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martin stone

  • CHRONIQUES DE POURPRE 574 : KR'TNT 574 : MARTIN STONE / INEZ & CHARLIE FOXX / IGGY POP / BEECHWOOD / JACKIE ROSS / THRUMM / LAGOON / JIMI HENDRIX + ZENO BIANU / PAUL BOWLES / ROCKAMBOLESQUES ROCKAMBOLESQUES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 574

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    10 / 11 / 2022

    MARTIN STONE / INEZ & CHARLIE FOXX

    IGGY POP / BEECHWOOD / JACKIE ROSS

    THRUMM / LAGOON

    JIMI HENDRIX + ZENO BIANU

     PAUL BOWLES / ROCKAMBOLESQUES

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 574

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http://krtnt.hautetfort.com/

     

    Stone Soul picnic

     

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             Tous les fans des Pink Fairies savent qui est Martin Stone. Ceux de Mighty Baby aussi. Ils te diront tout le bien qu’ils pensent de lui. Certains iront même jusqu’à prétendre qu’il est l’un des plus brillants guitaristes anglais. Ils le compareront très certainement à Bryn Haworth, à Dick Taylor, à Eddie Phillips ou encore à David O’List.

             Martin Stone fait partie de ces artistes qui vécurent leur pic dans les années soixante-dix et que le temps finit par emporter. Il fut l’un des fleurons de l’underground britannique. Un petit coffret paru récemment lui rend hommage : Down But Not Out In Paris And London - The Mad Dog Chronicles. L’objet n’est pas donné, mais son format carré tient bien en main, il se montre agréable au toucher, il flatte l’œil par son graphisme soigné et se divise en deux tomes : un tome biographique de 48 pages et un tome audio renfermant quatre CDs.

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             Le tome bio se révèle très pratique, car il n’existe quasiment pas de littérature sur Martin Stone, à part les quarante pages signées Richard Morton Jack dans Flashback, dont on va reparler tout à l’heure. Ce n’est pas à proprement parler une biographie, mais comme l’indique le titre, un ensemble de chroniques. Les gens qui ont joué avec Martin Stone et qu’on retrouve pour la plupart dans le tome audio témoignent de leur amitié et de leur admiration pour lui.

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             Dans sa poignante introduction, Nigel Cross évoque l’époque où Boss Goodman a invité Martin Stone à rejoindre les Pink Fairies et ce sont eux qui ont surnommé Stone ‘Mad Dog’.  C’est ce line-up éphémère des Fairies qui enregistre «Between The Lines» pour Stiff. Grâce à Larry Wallis, Nigel Cross finit par rencontrer Stone qu’il pistait en vain depuis des années. Stone dealait des livres anciens, mais il continuait à jouer de l’autre côté de la Manche dans des groupes que Cross énumère : The Tallahassie Rent Boys, Almost Presley, The Gibson Girls, les Amuse Girls, René Miller’s Swine-Hearted Fools, Totally Hank, the OT’s, les Soucoupes Violentes et  à Londres, «the young Brit psychedelic rockers» Wolf People. Côté influences, Cross ramène les noms de trois King, BB, Freddie et Albert, mais aussi Hubert Sumlin, Buddy Guy, et puis des blancs comme Clarence White et Jeff Beck - Particularly his tribute to Les Paul with Imelda May - Lynn, qui est l’ancienne girlfriend de Stone, ajoute les noms de Danny Gatton, Richard Thompson, Stevie Ray Vaughan et Jimmy Page. Et bien sûr, Django Reinhardt.

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             Roger Powell, qui fut beurreman de The Action et de Mighty Baby, est le premier à témoigner. Powell rappelle que Stone jouait dans Savoy Brown et qu’en rejoignant the Action, il ne s’est pas contenté de jouer de la guitare, puisqu’il amenait aussi «Gurdjieff, Ouspensky, Bennet and many more». Stone surnomme Powell ‘Elvin’, en hommage à Elvin Jones - which was a tremendous compliment - Hommage spectaculaire aussi de Nick Lowe : «Martin Stone was a dandy. Everything about him, from the way he looked spoke and dressed to his guitar style and familiarity  with the highways ans byways of the world of antiquarian books was shot through with a thread of apparently efforless elan.» Ce qui peut vouloir dire : «Il n’a jamais semblé produire aucun effort, que ce soit dans sa façon de s’exprimer ou de s’habiller, et dans son jeu de guitare ou encore sa pratique de spécialiste du livre ancien. Tout en lui n’était qu’élan naturel.» Russell Hunter, dernier survivant des Fairies, se fend lui aussi d’un petit hommage : il évoque cette fameuse tournée des Fairies en Écosse. Ils roulent dans les parages du Loch Ness et soudain Stone reconnaît le coin : «Jimmy Page vit par ici !». C’est bien sûr Boleskine House, l’ancienne demeure d’Aleister Crowley. Bon on connaît la suite de l’histoire. Tu la trouveras dans les Cent Contes Rock. Russell Hunter rend bien sûr hommage à l’homme qu’il a pourtant peu connu et au guitariste - a truly effortlessly tasteful player - music just flowed through him.  

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             Ses amis parisiens évoquent un Stone errant dans les bars de Ménilmontant et de Belleville, un Stone désargenté - black beret and a lack of teeth - Glamourous, seedy, broke and fantastic, chante Clay Harper - That’s the song, c’est-à-dire «Martin», la chanson qu’il a composée en hommage à Stone. Clay Harper ajoute que Stone était «involved in the low side of life, but familiar with the high side». Wreckless Eric raconte lui aussi ses souvenirs de Stone - Mighty Baby, a band who were more underground than the underground - C’est bien vu. Il voit Stone pour la première fois en 1973 dans Chilli Willy, a strange country rock phenomenon - Martin was the Tibetan-hatted hippy on the far end of the line - C’est lui le Wreckless qui vole le show avec ses souvenirs extraordinairement bien écrits : «Martin had very few teeth and didn’t smile as radiate warmth and kindness, like a psychedelic re-modelling of Wurzel Gummidge», Wurzel Gummidge étant un vieil épouvantail de fiction, héros des vieux romans de Barbara Todd. Of course, le Wreckless propose à Stone de venir jouer avec lui : «Il est venu chez moi à la campagne. Il apportait a black Harmony Silvertone single pickup electric guitar and a Gibson lap-steel. Le bibliophile californien qui lui avait vendu ces instruments avait travaillé pour Brian Wilson. Il y avait encore du sable dans les étuis. Martin s’est branché, il n’utilisait pas de mediator, juste les doigts in the manner of the early electric bluesmen. He sounded like Hubert Sumlin.» Le Wreckless rapporte aussi l’anecdote de cette rencontre à Hyde Park entre Chris Hillman et Stone, un Hillman qui dit à Stone : «Hey man I know your face!», et Stone qui répond au Byrd : «Er yes, I was in a band called Mighty Baby. We played with you at Middle Earth.» Dans son élan, le Wreckless continue : «A friend of Jimmy Page and one of the most demented rhythm n blues and country pickers this world may ever know.» Stone dit aussi au Wreckless qu’il s’est fait virer de Savoy Brown parce qu’il prenait de l’acide. Stone joue en effet sur le premier album de Savoy Brown. C’est avec le Wreckless que Stone monte The Tallahassee Rent Boys.

             C’est Ina Weber qui apporte des compléments d’information sur le lap steel qui avait appartenu à Brian Wilson : Stone l’appelle The bench et le mec qui le lui a vendu l’a emmené un jour dans un entrepôt de stockage rempli d’instruments abandonnés, lui proposant de choisir celui qu’il voulait. Simeon Gallu a monté les Gibson Girls avec Stone. Il dit avoir eu des tas de choses en commun avec Stone : «Our shared enthusiasms went beyond music to include literature, weird cults, art, clothes, underground comics, substance abuse & its consequences and more.» Stone et Gallu montent un répertoire de covers : Furry Lewis, Stanley Brothers, Bo Carter, Conway Twitty, Brother Joe May - what has now become a genre marketed as Americana - Quant à Michael Moorcock, il se souvient d’avoir toujours connu Stone, depuis le temps de Portobello et d’Hawkwind - We were hippy princes, full of optimism, strutting our stuff.     

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             Si tu demandes à Nigel Cross pourquoi on ne trouve ni Chilli Willi ni Mighty Baby dans le tome audio, il te répondra que tout cela est déjà bien documenté ailleurs. Il a donc préféré compiler des choses plus confidentielles, souvent enregistrées sur des cassettes, et à l’inverse de ce que font généralement les concepteurs de coffrets, il est resté assez parcimonieux. Il n’empêche qu’on se régale de tous ces épisodes encore plus underground que l’underground. Sur le disk 1, Stone joue avec René Miller dans Almost Presley, un groupe de swing avec Piotr Urbanik au violon tzigane et Fabrice Lombardo à la stand-up. C’est enregistré dans un centre culturel parisien en 1992, ils jouent du fast swing et vont vite en besogne, le «Jeanne d’Arc» flirte avec la pompe manouche. Dans le «Love In Vain» de Robert Johnson, Stone passe un solo d’une extrême finesse. C’est encore lui qui vole le show dans «Little Girl Blues», un heavy stripped-down blues que chante l’excellent René Miller. Ils restent en full blown extravaganza pour un hommage à Bo («Book By The Cover») et passent en mode Europe de l’Est avec le violon tzigane de Piotr dans «Do The Dance». Ils ne jurent que par le big day tout, Stone est dans le son, son cœur balance entre le jazz et la java. Ils terminent avec deux covers somptueuses : le «Leavee Breaks» de Memphis Minnie et le «Black Train» de Jeffrey Lee Pierce. René est hanté par le morning on the black train, alors forcément, ça devient vite mythique. Sur le disk 2, on a plusieurs groupes, à commencer par les Tallahassee Rent Boys avec le Wreckless et une belle cover d’«Hey Gyp». Que de son, my son, ils claquent le buy you a Chevrolet au heavy sound - Just gimme some of your love boy - Puis on a les Totally Frank avec un choix de reprises superbes, comme le fast country de «Transfusion», ça tourbillonne, avec derrière le beat rockab de Fabrice Fabuleux, le stand-up man. On tombe ensuite sur trois cuts enregistrés chez Pete Thomas en Angleterre et ce n’est pas le même son. Pop d’excellence avec «Telephone Kisses». Les Anglais savent coaxer les éléments. Ils passent au violent boogie avec «Headed For The Graveyard», c’est le stash de Stone, il claque son heavy sludge. Le disk 3 est certainement le plus intéressant car on y trouve les collaborations avec Matt Deighton, le mec de Mother Earth. Ils attaquent avec «A Blaze Of Light», un fabuleux groove de guitares suaves. Comme Deighton est un fan de Mighty Baby, ils tapent ensuite une cover d’«A Jug Of Love». Fantastique ambiance, c’est la fête au village, les guitares sont de la partie. On a même une reformation de Mighty Baby avec Roger Powell et Mike Evans pour l’«India» de John Coltrane. C’est une jam informelle, ça jazze dans la java, ils jouent à la clé des champs. Puis on retrouve Stone avec les Wolf People dans «Star Shell», un slab de fast country. Stone y claque des éclairs de génie sur sa slide. Et puis voilà le disk 4 qui s’ouvre sur les OTs avec l’ancien chanteur de Savoy Brown, Chris Youlden. Ils tapent une cover du mythique «Evil», signé Big Dix pour Wolf. Youlden chante toujours aussi bien, il tape son «Checking My Email» à la bouche pleine de groove, à la manière de Georgie Fame, on the edge of the frame et Stone claque l’un de ces solos de rêve dont il a le secret. Ils finissent avec le fabuleux «Sugar Coated Love» de Lazy Lester, c’est atrocement bon, ce démon de Youlden qui fut le croque-mort de Savoy Brown (voir la pochette d’A Step Further) chante comme un dieu ou comme un démon, ce qui revient au même. On passe ensuite à la période Soucoupes Violentes avec Stéphane Guichard. Reprise de Bashung («Madame Rêve»), puis un hommage à Johnny Thunders («Johnny Tonnerre») et toute cette belle aventure se termine avec le «Martin» de Clay Harper & The Pierced Hearts.

