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  • CHRONIQUES DE POURPRE 421 : KR'TNT ! 421 : ELECTRIC SOFT PARADE / DADDY LONG LEGS / LES PUNAISES / MOONSHINERS / MASSEY FERGUSON MEMORIAL / CAUSA NOSTRA / JUSTWÄR / TENDRESSE DECHIRANTE / JULIETTE MOREAU / CASONI BLUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 421

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    30 / 05 / 2019

     

    ELECTRIC SOFT PARADE / DADDY LONG LEGS

    LES PUNAISES / LES MOONSHINERS

    MASSEY FERGUSON MEMORIAL / CAUSA NOSTRA

    JUSTWÄR / TENDRESSE DECHIRANTE

    JULIETTE MOREAU / CASONI BLUES

     

    Hit Parade

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    Les frères White auraient très bien pu baptiser leur groupe Electric Soft Paradise, ou même Electric Soft Paradigm. Ils se sont contentés d’un Electric Soft Parade plus proche des Portes de la Perception. On retrouve d’ailleurs cette tendance à la modestie dans leurs propos :

    — Pourquoi n’avez-vous pas explosé avec vos deux premiers albums ?

    — Oh, c’est simple, ça ne nous intéressait pas.

    Les frères White n’aiment pas le bullshit qui accompagne le succès médiatique. Comme Dan Penn, ils préfèrent rester dans l’ombre et composer des chansons parfaites. On trouve aussi cette tendance à préférer rester dans l’ombre chez Paddy McAloon. Souvenez-vous, voici bientôt vingt ans, The Electric Soft Parade rivalisait de verdeur mélodique avec les Boo Radleys de Martin Carr. Alors que le trio de tête de la première vague de grande pop anglaise comprenait les Beatles, les Kinks et les Zombies, le trio de tête de la dernière vague de cette même grande pop anglaise comprend les Boo Radleys, Mansun et The Electric Soft Parade.

     

    Bon, les réputations c’est bien gentil, mais ce sont les disques et bien sûr les concerts qui tranchent. Comme par miracle, les frères White et leur Soft Parade faisaient halte dans un bar rouennais pour donner l’un de ces concerts sans prétention qui marquent les imaginations au fer rouge.

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    Thomas White chante et joue sur une belle Tele à ouïe. Son frangin Alex chante aussi et joue de l’orgue. Ils sont accompagnés par Damo Waters aux drums et de Matthew Twaites à la basse. Ils s’embarquent comme on s’embarquait autrefois pour un long voyage, c’est-à-dire un set interminablement bon, une sorte de vaste panoramique de leur ‘carrière’.

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    Leur pop haute en couleurs tient si bien la route qu’on s’étonne de voir le temps passer si vite avec autant de cuts. Et dès «Brother» tiré d’Idiots, on entre au Paradis d’Electric Soft Paradise. Thomas White chante tellement à l’unisson du saucisson qu’un parfum de magie se met à flotter dans l’air confiné de la petite cave. Ils enchaînent avec les miraculeux «Things I’ve Done» et «Bruxellisation» tirés du deuxième album, du grand cru qui met toutes les oreilles au diapason.

     

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    Ces bright Brightoniens savent briller au firmament. Ils tirent aussi l’excellent «Lose Yr Frown» de la même cambuse, ce petit album à pochette blanche qui faillit passer inaperçu à sa parution en 2003. Ils vont encore tirer trois cuts de cet album fatidique, «The Wrongest Thing In Town», «Chaos» et «Existing». Par contre, ils ne tapent pas trop dans leur premier album, deux cuts, peut-être, des cuts de silence, «There’s A Silence» et «Silent To The Dark». N’oublions pas le plus important, celui qu’on attend au virage, l’effarant «Empty At The End» que chante Alex en se tortillant derrière son clavier.

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    Pur moment de magie mélodique qui nous renvoie directement à ce qu’il peut exister de plus pur dans le monde de la pop, qu’il s’agisse du Brill Building, de John Lennon ou de Dan Penn. C’est la sainte beauté du dieu miséricordieux des pauvres pêcheurs pêchez pour nous sonnés au tocsin d’angelus d’un pot de Millet de la seule maille qui m’aille, dans cette lumière sourde des champs bernagores bernés et si gores, une façon de dire ‘tu ne t’en sortiras pas comme ça’, et pourtant si, Empty décolle et les dévots s’envolent à la suite dans la poussière d’étoiles. «Empty At The End» est à la pop anglaise ce qu’«Il Patinait Merveilleusement» du doux Verlaine est à la langue française : une perle noire scintillant dans un écrin rouge, une métaphore qui pourrait signifier l’abolition du temps.

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    On retrouve cette merveille fluorescente sur Holes In The Wall, un premier album paru en 2001. À la première écoute, Empty sonne comme un vieux ratafia de riffing pop, mais on voit monter une petite fièvre harmonique qui finit par devenir capiteuse, aussi capiteuse que le parfum d’une pute de luxe. La montée passe de l’état capiteux à celui d’inespéré.

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    Les frères White développent là de fantastiques potentiels d’exactions exhaustives, ils ouvrent un nouveau chapitre de la science des profondeurs du ciel. Ces mecs tapent sans vergogne dans l’indicible véracité de la beauté du geste. On les voit aussi balancer par dessus les toits «There’s A Silence». Ils proposent un son d’une rare puissance, ils travaillent all over the rainbow, ils se veulent démultiplicateurs de grandeur, comme le sont à leur façon Mercury Rev et Mansun. C’est absolument terrifiant de qualité. On le sent d’ailleurs dès le «Start Again» d’ouverture de bal, ils se positionnent immédiatement comme des formalisateurs de grandeur, comme des popsters doués de pouvoirs chamaniques. Ils pratiquent l’art de la véhémence. L’autre chef-d’œuvre s’appelle «Sleep Alone». Ça sonne tout simplement comme un hit. Tout le monde connaît ce hit, car il passait à la radio. C’est encore une merveille invétérée, car chantée à l’ambigu du menton et jouée aux meilleures auspices. Ils proposent aussi un «This Given Line» sacrément incrémenté. Ils savent clouer une chouette sur la porte de la pop et lancer des cohortes des bons accords anglais à l’assaut du ciel. Ils savent s’envoler vers les cimes, c’est leur truc. Ils tapent là un nouveau hit exemplaire, bardé d’envergure, jeté en pâture à l’écho du temps qui comme Saturne dévore sa descendance. On les voit aussi amener «Biting The Soles Of My Feet» à la petite colère de bonne aventure. Les frères White maîtrisent l’art du gratté sévère et savent se montrer pertinents, mais ça ne décolle pas à tous les coups, n’exagérons pas. Ils terminent avec un «Red Balloon For Me» qui sonne comme un cut des Beatles. Exactement le même son. Comme par hasard, sur le pont des Arts.

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    Leur deuxième album s’appelle The American Adventure et c’est là que se nichent toutes ces énormités qu’on entend dans le set, à commencer par «Lose Yr Frown», shoot de heavy pop anglaise transpercé d’éclaircies de sunshine pop extravagantes. C’est encore une fois digne des Beatles, ne serait-ce que par l’excellence de la partance et la nonchalance des guitares qui chuintent. S’il fallait qualifier «Lights Out», on pourrait dire qu’il s’agit d’un stormer abouti de Djibouti, doté de la puissance effective de la pop. Les frères White maîtrisent l’art d’allumer les convoitises. Leur pop sature l’air. Ils chantent dans la couenne du cut. Ils nous sonnent bien les cloches avec «Things I’ve Done Before», encore un cut allègrement bon, balayé par des grands vents d’Ouest, des vagues de bottleneck et des burst-out de démesure catégorielle à la Boo Radleys. On a l’impression qu’ils se tamponnent le coquillard dans le morceau titre de l’album. D’ailleurs, on en vient à se demander à quoi ça rime de vouloir faire de la littérature dans le dos de ces deux mecs, ils le font très bien eux-mêmes - There must be the happy ending/ I believed would come - Et paf, ça bascule dans le chaos magique, ils travaillent la matière au Rev, avec des envolées subrepticimes et un étonnant mélange de compromis, un art dans lequel excellaient aussi les Boo Radleys.

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    Un troisième album intitulé No Need To Be Downhearted paraît en 2006. Il est nettement moins dense que les deux précédents. Il n’empêche qu’on va se goinfrer de «Come Back Inside», une belle pop de poursuite qui va au cœur du problème. Le cut se noie dans le son et personne ne pourra le sauver. Nouvelle tentative de hit avec un «Have You Ever Felt Like It’s Too Late» qui sonne comme un vieux coucou des Boo Radleys. Vraiment powerful. Ils savent monter des œufs en neige du Kilimandjaro. «Appropriate Feeling» pourrait sonner comme de la pop de soft power. On note encore une fois l’excellence de la prestance. Ils font même du Satie avec le morceau titre. Belle pureté d’intention. «Woken By A Kiss» sonne comme un superbe proliférateur de pop overwhelmed et ils retentent à nouveau le coup du hit avec un «Misunderstanding» claqué au clair de Tele anglaise. Assez outstanding mais pas définitif. En haut du mât, le matelot de vigie crie : «Pas de hit à l’horizon !»

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    Pas de hit non plus sur The Human Body EP chaudement recommandé par Damo Waters. On y trouve six cuts dont ce «Beating Heart» chargé de pop prévalente, fouetté par de fortes rafales de son, c’est surtout une pop mal coiffée, mal réveillée, d’humeur bougonne qui ne cherche pas à plaire. Ils chantent leur «Cold World» au coin du micro pop. Superbe allure que celle de cette pop se veut digne, coquette, montée en collet monté, oh so British, bien soutenue par ses arrières. Chaque cut affiche son identité. On passe complètement à autre chose avec «Stupid Mistake», pop taillée pour ravager les côtes, très tempestueuse, assez déterminée à lécher les plaies du Christ, cut éphraïque et héroïque à la fois. Ce ne sont que rafales de pop écrue jouées à l’insistance. On sent dans «Everybody Wants» un désir de pop océanique, donc indispensable. On goûte là au charme frelaté de la dérive paradoxale, un art que cultive déjà le Rev en Amérique. Ils tapent ensuite «Kick In The Teeth» aux nappes longitudinales. Les frères White savent se fâcher. C’est leur côté Boo Radleys. Les voici dans la Forêt Noire, avec pour background les méandres du fleuve et des lumières rasantes. Effroyable et wagnérien à la fois.

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    Si on veut s’offrir A Decade Of Awsome B-Sides & Rarities, c’est au mersh. Il s’agit d’une compile de démos et de morceaux enregistrés live. Idéal pour les admirateurs des White brothers. On y trouve notamment une belle version du «Kooks» de David Bowie. Ils tapent aussi un «I Took The Test» au mur du son. On est là en pleine Britpop de Cool Britania, ultra chargée de la barcasse, avec du solo de guitare en veux-tu en voilà. C’est tout simplement exceptionnel de prestige intercontinental. Comme on le voit avec «Stay Where You Are», ils adorent monter par dessus la pop. Ils jouent une pop qui nettoie les bronches, une pop qui transmute les ambiances. Les frères White sont en fait des white Christs of crust. Et voilà cette merveille absolutiste qu’est «Empty At The End». Elle grimpe très vite dans la moelle épinière. Il n’existe rien d’aussi demented are go. Ils font du driving wild, les flux montent droit au cerveau. On pourrait aussi taxer «Lily» d’absolute beginner. Un vrai rêve de pop. Ces mecs pulsent le Rev dans la pop anglaise. Ils montent leur big sound en neige. L’autre grosse reprise de cette compile est l’«Across The Universe» de John Lennon. Tout est bon là-dedans, pas grand chose à jeter. «Summer Slow Meander» éclate au grand jour, in the summertime, et «It’s Wasting Me Away» peut rendre fou de bonheur.

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    Paru en 2013, Idiots pourrait bien être leur meilleur album. Il s’y niche en effet quatre véritable coups de génie, des cuts de pop anglaise qui défient littéralement les dieux. Ça commence avec «Summertime In My Heart», une vrai pleurésie de dégoulinade pop, ultime dégaine d’entrejambe ventilée à l’hyper summertime. Extraordinaire ! Et ça continue avec «Brother You Must Walk Your Path Alone». On peut parler ici d’une vague beauté tranquille qui mute soudain en démesure apoplectique. Effarant, car éperdu de bonheur mélodique. Tout aussi exceptionnel d’élégance idiotique, voici le morceau titre. Les frères White claquent leur pop dans le move du Beatles groove d’antan. Ils déploient toute la puissance de l’axe métaphorique, ils démultiplient les alluvions d’allusions, les claqués de guitare sont à l’avenant, ça grimpe très haut, si haut, beaucoup plus haut qu’on ne l’imagine. Quatrième bombe sexuelle : «Welcome To The Weirdness», encore un cut drivé sévèrement dans l’excellence paradisiaque. Ces mecs ont tellement de génie à revendre qu’ils pourraient ouvrir une boutique. La pop n’a plus de secret pour les frères White. Ils sont les cordonniers les mieux chaussés, ils sont les enfants de la Parade du Paradis. «One Of These Days» flirte aussi avec ces réalités aphrodisiaques. Une aubaine pour le lapin blanc terré dans son terrier. On assiste une fois encore à une belle extension du domaine de la luge. Comme Pet Sounds, Idiots est un album qui se réécoute à la folie.

    Signé : Cazengler, électric sot tout court

    Electric Soft Parade. Le Trois Pièces. Rouen (76). 2 mai 2019

    Electric Soft Parade. Holes In The Wall. DB Records 2001

    Electric Soft Parade. The American Adventure. BMG UK 2003

    Electric Soft Parade. No Need To Be Downhearted. Truck Records 2006

    Electric Soft Parade. The Human Body EP. Truck Records 2006

    Electric Soft Parade. A Decade Of Awsome B-Sides & Rarities. Not On Label 2011

    Electric Soft Parade. Idiots. Helium Records 2013

     

    Oh Daddy Oh - Part Two

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    Jusque là, on pouvait compter sur les Trois Petits Cochons pour nous faire rêver. On pouvait aussi compter sur les Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, sur les Pieds Nickelés de Louis Forton et bien sûr les Rois Mages, Melchior, Gaspard et Balthazar, sur Jo Zette et Jocko, mais aussi sur Zig & Puce & Alfred le pingouin. Maintenant on peut aussi compter sur les Daddy Long Legs, un trio assez éberluant de blues-rock new-yorkais qui depuis quelques années s’est spécialisé dans le cassage de baraque à l’ancienne. Oh c’est un métier quasiment disparu, jadis inventé par Jerry Lee. Cette sale petite gouape de Jerry Lee découvrit en 1956 qu’en donnant des coups de talon sur le clavier d’un piano, on pouvait casser la baraque. Aussi simple que ça. Pas besoin d’aller se fatiguer la cervelle à vouloir fabriquer un cocktail Molotov. Gueuler dans un micro et donner des coups de pieds, ça suffit largement. C’est même beaucoup plus efficace.

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    Alors ces trois branleurs new-yorkais ont décidé de perpétuer cette bonne vieille tradition apostolique. They keep it simple, comme dirait Sam Phillips, pas besoin d’aller réinventer le fil à couper le beurre. Une guitare, deux toms et une gosse caisse, ça suffit. Et bahm ! En plus ils jouent dans une cave, décors idéal pour leur primitivisme exacerbé. Ils sortent un son qui sent bon les early Pretty Things, Wolf et John Lee Hooker, ils visent le maximum des possibilités du drive, ils puent l’authenticité à dix kilomètres à la ronde, ils sont tellement dans le vrai qu’ils pourraient vous donner le vertige, ils shakent leur shook avec l’opiniâtreté dévoyée d’un orchestre de bastringue nègre payé à coups de lance-pierre par un redneck ségrégationniste.

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    Quand on descend à la cave voir jouer les Daddy Long Legs, ce n’est pas vraiment pour entendre des chansons délicates. On y va surtout pour se goinfrer de son et d’ambiance. C’est le côté américain du rock, ces mecs sont là pour chauffer une salle, pas pour chanter de jolies mélodies. Ça tombe bien, le chanteur Brian Hurd ramène avec sa fraise des faux airs de Jerry Lee : petite crinière blonde, cravate Western sur chemise blanche et veston noir, il semble sortir tout droit d’un club mal famé de Ferriday, baby. En plus, ce mec bouffe de l’harmo comme un Paul Butterfield sous amphètes, il arrange bien la gueule du shuffle des Appalaches et s’amuse à foncer comme un train fou à travers les vastes plaines d’un Montana qui ne doit rien à Montagné. Quand en milieu de set il récupère l’acou électrifiée de son compère Johnny Thunders, il se met à kentucker ses poux à l’onglet de picking névropathe, ah il faut avoir vu ça une fois dans sa vie, si on ne veut pas mourir idiot. Il claque ses chords à la claquemure de Cold River et hurle comme cet éclaireur du Septième de Cavalerie que les Apaches ont ligoté sur un lit de braises pour le voir rôtir à feu doux. Il hurle tellement que le train fou prend encore plus de vitesse. Le vent nous avale. On a l’impression de foncer avec eux vers le néant, ce bon vieux néant qui de toute façon nous attend à la sortie du virage. Alors fonçons dignement vers le néant.

