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  • CHRONIQUES DE POURPRE 500 : KR'TNT ! 500 : EBBOT LUNDBERG / MICHAEL MONROE / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XXIII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 500

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    04 / 03 / 2021

     

    EBBOT LUNDBERG / MICHAEL MONROE

    ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES 23

     

    Ebbot de sept lieues

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    L’Ebbot a la peau dure. Ce Viking fend des crânes depuis quasiment quarante ans. Ses groupes apparaissent et disparaissent dans les brumes de l’underground, mais il s’arrange toujours pour réapparaître, comme par magie. Le voilà donc devenu légendaire. On guette sa voile dans les deltas et on tremble lorsqu’on la voit déchirer la brume. Ebbot Lundberg a ravagé l’occident à la tête d’Union Carbide Productions, puis avec The Soundtrack Of Our Lives, avant de revenir hanter nos rivages avec The New Alchimy, puis en solo accompagné par The Indigo Children. Tu croyais les fléaux disparus ? Ha ha ha ! L’Ebbot rôde encore dans les parages.

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    Il n’existe pas vraiment de littérature sur l’Ebbot et pas ou peu de presse. Quatre pages dans Shindig, c’est à peu près tout. Jon Mojo Mills est monté à bord du drakkar pour rencontrer cette brute psychédélique d’Ebbot et lui tirer les vers du nez. On apprend ainsi qu’il jouait dans un groupe de hardcore, qu’il écoutait des trucs comme Disharge ou Black Flag, et pouf, un beau jour il découvrit le Velvet et les Stooges - wich was of course a revelation.

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    Il faut donc remonter aux années 80, au temps d’Union Carbide Productions, le groupe qu’Ebbot et ses amis avaient monté pour rendre hommage aux Stooges. Ils sont aux Stooges ce que les Chesterfield Kings sont aux Stones et les Subsonics au Velvet : des émanations perfectionnistes, des ectoplasmes cloniques parfaitement opérationnels. In The Air Tonight paraît en 1987, et dès «Ring My Bell», ça pue la stoogerie à plein nez. Ils sont dans l’énergie de Ron Asheton, Patrik Caganis souffle le vent de la tempête alors qu’Ebbot botte sa touche. Le solo de sax à la déglingue nous revoie directement à Fun House. La wah gonfle la voile et l’Ebbot chante au pire guttural de cul de basse fosse, il n’existe rien de plus stoogien que ces sales vauriens de Vikings, just ring my bell, ce sont des forcenés. Ils remettent le couvert avec «Summer Holiday Camp», nouvelle pièce de stoogerie pantelante qui palpite de véracité véracitaire. Ça joue liquide, il pleut du son comme les chutes du Niagara, on compte au moins dix wahs en action, et l’Ebbot rôde, il spunke du want now, il n’existe rien de plus terrifiant que des Vikings faisant les Stooges. C’est ça ou rien, pas la peine de discuter. Ils vont au-delà du concept, ils sont dans la barbarie, leur drakkar croise au large de Detroit. L’intro de «Cartoon Animal» baigne encore dans la stoogerie. Ils poussent le bouchon assez loin. Take a look around. C’est tellement bon que c’en est désespérant. Sur les autres cuts, les Carbide se comportent en Vikings avec un Ebbot qui gueule dans la tempête. On tombe sur un «So Long» chargé comme un mulet de heavyness bien apocalyptique. Ils savent allumer un incendie, quelle bénédiction que d’écouter ces mecs-là, ils t’explosent la stoogerie à coups de haches de combat, flish flash dans ta gueule et l’Ebbot gueule toujours, gueule encore dans la clameur du combat, ça s’emballe et ça devient extrêmement explosif, it’s alrite, on reste avec eux dans les extrêmes du rock que sont le son des Stooges et les cris d’un hérétique brûlé vif. En B, ils diversifient un peu leurs effets, allant par exemple sur le concassé beefheartien («In The Air Tonight») ou le chant rottenien («Three Mile Eyes»). Ils sont aussi capables de belles ambiances weirdy, comme le montre «Teenage Bankman», savamment agité de belles giclées de free et accidenté par des cassures de rythme. Ils terminent avec le très carbidien «Down On The Beach» : belle plongé dans l’enfer sonique d’un heavy groove d’ad vitam, avec des abîmes et des incendies. On n’en attendait pas moins d’eux.

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    Deux ans plus tard, ils récidivent avec Financially Dissastisfied Philosophically Trying. Pochette noire et rien d’écrit. Débrouille-toi. Pour les voir, il faut ouvrir le gatefold. Ebbot est encore un morpion. Ils posent tous les cinq autour d’une Rolls. Trois stoogeries cueillent le visiteur au menton : «San Francisco Boogie», «Maximum Dog Breath» et «Another Rock’n’roll Statement». Ils dotent le SF Boogie d’accords à la Ron et d’une walking bass, le Dog Breath des accords de «Got A Right» et de blastage des contreforts, et le Statement d’embrasements intrinsèques, back to the no way out. Belle leçon d’autorité et de panache. Les Vikings débarquent de nouveau à Detroit. Ils font aussi du garage Viking avec «Born In The 60s», un excellent garage bien allumé au killer solo flash. Ebbot est encore très jeune, mais baby quel shouter ! Ils font un «Down On The Farm» qui n’est pas celui des UK Subs et on renote l’excellence de ce guitar slinger nommé Patrik Caganis. Retour à la pure violence viking avec «Glad To Have You Back». C’est tendu et âpre, les riffs sont tellement métalliques qu’on songe au tranchant de ces vieilles haches de combat qu’affûtaient les Vikings avant de débarquer sur les côtes anglaises.

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    Si tu aimes bien les Stooges, alors écoute From Influence To Ignorance. «Train Song» montre à quel point les Carbide sont obsédés. Ils jouent dans les deux oreilles avec leur vieille approche des Stooges, celle qui rampe sous la carpette. Ils sont marrants, car ils respectent tous les protocoles. L’Ebbot en rajoute même un peu au guttural, ce que ne fait pas Iggy, mais bon, on lui pardonne. Au fond, leur truc, c’est de créer des fournaises en hommage aux Stooges. Ils n’en sortiront jamais. Ils font partie des traumatisés à vie. L’hommage dure quand même six minutes. Puis ils proposent quelques passages à vide qui ne présagent rien de bon, des choses alambiquées jouées rubis sur l’ongle. Ils reviennent aux Stooges avec «Got My Eyes On You». Les voilà condamnés à stooger pour l’éternité. Ils terminent en beauté avec une espèce de triplette de Belleville, «Sunset Strip», «Circles» et «Coda». Ils attaquent le «Sunset Strip» à la basse fuzz, ça cogne dans les tibias et ça vire fantastique garage Viking. Belle chute de shoot dans «Circles» et une rythmique qui restera un modèle du genre et avant de disparaître dans les brumes, ils se payent un trip à la Syd Barrett dans «Coda», une simili crise de psychout so far out qui cause pas mal de ravages. Ils préfigurent ici la mad psyché de The Soundtrack Of Our Lives.

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    Quand ils vont à Chicago enregistrer Swing chez Steve Albini, Ebbot sait que le groupe est mort. Mais ils s’efforcent de faire un bon album. C’est même un album énorme. On y compte pas moins de cinq classiques dignes des Stooges, à commencer par un «High Speed Energy» monté sur les accords de «1969». Pareil pour «Right Phrase» lancé au watch out. Ça wahte à tours de bras raccourcis. Ils noient tout ça de disto et de piano. Quels démons ! La stoogerie continue avec «Chameleon Ride», «Turn Of The Blues» et «Game Boy». Tout est gratté aux accords des Stooges, avec du piano. Ils vont plus sur le Search & Destroy, pas de souci, ils sont dedans, aw my God, ces mecs ont le feu au cul. «Game Boy» vaut pour un beau déluge de feu, une belle petite stoogerie vénéneuse bien rebondie au dumb ass bass. Les dynamiques sont irréprochables. Quand ils ne font pas les Stooges, ils font des énormités, comme «Mr Untitled», so tell me what have you done, une belle heavyness pleine de son à ras bord, allumée aux flamin’ guitars et chantée à la force du poignet ebbotien. Leur «How Do You Feel Today» n’en finit plus de resplendir, cut irrépressible doté d’une fin apocalyptique. Diable, comme ces mecs pouvaient être bons ! Ils vont aussi dans l’insidieux avec «TV Spiders». Ils savent se faufiler dans la jambe du pantalon pour te filer des frissons dégueulasses, wouldn’t you come over here, il pose quatre fois la question, right now ! Excellent. Ils sont encore dans le mood avec «Anytime», belle giclée d’it’s gonna be alright, c’est servi avec un killer solo flash de concasse fragmentée et les power chords sont tellement violents qu’ils rebondissent dans les murs. Les Carbide sont des diables, leur Swing sonne comme un classic album.

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    Il existe une autre version de Swing qui s’appelle The Albini Swing. Il s’agit des raw mixes des mêmes cuts, «High Speed Energy», «Turn Off The Blues», «Chameleon Ride» et «Game Boy». The Albini Swing est un blootleg autorisé qui propose le raw du DAT. Alors bienvenue dans l’enfer du raw to the bone. Les lianes de son t’enveloppent aussitôt la cervelle. Te voilà au cœur du lard de la matière la plus hot de l’histoire du rock américain, dans la sénescence des dérives abdominales, dans l’extension du domaine de la hutte. «Turn Off The Blues» est encore plus stoogien que «Search And Destroy», comme si c’était possible et le let’s ride on a merry go round de «Chameleon Drive» vaut cent fois «1969», baby. On redécouvre les solos d’accointance dans «Mr Unlimited», l’Ebbot gueule sous son casque de traviole et brandit sa grande hache rouillée. Le big heavy Carbide de «Game Boy» n’en finira plus de nous éberluer, d’autant qu’Ebbot l’attaque au ooooh. Live ces mecs sonnent comme des enclumes, il suffit d’écouter «Glad To Have You Back». Impossible de leur échapper. Tu es entre le marteau et l’enclume, ils jouent sur le tempo de «Dirt» et stoogent à la folie Méricourt.

    Les Carbide jettent l’éponge, alors Ebbot monte The Soundtrack Of Our Lives en 1996. Quand Jon Mojo Mills lui demande s’il cherchait à s’inscrire dans le neo-psychedelic bracket, l’Ebbot renverse la table et se lève d’un bond : «Nous ne voulions pas être catalogués. On voulait juste faire le plus grand rock qu’on pouvait espérer faire. C’est pour ça que je fais de la musique ! La spiritualité est la driving force. Nous ne sommes pas des pâles copies du groupes du passé !». Bon d’accord.

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    Paraît alors Welcome To The Infant Freebase, le premier opus d’une série d’albums extrêmement copieux, comme l’étaient d’ailleurs leurs concerts. L’Ebbot abandonne les Stooges pour se consacrer aux énormités, à commencer par «Four Ages», un joli grain de tempête sonique qui fouette les hublots. Ça bat sec et net et l’Ebbot veille au grain, avec de vieilles resucées de psyché dignes des chouettes du paradis. Ils proposent avec ce «Four Ages» un fantastique retour sur investissement. Tout aussi brillant, voilà «Retro Man», une pop rock qui monte comme la marée. C’est leur spécialité : l’overwhelming. Power maximal, ça coule entre les cuisses de Jupiter. Viking power. Le coup de génie de cet album s’appelle «Confrontation Camp». Ça sonne comme un assaut final. Ils vont tout détruire. Ils riffent à la victoire. Ça stompe dans la matière. Hit dément, rien ne peut leur résister. Leur power fait leur génie. Ils font de l’overwhelming à bras raccourcis. Peu de gens sont capables d’une telle violence. Ça explose au grand jour. L’Ebbot gueule à s’en arracher les ovaires, il dépasse les bornes, personne ne peut battre les Vikings à ce petit jeu, I wanna dream in a confrontation camp. Ils font du psyché comme s’ils attaquaient un village de la côte anglaise. Ils frappent avec tout le power dont ils sont capables. Sur quasiment tous les cuts de cet album, l’Ebbot chante son gut out et tous les solos sont extra-terrestres. On ne se méfie pas d’«Underground Idiom», mais l’Idiom frappe en plein dans la gueule du psyché. Ces mecs ne respectent rien, ils claquent du beignet à tours de bras, ils développent des barbarismes d’une incroyable pertinence, ils montent dans les voûtes des cathédrales, c’est ce qu’il faut comprendre, on les croit en Suède, mais ils sont à Rome, ils ont déjà tout conquis et tout explosé. C’est là, sur cet album, qu’apparaît le premier clonage d’Oasis avec «Instant Repeater 99». Après Iggy, l’Ebbot fait son Liam Gallagher. Il fonce dans le tas et devient le Viking de Manchester, après avoir terrorisé Detroit. Chaque syllabe et clouée à coup de marteau de Thor. L’Ebbot chante au pire power de l’univers. Il leur arrive aussi de sonner bizarrement, comme avec «Endless Song» qui renvoie aux Auteurs. Ils laissent leurs haches au vestiaire, alors ça devient comique. On croirait entendre Luke Haines, déguisé en Viking avec la bite à l’air. Avec «Blow My Cool», ils font de la Stonesy tambourinaire, pah pah pah lah bop bop et plus stupéfiant encore, ils pompent «Waterloo Sunset» dans «Bendover Babies». Cet album est chargé comme une mule. C’est le premier, et ils sont déjà au sommet de leur art. Décision est prise alors de ne plus jamais les perdre de vue. The Soundtrack Of Our Lives pourrait bien être l’un des groupes majeurs du XXe siècle.

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    Ce que va confirmer Extended Revelation. La pochette ne dit rien qui vaille, mais si on va voir à l’intérieur, on tombe sur une photo du groupe : on a l’impression de tomber sur un nid de serpents. Et paf, «Psychomantum X2000», coups de corne de brume, c’est la marche des barbares avec les voix d’outre-tombe et le fracas des guitares dans la clameur des horreurs. C’est bien pire que les Stooges. Pure menace territoriale de psyché révélatoire. Ces mecs sont les rois de l’hémisphère Nord. Ils sont aussi les rois du in the face. Et ça continue avec «Insterstellar Interiority». Admirable, car ça se développe jusqu’à plus-soif. Fantastique explosion d’énergie pop. Ils claquent «Impacts & Egos» à la supériorité d’Oasis. C’est imbattable. Ils développent la même puissance. Même sens du ras de marée. L’Ebbot tartine comme Liam, à la démonstration de force et les bras nous en tombent. Ils claquent tous leurs cuts au mieux de la possibilité des choses. C’est la raison pour laquelle il faut les écouter. L’Ebbot s’envoie une belle rasade de balladif avec «Mega Society», niveau indéniable et high quality. Joli coup de psyché avec «Black Star». On s’extasie de la qualité du son et de cette basse explosive. L’Ebbot peut aussi chanter comme John Lennon, ce que révèle «Love Song #3105». Il entre dans le génie vocal sans frapper, puis il tape «Jehovah Sunrise» à l’évaporée, vite rattrapé par le heavy rumble des Soundtrack. On y entend des échos de George Harrison. Pur genius. Merveille parmi les merveilles.

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    Il est important de préciser que les albums des Soundtrack sont des fat albums. Au format vinyle, ce sont systématiquement des albums doubles glissés dans de somptueuses pochettes. Leurs six masques funéraires ornent celle de Behind The Music. Ils portent aussi leurs masques à l’intérieur du gatefold. C’est là sur cet album qu’on trouve l’un de leurs plus grands hits, «Infra Riot», avec lequel ils embrasaient les salles au temps des grands concerts de l’an 2000. Quelle belle volée de bois vert ! Ces mecs savent démarrer un cut ! C’est l’une des plus belles intros du siècle passé. L’Ebbot de sept lieues s’envole, il devient the Flying Viking, il gicle et jute dans sa robe - It’s time to take the control again/ And be the only one - Wooow ! Diable comme on a pu adorer ce hit.

    Là, tu sais que tu es dans la musique. Ils te hachent le psyché menu pour le petit déjeuner - And I don’t wanna lose my face - et l’Ebbot éclate sa copine de cheval au Sénégal, fantastique démesure sous le couvert, le tout battu tribal et joué à l’orientale, avec des fucking montées en pression. À bord de leur drakkar de la mort, ils sont complètement dingues, ils font du psyché de destruction massive. Ils jouent aussi leur «Sister Surround» au power maximalis. On est baisé dès l’intro. C’est puissant et doux à la fois, et les accords sont ceux des Stooges. Ils re-singent Oasis avec le slow burning «Mind The Gap». On sent qu’ils visent la folie des grandeurs. Nouvelle intro décisive en B avec «21st Century Rip Off». Ça sent bon la Stonesy et le claqué de riffs futés. Pour l’occasion l’Ebbot sort ses meilleurs c’mon. Ils sont aussi flagrants que ceux de Jon Spencer. La tendance à l’Oasis se confirme avec «Independant Luxury» en C. L’Ebbot chante sa heavy pop au rauque viking, un rauque qui vaut bien celui de Manchester. L’étrange similitude entre les deux groupes se confirme. «Still Aging» bénéficie aussi d’une attaque à l’anglaise. Les accents harmoniques sont bien ceux d’Oasis. «The Flood» se voit doté d’une belle tension pop-rock, dans doute l’une des plus belles réussites des Soundtrack et l’Ebbot grimpe au chat très perché. Nous ne sommes pas au bout de nos surprises car voici que surgit en D un «We’re Gonna Get It Right» franchement digne des Beatles, par son fondu de voix et sa prestance, et puis on voit avec ravissement arriver la fuzz dans le son. Quel groupe passionnant ! On aura bien compris que Behind The Music n’a pas besoin de passeport pour aller sur l’île déserte.

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    Pour la pochette d’Origin Vol. 1, les Soundtrack optent pour le photo-montage. Un astucieux graphiste a monté les visages des six Vikings sur des photos exotiques datant certainement du début du XIXe siècle : portraits de notables chinois, d’indigènes d’Océanie, de brigands berbères et même de paysans européens en sabots. Le visage d’Ebbot se retrouve dupliqué sur deux mandarins assis autour d’un guéridon de l’époque Ming et dans le gatefold, ainsi que sur les deux pochettes intérieures, le graphiste a multiplié les fantaisies à l’infini. On passe plus de temps à examiner les montages qu’à écouter l’album. Les deux énormités de l’album sont «Royal Explosion» en B avec son intro de rêve boom boom, et «Sister Surround» sur la face des bonus en D, une Sister rescapée de Behind The Music, en version acoustique et qui sonne comme un hit faramineux. Ils persévèrent dans leur tendance à l’Oasis avec «Believe I’ve Found» et nous servent du power à tous les étages avec «Transcendental Suicide». Ils ne vivent que pour ça, le power absolu. Cette fois, ils tapent dans les accords des Who. C’est exactement le son des Who, le brut de fonderie avec les finesses psyché. Ils exagèrent. Ils déploient trop de voilure. S’ensuit un «Big Time» battu en brèche qui s’embarque tout seul pour Cythère. No return. Incroyable vitalité, c’est balayé par le vent de l’action. Apocalypse dudes comme Turbonegro. Encore du heavy stomping viking avec «Heading For A Breakdown», bien dévoré du foie par la basse. Ils collectionnent tous les plans sexy du garage pop. Tiens encore une intro historique pour «Mother One Track Mind», ça riffe en travers de la gueule et ils ramènent tout le power des refrains d’Oasis, avec des accords du MC5. Quelle dégelée et quelle bassline ! Nouvelle crise de Stonesy avec «Lone Summer Dream», pah pah pah et cloche de bois. Le rock psyché n’a aucun secret pour eux, c’est en tous les cas ce que révèle «Wheels Of Boredom», encore une fois dévoré par la balle basse de Kalle Gustafsson Jerneholm. C’est encore une fois bourré de son. Par contre, Mattias Bärjed dévore «Age Of No Reply» d’un beau solo langue de feu. Pas facile de se souvenir des noms de ces mecs-là. Ils ont des noms à coucher dehors.

    Jon Mojo Mills titille un peu l’Ebbot sur le chapitre des reprises :

    — Vous n’en faites pas beaucoup, n’est-ce pas ?

    — On a enregistré «Sick On You» des Stooges et «We’re Gonna Have A Real Good Time Together» du Velvet, mais on a perdu les bandes.

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    Pour la pochette de Communion, ils tapent dans les banques d’images à la con. C’est leur humour. Un vieux et une vieille avec leurs dents blanches et leurs verres de jus de kiwi nous sourient, alors welcome. Et paf, «Babel On» heavy et sans pitié. L’Ebbot et ses hommes ne rigolent pas. Ils chargent bien la barcasse. Ils sont encore pires que Turbonegro. Leur violence dépasse l’entendement. Trop de power. Beaucoup trop de power. Belle virée psyché que cet «Universal Stalker», ils jouent le big downbeat of the underground. Et comme sur les autres albums vont se succéder des cuts puissants et saturés de belles guitares. Retour à la stoogerie avec un «Ra 88» joué au tribal et aux accords de «1969». On ne s’en lasse pas. Encore un énorme groove avec «Thrill Me», limite glam, même genre de chaudière, une sorte de hit qui ne veut pas dire son nom. Ils font aussi de la bloblotte pop avec «Pictures Of Youth». Nouveau coup de génie avec «Mensa’s Marauders», bouquet de mad spyché tapé à la cloche de bois et léché par une guitare dévorante. Ça trempe dans la saumure de fond de cale, ça joue à la dure avec une pugnacité effarante. Ils terminent cet excellent disk 1 avec «Distorded Child», claqué à la revoyure d’un riff définitif et sans prétention. L’Ebbot reste au cœur du mythe Soundtrack, au cœur d’un bon son plein de jus, c’est un truc de mecs imprégnés de garage psyché et qui connaissent toutes les ficelles du yeah yeah yeah. Et la fête continue sur le disk 2 avec «Everything Beautiful Must Die», ils rôdent dans ton imaginaire, mais vont te mordre le mollet à la première occasion. Inutile de vouloir leur faire confiance, ils sont maudits depuis des générations. Mais bon, quelle présence. Trop de présence, ça n’est jamais bon signe. Restez méfiant et ayez l’air de cultiver la délectation morose, ça vous donnera un peu de courage. Avec «Flipside», ils tapent dans la power pop. Ils sont impliqués, ça se sent. Ce démon d’Ebbot invente la good time music des fjords. Il chante aussi «Lost Prophets In Vain» au coin du bois. Il veille constamment à rester dans le très haut de gamme, aussi bien structurel qu’interprétatif. Et ça re-stompe un peu plus loin dans le drakkar avec «Reconnecting The Dots». Vieux réflexe Viking. Ils ont ce que n’auront jamais les autres : le Viking side et ça prend vite des proportions énormes. On ne se lasse pas du Viking side. Ils savent monter une soupe en neige, comme le montre «Without Warning». Bien foutu et bien amené dans la vulve su son. L’Ebbot ne se pose jamais de questions, il chante son gut out. Ils explorent parfois des chemins extrapolatoires, mais ça nous donne de belles tempêtes et du son à longueur de temps. Ils restent dans la power pop avec «Situation Wanderers», c’est une merveille d’inspiration par les trous de nez, on les croit rincés mais ils explosent de plus belle avec des éclats incomparables, des rubis d’accords sur l’ongle. Fan-tas-tique.

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    Le dernier album des Soundtrack s’appelle Throw It To The Universe et paraît en 2012. Il n’est pas du niveau des précédents. On sent un net essoufflement. D’ailleurs, cet album n’est même pas double. Pourtant, le morceau titre se montre à la hauteur de leur réputation, celle d’un rock psyché Viking plein de vitalité barbare et doté d’un beau développement unilatéral. La plupart des cuts sont assez bien imaginés. Ils vont plus sur le power balladif à l’anglaise avec basse dévorante et relances chorusales du big Ebbot («Women We Fall»), mais ils ont mis beaucoup d’eau dans leur hydromel. Ils proposent en B un «Rusty Land» plus poppy. Ils excellent dans toutes les excellences et concomitent comme des bêtes. Ils ultra-jouent comme ils l’ont toujours fait. Le power-balladif devient leur ultime fonds de commerce, comme le montre «What’s Your Story». L’Ebbot n’en finit plus de révéler son goût pour le power absolu.

    Au moins les choses sont claires. Selon l’Ebbot, le groupe devait s’arrêter : «18 ans dans le même groupe, c’est plus que suffisant. Il était grand temps de passer à autre chose en tant qu’individu».»

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    L’Ebbot s’acoquine avec son vieux pote Per Svensson pour monter The New Alchimy. Leur album s’appelle On The Other Side Of Light et paraît en 2013. Ils s’amusent bien. Ils font de l’expérimental déglingué, et même du rock psyché drôlement intéressant («Creatures»). Fabuleuse énergie, l’Ebbot sait encore tordre le cou d’un dindon-cut. Il sait descendre dans des caves de rock psyché, c’est très impressionnant. Il fait du Pink Floyd avec «Siver Chain», c’est-à-dire qu’ils titubent dans les bambous. Et soudain, ils nous embarquent dans un délire de 24 minutes intitulé «Extra Terrestrial Blues». On voit tout de suite qu’ils méprisent les règles de bienséance. Des langues de sax s’en viennent lécher le groove. C’est un mix audacieux de wah Maldoror et de sax prédateur, ça renvoie à tout ce qu’on aime, les soirées de dégueule et le Sun Ra dans le cul, ça tourne à l’ambiance inexorable, le free te troue le cul, c’est violemment bon, une vraie descente d’organes, les coups de sax sonnent comme des orgasmes soniques, l’Ebbot les interrompt puis relance la machine, ça repart en mode de sax sacrifice de free, il va bien au-delà des délires de free des Stooges et du MC5, il est barré ailleurs, dans le groove de free, ça coule de source, le free est le volcan mythique, l’Ebbot en tâte à son tour, il lui faut juste 24 minutes pour faire jaillir la pulpe, à mi-chemin, on se dit que c’est fini, mais non, avec l’Ebbot, c’est all nite long, c’est un Viking, il a tout l’attirail, il porte une robe, c’est pas pour des prunes, il sait dresser la tente, c’est un guerrier du psyché vainqueur, il pratique la New Alchimy, ça reste spectaculaire, le sax re-dégueule dans l’épaisseur du groove, l’orgue relaye à la vie à la mort et l’Ebbot va se lover dans ce groove de basse d’une épaisseur historique. Le sax gerbe dans la moiteur de la nuit, il gerbe à n’en plus finir, ça renvoie aussi à ces clameurs de batailles antiques évoquées par Flaubert dans Salammbô, et pendant ce temps, l’Ebbot se paye le plus belle virée de sa vie d’aventurier, il a démarré avec les Stooges et il finit avec un délire supersonique, un groove de free incendiaire, c’est bon de savoir que l’Ebbot est impliqué dans cette fournaise apocalyptique et le sax finit par dévorer le foie du cut. Après, c’est compliqué d’arrêter un truc pareil.

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    Grâce à Bang!, on peut écouter le double album solo d’Ebbot, The Immaculate Concept Album. Il pose le ventre à l’air, et à l’intérieur du gatefold avec deux femmes enceintes qui ont aussi le ventre à l’air. L’ambiance générale de l’album est très calme, très détendue. Ça démarre avec l’excellent «Backdrop People», une psychedelia de haut rang montée sur un beau beat tribal. Ça s’éclaire très vite à coups d’acou et un joli bass drive filigrane le son. L’Ebbot sait naviguer en mer psyché. Encore un joli shoot fatal avec «Dysfunctional». C’est même étonnant de la part de Vikings habitués aux grosses haches de combat et aux lourdes embarcations. C’est bourré d’énergie et de retours de manivelle. «To Be Continued» sonne comme un hymne. L’Ebbot vise le hit pop et il a raison. Et ça continue en B avec «There’s Only One Of Us Here», oh yeah, l’Ebbot sait torcher un hit, il faut voir cette ampleur, la force tranquille de ce destin mitterrandien, il rayonne au cœur de l’atome de chèvre. Le voilà parti explorer une veine plus paisible avec «Drowning In A Whisky Well», gratté à coups d’acou généreux et volubiles, dans une belle lumière d’été, au joli temps de l’insouciance. Le deuxième disque est un disque de bonus. Bon, bref.

