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  • CHRONIQUES DE POURPRE 658 : KR'TNT ! 658 : SISTER ROSETTA THARPE / JOANIE SOMMERS / DEE C LEE / GRACE CUMMINGS / BRITTANY HOWARD / ARKONA / JESSE DANIEL / EDDY MITCHELL / DEAD LEVEL / BOLESKINE HOUSE

    KR’TNT ! 

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 658

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    26 / 09 / 2024

     

    SISTER ROSETTA THARPE / JOANIE SOMMERS

    DEE C LEE / GRACE CUMMINGS

    BRITTANY HOWARD / ARKONA

    JESSE DANIEL /  EDDY MITCHELL

      DEAD LEVEL  / BOLESKINE HOUSE

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 658

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Wizards & True Stars

     - Les tartes de Sister Tharpe

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             Avec Devil’s Fire, le pauvre Charles Burnett ne risque pas d’entrer dans les annales du cinéma. Dans ce film raté, il raconte son histoire, celle d’un petit black californien qui découvrit le blues lorsqu’il allait passer ses vacances scolaires chez l’oncle Buddy installé dans le Mississippi.

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             L’oncle collectionnait les 78 tours et écoutait un blues chaque matin au réveil. L’idée de départ est bonne, mais ça ne décolle pas, tout simplement parce que cette burne de Burnett plombe le scénario avec des clichés, le pire de tous étant celui du fameux carrefour où Robert Johnson vendit son âme au diable.

             Pour corser l’affaire, Burnett farcit son film d’images documentaires, comme on farcit une dinde. Il bourre son film par le croupion. On frise vite l’overdose, les figures de légende se succèdent à un rythme infernal : Son House qui claque son dobro, Ma Rainey, Ida Cox, Dinah Washington, Sonny Boy Williamson - le vrai - Mississippi John Hurt et sa bouille de vieux singe, Muddy Waters comme toujours écœurant de classe, T-Bone Walker le précurseur et... Sister Rosetta Tharpe qui nous fait un numéro de picking à faire blêmir Roger McGuinn.

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             Voir Sister Rosetta Tharpe, c’est prendre une grosse tarte en pleine poire. Dans son film intitulé Red White And Blues Mike Figgis nous colle lui aussi une minute trente chrono de Sister Rosetta Tharpe, pas plus, alors qu’elle mériterait un film entier à elle toute seule. Figgis et Burnett sont tous les deux des ânes. On voit Rosetta jouer un blues-rock torride dans la rue, en robe blanche, avec sa SG blanche, devant une chorale de gospel black. Il faut voir comme elle dépote. On la voit jouer de méchants riffs sur sa Gibson. Ces quelques images suffisent à nous faire comprendre qu’elle est la reine du blues, du rock’n’roll et qu’elle navigue au même niveau que Jerry Lee, Little Richard ou Wolf.

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             Jerry Lee chanta « Strange Things Happening Everyday » lorsqu’il passa sa première audition devant Sam Phillips. Il voulut ensuite enregistrer ce vieux tube de Rosetta datant de 1945. Il l’avait vue chanter et jouer sur scène et il sortait comme elle des églises pentecotistes - Assemblies of God of Ferriday - où l’on chante à en perdre la tête les louanges de Dieu et les grandes boules de feu divin. Jerry Lee confia aussi à Peter Guralnick qu’il avait vu « une négresse démente qui jouait de la guitare et qui chantait - She was shakin’ man ! » Cette histoire va très loin, puisque Sleepy LaBeef, lui aussi adorateur de Rosetta, déclarait, en parlant de Jerry Lee : « Écoute son jeu au piano. Il joue de la main droite comme Rosetta Tharpe ! »

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             Autre natif de l’Arkansas, Johnny Cash vénérait lui aussi Rosetta. Il avait grandi à Dyess, pas très loin de Cotton Plant, le patelin d’où venait Rosetta. Pur hasard, un copain à l’armée possédait un disque de Sister Rosetta Tharpe. Le Cash était tombé dingue de « Strange Things Happening Everyday ». Il l’écoutait en boucle. Beaucoup plus tard, Rosanne Cash déclara que Rosetta avait été l’artiste favorite de son défunt père. Carl Perkins tenait lui aussi le même genre de propos. « Strange Things Happening Everyday » avait été le morceau préféré de son daddy. Gosse, il allait le dimanche chez son grandaddy apprendre à jouer ce morceau sur sa petite guitare : « C’était du rockabilly, mon gars, du vrai rockabilly ! »

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             Quand Rosetta débarqua à Macon en 1945 pour donner un spectacle de gospel au City Auditorium, elle fit monter le jeune Richard Penniman sur scène pour chanter en duo avec elle. Little Richard ne s’en remit jamais. C’était, disait-il, la meilleure chose qui lui fût arrivée dans la vie, et en prime, Rosetta lui fila environ quarante dollars, ce qui était à l’époque une véritable fortune. Il n’avait encore jamais vu autant d’argent dans sa vie.

             Toujours dans le film de Figgis, George Melly nous raconte qu’officiellement, Rosetta chantait les louanges de Dieu, mais qu’en coulisse, elle aimait bien la gaudriole et se piquer la ruche (« brandy and glory »). Mais ça, on s’en fout comme de l’an quarante. Rosetta a tellement de classe qu’on se demande par quel bout la prendre.

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             La pauvre Gayle Wald a dû se poser exactement la même question, en attaquant la rédaction de l’ouvrage qu’elle voulait consacrer à Rosetta. Elle s’en sort honorablement, puisque son Shout Sister Shout se lit d’un trait. Rosetta est une héroïne du même calibre que Wolf : deux histoires parallèles par leur côté fascinant, deux talents prodigieux et deux physionomies étrangement comparables. Il suffit d’observer les photos et surtout la façon qu’ils ont l’une et l’autre de rigoler : la parfaite exubérance des géants.

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             Dès l’intro, Gayle Wald met le paquet sur la virtuosité de Rosetta, sur son charisme scénique et sur son talent fou de chanteuse de blues. Personne en Amérique ne pouvait aligner autant de qualités. Comme T-Bone Walker, elle avait inventé une nouvelle façon de jouer de la guitare électrique. Elle ne regardait JAMAIS son manche. Elle avait joué partout : au Cotton Club, à l’Apollo d’Harlem, au Carnegie Hall, au Grand Ole Opry, dans tous les stades et dans toutes les églises du pays. Personne ne jouait en picking comme elle à son époque, et par bien des aspects, elle préfigurait Elvis, Red Foley, Etta James, Bonnie Raitt, Isaac Hayes, Ruth Brown et ceux déjà cités. On considère « Strange Things Happening Everyday » comme le premier rock’n’roll (désolé pour Ike Turner, mais son « Rocket 88 » n’arrive que six ans plus tard). Bien avant Dickie Peterson et Lemmy, Rosetta foutait son ampli à fond. D’une part, elle voulait être sûre qu’on entende bien toutes les notes qu’elle jouait, mais c’était aussi l’une de ses croyances pentecotistes disant que « Dieu préférait ceux qui faisaient un barouf joyeux ».

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             Elle n’hésitait pas à se balader en pantalon et il lui arrivait de jurer comme un cocher. Rosetta était beaucoup trop en avance sur son temps. Grand amateur de légendes - et lui-même légendaire - Jim Dickinson ramène son grain de sel à la fin de la brillante préface du livre de Gayle Wald : « Une chanteuse de gospel en robe à paillettes qui jouait sur une guitare électrique, ce n’était pas très courant en 1955. Inutile d’ajouter que cinquante ans après, c’est toujours aussi peu courant. »

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    ( Rosetta, Duke Ellington, Rex tewart,cab Calloway, un frenchy non-identifié, Livie Anderson)

             Premier coup de génie de Rosetta : elle amène le gospel dans les music-halls et les nightclubs new-yorkais. Vous ne connaissez pas le Deep South, les gars ? Alors voilà comment ça se danse. Elle passe de Cotton Plant au Cotton Club et se taille une réputation de « religious shouter » et même d’« Holly Roller entertainer » qui balance des « loud blue tones ». Quand le Cotton Club ferme en 1940, elle part en tournée avec Cab Calloway. À l’époque, Cab est la plus grande star d’Amérique, ne l’oublions pas. Il y a même une photo qui montre une jam mythique de 1939 : alors que Rosetta se tord sur sa guitare, Duke Ellington et Cab Calloway pianotent et la dévorent des yeux.

             Rosetta tourne dans tout le pays et revient régulièrement dans le Deep South affronter les dangers réels de la ségrégation. Dans l’autocar, elle briefe ses musiciens - Gardez toujours le sourire et fermez vos gueules ! - Des nègres bien habillés sont toujours en danger de mort dans des états violents comme l’Alabama et le Mississippi.

             Gayle Wald raconte qu’un jour, alors que Rosetta achetait des trucs très chers dans un magasin de fringues, les Thénardiers derrière le comptoir chuchotaient entre eux - D’où elle sort tout ce blé, la négresse ? - Ils la soupçonnaient d’avoir volé cet argent. Ils appelèrent les flics en douce. Une négresse avec autant de blé, ce n’est pas Dieu possible ! Les flics arrivèrent au triple galop, ravis de pouvoir coffrer une voleuse nègre. Au ballon, Rosetta se mit à chanter. Elle fit fondre le cœur de ses tortionnaires. Tant de beauté finit par les éblouir et les grilles s’ouvrirent comme par enchantement. Cette histoire entra dans la légende de Rosetta. On n’enferme pas un ange. Même s’il est gros et noir.

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             En Angleterre, Chris Barber était dingue d’elle. Mais dingue à s’en cogner la tête dans ses portes de placards. Il réussit à la faire venir en Angleterre pour une tournée, le fameux American Folk-Blues And Gospel Caravan de 1964. Les blanc-becs de la presse vinrent voir cette négresse qui parlait fort et qui chantait ses spirituals « with a rock’n’roll beat ». En Europe, elle fracassa tout, comme l’avait fait LeadBelly juste avant elle (LeadBelly était devenu célèbre en Europe grâce à « Rock Island Line », l’un de ses classiques repris par l’ex-joueur de banjo de l’orchestre de Chris Barber, Lonnie Donegan). Dans les bonus d’un DVD intitulé « The American Folk Blues Festival. The British Tours 1963-1966 », on voit Rosetta arriver en calèche à la gare de Manchester, attraper sa SG blanche et jouer deux morceaux sur le quai, « Didn’t It Rain » et « Trouble In Mind ». On croit rêver. Elle porte un gros manteau blanc et joue au milieu des flaques d’eau. Elle prend ses solos en picking à l’onglet et dégage autant d’énergie que Wolf. Fantastique !

