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  • CHRONIQUES DE POURPRE 575 : KR'TNT 575 : MABLE JOHN / FLESHTONES SLY & THE FAMILY STONE / PLOSIVS / SHADOWS OF NIGHT / THE DEAD SOUTH / TELEKINETIC YETI / ROCKAMBOLESQUES

     KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 575

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    17 / 11 / 2022

    MABLE JOHN / FLESHTONES

    SLY & THE FAMILY STONE / PLOSIVS

    SHADOWS OF NIGHT / THE DEAD SOUTH  

    TELEKINETIC YETI / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 575

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    L'inestiMable John

     

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             Mable John aurait dû s’appeler Ali Baba, ou plutôt Alice Baba au pays des Merveilles. Car figurez-vous qu’elle fait partie des reines mal connues - pour ne pas dire inconnues - du r’n’b de l’âge d’or. Les mecs chez Ace qui l’ont re-déterrée en 1992 n’en revenaient pas de trouver autant de morceaux de qualité supérieure.

             À l’ombre d’un misérable paragraphe, Record Collector nous apprend la triste nouvelle : Able Mable vient de casser sa pipe en bois. 

             L’histoire de la petite Mable est à la fois ordinaire (pour les blackos de cette génération) et sidérante (vu le nombre des géants qu’elle a pu côtoyer). Ordinaire car née en Louisiane dans une famille nombreuse où on aimait bien la musique. Pour vivre plus décemment, la famille s’installe à Detroit et Daddy John trouve un job chez Dodge, comme des milliers d’autres blackos montés de Deep South. Les hasards de la vie sont parfois des hasards magiques, comme c’est le cas pour la petite Mable : elle connaît Bertha Gordy, la mama de Berry, et paf, c’est parti !

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             Mable travaille pour Bertha qui est l’une des patronnes de la Friendship Mutual Insurance Agency. Elle vend des assurances au porte-à-porte. Puis Bertha demande à Mable si elle veut bien donner un coup de main à son fils qui cherche à démarrer dans le show-business. Il s’occupe déjà des Miracles. Berry s’aperçoit que Mable chante bien. Il lui propose de devenir son mentor et la fait passer en première partie d’un récital de Billie Holiday à Detroit, en 1959, deux semaines avant sa mort. Comme Berry ne conduit pas, Mable est son chauffeur. Elle devient aussi la secrétaire de Motown. Elle enregistra son premier disque en 1961. Elle est la première gonzesse signée sur Motown. Mais ça ne lui plait pas. Elle trouve le son de Motown trop pop : « I’m not really a pop singer ! »

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             Mable s’y connait, parce que son petit frère Little Willie John balance des tubes de r’n’b dans les charts depuis des années. Entre 1955 et 1961, le frangin aligne 17 hits et en loge 8 dans le Top 10. C’est une famille de surdoués. Little Willie John navigue au niveau de Sam Cooke et de Jackie Wilson. Il descend à Cincinatti signer un contrat avec Syd Nathan. Son hit le plus connu ? « Fever ». Mais sa carrière s’écroule brutalement. Little Willie John boit trop et comme la plupart des autres blackos de l’époque, il porte une arme. Une nuit, une shoote tourne mal dans un bar de Seattle et Little Willie John sort une lame. On l’envoie au ballon et comme on ne fait pas de cadeaux aux délinquants noirs, il y reste plusieurs années. Les circonstances de sa mort sont restées un mystère. Susan Whitall lui a consacré un ouvrage très bien documenté : Fever - Little Willie John’s Fast Life, Mysterious Death, and the Birth of Soul.

             Sur cet épisode dramatique, Mable n’a pas fait de commentaires. 

             Pendant que Little Willie John picole, Mable fait des gosses et quand elle peut, elle voyage. Repérée par Al Bell, elle débarque chez Stax, à Memphis. Et là elle se met à travailler avec Isaac Hayes et David Porter qui sont comme chacun sait les auteurs-compositeurs maison.

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             Mable explique qu’une relation télépathique s’installe entre eux. Ils lui demandent de parler et comme elle chante en parlant, elle fait des chansons qu’Isaac installé au piano met aussitôt en musique. Mable ne chante que des épisodes de sa vie. Steve Cropper et Eddie Floyd sont fascinés par son talent. On comprend mieux quand on écoute « Stay Out Of The Kitchen », fantastique cut de raw r’n’b qui n’est rien d’autre que de l’Otis au féminin - If you can’t stand the heat/ Stay out of the kitchen (si tu ne supportes pas la chaleur, ne viens pas dans la cuisine) - heavy duty - stay out boy ! Elle sait ce qu’elle fait, c’est le tempo de rêve, le jerk lent et mesuré, celui des gestes longs et contrôlés. Crazy Al Johnson des MGs bat le beurre là-dessus et Mable trouve qu’il est le plus grand batteur du monde. Voilà le genre de merveille qu’on réécoute plusieurs fois d’affilée. Il faut aussi écouter « Able Mable » qui fut longtemps le morceau d’intro de Mable sur scène, sa carte de visite en quelque sorte - My name is Mable and don’t you think I’m able - Magnifique délectation d’intention - I’m Mable ! - c’est fabuleux et trompetté par derrière, elle fait swinguer son jazz-blues dans le move du groove de Stax. Pur génie !

             « Écoute Mable John... Chez elle tout est bon... », disait Jean-Yves.

             Pour « Shouldn’t I Love Him », elle fait appel au power du gospel. Et « Catch That Man » est un classique du r’n’b comme on les aime, chaud et cuivré à souhait, Staxé à la vie à la mort. Mable chante ça avec au timbre d’étain et une sorte de petite expertise de la puissance. Elle va chercher des accents à l’Aretha, elle n’en finit plus d’accrocher, elle mord à pleines dents dans son couplet. Quelle incroyable stature ! On n’en revient pas de voir autant de maturité chez cette petite reine de Nubie. Elle amène « Ain’t Giving Up » comme l’« I’m A Man » de Bo Diddley, elle prend ses marques et occupe à nouveau le haut du pavé. Elle s’accroche à son art avec une énergie troublante. Derrière, on entend une fabuleuse partie de guitare sauvage. On croit rêver. De toute façon, chez Mable, tout est bon. Elle chante avec une ardeur de fauve qui finit par stupéfier.

             « Running Out » est un jerk de petite black trop douée, elle nous roule dans sa farine, avec un classicisme affolant - Running out of lonely nights -  Elle tape vraiment au niveau supérieur qui est celui d’Aretha. « Love Tornado » démarre sur des accords d’Otis, c’est staxé à la mort du petit cheval, et on savoure une fois de plus l’excellence de cette classe supérieure. Elle embarque son art par-dessus les toits, comme le fit Paul Verlaine avec les rimes. C’est absolument dément, elle pousse tant qu’elle peut, la bourrique. On a là l’expression du pur génie de la Soul. Elle chante toujours d’une voix perchée et verte, douce et incroyablement pulsative.

             Ça n’en finira donc jamais ? « Sweet Devil » arrive comme un groove monstrueux de mise en place, strummé et enrichi de chœurs surnaturels. À tomber. L’excellence, toujours l’excellence, rien que l’excellence supérieure du groove de la Soul de fin de nuit des boums d’antan. Mable ratisse tout : les suffrages et les passions, les hommages et les superlatifs. Elle ne laisse pas grand-chose aux autres. « It’s Catching » est une autre monstruosité rampante. Encore un truc qui te fera tomber de ta chaise, vu comme c’est tapé derrière à la grosse mode de base. On nage là dans la meilleure Soul du monde, comme on nage dans un lagon.

             Elle vire jivy-jazzy avec « Drop On In », encore un cut effarant, une compo de Booker T Jones que Mable considérait comme l’être le plus cultivé et le mieux éduqué chez Stax. (C’est vrai qu’elle avait une petite tendance à se plaindre d’Isaac Hayes qui passait son temps dans des chambres avec des tas de filles, et de David Porter qui entrait avec elle dans la cabine d’enregistrement et qui lui frappait violemment l’épaule quand elle ne chantait pas assez bien). « Drop On In » sonne comme une invitation. On monte avec elle. Viens mon gars, je t’emmène au paradis. Puissant et radieux. Elle dépasse toutes les bornes de la délicatesse et de l’excellence - My mind is gone - fabuleux de finesse, Mable est une petite renarde de la Soul, elle pointe le museau et c’est fin, incroyablement fin, d’une qualité qui impose un respect constant et qui force les limites du régal. Elle enveloppe tout ça dans la douceur d’un gant de velours.

             Et puis, il y a les slowahs, comme avec Carla Thomas, et ça permet de reprendre souffle. Tout est beau et bien mélancolique, mais il faut aimer les slowahs. Ce ne sont que des histoires de cul. Il faut quand même dire que les blackos sont parfois plus pénibles que les petits blancs dégénérés quand ils tapent dans le romantisme. On aurait tendance à les croire immunisés contre ces conneries, mais non, c’est une vue de l’esprit. Ils sont aussi exposés aux ravages du romantisme libidinal que les blancs.

             Retour au jerk royal avec « If You Giver Up What You Got ». Classe infernale. Elle embarque son jerk en enfer, mais c’est l’enfer des sens, car c’est sucré et jerky en diable. Les blancs n’auront jamais accès à ça, à cette supériorité expressive, à ce frappé du beat. Il faut bien finir par l’admettre. Mable nous fait une fin de cut splendide en l’accélérant. Que demande le peuple ?

             On sent qu’elle n’a pas eu une vie de rêve avec les hommes. Dans « Don’t Get Caught », elle remarque une trace de rouge à lèvres sur le col du connard - lipstick on your collar -  et dans « The Man’s Too Busy », ce boogie Soul fabuleusement beau, elle raconte qu’elle est amoureuse d’un mec qui n’a pas le temps - I’m in love with a man/ But the man’s too busy for me - alors évidemment ce n’est pas facile. Mais comme elle arrose ça à la sauce Stax, on se retrouve encore avec un hit dans les pattes. Sur cette superbe compile, il reste encore deux morceaux qui sont aussi réussis que les autres. « Sorry About That » est mené par le bout du nez par une guitare infernale et on retrouve ce mid-tempo haut de gamme dont Mable John s’est faite une spécialité. Et pour finir, on a ce « Need Your Love So Bad » qui vire jazz et qui révèle une fois de plus la haute tenue de sa classe. Mable John peut ensorceler, avec ce feeling de fin de nuit.

             Après Stax, elle ira chanter dans les Raelettes de Ray Charles, histoire de rester dans les strates supérieures de l’activité artistique américaine.

    Signé : Cazengler, Meuble Jaune

    Mable John. Stay Out Of The Kitchen. Ace Records 1992

    Susan Whitall. Fever - Little Willie John’s Fast Life, Mysterious Death, and the Birth of Soul. Titan Books 2011

    Susan Whitall. Women Of Motown. An Oral History. Avon Books 1998

     

     

    Tire ta Flesh, Tone ! - Part One

     

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             La dernière fois, ça devait être au Cosmic à Bourges, les Fleshtones jouaient en tête d’affiche. Au bout de deux cuts, on s’est regardés, avec Laurent, et on s’est barrés. Dès qu’on s’ennuie, on se barre. C’est arrivé souvent. On est donc sortis se fondre dans la foule des blasés qui picolaient au grand bar à huîtres installé à l’extérieur du palais d’Auron. On s’est offert deux grands verres de blanc, on a trinqué en se jurant que ce serait la dernière fois. Les Fleshtones ? On les avait trop vus. Beaucoup trop vus. Comme tout le monde en France. En plus, ça nous amusait de constater que nous n’étions pas les seuls à raisonner ainsi. Il y avait plus de monde au bar, dehors, qu’à l’intérieur. Ça voulait dire ce que ça voulait dire.  

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            Et voilà-t-y-pas qu’y r’viennent en Normandie, vingt dieux la belle église ! L’occasion rêvée de commettre un petit parjure. Laurent qui est au paradis n’en sera pas choqué. Donc on y retourne. Plus pour voir un peu de monde que pour revoir ce groupe dont on a fini par se lasser. Les Fleshtones jouent sur la petite scène, donc ça limite le risque de dispersion. Tout ce qu’on espère c’est qu’ils ne vont pas danser le French Cancan. Keith Streng fait son numéro d’acrobate, il saute partout. Double ou triple saut périlleux arrière. Beaucoup de mouvement sur scène. Rien n’a changé en vingt ans. C’est à la fois leur force et leur faiblesse, tu veux du real deal d’American gaga ? Va voir les Fleshtones, tu en auras pour ton billet de vingt, ils ne vieillissent même pas. Avec ses cheveux blancs, Zarembaba t’en met plein le baba.

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    Il jerke au Bus Palladium, comme s’il avait seize ans. Au fil des décennies, les Fleshtones se sont spécialisés dans un étonnant mélange de power et de sans-surprise. Tu sais précisément ce qui va se passer, à la seconde près, tu sais que Keith Streng va te jouer exactement ce solo en disto, tu le connais par cœur, tu sais que le bassman va descendre faire son petit tour dans la foule, tu sais que Zarembaba va te jiver son coup d’harp à ce moment précis, tu sais même que Keith Streng va annoncer au micro que sa chanson préférée - all time favorite - est «Child Of The Moon» et qu’il va la chanter. Tu n’en finis plus de tout savoir, c’est d’un prévisible à toute épreuve, les Fleshtones ressemblent à ces grosses berlines qu’on voit filer sur les autoroutes, bien fières et bien massives, elles avalent les distances comme Saturne avale ses victimes, les Fleshtones avalent le rock comme une autoroute, vroarrrrrr, tu ne sais même plus si tu vibres ou si tu ne vibres pas, tu vois tous ces gens danser et tu ne comprends pas pourquoi le prévisible fait danser, mais si, imbécile !, le prévisible peut être irrésistible, voilà l’explication !

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    Les Fleshtones sont donc les rois du prévisible irrésistible, ils ont bien mérité leur couronne, car ils sont resté intacts, et on ne peut même pas leur reprocher d’avoir enregistré des mauvais albums, car c’est hélas le contraire, ils ne sont pas que les rois du prévisible irrésistible, ils sont aussi les rois de l’évidence institutionnalisée, les rois de la persistance sécularisée, les early dinosaures d’un genre qui est désormais en sursis, car en voie de disparition : le gaga boudin ne tient plus qu’à un fil, celui des rois du prévisible irrésistible. Mais quoi qu’il arrive sur cette terre, tu l’auras toujours dans le baba avec Zarembaba et Keith Streng le bien nommé ne connaîtra jamais sa force.

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             Tiens, on va jouer à un jeu : prends n’importe quel album des Fleshtones au hasard. Que constates-tu ? Oui, tu te régales ! À chaque fois, c’est une bonne pioche, surtout depuis qu’ils sont arrivés sur Yep Roc. Prends Take A Good Look, juste pour faire le test. Sur 12 titres, tu as dix petites bombinettes gaga de haut vol. Rien qu’avec le «First Date (Are You Coming On To Me)», t’es gavé comme une oie de yeah yeah yeah. Zarembaba te laisse baba, il n’a rien perdu de sa vieille niaque parcheminée. Ils enchaînent avec une vieille rincette d’heavy gaga complètement gogo, «Shiney Heinie», wild as fuck et tu as ce fou de Keith Streng derrière qui rallume tous les vieux brasiers, il faut les voir balancer leur souk par dessus les toits de la médina ! Force est de reconnaître qu’à ce petit jeu, ils sont imbattables. Ils font un festival, ils sont dans le vrai et il reviennent à la violence avec «Back To School», pur jus de Flesh-punk, c’est fabuleusement amené, dans le genre, tu ne peux pas espérer mieux. Ils ont cette assise que n’auront jamais les jeunes loups. C’est l’apanage des vétérans de toutes les guerres. Ils attaquent «Feels Good To Feel» à la sixties fever, ils connaissent bien les règles du jeu, celle du wild gaga tapé au riff de fuzz, ils te sortent là un incroyable brouet d’énergies fondamentales. Ils amènent ensuite «Jet-Set Fleshtones» au heavy break down de Flesh power. Unbelievable, dirait un Anglais ! Ils sont dans la transe d’everybody move on up et de gyspsy craze de sixtine freak-out. Le festin de purée se poursuit avec «Never Grew Up». Énergie maximale ! Attaqué au sommet du lard fumant, ce mec Zarembaba est un lion, rrroarrrr, il développe une extraordinaire vitalité, ça fait du bien de l’entendre rugir dans la savane. Nouvel assaut avec «Down To The Ground», Zarembaba tape ça à l’harp et chante à l’efflanquée, comme s’il courait après une antilope. Encore une fois, c’est bien au-delà du Cap des Expectitudes. Ils terminent cet album rugissant avec le morceau titre, un heavy groove de good look baby, ces mecs savent ramoner une cheminée, pas besoin de leur montrer le principe, c’est assez insistant, comme doit l’être le ramonage, what I can do, il y va le Zarembaba, c’est pas un bobo, and you’re looking so fine, ça bascule dans le no way out, c’est tellement fantastique qu’on sort de cet album ramoné et ravi. 

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             On continue à jouer au jeu du pif. Tiens, tu prends Laboratory Of Sound. Cinq bombinettes ! Pas mal, pour un petit album sans prétention. Avec «High On Drugs», ils rendent hommage au Velvet, ce sont les accords de «Waiting For The Man», avec le solo de biais. Keith Streng attaque «Nostradamus Jr» au heavy sabre au clair disto, c’est le genre de truc qui te réconcilie avec le genre humain. Ces merveilleux Tones savent flesher l’hey hey hey et l’enturbanner de sixties flavor. Leur charme principal est l’enthousiasme. Leur «Train Of Thought» est vite plié, et ils sont back in town avec «One Less Step», ils jouent tout ça au full blast, ça n’arrête pas. Et puis tu as «A Motor Needs Gas», classic overdrive, ils ne lâchent jamais la rampe.

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             Comme son nom l’indique, Hitsburg Revisited est un album de reprises. Tu vas en trouver deux qui font la différence : «Going Down To Tia Juana» et «Find Somebody». Tia Juana, oui, car signé Andre Williams, les Tones tapent dans l’early Dédé, ils le drivent bien wild, avec des chœurs de filles qui rebondissent. «Find Somebody» est un hit des Rascals et les Tones en font quelque chose de monstrueux. On dresse aussi l’oreille à l’écoute du «Little Lou» d’Eddie Daniels, car ça flirte avec l’Eddie Cochran. Autre bonne pioche : «Take My Love (I Want To Give It All To You)», signé du frère de Little Willie John, big instro, fast & furious, pour Keith Streng c’est du gâtö au chökölat, et Zarembaba entre sur le tard du lard. Et quand ils tapent leur «Tribute To Hank Ballard», ils n’y vont pas de main morte !

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             Do You Swing? Bonne question, Mister Zarembaba. Aw c’mon ! Coup de génie avec «Are You Ready For The Mountain», c’est du heavy Tones chanté à la Mountain, heavy as hell, solo destroy oh boy, ready for the mountain/ Now ! Encore du big power avec «I’m Back Again», ils te plongent le Brill dans une bassine de back again bouillante. Encore une fois, tout est plein comme un œuf là-dessus. On se régale de «Double Dripper», un big instro embarqué par une bassline dynamique et un shuffle d’orgue et comme ils ont décidé de nous en mettre plein la vue, ils tapent une cover de «Communication Breakdown», Zarembaba la shoote dans l’œil, il fait bien son Plant, ah l’enfoiré, il arrive à sonner juste et le Streng est à la page de Jimmy Page, c’est assez stupéfiant de voir des mecs taper du Led Zep sans perdre la face. Streng cocote sévère et Zarembaba t’ inféode tout ça à coups d’’harp.

    Signé : Cazengler, pas une flèche

    Fleshtones. Le 106. Rouen (76). 14 octobre 2022

    Fleshtones. Laboratory Of Sound. Ichiban International 1995

    Fleshtones. Hitsburg Revisited. Telstar Records 1999

    Fleshtones. Do You Swing? Yep Roc Records 2003

    Fleshtones. Take A Good Look. Yep Roc Records 2007

     

    Wizards & True Stars

    - The Sly is the limit (Part One)

     

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             Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour savoir que Sly Stone est l’un des rois de ce monde.  Tous les gens qui ont écouté du rock au long des seventies le savent. Sly Stone est avec Jimi Hendrix, George Clinton et Miles Davis l’une des plus pures incarnations du big Black Power, assis à la fois sur le rock, le jazz et la Soul, on top of the world. Il faut un cul énorme pour s’asseoir sur tout ça à la fois. Il existe très peu de candidats pour ce genre d’apanage des alpages. Tu les comptes sur les doigts de la main. Marc Z qui était assez prodigue en matière de paroles d’évangile disait de Sly qu’il était un génie. Ça résumait bien la situation. Chez lui, il y avait au mur des photos de Jimi Hendrix, Dylan et Sly. Nina Rosenblum qui a tourné le docu Sly/Jimi The Skin I’m In dit la même chose : «We really think that Sly Stone was a complete unalduteratd genius... the likes of Rembrandt, Michelangelo, Mozart.» Ah cette manie qu’ont les gens de ramener les grands noms dès qu’il s’agit d’évoquer l’incarnation du génie. Les kids s’en battent le coconut de Rembrandt et de Mozart, tout ce qui les intéresse, c’est «Dance To The Music». Ils laissent les vieilles peaux aux conservateurs de musées et vont danser avec Sly, car the Sly is the limit. Don Was qui fréquente lui aussi les rois du monde (Iggy, Dylan, les Stones ou encore Waylon Jennings) voit Sly comme l’un des «Greatest Artists of All Time» - il insiste bien sur les capitales, et va même jusqu’à le comparer à Duke Ellington. Emporté par son élan, il le qualifie encore de Cézanne of funk - It’s like he took these traditional James Brown groove elements and started putting orange into the picture - Et il chute avec ça : «This guy is a titan.»

