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  • CHRONIQUES DE POURPRE 575 : KR'TNT 575 : MABLE JOHN / FLESHTONES SLY & THE FAMILY STONE / PLOSIVS / SHADOWS OF NIGHT / THE DEAD SOUTH / TELEKINETIC YETI / ROCKAMBOLESQUES

     KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 575

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR’TNT KR’TNT

    17 / 11 / 2022

    MABLE JOHN / FLESHTONES

    SLY & THE FAMILY STONE / PLOSIVS

    SHADOWS OF NIGHT / THE DEAD SOUTH  

    TELEKINETIC YETI / ROCKAMBOLESQUES

    Sur ce site : livraisons 318 – 575

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

    http ://krtnt.hautetfort.com/

     

    L'inestiMable John

     

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             Mable John aurait dû s’appeler Ali Baba, ou plutôt Alice Baba au pays des Merveilles. Car figurez-vous qu’elle fait partie des reines mal connues - pour ne pas dire inconnues - du r’n’b de l’âge d’or. Les mecs chez Ace qui l’ont re-déterrée en 1992 n’en revenaient pas de trouver autant de morceaux de qualité supérieure.

             À l’ombre d’un misérable paragraphe, Record Collector nous apprend la triste nouvelle : Able Mable vient de casser sa pipe en bois. 

             L’histoire de la petite Mable est à la fois ordinaire (pour les blackos de cette génération) et sidérante (vu le nombre des géants qu’elle a pu côtoyer). Ordinaire car née en Louisiane dans une famille nombreuse où on aimait bien la musique. Pour vivre plus décemment, la famille s’installe à Detroit et Daddy John trouve un job chez Dodge, comme des milliers d’autres blackos montés de Deep South. Les hasards de la vie sont parfois des hasards magiques, comme c’est le cas pour la petite Mable : elle connaît Bertha Gordy, la mama de Berry, et paf, c’est parti !

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             Mable travaille pour Bertha qui est l’une des patronnes de la Friendship Mutual Insurance Agency. Elle vend des assurances au porte-à-porte. Puis Bertha demande à Mable si elle veut bien donner un coup de main à son fils qui cherche à démarrer dans le show-business. Il s’occupe déjà des Miracles. Berry s’aperçoit que Mable chante bien. Il lui propose de devenir son mentor et la fait passer en première partie d’un récital de Billie Holiday à Detroit, en 1959, deux semaines avant sa mort. Comme Berry ne conduit pas, Mable est son chauffeur. Elle devient aussi la secrétaire de Motown. Elle enregistra son premier disque en 1961. Elle est la première gonzesse signée sur Motown. Mais ça ne lui plait pas. Elle trouve le son de Motown trop pop : « I’m not really a pop singer ! »

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             Mable s’y connait, parce que son petit frère Little Willie John balance des tubes de r’n’b dans les charts depuis des années. Entre 1955 et 1961, le frangin aligne 17 hits et en loge 8 dans le Top 10. C’est une famille de surdoués. Little Willie John navigue au niveau de Sam Cooke et de Jackie Wilson. Il descend à Cincinatti signer un contrat avec Syd Nathan. Son hit le plus connu ? « Fever ». Mais sa carrière s’écroule brutalement. Little Willie John boit trop et comme la plupart des autres blackos de l’époque, il porte une arme. Une nuit, une shoote tourne mal dans un bar de Seattle et Little Willie John sort une lame. On l’envoie au ballon et comme on ne fait pas de cadeaux aux délinquants noirs, il y reste plusieurs années. Les circonstances de sa mort sont restées un mystère. Susan Whitall lui a consacré un ouvrage très bien documenté : Fever - Little Willie John’s Fast Life, Mysterious Death, and the Birth of Soul.

             Sur cet épisode dramatique, Mable n’a pas fait de commentaires. 

             Pendant que Little Willie John picole, Mable fait des gosses et quand elle peut, elle voyage. Repérée par Al Bell, elle débarque chez Stax, à Memphis. Et là elle se met à travailler avec Isaac Hayes et David Porter qui sont comme chacun sait les auteurs-compositeurs maison.

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             Mable explique qu’une relation télépathique s’installe entre eux. Ils lui demandent de parler et comme elle chante en parlant, elle fait des chansons qu’Isaac installé au piano met aussitôt en musique. Mable ne chante que des épisodes de sa vie. Steve Cropper et Eddie Floyd sont fascinés par son talent. On comprend mieux quand on écoute « Stay Out Of The Kitchen », fantastique cut de raw r’n’b qui n’est rien d’autre que de l’Otis au féminin - If you can’t stand the heat/ Stay out of the kitchen (si tu ne supportes pas la chaleur, ne viens pas dans la cuisine) - heavy duty - stay out boy ! Elle sait ce qu’elle fait, c’est le tempo de rêve, le jerk lent et mesuré, celui des gestes longs et contrôlés. Crazy Al Johnson des MGs bat le beurre là-dessus et Mable trouve qu’il est le plus grand batteur du monde. Voilà le genre de merveille qu’on réécoute plusieurs fois d’affilée. Il faut aussi écouter « Able Mable » qui fut longtemps le morceau d’intro de Mable sur scène, sa carte de visite en quelque sorte - My name is Mable and don’t you think I’m able - Magnifique délectation d’intention - I’m Mable ! - c’est fabuleux et trompetté par derrière, elle fait swinguer son jazz-blues dans le move du groove de Stax. Pur génie !

             « Écoute Mable John... Chez elle tout est bon... », disait Jean-Yves.

             Pour « Shouldn’t I Love Him », elle fait appel au power du gospel. Et « Catch That Man » est un classique du r’n’b comme on les aime, chaud et cuivré à souhait, Staxé à la vie à la mort. Mable chante ça avec au timbre d’étain et une sorte de petite expertise de la puissance. Elle va chercher des accents à l’Aretha, elle n’en finit plus d’accrocher, elle mord à pleines dents dans son couplet. Quelle incroyable stature ! On n’en revient pas de voir autant de maturité chez cette petite reine de Nubie. Elle amène « Ain’t Giving Up » comme l’« I’m A Man » de Bo Diddley, elle prend ses marques et occupe à nouveau le haut du pavé. Elle s’accroche à son art avec une énergie troublante. Derrière, on entend une fabuleuse partie de guitare sauvage. On croit rêver. De toute façon, chez Mable, tout est bon. Elle chante avec une ardeur de fauve qui finit par stupéfier.

             « Running Out » est un jerk de petite black trop douée, elle nous roule dans sa farine, avec un classicisme affolant - Running out of lonely nights -  Elle tape vraiment au niveau supérieur qui est celui d’Aretha. « Love Tornado » démarre sur des accords d’Otis, c’est staxé à la mort du petit cheval, et on savoure une fois de plus l’excellence de cette classe supérieure. Elle embarque son art par-dessus les toits, comme le fit Paul Verlaine avec les rimes. C’est absolument dément, elle pousse tant qu’elle peut, la bourrique. On a là l’expression du pur génie de la Soul. Elle chante toujours d’une voix perchée et verte, douce et incroyablement pulsative.

             Ça n’en finira donc jamais ? « Sweet Devil » arrive comme un groove monstrueux de mise en place, strummé et enrichi de chœurs surnaturels. À tomber. L’excellence, toujours l’excellence, rien que l’excellence supérieure du groove de la Soul de fin de nuit des boums d’antan. Mable ratisse tout : les suffrages et les passions, les hommages et les superlatifs. Elle ne laisse pas grand-chose aux autres. « It’s Catching » est une autre monstruosité rampante. Encore un truc qui te fera tomber de ta chaise, vu comme c’est tapé derrière à la grosse mode de base. On nage là dans la meilleure Soul du monde, comme on nage dans un lagon.

             Elle vire jivy-jazzy avec « Drop On In », encore un cut effarant, une compo de Booker T Jones que Mable considérait comme l’être le plus cultivé et le mieux éduqué chez Stax. (C’est vrai qu’elle avait une petite tendance à se plaindre d’Isaac Hayes qui passait son temps dans des chambres avec des tas de filles, et de David Porter qui entrait avec elle dans la cabine d’enregistrement et qui lui frappait violemment l’épaule quand elle ne chantait pas assez bien). « Drop On In » sonne comme une invitation. On monte avec elle. Viens mon gars, je t’emmène au paradis. Puissant et radieux. Elle dépasse toutes les bornes de la délicatesse et de l’excellence - My mind is gone - fabuleux de finesse, Mable est une petite renarde de la Soul, elle pointe le museau et c’est fin, incroyablement fin, d’une qualité qui impose un respect constant et qui force les limites du régal. Elle enveloppe tout ça dans la douceur d’un gant de velours.

             Et puis, il y a les slowahs, comme avec Carla Thomas, et ça permet de reprendre souffle. Tout est beau et bien mélancolique, mais il faut aimer les slowahs. Ce ne sont que des histoires de cul. Il faut quand même dire que les blackos sont parfois plus pénibles que les petits blancs dégénérés quand ils tapent dans le romantisme. On aurait tendance à les croire immunisés contre ces conneries, mais non, c’est une vue de l’esprit. Ils sont aussi exposés aux ravages du romantisme libidinal que les blancs.

             Retour au jerk royal avec « If You Giver Up What You Got ». Classe infernale. Elle embarque son jerk en enfer, mais c’est l’enfer des sens, car c’est sucré et jerky en diable. Les blancs n’auront jamais accès à ça, à cette supériorité expressive, à ce frappé du beat. Il faut bien finir par l’admettre. Mable nous fait une fin de cut splendide en l’accélérant. Que demande le peuple ?

