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  • CHRONIQUES DE POURPRE 428 : KR'TNT ! 428 : DON CAVALLI / DONNIE FRITTS / ROCKABILLY GENERATION / BENNY & THE FLYBYNITERS / HANK'S JALOPY DEMONS / GAËL MEVEL + MICHAËL ATTIAS / TOM WOODS / SO LUNE / EDREDON SENSIBLE

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 428

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    05 / 09 / 2019

     

    DON CAVALLI / DONNIE FRITTS

    ROCKABILLY GENERATION NEWS # 9

    BENNY & THE FLYBYNITERS

    HANK'S JALOPY DEMONS

    GAËL MEVEL + MICHAËL ATTIAS

    TOM WOODS / SO LUNE / EDREDON SENSIBLE

     

    Un bon Cavalli n'est jamais le dernier

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    Voir arriver Don Cavalli sur la petite scène de la Place du 73e, c’est un peu inespéré. L’air de rien, le voilà devenu légendaire, sur la base de quelques albums et de quelques interviews de ci de là. Mais surtout sur la base d’une voix. Et quelle voix ! L’homme paraît modeste, on pourrait même presque dire timide, en tous les cas, il ne la ramène pas. Il est là pour le purisme et c’est exactement ce qu’on est venu chercher à Béthune : un brin de purisme.

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    Don Cavalli nous en sert une heure entière sur un plateau d’argent. Il gratte ses coups d’acou du pouce et ses amis siciliens jouent le bop le plus délié qu’ait jamais imaginé la Cosa Nostra. Fantastique conglomérat d’attitude, de mesure, de véracité et de Cavallisme. Il fait tellement la différence qu’il sonne comme un vieux requin du rockab sur le retour. Il a pris un petit coup de vieux, c’est vrai, mais quelle présence !

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    Il porte du blanc et attache sa gratte avec une ficelle, comme on savait le faire dans les mines de cuivre du Kentucky, au début du siècle d’avant. Don Cavalli ne pointe pas sa gratte vers le sol comme tous les autres, mais vers le ciel. Il fait la différence, mais n’en fait pas exprès. Chez lui, le purisme est quelque chose de naturel.

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    Son batteur sicilien porte une casquette de capitaine à la Humphrey Bogart et joue comme un dieu, tout en retenue et au fil d’un swing-along qui en dit long sur sa baie d’Along. Quand Don le présente au public, il dit de lui qu’il est passé du grade de capitano à celui de commandante. Touché par le compliment, le commandante hoche la tête respectueusement.

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    Il règne dans cette équipe quelque chose de particulier, une atmosphère de frères de la côte à la Mac Orlan. D’ailleurs, le guitariste haut et sec comme un cep de vigne semble sortir d’un bar mal famé de Marsala, avec ses faux airs de Robert Mitchum, ses boucles d’oreilles et sa clope au bec. Don indique que le slappeur des Banjeras vient d’Australie, mais il ressemble vraiment à l’un des bras droits de Toto Riina.

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    Comme il s’adresse à un public de fans, Don Cavalli se fend d’une belle reprise du «Bottle To The Baby» de Charlie Feathers. Dans l’interview qu’il accordait à Dig It en 2016, Don explique qu’il a enregistré des reprises de Charlie Feathers au moment de sa disparition en 1998 («Cold Dark Night», «Early In The Morning» et «Let’s Live A Little»). Du coup, on l’a catalogué comme le ‘nouveau Charlie Feathers’ alors qu’il n’aimait pas trop se voir cataloguer. Des albums comme Cryland et Temperamental nous montrent à quel point Don Cavalli est un esprit libre, donc pas question de se retrouver au fond d’un bocal. Il insiste beaucoup sur cette notion de liberté. Comme il ne vit pas de sa musique, il bosse comme jardinier. Don Cavalli se moque du look fifties et des clichés. Ne l’intéresse que le feeling et ce que doit ressentir un chanteur derrière son micro, qu’il s’agisse d’un sentiment d’amour ou de désespoir. Et c’est exactement ce qu’on voit sur scène.

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    Don Cavalli ne se contente pas d’interpréter, il hante ses chansons, donne de la voix quand il le faut, mais descend aussi chercher ses vieilles tonalités rocailleuses, telles qu’on les trouve dans De Profundis. Il est avec Jake Calypso le plus américain des Européens. Cette extrême rigueur - on pourrait presque parler d’austérité dilettante - fait sa singularité. Ce set de rêve se termine vers minuit. Il revient en rappel chanter son nouveau single, un cut tellement hot qu’il s’étrangle presque de rage.

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    À la façon dont il coince sa clope au bec sur la pochette d’Odd & Mystic, on voit que Don Cavalli ne plaisante pas. On sent dès «Cursed Day Stomp» un énorme souffle rockab. On croirait entendre Sandford Clark. Quel admirable rootser d’Americana ! Il enchaîne avec un fantastique jump roll de honky-tonk intitulé «Hard Working Blues», bien pulsé par le hot slap de Kalle Victor. Mais c’est avec «Yellow Moon Is Risin’» que tout explose, Don Cavalli chante ça dans l’âme de l’essence, c’est battu à la sourde et bardé du meilleur bop. Ce Don est un don du ciel. Il tape plus loin un «Railroad Special» au hot on heels, il choo-choote sa gratte et passe au croack de crocro pour «Don Cavalli’s Blues». Il presse sa voix comme une boule de pus et ça gicle dans le micro. Ce mec crée de l’événement en permanence. Il va droit au but avec «Morphine», il chante à la bonne défonce, à l’elastic du roots ethic. Il chante d’une voix toujours pleine, il croone son croak de crac dans «Life’s Too Long» et va chercher ses meilleurs accents pour évoquer God dans «God Said No».

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    De Profundis est un album qui a nous a tous laissé le souvenir d’une grande âpreté. Sur la pochette, Don Cavalli porte un bleu de chauffe et il nous gratte dix cuts à l’ongle sec sur sa douze d’hobo rider. Il chante en plus dans un micro de guimbarde, alors forcément, il bat tous les records de dépenaille. Il joue son «Row And Ruck» au claqué de Mathusalem avec un délié de travailleur des champs. On pourrait qualifier ça de backwood jive florentin. Il se tape en toute impunité un bon coup de boogie blues avec «Myriam». Don Cavalli se montre une fois encore digne des hillbillys les plus obscurs des Orzak Mountains. Mais trop de véracité peut jeter le trouble en eau trouble. Il passe en B au country blues de derrière les fagots du delta avec «Arguments And Alibis» et réussit presque à nous tétaniser avec «King Jesus (Of Nazareth)» : il gratte sa mandoline de gondole à l’extrapole de roosty rootsah. Il envoie là le plus fantastique shoot d’agnostic shuffle de douze qui se puisse imaginer. On le voit ensuite gratter «I Ain’t Jealous» comme s’il sortait d’un coin paumé de l’Arkansas, un de ces coins à la ramasse de la pire rascasse, du type de ceux où sont nés Johnny Cash et Al Green. Au dos de la pochette, on retrouve des faux airs du Michel Bouquet jeune dans le portrait de Don Cavalli. Il dégage la même impression de puritanisme exacerbé. Et dans l’interview pour Dig It, il indique qu’il a enregistré l’album sur deux magnéto-cassettes, «sans écho, sans son à la Sun», il dit vouloir aller vers le dark rockabilly, «là où blues, rockabilly et Soul ne font qu’un». Ce mec a tout compris, il nous ramène aux origines du mythe, à l’époque où Obie Patterson enseignait la guitare à un jeune blanc-bec nommé Charlie Feathers.

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    C’est Lenox, label de la mythique boutique de la rue Legendre, qui fit paraître Carmela en 2003. Cet album est un véritable classique du rockab. On trouve à l’intérieur du boîtier une petite photo en noir et blanc de Don Cavalli sur scène, tout seul avec sa gratte. Quel album ! Il chante «The Creature Returns» avec l’art de la manière. Il va chercher le meilleur gras de ton. Il n’en finit plus de sonner juste. Le coup de génie de l’album s’appelle «Claustrophia Blues». Il hoquette à merveille, comme Charlie Feathers. Il chante comme un hippocampe, fier et droit, et sort les meilleurs effets du genre. Il fait la fête avec «Make Her Mine», poussé dans le dos par le meilleur beat de bop buté. Il tape «Hey Hey Baby» à l’insistance du Tennessee, avec le slap au ventre. Rockab forever ! Tout ce qu’il fait sonne juste. En fait, il est comme Saint-Just, il ne pardonne pas. Il fait avec «You Never Can Vie With My Baby» une véritable dentelle de véracité agnostique. Le voilà à la gare avec «Standing On The Platform». Il s’y montre effarant de patience américaine, il gratte en attendant le freightrain. Puis il nous embarque à fond de freightrain dans cette valse de non-hésitation qu’est «Two Timer». Un vrai délire de hey go man, pulsé au petit bonheur la chance du pur wild rockab. Il chante son «Coffee Baby» comme un crac, il y ramène toute l’exaspération des géants du rockab. Il reste dans l’excellence du hiccup avec «Crazy Blues». On peut lui faire confiance pour le going crazy, il sait de quoi il parle. «Curtain Call» sonne comme un honnête shuffle de country jive, ce diable de Don does it right. Il est de toutes les combines, le western swing de mad redneck comme le blues de cabane branlante. Il sait mélanger les genres. Il tape «Swing Duck And Uppercut» au laid-back du Tennessee avec un épouvantable swagger. Ça se corse encore avec «Who’s Baby Are You Baby» gratté au meilleur avenant, sévère et bien secoué au who’s baby. Hit de juke idéal ! Il avale le rockab à la goulée. Il allume autant que Carl Perkins. Toute la fin de l’album est hot on heels. «Hey Charmin’» vaut tous les classiques du genre et il bat encore des records de sauvagerie avec «Your Brands On Me». Hot as hell !

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    Ne vous fiez pas au psychédélisme de la pochette de Cryland. C’est un album d’une incroyable modernité. «Gloom Uprising» commence par dérouter, avec un son extrêmement original, mais on sent toute l’énergie rockab dans le fond du son. Une wah pouette dans le jardin magique de la pochette. Il chante à la tension du Tennessee. Le son captive et déroute en même temps. Nous voilà donc conquis. Dans le Dig It Interview, Don Cavalli dit avoir découvert un jour la wah en studio. Wah ? Wow ! Il revient à son cher boogie de cabane branlante avec «I’m Going To A River». C’est tout simplement terrifiant de véracité. Il chante «Aggression» d’une voix ferme et grasse qui rappelle celle d’Elvis. Même genre de swagger. Avec en plus le bouquet des enfers du vieux guitar man. Plus loin, il fait son bal Cajun du 14 juillet avec «Vengeance». Il chante au décalé du beat et ça couake à l’harmo. Stupéfiant de fraîcheur mentholée ! Don sort sa wah pour le bal. Il bouffe à tous les râteliers d’Amérique avec un égal bonheur. Il reste chez les Cajuns avec «Cherie De Mon Cœur». Il le fait à l’effrénée, il sait le faire, mon cœur est malade, il se traîne dans le crouilli-crouillah du bayou - Chérie de mon cœur/ Come back to me - Tout l’album tape en plein dans le mille. Il passe au heavy blues avec «Here Sat I (Off Jumps The Don)», avec de la wah à gogo et redescend au fond du galimatias mississipif avec «Vitamin A». Il est dessus systématiquement. Il fait du morceau titre un royaume de wah en réverb et crée de nouveau la surprise avec «New Hollywood Babylon». Il sort sa meilleure cocotte pour l’occasion. C’est frais et léger comme un bonbon de Saint-Hubert. On croirait entendre chanter un black blanc. Il chante du groin comme Bobby Blue Bland dans «Wonder Chairman» et attaque le boogie rock de «Casual Worker» à la racine. Il sort là le meilleur rumble des bois du Bible Belt. Il termine avec un «Summetrime» qu’il prend par dessus la jambe et nous gratifie au passage d’un killer solo qui nous laisse tous pantelants. Encore un album qui va tout seul sur l’île déserte. Même si comme le rappelle Don Cavalli, des soit-disant puristes ont détesté l’album au point d’aller lui cracher à la gueule.

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    Il continue d’expérimenter des sons avec Temperamental paru en 2012. Comme l’album précédent, celui-ci fourmille de surprises, à commencer par le morceau titre d’ouverture, une sorte de heavy funk de wah. On sent un appétit vorace d’innovation. Don Cavalli jour son va-tout avec un sens aigu du claqué de wah exacerbé. Il ne tient plus en place, il fait son funkster et lance des oh yeah d’antho à Toto. Pendant quelques cut, on commence à douter de Don. Il reste dans le Soul-funk pour «Garden Of Love» et passe à l’exotica chinoise avec «Me And My Baby». Un certain Vincent Talpaert bassmatique comme Bootsy Collins. Attention à «Santa Rita» ! Don charge sa barque de synthé chinois et ça porte à confusion. Il rétablit la confiance avec «The Greatest» et ses grands coups d’harmo. Une chinoise chante et ça prend soudain du sens : Chinese Rocks avec du banjo, pas de mélange plus explosif ! Il chante ensuite «Voice Of The Voiceless» à marche forcée. Il agit en rock star, il entre sans ménagement dans ses chansons, c’est ultra-orchestré et il devient héroïque. Il faut vraiment écouter Don Cavalli, car rien de ce qu’il fait ne laisse indifférent. Il revient au Cajun de kazoo avec «You And My Zundapp». Fantastique retour aux sources, il remonte dans la légende des siècles, c’est tout le génie de Don Cavalli, la capacité d’évocation. Il ramène du passé un son perdu. Avec «Birthday Suit», il passe en mode heavy country, mais vraiment heavy. Ce mec fait tout à l’envers, avec un bassmatic infernal qui démolit tout. Le voilà qui s’amuse à démolir la country. Un vrai gosse. Il chante avec une candeur désarmante. Quel coup de génie ! Rosemary Standely vient duetter avec lui sur «Say Little Girl». C’est assez demented, d’autant que Don lui déroule une sorte de tapis rouge, alors ça vire au duo des enfers. Rien d’aussi merveilleusement weird sur cette terre. Comme il aime bien ramer, Don boucle avec «Raw My Boat». Il y fait un peu n’import quoi, comme s’il voulait ruiner son album.

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    Pour se remonter le moral, on peut revenir un instant au Dig It Interview, car Don Cavalli évoque ses disques préférés. Il commence par recommander les Stanley Brothers, un duo de bluegrass américain, puis Bill Monroe et les Delmore Brothers que chouchoutent aussi les fans de country. Il saute du coq à l’âne avec Burning Spear, en expliquant que les racines du blues et du reggae sont identiques. Il cite ensuite les Staple Singers, O.V. Wright. On sent le bec fin. Il se prosterne aussi devant le premier single de Jerry Lee, «Crazy Arms», allant jusqu’à dire que c’est le meilleur et rend un bel hommage à Django Reinhardt. Il aimerait bien aussi parler de Bo Diddley et de Son House, mais comme il le dit si bien, ça ira pour l’instant !

    Signé : Cazengler, Don Casanis

    Don Cavalli & His Banjaras. Béthune Retro. Béthune (62). 24 août 2019

    Don Cavalli. Odd & Mystic. Tail Records 2001

    Don Cavalli. De Profundis. White Heat 2003

    Don Cavalli. Carmela. Lenox Records 2003

    Don Cavalli. Cryland. A Rag 2007

    Don Cavalli. Temperamental. Because Music 2012

    Interview Don Cavalli par Philippe Migrenne. Dig It # 67 - Mai 2016

     

    Donnie a la fritte

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    Donnie Fritts a longtemps écumé la frontière. Il porte des vêtements éculés par la routine des bivouacs et rapiécés à cause des trous de balles. Une cartouchière lui barre la poitrine et ses bottes n’ont plus des bottes que le nom. Assis sur un banc, il fume son cigarillo en scrutant l’horizon. C’est ainsi qu’on le découvre sur la pochette de Prone To Learn, un album Atlantic paru en 1974. Très bel album, aussi solide que son poney apache et son fusil Springfield à huit coups. Il ne perd pas son temps à palabrer et attaque aussi sec avec un rock d’Alabama intitulé «Three Hundred Pounds Of Hongry». C’est du pur jus de Southern rock finement cuivré. Que de son et que de beat ! Jimmy Johnson et Eddie Hinton font partie du gang, donc ca donne la fritte à Donnie. David Hood et Roger Hawkins sont aussi de la partie. Tous les amigos sont là, y compris Rita Coolidge, Billy Swann, Dan Penn, Jerry Wexler et Kris Kristofferson. Il règne ici une très chaude ambiance. S’ensuit un «Winner Take All» co-écrit avec Dan Penn. On sent sa patte, on sent cette magie finement teintée d’orgue. «You’re Gonna Love Yourself» sonne comme le balladif idéal, car très décontracté. Donnie Fritts joue la carte du soft Southern drawl, celui du petit matin en lisière du bois. Cette équipe de desperados a suffisamment de talent pour pouvoir capter les moments magiques de la journée. En B, Tony Joe White radine sa fraise sur «Sumpin’ Funky Going On». Nous voilà plongés dans la torpeur du swamp, Tony Joe joue lead sur ce boogie-funk vermoulu, bien spongieux sous les pas. Ils duettent à un certain moment, with a smile on my face. S’ensuit un heavy country-funk d’Eddie Hinton, «Jesse Cawley Sings The Blues», bardé de steel guitar et de piano, admirable brouet de bastringue de saloon alabamien. Le morceau titre est un cut de Kris, c’est-à-dire un folk-rock solidement enraciné dans le Muscle Shoals Sound. Ah comme ces mecs sont bons avec leur big sound. Et toute cette belle aventure se termine évidemment avec «Rainbow Road», le hit de Dan & Donnie, the absolute beginners.