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    C’est Jeff Kaliss qui cite Don Was dans son petit book, I Want To Take You Higher - The Life And Times Of Sly & The Family Stone. D’ailleurs, il est très bien, ce petit book, car c’est l’antithèse du Selvin book (l’Oral History) et du regard noir que porte cette vieille carne de Selvin sur Sly the Sky, aka the Spirit in the Sly, l’ange de lumière noire. Kaliss rappelle que Selvin a interviewé toute la bande, sauf Sly, et la plupart ont été se plaindre après la parution du Selvin book, car il est bien sûr très orienté. Le batteur blanc de la Family Stone Greg Errico dit même que c’est «the dirty laundry, the trash», et que bien sûr, ça n’a rien à voir avec la réalité du mythe. Oh no, no, no, Sly n’est pas seulement le bad boy, le drug addict que dépeint Selvin, ça a même choqué Nina Rosenblum, mais comme ses copains les kids, Sly s’en bat le coconut : «I don’t read all of that. I don’t even know about Joel Selvin». Le désaveu d’un roi du monde, c’est pire que tout. Sly the Sky, c’est autre chose, comme le dit Steve Paley - Il adore être le Howard Hughes de sa génération, il adore se rendre inaccessible, personne ne sait qui il est, ce qu’il fait et à quoi ressemble sa musique - Sly peut jouer à ce jeu pendant vingt ans, c’est le privilège des rois du monde. Et quand il réapparaît, il veille bien sûr à redevenir «unpredictable, uncontrollable, and fantastic.» Sly n’a pas beaucoup de vrais potes dans la vie, mais ceux qu’il a ne sont pas n’importe qui : Clive Davis, George Clinton, pour n’en citer que deux - It’s fun playing with George, because he likes to have fun - Alors ils jouent ensemble, comme des rois du monde assis on top of the world, avec leurs coiffures extravagantes et leurs costumes sci-fi. D’ailleurs George se souvient de la première fois où il a vu Sly sur scène, dans un small club à New York, the Electric Circus : «Les gens attendaient depuis un bon moment quand soudain c’est devenu l’enfer sur la terre. J’avais encore jamais entendu une basse sonner comme ça, l’un de nos bassistes Billy Bass Nelson avait huit cabinets, aussi je savais comment ça pouvait sonner. Larry Graham was loud as hell. Ils avaient la clarté du son Motown mais le volume de Jimi Hendrix ou des Who. They litterally turned this motherfucker out. C’est l’impression que m’a laissé Sly pour le restant de mes jours.» Sly est Sly dès le départ, il roule dans San Francisco au volant Jaguar XKE repeinte en mauve, cadeau de Big Daddy Dohanue, Sly est un «very flashy black man, dressed in Beatle suits and this weird pompadour», dit Catherine Kerr. Palao dit qu’il est Mr. Plastic-Hey-Baby-Soul et qu’il se frite avec les hippies, les Warlocks et le Great Society qui vont devenir le Dead et l’Airplane, il les traite d’amateurs, il ne s’entend bien qu’avec les Beau Brummels, comme par hasard ! Puis s’ouvre l’ère de la Family Stone, avec Sister Rose, Cynthia Robinson, la première trompettiste black de l’histoire du rock, dirt-and-dirty thumpin’ Larry Graham qui utilise des pédales fuzz et wah - a stimulating change-up from the happy bass burble of Paul McCartney et James Jamerson - Brother Freddie Stone - There’s no funker or better ryhthm guitar player - et les deux blancs, le vieux pote Jerry Martini aux cuivres, comme Cynthia, et Greg Errico au beurre. Alors boom ! Want To Take You Higher, boom badaboum ! Woodstock ! Beat that motherfucker ! Non tu ne bats pas ça ! Kaliss a raison de revenir longuement sur Larry Graham et ses «fattest, fuzziest runs heard to date», un Kaliss qui confirme aussi le délire Orange Mécanique qu’évoque Slevin, quand Larry Graham, traqué par un gang sous angle dust et armé de cannes, craignait pour sa vie. Mais les excès en tous genres font partie du cirque, alors où est le problème ? Tu as le même cirque chez les Stones et chez les Who, tu as même des cadavres, et comme le dit si justement le Père Fouettard, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs et le rock n’est rien d’autre qu’un gros cirque d’œufs cassés, avec un Sly the Sky qui danse sur la piste aux étoiles avec les fantômes de Brian Jones et de Jimi Hendrix. Suicides ? Pas suicides ? Certainement pas suicides. L’omelette. Orange Mécanique. Les touches d’Orange dans Cézanne, tout le monde n’est pas Cézanne, nous nous contenterons de peu, l’on pleure et l’on riiiit comme on peut dans cet univers de tisane, pas vrai Louis ? Aragone pour les intimes. Aragon is gone. C’est l’âge d’or du sex drugs & rock’n’roll, l’angel dust descend sur terre au jour de l’an 1969 et Bubba voit les frères Stone, Sly & Freddie «walking around the house all day like zombies». Brother Freddie tombe dans les pommes à l’Apollo de Harlem parce, que pour épater son frère Sly, il a pris plus de dope que lui - Everybody was trying to out-high each other, dit encore Bubba Banks - Jerry Martini complète le panorama en rappelant que tous les groupes qui en avaient les moyens payaient des médecins qui les conseillaient et qui les fournissaient : «Tu te réveilles, tu prends un Placidyl, puis tu snort de la coke jusqu’à ce que tu puisses parler correctement. It was like this up-and-down roller coaster.» Les gens s’en souviennent peut-être, mais les premières images de Sly & the Family Stoned au fond d’un backstage ont drôlement secoué les médias, «platform boots, fringues collantes, puffy shirts luminescentes, afros démesurées et des bijoux extravagants», «a new standard of rock royalty» dit Kaliss le kalife. Bon, il faut un label et Sly veut signer sur Atlantic, le label de Brother Ray et des Coasters, mais quand les whiteys lui recommandent de laisser tomber la Family Stoned pour enregistrer avec des requins de studio, Sly se casse vite fait et retourne dans l’outer space. Whizzzzzzzzz ! A true star !

             Sly va sur Epic. Tout sort sur Epic, comme sur une planète. L’épique planète Epic. Brother Freddie devenu pasteur après la fin de la Family Stoned n’en démord pas : c’est Stand le meilleur Epic - Oh man, that was the greatest, our greatest album without a doubt - Oh man et puis Riot, mais sans Family Stoned, Sly Stoned solo - A miasma of dark introspection fueled by chemical self-indulgence - L’illustration musicale du cauchemar qui s’abat alors sur l’Amérique - war, political intrigue and bad drugs - Greil Marcus dit même que Riot est un «portrait de Sly of what lies behind his big freaky black superstar grin», un Sly qu’on décrit écroulé sur le piano whaked out of his brain. Miles Davis se souvient être allé a couple of times à Bel Air où Sly enregistre Riot : «Il y avait des filles et de la coke partout, des gardes du corps avec des guns looking like evil.» Et puis sur la pochette, tu as l’American flag qui est accroché au-dessus de la cheminée at 783 Bel Air Road, qui du coup devient un endroit mythique.

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             Pour les ceusses qui ont vécu le Sly en direct, There’s A Riot Goin’ On reste son meilleur album. La partie est gagnée dès «Family Affair», repris par pas mal de gens, dont Iggy. Hit universel, chanté très laid-back. Clive Davis ne voulait pas sortir «Family Affair» en single - That sounds like he’s stoned. We can’t put that out, et Stephen Paley lui dit que ça n’est pas grave, it’s a great record - Ça grouille de puces géniales dans Riot. Par exemple «Just Like A Baby», un slow groove de pure défonce qui s’élève comme un filet de fumée dans l’underground californien, monté sur des notes de basse rondes et sourdes. Même laid-back dans «Africa Talks To You». Sly descend à la cave pour poser les fondations de l’empire du groove. Ses lignes ronflent dans la fumée. Ça continue en B avec «Time». Tout est visité par la grâce. Bobby Womack traîne dans les parages. Sly invente le groove sporadique du ralenti foggy. Il yodelle dans «Spaced Cowboy». Il revisite l’Americana à coups d’harmo schtroumphy. Il boucle ce gigantesque tour de magie avec «Thank You For Talkin’ To Me Africa», où se niche le fameux Thank you for lettin’ be myself. Sly refonde tout le party et s’écroule sur son trône.

             On verra tout le reste de l’Epic en détail dans un Part Two. C’est Betty Davis qui fait le lien entre Sly et Miles. Elle découvre Sly in the Bay Area et Greg Errico produit ses albums. Puis quand elle vit avec Miles, elle passe les disques de Sly en permanence - Miles aimait ça, autrement il m’aurait dit d’arrêter - Sly & Miles, Miles & Sly, on croit entendre l’«Old Europe» de Robert Wyatt, Juliette & Miles, puis Sly se remet à faire la Family Stone tout seul sur Fresh, il joue de tous les instruments mieux que tous les autres, sauf Brother Freddie. Sly cultive l’hypnotic electronic gloss, nous dit le Kalife Kalyss, frais émoulu de Fresh, un Fresh dit-il qui est la preuve de l’innovative pioneering genius de Sly. Et petite cerise sur la pöchette, tu as Sly in the sky photographié par Richard Avedon, Whizzzzzzz ! A true star ! Encore une cerise : sertie comme une émeraude dans Fresh, tu as la chanson de Doris Day, «Que Sera Que Sera», que Sly emmène dans le sky avec son ami Terry Melcher, ange blond et fils unique de Doris Day. Sly en plein jour de Day, Whatever Will Be Will Be. Sly épouse alors un autre ange, Kathy Silva et son fils Sly Jr vient au monde, immaculée conception, mais bien sûr, ils divorcent six mois plus tard. Il ne faut pas confondre le cirque des œufs cassés avec les contes de fées. Rien à voir. Et puis voilà Gunn que Kalyss écrit avec deux n, à la différence de Selvin, le pitbull de Sly qui terrorise tout le monde, et quand Gunn lacère le cuir chevelu de baby Sly Jr, Kathy se karapate vite fait. Amère, elle déclare que Sly Stoned n’a jamais cessé de se doper - He lost his backbone and destroyed his future - Patatrac ! Ah comme les gonzesses peuvent être hargneuses quand elles s’y mettent ! Mais Sly enfante bien d’autres phénomènes épiques : Earth Wind & Fire, Kool & The Gang, les Commodores, tout ça sort du sky de Sly, et puis bien sûr Parliament-Funkadelic - A righteous mix of psychedelia & R&B - «theatrical costumed rock well beyond the Family», avec un Eddie Hazel plus hendrixien que l’ami Jimi et the rubbery bassist Bootsy Collins plus grahammien que Larry Graham - he’s my idol, forget all that ‘peer’ stuff - Certains diront que Sly eut la chance de devenir une star à l’époque où tout était possible : les seventies. Il serait peut-être plus juste d’affirmer que Sly et une poignée d’artistes géniaux ont inventé le rock des seventies et rendu tout le reste possible.

    Signé : Cazengler, Stome de chèvre

    Sly & the Family Stone. There’s A Riot Goin’ On. Epic 1971

    Jeff Kaliss. I Want To Take You Higher. The Life And Times Of Sly & The Family Stone. Backbeat Books 2008

     

     

    L’avenir du rock

    - Les Plosivs sont plausibles

     

             L’avenir du rock adore aller se balader dans les montagnes du Colorado, surtout en hiver. La région est restée très sauvage. Aucun risque de croiser des touristes en moto-ski. Il marche depuis deux jours quand soudain, à l’autre bout d’une vallée d’une blancheur immaculée, il aperçoit une silhouette. L’homme approche. C’est un trappeur vêtu de peaux d’ours. Il marche et tient une mule par la bride. Les deux hommes se croisent et se saluent d’un hochement de tête. Quelques mètres plus loin, l’avenir du rock s’arrête, se retourne et interpelle le mystérieux personnage :

             — Hey !

             L’inconnu se retourne lentement et arme son fusil de chasse.

             — Quoi ?

             L’avenir du rock lève les mains en l’air :

             — Baissez votre fusil, pilgrim, je voulais simplement vous poser une question...

             — Quoi ?

             — Ne seriez-vous pas Jeremiah Johnson ? Il me semble vous avoir reconnu...

             — Oui et alors ?

             — Ben dites donc, vous n’avez pas l’air très frais !

             Le légendaire Jeremiah Johnson qui fit rêver toutes les rombières américaines est méconnaissable : œil crevé, le visage couvert d’horribles cicatrices, une barbe de prêtre orthodoxe lui couvre la poitrine et semble grouiller de bestioles.

             — Mon pauvre ami, qui vous a mis dans cet état ? Un grizzly ?

             — Non ! Les fucking Crows. Ça fait quarante ans qu’ils essayent de m’avoir ! J’en ai ras le piège à castors des Crows ! Chaque jour, un guerrier Crow me tombe dessus. Hier, j’ai pris une flèche dans l’œil. Et tenez, r’gardez ça !

             Il soulève sa tunique en peau de daim. Oh quelle horreur ! Son torse est couvert de boules de pus.

             — Même plus le temps d’extraire les pointes des flèches. Dès que je commence à cautériser une plaie, un Crow me tombe dessus !

             — Si vous voulez, Jeremiah, j’ai un œil de verre dans ma trousse de pharmarcie. Je vous l’échange contre le collier de griffes d’ours qui cous portez autour du cou.

             — C’est plausible.

             — Vous voulez dire Plosiv ?

     

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             L’avenir du rock adore rebondir dans les conversations. Ça lui sert chaque fois de prétexte à lancer de nouvelles perspectives. Ce troc plausible avec Jeremiah Johnson est l’occasion rêvée pour lui de saluer l’arrivée des Plosivs, un groupe infiniment plausible monté par John Reis, de l’autre côté des montagnes du Colorado, en Californie.

             On apprend grâce à un petit article de Vive Le Rock que John Reis is one half of the writing team of Plosivs. Reis connaît bien le chanteur Rob Crow, un vétéran de toutes les guerres qu’on retrouve dans Pinback et Thingy. Reis voit même Plosivs comme un super-groupe, avec le batteur d’Offspring Atom Willard et Jordan Clark, bassman de Mrs Michigan. Les gosses de Reis et de Crow vont à la même école, alors les pères se voient souvent. C’est comme ça qu’ils ont eu l’idée de composer ensemble. Précision importante : Reis ajoute qu’Atom a joué dans Rocket For The Crypt.

             Dans la petite chronique qu’on trouve à la fin du même numéro de Vive le Rock, Bruce Turnbull indique que le son de Plosivs te blaste à coups de «jangling post-punk riffs and an agonizingly catchy alt-rock chorus». Il rappelle que John’s mammoth riffs are hard to miss. On le savait depuis le temps des Rocket.

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             C’est vrai que ce bel album rouge grouille de petites énormités, même si c’est toujours un peu le même son, le même ventre à terre. Ces mecs-là n’ont jamais traîné en chemin. Leur truc c’est de filer sous le vent, alors ils filent. On retrouve le chant du grand Reis et ses idées de dynamiques dans «Rose Waterfall». Avec lui, le beat devient pire qu’éternel : sempiternel, et chaque fois ça accroche. Prends n’importe album des Rocket et tu verras comme ça accroche bien. Reis continue de développer son esthétique du brouet de chant aux abois et de cavalcades infernales. Ça reste du pur Reis with the Devil. Avec «Never Likely», une pluie d’accords au phosphore s’abat sur Dresde. Fantastique déluge de feu ! Reis ne rigole pas. En réalité, ses paroles ne servent que de prétexte à gratter des milliers d’accords. Il ne vit que pour gratter ses poux. Alors il gratte. Et il file. Il repart toujours bon pied bon œil comme le montre «Broken Eyes». John Reis ne s’arrêtera jamais, il va gratter ses poux jusqu’à la fin des temps. C’est comme on l’a dit un sempiternel. Un incurable. En B, il calme le jeu. Les cuts sonnent plus classicus cubitus. Mais bon, ça coule bien dans l’oreille. Il profite d’«Iron Will» pour lâcher un beau déluge d’excelsior, il joue à  l’insistance paramilitaire, celle qui ne respecte pas les Conventions de Genève, et ça finit par payer, c’est une fois de plus partie gagnée. Avec «Pray For Summer», il revient au calme, il longe par babord, c’est très délicat, finement amené au longeant. John Reis aura passé sa vie à composer des bonnes chansons qui ne seront jamais des hits. On appelle ça un destin, dans les contes. Et toute cette affaire de Plosivs s’achève avec «Bright», un cut de batteur fou, joué au beat des forges. John Reis ne nous aura rien épargné.

    Signé : Cazengler, Plo de chambre

    Plosivs. Plosivs. Swami Records 2022

    Introducing Plosivs. Vive Le Rock # 90 - 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Standing in the Shadows of Knight

     

             Iatus n’écrivait pas de livres. Non parce qu’il ne s’en sentait pas capable, mais parce qu’il avait une opinion si haute de lui-même qu’il préférait se singulariser autrement. De nos jours, n’importe qui écrit des livres, alors il préférait laisser ça aux autres. Le culte que certains êtres vouent à leur propre singularité passe nécessairement par la pratique de certains excès et cette singularité peut alors se transformer en arrogance, une façon d’être qui devait avoir du sens au temps des Empereurs romains, mais qui à notre époque semble plus difficile à assumer. Alors Iatus décida de cultiver clandestinement sa singularité et utilisant la peau de son corps pour écrire ses mythologies. Il ne laissait aucun signe apparent, mais ceux qui le connaissaient bien savaient que l’entière surface de son corps était tatouée. Et cette arrogance qu’il est si difficile de décrire prit alors tout son sens. Il naviguait dans le milieu ultra-hip des nouvelles technologies et personne n’aurait jamais soupçonné que sous l’alpaga de son costume vibrait le corps d’un guerrier Maori, mais un Maori qui aurait adoré le rock, au point de s’en faire tatouer toutes les icônes depuis la base du cou jusqu’aux poignets et jusqu’aux pieds : Elvis, les Cramps, Howlin’ Wolf, les Stones, et tout ce qu’on peut bien imaginer dans le domaine des grandes figures emblématiques. Un jour à table, il avoua d’une voix lénifiante qu’il lui restait un petit carré de peau vierge sur l’arrière du mollet droit et qu’il envisageait d’y faire tatouer l’interprétation graphique du portrait de Joe Kelley, le guitariste des Shadows Of Knight, à quoi les douze amis présents comme autant d’apôtres applaudirent mollement.  

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             C’est bien sûr grâce à Lenny Kaye et à la compile Nuggets parue sur Elektra en 1972 qu’on a tous découvert les Shadows Of Knight. Puisqu’on ne trouvait pas les pressages américains en France, alors on les commandait sur l’auction list de Suzy Shaw. Les Shadows Of Knight furent avec les Standells les figures de proue du gaga-punk sixties américain, c’est-à-dire un continent qu’on allait mettre vingt ans à découvrir - It ain’t easy bein’ the forefathers of punk - Le chanteur Jim Sohns fut le seul à pouvoir rivaliser d’ultra punkitude avec Van Morrison. Il vient tout juste de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous lui rendre un petit hommage.

             Comme beaucoup de groupes devenus cultes (Stooges, Velvet, Jimi Hendrix Experience), la réputation des Shadows Of Knight repose sur une trilogie. Avec Gloria, Back Door Men et Shadows Of Knight, on fait le tour du propriétaire.

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             Le premier date de 1966 et s’appelle Gloria. C’est leur meilleur album, la reprise de «Gloria» qui donne le ton est parfaite - A total celebration of teenage lust - mais l’album offre bien d’autres charmes, comme par exemple l’«It Always Happen That Way» qu’on trouve en B, juste après le mythique «Oh Yeah» (You’re the one/ Said oh yeah), un Always Happen That Way amené au riff de fuzz, idéal pour aller jerker au Bus Palladium. La reprise la plus spectaculaire de l’album est celle de «Got My Mojo Working» : belle tension du beat, fantastique énergie et on peut même parler de wild rythmique, aussi wild que celle des Yardbirds. Leurs reprises de «Boom Boom» et «You Can’t Judge A Book By The Cover» sont superbes. Jim Sohns et ses copains rendent surtout hommage aux gloires locales de Chicago, car ils tapent aussi dans «Hoochie Coochie Man».

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             Paru la même année, Back Door Men est un album moins spectaculaire, même s’il démarre sur un «Bad Little Woman» digne du Rave-up des Yardbirds. Avec «Three For Love», ils se prennent pour les Byrds et donc on perd le raw de Bo et le Rave-up. Ils tapent ensuite dans l’«Hey Joe» des Leaves, une version créditée Dino Valente ! Gros clin d’œil à Jimmy Reed en B avec «Peepin’ & Hidin’» que Joe Kelley chante d’une voix très mûre et un peu rauque. Ils font un instro de heavy blues avec «New York Bullseye» puis renouent avec le swagger des Shadows dans «High Blood Pressure» et finissent avec une version un peu ratée de «Spoonful». Chaque fois que les blancs tentent le coup de «Spoonful», c’est raté. Celui des Shadows est complètement artificiel.

