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  • CHRONIQUES DE POURPRE 644: KR'TNT 644: ERIC CARMEN / DAVE CRIDER / VIEUX FARKA TOURE / NOEL GALLAGHER / JAMES PETERSON / GARGUTS / FRACTAL GATES / ASHEN / ROCKAMBOLESQUES

    KR’TNT !

    KEEP ROCKIN’ TIL NEXT TIME

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    LIVRAISON 644

    A ROCKLIT PRODUCTION

    FB : KR’TNT KR’TNT

    09 / 05 / 2024

     

     

    Z’ATTENTION !

    CETTE LIVRAISON 644 EST PUBLIEE AVEC QUELQUES JOURS D’AVANCE. N’OUBLIEZ PAS DE JETER UN COUP D’ŒIL SUR LA LIVRAISON 643 !

    KEEP ROCKIN' !

     

     

    ERIC CARMEN / DAVE CRIDER

    VIEUX FARKA TOURE / NOEL GALLAGHER

    JAMES PETERSON / GARGUTS

     FRACTAL GATES / ASHEN

    ROCKAMBOLESQUES    

     

     

    Sur ce site : livraisons 318 – 644

    Livraisons 01 – 317 avec images + 318 – 539 sans images sur :

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    Non, Carmen n’est pas un opéra

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             Aux yeux des amateurs de grande pop américaine, les Raspberries régnaient sans partage, ou presque. Régnaient à la même époque d’autres cracks, notamment Dwight Twilley et Todd Rundgren. Chacun dans leur coin : Twilley en Oklahoma, Rundgren à New York et les Raspberries à Cleveland. Eric Carmen vient de casser sa pipe en bois, aussi allons-nous lui dresser un petit autel de fortune, ainsi qu’il est d’usage sur ce bon bloggy blogah.

             Pourquoi ramassait-on les albums de Raspberries en 1973 ? Parce qu’on était bien informé. Bomp!, bien sûr, mais surtout Creem. Ces deux canards ratissaient l’underground de la pop américaine et nous servaient les infos sur un plateau d’argent. Il suffisait ensuite d’aller à la pêche, chez les disquaires parisiens qui vendaient ces gros cartonnés US qui nous faisaient tant baver. 

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             L’idéal pour les ceusses qui n’ont pas d’étagères serait de commencer par écouter l’excellent Live On Sunset Strip, un Rykodisc de 2007. Parce qu’il s’agit d’un Best Of, avec un son spectaculaire. C’est là qu’on mesure la grandeur d’un groupe comme les Rasp. Ils attaquent avec deux authentiques coups de génie, «I Wanna Be With You» (tiré de Fresh) et «Tonight» (tiré de Side 3). On est frappé par le caractère brillant de cette power pop américaine. Wally Bryson, le guitar slinger d’origine, claque ça aux heavy chords de Cleveland. C’est ultra chargé de la barcasse. Tout aussi surnaturel d’excellence, voici «Overnight Sensation», c’est d’une grandeur qui dépasse la pop, et l’Eric va chercher les harmonies vocales des Beach Boys. Puis ils rendent hommage aux Who de «Pinball Wizard» avec «I Don’t Know What I Want». Power épouvantable d’I don’t know what I want/ But I want it now. Ils rockent la pop avec tout le tonnerre de Cleveland. On entend les carillons de clairette céleste de Wally Bryson dans «Should I Wait», et ça repart au front avec un «Party’s Over» bien tapé à la cloche de bois. Wally Bryson fout le feu au Sunset Strip. Plus loin, «Ecstasy» sonne encore comme un hit interplanétaire. Avec sa petite gueule d’ange, l’Eric est faramineux. Il y a quelque chose de saint chez cet homme, même quand il chante «I’m A Rocker». Ils terminent en mode heavy boogie blast avec «Go All The Way». Et soudain le ciel s’éclaire car l’Eric chante à l’éclat surnaturel. Il bâtit sa pop avec de l’heavy bastaing. 

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             Grand souvenir de fascination en sortant du bac la pochette de Fresh, le premier Rasp sur Capitol. Quatre mecs beaux comme des dieux. Aussi beaux que les quatre Nazz ou les deux Dwight Twilley Band. Tous ces groupes alliaient à la beauté du son leur beauté physique, et il n’existait rien de tel qu’une pochette d’album pour sublimer ce phénomène. Tu avais dans les pattes l’objet parfait. On comprendra beaucoup plus tard qu’il s’agissait d’un art à son sommet : perfection à la fois visuelle et sonore. Le rock, quand il est bon, c’est exactement ça, une quête permanente de la perfection globale. Et quel classique ! Fresh from the start avec «I Wanna Be With You» ! Supremo del Carmeno ! Fantastique allure de wild popsters de Cleveland. Tonite ! Tonite ! La pop éclate au firmament des seventies. Exactement le même niveau que celui de Nazz et du Dwight Twilley Band. Et puis en plein balda, tu tombes sur «Let’s Pretend». L’Eric est un pretender, sa pop jaillit comme une fontaine au cœur du désert, sa pop vibre dans la chaleur comme uns source de lumière. En B, tu as encore deux smashing punkhits : «If You Change Your Mind» qu’Eric chante au filet fin, à la longe de babord, et l’effarant «Drivin’ Around», en plein dans les Beach Boys, avec le côté hard de Cleveland. C’est puissant, bien remonté des bretelles de drivin’ around. Pur pop genius. Les domt dah please sont ceux des Beach Boys dans «Do It Again».

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             Leur deuxième album n’a pas de titre, alors on l’appelle le bleu. Deux cuts hantent Raspberries : «Go All The Way» et «I Can Remember» en B. L’Eric dote le premier d’une fantastique trame mélodique. Il module en plein air, il travaille sa mélodie au corps, comme le ferait Jimmy Webb. Quant au Remember, c’est une autre paire de manches. Il s’agit en fait d’une grosse compo, une mini-symphonie sertie en son cœur d’un thème mélodique. Alors il faut voir l’Eric se jeter dans l’écume de son thème. Il flatte sa muse qui est la haute pop, il sophistique pour épauler son désir de firmament. Ce Remember est de toute évidence son accomplissement. À l’entrée, on ne se méfie pas, car c’est posé au piano et chanté au doux du menton. Il pose bien les choses, et puis les violons t’embobinent, alors ça endort encore ta méfiance. Il a simplement besoin de temps pour l’élever. Tu passes un pont et soudain, le miracle s’accomplit. L’«I See The Light» qu’on trouve en A n’est pas celui de Todd. L’Eric l’enchante, il le module d’une voix chaude de beau mec. Avec «Don’t Want To Say Goodbye», il préfigure «All By Myself». C’est la même façon de monter sa neige jusqu’au sommet de l’Ararat. Il cède encore à son penchant pour le heavy boogie rock avec «Get It Moving», un peu dans l’esprit du «Back In The USSR» des mighty Beatles.

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             Pour Side 3, Capitol leur paye une pochette découpée. Bel objet. Si tu veux voir les Rasp, il sont à l’intérieur, sous forme d’un petit patchwork de photos en noir & blanc imprimées sur la pochette papier elle aussi découpée. Trois coups de génie sur cet album éminemment rock’n’roll : «Tonight», «Ecstasy» et «Money Down». Ah ça rocke chez les Rasp ! Fabuleuse niaque clevelandaise ! C’est même stupéfiant d’éclat mordoré. On se croirait chez Nazz. En B, big Eric embarque «Ecstasy» à la pointe de la glotte. Il fond son ecstasy dans le miel fulminant d’un Fujiyama clevelandais. Rockalama modèle encore avec «Money Down». Power pur. Et puis tu as aussi «Making It Easy» bien tourné, bien monté, bien riffé. Les guitares de l’Eric et de Wally Bryson scintillent. Tu crois rêver face à tant de qualité. Tout est bardé de barda sur cet album. On pourrait encore citer d’autres exemples.

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             Paru en 1974, Starting Over est le dernier album studio des Rasp. Ah il faut voir la classe des rockstars. Ils sont restés beaux tous les quatre. Tu as deux jolis clins d’yeux aux Beach Boys là-dedans, «Overnight Sensation (Hit record)», et en B, «Cruisin Music». Les deux basculent dans le burst-out de Beach-Boysmania, ça sonne très Surfin’ USA, très California good time. Oui, ils ont ce talent faramineux. C’est aussi dans ce balda que tu trouves la version studio d’«I Don’t Know What I Want», le clin d’œil aux Who monté que les accords de «Pinball Wizard». Juste avant éclate l’heavy rock à la cloche de bois de «Party’s Over». Pure énormité carmenique ! Et back to the big boogie classique avec «All Through The Night». Quelle énergie !

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             L’omnivore n’a pas fait dans la dentelle avec Pop Art Live : un triple album bourré à craquer de dynamite. Six faces palpitantes, tous les hits sont là, plus des covers magnifiques des Beatles («Ticket To Ride» et l’infernal «Baby’s In Black», tapé au crack boom de Cleveland), plus une imparable cover du «Can’t Explain» des Who ! En plein dans le mille de la cocarde, t’as pas idée. Les Rasp démarrent en super-trombe avec l’explosif «Wanna Be With You», ça saute à coups de c’mon baby/ I just wanna be with you. En B, tu tombes sur la mélodie du paradis : «Go All The Way» et Wally Bryson te gratte les pires power chords d’Amérique pour lancer «Ecstasy». C’est quelque chose d’extravagant. En C, tu croises l’«Hard To Get Over A Heartbreak» et le solo tentaculaire de Wally Bryson, suivi de «Let’s Pretend», le hit magique qui annonce «All By Myself». L’Eric monte son power mélodique au sommet. Et ça continue en D avec l’«If You Change Your Mind» qui rentre en toi par tous les pores de la peau, par tous les ports d’attache, par toutes les portes ouvertes. En clair, tu n’en peux plus. Trop de beauté finit par t’aveugler. L’Eric est un magicien. Live, il devient encore plus fulgurant. Il termine sa D avec «I Can Remember», qui part en mode romantica pianotée, et soudain, ça explose en gerbes mélodiques à la Brian Wilson. Ça monte par vagues subliminales. Avec ceux de Brian Wilson et de Lennon/McCartney, les hits d’Eric comptent parmi les plus parfaits. Sur scène, ils parviennent à jouer les développements extraordinaires d’«I Can Remember», ça monte droit au firmament de la pop, l’Eric chante à l’éclat mordoré, il monte son Remember à la pointe d’une glotte rose et palpitante : te voilà confronté à la perfection, et le dernier refrain jaillit comme un saumon dans la rivière du bonheur éternel. Tu n’en peux plus de tant d’éclat. L’E est encore plus fabuleuse, avec l’heavy boogie des Rasping Rasp, «I’m A Rocker», et la fantastique aisance pop d’«It Seemed So Easy» qui sonne comme un hit des Byrds, aussi généreux en harmonies vocales. Sidérant ! Puis L’Eric rend hommage à The Choir qu’il qualifie de best band in town, avec deux covers, «When You Were With Me» et surtout «It’s Cold Ouside». Fantastique allure. Partout les Rasp foutent le paquet. En bout d’F, ils repartent de plus belle avec «Drivin’ Around/Cruisin’ Music», en plein dans les Beach Boys, pour finir avec le simili-Whoish «I Don’t Know What I Want», monté sur les accords de Pinball Wizard. Ce triple album va tout seul sur l’île déserte.

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             On fit aussi main basse sur le premier album solo sans titre d’Eric Carmen, un Arista de 1975. En fait, c’est un album très rock, qui s’est vendu sur la foi d’«All By Myself», l’un de ces grands balladifs dont l’Eric s’est fait une spécialité. C’est vrai qu’on adorait ça à l’époque - When I was young/ I never needed anyone/ Making love was just for fun/ Those days are gone - En gros, il dit qu’à présent, il a besoin d’une poule dans sa vie. Mais à côté de cette superbe tarte à la crème, il aligne une belle série de big rockers : «Sunrise», «That’s Rock’n’Roll», et surtout ce «No Hard Feelings» claqué à la claquemure de Cleveland, avec de vieux relents de Stonesy. Son «My Girl» est franchement digne de Brian Wilson. Même sens de l’explosion de pop dionysiaque ! Il va encore t’en boucher un coin avec une cover d’«On Broadway», ce vieux smash signé Mann & Weil. L’Eric y met toute son âme de pop star iconique. Il y va au raw d’ange de miséricorde.

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             Puis la carrière solo va suivre son cours avec Boats Against The Current, un Arista paru deux ans plus tard. Belle pochette et quelques perles, notamment ce «Take It Or Leave It» qui sonne comme de la Stonesy. Il pompe Keef. Tu te croirais sur Exile. On croit même entendre Rod The Mod accompagné par les Stones. On retrouve Bobby Keys aux horns, ce qui explique tout. Dommage que tout l’album ne soit pas de ce niveau. Il renoue aussi avec la passion pour les Beach Boys avec «She Dit It». C’est l’On The Beach raspberrien. Oh la qualité de la claque ! Mais le reste n’accroche pas. Il cherche toujours la voie du Seigneur Pop. Il ne parvient plus à renouer avec la grandeur des Rasp.

