KR'TNT !
KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME
LIVRAISON 371
A ROCKLIT PRODUCTION
26 / 04 / 2018
COMO MAMAS / CHARLIE GILLET ROCK STORY |
Pah Pah ooh Mamas
Quand on va voir un concert de gospel, il faut s’en remettre à Dieu. En règle générale, Dieu se montre miséricordieux avec le public attiré par le gospel. Ceux qui redoutent de s’ennuyer ou qui clament haut et fort leur anticléricalisme primaire finissent toujours par se faire avoir. Retournons le raisonnement à l’envers : qui peut aujourd’hui prétendre s’être ennuyé dans un concert de gospel ? Personne, évidemment. Pourquoi ? Parce que précisément Dieu ne le permettrait pas. Et si un cabochard se risquait à braver le raisonnement, alors la main de Dieu s’abattrait sur lui comme la tapette sur la mouche importune. La main de Dieu n’est pas une vue de l’esprit, mais un concept inventé jadis par un très bel écrivain, Isaac Bashevis Singer. N’oubliez pas que les écrivains polonais furent un temps les rois du petit monde littéraire, Gombrowicz en tête.
Pour ceux et celles qui s’interrogent encore sur les racines du rock, le gospel leur donne la réponse. Sister Rosetta Tharpe se situe à l’origine de TOUT. Au soir de sa vie, Rosetta eut pitié des pauvres blancs qui ne comprenaient pas grand-chose à la musique noire et elle fit un peu de pédagogie. Elle expliqua que le blues, c’était le nom théâtral du gospel et que le vrai gospel devait rester très lent, comme «Amazing Grace» : «Si vous commencez à claquer des mains, ça donne le gospel revival et si vous rendez ça encore un peu plus joyeux, ça donne le jazz... Puis ça devient éventuellement le rock’n’roll.» On trouve ça dans le livre que Gayle F. Wald consacra jadis à Sister Rosetta, Shout Sister Shout. Et puis tous ceux et celles qui ont suivi les Staple Singers à la trace, et ce depuis la période Riverside, savent qu’il n’existe pas beaucoup de groupes de rock capables de rivaliser avec Pops et ses filles. La grande force de Pops Staples fut d’avoir une éthique, en plus de son talent naturel. Aller vendre mon cul ? Hors de question ! En plus, Pops n’en finissait plus de dire qu’il ne craignait pas la mort, car il savait, comme le Dr King, son ami, que le paradis existait. On l’a oublié depuis ce jour de 1968 où il reçut une balle dans le cou, mais Martin Luther King fut le dernier prophète de l’histoire de l’humanité.
La force de cette croyance en l’existence d’un monde meilleur vient précisément des racines de la civilisation américaine, c’est-à-dire l’esclavage, et son corollaire, l’enrichissement d’une race dégénérée, celle des colons blancs. Dans les atroces ténèbres de leur condition, les nègres ont réussi à bricoler une lumière, oh pas celle du Vatican, mais une vraie spiritualité, leur spiritualité, vieille comme le monde, celle qui se chante et qui repose sur une évidence fondamentale : la vie n’est qu’un court passage sur la terre, et si ce passage est douloureux, comme peut l’être la condition d’esclave, alors il existe forcément une vie meilleure.
Les Como Mamas ne font que ça : nous rappeler que tout ira beaucoup mieux après la vie terrestre : plus de racisme, plus de classes sociales, plus de misère, plus de factures à payer, plus d’élections, plus de prix qui augmentent, plus de réseaux sociaux ni de téléphones, rien que du rien, rien que cette notion d’absolu à laquelle il est bon de réfléchir, rien que du néant parfait, cette lumière blanche à laquelle font allusion tous ceux qui sont revenus de la mort.
Si on peut voir chanter ces trois femmes originaires de Como dans le Mississippi, c’est grâce au label new-yorkais Daptone, un label qui s’est spécialisé dans la promotion de grands artistes noirs inconnus du grand public. Les figures de proue du label furent Sharon Jones et Charles Bradley, emportés tous les deux au paradis par des cancers. Daptone survit, grâce à l’excellente Noami Shelton, au non moins excellent James Hunter et aux Como Mamas. Elles sont trois, et bien sûr, l’idéal est de les voir chanter le gospel batch sur scène. Attention, ce n’est pas un concert comme les autres. Elles ramènent avec elles toutes les racines du blues et du rock américain, simplement accompagnées par un batteur et un Télé-boy à casquette. Fuck it ! Laisse tomber les groupes garage. Il y a dix mille fois plus de punch dans les Como Mamas qu’il n’y a de particules dans toute ta discothèque, Horatio. Les Como Mamas feraient danser Hamlet sur les remparts d’Elseneur. Dans cette petite salle rouennaise, tout le monde dansait avec les Como Mamas. TOUT le monde ! Un truc qu’on ne voit jamais ailleurs.
Impossible de résister, c’est un son qui remonte par les jambes du pantalon et qui pulse au niveau des reins, oh Lord, c’est pire qu’un jerk au Palladium, et pouf, en plein «Move Upstairs», Angelia Taylor qu’on croyait impotente, calée dans sa chaise, se lève et se met à danser, son visage s’éclaire, cette femme se met à rayonner et une sorte de miracle s’accomplit, elle tire l’overdrive et le gospel fait une sorte de bond en avant pour filer dans la transe hypno. C’est autre chose que Can, et pourtant on aime bien Can, mais là, ça dépasse l’entendement, on comprend confusément que la notion de spiritualité n’est pas un gadget, cette femme qui doit peser deux ou trois cents kilos dégage quelque chose qui la dépasse et qui nous dépasse, elle est comme transportée par une énergie surnaturelle, ou simplement une énergie terriblement humaine, une sorte de force intérieure bâtie sur une authentique bonté d’âme. Cette bonté d’âme qui vaut tout l’or du monde.