             On sent qu’elle n’a pas eu une vie de rêve avec les hommes. Dans « Don’t Get Caught », elle remarque une trace de rouge à lèvres sur le col du connard - lipstick on your collar -  et dans « The Man’s Too Busy », ce boogie Soul fabuleusement beau, elle raconte qu’elle est amoureuse d’un mec qui n’a pas le temps - I’m in love with a man/ But the man’s too busy for me - alors évidemment ce n’est pas facile. Mais comme elle arrose ça à la sauce Stax, on se retrouve encore avec un hit dans les pattes. Sur cette superbe compile, il reste encore deux morceaux qui sont aussi réussis que les autres. « Sorry About That » est mené par le bout du nez par une guitare infernale et on retrouve ce mid-tempo haut de gamme dont Mable John s’est faite une spécialité. Et pour finir, on a ce « Need Your Love So Bad » qui vire jazz et qui révèle une fois de plus la haute tenue de sa classe. Mable John peut ensorceler, avec ce feeling de fin de nuit.

             Après Stax, elle ira chanter dans les Raelettes de Ray Charles, histoire de rester dans les strates supérieures de l’activité artistique américaine.

    Signé : Cazengler, Meuble Jaune

    Mable John. Stay Out Of The Kitchen. Ace Records 1992

    Susan Whitall. Fever - Little Willie John’s Fast Life, Mysterious Death, and the Birth of Soul. Titan Books 2011

    Susan Whitall. Women Of Motown. An Oral History. Avon Books 1998

     

     

    Tire ta Flesh, Tone ! - Part One

     

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             La dernière fois, ça devait être au Cosmic à Bourges, les Fleshtones jouaient en tête d’affiche. Au bout de deux cuts, on s’est regardés, avec Laurent, et on s’est barrés. Dès qu’on s’ennuie, on se barre. C’est arrivé souvent. On est donc sortis se fondre dans la foule des blasés qui picolaient au grand bar à huîtres installé à l’extérieur du palais d’Auron. On s’est offert deux grands verres de blanc, on a trinqué en se jurant que ce serait la dernière fois. Les Fleshtones ? On les avait trop vus. Beaucoup trop vus. Comme tout le monde en France. En plus, ça nous amusait de constater que nous n’étions pas les seuls à raisonner ainsi. Il y avait plus de monde au bar, dehors, qu’à l’intérieur. Ça voulait dire ce que ça voulait dire.  

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            Et voilà-t-y-pas qu’y r’viennent en Normandie, vingt dieux la belle église ! L’occasion rêvée de commettre un petit parjure. Laurent qui est au paradis n’en sera pas choqué. Donc on y retourne. Plus pour voir un peu de monde que pour revoir ce groupe dont on a fini par se lasser. Les Fleshtones jouent sur la petite scène, donc ça limite le risque de dispersion. Tout ce qu’on espère c’est qu’ils ne vont pas danser le French Cancan. Keith Streng fait son numéro d’acrobate, il saute partout. Double ou triple saut périlleux arrière. Beaucoup de mouvement sur scène. Rien n’a changé en vingt ans. C’est à la fois leur force et leur faiblesse, tu veux du real deal d’American gaga ? Va voir les Fleshtones, tu en auras pour ton billet de vingt, ils ne vieillissent même pas. Avec ses cheveux blancs, Zarembaba t’en met plein le baba.

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    Il jerke au Bus Palladium, comme s’il avait seize ans. Au fil des décennies, les Fleshtones se sont spécialisés dans un étonnant mélange de power et de sans-surprise. Tu sais précisément ce qui va se passer, à la seconde près, tu sais que Keith Streng va te jouer exactement ce solo en disto, tu le connais par cœur, tu sais que le bassman va descendre faire son petit tour dans la foule, tu sais que Zarembaba va te jiver son coup d’harp à ce moment précis, tu sais même que Keith Streng va annoncer au micro que sa chanson préférée - all time favorite - est «Child Of The Moon» et qu’il va la chanter. Tu n’en finis plus de tout savoir, c’est d’un prévisible à toute épreuve, les Fleshtones ressemblent à ces grosses berlines qu’on voit filer sur les autoroutes, bien fières et bien massives, elles avalent les distances comme Saturne avale ses victimes, les Fleshtones avalent le rock comme une autoroute, vroarrrrrr, tu ne sais même plus si tu vibres ou si tu ne vibres pas, tu vois tous ces gens danser et tu ne comprends pas pourquoi le prévisible fait danser, mais si, imbécile !, le prévisible peut être irrésistible, voilà l’explication !

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    Les Fleshtones sont donc les rois du prévisible irrésistible, ils ont bien mérité leur couronne, car ils sont resté intacts, et on ne peut même pas leur reprocher d’avoir enregistré des mauvais albums, car c’est hélas le contraire, ils ne sont pas que les rois du prévisible irrésistible, ils sont aussi les rois de l’évidence institutionnalisée, les rois de la persistance sécularisée, les early dinosaures d’un genre qui est désormais en sursis, car en voie de disparition : le gaga boudin ne tient plus qu’à un fil, celui des rois du prévisible irrésistible. Mais quoi qu’il arrive sur cette terre, tu l’auras toujours dans le baba avec Zarembaba et Keith Streng le bien nommé ne connaîtra jamais sa force.

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             Tiens, on va jouer à un jeu : prends n’importe quel album des Fleshtones au hasard. Que constates-tu ? Oui, tu te régales ! À chaque fois, c’est une bonne pioche, surtout depuis qu’ils sont arrivés sur Yep Roc. Prends Take A Good Look, juste pour faire le test. Sur 12 titres, tu as dix petites bombinettes gaga de haut vol. Rien qu’avec le «First Date (Are You Coming On To Me)», t’es gavé comme une oie de yeah yeah yeah. Zarembaba te laisse baba, il n’a rien perdu de sa vieille niaque parcheminée. Ils enchaînent avec une vieille rincette d’heavy gaga complètement gogo, «Shiney Heinie», wild as fuck et tu as ce fou de Keith Streng derrière qui rallume tous les vieux brasiers, il faut les voir balancer leur souk par dessus les toits de la médina ! Force est de reconnaître qu’à ce petit jeu, ils sont imbattables. Ils font un festival, ils sont dans le vrai et il reviennent à la violence avec «Back To School», pur jus de Flesh-punk, c’est fabuleusement amené, dans le genre, tu ne peux pas espérer mieux. Ils ont cette assise que n’auront jamais les jeunes loups. C’est l’apanage des vétérans de toutes les guerres. Ils attaquent «Feels Good To Feel» à la sixties fever, ils connaissent bien les règles du jeu, celle du wild gaga tapé au riff de fuzz, ils te sortent là un incroyable brouet d’énergies fondamentales. Ils amènent ensuite «Jet-Set Fleshtones» au heavy break down de Flesh power. Unbelievable, dirait un Anglais ! Ils sont dans la transe d’everybody move on up et de gyspsy craze de sixtine freak-out. Le festin de purée se poursuit avec «Never Grew Up». Énergie maximale ! Attaqué au sommet du lard fumant, ce mec Zarembaba est un lion, rrroarrrr, il développe une extraordinaire vitalité, ça fait du bien de l’entendre rugir dans la savane. Nouvel assaut avec «Down To The Ground», Zarembaba tape ça à l’harp et chante à l’efflanquée, comme s’il courait après une antilope. Encore une fois, c’est bien au-delà du Cap des Expectitudes. Ils terminent cet album rugissant avec le morceau titre, un heavy groove de good look baby, ces mecs savent ramoner une cheminée, pas besoin de leur montrer le principe, c’est assez insistant, comme doit l’être le ramonage, what I can do, il y va le Zarembaba, c’est pas un bobo, and you’re looking so fine, ça bascule dans le no way out, c’est tellement fantastique qu’on sort de cet album ramoné et ravi. 

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             On continue à jouer au jeu du pif. Tiens, tu prends Laboratory Of Sound. Cinq bombinettes ! Pas mal, pour un petit album sans prétention. Avec «High On Drugs», ils rendent hommage au Velvet, ce sont les accords de «Waiting For The Man», avec le solo de biais. Keith Streng attaque «Nostradamus Jr» au heavy sabre au clair disto, c’est le genre de truc qui te réconcilie avec le genre humain. Ces merveilleux Tones savent flesher l’hey hey hey et l’enturbanner de sixties flavor. Leur charme principal est l’enthousiasme. Leur «Train Of Thought» est vite plié, et ils sont back in town avec «One Less Step», ils jouent tout ça au full blast, ça n’arrête pas. Et puis tu as «A Motor Needs Gas», classic overdrive, ils ne lâchent jamais la rampe.

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             Comme son nom l’indique, Hitsburg Revisited est un album de reprises. Tu vas en trouver deux qui font la différence : «Going Down To Tia Juana» et «Find Somebody». Tia Juana, oui, car signé Andre Williams, les Tones tapent dans l’early Dédé, ils le drivent bien wild, avec des chœurs de filles qui rebondissent. «Find Somebody» est un hit des Rascals et les Tones en font quelque chose de monstrueux. On dresse aussi l’oreille à l’écoute du «Little Lou» d’Eddie Daniels, car ça flirte avec l’Eddie Cochran. Autre bonne pioche : «Take My Love (I Want To Give It All To You)», signé du frère de Little Willie John, big instro, fast & furious, pour Keith Streng c’est du gâtö au chökölat, et Zarembaba entre sur le tard du lard. Et quand ils tapent leur «Tribute To Hank Ballard», ils n’y vont pas de main morte !

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             Do You Swing? Bonne question, Mister Zarembaba. Aw c’mon ! Coup de génie avec «Are You Ready For The Mountain», c’est du heavy Tones chanté à la Mountain, heavy as hell, solo destroy oh boy, ready for the mountain/ Now ! Encore du big power avec «I’m Back Again», ils te plongent le Brill dans une bassine de back again bouillante. Encore une fois, tout est plein comme un œuf là-dessus. On se régale de «Double Dripper», un big instro embarqué par une bassline dynamique et un shuffle d’orgue et comme ils ont décidé de nous en mettre plein la vue, ils tapent une cover de «Communication Breakdown», Zarembaba la shoote dans l’œil, il fait bien son Plant, ah l’enfoiré, il arrive à sonner juste et le Streng est à la page de Jimmy Page, c’est assez stupéfiant de voir des mecs taper du Led Zep sans perdre la face. Streng cocote sévère et Zarembaba t’ inféode tout ça à coups d’’harp.