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    Encore un coup de Jarnac avec cet Eveybody’s Got A Song paru en 1997 ! Dan Penn fait partie de l’aventure. Il chante avec son vieux poto Donnie «Hello Memphis» et on peut bien dire qu’ils chantent comme des cracs. Lee Roll Parnell passe un sacré solo de slide. Quel swagger ! Ils sont les rois du monde le temps d’une chanson. Donnie duette ensuite avec Tony Joe White sur «Shot End Of The Stick». Derrière, Dan gratte ses coups d’acou et Eddie Hinton se joint à la fête. On sent très vite qu’on entre dans un cercle magique. Waylon Jennings et Reggie Young viennent accompagner Donnie sur «A Damn Good Country Song». Waylon prend le lead. Quel duo de rêve ! Il faut se souvenir que Donnie et Eddie Hinton ont co-écrit «Breakfast In Bed». Lucinda Williams vient le chanter. Royal ! Elle est dessus, avec son swagger demented. Elle reste la meilleure sugar babe du Deep South. Elle swingue sa dégoulinure avec beaucoup d’allure. Lucinda est encore à cette époque une chanteuse de rêve. Mais avec le temps, elle perdra le sucre de sa voix. Encore du Donnie/Eddie avec «Ten Foot Pole» tapé au big heavy Soutnern Sound. Eddie chante avec Donnie, ils s’entendent comme larrons en foire. C’est inespéré. Ces blancs jouent le Southern spirit à la manière des blackos, et en prime, on a des solos de rêve. Donnie tape dans la nostalgie avec «We Had It All», il pense au temps béni des jours heureux. C’est l’un des slowahs les plus destructeurs de l’histoire du rock. On ne se remet jamais d’une histoire extraordinaire avec une femme. Jamais. Puissant Donnie Fritts. Il pousse bien le bouchon dans la rondelle des annales. S’ensuit un «Better Him Than Me» joué à la slide féroce et gratté aux accords de deep deepy. Donnie Fritts chante tout à l’inspiratoire patentée. Il termine avec le morceau titre et le vieux Kris Kristofferson vient duetter. Les vieux cowboys mélangent leurs voix comme dans Brokeback Mountain.

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    On se souviendra d’Oh My Godness pour sa profondeur. Donnie démarre son album avec «Errol Flynn», un joli groove de vieux crabe du marigot. Il nous plonge dans une ambiance de cabane branlante. Il chante son «It’s Really Gotta Be The Way» d’une voix de mineur cacochyme et c’est très impressionnant, au sens rootsy de la chose. David Hood allume «Memphis Women & Children» avec l’une de ces basslines dont il a le secret. Ça vibre sous le casque. Ces mecs sont des fous. Nous voilà au cœur du Memphis beat et Donnie chante comme un white niggah. Il revient au heavy groove de Southern guy avec «Tuscaloosa 1962». Les mecs qui accompagnent Donnie jouent comme des rois du bayou et Donnie chante avec une niaque incomparable. On sent chez lui le vieux cowboy bourré de talent. Il passe par des country-grooves et enfonce ses clous dans le Golgotha. Il faut le voir faire son Doctor John dans «Good As New» - I must confess I was a mess - Fantastiques clameurs ! C’est fouetté du beat, étonnante ambiance, aux confins du fantastique de la Nouvelle Orleans. Ce diable de Donnie explose l’art majeur de Doctor John à coups de clameurs de chœurs et de solos métalliques. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie. Il fait aussi une version surprenante de «Choo Choo Train». Il la groove et David Hood la dévore toute crue avec sa bassline. Version monstrueuse - But you see my baby/ Is waiting at the station - Il joue ça à l’admirabilité des choses - So give me a mittle more acceleration - Southern genius ! Il l’explose, eh oui. Il revient faire son Doctor John dans «Oh My Goodness», avec un appétit d’alligator. Il n’en finit plus de mâcher ses chansons.

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    Pour la petite histoire, sachez que Donnie est un vieil admirateur d’Arthur Alexander et qu’il veillait sur sa carrière au temps béni des années soixante-dix. Il vient juste d’enregistrer un hommage à Arthur qu’il appelle June : June (A Tribute To Arthur Alexander). C’est un album délicat et sensible, à l’image du «June» d’ouverture de bal. Donnie y raconte toute l’histoire de June, dans un bel esprit intimiste - He was my brother/ Oh what a blessing/ That good friendship/ Oh how I miss my good friend June - Avec «All The Time» (co-écrit avec Arthur), Donnie passe à la Beautiful Song. C’est d’une beauté fantastique, le doo-idley-doo bat tous les records de prestance sculpturale, c’est à la fois admirable et humain, un truc de beaux mecs, on sent venir une apothéose. C’est quasiment la même magie que celle de Dan Penn. Même veine. Tiens, quand on parle du loup : voilà «I’d Do It Over Again», co-écrit avec Dan Penn. Ça se sent dans l’immédiateté du coulis de chèvrefeuille. Les senteurs enivrent. Encore un hit co-écrit avec Arthur : «Thank God He Came». Cette fois, Donnie tape dans la ferveur du gospel batch. C’est à la fois puissant et bienvenu, complètement descendu du piédestal. On assiste en fin de cut à une belle explosion, les filles sont folles. Donnie finit l’album avec «Adios Amigo». On reste dans l’esprit des grands cuts de Deepers inspirés du gospel. On est chez ces blancs fascinés par le peuple noir et conscients de ce que les malheureux nègres ont pu endurer dans les états du Sud. Aw Lawd, comme les blancs ont été odieux avec tous ces pauvres nègres ! Donnie reprend bien sûr l’énorme hit d’Arthur, «You Better Move On» dont s’étaient repus les Stones. Donnie frise un peu le Tom Waits, mais heureusement, il ramène son petit deep southern drawl dans le fond du still you beg me to set her free. «Come Along With Me» vaut aussi pour un cut d’une fantastique ampleur catégorique, c’est du deep Southern Soul de la pire espèce, solid as hell. Et puis on croise aussi ce «Lonely Just Like Me» d’Arthur qui sonne un peu comme «You Better Move On». Toute la grâce alexanderienne est là : il tourneboule le mambo africain dans l’été de la pop américaine. Mine de rien, ce diable d’Arthur fit remonter tous les remugles du bonheur africain datant d’avant les blancs.

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    Comme il a failli mourir à cause d’un kidney malade, Donnie s’est fendu d’un One Foot In The Groove. Il joue sur les mots. Il fait du foot in the grave un foot in the groove et c’est tout à son honneur. D’ailleurs Tony Joe White l’accompagne sur le morceau titre. D’autres copains sont là : David Hood on bass et Spooner on keys. Et petite cerise sur la gâteau, Dan Penn produit l’album. Alors on y va les yeux fermés. C’est d’ailleurs Dan qui signe «She’s Got A Crush On Me», un balladif inspiratoire nappé d’orgue par Spooner. Il co-signe aussi «Chicken Drippings», mais on revient aux choses extrêmement sérieuses avec «Across The Pontchartrain» : Tony Joe White et Wayne Jackson radinent leurs fraises pour un coup d’épée dans l’eau du lac. Le vieux Wayne envoie ces coups de trompette dont il a le secret. Atmosphère pesante et Tony Joe claque ses notes magiques. Donnie nous refait le coup du white nigger dans «Don’t Beat Around The Bush». Ça sonne comme un vieux hit de Wilson Pickett, oui, on se croirait au temps de Muscle Shoals, tellement c’est bien foutu. Clayton Ivy vient jouer du B3 sur «Robin In The Rain». Donnie en impose encore, avec sa religion de la Soul fêlée. Clayton joue comme au temps béni de Percy Sledge. Quelle puissance ! Donnie nous propose plus loin un très beau balladif d’Americana avec «My Friend», c’est noyé d’orgue et signé Spooner. Mais c’est avec «Huevos Rancheros» que tout explose. Wayne Jackson y fait son mariachi. On entend Billy Swann dans le background. Quel fabuleux shake d’Americana de la frontière ! Avec Doug Sahm, ces mecs sont les plus habilités à jouer de l’Americana. No problemo hombre ! On se croirait dans le Pat Garrett de Sam Peckinpah, dans lequel Donnie a d’ailleurs tenu un petit rôle. Il finit cet excellent album avec un «Nothing Stays The Same» bien salé de cuivres. Toute la bande est là et encore une fois, on se croirait à Muscle Shoals. Donnie chante ça de main de maître.

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    Il a fini par casser sa vieille pipe en bois. Il faisait partie de la vieille garde de Muscle Shoals du temps de Rick Hall, l’époque des pionniers du son, pourrait-on dire. Un temps où dans ce modeste studio d’Alabama, des petits culs blancs lançaient les carrières d’Arthur Alexander, de Candi Staton et de Clarence Carter, pour n’en citer que trois. Dan Penn et lui composaient ensemble, puis à un moment donné, Donnie s’est tiré à Nashville, avant de devenir pendant quarante ans le keyboardist de Kris Kristofferson. Il ne reste plus grand monde aujourd’hui de cette vieille garde mythologique, seulement Dan Penn et Spooner Oldham, c’est-à-dire les chouchous des amateurs éclairés.

    Signé : Cazengler, fritte-saucisse

    Donnie Fritts. Disparu le 27 août 2019

    Donnie Fritts. Prone To Learn. Atlantic 1974

    Donnie Fritts. Eveybody’s Got A Song. Repertoire Records 1997

    Donnie Fritts. One Foot In The Groove. Leaning Man Records 2008

    Donnie Fritts. Oh My Godness. Single Lock Records 2015

    Donnie Fritts. June (A Tribute To Arthur Alexander). Single Lock Records 2018

    ROCKABILLY GENERATION NEWS N°9

    AVRIL-MAI-JUIN 2019

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    L'est sorti en retard, est arrivé à la maison en juillet alors que j'étais parti en vacances, ce qui explique que le N° 11 devrait survenir très vite en ce début de mois de septembre. Sa couverture flamboyante est déjà visible sur le FB Rockabilly Generation News.

    Génération pionniers : ce coup-ci c'est Ritchie Valens qui ouvre le bal, hélas funèbre. L'on peut se demander qui se souviendrait de Ritchie aujourd'hui s'il n'avait pas disparu dans l'avion qui emporta Buddy Holly et le Big Bopper. Interrogation insidieuse qui risque de me valoir quelques ennemis. Pour me dédouaner j'ajoute que lorsque je suis parti de la maison parentale, mon père en a profité pour faire main basse sur mon 33 Tours de Ritchie que j'ai retrouvé bien plus tard dans sa collection. M'avait aussi chouravé In The Ghetto d'Elvis, mais ceci est une autre histoire.

    Belle gueule de Johnny Fox sur la couve. Mais le meilleur c'est la longue interview opérée par Bryan Katz qui permet à Johnny Fox de retracer cinquante années de carrière au service du rock'n'roll. Le pire c'est que l'on ne voit pas défiler les pages et nous sommes à la moitié du numéro lorsqu'elle se termine. Pas de regret, Johnny Fox épanche ses souvenirs de vieux renard qui a écumé les meilleurs poulaillers de Grande Bretagne ( et d'ailleurs ). Fut avec Cavan un des piliers du revival Ted des années soixante et soixante-dix. Sa formation, the Riot Rockers est légendaire. Mais ce n'est pas fini, nous les retrouvons, de nouveau réunis au St Gordon Festival de novembre 1918. Remarquez la date, il faudra qu'un jour RGN double ses pages pour suivre au plus près l'actualité du rockab par chez nous.

    Deuxième partie de l'article du numéro 8 de la séquence New Generation, suite de l'interview du jeune Alexandre Lucet qui a apporté le sang neuf de sa jeunesse aux Vinyls, comme quoi le premier rock français des années 60 suscite encore des frissons.

    Thoury reste un rendez-vous incontournable du mouvement Ted français, Rought Boys en ouverture, les Southerners restent fidèles à leur grandeur, Graham Fenton met le feu avec sa Matchbox originale, les Teencats clôturent la fête mais Stig Rune Reiten gravement malade n'est pas au mieux de sa forme.

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    Fabrice Birin n'est pas chanteur mais pyrograveur. Grave sur bois les portraits des idoles rock. A lire et à admirer. Les dernières nouveautés disques et déjà la fin du groupe de Miss Victoria Crown. Nous rajoutons l'annonce du split des Wise Guyz qui firent la couve d'un des premiers numéros de Rockabilly Generation. Cette neuvième mouture - très agréable à lire – se termine par un lot de photos de Sergio Katz. Avec un peu de chance nous chroniquerons le N° 10, dans notre 429° livraison.

    Damie Chad.

     

    Editée par l'Association Rockabilly Generation News ( 1A Avenue du Canal / 91 700 Sainte Geneviève des Bois), 4, 50 Euros + 3,52 de frais de port soit 8, 02 E pour 1 numéro. Abonnement 4 numéros : 32, 40 Euros ( Port Compris ), chèque bancaire à l'ordre de Rockabilly Genaration News, à Rockabilly Generation / 1A Avenue du Canal / 91700 Sainte Geneviève-des-Bois / ou paiement Paypal ( cochez : Envoyer de l'argent à des proches ) maryse.lecoutre@gmail.com. FB : Rockabilly Generation News. Excusez toutes ces données administratives mais the money ( that's what I want ) étant le nerf de la guerre et de la survie de toutes les revues... Et puis la collectionnite et l'archivage étant les moindres défauts des rockers, ne faites pas l'impasse sur ce numéro. Ni sur les précédents.

    30 / 08 / 2019 - TROYES

    3B

    BENNY & THE FLYBYNITERS

    HANK'S JALOPY DEMONS

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    Dernière ligne droite avant le 3B, le moteur de la teuf-teuf rugit, mais quels sont ces zigotos qui débarquent d'une camionnette et entreprennent de barrer la route à l'aide de grosses briques plastifiées, serait-ce un concert surprise du Pink Floyd ? caramba ! j'improvise un 90 degrés sur la droite, coupe direct la file de tacots qui foncent sur moi et atterris sur le parking salvateur, me reste plus qu'à rejoindre le 3B à pieds. Caramba bis ! Y mettent du leur, j'ai affaire à de méchants obstinés, sont maintenant une cinquantaine à bloquer le rond-point, plus des gros engins de chantier et des camions mastodontes qui squattent tous les embranchements. Refont la chaussée, l'accès au 3B est coupé de toutes parts jusqu'à six heures du matin !

    Z'en tout cas le monde afflue au 3 B, à pattes ou en empruntant les sens interdits, en marche arrière pour les plus vicieux, la vaste terrasse se remplit d'habitués, motos, belles américaines et même un superbe hot-rod envahissent les trottoirs, la soirée sera chaude, deux groupes venus d'Australie, et pastèque sur le clafoutis, Béatrice la patronne annonce que ce soir, c'est le centième concert du 3 B !

    BENNY AND THE FLYBYNITERS

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    L'est imposant Benny, d'autant plus qu'à ses côtés ses acolytes n'arborent pas non plus des silhouettes fils de fer, pour le moment il se contente de parler en cet idiome anglais que tout le monde adore mais que personne ne comprend, finit par déclarer que les Flybyniters sont un groupe de Rhythm'n'blues. Hop ils enchaînent sec sur un instrumental, true fine swing avec des senteurs jazzy assez fortes, le truc par excellence qui ne supporte pas le moindre faux pas, ou ça balance, ou ça casse, mais les Niters vous prennent en douceur et en souplesse, vous entraînent dans la danse en moins de deux, une double-bass élastique, un drumin' aussi léger qu'une aile d'oiseau, une Fender qui court sur son aile et un saxophone en pluie d'automne. Faut vous y faire. Tell Me Pretty Baby, l'on change de tempo, l'on est en plein bluesshouter, Benny Peters lâche les grandes orgues de ses vocalises, le sax de Dean Hilson mord à pleines dents dans la plus grande part du gâteau qu'il s'adjuge sans complexe. La section rythmique change d'allure comme une escadre qui se prépare au combat. Difficile d'apercevoir Andrew Linsey, mais il produit une frappe flegmatique qui va se jouer fort allègrement de toutes les nuances stylistiques du combo, colle la voile du beat au plus près des sautes des vents tournants. Tel Vox snappe en osmose, batifole sur la crête des vagues, dum-dum-dum, il entre ses doigts dans les cordes avec la même placidité avec laquelle vous enfoncez votre couteau dans la tablette de beurre au petit déjeuner, et ma foi jamais vous ne goûterez de tels toast si finement briochés. Ejecte les notes bien chaudes – mais d'une précision absolue – comme ces grille-pains qui satellisent les tartines hors de leurs fournaises brûlantes.

    Benny and the Flybyniters c'est du rockab au temps où le rockab n'existait pas. Campent dans cet espace d'après-guerre où le blues est sorti du Delta et s'en est parti partouser avec les grandes formations, une esthétique de pirate, le couteau entre les dents, faire davantage de bruit avec moins de musiciens. Moins d'étalements riffiques démonstratifs, plus de nerfs et d'entrain. L'on ne s'écoute plus jouer, l'on joue. Point à la ligne. Efficacité avant tout. L'on s'arrête juste avant Bill Haley, l'on ne jumpe point à pieds joints dans le rock sauvage, mais l'on s'y approche de si près que l'on ressent la même intensité. Y en a un qui question aspiration n'est pas à la fête – qui normalement ne devrait pas l'être - mais il se charge du boulot sans rechigner une seconde. Dean Hilson hisse l'art du sax dans le registre de la facilité, vous donne l'impression de fournir autant d'efforts que s'il était assis à une table de bridge, ne relâche jamais son souffle ni son attention, si parfois un peu, le temps que Benny fasse monter la mayonnaise d'un court solo sur sa guitare moutarde, sinon l'est de ces chevaux qui font la course en tête du début à la fin, et qui franchisent la ligne d'arrivée aussi frais et alertes que s'ils venaient d'avaler leur picotin.

    Ce n'est un secret pour personne, qui dit rythm'n'blues, dit blues. Blues is a Feeling, certes mais chez nos Niters ce n'est jamais une tragédie, n'ont pas le blues suicidaire, l'ont même étonnamment roboratif, un blues pêchu et juteux comme pas deux, vous le construisent en béton armé avec renforts et arc-boutants, certes il y a toujours, pour qui prête l'oreille, cette démarche de guingois si caractéristique de canard malade, mais inutile de sortir vos mouchoirs pour éponger des larmes de sang, le volatile fonce droit devant, ne perd pas son temps à se lamenter, l'a volé quelques étincelles aux fournaises du diable et cela vous réchauffe et vous énergise le palpitant de bien belle manière. Après un R. M. Blues ils termineront par un Two Dollars Woman qui bastringue dur, l'on a déjà un pied dans le rockab le plus pur, mais le set s'arrête. Hélas.

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    Benny et ses Flybyniters, ont remporté la mise. De sacrés cambrioleurs, qui entrent par effraction et qui vous squattent la maison avec tant d'élégance que quand ils mettent les bouts vous notez leur numéro de portable pur leur demander de revenir au plus vite. Méfiez-vous d'eux, des carrures de boxeurs et dès qu'ils commencent à turbiner, vous entraînent dans un tourbillon ascendant de grâce et de légèreté mais d'une précision rythmique meurtrière. Nuits festives embrumées d'alcool et d'étreintes sauvages. Au petit matin vous vous dites que la vie mérite d'être vécue.

    HANK'S JALOPY DEMONS

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    Tiens on prend les mêmes et l'on recommence. Normal quand on a une section rythmique de cet acabit on la garde. Donc Tel Vox, sa barbichette, ses anneaux aux oreilles et ce sourire épanoui de Père Noël, sûr de son coup à l'avance, vous allez adorer le chien de sa chienne qu'il vous réserve dans sa hotte. Vous avez demandé un ouah-ouah en peluche, ce sera un véritable houndog frétillant qui va transformer votre appartement en champs de ruines, intenable mais si attachant. Me faudra me démonter le cou pour apercevoir Andrew le drummer.