             Comme chacun sait, Mighty Baby est la suite de The Action, le Mod band le plus sharp de l’âge d’or, avec Reg King (chant), Roger Powell (beurre), Mike Evans (bass) et Alan Bam King (guitar). Le multi-instrumentiste Ian Whiteman les rejoint, et c’est en 1967 que le groupe commence à battre de l’aile. Reggie King boit comme un trou. Quand Whiteman quitte le groupe à cause des errances de Reggie, ils embauchent un certain Martin Stone qui joue à cette époque dans Savoy Brown - Oooh he’s pretty good ! - Stone est alors saturé de blues, il préfère Richard Thompson, Steve Howe et Peter Green. The Action finit par splitter avant de se reformer un peu plus tard... sans Reg. C’est là que Whiteman est invité à revenir.

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             Whiteman s’aperçoit rapidement que les choses ont changé dans le groupe. Le van du groupe est devenu une bibliothèque ambulante. Stone brandit The Bhagavad Gita d’une main et sa Les Paul de l’autre. Les étagères du van sont bourrées de textes religieux, de classiques philosophiques, de textes occultes et de précis d’histoire ancienne. Roger Powel peint un OM symbol sur sa grosse caisse. Stone rencontre John Curd, l’ancien roadie de The Action. Curd loue des vans, il passe son temps à monter des coups et à manipuler des grosses liasses de billets. Il propose à Stone d’enregistrer sur son label, Head Records, à condition que le groupe change de nom. Ils demandent un coup de main à Pete Brown qui fournit une liste de 200 noms, mais aucun ne convient. C’est Curd qui propose Mighty Baby, clin d’œil à Grateful Dead et à Soft Machine par l’association de mots contraires. Mighty Baby démarre en 1969.

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             Dans un vieux Flashback, Richard Morton Jack donne tous les détails de la mutation opérée par Martin Stone dans The Action. C’est lui qui amène la littérature et les drogues. Bam King revoit Stone comme un «deep thinker and a voracious reader, constamment en quête de la pierre philosophale», quant à Mike Evans, il décrit l’évolution du son comme «a case of the working-class rhythm section meets the middle-class virtuoso section.» À l’époque du squat de Lots Road, Stone écoute Quicksilver, Nashville Skyline (a revelation), Mad River, Kaleidoscope, Spirit and the Nazz, American Beauty, plus des Anglais comme Family, Cream, Small Faces, Blossom Toes et the Fairpots. Ronnie Lane vient leur rende visite, mais les Action sont tellement fauchés qu’ils ne peuvent même pas lui offrir le thé. Ils perdent à la même époque leur producteur George Martin et leur chanteur Reg King. Ils rament pour trouver un management et un contrat. C’est alors qu’ils décident de changer de nom. Stone propose Azoth, le nom alchimique du mercure. Bof...

             Stone raconte aussi qu’il a rencontré Brian Jones en 1969 à Londres, au Bag O’Nails et qu’ils ont sympathisé en causant blues. Quand Brian Jones a quitté les Stones, il a proposé un job de guitariste à Stone qui bien sûr a accepté. Il est allé chez lui à la campagne pour jammer une ou deux fois avec des gens dont il a oublié les noms et puis Brian est mort. Stone dit qu’il avait une bande de ces sessions et qu’il l’a perdue. 

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             Les Mighty Baby entrent en studio avec Guy Stevens. Ça commence mal. Quand Stevens voit Whiteman se pointer avec une flûte, il lui dit : «What’s that ? I don’t do flutes !», mais à part ça, tout va bien. Stone : «Guy was well weird, a confirmed amphetamine freak and a massive dictator.» L’album est bouclé en deux jours. C’est un must-have, car Stone y fait des miracles. Ça démarre avec «Egyptian Tomb», un cut qu’on croit joué par les Byrds, tellement c’est bien foutu, à la fois psyché et égyptien, avec les descentes d’acide de Stone. C’est très joué au sens des dés qu’on jette, avec un everlasting Stone, oh oh oh. Il reprend son envol avec «A Friend You Know But Never See». Bien sûr, les cuts ne sont pas des hits, mais on dresse l’oreille. Les Mighty Baby sont dans un son très californien, très pur, avec des voix très pointues et les attaques de Stone valent bien celles de John Cipollina, il est assez effervescent, en fait, c’est lui qu’on écoute, il mène le bal de bout en bout, il est l’un des très grands guitaristes anglais. Ils sont dans un son californien, ce qui étonne de la part d’anciens Mods. Avec «I’ve Been Down So Long», ils font une belle purée psychédélique. Stone prend «Same Way From The Sun» en enfilade, il joue comme un guerrier apache, il traque sans répit. Il est encore plus féroce que Geronimo. Il vole le show. On le retrouve en forme dans «House Without Window», une heavy romantica de gras double, il est derrière, il joue à n’en plus finir. Il gonfle bien l’étendard du cut, c’est un jerkeur de grosses veines, il est éperdu et ça devient aussi beau que le «Morning Dew» ou le «Season Of The Witch» des Super Sessions, il joue à la folie Méricourt, elle court elle court la banlieue, avec des échos du «Cowboy Movie» de Croz dans le flux du flow.

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             Martin Sharp signe la pochette. On lui doit aussi celle de Disraeli Gears. Jim Irvin dit que cet album est l’un des «great lost albums of the period, a facet of the shape-shifting, dawn-of-progs dynamics qu’on retrouve chez Traffic et Family». Mais le destin s’acharne sur Mighty Baby : Curd est arrêté pour trafic de marijuana. Les Mighty Baby n’ont pas un rond, alors ils squattent, comme d’ailleurs Family. Curieux hasard, ils squattent dans la même rue, à Lots Road, Chelsea.

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             C’est à cette époque que le destin de Martin Stone bascule dans le soufisme. Un spécialiste de Gurdjieff nommé Ian Dallas le contacte et l’invite à venir papoter chez lui à Chelsea, puis à passer un week-end dans sa maison du Devon. Dallas lui explique que les racines de la pensée de Gurdjieff sont dans le soufisme, une très ancienne branche mystique de l’Islam. Une semaine plus tard, Stone est au Maroc pour rencontrer the Shaykh of Habibiyya qui le baptise Abdul Malik. Stone renonce alors à tout, à commencer par l’alcool et les drogues. Au début, Stone n’en parle pas aux autres, mais il est vite surpris en train de prier. Le premier à suivre Stone au Maroc pour se convertir sera le batteur Alan Powell. Du coup Powell joue beaucoup mieux. Stone monte sur scène en djellaba, coiffé d’un turban de soie couleur or et maquillé de khôl. Quand Stone et Powell rentrent de leur séjour au Maroc, ils sont tellement intenses qu’ils foutent la trouille aux autres. Puis Ian Whiteman et Mike Evans se convertissent à leur tour au soufisme. Bam King se retrouve complètement isolé dans le groupe : «Je connaissais Mike et Roger depuis qu’on était gosses et en quelques semaines, ils ont complètement changé leur façon de voir la vie et la musique, ils ont même changé de nom.» Bam King reconnaît qu’il n’est pas très attiré par les religions.

             Stone ne fréquente apparemment que des gens bien. Après Brian Jones, voilà Phil May qui lui propose de se joindre aux Pretty Things. C’est juste après Parachute. Mais au fond, Stone préfère rester loyal à Mighty Baby. Le groupe s’est forgé une solide réputation, ils ont abandonné leurs rêves de gloire et d’argent pour une authentique démarche musicale. Bam King : «Il y a quelques années, on rêvait de devenir des rock stars. L’aspect visuel était important. Maintenant c’est la musique qui est importante and not the crap that goes with it.» Quand ils tournent en Angleterre, ils n’ont pas les moyens de se payer l’hôtel, alors ils rentrent à Londres après chaque concert. Ian Whiteman : «We often had to deal with roadies falling asleep at the wheel.» Whiteman se souvient aussi du temps où il allait faire des sessions à l’Olympic Studio : il descendait du bus avec ses instruments «and all I could see was these Ferraris, Porsches and Aston Martins out front» - L’Olympic grouillait de rock stars : George Harrison, Clapton, Stevie Winwood - And it was just incredebly boring.

             Et le destin s’acharne sur Mighty Baby. Curd en prend pour trois piges. Le groupe n’a plus de contrat, plus de van et plus d’équipement. On leur a tout sucré. C’est un vieux copain de Stone, Mike Vernon, qui vole au secours de Mighty Baby. Vernon leur propose un deal sur Blue Horizon. À ce moment-là, le groupe est devenu «un mini-cult, with Marin as our ideological leader», dit Whiteman. Powel confirme : «Au moment d’A Jug Of Love, we were more into calm and personal reflection than banging out tunes at top volume.» Ils sont passés au non-drug taking way - «The Happiest Man In The Carnival» is pure Gurdjieff.

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             On retrouve l’effervescence de Stone sur A Jug Of Love. Dès le morceau titre d’ouverture de balda, Stone se met en embuscade, alors que Whiteman chante avec Bam King. Ils sont assez pénibles, tous les deux. Si Stone n’était pas là, il ne se passerait rien. Il brode à n’en plus finir sur «The Happiest Man In The Carnival». Il a raison, car c’est tout ce qu’il lui reste à faire. Il enveloppe «Keep On Jugging» au wild bluegrass local, il fonce dans l’enfer du son, il se plie à toutes les disciplines et joue sous le boisseau de Bam King. En B, on le voit encore faire tout le boulot avec «Trashing The Life», il joue en continu, avec une énergie du son et une inventivité à toute épreuve, honey babe, il est partout, il joue dans tous les coins, il est d’une volubilité sans nom. Puis il gratte une mandoline sur «Slipstreams». Il multiplie les exploits de gratté de poux, sa main tremble magnifiquement, on pense aux gondoles à Venise. Vas-y Stone ! En matière de psyché bavard, il est le real deal. Du coup ça devient un Sufi album. Non seulement le titre est une métaphore soufiste pour l’amour divin, mais Dallas est dans le studio pour rappeler qu’il est l’heure de prier. Alors tout le monde s’arrête pour prier. Pendant le temps de la prière, Vernon et Bam King vont boire un coup au pub. La photo de pochette illustre bien le côté austère du groupe.

             Mais l’album ne marche pas, dans la presse, on les qualifie de mighty boring. Vernon n’aime pas l’album. Il trouve que ça manque de guts. Les Mighty Baby supportent de moins en moins la pression des tournées. Stone : «It became impossible to reconcile the Muslim thing and rock’n’roll.» On ne peut pas être un Derviche et jouer dans un groupe de rock. The Newcastle Brown et le tapis de prière ne font pas bon ménage. Fin 1971, le groupe se disloque.

             Stone finit par quitter l’Islam et refait surface un an plus tard dans Chilli Willi & The Red Hot Peppers. Alan Bam King forme Ace et connaît le succès avec «How Long». Curieusement, Powell, Whiteman et Stone vont consacrer leurs vies respectives au livre : Powell en tant que relieur, Whiteman en tant que calligraphe et Stone en tant qu’expert en livres anciens.

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             C’est l’occasion ou jamais de ressortir de l’étagère les albums de Chilli Willi & The Red Hot Peppers. Le premier date de 1972 et s’appelle Kings Of The Robot Rhythm. C’est un album de pure Americana. On croit entendre des experts. «Window Pane» est un petit blues de fake Americana plein d’esprit, plein de souffle, bien violonné. Ces mecs surjouent leur London Americana dans un fauteuil. Mais ça ne pouvait pas marcher à Londres : trop exotique. Roogalator a connu le même problème. Démarche trop pure. On s’ennuie un peu. On se croirait au saloon. Le sul cut qui échappe au laminoir de l’Americana est le dernier, «A Page In History».

