceau piège. Morceau traître. Vous pouvez en ressortir mort ou vivant. Cela n’affectera en rien la phénoménalisation du monde.  Zeno’s Meter : sonorités apaisante, il est nécessaire de vous concentrer si vous avez désiré de mesurer le monde avec le mètre de Zénon celui qui à chaque manutention vous éloigne de la moitié de la distance du point dont vous vouliez vous rapprocher, situation difficile le monde se carapate de vous au fur et à mesure que vous souhaitez vous  diriger vers lui, ne vous étonnez pas si la masse sonique vous paraît instable, elle glisse toujours du côté que vous n’espériez pas, reprenez souffle, ahanez, calculez, soupesez, discutez, bataillez, plus vous chercherez midi à quatorze heures davantage votre montre retardera, il y a pire que la violence, l’ironie qui se contente de sourire en vous regardant vous agiter, vous exaspérer, de l’infiniment grand ou de l’infiniment petit jamais vous ne vous rendrez maître, rire barbelé de guitare, cacophonie de basse et tintamarre drummique, jamais vous ne sortirez de la quadrature du cercle qui vous enferme en vous-même. Sardonique.      

    Quatre morceaux, sur le modèle des tétralogies antiques, trois drames pour commencer et une comédie pour finir. Tous doivent traiter du même thème.

    Les amateurs de doom, de stoner, de fuzz, de psyché adoreront, les autres aussi, premier opus tentaculaire, une pieuvre qui plonge ses bras dans toutes les directions et qui ramène une témérité novatrice. Un groupe qui promet. Une véritable providence pour les amateurs de rock .

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 10 ( exclusif ) :

    54

    LE PARISIEN LIBERE

    EXTRAORDINAIRES REBONDISSEMENTS

    LES MYSTERES D’ALICE  

    L’article intitulé Les mystères d’Alice de nos reporters Olivier Lamart et Martin Sureau relatif à leur incroyable aventure au cimetière de Savigny a déclenché de multiples réactions parmi nos lecteurs. Le journal a reçu un abondant courrier. L’affaire est tellement étrange qu’elle paraît une parodie de roman gothique. Hélas il n’en est rien. Olivier Lamart et Martin Sureau journalistes et chroniqueurs politiques jouissent d’une flatteuse réputation dans les milieux journalistiques et politiques. Eux-mêmes parlent d’une soirée de folie, mais leurs dires ont été corroborés par les membres des services de la gendarmerie et hospitaliers ainsi que par le Maire et les employés municipaux présents sur les lieux. Les faits étaient si extraordinaires que tous n’étaient pas loin de penser qu’ils avaient été victimes d’une hallucination collective. Pour cette raison l’ensemble des médias n’en a pratiquement pas parlé. Nos deux courageux collaborateurs n’ont pas tardé à se lancer dans de nouvelles investigations. Nous publions donc leurs effarantes révélations. Nous avertissons nos lecteurs que leurs propos risquent de les choquer dans leurs convictions les plus profondes, que les esprits fragiles s’abstiennent de les lire.

    La Rédaction. 

    Olivier Lamart :  Cette histoire était si invraisemblable que nous avons décidé de nous lancer dans une enquête méthodique. Nous avions rendez-vous à l’Elysée pour mettre au point l’interview que Monsieur Le Président de la République devrait nous accorder la semaine prochaine sur son projet d’allongement de départ de la retraite jusqu’à 77 ans. En fin d’entrevue nous avons évoqué nos mésaventures de la nuit précédente et profitant de l’occasion nous avons suggéré que si nous pouvions visiter la maison des parents d’Alice Grandjean, sise face à la grille du cimetière de Savigny, en compagnie d’un haut gradé de la gendarmerie nationale nous en serions très heureux.

    Martin Sureau : trois heures plus tard Octave Rimont Commandant en Chef de la Gendarmerie de Seine & Marne nous ouvrait la porte de la maison des époux Grandjean. La visite s’avérait décevante, une maison proprette d’une famille sans histoire, nous étions dans la chambre d’Alice et nous expliquions pour la troisième fois comment nous avions vu de loin en pleine nuit depuis notre voiture trois points lumineux et que nous avons pensé à des chats ou des chiens qui traversaient la route :

    • Pourquoi pas en effet sourit Octave Rimont, mais une bête à trois yeux ça n’existe pas et à penser qu’il y en avait deux mais que l’une d’elles était borgne, je n’en mettrai pas main au feu !

    Cette déclaration nous étonna, nous n’avions pas considéré ces trois yeux rouges d’une manière si froidement objective. Octave Rimont s’était tu et semblait perdu dans ses pensées, puis il fit lentement le tour de la chambre d’Alice. S’arrêtant devant le poster sur le mur :

    • Qui est cette personne ?
    • Voyons M. le Commandant en Chef, c’est Elvis Presley, le roi du rock’n’roll !
    • Ah, cette musique de sauvages, je n’ai jamais compris pourquoi notre jeunesse… mais oui j’y suis, suis-je bête, c’est enfantin, il n’y a qu’une seule personne qui corresponde à cela sur toute la région parisienne !
    • Quoi, un individu à trois yeux !
    • Ne dites pas de stupidité, je suis sûr qu’il y avait un chien et un homme !
    • Avec un seul œil !
    • Mais non avec un cigare, je peux même préciser qu’il fumait un Coronado !

    A peine croyable, nous avions pensé que Sherlock Holmes était devant nous mais il nous détrompa :

    • C’est le Chef du Service Secret du Rock’n’roll ! Nous avons souvent affaire avec lui, facile à reconnaître, il a toujours un Coronado dans le bec et est la plupart du temps suivi comme son ombre par l’agent Chad et ses deux chiens. Attention, le gouvernement ne les aime pas beaucoup, ils outrepassent souvent leurs prérogatives et ont la gâchette facile. Nous avons essayé à plusieurs reprises de les coincer, ce sont des retors, ils aiment tremper dans des affaires pas très claires, mais ils sont indispensables, Ce sont eux qui rédigent les notices nécrologiques des artistes de rock américains et anglais qui meurent, faut reconnaître qu’ils s’y connaissent et qu’aucun des conseillers du Président n’est capable de faire aussi bien. Bon donnant-donnant, je vous refile leur adresse et tenez-moi au courant des avancées de votre enquête.

    Olivier Lamart : les contacter a été facile. Ils nous ont reçu fort civilement. Pour nous mettre leurs molosses dans la poche nous leur avons offert un bocal de fraises Tagada. Bref le soir, nous arrêtons en leur compagnie notre voiture devant la grille du cimetière de Savigny. Simple visite de reconnaissance avait dit le Chef, il ne faut oublier aucun détail.

    55

    Martin Sureau : hasard ou intuition ? Nous nous dirigions vers la tombe de la famille Grandjean, du fond de l’allée nous aperçûmes une silhouette assise sur la pierre tombale. Elle se leva, courut vers nous, se jeta au cou de l’agent Chad qui à notre grande stupéfaction l’embrassa longuement. Ils se connaissaient ! Etions-nous victime d’une mystification ? Le Chef interrompit cette étreinte :

    • Alice, nous vous avons emmené deux journalistes du Parisien Libéré qui voudraient vous poser quelques questions.
    • Un journal de tocards ! super, j’ai plein de choses à déclarer, et ce n’est pas tous les jours que l’on donne la parole aux morts, messieurs je vous écoute !
    • Hum ? Excusez notre franchise, êtes-vous vraiment morte ?
    • Bien sûr, si vous ouvrez le caveau vous trouverez mon corps en voie de putréfaction avancée, tenez, touchez ma main !

    Elle était froide et dégageait une étrange odeur de pomme surie, je me demandai comment l’agent Chad pouvait l’embrasser à pleine bouche sans dégoût…

    • D’abord permettez-nous de vous présenter nos condoléances pour vos deux parents tués dans l’accident qui…
    • Ce n’était pas un accident !
    • Le maire a parlé d’un accident d’automobile et…
    • Ce n’était pas un accident, c’était un crime !
    • Un crime ? Qui soupçonnez-vous ?
    • Je ne soupçonne personne, je connais l’assassin.
    • Pourriez-vous nous donner son nom ?
    • Oui facilement, c’était moi !
    • Vous ? Comment vous avez saboté les freins et…
    • Pas du tout, un poids-lourd arrivait en face, j’ai donné un coup sur le volant que tenait mon père !
    • Mais c’est horrible !
    • Non c’est bête, j’ai sous-estimé la vitesse du camion, je pensais que mes deux parents seraient tués mais que je m’en sortirai indemne, une erreur fatale…
    • C’est horrible !
    • Hélas oui, je suis morte !
    • Et vos deux parents, vous n’avez pas de regret ?
    • Non aucun, c’étaient des vieux cons ! C’est bien fait pour leur gueule !
    • Excusez-nous, nous supposons une histoire d’inceste, votre père a abusé de vous et votre mère ne vous a pas crue !
    • Non, ce n’est pas ça, c’est pire !
    • Mais que peut-il y avoir de pire !
    • Ils ont cassé tous mes disques de rock ‘n’roll, même le premier Black Sabbath, celui que je préférais, je ne le leur pardonnerai jamais !
    • Mais vous êtes folle, vos parents qui vous ont donné la vie, c’est impensable !

    A ce moment le Chef a interrompu notre conversation :

    • Elle a raison, moi je suis prêt à tuer la moitié de l’humanité, si quelqu’un s’avise à écorner la moindre pochette d’un de mes disques !

    Sur ce l’Agent Chad a ajouté :

    • Moi de même, je tuerai l’autre moitié.

    Et le Chef alluma un Coronado.

    A suivre…

     

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 579 : KR'TNT 579 : NEW ROSE / HEATHER NOVA / ARETHA FRANKLIN / CHARLIE MUSSELWHITE / RANDY HOLDEN / JARS / THUMOS / ALIS LESLEY / SIMONE POUSSIERE / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 579

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    15 / 12 / 2022

    NEW ROSE / HEATHER NOVA

    ARETHA FRANKLIN / CHARLIE MUSSELWHITE

    RANDY HOLDEN / JARS / THUMOS   

    ALIS LESLEY / SIMONE POUSSIERE

     ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 579

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    I got a brand New Rose in town

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             Le New Rose book coûte 55 euros. Pas donné, comme on dit. Il est tout rose, pas très grand, ni trop petit. Juste entre les deux. Il pèse son poids. Imprimé sur un somptueux couché demi-mat par un stylish British printer, il entre en fanfare dans la catégorie des livres d’art, comme jadis les consuls entraient dans les villes conquises. Sur le char, à côté de lui, un esclave lui murmure à l’oreille : «New Rose book, souviens-toi que tu n’es qu’un book.» Ça l’aide à relativiser. La gloire, c’est dangereux quand on joue avec le feu.

             Comme toutes les créatures de son espèce, le New Rose book suscite des commentaires. Il y a même beaucoup d’agitation à Clochemerle. Ça jase, mais ça ne jazze pas. Logique, puisque le New Rose book ne traite pas de jazz, mais de rock culture à Paris. Tout se passe rue Sarrazin, à deux pas du Boul Mich’. Le temps d’un livre, la rue Sarrazin redevient le nombril du monde. Mais pas pour tout le monde. Pour une poignée de lycéens normands, le centre du monde s’appelait plutôt Rock On à Londres.

             Ces deux centres du monde finiront par muter chacun de leur côté et par devenir des entités tentaculaires, c’est-à-dire des labels légendaires, et c’est tout ce qui nous intéresse : la portée des labels. Leur pertinence. La qualité de leur catalogue. Leur rôle prépondérant dans l’écho du temps. Sur l’échiquier des dynasties, le cousin du New Rose book s’appelle l’Ace book. On y reviendra prochainement. Plus ancien, l’Ace book déroule lui aussi sa petite genèse, en montrant des photos de tous les géniteurs et en barbouillant les pages de ribambelles de pochettes qui n’en finissent plus de nous faire baver comme des limaces. Tout le monde le sait, Ace a réussi là où New Rose a échoué, dommage. Oui, dommage, car assis sur le tas d’or de sa légende, New Rose rendrait aujourd’hui aux amateurs le même type de services que leur rendent les gens d’Ace : culture intensive des fonds d’archives - the vaults - et quand on voit le boulot titanesque qu’abattent les gens d’Ace, on comprend que la rock culture a encore de beaux jours devant elle. Le principe reste exactement le même qu’il y a cinquante ans : plus tu creuses et plus tu découvres, plus tu découvres et plus tu creuses, c’est le merveilleux cercle infernal dans lequel se jettent depuis l’aube des temps les plus curieux d’entre-nous. 

             On n’entre pas dans le New Rose book pour la boutique, mais pour l’écurie. Brièvement évoquée, la boutique a depuis longtemps disparu. Aujourd’hui, Gibert occupe les lieux et c’est là qu’on est tous allés pendant des années revendre nos vieux CDs pour aller en acheter de nouveaux. Avec le temps va tout s’en va, un nouveau magasin recouvre un magasin plus ancien : les géologues appellent ça des strates. Paris grouille de strates. Tu connais bien les strates du rock parisien : rue des Lombards, Carrefour de l’Odéon, rue du Faubourg du Temple, le boulevard Voltaire, et celles encore visibles aujourd’hui, boulevard Rochechouart. C’est la grande différence entre l’Ace book qui s’ancre dans le passé pour dévoiler l’avenir, et le New Rose book qui s’enferme dans le passé comme dans un cercueil. On entend le couvercle grincer quand on tourne les pages. Le New Rose book cultive la nostalgie, ce qui entre en contradiction de plein fouet avec le postulat de base : le rock est une culture vivante, donc on ne peut pas l’enterrer. Encore moins l’envoyer moisir au musée.