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    L'est comme ces employés horripilants qui ont toujours réponse à tout, traitent votre cas avec une facilité déconcertante quasi humiliante, sont en train de remplir la grille de mots croisés sur leur journal, et ils vous fournissent toutes les bonnes réponses que vous attendiez, vous règlent votre cas avec une parfaite célérité mais vous sentez bien qu'ils sont d'une essence supérieure à la vôtre, que toutes vos difficultés ne sont que broutilles sans importance qu'ils remettent à plat en trois coups de baguettes magiques.

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    Deux nouveaux toutefois. Pas vraiment car nous les avons déjà vus au 3B au mois de mai 2018, voir in livraison 375. Un petit rouquin. Dave Cantrell à la guitare. Un véritable traître. L'a une spécialité confondante. Se sert de ses cordes hautes pour vous sortir trois grosses notes tonitruantes qui vous embouchent les esgourdes, z'et puis il descend sur les aigües, et alors que vous vous attendez à une aigre et maigre sonorité toute gringalette, erreur lamentable de votre intuition logique, il vous ressort trois bastos aussi grasses que le trio de cachalots précédents. Je ne sais pas comment il fait cela. Mais il le fait. De temps en temps, en passant, sans forfanterie, comme si c'était tout à fait normal.

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    Au micro Hank Ferguson, pas celui qui ne reconnaît personne, celui que vous identifiez immédiatement avec sa casquette aplatie, son jean de travail, sa chemise à carreaux, et son look de prolétaire descendu des collines qui essaie de s'adapter à la grande ville mais qui, le visage voilé d'une expression de mélancolie indécrottable, n'en reste pas moins fidèle à son vieil hillbilly natal.

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    Guitare sèche entre les mains de Hank, l'on sent que les Démons du bush se placent aussi en un temps où l'on n'avait pas encore inventé le rockabilly mais que l'on en débroussaillait les terrains d'expérimentation. Un jeu d'une justesse absolue. Certes Dave est un virtuose de la guitare électrique, n'en perd pas une pour refiler ses licks dévastateurs, mais comme il le fera remarquer en déclenchant une hilarité générale, l'on n'est pas chez AC / DC. Des affûtés, toujours sur la brèche, vous émondent les feuillages par trop luxuriants, pas une once de graisse de trop. Pas des sculpteurs, des ciseleurs. Jamais trop, jamais pas assez. Le juste milieu de la stricte observance des codes intangibles. Attention les ruralités sont aussi sauvages que les quartiers déshérités. La musique de Hank's Jalopy Demons comporte son lot de surprises et de dangers. Faut être sur le qui-vive, un pas de trop et vous marchez sur la queue du lézard venimeux. Et les Jalopy's vous salopègent les belles campagnes écologiques d'une multitude de ces bébêtes peu affriolantes. Tous les morceaux offrent leurs chausse-trappes, n'y promenez vos chaussons du soir qu'avec prudence, sont emplis de taillis d'épines et de cactus cruels. Faut une habileté diabolique pour tailler sa route dans de tels parages. Jusqu'au Linsay qui doit de de temps en temps s'énerver grave et frapper ses cymbales comme les fesses d'un enfant récalcitrant, aussitôt secondé par Hilson qui vous fouette le visage de ses cordes houspillantes, Hank alors affirme la cognée de sa voix et Dave en profite honteusement pour faire bruisser ses riffs bien effrontément. Les Démons savent être déments. Z'apportent le démenti très vite. Un peu d'agilité, un soupçon de retenue, et l'on revient à des séquences moins agitées. Attention, l'on file la syncope aussi vite, mais l'on mise davantage sur le charme d'un certain équilibre zénithal que sur les tempêtes hivernales. Hank vous refile une leçon de vocal hillbilly, c'est facile, suffit de savoir s'arrêter à temps. Au millimètre près. L'essence même du pur rockab, contrairement à ce que l'on pourrait accroire ce sont les silences qui sont le plus importants, ces coupures, qu'elles soient brusques ou pratiquement inaudibles, commandent les compressions explosives du chant, à tout instant les agglutinations de phonèmes se nitroglycérisent mais l'on vous coupe au montage les séquences des répliques incessantes, pas de longs métrages sur les effets attendus, la dévastation pure mais sans les apitoiements de rigueur sur les effets dévastateurs. Toute cette tuerie vous la trouvez dans les silences, ces trous d'air irrespirables qui vous homicident bien plus fort que le choc du chant lancé à trois cents à l'heure. Lorsque les Jalopies stoppent leur stomp l'heure légale est dépassée depuis longtemps mais Béatrice la patronne ne peut résister à un dernier morceau. Et nous non plus.

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    ( Dave, Duduche, Hank )

    Damie Chad.

    ( Photos : FB : Béatrice Berlot et Eric Duchene)

    *

    Je l’avoue, à ma plus grande honte, la seule fois de mon existence où mon légendaire flair de rocker n’a pas fonctionné. J’ai des circonstances atténuantes, c’était du jazz, mais enfin. Rien ne prédisposait mon esprit à m’orienter sur cette voie. Le spectacle n’avait rien à voir, une lecture du Prélude de Pan de Jean Giono, il y avait bien un violoncelle mais en m’approchant j’avais entendu des gammes tout ce qu’il y a de plus respectueusement classique sur cette terre. Sur la petite table à l’entrée étaient déposés les flyers de l’association organisatrice de l’événement, date et lieux d’autres prestations, tout ce qu’il y a de plus normal sur notre planète. J’ai un peu tiqué sur le format à vue de nez pochette 45 Tours des anciens EP français. Des trucs noirs, barbouillés de couleurs, qui pesaient un max comparés à leurs épaisseurs. Diable que cela pouvait-t-il être ? Des dessous de plats en une matière nouvelle en même temps souple et rigide ? Pas eu le temps de commander une expertise aux services de la répression des fraudes, la séance commençait.

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    Un beau moment, une superbe lecture in extenso d’une nouvelle extraite de Solitude de la Pitié de Giono, un texte fort qui ravira les contempteurs de la souffrance animale et les amateurs des anciens Dieux qui attendent avec impatience leur retour. Mais ce n’est pas pour demain. Gaël Mevel à la voix et au violoncelle. Beaucoup, douce et chargée d’émotion cataclysmique, à la première, peu au second, des effleurements succincts, des tamponnades catiminesques, pas d’emphase, des indices qu’il faut savoir lire. Bref un moment enchanteur. A la fin me suis rapproché de la table à flyers, le texte de Prélude de Pan ( collection Folio à 2 euros ) et ces mystérieuses plaquettes noirâtres peinturlurées de différentes teintes. Mais qu’est-ce donc ? Voyant que je m’emberlificote avec ces étranges objets, Gaël Mevel me relève l’usage et le mode d’emploi de ces objets non identifiés : de simples Cds’ entre deux lames de plastique aimantées, faut les séparer ( avec force ) et à l’intérieur la précieuse galette est agrémentée d’un dépliant papier en accordéon. L’on apprend aussi que le dimanche prochain il accompagnera au violoncelle le film muet L’Heure Suprême de Frank Borzage, un chef-d’œuvre de 1937, dans le parc de la mairie de Lavelanet. Et voici que Gaël Mevel nous dévoile l’autre face de ses activités, l’est musicien de jazz, possède un groupe, et a enregistré quelques disques, je choisis la pochette à dominante verdâtre, l’est au piano accompagné d’un saxophoniste américain, doctor Freud, pourquoi suis-je attiré par la forme exutoirement phallique de cet instrument de haute rutilance, z’en tout cas ne reste plus qu’à écouter.

    GAËL MEVEL / MICHAËL ATTIAS

    ( Rives / N° 3 / 2013 )

    Gaël Mevel : piano / Michaël Attias : saxophone Alto.

    Enregistré à La Maison en Bois ( Essonne ). Pochettes peintes à la main par Dominique Masse.

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    Le dépliant de présentation porte en exergue deux vers de Paul Valéry extrait de Les Pas un des poèmes de Charmes qui ont provoqué en son temps le plus de commentaires. Une indication précieuse, un disque qui cherche davantage à exprimer le vide qu’à se perdre dans d’oiseux bavardages. Musiciens du silence dirait Mallarmé.

    Almaty : frémissement de piano, des notes cristallines destinées à créer l’espace de recueillement nécessairement à leur réception et là-dessus se glisse aussi agreste que la flûte de Marsyas la respiration du saxophone de Michaël Attias. Ne jouent pas ensemble, s’accommodent, se trouvent sans se chercher, mais chacun dans une terrible solitude jusqu’à cet irrémédiable empiètement de vide, comme si au bout d’eux-mêmes ils n’avaient trouvé que le rien de l’inanité de vivre, et ils repartent d’un commun accord serions-nous tentés d’écrire mais la plénitude d’une phrase musicale n’est pas encore au rendez-vous, n’en sont qu’ à des essais de phrasés qui cherchent à être. C’est le sax qui s’aventure le plus loin avec des glissements furtifs de serpent fugitif. Parfois vous éprouvez la bizarre sensation de votre âme qui rampe dans le cerveau. Les ailes du renard : les sables du désert et la chimère de l’esprit qui court plus vite que le rêve. Encore plus de lenteur, mais le saxophone rouillé s’entête à dérouler la volupté des anneaux du reptile. Le piano de Gaël Mevel résonne dans une nouvelle proximité de lointains immarcescibles qui affleurent sous le sable tels des vestiges prestigieux. Le saxophone s’envole. Le fennec s’enfuit. Le cinquième rêve de Nathanaël : un sax ouaté et un piano à la Debussy dans des notes qui se perdent dans leur propre présence, le sax qui grince maintenant comme la clef des songes que vous introduisez dans la serrure des rêves. Des pierres sous une feuille : sous les feuilles arachnéennes se niche la solidité des galets lithiques. Le vent du saxophone les caresse mais la lourdeur du piano exprime la solidité de la présence du monde qui possède un cœur de pierre. Et le piano tape sur ce granit incontournable comme un gong qui égrène l’inéluctabilité du destin. Oh ! : joie jazzistique, l’on quitte la musique de la concrétude du silence pour la complexité des accords compliqués du jazz. L’on a beau faire, l’on n’oublie pas ses origines et il faut bien donner au public l’illusion qu’il est en pays conquis. Le sax frétille à la manière d’une truite mais bientôt le poisson se retire dans des eaux souterraines inconnues. Sombres et mystérieuses. Nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge de l’évanescence. Couacs saxophoniques, ridelettes de piano. La princesse juive : retour dans le domaine du rêve, le faune de l’après-midi se réveille, il ose quelques pas hors des feuillages propitiatoires, le saxophone étire des désirs de soleil dans cet entre-deux de la réalité ici tout n’est qu’entrechoquement discret de luxe, de calme, et de voluptés idéelles. Le vent sous les pierres : retour au monde sédimental, grattez la pierre, usez-la d’opiniâtreté et au bout du caillou vous retrouverez le vent du rêve qui vous permet d’accéder aux délices sans trêve. Le saxophone se dresse comme le serpent sous la flûte insistante du joueur de pipeau. Vous ne savez plus dans quel royaume vous vous trouvez. Fenix : la réponse est apportée par le renard des sables qui étrangement est en même temps la flamme vive et inextinguible du phénix qui ne meurt jamais. Parfois la lumière s’éteint et le morceau s’insinue entre le plein du monde et le vide de nos perceptions, piano suave et saxophone aussi doux que le renard apprivoisé qui se plie sous l’échine que vous caressez. Instant de grâce et de plénitude, combien de longueurs de chemin parcourues depuis le début du disque. Fusion inespérée, mais voici que le saxophone se met à klaxonner comme le gyrophare de la voiture de police du réel, le piano essaie de réparer l’accroc dans la toile du songe. Les pas retenus : l’heure du choix, l’escargot se retire dans le vide de sa coquille, se mure en lui-même, entre dans sa propre hibernation, refuse désormais les aspérités du réel, le sax se met en boule à la manière des chats qui se retranchent du monde dans l’infinie vigilance de leur sommeil. Doucement le piano ferme la parenthèse.

    Splendide, fortement déconseillé aux âmes peu subtiles.

    Damie Chad.

    BURRET ( 09 ) - 01 / 08 / 2019

    TOM WOODS / SO LUNE

    EDREDON SENSIBLE

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    Vous ne connaissez pas Burret. J’ai parfois l’impression d’écrire pour les ignorants. Je vous l’accorde, même la plupart des ariégeois sont incapables de situer ce lieu improbable sur une carte. Une seule maison dans un virage en épingle à cheveux avec un mec qui vend du miel, pas de panique si vous ne le voyez pas, il n’est jamais dans son stand. Dans le tournant ne vous déportez pas sur la gauche, c’est le ravin. Si vous avez négligé ce conseil précieux, pas d’affolement sur l’escarpement rocheux, sis sur votre droite, vous avez tout ce dont vous aurez besoin, une église et un cimetière.

    Depuis trois ans, tous les premiers du mois d’Auguste, c’est l’invasion. Venus d’on ne sait où, sortis de leurs forêts profondes, une tribu de néo-ruraux se regroupe pour le grand pow-wow d’été. Une horde jeune et joyeuse se livre à ses activités préférées, grand bouffe bio, danses tribales, des chiens qui courent partout sans se battre et des bambins qui s’amusent toute la soirée à se jeter du sable dans les yeux. Bien élevés, pas un seul qui pleure ou qui se réfugie dans les jupes de sa maman. Pour les intellos vous avez un stand lecture, poésie érotique sur les étagères du haut, fanzines avec même des articles de notre Loser Zengler vénéré et préféré, rien à dire, ces jeunes gens ont de saines lectures. Pour ceux qui se sentent une âme d’ethnologue, ce grand rassemblement affiche un projet de haute moralité : récolte de fonds pour l’ouverture d’un café associatif dans le village voisin

    TOM WOODS

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    La tâche ingrate, le mec tout seul avec son micro et sa guitare, l’assistance le nez plongé dans son assiette à avaler de succulentes potées végantiques et de délicieux falafels, ou à se barbouiller les joues avec la succulente confiture de framboise des crêpes - au mitant de la soirée z’en avaient déjà fourgué plus de sept cents et le préposé à la crêpière n’en finissait pas de marmitonner la pâte. Attention, la liste des producteurs locaux est affichée.

    En plus le gars il a le blues. Tout le monde fait la fête, mais lui il a le blues, et pas n’importe quel blues, le blues-folk. Un truc à vous saper le moral d’entrée. Personne ne lui en veut. Reçoit même des encouragements à haute voix qui ressemblent à des déclarations d’amour. C’est cela le miracle du blues, ça vous rentre dans une oreille et vous vous y empêtrez dedans comme la mouche dans la toile d’araignée. Le blues est une tarentule poisseuse mais fascinante. Une fois que vous êtes mordu, vous ne pouvez plus vous en détacher et comme le boy est un adepte du pickin’ vous succombez vite à son charme vénéneux. Quatrième fois qu’il joue en solitaire nous confie-t-il, alors il nous refile tous ses plans, nous offre ses propres compos, la dernière improvisée la veille est la meilleure, joue un peu trop longtemps à mon avis, l’aurait pu écourter, si l’alligator du blues vous coupe la jambe, exigez une coupure franche, s’il prend trop son temps et commence à mâchonner gentiment la gambette pour ne pas vous faire du mal c’est moins agréable. S’en tire bien le guy, se retire sous une salve d’applaudissements.

    FARA NAZWA

    Changement d’ambiance, une colonie de fourmis selmerienne s’empare de la scène. Un accordéoniste aux beaux yeux bleus étrangement fixes assis au centre entouré de deux cuivristes, d’une basse, d’un guitariste, d’un batteur à la batterie minimaliste, et sur notre droite une violoniste au crin-crin entraînant. Musique des balkans qui s’en fout le camp, vers l’est, du côté de la Roumanie et des routes tziganes. C’est le rush devant la scène, ça n’en finit pas de danser, pressés comme des harengs en caque, et de se dandiner, Font un tabac. Une manufacture à eux tout seul, Z’y mettent le cœur et l’allant nécessaire, les cuivres rutilent, le piano du pauvre étale toutes ses richesses, et la grande sorcière chevauche son archet diaboliquement. Perso, cela me laisse assez froid, mais je dois être le seul, j’aime bien me la jouer en mon âme de rocker incompris à la Thomas Hardy, loin de la foule déchaînée. Qu’importe ce soir le folk festif fait des adeptes, j’en conviens.

    SO LUNE

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    Quelques gouttes éparses de pluie pendant l’installation de So Lune, quelques rougeoiements lointains d’éclairs et des tambourinades de tonnerre étouffées, une menace qui ne se précisera pas davantage. Ouf ! So Lune s’installe, sur le dessus du vieil harmonium délabré que l’on a dû retirer de l’église règne en maître le must du modernisme électronique, une collection de sampler-machines dont les boutons brillent dans le noir, et contrepoint idéalement et musicalement oxymorique, un magnifique violoncelle trône sur son chevalet exposé comme un tableau de maître.

    Sont tous les deux sur le côté de l’estrade en train de se livrer à une espèce d’haka rituel d’obédience superstitieuse. Mais quand faut y aller il n’est plus temps de reculer. Courageux le garçon donne l’exemple, passe en premier, se dirige tout droit vers ses échantillonneurs, l’on sent le bricoleur fou du dimanche et le trafiqueur émérite de la semaine sainte, sa sœur le suit, tout de suite l’on pressent, à sa chevelure bouclée étrangement disposée de guingois en crinière de lion romantique, et à la découpe savante de sa robe, l’artiste de la famille, l’infante géniale, qui n’en fait depuis ses trois ans et demi qu’à sa tête emplie de volitions et de dormitions pour le moins pittoresques. Sont applaudis poliment parce qu’ils sont beaux et jeunes. Romane lève son archet et Joseph se penche sur ces boites magiques. Vous tourne les potentiomètres à fond, le violoncelle gémit et râle funèbrement, tel un mourant désespéré de ne pouvoir communiquer ses dernières volontés. Entre nous soit dit, l’on est plus près de Moussorgski que d’Eddie Cochran, et subitement Romane se met à chanter. Une ampleur démesurée, une double sirène, celle tonitruante du bateau qui annonce son entrée dans le port, et la meilleure des trois d’Ulysse, pour lesquelles il se fit attacher au mât afin de pouvoir entendre sans péril les mélodieuses mélopées. La muse vous méduse l’assistance en moins de trente secondes, vous subjugue la foule en moins de deux, l’a l’organe baryton qui tonne sans fin. En cinq minutes ils ont gagné la partie, on leur mangerait dans la main. Alors ils vont s’amuser, vous voulez de la zique, z’on va vous z’en donner de toutes les couleurs. La Romane elle est capable de tout, elle vous râpe du rap et vous restez tout cloche devant ce beau fromage qu’elle laisse tomber de son bec, passe des intonations en arrière-fond de tessiture à la Shirley Bassey pour plonger dans des roucoulades à la Barbara Hendricks et l’instant d’après se rouler dans les arpèges les plus chaudement sensuels des divas de la soul. Idem pour le frérot, à un moment vous a sorti une partition malherienne, juste avant de se jeter dans du noise-funk à délices, même qu’une fois il se mésaventure au micro, mais là faut être réaliste, son rôle à lui c’est le cambouis électronique, l’est le grand manitou des circuits intégrés pour musac désintégrée. Mais ce que l’on préfère ce sont ces grandes envolées lyriques au violoncelle qui gronde comme l’Etna en feu, et cette voix sortie tout droit des Mémoires d’Outre-tombe, des espèces de mini-opéras wagnériens, une extravagance vocale des grands vents du souffle épique qui servit de bande-son aux tohus-bohus révolutionnaires du dix-neuvième siècle, tout cela servi dans la marmite du diable de la technologie du troisième millénaire.

