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  • CHRONIQUES DE POURPRE 442 : KR'TNT ! 442 : JACKETS / DON CAVALLI / MIKE FANTOM ET LES BOP - A - TONES / BILL HALEY / SYLVIE ET JOHNNY

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

    , jackets, don cavalli

    LIVRAISON 442

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    12 / 12 / 2019

     

    JACKETS / DON CAVALLI

    MIKE FANTOM ET LES BOP-A-TONES

    BILL HALEY / JOHNNY ET SYLVIE

     

    Jackets of all trades

    jackets,don cavalli

    Vous vous souciez de l’avenir du garage ? Rassurez-vous, il est entre de bonnes mains. Jackie Jacket et ses deux jackpotes veillent au grain. Ils veillent d’autant mieux au grain qu’ils savent s’entourer : au dos de la pochette de leur quatrième album, Queen Of The Pill, on lit les noms de Beat-Man, de King Khan et de Jim Diamond. Bloody hell ! On ne pourrait pas concevoir meilleure crème de la crème du gratin dauphinois. On parle ici d’une nouvelle aristocratie du rock underground, ancrée dans l’axe Berlin/Berne, réplique de ce que fut l’aristocratie rock du Swingin’ London, telle que l’incarnèrent Keef Richards, Ginger Baker, Jeff Beck et Rod The Mod avec leurs drogues, leurs bijoux, leurs fast cars et leur belles gonzesses.

    jackets,don cavalli

    Entre ce nouvel album des Jackets et leur réapparition sur scène, on ne sait plus où donner de la tête. Comme dirait la môme Piaf à propos de Jackie Jacket, «tu me fais tourner la tête/ Mon manège à moi c’est toi», oui sur scène, elle n’arrête pas, elle fait tout à l’énergie brute et riffe à bras raccourcis. Elle sur-joue son sur-jeu, elle trépigne et elle hennit, elle prend un malin plaisir à démarrer ses cuts en fuzz-scuzz avant de foncer à travers la plaine en mode slash-and-burn pour aller trébucher fabuleusement, histoire de partir en piqué de Stuka. Live, le «Dreamer» d’ouverture de bal d’A atteint un volume énorme, elle le prend de haut, de très haut et injecte son pathos à la Louise Brooks dans un yeah yeah qui se répand à l’aube de l’aune - Hey little dreamer - ça sonne comme un classique, et ce beau riff se promène à la surface du cut comme une scie de l’ancien régime. Ils tapent très vite dans le «Be Myself» de fin de B, dommage qu’elle n’ait pas sur scène les chœurs d’artichauts berlinois - Do you wanna/ Be my tool - Ce démon de King Khan fait la pluie et le beau temps sur l’album, notamment dans «What About You». Samuel Schmidiger l’embarque au bassmatic jumpy et Jackie Jacket chante sous le couvert jusqu’au moment où ce démon de King Khan vient guester pour un couplet qu’il se met à shaker comme un King. Sur scène, les Jackets exploitent toutes les possibilités que peut offrir la triangulation et ne tombent jamais en panne d’éclairs ni d’interactions. Au contraire, ils montrent que les possibilités sont infinies, pour eux c’est même une évidence, leur abnégation donne le vertige, ils retrouvent une sorte d’innocence originelle, celle dont pouvaient se prévaloir les jeunes loups des early sixties, lorsque ne comptaient que le plaisir de jouer, les poussées de fièvre et les déjections coïtales. Les Jackets, c’est ça, le raw to the bone du plaisir de jouer. Jackie Jacket doit parfois retrouver une certaine forme de stabilité pour chanter, mais aussitôt la fin de couplet, elle bondit et passe des killer solo flash d’antho à Toto, ceux dont on peut se goinfrer jusqu’à la fin des temps sans jamais risquer l’overdose. Elle est le temps du set la reine d’un petit monde afficionadiste. On voit toutes les têtes bouger en rythme, alors ça la galvanise et elle met le turbo dans une riffalama déjà bien énervée. Dans les très bons concerts, les circulations de flux entre la scène et le public sont palpables. Jackie Jacket ne fait pas semblant. Elle se donne à fond. Elle y croit dur comme fer et se transforme en géante. Elle réussit même à allumer le «Steam Queen» qu’on trouve sur Queen Of The Pill. Elle tient son garage par la barbichette, elle semble passer ses solos entre deux eaux et plante son regard dans ceux des méduses échouées au premier rang. Le set dure une bonne heure et ne s’accorde aucun répit. Il se pourrait bien que ce soit le public qui transpire, et non les musiciens. Le clou du spectacle est cette terrifiante reprise du «Hang Up» des Wailers. Jackie Jacket ne pouvait pas faire de meilleur choix que de prêter allégeance aux Wailers qui incarnèrent jadis avec les Sonics le wild Sonic Boom du Pacific Northwest.

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    On les vit une première fois au Cosmic en 2013. What a révélation ! Ce n’est pas Jackie Jacket qu’on vit arriver sur la petite scène du Jungle Room, mais Loulou de Pabst avec une couette à la verticale sur le haut du crâne et le maquillage d’Alice Cooper (ou d’Hank Von Helvete, au choix), encadrée de deux mecs. Elle chantait avec une hargne édifiante et son bassman jouait en mélodie avec un son bien gras du bide. On aurait pu se croire dans un pub de Londres en 1964.

    jackets,don cavalli

    Loulou termina son couplet et soudain, elle disparut - Freak out wouaaaah it’s the only way out ! - Il fallut vite fendre la foule pour aller voir ce qu’elle était devenue. Elle se tortillait au sol pour jouer un solo de pure frenzy, les pattes en l’air. Elle avait tout pigé. Ceux qui virent les Them au Maritime Hotel de Belfast en 1964 durent ressentir exactement la même chose. Il n’existe rien d’aussi jouissif que la sauvagerie scénique. Johnny Burnette et Jackie Jacket, même combat. Indomptable ! Du genre qui s’en va hennir dans la prairie.

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    Trois ans plus tard, ils sont revenus jouer au même endroit, dans la Jungle Room. Tant mieux, car la salle est plus petite et le son plus ramassé. On les retrouvait tous les trois, bien rassemblés autour de ce lanceur de cuts patenté qu’est le drummer Chris Rosales. Cet Américain expatrié en Suisse mit pendant quelques temps son talent au service du bon Reverend Beat-Man.

    jackets,don cavalli

    Et pouf, ça partait en garage blast, avec une Jackie Loulou en forme olympique. Incroyablement légère et vivace, elle dansait en grattant sa petite guitare jaune. Elle ne portait que du noir et passait ses accords avec une classe indécente, pendant que Samuel Schmidiger montait au créneau pour les chœurs. Ah quelle équipe ! Elle s’amusait déjà à fixer les gens entassés au pied de la petite scène.

    jackets,don cavalli

    Ils jouaient ce petit garage féroce et bien en place qu’on retrouve sur leurs quatre albums. Ils incarnaient alors l’avenir du genre. Ils mettaient un point d’honneur à soigner leur virulence. Ils proposaient un garage bien claqué du beignet et baigné dans son jus, rondement mené, sans frime, sans filler. Jackie Jacket montait parfois sa voix comme une sorte de Siouxie éperdue mais elle mettait tellement d’influx dans son blast qu’elle balayait tous les soupçons.

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    On attendait tous le moment fatidique : le solo pattes en l’air. Et pouf, elle tombait enfin sur le dos et pédalait à l’envers en claquant son killer kling-a-klong ! Magnifico ! Elle mettait l’assistance en transe, elle nous shootait une belle dose de spectacle. Le public adore voir les guitaristes se rouler par terre.

    jackets,don cavalli

    Les Jackets s’appuient désormais sur un beau parcours discographique. De la même façon que Queen Of The Pill, leur troisième album intitulé Shadows Of Sound est sorti sur le label du bon Reverend Beat-Man, Voodoo Rhythm. Ça commence mal : Jackie chante son « Don’t Turn Yourself In » à l’insidieuse et remplit son garage de sale petite fuzz. Question son, elle a tout compris, comme Thee Headcoatees voici vingt ans : il faut appuyer sur le bouton pour faire gicler le pus. Ça marche ainsi depuis la nuit des temps. Encore de la belle fuzz dans « At The Go Go ». Ses élans moites se frottent aux résurgences. C’est admirable de râpeuse perversité. Elle encrasse aussi « Keep Yourself Alive » de fuzz, mais chante d’une voix un peu trop docte, à l’Allemande, c’est-à-dire d’une voix glaciale un peu hautaine qui n’est pas sans rappeler celle de Nico. En B, ça chauffe avec des trucs comme « Wheels Of Time », un jerk monté en épingle. Elle trouve enfin sa voix sans « You Better » et paf, on prend une giclée de fuzz dans l’œil. Voilà ce qui arrive quand on s’occupe de ce qui ne nous regarde pas. Elle mène son bal de la dérive, fait des brrrrr et part en vrille de stash. Dans ce mid-tempo bardé d’avantages qu’est « Hands Off Me », elle dit à un mec bas les pattes. Elle sait placer un solo, la garce. Elle termine avec l’excellent morceau titre et chante avec de faux airs de Grace Slick, ou de qui on voudra, après tout on s’en bat l’œil.

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    L’album précédent s’appelait Way Out. On y trouvait quelques belles énormités fumantes, comme le fameux « Freak Out » qu’ils jouaient sur scène en 2013. Elle le tire à la force du poignet, car c’est du garage gros popotin, bien lesté de basse. Jackie Jacket screame plutôt bien et elle semble à l’aise dans le gros boogaloo - Freak out is the only way out - Ça sonne comme un leitmotiv constructiviste. S’ensuivent quelques cuts très moyens qui font douter les pèlerins et puis soudain, la machine semble se remettre en route avec « You Said ». On y sent bien la partance de la véhémence et l’exégèse de la paragenèse. Voilà un garage fuzz digne des meilleurs jukes du lac Léman. C’est sur cet album qu’on trouve la version studio du fameux « Hang Up » des Wailers. C’est exactement le même principe que l’« I Can Only Give You Everything » des Them : la fuzz impose sa loi, bien vicelarde et bien lancinante. En B, on tombe sur un « In My Mind » bien sautillé à l’accord et tapé au petit riff persistant. Mais ce qui fait le charme du cut, c’est le minuscule filet de bave fuzz qui coule et qui sert de solo. Fameux ! C’est avec ce genre de trouvaille qu’ils font la différence. Ils semblent aussi vouloir rendre hommage aux Seeds avec « Oh Baby » car on y entend les petits accords légers bien connus des Seedomaniacs. Tiens, encore un perle avec « Falling Girl », fantastiquement balancé aux couplets de chœurs d’artichauts. Comme c’est bien ficelé ! « Last Chance » qui est le dernier cut vaut largement le détour : elle y fait sa folle, sa fauve, sa reine du garage et ça s’emballe pour de vrai. On a là un gros classique chanté à la liberté de ton et elle finit à la clé d’apothéose, sous le soleil de Satan.

    jackets,don cavalli

    Il se pourrait bien que leur premier album, Stuck Inside soit le meilleur des quatre. Jackie Jacket y taille une bavette à la serpe dans le mythique « Demolition Girl » des Saints. Elle jette tout son dévolu dans la balance. Sacré courage, car elle tape vraiment dans l’intapable - That’s what I say ! - On trouve sur ce disque trois beaux classiques garage, à commencer par « Get Back With You », impérieux, joué au riffing traditionnel avec des chœurs masculins bien sentis. Restons dans le garage de sang et de larmes avec « Traitor ». C’est là que naît leur extraordinaire balistique cabalistique, cette fantastique exhalaison riffique qui finit par les caractériser. Jackie Jacket prend un solo en franc-tireur et remonte à la note de gamme pour créer la lueur d’incendie. On sent qu’elle a écouté Johnny Thunders et le MC5. Les Jackets sont déjà terriblement bons - I can’t stand it no more yeah yeah yeah - Et puis voilà « Escape », bardé d’accords exponentiels. Jackie Jacket entre à la fine fleur d’excellence, elle cherche le Graal du gras et transforme le riff en or comme un Pic de la Mirandole des temps modernes. Quel sens aigu de la transmute ! Elle explose le garage c’mon avec des brrrr de lippe ! Fab Fab Fabulous ! D’autres cuts titillent bien l’occiput, comme par exemple « Running », gratté au raw to the bone, belle passade de rhythmalama fa fa fa et de yeah yeah yeah, c’est nerveux, excitant, ah la bourrique, elle sait partir sans prévenir, exactement comme Wild Billy Childish, c’est fin, viandu, tapé derrière par l’infernal Chris Rosales - Get outta my way ! - Elle est dessus et maintient une tension vocale impressionnante. Elle enchaîne avec un « Got No Time » digne des Standells, oui, car elle gratte les accords de « Good Guys Don’t Wear White », et tant mieux. Encore une merveille avec « Out Of My Head » et sa violence déterminée. Jackie Jacket travaille à l’escarmouche et c’est vraiment battu à la soudarde, sans aucune moralité. Vilain cut guerroyé à l’axe et gratté mauvais.