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             Par contre, on trouve une merveille sur le deuxième album, Bongos Over Balham : «Desert Island Woman». Voilà enfin le big western swing de Stone. Il faut avoir entendu ça pour comprendre à quel point Stone est un génie furibard, il part en petites vrilles mirifiques au milieu des harmonies vocales, il joue en stand-by comme au temps de Mighty Baby, il attend son heure, mais il reste dans le jeu et, bien sûr, lorsque l’heure arrive, il part en vrille délibérée, il déclenche une petite attaque de notes perverses qui remontent le courant du groove comme des spermatozoïdes, on a probablement ici l’un des plus beaux solos du siècle dernier, ce mec navigue à la note lumineuse, comme Peter Green, il joue au clair de la lune avec la véracité de l’ami Pierrot, wow, il y va, comme Carlos Santana et d’autres guitaristes capables de tenir la braise en alerte rouge. Avec «Breath A Little», Stone et ses Peppers passent au swing manouche drivé à la Grappelli. Stone fait encore un festival sur «Jungle Song», il court, il court le furet. Stone joue son country-rock ventre à terre. Stone, c’est Conan. Sa façon de jouer en embuscade renvoie aux franc-tireurs du Capitaine Conan, qui au soir de sa vie, lance à Norbert : «Ta guerre on l’a gagnée ! Ton armée l’a faite !».

    Signé : Cazengler, Store (baissé)

    Martin Stone. Down But Not Out In Paris And London. The Mad Dog Chronicles. Mad Dog Box 01 2020

    Mighty Baby. Mighty Baby. Head 1969

    Mighty Baby. A Jug Of Love. Blue Horizon 1971

    Chilli Willi And The Red Hot Peppers. Kings Of The Robot Rhythm. Revelation Enterprise 1972

    Chilli Willi And The Red Hot Peppers. Bongos Over Balham. Mooncrest 1974

    Jim Irving : Mystic Mods. Mojo # 343 - June 2022

    Richard Morton Jack. Mighty Baby. From Mods To Mecca. Flashback # 3 - Spring 2016

     

     

    Inez & Charlie Foxx

     

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             Dans les early sixties, Inez & Charlie Foxx travaillaient sur le même créneau qu’Ike & Tina Turner : the black beauty thing un peu wild, elle devant tous appâts en promo, et lui derrière, pompadouré, sec comme un olivier et à la gratte de poux, mais pas la petite gratte du coin de la rue, vois-tu, la grosse gratte délinquante, la vraie. Charlie a cassé sa pipe en bois voici belle lurette, et Inez vient tout juste de casser la sienne, aussi allons-nous saluer l’envol de son âme vers la voie lactée. Notons au passage que cet envol ne fut salué nulle part, hormis par un entrefilet, dans les pages d’Orbituary de Record Collector. À ce niveau de négligence, il ne s’agit plus d’un problème de mémoire courte, mais plus d’une forme d’incurie. Nos amis les nouveaux journalistes de rock anglais ne savent peut-être pas qui fut Inez Foxx.

             Il n’existe pas à proprement parler de littérature sur Inez & Charlie Foxx, aussi allons-nous passer au régime sec et nous contenter d’écouter quelques albums. Wiki apporte quelques infos qui comme d’habitude restent tragiquement en surface. On vit désormais dans ce monde de superficialité.

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             Un album sans titre du Foxxy couple paraît en 1966. On sent tout de suite une belle veine inspiratoire, surtout dans «My Moma Told Me», monté sur le beat de «Memphis Tennessee». C’est joué avec tout le pesant du ponant. Charlie monte au créneau le premier pour «I Fancy You», un cut petitement dansant. Et soudain, ça explose avec «Hurt By Love», encore monté sur un Memphis beat alerte et volubile. Ah ils savent jerker la paillasse d’un juke ! Charlie reste en retrait pour ponctuer le beat avec tact. Même les balladifs comme «Don’t Do It No More» envoûtent. Ils collent au papier. «La De Da I Love You» sonne exactement comme un hit des Supremes, sauf qu’Inez et Charlie se l’approprient en le poppisant. Quand on écoute «Ask Me», on comprend qu’Inez est une épouvantable allumeuse. En B, ils reviennent à leur fonds de commerce, c’est-à-dire le bon beat portoricain, avec «Mulberry Bush». Voilà un rock d’exotica très coloré, très vivant, à l’image des marchés de la péninsule. Charlie sait aussi faire du Cole Porter, comme on peut le constater à l’écoute d’«I Wanna See My Baby». Finalement, ce mec est assez marrant, car très diversifié. Inez chante «Hi Diddle Diddle» avec une belle hargne. Elle peut se montrer féroce et gagner ainsi toute notre sympathie. Et puis, l’album se termine sur «He’s The One You Love», qui sonne comme une terrible résurgence des anciens démons de la jungle.

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             Bel album que ce Come By Here paru l’année suivante. Ça chauffe dès l’ouverture du balda avec le morceau titre, «Come By Here», un groove créole magnifiquement chanté du bout des lèvres. Quel swing de magie pure ! Inez monte vite dans les galons et s’en va exploser là-haut comme une Soul Sister de choc. C’est terriblement bien foutu. On tombe plus loin sur un «Tightrope» surprenant, car monté sur un petit riff de basse nerveux comme un lapin échappé du clapier. On a une bassline typique de Wilson Pickett et Inez s’en va une fois de plus éclater la voûte du Sénégal. Elle montre quelle peut encore grimper très haut sur la montagne dans «No Stranger To Love», le balladif qui suit. En B, Charlie rejoint Inez au chant dans «Undecided» et ça donne une pièce de Soul têtue, bourrue et distinguée comme la verrue d’un petit marquis. Pur génie ! Charlie fait les voix calmes et Inez shoute comme une malheureuse. C’est Ike & Tina en plus exotique. S’ensuit «Never Love A Robin», un r’n’b haut de gamme chanté à deux voix swinguantes. Ils finissent cet album extra-ordinaire avec «I Love You 1000 Times», pur jus de good time music. C’est pas compliqué, Inez a le même punch que cette rosse de Diana Ross.

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             En 1973, Inez Foxx se lance dans une carrière solo et enregistre At Memphis And More chez Stax. Pour la pochette, elle se déguise en reine de Nubie et porte un diadème de perles. Le conseil qu’on pourrait donner serait de mettre le grappin sur la réédition Stax de 1990, car les bonus valent le détour, notamment «He Ain’t All Good But He Ain’t All Bad». Inez y travaille sa Soul dans la matière du froti-frotah et c’est assez exceptionnel. Elle ramène ensuite tout le chien de sa petite chienne dans «One Woman’s Man» et passe au big Stax Sound avec «Watch The Dog», une pure merveille de r’n’b menée avec la meilleure des niaques. Wow ! Mais sur l’album proprement dit, d’autre jolies choses guettent l’amateur impavide, à commencer par «Crossing Over The Bridge», un solide groove de Foxxy Lady, suprêmement bien chanté. Dans l’esprit, elle frise l’Aretha. Elle se rapproche encore d’Aretha avec «I Had A Talk With My Man». Oh elle sait taper un slowah, pas de problème ! Avec «You’re Saving Me For A Rainy Day», on réalise qu’on est sur une très bel album. On assiste avec ce cut à un fantastique développement de la Soul, elle y fait un sacré numéro et gueule à pleine voix. Elle atteint des sommets. Inez est une panthère de la Soul, elle la dévore toute crue. Elle en connaît toutes les ficelles, comme Aretha, bon c’est vrai, elle gère son business avec moins de moyens, mais quelle niaque ! «The Lady The Doctor & The Prescription» sonne aussi comme un hit Stax - I wanna thank you darling -  et tout explose avec «Mousa Muse». Un mec l’interviewe, Miz Foxx et elle répond de l’intérieur. Elle cite Charlie Foxx - Oh yeah I remember Mockingbird - Le mec lui demande s’il elle veut bien donner un conseil - If you have it, put it on a strong foundation and do it - Thank you Miz Foxx.

    Signé : Cazengler, Foxy Radis (You’ve got to be all mine, all mine)

    Inez Foxx. Disparue le 25 août 2022

    Inez & Charlie Foxx. Inez & Charlie Foxx. Sue Records 1966

    Inez & Charlie Foxx. Come By Here. America Records 1967

    Inez Foxx. At Memphis And More. Stax 1990

     

     

    Wizards & True Stars

    - Pop Art (Part Two)

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             C’est à Iggy Pop que revient l’insigne honneur d’inaugurer un nouveau chapitre des Chroniques de Pourpre, ‘Wizards & True Stars’, un titre emprunté comme chacun sait à Todd Rundgren. On vénère Iggy Pop, pas seulement pour son aura stoogienne, mais parce qu’il est l’artiste complet par excellence. En plus d’une discographie qu’il faut bien qualifier de richissime, il propose une filmographie assez complète. Ce serait une grave erreur que de la prendre à la légère, car cet artiste superbe y dévoile des aspects insoupçonnables, notamment sa passion pour la littérature. Rester Vivant - Méthode est là pour en témoigner. Ce film nous monte un Mister Pop épris de littérature contemporaine, et pas n’importe laquelle, puisqu’il nous lit de sa voix d’Iguane les pages d’un autre monstre sacré, Michel Houellebecq. C’est un film qui pourrait ressembler à du bricolage, ou que les mauvaises langues pourraient qualifier de «coup de pub» et pourtant, quel cocktail ! Houellebecq/Pop, que peut-on espérer de mieux ? Mister Pop donne corps à la noire mélancolie d’Houellebecq, il donne à cette profonde désespérance une profondeur irréelle. Si Iggy s’attache à ce texte c’est, dit-il, parce qu’il y a reconnu sa propre histoire. Les trois mecs qui ont tourné le film ramènent d’autres esquintés de l’existence dans cette non-histoire, une petite grosse qui écrit des poèmes et qui a tenté de se foutre en l’air très jeune (Anne Claire Bourdin), un Robert Combas célèbre et bien torturé, et puis un mec qui a passé quelques années au trou, dans un asile de fous, et qui visiblement écrit aussi (Jérôme Tessier). Mais c’est Houellebecq qui nous intéresse, Houellebecq et son apologie de la souffrance, relayée en anglais par le deepey deep d’Iggy - All suffering is good/ All suffering is a universe - En gros, Houellebecq prêche la souffrance comme préalable indispensable à l’acte poétique et, comme cerise sur le gâtö, on a le regard d’Iggy, brillant de brillance, ce regard en forme d’instantané de l’intelligence supérieure - Emotion breaks the chaîne causale - On se perd entre l’Anglais et la forme parfaite des textes d’Houellebecq - Apprendre à devenir poète, c’est désapprendre à vivre - Mais, insiste-t-il, il faut rester vivant, car un poète mort n’écrit pas. Parfois, il y va un peu fort, on trouve qu’il exagère un peu et puis tout compte fait, ses phrases produisent du sens, pas toujours immédiat, comme dans le cas de Nietzsche ou de Georges Perros, mais elles finissent par éveiller l’attention, d’une manière très particulière, cette manière qui fait aussi la grandeur du romancier, lorsqu’il tisse un fil narratif d’une finesse et d’une justesse qu’il faut bien qualifier de sidérantes, dans une époque en panne de sidération. Et puis on finit par le voir apparaître dans le cadre de la caméra, l’Houellebecq, avec le parfait visage d’un décadent du XIXe, le regard chargé d’ennui, à la limite de l’inexpression, il parle assis sur un canapé définitivement défraîchi, il y a du Wilde et du Proust en lui, et il nous présente tranquillement sa vision des choses : «Deux catégories d’artistes, les révolutionnaires et les décorateurs.» Il se considère bien sûr comme un décorateur conservateur, puisque, dit-il, rien n’a changé dans cette maison, celle de ses grand-parents qu’il occupe aujourd’hui. «Mais j’existe, quoi ! Les gens pas originaux n’existent pas, c’est tout. Il y a un support à mon existence, une personnalité, comme on dit.» En écho à cette profession de foi, Iggy pose une question : «How many people in the world have an identity ?» C’est d’une résonance spectaculaire ! Et il lit tout un passage sur la déroute du monde des vivants : «Creusez les sujets dont personne ne veut entendre parler. The other side of the scenery. Insist about sickness, agony, uglyness, speak of death and oblivion, de la jalousie, de l’indifférence, de la frustration, of the absence of loooove.» Le O de Love résonne dans la voix du Stooge.

