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CHRONIQUES DE POURPRE 522 : KR'TNT ! 522 : BUDDY HOLLY / MAXWELL FARRINGTON / TABLE SCRAPS / ELDRIDGE HOLMES /

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 522

A ROCKLIT PRODUCTION

SINCE 2009

FB : KR'TNT KR'TNT

23 / 09 / 2021

 

BUDDY HOLLY / MAXWELL FARRINGTON

TABLE SCRAPS / ELDRIDGE HOLMES

HI CATS !

CETTE LIVRAISON 522 PARAÎT AVEC 4 JOURS D'AVANCE !

N'OUBLIEZ PAS DE LIRE LA 521 !

LA 523 VIENDRA A SON HEURE LE MERCREDI 29 SEPTEMBRE !

 

Buddy Building

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Voilà que Budy Holly revient dans le rond de l’actu via un big book signé Alain Feydri, un auteur qu’on suit pas seulement parce que Digger de Dig It!, et donc de l’ex-confrérie, mais aussi parce que bec fin, et même bec super-fin, car il s’intéresse à des groupes qui nous intéressent, Cramps, Kinks, Groovies, allant même jusqu’à leur consacrer des books bien documentés. Tout tout tout, vous saurez tout non pas sur le zizi, mais sur Buddy, s’il vous vient l’idée de rapatrier Listen To Me - Un Portrait De Buddy Holly, paru cette année. Attention, ce big book n’est pas une amusette, il ne se destine pas aux lecteurs à la petite semaine, il faut s’y installer, persévérer et trouver son rythme, comme lorsqu’on grimpe un col, car l’ouvrage met les densitomètres à rude épreuve. Les 375 pages sont remplies à ras bord, c’est un paradis pour l’amateur de détails, car il ne manque rien ni personne. Comme il le fit pour les Cramps, l’auteur dépense sans compter et plonge avec ivresse dans les vies parallèles : ça donne des pages délirantes qui s’avalent d’un trait sur Fred Neil, Waylon Jennings, Bobby Darin, Dion, et combien d’autres ? Ce sont de violentes accélérations qui ont le double avantage de sacraliser le contexte (Wow, Buddy ne fréquentait que du beau linge !) et de pousser le lecteur à ressortir quelques disques de l’étagère, car évidemment, ces vies parallèles éclairent l’art d’un homme qu’on prenait peut-être un peu trop à la légère.

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Eh oui, dans nos têtes d’ados, nous avions des chouchous, des hiérarchies, des rois et des reines. Buddy, on l’appelait le binoclard, ce qui n’est pas très flatteur. Il faut dire qu’à cette époque, le look prenait vite le pas sur le reste. T’es moche, t’es cuit. La dimension nietzschéenne du rock’n’roll. Si en plus d’être beau, t’es sauvage, alors là, c’est gagné d’avance. Elvis et Little Richard, beaux et sauvages. Vince Taylor, inexpugnable. Buddy pas beau et pas sauvage. Expugnable. Et pourtant il y a un truc. Il est là, dans le coin, avec ses deux copains qui ont aussi des têtes à claques. Un peu excité le Buddy, mais pas trop. Presque poppy, Peggy Sue, ouais c’est ça, Peggy Sue. Alors on regarde encore un peu sa bobine, pfff, on tourne la page de Shake et on tombe sur Vince Taylor. Cuir noir. L’image. On n’oublie pourtant pas Buddy. Les passions adolescentes, c’est comme les lainages, ça se tricote et ça se détricote. Et puis un jour, chez Buis, le mec sort un EP du bac et passe «Reminiscing». Baby-Oooh baby, le soft swing de Buddy fut certainement l’une des premières grandes leçons d’élégance, You know I’m thinkin’ of... Vendu ! Pochette fabuleuse, première notion de ce qu’on appelle le bleu électrique, wow, la classe du binoclard ! Du coup il devient le dandy dont on s’amourache, juste avant Brian Jones et Syd Barrett. Et le mec de Buis dit, attends, tu vas voir ! Il retourne l’EP et pouf, «Rock-A-Bye-Rock», les murs se mettent à danser et le sol aussi, un sens du swing et l’oh rock qui te coule dans le dos comme une fucking rivière de miel, un oh-rock d’une simplicité enfantine. Le souvenir de cette leçon de swing est cuisant, et chaque fois qu’on ressort l’EP pour vérifier, ça marche, ça recuit, c’est du soft rockab, mais quelle prodigieuse élégance ! En deux temps trois mouvements, Buddy est devenu un géant binoclard. Respect définitif. Comme pour Jerry Lee. Comme pour le «Bird Doggin’» de Gene Vincent. Comme pour le «Brand New Cadillac» de Vince Taylor. Comme pour l’«Hey-Hey-Hey-Hey/Ooh My Soul» de Little Richard. Comme pour l’«One Hand Loose» de Charlie Feathers.

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Du coup, comme Buddy revient dans le rond de l’actu, on ressort de l’étagère le film de Steve Rash, The Buddy Holly Story, dont on gardait un souvenir disons mitigé. L’acteur qui joue Buddy s’appelle Gary Busey et il s’en sort plutôt bien, notamment grâce à une espèce de rictus carnassier. Mais le vrai problème que pose cette histoire, c’est qu’il n’y en a pas, ou quasiment pas. La vie publique de Buddy est à la fois très lisse et horriblement courte. Buddy c’est pas Jerry Lee, c’est autre chose. Alors Steve Rash s’en sort grâce à trois scènes musicales extrêmement bien foutues : la première à la patinoire, où Buddy tape une version bien vivace de «That’ll Be The Day», la deuxième à l’Apollo de Harlem où il fait danser les blackos avec «Oh Boy», c’est une merveille, on voit le public se lever pour danser le rock’n’roll, un peu dans l’esprit de ce que raconte Mick Farren à propos d’un concert de Gene Vincent en Angleterre, toute la salle debout dans les allées en train de danser, okay ? Puis la troisième scène de choc se déroule à Clear Lake, c’est assez explosif et en même temps tragique, car il s’agit bien sûr du dernier concert, avec Richie Valens qu’on ne voit pas dans le film et the Big Bopper qu’on voit faire un coup de «Chantilly Lace». Steve Rash reste discret sur l’accident d’avion survenu dans la foulée. Il nous épargne les commentaires de croque-mitaine. On ne lui en sera jamais assez reconnaissant. Car on s’en fout de l’accident. Ce qui compte, c’est la lumière de cet homme. Et Gary Busey fait de son mieux, il en rajoute même un peu sur scène, car il a un jeu de jambes extravagant, ce que ne montrent pas les plans filmés de Buddy pour l’Ed Sullivan Show. Buddy est assez statique, alors que Busey voit ça plus wild, jambes écartées, presque punk. Le film fait l’impasse sur pas mal de choses, comme s’il voulait aller à l’essentiel, notamment Maria Elena. Pas facile de faire un film sur une histoire de vie aussi lisse. Mais c’est probablement encore plus difficile d’écrire un livre.

