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  • CHRONIQUES DE POURPRE 489 : KR'TNT ! 489 : HUMBLE PIE / HONEY CONE /ROCKABILLY GENERATION 16 / STEPPENWOLF / SOUL TIME / ROCKAMBOLESQUES XII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 489

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    17 / 12 / 2020

     

    HUMBLE PIE / HONEY CONE

    ROCKABILLY GENERATION N° 16 /  STEPPENWOLF  

    SOUL TIME / ROCKAMBOLESQUES XII

     

    Humble Pie, c’est pas de la tarte

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    En quittant les Small Faces, Steve Marriott n’avait qu’une seule idée en tête : en finir avec la pop pour sonner plus rock. Il voulait ce heavier sound qu’on voit se dessiner dans «Rolling Over», l’imparable B-side de «Lazy Sunday». Il recrute les trois autres Pie un par un, Frampton parce qu’ils ont joué ensemble dans le backing band de Johnny Halliday, Shirley parce qu’il l’a vu jouer dans Apostolic Intervention et Greg Ridley parce qu’il est à ses yeux le meilleur bassman d’Angleterre. Il reprend tout à zéro et installe Humble Pie à la campagne, à Magdalen Laver, tout près de son cottage de Moreton dans l’Essex. Comme ils n’ont pas encore de compos, ils jamment sur «Walked On Gilded Splinters» de Dr John et sur «We Can Talk» du Band. Jerry Shirley est très fier de jouer dans ce groupe, car dit-il dans son book, Steve a toujours été mon idole - He’d been my idol growing up.

    Quand Andrew Loog Oldham les signe en 1969, il fonde sur eux les plus grands espoirs - I thought they’d give me back the life I’d had with the Rolling Stones. That feeling of being alive - Et ça démarre en trombe avec l’excellent «Natural Born Boogie».

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    Bon les articles de presse, c’est bien gentil, mais ça reste du papillonnage, même quand il s’agit d’Uncut. Un article ne permet pas vraiment d’entrer dans l’histoire d’un groupe, on reste en surface, avec quelques faits sommairement relatés. Pour espérer trouver un peu de cette dimension humaine qui fait la vraie histoire des groupes, rien ne vaut un récit autobiographique. Encore faut-il qu’il soit bien écrit. Quand en 2011 Jerry Shirley a publié ses mémoires sous le titre Best Seat In The House, les fans d’Humble Pie se sont jetés dessus. Il raconte l’histoire d’Humble Pie de l’intérieur, mais il fait vite apparaître une fâcheuse tendance à se mettre un peu trop en avant. Il n’arrête pas de répéter chapitre après chapitre qu’il est mineur quand il démarre sa carrière de rock star et qu’il n’a que 23 ans quand Humble Pie splitte. Le problème est qu’on espère essentiellement trouver du Marriott. Hélas, Shirley s’intéresse principalement à lui, à sa batterie, à sa famille, à son mariage, à sa maison, à sa comptabilité, à son rôle de médiateur au sein du groupe. Il parle très peu de Greg Ridley et encore moins de Clem Clemson. Quant aux albums, il donne des infos qui n’en sont pas. Ce pensum a la gueule d’un gros chou blanc. On en sort légèrement excédé. D’autant que Shirley ose démolir Stevie Marriott en mettant tout sur le dos de la coke. Il raisonne comme une bonne sœur.

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    Une fois calmé, on revient sur les bons passages. Pour Shirley, les trois acteurs clés de l’histoire d’Humble Pie sont Stevie Marriott, Andrew Loog Oldham et Dee Anthony, leur manager américain. Au début, tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, surtout Stevie. Shirley nous décrit un Stevie obsédé par le travail en studio, à Olympic No. 2, work work work - with abundant amounts of liquid methedrine - Shirley n’est pas le genre de mec avec lequel on peut partager sa dope, car il a une tendance à balancer. D’ailleurs, il le dit lui même : lors d’une tournée sur la côte Ouest, il va trouver les flics pour dénoncer un Américain qui élève une petite panthère en lousdé. En fait c’est ça qui le grille : Shirley est une balance.

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    Dans ses premiers chapitres, il redit le rôle considérable qu’ont joué les Small Faces en leur temps - Everybody loved the Small Faces - Et il ajoute que ceux qui disaient le contraire les aimaient secrètement. Selon Shirley, un album comme Ogdens’ n’a jamais été égalé. Un autre album du même niveau ? I’m still waiting to hear it. Il se souvient aussi de la première fois où il rencontra Stevie, au temps des Small Faces. Il portait un costume conçu par Dougie Millings, le tailleur qui habillait les Beatles : veston pied de poule noir et blanc, gilet à double rangée de boutons, pantalon noir en silk-mohair et pompes blanches. Quand Stevie reçoit ses amis chez lui, il propose de l’herbe ou de la méthédrine. On est alors à l’apogée du mouvement des Mods anglais. Les Small Faces et les Who en sont les figures de proue.

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    C’est un coup de fil de Stevie qui va bouleverser la vie du petit Shirley : «Ello mate, it’s Steve.» Marriott l’appelle pour l’embaucher dans Humble Pie, en complément de Peter Frampton et de Greg Ridley. Shirley commence à fréquenter Stevie quotidiennement et le trouve très intense, peut-être même un peu trop. Stevie est épuisant. Il n’arrête jamais. Trop d’énergie. Overwhelming. Shirley découvre autre chose : en studio, Stevie enregistre en une seule prise. Il est connu pour ça. One take ! Il faut savoir que Stevie Marriott est un enfant de la balle. Il fait de la scène depuis l’âge de 11 ans, il sort de l’Italia Conti Academy’s drama school et a joué avec des gens comme Peter Sellers, Laurence Olivier et John Gieguld. Alors, il ne faut pas lui raconter d’histoires. Stevie est une bête de scène et il lui faudra les stades américains pour donner sa vraie mesure. Ce petit bout de cockney va tenir des dizaines de milliers de personne en haleine avec sa bravado et son immense talent de shooter - His masterful ability to read a crowd and grab their attention was second to none - Shirley en fait quand même le plus grand performer de son temps. Stevie est un mec entier. Il fonce et réfléchit après. Fuck it and think about it second, ou mieux encore, don’t think about it at all. Consequences, what consequences? Fuck consequences. C’est le portait d’un vrai punk. Stevie provoque même les flics de Miami sur scène. On lui interdit de prononcer la moindre grossièreté et la première chose qu’il fait en arrivant sur scène est de gueuler : «Goddam motherfuckin’ rock’n’roll !» Pour échapper aux flics venus l’arrêter, il sort en douce avec son road-manager et éclate de rire dans la bagnole qui l’emmène à l’aéroport. Don’t fuck with Stevie Marriott. Bob Tench salue quant à lui l’admirable capacité qu’a Stevie à brûler la chandelle par les deux bouts. Et même par le milieu, ajoute-t-il. C’est ce que ne comprend pas ce pauvre Shirley qui se permet de dire à un moment : «Par ses effets sur une personnalité, la coke peut faire monter le pire comme le meilleur. Dans le cas de Steve, elle a fait monter le pire. Il est devenu quelqu’un d’autre.» Et voilà comment on condamne les gens. C’est là où Shirley entre dans son délire Doctor Jekyll & Mister Hyde : Stevie devient Melvin, the pain-in-the-arse alter ego, le catcheur fou qui saccage les chambres d’hôtel, épaulé par son bras droit Greg Ridley. Shirley n’aime pas qu’on saccage les chambres d’hôtel, car dit-il ça affecte la comptabilité du groupe. Il devient tellement béni oui-oui qu’on finit par se demander ce qu’il fout dans Humble Pie. Dans les altercations, Stevie ne se confronte pas, il explose, et d’ailleurs Shirley l’affronte à deux reprises. Il ose dire que si Dee Anthony ne l’avait pas retenu, il aurait massacré Stevie Marriott. Voilà où nous mènent les abus d’égotisme. On se croit permis de dire des choses qui dépassent la pensée. Shirley ose même dire que Stevie dépense trop et qu’il tape dans la caisse du groupe - severely diminishing the band’s money - Ce qu’il faut comprendre à travers tout ce déballage, c’est qu’un mec comme Stevie Marriott était trop hot, trop génialement out of it pour un mec atrocement normal comme Jerry Shirley. Ce qu’il nous raconte des excès de Stevie Marriott n’est pas méchant, au fond. Le problème est qu’il n’arrive pas à mesurer la hauteur de sa démesure. On imagine aisément que fréquenter une pile électrique comme Stevie Marriott doit être une expérience très spéciale, mais diable, c’est l’occasion ou jamais de lui rendre hommage. L’hommage est la seule chose qui compte. À travers le ton vaguement médisant de ses commentaires, Shirley ne fait que jeter la lumière sur sa propre médiocrité. On ne peut même pas lui en vouloir au fond, car la nature humaine est ainsi faite. La plupart des gens souffrent d’un étriquement de la cervelle, et de toute évidence Stevie Marriott n’en souffre pas. Il crée son monde, coke ou pas coke. Les chansons peuvent témoigner de sa grandeur, des albums comme Ogdens’ Nut Gone Flake et Smokin’ comptent parmi les fleurons du rock anglais et tout ce qu’il a enregistré avec les Blackberries vaut dix fois son pesant d’or.

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    Quand il ne parle pas de Stevie, Shirley propose des passages relativement agréables. Il rappelle qu’entre octobre 1966 et octobre 1967 sont sortis «Stawberry Fields Forever» et «Penny Lane», «Hey Joe» et «Purple Haze», «I Feel Free» et «Strange Brew», «I Can See For Miles» et «Good Vibrations». Il précise en outre que ce qu’expérimentaient Hendrix et les Beatles en studio n’avait jamais été fait auparavant. Il rappelle aussi qu’entre l’été 1970 et le printemps 1971, il a joué sur les deux albums solo de Syd Barrett, sur le Smash Your Head Against The Wall de John Entwistle et sur le Live In London de B.B. King. En plus des deux premiers albums d’Humble Pie sur A&M. Autre chose : la première fois qu’ils tournent aux États-Unis, les mecs d’Humble Pie mesurent l’écart qui les séparent encore des grands groupes américains, notamment Santana dont ils assurent une première partie au Fillmore East. Aux yeux de Shirley, Santana est ce qu’il a vu mieux. Ce soir-là, Santana fait sept rappels, du jamais vu pour des petits Anglais fraîchement débarqués à New York. Autre info de taille : Peter Frampton voulait Chas Chandler comme manager, mais Chandler était trop gourmand.

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    Le premier album d’Humble Pie sort donc sur Immediate en 1969. Il s’appelle As Safe As Yesterday Is et dépasse toutes les espérances du Cap de Bonne Espérance. On y patauge dans des énormités dignes des Small Faces, tiens comme ce «Desperation» chargé d’orgue comme une mule. Stevie Marriott fait le même son qu’avant, mais avec d’autres gens. Franchement, ce hit désespéré vaut bien «All Or Nothing». Allez, on va dire la même chose de «Safe As Yesterday». Chez eux, tout réside dans l’art de charger la barcasse de la rascasse. Marriott fabrique des horizons, il chante avec la puissance d’un enfonceur de lignes ou si tu préfères d’un polarisateur d’effets telluriques. On retrouve ce son de rêve à l’Anglaise dans «Stick Shift» et «Butter Milk Boy». Avec le «Bang» d’ouverture de B, Stevie rocks it off. Il fait du big heavy rock sur le riff de «Teenage Head». On retrouve tout ce big heavy rock mêlé au souffle putride du vieux boogie anglais dans «A Nifly Little Number Like You» et ils reviennent au rock anglais idéal avec un «What You Will» aussi ultra brillant qu’ultra chanté.

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    Town And Country paraît la même année. Back to the big Pie avec «The Sad Bag Of Shaky Jake», monté sur un template Small Faces et généreusement tartiné d’harmo. Stevie Marriott adore ce son là, ce heavy tempo avec une petite guitare en surface. C’est Greg Ridley qui vole le show sur un «Down Here Again» joué à la heavyness de gras double. C’est de la tarte et de la bonne. Curieusement, les beaux morceaux de l’album sont les plus paisibles, comme ce «Silver Tongue» planqué en B et qui renvoie bien sûr aux grandes heures de «Tin Soldier». C’est mélodiquement sur-développé, Stevie Marriott tartine sa Tongue du haut de sa petite glotte fébrile et rose et ça joue à la heavyness de bénédiction. Ces quatre mecs jouent la pop-rock d’Angleterre avec un certain panache. On se goinfre aussi de «Only You Can See» que Stevie Marriott chante du haut de son talent - Tell me what to think/ And I’ll fix myself.

    Shirley a la chance de rencontrer Andrew Loog Oldham -He didn’t have star quality, he was star quality - Il porte un costume trois pièces en silk-mohair taillé sur mesure et encourage Humble Pie à pomper les hits des autres, mais en évitant de se faire prendre.

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    Comme Immediate dépose le bilan, Andrew Loog Oldham conseille à Humble Pie de signer avec A&M. Leur troisième album sobrement titré Humble Pie sort l’année suivante. A&M investit 400 000 $. Somme énorme qui équivaudrait aujourd’hui à 4 millions de dollars. Glyn Johns produit l’album et se fritte souvent avec Stevie Marriott - A cocky little fucker is what he was - C’est l’époque où Humble Pie s’offre des poids lourds du management : Dee Anthony et surtout Frank Barsalona qu’on disait affilié à la mafia. Dee met au point un plan to crack America. Il traite Humble Pie comme une équipe de foot américain et donne des coups de sifflet. L’idée est de dégager la tête d’affiche - You’re here to blow the headliner off stage ! - Et ça marche !

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    Bel album que ce troisième album de la Pie. Il s’ouvre sur «Live With Me», un heavy drama à la Marriott. Il tartine une fois de plus à l’outrance de la bectance et on entend ce diable de Ridley voyager dans le son. Si on aime la heavyness, on est servi. Ils nous refourguent une heavy bourre de boogie avec «One Eyed Trouser Snake Rumba» et tout le poids de la Pie retombe sur le rock anglais à coups d’I wanna know-ow. On trouve encore deux hits en B : «I’m Ready» et «Red Light Mama Red Hot». Encore du heavy shoot de Pie. Stevie Marriott emmène le son au combat, il sonne comme un vrai chef de meute, I’m ready for you, et se fait plus menaçant avec le Red Light Mama. Il y fait une moisson de born to lose et de red hot. Tout chez eux est prémédité, ils vont sur le heavily lourd et Greg Ridley en rajoute une louche avec son gras double. Ils sont parfaits dans leur rôle de Pie. Humble Pie est le gendre idéal du rock anglais.

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    Comme ça se passe bien chez A&M, ils font feu de tout bois avec Rock On et sa pochette à motos. Ça démarre avec l’incroyable «Shine On» et derrière un Stevie Marriott chauffé à blanc, on entend PP Arnold, Claudia Lennear et Doris Troy. On est maximum des possibilités du genre, c’est-à-dire le rock seventies. On a là des chœurs de cathédrale. «79th And Sunset» sonne comme un boogie pianoté des Small Faces. C’est l’absolue perfection. Stevie Marriott sonne irrémédiablement juste. Il est le boogie man définitif. On le voit aussi exploser «Sour Grain». Il est partout à la fois, dans la mélodie et dans le shout, dans les extrêmes et dans le soft. C’est un chanteur complet, l’égal de Rod The Mod et de Chris Farlowe. Il nous fait encore le coup de l’archétype fondamental avec «Stone Cold Ferver». Il chante cette merveille à la petite urgence de la prestance. En B, il nous sort de sa manche «The Light», un heavy balladif solidement ancré au rocher. Oui, ça sonne comme un coup de Trafalgar à Gibraltar. Tout ici est joué dans les règles de l’art. La Pie ne sort que des albums classiques de heavy rock anglais. Et voilà un «Strange Days» qui ne doit rien aux Doors. Aw my Gawd, comme ce mec chante bien ! Il remplit tout l’espace d’une chanson, surtout lorsqu’il s’agit d’un heavy balladif. Il travaille sa matière au corps avec un épouvantable feeling. Aux yeux de Jerry Shirley, Rock On est l’un de leurs meilleurs albums et les sessions d’enregistrement the most enjoyable we ever did.

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    Lors de son âge d’or, au temps des grandes tournées américaines, Humble Pie égalait en popularité les Stones, les Who et Led Zep. C’est en tous les cas ce que montre Performance. Rockin’ The Fillmore, un double album live qu’il faut hélas considérer comme indispensable. Stevie Marriott chante «I’m Ready» comme un prêcheur fou du XVIe siècle. La Pie nous fait le coup de l’apanage du heavy riffing. La Pie couronne le tout. La Pie joyaute la couronne. C’est absolument renversant de véracité. Ils plâtrent leurs couches de son les unes par dessus les autres, comme des gros cataplasmes organiques. Cet amoncellement de plâtras soniques finit par devenir luminescent. Et quand il annonce «Stone Cold Fever», Stevie Marriott prend son plus bel accent cokney : «It’s côlled Ston’ Kôl Fïvah !» Bien sûr, ce sont des versions longues, ce qu’on pouvait leur reprocher à l’époque. Ils jouent le riff de «Rolling Stone» pendant trente minutes et Stevie Marriott monologue, alors la foule participe. Pour le final éblouissant, il chante tout simplement par dessus les toits. C’est là qu’il fait ses preuves en tant que showman d’exception. L’autre quart d’heure de vérité est la version d’«I Don’t Need No Doctor». Ils sont excellents dans leur rôle d’allumeurs de brasiers. Ils nous torchent ça au big heavy fat sound de rêve et au chant d’arrache permanent.

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    Frampton quitte le groupe au moment où paraît Performance. Rockin’ The Fillmore, en 1971. Il veut aller faire a soupe. Steve Marriott se sent trahi, comme se sont sentis trahis avant lui Plonk Lane, Mac et Kenney Jones quand il les a abandonnés. En remplacement de Frampton, Humble Pie commence par envisager Peter Walsh qui vient de quitter le James Gang. Walsh décline l’offre car il lance un autre projet, Barnstorm. Puis ils sollicitent Mick Abrahams, mais Abrahams dit qu’il ne peut rien leur apporter. C’est Clem Clempson qui remplace le traître sur le bien nommé Smokin’ paru en 1972. Avec Clem, Humble Pie va sur un son encore plus heavy, comme si c’était possible. La Pie, ce n’est décidément pas de la tarte. Il s’agit sans doute là de leur meilleur album, le plus exacerbé. On entend la basse de Greg Ridley rouler sous la peau de «Hot N Nasty» et Clem Clemson rentre dans le lard du boogie dévastateur chanté au sommet de l’art. Et ça explose encore plus avec «The Fixer» joué à la cloche de bois. Clem dégouline de wah. Il devient le guitariste idéal de la Pie, beaucoup plus rock que Frampton. Ils font une version bien grasse de «C’mon Everybody». Cet album est une leçon de riffing. Stevie Marriott y fait de la Soul de rock. En B, «30 Days In The Hole» saute au pif, pas au paf. Ils frisent la Stonesy, Clem ramène du beefy Keef et Stevie Marriott chante à la volée. Il est le roi de la haute voltige de yeah-eh-eh. Shirley explique dans son livre que «Thirty Days» est basé sur une histoire réelle : une shoote entre automobilistes, Dee Anthony et un mec s’insultent et Dee frappe, fout l’autre KO et passe au tribunal où on lui annonce le tarif : ‘30 jours au trou’. On passe au Zyva Mouloud du blues de rêve avec «I Wonder». Avec la Pie, le blues peut vite devenir idéal. Stevie Marriott peut en effet chanter comme un damné. La basse de Greg Ridley gronde dans le son et Clem s’écroule dans une mare de wah ! Wow ! Ils bouclent cet épatant bouclard avec «Sweet Peace And Time», une sorte de hit définitif joué au riff vainqueur, hanté par des descentes vertigineuses et gorgé de bassmatic. Oh la mirifique élégance du riff ! Voilà où se niche le génie de la Pie : dans les fumées de Smokin’. Tout est mené au gras double sur cet album tombé du ciel.