    Signé : Cazengler, Jaquéquette

    Jackets. L’Abordage. Évreux (27). 28 novembre 2019

    Jackets. Stuck Inside. Subversiv Records 2009

    Jackets. Way Out. Sound Flat Records 2012

    Jackets. Shadows Of Sound. Voodoo Rhythm Records 2015

    Jackets. Queen Of The Pill. Voodoo Rhythm 2019

     

    Un bon Cavalli n’est jamais le dernier

    - Part Two

    jackets,don cavalli

    Le nouvel album de Don Cavalli arrive quelques mois après la bataille. Enregistré et mixé en avril dernier, il aurait pu se vendre au Rétro. Et même bien se vendre. Cet été, beaucoup de gens ont fait le déplacement pour voir Don Cavalli sur scène.

    jackets,don cavalli

    L’album qui vient tout juste de paraître s’appelle Banjara et ne propose que six titres. Don Cavalli y calme le jeu. Il chevauche en père peinard dans sa Sierra Banjara au son d’un beau gratté d’exotica. I ain’t gonna hide, chante-t-il dans le morceau titre, il a raison, ça ne sert à rien de vouloir se planquer. S’ensuit ce qu’il faut bien appeler un coup de maître : «The Fall (Of The Roman Empire)», un joli balladif dedicated to the followers of the motion. Don Cavalli y développe un fabuleux sens de l’espace, il fait ici une sorte d’Americana miraculeuse qu’il vient claquer au gimmick dans les encoignures. Ce Fall sonne comme une merveille palpitante. Un «Girl At The Drugstore» gratté au deep de deep avec un son sourd comme un pot boucle l’A. Don Cavalli, c’est Hopalong Cassidy avec une guitare en bois, le menton pointé vers l’avenir, il chante à la petite véhémence et gratte sa dentelle d’arpeggio du Montana. Just perfect ! Vous trouverez certainement la B moins spectaculaire. Il y joue son shake d’«Ann-Doo-Wee» aux percus de cabanon. Ah ça gratte sous le poncho. Nous voilà dans un western, même s’il passe au gospel d’église en bois avec «I’m Gonna Shout». Il termine ce bel exercice de style banjarien avec un «Sunny Side Of The Mountain» qui n’est pas sans rappeler le voyage de retour du Desperado, cet appel à la raison lancé au soir d’une vie - Desperado oh you ain’t gettin’ no younger - Il est temps de rentrer à la maison - Come down to your fences and open the gate, chantait le veux Cash à l’article de la mort. Comme le fit jadis le vieux Cash, Don Cavalli tape dans les profondeurs du feeling pour enchanter son Sunny Side.

    jackets,don cavalli

    S’il faut saluer bien bas un album de Don Cavalli, c’est évidemment The Pharoah. Cet étrange objet paru sous la forme d’un double 25 cm en 1999 fit paraît-il sensation à Londres, parmi les amateurs éclairés. Hélas, mille fois hélas, l’objet est devenu inabordable. Pour l’écouter, il faut soit le télécharger, soit se le faire prêter. C’est l’un des meilleurs albums de rockab jamais enregistrés. Histoire de bien donner le La, Don Cavalli démarre en trombe avec une reprise de Charlie Feathers, «Let’s Live A Little». Il ramène tous les petits jets de junk et hiccuppe à gogo. Il enchâsse son rockab avec une niaque épouvantable. Dans le morceau titre, il fait rimer bingo avec Cairo, il swingue sa chique comme un real cool cat et passe un solo des enfers les deux doigts dans le nez. On trouve très vite un coup de génie en fin d’A : «Money In My Shoe». Ce diable de Cavalli savate son bop, il est mille fois meilleur que Cash, il shake à l’os du crotch, à coups de swings de glotte, le son des guitares se perd dans l’écho du temps, il n’existe aucun équivalent de cette sauvagerie, de ce claqué délinquant, Don Cavalli s’agite comme un punk, il retrouve les secrets de la violence originelle du wild rockab, ça goutte de jus, un vrai jus de frappadingue. Il se régale encore plus avec «Behind The Mountain». Personne ne voudra jamais croire qu’il est plus américain que les Américains, et pourtant c’est vrai, il tourneboule son rockabilly à la softerie enfarinée. Le temps d’une chanson, il règne sur le monde, comme le montre la pochette. Crazy cat ! Il fait exactement ce que fit Elvis en 1954 : il ramène sa voix et son déhanché. C’est tout ce qu’il possède. Et ça suffit. Don Cavalli se situe exactement à ce niveau de compréhension des choses. Tu as la voix et le déhanché, alors roule ma poule. Roll on ! Du coup, Don Cavalli s’en sort bien mieux qu’Elvis car aucun Tom Parker ne l’a harponné. Ouf !

    Et ça repart de plus belle en B avec «You’re Gonna Rap». Il explose tous les contours, il joue la carte du gonna rap, chante au lousdé de l’effervescence, il surine ses intentions et viole ses breaks de guitare comme on viole des traités, à l’arrache maximaliste. Il sait aussi partir en mode hillbilly à travers les collines comme le montre «Travelin’ This Lonesome Road», mais il le fait à sa façon, à l’excès de big time de lonesome drifter. En vrai puriste, il joue la carte de l’Americana, qui comme chacun sait, correspond à la vision d’un son. Sans vision, pas d’Americana. Tintin. Sur «Early In The Morning», il émule Charlie Feathers avec un tact et une délicatesse qui n’en finissent plus de l’honorer. Il nous sert cette tranche saignante de rockab du Tennessee sur un plateau d’argent. Il hoche bien son hoquet. Il recrée toutes les conditions du mythe à coup de heavy hiccup, wow cet early in the morning qu’il emmène à fantastique allure ! S’il fallait résumer Don Cavalli en seul mot, ce serait allure. Belle et fantastique allure.

    jackets,don cavalli

    On sort en tremblant de la B et on se demande ce que nous réserve la C. «Master Of Earth» sonne plus classique mais ça reste très sérieux. Il enroule son vaillant Master au ding-a-ling de sing-along avec une présence totémique et enchaîne avec un beau punch-up de saturday night dans «Downtown Saturday Night». Ce mec est bon à pleurer. Il enroule son downtown comme le ferait un géant de Tennessee et quand on a dit ça, on n’a rien dit. Il regorge de véracité, et dans ce domaine très pointu qu’est le rockab, la véracité vaut tout l’or du monde. Tu ne fais pas de rockab sans crédit. Sans voix ni déhanché. Son «Hey Charmin’» tombe d’ailleurs à point nommé, puisqu’on parle de véracité. Il chante ça au délibéré de Memphis, ce mec déambule dans la mythologie avec une classe désarmante. Ce qui stupéfie le plus, c’est qu’il ne frime pas. Il entend le téléphone sonner dans «When The Phone Rang», hey hey - There was a voice/ Speaking so free/ Calling my name - Il nous fait le coup du boogaloo téléphonique et s’amuse à bopper comme un boppeur. Et de la même façon que Jake Calypso, Don Cavalli sait sonner cajun. La preuve ? «Low Rock And Roll». Il va y chercher des dissonances d’attirance gominale with the ole spanish guitar. Il nous ouvre les portes de son monde qui est celui de la musicalité, un monde réservé aux très grands artistes, des gens du calibre de Mac Rebennack, de Leon Russell, de Davy Graham ou de Taj Mahal. Puis sans prévenir, il revient au big time avec «You Ain’t Gonna Be My Baby» et hiccuppe comme un beau diable de Tail Feather. Rien qu’avec son premier album, il est passé complètement à autre chose, ce que viendront confirmer les albums suivants. Il faut entendre Don Cavalli éclater sa vieille éclate : c’est un phénomène unique au monde. Alors et la D ? Ah mon pauvre ! Pas question de souffler. Don Cavalli tagadate de plus belle avec «Your Lies» qu’il chante du menton, il y va, rien ne peut le freiner. Il sonne déjà comme une vieille évidence avec ce cut demented are go à gogo. Il embarque son «Where You Been Honey» à la folie Méricourt, tagada tagada, c’est trémoussé du gogotting et slappé derrière les oreilles. Il propose un real raw rumble de Parasite dans un «Parasite Blues» gratté aux meilleures guitares de la confrérie confédérée. Si on aime bien les éclairs sauvages, c’est ici qu’on les trouve. Il adresse un dernier clin d’œil à Charlie Feathers avec «Cold Dark Night». Il va le chercher dans la taverne. Attention, c’est un épisode extrêmement attachant. Pas déterminant mais attachant. De toute façon, on adore Charlie Feathers.

    Signé : Cazengler, Don Casanis

    Don Cavalli. The Pharoah. Tail Records 1999

    Don Cavalli. Banjara. Doghouse & Bone Records 2019

     

    TROYES - 07 / 12 / 2019

    3 B

    MIKE FANTOM AND THE BOP - A – TONES

    jackets,don cavalli

    Quarante jours sans assister à un concert de pure rockabilly, une véritable mise en quarantaine, un scandale éhonté, une catastrophe planétaire, ne vous raconte pas à quelle vitesse vertigineuse la teuf-teuf roule vers Troyes. Surtout que ce soir, c'est Mike Fantom et ses boys pas du tout atones. J'arrive même avant Lucky le guitariste, ce qui me permet d'assister à sa petite répète personnelle, pas longtemps, l'est pressé de rejoindre ses collègues déjà à table, vous sort sa guitare de son étui et en trois minutes, il effectue tous les règlements nécessaires, royal mais pas manchot le gamin, mais ne gâtons pas le plaisir à l'avance.

    MIKE FANTOM AND THE BOP- A-TONES

    Quatre sur scène. D'abord il faut réviser vos a priori. Sur les fantômes. Si vous pensez que ces esprits sont à même de circuler sans problème entre le mur et la tapisserie, voici une idée fausse. Apercevoir Mike le Fantom vous détrompera aisément : un géant, massif, en chair et en os. Quand il s'approche du micro vous reculez d'un pas devant sa carrure impressionnante. Sont chacun comme cela. Doués d'une personnalité, une dégaine tranchante qui n'appartient qu'à eux.

    jackets,don cavalli

    Big Ben et sa contrebasse, pas vraiment une big mama, une greluche mal formée, poussée en graine de cocotier, au long cou d'autruche déplumée, des hanches étroites, peau de bois , pas la vénus callipyge aux formes rondouillardes attendue, mais cette maigrelette Big Ben qui ne semble lui prêter qu'une attention distraite ne cesse, l'air de rien, de la frapper durement. Pas en brute, en tire un son d'une lourdeur veloutée – quand on pense qu'il y a des gens qui dépensent des fortunes pour des séances de thérapie sonore – imaginez un éléphant en chaussons roses qui fait des pointes sur le plancher de l'opéra, vous avez les lattes de bois qui fléchissent et craquent puis qui reprennent leur situation initiale dès que la grosse patte se relève et vous sentez une puissante vibration vous envelopper. Durant les trois sets Big Ben n'a pas arrêté une seconde de nous servir ce doux ravage dans nos oreilles, nous a concédé deux petits solos aussi claironnants qu'une trompette, mais pas plus. Sûr de son fait, vous offre la crème de la crème. Et vous n'en avez jamais goûté d'aussi fouettée, d'aussi onctueuse.

    Ce grand blond, avec ses lunettes, son grand front intelligent, et son air de mathématicien absorbé en train de résoudre dans sa tête une équation du vingt-septième degré, c'est Marco. Il est assis devant sa batterie. Je précise, car vous pourriez ne pas vous en apercevoir. Le mec ne cherche pas à vous en mettre plein la vue, pour la grosse caisse, l'a choisi la taille fillette, le plus petit modèle disponible dans le commerce. Idem pour la caisse claire, une extra plate, presque un frizbee, un tambour sur sa gauche, pour les autres toms vous remarquerez leur absence. Le minimum vital de survie. Toutefois une frivole fantaisie, une cloche de vache en plastique rose à mon humble avis d'une laideur repoussante. Mais où va-t-on avec cette parcimonie même si on rajoute deux cymbales et une charleston ? Direct au trouble auditif. Car le Marco quand il tape c'est sec comme une écaille de serpent qui joue au cache-nez strangulateur autour de votre gorge, et net comme un bris de vitre qui vous décapite sans que vous vous en rendiez-compte. Comment peut-il arriver à développer une tel ravage sonore avec un kit si minimaliste. Sur Whipe out par exemple il s'est permis trois petits soli aussi efficaces que la lame d'un gladiateur qui sectionne la carotide de son ennemi tombé à terre. Des tueries de trente secondes qui arracheront des cris de joie au public.

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    Un bémol. L'on sait bien que Lucky n'est ici qu'en remplacement. Mais à choisir un guitariste autant en prendre un qui sache jouer. J'ai le regret de le répéter. Lucky ne joue pas de la guitare, il s'amuse de sa Gretsch. La face éclairée d'un sourire malicieux. Pétillant de mille feux. C'est qu'un morceau de rockabilly, c'est comme un château de cartes, un équilibre miraculeux, un poker qui se gagne, mais que l'on n'a pas le droit de perdre. Dure tâche pour les guitaros, la note N à l'instant T, pas une autre, ni un peu plus tard, ni un peu plus tôt. Pile à l'heure exacte. Tout cela Lucky il sait le faire, il s'en charge parfaitement. Impossible de comprendre comment il fait, mais lorsqu'il a accompli l'impossible, il lui reste encore du temps de rabe. Exemple : il ne peut pas passer un riff comme tout le monde, une fois qu'il a fait son boulot, l'éprouve le besoin mauvais de vous le cisailler en mille morceaux, de lui foutre les tripes à l'air et de s'en servir comme guirlandes pour décorer le sapin de Noël. N'est pas toujours aussi cruel, l'a de délicates intentions, dans un rock torride, dans un maelström dévastateur, au milieu de la tourmente et de la tempête, il hausse sa guitare vers le public, et son visage s'illumine d'une ironique expression extatique pour vous faire écouter le cristal de quelques fragiles notes qui se complaisent à imiter le son charmant d'une mandoline énamourée.