    Signé : Cazengler, pas une flèche

    Fleshtones. Le 106. Rouen (76). 14 octobre 2022

    Fleshtones. Laboratory Of Sound. Ichiban International 1995

    Fleshtones. Hitsburg Revisited. Telstar Records 1999

    Fleshtones. Do You Swing? Yep Roc Records 2003

    Fleshtones. Take A Good Look. Yep Roc Records 2007

     

    Wizards & True Stars

    - The Sly is the limit (Part One)

     

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             Pas besoin de sortir de Saint-Cyr pour savoir que Sly Stone est l’un des rois de ce monde.  Tous les gens qui ont écouté du rock au long des seventies le savent. Sly Stone est avec Jimi Hendrix, George Clinton et Miles Davis l’une des plus pures incarnations du big Black Power, assis à la fois sur le rock, le jazz et la Soul, on top of the world. Il faut un cul énorme pour s’asseoir sur tout ça à la fois. Il existe très peu de candidats pour ce genre d’apanage des alpages. Tu les comptes sur les doigts de la main. Marc Z qui était assez prodigue en matière de paroles d’évangile disait de Sly qu’il était un génie. Ça résumait bien la situation. Chez lui, il y avait au mur des photos de Jimi Hendrix, Dylan et Sly. Nina Rosenblum qui a tourné le docu Sly/Jimi The Skin I’m In dit la même chose : «We really think that Sly Stone was a complete unalduteratd genius... the likes of Rembrandt, Michelangelo, Mozart.» Ah cette manie qu’ont les gens de ramener les grands noms dès qu’il s’agit d’évoquer l’incarnation du génie. Les kids s’en battent le coconut de Rembrandt et de Mozart, tout ce qui les intéresse, c’est «Dance To The Music». Ils laissent les vieilles peaux aux conservateurs de musées et vont danser avec Sly, car the Sly is the limit. Don Was qui fréquente lui aussi les rois du monde (Iggy, Dylan, les Stones ou encore Waylon Jennings) voit Sly comme l’un des «Greatest Artists of All Time» - il insiste bien sur les capitales, et va même jusqu’à le comparer à Duke Ellington. Emporté par son élan, il le qualifie encore de Cézanne of funk - It’s like he took these traditional James Brown groove elements and started putting orange into the picture - Et il chute avec ça : «This guy is a titan.»

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    C’est Jeff Kaliss qui cite Don Was dans son petit book, I Want To Take You Higher - The Life And Times Of Sly & The Family Stone. D’ailleurs, il est très bien, ce petit book, car c’est l’antithèse du Selvin book (l’Oral History) et du regard noir que porte cette vieille carne de Selvin sur Sly the Sky, aka the Spirit in the Sly, l’ange de lumière noire. Kaliss rappelle que Selvin a interviewé toute la bande, sauf Sly, et la plupart ont été se plaindre après la parution du Selvin book, car il est bien sûr très orienté. Le batteur blanc de la Family Stone Greg Errico dit même que c’est «the dirty laundry, the trash», et que bien sûr, ça n’a rien à voir avec la réalité du mythe. Oh no, no, no, Sly n’est pas seulement le bad boy, le drug addict que dépeint Selvin, ça a même choqué Nina Rosenblum, mais comme ses copains les kids, Sly s’en bat le coconut : «I don’t read all of that. I don’t even know about Joel Selvin». Le désaveu d’un roi du monde, c’est pire que tout. Sly the Sky, c’est autre chose, comme le dit Steve Paley - Il adore être le Howard Hughes de sa génération, il adore se rendre inaccessible, personne ne sait qui il est, ce qu’il fait et à quoi ressemble sa musique - Sly peut jouer à ce jeu pendant vingt ans, c’est le privilège des rois du monde. Et quand il réapparaît, il veille bien sûr à redevenir «unpredictable, uncontrollable, and fantastic.» Sly n’a pas beaucoup de vrais potes dans la vie, mais ceux qu’il a ne sont pas n’importe qui : Clive Davis, George Clinton, pour n’en citer que deux - It’s fun playing with George, because he likes to have fun - Alors ils jouent ensemble, comme des rois du monde assis on top of the world, avec leurs coiffures extravagantes et leurs costumes sci-fi. D’ailleurs George se souvient de la première fois où il a vu Sly sur scène, dans un small club à New York, the Electric Circus : «Les gens attendaient depuis un bon moment quand soudain c’est devenu l’enfer sur la terre. J’avais encore jamais entendu une basse sonner comme ça, l’un de nos bassistes Billy Bass Nelson avait huit cabinets, aussi je savais comment ça pouvait sonner. Larry Graham was loud as hell. Ils avaient la clarté du son Motown mais le volume de Jimi Hendrix ou des Who. They litterally turned this motherfucker out. C’est l’impression que m’a laissé Sly pour le restant de mes jours.» Sly est Sly dès le départ, il roule dans San Francisco au volant Jaguar XKE repeinte en mauve, cadeau de Big Daddy Dohanue, Sly est un «very flashy black man, dressed in Beatle suits and this weird pompadour», dit Catherine Kerr. Palao dit qu’il est Mr. Plastic-Hey-Baby-Soul et qu’il se frite avec les hippies, les Warlocks et le Great Society qui vont devenir le Dead et l’Airplane, il les traite d’amateurs, il ne s’entend bien qu’avec les Beau Brummels, comme par hasard ! Puis s’ouvre l’ère de la Family Stone, avec Sister Rose, Cynthia Robinson, la première trompettiste black de l’histoire du rock, dirt-and-dirty thumpin’ Larry Graham qui utilise des pédales fuzz et wah - a stimulating change-up from the happy bass burble of Paul McCartney et James Jamerson - Brother Freddie Stone - There’s no funker or better ryhthm guitar player - et les deux blancs, le vieux pote Jerry Martini aux cuivres, comme Cynthia, et Greg Errico au beurre. Alors boom ! Want To Take You Higher, boom badaboum ! Woodstock ! Beat that motherfucker ! Non tu ne bats pas ça ! Kaliss a raison de revenir longuement sur Larry Graham et ses «fattest, fuzziest runs heard to date», un Kaliss qui confirme aussi le délire Orange Mécanique qu’évoque Slevin, quand Larry Graham, traqué par un gang sous angle dust et armé de cannes, craignait pour sa vie. Mais les excès en tous genres font partie du cirque, alors où est le problème ? Tu as le même cirque chez les Stones et chez les Who, tu as même des cadavres, et comme le dit si justement le Père Fouettard, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs et le rock n’est rien d’autre qu’un gros cirque d’œufs cassés, avec un Sly the Sky qui danse sur la piste aux étoiles avec les fantômes de Brian Jones et de Jimi Hendrix. Suicides ? Pas suicides ? Certainement pas suicides. L’omelette. Orange Mécanique. Les touches d’Orange dans Cézanne, tout le monde n’est pas Cézanne, nous nous contenterons de peu, l’on pleure et l’on riiiit comme on peut dans cet univers de tisane, pas vrai Louis ? Aragone pour les intimes. Aragon is gone. C’est l’âge d’or du sex drugs & rock’n’roll, l’angel dust descend sur terre au jour de l’an 1969 et Bubba voit les frères Stone, Sly & Freddie «walking around the house all day like zombies». Brother Freddie tombe dans les pommes à l’Apollo de Harlem parce, que pour épater son frère Sly, il a pris plus de dope que lui - Everybody was trying to out-high each other, dit encore Bubba Banks - Jerry Martini complète le panorama en rappelant que tous les groupes qui en avaient les moyens payaient des médecins qui les conseillaient et qui les fournissaient : «Tu te réveilles, tu prends un Placidyl, puis tu snort de la coke jusqu’à ce que tu puisses parler correctement. It was like this up-and-down roller coaster.» Les gens s’en souviennent peut-être, mais les premières images de Sly & the Family Stoned au fond d’un backstage ont drôlement secoué les médias, «platform boots, fringues collantes, puffy shirts luminescentes, afros démesurées et des bijoux extravagants», «a new standard of rock royalty» dit Kaliss le kalife. Bon, il faut un label et Sly veut signer sur Atlantic, le label de Brother Ray et des Coasters, mais quand les whiteys lui recommandent de laisser tomber la Family Stoned pour enregistrer avec des requins de studio, Sly se casse vite fait et retourne dans l’outer space. Whizzzzzzzzz ! A true star !

             Sly va sur Epic. Tout sort sur Epic, comme sur une planète. L’épique planète Epic. Brother Freddie devenu pasteur après la fin de la Family Stoned n’en démord pas : c’est Stand le meilleur Epic - Oh man, that was the greatest, our greatest album without a doubt - Oh man et puis Riot, mais sans Family Stoned, Sly Stoned solo - A miasma of dark introspection fueled by chemical self-indulgence - L’illustration musicale du cauchemar qui s’abat alors sur l’Amérique - war, political intrigue and bad drugs - Greil Marcus dit même que Riot est un «portrait de Sly of what lies behind his big freaky black superstar grin», un Sly qu’on décrit écroulé sur le piano whaked out of his brain. Miles Davis se souvient être allé a couple of times à Bel Air où Sly enregistre Riot : «Il y avait des filles et de la coke partout, des gardes du corps avec des guns looking like evil.» Et puis sur la pochette, tu as l’American flag qui est accroché au-dessus de la cheminée at 783 Bel Air Road, qui du coup devient un endroit mythique.