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    Nouvel effort solo d’Ebbot, cette fois avec The Indigo Children - They’re like little cherubs from outer space - On n’écoute For The Ages To Come que parce qu’on aime bien l’Ebbot. Il s’installe dans un arbre creux pour la pochette. On est dans les bois, comme sur l’album précédent. D’ailleurs, les photos de pochette proviennent de la même session. Il y affine ses tendances hymniques avec le morceau titre, un beau balladif gratté à coups d’acou. Il nous ressert aussi le «Backdrop People» de l’album précédent. En B, il propose une reprise des Spiders (pré-Alice Cooper), «Don’t Blow Your Mind» et renoue avec le heavy sound des Soundtrack. C’est hanté par des chœurs de collègues barbus - We’re two of a kind/ Take what you find - Power absolu. Il termine avec une resucée de cet effarant «To Be Contined» qui est une fait une suite à «Infra Riot» - Here I am again/ Here I am the only one again - Fantastique énergie, un vent de génie gonfle encore les voiles de son drakkar.

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    Pour les ceusses qui n’ont pas de place, il existe une très bonne compile des Soundtrack qui s’appelle Golden Greats N°1. Encore un double album, mais c’est du trié sur le volet. On y trouve tout ce qui fait la grandeur des Vikings d’Ebbot : «Instant Repeater» (shake-out de heavy pop, basslines démentes, fantastiques descentes de gelée royale), «Sister Surround» (Heavy garage psyché, beat des reins), «Believe I’ve Found» (Simili Oasis), «Karmageddon» (complètement allumé aux chœurs de cathédrale), «Permanent Vacation» (Heavy overwhelming, invaincu), «Thrill Me» (King of stomp), «Nervermore» (Fantastique coulée de coups d’acou au radiant du zodiaque), et sur le disk 2, «Big Time» (Garage punk à la Damned), «Confrontation Camp» (un stomp qui ravage les sommets de l’art), «Still Aging» (Pop mais solide, basse volante et chutes du Niagara), «The Passover» (resucée du «Wonderwall» d’Oasis) et «Jehovah Sunrise», ultime shoot de heavy pop combinant comme d’habitude l’aisance et la puissance. Leur secret pourrait bien être la constance dans la tension.

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    Notre Ebbot a-t-il des projets d’avenir ? Il répond philosophiquement à la question du Mojo : «Je continue de faire ce que je suis supposé faire en tant qu’artiste confronté aux mystères de l’imagination.» Il avoue en prime avoir enregistré des trucs avec DJ Fontana, BB Cuningham (bassman de Jerry Lee) et Tommy Blom des Tages. Et puis un tas d’autres trucs avec les cherubs from outer space. Miam miam.

    Signé : Cazengler, lèche Ebbot

    Union Carbide Productions. In The Air Tonight. Radium 226.05 1987

    Union Carbide Productions. Financially Dissastisfied Philosophically Trying. Radium 226.05 1989

    Union Carbide Productions. From Influence To Ignorance. Radium 226.05 1991

    Union Carbide Productions. Swing. Radium 226.05 1992

    Union Carbide Productions. The Albini Swing. Radium 226.05 1994

    Soundtrack Of Our Lives. Welcome To The Infant Freebase. Telegram Records Stockholm 1996

    Soundtrack Of Our Lives. Extended Revelation. Telegram Records Stockholm 1998

    Soundtrack Of Our Lives. Behind The Music. Telegram Records Stockholm 2001

    Soundtrack Of Our Lives. Origin Vol. 1. Telegram Records Stockholm 2004

    Soundtrack Of Our Lives. Communion. Akashic Records 2008

    Soundtrack Of Our Lives. Throw It To The Universe. Parlophone 2012

    Soundtrack Of Our Lives. Golden Greats N°1. Akashic Records 2010

    The New Alchimy. On The Other Side Of Light. Sunbliminal Sounds 2013

    Ebbot Lundberg. The Immaculate Concept Album. Bang! Records 2015

    Ebbot Lundberg & The Indigo Children. For The Ages To Come. Akashic Records 2016

    Jon Mojo Mill. The mystery tales of imagination. Shindig # 58 - August 2016

     

    Président Monroe

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    Diable, comme il était difficile d’entrer dans l’univers musical des Hanoi Rocks. Pour être charitable, on peut dire que ça marchait mieux sur scène que sur disk. On fit même l’effort d’aller voir leur concert de reformation en 2005 à l’Élysée Montmartre, histoire de compter les bijoux que portait Andy McCoy.

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    Une fois séparé de son glimmer twin McCoy, Michael Monroe va retrouver une nouvelle jeunesse et enregistrer une petite floppée d’albums extrêmement bien foutus et s’il fallait en recommander un en particulier, ce serait bien sûr le Watchawant paru en 2003. Pour une seule et unique raison : une version absolument démente de «Do Anything You Wanna Do». Pas de plus belle explosion, c’est du demented à l’état pur, la reine des covers, why don’t you ask me, alors on tombe, you feel so lonely et ça monte dans les tours. Merveilleux cut et merveilleux Monroe, il en fait l’une des heures de gloire des temps modernes, tell ya what. On reprenait sa cover à une époque et vous n’imaginez pas le bonheur que c’est de jouer le Do Anything des Hot Rods revu et corrigé par Michael Monroe. Monroe sait le monter très haut sur la montagne et on avait la chance d’avoir un chanteur qui pouvait lui aussi le monter très haut sur la montagne. Et puis voilà le solo de guitare qui te dégouline sur l’échine, I don’t need no politician, il a raison le président Monroe, what do you expect, et ça grimpe dans les escalators d’excaliburne, le son mute en scie et Monroe monte encore de toute la puissance de son être. Quand un album démarre avec un cut de cette qualité, après ça devient forcément compliqué. Oh, vous trouverez encore du big sound, pas de problème. Tout ici est brutal et bardé de barda. Ça ré-explose avec «I Won’t Lie Down And Die», une sorte de punk’s not dead affranchi, chanté à la vie à la mort, encore une espèce de sommet du lard. Il ne faut pas prendre cet album à la légère. L’excellent guitariste s’appelle Pink Gibson. On le voit faire le heavy blues de telephone bill dans «Telephone Bill’s All Mine». Avec «Jimmy Brown», le président Monroe plante les graines de son fonds de commerce qui est la power pop. Il casse sa baraque quand bon lui chante.

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    Son deuxième album solo est un live qui paraît beaucoup plus tard, en 2010. Alors, faut-il écouter Another Night In The Sun. Live In Helsinki ? La réponse est oui, mille fois oui car quel festival ! Cette fois il s’entoure d’une très grosse équipe : Ginger et Steve Conte (guitares) et Sami Yaffa (basse). Côté covers, on est bien servi : ça démarre avec la fournaise de «Nothin’s Alright», sorti de l’album de Demolition 23 que Michael Monroe enregistra en 1994. Ce n’est pas un cut, c’est une déflagration. Power-chordage all the way, avec ces deux fous de Ginger et de Steve Conte qui se télescopent. Ils font aussi deux cuts des Damned, «Love Song» et «Machine Gun Etiquette». Sami Yaffa on bass ! Tout y est, It’s just for you ! Ils basculent bien sûr dans la folie de l’it’s Okay ! Cet album est une aventure, ils claquent des classiques à 100 à l’heure. L’hommage aux Damned est une merveille d’anticipation. On dira la même chose de «Motörhead For A Fall». C’est tellement claqué qu’on en dodeline. Leur «Malibu Beach Nightmare» est tellement explosé de son qu’il en ahane. Autre reprise fabuleuse, l’«I Wanna Be Loved» des Heartbreakers. Solid as hell et cool as fuck dirait un grossier personnage d’Angleterre. Ces mecs jouent les Heartbreakers comme s’ils misaient gros au casino. Banco ! Du coup ça tourne au mythe. Ce live pourrait bien être l’un des meilleurs de tous les temps. Pour annoncer «Motorvatin’», le président Monroe déclare : «This is Sami Yaffa !» Wow, big rumble de basse. Ces mecs ont décidé de tout ravager, alors ils ravagent tout. Pas compliqué. Ils transforment aussi «Hammersmith Palais» en dégelée royale. On ne saurait rêver meilleur stomp que celui de «Dysfunctional». Ils n’accordent aucune chance au destin de leurs cuts. Ils terminent avec une stoogerie ahurissante, «1970». You feel alrite ? Inutile de préciser que c’est bombardé, comme pendant la guerre.

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    Bel album que ce Sensory Overdrive paru en 2011. Car il grouille de big badadoums et propose en prime un DVD. Premier coup du sort avec «Trick Of The Wrist». On saute en l’air dès le premier blast. Tu n’as rien demandé à personne et ça te saute à la gueule ! Quelle véracité véracitaire ! Ça dégage les poumons, c’est au-delà du raisonnable et des convenances. Et ça continue avec «78». Les hey sont magnifiques ! Ces mecs détiennent le power de Zeus. Ginger fait partie de l’aventure, alors ça prend de sacrées proportions. On est là dans l’excellence du meilleur rock européen, ça grouille d’échos de power-pop. Avec «Get Blood», le Président Monroe fait son Johnny Rotten. Son «Superpowered Superfly» sonne comme un hit. Il chante à l’accent fêlé et cherche les voies impénétrables. Cet album est bourré de vitalité, de son et de speedfulness. Ils amènent «Modern Dog Miracle» à la cocote fatale, c’est assez déterminé à vaincre. Ils restent dans l’esprit du nec plus ultra, avec des chœurs de soudards. Ces mecs collectionnent les réflexes fondamentaux - Shut up/ Stop talking ! - Ils renouent avec l’excellente violence de riffing dans «Later Won’t Wait». Conte et Ginge le prennent mal, alors ils s’échauffent, ouais, ouais, on entend des clameurs dans le ciel. Le président Monroe adore gueuler dans la cité. Il duette ensuite avec Lucinda Williams pour «Gone Baby Gone». Monroe ouvre le bal à l’accent déversé et la belle Lucinda lui donne la réplique. Ils chantent à l’unisson du saucisson avec de vieux accents de Stonesy. Par contre ils sont beaucoup trop puissants avec «Center Of Your Heart». Ils l’amènent au lance-flammes. Ce n’est pas raisonnable. Conte est un vrai SS, un nettoyeur de tranchées, un cruel crameur, même ceux qui se rendent, il les crame. Il porte aussi le killer solo flash à l’émulsion. Argghh, quelle puanteur ! Mais tout ceci n’est rien, coco, en comparaison de ce qui arrive : «Debauchery As A Fine Art», avec Lemmy. Incroyable violence, ça saute à la gorge de wah, ça chante dans la matière du bois, c’est explosé dans le ciel du mythe. Le fait que Lemmy participe à cette fournaise la rend mythique. Ils chantent à deux voix et ça joue au power maximal. Quel album ! Et ça continue avec «Another Night In The Sun», traversé d’éclairs et de lose control. Ça frise un peu le hard, mais le président veille au grain, comme Lemmy. Pas question de tomber dans le panneau. Ginge et Conte sont en émoi. Tu ne résisteras pas non plus au rouleau compresseur de «You’re The Next». Ils sont complètement allumés. C’est du heavy rock défenestrateur. Comme le power du Monroe band te projette dans le vide, tu peux voler.

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    On retrouve un peu de cette énergie dans le DVD qui est en fait le road movie de la tournée US. Bon, ce n’est pas le film du siècle, on n’en gardera aucun souvenir, ce sont les plans habituels, sur le Sunset Strip, au Texas, trop facile, Sami Yaffa, Conte et sa belle touffe d’épis. Tout cela n’a de sens que sur scène où le groupe est énorme. Monroe fait le grand écart, il est athlétique et assez exubérant. On le voit aussi avec ses gros yeux globuleux faire le speedfreak à l’arrière d’une bagnole. Bon enfin bref.

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    Pour Horns And Halos qui sort en 2013, Michael Monroe s’entoure de Conte et de Dregen aux guitares, Sami Yaffa on bass et Karl Rockfist on drums. Conte et Yaffa on des curriculums longs comme des jours sans pain. Ils participeront d’ailleurs à l’une des reformations des New York Dolls. On peut dire d’Horns And Halos que c’est un album solide. Le stand-out track s’appelle «Stained Glass Heart», un mid-tempo power-poppé et tendu vers l’avenir comme une bite au printemps. C’est une merveille intentionnelle qui nous console d’avoir cédé au chant des sirènes. Le «TNT Died» qui ouvre le bal d’A est une belle pétaudière de ramalama, bien gorgée de son, de big beat et de barbarie finlandaise. Mais on ne sait qui de Conte ou de Dregen fait le con à la gratte. Monroe monte sa belle power-pop de «Ballad Of The Lower East Side» à coups d’hallelujah. Question incursions intestines, les deux fines lames s’en donnent à cœur joie. Monroe se plaint dans sa chanson que New York est une ville propre - Now it’s squeaky clean/ And there’s no place to play - On reconnaît la patte de Dregen dans le gimmick qui amène «Eighteen Angel». Il joue à la merveilleuse insistance des Copters pendant que Conte fait le con dans son coin. Il refait le con dans «Saturday Night Special» en jouant comme Johnny Thunders. En B, ils virent punk avec «Soul Surrender». C’est battu au reviens-y et puis, on ne sait pas trop pourquoi, ça bascule dans le reggae finlandais du plus mauvais effet. Ça rappelle des mauvais souvenirs de la scène punk anglaise. Ils sauvent leur B avec «Hands Are Tied». Riff incendiaire + chœurs de Stonesy, c’est une formule qui marche à tous les coups. Voilà un cut assez poundé, au fond, qui pourrait se faire passer pour une jolie tentative de stomp. Ils sont dans leur élément.

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    Pour Blackout States enregistré deux ans plus tard, Dregen dégage pour démarrer sa carrière solo, remplacé par Rich Jones qu’on connaît bien, car c’est un ancien Black Halo, un groupe qui aurait dû mais qui n’a pas pu. Le côté intéressant de la manip, c’est que Rich Jones compose des bonnes chansons. L’album en grouille. On ne compte pas moins de quatre classiques power-poppy à commencer par un «Good Old Days» amené aux riffs vainqueurs, enchaîné avec un «RLF» explosif et digne des Heartbreakers. RLF veut dire Rock Like Truth. On est bien dans la veine de Like A Mother Fucker. Et ça continue en B avec «Under The Northern Lights», une power-pop chargée de barvado et de glissés de cordes. Ces mecs jouent leur va-tout en permanence et Conte refait le con avec un solo à la Thunders. Avec «Walk Away», ils se prennent pour les Pistols, avec solo mélodique in tow. Du coup, on prend cet album très au sérieux. On sent une belle prétention mélodique dès le «This Ain’t Not Love Song» d’ouverture de bal, comme si Monroe voulait donner une suite à sa désarmante version de «Do Anything You Wanna Do». Tout est construit avec une forte volonté mélodique, ici, comme le montre encore «Old King’s Road». Alors on les suit. Conte refait le con à la Thunders et échange des chorus avec Rich Jones. On ne se lasse pas de cet album, tout est bien dosé, le son, la niaque, les compos, «Going Down With The Ship» en est encore la meilleure preuve, fabuleux shoot-off hanté par des échos thunderiens. Monroe impose encore le respect absolu avec «Keep Your Eyes On You». Les guitares sont belles comme des cœurs et Steve Conte reste en embuscade. Mais dès qu’ils haussent le ton pour se montrer plus barbares, ils perdent tout ce qui fait leur saveur : avec «The Bastard’s Bash», ils redeviennent des brutes de heavy rock simili-scandinave. En B, ils montrent encore les dents avec «Dead Hearts On Denmark Street», mais cette fois à bon escient, car c’est monté sur un riff insistant et battu comme plâtre. Ils rendent enfin un hommage très sensible à Johnny Thunders avec «Six Feet In The Ground» et un solo tordu de Steve Conte - Rock’n’Roll Johnny was a hero now/ Six feet in the ground.

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    Michael Monroe est un mec bien car il tient à ce que ses musiciens soient bien présents sur les pochettes de ses albums, et pas seulement parce qu’ils sont handsome. Il tente de faire passer une notion fondamentale qui est celle du groupe. Michael Monroe est le nom du groupe et One Man Gang un très bel album. On y croise quelques invités comme Captain Sensible qui joue lead sur le morceau titre d’ouverture de bal d’A. Et comme on le voit avec «Last Train To Tokyo», Monroe s’arrange toujours pour ramener de la power-pop dans son heavy tatapoum. Mais l’A peine à convaincre. Il faut attendre «Wasted Years» pour retomber sous le charme. On a là un cut bien suivi à l’harmo, mélodique en diable, sans doute le hit de l’album, avec ses paquets de relances de wasted years dans le refrain. C’est en B que se joue le destin de l’album. L’intro de «In The Tall Grass» mérite d’entrer dans l’histoire des intros. Puis tout explose avec «Hollywood Paranoia». En matière d’explosions, Monroe sait de quoi il parle, il enfonce son vieux clou à coups d’échos de Heartbreakers. Les chœurs défient toute concurrence. C’est électrique en diable, bardé de tout le son dont on peut rêver. Steve Conte passe un solo superbe en glissé de terrain. Power est le mot clé de cet album. Suite du festin de son avec «Heaven Is A Free State», encore une belle dégelée de développé de son plein et on entend une trompette mariachi dans le chant à la titube du grand Michael Monroe. Ses mid-tempos sont décidément de vraies merveilles. Et ça continue avec «Helsinki Shakedown», une power-pop gorgée de sève comme l’est une plante au printemps et Conte carillonne à n’en plus finir.

    Signé : Cazengler, Michael Monrosbif

    Michael Monroe. Watchawant. Steamhammer 2003

    Michael Monroe. Another Night In The Sun. Live In Helsinki. Spinefarm Records 2010

    Michael Monroe. Sensory Overdrive. Spinefarm Records 2011

    Michael Monroe. Horns And Halos. Spinefarm Records 2013

    Michael Monroe. Blackout States. Spinefarm Records 2015

    Michael Monroe. One Man Gang. Silver Lining Music 2019

     

    THE ANIMALS 1966

    JUIN 1966

    ANIMALISMS ( US )

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    One Monkey Don't Stop No Show : une cover de Joe Tex, ce qu'il y a de terrible avec Joe Tex c'est que ce mec n'a pas une langue comme tout le monde, dès qu'il use de son organe vocal, vous avez l'impression qu'il actionne un cran d'arrêt, pour les morceaux rapides vous êtes projeté dans une bagarre sanglante, dès qu'il actionne son effilé dans le titres pleurnichards – souvenez-vous de ces compils Formidable Rhythm 'N' Blues avec face torride et pile larmoyante – c'est pareil, vous déchire, vous étripe, vous éviscère, le Joe vos Texidermise en moins de deux, tout cet avant-propos pour vous dires les Animaux féroces n'ont peur de rien, en 1966 tout le monde a en mémoire la version de Joe parue en 1965, il est sûr que le titre qui signifie à peu près qu'un échec n'empêche pas de progresser est une incitation à tenter sa chance, mais faut les avoir grosses comme des ballons de rugby pour s'y risquer, c'est à ne pas y croire, le Rowberry se débrouille pour vous installer dans une espèce de ritournelle pianistique méchamment enlevée tout en se se permettant de dégager une ambiance sixty-balloche assez hallucinante et là-dessus le Burdon se met à causer dans le micro comme s'il comblait les vides entre deux démonstration de gymnastique à la kermesse du village, pour les chœurs Tex avait choisi l'ambiance gospel survolté, c'est-là que l'on s'aperçoit que le continent Européen est vachement plus déchristianisé que l'Amérique profonde, c'est carrément du n'importe quoi, de la foire d'empoigne un jour de comices agricoles par exemple, du coup Burdon verbiagise dans la sono, pire que s'il annonçait la fin du monde pour le quart d'heure qui suit, et il en miaule de plaisir, dans son coin Rowberry pas ému pour un kopeck dévalué continue à vous balancer son panier à salade aux pointes d'arpèges un peu à la manière de ces prêtres fatigués par trente ans d'enterrements hebdomadaires qui secouent l'encensoir sur le cercueil sans pouvoir se retenir de rire, et l'on repart pour un tour de manège de chevaux de bois aux pattes cassées, bref c'est prodigieux. Le chat Joe Tex n'a pas dû reconnaître son petit, entre nous optez pour la bestiole scrofuleuse de l'animalerie. Maudie : maudits Animals sur ce trente-trois ils ont décidé de s'attaquer au gros gibier, z'ont toujours eu un faible pour John Lee Hooker, certes Maudie enregistré en 1959 et joué en public au New Port Jazz Festival, c'est le genre de faisan qui donne envie, presque rien, un chiffonné de rythmique auréolé d'un bandeau de crêpe noir vocal, trois multiplié par nada, mais parfois la simplicité confine au génie et à l'inexprimable, faut se le fader subtilement pour que ce ne soit pas fade, Burdon a tout compris, s'agit pas de brusquer sa voix, tout est dans l'intonation, le murmure, au début vous vous dites, s'en sortent bien, le décalque est aussi fin que l'original, attention c'est quand vous tenez la queue du chat qu'il griffe, sans prévenir le clavier de Rowberry explose, des giclées de lacrymo vous tombent sur le museau et vous êtes pris par une charge de CRS qui foncent à grands coups de matraques, le Buron hurle en sirène de pompier, et tout se calme, l'Eric vous torpille sa voix toute mignarde et enjôleuse, c'était pour mieux tromper la délicieuse enfant, maintenant sont cinq dessus et vu le boucan ils s'en donnent à corps joie. Fin frénétique. La petite Maudie l'a tout de même dû penser qu'ils étaient délicieusement givrés. Oucast : ( paru en single en février 66 couplé avec Inside Looking Out ) : qui se rappelle encore d'Eddie & Ernie, un duo dont certains disent qu'il valait Sam & Dave à la différence près qu'Ernie Johnson et Edgar Campbell, eux, écrivaient leurs propres chansons ! En tout cas Outcast sorti en 1965 ressemble à ces casseroles d'eau froide que vous avez laissées sur le gaz à petit feu, quand vous essayez d'y plonger la main, l'eau n'est pas tiède mais brûlante, un court séjour de trois semaines à l'hôpital s'impose, c'est ce qu'en alchimie l'on nomme cuisson lente, une tuerie. Les Animals se chargent des premiers secours, la version d'Eddie et d'Ernie émigre tout droit du gospel, mais nos mécréants sont des hommes de peu de foi. Vous avez la guitare d'Hilton qui résonne à la manière des cloches de pâques qui ont fait main basse sur le vin de messe, Rowberry a décidé qu'il n'était pas là pour jouer du Chopin mais pour faire du bruit distordu, le Burdon qui au début vous faisait la voix du haut et celle du bas, mais à la fin il ne se retient plus, vous hurle tous les étages de l'Empire State Building en même temps, ils voulaient réaliser un tube, ils ont créé un mirifique tohu-bohu. Sweet Little Siwteen : tout la voix ironiquement suave de Chuck Berry et le phrasé si précis de sa guitare nichent dans l'oreille de tout le monde, je n'insiste pas. Dès que Burdon ouvre la bouche l'on comprend l'erreur, on a dû lui brancher la prise de terre sur les amygdales, l'est gonflé aux as, vous expédie le morceau comme s'il était en train de courir le cent mètres haies aux Jeux Olympiques, derrière lui sur les sept premières secondes, c'est tout beau, tout net, tout astiqué, mais ils sont happés par la tornade et c'est la grande cavalcade, la prise d'Akaba par les dromadaires de Lauwrence d'Arabie, z'ont sorti les sabres d'abordage et de cavalerie. Les puristes crieront au sacrilège. Perso je pense qu'un grand coup de balai parfois ça fait du bien. You're On My Mind : tiens un des deux titres de l'album qui ne soient pas des reprises, quand je pense combien l'on a reproché à nos rockers nationaux de la première génération de copier les groupes anglais... on ne peut pas dire qu'ils se soient fatigués pour le titre. Une bluette sentimentale à ne pas confondre avec un blues, un slow sans originalité, heureusement que Burdon a une belle voix parce que le côté joli-cœur croisé ne lui va pas bien du tout. Erreur de casting ou horreur ? Je vous laisse cocher la bonne case. Clapping : pas d'instruments, pas de paroles, juste des claquements de mains ( et aussi sur la bouche ), genre de gimmick qui ne mange pas de pain, ni de temps, à peine une minute et vingt-et-une secondes... bien starolé, mais était-ce vraiment nécessaire ? Gin House Blues : mieux vaut revenir aux valeurs sûres. Ce coup-ci nos ami Animals jouent à la grenouille qui essaie d'égaler le bœuf. Tentent l'ascension de la grande pyramide. Ne doutent de rien. L'original dont le véritable titre est Me and My Gin fut enregistré par Bessie Smith en 1928. Pour comprendre l'incomparable grandeur de Bessie il suffit de se reporter à la cover effectuée en 1961 par Nina Simone qui a emprunté le titre Gin House Blues à un autre morceau de Bessie. Le style de Nina est marqué tant au piano qu'en ses parties vocales par un grand dépouillement mais comparée à la version de Bessie son interprétation paraît superfétatoire, elle semble taper dans l'esbroufe, Nietzsche dirait qu'elle cligne de l'œil. Rien à voir avec la nudité intrinsèque de Bessie. Je ne sais si Burdon avait entendu la version de Bessie, mais la connexion avec Nina est évidente si l'on pense à Don't Let Me Be Misunderstood. Certes Rowberry est loin du toucher de Nina. Il plaque de zinc là où les doigts de Nina gouttent à gouttent. Chas est à l'unisson, y va de sa grosse basse ultra-lourde, Burdon lâche la bride à ses musicos trop longtemps sur le pont, alors il met toute son émotion dans sa voix et comprend qu'il ne peut que marteler le joyau à coups de marteau, un peu pompier, un peu wagnérien, ne noie pas son chagrin dans l'alcool, demande à ses copains de lui maintenir la tête dans la cuvette WC emplie de gin. Tonique ! Au moins ils auront essayé. Squeeze Her, Tease Her : Jackie Wilson qui créa le morceau en 1963 n'était pas un demi-sel, l'avait un fan inconditionnel qui s'appelait Elvis Presley, quand on écoute l'on se dit que ce serait mieux sans les chœurs masculins un peu trop mécaniques, un défi à relever pour pour les Animals qui ont la plupart du temps misé sur leurs propres forces pour ce boulot qui peut se révéler ingrat. Pas photo, nos bébêtes chéries s'en tirent haut la main, vous fusèlent les ciselures à la perfection. Si Elvis aimait Jackie c'est qu'il sentait que ce noir avait ouvert la voie au rock'n'roll blanc, très sagement Burdon n'essaie pas de chanter comme un noir, pour une fois il accepte sa blanchitude et c'est un peu comme s'il accomplissait pleinement la démarche wilsonienne. What I Am Living For : original de Chuck Willis, l'on ne s'étonne pas de cette reprise, elle s'inscrit dans la logique précédente. Chuck Willis fait partie de ces rhythm 'n' bluesers noirs qui ont établi le passage de témoin avec le rock 'n' roll blanc, Elvis, Roy Orbison, Buddy Holly, Charlie Rich l'ont repris, Gene Vincent le cite dans Story of the rockers. Autre piste parallèle Ray Charles s'est aussi approprié ce morceau. L'âpre façon de Willis d'arracher le vocal de ce qui à la base n'est qu'une quelconque chansonnette n'est pas sans ressembler avec l'art de Burdon. Par contrecoup Burdon ici chante plus noir que blanc comme s'il avait peur de se pasticher en pactisant avec la manière de Chuck. Soyons franc l'orgue de Rowberry n'arrive pas à la cheville des bouffées de saxophone de la version Chuck. I Put A Spell On You : encore une pyramide à escalader, le hit de Screamin' Jay Hawkins pousse ses racines au plus profond de la culture noire et blanche américaine, celle du vaudeville comme celle de cette notion du grotesque chère à Edgar Poe, après Jackie Wilson Burdon continue avec Hauwkins l'exploration de cette intumescence noire qui donnera naissance au rock 'n' roll. Là encore Burdon reste trop respectueux de son devancier, encore une fois l'orgue ne vaut pas le sax, là où Screamin' dégueule, Burdon pousse la chansonnette. Pas total Kheops, plutôt total KO. That's All I Am To You : encore un passeur et pas des moindres, Ray Charles, en 1965, la partie de go continue, comment le noir devient blanc et comment le blanc retourne au noir, et puis comment le noir s'émancipe du blanc, le jeu de perles cher à Hermann Hesse est infini. La différence entre la version de Ray et des Animals est celle qui sépare un orchestre et ses pupitres hérité du jazz d'un groupe électrique constitutif du rock. Celle de Ray relève du spectacle, de l'entertainment, celle de Burdon d'une recherche encore inaboutie d'une dramaturgie existentielle. Z'ouvrent la porte aux Doors. She'll Return It : z'avons peur, z'aura-t-on droit à une deuxième nuisette peu engageante pour deuxième et dernière création de l'album. Ben non, on dirait que les essais et approches de la deuxième face ont porté leur fruit. Jenkins, Chandler, Rowberry et Burdon signent un morceau pur jus rock 'n' roll dégagé de tout formalisme programmatique. Se sont laissé aller. Et sont arrivés au bout du chemin. Un des meilleurs morceaux du groupe. Les Animals se sont animalizationnés.