    Un set de toute beauté. So Lune - duo surprenant, décalé, original, époustouflant - ne fait pas de quartier.

    EDREDON SENSIBLE

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    Avec un nom pareil vous vous attendez à tout. Pour la sieste voluptueuse sur lit de plumes d’oie vous repasserez. Ces quatre malfrats usent incongrument de cet ustensile. Commencent par fracturer votre porte à grands coups de pieds, vous surprennent dans votre sommeil et se servent de votre édredon douillet pour vous asphyxier et vous envoyer de cet autre côté dont on ne revient pas. Des sauvages. Bref vous êtes sûrs qu’avec eux le pire est à prévoir.

    Le batteur se sert de sa grosse caisse comme caisse claire. Tout de suite la situation s’assombrit. Doivent faire un concours à qui des deux l’aura la plus grosse car son voisin s’est choisi une énorme timbale, une monstrueuse tabala, sur laquelle l’on sonnait l’alerte dans les villages africains pour réveiller la tribu endormie attaquée en pleine nuit. Devant ils ont disposé les saxophones, un ténor un peu ridicule quand on le compare à la basse   démesurée qui lui fait face.

    Nous ont un peu déçus à partir de la vingt-sixième minute, montre en main. Parce que lorsqu’ils ont débuté l’on a cru qu’ils s’étaient installés pour battre le record du monde du morceau le plus long. Le principe de base le plus simple, la goutte d’eau qui vous rend fou - rien à voir avec le colibri, eux c’est plutôt l’autruche aux pieds plats. Un lourd volatile disgracieux mais génialement entêté. Les deux batteurs ont commencé à marteler un rythme simpliste et à le répéter indéfiniment. Les spectateurs ont adoré, parfait pour endurer la froidure de l’altitude montagnarde et remuer le popotin tous en groupe, et puis il y avait le saxophone basse qui refusait de se laisser distancer dans le marathon. Vu la grandeur de la tuyauterie, le gars devait lui balancer le volume d’air que vous respirez en trois jours toutes les six secondes. S’est installé dans un groove de funk poussif et en voiture Simone, voyage jusqu’au bout de la nuit tressautant. Cahots debout.

    Faut toujours se méfier des plus petits ce sont les plus vicieux. Pendant un moment l’alto a fait autant de bruit qu’une limace paresseuse sur une feuille de salade. On l’a oublié, jusqu’à ce qu’éclate un hennissement de cheval colérique, on a cherché des yeux si un véritable canasson des alentours n’aurait pas quitté sa pâture, mais non c’était bien le petit saxo qui s’était engrangé dans une espèce de dégringolade de rire hystérique, une strombole d’accélérateur lysurgique car derrière, les bateleurs qui tamponnaient allegro-vas-y-mollo se sont mis à ruer des quatre mailloches dans les brancards rythmiques et la fanfare s’est emballée, à qui ira le plus vite et à qui fera mieux que l’autre, sont partis dans une cavalcade tonitruante sans issue, le premier batteur s’est ulcéré dans un solo apocalyptique pendant que les autres harassés se désaltéraient pour mieux revenir à la charge. Encore plus vite, encore plus fort. Mais trop d’effort n‘engendre pas obligatoirement le réconfort. A la fatidique vingt-sixième minute, le quartet s’est arrêté, ses quatre membres crevés comme les pneus d’une guimbarde abandonnée sur le bord de la route qui ne mène nulle part. Sont repartis par la suite, un rythme guilleret mais au bout de dix minutes, je suis rentré à la maison, la magie n’agissait plus, peut-être ont-ils fait un second essai pour transpercer le mur du son, mais non je n’y croyais plus. J’ai laissé lâchement les héros vaincus se dépatouiller avec le dernier carré des danseurs en transe voodooïque, ont-ils sacrifié un coq au soleil levant où sont-ils morts fièrement à la manière de la chèvre de M. Seguin, sous les dents cruelles du froid des petits matins sans gloire, je ne saurais le dire.

    Damie Chad.

    P. S. : il y avait aussi Alchimix, un groupe qui n'a pas démérité, mais ne tentez pas de savoir où j'étais pendant leur prestation.

     

    CHILD SPIRIT / SO LUNE

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    Romane et Joseph Beaugrand : composition, arrangement, interprétation, mixage.

    Basse additionnelle : Galael Dunbaar / Visuel : Virginie Lacouault / Graphisme : Salomé Dollat, Juliette.

    Pochette Arty qui veut davantage suggérer que représenter. Un fond blanc à la Moby Dick, des espèces noires de tiges de fleurs de chardons stylisées, quelques nuances de gris bleutés, quelques points jaunes pratiquement invisibles, pour le portrait des artistes, un flou de crayonné du profil filigrané des deux artistes à l’intérieur du gatefold.

    Inspire Me : voix de petite fille perverse sur un tissu de dons d’organes. Elle n’a qu’à ouvrir la bouche pour que vous la suiviez les yeux fermés dans le jardin des délices. Les roses ont des épines empoisonnées mais elle passe entre leurs tiges en se jouant, une rythmique toute simple juste pour mettre en évidence la lascivité étirée de la voix, le tout entrecoupé d’épaisseurs nostalgiques de violoncelle qui résonnent comme des innocences de périodes ingénues à jamais perdues. Cold Woman : vous avez eu la petite fille voici la mystérieuse égérie frigide à la voix de glace. Se la joue à la Dietrich, mais très vite elle dévoile sa lointaine cruauté et donne des ordres d’une voix coupante comme des poignards, et la colère simulée l’emporte, elle vous met en garde contre vous-même, vous ne savez pas ce qu’elle cache, des éclats de moire de violoncelle renforcent la naïve violence de sa fausse candeur. Child Spirit : l’instant peut-être de se pencher sur l’accompagnement électro qui depuis le début fait des claquettes sur toutes les inflexions de la voix mutines à s'y confondre avec elle. Plus ce violoncelle qui pleure des larmes de topaze. L’on ne sait trop pourquoi mais l’instant crucial du vivre selon soi est aussi fragile que le souffle d’un enfant qui babille dans lequel s’incarne l’âme éperdue des désirs assassins. Un jour on ne joue plus. Un joyau, un pur chef d’œuvre. Le Bal : c’est la vie qui tourbillonne, mais dans l’œil de l’ouragan, voici la féminine solitude, parfois l’on n’est plus qu’un amas de décombres et de souvenirs, Joseph vient au secours de sa sœurette mais rien ne saurait briser la solitarité de l’iceberg glacé que l’on est devenu et que l’on transporte avec soi, si ce n’est un aboiement de chien qui peut être aussi bien le toutou au portail de l’enfance que le Cerbère qui vous attend à la porte des Enfers. Longue suite musicale mélodramatique pour vous accompagner dans l’escalier qui descend, la guide passe devant et arbore un timbre adamantin de vil coquin. Impermanence : une petite voix doucereuse pour nous assurer de la catastrophe de l’immuable écoulement des choses, rien ne dure, l’impureté du néant ronge la pureté de l’existence, ce n’est pas un drame, une comptine à chantonner d’une voix claire même si les gouttes de violoncelle démentent toute cette insouciance. Les bijoux qui brillent le plus sont ceux qui ressemblent le plus au toc des pacotilles. Tragic Secret : cliquetis et lourdeurs, la voix effleure les touches du piano électronique, elle s’affirme et se fait plus grave pour vous révéler l’innommable. Vous pénétrez au cœur atomique de la révélation comme quand vous glissez vos doigts dans la fente d’un sexe, vous l’avez voulu, vous ne ressortirez changé à jamais du cancer de la vie qui vous ronge la tête. La rose des folies conduit aux névroses irrémédiables. Drame métaphysique. Silence : parfois il vaudrait mieux arrêter de parler et de chanter car l’on est rentré dans les étendues de l’inefficience et de l’inutilité. Mais l’on prononce toujours quelques mots sur les tombes qui se referment.

    Le disque est à écouter comme un somptueux oratorio sanglant qui retrace le chemin intérieur d’une petite fille qui n’aurait pas dû grandir. Nous non plus. Mais on fait semblant de l'ignorer.

    Superbe.

    Damie Chad.

     

  • CHRONIQUES DE POURPRE 427 : KR'TNT ! 427 : JERRY LEE LEWIS / QUICKSILVER MESSENGER SERVICE / DARTS / COSMIC TRIP / DIRTEEZ / LOS MUERTOS / VOLUTES

    KR'TNT !

    KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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    LIVRAISON 427

    A ROCKLIT PRODUCTION

    LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

    29 / 08 / 2019

     

    JERRY LEE LEWIS

    QUICKSILVER MESSENGER SERVICE / DARTS

    COSMIC TRIP / DIRTEEZ / LOS MUERTOS / VOLUTES

     

    Pas d’embellie pour Jerry Lee

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    De tous les personnages qui ont défrayé la chronique du rock au XXe siècle, Jerry Lee Lewis reste le plus extra-ordinaire. Il faut même le voir comme un personnage biblique, c’est-à-dire hors compétition, hors normes et hors tout ce qu’on voudra. Avec Hellfire, Nick Toshes écrit une espèce de Nouveau Testament du rock dont le messie serait bien vivant et jouerait du piano. Comme chacun sait, la Bible décrit la condition humaine mieux que tout roman moderne, mieux que Zola et Balzac. Nick Tosches s’inscrit dans cette vieille veine pour dire à quel point le destin d’un homme peut se révéler épique et tragique à la fois, grandiose et misérable, sombre et admirable. La vie et la mort sont une seule et même dimension, on meurt dans la vie et on vit dans la mort. On ne peut même pas parler de grandeur et de déclin dans le cas de Jerry Lee, car jamais il ne dégringole. Même sous un déluge de procès, de saisies et de deuils, il reste Jerry Lee, the only one. Jerry Lee ne se casse pas la gueule. Il encaisse, boit un coup et repart. God peut lui prendre ses deux fils et ses bagnoles, ses bijoux et ses épouses, Jerry Lee sait qu’il va garder le principal, c’est-à-dire sa voix et sa sauvagerie, et qu’il s’en retournera rocker les salles du monde entier mieux que quiconque. Il sera toujours the only one. Il est né pour ça. Il ne vit que pour ça. Les procès ? Fous-toi les dans le cul ! Ram it up your ass ! Les épouses ? Go to hell ! Godness Gracious, Jerry Lee gronde comme un chien de combat, rrrrrrrrrr, il fait monter la fièvre et explose, car il fait partie de ceux qui ont compris que le rock’n’roll ne servait qu’à ça. Exploser.

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    Il atteint un tel niveau de légendarité qu’à sa mort, il ne s’éteindra pas. Nick Tosches travaille tellement le côté humain du personnage qu’il finit par le sublimer au point d’en faire jaillir l’esprit. On se fout de savoir si Moïse portait une barbe blanche. Par contre, on sait qu’il a escaladé le Mont Sinaï pour aller récupérer les fameuses Tables de la Loi qu’on appelle le Décalogue. Jerry Lee n’a rien escaladé, mais il a gravé son Décalogue sur vinyle en 1964 au Star Club de Hambourg. Follow That !  

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    Pour bien situer les choses, Nick Tosches démarre Hellfire en pleine nuit, à trois heures du matin. Des éclairs zèbrent la nuit, le tonnerre gronde et une Lincoln Continental s’est encastrée dans le portail de l’entrée principale de Graceland. C’est Jerry Lee, complètement défoncé, qui hurle en brandissant un flingue. Il veut voir Elvis. Mais Elvis est en pyjama. Elvis fait dire au gardien qui l’a appelé depuis le pavillon d’entrée qu’il n’est pas question de le déranger. Quoâ ? Jerry Lee s’étrangle de rage. Whaaat ? Elvis motherfucking Presley y veut pas qu’on le dérange ? Mais il se prend pour God dans sa fucking baraque ! Jerry Lee bave de rage. Elvis, c’est rien qu’un gros lard bourré de came qui se teint les cheveux comme une putain de bonne femme ! Job a dit : «Ils consument leurs jours dans le luxe et en un instant vont à la tombe !» Jerry Lee explose de rire. À la tombe ! À la tombe ! Sa voix se perd dans le fracas du tonnerre. Il tire des coups de feu en l’air. Il crache de dégoût. À la tombe ! Le gardien a appelé les flics. Ils arrivent et mettent les pinces à Jerry Lee pour l’embarquer au poste. À la tombe ! À la tombe ! Longtemps sa voix va résonner dans l’écho du temps. Godness Gracious !

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    À l’instar de Moïse, Jerry Lee n’est pas tombé du ciel. Il n’est pas non plus arrivé sur l’eau du Mississippi, assis au fond d’un panier. Il est sorti du ventre de sa mère Mamie et très vite, Uncle Lee déclarait : «Cet enfant a le regard d’un faucon !» Rrrrrrrrrrrr. Petit, on lui raconte que son arrière grand-père Old Man Lewis pouvait assommer un cheval d’un seul coup de poing - A hell of a man, Old Man Lewis - Jerry Lee adore ça. Son père Elmo lui enseigne les valeurs de la famille Lewis : courage, work and grin, surtout le grin, le rictus. Le bambin Jerry Lee ne joue pas aux billes. Il préfère aller mater les nègres qui pianotent leur boogie de bastringue chez Hanley’s Big House ou se mêler à cet extraordinaire ramassis de fanatiques religieux qui parlent dans des langues inconnues à la Church of God de Ferriday. Rrrrrrrr Godness Gracious ! Le décor se plante tout seul, il n’a besoin de personne en Harley Davidson. Son père Elmo trouve un job de menuisier à la taule d’Angola et ramène un piano Stark upright pour Jerry Lee qui du coup sèche la classe pour singer les nègres de Hanley’s Big House. Il s’installe et fracasse the Holy Ghost boogie. Bing Bang Boom ! Il n’a qu’une idée en tête : jouer hard and wild comme ces fucking niggahs de Hanley’s Big House. Plonk ! Plonk ! Rataplonk ! Son père Elmo l’observe avec un sacré sourire au coin des lèvres - The big grin - À l’école, les autres appellent déjà Jerry Lee the killer, à cause de sa façon de jouer du piano. Ah il n’aime pas ça, mais en même temps, ça colle bien avec la légende de Old Man Lewis. Killah ? Oui, parce qu’au fond il se sait le roi des enfoirés : «I am one mean sonabitch !»

    Avant de débarquer à Memphis avec Elmo, Jerry Lee tente sa chance à Nashville. Les patrons des clubs n’apprécient pas trop son boogie pétaradeur. Ils conseillent à Jerry Lee de laisser tomber le piano et de gratter une guitare. Jerry Lee se marre et leur répond qu’il peuvent aller se carrer leur guitare dans le cul - Ram it up your ass - Un jour, son cousin Mickey Gilley lui dit : «Jerry, pourquoi ne te rends-tu pas à Memphis, dans le Tennesse, pour faire un brin de causette avec le type qui a lancé Elvis ?» Jerry Lee lui répond qu’il va y aller, un d’ces quat’. Et c’est là que la légende de Jerry Lee croise à nouveau celle de Moïse. D’un côté, on a les Douze Plaies d’Égypte et de l’autre, les Trente-Trois Douzaines d’Œufs qu’Elmo ramasse dans son poulailler. Pas pour faire des omelettes, mais pour les vendre au Nelson’s Supermarket, sur Louisiana Avenue, à Ferriday. Une expédition, ça se finance. Un matin, ils mettent la Ford en route et prennent la direction de Memphis sous un ciel noir comme le cul d’un nègre.

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    Lors de leur premier raid, la paire Jerry Lee/Elmo impressionne le staff de Sun. Quelques semaines plus tard, Jerry Lee revient au 706 pour une première Sun session. Nouvelle paire : son cousin JW Brown, le père de Myra Gale, l’accompagne. Jerry Lee porte une barbichette et JW Brown une big blond Silvertone gittah. A weird-looking pair, murmure James Van Eaton, le batteur du house-band Sun. Jack Clement enregistre la session. Rentré de ses vacances à Miami, Sam Phillips écoute le «Crazy Arms» qu’a enregistré Jack Clement. Uncle Sam qui dans sa vie a entendu plus de belle musique qu’aucun autre homme au monde se régale tellement d’entendre Jerry Lee pianoter qu’il en ferme les yeux. Et c’est là qu’il lance cette prophétie : «I can sell that !»

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    Quand paraît son premier single, Jerry Lee le brandit fièrement. C’est avec le rictus d’un fou au coin des lèvres et le regard de faucon d’Old Man Lewis qu’il lit la mention inscrite sur la rondelle jaune et brune : Jerry Lee Lewis with his Pumping Piano. Uncle Sam ne se trompe jamais dans ses prophéties. Jerry Lee voit sa carrière décoller comme une fusée, dans le tonnerre et les flammes de l’enfer. Il part en tournée avec les autres chevaux légers de l’écurie Sun et fait de sacrées découvertes : Johnny Cash se came aux amphètes et Carl Perkins boit comme un trou. Jerry Lee lâche une première bombe atomique sur l’Amérique avec «Whole Lotta Shakin’ Goin’ On». À la fin de la session, Jack Clement propose de partager les royalties avec the Holy Ghost, mais ça ne fait marrer personne. Puis un nègre nommé Blackwell refile «Great Balls Of Fire» à Jerry Lee - This little colored fella wrote it for me - Rrrrrrrrr ! Godness gracious ! Splendeur vénale, colère et damnation ! Sur scène, Jerry Lee sort de la poche de sa veste une bouteille de coca remplie de gasoline, et pendant qu’il martèle les accords de Great Balls d’une main, il arrose le piano de l’autre, gratte une allumette et vlaaaaaaahfff ! les flammes jaillissent, alors il se met à pounder son clavier des deux mains comme un dingue, la bouche ouverte et les cheveux dans la gueule, il parle des langues inconnues et sa silhouette de frappadingue rougeoie dans les flammes, holiness and fire, the frenzy of it all, le public devient fou et bascule dans la pire mad frenzy qu’ait connu le Deep South. Quand Jerry Lee regagne le backstage en titubant, ivre de colère et puant l’essence, il croise Chuck Berry et lui lance d’une voix anormalement calme : «Follow that niggah !» De la même façon qu’Old Man Lewis qui knockait a horse to his knees d’un seul coup de poing, Jerry Lee dégomme un piano d’un seul coup - Burned that dam piana to the ground ! - Avec le power of the Holy Ghost.

