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  • CHRONIQUES DE POURPRE 239 : KR'TNT ! 359 : MARK E. SMITH / RICK HALL / ELI D'ESTALE / ARTIFEX / NAKHT / VELLOCET / DOPPELÄNGER / MAURICE ZYTNICKI

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 359

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    01 / 02 / 2018

     

    MARK E. SMITH / RICK HALL

    NAKHT / ELI D'ESTALE / ARTIFEX /

    VELLOCET / DOPPELGÄNGER /

    MAURICE ZYTNICKI

    Fall de toi

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    Ah, quelle histoire ! Il faut remonter aux années 2000. Je venais de m’inscrire à l’université de Salford, située à trois kilomètres à l’Ouest de Manchester. Je comptais y suivre un cursus de design et surtout parfaire mon Anglais. Lorsqu’on sort du campus pour aller faire un tour en ville, on tombe rapidement sous le charme des vieux quartiers de Salford, notamment le quartier des docks. 

    Par un beau matin d’automne, j’aperçus pour la première fois le tonneau de Mark E. Smith. Je flânais justement sur les docks. Un homme assis devant un gros tonneau installé comme une niche grignotait des chips. Je m’approchai de lui. Il devait avoir une bonne quarantaine d’années. Une mèche de cheveux blonds lui balayait le front. Il avait le visage sec. Ses grands yeux cernés semblaient excentrés. Le personnage ne laissait pas indifférent. Il se dégageait de lui cette sorte d’élégance saccagée qu’on trouve aux aristocrates déchus et aux aventuriers recrachés par les mers du Sud. J’étais loin de me douter que cet homme comptait parmi les légendes vivantes du rock anglais. Me voyant stationner à proximité, il leva la tête. Il attendait que je parle. Ce que je fis :

    — Bonjour, monsieur. Puis-je vous aider ?

    — Oui, mec. Pousse-toi, tu vois bien que tu me caches le soleil.

    Il baissa la tête et plongea la main dans son paquet de chips. Je fouillai dans ma poche et en tirai un billet chiffonné. Je le lui tendis :

    — Tenez, monsieur, voilà de quoi vous offrir un repas décent...

    — Thanx, poto, mais je ne fais pas la manche.

    Je lui souhaitai une bonne journée et m’éloignai rapidement.

    Les jours suivants, je pris des renseignements. On m’indiqua que le Diogène des docks s’appelait en réalité Mark E. Smith, qu’il était le leader de The Fall depuis trente ans, qu’il refusait toute compromission et qu’il passait aux yeux de tous pour un irréductible doublé d’un amateur de chaos. Aiguillonné, je pris aussitôt un bus pour le centre-ville de Manchester et fonçai droit chez Piccadilly Records. Je fus effaré par le nombre d’albums de The Fall qu’on trouvait à la lettre F. Je fis une sélection rapide et regagnai ma chambre, au foyer universitaire. Je commençai par This Nation’s Saving Grace, enregistré par The Fall en 1988.

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    Après la douche froide de «Mansion», un instrumental visiblement destiné à éloigner les curieux, une basse ouvrait «Bombast», un morceau épais comme un pudding ranci et truffé de groove. «Bombast» semblait avancer sur place et n’avoir aucun sens, hormis servir de prétexte aux déblatérations d’un Mark E. Smith qui flagornait et croassait comme le corbeau d’Ice Cream For Crow. Le cut roulait bien et s’arrêtait soudain au bord d’un break pharaonique. La basse glissait en travers, produisait un son qui tenait à la fois du vomissement et de la chute d’un train dans un ravin, et se remettait dans le circuit trois secondes plus tard, comme si de rien n’était. C’était si gonflé, si nouveau, si imprévisible qu’il me fallut écouter «Bombast» plusieurs fois de suite pour prendre la mesure de l’événement. Un morceau intitulé «What You Need» partait en se dandinant, comme si le Magic Band accompagnait Mark E. Smith. Un petit riff vaudou avançait comme un crabe sur le sable rose de mes fantasmes. Mark E. Smith geignait et hululait. Un peu plus loin, une nommée Brix attaquait «Vixen» en feulant tragiquement, jusqu’au moment où Mark E. Smith entrait en scène, plaçant son timbre et les intentions de son timbre en-dessous de la ceinture. Ils recréaient tous les deux une ambiance sacrément belle et digne des heures chaudes du Velvet. J’allai de merveille en merveille, effaré par la maîtrise du groupe, et tombai sur «Cruiser’s Creek», un classique magic-banditisé à souhait, estourbeur, bien posé, cisaillé par les guitares, couiné, grincé, pulsé par ce géant de la désaille qu’était Mark E. Smith l’édenté. Je compris soudain que The Fall comptait parmi les meilleurs groupes anglais.

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    Complètement sidéré, je glissai dans le lecteur le dernier album en date, Fall Heads Roll. «Ride Away» s’envolait sur un sale beat balloche, et une certaine Elena Poulou donnait la réplique à l’édenté. Les couplets de Mark E. Smith traînaient la savate, soutenus par un gros son de basse. Sur chaque morceau, notre homme s’entourait de prodigieuses rythmiques. «What About Us» sonnait comme une horreur rampante. Mark E. Smith y balançait des bah-bah-bah dignes des Troggs et des Oh Yeah à la Iggy Pop, sur un tempo très musclé. C’était à la fois stoogien, impartial et monstrueux. La basse relançait sans cesse. Mark E. Smith chantait le rock des enfers, druggzee !, malaxant ses stances, ouvrant une orgie de ruckus stoogien qui plongeait ses racines dans l’hypno de Can. Il générait plus de bonheur, plus de vérité, plus d’élégance, plus de hargne, plus de soul-shaking que n’en généra jamais Mick Jagger. Mark E. Smith était le vrai rocker anglais, celui qui savait faire ronfler les basses comme des dragons. J’arrivai enfin à la reprise de l’album : «I Can Hear The Grass Grow» des Move. Une véritable horreur ! La voix tombait comme un couperet. Mark E. Smith transformait ce vieux classique des sixties en hit planétaire. Un peu plus loin, «Ya Wanner» arrivait comme une nouvelle abomination au beat carré. Mark E. Smith dépassait vraiment les bornes, il allait plus loin que les Damned ou le Roxy Music d’«Editions Of You». Cet homme chantait comme une bête, une carne, un irascible, un impérissable, un prince méprisant, un violent contradicteur. 

    Dès le lendemain, je retournai le voir. Il rongeait un os de poulet et buvait une Guiness au goulot.

    — Salut, Mark, j’ai écouté deux de vos disques hier, et je suis sous le choc...

    — Si tu veux qu’on cause, fucking mate, ramène un fucking pack de fucking ‘ness.

    Un quart d’heure plus tard, j’étais de retour avec deux packs de Guiness.

    — J’espère que t’es pas un fucking journaliste...

    — Non, je suis français, inscrit à l’université.

    — Aw aw aw, un fucking Frenchie, hein ? À la tienne, alors.

    — Pourquoi vous vivez dans un tonneau ?

    — À part des fucking touristes comme toi, personne me fait chier. J’ai une paix royale. J’ai fait le tour du fucking problème, poto, je peux plus blairer les fucking journalistes, les fucking maisons de disques et tous les fucking bâtards de rock city. J’ai une sainte horreur de la bêtise. Les cons me donnent des boutons. Quand t’auras fait le tour du fucking problème, tu feras comme moi, tu habiteras dans un tonneau et tu chercheras les humains en plein jour avec ta lanterne, aw aw aw ! On vit une époque terrible, frenchie. Aussi terrible que celle des fucking années soixante-dix, quand t’avais les Elton John et les Clapton. T’as remarqué ? Ils sont toujours là, toujours aussi vénérés. Même le premier ministre dit qu’il aurait aimé être l’un deux. C’est révélateur de l’époque où nous vivons aujourd’hui. Je ne lis même plus les fucking papers. Trop triste. Tous ces journalistes lèchent les bottes du premier ministre. C’est embarrassant. Je ne veux plus perdre mon temps. Je préfère écrire des fucking chansons. T’es sur terre pour produire. Carlyle a dit ça. Produis, produis. C’est pour ça que t’es sur terre ! Écris des chansons, fais ton truc, suis ton instinct. Tous ces fucking journalistes n’ont jamais rien compris à The Fall. L’honnêteté, ils sont incapables de comprendre ce que c’est. En écrivant n’importe quoi sur The Fall, ils se sont grillés. Comme le fucking Réplicant de Blade Runner, j’ai vu trop de choses, poto. J’ai vu parader ces pâles bâtards de Spandau Ballet et de Costello au sommet des fucking charts. J’ai fait la première partie des Clash pendant leur tournée américaine et je les ai vus agir comme ceux qu’ils condamnaient, à traiter le public comme du bétail. Je hais les groupes qui se prélassent dans la dépression, les Echo et compagnie. J’ai toujours fait des disques pour ceux qui ne veulent pas se faire enculer, tu vois ce que je veux dire, ceux qui veulent encore se battre.  

    — Mais pourquoi vous vivez dans un tonneau ?

    — Je viens de te l’expliquer. J’écris des chansons. Avant, j’étais trop bien installé. Avec le confort, on finit par trouver des excuses pour ne plus écrire.

    Mark vida sa canette. Il en ouvrit une autre avec son briquet.

    — J’aime bien votre reprise d’«I Can Hear The Grass Grow» des Move. Vous êtes le seul qui ayez osé remettre ce hit au goût du jour...

    — Fucking brillant ! J’adorais les Move. J’aimais bien aussi ces fucking groupes de Liverpool, les Searchers et les La’s, ils écrivaient des chansons solides. Les seuls qui comptent vraiment à mes yeux sont les gens authentiques. Des mecs comme Jerry Lee, Johnny Cash, Bo Diddley et Link Wray. Ils tirent leur art de leur expérience. C’est autre chose que les Franz Ferdinand qui vont se tortiller le cul devant des caméras de télé toutes les cinq minutes, tu crois pas ? Tiens, je vais te donner quelques disques.

    Il entra dans le tonneau et alla fouiller dans un carton.

    — Écoute ça et reviens me voir quand tu veux. Maintenant, laisse-moi tranquille, j’ai trop parlé. J’ai besoin d’être seul.

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    En rentrant, je mis The Real New Fall LP dans le lecteur. Dès le premier morceau, «Green Eyed Loco Man», je me retrouvai plongé dans l’univers déjanté de Mark E. Smith. Il était à la fois le suborneur de la racaillerie électrique et l’orfèvre du crouni. Sa musique rêche me grattait la couenne. On aurait dit un tuberculeux qui cracherait ses poumons rien que pour déconner. Il me faisait penser à une Marguerite Duras chantant par la trappe qu’on a ouvert dans sa gorge et tirant sur une Gitane maïs rien que pour emmerder les cancérologues. Dans «Mountain Energei», il cassait des mots en deux, étirait les syllabes de fin, tirant sur les s pour qu’ils sonnent comme des serpents à sonnettes. Avec «Last Command From Xyralothep Via M.E.S», petit chef-d’œuvre d’ingéniosité hypnotique, Mark se transformait en Léon Zitrône, nous commentant une virée intergalactique larsenée de guitares, ballottée par des riffs de basse, charcutée par des coups de synthé. La reprise de l’album était un morceau de Lee Hazlewood, «Loop41 Houston», qu’il tirebouchonnait pour en faire une fallerie titubante absolument somptueuse.

    Je poursuivis mon enquête sur le campus. La plupart des Mancuniens considéraient The Fall comme un phénomène post-punk sans grande importance. Ils attachaient plus de prix aux Buzzcocks, aux Smiths et aux Stone Roses. Quand je demandais s’ils écoutaient les disques de The Fall, ils me répondaient évasivement. The Fall semblait dériver dans une mer d’indifférence. J’étais sidéré. La nausée me gagnait. Je finis par résilier mon inscription à la fac et m’en fus investir mes dernières économies dans un gros tonneau à bière que je fis livrer sur les quais, à côté de celui qu’occupait Mark. Il commença par protester, disant qu’il voulait rester seul. Devant mon obstination, il finit par céder.

    — À ta guise, fucking frenchie... Je te préviens, tu vas te les cailler, cet hiver.

    — Je préfère affronter l’hiver près de vous plutôt que de supporter la stupidité des gens d’ici. Et puis j’ai ramené mon balladeur. Il marche avec des piles. Comme ça, j’aurai le temps d’écouter tous vos disques.

    — Tu peux me tutoyer, fucking mate.

    La première nuit, j’eus le privilège d’entendre Mark ronfler. Avec la caisse de résonance du tonneau, j’avais l’impression que tout le quartier en profitait. Le matin, il se leva et pissa contre mon tonneau. Par chance, le tonneau que j’avais acheté à prix d’or était bien hermétique. Il passa ensuite un grand manteau par dessus son jumper Armani et m’emmena faire les courses. Il vola quelques canettes de Guiness et nous regagnâmes nos quartiers.

    — Breakfast, poto.

    Nous descendîmes quelques Guiness et rotâmes de bon cœur. Puis il alla farfouiller dans son carton et revînt avec du papier et un stylo. Il écrivit quelques paroles de chansons. 

    Comme j’écoutais tous ses disques, un par un, j’en arrivais chaque fois à la même conclusion : comment pouvait-on écouter autre chose après The Fall ?

    — Aw fuck ! J’ai encore une dent qui brêle !

    Mark plongea les doigts dans sa bouche, agita fiévreusement la dent branlante, l’arracha et cracha juste devant mes pieds. Même un molard de Mark E. Smith avait quelque chose de spectaculaire. Et puis un jour, les musiciens américains qu’il venait d’engager vinrent lui rendre une petite visite. Mark fit les présentations. Il prévoyait d’enregistrer un nouvel album. Il allait donc s’absenter une bonne semaine. Il me demanda de rester sur place pour éviter que des clochards ne vinssent s’installer dans les tonneaux. Il les disait trop durs à déloger. 

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    La neige commença à tomber. Je fis un raid sur les chantiers voisins pour récupérer des bouts de bois et faire du feu. J’écoutais Post TLC Reformation, l’un de ses albums les plus récents. On y retrouvait tout le bastringue habituel, le rejeté décadent, la distance hautaine, la grain tellurique, le lâcher de syllabes acrobatiques, la gouaille des bas-fonds, le rocailleux d’une glotte imprégnée de mauvaise bière, la hargne working-class, la lutte contre la bêtise établie, le haro sur le rock, la culture des influences manifestes qui vont de Can à Captain Beefheart, en passant par Public Image et Desmond Decker. Il torturait sa syntaxe, il avançait de travers, sur des rythmiques sublimes de bassmatic. Il chantait dans sa salive, renouant avec les chinoiseries du Spotlight Kid. Reformation tapait directement dans Can. Mark s’y connaissait en canneries, il savait dérouler l’écheveau, sur un riff de basse incommensurable - Black river ! Ford Motel ! - Il clamait des atrocités en bambou - Go flesh go ! - La reprise de l’album était «White Line Fever» de Merle Haggard. Mark en faisait une merveilleuse gabegie, soulignée à la basse pouet pouet. Il traitait Merle Haggard à la traînarde. Dans le cut suivant, «Insult Song», Mark réinjectait de la black river, du all over and over again, du Ford motel, de la white line fever, il singeait Beefheart à la perfection, faisait du bababa et des breaks vocaux à la Jim Morrison, il travaillait son jerk blues, accompagné par une guitare fantôme. «Systematic Abuse», dernier titre de cet album dément, était du pur Fall, rond et têtu, traîné à la voix. Genoux raclés dans la caillasse. Ardeur et dureté. Swing du néant. Cancer et boules de gomme. Pas d’amour heureux à Manchester. Ses refrains puaient la tripe. Le rythme était gris comme un couloir d’hôpital. Les mots fumaient légèrement. Il les avait aspergés de pisse. Il badigeonnait ses émotions à la nicotine. Je voyais nettement son sourire d’ange aux dents pourries.

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    Une nuit, je m’endormis, mais ne me réveillai pas. Quelques jours plus tard, Mark me trouva allongé dans le tonneau, le casque du balladeur sur les oreilles. Il vit tout de suite que j’étais raide comme un glaçon. Il me traita de fucking frenchie et retourna s’asseoir à l’entrée de son tonneau. Son nouvel album allait sortir. Quelques critiques allaient probablement le saluer. Mark se mit aussitôt à écrire de nouvelles chansons. Il scrutait le ciel. L’inspiration coulait en lui comme un torrent. 

    Signé : Cazengler, Fall du régiment

    Mark E. Smith. Disparu le 24 janvier 2018.

    Mark E. Smith. Renegade - The Lives And Tales Of Mark E. Smith. Viking Penguin 2009

     

    Hall right now

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    L’étoile d’une légende du Deep Southern Soul vient de s’éteindre. Rick Hall est parti rejoindre ses vieux copains au paradis, à commencer par Sam Phillips, originaire comme lui de Florence, Alabama.

    Dans la cour du lycée, on disait aux autres : sans Sam Phillips, pas d’Elvis, pas de Jerry Lee, pas de Wolf, pas de Carl ni de Cash, pas de rien. On peut dire exactement la même chose de Rick Hall : sans Rick, pas de FAME, pas de Clarence Carter et donc de Candi Staton, pas d’Arthur Alexander, pas de rien.

    L’occasion est trop belle de ressortir ce texte déjà bloggotisé sur le mighty KRTNT, histoire de faire gicler une fois de plus tout le jus qui se trouve dans le recueil de souvenirs de Rick Hall, ce redneck qui aimait tellement la musique noire qu’il décida dans les early sixties de monter un studio pour enregistrer des disques. Et pas n’importe quels disques, ceux des sales nègres, en plein cœur du coin le plus raciste du Sud des États-Unis, l’Alabama. Son recueil de souvenirs s’appelle The Man From Muscle Shoals. Le nom tinte bien à l’oreille des fans de Soul : Muscle Shoals se situe au bord de la Tennessee river et c’est là que Rick Hall installa dans les sixties son studio/label FAME, un label qui par la force des choses devint aussi légendaire que Stax, Tamla ou Atlantic.

