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  • CHRONIQUES DE POURPRE 234 : KR'TNT ! 354 : JOHNNY KIDD / THE WHO / JACK BLACK / MICHAEL JACKSON

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 354

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    28 / 12 / 2017

    JOHNNY KIDD / THE WHO /

    JACK BLACK / MICHAEL JACKSON

    THE KIDD IS ALRIGHT

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    Lorsque Johnny Kidd meurt dans cet accident de voiture en 1966, Nick Simper est avec lui. Simper survit miraculeusement. On le retrouve un peu plus tard dans la première mouture de Deep Purple. Un parallèle s’impose avec le car crash qui a tué Eddie Cochran et dont Gene Vincent est ressorti miraculeusement indemne. Eddie cassait sa pipe dans la fleur de l’âge : 22 ans. Pareil pour Johnny : 30 ans.

    Il faut aussi savoir qu’il existe deux périodes, dans l’histoire de la piraterie : l’avant-Green et le Green. Quand Mick Green arrive dans le groupe en 1962, Johnny Kidd a déjà beaucoup navigué. Il a déjà enregistré «Shakin’ All Over» et «Please Don’t Touch».

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    Non pas que l’histoire de Johnny Kidd soit indissociable de celle de Mick Green, mais ce serait dommage de limiter Johnny Kidd à Johnny Kidd. D’autant que Rober Palmer établit dans son livre Deep Blues une filiation directe entre Willie Johnson (le guitariste de Wolf), Paul Burlinson et Mick Green, ce qui est tout de même assez extraordinaire. Ce qui frappe le plus dans la courte histoire de Johnny Kidd, c’est sa modernité. Elle existait avant l’arrivée de Mick Green, mais justement, Mick Green ne fit que sublimer cette modernité en amenant un son et une attaque uniques alors en Angleterre.

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    Quand on écoute le magnifique The Best Of paru en 1977, on ne cherche pas à faire la différence entre les époques, et pourtant, il semble nécessaire de devoir le faire, ne serait-ce que pour ne pas attribuer à Mick Green des choses d’Alan Caddy qui fut le premier guitariste des Pirates. C’est justement la première mouture des Pirates qui joue sur «Please Don’t Touch», «Shakin’ All Over» et le fabuleux «Restless» : Alan Caddy, Brian Cregg et Clem Cattini.

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    Quand Mick quitte le groupe en 1964, c’est John Weider qui le remplace, un mec qu’on retrouvera plus tard dans les New Animals et Family. Weider joue sur «The Birds & The Bees», avec un son nettement plus psyché. On trouve même sur cette compile le tout dernier cut enregistré par Johnny avant sa mort : «It’s Got To Be You» : c’est carrément du r’n’b. On est en 1966 et Johnny comprend qu’il doit s’adapter à l’époque. On trouve Mick Green en B sur pas mal de cuts solides comme «I Can Tell», joli coup de Bo et Mick part en solo fantôme. C’est aussi lui qui joue la Beatlemania d’«Hungry For Love», mais il y passe un solo de punk orné de tortillettes. Justement, «Shot Of Rhythm And Blues» fut le tout premier enregistrement de Mick. Il y passe un solo clair comme de l’eau de roche. Il passe aussi un solo punk dans «My Babe», notes tordues et puissant drive de basse. Toujours aussi divin, voici «Casting My Spell», encore du grand Green d’attaque félonne, ultra-joué à la guitare et même stupéfiant. Il faut savoir que Johnny envisageait d’enregistrer un premier album entièrement consacré à Gene. Mais il n’en eut pas le temps.

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    Avec The Johnny Kidd Memorial Album, on pourrait prétendre faire le tour de l’épiphénomène Johnny Kidd. Les grands hits du pirate y sont rassemblés, à commencer par le fameux «Shakin’ All Over», véritable Graal du rock anglais - You make me shake and I like you baby - On est frappé par la qualité du son, c’est l’avant-Mick Green.

     

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    Selon Clem Cattini, c’est Joe Moretti qui joue le legendary solo de Shakin’. Johnny fait son Elvis avec «Let’s Talk About Us» et vire pop avec «Hungry For Love», mais une pop particulière, plus proverbiale, amenée aux riffs californiens, c’est de la Beatlemania de pirate d’eau douce. On voit rapidement que Johnny s’adapte aux modes. Son «Please Don’t Bring Me Down» sonne comme Shakin’. C’est de bonne guerre, Johnny ressort ses vieilles ficelles de caleçon comme le firent avant lui Elmore James et Slim Harpo. On tombe enfin sur «Please Don’t Touch», classique de rock anglais qui fit baver Lemmy, véritable slab de hard time killing floor rock tendu et beau. Alan Caddy ne joue que la rythmique. On le voit aussi taper dans Smokey avec «Shop Around». C’est gonflé mais bien vu, joué à l’anglaise de cuir de biker de Baskerville. Quelle niaque ! Johnny botte le cul de la Soul à coups de biker boots. Avec «Doctor Feelgood», il préfigure Doctor Feelgood, c’est un sacré coup de Jarnac, toute la modernité du rock anglais est là, they call the doctor, il développe une énergie considérable et c’est bardé de chœurs de rêve - Good good good/ So good ! - Comme dans «Gloria».

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    Lorsqu’on écoute Your Cheating Heart, on est de nouveau frappé par la qualité du son, notamment sur «Gotta Travel On», amené aux riffs des bas-fonds de l’East End. C’est claqué à la désaille. Quel merveilleux backing ! On y entend bien le claqué de percus métalliques et le rond de la basse, avec en prime un solo vicelard joué dans les règles de l’art. Tout est solidement bien foutu sur cette compile parue après sa mort. Le morceau titre sonne comme un heavy slowah à l’anglaise, Johnny sait recycler les vieux coucous. Il s’éclate la glotte au coin du juke alors que valsent les nappes d’orgue, et derrière, ça riffe sec et sale. On tombe ensuite sur un «Longing Lips» sacrément moderne, côté son. Il faut bien parler de modernité du son. Johnny règne sans partage sur ses cuts. Son extraordinaire énergie a quelque chose de kiddique. Chaque cut accroche terriblement. Il tape chaque fois dans le mille avec quelque chose de véridique dans le son, comme l’indique «Weep No More My Baby», voilà encore un cut qui s’inscrit dans la meilleure veine du rock anglais, ça pue le dératé de BSA à Croydon. Mick Green y claque un solo infernal. Ce mec pue du culte. C’est un mélange de Please Don’t Touch et de Skakin’, pur jus de modernité des caves de juke. Avec «Jealous Girl», Johnny passe au Mersey Beat, il tape sans vergogne dans la gueule des genres. C’est un Pirate qui se prend pour un voyou. Il se prend même pour John Lennon avec sa braguette ouverte et son couteau entre les dents. «It’s Got To Be You» sonne comme un hit de Tom Jones, très orchestré, salué aux trompettes, avec des connes qui font ouuuh-ouuuh et puis ahhhh-ahhhh. Il tape aussi dans Lee Hazlewood avec «The Fool» joué à la désaille du désert de Piccadily. Il bouffe vraiment à tous les râteliers. Il a du pot d’avoir des Pirates derrière lui. On note encore son extraordinaire aisance dans «Big Blon’ Baby» amené au petit comedy act à la Coasters, c’est quasi-balloche mais Johnny le swingue et c’est salement claqué à la guitare par Alan Caddy. Johnny tape plus loin dans le fameux «Shot Of Rhythm And Blues», mais façon biker de banlieue, clap-hands et killer-solo, pure démence de la partance ! Unique en Angleterre.

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    Sur l’album Rarities paru en 1983, on tombe sur des merveilles de type «More Of The Same» et «I Just Want To Make Love To You» qui datent de 1961 (avant-Green) : c’est le temps du gros son de basse boogaloo à souhait et de la prod de rêve. Tous les bassmen devraient écouter ça. Même chose pour «Weep No More My Babe», incroyablement bien chanté, avec ce son de rêve, tellement moderne pour l’époque. Toujours aussi fantastique, voilà «You Got What It Takes», ultra-produit et monté sur une basse sourde. John Weider fait le coq dans «This Golden Ring». Johnny veut en croquer, alors il se met au psyché. C’est aussi Weider qui claque la fantastique reprise d’«I Can’t Turn You Loose» d’Otis. Ils tapent dans le «Right String But The Wrong Yoyo» de Carl Perkins et bien sûr Mick le joue sévère. Il tâte de l’ambiance country mais avec une certaine virulence de figuralisme figuratif émancipé. On trouve des choses amusantes en B, comme cet «I Hate Getting Up In The Morning», très pop 66. Johnny est accompagné par de unknowns et avec «Send Fot That Girl», il visait la belle pop d’ambre jaune. Cette compile s’achève sur «Whole Lotta Woman», un sacré shook de shake généreusement nappé d’orgue, avec John Weider au compas. Puissant et même carrément hypno. On n’ose même pas imaginer les ravages qu’aurait fait Johnny s’il avait continué à écumer les rivages d’Angleterre.

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    The Lost BBC Sessions And More Rare Trax est encore une compile qui vaut le détour : quarante-et-un titres ! Avec des voix d’annonces d’époque. Ça démarre sur la cover de «My Babe» et son killer solo. Tout aussi punkoïde, voilà «Magic Of Love». Nous voilà chez les Pirates ! Avec «That’s All You Gotta Do», Johnny swingue bien le mambo de la Tortue. Puis il prend «Weep No More My Baby» à la saleté maximaliste. C’est tellement rampant qu’on pourrait presque s’en indigner. C’est même sabré au claqué de notes infernales et Johnny brame à la lune. Quelle équipe de surdoués ! On retrouve leur monstrueuse énergie dans «Setarip» et même un balladif de sirupe comme «Dream Lover» passe comme une lettre à la poste. Retour au déflagratoire avec «I Go Ape», mais c’est un nommé Tom Brown qui chante. On tombe ensuite sur une somptueuse version de «Restless», bien boogaloo. Tremble carcasse ! Et les surdoués enchaînent avec l’imparable Shakin’, fabuleuse descente aux enfers du rock anglais, et Alan Caddy part en vrille de clair, c’est tout l’art de faire du punk-rock en clair. Ça monte encore en puissance avec «Feelin’», choo-choo train de fellin baillebi baillebi, fantastique diction de force motrice - It’s crazy when you’re around me - ah les mains des femmes - Oh what a feeling ! - You do it all the time - Prestance de la démence. Et voilà qu’arrive «Please Don’t Touch», classique d’outre-tombe, l’antre du mythe, la Tortue du rock anglais. S’ensuit un «Shakin’» qui coule de source, merveilleuse version rampée. Il faut rappeler que les BBC sessions sont souvent bien meilleures que les enregistrements studio. Johnny colle si bien au backbone, au shiver if it all que c’en est désarmant. Et Alan Caddy emmanche son manche. En 1961, ces mecs avaient déjà tellement de génie. Et on remonte à travers le temps avec le fabuleux «Longin’ Lips», puis «More Of The Same», joué au sourd de basse et Johnny surfe sur les Caraïbes, on a du punk dans les vergues et ça change absolument tout. Tiens et puis ce «Some Other Guy» violent et lui aussi claqué punk. On retrouve leur fabuleuse énergie rock’n’roll dans «Growl» et tout le rowdy de la terre dans l’extraordinaire «Big Blon’ Baby», ce gros travail de sape, avec un son qui descend directement à la cave. Ainsi va la vie.