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    Mais non, son compère ne s’appelle pas Johnny Thunders, pourtant ça le fait bien rigoler quand on l’appelle comme ça, parce que figurez-vous qu’il en a l’allure et la coiffure. Wow, ce mec est une pure déclinaison du grand et même très grand Johnny Thunders. En réalité, il s’appelle Murat Aktürk et fourbit tout le riffing et tout le bottlenecking. Il est d’une redoutable efficacité.

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    Et puisqu’on patauge dans les analogies, voilà Jerry Nolan étalé par dessus ses fûts. Eh oui, avec ses lunettes noires et sa coupe de cheveux, Josh Styles est une parfaite resucée du Nolan de l’époque New York Dolls. Tout ça nous donne un sacré mélange, et ce n’est pas fini, car voilà qu’ils tapent dans le saint des saints avec des reprises cataclysmiques, à commencer par l’admirable «High Flying Baby» des Groovies et un peu plus tard «Fire & Brimstone» de Link Wray, histoire de nous rappeler au passage qu’en plus de leurs bonnes dégaines, ils disposent aussi d’une belle collection de disques. Autre gage de respectabilité : leurs trois premiers albums sont sortis sur Norton, qui était du temps de Billy Miller l’un des labels les plus puristes qui ait jamais existé sur cette fucking planète. Billy Miller utilisait un portrait d’Esquerita pour décliner l’identité graphique de son label. Ça veut dire ce que ça veut dire. Mais Billy est mort et les Daddy Long Legs sont passés chez Yep Roc qui en tant que label n’a de leçons à recevoir de personne.

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    Sur scène, ils jouent quasiment tous les cuts de leur nouvel album, Lowdown Ways, à commencer par «Theme From Daddy Long Legs», un air de Western qui transforme aussitôt la cave en saloon. Cut idéal pour planter un décors. Alors, attention, c’est un excellent album classique, qu’on peut écouter à l’apéro en sifflant une «Pink Lemonade» et en beuglant de grands waouh waouh ! Les voilà sur le sentier de la guerre avec leurs waouh waouh, Josh Styles bat le beat tribal, et ce «Pink Lemonade» est tellement bardé de joie et de bonne humeur qu’il vous consolera d’avoir raté ce concert. Avec «Bad Neighbourhood», ils tapent carrément dans l’archétype de l’apanage définitif du boogie down, ils jouent leur rumble à la finesse caractérielle et ramènent dans leur limon tout l’historique gluant du Delta.

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    C’est très spectaculaire. Les Daddy Long Legs ont cette faculté de savoir proposer une musique extrêmement imagée. Tiens, un peu comme Scott Walker, mais dans un autre genre. On parle ici d’une forme de perfection classique dans la musicalité des choses et bien sûr, il n’existe rien de tel qu’une musique bien foutue pour susciter des images. Dans le boogie des noirs, on trouve souvent ces renvois au bayou, à l’enfer des marécages et aux cabanes. Les Daddy Long Legs n’ont pas le bonheur d’être noirs, mais ils savent capter l’essentiel de ce qui fait l’originalité et la profondeur du boogie et ont assez de talent pour réussir à l’exprimer à leur façon. S’il fallait dessiner des parallèles, on pourrait aller chercher le nom de Loose Gravel et dans une moindre mesure, celui de Captain Beefheart, le baryton en moins. Mais l’inspiration est là. Ainsi que l’indicible plaisir de restituer. Et ce n’est pas non plus un hasard Bathazar si ces trois kids cultivent un look Dollsy et s’amusent à sonner comme les Groovies. Un lien spirituel existe entre tous les noms cités dans cette foire à la saucisse. On retrouve à la base une même admiration des blancs pour les grands artistes noirs de la préhistoire du rock, à commencer par John Lee Hooker. «Mornin’ Noon & Nite» est du pur Hooky Hook, c’est marqué dessus comme sur le Port-Salut, ils emmènent ça au vieux boogie d’harmo, épais et bien tapé du pied, tu peux y aller, c’est du 100% pur jus, c’est tapé à l’unisson du saucisson sec, tous les ingrédients du commun des mortels sont là. Les Daddy Long Legs n’oublient rien, ils pensent à tout, leur truc c’est le global de globos. Les universitaires appelleraient ça l’universalisme. Ce boogie là parle à tout le monde, il ferait même danser un car de CRS. Il ferait aussi danser le dernier des beaufs, et même le lion de Griffith Park que dessinait Don Van Vliet quand il était petit. Tiens, puisqu’on parlait de cabane, voilà le bien nommé «Ding Dong Dang», une espèce de clin d’œil au Wang Dang Doodle de l’immense Big Dix, un Dong Dang bien sourd de cabane ultra-branlante, celle qui va te tomber sur la gueule au premier coup de vent, mais au point où tu en es, tu n’en as plus rien à secouer, il faut voir ces branleurs bosser leur branlant, ils ressortent tous les vieux plans des Immortal County Killers et de Big Foot Chester. Le souffle du boogie ravage à nouveau l’Amérique - L’Amérique, l’Amérique, je veux l’avoir et je l’aurai ! - Ils frisent le Creedence avec l’excellent «Winners Circle». D’autres diront qu’ils sonnent comme les Groovies, à cause de petites claquées d’accords subtils à la Cyril Jordan. Ils tartinent leur chant sur une belle cavalcade américaine et on note une fois encore l’incroyable prescience de leur présence dans l’outrance de la démence. Tant qu’on y est, voilà encore un cut digne d’emporter tous les suffrages : «Be Gone». Eh oui, les Daddy Oh le montent sur un beat extrêmement rebondi et le relancent dans les affres des arcanes. Ils éruptent en permanence, avec une énergie presque sauvage, comme s’ils jouaient autour du bivouac d’une mine de cuivre, quelque part dans le Minnesota, en 1851. Alors qu’au loin hurlent les coyotes, on les voit danser leur carmagnole tous les trois. Ils ont le pathos du boogie primitif chevillé au corps.

    Signé : Cazengler, Daddy longue laisse (ouaf ouaf)

    Daddy Long Legs. Le Trois Pièces. Rouen (76). 21 mai 2019

    Daddy Long Legs. Lowdown Ways. Yep Roc Records 2019

    19 / 05 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    LES PUNAISES / LES MOONSHINERS

    MASSEY FERGUSON MEMORIAL

    CAUSA NOSTRA

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    Beaucoup de monde ce soir à la Comedia, soirée un peu spéciale en hommage à Kémar disparu depuis un an. Dommage qu'il n'y ait pas eu quelques mots prononcés à son égard. Ne serait-ce que pour ceux qui ne le connaissaient pas...

    LES PUNAISES

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    N'étaient pas prévues au programme mais se sont invitées, pas dans notre lit comme il paraît qu'elles prolifèrent sur Paris, mais sur scène. Vous rassure tout de suite, ne sont pas ces affreuses bestioles qui pullulent dans les romans russes du dix-neuvième siècle, mais quatre accortes gentes reines au sourire malicieux qui se contenteront de trois chansons. Sœur Carine est à la basse et au chant, ne craignez rien, son visage mutin prouve qu'elle n'est pas douée en bondieuserie, le premier morceau davantage parlé que chanté nous conte une de ces histoires d'amour incertaines, mi-figue-mi-raisin, qui nous rappellent la relativité humaine de l'absolu, pas de quoi en faire un drame, d'autant plus que l'accompagnement sixties accentue le dérisoire de la situation. Dr Marieke administre sa potion à la batterie, à ses côtés La Gaëlle est toute blondeur de goélette sous le vent de sa guitare, Carole Dirty Chauvin, cheveux courts tient aussi le rôle de guitariste. Autant que l'on puisse en juger en trois titres, l'ensemble oscille entre chanson réaliste festive et guitares claires début années soixante. L'on aurait bien aimé découvrir davantage, mais non, se sont éclipsées sous les applaudissements en toute simplicité. A moins que ce ne soit rouerie féminine éhontée car il est bien connu que l'absence attise l'imagination et l'envie.

    LES MOONSHINERS

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    J'ai bien compris qu'il y avait du rockabilly dans l'air puisque en tout début de la soirée Lulu des Megatons est venu me serrer la pogne, non il ne s'est pas converti au punk, l'est un mordu du son fifty et du début des sixties, l'est venu dépanner les Moonshiners en manque de batteur pour la soirée. Les bouilleurs de cru savaient qu'ils ne faisaient pas mauvaise pioche. Quel savoir faire le Lulu, l'est l'as du balai, je ne connais personne d'autre qui assure aussi nettement le feutrage du son avec la netteté de la frappe, deux dans un, l'adoucisseur et le détergent, vous voulez de la sourdine en voilà de quoi boucher le port de Marseille, vous désirez du rythme en voici, de l'incassable, de l'indétachable, vous suit comme votre ombre, vous poursuivrait jusqu'au bout du monde, de l'enfer et du paradis s'il le fallait. Aussi bizarre que cela le paraisse, l'on dirait que Lulu l'a son idée à lui de la section rythmique, n'essaie pas d'entrer en diapason avec l'orchestre, mais il se colle à la voix du chanteur, il en épouse toutes les inflexions, il en devance toutes les accélérations, il en souligne toutes les interruptions. Du grand art.

    Lulu a su capter le style et l'esprit du combo. Les Moonshiners ne sont pas des adeptes des éclairs et des éclats électriques. Ne forcent pas le son, ne sont pas des partisans de la rutilance, ce qui compte pour eux, c'est le beat originel, dont l'expression se doit de circonscrire l'écrin rythmique dévolu à l'exercice du vocal. Une souple retenue élastique à laquelle se plient la contrebasse d'Alexandre Romera et de la guitare de Mickaël Corbran. Toux deux jouent à l'humilité, pas une note plus haute que l'autre, mais que de velours abîmal dans les profondeurs, de netteté dans le tempo ! Atteignent à un dépouillement, à une rusticité fondamentale.

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    Autre surprise, sur l'intro de Georgia Buck d'Earl Scruggs, un gars issu des spectateurs s'en vient rôder auprès d'un micro adjacent, faut quelques secondes pour comprendre qu'il s'agit du chanteur, l'ennemi des effets théâtraux, les mains croisées à l'intérieur du devant de sa salopette, aussi tranquille que s'il attendait patiemment au comptoir que la serveuse lui adresse la parole, et sans préavis il se met à chanter avec le même naturel avec lequel vous commandez un sandwich jambon-fromage avec beurre et cornichons au vinaigre de Modène, et alors là, c'est l'extase, un vocal d'eau de source, un pur cristal, pas besoin d'effets, seulement quelques intonations posées d'instinct aux segmentations idéales, nous sommes aux racines appalachiennes de notre musique. S'agit de Thierry Cokrane Pelletier dont nous avons déjà chroniqué le livre Les Rois du Rock aux éditions Libertalia.

    Mais ce n'est pas tout. Un groupe à tiroirs multiples. Et dans chaque casier une merveille. Les Moonshiners ne distillent pas uniquement du bluegrass des vieux tonneaux, ne tapent pas uniquement dans le earlier rock'n'roll, sont avant tout des amateurs de musique populaire. N'oubliez pas que selon la distinction entre tradition savante et populaire, la proximité est plus grande qu'on ne le croit généralement. Pensez à la science prosodique d'un François Villon et la verdeur du monde de mauvais garçons qu'il évoque. C'est à cette rivière profonde que puisent les Moonshiners, chantent aussi bien en français qu'en anglais, pour notre idiome le plus souvent c'est Mickael Corbran qui s'y colle, évoque l'univers des blousons noirs, des voyous, de ce peuple de l'ombre surgi des terrains vagues, des taudis de Paris city et de banlieue blème, cette renaissance des anciens Apaches du début du siècle dernier.

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    Le set des Moonshiners fut un instant de grâce, hors du temps, un ressourcement à la veine la plus pure de la création populaire. Une prestation sans défaut. Extension méta-culturelle du domaine de la lutte rockabillyenne. Le moment le plus authentique de la soirée.

    MASSEY FERGUSON MEMORIAL

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    Pour avoir eu une maman qui a passé trente années de sa vie à vendre des tracteurs Massey Ferguson, au centre de l'Ariège bucolique, j'étais curieux de ce groupe mémorial. M'attendais à du garage bruiteux à fond les gamelles. Point du tout. Sont des adeptes du country. Mais déjanté. A première vue ils font dans le campagnard, ils ont un batteur, Freddy Wangs qui joue debout devant caisse claire et charleston. Et une chanteuse. Si dans votre esprit vous visualisez Dolly Parton, c'est que vous faites fausse route, vous êtes embourbés dans les clichés. L'a bien un chapeau de cowboy sur la tête et une robe à carreaux – style nappe de restaurant – l'est toute mince, ce genre de fille que dans le Sud on appelle des sécaïres, des bouts de femmes insupportables qui jouent à chamboule tout avec votre existence, que tout le monde redoute, les esprits chagrins parce qu'elles empêchent les vaches de vêler, les épouses parce qu'elles tarabustent les mâles, et les garçons sont atteints de la danse de Saint-Guy dés qu'ils aperçoivent le bout de leur jupon, personne ne les aime mais tout le monde les adore, car partout où elles passent la morosité trépasse. Bref Corinne Massey tressaute sur place, pogote devant son micro à la manière d'un pois sauteur atteint de délirium tremens et vous débite d'une voix perçante un country chaud de braise à toute vitesse. Souvent Chris Ferguson intervient à grands coups d'harmonica qu'il plante comme des clous dans une barrière de bois. Sam ( ne s'appelle pas Harris, les initiés comprendront ) s'occupe de la basse comme d'une botteleuse. A eux quatre, fomentent une pétaudière explosive, country festif à l'arrache, qui démantibule et atomise le public en joie qui leur fait un triomphe.

    CAUSA NOSTRA

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    Ah ! Le rock quand il est bien fait quelle merveille ! Sous n'importe quelle de ses déclinaisons. L'on a à chaque fois l'impression d'une révélation. Causa Nostra se revendique Punk et Oï, Punk y Skin comme le précise leur premier morceau. Avant tout un son, qui vous arrive dessus tel une flèche qui se fiche au plus profond de votre moelle épinière, pas étonnant si Sandro arbore un magnifique portrait de Géronimo sur son t-shirt, l'Apache indomptable – ses Mémoires sont à lire en nos temps de détresse - le rock'n'roll conçu comme un acte de résistance, remporte toute mes faveurs, cette vision me semble correspondre à ce qu'il y a au plus profond de sa nécessité existentielle. Les belles idées sont une chose, reste à les mettre en pratique, à les rendre signifiantes. Et en cela Causa Nostra y réussit parfaitement.

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    Une section rythmique de feu. Tapou sait où taper, vite et fort, sans arrêt, ignore tout du binaire simplet, l'est pour la multiplication des pains, à chaque coup une paroi de schiste se détache de la montagne et met en branle une série de causes à effets multiples, dévastatrice. Le plus fabuleux c'est qu'il n'est pas seul dans son coin à s'escrimer en vain, le reste de la bande se lance dans son sillage d'ardoises noires et tranchantes, certes il arrache tout sous son avalanche mais il est impensable que le vide sonore se reforme après son passage – pensez à la nécessité tactique pour les phalanges d'Alexandre à Gaugamèles de recoller les colonnes qui s'étaient écartées pour laisser passer les chars à faux de Darius et continuer leur marche en avant – alors Ioio BMG à la basse et Yoan et Andres aux guitares se hâtent de calfeutrer le moindre interstice à la la manière des longues sarisses macédoniennes que l'on croisait pour mieux les enfoncer dans les poitrails des chevaux afin d'arrêter les charges de la cavalerie adverse – ainsi se présente Causa Nostra, une musique sans faille, impénétrable, soudée comme les doigts de la main refermée en poing d'attaque et de défense.

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    Ne vous laissent pas une seconde de répit, sans cesse quelque chose qui surgit à découvrir, un bourdonnement de basse qui se transforme en rugissement, une guitare qui cisaille pendant que l'autre poinçonne. Avec Causa Nostra, c'est simple où vous montez dans le train en marche ou vous laissez passer en vous réfugiant piteusement dans les pissotières de la gare. A chacun son royaume ! En tout cas ce soir, si l'on en juge d'après le tumulte tout autour de la scène, il y a un sacré monde qui hurle de joie et son contentement et qui s'est déjà agglutiné sur le marche-pied pour un aller rock'n'roll sans retour. Pas besoin de manipuler un sondage d'opinion pour en être convaincu.