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En creusant des galeries dans les pages du Buddy book, on tombe sur des indices fabuleux. Eh oui, Buddy a des éclairs de génie. Oh pas grand chose, mais ça nous suffit. Comme par exemple l’épisode des motos. Buddy et ses deux compères achètent cash trois Triumph, on a même le nom des modèles dans le book (Ariel Cyclone, Thunderbird et Trophy), et quand on voit le docu que McCartney consacre à Buddy, The Real Buddy Holly Story, on les voit tous les trois à un moment faire les cons avec les motos. Mieux encore, il portent des casquettes de bikers, comme s’ils appartenaient au gang de Sonny Barger, et Buddy porte des lunettes noires. Ça change tout ! Ça lui donne un côté pré-Velvet. On trouve aussi ces photos fabuleuses de Buddy le biker dans le book de cette box éditée en Angleterre, The Complete Buddy Holly. Eh oui, ces mecs bien propres sur eux roulaient en moto. Comme Skip Spence ou Tav Falco, Phil Spector et Gerry Goffin. Autre détail important : quand il s’installe à New York, Buddy prend un appart à Greenwich Village, il est donc déjà au cœur du mythe. Et là il fait ce que va faire Jimi Hendrix un peu plus tard : ouvrir son horizon. Il écoute du flamenco (Andrès Segovia) et Miles Davis, il fouine et prépare l’avenir, de la même façon que Jimi Hendrix allait lui aussi le préparer en fréquentant Miles Davis, The Last Poets, Arthur Lee ou encore Juma Sultan. Buddy veut même créer un label et lancer la carrière de Waylon Jennings. Bon d’accord, ce n’est pas grand chose, mais ça fait travailler l’imagination. On aime à penser que ce mec se destinait à des choses plus intéressantes, comme Brian Jones ou Jimi Hendrix, des gens qui comme Buddy avaient fait leurs preuves et qui cherchaient à voler de leurs propres ailes. Dans le tas, on pourrait aussi ajouter Jimbo qu’on imagine être devenu un grand écrivain une fois débarrassé de ses soit-disant copains qui n’étaient en fait que des tiroirs-caisses à deux pattes. La nature humaine est ainsi faite. Pour simplifier, on aurait d’un côté les artistes et de l’autre les pas artistes.

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Une fois qu’on est entré dans le Buddy book, il ne nous lâche plus. C’est le syndrome du sparadrap du Capitaine Haddock, pas loin d’un autre syndrome, celui de Stendhal. On se demande comment l’auteur a pu remonter à la surface autant d’informations. Ça fourmille et on s’éponge le front, presque soulagé que cette épopée n’ait duré que deux ans. Ce book fonctionne à l’énergie, avec des phrases qui se dévorent les unes les autres, tellement le style est vorace. Un style glouton qui ne craint pas l’overdose. Qui ne laisse aucun répit. Qui pousse à la roue. Qui va chercher le détail sous le détail. Pour le fan de Buddy, c’est un festin royal. Il s’en fait péter la panse. L’auteur prend souvent position. Il ferre ses avis comme on ferre des carpes, d’un solide coup de poignet. Le rock, c’est un peu ça au fond, on aime on n’aime pas et on dit pourquoi. Rien n’est pire que de ne pas savoir dire pourquoi. Alors il faut fondre sur l’avis comme l’aigle sur la belette, ce que fait très bien l’auteur. Couac fait la belette. Ça donne du caractère. Ça enfonce des clous. Ça passe à travers, mais bon, le bois tiendra. Tiens encore un coup de marteau sur les stars vieillissantes. Bing ! Histoire de montrer que ça peut être un avantage que de casser sa pipe en bois à 27 ans. Pas de rides, pas de bide, pas de double menton. Luxe suprême, l’auteur en profite pour s’injecter un petit shoot d’auto-dérision - Car on ne le sait que trop, tout est destiné à ficher le camp. Pour laisser place ensuite aux légendes et aux belles histoires. Généralement racontées par ceux qui n’étaient pas là. Ce que ces quelques pages illustrent parfaitement ! - L’homme est en verve, jamais ne faiblit. C’est dru, c’est pas feint, il regarnit son buste à pleines poignées d’argile, et schplouf, ça prend des formes insoupçonnées, l’auteur fait son Rodin, il fait corps avec sa matière, rien ne l’épuise, la nuit, comme Camille Claudel, il arrache encore des profondeurs de la terre des valises entières d’informations gluantes et pleines de vie dont il va plâtrer dès les premiers rayons du soleil son Buddy buste pour le rendre encore plus vivant que nature, car décidément, ce côté trop lisse ne lui convient pas, il faut des poignées de chapitres, des paires de parallèles, des pelletées de digressions, des brouettes de raccourcis et des développements à gogo, il faut amener du relief, encore du relief, schplouf, ça lui vit sous les doigts, il rajoute des anecdotes, des péripéties périphériques, des échos de cocos, il disserte à l’alerte, il tétanise comme un titan, d’ailleurs, c’est exactement ça, un travail de titan, il compte 34 chapitres comme autant d’apôtres de Saint-Buddy, il y a même des accidents d’avion, des mariages, des combines, des trafics, des coups de froid, des voyages en Angleterre, ça finit par devenir célinien cette affaire-là. On sait tout de Clovis, pas celui qu’on croit, le vase, non, celui d’un Norman Petty qui a de l’appétty, mon petit, le manager/producteur de Buddy qui comme tous les autres à l’époque rajoute son nom dans les crédits, et qui comme tous les autres à l’époque tape dans la caisse et qui comme tous les autres à l’époque taille un son sur mesure pour Buddy. D’ailleurs, Vi, la veuve Petty, nous fait visiter le studio dans The Real Buddy Holly Story. Tous ces mecs là, les frères Chess, Norman Petty, Sam Phillips, Berry Gordy, ont eu raison de taper dans la caisse et de tailler des sons sur mesure, c’est l’histoire du rock, avec ses grandeurs et ses misères, parfaitement à l’image de la condition humaine. Un rock trop propre de gens vertueux serait d’un ennui mortel. Rien que d’y penser, on bâille à s’en décrocher la mâchoire. Fuck la vertu.