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             Nouvelle tentative de renouement avec Change Of Heart paru l’année suivante. Le balda s’épuise et arrive en son bout avec une belle cover du «Baby I Need Your Lovin’» des Four Tops. Quelle joie d’entendre l’Etic chanter ça ! Pur genius productiviste. Deux belles surprises viendront consoler les nostalgiques des Rasp en B : «Hey Deanie», où l’Eric emprunte le riff de «Tumblin’ Dice», et «Someday» qui marque le grand retour de l’Eric On The Beach avec du tip-tip-tili emprunté aux Beach Boys de «Do It Again». Power intact ! Tip Tip Tili !

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             Malgré son horrible pochette m’as-tu-vu, Tonight You’re Mine est un bon album. On trouve en B un «Foolin’ Myself» digne d’«All By Myself», une belle pop onctueuse qui d’une certaine façon reste imparable. Sinon, il joue un peu avec le feu dans «Hurts Too Much», il ramène le gros son de Totor et les castagnettes. Il tente encore le diable avec «Lost In The Shuffle» où il singe Chucky Chuckah dans un superbe boogie d’allure martiale. Il essaye de se monter digne des grandes heures du Duc de Berry. Mais à la moindre occasion, il retrouve ses hauteurs mélodiques, comme le montre «All For Love». Il adore l’altitude et la pureté de l’air. Beau retour en force en B avec «Inside Story». Il conserve cette fibre heavy rock aux frontières du glam. Top quality Carmen, même si très classique.

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             Pas grand-chose à tirer d’Eric Carmen, un Geffen de 1984. On le voit cigarette a bec sur une pochette m’as-tu-vu, et ce n’est pas bon signe. Il montre toujours un goût immodéré pour le slowah languide et ultra violonné. Il reste très sentimental («Living Without Your Love») et peut durcir le ton («Come Back To My Love»). En B, on le voit renouer mollement avec les Rasp («You Took Me All The Way») et faire du Geffen d’époque avec «Maybe My Baby». C’est à tes risques et périls.  

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             Il enregistre I Was Born To Love You en 1998. Ce sera donc son dernier album. Est-il passé de mode ? Pas vraiment, car il tape encore deux belles covers, le «Caroline No» des Beach Boys, et le «Walk Away Renee» de The Left Banke. Deux covers du diable, c’est-à-dire des covers magiques. Ah on peut dire que l’Eric adore la Rive Gauche. Il se fend aussi d’une Beautiful Song, «Isn’t Romantic», un cut délicat et fin, un brin bossa-nova, et vite bouffé par une grosse orchestration, sans doute l’hit du disk. Saluons aussi «I Was Born To Love You» qu’il chante d’une voix à peine voilée. L’Eric est resté beau et il cultive encore son goût pour la clameur éplorée. Mais il fait une musique à la mode. Son «Everytime I Make Love To You» rappelle l’«Etienne» de Guesh Patti. Gloups ! Mais il adore aussi rocker, comme le montre «Cartoon World», cette belle pop-rock d’éclat carmélite. C’est pour ça qu’il faut aller au bout des parcours, il est essentiel d’en avoir le cœur net. Il essaie encore de taper dans l’On The Beach avec «Top Brown Summer», mais ça ne marche pas à tous les coups.

    Signé : Cazengler, Eric Camé

    Eric Carmen. Disparu le 11 mars 2024

    Raspberries. Fresh. Capitol Records 1972

    Raspberries. Raspberries. Capitol Records 1972

    Raspberries. Side 3. Capitol Records 1973

    Raspberries. Starting Over. Capitol Records 1974

    Raspberries. Live On Sunset Strip. Rykodisc 2007

    Raspberries. Pop Art Live. Omnivore Recordings 2017

    Eric Carmen. Eric Carmen. Arista 1975

    Eric Carmen. Boats Against The Current. Arista 1977

    Eric Carmen. Change Of Heart. Arista 1978 

    Eric Carmen. Tonight You’re Mine. Arista 1980 

    Eric Carmen. Eric Carmen. Geffen Records 1984 

    Eric Carmen. I Was Born To Love You. Pyramid Records 1998

     

     

    Wizards & True Stars

     - Les critères de Crider

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             Pas compliqué : l’histoire du garage moderne américain repose sur 5 piliers : Billy Miller (Norton), Tim Warren (Crypt), Larry Hardy (In The Red), Long Gone John (Sympathy For The Record Industry) et last but not least, Dave Crider (Estrus).

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             Alors ça tombe bien : vient de paraître un gros patapouf qui te raconte dans le détail l’histoire d’Estrus. Ouvrage déterminant, car placé sous la houlette du graphiste maison d’Estrus, l’intrépide Art Chantry. Dave Crider avait compris que la réputation d’un label reposait sur deux mamelles : l’image et le son. On trouve très peu d’exemples de ces deux mamelles dans l’histoire contemporaine. Citons un autre team de rêve : Drive-By Truckers & Wes Freed. Rien à voir avec l’esthétique des pochettes des early Stones : les photographes comme Gered Mankowitz shootaient pour le compte des labels.

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             Ce graphiste génial qu’est Art Chantry a bossé sur l’identité graphique d’un label underground, et ça se situe à une autre échelle. L’identité graphique est un gros pari, une aventure en soi, il faut voir loin, tout en restant original. C’est en quelque sorte une ingénierie, on définit les bases d’un système visuel qui doit se débrouiller tout seul par la suite, et s’il tient la route, alors les déclinaisons sont un jeu d’enfant. Quand on a bossé sur des «gros chantiers» d’identité visuelle pour des industriels et des grands comptes, on sait l’importance que prend la réflexion initiale. La première condition est de plonger dans la «culture d’entreprise» et d’en tirer les principales caractéristiques. C’est que qu’Art Chantry a fait avec Dave Crider : il s’est plongé dans la culture de son client, et comme il l’indique dans sa préface, il s’est trouvé des tas de points communs avec lui, ce qui a grandement facilité les choses - Dave and I had a LOT of things in common - trashy taste, an interest in crappy music history, a love of forgotten art styles, and a fascination with the history of embarrassing underground American pop subcultures - Ils parlent tous les deux le même langage. Easy baby. Et comme Art Chantry est prodigieusement doué, alors roule ma poule. Il invente même un art graphique qu’on peut qualifier d’art gaga. On est aux frontières de l’art Dada. Chantry explique aussi sa méthode de travail avec Dave Crider : ils sortent tous les deux des crazy ideas jusqu’à ce qu’ils soient vraiment excités. Chantry voit Crider comme son client, et il dit que c’est une chance extraordinaire que d’avoir un client comme lui - because they’re extremely hard to find - Tous les graphistes savent de quoi il parle. Chantry dit avoir bossé 30 ans pour Estrus - It’s a REAL design collaboration at its finest. The best work of my career - Il ajoute plus loin qu’Estrus n’a jamais sorti un mauvais disk, et la cerise sur le gâtö apologique, c’est ça : «We’re not making product, we’re creating ‘cultural artifacts’.» Voilà la clé. Le gaga-punk comme cultural artefact. Tu sentais bien à l’époque que les albums Estrus sortaient de l’ordinaire. Et pour les passionnés de typo, l’œuvre d’Art Chantry est une mine d’or, comme le sera à la même époque l’œuvre de Neville Brody. D’ailleurs, dans le déroulé du book, il arrive à Chantry de commenter ses choix typo.   

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             Au temps jadis, on raffolait tous d’Estrus et de ses Mummies, de ses Mono Men, de ses Makers et de tous les autres blasters. Chacun des cinq labels des tables de la loi avait ses têtes de gondoles, et tu tapais dans les catalogues au petit bonheur la chance. Ce fut le temps de l’abondance, avec les Gories, les Oblivians et les Lazy Cowgirls chez Crypt, El Vez, les Cynics et les Gibson Bros chez Sympathy, Hasil Adkins, les A-Bones et Daddy Longlegs chez Norton, et les Dirtbombs, The King Khan & BBQ Show, les Deadly Snakes, Reigning Sound, les Black Lips chez In The Red. Il en pleuvait de partout et tous ces albums avaient une sacrée particularité : ils sonnaient quasiment tous comme des classiques.

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             Dave Crider n’a jamais quitté sa bonne ville de Bellingham, dans l’État de Washington, pas très loin de Seattle. Il louchait en particulier sur les «guitar-focused garage bands». En plus d’être le boss d’Estrus et donc un découvreur, il jouait dans les Mono Men, dont l’influence principale était alors les Nomads. Leur premier single est une cover de «Rat Fink A Boo Boo». Outre Crider à la gratte et au chant, on trouvait Ledge Morrissette (bass), Aaron Roeder (beurre) et plus tard John ‘Mort’ Mortensen (gratte/chant), à qui est dédié ce book. Les Mono Men démarrent en 1987 et splittent en 1997, pour se reformer en 2006 et aller jouer quelques shows en Espagne, et en 2013, pour quelques shows au Mexique et en Amérique du Sud. Quand Mort exprima l’envie de passer plus de temps avec sa famille, les Mono Men devinrent un trio et c’est ce trio qu’on entend sur le dernier album du groupe, Have A Nice Day Motherfucker.

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             On trouve quelques belles pépites sur ce Motherfucker, notamment le «Back At You» de fin de balda, pièce pantelante d’heavy raunch dans laquelle Tim Kerr passe l’un de ces killer solos flash dont il a le secret. Il prend feu ! Et le Crid chante comme un beau diable. Il n’est pas avare de screams. Les Mono Men sont devenus un power-trio de fast punk comme le montre l’«Off My Back» d’ouverture de balda. Le Crid grimpe au somment de son lard fumant. Il fait encore tout le cirque du heavy sludge dans «Murder City Nights», avec du yah yah et du gratté de poux indicible. C’est une cover de Denis Tek. L’autre cover est en B : «Wimp», signé Alejandro Escovedo.  Le Crid la travaille à l’heavyness carabinée. Et puis tu as ce «Feel Alright» qui n’est pas celui des Stooges, mais c’est tout comme, car tapé aux accords protozozo. 

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             Quand les Mono Men splittent en 1997, Crider remonte aussitôt Watts avec Roeder et deux autres mecs - with all fucks thrown out and all the levels at maximum volume - Malgré sa belle pochette, le Watts de Watts n’est pas l’album du siècle, loin s’en faut. Le Crid propose un rock high energy, une sorte de sur-power de super-sludge. On sent chez eux une tentation de Blue-Cheerisation. Tout est poussé dans le rouge, et chanté à la surenchère. Mais rien de nouveau sous le soleil exactement. Il attaquent leur B avec «Tarentula», une jolie dégelée boréale. Ça te dégage bien les bronches. Curieusement ils deviennent de plus en plus explosifs au fil des cuts. Ces mecs ignorent l’existence du mot ‘répit’. Et voilà qu’arrive enfin la perle tant attendue : «Sweet Invicta», quasi-stoogy dans l’intention et dans le propos, et le Crid crache des flammes. 

             À ce stade des opérations, on peut jeter un œil sur les quatre autres albums des Mono Men. C’est très instructif.

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             Le premier paru en 1990 s’appelle Stop Draggin’ Me Down. Il démarre avec la belle énormité du morceau-titre qui est une sorte d’«I’m Not Your Stepping Stone» revu et corrigé par les Pistols. Très solide, chanté en mode protozozo par le Crid. Puis ça bascule dans la stoogerie avec «Right Now». Ils savent le faire. C’est Marx Wright qui chante. Pas la même voix. Sur chaque album des Mono Men se trouve une cover de choix. Sur Draggin’, ils ont opté pour l’«Aint’ No Friend Of Mine» des Sparkles, l’un des joyaux de la couronne. Le Crid le bouffe tout cru. Tu n’en reviens pas de les voir taper cette cover de génie. En B, on croise d’autres merveilles, à commencer par l’indestructible «Dead End», suivi d’un «That’s Her» bien campé sur ses jambes. Et puis voilà «Girl», un heavy rock de Bellingham charpenté à la main. Ils ne mégotent pas sur les mortaises et la cheville ouvrière.

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             De toute évidence, Wrecker! est leur meilleur album. Ça n’arrête pas. T’en prends plein la barbe, du début à la fin. Ça grouille de puces, tiens, dès «Your Eyes», quasi-protozozo, avec l’enfer sur la terre, le Crid chante et ça pue tout de suite le génie qui ne fait pas de quartier, yaaaah ! Le «Last Straw» suivant est absolument parfait, voilà le gaga sauvage dans toute sa splendeur. Le Crid reprend le chant sur «One Shot». Avec lui, tout est plus heavy et plus pulsatif qu’avec Mort, l’autre chanteur. Cette fois, les Mono Men sonnent comme les Pink Fairies. Bon, Mortensen sait aussi balancer du gaga flamboyant, il fait claquer son «Took That Thing» comme un étendard. On arrive au cœur du Mono System avec deux covers de choc : l’«He’s Waiting» des Sonics (joli Sonic shoot of sort) et le «Swampland» des Scientists, bel hommage du Crid au cat Kim. Fantastique fournaise bien étalonnée et tisonnée au waooouuuh d’in my heart. En B il tapent un bel instro dans l’esprit Linky, «Tomahawk», du Wray de Wray. Nouvelle cover, cette fois du «Remind Me» des Outsiders. Fulgurant ! Le Crid outside les Outsiders avec tout le power des Mono. Il donne au cut un éclat incomparable, c’est d’un power quasi surhumain. Il termine cet album qu’il faut bien qualifier de faramineux avec «I’m Hangin’», chanté à deux voix au renvoi d’ascenseur sur les accords de Gonna Miss Me. 