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             Mais le destin sera particulièrement cruel avec Rosetta, comme il le fut avec Big Mama Thornton qui aurait dû ramasser les millions qu’a ramassé Elvis avec « Hound Dog ». Willie Dixon va transformer « This Train » - un vieux hit de Rosetta - en « My Babe », juste en changeant les paroles. Ce sera un hit pour Little Walter sur Chess. 

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             Le rock’n’roll doit absolument tout à Rosetta et pourtant, elle va rester dans l’ombre. Ce sont essentiellement les petits culs blancs de Memphis et des alentours qui vont tirer les marrons du feu et faire fortune grâce au rock’n’roll. Seuls les admirateurs de Rosetta savent qu’elle a tout inventé. La rock attitude, c’est elle.

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             Ginger Baker se souvient très bien d’elle. En 1958, il jouait de la batterie dans le Diz Disley Band qui allait accompagner Rosetta pour une tournée en Scandinavie. Lors d’une répétition, Rosetta demanda à Ginger quelle teinture il utilisait pour avoir des cheveux aussi rouges. Ginger lui répondit que c’était sa couleur naturelle. Comment crois-tu que Rosetta a réagi ? Comme toi, quand tu demandes à une blonde si elle est vraiment blonde. Vazy, montre un peu, pour voir. Par contre, Ginger ne dit pas s’il a baissé son pantalon, comme le lui demandait Rosetta qui voulait vérifier.

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             Le meilleur moyen d’entrer dans l’univers magique de Rosetta, c’est encore d’écouter une compile. The Gospel Of The Blues est facile à trouver. « My Man And I » date de 1938 et tu vas entendre cette brute de Rosetta attaquer à la gratte. En 1939, elle enregistre son hit le plus connu, « This Train » dans lequel elle claque un killer solo stupéfiant. Même aujourd’hui, peu de gens jouent aussi bien qu’elle. Rosetta et Ray Campi sont les deux héros oubliés de l’histoire du rock américain. Elle joue tout en picking. Hallucinant. Avec « Trouble In Mind », elle chante comme une reine du blues et nous transperce de cœur. Elle rejoint Wolf au firmament. « Rock Me » est aussi du pur jus, même si un jazz-band l’accompagne. Elle va chercher Dieu dans les nuages. Elle braille, et derrière, ça swingue. Encore une fois, elle frise le pur génie, même si pour elle ça semble complètement ordinaire. Elle revient en reine du blues avec « Nobody’s Fault But Mine » et une intro démente. On est en 1941, soit vingt ans avant John Mayall. C’est à tomber. La voix de Rosetta contient toute la beauté du blues. Elle corse l’affaire avec un solo punk qu’elle claque sur sa gratte, et de vrais gimme-gimme-gimmicks des enfers. « I Want A Tall Skinny Papa » est big-bandé à fond. Rafales de cuivres et chœurs de mecs, tout est là. Une petite leçon de swing, ça ne fait jamais de mal. Histoire de rappeler que les noirs ont vraiment tout inventé et que le jour où un blanc sonnera comme ça, eh bien, les poules auront des dents.

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             Ce swing te réchauffe la cervelle. Malcolm X aurait adoré danser avec Rosetta sur la scène du Cotton Club. Ils auraient ri comme des enfants devant un public mondain. Elle embarque « God Don’t Like It » à la guitare et elle continue de dérouler ce gimmickage insistant qui fait d’elle la reine du rodéo. Avec « What’s The Soul Of A Man », elle tape dans le blues des cabanes de l’Arkansas, et ça l’amuse de dynamiter le carcan des douze mesures. La voix de Rosetta n’en finit plus de briller au ciel du blues et du rock. Rosetta est réellement la star de nos rêves, drôle, douée et elle shake, comme le dit si bien Jerry Lee. Un jour à Copenhague, une gamine lui tendit un bouquet de fleurs alors qu’elle allait descendre du train. Rosetta n’avait pas vu la marche. Elle disparut. Elle était tombée dans la fosse de voie. On vit réapparaître sa tête quelques secondes plus tard. Elle souriait. « Keep smiling and keep your big mouth shut ! »

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             De ce côté-ci du joint, Rosetta est la meilleure Queen de juke. Inutile d’aller perdre son temps avec les petites chanteuses de blues actuelles. C’est Sister Tharpe qu’il te faut. Et puis on tombe sur le loup blanc, « Strange Things Happening Everyday », le rock des origines. Tout est déjà là, bien avant les premiers standards du rock’n’roll : le swing, le solo, l’énergie. Le solo est même fatal, et elle embarque les chœurs à la force de la voix. Coup de génie enfin avec son duo sur « Didn’t It Rain » avec Marie Knight, mélange de gospel et de guitare punk. Elles font les chœurs et derrière Rosetta gratte comme une folle.

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             L’album Spirituals In Rhythm date de 1960. Le disquaire d’occase qui l’avait dans son bac de blues me disait que personne n’en voulait. Tant mieux. Ce n’est pas le disque du siècle, c’est vrai, mais il y a sur cet album une bonne demi-douzaine de choses qui valent grandement le détour. Elle rocke le gospel avec « He’s The Lily Of The Valley » comme d’autres rockent le craddle. Ça va même plus loin : elle explose le gospel de God. Elle gratte ses cordes et tire la langue, lilly-lilililly of the valley ! Puis elle wouaffe comme un petit roquet. Dingue. Sur « I Do Don’t You », chef-d’œuvre absolu du gospel-blues, on a des chœurs qui rappellent les grandes heures des Edwin Hawkins Singers. On est même frappé par l’éclatante grandeur de ces chœurs démentoïdes, par la fantastique énergie des filles qui vibrillonnent les harmonies vocales à l’extrême. Elles organisent d’extraordinaires relances et tout cela s’articule sur une mélodie imparable. Rosetta fait monter son talking à la mode de l’Arkansas, elle le prend par en-dessous - Oh yeahhh I do/ Talk to you ! - Effarant de beauté. Encore un gospel-blues nappé d’orgue avec « God Lead Us Along ». Rosetta y va à l’énergie. On commence à mesurer l’immense grandeur de cette femme tournée vers la lumière du gospel. Parvenue au sommet de sa hurlette, elle arrache encore. Elle dépasse toutes les limites et elle subjugue. Elle est tout simplement renversante d’élan vital. « The Family Prayer » est swingué jusqu’à la moelle des os. Rosetta peut aussi chanter comme Esther Phillips. Dans « I Saw The Light », elle swingue la chair grasse des chœurs d’enfer. Les Tharpettes sont déchaînées. On assiste à une extraordinaire débauche de chœurs dynamiques.  Tout explose, elle tape dans le tas, ça jute de partout, c’est une shooteuse fatale. Rien ne peut l’arrêter. On ne retrouvera cette énergie que chez d’autres géantes comme Aretha, Sarah Vaughan ou l’immense Ella Fitzgerald, mais sans la gratte.

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             Quelques merveilles se nichent sur l’album Gospel Train, comme « Jonah », qu’elle écoule avec un phrasé d’une sidérante limpidité et elle passe un solo en picking. « Jesus Is Here Today », c’est tout simplement le rumble de Rosetta - Pray ! Pray ! - ça swingue, c’est dingue, et elle nous refait le coup du solo en picking. Fantastique duo avec Marie Knight pour « Up Above My Head ». Elles swinguent autant, sinon plus, qu’un big band des années trente. Avec « Didn’t It Rain », on retrouve le picking et Marie : le rêve. On a là le nec plus ultra du swing. Rosetta embarque ça avec des cliquetis de virtuose. Et elle joue ! Il faut voir comme elle joue !

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             L’idéal est aussi de l’entendre sur le Live in Paris, en 1964. On retrouve tout ce qui fait sa grandeur dans cette série de morceaux. Elle est accompagnée sur l’A par Ransom Knowling à la stand-up, et Willie Smith, le drummer de Muddy. C’est le plus grand power trio de tous les temps, pas de doute. Le swing, rien que le swing. Sans swing, la musique ne va pas loin. Sur « Jesus Is Everywhere », ils font un véritable festival. Ransom slappe comme une bête de Gévaudan. Rosetta fait swinguer le gros cul du gospel avec « Go Ahead » et place une fois de plus un solo de guitare punky. Fantastique version de « This Train » qu’elle joue en continu à la guitare. Ransom éclate de rire - Ha-ha-ha - comme un gros jazzman nègre de Chicago émoustillé par le talent du collègue. Un big band accompagne Rosetta sur la B, mais on entend toujours le son de la SG blanche. Elle joue en permanence et jusqu’à la fin du disque, elle n’en finira plus de subjuguer nos oreilles. « That’s All » est un pur classique de rock’n’roll, une vraie perle de juke à l’ancienne. Elle embarque tout à la voix et elle place l’un de ces killer solos flash dont elle a le secret. Version toute aussi hallucinante d’« How It Rains ». On sort de ce disque à quatre pattes et la queue entre les jambes.

             Comme les grands prêcheurs du Deep South, Rosetta savait enflammer un public. Elle pouvait se pointer sur scène avec des fourrures, des bijoux et une perruque, mais elle n’oubliait jamais de se mettre au niveau des gens qui venaient assister à son spectacle. Chez Rosetta, il n’y avait pas les chichis du star-system. Elle veillait scrupuleusement à rester la petite négresse élevée à Cotton Plant par Katie Bell. 

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             Bill Doggett : « Au Savoy, Rosetta était accompagnée par l’orchestre de Lucky Millinder. Quand elle arrivait sur scène, les gens devenaient carrément dingues. Tout le monde adorait Sister. Elle savait comment parler aux gens. Elle avait un charisme incroyable. » Dizzy Gillespie fit partie en 1941 de l’orchestre de Lucky Millinder. Il était lui aussi fasciné par Rosetta.

             Rosetta croisait les stars de son époque et ça ne lui tournait pas la tête.

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             Pendant toute une période, elle partagea la scène avec Marie Knight. Elles avaient mis au point un numéro spectaculaire pour « Saints & Sinners » : Marie la pécheresse arrivait déguisée en petite paysanne avec un ukulélé, et Rosetta la sainte déboulait en robe et en grattant sa grosse gratte. Le public explosait de rire, tapait des pieds, ovationnait les deux farceuses. Alors Rosetta en rajoutait une couche et le public devenait incontrôlable. C’est ainsi que Gayle Wald décrit un concert ordinaire de Rosetta - A typical performance, circa 1949 - L’album Sister Rosetta Tharpe & Marie Knight donne une petite idée de ce que pouvait être ce numéro. Dans « Milky White Way », on les entend grimper dans des hauteurs immaculées. Sur « Who Rolled The Stone Away », Marie chante seule et sort un gospel swing d’enfer. Sur ce disque, tout est infernal, on entend Rosetta placer des killer solos ici et là, comme si pour elle, il n’y avait rien de plus naturel.