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L’un des plats de résistance du Buddy book est bien sûr le récit des fameux package tours qui envoyaient rouler sur les routes d’Amérique des autobus remplis de mini-stars en devenir. Ces épisodes nous valent des pages cocasses sur Jerry Lee - pourtant impossible à résumer, déjà qu’il ne rentre ni dans le Tosches book, ni dans le White book, encore moins dans le Bonobo book - et sur tout le restant de la pléthore, avec des affiches qui font baver, même la dernière, tragique, avec Dion, Big Bopper et Richie Valens. Cette affiche aussi avec Little Anthony & The Imperials, les Coasters, Bobby Darin et tiens tiens tiens, Jack Scott, une occasion pour l’auteur de saluer les Crampologues du monde entier. Puis il y a les rencontres new-yorkaises qui tiennent le lecteur encore plus en haleine, car Buddy va bouffer au resto avec Fred Neil et Bobby Darin, alors on ne vous dit pas la longueur du filet de bave, celui du lecteur. On imagine que Dylan, fan de Buddy depuis Duluth, n’est pas loin, lui qui va, comme il le raconte dans Chronicles, accompagner Fred Neil sur scène au Cafe Wha?. Toutes ces interconnexions sont palpitantes. On croyait Dylan à l’aube de la modernité, mais juste avant lui, il y a Buddy. Car pour casser la croûte avec un prince de l’underground new-yorkais comme Fred Neil, il faut être sacrément affûté. On profite d’ailleurs de l’occasion pour ressortir de l’étagère cet album fabuleux qu’est Bleeker & McDonald. Tiens ? L’est pas là ? Déjà parti sur l’île déserte !

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Musicalement, le parcours de Buddy se limite à deux albums, une poignée de singles et l’«invention» de la pop-music. Il arrive sur Coral qui est aussi le label du Johnny Burnette trio. Autant la pochette du Reminscing EP est belle, autant celle du Buddy LP paru sur Coral est laide. Mais l’album est extrêmement musical, bien dans le ton d’une vie entièrement vouée à la musique. Même son mariage est musical, car il rencontre Maria Elena au Brill Building. Troublante coïncidence : Steve Rash filme semble-t-il la nuit d’amour du Buddy et Maria Elena dans le même appart aux murs de verre qu’a utilisé Oliver Stone pour filmer la cérémonie de mariage païen unissant Jimbo à Patricia la prêtresse.

Puis vient le temps des héritiers, mais ici on s’arrête brusquement, car la liste est longue, aussi longue qu’un jour sans rhum. The legacy comme disent les Anglais est l’une des plus fournies de l’histoire du rock. L’auteur insiste beaucoup sur la modernité de Buddy, il voit dans «Tell Me How» l’acte de naissance de la power pop.

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Tout fan de Buddy se doit de posséder The Complete Buddy Holly, un coffret paru en 1979 et qui présente l’avantage de rassembler TOUT ce que Buddy a enregistré, même les démos enregistrées dans sa piaule de Greenwich Village, des démos que Norman Petty a complétées par la suite, comme les font les mecs qui bossent sur Dead Hendrix. Bel objet que ce coffret, rien qu’à le voir, on craque, avec cette photo sirupeuse de Buddy sur le dessus, sûrement retravaillée à l’aérographe. Avec ce fond bleu, c’est d’un kitsch ! La (courte) vie de Buddy rock est découpée en six rondelles et la plus explosive est la deuxième, Nashville Tennessee, Changing All Thoses Changes. Oui, car c’est l’époque Don Guess, le slappeur fou, l’époque wild rockab qui balaye tout ce qui va suivre. Buddy fout le souk dès «I’m Gonna Set My Foot Down», il y va à coups d’upside down avec ce démon de Don Guess derrière. Merveilleuse énergie du Texas rockab, souviens-toi de Johnny Carroll et aussi de Bob Luman, à l’époque où James Burton jouait avec lui. Cet album de Buddy qui n’existe pas dans le commerce est l’un des plus grands albums de l’histoire du rockab. Et ça continue avec «Baby Won’t You Come Out Tonight», Buddy a le diable au corps, il navigue au sommet du lard fumant. Puis on s’effare de «Changing All Those Changes» et de son pulsatif de rêve. The Texas beat ! Ces mecs jouent comme des dieux. On reste dans la classe suprême avec l’incontournable «Rock-A-Bye-Rock» - Oh rock - et plus loin, avec «Love Me». C’est tout de même incroyable que ces mecs aient réussi à sonner comme ça à Nashville. Buddy pop ? Tu rigoles ? Écoute «Don’t Come Back Knocking» ! Buddy est un wild Texas cat. Don Guess fait des ravages. Buddy démarre sa B avec l’infernal «Rock Around With Ollie Vee», il rocke son shit au slap, c’mon, un hit monumental ! C’est bien sûr le Buddy qu’il faut écouter, de la même façon qu’il faut écouter l’Elvis enregistré par Sam Phillips avec Bill Black et Scotty Moore : on a là l’apanage de l’artefact rockab. Encore du heavy slap dans «Ting-A-Ling», Buddy Bud jives it off, wow, ça swingue au Bradley’s Barn !

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Le premier album de la box est aussi assez sauvage. Il s’intitule Lubbock Texas, Western & Bop, et correspond en fait à la période Bob Montgomery. C’est là qu’on trouve l’ancestral «Down The Line», une merveille de swing texan. On y trouve aussi deux covers de très haut niveau : «Brown Eyed Handsome Man» - Buddy fait son Chuck au nasal, c’est très blanchi mais très sérieux, belle cover de Clovis - et l’«Ain’t Got No Home» du grand Clarence Frogman Henry. Buddy fout la gomme, c’est là où il devient exubérant, il prend le deuxième couplet au chat chuper perché. Quant au reste de l’album, c’est sans surprise : western bop et Texas country. Ils sont déjà dans leur son, un son très blanc. L’excellent Sonny Curtis qu’on voit dans le docu jouer du bluegrass fait partie de l’équipe. C’est lui qui amène le Texas swing. Ils font une version bien propre de «Good Rocking Tonight». Bon alors après on passe au Buddy que tout le monde connaît, celui des hits, avec le troisième album, Clovis New Mexico, Buddy Holly & The Crickets. Ça démarre avec «That’ll Be The Day», forcément excellent, mais on perd le slap. Le son devient poli, trop poli pour être honnête. «Maybe Baby» sonne comme de la pop de juke, c’est assez imparable. Mais c’est la fin du rockab. Buddy cherche sa voie impénétrable, même si sa pop, celle de «Peggy Sue», reste unique en son genre. Très sucre candy. Il tortille bien son I love you et hoquette à gogo. Il devient poppy comme pas deux. Il pousse des cris de fauve dans sa version de «Ready Teddy». Il a l’intelligence de ne pas vouloir rivaliser avec Little Richard. Son «Oh Boy» est plus fuselé, bien joué Buddy, avec tes chœurs de cowboys ! Il poppyse aussi son vieux «Maybe Baby» et il part en mode Tex-Mex pour «Take Your Time». Et puis voilà «Rave On», joli shoot de Texas rock.