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             Avec leur troisième album sans titre, les Shadows Of Knight atterrissent sur un sous-label de Buddah et sont produits par les rois du bubblegum, Kasenetz-Katz. Le son s’en ressent. On sauve une perle gaga, «I Wanna Make You Mine», car c’est bien arrosé de fuzz. Jim Sohns tente aussi de sauver l’album avec «I Am What I Am», il chante à l’insidieuse sous le boisseau de Chicago. Ils font du gaga-punk de Chicago en B avec «I’ll Set You Free», ils créent bien l’ambiance, mais la prod est bizarre, la guitare se balade comme un petit serpent dans le fond du son. Ils tapent ensuite dans le «Bluebird» de Stephen Stills et le jamment jusqu’à l’oss de l’ass. Dommage qu’ils manquent de son. L’intention est là, mais la guitare est encore trop éloignée dans le morceau titre qui referme la marche. C’est enregistré sans aucun sens des équilibres. Ça ne tient que parce que ce sont les Shadows. Ils ont une certaine aura, un gros son de basse et Jim Sohns.

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             Sacré beau doc que ce Raw ‘N Alive At The Cellar Chicago 1996 édité par Sundazed en 1992. Ça donne une idée de ce que les Shadows ont dans la culotte quand ils grimpent sur scène. Leur version d’«Oh Yeah» est certainement le cut le plus punk d’Amérique, said oh yeah. Absolute dégelée de yeah yeah yeah. Des tas de kids ont formaté leur vie sur l’Oh Yeah des Shadows. Tu ouvrais le yeux le matin et tu chantais : «Oh yeah/ Everything’s gonna be alright/ This morning.» Et hop, tu partais au lycée. Jim Sohns casse encore la baraque sur «Everybody Needs Somebody To Love», il tape ça en mode Shadows of Knight, c’est du burn-out direct, Sohns est un punk, il saque son you you you au yes I do. Puis il dédie «Don’t Fight It» to our boys in Vietnam. Ils tapent une version d’«I Got My Mojo Working» ventre à terre. Tous les excès sont permis. En fait, ils jouent la plupart des cuts au fast British beat, mais ils vont deux fois plus vite que les Anglais («It Takes A Long Time Comin’»). Aucun bassman anglais ne peut rivaliser avec Hawk. Ils font aussi l’«Hey Joe» des Leaves, pur jus de Nuggets avec Joe Kelley on lead qui tartine du psyché de Chicago. Ils font une belle version de «Spoonful», bien meilleure que celle de Cream, mais ça reste un cut difficile, car il appartient aux blacks. Il n’empêche que Joe Kelley le joue jusqu’à l’oss de l’ass. Et puis tout explose bien sûr avec «Gloria», ça plonge dans le she goes around, c’est l’apanage des Shadows d’about midnite et de feel alrite, ils ont bien pigé l’esprit de Van The Man, ils sont dans le buisson ardent de la chapelle ardente, ils grattent le rumble d’entre-deux et font durer le plaisir du feel alrite, et comme Van The Man, ils illustrent la montée du plaisir de knock on my door, ooh gi elle ooh are hiii eye, yeah yeah yeah, c’est le coït punk. Pas de plus belle clameur sexuelle. 

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             Le 28 décembre dernier, dans l’un des ses derniers messages, Jean-Yves m’écrivait ceci : «Pour rester à Chicago, il faut réécouter le ‘Jeannette’ de Wade Flemmons et le ‘Someone Like Me’ des Shadows Of Knight. Good night sleep tight.» Dernier single des Shadows sur Dunwich, «Someone Like Me» ne figure sur aucun des trois albums des Shadows Of Knight. On le trouve sur une compile Rhino parue en 1994, Dark Sides - The Best Of The Shadows Of Knight. C’est un fantastique shoot de proto-punk, bardé de clameurs des cavernes, hey !, broyé dans l’escarcelle du cartel, hey!, avec des cuivres au coin du Cellar, hey !, et un joli brin de killer solo flash à la Joe Kelley. Va doucement Kelley, c’est tout bon ! Mais c’est le premier single Dunwich «I’m Gonna Make You Mine» qui rafle la mise. Complètement dé-vas-ta-teur ! C’est l’ultimate, le pusher définitif, c’est d’un heavy à peine croyable, encore pire que les early Stones, avec le solo le plus gluant de la stratosphère. Arrrrghh, make you mine ! On retrouve bien sûr «Gloria» et «Oh Yeah» (claqués au mythe), mais aussi «Dark Side» (All mine ! Demented), tout le punk de Chicago est là, she’s my lover/ She’s my all, et on reste dans le proto-punk avec l’excellent «Light Bulb Blues» qui figure aussi sur le premier album - But now I lost my mind - Proto-punk toujours avec «It Always Happen That Way», heavy as hell et chanté à la Sohns, et ça continue avec «I’ll Make You Sorry» tiré du deuxième album, proto-Shadows, aw aw, ces mecs naviguent à la dure du proto-proto, c’est d’un niveau qui explose les bornes. Et puis à la fin, tu as deux petites cerises sur le gâtö du protö : «My Fire Department Needs A Fireman», claqué dans la vraie veine d’extrême power acéré, et «I Am The Hunter», doté de l’une des plus grosses intros du siècle passé, avec la heavy cisaille de Joe Kelley ! Ça groove dans l’acier de Damas, le bleu, le vrai, pas le gris, aw comme ça groove !

    Signé : Cazengler, Shadow au mur

    Jim Sohns. Disparu le 29 juillet 2022

    Shadows Of Knight. Gloria. Dunwich 1966

    Shadows Of Knight. Back Door Men. Dunwich 1966

    Shadows Of Knight. Shadows Of Knight. Super K 1968

    Shadows Of Knight. Raw ‘N Alive At The Cellar Chicago 1996. Sundazed Music 1992

    Shadows Of Knight. Shadows Of Knight. Dark Sides. The Best Of The SOK. Rhino Records 1994

     

    *

    Vous ai déjà pris la tête, voici, déjà longtemps avec la provenance de The house of the rising sun, si chaque fois que j’en dégotte une nouvelle version je devais vous en aviser, Kr’tnt vous en parlerait toutes les semaines, mais celle-ci m’a particulièrement intéressé. Derrière cette version ne se cache pas un homme, mais un groupe.

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    Américain bien entendu ! Point du tout des USA. Du Canada.  Exactement du   Saskatchewan, vaste province qui jouxte le Dakota et le Montana, soyons précis : de Regina, cité prospère, dont le blason s’orne d’un magnifique bison. Oui, si vous reniflez fort, ça sent un peu le peau-rouge, avant qu’elle ne soit débaptisée la ville se nommait Wascana en langue Cri amérindienne, ce qui signifie Os de Buffalos. Hélas, c’est une fausse piste, nous avons affaire à des amateurs de chants de cowboys. Des adeptes de bluegrass. Que voulez-vous ils ont l’âme appalachienne. Se sont formés en 2012, quatre albums à leur actif et en plus du 45 Tours qui nous occupe, deux EP reprenant des grands classiques du bluegrass. Se sont rencontrés au lycée, étaient des amateurs de metal, de grunge ou de chansons à textes. La fibre bluegrass de Nate s’est révélée communicative, ils ont rangé les guitares électriques pour les remplacer par des instruments acoustiques. Leur façon de se présenter est séduisante :  ‘’they sing about murderous, estranged spouses and runaway lover cousins in a boot-stomping acoustic configuration’’

     

    THE DEAD SOUTH

    ( Six Shooter Records / Août 2020 )

    Nate Hilts : guitare, mandoline, vocals / Scott Pringle : guitare, mandoline, vocals / Colton Crawford : banjo, vocals / Danny Kenyon : violoncelle, vocals.

    Il vaut mieux écouter la face A avant de s’attarder sur la couve. The Little light of mine est un gospel écrit en 1920 par Harold Dixon Loes. Ce dernier est ce qu’en France nous nommerions un homme d’église. Il a composé plus de deux mille gospels. A ce niveau-là ce n’est plus de la foi mais de la rage. The Little light of mine, est le plus connu. Des paroles très simples qui peuvent être retenues même par de très jeunes enfants. On le trouve très facilement glissé dans le répertoire de ces disques de chant de Noël dont les amerloques sont friands. L’a été repris par une fooltitude d’interprètes de Sister Rosetta Tharpe à Bruce Springteen, large éventail. Pour les curieux qui n’ont pas compris la nature de cette petite lumière qui brille en certains individus je suis à même d’éclairer leur lanterne : s’agit de Jésus ! Je ne suis pas friand d’eau bénite, mais le bluegrass plonge la plupart de ses racines dans le terroir réactionnaire, conservateur et christologique.

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    Inutile donc de s’étonner de l’habillage du single. Il est de Nate Parro. Sans doute un pseudonyme farro phonétiquement proche de Parro se traduisant par épeautre, le bon grain à ne pas confondre avec l’ivraie et Nate signifiant don de dieu…  Je n’ai trouvé qu’une autre attribution à Nate Parro de pochette dument répertoriée, celle de The hurt and the healer de MercyMe. Pas besoin d’embaucher un détective privé pour qualifier ce groupe dans la sphère culturelle (et cultuelle) religieuse chrétienne, cette couverture reprend la vieille métaphore biblique du figuier stérile à qui le Seigneur permet de refleurir. Comme ils sont américain, l’arbre miraculé est au milieu d’un champ de blé, voir plus haut… D’une autre facture se présente la pochette de The little light of mine. Nous avons quitté la nature, nous voici en contemplation devant quatre vitraux. De fait, il s’agit d’un même dessin séparé en quatre fragments ogivaux que l’on peut très réunir facilement par une simple opération mentale. Une bande dessinée symbolique. La Mort, le Mal, l’Ensemencement, l’Espérance. Je ne vous inflige pas les différentes représentations pédagogiques essaimés dans le dessin. L’ensemble n’est pas dénué d’une grâce naïve.

    The little light of mine : après l’avoir écoutée je me suis enquillé quelques versions gospel, lourdes, emphatiques et ennuyeuses, genre de boulets auditifs qui ne m’ont pas entraîné dans un confessionnal, vous en avez de deux genres, celles des cantatrices qui se prennent pour des divas d’opéra, et celle des chœurs en simili-folie étudiée au millimètre près qui swinguent moins bien que Balou dans le film Le livre de la jungle.  Me suis rabattu sur un vieux document de l’INA, Sister Rosetta Tharpe, orchestre jazzy avec contrebasse, solo de clarinette, solo de trompette, les mains de Rosetta avec lesquelles elle chante aussi bien qu’avec sa voix, son solo de guitare-caterpillar, et un entrain à revigorer les morts. Rosetta c’est la Lucie du rock ‘n’roll, et après je suis revenu à Dead South. Bye-bye le gospel ! c’est que l’on appelle une appropriation culturelle, vous la métamorphosent en chanson de cowboy, tous en chœur sur un banjo qui frétille, plus trois ou quatre ( ne pouvaient pas décemment en mettre davantage le morceau n’atteint pas les deux minutes) yodels aussi déplacés qu’un trombone dans un frigidaire. Totalement irrespectueux. C’est pour cela que j’aime ! The house of the rising sun : easy listening sur le premier couplet, guitare grave et voix profonde, registre dramatique, mélodramatique, quelques notes de banjo qui coulent comme les larmes que vous n’avez pas su retenir, deux secondes de funèbre silence, et hop-la-la, pire qu’une gigue écossaise, ce soir c’est la fête au village, youpie la framboise ! l’on danse tous autour du feu en essayant de serrer les plus jolies filles. Total décrochage, vous vouliez de l’urne funéraire, ce sera soirée festive à se défoncer jusqu’à s’écrouler par terre, ivre mort. Prenez une (mille si vous préférez) goutte de bourbon pour reprendre vos esprits et vous donner du courage et tentez une nouvelle expérience après tout l’on ne meurt que deux fois si l’on en croit James Bond. L’est sûr que l’on fait un sacré bond à la première écoute. Maintenant si l’on cherche dans sa mémoire, la version de Leabelly est curieuse, une personne qui ne comprendrait un traitre mot d’anglais la trouverait sinon joyeuse du moins chantante, Leadbelly vous l’expédie comme s’il s’agissait d’une peccadille sans importance, une bluette d’amourette, une cigarette que l’on fume et que l’on jette, vous avez aussi  la version d’Ivy Smith et de Cow Cow Davenport enregistrée entre 1927, la voix d’Ivy porte tout le malheur de la terre sur ses épaules, Cow Cow ralentit son piano-boogie, mais vous avez une espèce de clarinette, de fait le cornet de D. B. Wingfield, qui n’en finit pas de faire des galipettes, l’a l’air de se tordre de rire. N’oublions pas que Davenport a fait du vaudeville et du Medecine Show… Bref une version peut-être entée sur de vieilles strates américaines qui ne nous sont guère familières !

             Ont-ils choisi de se nommer The Dead South en opposition à the Deep South, parce que les traditions sont faites pour être bousculées.

    Damie Chad.

      

     

    TELEKINETIC YETI

    A lui tout seul le Yéti a terrorisé bien des imaginations. C’est Tintin et Hergé qui l’ont réhabilité, toutefois l’on n’échappe pas à sa mauvaise réputation. Est-ce pour égaler celle-ci que Axel Bauman et Rockwell Heim ( a remplacé Anthony Dreyer à la barate sur le deuxième album, celui-ci a créé Twin Wizzard qui présente une imagerie similaire à celle de Telekinetic Yeti ) se sont unis pour démontrer au monde entier qu’ils étaient capables à eux tout seuls de faire autant de grabuge que le yéti poilu des cimes glacées ? L’est vrai qu’avec les progrès de l’amplification, des delays et des diverses pédales mises en vente dans toutes les bonnes creameries, la tonitruance est désormais à portée de main des audacieux.

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    Viennent de sortir un deuxième album attendu depuis cinq années car le premier avait frappé les esprits des fans de stonner doom. C’est ce premier artwork que nous écouterons en premier en premier. 

    ABOMINABLE

    (Album numérique Bandcamp / Mars 2017 )

    Posons-nous toutefois quelques questions. Que signifie le titre de cet album ? Si je m’amuse à trancher à la scie à métaux les têtes de tous les enfants d’une classe de maternelle, j’ai bien peur que les lecteurs de Kr’tnt ! qualifierons cet acte d’abominable. Ils auront tort. Certes ils auront raison de m’accuser d’extrême cruauté et de barbarie, mais ces actes sont avant tout humains. Trop humains ajouterait le solitaire d’Engadine. La notion d’abominabilité ( j’adore les néologismes ) implique un facteur de non appartenance à la sphère humaine. Aristote ajoutera que ce qui n’est pas humain appartient au Divin. Vous pouvez ne pas être d’accord avec lui, mais préparez votre argumentation. Devisons allègrement sur le nom de ce groupe. La télékinésie est la possibilité de faire bouger un objet quelconque par la seule force mentale. A la réflexion cette nécessité de mettre en mouvement l’abominable homme des neiges qui d’après les légendes se débrouille très bien tout seul pour dévaler les pentes glacées de l’Himalaya n’est guère convaincante. Selon nous une seule échappatoire ce que le groupe veut bouger ce n’est pas le Yéti mais le concept de Yéti en tant que porteur de cette notion d’abominabilité avec laquelle la fiction populaire l’a étiqueté.

    Tout ce qui précède pour contempler maintenant la couve de l’album. Huit officiants rendant un culte à une idole de pierre.  Malgré la lumière qui émane de son entrejambe il est permis de se demander où est l’idole, est-ce le colosse massif du premier plan où le pan de rocher lui-même au pied duquel il est tassé, où ce semblant à une informe figure humaine à même la verticalité  de la roche… Prenez votre temps de regarder cette couve anamorphosique.

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    Abominable : vibration infinie d’une plaque d’airain, décharge battériale et la voix s’élève, décryptez-là, le thème des Anciens Dieux cher à Lovecraft vous aidera à comprendre, il existe un Dieu plus ancien que les Anciens Dieux, c’est lui l’innommable abominable, les autres n’ont engendré que des hommes aussi fragiles que l’argile. Ensuite ce ne sont qu’empilements, que terrassements, qu’éboulements qui s’empilent les uns sur les autres, un chaos charivarique qui roule, s’écroule, s’amoncelle, se sépare pour mieux se ressouder, des riffs tourneboulent pour former une masse indéfinissable, et tout se fige en un silence pointu. Electronaut : une rythmique humaine, ou du moins compréhensible, quelque chose dont un peu saisir un semblant de sens, une épopée dont nous ne connaissons ni les lieux, ni les personnages, ni les dates, une marche en avant qui allie la grandeur sanglante de la guerre de Troie à la subtilité d’Ulysse, instrumental chacun y collera ses propres images, peut-être la première épopée grecque perdue qui relatait le voyage des Argonautes. Mais vers quelle toison d’or se dirigent nos voyageurs intersidéraux. Stoned and feathered : des riffs qui glissent comme un engin volant dans les mers sidérales, clameurs d’un équipage qui demande à être conduit sur les sentiers de la gloire – cymbales en cliquetis d’épées incessant  - et le rêve immarcescible d’immortalité, preuve qu’il existe une dimension supérieure à laquelle il s’agit d’accéder ou du moins en obtenir protection. Colossus : harmonium, chantonnements, voix efféminées l’on se croirait dans une procession, instrumental en totale contradiction avec tout ce qui précède, méfions-nous, souvenons-nous de ces animaux parés de fleurs que l’on conduisait en chantant… à un abattoir qui avait pour nom sacrifice, les grondements des caisses, le cliquètement des cymbales et le chanfrein des guitares qui surnagent sur le roulement chaotique à la manière des murènes ondoyantes dans le piscines en attendant qu’on leur jette un esclave à dévorer,  c’est qu’un colosse représente la force incoercible qui appelle la louange et rappelle  la brutalité des belluaires, Heim est à la fête, l’on ne peut à proprement parler d’un long solo de batterie mais d’une espèce de parade mise en scène en même temps par  Jean Cocteau et Jim Morrison, Kaufman bourdonne comme un nid de frelons asiatiques à la recherche d’une proie, accalmie propitiatoire, ici tout n’est que luxure et démesure sonique, vous enveloppent dans une toile sucrée pour mieux vous diriger, pour mieux vous digérez. Superbe morceau. Lightbearer : porteur de lumière, lampadophore disait Mallarmé dans son poème sur la nuit approbatrice, il n’est pas de clarté sans pénombre, d’adoration sans crainte, vous concassent les deux principes en papillotes que la guitare jette aux quatre vents, confettis de haine et de désir qui retombent et vous assomment, puis rebondissent et chutent dans l’infini des atomes éternels. Perdition.  Apophis : juste quelques courts lyrics dans le morceau précédent et les trois derniers sont purement musicaux, est-il besoin de paroles lorsque Abominable est composé avec la rigueur d’un poème symphonique, ici Apophis le serpent glouton, celui qui pose sa tête monstrueuse celui qui ouvre sa gueule vorace sur la barque qui descend le Nil funéraire, sur le fil de la vie éternelle, il donne de violents coups de sa queue reptilienne afin de faire chavirer l’âme humaine dans son gosier infernal… tempête tumultueuse sur des peaux de crocodiles, gare au bec de Sebek… Beaneth the black sun : tapotements et tremblotements, la musique glisse et s’égoutte, les harmonies se dissolvent, plus terrible que l’Apophis le mythe du Soleil Noir, imaginez l’ombre des notes blanches et noires, aucune des deux ne vous fera de cadeau car elle vous entraîne dans la roue fatidique de la destruction, le soleil noir c’est identique à l’ouroboros mais à comprendre comme l’avers fatidique du symbole de la vie. Ce n’est plus la vie qui renaît de la mort, mais la mort qui renaît de la mort. Le morceau se termine comme ses moulins de prière tibétains qui tournent sans fin, mais ici c’est un vent verlainien, mauvais, non-humain qui le fait tourner. Au loin retentit le bruissement des cloches salvatrices d’un monastère perdu dans la brume et la glace. Glissandi de guitares, breaks incessants de batterie, sonnette de fer blanc maintenant ingrate et harassante au marcheur qui a emprunté le chemin qui monte, chaque pas vers l’asphyxie, c’est un appel qui soutient le voyageur immobile dans l’immensité déserte des pics qui et des massifs qui se perdent dans la brume… Hymalayan hymn : le grand mot est lâché, sans prononcer une parole, ondes de guitare encerclante, le chemin tourne sur lui-même, il devient couronne de nuages passées au doigt de la plus haute cime, mais peut-être sommes-nous en une vertigineuse descente emportés par une avalanche qui s’exhausse sur elle-même au fur et à mesure qu’elle emporte avec elle des masses de neige et de glaces arrachées aux parois abruptes, lorsque tout est recouvert, tassé sur-lui-même, lorsque il ne reste plus que le mystère de l’abîme et la plénitude du silence enseveli pour des siècles.

    PRIMORDIAL

    (Album numérique Bandcamp / Juillet 2022 )

    ( Vinyl TeePee records )

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    Autant la couve d’Abominable était porteuse d’orange triomphal, autant celle de Primordial offre les tons verdâtres d’un monde glauque. Nous sommes bien sur les pentes verglacées de l’Himalaya, mais la silhouette géante et solitaire qui se détache sur un roc sculpté par les tempêtes et le gel n’a rien à voir avec l’ambiance somme toute bisounours des albums d’Hergé. Autre époque, autres mœurs. Il fut un temps où des aigles géants dont les becs forment aujourd’hui de terrifiants fossiles tournaient inlassablement dans les sauvages nuées de grésil, vigies obstinées des lieux inhospitaliers, maudits et interdits à toute créature.