             Au soir de sa vie, Rosetta eut pitié des pauvres petits blancs qui ne comprenaient pas grand-chose à la musique noire et elle fit un peu de pédagogie. Elle expliqua que le blues, c’était le nom théâtral du gospel et que le vrai gospel devait rester très lent, comme « Amazing Grace ».

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             — Si vous commencez à claquer des mains, ça donne le gospel revival et si vous rendez ça encore un peu plus joyeux, ça donne le jazz... Puis ça devient éventuellement le rock’n’roll.

             Non seulement Rosetta fut une star du gospel et une guitariste spectaculaire, mais elle fut aussi et surtout une flamboyante rockeuse noire. Elle fit des étincelles, bien avant l’apparition du rock’n’roll de grand-papa.

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             On profite d’une petite actu pour sortir Sister Tharpe du bocal. Vient en effet de paraître Live In France - The 1966 Concert In Limoges. Par ici, on appelle ça de l’inespérette d’espolette. Ailleurs, on parlerait plus prosaïquement de dynamite. Dans le booklet, t’as des images de Rosetta avec sa SG blanche. Et tu l’entends parler en français aux gens de Limoges - Et maintenant je vais cheteeeeh This Train - Et boom, «This Train», elle part en picking du diable. Elle reste en picking pour «Didn’t It Rain» et dans la salle, ça claque des mains. Rosetta est complètement possédée. C’est le diable qui gratte ses poux. Elle fait encore sa guitar herotte dans «Moonshine». Dommage que les gens applaudissent à tout rompre. Les applaudissements sont même gonflés et ça finit par te gonfler. Elle jive le jazz de «Sit Down» à la Méricourt et balance un fabuleux shoot de gospel rock avec «When The Saints Go Marching On». Elle reprend encore toute la mighty Americana à son compte avec «Joshua Fought The Battle Of Jericho». Elle fait du classic stuff de Sister avertie. Elle refait sa guitar herotte dans «Travelin’ Shoes» - Travelin’ shoes Lawd ! - et chante «Beams Of Heaven» à pleine gueule. Elle dévore le gospel tout cru. Please my Lawd ! Elle tape encore dans l’œil du cyvclone avec «Go Ahead» et montre qu’elle connaît toutes les ficelle de caleçon du gospel boogie avec «Bring Back Those Happy Days». Et puis tu la vois partir en mode rockab dans «If Anybody Above Me». T’en connais beaucoup des superstars aussi merveilleuses ?

    Signé : Cazengler Tartignole

    Sister Rosetta Tharpe. Spirituals In Rhythm. Diplomat Records 1960

    Sister Rosetta Tharpe & Marie Knight. MCA Records 1975

    Sister Rosetta Tharpe. Gospel Train. MCA Records 1975

    Sister Rosetta Tharpe. Live In Paris 1964. France’s Concert 1988

    Sister Rosetta Tharpe. The Gospel Of The Blues. MCA Records 2003

    Sister Rosetta Tharpe. Live In France. The 1966 Concert In Limoges. Elemental 2024

    Charles Burnett. Devil’s Fire. The Blues, A Musical Journey Vol 4. DVD 2004

    The American Folk Blues Festival. The British Tours 1963-1966.  DVD 200

    Gayle F. Wald. Shout Siter Shout. The Untold Story of Rock-And-Roll Trailblazer Sister Rosetta Tharpe. Beacon Press 2007

     

     

    Inside the goldmine

     - Sommers in the city

             Avec Baby Joana, ce fut le coup de foudre. Mais un coup de foudre un peu bizarre. Elle débarqua cet été-là au camping de Singère avec trois copines. Elles étaient complètement autonomes, pas de parents dans les parages. À cette époque, c’était assez inhabituel. Alors il y eut des fêtes sauvages chaque nuit sur la plage. Alcool, crises de rires, seins à l’air, copulation, liberté totale, joie de vivre. Le paradis. Chaque nuit, le même cirque. Encore et encore. Et comme c’est un âge où on tombe facilement amoureux, alors il est tombé amoureux. Mais amoureux des quatre. Elles s’étaient toutes les quatre offertes à lui, et il se sentait bien incapable de faire un choix, car chacune d’elles avait une sensualité exacerbée, au point que dans la journée, il se sentait dévoré d’une passion anarchique pour une hydre à quatre visages et huit mains. Il sentait cependant poindre en lui une préférence pour Baby Joana, mais il ne pouvait la détacher de ses trois copines. Cet hiver-là, il alla passer les vacances de Noël dans la région où elles vivaient toutes les quatre, et il les revit, mais séparément, car le contexte était beaucoup plus austère. Lycéennes, elles vivaient bien sûr chez leurs parents et semblaient toutes subir une sorte de petit joug totalitaire, surtout Baby Joana qui semblait physiquement transformée. Elle portait ses cheveux châtain clair tirés vers l’arrière en queue de cheval, et comme ses parents lui interdisaient de se maquiller, elle offrait le spectacle d’un regard bleu extrêmement cru. Elle portait une espèce d’affreux caban, une jupe longue, des mocassins noirs et des chaussettes blanches. Il ne restait plus rien de ces formes divines palpées avec ivresse pendant les fêtes dionysiaques de l’été. Baby Joana faisait peine à voir. Elle en avait les yeux humides de tristesse. Elle s’était arrêtée de vivre. Elle devait mentir pour venir au rendez-vous, et son temps était compté : devait rentrer à 17 h chaque jour. Elle craignait par dessus tout les représailles de ses parents. Elle marchait dans la rue en poussant son Solex et se retournait à chaque instant pour vérifier qu’on ne la suivait pas. Quand il voulut l’embrasser, elle se mit à pleurer. Elle ne supportait pas de revenir en enfer après avoir connu le paradis.

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             Joanie Sommers est aussi belle que Baby Joana. C’est sur une compile Northern Soul qu’on découvrit Joanie Sommers, avec l’irrésistible «Don’t Pity Me». Tous les fans de Northern Soul connaissent ce smash. La belle Joanie est une Buffalotte de Buffalo, état de New-York, transplantée en Californie, dans les années cinquante, et qui fit carrière chez Warner Bros dans les early sixties. Comme les grandes chanteuses blanches de son temps, elle savait tout faire : le jazz, le groove et la variette.

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             «Don’t Pity Me» ouvre le bal de cette fantastique compile qu’est Hits And Rareties. Joanie est la plus sexy de toutes les blanches, elle y va au don’t pity me de petite chatte demented, elle te le sucre sur fond de wall of sound, elle te le danse, elle te le prend à la main de petite brune sexy, c’est du délire, te voilà baisé, tu tombes dans les bras de Sommers in the city. Cette compile est une vraie caisse de dynamite. Tu l’ouvres à tes risques et périls. Plus loin, tu tombes sur l’«I’m Gonna Know He’s Mine» de Mann & Weil, elle t’explose le Brill. Même chose avec «I’d Be So Good To You». Diable comme elle est belle sur la pochette et diable comme elle casse bien le sucre du Brill. Elle est la cerise sur le gâtö du Brill. Plus loin, encore deux super-productions : «My Block» et «Since Randy Moved Away», deux cuts tentateurs, ultra-violonnés, elle y rentre chaque fois au sucre candy. Avec «Call Me», elle bascule dans la délinquance juvénile, elle chante à la candeur de la chandeleur. Et puis tu as «A Lot Of Livin’ To Do», elle y va envers et contre tout, avec cette voix de sucrette du diable et une niaque qui pourrait faire peur. Elle évolue dans un heavy jazz sound, fabuleuse Joanie, elle tape le jazz nubile, c’est explosif, jazzé jusqu’à l’oss de l’ass. Embarquée comme un fétu de paille, elle gueule encore. Elle jazze son sucre héroïquement, elle tient son cap jusqu’au bout. Ah il faut avoir entendu ça au moins une fois dans sa vie ! Sur les 31 cuts de la compile, la moitié sont des smash. Avec «Mean To Me», elle fait du pur jus de Billie Holiday. Elle détient ce pouvoir extravagant. La blanche bascule dans le swing de black. Elle chante encore son «Goodbye Summer» à outrance. Serait-elle plus royaliste que le roi ? Son sucre te rendra fou («Goodbye Joey»). Mine de rêve, voix de rêve. Elle chante encore «I’m Nobody’s Baby» comme une blackette, à cheval sur le champ de coton et la case de l’Honk Tom. Elle te coule encore ta flotte à la bataille navale avec «I’ll Never Stop Loving You», elle oscille en permanence entre le black world et le sucre candy, elle en abuse d’ailleurs dans «Out Of This World». mais il faut dire qu’elle a toujours un angle d’attaque spectaculaire, comme si elle voulait se poster à l’avant-garde de la variété américaine. Son attaque plait bien. Elle a du sexe plein la voix («Johnny Get Angry»). D’une certaine façon, elle éclaire la pop, elle te prend bien sous les aisselles. Elle fait une belle cover de «Summertime», elle y remonte bien le courant. Elle se prête à tous les genres avec une souplesse épouvantable, notamment à l’exotica de «That Old Devil Moon». Elle revient au jazz pour «What Wrong With Me», elle est folle de swing. Elle devient stupéfiante, elle sucre le swing ! Puis elle refait sa blackette pour aller taper «Henry Penny» au coin de la rue. Bizarrement, le mec qui a pondu cette compile n’a pas jugé bon d’inclure des liners.

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             Par contre, les mecs de Real Gone Music sont un peu moins rats : un petit booklet accompagne The Complete Warner Bros. Singles. On y apprend rien de plus que ce qu’on sait déjà, si ce n’est que «Don’t Pity Me» fut son dernier single sur Warner Bros. Elle signa ensuite chez Columbia. Ce double CD fait un peu double emploi avec la compile précédente, mais bon, on s’en accommode fort bien. Sur le disk 2, on retrouve tous les smash évoqués plus haut, «Don’t Pity Me» (elle bat les Supremes à la course), «My Block», co-écrit par Bert Berns, dont on se délecte une fois encore, et puis l’«I’d Be So Good For You» qui est une raison supplémentaire d’adorer Joanie. Elle sonne exactement comme les Ronettes. Elle monte directement au firmament de la pop, et puis avec «I’m Gonna Know He’s Mine», elle groove le Brill au mieux des possibilités. On croise aussi pas mal de variette, comme ce «Little Girl Bad» qui se noie dans un océan de sucre.