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             Pour les ceusses qui ont vécu le Sly en direct, There’s A Riot Goin’ On reste son meilleur album. La partie est gagnée dès «Family Affair», repris par pas mal de gens, dont Iggy. Hit universel, chanté très laid-back. Clive Davis ne voulait pas sortir «Family Affair» en single - That sounds like he’s stoned. We can’t put that out, et Stephen Paley lui dit que ça n’est pas grave, it’s a great record - Ça grouille de puces géniales dans Riot. Par exemple «Just Like A Baby», un slow groove de pure défonce qui s’élève comme un filet de fumée dans l’underground californien, monté sur des notes de basse rondes et sourdes. Même laid-back dans «Africa Talks To You». Sly descend à la cave pour poser les fondations de l’empire du groove. Ses lignes ronflent dans la fumée. Ça continue en B avec «Time». Tout est visité par la grâce. Bobby Womack traîne dans les parages. Sly invente le groove sporadique du ralenti foggy. Il yodelle dans «Spaced Cowboy». Il revisite l’Americana à coups d’harmo schtroumphy. Il boucle ce gigantesque tour de magie avec «Thank You For Talkin’ To Me Africa», où se niche le fameux Thank you for lettin’ be myself. Sly refonde tout le party et s’écroule sur son trône.

             On verra tout le reste de l’Epic en détail dans un Part Two. C’est Betty Davis qui fait le lien entre Sly et Miles. Elle découvre Sly in the Bay Area et Greg Errico produit ses albums. Puis quand elle vit avec Miles, elle passe les disques de Sly en permanence - Miles aimait ça, autrement il m’aurait dit d’arrêter - Sly & Miles, Miles & Sly, on croit entendre l’«Old Europe» de Robert Wyatt, Juliette & Miles, puis Sly se remet à faire la Family Stone tout seul sur Fresh, il joue de tous les instruments mieux que tous les autres, sauf Brother Freddie. Sly cultive l’hypnotic electronic gloss, nous dit le Kalife Kalyss, frais émoulu de Fresh, un Fresh dit-il qui est la preuve de l’innovative pioneering genius de Sly. Et petite cerise sur la pöchette, tu as Sly in the sky photographié par Richard Avedon, Whizzzzzzz ! A true star ! Encore une cerise : sertie comme une émeraude dans Fresh, tu as la chanson de Doris Day, «Que Sera Que Sera», que Sly emmène dans le sky avec son ami Terry Melcher, ange blond et fils unique de Doris Day. Sly en plein jour de Day, Whatever Will Be Will Be. Sly épouse alors un autre ange, Kathy Silva et son fils Sly Jr vient au monde, immaculée conception, mais bien sûr, ils divorcent six mois plus tard. Il ne faut pas confondre le cirque des œufs cassés avec les contes de fées. Rien à voir. Et puis voilà Gunn que Kalyss écrit avec deux n, à la différence de Selvin, le pitbull de Sly qui terrorise tout le monde, et quand Gunn lacère le cuir chevelu de baby Sly Jr, Kathy se karapate vite fait. Amère, elle déclare que Sly Stoned n’a jamais cessé de se doper - He lost his backbone and destroyed his future - Patatrac ! Ah comme les gonzesses peuvent être hargneuses quand elles s’y mettent ! Mais Sly enfante bien d’autres phénomènes épiques : Earth Wind & Fire, Kool & The Gang, les Commodores, tout ça sort du sky de Sly, et puis bien sûr Parliament-Funkadelic - A righteous mix of psychedelia & R&B - «theatrical costumed rock well beyond the Family», avec un Eddie Hazel plus hendrixien que l’ami Jimi et the rubbery bassist Bootsy Collins plus grahammien que Larry Graham - he’s my idol, forget all that ‘peer’ stuff - Certains diront que Sly eut la chance de devenir une star à l’époque où tout était possible : les seventies. Il serait peut-être plus juste d’affirmer que Sly et une poignée d’artistes géniaux ont inventé le rock des seventies et rendu tout le reste possible.

    Signé : Cazengler, Stome de chèvre

    Sly & the Family Stone. There’s A Riot Goin’ On. Epic 1971

    Jeff Kaliss. I Want To Take You Higher. The Life And Times Of Sly & The Family Stone. Backbeat Books 2008

     

     

    L’avenir du rock

    - Les Plosivs sont plausibles

     

             L’avenir du rock adore aller se balader dans les montagnes du Colorado, surtout en hiver. La région est restée très sauvage. Aucun risque de croiser des touristes en moto-ski. Il marche depuis deux jours quand soudain, à l’autre bout d’une vallée d’une blancheur immaculée, il aperçoit une silhouette. L’homme approche. C’est un trappeur vêtu de peaux d’ours. Il marche et tient une mule par la bride. Les deux hommes se croisent et se saluent d’un hochement de tête. Quelques mètres plus loin, l’avenir du rock s’arrête, se retourne et interpelle le mystérieux personnage :

             — Hey !

             L’inconnu se retourne lentement et arme son fusil de chasse.

             — Quoi ?

             L’avenir du rock lève les mains en l’air :

             — Baissez votre fusil, pilgrim, je voulais simplement vous poser une question...

             — Quoi ?

             — Ne seriez-vous pas Jeremiah Johnson ? Il me semble vous avoir reconnu...

             — Oui et alors ?

             — Ben dites donc, vous n’avez pas l’air très frais !

             Le légendaire Jeremiah Johnson qui fit rêver toutes les rombières américaines est méconnaissable : œil crevé, le visage couvert d’horribles cicatrices, une barbe de prêtre orthodoxe lui couvre la poitrine et semble grouiller de bestioles.

             — Mon pauvre ami, qui vous a mis dans cet état ? Un grizzly ?

             — Non ! Les fucking Crows. Ça fait quarante ans qu’ils essayent de m’avoir ! J’en ai ras le piège à castors des Crows ! Chaque jour, un guerrier Crow me tombe dessus. Hier, j’ai pris une flèche dans l’œil. Et tenez, r’gardez ça !

             Il soulève sa tunique en peau de daim. Oh quelle horreur ! Son torse est couvert de boules de pus.

             — Même plus le temps d’extraire les pointes des flèches. Dès que je commence à cautériser une plaie, un Crow me tombe dessus !

             — Si vous voulez, Jeremiah, j’ai un œil de verre dans ma trousse de pharmarcie. Je vous l’échange contre le collier de griffes d’ours qui cous portez autour du cou.

             — C’est plausible.

             — Vous voulez dire Plosiv ?

     

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             L’avenir du rock adore rebondir dans les conversations. Ça lui sert chaque fois de prétexte à lancer de nouvelles perspectives. Ce troc plausible avec Jeremiah Johnson est l’occasion rêvée pour lui de saluer l’arrivée des Plosivs, un groupe infiniment plausible monté par John Reis, de l’autre côté des montagnes du Colorado, en Californie.

             On apprend grâce à un petit article de Vive Le Rock que John Reis is one half of the writing team of Plosivs. Reis connaît bien le chanteur Rob Crow, un vétéran de toutes les guerres qu’on retrouve dans Pinback et Thingy. Reis voit même Plosivs comme un super-groupe, avec le batteur d’Offspring Atom Willard et Jordan Clark, bassman de Mrs Michigan. Les gosses de Reis et de Crow vont à la même école, alors les pères se voient souvent. C’est comme ça qu’ils ont eu l’idée de composer ensemble. Précision importante : Reis ajoute qu’Atom a joué dans Rocket For The Crypt.

             Dans la petite chronique qu’on trouve à la fin du même numéro de Vive le Rock, Bruce Turnbull indique que le son de Plosivs te blaste à coups de «jangling post-punk riffs and an agonizingly catchy alt-rock chorus». Il rappelle que John’s mammoth riffs are hard to miss. On le savait depuis le temps des Rocket.

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             C’est vrai que ce bel album rouge grouille de petites énormités, même si c’est toujours un peu le même son, le même ventre à terre. Ces mecs-là n’ont jamais traîné en chemin. Leur truc c’est de filer sous le vent, alors ils filent. On retrouve le chant du grand Reis et ses idées de dynamiques dans «Rose Waterfall». Avec lui, le beat devient pire qu’éternel : sempiternel, et chaque fois ça accroche. Prends n’importe album des Rocket et tu verras comme ça accroche bien. Reis continue de développer son esthétique du brouet de chant aux abois et de cavalcades infernales. Ça reste du pur Reis with the Devil. Avec «Never Likely», une pluie d’accords au phosphore s’abat sur Dresde. Fantastique déluge de feu ! Reis ne rigole pas. En réalité, ses paroles ne servent que de prétexte à gratter des milliers d’accords. Il ne vit que pour gratter ses poux. Alors il gratte. Et il file. Il repart toujours bon pied bon œil comme le montre «Broken Eyes». John Reis ne s’arrêtera jamais, il va gratter ses poux jusqu’à la fin des temps. C’est comme on l’a dit un sempiternel. Un incurable. En B, il calme le jeu. Les cuts sonnent plus classicus cubitus. Mais bon, ça coule bien dans l’oreille. Il profite d’«Iron Will» pour lâcher un beau déluge d’excelsior, il joue à  l’insistance paramilitaire, celle qui ne respecte pas les Conventions de Genève, et ça finit par payer, c’est une fois de plus partie gagnée. Avec «Pray For Summer», il revient au calme, il longe par babord, c’est très délicat, finement amené au longeant. John Reis aura passé sa vie à composer des bonnes chansons qui ne seront jamais des hits. On appelle ça un destin, dans les contes. Et toute cette affaire de Plosivs s’achève avec «Bright», un cut de batteur fou, joué au beat des forges. John Reis ne nous aura rien épargné.