    Cinq ans se sont écoulés entre la parution des deux disques. Mais combien de siècles et de millénaires entre la fin du premier et le commencement du deuxième. C’est pourtant la suite immédiate de la même Histoire…

    Primordial : ronflements, pluies stridentes d’un riff continuel qui redouble d’assault, nous sommes aux temps d’après les temps, de l’opacité sonore émerge une voix archéologique, la terre se désassemble et laisse apparaître sous les rayons blafards d’un maigre soleil, des vestiges épars d’ossements et des marteaux de fer, est-ce pour cela que la batterie forge le son sans désemparer. Dans l’œuvre précédente nous étions proches des Dieux, désormais nous sommes sur la piste des hommes. Ancient nug : riffs fuyants, nous remontons le temps, tout ce qui a été perdu est à revenir. Musique violente qui creuse d’un côté dans le passé enfoui, de l’autre dans le présent détestable, nous marchons dans d’anciens sanctuaires griffés par le vent des guitares, aujourd’hui aller de l’avant c’est retourner en arrière. Ce qui est mort vit encore, il suffit d’en rassembler les éléments dispersés. Le rythme perd de l’amplitude, se fourvoie telle une excavatrice dans les traces du passé. Ghost train : entrée sonore fantomatique, tout se passe dans la tête, l’injure que l’on adresse au rituel auquel on se soumet, tournoiements vite cahotifs, nous sommes entraînés en une tempête qui nous brûle les yeux et nous ouvre la vision des abysses. Emportés à une vitesse folle, les images défilent mais nous ne maîtrisons plus rien. Stoned ape theory : instrumental, il est mots qui ne veulent rien dire ou qui en disent trop. Laissons les guitares filer en éclaireuses devant les chars d’assaut de la pensée. D’où venons ? Et allons-nous seulement vers quelque part ? Remontons-nous vers les origines ou suivons-nous la courbe de nos déchéances. Arrêt brutal. Dans mon cerveau tout se brouille, tintamarre abêtissant de cymbales, c’est ainsi que l’on empêche les oiseaux de nicher, est-ce ainsi que l’on empêche l’homme de penser. Notre origine remonte-telle aux singes, arrêts successifs, pour couper courts à nos déambulations théoriques, coups de ciseaux dans la toile des représentations mentales, des chœurs lointains incompréhensibles à la raison humaine, machine à méninges assourdissante, un riff nous pousse au plus profond de notre labyrinthe, parfois nous butons contre un mur et rebondissons telle une balle en caoutchouc, nos certitudes se craquèlent, la batterie défonce les murs de nos défenses mentales, elle concasse nos a priori et se transforme en lance-flammes incendiaire qui coagule nos idées en un magma informe. Light in a dying world : davantage de monde mort que de lumière, ou alors est-ce une lumière noire, il est des diamants plus noirs que la nuit, tout dépend de la manière dont on porte notre regard. Beast : la lumière était bien noire, elle éclaire comme le doute, où que vous portiez votre regard vous ne savez plus, n’y a-t-il pas plus haut des êtres supérieurs qui nous manipulent dont nous sommes les jouets, accélération fondamentale il est des moments où l’interrogation tourne à la révolte, où tout s’éclaire, ou la réalité envahit les membranes déchirées de notre cerveau. Toque wizzard : les choses se dévoilent, les indices se lisent et racontent l’’histoire d’un monde ancien, d’un temps fastueux, qui n’a pas survécu qui a été détruit, dont il ne reste que des vestiges, dont nous-mêmes sommes les résidus. Rogue planet :  la musique accélère encore, elle s’enflamme sur le rideau de feu des guitares surgissent les méandres du passé, renaissance de l’épopée perdue, les voyageurs des étoiles, les royaumes fastueux qui ont été édifiés et qui ont périclité, mais le dégel des souvenances est en train de s’opérer, Celui qui fut pierre et colosse de glace sort de son long hiver, les prophéties ignorées se réalisent. La musique avance inflexible comme le destin. Tides of change : l’océan du temps pousse les vagues de la mort lente, les éléments changent, l’eau se solidifie et la terre s’effrite, le sable s’envole de son nuage brûlant s’engendre un feu irrésistible, qui saurait résister à un tel cataclysme ? Invention oF fire : l’homme a inventé le feu de ses conquêtes et de sa déchéance, car le feu est le premier et le dernier des éléments, le grand constructeur, le grand destructeur. Celui qui meut la roue infinie du temps. Parce qu’il brûle sans cesse le feu est l’élément suprême celui dont ardences met en mouvement le cycle phénixal des cendres et celui qui consume ses propres cendres.  Cult of Yeti : dernière leçon, seuls les Dieux résistent, l’homme n’est que l’ombre des Dieux. Même morts les Dieux subsistent. Même morts leurs malédictions sont encore opératoires. Si tu veux savoir davantage fouille encore la terre pour tenter de comprendre quelque chose, car assez haut sur les pics glacés jamais tu ne monteras, jamais tu ne retrouveras le lieu du culte… Le yéti n’est que l’image de ce qui a été perdu. Définitivement. Telekinetic Yeti ne te laisse aucun espoir, son background musical fait barrage, il est infranchissable, plus tu penses t’approcher de cet amoncellement sonore, plus il se porte à ta rencontre, davantage il descend, tout autant il t’écrase de sa masse, il s’impose, il te surplombe, il te dépasse, il te menace, il te nargue, de quelque manière dont tu le ressens, même protégé par le bouclier de l’ironie, il t’interdit d’être heureux. Il te renvoie à condition d’animalcule sans intérêt.

             Un disque âpre sans concession. Dans la suite logique et musicale d’Abominable. A cette différence près qu’ici le mètre-étalon du récit n’est pas la démesure des Dieux mais la médiocrité impuissante des Hommes.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                              

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    EPISODE 6 ( DERIVATIF ) :

    30

    J’arrêtai la berline devant la maison où la veille j’avais déposé mon auto-stoppeuse. Pas très grande.  Le Chef qui allumait un Coronado fit la grimace. Je partageai son avis, loin d’être une splendide villa, presque une bicoque. Deux fenêtres aux volets fermés encadraient la porte d’entrée, elle ne possédait qu’un étage, des persiennes ajourées étaient aussi soigneusement closes. Nous en fîmes le tour. Les deux murs latéraux n’offraient aucune ouverture. Derrière la maison, nous débouchâmes sur un jardinet en friche dont les limites se perdaient dans celles des champs. Je m’apprêtais à forcer la porte lorsque les chiens que nous avions laissés dans la voiture, vitres ouvertes, jappèrent brièvement pour nous donner l’alerte. Nous les rejoignîmes, personne aux alentours, toutefois à une centaine de mètres venant du village, une silhouette un peu voûtée approchait… C’était une vieille femme porteuse d’un cabas d’où s’échappaient une gerbe de glaïeuls. Lorsqu’elle arriva à notre hauteur, son visage s’illumina. Je crus qu’elle nous connaissait. Mais non, Molosito et Molossita pointaient leur museau par la portière.

              _ Les pauvres toutous, ils ont faim, venez mes amours - ils étaient déjà à se frotter à ses jambes – tenez mes petits !

    Elle sortit de son sac un assiette creuse recouverte d’un film plastique, remplie à ras-bord de jambon d’York sur lesquels nos deux corniauds se jetèrent comme s’ils sortaient d’un stage de jeûne méditatif organisé par une secte bouddhiste. La bonne femme se tourna vers nous :

              _ N’ayez pas peur, il en reste pour les chats d’Alice !

              _ Alice !

              _ Oui, la pauvre petite s’est tuée avec ses parents, voici deux ans, un accident de voiture, des cousins du père sont venus pour l’enterrement, ils ont fermé la maison et abandonné les deux chats dans le jardin, ils sont redevenus sauvages, mais ils ne s’éloignent guère, je leur porte chaque jour à manger !

    Nous la suivîmes. Deux gros matous sagement assis sur le seuil de la porte ne semblèrent même pas gênés par présence des chiens qui le ventre rebondit se couchèrent au soleil et ne firent aucun cas de leurs ennemis héréditaires. Deux superbes félins, un noir et un blanc. Ils avalèrent leur assiette de rognons de bœufs marinés au vin blanc, sans se presser, à petites bouchées. Une fois leur repas terminé ils repartirent à petits pas.

            _ Ils vont au cimetière, la nuit ils dorment sur la tombe d’Alice. Elle les aimait tant ! Je voulais lui apporter le bouquet de fleurs, mes jambes me font mal, j’irai demain.

    31

    Nous l’avons raccompagnée en voiture devant chez elle. Nous la quittâmes rapidement en spécifiant que nous retournions à Paris. A la nuit tombée nous nous introduisîmes dans la maison. Cuisine à droite, salon à gauche. En haut deux chambres, celle des parents, celle d’Alice. Je m’attardais dans celle-ci. Elle avait été hâtivement rangée comme tout le reste de la maison. Sur le mur un poster d’Elvis Presley et une photo d’Alice entourée de ses parents. Les mêmes cheveux qu’Alice, mais les traits du visage n’étaient en rien ressemblants… Apparemment une jeune fille sage. Dans un coin, un bureau de lycéenne que je fouillai consciencieusement, elle était morte quelques mois avant de passer son bac, je feuilletai ses livres et ses cours, une écriture ronde et appliquée de fille… Le Chef me rejoignit, lui non plus n’avait rien trouvé de notable. Des gens sans histoire qui réglaient leurs factures sitôt après réception. 

    32

    Le Chef éteignit son Coronado avant de pousser la grille du cimetière. Une centaine de tombes. Pas plus. Nous n’eûmes aucune difficulté à repérer la tombe d’Alice. La pâle lumière de la lune découpait les silhouettes hiératiques de deux sphinx immobiles sur la pierre tombale. Elle était située près d’un des quatre murs d’enceinte, à peu près à sa moitié… Rien de suspect, si ce n’est un silence impressionnant. Nous nous séparâmes, Le Chef emmena Molissito avec lui, tous deux se serrèrent dans l’ombre d’un des coins formés par le mur d’entrée du cimetière avec celui auprès duquel gisait la tombe d’Alice, pour ma part je me terrai dans le coin opposé…

    33

    Pas une seule fois je n’aperçus le point incandescent d’un Coronado du Chef. Les heures s’égrenèrent lentement. Je n’y croyais plus, encore une fausse piste ! A force de scruter la nuit, mes yeux dansaient, des noirceurs flottaient dans mon regard, ce n’était que fatigue et illusions optiques. Pourtant ce coup-ci, quelque chose bougeait. Les chats ! Les bêtes en avaient peut-être assez, elles allaient se coucher. Etrange, on aurait dit qu’elles dansaient, qu’elles folâtraient gaiement sur la pierre tombale. Quel étrange manège !

    Le museau froid de Molossita me toucha la main. A part les chats, il n’y avait rien d’autre. Et tout à coup je la vis, Alice s’éloignait de la tombe. Comment s’en était-elle extraite, je n’en sais rien mais d’un bond souple les chats la rejoignirent dans l’allée.

    Nous eûmes le même réflexe, elle marchait paisiblement, de temps en temps elle se baissait pour caresser la tête d’un de ses chats, nous lui laissâmes une cinquantaine de mètres d’avance. Nous ne pressâmes le pas que lorsqu’elle ouvrit la grille cimetière en la tirant de ses deux mains. Ce n’était donc pas un fantôme ! Etait-elle vivante ? Les idées se bousculaient dans ma tête. Elle s’arrêta sur le bord de la route. Un rayon de lune se braqua sur elle, je constatai qu’elle était habillée comme quand je l’avais prise en stop. Même ensemble de jeans, pas très neuf, mais qui lui allait à ravir. Elle tourna la tête vers la droite et puis vers la gauche, une écolière à qui ses parents ont recommandé de faire attention avant de traverser. Qu’avait-elle à craindre ? Etait-elle morte ou vivante ?

    Le Chef m’avait rejoint. Nous la laissâmes traverser, nous eûmes la berlue, elle se dirigea tout droit vers la porte d’entrée. Elle ne sortit pas une clef de sa poche, elle ne tourna même pas la poignée, elle passa au-travers aussi facilement que si elle n’existait pas. Un esprit ! Les chats ne la suivirent pas ils contournaient la demeure, sans doute se rendaient-ils au jardin.

    34

    Nous n’étions pas au bout de nos surprises. Pur nous concerter nous étions restés derrière la grille du cimetière. Le Chef alluma un Coronado :

              _ Agent Chad, cette histoire sent mauvais, nous croyions avoir rendez-vous avec la Mort et nous sommes en présence d’un fantôme, nous ne sommes pourtant pas en Ecosse !

              _ Et un fantôme qui a peur du noir !

    Nous pouvions suivre les déambulations d’Alice dans la maison par les interstices des volets d’où filtraient des pointillés de lumière. Il était manifeste qu’elle était entrée dans la cuisine, se préparait-elle une collation ? Dix minutes plus tard elle passa dans le salon. La lumière n’était plus aussi vive, mais l’on entendait un drôle de bruit

    • De la musique Chef, elle écoute de la musique !
    • Taisez-vous agent Chad, avançons nous doucement, le son n’est pas très fort mais je jurerais que c’est du rock ‘n’ roll !
    • Peut-être Elvis ?
    • Non, un son plus électrique…

    En moi-même je pensais qu’un fantôme qui écoute du rock ‘n’roll devait être une personne fort civilisée. Le Chef devait partager le même avis que moi :

    • Agent Chad, vous prenez sur la gauche, moi sur la droite sans bruit, on s’attend devant la porte de derrière !

    La manœuvre fut exécutée en quelques secondes, à peine avions-nous collé notre oreille contre le vantail que nous poussâmes un cri ! Nous avions reconnu le morceau Evil Woman, Don't Play Your Games With Me du premier album de Black Sabbath ! D’un coup de pied j’enfonçais la porte, nous nous ruâmes vers le salon, la porte de devant venait de claquer, Alice avait été plus rapide !

    Déjà elle traversait la route en courant, nous n’eûmes pas le temps de nous lancer à sa poursuite. Tous phares éteints, surgie de nulle part une voiture déboula vers elle. Elle ne freina même pas. Il y eut un choc. La bagnole était déjà loin lorsque le corps d’Alice tomba à terre. Du sang coulait de sa tête et de sa bouche. Elle était morte.

    A suivre

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 574 : KR'TNT 574 : MARTIN STONE / INEZ & CHARLIE FOXX / IGGY POP / BEECHWOOD / JACKIE ROSS / THRUMM / LAGOON / JIMI HENDRIX + ZENO BIANU / PAUL BOWLES / ROCKAMBOLESQUES ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 574

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    10 / 11 / 2022

    MARTIN STONE / INEZ & CHARLIE FOXX

    IGGY POP / BEECHWOOD / JACKIE ROSS

    THRUMM / LAGOON

    JIMI HENDRIX + ZENO BIANU

     PAUL BOWLES / ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 574

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Stone Soul picnic

     

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             Tous les fans des Pink Fairies savent qui est Martin Stone. Ceux de Mighty Baby aussi. Ils te diront tout le bien qu’ils pensent de lui. Certains iront même jusqu’à prétendre qu’il est l’un des plus brillants guitaristes anglais. Ils le compareront très certainement à Bryn Haworth, à Dick Taylor, à Eddie Phillips ou encore à David O’List.

             Martin Stone fait partie de ces artistes qui vécurent leur pic dans les années soixante-dix et que le temps finit par emporter. Il fut l’un des fleurons de l’underground britannique. Un petit coffret paru récemment lui rend hommage : Down But Not Out In Paris And London - The Mad Dog Chronicles. L’objet n’est pas donné, mais son format carré tient bien en main, il se montre agréable au toucher, il flatte l’œil par son graphisme soigné et se divise en deux tomes : un tome biographique de 48 pages et un tome audio renfermant quatre CDs.

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             Le tome bio se révèle très pratique, car il n’existe quasiment pas de littérature sur Martin Stone, à part les quarante pages signées Richard Morton Jack dans Flashback, dont on va reparler tout à l’heure. Ce n’est pas à proprement parler une biographie, mais comme l’indique le titre, un ensemble de chroniques. Les gens qui ont joué avec Martin Stone et qu’on retrouve pour la plupart dans le tome audio témoignent de leur amitié et de leur admiration pour lui.

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             Dans sa poignante introduction, Nigel Cross évoque l’époque où Boss Goodman a invité Martin Stone à rejoindre les Pink Fairies et ce sont eux qui ont surnommé Stone ‘Mad Dog’.  C’est ce line-up éphémère des Fairies qui enregistre «Between The Lines» pour Stiff. Grâce à Larry Wallis, Nigel Cross finit par rencontrer Stone qu’il pistait en vain depuis des années. Stone dealait des livres anciens, mais il continuait à jouer de l’autre côté de la Manche dans des groupes que Cross énumère : The Tallahassie Rent Boys, Almost Presley, The Gibson Girls, les Amuse Girls, René Miller’s Swine-Hearted Fools, Totally Hank, the OT’s, les Soucoupes Violentes et  à Londres, «the young Brit psychedelic rockers» Wolf People. Côté influences, Cross ramène les noms de trois King, BB, Freddie et Albert, mais aussi Hubert Sumlin, Buddy Guy, et puis des blancs comme Clarence White et Jeff Beck - Particularly his tribute to Les Paul with Imelda May - Lynn, qui est l’ancienne girlfriend de Stone, ajoute les noms de Danny Gatton, Richard Thompson, Stevie Ray Vaughan et Jimmy Page. Et bien sûr, Django Reinhardt.

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             Roger Powell, qui fut beurreman de The Action et de Mighty Baby, est le premier à témoigner. Powell rappelle que Stone jouait dans Savoy Brown et qu’en rejoignant the Action, il ne s’est pas contenté de jouer de la guitare, puisqu’il amenait aussi «Gurdjieff, Ouspensky, Bennet and many more». Stone surnomme Powell ‘Elvin’, en hommage à Elvin Jones - which was a tremendous compliment - Hommage spectaculaire aussi de Nick Lowe : «Martin Stone was a dandy. Everything about him, from the way he looked spoke and dressed to his guitar style and familiarity  with the highways ans byways of the world of antiquarian books was shot through with a thread of apparently efforless elan.» Ce qui peut vouloir dire : «Il n’a jamais semblé produire aucun effort, que ce soit dans sa façon de s’exprimer ou de s’habiller, et dans son jeu de guitare ou encore sa pratique de spécialiste du livre ancien. Tout en lui n’était qu’élan naturel.» Russell Hunter, dernier survivant des Fairies, se fend lui aussi d’un petit hommage : il évoque cette fameuse tournée des Fairies en Écosse. Ils roulent dans les parages du Loch Ness et soudain Stone reconnaît le coin : «Jimmy Page vit par ici !». C’est bien sûr Boleskine House, l’ancienne demeure d’Aleister Crowley. Bon on connaît la suite de l’histoire. Tu la trouveras dans les Cent Contes Rock. Russell Hunter rend bien sûr hommage à l’homme qu’il a pourtant peu connu et au guitariste - a truly effortlessly tasteful player - music just flowed through him.  

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             Ses amis parisiens évoquent un Stone errant dans les bars de Ménilmontant et de Belleville, un Stone désargenté - black beret and a lack of teeth - Glamourous, seedy, broke and fantastic, chante Clay Harper - That’s the song, c’est-à-dire «Martin», la chanson qu’il a composée en hommage à Stone. Clay Harper ajoute que Stone était «involved in the low side of life, but familiar with the high side». Wreckless Eric raconte lui aussi ses souvenirs de Stone - Mighty Baby, a band who were more underground than the underground - C’est bien vu. Il voit Stone pour la première fois en 1973 dans Chilli Willy, a strange country rock phenomenon - Martin was the Tibetan-hatted hippy on the far end of the line - C’est lui le Wreckless qui vole le show avec ses souvenirs extraordinairement bien écrits : «Martin had very few teeth and didn’t smile as radiate warmth and kindness, like a psychedelic re-modelling of Wurzel Gummidge», Wurzel Gummidge étant un vieil épouvantail de fiction, héros des vieux romans de Barbara Todd. Of course, le Wreckless propose à Stone de venir jouer avec lui : «Il est venu chez moi à la campagne. Il apportait a black Harmony Silvertone single pickup electric guitar and a Gibson lap-steel. Le bibliophile californien qui lui avait vendu ces instruments avait travaillé pour Brian Wilson. Il y avait encore du sable dans les étuis. Martin s’est branché, il n’utilisait pas de mediator, juste les doigts in the manner of the early electric bluesmen. He sounded like Hubert Sumlin.» Le Wreckless rapporte aussi l’anecdote de cette rencontre à Hyde Park entre Chris Hillman et Stone, un Hillman qui dit à Stone : «Hey man I know your face!», et Stone qui répond au Byrd : «Er yes, I was in a band called Mighty Baby. We played with you at Middle Earth.» Dans son élan, le Wreckless continue : «A friend of Jimmy Page and one of the most demented rhythm n blues and country pickers this world may ever know.» Stone dit aussi au Wreckless qu’il s’est fait virer de Savoy Brown parce qu’il prenait de l’acide. Stone joue en effet sur le premier album de Savoy Brown. C’est avec le Wreckless que Stone monte The Tallahassee Rent Boys.

             C’est Ina Weber qui apporte des compléments d’information sur le lap steel qui avait appartenu à Brian Wilson : Stone l’appelle The bench et le mec qui le lui a vendu l’a emmené un jour dans un entrepôt de stockage rempli d’instruments abandonnés, lui proposant de choisir celui qu’il voulait. Simeon Gallu a monté les Gibson Girls avec Stone. Il dit avoir eu des tas de choses en commun avec Stone : «Our shared enthusiasms went beyond music to include literature, weird cults, art, clothes, underground comics, substance abuse & its consequences and more.» Stone et Gallu montent un répertoire de covers : Furry Lewis, Stanley Brothers, Bo Carter, Conway Twitty, Brother Joe May - what has now become a genre marketed as Americana - Quant à Michael Moorcock, il se souvient d’avoir toujours connu Stone, depuis le temps de Portobello et d’Hawkwind - We were hippy princes, full of optimism, strutting our stuff.     