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    Généreux, l’éditeur offre avec le livre le DVD du film qui raconte la fascinante histoire de Muscle Shoals. Alors, comme le dit Aznavour dans sa chanson, ils sont venus, ils sont tous là : Keith Richards, Percy Sledge, Wilson Pickett, Candi Staton, on assiste dans ce film à un incroyable défilé de stars, y compris les dispensables comme ce Bono qui a pris la détestable habitude de ramener sa fraise quand on ne l’a pas sonné. Et puis bien sûr, le film donne la priorité à Rick Hall qui raconte son histoire, mais avec tout le pathos du Deep South. Les rednecks ont toujours des histoires épouvantables à nous raconter. Le meilleur exemple reste bien sûr Erskine Caldwell. On se souvient aussi de Roy Orbison qui vit sa maison brûler avec ses gosses à l’intérieur. Eh bien, la vie de Rick Hall, c’est à peu près la même chose. S’il se plante devant la caméra pour raconter ses déboires, c’est avec une voix d’outre-tombe et le souffle dramatique d’un William Faulkner. Un vrai pâté de pathos ! Ça commence quand il est jeune marié et qu’il perd le contrôle de sa bagnole. Bim, bam, plusieurs tonneaux. Il survit aux tonneaux, mais pas sa poule. Il raconte aussi son enfance très pauvre à la cambrousse, et l’histoire de son petit frère, tombé dans le bac à lessive quand l’eau était en train de bouillir. Il entre bien dans les détails, nous raconte l’hôpital, et les médecins qui retirent les vêtements et la peau qui vient avec. Et trois jours plus tard, plus de petit frère. La mère en veut au père qui n’était pas là et le père en veut à la mère qui ne surveillait pas les enfants. Alors la mère abandonne sa famille et s’en va faire la pute en ville. Red district ! L’œil humide, Rick indique qu’il ne reverra plus sa mère. Oh mais attendez, ce n’est pas fini ! Il raconte plus loin que son père était un paysan tellement pauvre qu’il n’avait jamais pu se payer un tracteur. Alors son fils Rick lui en paye un. Et puis un jour, sa belle-mère voit par la fenêtre les roues du tracteur, mais en l’air. Elle se dit à juste titre que ça ne présage rien de bon. Évidemment, le père est sous le tracteur. Comme les auteurs grecs de l’Antiquité, les rednecks ont un sens de la tragédie qui flirte avec le génie. Et ce sont des blancs ! Alors vous imaginez bien que lorsqu’un nègre du coin raconte sa vie, comme le fit T-Model Ford, c’est mille fois plus violent. Il suffit de lire les mémoires d’Ike Turner dont le père mit trois ans à mourir, suite à un passage à tabac gracieusement offert par le KKK. En ce temps là, on ne soignait pas les nègres. On leur installait une tente dans le jardin et on leur laissait le choix entre deux options : survivre ou mourir.

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    Quand Keef dit que Rick Hall est un type dur (tough guy), il ne croit pas si bien dire. Rick Hall rappelle en effet qu’il a grandi «comme un animal», dans cette cabane au fond des bois, sans eau ni électricité ni plancher ni lit. Il dormait sur un tas de paille et se lavait à la rivière, hiver comme été. C’est peut-être cet endurcissement précoce qui va lui permettre de survivre à tous ses déboires, et pas seulement les pré-cités, il y a aussi ceux de sa vie professionnelle : les gens du business ne l’ont pas ménagé, à commencer par ses deux associés des débuts qui l’ont viré parce qu’ils l’accusaient de bosser comme un dingue - I licked my wounds and drowned my sorrows in moonshine whiskey (il lécha ses plaies et noya son chagrin dans de l’alcool artisanal) - Rick Hall va ensuite zoner pendant cinq ans puis il décide de monter son studio et de tout reprendre à zéro. Il démarre FAME avec un hit de Jimmy Hugues («Steal Away») puis il lance Arthur Alexander, avec un premier hit planétaire, «You Better Move On» que vont s’empresser de reprendre les Stones. Pouf ! Rick est lancé ! Il devient un producteur de renom. Il monte son house-band avec Roger Hawkins (drums), David Hood (bass) et Jimmy Johnson (guitar), des gens qui vont devenir célèbres, eux aussi. Dans les parages traînent aussi Spooner Oldham et Dan Penn, compositeurs et musiciens de génie underground.

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    L’histoire de Rick Hall, c’est aussi la valse des anecdotes extraordinaires. Un jour, un petit black vient faire un bout d’essai dans son studio, mais Rick Hall n’accroche pas. Oh, le petit black ne se décourage pas ! Il va trouver un autre patron blanc, Quin Ivy, qui a monté un studio à Sheffield, toujours en Alabama. Ah au fait, un détail qui a son importance : le petit black s’appelle Percy Sledge. Il travaille à l’hôpital local. Très peu de temps après, Quin Ivy demande à voir Rick. Il veut lui faire écouter la démo qu’il vient d’enregistrer avec Percy Sledge. Le cut s’appelle «When A Man Loves A Woman». Quin n’a absolument aucune idée de ce que ça vaut. Rick l’écoute une fois et demande à la ré-écouter. Il dit à Quin que c’est un smash. Quin tombe des nues :

    — Ha bon ?

    Il ravale sa salive et demande :

    — Qui pourrait publier ce smash ?

    Rick sait. Il répond :

    — Jerry Wexler !

    Quin ne sait pas qui est Wexler. Alors Rick appelle Wexler un dimanche après-midi.

    — Qu’est-ce tu veux, baby ?

    Wexler lui dit qu’il a du monde chez lui et qu’il n’a pas de temps à perdre. Rick insiste :

    — J’ai un smash, un vrai smash !

    Wexler lui dit :

    — Envoie-moi ça par la poste, baby, j’ai des saucisses sur le barboque. See ya !

    Quand il reçoit la démo chez lui, Wexler n’est pas sûr que ce soit un smash. Il rappelle Rick :

    — T’es sûr que c’est un smash, baby ?

    Rick est scié. Il insiste :

    — Mais oui ! C’est un No. 1 record worldwide !

    Et il ne se trompe pas. Quel flair de cocker ! On peut dire que Percy Sledge lui doit une fière chandelle.

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    C’est là que démarre une relation professionnelle avec Jerry Wexler (co-directeur d’Atlantic) qui va durer dix ans - The heads of Atlantic records, I later learned, were looking for a way out of their rut (j’appris plus tard que les patrons d’Atlantic cherchaient à sortir de leur ornière) - Wexler flashe complètement sur Muscle Shoals et sur la qualité du house-band de Rick. Il découvre en effet que les musiciens travaillent sans partition, alors qu’à New York, chez Atlantic, tous les musiciens jouent sur partitions. Cette décontraction fascine Wexler qui décide alors d’envoyer ses stars en stage chez Rick Hall. Il commence par envoyer Wilson Pickett qui n’en revient pas de voir un studio de patrons blancs installé en plein cœur des champs de coton où travaillent encore des nègres.

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    C’est là, dans cet endroit pour le moins insolite que Wilson Pickett enregistre ses plus gros hits, «Mustang Sally», «Land Of 1000 Dances», «Funky Broadway» et même «Hey Jude», suite à une suggestion de Duane Allman. Puis Wexler lui amène Aretha qu’il vient de signer sur Atlantic. La première journée de session se passe merveilleusement bien, avec l’enregistrement d’«I Never Loved A Man», lancé au pur feeling sur les accords de Spooner. Puis une shoote éclate entre l’époux d’Aretha, Ted White, et un joueur de trompette du house-band. Ted White qui a trop bu accuse le trompettiste de draguer sa femme. Puis il accuse ensuite un saxophoniste de la même chose. Chaque fois, il ordonne à Rick de les virer. Compliqué, car ce sont des amis. Rick demande conseil à Wexler assis à côté de lui. Wexler ne fait pas de chichis : Fire them ! Vire-les ! Mais ça ne suffit pas. L’ambiance est explosive. Aretha et Ted quittent le studio en claquant la porte et rentrent à l’hôtel. Rick veut aller les voir pour tenter de calmer le jeu, car plusieurs journées de sessions sont prévues. Wexler lui interdit formellement d’y aller. Rick reboit un gros coup de vodka et y va quand même. Les rednecks sont têtus comme des bourriques. Il tape à la porte de la chambre. Ted White ouvre et l’insulte, alors une bagarre éclate. Le lendemain, première heure, Aretha et son mari reprennent l’avion pour New York. Devant ce désastre, Wexler est fou de rage. Il annonce à Rick qu’il va l’anéantir - I’ll burry your ass ! - Mais on ne parle pas comme ça à un dur à cuire comme Rick - No, you won’t burry me, you old fart ! I’m a lot younger than you, and I’ll be around long after you’re gone ! - Et c’est exactement ce qui va se passer, Rick va survivre à Wexler qui à l’époque est déjà assez âgé. Mais du coup, Rick perd son principal client. C’est cuit ? Non ! Il contacte Leonard Chess à Chicago qui lui propose d’envoyer Etta James.

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    Rick est ravi car c’est la chick qu’il préfère - My favorite chick of all time - Elle enregistre cet incroyable album qu’est Tell Mama à Muscle Shoals et du coup elle relance sa carrière. Mais Rick est mauvais après Chess qui ne lui paye pas son travail de producteur. Pas un cent, rien ! Mais grâce à ce disque, il redore son blason de producteur. C’est un véritable soulagement - Every record, my life depended on it - Et il ajoute que si tu n’as pas de hit en tant que producteur, on ne te rappelle pas. Puis Duane Allman propose de ramener les Allman Brothers à Muscle Shoals, mais le rock blanc n’intéresse pas Rick. Il passe à côté de la fortune, mais tant pis. Il préfère la musique noire. Rick Hall est un exemple assez rare d’intégrité artistique.

    Il est en train de relancer la machine FAME lorsque soudain se produit une nouvelle catastrophe : cette ordure revancharde de Wexler lui pique son house-band. Il le soudoie en douce et l’installe à ses frais à l’autre bout de la ville. Roger Hawkins, David Hood et Jimmy Johnson abandonnent lâchement le mec auquel ils doivent tout. Absolument tout. Rick Hall tombe des nues. Bhaaaam ! Quand il raconte cet épisode, trente ans plus tard, sa voix chevrote encore. C’est vrai qu’un coup pareil ferait débander un âne. Les traîtres sont rebaptisés Swampers par Denny Cordell et Leon Russell.

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    Une fois de plus, le pauvre Rick mord la poussière. Par contre, les Swampers croulent sous les commandes : Wexler leur envoie tout le gratin du rock des seventies. Même les Stones débarquent à Muscle Shoals. Pas chez Rick Hall mais chez les Swampers. C’est là qu’ils enregistrent «You Gotta Move», «Brown Sugar» et «Wild Horses» qu’on retrouve sur Sticky Fingers. La session est filmée : on voit les vieilles boots en peau de serpent de Keef et, à côté de lui, Jim Dickinson. De l’autre côté de la ville, complètement ratatiné, le pauvre Rick réussit à redémarrer avec une petite chanteuse black que lui présente Clarence Carter. Elle s’appelle Candi Staton. Puis après avoir passé un accord avec Capitol, Rick commence à recevoir dans son studio des stars énormes comme Bobbie Gentry, Joe Tex, King Curtis et surtout les Osmond Brothers qui lui feront gagner pas mal de blé. Il décroche aussi la timbale avec Patches, ce bel album de Clarence Carter. À l’époque, tout le monde veut aller jouer à Muscle Shoals, alors tout le monde débarque soit chez Rick, soit chez les Swampers qui tournent au rythme de quarante albums par an.

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    L’épisode de la rencontre avec Bobbie Gentry vaut son pesant d’or. Elle veut enregistrer une chanson qui s’intitule «Fancy». Sachant pourtant qu’il s’agit d’un hit, Rick s’y refuse, d’abord parce que la chanson traite d’infidélité et d’inceste et ensuite parce qu’elle dure douze minutes :

    — Ça ne passera jamais à la radio, my godness girl.

    Bobbie insiste, alors Rick lui répond :

    My goodness girl, if we record that, these Southern townspeople will ride us both out of town on a rail» (ma puce, si on enregistre ça, on risque les pires ennuis avec les gens du coin).

    Rick a du génie, alors il adapte la chanson et en fait un hit planétaire. Il se dit complètement fasciné par cette femme qui chante avec une «dark sexy voice» et qui s’accompagne d’une «little gut-string Martin guitar» aussi grande qu’un ukulélé - C’était une femme de contact qui savait ce qu’elle voulait et comment l’obtenir. - Et pour qualifier son style, il déploie sa plus belle prose : «She was telling the dark and mysterious story of her life with those Mississippi Delta strings playing back-porch blues guitar riffs like I had never heard before.» (Elle racontait la sombre et mystérieuse histoire de sa vie en grattant des accords de back-porch blues comme j’en avais jamais entendu).

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    Rick Hall écrit dans une langue très rock’n’roll. Quand il évoque ses souvenirs de dragueur, il sonne littéralement comme Roy Orbison dans «Domino» : «Terry and I were a couple of semi-cool dudes on the prowl who wanted to dress in black tuxes, cumbernurns, cut our hair in flat tops with duck tails, play some hipper music, make some cash and meet a fresh crop of much prettier girls.» Rick sait swinguer sa langue et ramener toute l’imagerie du kid américain des early sixties qui savait se coiffer en pompadour, se tailler des rouflaquettes, jouer de la bonne musique, faire un peu de blé et draguer des petites gonzesses. Les fils spirituels de Michel Audiard se régaleront aussi des formules de Rick, comme lorsqu’il dit : «Hansel and I were happy as two dead pigs in the sunshine». En France, on dirait heureux comme deux cochons en foire. Rick voit plutôt des cochons crevés au soleil. En fait, il s’exprime dans cette vieille langue redneck si imagée et si différente de l’Anglais qu’on pratique habituellement. Il sonne exactement comme Sam Phillips. Il règne dans leur façon de s’exprimer une sorte de conviction, un sens du martèlement poétique, leur phraséologie relève même du langage biblique. Quand il parle des difficultés qu’il rencontre à produire des nègres dans son coin, il s’exprimer exactement comme Sam Phillips qui fut confronté au même problème : «I was earning the reputation as ‘that redneck white boy in Muscle Shoals who is cutting all those hit records on black artists’.» (Je me taillais la réputation du petit blanc qui enregistrait des hits d’artistes nègres). C’est la même musique linguistique. Quand il fait le portrait de Bill Lowery, il swingue ses mots : «He was a white-haired, 250-pound, Big Daddy-looking guy with an appreciation for good music, good food and good liquor.» Il fait aussi un portrait savoureux de Don Robey, le label-boss de Duke Records, sur lequel ont démarré Clarence Carter et Bobby Bland : «On racontait que Robey frappait les gens qui osaient l’affronter avec son flingue. Certains des artistes signés sur son label le suspectaient de détourner les royalties, mais ils le craignaient tellement qu’ils évitaient de faire des vagues.»

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    Parmi les portraits fabuleux que brosse Rick Hall, on trouve celui de Dan Penn, qui admirait Bobby Bland et Ray Charles, et qui avait, nous dit l’auteur, une voix aussi belle que celle de Ben E. King - Dan used to say ‘I’m white but I’m alright’ (Fabuleux Dan Penn qui avait pour habitude de se moquer des racistes en disant : c’est vrai, je suis blanc, mais je suis correct) - Rick raconte qu’en chantant, Dan était si intense qu’il rougissait comme une tomate. Il rappelle aussi que Dan fut son meilleur ami, son confident et qu’ils composaient ensemble. Chaque fois que Rick a été trahi ou jeté par les autres, Dan lui est resté fidèle - Dan is a warm, caring and loyal man with an abundance of music savvy - et il ajoute que son précieux ami a les meilleures oreilles «in the whole wide world of music». C’est Dan qui a l’idée de lancer le label FAME pour presser 2 000 exemplaires de «Steal Away», le hit de Jimmy Hugues qu’ils viennent d’enregistrer, et d’aller faire la tournée de toutes les stations de radio noires du Deep South pour le refiler aux DJs. Rick n’a pas les moyens de leur glisser un billet, aussi leur propose-t-il à la place une bouteille de vodka.

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    Et Dan dira : «Je ne me suis jamais autant marré que lors de ce voyage à travers le Deep South, quand avec Rick on distribuait ‘Steal Away’ dans toutes ces stations de radio noires.» Rick raconte aussi qu’une nuit, Dan est arrivé dans le studio avec un pack de bière, trois paquets de cigarettes, sa précieuse guitare et accompagné d’un jeune mec nommé Spooner Oldham. Ils se sont assis à même le sol, ils ont éteint les lumières et ont composé «Let’s Do It Over» qui allait être le prochain hit de Joe Tex. C’est à cette occasion que débuta leur longue et prolifique collaboration.

    Si on aime les portraits de personnages légendaires, il faut lire ce recueil de mémoires. Rick fut le seul à croire en Arthur Alexander. Il se fit jeter par tous les labels locaux et quand «You Beter Move On» commença à marcher, un certain Tom Stafford emmena Arthur à Nashville, privant ainsi Rick du bonheur d’enregistrer le premier album. Rick apprendra plus tard par la fille d’Arthur que son père était fier du premier single FAME qu’ils avaient enregistré ensemble.

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    L’autre géant que défendait Rick fut bien sûr Clarence Carter auquel il consacre des pages émouvantes. C’est même l’histoire d’une amitié profonde, basée sur le respect mutuel et la qualité artistique. Rick se souvient des débuts de Clarence Carter, qui était à l’époque aussi pauvre que lui. Quand il entrait en studio, Clarence Carter était parfaitement au point, parce qu’il misait tout sur la musique qui était, comme pour Rick, sa seule planche de salut. Clarence jouait alors en duo avec son pote organiste Calvin sous le nom de Clarence & Calvin - Clarence and Calvin were both natural-born clowns who laughed and cut up in the studio, but were as serious as a bleeding ulcer about their music (ces mecs savaient se marrer, mais ils étaient sérieux comme des papes dès qu’il s’agissait de jouer). Rick conclut ce chapitre avec un petit épilogue en forme d’hommage définitif : «Je reste convaincu que Clarence Carter aurait pur être aussi énorme, voire plus énorme, que Ray Charles s’il avait bénéficié du même type de support financier, ou s’il n’avait pas eu le malheur de mener sa carrière en même temps que celle de Ray. Ils étaient tous les deux aveugles, noirs, ils venaient tous les deux du Sud et étaient tous deux des génies. Leur son est un mélange de Soul et de country unique au monde. Clarence est resté mon ami et il utilise encore mon studio pour enregistrer ses albums.»

    Oh et puis ce portrait de Wilson Pickett. Rick le dit précédé par sa mauvaise réputation et il ne peut pas résister à l’envie de lui demander si l’histoire du flingue sur la tempe du label-boss est vraie. Et Wilson lui répond : «J’ai pris l’ascenseur pour monter au bureau du patron, je suis entré, je lui ai mis mon bras autour du cou et un calibre 45 sur la tempe et je lui ai demandé de me rendre mon contrat, alors il a ouvert un tiroir et me l’a donné sans discuter.» En fait Rick explique que Jerry Wexler misait sur le fait que Wilson et lui, tous deux nés en Alabama dans la plus grande pauvreté, allaient bien s’entendre et que Rick allait pouvoir gérer les soirées alcoolisées et les tensions des séances d’enregistrement. «Jerry pensait que j’étais le seul mec capable de gérer Wilson Pickett et j’étais bien décidé à lui montrer qu’il ne se fourrait pas le doigt dans l’œil.» Quand Rick voit Wilson pour la première fois, il le compare à une panthère noire à la peau luisante. Cette rencontre est hilarante, car Rick qui ne connaît pas Wilson s’attend à voir débarquer du DC3 un gros black du genre Solomon Burke, et Wilson est horrifié de voir que le mec de Muscle Shoals est un blanc. En fait, ce qui horrifie le plus Wilson, c’est de découvrir que les champs de coton existent encore et que la situation des noirs n’a guère évolué depuis que sa famille est remontée au Nord, lorsqu’il avait seize ans. C’est Chips Moman qui va jouer de la guitare sur les fameuses sessions d’enregistrement de Wilson Pickett. C’est aussi Chips qui sort le double-octave riff d’intro de «Mustang Sally». Et tout le reste n’est que littérature.

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    Signé : Cazengler, un Rick hard sinon rien

    Rick Hall. Disparu le 2 janvier 2018.