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    Dans Record Collector, Jack Watkins n’hésite pas à traiter Johnny de caméléon : «Ce chouchou des Teds tapait dans tous les genres : rock, merseybeat et juste avant sa mort, il tapait dans the presentable uptown sound.» Et il ajoute : «In his hearts of hearts through, with his total lack of pretentiousness, the Kidd was a British rockabilly, his roots in the grit and grime of London NW6.» (Au plus profond de son cœur et en l’absence de la moindre trace de prétention, le Kidd était un rockab pur et dur issu des bas-fonds crasseux de London NW6). Magnifique définition d’un gros culte britannique. Jack ajoute qu’à la différence des country boys du Tennessee, Johnny était un rocker urbain basé à Willesden Junction, avec a bit of a cockney rocker-cum-crooner with a few throaty blues effects on top. Jack rappelle aussi que les chaises volaient lors des early gigs.

    Notre bon Kiddophile Jack Watkins revient inlassablement sur l’élément qui fait la force de Johnny : sa voix, le pur London accent - I can’t listen to Johnny without hearring North West London - Et paf, Jack repart dans les filiations à la Robert Palmer en indiquant que les bolt-lightning interjections d’Alan Cadddy lui rappellent celles de Roland Janes, au temps où il accompagnait Jerry Lee. Le monde du très grand rock est tout petit, ne l’oublions pas.

     

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    Le Caddy en question n’est pas n’importe qui : lorsqu’il arrive pour auditionner à Denmark Street, il porte un chapeau de Robin des Bois avec une plume et un long manteau - He looked more like a country squire than a rock guitarist - Et là, notre Kiddophile n’ose pas tracer le parallèle qui s’impose avec Teddy Paige qui lui aussi se baladait dans Londres déguisé en Robin des Bois. En voyant débarquer Caddy, Brian Cregg et Clem sont inquiets : «Look at the state of this guy ! I hope he plays better than he looks !» (T’as vu la gueule de ce mec ? Espérons que son jeu vaut mieux que son allure). Et Clem conclut en disant que ce tall guy always looked immaculate et qu’il avait des allures d’agent immobilier.

    Alan Caddy avait déjà navigué avec les Tornados et Joe Meek. Caddy était en effet un enfant prodige, et tellement timide qu’il jouait derrière le rideau de scène. Mais il avait une petite manie : il faisait le windmill avec son bras droit au dessus de sa Strato, ce qui allait bien sûr beaucoup intéresser le jeune Pete Townshend. Caddy combinait déjà le lead et le rhythm sur sa guitare, ce qui permit aux Pirates se fonctionner à trois. En les voyant jouer sur scène en power trio, les Big Three se mirent à jouer à trois et John Paul Jones avoue qu’après avoir vu Brian Gregg, il voulut jouer de la basse. Avec tout ça, les Pirates devinrent forcément mythiques : Caddy and the big sound, la basse de Brian Gregg et le thunderclap drumming de Clem Cattini. Alan Caddy était tellement nerveux qu’il se mit à boire comme un trou, notamment en studio. C’est la raison pour laquelle on fit appel à Joe Moretti. Pas n’importe qui, puisqu’il s’agit du mec qui a joué sur le «Brand New Cadillac» de Vince Taylor. Alan n’avait pas assez confiance en lui pour jouer le solo de Shakin’ en studio. Mais il le montra à Moretti qui put alors le rejouer. Et pour produire le shimmering effect du riff, Brian Gregg fit glisser son briquet sur les cordes de la guitare qu’Alan Caddy grattait. C’est aussi Moretti qui passe le solo dans «Restless», cet autre chef-d’œuvre qui mystérieusement n’eut pas autant de succès que Shakin’.

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    «Please Don’t Touch», «Shakin’ All Over», «Restless» et «Please Don’t Bring Me Down» constituent la fameuse série des «women give me the quivers» Johnny Kidd classics. C’est au terme de cette série que les trois Pirates (Clem, Alan et Brian) quittent le navire pour aller rejoindre Colin Hicks en Italie.

    Clem allait devenir session man réputé. Jimmy Page le vit même comme batteur possible de Led Zep. Quant à Caddy, il allait sombrer dans le heavy drinking. Lors d’un concert de reformation en 1991, il fut incapable de jouer sur scène - His playing went to pieces on stage - Et donc Johnny continua d’écumer les mers, en mettant le cap sur le r’n’b. Et comme il traînait pas mal à la Cavern, il s’empiffra de Beatlemania. Mais il jugeait bon d’ajouter : «The Beatles will never be as big as Joe Brown !»

    Le pauvre Johnny enregistra des cuts à Abbey Road pour un album qui ne parut pas. Et comme tous les autres, il suivait les modes pour continuer à exister - He was desperately chasing trends - Clem Cattini rappelle que Johnny était très populaire et que chaque concert était sold out. But he wasn’t business minded. Il s’achetait des tas de costard, mais il dormait sur le plancher du van. Il était complètement désorganisé et perdait tout son blé au jeu. Clem ajoute qu’il adorait Johnny car c’était un homme entier. There was no side to Johnny. What you saw was what you got.

     

    Signé : Cazengler, Johnny Bidd

    Johnny Kidd & The Pirates. The Johnny Kidd Memorial Album. Odeon 1970

    Johnny Kidd & The Pirates. Your Cheating Heart. Columbia 1971

    Johnny Kidd & The Pirates. The Best Of. EMI 1977

    Johnny Kidd & The Pirates. Rarities. See For Miles Ltd 1983

    Johnny Kidd & The Pirates. The Lost BBC Sessions And More Rare Trax. Black Flag Records 1994

    Jack Watkins. Blackboard Junction. Record Collector #469 - August 2017

    THE WHO

    LE GROUPE MOD

    PHILIPPE MARGOTIN

    ( Editions de La Lagune / 2007 )

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    Toujours dans le même fouillada. Notre lieu de rencontre. Un amateur de rock. Possède des milliers de disques et recherche encore la perle rare. Ne peut plus rentrer dans une pièce de sa maison tellement elle est encombrée... L'on passe au minimum une heure à bavarder entre deux bacs, à peu près deux fois par trimestre. L'est né la même année que Johnny, rockabilly, reprises, et très vite l'on saute sur les groupes anglais. Avec cette question angoissante : vieillesse et rock'n'roll ! Sous-entendu le sens d'une vie à rester encalminé dans son adolescence... I hope I die before I get old s'exclamait Peter Tonwshend dans My Generation, l'a survécu et il n'y a pas si longtemps refaisait une énième tournée... L'on se quitte, l'a déniché un boîtier sur les génériques de films «  avec des trucs intéressants dessus » et moi un bouquin sur Berthe Morisot.

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    Retour à la maison, jette un regard effaré sur le capharnaüm de mon garage quand sur l'étagère mon œil est accroché sur un rayonnage par le drapeau de la perfide Albion. Je tire, et hop, tiens un bouquin sur les Who, on en parlait cet après-midi ! Le soir, je cède à la nostalgie-rock – dommage que Baudelaire n'ait pas connu ce sentiment, l'aurait ajouté une section vénéneuse à ses fleurs maladives - et m'enquille le bouquin en entier avant le dodo. N'est pas épais et écrit gros. Philippe Margotin – l'a beaucoup écrit sur les grands noms de Ray Charles à Amy Whinehouse, du blues au punk - ne joue pas au margoulin, rapide et efficace, cite largement ses confrères, parvient à tracer l'épure de toute une génération et le destin d'un groupe. Encore que le mot destin soit mal choisi. Cette notion inclut l'idée d'une fatalité irrémédiable, les Who ne connaissent pas ce coup de hache terminal, ce couperet de guillotine, qui transforme une existence en épopée. La légende se dissout dans les eaux lénifiantes d'une survie à petits feux. Le flamboiement de My Generation se meurt dans l'estuaire de My Dissolution.

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    Oui mais quel groupe de rock ! L'un des plus grands ! Et mieux que cela l'un des plus essentiels. Et surtout l'un des plus intelligents. Une intelligence beaucoup plus instinctive que maîtrisée. Z'ont su faire le bon choix. La dichotomie Beatles / Rolling Stones est des plus signifiantes. Les Who ont commencé comme les Beatles, vaudrait mieux dire comme les Quarrymen. Le rock blanc des pionniers. Pas un hasard si sur scène ils reprenaient Summertime Blues d'Eddie Cochran et Shakin' All Over de Johnny Kid. Un œil sur l'Amérique, un œil sur l'Angleterre. Townshend a toujours une corde de guitare qui résonne dans l'ombre d'Hank Marvin et une autre dans le sable de l'american surfin'. L'harmonie vocale à la Beach Boys de leurs morceaux les plus mélodiques descend de cet héritage. Mais ils ont su aussi faire le cross-over. Sont passés du côté obscur de la force. C'était à une époque où les Rolling Stones détestaient qu'on les définît en employant le terme de rock'n'roll. Trichaient un peu, avaient beaucoup appris de Chuck Berry et de Bo Diddley, mais ils avaient remonté vers les racines, de Chuck à Muddy Waters il n'y a qu'un pas, et bientôt ils avaient trempé leurs pieds dans l'eau boueuse du Delta. Un groupe de blues. Mais méchamment électrifié. Les Who ont assisté aux premiers concerts des Stones, ont vite compris qu'ils avaient le truc en plume de plomb saturnien qui fait la différence, l'énergie. Les Stones avaient édicté le nombre d'or : blues électrifié égale rhythm'n'blues. Sources noires du rock'n'roll. Décidément les deux créneaux étaient pris. Les Who ont tapé dans la surenchère. Blanc ou noir ? Ce sera noir mais très sombre. Pas de l'ardoise anthracite bleutée. Comme à la lessive vont ajouter les détergents qui lavent plus noir. Exit le rhythm'n'blues. Ont la formule choc. Désormais ce sera Maximum Rhythm'n'Blues ! De fait ils n'arriveront jamais à dépasser l'indigo profond des Rolling mais ils y ajouteront la fureur et l'auto-destruction. Des Bakounine un tantinet autistes – Tommy n'est pas loin – qui ne voient guère plus loin que leurs petites et immodestes personnes. De fait les Who klaxonnent beaucoup plus rock que blues, mais tout le monde s'en fout, ils sonnent juste et haut. Et c'est ce qu'il faut.

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    L'est difficile de renier ses origines. Le prolétaire n'est pas loin du petit-bourgeois. J'emploie ce mot sans aucune acrimonie péjorative. Le petit-bourgeois n'est qu'un prolétaire qui a la chance de bénéficier d'instants de réflexion. Et en tant que vedettes naissantes du rock anglais, des Lennon et Townshend auront la chance – expériences, rencontres – de regarder autour d'eux et d'essayer de ne pas être dupes de la fulgurance de leurs succès. Le profil des groupes anglais se modifie insensiblement, les Beatles se focalisent sur la musique, les Kinks commencent à s'adonner à une espèce de critique sociale malveillante et nostalgique ( un composé instable ), les Who vont céder à l'intellectualisme. Soyons francs, l'est difficile de faire passer Keith Moon pour un professeur d'université défroqué mais il saura adapter sa frappe sauvage aux nouvelles orientations de Townshend. Roger Daltrey agira de même, suffit que la viande fournie soit assez sanguinolente pour qu'il puisse la déchirer à plein gosier. Quant à Entwistle son mutisme n'était pas étranger aux angoisses existentielles que Townshend mettait en scène. Ce n'est pas Lucy la jolie fille avec des diamants dans le ciel coloré mais Tommy renfermé en lui-même dans sa nuit intérieure. C'est que Townshend ne veut plus de chansonnette rock de trois minutes, vise l'œuvre, totale, intégrale, sera le Wagner du rock'n'roll, ni plus ni moins qu'un opéra. L' en a déjà esquissé un en six petits morceaux dès le deuxième album, A Quick One, While He's Away. Une bluette d'une fraîche épousée qui trompe son mari absent... Pas de quoi fouetter une chatte, mais c'est l'idée qui compte. Comment raconter en rocks une histoire avec un début, un milieu, et une fin. Cette première fois, ce ne sont que six petits croquis ultra-rapides, mais on doit pouvoir faire mieux.