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             Si tu demandes à Nigel Cross pourquoi on ne trouve ni Chilli Willi ni Mighty Baby dans le tome audio, il te répondra que tout cela est déjà bien documenté ailleurs. Il a donc préféré compiler des choses plus confidentielles, souvent enregistrées sur des cassettes, et à l’inverse de ce que font généralement les concepteurs de coffrets, il est resté assez parcimonieux. Il n’empêche qu’on se régale de tous ces épisodes encore plus underground que l’underground. Sur le disk 1, Stone joue avec René Miller dans Almost Presley, un groupe de swing avec Piotr Urbanik au violon tzigane et Fabrice Lombardo à la stand-up. C’est enregistré dans un centre culturel parisien en 1992, ils jouent du fast swing et vont vite en besogne, le «Jeanne d’Arc» flirte avec la pompe manouche. Dans le «Love In Vain» de Robert Johnson, Stone passe un solo d’une extrême finesse. C’est encore lui qui vole le show dans «Little Girl Blues», un heavy stripped-down blues que chante l’excellent René Miller. Ils restent en full blown extravaganza pour un hommage à Bo («Book By The Cover») et passent en mode Europe de l’Est avec le violon tzigane de Piotr dans «Do The Dance». Ils ne jurent que par le big day tout, Stone est dans le son, son cœur balance entre le jazz et la java. Ils terminent avec deux covers somptueuses : le «Leavee Breaks» de Memphis Minnie et le «Black Train» de Jeffrey Lee Pierce. René est hanté par le morning on the black train, alors forcément, ça devient vite mythique. Sur le disk 2, on a plusieurs groupes, à commencer par les Tallahassee Rent Boys avec le Wreckless et une belle cover d’«Hey Gyp». Que de son, my son, ils claquent le buy you a Chevrolet au heavy sound - Just gimme some of your love boy - Puis on a les Totally Frank avec un choix de reprises superbes, comme le fast country de «Transfusion», ça tourbillonne, avec derrière le beat rockab de Fabrice Fabuleux, le stand-up man. On tombe ensuite sur trois cuts enregistrés chez Pete Thomas en Angleterre et ce n’est pas le même son. Pop d’excellence avec «Telephone Kisses». Les Anglais savent coaxer les éléments. Ils passent au violent boogie avec «Headed For The Graveyard», c’est le stash de Stone, il claque son heavy sludge. Le disk 3 est certainement le plus intéressant car on y trouve les collaborations avec Matt Deighton, le mec de Mother Earth. Ils attaquent avec «A Blaze Of Light», un fabuleux groove de guitares suaves. Comme Deighton est un fan de Mighty Baby, ils tapent ensuite une cover d’«A Jug Of Love». Fantastique ambiance, c’est la fête au village, les guitares sont de la partie. On a même une reformation de Mighty Baby avec Roger Powell et Mike Evans pour l’«India» de John Coltrane. C’est une jam informelle, ça jazze dans la java, ils jouent à la clé des champs. Puis on retrouve Stone avec les Wolf People dans «Star Shell», un slab de fast country. Stone y claque des éclairs de génie sur sa slide. Et puis voilà le disk 4 qui s’ouvre sur les OTs avec l’ancien chanteur de Savoy Brown, Chris Youlden. Ils tapent une cover du mythique «Evil», signé Big Dix pour Wolf. Youlden chante toujours aussi bien, il tape son «Checking My Email» à la bouche pleine de groove, à la manière de Georgie Fame, on the edge of the frame et Stone claque l’un de ces solos de rêve dont il a le secret. Ils finissent avec le fabuleux «Sugar Coated Love» de Lazy Lester, c’est atrocement bon, ce démon de Youlden qui fut le croque-mort de Savoy Brown (voir la pochette d’A Step Further) chante comme un dieu ou comme un démon, ce qui revient au même. On passe ensuite à la période Soucoupes Violentes avec Stéphane Guichard. Reprise de Bashung («Madame Rêve»), puis un hommage à Johnny Thunders («Johnny Tonnerre») et toute cette belle aventure se termine avec le «Martin» de Clay Harper & The Pierced Hearts.

             Comme chacun sait, Mighty Baby est la suite de The Action, le Mod band le plus sharp de l’âge d’or, avec Reg King (chant), Roger Powell (beurre), Mike Evans (bass) et Alan Bam King (guitar). Le multi-instrumentiste Ian Whiteman les rejoint, et c’est en 1967 que le groupe commence à battre de l’aile. Reggie King boit comme un trou. Quand Whiteman quitte le groupe à cause des errances de Reggie, ils embauchent un certain Martin Stone qui joue à cette époque dans Savoy Brown - Oooh he’s pretty good ! - Stone est alors saturé de blues, il préfère Richard Thompson, Steve Howe et Peter Green. The Action finit par splitter avant de se reformer un peu plus tard... sans Reg. C’est là que Whiteman est invité à revenir.

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             Whiteman s’aperçoit rapidement que les choses ont changé dans le groupe. Le van du groupe est devenu une bibliothèque ambulante. Stone brandit The Bhagavad Gita d’une main et sa Les Paul de l’autre. Les étagères du van sont bourrées de textes religieux, de classiques philosophiques, de textes occultes et de précis d’histoire ancienne. Roger Powel peint un OM symbol sur sa grosse caisse. Stone rencontre John Curd, l’ancien roadie de The Action. Curd loue des vans, il passe son temps à monter des coups et à manipuler des grosses liasses de billets. Il propose à Stone d’enregistrer sur son label, Head Records, à condition que le groupe change de nom. Ils demandent un coup de main à Pete Brown qui fournit une liste de 200 noms, mais aucun ne convient. C’est Curd qui propose Mighty Baby, clin d’œil à Grateful Dead et à Soft Machine par l’association de mots contraires. Mighty Baby démarre en 1969.

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             Dans un vieux Flashback, Richard Morton Jack donne tous les détails de la mutation opérée par Martin Stone dans The Action. C’est lui qui amène la littérature et les drogues. Bam King revoit Stone comme un «deep thinker and a voracious reader, constamment en quête de la pierre philosophale», quant à Mike Evans, il décrit l’évolution du son comme «a case of the working-class rhythm section meets the middle-class virtuoso section.» À l’époque du squat de Lots Road, Stone écoute Quicksilver, Nashville Skyline (a revelation), Mad River, Kaleidoscope, Spirit and the Nazz, American Beauty, plus des Anglais comme Family, Cream, Small Faces, Blossom Toes et the Fairpots. Ronnie Lane vient leur rende visite, mais les Action sont tellement fauchés qu’ils ne peuvent même pas lui offrir le thé. Ils perdent à la même époque leur producteur George Martin et leur chanteur Reg King. Ils rament pour trouver un management et un contrat. C’est alors qu’ils décident de changer de nom. Stone propose Azoth, le nom alchimique du mercure. Bof...

             Stone raconte aussi qu’il a rencontré Brian Jones en 1969 à Londres, au Bag O’Nails et qu’ils ont sympathisé en causant blues. Quand Brian Jones a quitté les Stones, il a proposé un job de guitariste à Stone qui bien sûr a accepté. Il est allé chez lui à la campagne pour jammer une ou deux fois avec des gens dont il a oublié les noms et puis Brian est mort. Stone dit qu’il avait une bande de ces sessions et qu’il l’a perdue. 

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             Les Mighty Baby entrent en studio avec Guy Stevens. Ça commence mal. Quand Stevens voit Whiteman se pointer avec une flûte, il lui dit : «What’s that ? I don’t do flutes !», mais à part ça, tout va bien. Stone : «Guy was well weird, a confirmed amphetamine freak and a massive dictator.» L’album est bouclé en deux jours. C’est un must-have, car Stone y fait des miracles. Ça démarre avec «Egyptian Tomb», un cut qu’on croit joué par les Byrds, tellement c’est bien foutu, à la fois psyché et égyptien, avec les descentes d’acide de Stone. C’est très joué au sens des dés qu’on jette, avec un everlasting Stone, oh oh oh. Il reprend son envol avec «A Friend You Know But Never See». Bien sûr, les cuts ne sont pas des hits, mais on dresse l’oreille. Les Mighty Baby sont dans un son très californien, très pur, avec des voix très pointues et les attaques de Stone valent bien celles de John Cipollina, il est assez effervescent, en fait, c’est lui qu’on écoute, il mène le bal de bout en bout, il est l’un des très grands guitaristes anglais. Ils sont dans un son californien, ce qui étonne de la part d’anciens Mods. Avec «I’ve Been Down So Long», ils font une belle purée psychédélique. Stone prend «Same Way From The Sun» en enfilade, il joue comme un guerrier apache, il traque sans répit. Il est encore plus féroce que Geronimo. Il vole le show. On le retrouve en forme dans «House Without Window», une heavy romantica de gras double, il est derrière, il joue à n’en plus finir. Il gonfle bien l’étendard du cut, c’est un jerkeur de grosses veines, il est éperdu et ça devient aussi beau que le «Morning Dew» ou le «Season Of The Witch» des Super Sessions, il joue à la folie Méricourt, elle court elle court la banlieue, avec des échos du «Cowboy Movie» de Croz dans le flux du flow.

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             Martin Sharp signe la pochette. On lui doit aussi celle de Disraeli Gears. Jim Irvin dit que cet album est l’un des «great lost albums of the period, a facet of the shape-shifting, dawn-of-progs dynamics qu’on retrouve chez Traffic et Family». Mais le destin s’acharne sur Mighty Baby : Curd est arrêté pour trafic de marijuana. Les Mighty Baby n’ont pas un rond, alors ils squattent, comme d’ailleurs Family. Curieux hasard, ils squattent dans la même rue, à Lots Road, Chelsea.

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             C’est à cette époque que le destin de Martin Stone bascule dans le soufisme. Un spécialiste de Gurdjieff nommé Ian Dallas le contacte et l’invite à venir papoter chez lui à Chelsea, puis à passer un week-end dans sa maison du Devon. Dallas lui explique que les racines de la pensée de Gurdjieff sont dans le soufisme, une très ancienne branche mystique de l’Islam. Une semaine plus tard, Stone est au Maroc pour rencontrer the Shaykh of Habibiyya qui le baptise Abdul Malik. Stone renonce alors à tout, à commencer par l’alcool et les drogues. Au début, Stone n’en parle pas aux autres, mais il est vite surpris en train de prier. Le premier à suivre Stone au Maroc pour se convertir sera le batteur Alan Powell. Du coup Powell joue beaucoup mieux. Stone monte sur scène en djellaba, coiffé d’un turban de soie couleur or et maquillé de khôl. Quand Stone et Powell rentrent de leur séjour au Maroc, ils sont tellement intenses qu’ils foutent la trouille aux autres. Puis Ian Whiteman et Mike Evans se convertissent à leur tour au soufisme. Bam King se retrouve complètement isolé dans le groupe : «Je connaissais Mike et Roger depuis qu’on était gosses et en quelques semaines, ils ont complètement changé leur façon de voir la vie et la musique, ils ont même changé de nom.» Bam King reconnaît qu’il n’est pas très attiré par les religions.

             Stone ne fréquente apparemment que des gens bien. Après Brian Jones, voilà Phil May qui lui propose de se joindre aux Pretty Things. C’est juste après Parachute. Mais au fond, Stone préfère rester loyal à Mighty Baby. Le groupe s’est forgé une solide réputation, ils ont abandonné leurs rêves de gloire et d’argent pour une authentique démarche musicale. Bam King : «Il y a quelques années, on rêvait de devenir des rock stars. L’aspect visuel était important. Maintenant c’est la musique qui est importante and not the crap that goes with it.» Quand ils tournent en Angleterre, ils n’ont pas les moyens de se payer l’hôtel, alors ils rentrent à Londres après chaque concert. Ian Whiteman : «We often had to deal with roadies falling asleep at the wheel.» Whiteman se souvient aussi du temps où il allait faire des sessions à l’Olympic Studio : il descendait du bus avec ses instruments «and all I could see was these Ferraris, Porsches and Aston Martins out front» - L’Olympic grouillait de rock stars : George Harrison, Clapton, Stevie Winwood - And it was just incredebly boring.

             Et le destin s’acharne sur Mighty Baby. Curd en prend pour trois piges. Le groupe n’a plus de contrat, plus de van et plus d’équipement. On leur a tout sucré. C’est un vieux copain de Stone, Mike Vernon, qui vole au secours de Mighty Baby. Vernon leur propose un deal sur Blue Horizon. À ce moment-là, le groupe est devenu «un mini-cult, with Marin as our ideological leader», dit Whiteman. Powel confirme : «Au moment d’A Jug Of Love, we were more into calm and personal reflection than banging out tunes at top volume.» Ils sont passés au non-drug taking way - «The Happiest Man In The Carnival» is pure Gurdjieff.

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             On retrouve l’effervescence de Stone sur A Jug Of Love. Dès le morceau titre d’ouverture de balda, Stone se met en embuscade, alors que Whiteman chante avec Bam King. Ils sont assez pénibles, tous les deux. Si Stone n’était pas là, il ne se passerait rien. Il brode à n’en plus finir sur «The Happiest Man In The Carnival». Il a raison, car c’est tout ce qu’il lui reste à faire. Il enveloppe «Keep On Jugging» au wild bluegrass local, il fonce dans l’enfer du son, il se plie à toutes les disciplines et joue sous le boisseau de Bam King. En B, on le voit encore faire tout le boulot avec «Trashing The Life», il joue en continu, avec une énergie du son et une inventivité à toute épreuve, honey babe, il est partout, il joue dans tous les coins, il est d’une volubilité sans nom. Puis il gratte une mandoline sur «Slipstreams». Il multiplie les exploits de gratté de poux, sa main tremble magnifiquement, on pense aux gondoles à Venise. Vas-y Stone ! En matière de psyché bavard, il est le real deal. Du coup ça devient un Sufi album. Non seulement le titre est une métaphore soufiste pour l’amour divin, mais Dallas est dans le studio pour rappeler qu’il est l’heure de prier. Alors tout le monde s’arrête pour prier. Pendant le temps de la prière, Vernon et Bam King vont boire un coup au pub. La photo de pochette illustre bien le côté austère du groupe.

             Mais l’album ne marche pas, dans la presse, on les qualifie de mighty boring. Vernon n’aime pas l’album. Il trouve que ça manque de guts. Les Mighty Baby supportent de moins en moins la pression des tournées. Stone : «It became impossible to reconcile the Muslim thing and rock’n’roll.» On ne peut pas être un Derviche et jouer dans un groupe de rock. The Newcastle Brown et le tapis de prière ne font pas bon ménage. Fin 1971, le groupe se disloque.

             Stone finit par quitter l’Islam et refait surface un an plus tard dans Chilli Willi & The Red Hot Peppers. Alan Bam King forme Ace et connaît le succès avec «How Long». Curieusement, Powell, Whiteman et Stone vont consacrer leurs vies respectives au livre : Powell en tant que relieur, Whiteman en tant que calligraphe et Stone en tant qu’expert en livres anciens.

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             C’est l’occasion ou jamais de ressortir de l’étagère les albums de Chilli Willi & The Red Hot Peppers. Le premier date de 1972 et s’appelle Kings Of The Robot Rhythm. C’est un album de pure Americana. On croit entendre des experts. «Window Pane» est un petit blues de fake Americana plein d’esprit, plein de souffle, bien violonné. Ces mecs surjouent leur London Americana dans un fauteuil. Mais ça ne pouvait pas marcher à Londres : trop exotique. Roogalator a connu le même problème. Démarche trop pure. On s’ennuie un peu. On se croirait au saloon. Le sul cut qui échappe au laminoir de l’Americana est le dernier, «A Page In History».

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             Par contre, on trouve une merveille sur le deuxième album, Bongos Over Balham : «Desert Island Woman». Voilà enfin le big western swing de Stone. Il faut avoir entendu ça pour comprendre à quel point Stone est un génie furibard, il part en petites vrilles mirifiques au milieu des harmonies vocales, il joue en stand-by comme au temps de Mighty Baby, il attend son heure, mais il reste dans le jeu et, bien sûr, lorsque l’heure arrive, il part en vrille délibérée, il déclenche une petite attaque de notes perverses qui remontent le courant du groove comme des spermatozoïdes, on a probablement ici l’un des plus beaux solos du siècle dernier, ce mec navigue à la note lumineuse, comme Peter Green, il joue au clair de la lune avec la véracité de l’ami Pierrot, wow, il y va, comme Carlos Santana et d’autres guitaristes capables de tenir la braise en alerte rouge. Avec «Breath A Little», Stone et ses Peppers passent au swing manouche drivé à la Grappelli. Stone fait encore un festival sur «Jungle Song», il court, il court le furet. Stone joue son country-rock ventre à terre. Stone, c’est Conan. Sa façon de jouer en embuscade renvoie aux franc-tireurs du Capitaine Conan, qui au soir de sa vie, lance à Norbert : «Ta guerre on l’a gagnée ! Ton armée l’a faite !».

    Signé : Cazengler, Store (baissé)

    Martin Stone. Down But Not Out In Paris And London. The Mad Dog Chronicles. Mad Dog Box 01 2020

    Mighty Baby. Mighty Baby. Head 1969

    Mighty Baby. A Jug Of Love. Blue Horizon 1971

    Chilli Willi And The Red Hot Peppers. Kings Of The Robot Rhythm. Revelation Enterprise 1972

    Chilli Willi And The Red Hot Peppers. Bongos Over Balham. Mooncrest 1974

    Jim Irving : Mystic Mods. Mojo # 343 - June 2022

    Richard Morton Jack. Mighty Baby. From Mods To Mecca. Flashback # 3 - Spring 2016

     

     

    Inez & Charlie Foxx

     

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             Dans les early sixties, Inez & Charlie Foxx travaillaient sur le même créneau qu’Ike & Tina Turner : the black beauty thing un peu wild, elle devant tous appâts en promo, et lui derrière, pompadouré, sec comme un olivier et à la gratte de poux, mais pas la petite gratte du coin de la rue, vois-tu, la grosse gratte délinquante, la vraie. Charlie a cassé sa pipe en bois voici belle lurette, et Inez vient tout juste de casser la sienne, aussi allons-nous saluer l’envol de son âme vers la voie lactée. Notons au passage que cet envol ne fut salué nulle part, hormis par un entrefilet, dans les pages d’Orbituary de Record Collector. À ce niveau de négligence, il ne s’agit plus d’un problème de mémoire courte, mais plus d’une forme d’incurie. Nos amis les nouveaux journalistes de rock anglais ne savent peut-être pas qui fut Inez Foxx.

             Il n’existe pas à proprement parler de littérature sur Inez & Charlie Foxx, aussi allons-nous passer au régime sec et nous contenter d’écouter quelques albums. Wiki apporte quelques infos qui comme d’habitude restent tragiquement en surface. On vit désormais dans ce monde de superficialité.

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             Un album sans titre du Foxxy couple paraît en 1966. On sent tout de suite une belle veine inspiratoire, surtout dans «My Moma Told Me», monté sur le beat de «Memphis Tennessee». C’est joué avec tout le pesant du ponant. Charlie monte au créneau le premier pour «I Fancy You», un cut petitement dansant. Et soudain, ça explose avec «Hurt By Love», encore monté sur un Memphis beat alerte et volubile. Ah ils savent jerker la paillasse d’un juke ! Charlie reste en retrait pour ponctuer le beat avec tact. Même les balladifs comme «Don’t Do It No More» envoûtent. Ils collent au papier. «La De Da I Love You» sonne exactement comme un hit des Supremes, sauf qu’Inez et Charlie se l’approprient en le poppisant. Quand on écoute «Ask Me», on comprend qu’Inez est une épouvantable allumeuse. En B, ils reviennent à leur fonds de commerce, c’est-à-dire le bon beat portoricain, avec «Mulberry Bush». Voilà un rock d’exotica très coloré, très vivant, à l’image des marchés de la péninsule. Charlie sait aussi faire du Cole Porter, comme on peut le constater à l’écoute d’«I Wanna See My Baby». Finalement, ce mec est assez marrant, car très diversifié. Inez chante «Hi Diddle Diddle» avec une belle hargne. Elle peut se montrer féroce et gagner ainsi toute notre sympathie. Et puis, l’album se termine sur «He’s The One You Love», qui sonne comme une terrible résurgence des anciens démons de la jungle.

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             Bel album que ce Come By Here paru l’année suivante. Ça chauffe dès l’ouverture du balda avec le morceau titre, «Come By Here», un groove créole magnifiquement chanté du bout des lèvres. Quel swing de magie pure ! Inez monte vite dans les galons et s’en va exploser là-haut comme une Soul Sister de choc. C’est terriblement bien foutu. On tombe plus loin sur un «Tightrope» surprenant, car monté sur un petit riff de basse nerveux comme un lapin échappé du clapier. On a une bassline typique de Wilson Pickett et Inez s’en va une fois de plus éclater la voûte du Sénégal. Elle montre quelle peut encore grimper très haut sur la montagne dans «No Stranger To Love», le balladif qui suit. En B, Charlie rejoint Inez au chant dans «Undecided» et ça donne une pièce de Soul têtue, bourrue et distinguée comme la verrue d’un petit marquis. Pur génie ! Charlie fait les voix calmes et Inez shoute comme une malheureuse. C’est Ike & Tina en plus exotique. S’ensuit «Never Love A Robin», un r’n’b haut de gamme chanté à deux voix swinguantes. Ils finissent cet album extra-ordinaire avec «I Love You 1000 Times», pur jus de good time music. C’est pas compliqué, Inez a le même punch que cette rosse de Diana Ross.