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    Pour finir le film en beauté, l’Iggy claudiquant débarque chez Houellebeq. Il entre dans le salon et observe le papier à fleurs. Il dit : «Michigan !». Le décor lui rappelle le Michigan, où il a grandi ! Rien n’a changé depuis les années 50. Houellebecq lui sert un verre de cognac. Ils discutent. Houellebecq lui dit qu’il est plus intéressant que le punk qui est un mouvement, car il est un individu. Pour lui, le rock est une affaire d’individus. C’est sa théorie. Think about it. Puis il emmène Iggy à la cave pour lui montrer l’invention sur laquelle il travaille en secret et dont nous ne saurons rien. On les retrouve un peu plus tard assis tous les deux dans le canapé définitivement défraîchi. Ils ne parlent pas. Voilà nos deux héros plongés dans le silence. Plan fantastique. Environ une minute. Rien d’autre que ces deux regards plongés dans le néant. La vie est ainsi faite. Houellebecq ne fera jamais aucun effort. Iggy non plus.

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             Et puis on a deux films qui marchent ensemble, American Valhalla et Post Pop Depression Live At The Royal Albert Hall. Ils sont sortis tous les deux sur DVD donc facilement accessibles. Il est nécessaire de voir en premier le Valhalla, car c’est un docu qui raconte la genèse du projet imaginé par Iggy. Il faut simplement passer le cap d’une petite aversion pour les premiers plans : ils mettent en scène un Josh Homme qui se prend pour un écrivain. On le voit lire son journal intime et philosopher sur le temps qui passe et ça ne passe pas. Pourquoi ? Parce qu’il battait dans les Eagles Of Death Métal le soir des attentats et ces mecs là on fait du biz sur le Bataclan, alors laisse tomber. Bon bref, il faut supporter ce gros narcisse un petit moment avant de retrouver Iggy. On est là pour lui, bien entendu, par pour l’Homme. Et dès qu’Iggy arrive à l’écran ça change tout. À la différence de l’Homme, Iggy n’est pas obligé de se balader en moto dans le désert, d’exhiber des tatouages sur les doigts et de porter un perfecto. Iggy est auto-suffisant, real wild child, natural rock’n’roll animal, il a toujours sa gueule d’early stoned Stooge, sa gueule de kiddie boy du Michigan, c’est incroyable comme son profil a pu rester pur, même tignasse, même look punk. Il nous fait un récit à l’image d’une vie de Stooge - Quand j’ai quitté l’école, I was all over the place, je pouvais être en prison, in a car crash, on stage, I might trash somebody’s place, trash somebody’s life - Puis il raconte que ça a redémarré à 60 balais avec the Stoogeeeesss and the old stuff. Il raconte son histoire avec ses mots et ça vaut tout l’or du Rhin entre tes reins, et puis il enchaîne avec son besoin de softer things, after years of being exposed with heavy musicians, I wanted an emotional escape, et on l’entend chanter «La Javanaise» de Gainsbarre sur Après. Parfois Josh Homme a de bonnes réparties, comme par exemple quand il dit qu’on ne peut pas faire plus rock que les Stoogeesss, so what the point ?

             En gros, Iggy cherchait un collaborateur pour relancer sa carrière et on lui a suggéré le nom d’Homme. Alors Iggy lui envoie une proposition de collaboration par texto. L’Homme répond que ce serait wonderful et Iggy indique que le mot wonderful is a civilized world. L’Homme est donc bombardé co-auteur et producteur. Il envoie des démos à Iggy qui n’a pas l’air ravi : «It was pretty shitty mais c’était un point de départ.» Effectivement, les compos de l’Homme ne sont pas bonnes. Ils partent enregistrer au Rancho de la Luna, à Joshua Tree, et on voit la Camaro de l’Homme rouler dans le désert. Wouah, quelle frime !

             Iggy répète une chose fondamentale : «I got nothing but my name.» Et il nous explique que tout ce qu’on peut faire en Amérique, c’est travailler. Work ! I had to make a living. Il évoque aussi la défonce. Stoned ? Oui c’est bien jusqu’à 25 ans, ça aide. Après, ça devient plus compliqué. Il en parle en rigolant. Real wild child. Il évoque les fucking eigthies et les gens qui voulaient l’obliger à chanter Leonard Cohen. No way. Il parle ensuite de «Paraguay», one of the songs I write every five years here, c’est-à-dire chez lui, à Miami. Et puis une fois que l’album est enregistré, ils partent en tournée. C’est le deuxième film. On en retient une chose : l’incroyable qualité du contact d’Iggy avec son public. Il passe son temps à stage-diver, à serrer des mains et à rouler des pelles. 68 balais. Il est intact, au plan éthique.

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             Le problème de Post Pop Depression, c’est le niveau des compos de l’Homme. Ce n’est pas bon. Iggy sauve les meubles avec ses vieux hits, à commencer par «Lust For Life». L’autre problème, c’est que l’Homme et les musiciens dansent en jouant. Ils se croient dans une discothèque. Du coup, ils passent pour d’épouvantables frimeurs. Iggy parle aux gens - Fucking thanks for coming, fuck fuck fuck ! - Il en profite, car il sait que les Anglais de supportent pas qu’on dise fuck au Royal Albert Hall. Après l’éternellement jeune «Lust For Life» voilà le Sweet Sixteen in the leather boots, et Iggy rétablit toute la grandeur du Pop. Ce sont ses vieux hits magiques, il est déjà torse nu. Sur scène, les cuts de l’Homme, «American Valhalla» et «In The Lobby», ne fonctionnent pas. Iggy commence à plonger dans la foule avec «Some Weird Sin». Il reste l’artiste le plus attachant du monde. Comme chez Jimbo, il y a quelque chose de christique en lui, dans sa façon de se donner aux gens. Ceci est mon corps. Il sort «Fun Time» et «Tonight» de l’époque berlinoise. Par contre, «Sunday», «German Days» et «Mass Production» ne fonctionnent pas, les cuts sont trop sophistiqués, trop prétentieux, c’est avec «Nightclubbing» qu’Iggy relance le show - We learn dances/ New dances/ Like a nuclear bomb - et puis arrive «The Passenger», vieux hit fondamental, tu ne bats pas Iggy à ce petit jeu, il fait danser tout le Royal Albert Hall, et ça continue avec le Fall in love with me, l’incroyablement dansant, l’inexorable power d’Iggy qui danse dans la foule, il fait un «Paraguay» insurrectionnel et ce prodigieux événement s’achève en apothéose avec «Success» - It feels like success/ here comes success/ Over my head. Pur genius.

    Signé : Cazengler, Guy Pot (de chambre)

    Arno Hagers, Erik Lieshout, Reinier van Brummelen. Iggy Pop/Michel Houellebecq. Rester Vivant. Méthode. DVD 2018

    Andreas Neumann. Iggy Pop/Josh Homme. American Valhalla. DVD 2018

    Nick Vickham. Post Pop Depression Live At The Royal Albert Hall. DVD 2016

     

    L’avenir du rock

    - Beech oh my Beech

     

             Les années ont passé. Aujourd’hui les touristes américains visitent les plages du débarquement. L’avenir du rock n’échappe pas à l’emprise des nostalgies sablonneuses, aussi retourne-t-il faire un tour sur Omaha Beach. Quelle n’est pas sa surprise lorsqu’au détour d’un broc de béton dégringolé de la dune, il retombe sur une vieille connaissance.

             — Général Mitchoum ? Mais qu’est-ce que vous foutez là ?

             Mitchoum n’a pas changé sous son casque à une étoile. Toujours la même tête de baroudeur légendaire. Mais il est en maillot de bain et porte sur la poitrine un gigantesque collier de pinces de crabes. Il semble étonné de voir apparaître la tête de l’avenir du rock au coin du bloc :

             — Vous ai déjà vu quelque part... Vous appartenez à quelle unité ?

             — Mais Général, la guerre est finie depuis soixante ans !

             Mitchoum ne répond pas. Son vieux mégot de cigare au coin des lèvres, il active un petit feu. Il y ajoute du varech pour faire une fumée épaisse. Puis il travaille sa fumée avec un mouchoir comme s’il envoyait des signaux de fumée indiens.

             — Vous avez dû voir trop  de westerns, Général...

             — Fuck the shut up ! J’demande des renforts ! 

             Comprenant qu’il n’y a plus rien à en tirer, l’avenir du rock se lève et lance :

             — Vous me faites de la peine, mon pauvre Général Mitchoum, car vous avez gagné la bataille d’Omaha Beach...

             Mitchoum pose son regard vitreux sur l’avenir du rock et un étrange sourire se dessine autour du vieux mégot de cigare. D’une voix d’hermaphrodite fellinien agonisant, il se met alors à chanter :

             — Beech oh my Beech/ Lorsque tu soulignes au crayon noir/ Tes jolis yeux/ Yeuh Yeuh/ Je m’imagine que ce sont/ Deux papillons noirs...

             À quoi l’avenir du rock ajoute en écho :

             — On aimerait que disparaissent/ Les papillons noirs/ Les papillons noirs !

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             Ce soir, le papillon noir n’est pas celui de Gainsbarre et encore moins celui du vieux Fort Alamo, mais un kid nommé Gordon Lawrence, dernière incarnation de la flamin’ rockstarisation des choses de la vie qui nous intéressent,

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    c’est-à-dire l’incarnation des principes carnivores de l’impeccabilitité des Choses de la Perec-quation oulipienne, c’est-à-dire l’incarnation du real deal du quand dealera-t-on à l’ombre des jeunes fix en fleur, c’est-à-dire l’incarnation de l’éternelle renaissance de la mort du petit cheval, c’est-à-dire l’en veux-tu en voilà du rock, du rock/du rock, oui mais du Panzani, du rock pour toujours, et figure-toi que le rock pour toujours s’appelle ce soir Gordon Lawrence, dans son petit costard noir et sous ses petites

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    tortillettes de mèches new-yorkaises brûle le feu falot d’un Feu Follet tout doit sorti des doigts de Jacques Rigaut, juste avant qu’il ne se tire cette balle dans le cœur si littéraire,

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    le rock de Gordon Lawrence n’a jamais été aussi littéraire, aussi jusqu’au bout de la nuit célinienne, aussi peu stable sur des jambes qu’on dirait frêles, aussi peu concerné par le bon sens et les conventions, un Pacha Gordon terriblement doué pour le walk on the wild side, fantastique paillon noir aux intentions floues et au jeu si précis, dandy bringuebalant qui s’icône sans produire le moindre effort, il se filigrane dans la légende des siècles,

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    il y ramène la capiteuse notion d’un dandysme du coin de la rue que sut incarner en son temps Johnny Thunders, Gordon Lawrence pousse même son boooochon un peu plus loin, avec son costard à rayures qu’il porte à sec sur la poitrine, une manière comme une autre de rendre hommage à Peter Perrett qui de toute évidence vient le hanter chaque fois qu’il réussit à dormir un peu, même s’il affirme avec le titre de son dernier album qu’il dort sans rêver. 

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             Sleep Without Dreaming vient de paraître. On y trouve une fantastique cover du «Rain» des Beatles, l’épitome du wild psyché new-yorkais.

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    Gordon Lawrence allume bien son balda avec «Firing Line», fantastique shoot de pop sixties orienté vers l’avenir, fast pop sertie d’une vraie mélodie chant, digne des Kinks. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau, car alors on aurait un classic album de plus à ranger sur l’étagère du haut. Mais hélas, le reste de l’A n’est pas bon, on sent une sorte de passage à vide, des morceaux lents se succèdent et génèrent un léger ennui, alors qu’on attend des miracles depuis «Firing Line». Il faut attendre «Carved Arm» en B pour voir notre héros reprendre du poil de la bébête. De toute évidence, il cherche sa veine, d’où le sentiment persistant d’une dispersion. L’album n’a pas vraiment d’unité. «Rain» sauve la B et s’ensuit un «Friendly Five» assez admirable, très anglais, très brit-pop foisonnante.   