             La viande est sur le disk 1, à commencer par «I’ll Never Be Free». Elle chante comme une blackette, c’est même écrasant de white-niggerisme. Comment s’y prend-elle pour parvenir à ce résultat ? On ne le saura jamais. Elle dégouline littéralement de blackitude. Elle chante son «Be My Love» au fourreau de soie, elle est fabuleusement hollywoodienne. Elle revient à son cher sucre candy avec «Ruby-Duby-Du», c’est dire l’étendue de sa polyvalence. Et de là, elle passe au groove de round midnite un peu sucré avec «Bob White (Watcha Gonna Swing Tonight)», elle claque son tonite avec une niaque particulière. Sacrée pouliche. Joanie gagne à être connue. Elle te jazze tout ça à la black. Elle sait aussi travailler la clameur de Broadway, elle s’éclate au Sénégal avec «I Don’t Want To Walk Without You», il faut l’écouter c’est sûr, mais à petites doses. Ces grosses compiles sont dangereuses, car c’est un son difficile, extrêmement sophistiqué, celui des early sixties américaines. Elle se montre encore spectaculaire avec le wild jazz de «Seems Like Long Long Ago». Une constante chez elle : sa fantastique énergie. On tombe plus loin sur un «Makin’ Woopee» tapé à la stand-up, elle rentre encore dans le chou du groove comme une black. On peut bien dire qu’elle a du génie. Ce que vient confirmer le «What’s Wrong With Me» déjà croisé sur la compile précédente, avec une orthographe différente («What Wrong With Me»). Elle le vibre à la Billie, Joanie est une énorme shooteuse, elle initie la propulsion maximale. Ça te coupe carrément la respiration. Tu découvres des architectures de son au dessus de ta tête, ce sont les arcanes du génie pur.

    Signé : Cazengler, Joanie Sommaire

    Joanie Sommers. The Complete Warner Bros. Singles. Real Gone Music 2011

    Joanie Sommers. Hits And Rareties. Marginal records 1995

     

     

    L’avenir du rock

     - Signed Dee C

             Une nuit que l’avenir du rock se promenait dans un cimetière, il croisa un singulier personnage. Sous son élégant chapeau, il avait noué un bandana. Il portait des lunettes noires, comparables à celles de Ray Charles. De haute taille, de peau noire et plutôt élancé, il déambulait avec la nonchalance d’un dandy. L’avenir du rock s’émut plus que de coutume, car croiser un black dandy la nuit dans un cimetière n’est pas chose courante. C’était une nuit de pleine lune. Le silence régnait sur les tombes aux silhouettes parfaitement dessinées. L’avenir du rock leva son chapeau pour saluer l’inconnu qui avançait à sa rencontre. 

             — Enchanté de vous rencontrer en ce lieu insolite. Permettez-moi de me présenter : je suis l’avenir du rock, mais rassurez-vous, un avenir dénué de toute prétention. Ça vous rassurera sans doute de savoir que je ne suis qu’un simple concept.

             L’homme hocha la tête et se mit à psalmodier :

             — Sometimes I feel so lonely/ My comedown I’m scared to face...

             L’avenir du rock ne sut quoi répondre. L’homme reprit :

             — I’ve pierced my skin again/ Lord/ No one cares/ For me...

             L’avenir du rock s’interloqua :

             — Vous n’avez pourtant pas l’air d’aller mal. Vous savez, il vaut mieux éviter de me prendre pour une andouille.

             L’homme reprit sur le même ton :

             — My soul belongs to the dealer/ He keeps my mind as well/ I play the part of the leecher/ No one cares/ For me/ Cares for me...

             Et là il sortit un harmo de sa poche et se mit à jouer un solo déchirant de beauté.

             — Ah je savais bien que je vous avais déjà croisé quelque part ! Vous êtes Arthur Lee ! Jouez moins fort, Arthur, car vous allez réveiller le voisinage.

             — Look out avenir du rock/ I’m fallin’/ I can’t unfold my arms/ I’ve got one foot in the graveyard/ No one cares/ For me/ Cares for me...

             — Tu nous fatigues Arthur avec tes problèmes et ton Signed D.C. Écoute plutôt Dee C. Lee, ça te remettra l’équerre au carré.

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             Contrairement à ce que laisse entendre son nom, Dee C Lee ne sort pas d’une chanson d’Arthur Lee, mais de la scène Soul anglaise, puisqu’ex-Style Council et ex-madame Weller. Dans Mojo, Ian Harrison salue son retour après 26 ans d’absence. Dee C vient tout juste d’enregistrer Just Something et ça sort sur Acid Jazz, le label d’Eddie Piller. C’est grâce à Piller qu’elle reprend du service. Elle a enregistré avec des mecs des Brand New Heavies et de James Taylor Quartet.

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             Just Something est un très bel album de groove, comme le montrent «Be There In The Morning» et «Walk Away». Elle est assez fabuleuse, experte en entertainment d’excelsior. Acid Jazz ramène toute la niaque orchestrale et tu finis par te croire arrivé au paradis. Dans «Walk Away», l’éclat des cuivres t’éblouit. Elle attaque son album avec un heavy diskö groove d’Acid Jazz, «Back In Time». Elle est tellement à l’aise. Tu assistes à l’éclosion d’un magical time monté à la clameur. Puis ça flûte dans «Don’t Forget About Love». Elle groove des reins comme une reine de Saba. Elle frise parfois le Burt, l’ensemble est d’une luminosité aveuglante. La classe intersidérale du groove finit par te fasciner. Tu renoues avec le souvenir des jours heureux. Elle sait charger sa barcasse d’ampleur. Elle sait aussi traîner en longueur. Tout est très-très sur cet album, et même très très-très. Très heavy, très heureux et très Acid Jazz. Elle sait poser sa voix de vétérane de toutes les guerres. Miss Dee C Lee est assez exceptionnelle.

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             Puisque la curiosité est un vilain défaut, on va aller fouiner un peu sous les jupes de Dee C, histoire de voir à qui ressemble le déficit des années antérieures. Son premier album Shrine date de 1986. Belle pochette, elle ressemble à la Reine de Saba et tape avec son morceau titre un heavy diskö funk d’une voix ferme et sans détour. Elle adore aussi se prélasser dans le satin jaune. C’est typiquement le genre d’album dont il n’y a rien à dire, un album de dancing Soul à la mode. Quand t’entends «He’s Gone», tu fais patacam patacam. Tout est à la mode là-dessus. Elle sauve les meubles avec la lanterne rouge «Hold On», tout au bout de la B, un joli slow groove syncopé.

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             Elle enregistre quatre ans plus tard l’excellent Slam Slam. Bel album de diskö dance. Il est à cette époque délicieusement à la mode. Dans son cas, ce n’est pas une tare. L’époque veut ça. «What Dreams Are Made Of» finit par devenir intéressant. Elle a une bonne attaque de velours black. Elle sait poser sa voix. Mais elle adore aussi aller sautiller sur le dance floor, la coquine. Elle revient faire sensation avec l’heavy groove synthétique de «Death Charge». Pour l’époque, elle était déjà très d’actualité. Elle te fait plus loin le coup du groove de charme avec «Tender Love». L’album s’écoute avec plaisir. Tu ne peux pas prendre Dee C Lee à la leegère. Elle termine avec un «Nothing Like It» de rang diskö princier. Elle est juste derrière son cut, au nothing like it.

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             Paru en 1994, Things Will Be Sweeter est un très bel album de groove type Acid Jazz. Elle campe dans son pré carré dès «I’m Somebody». Elle groove son heavy groove fluide, ça coule comme une fontaine de jouvence. Elle sait aussi groover en profondeur. Tu entends «Sympathy For The Devil» dans l’intro de «Set Your Spirit Free» et ça groove au xylo. Well done, Dee C ! Encore une extraordinaire qualité du climax dans le morceau titre. Elle se répand bien sur la terre, elle est pure et douce, it’s alright it’s okay ! Elle sonne comme un diamant brut d’Acid Jazz. Groove à fleur de peau. Elle est tellement pure qu’elle semble envoûtée. Son groove sent bon le Jazzmatazz. Elle développe encore une fantastique énergie du groove dans «Walk Away From The Floor». Elle tape ça à l’insistance congénitale et n’en finit plus de groover l’or du Rhin entre tes reins.

    Signé : Cazengler, Dee solu

    Dee C Lee. Shrine. CBS 1986    

    Dee C Lee. Slam Slam. Free Your Feelings. MCA Records 1991

    Dee C Lee. Things Will Be Sweeter. Cleartone Records 1994

    Dee C Lee. Just Something. Acid Jazz 2024

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    Ian Harrison : Back after 26 years. Mojo # 364 - March 2024

     

     

    Grace is Cummings back

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             Comme t’as écouté Ramona, tu t’attends à un gros choc émotionnel. Mais c’est mal barré parce tu te retrouves assis dans l’herbe dans un parc à la mormoille. Et pour encore aggraver les choses, t’es à deux doigts de cailler. Mais le cul dans l’herbe, c’est tout ce que tu as toujours détesté dans ta vie, t’es là comme une larve à changer de position toutes les cinq minutes parce que t’as mal au cul. Alors pour écouter chanter Grace Cummings, c’est compliqué. Toutes les trois secondes, tu te dis que tu vas te barrer, mais elle t’intrigue, la mini-Australienne au décolleté un peu trop vertigineux. C’est pas son décolleté qui t’intrigue, c’est le contraste qui existe entre la mini-corpulence (un gros 1,50 m et 30 kg) et la portée de sa voix. Quand on chante avec une voix aussi balèze, on pèse son poids, d’où le ton de l’illusse. Mais en réalité, t’as une gamine quasi-impubère sous les yeux et ça t’intrigue. Petite, brune, minimale.

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    Plutôt jolie. Et elle bouge bien. Trois mecs l’accompagnent, un hippie chapeauté à la gratte, un bassman déplumé, et derrière, un troisième lascar bat le beurre en toute impunité. Grace a deux petits défauts, sans doute liés à la configuration du set : elle force parfois sa voix et ça devient pénible, alors que sur Ramona, elle te fascine au point que tu l’imagines femme forte. Et d’autre part, elle se croit parfois à Woodstock, avec une façon un peu niaise de sourire à «l’immense» foule. Dommage, car en plus du mal au cul, ces deux petits défauts gâchent un peu le plaisir de la découvrir sur scène. En salle, elle aurait de toute évidence fait un carnage. Mais là, dans le contexte du plein air, le son se barre dans tous les coins, et elle se sent obligée de gueuler comme un veau, et c’est pas beau. Par chance, les compos de Ramona tiennent admirablement bien la route, elle ramène du climax et des structures édifiantes, elle refait du P.J. Harvey à sa façon, et finalement l’heure de set finit par passer. Tu fais ouf ! en te relevant péniblement. Te voilà frigorifié, avec un glaçon au bout du pif. Elle aurait joué au Pôle Nord, c’était pareil. Le côté positif de tout ça, c’est que t’as au moins appris une chose : ça peut cailler sec au moins de juin.