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             En 1973, Inez Foxx se lance dans une carrière solo et enregistre At Memphis And More chez Stax. Pour la pochette, elle se déguise en reine de Nubie et porte un diadème de perles. Le conseil qu’on pourrait donner serait de mettre le grappin sur la réédition Stax de 1990, car les bonus valent le détour, notamment «He Ain’t All Good But He Ain’t All Bad». Inez y travaille sa Soul dans la matière du froti-frotah et c’est assez exceptionnel. Elle ramène ensuite tout le chien de sa petite chienne dans «One Woman’s Man» et passe au big Stax Sound avec «Watch The Dog», une pure merveille de r’n’b menée avec la meilleure des niaques. Wow ! Mais sur l’album proprement dit, d’autre jolies choses guettent l’amateur impavide, à commencer par «Crossing Over The Bridge», un solide groove de Foxxy Lady, suprêmement bien chanté. Dans l’esprit, elle frise l’Aretha. Elle se rapproche encore d’Aretha avec «I Had A Talk With My Man». Oh elle sait taper un slowah, pas de problème ! Avec «You’re Saving Me For A Rainy Day», on réalise qu’on est sur une très bel album. On assiste avec ce cut à un fantastique développement de la Soul, elle y fait un sacré numéro et gueule à pleine voix. Elle atteint des sommets. Inez est une panthère de la Soul, elle la dévore toute crue. Elle en connaît toutes les ficelles, comme Aretha, bon c’est vrai, elle gère son business avec moins de moyens, mais quelle niaque ! «The Lady The Doctor & The Prescription» sonne aussi comme un hit Stax - I wanna thank you darling -  et tout explose avec «Mousa Muse». Un mec l’interviewe, Miz Foxx et elle répond de l’intérieur. Elle cite Charlie Foxx - Oh yeah I remember Mockingbird - Le mec lui demande s’il elle veut bien donner un conseil - If you have it, put it on a strong foundation and do it - Thank you Miz Foxx.

    Signé : Cazengler, Foxy Radis (You’ve got to be all mine, all mine)

    Inez Foxx. Disparue le 25 août 2022

    Inez & Charlie Foxx. Inez & Charlie Foxx. Sue Records 1966

    Inez & Charlie Foxx. Come By Here. America Records 1967

    Inez Foxx. At Memphis And More. Stax 1990

     

     

    Wizards & True Stars

    - Pop Art (Part Two)

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             C’est à Iggy Pop que revient l’insigne honneur d’inaugurer un nouveau chapitre des Chroniques de Pourpre, ‘Wizards & True Stars’, un titre emprunté comme chacun sait à Todd Rundgren. On vénère Iggy Pop, pas seulement pour son aura stoogienne, mais parce qu’il est l’artiste complet par excellence. En plus d’une discographie qu’il faut bien qualifier de richissime, il propose une filmographie assez complète. Ce serait une grave erreur que de la prendre à la légère, car cet artiste superbe y dévoile des aspects insoupçonnables, notamment sa passion pour la littérature. Rester Vivant - Méthode est là pour en témoigner. Ce film nous monte un Mister Pop épris de littérature contemporaine, et pas n’importe laquelle, puisqu’il nous lit de sa voix d’Iguane les pages d’un autre monstre sacré, Michel Houellebecq. C’est un film qui pourrait ressembler à du bricolage, ou que les mauvaises langues pourraient qualifier de «coup de pub» et pourtant, quel cocktail ! Houellebecq/Pop, que peut-on espérer de mieux ? Mister Pop donne corps à la noire mélancolie d’Houellebecq, il donne à cette profonde désespérance une profondeur irréelle. Si Iggy s’attache à ce texte c’est, dit-il, parce qu’il y a reconnu sa propre histoire. Les trois mecs qui ont tourné le film ramènent d’autres esquintés de l’existence dans cette non-histoire, une petite grosse qui écrit des poèmes et qui a tenté de se foutre en l’air très jeune (Anne Claire Bourdin), un Robert Combas célèbre et bien torturé, et puis un mec qui a passé quelques années au trou, dans un asile de fous, et qui visiblement écrit aussi (Jérôme Tessier). Mais c’est Houellebecq qui nous intéresse, Houellebecq et son apologie de la souffrance, relayée en anglais par le deepey deep d’Iggy - All suffering is good/ All suffering is a universe - En gros, Houellebecq prêche la souffrance comme préalable indispensable à l’acte poétique et, comme cerise sur le gâtö, on a le regard d’Iggy, brillant de brillance, ce regard en forme d’instantané de l’intelligence supérieure - Emotion breaks the chaîne causale - On se perd entre l’Anglais et la forme parfaite des textes d’Houellebecq - Apprendre à devenir poète, c’est désapprendre à vivre - Mais, insiste-t-il, il faut rester vivant, car un poète mort n’écrit pas. Parfois, il y va un peu fort, on trouve qu’il exagère un peu et puis tout compte fait, ses phrases produisent du sens, pas toujours immédiat, comme dans le cas de Nietzsche ou de Georges Perros, mais elles finissent par éveiller l’attention, d’une manière très particulière, cette manière qui fait aussi la grandeur du romancier, lorsqu’il tisse un fil narratif d’une finesse et d’une justesse qu’il faut bien qualifier de sidérantes, dans une époque en panne de sidération. Et puis on finit par le voir apparaître dans le cadre de la caméra, l’Houellebecq, avec le parfait visage d’un décadent du XIXe, le regard chargé d’ennui, à la limite de l’inexpression, il parle assis sur un canapé définitivement défraîchi, il y a du Wilde et du Proust en lui, et il nous présente tranquillement sa vision des choses : «Deux catégories d’artistes, les révolutionnaires et les décorateurs.» Il se considère bien sûr comme un décorateur conservateur, puisque, dit-il, rien n’a changé dans cette maison, celle de ses grand-parents qu’il occupe aujourd’hui. «Mais j’existe, quoi ! Les gens pas originaux n’existent pas, c’est tout. Il y a un support à mon existence, une personnalité, comme on dit.» En écho à cette profession de foi, Iggy pose une question : «How many people in the world have an identity ?» C’est d’une résonance spectaculaire ! Et il lit tout un passage sur la déroute du monde des vivants : «Creusez les sujets dont personne ne veut entendre parler. The other side of the scenery. Insist about sickness, agony, uglyness, speak of death and oblivion, de la jalousie, de l’indifférence, de la frustration, of the absence of loooove.» Le O de Love résonne dans la voix du Stooge.

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    Pour finir le film en beauté, l’Iggy claudiquant débarque chez Houellebeq. Il entre dans le salon et observe le papier à fleurs. Il dit : «Michigan !». Le décor lui rappelle le Michigan, où il a grandi ! Rien n’a changé depuis les années 50. Houellebecq lui sert un verre de cognac. Ils discutent. Houellebecq lui dit qu’il est plus intéressant que le punk qui est un mouvement, car il est un individu. Pour lui, le rock est une affaire d’individus. C’est sa théorie. Think about it. Puis il emmène Iggy à la cave pour lui montrer l’invention sur laquelle il travaille en secret et dont nous ne saurons rien. On les retrouve un peu plus tard assis tous les deux dans le canapé définitivement défraîchi. Ils ne parlent pas. Voilà nos deux héros plongés dans le silence. Plan fantastique. Environ une minute. Rien d’autre que ces deux regards plongés dans le néant. La vie est ainsi faite. Houellebecq ne fera jamais aucun effort. Iggy non plus.

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             Et puis on a deux films qui marchent ensemble, American Valhalla et Post Pop Depression Live At The Royal Albert Hall. Ils sont sortis tous les deux sur DVD donc facilement accessibles. Il est nécessaire de voir en premier le Valhalla, car c’est un docu qui raconte la genèse du projet imaginé par Iggy. Il faut simplement passer le cap d’une petite aversion pour les premiers plans : ils mettent en scène un Josh Homme qui se prend pour un écrivain. On le voit lire son journal intime et philosopher sur le temps qui passe et ça ne passe pas. Pourquoi ? Parce qu’il battait dans les Eagles Of Death Métal le soir des attentats et ces mecs là on fait du biz sur le Bataclan, alors laisse tomber. Bon bref, il faut supporter ce gros narcisse un petit moment avant de retrouver Iggy. On est là pour lui, bien entendu, par pour l’Homme. Et dès qu’Iggy arrive à l’écran ça change tout. À la différence de l’Homme, Iggy n’est pas obligé de se balader en moto dans le désert, d’exhiber des tatouages sur les doigts et de porter un perfecto. Iggy est auto-suffisant, real wild child, natural rock’n’roll animal, il a toujours sa gueule d’early stoned Stooge, sa gueule de kiddie boy du Michigan, c’est incroyable comme son profil a pu rester pur, même tignasse, même look punk. Il nous fait un récit à l’image d’une vie de Stooge - Quand j’ai quitté l’école, I was all over the place, je pouvais être en prison, in a car crash, on stage, I might trash somebody’s place, trash somebody’s life - Puis il raconte que ça a redémarré à 60 balais avec the Stoogeeeesss and the old stuff. Il raconte son histoire avec ses mots et ça vaut tout l’or du Rhin entre tes reins, et puis il enchaîne avec son besoin de softer things, after years of being exposed with heavy musicians, I wanted an emotional escape, et on l’entend chanter «La Javanaise» de Gainsbarre sur Après. Parfois Josh Homme a de bonnes réparties, comme par exemple quand il dit qu’on ne peut pas faire plus rock que les Stoogeesss, so what the point ?

             En gros, Iggy cherchait un collaborateur pour relancer sa carrière et on lui a suggéré le nom d’Homme. Alors Iggy lui envoie une proposition de collaboration par texto. L’Homme répond que ce serait wonderful et Iggy indique que le mot wonderful is a civilized world. L’Homme est donc bombardé co-auteur et producteur. Il envoie des démos à Iggy qui n’a pas l’air ravi : «It was pretty shitty mais c’était un point de départ.» Effectivement, les compos de l’Homme ne sont pas bonnes. Ils partent enregistrer au Rancho de la Luna, à Joshua Tree, et on voit la Camaro de l’Homme rouler dans le désert. Wouah, quelle frime !

             Iggy répète une chose fondamentale : «I got nothing but my name.» Et il nous explique que tout ce qu’on peut faire en Amérique, c’est travailler. Work ! I had to make a living. Il évoque aussi la défonce. Stoned ? Oui c’est bien jusqu’à 25 ans, ça aide. Après, ça devient plus compliqué. Il en parle en rigolant. Real wild child. Il évoque les fucking eigthies et les gens qui voulaient l’obliger à chanter Leonard Cohen. No way. Il parle ensuite de «Paraguay», one of the songs I write every five years here, c’est-à-dire chez lui, à Miami. Et puis une fois que l’album est enregistré, ils partent en tournée. C’est le deuxième film. On en retient une chose : l’incroyable qualité du contact d’Iggy avec son public. Il passe son temps à stage-diver, à serrer des mains et à rouler des pelles. 68 balais. Il est intact, au plan éthique.

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             Le problème de Post Pop Depression, c’est le niveau des compos de l’Homme. Ce n’est pas bon. Iggy sauve les meubles avec ses vieux hits, à commencer par «Lust For Life». L’autre problème, c’est que l’Homme et les musiciens dansent en jouant. Ils se croient dans une discothèque. Du coup, ils passent pour d’épouvantables frimeurs. Iggy parle aux gens - Fucking thanks for coming, fuck fuck fuck ! - Il en profite, car il sait que les Anglais de supportent pas qu’on dise fuck au Royal Albert Hall. Après l’éternellement jeune «Lust For Life» voilà le Sweet Sixteen in the leather boots, et Iggy rétablit toute la grandeur du Pop. Ce sont ses vieux hits magiques, il est déjà torse nu. Sur scène, les cuts de l’Homme, «American Valhalla» et «In The Lobby», ne fonctionnent pas. Iggy commence à plonger dans la foule avec «Some Weird Sin». Il reste l’artiste le plus attachant du monde. Comme chez Jimbo, il y a quelque chose de christique en lui, dans sa façon de se donner aux gens. Ceci est mon corps. Il sort «Fun Time» et «Tonight» de l’époque berlinoise. Par contre, «Sunday», «German Days» et «Mass Production» ne fonctionnent pas, les cuts sont trop sophistiqués, trop prétentieux, c’est avec «Nightclubbing» qu’Iggy relance le show - We learn dances/ New dances/ Like a nuclear bomb - et puis arrive «The Passenger», vieux hit fondamental, tu ne bats pas Iggy à ce petit jeu, il fait danser tout le Royal Albert Hall, et ça continue avec le Fall in love with me, l’incroyablement dansant, l’inexorable power d’Iggy qui danse dans la foule, il fait un «Paraguay» insurrectionnel et ce prodigieux événement s’achève en apothéose avec «Success» - It feels like success/ here comes success/ Over my head. Pur genius.

    Signé : Cazengler, Guy Pot (de chambre)

    Arno Hagers, Erik Lieshout, Reinier van Brummelen. Iggy Pop/Michel Houellebecq. Rester Vivant. Méthode. DVD 2018

    Andreas Neumann. Iggy Pop/Josh Homme. American Valhalla. DVD 2018

    Nick Vickham. Post Pop Depression Live At The Royal Albert Hall. DVD 2016

     

    L’avenir du rock

    - Beech oh my Beech

     

             Les années ont passé. Aujourd’hui les touristes américains visitent les plages du débarquement. L’avenir du rock n’échappe pas à l’emprise des nostalgies sablonneuses, aussi retourne-t-il faire un tour sur Omaha Beach. Quelle n’est pas sa surprise lorsqu’au détour d’un broc de béton dégringolé de la dune, il retombe sur une vieille connaissance.

             — Général Mitchoum ? Mais qu’est-ce que vous foutez là ?

             Mitchoum n’a pas changé sous son casque à une étoile. Toujours la même tête de baroudeur légendaire. Mais il est en maillot de bain et porte sur la poitrine un gigantesque collier de pinces de crabes. Il semble étonné de voir apparaître la tête de l’avenir du rock au coin du bloc :

             — Vous ai déjà vu quelque part... Vous appartenez à quelle unité ?

             — Mais Général, la guerre est finie depuis soixante ans !

             Mitchoum ne répond pas. Son vieux mégot de cigare au coin des lèvres, il active un petit feu. Il y ajoute du varech pour faire une fumée épaisse. Puis il travaille sa fumée avec un mouchoir comme s’il envoyait des signaux de fumée indiens.

             — Vous avez dû voir trop  de westerns, Général...

             — Fuck the shut up ! J’demande des renforts ! 

             Comprenant qu’il n’y a plus rien à en tirer, l’avenir du rock se lève et lance :

             — Vous me faites de la peine, mon pauvre Général Mitchoum, car vous avez gagné la bataille d’Omaha Beach...

             Mitchoum pose son regard vitreux sur l’avenir du rock et un étrange sourire se dessine autour du vieux mégot de cigare. D’une voix d’hermaphrodite fellinien agonisant, il se met alors à chanter :

             — Beech oh my Beech/ Lorsque tu soulignes au crayon noir/ Tes jolis yeux/ Yeuh Yeuh/ Je m’imagine que ce sont/ Deux papillons noirs...

             À quoi l’avenir du rock ajoute en écho :

             — On aimerait que disparaissent/ Les papillons noirs/ Les papillons noirs !

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             Ce soir, le papillon noir n’est pas celui de Gainsbarre et encore moins celui du vieux Fort Alamo, mais un kid nommé Gordon Lawrence, dernière incarnation de la flamin’ rockstarisation des choses de la vie qui nous intéressent,

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    c’est-à-dire l’incarnation des principes carnivores de l’impeccabilitité des Choses de la Perec-quation oulipienne, c’est-à-dire l’incarnation du real deal du quand dealera-t-on à l’ombre des jeunes fix en fleur, c’est-à-dire l’incarnation de l’éternelle renaissance de la mort du petit cheval, c’est-à-dire l’en veux-tu en voilà du rock, du rock/du rock, oui mais du Panzani, du rock pour toujours, et figure-toi que le rock pour toujours s’appelle ce soir Gordon Lawrence, dans son petit costard noir et sous ses petites

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    tortillettes de mèches new-yorkaises brûle le feu falot d’un Feu Follet tout doit sorti des doigts de Jacques Rigaut, juste avant qu’il ne se tire cette balle dans le cœur si littéraire,

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    le rock de Gordon Lawrence n’a jamais été aussi littéraire, aussi jusqu’au bout de la nuit célinienne, aussi peu stable sur des jambes qu’on dirait frêles, aussi peu concerné par le bon sens et les conventions, un Pacha Gordon terriblement doué pour le walk on the wild side, fantastique paillon noir aux intentions floues et au jeu si précis, dandy bringuebalant qui s’icône sans produire le moindre effort, il se filigrane dans la légende des siècles,

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    il y ramène la capiteuse notion d’un dandysme du coin de la rue que sut incarner en son temps Johnny Thunders, Gordon Lawrence pousse même son boooochon un peu plus loin, avec son costard à rayures qu’il porte à sec sur la poitrine, une manière comme une autre de rendre hommage à Peter Perrett qui de toute évidence vient le hanter chaque fois qu’il réussit à dormir un peu, même s’il affirme avec le titre de son dernier album qu’il dort sans rêver. 

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             Sleep Without Dreaming vient de paraître. On y trouve une fantastique cover du «Rain» des Beatles, l’épitome du wild psyché new-yorkais.

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    Gordon Lawrence allume bien son balda avec «Firing Line», fantastique shoot de pop sixties orienté vers l’avenir, fast pop sertie d’une vraie mélodie chant, digne des Kinks. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau, car alors on aurait un classic album de plus à ranger sur l’étagère du haut. Mais hélas, le reste de l’A n’est pas bon, on sent une sorte de passage à vide, des morceaux lents se succèdent et génèrent un léger ennui, alors qu’on attend des miracles depuis «Firing Line». Il faut attendre «Carved Arm» en B pour voir notre héros reprendre du poil de la bébête. De toute évidence, il cherche sa veine, d’où le sentiment persistant d’une dispersion. L’album n’a pas vraiment d’unité. «Rain» sauve la B et s’ensuit un «Friendly Five» assez admirable, très anglais, très brit-pop foisonnante.   

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             Autant le set de Beechwood en première partie de Don Bryant peinait à plaire, autant l’album Songs From The Land Of Nod réussit à convaincre, tout au moins en partie. Il faut dire que ces trois petits mecs bouffent à tous les râteliers, et ceux qu’ils préfèrent sont ceux d’Angleterre. Ils font sur ce deuxième album l’une des très belles versions de l’«I’m Not Like Everybody Else» des Kinks. Oui, une version bien appuyée, jouée dans l’écho du temps, poundée au big pounding, avec un son de guitare saturé de saturnales, et du coup, on adhère à cent pour cent. Avec le morceau titre qui se trouve au bout de la B, ils tapent dans l’early Floyd. Ils se prennent littéralement pour Syd Barrett. Rien n’est plus difficile que de vouloir recréer cette antique perfection psychédélique. Avec «All For Naught», ils se prennent pour les Beatles et encore une fois, ils n’en ont guère les épaules. Ils cultivent une tendance à vouloir poppiser à l’anglaise. C’est un album qu’il vaut mieux écouter sans a-priori. Ils flirtent avec le Velvet dans «Ain’t Gonna Last All Night», mais l’esprit leur fait cruellement défaut. Il re-visent le Velvet craze avec «I Don’t Wanna Be The One You Love», c’est assez convaincu et «CIF» sonne très Lou Reed dans l’approche - Just how far/ I can go - Mais en fait, c’est un son très Spiritualized, avec toutes ces notes qui filent vers l’horizon, alors que la basse pounde lourdement. Ils reviennent en B à l’hypno dans «This Time Around». Ils passent d’un genre à l’autre avec une facilité qu’on pourrait prendre pour un manque de rigueur. Leur coup d’hypno captive en partie, mais sur scène, ça ne marche pas du tout. Le petit chanteur porte un collier de chien comme Iggy à une époque, mais il est encore trop vert. Ils ramènent du son dans «Melting Over You», une espèce de cavalcade au long cours qui vaut bien le «Sick On You» des Boys. C’est une tentative d’envolée psyché portée au chorus vengeur et pour le coup, ça devient excellent, avec toutes ces relances voraces du bassmatic. On pourrait croire que c’est enregistré par Dickinson. 

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             Leur premier album date de 2014. Bientôt dix ans ! Il porte le doux nom de Trash Glamour et franchement, il vaut non seulement le détour mais aussi le rapatriement. Pourquoi ? Parce que «City Boy Blue», amené au heavy trash new-yorkais avec une fantastique énergie du son. La basse croise le gratté d’accords, comme dans le Velvet, on sent d’ailleurs dans ce cut une grosse volonté d’hypno à la Velvet, les échos sont d’une incroyable justesse. Ils rendent hommage aux Dolls au moins à deux reprises, d’abord avec «I Can’t Stop It». C’est plein d’esprit, il faut leur donner du temps. Il est bien certain que les accords sont ceux des Dolls. Accords qu’on retrouve dans le morceau titre qui referme la marche. Gordon Lawrence rallume le vieux brasier, on entend la basse croiser dans le son, comme un requin qui crève de faim. Bizarrement Andy Manzanares n’est pas sur la photo. À l’époque, ils ne sont que deux, Gordon Lawrence (guitar/vocals) et Isa Tineo (tattoos & beurre). On voit d’ailleurs qu’Isa Tineo s’est fait tatouer le front. Dans un petit texte d’accompagnement, ils disent avoir enregistré l’album dans leur basement. D’où le côté extrêmement raw du son. Ils tentent de réinventer le New-York Sound dès «(I’m Your) Other Man». Ils continuent d’exploiter la veine du son sur-saturé avec «Genocide» et une basse tournoyante revient croiser le gratté d’accords. Encore du son extrêmement cru avec «Rich Cunt». Awfully raw ! Rien à voir avec le désastre du concert de 2018. Dans le petit texte d’accompagnement, ils disent n’écouter que deux albums, à cette époque : Raw Power et Exile.     