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             On trouve encore un peu de protozozo sur Skin & Tonic : «Waste Of Time». Le Crid sait bien aggraver les choses, bien plus que Mort. C’est encore lui qui chante le «Mystery Girl» d’ouverture de balda. Il est encore au micro pour «Haxed», un classic Mono d’haxed on you, avec une descente au barbu catégorielle. Dommage que le Crid ne prenne pas tout au chant. Il est quand même plus convainquant que le copain Mort. Par contre, que dalle en B. Rien.

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             10 Cool Ones n’est pas sorti sur Estrus mais sur Scat. C’est un album de reprises, avec une belle poule à poil au recto de la pochette et quatre belles photos des Mono au verso. Les Mono ne font pas dans la dentelle de Calais puisqu’ils attaquent avec «Kick Out The Jams». Ils dévorent le MC5 tout cru. Crouch Crouch. Ils enchaînent avec le «54-40 Or Fight» de Dead Moon, ils foncent dans le tas du panier de crabes, mais ils perdent complètement la finesse de Dead Moon. On ne peut pas tout avoir. Ils restent dans le haut de gamme avec une cover d’«You’re Gonna Miss Me», bel hommage à Roky, le Crid étale bien son pâté de babeyhh, c’est sauvage as fuck, les babeyhh du Crid sont les pires de tous. Et dans la foulée, ils tapent dans «The Way You Touch My Hand», suprême hommage aux Nomads, Heavy power Monolithique ! On ne sauve qu’une cover en B, celle de Gravel, «As For Tomorrow», amenée à la grosse cocote graveleuse, avec un fantastique jeté de poids dans la balance, et même de jeté de poids dans la gueule de la balance !

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             Ne pas faire l’impasse sur Shut The Fuck Up, un mini album de 1993, car c’est un hommage à Link Wray, via «Phantom On Lane 12» (du Wray de Wray, assez Crampsy dans l’esprit et bien dévoré du foie), et en B, une cover de «Rumble», en plein dans le mille de la menace. L’autre cover de choc est le «Mr. Eliminator» de Dick Dale. Quant à la «Little Miss 3-B», elle est envenimée par un effarant solo stoogien. 

             En feuilletant le fat Estrus book, on retombe sur tous ces visuels qui nous faisaient jadis tant baver. Le Ritual Dimension Of Sound des Mortals, par exemple. On retrouve aussi la trace d’un très grand Estrus record, le Break-A-Bone de Gravel. Eh oui, le mec insiste pour rappeler que c’est un très bon album.

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    Gravel est le prototype du coup d’éclat d’Estrus, l’indicateur du flair génial du Crid. Break-A-Bone grouille de puces, à commencer par «Lone Ride» bardé de barda. Bryan Elliott sait tartiner sa purée. C’est Max la Menace avec une guitare électrique. Fantastique plasticité du son, et du beurre en particulier sur «Bucket Of Blood». On descend dans les entrailles de Gravel avec «As For Tomorrow», c’est un power-rock prodigieusement inspiré, bien gras, bien épais, Break-A-Bone est l’un des meilleurs albums de cette époque riche en big riders, mais c’est Gravel, un diamant de power pur. Chaque fois que tu réécoutes Break-A-Bone, tu t’en fais des choux gras. En B, tu as encore deux blasters : «Sleepless Night» (niaque épouvantable, les montées de fièvre te submergent le bulbe), et «In Your Eye», avec un son plein comme un œuf. Même les balladifs comme «Halfway» sont bardés de barda. Gravel charge sa barcasse au maximum des possibilités de la rascasse. On remercie chaleureusement le Crid pour cet album parfait.

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             Gravel sort l’année suivant un deuxième et dernier album, No Stone Unturned. Pochette parfaite, mais l’album est hélas un peu moins dense que le précédent. Le coup de génie est l’«Erase» d’ouverture de balda. T’es pris à la gorge dès les premiers jets de purée graveleuse, on assiste à un fantastique écroulement des falaises de marbre dans le lagon d’argent, il chante du nez à la Kurt et Rick Parritz gratte les poux du diable. Ses poux sont tellement liquides qu’ils coulent tout seuls. On assiste plus loin à un gros battage dans «Sand In Your Eyes», ça bat les poux en neige. Ces mecs ne portent pas des chemises à carreaux pour rien. Ils prennent à la va-comme-je-te-pousse une petite cover du «Pissing In A River» de l’early Patti Smith, et en B, ils sonnent comme The Bevis Frond sur «Yesterday». Même entrain mêlé de désenchantement. Rien de plus heavy que le morceau titre - I’m looking high/ Looking low - Très beau et perforé de part en part par les killer solos du féroce Parritz.

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             L’autre coup de génie Estrusien, c’est bien sûr les Mortals. Les Mortals sont mortels, il est bon de le rappeler. Trois albums, à commencer par l’effarant Ritual Dimension Of Sound. Beaucoup de son, car c’est un groupe à deux grattes, James Grapes en lead et Denny Brown aussi en lead, avec, en guise de cerise sur le gâtö, un chanteur exceptionnel, Steve The Tongue Gatch. C’est glorieux dès «I Want More» et ça bascule dans le génie sonique avec «World Turns On», monté sur les accords de «Gloria», mais tapé en mode fast blast de protozozo enragé. Ça te percute littéralement de plein fouet. Ce balda est tout bêtement sidérant, un killer solo flash arrive en dérapage contrôlé dans «I Dream She There». Les Mortals sont les rois de la planète Estrus. Encore du killer solo flash dans «Leaving For Good». Il bouclent leur balda avec un «Disintegration» bien contrebalancé et incendiaire à la fois. En B, Gatch prend «Paralyzed» à ras des pâquerettes. C’est le roi du vol plané mal intentionné. Et avec «She’s So Dangerous», ils flirtent avec le génie protozozo des Pretties. Même approche de la niaque. Ils finissent avec un «I Am Alive» emporté par un tourbillon de wah, du jamais vu.   

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             Bulletproof est un album un peu moins dense que le précédent, mais si tu l’écoutes jusqu’au bout, tu vas tomber de ta chaise avec «This is Life», un cut tapé au riff enroué et fabuleusement volubile. Ah quelle farce ! Superbe allure. Riff insistant à la «Cold Turkey». Encore de la fantastique allure avec le «Turn Away» d’ouverture de balda, gratté à la cocote sévère, dévoré par le bassmatic carnivore et trucidé par un killer solo flash. Franchement, que demande le peuple ? Ils passent au pur protozozo avec «Psychole». Ce démon de Gatch chante comme un vieux protozoaire du Midwest et se noie dans une mélasse magique. On croise aussi un «Zodiac» gratté à la menace sourde. Et comme le montre encore «What I Need», ils ne vivent que pour la dégelée. 

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             Mais le mieux est à venir : Last Time Around, qui est en fait une compile. Art Chantry fait tourner la typo d’Around sur la pochette. C’est le «Disintegration» tiré de Ritual Dimension qui t’accueille à bras ouverts. Une pure stoogerie ! Encore une stoogerie avec «Wasting My Time» - You’re wasting my time baby/ You’re wasting my time - Cette compile est aussi le paradis des covers. Boom avec le «Looking At You» du MC5, claqué à la mortadelle des Mortals, avec un bassmatic en roue libre. Derrière le tir de barrage ça voyage énormément ! Ils tapent aussi le «Crazy Horses» des Osmonds, un cut aussi repris par les Dictators et Electric Six. Deux autres covers de choix, le «Stay Clean» de Motörhead et l’«I’m Branded» de Link Wray. Ils bardent le Linky de tout leur barda, ils rajoutent des poux sur les poux. Encore une cover explosive : le «Making Time» des Creation. Avec cet hommage suprême, ils restituent tout l’éclat du same old song. Retour à la stoogerie en avec «Coming Down» digne de Dirt, aw c’mon. «Everybody Else» démarre comme un clin d’œil aux Kinks d’«I’m Not Like Everybody Else», et ça bascule dans le puissant gaga sauvage. Le morceau titre qui boucle la B est une fait une cover des Delvettes. Une fois de plus, le bassmatic lui dévore le foie.

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             Chantry et Crider aiment beaucoup les stripteaseuses et les jolis seins, alors ils développent une belle ligne graphique à base de seins nus, ce qui colle plutôt bien à l’esthétique gaga telle qu’on la phantasme. Les seins sont faits pour être exhibés, certainement pas pour être cachés. Puis arrivent comme une marée les Mummies, les Phantom Surfers et les Trashwomen. L’Estrus book s’emballe encore avec les fameux ‘Garageshock’ de Belligham, c’est-à-dire les soirées Estrus qu’organisait Crider dans un club local, le 3-B, tenu par Aaron Roeder, où tout était permis - A kind of fuck you attitude, nous dit Roeder - Toutes les affiches te font baver, tous les groupes Estrus sont là, année après année, dans les années 90, et voilà les mighty Makers, l’un des fleurons d’Estrus, photos de scène et tout le bataclan. Et commencent à apparaître des cracks comme Tim Kerr, et Chet Weise des Quadrajets.

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             Pour les Drags, Chantry déterre une vieille typo, the old headliner typeface ‘Interlock’ utilisée dans les années 50 et 60 : les caractères s’interlock entre eux. Art Chantry se passionne aussi pour les Fireballs Of Freedom. Pour lui, la pochette de Total Fucking Blowout devait être «IN YOUR FACE and MELTING IT. WHAW!». Les CAP, c’est lui. Alors il utilise «a day-glo orange type tone with a Japanese rubber stamp kit» et une photo «of a badly damaged mannequin with headhones having been totally FUCKING BLOWN OUT». Voilà comment Art Chantry commente ses pochettes parfaites. Crider s’éprend aussi des Supercharger de San Francisco, qu’il qualifie de «definitive offering of 90s lo-fi trash budget rock.» Les Makers incarnent d’une certaine façon l’apothéose d’Estrus. L’Estrus book qualifie d’explosive le «Middle Finger album». Puis voilà les Nomads et les Japonais de Teengenerate, puis les Flaming Sideburns en Finlande et les excellents Thundercrack, en France. Le mec de Guitar Wolf (qui n’est pas sur Estrus) dit tout devoir à Goner et à Matador.

             Puis en janvier 1997, l’entrepôt d’Estrus prend feu. Tout part en fumée : les archives, le mail order, le matos des Mono Men, les masters tapes et la collection personnelle du pauvre Dave Crider. Il va s’en relever, mais à quel prix ! Il faut tout reprendre à zéro. Les groupes vont faire des benefits pour aider Estrus à se relever. On se souvient de l’incident comme d’une énorme catastrophe, à l’époque.

             Après la fin des Mono Men et de Watts, Crider monte les DT’s, «a hard soul combo» avec Diane Young-Blanchard, l’ex-Madame X. Le groupe va durer 17 ans et tourner dans le monde entier. Les albums de DT’s fonctionnent un peu comme la vitrine du pâtissier : ils font envie. Alors tu entres avec les yeux plus gros que le ventre.

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             La peau de serpent d’Hard Fixed n’est pas signée Art Chantry. Le son change du tout au tout avec la voix de l’ex-Madame X. Elle fait sa Janis. Le Crid se tourne résolument vers le son qu’il préfère, celui des seventies. Plus aucune trace de gaga sur cet album. Il arrose copieusement «On The Ground» d’accords fiers comme des guerriers apaches. Cette fois, les DT’s sonnent exactement comme les BellRays. Même sens de l’émeute urbaine. Sur «Breakdown», l’ex-Madame X a toutes les qualités : «I got style/ I got Soul/ I got fire.» Pas mal quand même. Mais ils peinent à défrayer la chronique. En B, ils continuent avec «The Hurt Is Over» de taper dans un genre déjà éculé par tant d’abus. Tout est classique sur cet album, bien tiraillé au tire-bouchon. Leur «Eyes To The Sun» est littéralement cavalé ventre à terre, en mode Charge de la Brigade Légère au Far-West, oh yeah, elle y va l’ex-Madame X ! Elle est encore plus spectaculaire sur «Chopper», elle grimpe sur la barricade et gueule comme une égérie face aux Versaillais, les ennemis de la liberté, alors elle gueule de toutes ses forces et ça finit par devenir stupéfiant. Ah il faut avoir écouté ça au moins une fois dans sa vie !