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    C'est dans cette fournaise kaotique que Sandro au micro éructe ses titres. Crevardog, Enculoï, Hooligan Vegan, certes l'on n'entend pas toujours distinctement les paroles mais nul besoin d'une explication de texte universitaire et blablateuse pour en comprendre le sens, quant à l'esprit de colère, de hargne et de révolte qui les anime Sandro la partage avec vous sans peine. Sait aussi se servir des torsions de son corps pour exprimer l'insatisfaction intergénérationnelle générale qui cimente l'assistance dans laquelle l'on retrouve des gens de toute horizon du rock'n'roll.

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    Causa Nostra se sont formés en 2017, mais il a déjà acquis un satané savoir-faire, un groupe à suivre de près.

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    Damie Chad.

    ( Photos : FB : loio BMG )

     

    27 / 05 / 2019 - MONTREUIL

    LA COMEDIA

    JUSTWÄR

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    Une adjonction de dernière minute au programme prévisionnel. Les groupes en tournée à la recherche d'une soudure entre deux dates se refilent l'adresse, l'internationale punk connaît les bonnes crèches, JustWär est en croisière en Europe, et vient de l'Est, de Tchéquie. Capitale Prague. La ville du Golem. Pour le moment tout est calme, peu de monde, Traktor s'est emparée d'une guitare acoustique et passe les accords en douceur... Tout à l'heure ce sera une autre paire de manches, mais n'anticipons pas, faut encore installer le matos. Les tchèques au boulot, ça ne plaisante pas, quand ils s'y mettent ce n'est pas à moitié, vous sortent de leur transit des amplis aussi lourds que des camion-bennes et vous les transportent comme des boites d'allumettes, six grands gaillards opératifs, vous hissent la grande toile noire de leur logo comme les navires pirates le Jolly Roger au moment de l'abordage, pendant que du côté merchandising les différents sweats sont enfilés sur des cintres de présentation avec un soin minutieux digne d'une boutique de mode. Z'ont aussi une caisse pleine de 45 tours de formations diverses pratiquement toutes inconnues et deux 33 album vinyl de leur propre production en exposition. Le monde arrive petit à petit, pas la grande foule, mais l'happy few des connaisseurs et des chanceux qui ont reçu l'information à temps.

    JUSTWÄR

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    Quatre sur scène. Mark Splinter se plante devant le micro et tout de suite c'est l'extase. La fougue, la rage, et la jeunesse. Derrière lui, je vous l'assure, ça ne chôme pas dans les chaumes agrestes, mais il est là, anneaux de corsaire à ses lobes, bas du crâne rasé surmonté d'un écrasement de touffe de cheveux noirs comme la lèpre de la colère, ne touche même pas le micro, l'est comme un enfant, les poings près du corps qui s'obstine à refuser la laideur du monde des adultes, et qui fait part de son refus de plier à des exigences qui n'émaneraient pas de lui seul. Il rauque et il rocke, il énonce des paroles de feu et d'incendie, on ne les comprend pas, mais elles brûlent quand même.

    Miki, blond comme les blés, est à la basse. Toutes les trente secondes il lance un regard vers Traktor qui refermé sur lui-même n'en fait pas cas. Du moins semble-t-il, mais au merveilleuses broderies qu'ils tissent de conserve ils doivent communiquer par des ondes qui nous sommes inaccessibles. D'abord les mains de Traktor, un véritable traquenard de violence rentrée, la gauche saisit dans sa grosse poigne le manche vous l'enserre si fort qu'il disparaît pratiquement – c'est ainsi que l'enfançon Hérakles dans son berceau a dû broyer les cous des deux serpents que la furie Héra avait envoyés pour se débarrasser de ce bâtard sorti du ventre d'une rivale – Traktor serre et c'est tout, le poing fermé se déplace de temps en temps mais il ne se soucie guère de chaque corde en particulier. A droite c'est encore plus pharamineusement terrible. Il joue au plus près, du bout des doigts, les phalanges repliées broutent littéralement les cordes avec cette ténacité méthodique d'un troupeau de chèvres absorbé à éradiquer les promesses des bourgeons des branches basses et hautes des fruitiers du verger paradisiaque interdit. Certes, depuis son corps massif et de sa longue chevelure barbare, il assure le continuum tonitruant de l'onde sonore comme un guitariste normal, mais c'est surtout ce que le commun des gratteux ne savent pas faire qui nous assaille, vous percevez de temps en temps, au milieu du fracas, des séries de notes d'autant plus menaçantes que d'une clarté absolue, elles se faufilent, à la manière de la nageoire dorsale d'une bête marine, issue des profondeurs abyssales, dont vous pressentez la destructive monstruosité à la rapidité fuyante de cette crête cartilagineuse hérissé de piquants antédiluviens. Le Kraken aurait-il lâché ses chiens de mer ouraganiques ?

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    Méfiez-vous des apparences, Miki est le champion des entortillements de lignes de basse. Un pervers, le gars qui vous lance douze harpons dans le corps de Moby Dick en prenant bien soin d'entremêler les câbles et les filins d'acier, juste pour le plaisir au dernier moment - alors que le monstre s'apprête à plonger et à entraîner la baleinière au plus profond des fosses océanes – de sortir sa scie à métaux et de quelques incroyables coups incisifs vous trancher l'écheveau qu'il vient de tresser. L'est ainsi Miki, l'est comme l'aigle à deux têtes qui regarde du côté ou le soleil se lève et du côté où l'astre solaire se couche, après avoir passé les trois-quarts du set à chercher le regard de Traktor, il tournera son visage à l'exact opposé, Janus à double figure qui porte les yeux au plus lointain du passé et du futur, sa manière à lui d'assurer la présence de la fureur chaotique du combo dans l'opération de la coïncidence tectonique des contraires.

    N'oublions surtout pas Safa, voudrait-on qu'on n'y parviendrait pas. Sait se faire entendre bellement. L'a le drummin' intempestif, bouscule son monde. Vous drosse salement sur les rochers du naufrage à tout instant. Vous n'y échappez pas, vous colle sur les murailles de votre inaptitudes à être entièrement ce que vous aimeriez être. Etrangement cela vous donne le courage énergétique de vivre. L'a la frappe-faucon qui monte haut vers le haut zénithal du ciel et se laisse soudainement tomber, une pierre éruptive crachée par la bouche éruptive d'un volcan en feu, qui s'abat et casse les reins d'un rongeur qui n'a rien vu venir. La mort est aussi un triomphe. Safa, le plus beau ce sont ses brisures définitivess. Alors qu'il mène un train d'enfer, brusquement il accélère et dans le même moment il arrête tout. Le combo réduit au silence, votre cœur idem, et peut-être même le monde entier tout autour. Emporté par la force cinétique de cet arrêt immédiat, Safa se dresse debout, immobile et pantelant, la baguette en avant, maestro du désastre, flèche fichée au cœur de la cible. De notre existence.

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    Quarante minutes de fureur. Quarante minutes de bonheur.

    Damie Chad.

    THE LAST GOODBYE

    JUSTWÄR

    ( EP / Février 2017 )

    Bass : Mitri Climax / Drum : Marwin / Guitar : Traktor / Vocal : Splinter

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    All Guns Afire : un serpent de guitares qui se redresse, et la voix qui avertit, la batterie s'emballe et c'est parti pour l'éructation suprême zébrée d'éclairs rageurs de basse, l'avertissement de tous les dangers, la guitare crie comme une bête que l'on écartèle vivante dans un abattoir, les cris de dénonciation de l'urgence de la situation n'y feront rien, il est déjà trop tard. Protest Sonnet : lamento d'Hamlet, tiré tout droit de Shakespeare, sur la nécessité de survivre – il faut nous y habituer, à l'Est de l'Europe la poésie a encore sa place dans les consciences – la rage et le désespoir de vivre et de mourir. Rythme haletant, si vous vous attendiez à un lamento funèbre style Comédie Française, vous serez déçu. La voix griffe comme des ongles qui attaquent de l'intérieur le cercueil de la vie dans laquelle vous êtes enfermé. Un morceau court qui excède à peine les deux minutes trente, l'on se prend à rêver d'une véritable radio-rock qui tartinerait cette merveille dans ses programmes, hit potentiel, il est dommage que cela reste confidentiel, et puis ce solo de guitare, si bref, mais qui produit tant de jouissance. Cards and Dice : de l'envoyé concentré, voix et musique collées l'une à l'autre, à toute vitesse, le jeu est dangereux, ce n'est ni un passe-temps ni un vice, simplement le jeu de la vie et de la mort, ce qui change tout, si vous n'avez pas les bonnes cartes en main, les atouts-maîtres dans votre manche, vous êtes foutu jusqu'au trou du cul. Voix comminatoire, écroulements de guitares, base-ball de batterie, les dés sont pipés et les cartes biseautées, le hasard ne sera jamais de votre côté. Ou alors pas du bon. Instrumentation définitive. Civilization's Agony : pas besoin de vous faire un dessin pour les paroles, dites-vous que Splinter ne vous les susurre pas dans le creux de l'oreille, vous massacre les tympans au marteau-piqueur, les guys derrière carburent à mort, concassage de batterie, fusillades de guitares, si vous ne comprenez pas, si vous n'êtes pas réceptif, si votre intellect est sourd, l'est sûr que vous méritez de finir.

    Un quarante-cinq tours qui déchire. Décidément JustWär est aussi bon sur disque que sur scène.

    Damie Chad.

     

     

    SECTE 2

    TENDRESSE DECHIRANTE

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    J'avais beaucoup aimé Fictionaboutfiction, tout naturellement j'ai embrayé sur le nouveau projet de Diane Aberdam et Emilien Prost, Tendresse Déchirante mais qui jusques à lors se résumait au seul clip de Sérénade Américaine – chroniqué in KR'TNT ! 412 du 28 / 03 / 2019 – voici donc le deuxième opus du groupe que vous retrouverez sur leur FB : Tendresse Déchirante. Rien à voir avec le premier si ce n'est l'appartement bobo qui sert de décor. Encore que.

    A voir. A entendre. Une musique obsédante qui tourne en boucles répétitives, entrecoupés de séquences sonores minimalistes, des espèces de chœurs lointains et pratiquement tibétains, et le murmure macéré et gloutonné d'Emilien Prost qui mène la ronde rituellique. Si vous regardez vite, sans trop d'attention, happé par la juxtaposition des images vous pensez à un collage surréaliste délirant d'autant plus fascinant que mouvant à l'instar des sables meurtriers.

    Encore que. Le rapport avec Sérénade Américaine est des plus évidents. La même histoire mais déclinée autrement. Celle du couple primordial. L'opération alchimique la plus délicate. Qui se déploie en deux temps – fusion et séparation. Jonction et arrachement. Le ballet des araignées copulatoires. C'est toujours l'amante religieuse qui tue le mâle. Encore que. Elle se doit d'abord de subir l'attrait irrésistible, de se livrer à la parade nuptiale de la tentation du boy, qui joue au beau ténébreux, à l'acteur impassible du mystère, il est le maître, il est le gourou, revêtu de sa chasuble blanche, l'essaie d'instiller du sacré dans l'acte procréatif, cela s'appelle une manipulation mentale qui n'a d'autre but qu'une introspection charnelle. L'est prêt d'arriver à ses fins, mais à l'ultime moment la bête que l'on entend de temps en temps glapir en lui, se libère totalement, brise ses chaînes et aboie furieusement tel un roquet affamé qui ne peut se retenir le cri du désir, en sa tête déjà assouvi, devant un morceau de viande posée dans sa gamelle... l'est prêt de satisfaire sa faim, en fait l'incantation se résout en hurlement et le sorcier belluaire brise l'enchantement, l'est plus prêt de sa fin qu'il ne le croyait. Coup de gong final. La victime faussement innocente – n'a t-elle pas eu ce qu'elle désirait, la reddition totale de l'autre - s'enfuit. Encore que. Un dernier plan vertigineusement raccourci laisse entendre que.

    Ça s'écoute. Ça se regarde. Ça se réfléchit. Bibelot à facettes multiples. Artefact sexuel. Semence trouble. Jetée dans votre esprit.

    Damie Chad.

     

    AMOURS ENFERMEES

    JULIETTE MOREAU

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    M'étonnerait que vous puissiez le retrouver. Pas d'adresse, pas de raison sociale de maison d'édition, pas de date, une signature aux trop nombreux homonymes pour être identifiée, et puis pas grand chose, quatre feuilles de papier A4 pliées en deux, par aucune agrafe retenues, en guise de couverture ( recto et verso ) un lambeau de la Carte de Tendre que tous les amateurs de Madeleine de Scudéry connaissent bien... Moi-même je suis bien embêté pour savoir où j'ai récupéré ce modeste fascicule, ai été le premier surpris d'y tomber dessus en essayant – tentative vainement avortée – de ranger mon bureau.

    Avertissement aux kr'tntreaders, le texte n'a rien à voir avec le rock'n'roll, le mot n'est même pas mentionné, z'oui mais le texte est foutrement et follement rock'n'roll. Deux adverbes qui ne sont pas choisis au hasard. La rédactrice aura passé quatre cent cinquante jours au Service Hospitalier Universitaire. A Sainte-Anne pour ceux qui veulent tout savoir. La nef des fous échouée en terre.

    Une étudiante, une intellectuelle, et mieux une cérébrale, tout se passe dans la tête, et dans le désir, à tout moment affleurent la chair et la beauté de l'autre, jeu de séduction avec les professeurs et les médecins, le sexe, comme le témoin phantasmé et fascinatoire que l'on passe de l'une aux autres, et la contre-preuve d'un manque de confiance en soi, peut-être. Une descente en soi-même, en les mots de la littérature qui deviennent miroir de son propre double, une espèce d'auto-pénétration intellectuelle, une longue dégringolade au fond de soi, au fond de l'esprit et du sang charnel. Chausse-trappe de la folie. Une saison en enfer. L'on n'en sort pas indemne. Surtout le lecteur. Au résultat un magnifique poème en prose. L'on imagine la musique brisée qu'un groupe de rock pourrait poser dessous. Pas dessus, car l'on n'enferme pas les mots qui trouent les murs. De la conscience.

    Damie Chad.

     

    CASONI BLUES

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    Juste quelques mots, encore une fois pour signaler la triste évidence que tout a une fin, même les bonnes choses. Voici plusieurs années que j'achète Rock'n'Folk pour un seul motif. La lecture de Beano Blues de Christian Casoni. Une seule page, mais à chaque fois la meilleure de tous les articles. Une histoire du blues du début, dans le désordre, je sais ce n'est pas la fin des haricots non plus, z'allez me dire que vous connaissez, que vous avez déjà un demi-quintal de books qui raconte le truc avec tous les détails. Z'oui, mais chez Casoni vous avez le gramme de plus, celui qui fait toute la différence, un peu comme quand vous pesez un moribond deux fois, une fois avant, une fois juste après qu'il a poussé sa pipe sur l'autre rive, afin de vous renseigner sur le poids de l'âme humaine, pas grand-chose, ne dépasse pas celui d'une plume, or justement c'est cette plume que vous trouvez chez Casoni, aussi voyante qu'une peinture de guerre sur la robe d'un appaloosa, bref Christian Casoni, il a le style, celui qui n'appartient qu'à lui, aussi facile à reconnaître qu'une intonation de B.B. King ou un riff d'Hubert Sumlin. N'y a plus qu'à espérer que cette quarantaine de chroniques soient réunies dans un bouquin, les gamins pourront y apprendre à lire et à écrire. Magie des mots qui recréent une époque, des certitudes existentielles de désirs humains, repèrent les failles, les manques, et traduisent le rêve intérieur de celui qui les rassemble. Cette galerie de portraits, eaux-fortes au vitriol émouvant, se termine par un superbe pied de nez, après tous les loups noirs des hordes faméliques du Delta, voici le mouton blanc de par chez nous, qui ma fois bêle et bleuse de bien belle façon : Benoît Blue Boy.

    Un grand merci à Christian Casoni.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 420 : KR'TNT ! 420 : SAM PHILLIPS / MIKE WILHELM / NAKHT / CRITTERS / PANIK LTDC / NAKHT / RAT TAT TAT TAT / DIG IT ! / WASSUP ROCKER ?

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 420

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    23 / 05 / 2019

     

    SAM PHILLIPS / MiIKE WILHELM

    NAKHT / CRITTERS / PANIK LTDC

    RAT TAT TAT TAT / DIG IT ! / WASSUP ROCKER ?

     

    Uncle Sam

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    Quelque part au fond d’une humble cellule cistercienne, le moine Guralnick se livre corps et âme aux affres des vertiges de l’abnégation maximaliste. Il n’est plus que l’ombre de lui-même, mais son esprit ronfle comme le turbo-réacteur d’une centrale atomique. Il a déjà consacré dix années de sa féroce dévotion à Saint-Elvis dont il relate la geste en deux tomes, avec la minutie d’un apothicaire et l’acuité introspective d’un confesseur. Par son côté pénétrant, le verbe du moine Guralnick frise parfois le blasphème. Ses pairs comme ses lecteurs se demandent parfois jusqu’où le moine Guralnick peut aller trop loin.