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    La revue des effectifs est-elle terminée. Non, il y a un général à cette armée de bras casseurs. Mike le Fantom, bien sûr. Ne lance pas du gaz inerte dans les tuyaux. Uniquement de l'hydrogène explosif. Quand il s'empare d'un morceau, il vous en étrille le vocal d'une bien belle manière. C'est comme s'il engageait sa vie et celle de sa fille dans le tumulte. Traitez-le de tête brûlée, mais pas de mauvais père. Quand il boppe il ressemble à Hercule toujours vainqueur avec son art d'enfoncer les crânes avec sa massue. Mike s'en sort toujours haut la main. Que ce soient les compos du groupe ou les classiques – une petite préférence pour Al Ferrier ce qui n'est pas un choix des plus banal – ah, ce Vampire Baby à vous glacer le sang, et ce Real wild child sauvage à souhait.

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    Et puis Mike il a un truc en plus. Une voix chaude et empathique qui renforce ses pointes d'humour entre les morceaux, une simplicité bonhomme qui ravit l'assistance qui répond et renvoie la balle qu'il saisit au vol. Haute maîtrise et grande simplicité. Sait s'effacer, durant les instrumentaux et laisser la place aux copains. Lucky qui ne s'en prive pas, car en plus de jouer de la guitare comme un dieu, le garnement chante. Là on peut affirmer qu'il sait chanter. Vous transbahute les couplets à croire qu'il chasse les ratignoles à grands coups de balai meurtriers. Cet intermède local l'a émoustillé. Il ne faut jamais réveiller le fauve qui dort en vous, sur Guitar Breaker – un titre sur mesure – il finit par terre à genoux, rejoint par Mike, et même Big Ben vient se mêler à ce capharnaüm de délire collectif pendant que derrière sa batterie Marco sonne la batucada de la fin du monde, à coups de breaks caterpillaresques qui vous encombrent les tympans jusqu'au terminus de votre vie.

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    Le deuxième set restera impérissable dans les mémoires des assistants. Bien sûr cette interprétation tragi-comico-hilarante de Watcha Gonna Do transformée en espagnolade, Marco ponctue en sous-main d'un pontifiant paso-doble – que dis-je d'un paso sextuplé – Mike se la joue en pseudo-cantaor de flamenco, Lucky le chanceux gratte sa guitare à la manière des gitanos de Séville, et Big Ben égrène de lourdes notes qui tombent comme des larmes, l'ensemble évoque le taureau désolé et attendri au milieu de l'arène qui pleure pour consoler le torero de son chagrin d'amour incapacitant car le potentiel meurtrier n'a plu la force d'accomplir son office, oui, il est cocu le matador au cœur d'or ! Mais surtout la quinte flush Shool of rock'n'roll, Blue Suede Shoes, Rockin Ball ( destiné à sortir sur un tribute album le 8 janvier 2020 pour l'anniversaire d'Elvis Presley ), Let's go Boppin Tonight, Skinny Jim ( un petit Cochran n'a jamais tué personne mais vous allonge à jamais sans rémission ), Mike époustouflant dans sa tunique léopard, il chante le rockab, ni à l'américaine, ni à l'anglaise, mais à la Mike, selon sa propre idée créatrice, qui vaut son pesant d'or originel. Bouscule les phonèmes avec une netteté jubilatoire.

    Le troisième set passera en une seconde, malgré ses quatre rappels, et le groupe qui serait bien resté encore un peu pour nous régaler... nous retiendrons ce Justine, l'est sûr à la manière dont Mike dégobille les lyrics d'une façon si jouissive qu'elle a connu toutes les infortunes de la vertu et toutes les fortunes du vice. Nous terminerons, sur les riffs berryques de Lucky à faire sauter les barriques et vous faire tourner en bourrique. C'était le dernier concert de l'année au 3 B pour lequel il faut une fois de plus remercier Béatrice la patronne. Mike Fantom and the Bop-A-Tones nous ont régalés d'une apparition et d'une prestation terrifiantes. Allez les voir et vous croirez aux fantômes.

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    Damie Chad.

    P.S. : sans oublier Alex qui n'était pas là, mais présent dans nos pensées.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot et FB : Michel Texier )

    ROCK'N'ROLL STORIES

    ( Chaine You tube ou FB )

    jackets,don cavalli

    L'on ne se refait pas. Difficile de se débarrasser de ses vices. D'autant plus quand il s'agit de rock'n'roll. Là, c'est impossible. Surtout quand l'on cause du earlier rock'n'roll. Quand vous avez trempé les doigts dans les pots de confiture de l'armoire de votre grand-mère vous y revenez toujours. Malgré les plus terribles punitions. En plus chez Rock'n'roll Stories c'est ouvert à deux battants. Que voulez-vous il existe des gens qui n'imposent pas de droit d'entrée à leurs passions. Font partager. Alors là je me gave. En plus je m'instruis. Je connais l'histoire par cœur, mais j'y reviens comme l'assassin sur le lieu de son crime. Toujours un détail que l'on ne savait pas, une pochette que l'on n'avait jamais vue, une vue de l'esprit qui ne nous avait jamais traversé. Bref mille et une bonnes et mauvaises raisons de goûter au beurre de cacahouète pimenté du rock'n'roll.

    L'on a déjà visionné ensemble Eddie Cochran, Buddy Holly et Gene Vincent, ce coup-ci ce sera Bill Haley.

    ROCK'N'ROLL STORIES

    Série 1 / Episode 2

    BILL HALEY ET SES DEUX PREMIERS LP

    Tromperie sur la marchandise. Vous avez acheté un kilo de farine chez l'épicier du coin et vous vous retrouvez avec un kilogramme de pure cocaïne. Bien sûr la quantité est moindre, la vidéo ne dépasse pas les treize minutes. Mais quelle qualité ! Des informations de première main. Préparez-vous à stopper le film à tout instant parce que les pochettes défilent à la vitesse d'un imperturbable vol d'oiseaux migrateurs. Faudrait changer le titre. Les deux premiers LP de Bill Haley, vous les verrez certes, mais cela devrait s'intituler les débuts du rock'n'roll, ou plutôt A la recherche des mythiques racines introuvables du rock'n'roll. Une entreprise aussi insensée que la remontée du Nil de son Delta terminal à sa source originelle. Z'oui mais ceux qui ne l'auront jamais tentée le regretteront toute leur vie.

    Bill Haley fut-il le créateur du rock'n'roll ? Ce qui est sûr c'est qu'il fut le premier des pionniers du rock. La différence est subtile mais réelle. De toutes les manières l'on ne prête qu'aux riches, et sa couronne lui sera volée par un Roi plus jeune que lui. Ce n'est qu'une image, mais les dernières années de Bill furent terribles, oublié de tous, arpentant sans fin les trottoirs de sa ville mortuaire, on l'imagine sans peine en héros shakespearien, perdu en sa dépression pré-létale, hurlant à la foule '' My Kingdom for a rock'n'roll !'', alors que la pendule fatidique du rock sonnait son heure ultime.

    jackets,don cavalli

    Elvis naît en 1935, Bill Haley débute dans le métier en 1946... Une grande différence entre les deux, Bill provient du Hillbilly, du western swing, de la country, Elvis exactement pareil mais avec une grande différence, si tous deux s'inspirent de la musique noire, le premier effectue un démarquage, ne le rend pas forcément plus policé, car ça swingue dur sur ses disques, mais son vocal est des plus blancs, alors qu'Elvis commet le sacrilège de véhiculer sur ses enregistrements un impact vocal émotionnel typiquement noir. Elvis rejoint la filigrane du blues, Bill Haley se cantonne au rhythm'n'blues. N'empêche que Presley était infiniment doué et que le beau baryton de ses ballades relève d'une tradition toute européenne. S'il y a eu un melting pot réussi aux USA, c'est avant tout le croisement des origines musicales.

    jackets,don cavalli

    C'est en 1952 que les Saddlemen de Bill prennent le nom de Comets. Jeu de mots comateux avec la comète de Haley. Chez Rock'n'roll Stories dans l'ensemble des musiciens qui gravita autour de Bill c'est à Rudy Pompilli que vont les préférences. C'est vrai que le sax de Pompilli cartonne et écrase tout ce qui bouge autant que le Vésuve dans Les derniers jours de Pompéi. Fait un sacré ménage, le saxo en fureur aboie encore plus que tous les hound dogs de la création. Pour nous, c'est dans le solo de guitare de Danny Cerrone de Rock around the clock que le rock prend vraiment son essor. A ceci près que Cerrone se contente de glisser dans le solo qu'il avait crée trois ans auparavant pour Rock the joint comme le raconte Tony Marlow dans le numéro spécial de Jukebox magazine que tout rocker se doit de posséder, le fameux Rock'n'roll Guitare Heros. Quoi qu'il en soit c'est avec le premier album de Bill chez Essex Rock with Bill Haley and the Comets qui contient entre autres pépites Crazy man crazy, Rock the joint, Farewell so long good-bye, que débute le rock'n'roll. Enfin presque, ou presque pas. Nous sommes invités à écouter la version de 1952 de Rock around the clock par Hal Singer. Ce que je ne manque pas de faire. Une version très swing, beaucoup plus légère et moins cogneuse que celle de Bill, avec passage solo de cuivres à la big band jazz, qui n'est pas sans rappeler les premières moutures ''rock'' auxquelles s'essaieront les français comme Moustache au milieu des années cinquante. Il existe aussi une version originale par Sonny Dae and the Knight enregistrée vingt-trois jours avant Bill et ses Comets. Le deuxième LP sera le Rock Around the Clock paru en 1954 chez Decca. L'on ne s'y attarde guère, la carrière des Comets et de leur mentor est lancée, mais Bill Haley est-il vraiment le père du rock'n'roll ? Je vous laisse regarder la suite passionnante.

    Damie Chad.

    ROCK'N'ROLL STORIES

    Série 1 / Episode 5

    BLACKBOARD JUNGLE

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    Rock around the clock aurait-il mis le feu aux poudres planétaires si le titre n'avait pas été inclus dans la bande-son du film Blackboard Jungle, Graine de violence en version française, paru en 1955. Nous ne le pensons pas, n'oublions pas que Rebel Whithout a Cause avec James Dean, et The Wild One avec Marlon Brando ont en un premier temps davantage marqué les imaginaires et les attitudes des jeunes adolescents que la musique des premiers rockers. Elvis inconnu rêvait d'être acteur. Cet aspect n'est point approfondi dans la présentation. Réalisateur et principaux acteurs nous sont présentés, générique de leurs carrières et analyse de leurs talents, de véritables professionnels certains d'entre eux viennent du théâtre, leur filmographie réveille bien des souvenirs, des films comme 3 Heures 10 pour Yuma ou comme La chatte sur un toit brûlant, sont des classiques qui ont permis à la culture américaine d'entrer en symbiose avec l'européenne.

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    En son temps dans la grande Amérique Graine de violence marqua les esprits. Un professeur qui croit en son métier se trouve confronté à des jeunes garçons issus des basses couches populaires de New York. Blackboard Jungle entraîna bien des débats dans la société blanche d'outre-atlantique, l'élève positif qui veut à tout prix s'en sortir est un jeune noir, et le rôle de la sombre crapule est réservé à un blanc. La pellicule fut une étape non négligeable dans le combat pour les Droits Civiques. Le film se révéla aussi prémonitoire, bien plus que le livre dont il fut tiré, voir notre livraison N° 20 du 27 / 09 / 2010 consacré à l'ouvrage d'Ed Mc Bain paru sous le pseudonyme de Steve Hunter. Une simple adjonction fortuite, pas du tout réfléchie à un niveau idéologique ou artistique, juste une opportunité financière de détention de droits musicaux qui décida de l'inclusion de Rock Around the Clock dans le générique. Mais lorsque l'on remet en relation le morceau de Bill Haley avec la scène au cours de laquelle les élèves cassent la collection de disques de jazz que leur professeur essayait de leur faire connaître et aimer, cette inclusion pratiquement fortuite prend un sens symbolique non escompté. L'on ne pouvait mieux faire pour signifier aux jeunes générations que le jazz était la musique des adultes, et le rock'n'roll, le rythme de la jeunesse. Fatidique et significatif passage de témoin. Dans The Wild One, sorti en 1953, les motards rebelles écoutent du jazz... Foudroyante accélération de l'Histoire qui se met à l'heure du rock'n'roll...

    Damie Chad.

     

    SYLVIEJOHNNY

    LOVESTORY

    MARIE DESJARDINS

    ( Les Editions du Cram / 2016 )

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    Les livres consacrés à Johnny ne manquent pas. Certains adulent Hallyday et d'autres l'abhorrent. Pour ces derniers peut-être a-t-il vécu l'existence tourbillonnaire qu'ils auraient tant aimé vivre. A laquelle ils n'ont pas osé prétendre. Nietzsche nous a prévenus, nos conduites sont souvent filles d'un ressentiment dont nous refusons d'être conscients. Nos petits arrangements avec la vie – les citernes vides de notre si terne existence pour employer les mots qui disent au plus près nos inconséquences – grimacent comme autant d'ironiques miroirs brisés. Aujourd'hui Sylvie Vartan n'attise plus les mêmes adorations et les mêmes jalousies qu'autrefois. Certes elle fut la compagne de Johnny – il y a longtemps – mais elle n'était qu'une yé-yé, avec tout ce que ce terme induit de mépris et de condescendance. Qu'on lui en dénie ou reconnaisse le titre, au-delà de toute admonestation vitépurative ou récupération laudative, Johnny reste un rocker. Le rocker français par excellence. Le fondateur.