    Cet album est splendide. Donne l'impression que le rock'n'roll est en train de se faire, de coaguler. Quand l'on songe que le What I'm Living For est cosigné par Otis Blackwell dont on retrouve la signature au bas de bien des morceaux de Little Richard et que Jackie Wilson a aussi enregistré Keep-A-Knocking l'on se dit que si les groupes du rock'n'roll sont embrouillées elles convergent tout de même dans leurs entrelacements collectifs selon une direction qu'il est difficile d'entrevoir. Etrange rivière dont la source est un delta.

    AOÛT 1966

    ANIMALIZATION ( US )

    Ce disque reprend huit morceaux parus sur le précédent et en contient quatre qui ont largement contribué à la gloire des Animals.

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    Don't bring me down : ( paru en single en mai 66 couplé à Cheating ) : pour des gens qui se méfiaient du Brill Building, taper dans Gerry Goffin, Carole King relève quelque peu d'une gageure. Qu'importe, le morceau dévoile la puissance du groupe dans son double impact, musical et vocal. Ce tremblement orchestratif caractéristique du morceau est d'un meilleur effet, vous avez l'impression que les murs vacillent et s'apprêtent à s'écrouler, mais toutes les pierres reprennent leur place et l'édifice en ressort plus fort, plus solide. Remarquable aussi le parfait équilibre opéré entre la voix de Burdon et le moutonnement des backing vocals. Une parfaite réussite. One Monkey Don't Stop No Show / You're On My Mind / She 'll Reaturn It / Cheating : résonance de batterie en avant, assez rare chez les Animals, mais le batteur n'est pas le même, tout est parfait dans ce cut, le même équilibre décrit pour Don't Bring Me Down détail important le morceau est signé par Chas et Burdon, nos animaux de compagnie préférés se débrouillent très bien tout seuls. Le genre de potion que vous avalez au début à la petite cuillère pour finir à la grosse louche. Inside Looking Out : ( paru en single en février 66 couplé avec Outcast ou avec You 're On My Mind ) : la grosse claque et la grande classe, un obus qui vous arrive dessus sans crier gare, sont tous les cinq au taquet, Burdon impérial au chant, vous crache les mots comme si vous étiez un punching ball, je me souviens que ma mère tiquait lorsque je haussais le son du transistor, j'avais beau lui expliquer que ce cataclysme sonore participait d'une avancée musicale sans précédent, elle refusait de me croire. En plus nos bêtes sauvages sont allé chercher cette perversion dans un songbook de la famille Lomax, le blues au max de cette vieille rengaine du Texas l'on vendrait son âme au diable pour l'entendre toute l'année. See See Rider : ( paru en single en septembre 66 couplé avec She 'll Return it ) : de la même veine que le précédent, le vieux standard de Ma Rainey dynamité, explosé, vous l'expédient à la fronde, au scorpion romain, n'y mettez jamais le pied dedans, un taureau furieux vous plante ses cornes dans le cul et vous emporte tout droit dans le Circus Maximus, la foule en liesse applaudit à grand fracas tandis qu'il effectue triomphalement le tour de l'arène sanglante vous exhibant fièrement tel un trophée, la fin est munificente, il vous projette sur le sable juste devant la loge de l'Empereur, dans l'ultime seconde avant de mourir vous entrevoyez le pouce baissé de Néron qui vous expédie aux Enfers. On ne sort pas indemne de ce cauchemar. Gin House Blues / Maudie / What I Am Living For / Sweet Little Sixteen / I Put A Spell On You /

    John Steel a quitté le groupe en février 66, c'est son remplaçant Barry Jenkins qui baratte le beurre sur Don't bring me down, Cheating et See See Rider, Steel et Jenkins n'ont pas le même style, l'on classerait John parmi les rythmiques accompagnateurs, Barry qui provient des Nashville Teens joue dans la catégorie des poids-lourds fracassants.

    DECEMBRE 66

    ANIMALISM ( US )

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    All Night Long : que se passe-t-il, ça zappa bien, quelles sont ces étranges sonorités, que sont devenus nos Animaux favoris, ce sont eux mais totalement métamorphosés. Le monde a-t-il changé subitement, le vieux blues des familles ne fait-il plus recette. Faut écouter ce morceau pour comprendre l'évolution postérieure d'Eric Burdon. Avec Inside looking out et See See Rider, ils avaient gonflé à bloc le vieux pneu bleu, sont arrivés au bout du couloir, il est impossible d'enfoncer plus loin le harpon dans le ventre du cachalot bleuâtre, toute nouvelle tentative ne serait que redite, l'on glisse d'époque, toutes vos certitudes se brouillent dans votre tête, du bleu-bite l'on passe au psyché beat. Shake : à la base deux manières de secouer la salade, élégance originelle du geste de Sam Cooke mise au point en 1964, ou brouillonne agitation tumultueuse à la mode 1965 d'Otis Redding, Eric Burdon et ses acolytes commencent par supprimer les feuilles de la laitue, plus de cuivres dans Shake n'est-ce pas une provocation hérétique ? L'on pourrait appeler cela du rhythm 'n' blues expérimental, pour mieux en isoler l'âme ( soul en anglais ), que voulez-vous la musique reste avant tout comme n'importe laquelle des occupations humaine psychique. La basse de Chandler devient primitive, l'orgue de Rowberry se voile et se pare d'une étrange couleur multicolore, la guitare de Valentine se dit qu'il vaut mieux sitar que jamais, et Burdon vous brise de sa voix le cristal du miroir des apparences. The Other Side Of This Life : quoi l'on abandonne le blues Neil pour le folk de Fred Neil, n'aurais-je donc tant vécu que pour cette infamie, l'est vrai que Fred Neil est un personnage sympathique, Roy Orbison et Wanda Jackson ont repris son Candy Man, l'était-là aux débuts de Bob Dylan et de Karen Dalton, et s'il en est un qui a vécu en roue libre c'est bien lui. L'a une belle voix à la Johnny Cash ce qui a pu séduire Burdon. Ce titre est sorti en mai 1965, l'Eric se tient au courant de ce qui se fait de neuf dans l'actualité et il embraye aussitôt. Burdon élude le folk en le bluesant quelque peu quant à l'accompagnement, mais son vocal dramatise à mort ce qui chez Neil touchait à un certain détachement lymphatique. Au piano Rowberry effectue un beau boulot précipitatif. L'ensemble sonne comme un prologue à un drame eschylien qui aurait été perdu et dont il ne nous resterait que ce fragment. Rock Me Baby : qui n'a pas entendu le Live At The Regal de B.B. King sorti voici exactement cinquante-six ans ( cette chronique est écrite précisément le premier mars ) ne connaît pas la folie du blues. Certes Hilton allonge le son au lieu de détacher les notes à la B. B. imiter les maîtres n'est pas souvent ce qu'il y a de mieux à faire, il est préférable de les tuer, Burdon a expulsé de son chant cette angoisse latente qui gît comme une bête morte au fond du vocal du King, l'on sent qu'il pourrait aller plus loin sur ses ergots de jeune coq triomphant, mais le reste de la bande le retient, le tiennent en longe afin qu'il ne salopège pas de ses sabots ferrés les plate-bandes sacrées de la pelouse du palais royal, franchement ce n'est pas le régal espéré. Lucile : Little Richard est inimitable, c'est pour cela que Dave n'ose pas toucher son piano, pour cela aussi que tout le monde reprend ses titres, si tu ne chantes pas du Petitot Richardo tu ne seras jamais un rocker mon fils, le Burdon est tellement tétanisé qu'il ne burdonne plus, il fait dans le style Richardien, se débrouille mieux que moi ( mais je chante très mal ) quoi qu'il en soit il se vautre tout de même sur le plancher. Nos animaux domestiqués n'osent pas pisser sur le parquet, c'est regrettable, on les aimerait davantage iconoclastes. Smokestack Lightning : auront-ils un fagot de chance en se mettant à hurler à l'astre sélénique au côté du grand frère Loup, l'est vrai que sur ce morceau Howlin' module relativement doucement, et dès l'intro l'on sent que le Burdon ne laisse pas passer sa chance, pas question de gémir sur la garce qui n'est pas rentrée la veille, passe à l'admonestation sévère, remet la pendule du blues à l'heure, la grande comédie, chiale tout doux comme une madeleine pour mieux exploser par la suite, elle verra assez tôt de quel bois il se chauffe. Rien de plus menaçant que le silence assourdissant qui précède l'explosion. Le Wolf est théâtralisé mais pas dramatisé. L'aurait pu tout de même la tuer d'un coup de ses canines les plus aiguisées... Hey Gyp : la version originale de Donovan était sympathique avec sa guitare sèche, ses pointillés d'harmonica et sa voix pretty-folk, tout à l'heure l'on regrettait le manque de dramaturgie, cette fois Burdon donne dans la comédie de moeurs balzacienne, scènes de la vie rock'n'rollienne, avec des effets aristophanesques pour en même temps sécréter en filigrane une critique de la société de consommation et expulser la charge hormonale de la libération sexuelle des sixties. En moins de quatre minutes cette interprétation exprime parfaitement l'épanouissement hédoniste de toute une époque malheureusement révolue. Peut-être la disparition de ces temps en ébullition explique-t-elle pourquoi ce morceau n'a pas réussi à encocher les mémoires de nos temps de triste puritanisme et de rétractation sociale. Un bijou oubli dans le coffre aux merveilles. Hit The Road Jack : le tube le plus célèbre de Ray Charles même si au début des Sixties on lui préférait son What d'I Say, à mon humble avis les Realets sont au minimum pour plus de cinquante pour cent dans la réussite du hit... comment les Animals feront-ils l'impasse de ses irremplaçables sirènes, réussissent leur tour de passe-passe en douceur, Burdon fredonne tel un frelon asthmatique, l'orgue de Rowberry part en vrille, et Burdon reprend la main. Aussi malins que des renards, aussi rusés que des serpents. Oucast / Louisiana Blues : sur le premier disque de Muddy Waters publié en 1950, du pur blues, un chef-d'œuvre avec ce vocal qui se déploie à la même hauteur que l'harmonica givré, des coups d'onglées sur les cordes de guitare, une ultime pincée et la beauté du monde referme sa corolle. Tout dans la voix, plus un bruit de lessiveuse musicale en bruit de fond, une belle menuiserie, Valentine scie les cordes de sa guitare et Chandler cloue les siennes très fort, magistrale interprétation, le Muddy a dû penser que ces petits jeunes avaient tout compris. That's All I Am To You / Going Down Slow : pour finir le disque l'on remonte à l'antiquité, Jimmy Odden au piano et au vocal enregistré en 1941, nos putois d'englishes on dû connaître cette pièce de collection par le truchement d'Howlin Wolf qui a gardé le piano mais qui rajoute la guitare électrique, l'on est loin de désespoir doucereux d'Odden, Odden n'avait pas la frite, vous foutait les roubignoles à plat et le moral dans les chaussures trouées. Lui le Loup, en 1961 il vous innocule le cancer du cerveau en intra-veineuse. Et ça fait mal. Très mal. Les Animals vous épargnent les difficiles et cruelles étapes de la maladie, l'orgue endosse le rôle de l'harmonium de votre messe funéraire, la basse de Chandler imite le pas lent et lourd des chevaux qui vous mènent au cimetière, et comme vous n'êtes pas encre tout à fait mort, la voix de Burdon vous vient en aide pour dicter votre testament. Magnifique, encore meilleur que les deux précédents réunis, une véritable invitation baudelairienne au ( dernier ) voyage. Peut-être pas un morceau idéal pour clôturer un disque, un véritable requiem bleu. Animal à la blessure mortelle.

    Ce millésime 1966 qui est la dernière cuvée des premiers ( enfin presque ) Animals s'avère fastueux, ont délivré trois trentes irremplaçables, mais l'on ne se quitte pas ainsi, les Animals c'est comme le Vésuve, alternent les périodes d'activité ( ah ! Qu'il était joli le volcan de mon Pompéi ) et de sommeil – le cauchemar du fan ). L'on termine par quelques sucreries, et surtout n'ayez crainte cet insecte qui n'arrête pas de burdonner à la vitre de votre cervelle malade.

    INSIDE LOOKING OUT

    ( US tv Show / 1966 )

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    Costume gris éléphant _ beaucoup moins riquiqui que le gris souris – pour nos cinq bêtes de scène. Lorsque la caméra se rapproche l'on se rend compte que ce sont des costumes pied-de-poule, ne soyons pas déçus nous prendrons tout de même notre pied. Ce qui est impressionnant lorsque l'on regarde des lives des Animals c'est qu'ils donnent l'impression de ne pas se fatiguer, les musiciens semblent jouer davantage du silence que de la musique. Frappent par a-coups leurs instruments et puis ne font rien, ce sont ces impulsions répétées qui projettent la puissance sonore. Pour combler les vides l'organiste se charge du boulot. Alan Price possédait un appareil pas plus épais qu'une planche à repasser, Dave Rowberry est aux commandes d'un meuble mastoc, une espèce de piano en acajou à double clavier dont on aurait coupé la queue, un bahut bas en bois de baobab de salle-à-manger des années cinquante, ou alors pour ceux qui ont un peu d'imagination, cette console sur laquelle Des Esseintes, le héros de Huysmans, installait son orgue à bouche qui permettait de goûter aux arômes des alcools les plus exotiques. Mais que l'on ne s'y trompe pas, ici le maître de chais, le sommelier en chef, c'est Eric Burdon, si Rowberry passe l'éponge pendant que les autres se reposent, l'échanson pousse la chanson, l'a l'œil luisant et brillant, il chante mais il paraît plus intéressé par ce qui se passe dans sa tête, suit ses pensées pendant que sa voix coule en toute indépendance. Quel paradoxal comédien ! Courbe ses épaules en avant, escargot qui rentre dans sa coquille, ou alors monte sur ses ergots et poussé par la voix en écho de Chas la transe s'empare de lui, mais il ne cède pas à cette magistrale possession psychique – très beaux effets de sa tête en surimpression sur ses camarades – il la jugule, il la régule, restant pratiquement à la même place, se dandine d'un pied sur l'autre en mec normal qui attendant sa copine en retard ne sait pas quoi faire pour se donner une contenance, et c'est reparti pour le capharnaüm final. Trois secondes avant la fin, il tape dans ses mains comme s'il s'applaudissauit lui-même. Il a raison.

    CONCERT OLYMPIA 1966

    ( Gracieusement offert par la chaîne 101 Blues sur You Tube. )

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    Dix-sept minutes en noir et blanc. Un document d'époque. Vraisemblablement tourné pour le Discorama de Denise Glaser par Raoul Sangla du temps de cette télé populaire qui visait à une certaine qualité. Le son n'est pas génial, parfois franchement limite. Qui vaut-il mieux regarder et écouter, les Animals – l'on voit surtout la tête de gondole Burdon – ou le public sagement assis qui finit par bouger, une espèce de jerk-tectonique des bras, intéressant de penser que certains d'entre eux seront peut-être fin 67 au concert des Rolling Stones au même endroit qui se terminera par une manifestation spontanée prémonitoire de la chienlit qui déboulera au joli mois de mai 68. La caméra s'attarde pour quelques portraits de belles filles – mais que sont devenues ces demoiselles du temps jadis – mais aussi quelques garçons, notamment l'un au visage énergique. Burdon n'arbore pas le look princier d'une rockstar, il est même plutôt mal fagoté dans son polo qui réussit l'exploit d'être en même temps trop large et trop serré. A regarder sans faute.

    Damie Chad.

    XXIII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

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    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

     

    101

    C'était étrange, Molossa n'arrêtait pas de grogner sourdement de cette manière si particulière qui alertait d'un danger grave et imminent. Quant à Molossito il était énervé au possible tournant en rond sur les genoux de Charlotte, complètement affolé. D'instinct nos regards se dirigèrent vers le sol. Je venais d'engager notre aéronef au-dessus d'une épaisse forêt et me tenais à une dizaine de mètres au-dessus de la cime des arbres. A l'épaisseur des frondaisons il était indéniable que personne ne pouvait nous menacer depuis la surface terrestre. Un avion nous aurait-il pris en chasse ? le ciel était vide et aucun bruit ne s'ajoutait au souffle de nos pales. Nous dirigeâmes nos regards de tous côtés, aucun élément suspect n'attira notre attention. Je doublai l'allure, m'écartai de notre direction initiale, décrivis des cercles, piquai vers le haut, zigzaguai dans tous les sens, rien ne calma nos chiens à part que Molossa amplifia son grognement et que Molossito n'en finissait plus de changer de place. Il était temps de faire quelque chose, le Chef alluma un Coronado.

    Vince – encore aujourd'hui je suis incapable de décider s'il existât une relation de cause à effet entre l'action du Chef et la réaction de Vince qui - s'adjugea la parole :

      • Je crois qu'il serait bon qu'au lieu de retourner à notre base de départ, il serait plus urgent de filer tout droit à Nice !

      • Oh oui ! - la brunette en trépignait d'impatience – deux de mes collègues ont déjà retenu une chambre, si nous arrivons avant eux, nous serons les premiers sur la piste d'Eddie Crescendo, je vois déjà leur tête lorsque je publierai mon premier grand article, avec un titre du genre : '' L'énigme de la disparition d'Eddie Crescendo enfin résolue !''

      • Agent Chad, accélérez, Vince a raison, Charlotte et Charlène regretteront la piscine de la villa...

      • Pas grave, s'écrièrent-elles, à Nice c'est encore mieux, il y a la mer ! Damie, fonce tout droit sur la baie des anges chère à Dick Rivers !

      • Doucement mes toutes belles – Vince grimaçait - d'abord Dick Rivers est mort ensuite il n'y a pas que des anges qui volent au-dessus de la baie.

    Cette dernière répartie de Vince eut deux étranges conséquences, Molossa poussa un bref aboiement tout joyeux et se calma aussitôt tandis que Molossito s'endormit paisiblement sur les genoux du Chef, ce ne fut qu'un court répit, furent remplacés par la gent féminine qui bruissa telle une volière de ramiers roucoulants !

      • Comment cela ? Pas que des anges ? Quoi alors ? Vous en avez trop dit ou pas assez ! On veut des précisions !

      • Un tantinet de réflexion gentes damoiselles ! - le Chef esquissa un sourire dangereux – les chiens se sont énervés, avez-vous remarqué quelqu'un ou quelque chose au-dessous, ou au-dessus, devant, derrière, sur notre gauche, sur notre droite, ou ailleurs ?

      • Non rien du tout ! - rétorqua Charlène - Mais je peux très bien l'expliquer, le chien de mon oncle adopte un comportement similaire s'il a faim, si on ne lui donne rien à manger, au bout d'un moment il se couche dans son panier et on ne l'entend plus !

      • Je veux bien le croire, mais votre oncle à mon humble avis n'est pas un agent secret, or Molossa est accrédité au SSR, souvenez-vous comment le SSR il y a à peine de cela quelques heures a tenu tête au Président en personne, soyez sûres que si Molossa a grogné c'est que nous sommes en danger, et vu la rage contenue de son avertissement, j'en conclus que nous nous dirigeons droit vers la zone du plus grand péril, si nous n'avons rien discerné dans la limite explorative de nos sens, c'est que la menace était hors de notre portée, ce qui ne signifie pas que ceux qui nous menacent soient incapables de nous atteindre.

    Un grand silence s'en suivit. Chacun médita les doctes paroles du Chef qui en profita pour allumer un Coronado... Brunette rompit le silence au bout de quelques instants :

      • Vous pensez que le Président a envoyé une escadrille de chasseurs pour nous surveiller à plus de 10 000 mètres d'altitudes !

      • Pas du tout, le Président a du pain sur la planche avec son Haut Conseil de bras cassés et la pandémie, pour quelques temps il nous laissera en paix, mais n'ayez crainte, il ne nous oubliera pas !

      • Alors il nous suit à la loupe depuis un satellite-espion, en orbite autour de la Terre, chaque soir on lui remet un rapport sur nos activités, je me demande s'il va préférer mon maillot de bain vert ou le mauve !

      • Hélas non, les satellites ne dépassent guère un rayon de 40 000 kilomètres, prenez un peu d'altitude !

      • Plus haut je ne vois que les... les... mais non vous me faites marcher, soyons sérieux des extraterrestres !

    Les trois filles pouffèrent de rire, mais la voix grave de Vince coupa net leur hilarité :

      • Je vous montrerai quelques films que j'ai moi-même tournés, n'ayez crainte, les extraterrestres sont plus malins que nous, très bientôt nous allons être confrontés à des ennemis directs et insaisissables, pire que les extraterrestres, car ils ne manqueront pas de venir à notre rencontre, attention à vous, méfiez-vous, certains sont beaux garçons...

    Les trois filles ne riaient plus, elles ouvraient des yeux grandes comme des soucoupes ( volantes ) au fur et à mesure que nous donnions tous les détails relatifs à nos rencontres avec les Réplicants, elles tremblaient de peur, l'histoire de cette maison qui se transformait du jour au lendemain à la manière de ces décors de cinéma que l'on monte et démonte en quelques heures leur donnait la chair de poule, ce qui était assez agréable car elles se pressaient dans nos bras virils et protecteurs, comprenant que nous étions la seule planche de salut sur laquelle elles pourraient compter dans les jours qui se profilaient...

    Nous leur racontâmes tout ce que nous savions, mais elles blêmirent vraiment lorsque le Chef prit une dernière fois la parole :

      • C'est simple – il alluma un Coronado – plus je réfléchis à nos précédentes aventures, plus j'acquiers l'intime conviction que toutes ces histoires n'en forment qu'une, l'affaire est beaucoup plus complexe que nous l'entrevoyions, nous ne possédons que quelques pièces éparses du puzzle que nous cherchons à assembler, au point actuel de nos tribulations, nous sommes incapables de trouver une idée qui nous aiderait à posséder une schème directeur qui nous permettrait de discerner une quelconque logique à cet entremêlements de faits disparates et incongrus. Vous connaissez ces paléontologues qui à partir d'une semi-molaire avariée et d'un quart de vertèbre pourrie d'un animal inconnu vous le dessinent comme s'il était devant eux. Nous leur ressemblons, mais une fois que nous aurons reconstitué sous forme d'un beau dessin ou d'une statue de plâtre notre lézard nous nous apercevrons qu'il est vivant et très méchant...

    102

    Nous étions arrivés. Nous survolions la fameuse Promenade des Anglais, désertée pour raison pandémique. Je posai délicatement l'appareil sur le sable de la plage. Quelle prestance pensais-je modestement je suis vraiment un gars formidable. J'arrêtai le moteur. Les filles qui tenaient à leur trempette se précipitèrent vers l'onde azurescente. Elles ont raison de prendre du bon temps déclara Vince. Elles ne savent pas ce qui les attend, nous non plus, mais ce ne peut-être que terrible. Le Chef faisait les cent pas sur la plage, tirant philosophiquement sur son éternel Coronado. Il revint vers nous, tout souriant, j'ai le bout de l'énigme, dit-il, pour trouver un dinosaure il suffit de lui marcher sur la queue, d'ailleurs tenez la voilà...

    ( A suivre... )

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 499 : KR'TNT ! 499 : WAU Y LOS ARRRGHS!!! / DAVILA 666 / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XXII

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 499

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    25 / 02 / 2021

     

    WAU Y LOS ARRRGHS!!! / DAVILA 666

    ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XXII

    Adieu Wau, vaches, cochons !

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    Pas facile à prononcer, le nom des Wau Y Los Arrrghs!!! Si on écoute ce groupe espagnol, c’est à cause de Beat-Man qui déclare dans un book à paraître : «Oh yes that was… Les gars de Wau Y Los Arrrrrrrrrrghs m’ont envoyé des démos et des trucs… It was all super trash... mais je savais qu’il y avait des trucs fantastiques là-dedans et donc je les ai envoyés chez Jorge dans son studio à Xixon pour enregistrer… Je crois que j’ai réservé trois jours d’enregistrement. Ils sont arrivés là-bas par miracle. C’était une troupe extrêmement chaotique. Un jour plus tard, Jorge m’a appelé pour se plaindre, he said : « Beat-Man !!! WTF !!! What kind of band is that !!! Ils n’ont pas de chansons, ils n’ont pas de paroles, I can’t do anything with them... » J’ai rigolé, hahah… je lui ai dit de leur donner du temps, qu’ils avaient fait la route et que ça irait mieux le lendemain. Je crois que Juanito a écrit les paroles cette nuit-là et le lendemain Jorge m’a rappelé : « BEAT-MAN !!! this is amazing... I think we just recorded the Best Spanish Garage punk of all time... their Lyrics are so hilarious and the music and everything... » Hahahaha… Il avait raison... Ce premier album Cantan En Español est probablement the most authentic and WILDEST garage punk album ever made in Spain... Je suis très fier de l’avoir sorti. Et Gildas est celui qui en a fait la meilleure promo, aussi bien sur le Dig It! Radio Show que dans son fanzine.»

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    C’est vrai qu’on est vite surpris par l’énergie de hussards sur le toit que dégagent ces Spanish boys. Ils sont extrêmement énervés et rient comme des fous. Voilà de quelle façon on pourrait les décrire. Sans oublier les wild guitars, le tatapoum et la mauvaise haleine. Et pourtant l’album démarre mal, car les Wau Y collectionnent tous les clichés de garage exotique et il faut attendre «Lo Que Quiero» pour sentir ses naseaux frémir. Le cut bat absolument tous les records de violence. Ils basculent dans la délinquance juvénile. Il faut le voir pour le croire. Puis ils s’inscrivent dans une veine de garage moderne avec des trucs comme «Girl Coge Mi Cosa» et «Niña». Ces Spanish boys sont les cakes de l’overdrive. Ils sont encore pires que Monoman, awite, tout explose dans l’œuf du serpent, merci Beat-Man ! C’est l’album des fast cuts, ça sonne comme un fantastique exutoire. Ils jouent «Niña» sur les accords des Sonics au Demolition Doll Rodéo, ils explosent les coques de noix du garage et flushent leur flesh comme des cracks. Retour de la violence du diable avec «Yo Quiero Volver», la pire intro de fuzz de toute l’histoire du gaga, c’est un rêve de gogo speedé au Spanish tatapoum, avec un killer solo flash in the pan pan cucul. Beau délire Voodoo. Ils montent leur «Ce Ne Pas La Importance» sur le beat de «Stepping Stone», ils tentent de chanter en français mais ça n’a pas la importance. Ils passent au prog gaga avec «Te Voy A Odiar», ils nous jerkent la jute de juke en roulant des r, le batteur vole le show, il joue bien devant dans le mix au détaché de déconstruction, bien vu camarade, c’est bardé du meilleur Spanish beat et secoué des meilleures relances de bassmatic. Quand tu sors de là, tu en redemandes.