Tiens, un autre coup de Jarnac. Elles démarrent leur set a capella, on l’aurait parié. Ester Mae Wilburn est au centre, et elle commence à bien ramoner le chant au guttural et soudain, on entend le batteur et le Télé-boy entrer dans le batch du gospel batch, alors c’est tout l’univers du rock et du blues qui sort de terre, comme par miracle, tout vient directement de là, de ce lent démarrage, de cette espèce de mise en route fantastique, c’est l’avènement de la puissance séculaire, la genèse du delta blues, tout Muddy et tout Wolf viennent directement de cette incroyable puissance lourde et lente. Il est certain qu’André Hardellet ne connaissait pas les Como Mamas, mais il se pourrait que Lourdes Lentes soit un hommage inconscient à ces fantastiques Mamas. Ester mène le bal, avec une prestance et une puissance inimaginables, il faut la voir marquer le rythme d’une main et bouger subtilement d’un pied sur l’autre, comme seules savent le faire les grandes Mamas black. Il suffit de voir Aretha danser dans le restau des Blues Brothers. Ester tape au même niveau, elle chante aussi bien qu’Aretha et aussi fort que Rosetta, elle charge la chaudière du batch avec une ferveur spectaculaire. Sur les pochettes des deux albums, elle semble gonflée, mais là sur scène, avec ses cheveux roux, elle swingue comme une reine. La troisième Mama s’appelle Della Daniels. Elle est la sœur d’Angelia. Des trois, Della est la plus communicante. Elle prend le lead sur «Count Your Blessings», elle chante d’une voix plus sucrée, et en fin de concert, elle raconte quelques anecdotes datant du temps où petite, on lui interdisait d’entrer dans les magasins des fucking rednecks. Pince sans rire, elle ajoute qu’aujourd’hui, la municipalité de Como est très fière de ses Como Mamas.
Elles font une reprise du «You Gotta Move» de Fred McDowell rendu célèbre par les Stones. Il faut savoir que Fred McDowell vivait lui aussi à Como, et qu’il avait passé toute sa vie à travailler comme métayer pour un patron blanc. Quand au soir de sa vie et donc au terme d’une très longue vie de travail, il constata qu’il ne possédait que quelques dollars, il alla trouver le patron blanc pour racheter ses dernières dettes avec ces quelques dollars (les métayers devaient tout payer, la location de la terre et de la cabane, les semences, les outils, les mules, leur nourriture, et donc ils passaient leur vie à s’endetter pour pouvoir travailler). Puis il prit un job de pompiste à la station service qui est à l’entrée de Como. C’est là nous dit Dickinson qu’on pouvait trouver le grand Fred McDowell. Les Stones roulaient en Rolls, pas le vieux Fred. You gotta move.
Dans l’album Move Upstairs, on retrouve tous les classiques que brassent les Como Mamas sur scène, à commencer par le morceau titre, pure dynamite, avec les Oh Yeah d’Ester et de Della qui marquent le tempo - We got to move upstairs - Angelia expédie ça d’une voix forte. Elle reprend le lead sur «He’s Mine», d’une voix encore plus grave - And I know/ I got Jesus and I know/ He’s mine - Elle chauffe tellement son gospel batch que ça sonne comme du rock. Fabuleuse Angelia qui se lève de sa chaise pour danser et là, le club se met à tanguer comme un baleinier surpris par un mauvais grain au Cap Horn, elle enfonce tout le batch dans la gorge du gospel, mais la version enregistrée est écourtée ! Les fuckers de Daptone l’ont raccourcie, alors qu’elle commençait à pendre de l’altitude. Jerry Wexler n’aurait jamais permis ça. Heureusement, sur scène, personne ne peut lui couper la chique, c’est toute la différence. Della prend le lead sur «I Know I’ve Been Changed» et ses copines lui font des chœurs de rêve. On retrouve sur le disque le fabuleux copinage des trois Mamas, et cette coquine de Della pend un malin plaisir à allumer des petits blancs dans le public. Elle chante avec des accents incertains, mais c’est justement le mélange des trois styles qui fait la richesse du son, ces femmes viennent de si loin, Lord, et Ester s’octroie la part du lion avec «Out In The Wilderness». Elle y ramone les soupapes du batch. À travers elle affluent les chants d’esclaves et toute la grandeur tragique du peuple noir. Elle transforme la misère d’une condition en art suprême. Ses copines la soutiennent, elles sont toutes les trois comme des anges du paradis. Animé par une pulsion organique, un cut comme «Count Your Blessings» relève du prodige. On peut même parler de génie insistant. Ester chante «He’s Calling Me» à la Tharpe, avec la même énergie d’every day in my life. Elle garde le cap sur le ciel et la lumière qu’elle y voit avec une invraisemblable puissance jesuistique. On la revoit chauffer la salle sans produire le moindre effort. Elles nous refont le coup du démarrage en côte avec «99 And A Half Won’t Do» : après l’intro a capella, le groove entre dans la danse. Elles sont magiques : Ester en lead démente, Della, sucrée et sexy et Angelia, obèse et vivante, mais si incroyablement vivante - Oh Jesus ! - Ester tisonne sa foi, la chaudière de sa foi, et les autres font won’t do, won’t do. C’est du très grand art. Par contre, «Almighty God Mighty God» ne passe pas : trop jazzy. La basse de Bosco Man vient ruiner leurs efforts. Pourquoi la ramène-t-il ? Les Mamas sont capables de se débrouiller toutes seules. Et puis il faut avoir entendu «Glory Glory Hallelujah» au moins une fois dans sa vie. Ester y swingue le gospel dans le néant de l’industrie musicale. Cette femme shake le shook du batch à sec. Elle parle de hauteur - Higher - Prenons-en de la graine. Elle est véritablement l’une des très grandes chanteuses des temps modernes. Qu’on se le dise.