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             C’est Art Chantry qui designe la pochette de Nice ‘N’ Ruff (Hard Soul Hits! Vol. 1). Comme l’indique le titre, c’est un big cover album, bien gorgé de Crid. Premier blast, le «Ninety Nine & A Half (Won’t Do)» d’Eddie Floyd & Steve Cropper. Cette heavy cover staxy et blanchie leur va comme un gant. C’est puissant, gorgé de ninety nine oooh. Ils tapent ensuite dans l’excellent «Price Of Love» des Artistics, c’est gorgé de Soul blanche. Ils restent dans le haut de gamme avec «The Hunter» d’Albert King, mais leur cover trop blanche de marche pas. Ils tentent le coup encore avec le «Pagan Baby» de Fog, mais c’est trop chanté à l’arrache, alors ils passent à côté du Creedence. Mais que de son, c’est la grosse cavalerie du Crid et d’Endino. En B, ils restaurent leur règne avec l’imparable «Big Bird» d’Eddie Floyd & Steve Cropper. Fantastique, ça marche à tous les coups. Ils tapent plus loin dans le «Move Over» de Janis. L’ex-Madame X est en plein dedans. C’est exactement la même. Ils terminent ce parcours magistral en rendant un hommage tonitruant à Roky : «Don’t Slander Me», avec le Crid en embuscade. C’est le Texas storm transplanté dans le Pacific Northwest Boom, avec un killer solo flash de Crid le héros. 

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             Gros travail sur le typo pour la pochette de Filthy Habits, mais ce n’est pas signé Art Chantry. C’est le Crid qui s’est amusé sur son ordi. L’album ne sort pas non plus sur Estrus mais sur Get Hip Recordings, ce qui revient à peu près au même. Et au dos, le Crid toujours égal à lui-même déclare : «Thanks to our friends... everyone else fuck off.» Il a raison, au fond. En même temps, souvenir d’un contact chaleureux avec lui, via le site Estrus, lorsqu’il fallut rapatrier les albums encore disponibles chez lui et qu’on ne trouvait pas chez Born Bad. Deux belles stoogeries se nichent sur Filthy Habits, «April Holeso» et «Lights Out». Derrière l’ex-Madame X, le Crid joue les accords de «Down In The Street». Elle lâche des c’mon solides comme le roc. Elle y va la Diana ! C’est d’ailleurs «Lights Out» qui referme la marche de la B. Le Crid te gratte ça sec et net et sans bavures. Il gratte comme un démon, il fait son Ron Asheton et croise les descentes de bassmatic. Le reste est plus classique, avec un «Freedom» assez Nashville Pussy dans l’esprit, et un Crid qui prend feu dans les virages. L’ex-Madame X restera une grande shouteuse devant l’éternel. Elle mène bien sa barcasse de Sugar Pie dans «Sugar Pie».

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             En 2015, Dave Crider monte Machine Animal, «a four-piece ‘Bonehead Rock’ band». Deux singles sur le marché : «Live In Wreck/Devil Woman» et «Lame/Danger Explosives». Ils font du classic rock hardy des années de braise. Très Nashville Pussy dans l’esprit. Ils se spécialisent dans le big heavy Animal Machine Sound. On perd complètement le Crid génial des Mono.

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             Avec Dave Crider et Art Chantry, l’autre héros de la saga Estrus n’est autre que Tim Kerr. C’est lors d’un concert des Mono Men au Crocodile Cafe de Seattle, en 1992, que Crider rencontre Tim Kerr. Rencontre déterminante car Kerr allait contribuer à la légende d’Estrus au moins autant qu’Art Chantry. Kerr le cake se trouvait alors à Seattle pour enregistrer le premier album de Monkeywrench, Clean As A Broke-Dick Dog, sur Sub Pop. Et ça commence vraiment à chauffer à la page 200 du book avec une photo de scène des Monkeywrench, tu vois Mark Arm au chant, et Kerr sur sa demi-caisse jaune, en chemisette à carreaux, déplumé mais avec la gueule de Robert Duvall. Crider a déjà flashé sur les underground heroes Poison 13 - too blues for punk, too punk for blues - Ça clique entre eux et ils papotent toute la nuit, partageant une admiration commune pour Thelonious Monk. Avec Tim Kerr, Crider va trouver un son. C’est Kerr qui enregistre le «Middle Finger album» des Makers et qui développe leur son. Il réédite l’exploit pour les Dexateens de Tuscaloosa, Alabama, qu’il entraîne comme il a entraîné les Makers «into wild batshit-crazy feedback orgies». Tim Kerr : «Those first two Dexateens records are still some of my favourite things I’ve done.» C’est lui aussi qui enregistre les Fireballs Of Freedom. En studio, il invite les groupes à s’abandonner - to cut loose and just go fuckin’ bananas - à la recherche d’une «dynamic of insanity and noise». Tim Kerr les aide à basculer dans le deconstructed rock and punk. Le mec des Fireballs en témoigne : «On essayait de faire un truc à l’opposé de tous les autres, and Tim understood that. Il est d’Austin et on adorait tous les weird bands from there, like the Butthole Surfers and Big Boys. We were freaks on the scene. So was Tim.» Pas étonnant qu’Estrus ait brillé au firmament de l’underground. Comme Guy Stevens en Angleterre, Tim Kerr encourage les groupes à tout casser : «Shout and scream and make mayhem.» C’est encore lui qui produit Estrella 20/20 : «Avec les groupes japonais, the very first note of the very first song is the grand finale, and we go up from there. That’s how it should be. Tu vas voir les Cramps. The Cramps are great. Lux stands on his amp at the end of the set, but why didn’t he do that on the first song?».

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             En plus, Tim est modeste. Il demande toujours à son copain Crider de ne pas le créditer comme «producteur» sur les disks, il veut juste «guidance councellor» ou «coach» - «Producer» has so much fucking baggage to it that has nothing to do with me - Allez hop, Mooney Suzuki et Gasoline ! Il pousse le bouchon de la modestie assez loin, car il affirme que c’est un honneur pour lui que d’être sollicité par un groupe. Pire encore : il ne coûte pas cher. Vraiment pas cher. Il considère que le groupe a déjà claqué du blé en déplacement et en location de studio. Il se contente généralement du remboursement de ses frais de route, et il dort par terre s’il le faut - I didn’t mind sleeping on the floor - Et puis, il adore les groupes qui échappent au garage, comme les Fireballs Of Freedom - That’s absolutely not garage - Et il ajoute, pour que les choses soient bien claires : «The Quadrajets, they think they play Southern Rock, but it’s the most fucked-up, crazy thing. Lord High Fixers didn’t fit into the garage label either.We were playing jazz mixed with soul. There wasn’t that formula kinda thing going on. It’s probably why Dave and I are family.» Voilà la  clé d’Estrus : l’ouverture d’esprit. Tu tournes la page et tu tombes sur une autre photo de scène de Tim Kerr, cette fois avec les Lord High Fixers, qui furent en leur temps l’un des plus grands groupes de rock américains.

    Signé : Cazengler, Estrousse (de toilette)

    Chris Alpert Coyle & Scott Sugiuchi. Estrus. Shovin’ The Shit Since ‘87. Korero Press 2023

    Mono Men. Stop Draggin’ Me Down. Estrus Records 1990

    Mono Men. Wrecker! Estrus Records 1992

    Mono Men. Shut The Fuck Up. Estrus Records 1993

    Mono Men. Skin & Tonic. Estrus Records 1994

    Mono Men. 10 Cool Ones. Scat Records 1996

    Mono Men. Have A Nice Day Motherfucker. Estrus Records 1997

    DT’s. Hard Fixed. Estrus Records 2004

    DT’s. Nice ‘N’ Ruff (Hard Soul Hits! Vol. 1). GP Records 2005

    DT’s. Filthy Habits. Get Hip Recordings 2007

    Watts. Watts. Estrus Records 1999

    Machine Animal. Live In Wreck. Valley Kings Records 2016

    Machine Animal. Lame Danger Explosives. Ghost Highway Records 2018

    Gravel. Break-A-Bone. Estrus Records 1992

    Gravel. No Stone Unturned. Estrus Records 1993

    Mortals. Ritual Dimension Of Sound. Estrus Records 1992

    Mortals. Bulletproof. Estrus Records 1994

    Mortals. Last Time Around. Estrus Records 1996

     

     

    Pas de parka pour Farka

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             L’Afrique débarque en Normandie, avec l’un de ses plus brillants ambassadeurs, Vieux Farka Touré, le fils d’Ali. Comme chacun sait, Ali Farka Touré révéla le secret des racines du blues dans Du Mali Au Mississippi, un docu tourné par Martin Scorsese, à partir d’un scenar de Peter Guralnick. Pardonnez du peu. Ce docu est aussi le premier des 7 épisodes de la série The Blues, produite par le même Scorsese. On retrouve aussi l’Ali sur l’un des plus beaux disks de blues des temps modernes, Talking Timbuktu, où il duette avec son fan numéro un, Ry Cooder. Donc quand le fils d’Ali débarque en ville, on va le voir vite fait. C’est la moindre des choses. Après, tu peux décider de rester chez toi à regarder une grosse daube à la télé. Mais tu vas rater quelque chose. 

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             Bizarrement, quand tu vas voir jouer les Africains, tu marches sur des œufs, alors qu’au contraire, tu devrais danser et t’abandonner. C’est délicat l’Afrique. C’est fragile. C’est précieux. C’est raffiné. Tu as des instruments qui remontent à la nuit des temps. Contente-toi de les entendre, pas la peine de chercher à mémoriser leur nom. L’arlequin en costume tribal gratte une espèce de guitare primitive taillée dans un petit bout de bois. C’est Bo Diddley Della Francesca dans la forêt vierge. Mais Bo Diddley Della Francesca en costume d’Arlequin. Même Picabia n’aurait jamais pu imaginer un plan pareil. Et encore moins Picasso qui aimait tant peindre les Arlequins.

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             Te voilà à la croisée des chemins, ces musiciens qui sont six sur scène avec le fils d’Ali jouent une musique qui te «parle» en profondeur. Si ton corps bouge, c’est sans ton consentement de petit cul blanc amidonné. Tu vois l’Arlequin danser d’un pied sur l’autre et tu fais la même chose sans t’en rendre compte. C’est une maladie contagieuse, l’afro-beat. À côté de lui, le bassman en boubou blanc joue le groove sur une Jazz Bass à 5 cordes, il ne fait rien de plus que ce que tu sais déjà, mais il le fait à l’Africaine, du bout des doigts, sans vraiment toucher les cordes. Jamais tu ne sauras jouer comme ça, à l’effleurement primitif d’ongles roses. L’effleurement primitif ne marche que si tu as les percus africaines. Les deux cracks du beat remontent aux origines de l’humanité, l’un est derrière une batterie et l’autre derrière une calebasse, et ça swingue dans la moelle des os, ça swingue dans les bois de tes cornes, ça bat le beat originel, te voilà aux origines du monde. Bizarrement tu ressens exactement la même chose lorsque tu écoutes John Lee Hooker ou Junior Kimbrough. Ces gens-là transmettent des sons qui remontent à la nuit des temps, avant que n’existent les villes et le fucking web. Était-ce un temps de pureté originelle ? On ne le saura jamais, mais on aime bien l’idée, c’est en tous les cas l’image que véhicule cette musique dénudée, ramenée à l’essentiel, et en même temps persiste l’impression d’une foison. Foison car deux guitares, plus l’instru primitif de cet Arlequin qui te fascine à force de balancer d’un pied sur l’autre. Capiteux mélange de beauté originelle, de dénuement saharien et de vie rudimentaire, s’il est une musique qui te fait voyager, c’est bien celle-ci. L’Afro-beat bat comme un gros cœur.

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    Contrairement au rock, cette musique ne charrie aucun relent de subversion ou de rébellion, c’est complètement autre chose, il règne dans ce son une idée parfaite de l’harmonie, c’est une autre façon de voir les choses ou de ressentir le monde. L’Afrique nous dit un peu à sa manière à quel point l’occident s’est égaré : après tant de siècles de violence et de barbarie politico-religieuse, les kids du XXe siècle ont dû inventer une autre forme de barbarie pour se rebeller contre l’ordre établi issu d’un long processus civilisationnel complètement erroné. Il faut comprendre par-là que la civilisation occidentale est tragiquement imparfaite. Alors que la musique africaine, reflet d’un processus traditionnaliste, est parfaite. Si on veut en savoir davantage sur cette évidence, alors il faut voir les films de Jean Rouch, notamment Jaguar et Moi Un Noir.

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             Vieux Farka Touré ne fait pas d’ethnologie sur scène. Il amène de la joie de vivre et un son frais comme un gardon du Niger. Tous ces blackos sourient en jouant, il leur arrive parfois de tourner en rond sur eux-mêmes lentement, pied à pied, on a le temps, le cœur bat, la terre tourne, Diabara suit son chemin, Vieux Farka passe des solos qui ressemblent à des rivières de diamants, il s’approche de toi et te sourit, il a ce sourire incroyablement enfantin, il est mille fois plus radieux que ne le fut jamais cette cloche de Louis XIV dans son costume d’apparat, le Roi Soleil, c’est Vieux Farka Touré, il rayonne, il darde de mille feux, il chemine sur les traces de son père, ni plus ni moins, il porte le même message, le même chant, la même plainte issue de fond des âges et tu comprends que cette musique renferme une vraie part de vérité.

