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CHRONIQUES DE POURPRE 656 : KR'TNT ! 656 : JAKE CALYPSO - HONKABILLIES / CRISPIN GRAY / BOBBY HEBB / YOUNG RASCALS / ESTIVALERIES / TENEBROUS / OTHER WORLD / DRUID STONE / ERIC CALASSOU

KR’TNT !

KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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LIVRAISON 656

A ROCKLIT PRODUCTION

FB : KR’TNT KR’TNT

12 / 09 / 2024

 

 JAKE CALYPSO - HONKABILLIES

CRISPIN GRAY / BOBBY HEBB

YOUNG RASCALS / ESTIVALERIES 

 TENEBROUS / OTHER WORLD 

DRUID STONE / ERIC CALASSOU

 

 

Sur ce site : livraisons 318 – 656

Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

http://krtnt.hautetfort.com/

 

 

Estivaleries 2024

(Jake, Honka, Tin et les autres)

- Part Four

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         Le Rétro sera toujours le Rétro : bon enfant, pas de parano aux entrées, la petite ville chargée d’histoire digère tranquillement sa foule, et puis t’as ce bal des looks qui finit par donner le tournis. Si par malheur le soleil brille le dimanche, le Rétro paye la rançon de sa gloire : les artères principales s’embouteillent. Te voilà pris dans la glu des corps. Hooked in the lookés.

         Pas facile de revenir au Rétro sans Lorenzo. La dernière fois, ça devait être en 2019, avant le bullshit de Pandemic. On passait plus de temps chez les disquaires qu’au pied des scènes. Lorenzo avait soigneusement épluché le programme et il savait trier le bon grain de l’ivraie. Ce qui nous permettait de flasher à bon escient. La prog du Rétro est en général très fournie et très diversifiée. On passe du rockab professoral au rockab sauvage, du western swing au honky-tonk. Pour les touristes, il y a même du big-bandisme sur la grande scène. Il vaut mieux savoir qui joue quoi à l’avance, car sinon les oreilles s’usent et tu risques l’overdose. 

         Cette année pas de Don Cavalli ni d’Hot Chickens ni de Barny, pas de Wise Guyz ni de gangs de Chicanos signés sur Wild, pas de Big Sandy ni de Playboys. C’est autre chose. Pas de tête d’affiche. Juste un mec qui fait du Cash et si t’aimes pas trop le Cash, tu vas voir ailleurs.

         Comme t’as aucune info concernant les groupes sur le programme en ligne, tu fais ce que tout le monde fait : tu vas sur ce tue-l’amour qu’est YouTube pour voir à quoi ressemblent tous ces illustres inconnus au bataillon. En matière de tue-l’amour, on ne peut pas faire mieux que YouTube. Un, c’est gratuit, dont ça tue l’amour dans l’œuf, deux, ça t’aplatit l’image comme une crêpe, et trois ça te détruit le son. Comme ça au moins, t’a une parfaite anti-idée de ce que ça peut donner dans la réalité. Donc, va pour l’anti-idée. Sur tout le tas de groupes YouTubés, t’en vois que deux qui vont théoriquement te flatter les muqueuses : Honkabillies et Tinstars. Honkabillies parce que big voice, et Tinstars parce que le mec qui a sa mèche dans l’œil chante comme Charlie Feathers, même s’il est YouTubé. Il retourne le tue-l’amour comme une crêpe. Tu sens le sauvage derrière le petit rectangle d’image et le son pourri d’ordi. Et chaque fois que tu approches ce maudit tue-l’amour, tu te demandes comment font les gens pour écouter de la «musique» sous cette forme. 

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         Bingo ! Honkabillies ! Scène préférée : celle du 73ème. Le mec au chapeau s’appelle Franckie Reidel, on sent la bonne bouteille, il gratte sa gratte et pose sa voix, alors roule ma poule car derrière bat la plus steady des moissonneuses batteuses, en tresses et chapeau de la police montée, wow, comme elle est steady, bien sur le beat, juste la caisse claire et rien de plus, beat primitif, un beat qui remonte au temps des origines du rockab, avant que Sam Phillips n’accepte l’idée d’un bat-le-beurre dans son studio. Elle s’appelle Claire et bat tout droit, avec un sang-froid fascinant.

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Les Honka sont en plein dans le vrai, dès les premières mesures, et puis t’as l’étalon sauvage, le petit gros sur la gratte, effarant d’éclairs, affolant d’à-propos, il en découd, il n’en démord pas, il claque des strikes de rockab primitif, il drone comme une loco devenue folle, il zazie dans son métro, il traverse les cuts sans prévenir, il rafle toutes les mises une par une, claque des beignets faramineux, franchement, t’en reviens pas de voir un wild rockab aussi fringuant, aussi parfait, aussi inventif, il te claque les rush dont t’as toujours rêvé depuis le temps de Paul Burlinson et de Galloping Cliff Gallup, ce mec est l’un plus beaux gunslingers rockab de tous les temps, il te Gévaudanise le genre, il te déboppe le blues pour le rebopper de plus belle, il est le Moloch des temps modernes, chaque note te percute l’occiput, t’en peux plus de le voir rouler le beat dans sa farine.

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Les Honka tapent des histoires de Freight Train et de Drinkin’ en mode roule-ma-pool, et tu reviens toujours à Moloch, il navigue au même niveau que Chris Bird, le surdoué des Wise Guyz. En plein cœur de set, Franckie Reidel annonce que Moloch est son fils. Ils jouent une heure sans un seul temps mort. C’est dire leur niveau. En fin de set, tu chopes Moloch :

         — Where you flom ?

         — London !

         Tu gaspes ! Et t’es pas au bout de tes surprises. T’apprends que la steady batteuse géniale est la fiancée de Moloch. Vite un coup de merch. Un seul single ! Tu le chopes et devinez quoi, les gars ? Les Honka sont sur Wild !

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         L’A-side s’appelle «Drinkin’ Hidin’ Runnin’» : vite fait bien fait, slappé sec et net, ces mecs ont le diable rockab au corps. Moloch rôde juste derrière le chant, insatiable, féroce, précis et invariablement demented. Are go ! En B-side, «Doin’ Time» est nettement plus rampant. Un vrai crawling king snake !

         Après, c’est très compliqué. Tu sais que tu ne verras plus de groupes de ce niveau. Tu tentes le coup avec Black Raven, des Teds allemands. Ils font le show, pas de problème. Pas de slap. Pas de surprise. Le chanteur a du métier. Il gratte ses poux sur une Gretsch et son trio tient bien la route. Quelques covers dont un «Fought The Law» qui rappelle des mauvais souvenirs, et un bel hommage à Chucky Chuckah avec un coup de «Carol», mais bon, ton cœur n’y est pas. Tu te demandes ce que tu fous là. Tu attends le lendemain. T’as rendez-vous avec les Tinstars à 13 h. 

         Le lendemain, tu arrives sur la petite place un peu en avance et tu tombes sur le stand de Jake Calypso. Il est là en chair et en os, alors le Rétro reprend tout son sens. Toujours cette incroyable énergie, et puis cette productivité ! La table de merch est pleine de choses que tu ne connais pas. La dernière fois, en 2019, t’avais fait la razzia, mais là c’est encore pire ! D’où ça sort tout ça ? Alors Jake t’explique. Ça, c’est le tout dernier. The Roots & The Fruits.

         — Tu te souviens ? Willie Dixon !

         Oui, tout à coup, ça te revient. Big Dix : «The Blues are the roots, the Rest are the fruits.» Big Dix te met un S à Fruits. Il a tous les droits. Jake a bien mis l’S à Fruits. Avec lui, tout est enraciné dans le vrai, d’où tout ce talent, d’où tout ce niveau. S’il faut causer avec une seule personne au Rétro, c’est avec lui. Ça paraît con à dire comme ça, mais sur la table, t’as ce qu’on appelle une œuvre, et juste à côté de toi, t’as l’auteur. Tu vis ça comme un privilège. En plus, l’auteur est modeste. Zéro frime. Il a su conserver son enthousiasme de jeune Chicken à l’état pur. Ça fait tout de même quarante ans, depuis le temps des Corals, qu’il tourne et qu’il enregistre. Une bonne trentaine d’albums. Une œuvre. Rockab, blues, country, boogie, boogaloo, downhome, bluegrass, tributes, il sait tout faire. Jake est l’un des auteurs qui peut se permettre d’être si prolifique. En France, t’en as que deux : Jake et Tony Marlow.

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         Et hop, il t’explique toute l’histoire de The Roots & The Fruits, enregistré en deux temps. Premier temps au Sun Studio de Memphis en avril dernier, avec le légendaire Willie Too Big Hall au beurre + Ben B Driver au slap et Pat Péry à l’harp. Ils tapent cinq cuts endiablés et ça danse la gigue du diable dès «The Only Thing To Do Is To Play Boogie». Franchement digne de l’Hill Country Love de Cedric Burnside. Battu sec et net par Willie le crack, l’ancien batteur d’Isaac le prophète. On n’entend que lui, et ça continue avec «My Screamin’ Baby» et l’infernal «Royal Crown Hair Dressing». Jake en profite, il a derrière lui un Staxman de poids, c’est incroyable comme il fouette bien la peau des fûts. La deuxième partie est enregistrée dans un studio d’Annequin, le 1er mai dernier. Le son est nettement plus rockab, bien claqué au slap de Ben D. Driver. Deux autres coups de génie : «Let’s Rock Tony Rock», avec un Pat Péray qui gratte un gras double sur-saturé, et «Welcome To Cozy Dog», classique mais brillant, illuminé par l’éclat d’un solo de solace. Jake et ses deux amis montrent qu’ils possèdent un sens inné du swing avec «Tiptonville Boy», et en prime, il yodelle. C’est terrific d’éclat mirifique, et Pat Péray t’éclate ça au Sénégal vite fait bien fait. Retour au wild rockab de wild cats avec «Dancin’ With The Cockroaches» et bien sûr on pense au vieux «Cockroach» de Charlie Feathers. Mais ici, ça swingue dans les tréfonds de la couenne du lard.

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         Puis Jake fait diversion en t’expliquant qu’il est en train de redécouvrir tout Stax. Eh oui, le son ! Sur l’immense table de merch, t’aperçois un CD du Jake Calypso Trio. Oh Yeah!. C’est nouveau ? Oui, ça vient de sortir. Un quatre titres. Ils rigolent tous les trois sur la pochette. L’«Oh Yeah» d’Oh Yeah va t’envoyer au tapis, ça tu ne le sais pas encore. Pur jus de wild boogie blast. T’en reviens pas de cette qualité du blast. Et t’as «Please Come Back Another Day», une fantastique ode à cette vieille bombe qu’est «High Heel Sneakers». Béthune bop, baby, Jake lui demande juste de revenir un autre jour. Oh Yeah.

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         Oh et puis ça ! Rare Jake ! Deux volumes ? Oui deux volumes ! Alors oui, ce sont des démos et des inédits. Tu te sens couler un grand filet de bave. Les deux pour quinze ? Allez hop ! En fait, l’idée de ces deux compiles est géniale car elles te permettent de survoler l’œuvre toute entière. Sur Rare Jake. 1983-2023 Volume 1, tu retrouves par exemple l’hallucinant «Black Betty» de Majaradjah Pee Wee Jones, sans doute le side project le plus fascinant de Jake - Black Betty/ Bal-ba-lam - Wild & primitive. En plein dans Beefheart. Power absolu. Encore du primitif avec «My Baby Rocks», c’est du Jake Calypso on fire, il sait tout faire. Wild-Catism toujours avec «Babe Babe Baby», wild rockab bardé d’overdub et d’écho à la Sam Phillips. Magnifique objet d’art rockab. Wild-Catism encore avec le «Long Black Boots» des Hot Chickens. Rough mix. Real deal. Tu te goinfres de toutes ces merveilles. Attends, c’est pas fini. Voilà de Wild Boogie Combo avec «Hard Love Ways», cut de répète assez primitif, chauffé à coups d’harp. Criant de véracité. Et t’as ce take 1 at Sun du Memphis Blues Cream, «Love My Baby». Jake recrée le spirit Sun original. Donc forcément, tu vas aller foncer sur l’album de Memphis Blues Cream. Et il faut l’entendre chanter «She’s My Liza Liz» avec les Hot Chickens ! Ça bascule dans la folie. Et t’as encore ce «Black Moon» de répète qui s’emballe merveilleusement. Retour du Wild Boogie Combo avec «Mr Ruine B Boogie», un instro chauffé à coups d’harp et complètement fracassé du beat.