Par contre, leur premier album intitulé Get An Understanding est beaucoup plus difficile d’accès. C’est enregistré en 2005 dans une église, sans backing-band. Appelons ça du gospel rootsy. Pas de prod, rien que des gueulantes dans une église qui résonne. On note cependant l’ampleur de la clameur. À trois, elles font plus de ramdam que Blue Cheer et Frost réunis. Avec «God Is Able», elles tapent dans l’hypno des âmes possédées. On retrouve la powerful raspy voice d’Ester Mae (qui s’appelle Smith sur cet album). Dans les notes de pochette, elle dit sa fierté d’avoir pu élever deux kids qui n’ont pas comme elle dû cueillir le coton de l’aube jusqu’au soir, porter des fringues faites avec des sacs à patates et crever de faim. Elles piquent une véritable crise de folie collective dans «Peace Of Mind». Angelia prend le lead et elle devient dingue, avec sa voix plus carillonnante et son énergie pharaonique. Difficile de tenir la distance sur un tel album. Mais il faut les entendre gueuler. Qui va aller écouter ça, aujourd’hui ? Même le fils d’Angelia le dit : il préfère the newer sounds, le rap des jeunes, la musique de l’avenir. Sur la pochette, Ester Mae ressemble à Muddy Waters, elle a cette beauté placide inscrite dans les traits de son visage.
Signé : Cazengler, Comoche du coche
Como Mamas. Le 106. Rouen (76). 20 mars 2018
Como Mamas. Get An Understanding. Daptone Records 2013
Como Mamas. Move Upstairs. Daptone Records 2017
THE SOUND OF THE CITY
HISTOIRE DU ROCK’N’ROLL
CHARLIE GILLETT
( Rock & Folk - Albin Michel / 1986 )
Tome I / La Naissance
Première fois que les deux volumes me passent par les mains. Je ne suis pas le seul. Gérard, le bouquiniste aussi, jamais vu depuis plus de trente ans qu’il vide toutes sortes de bibliothèques. Pour la petite histoire l’a récupéré chez un historien local décédé qui ne s’est jamais fait remarquer pour son amour immodéré du rock. Vu l’état je suppose qu’il ne les a jamais ouverts. Remarquez qu’il faut être un peu mordu par l’alligator pour se plonger dans une telle lecture. Passionnante, mais pas vraiment affriolante. Histoire du rock and roll certes mais qui n’emprunte guère les sentes de la wild side. Pas idolâtre pour un centième de dollars. Un petit côté aussi rébarbatif qu’une étude sur la production du charbon en URSS ! Rock sans sexe et sans produits ajoutés. Ni glamour, ni scandale.
Ne vous prend pas en traître, vous avertit dès l’intro. Se base sur des données statistiques. Les chiffres qui comptent. Passe à la loupe les trente premières places des ventes de disques à l’époque de leur sortie. Billboard, Cashbox et quelques hit-parades annexes. Pas le genre de gars à vous pondre des dithyrambes de quinze pages sur Waren Smith. Trois lignes suffiront. Combien de divisions demandait Staline ? La question qui tue. Pour Charlie Gillet à moins d’un million de disques vendus vous ne valez pas tripette. Idem si vous ne donnez pas dans la récidive, c’est simple n’ y a que pour Elvis qu’il reconnaît que les ventes resteront importantes, pour tous les autres, leur écrit has been, en gros dans le dos, au stabilo fluo.
N’empêche que c’est bigrement intéressant. Un véritable jeu de stratégie. A quatre dimension. Les chanteurs, les publics, les petits labels et les majors, en interdépendance. Une partie carrée. Vicieux comme vous êtes, vous voulez tout de suite connaître ceux qui se font mettre. La réponse est simple : le rock and roll. Ne cherchez pas d’autres victimes.
NAISSANCE DU MONSTRE
( 1954 - 1961 )
C’est quoi le rock and roll au juste ? C’est le rhythm and blues des noirs repris par les blancs. Une question de marché. Tout un public de jeunes blancs commence au début des années cinquante à se brancher sur les radios noires qui passent des disques qui bougent un max et qui vous arrachent les oreilles. Une batterie qui cogne et des solos de sax qui vous écorchent la peau. En sus des lyrics des plus crus. Beaucoup de ces nouveaux aficionados écoutent en cachette car les parents sont formels : les gens bien élevés détestent la musique de nègres. Pas question de se vanter que vous écoutez, voire que vous chantez, du rhythm and blues ! Idée de génie du disc-jockey Alan Freed, non il ne présente pas dans ses spectacles de Cleveland ou ses programmes radio des artistes de rhythmn and blues mais des groupes de rock and roll !
L’honneur est sauf. Enfin presque. Chez les nègres ces trois mots signifient à peu près baise et braise, bref un truc plus ou moins paradisiaque ou plus ou moins infernal, selon l’amplitude de vos appétences puritanistes, rétrogrades et conservatrices.
Le pire est à venir. L’adéquation rock and roll blanc = rhythm and blues noir se révèle vite une utopie. D’abord les blancs ne sont pas des noirs, ils ne prononcent pas les mots de la même manière, ils n’ont pas le même rapport ni au langage ni aux instruments. Et puis dans la dialectique du maître et de l'esclave Hegel vous expliquerait beaucoup de choses... La conséquence de ce différentiel culturel fera que le rock and roll se différenciera très vite du rhythm and blues. Ensuite ces maudits negroes ne manqueront pas d’ajouter leurs grains de sel dans cette nouvelle musique soi-disant blanche…
La donne se complique pour une autre raison : la multiplicité des racines originelles du rock and roll qui ne naît pas en un seul endroit en un même temps. Charlie Gillet évalue à cinq le nombre des foyers infectieux.