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    Du haut d’une chaire en bois sculpté, Cowboy Jack Clement déclara un jour : «Si Elvis est une star, alors Sam Phillips est une superstar !» Cette sentence teinta tant et tant aux oreilles du moine Guralnick qu’il décida voici quelques années de se jeter à nouveau corps et âme dans l’étude de la vie d’un Saint. Il s’agissait bien sûr de Saint-Uncle Sam. Ce qui nous vaut un copieux volume, capable de caler la plus branlante des armoires normandes. L’objet vaut le coup d’œil : plus haut que large, râblé, court sur pattes, bien ramassé, aussi orange que le logo d’une entreprise de travaux publics, une vraie bible de sinécure !

    Le moine Guralnick nous brosse dans cette saga le portrait d’un homme qui échappe définitivement aux normes. Il le rencontre pour la première fois lors d’une inondation et le compare à un prophète de l’Ancien Testament, à cause de son aspect et de sa façon de s’exprimer. Le moine Guralnick apprend ensuite que la famille Phillips accueillait sous son toit les nécessiteux. Quoi que vous puissiez désirer, nourriture, vêtements, abri, affection ou amour, les parents d’Uncle Sam vous laissent entrer chez eux. Ils recueillent notamment Silas Payne, un vieux métayer noir devenu aveugle des suites de la syphilis. Le vieillard est un génie du poulailler qui, même aveugle, sait compter les poules sans se tromper. Adopté par la famille, Silas Paye devint Uncle Silas. Il baptise chacune des poules, elles sont des centaines, chante des chansons et raconte au jeune Uncle Sam une Afrique qu’il n’a jamais connue. Il vivra chez les Phillips jusqu’à sa mort. C’est auprès de lui qu’Uncle Sam découvre la liberté émotionnelle et cette incroyable générosité que savent prodiguer les plus pauvres parmi les pauvres. Ces valeurs intéressent au plus haut point l’Uncle Sam en herbe.

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    Dès le début du récit, on voit Sam Phillips enseigner à ses fils Jerry et Knox l’importance de devenir soi-même, la nécessité de devenir rebelle sans basculer dans la marginalité, de toujours choisir l’individualisme plutôt que le conformisme. C’est son crédo : «You don’t need to be an outcast to be a rebel !» Il dit aussi un jour au moine Guralnick : «Ne laissez jamais la célébrité et la richesse interférer avec ce que vous ressentez au fond de vous, moine Peter, si vous vous savez créatif.»

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    À l’aube de l’ère du 706, Uncle Sam en bave des ronds de chapeau. Pas seulement au plan économique. Comme Uncle Sam reçoit des nègres dans son studio, les voisins blancs lui font des remarques perfides - Everybody laughed at me - L’humour trash des rednecks dégénérés peut aller très loin, si loin vers l’horizon : «Oh tu sens bon aujourd’hui, Sam. Comme si t’avais pas traîné avec cette bande de nègres.» Il en faut bien davantage pour détourner Uncle Sam de son objectif. En attendant, il se tape son assistante Marion Keisker qui lui est tellement dévouée qu’elle dit être son esclave, une expression d’usage courant dans cette partie du monde. L’autre personnage clé de cette époque, c’est bien sûr l’immense Dewey Phillips, le prince de l’inconvenance, le faramineux animateur de l’émission Red Hot & Blue que tous les branchouillards éclairés de Memphis écoutent, comme on écoutait le Pop Club au temps de José Arthur.

    Dans la période qui précède la création de Sun Records, Uncle Sam doit travailler avec Leonard Chess et les frères Bihari, mais il comprend très vite qu’il ne fonctionne pas de la même façon. Les Bihari jouent un double jeu qui ne lui plaît pas, et Leonard Chess ne tient pas sa parole. Pour Uncle Sam, business et honnêteté sont deux mamelles libidinales indissociables. Pire encore : il découvre que Leonard le renard s’intéresse plus à l’excitment qu’au feel. Uncle Sam ne vit que pour le feel et voilà toute la différence. Tout le Sun System se situe là. Quand il dit au pauvre Malcolm Yelvington venu auditionner que sa country music ne l’intéresse pas, Malcolm lui demande ce qu’il cherche et Uncle Sam lui répond qu’il ne sait pas. Il saura quand il aura trouvé. On appelle ça une démarche intuitive. Il est en outre convaincu que la clé du mystère réside dans la connexion entre les races, il sait qu’il existe une relation spirituelle entre les blancs et les noirs, un héritage culturel qu’ils partagent depuis la nuit des temps du Tennessee. En attendant de trouver ce qu’il cherche, Uncle Sam se morfond dans son petit bouclard du 706 : «Ahhhhh, si seulement je pouvais trouver un blanc qui sonne comme un nègre et qui a le Negro feel, je pourrais devenir millionnaire !» S’il est venu s’installer à Memphis, la raison est simple. Il nourrit une conviction : cette ville regorge de talents qui n’attendent qu’une seule chose. Quoi ? Qu’on les découvre. Oh no no no, ce n’est pas une théorie de tour d’ivoire, c’est the goddamn truth ! Mais il lui faut un capital. Il va réussir à le constituer en vendant le contrat d’Elvis pour 40 000 $. Uncle Sam devient avec ce coup-là le Clausewitz du rock.

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    Quand il commence à travailler avec tous ces petits rockers blancs, il est convaincu qu’il tient la solution. Il a tout essayé auparavant, le hillbilly, le blues, le R&B, mais ça ne vend pas. Sun ne fait que survivre. Pénible situation. Uncle Sam sent bien que cette nouvelle musique que le Billboard qualifie de rockabilly va exploser dans le monde entier - This revolutionary music that combined raw gutbucket feel with an almost apostolic sense of exuberance and joy (Cette musique révolutionnaire qui combine le raw du slap avec une exubérance quasiment apostolique) - Aux yeux d’Uncle Sam, cette musique incarne l’essence du futur, la puissance du progrès, l’ivresse du défi, tout ce en quoi il croit mordicus cubitus. Sun Records devient vite une vraie usine. Tout repose sur la confiance qu’Uncle Sam a en lui. Eh oui, cette écurie de stars n’est en réalité qu’une petite boutique, a one-man operation. Uncle Sam encourage, enregistre, produit, diffuse, vend, promeut, il est partout. Les gens qui le voient parlent non seulement de l’intensité de sa ferveur mais aussi du vif argent de son regard. Uncle Sam est hanté par le wild sound du rockabilly, un mot qu’il déteste. L’intensité de son regard est telle qu’elle fout la trouille aux gens ! Jack Clement, du haut de sa chaire en bois sculpté dit même que «le cœur du génie de Sam était de savoir inciter les artistes à vouloir lui plaire». Ce bon Jack Clement dit aussi qu’Uncle Sam est le mec le plus dynamique qu’il ait jamais croisé dans sa vie. «There’s nobody like Sam. Il fout vraiment la trouille aux gens.»

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    Uncle Sam réalise soudain que le rock’n’roll peut changer le monde, grâce au défi qu’il incarne, grâce à sa liberté émotionnelle, grâce à son essence spirituelle. Il s’enflamme très vite : «Chacun des artistes qui est entré dans mon studio portait un lui une sorte croyance en Dieu, qu’il en fut conscient ou pas, qu’il l’ait exprimée ou pas, mais ils ont tous fini par me la révéler dans la façon dont ils faisaient ce qu’il faisaient.» Eh oui, pour Uncle Sam, tout cela relève de l’essence même de la spiritualité. C’est avec l’explosion de Jerry Lee dans le petit studio du 706 qu’Uncle Sam mesure l’incalculable portée de sa vision, car au commencement était non pas le Verbe, mais un tout petit laboratoire du son qui aurait su mettre le paquet sur la spontanéité plutôt que sur la perfection - A minimum of polish and a maximum of spontaneity.

    Uncle Sam est un mec sérieux. Il s’angoisse facilement et un jour son médecin Henry Moskowitz lui conseille de boire un verre ou deux de temps en temps, juste pour calmer la tension intellectuelle. Relax ! Uncle Sam n’y avait jamais pensé. Il suit le conseil du bon docteur et se met à siffler des verre de whisky avec du lait. Il est ravi de constater que ça le relaxe et il est d’autant plus ravi qu’il se découvre un nouveau rayon d’ouverture d’esprit.

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    Lorsque Carl Perkins et Johnny Cash le trahissent en allant signer en cachette chez Columbia, Uncle Sam encaisse bien le coup. Il commence par éviter de s’apitoyer sur lui-même et se dit que la vie lui va lui réserver d’autres belles surprises. Alors here we go ! Depuis toujours, il croit dur comme fer au pouvoir de la pensée positive - the power of positive thinking - Au fond, il se dit que les pauvres Carl et Cash se font rouler par «a bunch of bullshitters talking big money» (une bande de baratineurs à la mormoille qui promettent monts et merveilles). Même chose avec Roy Orbison, lui aussi attiré par les sirènes de la bonne fortune. Mais avec Roy, c’est encore un autre problème : Roy est un perfectionniste et le perfectionnisme terrifie Uncle Sam.

    Et puis à un moment donné, il finit par perdre confiance dans ses deux mamelles, le business du disque et le défi que constitue la gestion d’un label indépendant. Il voit venir les rouleaux compresseurs. Il voit venir l’emprise du very big business sur le marché du disque et le danger que ça représente pour le processus créatif. Uncle Sam décroche. Il se met à boire. Ça le relaxe. Il adore ça. Avec son gros nez rouge, il s’intéresse à l’actualité et admire Fidel Castro, c’est un héros, un révolutionnaire digne de la Révolution Américaine. L’épisode de la Baie des Cochons le choque par son côté stupide : comment ont-ils osé s’attaquer à un homme comme Castro qui défend les intérêts de son peuple ? Au plan personnel, Uncle Sam fait exactement comme bon lui semble. Il reste marié avec Becky, mais vit avec Sally. Jamais d’explications. C’est comme ça et c’est pas autrement. Si t’es pas content, c’est la même chose. He doesn’t give a fuck, comme on dit dans la région. Il se fout éperdument de ce que pensent les autres. Vers la fin de sa vie, Uncle Sam se met à prêcher des heures entières, avec ses cheveux et sa barbe rouge. Il se livre à ce que Jack Kerouac appelle the spontaneous bop prosody, ce qu’Uncle Sam appelle le free spirit.

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    Il accepte de tourner un docu avec Morgan Neville. Le plan de Morgan est de laisser Sam talk himself out, c’est-à-dire parler jusqu’à plus soif. Mais dans la vie de tous les jours, c’est exactement la même chose. Certains soirs, Uncle Sam convoque la famille, Jerry, Knox, Sally et leur enseigne les aspects psychologiques du business. Jerry n’en peut plus : «Ça devient ridicule, on est assis là pendant dix heures à l’écouter parler.» Uncle Sam place désormais toute sa foi dans le Verbe, non seulement pour modifier la structure des molécules et déplacer des montagnes, mais aussi pour ramener Jésus et le Rock And Roll Hall Of Fame à Memphis. Il s’épuise en vain. Le Hall reste à Cleveland et Uncle Sam ne pardonnera jamais à Ahmet Ertegün d’avoir influé pour le choix de Cleveland alors que de toute évidence, le choix de Memphis s’imposait.

    Le chemin de croix de Saint-Uncle Sam est jalonné de pierres blanches, c’est-à-dire de rencontres toutes plus spectaculaires les unes que les autres. Sans Uncle Sam, pas de rock, pas de rien. On en serait restés à Perry Como. C’est aussi simple que ça. B.B. King est l’un des premiers à entrer dans le studio d’Uncle Sam, mais il joue dans un style trop prévisible, même s’il tape dans le wonderful old Mississippi feel. Mauvaise pioche, car B.B. est le cousin de Bukka White, sans doute plus intéressant. Par contre, l’exubérance de Joe Hill Louis parle plus à Uncle Sam - Let’s go hey Caldonia ! - oui, le pouvoir hypnotique de ce boogie lui plaît infiniment, il dévore des yeux un Joe Hill Louis qui se met en transe - crude, raw, perfect in its imperfection - Uncle Sam envoie l’enregistrement de «Boogie In The Park» à Jules Bihari, mais comme personne n’a signé de contrat, Bihari dit à Uncle Sam qu’il n’y a pas de deal donc il n’y a rien. Uncle Sam est tellement choqué par cette arnaque de bas étage, par cet ignoble degré de bassesse, par l’horreur de cette infamie qu’il songe à monter un label. En attendant de prendre une décision, il découvre Roscoe Gordon qui selon lui, ne joue ni du blues, ni de la pop, ni du rock - So we’re gonna call it Roscoe’s Rhythm, lui dit Uncle Sam, qui hennit d’enthousiasme comme un étalon sauvage.

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    Un beau jour Leonard le renard débarque à Memphis. Il flashe sur Uncle Sam et son studio. Il voit tout de suite le blé qu’il peut tirer d’un partenariat et lui propose un deal à 50/50 à la tope-là mon gars. Le premier cut qu’Uncle Sam lui envoie par la poste, c’est le fameux «Rocket 88» d’Ike Turner, qu’on dit être le premier disque de rock’n’roll. Grâce à ce coup fumant, Leonard le renard va se faire des couilles de veau d’or. Pas Uncle Sam.

    Et donc enter Ike, qui vient de Clarksdale. Ike fait un carton dans le petit studio d’Uncle Sam, debout derrière son Wurlitzer et tapant comme un brute sur ses touches. Et comme l’ampli guitare est crevé, le son sort en fuzz. Dans la cabine de contrôle Uncle Sam exulte. Il saute en l’air. Cet Ike que les gens n’aiment pas va rester l’un des plus grands admirateurs d’Uncle Sam, et ce jusqu’à la fin, comme on peut le voir dans le film de Dick Pearce, On The Road To Memphis. On voit en effet entrer dans le champ un Ike dressed to kill en pantalon jaune et chemise mauve et quand Uncle Sam légèrement déstabilisé par un échange musclé lui demande : «Do you love me ?», Ike lui répond sans ambages : «You know I love you. Ain’t gonna never change.»

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    Après Ike, un autre géant se pointe au 706 : Wolf. Et son guitariste Willie Johnson, cherubic face and haunted eyes, qui semble jouer sur deux guitares à la fois - The dirtiest sound you could ever imagine - Uncle Sam frétille comme un saumon en rut. À ses yeux, Wolf est l’artiste définitif, «he sang with his damn soul». Wolf emprunte son howl au blue yodel de Jimmie Rodgers, mais aussi à Tommy Johnson, le bluesman de Crystal Spings, Mississippi, qui ponctuait son blues de worldless falsetto ululations. Avec Wolf, Uncle Sam trouve enfin ce qu’il cherchait : something different - The most different record I ever heard - Aux yeux d’Uncle Sam, si on ne fait pas quelque chose de différent, on ne fait rien. Quand Wolf part à Chicago en 1954 au volant d’un pick-up de 4 000 $, avec en poche les 3 900 $ tirés de la vente de la ferme que lui avait laissée son grand-père, Uncle Sam verse des larmes de sang - Wolf aurait amené une autre approche du rock’n’roll, l’équivalent d’Elvis - Et il ajoute : «J’ai eu beaucoup de chance, mais je regrette d’avoir perdu Wolf. Ça paraît dingue de dire ça, mais c’est un fait. Personne n’a pris autant de plaisir que moi dans la musique de Wolf.»

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    Puis il flashe comme un psychopathe sur Harmonica Frank, a beautiful hobo, short, fat, very abstract. Uncle Sam dit de lui qu’il avait une extraordinaire largesse d’esprit - He had the greatest mind of his own - Et ajoute que ceux que Kerouac appelait les clochards célestes ont par nature l’esprit beaucoup plus ouvert que la moyenne des gens - and that fascinated me from the beginning - Le problème, c’est qu’Harmonica Frank est dur à vendre. Pourquoi ? Parce qu’il faut le voir jouer. C’est un visual act, il chante avec un harmo dans sa bouche, a very fascinating character et Uncle Sam dit qu’on ne gaspille pas les fascinating characters.