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    Alors tu veux du rab ? Amène ton auge. Schplafff ! Tiens v’là du rab de Wau ! Cette fois l’album sort sur Munster avec une belle pochette exacerbée. Petits conseil aux amateurs de gaga : rapatriez Viven!!!, si ce n’est pas encore fait. Parce ce que boom ! Et boom du début à la fin. On prenait les Spanish boys pour des gens calmes, un brin lymphatiques, c’est une erreur, il suffit d’écouter «Piedras» pour voir à quel point on se fout le doigt dans l’œil, ils nous font le pire des coups de Jarnac, celui du stomp d’harmo, le Spanish beat de cave, celui qui fait bander les pépères. Ils sont dans cette énergie héritée des caves de l’East End londonien, ça dégouline de sueur et de micolason. Ils rendent aussi hommage à Link Wray avec «Viva Link Wray». Il n’existe rien de plus mythique sur cette terre qu’un hommage à Link Wray. Ces excellents compañeros méritent vraiment qu’on les admire. Surtout Molongui le guitariste, qui fracasse pas mal de cuts à coups de killer solos flash, à commencer par «Donde Estan», une espèce de foire aux réflexes gaga et il finit par déclencher un feu de prairie. Tiens et puis tu as «It’s Great». Alors tu te poses la question : serait-ce l’intro du siècle ? Va-t-en savoir ! Il y a là de quoi faire tomber un juke de sa chaise. Ils sont épouvantables de verdeur rabelaisienne, ils quixottent les moulins, ils farafouillent le foin, hey hey, ces mecs sont des bâtons de dynamite à deux pattes. Sous le boisseau, ils sont aussi parfaits, comme le montre «La Cueva». Wow the Wau ! Il faut les voir cavaler à travers la plaine en feu, c’est plein de relais et de coups de junk sur l’accélérateur, ça roule des r dans la spanish delinquancia, avec du solo déglingue de fer blanc en pleine orgie de voyous, pure genius, yeah la cuerva. Quelles sales petites gouapes ! Mais ils foirent un peu l’ouverture de leur bal de B en faisant du Kraftwerk d’autobahn espagnol avec «Copa Raya Paliza», fuck it, et perdent leur spontanéité avec «Dicen», même si Molongui y place un solo d’arrachage de dent. Mais ils se reprennent bien vite avec «Piedras», déjà cité à l’ordre du mérite, et «Help Me Find Myself», qui est comme cloué à la porte de l’église par l’ignoble Molongui. Il faut remercier Beat-Man d’avoir lancé ces Spanish boys.

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    En 2013, ils récidivent avec Todo Roto. Mais ils perdent un peu de panache dans ce nouvel épisode. Bon, c’est vrai, ils conservent un sens aigu des belles dégelées d’envergure, mais en même temps, ils ne sortent pas des clous du gaga. On voit bien qu’ils ont du mal à se réinventer, comme tous ceux qui ne jurent que par le gaga. Alors quand on se retrouve dans cette situation, que peut-on faire ? Du Sonics ? Mais oui, alors ils font du Sonics avec «Futa Podrida», ça marche à tous les coups. Absolute distaster de Fruta, ça screame en Spanish, arghhhhh, et ils vont même en servir une rincette avec «No Se Canter», de l’ultra gaga complètement soniqué du ciboulot. Ce mec va screamer jusqu’à l’oss de l’ass, pas plus pur jus que celui-ci, il screame à l’outrance de la stridence, au hey hey hey des fabuleuses expéditions gaga d’antan. Ils font aussi du cro-magnon («No Me Veras Caer») et du raté de Wau («Cuervos»), mais c’est un raté de Wau délicieux et sauvagement dévergondé. Il faut bien reconnaître que ce mec chante comme un dieu Spanish. Il torpille bien son yeah yeah yeah à la pointe de la glotte et on applaudit des deux mains. Ils continuent sur le mode dégelée jusqu’à la fin du disk et aussitôt après, la Mer Rouge se referme sur leur passage. Depuis, plus aucune nouvelle.

    Signé : Cazengler, Wau pas cher

    Wau Y Los Arrrghs!!! Cantan En Espagnol. Voodoo Rhythm 2005

    Wau Y Los Arrrghs!!! Viven!!!. Munster Records 2009

    Wau Y Los Arrrghs!!! Todo Roto. Slovenly Recordings 2013

     

    Sympathy for the Davila

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    Davila 666 figurait parmi les groupes que Gildas avait pris sous son aile. Son Radio Show était déjà bien énervé, mais l’arrivée d’un Davila mettait véritablement le feu aux poudres. Question flair, Gildas était infaillible. Il avait su les repérer.

    De tous les groupes qui ont émergé sur la scène gaga des années 2000 via In The Red Recordings, Davila 666 fut sans doute l’un des plus fascinants. Passé le cap du nom diabolique, on découvrait un monde musical extrêmement luxuriant, un brouet exubérant de rockalama bourré d’énergie et franc du collier, que des paroles en espagnol rendaient délicieusement exotique. Grâce au peu d’infos que lâchait In The Red, on savait que les Davila étaient portoricains, d’où l’exotisme capiteux. Pas besoin d’en savoir plus, leur premier album paru sur In The Red se débrouillait très bien tout seul. Pendant longtemps, Gary Usher et Curt Boettcher se sont débrouillés tout seuls sans infos, la doc n’est arrivée qu’avec Internet, et encore, si on peut appeler ça de la doc, alors pour les Davila, c’est pareil. Et si on cherche aujourd’hui de la doc sur eux, on ne trouvera pas grand chose, à part les sempiternels clips sur YouTube. Ce sont les disques qui font tout le boulot. Dans leur cas, on peut même parler de vision musicale. Mais en même temps, on mettrait sa main à couper qu’ils n’ont pas cette prétention.

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    Le premier album de Davila 666 compte parmi les révélations du XXIe siècle. Il suffit d’écouter «El Lobo» pour s’en convaincre. Il s’agit là d’une véritable abomination explosée en plein ciel et chantée à la serpillière de garage chicano. L’immonde Davila balance son El Lobo dans un mur du son organique, un son fracassé d’énergie humide qui resplendit et qui se carapate dans des circonvolutions extravagantes. Suck my blood Davila ! Wow ces mecs ramènent trop d’exotica de trash d’un coup et ça dépasse toutes les expectitudes. Nouveau coup de génie sick sick sick avec «Bla Bla Bla». Ils produisent une espèce de son inconnu et incroyablement revigorant. Ils jouent au power pur et au beat des reins, ils rient au nez des dieux du rock qui sont pourtant rompus à tous les excès. Dans «Oh Baby», les guitares fracassent du verre, c’est brossé dans le mauvais sens du poil et demented on the git go. Ils surchargent le spectre du mastering, ça bouine de profundis dans le mortier. On entend les accords de Lou Reed dans «Muy Christoso», mais avec de la ferraille de bonne franquette portoricaine. Ces mecs cultivent l’art d’aiguiser le rococo du son. Ils viendraient d’Haïti, on les traiterait de sales petits voodoos. On entend même des guitares à la Johnny Thunders. Tiens puisqu’on parle du loup, le voilà dans «Callejon». Ils tapent ça au tact de niaque des bas-fonds du barrio. C’est franchement digne des Dolls, oh so far out ! So street-wise ! Encore un produit toxique avec «Cludad». Que de son ! On se croirait au Gold Star avec Phil Spector. Ces mecs ont tellement de son et un tel goût pour l’aventure qu’ils rappellent les Pixies de l’âge d’or : «Dimelo Ya» sonne comme la huitième merveille du monde. Tout est frais, enjoué, tortillé. Ils font aussi du garage d’exotica avec «Bajura» et sortent l’un des meilleurs sons du sous-continent. Ça grouille de ouh ! Fantastique gusto que celui de «No Quiero». Ils sonnent tout simplement comme des Ronettes punk, avec un swagger qui fout les chocottes. Ils terminent cet album pour le moins spectaculaire avec un «Nueva Localizaciôn» assez bulbé du bilboquet. Comme ils chargent leur barque en permanence, ils n’atteindront jamais Cythère. Ils préfèrent la traînasse de la davilasse, c’est-à-dire la mélodie à la ramasse.

    Que peut-on attendre d’un deuxième album des Davila ? Rien de bon, c’est-à-dire le meilleur. The less is more, nous dit le sage. Un maure leste dirait la mort en laisse. Veuillez croire qu’au royaume béni-maudit des Davila, tout est permis, même le contrepet du champignon.

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    Paru en 2011, Tan Bajo bouge tout seul, comme la charogne de Baudelaire. L’album est bourré de saloperies infectueuses du genre «Robacuna», un heavy groove latino latinoire digne du Death Party Gun Clubbic. Ils sont avec ça dans l’excellence du rentre-dedans, ils jouent en connaissance de causa nostra, avec cette manie de chanter à profusion. Nouvelle escapade dans le demento latino à gogo avec «Ratata», énorme shoot de power-pop, une bénédiction pour les couvents, aéré d’un solo macéré à la Thunders. Peu de groupes sont capables d’aller aussi loin dans l’hommage insultant de grandeur. Les Davila sont décidément capables de tout et de n’importe quoi, comme le montre encore «Patitas», une belle envoyée de garage punk, une nouvelle porte ouverte à tous les coups d’épée dans l’eau, ils mélangent l’Irlande avec New York, ça cuit à gros bouillons dans leur marmita patita banana. Nouvelle rasade d’ultra-garage pop avec «Los Cruces», ils jouent ça comme s’ils nous emboutissaient une idée de son dans la cervelle, c’est évolué mais sous le boisseau. Ils passent tout ce qu’ils peuvent à la moulinette pas nette. Ils nous font goûter à l’un des trucs les plus précieux sur cette terre, la folie du son, et attaquent quasiment tout aux renvois de voix. Ils développent des flambées de son à faire baver d’envie Oasis et savent se montrer répugnants quand il le faut («Yo Seria Otro»), ça fait partie du jeu. Leur garage punk semble parfois éberlué, comme s’il était surpris comme un cerf par les phares d’une bagnole. Leur son est une résurgence permanente, c’est pour ça qu’ils sont cinq, il faut fournir. Quand on écoute «Eso Que Me Haces», on pense bêtement à des Undertones portoricains, ils jouent à la machette et taillent un chemin dans une jungle qui repousse aussitôt derrière eux. Et quand on écoute «Idiablo», on pense encore plus bêtement à un Oasis portoricain, ils ramènent tellement de son qu’on finit par capituler. Que peut-on faire d’autre que de fermer sa boîte à camembert et la garder pour le dessert ?

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    Si on s’offre la petite compile Burger Poco Anos Mucho Danos, on sera le premier à s’en féliciter. Et chaudement ! Rien que pour «Pingorocha y La Diva Rockera». C’est claqué de Rico, ces mecs ont la plus grosse énergie du sous-continent. Fucking genius ! Ils rivalisent d’ardeur avec les Dwarves. Même chose avec «Me Va Muy Mal», ils développent autant d’énergie que les Heartbreakers, ils déblayent tout sur leur passage. On peut dire qu’ils sont les rois du garage punk moisi, celui de la cabane croulante de Puerto Rico. Ils grattent tout au lousdé de guitares insistantes et le chant envenime les choses comme la morsure d’un black mamba. «Sabes Que Quiero» va directement dans un juke en bois, car c’est la plus belle rockalama de Rico. Leur son a une saveur qui vaut celle du vrai biriani, celui qui explose dans la bouche. Ils tapent «Alverez» aux accords glam et croyez-le bien, le glam de Rico est des plus explosifs. Ils font une monstrueuse cover de «Hanging On The Telephone» retitrée «Telefono». Ils la jouent placidement mais avec tout le power du sous-continent. Et si les Davila étaient le plus grand garage band des Amériques ? Il faut entendre les guitarras claironnantes de «Mariel», ça balance entre une Stonesy extrême et une fricassée de tarentules. «La Killer Bitch» déborde d’énergie et de son, on peut lui faire confiance. Non seulement c’est un ras de marée sonique, mais le Rico gueule comme un veau. Et la fête continue avec «Y Me Pregunto», pas de demi-mesure, on reste dans les staturnales. Ils tapent dans le «She’s A Rainbow» des Stones avec tout le power du mondo bizarro et ça devient «Borrando El Negro», Davilish. Et on ne vous dit pas tout.

    Signé : Cazengler, Dalida 666

    Davila 666. ST. In The Red Recordings 2008

    Davila 666. Tan Bajo. In The Red Recordings 2011

    Davila 666. Poco Anos Mucho Danos. Burger Records 2014

     

    THE ANIMALS / 1964 - 1965

     

    L'année 65 commence avec des titres enregistrés en 64... 1965 est une année charnière pour le rock anglais, le parcours des Animals l'illustre à merveille. Les Animals auront accumulé bien des hits dans les classements américains et européens. En France leur empreinte aura été forte sur nos rockers hexagonaux. Nous n'avons pas manqué de le signaler.

    FEVRIER 1965

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    Don't let me be misunderstood : une véritable fâcherie d'amoureux entre Horace Ott et Gloria Caldwell est à l'origine du morceau composé pour Nina Simone qui l'enregistra en 1964, chez qui Les Animals la récupérèrent. En changent l'esprit, insufflent une énergie désespérée à ce qui chez Nina Simone témoignait d'un pathétique désarroi esseulé. La volée de notes introductives de Price sonnent comme de violents sanglots et Burdon assombrit la réalité du monde par ses seules intonations. Aucune version ne l'a depuis égalé. Toutefois il convient de signaler celle de Noël Deschamps sur des paroles de Gilles Thibault, des plus émouvantes, d'autant plus remarquable et troublante que sa voix n'a rien à voir avec celle d'Eric Burdon, il est vrai que Noël Deschamps est un des rockers français les plus doués de sa génération ( et de celles qui suivirent ) et des plus originaux, le seul qui n'emprunte pas son art de poser les mots aux anglais et aux amerloques . Club A Go-Go : une face B différente, plus bluesy écrite par Price et Burdon, un morceau rugueux en quelque sorte autobiographique, ils l'ont fréquenté ce fameux Club, y ont joué et y ont même enregistré avec Sonny Boy Williamson, la rythmique de Steve Stills est un peu sommaire mais le piano de Price vaut le déplacement. Ado j'adorais le dernier couplet lorsque Burdon crie les noms de ceux qui sont passés au Club, n'oublie pas les Animals...

    ( Les pochette des 45 T ne correspondent pas aux originales sans saveur )

    MARS 1965

    THE ANIMALS ON TOUR ( US )

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    Boom boom : attention très bon solo de guitare de Valentine squizzé sur le 45 tours original / How you' ve changed : l'original se trouve sur One dozen Berry's, ce n'est pas le Chuck qui pschitte au citron acide, là il pshitte à l'orange bleue, voix suave et guitare de velours, tout en nuances tout en subtilité. Comment s'en tireront nos Animals de foire qui adorent les sons costauds ? J'ai la réponse à cette question angoissante. En voyous, en vandales ? Pas du tout savent se tenir. Soyons franc dans l'ensemble ce n'est pas mal, évidemment le Burdon meugle à lui tout seul comme un troupeau de vaches que l'on a oublié de rentrer pour la traite. Heureusement le morceau ne dure que trois minutes, sans quoi nos paisibles cowidés auraient eu toutes les chances de se transformer en taureaux de combat, nos amis les bêtes seront contents, ces meuglements de vaches burdonniens nous permettent de comprendre qu'elles aussi peuvent sentir le blues et nous filer le frisson. Nous n'en sommes pas étonnés, le blues est une musique universelle. I believe to my soul : une des plus belles réussites de Ray Charles, ah ces notes de pianos cassées de l'intro, existe-t-il quelque chose de plus beau au monde. Bon par la suite, ça dégénère un peu en numéro de cirque, mais dans la vie on n'a rien sans rien. Les Animals sont d'accord avec moi, à part qu'avec eux on a tout pour rien. Alan Price vous casse les œufs par douzaines comme une poule pondeuse qui les laisse tomber de son cul et s'esclaffer sur le ciment du poulailler, la métaphore vous fait rire, écouter le Burdon, vous comprendrez à sa manière de dramatiser pourquoi votre cœur se serre et pourquoi votre copine fait pipi dans sa culotte. Magnifique. La version de Noël Deschamps vaut aussi le détour. Mess around : écrit par Ehmet Ertegun pour Ray Charles, l'orchestration cuivrée n'est pas celle des Animals mais le piano de Ray et la sonorité de l'ensemble n'est pas sans présenter avec douze années d'avance des ressemblances avec la fougue animalière. Le piano de Price est étrangement moins boogie que celui de Ray, tape plutôt dans un rag quelque peu ralenti, aurait pu faire mieux, Burdon n'a pas l'arrache sauvage de Ray, prend un peu la bouche en bec de canard pour chanter moins fort mais plus rapide. Bright lights, big city : de Jimmy Reed qui nous l'offre chaloupé avec la voix traînante, un étirement d'harmonica et la voix doublée en arrière-fond par un timbre féminin. C'était la version rurale, les Animals vous la font enfer des villes. Un son plus fort, un orgue qui sonne le tocsin, et Burdon vous transforme l'ancienne comédie campagnarde des mœurs en dramaturgie moderne. Une version bulldozer. Comme la ville a changé. Worried life blues : enregistré par Big Maceo avec Tampa Red ( ses interventions sont d'une extraordinaire finesse ) Big s'était inspiré de Sleepy John Estes, B. B. King et Muddy Waters ( l'harmonica de Little Walter y fait des prodiges ) l'ont aussi arrangé à leur sauce, un blues qui a roulé et cabossé sa bosse, Price se l'accapare sur son harmonium, Burdon puise dans les racines gospels, tribulations picaresques d'un pécheur, et chacun ajoute son grain de gros sel, Chas bassine sa basse pour la faire résonner à l'instar de la plus grosse lessiveuse du quartier, Hilton ne pince pas les cordes il les grince, Burdon entre en prière et la paix du Seigneur tombe sur les Animals. Bénis soient-ils. Amen. Let the good time roll : notre vie s'éclaire lorsque l'on se rend compte qu'Earl Pamer ( pour faire vite, le batteur de Little Richard ) était sur l'enregistrement original de Shirley and Lee en 1956. Les Animaux ne tapent pas dans de la daube. En plus se débrouillent pour calquer la version originale. Dans cette dernière c'est comme la Samaritaine vous y trouvez de tout, des relents des Vaudevilles à un early comic rock'n'roll. En l'écoutant l'idée me traverse que les Beatles ont dû s'en inspirer pour produire un son dégagé d'une trop grande ressemblance avec les pionniers. Pour la petite histoire, Shirley est créditée sur la pochette d'Exile on Main Street. Le monde du blues est plus petit qu'il n'y paraît. Ain't got you : écrit par Calvin Carter directeur chez Vee-Jay Records, enregistré par Jimmy Reed et les Yardbirds eux aussi en 1964. La différence entre les deux sixties groups se solde par un net avantage pour les Animal, certes la guitare d'Hilton ne possède pas la saturation de celle de Clapton, mais nos zèbres ont un son bien à eux, facilement identifiable, la version des mendigots est somme toute assez quelconque, sans formelle identité. Hallelujah I love her so : je ne suis pas fan de ce hit de Ray Charles, si j'apprécie la version d'Eddie Cochran c'est de l'extrême bout des lèvres sous la torture parce que c'est Eddie Cochran, si je vous disais que je ne suis pas un inconditionnel de la version des Animals, vous comprendrez. Mauvaise tijazzne selon moi. I' m crying / Dimples : la différence avec la version de The Animals UK, n'est guère flagrante, peut-être les cordes un peu moins claquantes sur celle-ci... She said yeah.

    Si vous ne devez avoir qu'un seul 33 tours des Animals, choisissez celui-ci. N'est pas du tout malgré son titre enregistré en public.

    AVRIL 1965

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    Bring it on home to me : de Sam Cooke, quant on l'écoute on situe le lieu d'où procède Otis Redding. Bien sûr les violons sont de trop. Les Animals ont supprimé les guirlandes orchestrales qui défiguraient la beauté de l'arbre. La voix de Burdon, l'orgue de Price, la basse de Chas, le dépouillement absolu, une prière qui s'élève dans la nuit noire parsemée de flocons de neige. Hallyday en a donné une version Reviens donc chez nous. Sa voix un peu frêle n'a pas la profondeur de celle de Burdon mais il se débrouille. For Miss Caulker : de Burdon, le bourdon du blues, le même thème que la précédente – les paroles de Miss Caulker semblent d'ailleurs avoir inspiré la version de Reviens donc chez nous de Johnny – le piano de Price, la guitare d'Hilton qui décompose un beau solo et c'est tout. Nettement suffisant.

    MAI 1965

    ANIMALS TRACKS ( UK )

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    Mess around / How you' ve changed / Hallelujah I love her so / I believe to my soul / Worried life blues / Roberta : voici deux livraisons kr'tntiques le Cat Zengler vous causait de Johnny Vincent qui a écrit cette chanson avec Huey ''Piano'' Smith qui comme par hasard jouait du piano sur l'enregistrement original de Frankie Ford. Un cadeau de rêve pour Alan Price. Ne s'en prive pas. A tel point que l'on ne reconnaît pas la voix de Burdon. Mixée très loin. N'en avais gardé aucun souvenir et en l'entendant, j'ai compris pourquoi. I ain't got you / Bright lights, big city / Let the good time roll / For Miss Caulker / Roadrunner : du grand Bo Diddley, qui sonne très early sixties, un peu honte de l'avouer mais la reprise des Animals est meilleure, on aurait pu croire que l'orgue de Price aurait été un handicap mais non, reproduit exactement le backgrouund, la voix de Burdon est splendide, mixée devant elle coache et tire le hotrod en tête de la course. Les pétarades proviennent-elles de la guitare d'Hilton, quand j'écoutais mon 45 tours j'en étais sûr, là je me demande si l'on ne m'a pas joué un tour, berné par un trucage. Dans tous les cas un de mes hits préférés des Animals. Les Chaussettes noires se sont-ils inspirés de Bo Diddley pour leur Rock des karts ?

    JUILLET 1965

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    We 've gotta get out of this place : attention, Alan Price est parti, vers de nouvelles et décevantes aventures, c'est Dave Rowberry qui tient désormais les claviers. Et ça se sent. Ne monopolise pas le devant du son, il accompagne, du coup la basse de Chandler est davantage présente et le chant de Burdon s'amplifie. Bientôt l'on parlera d'Eric Budon and the Animals. Le titre est écrit par Barry Man et Cynthia Weil. Des sommités du Brill Building. Leur signature est au bas de bien des hits, nous ne citerons que You've lost this loving feeling des Righteous Brothers ( co-signé par Phil Spector ). I can't believe it : de Burdon, les Animals se cherchent, le morceau n'est pas mal, mais marque tout de même une régression, du blues ils se dirigent vers un rhythm'n'blues à grand spectacle, à la blues shouter made in Kansa City, remarquons que cette option est difficilement tenable pour une formation qui ne possède pas de cuivres... Toutefois l'effet produit est le même que celui effectué au précédent par le changement de claviériste, l'équilibre et la force du morceau reposent désormais sur la poutre maîtresse du chant de Burdon, sculptée en figure de proue...

    SEPTEMBRE 1965

    ANIMALS TRACKS ( US )

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    We 've gotta get ou of this place / Take it easy Bring it on home to me / Roberta / Story of Bo Diddley / I can't believe it / For Miss Caulker /Club A Go-Go / Don't let me be misunderstood / Bury my body

    OCTOBRE 1965

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    It's my life : un des morceaux phare des Animals, la basse de Chas, l'orgue de Rowbery qui klaxonne joliment et la voix de Burdon qui drive le morceau, des anciens Animals ne reste que l'emploi des chœurs sur le refrain, qui entre nous soit dit ne sont pas du meilleur effet sauf sur la toute fin. Notons que la belle adaptation de Dick Rivers évite cet écueil en introduisant des chœurs féminins nettement moins lourdauds que ceux des Animals. I'm gonna change the world : ce qui est changé c'est la manière des Animals, un orgue qui tinte comme des coups de trompettes et la voix de Burdon qui a oublié ses intonations blues, cette composition de Burdon sonne nettement plus pop.

    En fait ce n'est pas Burdon qui change le monde mais le monde qui a changé. Dans les périodes de mutation il n'est pas toujours facile de garder ses repères ou d'en élire de nouveaux, un conflit latent couve avec Mickie Most, les Animals n'apprécient guère les choix de leur producteur, Don't let me be misunderstood, We've gotta get of this place et It's my life s'éloignent selon eux trop du blues... Mickie Most est vraisemblablement plus conscient qu'eux de ce qui se passe, le British Blues est arrivé à une époque charnière, l'influence du Delta, de Chicago et des pionniers noirs s'estompent, le rock prend le pas sur le blues, les groupes s'émancipent de leurs modèles, les Stones ont déjà donné The last Time et Satisfaction, avec My generation les Who apportent une certaine vision sociale ancrée dans la situation de l'évolution de la jeunesse européenne, avec Help les Beatles proposent un traitement nouveau au vieux rock des pionniers blancs. Une profonde mutation est en marche. Les premiers Animals ont fait leur temps, les départs successifs d'Alan Price en mai 1965 et de de Steve Steel en février 1966 sont bien significatifs de cette coupure. Le groupe quitte Columbia et sont repris par MGM et Decca. Mickie Most est parti, désormais il sera remplacé par Tony Wilson. Mais jusqu'à ces derniers concerts Eric Burdon reprendra régulièrement au moins un des trois morceaux incriminés.

    Supplément chantilly gracieusement offert par la maison :

    ANIMALS AU CLUB-A-GO-GO

    US TV Show

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    En le visionnant l'on se dit que les émissions de notre télé nationale n'avaient pas à rougir de leur retard face à l'american entertainment, au moins on voyait les artistes. Certes pas les Animals, mais question prise de vue et cadrage, ce n'était pas pire. Au début la vue est totalement bouchée par des danseurs qui vous empêchent ne serait-ce qu'apercevoir au moins une mèche de cheveux de nos idoles. Enfin on les voit. Pas pour très longtemps, mais au moins Burdon, s'est remplumé, a forci, est presque beau, l'a un sourire matois et se touche du doigt le nez, mais la caméra vire vers les étages à tubulureS – les mêmes que dans les émissions des Granada-show d'Angleterre, mais en version économique la prod rogne sur les dépenses - dans lesquelles s'exhibent des danseuses – qui ont l'air de s'ennuyer, que ne faut-il pas faire pour gagner sa croûte, de temps en temps l'on entrevoit la tête de Chas Chandler, normal c'est le plus grand et les danseurs se lancent dans une super-chorégraphie, la même que vous avez effectuée lors de l'anniversaire de votre filleule pour faire rire ses copains de maternelle, bref entre les notions d'Arabesque et de Grotesque chères à Edgar Poe, ils n'ont gardé que le grotesque. Mais ça doit les fatiguer car les danseurs s'arrêtent sans préavis et dans la régie l'on coupe le son. Pire qu'une triste évocation, carrément de la mauvaise télévision.

    IT'S MY LIFE

    ( clip 1965 )

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    Pas vraiment fabuleux. En playback. Tourné sur une plage. Je supposons aux States. En bord de mer. Décor de planches à voile plantées dans le sable. Les Animals sont debout et font semblant de jouer. Les cheveux se sont allongés. Ils ne portent pas le même uniforme. Sont entourés de jeunes gens et de jeunes filles. Parfaite carte postale de Surfer. Nos demoiselles ont l'air naturel, nettement moins con-con que celles de la vidéo présentée la semaine dernière. Preuve que chaque année l'Humanité effectue des pas de géant et que l'on peut s'en apercevoir. Ce que l'on appelle le progrès. Ne se passe grand-chose, ah, si sur la fin du morceau Eric Burdon se barre encourant. Le spectateur d'aujourd'hui reste sur son sable faim.

    Damie Chad. ( A suivre... 1966 )

    XXII

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    - Moi-même, l’Agent Chad, sans peur ni reproche, ai douté de ma survie, nous étions faits comme des rats, et déjà les fusils des fusiliers étaient pointés sur nos poitrines, c’est alors que s’est élevée la voix de l’Adjudant froide comme un suaire :

    - Soldats, y en a-t-il parmi vous un seul qui n’a pas ces derniers temps été surpris par son Adjudant dans les WC à commettre des actes insensés, fortement répréhensibles et interdits par la loi, répondez, couillemollededieu !