Bill Haley qui vient du nord, fortement influencé par la machinerie des big bands issus de Kansas City, produit une musique de danse enfiévrée joyeuse et syncopée, tout en gardant la prédominance des instruments à cordes des orchestres de country and western.
Pat Boone plus jeune ,plus beau, à la voix plus expressive que Bill Haley, que l’on a tendance à présenter comme un clone édulcoré d’Elvis se voit dès 1955, obligé par le label Dot de reprendre des morceaux de Fats Domino et de Little Richard. Le petit Richard a porté le rhythm and blues noir à son maximum d’incandescence et il deviendra une source d’influence numéro un pour tous les chanteurs de rock. Mais l’intrusion de Pat Boone dans la marche en avant du rock and roll est des plus symptomatiques et des plus symboliques de la trajectoire de la plupart des pionniers du rock qui se virent obligés, de gré ou de force, d’édulcorer très vite leurs tendances les plus fracassantes.
Le boogie blues de la région de Memphis fut transcendé par Elvis et Sam Phillips. Le transformèrent en country rock. Les premiers succès régionaux d’Elvis attirèrent chez Sun toute une pléiade de jeunes artistes qui n’avaient pas subi avec un même impact les influences noires du jeune Presley, ils formèrent la première légion du mouvement rockabilly, un rock rapide qui exigeait de ces artistes et une pulsion énergique individuelle des plus torrides et en même temps cette espèce de laisser aller sauvage et toutefois désinvolte qui n’était pas sans présager leur rapide extinction.
Du blues de Chicago naquirent Chuck Berry et Bo Diddley. Les noirs n’avaient aucune envie de laisser le flambeau du rock and roll aux blancs. Reprirent les guitares à leur compte et firent la démonstration qu’avec ou sans cuivres ils étaient les meilleurs…
Difficile de faire mieux. Lorsqu’il est impossible d’avancer le mieux est de reculer. L’on ne surpasse pas le piano de Little Richard ou la guitare de Chuck Berry. Si en prime l’on ne dispose pas du tonique organe voluptueux d’Elvis, une seule solution, un minimum instrumental et un maximum de vocal, Les groupes vocaux à la Frankie Lymon and the Teenagers et les Platters se lancèrent dans des roucoulades infinies. Un recul par rapport à la sauvagerie du rock and roll, mais tous ces dégradés de voix ne seront pas sans effet sur le futur du rock dans les années soixante…
En attendant le rock brûle les étapes. Il explose en 1956 et le soufflet retombe en 1957. Un feu de paille. Reste à savoir pourquoi. Les majors ne répondirent pas à l’appel du rock and roll. Capitol se donna les moyens de tirer le bon numéro : Gene Vincent, toutes les autre à part Decca et ses filiales qui sut immobiliser Buddy Holly dans ses filets, l’on enregistra un peu n’importe qui. A la va-vite. Ce ne fut pas une conjuration anti-rock and roll proprement dite, l’on n’y croyait point trop mais surtout les ingénieurs du son étaient quelque peu déboussolés. Très vite l’on ne donna plus suite, l’était difficile d’établir un plan de carrière et d’investissements pour ces zozos d’une espèce nouvelle. Laissèrent le champ libre aux petits labels. N’y avait pas que des zozos chez Atlantic et Specialty, l’on avait des connaisseurs qui savaient très bien ce qu’ils faisaient. Ahmet Erthegun et Dave Bartholemew n’étaient pas des bleus, mais dans les années qui suivirent Atlantic se concentra davantage sur les métamorphoses du rhythm and blues initial, Specialty se spécialisa dans l’exploitation de son catalogue… L’on porte Sun au pinacle mais lorsque Jerry Lou signa chez Mercury en 1962 Sam Phillips laissa filer son label… King qui enregistrait autant de country que de rhythm and blues initia au travers de Honky Tonk de Bill Dogett les premiers groupes instrumentaux. Vee Jay dama quelque peu son pion à Chess avec Dee Clarck, les Dells, les Jerry Butler and the Impression, Jimmy Reed et John Lee Hooker. La maison fut aussi assez chanceuse pour distribuer les Beatles aux Etats-Unis… La réussite de King donna à Berry Gordy le désir de fonder Motown…
Aladdin n’eut jamais les reins assez solides pour promouvoir son catalogue RnB au niveau national. Modern connut les mêmes déboires malgré la présence d’Etta James. Imperial fut plus chanceuse avec Fats Domino qui sut acclimater son so cool rhythm and blues au rock et au twist. Imperial eut aussi la bonne idée de capitaliser sur la renommée cinématographique de Ricky Nelson, qui eut le flair de choisir James Burton comme guitariste. Meteor de Lester Bihari - son frère dirigeait Modern - signa Elmore James, Charlie Feathers, Junior Thompson et Wayne McGinnis, basée à Memphis comme Sun, son audience ne dépassa jamais celle de la région. Willie Mae Thornton enregistra Hound Dog en 1953, à Houston chez Duke / Peacock. En 1956 Liberty signa Eddie Cochran…
Les majors instaurèrent une nouvelle politique éditoriale pour leurs chanteurs. Soit ils circonscrivaient leur carrière dans le domaine de la variété ( qui incluait la spécificité rock and roll ) soit ils décidaient de s’inscrire dans le genre country and western. Une partition qui interdisait tout cross over. L’on restait enfermé dans le genre choisi. Très rares furent les artistes comme les Everly Brothers qui chez Cadence parvinrent à truster les premières places dans les hit-parade variété et country.