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             On regardait les posters qui décoraient les murs du grand hall d’accueil du 106, le soir du vernissage de l’expo. Sauf Tav Falco, les Real Kids, Brian James et quelques autres, ils ont quasiment tous cassé leur pipe en bois. Ça tendrait à renforcer l’idée que toute cette histoire appartient désormais au passé. New Rose n’a pas eu le temps de lancer une nouvelle génération de groupes, comme a réussi à le faire Ace. La moyenne d’âge du public venu assister au vernissage ne fait que consolider cette mauvaise impression. Quasiment zéro kid, écrasante majorité de vétérans. Et comme cerise sur le gâtö, on a un concert de groupes français jadis signés sur New Rose et reformés pour l’occasion : Valentino, Calamités, Soucoupes Violentes, etc. L’impression que tout s’embourbe dans le passé n’en finit plus de s’embourber. Mais où est donc Ornicar ? Où est passée la vie ?

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             La vie ? Tu vas la trouver sous la toge du New Rose book : les 80 pages de photos d’Alain Duplantier. Tu arrives dans le chapitre photos et tout à coup, le New Rose book bande comme un âne, les images toutes plus somptueuses les unes que les autres te sautent à la gueule, et c’est d’autant plus fulgurant que Jeffrey Lee Pierce ouvre le bal, sur une double plein pot en noir et blanc, son visage sort de l’ombre, un seul œil et la cicatrice sous l’œil, tu as aussitôt le voodoo du Gun Club, toute la légende du groupe tient dans cet œil, on pourrait même parler de regard shamanique. Tu tournes la page et pouf, tu as deux autres shoots de Jeffrey Lee Pierce, cheveux bruns, presque Apache, visage de guerrier, expression de calme contemplatif. Comme si Duplantier avait compris QUI était en réalité Jeffrey Lee Pierce. Comme s’il avait cherché à photographier l’homme ainsi que son esprit. Comme s’il voulait que Jeffrey Lee transmette un message à travers ces images, comme s’il voulait que Pierce perce le mur du silence. Les mauvaises langues diront que c’est facile avec un mec comme Pierce, mais non, au contraire, rien n’est plus difficile que de réussir un tel portait. Ceux qui parviennent à communiquer avec leur public sont les grands peintres, à travers leurs autoportraits. Allez voir le Van Gogh qui est accroché au Musée d’Orsay (Portrait de l’Artiste) et vous comprendrez ce que le mot communiquer veut dire. Van Gogh communique. On soutient son regard. Ça vit. Jeffrey Lee Pierce communique de la même façon. Ça vit.

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    Plus loin, Duplantier shoote Chris Bailey. Reconnection avec une légende. Disparu ? Pas du tout, il est là et te regarde, l’air un peu aristo, sous son chapeau. Hey Chris. Midnight at the Leper’s home ? On entend presque sa voix, dans «Simple Love», le premier mini-album enregistré pour New Rose - Take a look at what I’ve done - ses cheveux s’écoulent en masse sur ses épaules et au bas du portrait, tu peux apercevoir sa grosse main poilue qui tient une clope, regarde bien cette image, car c’est le portrait d’une vraie superstar, tu tournes la page et tu as encore deux shoots du Saint, dont un qui a servi pour le dos de pochette de Demons : il semble installé dans le salon de son château, au XVIIIe siècle, penché sur une partition et entouré de chandeliers. Sur Demons, il porte en plus un manteau. Puis voilà qu’arrive un autre cake cher au cœur des cakers : Alex Chilton. C’est tout juste s’il ne porte pas une auréole. Duplantier fait des miracles à chaque fois. On a l’impression qu’il a écouté tous les disques des gens qu’il shoote, car chaque fois, il shoote en plein dans le mille. Tu veux un portrait sec et net d’Alex ? Il est là, en chemisette rouge, pareil, un seul œil, l’autre dans l’ombre, Duplantier capte le regard et le transmet. Ça vit. Coco bel-œil. C’est le portrait le plus juste d’Alex Chilton, l’homme qui refusa d’être célèbre et qui préférait faire la plonge dans un restau de la Nouvelle Orleans plutôt que d’aller vendre son cul à des impresarios véreux. Non seulement Alex Chilton fut l’un des hommes les plus intègres de la Memphis scene, mais il était en plus extrêmement brillant, chanteur, compositeur et guitariste surdoué. C’est ce que montre ce portrait : no sell out. Bon après tu as quelques photos de scène, tu tournes encore la page et tu as un autre portrait qu’on pourrait titrer «Alex à la clope», il plonge son regard dans l’objectif et donc, tu l’as en direct. Tu entendrais presque sa voix - Sittin’ in the back of a car - Tu vas tomber ensuite sur Moe Tucker, portait classique, Moe is Moe, I want my baby black. Mais assise à sa batterie, elle fait très Velvet. Petit ange de miséricorde new-yorkais. Duplantier a dû bien se marrer en shootant Tav Falco.

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    Attention, c’est cadré serré, on voit tous les poils de sa moustache Adolf/Charlot. Pareil, un œil. Un seul suffit. Il te voit et tu le vois. Bouche sensuelle, Gustavo bella vista, et quand tu tournes la page, tu le vois prendre des poses de diva, coiffé rockab, en blouson peau de vache, agitant les mains pour faire le fantôme. N’oublie pas que Tav s’ancre à la fois dans le Tango, le wild Memphis beat et l’Urania Descending. Plus loin, nouveau shoot à la coco-bel œil : Brian James. Tu as l’œil vert, puisque le shoot est en couleur, beau visage de rock star, ovale parfait cadré serré, du menton jusqu’au haut des sourcils, avec tout de même un peu de frange, cerne de damné sous l’œil, bouche d’homme intelligent, grâce naturelle, la même grâce que celle de son homonyme Brian Jones, quand on revoit Brian James, on aime bien caresser l’idée qu’il est resté l’un de nos préférés, oui car sans sans lui, pas de New Rose, sans lui, pas de punk à Londres, sans lui, pas de souvenirs mirobolants des concerts de 1976, sans lui, pas de Rat ni de Captain ni de Dracula, sans lui, pas de rien. Brian James, King of the night in Mont-de-Marsan 77, Brian James, prince des élégances, avec Chris Bailey, ce sont eux qui ont donné du caractère à ce qu’on appelait alors la vague punk à Londres. Tu tournes la page et tu le revois avec une clope à la main et toute cette morgue extravagante de classe. Rien qu’avec lui et les gens déjà cités, New Rose avait rempli sa mission de label. Tu vas aussi tomber sur deux portraits pour le moins fantastiques d’Arthur Lee, l’un en regard direct, l’autre perdu dans ses pensées. Le vieux roi Arthur était devenu un bras cassé à l’époque où sortait Arthur Lee And Love sur New Rose, pas forcément son meilleur album, mais Patrick Mathé eut l’intelligence de l’accueillir dans son écurie. Comme il eut l’intelligence de recueillir tous ces fantastiques artistes de la Memphis scene dont personne ne voulait à l’époque, Alex Chilton, Tav Falco, les Hellcats et Jim Dickinson avec Mud Boy & The Neutrons. Côté anglais, tu vas tomber sur des shoots plus classiques de Chris Spedding. Puis Duplantier va retenter le diable avec Bruce Joyner, sujet de choix, extrêmement tentateur, pour ne pas dire sulfureux, dommage, c’est une approche timide, les portraits n’illustrent pas vraiment la weirdness de l’Unkown qui, aux dernières nouvelles, serait encore en vie. Nouveau shoot à la coco bel œil pour Calvin Russell, sauveur de label, dont l’œil est presque transparent. Et bien sûr, la galerie s’achève sur un plan serré du visage de Patrick Mathé et de sa grosse moustache à la Brassens.

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             Ailleurs dans le book, tu as d’autres photos intéressantes, notamment un copieux chapitre consacré aux Cramps. Un spécialiste te dira si les photos sont originales ou pas, mais au fond, on s’en fout, on se régale de revoir Lux et sa meute, et tu as en prime toutes ces photos de scène à l’Eldorado. Sur New Rose, les Cramps ont deux albums, Smell Of Female et A Date With Elvis. Bien joué les gars ! Il y a encore six pages Cramps plus loin (European Tour 1986), les fans des Cramps vont sûrement faire une petite overdose ! Les Cramps et le Gun Club, c’est tout de même pas mal, pour un petit label indépendant. On croise d’autres personnages légendaires : Charlie Feathers (pareil, deux albums sur New Rose), Barrence Whitfield (toujours d’actualité, dommage qu’il ne soit pas venu chanter au 106), les Real Kids, Willie Loco Alexander (photographié avec Patrick Mathé) et puis Roky Erickson, photographié avec Doug Sahm qui porte un masque de catcheur mexicain. What a shoot ! Tu trouveras aussi d’autres photos de Jeffrey Lee Pierce, beaucoup plus trash, c’est son époque cheveux blonds, veste d’uniforme et santiags. Et soudain, le New Rose book te re-balance un Jeffrey Lee plein pot en noir et blanc sur une double, les cheveux blonds dans les yeux et derrière lui, des barbelés. Image saisissante ! Diable, comme cet homme pouvait être beau ! Jim Dickinson est là, dans un quart de page, itou pour les Primevals. Plus loin, tu vas retrouver Johnny Thunders : six pages de Thunders, dont la fameuse image à la statue Vulpian, rue Antoine Dubois. Le New Rose book n’a oublié personne. On lui serre la pince.     

    Signé : Cazengler, New Rosé (cubi)

    Soirée New Rose  Le 106 (Rouen). 25 novembre 2022

    Replay New Rose For Me. Moonboy Ltd 2022

     

     

    Super Nova

     

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             Heather Nova est restée une très belle femme. Tiens, quel âge peut-elle avoir ? Tu poses la question à Internet : elle aura soixante balais dans cinq ans. Elle a déjà les mains de son âge, avec des grosses veines, mais pour le reste, pas de problème. En fait, c’est sa voix qui fascine les amateurs de chant divin. Car elle chante divinement. Les seules auxquelles on pourrait la comparer sont Joni Mitchell et Joan Baez, cette facilité qu’ont ces femmes pour monter leurs voix et atteindre l’état de grâce. Une grâce blanche, très différente de la grâce black. Internet te dira aussi qu’elle est originaire du triangle des Bermudes, donc de nationalité anglaise, mais elle parle comme une américaine, avec une petite emphase sur certaines syllabes.   

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             Heather Nova ne date pas d’hier. C’est en 2003 qu’on fit sa découverte avec l’album Storm, et plus précisément «You Left Me A Song», le balladif qui te transperce d’une extra-balle de mélodie pure. Elle a une façon de grimper au sommet du fil mélodique qui est unique au monde, ses ouh-ouuuuh pourraient te rendre fou, tu as même l’impression qu’elle s’adresse à toi et qu’elle te prend dans ses bras. L’autre merveille de cet album est le «Let’s Not Talk About Love» d’ouverture de bal. Elle y duette avec Bioley, un Bioley qui entre dans la mélodie comme Gainsbarre, et elle arrive pour vriller son chat perché. C’est la Beautiful Song par excellence. Tu as là ce qu’on appelle communément de l’inespérette de saperlipopette. Elle monte comme Birkin entre les reins de Gainsbarre, c’est le même cocktail de pureté coïtale. Le troisième cut magique se trouve à la fin de l’album et s’appelle «Fool For You». Elle fond littéralement dans son Fool, elle a tellement de talent, mais elle ne l’utilise que de temps en temps. Son génie consiste à se fondre dans la mélodie. Elle travaille l’art suprême de la fonte. La fonte, c’est comme la ponte, l’autre mamelle de l’humanité. Pure fonte de Super Nova. Les autres cuts de l’album sont d’un niveau nettement inférieur. Elle a du mal à abreuver son moulin, tout le monde ne s’appelle pas Alphonse Daudet. C’est tout de même incroyable de voir tellement de gens se prendre pour Alphonse Daudet ! De toute évidence, Super Nova ne s’intéresse qu’aux cimes, c’est-à-dire à l’émotif de sang royal. Il faut la voir attaquer «I Wanna Be Your Light» très haut. On peut lui faire confiance. Avec trois hits magiques sur un seul album, c’est dans la poche.