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             Autant le set de Beechwood en première partie de Don Bryant peinait à plaire, autant l’album Songs From The Land Of Nod réussit à convaincre, tout au moins en partie. Il faut dire que ces trois petits mecs bouffent à tous les râteliers, et ceux qu’ils préfèrent sont ceux d’Angleterre. Ils font sur ce deuxième album l’une des très belles versions de l’«I’m Not Like Everybody Else» des Kinks. Oui, une version bien appuyée, jouée dans l’écho du temps, poundée au big pounding, avec un son de guitare saturé de saturnales, et du coup, on adhère à cent pour cent. Avec le morceau titre qui se trouve au bout de la B, ils tapent dans l’early Floyd. Ils se prennent littéralement pour Syd Barrett. Rien n’est plus difficile que de vouloir recréer cette antique perfection psychédélique. Avec «All For Naught», ils se prennent pour les Beatles et encore une fois, ils n’en ont guère les épaules. Ils cultivent une tendance à vouloir poppiser à l’anglaise. C’est un album qu’il vaut mieux écouter sans a-priori. Ils flirtent avec le Velvet dans «Ain’t Gonna Last All Night», mais l’esprit leur fait cruellement défaut. Il re-visent le Velvet craze avec «I Don’t Wanna Be The One You Love», c’est assez convaincu et «CIF» sonne très Lou Reed dans l’approche - Just how far/ I can go - Mais en fait, c’est un son très Spiritualized, avec toutes ces notes qui filent vers l’horizon, alors que la basse pounde lourdement. Ils reviennent en B à l’hypno dans «This Time Around». Ils passent d’un genre à l’autre avec une facilité qu’on pourrait prendre pour un manque de rigueur. Leur coup d’hypno captive en partie, mais sur scène, ça ne marche pas du tout. Le petit chanteur porte un collier de chien comme Iggy à une époque, mais il est encore trop vert. Ils ramènent du son dans «Melting Over You», une espèce de cavalcade au long cours qui vaut bien le «Sick On You» des Boys. C’est une tentative d’envolée psyché portée au chorus vengeur et pour le coup, ça devient excellent, avec toutes ces relances voraces du bassmatic. On pourrait croire que c’est enregistré par Dickinson. 

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             Leur premier album date de 2014. Bientôt dix ans ! Il porte le doux nom de Trash Glamour et franchement, il vaut non seulement le détour mais aussi le rapatriement. Pourquoi ? Parce que «City Boy Blue», amené au heavy trash new-yorkais avec une fantastique énergie du son. La basse croise le gratté d’accords, comme dans le Velvet, on sent d’ailleurs dans ce cut une grosse volonté d’hypno à la Velvet, les échos sont d’une incroyable justesse. Ils rendent hommage aux Dolls au moins à deux reprises, d’abord avec «I Can’t Stop It». C’est plein d’esprit, il faut leur donner du temps. Il est bien certain que les accords sont ceux des Dolls. Accords qu’on retrouve dans le morceau titre qui referme la marche. Gordon Lawrence rallume le vieux brasier, on entend la basse croiser dans le son, comme un requin qui crève de faim. Bizarrement Andy Manzanares n’est pas sur la photo. À l’époque, ils ne sont que deux, Gordon Lawrence (guitar/vocals) et Isa Tineo (tattoos & beurre). On voit d’ailleurs qu’Isa Tineo s’est fait tatouer le front. Dans un petit texte d’accompagnement, ils disent avoir enregistré l’album dans leur basement. D’où le côté extrêmement raw du son. Ils tentent de réinventer le New-York Sound dès «(I’m Your) Other Man». Ils continuent d’exploiter la veine du son sur-saturé avec «Genocide» et une basse tournoyante revient croiser le gratté d’accords. Encore du son extrêmement cru avec «Rich Cunt». Awfully raw ! Rien à voir avec le désastre du concert de 2018. Dans le petit texte d’accompagnement, ils disent n’écouter que deux albums, à cette époque : Raw Power et Exile.     

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             C’est avec Inside The Flesh Hotel qu’ils débarquent sur Alive en 2018. C’est d’une certaine façon une consécration. Le catalogue Alive est l’un des plus respectés d’Amérique. Patrick Boissel n’a pour ainsi dire jamais fait une seule faute de goût. L’album est recommandé pour au moins six bonnes raisons, à commencer par «Boy Before» et «Sucker» deux cuts qui sonnent comme ceux des Mary Chain, c’est-à-dire comme des hits. Ils ont bien appris la leçon. Les fans des Mary Chain vont droit au paradis, ils sont en plein de cette vieille magie. Ils naviguent au niveau de «Darklands». Ils s’en donnent les moyens. Même chose pour «Sucker», ils rallument le flambeau de la Marychiennerie. L’autre énorme surprise de l’album est l’«Up & Down» qui sonne comme une Beautiful Song : belle pop étale, c’est une merveille inespérée sur ce genre d’album, ces petits mecs travaillent leur pop au corps. Ils s’amusent aussi à pasticher Marc Bolan avec «Bigot In My Bedroom». Rien de plus gluant, c’est très léché, ils sont les rois des caméléons, ils savent restituer le gratté de petite disto qui caractérisait si bien le son de T. Rex. Puis ils passent à la Britpop d’excelsior avec «Over On Everyone». Encore une incroyable métamorphose ! On se croirait chez Ride, avec les petits tactac d’Oxford. On les voit plus loin amener «Nero» au fouette cocher, avec une jolie disto. Ils savent foncer dans le tas.

    Signé : Cazengler, son of a Beech

    Beechwood. Le 106. Rouen (76). 29 novembre 2018

    Beechwood. Le 106. Rouen (76). 12 octobre 2022

    Beechwood. Trash Glamour. Lollipop Records 2014

    Beechwood. Songs From The Land Of Nod. Burger Records 2017

    Beechwood. Inside The Flesh Hotel. Alive Records 2018

    Beechwood. Sleep Without Dreaming. Alive Records 2022

     

     

     Inside the goldmine

    - Jackie Ross n’est pas rosse

     

             Il fallut bien la rebaptiser. Elle fut d’accord. Baby Jack, ça lui convenait. Sinon elle n’avait aucun défaut. Elle disposait de tout ce qui peut rendre un homme heureux : un regard vert de rêve, un corps de rêve - elle enseignait la danse classique - une voix chantante et un caractère lumineux. Chaque jour, elle était de bonne humeur. Alors il fallait se montrer à la hauteur et veiller à ne pas la décevoir, ce qui bien sûr n’était pas simple, voire impossible. Cette attention de tous les instants créait une sorte de tension et mettait en péril l’équilibre naturel qui régit habituellement une relation sentimentale. Il s’agissait moins d’un rapport de force que d’un constat d’infériorité : comment s’élever au niveau d’un être quand on sait qu’on ne peut pas ? Elle vivait cette relation à sa façon, comme un enchantement, elle se disait prête à tout absorber, les tensions, les histoires du passé, et même le déracinement, elle avait ce genre de générosité extraordinaire. Elle vouait un culte quasi-religieux à la pénétration. La conscience d’un déficit se transforma petit à petit en gouffre, le sentiment de n’être pas à la hauteur est par définition insurmontable, il n’en finissait plus de se dire qu’elle était trop belle, trop pure, trop amoureuse, trop espagnole, trop généreuse, trop lumineuse, et pourtant, elle n’en rajoutait pas, elle veillait scrupuleusement à rester elle-même, dans le dénuement d’une extrême simplicité comportementale. C’est peut-être ça qui le subjuguait le plus, lui qui s’était habitué à fréquenter des mecs du milieu qui, justement, la ramenaient, mais ils avaient les moyens de la ramener. Sentant qu’il ne pouvait plus assumer son rôle dans sa relation avec elle, il lui annonça qu’il allait la quitter pour une autre. Elle le fixa dans le blanc des yeux. Et sans ajouter un mot, elle se leva, prit sa chaise par le dossier et le frappa en plein visage, l’envoyant rouler au sol avec deux vertèbres brisées.

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             Baby Jack et Jackie Ross ont deux points communs : une grâce naturelle et un goût prononcé pour les petites robes blanches, symboles désuets d’une certaine forme de virginité. C’est cette robe blanche que porte Jackie Ross sur son seul album Chess, Full Bloom, paru en 1964, et qu’on retrouve dans une belle compile Kent intitulée Jerk & Twine: The Complete Chess Recordings. Malcolm Baumgart et Mick Patrick se partagent le booklettage de la belle Ross. Il est essentiel de savoir qu’avant de débarquer chez Chess, Jackie Ross fut découverte par Sam Cooke qui la fit enregistrer sur son label SAR et qui la fit venir à Chicago. Elle vivait à St Louis, dans le Missouri, et n’avait que 15 ans. Sam voulut l’emmener à Los Angeles sans sa mère, mais Jackie refusa.

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             À Chicago, Jackie et sa mère sont tellement pauvres que Jackie doit aller chanter dans un club, McKee’s, pour payer le loyer. Elle gagne 15 $ par soir. L’un de ses protecteurs n’est autre que Syl Johnson qui l’accompagne à la guitare. Puis on la présente à Chess en 1964, elle y enregistre «Selfish One» qui devient numéro un, et un album. Comme Leonard Chess louche sur le succès de Berry Gordy, il met en œuvre le même arsenal, in-house band, writers and producers, mais il peine à sortir des hits, alors que Berry Gordy les fabrique à la chaîne. Leonard le renard copie aussi les fameux package tours de Berry Gordy. Jackie se retrouve à l’affiche de grandes tournées avec Little Milton, Sugar Pie DeSanto, Mitty Collier, Tony Clarke et Fontella Bass. Et voilà qu’arrivent les embrouilles avec Leonard le renard. Comme Fontalla Bass, Jackie entre un jour dans le bureau du renard et les mains sur les hanches, elle lui demanda d’un ton sec : «Where’s my money ?». Après ça, plus possible de discuter avec ces rats de Chess brothers. Ils ne veulent pas de toublemakers chez eux. Exit Jackie qui va tenter de redémarrer sur d’autres labels, comme Brunswick, mais sans succès. Elle est persuadée que Leonard l’a grillée partout, de la même façon que Berry Gordy avait grillé la carrière post-Motown de Mary Wells. Mick Patrick appelle ça a vengeful paterfamilias.  