Nous entrons dans les sixties avec les ballades romantiques de Roy Orbison, Ronnie Hawkins est qualifié du titre de dernier des pionniers, Robbie Roberston son guitariste, et son batteur Levon Helms le quitteront bientôt pour Bob Dylan…
METAMORPHOSES DU BLUES
( 1945 - 1956 )
Un autre chemin pour arriver au même endroit. Une traversée de la sphère noire. Le blues originel qui très vite dès qu’il est joué à plusieurs se confond avec le jazz, celui-ci s’infléchissant peu à peu vers la recherche d’une virtuosité musicale personnelle et collective. Dans les années trente les orchestres de jazz de Kansas City ne résistent guère à la frénésie qui s’empare du public dès qu’ils abordent les morceaux les plus rythmés. Un pas est délibérément franchi lorsque les big bands prennent soin d’amalgamer des rythmiques de danse à leurs titres. Bye-bye le jazz, bonjour le rhythm and blues. Désormais l’on recherche l’efficacité, l’on simplifie les arrangements, le but n’est plus de produire de la musique de bonne qualité mais de susciter une transe émotionnelle chez les danseurs. Les barrissements du saxophone et l’exaltation vocale du chanteur sont primordiales. Généralement l’on possède deux chanteurs, l’un pour les ballades romantiques qui appellent aux rapprochements des corps pantelants de désir et un shouter pour remuer la viande, car hélas pas question de copuler sur la piste de danse, alors l’on transpose la frénésie de l’acte orgasmique en une tarentelle gesticulatoire, les hoquets et les cris du shouter mimant les miaulements de l’extase sexuelle. Joe Turner restera le prototype des grands blues shouters mais il sera en quelque sorte dépassé par Wyonnie Harris et Roy Brown. A ces deux-là ils ne manquent rien pour être qualifiés de chanteur de rock and roll. Ce n’est pas qu’ils n’en ont pas assez, c’est qu’ils en ont de trop. Possèdent une technique vocale bien supérieure aux chanteurs de rock and roll blancs. Hors-concours sans rémission. Souffrent d’un deuxième vice rédhibitoire. On fermerait bien les yeux sur leur âge, mais il sera difficile à un public de teen-agers blancs de s’identifier à leurs paroles. Sont trop matures. Point de fausse route, ce ne sont pas des intellos, mais des hommes aguerris revenus de toutes les expériences. N’abusent point de la litote, n’usent point de l’euphémisme, sont beaucoup plus portés sur la sexe cru que sur la rêverie sentimentale.
De fait, il n’y a plus besoin d’une quinzaine de musiciens pour chauffer une salle. Le Johnny Otis Show sera le dernier des big bands, comme par hasard on l’a longtemps retrouvé sur les 33 tours bon-marché des compilations rock. Mais une nouvelle génération de bluesmen beaucoup plus authentiques prennent la relève, Bobby Bland qui chante le blues avec une émotion empruntée au gospel, mais comme en sourdine, Little Richard, empruntant à la frénésie de Roy Brown, fera exploser la cocotte-minute en une folle frénésie. B.B. King sort de la même marmite mais il tempèrera la tempêtes brownienne par l’apport du blues du Delta. A la dextérité de Robert Johnson il alliera les sonorités de l’électrification de T-Bone Walker. C’est le temps des combo-blues, peu de musiciens mais une authenticité remarquable, Rice Miller Williamson et son harmonica apportera le blues en Angleterre au début des années 60, Howlin’Wolf débarque chez Sun qui le refile à Chess, un certain Ike Turner participe à la session Chess. En 1951, Ike Turner charge le saxophoniste ténor de son orchestre d’assurer le vocal sur Rockett 88, ce morceau de rhythm and blues que beaucoup présentent comme le premier morceau de rock and roll… Signalons qu’en 1952, le jeune bluesman Rosco Gordon de Memphis, cornaqué par Ike Turner enregistre No More Doggin’ en marquant le rythme à contretemps. Le disque imprté en Jamaïque le rendit populaire sur l’île et se révèlera être un des éléments déclencheurs du reggae…
Charlie Gillett ouvre la catégorie de blues de bar pour y ranger Little Walter, Son House, Charley Patton, Willie Brown, Robert Johnson et Muddy Waters… Un dernier chapitre est consacré aux groupes vocaux des teen-agers noirs. Tous montés sur la matrice première des Orioles, douceur et harmonies adolescentes. Nous sommes aux antipodes de la rudesse du delta. Toute une jeunesse citadine qui cherche à se rassurer. Charlie Gillett en retrace les origines qui remontent aux chants d’église. La religion conçue en tant que ferveur consolatrice… L’on y sent davantage un désir d’intégration qu’un sentiment de révolte. Certains de ses groupes n’hésitent pas à imiter la maladresse des formations blanches similaires qui reprennent leur répertoire. Etrange phénomène d’identification libératoire qui n’est pas sans rappeler le phénomène des black faces au doux temps de l’esclavage…
EXPLOSION RHYTHM AND BLUES
( 1958 - 1971 )
La suite de l’histoire mais l’on reprend pratiquement au début. Le scénario est plus complexe qu’il n’y paraît. Le rhythm and blues et le rock and roll sont deux fleuves séparés qui coulent dans le même lit. Un peu comme la lumière d’Einstein qui est en même temps corpuscules et onde. Mais en plus compliqué. Charlie Gillett est obligé de vous dresser un tableau de l’état des lieux pour vous faire comprendre. Très simple, plus on avance dans les années, entre 1955 et 1963, il y a de plus en plus d’artistes blancs qui squattent les charts des noirs et un phénomène comparable d’émigration noire en haut des hit-parades de variétés blanches.