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    Et puis tiens, voilà les gonzesses. Dans la région, on démarre tôt. Sa sœur Frankie Jean se marie à douze ans. À l’âge de seize ans, Jerry Lee épouse Dorothy Barton, une belle brune, fille d’un prêcheur Pentecotiste de Sterlington. Un an plus tard, il rencontre Jane Mitcham et l’engrosse. Il l’épouse à Natchez. Jerry Lee n’a que dix-sept ans et le voilà déjà bigame. Il trafique sa date de naissance sur les certificats de mariage. Mais la relation est assez houleuse avec Jane qui maudit son piano et les nuits qu’il passe à jouer au Wagon Wheel, un club mal famé de Ferriday. En représailles, Jerry Lee l’accuse de tous les péchés contre the Holy Ghost : elle boit, elle fume et il l’accuse même d’adultère ! Puis il flashe sur sa cousine de douze ans, Myra Gale. Dieu leur est témoin que c’est un coup de foudre. Mais Dieu a plusieurs tours dans son sac : une autre foudre, celle de la presse anglaise, va s’abattre sur eux, pour consacrer leur union et les griller. Pourtant violemment frappé par le destin, Jerry Lee reste debout et gueule dans le fracas du tonnerre. Il voit son étoile s’éteindre, il passe du statut de superstar à celui de pervers honni des foules, ses cachets de 10 000 $ fondent comme beurre en broche, on lui tend 250 $ et il doit s’estimer heureux. Mais rien ne peut abattre l’arrière petit-fils de Old Man Lewis. C’est lui qui abat. Pas Dieu.

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    Quand Jerry Lee revient en Angleterre en 1964, les foules l’acclament. Mais il remarque que les jeunes s’habillent bizarrement, oh pas les Teds, mais les autres, ceux qui portent des pantalons à rayures et des petites casquettes ridicules, those goddam Beatles boys. Et puis il y a aussi ces Rolling Stone boys qui se tortillent comme des pédés nègres - Nigger faggots on the last night of Mardi Gras - Pire, les filles, avec les mini-jupes qui couvrent à peine le lieu de tous les péchés. Et il entend partout cette motherfucking music. Un peu plus tard dans l’année, il débarque à Los Angeles sur le plateau de l’émission Shindig et constate que lui et Willie Nelson sont les seuls qui ressemblent encore à quelque chose. Tous les autres sont déguisés comme des motherfucking Brits.

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    Avec Jerry Lee, il en faut toujours plus. Dope, alcool, guns. Toujours plus. Tarp Tarrent, Charlie Freeman et Hawk Hawkins font partie de son groupe. De retour à Memphis après une tournée, interdiction formelle de rentrer à la maison : Jerry Lee veut continuer à faire la fête chez lui jour et nuit. Le premier qui se casse est viré ! - We’re gonna party for five fuckin’ days - Celui qui est viré n’est pas payé. What a trip ! Hawk, Charlie et Tarp n’en peuvent plus. Myra Gale non plus. Elle finit par se barrer et Jerry Lee épouse en 1972 une jeune divorcée nommé Jaren Elizabeth Gunn Pate. Ils se séparent deux semaines plus tard.

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    Jerry Lee boit de plus en plus. La booze occupe dans son huit-parade le même rang que God et la musique. Il boit au goulot. Il se goinfre aussi de pills et fume les plus gros cigares qu’il peut trouver. Jerry Lee se sait indestructible. Il porte des armes et tire des balles dans les plafonds. Bim bam ! Ou dans la poitrine des gens, tiens par exemple celle de Hawk, son bassiste. Un soir il sort un 357 Magnum et dit à Hawk de bien regarder - Look down the barrel of this - Il annonce qu’il va viser la bouteille de Coca qui est derrière, bim bam ! Haw s’écroule, la main sur sa poitrine trouée comme une passoire et cette harpie de Jaren Pate lui gueule dessus parce qu’il salit la moquette blanche avec son sang. Qu’on se rassure, Hawk va survivre. Il va même poursuivre Jerry Lee en justice et réclamer 400 000 $ de dommages et intérêts. Jerry Lee refuse de paraître au procès et son avocat, écœuré demande à être dessaisi de l’affaire. Mais c’est une goutte d’eau dans l’océan des procès qu’on lui intente : Jerry Lee perd tout ce qu’il possède au fur et à mesure, mais il lui reste the courage, the work and the grin.

    Invité à se produire au Grande Ole Opry, Jerry Lee promet qu’il va rester sage. Rrrrrrrr... Il arrive sur scène et fout le souk dans l’Opry à coups de Great Balls et de Whole Lotta. Il déclare au public médusé : «You can do what you can do ! And thank God that Jerry Lee Lewis can do it !» Et il joue «Chantilly Lace» à coups de talon. Du haut de son Ararat, il lance au public : «Let me tell you somethin’ about Jerry Lee Lewis, ladies and gentlemen, I am a rock-’n’-rollin’, country-and-Western, rhythm-’n’-blues singin’ mothafucker !» Et comme il est en train de provoquer le public plutôt conservateur du Grand Ole Opry, il leur sert sur un plateau d’argent la plus sombre interprétation d’«I’m So Lonesome I Could Cry» d’Hank Williams.

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    Quand il rencontre un hippie, Jerry Lee lui dit que selon la Bible, c’est un péché pour un homme que de porter les cheveux longs. Le hippie lui rétorque que Jésus avait les cheveux longs. Mais Jerry Lee qui connaît la Bible par cœur depuis the Assembly of God lui explique que nulle part dans la Bible on dit que Jésus avait les cheveux longs. Personne ne sait à quoi il ressemblait. Le hippie qui a réponse à tout lui dit qu’à l’époque les ciseaux n’existaient pas. Jerry Lee lui demande d’où il sort ses conneries. Il lui rappelle que les Romains étaient des pretty smart cats. Le hippie tente de noyer le poisson en expliquant que Moïse portait la barbe. Il réussit presque à couper le sifflet de Jerry Lee.

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    Dans un restau, on joue sur un juke un hit de Jerry Lee. Jerry Lee entend une vieille rombière installée à une table derrière lui déclarer : «I hate this Jerry Lee Lewis shit they’re playing». Elle déteste la musique de Jerry Lee qui se tourne vers elle et lui lance : «Fuck you, espèce de vieille pute redneck !» Deux minutes plus tard, un mec tape sur l’épaule de Jerry Lee : «C’est vous, Jerry Lee Lewis ?» et Jerry Lee lui répond : «The one and only !» Bing, le mec lui colle son poing dans la gueule et lui brise le nez.

    Signé : Cazengler, Jerry lie de la terre

    Nick Toshes. Hellfire. Penguin Books 2007

     

    Quicksilver machine - Part One

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    Comme Gary Duncan vient de casser sa pipe en bois, on va en profiter pour remettre le nez dans l’histoire du plus lumineux des groupes de la scène psychédélique de San Francisco, le Quicksilver Messenger Service. Gary Duncan, David Frieberg, John Cipollina et Greg Elmore sont comme les trois mousquetaires, un pour tous et tous pour un. Le Quicksilver établit sa réputation sur le twin guitar attack de Cipo et Gary Duncan. Tous ceux qui ont vu l’extrait de Quicksilver dans le Montery Pop movie de Pennebacker savent que Cipo joue en picking d’onglets sauvages, comme d’ailleurs Roger McGuinn des Byrds et James Gurley de Big Brother & The Holding Company. En 1972, Gene Sculatti affirme que Quicksilver rivalise de power avec les Who. On les dit aussi plus puissants que l’Airplane, plus carrés que le Dead et plus évolués et aventureux que Big Brother & The Holding Company. La plupart des groupes de la scène locale venaient du folk, ce n’était pas le cas du Quicksilver, exception faite de David Freiberg qui était lui aussi un ex-folkie.

    Dino Valenti vient lui aussi de la scène folk de Greenwich Village, mais personne ne sait s’il est vraiment à l’origine du groupe ou non. Toujours est-il qu’il débarque à Frisco et s’installe sur une péniche avec David Crosby. Ils enregistrent ensemble «Birdses» qui dit-on va influencer les Byrds au moment du choix d’un nom de groupe. Dino Valenti compose aussi «Get Together» dont les Youngbloods vont faire un hit. Il commence à fureter dans les alentours, à la recherche de musiciens pour monter un backing band et tombe sur un pur rocker, John Cipollina, qui est fan de Jerry Lee Lewis. Au point de l’accompagner sur scène quand il se produit en Californie. Dino Valenti organise une répète le lendemain mais il ne vient pas. Pourquoi ? Parce que les cops le coffrent pour usage de dope. Pendant ce temps, un groupe garage nommé the Brogues fait des ravages un peu plus loin, à Central Valley. La chanteur s’appelle Gary Coles. Il va devenir Gary Duncan. Il se balade en décapotable jaune, fume de l’herbe et trimballe des putes sur la banquette arrière. Le spectacle ne plaît pas aux flics qui l’envoient au trou pour quatorze mois. On drugs charge, comme dans le cas de Dino.

    Quand il sort, il découvre que les Beatles ont tout ratiboisé : le folk et le r’n’b. Il intègre les Brogues qui jouent du garage. Le batteur Greg Elmore a choisi les Pretty Things comme modèle pour les Brogues. Ils se vendent comme «American music with British accents» et enregistrent une version approximative du «For Your Love» des Yardbirds. Ils vivent de leur musique et vendent les tickets de concerts eux-mêmes. Mais l’un des Brogues est appelé sous les drapeaux et le groupe disparaît. Alors Gary Duncan et Greg Elmore décident d’aller s’installer à Frisco - taking speed, drinking a lot, smoking pot.

    Pendant ce temps, Cipo attend que Dino sorte du trou. Il bricole avec Skip Spence et un bassiste nommé David Freiberg. Mais ça ne dure pas longtemps : Freiberg se fait coffrer pour usage de dope. Cipo prend son mal en patience. Deux au trou, ça commence à faire beaucoup. Dans une fête psychédélique, il rencontre Gary Duncan et Greg Elmore. Il leur manque juste un bassman et un chanteur ! Davird Freiberg sort au bout de 47 jours et il rejoint les autres. Ils se baptisent Quicksilver Messenger Service et en 1965, ils commencent à jouer ici et là. Ils partagent l’affiche avec le Dead, l’Airplane, Country Joe & the Fish, les Charlatans et Big Brother. Mais le Quicksilver prend un malin plaisir à se distinguer des autres groupes de la scène locale, avec leur hard-driving ferveur, héritée des racines garage de Gary Duncan et Greg Elmore. C’est d’autant plus probant que Greg bat fort. Gary Duncan : «We had the best rhythm section in the city.» Chaque fois qu’ils montent sur scène, ils sont sous LSD et ils explorent les zones inconnues de la wild psychedelia. C’est d’ailleurs ce que reprochent les spécialistes aux albums studio du groupe : un son trop sage, alors que sur scène, le groupe battait tous les records de sauvagerie aventureuse. Ils utilisent des cuts comme «Co’dine» de Buffy Sainte-Marie ou «Mona» de Bo Diddley pour se livrer à d’explosifs two-guitars workouts. Gary Duncan va plus sur un feel jazzy alors que Cipo ne vit que pour les vrilles ascentionnelles.

    Et la légende de Quicksilver commence à se répandre, et pas seulement grâce à la musique. Ils optent pour un mode de vie communautaire et s’installent dans une vieille ferme à Olema avec leurs armes à feu. Ils s’habillent en cowboys, tirent des coups de fusil et élèvent un loup. Ils abattent des vaches dans les champs pour se nourrir. Les mecs du Dead vivent aussi dans le secteur, mais ils préfèrent les Indiens. Une nuit, ils attaquent la ferme du Quicksilver avec des arcs et des flèches. Pour se venger, le Quicksilver se rend armé jusqu’aux dents à un concert du Dead mais des flics les arrêtent. La vengeance devra attendre.

    Pourquoi les armes à feu ? Parce que Gary Duncan. C’est l’une de ses passions avec les motos et les guitares électriques. Dans une interview un peu tardive, il avoue avoir été au sniper au Vietnam, en 62 et 63 - I was a sniper in the 75th Airborne - Il est revenu au pays juste avant l’élimination de Kennedy. Il ajoute qu’à cette époque, on ne parlait pas encore de guerre du Vietnam. Alors évidemment, l’interviewer lui demande comment il gérait ça alors qu’autour de lui, les gens refusaient l’incorporation et affichaient ouvertement leur antimilitarisme. C’est simple. Il dit n’en avoir jamais parlé. C’est le dernier truc dont on pouvait se vanter à San Francisco - Si j’avais dit que j’avais été sniper au Vietnam et que j’avais descendu 27 personnes, on ne m’aurait jamais accepté dans le groupe - Il ajoute qu’il était mal vu à cause de sa moto et de son goût pour les flingues. Alors il s’est naturellement tourné vers les Hells Angels - On ne pouvait jamais faire confiance aux musiciens, par contre on pouvait se fier aux Hells Angels - Gary Duncan dit avoir grandi en Oklahoma, dans un monde où l’homme doit être un homme. Il préférait aussi les beatnicks aux hippies, car selon lui, le mouvement beat reposait sur une démarche purement intellectuelle, ce qui n’était évidemment pas le cas du mouvement hippie, composé essentiellement de fugueurs et de fugueuses qui ne pensaient qu’à baiser et à se schtroumpher. Le LSD était encore légal à cette époque et Gary Duncan insiste pour rappeler que tout le monde en prenait. Des tonnes de LSD.

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    Un premier album sobrement titré Quicksilver Messenger Service sort en 1968. Ils ne sont que quatre (Duncan/Freiberg/Elmore et Cipo) et Gary Duncan mène le bal. Il chante «Pride Of A Man» avec une sorte de rage contenue. Puis on les voit se contenter de gratter leurs grattes en rythme sur «Dino’s Song». Ils vont ensuite piquer leur crise classique avec un «Cold And Silver» d’une infinie délicatesse, comme le fit Dave Edmunds à l’époque de Love Sculpture avec son adaptation du «Sabre Dance» de Khachaturian. Gary et Cipo se livrent à un véritable festival de virtuoses et se positionnent dans les hautes sphères de la paraphernalia. Ça joue à la note précise et lumineuse, au délié de gammes. On tombe en B sur un «Too Long» étrangement poppy. C’est n’est pas le ‘debut album’ du siècle comme on a voulu nous le faire croire à l’époque. Loin de là. Moby Grape avait beaucoup plus de jus. S’ensuit «The Fool». C’est le moment d’allumer un spliff. Tu en as pour douze minutes. Cut idéal pour partir en goguette. Gary et Cipo ultra-jouent leur guitar-slinging paradisiaque.

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    Encore un malentendu : on a longtemps considéré Happy Trails paru un an plus tard comme un disque culte. Le culte avait bon dos à l’époque. Forcément, on préférait les albums qui sonnaient comme des invitations au voyage. En gros, Gary et ses amis proposent deux longues variations sur un thème de Bo Diddley. Ils démarrent avec «Who Do You Love». On peut dire que tout le son de Quicksilver est là. Gary tient le lead, bien épaulé par des ouuh-ouuh californiens et on peut dire que ça groove. On voit même Gary Duncan jazzer son groove sous le vent. Il file comme un furet. Mais il y a des longueurs. Pour écouter ça, il faut disposer de temps devant soi. Ce qui n’est pas toujours évident. Surtout quand on s’amuse à cumuler les fonctions. En B, il restent chez Bo avec «Mona». Ils en proposent une interprétation libre. Les Quick ne s’embarrassent pas de scrupules. Ils réussissent à bricoler une version molle, à l’image des montres molles de Dali.

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    Gary Duncan quitte le groupe au moment de la parution de Happy Trails. Il préfère rouler en moto avec Dino Valenti, prendre du speed et aller se battre dans des bars. Nicky Hopkins qui est de passage en Californie rencontre Cipo et ils décident de jouer ensemble. Ils tentent de redémarrer un groupe moribond avec Shady Grove, en 1969, mais toute la dynamique des psychedelics workouts a disparu. Ce qui n’est pas une mauvaise chose car Shady Grove est beaucoup plus solide que les deux premiers albums. Cipo reprend les choses en main et dès le morceau titre d’ouverture de bal, il propose un son musculeux, quasi épique, fruité et boisé. Il ultra-joue et Nicky Hopkins hante le cut avec son piano. On a là un fantastique jerk de groove Quicky, certainement un pic d’excellence en matière de Californian Hell. Avec «Three Or Four Feet From Home», Cipo passe au boogie. Idéal pour un boogie-cat comme Nicky. Non seulement Cipo jute bien, mais il jute une classe infernale. Il sort un son plein et vif. Vif argent comme le Quicksiver. Ça frise l’ampleur catégorielle. David Freiberg enchaîne avec «Too Far», un admirable balladif dylanesque noyé d’orgue par Nick Gravenites. On reste dans le qualitatif Quicky avec «Holy Moly», heavy balladif tendu vers l’avenir. Nicky Hopkins ruisselle de notes, ça sent bon la grande ampleur, c’mon ! Pour un peu ils sonneraient presque comme la Carla Bozulich des Geraldine Fibbers dans «Dragon Lady». Cipo embarque cette merveille à la force de la glotte.

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    David Freiberg demande à Gary Duncan de revenir pour sauver le groupe. Ils ont besoin de blé, alors Duncan et Valenti acceptent. À présent, ils sont six, avec Nicky Hopkins. Dino Valenti prend le lead et ramène un peu de folk-rock dans Quicksilver. Il propose d’aller enregistrer le prochain album à Hawaï. Just For Love paraît en 1970 sous une pochette psychédélique, la première d’une petite série. C’est là que se niche leur premier hit, «Fresh Air» qui flotte dans l’excellence patentée de l’apanage. C’est là où le guitar hero se fond dans la lumière du paradis. Dino et ses amis développent un esprit d’immense pureté qui peut égaler celui développé par Santana, avec une belle démesure et un joli souci d’excellence. On sort de ce cut ravi et repu. L’autre gros cut de l’album s’appelle «The Hat». On y retrouve le groove magique du Quick, ils se donnent le temps du temps, des arpèges évanescents doublent la voix de Dino. Cipo et Gary rivalisent d’habileté florentine. Ils pratiquent l’art subtil du grand écart. Autre joli cut, «Freeway Flyer», en ouverture de B : puissant et hanté par la slide carnivore de Cipo. Dino enchaîne avec «Gone Again». Il nous fait toujours à peu près le même coup : groove d’errance quaternaire, sans but ni idéologie.