    Signé : Cazengler, Plo de chambre

    Plosivs. Plosivs. Swami Records 2022

    Introducing Plosivs. Vive Le Rock # 90 - 2022

     

     

    Inside the goldmine

    - Standing in the Shadows of Knight

     

             Iatus n’écrivait pas de livres. Non parce qu’il ne s’en sentait pas capable, mais parce qu’il avait une opinion si haute de lui-même qu’il préférait se singulariser autrement. De nos jours, n’importe qui écrit des livres, alors il préférait laisser ça aux autres. Le culte que certains êtres vouent à leur propre singularité passe nécessairement par la pratique de certains excès et cette singularité peut alors se transformer en arrogance, une façon d’être qui devait avoir du sens au temps des Empereurs romains, mais qui à notre époque semble plus difficile à assumer. Alors Iatus décida de cultiver clandestinement sa singularité et utilisant la peau de son corps pour écrire ses mythologies. Il ne laissait aucun signe apparent, mais ceux qui le connaissaient bien savaient que l’entière surface de son corps était tatouée. Et cette arrogance qu’il est si difficile de décrire prit alors tout son sens. Il naviguait dans le milieu ultra-hip des nouvelles technologies et personne n’aurait jamais soupçonné que sous l’alpaga de son costume vibrait le corps d’un guerrier Maori, mais un Maori qui aurait adoré le rock, au point de s’en faire tatouer toutes les icônes depuis la base du cou jusqu’aux poignets et jusqu’aux pieds : Elvis, les Cramps, Howlin’ Wolf, les Stones, et tout ce qu’on peut bien imaginer dans le domaine des grandes figures emblématiques. Un jour à table, il avoua d’une voix lénifiante qu’il lui restait un petit carré de peau vierge sur l’arrière du mollet droit et qu’il envisageait d’y faire tatouer l’interprétation graphique du portrait de Joe Kelley, le guitariste des Shadows Of Knight, à quoi les douze amis présents comme autant d’apôtres applaudirent mollement.  

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             C’est bien sûr grâce à Lenny Kaye et à la compile Nuggets parue sur Elektra en 1972 qu’on a tous découvert les Shadows Of Knight. Puisqu’on ne trouvait pas les pressages américains en France, alors on les commandait sur l’auction list de Suzy Shaw. Les Shadows Of Knight furent avec les Standells les figures de proue du gaga-punk sixties américain, c’est-à-dire un continent qu’on allait mettre vingt ans à découvrir - It ain’t easy bein’ the forefathers of punk - Le chanteur Jim Sohns fut le seul à pouvoir rivaliser d’ultra punkitude avec Van Morrison. Il vient tout juste de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous lui rendre un petit hommage.

             Comme beaucoup de groupes devenus cultes (Stooges, Velvet, Jimi Hendrix Experience), la réputation des Shadows Of Knight repose sur une trilogie. Avec Gloria, Back Door Men et Shadows Of Knight, on fait le tour du propriétaire.

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             Le premier date de 1966 et s’appelle Gloria. C’est leur meilleur album, la reprise de «Gloria» qui donne le ton est parfaite - A total celebration of teenage lust - mais l’album offre bien d’autres charmes, comme par exemple l’«It Always Happen That Way» qu’on trouve en B, juste après le mythique «Oh Yeah» (You’re the one/ Said oh yeah), un Always Happen That Way amené au riff de fuzz, idéal pour aller jerker au Bus Palladium. La reprise la plus spectaculaire de l’album est celle de «Got My Mojo Working» : belle tension du beat, fantastique énergie et on peut même parler de wild rythmique, aussi wild que celle des Yardbirds. Leurs reprises de «Boom Boom» et «You Can’t Judge A Book By The Cover» sont superbes. Jim Sohns et ses copains rendent surtout hommage aux gloires locales de Chicago, car ils tapent aussi dans «Hoochie Coochie Man».

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             Paru la même année, Back Door Men est un album moins spectaculaire, même s’il démarre sur un «Bad Little Woman» digne du Rave-up des Yardbirds. Avec «Three For Love», ils se prennent pour les Byrds et donc on perd le raw de Bo et le Rave-up. Ils tapent ensuite dans l’«Hey Joe» des Leaves, une version créditée Dino Valente ! Gros clin d’œil à Jimmy Reed en B avec «Peepin’ & Hidin’» que Joe Kelley chante d’une voix très mûre et un peu rauque. Ils font un instro de heavy blues avec «New York Bullseye» puis renouent avec le swagger des Shadows dans «High Blood Pressure» et finissent avec une version un peu ratée de «Spoonful». Chaque fois que les blancs tentent le coup de «Spoonful», c’est raté. Celui des Shadows est complètement artificiel.

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             Avec leur troisième album sans titre, les Shadows Of Knight atterrissent sur un sous-label de Buddah et sont produits par les rois du bubblegum, Kasenetz-Katz. Le son s’en ressent. On sauve une perle gaga, «I Wanna Make You Mine», car c’est bien arrosé de fuzz. Jim Sohns tente aussi de sauver l’album avec «I Am What I Am», il chante à l’insidieuse sous le boisseau de Chicago. Ils font du gaga-punk de Chicago en B avec «I’ll Set You Free», ils créent bien l’ambiance, mais la prod est bizarre, la guitare se balade comme un petit serpent dans le fond du son. Ils tapent ensuite dans le «Bluebird» de Stephen Stills et le jamment jusqu’à l’oss de l’ass. Dommage qu’ils manquent de son. L’intention est là, mais la guitare est encore trop éloignée dans le morceau titre qui referme la marche. C’est enregistré sans aucun sens des équilibres. Ça ne tient que parce que ce sont les Shadows. Ils ont une certaine aura, un gros son de basse et Jim Sohns.

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             Sacré beau doc que ce Raw ‘N Alive At The Cellar Chicago 1996 édité par Sundazed en 1992. Ça donne une idée de ce que les Shadows ont dans la culotte quand ils grimpent sur scène. Leur version d’«Oh Yeah» est certainement le cut le plus punk d’Amérique, said oh yeah. Absolute dégelée de yeah yeah yeah. Des tas de kids ont formaté leur vie sur l’Oh Yeah des Shadows. Tu ouvrais le yeux le matin et tu chantais : «Oh yeah/ Everything’s gonna be alright/ This morning.» Et hop, tu partais au lycée. Jim Sohns casse encore la baraque sur «Everybody Needs Somebody To Love», il tape ça en mode Shadows of Knight, c’est du burn-out direct, Sohns est un punk, il saque son you you you au yes I do. Puis il dédie «Don’t Fight It» to our boys in Vietnam. Ils tapent une version d’«I Got My Mojo Working» ventre à terre. Tous les excès sont permis. En fait, ils jouent la plupart des cuts au fast British beat, mais ils vont deux fois plus vite que les Anglais («It Takes A Long Time Comin’»). Aucun bassman anglais ne peut rivaliser avec Hawk. Ils font aussi l’«Hey Joe» des Leaves, pur jus de Nuggets avec Joe Kelley on lead qui tartine du psyché de Chicago. Ils font une belle version de «Spoonful», bien meilleure que celle de Cream, mais ça reste un cut difficile, car il appartient aux blacks. Il n’empêche que Joe Kelley le joue jusqu’à l’oss de l’ass. Et puis tout explose bien sûr avec «Gloria», ça plonge dans le she goes around, c’est l’apanage des Shadows d’about midnite et de feel alrite, ils ont bien pigé l’esprit de Van The Man, ils sont dans le buisson ardent de la chapelle ardente, ils grattent le rumble d’entre-deux et font durer le plaisir du feel alrite, et comme Van The Man, ils illustrent la montée du plaisir de knock on my door, ooh gi elle ooh are hiii eye, yeah yeah yeah, c’est le coït punk. Pas de plus belle clameur sexuelle. 

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             Le 28 décembre dernier, dans l’un des ses derniers messages, Jean-Yves m’écrivait ceci : «Pour rester à Chicago, il faut réécouter le ‘Jeannette’ de Wade Flemmons et le ‘Someone Like Me’ des Shadows Of Knight. Good night sleep tight.» Dernier single des Shadows sur Dunwich, «Someone Like Me» ne figure sur aucun des trois albums des Shadows Of Knight. On le trouve sur une compile Rhino parue en 1994, Dark Sides - The Best Of The Shadows Of Knight. C’est un fantastique shoot de proto-punk, bardé de clameurs des cavernes, hey !, broyé dans l’escarcelle du cartel, hey!, avec des cuivres au coin du Cellar, hey !, et un joli brin de killer solo flash à la Joe Kelley. Va doucement Kelley, c’est tout bon ! Mais c’est le premier single Dunwich «I’m Gonna Make You Mine» qui rafle la mise. Complètement dé-vas-ta-teur ! C’est l’ultimate, le pusher définitif, c’est d’un heavy à peine croyable, encore pire que les early Stones, avec le solo le plus gluant de la stratosphère. Arrrrghh, make you mine ! On retrouve bien sûr «Gloria» et «Oh Yeah» (claqués au mythe), mais aussi «Dark Side» (All mine ! Demented), tout le punk de Chicago est là, she’s my lover/ She’s my all, et on reste dans le proto-punk avec l’excellent «Light Bulb Blues» qui figure aussi sur le premier album - But now I lost my mind - Proto-punk toujours avec «It Always Happen That Way», heavy as hell et chanté à la Sohns, et ça continue avec «I’ll Make You Sorry» tiré du deuxième album, proto-Shadows, aw aw, ces mecs naviguent à la dure du proto-proto, c’est d’un niveau qui explose les bornes. Et puis à la fin, tu as deux petites cerises sur le gâtö du protö : «My Fire Department Needs A Fireman», claqué dans la vraie veine d’extrême power acéré, et «I Am The Hunter», doté de l’une des plus grosses intros du siècle passé, avec la heavy cisaille de Joe Kelley ! Ça groove dans l’acier de Damas, le bleu, le vrai, pas le gris, aw comme ça groove !

    Signé : Cazengler, Shadow au mur

    Jim Sohns. Disparu le 29 juillet 2022

    Shadows Of Knight. Gloria. Dunwich 1966

    Shadows Of Knight. Back Door Men. Dunwich 1966

    Shadows Of Knight. Shadows Of Knight. Super K 1968

    Shadows Of Knight. Raw ‘N Alive At The Cellar Chicago 1996. Sundazed Music 1992

    Shadows Of Knight. Shadows Of Knight. Dark Sides. The Best Of The SOK. Rhino Records 1994

     

    *

    Vous ai déjà pris la tête, voici, déjà longtemps avec la provenance de The house of the rising sun, si chaque fois que j’en dégotte une nouvelle version je devais vous en aviser, Kr’tnt vous en parlerait toutes les semaines, mais celle-ci m’a particulièrement intéressé. Derrière cette version ne se cache pas un homme, mais un groupe.