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    Steve Marriott n’écoute plus les conseils de personne et produit lui-même Eat It. Trop de basse dans le mix, les cuts ne passent pas en radio. Le pauvre Steve sniff-snaff des montagnes de coke et se croit le roi du monde. Clem remarque qu’à l’époque, le management s’enrichit considérablement, mais pas le groupe. Humble Pie remplit le Madison Square Garden et les plus gros stades américains. Où sont passés les millions de dollars ? Toujours la même histoire.

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    Ce qui ne nous empêche pas d’écouter Eat It, un autre double live mémorable pour sa version du «Black Coffee» d’Ike & Tina. La basse de Greg Ridley est bien montée dans le mix, alors on se régale, car Ridley bombarde. Dans les chœurs, on retrouve la légendaire Venetta Fields, l’ex-Ikette. Du coup, on écoute les chœurs de «Get Down To It» attentivement. Stevie Marriott joue torse nu et nous propose une fois encore du pur jus de Soul de rock. Get down ! Il profite des chœurs de rêve pour taper un coup de gospel batch avec «Is It For Love». Idéal pour un shouter comme lui. Les filles s’en donnent à cœur joie. Et Ridley fait le show sur sa basse. Il s’en va jouer des notes suspendues en bas du manche. Stevie Marriott repend aussi l’excellent «I Believe To My Soul» de Ray Charles et Clem y fait un festival. Ils tapent aussi dans le «Shut Up & Don’t Interrupt Me» d’Edwin Starr, idéal pour un petit white niggah comme Stevie Marriott. Derrière, les filles envoient de la niaque à la pelle et un sax vient allumer la sainte-barbe à la manière de Junior Walker. Que peut-on rêver de mieux ? En D, Stevie Marriott vient chanter «Up Your Sleeve» à la pointe de la glotte, à la petite hurlette de Hurlevent. Wow, quel fuckin’ screamer ! Il est beaucoup plus perçant que Robert Plant. C’est un conquérant.

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    Les Blackberries jouent un rôle considérable dans le son d’Humble Pie. Autour de Venetta Fiels, on trouve Clydie King, ex-Raelette et Billie Barnum, la sœur de H.B. Barnum, chef d’orchestre d’Aretha - These girls were the very best of the very best - Stevie avait compris l’importance vitale du backing de blackettes. Cette fascination remonte au temps où avec Plonk Lane il accompagnait P.P. Arnorld.

    Après une shoote entre Stevie et Shirley, l’ambiance se dégrade au sein d’Humble Pie. Stevie auditionne pour les Stones et les trois autres envisagent d’embaucher un chanteur pour le remplacer. C’est l’un des passages assez comiques du livre de Shirley. Par qui peut-on remplacer Stevie Marriott ? Bonne question ! Ils se creusent les méninges. Ils commencent par envisager Bobby Tench qui a chanté avec le Jeff Beck Group. Mais Bobby venait tout juste de rejoindre Hummingbird. De son côté, Dee Anthony suggère Billy Joel, ce qui fait bien marrer les trois autres tartes. Finalement, ils décident de continuer avec Stevie.

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    Paru en 1974, Thunderbox est avec Smokin’ l’autre grand classique de la Pie. Stevie Marriott plante le décor dès le morceau titre, un solide romp de Pie bien bardé de son. Ils passent au funk de Pie avec «Rally With Ali». Clem y wah-wahte et les chœurs sont si tendus qu’ils marquent les mémoires au fer rouge. En B, ils tapent «Don’t Worry Be Happy» à la tension maximale. C’est du grand art, ils tiennent bon le beat de syncope. Voilà encore un hit innervé tendu à craquer et beau comme un cœur. Stevie Marriott monte en neige la heavyness d’«Every Single Day». Entre la Pie et Slade, on a ce qui peut exister de mieux en matière de rock anglais bien chanté et bien sonné des cloches. Cette fois, c’est Clem qui se balade dans le son. Ils rendent un vaillant hommage à Chucky Chuckah avec «No Money Down» et dans «Oh La Deda», ce démon cornu de Marriott sonne comme Noddy Holder. Il nous fait le coup du boogie de la joie de vivre, l’humble boogie de la Pie avec un Marriott au sommet de son art. Les chœurs jubilent, C’mon ! C’mon ! On entend aussi Venetta Fields derrière lui dans «Groovin’ With Jesus» et il fait une très belle version du hit d’Ann Peebles, «Can’t Stand The Rain». Il y rivalise une fois encore de grandeur avec Noddy Holder. Il chante au velouté de feeling perçant. Stevie Marriott n’en démord jamais. Il peut ahaner ses syllabes et revenir allumer son brasier sans ciller.

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    En fait, Stevie Marriott et Greg Ridley commencent à travailler tous les deux sur leur projet, le fameux Joint Effort qui vient tout juste de paraître et qui n’était jamais sorti. Ils travaillent chez Stevie qui ne veut plus entendre parler d’Humble Pie. Pourquoi ? Parce qu’il vient de passer quatre ans on the road, soit 21 tournées américaines et qu’il n’a pas un sou en banque. Il s’est encore une fois fait plumer comme une oie blanche. Mais Dee Anthony ne veut pas lâcher la vache à lait Humble Pie et exige que le groupe reparte en tournée. Pire encore, il parvient à ‘confisquer’ les enregistrements sur lesquels Stevie et Greg travaillent et demande à Andrew Loog Oldham de mixer les cuts pour un album. C’est la raison pour laquelle on retrouve des cuts que chante Greg Ridley sur Street Rats. Stevie Marriott est écœuré par les méthodes du ‘management’. Il dit qu’on a volé ses enregistrements. Clem ajoute que tout a été bricolé dans leur dos et quand l’album est sorti, ils étaient horrifiés.

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    Street Rats paraît en 1975. On y trouve une fantastique reprise du «Rain» des Beatles. La perle rare, la reprise transfigurative absolue. Stevie Marriott en fait une version heavylyment belle avec des chœurs de gospel et des guitares psychédéliques. On se croirait à l’âge d’or des Small Faces. Stevie Marriott a du génie pour dix. Il fait une autre cover des Beatles qui ne marche pas avec «We Can Work It Out». Le morceau titre sonne comme de la bonne Pie, d’autant que Marriott descend dans son petit guttural de cockney. Belle ambiance délétère en osmose avec la photo du dos de pochette, où pérore une Pie des bas fonds avec au premier plan un Marriott en forme de petite frappe sicilienne. Ils tapent en B «There ‘Tis» au heavy boogie insidieux et nous servent une merveilleuse tranche de Pie, avec du Marriott bien tartiné en surface et bien cuivré aux entournures. S’ensuit le «Let Me Be Your Lovemaker» de Betty Wright que chante au guttural Greg Ridley, avec une magnifique montée de power surge mélodique. D’ailleurs, Greg Ridley chante pas mal de cuts sur cet album, c’est aussi lui qui prend le lead sur «Drive My Car» des Beatles et «Countryman Stomp». Stevie Marriott referme la marche avec un «Queens & Nuns» digne de «Natural Born Boogie».

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    Les chiffonniers de Cleopatra n’ont même pas été foutus de mettre la bonne photo d’Humble Pie sur la pochette de Joint Effort. On y voit Frampton ! Cet album miraculé est un document intéressant car Stevie Marriott et Greg Ridley s’amusent tous les deux à reprendre le «Think» de James Brown. Greg Ridley chante «Midnight Of My Life» et «Let Me Be Your Lovemaker» au meilleur feeling qui soit. Comme le son est très dépouillé, la basse monte au devant du mix. On retrouve aussi la version de «Rain» qui figure sur Street Rats, avec une voix un peu plus noyée dans le son. Toute la heavyness miraculeuse de la Pie est là. Ils chantent à deux «Snakes & Ladders». Stevie gratte sa gratte et Greg shoote son drive. Ils sont effarants de persistance. Dans son lancé de syllabes, Greg Ridley rivalise de feeling avec son poto Stevie. Encore un fantastique shoot de Marriott dans «Charlene». Ça reste de la Pie de haut vol, bourrée de feeling. Il craque la peau du feel au chat perçant et joue tout à la revoyure.

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    Tout fan d’Humble Pie se doit de rapatrier la mini-box Life & Times Of Steve Marriott + 1973 Complete Winterland Show parue en 2019. Please welcome the world’s finest, Humbe Pie et on tombe directement dans le melting pot avec «Up Your Sleves» et un Marriott demented qui chante son ass off. Ces mecs sont des fous extrémistes, il ne faut jamais l’oublier. Hallucinant de power ! Jamais aucun chanteur n’a shouté la Soul de rock comme Steve Marriott, JAMAIS. Il est le plus extrême et le plus pur. Leur «4-Day Creep» dégouline de jus, c’est du heavy rock de rêve. Marriott prêche et la foule lui répond, il s’élève au dessus de toutes les cocotes, the one and only Steve Marriott. Ils font un «Honky Tonk Woman» de 25 minutes et le terminent en beauté, en mode full tilt boogie et chœurs de gospel batch. Ça prend même une tournure extravagante qui va bien au-delà du gospel. Steve Marriott embrase le firmament et les filles tentent de le rejoindre au sommet de sa folie. C’est la plus grosse cover de Stonesy jamais enregistrée. Puis il présente les Blackberries, «one of my heroes, Miss Venetta Fields, one killer Clydie King and Sherlie Matthews !». Sans doute avons-nous là l’un des enregistrements live les plus excitants de l’histoire du rock. Dans «Believe To My Soul», ce démon de Marriott ne peut pas être mieux suivi. Les filles pulsent l’All you need, elles ont fait ça toute leur vie, Venetta et Clydie font la grandeur de la clameur. On a le meilleur heavy rock d’Angleterre et des folles en contrepoint. Que demander de plus ? Nous voilà de retour dans Smokin’ avec «Thirty Days In The Hole», ça tisonne dans la fournaise, avec un Marriott au sommet de son art, il allume à n’en plus finir. Il est brillant et punchy à la fois. Power & guts. C’mon let’s get funky et pouf, ils attaquent un «(I’m A) Roadrunner» de douze minutes. Rien de plus heavy sur cette terre que cette version. Venetta monte ensuite au paradis avec Steve Marriott pour «Hallelujah (I Love Her So)». Les filles font le show, pas de problème. La Pie monte encore au sommet de la heavyness avec «Don’t Need No Doctor» et l’impression d’entendre le live de dream come true persiste et signe.

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    Le docu Life & Times Of Steve Marriott vaut son pesant d’or, car tout ce qui touche à Stevie vaut son pesant d’or. Le réalisateur s’appelle Gary Katz et il nous régale de vieux plans des Small Faces en noir et blanc : wow la classe de Stevie et de Plonk Lane dans «Itchycoo Park» et dans «Lazy Sunday», et cette façon qu’ils ont tous les deux de se balancer d’un pied sur l’autre, guitare et basse assez basses sur les cuisses et Plonk qui envoie des chœurs de rêve ! Simon Kirke, Chris Farlowe et d’autres ténors du barreau viennent témoigner de la grandeur des Small Faces. On voit aussi Greg Ridley chanter le premier couplet de «Natural Born Boogie», Frampton prend le deuxième et Stevie le troisième. Pur jus d’Humble Pie. Jerry Shirley rappelle comme il le fait dans son book qu’en 69, c’était compliqué pour un groupe anglais de débarquer aux États-Unis - When everything was you rock or you drop (ça passe ou ça casse) - Quand Immediate coule, Andrew Loog Oldham donne à Stevie le numéro de Jerry Moss, le boss d’A&M qu’on voit aussi témoigner et qui va lancer la carrière US d’Humble Pie. Moss rappelle qu’it was a big investment. C’est Moss qui leur flanque un manager de choc, Dee Anthony, qu’on voit aussi dans le film, spécialisé dans les groupes anglais qui voulaient ‘percer’ aux États-Unis (break the USA). Et puis Frampton explique qu’il a quitté la Pie parce qu’il était frustrated. Pauvre choupinette. C’est comme l’histoire de Noel Redding qui décide de quitter l’Experience : quand on a la chance de partager la scène avec un génie, on reste. Il faut être complètement con pour partir. De toute façon, l’histoire d’Humble Pie est une histoire tragique. Le bon côté du départ de la choupinette, c’est le sang neuf qu’amenait Clem Clemson. Un bien pour un mal, comme on dit.

    Humble Pie donne son dernier concert à Houston, en mars 1975. Dans le groupe, tout le monde est soulagé que ça s’arrête. Ils ne supportaient plus de voir Steve Marriott tout démolir, à commencer par lui.

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    Retournez la pochette d’On To Victory et vous verrez Stevie prêt à en découdre, la clope au bec, le cheveu taillé court, le jean remonté aux bretelles comme chez les skins de l’East End. Ne reste de la Pie que Jerry Shirley. Bobby Tench et Anthony Jones remplacent Clem et Greg Ridley.

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    Ça démarre avec un «Fool For A Pretty Face» qui continue de faire toute la différence. Stevie vire de plus en plus cockney, comme si Dickens avait inventé de boogie rock. Stevie rayonne dans son personnage d’Artful Dodger. On reste dans le big heavy sound avec «Infatuation». Stevie scande bien son besoin de love et un beau solo de sax vient envenimer les choses. La fête continue avec «Take It From Here» encore plus heavy et même assez mystérieux. L’album se révèle admirable de heavyness. On croit même entendre les accords que gratte Rundgren dans «Number One Common Lowest Denominator». En B, Stevie propose l’un des hot takes de Soul blanche dont il a le secret avec «Baby Don’t You Do It». On se régale du bassmatic d’Anthony Jones, c’est joué dans les règles de l’art suprême. En fait, Humble Pie ne faiblit pas. La voix, le son, les cuts sont là. C’est un album qu’il faut ranger précieusement sur l’étagère. Encore une merveille de Marriott swagger avec «Further Down The Road». Il faut le voir scander son gimme love gimme love. Les dynamiques internes de la Pie montrent clairement l’exemple à suivre.

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    Il ne faut pas prendre un album comme Go For The Throat à la légère, même si la pochette est complètement foireuse. Stevie Marriott s’entoure encore de Bobby Tench, d’Anthony Jones et de Jerry Shirley pour reprendre des gros trucs comme «All Shook Up» ou «Tin Soldier». Avec l’All Shook Up, ils tentent de refaire le coup du Jeff Beck Group qui avait aussi tapé dans cette merveille. Gros coup de nostalgie avec «Tin Soldier». C’est imparable, bien noyé d’orgue comme au bon vieux temps. Impressionnant aussi ce «Driver» blasté à l’harmo. Ce diable de Stevie sait ménager ses effets au lookout ! On trouve en B un «Restless Blood» surchauffé. Stevie chante au sommet des barricades, il harangue le rock, il shoote tout ce qu’il peut. C’est un héros des temps modernes. Il nous sert aussi une version stupéfiante de «Lottie & The Charcoal Queen». Il y devient héroïque, il chante ça avec toute l’aménité d’un géant du rock anglais. Il chante tout simplement à pleine puissance. Voilà encore un hit énorme, un paradigme de la heavyness. Il est le roi de toutes les insistances. Et voilà pour terminer «Chip Away». Il fonce jusqu’au bout du bout, il ne relâche jamais son emprise sur le rumble, il n’en démord pas, c’est un jusqu’au-boutiste faramineux, il chante comme un seigneur des annales ruisselant de sueur au sommet des barricades. Stevie Marriott est un screamer victorieux, même si le business l’a réduit en bouillie. Il est l’un des derniers héros d’un rock anglais si richement peuplé.

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    Bobby Tench remplace Stevie Marriott sur Back On Track, enregistré en 2002, soit onze ans après la mort de Stevie. Du Pie d’origine ne restent que Jerry Shirley et Greg Ridley. C’est déjà pas mal. Big sound, c’est sûr, mais la gouaille a disparu. «Dignified» et «The Red Thing» sonnent pourtant comme des gros trucs. C’est Greg Ridley qui décroche la timbale en chantant «Still Got A Story To Tell». Il chante ça à la vieille arrache. On sent le vétéran d’Immediate, il a tout vu, tout vécu et fait encore ses lignes de coke avec un Bowie knife planqué dans sa botte. Il reste au lead pour «All I Ever Need», un heavy groove d’excellence. Ils savent encore jouer leur va-tout. Zoot Money vient chanter «This Time». Zoot fout son nez dans les affaires du shuffle, il a bien raison. Magnifique association de légendes. Zoot can beat it ! Il en devient extravagant. Bobby revient chanter les vertus de la planche à pain avec «Flatbusted» et l’expédie en enfer. Ce mec chante comme un dieu, on le sait depuis longtemps, mais un album d’Humble Pie sans Stevie, c’est extrêmement bizarre. Greg Ridley reprend le lead sur «Ain’t No Big Thing». On laisse le mot de la fin à l’excellent Bobby Tench qui fait un carton avec «Stay On More Night». Il est parfaitement apte à faire sa Pie.