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         Le Rare Jake. 1983-2023 Volume 2 est du même niveau. D’une extraordinaire densité, avec une qualité de diversité qui te laisse rêveur. T’as vraiment très peu des gens qui savent naviguer à un tel niveau, avec une telle diversité. Jake est capable de faire du Charlie Feathers sans le singer. Non, il l’intègre dans son swagger, comme le montre «When The Pretty Girl Bop». Le voilà au cœur du mythe rockab. Pureté absolue de l’intention. Tu retrouves aussi sur ce Volume 2 l’infernal Maharadjah Pee Wee Jones avec «Ulan Bator», une vrai bombe, Jake l’emmène sous le boisseau thibétain pour une virée instro mystique. On n’avait encore jamais vu ça. Jake voit son Maharadjah comme un laboratoire : il explore les frontières de la science rockab et te propose ses découvertes. Il tape dans l’Americana avec les Nut Jumpers et «Big Fat Mama». C’est très primitif et ça sent bon le bord du fleuve. Tu entends bien la mécanique de la folie pure du Wild-Catism. Retour du Wild Boogie Combo, sans doute son projet le plus audacieux avec Maharadjah Pee Wee Jones : «Jungle Rock» est un inédit sacrément lourd de sens. Jake l’attaque en mode Surfin’ Bird - Jung-ah/ Jung-ah/ Jung-ah/ Jungle rock - Il frise de Lux intérieur. Coup de génie encore avec «Who Knocks On My Door». Il fait vibrer sa Door à coups de glotte et bétonne au heavy slap. Rough mix. T’en reviens pas. Il reste fabuleusement présent dans le pulsatif rockab. T’as aussi deux blasters des Hot Chickens, une cover de «Lucille» (il sait faire Little Richard sans s’arracher les ovaires) et «Rockin’ Soldier», démo vive et sans pitié. Fast & raw. Et puis il faut le voir se ballader dans le gros balladif de classe internationale, avec «I Will Be Home Again». Il sait tout faire, même du Charlie Rich. Encore du rentre-dedans de génie avec «Mellow Down Easy» - Jump jump everywhere - Il duette avec Gerry Lynch. Et on se dirige vers la sortie avec un inédit des Mystery train, «I Like To Rock I Like To Bop». C’est explosif, noyé d’écho et de bop. Il pousse très loin le vieux bouchon du bop, il swingue ses syllabes avec le génie vocal de Charlie Feathers, avec en plus derrière un bop de la menace qui balaye toute concurrence.

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         Retour à la table du merch. Tu louches encore sur un 45 tours 4 titres en hommage à Elvis. Comme tu sais que Jake est le king absolu des tributes (Little Richard, Gene Vincent, Buddy Holly et Johnny Burnette), alors tu mets le grappin sur l’Elvis vite fait : un EP quatre titres qui date du temps où il jouait avec Mystery Train. C’est lui que tu écoutes en premier une fois rentré au bercail. Trois coups de génie sur quat’ cuts, qui dit mieux ? Belle dégelée de boogaloo bop dès «Rockin’ Elvis», Jake te rocke le boat vite fait. Fantastique posé de voix. Il roule le mythe dans la farine de babe babe babbbbbbbbbbnn, il tape aussi le «Baby Left Me» dans son medley. S’ensuit le train a-rollin’ de «Mystery Train». Fantastique allure ! En B, ils prend son «Strollin’ Elvis» au relax Max, au swing de songalong. Memphis Beat pour Jake le crack. La classe du cat ! Il va chercher des pointes de chant infiniment crédibles. Et il termine en mode Well I heard the news pour «Good Rocking Tonight», avec une fantastique bravado d’excelsior. Il est dessus, comme l’aigle sur la belette.

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Encore un visuel que tu ne connais pas. Jake barbu coiffé d’une casquette, agenouillé près de la tombe de Charley Patton, à Holly Ridge : Blues Never Lies. Un 45 tours ? Non, c’est un CD 14 titres inséré dans une pochette de 45 tours. «Oh attends, il faut que je trouve les deux inserts !» Il va derrière et revient avec la fameuse box à tirage très limité dont m’avait parlé Damie. Elle est épuisée, il en reste une, et Jake en sort le Blues Never Lies pour me filer les deux inserts. Puis un autre cadeau : la fameuse clé USB avec les dix émissions de radio et une foule d’autres bricoles. Tu baves comme une huître.

         Tu vas tomber de ta chaise en écoutant Blues Never Lies l’un des albums les plus primitifs de tous les temps. Jake bat James Son Thomas et Mississippi Joe Callicott à la course. Il attaque au pur rootsy rootsah avec «A Cotton Field Day» et t’arrose ça de coups d’harp. L’inspiration lui est venue en voyant un champ de coton dans le petit village où est né Little Junior Parker - It was in Bobo’s not far from Clarksdale - Avec «The Dark Side», il tape dans le real deal du primitif - Avalon is the city where Mississippi John Hurt was born, lived and died - Jake est en pèlerinage. Chaque cut est lié à un endroit précis et chargé d’histoire (du blues). Tous les cuts sont comme visités par la grâce et fabuleusement crédibles. «Aberdeen Tupelo» fait bien sûr référence à Elvis. Avec «Neighbors», il réinvente la démesure du blues. Pur genius de downhome mal barré. C’est le blues rampant dans toute sa pureté originelle. Jake atteint le niveau qu’avait atteint John Hammond à une époque et le dépasse. Il l’outrepasse. Il navigue au même niveau que Captain Beefheart. Il tape son «Bad Morning Blues» à la Son House, en tapant du pied, a bad day after a bad night. Il enregistre «Cause I Feel So Bad» dans un silo à la sortie de West Point - West Point was the town of Howlin’ Wolf - Et là il se met à chanter en surchauffe comme Hasil Adkins, il est fou à lier, il fait planer un drone épouvantable au fond du cut et chante à la glotte fracassée. C’est sidérant de modernité ! Il attache son «Prairie Blues» demented de primitivisme à Tutwiller où est enterré Sonny Boy Williamson. Il enregistre «Tell The Truth» en grattant une guitare à deux cordes. Dans sa façon de se brancher, il y a tout le punk black. Tell The Truth sonne comme du heavy punk blues de proto. Là t’a tout : le proto, le punk et le blues. Il enregistre «Po Monkey» à Vance, Mississippi, pur proto-punk blues, encore plus proto que celui de James Son Thomas. Jake ajoute que John Lee Hooker est né à Vance. Et avec «50 Miles Blues», il est encore plus primitif que les blacks des shacks.

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         Sur la table du merch, un autre CD te fait de l’œil : The Corals - The Complete Recordings. C’est son premier groupe, monté dans les années 80, et qui sonne comme les Shadows. T’as 31 instros sur le CD, et tu te régales de cette énergie et du talent de Pierre Picque, le lead. Les Corals sont ces cracks des poux, les thèmes de Picque sont des modèles du genre. Quelle énergie ! Tu rentres bien dans leur jeu, tout est taillé au cordeau, «King Of Strings» est monté sur un violent riff de basse, ils montent au big time avec «Spring Time Rock», une vraie merveille, tu entends des clameurs surréalistes de fête foraine dans «Spanish Guitar». L’as de Picque est beaucoup trop doué pour un groupe aussi inconnu. On sent bien qu’il se passionne pour Hank Marvin. Mais les Corals ont un truc en plus, une énergie particulière. Ils ramènent un peu de disto dans «Coral Power» et se payent même un fantastique blaster avec «Crazy House Bop». Ils ont une incroyable tenue de route. C’est un bonheur que de les écouter. Tu ne t’en lasses pas. À bon entendeur...

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         Voici venue l’heure du rendez-vous avec Tinstars. Le mec à la mèche YouTubique s’appelle Rick De Bruijn et la petite brune qui gratte ses coups d’acou à côté s’appelle Lil’ Esther. Tout  ça, tu l’apprends après coup. Bon sur scène, ça reste du set classique de plein air un dimanche d’août. Tu ne verras personne se rouler par terre avec sa gratte. On n’est plus au temps de Carl & The Rhythm All Stars.

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Depuis le temps de la mèche dans l’œil, le cat Rick semble s’être calmé. La voix est toujours là et le choix de covers reste d’un très bon niveau, il annonce par exemple un cut de Bob Luman tiré de Carnival Rock, le movie du même nom. Mais il n’y a pas grand monde, devant la scène. Les gens mangent. Tu aimerais bien que ça explose, mais ça ne va pas exploser. Avec son grand pantalon, le cat Rick conserve des vieux réflexes de wild cat, mais il décide de rester dans les clous d’un dimanche au mois d’août et le set ronronne. Big voice, mais zéro sauvagerie. Ça tombe bien car tu commences à sentir monter les affres de l’overdose. Lil’ Esther a quatre albums au compteur, mais t’y vas pas. Elle est d’obédience country. Beau sourire, mais trop country. Patacam patacam. Tu préfères rester du côté de chez Sawnn, c’est-à-dire du côté de Jake et des Honka. The real deal. 

Signé : Cazengler, estivalie de la société

Honkabillies. Béthune Rétro. Béthune (62). 24 & 25 août 2024

Honkabillies. Drinkin’ Hidin’ Rinnin’/Doin’ Time. Wild Records 2021

Tinstars. Béthune Rétro. Béthune (62). 24 & 25 août 2024

Lonely Jake. Blues Never Lies. Around The Shack Records 2016

Jake Calypso Trio. Oh Yeah!. Around The Shack Records 2023

Jake Calypso. The Roots & The Fruits. Rock Paradise Records 2024

Jake Calypso. Rare Jake. 1983-2023 Volume 1. Around The Shack Records 2023

Jake Calypso. Rare Jake. 1983-2023 Volume 2. Around The Shack Records 2023

Mystery Train. In Memory of Elvis. Eagles Records 1997

The Corals. The Complete Recordings. Around The Shack Records 2020

 

L’avenir du rock

 - Le portrait de Crispin Gray

         Chaque année, le soir du 30 novembre, l’avenir du rock réunit chez lui quelques amis pour célébrer l’anniversaire de la disparition d’Oscar Wilde. Pour rien au monde, Lord Henry Wotton et le portraitiste Basil Hallward ne manqueraient ce joyeux rendez-vous. Des Esseintes et Raphaël de Valentin, font eux aussi partie des convives, ainsi que l’aquarelliste Théophile Kniatowski. En hôte distingué, l’avenir du rock leur sert un plat de saison, une bonne soupe à l’oignon, ayant bien sûr pris soin de corser au blanc de cuisine l’horrible bouillasse fumante. Penchés sur leurs marmitons, nos six amis aspirent bruyamment de grandes lampées de soupe brûlante.

         — L’est ‘achement balèze, ta choupe, avenir du rock, lance Des Esseintes, dont le haut front se perle de fines gouttes de sueur.