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             Et par un beau soir de novembre, voilà qu’elle débarque en Normandie. On ne va tout de même pas rater une pareille occasion de vibrer ! Concert acoustique ? On s’en fout, pourvu qu’on ait la voix. On a la voix. Elle déboule sur scène, toute maigre, allez trente-cinq kilos, et encore. Blonde comme au temps de Storm, présence indéniable. La salle n’est pas pleine, mais les gens qui sont là viennent pour la plupart de loin. Elle attaque en douceur, l’émotion viendra plus tard. Comme toutes les chanteuses à guitares, elle sort sa grandma song («Walking Higher»), elle veut retrouver sa grand-mère, alors elle la retrouve higher, comme dirait Yves Adrien. Elle tape deux ou trois cuts de son dernier album, Other Shores, qui est un album de covers : le «Staying Alive» des Bee Gees qu’elle transforme complètement (heureusement !), elle tape aussi dans un vieux hit de rock FM, «Waiting For A Girl Like You», de Foreigner, un groupe qui fit en son temps partie des fléaux de l’humanité. Super Nova tape aussi en rappel dans Françoise Hardy avec «Message Personnel», accompagné à la guitare par le mec qui partage sa vie, un certain Vincent.

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             Mais bon, le meilleur arrive. D’abord une fantastique version d’«I Wanna Be Your Light» qu’elle tape au chant divin de Storm, accompagnée par un grand mec assis sur une caisse percu. Il en joue aux deux mains, comme sur des congas - Let me be your star/ I’ll light your way across the milky way - et là tu acquiesces, tu opines du chef, et même du bonnet, tu adhères, tu valides, tu signes, tu approuves des deux mains, tu dis oui, tu votes pour, tu jures allégeance, tu t’agenouilles, tu reconnais ta reine, tu te prosternes, let me be your star, vive Super Nova !

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             Mais tu n’as pas tout vu. Avant même qu’elle annonce «London Rain (Nothing Heals Me Like You Do)», des mains se lèvent dans la salle. Super Nova se marre, «mais vous êtes tous sur Internet !», oui, les fans savent qu’elle va faire monter une personne du public pour duetter avec elle sur «London Rain», alors il y a des candidates ! Celle qui est choisie vient s’installer derrière un micro, à deux mètres de Super Nova. Elle est blonde, elle aussi, elle s’appelle Estelle, on l’apprendra après le concert. Estelle commence à danser sur le groove, elle est dedans, fantastiquement dedans, bien sûr elle connaît le texte par cœur, elle attend le refrain pour monter aux harmonies vocales avec son idole - So keep me/ Keep me in your bed/ All day/ All day/ Nothing heals me like you do/ Nothing heals me like you do - Pure magie ! T’auras jamais rien de plus pur que ces deux voix à l’unisson du keep me ! Super Nova est la première surprise. Interloquée, elle regarde Estelle ! On est tous submergés par une vague géante d’émotion. Estelle chante là-haut en fixant Super Nova, keeeeep me/ Keeeeeep me ! C’est le sommet de l’excelsior d’Ararat, tu ne peux pas humer d’air plus pur, d’air plus chaud, d’air plus divinement féminin, tu as la magie des voix qui serpente dans l’air et ces deux femmes superbes se regardent en mêlant leurs filets d’argent. C’est d’une intensité qui vaut bien celle du «Joe Hill» a capella de Joan Baez à Woodstock, ou encore celle du duo Joni Mitchell/Pete Seeger sur «Both Sides Now». C’est de ce niveau. Complètement surnaturel. Ce sont ces moments de grâce qui te réconcilient provisoirement avec la vie.

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             Alors évidemment, aussitôt après la fin du set, on va la trouver pour la remercier de ce moment de grâce. Elle s’appelle Estelle et vient du département de l’Aisne, c’est-à-dire la Picardie, elle vient de se taper deux heures de route pour voir Super Nova, et bien sûr, elle fait partie d’une caste, celle des die-hard fans de Super Nova, allant même jusqu’à éditer les tabs des chansons de Super Nova pour les lui offrir, en les téléchargeant sur son site. Cadeau. On croise rarement dans la vie des jeunes femmes aussi lumineuses.

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             Alors bien sûr, on peut aussi écouter Other Shores. Le choix des covers est assez discutable, on voit bien qu’elle écoute pas mal de conneries à la radio : Stong, Journey, Foreigner, des machins comme ça, ce qu’on appelait autrefois la pop FM. Dommage qu’elle n’ait pas tapé dans Jimmy Webb ou Burt, car avec la voix qu’elle a, elle aurait pu faire des étincelles. Ceci dit, elle offre quatre raisons impérieuses de rapatrier son cover album : «Jealous Guy» qu’elle transforme en Jealous Girl, «Here Comes Your Man», «Like A Hurricane» et l’«Ever Fallen In Love» des Buzzcocks. Elle tripote des Cocks pour en faire du groove, elle fait sa punk au bar de la plage, et du coup, le Fallen bande mou, ce qui donne une version assez insultante. Cette version plaira à tous les iconoclastes. Heureusement, Pete Shelley a cassé sa pipe en bois, il n’entendra pas cette daube. Son hommage à John Lennon est beaucoup plus sérieux. Il faut dire bien dire que c’est une chanson parfaite pour une voix parfaite. Elle y va au began to lose control, elle tape au cœur de l’émotion, ça vaut bien son London Rain, elle se coole dans le moove avec des accents enfantins dans la voix. Pour cette occasion en or, elle jette dans la balance tout son génie vocal. Avec «Here Comes Your Man», elle se fond bien dans le moule du gros Black. Elle fait sa Kim Deal, elle hurle à la lune et ça donne au final un fort bel hommage. Elle se plaque plus loin sur l’immense Hurricane de Neil Young, mais elle le fait de façon plastique. Pas de son, juste du plastique. Elle ralentit l’Hurricane considérablement et le gratte à la dure, aw yeah. Et puis on retrouve le «Message Personnel» de Françoise Hardy, qu’elle chantait en rappel, l’autre soir, sur scène. Un certain charme, d’autant qu’elle fait l’effort d’un couplet en français, alors t’as qu’à voir ! 

    Signé : Cazengler, Ether Növö

    Heather Nova. Le 106 (Rouen). 19 novembre 2022

    Heather Nova. Storm. Columbia 2003

    Heather Nova. Other Shores. Odyssey Music Network 2022

     

     

    Wizards & True Stars

    - Pas d’Aretha dans le beefsteak (Part Two)

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             Lorsqu’Aretha a cassé sa pipe en bois, KRTNT s’est prosterné jusqu’à terre pour lui rendre hommage, car elle fit partie des vraies reines, de celles qui nous importent. Comme d’ailleurs nous importent les vrais rois, Elvis, Dylan, James Brown, Iggy et tous ceux qui ont su faire de leurs vies des œuvres d’art, donnant non seulement du sens à leur vie, mais aussi à la nôtre. On est relativement nombreux à penser qu’on ne serait plus là sans eux.

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             Aretha revient dans le rond de l’actu avec deux films et une box : Respect, Amazing Grace et la belle Aretha box. Inutile de préciser que les trois sont indispensables, à commencer par ce film Respect, qui est une reconstitution de la vie d’Aretha, et là mon gars, tu vas pouvoir pleurer toutes les larmes de ton corps, car c’est tellement réussi et tellement juste que c’en est bouleversant. Fantastiquement bouleversant, et si finement amené, car tu commences par entrer dans une belle maison de Detroit, tu traverses un salon qui vaut bien les salons littéraires du XIXe siècle, mais ce sont des blacks qui slanguent du rap comme dans les films de Spike Lee, et la caméra suit l’un de plus grands acteurs de notre époque, Forest Whitaker, il monte des escaliers, entre dans une chambre et réveille sa daughter Ree qui dort, alors oui, Ree sing a song, elle descend au salon en chemise de nuit, et elle sing a song avec un feeling qui t’écrabouille de chœur, fuck, elle a dix ans et tellement de feeling, Detroit roots, baby, là tu piges tout, et dans le plan suivant tu la vois chanter le gospel avec sa mère qui est séparée du pasteur Forest, l’énigmatique pasteur Forest qui reste un tiers Ghost Dog, un tiers Amin Dada, et un tiers Charlie Bird Parker, l’inflexible Pasteur CL Franklin que tu verras tout à l’heure en chair et en os dans Amazing Grace, mais pour l’heure Ree est attachée à sa mère, back to the roots, le pasteur Forest part en tournée et prêche en Alabama, Daniel went into the lions den ! Lawd was with him ! Freedom ! On croit entendre Richie Havens dans cette fantastique transe de frénésie biblique d’église en bois, freedom ! clament les nègres en plein cœur du royaume maudit des racistes d’Amérique, preach Forest preach ! Alors oui, on y est, ride on, Ree !, elle accompagne son père et dans chaque église elle sing a song, puis on assiste au petit viol de Ree, c’est un passage mystérieux et pas beau du tout, ugly down, mais Ree ne dit rien, d’autant plus que sa mère casse sa pipe en bois, alors elle décide de devenir muette, et là tu peux chialer toutes les larmes de ton corps, amigo, car tu partages son désespoir, Ree plus parler, Forest se fâche, Ree sing a song in church, no way dit Ree du regard, et puis voilà l’ami de la famille, le Doctor King et la flamme du discours, malgré toute la violence des blancs dégénérés, il prêche la non-violence, avec la même intelligence universaliste que celle de Gandhi, là-bas de l’autre côté de l’empire des hommes blancs qui sont une malédiction pour toutes les autres races.

             Ree grandit et tu te retrouves dans une party, ce que les Américains appellent un barbecue, en 1959 à Detroit, Smokey Robinson fait partie des invités, il voudrait bien voir Ree chez Berry qui démarre son biz, mais Forest a d’autres ambitions, il vise New York pour Ree et il décroche un rendez-vous avec Mister John Hammond chez Columbia Record, oui le même Hammond, celui de Dylan, et de son fils, John Hammond Jr. Du coup Ree se retrouve en studio, are you ready Aretha ?, Yes Mister Hammond !, mais c’est l’époque Columbia de Ree, l’époque des albums ratés et de la petite variété orchestrée, like Judy Garland, et puis quand Ree monte sur scène au Village Vanguard, elle veut rendre hommage à Dinah Washington qui est dans la salle, et au moment où elle attaque, Dinah renverse la table et fait un scandale, avant d’aller trouver Ree réfugiée dans sa loge pour lui donner un cours de morale black : «Bitch ! Never sing a Queen’s song in presence of the Queen !». Pauvre Ree, elle doit encore apprendre à cheminer, et puis elle ramène Ted White chez Forest qui ne l’aime pas, alors ça donne une grosse shoote et Forest sort son flingue de Ghost Dog pour le buter, mais il s’arrête juste à temps, il comprend que Ree veut sa liberté. Freedom ! On est en 1966 et Ree veut changer. Ted White dit à Forest qu’il va changer Ree et la sortir de Columbia et donc de ses pattes à lui, pasteur Forest, 9 albums chez Columbia et pas de hits, ça ne peut pas continuer comme ça, alors Ted White emmène Ree chez Wexler et elle lui dit qu’elle veut des hits. Pas de problème, on a tout ce qu’il faut, Wexler les envoie chez les boys, chez Rick Hall, down in Alabama, 1967, Muscle Shoals, champs de coton, rien n’a changé depuis le temps de l’esclavage, ce sont toujours les nègres qui cueillent le coton des blancs. Fuck it ! Wexler s’engueule avec Rick Hall et Hall dit qu’il est chez lui, it’s my place, alors je fais ce qu’il me plaît, rien que des blancs dans le studio, ça ne plaît pas à au mari black d’Aretha Ted White qui porte pourtant un nom de blanc, et puis tu vas voir Spooner et forcément on assiste à la fameuse shoote entre Ted White et Rick Hall, retour à New York, Ree a l’œil au beurre noir, mais ça ne l’empêche pas d’apprécier les boys de Muscle Shoals et à 3 h du mat, elle se met au piano et appelle ses frangines Erna et Carolyn pour travailler le just a little bit de Respect, et pouf, on passe directement au Madison Square Garden reconstitué pour les besoins de ce film tétanique, Respect ! Ree danse, just a little bit, et la vie continue, Ree s’oppose à Ted White et reçoit un violent coup de poing dans l’estomac, alors elle finit par se débarrasser de cet affreux connard, mais elle plonge dans l’alcool, s’engueule avec ses frangines, et comme le veut la morale de cette histoire, elle est sauvée par le gospel en 1972, avec le fameux concert de Los Angeles filmé par Sydney Pollack, c’est d’ailleurs son album le plus vendu, et on voit Forest ému aux larmes dans l’église baptiste de la rédemption angélinote.

