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CHRONIQUE DE POURPRE N° 216 = KR'TNT ! 335 : ALLMAN BROTHERS / MONSTER MAGNET / L'ARAIGNEE AU PLAFOND / LIZARD QUEEN / NICK TOSHES

KR'TNT !

KEEP ROCKIN' TILL NEXT TIME

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LIVRAISON 335

A ROCKLIT PRODUCTION

LITTERA.INCITATUS@GMAIL.COM

29 / 06 / 2017

ALLMAN BROTHERS / MONSTER MAGNET /

L'ARAIGNEE AU PLAFOND / THE LIZARD QUEEN

NICK TOSCHES

Allman River - Part One

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Oh ce n’est pas qu’on soit un gros fan des Allman Brothers, mais l’autobio de Gregg Allman vaut le détour. Si elle sort aujourd’hui l’étagère, la raison en est simple : le pauvre Gregg vient tout juste de casser sa pipe.
J’avais acheté cette autobio à sa parution, voici quelques années, pensant qu’un jour il faudrait prendre le temps de se pencher un peu plus attentivement sur la musique des Allman Brothers. Ces livres sont en général des clés qui permettent de découvrir ou de re-découvrir des univers musicaux. À ma connaissance, il n’existe pas d’autres clés.
Duane Allman fait partie d’une génération de rockers américains nés dans le Sud des États-Unis et amateurs de musique noire et de blues. En fait, ces blancs amateurs de musique noire constituent une minorité. La culture musicale dominante chez les blancs du Sud reste bien évidemment la country. Duane traîna pas mal dans les pattes de Rick Hall, lorsque FAME tournait à plein régime, et il participa à quelques sessions légendaires, dont une avec Wilson Pickett. L’idée de reprendre «Hey Jude» vient de Duane. Il adorait aussi les motos, et avait un faible pour la Harley. Gregg raconte que son frère adorait conduire une moto à poil et sous LSD. Easy Rider ! - He had a little taste for speed - Il trimballait d’ailleurs une réputation de fucked-up crazy hippie. Sa grand-mère disait qu’il était tellement énervé qu’il ne dépasserait pas les 25 ans. Elle avait raison : Duane s’est tué en moto. Il roulait très vite dans Macon Un camion ! Bhaaam ! En plein dedans. Il n’avait que 24 ans.
C’est le premier gros ressort de ce livre : la mort de Duane, le grand frère est le modèle absolu. Gregg se montre extrêmement pudique sur l’incident. À peine quelques détails : «On a enterré Duane avec un dollar d’argent dans une poche, un cran d’arrêt dans l’autre et sa bague préférée au doigt, un serpent enroulé autour du doigt, avec deux yeux en turquoise.»

 

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À partir de là, continuer à vivre va devenir compliqué pour Gregg qui a grandi dans l’ombre de son frère. Pour surmonter l’insurmontable, les remèdes les plus couramment utilisés sont bien sûr l’alcool et les drogues. Gregg va s’y jeter à corps perdu. Il nous raconte tout ça dans les détails, héro, vodka, tout y passe. Le cul aussi bien sûr. Ce livre constitue une belle apologie du fameux Sex & Drugs & Rock’n’roll. Un mode de vie. Oh bien sûr, Gregg ne manque pas d’évoquer le parcours des Allman Brothers qui furent un temps l’un des groupes de rock les plus populaires d’Amérique. En fait ils devinrent populaires aussitôt après la mort de Duane. Justement, toute la difficulté vient de là : comment s’intéresser aux Allman Brothers après la mort de Duane ? C’est comme s’intéresser aux Stones après Brian Jones ou aux Groovies après Roy Loney. Compliqué.
Duane eut l’idée de monter les Allman Brothers avec deux batteurs (Butch Truck et un black nommé Jaimoe), un bassman venu de Chicago (Berry Oakley), et deux guitaristes, lui et Dickey Betts. Il proposa à Gregg qui était alors en Californie avec Hour Glass de rejoindre le groupe pour y jouer de l’orgue Hammond. Au commencement, Gregg pensait que ça ne marcherait pas, deux batteurs et deux guitaristes, quel bordel ! Et pourtant si. Duane avait vu juste.
Gregg rappelle que Duane était un inconditionnel de Curtis Mayfield et de son style de jeu. Pour apprendre à chanter, Gregg prit Little Milton comme modèle - Il m’a appris à maîtriser chaque note au chant, à bien différencier les passages soft des passages plus hard que j’appelle throat busters - tu durcis ton ventre et tu laisses sortir le truc très vite, real quick, you kinda let it escape - Milton faisait ça mieux que personne et sa voix est restée intacte jusqu’à sa mort - Gregg dit aussi qu’il cherchait à imiter Aaron Neville, dans ses inflexions et ses émotions, mais il a l’honnêteté d’avouer qu’il n’y parvenait pas. Il cite aussi le nom de Bobby Bland dans ce paragraphe, et là, il joue un peu avec le feu. Il rend aussi hommage à J.D. Loudermilk qui composa pour les Allman et qui était un homme tellement généreux qu’il offrit une Triumph Bonneville à Gregg qui n’en revenait pas. À l’époque, les deux frères admiraient aussi Moby Grape et notamment le bassman Bob Mosley - a big lumberjack-looking dude who played a white bass that hung real low (un mec à dégaine de bûcheron qui jouait sur une basse blanche très bas sur les cuisses) - et il ajoute - I’d never seen anybody play some serious bass and sing their ass off at the same time like he did (oui, Gregg n’avait jamais vu un type capable de bien jouer de la basse et de hurler en même temps).
La grande composante de cette histoire de vie reste la violence. Duane n’est pas le seul à mourir dans ce récit. Gregg raconte que son père accepta une nuit de raccompagner un mec qu’il ne connaissait pas et en guise de remerciement, il reçut trois balles dans le dos.