    C'est du Canada neigeux que nous vient cette étrange chronique des amours tumultueuses de Sylvie et Johnny parue pour la première fois en 2010 chez Transit Editeur. Peut-être n'est-ce pas un hasard si elle provient de ce pays en même temps cousin et si lointain du nôtre. L'auteur n'est autre que Marie Desjardins, nous avons beaucoup apprécié voici quinze jours son Ambassador Hotel, La mort d'un Kenedy, la naissance d'une rock star, roman imaginaire d'un groupe de rock qui n'a jamais existé, hormis peut-être dans les égrégores – ces résidus psychiques - de l'inconscient collectif de tous les rockers du monde. Qui ne se tendent guère la main et ne s'unissent point davantage, mais ceci est une autre histoire. Tribus indiennes hautement bariolées toujours prêtes à déterrer la hache de guerre l'une contre l'autre.

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    Les passions humaines sont-elles comme ces soleils morts dont la lumière nous parvient encore des millions d'années après leurs extinctions. Existent-ils des brasiers incandescents qui jamais ne s'éteindront. Marie Desjardins s'est-elle voulue vestale sacrée chargée par les Dieux de rallumer le feu d'un foyer dévasté par les cendres oublieuses du temps passé qui toujours vole de l'avant, obstinément aussi immobile que la flèche cruelle de l'imparable Zénon, refusant de s'enfuir et renaissant éternellement dans la stagnance de sa propre présence ?

    Dans les pages de garde de la rubrique '' Même auteur'' Sylvie , Johnny love story est classé dans la rubrique de quatre romans écrits par Marie Desjardins. Nous en prenons acte, ce qui ne nous empêche guère de penser que nous inscririons plutôt ce texte dans la rubrique Poésie ( absente de cette bibliographie ), ou alors de l'entrevoir à la manière antique, comme ce talismanique Daphnis et Chloé, roman choral de Longus. A la mode de chez nous. De nos temporalités heurtées. Rien de pastoral ni de bucolique dans les amours tourmentées de Sylvie et Johnny.

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    Une histoire d'une banalité absolue, celle d'un couple qui se rencontre, qui s'aime, qui se déchire, qui divorce. Avec tout ce que ce dernier terme induit de conduites sociétales. De ces scansions indépendantes de notre seule volonté qui entremêlent en une même tresse nos inclinations atomiques les plus intimes avec les sanctions symboliques prévues par la loi grégaire du groupe. Nous y réfléchissons peu, mais à chaque moment nous subissons la manipulation prédatrice et insensible de nos congénères.

    Avant d'ouvrir ce livre, l'on pourrait opérer un procès d'intentions en facilité à Marie Desjardins. Un ouvrage qui ne manque pas de pain. Facile à écrire puisque la documentation est pléthorique. Rien qu'avec les unes de France-Dimanche et les articles de Match, le volume n'est pas commencé qu'il est déjà écrit à moitié. Pour être gentil, parce que si l'on rajoute les biographies des deux principaux intéressés, les témoignages des principaux témoins de l'affaire, sans parler des nombreux ouvrages dévolus à l'exploration plus ou moins croquignolesques de la carrière de Johnny, ce sont les neuf dixièmes du bouquin qui sont performés avant même d'en avoir tapé le premier mot sur un ordinateur. Oui, mais Marie Desjardins ne mange pas de ces farines-là. Certes elle connaît son sujet, n'en ignore aucune anecdote, mais elle a refusé de se laisser envahir par les détails qui vous enlisent, avant de se vouer à cette tâche elle a soigneusement chassé de sa table de travail, vilains mots remplaçons-les par son espace – physique et mental – de création, toute oiseuse documentation. Je ne citerai qu'un seul exemple. Parmi mille autres possibles.

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    En juin 1973, le hit J'ai un problème squatte toutes les antennes de radio, les paroles sont de Jean Renard ( provinois notoire et grand-père de Shaké Mouradian dont nous chroniquâmes voici neuf ans le roman Jude R dans notre livraison 78 du 22 / 12 / 2011 ) elles mettent en scène les retrouvailles de Johnny et Sylvie, la énième assomption du couple qui bat d'une aile frénétique, à la télévision l'on aura droit '' en direct '' au baiser de réconciliation des deux amoureux – toute la France populaire émue en pleure de bonheur en ses chaumières – la bonne aubaine pour Marie Desjardins, un chapitre entier, au minimum vingt pages d'assuré, et en avant la musique, tous les dessous et tous les dessus de l'affaire révélés, analysés, scrutés en ses tréfonds les plus sordides. Ben non ! Pas une ligne. Pas un mot. Passé à l'as de pique. Vous n'en saurez rien. Marie Desjardins s'en désintéresse totalement. Ce n'est pas le sujet de son livre.

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    Vous tiquez. Comme un cheval qui n'en finit pas d'avaler de l'air en s'appuyant sur le rebord de son abreuvoir. Je suis désolé, mais ce qui va suivre renforcera votre angoisse. Qui voit-on dans cet ouvrage : Johnny et Sylvie – respirons c'est la moindre des choses – un soupçon de parents de Johnny, un petit peu plus ceux de Sylvie, David – l'enfant de l'amour – Carlos le secrétaire de Sylvie. Et puis c'est à peu près tout. Quelques noms de-ci de-là surnagent dans le désastre de cet anonymat collectif. J'oubliais la bruyante suite tapageuse non identifiée des copains de Johnny. A la cour du roi Johnny, plus on est de fous, plus on rit, plus on boit... Et puis plus rien. Marie Desjardins n'est pas une adepte du name-dropping. Ne donne pas dans ce genre de facilité. Si cela vous chante vous pouvez vous amuser à un super-jeu de société : ah oui, là c'est la scène avec Bidule... et ici c'est quand Schmoulefrite fait... Il est indubitable que Marie Desjardins ne participera pas à vos futiles amusements de Monsieur-je-sais-tout-de-Johnny ou de Madame-je-n'ignore-rien-de-Sylvie. Manifestement elle n'est pas une fanatique des triviales poursuites circonstancielles. Les noms ont ici pour ainsi dire fonction de couleur locale.

    jackets,don cavalli

    Certes vous avez le décor, les lieux, les endroits, les meubles, les objets, les couleurs. Ne décolle pas non plus de la trame chronologique, les pérégrinations familiales, les circonstances historiques de la cette première génération née durant la deuxième guerre mondiale et qui s'éveillera à l'aube des trente glorieuses, les entrechats du showbiz, l'enfance de nos héros, leur rencontre, leur attirance, leurs fiançailles, leur mariage, leur vie de couple, leurs carrières... Certes s'il avait été agent d'assurances et elle vendeuse dans une boutique de fringues... Rien ne se serait passé comme elle le raconte. Les modalités de votre existence influent sur votre personnalité, votre caractère, vos goûts, vos idées, votre pensée et vos sentiments, vos actes et vos volitions. Marie Desjardins n'oublie aucun de ces termes. Mais elle vise au plus intime. Ô insensé qui crois que je ne suis pas toi. Elle raconte Sylvie et Johnny en dehors de toutes les écorces mortes du vécu.

    Comment notre vécu s'interpénètre-t-il avec notre sensibilité ? Comment l'extérieur influence-t-il notre intérieur. Comment le monde nous modifie-t-il, comment se sert-il de notre étendue psychique pour la modeler entre le pouce de la nécessité et l'index du hasard afin de nous transformer à sa guise, tel Descartes joue en ses Méditations avec la cire de l'étendue, et comment réagissons-nous à cette empreinte, comment parvenons-nous à y imprimer la marque indélébile de ce que nous sommes, ou de ce que nous croyons être, ou de ce que nous désirons être !

    jackets,don cavalli

    Là n'est-il pas le problème fondamental. Savoir exactement la puissance de notre opérativité, de notre efficience personnelle sur le monde. La réponse qu'en apporte Marie Desjardins n'est pas des plus optimistes. En apparence nos deux amoureux ne parviennent à n'interagir que l'un sur l'autre. Soyons négatifs : ils sont victimes, soyons positifs : ils sont porteurs de leurs propres êtralités, ils ont beau faire, ils ont beau dire, certes ils ont choisi leur vie, n'ont pas ménagé leurs peines et leurs joies en toute connaissance de cause des nécessaires implications artistiques et existentielles – tournées incessantes, éloignements impératifs – dans le but recherché d'assouvir et d'explorer les potentialités de leurs métiers respectifs. Jamais ils n'auront la force de surmonter, non pas leurs différences, non pas leurs divergences, mais leur trajectoire impulsive, cette course toute personnelle dans laquelle nous nous propulsons selon les affinités les plus électives de notre propre consubstantialité, par laquelle et en laquelle, à nos corps semi-défendant et semi-consentants, nous sommes happés en un engrenage pervers des plus étrangers, des moins maîtrisables.

    jackets,don cavalli

    Johnny et Sylvie se sont aimés. Ils auraient pu être heureux. Ils l'ont été. Par intermittences, ce qui est déjà beaucoup, mais le pire c'est qu'ils ne l'ont pas été, sinon aussi par intermittences. Unis par un sentiment d'incomplétude souveraine. C'est cela que s'attache à rendre visible Marie Desjardins, nous fait pénétrer dans l'âme esseulée et désertée de nos deux héros. Elle s'attarde davantage sur Sylvie, peut-être parce qu'elle est femme et qu'elle distingue mieux les affres et les pâmoisons féminines, sûrement parce que Johnny est plus secret, plus ténébreux et que toute une part de la psyché masculine reste pour elle un continent noir... peut-être parce que Sylvie a beaucoup plus souffert que Johnny, qu'elle était en attente de Johnny, alors que Johnny, grand amateur de chair féminine, ne s'interdisait la consommation d'aucun lot de consolation ou de conquête... Johnny le rocker, sex, drugs and rock'n'roll, Sylvie non pas l'épouse éplorée mais la femme de tête et de stratégiques concessions... Qui ne furent pas à perpétuité. Mais Marie Desjardins ne charge point plus fort l'un des deux plateaux de la balance, un fait reste indubitable : Johnny et Sylvie se sont aimés. Sincèrement, authentiquement. Une love story qui doit se terminer comme toutes les histoires, puisque par essence toute histoire a une fin. Une passion. Autrement dit, une tragédie ontologique. Un aérolithe tombé par mégarde destinale sur deux êtres humains qui n'étaient pas faits l'un pour l'autre, si on estime le phénomène selon les paramètres de la froide raison, un cadeau des Dieux destructeurs, trop grand pour être contenu dans deux misérables vies humaines, cause kaotique d'une irrémissible fracture initiale. A entendre Le cœur en deux de Johnny Hallyday je n'ai jamais pu m'empêcher de penser à la couverture de la première édition d'Au-dessous du Volcan de Malcolm Lowry ( dans Folio) , en tant qu'image tarotique de haute signifiance.

    jackets,don cavalli

    Dans ce livre Marie Desjardins s'est attachée à décrire les émois d'une passion, ses désirs, ses troubles jouissances car ne jouit-on pas davantage de soi-même que de l'autre au travers des étreintes les plus fougueuses comme les plus tendres, ses folies, ses cassures, ses débris, ses détritus, ses désespoirs, ses triomphes, ses victoires, ses défaites, ses incendies, ses extases, ses outrances, ses outrages. A foison le poison ! Ces pages sont à lire comme autant de monologues raciniens, Marie Desjardins use d'une écriture sans appel, un scalpel introspectif qui n'épargne rien, qui triture les chairs de l'âme, qui la met à nu, qui ne cèle rien, ni les non-dits, ni les mensonges que l'on se raconte, ni les rancœurs secrètes qui rancissent le cœur encore plus cruellement que les trahisons les plus éclatantes.

    Un lied sauvage et mordoré à la Tristan et Yseult, mais à la fin duquel et Tristan et Yseult oublient de mourir. Point de mort dorée. Ne se termine pas bien. Mais ne finit pas mal non plus. Piteusement, serait-il le mot le plus adéquat ? Puisque nous avons en ce début de chronique cité Nietzsche, le forgeron philosophe, empruntons-lui les mots de la fin. Humain, trop humain.

    Un beau livre. Un poème. Un pur poaime. Pas forcément rassurant. Une tenace menace. L'inconciliabilité naturelle des êtres.

    Damie Chad.

  • CHRONIQUES DE POURPRE 441 : KR'TNT ! 441 : MUDDY GURDY / CEDRIC BURNSIDE / JAKE CALYPSO + MYSTERY TRAIN + HOT CHICKENS / TOXXIC QUEEN / BURNING DEAD / WILD / VOLUTES / CRASHBIRDS / SO LUNE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 441

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR'TNT KR'TNT

    05 / 12 / 2019

     

    MUDDY GURDY / CEDRIC BURNSIDE

    JAKE CALYPSO + MYSTERY TRAIN + HOT CHICKENS

    TOXXIC QUEEN / BURNING DEAD / WILD

    VOLUTES / CRASHBIRDS / SO LUNE

     

    Cedric a la trique - Part Three

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    Voilà ce qu’on appelle un plateau d’argent : Muddy Gurdy suivi de Cedric Burnside. Ils sont pourtant venus jouer en Normandie au début de l’année, mais si on revient les voir, c’est précisément parce qu’il faut revenir les voir. Dire combien ils sont bons n’est pas chose facile. Tia Muddy Gurdy et Cedric Boom Boom Burnside brûlent d’un feu sacré qui s’appelle le blues, the real one, celui de la région de Como, Mississippi, ce coin paumé où rôdent encore les esprits de Fred McDowell, de Junior Kimbrough et du grand-père de Cedric, Rural Burnside, comme l’appelait Tav Falco. Tia Muddy Gurdy vient d’Auvergne, mais elle est allée faire un stage là-bas, comme on l’a dit dans un Part One ou un Part Two, et avec ses deux collègues auvergnats, elle y a enregistré son fantastique album avec tous les descendants des légendes pré-citées, notamment Cedric Burnside, Shardé Thomas, petite fille d’Otha Turner, et Cameron Kimbrough, petit-fils de Junior Kimbrough. Ça fait du bien d’enfoncer les mêmes vieux clous, on a l’impression d’œuvrer pour une bonne cause, même si on sait au fond de soi que ça ne sert à rien. Il n’y avait pas vraiment foule au concert, Cedric Burnside et Tia Muddy Gurdy ne remplissent pas autant les salles que le font les petits artistes electro-pop à la mode. Le problème vient peut-être du fait que Cedric et Tia proposent un son destiné aux connaisseurs. L’aspect pour le moins primitif de ce son peut dérouter les gens. On en a vu deux à la sortie qui semblaient consternés, le plus petit des deux allant même jusqu’à dire : «Bah y font toujours la même chose !»