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    Américain bien entendu ! Point du tout des USA. Du Canada.  Exactement du   Saskatchewan, vaste province qui jouxte le Dakota et le Montana, soyons précis : de Regina, cité prospère, dont le blason s’orne d’un magnifique bison. Oui, si vous reniflez fort, ça sent un peu le peau-rouge, avant qu’elle ne soit débaptisée la ville se nommait Wascana en langue Cri amérindienne, ce qui signifie Os de Buffalos. Hélas, c’est une fausse piste, nous avons affaire à des amateurs de chants de cowboys. Des adeptes de bluegrass. Que voulez-vous ils ont l’âme appalachienne. Se sont formés en 2012, quatre albums à leur actif et en plus du 45 Tours qui nous occupe, deux EP reprenant des grands classiques du bluegrass. Se sont rencontrés au lycée, étaient des amateurs de metal, de grunge ou de chansons à textes. La fibre bluegrass de Nate s’est révélée communicative, ils ont rangé les guitares électriques pour les remplacer par des instruments acoustiques. Leur façon de se présenter est séduisante :  ‘’they sing about murderous, estranged spouses and runaway lover cousins in a boot-stomping acoustic configuration’’

     

    THE DEAD SOUTH

    ( Six Shooter Records / Août 2020 )

    Nate Hilts : guitare, mandoline, vocals / Scott Pringle : guitare, mandoline, vocals / Colton Crawford : banjo, vocals / Danny Kenyon : violoncelle, vocals.

    Il vaut mieux écouter la face A avant de s’attarder sur la couve. The Little light of mine est un gospel écrit en 1920 par Harold Dixon Loes. Ce dernier est ce qu’en France nous nommerions un homme d’église. Il a composé plus de deux mille gospels. A ce niveau-là ce n’est plus de la foi mais de la rage. The Little light of mine, est le plus connu. Des paroles très simples qui peuvent être retenues même par de très jeunes enfants. On le trouve très facilement glissé dans le répertoire de ces disques de chant de Noël dont les amerloques sont friands. L’a été repris par une fooltitude d’interprètes de Sister Rosetta Tharpe à Bruce Springteen, large éventail. Pour les curieux qui n’ont pas compris la nature de cette petite lumière qui brille en certains individus je suis à même d’éclairer leur lanterne : s’agit de Jésus ! Je ne suis pas friand d’eau bénite, mais le bluegrass plonge la plupart de ses racines dans le terroir réactionnaire, conservateur et christologique.

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    Inutile donc de s’étonner de l’habillage du single. Il est de Nate Parro. Sans doute un pseudonyme farro phonétiquement proche de Parro se traduisant par épeautre, le bon grain à ne pas confondre avec l’ivraie et Nate signifiant don de dieu…  Je n’ai trouvé qu’une autre attribution à Nate Parro de pochette dument répertoriée, celle de The hurt and the healer de MercyMe. Pas besoin d’embaucher un détective privé pour qualifier ce groupe dans la sphère culturelle (et cultuelle) religieuse chrétienne, cette couverture reprend la vieille métaphore biblique du figuier stérile à qui le Seigneur permet de refleurir. Comme ils sont américain, l’arbre miraculé est au milieu d’un champ de blé, voir plus haut… D’une autre facture se présente la pochette de The little light of mine. Nous avons quitté la nature, nous voici en contemplation devant quatre vitraux. De fait, il s’agit d’un même dessin séparé en quatre fragments ogivaux que l’on peut très réunir facilement par une simple opération mentale. Une bande dessinée symbolique. La Mort, le Mal, l’Ensemencement, l’Espérance. Je ne vous inflige pas les différentes représentations pédagogiques essaimés dans le dessin. L’ensemble n’est pas dénué d’une grâce naïve.

    The little light of mine : après l’avoir écoutée je me suis enquillé quelques versions gospel, lourdes, emphatiques et ennuyeuses, genre de boulets auditifs qui ne m’ont pas entraîné dans un confessionnal, vous en avez de deux genres, celles des cantatrices qui se prennent pour des divas d’opéra, et celle des chœurs en simili-folie étudiée au millimètre près qui swinguent moins bien que Balou dans le film Le livre de la jungle.  Me suis rabattu sur un vieux document de l’INA, Sister Rosetta Tharpe, orchestre jazzy avec contrebasse, solo de clarinette, solo de trompette, les mains de Rosetta avec lesquelles elle chante aussi bien qu’avec sa voix, son solo de guitare-caterpillar, et un entrain à revigorer les morts. Rosetta c’est la Lucie du rock ‘n’roll, et après je suis revenu à Dead South. Bye-bye le gospel ! c’est que l’on appelle une appropriation culturelle, vous la métamorphosent en chanson de cowboy, tous en chœur sur un banjo qui frétille, plus trois ou quatre ( ne pouvaient pas décemment en mettre davantage le morceau n’atteint pas les deux minutes) yodels aussi déplacés qu’un trombone dans un frigidaire. Totalement irrespectueux. C’est pour cela que j’aime ! The house of the rising sun : easy listening sur le premier couplet, guitare grave et voix profonde, registre dramatique, mélodramatique, quelques notes de banjo qui coulent comme les larmes que vous n’avez pas su retenir, deux secondes de funèbre silence, et hop-la-la, pire qu’une gigue écossaise, ce soir c’est la fête au village, youpie la framboise ! l’on danse tous autour du feu en essayant de serrer les plus jolies filles. Total décrochage, vous vouliez de l’urne funéraire, ce sera soirée festive à se défoncer jusqu’à s’écrouler par terre, ivre mort. Prenez une (mille si vous préférez) goutte de bourbon pour reprendre vos esprits et vous donner du courage et tentez une nouvelle expérience après tout l’on ne meurt que deux fois si l’on en croit James Bond. L’est sûr que l’on fait un sacré bond à la première écoute. Maintenant si l’on cherche dans sa mémoire, la version de Leabelly est curieuse, une personne qui ne comprendrait un traitre mot d’anglais la trouverait sinon joyeuse du moins chantante, Leadbelly vous l’expédie comme s’il s’agissait d’une peccadille sans importance, une bluette d’amourette, une cigarette que l’on fume et que l’on jette, vous avez aussi  la version d’Ivy Smith et de Cow Cow Davenport enregistrée entre 1927, la voix d’Ivy porte tout le malheur de la terre sur ses épaules, Cow Cow ralentit son piano-boogie, mais vous avez une espèce de clarinette, de fait le cornet de D. B. Wingfield, qui n’en finit pas de faire des galipettes, l’a l’air de se tordre de rire. N’oublions pas que Davenport a fait du vaudeville et du Medecine Show… Bref une version peut-être entée sur de vieilles strates américaines qui ne nous sont guère familières !

             Ont-ils choisi de se nommer The Dead South en opposition à the Deep South, parce que les traditions sont faites pour être bousculées.

    Damie Chad.

      

     

    TELEKINETIC YETI

    A lui tout seul le Yéti a terrorisé bien des imaginations. C’est Tintin et Hergé qui l’ont réhabilité, toutefois l’on n’échappe pas à sa mauvaise réputation. Est-ce pour égaler celle-ci que Axel Bauman et Rockwell Heim ( a remplacé Anthony Dreyer à la barate sur le deuxième album, celui-ci a créé Twin Wizzard qui présente une imagerie similaire à celle de Telekinetic Yeti ) se sont unis pour démontrer au monde entier qu’ils étaient capables à eux tout seuls de faire autant de grabuge que le yéti poilu des cimes glacées ? L’est vrai qu’avec les progrès de l’amplification, des delays et des diverses pédales mises en vente dans toutes les bonnes creameries, la tonitruance est désormais à portée de main des audacieux.

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    Viennent de sortir un deuxième album attendu depuis cinq années car le premier avait frappé les esprits des fans de stonner doom. C’est ce premier artwork que nous écouterons en premier en premier. 

    ABOMINABLE

    (Album numérique Bandcamp / Mars 2017 )

    Posons-nous toutefois quelques questions. Que signifie le titre de cet album ? Si je m’amuse à trancher à la scie à métaux les têtes de tous les enfants d’une classe de maternelle, j’ai bien peur que les lecteurs de Kr’tnt ! qualifierons cet acte d’abominable. Ils auront tort. Certes ils auront raison de m’accuser d’extrême cruauté et de barbarie, mais ces actes sont avant tout humains. Trop humains ajouterait le solitaire d’Engadine. La notion d’abominabilité ( j’adore les néologismes ) implique un facteur de non appartenance à la sphère humaine. Aristote ajoutera que ce qui n’est pas humain appartient au Divin. Vous pouvez ne pas être d’accord avec lui, mais préparez votre argumentation. Devisons allègrement sur le nom de ce groupe. La télékinésie est la possibilité de faire bouger un objet quelconque par la seule force mentale. A la réflexion cette nécessité de mettre en mouvement l’abominable homme des neiges qui d’après les légendes se débrouille très bien tout seul pour dévaler les pentes glacées de l’Himalaya n’est guère convaincante. Selon nous une seule échappatoire ce que le groupe veut bouger ce n’est pas le Yéti mais le concept de Yéti en tant que porteur de cette notion d’abominabilité avec laquelle la fiction populaire l’a étiqueté.

    Tout ce qui précède pour contempler maintenant la couve de l’album. Huit officiants rendant un culte à une idole de pierre.  Malgré la lumière qui émane de son entrejambe il est permis de se demander où est l’idole, est-ce le colosse massif du premier plan où le pan de rocher lui-même au pied duquel il est tassé, où ce semblant à une informe figure humaine à même la verticalité  de la roche… Prenez votre temps de regarder cette couve anamorphosique.