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Duane et Gregg étaient mômes quand c’est arrivé et leur mère décida de réinstaller ce qui restait de la famille en Floride. C’est là que Duane prit le rôle du père dans la vie de son petit frère. L’accident mortel de Duane fit d’autres dégâts, notamment dans l’esprit de Berry Oakley qui fut inconsolable et qui pour survivre se mit à boire comme un trou. Il démarrait chaque matin avec une caisse de bière et il enchaînait au Jack - And about halfway through the Jack, he was on his knees, man - Oui, il était vite rôti. Un an après la mort de Duane, Berry prit sa moto et alla percuter un bus - Headfirst into that bus, on purpose - Il s’est relevé après le crash. Il ne voulait pas monter dans l’ambulance. Il est rentré chez lui pour mourir d’une hémorragie au cerveau.
Les Allman Brothers vivaient comme une vraie famille et faisaient une très grosse consommation de drogues. Ils prenaient tous des acides et du speed - We’d do speed and drink or do downers and fuck. We had Nembutals and we’d grind them bad boys up and then just fuck for hours - Lors d’un premier trip à Los Angeles, King Curtis initia les Allman Brothers à la coke et puis tout le groupe passa naturellement à l’héro. Gregg en parle divinement bien. Justement, il explique qu’à Macon, en Georgie, on ne trouvait pas d’herbe, mais plus facilement de l’héro - You could buy heroin in a snap, seven dollars a bag - Ils se mirent à adorer ça. Ils appelaient l’héro le doojee. Au début, ils snortaient par les trous de nez. Berry Oakley en raffolait. Duane préférait la coke - Blow was much more his thing and he did a lot of it - Quant à Gregg, il ne fera pas moins de six overdoses - It took me from this world about six times - Ils faisaient une consommation tellement alarmante que tous les gros pontes d’Atlantic, Ahmet Ertegun, Jerry Wexler et Tom Down tentèrent de les ramener à la raison. Les Brothers eurent ce qu’ils appelaient un band meeting et il fut décidé que la moitié du groupe irait en détox à Buffalo. Évidemment, ça ne servit à rien. Gregg prenait de l’héro pour se calmer les esprits - That’s why I became addicted - To slow my fucking mind down - Gregg avoue qu’il aurait pu aller voir un psy, but fuck that - I could take a little shot of this powder up my nose and eveyrhing was alright. Better than all right, way better - mais il explique aussi qu’au bout d’un moment ça marche moins bien et qu’il faut en prendre de plus en plus.
Ce qui rend ce récit particulièrement accrocheur, c’est la rudesse du style. Gregg Allman écrit comme il parle, avec l’accent gras des gens du Sud qui sont restés rebelles dans l’âme. Duane Allman fut selon son frère la parfaite incarnation de ce vieux mythe. Gregg sonne sûrement comme Duane quand il évoque le premier concert des Allman Brothers au Fillmore East - Man, that venue was something special - oui, cette façon incroyable d’apostropher le lecteur. On a parfois l’impression d’être au bar et de l’entendre raconter ses exploits. Et cette façon de saluer ses amis - I loved this guy Bill Graham because he was such a straight shooter with us - Il adorait la franchise de Bill Graham qui eut toujours les Allman Brothers à la bonne. Bel hommage à Stevie Ray Vaughan - And good God almighty, what a player that man was - Oh et cette façon incroyable qu’il a de rouler ses mots - I had quite the wardobe, man. I would wear Levi’s and silk shirts, and velvet jackets and suede boots - Quand il débarque chez Cher qui va devenir sa cinquième épouse, il réagit comme un paysan qui découvre une belle demeure - Elle avait cette immense lit en bois de canopée et dans sa chambre il y avait une cheminée en marbre avec d’énormes lampes - it was seomething else, man. En tout, il y avait trente-six pièces, you’ve never seeen anything like it - Non, t’as jamais vu un truc pareil, mon gars - La première fois que Jaimoe est entré là-dedans, il a dit ‘Shit man, if this was my place, I’d been renting out them rooms !’ - Et quand il n’aime pas les choses, il le dit très bien, par exemple le British Blues - British Blues is like a parrot that lives in Greenland, man.

 

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Il se produit avec cette autobio le même phénomène qu’avec celle de Johnny Cash : quand pour des raisons médicales Gregg Allman doit arrêter de boire et de se camer, tout rentre dans l’ordre moral et la religion. L’horreur. Et comme la plupart des gens, il se met soudain à craindre la mort. Il se fait greffer un foie, mais ça ne retardera l’échéance que de quelques années. Il finit aussi par se débarrasser de sa bête noire Dickey Betts en le virant par fax. Le pauvre Dickey continuait à picoler comme au bon vieux temps, alors que tous les autres étaient redevenus sobres comme des curés. Dickey Betts subit exactement le même sort que Lemmy qui se fit virer d’Hawkwind pour usage de drogues. Il est évident que sur certains points, Gregg Allman n’a pas les cuisses très propres. On sort de cet récit assez impressionné, et s’il fallait en conserver une image, ça pourrait bien être ce souvenir de 1959, lorsque Mama Allman quitte Nashville après la mort du père pour aller s’installer à Daytona Beach en Floride avec ses deux fils : «On roulait sur la 301 et on est arrivés à Savannah. C’était de bon matin. J’aimais bien ce moment de la journée. On descendait la rue qui était bordée de très grands chênes. C’était comme un tunnel. Tout au bout, il y avait une boutique Harley-Davidson, et elles étaient toutes là, en vitrine, de toutes les couleurs, on aurait dit des bonbons et je m’étais dit : ‘I oughta come back to this place someday.’ Sure enough, I did.» - Oui Gregg Allman est revenus s’acheter une Harley dans cette boutique qui le fit rêver.

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Signé : Cazengler, old mean brother

Gregg Allman. Disparu le 27 mai 2017
Gregg Allman. My Cross To Bear. HarperCollins 2012

 

*

 

Dave ne Wyndorf que d’un œil - Part Two

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Les Monster Magnet souffrent d’un léger problème de positionnement : pas mal de gens les prennent pour des metallers. À force d’aller taquiner les puissances des ténèbres et de se réveiller dans des cratères creusés par des bombes nucléaires, Dave Wyndorf s’est taillé une réputation d’Objet Sonique Non Identifiable. Il prend un malin plaisir à échapper aux modes et aux étiquettes et passe depuis trente ans le plus clair de son temps à se goinfrer de drogues hallucinogènes pour voyager dans cet univers sonique qu’il a créé de toutes pièces. Tous ceux qui ont pris la peine de le suivre depuis le début et qui se sont plongés dans les récits de ses virées inter-galactiques le savent : il s’appelle Dave Wyndorf dans le civil, mais son vrai nom est Space Lord Motherfucker. Et par ce beau soir bien hot, nous nous sommes tous retrouvés à gueuler «Space Lord Motherfucker !» en chœur avec lui, oui, une clameur digne du temps où les masses gueulaient «Pharaon !» sur le passage du char royal.