         — Ah t’as pas mégoté sul l’gruyère râpé, poto, j’en ai plein des crocs, ajoute Lord Henry Wotton ! Va falloir récurer l’dentier avant d’aller pioncer !

         Schlllluurp, schllllurp, schllllurp. La noria des cuillères reprend.

         — Sont pas un peu pourris tes oignons, avenir de mes deux ?, lance le délicat Théophile Kniatowski.

         — Quesse tu veux insinuer, bâtard ?

         — Chais pas... Zont un goût merdique, tes putains d’oignons.

         — Et ma main dans ta gueule, tu crois pas qu’elle va avoir un goût merdique ?

         — Bon les gars, on pourrait pas causer de vos bouquins ?, demande Basil Hallward. Que penses-tu des Mots Camés, avenir du rock ?

         — Les octosyllabiques m’ont toujours fait Parnachier.

         Et pour appuyer son commentaire, il lâche un gros pet qui faut marrer tout le monde sauf bien sûr Théophile Kniatowski, dont le visage s’est empourpré :

         — Ras le cul d’tes annives à la mormoille, avenir du rock ! Tu peux t’les carrer dans l’ass, tes Osscar Wilde et des Portraits de Dorian Gray !

         — Pffff.... Pauvre abruti, on ne parle plus de Dorian Gray, maintenant, mais de Crispin Gray !

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         Tu croyais Crispin Gray enterré avec Queen Adreena ? Grave erreur ! Crispin Gray est un zombie. Il refait surface avec Alien Airforce et un album sidérant de punch, Give Pigeons The Right Of Way. Il a conservé le même graphiste et le chat qu’on voyait déjà au temps de Daisy Chainsaw. L’album grouille de puces, t’as au moins sept coups de génie là-dedans, et ça démarre avec un «Good Luck World» qui tombe du ciel. Violence extrême, c’est un pur chef-d’œuvre. Tout reprend du sens, comme au temps de «Pretty Like Drugs», il minaude dans les flammes de l’enfer et sous les bombardements. Cripsin, amigo, il va tout démolir. Son «Back In The Knife» est saturé d’heavyness. Et ça repart à la pluie d’acier avec «Life Is Suicidal». Crispin Gray règne sans partage sur l’empire Suicidal. Il gratte du revienzy en pagaille, il chante à l’excédée congénitale et vire glam dans le refrain. Magnifique artiste ! Big intro pour «Daily Damage», beurre et riffing d’Epiphone. Il défonce tous les barrages, il riffe en dent creuse, t’en reviens pas d’avoir dans les pattes un disk aussi dévastateur ! Il entre en vainqueur dans «Everybody Thinks You’re Strange» pour une dégelé d’heavy psychedelia de génie. Puis il redévaste tout aux accords de saturation extrême dans «Time’s Running Out». Il sait aussi chevroter à l’extrême et virer falsetto des enfers comme Brian Wilson («Fang Sinks In Too Deep»), tout est construit sur un riffing monstrueux et fabuleusement acéré. Encore du pur jus Crispinien avec «Not My World». Il parvient à glisser un killer solo flash dans cette apocalypse ! Il termine avec un «Goodbye Miss Jane», sans doute adressé à Katie Jane Garside. Virulent ! Vite incendiaire. Il n’en finit plus de foutre le feu partout. Il chante d’une voix de fille emportée par la coulée. Sur cet album, chaque cut joue sa carte. Tout est saturé de son et ce démon de Crispin Gray remet chaque fois son titre en jeu. 

Signé : Cazengler, Crispine d’alouette

Alien Airforce. Give Pigeons The Right Of Way. Easy Action 2023

 

 

Inside the goldmine

- L’Hebb est toujours plus verte ailleurs

 

         Chaque fois qu’on croisait Hébé dans la rue, on s’exclamait :

         — Hébé dis donc !

         Ou alors :

         — Ça va-t-y Jean-Bernard ?

         Au début ça le faisait rire. Mais comme ça revenait trop systématiquement, il finissait par exprimer son désaveu avec une petite grimace. Hébé était le genre de mec qu’on prend facilement à la bonne. Pas trop grand ni trop petit, la cinquantaine bien tassée, du ventre et zéro cheveu blanc, il soignait son petit look de rocker en portant des T-shirts des Cramps. Il aimait le garage, on le voyait parfois chez les disquaires et dans certains concerts. Il ne disait jamais trop de mal des gens, ce qui le sortait un peu du lot. Mais dès qu’on le laissait en placer une, il attaquait de manière un peu psychotique pour raconter des docus qu’il avait vus à la télé. Il déployait des efforts considérables pour reconstruire un discours à partir de vagues informations télévisuelles. Pour parvenir à ses fins, il semblait mobiliser toute son intelligence. Il levait les yeux au ciel le temps de bâtir à la hâte une dialectique ahurissante. Il allait même jusqu’à argumenter, greffant sur les images qu’il avait en tête des fragments de sa logique personnelle, comme s’il voulait te montrer qu’il savait réfléchir, et là, ça devenait horriblement pénible, surtout pour les ceusses qui ne regardent jamais ces conneries à la télé. Et puis on finissait par comprendre qu’il tentait avec des moyens absurdement limités, non pas à te convaincre, mais à transmettre des connaissances. Il y mettait tellement d’énergie que ça finissait par t’émouvoir. Sous des abords un peu rustiques, Hébé était un être extraordinairement généreux. Mais pour le comprendre, il fallait lui consacrer un peu de temps et surtout le laisser parler. La connaissance passe par l’écoute, et plus rude est l’écoute, plus riche est la connaissance.  

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         Ce qui vaut pour Hébé vaut aussi pour Hebb. Tu ne goûteras la pulpe de Bobby Hebb que si tu prends le temps d’écouter ses albums. Et quels albums ! Bobby Hebb pourrait bien être l’un de ces géants de la Soul dont regorge l’histoire de la musique noire. À bon entendeur salut !

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         Le premier album de Bobby Hebb s’appelle Sunny By Bobby Hebb, un fringuant Phillips de 1966. Très bel album et très belle pochette : la petite black est l’une des poules de Carl Davis.  «Sunny» reste le hit intemporel que l’on sait, une fantastique bossa nova from hell qui enchanta nos cœurs adolescents - Sunny thank you for the smile on your face - T’avais 13 ans et tu savais déjà ce qu’était la magie. Il passe ensuite à un petit chef-d’œuvre de round midnite avec «Where Are You». Il faut saluer ici la classe du croon. Il monte plus loin le «Good Good Lovin’» de Mann & Weil aussi haut qu’il peut. Wow, il faut voir Bobby groover le Mann, Bobby est le prince aux pinces d’or. En B, il fait encore des miracles avec «A Satisfied Mind», il se bat pied à pied avec son Satisfied Mind et révèle une fantastique stature artistique. Il passe au r’n’b avec «I Am Your Man» et «Crazy Baby». Il va vite en besogne, il s’adonne au fast, court sur l’haricot du r’n’b et sonnerait presque comme Otis Redding. Il passe au boogie down avec «Bread» et se montre excellent dans tous les genres. Il termine avec un «For You» quasi-Motown, bien élancé vers l’avenir.  

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         En 1970, il se retrouve sur Epic avec un immense album : Love Games. Sept hits sur onze titres ! Qui dit mieux ? Tiens on va commencer par le coup de génie de l’album : «A Better Love». Bobby a tellement de classe qu’il fait sonner son Better Love comme du Burt - What more can I say - Il est tout simplement écœurant de classe. Il se glisse sous le boisseau de velours du Better Love. Bobby propose une Soul sensible, il se situe un peu à part, il se bat pied à pied avec chacun de ses cuts. Il groove la Soul d’«I’ve Learned To Care» au smooth suprêmement violoné, et ça donne une merveille de délicatesse. Encore du smooth d’exception avec «Good Morning World». Il croone son I love you comme un dieu, et en fin de balda, il plonge dans le deep groove avec «SS Soul Part 1» et sonne comme Tony Joe White ! C’est exactement la même ambiance. Tu crois rêver. Le petit Bobby atteint son sommet. Tu retournes la galette et tu tombes sur «SS Soul Part 2» qui sonne plus Stax, mais avec les violons de Tony Joe, et ce démon de Bobby finit en mode Wilson Pickett. Plus loin, tu vas tomber sur un autre big groove orchestré, «She Broke My Heart», il le finit à la bonne arrache de Wilson Pickett. Bobby peut ahurir. Il boucle cet album somptueux avec «The Charms Of The Arms Of Love», une Soul émerveillée, colorée par des chœurs de blackettes énamourées. C’est du très grand art.   

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          Le dernier album du petit Bobby paraît en 2005 :  That’s All I Wanna Know. On retrouve cet interprète exceptionnel dès «Different Strokes», qui fut un hit pour Syl Johnson. Il te taille vite fait un costard d’alrite. C’est heavy as hell. Bobby donne le ton. Ce sera un big album. Plus loin il jazze son «Satisfied Mind» avec une incroyable qualité de singalong. Il claque ensuite un vieux hit de Johnny Adams, «Proud Woman», un heavy r’n’b cuivré de frais et paré d’organdi d’extravaganza. Et puis voilà la prunelle de ses yeux : «Sunny», qu’il duette avec Astrid North. Il faut le voir swinger son vieux hit. Bobby est à la fois une bête et un être extrêmement fin, comme le montre «When Love Goes Wrong». Bobby te fait danser la java bleue quand il veut. Il expédie vite fait le «Cold Cold Heart» d’Hank ad patrès. Dans ses liners, Joe Viglione rappelle que Bobby a bien connu Hank Williams au temps où ils se produisaient tous les deux au Grand Ole Opry, durant les fifties. Et voilà «Willow Tree» qu’il groove ensuite en quinconce avec une guitare qui entre dans la fente. C’est exotique et toxique à la fois - And if I was a weeping willow tree - et il boucle ce bel album avec un «Love Love Love» bien tempéré.

Signé : Cazengler, Hebbêté

Bobby Hebb. Sunny By Bobby Hebb. Phillips 1966

Bobby Hebb. Love Games. Epic 1970       

Bobby Hebb. That’s All I Wanna Know. Tuition 2005

 

 

Wizards & True Stars

- Bloody Rascals (Part Two)

 

         Ce titre ‘Bloody rascals’ semble sortir tout droit d’un épisode de Blueberry. Non, les Rascals ne sortent pas de La Piste des Navajos mais de la scène new-yorkaise des sixties. Dire qu’on les vénérait à l’époque serait un euphémisme. On avait tendance à suivre leur piste. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si on leur a consacré un vaste panorama, ici même, quelque part en 2018.  

         Pour les kids qui ont grandi dans les sixties, les Rascals ne comptaient pas pour du beurre. Un, ils étaient sur Atlantic, gros gage de qualité, et ils proposaient une pop de Soul qui les sortait du lot. Deux, ces mecs étaient des ritals, comme Dion & the Belmonts et les Four Seasons, et t’avais appris non pas à t’en méfier, mais à dresser l’oreille. Et trois, t’avais un faible particulier pour Felix Caveliere, qui trimballait des allures de maître des élégances, tant au plan physique qu’au plan artistique, c’est en tous les cas le sentiment qu’ont inspiré par la suite ses albums solo.

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         Alors ça tombe bien qu’on parle de tout ça, car le maître des élégances vient de publier son autobio : Memoir Of A Rascal - From Pelham, NY To The Rock & Roll Of Fame. Tu t’attends donc à un book écrasant d’élégance. Tu t’attends à ce que Felix le chat égrène des souvenirs exotiques et qu’il diffuse quelques paroles de sagesse, qu’il glisse de délicieux aphorismes dans son discours, qu’il évoque ses rencontres avec des personnages de rêve comme le fait le p’tit Billy Vera dans son autobio, et puis Memoir Of A Rascal, ça te fait penser au vieux Blueberry retiré dans une caverne Navajo, pour y dessiner ses aventures sur les murailles.