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Le quatrième album s’appelle Clovis New Mexico, And On To New-York, et là on le voit s’enfoncer dans la variette. Ah la la, «An Empty Cup» ! Cette compo signée Petty/Orbison est un vrai désastre. Ça devient horriblement putassier. Buddy relève le niveau avec un «Think It Over» bien balancé, épaulé par des chœurs masculins et un piano de barrelhouse. Avec «Early In The Morning», on entre dans la période des fameux enregistrements au Pythian Temple, Buddy passe carrément au gospel, avec des chœurs de femmes plantureuses, The Helen Way Singers. La bonne surprise de cet album est la présence de Tommy Allsup qu’on entend se balader dans le son («Lonesome Tears»). C’est vrai que Buddy a un don pour les hits pop : «Well All Right» préfigure tout le bataclan. Tommy Allsup joue à l’infectuous dans «Love’s Made A Fool Of You». Il joue au clair de clairette avec des airs de punk, c’est un vrai fauve, un sang-mêlé. Bob Luman avait son Burton, Buddy a son Allsup. Et voilà «Reminiscing» enregistré à Clovis avec King Curtis. Cut de King. La meilleure chose qui soit arrivée à Buddy après Don Guess. Puis on voit Buddy s’enfoncer dans une pop over-orchestrated («Moondreams»). Il passe complètement à autre chose.

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Le cinquième album s’appelle New York, Planning For The Future. Ça démarre avec les démos enregistrées dans sa piaule : «Peggy Sur Got Married», bien poppy, Texas sugar, charme fou, tululu. On le voit ensuite s’enfoncer dans la bluette. Il est sans doute en panne d’inspiration, il tartine des balladifs country et chante à la mormoille. Il met bien la pédale douce. Il rocke encore un peu avec «Wait ‘Til The Sun Shines Nellie» et rend un bel hommage à Leiber & Stoller avec «Smokey Joe’s Cafe». Belle leçon d’élégance. Puis réveil en sursaut avec une cover de «Slippin’ And Slidin’». C’est là qu’il excelle, et il sort en plus le beat de Canned Heat, alors t’as qu’à voir ! Il rend aussi hommage en B à Mickey Baker avec une cover de «Love Is Strange», et c’est là où Norman Petty entre dans la danse des charognards : il rajoute des orchestrations sur les démos. Il a même la main lourde. Il trafique aussi une mouture ralentie de «Slippin’ & Slidin’», du coup on croit entendre Desmond Dekker. Commet Petty a-t-il osé ? Toute la B est tripatouillée par Petty, donc difficile à écouter. Et pourtant les cuts sont bons : «Peggy Sue Gor Married», «That’s What They Say» (la classe, dès qu’il a du son, ça claque), «Dearest» (nouvel hommage à Mickey Mouse, magique dès l’abord) et «You’re The One», extraordinaire modernité de cette pop. Dommage que tout ça soit posthume.

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Le sixième album s’appelle The Collectors. On y retrouve grosso-modo les cuts du cinquième album, les Mickey, Slippin’, un «Real Wild Child» enregistré à Clovis avec les Crickets et deux cuts avec Waylon Jennings au chant, dont l’excellent «Jole Blon», un groove cajun, et pour finir, un «Stay Close To Me» avec Lou Giordano au chant et Phil Everly à la gratte, ce qui laissait présager des choses intéressantes. Cette box est donc le moyen d’accompagner Buddy au long de sa courte épopée et de le voir évoluer. C’est assez fascinant. On comprend qu’il ait pu marquer les esprits. On voit aussi le parallèle avec Bob Luman : le coffret Luman paru chez Bear montre comment Bob est passé du statut de wild cat à celui de chanteur de ritournelles.

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Le meilleur tribute à Buddy est sans le moindre doute Fool’s Paradise des Hot Chickens, Comme il l’a fait précédemment avec Gene Vincent et Little Richard, Jake Calypso rentre dans le chou de Buddy. On l’attend au virage avec «Reminiscing» : il le tape à sa manière, dans l’excellence, mais sans sax. Il n’a pas les moyens de se payer King Curtis. En plus il a cassé sa pipe en bois depuis belle lurette. Jake claque l’I’m lonely au retour de l’accord et son thinking of sonne incroyablement juste. Il attaque «Tell Me How» en frontal, Jake n’est pas là pour rigoler. Attention, voilà les coups de génie, à commencer par «Whishing». Il travaille son Buddy au corps. Il chante à la déchirade, il fouille le mythe, il bourre sa dinde. Pour chanter comme ça, il faut vraiment adorer Buddy ! C’est là où le mot fan prend tout son sens. Jake ne fait pas semblant. Plus loin, il bouffe tout cru «It’s So Easy». C’est pas beau à voir. Crouch crouch ! Un vrai carnage ! Et un tourbillon de guitare couronne la scène. Les Hot Chickens donnent le tournis. Troisième coup de génie avec «Maybe Baby». Jake l’allume au chant, bien épaulé par le riffing de Christophe Gillet. Quel son ! C’est inespéré. Du son à gogo qui rend gaga. Avec «Lonely Tears», il boit les larmes de Buddy à la source. Nouvel hommage stupéfiant au génie du binoclard. Il lui shake bien le shook. Jake fout la gomme en permanence. Encore du pur jus de Buddy craze avec «Love’s Made A Fool Of You». En plein dans le mille une fois de plus, avec un son destroy, oh boy ! Jake cherche à rallumer la gueule du cut en permanence. L’une des covers les plus fines est certainement «What To Do» et puis ça rebascule dans la folie douce avec «Rave On». Il tape en plein dans l’envergure astronomique de Buddy Holly. Il le chante comme s’il avait été son pote pendant vingt ans. Encore une fois, Jake joue avec le feu, car sa version challenge assez violemment la version originale. Par sa justesse de ton, cet album n’en finit plus d’effarer.