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Cet homme de petite taille cultive la démesure avec une aisance déroutante. Il concentre tous les pouvoirs et décrit ses visions en serrant les poings, il prévient qu’il ne faut pas taper dans le dos de Dieu et rappelle à ceux qui l’auraient oublié seul the Chemical King apporte la paix, you know what I mean, yeah yeah. Alors que les trois guitares commotionnent le cosmos, Dave Wyndorf invite sa poule à lui grimper dessus pour le chevaucher, ride me baby, dans son lit de sueur et de vérité, il veut la voir grogner, mousser, et griller comme une truie au cœur du soleil, yeah like a pig in the heart of the sun. Heureuse coïncidence, il chante ça dans la ville où le pig Cauchon a brûlé baby D’Arc. C’est un peu comme si les planètes s’alignaient brutalement. Le heavy rock de Monster Magnet prend un sens qui nous dépasse tous, sauf bien sûr Dave Wyndorf qui sous ses cheveux délicieusement noirs de jais reste le grand Instigateur, comme le fut Syd Barrett en son temps. Ils naviguent exactement au même niveau.

 

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Alors que l’Anglais Barrett expérimentait pour trouver un passage vers the Heart of the Sun, l’Américain Wyndorf réécrit les tables de la loi : «Je ne travaillerai plus un seul jour de ma vie/ Les dieux m’ont ordonné de me relaxer.» Et il enfonce son clou, les bras dressés au ciel : «Non, je ne tra-vaille-rai plus ja-mais ! Je suis trop occupé à powertripper/ Mais je vais vous éclairer !» Sa voix se perd dans la énième dimension alors qu’il clame I’m gonna shed you some light ! Le «Powertrip» qu’il balance quasiment en début de set n’a rien perdu de sa puissance biblique. En rappel, il ramène son vieux «Tractor» pour une virée dévastatrice. On savait le cut énorme, mais Dave Wyndorf lui redonne une nouvelle vigueur en hurlant les yeux rivés sur le public. Le tracteur qu’il conduit sur la drug farm n’est pas du type de ceux que vous pouvez voir dans vos campagnes, certainement pas ! Le sien doit bien mesurer vingt mètres de haut et dégager autant de fumée d’un haut fourneau. Dave le pilote et sa voix couvre le vacarme épouvantable : «On m’a enfoncé un clou dans le crâne et je sais que je suis cinglé/ Je conduis mon tracteur on the drug farm !» Tout est fait pour tétaniser les masses. Puissance, visions, démesure, l’homme est petit, mais il agit avec la violence d’un géant. On voit des croix de fer brodées sur son gilet noir. Il taille sa moustache en filet de croc, tout en lui indique l’outer-space de l’overlord. Les Monster Magnet jouent aujourd’hui le meilleur heavy rock d’Amérique.

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L’early Sabbath sound et le heavy blues irriguent leur son. Ils cultivent l’apanage des géants de ce monde : savoir trouver l’équilibre entre classicisme et démesure. Rien n’est plus difficile. Si ça bascule trop dans le classicisme, les masses bâillent. Trop dans la démesure, les masse fuient. Monster Magnet trouve l’équilibre parfait. Dans «Negasonic Teenage Warhead», Dave Wyndorf rappelle à ceux qui l’auraient oublié qu’il est né sur Venus et qu’il est sur terre pour un bon moment. Par contre, il n’aime pas ce qu’il y voit, tous ces branleurs supersoniques qui entrent dans la danse et tous ces génies sub-atmotiques qui fabriquent de la douleur. Décidément, la planète terre n’est pas faite pour lui. Mais comme il est charitable, il implore qu’on le fasse taire - Shut me off cause I go crazy with this planet in my hand ! - Elle le rend dingue, cette putain de planète. Il n’est pas le seul dans ce cas. Il préfère aller cultiver ses champs on the drug farm. D’ailleurs, c’est avec «Dopes To Infinity» qu’il attaque son set. Un cut qui donne le ton et qui sonne comme une prédiction. Dave voit par un trou de sa tête qu’elle est du même monde et dans les lunes de son regard que la tribu va l’adopter. Et puis soudain, un vent de démesure embarque le groupe, la salle et les masses, lorsque Dave gronde de plaisir - Nous voilà tous rassemblés mes amis/ Tous défoncés et tous barrés/ Mais si beautiful - Et il propose de brûler cette montagne, de se dévorer les uns les autres et même de dévorer les chiens - Alive and spaced but all so beautiful - On finit par comprendre que cet homme ne se connaît pas de limites. Ce n’est pas qu’il les ait repoussées. Non, c’est encore pire : pour lui, elles n’existent pas. Car elles n’ont tout simplement pas de sens.

 

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Tiens, ce discours ne vous rappelle rien ? Oui, Roger Gilbert Lecomte qui utilisait exactement les mêmes moyens pour pulvériser les carcans psychiques de la pensée. Un Gilbert Lecomte qui comme Wyndorf refusa de s’affilier à quelque mouvement ou idéologie que ce fût, ne respectant que sa vision : le Grand Jeu pour Gilbert Lecomte, l’Éternité des Drogues pour Wyndorf. C’est exactement le même Powertrip. Exactement la même pureté d’intention et le même goût de l’indépendance. Monster Magnet n’existe que par Monster Magnet, en dépit des pressions des catalogueurs qui voudraient les voir rangés dans le bac metal. Roger Gilbert Lecomte envoya paître de la même façon le dictateur Breton qui voulait absolument l’intégrer dans sa cohorte surréaliste. Mais ces gens-là ne vendent ni leur âme ni leur cul. Instigateurs, comme on l’a déjà dit, mais surtout Expérimentateurs. Ils ont compris que le corps est avant toute chose un outil au service de l’art. D’une certaine vision de l’art. Le préserver ou le maintenir en sommeil, c’est une façon de le réduire à l’état de tube digestif. Dave Wyndorf et Roger Gilbert Lecomte se sont transformés en Athanors à deux pattes. Ils se sont goinfrés d’excès pour produire leur Grand Œuvre.