         Te voilà donc avec le book dans les pognes. Belle couve : portrait de Felix le chat par Linda McCartney. Et puis, tiens, comme c’est bizarre, pas d’éditeur ? Tu files voir à la fin : Amazon. Bon, tu commences à t’inquiéter. Tu feuillettes vite fait : gros interlignage, justif correcte, un corps 12 ou 13, jusque-là tout va à peu près bien. Puis t’as le cahier central de photos, et là, ça commence à tourner en eau de boudin. Car ton maître des élégances a plutôt mal tourné. Autant jeune il sort du lot, autant vieux, il ne sort pas du lot. Il est devenu un pépère à casquette. Et t’as bien sûr toutes les photos de famille. Te voilà en Amérique, Gringo, pépère Felix te sert sur un plateau d’argent sa part de rêve américain. N’oublie pas qu’en sous-titre, il évoque sa consécration : the rock & roll Hall of Fame. Et c’est bien là le problème. Dès que les Américains commencent à célébrer leur consécration, ça pue.

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         Tu décides quand même de lui faire confiance et tu te cales correctement dans ton fauteuil pour attaquer la lecture des 300 pages. Il commence par évoquer ses roots, et notamment Alan Freed, puis le «Good Lovin» des Olympics. Mais il est très béni-oui-oui dans l’évocation de ses souvenirs. Il dit par exemple qu’il ramenait chez lui des disks de musique black, et quand il les écoutait, «il en éprouvait de la joie». Il dit aussi qu’ils sont des Felix de père en fils, dans sa famille originaire de Naples. Il fait ses études à Syracuse, comme Lou Reed. Ils se connaissent.   Felix le décrit comme «a very erudite person». Toujours très béni-oui-oui. Et quand il dit à son père Felix qu’il veut quitter ses études pour devenir musicien professionnel, son père lui accorde un an. Si dans un an, t’es pas millionnaire, tu devras reprendre tes études de médecine. Felix sait qu’il va réussir. Il a ça dans la peau. Il dit aussi que New York permet ça : partir à l’aventure pour réussir.

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         Il raconte la formation des Rascals : Gene Cornish qui se pointe avec sa gratte, Dino Danelli qui bat un bon beurre - he was phenomenal, his hands so quick - et puis bien sûr Eddie Brigati. Ils tapent des covers obscures pour l’époque, «Good Lovin» et «Mustang Sally». Ils jouent dans un club flottant qui s’appelle The Barge. C’est très hot, nous dit Felix le chat. Sid Bernstein les repère et c’est parti. Sid Bernstein est tout de même le mec qui a fait venir les Beatles aux États-Unis. Totor s’intéresse aussi à eux, mais le béni-oui-oui ose avouer qu’il n’était pas intéressé par Totor, et il ose même dire qu’il sentait ça «dans son sang». Il avait une idée du son des Rascals qui ne coïncidait pas avec le Wall Of Sound. C’est tout de même incroyable d’entendre une ânerie pareille. On imagine aisément le chef-d’œuvre qu’aurait pondu Totor avec les Rascals. Il suffit d’écouter Born To Be With You de Dion. C’est à cet endroit précis que Felix le chat perd sa crédibilité. N’importe qui d’autre aurait été fier d’avoir Totor comme producteur (sauf Starsailor, bien sûr).

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         Felix le chat préfère Arif Mardin, l’un des producteurs maison d’Atlantic. Les Rascals qui s’appellent encore les Young Rascals atteignent la tête des charts en 1966 avec leur cover de «Good Lovin». Alors on entre chez Atlantic, sur la 59ème Rue : au deuxième étage, t’as les studios, le mastering et les secrétaires qui entendent tout. Si elles aiment ce qu’elles entendent, elles le disent à leurs chefs, alors les patrons arrivent et s’ils dansent, c’est dans la poche. Béni-oui-oui. Felix le chat et ses amis enregistrent sur un 8 pistes, alors que partout ailleurs, les gens enregistrent sur des 4 pistes, y compris les Stones et les Beatles, nous dit Felix le chat. Il ajoute que Sinatra enregistrait sur un «one track». Les Young Rascals sont aussi les premiers blancs à enregistrer sur Atlantic. Pour les blancs comme Bobby Darin ou Sonny & Cher, Atlantic utilise un sous-label, ATCO. Felix raconte aussi qu’ils passent leur vie en studio, et un jour, Otis Redding les entend jouer, alors il vient jeter un œil et s’exclame : «My God, they are white!».  Et comme Atlantic a des critères de qualité, les musiciens de sessions entrent en studio : c’est Chuck Rainey qui joue de la basse sur les cuts des Young Rascals.

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         Un jour, Sir Mac Rice vient remercier Felix le chat de l’avoir sauvé en enregistrant sa compo «Mustang Sally», qu’allait ensuite reprendre Wilson Pickett. Felix devient pote aussi avec Tommy James qu’il fréquente assidûment pendant les tournées. Ah les tournées ! Il évoque la fameuse ’Dick Clark Cavalcade’, avec Paul Revere & The Raiders et B.J. Thomas & The Triumphs. Au Dick Clark Cavalcadepartagent l’affiche avec les Who et Cream.

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         Et puis c’est la fin des haricots. Eddie quitte le groupe et Dino vient voir Felix le chat pour lui proposer de se débarrasser de Gene Cornish qui mène une vie de superstar, qui roule en Rolls, fréquente des modèles, achète des chevaux de course. Donc Felix va trouver Gene  pour le virer - Gene didn’t take it well. He was devastated - Le peu d’estime qu’on avait encore pour Felix le chat disparaît à l’instant même, car il essaye de se justifier. Comme les Rascals viennent de signer un deal juteux avec CBS, Felix le chat et Dino remontent le groupe. Mais Dino vient de redémarrer un groupe avec Gene Cornish. Tout ça se transforme en plat de spaghettis trop cuits. Le pauvre Felix le chat essaye encore de justifier ce tas de salamalecs. Il dit par exemple que leur musique était bonne, mais qu’ils se sont comportés comme des cons - we did everything wrong - Et pour lui, le vrai responsable de ce désastre humanitaire, c’est l’ego. 

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         Felix le chat attaque sa carrière solo. Sur Castles In The Air, Luther Vandross fait des backings. Don Was produit Dreams In Motion, album sur lequel joue aussi Steve Cropper. David Geffen demande à Felix le chat de produire Laura Nyro. Il produit d’ailleurs plusieurs albums, dont Christmas And The Beads Of Sweat. En échange, Laura fait des backings sur Destiny.

         Tout cela conduit naturellement à la reformation. Pure tradition américaine. Les quatre membres originaux. Hall Of Fame. Et là, il y va fort le béni-oui-oui, car il dit qu’il n’existe plus aujourd’hui de formations originales à part les Rascals, et il te cite tous les noms : Beatles, Rolling Stones, les Who, les Beach Boys, il se proclame «the last rock and roll group from the sixties and the seventies», avec tous ses membres originaux. Voilà le travail.

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         Alors pour te remonter le moral, Shindig! publie l’histoire des Rascals en deux parties, avec le concours, bien sûr, de Felix le chat. Il n’allait par rater une si bonne occasion ! Pour le Part One, ils sont en couve. C’est vrai qu’ils avaient beaucoup d’allure. Par contre, sur la double d’ouverture de l’article, tu les vois porter les cols pelle à tarte.

         Sean Egan commence par les présenter tous les quatre : Felix le chat, études de piano classique, élevé à Pelham (New York) par un père dentiste, Gene Cornish de Rochester (New York), encouragé à gratter ses poux par son beau-père chéri, et Eddie Brigati, haut comme trois pommes, issu de Garfield, New Jersey, «both his pesonality and singing voice were decidely larger than life.» C’est Brigati le personnage clé des Rascals. Vient les rejoindre Dino Danelli, de West New York, encore un kid du New Jersey. Sean Egan évoque un bon batteur, mais «a damaged personality». Le groupe se sent fort : trois compositeurs et trois chanteurs dans le groupe, comme chez Moby Grape. Eagan y va de bon cœur : «The band had too much talent.» Brigati reste le frontman sur scène, mais il est vite dévoré par Felix le chat et Cornish qui veulent chanter leurs compos. Du coup, Brigati ne chante que la moitié des cuts sur les albums. C’est l’origine des tensions qui conduiront à son départ - Some frustration and insecurity - Felix le chat ne parle pas de ça dans son book. Bizarre. Puis c’est l’épisode Sid Bernstein, l’homme qui selon Eagan a changé le modèle financier du showbiz en mettant les Beatles au Shea Stadium. Puis le choix d’Atlantic parmi tous les labels qui veulent le Rascals. Eagan explique qu’Atlantic offre ce que n’offrent pas les autres labels : le droit de se produire eux-mêmes, pas de frais d’enregistrement remboursables sur les royalties, et les artistes qui ont la décision finale sur le choix des cuts. Fantastique ! À cette époque, ces conditions sont rarissimes, et Eagan a raison de souligner ce détail. L’autre gros détail de poids, c’est le fait que les Rascals tapent sur scène «Mustang Sally» et «Land Of 1000 Dances» AVANT Wilson Pickett, qui lui, va en faire les hits que l’on sait. Les Rascals sont donc des pionniers de la Soul blanche. Eagan dessine ensuite un parallèle entre les Rascals et les Small Faces, ce qui n’est pas complètement idiot. C’est vrai que dans les deux cas, l’Hammond joue un rôle essentiel.

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         En 1968, les Rascals virent le Young de leur nom et entrent dans une ère nouvelle : «spirituality, concept albums, mental illness and power struggles.» Eagan se marre bien : il insinue qu’avec Once Upon A Dream, les Rascal «n’étaient plus vraiment intéressés par le hit parade». C’est leur troisième album en 13 mois. Sgt. Pepper’s vient de sortir. Fini la rigolade et les pelles à tartes. La tension va vite monter au sein du groupe, et Brigati, frustré, commence à faire machine arrière. Les droits d’auteur posent pas mal de problèmes, étant donné que Felix le chat en ramasse plus que les autres. Brigati veut son cut et Felix le chat lui dit : «you can’t get your cut if you’re not going to contribute.» De vrais gamins ! Voilà pourquoi les groupes explosent. À cause des gamineries.

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         Bien sûr Atlantic ne renouvelle pas le contrat d’un groupe dont les membres se chamaillent dans le bac à sable. Par contre, Atlantic veut bien garder Felix le chat. Dans Shindig!, Felix avoue qu’il regrette de ne pas avoir accepté cette proposition. Mais il serait passé pour un traître. Donc direction Columbia. Ça va, ya pire. Felix ajoute : «Big money deal and international.» Brigati se pointe pour signer le contrat, mais au dernier moment, il annonce qu’il quitte le groupe. What ? Les autres ne pigent rien - What do you mean you want to quit? - No explanation. Eagan se marre. Brigati agresse ensuite les trois autres avant de quitter le bureau. Clive Davis rassure les Rascals survivants en maintenant le contrat, mais Cornish et Danelli n’ont pas trop confiance, car ils savent que Columbia veut surtout Felix le chat. Quand sort le premier Rascals sur Columbia, Peaceful World, Felix le chat a viré Cornish, une idée de Danelli. Le plat de spaghettis trop cuits se transforme en panier de crabes et Sean Eagan se tord de rire à la vue de ce spectacle grotesque. Ah les ritals ! Comment des gens aussi brillants peuvent-ils se comporter ainsi ? Cornish n’a pas fait d’histoires pour quitter le navire : «Je préfère ne plus être là si je ne suis pas désiré.» Et dans la foulée, Cornish et Danelli vont monter leur groupe, Bulldog. Donc, les Rascals, c’est Felix le chat. Last man standing. Ce que tout le monde voulait. Felix fait les Rascals tout seul, avec le guitariste Buzzy Feiten.