    Il y eut un grand silences, les fusiliers tout rouges baissaient la tête, honteux.

    - Donc pas un seul, et pourrait-on savoir à quelles horribles occupations vous vous livriez en dépit des ordres du Haut-Commandement Militaire, j’exige une réponse, claire, nette et précise, Soldat Marc au rapport, tout de suite, bordeldesaintetédivine !

    - Heu ! Heu ! - il en bafouillait le pauvre - on a tous, et à plusieurs reprises, été pris en train de fumer dans les toilettes…

    - Soldat Marc précisez s’il vous plaît, branlettededieu !

    - Heu-heu, des Coronado, on fume des Coronado en ca-cachette puisque c’est interdit, mon Adjudant !

    - Soldat Pierre, pourriez-vous me dire pourquoi d’après vous votre adjudant ne vous a pas fait traduire devant le Conseil de Guerre comme il est stipulé dans l’ordre de commandement : A- 227-I-47812, conneriededieu !

    - Mon Adjudant, on croit tous que c’est parce chaque fois que l’on se rendait au WC, vous en sortiez tout auréolé d’une senteur de Coronado !

    - Et c’est homme que vouliez abattre sans sommation, vous savez quel crime abominable vous alliez commettre, poilsdupubisdedieu ?

    - Non mon Adjudant !

    - C’est Monsieur Lechef, président d’honneur de la Ligue du Coronado, s’il est ici c’est vraisemblablement parce qu’il vient défendre la cause sacrée du Coronado devant le Haut Comité Scientifique de Surveillance de la Pandémie, aussi Soldats, en tant qu’amateurs de Coronado, nous nous devons de l’aider, n’oubliez pas qu’il est écrit dans la Constitution que devant la tyrannie l’insurrection est un devoir ! Cancrelatsmousdedieu !

    - Mon adjudants nous sommes prêts à mourir pour retrouver le droit de fumer librement des Coronado !

    - Monsieur Lechef comment pourrions-nous vous être utiles dans votre démarche pro-coranodorienne auprès du Haut Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie, malheurdeputedivine !

    Le Chef prit la parole '' voici le gentil petit stratagème que nous pourrions improviser…

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    Lorsque le Chef ouvrit la bouche pour présenter sa défense le Président ricana sinistrement :

    - Inutile de vous fatiguer, vous êtes un témoin et une personne qui sait trop de choses, Adjudant, fusillez-moi cet ignoble individu, tout de suite, devant le Haut Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie, nous en serons définitivement débarrassés !

    Les membres du HCSSP applaudirent à tout rompre, leurs visages s’illuminèrent d’une joie mauvaise, et ils éclatèrent d’un rire cruel lorsque l’Adjudant prit la parole :

    - Monsieur le Présidents, messieurs les scientifiques, fusiller un tel individu ne prendra même pas trente secondes, c’est un plaisir qui passe trop vite, rien de plus agréable de voir une futur mort se décomposer psychologiquement sous les yeux de ses ennemis, c’est pour cela qu’a été inventée la dernière cigarette du condamné, je propose de la remplacer par le dernier Coronado ! Poisondedieu !

    - Magnifique idée Adjudant, offrez son dernier Coronado, à ce paltoquet, je suppose que la mallette qu’il tient si chèrement doit être sa provision, qu’il fasse son choix, nous savons être humains, présentez-lui la boîte que nous puissions nous délecter de sa mauvaise mine qu’il tirera à chaque bouffée ! L’Adjudant ouvrit la mallette, il l’inclina vers l’assemblée qui aperçut la première rangée de Coronado puis il la présenta au Chef, sa main resta suspendue quelques secondes au-dessus des cylindres havaniques, voleta un peu à droite, un peu à gauche, puis brutalement plongea à la manière d’un milan qui fond sur sa proie, et réapparut armée d’un Beretta 93 R pointé sur le Président !

    - Soldats ne tirez pas, notre Président est en danger !

    - Exactement surenchérit le Chef, à mon tour de vous faire un dernier cadeau, nos deux jeunes demoiselles vont passer parmi vous et vous distribuer un Coronado 45, surnommé el Fumito en Amérique du Sud, si l’un seul d’entre vous refuse de l’allumer, je fais sauter le caisson du Président !

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    La Brunette sur les genoux de Vince était en joie, elle comprenait tout, la complicité des fumeurs de Coronado, le double jeu des militaires, la manipulation des médias, un dernier détail l’inquiétait cependant :

    - Pourtant quand nous sommes rentrés le Chef n’avait pas son arme à la main, et personne n’a réagi !

    - En effet j’avais remisé mon 93 R dans la poche, mais je ne risquais rien, le Président avait intérêt à filer doux, vous n’avez rien vu à cause la fumée, mais sous son fauteuil Molossa et Molossito tenaient chacun fermement un de ses mollets entre leurs dents, imaginez la scène du Président dansant la gigue, mordu en direct à la télévision, un scandale international, sa personne sacrée ridiculisée !

    Nous éclatâmes de rire. C’est à ce moment que Molossa et Molossito donnèrent l’alerte…

    ( A suivre…. )

  • CHRONIQUES DE POURPRE 498 : KR'TNT ! 498 : BOB DYLAN / SUPREMES / CÖRRUPT / ANASAZI / ANIMALS / ROCKAMBOLESQUES XX

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 498

    A ROCKLIT PRODUCTION

    SINCE 2009

    FB : KR'TNT KR'TNT

    18 / 02 / 2021

     

    BOB DYLAN / SUPREMES

    CÖRRUPT / ANASAZI / ANIMALS 

    ROCKAMBOLESQUES 21

     

    Ce numéro 498 arrive avec deux jours d'avance.

    Le numéro 499 aura deux jours de retard.

    Si ce retard devait se prolonger pas d'inquiétude

    nous ne tarderions pas à revenir

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME !

    Dylan en dit long - Part Two

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    Avec Chronicles, Bob Dylan est entré au panthéon des grands auteurs américains. Chronicles tient plus de la littérature que de ce qu’on appelle vulgairement le book rock. Dans le regard que porte Dylan sur son pays et sur les gens qu’il croise passent des éclairs de Steinbeck, de Kerouac et d’Henry Miller. Les pages qu’il consacre à ses voyages en auto-stop ou à ses virées en Harley pourraient très bien se trouver dans On The Road, celles qu’il consacre à la faune des clubs de folk new-yorkais semblent sortir tout droit de Plexus, et certaines pages sont tellement profondément américaines par la musicalité du style qu’elles semblent sortir de The Grapes Of Wrath. Les pages qu’il consacre à la Nouvelle Orleans rivalisent d’intelligence sensorielle avec celles d’Erskine Caldwell et bien sûr, le comparatif le plus direct est celui que Dylan établit avec Richard Hell en arrivant en stop à New York en 1960, pauvre et prêt à tout, surtout à survivre. Hell et Dylan n’ont pas que ça en commun : au goût pour la pauvreté s’ajoute celui de l’indépendance, ce qu’on appelle aussi la liberté à tout crin, le refus total de toute forme de concession, et une passion immodérée pour la littérature et le sexe, un sujet sur lequel Dylan ne s’étend pas, mais qu’Hell explore, comme le fit avant lui Henry Miller. Si Hell baptise son cocktail ‘sex & drugs & rock’n’roll & Maldoror’, Dylan pourrait baptiser le sien ‘folk & blues & Rimbaud’.

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    Un autre parallèle s’impose, cette fois avec Dickinson, qui lui aussi fonctionne en chroniques dans cette merveille intemporelle qu’est I’m Just Dead I’m Not Gone. Comme Dylan, Dickinson moissonne les métaphores et creuse ses sillons dans ces mystères que sont la vie et l’art en général. D’ailleurs Dylan ne s’y trompe pas, lorsqu’il se retrouve seul à la Nouvelle Orleans en 1989 pour enregistrer Oh Mercy : «Plus tard, je pensais à Jim Dickinson. J’aurais bien voulu qu’il soit ici, avec moi. Il était à Memphis. Il a commencé à jouer en même temps que moi, en 57 ou 58, on écoutait les mêmes trucs et il jouait et chantait plutôt bien. Chacun de nous était originaire d’une des deux extrémités du fleuve Mississippi.»

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    Alors bienvenue au paradis. Même s’il se dégage parfois de Chronicles une certaine forme d’austérité, la fierté d’être allé jusqu’au bout fait une excellente consolation. On aura même en prime cette curieuse impression d’être un tout petit peu moins con. Ça va même encore plus loin : on sort de là complètement tétanisé, comme si on sortait d’une première lecture du Gai Savoir. Chronicles fouette le sang. Chronicles met du rouge aux joues. Chronicles fait bander comme un âne. Chronicles se prête à toutes les métaphores, comme une chatte en chaleur. Miaou miaou, c’est moi, Chronicles tu viens mon amour ?

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    J’allais découvrir un monde étrange, un monde strié d’éclairs. Beaucoup de gens ont tenté d’y entrer et n’ont jamais su y rester. J’y suis allé tout droit. C’était grand ouvert. Une chose est sûre, ni Dieu ni le diable n’y faisaient la loi - Voilà comment Dylan finit Chronicles, avec quatre lignes dignes de «Desolation Row». Certaines phrases sont comme chantées. On entend sa voix, comme on entend celle de Lanegan à la lecture de Sing Backwards and Weep, cet autre chef-d’œuvre confessionnal d’une insondable profondeur. Les gens comme Dylan et Lanegan bénéficient d’un gros avantage sur les écrivains : l’avantage d’avoir enregistré des albums devenus aussi classiques que des classiques littéraires. Quand Dylan évoque sa grand-mère, il la chante : «Elle n’était que noblesse et bonté. Elle m’expliqua une fois que le bonheur ne se trouvait pas au bout d’un chemin. Le bonheur, c’était le chemin. Elle me conseilla aussi d’être gentil, car tous les gens que j’allais rencontrer livraient dans leur vie des combats difficiles.» De page en page, il se produit comme un phénomène d’élévation du texte. Dylan intrigue et passionne, tout ce qu’il peut dire de lui se boit comme l’eau claire au sortir du désert. C’est là dans ce principe d’élévation qu’éclot l’idée du rôle capital que joue le rock dans le monde moderne : Dylan donne à ceux qui n’ont rien reçu en héritage de leurs parents des éléments de réflexion, des éléments de valeur. Tiens, cadeau, c’est gratuit. Oh merci Bob ! Alors Dylan, vie spirituelle mode d’emploi ? N’exagérons pas. Il donne juste quelques indications mais en même temps il laisse entendre que chacun doit se débrouiller pour avancer. On part tous quasiment de zéro. Lui a l’avantage de la grand-mère. Il a un peu d’avance. Éclairé par sa grand-mère, il peut affronter la vie plus facilement et comme Hell, se pencher sur les mystères de l’art, car c’est tout ce qui l’intéresse. La vie normale du métro/boulot/dodo ne le concerne pas, il se sent destiné à autre chose, à une vie de chansons et de liberté : «Picasso avait fracturé le monde de l’art et l’avait ouvert en grand. Il était révolutionnaire. Je voulais être comme lui.» C’est déjà en lui. Chronicles ne parle que de ça, du processus de révélation et de ses conséquences.

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    Il articule donc Chronicles autour de deux thèmes principaux : ses débuts dans la scène folk new-yorkaise (influences, rencontres, genèse d’un style), puis les épouvantables conséquences de son succès avec le harcèlement qu’il doit ensuite subir de la part des fans et des médias. À ce niveau de popularité, ça devient un fléau. Les gens veulent le voir à la tête des forces contestataires, mais ça ne l’intéresse pas - On pouvait lire à la une d’un journal : ‘Le porte-parole nie être un porte-parole.’ J’avais l’impression d’être devenu un morceau de viande qu’on jetait aux chiens - Dylan dut quitter sa maison de Woodstock pour mettre sa famille à l’abri des fans qui arrivaient de tous les coins d’Amérique. Il les entendait marcher la nuit sur le toit de sa baraque. Il ne lui restait rien d’autre à faire que de disparaître pour échapper à tous ces pauvres gens. C’est bien que ce soit lui qui le dise. Venant de quelqu’un d’autre, on peinerait à prendre ça pour argent comptant. «J’avais une femme et des enfants que j’aimais plus que tout au monde. Je m’efforçais de prendre soin d’eux et de les protéger, mais les médias voulaient absolument faire de moi le porte-parole et même la conscience d’une génération. C’était tordant. Je m’étais juste contenté de chanter des chansons bien carrées et d’exprimer avec force de nouvelles réalités.» Si Dylan est tellement excédé, c’est surtout parce que les gens n’ont rien compris : «J’en avais assez de la contre-culture. Ça me rendait malade de voir la façon dont on extrapolait les paroles de mes chansons et dont on en détournait le sens pour faire de moi le Big Buddah of Rebellion, le Grand prêtre de la Protestation, le Tsar de la Dissidence, le Duc de la Désobéissance, le Grand Chef des Parasites, le Kaiser de l’Apostasie, l’Archevêque de l’Anarchie, the Big Cheese.» Peut-être voulait-il faire comprendre aux gens que la vraie révolution commence par soi-même et que les vrais changements ne sont pas collectifs mais individuels. Généralement, on appelle ça la prise de conscience. Pas besoin de leader charismatique. Il suffit de capter les messages que diffusent des gens comme Dylan, Gandhi ou Coluche.

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    Avec une sincérité qui nous laisse comme deux ronds de flan, Dylan livre tous les secrets de sa genèse. Il commence par fixer son choix sur le folk : «J’ai choisi le folk pour explorer l’univers. Les chansons de folk contenaient des images et les images avaient plus de valeur que tout le reste. J’avais découvert l’essence du folk. Je pouvais aisément assembler les morceaux.» En même temps, il affiche une méfiance terrible pour le monde réel - Je n’éprouvais aucun intérêt pour ce monde moderne si compliqué. Il n’avait ni poids ni sens à mes yeux. Il n’offrait aucune séduction - Vers la fin du livre, il va même beaucoup plus loin : «Je n’étais pas à l’aise avec tout le psycho polemic babble. Ce n’était pas ma came. Même les actualités me rendaient nerveux. Je préférais les histoires anciennes. Toutes les actualités n’étaient que des mauvaises nouvelles. Je m’arrangeais pour les éviter. Une journée entière d’actualités télévisées était pour moi une image de l’enfer.»

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    Puis il commence à faire travailler sa mémoire, nous expliquant qu’il lit des poèmes de plus en plus longs, s’entraînant à les mémoriser et voir jusqu’où il peut les mémoriser. C’est une gymnastique. Quand il lit le Don Juan de Byron, il se concentre du début à la fin. Il se remplit le cerveau de poèmes intensément longs comme le ferait un comédien. Il dit se sentir transformé en wagon qu’il remplit de plus en plus et donc il doit tirer de plus en plus fort. Ceci explique en partie cette facilité qu’il va montrer un peu tard à interpréter des chansons aux allures de poèmes fleuves. Il dit aussi vouloir comprendre les choses pour pouvoir s’en débarrasser. Il apprend à télescoper les idées, il pousse le jeu de la gymnastique mentale toujours plus loin - Les choses étaient trop grosses pour le regard, comme le serait une bibliothèque, voir tous ces livres d’un seul coup, c’est impossible. Il fallait pourvoir en faire des chapitres ou des couplets de chansons pour en sortir quelque chose de correct - Dylan est obsédé par le contenu, car avant d’être une musique, le folk est un contenu. Il sent parfois qu’il réfléchit trop, alors qu’il n’a pas 20 ans - Dans Par Delà Le Bien et le Mal, Nietzsche dit qu’il se sentait vieux au commencement de sa vie. J’éprouvais la même chose - Serait-ce le prix à payer ? On appelle ça la maturité. Mais il revient inlassablement à l’objet de sa quête : composer des chansons - Une chose est sûre, si je voulais composer des folk songs, je devrais inventer un nouveau modèle, une espèce d’identité philosophique à l’épreuve du temps. Elle devait venir d’elle-même from the outside, de l’extérieur - S’il en parle aussi bien, c’est qu’il sait qu’il va réussir. Le plus miraculeux dans cette histoire, c’est qu’à aucun moment Dylan ne cède à la prétention. Ce qu’il décrit de sa réflexion est à l’image de ses chansons : il y règne une sorte de pureté d’intention, une modestie immanente dont la seule grandiloquence serait le génie mélodique. C’est un phénomène unique dans l’histoire culturelle du monde moderne. Dylan met en gage sa probité intellectuelle, et ce geste n’a pas de prix. Mais il doit continuer de travailler son projet : «Je faisais tout très vite, je pensais, je mangeais, je parlais et je marchais vite. Je chantais même vite. Il fallait que je ralentisse mes chansons si je voulais devenir un auteur-compositeur avec des choses à dire.» Pendant quelques mois, il va vivre à droite et à gauche chez des gens qui l’hébergent. Sa seule richesse est cette foi qu’il a en son avenir : «Elle me versa une tasse de café bouillant et j’allai à la fenêtre. La ville entière se balançait sous mon nez. Je savais précisément où se trouvaient les choses. Je ne craignais pas l’avenir. Il était terriblement proche.»

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    Il dit aussi qu’une chanson, c’est comme un rêve qu’on essaye de rendre vrai. Le soir il chante et joue au Gaslight qui est à l’époque le club le plus réputé de la scène folk new-yorkaise. Un jour, une certaine Terri propose à Dylan de prendre rendez-vous avec Jac Holzman, le boss d’Elektra, un label folk new-yorkais, mais Dylan décline la proposition : «I don’t want to sit down with anybody, no.» Il est très bien comme il est, il joue aux cartes, boit des coups, fume ses clopes et le soir, il monte sur scène au Gaslight. Quand il rencontre John Hammond Sr, l’homme qui va le signer sur CBS, c’est complètement par hasard : il accompagne un mec à la guitare et à l’harmo. John Hammond le trouve intéressant et lui propose un contrat. Dylan lui fait confiance. Où je signe ?

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    Lorsqu’il se retrouve à la Nouvelle Orleans en 1989 pour enregistrer Oh Mercy et que Daniel Lanois lui demande s’il a des chansons du calibre de ses grands hits des années 60, Dylan lui dit non. Pourquoi ? Parce que c’est impossible : «Je ne pourrais plus composer ce genre de chansons aujourd’hui, ni pour lui, ni pour personne d’autre. Pour les composer, il faut du pouvoir et le contrôle des spirits. Je l’ai fait une fois, et une fois, c’est assez. Mais il se peut très bien que quelqu’un réussisse à le faire, quelqu’un qui serait capable de voir le cœur des choses, la vérité des choses, pas de façon métaphorique, bien sûr, je parle du vrai regard, celui qui permet fixer le métal et le faire fondre, le regard qui permet de voir les choses et de les révéler pour ce qu’elles sont avec des mots crus et une vicieuse perspicacité.» Il pousse d’ailleurs le bouchon assez loin en expliquant qu’il fait une musique archaïque, sur ce nouvel album. Il n’ose pas le dire à Daniel Lanois, mais c’est ce qu’il ressent. Dylan pense que l’avenir est chez les rappers comme Ice-T et Public Enemy - Une nouvelle star allait apparaître, mais pas une star comme Presley. Il n’irait pas remuer les hanches en fixant les minettes. Il allait chanter avec des mots crus et bosser 18 heures par jour - Dylan sait qu’il doit évoluer parce que le mode évolue. C’est la métaphore du mouvement, qu’il illustre en disant qu’on compose mieux lorsqu’on est en mouvement, dans un train par exemple. Composer en mouvement dans un monde en mouvement. C’est l’un des grands secrets de Dylan, le secret de sa modernité. Il l’a d’ailleurs illustrée de façon spectaculaire avec le never ending tour, cette tournée devenue mythique qu’il voulait imprévisible, aussi bien au niveau des dates que de la composition du groupe qui l’accompagnait sur scène. À l’image de la vie. Qu’est la vie sinon un mouvement perpétuel ?

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    Quand il parle des femmes, il sait se montrer délicieusement mystérieux. Voici ce qu’il dit de Suze Rotolo, sa première poule officielle : «La chose que j’aimais en elle, c’est qu’elle ne laissait croire à aucune personne qu’elle lui devait son bonheur. Pas plus à moi qu’aux autres.» Il est encore plus délicieusement mystérieux quand il parle du paradis : «J’aimais la nuit. Les choses grandissent la nuit. C’est là où mon imagination se débride. Je perds toutes mes idées pré-conçues. Parfois vous cherchez le paradis au mauvais endroit. Il est parfois sous vos pieds. Ou dans votre lit.»

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    Et puis voilà les portraits. Le film de Scorsese, No Direction Home fait d’ailleurs écho à Chronicles, car Dylan y salue tous les géants de la scène folk new-yorkaise des early sixties, Odetta, Dave Van Ronk, Woody Guthrie et tous les autres. Il s’est aussi construit avec ces rencontres. Le nombre d’hommages qu’il rend dans ce petit livre est considérable. À la différence de Cash ou de Ronnie Wood, Dylan ne se met jamais en valeur, il met les autres en valeur, c’est sa façon de les remercier. Les gens intelligents ne disent jamais qu’ils sont intelligents, par contre ceux qui ne le sont pas abuseront facilement de cette prétention.

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    Fred Neil apparaît très vite dans le récit. Dylan le rencontre au Café Wha?. Fred Neil y chante et y officie en plus en tant que Maître de Cérémonie : il engage les artistes - Il était l’empereur de l’endroit, il avait son harem et ses dévots. On ne pouvait l’approcher. Tout s’organisait autour de lui (...) Je n’ai jamais chanté mes chansons au Café Wha?. J’accompagnais Neil et c’est ainsi que j’ai commencé à jouer régulièrement à New York - Mais ça ne s’arrête pas là, Dylan se trouve de sacrés points communs avec cet extraordinaire artiste qu’est Fred Neil : «Il semblait n’avoir aucune aspiration. On était très compatibles, on ne parlait jamais de nous. Il était comme moi, poli mais pas plus, not overly friendly, il me donnait un peu de blé en fin de journée et me disait : ‘Tiens, ça t’évitera d’avoir des problèmes’.» Dylan l’observe, ce vieux Fred - J’ai demandé un jour à Neil s’il avait enregistré des disques et il m’a répondu : ‘Ce n’est pas mon truc.’ Il cultivait sa zone d’ombre, mais aussi puissant fut-il, il lui manquait quelque chose en tant qu’interprète. Je ne savais pas quoi, exactement. C’est en voyant Dave Van Ronk que j’ai compris - L’éclairage arrive avec le grand portrait de Van Ronk, vers la fin du récit.

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    Dylan nous ramène sur un plateau d’argent un gigantesque Van Ronk avec sa moustache de cachalot et ses longs cheveux raides - Il tournait chaque folk song en surreal melodrama, en pièce de théâtre, avec du suspense jusqu’à la dernière minute. Il allait au fond des choses. On aurait dit qu’il disposait d’une réserve infinie de poison et j’en voulais encore. Van Ronk semblait venir d’une époque très ancienne. Chaque soir, j’avais l’impression d’être assis au pied d’un monument battu par les vents. Il chantait des folk songs, des standards de jazz, du Dixieland et des blues ballads, ses chansons étaient à la fois délicates, expansives, personnelles, historiques et volatiles - C’est ainsi que Dylan fait la différence entre Van Ronk et Fred Neil : d’un côté le chanteur et de l’autre le bateleur. Et il repart de plus belle sur Van Ronk : «Il était bâti comme un bûcheron, il buvait sec, parlait peu et avançait machines avant toutes.» Et Dylan achève ce portrait avec la chute des chutes, un exercice dans lequel il est passé maître : «Il dominait la rue comme une montagne et ne voulait pas entendre parler de célébrité. Il ne donnait que ce qu’il voulait bien donner. Personne n’aurait pu le manipuler. Il était immense et je devais lever les yeux pour le voir. Il venait du pays des géants.» Sans doute a-t-on là la chute la plus spectaculaire d’un ouvrage plutôt riche en chutes spectaculaires. Son autre grand héros est bien sûr Woody Guthrie, dont il va faire son modèle. Dylan parvient à le dénicher lorsqu’il arrive à New York : Woody Guthrie se trouve au Greystone Hospital de Morristown, dans le New Jersey. Alors Dylan s’y rend en bus, une heure et demie de trajet suivie d’une balade à pieds jusqu’à l’hosto perché sur une colline. Pour Dylan, Woody Guthrie is the true voice of the American spirit. Quand il découvre les chansons de Woody Guthrie, Dylan est fasciné : «Je n’en revenais pas. Guthrie avait une prise incroyable sur les choses. Il était si poétique, si dur et si rythmique. Il y avait tellement d’intensité.» C’est la diction et les textes de Guthrie qui le fascinent, certains de ses mots ont du punch, ses chansons échappent à toutes les catégories - Il y avait de l’humanité dans ses chansons, aucune d’elles n’était médiocre. Rien ne pouvait résister à Woody Guthrie. Pour moi, il était l’épiphanie, une sorte de grosse ancre marine plongée dans l’eau du port -

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    Forcément le jeune Bob apprend ses chansons, puis il met le grappin sur son autobio, Bound For Glory, et c’est un choc équivalent à celui qu’il éprouva à la découverte de Rimbaud : «Je l’ai avalé d’un trait, concentré sur chaque mot, et ce livre chantait en moi comme une radio. Guthrie écrit comme le vent et sa musique vous embarque. Ouvrez le livre à n’importe quelle page, et vous décollez.» Et il applique à Woody Guthrie le même traitement qu’à Van Ronk, celui de la chute spectaculaire : «Il est le singing cowboy, mais il est encore plus que ça. Woody est une âme poétique, le poète de la croûte de crasse et de la purée de bouillasse, il divise le monde en deux, d’un côté ceux qui travaillent et de l’autre ceux qui ne travaillent pas. Ce qui l’intéresse, c’est de libérer la race humaine de ses chaînes. Il veut créer un monde qui soit digne du genre humain. Bound For Glory is a hell of a book. Un livre énorme. Presque trop énorme.»

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    Au Café Wha?, Dylan rencontre aussi Karen Dalton qu’il admire car dit-il elle chante comme Billie Holiday et joue de la guitare comme Jimmy Reed. Il croise aussi le chemin de Moondog qui chante principalement sur la 42e rue. Plus loin il salue Roy Orbison, qu’il entend à la radio, qui chante sur quatre octaves et qui peut réveiller des morts. Il découvre que ses chansons contiennent des chansons et qu’il passe des accords majeurs aux accords mineurs sans aucune logique. L’une de ses rencontres les plus spectaculaires est sans doute celle de la bibliothèque de Ray, le mec qui l’héberge. C’est un vertige, d’autant qu’il cite les noms de mémoire et pas seulement les noms, il feuillette et se souvient de Thucydide, de Périclès, de Gogol et de Balzac, un Balzac qu’il trouve poilant - Sa philosophie est simple, il dit que le matérialisme engendre la folie. Balzac ne croit qu’en la superstition. Il analyse tout. Gérer son énergie, c’est le secret de la vie. On apprend des tas de choses avec lui. C’est une compagnie très amusante. Il porte une robe de moine et boit du café toute la journée. Trop de sommeil ralentit son esprit. Si une de ses dents tombe, il se demande ce que ça signifie. Il interroge tout. Si sa manche prend feu à cause de la chandelle, il se demande si c’est bon signe. Balzac est hilarant - Croiser Balzac dans un Dylan book, c’est un peu la même chose que de croiser Baudelaire dans un Hell book. Dylan revient à cette bibliothèque extraordinaire et se souvient aussi de Machiavel et de Dickens, de Dante et de Rousseau, des Métamorphoses d’Ovide et de Sophocle, de Faulkner et des poètes, ceux qu’il préfère, comme Byron, Shelley, Longfellow et Poe, il s’amuse à mémoriser The Bells de Poe pour le chanter en s’accompagnant à la guitare.