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Puissant personnage que ce Dave Wyndorf : à force de distiller ses visions et de les sublimer au vu et au su de tout le monde, il finit par occasionner des petites dérives latentes dans les cervelles de ses admirateurs. Il nous plonge dans une sorte de relativisme existentialiste assez plaisant, et sans vouloir être mauvaise langue, il faut bien reconnaître très peu de groupes actuels sont capables d’un tel subterfuge.

Cultiver les visions hallucinogènes et jouer du heavy rock reste à la portée de pas mal de gens. Mais savoir écrire, c’est un peu plus compliqué. Et c’est là que Dave Wyndorf et Roger Gilbert Lecomte font la différence. Il règne un esprit très particulier dans les textes qu’écrit Dave Wyndorf. Son style relève de la grande littérature. Il sait décrire une vision très originale en deux vers, ou encore décrire une situation extrêmement glauque en quatre vers. Chuck Berry excellait aussi dans ce domaine. Si on commettait l’erreur d’écouter ses chanson sans savoir ce qu’il racontait, on passait complètement à côté du génie de cet homme. Idem pour Dave Wyndorf.

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Évidemment, il boucle son set avec l’hymne inter-galactique, l’imparable «Space Lord». Il y fait le récit de son règne : «J’ai abandonné mon trône/ Je bois à ton sein/ Je chante ton blues chaque matin. Donne-moi la force de briser le monde en deux/ J’ai déjà tout dévoré et maintenant c’est toi que je vais dévorer, yeah !» Et il harangue les masses rassemblées sur le passage de son char : «Now open wide and say my name !» et les masses s’égosillent à gueuler «Space Lord Mother Fucker !», «Space Lord Mother Fucker !», «Space Lord Mother Fucker !» Il règne dans la salle exactement la même ambiance de fête païenne qu’au temps des pharaons.


Signé : Cazengler, Master à terre


Monster Magnet. Le 106. Rouen (76). 19 juin 2017

 

 

21 / 06 / 2017PROVINS

L'ARAIGNEE AU PLAFOND

 

Je n'apprécie guère les réunions familiales. Je me défile à Noël, j'évite les mariages, répugne aux baptêmes, j'oublie la fête des grands-mères, bref je me porte régulièrement aux abonnés absents pour les grandes occasions, c'est que généralement la musique qui accompagne ce genre d'évènements est des plus mauvaises. Toutefois depuis quelques années je fais une exception. Toutes les fêtes de la musique, en ce jour sacré de Sol Invictus, je ne rate jamais L'Araignée au Plafond.

Les esprits chagrins rétorqueront que le solstice d'été n'appartient pas au patrimoine familial, je leur donne raison. Par contre L'Araignée Au Plafond est une entreprise typiquement familiale. Faut bien occuper les enfants, alors le père leur a filé un instrument à chacun et inscrit une répétition générale tous les dimanche après-midi, l'a en plus réquisitionné deux ou trois voisins qui traînaient dans les environs, et l'Araignée a commencé à tisser sa toile. On ne compte plus les spectateurs qui se laissent prendre au piège. L'Araignée au Plafond est devenue le combo totémique de la ville de Provins.

SANS PLAFOND

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Ne se gêne plus l'Araignée, l'a carrément tendu ses filets au milieu de l'artère principale, barre la circulation, n'a pas choisi l'endroit au hasard, à mourir sous la canicule autant se faire enterrer dans une bière bien fraîche, devant Beer Town le spécialiste provinois es cervoise. Le soleil darde une flamboyante épée meurtrière en plein dans l'enfilade de la rue, une centaine de badauds fait semblant de s'abriter dans l'ombre absente des façades, cuivres et vents de l'Araignée donnent l'aubade, z'ont de l'énergie à plein tube, nous offrent un salmigondis qui évoque autant les orphéons d'antan que le Nino Ferrer des bons jours, autant la musique de cirque que le fellinien Nino Rota, ne sont que trois mais font du bruit pour quinze.

 

L'ARAIGNEE

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Méchante machine que l'Araignée, dès qu'elle entre en transe, vous ne pouvez plus l'arrêter, vous déroule une cinquantaine de morceaux à la suite sans s'arrêter. Etonnez-vous que cinq cent personnes se soient regroupées autour d'elle. Ils ont un truc d'une simplicité effarante, ils jouent tous ensemble, deux percus, un batteur, basse, guitare, deux sax, une clarinette, un clavier, ça vous fout un boucan de tous les diables. Mais attention c'est méchamment arrangé, pas question de faire du n'importe quoi dans son coin, chacun à sa place et le rock'n'roll sera bien gardé. Z'ont un défaut, ne se complaisent pas dans les langueurs automnales, besognent dans le torride, le genre slow langoureux et nostalgique ce n'est pas leur truc, leur faut des tonitruances sans fin, des frasques saxuelles aussi lourdes que les Memphis Horns, des remue-ménage de tambours aussi fracassés que des marteaux-pilon, plus le papa qui ne peut s'empêcher de vous jeter de ces cinglées de guitares à vous électrocuter la moelle épinière.

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C'est la seule araignée à dix pattes que je connaisse. Une marmaille un peu agitée, n'y a que la maman qui reste imperturbablement calme dans ce maelström, vous tricote ses lignes de basse, un fin sourire aux lèvres, aussi sereine que Napoléon sur le tertre d'Austerlitz. De toutes les manières elle a filé les clefs de l'intendance à sa fille.

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Mildred mène la troupe. A sa place vous seriez assailli par de sérieux problèmes métaphysiques, où vais-je poser ma voix dans cette espèce de lave en fusion qui coule dans mon dos. Surtout que le frérot, il vous secoue salement le saladier sur sa batterie. S'est formé tout un petit groupe autour de lui pour le regarder officier. Vous casse les oeufs durs, un peu à la funk, le coup qui suit le précédent un peu heurté, comme s'il était pressé, bref ne laisse jamais une demi-seconde de répit au reste du régiment, z'ont intérêt à cavaler, les temps de pause sont interdits, les saxophones obligés de beugler comme des éléphants en colère en train de charger, et le tout à l'avenant. Alors vous vous faites du souci pour Mildred. A tort.