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    Le petit préféré restera sans doute What About Me, paru la même année. L’album propose en réalité le reste des enregistrements de Hawaï. Dès le morceau titre, on retrouve cette atmosphère détendue qui fait le charme de «Fresh Air». Ça ce sent que c’est ça. Fantastique ambiance de guitares psyché. Dino compose tout et signe James Otis Farrow. Des cuivres entrent dans la danse et le cut bascule dans la magie. Le coup de génie de l’album s’appelle «Call On Me». On a là un big freakout de Quick embarqué à la wah et aux cuivres, sweet sweet loving day. Extraordinaire démesure ! Ils s’y mettent tous. Voilà le grand Quick, you call on me, avec des chœurs écœurants de classe californienne. C’est cassé en deux pour une deuxième fournée, ils ont raison, ça permet de revivre la lente transition qui mène à l’explosion de chœurs. Dino mène si bien le bal, I need someone / To talk at night, et les chœurs remontent comme une marée du siècle, ouuuh ouuuh, sweet sweet love. C’est abominablement bon. Dino emmène le Quick vers une autre dimension. Avec «Subway», ils sonnent comme Cream, avec un heavy groove monté sur un riff conquérant. Ils peuvent développer un very big sound, for sure - I’m just a country boy/ I’m so far away from my home - Nicky Hopkins tape un bel instro intitulé «Spindrifter» sur son piano, et le Quick repart en mode groove aérien avec «All In My Mind». Gary Duncan adore les alizés et passe un solo délicieusement délié et joué à l’ongle de nacre.

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    En 1971, Cipo, David Freiberg et Nicky Hopkins ont quitté la groupe. Ne reste plus que le noyau dur Dino/Gary/Greg Elmore. Ils enregistrent Quicksilver, un album mi-figue mi-raisin quasiment composé par Dino. Dès «Hope», il fait référence à l’Eve of Destruction et prend des petits accents dylanesques pour promouvoir son art. Gary Duncan réactive ensuite le vif argent avec «I Found Love». On entend son jeu pernicieux hanter le fond du cut. Dino se fend d’un «Song For Frisco» très pointu dans le nasal. C’est saturé de beau son psychédélique qui est, faut-il le rappeler, l’apanage du Quick. C’est en tous les cas le groupe qu’on aimerait entendre en arrivant au paradis. Gary taille une croupière à l’excellent «Play My Guitar» et un B, le Quick se tire une balle dans le pied avec de la très mauvaise pop : «Out Of My Mind» et «Don’t Cry Lady Love». Voilà comment on flingue une B.

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    C’est le même noyau dur qui enregistre Comin’ Thru l’année suivante. Plus que sur les albums précédents, on constate que Dino amène de l’énergie dans le groupe. Il faut l’entendre embarquer «Forty Days» dans sa tempête de vocalises. Il sait repousser les limites. Dino est ce que les Anglo-saxons qualifient de larger than life, c’est-à-dire un bouffeur d’écran. Hey ! Il faut le voir haranguer le rock. Il va loin, aussi loin qu’il peut aller, ce mec est un prodigieux spectacle d’insistance caractérisée. On le voit ensuite gérer le groove californien de «Mojo», puis «Don’t Lose», où il appelle sa mère - Mama ! - Quel shouter ! Le mec qui remplace David Freiberg s’appelle Mark Ryan et il groove bien son bassmatic sur «Doin’ Time In The USA», le cut d’ouverture de bal d’A. On reste dans l’univers bien typé d Dino avec «Changes». Il adore composer cette pop ultra-chantée et orchestrée à la Quick, cette semblance de dérive californienne. On entend Gary Duncan faire des étincelles de wah sur «California State Correctional Facility Blues», sans doute une référence à son passé de taulard. C’est nappé d’orgue et bien embarqué pour Cythère. Des gens prétendaient à l’époque que Comin’ Thru était un album raté. Comme Saturne, la subjectivité dévore ses propres enfants.

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    En 1975, le groupe original se reforme pour l’excellent Solid Silver. La pochette s’orne d’une fantastique photo du groupe à bord d’un voilier. Elle remplace la traditionnelle illustration psychédélique. Place au groove Quicky dès «Gypsy Lights». On entend David Freiberg faire des miracles au bassmatic. Dynamique, voilà le maître mot. Ces mecs n’ont de leçon à recevoir de personne. Une certaine Kathi McDonald envoie des sacrés back-ups. Puis Cipo chante son «Heebie Jeebies» d’une voix un peu moins éclatante. Nicky Hopkins joue des rivières de diamants, comme au bon vieux temps. La surprise vient de David Freiberg avec «I Heard You Singing», qu’il compose et qu’il chante. Un vrai crack ! On assiste à une fantastique extension du domaine de la hutte, ce mec chante par dessus les toits, comme le pauvre Lélian, avec un bel élan patriotique. Quel souffle ! En B, Dino propose un «The Letter» qui n’est pas celui des Box Tops. C’est un folk-rock visité par la grâce. Gary Duncan joue sa partie de pedal steel à l’éclair mirobolant du Quick et derrière, la Kathi amène du jus. L’infernal Gary Duncan reprend le lead avec «They Don’t Know» et gratte ça à l’arpège d’ongle sec. Pur jus de Quick, avec un Freiberg en escarmouche et une Kathi bien frétillante en renfort. Fabuleuses harmonies vocales ! La fête se poursuit avec «Flames» et Cipo aux feedback guitars. Il faut voir le boulot qu’il abat ! Il wahte comme un démon, il joue à la force du poignet. Les Quick bouclent leur vaillante B avec «Bittersweet Love», un sacré numéro de heavy rock plein d’allant, bien drivé au bassmatic, avec des accords des Who en sur-couche. Cipo joue en open tuned lead, ça a beaucoup d’allure. Le bassmatic de David Freiberg est une merveille irrépressible. Ces mecs naviguent au même niveau que Moby Grape.

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    Gary Duncan réactive le groupe en 1986 avec une nouvelle équipe et enregistre Peace By Piece. Le seul rescapé du Quick original est David Freiberg au chant. Il n’y a pas de bassiste ni de batteur sur cet album, rien que des synthés. Pourtant, il ne faut pas se fier aux premières apparences. Dans «24 Hours Deja Vu», on voit la mélodie reprendre le dessus. L’art de Gary Duncan reste intact, rassurez-vous. Il donne carte blanche aux cuivres et un sax vient chauffer le cul du cut. On voit Gary partir sur «Swamp Girl», et quand il part, il part. Il sort le son qui fit la grandeur du Quick, il se lance dans une fantastique partie de haute voltige. C’est un guitar hero énergétique doté d’un allant suprême. En B, on le voit allumer «Wild In The City» à coups de petites vrilles pernicieuses et il opère un grand retour à ses amours anciennes avec le Diddley beat de «Pool Hall Chili» - I don’t eat no calamari/ Cause looking at a squid don’t pull my chain - N’oublions pas que Gary Duncan est un biker qui fricote avec les Hells Angels. Il termine cet excellent album avec le morceau titre. On y entend les hélicos, comme dans Apocalypse Now. Gary Duncan chante enfin ses souvenirs de sniper - Gimme a radio and an M-16/ And flip it on rock’n’roll - Il part en rap - I’m a war baby/ I’m a wolf in a flock of sheep - Le loup dans la bergerie. D’où la pochette.

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    On trouve dans le commerce tout un tas d’albums live du Quick. Celui qu’il faut choisir en priorité est le Live At The Kabuki enregistré le 31 décembre 1970. Fantastique document ! On y retrouve le Quick au grand complet : Dino, Cipo, David Freiberg, Gary Duncan et Greg Elmore. Dire que Dino a failli chanter dans les Byrds ! Ils attaquent avec le fabuleux «Fresh Air». C’est le Quicksilver de prédilection, animé d’échanges de solos entre Gary Duncan et Cipo. Quelle présence ! Encore du pur Dino avec «Truth», puissant car bien suivi par le twin-guitar attack de Duncan & Cipo. Dino privilégie les vieux grooves rampants et monte bien au créneau pour lancer ses accents tranchants. Cipo fait des merveilles et Freiberg joue de grosses basslines traversières. Duncan joue plus hargneux. Dino fond bien sa voix dans la consonance du groove californien, avec des aooouh de bonne bourre. Ils partent en boogie blues pour «Doctor Feelgood». C’est exceptionnel de bonne allure. Cipo et Duncan n’en finissent plus de s’en donner à cœur joie. Ils jouent à l’excès de note tirée et s’échangent des phrasés. Tiens voilà «Cobra» signé Cipo et monté au Diddley beat. Greg Elmore bat bien le Diddley beat et Cipo le joue à la pure Quick motion. Dino prend ensuite «Song For Frisco» par dessus les deltas de son ami Croz. Ils naviguent tous les deux dans le même univers de dérive psychédélique, de boat at sundown et d’acid trip de rêve. Avec des gens comme eux, il faut parler de magie. Back to Bo avec «Mona», ce vieux cheval de bataille tiré de Happy Trails. Pur Bo sound avec des attaques intraveineuses. Le Quick sait se montrer salement garage, avec du suspensif vénéneux en prime. C’est heavy et bien drivé par ces deux démons que sont Cipo et Duncan. Ils font de «Mona» un cult cut la praline. On a toujours les basslines traversières de David Freiberg et Greg bat ça Bo, dans les règles de l’art, alors que Cipo et Duncan orientalisent l’Occident. Ce groover génial qu’est Dino revient à ses amours avec «Subway» - I’m just a country boy - Il continue de jouer la carte du meilleur groove californien et Cipo transforme tout ça en juicy splurts et en fruity juices de guitare joyeuse. Ils démarrent le disk 2 avec «What About Me», le Quick de Dino, le heavy groove californien dans toute sa splendeur - Ouuuh Ouuuh what chou gonna do about me - C’est dingue ce qu’on a pu adorer ce cut à l’époque. Dino chante «Pride Of Man» à la bonne arrache ventriculaire, c’est très Airplane dans l’esprit de Seltz et c’est précisément la raison pour laquelle on les admire. S’ensuit un fantastique stomp de Quick avec «Local Colour», un chef-d’œuvre signé Cipo. Ils rendent une nouvelle fois hommage à Bo avec «Not Fade Away». Quelle clameur et quel beat ! Ils le dépouillent et font de ce cut une merveille exorbitante. Cipo joue en killer Quick. Encore du pur jus de Dino avec «Mojo». Ils ont un son, alors ils en profitent. C’est de bonne guerre, baby I’m here et le solo court derrière, attention, on ne rigole plus car ça pleut de partout. Ils tapent «Freeway Flyer» au riff de Creedence. Les Quick savent se montrer impériaux. David Freiberg en profite d’ailleurs pour partir en voyage intersidéral sur le manche de sa basse. Adios amigos.

    Signé : Cazengler, cuite sévère

    Gary Duncan. Disparu le 29 juin 2019

    Quicksilver Messenger Service. Quicksilver Messenger Service. Capitol Records 1968

    Quicksilver Messenger Service. Happy Trails. Capitol Records 1969

    Quicksilver Messenger Service. Shady Grove. Capitol Records 1969

    Quicksilver Messenger Service. Just For Love. Capitol Records 1970

    Quicksilver Messenger Service. What About Me. Capitol Records 1970

    Quicksilver Messenger Service. Quicksilver. Capitol Records 1971

    Quicksilver Messenger Service. Comin’ Thru. Capitol Records 1972

    Quicksilver Messenger Service. Solid Silver. Capitol Records 1975

    Quicksilver Messenger Service. Peace By Piece. Capitol Records 1986

    Quicksilver Messenger Service. At The Kabuki Theatre. 31 12 1970. Charly 2007

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    Michael Saltzman : To the limits. Record Collector # 453 - May 2016

     

    She Darts it right

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    Tout le monde se souvient des Love Me Nots et des ravages qu’occasionnait NicoleLaurenne avec son Farfisa. Elle officie aujourd’hui au sein d’un girl-group baptisé Darts, un mot qu’on traduit généralement par fléchettes. Dans le petit monde de l’underground, les Darts ont le vent en poupe, mais avant de se lancer dans des achats d’albums, il est vivement conseillé de les voir jouer sur scène. C’est là que le cœur balance ou ne balance pas.

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    Sur scène, Nicole Laurenne s’est nettement améliorée. Améliorée n’est pas vraiment le mot. Disons qu’elle devient plus sauvage, elle n’hésite pas à se jeter au sol et à entraîner son Farfisa dans sa chute pour s’y livrer à des ébats spectaculaires. Elle bat Jake Caveliere au petit jeu du roulé-boulé Farfisy, autrement dit, l’art de se rouler par terre avec une carlingue de petit orgue électronique. L’exercice est beaucoup plus épineux qu’avec une guitare. L’orgue en lui-même n’est pas bien gros, mais ses pieds en font un objet récalcitrant qu’il faut savoir entraîner dans les galipettes, et ça finit par friser le numéro de cirque, ce dont le public raffole. Rien n’a changé depuis la Piste Aux Étoiles de Jean Nohain.

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    Autre métamorphose de choc : l’absence de Michael Johnny Walker, l’homme qui présidait aux destinées des Love Me Nots. Homme complet devrait-on dire, aux plans sonique, scénique et composital. Ce mec avait un sens inné de la compo qui fait mouche à tous les coups et du killer solo flash, et dans un monde aussi ingrat que celui du garage américain, c’est une vertu cardinale qui vaut son pesant d’or. Son absence se fait d’ailleurs cruellement sentir dans le son des Darts. Elles compensent avec une sorte de bravado typiquement féminine, elles jouent avec tout les petits chiens de leurs chiennes et moissonnent les suffrages au passage.

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    La mission de faire oublier Michael Johnny Walker échoit à une petite brune nommée Meliza Jackson. Petite ? Presque miniature, avec des mains à peine assez grandes pour un manche aussi petit que celui d’une Tele noire. Le cheveu mi-long et noir de jais, le nez en trompette, les yeux bien charbonnés, les deux épaules couvertes de tattoos, le mini-corps enveloppé dans une mini-jupe noire assez moulante, et bottée de noir jusqu’aux genoux, elle offre une version miniature d’une early Joan Jett, c’est-à-dire d’une simili-Keith Richards juvénile. Elle frise un peu la caricature, mais elle joue avec un tel entrain qu’elle finit par emporter la partie. Tout le poids du son semble reposer sur ses épaules tatouées, alors elle joue avec une extrême concentration, on pourrait presque dire à l’économie. Ses plans guitare épatent la galerie par ce qu’on pourrait qualifier de miniaturisme, c’est-à-dire une économie de moyens doublée d’une réelle efficacité. Pas de grimaces ni de chichis. Elle tombe à genoux quand il faut, lorsque Nicole Laurenne se roule par terre avec sa carlingue d’orgue. C’est là où certains guitaristes nous surprendront toujours. Pendant plusieurs morceaux, ils donnent l’impression de ne pas savoir très bien jouer, mais en fait, ils dominent parfaitement la situation. Pas besoin de tout jouer en disto ou en fuzz et de passer des solos de plusieurs minutes. La mini-Keef joue avec une édifiante parcimonie et aide ceux qui n’aiment pas trop le son du Farfisa à l’accepter. On apprendra un peu plus tard que la mini-Keef remplace l’ancienne guitariste Michelle Balderrama virée du groupe par Nicole Laurenne. La raison ? Oh c’est très simple : Nicole Laurenne est juge dans le civil et elle ne tolère pas l’usage des drogues. On appelle ça une déformation professionnelle. Bien évidemment, quand on examine les bras de la mini-Keef, on voit aucun trou de seringue. Si elle veut conserver son job, elle sait qu’elle doit se tenir à carreau.

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    Le set des Darts captive, c’est le moins qu’on puisse dire. Elles savent tenir un set en laisse et déclencher une émeute quand il faut. L’art du set repose sur l’alternance de faux moments de calme et de violentes montées en température. Il faut savoir climaxer au bon moment, et Nicole Laurenne bénéficie d’une longue expérience avec les Love Me Nots. Elle fonctionne aujourd’hui comme une vieille pro et sait travailler la couenne d’un public, n’hésitant pas à impliquer des gens dans son jeu. Ça donne une ambiance très cordiale, très bon enfant, très propice aux épanchements. Elle ne fait pas battre les cœurs, mais elle lie les destins le temps d’un set. Elle crée cette franche camaraderie typique de bons concerts de garage, ceux dont on reparle longtemps après, lors d’un apéro avec les copains. «Ah ouais, tu te souviens des Cool Jerks à l’Espace B ? Ah qu’est-ce que c’était bien !» Et donc dans quelques années, on dira : «Ah ouais, tu te souviens des Darts au club ? Ah qu’est-ce que c’était bien !» Que pourrait-on en dire de plus ? Ce genre de set n’a pas d’autre prétention que de nous faire passer un bon moment. Ça s’arrête là.

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    On peut chercher dans ses souvenirs, on ne trouvera pas d’autre raison d’en parler, puisqu’il n’y a ni message, ni arrière pensée, ni double langage. Juste quatre filles qui perpétuent une tradition vieille de cinquante ans. Elles le font avec soin, comme tout ce que font les femmes, surtout dans un univers aussi peu féminin que celui des groupes de rock. Demandez à June Millington combien elle en bavait au temps de Fanny, quand elle entendait des mecs dire dans le public que les femmes ne savaient pas jouer aussi bien que les mecs. Comme les Japonais, les filles doivent en rajouter pour se montrer à la hauteur, alors elle en rajoutent, mais dans le bon sens du terme. On ne trouvera aucune trace de m’as-tu-vu chez les Darts. Elles taillent leur chemin et compensent leur absence de ‘manhood’ par un aspect sensible qui focalise l’attention et qui finit par flatter l’intellect. Bon d’accord, les compos ne sont pas spécialement renversantes, mais sur scène, elles fonctionnent plutôt bien, même si le sentiment d’avoir entendu certaines choses dix mille fois persiste. Elles développent une telle ferveur qu’elles finissent par convaincre les convaincus d’avance.