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             Tu sors de l’église à quatre pattes, mais tu y retournes aussitôt avec Sydney Pollack car le film est enfin sorti, quarante ans après la bataille. Derrière Ree, tu verras une équipe de blackos qui font partie des plus doués de leur génération, Bernard Purdie (beurre), Cornell Dupree (gratte) et Chuck Rainey (bassmatic), avec en prime Wexler et Arif Mardin, plus le Révérend James Cleveland, un vieil ami de la famille Franklin et l’extraordinaire Southern California Community Choir, un trentaine de Brothers & Sisters qu’on voit entrer au pas, à la queue leu-leu, dans l’église, en dansant et en chantant, et une fois le Choir installé, le Révérend Cleveland présente Ree, she can sing annything, comme dirait Elvis, et il ajoute : «My sister, Miss Aretha Franklin !». Il demande accessoirement aux gens rassemblés dans l’église s’ils peuvent chanter comme 2000 personnes, can you sing like 2000 ? Yeah ! font tous ces gens extraordinaires et Ree qui parait tendue attaque «Wholy Holy», alors elle se transfigure en chantant, elle devient incroyablement belle, on parle ici d’élévation par la beauté de l’art, c’est-à-dire le pur spirit, le fondu du profane dans les profiteroles, Ree est très concentrée. Elle monte au pupitre pour attaquer «What A Friend We Have In Jesus», elle danse d’un pied sur l’autre en chantant son gospel batch, elle va chercher ses notes si haut, les yeux toujours fermés. Sur «How I Got Over», Pollack filme le conducteur du Choir qui danse le jerk, plan imparable dans une église, Ree dégouline de sueur, le Choir claque des mains, ça swingue, baby, et Ree s’élève toujours plus haut. Pour «Precious Memories», elle grimpe son Jesus/ Jesus I’ll be with you si haut qu’on la perd de vue, Ree transcende l’art du chant, elle sacralise le sacrement, elle l’envoie valser dans les orties de la stratosphère, mais bizarrement, entre deux chansons elle paraît toujours aussi tendue. Elle ne sourit jamais. Elle enchaîne avec la pop de «You’ve Got A Freind», le hit de Carole King, la pop de Ree, you’ve got a fiend/ Call my name/ I’ll be there, elle expurge la pop de tous ses sins, elle purifie la King de l’eau, elle sunshine de l’intérieur. Bizarrement personne n’y avait pensé avant Pollack : il nous montre une Ree christique et un Choir qui comme 36 apôtres repend le take my hand, alors Ree rentre dans le chou du lard, elle resplendit de black beauty, l’art la transfigure, Pollack l’a bien compris, il la cadre et la recadre, il a compris qu’il filmait l’incarnation d’une femme en odeur de sainteté. Ree tape ensuit son «Amazing Grace» a capella, elle fait pleurer le Révérend Cleveland, elle rend fous les Brothers & Sisters du Choir, ils se lèvent par gerbes, c’est très spectaculaire, comme James Brown, Ree incarne tout le sacré si particulier du Black Power, elle transfigure l’idée même d’humanité, son chant atteint les régions profondes du cerveau, ces régions inexplorées qui dorment dans des liquides rachidiens, et puis voilà le deuxième soir, elle semble moins maquillée, on voit apparaître Clara Ward dans le public et le Reverend CL franklin en costard bleu, la classe, il monte faire un discours au pupitre, c’est le discours de l’émotion définitive, on voit que Ree est émue par ses paroles. Puissant father. Il faut voir les deux films, l’un éclaire l’autre. L’un de va pas sans l’autre.

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             Voilà donc la fameuse Aretha box, l’un des objets les plus précieux du monde moderne. Il s’agit d’une rétrospective de sa carrière répartie sur 4 CDs, box idéale pour les ceusses qui n’ont ni la place ni les moyens de stocker les albums. La box propose en outre quelques inédits, alors on ne va pas cracher dessus. Aretha ? Il ne s’agit pas seulement de Soul, il s’agit surtout d’entendre l’une des plus grandes artistes de son époque. Quand elle chante a capella le gospel de «Never Grow Old», elle se forge. Quand elle chante le blues («Today I Sing The Blues»), elle devient l’Aretha, elle brûle déjà d’un feu spécial. Comme elle a déjà tout vécu, elle sait de quoi elle parle. Quand elle chante «Won’t Be Long», elle se met à nu. Alors tu danses avec elle. Avec cette box, elle reprend tout à zéro, elle reprend le chemin de Damas à l’accent tranchant. Le disk 1 s’enlise dans l’époque Columbia, Ree se bat au running out pour sortir sa voix de l’ornière et des orchestrations. Quand elle chante «My Kind Of Town (Detroit Is)», elle jazze au piano jazz et menace de devenir folle. Et puis tu vas tomber sur une démo de «Try A Little Tenderness», occasion pour elle de t’emmener dans un au-delà du supportable, elle t’enfile comme une perle, elle chante aux petits orgasmes d’Otis, elle gueule tout ce qu’elle peut, et c’est là qu’elle entre dans le Deep South. Elle passe la rampe. Elle connecte avec le pathos, welcome in Muscle Shoals, «Do Right Woman Do Right Man», tu as beau connaître ça par cœur, ça t’émeut comme au premier jour, comme le chat avec la souris, elle joue avec la compo des petits culs blancs. Et voilà le premier hit, «Respect», claqué en mode Southern, les chœurs tombent du ciel, cette folle de Ree veut le respect, just a little bit, un modèle du genre et là Aretha devient la reine du monde, ce genre d’éclat génial ne se produit qu’une seule fois par siècle, alors «Respect» restera le cut fondateur de la Soul. Elle explose aussi Sam Cooke avec une déchirante cover d’«A Change Was Gonna Come», elle l’explose à coups d’I was born by the river, elle le tient par la barbichette, la voilà dans le génie du lieu, by the river. Pour «Chain Of Fools», elle dispose de l’une des meilleurs attaques de tous les temps, celle du heavy gospel blues. C’est aussi brutal qu’un coup dans l’estomac. Aretha a du punch, elle te propulse la Soul in the face. Et elle assoit son règne. Pour rendre hommage aux Stones, elle propose un violente cover de «Satisfaction» - Ahhhh can’t get no - elle devient animale, elle écrase l’œuf du serpent, elle remet la petite bite de Jag à sa place dans sa braguette, c’est de l’hystérie, elle mène le bal, elle danse sur le cadavre de la Stonesy, elle retourne la situation. Tout ce qu’elle entreprend devient une entreprise de démolition, elle t’emmène au paradis à gorge déployée, elle remonte les étages, ain’t no way, elle est surnaturelle. Aretha est la femme la plus pure, l’artiste la plus complète. Si tu sors «Ain’t No Way» de son contexte, le cut t’explose en pleine gueule. Avec «My Song», Ree va te hanter. Sa Soul te démolit et te reconstruit, tell me what is wrong, elle s’accroche à toi, prends la main qu’elle te tend. Et puis elle va te groover le coconut avec «You Send Me» - Darlin’ you send me/ Ahhh yeah - Merci Ree d’exister. Non seulement elle te groove le coconut mais elle y met le feu. Elle te jazze le vestibule, elle te lamine tes petites capacités de compréhension. Bonne nouvelle pour les ceusses qui seraient en quête d’absolu : plus la peine de le chercher, il est là, c’est Ree.

             On s’en doutait, ça repart de plus belle avec le disk 2. Suite de la promenade à travers un royaume magique, en compagnie d’une très belle femme. Tu tombes très vite sur le «Son Of A Preacher Man» connu comme le loup blanc. Mais Ree l’explose comme un fruit trop mûr, elle rampe dans le chaos de la Soul. Elle est all over the Preacher Man, elle gueule ça par-dessus les petits toits de l’Alabama, puis elle te recoince avec « Call Me », elle est tout, elle est la pluie et le parapluie, Ree, fantastique déesse, elle chante pour toi, elle chante à la pire des pires. Elle rentre dans le chou du « Bridge Over Troubled Water » sur un heavy shuffle d’orgue qu’elle double aussitôt de piano jazz et te plonge le museau dans un bouillon de gospel, elle transforme le Simon & Garfunkel vite fait bien fait. On la voit aussi duetter avec Tom Jones sur «It’s Not Unusual/See Saw», elle transforme ça en vieux shoot d’apocalypse, see saw babe ! Comme le montre encore « Brand New Me », sa façon d’entrer dans le lard d’un cut est unique au monde. Elle te fout aussitôt le souk dans ta petite médina, elle te réchauffe pour l’hiver, elle devient inter-galactique, elle échappe aux pesanteurs du langage, I got a brand new style/ Just because of you/ Boy !, elle te jazze le butt, Bob. Ree, reine de Saba au la la la la sur «Spanish Harlem» et elle passe au heavy «Rock Steady», elle remonte au front, à la bonne attaque, elle gueule tout ce qu’elle peut. Ça ne l’empêche de revenir comme une petite fille pour te demander un service : « Share Your Love With Me ». Elle installe alors les conditions d’un groove à visage humain, elle te prend dans ses bras, mais en copine, juste pour te donner un peu de son Black Power. Marvin chante comme le messie, mais si, et Ree comme une Sainte, elle donne corps à la légende des Saintes, elle extrapole l’immaculée conception, toute la spiritualité du monde moderne est là, dans sa voix. La voix fait tout, elle est universelle. Elle revient au blues avec «Dr Feelgood», mais elle chante le blues à l’orgasme pur. Elle est la seule avec Billie Holiday et Nina Simone à savoir le faire. Cette box est un vrai chantier. Tu t’écroules et tu renais en permanence. Avant tu disais : «Voir Rome et mourir», maintenant tu peux dire «Voir Ree et mourir». Elle reduette avec Ray Charles sur «Spirit In The Dark». Ray attaque et Ree lui donne la réplique. Tu ne peux pas espérer duo plus mythique. Ray est le Genius et Ree l’asticote. Black Power ! Explosion en plein ciel. C’est l’apothéose. La box que tu tiens dans tes mains tremblantes se met à vibrer. Back to the gospel time avec «How I Got Over». Avec Ree, c’est forcément over. Pur power du Ree System. Tu as tout le gospel du monde là-dedans. Ree devient éclatante de power surnaturel. Elle te nivelle par le haut. Higher and higher.

             Au bout d’un moment, tu as l’impression de délirer. Écouter Ree à forte dose, ça te fait le même effet qu’un gros shoot de produit magique. Alors au point où tu en es, tu entres dans le disk 3. Tu ne t’occupes même plus de savoir de quel album sortent les cuts, ni si ce sont des inédits. Tu te contentes d’écouter comme si c’était la première fois. En amour, c’est la même chose : chaque fois que tu entres dans un lit avec une femme bien disposée, tu recherches la première fois. Tu tombes très vite sur «Angel» et tu t’enfonces dans le jazz avec Ree. Elle cherche an angel to fly away with me, alors tu lui proposes tes services, an angel who’ll set me free. Elle veut s’envoler, elle a la voix pour ça, find an angel in my life, cette quête d’envol la rend délicieusement désirable. Non seulement elle cultive l’élévation, mais on a parfois l’impression qu’elle sculpte la matière du chant, elle rodinise sa Soul, elle fait corps avec son argile, elle devient experte en vocalises subliminales. On l’entend taper «Until You Come Back To Me» au désarroi sur une work tape, mais un désarroi spécial, celui de la démantibulation, ponctué par Bernard Purdie. Prestation d’une reine. Saba babe ! Elle rentre dans le chou du lard d’«I’m In Love» au I’m in love/ yes I am, elle est au summum du gras, elle est la cerise sur le gâtö, elle te polit le chinois au ooooh ooooh yeah, ses stridences portent aussi loin que porte le regard, elle rejoint Jimi Hendrix dans une volonté d’échappée cosmique, et là tu tombes une fois de plus dans ses bras. Elle va encore t’éreinter avec un «Without Love», gonflé de gospel et gangrené de violons, ça devient de l’abattage, elle peut ravager des plaines, Ree est encore pire qu’Attila. Encore plus terrific, voilà le fameux «Mr DJ (5 For The DJ)», elle redescend à la cave du heavy stuff, elle sait tenir sa baraque, elle te jerke les jukes vite fait. Écoute-la bien, mon gars, profite bien de sa présence, car tu n’es pas près d’en revoir une autre. Non seulement Ree est une Sainte, mais elle aussi un ange. La preuve ? «Something He Can Feel». Elle est dans les airs. Il faut s’habituer à l’idée qu’un ange puisse être une femme noire.  C’est donc une bénédiction que de l’entendre chanter. D’ailleurs Rhino l’a bien compris : il suffit de voir le visuel qui orne la devanture de la box : Ree est l’icône d’une Sainte. Elle est aussi ta meilleure amie. Elle te prend souvent dans ses bras. Comme le montre encore «Look Into Your Heart», elle illumine la Soul à n’en plus finir. Elle y revient à pleins poumons. Comme elle est un ange, elle fait de la haute voltige. «Break It To Me Gently» voyage dans les airs. Ree se permet toutes les audaces. Elle te colle le museau dans son intériorité, et puis il faut voir cette énergie du son ! Elle attaque «When I Think About You» au longeant de bâbord, elle est fluide comme un requin, elle va te bouffer tout le vaisseau, c’mon babe ! Et ça continue avec «Almighty Fire», il faut la voir pusher le push, elle est au front, sur la barricade, elle fout le feu. C’est plus fort qu’elle. Et quand tu écoutes «You Light Up My Life», tu comprends qu’elle te construit une cathédrale en trois minutes chrono. Le chant est si haut, si beau, si spectaculaire que les mots s’enfuient glacés d’horreur. Elle bâtit sa clé de voûte à l’accent perçant et c’est là qu’elle te transperce le cœur. Voilà qu’elle duette avec Smokey sur «Ooo Baby Baby». C’est le duo des princes. Un «Ooo Baby Baby» repris jadis par Todd Rundgren sur A Wizard A True Star. Smokey fait yeahhh comme une vieille qui fume trop. Ree boucle le chemin de croix du disk 3 avec un «Amazing Grace» fortement monté en neige. Gospel power all over, Ree s’y sent comme un poisson dans l’eau, elle fout le feu au gospel et retrouve ses voies impénétrables, elle monte son ahhhhyeah par dessus l’Ararat de court-bouillon. Ça va loin, cette histoire. 