    Rick Hall. The Man From Muscle Shoals. My Journey From Shame To Fame. Heritage Builders 2015

     

    Moissy-cramayel / 26 – 01 – 2018

    les dix-huit marches

    ELI D'ESTALE / ARTIFEX / NAKHT

     

    FEU FALLEN EIGHT

    C'est aux 18 Marches que nous avions rencontré pour la première fois Fallen Eight – le 02/ 10 / 2015 pour être précis - un des groupes phare de la jeune génération Seine & Marnaise dont nous avons suivi régulièrement les aventures dans nos colonnes. Nous attendions le prochain album. Mais le 12 janvier dernier la nouvelle est tombée, en préambule d'un long communiqué. Chute du huit. Fallen Eight se sépare. Divergences musicales qui n'annulent point l'amitié qui les unit... Le rock'n'roll use ses groupes bien plus rapidement que l'océan ses galets. Après Klaustrophobia, Beast, Scores, Fallen Eight n'est plus qu'une coque rouillée – dont la légendaire épopée ne tardera pas à se former - dans la darse des souvenances et des regrets. Nous restent les disques, les photos, les chroniques et les rencontres suscitées par leurs tumultueuses apparitions. La vie est ainsi, une vague se retire pour laisser place à une autre. Dans tous les sens du terme le rock'n'roll est une musique mortelle.

    ELI D'ESTALE

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    Nouvelle formule d'Eli d'Estale. Je dirais presque mathématique. Rien à voir avec le groupe qui growlait tant à mort que l'on avait avait l'impression que le son brouillait l'image qu'ils voulaient imposer ( Voir KR'TNT du 27 / 10 / 2016 ). Ont réduit la voilure, ont profilé l'étrave. Ont jeté par-dessus bord tout ce qui n'était pas indispensable. Sont parvenus à une esthétique racée, corsaire. N'offrent que le minimum. Mais vital. Aussi létal. A l'image de la guitare – Boden Original 7 - de Rémi Goetz dont on se dit qu'un fauve affamé a dû croquer un morceau. Un son réduit à l'essentiel, d'une rècheté désertique, sec comme un arbre mort, sans une goutte de lyrisme. La piqûre du serpent sans la consolation de l'antidote. Rien de trop. Rien de moins aussi, pas de flamme mais le feu, pas d'emphase mais la netteté du claquement d'une culasse de sniper. Alexis Godefroy est à la basse, jamais instrument n'a porté aussi bien son nom, un son sans rotondité, la dureté d'une écaille d'arapaima, totalement imité par Paul Alexandre Dournel à la guitare, la colère mais froide, la rage mais contenue, style classique qui évite les adjectifs ronflants et les figures de style à la-m'as-tu-vu. Musique sans complaisance envers elle-même. Et le public. Toutefois Eli d'Estale possède une quatrième cartouche de dynamite. Gilles Romain, debout sur son caisson tel un orateur antique sur la tribune des rostres. Démultiplie l'impact sonore de ses acolytes. Une gestuelle sobre mais théâtrale, la voix qui djente et les mouvements maniérés des mains autour de son visage qui en renforcnte les effets. Froideur passionnée. L'attire les regards. Invective et convainc. Accusateur public et couperet de guillotine. Enfermé en lui-même, isolé en sa propre représentation, et par ce fait-même totalement fascinant. Le groupe donne l'impression de résoudre une équation qui permet de tracer une droite brisée d'un genre nouveau que l'espace des courbes se voit contraint d'admettre et d'accepter, une espèce de zig-zag à angles morts porteur d'une foudre capable de déstructurer tous les champs magnétiques de la pensée humaine. Ce qui ne manque pas de se produire, les esprits captifs de l'assistance, entièrement phagocytés par cette musique, un composé d'essentiel et d'énergie, leur font un triomphe.

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    ARTIFEX

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    Artifex sera la révélation de la soirée. Entre une statuette du Buddha et le micro. Entre vide et silence. Faudra attendre le déroulement du second morceau pour saisir l'originalité intrinsèque du groupe. Nombreux sont les combos qui débutent par un instrumental. Dark Forest avec ses ramures sombres et ses sentes obscures avaient séduit l'auditoire. L'on attendait que Brendan à la basse et en position centrale s'emparât du chant, mais il n'en fit rien. Ni cris, ni chuchotements, ni hurlements, ni growl, ni djent. Artifex redéfinit le genre. Trash exclusivement instrumental. De l'instrumentrash. Cela change la donne. Eveille l'esprit et vous oblige à écouter autrement. D'autant plus que l'évidence s'impose très vite. Le chant ne manque pas. Son absence n'est pas perçu comme un défaut. Sa présence serait même de trop. La musique se suffit à elle-même. Le fruit de l'arbre ne nécessite aucune adjonction.

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    Pahaad Ke Raaja, que la répétition des A ne vous égare point. Artifex n'est pas adepte des musiques répétitives, ces boucles qui se superposent inlassablement, qui ne changent que d'un écart de dixième de ton à chaque tour et qui finissent par vous endormir. Mickaël est assis aux drums, avec ses longs cheveux blonds l'a le look solide d'un jarl à la poupe d'un drakkar qui dirige ses berserkers à l'assaut des tempêtes. Frappe lourde et puissante. Roulements de toms et tintamarre de cymbales, infléchit par son jeu la course des guitares. Thomas et Victor se partagent les bordées. Thomas est l'adepte des vagues déferlantes et tumultueuses qui vous secouent salement, ses riffs grondants sont des coups de boutoirs, ne durent jamais très longtemps mais sont suffisants pour vous faire craindre tous les naufrages. Victor tout au contraire joue dans l'écume déferlante. Ne se repose jamais, pétrel dans la tempête, au ras des lames, aux ailes infatigables. Ses doigts courent d'accord en accord sans jamais se lasser. Une longue jam lui permettra – non pas une démonstration car il possède une retenue individuelle qui lui interdit de se mettre en avant – de donner, et de partager, toute cette habileté cordique qui le pousse dans ses propres retranchements. Une note ne saurait être gratuite, elle se doit d'être prolongée par une seconde qui reprend l'héritage et le fait fructifier, tant au niveau de sa limpidité harmonique que de sa coloration phonique. La troisième ainsi de suite, tout morceau possédant ainsi sa part d'improvisation vivante. Avec en plus ces moments où les deux guitaristes ne jouent pas l'un à côté de l'autre, mais ensemble tous deux en complément de l'autre, chacun devenant tour à tour et le tuteur et la plante grimpante qui s'enroule autour du bâton propitiatoire. Brendan à la basse n'a pas le rôle le plus facile, ou appuyant les basculements de son drummer ou devant s'immiscer en finesse entre les interstices des deux guitares. S'en sort magnifiquement, le rôle ingrat du passeur qui vous aide à traverser les rivières les plus dangereuses mais qui ne peut vous suivre car déjà sa présence est nécessaire sur l'autre rive. L'intercesseur par excellence. Une fonction qui lui revient aussi dès qu'il faut entre deux morceaux établir le contact avec le public conquis. Les trois derniers titres, précédés d'un court sample où une guitare dépose des gouttes de rosée sur l'herbe de l'aurore, seront plus brutaux – Thomas s'en donne à coeur-joie vous pétarade les riffs à la moto-cross tandis que Victor se réserve les pointes de vitesse – Mickaël poussant la mécanique dans ses derniers soubresauts. Metastasis et The One & Only terminent le set en beauté, ovationnés par l'assistance ravie...

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    ( Photos de KARINE SOHIER )

    NAKHT

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    Les deux groupes précédents ont mis la barre haute. Nakht contre-attaque séance tonnante. Danny, le grand Danny, juché sur son trône de fer, spot rouge en dessous dont le faisceau montant ruisselle sur tout son corps, mène l'assaut. L'a sa voix des mauvais jours. Celle du grizzly qui growle à mort. Une voix qui contient le monde entier, des meutes de milliers de chiens sauvages qui courent et aboient derrière le grand charroi de la mort, des grouillements de soudards incendiaires qui s'attaquent au pont levis malgré l'huile bouillante et les rochers qui leur tombent dessus, les clameurs des momies qui subitement se lèvent dans les musées, arrachent leurs bandelettes et de leur museaux musqués, le visage rongé par la pourriture et la vermine et s'en viennent réclamer aux vivants épouvantés le culte que ces impies ne leur ont pas rendu.

    Nakht déboule sur vous. Une boule de feu pétrifiante. Saccage tout sur son passage. Vitrifie les ruines et transforme les vivants en statue de sel que les vents érodent déjà. Nakht la puissance implacable. Nakht, une puanteur d'éternité. Trois guitaristes qui s'agitent tels des pantins monstrueux, marionnettes folles de la colère de Seth, vous découpent des riffs aussi tranchants que des arrêtes de pyramide. Et Damien qui au fond de sa batterie pilonne des blocs de pierre taillées aussi hautes que des immeubles de trois étages.

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    Nakht n'akhrrête jamais. Pas une seule seconde de calme, Artefact, Apophis, Walking Shade, les titres titanesques se suivent et se ressemblent, de monstrueux scarabées piétinent les cités en flammes et les esprits qui agonisent au-dessus des flaques de cervelles écrabouillées. Vous avez voulu Nakht. Vous avez espéré Nakht. Vous avez attendu Nakht. Le voici dans la splendeur immémoriale de sa dureté. De sa cruauté. Grabuge dans la salle. Tourmente dans les âmes. Nakht passe comme les ouragans de sable dans le désert. Nakht engloutit. Nakht efface. Nakht écrase. Nakht vous efface de la surface de la terre.

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    Nakht s'éloigne. Et les voix des survivants interrogent : quand est-ce que reviendra Nakht, que les temps de désolation et de destruction se hâtent, ils sont nos seules raisons de vivre.

    Ce soir-là Nackht fut éblouissance.

    Damie Chad.

    JOUARRE / 27 – 01 – 2018

    SIGVALD'S MOTOR CLUB SEINE & MARNE

    VELLOCET / DOPPELGÄNGER

     

    La nouvelle est tombée sans prévenir. L'était prévu de se rendre à l'anniversaire de Johnny au nouveau local des Sigvald's – nous avions trop aimé la fête du Dixième Anniversaire du Motor Club ( voir KR'TNT ! 329 du 18 / 05 / 2017 ) - d'autant plus qu'était prévue la venue de Doppelgänger, lorsque l'annonce de la participation de Vellocet a éclaté comme une grenade au champagne. Vellocet, nous les avions admirés plusieurs fois chez les Rednecks de Provins, nous leur avions consacré le numéro 16 de KR'TNT ! Du 08 / 07 / 2010, version papier, et les revoici qui paraissent sans crier gare...

    z321

    La teuf-teuf sait où trouver les locaux de bikers, là où on peut faire du bruit sans déranger d'éventuels voisins abrutis de télé, s'engouffre dans la zone industrielle et la rue de la Grange Gruyère – une crème de nom délicieux - ne tarde pas à se présenter. Nombreuses voitures sur les trottoirs. Les motos sont parqués à l'intérieur de l'enceinte d'un vaste bâtiment dont les Sigvald's occupent une grande pièce précédée d'un large auvent. Camion-pizza à l'extérieur, bar à l'intérieur. Le paradis doit ressembler à cela. Des bikers de partout, l'en arrivera sans arrêt toute la soirée – cuirs souriants, serrement de pognes, embrassades fraternelles – l'ambiance est chaleureuse à souhait.

     

    VELLOCET

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    Le gang est à son poste. Eric Colère attend le retour de Johnny au premier rang pour lancer la machine à amphétamine rock. S'étire comme un fauve qui s'apprête à partir en chasse, s'arque-boute contre le micro, balaie l'air de sa longue crinière qui retombe dans son dos. Départ en trombe, le combo en place comme jamais, Hervé Gusmini carbure derrière sa batterie, Bruno Labbe profile les riffs et Christian Verrecchia verrouille les fondements du background des grondements de sa basse. Musique noire, sourde et explosive. Vellocet, ascenseur vers l'extase, la brûlure et la jouissance. Tous sont les vecteurs du vocal d'Eric. Totalement amalgamé à l'incandescence du son, ne faisant qu'un avec l'urgence turbo-réactrice du groupe et en même temps propulsé en avant, tel le missile sorti des soutes à munitions pour être envoyé sur la cible projetée.

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    Une majorité de morceaux issus du dernier album en français. Aux Miroirs, A l'Ombre des Latrines, Gethsémani, les titres parlent d'eux-mêmes, encore faut-il les expectorer avec la violence nécessaire. Eric y excelle, les crache de toute sa colère qui n'est que la fureur rock, les prononce deux fois, une fois les profère, les hache, les tord, les mord, hors de sa bouche, et une seconde fois par la pantomime de son corps désarticulé qui les met en scène, les campe comme des blasphèmes, les habille de menaces, les sculpte au scalpel de la haine. L'on ne peut parler de chant proprement dit mais de lutte avec la matière des mots, desquels il extrait le venin et le non-dit, les serre à la gorge, les étrangle, les étripe, les réduit en charpie, pour se jeter au plus vite sur les suivants qui affluent sans fin, armée de larves dont il convient d'assumer le possible de toutes les métamorphoses.

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    Derrière lui, on n'effeuille pas les marguerites, le moteur se permet des changements de régime hallucinant, il y a de ces tutoiements de paliers infernaux, des brisures qui vous font craindre l'arrêt définitif ou des emballements qui prophétisent l'explosion, mais tout est contrôlé de main de maîtres, des plongeons de toms , des loopings de basse et des glissades verglacées de guitare à vous déchausser les dents, et dans le public l'on en avale pas moins les couleuvres écarlates de ces trous noirs de concentré d'énergie rythmique, le souffle coupé, la bouche béante d'admiration.

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    Deux titres en anglais, Monday Morning Blues et Shotgun House, juste le temps pour Eric de montrer qu'il connaît les canonnades trafalgariennes sur le bout de la langue, entrelardés de Que la Nuit l'Emporte et en final Au Nom de Dieu, dernier outrage, ultime splendeur sombre comme la main de la mort. Mais il est hors de question qu'ils s'arrêtent si tôt. Nous lâchent leur grand classique Mona Lisa et terminent sur Assis.

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    Presque huit ans que je n'avais entendu Vellocet en live. C'est encore meilleur qu'avant. Un set auquel on ne reprochera que sa brièveté, mais époustouflant. Méfiez-vous, Vellocet a repris la route. Se confirme qu'il est un des groupes kérozène du rock'n'roll français. Maillon fort.

     

    REFLEXIONS PHILOSOPHICO-EXISTENTIELLES

    Publicité mensongère. Ne faut pas toujours croire ce qui est écrit. Remarquez j'avais un doute. Je cite leur présentation : ''Le calme n'est rien sans la violence, la lumière n'existe pas sans l'obscurité. C'est sur ce principe que le groupe puise sa force, la musique est exutoire''. Désolé pour ceux qui aiment les moments de calme et de quiétude, les promenades au clair de lune et les soirées à rêvasser au coin de la cheminée. Je ne saurais expliquer pourquoi mais dès que vous rencontrez un doppelänger dans votre vie, ce n'est jamais la face douce et sympathique du personnage. Toujours, le côté obscur de la force. Ce sont ses côtés les plus pervers et maléfiques qu'il tourne vers vous. Peut-être parce que, au fond de nous-mêmes ce sont ces aspérités que nous préférons. J'avoue que si Doppelgänger s'était révélé être un groupe de folk acoustique à tendance papillons roses et petites fleurs bleues, j'aurais été déçu. De toutes les manières ce genre de nuisibles ne courent pas les rues chez les Bikers.

    ( Photos : Enagrom sur FB : Sigvald's MC Seine et Marne )

    DOPPELGÄNGER

    Un sound-check prometteur. De ces bourdonnements de guitares qui laissent présager que bientôt vous allez vous retrouver entouré de l'essaim furieux au grand complet, et Cyrco qui essaie des growlements à vous faire croire qu'il crache des poumons sanguinolents de tuberculeux à chaque fois.

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    Ils ont collé Loule tout au fond contre le mur, l'on se demande comment il arrive à respirer. Doit avoir l'habitude car dès qu'il démarre, la houle de Loule se déchaîne, des cymbales partout, une grosse caisse disposée selon un angle inhabituel, fait des ricochets sur les toms, et vous décoche des plots soniques à vous fracturer les tympans, à vous déchirer les lobes. C'est l'ouragan de fond. La plage idyllique aux cocotiers de cartes postale est définitivement ravagée par un tsunami mortel. Un temps idéal pour les crocodiles qui n'ont jamais eu autant de cadavres à mastiquer en toute impunité. Vous avez réveillé le doppelgänger autant dire que vous avez dopé le danger.

    Devant cette toile de fond une diagonale de folie. Deux guitaristes à chaque bout, le chanteur au milieu. Qui par un étrange effet de géométrie désorientée se retrouve au plus près du public. Sacré boulot pour Thydo et Nicba, z'ont à devancer l'avalanche drumique de neige noire qui fond sur eux, vitesse et précipitation sont leur seul mot d'ordre, plus la lourdeur du son carbonique, un Doppelgänger en action ne marche pas sur la pointe des pieds, il ébranle le sol et fissure les murs. Se propulse à toute vitesse aiguillonné par la force du mal et la volonté de nuire.

    Dans cette nuisance généralisée Cyrco ne possède que sa voix à ajouter au désastre, il se doit d'en exprimer la quintessence nauséeuse, hurlements de loup solitaire qui conjure la lune noire des cauchemars, des serpents nichent dans son œsophage ils soufflent sur les tisons de la haine et du désespoir, dans ses cordes vocales retentissent les échos perdus des ruts brutaux des dinosaurus disparus, le cri des suppliciés et les suffocations des fous dans les asiles ajoutent leurs notes discordantes à ces éboulements tectoniques de blocs de vocaux de pyramides écroulées.

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    Sur le côté droit, troisième angle à la base de deux triangles inversés – si vous voulez suivre les doppelänger à la trace il est nécessaire de vous représenter les patterns idéens algorithmiques qui président à leur déplacement, car leur disposition épouse ce que les alchimistes appelaient la structure maudite mais opératoire du quinconce exalté - la haute silhouette de Sebvi. Le seul qui puisse vous rappeler que le doppelänger est aussi un homme qui vous ressemble. Le sourire aux dents carnivores et la basse constructive. Là où les autres propulsent il creuse les fondations sur lesquelles reposent les catapultes de la déraison.

    Doppelänger, un set de cauchemars irréprochables, mettent en scène les archétypes fondamentaux de votre imaginaire – voir le second Faust de Goethe – les font apparaître en résurgences mentales ataviques, encore faut-il avoir le courage de les identifier. Métallurgie imaginale. La force au service des empreintes psychiques. Décollement intérieur des rétines du troisième œil. Rock'n'roll perforatif. Un grand groupe.

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    Damie Chad.

    DELOK / ARTIFEX

     

    AS I LEAVE / DARK FOREST / METASTASIS / PAHAAD KE RAAJA / CONTEMPLATION / SCENERY / SABHIATA / POST SCRIPTUM.

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    L'album Délok paru le 11 novembre 2017 a été précédé d'un premier album intitulé The One & Only, la pochette ne laisse aucun doute sur l'identité du seul et unique : Buddah. Et pas un autre. Ce qui nous permet d'identifier sans coup férir la moitié du visage qui figure sur le noir recto du CD. L'Illuminé en personne.