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    On ne doit pas avoir les mêmes oreilles, car dans les deux cas, Muddy Gurdy comme Cedric Burnside, la palette de sons est extrêmement riche et variée, même dans un contexte aussi primitif. Tia Gouttebel portait ce soir-là une petite robe noire et proposait sensiblement le même répertoire que celui du mois de février, un choix de cuts haut de gamme qu’on retrouve d’ailleurs sur son album : «She Wolf» de Jessie Mae Hemphill, «See My Jumper Hanging On The Line» de R.L. Burnside, le gospel batch de «Glory Glory Hallelujah» et puis cet exercice de haute voltige consistant à reprendre «Down In Mississippi» de JB Lenoir, l’un des fleurons de l’intouchabilité des choses. Tia en fait un truc à elle, mais elle perd au passage de charme chaud de la voix du grand JB. Ça reste néanmoins un plaisir que de voir Tia gratter sa gratte au picking demented, elle parvient à enrichir son jeu en grattant du pouce et des trois doigts, semant dans son sillage des nuées de ding-a-ling effervescents. Elle joue avec cette petite rage bien combinée, on sent qu’un feu la dévore, elle s’immerge complètement dans son son et rejoint par la bande l’esprit chamanique du North Mississipi Hill Country Blues. Chacune de ses notes est une preuve de purisme, elle nous emmène aux antipodes du Chicago Blues souvent basé sur le m’as-tu-vu et revient à ce que les Anglais appellent l’inherent, c’est-à-dire l’intrinsèque, l’esprit même du blues à peine débarqué d’Afrique, cet esprit hypnotique basé sur un mélange sacré, ou un sacré mélange, c’est comme tu préfères, la perte des racines et la connaissance instinctive des distances, celles des déserts et de la savane, la brousse n’est-elle pas la même au Sénégal que dans le Mississippi ? Les animaux sauvages n’y sont-ils pas les mêmes ? Bien sûr que si : le lion tue aussi sûrement que le blanc dégénéré.

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    Tia Gouttebel re-connecte avec cette fusion des dimensions, elle développe dans son son cette intelligence sauvage qui te permet, si tu es noir, de jouer du blues quand ta vie est baisée. Elle renoue avec cette beauté venue du fond des âges via les bateaux négriers, toute cette culture de la contemplation transformée par le pire commerce qui ait jamais existé sur cette terre, la traite des nègres. Il est essentiel d’avoir tout ça bien présent à l’esprit quand on écoute Tia jouer ce type de blues, même si elle est blanche. Mais c’est peut-être parce qu’elle est blanche qu’elle passe comme une lettre à la poste, de la même façon que Mike Bloomfield ou Peter Green, ces gens atteignent des niveaux artistiques qui les autorisent à fondre les concepts dans un moule pour les transcender. Tia Gouttebel détient ce pouvoir, elle ne cherche pas à étendre son répertoire, elle se contente de sonner juste. Épouvantablement juste. En plus, elle dispose de l’atout fatal : la voix. Elle peut rendre hommage à cette reine de la nuit que fut Jessie Mae Hemphill, qui rappelle-t-elle, ne sortait jamais sans son petit chien et son flingue.

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    On est à Cléon, à deux pas de l’usine Renault, mais Tia nous expédie dans une autre réalité, ou pour être plus précis, nous donne une toute petite idée de ce que serait cette autre réalité. Sachez par exemple que Jessie Mae Hemphill vivait à la fin de sa vie dans une caravane et si tu frappais à la porte, tu avais intérêt à ne pas rester devant, car elle tirait des coups de fusil à travers cette porte. Tav Falco savait où se trouvait la caravane et il prenait sa moto pour aller rendre visite à Jessie Mae qu’il vénérait. C’est tout simplement miraculeux qu’une personne en France ait l’idée de rendre hommage à une artiste aussi fondamentale que Jessie Mae Hemphill. Mais aussi à Otha Turner dont elle reprend le «Station Blues». Souvenons-nous que Jim Dickinson transforma le vieil Otha en Dionysos pour le célébrer. Dommage que Tia ne s’étende pas davantage sur JB Lenoir quand elle annonce «Down In Mississippi», car JB dit des choses assez graves sur le Mississippi, comme d’ailleurs Andre Williams dans «Mississippi & Joliet», c’est un endroit où les gens n’aiment pas beaucoup les nègres. Avec «Down In Mississippi», JB Lenoir revient sur le thème qui l’obsède : la chasse aux nègres - They had a huntin’ season on a rabbit/ If you shoot him you went to jail/ The season was always open on me/ Nobody needed no bail - Quand vous reverrez le Mississippi Burning d’Alan Parker, vous comprendrez ce que JB voulait dire par «chasse aux nègres». Il est essentiel de préciser que JB Lenoir fut l’un des militants noirs les plus engagés contre le racisme prédatoire du Deep South.

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    Cedric Burnside a de la veine d’avoir une gonzesse comme Tia en première partie. Quand il arrive sur scène, la salle est chauffée, l’ambiance bien palpable. Comme il le fit en début d’année, Cedric démarre son set assis. Il claque quat’ cuts à coups d’acou et s’il devient très vite spectaculaire, c’est parce qu’il fluidifie de plus en plus son jeu, accompagnant chaque note d’un mouvement de tête assez sec. Il joue un blues âpre et beau, très physique, très fascinant. Il joue comme Tia, au picking demented, avec une main droite posée en cloche au dessus du chevalet, cling clang tchak a-cling clong, il taille des passages rudimentaires dans l’infinitude des possibilités du blues d’accords ouverts, et finit toujours par retomber sur ses pattes en traficotant des figures de style extrêmement tintantes.

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    Il fait claquer toutes ses notes comme s’il traquait la moindre résonance, il clic-claque comme un one-man magic band de Circumstances, mais comme si cela ne suffisait pas, il fait le show avec une ferveur qu’il tempère magistralement par des éclats de rire. Cedric Bursnide n’arrive même pas à se prendre au sérieux. Il faut voir ce cirque : chaque fois qu’il sort vainqueur d’une transition aventureuse, il se marre comme un bossu. C’est l’apanage négroïde, la candeur définitive. Il a bien compris qu’en France les gens ne comprenaient pas l’Anglais, aussi rationne-t-il ses histoires intermédiaires de manière drastique. Terminé les histoires drôles du grand-père qui l’envoie chercher une fiancée. L’animal se contente de well-well-weller comme son grand-père et de dire aux people qu’il est vraiment très content d’être là sur scène. Fantastique personnage, il donne des leçons de présence, il est d’une intensité qui pourrait servir de modèle à tous les artistes, surtout ceux qui ne savent pas communiquer avec un public.

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    À la fin du set acou, il se lève, vire la chaise et branche l’une de ses deux guitares électriques. Un petit gros à la peau blanche le rejoint sur scène et se met à l’affût derrière les fûts. Alors Cedric entame son pèlerinage au pays du North Mississippi Hill Country blues, hard-pickening de plus belle sur sa gratte et s’il récupère quelques nouveaux disciples en route, il pourra, comme Jésus le fit sans doute jadis, se féliciter de n’avoir pas perdu son temps. Non pas que ce blues revête une dimension religieuse, n’exagérons tout de même pas, mais il apparaît pourtant assez clairement que le personnage de Cedric Burnside relève d’une réelle forme de spiritualité, ne serait-ce que par l’infaillibilité de son mode de transmission. Il s’inscrit dans une lignée, mais il ne s’inscrit pas seulement des mains et de la glotte, il s’inscrit de tout son corps. C’est sa façon d’être physique, il joue de toutes les forces de son corps de petit nègre et se sent porteur d’une tradition venue du fond des âges.

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    Il arrive que certains artistes dépassent les espérances du Cap de Bonne Espérance, et Cedric Burnside en fait partie, mais en toute modestie. Il vit chaque instant de son blues, multipliant les mimiques, il est tour à tour le forçat du chain-gang avec le menton pointé vers l’avant, le pasteur aux yeux clos entré en osmose avec le cosmos de son église en bois, le black rigolard qui ne pense qu’à la rigolade et aux parties de dés, le blues shouter décidé à bouffer le cul d’une grosse salope blanche, mais dans son regard éclate parfois cette particule de rage qui évoque Nat Turner, le chef de la révolte sanglante de Southampton, en Virginie. Il est aussi le crack des culs de basse fosse et donne du souci aux garagistes quand il décide de casser la baraque avec «We Made It» ou encore «Typical Day», l’irrésistible occasion de sortir le plus gros beat du Mississippi pour défoncer la rondelle des annales, surtout celles d’Alan Lomax. Aw fuck, comme ce blues et vivant, ça n’a rien à faire avec les objets de musée que voulait en faire Lomax. Cedric Burnside est un arbre de vie symboliquement replanté sur un continent hostile et dramatiquement matérialiste, mais c’est un arbre de vie qui dégouline d’esprit séculaire et de sève, il suffit de voir ce mec et sa guitare pour le comprendre.

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    Pour comprendre aussi que TOUT le rock vient de là et du gospel des Como Mamas qui comme par hasard viennent du même coin. Como, comme Commotion ! C’mon ! Cedric Burnside ressort aussi sa vieille débinade de no way out, «I’m Hurting», ça s’enrage tout seul, pas besoin de discours, tu prends ce beat en plein gueule, ça ronfle sous cette bayadère qui rime si richement avec débarcadère, vas-y secoue tes chaînes, Soul ta couenne, blues ton cul, il se marre à voir trembler les colonnes du temple des patrons blancs. On est tellement ravi de voir enfin un vrai géant. Il tient tête au monde, sans la moindre trace d’arrogance, par la seule force de son génie black. Il va ensuite plonger le museau de la Traverse dans un cloaque de heavyness avec un fan-tas-tique «Death Bell Blues» tiré de ce dernier album qu’on n’en finit plus de réécouter, Benton County Relic. Tiens, on donne cent albums de garage en échange d’un seul Benton ! Gimme the trique !

    Signé : Cazengler, la burne

    Muddy Gurdy/Cedric Burnside. La Traverse. Cléon (76). 9 novembre 2019

    Pour mémoire :

    Muddy Gurdy. Vizztone Label Group 2018

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    Cedric Burnside. Benton County Relic. Single Lock Records 2018

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    Hit the road Jake - Part Two

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    Ce serait commettre une grave erreur que de faire l’impasse sur les vieux coucous de Jake, à commencer par les deux albums de Mystery Train.

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    Cheers Cheers Rock’n’Roll date de 1994 et tient rudement bien la toute. Jake nous fait le coup du big rumble de basse dès le morceau titre et nous pond un rockab cryptique sourd comme un pot. Tout sur cet album est gratté sec et slappé du beignet dans les règles de l’art. Ces Trains fous nous boppent «My Baby Runs Away» à la folie Méricourt, celle qui court toute seule - You tell me why/ Wouahhh - Ils savent allumer un brasero, Jake fait du wouahhh et ça vire sale rockab bon a rien qu’a jamais vu un peigne et qu’est méchant comme une teigne, let’s go cat rock, aooh ah ooh ! Wolf in the bag ! Avec «Hot Sexual Fret», Jake va plus sur les roots, il va même en devenir l’expert numéro un, certainement le meilleur en Europe. Il y va, on se croirait dans l’Arkansas, en 56. Ils savent créer cette magie. S’ensuit un bel hommage à Gégène avec un «Blue Jean Bop» rebondi à l’extrême et saqué au sec de caisse claire. On voit bien qu’ils le vénèrent pour le jouer aussi bien. On trouve aussi une cover de «Brand New Cadillac» assez gonflée. Jake va sur le Vince, soutenu par un bassmatic sourd et pénétrant. On a là l’admirable restitution d’un hit que Roger Armstrong d’Ace considère comme le plus grand hit jamais sorti en Angleterre. Back to the wild rockab avec «Love Me More». Slap devant toutes ! On se croirait chez Lew Williams et ce démon de Jake ramène sa fraise en plein slap-and-burn. Il n’existe rien d’aussi parfait que ce pulsatif rockab. Ils terminent avec une furieuse reprise du «Rock ‘n’ Roll» de Led Zep. Ils l’embarquent au wild beat et Jake devient fou. Les Stray Cats devraient écouter ça et prendre des notes. Jake montre non pas le chemin de Compostelle mais celui de la démesure.