             Heureusement, cette box ne contient que 4 discs. Spirituellement, c’est une épreuve épuisante. À force de crier au loup, on s’enroue. Mais dès «Think» t’es baisé ! Tu recries au loup ! Ree te démolit sur place. Ça va très vite, avec une reine de la nuit. Elle a tout le power des Amériques (surtout des Amériques noires) derrière elle, eeehhhh, alors elle y va, elle te cavale bien sur l’haricot. Voilà un duo de géantes : Ree et Dionne la lionne sur «I Say A Little Prayer». Elles tapent droit dans le système nerveux, Dionne la lionne rentre dans le chant et ton cœur explose de bonheur. Elles t’allument bien toutes les deux, mais Dionne ne fait pas le poids face à Ree. Ree est aussi monstrueuse que Jerr : rares sont les gens capables de duetter avec ces deux oiseaux-là. Ree regrimpe ensuite sur son Ararat avec «United Together». C’est plus fort qu’elle, il faut qu’elle éclaire le monde, alors elle tartine à l’extrême, c’mon Ree, c’mon ma reine ! Puis on la voit traverser sa petite période diskö funk, elle le prend à la bonne et se montre à la hauteur. Elle duette avec les atroces stars de l’époque, Eurythmics et George Michael, tout est pourri, le son, les contributions, la pauvre Ree tente de sauver les meubles, elle est héroïque. Il faut attendre l’«Oh Happy Day» pour retrouver la magie, car en plus elle duette avec Mavis. Ree s’empare de ce hit intemporel et Mavis la challenge, Jesus just the love, Mavis passe en dessous, elles deviennent infernales toutes les deux, c’est du stuff mythique, complètement explosif. Ree fait de l’opéra avec «Nessun Dorma», elle roucoule comme la Castafiore, mais son pouvoir de lévitation reste intact. Elle duette avec Lou Rawls sur «At Last». Elle crée les conditions du duo d’enfer. Le vieux Lou arrive par le travers, il a du métier, petit chaperon rouge, uhm uhm, il pourrait presque passer pour un dieu descendu de l’Olympe des Blackos, oui, car ils ont eux aussi leur Olympe, avec des dieux aussi balèzes que Zeus et toute sa bande - We are in heaven/ Oh babe - Ree prend son pied, ça s’entend. La série des duos mythiques se poursuit avec Ronald Isley et une cover du fameux «You’ve Got A Friend» de Carole King. Ree tape dans le florentin, elle a du métier, et Ronald vient fondre comme un sucre dans la cuillère. Ils sont effarants de génie transalpin, c’est l’avènement d’une nouvelle Renaissance, Ree tartine deux fois plus que lui. On retrouve plus loin le fameux «My Country ‘Tis Of Thee» qu’elle a chanté pour le premier président black d’Amérique, Barak Obama. Freedom yeah ! C’est assez définitif, à l’échelle historique d’une nation, alors Ree te l’explose, ta nation de racistes. Elle est en haut et elle monte encore. Les racistes blancs devaient s’étrangler de rage en entendant cette merveille. Elle termine dans l’enfer du paradis avec «(You Make Me Feel Like) A Natural Woman». Ree restera pour ses admirateurs la plus pure incarnation de la Soul, l’art nègre par excellence. Ree restera la reine des reines, celle de Nubie et de Saba, et bien sûr, elle règne sur la terre comme au ciel. C’est elle qu’on devrait voir dans les églises.

    Signé : Cazengler, Ree de veau

    Liesl Tommy. Respect. DVD 2021

    Sydney Pollack. Amazing Grace. DVD 2019

    Aretha. Box Rhino 2021

     

     

    L’avenir du rock

    - On ne muselle pas Musselwhite (Part One)

     

             — Bienvenue dans la chambre de l’avenir du rock, messieurs dames. Une petite devinette pour commencer : si vous ouvrez le tiroir de sa table de chevet, qu’allez-vous découvrir ? Un livre de chevet, comme chez tout le monde ?

             Effectivement apparaît un livre. Un curieux demande :

             — Alors quel est ce livre ?

             — C’est une bonne question, répond le guide, et celui qui trouvera la réponse gagnera un abonnement payant aux Chroniques de Pourpre qui sont gratuites.

             Un visiteur qui se croit plus intelligent que les autres lance une hypothèse :

             — Étant donné l’état d’esprit global de l’avenir du rock, il ne peut s’agir que d’un ouvrage sarcastique, du genre De l’Inconvénient d’Être Né, l’anti-chef-d’œuvre de Cioran...

             Son voisin manifeste son désaccord :

             — Grave erreur, monsieur ! Vous n’avez rien compris ! L’avenir du rock n’utilise pas le sarcasme pour s’en gargariser, mais comme un glaive pour combattre ardemment l’hydre de la connerie humaine ! C’est pourtant simple à comprendre !

             — Alors, vous qui vous croyez si malin, que proposez-vous ?

             — Je pencherais plutôt pour l’Anthologie de la Subversion Carabinée, de Noël Godin, je mettrais ma main à couper qu’il y puise toutes ses ressources, chaque soir avant de se jeter dans les bras de Morphée ! 

             Un autre visiteur lève le doigt pour prendre la parole :

             — Vous vous faites trop d’idées sur l’avenir du rock. Il a peut-être des goûts plus simples. Je proposerais plutôt un petit recueil de poèmes, ces poèmes légers et ravissants qu’on peut relire au clair de la lune...

             — Vas-y Raymond la Science, accouche !

             — Ah ce que vous pouvez être mal lunés tous les deux ! Vous n’avez pas compris que c’est dans sa nature que de tendre vers la lumière, comme le fit en son temps et du fond de son galetas l’infortuné Paul Verlaine ?

             Le guide reprend alors la parole.

             — Bon, vous vous fourrez tous le doigt dans l’œil, messieurs les exégètes à la petite semaine. L’ouvrage que renferme le tiroir que vous voyez là est tout simplement un mussel !

             — Ooooooooooh !, font les visiteurs en chœur.

             — Et pas n’importe quel mussel ! Ni celui de l’abbé Donissan, ni celui du pasteur Harry Powell, le Musselwhite !

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             Charlie Musselwhite revient dans le rond de l’actu avec un sacré Mississippi Son. Tu ne bats pas les vieux de la vieille à ce petit jeu. Il gare sa bagnole dans le Delta et te chante «Blues Up The River» dans le creux de l’oreille, il descend loin au fond de sa vie pour te ramener des vrais accents de véracité, il te chante ça au doux du menton, au deepy deep de son dévolu, on le pousse pour qu’il aille plus vite, mais il ne veut pas, il avance à son rythme. Celui qui poussera Muss n’est pas encore né. Il adore le groove embourbé, le muddy road d’hobo.

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    De toute évidence, cet album est une énormité. Muss s’endort dans le moisi du blues d’«In Your Darkest Hour», avec les doigts de pieds en éventail. Il cueille la rose éclose à la pointe de sa glotte flappie, honey please come home et chante ça dans un dernier râle. Il est encore plus macabre que Lanegan. Et soudain, tout explose avec «Stingaree» - Mah baby/ She’s a honey bee - Il n’y a que Muss qui puisse nous faire ce coup-là - She’s buzzing me/ Feel so good - Il te souffle son haleine rance dans le cou et si tu es une femme, alors tu jouis, car Muss est un génie aux doigts de fée. Il tape ensuite le poor poor boy/ long long way from home de «When The Frisco Left The Shed» au heavy blues, c’est d’une classe inébranlable, because I ain’t no bed, il passe les coups d’harp de la misère, il marche in the cold cold rain et tu frissonnes avec lui. Puis dans les liners du digi, Muss nous explique qu’à une époque, il partageait une chambre avec Big Joe Williams, et qu’il a appris beaucoup de choses en le regardant jouer. C’est de là que vient «Remembering Big Joe» - I played one of his old guitars on this song - Puis il adapte «The Dark» de Guy Clark en blues thing - I met Guy a couple of times and he was a real likeable fellow - Chez Muss, les mots sont importants. Avec «Pea Vine Blues», il épouse le son au chant puis il s’en va rendre hommage à Hookie avec un «Crawling King Snake» tellement beau, tellement pur, tellement moisi - La nuit j’écoutais WLAC sur mon petit poste de radio, parce qu’ils diffusaient a lot of great blues. D’entendre John Lee Hooker taper du pied et gratter sa gratte sur «Hobo Blues» et «Crawling King Snake» tard dans la nuit, ce son sinistre me faisait un tel effet que je ne pouvais m’empêcher d’apprendre à les jouer - Encore du vieux boogie blues avec «Blues Gave Me A Ride», c’est un régal que de l’entendre croquer son boogie blues - I was raised out of Memphis - Il raconte son histoire et te souffle des coups d’harp dans les bronches. Il indique qu’il joue «My Road Lies In The Darkness» in an open tuning I call Spanish - Ain’t got nobody - Il sait amener un heavy blues avec un voile de mystère, comme le montre encore «Drifting From Town To Town». Pur genius, c’est d’une classe toujours aussi inébranlable d’if you ever, il continue et c’est tellement pur qu’on voudrait que ça ne s’arrête jamais. Il va encore chercher des racines au plus profond de son âme de vieux Muss, c’est ce qu’on ressent à l’écoute de «Rank Strangers», un cut des Stanley Brothers qu’il dit adorer, il chante dans l’écho d’un vieux temps et les minutes deviennent précieuses, vite dépêche-toi de profiter de Muss, tu le verras au volant de sa bagnole, à l’intérieur du digi. Il te fait tout simplement l’album de blues que tu avais besoin d’entendre.

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             Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, voilà Muss en couve de Soul Bag, un petit canard que Damie Chad eut bien raison de saluer récemment. Fantastique petit canard, le coin-coin du blues et de la Soul dont on devrait souligner les mérites plus souvent, car enfin, ils sont les seuls à défendre ce bon bout de gras en notre pauvre pays. Six pages d’interview, Muss a de la place, alors il peut raconter sa vie. Il commence par expliquer qu’il a quitté la Californie à cause des incendies pour revenir s’installer à Clarksdale, Mississippi. Il précise ce que chacun sait : Clarksdale est «l’épicentre du blues». Il y a d’ailleurs enregistré Mississippi Son, et il donne tous les détails sur ses guitares et la façon dont il les accorde. Il profite de sa tirade technique pour citer les noms de ses professeurs : Furry Lewis et Will Shade, pour les plus connus, Earl Bell et Willie Borum pour les inconnus au bataillon. Album enregistré en cinq jours, d’abord guitares & chant, puis les coups d’harp en re-re. L’interview est bien vivant, Nicolas Deshayes mène bien son petit babal. Muss rappelle qu’Hooky fut témoin de son mariage avec Henrietta (qu’il appelle Henri), voici 41 ans. Muss rappelle aussi qu’il était co-loc de Big Joe Williams à Chicago dans les early sixties. C’est pour ça qu’il lui dédie «Remembering Big Joe». Alors évidemment, Deshayes qui a plus d’un tour dans son sac branche Muss sur l’avenir, pas celui du rock, mais celui du blues, ce qui revient au même. Muss commence par indiquer qu’à 78 balais, il est temps d’y penser. Pour lui, la situation aujourd’hui est la même qu’à ses débuts : «il y a des magazines, des associations, des festivals», et il constate que partout où il va dans le monde, «les gens jouent du blues». Donc pour lui, pas d’inquiétude. Muss indique aussi qu’il connaît bien Cedric Burnside, et Kenny Brown qui a joué avec le grand-père de Cedric, «de bons amis», dit-il.  

    Signé : Cazengler, Alfred de Mussel

    Charlie Musselwhite. Mississippi Son. Alligators Records 2022

    Charlie Musselwhite. Soul Bag N° 247 - Juillet Août Septembre 2022

     

     

    Inside the goldmine

     - Randy-vous avec Holden

     

             Au fond, Rambo était un gentil mec. On le surnommait Rambo pour le taquiner. Sous cette carapace herculéenne se planquait le plus doux des agneaux. Il fallait juste éviter de lui marcher sur les doigts de pieds, il détestait ça. Le fait qu’on soit devenus amis reste un mystère, l’un de ces mystères qui nous dépassent et dont on devient par la force des choses l’organisateur. Nous devînmes inséparables. En apprenant à le connaître, on découvrait sa vraie nature qui était celle d’un adolescent attardé. Il parlait un argot superbe, avec l’accent d’un vrai Titi parisien, et les tatouages envahissaient peu à peu la surface d’une peau que le développement des muscles accroissait. Plus il était musclé et plus il se faisait tatouer. Pourquoi la muscu ? C’est simple : comme beaucoup de gens, Rambo en eut tellement marre de se faire casser la gueule qu’un jour il décida de s’inscrire dans un club de muscu. En quelques mois, ses bras doublèrent de volume. Ça lui permettait aussi de rester en osmose avec son environnement familial qui était celui d’une longue lignée de voyous. Comme son père et son grand-père avant lui, Rambo veillait scrupuleusement à maintenir la tradition. Un jour, il décida d’aller s’installer en province. Il loua ce qu’il appelait un manoir. Il fallut bien sûr aller lui rendre visite. Il n’avait pas raconté d’histoires, le manoir à lui seul valait le déplacement. On y menait grande vie, on y passait des soirées à tirer sur une pipe à eau en compagnie des petites gonzesses de sa connaissance qui avaient pour particularité d’être plus que délurées. Dans la journée, Rambo se distrayait en allant faire des tours de Harley dans la campagne environnante. Il n’avait pas changé, il croquait la vie à belle dents. Quelques mois passèrent. Il appela un jour pour demander ce qu’il appelait un service. Dans cet environnement relationnel, le mot service prend toujours une consonance particulière. Première chose : on ne peut pas dire non. Deuxième chose : il faut se préparer à tout.