    Signé : Cazengler, Pie bavarde

    Humble Pie. As Safe As Yesterday Is. Immediate 1969

    Humble Pie. Town And Country. Immediate 1969

    Humble Pie. Humble Pie. A&M 1970

    Humble Pie. Rock On. A&M 1971

    Humble Pie. Performance. Rockin’ The Fillmore. A&M 1971

    Humble Pie. Smokin’. A&M 1972

    Humble Pie. Eat It. A&M 1973

    Humble Pie. Thunderbox. A&M 1974

    Humble Pie. Street Rats. A&M 1975

    Humble Pie. On To Victory. A&M 1980

    Humble Pie. Go For The Throat. A&M 1981

    Humble Pie. Back On Track. A&M 2002

    Humble Pie. Joint Effort. Cleopatra Records 2019

    Humbe Pie. Life & Times Of Steve Marriott + 1973 Complete Winterland Show. Cleopatra Records 2019

    Rob Hughes : Natural born boogie. Uncut # 263 - April 2019

    Jerry Shirley. Best Seat In The House. Drummin’ In The 70s With Marriott Frampton And Humble Pie. Rebeats 2011

    Just like Honey Cone

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    Honey Cone ? Franchement, avec un nom pareil, ces trois Soul Sisters n’avaient aucune chance en France. Les anglo-saxons y verront un cône au miel mais dans nos contrées, on y verra quelque chose de nettement moins glorieux. Ça, c’est la première chose. Deuxième chose : comment cet obscur trio de Soul datant des early seventies pourrait encore intéresser les gens ? C’est d’ailleurs le problème que posent tous ces groupes de Soul tombés dans l’oubli : ils pullulent et ils sont tous passionnants, mais par les temps qui courent, il semble que la qualité artistique soit déchue de son rôle d’arbitre des élégances. Troisième chose : la récente disparition d’Edna Wright nous servira de prétexte à saluer ce trio de Soul Sisters qui dès les early seventies tenta en vain de s’aménager une place au soleil. Ces trois fabuleuses petites blackettes eurent le temps d’enregistrer quatre albums qui font ici l’objet d’un chouchoutage intensif. Gageons qu’Edna Wright verra d’un bon œil qu’on prenne le prétexte de sa disparition pour rendre un ultime hommage à l’existence éphémère d’Honey Cone.

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    Leur histoire date de l’époque du rebondissement des frères Holland. Après avoir quitté Motown pour cause de «désaccord financier», Brian & Eddie Holland montent leur propre label, Hot Wax/Invictus, avec leur compère Lamont Dozier. Ils n’ont qu’un objectif : faire leur propre Motown. Comme ils n’ont pas les Supremes, ils proposent un succédané avec Honey Cone, un trio de Soul Sisters prêtes à en découdre. Carolyn Willis est la plus sexy des trois, avec sa belle afro (à droite sur l’illusse). Edna Wright (au centre) est la sœur de Darlene Love et comme Etta James, elle se teint les cheveux en blond, ce qui lui donne l’air d’une reine des lupanars de Kansas City. Comme sa frangine, elle est passée par les Blossoms et les Raelettes. Et comme Carolyn Willis, par des grands groupes de gospel dans les early sixties. Ces filles sont des Californiennes nées dans les années 40 et en arrivant sur Hot Wax, elles avaient déjà quelques albums au compteur (Brothers & Sisters, Cogics, Sweethearts, Girlfriends). La troisième s’appelle Shelly Clark, une native de Brooklyn qui a pour mari Verdine White d’Earth Wind & Fire. C’est aussi une ex-Ikette, comme P.P. Arnold et Venetta Fields. Donc on voit d’ici le pedrigree des trois cocottes.

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    Elles ne vont enregistrer que quatre albums sur Hot Wax entre 1970 et 1972, mais ce sont d’excellent albums de Detroit Soul. Le premier s’appelle Take Me With You. Elles s’y montrent plus féroces que les Supremes sur au moins un cut : «My Mind’s On Leaving But My Heart Won’t Let Go». Elles explosent le power des Supremes, ça chante dans tous les coins, elles sont invincibles, bien plus vitupérantes que les Supremes. Au fond ça n’a rien d’extraordinaire, puisque les frères Holland et Lamont Dozier composaient les hits des Supremes. Elles refont les Supremes avec «Girls It Ain’t Easy». Ah quel régal, même son, même sens du gros popotin, c’est un beat destiné à conquérir le monde. On note dès «Sunday Morning People» la présence d’une fantastique énergie. Voilà un hit digne de ceux d’Aretha et une guitare fuzz rôde par endroits comme un loup dans la bergerie. Avec «Son Of A Preacher Man», les voilà de nouveau sur les traces d’Aretha, mais aussi de Dusty chérie. Honey Cone, c’est la réponse directe à Motown. Et puis voilà un «You Made Me So Very Happy», une pure merveille, c’est aussi beau que du Burt. En B, elles visent plus la tête des charts avec des trucs comme «Aquarius» ou «Take My Love». Elles restent dans l’esthétique Tamla/Supremes avec «While You’re Out Looking For Sugar». Les voilà lancées dans leur élan suprême. Sacrées Cone, elles y croient dur comme fer.

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    Sweet Replies fait un peu doublon avec l’album précédent, car on y retrouve «Sunday Morning People», «My Mind’s On Leaving But My Heart Won’t Let Go» et cet «Are You Man Enough Are You Strong Enough» qui sonne exactement comme l’«I Know I’m Losing You» des Tempts. Leur gros hit s’appelle «Want Ads» : même attaque que les Supremes, même sens du sweet dans la Soul et mêmes guitares flashy. On se régale aussi de «You Made Me Come To You», cette belle Soul tenace montée au long d’un gimmick de guitare. Wow, l’incroyable qualité de la giclée - You made me come - Ça sent bon le sexe. Encore un énorme rumble de r’n’b avec «When Will It End», c’mon Honey ! Elles redéveloppent tout le power des Tempts.

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    Et comme si tout cela ne suffisait pas, elles injectent le power d’Aretha dans «Deaf Blind Paralyzed», c’mon Honey, elles surfent sur la crête d’une vague de Soul géante. Fabuleuses poulettes ! Ces Cone sont plus fortes que le roquefort.

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    Comme l’indique le titre, la pochette de Soulful Tapestry est brodée. Enfin presque. C’est un effet photographique qui devait exister avant les filtres Photoshop. Elles commencent par faire du Twist & Shout motownisé avec «One Monkey Don’t Stop The Show Part 1 & 2» et passent à la Soul des jours heureux avec «Don’t Count Your Children (Before They Hatch)». Elles resplendissent de classe. On pense à Stevie Wonder, bien sûr - You’d better treat me with respect - Et elle ajoute cette phrase : «You’d better treat me like a lady !». Elle a raison. Tous les cuts de l’album sont très beaux, très Motown. La B est la face lente et dans «VIP», les violons épousent les chœurs. S’ensuit «The Day I Found Myself», un balladif enchanté qui est un peu la huitième merveille du monde. Les voilà de nouveau sur les traces d’Aretha avec une mouture somptueuse d’«All The King’s Horses (All The King’s Men)». Mais c’est un cut difficile, trop chargé de pathos.

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    On leur a découpé une fenêtre en forme de cœur dans la pochette de Love Peace & Soul et elles y arborent de beaux sourires. Cet album d’aspect romantique est leur chant du cygne et pour faire honneur à leur pot de miel, elles démarrent avec l’un des trucs les plus torrides de l’histoire de la Soul, l’«O O-O Baby Baby» de Smokey Robinson, dont Todd Wizard/A True Star Rundgren avait fait une version sidérale. Ooh-ooh la la la et elles y vont, I’m cryin’, ooh-ooh baby baby, c’est la Soul du firmament, le sommet d’un Anapurna de satin jaune. Elles continuent de se prélasser dans le satin jaune pour «Stay In My Corner». Ce sont les grooves érotiques du dimanche matin, ceux des prélassements interminables et des érections douloureuses. Nouveau hit de Smokey avec «Who’s Loving You». Les filles tarpouillent bien leur tambouille de heavy beat orchestré. C’est un régal pour les oreilles. Production soignée et arrangements vocaux sublimes. Le «Sittin’ On A Time Bomb» qui ouvre le bal de la B est une énormité de Soul rampante à la Aretha. Real power, les Cone chantent au gros popotin, la Detroit Soul reste la meilleure Soul du monde, Honey. «Innocent Til Proven Guilty» se veut plus pop, mais elles chantent ça pied à pied. Elles ne lâchent pas l’affaire. Encore un fabuleux shoot de primal r’n’b avec «Ace In The Hole», un r’n’b bon enfant avec du swagger plein les bottes.

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    Ces Cone sont des bonnes, elles excellent dans la volée de bois vert. Encore une hit avec «Woman Can’t Live By Bread Alone», pur jus de Motown, mêmes ingrédients, grosses compos taillées sur-mesure pour Soul Sisters impavides.

    Signé : Cazengler, Honey comme un con

    Edna Wright. Disparue le 12 septembre 2020

    Honey Cone. Take Me With You. Hot Wax 1970

    Honey Cone. Sweet Replies. Hot Wax 1971

    Honey Cone. Soulful Tapestry. Hot Wax 1971

    Honey Cone. Love Peace & Soul. Hot Wax 1972

     

    ROCKABILLY GENERATION n° 16

    janvier / Février / Mars 2021

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    Wooah, la sale bête, elle a failli me mordre, certes de ma faute, on ne met pas stupidement ses doigts n'importe où, n'empêche que Sergio et son équipe auraient pu prévenir par un sticker sur l'enveloppe, genre ouvrir avec précaution, car c'est une espèce de tigre blanc rugissant qui surgit à l'improviste, les crocs prêts à vous déchirer, ouf, on reconnaît au dernier moment, Hervé Loison sur la couve, n'est pas spécialement méchant, quoique l'inscription en lettres rouges '' Ange ou Démon'' oblige à reconsidérer le problème avec prudence.

    Z'ont dû se rendre compte qu'il ne fallait pas jouer avec le cœur de abonnés, z'ont préparé un petit réconfortant dès le premier article signé par Greg Cattez, les trois grâces – normal elles ont du sang grec dans les veines - LaVerne, Maxene, Patty, les trois sœurs Andrews, les trois reines du swing – avant les pionniers du rock le monde de la musique existait aussi – 119 titres classés au hit-parade en vingt-quatre années – toute une tranche de vie de l'Amérique notamment celles de la deuxième guerre mondiale – un art du chant entremêlé au micron près – sur les photos elles ont air un peu trop proprettes mais elles étaient douées. C'était avant que le rock'n'roll ne vienne avec ses gros godillots de daim bleu piétiner les plate-bandes d'une certaine idée de la grande Amérique...

    Justement sur la page suivante un troublion du genre nous invite à entrer chez lui, plus qu'un interview, un entretien géant. Sa carrière certes, mais surtout l'homme, celui qui se cache sous des identités multiples et souvent collectives, Teddy Best, Hot Chickens, Jake Calypso, Nut Jumpers and others... mais surtout celui qui se dévoile sans fard, se raconte tel qu'en lui-même le rock'n'roll l'a changé, ni pire ni meilleur que ses fans, mais qui a dû gérer cet aérolithe monstrueux qui est entré dans sa vie et qui a tout changé...

    Pauvre Hervé, lui est arrivé une terrible aventure, le rock'n'roll lui est tombé sur le coin du museau sans prévenir, l'a pu identifier le coupable, un certain Elvis Presley, sa vie en a été changée, celle d'Hervé parce que celle d'Elvis en 1977 elle faisait l'expérience de l'after-monde, l'a pris une direction non prévue au programme, passion Elvis, passion rock, passion musicien, une ligne droite toute tracée. Pas un conte de fées, car sur les routes, il y a aussi des bas-côtés, une femme, des enfants et le rock'n'roll ne font toujours pas bon ménage, chérie tu t'occupes des gosses et moi de ma musique, vous imaginez les dégâts, Hervé ne cache rien, ne nous fait pas le coup du remord, de l'auto-flagellation, de la résilience – le dernier terme inventé par les psychologues à la noix médiatique pour vous sentir mieux - non il parle simplement, met les mots, endosse ses responsabilités et la passion qui le pousse. Quand on était petit à l'école l'on nous citait l'exemple de Bernard Palissy qui désargenté brûla jusqu'aux meubles de sa maison pour alimenter son four de cuisson et retrouver le procédé de l'émail blanc mythique, le problème c'est que dans le monde il y a peu de Palissy par contre beaucoup de pâles ici, qui ont bien une passion dans leur vie qu'ils abdiquent une fois la jeunesse passée ou pire à la première difficulté rencontrée, Hervé Loison n'est pas un volatile de ce genre, l'a le rock chevillé au corps et n'a jamais abandonné son but, un rêve sans trêve, son bilan parle pour lui, reportez-vous à la page 17, explique tout, son amour du rock, du blues, ses échecs, les coups durs, mais au final une courbe ascendante, une vie non pas réussie mais surmontée, a walk on the wild side, ses coups d'éclats, ses réussites et surtout cette fidélité infaillible au rock'n'roll qui a motivé son existence et lui a permis de dormir dans le drapeau troué du bonheur et du contentement humain de ce que l'on appelle l'estime de soi. Pour quitter l'introspection loisienne et jeter un regard froidement objectif sur son œuvre, nous résumerons en quelques mots : un des engagements les plus créatifs du monde du rock actuel, y compris en comptant les anglais et les américains.

    N'étant pas du tout très adroit de mes deux mains et n'ayant aucune envie d'engendrer un monstre horrifique ou une laideur sans nom de plus dans le monde qui en compte tant, je m'abstiendrai de suivre les conseils des deux pages Tuto Bricolage...

    Parfois l'on a l'impression que la vie se répète, que l'on relit deux fois le même livre, c'est que toutes les vies de rockers se ressemblent, au début vous avez la déflagration d'une bombe atomique dans votre existence de la manière la plus innocente qui soit, ici il faut dresser procès à l'imprévoyance de la grand-mère de Jacky Chalard, comme quoi tout peut arriver, bref voici Jacky Chalard piqué par un infâme virus à têtes multiples, vous en connaissez quelques unes, Elvis Presley, Gene Vincent, Eddie Cochran, Jerry Lee Lewis – à croire qu'il m'a copié - oui mais lui il s'est mis à la guitare et s'est retrouvé derrière Chuck Berry et Vince Taylor – j'aurais dû l'imiter mais ma maladresse digitale me l'interdisait – et puis s'est retrouvé de fil en aiguille à monter le légendaire label Big Beat Records... faut l'écouter raconter les belles heures du rock'n'roll français, l'épopée du Golf-Drouot et son admiration pour Johnny Hallyday. Un gars heureux, l'a vécu de sa guitare, l'a rencontré ses idoles, l'a servi le rock'n'roll, et cela lui suffit... Une vie de passion... un optimiste qui attend et le retour de flamme du rock'n'roll en notre pays.

    Une belle gueule de pirates page 28, encore un qui a tiré quelques bordées rock'n'roll, s'appelle Bruno Grandsire, lui c'est pas sa grand-mère c'est son cousin – un mec bien qui lui fait écouter Gene Vincent – qui lui refile la grande vérole du rock'n'roll à quinze ans – aux âmes bien nées la valeur n'attend pas le nombre des années – bref l'est près pour affronter la grande vague du rockabilly des années 80, tant pis si Rouen est plus punk que rockab, fonde le trio des Morning After, une odyssée qui durera dix-sept ans, et plounck les voici que le hasard les met sur la route de Gilles Vignal... il n'y a pas de hasard, seulement des rencontres - dès que vous batifolez dans les fondations du rock en France vous trouvez le nom de Gilles Vignal - des jusqu'auboutistes, refusent de signer avec les gros labels, fignolent leurs propres cassettes... sont allés jusqu'au bout de leurs forces, Bruno a continué, notamment avec les Camping Cats, et travaille sur un nouveau projet....

    Les interviews sont décorées de documents d'époque et de superbes photographies de Sergio Kazh, my favorite la double page centrale des Hot Chickens, Thierry Sellier impérial aux drums style homme tranquille qui déclenche une avalanche et Christophe Gillet les yeux rivés sur Hervé car il faut toujours se méfier des cordons de dynamite qui se consument à deux mètres de vous...

    Bien sûr pas de comte-rendus de concerts, mais ce numéro 16, est comme ces galions espagnols qui quittaient les rivages sud-américains les cales remplies à ras-bord d'or. Servez-vous à volonté !

    Damie Chad.

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4,70 Euros + 3,88 de frais de port soit 9,20 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 36, 08 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

     

    STEPPENWOLF

    Je crois que c'est le premier disque du Loup Steppique que j'ai acheté, ce dont je suis sûr c'est que ce fut la grande claque. A mon humble avis, un des albums les plus fondamentaux pour la naissance du Heavy-metal, qui porte déjà en germe avec des années d'avance la gestation du Noise. Il est sorti en 1969, numérologiquement parlant c'est le troisième album du groupe, de fait c'est le premier, un enregistrement public réalisé en 1967. Ce n'est pas un hasard si je vous le présente avant le second.

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    J'ai d'abord flashé sur la pochette avant de lire le nom du groupe. Surprenante, attirante, elle est de Gary Burden, qui a aussi signé celle de Steppenwolf, le premier album. Mais il a réalisé près de cent cinquante couvertures de 33 tour à l'époque bénie de la rock-music. L'était designer lorsqu'il est contacté par Cass Elliot – la voix de rêve des Mama's and Papa's – pour relooker sa maison. Enchantée de son travail Cass lui affirme qu'il serait doué pour des pochettes de disque, l'engrenage se met en route. La liste est longue, The Mamas & The Papas, Dream a little dream de Mama Cass, bien sûr, quelques couvrantes de Steppenwolf ( même maison de disques que Cass ), peu de dames, mais les plus belles avec leur voix qui se rapportent à leur ramage, Ricky Lee Jones, le Blue de Joni Mitchell, côté messieurs il doit avoir signé un amical contrat d'exclusivité avec Neil Young ( une cinquantaine d'artworks à lui tout seul ) et à sa suite toute une flopée de groupes ou de musiciens de la constellation american- folk-country-rock, David Crosby, Graham Nash, Stephen Stills, les Byrds, Poco, Buffalo Sprinfield, une faute de goût avec les Monkees, vite rattrapée avec Tony Joe White, plus tard Pearl Jam, et les dernières parutions de Jerry Lou, Live, Mean Old Man, The Last Man Standing, Rock'n'roll Time ( sur lequel la lecture de la chronique du Cat Zengler de notre livraison 220 du 29 / 07 / 2015 devrait être rendue obligatoire pour tout apprenti rocker ), et comme par hasard la pochette dont je vous entretenais la semaine dernière, celle du Morrison Hotel... Beaucoup d'autres aussi et pas des moindres... Les amateurs ne manqueront de faire un long tour sur son site. Né en 1933, mort en 2017. S'imposera un de ces jours, une chro sur son style.

    Normalement sur la première de couve de tout disque qui se respecte vous trouvez la gueule plus ou moins sympathiquement reproduite du groupe et au dos un maximum ou un minimum de blabla. Les Loups n'ont pas mégoté sur le laïus de derrière, un véritable roman... Mais devant, ce n'est pas comme d'habitude. Sur cinq, trois absents, les deux présents n'ont pas droit à la belle photo de communion, les images sont trafiquées réduites à des dessins silhouettés, juste les contours qui ne se détachent pas tant que cela du fond blanc. Pour un disque de Steppenwolf on aurait parié sur du noir – mangeurs de grenouilles, taisons-nous avec notre cartésienne logique, n'avons-nous pas eu un de nos groupes qui se prénommait Etron Fou Leloublan, et puisque l'on est ici entre nous remémorons-nous la pochette de l'album Tears, Toil, Sweat & Blood de Walter's Carabine ( 2018 ) avec ses bandes blanches et noires verticales sur laquelle surgit une tête de loup au crocs menaçants – car ce qui est troublant ce sont les lignes rectilignes qui parcourent la pochette, pas des bandes zébriques, non des espèces de fines stries, qui semblent souligner le fait que ce disque n'est pas comme tous les autres. Au cas où vous n'auriez pas compris, des notes de John Kay vous avertissent des conditions dans lesquelles le disque a été enregistré.