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    Ce sera Tommy ( 1969 ), avec ouverture et grand orchestre. Un double trente-trois tours conceptuel. Tommy qui assiste au meurtre du père – bonjour Mister Freud – tué par son beau-père – comédie de moeurs – en devient sourd, muet et aveugle... violé par son oncle... acquiert la célébrité en devenant champion de flipper... brise la glace auto-réfléchissante de sa solitude... retrouve la vue, l'audition et la parole... pour se voir abandonné par ses fans... se referme et reconstitue sa bulle emmurante et protectrice... Much ado for nothing pour les esprits désabusés, précis de psychologie appliquée qui colle parfaitement à son époque ? Les méfaits du sexe, version rock'n'roll !

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    Après ce succès phénoménal, ce sera Lifehouse. Projet que Townshend ne parviendra pas à maîtriser. Who's Next ! Sera en partie composé des débris de cet opus majeur. Qui trop étreint, mal embrasse. Townshend entend donner une vision critique de la vie moderne. Mais en sa totalité. Sans se focaliser uniquement sur les rapports entre les individus. Mais il faudrait qu'il en soit davantage détaché. L'a le nez en plein dans le caca. Ne possède pas l'éloignement nécessaire. Il a la prescience de ce que quelques mois plus tard dans les universités l'on nommera post-modernité, il sent mais ne possède pas les outils conceptuels qui lui permettraient d'expliciter le nœud gordien des contradictions qui s'accumulent. Notons qu'en l'année de 1973 Led Zeppelin parlera de House of the Holly. Quand le monde devient trop compliqué la mythologie s'avère être le dernier refuge.

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    Townshend se rabattra sur ce qu'il connaît le mieux. Sa jeunesse, le mouvement Mod, et ses trois compagnons. Quadrophenia – sorti en 1973, les dates signifient beaucoup plus qu'un numéro - est l'adieu à l'innocence du rock'n'roll. Les Who sont des tout premiers à inclure des artefacts électroniques dans leurs enregistrements, une manière d'amplifier la démesure phonique. Le groupe est à son acmé. Tout le reste ne sera que survie. Plus ou moins pathétique. Le punk est en gestation. Ce sont toujours vos petits-enfants qui vous rejettent dans le passé des époques révolues. Saturne vous dévore plus vite que vous ne vous y attendiez.

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    N'empêche que les Who restent un des groupes essentiels de notre musique. Les géniteurs de la démence sonore.

    Damie Chad.

     

    YEGG

    JACK BLACK

    ( Les Fondeurs de Briques / Novembre 2009 )

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     Le livre vient d’être réédité chez Monsieur Toussaint Louverture sous le titre de Personne ne Gagne. Les Fondeurs de Briques lui avaient préféré ce mystérieux Yegg dérivé du chinois Yekk qui signifie mendiant. Ce mot désignait dans l’argot des hobos les malandrins de la plus haute caste, celle des perceurs de coffres-forts. Le bouquin est un classique de la littérature underground américaine William S. Burrough en a rédigé une préface que vous retrouvez dans les deux éditions. Plus de quatre cents pages qui se lisent comme du petit lait. Pas très blanc, un peu teinté de noir-anarchie-individualiste. La bande mais sans Bonnot. Précis de récupération sauvage.

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    La légende noire des malheureux hobos, travailleurs itinérants sans emplois, à la recherche d’hypothétiques jobs sous-payés au travers de la grande et riche Amérique est une constance de la littérature prolétarienne. Elle est habituellement érigée en dénonciation de la barbarie du système économique d’exploitation capitaliste. Jack Black ne participe pas de cette vision militante. L’est de ces êtres qui ont décidé de vivre en loup parmi les loups. D’instinct il refuse le travail, ce qu’il ne possède pas il le prendra. Se servira tout seul. Orphelin de mère, élevé par un père qui trime toute la journée, l’en vient à l’âge de l’adolescence à fréquenter les lieux interlopes, les rades louches, les bas-fonds d’une société impitoyable. Ne sera pas un voleur de poules. Préfère voler le bœuf que l’œuf. L’a de la chance, l’est très vite pris en charge par la confrérie des Johnson, les as de la cambriole. L’est un bon sujet - ne s’effondre pas en pleurnichant lorsqu’il est serré par les flics, ne pipe pas un mot sur les copains, sait se taire et ne pas parler à tort et à travers. L’on peut compter sur lui, n’est ni un donneur ni un traître. Recevra l’éducation idoine réservée à ceux qui savent la boucler quand on les boucle. Les malfrats possèdent leur code d’honneur. Les deux premiers tiers du récit sont réservés aux années d’apprentissage. Peu de théorie, beaucoup de pratique. L’apprend vite et bien. Pas de précipitation, pas de hasard. Les coups sont longuement préparés. Avant tout les itinéraires de dégagement et de fuite. Pas question de s’attarder dans un bled où l’on vient de commettre son forfait. Ne jamais porter sur soi les objets dérobés et l’argent compromettant. Enterrer le butin, revenir le chercher plus tard. Avoir son réseau d’écoulement et de refourgage sûr et rapide. L’on ne pratique guère le vol à la tire, l’on préfère dynamiter les coffres-forts. C’est plus rentable.

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    Nous sommes à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième. Une époque bénie. L’informatique n’existe pas, les communications entre les villes et les états ne sont guère rationalisées, la police est avant tout locale. Suffit de monter en douce dans un wagon pour échapper à son emprise. Les avocats sont véreux et avec un peu de chance les juges soudoyés se montrent compréhensifs. Revers de la médaille, les temps sont brutaux et expéditifs. Abattre un hobo d’un coup de revolver n’est guère répréhensible.

    Défile une galerie de personnages hauts en couleurs. Scènes picaresques, dans les jungles l’on organise les conventions, jours de bitures extrêmes, open bar à gogo. La fête terminée, les poches vides, ne reste plus qu’à reprendre le turbin. Nécessité d’avoir toujours au minimum un coup d’avance, minutieusement préparé qui vous permet de vous renflouer les poches…

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    Nous ne sommes pas dans un conte de fées, les meilleurs se font pincer, les plus prudents abattre sans sommation. Bonjour monde cruel et sans pitié ! Dernier tiers du récit, Jack Black enchaîne les coups foireux, manque de chance, mauvais hasards, imprudences dues à des complices moins aguerris, l’étau se referme petit à petit sur notre héros. La police affine ses méthodes et devient de plus en plus efficace. L’a déjà fait quelques séjours de prison mais après maintes péripéties Black se retrouve au noir pour plusieurs années.

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    Le temps de méditer et d’ajouter quelques appendices à son code d’honneur. Tire le bilan de ces années sur la brèche. L’est un peu poussé dans ses retranchements par la violence sadique du système et des gardiens. Isolements, passages à tabac, supplice de la camisole de force - rien à voir avec celle que l’on passe aux fous dans les asiles - le dur des durs fait ses comptes. L’aurait gagné davantage d’argent en prenant un petit boulot pépère, sans histoires. L’a bossé comme un marlouf pour mettre au point ses affaires, l’est usé physiquement et psychiquement. Trop de pression. L’est devenu accro à l’opium. Aucun soupçon de moralisme dans ce constat d’échec, n’est pas particulièrement fier de ses actes, mais police et justice sont aussi pourries que lui. Les prisons sont des lieux de violence et d’injustice. Les châtiments physiques, les mauvais traitements, ne servent qu’à renforcer votre haine et votre détermination. Vous emprisonnez un loup, vous relâchez un tigre…

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    Va trouver quelques appuis, des voix s’élèvent contre l’inhumanité des conditions pénitentiaires. Des juges humanistes font le pari de le libérer. Se range des voitures. Deviendra bibliothécaire, écrivain et journaliste. En annexe vous trouvez de longs extraits d’un grand article qu’il fit paraître en 1929 dans le Harper’s Magazine. Des plus intéressants, suffirait de changer les lieux et les noms pour croire qu’il est dirigé contre la politique du tout sécuritaire et de la répression tout azimut décidée sous l’ère Sarkozy et gaillardement poursuivie par ses deux successeurs. Jack Black - l’on n’a jamais su sa véritable identité - était-il sage comme une image ? On retrouva son cadavre dans le Port de New York… Toutes les suppositions sont permises. Fut-il repêché de ces eaux troubles pour avoir été puni par ce par quoi il avait beaucoup péché ? Nous lui pardonnerons beaucoup. D'autant plus que certains affirment l'hypothèse du suicide. Courageux jusqu'au bout.

    Damie Chad.

    BAD

    MICHAEL JACKSON LE MUTANT

    JEAN-PAUL BOURRE

    ( Bartillat / 2004 )

     

     

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    N’aurais jamais acheté le bouquin s’il n’avait été signé par Jean-Paul Bourre. Fut une époque où il était difficile d’écouter la radio sans qu’un tube des Jackson Five ne vienne vous écorcher les oreilles. Aussi quand Michael Jackson a volé de ses propres ailes ne lui ai-je accordé qu’une des plus distraites attention. Par contre suis toujours à l’affût des livres de Jean-Paul Bourre, un esprit curieux, un œil trombinoscopique qui s’intéresse à tout ce qui fait sens en cette vallée de larmes.

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    Ne s’agit pas d’une étude musicale. Focus sur la star. Le glamour et le hallali. Faut avouer que Michael Jakson a fait peur. Le gars qui tire sur la sonnette du serpent pour attirer les regards sur son immodeste personne. Un gamin qui sonne aux mauvaises portes et qui ne s’enfuit pas en courant pour se cacher. Le mec qui se promène avec un paratonnerre à la main et qui s’en vient pleurnicher lorsque la foudre lui tombe dessus.

    L’ a des excuses. Son père qui vous réduit le complexe d’Œdipe en miettes à coups de ceinturons, une mère confite en religion, la marmaille déguste salement. Les filles dans leur chair et les boys dans leur âme. Méthode éducative un peu rude mais ô combien efficace. Vendront tous des disques par millions. Michael encore davantage que les autres.

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    Sortez votre mouchoir, n’oubliez pas de pleurer sur le pauvre petit garçon malheureux qui ne peut pas aller jouer avec les enfants de son âge au coin de la rue. Prisonnier derrière la vitre des studios. Des compensations tout de même : Diana Ross est folle de cet adolescent fragile, l’accueille chez elle et lui fait subir les derniers outrages. De quoi le dégoûter des femelles entreprises pour le restant de sa vie.

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    La gloire, l’argent, le sentiment de toute puissance. Le jeune homme profite de sa fortune pour courir après son enfance perdue. Ne la rattrapera pas. Capturera celle des autres. S’est bâti un palais aux mille merveille. Un mini Disney Park. Pas un piège à touristes. Mais à jeunes garçons. Les invite chez lui. Avec l’accord de leurs parents… Tout le monde sait tout mais personne ne moufte. Evidemment cette impunité fait des jaloux… Qui se taisent, on n’est jamais trop prudent devant les riches…

    Heureusement la justice veille. La chance d’un petit juge. Un père la morale qui enverrait avec plaisir le gros poisson dans l’aquarium d’une prison. La gloire sans le glamour. Réussit presque son coup en 1993. Mais Jackson et le père outragé s’entendent à l’amiable. Une ardoise de quarante sept millions de dollars pour Mickael qui s’estime heureux de s’en être tiré à si mauvais compte. Mais notre juge remettra le couvert dix ans après.