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             Pas compliqué : Ramona grouille de coups de génie, et ce dès le «Something Going Round» d’ouverture de bal, avec son côté profond, très Totor. Magnifique pop d’élan lointain, Grace est puissante - And I think about begging/ For tobacco & time - Subliminal d’I think it was autumn/ I think it was an autumn day. Quelle allure, elle dispose de toutes les ressources de la démesure absolue. Encore de l’heavy Soul system avec «Everybody’s Somebody», elle nage dans l’océan du bonheur, elle est tentaculaire, elle t’éclate ton petit Sénégal au cry cry cry you want to know them. Elle te chante encore «A Precious Thing» au plafond, et c’est ultra-orchestré - Love is just a thing/ That I’m trying to live without - hallucinant d’intensité - And time is just a time/ It passes/ It dies/ Just stay and play - Tu croises rarement les jardins suspendus de Babylone. Dans «I’m Getting Married To The War», elle a les castagnettes de Totor. Tous ses cuts sonnent comme de fortes implications chargées d’audace. Elle travaille les syllabes de «Work Today (And Tomorrow)» comme le fait Billie Holiday avec les siennes. Encore de la fantastique maturité dans «Common Man». Elle te fend bien le cœur. Elle t’en impose. Quelle force de caractère ! Et son morceau titre est tellement bardé de bada que le casque chevrote.

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             Par contre, Storm Queen - l’album au perroquet qui précède Ramona - te laissera sans doute sur ta faim. Elle sort déjà une voix de femme mûre qui peut aller gueuler là-haut sur la montagne, mais il manque la magie. Son «Always New Days Always» humide et chaud s’enroule autour de ton oreille, mais elle est beaucoup plus folk que sur Ramona. Et même un peu lourde. Les cuts sont problématiques, pas très bons. Elle se prend parfois pour Leonard Cohen, («Up In Flames»), mais ça ne marche pas. Trop pâté de foie. «Here Is The Rose» est trop perlé de lumière. Trop dentelle de Calais. Elle est encore lourde avec «Raglan», et c’est avec le dernier cut qu’elle décolle. Elle atteint enfin l’ampleur extraordinaire avec «Fly A Kite». Pure merveille de chant tordu. 

    Signé : Cazengler, cum tout court

    Grace Cummings. Festival Rush. Jardin De L’Hotel De Ville. Rouen (76). 6 juin 2024

    Grace Cummings. Storm Queen. ATO Records 2022

    Grace Cummings. Ramona. Grace Cummings 2024

     

     

    Shaking with the Shakes

     - Part Two

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             Après avoir atteint des sommets insurpassables avec les deux albums d’Alabama Shakes (Boys & Girls et Sound & Color), Brittany Howard retombe de tout son poids au fond du bottom de la dégringolade, avec un album de musique à la mode. C’est important qu’on en parle, car la grosse Brittany incarnait tous les espoirs de l’avenir du rock. Alors pour une fois, on peut s’attarder sur une dégringolade qui vaut bien celle de Lucien de Rubempré. Ce n’est pas qu’on soit sadique, au point d’aller se repaître d’un tel revers de fortune, non il s’agit plutôt d’examiner un mystère qui vaut bien celui de la Chambre Jaune.

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             Le pire, c’est qu’elle a pas mal de presse et notamment le fameux Mojo Interview. Aussi est-on allé quérir What Now sans coup férir. On est tellement sûr du coup qu’on ne pense plus à la simili déception de son premier album solo, Jaime. Dans les pages de magazine, la grosse Brittany apparaît encore plus grande et plus pulpeuse qu’auparavant. On se dit, diable, comment une femme peut-elle prospérer physiquement de la sorte ? Même la crinière semble hors de proportion. Et pour achever le tableau, elle porte des petites lunettes de pédale punk à montures blanches. Tu vois un peu le tableau ? Mais vu qu’elle est une superstar, elle a le droit de mettre tous tes petits a priori en déroute.

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             Le seul problème, c’est que What Now sonne comme une déroute. Le buzz retombe comme un soufflé. T’en reviens pas d’entendre un album aussi à la mode. Elle commence par écraser le son, comme si elle s’asseyait dessus. Et comme elle est grosse, le son capote. Elle tape dans l’ambiancier pépère, dans l’à la mode, elle cherche le confort de l’élastique et du téflon, comme le font toutes les grosses, il fait chaud, alors faut-pas-que-faut-pas-que. Et puis ça se barre dans un délire teknoïde, c’est patacam patacam. Bizarre qu’elle ait abandonné le filon d’or d’Alabama Shakes. Plus on avance dans cet album et plus il devient antipathique, avec un son trop saturé, trop electro, pas de mélodie ni de final éblouissant. Serait-elle paumée dans le labyrinthe de la gloriole, comme Lucien de Rubempré avant elle ? Elle fait pitié à voir, dans sa grande robe psychédélique. Elle ramène enfin une mélodie chant dans «To Be Still», mais il est trop tard. Le mal est fait. Elle s’est grillée. On va jusqu’au bout parce que c’est elle, mais tous ses cuts sonnent comme un grand foutoir Teknö, un abandon d’île, une débinade de baroud bidon. Elle perd définitivement le peu de crédit Soul qui lui reste avec «Samson», et avec «Patience», elle se branche sur une sorte de Soul à la Prince. C’est sans doute le seul bon cut de cet album décevant, elle joue bien des effets des Soul Sisters à la mode. Mais globalement, What Now laissera le souvenir d’un album de baltringue à la mode. Elle a perdu le power et la grâce de la graisse. Elle tente encore de passer en force sur «Every Colour In Blue» mais c’est une Sargasse de Blue sévèrement trashée à coups de trompette. Bizarre que les journalistes anglais ne parlent pas de suicide artistique.

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             Dans Uncut, Sharon O’Connell donne 9 sur 10 pour cet album foireux. Elle parle même de «border sonic invention». C’est dingue comme on se fait encore mener par le bout du nez, même à un âge avancé. Plutôt que de rester sur les sommets avec les Shakes, elle a préféré quitter le groupe et partir à l’aventure. La pauvre O’Connell se débat sur 4 pages avec son baratin. Elle trouve même dans What Now des traces de «Southern Soul, R&B, astral jazz, psychedelic funk, doo-wop, garage blues and rap.» Il faudra qu’elle nous explique où elle a trouvé tout ça, parce que ça n’existe pas dans What Now. Dans l’interview qui suit, la grosse Brittany déclare qu’elle s’est un peu laissée aller, au plan musical - Wathever comes out is OK - Elle se dit qu’elle va faire un nouveau disk, puis un autre, et puis encore un autre. All the styles. Ça promet ! Si on lit cet interview tout pourri, c’est dans l’espoir d’y trouver l’annonce d’une reformation des Shakes. Rien. Par contre, elle chante les louanges de Prince. Elle se dit aussi intéressée par Nina Simone et James Brown. I’m interested in emotional connection.

             Tapis rouge dans Mojo avec le Mojo Interview. Elle dit qu’elle a quitté les Shakes pour «suivre la musique» - What drove me was following the music - Puis Bill DeMain la ramène sagement sur le chemin chronologique, alors elle évoque tous ses vieux groupes d’Athens, Alabama, puis la rencontre avec Zac Cockrell, le futur bassman des Shakes. Des Shakes qui démarrent en 2009. Elle parle aussi d’Heath (gratte) qu’elle surnomme Abraham Lincoln, parce qu’il aime prendre son temps et réfléchir. Elle raconte l’ascension fulgurante des Shakes, à partir d’un cut mis en ligne sur un blog. Et boom ! C’est Patterson Hood des Drive-By Truckers qui met les Shakes en contact avec un management et boom, les voilà sur ATO, le label des Truckers. Puis c’est les gros sous, l’achat d’une baraque à Nashville et les concerts avec Prince et McCartney. Puis arrive l’inévitable question : «Will you ever reunite?». Elle répond qu’elle ne veut pas parler des Shakes comme si c’était fini. This is where we are for now. Elle dit qu’elle a des relations «périphériques» avec le batteur et Hearth. Seul Zac est resté avec elle.

    Signé : Cazengler, Alabama Shit

    Brittany Howard. What Now. EMI 2024

    Sharon O’Connell. Brittany Howard. Uncut # 322 - February 2024

    Bill DeMain : Brittany Howard - The Mojo Interview. Mojo # 363 - February 2024

     

    *

    Longtemps qu’un groupe polonais n’ait attiré mon attention, et plouf celui-ci est de Perzow commune rurale sise en le district de Grande Pologne, un peu au centre-ouest du pays, entre nous, je ne voudrais pas être méchant ou méprisant, ça m’a tout l’air d’un coin perdu, laissons ces géographiques considération pour nous intéresser  au groupe lui-même, vous me ferez le plaisir de ne pas le confondre avec le groupe russe  Arkona. 

    L’Arkona de cette chronique se qualifie lui-même de horde, dénomination qui fleure bon la barbarie, toutefois paganisme et anti-christianisme s’avèrent être les deux mamelles amalthéennes auxquelles le groupe  s’abreuve. Leur premier opus sorti en 1994 ne se nomme-t-il pas An Eternal Curse of the Pagan Godz et leur deuxième ne se réfère-t-il pas aux Dieux de l’Oubli, à moins que le traducteur ne se soit mélangé les pinceaux et que ce  ne soit l’analyse heideggerienne de l’Oubli des Dieux ce qui intellectuellement nous ramène vers le concept de romanité, serait-ce un hasard si leur troisième album, paru en 1996, arbore fièrement le nom d’Imperium. Si les Dieux se rapportent au Dire du Mythe, le terme d’Imperium est une référence explicite au Domaine du Politique. Qu’en est-il au juste, le mieux serait d’y aller voir.

    IMPERIUM

    ARKONA

    (Astral Wings Rec. /1996)

    Khorzon : guitar, bass / Messiah : vocals, lyrics / Sylvain : drums / Pitzer : guitar  / T. Lewinski : keyboards, composition.

    Ce mois de septembre 2024, Arkona vient de sortir l’album Stella Pandora, de l’équipe quasi initiale d’Imperium ne reste plus que Khorzon. Khorzon possède plusieurs cordes à sa lyre de fer puisqu’il officie aussi au chant et aux claviers, c’est lui qui est le maître d’œuvre de la pochette.