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    Abominable : vibration infinie d’une plaque d’airain, décharge battériale et la voix s’élève, décryptez-là, le thème des Anciens Dieux cher à Lovecraft vous aidera à comprendre, il existe un Dieu plus ancien que les Anciens Dieux, c’est lui l’innommable abominable, les autres n’ont engendré que des hommes aussi fragiles que l’argile. Ensuite ce ne sont qu’empilements, que terrassements, qu’éboulements qui s’empilent les uns sur les autres, un chaos charivarique qui roule, s’écroule, s’amoncelle, se sépare pour mieux se ressouder, des riffs tourneboulent pour former une masse indéfinissable, et tout se fige en un silence pointu. Electronaut : une rythmique humaine, ou du moins compréhensible, quelque chose dont un peu saisir un semblant de sens, une épopée dont nous ne connaissons ni les lieux, ni les personnages, ni les dates, une marche en avant qui allie la grandeur sanglante de la guerre de Troie à la subtilité d’Ulysse, instrumental chacun y collera ses propres images, peut-être la première épopée grecque perdue qui relatait le voyage des Argonautes. Mais vers quelle toison d’or se dirigent nos voyageurs intersidéraux. Stoned and feathered : des riffs qui glissent comme un engin volant dans les mers sidérales, clameurs d’un équipage qui demande à être conduit sur les sentiers de la gloire – cymbales en cliquetis d’épées incessant  - et le rêve immarcescible d’immortalité, preuve qu’il existe une dimension supérieure à laquelle il s’agit d’accéder ou du moins en obtenir protection. Colossus : harmonium, chantonnements, voix efféminées l’on se croirait dans une procession, instrumental en totale contradiction avec tout ce qui précède, méfions-nous, souvenons-nous de ces animaux parés de fleurs que l’on conduisait en chantant… à un abattoir qui avait pour nom sacrifice, les grondements des caisses, le cliquètement des cymbales et le chanfrein des guitares qui surnagent sur le roulement chaotique à la manière des murènes ondoyantes dans le piscines en attendant qu’on leur jette un esclave à dévorer,  c’est qu’un colosse représente la force incoercible qui appelle la louange et rappelle  la brutalité des belluaires, Heim est à la fête, l’on ne peut à proprement parler d’un long solo de batterie mais d’une espèce de parade mise en scène en même temps par  Jean Cocteau et Jim Morrison, Kaufman bourdonne comme un nid de frelons asiatiques à la recherche d’une proie, accalmie propitiatoire, ici tout n’est que luxure et démesure sonique, vous enveloppent dans une toile sucrée pour mieux vous diriger, pour mieux vous digérez. Superbe morceau. Lightbearer : porteur de lumière, lampadophore disait Mallarmé dans son poème sur la nuit approbatrice, il n’est pas de clarté sans pénombre, d’adoration sans crainte, vous concassent les deux principes en papillotes que la guitare jette aux quatre vents, confettis de haine et de désir qui retombent et vous assomment, puis rebondissent et chutent dans l’infini des atomes éternels. Perdition.  Apophis : juste quelques courts lyrics dans le morceau précédent et les trois derniers sont purement musicaux, est-il besoin de paroles lorsque Abominable est composé avec la rigueur d’un poème symphonique, ici Apophis le serpent glouton, celui qui pose sa tête monstrueuse celui qui ouvre sa gueule vorace sur la barque qui descend le Nil funéraire, sur le fil de la vie éternelle, il donne de violents coups de sa queue reptilienne afin de faire chavirer l’âme humaine dans son gosier infernal… tempête tumultueuse sur des peaux de crocodiles, gare au bec de Sebek… Beaneth the black sun : tapotements et tremblotements, la musique glisse et s’égoutte, les harmonies se dissolvent, plus terrible que l’Apophis le mythe du Soleil Noir, imaginez l’ombre des notes blanches et noires, aucune des deux ne vous fera de cadeau car elle vous entraîne dans la roue fatidique de la destruction, le soleil noir c’est identique à l’ouroboros mais à comprendre comme l’avers fatidique du symbole de la vie. Ce n’est plus la vie qui renaît de la mort, mais la mort qui renaît de la mort. Le morceau se termine comme ses moulins de prière tibétains qui tournent sans fin, mais ici c’est un vent verlainien, mauvais, non-humain qui le fait tourner. Au loin retentit le bruissement des cloches salvatrices d’un monastère perdu dans la brume et la glace. Glissandi de guitares, breaks incessants de batterie, sonnette de fer blanc maintenant ingrate et harassante au marcheur qui a emprunté le chemin qui monte, chaque pas vers l’asphyxie, c’est un appel qui soutient le voyageur immobile dans l’immensité déserte des pics qui et des massifs qui se perdent dans la brume… Hymalayan hymn : le grand mot est lâché, sans prononcer une parole, ondes de guitare encerclante, le chemin tourne sur lui-même, il devient couronne de nuages passées au doigt de la plus haute cime, mais peut-être sommes-nous en une vertigineuse descente emportés par une avalanche qui s’exhausse sur elle-même au fur et à mesure qu’elle emporte avec elle des masses de neige et de glaces arrachées aux parois abruptes, lorsque tout est recouvert, tassé sur-lui-même, lorsque il ne reste plus que le mystère de l’abîme et la plénitude du silence enseveli pour des siècles.

    PRIMORDIAL

    (Album numérique Bandcamp / Juillet 2022 )

    ( Vinyl TeePee records )

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    Autant la couve d’Abominable était porteuse d’orange triomphal, autant celle de Primordial offre les tons verdâtres d’un monde glauque. Nous sommes bien sur les pentes verglacées de l’Himalaya, mais la silhouette géante et solitaire qui se détache sur un roc sculpté par les tempêtes et le gel n’a rien à voir avec l’ambiance somme toute bisounours des albums d’Hergé. Autre époque, autres mœurs. Il fut un temps où des aigles géants dont les becs forment aujourd’hui de terrifiants fossiles tournaient inlassablement dans les sauvages nuées de grésil, vigies obstinées des lieux inhospitaliers, maudits et interdits à toute créature.

    Cinq ans se sont écoulés entre la parution des deux disques. Mais combien de siècles et de millénaires entre la fin du premier et le commencement du deuxième. C’est pourtant la suite immédiate de la même Histoire…

    Primordial : ronflements, pluies stridentes d’un riff continuel qui redouble d’assault, nous sommes aux temps d’après les temps, de l’opacité sonore émerge une voix archéologique, la terre se désassemble et laisse apparaître sous les rayons blafards d’un maigre soleil, des vestiges épars d’ossements et des marteaux de fer, est-ce pour cela que la batterie forge le son sans désemparer. Dans l’œuvre précédente nous étions proches des Dieux, désormais nous sommes sur la piste des hommes. Ancient nug : riffs fuyants, nous remontons le temps, tout ce qui a été perdu est à revenir. Musique violente qui creuse d’un côté dans le passé enfoui, de l’autre dans le présent détestable, nous marchons dans d’anciens sanctuaires griffés par le vent des guitares, aujourd’hui aller de l’avant c’est retourner en arrière. Ce qui est mort vit encore, il suffit d’en rassembler les éléments dispersés. Le rythme perd de l’amplitude, se fourvoie telle une excavatrice dans les traces du passé. Ghost train : entrée sonore fantomatique, tout se passe dans la tête, l’injure que l’on adresse au rituel auquel on se soumet, tournoiements vite cahotifs, nous sommes entraînés en une tempête qui nous brûle les yeux et nous ouvre la vision des abysses. Emportés à une vitesse folle, les images défilent mais nous ne maîtrisons plus rien. Stoned ape theory : instrumental, il est mots qui ne veulent rien dire ou qui en disent trop. Laissons les guitares filer en éclaireuses devant les chars d’assaut de la pensée. D’où venons ? Et allons-nous seulement vers quelque part ? Remontons-nous vers les origines ou suivons-nous la courbe de nos déchéances. Arrêt brutal. Dans mon cerveau tout se brouille, tintamarre abêtissant de cymbales, c’est ainsi que l’on empêche les oiseaux de nicher, est-ce ainsi que l’on empêche l’homme de penser. Notre origine remonte-telle aux singes, arrêts successifs, pour couper courts à nos déambulations théoriques, coups de ciseaux dans la toile des représentations mentales, des chœurs lointains incompréhensibles à la raison humaine, machine à méninges assourdissante, un riff nous pousse au plus profond de notre labyrinthe, parfois nous butons contre un mur et rebondissons telle une balle en caoutchouc, nos certitudes se craquèlent, la batterie défonce les murs de nos défenses mentales, elle concasse nos a priori et se transforme en lance-flammes incendiaire qui coagule nos idées en un magma informe. Light in a dying world : davantage de monde mort que de lumière, ou alors est-ce une lumière noire, il est des diamants plus noirs que la nuit, tout dépend de la manière dont on porte notre regard. Beast : la lumière était bien noire, elle éclaire comme le doute, où que vous portiez votre regard vous ne savez plus, n’y a-t-il pas plus haut des êtres supérieurs qui nous manipulent dont nous sommes les jouets, accélération fondamentale il est des moments où l’interrogation tourne à la révolte, où tout s’éclaire, ou la réalité envahit les membranes déchirées de notre cerveau. Toque wizzard : les choses se dévoilent, les indices se lisent et racontent l’’histoire d’un monde ancien, d’un temps fastueux, qui n’a pas survécu qui a été détruit, dont il ne reste que des vestiges, dont nous-mêmes sommes les résidus. Rogue planet :  la musique accélère encore, elle s’enflamme sur le rideau de feu des guitares surgissent les méandres du passé, renaissance de l’épopée perdue, les voyageurs des étoiles, les royaumes fastueux qui ont été édifiés et qui ont périclité, mais le dégel des souvenances est en train de s’opérer, Celui qui fut pierre et colosse de glace sort de son long hiver, les prophéties ignorées se réalisent. La musique avance inflexible comme le destin. Tides of change : l’océan du temps pousse les vagues de la mort lente, les éléments changent, l’eau se solidifie et la terre s’effrite, le sable s’envole de son nuage brûlant s’engendre un feu irrésistible, qui saurait résister à un tel cataclysme ? Invention oF fire : l’homme a inventé le feu de ses conquêtes et de sa déchéance, car le feu est le premier et le dernier des éléments, le grand constructeur, le grand destructeur. Celui qui meut la roue infinie du temps. Parce qu’il brûle sans cesse le feu est l’élément suprême celui dont ardences met en mouvement le cycle phénixal des cendres et celui qui consume ses propres cendres.  Cult of Yeti : dernière leçon, seuls les Dieux résistent, l’homme n’est que l’ombre des Dieux. Même morts les Dieux subsistent. Même morts leurs malédictions sont encore opératoires. Si tu veux savoir davantage fouille encore la terre pour tenter de comprendre quelque chose, car assez haut sur les pics glacés jamais tu ne monteras, jamais tu ne retrouveras le lieu du culte… Le yéti n’est que l’image de ce qui a été perdu. Définitivement. Telekinetic Yeti ne te laisse aucun espoir, son background musical fait barrage, il est infranchissable, plus tu penses t’approcher de cet amoncellement sonore, plus il se porte à ta rencontre, davantage il descend, tout autant il t’écrase de sa masse, il s’impose, il te surplombe, il te dépasse, il te menace, il te nargue, de quelque manière dont tu le ressens, même protégé par le bouclier de l’ironie, il t’interdit d’être heureux. Il te renvoie à condition d’animalcule sans intérêt.