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    Jackson ne s’aide pas. Déclare dans une interview que rien n’est plus beau que de s’endormir en toute innocence avec un enfant dans son lit… Paroles impardonnables. En Amérique ( et ailleurs ) tout est permis. A condition que vous ayez de quoi vous acheter les objets qui concourent à la satisfaction de vos désirs personnels. Pour le bas-peuple qui ne peut pas s’offrir l’accomplissement de ses phantasmes, l’on a érigé une frontière morale, un interdit qui témoigne que les riches ne peuvent pas tout faire. L’est une ligne rouge à ne pas s’offrir. Le crime pédophilique. Le livre est édité en 2004, il ne nous apprend donc pas la suite des opérations justicières…

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    Nous n’en sortons pas si déçus que cela. Jean-Paul Bourre se livre à une analyse du mode de vie de Michael Jackson des plus fines. Passons sur ses faiblesses larmoyantes qui ne le rendent guère sympathique. Certains côtés de la personnalité de notre malheureux héros ne plaident pas en sa faveur. Par contre, Michael avait deux ou trois trains d’avance sur son époque. L’a été un précurseur. On a beaucoup rigolé dans les chaumières sur son caisson à oxygène dans lequel la star allait se ressourcer. L’on a été plus sévère sur ce nègre honteux qui reniait ses origines et qui dépensait des millions de dollars pour se blanchir la peau… Condamnations à courte vue. Jackson voyait plus loin que notre commune humanité. Aujourd’hui il apparaît comme un devancier de ce mouvement transhumaniste qui embrase les hautes sphères de la société américaine. L’homme ne survivra pas à la catastrophe écologique qui se prépare. Encore quelques années et un virus propagé par d’innocents moustiques ou tout autre moyen de locomotion aura raison de l'humanité. L’espèce humaine connaîtra le sort des dinosaures. Rayée de la surface de la terre par un coup de baguette magique.

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    Michael Jackson se prépare. A la grande métamorphose. Assiste à plusieurs opérations sur le cerveau. Subit de nombreuses opérations présentées comme de la chirurgie esthétique. Enquille des doses de calmants à endormir des éléphants… L’est mal dans sa peau d’homme. De simple mortel. Qui se doit de finir comme tout un chacun au cimetière. Peur panique. Contre laquelle il lutte avec une très grande maladresse. N’est qu’un artiste à la sensibilité exacerbée. Ne possède pas la froideur raisonnée du reptile. Il veut muer. Il veut muter. Refuse de se reproduire. Sexualité spermatique qui dénote le refus de l’accomplissement ovarien. Cherche le saut qualicatif qui lui permettrait d’accéder à l’immortalité. N’est qu’un insecte englué dans la toile d’araignée de ses propres angoisses. Lui manque l’armature intellectuelle, la charpente déductive du scientifique. Finira par en crever. Victime de sa prescience instinctive. L’est comme le scorpion piégé qui retourne son dard empoisonné contre lui-même. Mourir mais ne pas se rendre. Ligne de fuite auto-mutilante. Un livre qui va plus loin que les pâles images d’Epinal. A méditer. Un book qui malgré les apparences éditoriales de sa mise en vente sur le marché ne surfe pas sur l’actualité. Jean-Paul Bourre possède un esprit incisif qui déchire les membranes opaques d’un futur plus proche de nous qu’il n’y paraît. Sentinelle des catastrophes à venir.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 210 = KR'TNT ! 329 : JIM JONES & THE RIGHTEOUS MIND / THE INFERNAL / THAT'5 ALL / HOXLIN JAWS / BIG BOSS MAN / LES GRYS-GRYS / WHO

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 329

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    18 / 05 / 2017

    JIM JONES & THE RIGHTEOUS MIND

    THE INFERNAL / THAT'5 ALL / HOWLIN' JAWS

    LES GRYS-GRYS / WHO

    Me and Mr Jones

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    Ce Mister Jones ne sort pas d’une chanson de Billy Paul mais du sérail londonien, certainement la meilleure école de rock au monde. Non seulement Jim Jones affiche un sacré pedigree, il semble en plus atteindre une sorte de maturité cabalistique, au sens du boogaloo du terme, bien entendu.

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    En réalité, cette forte impression de maturation émane d’une remise à plat du système Jim-Jonien. Après s’être livré à quelques stoogeries au temps des Hypnotics, il s’est ensuite amusé à ré-inventer la dynamique du blues-rock défenestrateur avec Black Moses. Puis il s’est cru autorisé à penser qu’il pouvait rivaliser avec Little Richard, ce qui fut bien sûr une grave erreur, car personne ne peut rivaliser avec Little Richard, surtout pas un petit cul blanc, aussi bien intentionné soit-il. C’est même une aberration que d’avoir cru ça possible. Alors, pour sortir de cette impasse et se débarrasser des oripeaux qui l’empêchaient de redevenir Jim Jones, il fallait refondre le bronze des statues. Enfin débarrassé de ce pianiste qui figeait la formule, Jim Jones put reprendre son élan. Exit the Jim Jones Revue.

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    Son nouveau groupe s’appelle The Righteous Mind. Ça doit bien faire la troisième fois qu’on les voit sur scène : un premier set gratuit à Beauvais, un deuxième à l’Abordage et un troisième au Petit Bain qui coïncide avec la parution d’un premier album très attendu, et même extrêmement attendu, car les deux sets pré-cités en firent baver plus d’un.

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    Le son du nouveau groupe n’a plus rien à voir avec celui de la Revue. Jim Jones met le paquet sur les ambiances et va sur des choses beaucoup plus sombres, mais diablement captivantes. S’il ne tombe pas dans le piège de la formule Nick Cave, c’est parce qu’il s’appelle Jim Jones et que ses racines stoogiennes remontent à la surface, notamment dans ce fabuleux «Alpha Shit» de fin de set qui n’est même pas sur le nouvel album. Jim Jones semble enfin être redevenu Jim Jones, c’est-à-dire un rocker londonien dont on attend des miracles, et dont la crédibilité repose sur sa réputation de cult-rocker londonien underground.

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    Si on veut vraiment pouvoir apprécier cet album qui s’intitule Super Natural, il est souhaitable d’aller voir le groupe sur scène auparavant. Jim Jones reste avant toute chose un fantastique performer, l’une de ces bêtes de scène qui maîtrisent l’art de chauffer une salle. C’est un régal que de le voir haranguer le public et mettre le feu aux poudres en claquant le beignet de ses accords. Dans les moments d’intensité maximaliste, le groupe entre dans une dynamique qui rappelle celle du MC5 : ils sont trois à circuler et à sauter, ils vont très vite, ils avancent et reculent à tour de rôle et créent les conditions d’un parfait chaos sonique. Jim Jones a cette manie de faire des petits bonds et de retomber sur ses deux pieds, comme s’il voulait encore enfoncer des clous. La scène tremble, car il saute avec force. Avec le temps, il n’a rien perdu de son énergie, il semble même affiner son profil de soul shaker. Il est tellement parfait qu’il semble en voie de starisation, mais qu’on se rassure, nous ne sommes pas encore à Bercy et le Petit Bain n’a pas fait le plein, loin de là. Au fond, Jim Jones n’intéresse pas grand monde.

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    Comme ce mec adore son public, il vient toujours papoter après le concert. Il sait qu’il est bon, mais il apprécie vraiment qu’on le lui redise. Son mot d’ordre est «Spread it, spread it !». Alors on spread. Jim Jones par ci, Jim Jones par là. Mais on le sait, les Français préfèrent la politique. Par contre, les gens de Vive le Rock préfèrent Jim Jones : fait rarissime dans la presse anglaise, Jim Jones décroche un 10 sur 10 pour son nouvel album.

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    Rich Deakin multiplie les formules ronflantes qu’on adore, du genre «hi-octane brand of rock action», ou encore «high-energy punk rock blues outfit» pour évoquer le passé, et «mind-melting brain blasters» pour évoquer le présent. Oui, car quelques épisodes de ce nouvel album plongent des racines tentaculaires dans la légende des Hypnotics. Rich Deakin va même jusqu’à écrire que certains cuts pulvérisent l’auditeur, mais bon, il exagère un peu. Disons que le «Dream» d’ouverture du bal secoue bien la paillasse, car le pianiste Matt Milleship joue le riff de fuzz assis derrière son meuble et un beau geyser d’énergie jaillit sous nos yeux globuleux - Real pain takes/ The color out of everything - Voilà une pure merveille atmosphérique, Jim Jones chante comme un damné perdu dans les corridors glacés de sa folie. Sur scène, «Dream» se trouve en milieu de set, ce qui semble logique vu s’il s’agit d’un cut réellement intense. Il vaut mieux qu’il soit pris en tenaille entre des choses plus dociles.

     

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    Lorsqu’un album démarre ainsi, il y a deux façons de réagir : soit on s’éponge le front en se disait qu’on va encore en baver, comme avec tous les très gros albums, soit on se frotte les mains, car les très bons disques commencent à se raréfier. On tombe un peu plus loin sur un «Something’s Gonna Get It Hands» joué au Diddley beat et plongé dans l’épaisseur cauchemardesque d’une danse du scalp. Jim Jones y joue la pire des insistances avec I know I know et le cut bascule dans une ambiance délétère de type twilight zone. On n’avait pas revu une telle absence de mansuétude depuis les early Saints. Le climat continue de se détériorer avec un «No Fool» chargé de son comme une mule, et qui sonnerait presque comme un Chant des Partisans macabre, ou si vous préférez, le battement des tambours qui accompagne une montée du condamné à l’échafaud, sur une place du beffroi noire de monde. C’est d’une noirceur qui pourrait perturber. De là à penser que c’est fait exprès, c’est un pas qu’on franchit sans même réfléchir. Jim Jones cultive une sorte de gothique baroque et entre en osmose avec la pochette de l’album, qui est excessivement troublante : on a là un gros mélange de collages retravaillés, du Clovis Trouille sans humour, de l’hermétisme de pacotille à tendance sataniste et sournoisement érotique. Assise au premier plan, une courtisane nue capte bien le regard. Elle sort d’un jeu de tarot la carte de la mort et derrière elle, une sorte de Raymond Roussel au yeux bandés tient dans le creux de sa paume le feu sacré du vif-argent. C’est une œuvre qu’on examine avec le plus grand soin, car elle pullule de détails onirico-démonologiques dignes d’un Max Ernst, mais pas celui du mouvement surréaliste, non, disons plutôt un Max Ernst qui serait possédé par le diable. En réalité, l’auteur s’appelle Jean-Luc Navette, ce qui a le don de calmer les esprits.
    Puisqu’on vient d’effleurer l’incantatoire, profitons-en pour écouter le «Boil Yer Blood» qui ouvre le bal des vampires de la B. Voilà un cut sombre dont les chœurs mâles résonnent sous les voûtes de pierre d’une salle de garde, alors que sous les fenêtres fument encore les corps des hérétiques brûlés vifs. Jim Jones passe à la riche complainte exacerbée avec «Heavy Lounge #1» - Kiss me my darling/ Oh yeah you take the pain - Jim Jones n’est plus que dark pain, yeux crevés et soleil transpercé. Rich Deakin trouve que le cut dégage un vieux relent Led-Zeepy d’«Immigant Song». Par contre, le hit de l’album pourrait bien être «Til It’s All Gone», chanté à l’épique grandiose et soutenu une fois de plus par une rumeur de chœurs mâles d’essence tribale. Jim Jones s’y arrache bien la glotte - Just gotta live it/ Live it/ Til it’s all done - un cut qu’ils jouent dans le début du set et qui sur scène passe comme un lettre à la poste. Il faut dire que Jim Jones est extrêmement bien entouré. Avec sa pedal steel guitar, Malcolm Troon enrichit considérablement les ambiances. Il joue une bonne moitié des cuts assis derrière son crin-crin, mais quand il se lève pour passer la bandoulière de sa Grestsh rouge, c’est uniquement pour en découdre et jouer au twin guitar attack avec Jim Jones. Leur numéro est tout simplement spectaculaire. Ils cultivent tous les deux un goût prononcé pour la furie. Il faut aussi saluer bien bas le bassman Gavin Jay, seul rescapé de la Revue. Il joue sur une belle Ricken et adore participer aux séances de folie collective. De la même manière que Jim Jones, il adore danser la Saint-Guy des catacombes.
    En guise de conclusion, Rich Deakin prévient qu’on aura du mal à trouver quelque chose d’aussi parfait d’ici la fin de l’année - You’ll be hard pushed to find anything as perfect anywhere else all year - Il exagère peut-être encore un tout petit peu.