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         Puis on verra les chicanes habituelles des vieux crabes qui se disputent un nom : Felix le chat tourne sous le nom de ‘Felix Cavaliere’s Rascals’, et Cornish et Danelli sous le nom de ‘The New Rascals’. Comme des chiens qui se disputent une charogne. C’est Steven Van Zandt qui réussit l’exploit de réunir les quatre Rascals en 2010. Puis il leur glisse l’idée d’une tournée : ‘The Rascals Story’. Mais ils ont pris un coup de vieux et ont des petits problèmes de santé. Cornish avec son cœur, Dino n’est pas brillant, et Brigati a des problèmes de voix. Alors Felix le chat change les clés. Ils y vont parce que c’est un gros billet. Cette tournée va leur rapporter que tout ce qu’ils ont gagné dans leur vie. Tournée américaine en 2012. Mais tout s’arrête brutalement, car Van Zandt ne peut pas schmoquer Felix le chat : «Felix is a sneaky, two-faced, selfish creep.» Et voilà le travail. Pire encore ; Felix le chat et Cornish ont entamé une guerre procédurière pour obtenir la paternité du nom. Pour calmer le jeu, Danelli casse sa pipe en bois en 2022. Alors Felix le chat et Cornish se réconcilient. Pour Felix, le problème véritable est qu’ils n’ont pas réussi à vivre selon les préceptes qu’ils prêchaient dans leurs chansons. People Got To Be Free. 

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         Avec toutes ses lacunes, Felix le chat reste humain, trop humain. Définitivement rital. Définitivement a true star. Pour en avoir le cœur, net, il suffit d’écouter les albums.

         On pourrait conclure là-dessus. Mais on peut aussi ajouter un petit corollaire. Tout ce déballage n’est pas très appétissant. Que faut-il retenir d’un groupe ? Les magouilles et le détail des guerres intestines, ou le détail de «l’œuvre» ? C’est la question qui se pose à chaque fois qu’on entreprend un bricolo : rabâcher les vieux cancans et pomper dans Wiki, ou procéder à l’examen critique d’une discographie parfois très fournie, au risque de plomber le bricolo ? La réponse est dans la question. L’idéal étant bien sûr de pouvoir s’appuyer à la fois sur l’examen critique d’une discographie bien fournie ET sur un book bien écrit.

Signé : Cazengler, Old Rascal

Felix Cavaliere. Memoir Of A Rascal. From Pelham, NY To The Rock & Roll Of Fame. MMC Entertainment Inc. 2022

Sean Egan : All those happy people. Shindig! # 152 - June 2024

Sean Egan : The train to freedom. Shindig! # 153 - July 2024

 

 

Estivaleries 2024

(Shadow, Boy, Bent, Jarvis et les autres)

- Part Three

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         Il suffit d’un petit concours de circonstances pour que le cirque recommence. Quel cirque ? Le cirque Pinder des vieux disques rares. Il fut un temps où Suzy Shaw te disait que cet album était un cult album, alors tu l’achetais par correspondance pour t’apercevoir trois semaines plus tard, à son arrivée par la poste, que tu t’étais fait enfler en beauté. Tu te jurais qu’on ne t’y reprendrait plus, et le mois suivant, tu replongeais de plus belle dans ta petite pathologie. Les années passent, environ une cinquantaine, et dans une petite fête, un marchand radine sa fraise avec deux bacs. Il te commente les disks que tu ne connais pas. Ça ? Night Shadow ? «Une tuerie», qu’il te fait. C’est son mot. Tu observes sa mine ahurie, mais tu ne sais pas que la tienne est encore plus ahurie. Comme il voit que tu ne te décides pas, il te fait une remise de 50%. Allez trente ! Tu fais confiance. C’est le copain d’un copain et au fond, qu’est-ce qu’un billet de trente en regard de l’univers ? Rien. Il te refait le même coup avec un autre, The Little Boy Blues, et puis c’est toi qui vas y revenir, un peu plus tard. Et ça ? «Oh une tuerie !» Il n’a que ce mot-là à la bouche. Pareil,  50%. Trente !  Tyva ou tyvapas ? Tyva. Tiens et ça ? Bent Wind... En plus, tu viens de lire le nom du groupe dans un canard anglais, sûrement Shindig!. Ou Mojo. Tu sais plus. T’en lis trop. Bent Wind ? Le nom t’avait frappé.

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         Le Bent Wind s’appelle Sussex. «Holy Grail of Canadian heavy psych», indique le macaron collé sur la pochette de la red. À l’écoute, Sussex se révèle être un bel album d’heavy blues rock. Le son tient bien au corps. Le joli gras double te flatte l’oreille. Le pourvoyeur de gras double s’appelle Jerry Gibas. C’est un dévoreur. «Touch Of Red» t’embarque aussi sec pour Cythère. S’ensuit un «Riverside» bien noyé de gras double et de riverside. C’est excellent, très British Blues avant la lettre. De cut en cut, ta confiance se renforce. Elle devient dure comme de l’acier. Même le «Look At Love» qui démarre lentement prend du volume. T’es à deux doigts de t’extasier. T’en veux pour ton billet de trente. Et pendant ce temps, Gibas se taille la part du lion avec ses poux. Mais c’est en B que se planque la très grosse viande. Gibas ouvre le bal avec «Mystify», une belle dégelée de poux royale. Ce mec a tous les réflexes qui font le bonheur des vieilles pathologies. Tu deviens extrêmement pote avec Gibas parce qu’il sait tortiller sa mélasse. Soudain, tu tombes sur un coup de génie. Franchement tu n’en demandais pas tant, et pourtant le voilà : «Sacred Cows». Gibas passe en mode hyper congestion et là ça te parle de plus en plus, car il fulmine ! Il flirte avec le génie sonique et ça prend vraiment du volume ! Et cette façon qu’il a de jouer avec les niveaux de convulsion, t’en reviens pas, tu sens qu’il s’en étrangle de plaisir, il joue par jets organiques, c’est spectaculaire de déglutition, ses awite sont d’une émouvante sincérité, il se jette tout entier dans la balance ! Quel fougueux magistère ! «Sacred Cows» est un cut qui va tout seul sur l’île déserte. T’as encore «Castles Made Of Man» qui flirte pas mal avec «Season Of The Witch», mais ça ne vaut pas les Vaches Sacrées. 

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         Puisqu’on fouille les ruines, profitons-en pour sortir de l’Ugly pile un vieil Ugly Things de 2016. Simon Harvey y claque sept pages sur Bent Wind. Ça démarre en trombe avec un Marty Roth qui a 15 ans quand il entend les Beatles à la radio et qui court s’acheter une guitare.

         Marty Roth fut le guitariste rythmique de Bent Wind. Harvey a rencontré en 2016 celui qu’il qualifie de «gardien du temple». En 1968, le gardien du temple rencontre Gerry Gibas (qu’il écrit avec un G) à Toronto. Ils se mettent à gratter des poux ensemble et tapent des covers des Beatles, de Dion & The Belmonts, et de Simon & Garfunkel. Ils adorent les harmonies vocales. Puis ils montent Bent Wind avec deux autres lascars. Roth reste évasif sur l’origine du nom de groupe. C’est une idée à Gibas. Ils enregistrent leur premier single, «Sacred Cows» sur Trend. Comme le single tire à 500, il devient un collector de Canadian garage psych, comme dit Harvey. Ah il est fier de lui. Belle formule ronflante ! Mais il ne va pas s’arrêter là. Il insinue ensuite que l’heavy sound de Bent Wind anticipe «the punk and heavy metal to come». Il doit confondre avec Third World War. Voilà où nous emmènent ces disks et ces articles : dans les Sargasses du n’importe quoi. Et l’autre Roth qui ajoute : «We didn’t know we were being heavy !».  Harvey se lance ensuite dans des comparaisons oiseuses, mettant Bent Wind au même niveau que Jimi Hendrix et les Doors. Roth finit enfin par raconter une histoire intéressante. Ça se passe dans la nuit du 1er janvier 1969, tout le monde est sous LSD. Ils font les cons sur un lit, le lit s’écroule et coupe un doigt à Gibas. Comme Gibas est high, il met son doigt au frigo. Mais il faut aller à l’hosto. Il neige et c’est le jour de l’an. Ils finissent par trouver une bagnole et à l’hosto, on lui greffe un bout de la peau du cul sur le doigt. Pendant un an, Gibbas ne pourra pas jouer correctement. Il devra apprendre à gratter autrement. Dans son malheur il se rapproche de Tony Iommi qui lui a perdu deux bouts de doigts.

         Retour à Sussex. Roth indique que 5 des 8 cuts «were one take». Brève évocation aussi de la fameuse Yorkville Village scene de Toronto en 1968, avec les Paupers et les Ugly Ducklings. Mais rien de plus. Pas un mot sur Joni Mitchell, sur les Sparrows ni sur The Mynah Birds, le premier groupe de Neil Young. Et bien sûr pas un mot sur le destin de Gerry Gibas. Roth parle de ses boutiques à la mormoille. Il passerait aussi la moitié de son temps en Thaïlande. 

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         Les coïncidences font parfois bien les choses : Voilà qu’Andrew Perry tartine une page entière de Ben Wind dans Mojo, sous le titre ‘Stoned Gas’, alors forcément, tu jettes un œil. C’est encore Roth qui raconte ses souvenirs. Il indique que Gerry Gibas «was a strange cat». On s’en serait douté. Bent Wind est repéré par un mover-shaker local en 1969 et l’album sort sur son label Trend. Sussex est le nom de la rue où vivait le groupe à Toronto. Perry te fout bien l’eau à la bouche en qualifiant Bent Wind de «missing link betewwen The Yardbirds and proto-punk like The MC5 and The Stooges.» Mais Roth dit qu’à l’époque, il n’avait jamais entendu parler de ces groupes de Detroit, une ville pourtant située à 250 miles de Toronto.

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         Le Night Shadow s’appelle The Square Root Of Two.  Sur la pastille, le marchand a écrit «acid weird psych». Non seulement il est malin comme un singe, mais il n’a pas tout à fait tort. «I Can’t Believe» est un cut assez dodu, joli jet d’acid freakout, ils s’en donnent à cœur joie. Le freakout finit par mourir de sa belle mort, en s’éteignant à petit feu. Intrigué, tu retournes la pochette pour glaner quelques infos. Un mec nommé Aleck Janoulis commence par annoncer la couleur : «Album dedicated to my idol The Marquis De Sade.» Et tu découvres à la suite que ce Janoulis fait tout : design, chant, compo et bassmatic. Puis de cut en cut, tu découvres une pop psych de bonne qualité, ils te claquent «So Much» aux accords claironnants, et «In The Air» tient encore bien la route. Cet album arraché à l’oubli est une petite merveille de jingle jangle. Ça vaut bien les Byrds. Ils remettent le couvert en B avec «60 Second Swinger», un joli shoot de gaga US avec un solo d’orgue très véracitaire, pas loin des Blues Magoos. Ils renouent avec leur fière allure sur «Anything But Lies». C’est dirons-nous un exercice de superbe désinvolture gaga noyé dans le killering de Bonnie Farmer. S’ensuit le solide romp de «Turned On» qui enfonce bien son clou dans la paume de l’oubli. Tout se tient sur cet album étrangement au-dessus de la moyenne. Tu ne te dirais pas ça pour te rassurer, si tu savais que ce n’était pas la vérité.