    L'ont peut avoir quelques doutes de la sérénité dont se prévaut Artifex. Délok est manifestement traversé de bruit et de fureur. Apparemment la délocalisation spirituelle n'est pas une affaire de tout repos. A moins que le chemin du trash ne soit qu'une voie étroite, celle de la main gauche, dite aussi du serpent. La matière n'est qu'un fleuve de feu nous avertissait Héraclite. L'on n'aime guère s'y retremper par deux fois, mais Artifex n'hésite pas à retenter l'expérience.

    Nous pourrions aussi nous interroger sur cette notion d'Artifex. Il est tentant de rapporter le terme à la figure de l'Eveillé. C'est ainsi que d'après nous l'a pensé le groupe. L'Artifex suprême, seul capable d'arrêter la roue du temps et de l'illusion. Mais tout symbole est réversible. Loin de la sagesse indienne, dans notre culture occidentale, c'est par ce mot qu'au moment d'expirer Néron se définit. Qualis Artifex Pereo ! s'exclama l'empereur de la toute puissance dissolue avant de sombrer dans le dernier sommeil. Sans doute la musique d'Artifex est-elle actée par cette contradiction qui réunit la recherche de la plénitude du néant avec le vide pascalien des divertissements humains auxquels s'adonna sans ennui l'Imperator Suprême.

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    As I leave : pureté extrême d'un chant féminin qui s'élève tandis que batterie et guitares s'introduisent en catimini par en-dessous. S'emparent petit à petit de tout l'espace phonique, d'abord assez sagement, édifiant comme des fondements de basalte, mais bientôt c'est la cavalcade avec apparition de motifs orientaux suivis d'accélérations constantes. Un druming qui pousse et des guitares qui tirent, atterrissage final en douceur. Dark forest : résolument rock, guitare et batterie qui se relancent sans arrêt, avec ces battements d'ailes spasmodiques qui semblent annoncer une descente mais préfigurent une montée victorieuse. Reprise du leitmotiv oriental en plus rapide, passé à la moulinette d'un rotor d'hélicoptère. Réapparaît à plusieurs moments, qu'il soit égrené lentement ou vaporisé rapidement, il n'est que prélude à de nouveaux galops insatiables. Metastasis : un rythme syncopé de base plus rock, du coup les guitares n'en bourdonnent que plus fort un son davantage saturé, ruptures cymbaliques et réassort sauvage dans les secondes qui suivent. La guitare miaule et déchire le motif initial, nous sommes dans une véritable oeuvre musicale continue, avec ses bruissements telluriques et ses enclumes siegfrédiques. Pahaad Raaja : guitare partout, omni-présente, s'adjuge toute l'ampleur du son, mais la batterie ne lâche pas le combat, reprend le dessus, s'adjuge les meilleurs coups, tout cela se résout par un envol éthéré. Deux géants qui se combattus à mort, leur âme plane sur leur corps mais n'en continuent pas moins à se poursuivre dans les dimensions éthériques. Contemplation : calme et zénitude, l'on croirait entendre des orgues mâtinés de trompes tibétaines, la guitare s'égrène et s'ouvre comme fleur du lotus. Ce n'était qu'une étape, la course insensée reprend et la batterie appuie beaucoup plus rageusement selon un contretemps outrancier, chant des guitares qui jaillit comme flèche sans cible qui n'en finissent plus de parcourir la rotondité parfaite du monde. Hachis de tambour et retour au prologue matutinal. Scenery : excitation de toms et menace de guitares, grand opéra orchestral, exclamations tribales, envolées gitanes, scènes de danse. Fin brutale. Sabhiata : levée d'orages et de tempêtes. Cris de guitares, exaltation de batterie, galops insensés, ballet de feu et gigantesque coups de balais qui relèguent au loin les miasmes putrides des pesanteurs terrestres. Post-Scriptum : matin du monde, chant d'oiseaux et cris inquiets d'animaux, les nuages s'amoncellent, la foudre s'accumulent, et la pluie tombe. Vient-elle pour laver le monde ou l'engloutir ? Les dernières mesures semblent se nuancer d'une grande tristesse. Un accomplissement spirituel n'est-il pas toujours corrodé du souvenir de la précédente incarnation ?

    Une oeuvre à écouter et à réécouter. Finement composée et détentrice d'une savante architecture. Un véritable oratorio. Violence et méditation.

    Damie Chad.

    *

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    Y a des gens qui ont du courage. Ouvrir une librairie dans un village ariégeois relève de l'héroïsme. Oui mais certains ont aussi de l'imagination. Le Relais de Poche sis 2 rue de la République 09 340 Verniolle à Verniolles est aussi une Tartinerie. Avec plusieurs couches de beurres et quelques strates de confitures. Dégustation pour tous les goûts. Des livres – coin enfants, espace polars, présentoir poésie, pool critique politique, étagères d'occasions. Vous n'y trouvez pas toutes les dernières publications. L'on essaie d'y présenter celles qui font sens. Quelques tables pour déguster des produits du terroirs, et une salle de spectacles pour causeries, concerts, discussions... Accueil chaleureux. J'en suis ressorti avec un recueil de Serge Pey et :

    LETAL ROCK

    MAURICE ZYTNICKI

    ( Editions Loubatières / 2010 )

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    N'ai pas choisi au hasard. Rock, nécessairement. Se passe aussi à Toulouse. Où j'ai beaucoup vécu. Un avantage sur la plupart des lecteurs, un nom de rue et je visualise aussitôt. Bien que cela n'aide en rien à la réception de l'intrigue. Donc Rock avec juste ce qu'il faut de drogue et pas mal de sexe. Par contre question rock, serais plutôt enclin à parler de variété. Ou alors vous faites comme Rock & Folk et vous déclarez que Fauve c'est du rock. C'est que Zytnicky nous nique un peu. Difficile de se faire une idée du style du groupe Track Sys. Des jeunes gens modernes, imaginez-les tout de même plus près d'Etienne Daho ou de Taxi Girl que des Stooges. Deux garçons, une fille. Se sont rencontrés au lycée, ont passé leur bac ( d'abord ) et ont décidé de fonder un groupe. Et le succès qui leur tombe dessus. Pas toujours facile à gérer. Argent, dope, dépression. Mais pas la peine d'épiloguer, surtout que les boys ne vont pas tarder à se faire assassiner. C'est ici qu'entre en jeu la police. Que voulez-vous, tout le monde ne la déteste pas puisque le Capitaine Leïla Hilmi est l'héroïne du livre. Quoique Lorraine la rescapée chanteuse du trio en soit la star. Pas de chance pour les rockers elle réoriente sa carrière vers la dance pour midinettes 12-15 ans... Et l'on assiste à l'enquête. Je ne vous donnerai pas le nom de l'assassin. Ni son motif. Cette partie du livre nous éloigne du rock'n'roll. Est plutôt bien traitée, relève davantage de l'analyse psychologique du polar-gore bien crade.

    Un polar qui n'a pas pour but de nous relater le crime parfait, il vaut mieux le lire en tant qu'enquête sociologique sur les métamorphoses et les dérives de la société française. Permissivités, reconnaissance ( à défaut de lutte ) de classes, féminités affirmées, masculinités déglinguées, générations issues de l'immigration, jeunesse déboussolée, attrape-nigauds spirituels, manipulation médiatique des masses... Un potage peu appétissant, mais un constat factuel asse proche de la réalité. Zytnicki est un malin. Ne dénonce pas. Ne critique pas. Montre les contradictions. Un miroir. Chacun s'y reconnaîtra. S'il en a le courage.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 209 = KR'TNT ! 328 : JERRY RAGOVOY / HOWLIN' MACHINES / THE DISTANCE / HEADCHARGER / FRCTRD / ACROSS THE DIVIDE / NAKHT / CLAUDE BOLLING

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 328

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    11 / 05 / 2017

     

    JERRY RAGOVOY

    HOWLIN' MACHINES / THE DISTANCE / HEACHARGER /

    FRCTRD / ACROSS THE DIVIDE / NAKHT

    CLAUDE BOLLING

    Les ragots de Ragovoy

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    Les ragots de Jerry Ragovoy valent leur pesant d’or. Dans son numéro d’avril, Record Collector publie une interview inédite de ce géant du Brill qui eut la chance de travailler avec Bert Berns, en tant que co-auteur et co-producteur. Voilà bien ce qu’il faut appeler un duo de choc. Oui, car avec Jerry et Bert, nous nous trouvons au cœur du mythe de la grande pop américaine, ou pour être plus précis, aux racines du cœur de mythe. Comme le rappelle Al Kooper, Jerry and Bert were known as white kings of soul music. Oui, les rois blancs de la Soul music, ni plus ni moins.

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    Le premier hit qu’ils composent ensemble est le fameux «Cry Baby» popularisé par Garnet Mimms & the Enchanters, un quatuor black new-yorkais. Mais Garnet chante d’une voix trop puissante. On sent en lui le vétéran des gospels choirs, il explore les cimes et redescend avec un timbre terreux de boogaloo qui frise le Howlin’ Wolf. Malgré toute la puissance de ce hit obscur, ça ne pouvait pas marcher. Apparemment, Jerry misait lourd sur Garnet car il enregistra d’autres obscurités frénétiques, comme cet «As Long As I Love You» qu’on trouve sur la belle compile qu’Ace consacre à Jerry. Garnet chante à la poigne de fer, il sort du pur jus de r’n’b new-yorkais des early sixties, on sent une incroyable présence et on se pose la question habituelle : pourquoi diable est-il tombé dans l’oubli ? Son «Thinkin’» relève du pur jus de raw r’n’b, celui que nous affectionnons particulièrement.

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    Bert avait un sens «commercial» beaucoup plus développé que celui de Jerry. Il savait flairer les très gros coups. Il signa Erma, la grande sœur d’Aretha, sur son label Shout et co-écrivit le fameux «Piece Of My Heart» avec Jerry. Ce fut le smash que l’on sait, popularisé plus tard par Janis Joplin, comme chacun sait. Il est important de préciser ici que Janis raffolait des chansons de Jerry. Après «Piece Of My Heart» (qu’on trouve sur Cheap Thrills), elle tapa dans «Try (Just A Little Bit Harder)» pour Kosmic Blues. Jerry fut tellement touché par ces brûlants hommages qu’il composa «I’m Gonna Rock My Way To Heaven» pour elle, mais la pauvre Janis cassa sa pipe avant de pouvoir l’enregistrer. On trouve trois autres hits de Jerry sur Pearl, l’album posthume de Janis : «Cry Baby», «My Baby» et le Tatien «Get It While You Can». C’est dire si Janis avait bon goût !

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    Quand Dan Nooger qui mène l’interview demande à Jerry si Bert n’était pas un peu trop directif en studio, Jerry rigole. Bien sûr que si ! Phil Spector, Shadow Morton, Leiber & Stoller, c’est-à-dire tous le grands producteurs de l’époque, étaient des gens intraitables. Ils donnaient des indications très précises aux interprètes, ils voulaient que les chansons qu’ils avaient composées soient chantées d’une façon extrêmement précise. Ils répétaient énormément avant d’enregistrer. L’interprète n’avait qu’une seule marge de manœuvre, son feeling.
    Howard Tate était aussi l’un des chouchous de Jerry. Ancien collègue de Garnet Mimms dans les Belairs, Howard adorait travailler avec Jerry - We were too good a team - C’est vrai, mais Jerry rappelle aussi qu’Howard était un homme perturbé - a troubled person - Et quand Howard refit surface en 2003 après vingt-sept ans d’absence, qui fut son producteur ? Mais Jerry, bien sûr. Il faut situer le team Ragovoy/Tate au même niveau que le team Bacharach/Warwick, ou encore Berns/Franklin. Voilà ce que les habitués du PMU de la rue Saint-Hilaire appellent des doublets gagnants. Jerry rappelle que l’album Get It While You Can est devenu culte. Il faut entendre l’archange Tate swinguer «You’re Looking Good» d’une voix délicate et partir en piqué vrillé. Tate tâte bien le terrain et des trompettes arrosent ses chutes grandioses. Par contre, il oublie toute forme de sophistication pour chanter «Get It While You Can». Jerry rappelle aussi que tous ces hits étaient enregistrés live, avec l’orchestre au grand complet - no overdubs.

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    Et puis il rend hommage à Lorraine Ellison, qui figure parmi les plus brillantes Soul Sisters d’Amérique. En Europe, on connaît «Stay With Me» grâce à Sharon Tandy, mais la version originale vaut son pesant d’or. Lorraine cœur d’acier percute son hit du petit doigt et l’envoie valdinguer au noooow d’exaction maximaliste. Elle grimpe son can’t believe si haut qu’on le perd de vue. Cette folle atteint les zones érogènes d’un feeling atrocement pur - Remember ! Remember ! - Elle ouh-ouhte sa spectaculaire percée stratosphérique. L’histoire de cette session est assez marrante : un jour, le patron de Warner appelle Jerry et lui demande s’il connaît quelqu’un qui saurait chanter avec un orchestre. Quel orchestre ? Le boss lui explique qu’il a sur les bras un orchestre de 46 personnes payé pour une session de trois jours que vient d’annuler Frank Sinatra. Jerry saute sur l’occasion et dit qu’il connaît quelqu’un. Ça se passe un lundi, et la session débute le mercredi soir. Il contacte Lorraine aussitôt, lui compose un hit vite fait, écrit les arrangements pour les 46 musiciens, deux nuits sans sommeil, et pouf ! C’est «Stay With Me» ! Lorraine chante en direct avec tout l’orchestre ! La version qu’on entend sur le disque est la version stéréo de l’époque, enregistrée en une seule prise, même pas mixée - I didn’t even have to mix - Jerry rend hommage à Phil Ramone, l’ingénieur du son qui enregistra ce monster hit sur un huit pistes. Magie pure de la Soul. Mais il y eut à la suite un léger problème, car de la même manière qu’Aretha, Lorraine refusait de monter dans un avion, pas question de quitter Philadelphie, ce qui coula sa carrière et fâcha Jerry qui voulait faire de la promo. À l’époque, c’était la règle. Pour promouvoir un hit, il fallait tourner.

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    L’un des hits les plus célèbres de Jerry est certainement «Time Is On My Side», popularisé par Irma Thomas, puis les Stones. Jerry l’enregistra en 1963 avec un tromboniste de jazz danois nommé Kai Winding, soutenu par un trio de backing girls de choc : Cissy Houston, Dionne Warwick et sa frangine Dee Dee. Il faut entendre cette énorme version jouée aux trompettes de la renommée et chauffée à blanc par les clameurs des filles devenues folles. Pure démence de la partance ! Irma reprit le hit à Hollywood en 1964 et les Stones un peu plus tard la même année. Tiens justement, puisqu’on parle d’Irma : après le succès de «Time Is On My Side», elle voulut absolument enregistrer une session avec Jerry et vint à New York pour enregistrer quatre titres dont «The Hurt’s All Gone» qu’on trouve sur la compile Ace et qui n’est pas si bon, car elle tente de passer en force. Dommage. Jerry tenta aussi de faire décoller Estelle Brown, l’un des choristes new-yorkaises les plus demandées avec les trois pré-citées et d’autres encore comme Doris Troy et Myrna Smith. Mais son «You Just Get What You Asked For» à la fois captivant, si maladroit et sur-produit refuse de décoller. Estelle voit une girl dans un looking glass who is crying - And this girl is me - On retrouvera Estelle dans les mighty Sweet Inspirations avec Cissy Houston, Sylvia Shemwell et Myrna Smith.
    L’une des grandes révélations de la compile Ace, c’est Pat Thomas qui chante «I Can’t Wait Until I See My Baby’s Face». C’est emmené d’une voix mûre d’Africana à la revoyure, sur fond de groove magique. Jerry crée pour Pat les conditions de l’excellence. Le cut est si bon que Dionne Warwick le reprendra dix ans plus tard sur son album Then Came You, dont la pochette s’orne de son portrait peint. Jerry produisit cet album en 1975, mais il avoue pleurer chaque fois qu’il le réécoute, car il le dit over-orchestrated. Il dit même avoir voulu péter plus haut que son cul - je me prenais pour Burt Bacharach qui, ajoute-t-il, ne sur-produit jamais. Jerry pense que c’est son plus grave échec et confie dans la foulée qu’il aimerait bien pouvoir s’excuser auprès de Dionne. Et pourtant quand on écoute «Move Me No Mountain», on frémit, car Dionne explose ce groove digne de nos rêves les plus humides. C’est atrocement bon. Bizarrement, Then Came You compte parmi les meilleurs albums de Dionne. Jerry pêche sûrement par excès de modestie.

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    On retrouve aussi le fameux «Good Lovin’» des Olympics sur cette belle compile Ace, un hit sixties qui sera popularisé un peu plus tard par les Young Rascals. C’est un pur hit de juke, irréprochable et idéal pour jerker au coin du chrome. L’autre hit universaliste que composa Jerry fut bien sûr «Pata Pata» pour Miriam Makeba. Quand Jerry la reçoit dans son bureau, Miriam lui dit : «What I wanna do Jerry is American ballads !». Wow ! Jerry s’enthousiasme immédiatement. Facile, des American ballads, il en a plein ses tiroirs. Mais comme il est très pro et qu’il ne la connaît pas, il va la voir chanter dans un club et paf, il tombe carrément de sa chaise ! Eh oui, il découvre une reine africaine, un univers musical qui lui est inconnu et qui le fascine. Alors, il laisse tomber les American ballads et demande à Miriam de revenir dans son bureau et de lui chanter des chansons africaines. Miriam est ravie de ce revirement. Elle chante a capella et Jerry l’enregistre. Il écoute la cassette chez lui et Jerry flashe comme un dingue sur «Pata Pata». Il demande à Miriam de l’aider à transcrire le texte en Anglais. «Pata Pata» devient le hit que l’on sait. Miriam chante comme une géante et ne la ramène pas. C’est toute la différence avec Stong. On monte encore d’un cran avec Dusty chérie. Comme Irma, Dusty chérie voulait absolument travailler avec Jerry car il bénéficiait d’une aura de rêve - A r’n’b icon - Pour elle, Jerry co-écrit «What’s It Gonna Be» avec Morty Shuman. Dusty est une bonne, elle ramène là-dedans tout le foncier d’Angleterre et tout le chien de sa chienne - I can’t face it - Encore un pur hit de juke, Jack.

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    Carl Hall est l’autre grande révélation de cette compile. Jerry n’enregistra que quatre singles avec Carl dont l’effarant «What About You». C’est lui la véritable star du Jerry Sound System. Jerry lui fournit le background orchestral de la légende. Carl combine le meilleur groove du monde avec le scream impénitent - What about you mister - Il chante à l’énergétique pur et dur. Tiens, encore un fabuleux coup de Jarnac avec «You Don’t Know Nothing About Love», un softah sirupeux qu’il traite à l’égosillée purulente, il s’y monte impitoyable - One day my friend it’s gonna be your turn - et il développe une fascinante ambiance perfide. Selon, Jerry, Carl Hall est un géant - One of the most mind-blowing vocalists who ever lived - un artiste capable de chanter du gospel, de la Soul et du Broadway, et qu’on retrouve dans les chœurs derrière Bonnie Raitt sur l’album Streetlights.
    Jerry monta son label Rags Records pour promouvoir les disques de Lou Courtney, un mec qu’il aimait bien - I think Lou Courney was a great talent - En effet, quand on écoute «What Do You Want Me To Do», on entend un séducteur croasser dans son micro. Cette fois, Jerry va sur un son plus funky, mais ça reste extrêmement produit. Il connaît bien ses artistes. Il les produit avec les mains d’un cordonnier, comme dirait Léo. Jerry veille aussi sur le destin de Major Harris, un vétéran de la Soul qui fit partie des Delfonics. Avec «Pretty Red Lips», ce bon Major nous croone un groove d’une classe infiniment supérieure, c’est indubitable, et la question de savoir si ce groover est humain ne se pose même pas, puisqu’il groove comme un dieu de l’Olympe. D’où cette réputation non usurpée de divin groover.