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    Puis Leopardi et Freud, et les Russes, Pouchkine et Dosto, puis Tolstoï qui l’impressionne car il est allé mourir dans les bois à 82 ans. Comme Debord, Dylan flashe aussi sur Clausewitz, le «premier philosophe de la guerre». Dylan trouve dans son portrait une ressemblance avec Montgomery Clift - D’une certaine façon, Clausewitz est un prophète. Sans que vous vous en rendiez compte, certaines de ses pages peuvent façonner vos idées. Si vous pensez être un rêveur, vous comprendrez que vous êtes incapable de rêver après l’avoir lu. Le rêve est dangereux. Lire Clausewitz, c’est une façon de vous prendre un tout petit moins au sérieux - Comme dirait Dickinson, méditez là-dessus.

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    Dylan croise aussi Bobby Neuwirth qu’il compare à Neal Cassidy, personnage principal d’On The Road de Jack Kerouac. Dylan trouve dommage que personne n’ai immortalisé Neuwirth - He was that kind of character. Il pouvait parler aux gens et leur siphonner toute leur intelligence - Et il ajoute que Neuwirth avait du talent, mais absolument aucune ambition - On aimait les mêmes choses, on choisissait les mêmes chansons sur le juke-box - Il admire aussi Bobby Vee - Je n’ai pas revu Bobby Vee pendant trente ans, et bien que les choses aient changé, je l’ai toujours considéré comme un frère. Chaque fois que je lis son nom quelque part, c’est comme s’il se trouvait dans la pièce -

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    Dylan aime bien Crosby aussi, parce qu’il le trouve coloré et imprévisible, avec sa cape de Mandrake le Magicien - Il ne s’entendait qu’avec très peu de gens et avait une voix magnifique, un architecte des harmonies. Il jouait alors avec la mort et pouvait semer la panique dans un quartier entier, mais je l’aimais beaucoup. Il n’avait rien à faire dans les Byrds - Il rend un hommage très particulier à Al Kooper. Ce petit chef-d’œuvre elliptique est du pur Dylan, elliptique et précis en même temps : «Kooper était un découvreur de talents, l’Ike Turner des blancs. Il avait besoin d’une chanteuse dynamique, et Janis Joplin aurait été parfaite pour lui. Je l’ai dit à Albert Grossman, l’homme qui fut mon manager et qui est ensuite devenu celui de Janis. Grossman m’a répondu que c’était le truc le plus stupide qu’il ait entendu. Mais je ne trouvais pas ça stupide. Au contraire, je voyais juste. Hélas, Janis allait disparaître et Kooper allait sombrer pour l’éternité dans le grand limbo musical. J’aurais dû être manager.» Quand il est à la Nouvelle Orleans, Dylan va au Lion’s Den Club écouter Irma Thomas, one of my favorite singers. Il a pensé à lui demander de duetter avec lui sur une chanson ou deux, comme, dit-il, Mickey and Sylvia, mais ça ne s’est pas fait - That would have been interesting - Du pur Dylan.

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    On l’a dit plus haut, les quelques pages qu’il consacre à la Nouvelle Orleans sont spectaculaires. Il vient y séjourner seul pour rencontrer Daniel Lanois et enregistrer l’album Oh Mercy. Tout le détail est dans le book. Ils fondent la qualité de leur relation sur une première discussion. Comme il faut constituer un orchestre, Lanois demande à Dylan s’il pense à des musiciens en particulier, et Dylan lui dit non. Puis Lanois indique que les hit records ne l’intéressent pas, arguant que Miles Davis n’en a jamais eu. Alors Dylan qui se régale d’entendre ça écrit que l’argument lui plaît beaucoup. Ces gens-là parlent peu mais ils parlent bien. Dylan précise que Lanois est un mec du Nord, qu’il vient de Toronto - chaussures de neige, mode de pensée abstrait - et il ajoute que les gens du Nord ne s’inquiètent pas quand ça caille car ils savent qu’il refera chaud. Et inversement, il refera froid - Le truc que j’appréciais chez Lanois c’est qu’il n’aimait pas flotter à la surface. Ni même nager. Il voulait sauter et plonger au plus profond. Il voulait épouser une sirène. Ça me plaisait - Si Dylan descend à la Nouvelle Orleans sans musiciens ni équipement c’est dit-il pour tester Lanois - J’espérais qu’il allait me surprendre. Et il m’a surpris - Le pauvre Lanois devait être ému de lire ça. On ne peut décemment espérer plus bel éloge. Du coup on prend Lanois un peu plus au sérieux, même si on voit son nom associé à des artistes qu’on n’aime pas trop. Après Oh Mercy, il fera d’ailleurs un autre album avec Dylan, Time Out Of Mind.

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    Dylan profite des sessions d’enregistrement d’Oh Mercy pour nous pondre un conte magique : «Pendant le final de ‘Where Teadrops Fall’, le joueur de sax John Hart joua un solo qui me coupa le souffle. Je me suis penché en avant pour voir son visage. Il était resté assis dans l’ombre toute la soirée et je ne l’avais pas remarqué. Cet homme ressemblait à s’y méprendre à Blind Gary Davis, le révérend que j’avais bien connu et suivi pendant toute une époque. Qu’est-ce qu’il foutait là ? C’était exactement le même type, même menton, mêmes joues, mêmes lunettes noires, même corpulence, même taille, même long manteau noir. C’était incroyable ! Le Révérend Gary Davis, l’un des sorciers de la musique moderne, il semblait superviser l’ensemble. Il me regarda d’une façon bizarre, comme s’il pouvait voir au-delà du moment présent. Soudain, je sus que j’étais exactement au bon endroit, au bon moment pour faire le bon truc et que Lanois était the right cat. J’eus l’impression d’avoir tourné au coin de la rue et d’être tombé face à face avec Dieu.» Il écrit comme il chante, bien sûr, avec des élans lyriques qui font de lui l’artiste que l’on sait, the one and only Bob Dylan. On sent battre le cœur de certaines pages. Cette prose est d’une grande pureté et Dylan déroule son fil de pensée comme un fil magique.

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    Il rend aussi hommage à Sam Phillips pour «avoir créé les disques les plus vitaux et les plus puissants de l’histoire du rock». À côté des disques Sun, les autres disques paraissent sucrés, dit-il - Sur Sun Records, les artistes semblaient mettre leur vie en jeu et venir des régions les plus mystérieuses de la planète - C’est exactement ça. Il rend hommage à Cash et en particulier à «Walk The Line», et encore plus précisément à la façon qu’a Cash de dire les choses - I keep a close watch on this heart of mine - avec sa grosse voix, Cash, dark and booming, the rippling rhythm and cadence of click-clack, oui il y a un truc qui ne lui a pas échappé - Quand j’entendis «I Walk The Line» il y a longtemps, j’eus l’impression qu’une voix me disait : ‘Que fais-tu là, boy ?’ et j’essayais moi aussi de garder les yeux grand ouverts - Hommage aussi à Leiber & Stoller - They were the masters of the Western World, ils ont écrit toutes les chansons populaires, avec des mélodies soignées et des paroles simples qui devenaient si puissantes à la radio - Dylan encense le Brill et Neil Sedaka en particulier parce qu’il composait et interprétait ses propres chansons. Dylan ajoute pour conclure ce chapitre enflammé qu’il ne connaissait pas tous ces gens-là car le Brill et la scène folk ne se mélangeaient pas.

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    Puis arrivent tous les gens qu’on voit dans le film de Scorsese, à commencer par John Jacob Niles, «a Mephistolean character out of Caroline, il s’accompagnait d’une sorte de harpe et chantait d’une voix de soprano qui donnait des frissons. Niles était surréaliste et illogique, terriblement intense et vous donnait la chair de poule. On aurait pu le prendre pour un sorcier.» Puis Joan Baez bien sûr - Tout ce qu’elle faisait fonctionnait, mais il le dit à l’envers, Nothing she did didn’t work, le simple fait de savoir qu’elle avait le même âge que moi me faisait me sentir inutile - Et plus loin il opère un curieux rapprochement : «Comme John Jacob Niles, elle était assez étrange. J’avais la trouille d’elle.» Mais il en revient toujours à l’essentiel : «Peu de gens savent convaincre avec des chansons. Vous devez croire ce que dit le chanteur ou la chanteuse. Joan savait vous convaincre.» La meilleure preuve de ce qu’avance Dylan se trouve dans le Woodstock movie : Joan Baez chante «I Dreamed I Saw Joe Hill Last Night» (Alive as you and me) a capella et c’est sans doute le moment le plus émouvant d’un film pourtant riche en grands moments. D’autres portraits extrêmement bien foutus guettent le lecteur imprudent, des portraits de gens comme Lord Buckey, Luke Askew qui nous dit Dylan chantait comme Bobby Blue Bland ou encore Len Chandler qui chantait du quasi-folk avec énergie «et qui avait un truc que les gens appellent le charisme». Et puis voilà le portait d’un dandy à l’américaine, Paul Clayon, et sous la plume de Dylan, on imagine une sorte de Christopher Walken - Clayton était unique, en partie Yankee gentleman et en partie Southern rakish dandy. Il ne portait que du noir et citait Shakespeare. Il passait son temps entre New York et la Virginie. On est devenus amis. Ses compagnons étaient des gens qui fuyaient la ville comme lui, a cast apart - ils avaient de l’attitude, mais ça restait entre eux - D’authentiques anti-conformistes, des bagarreurs, mais pas dans le genre des personnages de Kerouac, pas ceux qui courent les rues et qu’on reconnaît. J’appréciais beaucoup Clayton et ses amis. Grâce à Paul, j’ai rencontré des gens qui me proposaient de m’héberger en cas de besoin et de ne pas me faire de souci pour ça.

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    Comme toujours, on garde le meilleur pour la fin : Robert Johnson. La découverte de Robert Johnson a chez Dylan le même retentissement que celle de Woody Guthrie. C’est John Hammond Sr qui lui offre l’acétate d’un album de Robert Johnson alors complètement inconnu. L’album va paraître sur CBS. Dylan en tombe dingue - Ses coups de guitares auraient pu casser les carreaux. Quand Johnson commençait à chanter, il semblait sortir tout droit de la tête casquée de Zeus. J’ai tout de suite compris qu’il était différent de tous les autres. Ses chansons n’étaient pas que des simples blues. Il s’agissait de chansons extrêmement perfectionnées, chacune d’elles comprenait quatre ou cinq couplets et chaque couplet interférait avec le suivant, mais pas d’une façon directe. Tout chez lui n’était que fluidité - C’est donc de là que vient le rocking Bob Dylan, de cette perfection arrachée à l’oubli par John Hammond Sr. Dylan fait écouter l’acétate à Dave Van Ronk qui se montre sceptique. Van Ronk est un érudit du blues. Il dit que Robert Johnson vient de Leroy Carr, de Skip James et d’Henry Thomas - Dave pensait que Johnson était okay, qu’il était puissant mais qu’il n’avait rien inventé - Et Dylan ajoute un peu plus loin : «En 1964 et 65, j’ai probablement utilisé 5 ou 6 blues song forms de Robert Johnson, de façon inconsciente, mais plus sur l’aspect imagerie poétique des choses (the lyrical imagery side of things).» Et en guise de conclusion paranormale, Dylan raconte une belle anecdote : «Johnny Winter, le flamboyant guitariste texan né deux ans après moi, a ré-écrit la chanson de Johnson à propos du phonographe, pour en faire une chanson à propos d’un poste de télévision. Dans la chanson, la télé de Johnny est morte et il n’y a pas d’images. Robert Johnson aurait adoré ça. Johnny a aussi enregistré l’une de mes chansons, ‘Highway 61 Revisited’, qui fut aussi influencée par Johnson. C’est drôle comme les boucles se referment. Le code de langage de Robert Johnson est différent de tout ce que j’ai entendu avant ou après lui.» C’est là qu’il embraye sur Rimbaud, un Rimbaud que lui fait découvrir la sexy Suze, et là Dylan met les gaz, comme s’il pilotait sa Harley : «J’aurais bien aimé qu’on me fasse découvrir Rimbaud avant. Il allait bien avec la nuit noire de Robert Johnson et les sermons survoltés de Woody. Tout était en mouvement et j’attendais de pouvoir entrer. J’allais entrer bien chargé, bien vivant et bien excité. Mais le moment n’était pas encore tout à fait venu, tough.» Il dit souvent «tough», à la fin de ses phrases, tough.

    Signé : Cazengler, Bob Divan

    Bob Dylan. Chronicles. Volume One. Simon & Schuster UK Ltd, 2004

    La suprématie des Supremes

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    La petite black qu’on voit à gauche sur l’illusse, c’est Mary Wilson. Florence Ballard se trouve au centre et Diana la rosse à droite. Comme Mary Wilson vient de casser sa pipe en bois, nous allons tenter de saluer les Supremes.

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    Les Supremes ont pendant dix ans incarné la magie Tamla Motown. L’Amérique entière jerkait sur le beat Tamla. Diana Ross, Florence Ballard et Mary Wilson enfilaient les hits planétaires comme des perles. Berry Gordy avait mis toutes ses ressources à leur disposition : l’orchestre maison, les fameux Funk Brothers et surtout ses compositeurs maison, des équipes qu’il payait à l’année pour composer des hits, notamment le trio Holland/Dozier/Holland. Berry Gordy avait construit un Brill Building à l’intérieur du Hitsville, USA. Il produisait ses hits à la chaîne. Motown devint l’un des plus gros labels indépendants d’Amérique. Un label de musique noire monté par un noir, c’était sans précédent dans un pays où la ségrégation régissait encore les codes sociaux, même après le vote des lois en faveur des civil rights. Les autres labels de musique noire étaient dirigés par des blancs (Chess, King, Fortune, Excello, Stax, etc.). Ces gens-là empochaient les pesetas et éprouvaient d’insurmontables difficultés à les redistribuer. Et on ne parle même pas des petits labels qui payaient les bluesmen noirs avec des bouteilles de whisky.

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    Pour protéger ses artistes, Berry Gordy a dû bâtir en empire. Tous les géants de la Soul étaient sur Motown : les Tempations, Smokey Robinson, Marvin Gaye, mais aussi les géantes : Martha Reeves, Mary Wells, les Supremes et des tas d’autres. Il existe une ribambelle de singles magiques. Puis quand le marché s’est transformé et que le public se mit à préférer les albums, Gordy a augmenté la cadence pour produire des albums à la chaîne.

    L’âge d’or des Supremes va en gros de 1962 à 1969. En 1970, Motown semblait avoir perdu son âme. Le son avait évolué, mais de façon bizarre. Obsédé par sa stratégie de pénétration du marché blanc, Gordy avait fini par blanchir le Motown Sound. La diskö acheva de détruire l’une des plus belles aventures de la musique moderne.

    Diana la rosse et Berry Gordy ont comme tout le monde publié leurs mémoires. Mary Wilson et Florence Ballard aussi, et il vaut peut-être mieux commencer par elles. Les témoignages des personnages de second plan sont toujours plus riches. D’autant plus qu’on découvre, à la lecture des souvenirs de Florence et de Mary que Diana Ross portait bien son nom : une vraie rosse, capable de tout pour réussir.

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    C’est Florence Ballard qui est à l’origine du groupe. Le nom du trio, c’est elle qui le propose. Elle aurait dû devenir riche comme Diana et vivre heureuse. Mais la machine Ross/Gordy l’a broyée. Son histoire racontée dans le petit livre de Peter Benjaminson, The Lost Supreme, est une véritable tragédie. À 21 ans, Flo était une superstar. À 32 ans, elle mourait dans la pauvreté. En dix ans, elle est passée du statut de superstar à celui de RMIste, avec trois fillettes à charge et un mari absent. Elle est morte d’un accident coronarien. Devenue dépressive, elle buvait de la bière et se croyait alcoolique. Atroce. La seule qui l’aidait un peu, c’était Mary Wilson.

    Dans son admirable introduction, Benjaminson affirme que des trois Supremes, Flo avait la plus belle voix et qu’elle pouvait rivaliser de Soul power avec Aretha. Il dit plus loin qu’elle était grande, sensuelle et dotée d’un caractère indépendant, comme Martha Reeves et Mary Wells qui quittèrent Motown assez rapidement, lassées de se faire plumer vivantes. Flo savait aussi composer, mais pour une raison qui lui échappait, Berry Gordy ne voulait pas de ses chansons, alors que les autres Supremes les trouvaient bonnes - For some reason, me and Berry didn’t click.

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    Des trois amies d’enfance, Diana était la plus déterminée. Elle impressionnait Berry Gordy par sa pugnacité, son ambition et son talent. Qui se ressemble s’assemble, dit-on. Et Ross admirait Gordy pour les mêmes raisons. Non seulement elle le vénérait, mais elle flirtait avec lui et fit tout pour se le farcir. Leur relation débuta en 1965 et malheur à celles qui allaient essayer d’entraver l’ascension de Diana Ross. Les anecdotes concernant son comportement odieux vis-à-vis de Mary et de Flo pullulent. Ross arrachait des micros des mains des autres et manipulait Berry pour que les Supremes deviennent le backing band de Diana Ross, ce qui finit par se produire. Et au passage, Flo fut éjectée sans ménagement, car sa classe faisait de l’ombre à Diana Ross.

    L’autre aspect terrible de cette époque est le rapport à l’argent. Au terme d’une première tournée de trois mois à travers les USA et avec un numéro un au hit-parade, elles n’avaient pas un rond. On avait défalqué tous leurs frais des recettes de la tournées : publicité, chambres d’hôtels et sandwiches. C’était inscrit dans leur contrat. Elles devaient rembourser tous les frais occasionnés. Bien sûr, on ne leur montrait pas les comptes. Flo : « We were just working and Berry Gordy was the pimp. » Flo traite Berry de mac et elle a raison. Il était le seul à s’enrichir et les artistes ne gagnaient pas un rond. Elle signèrent un nouveau contrat : leur salaire de 50 $ par semaine passa à 225 $. Gordy leur expliquait que l’argent des royalties qui coulait à flots était investi sur un compte, dans leur intérêt, bien sûr. Flo ne vit jamais cet argent. Benjaminson estime qu’on lui devait plusieurs millions de dollars, car les Supremes vendaient des millions de disques et se trouvaient au sommet des charts du monde entier. Les filles ne savaient pas à l’époque qu’il fallait demander à voir les comptes et payer un avocat.

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    Flo fut virée des Supremes à l’été 1967 par Gordy.

    — You’re fired !

    — I’m what ?

    — You’re fired !

    — I’m not !

    Flo eut beau lutter, elle était foutue. Elle n’avait que 24 ans et Gordy l’avait brisée net. L’épisode vida Flo de toute son énergie et de toute sa joie de vivre. Cet été-là, les Supremes devinrent Diana Ross and The Supremes. Gordy voulait faire de Diana une superstar, il fallait que Flo dégage. Un nommé Michael Roshkind lui fit signer un document certifiant qu’elle n’était plus rien et qu’elle renonçait à tout. Choquée, elle refusa de signer ce torchon, puis brisée par le chagrin et par un tel affront, elle finit par le signer et éclata en sanglots. Elle se ressaisit un peu plus tard en engageant Leonard Baun qui réussit à obtenir des sommes importantes en guise de dédommagement (environ 500 000 $) mais la pauvre Flo ne palpa pas un seul billet, car évidemment l’avocat Baun empocha tout. Elle entra dans le tourbillon judiciaire pour essayer d’obtenir justice et de récupérer son bien, mais c’était trop tard. Elle n’avait plus un rond, plus de maison, plus de bagnole, plus de mari et donc plus les moyens de se battre. Les deux ou trois tentatives de redémarrage de sa carrière se soldèrent par des flops inexplicables. Elle comprit alors qu’il ne lui restait plus qu’une seule chose à faire : disparaître. Ce qu’elle fit. L’horreur, c’est que Diana Ross ramena sa fraise aux obsèques alors qu’elle n’était pas invitée et qu’elle se fit photographier avec Lisa, la plus petite des trois filles de Flo. Bien entendu, la photo fit le tour du monde. Une fois la foule partie, il ne restait plus autour de la tombe que Mary Wilson, les Four Tops et les proches de Flo. Zola aurait pu écrire cette histoire terrible.

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    Dans ses deux livres de souvenirs, Mary Wilson règle aussi ses comptes avec cette rosse de Diane - She has done many things to hurt, humiliate and upset me, but strangely I still love her - Mary Wilson est une nature étrange, elle a su écraser sa banane au moment où on virait sa copine Flo comme une chienne. Mary est la Supreme qui a tenu le plus longtemps. Elle dut même affronter Berry Gordy qui ne voulait plus entendre parler des Supremes, puisqu’il finançait la carrière de Diana Ross. Mary raconte aussi que cette rosse de Diane s’est frittée avec toutes les stars de Motown : Mary Wells, Dee Dee Sharp, Brenda Holloway et surtout Martha Reeves. Elle raconte aussi comment cette rosse monopolisait les interviews en répondant aux questions posées à Flo et à Mary. Bien sûr, ce livre n’a d’intérêt que pour l’hommage rendu à Flo. Aux yeux de Mary, Flo était la meilleure. Elle sonnait comme Aretha. Mary vit aussi Flo commencer à sombrer. Elle picolait et prenait du poids, ce que lui reprocha Gordy un soir dans un club :

    — Tu dois perdre du poids ! You are much too fat !

    — J’en ai rien à foutre de ce que tu penses ! Et elle lui balança son verre à la figure et sortit du club en trombe. Elle venait de se faire un ennemi qui allait avoir sa peau. Pour corser l’affaire, Flo ne venait plus aux concerts et les Supremes devaient chanter à deux. Alors Gordy décida de chercher une remplaçante. Il lui redonna une chance, mais dès qu’elle prenait un verre, Diana appelait Berry. Ça ne pouvait plus durer. Elle fut convoquée dans le bureau de Berry Gordy. Comme Peter Benjaminson, Mary Wilson revient sur ce sinistre épisode. Flo arriva accompagnée par sa mère. Mary et Diane assistaient aussi à la sombre. Flo réussit à garder son sang-froid, mais sa mère éclata en sanglots quand Berry lui expliqua que sa fille ne voulait plus faire partie des Supremes. Une fois Flo et sa mère parties, Berry et Diane semblèrent soulagés. Cette sale rosse de Diane lança :

    — Free at last, great God Almighty !

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    Mary se demandait comment ces deux-là pouvaient être aussi heureux après une exécution. On trouve aussi des pages fascinantes sur la première tournée des Supremes en 1962, les fameux packages Motor City en autobus avec les Miracles, les Marvelettes, les Contours, les Temptations, les Velvelettes, Stevie Wonder, Marvin Gaye et Mary Wells. Et bien sûr, elle évoque le racisme ordinaire en Alabama, illustré par des coups de feu dans la carlingue du bus et la panique à bord. Mais les pages les plus fascinante sont les passages plus féminins dans lesquels Mary décrit à longueur de page des séances de maquillage, les cours de style et les sommes vertigineuses investies dans la garde-robe des trois stars. Elle revient longuement sur Gordy dans son deuxième livre, Supreme Faith. Elle l’affronte pour essayer de sauver les Supremes mais elle ne fait pas le poids. Elle raconte que Gordy a tout appris à Diane et que la différence qui existait entre eux était que Gordy pouvait charmer un serpent, ce que Diane ne savait pas faire. Un peu amère, Mary concède que Motown, comme tous les autres labels de l’époque, n’avait absolument aucune considération pour les artistes. Le conseil qu’elle donne aux débutants est de comprendre le fonctionnement du show-business pour essayer ne pas se faire avoir. Et lorsqu’elle visite le musée Motown à Detroit, elle est complètement écœurée : sur les photos des Supremes, Flo a disparu. Comme si elle n’avait jamais existé. Berry Gordy pourrait bien être le Staline de la Soul music.

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    Le premier album des Supremes sortit en 1962. Il n’y avait pas de quoi se rouler par terre avec Meet The Supremes. C’était encore l’époque de la petite pop de salon de thé, une époque où on dégustait des macarons avec la voisine du rez-de-chaussée de l’avenue Montaigne. Cette musique dansait mollement dans les rideaux de taffetas rose. Gordy composait des slows ineptes et Diana et ses copines se livraient à des petites tentatives de mambo. Le seul cut dansant sur cet album était « You Bring Back Memory », l’un des premiers standards de r’n’b. On les sentait déterminées à danser le jerk de l’oie au bord de la piscine municipale. « Time Changes Things » semblait préfigurer les futurs grands hits classieux des Supremes. Un petit brin d’enchantement se dégageait de ce mid-tempo mambique, morceau plutôt agréable et visité par un solo de guitare féérique. Diana chasseresse se montrait déjà délicieusement persuasive.

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    Avec Where Did Our Love Go, on passait aux choses sérieuses. Le morceau titre de l’album était un hit sixties de la meilleure catégorie, secoué de clap-hands et de doublettes de basse. On voyait en rêve éveillé la tête de James Jamerson dodeliner au fil du beat. C’était magnifique d’élégance soul, on avait là le miel de la Detroit Soul, la pierre philosophale de l’Oncle Paul. À partir de là, elles n’allaient plus arrêter de pondre des œufs d’or : « Run Run Run » (chanté à la pince à linge, avec tout le chien des villes du Nord, pas de gras, comme chez Stax), « Baby Love » (l’effarant voile de beauté vert et brune s’abattit sur la planète, à l’image de cette pochette qui faisait rêver les ados romantiques) et surtout « Ask Any Girl » (beat suprême et enjôleur, la Soul de rêve, prodigieusement mélodique et fendeuse de cœurs, chargée de toute l’insolence de la gloire de Diana chasseresse, qui ne lâchait plus le manche du charme. Sa voix planait dans toutes les dimensions, elle filait comme une traînée d’étoiles dans le dessin animé de nos pauvres vies esquintées par la brutalité du monde adulte).

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    Sur A Bit Of Liverpool, on trouve quelques cuts des Beatles, mais aussi d’autres choses comme « House Of The Rising Sun » où elles essaient de grimper toutes les trois, mais il manque la viande d’Eric. C’est la B qui nous intéresse, car les covers des Beatles y sont brillantes, à commencer par « You Can’t Do That », chanté à la rosserie, véritable hit de jerk, suivi d’une version ballocharde de « Do You Love Me ». Mais les deux pures merveilles sont les covers de « Can’t Buy Me Love » (solidement swinguée, bien dans l’énergie des Beatles), et « I Want To Hold Your Hand » qu’elles cherchent à magnifier en démultipliant les harmoniques de la féminisation outrancière. Elles vont même jusqu’à détroitiser les Beatles.

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    Autre coup de Jarnac : We Remember Sam Cooke paru en 1965. Elles sertissent « Cupid » sur la couronne de leur féminité et chantent « Chain Gang » en cadence, comme des forçats en pyjama de soie. Elles tapent ensuite dans le gros hit de Sam, « Bring It On Home To Me ». On entend Mary et Flo faire yeah derrière la Ross. C’est aussi en B que ça se corse, avec « Havin’ A Party », un vrai hit de r’n’b, pour jus de Supremes. Mary et Flo font yeah yeah yeah derrière la Ross. Elles tapent ensuite une belle version de « Shake » et le swinguent à la bonne rosserie. La perle de l’album est sans aucun doute la version d’« A Change Is Gonna Come », chanté au chat perché de rêve et admirablement violonné - It’s a long long long time comin’ but I know a change is gonna come - Il semble que Marvin ait pris la suite de ce classique immensément beau. Elles terminent avec une énorme version d’« (Ain’t That) Good News ». On y admire principalement leur port altier.

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    L’album live At The Copa qui sort en 1965 fonctionne comme un bon documentaire. Oh, ce n’est pas Jerry Lee au Star Club de Hambourg. On est même aux antipodes et si on espère entendre du r’n’n endiablé, c’est raté. Diana, Mary et Flo se livraient plutôt à un numéro de music-hall et elles tapaient dans le registre des grandes chanteuses de jazz qui les avaient précédées. On ne trouvait que deux classiques de r’n’b sur ce disque : « Stop In The Name of Love », cuivré et emmené sur un beat palpitant, avec un petit vent magique, et « Back In My Arms Again », où on entend les accompagnateurs taper comme des sauvages derrière. Une vraie pétaudière.