             — Vas-y dis-moi.

             — Je débarque à Paname demain matin. Faut que j’voye un crabe dans une clinique. Ça dure une journée, y m’relâche le soir, faut qu’tu viennes me cueillir à la sortie.

             — Tu veux changer de sexe ?

             — ‘Rête tes conneries ! Me fais greffer des tiffs !

             — Oh tu rigoles ? Tu te fais planter des poireaux ?

             Le lendemain soir, Rambo sortit de la clinique avec un gros bandage sanguinolant autour du crâne. Il était complètement stoned, il tenait à peine debout. Quelle rigolade ! J’étais plié en deux, pâmé de rire, incapable de conduire ! Cette nuit-là, Rambo dormit à la maison. Il repartit le lendemain et depuis, aucune nouvelle. Certains jours, les crises de fou rire reviennent, à imaginer Rambo sur sa Harley, ses rangs de poireaux au vent.

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             À la différence de Rambo, les cheveux de Randy se sont pas des poireaux. Randy Holden est tellement culte que Mike Stax lui accorde 20 pages dans Ugly Things.

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    Allez hop, on ne va pas mégoter ! Culte parce que Other Half et parce que Blue Cheer, même si Randy attaque en affirmant qu’il n’a jamais pris Blue Cheer au sérieux - Honestly I never cared for Blue Cheer - En fait, Holden est arrivé dans Blue Cheer au moment où le trio se débarrassait de Leigh Stephens, le guitariste en titre. Trop de tension. Viré. Stephens évoque l’épisode qu’il a mal vécu, raconte que les deux autres et le manager Jerry Russell se shootaient à l’hero, il accuse même Russell d’avoir coulé le groupe et d’avoir lavé les cervelles de Paul Walhey et Dickie Peterson - He was the supreme parasite and control freak - Mais Dickie Peterson a sa propre vision des choses. Il raconte la tournée européenne de Blue Cheer et l’incident qui s’est produit à Stockholm. Peu avant de monter sur scène, Peterson trouve Holden sur scène en train de bidouiller ses amplis. Il lui demande ce qu’il fabrique et Holden lui répond qu’il les bricole pour améliorer leur son. Alors Peterson pique une crise de rage et lui dit que si jamais il touche encore une fois à ses amplis, il le tuera. Peterson ajoute qu’Holden se camait aux downers & uppers (Destubol), qu’on appelle aussi sidewinders. Alors quand Holden reprend la parole, il accuse Peterson d’être un menteur, un petit mec de rien du tout affligé du complexe de Napoléon. Holden précise aussi qu’il prenait un antidépresseur, half and half, car voyager avec des junkies, ça le déprimait. Pire encore, il n’y avait aucune information sur les comptes.

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    Et puis voilà le fameux album raté de Blue Cheer, New Improved. Holden y joue sur une face. Un jour Jerry Russell arrive avec une enveloppe et dit à Holden qu’il y a 1000 $ dedans. Holden n’y trouve que 500 $ et comprend que Russell a piqué le reste pour sa dope. Cette fois, les carottes sont cuites. Holden va directement au studio récupérer ses affaires. Fin de l’épisode Blue Cheer.

             Puis Holden part à l’aventure sonique avec le batteur Chris Lookheed. Comme il a eu du succès avec Blue Cheer, il se fait sponsoriser par le fabriquant Sunn qui lui confie 16 amplis pour son projet. Il laisse tomber la SG pour jouer sur Strato. Holden et Lookheed répètent dix heures par jour.  Tous les jours. Holden veut être le meilleur. Ils répètent pendant un an. Lookheed a huit amplis et Holden a les huit autres. Randy Holden : «This was going to be the biggest rock band in the world.»

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             Population II date de 1970. Cet album est considéré comme culte. Randy Holden ramène du gros gras double. Il emmène la heavyness au-delà de Blue Cheer, il va bien plus loin, mais bon, «Guitar Song» n’est quand même pas le hit du siècle. C’est même un peu rédhibitoire. Il joue sur ses 16 amplis mais en a-t-il seulement les moyens ? Ce mec est de toute évidence un dingue du son, il joue son «Fruit Iceburgers» au gras double, c’est son petit apanage. Avec «Between Time», il font à deux du Led Zep sur le riff de «Gimme Some Loving». Il passe au heavy blues avec «Blue My Mind», il l’éclate au Sénégal et nous sort le son des enfers. C’est avec «Keeper On My Flame» qu’il rafle la mise, Randy a rendez-vous avec les ficelles de caleçon, c’est un vétéran, il peut même devenir hendrixien, il est dessus et nous propose un fantastique concassage de heavy blues. Il force le passage avec une certaine brutalité, le voilà devenu super killer, Guitar God d’effarance impavide, il te coule dans la manche, il vise l’extrême onction de la mythologie avancée, c’est un déclencheur, il lâche ses coups de wah comme des bombes, il joue jusqu’à la mort du petit cheval, Randy Holden est un merveilleux seigneur, il avance dans se retourner, il file ses derniers coups de wah outside in the cold distance, ça tourne à la Holdenmania. S’il calme le jeu, c’est pour repartir de plus belle.  

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             Guitar God paraît en 1997, longtemps après la bataille. C’est un album encore plus électrique que Population II, il est même complètement saturé d’électricité. Randy-vous drive le son à la force du poignet. Il pose «Wild Fire» sur un petit arpège délicat, mais le cut est vite rattrapé par la réalité. Ce démon de Randy-vous bourre son groove comme une dinde de wild soloing. Il ne vit que pour la mythologie. Ça joue dans tout les coins, il est dans les deux oreilles. Ses cuts grouillent de riffs. Encore du fat electric stuff avec «Pain In My Heart». Il fait de la heavyness, mais avec esprit. Il joue son Pain à la note exacerbée. Il est excellent dans les balladifs comme «Hell And Higher Water», il se faufile dans l’épaisseur du son comme un shaker mover argenté. S’il fallait résumer le Randy-vous, on pourrait dire qu’il joue dans tous les coins. «No Trace» est bien cavalé sur l’haricot, et avec «Got Love», il passe au heavy boogie blues de rock. Il est en plein dedans, c’est noyé de son.

             Après Population II, Randy Holden va connaître une période vaches maigres. Plan classique : l’album qui ne sort pas à cause de difficultés financières, un contrat qui l’empêche d’aller signer ailleurs, plus de revenus et donc plus de quoi payer le loyer. Randy Holden n’a plus que sa guitare et une moto. Des amies l’hébergent pendant un temps. Il part ensuite vivre à Hawaï, se nourrit de poissons et de fruits et dort dans des cabanes - beach shack dirt cheap - Pendant vingt ans, il ne joue plus de guitare. Il finit par revenir vivre en Californie pour redémarrer son biz.

    Signé : Cazengler, Randymanché

    Randy Holden. Population II. Hobbit Records 1970

    Randy Holden. Guitar God. Captain Trip Records 1997

    Mike Stax & Eliot Kissileff : Randy Holden. Never Trun down ever. Ugly Things # 51 - Summer 2019

     

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    ZABAVY / AMUSEMENT

    JARS

    Il est des amusements plus inquiétants que d’autres. Celui-ci se trouve sur le Bandcamp de Jars, groupe russe stoner-grind-noise que nous suivons depuis plusieurs années. Ce n’est pas un album, juste un titre, une reprise du groupe russe Mimiy Troll qui apparemment n’a plus rien produit depuis deux ans si l’on en juge d’après son Bandcamp. La pochette se limite au strict minimum, un carré noir. Rien de plus. L’est sur leur site depuis mars 2022. Tilt, l’attaque de l’Ukraine par les troupes russes a débuté le 24 février. Le morceau est précédé de quatre lignes de texte, peu poutiniennes, jugez-en par vous-mêmes.

    ‘’ Nous n’avons pas eu la chance de faire une déclaration anti-guerre à grande échelle depuis la guerre. Cette chanson est le moins que nous puissions faire. Cette version a été enregistrée en solitaire par Andreï   bassiste et guitariste de notre groupe.

    Tout l’argent de cette sortie et de toutes autres sorties de Jars sur Bandcamp  ira à nos amis d’Ukraine.

    Fuck Poutin, Fuck war.’’

    Ce genre de déclaration ne doit pas être bien vu en leur pays et dénote un courage certain. Depuis le mois de Mars, Jars n’a plus rien posté sur son Bandcamp. Sur son Instagram, une annonce de concert à Moscou en avril et la promesse d’un autre concert au mois de septembre en compagnie de deux autres groupes amis. Deux morceaux postés voici cinq mois sur leur soundcloud, sont leurs derniers signes d’existence. Nous espérons qu’ils vont bien…

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    L’on s’attendait à une de ces tornades bruiteuses auxquelles Jars nous a habitué, il n’en est rien, frôlement de guitares et mélodie crépusculaire, un chant funèbre et c’est tout, des paroles qui évoquent la brisure de la musique et la mort mentale qui s’en est suivie. Est-il besoin d’explications supplémentaires ?

    Damie Chad.

     

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    Dans notre livraison 541 du 10 / 02 / 2020 nous avons chroniqué l’album The Republic du groupe américain Thumos. Enchanté par l’originalité de cet album nous avons par la suite chroniqué tous les opus et tous les titres de Thumos disponibles sur leur bandcamp. Rappelons que The Republic présente dix morceaux instrumentaux correspondants aux dix livres de La République de Platon. Un projet insensé, un résultat extraordinaire. Reste que Peri Politéia ( A propos de l’Etat ) – nous traduisons par La République car en occident nous utilisons les termes philosophiques grecs d’après la traduction latine qu’en a opéré Cicéron  - est un ouvrage long, complexe et subtil. Depuis des siècles des gloses n’ont cessé de s’accumuler soit pour expliciter, soit pour interpréter ce livre-phare de la philosophie. Prudemment Thumos a préféré n’en dire mot, préférant à une démarche diserte une entreprise poétique d’évocation musicale. Le principal désagrément de la lecture de Platon réside en ce que votre esprit n’en finit plus d’établir des liens entre les diverses parties de l’ouvrage ou de se perdre dans les abysses vertigineux soulevés par les résonnances que suscitent en vous certains passages… Dans les tiroirs de Thumos restaient trois morceaux relatifs au cœur de la doctrine platonicienne. Très modestement Thumos les a nommés les B-sides de leur album et les ont réunis sous le titre :  

    KALLIPOLIS

    THUMOS

    (Tke complete B-sides collection from The Republic / Octobre 2022 )

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    Nous traduirons le titre de cet album par l’expression française consacrée : La Cité idéale – en tant que reflet de ce qui est beau, juste tet bon – il convient évidemment d’entrevoir l’adjectif qualificatif ‘’ idéale’’ selon sa jonction avec la théorie contemplative des Idées.