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             Il faudrait aussi saluer Strange O’Clock, le petit couple blanc qui jouait en première partie. Elle chante et tape sur une calebasse elle aussi et prend parfois des poses théâtrales, alors qu’elle n’est pas obligée. Ils explorent eux aussi cette région de l’Ouest africain, elle évoque surtout le Burkina. Son compagnon reste assis pour gratter sa Tele. Il porte un chapeau de cuir et des bottes de baroudeur. Il s’appelle Christophe Balasakis et il joue un blues africain d’une extrême limpidité. L’ambiance est afro, mais chez lui le blues prend le dessus. Il joue avec un tact qui impressionne. Ce mec est prodigieusement doué. Il échappe aux comparaisons, comme s’il jouait avec un style unique. C’est en quelque sorte une révélation. On aurait presque hâte de les revoir, avant qu’ils n’aient terminé leur set. 

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             Oh et puis tu as ce très bel album, Les Racines ! Bien positionné dans l’Afrique dès «Gabou Ni Tie», avec toute l’énergie du son, aussitôt la vie, dès la vraie attaque, ça grouille si merveilleusement. Chaque cut se met en route comme une caravane joyeuse, ces musiciens te ramènent aux origines du monde, avec le flûte de Pan de «Ngala Kaourene». Et puis voilà qu’apparaît au détour du casque ce morceau titre d’une beauté terrible, bien illuminé par les petites dégelées du Vieux Farka. Ce thème mélodique plane dans la légende africaine, traversé par des rivières de diamants. Avec «Be Together», tu as une espèce de fête au village sous le boisseau, un truc intense et léger à la fois, une beauté existentielle, tu as là-dedans tout le Mississippi Sound, tout Junior Kimbrough, toute la mémoire de la savane. Cette musique goutte de jus, l’électricité est si belle, elle sonne dans l’écho du temps, ça grouille comme une tribu. Dans «L’Âme», on reconnaît une mélodie du papa, un joli maléfice malien. Maléfique, «Flany Koanre» l’est aussi, très formel, très malien, en attente dans le temps, le son ne bouge pas, tout est figé, sauf les notes. Et puis tu vois «Lahidou» se poser comme une architecture dans les sables du désert, avec une voix qui survole les structures lumineuses comme un immense oiseau mythique. Les notes sont en liberté. «Ndjehene Direne» repart à l’assaut d’on ne sait quoi, puisqu’il n’existe pas d’assaut chez les Maliens. Pourquoi ? Parce que pas de donjons. Et pas de rien. Juste du son. Un son qui avance à travers les zones désolées de ton imaginaire. Un son aux racines si profondes que tu comprend pour la première fois la notion de sol. Tu écoutes avec tes doigts de pieds. Tu vis dans tes Impressions d’Afrique. 

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             Pour célébrer l’occasion, tu ressors de l’étagère un vieux papa Touré, un album sans titre paru en 1988, à une époque où il faisait bon s’abreuver dans l’Africana. Ali Farka Touré est un album de chansons traditionnelles. Le mec des liners donne heureusement quelques infos. On apprend par exemple que «Timbarma» est une chanson tradi à Timbuktoo et en Mauritanie. C’est un son très paisible, très ancien. Ali Farka Touré gratte à l’ancienne. Ce sont les racines des roots, il n’existe rien de plus ancien ce ça. Il chante «Bakoyteyre» en Songhai, nous dit le liner man - Les drogues ne remplissent pas la panse, alors pourquoi en prendre ? - Cette façon de poser le son est unique. Et soudain, il tape le blues du Mississippi avec «Amandrai». Merveilleux certificat de paternité. Il refait des miracles avec «Bakoye», il faut l’entendre dérouler ses rivières de diamants, il joue en picking malien avec le pouce sur la corde basse. Il est fin l’Ali. 

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             Et comme le Voyageur de papa Touré traînait au merch, alors on l’a ramassé. Vieux Farka joue dessus. Cet album est un petit chef-d’œuvre d’Africana. Dès «Safari» tu es confronté au phénomène de la clameur, une clameur qui s’installe sur une vaste région. Cette façon de poser le son détermine toute la suite. C’est profond et spirituel. Ici, on ne parle pas de pintes de bière. Ces Maliens rockent mille fois plus que tous les gaga gangs réunis. Et chaque cut se met en route magnifiquement, comme une caravane dans le désert. Pur et juste. On sent battre le pouls du beat. Ils amènent «Bandolobourou» comme un hit d’une beauté parfaite. L’Ali y va, il fluidifie sa rivière de diamants, son fils Vieux Farka joue aussi sur cette merveille. La beauté devient surnaturelle, retravaillée au chant descendant. Une fabuleuse petite chanteuse nommée Oumou Sangaré prend le chant sur «Chérie» et l’Ali revient gratter du riff séculaire. Elle lance encore la loco malienne de «Sadjona», cut chaud et intime, puissant et profond. Cette musicalité donne vraiment le vertige. Sur «Kombo Galia», ils sont trois à gratter des gnonis derrière l’Ali. Clameur fondamentale.  

    Signé : Cazengler, Vieux parka troué

    Vieux Farka Touré. Le 106. Rouen (76). 13 mars 2024

    Vieux Farka Touré. Les Racines. World Circuit 2022

    Ali Farka Touré. Ali Farka Touré. World Circuit 1988

    Ali Farka Touré. Voyageur. World Circuit 2023

     

    L’avenir du rock

     - Le père Noel n’est pas une ordure

    (Part Two)

             Dès que les beaux jours arrivent, l’avenir du rock prend sa bagnole. Direction Omaha Beach pour rendre une petite visite au Général Mitchoum. Ça fait 80 ans que le pauvre vieux se planque derrière son bloc de béton, à l’abri, dit-il, «des balles des Boches». La nuit, il construit des châteaux de sable, et le jour il roupille. L’avenir du rock lui amène des tablettes de chocolat et des boîtes de corned beef, son mets préféré.

             — Alors mon Général, toujours entier ? La rafale de mitrailleuse qui vous déchiquettera n’est pas encore née, ha ha ha !

             Ça ne fait pas rire le vieux crabe. L’avenir du rock l’observe. Il n’est pas jojo. Son casque est tout rouillé et il a perdu toutes ses dents. Il a une gueule à faire fuir un train fantôme. Pas facile d’engager la conversation.

             — Vous ne voulez que je vous amène dans un EHPAD, mon Général ? J’en connais un très bien, pas trop cher, pas loin d’ici...

             — EHPAD possible, fucking asshole ! J’attends des renforts !

             — Des renforts, des renforts, oui mais des Panzanis !

             — No ! Un renfort Ricard, sinon rien !

             — Mais attention, mon Général, le renfort est plus fort que le Roquefort !

             — The Roquefort Alamo, dickhead ?

             — À la vie, Alamort, mon Général !

             — À la mort de la mormoille, babeh !

             — Ah oui ! Babette s’en va-t-en Gallagher, mon Général !

             — Yeah ! Gallagher des boots on !

     

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             Il n’existe pas de meilleur candidat au délire que le Général Mitchoum. L’avenir du rock n’y va que pour ça. Entre tarés, le courant passe bien. Et ce n’est pas un hasard si le nom de Noel Gallagher arrive dans la conversation. Sa présence dans la presse anglaise et son nouvel album sont aussi incongrus que peut l’être une conversation avec le Général Mitchoum. Comment le Père Noel peut-il espérer vivre artistiquement après Oasis ? C’est la question qu’on se pose chaque fois qu’on écoute l’un de ses nouveaux albums. Comme si on attendait de lui qu’il descende par la cheminée pour déposer dans nos petits souliers de nouveaux miracles de type «Columbia».

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             Council Skies n’est pas vraiment un miracle, mais ça reste néanmoins un big album. Au format double CD, ça donne un petit book en noir et blanc richement illustré. À l’écoute, on voit tout de suite que le Père Noel souffre d’une grosse lacune : pas de Liam. Il chante au chat perché, mais tout l’Oasis était dans le Liam. Le Père Noel peut brailler, pousser des yeah yeah, rien n’y fait, ça manque tragiquement de Liam. Plus il yeah-yeathe et plus il se ridiculise. C’est même assez pathétique de voir cette ancienne rock star se débattre avec de mauvaises compos. Le Père Noel manque à tous ses devoirs. Il devient pénible, et puis soudain ça repart du bon pied avec «Open The Door See What You Find». Ce petit coup de stomp cache bien la misère. Alors attention, ce n’est pas parce qu’il a du gros son qu’il est bon. Ça produit même l’effet inverse. Il continue de se battre pied à pied avec «Trying To Find A World That’s Been And Gone Pt. 1», il chante tout ce qu’il peut, mais le problème reste entier. C’est tout de même bizarre qu’il ne s’en rende pas compte. Il passe enfin aux énormités avec «Easy Now», il ressort l’heavy Oasis, il parvient enfin à s’arracher du sol, et ça continue avec le morceau titre. Le Père Noel ramène tout le Mad Chester dont il est capable. Voilà le groove urbain en mode Mad Chester. L’implacabilité des choses ! Il tente toujours de cacher la misère avec une grosse prod, mais on voit à travers. Impossible de ne pas penser au carnage qu’aurait fait Liam avec un cut pareil. «There She Blows!» est plus poppy, plus Beatlemaniaque, mais avec le poids du fan de base. Ça donne un mélange bien toxique. Gros parfum d’Oasis. Le Père Noel n’a rien perdu de ses facultés. Il sort un son sec de guimbarde pour «Love Is A Rich Man», mais globalement, on ressent un malaise. Rien n’est plus tragique que de voir un grand artiste sombrer. Il devient ridicule avec «Think Of A Number». Liam doit se tordre de rire en écoutant ça.

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             Bon, c’est pas tout ça, les gars, mais il reste le disk 2. Le Père Noel l’attaque avec des cuts problématiques, c’est-à-dire des cuts qui refusent d’obtempérer. Et puis soudain, une lueur apparaît au bout du tunnel : «Mind Games», une mélodie catchy. C’est le real deal du Père Noel. Absolute Papa Noel. On croise plus loin la version instro du morceau titre, jouée aux clochettes. Power all over. Dès qu’il ne chante plus, ça va beaucoup mieux. Ces mecs groovent l’orbi et l’orba de Mad Chester. Big fat power ! L’instro permet de se concentrer sur la structure. Puis on va assister à la fin de la chute de l’Empire Romain d’Oasis avec l’electro-mix putassier de «Think Of A Number (Pet Shop Boys Magic Eye 12» Remix)». Eh oui, le Père Noel appartient aussi à ce monde-là. On l’entend ensuite chanter «Pretty Boy (Robert Smith Remix)» à la radio. C’est bon parce qu’il chante dans l’écho de la radio, dommage que la compo soit si foireuse. On tombe ensuite sur «Council Skies (The Reflex Revision)», montée sur un beat marmoréen, ça enfonce le clou dans la paume, plutôt deux fois qu’une. Toujours la même chanson. Liam doit être écroulé de rire à l’écoute de «Flying On The Ground (Radio 2 Session)» et d’«You Ain’t Goin’ Nowhere (Radio 2 Session)», et cette débâcle s’achève sur «Live Forever» le balladif gluant qui a tué Oasis dans l’œuf. Mais on écoutera quand même le prochain album. On veut continuer de croire au Pere Noel.

    Signé : Cazengler, gallaglaire

    Noel Gallagher. Council Skies. Sour Mash Records Ltd. 2023

     

     

    Inside the goldmine

     - Peterson of a biche

             Et puis tu avais ce mec, Potar, débarqué là comme intérimaire, vite copain-copain, le pack de mousse à l’apéro et ses histoires graveleuses en guise de cerise sur le gâtö. Il pensait que le graveleux trempé dans la mousse pouvait créer des liens confraternels. De toute évidence, il ramenait ça de son séjour à l’armée. Il adorait parler de ses mensurations, ma queue mesure trente centimètres, se vantait-il, surtout quand des gonzesses circulaient dans l’open space. Il affichait en permanence un sourire d’intérimaire heureux de sa condition. Personne ne comprenait que son air jovial dissimulait en réalité une nocivité machiavélique. Pour le déchiffrer, il suffisait de créer un climat de confiance permettant de l’approcher d’assez près pour pouvoir observer sa peau : il avait ce qu’on appelle une mauvaise peau d’obsédé sexuel, cette peau blanchâtre propice aux éruptions de pus. Une peau dont on disait autrefois qu’elle était à l’image de l’âme. Il avait en outre des cheveux noirs extraordinairement gras et le col couvert de pellicules. Il se grattait la tête en permanence et bien sûr ses ongles étaient noirs comme ceux d’un clochard. Il portait des lunettes à verres tellement épais qu’ils grossissaient ses yeux, deux gros yeux noirs à l’éclat malsain : pas les yeux noirs de Picasso, ceux d’M le Maudit. Il inspirait globalement une sorte de répulsion. Son côté jeune homme sympathique et serviable peinait à dissimuler la sinistre réalité de sa condition. Et pour couronner le tout, il ne portait que des chemisettes à manches courtes, histoire de rappeler qu’il ne s’embarrassait pas non plus avec les questions de goût. Il proposait un autre genre d’équilibre : le sien. Au vestiaire, Potar commença très vite à abuser de certaines salariées. Pour qu’elles gardent le silence, il les menaçait en brandissant un opinel et jurait qu’en cas d’indiscrétion, couic ! T’as pigé, connasse ? Le cauchemar prit fin de la façon la plus charmante. Un jour où nous étions tous rassemblés dans l’atelier pour fêter un anniversaire, une petite salariée d’origine italienne but le verre de trop qui lui délia la langue : «Potal il dit qué sa zigounetti elle mousoure tlente centimètles, si pas vlai ! Sa zigounetti elle mousoure cinquo centimètles !». Et tout le monde éclata de rire. Piqué au vif, humilié, Potar posa son verre, tourna les talons et disparut.