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    Bon, Uncle Sam renâcle à monter son label. Il sait que ça va lui bouffer du temps, alors que seule la partie créative du process l’intéresse. Certainement pas la compta. Un jour Sleepy John Estes débarque au 706. Il est aveugle depuis deux ans et vient de s’acheter un dentier. Il commence à chanter et comme son dentier le gêne, il le jette à travers la pièce. Paf ! Ça frappe beaucoup Uncle Sam qui adore les gens authentiques. Alors il lui demande de ramasser son dentier et lui dit : «Save them teeth, you might have a girlfriend that you want to see» (Ramassez votre dentier, ça peut vous servir pour draguer une copine).» Malheureusement, Uncle Sam ne parvient pas à vendre Sleepy John Estes. Cet enregistrement qu’il considère comme priceless ne sortira que trente ans plus tard, en Angleterre. Voilà où réside le génie d’Uncle Sam : dans le temps qu’il accorde à tous ces artistes extraordinaires. Et c’est loin, très très loin d’être fini. Rufus Thomas passe aussi au 706 pour enregistrer le fameux «Bear Cat», pompé sur le «Hound Dog» de Big Mama Thornton, ce qui vaudra à Uncle Sam un procès intenté par Don Robey, le propriétaire du hit. Ah et puis tiens, voilà Elvis. Première session et découverte d’un son nouveau avec un Uncle Sam qui depuis la cabine lance aux apprentis sorciers : «Try to find a place to, start and do it again !» - Et vlan, c’est «That’s Alright Mama» en une prise, sans studio tricks - There was just the purity of the music - Après cette session qu’il faut bien qualifier d’historique, quand Elvis, Scotty et Bill sont repartis chez eux, Uncle Sam reste seul au 706 pour savourer ce moment. Il vient de découvrir un continent. Mais à la différence de cet abruti de Christophe Colomb, Uncle Sam ne fera pas de mal aux gens, bien au contraire. Le sommet de sa collaboration avec Elvis sera «Mystery Train» : à la fin, on entend Elvis éclater de rire. Il croyait que la prise était finie, mais non, la bande tournait - It was in Sam’s mind the very essence of perfect imperfection (dans l’esprit de Sam, on avait là l’essence de la parfaite imperfection).

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    Uncle Sam vend donc Elvis pour sauver Sun, mais il ne peut pas schmoquer le Colonel. D’ailleurs, il l’appelle Tom, et non Colonel, et n’a absolument aucun respect pour ce porc qui l’a insulté en insinuant qu’Elvis n’aurait jamais connu le succès s’il était resté sur un petit label comme Sun. Uncle Sam a vu en outre Parker phagocyter le pauvre Bob Neal et réussir à récupérer le management d’Elvis. Uncle Sam a une sainte horreur des manigances. Alors on imagine sa tête quand il entend dire, bien des mois avant la vente effective du contrat, qu’Elvis est à vendre. Oh, une simple rumeur ! Mais ça le rend fou, car ça met sa boîte en danger. Alors il tape du poing sur la table et appelle Bob Neal pour lui demander des comptes. Il explique à ce con de Bob que cette rumeur est non seulement en train de couler Sun, mais pire encore, elle met sa vie en danger, you’re messing with my life. Il atteint un niveau de colère homérique : «That has got to stop !» (Il faut arrêter ça immédiatement). Mais c’est trop tard.

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    C’est là qu’il comprend qu’il doit vendre. Il doit passer par cette ordure de Colonel et ça le débecte, il ne supporte pas qu’on l’oblige à agir contre son gré, mais en même temps, la froideur de son intelligence lui commande d’agir et de vendre. Le génie d’Uncle Sam consiste à transformer une situation éminemment périlleuse (les manigances du Colonel dans son dos) en remise à plat financière, celle qui va lui permettre de continuer à découvrir des artistes différents en toute liberté, dans la joie de Sun et dans la bonne humeur du power suprême. Ce dont sont manifestement privés RCA et le Colonel. Quand Uncle Sam entend le premier single d’Elvis sur RCA, le fameux «Heartbreak Hotel», il grommelle - It was just too goddamn slow for a rhythm man - Et ajoute que ça sonne comme a morbid mess. Uncle Sam dit et redit à Steve Sholes, le mec qui a financé le rachat du contrat d’Elvis : «N’essayez pas de transformer Elvis en ce qu’il n’est pas. Ce serait une grave erreur que de vouloir en faire some damn country artist, ou n’importe quoi d’autre, si ça ne lui correspond pas. Just keep it as simple as possible.» Évidemment, ces pommes de terre vont faire tout le contraire et transformer un mec aussi parfait qu’Elvis en baudruche. Bien des années plus tard, Elvis invite Uncle Sam à venir le voir chanter à Las Vegas. Ils se retrouvent après le concert et Uncle Sam lui dit que «Memories» est une chanson qui plombe le set. Mais Elvis lui répond : «Mais Monsieur Phillips, j’adore cette chanson». Et bien sût il va continuer de la chanter. Et quand Uncle Sam déclare qu’Elvis est depuis Jésus le plus grand homme qu’on ait vu marcher sur terre, il est obligé de préciser : «Je ne parle pas de lui en tant qu’individu mais en tant qu’influence.»

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    Et puis voilà Carl Perkins. Uncle Sam entend tout de suite quelque chose dans sa voix There was some real push to the way this old lantern-jaws farm boy played and sang (Il y avait vraiment un truc puissant dans la façon dont jouait et chantait ce plouc à gueule de lanterne) - Il sonnait comme un hopped-up Hank Williams par la façon dont il sautait sur le râble de ses paroles. Mais Uncle Sam est encore plus éberlué par sa façon de gratter sa gratte, par les dancing little fills qu’il place entre deux hoquets spasmatiques, par la façon dont il alterne la chant et la guitare, avec un naturel qu’il n’a encore jamais vu chez les autres hillbillys. Uncle Sam est complètement fasciné par Carl’s coutagiously upbeat, shimmering hop style. Il dit à Carl qui rougit de fierté : «You’re my rocker now !» Sacré compliment, surtout après le départ d’Elvis. «Blue Suede Shoes» explose la boutique Sun. Les ventes atteignent les 865 000 copies durant le deuxième trimestre 1965. Au secours ! Ils ne sont que trois chez Sun, Uncle Sam, Marion et Sally - The world had turned upside down - Ils y passent les jours et les nuits, à faire les cartons, à taper les factures, l’enfer ! Pour Carl, Uncle Sam est un dieu : c’est lui qui lui paye ses premières fringues chez Lanski, puis sa première Cadillac. Mais quand il vient la chercher pour aller enregistrer sa première télé à New York, elle n’est pas prête. En attendant, Mr. Canepari lui propose une Chrysler Imperial huit places de 1953, «built like a railroad car», oui, solide comme un wagon de chemin de fer. Quand Dick Stuart s’endort au volant de la Chrysler, la bagnole fait quatre tonneaux et plonge droit dans un ravin. C’est la solidité de la Chrysler qui sauve la vie de Carl. Merci Mr. Canepari !

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    Mais comme chacun sait, Uncle Sam ne s’entend pas aussi bien avec tout le monde. Exemple, Charlie Feathers, the cream of the crop, un esprit incandescent basé à Shayden, Mississippi, pas loin d’Holy Springs. Un Charlie Feathers élevé au bluegrass de Bill Monroe et au cotton-patch blues, mais doté d’un sale caractère. Il ne croit personne. Il fatigue tout le monde. Uncle Sam n’en veut pas. Trop country.

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    Épisode beaucoup plus épineux : Johnny Cash. Aux yeux d’Uncle Sam, Johnny Cash n’est pas simplement un nouveau bon chanteur, c’est un chanteur différent - a singular one - Uncle Sam le fabrique littéralement. Il en fait une star. Le problème c’est que Johnny Cash se conduit comme la dernière des bordilles. Il signe en cachette un pré-contrat chez Columbia qui prend effet le jour où son contrat Sun s’achève. Méchante connerie. Johnny Cash ne sait même pas comment il va pouvoir annoncer la nouvelle à Monsieur Phillips, un homme auquel il doit tout, absolument tout, sa chemise, sa bagnole et sa femme. Sans Uncle Sam, Cash n’est rien. Sans Uncle Sam, Cash n’est qu’un con. Et ce con réussit l’exploit de lui faire un enfant dans le dos. Ah ils sont forts, les Walk the line ! Évidemment Uncle Sam entend parler de cette histoire de pré-contrat. Mais il refuse d’y croire. La rumeur persiste, véhiculée par les distributeurs. Même genre de rumeur que celle qui annonçait la vente du contrat d’Elvis. Mais si, il a déjà signé chez Columbia ! Uncle Sam n’y croit pas. Il fait confiance. Si c’était vrai, Johnny lui aurait dit. Et si c’est un problème d’argent, une augmentation du pourcentage des royalties, on règle ça d’homme à homme. Hélas, il finit par apprendre la vérité. Il appelle aussi sec ce con de Bob Neal qui est forcément au courant et lui dit qu’il arrive dans cinq minutes et qu’il veut voir Cash. Il voit Cash et lui balance, en le fixant dans le blanc des yeux : «Alors tu as signé avec un autre label ?» Et Cash répond, en fixant le sol : «Oh non, Monsieur Phillips, c’est pas vrai !» Uncle Sam est atterré. Il a des bulles au coin de la bouche. Cash lui ment ouvertement - The man was lying to him to his face - Il ment comme un arracheur de dents. Une authentique sous-merde. La reine des fiottes. Le pire résidu de fausse-couche qui ait jamais existé ici bas. Uncle Sam sait qu’il ment car il a mené l’enquête en se rendant à l’American Federation of Musicians à New York. Il sait que Cash a signé un agreement. Cash continue à nier. La scène est tellement atroce qu’on souffre avec Uncle Sam. L’air devient irrespirable. Le pauvre Uncle Sam rôtit en enfer à cause de cet homme en qui il plaçait toute sa confiance. Plus question d’écouter les disques d’un mec comme Cash.

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    Bien atteint malgré tout le power of positive thinking, Uncle Sam tente de redémarrer avec des gens comme Warren Smith et Sonny Burgess, mais la magie Sun en a pris un coup dans le casque. Bon, Uncle Sam trouve que Warren Smith dispose d’un potentiel illimité pour la country, donc c’est pas sa came. En plus, Smith n’est pas particulièrement bien apprécié par ses musiciens. Uncle Sam ajoute que Smith est le genre de mec qui a besoin d’être adulé. Mec compliqué. Par contre, c’est beaucoup plus simple avec Sonny Burgess qui ramène chez Sun un peu de ce mayhem qu’apprécie tant Uncle Sam. Il enregistre une version pourrie de «Red Headed Woman». Sonny veut la refaire mais Uncle Sam la trouve parfaite. Pareil avec le «Come On Little Mama» de Ray Harris, joué et chanté à la maniacal energy. Les paroles sont incompréhensibles et Uncle Sam adore ce genre de frichti éruptif. Roy Orbison ramène aussi sa fraise au 706 et comme il voit qu’Uncle Sam ne s’intéresse pas assez à lui, il quitte Sun dans la foulée de Carl Perkins et de Johnny Cash. Uncle Sam ne fait rien pour le retenir. Roy est trop parfait. C’est pas sa came. D’ailleurs, il avait confié à son nouveau lieutenant Jack Clement le soin d’enregistrer et de produire Roy Orbison. Clement voulait aussi produire Cash et Carl Perkins, mais Uncle Sam se les réservait.

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    Un beau jour, Jerry Lee débarque chez Sun avec son père Elmo et annonce qu’il est le Chet Atkins du piano. Comme Uncle Sam est en déplacement, c’est Jack Clement qui l’auditionne. C’est même tellement bien qu’il l’enregistre. De retour au bercail, Uncle Sam écoute la bande et s’exclame : «Now I can sell that !» Il veut Jerry Lee au 706 aussi vite que possible. Il s’aperçoit très vite que Jerry Lee est le mec le plus talentueux qu’il ait rencontré. Pas le plus charismatique (c’est Elvis), pas le plus menteur (c’est Cash), pas le plus profond (c’est Wolf), mais le plus musical, celui qui shoote le plus de jus dans sa musique. Un type capable de s’approprier n’importe quelle chanson pour en faire du Jerry Lee. Uncle Sam n’a encore jamais rencontré un type doué d’une telle confiance en lui. Et tout explose avec l’enregistrement de «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On», a breathtakingly iconic moment, J. M. Van Eaton et Roland Janes accompagnent ce démon de Jerry Lee, puis ils enregistrent l’encore plus faramineux «Great Balls Of Fire» composé par un nègre nommé Otis Blackwell. Jerry Lee monte à New York et débarque devant les caméras du Steve Allen Show et à la fin du set, il donne un violent coup de talon dans son banc de pianiste. Comme par réflexe, Steve Allen renvoie le banc d’un coup de pied sur scène. Godness Gracious ! «Whole Lotta» se vend à un million d’exemplaires. Jerry Lee explose Sun à son tour. Puis le scandale éclate à Londres et la carrière du pauvre Jerry Lee bat de l’aile. Uncle Sam fait partie de ceux qui prennent sa défense. Ses cachets passent de 10 000 $ à 250 $. Jerry Lee sait qu’il ne peut rien faire. Se jeter par terre et pleurer ? No way. Il reste Jerry Lee, the only one.

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    Avec Billy Lee Riley, Uncle Sam rencontre le même problème qu’avec Charlie Feathers : temperamental and difficult to work for. Surtout quand il a bu. Et ses disques ne sonnent pas comme des hits aux oreilles d’Uncle Sam, ce qui est bien pire. Mais quand il se rend à Chicago et qu’il voit Chuck Berry en session chez les frères Chess, Uncle Sam voit toute la différence. Pour lui, Chuck a cet abandon. Rien ne peut résister au génie de Chuck. Dernier essai avec Charlie Rich, un pianiste extraordinairement doué et amateur de jazz. Aux yeux de Barbara Pittman, la compagne de Jack Clement, Elvis était mignon, mais Charlie est vraiment un bel homme - Handsome - Uncle Sam voit clairement son potentiel artistique. Charlie Rich amène un autre genre de sex appeal chez Sun, avec ses cheveux grisonnants et sa forte stature.

    Autour d’Uncle Sam gravitent son frère Jud et ses fils Jerry et Knox. Jud s’est mis à boire pour de vrai, il boit en allant se coucher et il boit dès le réveil. Mais il est tellement flamboyant qu’on ne sait jamais s’il a bu ou pas. Jerry commence à se faire tatouer et Uncle Sam s’en aperçoit. Il lui lance : «Man, if you want to be a freak why don’t you just cut your damn arm off ?» (Fils, si tu veux te rendre intéressant, pourquoi ne te coupes-tu pas un bras ?). Une sortie digne des oracles de Delphes qui reste dans la légende de la famille Phillips.

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    Mais au fond de lui, Uncle Sam en a marre. Il songe déjà à vendre Sun. Il voit comment évolue l’industrie musicale et il sent que les jours des labels indépendants sont comptés. Inutile de se raconter des histoires et d’en raconter aux autres, surtout aux artistes sous contrat. Le 1er juillet 1969, il vend Sun à Shelby Singleton. Il faut savoir que Warner Bros. a racheté Atlantic en 1967 pour la coquette somme de 17,5 millions de $ et Leonard le renard a vendu Chess à GRT 6,5 millions de $ en décembre 1968. Le moment est venu de passer à autre chose. Jerry Lee en veut terriblement à Uncle Sam : «Sam Phillips screwed everything up». Après la vente, Uncle Sam décide de se retirer et pendant vingt ans. C’est simple, il disparaît complètement des radars. Il vit de ses rentes et gère des stations de radio. Il se laisse pousser les cheveux et la barbe et teint tout ça d’une couleur qui mettra un peu de temps à se stabiliser. Méchant look ! Pour lui, c’est plus une question d’obligation que de vanité de soigner son look.

    Lorsque le docu de Morgan Neville est présenté à Memphis, on organise à la suite un concert en l’honneur d’Uncle Sam. Fier d’avoir été avec les Jesters le dernier artiste produit par Uncle Sam, Jim Dickinson monte sur scène et claque une violente version de «Cadillac Man». Puis Billy Lee Riley, costard rouge et white hair rocks the house avec son vieux «Red Hot». S’ensuit Ike Turner, aussi jeune de corps et d’esprit qu’Uncle Sam, qui s’en vient stormer Memphis avec «Rocket 88». C’est à Jerry Lee que revient l’honneur de fermer la marche des géants, ce qu’il fait in typical Jerry Lee Lewis fashion, avec un coup de talon dans le banc de pianiste.

    Uncle Sam est un gros veinard. Ses deux femmes, Sally et Becky l’ont adoré jusqu’au bout. En 1993, pour le cinquantième anniversaire de leur mariage, Becky lui écrivit : «Mon très cher Sam. Voici cinquante ans, j’ai offert mon cœur à l’homme de mes rêves. Dès le premier moment où je t’ai vu, ce jour de pluie en septembre, j’ai su que tu serais l’homme que l’allais aimer ma vie entière. C’était un sentiment vraiment surprenant. J’en étais convaincue, sans même y avoir réfléchi. J’éprouvais réellement ce sentiment... alors que je te voyais pour la première fois avec ce vent et cette pluie sur tes cheveux.»