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Nouvelle occasion de serrer la pince à Big Beat pour cette compile parue en 2007 : Now Hear This! Garage & Beat From The Norman Petty Vaults. Qu’on aime ou pas Norman Petty, ce n’est plus le problème, car on est vite overwhelmed par les groupes venus enregistrer chez lui, à Clovis. Tiens, rien qu’avec le cut des Crickets en ouverture de bal, on est ravi : «Now Hear This». Infernal ! Ces mecs jouent à la folie, avec Tommy Allsup au wild shake et Jerry Allison au beat. Mais ensuite, on va voir grouiller les coups de génie, tiens par exemple les Trolls avec «I Don’t Recall», wild Texas psycho, ça explose dans l’œuf de Clovis, là tu décarres du decal d’I don’t recall, c’est complètement dragged out - Why should I fall when I don’t recall - On est dans l’excellence du far-out breton. Oh et puis voilà The Chances, l’un des groupes de Sandy Salisbury, avec «Get Out Of My Life», c’est violent, ces mecs claquent un son jusque là inconnu, ça pulse au Clovis wild drive, jamais personne n’a joué comme ça en Angleterre, et c’est la basse qui allume. On retrouve les Chances plus loin sur la compile avec «It’s Only Time», un shoot de country psyché à la belle étoile. Que de son, my son ! Un peu plus tard, Sandy Salisbury va refaire surface dans the Ballroom et le cercle rapproché de Curt Boettcher. Encore du bien monté en neige avec l’«Hate» des Perils. Joli shoot d’I don’t need you girl, c’est le gaga de tes rêves inavouables, allez-y les Perils, stay away from me now, ils insistent - Stay away from me right now ! Hate ! - On croise pas mal de cuts des Cinders sur cette compile, à commencer par l’excellent «Three Minutes Time», une vraie bénédiction, «Good Lovin’s Hard To Find» itou, ils sont encore plus vénéneux avec «Ma’am» et cette basse qui claque, pareil tu es à Clovis et les basses claquent comme des serpents, elles doivent sonner. Ils tapent aussi dans le hit suprême, «Gloria», ils se laissent couler dans le she comes around et dans le she makes me feel soo good, Lord, awite. Norman Petty fondait de gros espoirs dans ce trio d’Amarillo, avec JD Souther au beurre. Il faut voir comment les Teardrops font sonner leur «Sweet Street Sadie» ! On est à Clovis, au paradis des riffs vicelards. Ça rocke comme nulle part ailleurs. Ça rocke dans le saint des saints du hey hey hey des profondeurs. Nouveau coup de génie avec The Cords et «Too Late To Kiss You Now», attaqué au riff mortel de Texas ranger, the wild guitar sound. Là tu entres dans la mythologie, le riffeur fait ici le génie de la pop. S’ensuit une autre bombe avec Barry Allen with Wes Dakus Rebels et «And My Baby’s Gone». C’est énorme, gorgé de Soul, my baby’s gone ! Une vraie foire à la saucisse, tout bascule dans l’extrême, sur cette compile. On retrouve cette équipe de fous dangereux plus loin avec «Danger Zone», vieux shoot de r’n’b, avec une guitare ultra saturée dans le move, c’est du Cropper/Wilson Pickett avec de la fuzz, alors imagine le travail. C’est un rare mélange de white r’n’b avec du psyché. Les Wes Dakus Rebels reviennent plus loin avec une version explosive de «Shotgun». Ces mecs sont des diables. Aller s’attaquer à «Shotgun», il faut être complètement cinglé. Ils le font ! Il l’aplatissent au stomp. Ces mecs ont du génie. Parmi les violents de la terre, on trouve Stu Mitchell & Doug Roberts. Leur «Say I Am (What I Am)» bat bien des records. Ils jouent dans la caverne. C’est atrocement bon, ils claquent des accords atomiques. Une vraie charcuterie de Say I am. Ce cut frôle le mythe. Sur cette compile, tous les groupes ont du son, on ne sait plus où donner de la tête. The Three Of A Kind sonnent exactement comme les Beatles avec «Only TimeWill Tell». C’est troublant. Et puis il y a les Monocles originaires du Colorado avec «Let Your Lovin’ Grow» et Waylon Jennings à la basse. Ça rumble dans les brancards, surtout le drive de basse. Tout est beau là dedans, le chant, le solos sec, wild gaga génial ! Merci Clovis, roi des Francs. Mais on va devoir y revenir, car pas mal de choses se baladent dans la nature, Norman Petty a produit des tas de groupes fascinants. Même plan que Huey P. Meaux.

Signé : Cazengler, Bidon Holly

Alain Feydri. Listen To Me - Un Portrait De Buddy Holly. Du Layeur 2021

Buddy Holly. The Complete Buddy Holly. Box MCA 1979

Now Hear This! Garage & Beat From The Norman Petty Vaults. Big Beat Records 2007

Steve Rash. The Buddy Holly Story. DVD 2006

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Farrington en fait des tonnes

 

Retour aux choses sérieuses en Normandie avec ce qu’il faut bien appeler un festival de rock. Bon, ce n’est pas Woodstock ni l’Île de Wight, mais il y a un peu de monde. Pas trop, mais un peu quand même. Les gens commencent à ressortir des abris. Il faudra du temps pour retrouver les affluences d’antan. Et surtout les enthousiasmes d’antan. Bien sûr, les purs et durs sont là, même les fantômes. Principalement les fantômes. Senti en permanence la présence du vieux compagnon de route, Laurent. Surtout au merch. Pour un premier festival post-atomique, c’est une réussite. C’est même une sorte de top départ à forte portés symbolique, comme si la vie reprenait enfin son cours. Avec une affiche éclectique, Julius (hip hop), Double Cheese (gaga), Mustang (pop), puis ça monte en température avec les Parlor Snakes sur lesquels on reviendra et la tête d’affiche, les François Premiers sur lesquels on reviendra itou. Et juste avant la tête d’affiche, Maxwell Farrington, une sorte de révélation.

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Révélation ? Un bien grand mot, diront certains. Peut-être faut-il avoir la chance de le voir chanter sur scène. Farrington est le genre de mec qui n’a besoin de personne en Harley Davidson, c’est vrai qu’il est bien accompagné, les mecs autour sont fins, mais lui, quel showman ! Ou plutôt quel anti-showman. On est tout de suite frappé par sa mise : il est fringué comme l’as de pique, c’est le genre de mec qui n’en n’a rien à cirer, il porte une grosse vareuse de couleur indéfinissable boutonnée jusqu’au cou, une chemise à carreaux dépasse devant et derrière, et il porte des boots comme celles qu’on te donne à l’Armée du Salut, rien à cirer, donc admirable, l’anti-frime à deux pattes, et puis il faut le voir danser, il fait sa sylphide pittoresque, sa Goulue périphérique, on pense au numéro qu’avait donné Aretha à New-York lorsqu’en Tutu de ballerine, elle avait esquissé quelques pas de danse éléphantesque devant un public frappé de stupeur.

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Bon, d’accord, Farrington n’est pas en Tutu et il ne pèse pas non plus 150 kg, mais ses pas de danse, c’est quelque chose ! On serait tenté de rigoler s’il ne chantait pas aussi merveilleusement bien. Ce fabuleux mélange de grâce vocale et d’incertitude chorégraphique bat tous les records. On pense aussi au bassman du Villejuif Underground qui sur scène imitait la danse des ours du Magic Band. Et là on a un truc complètement original, un mélange assez toxique d’incongruité et de grâce, on voudrait que ce spectacle ne s’arrête jamais, tellement c’est hors normes. On voit à un moment Farrington plaisanter avec le public, il est en plus extrêmement drôle, il adore vanner, et soudain, il se rappelle qu’il doit reprendre le set, alors il jette un coups d’œil à la set-list et dans l’instant, dans la fraction de seconde, il est sur la mélodie, au ton juste, arrimé des deux mains à son micro, suivi dès la première mesure par les musiciens. C’est de la très haute voltige.