Alors que ça stagne quelque peu dans le country and western, une fois que vous avez gagnez la timbale votre carrière est lancée pour trente ans, chez les noirs la bataille fait rage, à tout instant il est important de proposer un truc nouveau qui vous démarque des copains. Suffit d’analyser les carrières de B. B. King et de Muddy Waters pour s’en apercevoir. Le King propose une large palette de styles qui lui permettent d‘accrocher différents publics, les eaux boueuses ne sortent pas des rives encaissées du torrent du blues colérique. Nous font à l’avance la terrible partition qui divise depuis plus d’un demi-siècle les partisans des Beatles et des Rolling Stones. Ces derniers réhabiliteront Muddy mais pour le moment B. B. Boy influence la nouvelle génération des Buddy Guy, Junior Wells, Magic Sam, Earl Hooker, James Cotton…
Mais il faut descendre bien plus bas que Chicago, Jimmy Reed relance le blues texan, grosse guitare et rythme rentre-dedans, toutefois une nouvelle donne est en train de naître, un chanteur c’est très bien, encore mieux s’il est très bon, mais cela ne suffit pas. D’autres genres de personnages sont en train de se révéler des techniciens hors-pairs qui n’hésitent pas à mette les mains dans le cambouis et les mannettes. Pour le public ce sont des hommes de l’ombre mais ils sont la partie immergée de l’iceberg. Les producteurs vous boosteraient un cheval cagneux en étalon sauvage. Un sorcier comme Huey Meaux ( voir les lignes hommagiales que le Cat Zengler lui a consacrées ) vous transforme en pépite la moindre paillette. N’est pas le seul, un Major Bill Smith vous a le truc pour vous pondre le grizzli qui vous scotche l’oreille à un morceau qui normalement n’aurait jamais dû retenir votre attention, écoutez Hey ! Baby par Bruce Channel pour vous en convaincre. Un peu trop sucré à votre goût, mais comme les fraises tagada, vous finissez par vider le paquet. Allen Toussaint s’occupe d’Aaron Neville et d’Irma Thomas et fait des miracles… L’article que le Cat Zengler ( encore lui ! ) sur la livraison 273 du 17 / 03 / 2016 est incontournable.
Y a un lézard, en touchant le public blanc le rhythm and blues perd de sa virulence, mais n’oubliez jamais que cet animal est aussi de la famille des dinosaures. Ben E King pleure sur des violons mais derrière lui se cachent les producteurs Leiber et Stoller, deux des paroliers les plus mirifiques du rock and roll. Ils connaissent la musique. Pétard aux yeux mouillés ou bombe atomique rythmique, z’ont tout ce que vous voulez dans leur arsenal. Z’ont aussi un un ingénieur du son qui n’en perd pas une miette. Partira avec un gros sac de savoir-faire et deux ou trois idées personnelles. L’a un nom destiné à devenir célèbre : Phil Spector. Se focalisera sur les groupes d’adolescentes noires qui reviennent à la mode. Arrêtez de jacasser les filles, vous ouvrirez la bouche quand on aura besoin de vous, pour le moment on règle les micros. Pendant cinq ans, Spector sera l’épicentre du rock and roll sound. Son chef d’œuvre - qui fera un flop inexpliqué aux States – River Deep and Mountains High révèlera Tina Turner. Vous devinez que son mari Ike Turner ne pouvait être absent de cet enregistrement historial du rock and roll. Les plus futés se précipiteront sur la monographie du Cat Zengler sobrement intitulée Ike, sur Kr'tnt ! 187 du 01 / 05 / 2014.
Petit chapitre fourre-tout, les films, les émissions de télévision qui fit beaucoup pour la diffusion du rock and roll, notamment Bandstand qui passait le samedi à douze heures, l’éclosion du twist avec Chubby Checker zt la Peppermint Twist de Joye Dee and the Starlighters et pour finir le Locomotion de Little Eva qui n’est pas sans évoquer le travail de Berry Gordy sur Motown…
La première maison de disques entièrement noire. Miracles, Four Tops, Martha and the Vandellas, The Supremes, la liste serait trop longue à citer, Durant dix ans Gordy et ses poulains raflèrent le Top Ten, le maître des lieux imposa ses méthodes de travail, des équipes entières au chevet des vedettes, recherche de la perfection sonique, un rhythm and blues nourri au lait chaud du gospel, formater le Motown-sound c’était enrober l’auditeur d’une ambiance irrésistible, les chœurs comme à l’église, le lead singer admonestant son public tel un prédicateur en chaire, le tout à toute vitesse sous des rafales de tambourins. La fièvre du dimanche matin. Gordy déménagea de Detroit pour Los Angeles. Dans les autres grandes villes, l’on produisait du sous-Motown…
UN SUPPLEMENT D’ÂME
Elvis domine ( et de loin ) le top dix du rhythm and blues. En bonne compagnie avec Little Richard, Chuck Berry, LaVern Baker mais nos rockers ne sont pas les seuls Ray Charles, Jackie Wilson, B. B. King, Clyde McPhatter, Sam Cooke, Little Willie John, Bobby Bland, James Brown se mêlent ou s’accrochent à ce peloton de tête. Il n’y a pas de hasard Ike et Tina Turner se retrouvent aussi aux avant-postes… Quant à cette voix rauque dégoulinante de fièvre aphteuse qui gémit sur I Found A Love, chez les Falcons, c’est déjà celle de Wilson Pickett, ce rhythm and blues s’inspire aussi du gospel, mais autant chez Gordy c’est le marchand de Bibles très propre sur lui qui s’en vient vous vendre sa pacotille, là vous avez l’impression que le Christ s’est désencloué de sa croix et qu’il marche en personne sur l’eau de votre baignoire. L’aventure Stax commence, elle se terminera mal, l’amitiè ( intéressée ) entretenue avec Jerry Vexler d’Atlantic se débouchant sur une grosse fâcherie qui ne fut pas sans mauvaises conséquences financières pour la firme de Memphis qui dut se résoudre à mettre la clef sous la porte en 1973. Otis Redding, Sam and Dave, Eddie Floyd, Joe Tex, Wilson Pickett furent les rois de la soul. L’évolution musicale de James Brown dépouille la soul de tous ses tours inutiles pour n’en garder qu’un inquiétant squelette cliquetant, réduction alchimique de la soul en funk.