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L'est aussi à l'aise dans ce tohu-bohu des plus tordus qu'une princesse transportée en baldaquin. Toute belle, et la hargne souriante. Vous domine le tumulte comme si de rien n'était. Pire, c'est elle qui tire les wagons. A les écouter vous croyez que c'est une conjuration, qu'ils ont décidé de lui mener la vie dure, qu'ils veulent la voir s'écrouler raide morte à la closure du set, que quand l'héroïne ne meurt pas à la fin le film est raté, mais non c'est tout le contraire. Sont obligés de suivre s'ils ne veulent pas être distancés, galopent à en perdre haleine, mais z'ont beau accélérer, elle est toujours devant. Même durant les ponts où elle se retire tout au fond – près de sa maman- et les laisse batifoler en liberté – jamais très longtemps car c'est elle qui drive la diligence, et les spectateurs adorent l'indomptable aventurière qui fait le coup de feu contre les cruels Apaches en première ligne du septième de cavalerie.

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Vous empoigne les titres un à un, comme des cobras que vous sortez du sac à commission quand vous revenez du marché de la jungle, sans ménagement, à plein timbre, et vous leur tord le cou avec un savoir-faire indéniable. Mais qui n'appartient qu'à elle, la voix un peu perchée, pour dominer l'orchestration brontosaurique qui ne lui fait aucun cadeau, R'n'R Damnation, Jumpin' jack Flash, Rolling in the Deep, Tainted Love, Fortunate Son, et bien d'autres, vous les traite sans ménagement mais avec respect, parvient même à reproduire les sensuelles inflexions de Jerry Lou sur Great Balls of Fire... N'a peur de rien Mildred. L'est sûr que sa beauté punchy alliée à une grâce naturelle, genre sympathie with an angel ( but she's the devil on stage ) est un atout considérable. En la regardant, le plus grand des arachnophobes du monde commencerait à collectionner les mygales.

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Maintenant nos araignées manquent de jugeote. Pensent qu'après plus de deux heures sans interruption, vont pouvoir nous quitter sur un dernier morceau. Faut qu'ils apprennent que la plèbe est insatiable, que vous lui donnez un crouton de pain et qu'elle vous bouffe le boulanger. Ne s'en tireront pas sans une dernière jamesbrownerie des plus épileptiques qui vous hache le cortex et se déploie comme un gigantesque incendie. D' ailleurs pour le prochain concert de L'Araignée au Plafond dans la bonne ville de Provins, l'on a pris toutes les précautions. Ce sera pour le bal des pompiers.

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Damie Chad.

 

( Photos : FB : L'Araignée au plafond )

 

*

L'INCROYABLE EXPERIENCE

 

1

On dit beaucoup de mal de lui en France, mais je dois convenir que the President Trump est des plus sympathiques. A peine ai-je mis le pied dans le bureau ovale qu'il se lève tout sourire et me file de grandes tapes amicales dans le dos comme si l'on se connaissait depuis la Maternelle :

«  Excuse-me, you be enlevated by the CIA, but USA needs you very very much much !

    • Monsieur le Président...

    • Oh Damie, just call me Donald !

    • Yes ! Donald, si le pays qui a inventé le rock'n'roll a besoin de moi, je réponds présent, sans l'ombre d'une hésitation !

    • Yes very good ! We read every week your chronicles on KR'TNT ! the great Cazengler, but to-day, we want to speak especially with you, I give the speech to our great scientifist Ridcharson, he will explain you, very well, cause he speaks french, better than me ! »

 

C'est alors que je remarque Richarson assis à côté du Président, de sa blouse blanche ne dépassent que des yeux vifs qui ne manquent pas de profondeur, surmontés d'un front intelligent. L'on sent le scientifique qui n'a pas de temps à perdre, tout de suite il entre dans le vif du sujet.

 

«  Oui Damie, vous n'êtes pas sans ignorer les remontrances qui ont suivi la déclaration de notre Président adoré annonçant qu'il se retirait des accords de Paris. Notre pays a été recouvert d'une marée d'opprobres, comme si la meilleure manière de lutter contre le réchauffement climatique était de s'arrêter de produire du CO 2 ! Une lutte dérisoire, nous américains, sommes beaucoup plus pragmatiques. Nos laboratoires sont sur le point de réaliser une expérience étonnante. C'est pour cela que nous vous avons fait venir. Ces imbéciles d'européens n'ont aucune imagination : il ne s'agit pas de réduire le réchauffement climatique, bien au contraire, notre idée est d'adapter l'homme à supporter les chaleurs excessives !

    • Je comprends votre raisonnement Mister Richarson, vous voulez donc que je vive quinze jours dans la Vallée de la Mort sans boire, emmitouflé dans trois fourrures d'ours polaire !

    • Vous n'y êtes pas du tout, nous voulons simplement transformer l'homme en animal à sang froid !

    • Vous n'avez pas peur que ça capote ?

    • Pas du tout ! Nous avons bien eu quelques échecs, lorsque l'on a essayé par exemple de changer le sang de Keith Richards par du sang de lézard, ça n'a pas marché, l'a perdu son équilibre dès qu'il est monté sur un cocotier, vous connaissez l'histoire.

    • Ah ! C'était donc ça !!! vous m'en apprenez une bien belle Richarson, l'article que je vais écrire sur KR'TNT ! aura un retentissement mondial !

    • Ne perdons pas de temps en enfantillages ! Nous avons analysé notre échec et nous avons réussi à modéliser mathématiquement la solution, c'est tout simple à réaliser, ce n'est pas le sang qu'il faut changer, mais le cerveau, c'est lui qui devant les nécessités climatiques induira automatiquement les variations sanguines nécessaires !

    • Mais qu'ai-je à faire dans cette histoire doctor Richarson ?

    • Vous êtes le cobaye idéal. N'avez-vous pas été vous-même victime d'une métamorphose lézardienne - vous la racontez dans votre livraison 317 du 22 / 02 / 2017 – des plus passagères certes, mais aucun autre être humain n'a subi une telle accoutumance reptilienne. La survie de l'humanité ne tient qu'à un fil, votre acceptation en décidera, le sort de la population mondiale en dépend, nous vous laissons toute la nuit pour en décider.

    • Inutile, je l'ai déjà dit, un rocker ne peut être que férocement fier d'aider le pays qui inventa le rock'n'roll !

 

2

Contrairement à ce que l'on pourrait croire l'opération réussit parfaitement. A l'aide d'une pince à sucre l'on retira mon cerveau que l'on plaça précautionneusement dans un bocal empli de liquide amniotique sur l'étagère du laboratoire, et l'on me greffa le cerveau d'un lézard en moins de deux minutes. Je ne ressentis aucune douleur, à peine si le crissement de la scie mécanique qui sciait ma calotte crânienne me fit grincer des dents.