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             Potar et James Peterson n’ont heureusement rien en commun, si ce n’est le potard. James Peterson adore tourner les potards de son ampli pour jouer le blues bien loud et bien heavy. Il est important de savoir que James Peterson est le bluesman de Malaco, et qu’il est aussi le père de Lucky Peterson. Joli nom, Lucky, tu trouves pas ? 

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             D’ailleurs, le père et le fils ont enregistré un album ensemble : The Father The Son The Blues. Lucky est petit, il n’a que 8 ans, il chante et joue du piano. On l’entend chanter «What Would I Give» d’une voix délicieusement juvénile. On l’entend encore chanter «Music Is The Thing» et son père l’accompagne à l’orgue. Le petit Lucy pousse des cris d’orfraie, c’est très spectaculaire. Il revient encore dans le hard r’n’b de «Florence» et devient fantastique de délinquance juvénile. Et il atteint des sommets avec «Daddy Come Home For Christmas», il pousse des cris d’orfraie à la fin, daddy daddy !  

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             James Peterson enregistre en 1990 Rough And Ready, un bon album qui ne laissera guère de souvenirs. Il navigue en père peinard sur la grand-mare des canards et alterne les heavy blues avec les boogie blues. Tu vois la Flying V sur la pochette et tu t’attends à du wild blues, mais c’est du blues classique. Le vieux James gratte le blues sous toutes les formes et n’en finit plus de redorer le blason du classicisme. C’est noyé de poux. Force est d’admettre que son «Can’t Teach An Old Dog New Tricks» est d’un bon niveau, c’est du vrai blues urbain, le New York City blues finement cuivré. Son «Mind Is A Terrible Thing To Waste» est un heavy blues de qualité supérieure, pas de doute. Il reste dans la perfection de pâté de foi avec «Sing The Blues Until I Die» et il finit avec «Clothesline», un joli heavy blues traîné en longueur, dans la meilleure des traditions d’excelsior.

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             Too Many Knots n’est pas l’album du siècle, mais il réserve quelques bonnes surprises comme par exemple «Fish Ain’t Biting», un sacré heavy blues funk cuivré de frais. Encore du funk avec «Slob On The Knob». Belle odeur d’exotica, ce démon de Peterson y va et ça bascule vite dans la grosse énormité. Il rend un bel hommage à Elmore James avec «Jacksonville» : c’est du pur «Dust My Blues». Encore une fantastique dégelée de blues avec «Call Before You Come Home». Comme ils sont trois à gratter leurs poux, Edward Crusoe, Bryan Barrett et Warren King, tu ne cherches pas à savoir le pourquoi du comment. Peterson chante, c’est tout. Et c’est lui qui compose. Il est bon sur le fast heavy blues du morceau titre. Il se prête à tous les jeux. Encore du heavy boogie blues avec «Blind Can’t Lead The Blind». Straight edge. Fast one. On the run.

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             Il a raison, James Peterson, il ne faut pas laisser le volant au diable. Don’t Let The Devil Ride est un album qui se laisse écouter, car Peterson fait du heavy raw, il joue comme l’éclair et chante au gut. Il est capable se sortir une énorme arrache. Il porte des bagues aux doigts, et au dos de la boîboîte, on voit qu’il se teint les cheveux en blond. Fantastique présence ! Tout est classique, mais avec du power. Il chante comme un alligator aux doigts couverts de bagues. Il tape «Bite My Hook» au Memphis Beat. Dès qu’il s’énerve, il joue avec le feu. Il tape son «Boat Don’t Float» au heavy funk de no no no, classic stuff, oui mais big classic stuff. Il prend l’«It’s So Good» au fouette cocher, rien ne pourrait plus l’arrêter. Il joue en permanence avec le feu, c’est la raison pour laquelle on l’admire.

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             Peterson continue de redorer le blason du blues de Malaco/Waldoxy avec Preachin’ The Blues. Il attaque au blues liquide avec un «Shoe On The Other Foot» bien noyé d’orgue. C’est excellent, Tommy Couch produit, donc pas de problème. Puis Peterson va entrer dans sa routine de heavy rumble et créer l’événement de temps en temps, comme par exemple avec «Lost What I Had», où il retourne son groove comme une peau de lapin pour l’amener dans l’église en bois et fourbir the big gospel batch. Belle énormité ! Puis il repart comme à l’accoutumée en mode fast boogie blues, il est bon à la manœuvre, ça reste classique, mais Malaco Class. Il tape un very heavy blues avec «Come Home To Eat», fabuleusement relayé au solo d’orgue par Clayton Ivey. Ça ne rigole pas. Peterson tape son «Bottom Line» au ragnagna, c’est un hargneux. Globalement, le boogie blues de Malaco est sans surprise, mais plein de jus. Peterson renoue avec l’énergie du gospel d’Alabama dans «Why Mama Had To Cry», soutenu par des chœurs d’anges de miséricorde. Et pour «I’ve Got A Problem», il y va au heavy boogie blues. Il a raison, Peterson, il faut toujours aller au heavy boogie blues. Sinon c’est lui qui viendra à toi. Il boucle cet album éminemment classique avec un shoot d’heavy Soul de blues, «Some Thing A Man Shouldn’t Have To Do» et redevient soloennel, avec son côté ragnagna. Il gueule comme un veau, mais c’est assez beau. Dommage qu’il fasse trop de ragnagna

    Singé : Cazengler, James Petersombre

    James, Lucky Peterson. The Father The Son The Blues. Today Records 1972

    James Peterson. Rough And Ready. King Snake Records 1990 

    James Peterson. Too Many Knots. Ichiban Records 1991  

    James Peterson. Don’t Let The Devil Ride. Waldoxy Records 1995 

    James Peterson. Preachin’ The Blues. Waldoxy Records 1996

     

    *

    Y a des noms qui puent la gargouille. J’ai vérifié, ça veut bien dire gargouille. La gargouille c’est un peu l’antithèse de la grenouille de bénitier. Les griffes de Satan qui dépassent des murs des cathédrales. Tiens, un groupe de la Nouvelle-Orléans, la patrie des alligators, renommée pour sa sorcellerie, quand on tient une bonne piste : on la suit !

    NO MAN’S LAND

    GARGUTS

    (CD / K7 / Bandcamp / Avril 2024)

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    Steve Mignano : vocal / Jon Casteix : drums / Sterling Anderson : bass / Dylan Hemard : guitar.

    La couve est de Sterling et de Dylan. Minimaliste mais efficace. Dans l’esprit preuve par neuf.

    Shadow : l’ensemble a du mal à démarrer, une espèce de frottis gynécologique  de guitare asthmatique qui donne l’impression d’avoir un sacré problème de larynx, une batterie implacable qui a l’air de s’en foutre et qui continue sa route vers on ne sait quoi, et un gars qui ne chante pas, s’en prend à lui-même, une espèce de confession à l’air libre pour que tout le monde soit au courant de son malaise,  du coup la guitare joue au solo de chat écorché, vous avez la basse qui vous file des coups de rondin à la base du cou, le gars hurle, il attend la mort, il trouve qu’elle met du temps à venir, les instrus lui font la fête, inventent pour lui une espèce de danse macabre. Lorsque ça se finit vous vous demandez pourquoi vous êtes là et surtout comment vous avez fait pour en arriver-là. L’ombre d’un doute plane sur vous-même. No Man’s Land : sont sympas vous disent où vous êtes, musicalement le no man’s land se situe dans l’improbable espace du croisement du punk, du metal et du hardcore. Attention zone dangereuse. Si vous tenez à le visiter ne vous munissez pas de biscuits, encore moins de rations de survie, ils vous les boufferont sans pitié, soyez sur vos garde, d’abord méfiez-vous de Jon, se sert de ses baguettes on ne sait pas trop comment, un gamin de cinq ans qui tape monotonement sur un tambour pour pousser ses parents au suicide, et en même temps la gaminette n’ignore rien des subtilités pondérales de Stockhausen, cogne comme un charretier sur son cheval mort, le vocal de Mignano n’est pas mignon, d’abord il hurle juste pour le plaisir de vous embêter, ensuite il prend le micro et se livre à un étrange discours martelé depuis le fond de sa gorge, malgré le boucan de ses congénères il vous donne l’impression de chanter pour lui tout seul, une espèce de Diva qui éructe dans son vomi êtral, à l’écouter vous vous dites que le chemin de croix du Christ c’était une vaste rigolade, une partie de plaisir intellectuellement enrichissante, quant à Dylan n’a jamais dû apprendre à jouer de la guitare, par contre l’est un as de la tronçonneuse, doit passer son temps à scier les morts dans leur cercueil, quand il s’énerve et qu’il pousse son égoïne à plein régime vous courez vous cacher, trop tard il vous a vu et vous tape dessus à tour de bras. Maintenant il faut reconnaître que leur ramage se rapporte à la réalité ambiante de notre monde cruel et sans pitié. Soyez sans illusion. Slaugther LN : un sociologue vous expliquera que le morceau précédent est à l’image de nos quartiers difficiles bla-bla-bla, pour comprendre celui-ci moins prise de tête, c’est plus cool, regardez un truc cool, par exemple l’ensemble des vidéos de L 214, mais là ça se déroule dans votre tête, fermez les yeux vous ne verrez pas, bouchez-vous les oreilles vous entendrez quand même. Commencent par vous avertir par une intro monumentale après ils se mettent à courir comme des dératés, el Mignano se prend pour un coach sportif, puis il n’y tient plus, sa mauvaise nature reprend le dessus, vous avez Jon dans l’oreille droite qui avance au pas et la guitare de Dylan dans l’esgourde gauche qui galope comme si elle était poursuivie par un essaim de frelons asiatiques. Vous font le coup : on arrête tout. Coucou, on vous a bien eus, et ils recommencent de plus belle. Le genre de groupe en lequel vous ne pouvez faire confiance.

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             Le truc le plus bizarre c’est que vous ressortez de ce disque tout ragaillardi. Il y a longtemps que n’avez entendu un truc aussi bon, et vous serez tenté d’ajouter d’aussi novateur.

             C’est leur deuxième EP, je vous causerai de leur premier bientôt. Ce groupe est à suivre. Les plus courageux peuvent même essayer de les précéder, mais ce ne sera pas facile.

             Esprits sensibles abstenez-vous. Après une écoute prolongée la masse gélatineuse de votre cerveau aura toutes les chances de se liquéfier et de s’échapper sans préavis par la gargouille de votre nez.

    Damie Chad.

    Note : l’abréviation ln (voir troisième titre) est une unité de mesure qui sert à indiquer la pression acoustique du bruit.

     

    *

    Un groupe français, from Paris, dont je n’ai jamais entendu parler. Viennent de sortir ce 20 avril 2024 un album, sont actif depuis 2009, z’ont déjà commis un EP, trois albums, un live, une compil, et deux singles, des bosseurs, j’aime les gars qui suivent leur idée, qui font tout pour la rattraper et même la dépasser, j’ai décidé de les chroniquer avant même d’avoir entendu une seule de leurs notes, pour une seule raison, j’aime les fractales.

    ONE WITH DAWN

    FRACTAL GATES

    ( CD / Bandcamp / Avril 2024)

    Stéphane Peudupin : lead, rhythm guitar, synths / Sébastien Pierre : vocals, synths / Jeremy Briquet : drums / Antoine Verdier : bass guitar / Arnaud Hoarau : rhythm guitar.

             Je ne vous ferai pas l’injure de vous expliquer ce qu’est une porte. Certains d’entre vous sont déjà en train de triper sur les portes de la perception d’Adlous Huxley et des si bien nommés Doors. Je ne vous parlerai pas non plus d’une de mes idoles, le mathématicien Georg Cantor. Je  devrais, il a travaillé sur les fractales mais je me contenterai de vous raconter une petite histoire dont vous serez le héros.

    Premier scénario : qui ne présente aucun intérêt : vous êtes chez vous dans votre bureau par exemple en train de lire cette chronique. Avant de vous lancer dans cette histoire, vous décidez de vous rendre dans votre cuisine pour vous préparer un café. Vous ouvrez la porte, vous vous rendez dans votre cuisine, vous préparez votre café, vous revenez, vous refermez la porte et vous asseyez à votre place habituelle pour lire cette histoire.