    Signé : Cazengler, the Devious Mind

    Jim Jones & the Righteous Mind. Le Petit Bain. Paris XIIIe. 10 mai 2017
    Jim Jones. Super Natural. Masonic Records 2017
    Vive le Rock # 44. Chronique de l’album par Rich Deakin

    13 / 05 / 2017 - HERMé
    DIXIEME ANNIVERSAIRE
    SIGVALD'S MC SEINE ET MARNE

    THE INFERNAL / THAT'5 ALL

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    La teuf-teuf n'en mène pas large, sur la route d'Hermé elle voit le doute s'immiscer en elle, gros J7 couché sur le flanc en travers de la chaussée, et voiture à soixante mètre en plein champ au milieu d'une pluie de bouts de ferraille, retournée sur le toit, camion de pompier et voiture de police qui règle la circulation... Brrr ! Mais il en faut davantage pour faire peur à un rocker, c'est qu'aujourd'hui le Sigwald's Motor Club fête son anniversaire, le genre d'amicales festivités qu'il serait malséant d'oublier.

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    Une centaine de motocyclettes garées devant le local, une grande cour encombrée de stands et de tables, baraque à paella et camion pizza, les moto-club de l'Aube et de la Seine-et-Marne se sont donnés rendez-vous, 1% + 1%+ 1%+... ça commence à faire du monde... Beaucoup de figures connues, les Loners de Lagny-sur-Marne, délégation du 3 B de Troyes, mais aussi les Farfadets, les Templiers, Ghost's Road, Boyans Choppers, Metal Crew, les Wanahawks, les Hammers, tous chevaliers de l'asphalte...

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    THE INFERNAL

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    Trio rock'n'roll. Se sont formés dans leur jeunesse. Ne se sont plus revus durant quinze ans. Et puis lors d'une rencontre festive se sont retrouvés à interpréter Johnny Be Goode pour faire plaisir à l'assistance. N'auraient pas dû. La tarentule du rock'n'roll les a mordus une deuxième fois, se sont reformés just for fun. Et les voici sur scène dans la grande salle du local des Sigvald's. Beaucoup sont restés au soleil dehors à écluser des litres de bière, mais les passionnés de rock sont là, notamment Karine, la bassiste d'Hellefty qui ne participera pas à la fête ce soir. Dommage !

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    Ne se prennent pas la tête, ne touchent pas aux compos originales des temps perdus, prennent leur pied dans le répertoire des reprises de Foxy Lady, la renarde mordorée d'Hendrix, à l'autoroute goudronnée des mauvaises intentions de l'Enfer d'AC / DC. Tout de suite le son est là. Le gros, le méchant, le speedé, l'électrique à mort, le diable vous prend par la main et vous emmène cueillir les mandragores exaltées sur le sentier de la perdition. Leader maximo Gibson guitar et basse Fender, ça claque dur et ça cloque énorme comme de la lave de volcan en fusion, un régal de roi, que dis-je le dîner des quatre empereurs à Rome, les festins de Lucullus et les orgies de Sardanapale, le batteur réalise la synesthésie du son et de la couleur, fûts de cet ocre marron-orange du pelage du tigre rehaussé de petites touches de noir-panthère, une frappe qui donc allie grâce féline et jungle férocité, pas le temps de s'ennuyer avec Infernal, basse grave et voix légèrement haut-perchée, les riffs défilent et enfilent vos oreilles comme des frelons géants qui tournent sans fin dans votre cerveau. Vous ne pouvez pas savoir comment ça fait du bien d'avoir les neurones ensanglantées, z'avez l'impression qu'un pic-vert vous picore les méninges et vous gobe en un tour de bec les obsédantes grappes d'idées noires et bleues.

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    En plus, s'excusent presque de jouer pour leur plaisir – qui devient instantanément le nôtre - lorsqu'ils présentent les morceaux, vous transportent en un fragment temporel d'innocence et de pureté rock'n'roll comme les habitués des concerts en rencontrent peu. Infernal et paradisiaque.


    THAT'5 ALL
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    Cinq sur scène. Nous préviennent d'entrée. Ne font que des covers. Mais tirent la couverture à eux. Font leur mix, ne proviennent pas du même lieu. Mais au lieu de se prendre la tête, mélangent toutes leur provenances dans la tambouille, rock'n'roll, hardcore, glam, métal, djent, mais attention feu violent sous la cocote minute. Surtout ne jamais l'ouvrir, attendre simplement qu'elle explose. Le problème c'est qu'elle explose très vite. Mais ce n'est jamais trop tôt parce les That'5 All détestent attendre.

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    Une mécanique huilée. Une stratégie mûrement réfléchie. Formation de base, un derrière, un devant, trois au milieu. Donc au fond Helder à la batterie. N'en concluez pas qu'il joue de la batterie. Non pas du tout, il joue à la batterie. Saisissez la nuance prépositive. Pas le genre d'hurluberlu primitif qui tape sur ses peaux comme le premier venu, ses baguettes n'ont pas encore effleuré la moindre caisse, qu'il se charge d'énergie, il l'aspire, elle descend dans son corps, et d'un seul coup il la projette hors de lui, la propulse, la crache sur ses toms et c'est le retour de l'hurricane qui balaie les sequoias devant lui comme des fétus de paille.
    Heureusement. Parce que devant, il y a Olivier. Tout seul avec son micro. On devrait le lui supprimer. N'en a pas besoin. Le concassage drumique, l'a intérêt à ne pas faiblir un milliardième de seconde sans quoi on ne l'entendrait plus, c'est que l'Olivier il vous le surmonte avec une telle aisance que cela en devient indécent. Pensez à des radiations sonores qui s'enfuiraient de l'explosion de Tchernobyl, rien ne les arrêterait, eh bien maître Olivier il vous balance son vocal comme la bombe atomique sur Hiroshima. Avec une désinvolture révoltante. En plus il se permet de pogoter, de gigoter, de marcher dans tous les sens, de descendre dans le public, de lui tourner le dos, bref de n'en faire qu'à sa tête. Peut être essoufflé entre deux morceaux mais il vous ressort illico sa voix aussi épaisse qu'un porte-avions.


    J'entends votre questionnement. Mais que font les trois autres, sagement alignés avec leur guitare comme des boîtes petits pois sur leur étagère ? Je reconnais qu'à première vue ils ont l'air de tirer au flanc, genre puisque les deux madurles de devant et de derrière se chargent du boulot, surtout ne les contrarions pas. Bandes d'ignorants ! Analpha très bêtes du rock'n'roll, ouvrez vos yeux et vos oreilles. Oui ils donnent l'impression de paisibles bergers mollement couchés dans l'herbe sicilienne d'un poème de Théocrite, mais non, reportez-vous à la fin de la République de Platon lorsqu'il entame la description des trois plus terribles divinités que la terre ait jamais engendrées, les Moires sans pitié qui tissent le fil de votre existence humaine.
    Sont ainsi. Mais eux ils tressent le barbelé de quelque chose de bien plus importante que votre misérable biographie, c'est le filin du rock'n'roll qu'ils tissent. A droite voici Anthony, extrait de sa basse de longs filaments sans fin qui n'en finissent pas de se dérouler, des notes graves et profondes qu'il repasse à ses voisins, sans leur jeter un seul regard, derrière ses lunettes à la Buddy Holly, ses yeux se perdent en un long rêve d'attente frissonnante... Au centre, de sa guitare rythmique Christophe inflige scansions et étirements divers à cette longue longe qui s'entremêle entre ses cordes, c'est lui qui donne la vie, la couleur et les saccades nécessaires à l'épanouissement vif-argent des modulations outrancières, mais voici Silvio, souvent ses doigts restent immobiles, il guette le moment décisif où il devra trancher le riff, définitivement d'un coup sec, le renvoyer au néant tombal, se contente d'un frôlement, laisse perler une ou deux notes assassines, et se remet aux aguets, ou alors il se lance dans un solo dévastateur, des coups de hache qu'il assène violemment comme si le serpent musical ne voulait pas mourir et qu'il fallait l'achever de brusques tapes acérées, tranchantes comme un couperet de guillotine, prend soin tout de même que ce ne soit pas trop rapide, que l'on puisse entendre ses crissements de souffrance.

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    Dix titres. Avec l'excuse du morceau lent – ce sera So Far Away d' Avenged Sevenfold – avec la gradation attendue qui se termine par un ramdam de tous les diables car That'5 All ne sait pas rester calme, d'ailleurs après un Sex on Fire ( King of Leon ), un Nightrain ( Guns and Roses ) et the Trooper ( Iron Maiden ) ils promettent de revenir dans un quart d'heure avec un set un peu plus enlevé. On ne s'était pas aperçu que celui-ci avait été particulièrement tempéré.

    INTERMEDE ( A )


    Diable que se passe-t-il ? La salle se remplit de plus en plus. Etrange que des cohortes de bikers restés à discuter dans la cour s'en viennent squatter les premiers rangs alors que le set vient de se terminer. Ne voilà-t-il pas qu'ils entreprennent de vider la scène de tous ses micros et que les éléments de la batterie sont démontés et poussés au-dehors. Un virus anti-rock'n'roll aurait-il sévi ? D'autant plus que sur l'estrade l'on se hâte de disposer une chaise et d'y asseoir un jeune impétrant qui attend placidement la suite de l'aventure.
    Mais la voici. Les ligues féministes peuvent se dispenser de la lecture des paragraphes suivants. Ce n'est un secret pour personne la culture biker touche quelque peu au domaine de l'affirmation virile. En voici donc une de ses représentations des plus phantasmatiques. Si vous êtes d'âme délicate qui n'aimez point que l'on vous souligne d'un gros trait rouge les éléments essentiels de la vie rabattez-vous sur la lecture de La Motocyclette d'André Piyere de Mandiargues, mais si vous tenez à assister au rituel sachez que la réalité est parfois aussi évanescente que les tendresses les plus platoniques.
    Toute belle, toute en chair. Nue dans votre tête mais gainée de cuir en ce monde de regrets, Miss pin up s'avance vers vous. Non, elle n'est pas pour vous, la femme araignée se contentera de la victime offerte sur sa chaise. Provocation et frustration sont les deux mamelles de son art. Les siennes propres sont deux merveilleuses rondeurs, deux globes majestueux dignes des coupoles de Sainte-Sophie et du Panthéon romain. Les dévoilera d'abord au seul jeune homme comme un secret échangé entre eux deux, puis à nous tous, mais ce sera les deux uniques fragments de beauté qui seront révélés, pas pour très longtemps, s'enveloppera vite d'un drapeau italien avant de sortir de scène. Mais ce n'est pas tout, avant nous aurons eu droit à toute la mimétique de l'acte amoureux, les poses lascives et les ondulations suggestives, un croupion que l'on agite indécemment sous votre nez, mais tout est faux, tout est toc, se vautre sur le jeune homme, l'entoure du coussin d'air de la ventouse de sa chair, esquisse les gestes de la fellation, imite le soixante neuf, et puis se retire, nous prive de sa simulation... Ni érotique. Ni pornographique. L'art figuratif des esquisses perdues. Le viol du cygne qui n'a pas eu lieu. Inutile de tirer la langue elle n'atteindra jamais son sexe. Perfide et cruelle ambiguïté de ce qui se donne à voir sans s'offrir.