Notre lecteur qui se sera utilement reportés à nos nombreuses livraisons qui analysent en détail cette période ne manquera pas de lever un sourcil étonné. Certes notre résumé est des plus succincts, nous avons délibérément passé à la trappe bien des artistes, mais oui, ce premier volume de cette Histoire du Rock and Roll - près de trois cents pages en petits caractères - est exclusivement centré sur les USA, à peine si à trois endroits apparaît le nom des Rolling Stones ! Aspect encore plus étrange, il aurait mieux valu l’intituler Histoire du Rhythm and Blues, le rock and roll y est certes présent, mais un peu comme ce commensal que l’on invite au repas de communion pour ne pas se retrouver treize à table. On lui servira bien une louche de soupe mais en guise de hors d’œuvre, de plat de consistance, de viande et de dessert, qu’il se contente de boire de l’eau froide.
Tome II / L’apogée
LE QUART D’HEURE ANGLAIS
Enfin l’Angleterre. Pas plus de quarante pages, il ne faut rien exagérer. Une introduction de généralités sociologiques un peu confuses pour un native du continent comme moi. Généralement les écrits consacrés à la naissance du rock anglais débutent avec Chris Barber, Gillett rase plus près et nous repousse en arrière d’une case, cite Ken Coyler dont l’orchestre lui semble rassembler tous les défauts du jazz ossifié, si ce n’est que Chris Barber s’en échappa pour voler de ses propres ailes. Les pionniers du rock anglais sont traité un peu par-dessus la jambe, seuls Cliff Richard et Johnny Kidd ont leur paragraphe attitré. Traite mieux Lonnie Donnegan qui faisait partie du combo de Chris Barber. Donnegan écume un le répertoire folk des USA. Leadbelly et Woody Guthrie, Barber fit œuvre de passeur en invitant à tourner avec lui Big Bill Broonzie, Rosetta Tharpe, Brownie McGhee, Louis Jordan et Muddy Waters trop électrique pour le public jazzeux, mais apprécié par un public moins classieux…
Des groupes de beat - traduisons ce vocable par le mot passe-partout de rythme - se forment dans toutes les villes de la perfide Albion, faudra attendre que Brian Epstein dégotte un contrat chez EMI pour les Beatles pour que le showbiz signe les groupes à tour de bras. Les Beatles sont présentés comme un groupe disparate, oscillant entre Esquerrita et Bruce Channel, mais sont intelligents, sont les parfaits représentants des sentiments diffus de liberté des adolescents anglais. Se perdront trop vite dans une musique alambiquée qui recheche davantage l’effet que l’impact… Les Rolling Stones seront les représentants de cette jeunesse avide de sensations plus fortes qui se retrouve tous les weekends dans les nombreux clubs de rhythm and blues. Parviendront à comprendre qu’il n’y aura point de salvation pour eux s’ils ne créent pas leurs propres compositions. Ce qu’Eric Burdon et les Animals ne parviendront à réaliser entièrement. L’importance novatrice des Yardbirds est remarquée mais le groupe se révèlera incapable de la capitaliser. Kinks, Spencer Davis Group, Who sont traités rapidement… Mais déjà tous ces groupes regardent du côté de l’Amérique.
BACK IN THE USA
L’on s’accoutume à la méthode. Rebattages des cartes. Ce n’est pas vingt ans après mais vingt ans avant. Adieu le rock, bonjour le folk. Sur les routes de la contestation syndicale avec les hobos et Woody Guthrie. Fonde les Almanac Singers. Qui se sépareront en 1942. Se reformeront sous le nom de Weavers sous l’égide de Pete Seeger. Dix ans plus tard le groupe sera obligé de se dissoudre devant la chasse aux sorcières communistes menées par le sénateur fascisant Joe McCarthy… Ce qui n’empêcha pas les majors de se constituer des catalogues assez fournis de ces chanteurs, certes suspects, mais suivis par un public fidèle… En 1962, les folkleux possèdent des relais dans toutes les grandes villes et une fabuleuse caisse de résonnance avec le festival folk de Newport fondé en 1959. C’est en ces mêmes années que l’on redécouvre le folk blues et les premiers chanteurs de blues, pour être plus juste disons que toute une partie du public blanc des States découvre avec stupéfaction un trésor musical que l’Amérique blanche avait délibérément méprisé jusque-là. De Lightning Hopskins à Lonnie Johnson nombreux furent les vieux bluesmen qui se trouvèrent sous les feux d’une gloire naissante dont-ils furent les premiers surpris. C’était-là introduire le cheval de la modernité dans les murailles du puritanisme folk. Les bluesmen ne se contentaient pas de gratouiller leur guitare, ils en jouaient sinon d’une manière diabolique du moins avec une sagacité étonnante, et contrairement à leurs nouveaux admirateurs ils n’avaient rien contre le vrombissement des engins futuroformes de Bo Diddley. Bref posaient sans même la formuler la question du nœud gordien de l’électricité que Dylan osera trancher.
Mais le folk s’il dédaignait encore l’électrique avait déjà une dimension politique, prenait parti pour la lutte des droits civiques menée par les noirs et renâclait fortement devant les menées guerrières des USA en extrême-Orient… Peter, Paul and Mary, Ramblin’ Jack Elliott, Dave Van Rock, Joan Baez, chacun à sa manière aida au décollage de cet inconnu qu’était Bob Dylan. Doué pour l’écriture, encouragé par ses amis, Dylan explosa littéralement. L’on a souvent oublié que l’adolescence de Dylan fut rock and roll, son amour du folklore n’était qu’une deuxième floraison, d’emblée il acquit cette aura symbolique que seules des personnalités comme Elvis Presley et Jerry Lee Lewis avaient endossé sans complexe, naturellement. En tournée en Angleterre en 1964 Dylan fut subjuguée par la force de la version de The House of the Rising Sun des Animals. Dès 1965 Dylan passa le Rubicon de l’électricité. Plus que la naissance du folk-rock ce meurtre du père dylanien ouvrait la route à une nouvelle génération rock.