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Ce mec crée des climats envoûtants, il module à l’infini, avec des accents graves dans une voix assez chaude, il prend la mélodie à sa façon, avec un étrange mélange de désinvolture et d’aisance, et chaque fois, c’est en plein dans le mille. Bien sûr, pour choper la pulpe d’un mec aussi doué, il faut le voir sur scène. Il n’est pas certain que ces chansons soient convaincantes à la radio, ou pire encore sur un smartphone. Il propose une pop très ambitieuse, quasi-américaine, très Jimmy Webb dans l’esprit, mais on ne peut le comparer à personne. Pas même à Stuart Staples. Ni à Lanegan, ni à Scott Walker qu’il cite comme influence, ni à Lee Hazlewood qu’il cite aussi comme influence. Il sonne comme Farrington. Ce mec est épouvantablement bon. Il ne fait qu’une reprise, «The Train» de Frank Sinatra, qu’il n’annonce pas comme «The Train» mais comme «Hey Jude», histoire de déconner encore un coup, et pouf, il s’embarque dans un soft groove d’une élégance supérieure, on pense à Fred Neil, Farrington colle au soft et au groove et plonge le petit auditoire dans une sorte d’état de grâce. Il manque bien sûr les orchestrations, mais derrière, les mecs du Superhomard jouent la carte du primitivisme pop, et ça tient la route.

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Sinon, c’est lui qui compose toutes ses chansons. Le parallèle avec Jimmy Webb n’en apparaît que plus flagrant.

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Il attaque son set avec «North Pole» qu’on retrouve sur l’album tout juste paru, Once. Il sonne un peu comme Scott Walker, il se paye le luxe d’une plongée dans un climax, c’est une merveille de retenue mélodique, il monte, son drifting arrache le cœur, il pousse très loin la corde du sensible pour remonter enfin vers le dead so far away. C’est ce qu’on appelle un démarrage en force. Peu après, il tape dans le «We Us The Pharaohs» qui ouvre la bal de l’album. Il tranche direct au ton, il chante au contre-coup du petit beat orchestré, il part à l’aventure, comme tous les grands chanteurs, l’écho de sa voix enchante le petit beat pressé. Il chante à l’envergure. Le «Free Again» n’est pas celui d’Alex Chilton, c’est le sien. Il sonne comme une super star, avec cette aisance qui déconcerte. Il se coule dans le cool, il pèse sur tout ce qui compte dans l’art vocal, il tartine la surface d’un groove de Soul blanche, il fuite entre les vagues, free again, il dote cette merveille de petites accélérations qui ressemblent à des tenants et à des aboutissants et il revient se couler dans le lit de l’excellence. Il sonne comme un général à épaulettes, il montre du courage et module une matière vocale qui ressemble à de la magie. Avec «Hips», il rejoint Stuart Staples au paradis des dérives congénitales, même sens du mood de groove, il chante des hanches et chaloupe au vent. Max fait le max, pas de doute. Il duette sur «Big Ben», et dans «Tonight», il revient à l’envers dans le groove, comme s’il prenait les atonalités par surprise. Il utilise sa voix comme un instrument. Après la reprise de Sinatra (qui n’est malheureusement pas sur l’album), il conclut avec un coup de génie nommé «Good Start». Il chante à la puissance pure, mais une puissance ouverte sur l’horizon, il pousse sa voix vers l’extérieur, c’est complètement dément, don’t want to be alone today. Génie pur.

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Causer avec lui est un luxe qu’on ne pourra peut-être plus s’offrir très longtemps, tellement on sent qu’il va devenir énorme. Il semble redescendre de son statut de star en devenir pour se fondre parmi les gens normaux. Il parle couramment le Français et plante ses petits yeux perçants dans les tiens. Il a un visage très frais, presque rose. Il est incroyablement sympathique. Il dit venir de Brisbane et ne connaître Chris Bailey que de nom. On ne croise pas tous les jours des personnages aussi édifiants.

Signé : Cazengler, Maxweird Far breton

Maxwell Farrington & le Superhomard. La Friche Lucien. Rouen (76). 12 septembre 2021

Maxwell Farrington & le Superhomard. Once. Talitres Records 2021

L’avenir du rock - À Table, Scraps !

 

Le dimanche, l’avenir du rock va au Blanc-Mesnil jouer au scrabble avec sa tante Annie-Jeanne. Une troisième personne joue avec eux, mais elle est transparente. C’est le fantôme de Bernard, le mari de sa tante et ancien retraité des usines Rateau de la Courneuve. La partie dure depuis deux heures. L’avenir du rock s’impatiente. Déjà qu’il n’aime pas beaucoup les jeux de société...

— Tata, magne-toi la chatte, c’est à toi d’jouer !

— Fais pas chier... Laisse-moi réfléchir une minute, bordel ! J’crois qu’j’ai un mot.

Elle place ses sept lettres entre un E et un S pour former le mot Encularès. Elle commence à compter :

— Scrabble ! Ça me fait 50 points. Plus lettre compte triple, plus mot compte double, alors ça me fait...

— Mais Tata, t’es complètement conne ou quoi ? C’est pas un mot !

— Ben si c’est un mot ! T’arrête pas d’le dire quand tu conduis !

— Bon d’accord, on va pas discuter, avec toi ça sert à que dalle. Zyva Tata, marque tes points. À toi d’jouer, Tonton !

La température refroidit subitement et les lettres de Bernard se mettent à gigoter. Puis une voix d’outre-tombe s’élève :

— Beloooootte et re-belooooootte et diiiiiiix de deeeeeeeeer !

— Mais Tonton, tu débloques ! On joue au Scrabble, pas aux cartes !

La table se met à vibrer, comme chez Victor Hugo, Place des Vosges. Un sinistre hululement s’élève :

— Guillauuume qu’es-tuuuuh devenuuuuuh ! Uuuuuuuh ! Uuuuuuuh !

— Voilà, il est contrarié, alors il nous fait sa reprise d’Apollinaire par Howling Wolf ! Ah vous commencez à m’courir sur l’haricot, tous les deux ! Bon tu joues ou tu joues pas ?

La température redevient glaciale et les lettres gigotent frénétiquement.

— Fataaalitââââââââs ! Quinte Fluuuuuuush par les dââââââââmes !

— Tata, ton mec y tournait déjà pas rond d’son vivant, mais là ça craint pour de bon. Y va nous r’faire une attaque ! Bon j’vais jouer pour lui, parce que sinon demain on yeah encore !