             Un disque âpre sans concession. Dans la suite logique et musicale d’Abominable. A cette différence près qu’ici le mètre-étalon du récit n’est pas la démesure des Dieux mais la médiocrité impuissante des Hommes.

    Damie Chad.

     

     

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

                                                              

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    EPISODE 6 ( DERIVATIF ) :

    30

    J’arrêtai la berline devant la maison où la veille j’avais déposé mon auto-stoppeuse. Pas très grande.  Le Chef qui allumait un Coronado fit la grimace. Je partageai son avis, loin d’être une splendide villa, presque une bicoque. Deux fenêtres aux volets fermés encadraient la porte d’entrée, elle ne possédait qu’un étage, des persiennes ajourées étaient aussi soigneusement closes. Nous en fîmes le tour. Les deux murs latéraux n’offraient aucune ouverture. Derrière la maison, nous débouchâmes sur un jardinet en friche dont les limites se perdaient dans celles des champs. Je m’apprêtais à forcer la porte lorsque les chiens que nous avions laissés dans la voiture, vitres ouvertes, jappèrent brièvement pour nous donner l’alerte. Nous les rejoignîmes, personne aux alentours, toutefois à une centaine de mètres venant du village, une silhouette un peu voûtée approchait… C’était une vieille femme porteuse d’un cabas d’où s’échappaient une gerbe de glaïeuls. Lorsqu’elle arriva à notre hauteur, son visage s’illumina. Je crus qu’elle nous connaissait. Mais non, Molosito et Molossita pointaient leur museau par la portière.

              _ Les pauvres toutous, ils ont faim, venez mes amours - ils étaient déjà à se frotter à ses jambes – tenez mes petits !

    Elle sortit de son sac un assiette creuse recouverte d’un film plastique, remplie à ras-bord de jambon d’York sur lesquels nos deux corniauds se jetèrent comme s’ils sortaient d’un stage de jeûne méditatif organisé par une secte bouddhiste. La bonne femme se tourna vers nous :

              _ N’ayez pas peur, il en reste pour les chats d’Alice !

              _ Alice !

              _ Oui, la pauvre petite s’est tuée avec ses parents, voici deux ans, un accident de voiture, des cousins du père sont venus pour l’enterrement, ils ont fermé la maison et abandonné les deux chats dans le jardin, ils sont redevenus sauvages, mais ils ne s’éloignent guère, je leur porte chaque jour à manger !

    Nous la suivîmes. Deux gros matous sagement assis sur le seuil de la porte ne semblèrent même pas gênés par présence des chiens qui le ventre rebondit se couchèrent au soleil et ne firent aucun cas de leurs ennemis héréditaires. Deux superbes félins, un noir et un blanc. Ils avalèrent leur assiette de rognons de bœufs marinés au vin blanc, sans se presser, à petites bouchées. Une fois leur repas terminé ils repartirent à petits pas.

            _ Ils vont au cimetière, la nuit ils dorment sur la tombe d’Alice. Elle les aimait tant ! Je voulais lui apporter le bouquet de fleurs, mes jambes me font mal, j’irai demain.

    31

    Nous l’avons raccompagnée en voiture devant chez elle. Nous la quittâmes rapidement en spécifiant que nous retournions à Paris. A la nuit tombée nous nous introduisîmes dans la maison. Cuisine à droite, salon à gauche. En haut deux chambres, celle des parents, celle d’Alice. Je m’attardais dans celle-ci. Elle avait été hâtivement rangée comme tout le reste de la maison. Sur le mur un poster d’Elvis Presley et une photo d’Alice entourée de ses parents. Les mêmes cheveux qu’Alice, mais les traits du visage n’étaient en rien ressemblants… Apparemment une jeune fille sage. Dans un coin, un bureau de lycéenne que je fouillai consciencieusement, elle était morte quelques mois avant de passer son bac, je feuilletai ses livres et ses cours, une écriture ronde et appliquée de fille… Le Chef me rejoignit, lui non plus n’avait rien trouvé de notable. Des gens sans histoire qui réglaient leurs factures sitôt après réception. 

    32

    Le Chef éteignit son Coronado avant de pousser la grille du cimetière. Une centaine de tombes. Pas plus. Nous n’eûmes aucune difficulté à repérer la tombe d’Alice. La pâle lumière de la lune découpait les silhouettes hiératiques de deux sphinx immobiles sur la pierre tombale. Elle était située près d’un des quatre murs d’enceinte, à peu près à sa moitié… Rien de suspect, si ce n’est un silence impressionnant. Nous nous séparâmes, Le Chef emmena Molissito avec lui, tous deux se serrèrent dans l’ombre d’un des coins formés par le mur d’entrée du cimetière avec celui auprès duquel gisait la tombe d’Alice, pour ma part je me terrai dans le coin opposé…

    33

    Pas une seule fois je n’aperçus le point incandescent d’un Coronado du Chef. Les heures s’égrenèrent lentement. Je n’y croyais plus, encore une fausse piste ! A force de scruter la nuit, mes yeux dansaient, des noirceurs flottaient dans mon regard, ce n’était que fatigue et illusions optiques. Pourtant ce coup-ci, quelque chose bougeait. Les chats ! Les bêtes en avaient peut-être assez, elles allaient se coucher. Etrange, on aurait dit qu’elles dansaient, qu’elles folâtraient gaiement sur la pierre tombale. Quel étrange manège !

    Le museau froid de Molossita me toucha la main. A part les chats, il n’y avait rien d’autre. Et tout à coup je la vis, Alice s’éloignait de la tombe. Comment s’en était-elle extraite, je n’en sais rien mais d’un bond souple les chats la rejoignirent dans l’allée.

    Nous eûmes le même réflexe, elle marchait paisiblement, de temps en temps elle se baissait pour caresser la tête d’un de ses chats, nous lui laissâmes une cinquantaine de mètres d’avance. Nous ne pressâmes le pas que lorsqu’elle ouvrit la grille cimetière en la tirant de ses deux mains. Ce n’était donc pas un fantôme ! Etait-elle vivante ? Les idées se bousculaient dans ma tête. Elle s’arrêta sur le bord de la route. Un rayon de lune se braqua sur elle, je constatai qu’elle était habillée comme quand je l’avais prise en stop. Même ensemble de jeans, pas très neuf, mais qui lui allait à ravir. Elle tourna la tête vers la droite et puis vers la gauche, une écolière à qui ses parents ont recommandé de faire attention avant de traverser. Qu’avait-elle à craindre ? Etait-elle morte ou vivante ?

    Le Chef m’avait rejoint. Nous la laissâmes traverser, nous eûmes la berlue, elle se dirigea tout droit vers la porte d’entrée. Elle ne sortit pas une clef de sa poche, elle ne tourna même pas la poignée, elle passa au-travers aussi facilement que si elle n’existait pas. Un esprit ! Les chats ne la suivirent pas ils contournaient la demeure, sans doute se rendaient-ils au jardin.

    34

    Nous n’étions pas au bout de nos surprises. Pur nous concerter nous étions restés derrière la grille du cimetière. Le Chef alluma un Coronado :

              _ Agent Chad, cette histoire sent mauvais, nous croyions avoir rendez-vous avec la Mort et nous sommes en présence d’un fantôme, nous ne sommes pourtant pas en Ecosse !

              _ Et un fantôme qui a peur du noir !

    Nous pouvions suivre les déambulations d’Alice dans la maison par les interstices des volets d’où filtraient des pointillés de lumière. Il était manifeste qu’elle était entrée dans la cuisine, se préparait-elle une collation ? Dix minutes plus tard elle passa dans le salon. La lumière n’était plus aussi vive, mais l’on entendait un drôle de bruit

    • De la musique Chef, elle écoute de la musique !
    • Taisez-vous agent Chad, avançons nous doucement, le son n’est pas très fort mais je jurerais que c’est du rock ‘n’ roll !
    • Peut-être Elvis ?
    • Non, un son plus électrique…

    En moi-même je pensais qu’un fantôme qui écoute du rock ‘n’roll devait être une personne fort civilisée. Le Chef devait partager le même avis que moi :

    • Agent Chad, vous prenez sur la gauche, moi sur la droite sans bruit, on s’attend devant la porte de derrière !

    La manœuvre fut exécutée en quelques secondes, à peine avions-nous collé notre oreille contre le vantail que nous poussâmes un cri ! Nous avions reconnu le morceau Evil Woman, Don't Play Your Games With Me du premier album de Black Sabbath ! D’un coup de pied j’enfonçais la porte, nous nous ruâmes vers le salon, la porte de devant venait de claquer, Alice avait été plus rapide !

    Déjà elle traversait la route en courant, nous n’eûmes pas le temps de nous lancer à sa poursuite. Tous phares éteints, surgie de nulle part une voiture déboula vers elle. Elle ne freina même pas. Il y eut un choc. La bagnole était déjà loin lorsque le corps d’Alice tomba à terre. Du sang coulait de sa tête et de sa bouche. Elle était morte.

    A suivre