    Arkona était une ville située en la mer Baltique sur l’île poméranique de Rugen, tout au nord sur un cap rocheux, au centre de la cité  s’élevait un temple consacré à Svantevit Dieu slave de la guerre, de la fertilité et de l’abondance. Il peut paraître étrange pour notre mentalité d’occidentaux déclinatoires d’associer l’idée de guerre avec celle d’une profusion excédentaire mais nous sommes en des temps sombres. En 1160, l’armée danoise de Valdemar I secondé par les très chrétien évêque Roskilde Absalon s’emparèrent de la ville s’empressant de détruiret du même coup le dernier temple païen des différents peuples slaves. Les polarités  de Svantevit sont nombreuses, elles recoupent la plupart des attributs des principaux Dieux grecs : Zeus, Apollon, Janus, Arès, Poseidon, Démeter, Leucothée, liste non exhaustive…

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    A première vue une panoplie d’armes que l’on accrochait aux murs de sa demeure pour rappeler les exploits militaires du maître de maison, un peu comme ces trophées que l’on se hâtait dans l’affolement général de décrocher des pièces d’apparat des grandes maisons romaines alors que l’armée d’Hannibal marchait sur Rome, ne nous laissons pas hypnotiser par les yeux glacés de la tête de Méduse à la chevelure entremêlée de serpents, les lances, les hallebardes, les mousquets, jusqu’à la forme des cors, les drapeaux, malgré la tête du bélier de Mars nous sommes dans une imagerie guerrière qui emprunte d’après moi à une iconographie post-médiévalo-germaine, tributaire des lansquenets allemands chargés d’arrêter les charges de cavalerie… Un symbole de résistance d’autant plus poignant qu’il semble sculpté sur le tablier d’ouverture d’un tombeau…

    Que le lecteur ne soit pas surpris par l’étrangeté des titres, en ses débuts Arkona utilisait leur langue nationale : le polonais. Comme nous sommes trop bons nous les avons fait suivre de leur traduction.

    Skrajna nienawiść egoistycznej egzystencji : La haine extrême de l'existence égoïste : même traduit le titre procure une impression étrange, l’on s’attend à une scène d’épopée, un fourmillent kaotique de champ de bataille et nous voici renvoyés à l’intérieur de la citadelle intime de tout un chacun, ego, ego, égo… Claviers et tintements, des arpèges à la Bach enfin le chant s’élève porté sur le dos galopant des guitares, il nous nous montre le chemin, d’abord celui de l’arrachement, déjà derrière soi… le rythme s’accélère, la voix djente comme un serpent qui siffle, qui ne laisse aucun espoir, si l’on s’est enfui du lourd manteau des mensonges christiques,  l’on n’en est pas plus libre pour autant, l’on court dans les marécages d’une solitude glacée,  le bonheur n’est pas au bout du chemin, l’on se retrouve seul avec soi-même, aucun dieu consolateur pour nous réconforter, les claviers glissent à la manières des bateaux que la vague pousse dans l’immensité des gouffres, nous possédions la tristesse des jours enfouis sous la chappe de plomb des croyances, nous voici à l’air libre dépossédés de toute illusion, ô la grisâtre lénifiante, nous voici plongés dans la désespérance nihiliste, courir sans fin, se précipiter, ne plus croire en rien, ne plus compter que sur soi-même même si notre cerveau est aussi vide que l’abîme dans lequel nous nous jetons hardiment. Epidemia rozczarowania i nędza duchowa : Une épidémie de déception et de pauvreté spirituelle : comme de l’eau qui coule, le vocal vomit tout ce qui a été vécu, c’est l’heure du ressentiment dirait Nietzsche, le plus dangereux celui qui ne s’adresse pas aux autres mais à soi-même, une espèce d’auto-lapidation impitoyable, oh, l’on n’a pas peur de lancer la première pierre, Descartes nous rassure en affirmant que c’est l’heure du doute, n’empêche qu’Hegel nous a appris que la négativité de soi-même est un grand pas en avant vers la guérison, est-ce pour cela que la musique est entraînante, pratiquement envoûtante, que le rythme s’accélère, se replie sur lui-même pour se détendre pour se projeter encore plus vite, encore plus rapidement, vers l’avant, la grande interrogation se métamorphose en immense exclamation, en zénithale exultation de soi-même, mieux vaut la mort que le mensonge, prenez exemple, que votre joie soit celle de Zarathoustra. Métaphysique festive. Każdy los to cień : chaque destin est une ombre : heure décisive et effroyable, quand on a tué Dieu, il ne reste plus qu’à faire confiance à son propre destin. Le chant appuie très fort, il s’agit de convaincre, d’ouvrir la porte, le destin n’est pas une voie tracée d’avance, notre déclin dépend de notre choix, il suffit de penser, de s’être démuni de toutes les valeurs, chaque pas est dicté par notre pensée, nous ne savons pas où nous allons, rythme rapide mais lourd, la batterie halète, mais nous savons ce que nous sommes, que nous allons vers ce que nous sommes en train de devenir. Conseils donnés à ceux qui hésitent sur le pas de la porte. C’est pourtant en soi-même qu’il faut rentrer. Suprême ordalie. Jesienne cienie czekające na kolejną reinkarnację : Ombres d’automne attendant la réincarnation : un train qui fuse dans la nuit, l’arrivée est certaine, c’est la station mort, mais c’est toi qui meurs en toi-même, en ta mort tu renfermes tout ce qui a été toi, tu es ton propre maître , tu t’enfermes dans ta mort pour la revivre, c’est sans fin, les saisons passeront et reviendront sans cesse en ton royaume dont tu es le roi absolu, décrochement musical, un envol parallèle à lui-même, et la vie reprend de plus belle à l’intérieur de ta mort, musique joyeuse, chant de triomphe, ce que tu as vécu renaît et revient, maintenant tu ne souffres plus, tu regardes les scènes une par une, tu t’es détaché de ta propre prégnance, depuis ta tour de guet de toi-même tu portes un regard serein, tout cela a été toi et malgré leurs courtes durées toi tu as le temps de les regarder, de leur accorder un peu d’attention. Ce qui a été vécu est toujours vécu. Wściekłość która nadchodzi : la fureur qui vient : ouragan phonique, la philosophie à coups de marteau de Nietzsche mise en musique, une éructation de haine, un torrent d’invectives, il s’agit d’éveiller et de maudire ceux qui ne sauraient s’arracher à la drogue christique, la tourmente s’arrête pour mieux repartir, un déluge imprécatif, nouvelle pose pour un nouveau souffle, la cavalcade effrénée reprend avec encore davantage de virulence, pas de pitié, pas de remédiation, pas d’arrangement, pas de conciliation, simplement être soi, entre le bien et le mal pour forcer le barrage et se retrouver par l’entremise de cette violence absolue enfin libre par-delà le bien et le mal. Au-delà de la négativité de soi-même. Pluję na twą marność psie ! : J’ai craché sur ta vanité, chien ! : la suite musicale du morceau précédent, avec en prime, l’invective, l’insulte, l’injure, le gardien du cimetière se moque du chien, de celui qui a cru en son maître, celui qui a changé de croyance, de celui qui a cru en l’inanité du néant et en la vanité de son propre moi, contente-toi de savoir mourir dignement, l’esclave des dieux n’est pas digne de survivre en lui-même, la croyance n’a pas de fond, tu t’enseveliras en ton propre vide, puisque tu n’as pas atteint à la pensée de toi-même, tu ne seras même pas toi-même dans ta mort, tu resteras prisonnier de la négativité du nihilisme. Puissance dévastatrice de ta propre illusion. Puissance dévastatrice de ta propre désillusion. Pogarda dla wrogów imperium wszechmocy : Mépris des ennemis de l’empire de la toute-puissance : un instrumental de toute beauté qui dépasse à peine les deux minutes et qui vous donne un inimaginable sensation d’éternité, après les deux typhons précédents, l’on croirait que l’on a atteint l’œil de l’ouragan, solitudes glacées, l’on pense au cygne de Mallarmé prisonnier de sa propre blancheur, aux neiges éternelles, au Voyageur contemplant les solitudes glacées de son propre moi de Caspar David Friedrich, une espèce de symphonie bruitiste, une irradiation de ce à quoi pouvait penser Nietzsche après son effondrement, nous sommes au faite de la puissance, du plus grand pouvoir auquel l’on puisse atteindre, n’oublions que l’étymologie d’imperium provient du mot latin pars, partis, la part qui nous revient, celle à laquelle l’on se donne la puissance d’accéder. 

             Même si les trois derniers morceaux de l’opus sont prodigieux, ayons une pensée émue pour Messiah le lyriciste disparu en 2017, nous restons toutefois un peu sur notre faim, nous sommes comme des enfants gâtés à qui l’on donne l’absolu et qui demandent ce qu’il y aura encore à manger après. En 1996 Imperium est sorti en K7, un format qui se prête mal à de longues temporalités, en 2005, Arkona a donné une réédition CD augmentée de deux titres.

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             La couve de cette réédition nous interroge. A priori une vue médiévale, la tour d’entrée d’une enceinte fortifiée qui semble défendre l’étroit accès d’un passage entre deux surplombs rocheux, malgré les deux courtines crénelées l’ensemble paraît avoir été construit en bois, nous préférons y voir l’entrée peinte en rouge, les nombreux villages nommés Maison Rouge parsemés sur le territoire français nous le suggèrent, l’entrée des baraquements militaires de garde du limes des légions romaines qui ceinturaient l’Imperium… Un pas de deux, certainement artificiel, qui relie Mythe et Politique…

    Długa Ciężka Zima : Un hiver long et dur : : ré-enregistrement du morceau   Long hard Winter issu de la démo An Eternal Curse of the Pagan Godz  (1994) :  chuintement, hurlement du loup dans sa tanière,  la dernière garde, à l’intérieur de la tour de guet, la nuit est froide, encore plus froide est la nuit hostile qui s’étend sur le monde, angoisse l’inéluctable est en marche, le chant s’arrête, que dire de plus si ce n’est crier encore et encore lorsque la fin s’approche, la mort est là, une glaciation intellectuelle s’accapare la terre… aujourd’hui encore certains veillent et attendent le retour. W Wiecznej Zemście Pogańskich Bogów : Dans la vengeance éternelle des dieux païens : ré-enregistrement du morceau An eternal Curse of the Pagan Godz issu de la démo éponyme de 1994 : course folle, rituel de la désespérance et du retour, les Dieux ne sont pas morts, ils sont toujours là, éternellement ici et maintenant, vous n’y pouvez rien, ce qui a eu lieu reste figé dans le sable mouvant de l’éternité, toute présence est une malédiction, une revanche sur le simple fait d’avoir été, la musique passe telle une tornade, la voix s’époumone dans le Dire du Mythe et du Politique.

    Damie Chad.