L’avenir du rock tourne vers lui le chevalet de son oncle et compose un mot vite fait.

— Voilà... Tata, tu peux lui compter deux points. Maint’nant, c’est mon tour !

Il place quatre lettres à la suite du S d’Encularès pour former le mot Scraps. La tante se met à beugler comme un veau :

— Tu m’prends pour la reine des pommes de terre ou quoi ? C’est quoi ça, Scraps ? Ça n’existe pas ! Non seulement t’es con comme un manche mais tu triches ! Retire ça tout de suite ou j’t’en colle une dans ta sale gueule !

— Oh putain Tata, c’est pas d’la triche, c’est Table Scraps ! Tout le monde en parle, même Vive Le Rock !

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Il a raison d’insister, l’avenir du rock. Il met en outre un point d’honneur à parler de Table Scraps à une table de Scrabble.

Quelqu’un dans la presse s’empresse de qualifier Table Scraps de fast running Brummie gaga trio. Bien vu, machin ! Ce fast running trio se compose du chanteur guitariste Scott Vincent Abbott, de la moissonneuse-batteuse Poppy Twist (& shout) et du bassman TJ. C’est Vive Le Rock qui nous a révélé leur existence. Alors on serre la pince de Vive Le Rock avec effusion.

— Merci Vive Le Rock, mille fois merci !

— Oh ce n’est pas grand chose...

Quelle modestie ! Ça rend ce modeste canard encore plus attachant. Découvrir des groupes aussi importants - mais qui n’ont aucune chance - et dire que ce n’est pas grand chose, quelle belle leçon d’humilité ! Comme Edgard Morin, Vive Le Rock réussirait presque à nous réconcilier avec le genre humain.

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Leur premier album s’appelle More Time For Strangers et date de 2015. Un véritable coup de génie se planque en B : «Big». Comme ils sont dans des idées de son, ils ramènent du ooouuuhhh-ooouuuhhh par dessous et là, oui, ça devient monstrueux. Attention au «Electricity» d’ouverture de bal d’A. Tu ne te méfies pas et là juste derrière le beat, tu as la purée. Scott Vincent Abbott n’est pas là pour s’amuser. Il gratte derrière son growl et Poppy Frost tape comme une sourde. Ils peuvent aussi se révéler spectaculaires de darkisme, comme le montre «Foot Of The Stairs», ils te plombent un ciel vite fait. Encore un doom atrocement pertinent avec «Bad Feeling», bad bad feeling, c’est un peu comme si Black Sabbath se faufilait dans ta culotte, que tu aimes ça ou pas, c’est pareil, ils ne te demandent pas ton avis. C’est vrai que dans l’esprit, ils ne sont pas loin de Monster Magnet, «Sinking Ship» est là pour le prouver - I wanna find a way to get out/ Of that sinking ship - Et puis voilà justement le fameux «Motorcycle (Straight To Hell)» que reprend Monster Magnet sur son dernier album, big one, embarqué au tototo de basse et visité par des spoutniks. Scott Vincent Abbott repend sa voix tendancieuse pour «Children Of The Sky» et nous plonge dans l’enfer d’un break de doom. Ils chantent «What You Don’t Allow» à deux sur un beat bien rebondi. Quelle vitalité ! Ah elle y va la petite Poppy.

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Leur deuxième album paru en 2017 s’appelle Autonomy. Les Scraps se spécialisent dans le gaga hypno et ça file droit dès «Sick Of Me». Ils sont parfaits, absolument parfaits. On croit entendre chanter une femme, mais non, il semblerait que ce soit Scott Vincent Abbott qui mène le bal et qui file les chocottes avec un solo d’aigrefin. Vu comme il se présente, c’est le genre d’album dont on va attendre monts et merveilles. Tout aussi balèzoïde, voici «I’m A Failure», très spécial et bien goulu. Scott Vincent Abbott chante à gorge déployée. Ces gens-là ont une réelle identité gaga. Ils sont même capables de glam («Takin’ Out The Trash»), ils adorent les ambiances d’éclectisme éclatant, ils trinquent à la gloire du glam, battus par des vents de Dersou Ouzala. Ils cultivent tous les excès de l’excellence underground, aucun espoir d’allégeance, ils n’en pensent pas moins, ils font leur truc envers et contre tout et ça redonne du baume au cœur de l’avenir du rock. N’en fut-il pas toujours ainsi, since the beginning of it all ? «My Obsessions» sonne comme une vieille remontée d’égouts de gaga abrasif, Scott Vincent Abbott traite ça en mode hypno gaga pur, ils sont en plein dedans. Ils n’ont besoin de personne en Harley Davidson, leur truc c’est d’aller bon train, de ne pas traîner en chemin et diable comme Poppy Twist bat ça bien. Il faut l’entendre jouer le beat élastique sur «Frankenstein». Dans «Treat Me Like Shit», Scott Vincent Abbott demande qu’on le traite comme de la merde et pour appuyer sa demande, il envoie des spoutniks, une façon comme une autre d’envoyer un gros clin d’œil aux Spacemen 3. Les Scraps continuent de naviguer dans leurs magnifiques eaux troubles avec «More Than You Need Me». Ils restent désespérément underground, comme l’était le Velvet au beginning to see the light, les Scraps brillent comme un soleil de Satan, ils brillent comme la perle noire dans l’écrin rouge de nos nuits blanches et Scott Vincent Abbott envoie planer le fantôme d’un solo vampire dans le fond du son. Ils laissent loin derrière eux tous les prétendants au titre et nous saluent avec l’élégant «Do It All Over Again», une belle fin de non-recevoir en forme de giclée de gaga-rock brummmie in the flesh du flush cosmique. Une façon comme une autre de tirer la chasse.

Signé : Cazengler, Table scrotte

Table Scraps. More Time For Strangers. Hell Teeth 2015

Table Scraps. Autonomy. Zen Ten 2017

 

Inside the goldmine

- Eldridge over troubled water

 