    EARLY STEPPENWOLF

    Recorded live at The Matrix in san francisco, may 14, 1967

    ( ABC Dunhill / 1969 )

    John Kay : chant, guitare, harmonica / Jerry Edmonton : batterie / Mars Bonfire : guitare / Goldy McJohn : claviers / Rushton Moreve : basse.

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    Avant d'écouter ce disque il faut se rappeler que le Kick Out The Jam de MC 5 est sorti en 1969, Fun House des Stooges en 1970, White Heat, White Light du Velvet Underground en 1968... Dès la pochette Kay annonce la couleur : '' … improvising, jamming, squeezing and shaping a musical thing which lasted for 20 minutes and broke finally into The Puscher... '

    Power play : plongée dans le chaudron à la première seconde, le Loup ramassé comme un paquet de croquettes pour chien enragé, la guitare de Bonfire sous perfusion psyké, tout le reste du groupe enserre la voix de Kay de près, martèle les paroles de ce blues libératif, dont on pourrait résumer les lyrics en quelques mots, occupe-toi de tes oignons et laisse-moi vivre comme je veux, avec en arrière-plan, cette idée que les donneurs de leçon n'ont réussi à mettre sur pied qu'une organisation sociale, bien défaillante, attaque frontale, le Loup fait face, quand il mord il ne desserre pas les crocs, même pas trois minutes mais smashées de toute force. Howlin' for my baby : l'on a ressorti le vieil appel de l'ancêtre de la meute, un des morceaux phare d'Howlin' Wolf le mâle alpha, une intro de basse qui fait semblant de jouer du jazz, la batterie qui prend le relais, la voix de Kay qui feule mais ne hurle pas – la voix du maître est inimitable - et l'on sent le piétinement de la harde qui galope en bloc sous la lumière blafarde de la lune, une menace qui court, un blues bifide qui n'est déjà plus un blues, qui cherche à sortir de lui-même. Mars Bonfire aplatit les notes, les allonge, leur enlève cette ronde jovialité de l'enregistrement original, les temps ont changé... Goin' upstairs : décidément blues, après Howlin' Wolf, voici John Lee Hooker, pas de panique les trois premières minutes restent dans la plus stricte orthodoxie du piétinement si particulier de la zique à Hooker, sur les quatre dernières le rythme s'emballe, la guitare devient folle et se prend pour une vrille géante montée sur trépan, des éclats d'harmonica, ce coup-ci l'on est parti pour le voyage au bout de la nuit. Corina, Corina : un vieux traditionnel repris par tout le monde, Le Loup nous la transforme en jolie chanson de Noël pour tous les petits chaperons rouges sages qui se méfient des grosses bêtes vicieuses, le clavier de Gordy M'c John vous prend des teintes d'harmonium surréelles, Bonfire sonne creux comme s'il essayait d'imiter un orgue de barbarie, hélas il n'y réussit pas, résonne plutôt comme ogre barbare qui fait sa douce et hypocrite voix, ce morceau détonne dans le disque, le Loup court après les limites du blues, rebondit de tous côtés, une bille de billard qui ne trouve pas son trou pour s'échapper. Tighten up your wig : reprise hommagiale à Junior Wells – c'est lui que choisit Muddy Waters pour remplacer Little Walter parti voler de ses propres ailes – l'on a donc droit à un festival d'harmonica qui nous entraîne dans un tourbillon frénétique rehaussé par le clavier de Gordy, cette face A semble retourner à l'orthodoxie du blues. The pusher : le groupe se met en place, tapotements de batterie, l'on ne sait trop où l'on va, un vrombissement de moto dans la nuit, un clavier qui pépie comme une nichée d'oiseaux, Kay marmonne dans le micro, coup de tambour précipité, c'est là que l'on se rend compte que l'on entre dans une autre dimension, sur l'autre face, nous étions encore sur les rivages bleutés du blues, ici l'on ne sait plus, un éléphant barrit, serait-ce le retour en Afrique, larsens nous sommes à l'heure électrique, bruit divers, nous sommes en train d'entrer dans une ère moderne, l'impression que le vieux monde sonore craque de partout, plus près de l'orgue à ondes Martenot que l'on ne s'y attendrait, et cette voix qui semble mixer à l'envers, ces sifflements de soucoupes volantes qui décollent, le grand saut du blues au noise, un truc inécoutable, ces brouillaminis que l'on obtenait dans les radios d'avant le transistor lorsque l'on faisait coulisser la curseur entre les stations, dieu merci l'orgue vient nous sauver, serait-on accueilli par Dieu en personne tout de blanc vêtu devant la porte de l'Eglise, non la musique de messe se termine en ritournelle et les cordes de guitares chantent un de profundis, qui enterre-ton au juste, serait-ce une aubade au vieux blues, l'on n'y comprend goutte, que faire si ce n'est suivre cette marche que l'on pressent tumultueuse parsemée d'éclats clownesques, maintenant ça miaule de tous les côtés, et l'on revient à quelque chose de plus reposant, une chanson, une vraie avec un chanteur et un véritable accompagnement, en prime des dégradés et des pressurages, les flots sonores nous emportent, Kay est à la tribune, il cause, il accuse, la musique appuie plus fort, nous voici dans un blues sur-multiplié, sur-dimensionné, Kay cartonne et détonne, et tout s'arrête brutalement. This is the end.

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    Un disque de rupture prophétiques, les deux pieds dans l'eau boueuse du blues, la tête dans le bruit volatile qui tombe des étoiles, car même l'Univers possède une bande-son.

    Damie Chad.

     

    FUNKY MULE

    SOUL TIME

    Y a des mecs pas sympas, je vous refile leurs prénoms pour les barrer de votre liste d'amis, François, Julien, Laurent, Mathieu, Richard, Torz, Thierry et Claire, eh oui une fille parmi eux, comme quoi l'on est souvent trahies par les siennes. Vous les avez reconnus, font partie de l'équipage de Soul Time, l'on a parlé d'eux dans les deux livraisons précédentes, comme l'on avait dit du bien des chanteuses Carla et Lucie, ce coup-ci, ils les ont bâillonnées, ah vous chantiez très bien, maintenant vous vous tairez, ou alors allez danser, leur ont fait le coup de l'instrumental, les filles allez pointer au chômage, aujourd'hui c'est du sérieux, faut des gars solides !

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    C'est qu'ils ne s'attaquent pas à un château de sable, ont décidé de taquiner un gros donjon, Ike Turner, l'était dans les Studios Sun avant Elvis Presley, et a enregistré Rocket 88 – Jackie Brenston est au vocal - que certains considèrent comme le premier morceau de rock mis en boîte sur notre planète... puis est devenu un des monuments incontournables du rhythm 'n' blues... C'est avec Tina Turner sous la houlette de Phil Spector qu'il créée cette symphonie du nouveau monde de la pop qu'est Deep River, Mountain High, un prodige si puissant qu'il désarçonna critiques, radios et public...

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    Funky mule ouvre la face B de l'album a Black Man's Soul, publié en 1969 en ces années de fierté noire, une composition de Marvin Holmes qui l'enregistra aussi à la tête de ses Uptights, selon mes immodeste a-priori, c'est la meilleure version avec un groove tout bruiteux et cuivreux qui rappelle la marche des éléphants d'Hannibal escaladant les Alpes pour marcher sur Rome, pas bête le Marvin, l'a partagé le morceau en deux, la partie 1 pour ceux qui aiment les grosses cavalcades, la numéro 2 pour ceux qui préfèrent les moutonnements moins escarpées, mais comme il n'arrête de scater et d'interjectionner dessus cela s'entend moins. Lorsque Ike la reprend, il refuse de jacter dessus, un instrumental c'est seulement la musique affirme-t-il, puis en grand seigneur il offre le fromage et le dessert en un plat unique, ce qui explique pourquoi les mal-appris comme moi s'ennuient un tantinet sur la deuxième partie du morceau qui se perd un peu dans les sables brûlants des rives du Nid sur lesquels les crocodiles aiment à piquer leur roupillon post-méridien...

    Conclusion Soul Time n'a pas peur de s'aventurer dans les pâturages des vaches sacrées du groove. Partent de la structuration du morceau opérée par Ike Turner. Rien de plus têtu qu'une mule. S'engage à toute allure dans une direction, pour on ne sait pourquoi au bout de quelques centaines de mètres en prendre une autre. Les gars de Soul Time ils aiment bien les bêtes, mais pas question que la bestiole n'en fasse qu'à sa tête, vous la tiennent serrée et resserrée, tu veux aller à droite, t'iras à droite, tu veux aller à gauche t'iras à gauche, mais pas question de lambiner en chemin, z'ont sorti le chrono, celle de Ike a besoin de plus de trois minutes pour réaliser le parcours, toi t'as intérêt à allonger le pas, pas même deux quarante on t'accorde. On ne peut que louer leur fermeté. Ne laissent pas au boa le temps de dérouler cruellement ses anneaux paresseux autour de votre gorge, faut qu'il vous strangule l'auditeur, vite fait, bien fait, soul time is money, vous prennent ce ricain de Ike Turner à la propre philosophie de son pays.

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    Prêtez bien l'oreille, vous expédient la marchandise à toute allure, méfiez-vous de la batterie de Torz Rovers au tout début, le morceau n'a pas commencé que déjà il opère une diversion, le Torz joue au poisson rouge, deux tours du bocal bien emballés comme s'il avait toute l'éternité devant lui pour démarrer un solo épique, ben non, ce sont les cuivres venteux qui déboulent, une longue rafale qui se transforme en cavalcade, regardez comme l'on est beau, et comme l'on sonne bien, et évidemment vous les suivez des yeux pour ne pas en perdre une miette, des poneys de cirque à la crinière tressée et Claire Fanjeau qui joue à la ballerine avec son saxo-salto, Laurent Ponce appuie méthodiquement sur sa trompette ( doit avoir un mort à réveiller ) Mathieu Thierry et Richard Mazza saxoïsent comme s'ils étaient les rois de la piste, et évidemment vous n'avez rien vu, vous vendent des vents à en veux-tu, en voilà, alors que tout se passe par en-dessous, plutôt au-dessus dans les cintres sur les trapèzes volants, Thierry Lesage détient entre ses doigt la clef – the key of the enigm - du morceau, marne comme un fou, l'est soutenu dans son effort par la basse de Julien Macias qui souligne son action au stabilo bien gras, et la guitare de François qui ramène sa Fraysse de ses hachures coupantes, bref vous avez un regroupement autour du clavier, la basse s'emballe, la batterie s'ébat, la fanfare éclate, à chacun ses dix secondes de gloire, et puis l'on revient à l'andante al dente de la pulsation, et c'est-là qu'ils se démarquent d'Ike, chez celui-ci, le peloton reste groupé jusqu'à la ligne d'arrivée et c'est aussi long et pénible que la retraite de Russie, ici chez Soul Time, ça fuse de tous les côtés, chacun caracole sur sa bicyclette, debout sur le guidon ou assis sur la roue arrière, et croyez-moi ça ne pédale pas dans la choucroute, vous terminent le travail en beauté, aussi limpide qu'une lampée de Sylvaner, tout de suite vous vous resservez, cela vous fait un bien fou.

    S'en sont bien sortis, on leur serre la pogne mais en partant on n'omet pas de faire la bise à Carla et à Lucie, car on ne les oublie pas. Sur scène elles auront le temps de reprendre leur souffle sans inquiétude, pendant que dans la soute la chiourme sera à la manœuvre.

    Damie Chad.

     

    XII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    Je me réveillais. J'avais le nez dans le pipi que Molossito venait de faire sur l'oreiller. Mais non, ce n'était pas ce qui m'avait tiré du sommeil. Je ne voulais pas le croire, mais je dus me rendre à l'évidence, la grosse grenouille de mon rêve aquatique, c'était le téléphone qui coassait sur la table de nuit :

      • Agent Chad, enfin vous décrochez, il est plus que tard, déjà trois heures trente-cinq du matin, sautez dans la première voiture volée et vite, je vous veux dans cinq minutes, au service, n'oubliez jamais que la chance appartient à ceux qui se lèvent tôt !

     

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    Le Chef paraissait en grande forme, manches de chemise retroussées, le Coronado planté entre les dents, il discutait au téléphone, il appuya sur la touche adéquate pour que je puisse entendre la fin de la conversation en son entier :

      • Vince, tu le connaissais bien, le père adoptif de Jean-Pierre ?

      • Pas vraiment, dans le temps il passait régulièrement sur mon stand de brocante pour voir si je n'avais pas de disques de rock'n'roll, ou alors il me filait un coup de fil au cas où j'aurais rentré une nouveauté, c'est comme cela que Jean-Pierre m'a contacté, j'ignorais son existence, dès qu'il a débité son histoire, je l'ai aiguillé vers la villa dont tu m'avais parlé

      • En tout cas Vince, l'idée d'une action publicitaire pour redorer le blason du SSR était excellente, très bonne initiative de ta part de demander à la Maffia de remplacer les huit tonnes Coronados pour fumeurs avertis par des cigarillos pour amateurs de vingt-cinquième zone, bon je te quitte, nous avons du boulot urgent par ici ! Je te rappelle au plus vite.

     

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    Même Molossito avait compris. Nous dévalâmes les escaliers quatre à quatre. Le Chef esquissa un sourire de contentement quand il vit l'objet de collection que j'avais dégoté, une vieille Panhard, une PL 17, couleur pistache fanée, '' Magnifique, s'exclama le Chef, j'adore ces voitures, elles ont la coupe d'une boîte de sardines écrasée ! ''

    La veille au soir, en rentrant au service, nous avions laissé Alfred devant la grille de la villa, nous voulions en avoir le cœur net. La villa avait encore changé d'aspect, ouverte aux quatre vents, elle ressemblait à un squat désertée par ses occupants. Quelques paillasses traînaient sur le sol couvert de poussière. Les murs intérieurs et extérieurs avaient été tagués. Les inscriptions à haute teneur pornographique étaient majoritaires. Molossa fit le tour des lieux lentement, les sens aux aguets elle s'arrêta obstinément devant l'évier de la cuisine. Son manège m'intrigua, je me baissai , et ne vis rien, je me relevai et m'éloignai mais Molossa la chienne fidèle et féroce grogna, je revins sur mes pas, et m'accroupis, c'était écrit au crayon gris, pratiquement invisible '' faites gaffe'' au dessous le A symbolique de l'anarchie, auquel était accroché un minuscule zigouigoui illisible. Nous repartîmes aussitôt après cette découverte, le dernier cadeau d'Alfred.

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    Revenus au service, le Chef alluma un Coronado, et décréta que le temps de la réflexion était revenu :

      • Agent Chad, cette satanée affaire part dans tous les sens, que savons-nous au juste, procédons avec ordre et méthode :

    1 ° ) Le Président ne nous aime pas, il nous a envoyé ses tueurs, nous lui avons joué un tour de notre façon, pour un certain temps nous sommes après notre succès d'hier politiquement intouchables, mais l'Elysée n'abandonne jamais sa proie.

    2 ° ) L'affaire Eddie Crescendo est en partie résolue, nous avons les notes secrètes de Crescendo retrouvée dans la fameuse boîte à sucres

      • Oui Chef, nous avons même un exemplaire du livre qu'il n'a pas écrit, ce qui est tout de même assez bizarre

    3 ° ) Deux mystères vraisemblablement liés, celui de la villa qui change de configuration aussi facilement que moi de Coronado, et bien sûr ces mystérieux réplicants qui ont tenté de nous envoyé ad patres, alors que l'un d'eux le dénommé Alfred nous a donné en plusieurs occasions de sérieux coups de mains

    4 ° ) Pour couronner le tout nous mettons la main sur cet homme à deux mains qui se révèle être un pauvre gamin de rien du tout et qui n'a aucun rapport avec cette affaire qu'il a déclenchée !

    5 ° ) Tout cela, ce n'est rien, ce qui est terrible c'est la difficulté que nous avons à créer un lien possible entre ces quatre éléments !

      • J'avoue Chef que je n'y comprends rien, je donne ma langue au chat, euh, aux chiens, excuse-moi Molossa, pour me faire pardonner je descends chercher des croissants pour tout le monde.

    Mais je n'en eus pas le temps. Mon portable tremblota dans ma poche. Je décrochai.

     

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      • Allo Damie !

      • Tiens le Cat Zengler !

      • Damie, j'ai reçu un paquet des Etats-Unis, des disques rares que j'avais commandés, figure-toi que la boite dans laquelle ils étaient empaquetés était légèrement trop grande, alors le gars a bourré le vide avec du papier journal.

      • Vachement intéressant, my cat, ton truc, je suis enchanté d'apprendre que quand les colis sont un peu trop larges, les ricains rembourrent les vides avec du papier journal, tu me déranges à six heures quarante-sept du matin alors que nous sommes confrontés à une énigme aussi importante que le mystère des pyramides, mais tu es totalement cinglé my cat !

      • Calme-toi Damie, j'allais jeter les feuilles de journaux froissés lorsque je me suis aperçu qu'ils étaient écrit en français, un exemplaire de La Normandie Libre de mars 1964, le journal du coin d'ici, je parcours des yeux et je tombe sur tout un petit article, presque un entrefilet, écoute ça, je lis : '' Accident sur la Route Nationale 45, à l'entrée de Grandville. Une panhard vert-pistache s'est écrasée pour une raison inconnue sur un des platanes du village. Sans doute le chauffeur s'est-il endormi au volant. Christophe Dupoix a en effet trouvé la mort alors qu'il revenait de la fête locale du hameau voisin où il était parti pour assister à la première prestation d'un groupe de rock'n'roll nommé L'homme à deux mains monté par ses amis. ''

      • Ah, le Cat, je savais bien que si quelqu'un était capable de trouver un groupe de rock nommé L'Homme à Deux Mains'' c'était toi !

      • Attends Damie, ce n'est pas tout, le colis est arrivé hier matin, je me suis mis en chasse, coups de téléphones divers, papotages dans les villages autour de Granville, résultat des courses : ils étaient cinq dans le groupe : chanteur, guitare rythmique, guitare solo, basse, batterie

      • Formation classique, my cat !

      • Si tu veux Damie, formation maudite à mon avis, dans les mois qui suivirent, ils sont tous morts, une noyade, un empoisonnement aux champignons, un suicide par chagrin d'amour, un accident de moto, et un cancer foudroyant, le plus étonnant c'est qu'à l'époque personne n'a trouvé cela anormal, une mauvaise série de morts naturelles...

      • Oh le Cat, ça pue grave ton truc, fais attention à toi, ne sors pas de chez toi, on arrive en renfort.

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    Derrière moi, c'était la grande excitation, les chiens couraient un peu partout en aboyant sauvagement, et le Chef allumait un Coronado tout en chantant à pleine voix, '' Je veux revoir ma Normandie''...