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    L’année suivante paraît Crazy Young & Wild, et sa pochette motorbike. On voit Jake chevaucher une Norton, comme Tav Falco. Mais bon, on n’est pas là pour les motos, cet album est tellement bourré de merveilles qu’il faut absolument essayer de l’arracher à l’oubli. Ceci dit, l’album n’est pas facile à trouver, mais pour rester positif, disons qu’avec les outils dont on dispose aujourd’hui, c’est plus facile qu’avant. Premier coup de Jarnac avec «Little Rocker», embarqué au swing de pompe manouche. Pour les amateurs de jumping jive, c’est le paradis. Ils enchaînent avec un sacré clin d’œil à John Lee Hooker, «Everybody Rockin’ Blues». «In The Dark» boucle l’A et sonne très Stray Cats, avec le slap dans le collimateur du mix. On pourrait appeler ça une incroyable métamorphose. Retour au swing en B avec «Baby Mean». Ce sont les compos de Philippe Nowak qui swinguent. Il penche plus pour la pompe manouche. On tombe plus loin sur une excellente reprise de «Born To Be Wild». Jake et ses deux amis swinguent la couenne du vieux Steppenwolf. Le rumble de slap et les coups d’harmo touillent bien la fournaise. Ils filent à 100 à l’heure dans les «Dark Streets Of London», un cut d’allure très Stray Cats lui aussi. N’oublions pas de saluer bien bas le «Drives Up To The Moon» monté sur un joli drive de reins et bombardé aux ah ah ah et aux ouh-hii. Jake fournit tout le slap pendant le solo de bonne clairette. Ça pue l’enthousiasme à dix kilomètres à la ronde. Quant au morceau titre, disons qu’il s’inscrit dans la veine de Gene Vincent et du heavy jive de biker.

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    Retour aux Hot Chickens avec cet excellent Drunk Dirty & Damned paru en 2004. Et quand on dit excellent, on est encore à des centaines de kilomètres de la réalité. Jake dédie cet album à son poto Patrick Leblond. Au dos du digi, on peut voir Jake porter un T-shirt Motörhead sous son perfecto. Ça en dit long sur son ouverture d’esprit et la finesse de son bec fin. Ils attaquent avec un «Long Black Boots» assez punkoïde, taillé à la cisaille et qui déboule à fantastique allure. Les canards boiteux ont bien compris qu’il faut aller se planquer vite fait. Après quelques exercices de cavalcade insensée marinés de cocote sauvage et d’overblowing de blast («A Rocking Soldier» et «B-Side Baby»), ils s’offrent quelques minutes de répit avec «My Baby’s Hotter Than A Vindaloo». Le cut sonne comme un havre de paix, illuminé par un solo merveilleux de clairvoyance. Il se passe des choses extraordinaires sur cet album, il faut vraiment rester sur ses gardes. On ne s’y attend pas et soudain, «Cruel Lou» nous tombe sur la gueule. Pouf ! Jake stompe la couenne du cut avec la hargne d’un Captain Beefheart mal embouché. Avec deux fois rien, il parvient à bricoler un coup de génie. Il faut entendre le drive de basse traverser le riffing ! Avant eux, personne n’y a pensé, même pas les Anglais. Jake nous refait une entourloupe un peu plus loin avec «Long Black Hobo». Ils font le train tous les trois et ils le font bien. Ils explosent le concept du long black train. C’est la curée. Ils jouent ça à la bielle et à la vapeur, ils sonnent comme la loco de Gabin qui file vers le Havre, puissance des ténèbres, violence de la pertinence, rendez-vous compte, ces mecs avaient déjà du son pour dix en 2004 ! Attendez, ce n’est pas fini ! Jake explose ensuite son «Lovely Jean» à la Little Richard. Il ne recule devant aucun exploit, il en fait un pur hit de juke, il brûle du feu sacré et comme si ça ne suffisait pas, il fait son Charlie Feathers dans «Hang Up Baby». Il shake tout le cocotier du rockab sans fournir le moindre effort. Jusqu’à la fin de l’album, il n’en finit plus de créer la surprise, comme par exemple avec ce «Just A Little Bit Of You» sacrément ambitieux, pas loin de Feelgood, un peu étrange, quasi progressif, traversé par des drives de basse en goguette. Ce qui frappe le plus chez les Hot Chickens, c’est ce mélange d’énergie et d’entrain. «Big Blond Rooster» est certainement l’un des cuts les plus enjoués de l’histoire du rock, Jake bat la campagne avec une allégresse contagieuse. Il nous claque ensuite un «Ride Me Out Of Town» tout aussi inspiré, il y cale des coups de baryton à la Summertime Blues et Didier Bourbon y passe un solo superbe. Au point où ils en sont, ils ne prennent plus de gants. Ils balancent «She’s My Liza Liz» comme des paquets de mer, on les reçoit en pleine gueule, flouf ! flaf ! Jake chante comme Bunker Hill, il sait le faire, il sait sortir de ses gonds, bien asticoté par un solo en forme de congestion tétraplégique. Quelle dégelée ! Ils réussissent aussi l’exploit d’exploser «Miserlou». Tout ce qu’on peut espérer c’est que Dick Dale ait pu entendre cet hommage fulgurant. Oui, ils sont dessus, hey hey ! Au fond, si on y réfléchit un instant, cet album pourrait bien être un laboratoire de rock’n’roll. Le mad Professor Calypso tente toutes sortes d’expériences et ça marche. On irait même jusqu’à insinuer qu’il fabrique des disks vivants.

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    Dans la série des exploits olympiques, voici Rock Therapy (Tribute To Johnny Burnette), sorti sur Sfax Records comme d’ailleurs leurs tributes à Little Richard et à Gene Vincent (Speed King et Play Gene), et le premier album de Carl & The Rhythm All Stars. Comme on dit dans le bâtiment, Jake tape dans le dur avec son Rock Therapy. Premier punch-up avec «Rockabilly Boogie». On devrait plutôt parler de bombardement, Jake pilonne son rock billy boogie tonite, il démolit tout, il fait revivre le Memphis craze à sa façon qui est fumante. Cette entrée en matière donne le ton de l’album. Boom ! C’est parti pour 14 shots de Burnette burst-off. Jake réussit même à exploser même un mid-mish mash comme «Believe What You Say». Il bouffe le Believe avec une grosse voix d’ogre et amène ensuite «Sweet Love On My Lind» au pire beat rockab qui se puisse concevoir, il amène le swing des reins, et comme les Hot Chickens louvoient sous le meilleur boisseau du monde, alors Jake hiccuppe on my mind. Sans doute est-ce là l’une des meilleures versions jamais enregistrées. C’est littéralement bardé de bardage de frappadingue. Et cette façon qu’il a de lancer «Train Kept A Rollin’» ! Yah ! Fuck, les froggies sont dessus, c’est bien meilleur que Motörhead, Jake vise la véricacité profonde du beat, il chante au gut de l’undergut. S’il fait du rokab, il le fait pour de vrai. Ils font aussi la meilleure version de «Rock Therapy» - Don’t need a doctor/ Don’t need a pill - Il rugit à chaque retour de couplet et développe un sens aigu du heavy groove. Retour à la folie douce avec «Tear It Up». C’est l’épitome de chèvre chaud du rockab, les Hot Chickens l’embarquent à fond de train. Ils explosent encore la powerhouse avec «All By Myself». Jake le chante de haut et pousse des cris d’orfraie. Il fait du rockab de hot rod, il ramène du guttaral dans le riot du Mans, quelle explosion ! Quel shouter ! Il en redemande avec «Please Don’t Leave Me». Il entre dans le chou du lard avec une niaque qui fout la trouille, il baby-please-don’t-gotte à coups de reins, il recrée tous les excès du big time et ça finit par devenir hallucinant. Ce tribute sans foi ni loi se termine avec la paire fatale : «You’re Undecided» et «Honey Hush». Il tape le premier au guttural de cabane, il l’emmène à l’abattoir et devient plus royaliste que le roi Burnette. Fabuleux Jake, il fait le show. Alors retiens bien ceci : avec cette version de «You’re Undicided», tu as tout le Deep South. Et avec «Honey Hush» tu as le paradis, si tu es fan de rockab. C’est comme dirait Lanegan the unreachable paradigm. Toute l’énergie est là, yakety yah, il l’explose à coups de cris. Il fait du burning Burnette. Burn baby burn !

    Signé : Cazengler, Hot shit

    Mystery Train. Cheers Cheers Rock’n’Roll. Rockhouse 1994

    Mystery Train. Crazy Young & Wild. Eagle Records 1995

    Hot Chickens. Drunk Dirty & Damned. Not On Label 2004

    Hot Chickens. Rock Therapy (Tribute To Johnny Burnette). Sfax Records 2008

    MONTREUIL / 30 – 11 – 2019

    LA COMEDIA

    TOXXIC QUEEN / BURNING DEAD

    WILD

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    Le mois des morts s'achève et nous sommes encore vivants, ne dites pas que nous avons eu de la chance, c'est que les rockers sont immortels. Aucune exagération en ces propos, être encore en vie après la soirée de ce trente novembre à la Comedia en est la preuve absolue. Jugez-en par vous-mêmes, nous avons survécu à trois dérèglements climatiques successifs, une pluie toxxique de filles déjantées, une fournaise zombiique sans précédent, et un cataclysme tempétueux particulièrement sauvage. Non à l'écologie, vive l'écrocklogie !

    TOXXIC QUEEN

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    Tout est question de vocabulaire. Encore faut-il s'entendre sur le sens des mots. Par exemple le mot féminicide signifie-t-il que les victimes sont de type féminin – sens commun – ou que le crime est perpétré par un sujet féminin – sens obvié que les grammairiens patentés surnomment aussi sens toxique. Les raisonnements philologiques in abstracto se perdent bien souvent en débats stériles ou oiseuses discussions, rien ne vaut un bel exemple pratique. Justement en voici un précieux spécimen devant nous.

    Quatre filles. La plus belle s'est mise au fond. Sûre d'elle, avec ses tresses d'une éclatante blondeur ukrainienne, elle captive tous les regards. Vous cherchez à détailler son visage, enfer, pandémonium et damnation, quelle est cette barbichette touffue et batailleuse, cette pilosité broussailleuse, cette touffe de chiendent entêtée qui pendouille lamentablement sous son menton, pas d'horreur possible nous avons affaire à... un gus, un gars, un guy, un geek, appelez-le comme vous voulez, en dernière extrémité vous devrez le désigner en son ignominie même : un homme ! Tromperie éhontée sur la marchandise, la pomme pourrie que le marchand glisse en douce au fond de son sac de papier !

    Car devant voyez vous, vous avez les filles, trois brunettes mignonnettes. Ne vous y fiez pas. De véritables garces, des gerces, des gargouillettes comme l'on en fait trop. Pour les travaux les plus durs, elles s'en déchargent sur le premier innocent garçon qui passait par là, à lui de taper à coups redoublés sur la batterie, le boulot le plus hardu. Parce que quand on est une reine, l'on ne peut pas décemment s'occuper de l'intendance. Leur est dévolue, une tâche d'obédience royale, ne sont-elles pas les trois Parques de la suprême toxxicité à répandre sur le bas peuple, qu'elles méprisent et regardent du haut de leur perversité naturelle. Elles n'en font point trop, car elles ne sont pas là pour travailler, juste pour signifier au monde que les filles ont pris le pouvoir de leur liberté, que désormais il ne faut plus compter sur elles pour faire la vaisselle mais que par contre leur purulente attitude n'est pas prête de s'éteindre et n'en finira plus de gâcher grave votre existence.

    Anna consent à tenir la guitare. D'un doigt fatigué, elle caresse une corde, elle semble plus préoccupée de vous cacher son minois derrière sa chevelure bouclée. Elle se prête à ce jeu, mais ne s'y donne pas. De toutes les manières vous ne méritez pas plus. A l'autre bout de la scène, Darcyphillis – appréciez ce prénom qui allie ce qu'il y a de plus sombre dans le rock, à la souvenance poétique des sur-sous-entendus libertins des madrigaux faussement innocents du Grand Siècle – arbore cet air timide de la jeune fille bien élevée qui se trouve-là par hasard et à qui l'on a demandé par surprise de faire un discours de bienvenue, elle est à la basse certes, mais bien décidée à na pas y perdre sa santé.

    Ne vous exclamez pas que la musique n'est plus ce qu'elle était, elles n'ont jamais prétendu à la virtuosité de Jimi Hendrix ou de Jaco Pastorius, elles se débrouillent très bien sans cela, elles comptent sur la décadence auto-ironique de l'outrage qui ne croit plus en sa fonction destructrice, si notre monde n'a plus de sens, sinon d'asservir les êtres humains en leur rôle d'esclaves sociaux, autant en rire et s'en amuser. Si le reflet qu'elles vous tendent dans leur miroir vous choque, peut-être est-ce parce qu'il vous ressemble trop. Et puis, pourquoi la Femme Artiste ne serait-elle pas remplaçable par la technique – c'est tout le sujet de L'Eve Future de Villiers de L'isle-Adam qui avait dédié ses Contes Cruels aux rêveurs et aux railleurs – le groupe envoie du sonique, à gros bouillons d'électronique, à vous en faire péter les ouïes, du gros, du gras, du crade, du cassé, du salmigondis concassé de seconde classe, vous voulez du rock les amis, voici du brock 'n' broc. C'est sur cela que nos deux musiciennes brodent d'un air détaché, une corde à l'envers, une corde à l'endroit. Nos deux damoiselles à la licorne, cornent la lie et l'hallali du rock !

    Aux drums ou à la balle drum-drum si vous préférez, Po n'a pas de pot, il bosse à mort, il est chargé d'humaniser à grands coups de ratonnades battériales le déluge sonore, des pétarades amplifiées, des matraquages qui vous ratiboisent la comprenette à tout jamais, même qu'à un moment il nous pète un solo excrémentiel, cet adjectif n'est pas gratuit, Durcyphillis se hâte de lui jeter des rouleaux de papier hygiénique, qui s'accrochent à ses baguettes, l'on se croirait à une compétition de GRS, avec maniement de foulards blancs ! Durcyphillis durcit le ton, elle nous bombarde maintenant de balles de ping-pong qui jouent aux pois sauteurs, encore un vol de confettis non identifiés, nos sommes en plein serpentins merdiques et crocktillons !