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             C’est avec Inside The Flesh Hotel qu’ils débarquent sur Alive en 2018. C’est d’une certaine façon une consécration. Le catalogue Alive est l’un des plus respectés d’Amérique. Patrick Boissel n’a pour ainsi dire jamais fait une seule faute de goût. L’album est recommandé pour au moins six bonnes raisons, à commencer par «Boy Before» et «Sucker» deux cuts qui sonnent comme ceux des Mary Chain, c’est-à-dire comme des hits. Ils ont bien appris la leçon. Les fans des Mary Chain vont droit au paradis, ils sont en plein de cette vieille magie. Ils naviguent au niveau de «Darklands». Ils s’en donnent les moyens. Même chose pour «Sucker», ils rallument le flambeau de la Marychiennerie. L’autre énorme surprise de l’album est l’«Up & Down» qui sonne comme une Beautiful Song : belle pop étale, c’est une merveille inespérée sur ce genre d’album, ces petits mecs travaillent leur pop au corps. Ils s’amusent aussi à pasticher Marc Bolan avec «Bigot In My Bedroom». Rien de plus gluant, c’est très léché, ils sont les rois des caméléons, ils savent restituer le gratté de petite disto qui caractérisait si bien le son de T. Rex. Puis ils passent à la Britpop d’excelsior avec «Over On Everyone». Encore une incroyable métamorphose ! On se croirait chez Ride, avec les petits tactac d’Oxford. On les voit plus loin amener «Nero» au fouette cocher, avec une jolie disto. Ils savent foncer dans le tas.

    Signé : Cazengler, son of a Beech

    Beechwood. Le 106. Rouen (76). 29 novembre 2018

    Beechwood. Le 106. Rouen (76). 12 octobre 2022

    Beechwood. Trash Glamour. Lollipop Records 2014

    Beechwood. Songs From The Land Of Nod. Burger Records 2017

    Beechwood. Inside The Flesh Hotel. Alive Records 2018

    Beechwood. Sleep Without Dreaming. Alive Records 2022

     

     

     Inside the goldmine

    - Jackie Ross n’est pas rosse

     

             Il fallut bien la rebaptiser. Elle fut d’accord. Baby Jack, ça lui convenait. Sinon elle n’avait aucun défaut. Elle disposait de tout ce qui peut rendre un homme heureux : un regard vert de rêve, un corps de rêve - elle enseignait la danse classique - une voix chantante et un caractère lumineux. Chaque jour, elle était de bonne humeur. Alors il fallait se montrer à la hauteur et veiller à ne pas la décevoir, ce qui bien sûr n’était pas simple, voire impossible. Cette attention de tous les instants créait une sorte de tension et mettait en péril l’équilibre naturel qui régit habituellement une relation sentimentale. Il s’agissait moins d’un rapport de force que d’un constat d’infériorité : comment s’élever au niveau d’un être quand on sait qu’on ne peut pas ? Elle vivait cette relation à sa façon, comme un enchantement, elle se disait prête à tout absorber, les tensions, les histoires du passé, et même le déracinement, elle avait ce genre de générosité extraordinaire. Elle vouait un culte quasi-religieux à la pénétration. La conscience d’un déficit se transforma petit à petit en gouffre, le sentiment de n’être pas à la hauteur est par définition insurmontable, il n’en finissait plus de se dire qu’elle était trop belle, trop pure, trop amoureuse, trop espagnole, trop généreuse, trop lumineuse, et pourtant, elle n’en rajoutait pas, elle veillait scrupuleusement à rester elle-même, dans le dénuement d’une extrême simplicité comportementale. C’est peut-être ça qui le subjuguait le plus, lui qui s’était habitué à fréquenter des mecs du milieu qui, justement, la ramenaient, mais ils avaient les moyens de la ramener. Sentant qu’il ne pouvait plus assumer son rôle dans sa relation avec elle, il lui annonça qu’il allait la quitter pour une autre. Elle le fixa dans le blanc des yeux. Et sans ajouter un mot, elle se leva, prit sa chaise par le dossier et le frappa en plein visage, l’envoyant rouler au sol avec deux vertèbres brisées.

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             Baby Jack et Jackie Ross ont deux points communs : une grâce naturelle et un goût prononcé pour les petites robes blanches, symboles désuets d’une certaine forme de virginité. C’est cette robe blanche que porte Jackie Ross sur son seul album Chess, Full Bloom, paru en 1964, et qu’on retrouve dans une belle compile Kent intitulée Jerk & Twine: The Complete Chess Recordings. Malcolm Baumgart et Mick Patrick se partagent le booklettage de la belle Ross. Il est essentiel de savoir qu’avant de débarquer chez Chess, Jackie Ross fut découverte par Sam Cooke qui la fit enregistrer sur son label SAR et qui la fit venir à Chicago. Elle vivait à St Louis, dans le Missouri, et n’avait que 15 ans. Sam voulut l’emmener à Los Angeles sans sa mère, mais Jackie refusa.

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             À Chicago, Jackie et sa mère sont tellement pauvres que Jackie doit aller chanter dans un club, McKee’s, pour payer le loyer. Elle gagne 15 $ par soir. L’un de ses protecteurs n’est autre que Syl Johnson qui l’accompagne à la guitare. Puis on la présente à Chess en 1964, elle y enregistre «Selfish One» qui devient numéro un, et un album. Comme Leonard Chess louche sur le succès de Berry Gordy, il met en œuvre le même arsenal, in-house band, writers and producers, mais il peine à sortir des hits, alors que Berry Gordy les fabrique à la chaîne. Leonard le renard copie aussi les fameux package tours de Berry Gordy. Jackie se retrouve à l’affiche de grandes tournées avec Little Milton, Sugar Pie DeSanto, Mitty Collier, Tony Clarke et Fontella Bass. Et voilà qu’arrivent les embrouilles avec Leonard le renard. Comme Fontalla Bass, Jackie entre un jour dans le bureau du renard et les mains sur les hanches, elle lui demanda d’un ton sec : «Where’s my money ?». Après ça, plus possible de discuter avec ces rats de Chess brothers. Ils ne veulent pas de toublemakers chez eux. Exit Jackie qui va tenter de redémarrer sur d’autres labels, comme Brunswick, mais sans succès. Elle est persuadée que Leonard l’a grillée partout, de la même façon que Berry Gordy avait grillé la carrière post-Motown de Mary Wells. Mick Patrick appelle ça a vengeful paterfamilias.  

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             Bon «Selfish One» n’est pas non plus la panacée, Jackie chante ça au doux du doux, elle pardonne au Selfish One, elle est généreuse, on la sent faible, mais elle chante à la perfe. Elle motownise Chess. Elle vise le même genre de firmament, dans sa petite robe blanche. Il faut attendre «I’ve Got The Skill» pour toucher du doigt la génie de Jackie Ross. Elle drive là un heavy groove de r’n’b au chat perché, elle fait sa Diana Ross mais plus poudrée. On la voit encore éclater le shuffle avec «I Had A Talk With My Man», elle reste dans la titube d’extrême justesse, c’est une ahurissante merveille que ce froti-là. Comme elle est agile et souple, elle se prête à toutes les fantaisies. Elle a du son, la coquine ! Mais c’est avec le round midnite qu’elle excelle. Il faut la voir taper sa cover de «Summertime», elle plonge dans la chaleur du groove de jazz, elle fait la différence en créant de la magie, elle jazze le vieux Summertime dans le sens du poil et là tu décolles. C’est ici que la Soul rejoint le jazz. Elle plonge au petit sucre candy dans «(I Wanna Hear It) From You», un heavy r’n’b de Broadway, elle descend dans le son comme une reine de Motown. Elle peut aussi chanter d’une voix pré-pubère («Change Your Ways») et se fondre dans le moule d’une pop plus commerciale («Haste Makes Waste»). Elle revient au round midnite avec «Misty» et redevient délicieusement câline, elle se frotte à l’alpaga avec un tact félin qui en dit long sur ses fêlures. Avec «Wasting Time», elle fait son truc à la simple délicatesse, elle ne cherche pas à forcer, elle agit avec un tact d’oie blanche. «Be Sure You Know» vaut encore pour un cut de Soul parfaite. Elle t’embarque systématiquement à la voix mouillée de Soul et t’es baisé. Il faut voir comme elle est fraîche sur ce «Jerk & Twine» qui n’est pas sur l’album. Persistante, elle signe. Elle peut aussi se fâcher, comme la copine Etta. Un autre hit avec «You Really Know How To Hurt A Girl», une merveille pour qui sait entendre. Jackie est la petite déesse chic de Chess, dommage que Leonard le renard n’ait pas été correct avec elle. Elle monte dans les étages avec une étonnante facilité. Elle est tellement juste qu’elle confine à l’absolu, elle sait rester puissante dans la profondeur du Soul preaching. Comme le montre «Honey Dear», elle est parfaite dans son rôle de timorée black, fantastique poulette, chessy en diable, avec derrière elle des sacrés chœurs d’éthos. C’est une Soul à tomber de sa chaise, ça groove dans l’éclat du son. Jackie Ross, c’est de la magie permanente, elle chante son chant au better stick to one dans «Stick To One», elle chante à fleur de peau, à fleur de nénuphar. Elle est dans le sucre de la magie noire, elle se répand dans ta cervelle. Elle s’en va ensuite swinguer sa Soul au sommet du ouh-ouh de glotte avec «My Square», Jackie est une singulière cocote, elle est remplie d’allant à ras-bord, son ouh-ouh est véritablement la huitième merveille du monde. «Dynamite Lovin’» l’assoit sur le trône de reine de la Soul sixties, c’est aussi bon qu’un hit des Supremes de l’âge d’or. Elle rivalise encore d’ardeur et d’entre-cuisse avec Diana Ross dans «Take Me For A Little While», elle a raison, Jackie, le monde appartient à tout le monde. Elle monte pour de vrai, elle peut démolir Motown quand elle veut, elle dispose de ce super-pouvoir. C’est explosif. On la voit encore monter au sommet du lard fumant avec «We Can Do It». Elle ne s’appelle pas Ross pour rien. Tout est tellement intense qu’on finit par jeter l’éponge. Elle s’implique dans tout ce qu’elle fait. Encore un vieux shoot de r’n’b avec «I Dig His Style». Elle tire ça à quatre épingles.

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             En 1981, paraît un double album de Jackie Ross & Little Milton : In perspective. Il va tout seul sur l’île déserte. Deux performers de cet acabit rassemblés sur le même disque, on n’avait pas vu ça depuis les albums de duos de Marvin Gaye. Dès «I Like Your Loving», ils annoncent la couleur. Little Milton allume, mais Jackie encore plus. C’est une folle de la glotte. On se croirait sur les deux albums de duos Temptations/Supremes. On les voit rivaliser au fil des cuts, Jackie chante à la fine et ce démon de Little Milton remonte encore par-dessus. Ils font du heavy groove de rêve («Street Girl») et de la good time music («I’m In Love With You») que Little Milton chante à la glotte congestionnée. En B, Jackie tape un fantastique slowah de désir éploré («I Need You Baby») et elle remonte à l’assaut du ciel avec «One Hand Wash The Other». Elle se glisse comme Aretha dans le lit du fleuve. Little Milton tape lui aussi dans son registre préféré, le heavy blues («Let Me Down Easy»). Quelle leçon de maintien ! Il chante ça à la grosse arrache congénitale, il chante vraiment comme une belle bite en rut. C’est un compliment. Les voilà déchaînés sur «Ain’t No Fun To Me», ils font du early Ike & Tina et Little Milton ultra-chante son «Teach Me». Cette C est la plus dense des quatre, Little Milton allume «I’m Back/ And Here To Stay» comme on allume une bombe, il fait du James Brown, en mode funk hot & sexy. C’est encore lui qui charge la barque de la D avec du R&B («Nothing Beats A Failure»), il charge bien la barcasse de la Staxasse et Jackie vient casser la baraque en bout de D avec «I Think I’m Losing You», elle y va au gros popotin, comme Aretha, elle est même encore pire qu’Aretha, alors t’as qu’à voir !

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             En 1967, Jackie rencontre Eugene Record et Barbara Acklin qui la présentent à Carl Davis, chez Brunswick. Puis elle enregistre quelques singles sur Fountain. Une fière petite compile intitulée Take The Weight Off Me rassemble les singles que Jackie enregistra entre 1972 et 1982. Pas étonnant que ces singles soient devenus des pièces de collection pour les amateurs de Soul car Jackie s’y révèle exceptionnelle, elle claque son «This World’s In A Hell Of A Shape» au plus haut niveau d’expectitude. She delivers the goods, elle est complètement par-dessus les toits, c’est ahurissant, elle pulse bien le Soul power, elle vole le show. Jackie forever ! Nous autres petits blancs dégénérés sommes dépassés par le power de cette petite black. Elle poursuit son «What Would You Give» avec toute la niaque dont elle est capable, elle chante comme une reine. Puis on la voit se fondre dans le groove avec «A Woman (Gets Nothing From Love)», elle pousse bien son bouchon et elle le pousse tellement qu’il explose et elle avec. Elle est fantastique jusque dans le heavy blues, comme le montre le morceau titre, elle est au sommet de tous les arts du Pont des Arts, elle est complètement folle, elle allume tous ses cuts un par un, c’est une vraie partie de chamboule-tout. Avec «The People Some People Choose To Love» elle fait de la pop pleine d’espoir, elle chante tout ce qu’elle peut à pleine voix, elle enveloppe sa Soul au mieux des possibilités, elle regorge de jus, comme Aretha, «One Hand Wash The Other» flirte encore une fois avec le génie et la voilà qui attaque «I Think I’m Losing You» au raunch de Losing you. Elle bat tous les records, elle screame son ass off, elle chante du ventre, hey  babe, elle est épuisée de grandeur, I don’t wanna lose you, c’est l’un des hits les plus flamboyants de l’histoire de la Soul. Elle fait des coups, elle y va pied à pied, c’est une Soul sister extraordinaire, avec «Number One In Your Life», elle reste dans le slowah d’éplorée compulsive, elle est gonflée à bloc, elle tient sa note si haut et avec «Hey Love» elle devient stupéfiante. Puis on passe aux duos avec Little Milton et là attention aux yeux. Little Milton est un rut, il éructe, My sweet loving ! Ah il est en forme ! C’est un duo de sexe pur. Merveille absolue. Chants fondus. Little Milton prend les devants de «No Matter Where You Go» et Jackie le coupe dans son élan, c’est le duo le plus hot de la stratosphère, ils sont explosifs, c’est d’une violence artistique incomparable. Tout est chauffé au blanc de Baby dans «I’m In Love With You», Little Milton l’attaque à la souffrance - I can’t sleep at night/ Cause I’m in love with you - et elle lui répond qu’elle n’est pas in love with you. On sent presque les gestes dans la chaleur de la nuit de «Teach Me». «Patching Up The World» rassemble encore ces deux géants de la Soul et ils s’embarquent dans des développements extraordinaires. Little Milton chante comme un dieu et Jackie comme une reine de la Soul underground. Ils rivalisent de génie vocal, ils rockent les dynamiques de that’s gotta be allright, mis ils font un truc à eux et c’est endiablé.

    Signé : Cazengler, Jacky rote 

    Jackie Ross. Jerk & Twine: The Complete Chess Recordings. Kent Soul 2012

    Jackie Ross & Little Milton. In perspective. Golden Ear Records 1981

    Jackie Ross. Take The Weight Off Me. Grapevine 2006

     

     

    NEON DEAD

    THRUMM

    ( EP Numérique / 31 – 10 – 2022/ Bandcamp )  

    La pochette attire l’œil. Elle est différente. Rien d’exceptionnel. Des gens qui marchent dans une rue. Au premier plan, qui nous tourne le dos, un couple habillé de reflets flashy. Devant eux une foule impersonnelle grise. Sans visage. Seule une toute jeune fille se détourne de cette masse uniforme. Elle regarde le couple et sourit. De-ci de-là de petits tirets de lumière rouge. De violentes illuminations de la même couleur flamboient dans les vitrines… Se dégage de cette banale vue une impression d’immense solitude.

    Sont cinq originaires d’Atlanta en Georgie. Ont déjà participé à d’autres groupes.

    David Prince : guitar / Chris Albamonte : guitar / Glen Williams : bass / Troy Wolf : drums / Sean Shields : vocals.       

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    Overdrive : portent bien leur nom, dès les premières notes Thrumm vrombit, ah, le doux bastringue, même pas le temps de se réjouir que déjà Sean Chields vous martèle de sa voix, un chanteur, un vrai, qui prend le commandement du vaisseau et vous êtes prêt à le suivre les yeux fermés. En plus deux guitares acérées et fuzzantes lui ouvrent le chemin comme ces éperons d’acier qui ornaient la proue des trirèmes romaines, quant à sa batterie de Wolf  il   la conduit en chef de meutes, partout des roulements, échines fuyantes qui s’effacent pour laisser la place et revenir aussitôt… Juste un problème, ce mal-être que distillent les lyrics de Sean, au départ vous êtes comme dans Ligth my fire des Doors, mais les portes coulissent mal, trop de vantardises, ça sonne faux,  de fait ces envols se déroulent dans sa tête, ce n’est pas qu’il plane c’est qu’il tire des plans plus haut que la comète.  Morning after Judgement Day : avez-vous déjà entendu une batterie foudroyée qui avance encore bientôt relayée par des guitares enragées et une basse qui groove à mort, après l’overdrive c’est la descente obligatoire, Sean nous emmène tout en haut des possibles dont on rêve pour nous précipiter dans le toboggan de l’effondrement, de cette prise de conscience de la misérabilité  de sa condition humaine, l’est au-dessous du plancher, l’a dépassé le stade de la mort, l’est en train d’admonester Dieu, ne l’écoutons plus, suivons la musique qui déménage et approfondit le carnage. Throwing stoned : les musicos nous larguent des containers de double-rations, il devrait être interdit de triturer avec tant de hargne et d’efficience de pauvres instruments qui du coup se réfugient dans le rythme plus lent des ramasseurs de coton dans sous le soleil du Sud, puisque Sean a brûlé les étapes que Dieu avait prévues ne lui restent plus qu’à discuter avec ses frères humains. Quand l’amour divin est dépassé il ne reste qu’à brûler de haine. Sean montre et enseigne le chemin. Envoyer tout bouler et tournoyer sans regret dans une fête sans fin. Magnifier tous les excès. Ne pas se remettre en question. Neon dead : guitares en feu, drumming dévastateur, c’est le retour à la case départ, celle de la pochette, marcher, toujours marcher dans la rue et dans sa tête, le chant devient lyrique, quelle performance, au-delà du bien et du mal, les guitares s’embrouillent, rester droit dans ses bottes, ne plus vaciller, ne plus quitter le domaine de la nuit, ne pas se libérer de son ivresse, devenir à tout instant ce que l’on est, rester soi, entièrement soi et rien que soi. Au petit matin alors que les néons s’éteignent il faut toujours garder en tête la présence de la lumière des orages traversés. La vraie vie.

    M’étonnerait que l’EP ne reçoive pas l’avertissement parental par lequel les américaines ligues de vertu puritaines stigmatisent les disques censés donner de mauvaises idées aux adolescents… Thrumm joue gagnant sur tous les tableaux. Musicalement c’est un régal, tant au niveau de la voix que des instruments. Chose rares les lyrics sont au niveau. Leur manque encore la force mythique que leur insufflait un Jim Morrison mais ils ont déjà un pied sur le chemin qui mène dans l’autre pays.

    Damie Chad.

     

     

    BURY ME WHERE I DROP

    LAGOON

    ( Electric Valley Records / Bandcamp / Octobre 2022 )

    Anthony Gajila : vocals, guitar / Brady Maurer : drums / Kenny Coombs : bass.

    Viennent de Portland. C’est dingue toutes les formations qui essaiment de cette ville de l’Oregon. Une pépinière ! Le groupe s’est formé en 2017. Un beau nom qui tout de suite évoque Lovecraft et les profondeurs troubles des sectateurs de Cthuthlu. Un titre qui sent les tourbières du delta blues et une pochette séduisante. Elle réussit à amalgamer un paysage intergalactique avec une image qui semble sortie tout droit d’un western.

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    I see the hate in you : frétillements de queue de crotale, ondulations riffiques, une guitare grince à la manière des grilles de cimetière poussées par le vent dans les poèmes de Verhaeren, la voix s’élève, calme, paisible alors que la basse tremble trop fort, elle dicte ses dernières volontés, elle est teintée de l’ironie du néant, guitare comme un poste de radio qui ne parvient pas à se stabiliser sur la fréquence choisie, maintenant un solo pointu comme un poignard que l’on enfonce lentement dans nos oreilles, on en oublierait qu’il y a une batterie qui marque le rythme très lent, elle nous achemine vers la fin sans que l’on s’en aperçoive, le son s’éloigne doucement à des millions de kilomètres de nous. Dead and gone : quel est ce bruit qui nous parvient de l’eau qui coule, le moteur d’un engin qui fonce, et le morceau survient, assez joyeux, au-delà des plus optimistes prévisions. La séquence est remplacée par une autre plus orthodoxiquement rock ‘n’roll et le vocal nasalisé se coule dessus, ambiance festive, sur le simple du morceau sorti au mois de septembre dernier un squelette bouteille à la main et clope au bec est assis en son cercueil apparemment tout heureux de vivre. Le morceau se termine en farandole. Bury me : ( feat Marlo Kapsa ) : rythmique pulsative, Anthony chante avec son étrange voix de basse et Marlo lui répond de son timbre clair et ajourée de girly à qui on ne le lui fait pas. Un long pont à traverser, la guitare ronronne comme un moteur de hors-bord. Maintenant chantent de conserve. Le titre est lourd mais l’ensemble est assez léger. Sharpen it : démarrage bien affûté, les guitares balancent et tirent leur bordée sans anicroche, un peu de suspension, mais c’est pour repartir encore plus vite, un vocal davantage sauvage, l’on nage en plein heavy metal, l’équipage s’escrime sur ses instruments et l’on se régale. Filochent quinze nœuds avec vent arrière, attention l’allure ralentit mais l’intensité ne faiblit pas, au plus près du vent, les embruns fouettent le visage, et l’on a l’impression de vivre pleinement.  Face down : plus doux, plus musical, ce n’est pas le slow de l’été car l’on donne un tantinet dans l’emphatique, la guitare prend ses aises et nous déroule un long solo des plus agréables, un instrumental, ne serait-ce pas la meilleure des six plages ? Some nerve : un habituel bruissement d’élytres d’insectes bloqués sur une mousseline de moustiquaire, un vocal à arracher les cornes d’antilopes à pleines dents et un riff de guitare qui fonce en avant comme s’il était poursuivi par une horde de tigres affamés, beau boulot de batterie en pressurisation et la basse qui souque ferme. Se termine trop rapidement.