    ( A suivre...)

  • CHRONIQUES DE POURPRE 488 : KR'TNT ! 488 : ANDY ELLISON / JOHN LYDON / STEPPENWOLF / JANIS JOPLIN / SOUL TIME / ROCKAMBOLESQUES XI

     

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  • CHRONIQUES DE POURPRE 487 : KR'TNT ! 487 : SPENCER DAVIS / ALICE COOPER / JARS / SOUL TIME / KLONE / ROCKAMBOLESQUES X

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 487

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    03 / 12 / 2020

     

    SPENCER DAVIS / ALICE COOPER

    JARS / SOUL TIME / KLONE

    ROCKAMBOLESQUES 10

     

    Spencer dévisse

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    Mitch Ryder disait de Spencer Davis : My favorite Englishman. Mimi aurait pu citer Sean Connery, Michael Caine ou encore Ray Davies, mais non, il préfère Spencer Davis, héros d’une autre époque, celle d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, quand le British Beat venait jusque sous nos fenêtres accrocher sa fuzz et ses éclats. Tout n’était alors que désordre et beauté, luxe, calme et volupté. Sauf au Vietnam, bien sûr.

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    Spencer Davis vient de casser sa vieille pipe en bois et comme le font tous les vétérans de toutes les guerres, il laisse à la postérité une belle tripotée d’EPs mythiques. Tout le monde se souvient du Spencer Davis Group. On osera même un parallèle avec les Stones qui furent eux aussi coupés en deux avec l’avant et l’après-Brian Jones : le Spencer Davis Group eut droit à l’avant et l’après-Stevie Winwood.

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    En 1962, Spencer Davis est prof d’école. Dans sa classe, il a les frères Winwood. Le petit s’appelle Stevie, il porte encore des culottes courtes, et son frère aîné qui s’appelle Muff a déjà un peu de moustache. Pendant la récré, Stevie va sous le préau pour chanter et jouer aux billes. Spencer Davis dresse l’oreille : «Cor, the kid can sing !». Pendant qu’il joue à dégommer les pyramides de quat’ avec Muff, Stevie chante les tubes de Ray Charles qu’on entend à la radio. Alors Spencer Davis va trouver les deux frères et leur balance, avec l’accent le plus confraternel qui soit : «Cor kids, wanna start an orchestra ?». Oh oui oh oui oh oui !, fait Stevie en sautant sur place. Muff ne dit rien, occupé à percer un gros pâté d’acné sous le menton. Et pouf c’est parti. Muff fait la basse, Spencer Davis gratte sa gratte, Peter York bat le beurre et Stevie fait tout le reste. Il sait tout faire, l’orgue, la guitare, le Ray Charles, les billes, le piano. Mine de rien le groupe du professeur Davis devient l’un des meilleurs groupes anglais, ce qu’on appelle là-bas a driving force. Le petit Winwood monte tous les soirs sur scène en culottes courtes et nique la concurrence. Ils commencent à palper pas mal de blé mais Stevie ne veut être payé qu’en billes et en tablettes de chocolat au lait.

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    Quant à Muff, il veut une mobylette. Tout le monde se souvient de «Keep On Running» et son intro magique de big bad bassmatic, l’une des plus réussies de l’histoire du rock, l’intro de jerk par excellence, celle qui donnait aux jukes une vraie raison de vivre, hey hey hey. Paradis de la fuzz, battu à plates coutures, l’un des premiers hits punk, le pendant britannique de «Dirty Water».

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    L’autre magic Fontana EP, c’est «Gimme Some Lovin’», l’EP à la cravate à carreaux verts. Stevie y enroule son believe I dust my blues - babeli babeli blues my mind - On se prosterne devant l’incroyable qualité de ce swing de blues. Avec celle de Fleetwood Mac, c’est dirons-nous la version définitive d’I woke up this morning/ Believe I dust my blues. Sur cet EP magique, on trouve aussi «Neighbour Neighbour» et son solo de sature saturnale.

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    Alors bien sûr, on peut aussi écouter les albums. C’est même recommandé pour la santé. Comment le dire autrement ? Très simple : pas de discothèque idéale sans les trois premiers albums du Spencer Davis Group. Personne n’aurait misé un seul kopeck sur la pochette de Their First LP, paru en 1965, mais le seul nom du groupe nous rendait tous dingues, comme nous rendaient dingues ceux des Who, des Kinks, des Troggs, des Pretties et des Stones. Raide diiiiiingues ! Ces Birminghamais tapaient comme tous les autres groupes anglais des reprises absolument phénoménales : «My Babe» des Righteous Brothers, «Dimples» de John Lee Hooker et surtout «It’s Gonna Work Out Fine» d’Ike Turner. Chaque fois que le petit Winwood attrape le micro, il casse littéralement la baraque, et en plus il sort son harmo de sa poche pour faire son Little Walter. Avec «Midnight Train», ils révèlent une incroyable facilité à swinguer le beat du freight. Mais il faut aussi écouter Spencer Davis prendre un authentic lazy guitar phrasing dans «Here Right Now», un heavy blues de très bonne augure. C’est aussi lui qui chante «Sittin’ And Thinkin’» avec un joli brin de dandysme.

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    Paru en 1966, The Second Album reprend la pochette de l’EP «Keep On Running» qui les a rendus célèbres. Il faut savoir que pour la photo, Spencer Davis a obligé le petit Winwood a porter un pantalon. Il ne voulait pas, mais quand le professeur Davis lui a dit que ses jambes nues allaient attirer l’œil des pervers, il a capitulé. On ne se lasse de réentendre «Keep On Running». On les voit aussi jazzer «Georgia On My Mind» et «Strong Love» qu’ils swinguent au mieux des possibilités, c’est-à-dire une pop de jazz à la Georgie Fame. Ils jouent aussi le heavy blues à la perfection, comme le montre «Hey Darling». Avec la voix du petit Winwood, c’est du gâteau au chocolat. C’est l’un des albums clés de cette période trop riche en albums clés. On se noyait alors dans les clés. Un océan de clés.

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    Autumn 66 paraît la même année que The Second Album. C’est là-dessus que le petit Winwood fracasse «When A Man Loves A Woman». Il n’a pas à rougir de son trying. Sa voix entreprenante lui permet d’entrer dans les zones jusque-là réservées aux noirs. Il tape un peu plus loin une fantastique reprise de «Nobody Knows When You’re Down And Out», un vieux hit de Bessie Smith repris par Spoon et Bobby Womack. C’est la Soul du désespoir. Le petit Winwood n’en fait qu’une seule bouchée. Gnarf ! Il s’y montre même digne de son idole Ray Charles. En B, on retrouve tous ces petits cuts qui rendaient les EPs magiques : «Somebody Help Me» (embarqué au big beat avec du gras double), «Dust My Blues» (superbe hommage à Elmore James, grasseyé avec délectation - babeli babeli blues my mind) et «Neighbour Neighbour» (tartiné aussi au gras double, certainement le plus beau gras double de Londres à l’époque). En gros, cet album est l’EP «Gimme Some Lovin’» amélioré.

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    Pour les nostalgiques du Spencer Davis Group, il existe une compile idéale, Eight Gigs A Week, qui permet d’entendre tout ce que le petit Winwood a enregistré avec le Spencer Davis Group, c’est-à-dire trois albums et cette fantastique brochette de singles. Comme le montre «Dimples», la fournaise n’avait aucun secret pour eux. On les voit même se jeter dans la chaudière, comme Angel Face. Ils font partie de ces groupes précoces qui étaient beaucoup trop doués. Le petit Winwood et le professeur Davis chantent «I Can’t Stand It» à deux voix. Le petit Winwood chante d’une voix de white nigger pré-pubère, perçante et tranchante. Leur «Sittin’ And Thinkin’» préfigure tout le British Blues. Ils font du Spector Sound avec «I’m Getting Better» et le petit Winwood explose toutes les possibilités du Dust My Blues avec «Goodbye Stevie». On retrouve bien sûr cette admirable cover de «Georgia On My Mind». Il n’y a que lui en Angleterre qui puisse rendre un tel hommage à Ray Charles. On trouve aussi une version d’«Oh Pretty Woman» plus heavy que celle de Mayall, tartinée au gras double de guitare. Dans «Look Away», on entend les chœurs des Edwin Hawkins Singers avec le petit Winwood comme cerise sur le gâteau. On retrouve avec plaisir l’immense «Keep On Running», fuzz et chant chaud, beat sec et I’m gonna be your man, l’apanage du garage hey hey hey, avec ses giclées de fuzz au coin du bois et le chant d’un kid allumé dans la chaleur de la nuit, everyone is laughing at me, le petit Winwood nous claque ça au mieux du mieux, I wanna be your man ! Et ça continue sur le disk 2. Si on ne possède pas les vinyles, autant rapatrier cette compile explosive, car tout y est. On se damnerait pour l’éternité, rien que pour posséder ce «Somebody Help Me» digne de «Keep On Running» : heavy beat, gros pâté de disto et chant hot on heels. Le petit Winwood shake bien le vieux «Watch Your Step» de Robert Parker. Il est encore plus spectaculaire dans «Nobody Knows When You’re Down And Out», un heavy blues de round midnite. Merci Stevie Charles. Il y a aussi pas mal d’épluchures, mais quand arrive «Dust My Blues», le Spencer Davis Group reprend tout son sens. On oublie toujours de citer ce groupe dans les histoires du British Blues, et c’est une grosse erreur, car «Stevie’s Blues» vaut tous les classiques du genre. Encore un fantastique shoot avec «I Can’t Get Enough Of It». Ils font aussi de la politique avec «Waltz For Lumumba». Et puis voilà «Gimme Some Lovin’», le hit absolu : belle fournaise, souvent imitée et jamais égalée. Il y a du Little Richard dans cette façon de blaster en profondeur. On dira la même chose d’«I’m A Man» chanté à l’exaction parégorique, e-ve-ry day ! Mais c’est au moment où le groupe culmine que le petit Winwood quitte le Spencer Davis Group.

    Chris Welch nous explique que le professeur Davis est dévasté. Fin brutale de la machine à hits. Il perd la prunelle de ses yeux. Il lui faudra un certain temps pour surmonter ce traumatisme. C’est un type bien, Spencer Davis, nous dit Welch, «un chanteur plaisant et un guitariste extrêmement compétent. Ses points forts sont un enthousiasme immodéré pour tous les genres musicaux et un don particulier pour rassembler des musiciens et les motiver. Sa nature bienveillante fait de lui le band leader idéal. Tout le monde l’adore.» Bon, tout ça c’est bien gentil, mais il faut tout recommencer à zéro. Processus habituel : Spencer Davis passe une petite annonce et organise des auditions au Marquee studio. Un keyboardist du nom de Reginald Dwight se pointe, mais Spencer Davis n’en veut pas. Problème de look. Pas grave, Dwight se débrouillera tout seul et finira avec des trucs en plumes en se faisant appeler Elton John. Spencer Davis cherche quelque chose de plus solide. Pouf, il tombe sur Eddie Hardin que lui recommande le grand Paul Jones. Spencer Davis embauche aussi un guitariste assez doué, Phil Sawyer, qui va devoir rentrer dans les godasses du petit Winwood. Pas facile ! Heureusement, Phil a du métier, il a déjà travaillé avec Rod Stewart, les Fleurs de Lys et Berryl Marsden.

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    C’est donc cette équipe qui enregistre With Their New Faces On en 1968. Bien évidemment, c’est un nouveau son et les fans vont devoir s’y habituer. Eddie Hardin a ce qu’on appelle vulgairement de l’ambition compositale et quelque part dans une interview, il avoue sans méchanceté que Spencer Davis est vite dépassé. Hardin dit qu’il joue de la basse d’orgue, mais il se pourrait bien que ce soit l’ex-Taste Charlie McCracken qu’on entende, en tant que session man. Mine de rien, la basse rafle la mise sur «Moonshine» et «Don’t Want You No More». C’est inespéré de power ! Ça pulse au plus haut niveau. Quel drive ! Muff et sa mobylette peuvent aller se rhabiller. C’est le groove de basse dont on rêve toutes les nuits - Don’t want you no more ! - Ces mecs réussissent encore à sortir du son, la preuve avec «Morning Sun», c’est bardé à outrance, tendu à se rompre, solid body of work avec un Sawyer on the rocks et un son bien dévoré du foie par la basse. On les croyait finis, mais non, ils repartent de plus belle. Ils font aussi pas mal de pop orchestrale, sûrement l’influence d’Eddie Hardin. «Mr Second Class» et «Time Seller» sont des cuts typiques de l’époque, dans la veine des Beatles du bon Sergent Poivre. Eddie Hardin recasse la baraque avec «Alec In Transitland», un violent shuffle d’orgue doublé d’un bassmatic dévorant. On voit aussi Phil Sawyer renouer avec le Dust My Blues du Spencer Davis Group d’avant dans «Feel Your Way» et c’est sacrément bien balancé. Spencer Davis ne chante pas sur l’album. Il se contente de gratter sa gratte et de faire des backing vocals.

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    Le groupe tourne aux États-unis mais Eddie Hardin ne supporte pas les rigueurs de la vie en tournée, notamment les trajets interminables qu’ils sont obligés de faire en bus pas manque de moyens. De retour en Angleterre, il quitte le groupe pour monter Hardin & York avec Peter York. Traumatisé lui aussi par la tournée, Phil Sawyer se barre. Une fois de plus, Spencer Davis se retrouve le bec dans l’eau. Ray Fenwick entre dans le groupe pour remplacer Sawyer.

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    C’est là en 1969, qu’ils enregistrent Funky/ Letters From Edith, le lost album du Spencer Davis group. Suite à des problèmes contractuels, l’album est retiré des ventes : le groupe enregistre sur un nouveau label alors qu’ils sont déjà sous contrat. La version anglaise s’appelle Letters To Edith et bien sûr on peut l’écouter. Là dessus, c’est Ray Fenwick qui fait tout le boulot : chant, guitare, compos. Bon, disons que les compos de Ray Fenwick ne sont pas la panacée, mais le groupe continue d’avancer et c’est le principal. On sent chez Fenwick un goût pour le prog et certains cuts frisent un peu le ridicule. L’album se réveille brutalement avec «Funky», un bel instro d’anticipation joué à la vie à la mort. Mais après, le groupe débande et perd son identité. Le groupe s’enlise encore avec «Poor Misguided Woman», les voix ne sont pas bonnes, dommage, car le son grouille de bonnes dynamiques, mais ça ne vaut pas un week-end à Maubeuge, ni le petit Winwood. Les compos de Ray Fenwick ne marchent pas. Ils terminent avec un excellent «New Jersey Turnpike», un instro de folie pure qui les sauve des flammes de l’enfer. Mais bon, Spencer Davis en a marre de ramer et il décide d’arrêter le groupe. Terminus, tout le monde descend.

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    En 1973, Eddie Hardin va trouver Spencer Davis qui s’est installé en Californie. Il lui propose de remonter le groupe avec Peter York, Ray Fenwick et Charlie McCracken. Ils enregistrent Gluggo, un album qui comme les autres va passer à la trappe de Père Ubu. Hardin et Fenwick bouffent à tous les râteliers avec un certain panache : le glammy stomp à la Gary Glitter avec «Catch You At The Rebop», la pop aimable de type Sergent Poivre avec «Don’t You Let It Bring You Down», le «Living In The Back Street» qu’on va retrouver sur l’album suivant et qui semble monté sur le riff de «Gimme Some Loving», et le bel instro celtique avec «Today Gluggo Tomorrow The World». On se demande à quoi sert Spencer Davis dans tout ça. De prête-nom ? Certainement. «Feeling Rude» sonne comme l’un des derniers spasmes du Swinging London. Cet album sent la fin des haricots. Ils tentent un dernier coup de Jarnac avec «The Edge», où Ray Fenwick incendie la plaine. C’est un sérieux killer. On voit bien qu’ils tentent de recréer la vieille magie de la pop anglaise, mais le cœur n’y pas. Le Spencer Davis Group n’est pas un Group. Gluggo n’est en fait qu’un bel effort studio. Il faut être complètement taré pour aller écouter le Spencer Davis Group après le départ du petit Winwood. Ils finissent avec un beau boogie rock de Ray Fenwick qui s’appelle «Tumble Down Tenement Row». Fenwick s’amuse bien, pas de problème, il est comme un poisson dans l’eau, mais on perd définitivement la trace de l’identité du Group si cher au professeur Davis.

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    Ils enregistrent encore un album l’année suivante, l’excellent Living In A Back Street. C’est Eddie Hardin qui chante la cover de Fatsy, «One Night». Il s’y explose les ovaires. Roger Glover de Deep Purple produit l’album, d’où le big sound. Le morceau titre sonne comme un monster hit de British r’n’b. Doris Troy fait partie des back-up singers. C’est une véritable énormité. Ils tentent de recréer l’excellence de l’âge d’or. «Hanging Around» sonne comme un rumble de heavy rock. Bien joué les gars, ils sont dans le mood d’époque, ni trop peu ni pas assez, juste dans la moyenne. Leur «No Reason» ne ferait pas de mal à une mouche. Cette petite pop psyché correspond bien à l’époque et sonne comme une petite leçon d’élégance. Ils nous font le coup du vrooom-vrooom dans «Fastest Thing On Four Wheels», c’est excellent, bien tendu de la bretelle, il ne lésinent pas sur le shuffle d’orgue. Ils swinguent à coups de klaxon, c’est énorme et même assez révélatoire. Le morceau titre sonne comme un boogie en caoutchouc, on les voit même rebondir sur le beat. On va de surprise en surprise avec «Another Day», une belle petite pop aventureuse qui pourrait très bien figurer sur le White Album, tellement c’est léger et frais. Finalement, on se retrouve avec un album bien foutu, ce qui vient confirmer «Sure Needs A Helping Hand», un balladif élégiaque, signé comme quasiment tout le reste Hardin/Fenwick. On les respecte pour une telle abnégation. Ils sont très ramassés sur leur took out et flirtent avec les clameurs du gospel. Avec ses nappes d’orgue, Eddie Hardin jette pas mal d’élégance dans la balance.

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    Bon, cette fois, c’est fini. Spencer Davis arrête le groupe et entame une petite carrière solo. Oh rien d’exceptionnel, quatre albums en tout, échelonnés sur 30 ans. Le professeur Davis va raccrocher les gants du r’n’b pour se consacrer à l’Americana. En 1971, il enregistre avec Peter Jameson un album acou qui est sans doute le plus intéressant des quatre : It’s Been So Long. Belle pochette qui s’ouvre comme une enveloppe. «Crystal River» grouille de banjos et de vieux mineurs édentés, ils sortent un son enjoué et fouillé et c’est là, très précisément au bord de cette Crystal River qu’on tend l’oreille. L’«One Hundred Years Ago» qui suit est très impressionnant - Now you’re gone/ I sing my song - Ils restent tous les deux dans l’excellence musicologique pour «Balkan blues», une merveille de délicatesse. Ils jouent leurs espagnolades balkaniques à l’unisson du saucisson sec. Ça veut dire qu’ils grattent leurs poux à l’ongle sec comme des troubadours de l’ancien temps des magiciens. Dans le «Mountain Lick» qui se niche en B, ils racontent une histoire de gold digger. Ils finissent en beauté avec «Thinking Of Her» et l’extrême pureté du son et du filet de voix. Spencer Davis resplendit dans son univers d’arpèges florentins - I’m feelin’ fine/ Drinkin’ my wine/ Sittin’ here thinkin’ of her - C’est un très bel album. Tout y est soupesé et joué dans les règles d’un art léger.