             Pour ceux qui n’auraient pas compris Arkona précise qu’il ne soutient ni n’appartient à aucune organisation à visée totalitaire. L’exemple de l’expérience séculaire de l’hégémonie christique sur les esprits suffit de vous dissuader de toute velléité d’imitation…

     

    *

    C’est comme les long horns, vous ne voyez que leurs grandes cornes, ensuite vous vous apercevez qu’il y a une vache dessous, ben là c’est pareil, sur la photo vous avez trois jolies filles, really delicious, et votre cerveau ne les calcule même pas, il dirige vos mirettes droit sur elle, il a raison, vous n’y croyez pas, ce n’est pas possible, comment ose-telle s’exhiber ainsi, ce ne devrait pas être permis, vous regardez la légende, vous faites confiance, elle a été rédigée par Rose et Paige de Two Runner, vous leur faites confiance, les yeux fermés, mais là vous les gardez grand ouverts, elles précisent que c’est leur ‘’fav country band Jesse Daniel’’, bien sûr vous ne connaissez pas, alors vous essayez d’en savoir plus. Un mec qui se balade avec une moustache en fer à cheval, ce doit être facile à repérer.

    JESSE DANIEL

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             Quelques clics sur lui et j’en sais davantage que si la CIA m’avait refilé un double de son dossier. Une bio américaine comme vous ne pourrez jamais vous vanter. D’abord l’american dream dans toute sa splendeur : au creux de la Californie, une maman aimante et un papa qui joue de la guitare, Creedence Clearwater Revival par exemple, donne même des petits concerts dans les coins, une enfance baignée par la musique… Une première cassure, le couple se sépare, l’enfant grandit, adolescent avec quelques copains il forme un groupe punk.

             Le punk c’est bien, mais la route de l’enfer est pavée de bonnes intentions, le lycée, les filles, les concerts, une belle adolescence, un gars sympa, serviable, toujours le sourire aux lèvres, un esprit créatif, bosseur, en forme parfaite. Enfin presque, il donne le change, un peu de fumette, quelques pilules… je vous épargne la longue route, la lente descente, addiction, trafic, prison, déchéance, notre héros est tombé dans l’héroïne…

    Cure de désintox sur cure de désintox, mais comme dans la plupart des bons films américains, un beau jour un ange lui tend la main. En fait ce n’est pas un ange mais un gars qui lui tend sa guitare. Ouf le déclic salvateur ! Il se souvient des morceaux country que son père jouait… Rédemption ! Non ça ne se passe pas que dans les films, soyez de votre époque, maintenant ça se passe dans les séries.

    S’est fait un petit nom avec sa guitare et sa voix dans les bars et les occasions du coin, un coup de téléphone qui demande une chanson pour Netflix… la roue tourne du bon côté, ses trois premiers simples DIY se retrouvent sur son premier album Jesse Daniel, sorti chez Die True Records, son label personnel. Il vient de sortir son cinquième album Countin’ The Miles, sur Lightin’ Rod Records… L’on se permet d’y piocher dedans. Pourquoi commencer par celle-ci et pas une autre. Parce que c’est une Lyric Video et qu’elle définit totalement le style de Jesse Daniel.

    TOMORROW’ S GOOD OL’ DAYS

    A tel point que vous ne savez pas où donner de la tête, à la première seconde vous êtes percuté par plusieurs obus mortels. Essayons de procéder avec ordre et méthode. Premièrement l’oriflamme majeur, la mention featuring Ben Haggard. Ne soyez pas hagard à l’énoncé de ce nom, sortez du  hangar de votre incroyance, oui, il s’agit bien du fils de Merle Haggard. Question filiation vous ne trouverez pas mieux, Merle Haggard c’est tout un pan de la légende de la country, le mauvais garçon, le bagarreur, le voleur qui se retrouve en prison, à San Quentin, ce qui lui permet de voir Johnny Cash et lui donne envie de changer de vie, de faire de la musique, il deviendra un des grands lui qui a croisé Lefty Frizzell et qui fera partie de la bande des Outlaws, un des grands noms de la country, mais pourquoi Ben est-il là, par hasard, que nenni il a déjà entendu les premiers titres de Jesse Daniel et il a reconnu. Si vous voulez savoir quoi, cliquez sur la vidéo vous n’attendrez pas longtemps, un petit peu de pedal steel guitar et vroom : la guitare vous cueille à l’estomac, oui Jesse revendique l’héritage de Merle, ce n’est pas tout, vous avez la voix, rugueuse sans concession, cela ne vous suffit pas, il vous manque le petit sortilège en plus sans lequel le country n’est pas du country, oui un brin de nostalgie, qui vous susurre tout fort à l’oreille que vous n’êtes pas heureux dans ce monde qu’il doit y avoir un ailleurs, les paroles de Jesse vous le confirment, ce pays où l’on n’arrive jamais se situe derrière vous, dans le passé et l’on a intérêt à y revenir au plus vite si l’on ne veut courir vers la catastrophe. Pour vous le confirmer vous avez les images, la beauté des paysages américains, et les méfaits de l’industrialisation à outrance…

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             Un bon morceau. Evidemment si vous attendez une analyse marxiste sur la lutte de classe aux Etats Unis vous êtes déçus. Pourquoi des milliardaires, pourquoi des paumés, Trump vous traitera de communiste, la country possède (et professe) sa morale, si vous êtes dans la mouise, il n’y a que vous qui pourrez vous aider. Prenons un exemple au hasard, celui de Jesse Daniel, avant-hier une loque, aujourd’hui une star montante du la country moderne.

    OL’ MONTANA

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    Je vous connais, le précédent morceau était trop beau pour y croire, bricolé à merveille avec l’harmonica qui tombe à pic pour susciter le frisson fatal, alors voici Jesse tout seul dans un bar avec sa guitare à Nashville. Même pas un verre de whisky pour s’épaissir la voix. Son chapeau, sa moustache, sa veste de jeans ses tatouages bleuâtres qui ne semblent pas avoir été coloriés par un grand artiste…

    Une triste histoire, un mec trompé par sa gerce qui est partie avec ce garçon qu’il avait accueilli comme un ami. Bien sûr il l’a tué, c’est la moindre des choses. Bien sûr il est en prison, c’est l’injustice de la vie. Lui il regrette. Surtout pas de l’avoir tué, mais son amour qui l’a trahi. Ne lui en veut même pas. Le coupable c’est le gars. Faut du courage pour entonner une telle tragédie sans rire. Ou sans pleurer. Le Jesse reste imperturbable. Dévide ses couplets et ses refrains sans faillir. C’est son rôle, il vous rappelle ce que vous savez déjà, que la vie n’est pas rose, même si vous n'avez encore jamais tué personne, vous savez que cela arrive, que cela peut vous arriver, même qu’un tel morceau ne peut que vous aider à accomplir ce que vous n’avez pas encore osé faire, si le monde va mal c’est parce qu’il y a trop de lâcheté, la preuve il y en a vous… le country quand c’est réussi c’est entre le mélodrame, voire le boulevard le plus pathétique, et Homère, tous ces guerriers qui s’entretuent parce que le destin le veut… c’est Achilles qui pleure avec Priam et qui lui remet le cadavre d’Hector qu’il a occis  et mutilé… Un genre d’exercice qui n’est pas donné à tout le monde. Les turpitudes humaines ont leur grandeur, Jesse Daniel excelle en cet art d’une grande simplicité, d’une pureté inaltérable.

             Un bon morceau de country équivaut à la Comédie Humaine d’Honoré de Balzac résumée en trois couplets et trois minutes. Du grand art.

    Damie Chad.

     

    *

             Eddy Mitchell m’a écrit. Oui à moi, Monsieur Damie Chad. Enfin un envoi groupé. Quelques milliers de personnes, je suppose. Pour m’avertir de la sortie de son quarantième album, le huit novembre prochain. Pour m’appâter il m’a tendu un gros hameçon, la primeur d’un des nouveaux titres. 

             Dans mon intransigeante prime jeunesse j’ai beaucoup aimé Eddy, l’avais vu à la TV avec les Chaussettes Noires et les adultes de la famille horrifiés qui couvraient la musique de leurs cris horrifiés, l’était un point de repère quand j’étais au collège,  j’ai toujours gardé un œil sur lui, vu plusieurs fois en concerts,  j’ai décroché définitivement à la sortie de Grand Ecran, en 2009, un peu trop fadasse à mon goût, vieillir is not a good trip, l’Eddy de J’avais deux amis, de Société anonyme, de Je touche le fond, de Si tu n’étais pas mon frère, de Fortissimo, restera mon Eddy à moi, l’avait la niaque… ensuite  une carrière avec des hauts et des bas, quelques bons titres, des trucs trop chiadés, son incompréhension déroutante du retour du rock’n’roll au tout début des seventies… toutefois je ne résiste pas à écouter :

    EN DECAPOTABLE PONTIAC

    EDDY MITCHELL

            Pure country, c’est fou comme l’instrumentation adoucit la voix d’Eddy, bon Eddy roule en décapotable Pontiac la pedal steel guitar pleure tout son soul, au début cela sent la carte postale, surprise l’on quitte les bons sentiments pour les déclarations anarchisantes, les banques sont faites pour être braquées, y croit-il seulement, nous n’aurons pas le temps d’en débattre, survient la police… La société a gagné, qu’est-ce qu’on est loin de La Route de Memphis… Country mais pas Outlaw !

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             La pochette n’est pas une réussite. L’a une sale tête Eddy dessus, derrière un petit côté à la Edward Hopper, manque ce qui fait la grandeur de Hopper, l’autre face du rêve américain, la solitude américaine. Le titre de l’album me donne raison : Amigos. Surtout quand sur Tf1 l’on vous donne la liste des invités, les Souchon père et fils, William Sheller, Sanseverino, Pascal Obispo, aux compos. Inutile d’épiloguer.

    Damie Chad.

     

    *

             Ce qu’il y a de bien avec le doom c’est qu’il permet de voyager sur tous les continents, ce qu’il y a de mal avec le doom c’est que la question politique reste trop-souvent abordée de façon allusive, nous voici donc au Brésil avec un groupe qui n’a pas la langue dans sa poche.

    SETBACKS (TERRIBLE DAYS)

    DEAD LEVEL

    (Piste Numérique / 18 -09 – 2024)

    Seidi Ulra : vocals / Aramys Souza : guitars / Arthur Correa : bass / Beto Brasil : drums.

             Le groupe est de Belem au nord du pays, s’est formé en 2015, possède déjà à son actif deux Ep et un album.