    Signé : Cazengler, Jerry rat d’égout

    Roll With The Punches. Interview Jerry Ragovoy par Dan Nooger. Record Collector #465/April 2017
    The Jerry Ragovoy Story. Love Is On My Side 1953-2003. Ace Records 2008

    PETIT-BAIN / PARIS / 04 – 05 – 2017


    HOWLIN' MACHINES / THE DISTANCE
    HEADCHARGER

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    Retour au Petit-Bain. Brrrr ! Le frisson dans le dos quand me revient le froid de loup qui sévissait fin janvier sur Paris, heureusement que Pogo Car Trash Control avait salement relevé la température. Ce soir c'est mieux, seulement la pluie – remarquez de l'eau au Petit-Bain ce n'est pas étonnant – sont sympas nous ouvrent les portes un peu avant l'heure. Pour le voyage pas de problème, la teuf-teuf a tenu la distance en un temps record. A croire qu'ils avaient vidé Champigny de sa population pour nous laisser passer. Bref nous voici au chaud, dans les flancs du navire, le temps de discuter avec un photographe en mission commandé fan de métal à mort.

    HOWLIN' MACHINES

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    Sont trois tout jeunes. N'ont pas de beaucoup dépassé la vingtaine. Basse, guitare et batterie. Et un chanteur. Seulement besoin d'ouvrir la bouche pour que l'on se rende à l'évidence. Une voix. Une vraie. De celles qui s'imposent sans forcer. Noire à souhait. Du moins au début du set trop court. Car elle passera sans effort de la pulsion rhythm 'n' bluesy au phrasé rock'n'rollien avec de temps en temps ce léger décalage qui claque en écho non sans faire penser aux décrochements répétitifs de Robert Plant. Tient entre ses mains une basse Rickenbaker . De Lemmy à Metallica, cette bébête monstrueuse au sustain inimitable, suffit de la mettre au galop pour qu'elle vous garde sans faillir la même allure, pouvez jouer du cimeterre sans souci et éparpiller les têtes sur votre passage en toute tranquillité, genre d'engin de chantier idéal pour un chanteur occupé aux vocales manœuvres. C'est qu'à ses côtés ses deux acolytes ne chôment pas. Tambour battant pour l'un et riff hifi pour l'autre sur les cordes. Les machines hurlantes ne connaissent pas l'immobilité, une fois démarrées rien ne saurait les ralentir. Ne prennent même pas le temps de finir les morceaux. Leur tronçonnent la queue sans préavis d'un coup de hachoir définitif. Un peu comme quand vous terminez votre livre trente pages avant la fin, d'un claquement sec et rédhibitoire, afin de vous emparer au plus vite du tome 2. Sont des adeptes du stoner de Brest, une frégate de soixante canons qui vous court dessus à l'abordage toutes voiles dehors portée par un vent arrière de soixante nœuds. Nous sortent tout de même un blues au milieu de set, The Lies About, mais tellement surchargé d'impédance énergétique qu'il vous roborative les neurones davantage qu'il ne vous éreinte l'âme. Se livrent à une OPA sans défaut sur l'assistance qui se laisse subjuguer et maltraiter avec un plaisir évident.
    Dernier morceau. Les cris de déception fusent. Cette fusée étincelante nous l'aurions bien gardée encore un bon moment. Ils emporteront nos regrets. Une trajectoire éblouissante. Courbe harmonieuse et élégante. Du bas vers le haut. Missile sol-air. Ces jeunes gens sont partis pour atteindre des régions situées dans les stratosphères interdites aux vaches molles du rock'n'roll. Down 'n' Higher proclament-ils, mais définitivement higher.

    THE DISTANCE

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    Se touchent du poing, tous les quatre, tel un rituel vaudique, avant d'égorger le blue red rooster du rock'n'roll. Et tout de suite après c'est la montée en puissance de la fournaise. Le son est là, vous saisit de son ampleur, la lave de Pompéi débordant du cratère assassin et refermant sa gangue mortuaire sur les habitants englués dans un fleuve de feu. Avec un avantage, c'est que vous ne mourrez pas, au contraire c'est une force sonique qui s'insinue en vous, vous porte et vous transcende.
    Trois devant et Hervé tout seul derrière. N'est pas abandonné. Duff lui rend souvent visite, un pied sur l'estrade où repose la batterie. C'est qu'Hervé est attelé à ce que Roger Gilbert Lecomte appelait un horrible travail révélatif. Du tramage forgique de poésie. L'enclume et le marteau. Casser la carapace des rêves pour en extraire l'élixir souverain de la réalité agissante. Œuvre alchimique par excellence. Une large cadence – en ses débuts comme le ressac incessant et millénaire de la mer qui s'écrase sur le rivage – qui peu à peu, insensiblement, s'accélère tout en montant en mouvance sonore. Tout à l'heure finira en fou épileptique, en possédé du démon rythmique, les cent bras de Shiva parcourant les toms sans une seconde d'interruption - un personnage de dessin animé passé à la chaise électrique, vous ne voyez plus, vous n'entendez plus que cette frappe qui passe et repasse, ces bras levés qui s'abattent sans fin, un tambour de machine à laver directement branchée sur une ligne à haute tension - qui tournent et retournent comme les ailes rouges de la guerre des poèmes de Verhaeren.

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    ( Photo : FB : Julien Momusic )


    Et les trois devant qui insidieusement alimentent le foyer. Duff à la base, les cheveux qui coulent sur ses épaules dissimulent son visage, se plante au bord de la scène pour lâcher sur vous les chiens de chasse de ses lignes de basse. N'est plus qu'un émetteur phonique, un dispensateur de noirceur ondulante, qui induit les transes intérieures les plus meurtrières, doit parvenir à certains points d'acmé énergétique indépassables, des chakras d'intensité opératifs, car parfois il se redresse, regarde le public et un rapide sourire énigmatique éclaire ses lèvres.
    Mike est au micro. Utilise sa voix comme un second instrument. Ne domine pas les autres mais la module comme un cinquième élément éthérique dont l'apport se révèle indispensable à la cohésion du groupe. Joue de la guitare. Non pas tout comme Sylvain mais avec Sylvain. Certes ils n'en ont pas une pour deux mais c'est tout comme. Pour sûr il y a des moments où chacun tricote de son côté, mais si j'ose dire cela ne compte pas. Sont comme des jumeaux. Des géants siamois. Plus le set avancera, plus on les verra se rapprocher, corps contre corps, et guitares face à face, emportées dans un tunnel infini d'égrenage grêle de notes fuyantes, l'impression de deux cavaliers galopant de conserve mais perdant leur sang jusqu'à l'évanouissement final, en ces moments la batterie n'en accélère pas moins le tempo, mais moteur coupé, une voiture dévalant un col de montagne sans frein, Duff qui met sa basse en brasse coulée, en apnée, et brutalement alors que l'on croit que le feu va s'éteindre et mourir d'asphyxie l'incendie embrase la forêt, ah ! Ces coups de reins brutaux et fastueux du quatuor qui repart comme un seul homme ! Répétitifs en plus. Car le rock'n'roll est avant tout un art de l'excès, il est strictement recommandé de dépasser la dose prescrite. Et d'en reprendre à foison tout en ayant soin de cambrioler la pharmacie. Pas question de demander poliment et de payer son dû.
    Alors ils nous font la distribution gratuite. Vous en aurez plus que vous ne voulez. Sur les trois derniers morceaux, ils sont devenus fous. Mike et Sylvain ne sont plus que des marionnettes saccadées hantées par de mauvais génies vipérins. Sont cambrés, des automates en délire, opèrent une espèce de parade de paralytiques tétanisés qui marchent en tous sens, la bave du rock'n'roll aux lèvres et leurs guitares atteintes d'une fureur de berserker. Duff ne tarde pas à subir lui aussi les effets de cette transe hypnotique et tous trois se croisent comme des trains fantômes échappés de leur rail. Exultation dans la salle. Sylvain projette sa guitare sur le sol – la fureur de la destruction n'est que l'autre versant de la démesure des dieux - et sur une dernière razzia drumique le combat cessa faute de combattants. Pas de rappel. C'est la stricte application de la réglementation de la salle. Les lumières se rallument. Les meilleures choses ont une fin. Même les sets de The Distance.

    HEACHARGER

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    Distribué à l'entrée du concert, Flyer-Zine Musikoeye N° 33, papier glacé, quatre pages, révélant interview sur l'enregistrement d'Hexagram, leur sixième album, et les voici maintenant sur scène. Sûrs d'eux, l'on sent les vieux routiers rompus – formés en 2004 – qui ne s'en laissent pas compter et qui escomptent bien satisfaire le public manifestement acquis à l'avance. Nous livrent un show impeccable, millimétré, j'aurais toutefois aimé que fût un tantinet plus forte la tonalité du micro sur lequel Sébastien Pierre bondit alors qu'un mur de guitares déferle sur nous. Ne s'économise pas, agite sa grande silhouette dans tous les sens, visière de casquette en avant et bras sémaphoriques qui moulinent l'espace.
    Headcharger charge, un régiment de blindés qui écrase tout sur son passage, juste le temps de ré-accorder entre deux morceaux, l'offensive ne s'arrête jamais. David Rocka et Antony Josse sont aux guitares, ne laissent subsister aucun interstice sonique, aucun répit, aucun essoufflement, aucune fêlure, au taquet, toujours là au moment où il faut y être, les doigts qui filent et l'attitude attendue. Cheveux hirsutes, barbes et visages dégoulinent de sueur, ils donnent plus qu'ils ne prennent. Amassent et dispensent le son, mais c'est Sébastien qui établit la communication avec le public qui s'agite à sa demande, manifestement ravi de s'entrechoquer même si l'étroitesse du lieu canalise quelque peu son exubérance.
    Les guitares filent loin devant, et à la batterie Rudy Lecocq pousse tout près derrière, ne nous dispense pas de simples rudiments, les coups pleuvent sur ses peaux comme giboulées de Mars et grésils de tempête, heavy-stoner-sound, tambours de sable et ronds de feu. Un son qui cherche le point de fuite mais ne s'y engouffre pas sans emmener tout l'orchestre avec lui. Pas question de batifoler en chemin pour compter les pétales des coquelicots, l'on attrape le loup par la queue et on ne le lâche pas d'une seconde. Romain Neveu à la basse doit avoir un sacré boulot, n'aimerais pas être à sa place, c'est à lui qu'échoit le sale boulot, de maintenir la cohérence du groupe et de l'empêcher d'éclater en mille directions et de se disjoindre dans une course éperdue.

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    Headcharger garde le contrôle, de Land of Sunshine qui ouvre le set à Wanna Dance qui le clôt, ils vous tondent la pelouse sans jamais oublier le moindre brin d'herbe, tout en préservant les fragiles corolles des pâquerettes, déboulent sans frémir au cœur de taillis de ronces à la All Night Long ou à la Dirty Like Your Memorie et vous en ressortent sans une égratignure. Vous déchiquettent bien de leurs lames acérées quelques grasses couleuvres alanguies qui dormaient dans les hautes herbes mais personne ne s'en inquiète. Surtout pas le public si j'en crois les regards extatiques de mes voisines qui ne quittent pas des yeux les garçons sauvages magnifiés en pose héroïques de guitar-héros, jambes écartés, corps penchés en avant, statures iconiques du rock'n'roll.
    Une heure, pendule accrochée au mur faisant fois de l'exactitude de ce décompte temporel, l'on ne sait trop pourquoi, tout s'arrête, n'est même pas onze heures, faut pourtant boire le fameux bouillon, qui coupe court à toutes les effulgences de la vie. Headcharger quitte la scène sans rémission. De la belle ouvrage.

    RETOUR


    La teuf-teuf trottine, de vastes pensées s'amassent sous mon front, une découverte : Howlin'Machines, une tuerie : The Distance, et Headcharger de bons combattants mais perso leur trouve un petit côté un peu trop chevalier blanc sans peur ni reproche. Gimme Danger comme dit Iggy. L'auto-radio se bloque sur Ouï FM et diffuse les douces romances de Bring The Noise, arrivé à Provins – hertzienne zone maudite - les ondes décrochent. Tant pis, j'ai eu le temps d'entendre Paroles M'assomment de Pogo Car Crash Control. La boucle est bouclée.


    Damie Chad.

    06 / 05 / 2017 / LE MEE-SUR-SEINE
    LE CHAUDRON


    RELEASE PARTY NEW EP CHAKRA
    NAKHT
    FRCTRD / ACROSS THE DIVIDE

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    Savigny-le-Temple. La teuf-teuf longe l'Empreinte. Etrange, parvis désert à quinze minutes de l'ouverture officielle des portes. Y aurait-il un lézard dans l'horloge ou un homard dans la cuvette WC ? Nécessité absolue d'improviser et d'appliquer un plan B. Inutile de me reprocher d'avoir mal lu le flyer. A vue de nez, Le Mée-sur-Seine n'est pas loin. Essayons Le Chaudron. Presto & bingo ! N'ont même pas commencé. Ça papote à loisir devant l'ustensile à popote.

    FRCTRD


    Noir. Lumière infranchissable pourriture disait Joë Bousquet. FRCTRD va s'adonner à son jeu favori de dissociation de nos photons mentaux. Sample d'entrée, et dès les primes notes ils vous présentent la fracture avec la TVA adjacente du Tout Voulu Atomisé. Musique brutale, happée par elle-même, qui à chaque pas en avant s'écroule dans la fosse commune des pseudo-illusions qu'elle n'arrête pas de creuser. Une tranchée rectiligne qui s'engouffre dans la brisure de sa propre rectitude.

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    Cinq guerriers du néant illuminatif. Anneaux de caraque aux oreilles, zigomatiques saillants, et une voix d'onagre en rut, Vincent Hanulak annule tout, cavale crache et cravache le carnage du grain moulu de sa voix. Remarquez que derrière sa guitare d'une sombreur luisante de lampadophobe, avec ses yeux de braise et sa barbe de prédicateur fou d'évangéliste atterré, Filip Stanic n'a rien à lui à envier...

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    ( Photos : FB : Mlle Lazurite )

    Impossible d'apercevoir le visage interdit de Clément Treligieuse, le dissimule avec une obstination derrière le rideau d'une blonde touffeur, à croire qu'il s'agit d'une attentatoire terreur religieuse qui lui interdit de quitter l'absence de toute présence, Maxime Rodrigues penché sur sa basse, une patience d'insecte, de ceux qui savent que leur race immonde finira par supplanter l'espèce humaine, et Gregory Louzon concentré sur ses fûts à la recherche de l'impossible formule de la dilution finale.
    Tout juste quelques titres. Une poignée de grenades entrouvertes jetées à la face de l'intermittence du monde. Mais assez pour signifier le clignotement du néant dévorateur que tout un chacun feint de ne pas apercevoir. Par sa musique, épurée jusqu'à l'os, qui se dévore elle-même, qui se phagocyte de sa propre viduité, FRCTRD vous plonge le nez dans la vacuité absolue de votre existence, ce filet entrecroisé de cordes emmêlées, ce réseau arachnéen de toutes vos fragilités qu'un coup de vent glacial projettera un jour ou l'autre au fond du gouffre.
    L'on ne peut exprimer le silence que par des bruits implosifs nous rappelle FRCTRD, des pétarades mouillées, des eaux suintantes de la morbidité malfaisante de nos petitesses humaines. Des hachis de guitare et des purées parmentières de batterie qui crapaude en batracien que l'on fait fumer et qui explose en nuage artificiel de fumée létale. Le combo ne nous ménage pas, fait le ménage, passe le délabré plumeau poesque aux plumes de corbeau plutonien sur la toile de nos démissionnaires exigences.
    Un set magnifique. D'amer constat des dégâts occasionnés par l'erreur de vivre. Musique métaphysique. Fractured but no captured.

    ACROSS THE DIVIDE


    Encore des partisans cumulatifs des fissions nucléatiques. Musique à trous taillés à pic dans l'intumescence lyrique des samples omniprésents. Across the Divide découpe au plus court. Sont les adeptes de la fragmentation fractale. Un riff ne saurait aller plus loin que lui-même. Même répété, compressé coup sur coup une dizaine de fois, asséné comme des fureurs de fouets, cinglé comme comme des salves de sangles sur les épaules d'un supplicié, très vite tout se déstructure. Effondrement final. La musique d'Acroos The Divide est une suite dramatique interrompue de points de suspension. Mais le silence ne s'intercale pas entre les abruptifs sonores. Sont remplis par les grandes orgues des samples de toute pompeuse noirceur, un peu comme ces musiques d'enterrement que l'on passe pour cacher en vain le gouffre vital enfermé dans le tabernacle du cercueil.

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    Axel Biodore est à la guitare. Un beau jeu mais pas du tout bio. Martyrise ses cordes à la manière de ces épandages d'insecticides meurtriers qui vous pulvérisent la végétation en quinze secondes et vous provoquent des mues géantes chez les coléoptères venimeux dispensateur de pustules purulentes. Alexandre Lhéritier n'en a guère besoin, sa voix d'écorcheur de chats faméliques se suffit elle-même, vous agonise de ces chuintements boueux de lamentin échoué, pourtant Axel ne peut résister à agrémenter les reptations gosierâles de son chanteur d'une espèce de beuglement caverneux qui diffracte encore plus cette sensation de vertigineux malaise qui s'exsude des découpes rampantes opérées par Maxime Weber sur ses cymbales atonisées.

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    Parfois Jonathan Lefeuvre aussitôt imité par Axel, arrête de jouer de sa guitare, vous donnent l'impression de chuinter les interstices qui séparent les cordes, de glisser leurs doigts comme des chirurgiens qui hantent de leurs assassines phalanges les entrailles d'un patient opéré à vif sans anesthésie, et la basse de Régis Sainte Rose adopte alors la douceur funèbre d'une rapsodie maladive. Et tout cela vole aussitôt en éclats, en tôles de coques d'obus dispersées au moment le plus meurtrier de son impact.

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    ( Photos : FB : Mlle Lazurite )


    Auront droit au set le plus long. Se livreront à un concassage sonique méthodiquement chaotique, l'on sent qu'ils cherchent la fissure ultime, leur musique achoppe la réalité du monde tel un trépan mû par un infatigable et monstrueux balancier qui cherche à s'immiscer dans la matière la plus noire de l'univers.

    NAKHT

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    Les rois de la fête mortelle. Qui pousseront l'élégance jusqu'à se contenter d'un set à notre goût un peu trop court. Nous savons bien qu'indénombrables sont les anneaux d'Apophis, L'assistance aurait bien voulu que l'on en déroulât trois ou quatre de plus...
    Lourdeurs sonores. Trois projecteurs tournoient leurs trois pinceaux de lumière blanche qui n'ont d'autre but que d'aviver la pénombre. Chacun des musiciens, encore invisibles, regagne sa place. L'on entend Danny Louzon qui depuis les coulisses poussent un hurlement rauque de bête traquée. Embrasement de lueurs d'hémoglobine, son sursaturé des guitares qui déchirent les tympans, les têtes des guerriers guitaristes tournent sans fin telles des ailes de libellules rilkéennes folles tandis qu'à la batterie Damien Homet broie le noir des espérances diluées.