    Signé : Cazengler, Sam Syphilis

    Peter Guralnick. Sam Phillips. The Man Who Invented Rock’n’Roll. Little, Brown 2005

     

    Le dilemme de Wilhelm

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    Un vieux copain d’enfance me disait l’autre jour : « La dernière fois que je t’avais vu dans les années soixante-dix, tu avais l’album de Mike Wilhelm dans les mains. Et quand je t’ai revu trente ans plus tard au salon, tu avais le même disque dans les mains. Bizarre, n’est-ce pas ? »

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    Bizarre en effet. J’avais ramené cet album de Londres en 1976. Mike Wilhelm était entré chez moi par la grande porte avec Loose Gravel et le single « Frisco Band » et il faisait alors partie de la bande des héros, au même titre que les Groovies, les Stooges et Captain Beefheart, Jerry Lee, Wolf et Jesse Hector. Il est vrai qu’à l’époque de la parution du single, nous écoutions « Frisco Band » en boucle. Et cet album ramené de Londres - simplement titré Wilhelm - n’en finissait plus d’épater la galerie. On trouvait sur ce disque des versions imparables de classiques du blues, de type « Dust My Blues », que Mike envoyait dans la barbe d’Elmore, il fallait voir comme. On sentait tout de suite que Mike Wilhelm était un éminent spécialiste du blues. Il sortait un son énorme, avec ce vieux standard. Chris Wilson faisait partie de l’équipe qui jouait « Slow Blues », un blues classique joué dans la meilleure des traditions. On trouvait aussi sur cet album le fameux « Junko Partner » dont parle Dr John dans se mémoires, le chant des taulards d’Angola. Dennis Wilson se trouvait dans les chœurs. Mike Wilhelm tapait aussi dans le folk-rock dylanesque avec « Goin’ To Canada ». Il chantait à la force d’une voix terrible. Et on tombait ensuite sur « Styrofoam », popularisé par Sean Tyla, pur jus de blues-rock monté au gimmick marche-arrêt dans une fantastique ambiance de son clair. Encore plus spectaculaire : « Black Mountain », fouillis de guitares monté sur drumbeat choo-choo train, fantastique épopée et l’harmo fait le sifflement du train round the bend. Puis Mike tape dans une subtile compo de John Phillips, « Me And My Uncle » et en fait un blues de desperado, c’est la vraie voix du blues blanc - Texas cowboys rode into town - Il tape ensuite dans le psyché californien de très haut vol - type Moby Grape - avec « Hear The People ». C’est le grand rock californien pris dans la vélocité des nappes de bottleneck ensoleillées. S’ensuit un fantastique heavy blues, « Bad News », amené au stomp, et on sent la merveilleuse alchimie de la moutarde qui monte au nez. Il termine sur un hommage sidérant à Robert Johnson, « Phonograph Blues », qu’il joue seul. Vous cherchez un grand disque ? En voilà un.

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    Pour ceux qui voudraient écouter « Frisco Band », rien de plus facile : on trouve ce cut magique sur une espèce de compile parue en 1996, « Thanks For The Memories ». Il semble que Loose Gravel ait été enregistré en 1976 dans un café de Frisco. Les morceaux sont exceptionnels. Mike Wilhelm et ses deux collègues jouent une sorte de folk-rock acide, au sens ravageur du terme. Avec « Blue Skies & Sunshine », il tape dans l’atmosphère des bouges. « Can You Do it/ Waiting In Line » est un vieux boogie blues sans espoir. Mike Wilhelm attaque « Frisco Band » au bottleneck et emmène le cut aussi sec à l’autel des dieux du rock. Il chante ça au velouté, avec un léger parfum de gangstérisme - We’re a Frico band in your town - Il enchaîne avec le « Love In Vain » de Robert Johnson et indique que le vieux Robert l’a volé à Mick Jagger en 1936. Hommage stupéfiant. Il fait décoller ce truc et bricole une chute terrible - All my love in vain - Il continue avec du Robert Johnson revu et corrigé par Johnny Cash : « Travelin’ Riverside Blues ». On tombe sur le vieux tagaga des Memphis Three. Mais Mike en fait une horreur de blues rock. Puis c’est « Gravel Rash », boogie blues rock embarqué pour le meilleur et pour le pire - Gravel rash baby ! - et il revient au heavy blues pour « Sittin’ On Top Of The World ». On trouve à la suite des versions superbes de « Styrofoam » et de « Dust My Broom ». Mike chante comme un bandit de grand chemin. Il tape aussi dans le fameux « The Last Time » des Stones pour rigoler. Le riff est là, fidèle au poste. Pour un disque passé inaperçu, c’est pas mal, non ?

    Desperado ? Charlatans ? Loose Gravel ? Avec Mike Wilhelm on entre dans un univers exceptionnellement riche. Il suffit de voir les rares photos de Loose Gravel, ce trio de bikers californiens chevelus qui ressemblaient à de vrais truands. Mike Wilhelm portait les cheveux longs séparés par une raie sur le côté, une longue barbe et du cuir noir. Ses joues étaient creuses et sa mine rébarbative. Sur son site, il fait mention de la piraterie et rappelle qu’il existe un lien entre San Francisco et les pirates, par le simple fait que Robert Louis Stevenson y séjourna. Stevenson ? Oui, l’auteur de L’Ile Au Trésor et donc de la fameuse chanson « The Derelict » qu’on retrouve sur le mini-album « Back On The Barbary Coast » qu’il enregistra avec Chris Wilson - Fifteen men on a dead man’s chest/ Yo ho ho and a bottle of rum ! - Mike et ses frères de la côte - James Ferrel, Danny Mihm et Chris Wilson - trinquaient à la santé du diable avec « The Derelict ». Ils entonnaient cette chanson de pirates avec ferveur et nous donnaient à savourer un pur moment de sauvagerie mythologique.

    Il faut dire que Mike Wilhelm est une force de la nature. Il parle comme Mark Lanegan d’une voix naturellement grave, joue de la guitare comme un virtuose et combine tout ça avec une physionomie d’aventurier, visage taillé à la serpe avec des pommettes hautes et le regard plissé d’un homme qui ne craint ni la mort ni le diable.

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    L’amusant de la situation est qu’il a, comme beaucoup d’artistes cultes, échoué à une époque sur New Rose : on trouvait sur ce label si injustement critiqué des gens comme Bruce Joyner, Jeffrey Lee Pierce, Chris Bailey et Tav Falco, pour ne citer que les plus connus. Mean Ol’ Frico parut sur New Rose en 1985 dans la plus parfaite indifférence, et pourtant, quel album ! Mike y chantait « A Moving Experience » d’une voix de crocodile et attaquait ensuite un boogie blues affolant de tenue et d’intégrité, « Can’t Bank On You ». On trouvait dans son backing band des gens comme John Cipollina et Greg Elmore, de Quicksilver. Cipo passait une fantastique partie de slide dans « Howard Hughes Bughes » et on se retrouvait dans une espèce de Chicago blues à la Butter avec de l’harmo, des cuivres et un joli driving beat. Wow, quel son ils sortaient ! Puis Mike tapait dans une vieille compo de Van Dyke Parks, pur country-rock lumineux qui renvoyait au temps béni des Charlatans. On avait là une vraie chanson au son plein et imprégnée d’esprit intrépide. Mike Wilhelm jouait comme un dieu. Précisons qu’à cette époque, on trouvait très peu de disques de ce niveau. Puis il nous gâtait avec une reprise sublime de « Chimes Of Freedom » et marquait ainsi son allégeance à Bob Dylan. Sur la B, il repassait au son classique californien avec « Jamming In The Park » qui sonnait comme Quicksilver, logique, vu qu’on y retrouvait Cipo, Greg Elmore et le beat de « Mona ». S’ensuivait un « Bead Deal Blues » intense et suivi à la clarinette et Mike revenait à Dylan avec « From A Buick Six » superbe d’embarquement pour Cythère. Pour finir, il rendait deux hommages vibrants : le premier à Muddy avec « All Aboard (Mean Ol Frisco) » chanté dans l’esprit et battu à la diable par Greg Elmore, et le second à Big Bill Broonzy, « Keys To The Highway » qu’il jouait à la décontracte absolue. Ah mais quel fantastique bluesman !

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    Autre album de Mike Wilhelm sur New Rose : Wood And Wire. C’est l’occasion de tirer un coup de chapeau à Patrick Mathé, le boss de New Rose, qui fit paraître un album condamné d’avance. Mike Wilhelm joue ses cuts à l’ongle scintillant et au picking éclairé, avec un son extraordinaire. Avec « Charlie James », on s’ébahit de la virtuosité de ses ongles. Ah il faut l’entendre ramener sa grosse voix de bouc ! Il chante « 500 Miles » comme un punk et joue en picking. Il gratte tous ses trucs à l’ongle sec. Ce picking de cordes claires finit par monter au cerveau. Avec Nob Hillbillies », on voit qu’il en pince de plus en plus pour le picking. Mike Wilhelm pourrait bien être l’orfèvre florentin du bluegrass d’herbe grasse. Il joue « C Street Rag » au coin d’un chariot de la Conquête de l’Ouest. Franchement, le mec de New Rose était courageux de sortir un album aussi âpre - comme le sont tous les albums de puristes, Don Cavalli, John Fahey, etc. - Mike Wilhelm prend « Devil’s Gate » à l’haletante. Il joue des arpèges mystérieux et passe à la virtuosité survoltée. Avec « I Saw Her », on croirait entendre Alexandre Lagoya au coin de feu, dans les ruines d’un ranch isolé. Il a une flèche plantée de la dos et au loin hurlent les coyotes. Il va bientôt s’écrouler dans les braises. Puis il claque « Ghost Train » à l’ongle SNCF et tape « Love Is Strange » à l’arpège cavaleur. Il y a dans cet album un brouet de technicité qu’on ne voit pas couramment.

    Les Charlatans étaient comme les Groovies, un gang à part. Ils s’habillaient avec des costumes « victoriens » et sur pas mal de photos, on les voit porter des armes. C’est l’époque où ils jouaient au Red Dog Saloon, à Virginia, dans le Nebraska. Ils portaient des armes, parce que dans ce patalin, tout le monde en portait. Mike portait un Colt 45 Peacemaker et les autres avaient des Derringers. Il avait aussi un 357 Magnum chargé dans la poche arrière. Michael Ferguson portait en permanence un Beretta. Mike explique qu’il n’y avait que 5 flics dans tout l’état et des rednecks partout. Alors forcément, comme les Charlatans portaient les cheveux longs, ils se mettaient en danger. Les gens disaient à Mike :

    — T’as l’air d’un freak et tu portes une arme ? Alors tu ne dois pas être si con que t’en as l’air.

    À l’époque des Charlatans, Mike est surtout fasciné par Nervous Norvus, Johnny Cash et Carl Perkins qu’il tient pour l’un des plus grands guitaristes de rock. Il écoute aussi John Lee Hooker et B.B. King (« Powerful stuff »). Il rappelle surtout qu’il s’est mis à jouer de la douze cordes à cause de Leadbelly. Sa première douze fut une Dan Electro puis quand il en eut les moyens, il s’offrit une Rickenbacker.

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    L’album officiel des Charlatans sort en 1969. Il s’ouvre sur un énorme classique folk-rock digne des Byrds, « High Coin ». On sent immédiatement la classe dominante. On trouve quatre brillantes compos de Darrell De Vore sur cet album, à commencer par « Easy When I’m Dead » joué avec le brio du brillant. « Time To Get Straight » est digne de figurer sur l’album « Five Dimensions » des Byrds, ainsi que « Doubtful Waltz » et « When The Movies Are Over ». Cette belle pop psyché sonne au velouté du gros cirque californien. Ces morceaux envoûtent littéralement. Mike Wilhelm se réserve la part du lion avec « Folsom Prison Blues ». Il sort sa meilleure vox populi et joue ce cut culte au picking des Appalaches mâtiné de bluegrass d’Orzac. Wow, quelle petite pêche alerte ! Ça grouille de jus. Mike prend son « Wabash Cannonball » au débotté et en fait un sacré rock’n’roll de country-size des collines de la frontière sauvage. Ce mec sait rester altier. Mike Wilhelm fut conçu pour jouer et chanter du rock, ça ne fait aucun doute, il a toutes les incitations, toutes les déclinaisons, toutes les dispositions et toutes les installations pour ça.

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    Deux albums des Charlatans sont sortis dans les années 80 : Alabama Bound et The Autumn Demos. L’un comme l’autre sont hautement recommandables car très joués. C’est la branche swing de la scène de San Francisco. Quand on écoute « Alabama Bound », on voit que ces musiciens sont très sérieusement ancrés dans le son bluegrass d’accords clairs. Ils jouent comme de parfaits démons. Voilà ce qu’il faut bien appeler un jug-band, comme l’étaient les Groovies au temps de Sneakers. De la même façon que Jim Dickinson, ils se passionnent pour le « Codine » de Buffy Sainte-Marie. Le morceau-phare de l’album s’appelle « Devil » - I’d like to be the devil to satisfy my man - Sacrément accrocheur, arpeggié dans l’âme. Et on a ce fabuleux country-rock à la suite, « Long Came A Viper », beau brin de hit dylanesque, avec exactement la même diction. Sur « By Hook Or Crook », ils sonnent carrément comme les Stones d’« Off The Hook » et sur « Baby Won’t You Tell Me », Mike Wilhelm prend un solo à la sauvage incroyablement dédouané. L’A s’achève sur l’excellence ferroviaire de « Side Track ». Ils démarrent la B avec une reprise des Coasters, « The Shadow Knows » et enchaînent avec « 32-20 » de Robert Johnson, emmené à grand train de choo-choo et joué à la dentelle des enfers par l’ami Mike. Ah quel rythme ! Ce mec est beaucoup trop doué. Quant au mimi-LP des Autumn Demos, c’est encore pire. On goûte à l’incroyable vitalité du son dans « The Blues Ain’t Nothing ». Ces gens-là ont le diable dans le corps. En B, on tombe sur « No 1 », une belle pièce de folk-rock qui sonne comme un hit inconnu et qui est une parodie des hits sixties. Quant à « Jack Of Diamonds », c’est joué au tagada, mais pas celui de Johnny Cash, c’est un tagada beaucoup plus soutenu. On est là dans le far-west de saloon. Simple souci cohérence.

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    Mike Wilhelm est toujours d’actualité. En 1997 paraissait Live In Tokyo et bien sûr il attaquait avec « Banzai Boogie », un énorme raid de boogie. Plus loin il présentait « Charlie Jones » : « This is a song I learned from Mance Liscomb, from Texas. It’s called Charlie Jones ! » - Et il nous claquait ça à l’arpège ultime. Puis il annonçait « Stateboro Blues » : « This is by Blind Willie MacTell ! » Et il jouait des milliers de notes claires. Ça devenait particulier, car on entendait beaucoup trop de notes. Même chose avec « Friend Of The Devil », trop chargé de notes claires. Mike nous chantait ça au beau baryton tout en démultipliant ses kyrielles de notes translucides. Puis il allait chercher « Fresno Shuffle », un vieux shuffle des années cinquante. Il swinguait bien son chant, oooh bah doo bee doo wapp ! Il revenait au blues des origines, avec Robert Johnson et son fameux « Come On In My Kitchen » et comme John Hammond, il enchaînait avec « Walking Blues » - My favorite memory of Pigpen playing guitar for the Grateful Dead - Il présentait chaque fois ses chansons d’une manière spéciale. Pour « C Street Rag », il lançait aux Japonais : « That sounded like many pianos pushed down a cliff. This is my attempt to recreate that sound ! » - Et il bouclait son set avec un fantastique « Love Is Strange » joué en duo avec un guitariste japonais - When you get it you never want to quit !

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    En 2002, il sortait « Junko Partner », encore un sacré disque, qui est aussi une sorte de compile, puisqu’on y retrouve pas mal de choses connues de nos services. Elle vaut évidemment d’être traquée et rapatriée, car c’est du double concentré de Mike Wilhelm. On y retrouve le fantastique « Goin’ To Canada », fantastique aventure folk-rock des familles, ainsi que « Styrofoam », vrai punk-rock stratosphérique. Mike revient à l’Americana des Appalaches avec « Black Mountain » et c’est avec une joie non feinte qu’on retrouve sa fabuleuse version du « Me And My Uncle », le folk-blues signé John Phillips. Avec « Slow Blues », on est au cœur du blues à l’état le plus pur et Mike enchaîne avec sa version sauvage de « Dust My Blues ». Merveilleuse pièce que ce « Bad News » heavy-boogie joué à la slide. Puis il sort sa meilleure voix de crocodile pour « A Moving Experience ». Comme tous les grands chanteurs américains, il bouffe tout. Il passe ensuite au heavy blues avec « Can’t Bank On You » et nous gratifie d’une belle dégelée atmosphérique. Et voilà une version magique de « High Coin », l’un des hits de l’album des Charlatans. Rien d’aussi lumineux, Mike l’emmène au paradis du picking enchanté. C’est mélodiquement pur et rehaussé de tortillettes country. Hallucinant ! Pur génie. On voit rarement des cuts aussi effervescents. Puis il explose littéralement le beau « Chimes Of Freedom » de Dylan. Il rejoint son idole à l’angle de la mélodie. Il rend aussi hommage à Bo et à Quicksilver avec « Jammin’ In The Park », puis avec « From A Buick To Six », il devient carrément violent. Ça reste hot jusqu’au bout du disque, avec d’autres merveilles du type « All Aboard » ou « Keys To The Highway » de Big Bill Broonzy. Encore un album dont on sort sur les genoux. Trop de qualité et trop de densité. C’est le genre du disque qu’il faut éviter lorsqu’on sait sa constitution fragile.