     

    INTERMEDE ( B )


    Retrouvons nos esprits. That'5 All s'attelle à la tâche de nous faire recoller au rock'n'roll. Rien de tel qu'un électro-choc pour vous remettre les idées en place. Mais ils n'iront pas plus loin que le quatrième morceau. Ordre leur est communiqué de d'arrêter les frais. Les Sigvald's nous ont offert un premier cadeau, rien de tel qu'une légère collation pour reprendre des forces après de telles émotions, et nous assistons au découpage de deux énormes gâteaux – anniversaire oblige - emplis de crème, de pâte d'amande et de pistache, la queue s'allonge ( inutile de voir en cette simple notule descriptive une allusion à l'intermède précédent ) assiette plastique en main chacun attend sa portion succulente. Certains tricheurs repasseront plusieurs fois. Je ne donnerai pas la liste de peur d'y apercevoir mon propre nom.

     

    THAT'5 ALL ( 2 )

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    Reprenons notre récit à l'endroit exact où nous avons été par deux fois si tragiquement interrompus. Z'avaient ouvert le deuxième set avec Season in the Abyss de Slayer mais nous irons tout droit après l'interruption pâtissière à leur interprétation de Nothing Else Matters. Font merveille sur la structure métallique. Cet empilement prodigieux d'excroissances sonores qui ne s'achèvent que par la naissance d'une nouvelle architecture leur sied à merveille. Un feu qui ne s'éteint jamais, même si l'on voit chaque flamme grandir, se déployer comme un incendie géant et puis rétrécir et agoniser de sa belle mort qui s'en vient se perdre dans l'advenue d'une autre vague aussi violente que la précédente. That'5 All a compris la quintessence de Metallica qui refuse d'exposer chronologiquement la montée en puissance d'un riff et puis son anéantissement, le band écoule deux phases de deux cycles en même temps, l'une s'en vient mourir dans le moment même ou une nouvelle l'entraîne dans son déferlement, cette dualité qui propose et mort et naissance de deux riffs concomitants évite les dangers successifs du pompiérisme métallifère, un effet chasse l'autre mais ne le tue pas, l'emmène avec lui, en la course du morceau jamais de fin intermédiaire, jamais de véritable reprise, mais torride accumulation d'énergie, Helder parcourt ses toms en trombes, Sylvio se déchaîne – plus le temps de laisser Christophe se dépatouiller tout seul, tous deux tricotent de concert l'énorme vague qui nous submerge, Olivier est en verve, chante et commente, instaure le dialogue avec le public qui se réduit pour le troisième set qui n'en sera que plus fort car davantage porté par des passionnés. Un Sweet Child o' Mine aux fusils pétaradants saupoudrés d'épines de roses empoisonnées, un Antisocial démentiel et un killer medley de Metallica stratosphérique. N'en jetons plus. Mais comme nous en redemandons un chouïa de plus ils nous horrifient d'un reggae.... qui tourne vite à la purée hardique à l'emporte-pièce.
    C'est tout.
    Mais amplement suffisant.

    Ne reste plus qu'à remercier les Sigvald's pour l'organisation, l'ambiance et la chaleureuse simplicité de l'accueil. Un anniversaire dont on se souviendra.

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    Damie Chad.

    ( Photos d'Enagrom sur FB : Sigvald's MC Seine et Marne )

     

    15 – 05 – 2017 / LA MAROQUINERIE
    VERTE EST LA NUIT
    LOIRE VALLEY CALYPSOS
    HOWLIN' JAWS / BIG BOSS MAN
    LES GRYS - GRYS

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    De bon matin je surfe sur internet, lorsque je reçois un message personnel de Dieu – ça m'arrive, pas tous les jours, quelquefois seulement – ventrebleu saint Grys Grys moi qui encore la veille me désespérais de n'avoir aucune nouvelle des Grys Grys, voici leur nom sur le coin du flyer, en plein Paris, et en plus les Howlin Jaws, décidément je suis gâté, et encore mieux, c'est gratuit si vous vous inscrivez, sur ce coup-là il faudra brûler une chandelle romaine de remerciement à Nique Ta Mére, pardon je voulais dire la Sainte Vierge, bref lundi soir, direction la Maroquinerie.

    CHARTREUSE SANS PARME, CHARTREUSE SANS CHARME


    L'entrée vous donne droit gratis à une chartreuse – infâme ramassis de plantes médicinales rehaussé de pulpe de citron - plus un orchestre d'ambiance pour aspirer en toute quiétude votre poison-maison.

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    Le groupe s'installe sur la scène à côté du bar, une petite foule quitte la cour ensoleillée pour les écouter. Banjo, contrebasse, percussion, guitare et chant. Dommage la sono nous offrait Bo Diddley et Muddy Waters, la relève risque d'être difficile... Se débrouillent bien en leur style, un peu plus rugueux que Julien Clerc et plus sérieux que Dario Moreno. C'est sympa, le public apprécie, mais moi le caca-lypso à haute dose je n'ai rien contre mais à partir du moment où l'on réduit à un demi-cachet tous les deux ans. Mais là, je m'en enquille quinze d'un sel coup. En plus ils promettent de revenir entre les groupes, mais comment se fait-il qu'il existe tant de cruauté en ce bas monde ? Non je ne suis pas sectaire, la preuve, je n'aime que le rock'n'roll. Ce n'est tout de même pas de ma faute si sciemment je participe à l'injustice de ce monde. En tout cas, je sais au moins que pour mes prochaines vacances j'éviterai la vallée de la Loire.
    Direction les enfers. Suffit de descendre les escaliers pour pénétrer le cube bétonné de la salle de concert, look spartiate de mini arène de ciment, je m'aperçois que toute une flopée de jeunes gens préfèrent les tempêtes de sable du désert aux oasis ensoleillées.

    HOWLIN'JAWS


    Les Howlin' sont là. Bons doctors Feelgood qui nous administrent un rock'n'roll shoot comme on n'en fait plus. Sont beaux comme des anges tant qu'ils restent immobiles, trois secondes et demie. Avant de déclencher l'apocalypse. Les Jaws plus anglais que jamais, bye-bye le rockab des familles, ne gardent de cette vieille poudre si facilement inflammable que l'habitude des solos qui ne durent pas plus de quinze secondes, autant dire que leur set est un entremêlement incessant de mini soli qui sans merci se font et se défont la nique et la niaque, à vouloir toujours prendre la place de tête, une mécanique de hautes précisions, il ne s'agit pas de garder la pôle position du début à la fin, mais au contraire de laisser passer en tête de course l'un des deux autres co-pilotes en lui offrant l'ouverture salvatrice par un magnifique dérapage contrôlé qui vous permet de brouter l'herbe des bas-côtés et d'entendre les pneus crisser sur les gravillons.
    Contrebasse en travelingue et vocal à la déglingue Djivan Abkarian, batterie aux aguets et frappe instinctive Baptiste Léon, guitare en feu et visage enfiévré Lucas Humbert, trois chats enfermés depuis huit jour dans une carton exigus, sautent en l'air comme des diables et se mettent en chasse de la souris rock'n'roll, l'on sent que la bestiole va passer un mauvais quart d'heure, l'a beau courir de toutes ses pattes dans tous les coins à la vitesse d'un guépard, l'est sûr qu'ils ne vont pas tarder à la rattraper et à vous la déchirer en confettis de chair sanglante.

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    Le combo avance par giclées spermatozoïdales. Des bouffées de sperme de cachalot qui vous brouillent les neurones. Sont tous les trois partout à la fois. Indispensables. Des matelots qui courent dans la cale pour boucher les quatre-vingts voies d'eau mortelles qui condamnent le navire à couler lamentablement. Mais non, réussissent sans faille à colmater cent failles. Une musique de l'urgence. Rien n'est gagné d'avance. Ne pas perdre une miette. Guitare à l'emporte-pièce, batterie bouchon de champagne, contrebasse kahotique, vitesse d'exécution maximale, pas de répit pour Baptiste, un break à servir brûlant quand l'autre n'est pas encore fini, une ponctuation de guitare qui déboule comme par surprise et Djivan au chant qui presse le débit nitroglycérinique.
    Célia Formica bondit au milieu de notre torchère, vêtue de gaze verte comme la nuit ou la jument de Marcel Aymé, qui retombe très haut sur ses jambes à la Marie Quant, pompons de mousse à l'endroit des poupous, chevelure d'un fauve qui tire sur le mauve, se démène des quatre jambes, l'est bien belle et mignonnettes, réussit le prodige de s'agiter sans vous ennuyer – elle reviendra par intermittence dans tous les autres sets – mais j'ai beau mettre des moufles pour ne pas passer pour un mufle, franchement très vite on l'oublie, les Jaws sont trop beaux, trop péremptoires, trop pétris d'attitudes définitives pour perdre du temps à la regarder. Semble superfétatoire, la cerise sur le clafoutis qui en regorge, Lucas ses cheveux blonds, ses mimiques de terreur chaque fois qu'il tronçonne une cascade de trois riffs explosifs – ce qui lui arrive toutes les cinq secondes – son ballet endiablé, ne fait plus qu'un avec sa guitare, à croire qu'il s'est planté le jack dans un cathéter censé drainer une maligne tumeur de son cerveau ravagé par un électrochoc continu, le corps agité des mêmes soubresauts instinctifs des condamnés à la chaise électrique, vous fait des sauts de requins hors de son aquarium dans le but avoué de croquer une dizaine de spectateurs ahuris, dans la salle c'est l'exultation à chacun de ces décochements, de ces décrochements de flèches phoniques dont il transperce le coeur de l'auditoire, Baptiste un mélange d'efficacité et de flegme éhonté, les compos sont si serrées qu'au moindre retard, c'est le vide assuré, le blanc, le trou noir, le silence dans la bande-son, la pellicule qui se coupe au moment où l'assassin lève son couteau pour égorger la jeune vierge innocente, mais non, l'est comme ses joueurs d'échecs qui ont trente-trois coups d'avance sur leurs adversaires, le deux ex-machina qui dénoue l'imbroglio, qui rétablit par miracle la situation, Djivan ne se prélasse pas sur le divan des commodités, alimente sa big-mama comme s'il jetait des briquettes dans le foyer d'une locomotive à vapeur qui assurerait la liaison New-York Los Angeles, sans arrêt, tender inépuisable et tension en courant continu. Le rock est sur le rail, Baptiste se charge des aiguillages et Lucas des déraillements et des attaques des peaux-rouges lors de la traversée des territoires sacrés du rock'n'roll.
    Ne regardez pas dans la salle. Cyclone force 10. Lorsque les Howlin' s'arrêtent, ils n'ont pas remporté la victoire. Une de plus. Ils ont simplement convaincu le public que le rock'n'roll n'était pas mort.