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    Danny, déjà si grand, se juche sur le piédestal de fer central, sa tête touche presque les tubulures centrales qui soutiennent les projecteurs, se courbe, s'incline vers nous, brasse l'air de ses bras comme s'il nous faisait signe de s'approcher pour mieux entendre les grognements caverneux qui émanent des profondeurs de ses poumons. Gestes impérieux et déluge sonore. Ronde des guitares qui changent de place, marche des ombres, le temps de recevoir la commotion en pleine figure que Danny nous prédit Our Destiny qui se s'annonce que sous les pires auspices du bruit et de la fureur, faut le voir saisir son micro à deux mains, ponctuer d'un bras impérieux les segments monstrueux de la prophétie, tandis qu'aux guitares, Alexis Marquet et Christopher Maigret sabotent les règles de la sainte harmonie de leur kaotiques giclées cordiques, Clément Bogaert reste perdu dans la transe enivrée d'une danse barbare inachevable. La musique gronde et emplit l'univers pour fêter le réveil d'Apophis le maudit. La musique de Nakht prolifère comme l'infinie reproduction protozoairique de brontosaures géants qui accoupleraient leurs fétides corpulences en des noces de tonnerre et de foudre, sans cesser de piétiner les géantes forêts ante-préhistoriales... La scène est déchirée d'éclairs de lumières blanches plus pâles que des aubes blafardes de fin du monde sur choral de requiems noirs engoncés dans une pachydermique rythmique, une espèce d'halètements syncopés dont on ne perçoit que les brisures mais pas le souffle nauséabond qui pourtant pulvérise les rochers. Béance mortifère, symbolisée par le falzar noir de Danny aux deux jambes soigneusement lacérées d'une large entaille dont on voit s'ouvrir et se refermer les lèvres mouvantes, jumelles bouches muettes d'une pythie delphique qui révèlerait par ce bâillement de batracien inaudible les ultimes malédictions de la future désintégration de la race humaine. Grouillements d'égosillements, martelages titanesques, points d'ogres en ouverture de précipitations nocturnes, Nakht bouscule les montagnes et patauge dans les failles océaniques. Les cités flambent sous les pas des conquérants et la musique brûle, Nakht est un dragon engendré par nos phantasmes les plus masochistes qui n'ayant plus rien à dire finit par s'incendier lui-même pour ne pas être victime de la froideur impie du silence qui corrompt et gangrène l'univers.

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    ( Photos : FB : Antoine Sarda )

    Grondements antédiluviens pour conjurer nos faiblesses. Nakht dépose la rosée mortifère de sa musique comme un feu atomique, il est la nacre préservatrice qui se forme à la surface des roches et le chancre purpural de nos âmes. Cette ambroisie mortelle détient le secret de l'immortalité. C'est pour cela que nous l'écoutons. Epoustouflant.

    RETOUR


    Après une telle soirée il est difficile de rejoindre le monde vide de nos contemporains. Trois groupes réunis en une seule unité tonale. Toutefois distincts et dissemblables. Nakht a méchamment réussi sa Realease Party. Nakht a rouvert nos chakras encrassés. Evidemment si vous n'aimez pas, vous pouvez vous inscrire à un centre de méditation zen. Ce serait même préférable pour vos fragilités. Ce qui vous tue ne vous rend pas plus fort.


    Damie Chad.

    CHAKRA / NAKHT

    INTRO / WALKING SHADES / THE MESSENGERS / HALL OF DESIRE / LXXVII / MIND'S JAIL /

    DANNY LOUZON : vocal / DAMIEN HOMET : drums / Clément BOGAERT : bass / ALEXIS MARQUES : guitar / CHRISTOPHER MAIGRET : guitar.

    On avait beaucoup aimé la brutalité d'Artefact le premier EP de Nakht, autant dire que l'on attendait le deuxième avec intérêt.

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    Intro : grondements annonciateurs de fureur, chants védiques venus d'ailleurs, des gouttes d'eau lourde clapotent, des serpents venimeux rampent dans les canalisations. Frottent leur ventres écailleux sur le plomb saturnien. Arrosages dulcimériques et cymbales qui s'affaissent. Walking Shades : sons sursaturés, instrumentaux phrasés cithariques, la voix de Danny qui s'amplifie et domine le tout, une radio mal réglée qui diffuse des guitares d'orage et la batterie qui compresse les tympans des temples détruits. The Messengers : générique musical, guitares grondantes presque sixties entremêlées de mélopées orientalisantes, oasis d'optimisme vite balayée par le vent froid et mordant des nappées nakhtiques, et le grondement rhinocérique de Danny qui bouscule les palmiers du désir, grandiloquences orchestratives et Danny qui hache le persil des illusions d'un timbre implacable. Les Messengers ne semblent pas apporter de bonnes nouvelles, malgré la danse des guitares à laquelle se mêlent les soubassements saccadés d'une batterie embrochée. Lyrisme concassé. Très fort. Parviennent à rendre le rut de l'inaudible audible. Apophys : poussée de batterie. Corruption de guitares et montée in abrupto de tout l'ensemble, des cordes qui sonnent comme les trompettes du jugement dernier, Danny semble en bégayer comme s'il avait trop de sons à déglutir, Nakht écrase tout. Le serpent Apophys gît désormais dans votre hypophyse. Hall of Desire : des notes de piano trop fortes pour être vraies, reviendront de temps en temps comme des ponctuations ensoleillées pour mieux approfondir le noir de la nuit définitive, les guitares barrissent, la batterie se trémousse en une indécente orgie sonore, et Danny rajoute du gros sel sur les blessures comme l'on passe un rouleau compresseur sur des cadavres putréfiés. Délirium trémens instrumental final. LXXVII : le vent se lève sur les sables du désert et balaie les bribes de votre entendement. Ritournelle du pire annoncé. Mind's Jail : trop tard, vous n'échapperez au courroux des Dieux qui s'offrent une fricassée de cervelles humaines pendant que Cléopâtre essaie de charmer les aspics de la mort afin que leur venin soit encore plus efficace. Elle y réussit parfaitement. Nakht vous assassine à coups de marteaux. Dites merci. Vous n'en avez jamais espéré autant.

    Nakht a réussi l'impossible : se métamorphoser sans se trahir. Changer pour accentuer son idiosyncrasie primale. Continuer sur sa lancée sans se répéter. Se renouveler sans se trahir. Être encore plus violent. Plus insidieux. Le scorpion maléfique à deux dards. Le cobra à deux têtes qui rampe sur le dos. L'horreur cent noms.
    Une démarche qui n'est pas sans rappeler celle du Zeppelin qui cherchait du nouveau dans les sonorités de l'Orient, mais ici il s'agit d'une autre filiation, d'une autre djentry, davantage métallique. Se tiennent du côté obscur de la force. Foudroyant.


    Damie Chad.

    MIND'S JAIL / NAKHT
    ( vidéoclip réalisé par : )

    ALEK GARBOWSKI / YANN GUENOT
    PICTURES & NOISED ABROAD PRODUCTION

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    Figure imposée, combo métal dans un studio, filmez et servez brûlant. Des vidéos de cet acabit l'en existe des milliers, la difficulté consiste à sortir du lot. Sûr qu'il vaut mieux partir avec un groupe et un morceau qui percutent les oreilles, mais une fois ce premier obstacle franchi, faut mettre en scène, intuiter la chorégraphie, et diriger la valse des séquences. En plus, il y a une petite clause, non écrite, en bas du cahier des charges que chaque réalisateur porte en sa tête, éviter à tout prix le piège de l'illustration musicale, fuir comme la peste les images redondantes, la paraphrase cinématographique qui ne sera qu'une redite sans intérêt. Construire un scénario graphique, qui apporte un sens, qui donne davantage de force et d'expressivité à la musique, tel est le but.
    Plongée dans le sombre bleutée d'une nuit spectrale. D'incertaines silhouettes se dessinent dans le vide. Que votre oeil soit aussi rapide que la flèche qui court vers la cible dans les éclats d'un soleil noir. Travelling sur Danny, pose de taureau, corps courbé vers le sol, vous vomit littéralement le chant dessus, entrecoupé des images virevoltantes de la chevelure blonde que Clément agite en tous sens comme s'il exhibait à la terre entière son propre scalp. Des fragments de guitaristes tournoient dans les images. A chaque fois plan serré, corps à corps des représentations avec leurs propres négations, ne jamais montrer l'intégralité d'une attitude, seulement en exposer des nano-secondes de tronçons iconiques, apparition-disparition, la caméra ne se fixe pas, elle enregistre des pièces d'un puzzle qui vous sont présentés une à une mais en un tel écartèlement d'espaces temporels si brefs qu'il vous est impossible d'en reconstituer une image mentale satisfaisante, happé que vous êtes par ce morcellement incessant. La batterie fracassée, pourtant dominée par le grondement de la voix de Danny, un grognement de bête empêtrée dans un combat mortel. Nous conte en d'affreux borborygmes les images cachées dans les tanières de l'inconscient humain. Visions d'horreurs sans nom et de désirs sans frein libérés de leurs gouffres qui remontent comme du fond des mers intérieures, de grosses bulles de suint qui éclatent à la surface et nous éclaboussent de leurs viscosités gluantes. Avec cette apparition d'une silhouette féminine qui s'en vient au travers des champs d'angoisse de la folie. Crispation de flashs fugitifs. Rencontre finale. La parole se fait chair et se retrouve en face de son cauchemar. Rêve et ramdam reconstitués. Androgynie du son et de l'image.
    Magnifique. Original. Figure imposée renouvelée. Réussite totale due à Alek Garbowski et Yann Guenot.

    Damie Chad.


    BOLLING STORY


    CLAUDE BOLLING 
    + JEAN-PIERRE DAUBRESSE

    Ce n'est pas que j'apprécie Claude Bolling, et j'avoue même que je me suis pas mal ennuyé durant au moins les trois-quarts du bouquin que je ne vous conseille pas de lire. A moins que vous ne soyez comme moi, turlupiné par une insidieuse question. Et je dois avouer que je n'ai pas trouvé la réponse dans ces trois-cents vingt pages – réjouissons-nous, près de soixante sont dévolues à la discographie de notre impétrant – et que je n'en suis pas plus avancé... Mais peut-être vaut-il mieux commencer par les faits eux-mêmes. D'autant plus que ceux-ci sont nombreux. Bolling se raconte, dans un ordre à peu près chronologique, l'on sent que le rôle de Jean-Pierre Daubresse a dû se réduire à celui de poseur de questions et vraisemblablement de transcripteur d'entretiens oraux. Un genre d'exercice peu propice à la réflexion, qui privilégie les dates, les anecdotes et les circonstances et qui se refuse à toute introspection historiale.

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    Bolling est né en 1930, suis surpris par le fait que ce patronyme n'est en rien un pseudonyme, son père était un véritable américain dont sa mère divorça relativement vite. Pas un drame. Nous sommes en milieu aisé et Claude aura droit à une enfance choyée et protégée. Entre Paris et la Côte d'Azur. Dessin et aquarelle seront ses premiers hobbies mais il se met comme les jeunes filles de bonne famille au piano, dans lequel il se révèle très vite assez doué. Evoluera de piano en piano, de professeur en professeur, apprendra à déchiffrer, à lire et à écrire la musique. L'on est chez des gens sérieux, pas question de se contenter d'une éducation à l'oreille, travaillera ses partitions de Debussy comme tout élève bien élevé qui se respecte. N'empêche qu'il n'est pas sourd, et qu'il laisse entrer dans ses pavillons largement ouverts les bruits musicaux qui traînent aux terrasses des cafés et à la radio. Le jazz est là, s'insinue en lui en contre-bande et finira par être élu roi... Il a tout juste douze ans lorsque son oncle lui refile un disque de Fats Waller. Illumination ! Il existe donc une autre manière de jouer du piano que l'académique !
    C'est ici que les questions me poussent dans le cerveau comme des bubons dans le pli de l'aine des pestiférés. Voici une génération favorisée des dieux. Ce n'est pas la première qui arrive dans le monde du jazz. Il existe déjà dans notre pays un milieu jazz non négligeable, l'a débarqué chez nous dans les fourgons de l'armée américaine en 1917, le Hot Club de France naît en 1932 et bientôt apparaît Django Reinhardt un musicien exceptionnel de classe internationale, un deuxième étage de la fusée américaine sera mis à feu avec la libération de Paris en 1944, le jazz est étiqueté musique de la liberté retrouvée...
    Mais ce n'est pas tout. Se produit un miracle auquel le rock'n'roll national n'a pas eu droit. Les musiciens noirs débarquent à Paris. Des mythes vivants, l'occasion de les voir, de les entendre, de les écouter. Mieux, de les approcher, de discuter avec eux, de jouer avec eux... et beaucoup plus si affinités qui s'établissent rapidement. Faut lire le récit de la rencontre avec Earl Hines au cours de laquelle le pianiste lui apprend tous ses trucs et la manière d'étirer ses doigts sur l'empan du clavier alors que l'on possède de petites mains. Mais il y aura plus, Bolling entretiendra une véritable amitié avec Duke Ellington in person et même Louis Armstrong. Le Duke l'invite sur scène à ses côtés et se sert de son savoir musical pour la transcription de nouveaux arrangements. Dans le même ordre d'idée l'on pensera à Sidney Bechet s'adjoignant l'orchestre de Claude Luter...
    Certes l'on me rétorquera que faute de grives l'on se contente de merles ( en l'occurrence ici blancs )... Ou alors on insistera sur le ravissement de ces musiciens noirs considérés et fêtés en France comme des génies, une attitude qui devait les changer des continuelles rebuffades subies en leur pays. Là n'est pas mon propos. Lorsque l'on regarde la suite de la carrière de Claude Bolling, l'on reste surpris. On s'imagine que boosté par une telle reconnaissance de figures mythiques du jazz, notre héros allait se propulser en une démarche musicale de haut niveau. Or il n'en fut rien. Ses activités se déployèrent selon deux directions, rémunératrice pour la première et fort honorifiquement agréable pour la deuxième. Bolling écrivit près de quatre-vingt musiques de film, de quoi faire bouillir la marmite, l'est particulièrement fier de Borsalino, cela se peut comprendre. Mais il possède aussi son grand orchestre. L'occasion de donner de multiples concerts en France et dans le monde entier. Et Bolling tout en portant l'accent sur ses talents de compositeur et d'arrangeur de haut-niveau, de son éclectisme qui court de la musique classique à la variétoche la plus franchouillarde, en passant par le jazz le plus pur, tire sur la grosse ficelle du respect que l'on se doit de porter à la musique populaire... Sa contribution jazzistique se réduit à des adaptations grand-public des grandes figures tutélaires du jazz, quand il les aura toutes passées en revue il s'attaquera aux sous-genres ragtime, boogie-woogie, blues...
    Une clef peut-être pour comprendre un tel cheminement. Se livre davantage dans les quinze dernières pages, d'abord sa passion pour le modélisme ferroviaire, et nous sert enfin sa vision du jazz. N'est guère éloigné de la rétrograde position d'Hugues Panassié resté bloqué et crispé en une attitude des plus puristes sur le New Orleans, Bolling regrette que cette musique de danse se soit fourvoyée à partir de la naissance du Bebop dans l'intellectualisme... Le livre s'arrête brutalement sur l'évocation de sa prescience écologique... Très symptomatique de ces gens qui courent après l'histoire et qui restent enfermés dans le bon temps de leur jeunesse. Par contre son témoignage sur le recul de la musique vivante nous agrée, il évoque avec regret cette lointaine époque où la duplication sonore était interdite en tous lieux publics, sur les plateaux radio et à la télévision, cette loi que l'on pourrait juger de draconienne avait pour corollaire la multiplication des formations de tous genres...
    Le livre est entrecoupé de témoignages de divers compagnons de route de Claude Bolling comme Jean-Christophe Averty ou Jacques Deray, la plupart d'entre eux sonnent un peu nostalgeo-ringards, difficile d'avoir été et de n'être plus, le temps dévore tout, l'oubli triomphe des gloires passées, l'acrimonie de la célébrité enfuie ronge les caractères...
    Enfin les rockers seront heureux de savoir que Claude Bolling évite soigneusement de prononcer le mot rock'n'roll, ne le lâche que par trois fois du bout des lèvres, parce que les situations rapportées l'obligent, mais l'on sent le mépris sous-jacent sous l'ignorance affectée.


    Damie Chad.

     

     

  • CHRONIQUE DE POURPRE N° 201 : GALILEO 7 / WASTELAND / NAKHT / ACROSS THE DIVIDE / GUITAR ROCK + TONY MARLOW / PIONNIERS DU ROCK + MICHEL ROSE

     

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 320

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    16 / 03 / 2017

    PROBLEME !

    AVIS AU LECTEUR

     HAUTETFORT NOTRE HEBERGEUR NOUS A SIGNALE QUE L'ESPACE QU'IL NOUS AVAIT IMPARTI ARRIVE A SON TERME.

    KR'TNT ! A ACCEPTE L'HOSPITALITE DU BLOGUE CHRONIQUES DE POURPRE  CONSACRE A L'ANTIQUITE GRECO-ROMAINE ET A LA LITTERATURE ROMANTIQUE.

    CETTE SOLUTION DE REPLI NE SAURAIT ÊTRE QUE TEMPORAIRE.

    PAR CHANCE NOUS AVIONS ENTREPRIS DE CONSTRUIRE UN NOUVEAU SITE. DES QUE CELUI-CI SERA TERMINE NOUS OPERERONS LE TRANSFERT.

     

    GALILEO 7

    WASTELAND / NAKHT / ACROSS THE DIVIDE

    / GUITAR ROCK + TONY MARLOW /

    PIONNIERS DU ROCK + MICHEL ROSE


    Et pourtant elle tourne

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    En dépit des apparences, Galileo 7 ne doit rien à Galilée. Comme le précisait Allan Crockford après le concert, le Galileo 7 est un vaisseau spatial qui sort d’un film de science fiction bien connu, le fameux Star Treck. Par contre, Allan Crockford ne sort pas d’un film de science fiction mais de la légende du rock anglais des années quatre-vingt et plus précisément des Prisoners. Ces derniers temps, on le vit en France avec les Primes Movers à la Boule Noire, puis avec Graham Day & the Forefathers au Cosmic. Il jouait chaque fois en trio avec Graham Day et Wolf derrière au beurre.

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    Galileo 7 est donc ce qu’on appelle dans le jargon des Argonautes un side-project. Et quel project ! On ne se méfie pas et pouf, on tombe sur le pot-aux-roses. On savait Allan Crockford extrêmement doué, mais pas à ce point. Comme son vieux complice Graham Day, Allan Crockford travaille sa Mod pop au corps, dans un jaillissement continu d’effluves de freakout sixties et d’early Floyd.

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    C’est d’autant plus spectaculaire que le petit batteur (Mole) fait son Keith Moon, c’est-à-dire qu’il dynamite le son, même lorsqu’on ne lui demande rien. Et donc, quand on voit jouer ce quatuor, on a parfois l’impression d’entendre les Who qui accompagneraient Syd Barrett. Ces noms-là n’arrivent pas non plus par hasard, Balthazar, puisque questionné sur ses influences, Allan répond : «Oh, the ‘Hooooo and Syd Barrett !»