Ensuite je vécus une vie extraordinaire en Floride sur la terrasse ensoleillée d'un vaste appartement. Ma température était descendue d'une dizaine de degrés, cela ne me gênait guère. Richarson me chouchoutait. Des sandwichs au beurre de cacahuète à volonté et le Président Trump avait organisé une cellule spéciale du FBI chargée de me ravitailler en disques rares, tous les 78 tours des vieux bluesmen idem pour les premiers tirages de Sun, de Little Richard, de Gene Vincent...

Richarson exultait, je n'avais perdu aucune de mes facultés intellectuelles. Pas le moindre changement dans ma façon de marcher, de me mouvoir, de raisonner. Un tout petit détail cependant, trois fois rien, je ne pouvais voir une mouche sans me jeter dessus et la gober d'un coup sec.

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Mais un matin Richarson vint me voir la mine sombre :

«  Damie nous sommes dans le pétrin ! Votre opération a parfaitement réussi. Chaque jour depuis un an nous l'avons dupliquée une vingtaine de fois, dans chacun de nos cinquante états. Aucun des soixante-cinq mille volontaires désignés d'office n'est resté en vie. C'est un drame. Mais un américain ne s'avoue jamais vaincu. Nous avons réfléchi. Si vous avez survécu cela tient sans aucun doute à votre première transformation en lézard géant. Vous avez dû garder dans votre sang des gamètes sauriennes que nos patients ne possèdent pas.

    • Je suis désolé pour vous Doctor mais je ne vois pas trop ce que je puis faire pour vous aider !

    • Mais vous pouvez Damie ! Vous pouvez beaucoup ! Vous pouvez tout !

    • Expliquez-moi Doctor, je ne comprends pas !

    • Très simple, personne ne possède des gamètes sauriennes, mais vous Damie, vous pouvez les transmettre à vos enfants !

    • Vous voulez-dire que si je...

    • Oui Damie !

    • Sans une hésitation je suis votre homme, Richarson !

    • Réfléchissez-y sereinement Damie, nous n'avons aucune idée de savoir comment un tel accouplement pourrait tourner, une femelle terrestre avec un homme lézard, il ne s'agit plus d'un banal cas de zoophilie mais d'une union monstrueuse, le fait que vous ayez un cerveau de lézard change la donne, c'est un peu comme si un extra-terrestre fécondait une mortelle, que sortira-t-il de cette union, les biologistes ne se prononcent pas, vous avez bien vu que nous n'avons mis à votre service que du personnel masculin !

    • Ah ! Oui, ça je m'en suis rendu compte, mais avec toutes les scuds que j'avais à écouter chaque jour, j'avoue que j'ai pris mon mal en patience ! Doctor, je vous le répète, pour l'Amérique, le pays qui inventa le rock'n'roll, je suis prêt à tous les sacrifices.

       

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Le grand jour est arrivé. J'avoue que je ne suis pas très à l'aise. Ce n'est pas la jeune infirmière attachée les jambes écartées sur la table d'opération qui me gêne, non, elle est plutôt jolie et s'est portée volontaire dès qu'on lui a présenté ma photo. Non, c'est l'environnement médicalisé. Dans la salle nous sommes seuls mais je sais que les murs blancs sont de fausses vitres. Derrière elles se pressent une cinquantaine des plus grands biologistes américains, ils ne font pas de bruit, ne doivent en rien interférer avec l'expérience, mais je sens leur présence attentive et je devine leurs regards curieux.

 

Ça fait vingt minutes que je tourne, mine de rien, autour d'elle, de l'air le plus dégagé possible, sans parvenir à passer à l'acte. Des pensées bizarres me traversent l'esprit, après tout cette fille, elle n'est pas de mon espèce... pourtant les Dieux grecs n'hésitaient pas une seconde dès que l'occasion de copuler avec un être humain se présentait... Sans doute ne me serais-je jamais décidé si la nature ne m'était venue en aide. Une innocente mouche, sortie de je ne sais où, vint subitement se poser sur son sein. Mon sang instinctif ne fit qu'un tour, je bondis et l'avalai prestement. Mais le contact de mes lèvres sur la douce chaleur de cette chair rebondie déclencha en moi un désir irrépressible. Je me jetai sur ce corps féminin et le couvris de tout mon long.

 

C'est alors que l'inattendu que redoutaient les biologistes se produisit. Je me mis à rapetisser à toute vitesse, dans la position dans laquelle je me trouvais je m'aperçus que mes bras se teignaient de vert... je n'étais plus qu'un svelte et mince lézard de nos murailles posé sur son ventre, elle frissonnait, je comprenais que cette sensation la dégoûtait, la porte s'ouvrit précipitamment et une vingtaine de doctors se précipitèrent vers moi. Je pris peur, et me réfugiai sur son bas-ventre, c'est alors que j'aperçus la mince fissure.

 

Et le lézard entra dans la lézarde.

Damie Chad.

24 / 06 / 2017

BLACKSTONE - BARBIZON

THE LIZARD QUEEN

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Peu de monde ce soir au Blackstone, dommage car The Lizard Queen s'est transcendé. On avait eu un petit aperçu lors du sound check, mais j'avais mis cela sur la scène beaucoup plus vaste que l'espace exigu du Glasgow dans lequel nous avons toutes les fois précédentes eu le plaisir de voir la Reine Lézard, et puis il y avait ce fil qui ne filait pas droit et obstruait quelque peu le son et qui avait focalisé l'attention des lézards.

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Mais dès le premier morceau, Soul Kitchen, l'évidence s'impose les Lizards ont décidé de nous concocter la recette doorsienne du ragoût de l'âme à leur manière. L'est vrai que lorsqu'une porte est ouverte, l'on ne sait jamais ce que l'on va trouver derrière. Mais procédons avec ordre et méthode. Portons nos regards sur Jul, c'est la moindre des prévenances puisque au Glasgow nous n'apercevons que sa tête qui émerge de temps en temps de l'entassement des fûts. Une frappe puissante, c'est lui qui drive les chevauchées morissoniennes, la musique ne bascule qu'à son instigation, chaque break est comme un renversement nietzschéen des valeurs, le morceau se retourne sur lui-même comme la tête du serpent qui darde sa langue de feu sur l'étincelance de ses écailles mordorées, comme le fleuve impétueux qui se courbe, comme le fameux sentier heideggérien qui nous emmène dans une nouvelle subtilité fracassante du chemin de la pensée.