À la tombée de la nuit, ils sortirent du Grand Hôtel. Ils zigzaguèrent à travers la médina qu’ils commençaient à bien connaître et arrivèrent bientôt en vue d’une corniche. Nous arrivons chez Brion dit Port à Kit qui répondit qui ? Ben Gysin ! Ah Gaïsinne, fit Kit. La maison donnait sur la baie de Tanger. Vue imprenable. Parmi les convives se trouvaient d’autres Américains. Tiens voici Paul ! Qui ?, fit Kit ? Ben Bowles ! Ah Balls ! Et lui c’est qui ? Ben lui, c’est Bill ! Bile ? Oui Bill Burroughs ! Ah Beuwrôks. Kit accepta de tirer une longue taffe mélancolique sur la cigarette que Gaïsinne lui proposait. Elle sentit tout de suite le kif kicker. Port vit qu’elle kickait cash. Ça kiffe, Kit ? Oh oui, ça transe, Port ! Il eut un petit éclat de rire hystérique et sniffa le rail qu’un jeune marocain nu comme un ver lui présentait sur un plateau d’argent. Kit vit Beuwrôcks retrousser sa manche et se piquer avec une très grosse seringue. Tous ces gens la fascinaient. Elle aperçut un peu loin deux beaux mecs en caleçons blancs. C’est qui ? Ben lui c’est Jack et lui c’est Peter ! Peter Paul & Mary ?, fit Kit en rigolant bizarrement. Ben non, fit Port, lui c’est Kerouac et lui c’est Orlovsky ! Ah Orlove-ma-bite-en-ski !, et elle éclata d’un rire cristallin qui déclencha un fou rire général. Gaïsinne lança un disque. C’était l’heure de danser. Working In The Coal Mine, Goin’ down down down. Beuwrôcks s’approcha de Kit, lui mit la main au cul et lui demanda si elle désirait un shoot dans la chatte. Elle eut du mal à comprendre ce qu’il voulait dire et tira une longue taffe décadente sur la cigarette qu’Orlove-ma-bite-en-ski lui proposait. Poussi ?, fit-elle. Ben oui, fit Beuwrôcks qui se mit soudain à danser le jerk des squelettes de la Nouvelle Orleans. Working In The Coal Mine, Oops about to slip down. Mue par un réflexe qu’elle ne se connaissait pas, Kit se joignit à cette fantastique orgie de jerk. Elle approcha l’oreille de Beuwrôcks et fit c’est qui ? Holmes !, fit Bile. Ah Sherlock ? Ben non, fit Bawrôcks interlocked, Elridge ! El qui ?

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C’est vrai que le nom d’Eldridge Holmes est difficile à mémoriser. Mais en faisant un peu attention, on y arrive. Allen Toussaint croyait tellement en Eldridge Holmes qu’il lui consacra son temps, ses compos et son talent de producteur. L’équipe Toussaint/Holmes, c’est exactement du même niveau que l’équipe Burt/Dionne la lionne, ou encore Spector/Righteous Bothers, ou encore George Martin/Cilla Black, ou encore Ragovoy/Tate, et si on veut rester à la Nouvelle Orleans, on peut alors citer l’intime team Fatsy/Bartholomew.

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On trouvera sans peine une poignée de coups de génie sur Deep Southern Soul. À commencer par «Humpback», terrifiant shout de r’n’b à la Wilson Pickett, d’une incroyable violence, avec un truc en plume en plus. Eldridge ravage les contrées, Heyyyy, il laisse planer la menace sur ses Everybody. Quel shaker de r’n’b ! Franchement énorme et bien raw to the bone, suivi à l’insistance définitive. On imagine qu’Allen Toussaint fait le con avec ses potards, pendant que les chœurs font ‘Humpback’. Ou encore «The Book», fantastique heavy groove elridgien. C’est là que se joue son destin. S’il fallait situer Eldridge Holmes sur la carte des genres, on pourrait parler de r’n’b dévastateur. S’il y va, c’est à coups de reins. Han han ! On le voit à sa physionomie. Son «Where Is Love» d’ouverture de bal est diaboliquement bon. Cut après cut, Eldridge impose un son d’une invraisemblable puissance. Il porte tout le poids du r’n’b sur ses épaules. Et quand il fait du sirop de sirupe avec «Love Problem», pas de problème, il entre dans l’humidité du thème avec une force dressée et même intentionnelle. Il commence alors à limer les problèmes. Il parle d’endless love mais c’est vrai, parfois ça peut devenir compliqué, l’endless love. Il tape dans Kid Chocolate avec une belle version de «Working In A Coal Mine». Bassmatic devant toute ! Ça sonne comme une bénédiction, comme d’ailleurs l’ensemble de cette compile - I’m a hard workin’ man/ Workin’ hard every day now - Puis il monte ce beau slowah qu’est «Now That I’ve Lost You» en neige pour atteindre à l’apothéose selon Saint-François. Encore un hit avec «Beverly», une énormité cavalante parée de chœurs déments. Eldridge ramone bien les cheminées, il livre là un r’n’b puissant, d’une rare ampleur, il explose carrément les contours du contexte. Il semble même prendre un malin plaisir à pulvériser les lieux communs du r’n’b. Il est comme Léon Bloy, il ne peut s’empêcher d’en faire l’exégèse. Quant à son «No Substitute», il paraît tout simplement violent et pas commode. Cette excellente randonnée s’achève avec un «Wait For Me Baby» dévastateur, et les filles font ah-ah. Il s’agit certainement de l’un des meilleurs shouts de r’n’b qu’on puisse entendre ici bas. Eldridge navigue au même niveau que Wilson Pickett. C’est dire la grandeur du buzz. Ajoutons qu’Allen Toussaint avait, en matière de talents, la main verte. Il les flairait à bonne distance.

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Il existe une autre compile d’Eldridge Holmes intitulée Now That I’ve Lost You, avec en sous-titre The Allen Toussaint Sessions. On y retrouve bien sûr tous les hits débusqués sur Deep Southern Soul, «Humpback», «Working In A Coal Mine», «Beverly» et «Now That I’ve Lost You». On retrouve aussi «Gone Gone Gone», mené à la poigne de fer. C’est incroyablement bien balancé. On a là un véritable chef-d’œuvre productiviste. On est aussi frappé par l’incroyable modernité du son. Bizarrement, «Pop Popcorn Children» ne figure pas sur l’autre compile. Cette fois, Eldridge part en mode funk à la James Brown, all nite long ! Allen et lui fabriquent le meilleur popcorn funk de la Nouvelle Orleans. Voilà encore un cut dément, bombardé au bassmatic qui dégringole dans des gammes de barbe à papa. Ça démolit tout l’immeuble, ça creuse des tunnels sous l’Himalaya, ça pulse au bas du manche, pur jus de demented are go ! On retrouve aussi l’énorme «Cheatin’ Woman», groové à la dévastation, presque joué à l’Anglaise, côté guitare. C’est une fois encore puissant des reins et embarqué au pénultième d’exaction pathologique, avec des retours de manivelles de gammes. Cette collection de hits s’achève avec «What’s Your Name» (pas celui des Clash, mais celui du déclin de l’Empire romain, hit rampant qui se glisse mollement dans des ténèbres humides) et «Selfish Woman» (extraordinaire explosion de shuffle d’Allen qu’Eldridge drive à la poigne de fer pendant que derrière les filles gueulent comme des baleines en rut).

Signé : Cazengler, Elrigolo

Eldridge Holmes. Deep Southern Soul. AIM 2006

Eldridge Holmes. Now That I’ve Lost You. Fuel 2000 2014

 

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