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    C’est vrai qu’en matière de pop psyché anglaise, on n’a jamais fait mieux. Allan rappelle aussi que les Prisoners furent les seuls dans les années quatre-vingt à défendre l’idée d’une vraie pop anglaise héritée des sixties. Tant et si bien que ce groupe est devenu culte, et c’est bien là le problème. Le culte ne nourrit pas son homme, tout le monde le sait, à commencer par les premiers concernés. Et on se retrouve une fois de plus confronté à un phénomène paranormal : voilà un groupe de très gros calibre qui joue dans un bar pour environ trente personnes.

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    Et quel set ! Explosif de bout en bout, dynamique en diable, poppy comme un étalon sauvage psychédélique et petite cerise sur le gâteau, ils sont d’une prestance indécente. Allan gratte rageusement sa Rickenbacker et comme Graham, il travaille ses compos au corps, il pousse tout dans les retranchements du Chocolate Soup For Diabetics, il rue dans le rumble de Rubble, on assiste à un festin de freakbeat et derrière, le Moon du jour n’en finit plus de saccager le beat à tours de bras, il pétarade à bras raccourcis, il télescope ses relances et badaboume le beat dans les orties, ce dingue joue sec et donne le vertige, on ne sait plus s’il tient du psychopathe ou du drummer de rêve, mais il fait exactement ce que Keith Moon fit au temps béni des early ‘Hooooo : il joue quasiment en solo. Depuis Toru, le batteur fou de Guitar Wolf, on n’avait pas revu un tel phénomène de foire. Comme Allan apprécie l’ambiance, il fait plusieurs cuts en rappel dont une version admirable de «Him Or Me» de Paul Revere & the Raiders, jadis magnifiée par les Groovies, mais aussi par le Wedding Present.

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    Allan est un personnage d’une extrême gentillesse. Quand on évoque le concert du Cosmic avec les Forefathers, il se souvient que le son était catastrophique et donc il préfère les endroits plus petits. On sent en lui le vétéran de toutes les guerres, mais pas la moindre trace d’amertume. Le son de ses albums est à son image : tourné vers l’avenir et lumineux.

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    Commencez par écouter Staring At The Sound, et vous serez surpris par la qualité des cuts et l’ampleur du son. Dès «Anna Hedonna», on se croit sur The Piper At The Gates Of Town, on retrouve les mêmes dynamiques et les mêmes effets psychédéliques. Et pour corser l’affaire, Allan charge son chant d’accents qui frisent le cockney. Bienvenue au royaume enchanté de la pop anglaise ! Avec «The Man Who Wasn’t There», on passe au pur freakout barrettien et Mole bat ça si sec ! Quant à Viv Bonsels, eh bien elle joue des nappes d’orgue si belles qu’elles semblent encore enrichir l’ampleur de cette fantastique ardeur. Et quand on tombe sur «Paradise», on croit vraiment entendre Syd Barrett. Ils démarrent la B avec le morceau titre, un chef-d’œuvre de psychedelia à la sauce Crockford, il emmène ça au la-la, la-la-la et ça atteint vite l’effervescence de la fascinance. Ils sonnent beaucoup plus américains sur «Not Gonna Miss You» et ça tourne à la mad psychedelia grâce à de faux accents des Byrds et une bassline prolifique en filigrane. Encore plus éclatant, voilà «Don’t Fly Too High», gorgé de véracité psychédélique. Allan Crockford passe un solo de foogy motion indécent de qualité. Voilà encore un classique digne de l’âge d’or. Ils bouclent avec l’excellent «Ella», bouquet d’échos de Bowie et d’Easybeats. Flamboyant !

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    Un cosmonaute se balade sur la pochette de False Memory Lane. Si on commence par la fin, on tombe sur une belle énormité intitulée «Little By Little», un groove furieux solidement harnaché, baveux de son, une véritable révélation. Allan chante ça sous le boisseau, la basse éclate les cartilages et ça avance dans la nuit noire comme une menace. Voilà encore un album bourré de belle pop noueuse. Rien ne vaut les vétérans de toutes les guerres. Ils savent donner de la voix et du son. On se régalera de «My Cover Is Blown», belle pièce de pop déliée et surchargée de chœurs, bien enracinée dans les sixties, avec des accents chantants à la Dave Dee Dozy Bicky Mitch and Titch. Allez, tiens, encore une merveille mirobolante avec le morceau titre qu’Allan chante au sucré des sixties pour mieux nous enchanter, et il enchaîne avec une pièce de psyché délicat intitulée «Nobody Told You». Il recourt aux pah pah pah d’antan et nous voilà tous en chemises à fleurs en train de jerker dans les stroboscopes du Palladium. Il finit l’A en colère avec «Don’t Know What I’m Waiting For». Ça sonne comme une charge de cavalerie qui enfonce les lignes ennemies. Les Popsters sont de retour, back to the sugar lump, baby, la pop sous speed. On s’en doute, le festin se poursuit en B avec l’effarant «I’m Still Here», pop de rêve bien déployée. Allan Crockford chante à la lumière du Swingin’ London, c’est riche et même beaucoup trop riche. C’était d’ailleurs le seul reproche qu’on pouvait adresser aux Prisoners : trop de son, trop de d’exaltation, trop d’harmonies vocales. Puis Allan prend «Tide’s Rising» aux accords revanchards. C’est un coup à tomber dans l’addiction. Allan tire parfois sur sa voix comme le faisait John Lennon en 1966. De toute évidence, Allan a beaucoup écouté Revolver.

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    Leur dernier album s’appelle Live-O-Graphic. Il s’agit d’une sorte de Best Of avec quelques inédits. On y retrouve par exemple le fameux «Not Gonna Miss You» qui se niche sur Staring. Deux cuts tirés du premier album sold-out valent le déplacement : «Never Go Back» et surtout «Orangery Lane», qui sonne encore une fois comme du early Floyd, qui se situe exactement dans la même veine qu’«Arnold Lane». On a là une extraordinaire réminiscence cathartique. Quant à «Never Go Back», c’est tout simplement digne des early ‘Hoooo. Voilà une parfaite apologie du Mod sound. La grosse surprise de cet album est un cut intitulé «Cruel Bird». On renoue avec l’excellence de la partance des Prisoners, ça bouillonne de son et d’énergie. Allan passe ses solos sur de fantastiques nappes d’orgue et on assiste une fois encore au spectacle d’extraordinaires dynamiques internes. Tout est bon sur ce disque, l’amateur de pop psyché y retrouvera tous ses petits. Ils attaquent la B avec l’«Anna Hedonna» tiré de Staring et on s’effare une fois encore de l’indéniable pureté de la mélodie chant. Avec «Nowhere People», on est à la fois dans les ‘Hoooo et les Creation, dans l’exemplarité du son et dans un véritable bouquet de jaillissements énergétiques. Le «Don’t Follow Me» qui suit sort aussi de l’album au cosmonaute. Voilà encore un cut échevelé, nappé d’orgue et secoué de prodigieux coups de Jarnac. On retrouve l’esprit pop des Prisoners dans «Modern Love Affair» : même jus, même énergie, parfaitement digne des early ‘Hoooo et la fête s’achève sur l’excellent «Don’t Fly Too High», avec ses cœurs d’artiche de rêve. C’est tout simplement un hit des temps modernes.


    Signé : Cazengler, galeux 7


    Galileo 7. Le Trois Pièces. Rouen (76). 17 février 2017
    Galileo 7. Staring At The Sound. State Records 2012
    Galileo 7. False Memory Lane. Fools Paradise Records 2014
    Galileo 7. Live-O-Graphic. Fools Paradise Records 2016

     

    11 – 03 – 2017 / VILLENOY ( 77 )
    BRUTAL METAL NIGHT
    WASTELAND / NAKHT / ACROSS THE DIVIDE

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    Logique imparable. Pour aller à Villenoy, surtout ne pas rentrer dans Villenoy, rester sur Meaux, passer devant la gare et continuer tout droit. Ne pas s'affoler si la route s'étroitise, et si la zone s'industrialise, vous êtes sur le bon chemin désertique. Personne, si ! deux jeunes gens qui marchent paisiblement, devinent tout seuls que je cherche le concert, continuer tout droit, m'arrêter quand je verrai les voitures stationnées.
    EightBall Society Studio de loin présente tous les aspects d'un hangar, de fait c'est une espèce de fourmilière musicale, deux studios de répétition, un atelier de lutherie, trois salles de cours dans lesquelles vous pouvez vous initier à de multiples instruments, guitare, basse, batterie, piano... et une salle de concert pas bien grande, relativement basse de plafond mais l'on s'y sent bien. Ce soir l'association Wild Pig Music qui œuvre à la diffusion des groupes metal du département ( voir Kr'tnt ! 296 du 29 / 09 / 2016 ) organise selon de saines habitudes une nuit sonore un tantinet brutale. Le temps de saluer Mlle Lazurite que nous remercions pour les photos qui ont illustré de précédentes chroniques.

    WASTELAND

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    Les lumières s'éteignent et nous plongent dans l'obscurité. A peine si l'on distingue les trois musiciens. Sample apocalyptique, entre Clément Simanio engoncé dans un parka vaguement militaire, à la main une lampe de mineur qu'il tient haut levée, les joues barbouillées de noir, le visage noyé dans ses cheveux, une expression inquiétante, évoque Silfax le héros vernien des Indes Noires à la recherche de son harfang blanc, mais nous sommes après la grande catastrophe, les hommes survivent sous terre et se battent entre eux pour essayer de s'adapter à ce nouvel environnement peu écologique.
    Clément se saisit du micro et entonne le cri suprême de la désolation. Derrière lui, Simon Tiercelin à la guitare, Thomas Beauquier à la basse, et Kevin Gasparetto à la batterie, fracturent l'épaisseur des ténèbres, nous laissant entrevoir des noirceurs encore plus profondes. Musique, épaisse, dure, sans pitié, un magma fossilisé d'anthracite désespéré aux aspérités astringentes. Sons sans pitié, qui vous glacent l'âme et rompent les dernières attaches avec votre ancienne condition d'hominidé à peu près évolué. Stade post-natal de régression vers une sauvagerie dévastatrice. Ce n'est pas qu'il n'y a plus de futur, c'est qu'il n'y a plus de présent.
    Clément dédaigne la scène, arpente le no man's land qui le sépare des spectateurs et dans lequel personne n'ose s'aventurer, parfois il s'avance, menaçant, et vous jette brutalement, le micro en pleine figure comme s'il tenait une hache d'abordage, mouvement de recul des spectateurs, il chante comme le tigre feule sur les éteules de la cruauté, un infini grognement rauque et bestial qui ne vous incline guère à un optimisme débordant. Wasteland vous tend le miroir de votre avenir. Ne reflète que la noirceur du monde. L'on a l'impression que le groupe est parvenu à coaguler sous forme d'ondes sonores malfaisantes la matière noire de l'univers qu'ils déversent sur vous, elle s'agglutine à vos pieds, monte inexorablement le long de votre corps et vous fige dans une gangue qui vous transforme en statue de suie. Alchimie régressive qui métamorphose la poudre écarlate de vos rêves en ces terres noires détritiques qu'exhument les archéologues lorsqu'ils fouillent les fondements de nos civilisations détruites.
    Mais c'est déjà la fin. Les musiciens quittent la scène, Clément éteint sa lampe tempête et disparaît dans les coulisses. Très belle performance, un peu courte, mais d'une parfaite netteté. Un iceberg de glace noire qui s'en vient percuter la coque titanique de votre existence douillette. Mauvaise promesse et sombre prophétie. Wasteland nous a démontré combien nous sommes fragiles. Une performance assénée comme la matérialisation d'une image poétique de mauvais aloi qui vous enserrerait dans ses mots diffractés pour mieux vous briser. Grosse impression. Très fort.

    INTERLUDE


    Très court. En de rapides minutes Nakht est fin prêt. L'assistance fait un saut quantitatif, beaucoup de monde s'est visiblement déplacé pour voir le groupe. Les forgerons qui trempaient les lames des glaives et des épées nous l'ont appris, il faut battre le métal tant qu'il est chaud.


    NAKHT

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    Elytres de scarabées. Force intrusive et domination. Danny debout déploie sa grande taille vindicative sur le caisson placé devant la scène. Appelle le peuple à se rapprocher car l'on n'édifie pas des pyramides sans main-d'œuvre exaltée. Et docile la foule s'avance pour participer au rituel des pharaons du Metal. Tout le long du set il commandera à ses troupes subjuguées de tourbillonner tel un essaim de guêpes folles acharnées à se rentrer dedans, une espèce de rituel orgiaque selon lequel la fusion érotique s'altère en confusion entrechoquante.
    La musique de Nakht opère comme ces fournaises de vents brûlants qui parcourent les étendues désertiques. Nakht est une torchère, un affleurement de naphte enflammé qui brûle dans la nuit comme la colère de Seth le dieu des désolations trisomiques. Nakht saque et saccage tel le ressac des sables du désert qui dévore la végétation de la vie rampante.
    Clément agite sa crête blonde de guerrier hyksôs en transe, galope sur place comme un cheval fou, il est l'énergie non contenue qui n'obéit qu'à elle-même, élément de cavalerie légère que l'on lance d'abord pour disloquer les rangs ennemis, alors qu'Alexis et Christopher aux guitares érigent des remparts de monolithes qui découragent tout assaut. Damien drume sans faillir, dessine les contours des temples inviolés et les anfractuosités des tombeaux secrets.
    Lyrique de la désespérance entrevue au bout du chemin de la vie. Vous aurez beau faire, vous tomberez toujours dans la chausse-trappe de votre cerveau. Arpentez tant que vous voulez les confins les plus lointains, escaladez les dunes les plus hautes, vous n'irez jamais plus loin que vous-même. La musique de Nakht est solipsiste. Vous offre les fastes des plus belles légendes. Attendez The Messenger, ou croyez en un New Breath, les images les plus chatoyantes défileront à l'intérieur de vous. Elles ont la beauté des peaux de cobras tétanisés mais elles ne sont que des serpents imaginaires qui disparaissent et dont vous ne vous restent dans les mains que les mues vides dans lesquelles vous glissez vos doigts et puis votre bras pour ne saisir en fin de compte que le néant des songes évanouis. Fallen Life et vie foutue. La puissance de Nakht n'est que l'autre face de votre impuissance humaine. L'est un groupe sangsue qui suce votre sang et vampirise votre énergie pour se nourrir d'elle. Nakht a cette troublante particularité de vous prendre plus qu'il ne vous donne. Et cette exfusion de lymphe êtrale palpitante vous rend heureux. Danny hurle dans son micro et l'aboiement d'Anubis résonne délicieusement dans vos oreilles. Vous n'éprouvez plus que l'envie de suivre la sente interdite de l'oasis perdu de Siwa. Celle qui mêne dans les catacombes de votre esprit fatigué et maladif.
    Musique sombre mais brillant des mille feux d'un soleil implacable. Métal noir mais rubescent. Nakht dégage des ondes qui ne sont ni maléfiques, ni bénéfiques, une puissance neutre qui s'impose par sa seule existence, un artefact d'un style inconnu dont vous ne savez s'il procède d'un passé oublié ou d'un avenir mystérieux. Méfiez-vous toutefois des radiations sonores qu'émet cet étrange artefact. Peut-être sont-elles en train de vous coloniser. L'accueil enthousiaste réservé au groupe semble confirmer cette hypothèse.

    ACROSS THE DIVIDE

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    Longue introduction samplique. Dans le noir. Immobiles. Encore un groupe qui se plaît dans les pérégrinations fractales. Qui s'engage dans les failles spatio-temporelles pour en explorer les abords déchiquetés. Mais se retire très vite. Vocal, musique. Musique, vocal. Jamais très longtemps. Chacun jette sa gourme et se retire cinq sec. Les morceaux eux-mêmes se terminent abruptement. Vous surprennent à chaque fois. Vous semblent interrompus comme partagés en deux à la hache d'une manière quasi-aléatoire. Across The Divide privilégie les cassures. Cassent les briques en plein milieu et breakent sans arrêt. Esthétique tranchée. En ce cas l'on préfère le couteau aiguisé au rond de mortadelle. Par ces atermoiements répétés entre les morceaux le groupe réfrène son impact. A rupture franche devraient succéder des démarrages fulgurants. Mais non, ça traîne un peu. Pas longtemps mais assez pour déséquilibrer et parer le choc attendu.
    Alexandre Lhéritier, visière de casquette en arrière est au micro. Tantôt se déplaçant de tous côtés, tantôt juché sur le piédestal. Eructe gravement. Phrasé, net, impeccable, irréprochable mais il ne pourra jamais vraiment formaliser cet ascendant sur le public à cause de ces temps morts entre les titres qui fragmentent le rythme. C'est dommage car la musique souple et violente se prêterait bien à quelques entremêlements festifs de longue haleine de l'assistance.
    Dur travail pour Maxime Weber derrière sa batterie, c'est lui qui marque les brisures et trace les angles saillants de ces morceaux hérissés d'un incessant glacis d'escarpes et contrescarpes. Lance aussi la mécanique et Régis Sainte Rose à la basse, Jonathan Lefeuvre et Axel Biodore aux guitares ne sont jamais plus spectaculaires quand tous trois, jambes écartées, bustes baissés dodelinent de la tête en cadence accélérée. L'éruption du son jaillit droite et violente comme un jet de cendre et de pierres recrachées par un volcan. Les deux guitaristes changeront deux fois en même temps de guitare, l'amplitude sonore de la formation est alors dévolue à un court intermède samplé destiné à ne pas atténuer la puissance du groupe, solution qui paraît tout de même un peu artificielle.
    Les titres se succèdent, XXI, Still the Same, Never Enough, The Lake of Sins, the Escape, propulsés par Alexandre qui bénéficie souvent de la seconde voix d'un de ses guitaristes. Soit le vocal est doublé et le résultat est saisissant soit le chant continue alors que qu'Alexandre ne sert plus de son micro, ce qui produit un effet visuel étonnant pas du tout désagréable.
    Across the Divide n'a pas démérité. Les deux derniers morceaux Nowhere I belong et Back Again furent les meilleurs un peu comme si le groupe parvenait à sa vitesse de croisière. Mais il leur a manqué ce petit quelque chose qui transforme une bonne prestation en instant magique. Peut-être les trois groupes étaient-ils adeptes de genres musicaux explorant un peu trop le même style de metal hardcore quoique je ne pense point que cela ait pu désarçonné le public manifestement friand de cette musique. J'incriminerai plutôt la rapidité avec laquelle les combos se sont succédé. A onze heures trente, les trois concerts étaient terminés. Engloutir des friandises à la va-vite ne vous laisse point le temps de déguster.


    Damie Chad.