    En France les média nous ont seriné que Jair Bolsonaro, président du Brésil entre 1919 et 2022 était un politicien libéral, Dead Level ne se gêne pas pour le qualifier de néo-fasciste. Vous comprenez que les jours terribles qu’évoque le titre sont ceux de son mandat présidentiel marqués par un accroissement de la misère et des inégalités sociales. Une loi simple à ne pas oublier dans notre propre pays qui glisse sur la pente douce, ne soyez pas pressé, de la tiers-mondialisation rampante : plus il y a de pauvres, plus les riches sont riches.

    La couverture est explicite : en bas un gars qui se prend la tête, en haut les quatre piliers de la Sagesse : mainmise sur l’information, ordre et morale fascistes, religion et abrutissements médicamenteux. En prime, the last but not the least, les armes pour faire taire les récalcitrants.

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    Rajoutons notre petit commentaire personnel : certes Bolsonaro a été remplacé par Lula, ce qui est mieux que rien, mais cette gauche molle qui ne se donne pas les moyens d’éradiquer le loup malfaisant du capitalisme et de la chèvre rongeuse du libéralisme ne saurait être à notre gré une solution politique performative…

    Dès les premiers coups de batterie vous comprenez que l’on n’est pas ici pour écouter des frivolités d’avant-garde, la musique est lourde, elle avance lentement, un background définitivement posé pour ne plus bouger, bien sûr on laisse la guitare se faire entendre mais pour le trampoline exagératif n’y comptez pas, nous sommes sur le mode de l’incantation, tout repose sur la voix en quelque sorte légèrement échoïfiée pour lui administrer une dimension chorale, une espèce de récitatif qui oblige à penser au rôle du Chœur dans les tragédies grecques, tout à la fin elle laisse la place à la clameur de la foule qui marque la fin du cauchemar.  Question paroles c’est très intelligemment écrit. Le texte n’est pas un réquisitoire à l’encontre des exactions politiques, économiques et sécuritaires du dictateur démocratique, il a été élu, donc l’on accuse les vrais coupables, ceux qui ont voté pour lui, qui ont opté pour le pire par peur du terrible avenir que les medias leur prédisaient s’ils ne donnaient pas leur voix au sauveur attendu par la nation. Toute cette petite-bourgeoisie timorée et ces larges fractions populaires qui ont failli, qui se sont démises de leurs responsabilités, qui n’ont pas osé, qui ont fermé les yeux, qui ont fait semblant d’espérer, bref qui ont eu peur, le trouillomètre à zéro, comme si on leur enfonçait le bulletin de vote dans le trou du cul pour qu’ils le revomissent, avec ordre et discipline, dans l’urne accueillante. Ils ne le disent peut-être pas d’une manière aussi crue que mon commentaire, il faut savoir lire entre les lignes et écouter entre les notes.

             Nul n’est parfait (puisque personne ne pense exactement comme moi) : dans leur petit texte de présentation de leur morceau, ils ont le défaut de faire silence sur les stratégies financières des groupes  pharmaceutiques lors du Covid. Big Pharma s’occupe de votre santé…

    Damie Chad.

     

    *

    Il y a des disques vers lesquels vous vous dirigez sans savoir pourquoi. L’on m’objectera que le nom du groupe, référence explicite à Aleister Crowley, a dû agir sur ma soi-disant mystérieuse attraction, vous avez parfaitement raison mais vous avez totalement tort, ce n’est pas Crowley qui m’a attiré mais le manque évident entre le titre de l’album et la couve de l’album, et puis le titre de l’album si authentiquement blues, le tout en ayant parfaitement conscience que comme dans une enquête policière parfois les indices trouvés sur la scène du crime ni ne concordent entre eux, ni ne présentent aucune cohérence, d’ailleurs y-at-il seulement un cadavre ?

    MISERABILIST BLUES

    BOLESKINE HOUSE

    (Masked Dead Records / 17 – 04 - 2024)

    Raven Borsi : vocals, lyrics /  Nicolò Misrachi : instruments, songwriting.

    La compagnie Masked Dead Records, bonjour Le Masque de la Mort Rouge d’Edgar Allan Poe, est sise en Lombardie dans la bonne ville de Brescia, si je m’en rapporte aux patronymes des deux artistes j’en déduis que le groupe est originaire d’Italie, détail supplémentaire Giulia Frump photographe qui a participé à l’artwork est née à Milan. La façon dont sa participation est dévoilée me laisse rêveur : ‘’ Visual concept by Boleskine House and Giulia Frump’’ , nous ne sommes pas dans un simple disque de metal, le mot concept nous pousse à penser que nous sommes face à un concept poétique musical.

    Petite parenthèse parallèle et hypothétique : The House of the Holy de Led Zeppelin m’a toujours paru être raté, non pas parce qu’il est mauvais en soi, mais parce qu’il ne correspond pas à la force évocatoire de son titre, la demeure zéplinienne du titre ne serait-elle pas celle d’Aleister Crowley…

    L’opus est dédicacé à Carlos Ruiz Zafon, auteur espagnol décédé en 2020, auteur de mystérieux roman, se déroulant dans d’énigmatiques manoirs, emplis de sombres malédictions destinales s’étendant sur plusieurs génération, et d’une grande bibliothèque dans laquelle je vous conseille de ne pas choisir un livre même si l’on vous le propose, car vous n’avez aucune idée des nuisances que pourrait occasionner cette lecture le long de votre existence… sombres maisons et littérature, un univers aleistérien par excellence…

    Généralement, musiciens et chanteurs ne vous donnent pas quelques conseils pour écouter leurs opus quel que soit l’appareil d’écoute dont vous vous servez. Ici vous avez deux notes d’avertissement de quelques lignes, que je recopie in extenso : Tout d’abord sur la manière d’appréhender l’espace mental du groupe : ‘’ Boleskine House est un lieu où chacun peut trouver refuge contre sa vie ruinée, un espace immatériel où il peut se plonger dans ses fantasmes de nostalgie avant de disparaître à jamais sans laisser de trace. Une demeure qui change inévitablement en fonction des expériences personnelles de l’auditeur.’’.

    En second lieu, goûtez la force de ce vocable, sur l’album lui-même : ‘’ Miserabilist Blues est la première œuvre de Boleskine House. Le disque raconte un moment poignant et insaisissable, mais apparemment sans fin, sans horizon. Le temps, les lieux aimés, les personnes connues, les personnes perdues, les promesses fragiles des jours dorés de la jeunesse, les rêves brisés et les désirs impossibles se fondent dans un brouillard éternel.’’

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             Bref, il ne reste plus qu’à entrer sans se faire prier, prenons toutefois le temps de regarder la couverture : au centre une jeune femme à l’épaule dénudée, certainement une photographie de Giulia Frump, elle aime la beauté des corps humain dénudés, visitez son Instagram, qui tient sur sa poitrine une espèce de cadre rudimentaire,  semblable à ceux qui entourent la photo, à considérer comme les exvotos symboliques des nœuds gordiens de nos angoisses ou de nos préférences que les visiteurs de la demeure seraient censés laisser sur place en signe de leurs passages

    Black House Painters : tiens, peinture, photographie, musique, poésie, littérature, sacrées confluences, serions-nous face à une tentative d’œuvre totale… : quelques notes, déjà une ambiance, une atmosphère, qui se développe, qui se zèbre d’éclairs, la charge des lanciers de la cavalerie et le chant qui growle comme une meute de loups qui galopent après vous, à votre recherche, ne craignez rien, vous ne risquez rien dans cette masse phonique gazeuse qui vous enveloppe, ces bêtes malfaisantes, des notes comme les reposoirs de la procession de Saint-Pol-Roux, leurs mufles vous enserrent ils ne vous attendaient pas cette maison, ils sont en vous, c’est dans votre tête qu’ils courent sans cesse en rond, une chaîne dont vous apprenez à vous défaire, dépêchez-vous, d’autres cauchemars vont poindre issus des marécages de votre cervelle, prenez-les dans vos bras, ces pauvres diablotins, n’ayez pas peur, bercez-les, apprenez à les apprivoiser, c’est ainsi que vous connaîtrez la paix, que vos terreurs s’amenuiseront, que la vie vous apparaîtra comme une clairière ensoleillée, une paix rayonnante vous enveloppe, vous retrouvez une jouvence, les loups hurlent, ils se disputent pour lécher vos mains, vous les avez amadoués, ils vous ressemblent, ils vous suivent, vos pas s’éloignent dans la longue galerie, vous disparaissez, hurlent-ils à votre mort… Need : quels sont nos besoins au juste, nous nous sommes débarrassés de nos peurs superficielles, nous voici maintenant face à la mer mouvementée de nos désirs profonds qui sont remontés à la surface, guitares en vagues et grondements du vent qui ne vous fait aucun cadeau, vous voici dans le vortex incommensurables de vos envies les plus sombres, sur la ligne de crête d’une corde de guitare glissante, il vous faut apprendre à les accepter, charmez les serpents que vous avez engendrés pour qu’ils vous piquent, pour qu’ils enroulent leur puissants anneaux autour de votre corps et qu’ils vous mordent à la nuque pour que vos pensées ne soient que l’agitation kaotique de votre kaléidoscope intérieur.

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    A place to mourn forever : vous l’avez voulu, il est inutile de pleurer, le plus misérable des blues vous assaille, une tornade, vous attendiez une valse chaloupée en consolation, fausse route, vous êtes au fond du maelström, celui qui mène la barque est le masque de la mort rouge, il vous sourit, il n’a plus de dents, il a trop sucé de sang aux gorges qui se sont offertes, surtout la vôtre, attention vous êtes la reine des putains, la maîtresse de vos propres désirs inavouables, acceptez-vous, entendez-vous cette musique monumentale qui vous salue, qui joue la marche triomphale de votre victoire sur vous-même, une procession, un défilé, tout le peuple est après vous et chante en chœur vos louanges, le monde entier est suspendu à vos pieds, joie incoercible de vos phantasmes exacerbés, la guitare glisse comme un serpent d’or qui se faufile parmi les invités, quelle fête, les pleurs qui tombent de vos yeux sont comme des feux d’artifice extatiques qui montent dans le ciel, le plus misérable des blues est aussi le plus riche, voyez la force de l’orchestration car ce qui est en bas est comme ce qui est en haut, growlements de remerciements, rien ne saurait éteindre le soleil de votre présence. Sérénité totale, intensité maximale. Seules subsistent quelques notes de clavier pour ne pas effaroucher le vol de l’hirondelle de la fragilité humaine et du rêve. When you sleep (Adaptation du groupe irlandais shoegaze My Bloody Valentine) : je ne comprends pas pourquoi ils ont eu besoin de reprendre ce titre qui vole en sa version originale au ras des pâquerettes : leur interprétation est bien meilleure, mais le charme des trois morceaux précédents est perdu…

             Lorsque l’on a un concept, il est nécessaire de le garder jusqu’au bout…

    Damie Chad.