    BIG BOSS MAN

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    Big Boss Man. Inconnu au bataillon. J'en avais déduit à partir du seul nom reedien que c'était un groupe de blues. Des doutes quand ils ont trimballé sur le devant de la scène un pachyderme aussi encombrant qu'un bahut Louis XIII, un vrai, un vénérable orgue Hammond, un vétéran des sixties, donc tout faux. Un colosse herculéen noir – répond à la trop courte appellation de Des qui ne préfigure en rien sa gigantesque stature – arrive à se caser entre le mur et sa batterie qui du coup ressemble à un jouet de gamin. N'a pas saisi une baguette que déjà l'on a compris que la frappe sera lourde, onctueuse et grasse à souhait – aux petits oignions verts. Bongolian Nass, drapé dans sa veste d'officier s'assied derrière le clavier. Wah Wah Trev accroche sa guitare et The Haw Scott se saisit de sa basse. C'est parti pour une heure de soul.
    Buste droit, rejeté en arrière, en des des raidissements qui sont comme autant de clins d'oeil à Ray Charles martyrise son appareil, puissamment, n'effleure pas une touche, en écrase sept ou huit avec la vigueur d'une patte d'éléphant qui s'appesantit sur le dôme d'une fourmilière cannibale, vous beurre la tartine en y empilant trois tablettes dessus, sans même retirer l'emballage, mais ce n'est pas assez, lui reste un trop plein d'énergie, alors il se lève et s'en va taper sur de pauvres percussions qui ne lui ont rien fait mais qui doivent penser que leur dernière heure est en train de sonner. Le genre de close-combat qui enchante Des, l'en remet sept ou huit couches sur sa caisse claire plus une vingtaine de dégelées sur le reste de la quincaillerie, en plus parfois ils s'énervent tous les deux et jouent à qui azimutera le premier le Titanic du groove. Z'a côté, les guitareux ne mouftent pas, l'on aurait tendance à les oublier, mais ce ne sont pas des manchots du bulbe rachidien, comparés aux Big Man ils bossent par en-dessous, mais double bosse comme le chameau, vous envoient le coussin d'air qui permet à l'air-craft de voler sur les eaux. Sont des malins, sur le dernier morceau ils saupoudreront d'un peu de funk mais rien de ce répétitif ennuyeux qui monotonise trop de formations ces temps-ci. Juste la gousse d'ail qui embaume le gigot ou celle de vanille qui apporte une haleine sucrée aux gumbos les plus saturés d'épices. Seule, la soul vous saoule.

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    Ça ne les empêche pas de rajouter en douce un peu de rock, leur Big Boss Man ressemble à s'y méprendre à une version organisée de Louie Louie, quant à leur Party 7 – si j'ai bon souvenir – regarde d'un peu trop près le Land of Thousand Dances version Pickett des hannetons. En tout cas dans la salle, c'est la joie, ça ondule gentiment et les applaudissement crépitent comme des mitraillettes. Enthousiasme général.
    J'apprécie, rien à reprocher, leur Everybody Boogaloo est aussi entraînant qu'une ronde de zombies et de mongoliens atteints de délirium tremens, mais de la musique de danse, avant tout entertainment. L'on se croirait dans un club dans un quartier noir aux USA en 1967, mais il manque l'atmosphère de révolte fervique qui accompagnait le rising sun des Black Panthers... Font un tabac. L'on se presse autour du stand de disques. Sont sympas, vous refilent un Ep en plus... Une partie du public se retire après leur passage. Etait venu pour eux. Un peu de rock'n'roll en hors d'oeuvre, l'on veut bien supporter, mais pour le plat de consistance qui suit, l'on préfère décrocher. Sage précaution car le temps des Grys Grys approche.

    LES GRYS - GRYS


    J'espère que vous avez activé l'interdiction parentale sur votre ordinateur, que cette chronique ne tombe jamais sous les yeux de vos enfants, sans quoi leur avenir est perdu. Définitivement. En quelques minutes, vous ne les reconnaîtrez plus, traîneront tard dans la nuit en des bars louches, des bouges insalubres, s'adonneront à des activités musicales et extra-musicales – les plus dangereuses – dont je préfère ne pas vos égrener la liste afin que vos cheveux ne blanchissent en une seule nuit. Car les Grys - Grys sont sur scène et vous n'y pouvez plus rien.

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    Dès le début, un truc vous turlupine, quel est le rôle exact du cinquième homme, exilé sur notre gauche, ses camarades lui ont laissé un micro, c'est tout. L'arbore le profil du gosse malheureux auquel ses parents n'achètent pas de jouets, s'amuse avec ce qu'il ramasse par ci par là, l'est à terre, en train de rafistoler des maracas plus ou moins démantibulées, votre coeur se serre, vous le plaignez secrètement. Attendez pour voir. Esteban est au centre, imposant derrière sa batterie, une gueule patibulaire de gardien de cimetière, quand il cloue un cercueil le macchabée a intérêt à se tenir coi, sans quoi se prend un coup direct sur la gueule, le genre de souveraine médicamentation qui vous calme. Ressemble un peu à Bonham ce qui pour un batteur est assez prometteur. Bassiste blond et cheveux bouclésBelle dégaine.

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    La même chevelure pour le guitariste, mais nuance corbeau. L'a la Rickenbacker qui frétille. Vous laisse échapper de ces pétarades d'impatience à provoquer des avalanches. Un teigneux, un insatiable, vous lui montrez un riff et il défonce les portes du toril, l'est comme le taureau qui a envie d'encorner quatre ou cinq toreros en apéritif. Un look un peu dégingandé à la Cyril Jordan, la gratte en embuscade, notre maître-chanteur squatte le micro tel un indolent vautour qui surveille une charogne.

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    N'ont pas encore commencé que l'on sent que la situation devient grave. Sombre pressentiment. Pire que ce que l'on imagine. Même moi je serai surpris. De ma faute. Je m'extasie bêtement aux premières notes de Milko Poor Boy vieille huile de vidange de garage faisandé, je m'esbaudis joyeusement sur I'm Ready, je grimpe sur mon petit nuage estampillé pure rock'n'roll, cent pour cent R'n'B, je suis ailleurs, je plane dans le fracas des dieux, les Grys - Grys dégainent le tonnerre de Zeus, je suis tout ouïe, je vole dans la tempête, je chevauche les éclairs qui tuent, je suis heureux. Ne l'ai pas vu venir. C'est de ma faute, je le répète. Le plus pitoyable des stratèges ne manque pas de se méfier. Faut surveiller ses arrières et moi je ne zieute que le combo. Un choc violent, mes genoux qui heurtent le devant de la scène, je me retourne, totalement ahuri. N'y a pas que sur moi que les Grys - Grys provoquent un effet mammouth, mais alors que je suis emporté jusqu'au septième ciel, le reste du public est atteint d'une folie aigüe, crise de nerf généralisée, tout le monde s'agite dans tous les sens, ça crue, ça hurle, ça tonitrue, ça se remue, ça se transmue en tohu-bohu, une houle de foule humaine force douze, vous ne savez plus s'il vaut mieux regarder la salle ou la scène, de toutes les manières des deux côtés c'est la même féérie. Un grand escogriffe bondit sur la scène et se rejette dans la fosse en un magnifique salto arrière, l'est rattrapé par miracle, promené à bout de bras puis jeté au sol sans ménagement. J'ai le temps de reconnaître Djivan. L'a suscité des vocations, la scène devient un lieu d'auto-catapultage, on se croirait sur un porte-avions en plein milieu de la bataille de Midway, vol libre et atterrissage catastrophe, sur scène ce s'est guère mieux. Les Grys - Grys sont des pousse-au-crime vous déverse du kérosène sur l'incendie, Hot Wind, You Mistreat Me, Got Love, aucune envie de modérer la situation, en ce moment ne sont plus sur scène, les deux guitaristes traîne dans la salle, et l'autre le gamin, je le cherche sans le voir, trompe bien son monde, l'est juché sur les baffles, agite ses maracas rouges comme s'il venait de castrer un étalon, saute, revient vers le micro, se plante un harmonica dans la bouche comme s'il fumait un Davidoff Oro Blanco, souffle hors des trous tout en passant le manche de sa percu le long du clavier tout fier comme s'il était en train d'inventer la manière de jouer de l'harmo en slide, plus tard sera allongé et tapera frénétiquement sur le plancher un tambourin qui ne sait plus ce qui lui arrive.

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    Nous non plus. La salle est devenue un ring de massage corporel généralisé, des masses humaines s'abattent sur vous venues d'ailleurs, vous télescopent avant de reprendre leur orbite désordonnée comme des comètes folles, un lit de mains tendues appellent le guitariste, le voici couché sur ces paumes ferventes qui le transportent tandis qu'il continue son solo, à croire qu'il se balance mollement dans un hamac entre deux palmiers, il pleut de la bière et le chanteur en profite pour nous verser des bouteilles d'eau sur la tête. C'est fini. Non, ils reprennent leurs instruments, ils en veulent encore, Q 65, Thor's Hammer, You Said, le bassiste a perdu une corde, et le public la raison. Des tueurs. Des sadiques. Incapables de s'arrêter. Folie pure. Une gig gigantesque, dantesque, rock'n'rollesque.

    DRING ! DRING !


    Le téléphone pleure.
    Allo, ici l'ALCBK, l'Amicale des Lecteurs Catholiques du Blog Kr'tnt !
    Super, le club cahotique, je ne savais pas qu'il existait ! Je vous félicite !
    Non ca-Tho-li–ques ! Nous venons voir si vous avez honoré votre promesse de cierge à Marie, notre Sainte Mère de Dieu.
    Ah, bien non, au dernier moment je me suis ravisé, j'ai préféré douze grandes libations de Tennessee Jack aux douze Olympiens, et pour être sûr de n'avoir oublié personne par acquis de conscience j'en ai rajouté trois en l'honneur d'Alexandre le Grand, de Julien l'Apostat et du divin Néron.
    Damie, songez à votre âme de rocker pénitent, nous craignons que vous ne soyez perdu !
    Que la paix stérile du Seigneur continue à vous emberlificoter mes bonnes soeurs, n'ayez crainte le rock'n'roll m'a déjà pardonné ! »

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : René Simon )

     

    THE WHO
    LE GROUPE MOD
    PHILIPPE MARGOTIN


    ( Editions de la Lagune )

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    Philippe Margotin nous raconte la saga des Who. Je n'ai pas dit la survie des Who, même pas cinq pages pour les vingt années – le bouquin date de 2007 - qui suivirent la mort de Keith Moon. Un livre qui vise à l'essentiel, bien fait, documenté, et qui se révèlera être pour un jeune lecteur qui n'aura pas connu la fabuleuse époque de la british explosion une parfaite introduction à l'un de ses groupes les plus symboliques. Les Who sont un scotch double à double-face. Sont comme ces rouleaux qui par n'importe quel bout que vous tentez de les prendre vous collent aux mains et dont il est impossible de se défaire. Tour à tour, et en même temps, citronnade vitriolée et orangeade sanguine. Ultra-rock et infra-intello. Brutal et intuitif. Des mousquetaires qui ne s'embarrassent guère d'une chaude camaraderie, chacun pour soi quand ils sont sur scène et tous contre les autres quand ils sont en studio. Ces rapports humains peuvent surprendre mais les Beatles de Hambourg et les Rolling Stones de toujours ont connu à des stades diversement avancés de semblables émulsions.

    DU ROCK'N'ROLL AU RHYTHM'N'BLUES

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    Pete Townshend, John Entwistle et Roger Daltrey se rencontrent dans le même collège de Chiswick, nous cataloguerons les deux premiers parmi les grands timides, qui se soigne et fait des efforts pour Townshend, définitivement invétéré et introverti pour Entwistle, le troisième c'est déjà le premier trublion, la boule dans le jeu de quilles – en attendant que ne débarque ce chien fou de Keith Moon – Daltrey c'est le prolo égaré dans la toute petite bourgeoisie. Ses deux camarades n'ont pas grand chose de plus dans le porte-feuille des parents mais des idées par milliers fermentent dans leur caboche. La seule richesse de Daltrey est instinctive. Certains jouent en bourse, mais Daltrey saura toujours placer sa voix au bon endroit, dans les plus fines harmoniques comme dans les plus chaotiques chevauchées. L'est capable de tout, des plus grandes fureurs et des plus suaves douceurs. Un éventail versatile qui se prêtera à tous les vents contraires de ses compagnons. Même aux ouragans tumultueux de Keith.
    C'est que nos quatre matelots ont du souci à se faire. Naviguent en mers inconnues. Ne sont pas les seuls. La jeunesse anglaise se cherche, en trois ans les évolutions vont brûler les étapes. L'apparition des Beatles indique le premier cap. Minimum rock'n'roll. Le rock ou rien d'autre. Parfait pour nos lascars. Viennent de là. Buddy Holly, Eddie Cochran, Gene Vincent, ils connaissent par coeur. Z'ont taquiné le jazz-trad, caressé le skiffle, joué du banjo, gratté des guitares shadowiennes, bref sont arrivés à cette conclusion que pour calmer leurs impatiences adolescentes le bon vieux rock'n'roll était le meilleur antidote à la sinistrose sociale. A part que les Beatles ils apportaient un son différent, plus rapide, plus enthousiasmant, ne faisaient pas de la copie conforme, osaient s'éloigner des maîtres. Un malheur n'arrive jamais seul, voici les Rolling Stones, jouent un blues plus noir que bleu. Ne se perdent pas en plaintives jérémiades, le blues ils l'ont survitaminé à l'aide d'écoutes forcenées de Muddy Waters de Chuck Berry, de Bo Diddley, ce n'est plus du blues, mais du rhythm'n'blues. Ils ont déniché le truc. Plus méchant que les Beatles. Mais il leur manque la formule. Les Who la trouveront, résolvent l'équation en deux mots magiques qu'ils inscriront sur leurs affiches : Maximum Rhythm'n'blues.