L’on connaît la suite, Paul Simon & Gafunkel et John Sebastian offrirent un folk-rock davantage maniéré et donc plus accessible à un public de classe-moyenne tandis que le Butterfield Blues Band et Canned Heat s’adonnaient à un blues plus insidieux, et qu’à New York le Velvet Underground vous refilait des doses de produits particulièrement vénéneux…
S’intéresse ensuite au garage. Renvoie la mythologie à la casse. Le garage que plus tard l’on assimilera par une extension du domaine de la lutte au punk est sèchement remis à sa place. S’agit de groupes qui n’ont jamais atteint le statut national. Des groupes régionaux. De la troisième division. Enregistrent dans un de ses studios locaux que l’on trouve désormais un peu partout jusque dans les villes d moyenne importance. Des provinciaux dirait-on par chez nous, des Rastignac de seconde zone qui ne se mesureront jamais à Paris. Cite toute une flopée de groupes mais ne révère vraiment que Paul Revere and the Raiders à qui il tresse une véritable couronne de lauriers laudatives à l’instar de notre Cat Zengler dans Kr’tnt ! 229 du 02 / 04 / 2015.
Ensuite l’on zigzague entre les deux bords de l’Amérique, l’on ne sait plu où donner de la tête, des Beach Boys au Byrds, de Janis Joplin au Gratefull Dead, de New York à Los Angeles, de Sonny and Cher à Creedence Clearwater Revival, de quoi attraper le tournis. Nous voici à San Francisco, times are changin’, les maisons de disques sortent leur chéquier et signent tout ce qui passe à portée de leurs stylos. Gillet n’est pas extrêmement laudatif dans son bilan, tous ces nouveaux groupes ne font que délayer les vieux plans de guitare du blues et du rhythm and blues. Rien de nouveau sous le soleil. Les quitte bientôt pour s’octroyer une halte à Nashville, le country refuse de mourir, se perpétue, présente quelques têtes nouvelles, Dolly Parton, Tammy Winette, George Jones, Merle Haggard, Chris Christopherson, et les vieux pots dans lesquels on cuisine la meilleure tambouille, Jerry Lou, et l’alliance Johnny Cash-Bob Dylan. Quelques lignes sont consacrées à Jerry Reed qui fournit àElvis Guitar Man et U. S. Male qui préfigurent le grand retour du King.
De Nashville à Memphis la distance équivaut à un saut de puce. Chips Moman s’occupe des nouvelles sessions d’Elvis et déjà les outlaws Waylong Jennings et Willie Nelson dégainent les colts aux détours des sentiers les plus lucrativement conservateurs du country. Une page bien venue sur Joe South dont personne ne parle qui fournit deux titres à Gene Vincent et qui participa à de nombreuses séances à Muscle Shoals avec Rick Hall, tint la guitare sur les séances new-yorkaises d’Aretha Franklin produites par Jerry Wexler, et que l’on retrouve derrière Bob Dylan et Simon and Garfunkel… son album Introspect est à rechercher.
L’on avait oublié que l’Angleterre existait. Nous y revoici ! La vieille England n’entend pas rester à la traîne. Opère une subtile différence entre pop et rock. En fait, ça part dans tous les sens. L’on passe de l’apparition du ska avec les Specials et Madness à Nice et aux Bee Gees pour revenir sur les Small Faces et Cream. L’on revient aux Who qui nous emmènent a Jimi Hendrix. Led Zeppelin, Fleetwood Mac, Traffic, Procol Harum, Jimmy Cliff, Bob Marley, Moody Blues, Move, David Bowie, Tyrannosaurus Rex, Free, Bad Company, Pink Floyd, les tournées américaines, l’on sent que Charlie Gillet est pressé de terminer son opus.
GOODNIGHT, AMERICA
Toujours au pas de course, le public rock, Woodstock, le travelling ralentit pour le Band mais la course, véritable générique de fin, reprend : Linda Ronstad, Bobbie Gentry, Ry Cooder, Little Feat, Neil Young - dans la série n’oublions personne - Alan Price, Joni Mitchell, James Taylor, Carole King, Don McLean et sonAmerican Pie en dernier cadeau… une conclusion en dix lignes, l’Amérique s’endort sur son gâteau. Ne la réveillez pas. Le volume s’achève par cent vingt pages de notes et index divers…
VUE D’ENSEMBLE
Deux constats d’emblée, l’aurait dû appeler la bête, histoire du rock’roll américain, le premier volume qui s’arrête au début des années soixante est nettement plus abouti que le second trop rapide et qui part un peu dans tous les sens. L’on apprend beaucoup mais il manque la chair. Au départ l’ouvrage était une thèse universitaire, cela se ressent. Est absente la spécificité existentielle du rock and roll. Ce rapport mythologique que le fan entretient avec cette musique. Le bouquin est parfois exhaustif mais il manque la dimension particulière du vécu. L’on en ressort un peu fatigué, je doute que le néophyte poussé par une malsaine curiosité n’aille jusqu‘au bout, l’aurait vite l’impression de lire un livre d’érudition sur les dynasties assyriennes, d’interminables listes de noms et de dates qui n’éveilleraient rien en lui… Charlie Gillet a dû s’en rendre compte, dans la préface de sa seconde édition il avoue que son livre suivant Making Tracks qui relate l’odyssée de d’Atlantic Records accorde une plus grande place à ses impressions personnelles… N’est pas non plus resté inactif dans le monde du rock, l’a créé son label Oval Records qui managea la carrière et édita les disques de Kilburn and the High Roads de Ian Dury, rien que pour cela nous lui pardonnerons beaucoup.
Par contre l'a eu la mauvaise idée de quitter notre monde en l'an de grâce 2010...
Damie Chad.