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Tristan Tisocial, le joker et le fou, toujours le mot pour rire et des lignes de basse comme des laisses de fil de fer barbelé rouillé qui s'emmêlent dans vos jambes. N'a pas le beau rôle, c'est lui qui éteint la lumière. Qui transforme la musique mythique en hymne à la mort reptilienne. Une basse charbonneuse. Un filon de coalescence noire qui s'enfonce profondément dans les obscurités antédiluviennes des bas-fonds de votre psyché. Jul et Tristan, une rythmique noire, le fleuve de boue qui s'en vint recouvrir la tombe éventrée des ossements d'Orphée. Deux malfrats qui ont fracturé le portail de la poésie.

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Reste le triomino des écorcheurs. Les soudards de la barbarie. D'abord la plus blonde – pour parler comme Marcel Aymé qui aurait écrit les contes blues et sang du serpent perché – Léa Worms, rieuse et sourieuse, le doigt sur les touches comme si elle était ailleurs, car elle est de l'autre côté. La grande fautive. L'a retiré le velours ambré de l'orgue doorsien qu'elle imitait si bien jusqu' à lors - les Doors ne sont plus les Doors, sont devenus The Lizard Queen – vous refile une teinte joyeuse, ne criez pas au sacrilège, c'est jeune et enlevé mais tranchant et incisif, froid et cruel, une boursoufflure grotesque à l'instar de certains contes de Poe, de ceux qui sont les plus inquiétants car ils représentent le rire de ces crânes humains qui s'entassent dans les catacombes de la vie, ou qui vous décochent leur plus beau sourire sur les étamines noires des vaisseaux pirates.

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Deuxième pointe acérée du triangle. Alex et ses guitares, la multicolore psyché et la noire cercueil. L'a décidé de pulvériser la musique des Doors. De la passer à la moulinette. D'en extraire le suc héraldique et de vous l'offrir dans une coupe d'orichalque échappée du naufrage de l'Atlantide. Qui ne l'a pas entendu dans Spanish Caravan n'a aucune idée de ce que l'on peut faire avec une guitare. Pauvre caravane, commence dès les premières notes par vous égorger tous les chameaux et continuant sur sa lancée il trucide tous les espagnols qui passent par là – fandango, cante-jondo, et flamenco gisent par terre comme des outres de sang décapitées, bonsoir les folkloristes, à plus amer vont nos préférences. Là où Manuel de Falla faillit dans l'esspagnolade de pacotille, Mister Alex April, nous ramène dans les sentiers du blues exalté, vous chicore à mort les poulets des cérémonies vaudou, vous étripe les boucs lubriques, vous libère le blues de toutes ses inhibitions, le fait ramper dans le ciel des nuées baudelairiennes, et plus tard pour The End, le dernier morceau, vous le concassera en tas de gravats tumultueux, une féérie chaotique sans nom, une horreur magnifique, une splendeur horrifique, un triturage pharamineux, une agonie merveilleuse qui vous laisse entrevoir la mort comme une faim sans fin, un désir d'éternité extatique, la dernière porte à pousser sur le mystère de l'être.

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Ce soir le Lizard Queen était ultraïque. Mais que serait le Lizard Queen sans sa reine Lézard ! Cid Marquis est au micro comme le penseur est accoudé à la mort. En communion avec l'âme désespérée de la poésie. Darkeuse et gueuse du blues. L'a compris l'intime souffrance de Jim Morrison qui est celle de ce sentiment d'impuissance ouranienne que nous inflige le vécu. Elle n'a pas chanté. L'était au-delà du chant. Toute dans ses rugissements de fauve, blessé et d'autant plus dangereux, ses incantations au néant, ses psalmodies funèbres, ses grondements désespérées de bête pantelante.

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Elle chante courbée en deux, penchée, attirée vers la terre, dans la fosse aux serpents, dans la force aux reptiles, et ses rires de sorcière démonique, elle est l'écume propitiatoire qui oint les lèvres la sibylle de Cumes énonçant les fatidiques prophéties du destin implacable, elle est le sang qui coule des blessures et le poison qui s'inocule dans vos veines. Elle est la sapèque ségalienne que se disputent le dragon de l'Imaginaire et le tigre du Réel. Ecartelée et dominatrice. Martyre et bourreau. L'ouroboros en gestation qui se dépouille de sa peau pour devenir plus grand afin de pouvoir enfin mordre et clore sa propre extrémité et réaliser l'anneau suprême de l'éternel retour de soi à soi-même.

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Ce soir les Lizard Queen ont été monstrueux. Ce genre de concert dont personne ne ressort vivant.

Damie Chad.

( Photos : FB : Princess Flo )

 

COURRIER DES LECTRICES

 

Des lettres nous en recevons plusieurs centaines par jour. Nous en extrayons - du lourd sac postal que le facteur nous a apporté ce matin - une au hasard. Bonne pioche, elle nous semble soulever une problématique des plus intéressantes. Lisons-donc sans tarder.

 

Cher Cat Zenger,

Cher Damie Chaddie,

Nous sommes un groupe de jeunes collégiennes taraudées par une question à laquelle aucun de nos professeurs n'a su répondre. Nous avons essayé auprès des garçons mais notre établissement n'accueille qu'un ramassis de rappers à casquettes aux visières aussi plates que leur intelligence. Inutile de s'attarder avec ces jeunes ignorants qui ne savent même pas que les guitares électriques existent... Donc voici notre question :

 

Que font les rockers quand ils ne s'adonnent pas à leurs trois perversions préférées, le sexe, les excitants et la musique ?

 

Nous apprenons toutes vos livraisons par coeur et essayons de les mettre en pratique en suivant scrupuleusement vos conseils, toutefois pour que nos âmes soient encore plus pénétrées de l'intimité existentielle de ces êtres d'exception que sont les rockers nous aimerions savoir à quelles autres turpitudes se livrent ces héros modernes de l'humanité dans leur vie privée. S'il vous plaît, répondez-nous ! Ne vous contentez pas de vagues généralités, prenez un exemple précis et expliquez nous tout, sans rien nous cacher.