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             Bon «Selfish One» n’est pas non plus la panacée, Jackie chante ça au doux du doux, elle pardonne au Selfish One, elle est généreuse, on la sent faible, mais elle chante à la perfe. Elle motownise Chess. Elle vise le même genre de firmament, dans sa petite robe blanche. Il faut attendre «I’ve Got The Skill» pour toucher du doigt la génie de Jackie Ross. Elle drive là un heavy groove de r’n’b au chat perché, elle fait sa Diana Ross mais plus poudrée. On la voit encore éclater le shuffle avec «I Had A Talk With My Man», elle reste dans la titube d’extrême justesse, c’est une ahurissante merveille que ce froti-là. Comme elle est agile et souple, elle se prête à toutes les fantaisies. Elle a du son, la coquine ! Mais c’est avec le round midnite qu’elle excelle. Il faut la voir taper sa cover de «Summertime», elle plonge dans la chaleur du groove de jazz, elle fait la différence en créant de la magie, elle jazze le vieux Summertime dans le sens du poil et là tu décolles. C’est ici que la Soul rejoint le jazz. Elle plonge au petit sucre candy dans «(I Wanna Hear It) From You», un heavy r’n’b de Broadway, elle descend dans le son comme une reine de Motown. Elle peut aussi chanter d’une voix pré-pubère («Change Your Ways») et se fondre dans le moule d’une pop plus commerciale («Haste Makes Waste»). Elle revient au round midnite avec «Misty» et redevient délicieusement câline, elle se frotte à l’alpaga avec un tact félin qui en dit long sur ses fêlures. Avec «Wasting Time», elle fait son truc à la simple délicatesse, elle ne cherche pas à forcer, elle agit avec un tact d’oie blanche. «Be Sure You Know» vaut encore pour un cut de Soul parfaite. Elle t’embarque systématiquement à la voix mouillée de Soul et t’es baisé. Il faut voir comme elle est fraîche sur ce «Jerk & Twine» qui n’est pas sur l’album. Persistante, elle signe. Elle peut aussi se fâcher, comme la copine Etta. Un autre hit avec «You Really Know How To Hurt A Girl», une merveille pour qui sait entendre. Jackie est la petite déesse chic de Chess, dommage que Leonard le renard n’ait pas été correct avec elle. Elle monte dans les étages avec une étonnante facilité. Elle est tellement juste qu’elle confine à l’absolu, elle sait rester puissante dans la profondeur du Soul preaching. Comme le montre «Honey Dear», elle est parfaite dans son rôle de timorée black, fantastique poulette, chessy en diable, avec derrière elle des sacrés chœurs d’éthos. C’est une Soul à tomber de sa chaise, ça groove dans l’éclat du son. Jackie Ross, c’est de la magie permanente, elle chante son chant au better stick to one dans «Stick To One», elle chante à fleur de peau, à fleur de nénuphar. Elle est dans le sucre de la magie noire, elle se répand dans ta cervelle. Elle s’en va ensuite swinguer sa Soul au sommet du ouh-ouh de glotte avec «My Square», Jackie est une singulière cocote, elle est remplie d’allant à ras-bord, son ouh-ouh est véritablement la huitième merveille du monde. «Dynamite Lovin’» l’assoit sur le trône de reine de la Soul sixties, c’est aussi bon qu’un hit des Supremes de l’âge d’or. Elle rivalise encore d’ardeur et d’entre-cuisse avec Diana Ross dans «Take Me For A Little While», elle a raison, Jackie, le monde appartient à tout le monde. Elle monte pour de vrai, elle peut démolir Motown quand elle veut, elle dispose de ce super-pouvoir. C’est explosif. On la voit encore monter au sommet du lard fumant avec «We Can Do It». Elle ne s’appelle pas Ross pour rien. Tout est tellement intense qu’on finit par jeter l’éponge. Elle s’implique dans tout ce qu’elle fait. Encore un vieux shoot de r’n’b avec «I Dig His Style». Elle tire ça à quatre épingles.

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             En 1981, paraît un double album de Jackie Ross & Little Milton : In perspective. Il va tout seul sur l’île déserte. Deux performers de cet acabit rassemblés sur le même disque, on n’avait pas vu ça depuis les albums de duos de Marvin Gaye. Dès «I Like Your Loving», ils annoncent la couleur. Little Milton allume, mais Jackie encore plus. C’est une folle de la glotte. On se croirait sur les deux albums de duos Temptations/Supremes. On les voit rivaliser au fil des cuts, Jackie chante à la fine et ce démon de Little Milton remonte encore par-dessus. Ils font du heavy groove de rêve («Street Girl») et de la good time music («I’m In Love With You») que Little Milton chante à la glotte congestionnée. En B, Jackie tape un fantastique slowah de désir éploré («I Need You Baby») et elle remonte à l’assaut du ciel avec «One Hand Wash The Other». Elle se glisse comme Aretha dans le lit du fleuve. Little Milton tape lui aussi dans son registre préféré, le heavy blues («Let Me Down Easy»). Quelle leçon de maintien ! Il chante ça à la grosse arrache congénitale, il chante vraiment comme une belle bite en rut. C’est un compliment. Les voilà déchaînés sur «Ain’t No Fun To Me», ils font du early Ike & Tina et Little Milton ultra-chante son «Teach Me». Cette C est la plus dense des quatre, Little Milton allume «I’m Back/ And Here To Stay» comme on allume une bombe, il fait du James Brown, en mode funk hot & sexy. C’est encore lui qui charge la barque de la D avec du R&B («Nothing Beats A Failure»), il charge bien la barcasse de la Staxasse et Jackie vient casser la baraque en bout de D avec «I Think I’m Losing You», elle y va au gros popotin, comme Aretha, elle est même encore pire qu’Aretha, alors t’as qu’à voir !

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             En 1967, Jackie rencontre Eugene Record et Barbara Acklin qui la présentent à Carl Davis, chez Brunswick. Puis elle enregistre quelques singles sur Fountain. Une fière petite compile intitulée Take The Weight Off Me rassemble les singles que Jackie enregistra entre 1972 et 1982. Pas étonnant que ces singles soient devenus des pièces de collection pour les amateurs de Soul car Jackie s’y révèle exceptionnelle, elle claque son «This World’s In A Hell Of A Shape» au plus haut niveau d’expectitude. She delivers the goods, elle est complètement par-dessus les toits, c’est ahurissant, elle pulse bien le Soul power, elle vole le show. Jackie forever ! Nous autres petits blancs dégénérés sommes dépassés par le power de cette petite black. Elle poursuit son «What Would You Give» avec toute la niaque dont elle est capable, elle chante comme une reine. Puis on la voit se fondre dans le groove avec «A Woman (Gets Nothing From Love)», elle pousse bien son bouchon et elle le pousse tellement qu’il explose et elle avec. Elle est fantastique jusque dans le heavy blues, comme le montre le morceau titre, elle est au sommet de tous les arts du Pont des Arts, elle est complètement folle, elle allume tous ses cuts un par un, c’est une vraie partie de chamboule-tout. Avec «The People Some People Choose To Love» elle fait de la pop pleine d’espoir, elle chante tout ce qu’elle peut à pleine voix, elle enveloppe sa Soul au mieux des possibilités, elle regorge de jus, comme Aretha, «One Hand Wash The Other» flirte encore une fois avec le génie et la voilà qui attaque «I Think I’m Losing You» au raunch de Losing you. Elle bat tous les records, elle screame son ass off, elle chante du ventre, hey  babe, elle est épuisée de grandeur, I don’t wanna lose you, c’est l’un des hits les plus flamboyants de l’histoire de la Soul. Elle fait des coups, elle y va pied à pied, c’est une Soul sister extraordinaire, avec «Number One In Your Life», elle reste dans le slowah d’éplorée compulsive, elle est gonflée à bloc, elle tient sa note si haut et avec «Hey Love» elle devient stupéfiante. Puis on passe aux duos avec Little Milton et là attention aux yeux. Little Milton est un rut, il éructe, My sweet loving ! Ah il est en forme ! C’est un duo de sexe pur. Merveille absolue. Chants fondus. Little Milton prend les devants de «No Matter Where You Go» et Jackie le coupe dans son élan, c’est le duo le plus hot de la stratosphère, ils sont explosifs, c’est d’une violence artistique incomparable. Tout est chauffé au blanc de Baby dans «I’m In Love With You», Little Milton l’attaque à la souffrance - I can’t sleep at night/ Cause I’m in love with you - et elle lui répond qu’elle n’est pas in love with you. On sent presque les gestes dans la chaleur de la nuit de «Teach Me». «Patching Up The World» rassemble encore ces deux géants de la Soul et ils s’embarquent dans des développements extraordinaires. Little Milton chante comme un dieu et Jackie comme une reine de la Soul underground. Ils rivalisent de génie vocal, ils rockent les dynamiques de that’s gotta be allright, mis ils font un truc à eux et c’est endiablé.

    Signé : Cazengler, Jacky rote 

    Jackie Ross. Jerk & Twine: The Complete Chess Recordings. Kent Soul 2012

    Jackie Ross & Little Milton. In perspective. Golden Ear Records 1981

    Jackie Ross. Take The Weight Off Me. Grapevine 2006

     

     

    NEON DEAD

    THRUMM

    ( EP Numérique / 31 – 10 – 2022/ Bandcamp )  

    La pochette attire l’œil. Elle est différente. Rien d’exceptionnel. Des gens qui marchent dans une rue. Au premier plan, qui nous tourne le dos, un couple habillé de reflets flashy. Devant eux une foule impersonnelle grise. Sans visage. Seule une toute jeune fille se détourne de cette masse uniforme. Elle regarde le couple et sourit. De-ci de-là de petits tirets de lumière rouge. De violentes illuminations de la même couleur flamboient dans les vitrines… Se dégage de cette banale vue une impression d’immense solitude.

    Sont cinq originaires d’Atlanta en Georgie. Ont déjà participé à d’autres groupes.

    David Prince : guitar / Chris Albamonte : guitar / Glen Williams : bass / Troy Wolf : drums / Sean Shields : vocals.       

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    Overdrive : portent bien leur nom, dès les premières notes Thrumm vrombit, ah, le doux bastringue, même pas le temps de se réjouir que déjà Sean Chields vous martèle de sa voix, un chanteur, un vrai, qui prend le commandement du vaisseau et vous êtes prêt à le suivre les yeux fermés. En plus deux guitares acérées et fuzzantes lui ouvrent le chemin comme ces éperons d’acier qui ornaient la proue des trirèmes romaines, quant à sa batterie de Wolf  il   la conduit en chef de meutes, partout des roulements, échines fuyantes qui s’effacent pour laisser la place et revenir aussitôt… Juste un problème, ce mal-être que distillent les lyrics de Sean, au départ vous êtes comme dans Ligth my fire des Doors, mais les portes coulissent mal, trop de vantardises, ça sonne faux,  de fait ces envols se déroulent dans sa tête, ce n’est pas qu’il plane c’est qu’il tire des plans plus haut que la comète.  Morning after Judgement Day : avez-vous déjà entendu une batterie foudroyée qui avance encore bientôt relayée par des guitares enragées et une basse qui groove à mort, après l’overdrive c’est la descente obligatoire, Sean nous emmène tout en haut des possibles dont on rêve pour nous précipiter dans le toboggan de l’effondrement, de cette prise de conscience de la misérabilité  de sa condition humaine, l’est au-dessous du plancher, l’a dépassé le stade de la mort, l’est en train d’admonester Dieu, ne l’écoutons plus, suivons la musique qui déménage et approfondit le carnage. Throwing stoned : les musicos nous larguent des containers de double-rations, il devrait être interdit de triturer avec tant de hargne et d’efficience de pauvres instruments qui du coup se réfugient dans le rythme plus lent des ramasseurs de coton dans sous le soleil du Sud, puisque Sean a brûlé les étapes que Dieu avait prévues ne lui restent plus qu’à discuter avec ses frères humains. Quand l’amour divin est dépassé il ne reste qu’à brûler de haine. Sean montre et enseigne le chemin. Envoyer tout bouler et tournoyer sans regret dans une fête sans fin. Magnifier tous les excès. Ne pas se remettre en question. Neon dead : guitares en feu, drumming dévastateur, c’est le retour à la case départ, celle de la pochette, marcher, toujours marcher dans la rue et dans sa tête, le chant devient lyrique, quelle performance, au-delà du bien et du mal, les guitares s’embrouillent, rester droit dans ses bottes, ne plus vaciller, ne plus quitter le domaine de la nuit, ne pas se libérer de son ivresse, devenir à tout instant ce que l’on est, rester soi, entièrement soi et rien que soi. Au petit matin alors que les néons s’éteignent il faut toujours garder en tête la présence de la lumière des orages traversés. La vraie vie.

    M’étonnerait que l’EP ne reçoive pas l’avertissement parental par lequel les américaines ligues de vertu puritaines stigmatisent les disques censés donner de mauvaises idées aux adolescents… Thrumm joue gagnant sur tous les tableaux. Musicalement c’est un régal, tant au niveau de la voix que des instruments. Chose rares les lyrics sont au niveau. Leur manque encore la force mythique que leur insufflait un Jim Morrison mais ils ont déjà un pied sur le chemin qui mène dans l’autre pays.

    Damie Chad.