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    Faut être honnête le slogan n'est pas d'eux mais de leur command-staff, Kit Lambers et Chris Stamp, car Londres grouille de jeunes loups aux dents aussi longues que des sabres d'abordage, ceux qui ne savent pas tenir une guitare s'inventent des boulots d'hommes de l'ombre, avancent un peu de blé ou s'improvisent imprésarios, directeurs, tourneurs... C'est qu'en deux ans le ciel s'est dégagé, adieu aux rockers, bienvenue dans le monde des mods. Les jeunes gens de ces temps-là sont définitivement modernes, aiment la sape pas flashante mais qui vous différencie, roulent en scooter et écoutent du R'n'B !
    Les Who seront mods ou ne seront pas. Pas d'alternative ! Ils le seront. Daltrey rocker dans l'âme râle, mais en silence, la fièvre des concerts, le succès qui pointe le bout de ses effluves, l'argent facile qui n'a pas d'odeur, sont de solides et trébuchant arguments...

    MUSIQUE

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    Une véritable révolution culturelle agite Londres, l'Angleterre, gagne les rivages européens et met les pieds dans le plat la mythique Amérique, les Who en sont l'un des principaux fers de lance. Pour le moment ils ne se posent pas trop de question. Foncent dans le tas sans retenue. Concerts tous azimuts. Maximum flamboyance. Son énorme, micro tournoyant, guitare stridente, batterie écumante, basse grondante, moulinets de bras, sauts en hauteur, rituel de la guitare fracassée, les Who empochent à chaque fois la mise. D'autant plus que Townshend qui s'agite sur scène comme un diable échappé des souterrains infernaux réussit un coup de génie. Compose un morceau philosophique. Plus question de raconter comment vous prenez la main de votre petite copine, parle au nom de toute sa Generation, mal-être, colère, frustration, rajoutez la violence sonique d'un combo lancé à fond et vous obtenez l'élixir de venin de crotale en moins de trois minutes. Beaucoup plus virulent et moins ennuyeux qu'un bouquin de Kierkegaard...

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    L'EPISODE MEHER BABA

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    De quoi rester baba. Avec ou sans rhum. Meher ne se prenait pas pour la moitié d'un cageot de moules-frites avariées. S'était déclaré lui-même l'avatar de son époque. Même si cela vous semble une pitrerie ne confondez pas avec Achille Zavatta. L'avatar ce n'est ni plus ni même que dieu en personne qui s'en vient faire un petit tour sur notre terre. Grosso modo une fois tous les dix siècles. Pas très fatigant comme boulot. Surtout qu'il ne se donnait même pas la peine de parler. Communiquait avec l'aide de l'alphabet ou par signes. Message brumeux. Abstenez-vous de faire de mauvaises actions qui retarderaient le moment où votre âme rejoindra le grand tout divin. L'a tout de même réalisé un miracle : l'a réussi à regrouper autour de lui des centaines de disciples en Inde, aux Etats-Unis où il voyagea par deux fois, et un peu partout dans le monde... L'était né en 1894 et se rendit célèbre auprès de la jeunesse hippie d'obédience orientalisante en 1967 en la mettant en garde contre les drogues. Non le LSD n'était pas un starway to heaven vers le nirvana ! Comme toujours les prescriptions divines furent mal interprétées, la jeunesse occidentale reconnut la sage sainteté de Baba mais continua allègrement à gober ses pastilles valda multicolores sans défaillir. Faut dire que si son message avait été reçu cinq sur cinq c'est qu'il était dans l'air du temps, l'on connaît les déboires des Beatles partis en colonie de vacances auprès du Maharishi Mahesh Yogi qui se termina abruptement le jour où le saint homme entreprit de pénétrer de force dans le temple vulvaire de Mia Farrow. Cela ne se fait pas certes, toutefois cette tentative effractive reste la preuve indubitable que des années de méditation transcendantale avait permis au saint homme pétri d'une infinie sagesse d'accéder aux portes édéniques de la beauté souveraine.
    A notre connaissance Meher Baba ne devait pas être aussi avancé sur les chemins de la beauté divine puisque l'on ne relate aucune tentative tantrique de ce type dans les deux années qui suivirent et au bout desquelles il regagna - aidés par les séquelles de deux anciens accidents de voiture - ses pénates, en mourant stupidement, comme tout un chacun. Quoique ses biographes ne s'étendent guère sur ce stage d'initiation ( d'union yogique avec le divin ) réservé aux femmes occidentale dans les années trente durant lequel il organisa une tournée en autocar, dénommé le Blue Bus Tour qui nous semble prémonitoire du Magic Bus des Who... Quoi qu'il en soit Pete Townshend n'a jamais remis en question l'influence bénéfique de la vision - qu'il faut bien qualifier d'intermittente – de cette paix de l'âme qui lui aurait été dévoilée lors d'un entretien avec le dernier messie en date...

    EXPLOSION MENTALE

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    L' épisode Baba survenu en 1967 n'est pas dû au hasard. Tout est allé trop vite. En deux ans nos jeunes gens sont devenus des stars. L'argent, les filles, l'alcool, les excitants divers et les émollients variés coulent à flots, la fatigue des concerts, les tournées en Amérique, tout cela vous rétame un individu en cinq sept. Vous êtes happés dans un tourbillon, au début vous prenez votre pied, à la fin cela devient harassant, et pire que tout cette impression de ne plus avoir de temps à vous, de ne plus rien contrôler, de ne plus avoir le loisir de vous poser dans un coin et de faire le point, dans votre tête...
    D'abord autour de vous dans votre musique. Les Who c'est en même temps maximum de sauvagerie – sur scène n'en parlons pas, c'est carrément les hordes d'Attila – et dans le même panier-repas maximum mélodique. Prenez des morceaux comme Picture of Lily, Anyway, Anyhow, Anywhere..., I Can See For Miles, certes ça défile vite, ça pulse fort, mais selon une ligne mélodique qui doit bien vouloir signifier autre chose... Maintenant Townshend se livre à une introspection généralisée, certes ses paroles décrivent bien attitudes et perversions individuelles induites par l'état de la société, mais n'y aurait-il pas là-dessous l'expression d'un drame personnel et encore plus, n'hésitons pas à employer les grands mots, d'une réalité quasi-métaphysique de la condition humaine ?
    Jusqu'à lors les Who n'ont fait que s'amuser comme des gamins excités d'attraper toutes les conneries qui s'offraient à eux, peut-être serait-il temps de passer à quelque chose de plus sérieux. Le rock ne mérite-t-il pas mieux que quelques bijoux pop et toc ? De la pacotille quand il compare ces premières pépites au rêve grandiose de l'oeuvre magistrale dont il rêve.

    OPERA ROCK

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    De toutes ces intenses cogitations sortiront Tommy. N'ai pas osé le retirer de mes cartons pour le réécouter avant d'écrire cette chronique. La peur d'être déçu. De ne pouvoir me remettre dans la peau de mes dix-huit ans lorsque j'ai entendu à la radio les Who l'interpréter en Live en Angleterre, sacré moment. La frousse de n'y trouver qu'une énorme boursoufflure des plus regrettables. En tout cas à l'époque ce fut un choc, les Who s'imposaient comme novateurs. Donnaient ses lettres de noblesse au rock'n'roll, l'inscrivaient parmi les arts majeurs. Et pour qu'il n'y ait point de réclamation au guichet sortait l'année suivante, le Live at Leeds – la version CD vous double le concert – ce n'est pas un enregistrement public parmi tant d'autres mais un magistral coup de cravache sur la croupe du rock'n'roll pur-sang, un déluge métallique qui portait en lui les germinations futures du hard rock.

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    N'empêche que Tommy n'est guère joyeux. Autisme, perversions sexuelles, solitudes, sont ses thématiques principales, un disque noir, à l'opposé du rêve lysergique californien, une errance éperdue dans une continuelle remontée des traumatismes incapacitants de l'enfance, l'affirmation de l'engluement de l'esprit en soi-même, pire que le no future à venir des punks, Tommy c'est le présent impossible.

    THE LAST BUT NOT THE LEAST

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    Townshend sera la première victime de sa créature. Docteur Pete a créé son Frankenstein, ne le tuera point, fera comme l'ours qui ne touche pas aux abeilles mais qui se délecte des rayons du miel. Le monstre lui sucera les neurones de son génie créateur. Au début il parviendra à cacher sa stérilité indécisive. L'a encore de beaux restes. Sur Who's Next il possède quelques ingrédients de choc dans son sac secret, lui qui depuis quelques temps bricole de petites trouvailles musicales sur ses ordinateurs se déchaîne durant l'enregistrement. Fignole le son, fait entendre des masses de pianotements subsidiaires qui apparaissent comme totalement nouveaux et téméraires. Et comme chacun de ses acolytes donne le meilleur de lui-même l'album est considéré comme un chef d'oeuvre.

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    Il aimerait créer un autre Tommy, mais le projet mirifique, Lifehouse, auquel il consacre des mois et des mois de travail, par trop ambitieux, n'aboutira point, toutefois notre creator-man sera sauvé par ses fondamentaux existentiels, Quadrophenia sera le résultat de ce retour vers les années fastueuses de sa jeunesse mod, le double album se présente comme l'épopée électrique d'un jeune mod passant par tous les rituels qui permettent d'accéder au stade - non pas adulte ce qui équivaudrait à un reniement anal régressif – mais de l'affirmation de soi... Ce sera le dernier coup d'éclat des Who...

    THE LEAST


    Me souviens des copains fans des Who qui essayaient de défendre leur groupe favori en jetant des coups d'oeil réprobateurs sur Odds and Sods et By Numbers, certes il y a du bon disaient-ils en hochant la tête, la défense manquait de conviction, pour Who Are You, la conversation abordait d'autres sujets...

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    C'est Keith Moon qui un soir de septembre 1978 mit fin le point final à l'anabase. Encore plus fort et plus idiot que les chiottes qu'il prenait plaisir à dynamiter dans les hôtels. Ne s'est pas réveillé. Ne trouvant pas le sommeil, il avait dépassé la dose sédative prescrite... L'erreur fatale est humaine. Keith le plus facétieux réussit ainsi à fracturer à son insu l'issue de secours, celle qui vous permet de ne pas vieillir et de rester éternellement jeune. Cette porte dérobée au pied de laquelle laquelle Pete Townshend l'intello éternel gratte depuis un demi-siècle en douce, comme ces chats méditatifs qui sur le seuil pluvieux hésitent, et finissent par renoncer à quitter la maison de peur de se mouiller les pattes.

    Une triste histoire quand on y songe, mais la splendeur des débuts vous oblige à en réécouter les échos les plus fougueux.


    Damie Chad.