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    La même année parut More Hits By The Supremes, un album beaucoup plus consistant. On y retrouvait l’excellent « Ask Any Girl », une vraie bénédiction, puis « Nothing But Heartaches », une monstruosité, bassmatic, tambourins, tout y est et Diana drive tout ça avec une aisance confondante. Elle incarne le pur heartbeat des sixties, l’alliance supérieure du beat masculin et du charme féminin. Le beau rouge turgescent coulisse à merveille dans le swing de voix féminine. Avec « Mother Dear », on savoure l’élégance supérieure d’une attaque de doux beat doux wah. Diana chasseresse se glisse dans le bleu de la nuit de Detroit. La véritable élégance de la Soul Motown, c’est elle qui l’incarne. Et paf ! « Stop In The Name Of Love » arrive comme un don du ciel. Certainement l’un des plus gros hits de tous les temps. Un phare dans la nuit des sixties. Les chœurs de Flo et Mary donnent le vertige. Et la production ? À tomber. Somptueuse et inégalable. Berry Grody avait réussi à créer une usine à rêves. Mais on ne pouvait pas tomber amoureux de Diana Ross parce qu’elle était trop flamboyante. Avec « Back In My Arms Again », c’est la suite - et jamais fin -  de la magie suprême. Elles enchaînaient les hits comme des perles, alors forcément, elles distançaient les concurrentes. Et avec quelle aisance ! Tambourins et big bassmatic sur « Whisper You Love Me Boy ». Elles sont littéralement portées par le son. James Jamerson rôde toujours dans les parages, sous la surface des choses.

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    En 1966, on est au cœur de l’âge d’or Motown. Les Supremes sortent deux albums : A Go-Go et I Hear A Symphony. A Go-Go contient son petit lot d’énormités, comme par exemple « Love Is Like An Itching In My Heart », Soul magique de sucre d’orge chantée d’une voix de pinsonne éberluée, archétype des années légères et lumineuses. Et le festival continue avec « This Old Heart of Mine », nouvelle conjugaison coulissante du gros beat et du softy softah moelleux. « You Can’t Hurry Love » est un autre hit déterminant des sixties, chanté avec charme mais sans puissance, juste une ampleur bien définie, un petit côté féérique. Diana monte dans son registre en sucre d’orge et chante à merveille le tranché du beau. Et ça continue comme ça jusqu’à la fin de cet album mirobolant. Il semblait à l’époque que Diana Ross incarnait une certaine forme d’aristocratie de la Soul. On la sentait un peu princesse. James Jamerson fait un numéro de haute voltige dans la reprise de « These Boots Are Made For Walking ». Sur la B se nichait un autre hit exceptionnel, « I Can’t Help Myself », gorgé de l’excellence du groove jerky. Jamerson nous pulsait ça au prorata de l’élégance suprême. Diana chasseresse modulait à l’infini le doux sucré du miel de voix et nous embobinait pour de bon. Elles finissaient l’album avec deux curiosité kitschy-bitchy, « Come And Get These Memories » (un hit composé pour Martha & the Vandellas qu’elles traitent au mid-tempo joliment swingué) et « Hang On Sloopy » (bien mambique, dans l’esprit de ce que faisait Bert Berns, grand amateur de rythmes cubains).

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    On se régale tout autant d’I Hear A Symphony. Le morceau titre relève une fois de plus de la magie. Les Supremes étaient probablement les seules à savoir proposer ce mélange de puissance rythmique et de délicatesse vocale. Diana Ross était une petite personne raffinée au grain de voix sucré et pointu. C’est ce mélange qui a fait la force des Supremes. Les trésors se trouvent sur la B. « My World Is Empty Without You » illustre la grandeur du Motown Sound. On le sucré et la beauté. On sent bien que ces hits de Soul étaient destinés à traverser les siècles, car ils étaient parfaits. Grande classe encore avec « Any Girl In Love », chœurs à la clé et toute l’innocence des petites blackettes de Detroit. Lamont Dozier et les deux Holland fourbissaient des compos de rêve. Ces trois mecs savaient swinguer la beauté formelle. Dans ce morceau, on retrouve l’éclat magique de « Jimmy Mack », lorsque les voix croisent les notes de basse dans les octaves. Ultime énormité avec « He’s All I Got », swingué à la manière forte.

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    The Supremes Sing Holland Dozier Holland et The Supremes Sing Motown proposent exactement les mêmes morceaux. Ils font partie des très grands albums des Supremes. La fiesta commence avec « You Keep Me Hangin’ On », encore un hit absolu des sixties. L’an prochain il aura cinquante ans d’âge et il n’a pas pris une seule ride. On a un groove suprême avec « Love Is Love And Now You’re Gone ». Comme Esther Phillips, les Supremes définissent les conditions des jours heureux. Elles flottent au sommet de la légende Motown. Dans « Mother You Smother You », Diana se tortille au sommet du beat gracile. Cut après cut, on patauge dans l’excellence. « It’s The Same Old Song » fut composé par le trio pour les Four Tops et elles en font une version fraîche et juteuse. Encore un merveilleux jerk de cave avec « Going Down For The Third Time » et retour à la good time music avec « Love Is In Our Hearts », excellence de la belle ambiance, groove princier et harmonies vocales sucrées. Que te faut-il de plus ? C’est à ce genre de morceau enchanté qu’on mesure le talent des compositeurs. À ce niveau d’excellence, on pense à Burt Bacharach et à Gainsbarre. Beau jerk des familles avec « There’s No Stopping Us Now ». Ça repart au tambourin et aux doublettes de basse jumpy. C’est hallucinant de grandeur productiviste. Diana et ses amies restent perchées au sommet de l’excitation. Elles ont su rendre leur époque délicate.

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    Avec The Supremes Sing Rogers & Hart, on se retrouve à Broadway. Little Willie John rêvait de devenir Frank Sinatra. Les Supremes devaient rêver de devenir Liza Minnelli. Sur cet album, elle étaient accompagnées par un big band. La seule trace du Motown sound, c’était la voix sucrée de Diana. En B, elles revenaient enfin au son de base avec « My Heart Stand Still » et retrouvaient tous les tenants et les aboutissants du beat Moyown, veiné de frais, vibrant d’allure, palpitant et arrogant. La perle de cet album s’intitulait « Falling In Love With You », une jolie pièce de good time music qui rappelait à quel point les Supremes se situaient dans l’excellence.

    C’est à là que Flo est virée. Pendant que Diana Ross et les Supremes se produisent dans les clubs prestigieux, Flo sort chaque nuit après que ses filles se soient endormies et roule dans les rues de Detroit jusqu’à l’aube en écoutant les cassettes de son ancien groupe. Et quand elle n’aura plus de bagnole, elle marchera des nuits entières, errant dans les quartiers au hasard - It was like I was in a daze. It was like I didn’t care anymore. I had given up - Flo avait renoncé définitivement.

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    Attention : Diana Ross & The Supremes Join The Temptations est une bombe atomique. En matière de Soul suprême, il n’existe rien au dessus de cet album. C’est le super-groove de Detroit, embarque par Eddie Kendricks d’un côté, et de l’autre, Diana, Mary et Cindy Birdsong, la remplaçante de Flo. « Ain’t No Mountain High Enough », c’est tout simplement la Soul du diable. Le mélange des genres donne le vertige. Eddie et Diana, c’est une expérience extrême. « I’m Gonna Make You Love Me » atteint les sommets. Diana essaie de monter comme Eddie, mais elle peine à suivre ce démon. Ils tapent dans Burt avec « This Guy’s In Love With You ». C’est mélodiquement pur, une vraie plage de bonté pour l’esprit. Mielleux à souhait, la Soul à son sommet, dotée de contrechants à l’unisson du saucisson. Mais là où ils dépassent les bornes, c’est avec la version de « Funky Broadway ». C’est d’une violence indescriptible. Diana arrive là-dedans comme un ange de la mort noire. En B gigotent d’autres puissantes merveilles, comme « I’ll Try Something New » et son mélange capiteux des deux tons de Soul. Mais les Temptations swinguent dix mille fois plus que les Supremes. James Jamerson démarre « A Place In The Sun » à la basse. « Sweet Inspiration » est un fantastique jerk de grosse caisse secoué aux clap-hands et emmené à l’énergie du gospel batch. Imbattable. Et ils osent taper dans l’inaccessible étoile de Jacques Brel. Ils essaient de monter, mais c’est impossible. Personne ne peut aller rejoindre Brel là-haut.

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    Reflections assoit encore un peu plus la suprématie des Supremes. Que de hits Motown sur cet album Motown ! Diana emmène tout le monde, y compris les auditeurs, dans son chariot de feu dès le premier cut qui est le morceau titre de l’album. Grimpage direct. Avec « I’m Gonna Make It », elle marie le suave et la Soul. Délicieuse union. Diana sucre les fraises de la Soul avec une fascinante ardeur. On passe à la pulsasivité inconditionnelle avec « Forever Came Today » que Diana drive à bride abattue. La Chasseresse file à travers les bois qui bordent le lac Michigan. Pour une fois, la déesse mythologique est noire. Ça nous change. En B, elle tape dans le vieux coucou de Burt déjà repris par Cilla, Jackie et Dusty chérie : « What The World Needs Now Is Love ». Diana ne peut pas résister à l’appel des stratosphères. Mais dans l’esprit, elle est beaucoup plus soft que ses collègues. Elle ne recherche pas la performance physique, ce n’est pas son style. Diana est une suave, une féline. Elle boucle l’affaire avec une reprise d’« Ode To Billy Joe ». Elle prend ça d’une voix blanche, mais désolé, Diana, on préfère Bobbie Gentry.

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    Nouvel album collaboratif avec les Temptations la même année : The Original Soundtrack Of TCB (Taking Care of Business). Ça explose dès « Stop In The Name Of Love ». On retrouve ce qui fait la magie des sixties - My name is Diana Ross, this is Mary Wilson and that’s Cindy Birdsong. Our business is singing - Elles font une fantastique reprise du hit des Four Tops, « You Keep Me Hanging On » et on passe au génie pur avec le « Get Ready » des Temptations - Here come the Tempts ! - C’est embarqué à train d’enfer. Plus loin, les Supremes balancent un medley « Mrs Robinson/Eleanor Rigby » et les Tempts se cognent le « Respect » d’Aretha. En B, on retrouve le hit des enfers définitif, « (I Know) I’m Losing You » et ils terminent avec un version un peu pauvre de « The Impossible Dream ». Tout le monde n’est pas Cézanne, nous nous contenterons de peu, disait Aragon. Même chose pour Brel. Le seul qui puisse l’approcher, c’est Scott Walker.

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    On crut bien que les Supremes étaient foutues en 1968, avec la sortie de Love Child. Le morceau titre sonnait comme de la diskö violonnée, et ça illustrait toute la dérive du Motown sound. Pour les fans de la première heure, ce fut un sale moment à passer. Berk ! Motown ressemblait à une vieille tante. Mais Diana n’avait pas dit son dernier mot. « How Long Has That Evening Train Been Gone » renouait avec le beat SNCF et on entendait Jamerson faire un festival. Du coup, ça redonnait espoir car ça jouait à la haute voltige. Diana et James Jamerson, c’était un peu l’âme de Motown. Jamerson remontait au front avec « Honey Bee ». Il ressortait le dynamic bassmatic des Four Tops. Fucking enormity ! On avait là une véritable horreur de raw r’n’b avec des chœurs à la traîne, et comme chez les Four Tops, ça roulait sur des grosses notes de basse. Jamerson était le roi du big bass romp. S’ensuivait une autre pièce d’allure supérieure, « Some Things You Never Get Used To ». On sentait que Diana retrouvait son éclat dès qu’elle avait un gros cut à se mettre sous la dent. Elle savait dégager le passage. Elle nous sortait ensuite un joli groove des jours heureux, « He’s My Sunny Boy », et elle poursuivait sa fantastique croisade avec « You’ve Been So Wonderful To Me », pur chef-d’œuvre de good time music. Elle étendait son empire à l’infini, elle chantait son groove avec une sensualité de lèvres humides, elle en devenait hallucinante, elle se lovait dans le creux de l’oreille et on tombait définitivement sous le charme de cette rosse infernale. Elle s’introduisait aussi dans le groove de « You Ain’t Livin’ Till You’re Lovin’ » comme une petite souris. Elle chantait au sucre d’orge magique. Et elle finissait avec deux énormités cavalantes, « I’ll Set You Free », digne de Hangin’ On, et là, elle explosait la Soul, elle grimpait si haut qu’elle donnait le vertige, et « Can’t Shake It Loose », une énormité à tomber de sa chaise.

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    Petit album live vite fait la même année avec Live At London’s Talk Of The Town. Diana et ses copines sont accompagnées par un grand orchestre et donc elles peuvent se permettre de taper dans le music-hall. Elles font ce que tous les artistes de r’n’b faisaient à l’époque, des medleys. C’est assurément du grand cru. Parmi les bonnes surprises, on trouve une version fantastique de « Love Is Here And Now You’re Gone ». Diana embarque le public londonien dans sa pop fraîche et parfaite. Une pop parfaite, comme peut l’être une femme dans le regard d’un homme. On ne voit plus les défauts et on s’émerveille. Elles font une version ultra-rapide de « You Keep Me Hanging On » et un medley beatlemaniaque avec « Michelle » et « Yesterday ». Diana chante le début de Michelle en Français - sont des motes qui vont tlès bien ensemble - Elles avaient toutes les trois une classe terrible.

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    Paru en 1969, Let The Sunshine In sentait un peu la fin des haricots. Avec « No Matter What Sign You Are », elles revenaient à une sorte de pop soul funky de bon niveau. Diana conservait ses réflexes de reine des rosses et chantait sa belle pièce de sunshine pop violonnée avec la grâce habituelle. Il fallait attendre la fin de la B pour retrouver un hit digne des Supremes de la grande époque. Avec « I’m So Glad I Got Somebody », elle reprenait le beat en main et refabulait la Soul, comme au bon vieux temps.

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    La même année, sortait un nouvel album de collaboration avec les Temptations, Together. Il faut voir comment les Temptations relèvent le niveau de la Soul. C’est flagrant dès « Stubborn Kind Of Fellow ». Diana essaie de rivaliser de génie avec eux. Ils continuent d’exploser la Soul avec « I’ll Be Doggone ». Diana entre au second couplet. Elle a un sacré toupet. Elle ose se faufiler entre les pattes des géants pour tenter de s’imposer. Hey hey hey, les gars envoient ces chœurs de background dont ils ont le secret. Et puis on tombe de sa chaise avec « Uptight (Everything’s Alright) », l’un des plus grands hits Motown, l’absolue puissance du beat Tamla. C’est eux, les Temptations, qui l’incarnent. Diana rentre bien dans le lard du cut. Elle peut être fantastique quand elle veut. D’autres monstruosités guettent l’imprudent visiteur en B, comme par exemple ce « Sing A Simple Song » qui conduit droit à l’enfer un peu funky des Temptations. Ah, ils savent dégommer un hit, ces mecs-là ! Et Diana entre dans le cirque en vraie shouteuse de la victoire. Puis ils tapent dans le grand hit de Smokey Robinson, « My Guy My Girl ». C’est ultra-joué à la basse. À la reprise du thème, David Ruffin nous enfume comme des lapins dans un terrier. Ce mec joue avec le miel du génie. Rien n’est aussi doux à l’âme que le son des Temptations. Diana revient et David lui donne la réplique, alors tout le boisseau monte tranquillement au ciel. Vous ne trouverez pas beaucoup d’albums qui frisent autant la perfection que celui-ci.

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    Cream Of The Crop parut aussi en 1969, année érotique. On s’attendait à une sorte de déclin, à cause la pochette où Diana paraît en gros plan coiffé d’une atroce perruque. Mais l’album est encore très solide. Avec « Can’t You See It’s Me », Diana et ses collègues reviennent au pur jus r’n’b des Supremes, langueur et classe. Elles restent dans ces haut de gamme auquel elles nous ont habitués. « You Gave Me Love » est aussi une vraie chanson, dans la tradition Tamla, montée sur un beat imparable. Et on entend la basse de Jamerson cavaler derrière. Elles font une reprise de « Hey Jude » puissante car entièrement jouée à la basse. Il faut entendre cette bassline voyager dans le fond du studio B. Jamerson joue les effrontés avec un son rond et terriblement présent. Pour le final, Diana a tente d’égaler McCartney, mais elle se contente de pousser des petits cris de hyène lubrique. On retrouve ce fantastique travail de bassmatic dans « Shadows Of Society ». Encore une fois, c’est Jamerson qui porte le poids du monde Motown. Il place de violents décrochages de gammes et des chevauchements de cordes intempestifs. Belle B avec « Loving You Is Better Than Ever », une vraie classe longiligne. Les Supremes naviguent à un tel niveau que rien ne saurait plus nous surprendre. Elles restent dans la grande veine des hits d’antan avec « When It’s To The Top » et on retourne faire une promenade de trois minutes dans le jardin magique de la Soul de rêve. On y retrouve Diana et les violonnades des jours heureux. Elles tapent aussi dans « Blowing In The Wind », mais franchement, elles auraient mieux fait de s’abstenir.

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    À une époque, on trouvait en DVD les vieux rogatons d’Ed Sullivan et c’était l’occasion de revoir les Supremes de l’âge d’or. On peut même parler de magie avec « Come See About Me ». On ne voit que Flo, la plus petite des trois, la plus racée et dotée d’une poitrine avantageuse. Mary est la plus grande des trois et les gros yeux globuleux de Diane la Ross choquent un peu. Tout aussi magique, « Love Is Like An Itching In My Heart », mais Flo et Mary sont cette fois très en retrait. Elles portent des robes jaunes et dansent le jerk. Il faut avoir vu ça au moins une fois dans sa vie, car c’est exceptionnel. On peut aussi voir « I’m Living In Shame » mais Flo vient d’être virée. Le groupe s’appelle désormais Diana Ross & the Supremes.

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    Puisqu’on est dans les DVD, l’idéal est aussi de pouvoir jeter un œil sur Dreamgirls, l’adaptation cinématograhique ultra-romancée de l’histoire des Supremes. La grosse Jennifer Hudson joue le rôle de Flo et chante comme Aretha. Elle est la révélation de ce film. De la même façon que les Supremes s’appelaient les Primettes, les filles s’appellent les Dreamettes. Lors d’un concours à Detroit, elles sont repérées par Jamie Foxx qui joue bien sûr le rôle de Berry Gordy. Mary et Diana sont un peu effacées. Comme dans la vraie histoire, Berry passe Dina/Diane au premier plan. Effie/Flo le prend mal et Berry lui donne l’ordre de se calmer, sinon... Sinon quoi, trésor ? Il finit par virer Effie/Flo le soir du Motor City’s Burning, baby. Le groupe devient Dina Jones & the Dreams. L’autre personnage clé du film est joué par Eddie Murphy qui campe un sulfureux mélange de Wilson Pickett et de Marvin Gaye, puisqu’on le voit chanter vers la fin un groove coiffé d’un bonnet de laine. La fin du film est beaucoup plus morale que la réalité, puisque Effie/Flo retrouve un job de chanteuse dans un club et le soir du concert d’adieu des Supremes, elle est même invitée à chanter sur scène avec les trois autres. Berry Gordy ne sort pas grandi de ce film. On y voit un dictateur qui gère la vie de ses artistes jusque dans le moindre détail. Un soir, il dit à Dina/Diana : « Tu sais pourquoi tu chantes en lead ? Parce que ta voix n’a aucune profondeur, sauf la mienne. » Ce qui explique pourquoi il s’est débarrassé de Flo.

    Signé : Cazengler, Sousprême

    Supremes. Meet The Supremes. Motown 1962

    Supremes. Where Did Our Love Go. Motown 1964

    Supremes. A Bit Of Liverpool. Motown 1964

    Supremes. We Remember Sam Cooke. Motown 1965

    Supremes. At The Copa. Motown 1965

    Supremes. More Hits By The Supremes. Motown 1965

    Supremes. A Go-Go. Motown 1966

    Supremes. I Hear A Symphony. Motown 1966

    Supremes. The Supremes Sing Hollan Dozier Holland. Motown 1966

    Supremes. The Supremes Sing Motown. Motown 1967

    Supremes. The Supremes Sing Rogers & Hart. Motown 1967

    Diana Ross & The Supremes Join The Temptations. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Reflections. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes With The Temptations. The original Soundtrack From TCB. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Love Child. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Live At London’s Talk Of The Town. Motown 1968

    Diana Ross & The Supremes. Let The Sunshine In. Motown 1969

    Diana Ross & The Supremes. Together. Motown 1969

    Diana Ross & The Supremes. Cream Of The Crop. Motown 1969

    Peter Benjaminson. The Lost Supreme. The Life Of Dreamgirl Florence Ballard. Lawrence Hill Books 2008

    Mary Wilson. Dreamgirl - My Life as A Supreme. Cooper Square Press 1999

    Mary Wilson. Faithfull. Harpercollins 1990

    Bill Comdon. Dreamgirls. DVD 2007

    Ed Sullivan Show. The Temptations & The Supremes. DVD Eagle Vision

     

    BACKSTAB

    CÖRRUPT

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    Je n'ai jamais aimé les maths – ceci n'est pas l'expression d'un racisme primaire, ce sont les maths qui ont été incapables de s'infiltrer dans les complexes réseaux de neurones qui forment ma vaste intelligence - par contre je n'ai jamais eu de difficulté particulière pour entrer en communion avec le mathcore. Qu'est-ce que cette abomination encore demanderont les lecteurs excédés de ces rencontres chadiennes envers des groupes radicalement bruiteux. C'est vrai que hier encore je ne connaissais par Cörrupt mais l'appellation incontrôlée aperçue sur le net ( I'm the midnight rambler ) m'a attiré. Des gens qui cherchent à vous corrompre parce qu'eux-mêmes s'estiment corrompus ne sauraient nous effrayer, ils ressemblent tellement à notre société qu'ils sont inscrits dans notre quotidienne normalité. Ou alors ils se contentent de nous tendre un miroir dans lequel nous sommes obligés de reconnaître que notre tête est particulièrement gorgonesque. Avant d'écouter nos Corrüpt, une leçon de math de rattrapage pour les cancrelats auprès du radiateur. En ses débuts, en ses prémices, le noise-rock cherchait avant tout à faire du bruit. Cela vous avait un petit côté anti-bourgeois léniniste, cependant avec le temps il fut urgent et nécessaire d'argumenter et de revendiquer intellectuellement ce parti-pris de tonitruance, je vous dérange, c'est bien fait contre vous, j'exprime ma différence, du coup le noise est devenu un rameau arty qui mêlait esthétisme, futurisme et décadentisme. Reproches et critiques n'ont pas tardé à fuser : c'est du n'importe quoi, du vulgaire boucan, des trucs simplistes que voulez faire passer pour du grand art, c'est alors que le mathcore se mit en place, le noise est devenu plus difficile qu'une équation du dix-septième degré, certains affirment que le germe fatal du mathcore se niche dans les compositions de King Crimson, pourquoi pas remonter jusqu'au Manifeste intitulé L'art des bruits paru en 1913 de l'expérimentateur Luigi Russolo...

    De toutes les manières toutes ces subdivisions métallifères possèdent des frontières poreuses, et Cörrupt peut aussi cocher les cases death, black et hardcore. Le groupe existe depuis une dizaine d'années, sont obligatoirement quatre à l'image des sergents de la Rochelle dont ils proviennent, Greg War est au chant, Renaud Galliot à la guitare, Florian Piet à la basse, Pablo Fathi occupe le poste de batteur, nous l'avons déjà rencontré puisqu'il officie aussi à cette pelleteuse dans UnCut ( voir notre livraison 494 du 21 / 01 / 2021 ).

    Backstab est leur premier EP, l'est sorti en 2017, sont en train de bosser le suivant. Backstab signifie coup de poignard dans le dos. Le dos du CD est d'ailleurs orné d'une illustration qui n'est pas sans rappeler le logo de Pogo Car Crash Control, comme quoi les mauvaises herbes se rencontrent toujours.

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    You are about to crack : grincement machiavélique suivi d'une parmentière de batterie particulièrement brutale, Greg a déclaré la guerre au vocal, il grogne tel un ours en cage qui brise les barreaux de ses dents et les écarte de ses griffes, âmes sensibles abstenez-vous, une fois sorti il se rue sur les visiteurs de la ménagerie et les écrabouille en purée sanguinolente, le pire c'est qu'ils se contrôlent, vous pensez que Cörrupt fonce à l'aveuglette pas du tout, ils sont du côté noir de l'intelligence de la force, une fureur calculée au millimètre près. Le morceau dépasse à peine les deux minutes, et c'est si bien calculé que vous ne vous en apercevez pas. Finally free : un bruit de ferraille rémoulante qui vient de loin et qui s'affirme, moteur qui prend son temps pour démarrer mais après rien ne l'arrêtera, implacable comme la lame des guillotines, des guitares qui pulsent, une batterie qui s'énerve grave, Greg qui hurle tandis que les autres emboutissent le son à coups de bulldozer. Eloignement progressif. Lorsque vous n'entendez plus rien, vous soupirez, vous croyiez qu'ils avaient tué le silence. Politicians on television : on n'a pas les paroles mais on les comprend, des guitares qui résonnent comme si Renaud et Florian s'en servaient comme des élastiques XXL pour expédier des harpons géants sur nos dirigeants mal-aimés, Greg récate les malotrus de son lance-flammes vocal, s'enfonce dans un hurlement infini suivi d'un long grésillement, le fuzzible des guitares a lâché. Your reality : une intro comme un jeu de quilles humaines dans lequel Greg lâche le boulet d'acier de son vocal qui décanille tout ce qui est debout, l'a son mot d'ordre, rien ne doit subsister, articulation guitare-batterie pour compter les cadavres, doit encore y avoir des survivants, les blindés font un demi-tour pour écraser tout ce qui ose bouger, la batterie s'active et mitraille sans rémission, notre réalité ne doit pas être jolie car la voix de Greg s'acharne sur elle, elle déverse dessus une benne à ordures géante qui vous ensevelit sous des immondices peu ragoûtants, des avions de chasse survolent longuement le champ de bataille, la voix sépulcrale de Greg plane sur les décombres, elle profère la victoire de la mort triomphatrice, et maintenant elle en appelle aux légions maudites des spectres qui envahissent la planète, les guitares se taisent lorsque l'étiage supérieur est atteint. L'on entend une mouche voler.

    L'ensemble ne dure même pas treize minutes, mais l'EP est une démonstration parfaite d'un savoir-faire supérieur, ces quatre gars sont habités par l'esprit du Metal, de véritables illuminés. L'on attend le futur artwork. Devrait paraître sous le titre de You are all fakers, doit-on en conclure qu'ils ne sont pas décidés à nous passer la brosse à reluire, ils préfèrent user du fouet à pointes d'acier. Sont pour les thérapies de choc. N'ont pas tort, car des EP de cette facture vous requinquent le moral jusqu'à la fin de l'année.

    Damie Chad.

    ASK THE DUST

    ANASAZI

    ( Avril 2018 )

     

    Lorsque dans notre livraison 496 nous nous étions intéressés à Croak nous avions appris que toute une partie de Croak était formé par des membres d'Anasazi, une excuse idéale toute trouvée pour jeter un œil perçant sur ce groupe que nous ne connaissions pas. J'ai bien dit œil et pas esgourde car la pochette de leur dernier album entrevu au hasard de mes pérégrinations nettiques avait déjà attiré mon attention... Ask the Dust est leur cinquième album paru en 2018, ils travaillent actuellement sur le prochain Cause et Conséquences - un titre très aristotélicien - ils ont aussi deux EP à leur actif... Anasazi originaire de Grenoble est né en 2004.

    Mathieu Madani : vocal, guitare rythmique, keyboards / Christophe Blanc-Tailleur : basse, mixage / Bruno Saget : lead guitar / Anthony Barruel : drums.

    Un CD qui se regarde et qui se médite. Pas le genre de truc dont vous vous hâtez d'attraper la rondelle pour la glisser dans votre lecteur. La pochette exige une attention prolongée. Parce qu'elle est belle. Mais cela ne suffit pas. Grégory Pigeon est doué, aucun doute sur son habileté technique. C'est face à de telles réussites que l'on regrette les anciens formats des 33 tours... Mais il est des images qui disent davantage qu'elles ne montrent. Certaines mêmes vont plus loin, elles interrogent.