     

     

    BURY ME WHERE I DROP

    LAGOON

    ( Electric Valley Records / Bandcamp / Octobre 2022 )

    Anthony Gajila : vocals, guitar / Brady Maurer : drums / Kenny Coombs : bass.

    Viennent de Portland. C’est dingue toutes les formations qui essaiment de cette ville de l’Oregon. Une pépinière ! Le groupe s’est formé en 2017. Un beau nom qui tout de suite évoque Lovecraft et les profondeurs troubles des sectateurs de Cthuthlu. Un titre qui sent les tourbières du delta blues et une pochette séduisante. Elle réussit à amalgamer un paysage intergalactique avec une image qui semble sortie tout droit d’un western.

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    I see the hate in you : frétillements de queue de crotale, ondulations riffiques, une guitare grince à la manière des grilles de cimetière poussées par le vent dans les poèmes de Verhaeren, la voix s’élève, calme, paisible alors que la basse tremble trop fort, elle dicte ses dernières volontés, elle est teintée de l’ironie du néant, guitare comme un poste de radio qui ne parvient pas à se stabiliser sur la fréquence choisie, maintenant un solo pointu comme un poignard que l’on enfonce lentement dans nos oreilles, on en oublierait qu’il y a une batterie qui marque le rythme très lent, elle nous achemine vers la fin sans que l’on s’en aperçoive, le son s’éloigne doucement à des millions de kilomètres de nous. Dead and gone : quel est ce bruit qui nous parvient de l’eau qui coule, le moteur d’un engin qui fonce, et le morceau survient, assez joyeux, au-delà des plus optimistes prévisions. La séquence est remplacée par une autre plus orthodoxiquement rock ‘n’roll et le vocal nasalisé se coule dessus, ambiance festive, sur le simple du morceau sorti au mois de septembre dernier un squelette bouteille à la main et clope au bec est assis en son cercueil apparemment tout heureux de vivre. Le morceau se termine en farandole. Bury me : ( feat Marlo Kapsa ) : rythmique pulsative, Anthony chante avec son étrange voix de basse et Marlo lui répond de son timbre clair et ajourée de girly à qui on ne le lui fait pas. Un long pont à traverser, la guitare ronronne comme un moteur de hors-bord. Maintenant chantent de conserve. Le titre est lourd mais l’ensemble est assez léger. Sharpen it : démarrage bien affûté, les guitares balancent et tirent leur bordée sans anicroche, un peu de suspension, mais c’est pour repartir encore plus vite, un vocal davantage sauvage, l’on nage en plein heavy metal, l’équipage s’escrime sur ses instruments et l’on se régale. Filochent quinze nœuds avec vent arrière, attention l’allure ralentit mais l’intensité ne faiblit pas, au plus près du vent, les embruns fouettent le visage, et l’on a l’impression de vivre pleinement.  Face down : plus doux, plus musical, ce n’est pas le slow de l’été car l’on donne un tantinet dans l’emphatique, la guitare prend ses aises et nous déroule un long solo des plus agréables, un instrumental, ne serait-ce pas la meilleure des six plages ? Some nerve : un habituel bruissement d’élytres d’insectes bloqués sur une mousseline de moustiquaire, un vocal à arracher les cornes d’antilopes à pleines dents et un riff de guitare qui fonce en avant comme s’il était poursuivi par une horde de tigres affamés, beau boulot de batterie en pressurisation et la basse qui souque ferme. Se termine trop rapidement.

    Les trois dernières pistes ( face B ) sont les meilleures. L’ensemble manque toutefois d’un peu d’imagination et de création. Au vu de la pochette l’on attend mieux.

    Damie Chad.

     

    *

    La scène se passe à Toulouse en 1971 dans la petite Librairie Demain, un repaire gauchiste, spécialisée dans les ouvrages politiques, sociologiques, et artistiques, ouvertes à tout un tas de revues underground…  

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    • Jeune fille - l’endroit était tenu par deux êtres féminins adorables – qu’en est-il de ma commande, d’il y a déjà trois semaines ?
    • Quelle commande, je ne m’en souviens pas, attends Damie, je regarde sur le cahier, non rien à ton nom…
    • C’était Le Manifeste électrique aux paupières de jupes!
    • Arrête de me faire perdre mon temps !
    • Mais si Le Manifeste électrique aux paupières de jupes, aux Editions du Soleil Noir
    • Non, mais tu es sérieux ?
    • Tu ne trouveras pas un garçon aussi sérieux que moi dans cette galaxie !
    • Arrête je n’y crois pas, tu as inventé le titre pour nous faire chercher pour rien !
    • Tiens, je prends cette revue que sur ce présentoir, Starcrewer, je t’en ai acheté un numéro, je l’ouvre, là, regarde l’annonce de la parution du Manifeste électrique aux paupières de jupes!
    • Oh ! Damie excuse-moi, nous avions pensé que tu te moquais de nous, la commande part ce soir, reconnais tout de même que le titre est un peu bizarre !

    Je vous reparlerai de Starcrewer une prochaine livraison. Pour conclure l’anecdote, quelques jours plus tard je rentrai en possession du fameux Manifeste aux paupières de jupe… Je l’ai déjà présenté dans la livraison 466 du 28 / 05 / 2020. N’en étais plus aussi enthousiaste que voici un demi-siècle. Certes à l’époque je n’avais subi ni commotion, ni révélation à sa lecture, mais c’était une des toutes premières fois que la poésie de notre pays se revendiquait d’une écriture rock ‘n’roll… Voici deux ans l’attrait de la nouveauté s’était diantrement évaporée, pour le dire en quelques mots : l’écriture m’a paru surfaite et vieillie… Toutefois je citais quelques noms qui surnageaient parmi les participants : notamment : Zéno Bianu, Michel Bulteau, Patrick Geoffroy, Matthieu Messagier.

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    Or voici que dans un entassement de bouquins, j’aperçois un livre de Zéno Bianu. Tomber sur un livre de Zéno Bianu dans une bibliothèque littéraire, n’est pas un évènement rare. Né en 1950 il doit avoir à ce jour écrit près de 80 ouvrages de poésie, une douzaine de pièces de théâtre, quelques essais, dirigé une collection de poésie, participé à moulte lectures publiques, effectué quelques mises en voix sur scènes et sur CD… Il a notamment écrit une trilogie jazz consacré à Chet Baker, John Coltrane, et  Jimi Hendrix un artiste – Baudelaire l’appellerait un phare - que l’on range généralement sous l’étiquette rock ‘n’roll. Yves Buin a préfacé le Chet Baker et le John Coltrane. Yves Buin s’est fait connaître en 1973 avec trois autres complices, Jean-Christophe Bailly, André Velter, Serge Sautreau  par la parution aux Editions 10 / 18 de De la Déception Pure, Manifeste froid. Entre parenthèses c’était plutôt un anti-manifeste, mais le mot attire et je suppose que la précédente parution du Manifeste électrique aux paupières de jupe n’est pas étrangère à l’immixtion du vocable dans le titre.

    Ces trois livres sont parus aux éditions Le Castor Astral.  Aujourd’hui Le Castor Astral publie une quarantaine de livres par années. Les amateurs de rock ‘n’ roll connaissent leur Collection Musique, Kr’tnt en a chroniqué quelques uns.  Les trois ouvrages de la trilogie jazz ne sont pas publiés dans cette collection car ce ne sont pas des études sur tel ou tel chanteur ou sur telle ou telle époque ou style musical. Je me souviens avoir rencontré les deux fondateurs de cette maison d’éditions au tout début de son existence : ils présentaient quatre ou cinq minces plaquettes de poésie ronéotypées agrafées dans une couverture cartonnée de couleur. Ils croyaient dur comme fer à la poésie et l’avenir leur a donné raison.

    JIMI HENDRIX

    ( AIMANTATION )

     ZENO BIANU

    ( Le Castor Astral / 2010 ) 

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    Il est des choses plus difficiles que d’autres. Certaines flirtent avec l’impossible. Pensons à Mallarmé et à son sonnet Hommage à Richard Wagner. Lui qui décréta que la poésie devait reprendre son bien à la musique, en vint à évoquer la partition du Maître plutôt que les fracas d’un concert. Un texte crucial pour qui veut écrire non pas sur la musique ( la triste tache que nous accomplissons en ce blogue ) mais écrire avec les mots le son de la musique. C’est d’ailleurs dans ce poème que Mallarmé s’est ironiquement occupé à enclore le vers au plus près de la réalité triviale des choses qu’il ait pu composer : Enfouissez-le moi plutôt dans une armoire.

    A croire qu’il existe une incompatibilité avec le son qui s’accomplit et le sens qui s’effrite. De haute poésie, héritière de plusieurs siècles d’harmonisations vocaliques et consonnantiques, Mallarmé parlait de haute musique, notée et mise en sa composition par écrit.

    Que la poésie françoise moderne s’en veuille rendre hommage à cette diabolique musique que l’on joue d’instinct sans savoir l’écrire ou la lire, n’est pas à la portée de tout le monde. Zéno Bianu s’y risque en ce volume. S’attaque à un tordeur, à un vrilleur de notes. Encore faut-il trouver l’art et l’or du dire. Si Mallarmé cite d’emblée en premier mot ‘’ silence’’ pour évoquer la musique, Zéno Bianu opte pour la blancheur de la page pour parler d’un noir porteur de sang rouge. Cent fois il revient à la charge, cent fois son poème d’une seule strophe de vers inégaux dessine la silhouette de Jimi. Ce n’est pas un dessin à proprement parler, une épure, une figuration plutôt, non pas d’un contour humain ( trop humain ) mais du mouvement qu’il agite et suscite, à l’intérieur de lui-même, à l’extérieur de l’espace.

    Un Jimi de solitude. Qui n’est pas seul. Un fruit est d’autant plus succulent qu’il est chargé de sucs. Ce sont ces nectars qui donnent le fruité de sa peau. Jimi le noir, Jimi le rouge, aborde la couleur bleue de ses ancêtres, ceux que la boue du delta a rendu blue. Zéno Bianu use de synesthésie, il s’emploie à colorier de ses mots noirs le blanc de la page. Jimie est arc-en-ciel. Il porte l’arc du guerrier et sa flèche crève le bleu du ciel.

    Jimi est la flèche, elle n’a pas besoin de bouger puisqu’elle est taillée dans le bois du ciel. Jimi voyage, de corps en corps, de filles en filles, il glisse de peau en peau, peut-être une fois mort entrera-t-il dans la peau d’un serpent ou d’un éléphant, à moins qu’il ne devienne végétal ou cigüe. Toute son existence fut cet unique périple, il a les notes et les mots qu’il plante et enfonce dans les raidillons et les sommets de la vie que l’on se doit d’escalader. Sans doute a-t-il choisi la voie des abysses, celle des profondeurs troubles, dans lesquelles on se baigne en riant, cris et exultations, puis l’on se laisse aller et l’on glisse vers quelque chose qui ressemble à du néant, une ampleur colorée, ouatée dans laquelle on s’immerge, et bientôt les coloris s’effacent. L’eau devient transparence, est-ce de l’eau de feu ou de l’eau de naissance ou de l’eau de mort, la question est-elle à débattre, ne se valent-elles pas toutes les trois, ne sont-elles pas la même eau de source. Comment cela se termine-t-il ? Cela ne se termine pas, Hendrix a rejoint ce point immobile, ce nadir du souffle humain et animal où toutes les contradictions se résolvent ou s’annulent…

    Ce livre de Zéno Bianu est à lire. Et à méditer. Il nous présente un Hendrix tel qu’en lui-même l’éternité ne le change pas. Qu’il en soit vivement remercié.

    Damie Chad.

     

    *

    Tiens m’étais-je dit en lisant l’article de John Jeremiah Sullivan ( voir livraison 571 du  20 / 10 / 2022) l’écrivain Paul Bowles fut donc un passionné des vieux 78 tours de blues et de country. Or de Paul Bowles lui-même je ne possédais aucune connaissance particulière hormis laquelle qu’il était… écrivain. Faudra que je me renseigne plus tard. Deux jours après j’avais totalement oublié. Deux semaines plus tard, que débarrassant une des chambres de la maison des quelques six cents livres qui s’y entassaient le nom de Paul Bowles sur la couverture d’un des bouquins que je transbahutais me saute aux yeux. Lecture immédiate.