    The guardians : ne nous laissons pas tromper par le rythme quelque peu martial et grandiloquent du morceau. Les gardiens dont il est question ne sont pas des policiers chargés de faire régner l’ordre dans les rues de la Cité, ce serait-là un grave contresens, encore moins les guerriers prêts à parer toute attaque ennemie. Si le rythme n’en finit pas de s’accélérer c’est qu’ici Platon, par l’entremise de Socrate, évoque un sujet de la plus haute importance qui exige des auditeurs et des lecteurs une attention sans défaut. Les gardiens sont les plus hauts responsables de la cité, leur éducation ne saurait être bâclée. Elle est présentée dans le Livre III de la République mais l’ouvrage en son entier est dédié à la formation de cette élite. Depuis des siècles elle a choqué bien des esprits. Les esprits modernes ont du mal à saisir la logique de sa conséquence. Platon conseille en effet de chasser les poëtes de la Cité. On pense tout de suite à ces sociétés qui réglementent d’une façon très coercitive la lecture et la pensée de leurs citoyens. Le vingtième siècle regorge d’exemples déplorables… Les gardiens ne doivent pas se laisser séduire par les artifices de la beauté des formules poétiques, celles-ci s’adressent à notre sensibilité, or la pensée doit se dégager de nos sensations émollientes et se laisser guider par une vision intelligible des choses. Les gardiens ne se laissent point submerger par leurs impressions ou leurs émotions puisqu'ils désirent émettre des jugements justes dégagés de toute circonstance adjacente. L’on comprend mieux l’urgence vindicative de ce morceau, la poésie est un poison redoutable, un dissolvant des énergies mentales, elle est le pire des ennemis de la Cité car elle rend aveugle l’élite dirigeante privée de tout discernement. The sun : ce soleil ne désigne pas l’astre bienfaisant que nous connaissons tous, c’est une métaphore du soleil des Idées, ces formes suprêmes dont tous les objets de ce que nous appelons la réalité ne sont que des reflets instables et grossiers. Nous sommes au Livre VII celui qui expose le fameux mythe de la Caverne. La musique s’est apaisée, elle progresse lentement, l’on n’accède pas à la vision des Idées platoniciennes en quelques secondes, c’est un chemin long, difficile et ardu. La batterie semble presser nos pas, mais les cordes émettent comme des échos tremblés qui nous obligent à ralentir, à faire attention, ne pas se précipiter tel un insecte qui s’écrase et se brûle au feu d’une torche. Le morceau se termine par deux pointillés sonores, deux points lumineux encore lointains mais qui témoignent que nous sommes sur le bon chemin. The divided line : tremblements cordiques, l’on retrouve l’élan de The guardians et la retenue de The Sun étroitement conjugués. Un pied dans les dangers marécageux du monde sensible, un pied dans la brillance inaltérable du monde idéel, à cheval sur la ligne de démarcation qui sépare le mensonge des apparences de la vérité des idées. Une frontière dangereuse qu’il faut savoir franchir sans hésitation, ce qui exige une longue préparation, de profondes réflexions, car la lumière des Idées apparaît comme intensément obscure lorsque l’on se trouve encore dans le mauvais côté des choses. Ce titre peut être raccordé à la lecture du Livre 7, mais il peut s’appliquer à l’ensemble du volume, car les discussions qui s’enchaînent entre Socrate et différents intervenants procèdent de la même méthode principielle celle de séparer les fausses opinions de la véritable pensée. Un peu comme Thétis qui brûle les parties mortelles de son bébé Achille pour ne garder que les fragmences immortelles et faire accéder ainsi son enfant délesté de ses scories humaines imparfaites dans le royaume de l’immortalité.

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             Ces trois morceaux sont magnifiques. Un régal pour les amateurs de doom et de philosophie. Ils s’adressent au cœur et à l’intelligence de ses auditeurs. De quoi attendre sereinement la sortie de la prochaine œuvre de Thumos, intitulée Symposium, consacrée à ce dialogue de Platon nommé Le banquet en notre langue.

             Thumos, un groupe différent. Unique.

    Damie Chad.

     

     

    ALIS LESLEY

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    Mais qu’est donc devenue Alis Lesley ? Disparue sans laisser de traces depuis une soixantaine d’années. Question récurrente que bien des amateurs de rock ‘n’roll se sont posés. La parution du dernier livre de Bob Dylan a ranimé la flamme de la curiosité. Non, il ne lui a pas consacré un des soixante-six chapitres de sa Philosophie de la chanson moderne. L’a fait beaucoup mieux, l’a mise en couverture entre Little Richard et Eddie Cochran. Ce n’est pas un montage photographique, un cliché pris en Australie. Connu de tous les amateurs de rock, il en existe même depuis quelques années une version colorisée. La beauté étincelante de Leslie a fait le buzz sur internet, quelle est cette inconnue ?

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    Comment et pourquoi s’est-elle retrouvée à l’affiche de cette tournée australienne qui réunissait trois des plus importants pionniers du rock : Little Richard, Eddie Cochran et Gene Vincent, excusez du peu.  D’une façon très simple, c’est Elvis Presley, le King en personne qui a joué de son entremise pour qu’elle en fasse partie. Elvis fut subjugué par l’apparition publique d’Alis Lesley au Silver Slimmer Gambling Hall de Las Vegas. Il existe plusieurs clichés de leur rencontre, l’on y retrouve la jeune et frêle Alis d’une beauté étincelante au côté d’Elvis qui arbore cette moue dédaigneuse qui fit fureur dans le cœur des demoiselles de l’époque…

    Ce n’est pourtant pas sa rencontre avec Elvis qui lui valut son surnom d’’Elvis Presley Female. Ce dernier mot n’a pas en langue anglaise la connotation péjorative que la langue française lui octroie souvent. C’était un slogan publicitaire initiée par le chef d’orchestre Buddy Morrow indissociable du milieu musical et journalistique dans lequel Alis Lesley  débuta. Peut-être même se présentait-elle à ses tout débuts sous le nom d’Alis Leslie.

    Née en 1938 à Chicago, Dorothy Dott est une enfant de Phoenix (Arizona), c’est dans cette ville que ses parents déménagèrent et où elle fit ses études. Passionnée par le théâtre elle entra au Phoenix Junior College où elle fut remarquée par Kathryn Godfrey dont le frère Arthur avait atteint en tant que journaliste un renom presque national.

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    Comme des centaines d’adolescent Alis subit le choc de la météorite Presley. Certes Elvis chantait mais ce n’est pas ce qui révolutionna en premier lieu le monde musical. Elvis bougeait, comme un nègre se hâtèrent de proclamer avec dégoûts ses détracteurs, Alis comprit le message. Certains témoignages affirment que sur scène elle en faisait plus que le gars de Tupelo. Nous voulons bien les croire, mais le fait qu’une gamine de dix-huit ans, blonde, belle et blanche osât se comporter ainsi en public et à la télévision locale avec un tel aplomb et un tel naturel - ne se produisait-elle pas pieds-nus – a dû percuter l’inconscient journalistique… elle se roule par terre, elle jongle avec le micro, se colle à la contrebasse, soumet son corps à de multiples étirements, se trémousse et danse sans jamais se départir de sa guitare. Pour la petite histoire son tour de chant était constitué de classiques du rock’n’roll, notamment Don’t be cruel et Blue Suede shoes.

    En 1957 Alis enregistre son unique disque, participe donc à la tournée australienne, donne quelques galas aux USA qui se terminèrent en émeute… elle semble bien partie pour devenir une des reines du rock ‘n’roll. Dès 1958, contre toute attente elle déclare qu’elle ne compte pas vieillir dans le showbiz, en 1959, elle quitte le métier non sans avoir enregistré une démo chez Sun… finissant en quelque sorte par où Elvis avait commencé…

    Qu’est-elle devenue ? Dès 1959 elle retourne à Phoenix s’occuper de sa mère malade. Par la suite elle devient professeur et missionnaire. Ce dernier terme semble bien énigmatique. Elle reste dans la région de Phoenix. Le dernier témoignage que j’ai pu relever dans un journal local de Phoenix nous la conte vêtue d’une façon bien moins affriolante que dans sa jeunesse, par contre, détail d’importance, dans la maison du guitariste Al Casey – a travaillé entre autres avec Duane Eddy, Lee Hazlewood et le Wrecking Crew, écoutez sa guitare suraigüe dans le Bird doggin’ de Gene Vincent – cette scène se passe en 1995. L’article nous assure qu’elle conseille les jeunes gens qui aimeraient se lancer dans une carrière artistique… Tout ce que l’on peut espérer c’est que sa mise en avant sur la couve du bouquin de Dylan l’incitera à se livrer à un journaliste… Elle devrait avoir 85 ans aujourd’hui…

    Single : ERA RECORDS (1957)

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    Era Records fut fondée en 1955 en Californie par Herbet Newman et Lew Bedell qui mirent fin à leur aventure en 1959. Le label fut racheté par K-Tell Records ce qui explique sur ce même label la sortie en 2008 d’Un EP cinq titres d’Alis Lesley : Barefootin’ Rockabilly Angel, dommage que la pochette ne soit pas à la hauteur du titre !

    N’est pas seule sur le disque puisqu’elle est accompagnée du Johnny Mandel Orchestra. Cette formation qui compta jusqu’à quinze membres n’a pas laissé, semble-t-il une trace indélébile dans l’histoire de la musique, mais a enregistré avec Amos Milburn, pianiste de boogie-woogie qui eut son heure de gloire dans les années 50, son premier album ( 1952 ) ne s’intitule-t-il pas Rockin’ the boogie

    He will come back to me : l’influence de Presley est indéniable sur l’orchestration et le vocal. Se débrouille bien la merveilleuse petite Alis, un peu desservie par des chœurs masculins qui sont loin des Jordanaires, une belle guitare pointilleuse, une contrebasse qui nous ramène vers Bill Haley et cette voix qui s’essaie à griffer et à se balancer avec une souplesse de jaguar. Une belle réussite. Heartbreak Harry : un peu à la Ray Charles, la voix n’est pas assez posée, du coup elle n’en paraît que trop blanche, le même guitariste doué, je subodore Al Viola qui accompagna pendant vingt-cinq ans Frank Sinatra,  se taille un beau solo sur un fond de cymbales jazzy, et ce qui ne nous étonne plus, ces doux éclats de cuivres en soutien qui n’osent pas se faire remarquer, Johnny Mandel oublie le rock ‘n’roll et l’ensemble vous prend sur la fin une connotation d’orchestre swing. L’orchestre de Mandel comportait une douzaine de cuivres.

    Compilation : SLEAZY RECORDS (2016)

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    Cette compilation Sleazy comprend évidemment les deux titres d’Era.

    Handsome man : la demo ( take 2 ) enregistré en 1959 chez Sun Records, vous la retrouvez chez Charlie Records et Bear Family ) ; un morceau de Charlie Rich, mais d’après moi ce n’est pas lui qui officie au piano, la voix d’ Alis est mûrie, elle a pris de l’ampleur sans perdre son élasticité, l’ensemble sonne jazz, très agréable à écouter mais l’on aurait aimé quelque chose de plus rock chez Sun ! Le traitement de la voix n’est pas sans évoquer le Crazy beat de Gene Vincent. So afraid : le slow-jazz à consonnance pré-early sixty, l’on retrouve l’orchestre Johnny Mandel avec ses chœurs masculins peu convaincants, une batterie en sourdine traîne-nageoire, heureusement que la guitare d’Al Viola sauve la face, Alis vous prend une de ces voix sucrées qui guérirait votre cancer de la gorge si par malheur vous en aviez un. Why do I feel this way : le blues-slow de service à la Elvis, avec sa guitare hawaïenne, l’a une voix grave Alis, l’on ne s’y attendait pas, l’on aime, l’on aimerait qu’elle vienne nous bercer le soir, sûr que les anges viendraient visiter notre sommeil. Après les shoo-be-doo du précédent et les wha-wha-doo-wap de celui-ci l’on est parti pour le trip nostalgie. Soyons honnête, son absence ne nuira pas à la culture indispensable d’un jeune homme ou d’une jeune fille moderne du vingt-et-unième siècle. Don’t burn your bridges : ballade romantique, ambiance club de jazz de troisième zone, piano langoureux et guitare à effets larmoyants, Alis chante avec la mélancolie d’une femme qui voit se profiler la ménopause à l’horizon de sa vie, le truc à faire chialer la ménagère de plus de cinquante ans. C’est peut-être la pensée de l’inéluctable qui a poussé Alis Lesley à disparaître dans les paillettes multicolores de sa gloire aurorale. Vivre vite et mourir vieille.

             Ou alors peut-être n’a-t-elle pas voulu abdiquer son rêve de jeunesse rock’n’roll. Les râteaux de la récupération selon les vieux modèles établis l’ont effrayée, l’est sûr que l’establishment politique et musical ont tout fait dès la tonitruante apparition de Presley pour tuer le poussin du rock’n’roll pas encore dégagé de sa coquille dans l’œuf. A-telle jugé que les voies de garage n’étaient pas pour elle…

             Qu’importe, un rêve évanoui reste toujours un rêve, une semence d’or inaltérable, qui survit dans la mémoire humaine et refuse de périr.

    Damie Chad.

     

    *

             Certains visent le million d’exemplaires, livres ou disques, d’autres misent sur la rareté. Deux démarches différentes. MMLI publient des cassettes alors que les lecteurs de minicassettes se raréfient dans les appartements de monsieur tout le monde. Ce qui n’est pas grave, MMLI compte sur les individus. La cassette que nous allons écouter a été tirée à trente-neuf exemplaires, chaque étui peint à la main est unique. A thing of beauty is a joy for ever disait Keats. Les bibelots ne sont pas tous d’inanité sonore. Ils sont des vecteurs qui vous emmènent où vous rêvez de vous rendre.

             Nous avons déjà rencontré Delphine Dora chez Kr’tnt ! par exemple dans notre livraison 529 du 11 / 11 / 2021. Ici il s’agit d’un projet à trois têtes, nous rencontrerons les deux autres branches du trident dans nos prochaines livraisons. 

    QUELQU’UN REVIENDRA-T-IL ?

    SIMONE POUSSIERE

    Delphine Dora  / Mathias Dufil / Cathy Heyden

    (K7 / MMLI / 2020 / Bandcamp)

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    Delphine Dora : piano, voix, samples, synthés, objets, sons, texte / Mathias Dufy : guitare, piano, voix, électronique, sons, texte / Cathy Heyden : saxophone.