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         Le marchand a pris son air le plus mystérieux pour présenter The Little Boy Blues. Quatre hippies photographiés dans la forêt. L’album s’appelle In The Woodland Of Weir. Rien qu’à voir la pochette, tu fais confiance au Little Boy Blues. Tu t’attends à du gros Steppenwolf underground. Le chanteur s’appelle Mark Coplan. Il a belle afro. Il sait tenir un rang. Mais les compos manquent de sel. Avec un groupe comme The Little Boy Blues, les canards n’auront jamais trois pattes. Les Boy Blues font une sorte de petite pop en mode heavy blues. C’est un album de hippie sound, avec la flûte et les bruits d’époque. Une catastrophe. T’en reviens pas d’avoir un album aussi pourri dans les pattes. Alors que tu allais le balancer par la fenêtre, tu découvres que le premier bonus en B est une cover d’«I Can Only Give Everything». Alors autant tenter le diable. Surprise de taille ! T’as la fuzz et un chant léger, c’est pas Van The Man, mais ça passe, c’est même bien senti, but baby ! Voilà ce qu’on appelle des bonus qui sauvent les meubles. Et ça continue avec l’effarant «You Don’t Love Me», bien dévoré du foie par le bassmatic ! L’extraordinaire énergie du bassmatic ! Tu le réécoutes encore une fois pour t’en régaler. Suite du festin bonusien avec «The Great Train Robbery», et sa grosse énergie dégoulinante couronnée par la fuzz du diable. Aw my Gawd, dommage que tout l’album ne soit pas de cet acabit. Ils tapent à la suite une cover de «Season Of The Witch», c’est une approche plus qu’honorable de ce classique intemporel, ils te pick up très bien au you’ve got to pick up every stitch. Ils finissent en mode raw r’n’b avec «Ain’t Too Proud To Beg». C’est le jour et la nuit avec l’album officiel. Rien que pour ces cinq bonus, t’es ravi de t’être fait rouler la gueule en beauté.

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         Et voilà le pompon, avec sa mystérieuse pochette noire et le commentaire que t’as oublié, puisque l’album de The Jarvis Street Revue, Mr. Oil Man, est passé par la fenêtre. Ces gros Canadiens proposent un rock psych de bûcherons qui peut virer prog, alors se pose le rituel dilemme : tyva ou tyvapas ? La vie est courte, et t’as sans doute autre chose de plus intéressant à faire que d’écouter cette daube immonde. Le prog est déjà assez pénible en Angleterre, alors tu peux imaginer celle des bûcherons canadiens. Tu testes vite fait la B, et tu tombes sur des cuts ineptes. Le bûcheron chante d’une voix trop virile. Comment peut-on supporter ça ?

Signé : Cazengler, estivalie de la société

Night Shadows. The Square Root Of Two. Spectrum Stereo 1968

Bent Wind. Sussex. Trend 1969

The Little Boy Blues. In The Woodland Of Weir. Fontana 1968

The Jarvis Street Revue. Mr. Oil Man. Columbia 1971

Simon Harvey : The Bent Wind story. Ugly Things # 43 - Winter 2016/2017

Andrew Perry : Stoned Gas. Mojo # 368 - July 2024

 

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         L’est des mots qui sont plus attirants que d’autres surtout lorsque l’on n’y voit rien. Je cherchais Tenebrous un titre du groupe Other World, j’adore leurs pochettes, lorsque je suis tombé sur le groupe Tenebrous. Un groupe assez ténébreux puisque je n’ai réussi qu’à trouver une seule image de ses membres, ils sont deux, et le seul opus qu’ils ont sorti en 2020 semble avoir été le dernier.

TENEBROUS

TENEBROUS

(Août 2020)

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         Serez-vous étonnés si je vous révélais que la pochette est plutôt obscure, un truc gris bizarre, grizarre serait le mot approprié, au milieu d’un carré noir, au début j’ai identifié la chose comme un échantillon d’une préparation  de matière grisâtre prélevée entre deux lamelles sur un cerveau humain pour une observation au microscope. En agrandissant l’image j’ai fini par apercevoir une maison, style manoir délabré de récit fantastique, sis au sommet d’une colline sous un ciel moutonneux et oragique. Peut-être me trouverez-vous beaucoup d’imagination.

Joshua Robinson, Joseph Robinson, de Whashingto DC tous deux encapuchonnés à la manière des moines médiévaux, heureusement qu’ils plaquent sur leurs corps massifs deux manches de guitare…

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7 horns : le morceau n’excède pas les deux minutes, certains prétendront qu’il en est mieux ainsi, l’est vrai que l’ensemble n’est guère réjouissant, n’est sûrement pas fait pour vous rendre heureux, z’avez l’impression d’un bulldozer géant qui se dirige vers vous, ne prend même pas la peine de vous écraser, il passe sans vous prêter la moindre attention, ce qui est quand même vexant, puis s’éloigne dans le lointain, fait un vacarme de tous les diables même si certains exégètes prétendent que la bête à sept cornes de l’apocalypse est une représentation ( curieuse) de Jésus. A croire que lorsqu’il était tout petit il massacrait tous ses jouets en faisant un boucan de tous les d… pardon de tous les anges. Loss of life : arrêtons de plaisanter, cette fois notre vie est en jeu, le son déboule sur vous à un pas joliment cadencé, ceux qui arrivent sont rudement pressés, cherchent sûrement quelqu’un, par pour fêter son anniversaire, vous avez une batterie qui leur botte le cul pour qu’ils pressent la cadence, les guitares balancent le riff comme les prêtres l’encensoir autour de votre cercueil, tout se calme, cela n’en devient que plus angoissant, ce n’est pas votre dernière heure, plutôt le dernier quart d’heure, avec les aiguilles de l’horloge qui tournent à toute vitesse, elles s’arrachent du cadran pour venir se planter entre vos deux yeux, sirènes d’alarmes, l’ennemi se rapproche. Never look back : ne regardez jamais en arrière c’est peut-être pire que le concassage battérial que vous êtes en train de subir, s’énervent salement sur votre corps, vous filent des horions à tire larigot, pause (sépulchrale), franchement vous croiriez dans Et pour quelques dollars de plus avec Ennio Moriconne qui aux moments cruciaux vous envoie la sonnerie obsédante de la breloque pour vous tergiverser le cerveau en loques, ouf ça reprend, style Bruce Lee qui s’énerve sur les pectoraux d’une malheureuse victime afin de la réduire en poudre, un peu de calme, reprenons nos esprits, la guitare vous évente, vous en aviez besoin vous étiez en train de cracher vos poumons. There were monsters : oui il y avait des monstres, sont encore là, tournent dans votre tête comme des poissons rouges dans leur bocal, requins-marteau et poissons-scie s’occupent de vos synapses, parfois l’on dirait qu’ils sont fatigués, mais c’est pour vérifier qu’ils ne laisseront pas un seul petit neurone en état, ils fignolent, sont méticuleux, n’oublient rien, vous concassent maintenant l’occiput au hachoir atomique, des perfectionnistes. Gone : mettent du temps à s’absenter, le morceau le plus long, sont énervés, que leur avez-vous donc fait, vous devez être tout de même un peu coupable dans cette histoire, ils vous haïssent tellement, sont terriblement minutieux, prennent un soin infini à dévider vos intestins, attention le moment de répit, juste pour que vous croyiez que c’est fini, vous avez les tympans qui tintinnabulent, sont sympas ils vous recollent les oreilles à l’agrafeuse, se prennent pour des pistoléros qui ont des tas de munitions à bazarder, vous n’entendez plus rien, juste un minuscule tintement, un frémissement de rien du tout, une souris qui rampe dans votre conduit auditif pour se nourrir de votre jus de cervelle liquéfiée. Cold rain : en plus il pleut, long silence, la guitare a pitié, vous joue une berceuse, attention que ça ne tourne pas à la sérénade, mais non, c’est le calme avant la tempête, profitez-en, ça ne durera pas. Sounds from hell : que disions-nous, ils ont profité de l’occasion pour reprendre des forces, les bruits de l’Enfer somme toute ressemblent à du metal, mais pour une fois dans cet opus instrumental, quelqu’un vous parle, vous aimeriez comprendre, mais non c’est carrément diabolique, le locuteur baisse la voix à dessein  pour que vous ne puissiez comprendre son message, musicalement ce qui est certain c’est que l’on entasse sur votre corps des dizaines de plaques de zinc, serait-ce pour vous protéger, en tout cas au loin vous percevez le brouhaha des damnés qui hurlent… Wrath : au point où vous en êtes vous vous moquez de savoir si c’est la colère du Dieu ou du Diable, l’avoinée tombe sur vous, un déluge de gros grêlons en forme d’œufs d’autruches particulièrement pointus pour qu’ils se plantent plus facilement dans votre corps, peut-être n’ai-je plus tout à fait toutes mes capacités analytiques mais il me semble qu’une guitare interprète durant quelques secondes un motif de Jean-Sébastien Bach, sans doute est-ce une hallucination collective à moi tout seul, est-ce ce fragment de cantate qui a entraîné ce doux moment lénifiant, pas le temps de répondre à cette interrogation sur les bienfaits de la musique censée adoucir les  mœurs, l’on repart pour une session de tonitruances, cette fois c’est un éléphant qui s’essuie les pieds sur la serpillère de mon cerveau, l’est aussitôt imité par le reste du troupeau. No escape : le titre était prémonitoire, le batteur a dû confondre un de ses toms avec ma tête, les éléphants dansent lourdement en rond à l’intérieur, ils appuient de toutes leurs forces, il me semble subir une trépanation, comme si quelque chose voulait s’échapper et s’amusait à découper à la scie égoïne ma calotte crânienne, non il n’y a personne qui parle, mais je ne sais comment les instruments parviennent à imiter les derniers barrissements des antiques mammouths sibériens qui meuglaient de désespoir, congelés en quelques secondes par une glaciation intempestive. Pure evil : franchement ce n’était déjà pas mal, mais là nous atteignons à la quintessence du pire, si vous imaginez que quelque chose d’encore plus terrible va survenir, vous êtes dans l’erreur, certes ils font un peu les fiers-à-bras en gonflant leurs muscles, ils bombent le torse, mais tendez l’oreille et dites-moi si vous avez déjà entendu une guitare rigoler aussi sinistrement, n’ont plus besoin de montrer leur force, quant à la batterie elle s’esclaffe comme une pomme trop mûre qui tombe à terre. Vous êtes vaincu. Ne partez pas d’un rire nerveux, serrez les mâchoires même s’ils vous chatouillent la plante des pieds, je vous connais, il s’en faudrait de peu que vous ne pactisiez avec eux, d’un franc sourire, car cette bruyante symphonie, en votre for intérieur, vous agrée moultement.

Damie Chad.

P.S. : si vous voulez écouter sur YT tapez, Tenebrous band. Le ténèbres sont épaisses et nombreux les groupes qui se nomment Tenebrous…

 

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         Sans doute, comme moi, en avez-vous vu défiler des individus arborant fièrement une pancarte : Un autre monde est possible. Voici donc l’autre monde : je ne crois qu’il s’agisse du même lieu.

TENEBROUS

OTHER WORLD

(30 – 08 -2024 / Debemur Morti Production)

C’est à croire que l’Amérique est couverte d’un bout à l’autre  de ténèbres si le groupe précédent venait de  l’Est, Alter World réside en Californie. Steven Parker : vocals / Christopher A : guitars, effects / Jacob Holland : basss / Cody McCoy : drums.