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    Live At The Cactus date de 2007. C’est toujours Patrick Mathé qui veille au grain puisque l’album est paru sur Last Call, qui est la suite de New Rose. Ce disque propose un concert enregistré au Cactus, à Rennes, en 1993. Le syndrome Wilhelm se reproduit : trop de virtuosité. Il tape dans les Byrds avec une reprise de « Feel A Whole Lot Better » qu’il pince et qu’il repince à la folie. Puis il passe à Dylan avec « Chimes Of Freedom ». Ce mec joue vraiment comme un démon. Les notes jaillissent de partout. This is a train song, lance-t-il pour présenter « 500 Miles » et le train accélère. Il noie ça dans les arpèges. Il joue à l’effervescence pure. Il claque des vieux accords de blues pour « Slow Blues ». Il chante ça d’une voix de mentor et éclate un nouveau coup de « Devil’s Gate ». Il prend « If You Live » de Mose Allison au boogie blast et claque des vieux coups de night time pour « Night Time Is The Right Time ». Mike Wlihelm est un bouffeur d’écran. Il perd patience et attaque fiévreusement son « Dust My broom ». Il passe ensuite au saint des saints avec une version hallucinante de « Shake Some Action ». Il joue le riff à merveille - I will fly away/ to get to you some day - Et il redescend comme il faut sur le petit passage d’accords du refrain. Il sait aussi jouer le ragtime, comme on le constate à l’écoute de « Make A Pallet On Your Floor ». C’est énorme d’Americana patentée. Le voilà qui s’en prend à « Statesboro Blues » qu’il chante avec force et il met « Johnny B. Goode » en charpie. Il explose tout.

    Aujourd’hui il n’explose plus rien, puisqu’il vient de casser sa pipe en bois. Voilà un autre géant qui disparaît de la surface de la terre, mais ne cédons pas à la tristesse, car Mike Wilhelm ne rêvait que d’une chose : monter au paradis des nègres retrouver tous ces vieux crabes qui le fascinaient, à commencer par Mance Liscomb et Robert Johnson. Il est d’ailleurs l’un des rares blancs avec Jim Dickinson autorisés à entrer là-haut.

    Signé : Cazengler, le Wilhain petit connard

    Mike Wilhelm. Disparu le 14 mai 2019

    Charlatans. The Charlatans. Phillips 1969

    Mike Wilhelm. Wilhelm. United Artists ZigZag 1976

    Mike Wilhelm & The Frisco Jammers. Mean Ol’ Frisco. New Rose Records 1985

    Mike Wilhelm. Wood & Wire. New Rose Records 1993

    Loose Gravel. Thanks For The Memories. Bucketfull Of Brains 1996

    Mike Wilhelm. Live In Tokyo. PSF Records 1997

    Mike Wilhelm. Junko Partner. Mis 2002

    Mike Wilhelm. Live At The Cactus. Last Call 2007

    Charlatans. The Autumn Demos. Line Records 1982

    Charlatans. Alabama Bound. Eva Records 1983

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    Cream Puf War #2. February 1993

    17 / 05 / 2019MONTREUIL

    LA COMEDIA

    KRITTERS / PANIK LTDC

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    La teut-teuf carbure, je suis à la bourre, l'a beau slalomer et griller les feux, elle ne s'appelle pas Marcel Proust, elle ne peut pas rattraper le temps perdu, comble d'énervement la radio ne diffuse que de la daube noire, un truc à pousser les auditeurs sur les rails du premier train qui passe. Bref entubé dans l'embouteillage, j'en viens par désespoir à caler le poste sur Europe 1. C'est ici que se révèle l'influence protectrice que les Dieux de l'ancienne Hellade exercent sur ma modeste personne, depuis le premier jour de mon existence, voire même depuis l'instant originel de ma conception, car de cette position ondine des plus humainement raplapla, naîtra tout à l'heure une de ces coïncidences extraordinaires, qu'André Breton a théorisé sous le concept de hasard objectif. Mais je ne vous en dis pas plus pour le moment. La conjonction suprême s'établira plus tard. En attendant l'animatrice Emilie Mazoyer annonce sans s'y attarder la sortie du nouveau disque de Christophe composé de duos, intitulé Christophe, ETC.

    I'M NOT YOUR ANIMAL

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    Pas du tout une profession de foi personnelle, perso I' wana be your vicious beast si, et uniquement si, vous êtes belle et très riche, c'est le nom du groupe que je n'ai pas vu. Plus exactement à la prestation duquel je n'ai assisté qu'à la toute fin de la prestation, un morceau et demi. Puis toujours me vanter d'avoir vu la queue, renardière, de l'animal enfui. Comme dit Platon, c'était beau, juste et vrai. Mélodie – pas du tout en sous-sol – mais superbement envoyée, du vent portant dans les voiles et une belle allure. De l'americana pur jus, normal puisque Dave Rosane, d'origine américaine, reste impassible sous sa casquette et au vocal, le restant de l'équipage s'active au doigt et à l'œil, et l'ensemble vous a un de ces goûts de revenez-y, un peu comme la boite à gâteaux en fer dans laquelle vous n'arrêtiez pas de puiser toutes les cinq minutes lorsque vous étiez un insupportable gaminos. Bref à revoir in extenso.

    ( Document : FB : Rey Ducul )

    CRITTERS

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    Changement de climat. Proviennent d'un pays dans lequel la mélodie n'existe pas. Vous montent le son comme vous dressez un mur de parpaings devant la porte de votre perception. Esthétique béton armé. Sont les adeptes d'un punk trash citadelle. Autant pour se défendre que pour attaquer, rien de plus jouissif que de faire s'écrouler les murs que l'on vient de construire sur le corps de vos ennemis afin de faire sauter les cadres vermoulus de notre vieux monde. Guitares incisives, batterie broyeuse, voix caninesque, les Critters ont les dents longues, un seul programme déchirer la bêtise ambiante, mastiquer les mastodontes qui nous écrasent. Les Critters produisent le son qui tue, qui vous tombe dessus et vous plaque contre vous-mêmes. Pas moyen de transiger, cette musique est un appel à la résistance totale, sans rémission. Un réservoir d'énergie brute dans lequel il faut prendre des forces, se ressourcer, acquérir une nouvelle vigueur. La set-list est toute une programmatique : Crève, Guerre, Illusion, Contrôle, Marche, Délirium, Mort, Retour, une rage sublunaire, hécatienne, ne vous laissent aucun répit, adoptent la technique du punk bulldozer, là où ils passent les illusions ne repoussent pas. Baptiste, Ben, Raphaël et Dagon – bonjour Lovecraft – nous offrent le punk du non-retour à la situation initiale, sont à vos trousses, vous poussent, et vous mordent cruellement les talons et les tympans pour vous embarquer dans leur croisière destructrice. Rajoutent le zeste empoisonné de l'humour au cyanure, rien de tel pour remplacer le sel que l'on étale sur les blessures que l'on vient d'occasionner. Un set mené tambour-battant qui vous revivifie et vous file l'impression que vous vaincrez un jour ou l'autre.

    PANIK LTDC

    Pas de panik, les troubadours du chaos sont de retour. Avaient fait leur apparition au début des eighties, enregistré un album en 1983 devenu légendaire, puis s'étaient volatilisés comme un sel de nitroglycérine qui ne supporte pas les états de grande stabilité. Ont dû s'apercevoir qu'ils manquaient à l'équilibre des forces en présence car ils se sont reformés et les voici de nouveau pour continuer le combat rock.

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    Quatre sur scène. Rey Ducul est à la batterie. L'a la haine, ou un amour démesuré – les sages nous ont appris que toute passion est à proscrire – en tout cas cela l'habite et lui file un pêchon inimaginable. L'objet de sa plus grande convoitise ou de son ire dévastatrice, c'est sa caisse claire. La regarde d'un air sombre. Y revient toujours, n'a pas batifolé sur un tom ou sur une cymbale qu'il se retourne vers lui, et en avant la castagne, vous l'azimute salement, l'est pris d'une fureur sacrée, on ne sait pas pourquoi mais en tout cas le résultat est d'une efficacité redoutable, avec un tel élan le combo ne peut que rocker à mort. Train d'enfer et rocket man.

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    Faux flegmatique Denis de Wiz, l'a sa technique à lui pour coller ses lignes de basses sur la cataracte de son drummer, en épouse toutes les secousses avec une facilité déconcertante, un hercule de foire qui vous sinuoïse les barres d'acier suédois sans effort apparent, il vous les ondule comme de vulgaires élastiques, ressemblent aux méandres de la Seine sur la carte de France, vous les sort et vous les tord en style toboggan de la mort. Z'avez intérêt à avoir les oreilles bien accrochées pour suivre le déferlement des vagues tempêtueuses.

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    Dans sa chemise à carreaux et son pantalon noir, avec son air sage et concentré, vous pensez que c'est le seul membre de cet équipage de forbans que Tante Agathe admettrait de recevoir à sa table. Ne l'invitez point, l'est du genre à cacher un explosif dans la soupière fumante. L'a sa manière à lui de poser le riff Papagaz  APoil, ne vous le brosse pas du tout dans le sens indiqué par son surnom, ne l'enveloppe pas dans la gaze, vous fait exploser la bouteille de butane, au moment où vous ne vous y attendiez pas, vous prend par surprise, par traîtrise, et puis il se retourne vers sa guitare comme si c'était un objet des plus anodins. Furie froide.

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    Un trio d'enfer, qui vous charge les canons des deux côtés par la gueule et la culasse. Mais tout cela ce n'est rien. Pouvez avoir le meilleur des bands, mais ce sera la débandade si vous n'avez pas un chanteur, un vrai, qui vous prend les choses en main. Suffit de pas grand-chose, un micro, une voix et l'autorité naturelle du torero qui vous guide le taureau vers la mise à mort sans état d'âme. Christian Panik a tout en magazin. Un look de pirate, crête d'iroquois et tatouages de flibustier, au Louvre vous pourriez étiqueter la réplique en bronze de son chef, tête de gladiateur ou d'empereur, Spartacus ou Commode, en tout cas pas un commode, ne venez pas lui marcher sur les arpions, l'est le punk survivor, mais attention grattez l'écorce, vous trouverez le rocker, cette manière de brandir le micro à la Gene Vincent, ou de s'y plier dessus, comme s'il regardait un cobra entre les yeux... ne chante pas, il éructe, vous assène les mots comme la bôme folle de la voile d'artimon qui s'en vient fracasser les crânes, l'a le verbe haut qui saccage les consciences, les vocables-torpilles qui décanillent les certitudes, les phrases-oriflammes qui s'enflamment et vous marquent le cerveau au fer rouge, l'a l'air terrible du vieux boucanier qui ne fait pas de quartier, pas jeune mais encore vert, met genou à terre, reprend souffle contre un baffle, se relève et repart au combat, avec encore plus de rage.

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    Les Panik sont bien les fils du kaos. Vous tourneboulent la salle comme une serpillère, devant la scène c'est le souk, la chierie chérie des anarchistes, la chienlit, le pandemonium... total Panik !

    Damie Chad.

    ( Photos : IF LEOUF )

    P. S. : non, je n'ai pas oublié ce que je vous ai promis dans l'intro, c'est dans la chro suivante.

    AUJOURD'HUI PLUS QU'HIER...

    PANIK LTDC

    ( 2018 / Combat Rock / CR 095 )

    Guy Benarroch : guitare / Christian Rivi : chant / Guillaume Medard : basse / Reynald Melloni : batterie

    Couverture esthétique minimaliste punk, deux couleurs : noir désespoir et vert cru. Nous ne sommes pas loin de la couverture du disque des Pistols, mais le montage photos trash à l'intérieur se rapproche de l'iconographie de Clash.

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    L.T.D.C. : pure french punk, l'est clair que la voix est posée devant, l'accompagnement derrière, montées et retombées de guitares, le message est privilégié, un hymne à la fidélité à la soi-même, Les Troubadours Du Chaos sont de retour, ne renient rien de leur passé, le monde a peut-être changé, mais le punk est toujours là, la situation a empiré, il y a encore, et plus que hier, besoin de L.T.D. C. Ton existence : ne pas être un convaincu de sa propre insuffisance est un constat de vaincu. A chacun sa responsabilité existentielle. Se faire violence est nécessaire. Ne pas se plaindre, ne pas avoir pitié. Ne pas creuser sa propre tombe, c'est ainsi que l'on apprend à vivre. Juste un vieux punk : ouverture mélodramatique la batterie embraye et les guitares s'embrasent, parfois l'on donne l'image d'une tour de guet délabrée rongée par le lierre mais la fierté est toujours là, la guerre n'est pas terminée, le vieux punk est de retour et son chien a les crocs, étendard d'un slogan et feu nourri de guitares comme un ultime baroud d'honneur. Aujourd'hui plus qu'hier : le chant de la survie et de la renaissance, il est temps de sortir de la chrysalide dans laquelle on s'était laissé enfermé, les guitares se taisent et la voix scande son désir de vivre encore ses rêves au grand jour sur les barricades de la faim du monde, sifflottement de Gavroche final. J'ai pas envie : longue intro musicale, un regain d'adolescence, le refus du monde tel qu'il se présente, simplement être soi contre tous, pas de solution, revendication stirnérienne de sa propre unicité, envers et contre tout. Ne rien vouloir du monde et des autres. Ethique punk. Juste avoir les mots qui cartonnent et détruisent. Je ne suis pas un gourou, juste un accélérateur de particules humaines. Un agrégateur de colères brutes. Superstar : critique sardonique du star system médiatique, à chacun sa voice, dénonciation de l'intérieur, parfois il est nécessaire d'endosser le costume de la médiocrité affligeante pour mieux en dévoiler les insuffisances, entre l'être et le paraître il faut savoir choisir. Ils sont tous là : belle intro pulsative, qui crache sa violence à la gueule du monde, dans la série il vaut mieux être seul que mal accompagné, ne pas céder aux belles promesses, aux sourires enjôleurs, ce sont des plantes carnivores qui te font signe pour mieux t'assimiler, une seule échappatoire : rester dans la tribu des irréductibles. Julia : rien à voir avec une chanson d'amour aussi creuse qu'un arbre mort, mais un refrain d'avertissement, petite le monde n'est pas un conte de fée, la vie est un combat, ne jamais transiger avec ses rêves, vaincre la tentation du néant, la route est dure mais tu en es capable. Ton sourire en est la preuve. La nuit je mens : reprise vitaminée de Bashung, faut du culot pour transformer l'onde crépusculaire en cri de haine et de colère, en sentier de feu, être sa propre murène se mordre les flanc de rage devant l'inconstance du monde et de soi, parfum subtil d'auto-dérision, il ne faut s'en prendre qu'à soi-même. Une relecture décapante, un a-romantisme cruel. Toujours tourner le couteau contre soi-même. Version scalpel. Après le set Cristian Rivi m'apprend que Christophe lui a demandé de partager un de ses duos. La vie que j'aime : c'est ainsi et rien d'autre. Être soi et le crier bien fort. Vivre à fond. Idées et désirs. Délires d'éros et franc-parler. Punk for ever. Never dead.

    Il existe une profonde contradiction entre le nihilisme fondamental du punk et la revendication claire et précise de son éthique. L'anglais monosyllabique bouffe et brouille les mots, les ravale à peine prononcés, dévalue en quelque sorte leur portée ''philosophique'', teinte de dérision toute déclaration de principe. La clarté élocutoire des voyelles françaises interdit ce genre de subterfuge. Panik s'est attaqué à cette gageure, énoncer clairement le message, le revendiquer, l'articuler proprement. La voix de Christian Rivi n'est donc pas noyée dans le fond sonore. Les guitares grondent méchamment et la batterie est une véritable chasse à courre. Mais le chant mixé devant, cette option est d'autant plus accentuée que dans plusieurs morceaux la voix se retrouve seule en première ligne, ou soutenue par les chœurs. Ce parti-pris sera jugé par certains comme une transgression, une dérogation aux lois vocales du chant rock, mais le punk n'est-il pas lui-même une transgression ! L'on peut aimer, ou ne pas aimer, mais cette tentative ne laissera pas l'auditeur indifférent. Risque même de le séduire.

    Damie Chad.

     

    SUDDEN / NAKHT

    ( Vidéo-clip / 2019 )

    Soirée apérock au Chaudron, au Mée-sur-Seine, non il ne s'agit pas d'un concert, mais de la projection du clip du premier single du prochain album de Nakht, l'est déjà sur le net depuis une dizaine de jours, mais ce soir, c'est sur grand écran et le réalisateur et le groupe sont là pour répondre à toutes les questions. C'est aussi une très bonne occasion pour la soixantaine de participants de se rencontrer et de discuter entre amis, connaissances et amateurs...