    ROCK'N'ROLL GUITARE HEROS
    TONY MARLOW

    JUKEBOX
    ( H. S. Trimestriel N° 37 )

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    Longtemps qu'on l'attendait. C'est une spécialité de la revue Jukebox. La reprise en un Spécial Hors Série de toute une série d'articles regroupés autour d'une thématique commune. Et ce mois-ci, agréable surprise, ce sont les longs topos que Tony Marlow a consacrés depuis plusieurs années aux grands guitaristes du rock'n'roll. Entendons-nous sur ce mot magique de rock'n'roll, car il y a rock'n'roll et rock'n'roll. Mais pour les amoureux de cette musique, il n'en n'existe qu'un, le rock'n'roll des pionniers. Ce n'est pas que toutes les autres sortes de rock'n'roll soient mauvaises. Il en est d'excellentes, mais les pionniers sont arrivés les premiers et ils ont défriché le style. Bien sûr avant eux, il y avait eu d'autres sorciers de la six-cordes, dans le blues, dans le jazz, dans le country, d'extraordinaires figures aux doigts d'or, des personnalités attachantes et des destins exceptionnels, qui ont préparé le terrain, et permis l'éclosion des années cinquante. Et tout compte fait les pionniers ont-ils vraiment mérité la vénération extatique dont on les entoure ? Ont eu la chance d'être là au bon moment, et comme ils étaient les premiers ils se sont servis en abondance. A part qu'ils ont davantage donné que pris.

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    Nous les avons déjà tous lus ces articles de Tony Marlow, certains ont même déjà été recensés dans nos chroniques, mais présentés les uns à la suite des autres, ils acquièrent une importance et une force surprenante. Les quatre-vingt-quatre pages de la revue ne forment pas une simple compilation d'artistes disparates. Tony Marlow nous offre une véritable histoire de la naissance du rock'n'roll, d'autant plus précieuse que si les américains possèdent une incroyable somme de volumes plus pointus les uns que les autres, hélas rédigés en leur monstrueux sabir incompréhensible pour beaucoup, la bibliographie de langue française, ce doux babillage divin universel, qui traite du même sujet est des plus maigres. Photos couleurs pratiquement à toutes les pages, et longues colonnes de textes d'une richesse exceptionnelle. Les faits et les dates, mais aussi une analyse technique de chaque musicien et au travers de cet amoncellement d'éléments biographiques, de descriptions, d'anecdotes, d'interviews, de réflexions, c'est à la lecture séminale d'un véritable roman que nous convie Tony Marlow. Un récit passionnant, qui vous tient en haleine de bout en bout. Une merveilleuse histoire dont aucun épisode n'a été inventé. Joyeuse car elle nous met en contact avec toute une génération animée d'un insatiable appétit de vivre qui se réveille, qui prend conscience que le vieux monde dont elle est issue craque de tous côtés, et triste aussi car soixante-dix années plus tard elle commence à encombrer quelque peu les cimetières, et chose pire, les fruits espérés et cueillis, aussi beaux, juteux, et goûteux furent-ils, n'ont pas tenu leur promesse. Une amère constatation, sur les huit noms en couvertures, tous sont décédés. Si le rock'n'roll a la vie dure, comme le chantait Eddy Mitchell en 1966 dans L'Epopée du Rock, il semble que les rockers ne font pas de vieux os...

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    Elvis et puis Bill Haley. Chronologiquement il aurait fallu inverser. La pendule du rock'n'roll sonne l'heure avant que le train mystérieux n'entre en gare. Oui mais l'origine d'un phénomène ne se situe pas obligatoirement au début de son déploiement. Toutefois c'est chez Elvis que la racine noire du rock'n'roll pousse davantage ses ramilles souterraines. Et puis surtout chez Bill Haley le problème ne se pose pas de la même manière. L'orchestre emmené par son rythme endiablé fait naturellement du bruit serait-on tenté de dire. Chez Elvis et ses deux compagnons, si l'on ne s'aperçoit de rien dans le studio où tout commence, c'est grâce à Sam Phillips qui possède son arme secrète pour combler les vides, sa fameuse réverbe, cette espèce de tremblé sonore qui occupe tous les interstices. Mais en public, c'est une autre affaire, ne sont que trois, une guitare qui pousse les estocades chaque fois qu'il faut tuer le taureau, mais après faut se la mettre en sourdine en attente du deuxième solo, le temps que survienne le moment crucial de la mise à mort du prochain fauve sauvage, pour la voix d'Elvis idem, l'a besoin de respirer de temps en temps le chat des collines qui miaule si bizarrement, d'où ces instants de silence obligatoire, c'est donc à Bill Black le contrebassiste de remplir les blancs, doit étaler la sonorité dans les trous, comme si elle était un chewing-gum, rallonge le son en faisant résonner la corde en la frappant. Fait aussi un peu le pitre et Presley détourne les oreilles du public en s'agitant comme Valentin le Désossé au bon temps du french can-can. Plus tard Buddy Holly et ses Crickets auront le même problème, peut-être pour cela que Buddy adoucira son rock, le rendra plus coulant, trichera en étirant la mélodie. Le Hillbilly Cat et ses deux congénères inventent le rockabilly, la pulsation incoercible, tout cracher et tout de suite. Mais entre deux crachats il faut parvenir à boucher la fente. Dans les studios RCA, l'on intensifiera l'impédence électrique. Le rockabilly électrifié donnera naissance au rock'n'roll. Pas tout-à-fait le boogie de Bill Haley. Plus besoin de Bill Black. Congédié. S'en remettra, deviendra le bassiste le plus demandé de son temps. Qui fut court, un gros méchant fibrome se développera dans son cerveau. 1965, end of the road. Triste histoire. Tony Marlow déroge à son programme. Il n'y a pas que des guitaristes dans le rock.

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    Nous nous contenterons de parcourir hâtivement la revue. Nous ne voudrions pas déflorer les présentations de Tony. Cet article juste pour vous donner envie de lire. Bill Haley, Chuck Berry, Gene Vincent, Eddie Cochran, Buddy Holly, et plus tard Brian Setzer, nous vous laissons découvrir par vous-mêmes. Nous nous sommes penchés sur ces articles lors de leurs premières parutions. Bo Diddley de tous les pionniers le plus méconnu par chez nous. A tort. L'inventeur du jungle beat était aussi un superbe crieur de blues. Plus près de Muddy Waters que Chuck Berry. Tony Marlow s'attarde sur sa discographie qui ne se réduit pas à deux trente-trois tours. Nous parle aussi longuement Lady Bo, la première guitariste rock, que l'on retrouvera plus tard avec Eric Burdon. Car ce qui se ressemble s'assemble.
    Passons rapidement sur Ricky Nelson et James Burton qui rejoindra Presley et restera avec le King jusqu'à la fin. Très belle évocation de Carl Perkins, le véritable roi du rockabilly, Tony s'attarde sur Roland Janes que l'on retrouve sur tous les morceaux d'anthologie du studio Sun dont il devint le musicien attitré. Nous fournit l'occasion d'apercevoir Jerry Lou... Très belle analyse de Luther Perkins, le gars peu doué – regardez ses yeux affolés sur les vidéos lorsqu'il accompagne Johnny Cash - qui surmonte son handicap de départ en se créant un style minimaliste d'une efficacité redoutable.

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    Link Wray et Mickey Baker deux guitar héros dont les cotes sont réévaluées à la hausse ces dernières années. Joe Moretti ( Brand New Cadillac, Shakin All Over ) et Big Jim Sullivan qui préféra tourner avec Tom Jones que de rejoindre Led Zeppelin... Et enfin Danny Gaton, l'on sent Tony ému. Guitariste virtuose qui surpasse tous les autres et qui finit par se tirer une balle dans la tête à quarante-neuf ans, à croire que le rock'n'roll ne fait pas le bonheur de tout le monde.
    Un numéro à se procurer sans faute. Indispensable aux amateurs comme aux néophytes. Certes Tony Marlow parle en passionné de rock, mais il est aussi un de nos meilleurs guitaristes, connaît parfaitement ce dont il parle. A l'écouter détailler le jeu de ces héros de la guitare, il vous donne l'illusion que techniquement vous en connaissez autant que les plus grands maestrocks du manche.
    En lisant cet ouvrage si bien écrit et à la démarche pétrie d'intelligence nous est venu à l'esprit qu'un similaire opus sur les principaux batteurs serait le bienvenu. Justement Monsieur Marlow, vous n'auriez pas débuté en tant que batteur chez les Rockin' Rebels ?


    Damie Chad.

    PIONNIERS DU ROCK'N'ROLL
    MICHEL ROSE


    ( Albin Michel - Rock & Folk / 1981 )

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    Je l'ai retrouvé. Pas l'éternité chère à Arthur Rimbaud, quelque chose de beaucoup mieux. Je signalais au mois d'avril 2015 son enfouissement improbable au fond d'une montagne de cartons, lors du kroniquage de Rockabilly Fever de Michel Rose réédité chez Camion Blanc ( voir KR'TNT ! 232, du même coup filez à la livraison 40 jeter un coup d'oeil à L'Encyclopédie de la Country et du Rockabilly toujours de Michel Rose ), mais le voilà sur mon bureau, comme neuf, tout beau dans son petit format élégant, un des rares livres français consacrés aux Pionniers du Rock. La faute à Tony Marlow qui m'a incité à une sérieuse recherche archéologique dans mon garage. C'est que par chez nous, à part L'âge d'Or du Rock'n'roll de Jacques Barsamian et de François Jouffa ( in KR'TNT ! 42 du 02 / 02 / 2011 ) n'y a pas res comme disent les occitanistes. Bref, j'éprouvais comme un manquement du côté de la recension.

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    M'y replonge plus de trente ans après, je ne suis pas déçu, s'est amélioré avec l'âge. Ce petit ouvrage de près de deux cents pages offrait à l'époque ce qu'aucun autre n'était en mesure d'opérer mais en plus il fournissait une synthèse de l'éclosion du rock'n'roll dont toutes les données ont été depuis confirmées par bien des articles en des revues spécialisées. L'est sûr qu'en 1980 Michel Rose a pu bénéficier des nombreuses rééditions qui ont déboulé en masse chez les disquaires français à partir de 1975. Ne se prive pas d'en faire cas en complément de toutes les éditions pirates entrées en sa possession sans doutes via les fans-clubs et les petits groupes d'amateurs en pleine ébullition. Mais sa connaissance et son intérêt pour le rock'n'roll remonte à bien plus tôt.

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    Aux années soixante. Comme tout un tas de petits français de sa génération, il accède au rock'n'roll par des intercesseurs nationaux. Pour lui ce sera en premier Johnny Hallyday, suivi des Chaussettes Noires d'Eddy Mitchell et des Chats Sauvages de Dick Rivers. Il est de bon ton de nos jours de brocarder nos trois pionniers, mais grâce aux pochettes de leurs disques ils ont permis aux esprits curieux de soulever le coin du voile. Fournissaient de maigres indices qui permettaient de remonter la piste américaine, chaque titre français était agrémenté de sa titulature originale et du patronyme de ses compositeurs. Au début ces noms restaient bien mystérieux, apparemment savoir qu'il existait quelque part de l'autre côté de l'Atlantique des gars qui s'appelaient par exemple Leiber et Stoller n'éclairait guère votre lanterne. Mais on les gardait religieusement dans l'endroit le plus secret de notre mémoire et nous nous les répétions comme des talismans sacrés. Remarquons que Marcel Proust n'a pas agi autrement que nous dans La Recherche du Temps Perdu, l'a chéri Venise et le Nom du Pays avant de pouvoir enfin visiter le Pays du Nom. Nous c'était pas les gondoles qui nous fascinaient, c'était le rock'n'roll un truc qui balance beaucoup plus grave que le Grand Canal, j'ai couvé durant longtemps le nom de Billy Lee Riley avant d'avoir l'occasion d'entendre un de ses morceaux.

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    J'en profite pour tirer à mon grand plaisir une bordée de canons sur Boris Vian – amuseur public de troisième zone, ceci est un jugement personnel – qui en bon jazzman obtus du front s'est répandu en grossières injures sur le Rock et Presley et commis en compagnie d'Henri Salvador et Michel Legrand ce qu'une majorité d'imbéciles s'obstinent à appeler le premier disque de rock français. A cette époque le rock était une chose trop sérieuse pour être compris par les adultes. Surtout ceux à prétentions intellectuelles. C'est dans les fêtes foraines, dans les baffles à plein volume des manèges d'autos-tampons et des toubillonnantes chenilles que le rock est parvenue dans les oreilles – rentrait dans l'une et ne ressortait pas par l'autre - d'une jeunesse populaire en attente d'émotions fortes...
    Ne faut pas mythifier, pour la majorité ce ne fut qu'une mode, ont par la suite entonné l'air vicié et la mesure tempérée du tempo médiatique, extrêmement réticent à cette musique subversive... Mais une minorité active – de celles qui font l'Histoire – ont voulu en savoir davantage.

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    Tout sujet doit ériger ses frontières. Pour les mieux conquérir. Celle du Nord représentée par Bill Haley. Un tiers de swing jazzy, un tiers de rythm'n'blues, un tiers de danse, c'est ce mélange que Michel Rose définit comme rock'n'roll. Celle du Sud cornaquée par Elvis Presley, un tiers de blues, un tiers de country, un tiers de rebel-attitude, cette potion magique mise au point avec l'aide du bon docteur Sam, Michel Rose la nomme Rockabilly. Aujourd'hui cette appellation est une évidence, et le livre de Michel Rose doit y être de par chez nous pour beaucoup, durant des années je ne l'ai rencontrée que de très rares fois et toujours orthographiée Rock-A-Billy systématiquement référencée comme une variante d'ajustement à Hillbilly.

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    Les deux chapitres suivants sont successivement consacrés aux précurseurs noirs et blancs. Ségrégation oblige, aux USA l'on ne mélangeait pas les torchons avec les serviettes. Mais à la mid-fifty les noirs avaient une longueur d'avance. Blues, blues shouters, rythmn'n'blues, en moins de trente ans ils ont mis au point le rock'n'roll. Pas poteau, pas photo. Les blancs sont arrivés après la bataille. Chansons traditionnelles de cow-boys, hillbilly, western bop, honky-tonk, country, les visages pâles ont perdu du temps mais enfin sont arrivés eux aussi à isoler le boson et le boxon du rock'n'roll.
    Deux barils au choix. Lequel choisissez-vous. Si vous n'êtes pas un imbécile vous prenez les deux, même pour le prix de trois, car la marchandise dans les deux cas est des meilleures. Michel Rose nous fait part de ces réflexions, lui qui tressera des couronnes de laurier à Bo Diddley, couvrira de fleurs Little Richard, s'inclinera avec respect devant Chuck Berry, n'hésite pas à dire que son coeur penche pour le rock'n'roll blanc.. Sans exclusive, et surtout sans arrière relent désagréable de racisme primaire ou inconscient. Question de prononciation, les noirs chantent les notes, les modulent, les allongent, les blancs au contraire s'en défont aussitôt en bouche, les jettent sans regret et s'empressent d'éjecter la suivante tout aussi rapidement. Voix mouillée ou voix rêche. Alchimie du verbe selon la voie humide pour les blacks et selon la voix sèche for the whites. Cette vision vaut ce qu'elle vaut. Nous remarquons toutefois que dans son extrême majorité le rockabilly restera une chasse gardée des petits blancs. Des déclassés qui à l'origine ont subi l'exode rural et une fois dans les centres urbains une deuxième relégation sociale à base de chômage et de petits boulots. La colère des noirs prendra une autre forme, celle de la revendication rap.

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    Hommage à Alan Freed, disc-jockey à qui le système ne pardonnera pas d'avoir osé l'impossible mixture. Des spectacles mêlant dans le même programme chanteurs noirs et blancs... Deux chapitres consacrés aux rockers blancs d'abord et noirs ensuite. Je bois du petit lait, Michel Rose préfère Gene Vincent à Elvis Presley, tous deux à leur manières démolis par leur succès, le premier pour avoir refusé de trop pactiser avec le système et le second pour s'être laissé dévorer à force de compromissions. Eddie Cochran mort trop jeune tout comme Buddy Holly, Eddie plein de promesses, Holly semblant se diriger vers un adoucissement de sa musique. Trajectoire empruntée aussi par Johnny Burnette qui passera du rock le plus sauvage à la chansonnette douce. Peut-être la palme de l'intégrité devrait-elle revenir à Carl Perkins. Sans conteste le grain de folie forte échoira à Jerry Lee Lewis.

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    Nous ne reviendrons pas sur la manière dont la phalange des grands pionniers fut décimée : prison, accidents, scandales, crises de foi intempestives... De fait le rockabilly deviendra une musique de niche. Un public d'inconditionnels mais peu nombreux. Les petits pionniers – c'est comme nos petits romantiques, sont parfois plus exaltés et bien moins empesés que les grands - Buddy Knox, Dale Hawkins, Conway Twwitty, Charlie Feathers, et bien d'autres connurent grâce à Elvis Presley une seconde carrière. Souvent européenne. Le NBC Show d'Elvis en 1968 ralluma l'intérêt pour le vieux rock, Le festival de Toronto en 1969, la réunion de Wembley en Angleterre ralluma l'intérêt pour ce bon vieux rock'n'roll. Les rééditions s'empilent, in the old England de Whirlwind à Crazy Cavan un nouveau public générationnel prend fait et cause pour le rockabilly. Les lecteurs de KR'TNT ! ont régulièrement l'insigne honneur de lire des compte-rendus de groupes de french rockabilly issus de cette mouvance aussi initiée par les Stray Cats. Desquels Michel Rose ne pipe mot. Notons qu'il a terminé de rédiger son ouvrage en mai 1980 mais que le premier album des chats de gouttière est paru en 1981 ! Décrochage temporel significatif !

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    Le renouvellement des générations, chacune essayant de se démarquer quelque peu de la précédente n'est pas étrangère à la désaffection et à l'oubli relatif dans lequel sont tombés dans les seventies le rock'n'roll. La concurrence a été rude, les Beatles et l'invincible armada des groupes anglais qui les ont suivis, plus les nouvelles têtes qui ont surgi en masse dans tout le territoire américain ont filé un sacré coup de vieux aux pionniers. Pas tant musicalement, mais l'on a jeté le bébé avec l'eau du bain. Dans les années soixante la musique rock se transforme en culture rock. Toute une jeunesse ne se contente plus d'écouter de la musique, la rebel-attitude ne suffit plus, l'on cherche un nouvel art de vivre. Le rock aborde des problématiques plus sociales, davantage politiques.

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    Michel Rose n'en parle point. Accepte du bout de l'oreille les premiers disques des Beatles et des Rolling Stones, mais se hérisse à l'évocation des Who. Pour lui ce n'est plus du rock'n'roll. Un peu comme ces gens qui vénèrent la République Romaine mais qui détestent l'Empire, alors que le second n'est que la conduite d'une même politique mais sous une autre forme. Cette constation tant soit peu divergente ne remet nullement en cause l'extraordinaire richesse de ce livre. Ne vous énervez pas si je n'ai pas cité Chuck Willis, Johnny Horton ou Charlie Gracie, Michel Rose les présente – en compagnie de bien d'autres - et toujours à bon escient ne se contente pas d'ajouter un matricule à sa liste, il sait les mettre en scène de telle manière que l'on comprenne comment leur apparition individuelle s'articule avec le déploiement historial du rock'n'roll. D'ailleurs le seul défaut de ce livre réside en le manque d'un index.

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    Petite satisfaction kr'tntique, le dernier groupe présenté par Michel Rose s'avère être Jezebel-Rock que nous évoquions dans notre livraison 215 du 08 / 02 / 2017 lors du concert des Ennuis Commencent. Comme quoi les choses se terminent parfois très bien.


    Damie Chad.