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         Quelle couve ! Magnifique ! Mirifique ! Mortuaire ! Les vivants et les morts. La glaise initiale, l’argile terminale, sont-ce les morts qui font l’amour entre eux, à moins qu’ils n’étreignent les vivants, car à chacun de nos pas, la mort, la nôtre, celle des autres nous étreint, nous portons la mort en nous comme la femme enceinte contient un enfant, mais les morts s’accrochent à nous, ils ne nous quittent jamais, ils nous réchauffent, peut-être est-ce leur présence qui nous maintient en vie, nous sommes des cimetières ambulants, partout où nous allons nous emmenons nos morts avec nous, ne sont-ils pas, tous, n’importe lequel, plus sympathiques que la plus affreuse des morts, la nôtre, celle qui nous appelle, celle qui suit fidèlement, celle qui ne manifeste aucune impatience certaine qu’en fin de compte nous nous étendrons avec elle, celle qui devise sans fin, placidement assise sur une pierre tombale, de l’inanité de ces deux phénomènes que sont la mort et la vie, si bien réunies, si bien partagées, si bien solitaires, si bien solidaires… nous serons alors comme tous les autres morts, nous nous accrocherons aux vivants qui passent indifférents affairés en de futiles préoccupations, tel un naufragé qui embrasse de ses deux bras une pièce de bois, la mort est la finalité de notre présence au monde. Quelle différence  faites-vous entre vérité vraie et fausse commune ?

From innocence : au commencement y a-t-il le début ou est-ce une suite, serions-nous la présence d’un passé qui ne nous appartient pas même si nous en sommes les propriétaires, un morceau joyeux, oui faites l’impasse sur ces chants de moines qui ont l’air de porter un de leurs frères dans la tombe, focalisez-vous sur la cavalcade éhontée de cette batterie qui batifole au triple galop dans les vertes prairies du matin ensoleillé, l’est vrai que les guitares vous tissent de ces fins et prodigieux rideaux de gaze, mais peut-être sont-elles en train de tricoter votre suaire, l’innocence est déjà une expérience, dès que vous expérimentez l’innocence elle se métamorphose en expérience, c’est la loi de la vie, c’est la loi de la mort, plus vous cheminez dans votre vie, plus vous vous rapprochez de la mort même si vous vous ingéniez à effectuer mille détours, la mort vous attend au tournant des lignes droites, c’est cela l’innocence, ce sentiment hypocrite de faire semblant, de vivre, de rire et de sourire, pas la peine d’en faire un fromage pour autant, la petite souris de la mort adore nicher dans les trous du gruyère, souvenez-vous-en, c’est élémental, mental et emmental. Arid down : l’ambiance devient aride, l’on marche dans le désert de la vie, ou celui de la mort, ce sont des lieux psychiques étrangement semblables, Alter world ne vous prend pas au dépourvu, ils vous glissent, c’est un peu le passage obligé des disques de metal, on est des brutes mais nous savons jouer cool, de beaux accords solitaires de guitares, un peu tristounets si vous écoutez la mélodie, mais il y a tellement de petits détails insignifiants qui vous tourneboulent à chaque instant de votre existence que vous n’y prêtez pas plus d’attention qu’à la poussière sur le buffet de la cuisine, soyons honnête, le vocal de Christophe dérange notre quiétude, c’est un peu la voix de la grand-mère dans le conte du petit chaperon qui glapit ‘’ c’est pour mieux te manger mon enfant’’, les boys font tout pour vous faire oublier cet écart de conduite, se la jouent lyriques, vous enveloppent dans des draperies atmosphériques, que dis-je stratosphériques, chuintez la fin, une aura de mélancolie pointe le bout de son nez, que pourrait-il arriver de pire que la mort, soyons raisonnable !  Agony exhaled by mist : la basse funèbre s’en donne à cœur-joie, ça bourdonne tel un essaim d’abeilles en goguette, brree, le Christophe il exhale ses derniers mots, il râle, il agonise, pas de panique, la liturgie monacale se presse à son secours, s’il faut mourir que ce soit en beauté, ces voix sépulcrales ne sont guère optimistes, toutefois elles sont belles, on prend un plaisir fou à goûter cette esthétique funérale, l’on aimerait que ça ne s’achève jamais, hélas une brume carnassière entre dans votre cerveau, s’installe chez vous comme le chat au creux de vos draps, l’est certain qu’il va s’offrir le plus beau sommeil de toute sa vie. Vous savez il est des instants où l’on ne sait plus trop de quel côté l’on est… Ash, teeth & bones : la batterie vous rappelle la concrétude des choses, lorsqu’il ne restera plus de vous que des cendres parsemées  de molaires et de cubitus la situation sera grave, l’angoisse déferle, ils ne vous ménagent pas, des vagues d’anxiété vous submergent, si elles n’étaient point si vaporeusement si liquides elles vous enterreraient sans rémission, du travail soigné, rapide et efficace, la batterie s’alourdit, elle imite le bruit du plat des pelles qui égalisent la terre de votre tombe, le plus terrible c’est que dans votre tête ça résonne comme des bombes, pas de panique, vous êtes mort, ce sont les derniers bruits qui vous parviennent du monde des vivants, empruntez ces galeries, descendez tout au fond de l’abîme, soyez raisonnable, tenez-vous tranquille, vous n’êtes pas ici pour grignoter les pissenlits par la racine,  soyez sage, ne jouez pas à l’enfant gâté par la vie. Vous n’allez pas vous plaindre vous avez eu le plus bel oratorio de toute la ville, vos copains en sont jaloux, silence que l’on ne vous entende plus. To decay : non ce n’est pas fini, il ne suffit pas de mourir pour être tranquille, puisque vous êtes mort profitez de votre silence pour méditer, inutile de revenir sur votre vie, elle est passée, ni sur votre mort, elle a déjà eu lieu, maintenant il vous faut toucher le fond du fond, le problème n’est pas là, certes vous ne vivez plus, vous ne mourrez plus, il vous reste tout de même un maximum de boulot, réfléchissez un peu, d’ailleurs on arrête un peu la musique pour que le calme vous aide à envisager la situation, oui vous êtes mort, cessez de vous cristalliser sur cette peccadille, attention on lance les grandes orgues de la méditation, il vous reste encore à ne plus être, écoutez bien le message que l’on vous hurle aux oreilles, plus rien de vous ne doit subsister, comme dans les magasins en faillite dans lesquels tout doit disparaître, c’est écrit en grosses lettres rouges, vos os doivent se transformer en poussières impalpables, oui ça prendra du temps, mais au moins vos connaissances, amis, parents, amours tous auront le temps de tomber eux aussi au fond du trou, plus personne ne pensera à vous, seront comme vous, vous n’aurez plus, aux nuits de pleine lune, l’envie de ressortir de votre tombe pour vous accrocher encore aux vivants que vous avez connus, plus personne ne se souviendra de vous, vous n’imiterez plus la moule qui se colle au rocher de la vie, l’envie vous sera passé, c’est à ce moment-là que vous retrouverez ce sentiment d’innocence que vous aviez connu dans votre existence. Pourquoi iriez-vous vous promener, personne ne vous attend, c’est ainsi : en n’étant plus que vous aurez atteint votre plénitude existentielle.

Damie Chad.

 

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         La poésie ne tue pas. Enfin presque, je ne citerai pas Gérard de Nerval, pour ce qui suit c’est un peu différent. J’ai été attiré par le titre, tout de suite j’ai pensé au film Le cercle des poètes disparus, alors j’ai écouté. Vous en avez assez des albums sur la mort, soyez contents, nous abordons un autre thème complètement différent : le suicide.

UNDEAD POETS SOCIETY

DRUID STONE

(Août 2024)

         Les pierres laissées par les druides remontent à loin. Celle-ci provient d’un groupe punk Pukes Mute basé à Hermdon, petite ville de Virginie proche de Washington D. C., les Vomissements Muets se sont séparés en 2011 après l’enregistrement de leur première démo, sobrement intitulé Demo 1. On ne l’aurait jamais su si s en 2021 Demeter Capsalis n’avait eu le désir de reformer le groupe et d’enregistrer Demo 2021. Depuis cette date Capsalis n’arrête pas, sur son Bandcamp vous avez le choix entre vingt-quatre productions, parfois en solitaire, parfois en groupe, celle-ci est la dernière. Entre, plutôt Antre, Dye et Hippy doom. Faut-il ajouter woman trans fuzz...

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         La pochette dessinée par Demeter Capsalis n’est pas sans rappeler celle de Teenage Depression d’Eddie and The Hot Rods, moins de moyens, pas de couleurs, mais ne vous inquiétez pas, une véritable décharge de chevrotines vous attend à l’intérieur.

The bride of Satan : ne vous laissez pas séduire par les lyrics, non ce n’est pas Gérard de Nerval, une sombre histoire de désirs partagés, pour la musique je vous conseille le stoïcisme, ça fuse de partout, un capharnaüm improbable, vous ne tarderez pas à vous y sentir aussi à l’aise que Robinson Crusoé sur son île, bien sûr il vous faut d’abord consentir au naufrage. Mais après vous ne voudrez plus en partir. Je sais vous vous attendez à tout sauf à ce chant pop, tout ce qu’il y a de plus fluide, de plus cool, de plus allègre, un truc entraînant qui vous oblige à remuer votre popotin comme à votre première boom où vous ne parveniez pas à surmonter le rire bête des filles, si vous détestez le mal de mer bouchez-vous les oreilles, si vous êtes courageux écoutez la musique laissez-vous absorber dans le vomissement visqueux phonique, tenez-vous au bastingage de la frappe régulière de la batterie, dérive dans les sargasses velues qui s’infiltrent par tous les orifices de votre corpS, incroyable mais vrai vous vous sentez au paradis. C’est bête lorsque l’écriteau à l’entrée vous signale que vous êtes censé être en enfer. Little wire : vous croyiez que Druid Stone allait reprendre un titre de Black Sabbath, l’ancêtre dinosauresque de tous les doomers, ben non, Hippy doom (et hippy boom) oblige ce sera une reprise de Neil Young, oui elle a gardé le rythme, quant à l’harmonica l’a remplacé par une débrousailleuse, question vocal l’est sur un petit nuage bleu mélancolique pourrait la chanter en duo avec le grand Neil, mais le rotor siffle sur vos têtes comme les serpents sur celle du malheureux Oreste, la guitare joue à la pâle d’hélicoptère empêtrée dans un nuage de choucroute, les cris de l’équipage se font entendre, vous réalisez que c’est fini. The wood of self-murderers waltz : question paroles, c’est inquiétant, mais agreste, le gars vous parle depuis l’intérieur d’un arbre, ambiance écolo avec un ronronnement d’abeilles, dommage qu’elles soient munies de pinces de crabes pour jouer de la musique, ça crabouille un max et ça écrabouille les accords, le gars n’y peut rien, il explique, il se justifie, ce n’est pas de sa faute, il est mort puisqu’il s’est suicidé, en tout cas il a oublié d’éteindre la radio, vous entendez la voix du speaker, pas mal de brouhaha autour, les arbres doivent répondre à ses questions, ensuite je ne sais pas, vous non plus, un sacré grabuge, un phénomène qui dépasse l’entendement de tout noumène kantien.