    Nous ne sommes qu'en partie responsables de nos actes créatifs, écrire un livre, enregistrer un disque, tourner un film, signifie certainement que l'on a envie de dire quelque chose de précis, peut-être pas un message destiné à bouleverser l'humanité entière, mais au moins trouver un écho ( si possible favorable ) chez quelques uns de nos semblables humains, oui mais parfois il vaudrait mieux ne pas savoir comment l'ont interprété, lecteurs, auditeurs, spectateurs... Si l'on savait ce qui se passe dans la tête des gens, l'on risquerait d'être fort surpris. Je prends un cas au hasard, le mien. J'ai vu le clip de Nakht avant cette soirée du 15 mai 2019, je l'ai analysé à ma manière que j'expose ci-après en un premier temps, pour en une seconde temporalité la confronter à la vision de ses géniteurs.

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    VISION 1

    Une chose est sûre l'objet est à la démesure de Nakht, Alain Lebon a su capter et traduire la force et la puissance du groupe. Couleur froide, un bleu blême, seulement percé d'éclats éteints d'un orange blafard, d'un orange d'ange déchu, avec en contrepoint un jeu d'ombres menaçants et de blanc mortel. L'ensemble prend très vite l'apparence d'un film, c'est bien une histoire qui nous est mise en scène, mais découpée en tranches, distribuées en un incessant désordre flashique. Julien Lebon a opté pour un principe simple : le visionnage du clip doit se révéler aussi insupportablement délicieuse, aussi agressivement délictueuse, aux yeux des spectateurs que la musique grondeuse de Nakht à leurs oreilles. S'agit de forcer le barrage mental des cerveaux, d'entrer par effraction, de court-circuiter vos défenses protectives intérieures, et de greffer la violence du monde directement sur la coordination centrale de vos neurones qui régissent vos attitudes face à l'agressivité extérieure. Cela n'a d'autre but que la manipulation de programmation engrammatique de votre sensibilité. Introduire en vous des désirs, des peurs, qui ne vous appartiennent pas.

    Donc une histoire. Un quidam qui se promène sur le Pont des Arts et qui se baisse pour ramasser un truc bizarre qui a attiré son œil, gros plan qui permet de reconnaître les vertes élytres d'un scarabée. Animal sacré par excellence chez les Egyptiens. A partir de cet instant, tout se passe dans la tête, en une autre dimension. Nakht, le groupe joue, vous l'entrevoyez, vous le devinez, toutes les poses hiératiques et rock'n'roll d'un groupe de metal répertoriées à grande vitesse, rien que de très normal, pour les amateurs de base, mais dans ce hachis sonore et visuel, sont entremêlés de très courtes images à rôles subliminaux, profil de savant fou, horloges du temps arrêté, grouillements plastifiées, engouffrement tsunamiques de vagues projetées comme des cris de haine, explosions que l'on pressent atomiques... mais toutes ces calamités ne sont en rien inquiétantes si on les compare à l'entrecroisement des bandes de tissu blanc suspendues au dessus du combo. L'on se croirait dans un hôpital de fortune, qui mettrait à sécher, après les avoir lavées, les pansements retirés aux blessés vraisemblablement morts entre temps ou bandelettes de momies-zombies... la lumière cliquette, des maisons s'écroulent, un palmier agonique que l'on jugerait tout droit échappé de la pochette de Miami du Gun Club s'agite, le monde entre en déliquescence, la silhouette de Danny au micro, enveloppée dans son capuchon noir ressemble de plus en plus à une personnification de la mort et l'on arrive à la scène choc, un bandeau blanc est fixé aux yeux des musiciens, sont maintenant face à des ombres noires, pas le temps de réfléchir, nous revoici avec notre quidam sur le Pont des Arts et la réalité du monde qui se remet en place...

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    L'on en ressort un peu commotionné. La mort serait donc l'unique passage vers l'immortalité symbolisée par le scarabée initiatique de l'antique Egypte et logo de Nakht. L'on a envie de reprendre Le Livre des Morts égyptien, qui raconte les dures épreuves que doit subir l'âme qui quitte le corps pour les champs de Ialou. Explication terriblement mythologique, j'en conviens.

    VU DE NAKHT

    Le dialogue s'engage dès la projection et les applaudissements terminés. L'on débute par les anecdotes du tournage, le producteur qui devait tourner le film qui ne donne plus de nouvelles, Julien Lebon ( le bon choix ) pressenti ex-abrupto quatre jours avant le tournage, les murs du local qu'il faudra repeindre de toute urgence en noir, les gros champignons hallucinogènes qui ornaient les parois n'étant en rien au diapason de l'ambiance pressentie, le drone utilisé pour certaines prises de vue définitivement scratché, le masque de l'alien récupéré par le plus grand des hasards dans des détritus – à la question posée par une jeune fille, je m'aperçois que je ne suis pas le seul a l'avoir identifié comme une gueule de poisson mort, probablement encouragé à cette lecture par la pochette de Trout Mask Replica de Captain Beefheart – l'on passe aux choses sérieuses : que veut signifier cette cascade affolante d'images ?

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    L'on redescend sur terre. Sur notre planète. Qui va mal, très mal. Sans cesse agressée par l'inconscience de l'homme. Le scarabée en exemple de l'extermination des espèces, les images choc représentent des différents outrages que nous occasionnons à la vieille Gaïa. Quant aux bandes blanches, elles sont le symbole de notre refus de voir la situation catastrophique, et les ombres qui regardent – en fait le groupe qui se dédouble et qui se regarde bander les yeux - la pleine conscience de ceux qui savent, et qui ne font rien pour s'opposer à cet état de méfait. Aveuglement écolo-clip-trash en quelque sorte !

    Dans tous les cas, un beau clip, très esthétique, une réussite parfaite, rappelons que Julien Lebon exerce aussi le leadering-vocal dans le groupe Atlantis Chronicles.

    Damie Chad.

     

    12 / 05 / 219 - MONTREUIL

    la grosse marmite

    BAR ZINES 11

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    J'avais prévu d'y passer l'après-midi mais la police – il paraît que tout le monde la déteste - en a décidé autrement. L'a fallu toute la journée soutenir une jeune militante, devant le Commissariat 12° arrondissement, mise en garde à vue pour avoir exprimé son opinion peu favorable, il faut le reconnaître, à notre gouvernement, sur une pancarte. Mise en garde à vue illicite mettant en cause le principe de liberté d'expression qui serait l'un des fondements de cette sacro-sainte démocratie dont on nous rebat et rabat d'autant plus fort les merveilles qu'on ne se gêne guère pour en bafouer les principes de base.

    Beaucoup d'affluence, La Grosse Marmite est pleine comme un chaudron de cannibales en les jours fastes de capture d'un groupe de touristes égarés dans la forêt vierge, difficile de circuler entre les tables d'exposition, ce qui est très bon signe. Pressé par le temps me suis donc contenté d'un tour rapide me fiant à mon fier flair légendaire de rocker pour dénicher les perles de culture fanzinesques rares. Coup triple. Que je vous présente ci-bas, je donne le tiercé dans le désordre, parce que l'ordre n'est pas la première notion conceptuelle qui se rencontre dans le cerveau des créateurs de fanzines underground.

    RAT-TAT-TAT-TAT.

    ( N° 2 / Février 2015 )

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    Je ne l'ai pas prise parce qu'elle se trouvait sur la table de la revue Kronick ( où sévissent entre autres Pierre Lehoulier de Crashbirds et l'infâme papillon sphinx Jokoko ) dont nous avons déjà dénoncé à plusieurs reprises la pestilentielle influence sur les esprits sains et naïfs dans votre blog-rock favori. Non, par atavisme pavlovien. Je n'y peux rien mais c'est ainsi. Parfois j'agis stupidement comme un CRS qui ne peut s'empêcher de tirer quelques rafales de LBD dès qu'il voit un drapeau noir s'agiter au milieu d'une manifestation. Moi les étamines noires du camarade Bakounine ça ne suscite chez moi aucun émoi, par contre dès que j'aperçois un portrait d'Edgar Poe sur une couverture, il me le faut, à tout prix, ferai n'importe quoi pour m'en emparer, s'il le fallait je n'hésiterai pas à pousser une Lénore perdue sous le métro, alors là non seulement il y avait Edgar, mais en plus perché sur son épaule, le satané corbeau malédictif ! N'ai eu à commettre aucun crime, 120 pages pour deux euros, l'on ne peut pas dire que c'est du vol, fût-il de corbeau !

    Soyons franc, à l'intérieur Edgar et son volatile préféré se font remarquer par leur absence. Si ce n'est l'abominable X-Comix for freaks Chewbacrunk & Doctorg Jokoko et DEE-6 qui se débrouillent pour vous refiler au milieu d'un scénario chaotiquement improbable un replay totalement déjanté du Double Assassinat de la Rue Morgue, dans la série la BD ne passera pas, dût-elle me passer sur le core. Grave, très grave. Gavez-vous en, parce qu'après l'on change de registre. La revue est principalement constituée de très longs interviews d'agitateurs punk. De tous pays. Le groupe Shining d'Amsterdam, Xhansolox de Milan, un état des lieux de la scène portugaise du skateboarding, Hondartzako Hondakinak ( groupe basque ), Thierry Alcouffe de Rodez créateur de la mythique revue Rest, Pervers et Truands ( groupe de Saint-Etienne ), Frédéric Flurry dessinateur BD, Abby Portner californian boy et cinéaste. Vous noterez aussi une intéressante réflexion sur le travail qui est censé, d'après certains, libérer l'homme mais que les punks redoutent comme la peste, allez savoir pourquoi.

    J'ai tout lu soigneusement, et je vous livre mes conclusions. D'abord mon ignorance, au minimum cent cinquante noms de groupes, punk, hardcore, grind, etc... que je ne connais pas. Une galaxie à explorer. Deuxièmement un constat aigre-doux, chez la plupart des interviewés, surtout chez les plus âgés qui doivent être dans la tranche des 40-50 ans, les idéaux de jeunesse vivaces au fond du cœur mais raboté par les nécessités, boulots, gamins... L'on y croit un peu moins, mais on persévère tout de même... Ensuite, même chez les plus jeunes, un regard critique porté sur le milieu punk, la distinction à faire entre les faiseurs et les authentiques. Le punk est ( a été, sera ) aussi une mode. Pas très différent en cela en tout autre mouvement qu'il soit underground ou mainstream.

    Malgré ce petit coup de rétro-nostalgie, les interviewés, adeptes du DIY, débordent de fougue et de créativité. N'ont pas l'impression d'avoir perdu leur vie à la vouloir vivre intensément. Beaucoup d'humour et de dérision mais une véritable spectographie géologique d'un mouvement qui dure depuis quarante ans. Une belle carotte analytique. Plus réfléchie qu'elle n'en a l'air. Foutez-vous là dans le cul ! Et ne faites plus chier le monde !

    DIG IT !

    ( N° 74 / Janvier 2019 )

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    Jerry Nolan qui ondule sur la couverture je prends d'office avant même de m'apercevoir qu'il s'agit de Dig it ! - pas vraiment un zine inconnu mais à ne pas confondre avec Now Dig This, revue anglaise consacrée au rock'n'roll des pionniers et aux nombreux revivals qui ont suivi – Dig It ! c'est garage, toutes réparations et cabossages assurés, avec cet immense avantage d'être rédigé en french language. Si vous n'aimez pas lire, dédaignez le trésor, 58 pages en petits caractères mais si vous êtes gourmands d'informations achetez-le les yeux fermés. Rouvrez-les toutefois pour commencer votre lecture.

    Erreur funeste, car mauvais conseil, gardez-les plutôt bien clos pour les huit premières pages de l'allée des supplices et des tentations, la chro alléchante des nouveautés de Lo' Spider, car vous risquez d'en ressortir plus pauvre que lorsque vous y êtes entré. Puisque vous avez su déjouer les perfides tentation du Serpent Maléfique de la Consumération Boulimique. Vous avez droit à la suprême récompense, un article de Loser – je parie que le SSR ( Service Secret du Rock'n'Roll ) n'aurait aucun mal à retrouver l'identité de cet agent expérimenté ) - sur le bouquin de Curt Weiss, Jerry Nolan's Wild Ride. A Tale – difficile de faire plus Edgar Poe – of Drugs, Fashion... Un magnifique portrait de Jerry et au travers de sa manière de vivre la saga des Dolls et des Heartbreakers. Kurt Weiss nous restitue la splendeur kaotique de Jerry, cette énergie dispensée sans retenue, cette appétence de gloire et de dope qui étaient pour lui les moteurs d'appoint du rock'n'roll. Jerry n'eut qu'un véritable défaut, celui d'être musicalement en avance sur son temps. Le genre de chose que les has-been du présent ne comprennent pas, ne tolèrent pas, et les petits malins qui intuitent mieux que le troupeau se hâtent de vous doubler sur votre gauche. Jerry en est arrivé à haïr la terre entière, mais il n'a jamais voulu déroger de ses rêves et de sa vision du monde. Le livre est à l'image de Jerry sans concession, ne fait pas l'impasse sur les travers du héros, certains fans s'en sont émus, mais Jerry était ainsi, pour le meilleur et le pire, de son existence, de sa survie, de sa mort, et du rock'n'roll. Quitte à empiéter quelque peu sur les autres, mais l'on ne fréquente pas les volcans sans risque d'éruption, sachez où vous mettez les pieds. Jerry n'a jamais transigé avec lui-même, et cela peu de monde peut s'en vanter.

    Complément obligatoire, plus loin une présentation du livre de Thierry Saltet, Return to Thunders dans lequel le Loser rend hommage à Marc Zermati, cheville ouvrière du rock français, une couronne de lauriers amplement mérités. Et comme un Loser peut en cacher un autre, reportez-vous au bel article consacré aux Hypnotics. Et tentez de ne pas vous faire écraser avec le petit topo sur les Freaks Of Nature. Du coup vous allez directement à la case Cosmic Trip,

    C'est la corne d'abondance ce machin, Pachuco nous raconte L'Histoire des Septs Filles en Sept jours, autant dire sept de trop, dans la série mythes et légendes du rock'n'roll en en terre Melbournienne Alain Feydri – l'était déjà dans l'aventure Nineteeen - nous fait part de ses aventures au pays des kangourous, bref le Dig It c'est comme le millefeuille, plus vous tournez les pages, plus vous en trouvez, une sacrée revue, je ne vous laisse pas découvrir, vous connaissez déjà !

    Born Toulouse.

    WASSUP ROCKER ?

    ( N° 3 / Novembre 2018 )

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    Beau petit format. Rien à dire, le carré c'est carrément bien. Couverture couleur, papier glacé, belle mise en page. Surtout pour les BD. Fanzine rock un peu décalé. Moins d'information, davantage de réflexion. Quoi de neuf Rocker ? Les questions que tout le monde se pose et auxquelles personne n'a envie de répondre. Du genre quel futur pour le présent du rock'n'roll en notre douce France ? C'est Rat Bat de Diego Pallavas qui s'y colle. Les questions sont orientées. L'on parle bien du groupe mais on l'interroge surtout sur les salles par où il passe. Galères diverses ( toute une armada ), contact avec le public, prix d'entrée, intermittence, professionnalisation, boulots, survie sociale...

    Plus loin vous avez le coup de gueule de Mélie, photographe Rock qui nous parle du bonheur de voir des groupes dans les petites salles suivie d'une interview de membres de SMD et Union Jack qui racontent leur expérience en ces lieux qualifiés de café-concerts comme la Comedia par exemple. Soyons directs, ce n'est pas tant l'existence de ces endroits dont on cause, mais de leur raréfaction, de leurs fermetures administratives, de leurs fragilités municipales... En contre-exemple une mini BD sur le bonheur industriel des grands fêtes festivalières, perso j'ai toujours pensé que le rock et bien des groupes perdent leur âme à participer au jeu de dupe de ces miroirs évènementiels qui vous manipulent et métamorphosent votre rage en sous-produits culturels de consommation de masse... à l'investissement financier, mon hum( hum-hum )ble flair de rocker a sempiternellement privilégié le DIY...

    Arrêtons les idées noires, rions avec Nicopirate et ses icônes pleines pages, ou comment raconter la légende déjantée du rock'n'roll en remontant à ses plus improbables origines qui se situent à Brême comme chacun ne le sait pas. Multiplicité obsidionale de la culture populaire européenne ! Manolo Prolo, décidément un des rouages essentiels du zine, revient au thème du numéro, traite le sujet de deux manières, constat amer des mieux argumentés et mise en image fracassante d'un concert rock standard...

    Un seul regret après avoir achevé le zine, n'avoir pas acquis les deux premiers numéros, je vous refile l'adresse : Wassup Rocker ? ( Rockzine Asso ) 4 rue Saint-Nicolas, F 57100 Thionville. En plus le thème du futur quatrième est alléchant : Le punk, la grande escroquerie du rock'n'roll.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 399 : KR'TNT ! 419 : DICK DALE / MILES KANE / D N O / LOW SUN / MARNOST / SEEDS IN BARREN FIELDS / FILL THE NAME / YETI

     

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