    Il existe deux sortes de poussière. Celle d’origine biblique, poussière tu es, poussière tu retourneras, expression d’un dieu jaloux, des hommes et des femmes, et l’affirmation grecque : Les dieux n’ont pas eu d’autre substance que celle que j’ai moi-même, magistralement mise en scène par le poëte espagnol Juan Ramon Jimenez dans Espace, son poème ouragan qui correspond au remuement des dés dans le cornet de corne de licorne - unicorne de la folie mallarméenne d’Igitur. Les dieux grecs s’unissant sans hésitation avec les femmes et les hommes, preuve que leur différence congénitale n’était point insurpassable.

    Dommage pour Simone Poussière, interprétée par Delphine Dora, Mathias Dufil, et Cathy Heyden, sa vie de femme est ici entrevue comme poussière biblique. S’appeler Poussière est une triste définition de soi-même surtout si l’on sait que le prénom d’origine hébraïque signifie ‘’qui est exhaussée’’, les lecteurs goûteront l’ironie amère de cette dénomination.   Nos trois artistes pris de pitié lui ont conféré  le titre d’interprète de leur album. Un lot de consolation en quelque sorte. Faisant de sa triste vie une entité représentatrice de millions de personnes.

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    Corps se forme : notes noires de piano, bruit de conversation, Delphine Dora conte l’enfance de Simone Poussière, sa solitude, sa pauvreté, est-ce pour cela que la mélodie qui essaie – et peut-être qui n’essaie pas - de naître est formée de notes esseulées, de bruits divers, de sons épars qui se perdent, il est des dépouillements sonores qui confinent à l’humilité terreuse des existences évoquées… le corps se forme, pas assez de matière pour rajouter une âme dans le vide de la chair… Vezelay : des bruits informes qui râclent, une vrillée de notes pianistiques, des clochettes du malheur qui vous inondent la tête, Mathias a lu un début de texte, la vie de Simone à la dérive, qui crack de partout, Mathias se tait comme s’il était inutile d’aller jusqu’au bout, peut-être au fond un chantonnement a-t-il voulu prendre forme, mais il se déchiquette en semblant de parole pour se jeter dans le delta de voix issues peut-être de stations de radio inconnues et incompréhensibles, le monde se défait, un saxophone rampe comme la vermine sur des corps brisés, incommunicabilité des êtres, la musique est un chaos de glaciers qui avance lentement vers l’on ne sait quoi, la vie de Simone est un miroir brisé, existe-t-il vraiment un de ces éclats qui brillerait comme un espoir. Un miracle à Vézelay ? Simone n’a peur de rien : enfin une guitare qui joue, tout est dans la tête, Delphine Dora nous conte la ballade de Simone Poussière, un western terne depuis le début, une enfance triste comme la mort, une rencontre heureuse qui se terminera comme une feuille de papier déchirée, la spirale de l’échec, Simone n’a peur de rien, le rebut de sa vie ne la rebute pas. Grincement perçant. Et si demain : des mots du quotidien et des sons qui se heurtent entre eux, désagréablement des avions perdent de l’altitude, et si dans ce fatras demain se levait un soleil, ni la voix de Mathias ni le son qui se désagrège n’osent y croire, la vie est une promesse vide. Où es-tu ? : notes qui tombent, mots qui chutent, la médiocrité d’une existence suinte dans le constat implacable, des bruits nous hantent, de voitures, d’oiseaux sans envol, de tremblements de sonneries hypothétiques de téléphone, l’espoir n’est qu’un rêve passé à peine chuchoté, une voix intérieure qui essaie de peindre le réel de couleurs moins livides, une exaltation minée de rires sarcastiques, une plainte, passe-t-on à côté du bonheur, ou est-ce juste une illusion d’occasion ratée, un serpent sans tête se mord la queue, des flots de notes recouvrent le rêve éteint à la manière de la marée qui efface les châteaux de sable, majordomes du malheur précurseurs du cercueil. Les arbres : une guitare sonne et des bruits sifflent sans méchanceté, c’est l’heure de la récapitulation finale, toute la vie qui défile, un film dont les images s’assombrissent, les arbres vivent plus longtemps que nous, ils sont la mémoire du monde, nous ne faisons que passer, halètements de saxophone tiennent lieu de gémissements, vu du dedans la laideur est plus belle, il s’en dégagerait presque une harmonie à pas lourds, l’on avance sans hâte, le même geste qui écrit efface les mots au fur et à mesure, respiration rauque et agonique, la boule de neige noire de la vie se disperse selon la dissolution finale. Quelqu’un reviendra-t-il : des plis de sons, des effarements de frémissements, des notes de musique pour mieux entendre le silence, deux voix superposées nécessaires pour dresser le constat de ce qui a été et qui déjà n’est plus. Simone est redevenue ce qu’elle était, poussière. Roulements des charrois du mystère, tout est-il irrémédiablement perdu, ou alors quelqu’un reviendra-t-il dans le chatoiement de sa vie merdique, sur l’harmonium de l’église, des anges aux ailes cassés plaquent des désaccords tordus d’angoisse. Litanie funèbre sans réponse.

    Splendide. Noir, très noir. Une musique qui se défait en se déconstruisant, des voix qui disent en refusant toute embellie phonique, murmures de lichen sur les pierres tombales de cimetières. Une œuvre sans concession en équilibre précaire sur le fil du nihil. Magnificat fêlé élevé à la gloire du néant humain.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

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    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    EPISODE 10 ( récapitulatif ) :

    49

    Le chef exhibe de son tiroir à Coronado un tube métallique, pas besoin d’être un devin pour comprendre de quoi il s’agit. 

             _ Regardez Agent Chad, ces étuis métalliques je les utilise pour tromper l’ennemi, lorsque j’en sors un de ma poche celui qui me tient en joue pense que je vais le prier de me laisser fumer un dernier cigare avant de mourir, il ne s’attend pas lorsque je dévisse le capuchon à ce que je le jette sur lui.

             _ Ah ! Chef, je vous ai déjà vu faire le coup du lancer de nitroglycérine, quel plaisir d’assister à la retombée de confetti de chair humaine, même qu’une fois mon perfecto a en été tout constellé, tellement marrant que pendant huit jours je l’ai porté sans le nettoyer, jusqu’au jour où Molossa n’y tenant plus me l’a astiqué d’une langue experte ! Hélas j’ai oublié de noter cette scène cocasse dans mes Mémoires d’un G. S. H. ! Je sors mon stylo et…

             _ Agent Chad, ne soyez pas submergé par l’inspiration poétique,  je vous montre ce tube pour une tout autre raison. J’en garde toujours deux ou trois vides tout au fond de ma réserve à Coronado, l’on ne sait jamais… mais hier après-midi, pris par une envie subite, ce n’est pas du tout mon habitude, je plonge ma main dans mon tiroir, sans trop regarder, et ne voilà-t-il pas que mes doigts rencontrent ce tube que je tiens présentement en la main. Etrange, ils sont normalement rangés sous une bonne épaisseur de Coronados, or là quelqu’un l’a mis intentionnellement en évidence.

    _ Quelqu’un est donc rentré dans le local après mon départ et a profité d’une de vos absences…

    _ Agent Chad, après votre départ je n’ai pas bougé de mon bureau, j’ai travaillé assidument, à peine si j’ai pris le temps de fumer une petite quinzaine de Coronados, mais ce n’est pas le plus important, tenez lisez, ce petit morceau de papier qui dépassait de son embouchure !

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    Je n’en crois pas mes yeux, je le relis quatre ou cinq fois avant de reprendre mes esprits :

    Monsieur Lechef,

    Je vous en prie, faites vite, Monsieur Damie est en danger, vous seul pouvez le sauver. Songez aussi à Molossa et Molossito, si vous arrivez à temps, veuillez offrir à ces deux braves bêtes, elles sont si trognonnes, un bocal de fraises Tagada, de ma part. Je vous en remercie.

    Veuillez aussi transmettre mes amitiés à Monsieur Damie.

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    Un agent du SSR ne pleure jamais, mais là je ne sais retenir mes larmes, je pleure comme un paquet entier de madeleines de Proust.  Alice ! J’ai reconnu son écriture ! Depuis le royaume des morts, elle cherche à me protéger, cette fille est vraiment exceptionnelle !

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    Le Chef profite de mon émotion pour allumer un Coronado.

             _ Extraordinaire, n’est-ce pas Chad ? Mais ce n’est pas tout, il y avait un deuxième bout de papier, sa lecture risque de provoquer en vous un sentiment tout différent. Il m’est spécialement adressé, toutefois je vous laisse le lire pour que nous en discutions.

    Une cartonnette de cinq à six centimètres de long tapée à la machine : ‘’ Père, vous vous êtes trompé de chaise !’’ Je m’apprête à faire remarquer au Chef que je ne savais pas avait engendré au moins un enfant, lorsque l’évidence m’aveugle :

             _ Chef, nous avons donc passé une semaine à arpenter les allées du Père Lachaise en pure perte !

             _ Exactement, Agent Chad, excusez-moi de vous avoir fait perdre votre temps. Je vous l’avais déclaré, j’ignorais ce que je cherchais, le matin même de notre première visite, j’avais trouvé avant de venir au local, dans ma boîte aux lettres une enveloppe blanche contenant cette feuille tapée – le Chef la sort de la poche arrière de son pantalon – ainsi libellée : ‘’ Ce que vous cherchez se trouve au Père Lachaise’’.

             _ Vous m’aviez parlé d’une affaire personnelle…

             _ Oui bien sûr, je pense que cela vient de loin, une intuition, que je ne peux appuyer sur aucun indice tangible.

    _ Chef j’ai l’impression qu’il existe une logique dans cette aventure, que tout se tient, mais que nous ne parvenons pas faire un lien quelconque entre ses divers épisodes assez mouvementés, nous tournons en rond, nous sommes en quelque sorte manipulés par l’affaire elle-même, prisonniers d’un vortex qui nous emporte, rien d’extérieur, aucune branche salvatrice à laquelle nous pourrions nous accrocher pour prendre un peu de hauteur et examiner à tête reposée ces évènements disparates…

    _ Agent Chad, savez-vous la différence ontologique qui existe entre vous et moi ?

    _ Heu ! non Chef, je ne vois pas, bien sûr je suis un GSH…

    _ C’est pourtant simple, moi quand je ne sais pas, je ne sais pas, vous quand vous savez, vous l’ignorez !

    _Chef, je reste dans l’expectative !

    _ Pourtant Agent Chad vous cherchez ce que par métaphore vous avez nommé une branche…

    _ Hélas, je ne suis pas assez fort pour percer cette métaphore !

    _ Agent Chad, sortez de votre marasme intellectuel, nous n’avons pas une branche à notre portée, mais deux ! Action immédiate !

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    Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ! J’arrête la modeste 208 grise que je viens de voler juste en face de notre cible. J’ai choisi un modèle aux vitres teintées, dans la lueur blafarde qui tombe des lampadaires personne ne saurait reconnaître nos silhouettes, encore faudrait-il les apercevoir. Sur le siège arrière Molossito et Molossa mastiquent le bocal de fraises Tagada que le Chef leur a acheté. Ils ont gémi lamentablement quand il l’a déposé entre eux, les braves bêtes ont compris que c’était un cadeau de leur amie Alice dont l’absence leur pèse.

    _ Attention à ne pas les rater Agent Chad avec tout ce monde qui sort et entre comme dans un moulin.

    _ Pas de problème Chef, leur véhicule de fonction est à une vingtaine de mètres devant nous !

    _ N’oubliez pas que ce sont de sacrés loustics, bouffent à tous les râteliers, et on les invite souvent !

    _ Oui Chef, pas plus tard que hier ils étaient à l’Elysée !

    _ Attention, Lamart et Sureau sortent du journal, attendez qu’ils aient refermés leurs portières.

    Ils n’ont même pas encore mis leurs clignoteurs que nous sommes assis juste derrière eux, Molossa et Molossito se sont hissés sur la plage arrière en grognant, l’on sent leur colère mais nos deux Rafalos pointés tout contre leur nuque les calme immédiatement.

             _ Bonsoir messieurs, hier vous désiriez un petit entretien avec moi, me voici, je me suis permis d’emmener mon collègue avec moi !

             _ Ah ! Ah, le fameux Chef du Service Secret du Rock ‘n’roll ! Enchantés Monsieur.

             _ Appelez-moi simplement Chef, ce n’est pas que j’y tienne   particulièrement, tout de même dans notre société il est bon de rappeler que les gratte-papiers qui s’en vont chercher leurs ordres à l’Elysée sont un cran au-dessous des agents secrets du rock’n’roll !

             _ Si vous enleviez vos pétoires collées sur nos nuques, nous sommes sûrs que notre conversation serait plus détendue.

             _ C’est que n’avons pour le moment aucune envie de discuter, nous aimerions que vous nous emmeniez faire un tour !

             _ Nous ne sommes pas une agence de voyages !

             _ Rassurez-vous l’endroit est charmant !

             _ Vous avez donc décidé de nous emmener dans un bon restaurant pour échanger placidement quelques informations

    _ Vous avez deviné !

    _ Nous allons où, s’il vous plaît ?

    _ Au cimetière de Savigny !

    Un silence de mort s’installa dans la voiture…

    A suivre…