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The 13 Th floor : normalement aux States il n’y a pas de treizième étage dans les immeubles, le 13 est réputé pour être le chiffre du malheur, nous nous situons donc dans une zone d’anormalité sonore, c’est très fort, quant au vocal l’est au fond du bocal, l’on n’écoute même pas, enfin un morceau franchement rock, même que le druide commence par miauler un peu fort sur sa pierre, attention zone de folie pure, ouvrez la fenêtre et tentez d’échapper à vous-même, piqué à fond les ballons. Crevés. Killing a vampire : si vous ne savez pas quoi faire, voici un joyeux passe-temps, musique distordue, bouche tordue à l’accent pointu, pas une petite affaire de tuer un vampire, faudra s’y reprendre à sept fois, en tout cas rien de plus jouissif que de lui enfoncer un pieu dans le cœur, vous y prêteriez main-forte avec plaisir. Attention les vampires sont davantage pire qu’on ne le dit. Undead Poets Society : je crains que quelques lecteurs ne prennent pas aux sérieux ce morceau, je les comprends il sonne, du moins au début, un peu comme le double-blanc des Beatles, pourtant il cause du seul sujet auquel le genre humain ne pense jamais, celui de l’immortalité, c’est pour cela que le côté joyeux fab four s’estompe un peu dès que l’on atteint le premier tiers, une fois que vous vous êtes suicidé, pas besoin d’un Magnum 357 pour les plus peureux, mourir tranquillement comme tout le monde suffit, oui mais après est-ce que l’on est vraiment mort, nous abordons le troisième tiers, l’instant est grave, tout n’est que trouble et angoisse, bruits bizarres, faute de mieux l’on frappe à la porte, sur quoi s’ouvre-t-elle ? (Lately I feel like) I’m begging shelob : Le Seigneur des Anneaux a été un des livres culte du mouvement hippie, pas étonnant qu’au dernier titre de l’album nous retrouvons l’abominable araignée, quand on vous dit que le mal est partout sur cette terre, terminée l’insouciante légèreté fab fourienne, enfin presque, une voix chargée de pleurs, une guitare larmoyante, une batterie qui tape mou pour signaler le désastre inéluctable, on aurait aimé une décharge poubellique davantage noisique, mais non la mélodie s’étire comme le fil de l’araignée qui descend du plafond pour vous insuffler son venin depuis le sommet de votre tête dans les membranes poreuses de votre cerveau , certes par en-dessous notre druide baragouine un interminable chapelet prédictif d’horreurs  sans fin ni finalité, quelques tintements légers de vaisselles sales, le cauchemar flip-floppe et s’éteint… Rêve mort-né et sourire lysergique.

Damie Chad.

 

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         Eric Calassou et Bill Crane, rappelons que ces deux poreuses indivisités n’en forment qu’une, ne sont pas des inconnus pour les lecteurs de Kr’tnt !, 

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Nous le suivons depuis ses concerts parisiens à la Comedia de Montreuil, hélas aujourd’hui fermée, genre de désagréments qui surviennent généralement, sous divers prétextes fallacieusement administratifs, aux lieux d’intense créativité artistique, il est bien connu que selon certains censeurs trop de liberté tuent la liberté… de Calassou nous avons tour à tour évoqué ses photographies, écouté ses opus rock mais aussi ses morceaux écrits pour la guitare classique, entendu lire quelques-uns de ses poèmes qu’il publie sous forme de recueils. Nous avions projeté d’ici quelques livraisons nous intéresser à ses nouvelles approches  photographiques. Une irrépressible urgence survient pour nous couper l’herbe patienteuse sous les pieds. Eric Calassou vient de faire paraître sur YT deux interprétations de deux poèmes de Rainer Maria Rilke. Un nom qui sonne comme un impératif. Tout ce qui concerne Rilke nous affecte.

RAINER MARIA RILKE

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         Rainer Maria Rilke (1875-1926) avec par exemple Juan Ramon Jimenez (1881 – 1958), Paul Valéry (1871-1945), Constantin Cavafy (1863-1933), Oscar Vladislas de Lubicz Milosz (1877- 1939) font partie de cette génération de poètes majeurs qui pratiquèrent ce que l’on se permettra de dénommer la monte hongroise poétique, un pied sur la grande cavale lyrique du dix-neuvième siècle et l’autre sur le cheval de guerre du modernisme. Modernisme qu’il ne faut pas confondre avec la modernité. Ces deux concepts désignent le même phénomène historial de la montée défaitiste de ce que Nietzsche nomma le nihilisme européen, la modernité l’accompagne pour ne pas dire qu’elle le subit, le modernisme tente de se frayer un chemin dans l’obscurcissement du monde.

         L’œuvre poétique de Rainer Maria Rilke n’épousa pas d’emblée une trajectoire éblouissante, elle ne fut pas celle d’un voleur de feu, le contemporain qui a décrit au mieux l’effort rilkéen reste Cocteau, qui apprendra bien plus tard, la maturité survenue, que le solitaire dont dans sa jeunesse il entrevoyait au crépuscule du  matin la lampe de travail, posée au bord de la fenêtre, encore allumée, alors qu’il rentrait de ses  tapageuses et dissipatrices virées nocturnes parisiennes était celle de Rainer Maria Rilke… Celui qui plus tard composera Les Elégies de Duino, Les Sonnets à Orphée, et les dernières pièces réunies après sa mort souvent accréditées de l’appellation Poèmes de l’Ouvert ou Poèmes de l’Obscur.

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         La poésie de Rilke, du moins celle des dernières années, ce qui ne vous empêche pas de vous méfier de ces fruits qui tombent avec une étonnante facilité de l’arbre dans votre main, est réputée pour être difficile, ce qui ne signifie pas grand-chose, pour reprendre des expressions mallarméennes nous préférons la définir en tant que grande patience et long désir. A l’instar de la démarche du poëte, le lecteur se doit d’imiter la profonde humilité envers les mots évocatoires et les choses ainsiobjectivées du poème mais aussi la plus haute exigence envers la mystérieuse présence du monde… La poésie ne vous donnera que ce que vous parviendrez à lui arracher.

POETE D’AUJOURD’HUI

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         Sur sa chaîne FB, Bill Crane a choisi une image identique pour les deux textes qu’il nous livre, la couverture du volume Poètes d’Aujourd’hui, le mythique volume ‘’carré’’  initié par l’éditeur Pierre Seghers dès le mois de mai 1944. Le volume consacré à Rainer Maria Rilke rédigé par Pierre Desgraupes porte le N°14, la collection en comporte plus de deux-cent cinquante… 

         Pierre Desgraupes fit une brillante carrière dans l’audiovisuel français, nous retiendrons uniquement l’émission Lectures Françaises qu’il anima de 1953 au o8 mai 1968 en compagnie de Pierre Dumayet et Max-Pol Fouchet. Les deux poèmes mis en musique par Eric Calassou sont extraits du choix des textes présentés dans cette édition.

SOLITUDE

(Traduction de Maurice Betz)

(YT / 02 – 09 – 2024)

         Nous ne nous attarderons pas sur Maurice Betz, un seul conseil dès que vous apercevez chez un bouquiniste un livre de Rilke traduit par M. Betz, prenez-le.

         Le poème est extrait du recueil Le Livre d’Images paru en 1902 et 1905. Rilke est déjà reconnu par un petit nombre comme un poëte d’avenir, il a déjà beaucoup écrit et beaucoup publié, sa personnalité atypique marque tous ceux qu’il rencontre, sa liaison avec Lou Andreas-Salomé, elle fut aimée par Nietzsche, et leurs pérégrinations au travers de la Russie ont aiguisé sa sensibilité,  autre moment très important sa venue au Worpswede, une colonie libre d’artistes, l’a marqué, il s’est marié avec la sculptrice Clara Westhoff , un bébé naît de cette union, mais Rilke reprendra sa liberté, l’appel de la poésie et de l’œuvre sera le plus fort, il sait que désormais la solitude sera son apanage. Ayez cette exigence rilkéenne en votre esprit en écoutant ce poème.

         L’on ne peut écouter la mise en musique d’un poème sans penser aux propos de Mallarmé selon qui la poésie se devait de reprendre son bien à la musique. Lorsque l’auteur du Coup de Dés apprit que Debussy travaillait à mettre en musique son poème L’Après-Midi d’un Faune il se contentera de dire qu’il croyait l’avoir déjà mis en musique…

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         Guitare sèche pour pluie montant de la mer, Calassou lit le poème d’une voix grave et lasse, n’est-ce pas un poème de nuit, poser les mots sur le crépitement des gouttes sur les flaques, les notes s’éparpillent, boiteuses, elles s’écrasent ou s’étirent, la lecture est finie mais la guitare continue, les cordes s’effilochent et semblent se désaccorder, à vous de réfléchir à l’ambiguïté du texte, hormis la métaphore de la pluie comme image de la solitude, l’on ne sait quand commence ou finit la solitude, lorsque l’on dort à deux ou lorsque le matin vous sépare, Calassou nous donne à entendre que la pluie n’est pas intermittente.

OBSCURITE DES ORIGINES

(Traduction de Maurice Betz)

(YT / 05 – 09 – 2024)

         Ce poème est extrait du Livre des Heures (1899-1906), ce recueil a profondément marqué ses lecteurs, des milliers d’anonymes éprouveront le besoin d’écrire à Rilke, il est composé de trois livres, Le Livre monastique, Le livre du pèlerinage, Le Livre de la Pauvreté et de la Mort, malgré les titres rien de religieux il s’agit bien de la terrible ascèse que se doit de subir l’Artiste pour parfaire son œuvre, toute une génération de langue allemande s’est reconnue en ce volume qui conte la vie d’un être humain qui va jusqu’au bout de sa propre vérité, beaucoup de ces textes ont été écrits au Worpswede lors de la séparation d’avec Clara. Il faut savoir brûler ses vaisseaux pour continuer à être. 

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         Le timbre d’Eric Calassou est aussi grave que durant sa lecture du texte précédent, de sa voix lente et forte il détache les mots, il est important de ne rien laisser dans l’obscurité, ou alors est-ce le contraire, peut-être faut-il échapper  à la lumière qui semble nous réconcilier avec le monde, se pourrait-il que le noir recèle d’immenses courants d’ombre inconnue vers laquelle il est impératif de se mettre en marche, l’on pense au Traité des Couleurs de Goethe affirmant que le combat de la lumière et de l’obscurité engendre la forme des couleurs, l’on pense aussi à la lampe de travail entrevue par Cocteau, son cercle de lumière tient le monde prisonnier mais c’est l’encre symboliquement noire du poëte qui détient la présence de toute chose, encore un poème de folle ambiguïté, Calassou a imaginé une espèce de fausse musique d’église synthétique qui klaxonne toute seule dans la démesure de sa solitaire présence

         Remercions Eric Calassou de nous ouvrir par ses deux mises en voix et en musique les plurivoques sortilèges miroitant de l’univers rilkéen. Espérons que d’autres tentatives suivront.

RILKE – RODIN - CROWLEY

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         En 1902 – 1903, Rilke, suivant les conseils de Clara, sculptrice rappelons-le, rendra visite à Auguste Rodin dont elle a été l’élève. Durant pratiquement un an Rilke sera le secrétaire de Rodin. De celui qu’il considère comme son Maître, Rilke retiendra une unique leçon, la seule qu’il pouvait et voulait recevoir, l’œuvre exige du créateur qu’il consacre tous les instants de sa vie à un inexorable travail quotidien…

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         Nos lecteurs qui ont suivi nos chroniques sur les traductions effectuées par Philippe Pissier des écrits d’Aleister Crowley se remémoreront les poèmes hommagiaux que la Grande Bête 666 écrivit sur des sculptures de Rodin. Etrange de s’apercevoir que la figure de Rodin joue le rôle de passeur entre des univers qui a priori n’offrent aucun lien de parenté.

Damie Chad.

P.S. : pour ceux qui sont intrigués par la communauté artistique Worpswede, lire :

CONCERT SANS POETE. KLAUS MODICK. (Slatkine & Cie / 2016)

ÊTRE ICI EST UNE SPLENDEUR. VIE DE PAULA M. BECKER. MARIE DARRIEUSECQ. (Folio 6349 / Août 2017)

JOURNAL DE WESTERWEDE ET DE PARIS. 1902. RAINER MARIA RILKE. (Rivage Poche /2002 )

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