    Deuxième scénario : qui présente un étrange intérêt : vous êtes chez vous dans votre bureau par exemple en train de lire cette chronique. Avant de vous lancer dans cette histoire, vous décidez de vous rendre dans votre cuisine pour vous préparer un café. Vous ouvrez la porte, et vous rentrez dans la pièce que vous venez de quitter, vous ouvrez la porte de cette nouvelle pièce et vous voici à nouveau dans la pièce que vous êtes en train de quitter… cette histoire continue sans fin… (entre parenthèse vous pouvez dire adieu à votre café.)

    Troisième scénario : qui présente un étrange intérêt : vous êtes chez vous dans votre bureau par exemple en train de lire cette chronique. Avant de vous lancer dans cette histoire, vous décidez de vous rendre dans votre cuisine pour vous préparer un café. Vous ouvrez la porte, et vous rentrez dans la pièce que vous venez de quitter, avec une petite différence, exactement la même mais un tantinet plus petite, vous avez du mal à vous en apercevoir parce que vous-même vous avez un tout petit peu rapetissé, je vous pense assez intelligent pour raconter la suite du récit… (faites une croix définitive sur votre café !)

    Quatrième scénario : qui présente un étrange intérêt : vous êtes chez vous dans votre bureau par exemple en train de lire cette chronique. Avant de vous lancer dans cette histoire, vous décidez de vous rendre dans votre cuisine pour vous préparer un café. Vous ouvrez la porte, et vous rentrez dans la pièce que vous venez de quitter, avec une petite différence, exactement la même mais un tantinet plus grande… je vous pense assez intelligent pour raconter la suite du récit… (vous ne pensez plus à votre café car cette histoire occupe toutes vos méninges !)

             Un bref commentaire sur deux termes des trois termes du titre ‘’One With Dawn’’ de l’album s’impose. One : que vous soyez seul à vous dépatouiller avec cette étrange histoire n’est pas étonnant. Dawn : de quelle aube s’agit-il au juste. Dans notre histoire l’aube serait la métaphore qui mettrait fin à la répétition infinie de votre monde, à la poursuite sans fin de l’infiniment petit et à la poursuite sans fin de l’infiniment grand. Si vous avez du mal à comprendre un dernier tuyau : Georg Cantor a découvert, créé, imaginé, les nombres plus grands que l’infini. Comme quoi il y a une logique mathématique dans cette histoire que certains d’entre vous aurons jugée de totalement idiote.      

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    Visions XIII : les esprits cartésiens se demanderont pourquoi l’opus débute par la vision 13 et non par la 1. C’est une très bonne question qui vous renvoie à la petite histoire ci-dessus. La Vision 1 est le premier morceau d’Altered State of Consciouness ( 2009) la Vision 5 le clôture, les 2,3,4 font fonction de bornes disséminées pami les autres titres ; la Vision 7 ouvre et la 9 termine le deuxième full-lenght Beyond the Self ( 2013) la 8 au milieu, la Vision 10 est en tête du troisième album The light that shines ( 2018) la 11 au centre, la 12 le termine. Vous trouverez la Vision 6 sur The Unrealazed Tracks 2013 paru en 2023. Instrumental, très court à écouter avec attention, certes tout n’est pas donné d’emblée mais la couleur de base ne variera que très peu, ne manque que le vocal, le temps de s’installer arrive sur la trame sonore comme ces fameux coups de timbales que l’on entend dans les symphoniques oragiques, vous n’écoutez plus, vous les attendez, elles claquent comme de monstrueux coups de fusil.  Shining fall : le vocal déboule, roc rugueux qui roule au flanc d’une montagne, rythme entraînant il est des chutes qui sont des victoires, les étoiles filantes se doivent d’illuminer le ciel noir, moment de la séparation de soi d’avec le monde, pratiquement un manifeste vindicatif, ce qui n’empêche pas quelques graines de nostalgie, pour le soi-même que l’on se prépare à brûler, il faut savoir être son propre brasier pour renaître plus fort. L’important est d’être loin des autres et foncer comme une force qui va. Seamless days : une musique qui vient du dedans, il ne suffit pas d’être loin des autres, la voix torturée assume son introspection, rien n’est donné, c’est à soi-même de trouver le chemin, il est en soi, il parle en toi, il murmure des tempêtes, se dépouiller des vieux oripeaux du passé, les deux soli de guitare de Jary Lindholm  brûlent les vêtements de l’épouvantail de vous-même qui vous faisait peur. Into the unknown : notes synthétiques stellaires, guitare et batterie mettent la pression, l’inconnu n’est pas au bout de lointaines galaxies, il commence déjà dans tout ce qui nous sépare des joies passées, guitares brandons tenues à bout de bras pour éclairer la nouvelle route, celle de l’énergie que nous amassons en nous, le vocal s’épanouit en un chant programmatique. Il ne s’agit pas de renier les anciens moments d’incandescence mais de les métamorphoser en tremplins de nos rêves. When the distance peint us : intro de synthé, elle ne se taira pas de tout le morceau, elle est le trait d’union entre l’ancien monde et le nouveau, le vocal s’affirme, notre héros n’est pas allé bien loin mais il prend connaissance de la laideur et des faux-semblants qu’il abandonne derrière lui, notre meilleur autoportrait ce sont nos rêves, ce qui nous sépare  de ce que nous avons été davantage que de ce dont nous ne sommes que le projet inaccompli. Earthbound : hymne des nouvelles alliances, loin des hommes plus près des éléments, la nature entre en lui, il est montagne vertigineuse et abysse sans fond, pas besoin d’escalader, pas besoin de plonger, le microcosme est le miroir du macrocosme, tout est en lui, les plus grandes aventures sont intérieures, en de si grands moments d’exaltations la batterie pousse le chant métamorphosé en chariot céleste sous la voûte crânienne.

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    Hall alive : se remplir de l’énergie du monde, le background est devenu une course folle, le vocal rugit tel un lion, il agite les ions de sa crinière comme une semence d’or sur l’univers, il se sent, il se sait capable de tout, revivre l’histoire ancienne pour la rendre plus belle, moment de plénitude, montée finale d’allégresse, maintenant il est prêt à partir à l’assaut du rêve, à accueillir une nouvelle vision. Vision XIV : ouate des cordes, sonorités d’outre-monde, visions de paysages auxquels personne n’aura jamais accès, il vole, un papillon qui sort de sa chrysalide et qui découvre une autre réalité. One with dawn : le morceau éponyme de la transfiguration, la voix s’envole, il s’agit de métamorphoser l’œuvre au noir du vécu en pierre rubescente charnelle, notes triomphales comme giclées de trompettes, où est-elle, n’est-elle pas devenue l’aube que l’on attendait, que l’on recherchait, que l’on désirait plus fort que tout. Transformer l’âme cœur en âme sœur, nous fûmes deux je le maintiens disait Mallarmé. Hyperstate : apogée orchestrale, il ne suffit pas d’avoir franchi un cap, voici le temps de l’assumation, le roi doit gouverner son royaume, plus moyen de reculer, encore une fois la guitare de Lary vient couper l’herbe sous les pieds de l’hésitation à être soi-même, la chute en soi-même est un vol contrôlé, le monde est double, celui qui hurle, celui qui chuchote, ce que nous ne voulons pas, nous devons le détruire. Une seule nuit, un seul soleil, tel est la loi dirait Crowley. Serenity : tout a changé, tout est identique, toute sérénité est une chute en soi-même, le combat n’est jamais terminé, le jeu a toujours un niveau de plus, le flux musical semble imperturbable, le chant garde sa vigueur, tout revoir, tout revivre, ne jamais être dupe de nos états de conscience supérieurs. Foncer en avant, l’on ne tombe jamais plus loin, plus bas, plus profond que soi. Severance : redoutablement emphatique, il arrive un moment où le bas et le haut se ressemblent, sont une même chose, il faut oser, la dernière séparation celle qui vous permet de rejoindre le domaine des dieux, dans le seul but de répondre aux réponses tapies au-dedans de nous comme serpents assoupis qui veillent et ne dorment jamais. Etre au plafond équivaut à ramper sur le plancher. Echoings notions : les échos, ceux du bas et ceux du haut se répondent, perdu en haut, perdu en bas, la bête vole, l’ange rampe, toujours la même histoire à tous les étages, elle se répète, nous avons voulu vaincre notre destin mais notre destin n’est-il pas simplement de vouloir le vaincre, en d’autres termes, ni être vainqueur, ni être vaincu, l’on ne va jamais plus loin que soi-même. Même pas plus près. Notre destin n’est-il pas notre rêve. Quelques notes de guitare comme aigrettes de pissenlits qui s’envolent au vent. Visions XV : du vent qui siffle et qui souffle pour nous emporter, qui finit comme l’insecte par tapoter sans arrêt sur la vitre qu’il sait incassable. The eclipse : au-dedans de soi parfois le soleil rayonne, parfois de sombres vapeurs le voilent, tantôt l’esprit se hisse sur ses propres cimes, les plus vertigineuses pour admirer sa propre lumière, tantôt il tombe dans le puits sans fond de ses propres abîmes, l’aiguille du destin plantée dans vos omoplates ne marque ni le haut ni le bas, elle fait simplement signe qu’elle est le destin. Skies of Orion : qu’importe parfois les étoiles filantes se brisent, elles ne tombent pas, elles s’élèvent, leurs débris restent échoués à l’endroit exact où elles se sont morcelées ne sachant plus, ne pouvant plus, ne voulant plus être situées en dehors de leur destin. Elles restent incapables de choisir, d’opter pour le haut ou pour le bas. Elles sont tout de même la preuve que quelque chose a eu lieu…elles figurent l’Orient et l’Orion des songes.

             Que bientôt que personne ne saura déchiffrer.

    L’on ne sort jamais de son compartiment. L’on ne fait qu’y rentrer sans arrêt.

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    Il ne reste plus qu’à expliciter le troisième terme du titre. One With Dawn. With est la glue qui colle l’un à l’autre les deux éléments qu’il prive de liberté, qu’il rend indissociables qui ne pourront jamais s’éloigner ou s’embrasser, s’embraser, l’un de l’autre.

    Cette impression est accentuée à dessein par l’orchestration, tous les morceaux se ressemblent, ce qui ne les empêchent en rien d’être de scintillants joyaux de jais, les épisodes de l’histoire racontent tous la même histoire, c’est si puissant que l’on aimerait que ça ne s’arrête jamais.

    Damie Chad.

     

    *

    Les cendres d’Ashen n’en finissent pas de devenir braises purulentes. Il est des feux qui ne purifie point, ils brûlent comme le mal des ardents quiconque s’en approche.

    Faisons le point l’incendie couve, voici notre relevé effectué  par notre comité de vigilance : le 03 mars 2022 dans notre livraison 545 nous signalions trois engins incendiaires particulièrement nocifs sous l’apparence de trois vidéos d’apparence inoffensive : Sapiens, Hidden, Outler, le 18 mai 2023 dans notre livraison 595 nous repérions, ils utilisent toujours la même technique, la vidéo Nowhere. Vus mais pas pris, puisque le 07 septembre  2023, livraison 610, ils doublent la mise Angel et Smell Like Teen Spirit (matériel américain performant), devant l’impunité dont ils profitent quinze semaines plus tard, livraison 526 c’est le tour de Chimera, pour fêter l’anniversaire de leur premier méfait c’est en mars 2024 qu’ils déposent en toute impunité :

    DESIRE

    ASHEN

    (Direction : BASTIEN SABLé)

    (Official Music video / Out Of Line Music / Mars 2024)

     Poully : bass / Tristan Broggeat : drums / Clem Richard : vocal : / Antoine Zimer : guitars / Niels Tozer : guitar, additional vocals / Thibaud.

             D’abord regardons :

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             Début, l’on se croirait dans un appartement baudelairien, luxe, calme et volupté, un intérieur bourgeois, soyons précis bourgeois-bohèmes, abat-jours à franges, meubles encaustiqués, un peu de désordre, des chandelles pour l’ambiance romantique, l’on note la présence d’objets technologiques issus de notre monde comme un poste de télévision, z’auraient pu prendre un grand-écran, ne chipotons pas.