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    Malgré sa très belle pochette signée Norman Seeff, Mousetrap déçoit un peu. Une ribambelle de cakes californiens accompagnent Spencer Davis : Sneaky Pete Kleinow, Larry Knechtel, Jim Keltner. Ceux qui lisent les dos de pochettes connaissent bien ces noms. Mais ça ne suffit pas à faire un big album. On a là du petit rock californien bien ficelé et même un peu d’Americana avec «Easy Rider». Spencer Davis y injecte le vieux deep blue sea & the women fishing after me. Comme tous les géants des sixties, Spencer Davis évolue vers un son plus ambitieux et sa musicalité transmute délicieusement. Son «Hollywood Joe» est très hollywoodien mais pas inintéressant. Ces mecs jouent dans la joie et la bonne humeur. L’Americana devient donc la grande obsession de Spencer Davis. C’est bien vu et bien chanté, donc pas de problème. Il termine avec une belle crise de country joyeuse, «Ella Speed». Inutile de dire que ça tient bien la route.

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    Dix ans plus tard, il refait surface avec Crossfire, un album très classique. Dommage qu’il ait l’air si con au dos de la pochette, déguisé en aviateur de la première guerre mondiale. Le hit de l’album s’appelle «Private Number», un duo avec Dusty Springfield, et là, on lève les bras au ciel en criant «Merci Dieu !», car c’est une merveille. Dusty chérie s’y révèle stupéfiante de présence. Pour le reste, Spencer Davis oscille entre le heavy boogie («Blood Red Hot», «Love Is On A Roll») et les resucées («I’m A Man»). Ça marche à tous les coups, même si la resucée sonne un peu electro. Disons que ça manque de Winwood. Son «No Other Baby» est bardé de clairette de country californienne et ça sent bon la bonne humeur. Sa petite pop reste bien construite, bien élevée, enjouée et sans complexe.

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    On ne se relève pas la nuit pour écouter So Far, son ultime album solo paru en 2006. Il y a un joli son, ça reste de la pop-rock bien produite, mais on passe un peu à travers. «The Viper» se veut powerful mais pas déterminant. Le producteur Edward Tree américanise le plus anglais des rockers de banlieue. Spencer Davis raconte ses souvenirs d’enfance à Swansea, au Pays de Galles, dans «The Mumbles Train» et «Uncle Herman’s Mandolin». Il fait aussi un «The Swansea Shuffle», histoire d’enfoncer le clou de sa nostalgie. C’est sa façon de créer du vieil enchantement à la Ray Davies. Il revient à son Americana chérie avec «I Can’t Stand Still», un piano-boogie de barrellhouse digne du New Orleans ou du Kansas City des roaring twenties. Retour à l’Americana de bon aloi avec «The Golden Eagle», et voilà, c’est à peu près tout ce qu’on peut en dire. Mais l’impression globale est très positive. Spencer Davis n’a jamais pris les gens pour des cons.

    Signé : Cazengler, Spencer du vide

    Spencer Davis. Disparu le 19 octobre 2020

    Spencer Davis Group. Their First LP. Fontana 1965

    Spencer Davis Group. The Second Album. Fontana 1966

    Spencer Davis Group. Autumn 66. Fontana 1966

    Spencer Davis Group. Eight Gigs A Week. Island Records 1996

    Spencer Davis Group. With Their New Faces On. United Artists Records 1967

    Spencer Davis Group. Gluggo. Vertigo 1973

    Spencer Davis Group. Living In A Back Street. Vertigo 1974

    Spencer Davis Group. Funky/ Letters From Edith. CBS 1969

    Spencer Davis & Peter Jameson. It’s Been So Long. Mediarts 1971

    Spencer Davis. Mousetrap. United Artists Records 1972

    Spencer Davis. Crossfire. Allegiance 1984

    Spencer Davis. So Far. Harbor Grove 2006

     

     

     

    Alice au pays des merveilles

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    Vraiment dommage. On sort un peu dépité du book de Dennis Dunaway, bassiste d’Alice Cooper dans les années 70. Avec un titre aussi racoleur que Snakes Guillotines Electric Chairs - My Adventures In The Alice Cooper Group, on s’attendait à autre chose. On va même jusqu’à se poser la question : histoire mal racontée ou non-histoire ?

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    S’il est un groupe américain qui avait tout misé sur l’extravagance, c’était bien Alice Cooper, c’est-à-dire le groupe composé de Dunaway, Neal Smith, Glen Buxton, Michael Bruce et Vince Furnier. Leur petite mythologie reposait sur deux mamelles : un premier article dans le Melody Maker montrant un mec nommé Alice vêtu d’un fourreau de lycra noir moulant et brandissant un fouet, puis un tout petit peu plus tard un concert à l’Olympia. Nous étions deux camarades de lycée installés au balcon juste à côté d’un mec de la télé qui filmait le concert et qui devait être Freddy Hauser. Indépendamment de tout le grand guignol, ce groupe américain nous faisait bien rêver. On flashait plus sur le batteur Neal Smith que sur le chanteur et sa chaise électrique. Ils incarnaient tous les cinq le groupe de rock américain parfait. Beaucoup de son et beaucoup d’allure. Il devait s’agir de la tournée de promo de Killer puisqu’ils jouèrent ce soir-là «Under My Wheels» qui fut t’en souvient-il l’un des grands hits de l’an de grâce 1972.

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    Revenons au book. Ce phénomène d’histoire mal racontée n’est pas nouveau. On a souvent croisé des autobios que caractérisait une certaine platitude, au sens où le texte reste lisse et rien ne passe, ni info, ni émotion. Ce qui peut sembler logique, vu que l’exercice autobiographique reste l’apanage des écrivains. En matière de rock culture, nous en avons toutefois quelques-uns : Bob Dylan, Richard Hell, Mark Lanegan, Ray Davies et Mick Farren sont les premiers noms qui viennent à l’esprit. Le reproche qu’on pourrait adresser à Dunaway est de n’avoir pas su raconter cette histoire qui fut, comme on l’imagine, une histoire autrement plus extravagante que ce qu’il en dit. Mais en même temps, il y a une explication : l’absence de prétention. Ces cinq petits mecs originaires de Phoenix, Arizona, n’avaient d’autre ambition que celle de jouer du rock, à une époque où le rock était un devenu un choix de vie pour toute une génération. Jouer du rock en soi est déjà un gros boulot et devenir célèbre l’est encore plus. Seuls des artistes exceptionnels sauront passer au stade suivant qui est celui du mémorialiste. Dunaway se contente de rester au stade d’honnête bassman compagnon de route d’une belle aventure, et comme on va le voir, victime comme tant d’autres des manigances d’un business puant. On l’aime bien Dunaway, avec cet air mystérieux que lui donne son regard absent. On ne lui en veut pas trop finalement, même s’il nous prive d’une histoire qu’on veut continuer de croire gratinée, à moins que nous ne l’ayons trop fantasmée. C’est toujours le même problème avec la rock culture : il y a d’un côté la réalité et de l’autre ce qu’on fait nous autres les fans de cette réalité. On dit aussi qu’il vaut mieux éviter de rencontrer les gens qu’on admire. Pourquoi ? Pour éviter d’être déçu.

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    Dunaway nous ramène dans les early sixties en Arizona, au temps où Vince Furnier - c’est-à-dire Alice - et lui sont copains d’école. Dans la section photo qui se trouve comme dans la plupart des books située au milieu, vous verrez deux photomatons des copains d’école. Puis Dunaway, Buxton, Vince et deux autres mecs montent les Spiders et commencent à bâtir leur petite réputation locale. Ils font du garage et reprennent les classiques des Standells et des Count Five. Ils engagent Michael Bruce et Neal Smith, et décident de tenter leur chance à Los Angeles. Ils n’ont pas un rond et vivent un temps dans l’ancienne baraque des Chamber Brothers, sur Crenshaw Boulevard, dans le quartier noir de South Central, avant d’aller s’installer à Topanga Canyon. Ils s’appellent encore the Nazz, mais ils doivent changer de nom à cause du Nazz de Todd Rundgren qui vient de sortir un album. Ils cherchent des noms et Vince Furnier propose Alice Cooper. What ? Vince insiste : Alice Cooper. Il voit ça comme un nom de groupe. Une fois que Dunaway en accepte le principe, il se met à phosphorer avec son copain d’école : créons un personnage ! Il va d’ailleurs citer des tas d’exemples, comme celui du maquillage qui est une idée à lui, ou encore les accords d’«Under My Wheels» qui sortent aussi tout droit de son imagination délirante. En fait, ce qui motive Dunaway, ce n’est pas de se mettre en valeur, mais plutôt le côté sacré du collectif, ce qu’on appelle un groupe de rock. Sans Dunaway et les trois autres, Alice Cooper n’est rien. Mais le destin se montrera cruel puisqu’Alice finira par se débarrasser de ses compagnons de route, tout en conservant le nom d’Alice Cooper, qui était le nom du groupe.

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    L’épisode Topanga est capital car Dunaway et ses copains fréquentent la crème de la crème du gratin dauphinois dans les parties : les Doors, David Crosby et Arthur Lee. Hélas, Dunaway ne tire rien d’intéressant de ces rencontres. Il décrit sans décrire. Puis c’est la rencontre avec les GTOs, the Girls Together Outrageously, the queens of the Sunset Strip, qui logent dans le sous-sol de la maison de Frank Zappa, à Laurel Canyon, the log cabin, qui est l’ancienne maison de Tom Mix. Alice se tape Miss Christine et en bon opportuniste, il finit par lui demander : «Can you get Zappa to give us a record deal ?». Zappa accepte d’enregistrer le groupe et sortira Pretties For You sur son label Straight en 1969. En fait Zappa trouve le groupe intéressant, car capable d’accepter les concepts abstraits, comme par exemple enregistrer sur des bandes mal effacées, avec des «bruits» antérieurs qui remontent à la surface du son. Autre concept abstrait : ils choisissent pour la pochette a highly risqué painting d’Edward Beardsley qui est accroché au mur, chez Zappa. Dunaway considère qu’avec cet album Alice Cooper invente le glitter rock, même si, ajoute-t-il, d’autres artistes vont par la suite en revendiquer la paternité. Au plan musical, l’album est un peu dur à avaler. Ils attaquent avec une série de morceaux qu’on qualifiera charitablement de déconcertants. Leurs tentatives compositales se révèlent assez pathétiques, comme si elles étaient épuisées d’avance. On entend des coups de flûte et des tentatives de jazz-rock dans «Sing Low Sweet Cherio». Forcément le comedy act de «Today Mueller» devait bien plaire à Zappa, le grand spécialiste de la tarte à la crème. Il faut attendre «Living» pour entendre enfin un big push de trash guitars. On s’aperçoit que ces mecs sont déjà très au point. En B, ce vieil Alice se croit autorisé à casser la baraque de «Levity Ball», mais il n’y a pas de baraque. Trop ambitieux. Zappa essaye en vain de les faire revenir sur terre. C’est avec «Reflected» qu’ils sauvent les meuble de ce premier album, un joli shoot de power pop claqué du beignet par un solo trash de Bux, bizarrement produit, comme visité dans les profondeurs. Ces mecs avaient un sacré répondant car ce «Reflected» dégouline de trash de wah.

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    Grâce aux hasards de la programmation, Alice Cooper se retrouve sur scène au fameux Toronto Rock’n’Roll Revival en 1969, un festival qui propose l’une des affiches les plus appétissantes de l’époque : John Lennon & the Plastic Ono Band, Chuck Berry, Bo Diddley, Little Richard et Gene Vincent. C’est là que se produit l’incident du poulet dépecé vivant par la foule, un acte de sauvagerie qui fut attribué par erreur à Alice Cooper. Après leur set et au milieu des plumes qui volent, ils doivent rester sur scène pour accompagner Gene Vincent. Dunaway décrit d’autres épisodes de folie comme ce concert à Toledo où un mec balance un marteau dans la jambe de Bux. L’incident du poulet va d’ailleurs déclencher une avalanche de rumeurs toutes plus nulles les unes que les autres. On affirme qu’un jour, Alice Cooper et Zappa se seraient livrés sur scène à un concours de pets, qu’ensuite Zappa aurait coulé un bronze devant tout le monde et qu’Alice aurait ramassé l’étron pour le déguster. On ne peut que s’effarer de la qualité de l’imaginaire des rumouristes américains.

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    1969 est aussi l’année de tous les dangers, puisque les Stooges sont en tournée. Dunaway ne cache pas son admiration pour Iggy. En allant s’installer à Detroit, Alice Cooper crée la confusion. On a longtemps cru qu’ils étaient un groupe de la fameuse scène de Detroit. Pas du tout. Ils n’ont fait qu’y séjourner, car c’est là que se jouait à l’époque le destin d’un certain rock. Leur manager Leo Fenn les installa dans une ferme à Pontiac, un bled situé à quarante bornes au nord de Detroit. Ils baptisèrent l’endroit the Freak farm. Cette ferme isolée présentait le gros avantage de disposer d’une grange où le groupe pouvait répéter sans que ça ne gêne les voisins.

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    Leur deuxième album s’appelle Easy Action et paraît en 1970. Ils sont de dos sur la pochette, histoire de montrer qu’ils ont les plus belles crinières d’Amérique. On commence à peine à se familiariser avec la voix ingrate de Vince Furnier. C’est l’album de tous les râteliers. Ils nous font le coup de la good time music avec «Shoe Salesman», le coup du rock de cabaret avec «Mr And Mrs Misdemeanour» et le coup du psyché de bas étage avec «Still No Air». Sans doute leur façon de nous dire : «Bon les gars vous en avez pour votre argent.» Ils repartent en mode psyché sans queue ni tête (comme le poulet) avec «Below Your Means» et soudain, Bux et Bruce se partagent la part du lion, avec des échanges extrêmement fructueux de guitar licks. C’est en effet la grande époque des échanges fructueux. Bux et Bruce se couronnent rois de l’échange fructueux. Ils exultent ! Ils paramorent ! Ils dégueulent de génie, ce que va confirmer «Return Of The Spiders (For Gene Vincent)», cut hyper-tendu, wild as fuck et solid as hell. Bux et Bruce jouent à jets continus, les attacks se croisent dans l’effervescence d’une belle apothéose. Pas de plus bel hommage à Gene Vincent ! Neal Smith et Dunaway fournissent la tension, Smith bat ça tout droit comme le mec des Amboys Dukes dans «Baby Please Don’t Go». Après ça, il n’aura plus rien à prouver. Dommage que tout l’album ne reste pas perché à ce niveau d’excellence. C’est d’autant plus dommage que s’ensuivent des cuts d’une rare stupidité. Il faut attendre la fin, c’est-à-dire «Lay Down And Die Goodbye» pour retrouver le heavy psyché des tranchées de la Somme, avec la gadoue de fuzz et les obus de mortier. Bux et Bruce grattent leur heavy gaga et ça prend vite des tournures conséquentes. Comme c’est un cut long, attention aux embûches. Ces mecs sentent qu’ils deviennent des pros et ils deviendront même des légendes, alors ça les galvanise. Il faut donc leur faire confiance. Mais chacun sait que la confiance n’a qu’un œil. Ils basculent dans l’expérimental. Tant pis pour eux. Ils se tirent une branche dans le pied en voulant faire du bruitisme à la Zappa, exactement le genre de truc qu’on fuit comme la peste. Les collages sonores n’intéressent que les colleurs.

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    C’est en 1970 qu’ils rencontrent Bob Ezrin qui va devenir leur producteur et donc l’artisan de leur succès commercial. Et c’est là où les ennuis commencent. Malgré sa pochette fantastique, Love It To Death est un album catastrophique, car privé de relief. Dommage car ça s’ouvre sur la belle pop de «Caught In A Dream», Bux et Bruce grattent bien leurs poux, sur un beat assez sloppy, pour ne pas dire erratique. Comme le dit si bien Dunaway, ils se prennent au jeu. C’est avec «I’m Eighteen» que le personnage pas très sympa d’Alice Cooper commence à dévoiler son jeu. Désolé monsieur l’opportuniste, ce n’est pas bon. Si on écoute le «Black Juju» de 9 minutes, c’est uniquement par curiosité. Il faut s’attendre au pire, et c’est bien le pire, car joué à l’orgue. Il faut s’armer de patience pour écouter cette daube. Ces imbéciles croient faire du voodoo, mais en fait ils coulent leur album. «Black Juju» est l’archétype du cut complaisant et insuffisant. On essaye de se remonter le moral avec l’«Is It My Body» qui sonne un peu gaga, mais c’est très spécial. Bux et Bruce tentent de sauver les meubles, ça se sent. Ils continuent de s’enliser avec «Hallowed Be My Name», un cut affreusement mal chanté. La voix est mauvaise, renfrognée, à l’image de son mental calculateur. Dommage car il a derrière lui de bons musiciens. Le reste des cuts est du même ton, rédhibitoire, une sorte de prog aquatique, atroce, avec des palmes. Disgusting.

    En 1971, Dunaway et ses copains s’installent dans un domaine légendaire, le Galosi Estate, Connecticut, pas très loin de New York. Dunaway en profite pour faire le point : «On avait une maison, une salle de répète, un bon équipement, un contrat avec un label, deux grands producteurs, et notre ration de good-looking girls. Killer was going to be one hell of an album.»

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    Ils se pourrait bien que Killer soit non seulement le meilleur album de l’Alice Cooper gang, mais aussi son seul bon album, ne serait-ce que par la présence d’«Under My Wheels». Avec ce hit, Dunaway et ses copains grimpent au sommet de l’US rock, c’est merveilleusement chanté et roulé au got you under les aisselles. S’ensuit un «Be My Lover» qui plaît bien parce qu’un brin glam. Ce groupe jouait alors son va-tout, avec une vraie voix, une belle basse, un sérieux drumbeat et deux belles guitares qui ne la ramènent pas trop. Et puis l’affaire se corse avec «Halos & Flies». C’est là que commence à se creuser le déficit composital qui va entraîner la chute de la maison Usher Cooper. On y dénote une détestable absence d’inspiration qui les fait redescendre en deuxième division. Ce n’est pas bon du tout, mais alors pas bon du tout. Berk. On perd l’éclat d’«Under My Wheels». Ils retrouvent un peu de répondant en B avec «You Drive Me Nervous» et la carence compositale attaque la fin de l’album qui est catastrophique. Ces mecs sont incapables de tenir la distance d’un album. Ils terminent avec le morceau titre, plus ambitieux et certainement le plus intéressant après Wheels.