    Je sais compter jusqu'à trois. J'ai dit trois brunettes. Vous n'en avez vu que deux. Ely Pew Pew se tient entre ses deux guitaristes. Une longue tresse qui tombe à l'endroit exact où se termine sa jupette ultra-courte, sur la tendre douceur pâle des cuisses, avec aussi cette espèce de mèche séparée, en branche de palmier-dattier, qui lui sape de trois-quart le visage, une espèce de loque d'oriflamme qui n'est pas sans évoquer la queue mitée et mutilée des chevaux des cavaliers d'Attila incapables de brouter l'herbe qui ne repoussait pas sous leurs sabots ardents. Mais dessous, ah ! dessous ! l'échancrure de son décolleté par lequel rayonnent ses épaules dénudées, aussi belles et souveraines que celles du portrait de Madame de Récamier peint par François Pascal Simon Gérard ( c'est exposé au Musée Carnavalet, bande de voyeurs ), dépourvues de ces bretelles utilitaires de soutien-gorge qui déparent la finesse des attaches claviculaires de trop de jeunes filles modernes. Ne nous égarons pas en ces vues couturières qui s'essaient à singer les chroniques de La Dernière Mode de Stéphane Mallarmé. Ely Pew Pew est avant tout chanteuse.

    Toute seule avec son micro parmi le bruit brontosaurique, une partie déloyale s'exclame-t-on, croyez-vous que cela la gêne, pas du tout, elle domine le tohu-bohu avec une facilité déconcertante, certes l'on ne comprend pas toutes les paroles, mais les titres parlent d'eux-mêmes, Vénus Errante ( elle parle d'or et d'elles ) Army of Cloportes ( elle cause de vous, dur et d'airain ), Bouze de là ( très vache ), Evenucléation ( très phyllisophique ), l'on ne saisit pas tout, mais les bribes suffisent, ne fait rien pour attirer l'attention, pas de geste grandiloquent de comédienne professionnelle, pas de poses à l'égérie inspirée, juste une présence. L'est-là ancrée en elle-même, et ça marche, non ça court, l'assistance est sous le charme, l'ensemble de la prestation pourrait paraître hétéroclite, mais non grâce à Ely, tout cela fonctionne. A merveille. Elles seront obligées de refaire leur premier morceau en rappel.

    Je vous ai présenté les belles. Il vous reste à entrevoir la bête. Non ce n'est pas Pot le garçon commis d'office à la caisse claire – pensez à sa souffrance quotidienne à supporter ces trois Aphrodite de notre modernité déglinguée – voici Ben. N'a rien dit, n'a rien fait. Ce n'est pas de sa faute. S'est sagement tenu en équilibre sur sa branche. L'aurait peut-être mieux aimé batifoler dans sa rivière natale, un rêve impossible, il n'est qu'un pauvre ragondin empaillé. Ne riez pas, quand vous serez mort, croyez-vous que trois filles se donneront le mal d'emmener, tel un émérite trophée de choix, votre cadavre ambulant naturalisé partout où elles se produiront en spectacle ?

    Ah, Ben non alors !

    BURNING DEAD

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    Des ratés à l'allumage. Tout s'explique. Le batteur esquinté qui a déclaré forfait. Leur a fallu quelques essais pour caler la bande enregistrée de la batterie, mais une fois qu'il y sont parvenus, z'ont mis le feu aux morts et aux vivants. A tout ce qui bouge, et tout ce qui ne bouge pas. Donc deux grands gars placides et une fille. A faire peur. Je ne vous souhaite jamais de rencontrer Drina Hex, dans une rue mal famée, du bas-Montreuil. Sans quoi vous êtes morts. Enterrés d'avance. Ne vous frappera pas. Ne vous tapera pas. Pas la peine. Rien qu'à la voir. Cela suffira. Toute de noir vêtue. Pas de rangs de collier de perles de nacre autour de son cou. Trois rangées de chaînes argentées de chaque côté de son pantalon. Avec ses cheveux ultra-courts qui dessinent en miniature l'épine dorsale d'un stegosaurus, toute de noir vêtue elle ressemble à elle toute seule à la réincarnation de toutes les bandes de blousons noirs les plus féroces des années soixante. Un être malfaisant sorti des brumes d'un passé légendaire qui s'en vient assouvir une terrible vengeance à l'encontre de tous ceux qui ont le malheur d'exister. Ne vous enfuyez pas, ce serait une erreur. Approchez-vous et elle sourira. Le plus beau sourire d'enfant jamais entrevu. Une espèce de naïveté opératoire à laquelle on se soumet naturellement. Cette fille rayonne de joie et de sérénité. Faut être drôlement équilibré dans sa tête pour offrir ce sourire radieux au monde qui nous entoure. C'est elle qui s'est occupée de la sono de Toxxic Queen et qui règle celle de Burning Dead. Ne quitte pas les manettes lorsque c'est à son tour de mettre sa voix en place, une main sur les tirettes et l'autre qui tient le micro dans lequel elle déverse une sorte de guturalité spasmodique qui ressemble aux grognements enragés d'une meutes de loups en chasse qui poursuit un malheureux caribou esseulé dans les étendues du grand nord canadien. Pour elle c'est clair, la perfection est son mode de vie. Cent fois elle demandera aux deux boys de se lancer dans un bout d'essai, cent fois fois elle les stoppera, et miracle, personne ne semble indisposé, émane de cette fille une espèce de calme autorité à laquelle tout le monde se plie sans même s'en apercevoir. A la Comedia, le public aime bien que ça urge entre deux sets, mais là aucune impatience, aucune manifestation d'hostilité.

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    Donc trois sur scène. Il est des signes révélateurs qui ne trompent pas. Notamment la griffe magmaïque sur le T-shirt noir d'Orco. Après le set il m'avouera qu'il en possède quatre exemplaires de différentes couleurs et qu'il a dû voir Magma une bonne quinzaine de fois. Cela transparaît dans son jeu de guitare. Qui n'a rien à voir avec le style des différentes moutures, parfois très éloignées les unes des autres, du groupe de Christian Vander. Rien mais cette attention portée à la nuance, à l'énergie. Pas d'erreur Burning Dead est bien un groupe de metal, chaud, brûlant, qui tricote sans s'attarder sur la biscotte, c'est droit devant dans un feu d'enfer. Seulement Orco lorsqu'il vous lâche une giclée de notes, c'est de l'or pur. De surcroît il vous la sort ciselée d'une infinité de motifs héraldiques, le son n'est jamais brut, il ondoie, il spiralise sur lui-même, il est vivant, une langue de serpent, un remuement d'ondin, un jeu de soleil sur la mouvance des vagues, l'est déjà sur une nouvelle note, mais la précédente, n'en finit pas d'agoniser, elle donne tout ce qu'elle a, elle exhale ses entrailles, elle saigne, elle meurt, elle survit, elle se transcende, dites-vous que chaque goutte d'eau renferme une mer profonde, inépuisable, un vivier de possibles enchevêtrés, que l'infiniment petit est aussi immense que l'infiniment grand. En tout cas Orco confère à Burning Dead, une épaisseur sonique, une densité exceptionnelle. L'on se prend à regretter l'absence de Sarakynack, l'on aurait aimé entendre le jeu d'échange, cette complicité agissante entre guitare et batterie.

    De même pour Jean-Pierre, puisqu'il ne peut pas jouer à cache-trouve avec son batteur, la bande enregistrée ne donnant lieu à aucune opportunité hasardeuse, à aucune déviance aventureuse, il s'amuse à pierre qui roule amasse de la mousse avec Orco. Un jeu dangereux qui demande souplesse et dextérité. Et ce grand échalas de J. P. il a les lignes de basse aussi flexibles que le roseau de la fable. Orco est le chêne et J. P. la liane carnivore qui s'enchevêtre dans les branches maîtresses, ce n'est pas un duel à mort, mais un duo amical à coutelas tirés, ces ballets de guerriers indiens qui s'entraînaient à faire semblant de s'entretuer, une danse de scalp, un swing extraordinaire, une flamme vive sous le souffle du vent, J. P. amène la noirceur nécessaire à la rutilance des pierreries drapées qui tombent de la guitare d'Orco.

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    Nous n'avons pas oublié Drina Hex. Elle est là devant. Statue d'ébène immobile. Elle porte le micro à ses lèvres, et la morsure de sa voix grondante plante ses crocs dans votre chair pantelante. Son bras retombe, ses lèvres esquissent un sourire. Qui doit être responsable de la fonte de la banquise. Cependant même les ours blancs à la dérive sur leur iceberg ne doivent pas lui en vouloir. Mais ce n'est pas le pire. Derrière elle, le brasier des guitares et de l'intarissable batterie flamboient de mille feux, il semble que le monde entier va s'enflammer, et l''extraordinaire se produit, vous oubliez toute imminence, cette voix vous envoûte, vous n'êtes plus dans un concert de rock'n'roll, vous assistez à un étrange cérémonial, vous ignorez en l'honneur de quelle divinité ou de quel monstre, sa voix de prêtresse, ses silences, cette succession de répons à elle-même vous entraînent en un étrange rituel, l'assistance se fige à croire qu'un évènement miraculeux se passe-là, mais non, il n'y a que cette voix grommeleuse de jeune fille qui enfle, et qui semble renouer avec un lointain rugissement venu du fond de la nature, une espèce d'om majestueux saccadé qui doit être la résonance assourdie de tous les animaux libres et sauvages qui sont passés sur cette terre. Aux portes du mystère des origines. Tout s'arrête. Tout se tait. Alors avant que les applaudissements n'éclatent, Drina Hex sourit.

    INTERMEDE GENRé

    Peut-être en avez-vous assez des filles. Se débrouillent toujours pour mâtiner une extravagance qui attire l'attention sur leurs petites personnes. De fausses mijaurées. De redoutables séductrices. Les gars sont plus simples. Plus honnêtes. Plus francs, ne vous prennent pas par surprise. Un exemple au hasard Wild. Ce qui signifie sauvage en bonne et accorte langue françoise. Eh bien, ce sont de véritables sauvages qui vous dispensent de la musique sauvage. Rien à voir avec les panneaux marqués pelouse interdite. Vous pouvez batifoler à foison dessus. Jouer à saute-mouton ou courir lourdement sur l'herbe verte comme les Tromp-la-mort dans Les aventures potagères du Concombre Masqué de Mandryka, pas la moindre mine n'explosera sous vos pieds, même pas un obus de trois cent kilos oublié de la première guerre mondiale qui aurait attendu exprès votre passage. Donc si vous aimez la vie qui trépide il est urgent d'écouter Wild.

    WILD

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    Déjà quand on a vu les cinq gaillards monter sur scène, l'on a été vite persuadé qu'ils n'avaient pas le projet de nous faire entendre la version unplugged de New York Mining disaster 1941 des Bee Gees. Z'allaient juste se contenter du désastre. Des balèzes, des solides. Malgré Tom à la batterie et Thom à la basse, l'on était sûrs qu'il n'y aurait pas de lézarde, que ce serait Tom-Thom sans Nana. Sur ses toms Tom a installé une ribambelle pléthorique de cymbales à vous faire croire qu'il allait piloter une escadrille de soucoupes volantes affichant de très mauvaises intentions envers notre planète.

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    C'était l'exacte vérité. Z'ont commencé fissa. La joie de la destruction est aussi la joie de la création a dit Bakounine. Ce sont des garçons, détenteurs d'une philosophie primaire mais efficace. Leur esthétique est simple, vous prenez toute la filmographie de Sam Peckinpah et une paire de ciseaux. Après d'impitoyables efforts d'élimination des scènes soit-disant lénifiantes vous parviendrez à fomenter une bobine d'une durée optimale d'une heure certes, mais un condensé d'une extraordinaire violence d'images choc qui vous vaudra la réprobation générale des majorités silencieusement muettes néanmoins fortement réprobatrices.

    Un larsen à décoller la tapisserie des murs de tout un immeuble de vingt-cinq étages, ensuite une razzia démoniaque. Tant pis pour vos oreilles, subissent le même traitement que si vous étiez en un sous-marin en plongée immédiate sans respect des paliers de décompression obligatoires en eau profonde pour échapper aux grenades sous-marines qui pleuvent autour de la coque ébranlée par des secousses titanesques. L'on a l'impression qu'ils n'ont jamais eu la patience de composer un morceau en entier. Que des fragments. Mais uniquement les passages les plus violents. La montée progressive vers l'altitude paroxysmale ils ne connaissent pas. Débutent par l'orgasme. Arrêtent avant la catharsis. Death metal à donfe. Deaf metal à fond.

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    Le pire c'est que l'on y prend grand plaisir. Parce que c'est aussi beau et fascinant que le pelage d'amanite fauve du tigre royal du Bengale. Taché du sang de la proie qu'il vient d'occire. Fred et Mat sont aux guitares. De la déglinguée à vitesse astronomique, attention ne poussent pas la poussière sous le frigidaire, un jeu d'une puissance et d'une précision extraordinaire, quand ils commencent à forger les chaînons de votre servitude sonore, ils agissent en orfèvre, c'est alors que subitement vous entendez l'inaudible, une espèce d'écume sanglante qui couronne les monstrueuses vagues d'un océan tempétueux. C'est le cinquième élément. Jérôme. Aucun instrument entre ses mains, seule sa voix, j'ai vérifié l'incroyable à plusieurs reprises, l'espèce d'oratorio somptueux, cette clameur de chœurs resplendissante et symphonique qui s'ajoute aux instruments, s'y fond, s'y confond, mais finit par les soulever et les exalter, c'est bien lui.

    Ils n'ont pas joué longtemps. Seulement une éternité. Quand vous êtes transporté et submergé en un ailleurs fabuleux, en un ouvert inconnu, le décompte des minutes et des heures n'a plus d'importance. Wild nous a permis d'atteindre au point de non-retour d'une grandeur surhumaine. Quand le set s'est achevé, nous nous sommes aperçus que nous n'étions plus les mêmes. Après ce que nous venions de connaître, rentrés dans nos corps, ceux-ci nous ont paru rétrécis et étriqués.