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             Une ombre à la fenêtre, un visage indistinct contre la vitre, des mains qui déchirent le vitrage plastifié, il se glisse, l’ombre es un hombre, il se glisse, il se coule sur le plancher, un serpent, vicieux comme tous les reptiles, d’ailleurs l’Eve n’est pas loin, vous l’apercevez une fraction d’une demi-seconde, d’où vient-il, que fait-il, où va-t-il, le voici ailleurs. Dans un cube orange, sont tous là, tout Ashen, en train de jouer, les autres derrière, Le reptilien devant, en costume, il ondule, il danse, il chante, il regarde mais il ne vous voit pas, il regarde quelque chose bien plus important que vous, vous voulez savoir quoi, pas difficile, pourquoi d’après vous le devinons-nous en ultra-micro-flash, pourquoi rampe-t-il vers le lit, pourquoi se vautre-t-il en des poses suggestives sur la candeur des draps, et quelle est cette apparition miraculeuse qui s’imprime en un millionième de seconde sur votre rétine, non ce n’est pas la Sainte Vierge, plutôt Sainte Thérèse en extase du Bernin, il chante toujours, elle passe tel un fantôme dans la chambre, il est-là il se dirige vers cet objet orange que vous avez pris pour n’importe quoi, un parallélépipède pas plus gros qu’une imprimante et qui se révèle être l’objet transactionnel du désir, non pas celui que l’on tend à l’autre comme une vulgaire pomme, mais que l’on se donne à soi-même, une boite à chagrin, similaire à celle que l’on porte dans sa tête, le voici tantôt dans sa boite se démenant comme une rock star, et le voici aussi dehors écrivant une lettre que l’on présuppose écarlate, la boite orange clignote, subitement elle devient bleue comme une orange, à l’intérieur dans le monochrome bleu c’est le blues, tristesse dépressive ne dure qu’un temps, voici l’été orangeade de la folie gesticulatoire, chez lui il se dresse seul, la peau tatouée, cobra qui s’apprête à fondre sur sa proie, mais il est impossible d’attraper un phantasme qui circule dans votre tête. Elle est là, elle ne peut pas être plus près dans lui, mais si loin, de l’autre côté de la table de l’autre côté de la mer. Du désir. Elle le nargue. Maintenant c’est elle le serpent qui ondule, qui se trémousse, et lui avec son band derrière lui, n’est qu’un joueur de pipeau, il devient fou, il s’empare de la boite qu’il agite violemment, dedans il n’a plus son costume à la Bowie, l’a pris l’allure de Pete Twonshend au temps des grandes frasques des Who, la boite portée à incandescence devient blanche, tout se précipite. Arrêt brutal.

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    Ensuite écoutons : indéniable, le groupe joue et Clem chante, ce n’est pas les deux remarques précédentes que qualifie l’adjectif , je n’ai rarement eu cette impression, que ce qui nous est proposé ne pourrait pas être autre, que cette interprétation est la seule possible, qu’elle écarte toutes les autres possibilités qui à côté d’elle paraîtront simples artefacts (plus ou moins)  besogneux, c’est parfait non pas parce c’est bien, non pas parce c’est très bien, mais parce c’est la forme idéale de la chose exprimée. N’avez-vous jamais éprouvé un vertige en contemplant la première lettre de l’alphabet qui peut s’écrire A ou a, et il existe des milliers de polices différentes, ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi le phonème [a] peut se transcrire de mille manières différentes, les linguistes ont trouvé la parade, ils vous expliquent que le signifié (sens) du signe n’a rien à voir avec son signifiant ( forme), c’est bien sympa comme théorie mais ça ne tient pas compte de la force congruente d’un signe, si le son épouse le sens, le signe ne désigne ni la forme ni le sens, il est simplement le signe de la beauté du monde. Or ici il s’agit de l’accord entre le désir que deux êtres éprouvent l’un pour l’autre, autrement dit le thème, le sens, le signifié, et ce signifié est rehaussé par l’accord total entre la forme orchestrée et chantée et les images qui l’illustrent. Le chant se désire lui-même, la musique se désire elle-même et l’ensemble chant-désir se désire lui-même. Une sorte d’art total.

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    Enfin réfléchissons : le désir du désir s’il est art total, n’est-il pas onaniste. Le désir du désir n’est-il pas la peur du désir. Un désir accompli n’est-il pas un désir mort, qui n’a plus lieu d’être, le désir n’est-il pas plus fort s’il reste phantasme, scénario imaginaire, un vidéo-clip qui emmêle les éclairs d’elle et lui pour qu’ils ne s’emmêlent pas. Le Rêve refuse la Réalité qu’il prolonge et à qui il donne vie… Soyons nervalien ou ne soyons rien.

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    Damie Chad.

     

     ROCKAMBOLESQUES

    LES DOSSIERS SECRETS DU SSR

    (Services secrets du rock 'n' roll)

    Death, Sex and Rock’n’roll !

    77

    J’ai dû faire une mine d’abruti car le Chef est devenu plus explicite :

    _ Agent Chad, ne croyez pas que je sois devenu un adepte des théories wake, je tenais simplement à ce que vous ne confondiez point le masculin et le féminin, une règle de base dans la grammaire française, cependant votre bobine étonnée me force à être plus directif : on ne dit pas un tueur quand l’individu que vous désignez est une femme.

    Pour opiner à ses propres dires, le Chef exhala de son Coronado un épais panache de fumée blanche qui devait ressembler au signal de Crazy Horse qui déclencha l’assaut des tribus indiennes sur les troupes du général Custer à Little Big Horn, puis il reprit :

    _ Exactement, j’irais jusqu’à dire une tireuse exceptionnelle et sans pitié. La preuve pour vous rencontrer elle n’a pas hésité à abattre de sang-froid une partie de son équipe.

    _ Vous parlez du service de sécurité de Géraldine Loup ?

    _ Pas du tout de votre service de sécurité à vous, il n’était pas là pour protéger Géraldine mais vous, uniquement vous !

    _ C’est pourtant Géraldine qui a été abattue en entrant dans le Ritz !

    _ Vous n’avez jamais entendu parler du dépit féminin, faute de pouvoir vous abattre elle s’est vengée sur la pauvre Géraldine, comme dit le proverbe faute de grives l’on mange des grives.

    Doriane et Loriane suivaient la conversation avec intérêt les yeux brillants. Pour la première fois de leur vie elles assistaient à une conversation entre véritables adultes. J’avais compris de qui parlait le Chef, je faisais semblant de ne pas piger. Doriane posa la question qui tue :

             _ Mais enfin de qui parlez-vous ? Enfin qui  est cette tueuse ?

    Le Chef alluma un Coronado avant de répondre :

             _ Une certaine Gilberte, vous ne la connaissez pas !

    Les filles sont curieuses, on n’y peut rien, c’est leur nature, Doriane insista :

             _ Mais pourquoi voulait-elle abattre Damie et pourquoi s’est-elle vengée sur Géraldine Loup !

             Molossa grogna. Fort opportunément je vous l’accorde. Molossito bondit et aboyant comme un fou se cogna le museau contre la plus large des baies vitrées. L’air dédaigneux un chat s’arrêta le regarda et s’en fut à pas lents. Nous éclatâmes tous de rire. Doriane expliqua :

             _ C’est Pilou, le chat des voisins il adore vadrouiller dans notre jardin, il vient quémander une gâterie, il est vexé, la maison est colonisée par les chiens, un affront ! Mais mon Chef adoré, répondez à ma question !

             _ C’est une longue histoire, peut-être devrions nous songer à nous reposer, nous en reparlerons au petit déjeuner ! J’ai fini mon Coronado, je pressens que demain sera une journée difficile, les agents secrets savent se reposer quand l’ennemi n’est pas là !

    Molossa posa son nez contre ma jambe.

             _ Attendez un peu !

    78

    Gisèle ! C’était sa voix, instantanément elle sortit du mur juste derrière le Chef lui collant son Rafalos sur la nuque. Elle était toujours aussi belle, ah ! l’azur de ses yeux !

             _ Jeunes filles levez-vous et mettez-vous contre le mur, vous ne craignez rien mais au moindre geste je vous abats. Vous le Chef posez vos Rafalos sur la table basse, l’agent Chad aussi, n’essayez pas de jouer à l’agent secret, je suis une bonne tireuse.

    Nous lui obéîmes. Les  chiens se contentèrent de s’allonger à mes pieds. Gilberte me regarda en souriant :

             _ Jeunes filles puisque ces deux messieurs avaient du mal à vous répondre, je vais vous raconter la longue histoire, écoutez bien, si vous êtes intelligentes vous en tirerez la seule leçon qui vaille, apprenez à vous méfier des hommes, ce sont des êtres ingrats, ne les croyez jamais.

    Je voulus répliquer, le Chef demanda la permission de fumer un Coronado qui lui fut refusée.

              _ Ecoutez-moi bien les filles je sais de quoi je parle, je suis une victime, moi aussi j’ai été séduite par un joli-cœur, un certain Agent Chad, si vous voyez de qui je veux parler !

    A l’expression de curiosité qui brilla dans les yeux des jumelles je compris qu’elles voyaient très bien.

             _ La première fois que j’ai vu l’Agent Chad, j’ai craqué, le soir-même je me suis donné à lui, j’ai passé une nuit merveilleuse, j’ai cru qu’il allait par respect pour moi arrêter l’enquête stupide qu’il menait à l’encontre de mon frère…pour les hommes, les filles c’est comme les cigarettes, ça se fume et ça se jette. Je crois que lui aurais pardonné, mais non, le lendemain il s’est amourachée d’une gourgandine de bibliothécaire, je n’ai pas hésité à la tuer dans ses bras, après les avoir vu honteusement copuler ensemble. Quant à lui qui dormait comme un bienheureux j’ai voulu le supprimer, je n’ai pas pu, n’oubliez jamais l’amour est la faiblesse des femmes.

    Les filles n’en perdaient pas une miette, que pensaient-elles ?

             _ J’ai cru qu’il me reviendrait, qu’il aurait compris la force de mon amour, bien non, j’ai tenté de le faire enlever par la bande de passeurs de murailles, dont j’étais la Dirigeante. Je ne suis pas une faible femme, ne soyez jamais faibles demoiselles !

    A mon grand dam je les vis hocher la tête d’acquiescement.

             _ Une fois encore je lui aurais pardonné, il aurait vécu une vie de rêve à mes côtés. Hélas, il m’a insulté, en plein Paris devant toutes les caméras du monde, en public il a emballé l’actrice Géraldine Loup. C’est lui qui m’intéressait, pas cette ravissante idiote capable de tomber amoureuse du premier comique troupier qui lui fait le coup de la drague au petit chien.

    Molossito aboya un grand coup.

             _ Il a de la chance que j’aime mieux les bêtes que les hommes. J’ai profité de la situation. Le lendemain matin mes hommes étaient chargés de me l’emmener, ils ont outrepassé mes droits, quand ils lui ont volé son Rafalos, j’ai décidé de les tuer tous. C’était à moi de le tuer pas à eux.  Personne ne me volera ma vengeance. J’ai décidé de l’attendre dans le Hall du Ritz, il n’est pas venu rejoindre sa Géraldine, je suis sortie pour le retrouver, j’ai croisé cette nigaude, je l’ai tuée pour qu’il ne la fasse pas souffrir. Je suis trop bonne mais entre femmes on doit s’entraider. Voilà, maintenant vous connaissez toute l’histoire, j’ai omis quelques détails sans importance. Je suis pressée de me venger, regarde-moi Damie ! qu’as-tu à dire pour me répondre, espèce de chien.

    Je l’ai fixée droit dans mes yeux, à mourir autant quitter ce bas-monde en regardant une belle chose. Oui j’ai un côté esthète, presque décadent, si j’étais venu au monde un siècle avant sans doute aurais-je été un poëte symboliste, j’ai laissé dix longues secondes, j’ai lentement ouvert la bouche, inspiré une grande bouffée d’air :

             _ T’as de beaux yeux, tu sais !

    Ses yeux étincelèrent de colère, d’un geste vif elle releva son arme de la nuque du Chef. Le bruit  fut assourdissant. J’étais mort, missing in action, comme disent les ricains.

    Non ce n’est pas vrai. J’étais vivant, le corps ensanglanté de Gisèle s’affala sur la table basse. Je regardai le Chef qui me regardait. Comment avait-il fait pour tirer. Nous nous regardâmes encore une fois stupéfaits. La voix de Doriane nous tira de notre étonnement :

    _ Elle s’est suicidée, c’était une grande romantique !

    Un revolver fut froidement jeté sur la table basse tout près du cadavre de Gilberte. Loriane venait de le lancer :

             _ Pas du tout, c’est moi qui l’ai tuée, avec le revolver de Papa, il est toujours dans le tiroir du petit guéridon, contre lequel j’étais appuyée, pendant qu’elle regardait Damie, je m’en suis emparé ! Quelle pouffiasse, qu’est-ce qu’elle croyait la grande donneuse de leçons que j’allais la laisser tuer l’Agent Chad que j’aime à la folie !

    Elle se précipita dans mes bras. Doriane fit de même. Dans les bras du Chef. Toutes deux versèrent des larmes de bonheur contre la poitrine de leurs valeureux chevaliers. Quand les effusions furent quelque peu calmées le Chef alluma un Coronado :

             _ Ne perdons pas de temps, nous avons à nous débarrasser au plus vite d’un cadavre.

    A peine le Chef avait-il fini de prononcer sa phrase que son portable sonna. Il s’éloigna de quelques pas, la conversation ne dura pas longtemps, quand il se tourna vers nous il souriait :

    _ Pour le transport du cadavre pas de souci, nous avons une équipe de secours qui se chargera de la besogne par contre le reste de la nuit risque d’être mouvementée, agent Chad allez nous voler une voiture !

    A suivre…