    SUR

    GERTRUDE STEIN

    PAUL BOWLES

    ( BilingueEditions Du Rocher / Mars 2000)

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    Je n’éprouve aucune appétence particulière pour l’œuvre de Gertrude Stein aussi ne m’attarderai-je pas sur son œuvre littéraire dite d’avant-garde qui n’est pour moi qu’une resucée du réalisme… Pour ce qui concerne beaucoup plus spécialement notre blogue musical, nous noterons que le compositeur Virgil Thomson a composé deux opéras sur deux livrets écrits par notre écrivaine, à savoir Four Saints  in three Acts et The Mother of Us all.

    Le livre n’est que la retranscription de deux interviews de Paul Bowles réalisées en 1995 et 1996 par Florian Vetsch. Notons que le journaliste connaît parfaitement et le travail de Stein et l’œuvre de Paul Bowles. Dernière précision, Paul Bowles né en 1910 est décédé en 1999. 

    Paul Bowles a rencontré en 1931 Gertrude Stein à Paris où elle s’était ‘’exilée’’ pour raisons pécuniaires. Leurs relations littéraires cessèrent pour divergences idéologiques, Stein très réactionnaire s’élevant contre la politique du New Deal de Roosevelt…

    Bref ce petit livre ne nous apporte aucune précision quant à la passion de Paul Bowles pour les vieux 78 tours de blues et de country… A part que… Bowles est un tout jeune écrivain lorsqu’il rencontre Gertrude Stein. Il lui montre ses premiers poèmes qu’elle critique vivement. Gertrude avait un franc-parler qui ne plaisait pas à tout le monde. Ernest Hemingway qui lui doit beaucoup, devenu auteur renommé, en dressera un portrait peu élogieux.

    Bowles remué par les arrêts définitifs de Gertrude n’écrira plus, pendant longtemps, de poésie. Le jugement de Gertrude le conforte en une de ces certitudes intimes : jamais il ne sera un grand poëte. Pendant longtemps il abandonnera l’écriture en faveur de la… composition musicale.

    Direction YT. A peine ai-je tapé le nom de Paul Bowles que se présente à moi Music of Morocco, cela n’est point étonnant, Dès 1947 Bowles a vécu à Tanger au Maroc, il y mourra.  Bowles ne joue pas sur ce disque, il s’est contenté d’enregistrer des groupes locaux marocains. Dring ! immédiatement s’élève en moi la référence Brian Jones The pipes of Pan at Joujoukha.  Qui a en 1968 emmené Brian Jones au Maroc écouter ces musiciens ? Réponses : Brion Gysin. On ne présente plus ce peintre poëte de la Beat Generation ami de Burroughs. En quelles circonstances Brion Gysin a-t-il eu connaissance de cette musique ? En 1950 à Sidi Kacem, lors d’un festival en compagnie d’un certain Paul Bowles. Music of Morocco a été enregistré en 1959 par Bowles pour The Library of Congress, la même pour laquelle John Lomax enregistra les musiciens de Blues du Delta… La boucle est bouclée, le serpent se mord la queue…

    En tant que compositeur Paul Bowles a écrit de la musique que nous qualifierons de classique pour piano. Pour la définir sommairement nous dirons quelle s’inscrit dans la lignée de la modernité initiée par Bartok… Bartok qui a écumé la Hongrie et la Roumanie pour sauver et transcrire les airs populaires et tziganes…

    Apparemment il existe une certaine logique souterraine et signifiante en ce monde…

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

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    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                             

    EPISODE 5 ( SUPER PASSIF ) :

    26

    Le Chef éteignit son Coronado :

             _ Agent Chad, pourriez-vous déglinguer les loupiotes des lampadaires avoisinants dans la rue, nous avons besoin d’obscurité, après quoi vous fermerez les volets, et vous tirerez rideaux et double-rideaux.

    J’obtempérai avec joie. Tout gamin j’avais pris l’habitude de briser à coups de cailloux les ampoules des réverbères, je m’empressai d’en déglinguer une bonne dizaine grâce à mon Rafalos 19. Garder son âme d’enfant malgré les vicissitudes de l’existence est important… Dans le noir je rejoignis le Chef à son bureau et déposai le bristol que j’avais retiré de la gueule de Molossa sur le bois verni… Pendant de longues minutes, nous ne vîmes rien. L’obscurité était absolue. Les chiens grognèrent sourdement :

             _ Agent Chad, je suis sûr qu’elle est là, nous n’allons pas tarder à en avoir la preuve, tenez la voici !

    Deux minuscules points rouges s’allumèrent sur le bureau, rose pâle au début et très vite incandescents.

    Le Chef alluma la lumière.

    27

    Le Chef allumait un Coronado :

             _ Les deux points rouges, un dans chaque œil, identiques à ceux que mon Rafalos 21 a filmés lorsque la garce s’est approchée de nous. Elle nous a laissé sa carte de visite. Un véritable défi, elle se moque de nous.

             _ Chef, pensez-vous qu’elle était dans la voiture lorsque nous revenions du cimetière ?

    _ Certain ! Nous avons affaire à une ennemie invisible qui se manifeste quand elle veut ! Une chance, les chiens la sentent et nous avertissent.

    _ Chef, Molossa et Molossito ont grogné, elle serait donc dans la pièce, et écouterait notre conversation, c’est effrayant !

             _ Inutile de paniquer Agent Chad ! Je ne sais plus quel est le grand esprit qui a déclaré ‘’ L’Homme est adossé à la mort, comme le Penseur à la cheminée’’, une sage parole, Agent Chad, où que vous soyez la mort vous suit, parfois elle vous précède même, ou alors elle marche à vos côtés comme un vieux camarade. Livrons-nous à une petite expérience. Un : j’écrase mon Coronado dans le cendrier. Deux : j’éteins la lumière. Trois : nous voyons les deux points rouge vif. Quatre : attendons un peu, ils pâlissent, voilà ils ne brillent plus. Elle est partie !

     _ Pourtant Chef, j’avais compris qu’elle était toujours-là !

    _Oui, elle est toujours là mais elle ne s’occupe pas de nous, elle se manifeste, comment dire d’une façon rapprochée, lorsque c’est nous qui la recherchons !

    _ Il est sûr, Chef que j’ai promis de lui régler son compte !

    _ Et moi Agent Chad, d’après vous pourquoi avons-nous parcouru toute la semaine dernière les allées du Père Lachaise, moi aussi j’ai un compte à régler avec elle, ne me demandez pas lequel, sachez que j’ai deux mots à lui dire entre quatre yeux !

    Le Chef ralluma la lumière et un Coronado. Sa voix devint plus grave :

             _ Elle connaît notre détermination, elle a envie de s’amuser, de jouer une partie d’échecs avec nous, aussi a-t-elle entrepris de créer un canal de communication entre elle et nous.  

    _ Et ce vecteur communicatif ce sont Molossa et Molossito !

    _ Agent Chad, vous avez tout compris !

    28

    Le Chef et moi avions convenu de prendre une journée de repos et de réflexion. Je roulais doucement vers Provins. Les cabotos étendus sur la banquette arrière ronfloutaient paisiblement. J’étais un peu nerveux, je ne voulais pas me l’avouer mais je ne cessai de surveiller la route dans mon rétro. Un peu de compagnie me ferait du bien pensais-je. Peut-être trouverais-je une présence humaine dans la cafétaria d’un relais d’autoroute, quelque chose me poussait à continuer… Je fredonnais I’m a lonesome fugitive de Merle Hagard, au loin, j’aperçus une silhouette sur le bord de la route. J’avais quitté la highway avant Reims et traversais une région boisée. Une jeune fille qui fait du stop, ma galanterie innée de rocker m’obligea à m’arrêter. Ses cheveux blonds ressemblaient à ceux d’Alice. Ce n’était pas Alice. Je n’eus même pas le temps de baisser la vitre. Elle ouvrit la portière et s’assit à mes côtés.

    • C’est gentil de vous arrêter Monsieur, j’habite à Savigny, c’est tout droit sur la route de Provins, vous n’aurez qu’à me laisser à l’embranchement qui mène au village.

    Jolie, mais pas bavarde. J’essayais en vain de discuter, elle répondit deux ou trois fois par des monosyllabes dépourvus de signification. Sans me regarder elle fixait la route droit devant elle. Le silence était pesant. Je me méfiais, pas trop, les chiens qui avaient levé le museau quand elle s’était installée dans la voiture, s’étaient illico replongés dans leur sommeil. Je ne crois pas qu’elle les avait remarqués.

    29

    Brusquement elle tendit le bras :

             _ Monsieur, cent mètres après le virage, vous pourrez me déposer au panneau Savigny, ce sera parfait.

             _ Faire un détour ne me gêne pas Madmoiselle, je peux vous laisser pile à l’adresse où vous vous rendez.

             _ C’est gentil Monsieur, je vais chez mes parents, leur maison est située à l’autre bout du village.

    Le patelin était tout en longueur, je roulais tout doucement, la chaussée était parsemée de ces passages piétons surélevés détestés par tous les conducteurs, mais bientôt il n’y eut plus que des champs. Du doigt elle désigna une habitation solitaire qui faisait face à un long mur de pierres.

    • C’est-là, juste en face de la grille du cimetière.

    Je freinai, et m’arrêtai pile devant la porte d’entrée de la maison. Elle descendit sans attendre :

             _ C’est très gentil Monsieur, mes parents seront contents que j’arrive si tôt, oh, je n’avais pas vu que vous aviez des chiens, ils sont choux et sages, merci beaucoup Monsieur, au revoir !

    Elle claqua la portière et se dirigea vers la porte d’entrée. Je démarrai. Pas causante la miss, j’aurais bien aimé dragotter un peu. Tant pis. Pour une fois, le charme invincible du rocker n’avait pas fonctionné. Avant le virage qui me ramenait sur la nationale, instinctivement je jetai un coup d’œil dans le rétro, ma passagère était en train de pousser la grille du cimetière. Cela me fit une drôle d’impression.

    29

    Le lendemain je retournais au local. Le Chef fumait un Coronado. J’étais assez content de moi. Je n’avais rien trouvé mais j’avais une piste.

             _ Chef, je brûle, j’ai une idée mais je ne sais pas quoi en faire. J’ai passé toute la journée et toute la nuit à écouter Black Sabbath et à lire tout ce que j’ai pu trouver sur eux dans ma bibliothèque et sur le net. Que dans la forêt de Laigue nous soyons entrés dans une fissure de l’espace-temps, je veux bien l’admettre, mais pourquoi précisément dans le manoir photographié sur la couverture de leur premier album. Pour le moment je reste bredouille, mais si à deux nous nous penchions sur la carrière du groupe, nous finirons par tomber sur un détail qui…

    Le Chef ne me laissa pas terminer. Lui aussi s’était penché sur Black Sabbath. Il avait même interrogé par téléphone l’archiviste-spécialiste du Service, le célèbre Cat Zengler, la conversation avait été passionnante, mais non aucun détail dans toute la discographie – sans parler des anecdotes et des ragots – n’apportait l’ombre d’un éclairage sur ce que nous avions vécu dans la forêt de Laigue.

    • Agent Chad, je m’aperçois que cette journée de réflexion provinoise n’a pas été fructueuse, si tant est que vous l’ayez occupé à réfléchir, je pense que selon votre déplorable habitude vous avez passé votre temps sur la banquette-arrière de votre automobile avec la première auto-stoppeuse rencontrée sur la route.

    Pour couper court à ces perfides insinuations je racontais ma si peu érotique rencontre auto-stoppière sur la route de Provins. A ma grande surprise il m’écouta avec intérêt.

             _ Agent Chad, nous partons immédiatement !

             _ Oui Chef, où ?

             _ Au cimetière de Savigny !

    A Suivre