    Est-ce vraiment un hasard si un des recueils de poésie de Jim Morrison se nomme Wilderness ?

    Damie Chad.

    ( Photos sur FB des artistes )

    CLIP ! CLIP ! CLIP ! HOURRAH !

    Où sont les peaux laiteuses des dames du temps jadis s'interrogeait ce blouson noir de Villon voici une grosse pincée de siècles. L'aurait mieux fait de s'intéresser aux demoiselles de son temps, parfois la corde au cou est préférable à celle du pendu, n'empêche que son interrogation pose question et peut s'appliquer à KR'TNT ! Nous vous avons présenté au bas mot plus d'un bon millier de groupes, mais que deviennent-ils lorsque nous les quittons du regard ? Je vous rassure ils parviennent à survivre sans nous. Même que parfois ils se débrouillent au mieux. Prenons un cas au hasard télécommandé, Volutes, nous les avions vus à la Comedia le 07 / 07 / 2019, voir notre livraison 427, depuis ils nous ont alertés, leur dernier Clip frôle les 50 000 vues ( 49 623 exactement au moment de la rédaction de cette kronic ) sur You Tube, alors on est allé voir.

    NERFS A VIF / VOLUTES

    ( Réalisation Chris Ruggi

    + Lauranne Beyer )

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    Il y en a qui font du noir et blanc, d'autres se contentent des couleurs, Chris Ruggi rugit en noir et couleurs. Quand il traite d'un sujet, ne se perd pas dans les coulisses du bavardage. L'a tout compris de Volutes. Mais à la manière des peintres de la Renaissance qui ne quittaient pas du pinceau le corps du Christ depuis l'Annonciation dans le ventre de sa sainte mère à sa mise dérélictoire au tombeau. Mais chez Volutes c'est la postulation de l'homme contemporain qui les préoccupe. L'on est loin du seizième siècle, et l'homo modernicus a les nerfs à vif. Je ne vous fais pas un dessin pour vous expliquer. Tout va mal. Merveilleusement mal. Vous avez beau chercher, vous ne trouvez pas pire. Normal que l'extrémisme musical du rock'n'roll se soit chargé depuis quelques décennies de traduire ce malaise existentiel. Mais avec quel art de l'image pourriez-vous refléter cette crise collapsique de l'être humain ? Où trouver la noise peinture qui vous klaxonne dans les yeux toutes vos déchirures. Le cinéma, la photographie, la bande dessinée, la publicité, pas mal, mais vous obtiendrez mieux en regardant plus près. De quoi ? De qui ? De vous-mêmes avec un peu de chance, sinon de vos voisins sûrement.

    Cher lecteur, ne propose plus rien, t'as tout faux, tatoo vrai ! L'art du tatouage a envahi nos corps. Le moindre sous-chef de bureau exhibe l'horaire d'ouverture de l'entreprise sur sa fesse gauche pour rappeler à sa dactylo que la galipette ce n'est pas aussi sérieux que le travail. Passons sur ces dérives capitalistiques d'esclaves en mal de représentation. Non, il existe une explosion de couleurs vitupérantes sur les chairs des derniers révoltés. L'on exhibe, avec une fierté de sioux se préparant au combat insoumissif, ses peintures de guerre que l'on déclare au monde entier. Tous guerriers du rêve, toutes guerrières du songe. Ce qu'on ne peut pas exprimer avec la violence destructrice de nos actes réprimés par les polices des pensées et des rues on l'exalte par la rutilance graphique de nos membres, de notre torse.

    Fond noir donc. Sur lequel Ruggi ne nous montre que des silhouettes, ou des fragments de corps hautement chamarrés. C'est le principe de base. Reste maintenant à aller jusqu'au fond des mots. Que l'image nous restitue l'étymologie de l'expression. Ne dites pas : il est énervé, il a les nerfs à vif. C'est d'une platitude absolue, ayez l'acidité de notre monde : il a les nerfs à vif, tout dessin est une dissection. Ce que l'homme a de plus profond c'est sa peau répétait Valéry après Mallarmé, tout dessin est une vivisection, tout acte sur le corps est une torture. Même si au delà de la souffrance l'on atteint à une mystérieuse sérénité jocondière. Les rouges saignent, les jaunes flamboient, les vert cru trucident et les bleus meurtrissent. Tous les grands maîtres du passé l'ont asséné. Sur le clip les corps se dessinent, une nef noire peuplée de fous qui ne font que passer, des pantins articulés de douleurs et de couleurs. Celles des tableaux les plus célèbres, lacérés et flashés, incrustés comme des pierreries chatoyantes que l'on aurait sertis à même les paupières de vos yeux énucléés. Chris Reggi et Lauranne Beyer vous donnent à voir les noirceurs accumulées des fièvres pigmentales. Sans voyeurisme. C'est là la force du clip, des corps, rien que des corps, mais pas de désir, la beauté de l'horreur à l'état froid. Le pèse-nerfs a écrit Artaud.

    Magnifique réussite !

    Damie Chad.

    Nous ne nous étions pas remis de la commotion volutienne que des oiseaux vinrent se poser sur la même branche. Deux cui-cui qui eux aussi ouvrent grand leur bec pour faire clip-clip. Des espèces de vautours de la dernière heure qui ricanent un old-dirty-rock-blues de derrière les fagots allumés à la nitroglycérine, vous les connaissez, ils migrent souvent en rase-mottes sur nos chroniques, la mitraillette à la main, ne croassent pas Nevermore comme le plutonien corbeau maudit de Poe, mais No Mercy, ce qui entre nous n'est guère mieux.

    NO MERCY / CRASHBIRDS

    ( Réalisation : Crashbirds

    Novembre 2019 )

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    D'habitude c'est Pierre Lehoulier qui nous mijote un truc. Voir notre ancienne chronique sur Week-end Lobotomy par exemple. Un véritable film d'animation qui a dû demander des heures de minutieuse élaboration. Mais pour les clips, c'est comme pour l'alchimie, vous avez la voix humide – au minimum neuf mois de gestation – et la voie sèche, bien plus rapide mais beaucoup plus explosive. Il existe aussi un autre danger qui menace les groupes de rock. Le clip trop chiadé qui vous bouffe la voix. Pouvez envoyer le hit du siècle, si vous avez les oreilles scotchées à la beauté des images personne ne l'entendra. Maintenant une vidéo insipide vous détournera de l'envie de l'écouter jusqu'au bout, ne faut pas un juste milieu mais un double exact extrême. Bref l'allumette enflammée et le bâton de dynamite ne doivent en rien ressembler à la mèche mouillée d'un pétard de quatorze juillet pour enfant de moins de six ans.

    Ecoutez le clip No Mercy et vos yeux ne se détachent point de l'écran, par contre vos oreilles ne quittent pas Delphine Viane non plus. Pas bête l'ami Pierrot, il lui aurait suffi de la filmer, et sa beauté et son talent auraient suffi, l'a carrément exilée, l'avait manifestement d'autres châssis à montrer. Les gars aiment rouler les mécaniques. Non, il n'a pas poussé la muflerie à se mettre au premier plan. Avec sa guitare grondante, il vous en aurait mis plein les yeux et plein les oreilles pour pas un euro dévalué par le prochain crack boursier. Exunt les Crashbirds, vous n'avez pas été sages, vous ne les verrez pas, d'ailleurs vous ne les méritez pas. Par contre vous avez votre gros lot de consolation, vous les entendez comme jamais vous ne les avez écoutés.

    Ce n'est pas que l'image fasse la courte-échelle au son qui importe. Pas plus que le vice-versa. C'est que tous deux soient visibles et audibles à grande échelle. Alors nos deux Crashbirds ils ont dû intuiter longuement dans leurs petites cervelles de piafs déjantés. Nous ont concocté un fusil à deux coups mais à triple détente. Je vous explique le processus diabolique : 1° : pour l'image, sont allés chercher des courses de hot-rods à l'américaine, pas vraiment du crash spectaculaire, des séquences de pointes de vitesse et des parcours tout-terrain. 2° : pour le son, z'ont envoyé une bande tueuse de No Mercy, pas de pitié pour l'auditeur, tant pis s'il en crève de joie. 3 ° : vous n'avez rien compris.

    En fait c'est comme une anamorphose musicale : d'un côté vous avez les courses de hot-rods, sans son évidemment, puisque c'est la guitare de Pierre Lehoulier qui pétarade à elle toute seule encore plus bruiteusement que toutes les voitures qui ont tourné sur le circuit d'Indianapolis entre 1955 et 1962, et de l'autre vous avez No Mercy qui défile, et comme votre cerveau prête la guitare de Pierre aux torpédos sauvages, vous n'entendez que la voix et la rythmique de Delphine qui vous cisaillent l'esprit et la chair. L'on n'est pas loin de la note unique de Monte Young tenue sans variation durant trois quarts d'heure, et de fait tous les rushs des mises en route tacotières et des accélérations foudroyantes sont comme régies par votre cervelle. Métaphoriquement parlant c'est vous qui imprimez les images sur une pellicule obstinément vierge.

    Bref, pour résumer, les cuicui sont d'atroces manipulateurs, sous prétexte de vous offrir une vidéo, ils en profitent pour pervertir vos organes de perception. Vos yeux entendent, et vos esgourdes voient. Le plus terrible c'est que vous ne pouvez pas porter plainte pour emprise mentale, la voix de Delphine résonne si magnifiquement en vos tympans que vous avez l'impression d'être Ulysse attaché à son mât à qui la plus belle des Syrènes susurre une mélodie incandescente dans le creux de l'oreille. Ça rôde hot en vous.

    Damie Chad.

     

    TRAGIC SECRET / SO LUNE

    ( Réalisation : Sophiane Bell

    Mai 2019 )

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    Nous les avions vus cet été, zieutez notre livraison 428 du 05 / 09 / 2019. Un garçon doué en électronique, sa sœur au chant et au violoncelle. Tragic Secret est un extrait de leur album Child Spirit. Le clip ne reprend que la première partie du morceau. Child Spirit est un des très rares concepts albums français réussis. Hormis La mort d'Orion de Gérard Manset, L'Interrogation de Dick Rivers, et le Melody Nelson de Serge Gainsbourg, l'on ne se bouscule guère au portillon.

    Mots voilés et blessures intérieures. Child Spirit suggère davantage qu'il ne susurre. C'est à vous de vous en approcher. Pour ceux qui aiment lire peut-être en trouverez-vous une approche dans un recueil de contes comme Venin de rose de Jacques Astruc. Pas facile de mettre des images sur des mots qui ne sont pas dits. A chaque seconde toute représentation ne sera que fausse interprétation, que mensonge. C'est à cette impossible gageure que s'est affronté Sophiane Bell.

    L'a compris qu'il était nécessaire de parier sur l'économie des moyens. Un visage, des doigts, une fille qui sprinte sur la plage, la mer mais celle qui s'en est allée on ne sait où dans le poème de Rimbaud. En fin de compte, le plus disert n'est-ce pas ces vermicelles de lumière qui clignotent à la manière de vers luisants alternatifs comme ces serpentins lumineux sur les images des premiers films du tout début du siècle précédent. Rien ne ressemble plus à un secret que des fugacités spermatozoïdales qui portent le mystère du possible qui n'aura pas  lieu. Est-ce le sommeil qui rêve en son puits d'anéantissement sans fond ou le rêve qui s'ensommeille en lui-même. La voix psalmodie les lyrics du tragique secret. Celui qui tue plus facilement que le venin du scorpion qui retourne son dard empoisonné sur sa carapace. Car l'on ne meurt que de soi. Le monde ne nous use pas. Ne nous érode pas. N'a aucune prise sur nous. Ce n'est qu'une illusion. Le vautour qui nous ronge le cœur n'est autre que nous-mêmes. Chacun porte en lui son propre assassin. Nous ne sommes que notre sale meurtrier. Mains noires sur face blanche. Elles se pressent autour de lèvres agoniques et balbutiantes mais l'amour ne sera jamais fait. Jamais délivré. Sempiternellement inaccompli. Des caresses comme des repousse-rêves pour nous empêcher de prendre la parole, les pernicieuses dentelles de nos cauchemars bien-aimés nous ordonnent de nous taire, de ne rien dire, de ne rien révéler. Cela est inutile, à tout instants nous foulons le sable de la vallée de la mort, nous courons devant un mur d'écume désagrégeante. Chacun se façonne ses cartes postales intérieures. Les couleurs ont beau se métamorphoser, jamais personne n'en comprendra la portée.

    La musique n'est composée que de cliquetis lyriques Parfois des envolées, mais tout retombe, un oiseau migrateur abattu en plein vol. Le chant nous parle à l'oreille, les images sont autant de caches lancés comme les bâtonnets du Yi King dont la combinaison collectée restera imperturbablement indéchiffrable. La sibylle ne prophétisera pas l'indissoluble présence du passé. Peut-être que l'aspect le plus tragique du secret est justement de ne plus être secret s'il se veut révélation. Et ne plus être soi, c'est déjà mourir. Mieux vaut donc se recroqueviller sur soi-même comme une feuille d'automne qui n'aspire qu'à devenir l'humus de sa propre souffrance.

    Clip funèbre. L'appel du non-être, car être serait ne plus être. Le serpent se mord, se mort, la queue, non pas pour renaître, mais pour s'engloutir.

    Un clip qui ne montre rien, sinon la beauté interdite et sororale du chant de So Lune. Une parfaite réussite. Ciel de thrène.

    Damie Chad.