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    Contre toute attente, Killer fait un carton. En route pour la gloire ! Le tiroir caisse s’emballe et les tournées se multiplient. Le groupe tourne trop. Dunaway en halète encore : «Le premier stade du burn-out, c’est de se réveiller et de ne plus savoir dans quelle ville on est. Le deuxième stade, c’est d’avoir à demander à quelqu’un d’autre le nom de la ville où on se trouve. Le troisième stade, c’est de s’en foutre.» Ça fait des années qu’ils tournent, mais avec le succès de Killer, la pression augmente considérablement. Bien sûr, les drogues entrent dans la danse et Bux passe à l’hero. Here we go !

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    Nouvel album suicide avec School’s Out paru l’année suivante. Curieusement, l’album se vend bien. C’est dire si le monde d’alors pouvait être inquiétant. Ne parlons pas du monde d’aujourd’hui. Personne n’ose plus sortir dans la rue. On met ça sur le compte de la peste noire, mais non, c’est le monde extérieur qui fout la trouille. School’s Out sonne comme un non-album, même s’ils rendent hommage au vieux West Side Story de Leonard Bernstein. C’est Dunaway qui joue le passage de miaou à la basse. Cet album est un cas intéressant : un succès commercial qui est en même temps un échec artistique. You’re so very cool ! Tu parles Charles Cooper ! Avec ce «Blue Turk», ils tentent une drôle d’aventure dans la dentelle. Le «My Stars» qui ouvre le bal des maudits de la B est trop baroque. Ça ne peut plaire qu’aux fans d’Alice Cooper solo. C’est un monde à part, un peu pénible. Heureusement, Bux vient l’éclairer d’un beau solo. Mais le cut n’a aucun intérêt. On s’ennuyait comme un rat mort à l’époque. Pour se distraire, on ouvrait le pupitre en carton et on tripotait la culotte en papier avec laquelle ces imbéciles de Warner avaient packagé le vinyle. Tout sonnait faux dans cet album, sauf «Public Animal #9» qui gagatait bien, pulsé aux hey hey hey, un cut qui méritait une médaille car il sauvait l’album.

    En fait, ces albums étaient frustrants, car on avait trop fantasmé sur ce groupe. Chaque nouvel album sonnait le glas de la déception. Bux, Bruce et Neal Smith étaient un peu des héros, mais ils s’engluaient dans un truc qui ne leur correspondait pas.

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    Nouvelle tentative de réconciliation en 1973 avec Muscle Of Love et sa non-pochette. Et aussi ses non-cuts. Dès «Big Apple Dream» on savait à quoi s’en tenir : insupportable de médiocrité. La petite pop-rock de «Never Been Sold Before» manquait tragiquement d’inspiration. Bux pouvait y passer un solo, ça ne changeait pas grand chose. Ils ramenaient du dixieland dans «Crazy Little Child» et poursuivaient avec un «Working Up A Sweat» tellement cousu de fil blanc qu’ils devaient bien se douter que ça ne pouvait pas marcher. Ces pauvres gamins de Phoenix continuaient de dégringoler avec leur morceau titre. Mais au fond, on se demande vraiment pourquoi Alice Cooper va se séparer de Bux et Bruce. Peut-être leur fait-il porter la responsabilité du manque d’inspiration ? On a pourtant le sentiment qu’il ruine tous les cuts dès qu’il ouvre le bec. Le problème c’est que ça crève les yeux. Le seul cut que l’album qui passe bien est ce balladif pop-rock intitulé «Teenage Lament 74» qui tourne à la wild ride. Bux tente ici et là quelques glissades vénéneuses, mais on sent le groupe en fin de course. Il ne se passe rien dans «Woman Machine». Strictement rien.

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    Dernier spasme du groupe avec Billion Dollar Babies paru la même année. «Hello Hooray» est devenu une sorte de hit, mais on se demande bien pourquoi, car il ne s’y passe rien. «Raped & Frazin’» n’a rien dans la culotte. On a de la peine pour eux. Alors évidemment Alice Cooper solo rafle la mise avec «Elected» et sa façon de chanter crapuleuse. On entendait ça dans tous les jukes à l’époque et c’était insupportable. Difficile d’entrer dans l’univers de cet album. Ils font encore semblant d’être un groupe, mais ça manigance par derrière. Les choix sont faits : le chanteur oui, mais pas les autres. C’est comme ça que le Colonel a viré Bill Black et Scotty Moore, pour miser sur un seul canasson, Elvis. Les mecs de Warner misent sur leur canasson, Alice Cooper solo, et les autres, basta ! C’est curieux comme les cuts sont mauvais sur cet album honteusement surévalué. À l’époque, on s’entichait encore de «No More Mister Nice Guy», mais bon, ça ne vole pas haut. Écoutez plutôt celui d’Halfnelson. On reste sur cette impression que le chanteur gâte un groupe qui est excellent. Comme si Vince Furnier coulait Alice Cooper en faisant du Alice Cooper solo. «Sick Things» est la torpille fatale qui coule définitivement l’album. On voit rarement des projets tourner aussi mal. Bux, Bruce, Neal Smith et Dunaway ne parviennent plus à rallumer la flamme d’«Under My Wheels». C’est encore Bux qui fait tout le boulot sur cet «I Love The Dead» si mal chanté. Bux et les autres jouent leur dernière carte, celle d’un va-tout de la dernière chance, mais ils ne savent pas encore qu’ils sont condamnés.

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    La fin de l’histoire du groupe est assez glauque. Dunaway, Neal Smith, Glen Buxton et Michael Bruce sont virés sans être virés, on ne leur dit rien, c’est à eux d’en tirer les conclusions. Pour des raisons bassement matérielles, le management mise sur Alice Cooper solo : une part au lieu de cinq. Alors, chacun fait des albums solo dans son coin. Alice Cooper démarre avec Welcome In My Nightmare, produit par Ezrin, avec Dick Wagner et Steve Hunter aux guitares. Quand Welcome arrive à l’affiche du Madison Square Garden, Dunaway se voit interdire l’accès au backstage. Les vigiles ouvrent une porte sur le côté et chassent le pauvre Dunaway comme un malpropre. Dégage ! La presse n’a d’yeux que pour Alice Cooper solo. Le pire, dit Dunaway, c’est qu’on ne leur dit absolument rien : «À cette époque, la boîte aux lettres me terrorisait. Il n’y avait aucune communication avec le management. On ne nous a jamais informé officiellement qu’on était virés du groupe. Je croyais encore à un miracle.» Il poursuit : «Après dix longues années, il devint clair qu’Alice Cooper n’était plus notre groupe. Tout ce qu’on avait créé nous avait filé entre les doigts. C’était une période extrêmement sombre. Comme si on avait chassé ma vie sous le tapis. Un jour j’étais une rock star et le lendemain, j’étais indésirable. Boom. Dégage.» La pauvre Dunaway dit aussi que des groupes comme Kiss, les Dolls, Mötley Crue, Twisted Sister se sont inspirés de ce qu’il appelle our harlot culture. Il a raison de le préciser. On l’aime bien le petit Dunaway, avec son regard absent et ses rêves de kid arizonien. Même si son livre laisse un goût amer, on le préfère cent fois au m’as-tu vu parvenu qui n’a eu aucun scrupule à se débarrasser de ses copains d’école.

    Signé : Cazengler, Alice coupaire

    Alice Cooper. Pretties For You. Straight 1969

    Alice Cooper. Easy Action. Straight 1970

    Alice Cooper. Love It To Death. Straight 1971

    Alice Cooper. Killer. Warner Bros. Records 1971

    Alice Cooper. School’s Out. Warner Bros. Records 1972

    Alice Cooper. Muscle Of Love. Warner Bros. Records 1973

    Alice Cooper. Billion Dollar Babies. Warner Bros. Records 1973

    Dennis Dunaway. Snakes Guillotines Electric Chairs. My Adventures In The Alice Cooper Group. St. Martin’s Press 2015

    *

    C'est terrible je crois que j'ai attrapé une jarsiste aigüe, dans mon malheur une seule consolation, pour une fois le gouvernement n'a pas pris les mesures appropriées, je peux donc contaminer la population de la terre entière sans me sentir coupable de quoi que ce soit. Donc aucune retenue, gros plan sur le premier album de Jars, j'avais fait l'impasse dessus, sur ce coup-là, je reconnais mon erreur, j'espère que l'on ne me condamnera pas pour rétention d'information de première importance. Oreilles sensibles abstenez vous.

    JARS

    ( 2011 )

    Drôle de couve. Le premier plan est d'une banalité affligeante, une route bordée d'une haie, admettons de fusain – est-ce que ce végétal pousse en la tchékovienne steppe russe ? - ensuite une bande de terre d'une teinte rosâtre inusitée, avec cette espèce d'engin filiforme planté au milieu, on ne sait pas trop ce que c'est, disons une espèce de poteau électrique, sûr il n'y a pas de fils qui en partent, ou alors un filament bizarre, presque invisible, qui monte tout droit vers le ciel. Qui n'est pas bleu, l'est si blanc que l'on se demande si ce n'est pas seulement le support originel de l'image qu'un artiste négligent aurait laissé en blanc. Jusque-là tout va bien, même si en votre fort intérieur vous ne pouvez ressentir une ombre de malaise s'insinuer en vous. La peur vous gagne sur la gauche. Dans le lointain trois dégagements de fumée d'un rouge maladif, se réunissent en un énorme panache qui bouffe jusqu'au haut de la pochette. Ne serait-ce point une représentation de la centrale nucléaire de Tchernobyl qui vient d'exploser. Des idées noires se forment dans votre tête, ce qui n'est pas vraiment grave quand on pense à la nullité que vous représentez sur cette planète, par contre ce qui est affolant c'est que l'énorme panache de fumée rouge devient tout noir. Pratiquement sans prévenir, une ligne droite, une frontière rectiligne, normalement selon la théorie mathématique des catastrophes ça ne devrait pas se passer ainsi, les courbures des volutes répondent à des lois hasardeuses mais les probabilités du possible écartent ce type de réalisation, hélas le plus grave n'est pas là. J'ai dit noir, mais si vous regardez attentivement une nuance imperceptible s'impose, ce n'est pas noir, mais vert, foncé certes, mais cela ne ressemble pas à de la fumée mais possède une texture grumeleuse à l'imitation de feuillages que l'on retrouve dans les toiles les plus mystérieuses de Magritte. Etrange ! S'il vous plaît ne portez pas vos globes oculaires à l'extrémité de ce feuillage d'un autre monde, à l'endroit exact où dans les cieux les nuages de fumée commencent à se désagréger. Le houppier de cet arbre ( faussement ) céleste s'effiloche et l'on perçoit des rameaux effilés qui se détachent de la masse compacte. Il est encore de temps de vous éloigner, pensez à vos rêves peuplés de cauchemars... Tant pis pour vous. Délaissez votre vision botanique, n'est-ce pas l'aile immense d'un corbeau qui s'impose, celui maléfique du poème d'Edgar Poe. Les esprits forts s'amuseront : les ailes noires d'un corbeau sont bien noires affirmeront-ils tout moqueurs pour préciser que leur base n'est jamais rouge. Intelligences étroites, n'avez-vous jamais entendu de la signification grapho-symbologique de l'aile de corbeau dans les écrits alchimiques, la marque de l'expérience de la pierre rouge qui rate et redevient sombre materia prima, le corbeau n'est-il pas l'image du phénix qui ne renaît pas de ses cendres.

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    Je vous laisse méditer sur la noirceur désespérée de cette pochette.

    Anton / Konstantin / Sergey / Leonid

    Pentacar ( Inverted me ) : très rock, les guitares qui froncent le son de colère et un crécelle vocalique rauque qui n'est pas sans rappeler AC / DC, l'on croit être parti pour un bon rock sauvage, mais la basse appuie si fort que l'on est ailleurs, loin des australiens rivages, un gars qui hurle son envie de solitude, qui n'en peut plus des attentions que lui portent les autres, z'avez l'impression que la batterie massacre les crânes de vos amis à coups de batte de baseball pendant que le couteau électrique géant de la guitare découpe le corps des vos copines envahissantes. La deuxième partie du morceau s'atomise en une sanguinolente boucherie de bas étage. Crise de paranoïa aigüe. C'est fou ce que l'être humain possède de virtualités inemployées. Heureusement que la musique adoucit les mœurs. Que serait-ce sans cela ! Don't wanna visit your show : Cordes menaçantes, le gars hurle, plus seulement paranoïaque pour deux sous, vous pique une crise de jalousie hystérique dont même le Marquis de Sade n'a pas eu la prescience. Les instrus imitent ce qui se passe dans sa tête, pas beau à voir, magnifique à entendre. Ici les analystes se serviront de cette piste pour expliquer comment le jusqu'au-boutisme rock s'est historialement transformé en noise-rock. Song to sing alone : après les deux crises de folie furieuse vous comprendrez que le gars a un besoin urgent de changer de milieu. Alors comme le poëte lamartinien sur son vallon, il jette un regard mélancolique sur tout ce qu'il va abandonner. Bref c'est un blues. Ou plutôt un ravage mental qui voudrait donner le change et ressembler à un blues, il y a bien une guitare dans un coin qui fait semblant de pleurer, mais l'ensemble ressemble à un écroulement d'une pyramide d'un millier de boîtes de conserves dans un supermarché, le gars sort ses tripes de son gosier et joue de la lyre dessus. Quand on nous dit que les slaves ont une sensibilité exacerbée, après l'écoute de ce morceau vous pigerez. Les Possédés de Dostoïevski mis en musique. I rise – You shine : le gars hurle tel un goret dans son auge que l'on est en train d'égorger, les instrus essayent de le couvrir, arrivent à le faire taire durant trente secondes de pont, mais depuis le parapet vous gagne l'envie de vous suicider pour échapper au pandémonium qui suit, l'est tout seul le gars, lui reste encore un ennui et un ennemi, c'est lui-même. Instrumentation sans pitié pour vos neurones. Est-il possible de meugler si fort ? Roughside song : le titre ne pousse pas à l'optimisme. Vous n'aimeriez pas être à la place du gars, du bruit dans votre caboche qui cloche, la musique résonne comme ces coups de cognées que les bûcherons manient pour abattre les arbres des certitudes mentales : le gars ne sait plus où il en est, ce qu'il vit est-ce la réalité, ou un scénario qu'il édifie dans sa tête, alors il crie pour fondre les barreaux d'une prison peut-être imaginaire. La musique rampe, comme vous quand on vous a coupé les bras et les jambes. Eprouvant. Larsens loopingés. Highway : dernier morceau, la violence de la musique, vous force à réfléchir, difficile parmi les hurlements du gars, vous croyez qu'il est fou, et si ce n'était qu'une métaphore politique d'une société qui vous enferme dans la seule prison dont vous ne pouvez vous échapper, celle de votre chair, celle de votre esprit, la cacophonie instrumentale s'allonge comme une vis sans fin, il faudra encore supporter des effondrements des murs du son de la batterie, des portes de prison psychique qui claquent ne font pas de bruit plus destroy-cyniques.

    A première écoute je m'étais dit, ils ont réuni tous leurs titres les plus percutants pour ce premier album. Beaucoup plus que cela, un véritable concept album, l'on est loin des malaises psychologiques petits-bourgeois de Tommy des Who. A l'image d'une société russe avec laquelle la nôtre présente de troublantes et négatives ressemblances.

    Damie Chad.

    SOUL TIME

    LONELY FOR YOU BABY

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    Z'ont un culot monstre chez Soul Time, lonely et puis quoi encore ! J'espère que lors de votre dernière virée dans les bayous vous n'avez pas négligemment laissé traîner votre main dans l'eau et qu'un alligator affamé ne vous a pas croqué en guise de biscuit apéritif deux ou trois doigts parce que là vous avez besoin de la dizaine réglementaire, si vous ne me croyez pas comptez avec moi, un: Torz Rovers officie à la batterie, deux : Laurent Ponce, ne lui jetez pas la pierre s'il joue de la trompette, trois : Mathieu Thierry ténorise au sax, un homme qui a du chœur, quatre : Richard Mazza en fait des tonnes au baryton, cinq : Julien Macias n'y va pas doucement à la basse, six : François Fraysse joue le rôle du guitar-héros, sept :Thierry Lesage pianote sur son clavier, huit : tout s'éclaire Claire Franjeau bichonne la porcelaine de sax alto, encore une qui ne manque pas de chœur, la numéro neuf et la numéro dix, ne sont pas sur la photo à cause des aléas du confinement, se prénomment Carla et Lucie et occupent toutes deux le poste de lead-singer. Un véritable big band pour un futur big bang.

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    De cette marée humaine nous ne connaissons que Torz Rovers, martelait déjà la grosse caisse de Midnight Rovers dans notre livraison 149 du 20 / 06 / 2013 à La Miroiterie, un haut-lieu de l'underground-alternatif dont la mairie de Paris a fini - tous les prétextes sont bons pour empêcher les squats-culturels de survivre - par fermer...

    Proviennent de tous les horizons, rock, jazz, ska, reggae, soul, mais se sont retrouvés autour de ce nouveau projet Northern Soul, rien de bien neuf, mais ce qui compte c'est la part de son âme qu'on engage.

    Pour le moment n'est accessible qu'un sel morceau sur You Tube, on ne les voit pas, juste un disque qui tourne, un conseil ne le regardez pas, vous entendrez mieux. Une reprise de Sam Dees – il a été producteur chez Chess ce qui vous classe un homme – le Lonely for you baby qui est devenu un ( peut-être, le ) classique de la Northern Soul, autant dire que Soul Time ne manque pas d'ambition.

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    Je commence par être pointilleux : inutile de préciser qu'ils ne surpassent pas l'original, indépassable par définition. Mais n'ont pas non plus à rougir d'eux. Perso j'aurais inversé le mix, les cuivres devant et la rythmique sur la pédale douce, faut que ça rutile et que ça fasse du bruit comme trente boîtes de conserves ficelées au pare-choc de la voiture de votre percepteur, du malpropre hasardeux, mais si la fanfare mène la charge rien ne lui résistera. Le solo de sax scratché est très bon, trop bon, je l'eusse gardé pour un dérapage final incontrôlé.

    Je finis par tresser des couronnes : la chanteuse, je ne sais si c'est Carla ou Lucie, elle y va franco, et ce n'est pas facile, excusez-moi de cette remarque genrée, mais Lonely for you baby, ça sent le mec, une fille ne le dirait pas comme cela, alors Carlu ou Lacie, elle y jette toute sa gourme, elle vous crache le morceau et tient le haut du pavé c'est elle qui entraîne les cuivres à sa suite, et ça déménage, une vraie reine. Ne vocifère pas. Survole. Autre remarque importante, sont bien tous réunis, pas un qui traînasse en queue de peloton ou qui sprinte à quinze mesures devant le troupeau attardé, tous ensemble, on sent qu'ils vont gagner. Misent sur la musique et pas sur la danse. Z'ont déjà le secret de la réussite. Ne se sont pas embarqués sans biscuits, et ils ont les dents longues pour les dévorer, et vous avec.