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    A priori un manège qui flotte sur la mer. L'on imagine l'anecdote, un raz-de-marée subit, un tsunami vindicatif qui aurait emporté une attraction foraine... Toutefois rappelons-nous que le propre d'un symbole est de désigner une réalité autre que celle que dévoile son aspect ( ici ) graphique. Serait-on en présence de l'ultime arche de Noé, non pas celle fondatrice de la race humaine, mais la dernière la conduisant à son extinction. Le manège tourne-t-il à vide comme ces moulins à prières tibétains que le vent affole. Et ses chevaux de bois ( ou de résine ) pourquoi ne galopent-ils pas sur les flots déchaînés, pourquoi menés par Poseidon ne se ruent-ils pas en vagues tumultueuses, tels les étalons écumeux de Walter Crane, sur les rivages... Ô Neptune, les Dieux sont-ils morts, et le monde est-il réduit à n'être plus que le réceptacle des vides épaves de nos rêves échouées sur d'infertiles îlots... Le dos de la pochette répond à cette question.

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    Ask the dust, titre d'un roman de John Fante, nous rappelle que tous nous sommes mortels, que nous retournerons tôt ou tard à la poussière, amis rockers, je sais ce n'est pas gai, mais Anasazi n'est pas groupe de rockabilly qui relate d'enjouées éjaculations sur la banquette arrière d'une Cadillac rose. Bonbon. Ce qui entre nous n'est pas désagréable et assure la propagation de l'espèce. Anasazy est un groupe de metal-prog dont les racines plongent jusqu'à Dream Theater qui lui n'hésite pas à citer Yes. Perso, là je dis No.

    Staring at the sun : cela commence tout doux, une espèce de mélodie folk qui s'assombrit peu à peu, l'innocence trompée qui redresse la tête tandis que la musique s'alourdit comme si toutes des quinze secondes l'on rajoutait quelques pistes de guitare supplémentaires, elle sonnait étrangement jusques à lors en tintements de cloche, et l'on débouche dans un long passage qui là aussi s'alourdit de séquence en séquence, guitare de plus en plus pesante et batterie claquante, le vocal se fait chant, le désespoir exacerbe la lucidité. Longtemps le soleil glapira sur votre pierre tombale. Miles away : guitare dénudée, la voix blanche et creuse, une ballade dépourvue de toute sentimentalité, un poule vidée de ses entrailles dont le sang goutte sur l'évier, une chanson sereine, celle de l'éloignement de soi et de l'arrachement des autres qui nous furent chers, une guitare rampante comme un feu qui s'avive sur le flanc d'une montagne, traversée des souffrances, subtiles orchestrations, la voix en ses propres échos comme perdue en son puits de liberté. Et de solitude. Les grands espaces, les miles away en surfaces corrigées, juste un coup de ciseaux sur les liens affectifs qui vous rattachent aux autres. Ce morceau git comme un poison d'autant plus définitif qu'il est facile à avaler. Feeling nothing : beaucoup plus sombre, guitare froissées, batterie qui décompte l'inéluctabilité du temps qui vous reste à vivre, Madani menace et sardonise, la voix de l'assassin qui prend son temps, certain que sa proie ne peut lui échapper, fait durer le plaisir, la musique se fêle comme du cristal, et tout se précipite, l'orchestration est le poignard avec lequel le killer se fera hara-kiri, le sang bat dans ses tempes tandis que des guitares moqueuses lui tirent des langues de vipère, vient de s'apercevoir qu'il est sa propre victime, baisse le ton, se parle à lui-même, le son lui parvient comme s'il provenait d'une radio qui traduirait ses propres sentiments, tout s'emmêle. Drift away : berceuse, celle de l'échec, celle du trop tard, la chanson amère des défaites consenties, dans le premier tiers l'orchestration est presque insupportable comme des reproches qui ne servent en rien, elle prend sa revanche dans la séquence médiane, occupe toute la place, se torsade et s'emmêle sur elle-même, un serpent désespéré qui ne se supporte plus et se transforme en une tresse de détresse mutilatoire, la voix revient, s'en mêle et domine, la musique se calme et se tait. Falling : l'on ne peut pas dire que les titres inclinent vers l'optimisme ! Pourtant pour une fois la voix se fond dans le background instrumental, du trompe-l'œil parce que bientôt elle s'exhausse du brouhaha et dresse l'inventaire d'un faux sursaut velléitaire de vouloir-vivre schopenhaurien, la guitare miaule sur les toits comme pour lui signifier qu'elle est son amie, qu'ils tomberont tous ensemble devant l'implacabilité du constat. Ce qui ne manque pas d'arriver. The second before : tic-tac tambouriné, notes égrenées qui ne sèment pas à tous vents, même si les guitares tournent les pages d'un livre déjà écrits, des voix qui viennent de partout, qui redisent la même chose, toute seule ou à plusieurs, qu'une seconde avant on aurait pu accéder à la lumière, mais que c'est raté, que c'est tant pis pour nous, les guitares se font consolantes, puis cette déconnexion soudaine à soi-même. Fausse porte de sortie. Still I can't hide : basse résonnante, une voix qui vient de loin, comme d'une brume qui l'isolerait d'elle-même, une ligne mélodique qui ramène le malheur au bout de son hameçon, pouvez le chanter avec toute l' intensité désirée, des cordes de plus en plus grinçantes, le rêve poursuivi se laisse prendre, s'insinue en vous, prend les commandes de votre cerveau, un cauchemar dont vous ne sortirez jamais. Déploiement lyrique de l'orchestration. Chut ! L'ombre grandit autour de vous. And the grudge ( still here ) : plus de huit minutes, l'on ne se méfie pas, semble la suite du précédent, mais les guitares bruissent et la batterie gronde en sourdine, tandis qu'une mélodie bat de l'aile telle un oiseau blessé, c'est le retour sur moi-même le déroulé d'un vécu qui quelque part a foiré, une valse qui déraille, ce fut beau et vivifiant, les guitares crépitent à la manière des feux de joie, le son devient plus fort, des arabesques orientales luisent de tous leurs festons, le vocal se fait accusateur, maintenant tout s'envole, est-ce moi, est-ce l'autre, mais tout a été ressenti si fort que la tête vous tourne telle un manège qui ne pourrait plus s'arrêter et se brise. Into the flood : quelques notes sépulcrales coulent comme des larmes, le temps de l'acceptation est venu, rien ne sert de vouloir survivre, tout est déjà consommé, des mots tous doux qui aspirent au néant, qui sont prononcés après la lutte et les débats, une triste histoire, si belle que l'on en ferait une chanson pour les enfants, les claviers prennent ici leur revanche, ils ont été tout le temps là en tant qu'accompagnateurs, mais ici et maintenant ils noient le morceau d'une musicalité irréelle. Once dead : que voulez-vous dire de plus un fois que vous avez atteint l'autre rive, quand on est mort on se tait, ce morceau est strictement musical. Le finale d'un opéra. Mort d'Isolde. Marche funèbre, comme si le héros refaisait une fois encore, du fond de sa tombe, le parcours non pas de sa vie, mais d'une existence. Grandiloquence mesurée. Sans doute ne valons-nous pas davantage. Silence. Ce n'est pas fini. Ask the dust : une dernière mélopée sur une guitare, une voix affadie comme si elle nous parlait d'outre-tombe, qui s'affirme qui ne nous révèlera rien, sinon que nous ne sommes que poussière. La musique coule et grince comme du sable qui s'écoule dans le sablier de l'éternité. Un dernier chœur à la tonalité semi-éteinte comme un adieu définitif.

    Une œuvre ambitieuse. Elle ne se livre pas de prime abord. Fortement déconseillée aux amateurs de bruits metallifères prononcés. L'exhibitionnisme sonique en est totalement absent. La trame du drame est tissée dans les nuances vocales. Tout effet de gosier est banni. La musique est comme réduite au minimum. Elle ne mène pas le bal. L'or peut enchâsser une pierre, mais la pierre est plus précieuse. C'est elle qui étincelle. Mais Anasazi a choisi un rayonnement pâle. Ce qui n'empêche en rien sa radio-activité de vous ronger insidieusement les synapses.

    Damie Chad.

     

    THE ANIMALS / 1964 ( II )

     

    Deux 33 tours paraissent dans le dernier trimestre de l'année. L'un aux Etats-Unis, l'autre en Angleterre, tous deux s'intitulent The Animals mais ne présentent pas exactement les mêmes titres. Certains d'entre eux étaient présents sur des singles précédemment chroniqués. Nous nous contentons de signaler leur présence sur tout disque ultérieur en utilisant la couleur rose. Ces parutions spécifiquement multi-nationales continueront sur les cinq autres 33 tours des Animals, ce qui entraînera la parution de divers 45 tours pour que sur les deux continents les fans puissent se procurer sur leur marché national les titres qui leur manquent. Dans de nombreux pays comme la France paraîtront des super 45 tours proposant leurs propres assortiments...

    SEPTEMBRE 64

    THE ANIMALS ( US )

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    The house of the rising sun / Blue feeling : ( ne pas confondre avec l'instrumental de Chuck Berry qui porte le même titre ) étrange morceau avec ce refrain qui résonne à nos oreilles tellement french-slow-early-sixty-style et qui contraste avec la voix blanche qu'emprunte Burdon, l'ensemble présente un petit côté pop ( pour ne pas dire variétoche ) l'on est beaucoup plus proche de la chanson sentimentale cucul la praline que du blues. A la toute fin Burdon reprend un peu d'énergie, hélas c'est trop tard. The girl can't help it : les choses sérieuses reprennent, s'attaquent à un monument, la grosse cuivrerie de Little Richard, surmontent l'obstacle, pas de filles dans les chœurs mais les boys se débrouillent pour le contre-chant et le Burdon vous débite le vocal à deux cents à l'heure, Hilton vous place un petit solo d'antho au trapézo qui fera votre régalo, profitez-en parce que c'est déjà fini sur une dernière pirouette de la baguette de Still. N'ont pas à rougir, s'en sont sortis comme des chefs. Babt let me take home / The right time : ce coup-ci, la prod a fait tous les sacrifices, ils ont offert des filles – pas beaucoup il ne faut pas non plus délirer - pour le chœur, du coup le morceau vous a un petit côté Ray Charles très releattes à roulettes, et les boys font les jolis cœurs, Burdon leur donne la réplique comme s'il leur offrait son âme, le Price vous sort un solo d'orgue qui ressemble à un gros câlin sucré, la virile basse de Chas sonne comme une corne de brume. Notons la bienséance du titre qui ne nous dit pas que le right time is the night time. Talkin' 'bout you : version courte : même pas deux minutes alors que la longue dépasse les sept, s'écoute bien, le morceau y gagne force et concision. Around and around : la même année le standard de Chuck Berry est repris par les Rolling Stones, il faut l'avouer Burdon enfonce le Jag qui chante comme un petit blanc, en plus les Cailloux qui Roulent ne se démarquent pas del maestro Chucko, le clavier de Price oblige à une recomposition formelle, les Animals vous repeignent et vous repoussent les murs, encore une fois il faut admirer le solo d'Hilton vous piaffe quelques notes aussi belles et graciles qu'une bande de girafes galopantes, les parties pianistiques de Price sont à bénir. I'm in love again : du beau monde sur l'écriture de celui-ci, Fats Domino et Dave Bartholemew, bye-bye le petit côté primesautier et fringuant du vieux Fats, pas de saxophone non plus, c'est Hilton qui le remplacera, l'orgue de Price apporte une lourdeur bienvenue à l'interprétation sans en dénaturer l'esprit. Quant à Burdon, il chante selon une ligne médiane, sur la crête, tantôt un pied intonatif sur le versant white rock, tantôt une foulée incantatoire vers le black and blues. Une merveille d'équilibre. Gonna send you back to Walker / Memphis tennessee : de petites ridelettes d'orgue c'est tout ce que les Animals se permettent d'ajouter, quand on met ses pas dans les traces de Maître Chuck on ne fait pas les malins, le Burdon retient la puissance motrice des chevaux-vapeurs de sa voix, ne va pas pousser l'affront à chanter plus noir que Chuck, bref ils sont sages comme des images, l'on eût aimé qu'ils se comportassent en gamins mal élevés. I'm mad again : c'est un peu le Boudu sauvé des eaux de John Lee Hooker, le gars qui héberge chez lui un gus dans la mouise qui pour le remercier lui fauche sa copine, mais alors que le Hooker vous raconte l'histoire sans fioriture sur une de ces rythmiques secrètement lentes qui portent l'eau de votre âme à ébullition les Animals vous la transforment en tragédie racinienne, commencent tout doux, mais très vite le drame prend de l'ampleur, la voix de Burdon donne de l'intensité au sujet, la guitare d'Hilton déraille ferme, l'orgue de Price vous a des trémolos funèbres d'enterrement, et Burdon vous pousse des cris d'assassin. I've been arond : un joyeux petit Fats pour terminer, dans le genre faut se quitter sur un sourire obligatoire, celui-ci appuyé légèrement plus que le Fats qui joue les mijaurées avec ses petits oh ! oh ! oh ! un peu ridicules et son orchestration de jouet de noël... mais enfin il faut le dire ce titre n'apporte rien à la gloire impérissable des Animals.

    OCTOBRE 64

    THE ANIMALS ( UK )

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    Story of Bo Diddley : une glissade d'orgue et l'orage du jungle sound survient on ne sait comment, Burdon vous fait le boniment, aussi bon et même meilleur qu'un camelot de la 52 Th rue, Steel tambourine à croire qu'il est dans une cérémonie vaudou, Price vous pond des tortillons d'orgue à la queue-leu-leu mais nos Animals s'amusent, abandonnent vite la trame didldleyenne pour filer à l'anglaise, tour à tour nous aurons droit aux Beatles, aux Stones, à Newcastle, sont-ils en train de commettre un crime lèse-pionniers du rock, non ils respectent l'esprit du talkin' dozens blues, le cuisent à leur sauce, s'émancipent de la copie hommagiale, un jour les Animals deviendront Eric Burdon and the Animals... Bury my body : un vieux traditionnel qu'Alan Price ne manquera pas de porter à son crédit, il est difficile de perdre ses mauvaises habitudes... L'on s'attendrait à un blues dévastateur, ce n'est pas l'optique envisagée, la voix enjouée de Burdon, les notes joyeuses de Price, la basse de Chas qui n'a rien de funèbre, tout indique qu'ils ont délibérément choisi l'option chrétien heureux de mourir et de monter tout droit au ciel sans encombre, rien de plus fun que d'être rappelé par Dieu, y a même des moments qui frisent l'hystérie désopilante, pour un peu vous l'incluriez dans un recueil de chansons pour colonies de vacances. Ont-ils voulu renouer avec la foi intransigeante des negro-spirituals ou alors méritent-ils d'être accusé d'impiété moqueuse... Dimples : un des classiques de John Lee Hooker ( Dale Hawkins s'en est fortement inspiré pour les paroles et le reste de Suzie Q ), les Animals n'en font pas trop, vous le tournent à leur manière, la voix de Burdon fait monter la pression dans la chaudière, le tutti instrumental continue à pulser la vapeur et puis l'on renvoie en arrière, Burdon trottine avec le ballon, insensiblement il accélère et soudainement il fonce droit devant évite trois adversaires qui mordent la poussière à vouloir le plaquer, et finit sa course en beauté en marquant l'essai. Du cousu main, rugby sur l'ongle. I've been around / I'm in love again / The girl can't help it / I'm mad again / She said yeah : une vieille piste pas des plus connues de Larry Williams, au moins Burdon trouve un sérieux rival à qui se mesurer, soyons juste, Burdon n'est pas la hauteur, peut-être parce qu'il n'ose pas emprunter ses cordes vocales les plus noires, Price se débrouille mieux pour remplacer le solo de sax, l'absence de cet instrument dans la formation a-t-il obligé à blanchir quelque peu l'interprétation. Les Stones la chiperont aux Animals et il faut admettre que leur version avec cet arrière-fond de guitares caverneuses qui font trembler les murs annonce l'ossature sonique de Have you seen your mother, baby, standing in the Shadow... Nettement supérieure. The right time / Memphis Tennessee / Boom boom : le morceau qui fait boum ! Burdon chante comme un tigre qui arrache à pleine voix des morceaux de viande saignante à une proie encore vivante, ensuite c'est le grand charivari, l'ultime capharnaüm, la fin des haricots verts, les Animals se sont évadés du zoo des convenances modélisées et sont devenus libres et sauvages. Around and around .

    Deux inédits que l'on retrouve su la compilation Double CD, The Complete Animals :

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    F. E. E. L : du pur Animals, mais cela ressemble à ce qu'en équitation l'on appelle un canter, un galop d'entraînement, l'inanité des paroles arque-boutée sur le mot -feel – mot magique et miracle des sixties, l'est sûr que si à l'époque vous n'aviez pas le feeling, vous étiez un tocard de la pire espèce, tout juste bon pour l'abattoir municipal, alors Burdon ( lui, ne craignez rien, il l'a chevillé au corps ) s'amuse, il filoche le feel all rigth à cent quatre-vingt kilomètres heure, module, accélère, exulte, ralentit, et les autres derrière le suivent de près, agréable à écouter, bien fait, tout propre, mais si vous ne l'avez jamais entendu, inutile d'aller creuser votre tombe au fond du jardin, par contre si à l'écoute vous ne ressentez rien... Don't want much : méritait au moins un simple à lui tout seul, attention les rockers, Rosco Gordon est l'auteur du morceau sous le titre Just a little bit, ce gazier enregistra aussi chez Sun, c'est rare mais il faut le dire Burdon pulvérise le modèle, l'a une fougue et un aisance incomparable, Gordon nous la faisait un peu en dilettante hyperdoué, Burdon vous entortille les scoubidous sur le bout de sa langue avec une facilité déconcertant. Il ne chante pas, il éblouit. Les autres suivent et vous expulsent l'orchestration avec une dextérité consommée.

    L'existe un maximum de vidéos d'époque qui proviennent de leurs passages sur différentes chaînes de télévision, ouvrez les mirettes aux alouettes, en voici deux, ne craignez rien, vous irez du pire au meilleur :

    BLUE FEELING

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    Du fond de votre kitchenette si vous aimez le kitch vous adorerez ce clip extrait du film Get yourself your College Girl, une ânerie un peu dans le style du clip tourné à leur début par Mountain... Celui-ci a été réalisé aux USA dans l'Idaho, ce que l'on appelle une mauvaise hidée, l'on acceptera même l'adjectif hideux pour le qualifier... Mon Dieu ( oui mon fils Damie que veux-tu – oh, un double djack pour me remettre – tout de suite mon fils ! ) quelle horreur, même Burdon sur son rideau rouge est le plus beau de toutes, si l'on doit en croire ces images, les filles sont plus belles et moins nunuches aujourd'hui qu'en 1964, quel troupeau insipide de dindes farcies, les acteurs surjouent de toutes leurs bajoues, quant aux Animals ils croient si peu en leur playback que seul John Steel qui n'a pas oublié son chewing gum donne l'apparence d'une fausse réalité. Le petit Eric n'arrête pas de se bidonner ce qui le rend sympathique. C'est ce que l'on appelle un émouvant témoignage d'une époque révolue. L'on comprend pourquoi les Grecs ne nous ont légué que des fragments d'amphores, ils avaient peur que l'on se moque de leurs artefacts qui nous seraient parvenus en entier.

    BOOM BOOM

    ( Live at Wembley 1965 )

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    Images en noir et blanc, public sagement assis, la scène grouille d'une multitudes de roadies qui installent le matériel, Burdon s'approche du micro et nous souhaite un retentissant '' good morning''. Chas lui fauche le micro, Steel s'installe, on attend encore un peu, et c'est parti, Burdon lance la machine, comment de ce petit bonhomme peut-il sortir une telle voix, bouge beaucoup, une espèce de danse du scalp qui se termine à genoux, imaginez un cormoran qui amerrit les ailes éployées et qui glisse sur l'eau de tout son corps dressé, Chas et Alan sont au chœur avec la conviction des pirates du rail qui trafiquent les aiguillages pour envoyer le train au fond du précipice, Hilton – lui qui a l'air si sage d'habitude - armé de sa guitare pique une crise de delirium tremens, lorsque Buron revient au micro il lève le bras comme s'il lançait l'assaut d'un régiment de cavalerie et c'est reparti pour une cacophonie rock'n'roll comme on les aime, l'on se demande pourquoi le public n'est pas en train d'incendier les tribunes sur lesquelles ils ont posé et collé leur cul...

    Damie Chad. ( A suivre, 1964 / 1965... )

     

    XXI

    ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    ( Services secrets du rock 'n' rOll )

    L'AFFAIRE DU CORONADO-VIRUS

    Cette nouvelle est dédiée à Vince Rogers.

    Lecteurs, ne posez pas de questions,

    Voici quelques précisions

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    A peine les deux battants furent-ils ouverts que la meute des journalistes se précipita en une folle cavalcade, Vince releva avant qu'elle ne se fasse piétiner par ses collègues la petite brunette qui dans leur précipitation l'avaient renversée sans s'en apercevoir. A la décharge de nos impatients envoyés médiatiques, ceci dût-il étonner nos kr'tntreaders, on n'y voyait rien. Une espèce de brouillard opaque noyait toute la pièce. A moins de cinquante centimètres il était impossible de reconnaître l'ombre qui se mouvait devant vous. Un brouhaha indescriptible s'éleva de la meute journalistique. Tout se tut, lorsque le Chef prit la parole :

      • Mesdames, messieurs, je ne doute pas de votre déception, mais notre Président bien-aimé vous autorisera à mon signal à vous servir exceptionnellement de vos plus gros projecteurs, branchez-les, et vous verrez ce pour quoi vous avez été appelés, le Président a une importante communication à vous faire, vous pourrez la retransmettre en direct sur les chaînes de télévision, et les radios. Je vous demanderai simplement d'attendre quelques minutes que Monsieur l'Adjudant emmène avec lui son groupe de fusiliers-marins, si je ne trompe pas, c'est l'heure de leur footing matinal au Bois de Vincennes, nous sommes en démocratie et il n'est pas normal que l'on aperçoive des hommes armés tout près de notre Président.

    Dans la pénombre l'on s'agita, la porte s'ouvrit pour laisser passer les soldats, les journalistes cherchèrent en tâtonnant que les prises pour leur appareil, l'on entendit un petit rire discret je pense que c'était la main de Vince qui s'était égarée sans le faire exprès sur la petite brunette...

      • C'est bon vous pouvez allumer !

    Il y eut un oh ! de stupéfaction, les journalistes, même les plus chevronnés, n'avaient jamais vu une telle scène de toute leur carrière. En demi-cercle assis en de confortables fauteuils de velours cramoisis était rassemblé le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie, tous les plus grands épidémiologistes du pays, le fauteuil central était occupé par le Président. Juste derrière lui, le Chef était debout. Je crois que c'est la seule fois fois de ma vie où en une circonstance extraordinaire le Chef ne profitait pas de l'occasion pour allumer un Coronado. Le fait était d'autant plus exceptionnel que chaque membre du Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie était en train de déguster à pleine haleine un Coronado, un 45, un des plus fumiteux, le Président lui-même extirpa son bâton de chaise de sa bouche pour prendre la parole :

      • Françaises, français, je tiens à vous révéler en direct les conclusions de la dernière réunion tenue très tôt ce matin par le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie. Premièrement une bonne nouvelle qui ravira tous les patriotes et les fumeurs de cigares, les analyses des laboratoires sont formelles. La piste du Virus répandu sous la Tour Eiffel par le Service Secret du Rock'n'roll était fausse. Pour réhabiliter ce malheureux service le Haut-Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie et moi-même avons tenu à fumer en direct notre Coronado, notre pays et notre peuple ne supportent pas l'injustice, lorsque la France commet une erreur, elle avoue ses torts. Mesdames, messieurs les journaliste, nous vous remercions de communiquer cette nouvelle au monde entier. Pour vous remercier nos charmantes hôtesses remettront à chacun de vous en guise de souvenir de cette journée historique un Coronado 45. Enfin pour terminer, une deuxième nouvelle, la France n'est en rien responsable de la propagation du Coronado-virus. Toutes les analyses médicales coïncident, ce sont des touristes chinois arrivés tout droit de Pékin, pour visiter Paris, la plus belle capitale du monde, qui l'ont emmené et répandu dans les meilleurs endroits touristiques de la France. Françaises, français, je vous remercie. Vive la France !

    Le Chef a aussitôt repris la parole :

      • Mesdames et Messieurs les journalistes, le Haut Conseil Scientifique de Surveillance de la Pandémie a encore beaucoup de travail. Je vous demanderai de vous retirer au plus vite, l'agent Vince vous raccompagnera à vos voitures, nos deux hôtesses distribueront les derniers Coranados en notre possession aux amateurs. Avec l'agent Chad nous sortirons en dernier pour nous assurer qu'aucun cachotier n'essaie d'écouter les décisions secrètes qui seront prises dans la suite de l'entrevue.

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    Aussitôt dans la cour d'honneur s'engouffrèrent dans leur voitures les journalistes comme volée de moineaux du parc du Luxembourg rassasiés de la becquée providentielle prodiguée par une vieille dame qui se charge de les nourrir, les fusiliers-marins n'avaient manifestement pas encore enfilé leur tenue de sport pour leur jogging matinal, ils formaient une haie d'honneur devant notre appareil volant :

      • Présentez armes ! La voix de l'Adjudant ne plaisantait pas... Repos ! Soldats je suis fier de vous, vous avez obéi à votre Adjudant alors que ses ordres étaient, semble-t-il, en contradiction avec la mission qui vous a été confiée. Vous avez fait confiance à votre Adjudant qui vous laisse quartier libre pour le reste de la journée, sauf pour soldat Pierre, et soldat Marc qui ont ignominieusement profité de leur tour de garde pour draguer d'honnêtes demoiselles alors qu'il est totalement interdit d'adresser la parole aux passants, consigne de sécurité N°1, je tiens à le leur rappeler ! - se tournant vers nous - quant à nos héros miraculeux tombés du ciel, je les invite à prendre place dans leur taxi de la Marne volant, et à disparaître au plus vite, ce sera mieux pour vous, demoiselles, messieurs, et ces braves canidés sans qui rien n'aurait été possible, nous adopteront leurs photographies comme mascottes de notre régiment. Putedesaintevierge !

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    Notre aéronef eut un peu de mal à s'élever, la faute à Vince qui tenait sur ses genoux la petite brunette énamourée qui avait refusé de retourner à son journal. Dès que nous fûmes à une quinzaine de mètres au-dessus de la cour d'honneur, les fusiliers-marins se regroupèrent et déclenchèrent un tir meurtrier à notre encontre.

      • Enfin ! - le Chef extirpait de sa poche un Coronado – ne craignez rien, ce sont des tireurs d'élite, ils font attention à surtout ne pas nous toucher. Agent Chad, vitesse maximum, aucune crainte à avoir les images de la réunion sont déjà reprises par toutes les télévisions du monde, le SSR a de nouveau pignon sur rue !

      • En tout cas, moi j'aimerais savoir ce que c'étaient ces points rouges qui nous ont permis de nous diriger tout droit vers le palais de l'Elysée, demanda Charlotte

      • Des amis répondis-je, à droite c'était les Crashbirds, nous leur avons demandé par SMS de se poster sur le toit de leur maison du côté de Bondy, et de tirer furieusement sur leur Coronado dès qu'ils nous apercevraient, Delphine Viane et Pierre Lehoulier ont parfaitement rempli leur mission, tout comme Tony Marlow et Alicia F sur le toit de leur immeuble de Montreuil, le SSR possède des alliés dans le monde entier, qui se battent depuis des années pour le rock'n'roll, grâce à ces deux points fixes, déterminez la direction de l'Elysée n'était plus qu'un minime problème de triangulisation...

      • Moi, ce que je n'ai pas compris c'est à peu près tout, affirma Victorine, ainsi se dénommait la jolie petite brunette, et surtout pourquoi le Président a tenu de son plein gré cet étrange discours et cette mise en scène du HCSSP !

      • Ah ! charmante enfant, je suppose que vous n'êtes pas la seule et que nombre de kr'tntreaders doivent être dans votre cas ! Essayons de répondre à vos interrogations !

    A suivre...