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    Elles font cette tournée européenne pour la promo de leur deuxième album, I Like You But Not Like That. Les investisseurs y trouveront un hit digne des Ronettes, «Don’t Hold My Hand», ce qui les consolera d’avoir lâché un billet de vingt. Le reste de l’album ne sort pas vraiment de l’ordinaire : on a déjà entendu ce tatapoum et ce garage d’orgue tellement de fois qu’il ne provoque plus le moindre émoi. Ça pue le fac-similé. Elle compensent avec de l’entrain, comme sur scène. Elles sauvent leur B avec un «New Boy In Town» bien pulsé du beat et la grosse Christine Nunez qui était elle aussi dans les Love Me Nots fait bien gronder sa basse dans «Japan» et dans «I Ain’t Crying». Il est bien certain que les Darts savent tenir un pit en laisse.

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    Histoire de céder à ce vilain défaut qu’est la curiosité, on peut pousser le vice jusqu’au rapatriement de leur premier album, Me Ow. Rien à voir avec I Like You But Not Like That. Écouter Me Ow, c’est comme plonger dans une bassine d’huile bouillante. On s’y frit le beignet dès «The Cat’s Meow», cette espèce de groove de garage underground emmené par une basse fuzz qui secoue le cocotier du mix. C’est du pur jus de délinquance juvénile. Nicole Laurenne envoie des yeah qui en disent long sur ses fantasmes judiciaires. Il faut se méfier de cette femme, elle peut allumer des brasiers sous la carpette et libérer autant de clameurs infernales que l’ostensoir du chanoine Docre. Elle passe à la stoogerie avec «Gonna Make You Love», elle est bonne, au-delà de toutes les espérances du Cap de Bonne Espérance. Elle trempe sa chique dans la purée et ne mégote pas sur les lâchers de volutes. Virulence et beat turgescent, telles sont les deux mamelles des Darts. Avec «Not My Baby», elle shake son garage dans l’attente de jours meilleurs. C’est toujours comme ça quand on attend trop de la vie, on passe sa vie à attendre. Par contre, elle tarpouille son «Get Messy» dans la joie et la bonne humeur. Oh le filles, comme le disait si bien Eddick Ritchell, elles me rendront marteau ! La B tombe de sa chaise à cause de «Don’t Freak Me Out». C’est tellement battu que Nicole Laurenne a du mal à reprendre les rênes. C’est battu trop dur. Elles sont complètement folles. La batteuse vole le show. Comme elles ont décidé de ne pas se calmer, elles enchaînent avec «The Generator», elle tapent leur shit à la concassure, pas de retour en arrière possible, et Michelle nettoie la tranchée au killer solo flash. «I Made A Wish» sonne comme une expectitude de wonderland, c’est du garage spontané et plein de vie, avec un killer solo à la clé. On ne se lasse pas de l’exubérance des Darts. Dernier coup de Jarnac avec «Caught In The Devil’s Game» qui sonne comme un hit des Love Me Nots.

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    Le conseil qu’on peut donner, hormis les voir sur scène, c’est d’écouter cette compile parue chez Dirty Water, The Darts. Oh elle est facile à trouver dans le bac : la pochette s’orne d’un horrible sous-tif, sans doute un clin d’œil amusé de Nicole Laurenne aux médecins qui l’ont charcutée pour la sauver d’un cancer du sein. Cette compile grouille de hits fabuleux, à commencer par «Take What I Need», ce que les Anglais appellent an extraordinary delivery. Nicole Laurenne y déclenche l’enfer sur la terre, il n’y a pas d’autre formule possible, c’est digne de Question Mark & the Mysterians, elle exalte le beat comme d’autres exaltent des bites sur les parkings. On a là un hit phénoménal. L’autre monster blast de la compile s’appelle «I Wanna Get You Off», c’est illuminé à coups de wild shoots, Nicole Laurenne chante ses guts off, elle est out of her mind et c’est somptueux. Elle explose le concept qui devient une sorte d’exploding inevitable à la Warhol. On voit le hit se démultiplier à l’infini. Effarant ! Autre joli numéro de cirque : «Runnin’ Through Your Lies». Les Darts le jouent à l’emballement perpendiculaire. C’est du garage noyé d’orgue et pourtant, ça devient puissant, superbement girly, bien bombardé de son. S’il fallait les complimenter sur un truc, ce serait leur énergie. Encore plus surprenant : «Carry Me Home», slab de garage que remontent à contre-courant des nappes étranges. Le refrain décati en fait un hit. Ce beautiful «Carry Me Home» fait partie de leur set-list. Nicole Laurenne fait encore de sacrés ravages avec «Ramblin’ Stone» et son you got me ! Elle se montre extraordinairement présente, mue par une énergie qu’il faut bien qualifier d’infernale. On peut même parler de fondamental stuff. Elle cogne son shit contre un mur. Sa façon de le swinguer.

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    Elle se livre à un truc purement américain, de l’American sex, perdu au fond de nulle part, comme un film de David Lynch. Elle se montre encore plus impliquée dans «You Got Me» - Save my soul/ Got no use - C’est un bonheur que de l’entendre shouter sa hot shit de choc. Ce qui ressort de la plupart des cuts énumérés est une sorte de crazyness. Elle drive son «She’s Gone» en enfer et c’est pour le moins enthousiasmant. On a là le big drive de garage d’Arizona. On croit même entendre Michael Johnny Walker, tellement c’est bien foutu. On assiste à une sorte d’explosion de joie et de bonne humeur, de celles qui vous sauvent une soirée.

    Signé : Cazengler, Dark

    Darts. L’Abordage. Évreux (27). 2 juillet 2019

    Darts. Me Ow. Dirty Water Records 2017

    Darts. I Like You But Not Like That. Alternative Tentacles 2019

    Darts. The Darts. Dirt Water Records 2018

    05 – 07 – 2019 / MONTREUIL

    COMEDIA

    COSMIC TRIP / DIRTEEZ

     

    La teuf-teuf mobile filoche sur le goudron moite, deux messages, jour sur jour, de Nikopol m'coco, m'enjoignant d'être présent ce vendredi soir à la Comedia, because il y avait un super bon groupe de rock comme je les aimais. Bien sûr c'était un mensonge éhonté, désormais tous les jours de ma vie je me méfierai des annonces de Nikopol m'coco, il n'y avait pas un seul bon combo de rock, mais alors pas du tout, il y en avait deux. Certes deux genres totalement différents, de style aussi éloigné l'un de l'autre que notre bonne vieille galaxie des confins erratiques inexplorés des limites extrêmes de l'univers, jugez-en par vous-mêmes : poésie et rock'n'roll. Si par hasard vous connaissez des trucs plus explosifs que le rock'n'roll et la poésie, contactez-moi. Qui que vous soyez. Sauf Nikopol m'coco bien entendu.

    COSMIC TRIP

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    Nous ont fait le coup de la fausse balance. Sont partis direct en poésie comme d'autres prennent le bateau. Pas la barcasse ivre de Rimbaud, mais la descente phantasmatique du radeau dans le ruisseau de Giono. Un de ses plus beaux textes, bref ils étaient trois, guitare, basse, trombone, puis elle est venue, surgie de nulle part, s'est installée devant le micro, et c'était parti pour une longue dérive de mots et de musique. Je l'avais entraperçue gisant sur le sofa en princesse assoiffée lasse de vivre alors que les autres s'affairaient autour de la leurs instruments et de leurs machineries. François Seuls et Michel, à la guitare et à la basse qu'ils échangeront dans la dernière partie du set, de vraies gueules de poëtes, broussailles de cheveux blonds et t-shirt de sang vermeil pour l'un, yeux rêveurs sur barbe engrisonnée et pointue de gentilhomme du seizième siècle pour l'autre. Ils sont les modérateurs de l'infini. Ne vous le propulsent pas à la vitesse de la lumière, vous le font couler doucement, un froissement de reptile enfui dans les fourrés, mais vous sentez que la présence redoutable et venimeuse vous suit sur le chemin. Ne vous quittera plus. Cordes indolentes et endormeuses. Raga sans rage venu d'un Orient inconnu. Vous ensorcèlent sans que vous y preniez garde. S'il n'y avait pas Sly Trombone à leurs côtés, l'endormissement et l'enfouissement final vous guetteraient.

    Sylvie Shnou n'est pas un mou du genoux. Femme et espiègle. L'est chargée de réveiller les morts. Elle rutile de coups de trompettes incandescents. Faut la voir allonger démesurément son trombone, l'exhausse en cou de girafe, puis elle vous le rapetisse à la manière des parapluies pliants, les gars vous emmènent dans les plis et replis d'une musique sérielle et Sly tire au tromblon comme si elle était pistolero dans un western mexicain, à elle toute seule elle éclate aussi fort que la fanfare de l'Opéra des Quat'sous, elle vous kurt weillise vous bretchise sans concession, et ma foi elle vous fait tinter la monnaie fort bellement sur les comptoirs de la joie de vivre. L'on devrait crier au scandale, dénoncer un intolérable pot-pourri musical de douce brise et de broc frontal, un mélange qui ne devrait pas exister, mais bizarrement cette disharmonie de base est des plus harmonieuses.

    Et puis il y a Lili. Juste elle. Elle a compris l'injonction mallarméenne, que la poésie se doit de reprendre son bien à la musique. La parole d'abord, la voix suffit. Tout le reste s'inscrit dans l'ordre du superfétatoire. Compagne des trois autres mais solitaire en elle-même. Mince silhouette, une éblouissante sveltesse d'un corps aux courbes évanescentes teintées à l'aquarelle comme crayonnées en dessous par James Whistler. Et puis la voix, filtrée au sang intérieur, un miracle de ton monocorde, une corde tendue sur l'abîme, pas d'effets, aucune recherche d'aigus pointus, aucun jeu de graves soubassements, le flot ininterrompu, venu de nulle part, la voix d'ailleurs de la Pythie de Delphes, l'écume basse de la Sibylle de Cumes, certes elle psalmodie des paroles du quotidien, du Prévert ou des litanies des difficultés de vivre à deux, mais ces murmures sont à interpréter, Lili nous communique les harmonies des Dieux, et c'est à vous de les recevoir et de les comprendre, car la poésie est une terrible exigence qui dit toujours plus que ce que véhicule le misérable sens des vocables humains.

    Nous avons de la chance, joueront longtemps. S'amuseront, essaieront d'inclure des boucles sonores dans le long écoulement de leur musique, imprimeront en filigrane quelques rythmes de bossa, Lili prononcera des gros mots, nous proposeront de nous engouffrer dans un marathon poétique de cinquante-deux heures... Sylvestre vient leur donner un coup de main. Lili lui cède le micro et silencieuse s'occupe à être, seulement à être, au fond de la scène, et Sylvestre se lance dans une brillante démonstration de poésie sonore, petite-fille des théories d'Isidore Isou. Ne s'agit plus de déclamer, mais à l'instar des musiciens qui n'ont pour tout instrument que leur corps, le poète n'a que des mots, pas du discours construit, des espèces de proférations de mots, coupés, raccourcis, concassés, entassés, des dégringolades de phonèmes, des jacasseries de son, des dévergondages de perroquetteries, ne s'agit plus de se faire comprendre mais de démontrer qu'une fois le message aboli subsiste la présence élocutoire du poète, à entendre comme le ramage mélodieux des oiseaux. Inversion de toutes les règles prosodiques et logiques, c'est l'apparition du non-sens qui fait sens. Très belle performance de Sylvestre. Encore un peu de musique et c'est la fin, alors Lili, s'éloigne somptueuse, dans un halo de rêve.

    DIRTEEZ

    Trois sur scène. Subitement vous avez l'impression que quelque chose vous manque? Sont bien là tous les trois, c'est bien-là le problème. Un bassiste, yes, une guitariste, yes. Et le troisième, l'a dû venir en touriste. Rien dans les mains. L'a perdu sa batterie sur le chemin ! Non, ils n'en ont pas. Quoi un groupe de rock avec une boîte à rythmes, faut demander à être remboursés. Déjà que l'on nous promet l'apocalypse mondiale pour 2030, voilà que maintenant l'on supprime les batteries. Ne vous affolez pas. D'abord l'apocalypse elle nous est tombée dessus trente secondes plus tard. Pour la bestiole rythmique s'en sont sortis comme des chefs. Z'ont compris comment on s'en sert. Très fort, très vite. Imaginez un escalator dans un grand magasin, lancé à 100 kilomètres heures, que ce soit en montant ou en descendant vous n'avez pas à rater une marche pour rester dans les temps. Les Dirteez nous ont défilé une trentaine de titres sans faillir. Quand vous êtes poursuivi par trois molosses il est chaudement recommandé de ne pas s'arrêter pour relire La Métaphysique d'Aristote. Z'avez intérêt à cavaler grave.

    Prenons un cas pas tout à fait au hasard, puisque c'est celui de Clint Lhazar, celui qui est arrivé avec son look d'aristocrate anglais convaincu que la simple présence au monde de sa personne lui sert de caution à la tentation cioranique d'exister. Rien dans les mains, mais tout dans la voix. Faut avouer que les deux autres ne l'aident pas, font un boucan d'enfer, nous règlerons leur problème tout à l'heure mais le Clint il s'en fout, possède l'arme secrète, détient the voice, pas à la Sinatra, à la sinistra, l'a l'organe qui tape dans le baryton funèbre, pourriez lui mettre un éteignoir sur la tête, ou un heaume d'armure médiévale, que vous l'entendriez toujours. Le pire c'est qu'il ne s'en sert pas pour soutenir les basses dans le requiem de Gabriel Fauré, n'oublie pas un seul instant qu'il officie dans un groupe de rock, alors il l'utilise comme un chalumeau pour découper l'enveloppe de fer blanc qui enrobe une bombe atomique. Dès qu'il l'ouvre, à chaque fois vous êtes surpris, la possibilité qu'une telle turgescence vocalique puisse exister n'avait jamais effleuré votre esprit, même dans vos délires imaginatifs les plus fous. Le barrissement concis et incisif de l'éléphant en rut et l'ampleur du profond de la baleine qui endort son baleineau. En plus parfois il la râpe au presse-légume guttural, et là vous jouissez sourdement.

    Un bassiste. Vous voulez rire. Un gars sympa, une belle dégaine rock, des biceps d'acier, le mec gentil et prévenant qui vous annonce les titres, du genre Endless Night et une trombe de sable brûlant vous vérole le visage, ou alors River of Sorrow et un volcan explose sous vos pas, car personne ne lui a jamais appris qu'il jouait de la basse, mais pas de la guitare électrique. Lui il ne sait pas faire la différence. Vous tire les cordes avec cet empressement des légionnaires qui ont cloué Jésus sur la croix, l'aime le travail bien fait et vite fait.

    Le plus terrible c'est que de l'autre côté de la scène, il y a son double, son triple, son quadruple, féminin. Un sourire gourmand de petite fille qui grignote une crêpe au chocolat s'étale sur son visage. Son T-shirt qui arbore une gueule de tigre colérique est un sérieux indicateur, ne s'appelle pas Wild Cat Lou pour rien, regardez le chaton de léopard tatoué sous son poignet pour vous en convaincre, l'est concentrée sur sa guitare comme un chat devant un trou de souris, l'a l'air perdue dans d'abstruses ruminations géométriques et puis sans préavis, elle vous allonge la patoune droite et vous griffe à mort le malheureux riff qui pensait que la voie était libre. Et alors elles miaulent, toutes les deux, la guitare et elle, deux tigresses endiablées, et du coup le bassiste se met à hululer comme un loup dans un roman de James Oliver Curwood. Parce que voyez-vous, je ne vous l'avais pas dit encore pour ne pas vous faire peur, mais Dirteez n'est jamais aussi bon que quand ils poussent la goualante tous les trois ensemble. Bien sûr, souvent il n'y en a qu'un qui s'y met avec Clint, mais quand ils y sont tous les trois, vous êtes obligé de reconnaître que ni le MC 5, ni les Stooges n'ont jamais pensé à cette sorte de pétaudière.

    Pour résumer le carnage : ils ont commencé au niveau par lequel généralement les autres groupes terminent, vers la fin la Wild Cat s'est jetée à genoux par terre, a glissé sa tête dans la jupe longue d'une danseuse, l'a dû humer des vapeurs – je n'ose employer l'adjectif qui me vient sur le clavier – s'en est sortie toute excitée, pour, ivre de cette féminine fragrance, se fracasser la tête en arrière sur le carrelage, les mains serrées spasmodiquement sur sa guitare dont elle a continué à lacérer les cordes, une expression d'extrême extase orgasmique sur son visage. L'a fallu deux valeureux jeune homme pour la relever. Rock'n'roll ! Brothers and sisters, dear motherfuckers, il n'y a que cela de vrai sur cette terre maudite.

    Damie Chad.

    UNDEAD STORY

    THE DIRTEEZ

    ( 2008 / OP001 )

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    Clint Lhazar : vocals / Wild Cat Lou : guitar, vocals / Jack Redrum : bass / Don Donuts : drums, banjo, backing vocals.

    Âmes sensibles, estomacs délicats, ou adeptes avérés du cunnilingus, ne regardez pas la pochette, le message subliminal induit par le dessin signifie-t-il que toute la saleté du monde a trouvé refuge au plus haut d'entre les jambes des filles ? Je vous laisse seul juge. Toutefois rappel du principe le plus élémentaire de la justice humaine : ne portez de jugement qu'après longue enquête et preuve à l'appui.