    Bref on attend la suite avec impatience.

    Damie Chad.

    THE SPY

    KLONE

    On parlait d'eux voici trois semaines ( in Kr'tnt ! 484 du 12 / 11 / 2020 ) dans les regards conjoints sur les spectacles métalliques auxquels Hélène Crochet organisatrice des Apéros 77 et blogueuse sur égoutmetal et mézigue pâteux avons depuis la fosse aux lions participé sans nous connaître. Elle n'avait pas aimé la prestation de Klone, pas spécialement celle de ce soir-là mais la sorte de musique qu'ils pratiquent, perso j'avoue que si je préfère les tintouins méchamment plus électriques, je dois reconnaître que leur live fut en leur style particulièrement réussi. Et voici que dans mon fil FB deux mots attirent mon attention, deux minuscules syllabes de trois lettres chacune, The Spy, tiens une vidéo des Doors, tout ce qui touche à Jim Morrison m'intéresse, non ce ne sont point les Doors, mais Klone qui ont repris le morceau des Doors. Faut un sacré culot en ce bas monde pour s'offrir de telles fantaisies.

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    En septembre 2019 Klone a sorti son sixième album, intitulé Le Grand Voyage, chanté en anglais, qui fut fort loué et moult encensé sur tous les webzines métalleux du pays. L'est vrai que l'album en impose. L'on en a dressé l'oreille jusqu'aux States, avec cet opus Klone a atteint un haut niveau d'intensité, joue désormais dans le haut du panier international en leur genre que nous qualifierons de progressive-metal. Même si les étiquettes sont faites pour être arrachées. Rien qu'au soin apporté à la pochette, l'on comprenait que Klone avait compris que le rock doit être appréhendé en tant qu'art total et que rien ne doit être laissé au hasard. En juin Klone sortit une vidéo officielle sur You-Tube, de Yonder le titre qui fit l'unanimité dans les multiples chroniques qui saluèrent la sortie du disque. Pas tout à fait une vidéo, eux-mêmes la qualifient de short-film. L'est sûr que dans un festival de courts-métrages poétiques Yonder aurait toutes les chances de remporter le premier prix. La beauté des images est à couper le souffle. Un homme vêtu de noir – large chapeau qui n'est pas sans évoquer les premières images des Aventuriers de l'Arche Perdue, ou pour ceux qui aiment les références françaises la silhouette de Johnny Hallyday dans Le spécialiste – c'est tout. Scénario d'une simplicité sublime. L'homme dont on ne sait rien, tout comme vous, marche vers son destin. Ne vous réjouissez pas trop de la comparaison, va d'un pas tranquille vers la mort. Mais au contraire de vous, il traverse des montagnes désertiques de rocs et de sables nimbées d'une merveilleuse lumière orange. Comme quoi un voyage, fût-il grand peut mal se terminer.

    L'album possède neuf titres + une gosth track : la reprise de The Spy des Doors.

    The Spy figure sur le cinquième album des Doors, enregistré en 1970. Belle pochette, la photo a été prise impromptue, les Doors passent devant l'hôtel par hasard, le gérant leur refuse la permission de take the pic, ils repassent plus tard devant la vitrine, la salle d'accueil est vide, ils se précipitent, s'installent au comptoir, dans la boîte en quelques secondes, ils s'esquivent, ni vus, ni connus. Hormis cette anecdote, le disque est une réussite parfaite. Les disques des Doors, à l'exception de The Soft Parade qui développe peut-être le concept le plus intéressant mais qui reste inabouti, sont autant des objets-rock incontournables que des objets de poésie. Ptyx mallarméens assez rares. Cela tient à la qualité des morceaux certes mais avant tout à cette étrange atmosphère dans laquelle ils baignent. Synesthésiquement parlant, Morisson Hôtel flotte dans une mystérieuse aura d'algue verte...

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    Derrière Klone se trouve la Klonosphère, groupes centrés sur la région de Dijon, les anciens membres, le groupe de scène, le groupe qui enregistre en studio. D'autres formations avec lesquelles certains membres jouent aussi. Nous sommes très loin par exemple des rencontres hasardeuses qui au milieu des années soixante ont permis à un groupe de rock comme Variations de se réunir. Il existe tout un background artistique derrière Klone, en un demi-siècle un véritable terreau french-rock a vu le jour. La tête pensante et actante de Klone est formée du trio : Guillaume Bernard ( guitare ), Aldrick Guadagnino ( guitare ) Yann Ligner ( chant ). C'est sur ce dernier, doté d'une technique vocale prodigieuse que repose le groupe, ce qui ne signifie pas que les autres sont des tâcherons ou des mercenaires, quant le chant est pointu, les accompagnateurs ne sauraient être obtus. D'ailleurs pour s'attaquer à une reprise des Doors, faut être, je reprends un adjectif qui revient souvent dans les articles qui leur sont consacrés, couillus.

    THE SPY / DOORS

    ( version avec lyrics sur YT )

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    Au juste c'est quoi The Spy. Pas autre chose qu'un blues. La version remastérised 2020 le démontre à l'excès. Lorsque l'on a restauré le plafond de la Chapellle Sixtine et que l'on a découvert ses couleurs tendres et crues, l'on a crié au scandale. Mais personne n'était assez âgé pour se vanter d'avoir vu les teintes originales. Pour les Doors, les versions non-remastérisées sont encore dans l'oreille de beaucoup de monde, et certains ont gardé avec soin leurs microsillons et le matériel d'écoute adéquat. Le confort d'écoute moderne d'aujourd'hui sera jugé totalement obsolète dans un demi-siècle, qu'écouteront au juste nos descendants, la magie des Doors ne se sera-t-elle pas totalement évaporée... Donc un blues, mais transfiguré, la blue note métamorphosée en ritournelle qui devient vite obsédante. Et puis de temps en temps, les Doors descendent le rideau de fer avalanchique de l'orchestration, bien chiche et frustre certes car le trio des musicos n'use guère d'additifs ou de subterfuges. N'en éprouvent pas la nécessité, z'ont mieux à leur disposition qu'un orchestre symphonique, le plus bel instrument qui ait jamais été inventé, la voix humaine. Mais là ce n'est pas la voix de n'importe qui, celle de Jim Morrison, chargée de mystère, de profondeur, baignée d'une lointaine mélancolie, mais si présente en vous qu'il vous semble que le roi lézard chantonne à votre oreille, rien que pour vous. C'est d'ailleurs le sujet de la chanson. L'espion qui connaît tout de vous, vos rêves, vos envies, vos désirs. Des espions de cette sorte qui murmurent à votre âme vous en connaissez beaucoup, qu'ils vous tendent leurs livres, ou leurs tableaux, leurs films, leurs poèmes... Cela Morrison, le sait très bien, l'énonce avec des mots très simples, I'm the spy qu'il dit, O. K Jim on a compris, et c'est là que l'animal érectile morrissonien vous plante son dard dans le dos, cinq mots qu'un élève de sixième comprend sans difficulté, in the house of love, le mystère et le mal-être s'épaississent, ce n'est plus un mec qui vous embrouille à l'épate en faisant des claquettes solfégiques, il vous le chuchote dans le cou tel un secret honteux, l'a sorti son arme fatale, son organe vocal, ce n'est plus un espion, c'est pire, c'est l'indiscrétion en personne qui se charge des révélations, n'en parle qu'à vous, mais elle vous plonge dans une inquiétude généralisée, ne serait-ce pas vous qui vous parleriez à vous-même... Et c'est donc à cela que Klone se mesure.

    The Spy / Klone

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    Que voulez-vous, il y a des mecs qui ne doutent de rien, qui déklonent à plein tube. Je n'ai pas voulu les enfoncer, j'ai décidé de leur laisser une chance. J'aurais pu d'abord me conforter dans mon idée de base, en écoutant les Doors en premier lieu, mais non, bon prince, suis allé d'abord à leur version. Sont des malins chez Klone, les Doors vous en mettent plein les oreilles, ne craignez rien, nous aussi, mais en plus vous en aurez plein les yeux. Les deux pour le prix d'un. A croire qu'ils ont fait la chanson pour illustrer la vidéo. De belles images certes, mais tout le monde peut en faire autant, une bonne banque de données, style photos de Géo Magazine et c'est dans la poche. Celle des imbéciles. Je ne sais pas s'ils ont concocté l'affaire en un brain-trust de trente jours avec tentes de sudation obligatoires et jeûnes à répétition à effrayer une armée de spartiates, ou si l'idée géniale est arrivée comme un cheveu sur la soupe. Bordel de bordel, c'est quoi cette house of love. Question irritante. Mais eux ils ont trouvé. Ce n'est pas la réponse qui est intéressante, c'est la manière dont ils vont vous la donner sans le dire, mais en le montrant par des images. Si par hasard ils finissent en prison, portez-leur des oranges, car ce sont des adeptes de leur couleur. Font ainsi le lien avec la vidéo de Yonder. Superbes paysages, au loin une ville, laquelle, n'importe laquelle, la Cité Morrissonienne par excellence celle qui ouvre le recueil de The Lords & The New Creatures. '' La ville forme souvent physiquement mais inévitablement psychiquement un cercle. Un anneau de mort avec le sexe à son centre'' . Mais ne s'arrêtent pas là. La courbure du globe apparaît à l'horizon et nous voici plus haut que notre monde sublunaire, là où commence l'anneau de l'éther illimité. On se croyait dans une miteuse maison de passes et nous voici dans l'apeiron d'Anaximandre...

    Mais vous vous méfiez des illusionnistes qui vous traumatisent la rétine, alors taisez-vous et écoutez. Vous la prennent un ton plus bas, mais sans trop. L'orgue de Manzareck, l'ont laissé au garage, ce sont les guitares qui s'en chargent avec une basse en même temps lourde et feutrée. Yann Ligner se place dans une lignée jimique, sur les deux premiers vers, vous pensez à une pâle imitation, mais non sa voix monte, monte, plus haut, plus haut, non il ne pousse pas dans l'aigu mais dans l'amplitude, pas sur le spectre horizontal mais sur le vertical, ne s'étend pas en largeur, mais sa voix semble se détacher du cordon musical et se mettre en orbite très haut à l'altitude excentrée d'une planète inconnue, découpe les vers, chaque accentuation nous éloignant de la terre pour le monde des songes, lorsque voix et musique se taisent, l'écran devient noir, et l'on repart vers les étoiles comme si l'on était une sonde spatiale dont l'image aurait été occultée par un astre inaperçu ou la béance d'un trou noir, le morceau est raccourci, condensé, et s'arrête sur l'évocation répétée de cette peur qui grignote nos synapses.

    Une belle réussite. Fidèle aux Doors, aucun iconoclasme nihiliste dans cette démarche qui ouvre une autre voie. Une autre voix.

    Damie Chad.

    P. S. : il existe une version 2, Jim avec un accompagnement style piano-bastringue, qui efface l'atmosphère angoissante, la voix de Jim est beaucoup plus désinvolte, un peu comme un assassin qui plaisante avec sa victime qu'il tuera dans quelques heures. Sur le pont le piano se permet quelques discrètes dissonances jazzy qui installent l'amorce d'un malaise. Ne vaut pas celle qui a été retenue, bien qu'elle soit digne d'attention.

     

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    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    Nous l'invitâmes à boire un café. Il parut soulagé mais se confondit en excuses, soucieux de nous poser tant de tracas, une fois assis à table, nous n'eûmes pas besoin de l'interroger. Il raconta d'un seul trait son terrible destin.

      • Je m'appelle Jean-Pierre Dupont, j'avais six ans lorsque je fus victime d'un terrible accident de voiture. Mes parents étaient morts. Moi aussi. On nous transporta à la morgue. C'est-là qu'un chirurgien s'est intéressé à mon cadavre. Pour une noble cause, il devait le lendemain recoudre une main à une personne accidentée à son travail. Une opération difficile, par conscience professionnelle il voulait s'entraîner, dans mon malheur j'avais eu les deux mains tranchées, écrasées, réduites en charpies. Pour mon bonheur – excusez-moi, c'est ainsi – deux autres enfants étaient décédés dans le service de cancérologie, leur taille correspondait à la mienne. Emporté par l'amour immodéré de son métier et le désir de renvoyer un ouvrier au plus vite au boulot, Auguste – c'est le prénom du chirurgien - m'a greffé deux mains au bout de chacun de mes deux moignons. C'est alors que je me suis réveillé. Je n'étais pas vraiment mort. Auguste s'est affolé, il a vu sa carrière brisée, mais c'était un homme bon et intègre, il m'a emporté chez lui... Durant des mois il m'a soigné, au bout de deux ans j'avais récupéré l'usage de ces quatre mains qui n'étaient pas à moi...

      • Voilà qui n'est pas banal, murmura le Chef, j'en profite pour allumer un Coronado, mais qui vous a dit de venir nous trouver ?

      • Encore une longue histoire... Auguste m'a gardé chez lui, il ne savait pas quoi faire de moi, s'il me mettait à l'école, il y aurait une enquête, alors j'ai toujours vécu avec lui, il m'a appris à lire, à écrire, s'est très bien occupé de moi, un deuxième papa, il me disait que quand je serais grand il m'inscrirait à l'université, mais je n'ai pas voulu, je suis resté avec lui, le monde me faisait peur... aujourd'hui j'ai vingt-deux ans, il est mort l'année dernière, à son enterrement je me suis habillé de ce grand imperméable pour que personne ne voie mes mains et j'ai continué à vivre dans la maison, en me faisant livrer ce dont j'avais besoin...

    Alfred servit le café. Je ne pouvais détacher mes yeux des mains de Jean-Pierre, avec une il remuait le sucre tandis que sa voisine trempait un petit gâteau dans la tasse...

      • J'ai essayé de rentrer en contact avec des gens... j'avais peur, je me suis dit que ce serait plus facile avec des enfants, je suis allé à la sortie d'une école, à cause de mon imperméable et de mes mains dans les poches j'ai été pris pour un exhibitionniste... J'ai été poursuivi par une meute de bonnes femmes en furie... Je ne suis plus jamais sorti de chez moi !

    L'on entendit craquer l'allumette avec laquelle le Chef allumait un nouveau Coronado.

      • Il y a trois jours au fond de la poche d'un veston j'ai trouvé un numéro de téléphone... j'ai appelé on a répondu tout de suite...

    La porte s'ouvrit brutalement. C'était Thérèse...

      • Ils arrivent, s'écria-t-elle !

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    Lors des batailles décisives Napoléon sortait sa lorgnette, le Chef se contenta d'allumer le Coronado des grandes occasions, celui qu'il ne fumait que dans les passes difficiles, facilement reconnaissable à sa robe marquée de stries rouges qui ne sont pas sans rappeler les traits carminés dont les peaux-rouges marquaient leurs poneys lorsqu'ils empruntaient le sentier de la guerre. En quelques secondes la villa s'était transformée en fourmilière. Molossito et le curieux Westie blanchâtre, cornaqués par Molossa effectuaient à toute vitesse des allées venues entre la cuisine et le camion que j'avais rentré en marche arrière dans le jardin. Chacun ramenait dans sa gueule des bouteilles de Moonshine polonais dont Thérèse se hâtait d'enfourner le contenu dans le réservoir du camion et des deux solex. Alfred avait pris l'initiative d'emmener Jean-Pierre dans la cave, où ayant fait basculer un rayonnage de la bibliothèque Alfred dévoila une véritable cache d'armes, trois grosses caisses qu'ils hissèrent dans la benne. Jean-Pierre arborait un lumineux sourire : '' C'est la première fois de ma vie que je m'amuse'' ne cessait-il de répéter en courant de tous les côtés.

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    Je m'installai au volant du Dodge, je ne vous l'avais pas précisé parce que les lectrices n'aiment pas être embêtées avec des détails techniques, mais enfin c'était un de ces véhicules – en reste-il seulement trois en état de marche de nos jours – qui avaient débarqué avec les ricains en 44, petits gabarits, inusables, robustes, capables de pousser un train de marchandises de quarante wagons – roues d'acier sans pneus, j'avais eu la chance inouïe de le dégoter sur le premier chantier que j'avais visité, preuve que les dieux sont du côté de rock'n'roll. Molossito s'était casé sur le plat-bord à gauche du volant, Molossa à droite fut la première à pousser deux aboiements brefs, nous arrivions au niveau du parc où Thérèse et moi... il était rempli de CRS et de gardes mobiles qui ne semblèrent nous accorder qu'une attention amusée, '' Ouah ! Ouah ! Ouah ! '' Molossito s'égosillait, devant nous surgirent d'une rue adjacente, deux énormes camion à eau qui de front s'avancèrent vers nous. Un gars, je reconnus le conseiller du Président qui nous avait si ironiquement congédié lors de notre entrevue, s'avança au milieu de la chaussée et mégaphone en main hurla '' Rendez-vous, vous êtes cernés'' Il n'avait pas tort, derrière le Dodge, CRS et gardes-mobiles s'étaient déployés sur la chaussée pour fermer la nasse. Le piège se refermait.

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    Sur eux. Dans le jardin de la villa le Chef jeta son cigare à terre, c'était le signal. Thérèse mit les gaz de son vélomoteur dopé au moonshine polonais, Alfred l'imita, les pauvres agents de la sécurité publique crurent que deux torpilles téléguidées fonçaient sur eux, ils s'écartèrent et s'égaillèrent dans toutes les directions, mais c'était trop tard, déjà comme Metzengerstein dans la nouvelle d'Edgar Poe poussait son cheval sur les cadavres de ses ennemis, les roues des solex roulèrent sur leurs corps, lorsque les deux vélos arrivèrent à ma hauteur, j'appuyais sur l'accélérateur, j'entrevis le sourire ravageur du Chef qui brandissait un bazooka, Jean-Pierre faisait de même, pour un gars qui n'était jamais sorti de chez lui, il semblait parfaitement à l'aise. Les deux camions citernes déchiquetés de part en part par les roquettes explosèrent, je freinais brutalement le temps de laisser les quatre cavaliers me rejoindre, le Chef s'installa dans la cabine tandis que les trois autres se hissèrent dans la benne.

      • Agent Chad, écrasez-moi ce cloporte au mégaphone pendant que j'allume un Coronado !

      • Voilà, c'est fait Chef, très proprement, le mégaphone n'est même pas cabossé, il ne faut pas dépenser les deniers de l'Etat, déjà que le Président vient de perdre un de ses conseillers !

      • Agent Chad je vous félicite pour votre conduite citoyenne, ne pas gaspiller les impôts de nos concitoyens devrait être le premier souci de tout dirigeant. Mais trêve de bavardages, foncez droit devant, l'ennemi ne va pas tarder à se reprendre ! Tout droit !

      • Tout droit, bien sûr Chef, mais dans quelle direction, au juste !

      • Vers la tour Eiffel, nous allons leur jouer un tour de fer à notre façon !

    ( A suivre... )