    Les trois dernières pistes ( face B ) sont les meilleures. L’ensemble manque toutefois d’un peu d’imagination et de création. Au vu de la pochette l’on attend mieux.

    Damie Chad.

     

    *

    La scène se passe à Toulouse en 1971 dans la petite Librairie Demain, un repaire gauchiste, spécialisée dans les ouvrages politiques, sociologiques, et artistiques, ouvertes à tout un tas de revues underground…  

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    • Jeune fille - l’endroit était tenu par deux êtres féminins adorables – qu’en est-il de ma commande, d’il y a déjà trois semaines ?
    • Quelle commande, je ne m’en souviens pas, attends Damie, je regarde sur le cahier, non rien à ton nom…
    • C’était Le Manifeste électrique aux paupières de jupes!
    • Arrête de me faire perdre mon temps !
    • Mais si Le Manifeste électrique aux paupières de jupes, aux Editions du Soleil Noir
    • Non, mais tu es sérieux ?
    • Tu ne trouveras pas un garçon aussi sérieux que moi dans cette galaxie !
    • Arrête je n’y crois pas, tu as inventé le titre pour nous faire chercher pour rien !
    • Tiens, je prends cette revue que sur ce présentoir, Starcrewer, je t’en ai acheté un numéro, je l’ouvre, là, regarde l’annonce de la parution du Manifeste électrique aux paupières de jupes!
    • Oh ! Damie excuse-moi, nous avions pensé que tu te moquais de nous, la commande part ce soir, reconnais tout de même que le titre est un peu bizarre !

    Je vous reparlerai de Starcrewer une prochaine livraison. Pour conclure l’anecdote, quelques jours plus tard je rentrai en possession du fameux Manifeste aux paupières de jupe… Je l’ai déjà présenté dans la livraison 466 du 28 / 05 / 2020. N’en étais plus aussi enthousiaste que voici un demi-siècle. Certes à l’époque je n’avais subi ni commotion, ni révélation à sa lecture, mais c’était une des toutes premières fois que la poésie de notre pays se revendiquait d’une écriture rock ‘n’roll… Voici deux ans l’attrait de la nouveauté s’était diantrement évaporée, pour le dire en quelques mots : l’écriture m’a paru surfaite et vieillie… Toutefois je citais quelques noms qui surnageaient parmi les participants : notamment : Zéno Bianu, Michel Bulteau, Patrick Geoffroy, Matthieu Messagier.

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    Or voici que dans un entassement de bouquins, j’aperçois un livre de Zéno Bianu. Tomber sur un livre de Zéno Bianu dans une bibliothèque littéraire, n’est pas un évènement rare. Né en 1950 il doit avoir à ce jour écrit près de 80 ouvrages de poésie, une douzaine de pièces de théâtre, quelques essais, dirigé une collection de poésie, participé à moulte lectures publiques, effectué quelques mises en voix sur scènes et sur CD… Il a notamment écrit une trilogie jazz consacré à Chet Baker, John Coltrane, et  Jimi Hendrix un artiste – Baudelaire l’appellerait un phare - que l’on range généralement sous l’étiquette rock ‘n’roll. Yves Buin a préfacé le Chet Baker et le John Coltrane. Yves Buin s’est fait connaître en 1973 avec trois autres complices, Jean-Christophe Bailly, André Velter, Serge Sautreau  par la parution aux Editions 10 / 18 de De la Déception Pure, Manifeste froid. Entre parenthèses c’était plutôt un anti-manifeste, mais le mot attire et je suppose que la précédente parution du Manifeste électrique aux paupières de jupe n’est pas étrangère à l’immixtion du vocable dans le titre.

    Ces trois livres sont parus aux éditions Le Castor Astral.  Aujourd’hui Le Castor Astral publie une quarantaine de livres par années. Les amateurs de rock ‘n’ roll connaissent leur Collection Musique, Kr’tnt en a chroniqué quelques uns.  Les trois ouvrages de la trilogie jazz ne sont pas publiés dans cette collection car ce ne sont pas des études sur tel ou tel chanteur ou sur telle ou telle époque ou style musical. Je me souviens avoir rencontré les deux fondateurs de cette maison d’éditions au tout début de son existence : ils présentaient quatre ou cinq minces plaquettes de poésie ronéotypées agrafées dans une couverture cartonnée de couleur. Ils croyaient dur comme fer à la poésie et l’avenir leur a donné raison.

    JIMI HENDRIX

    ( AIMANTATION )

     ZENO BIANU

    ( Le Castor Astral / 2010 ) 

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    Il est des choses plus difficiles que d’autres. Certaines flirtent avec l’impossible. Pensons à Mallarmé et à son sonnet Hommage à Richard Wagner. Lui qui décréta que la poésie devait reprendre son bien à la musique, en vint à évoquer la partition du Maître plutôt que les fracas d’un concert. Un texte crucial pour qui veut écrire non pas sur la musique ( la triste tache que nous accomplissons en ce blogue ) mais écrire avec les mots le son de la musique. C’est d’ailleurs dans ce poème que Mallarmé s’est ironiquement occupé à enclore le vers au plus près de la réalité triviale des choses qu’il ait pu composer : Enfouissez-le moi plutôt dans une armoire.

    A croire qu’il existe une incompatibilité avec le son qui s’accomplit et le sens qui s’effrite. De haute poésie, héritière de plusieurs siècles d’harmonisations vocaliques et consonnantiques, Mallarmé parlait de haute musique, notée et mise en sa composition par écrit.

    Que la poésie françoise moderne s’en veuille rendre hommage à cette diabolique musique que l’on joue d’instinct sans savoir l’écrire ou la lire, n’est pas à la portée de tout le monde. Zéno Bianu s’y risque en ce volume. S’attaque à un tordeur, à un vrilleur de notes. Encore faut-il trouver l’art et l’or du dire. Si Mallarmé cite d’emblée en premier mot ‘’ silence’’ pour évoquer la musique, Zéno Bianu opte pour la blancheur de la page pour parler d’un noir porteur de sang rouge. Cent fois il revient à la charge, cent fois son poème d’une seule strophe de vers inégaux dessine la silhouette de Jimi. Ce n’est pas un dessin à proprement parler, une épure, une figuration plutôt, non pas d’un contour humain ( trop humain ) mais du mouvement qu’il agite et suscite, à l’intérieur de lui-même, à l’extérieur de l’espace.

    Un Jimi de solitude. Qui n’est pas seul. Un fruit est d’autant plus succulent qu’il est chargé de sucs. Ce sont ces nectars qui donnent le fruité de sa peau. Jimi le noir, Jimi le rouge, aborde la couleur bleue de ses ancêtres, ceux que la boue du delta a rendu blue. Zéno Bianu use de synesthésie, il s’emploie à colorier de ses mots noirs le blanc de la page. Jimie est arc-en-ciel. Il porte l’arc du guerrier et sa flèche crève le bleu du ciel.

    Jimi est la flèche, elle n’a pas besoin de bouger puisqu’elle est taillée dans le bois du ciel. Jimi voyage, de corps en corps, de filles en filles, il glisse de peau en peau, peut-être une fois mort entrera-t-il dans la peau d’un serpent ou d’un éléphant, à moins qu’il ne devienne végétal ou cigüe. Toute son existence fut cet unique périple, il a les notes et les mots qu’il plante et enfonce dans les raidillons et les sommets de la vie que l’on se doit d’escalader. Sans doute a-t-il choisi la voie des abysses, celle des profondeurs troubles, dans lesquelles on se baigne en riant, cris et exultations, puis l’on se laisse aller et l’on glisse vers quelque chose qui ressemble à du néant, une ampleur colorée, ouatée dans laquelle on s’immerge, et bientôt les coloris s’effacent. L’eau devient transparence, est-ce de l’eau de feu ou de l’eau de naissance ou de l’eau de mort, la question est-elle à débattre, ne se valent-elles pas toutes les trois, ne sont-elles pas la même eau de source. Comment cela se termine-t-il ? Cela ne se termine pas, Hendrix a rejoint ce point immobile, ce nadir du souffle humain et animal où toutes les contradictions se résolvent ou s’annulent…

    Ce livre de Zéno Bianu est à lire. Et à méditer. Il nous présente un Hendrix tel qu’en lui-même l’éternité ne le change pas. Qu’il en soit vivement remercié.

    Damie Chad.

     

    *

    Tiens m’étais-je dit en lisant l’article de John Jeremiah Sullivan ( voir livraison 571 du  20 / 10 / 2022) l’écrivain Paul Bowles fut donc un passionné des vieux 78 tours de blues et de country. Or de Paul Bowles lui-même je ne possédais aucune connaissance particulière hormis laquelle qu’il était… écrivain. Faudra que je me renseigne plus tard. Deux jours après j’avais totalement oublié. Deux semaines plus tard, que débarrassant une des chambres de la maison des quelques six cents livres qui s’y entassaient le nom de Paul Bowles sur la couverture d’un des bouquins que je transbahutais me saute aux yeux. Lecture immédiate.

    SUR

    GERTRUDE STEIN

    PAUL BOWLES

    ( BilingueEditions Du Rocher / Mars 2000)

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    Je n’éprouve aucune appétence particulière pour l’œuvre de Gertrude Stein aussi ne m’attarderai-je pas sur son œuvre littéraire dite d’avant-garde qui n’est pour moi qu’une resucée du réalisme… Pour ce qui concerne beaucoup plus spécialement notre blogue musical, nous noterons que le compositeur Virgil Thomson a composé deux opéras sur deux livrets écrits par notre écrivaine, à savoir Four Saints  in three Acts et The Mother of Us all.

    Le livre n’est que la retranscription de deux interviews de Paul Bowles réalisées en 1995 et 1996 par Florian Vetsch. Notons que le journaliste connaît parfaitement et le travail de Stein et l’œuvre de Paul Bowles. Dernière précision, Paul Bowles né en 1910 est décédé en 1999. 

    Paul Bowles a rencontré en 1931 Gertrude Stein à Paris où elle s’était ‘’exilée’’ pour raisons pécuniaires. Leurs relations littéraires cessèrent pour divergences idéologiques, Stein très réactionnaire s’élevant contre la politique du New Deal de Roosevelt…

    Bref ce petit livre ne nous apporte aucune précision quant à la passion de Paul Bowles pour les vieux 78 tours de blues et de country… A part que… Bowles est un tout jeune écrivain lorsqu’il rencontre Gertrude Stein. Il lui montre ses premiers poèmes qu’elle critique vivement. Gertrude avait un franc-parler qui ne plaisait pas à tout le monde. Ernest Hemingway qui lui doit beaucoup, devenu auteur renommé, en dressera un portrait peu élogieux.

    Bowles remué par les arrêts définitifs de Gertrude n’écrira plus, pendant longtemps, de poésie. Le jugement de Gertrude le conforte en une de ces certitudes intimes : jamais il ne sera un grand poëte. Pendant longtemps il abandonnera l’écriture en faveur de la… composition musicale.

    Direction YT. A peine ai-je tapé le nom de Paul Bowles que se présente à moi Music of Morocco, cela n’est point étonnant, Dès 1947 Bowles a vécu à Tanger au Maroc, il y mourra.  Bowles ne joue pas sur ce disque, il s’est contenté d’enregistrer des groupes locaux marocains. Dring ! immédiatement s’élève en moi la référence Brian Jones The pipes of Pan at Joujoukha.  Qui a en 1968 emmené Brian Jones au Maroc écouter ces musiciens ? Réponses : Brion Gysin. On ne présente plus ce peintre poëte de la Beat Generation ami de Burroughs. En quelles circonstances Brion Gysin a-t-il eu connaissance de cette musique ? En 1950 à Sidi Kacem, lors d’un festival en compagnie d’un certain Paul Bowles. Music of Morocco a été enregistré en 1959 par Bowles pour The Library of Congress, la même pour laquelle John Lomax enregistra les musiciens de Blues du Delta… La boucle est bouclée, le serpent se mord la queue…

    En tant que compositeur Paul Bowles a écrit de la musique que nous qualifierons de classique pour piano. Pour la définir sommairement nous dirons quelle s’inscrit dans la lignée de la modernité initiée par Bartok… Bartok qui a écumé la Hongrie et la Roumanie pour sauver et transcrire les airs populaires et tziganes…

    Apparemment il existe une certaine logique souterraine et signifiante en ce monde…

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 5 ( SUPER PASSIF ) :

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    Le Chef éteignit son Coronado :

             _ Agent Chad, pourriez-vous déglinguer les loupiotes des lampadaires avoisinants dans la rue, nous avons besoin d’obscurité, après quoi vous fermerez les volets, et vous tirerez rideaux et double-rideaux.

    J’obtempérai avec joie. Tout gamin j’avais pris l’habitude de briser à coups de cailloux les ampoules des réverbères, je m’empressai d’en déglinguer une bonne dizaine grâce à mon Rafalos 19. Garder son âme d’enfant malgré les vicissitudes de l’existence est important… Dans le noir je rejoignis le Chef à son bureau et déposai le bristol que j’avais retiré de la gueule de Molossa sur le bois verni… Pendant de longues minutes, nous ne vîmes rien. L’obscurité était absolue. Les chiens grognèrent sourdement :

             _ Agent Chad, je suis sûr qu’elle est là, nous n’allons pas tarder à en avoir la preuve, tenez la voici !

    Deux minuscules points rouges s’allumèrent sur le bureau, rose pâle au début et très vite incandescents.

    Le Chef alluma la lumière.

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    Le Chef allumait un Coronado :

             _ Les deux points rouges, un dans chaque œil, identiques à ceux que mon Rafalos 21 a filmés lorsque la garce s’est approchée de nous. Elle nous a laissé sa carte de visite. Un véritable défi, elle se moque de nous.

             _ Chef, pensez-vous qu’elle était dans la voiture lorsque nous revenions du cimetière ?

    _ Certain ! Nous avons affaire à une ennemie invisible qui se manifeste quand elle veut ! Une chance, les chiens la sentent et nous avertissent.

    _ Chef, Molossa et Molossito ont grogné, elle serait donc dans la pièce, et écouterait notre conversation, c’est effrayant !

             _ Inutile de paniquer Agent Chad ! Je ne sais plus quel est le grand esprit qui a déclaré ‘’ L’Homme est adossé à la mort, comme le Penseur à la cheminée’’, une sage parole, Agent Chad, où que vous soyez la mort vous suit, parfois elle vous précède même, ou alors elle marche à vos côtés comme un vieux camarade. Livrons-nous à une petite expérience. Un : j’écrase mon Coronado dans le cendrier. Deux : j’éteins la lumière. Trois : nous voyons les deux points rouge vif. Quatre : attendons un peu, ils pâlissent, voilà ils ne brillent plus. Elle est partie !

     _ Pourtant Chef, j’avais compris qu’elle était toujours-là !

    _Oui, elle est toujours là mais elle ne s’occupe pas de nous, elle se manifeste, comment dire d’une façon rapprochée, lorsque c’est nous qui la recherchons !

    _ Il est sûr, Chef que j’ai promis de lui régler son compte !

    _ Et moi Agent Chad, d’après vous pourquoi avons-nous parcouru toute la semaine dernière les allées du Père Lachaise, moi aussi j’ai un compte à régler avec elle, ne me demandez pas lequel, sachez que j’ai deux mots à lui dire entre quatre yeux !

    Le Chef ralluma la lumière et un Coronado. Sa voix devint plus grave :

             _ Elle connaît notre détermination, elle a envie de s’amuser, de jouer une partie d’échecs avec nous, aussi a-t-elle entrepris de créer un canal de communication entre elle et nous.  

    _ Et ce vecteur communicatif ce sont Molossa et Molossito !

    _ Agent Chad, vous avez tout compris !

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    Le Chef et moi avions convenu de prendre une journée de repos et de réflexion. Je roulais doucement vers Provins. Les cabotos étendus sur la banquette arrière ronfloutaient paisiblement. J’étais un peu nerveux, je ne voulais pas me l’avouer mais je ne cessai de surveiller la route dans mon rétro. Un peu de compagnie me ferait du bien pensais-je. Peut-être trouverais-je une présence humaine dans la cafétaria d’un relais d’autoroute, quelque chose me poussait à continuer… Je fredonnais I’m a lonesome fugitive de Merle Hagard, au loin, j’aperçus une silhouette sur le bord de la route. J’avais quitté la highway avant Reims et traversais une région boisée. Une jeune fille qui fait du stop, ma galanterie innée de rocker m’obligea à m’arrêter. Ses cheveux blonds ressemblaient à ceux d’Alice. Ce n’était pas Alice. Je n’eus même pas le temps de baisser la vitre. Elle ouvrit la portière et s’assit à mes côtés.

    • C’est gentil de vous arrêter Monsieur, j’habite à Savigny, c’est tout droit sur la route de Provins, vous n’aurez qu’à me laisser à l’embranchement qui mène au village.

    Jolie, mais pas bavarde. J’essayais en vain de discuter, elle répondit deux ou trois fois par des monosyllabes dépourvus de signification. Sans me regarder elle fixait la route droit devant elle. Le silence était pesant. Je me méfiais, pas trop, les chiens qui avaient levé le museau quand elle s’était installée dans la voiture, s’étaient illico replongés dans leur sommeil. Je ne crois pas qu’elle les avait remarqués.

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    Brusquement elle tendit le bras :

             _ Monsieur, cent mètres après le virage, vous pourrez me déposer au panneau Savigny, ce sera parfait.

             _ Faire un détour ne me gêne pas Madmoiselle, je peux vous laisser pile à l’adresse où vous vous rendez.

             _ C’est gentil Monsieur, je vais chez mes parents, leur maison est située à l’autre bout du village.

    Le patelin était tout en longueur, je roulais tout doucement, la chaussée était parsemée de ces passages piétons surélevés détestés par tous les conducteurs, mais bientôt il n’y eut plus que des champs. Du doigt elle désigna une habitation solitaire qui faisait face à un long mur de pierres.

    • C’est-là, juste en face de la grille du cimetière.

    Je freinai, et m’arrêtai pile devant la porte d’entrée de la maison. Elle descendit sans attendre :

             _ C’est très gentil Monsieur, mes parents seront contents que j’arrive si tôt, oh, je n’avais pas vu que vous aviez des chiens, ils sont choux et sages, merci beaucoup Monsieur, au revoir !

    Elle claqua la portière et se dirigea vers la porte d’entrée. Je démarrai. Pas causante la miss, j’aurais bien aimé dragotter un peu. Tant pis. Pour une fois, le charme invincible du rocker n’avait pas fonctionné. Avant le virage qui me ramenait sur la nationale, instinctivement je jetai un coup d’œil dans le rétro, ma passagère était en train de pousser la grille du cimetière. Cela me fit une drôle d’impression.

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    Le lendemain je retournais au local. Le Chef fumait un Coronado. J’étais assez content de moi. Je n’avais rien trouvé mais j’avais une piste.

             _ Chef, je brûle, j’ai une idée mais je ne sais pas quoi en faire. J’ai passé toute la journée et toute la nuit à écouter Black Sabbath et à lire tout ce que j’ai pu trouver sur eux dans ma bibliothèque et sur le net. Que dans la forêt de Laigue nous soyons entrés dans une fissure de l’espace-temps, je veux bien l’admettre, mais pourquoi précisément dans le manoir photographié sur la couverture de leur premier album. Pour le moment je reste bredouille, mais si à deux nous nous penchions sur la carrière du groupe, nous finirons par tomber sur un détail qui…

    Le Chef ne me laissa pas terminer. Lui aussi s’était penché sur Black Sabbath. Il avait même interrogé par téléphone l’archiviste-spécialiste du Service, le célèbre Cat Zengler, la conversation avait été passionnante, mais non aucun détail dans toute la discographie – sans parler des anecdotes et des ragots – n’apportait l’ombre d’un éclairage sur ce que nous avions vécu dans la forêt de Laigue.

    • Agent Chad, je m’aperçois que cette journée de réflexion provinoise n’a pas été fructueuse, si tant est que vous l’ayez occupé à réfléchir, je pense que selon votre déplorable habitude vous avez passé votre temps sur la banquette-arrière de votre automobile avec la première auto-stoppeuse rencontrée sur la route.

    Pour couper court à ces perfides insinuations je racontais ma si peu érotique rencontre auto-stoppière sur la route de Provins. A ma grande surprise il m’écouta avec intérêt.

             _ Agent Chad, nous partons immédiatement !

             _ Oui Chef, où ?

             _ Au cimetière de Savigny !

    A Suivre