    UFO : les Dirteez ne lésinent pas sur le budget, vous offrent un voyage en objet volant non identifié dès le premier morceau. A peine sur la rampe de lancement que la puissance des moteurs vous arrachent irrémédiablement à l'attraction galactique. Z'ont même embauché un orchestre pour égayer le voyage : guitares fuzzantes, drummin' néphrétique, et vocals de dingos. Dirty talk with batman : un cri de goret pour vous arracher à votre tranquillité, encore pire que le premier morceau, est-on obligé de s'enfoncer de si bonne heure dans l'horrible ? Hélas avec les Dirteez c'est irrémédiable. Et cette guitare qui vous la fait nique ( mère, filles, sœurs, voisines ), un coup de grosse caisse pour renverser la marmelade, les guitares qui se prennent pour des spitfires en flammes. Not Alone : sûr qu'il n'est pas seul pour faire tout ce ramdam, il y a une chatte qui miaule pour réclamer ses croquettes du soir, doivent être particulièrement nutritives parce qu'elle réclame une seconde ration trente secondes plus tard. L'est servie sans ménagement par un maître aux petits soins. Gypsy Rose Lee : dès le début on a compris que l'on ne retrouvera jamais plus Rose Lee dans cet infâme bastringue. J'en profite pour signaler la voix de clergyman enrouée de Clint Lhazar, l'est certain que lorsqu'il les anime de son organe tuméfié les réunions tuperware spécial-paroissiennes doivent valoir le déplacement. Les assesseurs sont du même calibre. Peeping Tom : il y a des groupes qui sont dirigés par des idées simples : la même chose qu'au morceau précédent mais en mieux. Alors le Clint il dégaine sa voix comme Eastwood son flingue, et les acolytes font comme les frères de Jessie James, tirent d'abord, réfléchissent ensuite. Super western on the TV. Ça dégomme dur. Monster from outer space : à force de foutre le bordel un peu partout sur la planète on s'attire des ennuis, sont maintenant aux prises avec un monstre venu de l'espace. Certains informations secrètes de la CIA sous-entendent que c'était les Dirteez qui s'étaient déguisés pour agir en toute impunité. Enquête faite, les soupçons sont confirmés. Paradise : tiens c'est plus doux, du moins sur les trois secondes de l'intro, l'est vrai que nous sommes au paradis, mais le bon temps ne dure guère, l'on assiste à une querelle épique entre Eve Wild Cat et Clint Adam, au raffut qu'ils font l'on comprend pourquoi le bon dieu les a foutus dehors. Nous lui donnons raison. Now we're dead : ce qu'il y a de triste c'est que même morts cela ne les a pas calmés, jouent à la horde de walking deads qui déambulent dans le vestibule de votre maison-bulle. Cachez-vous dans la pendule, s'ils vous touchent vous attraperez des pustules. The real potion N° 9 : c'est le neuvième titre, encore pire que les précédents, rien à dire ce qui vous tue vous rend encore plus fort. Z'avez une guitare qui gronde comme un monstre. Vous auriez dû regarder l'étiquette, le poison sort des labos du bon doctor Feelgood. Du coup Clint et Wild Cat harmonisent une mélodie, rien que pour vous montrer qu'ils peuvent le faire, oui mais ça ne les intéresse pas, ce genre de facéties ils l'abandonnent très vite ! Carry me : une batterie qui s'emballe, un vocal qui survole et une guitare qui bouscule les armoires du living-room. Les Dirteez savent ce qu'ils veulent : allumer le feu du sexe pour ne pas le laisser s'éteindre. Haunted blues : quand le diable élit sa demeure dans le blues, ça tourne en eau de boudin, en rock'n'roll si vous voulez une traduction. Un conseil dépêchez-vous de vendre votre âme, c'est trop bon. River of sorrow : un chagrin violent avec un larsen qui vous coupe les oreilles en pointe dès le début, et puis c'est le côté rivière country déjanté qui prend le relais. Voix profonde, fleuve majestueux. Courant invisible mais si vous y mettez le pied, serez entraîné tout au fond. Pour le cadavre, les poissons chats le boufferont. She's my baby : le genre d'éructation qui mettent les gars en joie, le Clint il brame à la manière des cerfs au fond des bois, les autres derrière font les balèzes, seraient tous prêts à entonner le chant des partisans, la wild Cat vous passe les riffs comme les bandes pour la mitrailleuse. Incubus : un peu de démonologie n'a jamais fait de mal à personne, d'autant plus que l'incubus l'est au cube, le Clint particulièrement en forme pour ce morceau. Les autres vous tartinent la mortadelle à la pelleteuse de bien belle manière. Pink Bikini : musique pour effeuillage, le Clint il aime le rose ( à moins que ce ne soit le bikini ), l'on n'entend que lui, le même effet que le chiffon rouge sur le taureau, en plus la Wild Cat vient lui susurrer de ces miaulements libidineux à l'oreille qu'il en ronronne de plaisir. Vaut mieux les laisser en paix, n'ont pas besoin de nous. Se débrouillent même très bien. Car crash : étrange d'abord ils freinent et ils rentrent dedans, et c'est après qu'ils foncent comme des dératés à croire que le fisc les poursuit pour les impayés. A la vitesse où ils vont, personne ne les rattrapera jamais.

    Damie Chad

    DANCE OF SOULS

    THE DIRTEEZ

    ( 2019 )

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    Clint Lhazart : chant / Wild Cat Lou : guitares, chant / Cyril Last Train : batterie / Tchoupi : basse, chorus + dessins & design.

    La pochette vaut le détour. Voulions dire par cela que le recto est nettement plus beau. Esthétique woodoo délurée, en des tons gris explosifs.

    Tiens dix ans ont passé, sans doute se sont-ils calmés, ils étaient jeunes et fous, il faut comprendre, ils ont jeté leur gourme, pas encore des grabataires mais un peu plus adultes.

    Lazy : c'est indubitable, ils ont changé, sont devenus beaucoup plus vicieux. Z'avant ils vous plantaient direct le cran d'arrêt en pleine chair. Maintenant, ils se sont spécialisés à l'injection d'insuline, en sous-cutané, opèrent en douce. Une fois que vous avez votre dose, vous êtes dépendants. Dance of souls : Ils faisaient danser les corps c'était franc et brutal, carrément hématomique sur les bords et au milieu, maintenant, vous extirpent l'âme et ils s'en servent comme des marionnettistes pour la faire entrer en contact avec d'autres. Moins de chair, davantage de frisson. Vous aimeriez que cela ne s'achève jamais. Shark smile : n'en ont pas pour autant perdu les mauvaises habitudes, méfiez-vous de ces sourires en coin aussi pointus que des étoiles de ninja. La Wild Cat en a encore dans le bec, une fille qui s'adresse à vous comme cela, vous n'en avez jamais rencontré. Thirsty road : l'était très bon le morceau précédent, ben celui-ci il est meilleur. Chantent en chœur comme l'armée rouge mais les instrus sont des chars d'assaut qui ne tirent pas à blanc. Talisman : là on n'y peut rien, détiennent la formule magique, une voix qui force les serrures blindées et une guitare qui s'introduit dans votre cœur sans demander la permission. Parce que c'est eux, parce que c'est nous. Strong : pas une seconde d'hésitation, ils sont du mauvais côté de la force. Cette batterie qui enfonce le pont-levis de votre âme, la Wild Cat qui miaule comme la Pasionaria s'insinue en vous avec des faux slogans qui finissent par exploser vos certitudes. Des anarchistes, monsieur l'agent, ils ne respectent rien. I can't wait : peuvent pas attendre, résultat sont pressés. Tous en groupe en formation commando, foncent vers l'objectif à détruire, vous les applaudissez. Vous n'auriez pas dû. C'était vous. Boogie rats : ne sont pas prêts à s'arrêter en si bon chemin. La Wild Cat est au chant comme les régiments de sapeurs à la contre-mine. Evidemment, c'est sans surprise, quand la catastrophe s'arrête vous n'y croyez pas. Vos oreilles non plus. Keep it dirty : retour à l'insidieux, l'infirmière Wild Cat vous fait une piqûre et vous vous envolez jusqu'au plafond, elle crie de joie et vous faites des galipettes accroché au lustre. Avec les Dirteez c'est fou ce que l'on s'amuse Docteur, sans eux la vie est une terrible saleté. Endless night : pour le dernier morceau ils sont gentils ne vous promettent pas la lune mais la nuit sans fin. Un voyage digne de Céline et des Cent-vingt jours de Sodome. Jusqu'au bout de l'horreur-rock.

    Damie Chad.

    P.S. : si vous n'aimez pas le rock'n'roll, il vous est vivement recommandé de ne pas acheter ces deux disques.

    07 – 07 – 2019 / MONTREUIL

    COMEDIA

    LOS MUERTOS / VOLUTES

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    Dernier concert de la saison parisienne – septembre-juillet 2018-2019 – même s'il se retrouve chroniqué avec le précédent, en début de nouvelle période 2019- 2020...

    LOS MUERTOS

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    Sont bien vivants, je vous rassure. Que voulez-vous ce sont des Mexicains, un peuple que la mort fait rigoler. Bref ils sont quatre, ou trois + 1, pas des squelettes en sucre, sont bien là en chair et en os. Ont revêtu leurs visages d'un masque, par contre pas de micro en vue. Normal c'est un groupe de surf. En fait le batteur en recèle un, dont il ne se servira que dans la deuxième partie du set.

    Qui dit surf, dit guitares. El Jonathan et Olivier en possèdent une. Jusque-là tout va bien. Mais il y a un truc qui cloche. Z'ont un style antithétique. El Jonathan c'est le surfer modèle, à peine El Julio a-t-il tamponné ses baguettes l'une contre l'autre qu'il se lance dans une galopade effrénée. Soutenu de main de main de maître par le drummin' caracolant d'El Julio, et El Giovanni chevauche sa basse comme s'il menait de bout en bout le derby d'Epsom. De la belle ouvrage. Ça vibrionne à la manière d'un essaim de moustiques-tigres enfermés dans une bouteille. Le surf est un art acrobatique, imaginez un funambule sans filet, sans balancier et sans corde tendue entre deux clochers sur la place publique. Encore plus dur que le Christ qui s'appuyait sur l'eau pour marcher sur le lac de Tibériade. Dans le surf, pas de triche, où vous avancez ou vous vous esclaffez à terre comme la figue mûre qui tombe toute seule de l'arbre. Les surfers ont rejeté la sainte trinité du rock'n'roll : pas de chanteur, pas de solo, pas de frime, dévalent la colline tous ensemble, course en équipe, sautent les obstacles et s'enfoncent dans les précipices de concert. Et Los Muertos s'y entendent à merveille à ce petit jeu d'esbroufe collective, guitare, basse et batterie, sont comme les chevaux du char de Ben-Hur, se mordent la croupe pour passer devant, se filent des coups de croche-patte pour faire basculer le copain, se cabrent tout droit sans préavis pour couper le rythme, un tintouin de tous les diables, mais ils finissent toujours par franchir la ligne d'arrivée tous ensemble.

    Et Olivier dans toute cette folie. Ne la partage pas. Ne boude pas dans son coin non plus. Mais ne s'excite pas. Dans la basse-cour, vous avez toujours un coq qui refuse fièrement de se ruer sur le grain lancé à pleines poignées par la fermière, Olivier a les doigts qui picorent dignement. Le tireur d'élite qui prend son temps mais dont le tir fait mouche à chaque fois. Le gars qui craque une allumette sur les bidons d'essence. Peu d'action, mais efficacité maximale. Le mec qui desserre le frein à main pour que la voiture du voisin pique droit sur la vitrine du café afin de mettre un peu d'animation dans le magasin.

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    Tiens Giovanni pose sa guitare, sans doute la suivante sera-t-elle plus appropriée pour le prochain morceau. Pas du tout il descend de scène. Laisse le rôle de guitariste soliste à Olivier. Et là commence la grande mutation. Le surf que nulle oreille humaine n'avait jamais ouï jusqu'à lors. Une esclandre à pousser les puristes de l'orthodoxie surf au suicide. Pour les figures imposées pas de problème, vous les avez toutes, les voltes et les vire-voltes, le grand-huit et les montagnes russes, mais imaginez le championnat du monde de dressage dans lequel un candidat entre dans le carré en moto. Car oui, bye-bye les sixties, Olivier n'a pas customisé sa guitare avec des auto-collants, l'a carrément motorisée, elle ronfle comme si elle servait le biscuit chez Mötorhead. Voici le surf minotaure. Ne miaule pas, pétarade. L'est doué le gazier, s'amalgame au style des deux autres Muertos sans problème, le boa qui fait mumuse avec les souris, tout le monde est content et applaudit à tout rompre.

    Pour la suite vont alterner un coup de guitare à la Dick Dale et un autre à la mandoline métallisée, le set en devient encore plus punchy y El Julio n'y tenant plus ne peut s'empêcher de chanter dans son micro. L'est particulièrement en verve sur Lorena qu'il chante un peu à la manière des guateques d'étudiants d'outre-Pyrénnées. Ay ! que fiesta mejicana ! Que recordar !

    VOLUTES

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    A les voir sur scène avant qu'ils ne commencent vous n'y croyez pas. Genre d'action en bourse que vous n'achèterez pas. Une erreur dramatique, le cours va très vite monter et pulvériser le CAC 40. J'avoue que c'est une image qu'ils n'aimeront pas, qu'ils réprouveront car elle ne correspond en rien à leur idéologie. Mais que voulez-vous, un batteur et un bassiste, plus un chanteur aux mains vides, vous vous dites qu'après l'hélicoptère précédent, le son risque de paraître plutôt maigre. Oui mais ils vous prennent en traître. C'est un déluge bruitiste qui vous tombe sur le museau au plutôt sur le paletot. Z'êtes en plein capharnaüm musical, certes PH Katsos s'active au drumin' et Matthieu Lesenechal ne chôme pas sur son bassophone, mais cela n'explique pas l'épaisseur du son émis, l'enquête sera vite terminée, le coupable se nomme Christophe Guillemin, l'a amené son petit clavier Novation, pas plus grand que quatre boites à sucre pas très épaisses, s'y rue dessus, enfonce trois doigts sur trois touches du clavier, à la manière des serres d'un vautour affamé qui s'affale sur une charogne de chacal putréfié dans la Vallée de la Mort et il vous arrose à la lance incendie d'une interminable succession de giclées d'acide chlorhydrique.

    Vous pensez que l'on ne peut faire plus question maltraitance physique. Vous oubliez la cruauté mentale du bourreau qui vous soumet à la pire torture psychologique. Rien qu'à la manière de porter son micro à la bouche, nul doute c'est un artiste. Chante comme les peintres et les poètes expressionnistes allemands ont bouleversé l'art au sortir de la guerre de 14-18. L'est bien jeune pour avoir connu les horreurs des tranchées mais notre société moderne, peut-être ne vous en êtes-vous pas aperçu, ne nous offre pas un monde baudelairien de luxe, de calme et de volupté. La planète est en feu, et l'engeance humaine court à sa fin. Alors Christophe vous envoie l'étoffe du message à pleins drapés. Chante avec tout son corps, se tord comme un chaman qui se plie aux incantations rituelliques, s'investit de charisme animal, l'est le rhinocéros féroce qui charge et pulvérise les idées reçues, le lion royal qui rugit ses imprécations, l'éléphant majestueux qui écrase la vermine monsantique sous ses pattes sans pitié. L'est parfois inondé de violente colère, il se jette sur Matthieu qui, impassible alors que Christophe tente de l'étrangler, n'en continue pas moins de jouer tandis que Katsos tape encore plus fort sur ses fûts. Revient vers nous et répète sans fin, dix fois, vingt fois, trente fois une espèce de mantra dynamite destiné à vous trouer le cerveau. Retourne sur son clavier comme le chien à son os à moelle, un éboulis sonore s'écroule sur vous, le son tremble comme les immeubles secoués par les ondes de choc d'un tremblement de terre, Katsos en profite pour bousculer le tout et Matthieu vous segmente le charivari à la tronçonneuse. Volutes vous submerge dans une musique paroxystique, bain de métal qui boue à gros bouillons et clapote en dégageant les pires tourbillons méphitiques.

    Parfois les mots sont des missiles lancés contre les mensonges de l'ancien monde. Une voix rauque chargée d'émotion et de hargne. Les paroles sont en français, Volutes fait partie de ces groupes qui ont délibérément choisi d'employer l'idiome national, de ne plus se satisfaire des signaux de fumée de l'anglais de pacotille employé par beaucoup. Tant de situations à dénoncer, tant de visions de vie à exprimer, tant de rapports humains à redéfinir, tant de colère à alimenter, tant d'idées à faire circuler... Un rock théâtral, liturgique qui exacerbe les pulsions de révolte éparpillées dans l'esprit du public en les dévoilant en tendant à chacun le miroir de ses replis intérieurs dans lequel il est censé se reconnaître pour s'éveiller de sa propre léthargie. Un rock qui se veut révélation agorique qui explose et expose sur la place publique les contradictions de nos propres interpénétrations dans le tissu mensonger de nos compréhensions lâchement acceptatrices, de nos pactisations éhontées avec une réalité sociale que nous réprouvons en théorie et avec lequel nous composons en pratique. Volutes explore le labyrinthe de nos atermoiements, n'oublios pas qu'en mathématique l'étude des tourbillons s'inscrit dans la théorie des catastrophes.

    Ce qui n'a pas empêché le groupe de faire un tabac.

    Damie Chad.

    VOLUTES

    2.4 - √ - ◀◀

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    Pour la pochette ayez de l'imagination, aiguisez votre herméneutique, je m'amuse à y voir une empreinte de patte de chat, ce pourrait être aussi un projet de couverture pour La mort viendra et elle aura tes yeux le second recueil de poésie de Pavese mais dans les deux cas je suis sûr que ce n'est pas cela. Tout noir et à peine visible. Pour l'onglet blanc, pas d'erreur possible, édition à tirage limité, qui exhibe fièrement le numéro de votre exemplaire. Délicate attention pour vous rappeler que vous non plus vous n'êtes pas unique.

     

    Syriana : ne vous laissez pas emporter par le motif vaguement arabisant, très rapide, trop rapide, le morceau dépasse à peine deux minutes, c'est quand vous vous posez la question cruciale – mais de quoi parle-t-il au juste ! - que vous commencez par vous dire qu'il va falloir le repasser une nouvelle fois. Pas de chance, vous aurez besoin de renouveler l'expérience pour y voir un peu plus clair. De fait c'est aussi incompréhensible que la situation en Syrie. Vous avez voulu soulever le couvercle, alors maintenant souriez. Les serpents des mauvaises raisons s'entremêlent. Mettez la main dans le nœud des vipères et dépatouillez-vous avec. L'on se presse autour de vous pour vous siffler les réponses inconséquentes. Le monde va mal, vous le saviez déjà, ne venez pas vous plaindre. La situation politique générale est déraisonnable. Nerfs à vif : grésillement de gégène intérieure. L'on a changé de pays, pas très loin, de toutes les façons dans le monde entier c'est la même situation, arrachez-vous la peau par petits lambeaux, vous serez au plus près de ce que l'on se doit de ressentir. Scarlett : tiens une chanson d'amour pour changer d'atmosphère, remarquez toutes les filles sont à l'image de Scarlett, voici le film de sa tête qui ne va pas très bien, en plus elle veut surtout pas changer d'état, cela s'appelle de la complaisance envers soi-même, si vous vous êtes laissé prendre à son manège, tant pis pour vous, la Scarlettine tue beaucoup plus que la scarlatine. Le champ des signes : voix de bonimenteur, n'y a que les filles qui soient mortelles, les hommes qui se regroupent vous pondent des théories fumeuses qui vous prouvent par a +b que l'avenir n'a plus de futur. Que voulez-vous, tout à une fin. Les signes n'indiquent que les voies sans issues. Veuillez les emprunter s'il vous plaît, nous n'avons rien d'autre en stock. Options ▷ 2.4 - √ - ◀◀ : musique électronique, vous n'y entravez que couic, c'est très court et aussi incompréhensible que notre monde. Le message se détruit avant que l'ayez écouté. Règle N° 1 du non-jeu.

    L'artefact est d'une écoute dérangeante. Figurez-vous que vous oubliez qu'il y a aussi de la musique et du chant. Pour une fois ( n'est pas coutume ) ce sont les paroles qui vous prennent à la gorge et toute la place. Ce qui est rare est précieux.

    Damie Chad.