 

La lettre comporte encore douze ferventes pages admiratives de flatteuses louanges que notre modestie légendaire nous empêche de vous communiquer...

 

Le Cat Zengler s'est lâchement défilé sous prétexte qu'il fallait qu'il réécoute d'urgence toute la discographie crampique non sans m'avoir assuré que je possédais toutes les facultés intellectuelles requises pour satisfaire l'insatiable curiosité de nos jeunes intriguées. Me suis donc chargé de la rédaction de la réponse. Dear lecteurs assidus pour ne pas vous faire perdre votre temps j'en ai omis les passages qui ne traitent pas directement de la thématique proposée.

 

Demoiselles,

( … )

C'est mon libraire qui m'a tiré de l'embarras. Quel célèbre rocker allais-je évoquer, le choix est immense, je ne parvenais pas à me décider, mon vaste cerveau fourmillait de multiples propositions, je n'arrivais point à me décider... pour me changer les idées je suis allé faire un tour en ville. Par réflexe je suis rentré dans la librairie. Avais-je à peine franchi le seuil que le vendeur m'assaillit : c'est bien vous qui prenez systématiquement tous les livres de Nick Tosches sans même lire le titre ? Je ne pouvais le nier. C'est pour vous, m'a tendu le sachet, vous n'avez plus qu'à passer à la caisse.

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Faut vous préciser, demoiselles, que Nick Tosches est un sacré rocker. Il ne chante pas. Fait beaucoup mieux. L'a écrit un des ouvrages essentiels du rock'n'roll, si vous ne devez lire qu'un seul livre de votre vie, c'est celui-ci : Hellfire, la biographie de Jerry Lee Lewis. Alexandre le Grand possédait un exemplaire de L'Illiade d'Homère, il refusait de s'endormir sans l'avoir à portée de main, suivez ce glorieux exemple, chaque soir glissez Hellfire sous votre oreiller et vos nuits seront plus belles que vos jours. Tout ce que vous devez savoir se trouve dans ces pages tumultueuses...

Oui mais. Nick Tosches s'intéresse aussi à autre chose qu'au rock'n'roll. En voici la preuve :

 

SOUS TIBERE

NICK TOSCHES

( Albin Michel / Juin 2017 )

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Difficile de trouver un personnage aussi fabuleux que Jerry Lou sur cette planète. Faut remonter loin. Et encore il en faut deux, et pas des garçons coiffeurs comme disait Giono – vous en jugerez – pour espérer égaler le chanteur endiablé de Ferriday. Pour commencer pas moins qu'un empereur romain. Et pas le moindre : Tibère. Celui à qui échut de poursuivre la tâche auguste d'Octave, celle de perpétuer l'Imperium Romanum. Nick Tosches ne le flatte guère. En ce temps-là le rock'n'roll n'existait pas. Mais le sexe était déjà là. L'introduction nous décrit par le menu les habitudes érotiques de notre princeps. Aujourd'hui vous finiriez en prison avant même d'expérimenter la moindre d'entre elles. Les ligues de vertu et féministes vous tomberaient dessus. Toutefois il est sûr que les frasques tibériennes seront perçues par l'hypocrite lecteur comme une invitation aux rêveries des plus agréables. D'autant plus que, la morale est sauve, Tibère n'est pas le héros du livre.

Nick Tosches a mieux à vous proposer. Un chevalier blanc, exempt de tout reproche. Vous ne pourriez imaginer plus parfait. Dieu en personne. Jésus-Christ ! Qui vécut et mourut sous le règne de Tibère. Vous pensez que Nick Tosches après son ouverture un tant soit peu pornophilesque cherche à se rattraper et à rassurer la majorité bien-pensante de ses lecteurs. Point du tout, vous donne sa version personnelle de l'Agnus Dei.

Jésus n'est qu'une petite frappe misérable de Jerusalem. Une espèce de punk à chien sans clébard, un dealer sans héroïne, prêt à toutes les embrouilles pour survivre. L'est repéré par un ancien familier disgracié de l'Empereur – c'est lui qui raconte l'histoire – qui entrevoyant le physique somme toute avenant et charismatique de notre loque humaine décide de refaire fortune en le présentant aux populations arriérées ou crédules comme le messie qu'attendent les juifs depuis deux millénaires. Ne sera pas le seul dans la région à se prétendre l'envoyé de Dieu, mais il bénéficiera de la logistique intellectuelle de son mentor qui compose ses discours et lui explique les pieuses et déférentes attitudes à observer... Nos deux impétrants se mettent en route et leur scénario réussit au-delà de tous leurs espoirs. Nous refont le coup de Frankenstein dépassé par sa créature ! L'histoire tourne au vinaigre et se terminera mal. Vous connaissez la fin.

Nick Tosches nous réécrit les Evangiles sous le mode picaresque. Z'étaient partis pour une lamentable et profitable combine de récolte de fonds pour la construction d'un nouveau temple à Jérusalem, pensaient s'enfuir au dernier moment les valises pleines de sesterces – c'est un peu le We're Only in It just For the Money de Zappa - mais se retrouvent embringués dans une aventure qui les dépasse...

Le livre a quelque peu choqué les bonnes âmes à sa parution en Angleterre... Critique décapante de la religion... Je vous laisse le plaisir de le découvrir...

Damie Chad.

 

Demoiselles, vous pourriez croire en lisant cet ouvrage de Nick Tosches que le rocker retiré de l'emprise de ses fans se vouât à d'austères études historiques et philosophiques. Il n'en est rien. Réfléchissez aux réactions du puritanisme américain et anglican qui supporta très mal la transe épilepsycho-érotique du rock'n'roll, songez à Jerry Lou bouté hors de la perfide Albion pour le simple fait d'avoir - en toute innocence empreinte d'une candeur naïve sans égale - présenté aux journalistes britanniques, Myra, son amour d'épouse âgée de treize ans...

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Sachez le bien, douces enfants, le rocker est toujours en guerre contre l'hypocrisie du monde. Même lorsqu'il a l'air retiré en se tour d'ivoire de s'occuper de tout autre dilection, de se consacrer à des sujets bien éloignés du rock'n'roll, le rocker ne tend qu'à un seul but, faire triompher le côté sauvage de la vie,

 

Hey, my dear babies,

Take a walk on the wild side !

 

Comme disait le grand méchant Loup Reed...

Damie Chad.

 

 

 

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